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n° 14 avril1995
( anciennement CAHIERS DU CEDAF )
( voorheen ASDOC-STUDIES )
ISSN 1021-9994 Périodique bimestriel de It Tweemaandelijks tijdschrift van het Bimonthly periodical of the
Institut Africain Centre d'Etude et de Documentation
Afrika Instituut Afrika Studie...en Dokumentatie...
Africaines (CEDAF)
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Jean-Claude WILLAME
Aux sources l'hécatombe rwandaise
Institut Africain-CEDAF Afrika Instituut-ASDOC Bruxelles-Brussel
de
Editions L'Harmattan 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique 75005 Paris
Du même auteur
L'é.l.TJopée d'Inga. Chronique d'une prédation industrielle, Paris, L'Harmattan, 1986. "Chronique d'une opposition politique: CEDAF, n° 7-8, 1987.
l'UDPS (1978-1987), Les Cahiers du
"Eléments pour une lecture du contentieux belgo-zaïrois", Les Cahiers du CEDAF, n06, 1988. Patrice Lumumba: la crise congolaise revisitée, Paris, Karthala, 1990. "La décennie 80 : L'aide en question. Esquisse comparative des politiques de développement dans quatre pays européens", Les Cahiers du CEDAF, n° 2, 1991. "De la démocratie "octroyée" à la démocratie enrayée", Les Cahiers du CEDAF, nOS-6, 1991 (Zaïre, années 90, volume 1). L'automne d'un despotisme. Pouvoir, argent et obéissance dans le Zaïre des années quatre-vingt, Paris, Karthala, 1992. "Les manipulations du développement. ,Ajustement, cogestion et démocratisation au Burundi", Les Cahiers du CEDAF, n° 5, 1992. "Gouvemance et pouvoir. Essai sur trois trajectoires africaines. Madagascar, Somalie, Zaïre", Les Cahiers Africains, n° 7-8, 1994.
Couverture: La Montagne aux brûlis, Francine Somers, huile sur toile. ~ Africa Museum, Tervuren.
@ Institut Mricain / Afrika Instituut - CEDAF / ASDOC, 1995 ISBN: 2-7384-3106-2 ISSN: 1021-9994
Sommaire
Introduction:
"Mort, désespoir et défi"
1. Un bref détour par la théorie Le regard classique Violence et violences Les violences du lointain
2. Un ancrage "traditionnel" des violences? Une histoire oblitérée Une histoire d'inégalités et de violences? L'intégration par le haut et par le bas
3. Un cycle de violences vindicatives La "révolution"
de 1959
Le contexte du drame Le prisme ethnique du clergé expatrié Le "Muyaga" du Rwanda Les réactions et les conséquences
9 17 17 19 22 28 28 31 41
45 46 46 48 52 58
Le mini-génocide
64
de 1963
65 67 72 77
Un royaume revisité Vers un second cycle de violences Anatomie d'un massacre Les conséquences et les réactions Les "déguerpissements"
ethniques
de 1973
La silencieuse implosion du mythe égalitaire Vers un nouvel exode La guerre de 1990 Heurs et malheurs d'un régime Les Inkotanyi aux frontières La "répression"
4. Régime démographique et violences La phase de dépression démographique L'explosion du régime démographique L'accroissement des densités rurales et les violences
5. Une ruralité oppressante Des "avancées" mitigées Descontrailltes paysannes uniformes La pauvreté, partout Une société cloisonnée et insu laire face à l'enrichissement d'une minorité Ruralité et urbanisation
83 83 86 91 91 94 99 109 110 116 119 132 132 138 143 146 151
6. Le sens d'une hécatombe
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Bibliographie
166
Liste des tableaux, graphiques et cartes
175
HL'histoire hUfnaine est une séquence Inonotone de guerres, de massacres et de carnages. S'il y a des espèces animales qui s'entre tuent, elles y dépensent infiniment moins de temps et d'énergie. L'art de tuer est un champ d'intérêt privilégié de l'intelligence humaine. Au cours des siècles, les techniques s'améliorent et les guerres font de plus en plus de victimes. On passe de milliers aux millions, et récemment aux dizaines de millions ~..). Je fne demande quelquefois s'il n'aurait pas mieux valu que l'évolution s'arrête au niveau des papillons. " Hubert Reeves, L 'heure de s'enivrer. L'univers a-t-il un sens ?, Paris, Seuil, 1986, p. 19
"La nuit, j'ai peur des balles. A Nyakabiga, c'est une véritable hécatombe (..). On parle de bombes et de grenades qui explosent. Et nous tous? Il n y a pas de Hutu ni de Tutsi. On est tous des enfants des rues. A cause de ces histoires de' Hutu et de Tutsi, on se .fait fflassacrer. n
Innocent et Philibert, enfants des rues de Bujumbura, avril 1994.
INTRODUCTION
"MORT, DESESPOIR ET DEFI"
1
Le 6 avril 1994 à 21 h., l'avion transportant le président de la République du Rwanda, Juvénal Habyarimana, et son collègue burundais était abattu de plusieurs coups de missiles aux abords de l'aéroport de Kigali 2. Un quart d'heure après, débutaient les premières violences 3 perpétrées par des milices civiles armées et des éléments des Forces armées rwandaises. En quelques heures, le pays est à feu et à sang. Comme en 1959, 1963, 1991, 1992 et 1993, on pille, on brûle et surtout on tue.
1. J'ai emprunté ce titre à celui du rapport d'Africa Rights, Rwanda: Death, Despair and Defiance, Londres, septembre 1994. 2. Rappelons qu'à ce jour il n'existe aucune certitude sur les responsabilités de cet attentat. La journaliste C. Braeckman, qui a fait état d'une implication française à partir d'une simple lettre anonyme anivée à son journal et qui a accrédité la thèse que l'opération Turquoise faisait partie d'une opération entreprise pour brouiller l'appui de la France au Hutu power, reconnaît finalement et d'une manière passablement embrouillée qu' "aucune hypothèse ne peut être exclue, y compris celle de la responsabilité du Front Patriotique dans l'attentat" . Voir Colette Braeckman, Rwanda. Histoire d'un génocide, Paris, Fayard, 1994, p. 199. 3. Bien que le tenne de génocide ait été utilisé dans cette étude pour qualifier les événements de 1994, il ne nous satisfait pas pleinement. En effet, dans son acception plénière, il suppose l'extermination intentionnelle d'un "peuple" ou d'une "ethnie". Or, on sait que les concepts de peuple ou d'ethnie pour qualifier les Hutu prêtent à discussion. Par ailleurs, il n'est nullement évident que les promoteurs du "génocide" visaient au premier chef l'éradication des Tutsi en tant que tels. TI y a tout lieu de croire que les Tutsi, regardés comme des "ennemis intérieurs", et les opposants hutu qui avaient accepté de "pactiser" avec Wl "envahisseur" (le F. P. R.) furent désignés à la vindicte publique non pas parce qu'ils étaient ethniquement marqués, mais parce qu'ils étaient perçus comme une "cinquième colonne".
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L 'lIECA
TOh.ffiE RWANDAISE
Hécatombe dont les sinistres résultats sont, pour la première fois dans 1'histoire, médiatisés instantanément Les témoignages de ce qui apparaît comme un génocide populaire sont innombrables, ceux qui en portent la responsabilîté, réfugiés aujourd'hui en France, en Belgique ou ailleurs, sont très vite répertoriés dans des listes qui sont du domaine public. A ce jour, le rapport le plus complet sur les violences rwandaises est celui de l'organisation britannique Africa Rights. L'intérêt de cette enquête de plus de 600 pages est de nous faire entrevoir une réalité plus sinistre encore qu'un génocide de "Tutsi" par des "Hutu". Le rapport distingue en effet trois types de violences: les meurtres et assassinats politiques individualisés (contre des opposants), les massacres (de Tutsi comme de Hutu) sur une grande échelle et une "chasse ethnique" contre les Tutsi. On épinglera dans le sonmlaire du rapport les passages suivants: Le~v .tlleurtnulpt.Jlitiqu/!.s
( ...). Dans les heures qui ont suivi (l'assassinat
du président Habyarimana), la
première vague de meurtres fut déclenchée. Les listes des figures de l'opposition qui devaient être assassinées avaient été préparées à l'avance. La garde présidentie11e pourchassa les politiciens de l'opposition dans leurs nlaisons (... ). Une cible privilégiée fut les journalistes indépendants (...). Les animateurs des organismes des droits de 1'homme furent aussi visés. certaines catégories de fonctionnaires, notamment ceux qui relevai<~ntde la Justice, furent massacrés. Les nlassacres Le plus grand nombre de victimes furent le fait de massacres entrepris sur une grande échelle dans tout le pays. Lorsque les tueries débutèrent, les gens terrorisés -principalement des Tutsi mais aussi des Hutu se réfugièrent c41Dsles hôpitaux, les écoles, les églises, les stades et tout lieu qui pouvait servir de sanctuaire. Les interahamwe encouragèrent aussi les gens à se rassembler dans ces lieux (...). Les premiers massacres à grande échelle furent commis dans les jours qui suivirent la mort du président. Les tueries débutèrent à Gikongoro où les gens furent contraints par la force de se rassembler dans les paroisses et les écoles (0")' A Butare, il n'y eut aucun massacre pendant les douze premiers jours. Ceci s'explique par le fait que c'était un bastion de l'opposition et que le préfet était un Tutsi (. ..). Malheureusement, ce préfet fut révoqué le 19 avril et remplacé par des hommes prêts à déclencher une politique de massacre. Ceux-ci débutèrent immédiatement après (...). Gitarama est une autre préfecture qui fut initialement calme. Mais ici aussi, les tueurs réussirent à saper l'opposition locale et à introduire des interahamwe venus d'ailleurs (...). A Kibungo, les tnassacres commencèrent presque instantanéll1ent (...). A Kigali, il y eut de nombreux massacres, (... ). Dans les
-
lNrRODUCTION
Il
préfectures de Cyangugu et de Kibuye, on dispose de moins d'informations, mais il existe des récits rapportant la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes. La chasse aux Tutsi
En dehors des massacres sur Wle grande échelle, des centaines de milliers de Tutsi furent tués individuellement dans Wle sorte de génocide frénétique. TIsfurent traqués dans leurs habitations, chassés de collines en collines ou arrêtés et massacrés aux points de contrôle (...). La première cible des tueurs furent les hommes et les garçons tutsi (...). Les Tutsi éduqués furent particulièrement recherchés ainsi que ceux qui travaillaient dans les organisations internationales. L'université fut "nettoyée". Les meurtres furent perpétrés avec Wle cruauté particulière. Les tueurs brûlèrent vif les gens, souvent dans les plafonds où ils s'étaient réfugiés. Les gens furent jetés, vivants ou morts, dans des latrines ~ ils furent aussi contraints de tuer leurs proches.. Ceux qui cherchèrent à échapper à Wle mort lente par la machette devaient payer le..'Jtueurs pour être exécutés avec Wl fusil" 4.
Autre trait saillant du rapport: le "génocide rwandais" n'a pas été seulement le fait d'une classe politique restreinte. Des gens ordinaires et des responsables de la "société civile" ont eux aussi été impliqués dans les tueries. "Les ordres de génocide furent transmis à travers toute la hiérarchie administrative et militaire (...). A Wl niveau intermédiaire, beaucoup d'administrateurs locaux, de membres des professions libérales, des hommes d'affaires, des soldats et des gendarmes organisèrent les tueries. L'implication - souvent indirecte, parfois brutalement directe - de certains maîtres d'écoles, de médecins, de juristes, d'employés d'organisations internationales et de prêtres dans les massacres pose la grave question de l'intégrité de ces professions dans le futur. Les gens ordinaires se joignirent aux tueurs pour diverses raisons - jalousie, crainte, ou simple contrainte. Les interahamwe furent envoyés sur les collines non pas seulement pour tuer, mais pour forcer les gens à tuer (...). Le but des extrénustes était de faire participer toute la population aux tueries de telle sorte que le sang du génocide salisse tout le monde. TI ne pourrait y avoir de retour pour les Hutu: le Rwanda deviendrait une commWlauté de tueurs" 5.
Épinglons aussi tous ces tén10ignages qui font état d'assassinats collectifs commis froidement et pour lesquels les auteurs, gens ordinaires et "braves" paroissiens, tuent "avec un chapelet autour du cou (...) pour que la Vierge Marie nous aide à découvrir les ennemis cachés". Tel celui de cet instituteur hutu qui avoue candidement (!) avoir tué des enfants tutsi; celui de cet homme qui fuit l'avancée du F. P. R. et qui raconte: 'J'ai participé à des 4. Africa Rights, op.cil, pp. vi-viii. 5.Idem, p. v.
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L'HECATOMBE
RWANDAISE
massacres. Je ne sais pas pourquoi. Je sais juste que je vais droit devant moi"; celui de ce commerçant de Ruhengeri qui explique recto tono : "il y a deux semaines on vivait bien ici: les Tutsi, nous les avons tués très vite, dès le début de la guerre, .sans histoire" ; celui de ce policier qui raconte inlassablement comment il s'y est pris pour tuer ces "Tutsi malfaiteurs" ; celui de ces dizaines de villageois ordinaires qui se sont rassemblés pour, disaient-ils, "attaquer les malfaisants avec l'aide des Français"; celui de ce mari qui enterre sa femme tutsi vivante -- il ne veut pas la tuer à la machette
- en
-
lui disant que "l'heure est venue" ; celui de ces membres d'ONG chrétiennes qui légitiment le massacre au nom d'un "c'était eux ou nous" ; celui de cette jeune fille qui raconte comment, après avoir rôdé la nuit autour d'un groupe de femmes tutsi séparées de leur mari hutu, des villageois massacrent ces femmes dès qu'un "signal" est donné par un "chef de bande" ; celui de ces paroissiens accusant certains prêtres et pasteurs de ne pas avoir refusé d'établir des listes de leurs paroissiens tutsi, celui de rescapés qui racontent conunellt des médecins "sans état d'âme" ont désigné aux tueurs les patients tutsi de leur hôpital... 6. Il est évident que l'hécatombe rwandaise relève d'une logique et d'une dynamique autre; que la violence qui s'est déchaînée dans ce pays, considéré et célébré comme un "modèle", a de prime abord quelque chose d'inexplicable et d'incompréhensible, quelque chose qui se situe au-delà de l'instrumentalisme génocidaire mis au service d'une cause iéologique raciale comme ce fut le cas dans le génocide nazi. On est aussi visiblement dans un autre champ que celui des comportements auxquels d'autres pays africains (Somalie, Liberia, Angola...) et surtout le "sage" Rwanda nous ont habitués. L'erreur d'appréciation qui a été commise par les analystes et les protagonistes extérieurs tient sans doute dans ce que) au Rwanda comme ailleurs en Afrique, deux registres de gouvemementaIité coexistent. E. Terray a utilisé à ce propos l'image du climatiseur et de la véranda pour les caractériser. Dans le premier, la gouvemementalité fonctionne comme dans un salon où le murmure sourd du climatiseur isole les acteurs de la chaleur étouffante et des bruits extérieurs de la véranda. "Sur le devant de la scène, un premier système, inspiré
-- de
façon voyante, appuyée même
-- par
des
modèles européens ou occidentaux, comprenant donc des institutions, des normes, des rôles semblables à ceux qui nous sont familiers: une Présidence 6. Ces différents cas d'espèce sont tirés de témoignages parus dans la presse belge ou française et de ceux recueillis après coup par différentes personnes en Belgique. Voir aussi le numéro spécial de Dialogue consacré aux témoignages de prêtres et de religieuses,I1Q 177, août-septembre 1994.
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de la République, des Ministères, un Parlement, une Administration et un Parti; une Constitution, des Lois, des règlements; un "Père de la Nation", de hautes personnalités, des attachés de cabinets (...) bref tous les ingrédients qui, dans un monde moderne, composent un "État" de plein exercice" 7. Mais dehors, sur la véranda, ce sont d'autres comportements, d'autres rôles et aussi d'autres acteurs qui sont en scène. Ce sont là que les affaires "sérieuses" se traitent réellement. Le Président n'est plus tellement le président: "de même que Gulliver ligoté par les Lilliputiens, le grand homme est bien loin d'être maître de ses choix et ses gestes" 8. La logique qui prévaut sur la véranda n'est pas celle de l'efficience, de la "gestion", du "développement", mais celle du partage de prébendes, de gratifications, celle aussi de la palabre débouchant sur un consensus compliqué et toujours remis en cause. Ici, les grands hommes "sont autorisés à s'enrichir sans être trop scrupuleux quant aux méthodes, à condition qu'une part des avantages matériels et politiques ainsi accumulés soient généreusement redistribuée" 9. Selon E. Terray, la logique de la véranda corrigerait tant "la sécheresse anonyme des institutions bureaucratiques et la rigueur glacée des relations marchandes" que l'âpreté des compétitions et les tentations d'orgueil et d'avidité des "grands hommes". Espoir pour les plus humbles, elle favorise certes le népotisme et la "corruption", mais elle instaure des rapports entre personnes. "Sous la véranda, les hommes s'affrontent comme des hommes, et non pas comme les rouages impersonnels d'une machine qui les enserre et les dépasse de toutes parts. S'il faut en croire les spécialistes, le '~développement" ne peut à la longue qu'entraîner la prolifération des climatiseurs et la ruine des vérandas; la population -- et spécialement sa fraction la plus pauvre -gagnera-t-elle au change? Rien n'est moins sûr~.." 10 . Pourtant, force est de le constater à partir du cas rwandais: la logique de la véranda a aussi engendré un type de violence suicidaire et destructrice dans les rapports entre personnes et entre groupes sociaux. L'hécatombe rwandaise relève bien de cette logique qui a certes été déclenchée par les "grands hommes" mais à laquelle des groupes de populations ont en majorité adhéré, activement ou passivement, en tout cas souvent "sans remords", comme le relatent beaucoup de témoignages. 7. Emmanuel Terray, "Le climatiseur et la véranda" dans Afrique plurielle, Afrique actuelle. Hommage à Georges Balandier, Paris, Karthala, 1986, pp. 37-38. 8. Idem, p. 42. 9. Ident, p, 43, 10. [dent, p. 44.
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L 'HECATONiBE
RWANDAISE
La violence, qu'elle soit "génocidaire" ou non, possède toujours sa propre dynamique qui, même si elle est difficilentent explicable, plonge dans un
contexte..qui lui donne sens>C'est le repérage de ce contexte et de tout un arrière-plan auquel cette étude est, pour l'essentiel, consacrée. Un premier constat s'impose: même si l'on est en présence d'un génocide -- un terme dont on peut abuser en n'en creusant pas les racines --, on ne peut faire l'économie d'un minimum de théorisation sur le fait même de la violence politique. Qu'elle se manifeste physiquement ou autrement, celle-ci conditionne largement le politique aussitôt qu'apparaissent des eIljeux de pouvoir. On n'est pas encore venu à bout de sa domestication qu'il s'agisse des "sociétés du lointain", souvent regardées à travers le prisme de la "Sauvagerie", ou de nos sociétés "civilisées" dont il convient de rappeler qu'elles furent traversées de génocides et/ou d'hécatombes spectaculaires depuis le début du siècle, que ce soit sur les champs de bataille de la guerre 1914-18, à Dresde et à Hiroshima ou dans les goulags. Ce qui, dans le cas du Rwanda, a surtout suscité l'horreur est la médiatisation quasi-instantanée qui s'est produite. Mais il y a violences et violences. Celles qui ont déferlé au pays des milles collines se situent dans un contexte historique, politique, écologique, démographique qui a ses spécificités propres et qu'il convient de cerner. Il en découle toute une série d'interrogations qui feront précisément l'objet du corps de cette étude. La première porte sur la question de savoir si la violence s'enracine dans la trajectoire historique du Rwanda qui a longtemps été réduite à des identifications vécues comme "ethniques", voire raciales.
La seconde concerne la problématique de la récurrence des violences depuis 1959. Nous nous sommes davantage centrés sur cet aspect cyclique des violences et aussi sur leur caractère éminemment politique: il apparaît en effet, du moins telle est notre hypothèse de travail, que la gouvernementalité rwandaise a érigé en "bouc émissaire" parfois fantasmatique un "ennemi" intérieur et extérieur qu'elle a voulu résolument exclure. La troisième interrogation porte sur la corrélation qui est souvent établie entre une croissance démographique qui "s'affole" à la fin des années 40 et la réc,urrence des violences et des exclusions ethniques. Bien que le raisonnement soit séduisant, il faudra se méfier ici de tout déterminisme simpliste. En fait c'est l'ensemble des conditions de vie et des contraintes paysannes, c'est plus
lNTRODUCTION
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généralement l'analyse d'une ruralitéoppressante sur lesquels il convient de s'interroger. L'analyse de cette ruralité là sera l'objet du dernier chapitre. Un questionnement plus fondamental existe en creux de l'objectif de l'étude elle-même: il est suscité par les prises de position de certains milieux qui soit récusent ou veulent tout simplement ignorer toute mise en perspective historique en arguant de la spécificité exceptionnelle du génocide, soit estiment que toute tentative d'explication et de compréhension des massacres sur une si grande échelle est prématurée et qu'il faudra attendre...trente ans avant de l'entreprendre, qu'après tout, "on manque de sources fiables sur tout ce qui s'est passé au Rwanda depuis 1991et plus particulièrement en 1994 (sic)" Il, etc. Il faut, entend-on parfois dire, laisser ces gens enterrer leurs morts et s'indigner avec ceux qui les pleurent, tandis que d'autres invoquent l' "Esprit du Mal" ou les "mystères de l'Iniquité". Il est difficile d'accepter ce qui pourrait être regardé comme une démission intellectuelle car ceci reviendrait à laisser libre cours à des interprétations soit simplistes, soit "révisionnistes" et à refuser que l'on mette en question dès maintenant un type de discours qui a conforté toutes sortes d'illusions sur le pays des mille collines et des mille mirages. Malheureusement, on peut craindre ici que ces illusions et ces mirages ne continuent à être entretenus par la pléthore de manifestations, de colloques et de conférences qui se tiennent à des milliers de km. de distance des lieux du drame et où les principaux concernés sont absents, par la publication d'articles et d'ouvrages où soit le scoop soit le who is who se substitue à l'analyse, par l'étiquettage sommaire des acteurs et protagonistes de la tragédie, voire également par des querelles entre des "témoins", des "spécialistes" ou des "chapelles" politicoidéologiques qui se bousculent au portillon de l'expertise d'un événementspectacle. Au terme de cette étude, je tiens à remercier ceux qui ont pris la peine de lire et de commenter les premières épreuves de cette étude, en particulier Catharine Newbury, Gauthier de Villerset Filip Reyntjens, Edwine Simons qui a eu l'infinie patience de relire les épreuves du manuscrit, de même que ceux qui ont nourri notre réflexion au cours de rencontres fortuites ou des nombreuses réunions et journées d'études qui se sont tenues sur le Rwanda. Suivant les termes consacrés, nous assumons pleinement la distance du.regard qui a pu nous être reprochée (ou qui nous sera reprochée) par ceux qui ont une sensibilité différente de la nôtre ou qui "vivent" autrement la tragédie Il. Cette petite phrase a été écrite par une haute autorité morale belge poUf justifier un refus de patronner un colloque qui devait tenter d'analyser l'amère plan du génocide rwandais.
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L'HECATOMBE
RWANDAlSE
rwandaise, de même que la nature quelque peu inachevée de ce qui ne devrait être lu que comme un essai et donc comme une tentative d'explication perfectible.
Bruxelles, le 25 janvier 1995
1. UN BREF
DETOUR PAR LA THEORIE
Pour les "gens pressés" qui peuplent les machines humanitaires et les salles de rédaction, le mot génocide a fait fortune pour qualifier les violences rwandaises. Ne pas l'utiliser revient parfois à être implicitement taxé de révisionnisme. Lorsqu'elte est assénée dans un tel contexte l'appellation n'a évidemment qu'une faible valeur explicative. En outre, dans la mesure où il ne désigne que "l'acte ou les actes criminels commis avec l'intention explicite d'exterminer un groupe ethnique, national ou religieux pour le seul fait qu'il existe", le génocide ne s'applique pas qu'aux seules situations déterminées par un sinistre décompte de centaines de milliers de victimes. Dans le cadre que nous nous sommes fixé, la question n'est pas de savoir s'il y a eu génocide ou pas --ceci pourra et devra être tranché par des tribunaux en toute connaissance de cause -- mais de savoir comment la violence, génocidaire ou non, devient un instrument normalisé du politique comme des rapports sociaux. Nous débuterons donc notre analyse en effectuant un bref détour par quelques énonciations sur la violence, particulièrement dans le champ politique.
Le regard classique
Autant que les réflexions sur l'ordre, celles sur la violence ont interpellé tous les théoriciens du politique. Dans la Grèce classique, ce furent les périodes de grand désordre qui engendrèrent les pensées politiques les plus a.rticulées. On qualifiait alors la violence d' "ubris", c'est-à-dire de cette démesure qui poussait l'homme, égal des dieux, à tous les excès. Platon, loin de condamner ce qu'il rangeait sous le terme d'''indignation'', escomptait que ses aspects dévastateurs puissent être domptés par la gouvernance éclairée d'un Roi-philosophe. Aristote, contempteur autant que les platoniciens des outrances de la démocratie, rêvait d'une "politeia", c'est-à-dire d'un système de gouvernement où l'élite tempérerait les errements de la "populace"
18
L'HECATO:NfBE
RWANDAISE
toujours prompte à une violence qui corrompait finalement les États. Écrivant avant la fin des guerres du Péloponnèse, Thucydide fut amené à considérer que la plus glorieuse démocratie de tous les temps, celle d'Athènes, n'était pas à même de résister aux outrances politiques des guerres civiles car rien ne peut résister à l'usure du temps. Plus proche de nous, Machiavel, qui vit et écrit ses plus belles oeuvres dans la période des troubles politiques du quattrocento italien, problématisera aussi le champs politique comme étant celui de l'économie de la violence. Celle-ci ne pouvait être selon lui domptée que par l'avènement d'un Prince passé maître dans l'art de la dissimulation et capable de poser les digues pouvant contenir le torrent impétueux qui détruisait tout sur son passage. Mais s'il fallait surtout citer un auteur, notre choix se porterait sur le plus lucide d'entre eux, l'anglais Thomas Hobbes. Ici, point de faux-semblant et point de déguisement: l'homme est foncièrement "un loup pour l'homme". Témoin des horribles massacres entre "papistes" et "anti-papistes" dans l'Angleterre du XVIIème siècle, l'austère Hobbes en arrive à légitimer pour ainsi dire la "violence privée"... à moins que les hommes ne décident par contrat (covenant) d'en confier la gestion au Léviathan, c'est-à-dire à cet être artificiel qui est, non pas l'incarnation de la monarchie absolue comme on l'a parfois écrit, mais tout simplement celle de l'État moderne. Toute la pensée politique ultérieure dérive désormais de ce postulat: la violence privée est dès lors interdite et sa forclusion est mise en oeuvre par le système étatique qui est le seul à en avoir le monopole légitime. Légitimation de l'État fort, voire totalitaire? Nullement. Sur la couverture originale du Léviathan, on découvre l'image d'un souverain au regard mécanique et impersonnel couvrant de son manteau protecteur un planisphère sur lequel despersoooages vaquent tranquillement à leur "doux" commerce. En fait ce souverain n'a nulle autre prérogative que celles que les parties lui consentent. Sa fonction essentielle est limitée à la protection d'un ordre public très libéral. L'originalité première de Thomas Hobbes réside non pas tant dans la curieuse "créature" qu'il conceptualise, mais bien dans la manière dont il met en scène le drame de la condition humaine ("l'état de nature", disait-on alors). Pour la première fois, l'homme n'est pas "sauvé" explicitement par un Dieu qui, selon Hobbes, n'est pas connaissable mais par un arrangement institutionnel instauré par ses créatures elles-mêmes. Le' politique se trouve ainsi re-sécularisé à l'inverse de tout ce que la pensée chrétienne avait, depuis Saint Augustin, enseigné jusqu'ici. Chassé du jardin de l'Éden, l'homme était désormais immensément seul avec toutes les pulsions de mort et de destruction qui l'opposent à son voisin immédiat
UN BREF DETOUR PAR LA TIffiORIE
En d'autres tennes, on considérera que la violence, qui chemine sous diverses formes dans toutes les trajectoires historiques humaines, n'est pas simple déviance et simple aberration, "comme si le zoon politikon était primordialement un être de non-violence animé par la bienveillance envers son prochain et rendu violent par la nécessité et l'idéologie. (...) La violence peut être vue comme un élément d'un système complexe englobant autant les institutions politiques que les moeurs et l'économie des pulsions: la violence n'est tenue à distance de l'ordre social que pour mieux y circuler sous d'autres fonnes, plus limitées et plus régulées, sans que cet arrangement soit jamais stable ni définitif, ni surtout exclusif d'autres fonnes de système "d'ordre" 1.
Violence et violences
Bien sûr, Hobbes ne réussit pas son pari par Etat-Léviathan interposé. On ne met jamais un tenne à la Violence: on n'empêche seulement sa diffusion dans l'espace et dans le temps. "Tout comme Satan, poursuit Leca, la violence, chassée par la porte de l'explication sociologique, revient par la fenêtre de l'anthropologie ou de la biologie" 2. Violence perpétrée tant par l'État que par ses assujettis. Avec Ph. Braud, on peut de ce point de vue distinguer deux "types idéaux" de violences qui ont continué à se développer, particulièrement depuis la montée en phase de l'État, la violence instrumentale et la violence colérique 3 quand bien même il ne s'agit que de deux catégories analytiques, comme on l'illustrera pour le cas rwandais où les deux fonnes de violences se sont interpénétrées. La première est d'abord une modalité qui est censée caractériser au premier chef la force, la coercition légitimée de l'État. Cette violence est instrumentale en ce qu'elle suppose une logique de calcul et dtefficacité, à savoir le maintien de la paix et de l'ordre publîc.Désonnais, il y
1. Jean Leca, "La "rationalité" de la violence politique", dans B. Dupret et al., Le phénomène de la violence politique: Perspectives comparatistes et paradigme égyptien, Dossiers du CEDEJ, Le Caire, 1994, pp. 29-30. 2. Idem, p. 19. 3. Philippe Braud, "La violence politique. Repères et problèmes", dans Philippe Braud et al., La violence politique dans les démocraties européennes occidentales, Paris, L'Hannatlan, 1993.
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progressivement forclusion de la violence physique privée comme moyen de contester la loi ou d'obtenir la solution d'un conflit. Ce type de violence contrôlée est tout à fait particulier à lme trajectoire spécifique particulière: la nôtre. "L'État européen classique, écrit Carl Schmitt, avait réussi cette chose tout à fait invraisemblable qui fut d'instaurer la paix à l'intérieur et d'exclure l'hostilité en tant que concept de droit. Il avait réussi à supprimer la guerre privée, institution de droit médiéval, à mettre fin aux guerres de religion (...) et à établir la tranquillité, la sécurité et l'ordre dans les limites de son territoire" 4. Mais la violence instrumentale va bien au-delà de la question de la légalité. On peut en effet y ranger d'autres manifestations de violences reposant elles aussi sur le calcul et l'efficacité. Tel est le cas de la violence protestataire ou révolutionnaire qui prétend avoir sa propre légitimité. La violence instrumentalisée et surtout celle de l'État peut mener à des dérives aussi destructrices que la violence colérique aveugle. Le XXème siècle n' a-t-il pas été le siècle des violences sur une large échelle organisées sous l'égide de l'État: "guerres mondiales" s'achevant par l'holocauste d'Hiroshima, guerres "révolutionnaires" débouchant sur des goulags, froides exterminations ethniques (Juifs, Arméniens, Kurdes, Tsiganes), et plus récemment une "guerre propre" en Irak dont on n'a pas fait, et pour cause, le décompte? Lorsqu'aucun frein ne restreint son emploi rationalisé, on se trouve confronté à une violence d'Etat qui traduit une logique d'extermination froide et méthodique comme le fut la solution finale sous le 3ème Reich, comme le fut le goulag soviétique ou la "révolution culturelle chinoise", et comme peuvent l'être les attentats terroristes entrepris au nom d'un intégrisme religieux et/ou dans le cadre de tentatives de renversen1ent ou de déstabilisation d'Etats-nations délégitimés. Avec ce que Braud nomme les violences colériques, nous entrons dans un champ à plus grande profondeur historique et spatiale, dans un chalnp qui est aussi beaucoup plus flou et complexe. Elles peuvent être définies de manière générale (et idéal-typique) comme un acting out destructeur provoqué par une décharge d'agressivité qui est soit liée à des frustrations longtemps contenues, soit à la valorisation de comportements de type agressif. Les traits majeurs de cette violence colérique sont:
4. Carl Schmitt, La notion de politique (1932), Paris, Flanullarion, 1992, p. 43.
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1. la suspension au moins partielle au coeur de l'action du calcul rationnel coûts/avantages. Avant tout libération de tensions agressives accumulées, la violence colérique des acteurs ne se donne pas d'emblée des objectifs politiques très élaborés ni même parfois totalement cohérents. M. Maffesoli, dans ses Essais sur la violence 5, propose l'expressÎon de "violence orgiaque" pour qualifier un univers d'ivresse (depuis l'ivresse de "tout casser" jusque l'ivresse de tuer) et de gratuité politique, même si certains acteurs sont susceptibles d'exploiter ce type de violence dans leurs calculs politiques. 2. l'identification d'une victime émissaire. Ce point a été mis en lumière par René Girard dans un ouvrage qui est un classique du genre: "La violence et le sacré" 6. "La violence inassouvie cherche et finit toujours par trouver une victime de rechange. A la créature qui excitait sa fureur, elle en substitue une autre qui n'a aucun titre particulier à s'attirer les foudres du violent sinon qu'elle est vulnérable et qu'elle passe à sa portée" .En fait cette victime de rechange est désignée... pour donner le change. "La société, poursuit Girard, cherche àdétoumer vers une victime indifférente, une victime sacrificiable, une violence qui risque de frapper ses propres membres, ceux qu'elle entend à tout prix protéger" 7. A ces deux traits spécifiques à la violence colérique, on peut y ajouter sa nature
souvent
cyclique
-- tantôt elle recrée l'unanimité,
tantôt
elle la détruit
--
et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, sa finalité pacificatoire et parfois même intégratrice. "Les hommes n'adorent pas la violence en tant que telle, fait remarquer à ce propos Girard: ils ne pratiquent pas le "culte de la violence" au sens de la culture contemporaine, ils adorent la violence en tant qu'elle leur confère la seule paix dont ils jouissent jamais. A travers la violence qui les terrifie, c'est donc la non-violence que vise toujours l'adoration des fidèles" 8. Par ailleurs, depuis les écrits de Lewis Coser, on connaît la fonction structurante de la violence qui peut contribuer à un approfondissement de la conscience de l'identité et, dans certains cas, au soulagement de l'angoisse qui tenaille une communauté assaillîe parce qu'elle ne se comprend plus 9.
5. Michel Maffesoli, Essais sur la violence, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1984. 6. René Girard, La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972. 7. Iden" p. 17. 8. Idem, p. 358. 9. Le\vis Coser, Les fonctions du conflit social, Paris, Presses universitaires de France, 1982. Voir aussi Alain Corbin, "La violence rurale dans la France du XXe siècle et son dépérissement: l'évolution de l'interprétation politique", dans Philippe Braud, op.cil.
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Enfin, ainsi que l'a démontré E. J. Hobsbawn dans un classique du genre 10,les acteurs de la violence colérique se présentent sous de nombreuses facettes --bandîts sociaux, "mafiosi", prophètes et sauveurs millénaristes de 1'Europe méridionale, anarchistes ruraux, chefs de sectes et de communautés pré-syndicales dans l'Angleterre industrielle, etc. -- mais pratiquement tous se posent contre l'État et ses manifestations d'oppression. Au début du siècle, ces rébellions antiétatiques ont pu trouver leur légitimité théorique dans l'oeuvre d'un Georges Sorel qui fait l'apologie de la violence comme seul outil pertinent des luttes sociale Il. Mais cette opposition à l'État et à ses oeuvres est probablement une manifestation plus spécifique à une trajectoire historique européenne qui a été une grande accoucheuse de cette forme particulière de domination.
violences du lointain
En dehors de cette trajectoire particulière, il ne fut que trop facile de n'envisager la violence que sous le déguisement de la "sauvagerie primitive". En ce qui concerne le continent africain dont il faut justifier tour à tour la conquête, l'exploitation, la civilisation puis finalement le "développement", c'est précisément cette sauvagerie là qui est mise en scène dans l'imaginaire occidental et de prestigieux hommes de lettres viennent semi-consciemment au secours de cet imaginaire. L'un des ouvrages pionniers dans ce domaine reste celui de Joseph Conrad qui est passé à la postérité de la grande littérature avec son Coeur des ténèbres. "Remonter le fleuve -- il s'agit du fleuve Congo , écrivait-il en 1902, c'était se reporter, pour ainsi dire, aux premiers âges du monde, alors que la végétation débordait sur la terre (...). La terre à cet endroit n'avait pas l'air terrestre. Nous sommes habitués à considérer la forme entravée d'un monstre asservi; mais là on découvrait le monstre en liberté. Il était surnaturel, et les hommes étaient... Non, ils n'étaient pas inhumains. Ony arrivait petit à petit... Sans doute, ils hurlaient, bondissaient, tournaient sur eux-mêmes, faisaient d'affreuses grimaces, mais ce qui saisissait, c'est le sentiment qu'on avait de leur humanité pareille à la nôtre, la pensée de notre
10. E. 1. Hobsbawm, Pri111itiveRebels. Studies in .A.rchaic Forms of Social A10vement in the 19th and 20th centuries, Manchester, Manchester University Press, 1959. Il. Georges Sorel, "Réflexions sur la violence", séries d'articles parus dans Le Mouvement socialiste, Janvier-Juin 1906 et publiés intégralement en 1908.
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lointaine affinité avec cette violence sauvage" 12.Un "monstre blanc", Kurz, se complaît dans cette sauvagerie; il a, selon l'expression de Piniau, "supprimé le monde" autour de lui en se taillant "un empire démoniaque au coeur de la forêt équatoriale, laquelle l'investit et l' "ensauvage" alors qu'elle n'est plus elle-même que l'excroissance monstrueuse de cette ivresse de puissance" 13. D'autres grands auteurs entretiendront des rapports ambigus avec cet état sauvage. On connaît la fonnule célèbre d'André Gide: "moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête" 14. On sait aussi qu'une polémique s'est développée dans la presse française de l'époque à propos de la dénonciation par Gide des exactions coloniales en Afrique. Mais le grand romancier est aussi à la poursuite de l'univers de sauvagerie mis en scène par Conrad. Il espère le trouver dans cette "abondance d'arbres extrêmement hauts, qui n'opposent au regard qu'un impénétrable rideau". "Il guette les premiers contours des paysages conradiens, commente B. Piniau à propos du récit de voyage africain de Gide. Il n'a jamais douté de leur existence réelle, de l'exactitude réaliste des descriptions de Coeur des ténèbres et s'attend donc à les voir surgir, devant lui, à chaque instant" 15.Il sera déçu: l'Afrique profonde et ses habitants n'ont rien à dire, rien à exprimer: "l'absence d'individualités, d'individualisation, l'impossibilité d'arriver à une différenciation, qui m'assombrissaient, tant au début de mon voyage, et dès Matadi devant le peuple d'enfants tous pareils, indifféremment agréables... et dans les premiers villages, devant les cases toutes pareilles, contenant un bétail humain uniforme d'aspect, de goûts, de moeurs et de possibilités. C'est ce dont on souffre également dans le paysage" 16. Avec un autre "grand" littérateur qui a fréquenté l'Afrique, Graham Greene, la légende conradienne refait surface. Témoin direct de l'agitation nationaliste de 1959, Greene classe d'emblée le Congo dans le monde du chaos et d'une sauvagerie "éloignée de la politique mondiale et des préoccupations domestiques", écrit-il dans la préface de La saison des pluies 17.Les revendications politiques, sociales et "tribales" sont parties intégrantes d'un univers "environné de ténèbres" où chemins, sentiers, pistes mènent 12. Joseph Conrad, Au Coeur des ténèbres, Paris, Gallimard, 1925, p. 151,154-155. 13. Bernard Piniau> Congo-Zaïre 1874-1981. La perception du lointain, Paris, L'Hannattan, 1992, p. 51. 14. André Gide, Voyage au Congo, Paris, Gallimard, 1927-1928, p. 26. IS.Bernard Piniau, op.cit., p.53. 16. André Gide.~op,.cit., p. 175. 17. Graham Greene, La saison des pluies, Paris, LafIont~ 1961.
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obscurément vers un centre mythique, terrifiant, enlisé dans des durées éternellement somnolentes, en proie à de lentes décompositions. Les secousses du Congo s'accordent à l'aléatoire, l'irrationnel, l'imprévisible, le nonhumanisé. Avec les plus récentes chroniques de l'italien Alberto Moravia 18, nous sommes toujours dans un univers de type conradien. Le romancier, en visite à Kisangani, y évoque l' "inquiétant éloignement de cette partie du monde". Dans la grande forêt équatoriale, il éprouvera l'impression de "descendre aux enfers vers le coeur ténébreux de l'Afrique". Plus loin dans sa chronique de voyage, il évoque la "fascination du chaos antique pendant lequel la nature organisait, un peu au hasard, les épreuves de la création". "Il n'est vraiment pas difficile d'imaginer le lac ldi Amin Dada comme il devait être il y a quatre ou cinq cent millions d'années, avec des monstres qui, sans doute, habitaient autour de ses eaux".:Et en finale cette conclusion étonnante: "J'ai dit qu'en me présentant devant ce panorama, j'avais eu l'impression de contempler un autre monde. Mais qu'est-il ce monde, alors? J'y pense un moment, et je me rends compte que c'est précisément le monde où, à une époque immémoriale, 1'humanité a été exclue pour toujours". Sans doute existe-t-il une littérature coloniale plus en prise sur des réalités moins fantasmagoriques. Pierre .Halen, qui a démonté avec beaucoup de minutie toute la richesse de ce genre souvent décrié et méprisé, a montré à quel point elle ne se réduit pas seulement à des fantasmes sur une "mystérieuse" sauvagerie. Le roman colonial, c'est aussi une "histoire d'amour" et de "délivrance du frère noir" 19.En ce qui regarde précisemment le Rwanda, on s'en convaincra en relisant les très belles pages de P. Ryckmans sur les sentiers "indigènes" dont le traçé sinueux exprime J'idée de liberté mais qui seront effacés. devant la route, "cette invention du Blanc 20. On peut même voir dans ce genre littéraire une sorte de charnière entre l'exotisme plat et la littérature africaine. Mais, il n'en reste pas moins marqué d'un triple exotisme: le triptyque coloré "de Ja moukère, du palmier et du chameau", la péjoration discrètement méprisante et paternaliste, ainsi qu'une recherche de l'altérité qui n'est souvent qu'une quête de soi-même 21.
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18. Alberto Moravia, "Viaggio nello Zaïre", Corriere della Serra, janvier avril 1981. 19. Pierre Halen, Le petit Belge avait vu grand. Ulle littérature coloniale" Bruxelles, Editions Labor, 1993, p. 39. 20. P. Ryckmans~ ,Barabara, Bruxelles, Larcier, 1947, pp. 136-138. 21.Idem,pp.375-378
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Au niveau d'un public plus large, les grandes expositions coloniales de Paris, Tervuren ou Marseille ont popularisé l'univers de la sauvagerie conradienne en diffusant le message d'une Afrique sauvée de la Sauvagerie par la Civilisation, de l'Esclavage par la Liberté, du Fétichisme par la Religion 22. Les images sont tout aussi nettes et simples datlS les manuels scolaires: dans l'étude qu'il a menée sur 50 d'entre eux publiés entre 1932 et 1984, B. Verhaegen relève que "lorsque la population du Congo de l'époque léopoldienne n'est pas réduite à l'état d'objets de l'entreprise coloniale (esclaves à libérer, malades à soigner, et païens à convertir), elle est désignée dans la plupart des manuels, y compris les plus récents, par les termes "primitive", "barbare", "hostile" ; "roitelets nègres", "négresses à plateau" et "cannibalisme" appartiennent à l'imagerie des manuels scolaires les plus récents 23. C'est surtout dans la presse et en particulier dans des cas de décolonisation agitée que l'imaginaire de la violence réapparaît au grand jour. Dans le traitement que font les journaux belges de l' "été chaud" au Congo indépendant, B. Piniau a pu montrer qu'une soudaine prise de conscience d'un Co.ngo qui cessait d'être mythique conduisait les analystes à affecter la colonie belge "d'une extraordinaire, d'une écrasante supériorité de puissance négative". "Un bon millénaire d'imaginaire, relayé, ravivé, actualisé par cent années de traditions littéraires, par cinq années d'activités journalistiques, se décharge tout d'un coup. Tout ce que la représentation archaïque normative, monarchique tenait à distance, (...) déferle. Tous les symboles permutent. Point de métaphores ici. La sauvagerie, la barbarie, le désordre, le chaos, la régression ne "qualifient" pas la situation congolaise. Le Congo incarne la sauvagerie; il est la barbarie en acte, le désordre en action, l'essence du chaos, l'absolu de la régression. Le primitivisme a un visage, vivant, monstrueusement vivant. Il .laisse des traces, sacrilèges, que la presse, la. radio, la télévision cadrent en gros plans. Ce mirage historique et culturel s'insère avec aisance, dans un univers mental tout disposé à l'accueillir. La classe dirigeante en est victime tout autant que les opinions publiques" 24. Des 22. Hans-Jürgen Lüsebrink, "Images de l'Afrique et mise en scène du Congo belge dans les expositions coloniales françaises et belges (1889-1937)", dans PietTe Halen et Janos Riesz, Images de l'Afrique et du Congo-Zai"re, Actes du colloque international de Louvain-la-Neuve, Bruxelles - Kinshasa, Textyles-éditions - Ed. du Trottoir, 1993. 23. Benoît Verhaegen, "La colonisation et la décolonisation dans les manuels d'histoire en Belgique", dans Marc Quaghebeur et Émile Van Balberghe, Papier blanc, encre noire. Cent ans de culture francophone en Afrique centrale (Zai"re, Rwanda et Burondi), Bruxelles, Editions Labor, 1992, p. 358. 24. Bernard Piniau, op. cit., p. 219.
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autorités belges, manipulées ou manipulables, voient soudainement, guerre froide oblige, des cargos polonais fantômes croisant au large des côtes congolaises, des dizaines d'avions soviétiques tout aussi fantomatiques, de diaboliques manoeuvres d'un premier ministre congolais, dont on n'a pas mesuré l'énorme impuissance, prêt à "vendre notre Congo" à l'eoocmi. Un haut responsable représentant la Belgique à l'ONU, R. Scheyven, ira jusqu'à alerter le Secrétaire d'État américain: "Lumumba nous mène droit à la troisième guerre mondiale" 25. Un certain courant tiers-mondiste radical ne contribua-t-il pas lui aussi à cette mise en scène de la Violence même s'il inversa les termes de la problématique, même s'il chercha à la canaliser positivement à travers des luttes de libération" ? Ainsi, pour Fanon, c'est le colonialisme qui est "la violence à l'état de nature". Et c'est contre cet état de nature que "la tension musculaire du. colonisé se libère périodiquement dans des explosions sanguinaires", "à travers des mythes terrifiants si prolifiques dans les sociétés sous-développées", ou à travers des danses extatiques et des phénomènes de possession qui "tournent à vide". Seule donc une plus grande violence qui, "praxis absolue" pour le décolonisé, doit être cette fois instrumentalisée peut venir à bout de cet "état de nature" 26. Un lourd héritage d'images fortes et stéréotypées pèse donc sur la manière dont le lointain est perçu. Les violences rwandaises -- mais pas seulement elles puisqu'il Y a aussi le Soudan, la Somalie, l'Angola et le Liberia -- sont l'occasion rêvée pour réchauffer de vieux mythes sur la "Sauvagerie" africaine, le plus souvent recouverts ou même occultés par des silences embarrassés ou des charivari médiatiques. Il n'est en effet guère aisé pour l'Occident éduqué depuis les "Lumières" dans le principe de la forclusion de la violence non légitimée par l'Etat-nation moderne de comprendre et d'accepter celle qui ne dériverait pas de lui. Voir dans les violences africaines le "trait d'une mentalité culturelle particulière" 27, ne rend évidemment pas compte d'un temps historique long 25. Jean-Claude Willame, Patrice Lumumba. La crise congolaise revisitée, Paris, Karthala, 1990. 26. Franz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, François Maspero, Cahiers libres n° 27-28, 1961, pp. 42 sv. 27. Telle est l'une des hypothèses qui se dégage de l'ouvrage de P. Emy sur le Rwanda : l'auteur met en scène lUl certain nombre de représentations, d'émotions et de sentiments "qui ont joué, me semble-t-il, lUlrôle décisif dans toute cette histoire". P. Emy y réduit la "mentalité" du Rwandais au portrait suivant: "Les Rwandais fonnent lUl peuple très
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marqué d'abord par la très longue absence d'un État laïcisé et seul détenteur du monopole de la force, mais aussi par des comportements d'évitement et de résistance au pouvoir, par des recherches d'un consensus unanimiste (même si celui-ci est le plus souvent remis en cause), par des adaptations pacifiques et des processus de syncrétisme, le tout fonctionnant dans le cadre de ce que C. Monga qualifie d'une "indiscipline caractérisée" et d'un imaginaire de survie 28. Patiemment et subrepticement, c'est-à-dire le plus souvent sur la "véranda" dont il a été question plus haut, "des lieux de désaccord se créent, de nouveaux langages s'élaborent, des discours originaux s'affirment; avec leurs codes secrets, leurs clés d'accès, leurs errements (aussi) 29 et leurs insondables mystères" 30. Certes, il n'est que trop vrai que le "sage" Rwanda s'est dramatiquement fourvoyé dans d'autres "stratégies", d'autres comportements qui n'ont rien à voir avec le eonsensus.~l'évitement ou le syncrétisme et qui se traduiront à partir de 1990 par un retour programmé aux heures noires des errements antérieurs, c'est-àwdire aux violences et aux exclusions de type instrumental ou "colérique" qui avaient déjà marqué sa trajectoire. Ce n'est cependant pas au travers de notions implicitement ou explicitement centrées sur une "sauvagerie atavique" ou d'une histoire des mentalités détachée de son objet que l'on arrivera à expliquer l'hécatombe rwandaise, mais au travers d'une patiente reconstruction des contraintes multiples qui pèsent sur l'itinéraire historique de ce pays. C'est ce à quoi on a voulu s'atteler dans les chapitres suivants.
compliqué, incompréhensible
pour les étrangers. Chez eux, tout se développe en profondeur sous un masque d'indifférence. Ds semblent calmes, silencieux et équilibrés, alors ue tout leur intérieur bout de passion". Pierre Emy, Rwanda 1994. Clés pour comprendre le calvaire d'un peuple, Paris, L'Harmattan, 1994, pp. 167, 180. 28. Célestin Monga, Anthropologie de la colère. Société civile et démocratie en Afrique
noire, Paris, L'Harmattan, 1994, pp. 59 sv. 29. Souligné par nous. 30. Idem,
p. 60.
2. UN ANCRAGE
"TRADITIONNEL" VIOLENCES?
DES
La récurrence des violences "ethniques" au Rwanda doit-elle être rattachée à un socle d'institutions traditionnelles pluri-séculaires ? Répondre à cette question n'est pas chose aisée. Le passé historique rwandais est encore trop mal connu et a de plus été fortement réifié et par le pouvoir de tutelle et par la contre-idéologie raciale professée par l'élite postcoloniale qu'elle soit hutu ou tutsi d'ailleurs. "L 'histoire (. ..) des royaumes des hautes terres centrales africaines, relève à ce propos A. Guichaoua, fait l'objet d'interprétations polémiques d'approximations et de schématisations dont on ne connaît que peu d'exemples aussi caricaturaux dans l'histoire des ex-pays colonisés" 1.
Une histoire oblitérée
Claudine Vidal elfait naguère état des difficultés qu'elle a rencontrées dans ses enquêtes ethnologiques auprès de personnes très âgées qui, dans les années 1960, étaient les seuls témoins sur lesquels un chercheur pouvait encore s'appuyer. D'une part, explique-t-elle, "sept ans après l'indépendance, il était encore difficile aux Rwandais de se montrer impassibles à l'égard des vicissitudes de leur histoire nationale. (...) Les événements des dernières années (c'est-à-dire les massacres de 1963) interdisaient que le passé soit évoqué sans passion par des témoins objectifs. Tout au contraire, une enquête
1. André Guichaoua "Un lourd passé, un présent dramatique, ID1avenir des plus sombres", dans André Guichaoua (sous la direction de), Les crises politiques au Burundi et au Rwanda (1993-1994). Ana/J)se, faits et docunlents, Lille, Université des Sciences et Technologies, 1995, p. 20.
UN ANCRAGE "TRADITIONNEL"
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sur l'ancien régime nous situait d'emblée dans les catégories actuelles de la conscience politique rwandaise" 2. D'autre part, pratiquement tous les informateurs ont parfaitement et systématiquement substitué aux pratiques anciennes le droit coutumier élaboré par les Belges avec l'aide de leurs auxiliaires tutsi. "La théorie de la clientèle qu'ils présentent n'est que l'énoncé de la jurisprudence coloniale. Tous les vieux qu'ils soient tutsi, qu'ils soient hutu, sont unanimes à définir l'ubuhake comme un ensemble de droits et de devoirs naturels observés par le patron et son client. Malgré mes tentatives pour susciter la contradiction, personne ne conteste la validité de cette image de paix sociale. (..~). Cette étape (des enquêtes) me donne l'impression d'avoir régressé par rapport aux faits que la littérature suggérait" 3. A ceci il fau.t encore ajouter une société où, beaucoup plus qu'ailleurs, le discours de l'étranger est dominant. Le sociologue français, A. Guichaoua, s'étonnait à ce propos que "plus que dans d'autres pays, on est frappé de voir à quel point les jugements (sur le Rwanda) reflètent les discours et la perception des seuls interlocuteurs expatriés" 4. Face à un discours péremptoire, cette société se réfugie alors dans l'amalenga, c'est-à-dire dans "ce que les étrangers-ne-peuvent-pas-comprendre" 5. Ce qui est toutefois établi, c'est d'abord la grande fermeture de cette région des Grands Lacs par rapport à son environnement géopolitique extérieur. "Un isolement splendide", écrit Lemarchand à propos du Rwanda et du Burundi, un isolement qui est renforcé tant par la configuration montagneuse et marécageuse de cette partie de l'Afrique centrale que par la crainte d'invasion des populations qui sont voisines du coeur du royaume rwandais. Les commerçants d'ivoire et d'esclaves ont toujours dû contourner cet espace qui n'a été que très peu et très épisodiquement relié aux réseaux des échanges à longue distance en Afrique orientale et centrale. Baumann, le premier Blanc qui foule le sol rwandais, est frappé par l'absence d' "objets européens" dans
2. Claudine Vidal, "Enquête sur le Rwanda traditionnel: conscience historique et traditions orales", Cahiers d'études africaines, Vol XI, n° 144, 1971, pp. 527-528. 3. Idem, p. 530. 4. André Guichaoua, "Isolement et méconnaissance", introduction à "L'Attique des Grands Lacs", Revue Tiers Monde, Tome 27, nOl06, avril-juin 1986, p. 249. 5. Alain Hanssen,Le dé.yenchantement de la coopération. Enqllête au pays des mille coopérants, Paris, L'Hannatlan, 1989, p. 149.
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un territoire où l'ordre règne, l'accueil est poli, sans plus, et où l'on n'entre et on ne sort pas du pays "sans l'autorisation du roi" 6. D'emblée s'impose le stéréotype d'une "race de seigneurs supérieurs" dominant par la force et le mépris une population considérable de Hutu "exploités jusqu'au sang" et "serviles dépendants des Watussi" : en 1899, l'explorateur R.Kandt observe que ces "Watussi" ne cessent de poursuivre et de frapper les Hutu qui proposent des vivres à l'étranger en échange de pacotilles. Aux Hutu qui se plaignaient de leur sort, Kandt répond :')e leur ai dit de s'aider eux-mêmes et je me suis moqué légèrement d'eux en leur demandant comment ils ont pu se laisser soumettre par les Watussi auxquels ils sont cent fois supérieurs en nombre et pourquoi ils se lamentent comme des femmes" 7. D'emblée aussi se profile la future politique coloniale allemande, pllis belge: le climat du Rwanda est jugé très favorable à la colonisation européenne dont les populations, réputées asservies depuis des siècles, deviendront des instruments dociles et qui devra reposer sur un soutien à la domination tutsi tout en atténuant l'exploitation arbitraire des Hutu par leurs chefs tutsi 8 . En laissant de côté ces poncifs raciaux surannés, on ne peut toutefois nier la réalité existentielle d'un clivage sociopolitique entre deux collectifs de population. La question ici n'est pas tant de s'acharner sur la démonstration de l'existence ou la non-existence de catégories "ethniques", mais bien de cerner ce qui a pu lui donner naissance. "Quand l'ensemble ethnique, pris comme objet négatif, écrit avec raison C. Vidal, concentre sur lui les ressentiments, désigne l'adversaire principal, passe pour cause de l'oppression, il ne suffit pas d'établir, du point de vue de la vérité, les espaces mythiques de l'ethnie, de s'en tenir à d'éruditesdéconstn1ctions" et "généalogies". Il faut encore, puisque les combattants ne sont ni des déments, ni des ignorants incapables de concevoir le programme de vérité des
6. O. Baumann, "Durch Massailand zur Nilquelle''', Berlin, D. Reimer, XIV, 1894. 7. Richard Kandt, Caput Nili. Eine emfindsame Reise zu den Quellen des Nils, Berlin, D. Reimer, 1921, pp. 188-195. D'autres "visiteurs" (Hans Meyer, le duc de Meclenburg) renforceront encore la stéréotypie rwandaise: les Tutsi seront considérés comme "des géants imperturbables, dissimulateurs, opportunistes et paresseux" tandis que les Hutu seront identifiés à des êtres "couards, sans aucun sens de la dignité, leur amour propre s'étant éteint suite à des siècles de servage". 8. Richard Kandt, idem ~ Richard Kandt, "Bencbt über meine Reissen und gesammte Thatigheit in :Deutsch...Ostafrika", Mitteilungen aus den deutschen Schutzgebieten, XIII, 1900, pp. 240-264.
UN ANCRAGE "TRADITIONNEL"
DES VIOLENCES?
JI
historiens, analyser comment (...) ce collectif, déterminé comme ethnie, est devenu un objet négatif' 9. y -a-t-il, de ce point de vue, des fondements anthropologiques, socioéconomiques et historiques à des ressentiments, à des passions et à des violences qui se sont finalement exprimées par des actes de génocide sur une large échelle?
Une histoire d'inégalités
et de violences?
Au départ, il faut sans doute en revenir à une problématique moins "chaude" et plus sereine que celle qui privilégie I'histoire des mentalités et des conflits ~'culturalistesn entre deux collectivités qui s'affrontent, à savoir celle qui met en scène des modes de production différents. Même si l'image du "pasteur tutsi" opprimant l' "agriculteur hutu" est suspecte, on doit sans doute admettre l'existence d'un antagonisme potentiellement déterminant entre les impératifs de l'élevage et ceux de l'exploitation agricole. Non que ces deux modes de production soient antagonistes en eux-mêmes: ils peuvent cependant le devenir lorsque et l'agriculture et l'élevage sont mangeurs d'espace et/ou lorsque la pression démographique s'accroît. En temps normal, c'est-à-dire pendant un temps qui fut sans doute très long, la cohabitation entre ces deux modes de production ne posa guère de problèmes. Comme le souligne Vansina, il est tout à fait vraisemblable que les Tutsi nomades (sans doute peu nombreux) entretinrent avec des populations agraires nmnériquement majoritaires des relations d'échange pur et simple sans que s'établissent des relations sociales étroites entre les deux collectivités 10. Ce n'est que progressivement que s'instaure un contrat de vasselage relativement clément qui existe dans tous les royaumes voisins. Au Rwanda surtout, ce contrat se transformera plus tardivement en un contrat qui se chargera d'une connotation franchement inégalitaire : l'ubuhalœ. Celui-ci, qui consacre la conservation du bétail aux mains d'un groupe fermé "méritant pleinement d'être qualifié de caste", dira par ailleurs imprudemment de
9. Claudine Vidal, Sociologie des passions (Côte d'Ivoire, Rwanda), Paris, Karthala, 1991, p. 24. 10. Jan Vansina.~L'évolution du royaunle Rwanda des origines à 1900, Bruxelles, Académie royale des sciences d'outre-mer, 1962 , p. 79.
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L"HECA TOlvffiE RWANDAISE
Heusch Il, consacre une situation de domination. Perversion d'un système d'accord réciproque et d'un échange égalitaire initial, l'ubuhake a, selon de Heusch, profondément remodelé toute la fabrique sociale: les liens claniques sont vidés de toute substance au profit d'une parenté fictive de patrons tutsi avec leurs "clients" hutu, la multiplication de liens personnalisés crée une situation de dépendance qui engendre la nécessité et le besoin de protection. On verra plus loin les aménagements à apporter à cette lecture de I'histoire des inégalités au Rwanda. On ne suivra de toutes les façons pas de Heusch qui, marqué par une anthropologie structuraliste, avance que Hutu et Tutsi auraient été intégrés dans un système de castes cohérent 12.Si la société rwandaise précoloniale est fortement stratifiée, elle n'est pas entièrement "déterminée" par des identifications statutaires aussi rigides. C. Vidal a apporté à ce sujet des correctifs importants à partir d'enquêtes qui montrent toute l'importance à accorder aux situations individuelles, à des "exceptions" qui ne confortent pas la règle générale. Des cinq cent chroniques lignagères récoltées au centre, au sud et au nord du Rwanda, l'auteur découvre que "la partition entre Tutsi et Hutu cessait d'être une catégorie abstraite fondée sur un hypothétique critère racial ou bien une théorie simpliste de la caste. L'histoire des lignages révélait une hiérarchie complexe où les Tutsi n'étaient pas nécessairement dominants et les Hutu sujets, où certaines lignées d'origine hutu accédaient progressivement au statut de Tutsi et où, inversement, des lignées issues de puissants lignages tutsi s'en détachaient et s'assimilaient aux Hutu" 13. Par ailleurs, dans sa relation de la rébellion de 1912 au Nord du Rwanda, A. Des Forges a montré comment les figures épiques de cette révolte avaient réussi à exploiter à la fois "la légitimité du royaume rwandais (tutsi) et de nouvelles sources charismatiques de pouvoir". Or, ils étaient des hO.mmesde nulle part, des étrangers dont on ne connaissait pas l'origine parentale et lignagère. "Chez un peuple à forte conscience historique, (ces figures) étaient des "outsiders" réputés mais sans passé connu". Tous deux firent toujours valoir leur parentèle royale et donc leur droit à se substituer au Mwami.L 'un d'entre eux, Ndungutse, "se rasait la tête à la manière des aristocrates tutsi et portait des vêtements de coton que seuls les riches pouvaient s'acheter. Il groupait ses hommes en deux formations militaires comme les armées de la cour. L'une était composé de Batwa, l'autre de cultivateurs et de pasteurs". Il. Luc de Heusch, Le Rwanda et la civilisation interlacustre. Études d'anthropologie historique et strocturale, Bruxelles, Institut de Sociologie, 1966, p. 141. 12. Iden" p. 144. 13. Claudine Vidal, "Enquête sur le Rwanda traditionnel..,") op.cito, p. 533.
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Ndungutse, qui fait ici figure de métèque, aurait sans doute réussi dans son projet de prise de pouvoir, n'était l'intervention allemande. Qu'il ait été un noble tutsi ou un roturier hutu importait peu: la légende de ce métèque "royal" passa dans l'histoire. E.n 1913, en 1928 et en 1935, des "étrangers" qui se réclamaient de lui suscitèrent des troubles au Nord et beaucoup de Rwandais d'âge moyen disaient que "s'il vivait encore, il devait être un très vieil homme" 14.Grégoire Kayibanda, premier président de la République et père fondateur de la "révolution hutu" ne fut-il pas en quelque sorte une réincarnation de Ndugutse le rebelle qui réclamait le titre et les insignes de mwami ? Si les catégories sociales et statutaires ne sont pas toujours aussi figées qu'on a voulu le croire, il apparaît cependant avec certitude qu'à un moment donné, en l'occurrence au début du XIXème siècle, un petit État situé au centre du Rwanda prend son essor et entame une phase d'expansion alors que dans un passé distant, la lignée dynastique qui émerge, celle des Abanyiginya, était seulement "un des nodules d'une galaxie de petites entités semblables il y a trois cents ans" 15."Le tambour est plus grand que le cri" devient un dicton accepté au Rwanda, relève A. Des Forges. Ce qui signifie que "le pouvoir de l'État prend le pas sur celui du peuple" 16. Cette expansion de royaumes dans l'Afrique des Grands Lacs n'est pas limitée au seul cas rwandais: elle concerne aussi le Burundi, le Buganda et le Nkore où des centres politiques puissants émergent et rayonnent à partir d'une "cour royale" 17. Au Rwanda en particulier, la violence accompagne ce processus. Selon de Heusch, elle prend une double forme dans l'histoire sociale du pays. "La violence larvée, socio-économique, de l'ubuhake, qui enrichit l'aristocratie tuutsi et la dégage de toute servitude agricole, la rendant disponible pour la guerre, s'oppose à la violence toute militaire de la seconde phase historique (razzias et colonisation)" 18. 14. Alison L. Des Forges, "The drum is greater than the shout:
the 1912 rebellion in
northern Rwanda", dans Donald Crummey ed., Banditry, Rebellion and Social Protest in Africa, London
- Portsmouth,
James Currey -Heinemann,
1986, pp. 322 sv.
15. David Newbury, "The Rwakayihura famine of 1928-1929. A nexus of colonial rule in Rwanda", dans Histoire sociale de l'Afrique de l'Est (XIXe-XXe siècle), Actes du Colloque de Bujwnbura (17-24 octobre 1989), Paris, Karthala, 1991, p. 273. 16. Alison L. Des Forges, op.cit., p. 312. 17. Voir à ce sujet Émile Mworoha, "L'État monarchique et son emprise sur la société dans la région des Grands Lacs au XIXe siècle", dans Histoire sociale de l'Afrique de l'Est..., op.cit., p. 37. 18. Luc de I-Ieusch,Le R\vanda et la civilisation..., op.cit., p. 144.
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L'ubuhake a en effet définitivement perdu son caractère contractuel. "Par sérialisation, multiplication des liens personnels, le groupe paysan devient client du groupe pastoral" 19. Une inégalité foncière se met progressivement en place. Elle était encore figurée de façon sensible par les vieux interrogés par C. Vidal en 1968 : "des différences de statut sont restituées tant par l'opposition entre une alimentation de riche et une nourriture de pauvre, entre vêtements de luxe et habits de travail, que par l'opposition de ceux dont les champs ont été cultivés par une main-d'oeuvre rétribuée et de ceux qui n'avaient que leur propre houe et l'aide des voisins" 20. C'est bien pourquoi toute comparaison avec un système de type féodal classique est fallacieuse. Ce dernier est le produit de l'éclatement d'un pouvoir centralisé, alprs que, dans la situation rwandaise, une structure politique centralisée et située *'au dessus" de la société naît du système de clientèle, de la réciprocité dans la subordination et de la destruction des lignages qui, selon de Heusch, a d'étonnantes similarités avec l'empire mérovingien 21.
Cette situation d'inégalité radicale est transcrite dans les mythes fondateurs rwandais. Dans ces enquêtes des années 60, C. Vidal relève deux variantes de ces mythes. "Pour les Tutsi, l'origine des lois se confond avec celle des hommes: le pouvoir du premier mwami (Gihanga : mi-homme, mi-dieu, héros culturel, inventeur des techniques et des lois) s'est édifié sur une organisation de la société où les Hutu sont les serviteurs des Tutsi par le biais de la clientèle pastorale. Un mythe très populaire de la découverte de la vache soutient leurs affirmations. Les Hutu ne remontent pas à l'origine des lois, mais font intervenir un autre mwami, RuganzuNdori, beaucoup plus proche dans la généalogie dynastique et dont la geste relate les luttes qu'il soutint contre les roitelets-magiciens hutu, les bahinza. Après les avoir vaincus, Ruganzu Ndori instaure le pouvoir tutsi et son corollaire, l'ubuhake" 22, Luc de Heusch mentionne le même dualisme dans les mythes fondateurs, la même supériorité existentielle d'un groupe sur un autre qui est mis en situation d'échec. "Des traditions aristocratiques établissent un écart maximal entre le caractère céleste de la caste pastorale issue de l'ancêtre éponyme Mutuutsi tombé du ciel, et le caractère "autochtone", terrien de la caste paysanne. Une autre version, historisante celle-là, présente une structure inverse mais sa signification est identique: au lieu de poser au départ l'écart 19.Idem, p. 151. 20. Claudine Vidal, "Enquête sur le Rwanda traditionnel...", op.cil., p. 535. 21. Luc de Heusch, Le Rwanda et la civilisation..., op.cit., pp. 436 sv. 22. Claudine Vidal., "Enquête sur le Rwanda traditionnel... ", op.cit., p. 334.
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naturel maximal (ciel-terre), elle affirme d'abord la supériorité familiale de Gahutu, ancêtre des Hutu, sur Gatuutsi, son frère cadet, ancêtre des Tuutsi. Gahutu avait été choisi comme héritier par leur père Kazikamuntu. Mais Gahutu fut déshérité car il s'endonnit après avoir trop bien mangé alors que Kazikamuntu lui avait confié une importante mission. Gatuutsi, demeuré sobre, réussit là où son frère avait échoué et supplanta l'héritier désigné". De Heusch conclut en affirmant que les Tutsi hésitent donc entre deux systèmes de justification contradictoires qui ne font l'un et l'autre que masquer la violence politique et socio-économique 23. L'instauration, dans la société précoloniale rwandaise, des "prémisses de l'inégalité" -- pour reprendre l'expression de J. Maquet -- ne doit toutefois pas être réifiée comme elle le fut durant toute l'époque coloniale. A cet égard l'histoire doit davantage reprendre ses droits par rapport à une anthropologie structuraliste qui ignore trop souvent le poids des situations et des conjonctures particulières. La relation d'inégalité sociale au travers de l'ubuhake n'a sans doute jamais eu l'extension qu'on lui a prêtée. "La relation de clientèle instaurée par l'ubuhake n'a jamais affecté plus qu'un petit pourcentage de la population rwandaise", 'estime même C. Newbury qui, se basant sur des recherches dans la préfecture CieButare, avance que moins de 10% de la population masculine y était impliquée 24. Par ailleurs, la littérature sur le Rwanda s'est beaucoup trop focalisée, selon elle, sur le seul ubuhake, sans prêter suffisamment d'attention à des formes plus atténuées de clientèle comme l'umuheto qui subsistèrent longtemps dans les régions périphériques du royaume. Ce type de relation, contrairement à l'ubuhake, supposait certes des rapports d'inégalité entre un patron et un lignage, mais ces rapports étaient inversés: dans l'ubuhake, c'était l'usufruit du troupeau qui était cédé au client tandis que dans la situation d'umuheto, c'était le groupe client qui faisait don de vaches à intervalles réguliers au patron 25. Aux relations d'inégalité idéologique et économique qui s'étendent lentement dans tout le corps social et qui arrivent certainement à maturité au XIXème siècle, il faut aussi ajouter l'expansion d'une dynamique de "violence d'État". Dans l'Afrique des Grands Lacs, c'est surtout en Ankole et au Rwanda que se développent d'importantes organisations militaires et guerrières. "Au Rwanda, outre les contingents guerriers (intore) installés à la cour du mwami, la monarchie nyiginya avait, depuis (...) la seconde moitié du 23. Luc de Heusch, Le Rwanda et la civilisation..., op.cil., pp. 370-371. 24. Catharine Newbury, The Cohesion of Oppression. Clientship and Ethnicity in Rwanda, 1860-1960, New York, Columbia University Press, 1975, p. 134. 25. Idern;, pp. 75...76,
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XVIlIème siècle, créé des frontières militarisées où des guerriers stationnaie,nt en permanence afin de faire face aux agressions éventuelles des royaumes voisins du Burundi, du Nkore (Ankole) ou du Bushi" 26. Avec cette militarisation de la société, un imaginaire d'héroïsme -- et donc de violence -se libère. "Le royaume du R\vanda, poursuit Mworoha, était également attaché aux aspects rituels de la guerre qui se dégagent dans les rôles des héros mutabazi et mucengeri. Ce dernier était une personne sacrifiée en vue d'assurer la victoire dans des conflits provoqués par le Rwanda tandis que le mutabazi se faisait tuer chez l'ennemi afin d'assurer la victoire de son mwami" 27. Et Mworoha de citer un passage de L. De Lacger qui met en évidence, chez le mutabazi, une violence qui se prolonge au-delà même de la mort "Le mutabazi (...), c'est le sauveur qui, au prix de sa vie, affranchit ses frères d'une servitude, d'un fléau quelconque, et tourne une malédiction en bénédiction; c'est le vengeur d'espèce unique, qui, au lieu de tuer l'injuste agresseur de son pays, se fait tuer par lui, afin de charger sa tête d'un forfait abominable, et que son (unbre, son propre muzimu, revenant en puissance,aît le droit de le frapper et de lui faire subir un inexorable retour sur la peine du talion" 28. Des entretiens qu'elle a eus avec une vieille rwandaise "née avant les Blancs", Nyirabwandagara, C. Vidal redécouvrit aussi ces princes (abatabasi) qui "allaient se suicider en terre étrangère de manière à ce que le sang versé sur le sol des ennemis ruine leurs entreprises contre le Rwanda". Mais Nyirabwandagara évoquait aussi les "sauveurs" à qui était confiée la tâche beaucoup moins héroïque de jeter les filles-mères dans la rivière ou de les abandonner en forêt. "Elle assure qu'après cette exécution, ses ancêtres recevaient en récompense un gros veau" 29. Mais c'était surtout l'ampleur de la violence politique qui revient à la mémoire de celle "qui est née avant les Blancs". "Le petit peuple des collines connaît nombre de récits qui (...) assimilent la politique d'autrefois à des luttes mortelles entre factions où rivalisent l'astuce, la ruse et la cruauté". "J'entendais dire, relate Nyirabwandagara, qu'on commettait des meurtres innombrables, qu'on assassinait les gens pour rien. On coupait les têtes, les testicules servaient à orner le tambour royal. Souvent à la Cour, pendant la veillée, quelqu'un prenait une pierre et la jetait contre le tambour qui 26. Émile Mworoha, op.cil., p. 53. 27. Idem, p. 54. 28. L. De Lacger, Rwanda, Kagbayi, 1961, p. 140. 29. Claudine Vidal, Sociologie des passions..., op. cil., p. 73.
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résonnait. On disait: "Karinga a senti un criminel dans cette assemblée!" On le recherchait et on trouvait celui qui était haï ou qui était rival d'un grand che£: et on le déclarait coupable, dénoncé par Karinga. Il était immédiatement livré aux bourreaux qui lui coupaient la tête et les testicules. Le roi distribuait tous ses biens à d'autres". Nyirabwandagara, conclut Vidal, acceptait sans réticence aucune que le meurtre avait été autrefois "l'instrument politique par ex-cellence"30. Ceci signifie-t-il que cette violence ordinaire engendrait des situations de quasi-ethnocide comme F. Rodegem le pense à propos du Burundi? "La tradition, écrit-il, a gardé le souvenir d'éradications totales de certains groupes humains. Le pouvoir, ivre d'autorité, décide de la vie comme de la mort. Les données récoltées manifestent uniquement la folie du pouvoir dont l'abus conduit à l'anéantissement. Qu'on soit prince du sang, pasteur hima ou simple cultivateur ntentre réellement pas en ligne de compte. Le groupe entier est estimé coupable et destiné à disparaître. La répression frappe non des individus, mais les groupes et cette totalisa~ion est caractéristique de ce que l'on appelle aujourd'hui un ethnocide. Il ne s'agit pas là de phénomènes récents imputables à la situation coloniale. La violenée est endogène et les luttes intestines des pasteurs-guerriers étaient permanentes" 31. Ce jugement paraît exagéré et contient un risque sérieux d'amalgame historique: Rodegem présente en effet sa communication au moment du génocide qui a éclaté au Burundi en 1972. En fait, on peut sans doute penser que des violences "collectives" ont eu lieu à l'époque de l'expansion du royaume -- les anciens questionnés par Vidal témoignent de nombreuses révoltes contre le pouvoir des chefs ou contre le mwami 32__mais elles n'ont sans doute impliqué que des antagonismes entre des "patrons" et leur clientèle. Beaucoup plus plausible est l'appréciation nuancée que C. Vidal donne sur la portée du climat précolonial de violences à partir des récits de Nyirabwandagara. "Tant qu'ils ne se trouvent pas malencontreusement pris au travers des règlements de compte, les petites gens se contentent du rôle de témoins et de commentateurs. Ils enregistrent les coups portés, tiennent à jour la liste des vainqueurs et des vaincus, imaginent le temps où, la fortune 30. Idem, p. 66. 31. François Rodegem, "Les poids de l'histoire",
dans René Lemarchand et Jeremy
Greenland, Les problèmes du Burundi, Bruxelles, 1974, p. 18. 32. Claudine Vidal) "Enquête sur le Rwanda traditionnel", op.cil., pp. 534-535.
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changeant de camp, s'exerceront les vengeances. Ainsi, les obscurs, devenant chroniqueurs des lignages les plus en vue, n'enveloppaient-ils d'aucun mystère le mouvement de I'histoire; les ambitions des favoris du roi expliquaient tout et la rumeur publique tirait au clair les machinations les plus embrouillées" 33, Ceux qui tantôt sont les spectateurs ordinaires de ces violences, tantôt en sont les acteurs obligés de par leur position statutaire n'appartiennent et ne s'identifient en aucune façon à ce que l'on appellerait aujourd'hui une ethnie. En fait, le "Hutu" et le "Tutsi" n'ont pas de consistance existentielle. Les rapports sociopolitiques s'établissent par rapport aux détenteurs locaux de pouvoir, de terre et de bétail, "rapport liés à la bipartition de la société en pasteurs et agriculteurs". "Chacun se savait Tutsi ou Hutu, c'étaÎt une certitude, point n'était besoin de justification historique, ni de preuve: par naissance, l'on était Tutsi, c'est-à-dire pasteur, ou bien Hutu, c'est-à-dire agriculteur"34. d'autres termes, les catégories Tutsi et Hutu ne paraissent guère avoir été relevantes en terme politique jusqu'à l'époque de l'expansion du royaume. On peut surtout s'en rendre compte dans les régions périphériques. Sur l'île d'Idjwi, située aujourd'hui en territoire zaïrois et qui a toujours maintenu des contacts étroits avec le Rwanda, le terme "Hutu" n'est pas répandu ou bien n'est pas clairement compris selon C. Newbury. "Les Rwandais sont identifiés collectivement à des "Badusi" (terme dérivé du terme kinyarwanda Abatuutsi), mais individuellement un Rwandais est identifié à son clan. (Dans la région de Kinyaga au sud-est du Rwanda), le statut du "Tuutsi" est considéré, non pas simplement en fonction de la descendance, mais en fonction du contrôle de la richesse (surtout en troupeaux) et du pouvoir. (...) Avec l'arrivée (à Kinyaga) de Rwabugiri et de ses chefs, la classification hutu-tutsi tendit à devenir beaucoup plus rigide. Les lignages qui étaient riches en troupeaux et avaient établi des liens avec des chefs puissants furent considérés comme Tutsi" 35. Comment expliquer la montée d'une déstructuration sociale porteuse des violences politiques et des inégalités sociales qui sont pourtant attestées au coeur du royaume rwandais? Tant J'histoi.re que l'anthropologie sont impuissantes à fournir des réponses péremptoires à cette interrogation. Jusqu'ici on a pu démonter un "Rwanda mythique", mais rien n'a encore été dit sur les fondements structurels des déséquilibres producteurs de tensions socio-politiques. Dans une contribution récente, Christian Thibon a peut-être 33. Claudine Vidal, Sociologie des passions..., op. cil., pp. 66-67. 34. Iderll, p. 74. 35. Catharine Newbury, op. cil., p. Il.
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trouvé un fil conducteur intéressant et insuffisamment exploité, à savoir les particularités du régime démographique dans cette partie de l'Afrique. On l'a déjà dit: une des spécificités du Rwanda (et du Burundi) a été son isolement par rapport à la dynamique commerciale et politique qui se déploie en Afrique centrale et orientale. A l'exception de quelques zones qui furent pourvoyeuses d'esclaves (plaine de la Ruzizi et de l'Imbo), les royaumes centraux des Grands Lacs restèrent à l'écart de la traite: les Zanzibarites furent repoussés et contenus sur les rives du lac Tanganyika, les envahisseurs Ngoni venus de l'Est furent stoppés aux frontières, et les commerçants africains islamisés (Tippo Tip~ Mirambo...), éconduits dans la région, évitèrent la zone située entre le nord du Tanganyika et le lac George 36. L'isolement du Rwanda a dû avoir d'importantes conséquences sur le plan démographique. En effet, échappant aux ravages de la traite, aux agressions extérieures~ 1'.espacerwandais fut exempt des grandes épidémies qui touchèrent les populations d'Afrique orientale et centrale dès 1850. "(Son) isolement -- on pourrait parler d'un équilibre immuno-parasitaire spécifique -le protégea de l'unification microbienne; cette situation semble avoir été prise en compte par les populations puisqu'on recueille bon nombre de récits et jugements sur les dangers des communications à longue distance, sur l'intérêt d'un isolement prophylactique. Le cloisonnement que l'on observe, tant à l'échelle domestique et familiale qu'au niveau des pays, imprégnait ces sociétés" 37. Durant cette phase d'isolement, le peuplement peut donc s'accroître au Rwanda. Une des premières conséquences de cet accroissement est l'éclatement des communautés claniques et territoriales sous l'effet des forces centrifuges de leur propre croissance "Le cadre lignager ne pouvant gérer et contrôler une population qui tendait à s'accroître implosa ce qui pourrait expliquer leur multiplication ou leur regroupement perceptible tant au Burundi qu'au Rwanda"38. On peut ici supposer que le démantèlement lignager renforça le système familial élémentaire et une économie domestique centrée exclusivement sur le rugo, c'est-à-dire sur la maisonnée.
36. John Tosh> "The Northern Interlacustrine
Region", dans Richard Gray et David
Binningham, Pre-colonial African Trade. Essays on Trade in Central and Eastern Africa before
1900,
London
- New- York - Nairobi, Oxford University
Press, 1970.
37. Christian Thibon, "Croissance et régimes démographiques anciens (Bunmdi, Rwanda et leurs marges 1800/1950)", dans Histoire sociale de l'Afrique de l'Est..., op.cft., p. 228. 38. Ide"" p. 223.
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Mais un tel démantèlement pouvait aussi s'accompagner, deuxième conséquence de la croissance démographique, d'un essor de la concentration du pouvoir qui parvient à accaparer la distribution des terres, à multiplier les "bénéfices" de sa protection et les réseaux individualisés de clientèle, et à contrecarrer ainsi les solidarités .lignagères longues qui pouvaient lui être hostiles. "L'éclatement ménager et la concentration du pouvoir iraient donc de pair, ce qui expliquerait le rôle managérial de la royauté. Celle-ci garantissait la prospérité, du moins la régularité des récoltes; les sécheresses pouvaient être fatales pour les rois rendus responsables de cette panne cosmique. Mais par ailleurs, toute période difficile était pour les pouvoirs l'occasion de renforcer leur autorité, leurs liens de fidélité, leurs réseaux de clients et dépendants au moyen de secours et de protections. Ajoutons enfin que cette équation entre le pouvoir et la redistribution des biens de survivance s'actualisait à chaque deuil royal ou princier qui donnait lieu à des interdits concernant les travaux des champs, parfois à des famines "pénitentielles" 39. Selon G. Feltz, l'émergence d'un pouvoir monarchique coïncida aussi avec la pression d'un apport de gros b~tail qui rendait nécessaire la désintégration du régime foncier traditionnel. "Sous l'action conjuguée de deux facteurs -poussée démographique des agriculteurs hutu et accroissement rapide du gros bétail -- s'amorça la rationalisation du sol et le départage des terres à usage agricole et des terres à usage pastoral" 40. Cependant, si le renforcement du pouvoir central et l'implosion du cadre lignager furent possibles grâce à l'expansion du peuplement et à un déséquilibre qui devait être restauré entre pressions pastorales et besoins de nouvelles terres à défricher, la "nouvelle royauté" ne parvint pas vcbritablementà s'imposer comme elle réussit à le faire par exemple dans le royaume merina (Madagascar) dont la trajectoire historique fut à un moment similaire à celle des structures politiques des Grands Lacs 41. IO'Dansun 39.Idem, p. 226. 40. Gaétan Feltz, '''Evolution des structures foncières et histoire politique du Rwanda (llXe et XXe siècle)", Études d'Histoire Africaine, Vil, 1975, p. 149. 41. Produit de l'expansion de groupes allogènes habitant les hauts plateaux de l'île, organisé sur une base d'inégalités statutaires semblable à celles du Rwanda et du Burundi, le pouvoir merina réussit à se transfonner en véritable gestionnaire de la production rizicole et, comme au Rwanda, a casser les identités lignagères réduites à leur plus simple expression (le foko). Voir Françoise Raison-Jourde, Bible et pouvoir à Madagascar au XIXème siècle. Intervention d'une identité chrétienne et constroction de l'État, Paris, Karthala, 1991 ; Jean-Pierre Raison, Les Hautes terres de Madagascar, Paris, KarthalaOrstoln, 1984,
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deuxième temps, avance C. Thibon, la croissance démographique entama à terme, à la fin du siècle, le pouvoir royal dans la mesure où celui-ci ne put se transformer en appareil étatique "moderne", contrôler un territoire et une population surdimensionnés conlpte tenu de ses capacités de fonctionnement; la croissance, après avoir supporté l'unification royale, entretint la rébellion des anti-rois tant à la périphérie que dans les zones les plus peuplées" 42. C'est donc à un point précis de la trajectoire historique du Rwanda qu'il faut faire intervenir le concept et la réalité d'une violence politique qui accompagne des modifications structurelles dans l'environnement humain du. pays.
L'intégration
par le haut et par le bas
Réduire 1'histoire rwandaise, même dans ses phases les plus agitées, à une "violence fondatrice" est cependant très exagéré. Il est en effet nécessaire de mettre en évidence les facteurs institutionnels d'intégration qui sont également à l'oeuvre dans cette histoire.
Il y a d'abord l'institution du mwami qui n'est nullement le produit d'une prétendue "conquête tutsi" sur des agriculteurs hutu. Celle-ci paraît avoir préexisté aux mouvements de populations pastorales qui agitent la région il y a plusieurs siècles. Une dynamique de petits royaumes, où pasteurs "tutsi" et agriculteurs "hutu" ont très probablement coexisté, forme la trame politique majeure de tout l'espace des grands lacs. J. Vansina parle de petits "états de théâtre" dont la taille minuscule "était accompagnée de règles élaborées de succession, d'accession au trône et de funérailles royales, d'une théorie complexe de titres entourant la fonction royale, de rituels royaux compliqués et d'une pléthore d'emblèmes". "Souvenirs complexifiés de ce que d'autres (royaumes), plus loin à l'Est, avaient été avant l'apparition des grands États des grands lacs, en partie imitations de ces royaumes", ces entités connaissent la royauté divine et magique qui restera toujours le fondement des structures d'autorité dans la région 43.
42. Christian Thibon, op.cil., p. 223. 43. Jan Vansina, "Sur les sentiers du passé en forêt. Le cheminement de la tradition politique ancienne de l'Afrique équatoriale", Enquêtes et documents d 'histoire africaine, Louvain",la...Neuve- Mbandaka, n° 9, 1991, pp. 240-241.
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RWANDAISE
Pour de Lacgeret de Heusch aussi, la "monarchie" royale et sacrée est le trait typique d'un axe de civilisation très ancien qui s'étend depuis les confins de la frontières méridionales de J'Éthiopie au mystérieux "empire" Monotampa et que les "rois tutsi" n'ont fait en fm de compte que réaménager 44 "La monarchîe muhutun' apparaît pas autre en sa constitution que la monarchie mututsi ; elle en semble même le prototype" 45. Tambours royaux, association du couple roi-reine mère, confinement du monarque, enterrement dans une peau de taureau: autant d'artefacts que l'on retrouve chez les rois "tutsi" aussi bien que dans les royautés agro-pastorales antérieures 46. La place de l'institution se situe donc bien au-delà de simples arbitrages, de la conduite des guerres, et de l'organisation de rituels politiques. Le Mwami, image du dieu suprême (Imana) sur terre, est avant tout inviolable, hors de portée de ses sujets ordinaires. Même dans sa fonne ach.evée au XIXème siècle, il est surtout le garant de la fécondité et de la prospérité du royaume et non pas tellement le sommet d'une pyramide de clientèle basée sur la détention de bétail. "Entre la terre et le ciel", il est aussi celui qui pennet, en principe du moins, un arbitrage au sein d'un système agro-pastoral qui, on l'a vu, est en pleine effervescence au XIXème siècle. Mais l'intégration au niveau sociétal et donc l'atténuation des violences potentielles dont le système politique est en tout cas porteur au XIXème siècle est aussi réalisé par le biais d'une autre institution qui a son ancrage dans le "bas" de la société. Il s'agit du mythe de Ryangombe et du culte qui lui est associé, le kubandwa. Célébré dans tOlite la région interlacustre et pratiqué encore (en secret) au Rwanda à la fin des années 60 --les informateurs de C. Vidal insistent sur le fait qu'il s'agit "d'une religion digne d'être célébrée" 47_ -, la tentation est forte de faire de Ryangombe et du kubandwa un mythe et un culte de possession spécifiquement "hutu" 48. En réalité, Ryangombe et le rite du kubandwa transcendent fondamentalement les clivages et les fractures de la société rwandaise pré44. Luc de Heusch, Essais sur le symbolisme de l'inceste royal, Bruxelles, Institut de Sociologie, 1958 ~L. De Lacger, Le Rwanda ancien, Namur, 1939. 45. L. De Lacger, op.cil., p. 76. 46. Luc de Heusch, Le Rwanda et la civilisation interlacustre..., op. cil., pp. 69-77. 4ï. Claudine Vidal, "Enquête sur le Rwanda traditionnel", op.cit., p. 533. 48. Georges Balandier parlera d'un culte "né de la paysannerie hutu". Voir Georges Balandier, Anthropologie politique, Paris, Presses universitaires de France, 1967, p. 109 et 143.
UN ANCRAGE "TRADITIONNEL"
DES VIOLENCES?
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coloniale et nous introduisent dans un univers a-historique. Célébrés à la fois par les Tutsi et les Hutu sans pouvoirs, parfois perçus comme dissidence et combattus, parfois encouragés (en période d'épidémie de peste bovine par exemple 49, Ryangombe et le kubandwa s'écartent complètement. de la représentation officielle de la royauté dont ils sont les contrepoids. Selon de Heusch, "bien que dans le (rite) kubandwa, Ryangombe possède une vache personnifiée et un vacher, ni l'un ni l'autre n'interviennent dans la geste. Ce roi-chasseur n'est pas un amateur de bétail; le symbole de son pouvoir n'est pas le tambour des rois-pasteurs, mais une queue de lièvre. Son fils Binego est un destructeur de bétail. Au sein de la société (mythique) imandwa, les barrières de rang ou de castes sont abolies. Pour se marier ou séduire les filles, Ryangombe n'a pas besoin de bétail, il les conquiert au moyen d'une peau de léopard" 50. Selon Dominique Nothomb, le mythe est aussi en opposition avec l']mana, ce dieu de la tradition monarchique à qui l'on ne parle pas, qui n'a pas de secrets, qui ne s'allie pas avec les hommes, qui ne promet pas de salut 51. "Le Kubandwa offre aux Rwandais la possibilité d'un culte développé, ritualisé, avec cérémonies, célébrants, gestes, objets rituels, paroles rituelles, chants, déclamations, participations aux pouvoirs des héros invoqués, initiation, sacrifices, communion... autant de besoins religieux que l'imanismene fournissait pas. (...). Il conteste l'ordre social, dénonce le caractère dramatique, ambigu, cruel, étouffant de la condition humaine" 52. Si de Heusch et Nothomb s'accordent à dire que la royauté de Ryangombe est chimérique et que le kubandwa est un processus de fuite de la réalité -comme beaucoup de rites de possession africains d'ailleurs --, ces deux institutions offrent sans doute un cadre de référence idéologique et même existentiel qui a permis à ceux du "bas" d'échapper aux tentations de l'état "hobbesien" de nature.
49. Gérard Gahigi, "Lyangombe et la société", dans Lyangombe. Mythe et n'tes, Actes du deuxième colloque du CERUKI, Bukavu, Centre de Recherches universitaires, mai 1976, p. 120. Voir aussi, A. Kagame, "Un abrégé de l'ethno-histoire du Rwanda", Butare, 1972, p. 117. 50. Luc de Reusch, Le Rwanda et la civilisation interlacustre, op.cit., p. 239. 51. Dominique Nothomb, "Signification religieuse des récits et des rites de Lyangombe", dans Lyangombe, Mythe et rites, op.cit., p. 106. 52. Iderfl, p. 109.
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Ainsi donc, la trajectoire historique du Rwanda est marquée par des rapports sociopolitiques violents, en particulier à partir de la seconde moitié du XIXème siècle au cours duquel on assiste à une certaine pétrification dans les relations de maître à sujet. Mais, l'exclusion, la volonté de détruire des identités et à fortiori des comportements génocidaires sont absents du système politique même si celui-ci se déploie dans un contexte de très grandes violences entre factions. C'est le système colonial et son héritier post-colonial qui seront porteurs de fractures à comlotatioIl plus spécifiquement raciale avec toute la violence larvée que ceci induit. L'anthropométrie tient désormais lieu d'anthropologie tandis que la carte d'identité, sur laquelle la mention d~ l' "ethnie" est estampillée, symbolise la citoyenneté à deux vitesses. Le fil d'une trajectoire historique faite d'équilibres tout aussi délicats qu'ambigus est désormais rompu par une "modernité" dans laquelle il faut être obligatoirement classé "tutsi" ou "hutu". C'est précisemment cette polarisation classificatoire qui va se trouver à la base de ce que C. Vidal a appelé les passions ethniques, dans la mesure où le "Tutsi", puis le "Hutu" bénéficieront successivement du l1ionopoledu pouvoir et des avantages qu'il engendre.
3. UN CYCLE
DE VIOLENCES VINDICATIVES
Dans la mesure où son souvenir n'est pas géré, la violence engendre-t-elle la violence? Telle est la question à laquelle on voudrait répondre dans ce chapitre. Colin Lucas a montré l'existence, dans le cas des campagnes françaises de la fin du XIXème siècle, de véritables cycles qui ont ordonné la scénographie ultérieure de la violence collective au sein des communautés 1 . A première vue, le cas rwandais illustre bien ce processus: avec .la fin de la tutelle belge, les conditions sont réunies pour que s'enclenchent des violences de type cyclique. Les affrontements autour de l'enjeu du pouvoir dans un Rwanda indépendant vont mettre en scène ceux qui font partie de ce que Claudine Vidal appelle la "quatrième ethnie", c'est-à-dire celle dont les contours sont définis par les élites (hutu comme tutsi) qui aspirent à la monopolisation du pouvoir politique et qui ne gèrent une situation conflictuelle que par des exclusions ethniques. Le sens réel de ces affrontements va être conditionné d'une part par un renversement à 1800 de la stratégie belge dans son ex-territoire sous tutelle; il va aussi être occulté par l'épanouissement d'une mythique "révolution populaire", soutenue par la catholicité belge progressiste et fondée sur l'opposition entre "féodaux" et "masses populaires". A partir des événements de 1959, le terreau politique est désormais subrepticement perverti par la mise en route du registre des peurs de revanche, des violences et des exclusions réciproques, registre déguisé sous les appellations de "révolution sociale" puis de "révolution morale": dans ce sens, le génocide de 1994 se trouve implicitement inscrit dans la "révolution hutu" de 1959, dans les massacres de 1963, dans les flambées d'exclusion de 1973, et surtout dans les tueries sélectives qui accompagnent le début de la "guerre" de 1990.
1. Colin Lucas, "Themes in Southern Violence after 9 Thennidor", dans Beyond the Terror. Essays ÜJFrench Regional and Social History, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
L'HECATO~E
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La "révolution"
RWANDAISE
de 1959 2
Du 1er au 12 novembre 1959, le Rwanda fut le théâtre de violents affrontements qui restèrent inscrits dans I'histoire officielle de ce pays comme le début de "la révolution "de paysans hutu" réduits à l'état de servage contre leurs "seigneurs féodaux tutsi". Il a fallu du temps pour que soient remis en cause et le concept de révolution et celui d'une insurrection purement ethnique, concepts qui furent et sont encore emblématiquement attachés à l'épopée politique du Rwanda indépendant.
Le contexte du drame
Il est opportun de rappeler ici les principales étapes d'une tension à fleur de peau qui s'intensifie à partir des premières élections communales de 1956 puis surtout en mars 1957, date de la parution d'un "Manifeste des Bahutu" rédigé par des intellectuels originaires pour la plupart du nord du pays. Préparé dans la foulée d'une mission de l'ONU sur les évolutions politiques au Rwanda et au Burundi, ce manifeste pose d'emblée ce qu'il appelle l'aspect social du problème racial et réclame des réformes en faveur de la population muhutu en butte au "monopole hamite sur les autres races habitant plus nombreuses et plus anciennement le pays". Le document traduit les revendications d'une mince élite qui s'appréhende comme marginalisée et bloquée dans son processus d'ascension sociale 3. Cette nouvelle élite indigène, bientôt regroupée autour d'une association connue sous le nom d'APROSOMA (Association pour la promotion sociale de la masse), n'a encore pratiquement aucun relais sur les collines du Rwanda, mais elle bénéficie du soutien de plus en plus marqué de l'Église 2. Cette partie est lUle version remaniée d'lUl article publié dans les Cahiers jranç~is d'Histoire d'Outre-mer sous le titre "Le Muyaga ou la "Révolution" rwandaise revisitée", Revue française d'histoire d'outre-mer, Tome 81, n° 304, 1994. 3. Entre 1946 et 1954, le "groupe scolaire d'Astrida", pépinière des futurs chefs et cadres du Rwanda-Unmdi est composé de 45 à 60 "Tutsi" et seulement de 1 à 3 "Hutu". Au Conseil supérieur du pays, les Hutu sont représentés par deux membres contre 31 Tutsi tandis que les représentants des premiers aux conseils de territoire sont au nombre de 30 contre 125 pour les Tutsi. Voir Dominique Daroon, "les conflits de pouvoir au Burundi"> dans Dominique Darbon et Philippe L'Hol)', Pouvoir et intégration politique. Les cas du Burundi et du Malawi, Bordeaux, CEAN, 1982, pp. 49..51<
UN CYCLE DE VIOLENCES VINDICATIVES
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catholique, ce qui lui permettra un accès aisé à la presse locale (monopole catholique) et la diffusion de ses idées sur l'ethnicisation des rapports sociaux auprès des Européens et du cercle restreint de l'intelligentsia africaine. Du côté de l'administration, c'est le silence (embarrassé) qui domine; il n'y aura aucune réaction notable au Manifeste hutu. Ce n'est qu'en décembre 1958 que le Résident belge du Rwanda concède, dans un style où la clarté n'est pas de règle, qu'il y a effectivement "un problème racial indéniable" au Rwanda, mais n'a rien d'autre à proposer que la proscription par "tous les hommes de bonne volonté (...) de tout excès de langage ou d'attitude susceptible de créer un éventuel conflit Hutu-Tutsi" et la lutte "contre le seul ennemi commun: la pauvreté" 4. "Bien que beaucoup de Belges ressentaient la gravité de la crise, relèveR. Lemarchand, il semble qu'ils ne savaient tout simplement pas comnlent l'aborder et la traiter" 5. Le soutien du clergé catholique à la cause hutu et la passivité de l'administration vont avoir une répercussion psychologique majeure chez les "Tutsi" que l'on a toujours identifiés comme étant les seuls à être "les vrais chefs" de ce territoire où l'administration indirecte est de règle. Pour la monarchie, il apparaît clairement que la puissance tutélaire, sous l'impulsion de l'Église, s'apprête à changer brusquement son fusil d'épaule. On va donc crier à la trahison à Kigali et à la cour du Mwami. Au crescendo des attaques de la presse locale contre la "domination féodale tutsi" répondent des contreattaques dont certaines se placent elles aussi sur le terrain de l'ethnicité : un groupe de notables tutsi clients du Mwami, reprenant à leur compte l'argumentation monarchique revue et corrigée par les Belges, enveniment encore la querelle en affirmant qu'il ne peut y avoir de base à une fraternité entre Hutu et Tutsi puisque notre Roi a conquis ce pays et les Hutu et qu'il a éliminé leurs petits roitelets" 6. L'année suivante (1959), plusieurs événements politiques vont véritablement planter le décor du drame. Le 25 juillet, la mort inopinée du Mwami Mutara entraÎ11edes rumeurs folles sur son assassinat par les Belges. Le nouveau Mwami, qui est intronisé le jour de la mise en bière de son prédécesseur par un clan ultra-conservateur sur la défensive, n'a que 21 ans et sera, croit-on, aisément manipulable. Le mois suivant, est créé le premier parti rwandais, l'Union nationale rwandaise (UNAR) qui, étiqueté comme le 4. Compte-rendu de la session du Conseil Général, 3 décembre 1958, in Les Dossiers du ClUSP, Rwanda Politique 1958-1960, Bruxelles, 1961. 5. René Lemarchand, Rwanda and Burundi, Londres, Pall Mall Press, 1970, p. 152. 6. Cité par René Lemarchand, idem, p. 154.
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L'HECATOÀŒE
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porte-parole de Tutsi conservateurs, se présente comme un mouvement de réconciliation nationale autour du monarque, garant constitutionnel du pays. L'élite hutu lance le mois suivant son parti, le PARMEHUTU (Parti du mouvement d'émancipation des Hutu), qui voudra se constituer en bras politique de l'APROSOMA et dont le programme martèle le mot de démocratie en s'élevant contre le servage et le travail forcé des paysans hutu. Il est bien vrai que, sur les collines, on supporte de plus en plus difficilement le despotisme et l'arrogance de certains chefs tutsi qui, par administrateurs belges interposés, "battent les gens à la chicote et (les) crèvent de fatigue aux travaux obligatoires" 7. Plusieurs incidents vont encore renforcer la conviction des chefs tutsi de ce que les jeux sont pipés par les Belges. Le 24 septembre 1959, dans une lettre circulaire aux prêtres catholiques, Mgr Perraudinet son adjoint rwandais, A. Birigumwami, adressent une n1Îse en garde à l'UNAR qui est traitée de formation "national-socialiste" et est accusé de vouloir soustraire les écoles à l'influence des missions. Le 12 octobre, des sanctions disciplinaires sont prises contre trois grands chefs qui ont participé à un meeting du parti où la tutelle belge a été prise à partie: les charges à leur égard sont d'autant moins justifiées que l'administration invoque une instruction du Résident belge qui n'a en fait été rendue publique... que quelques jours après la tenue du meeting. Pendant tout le mois d'octobre, des exactions contre certains commerces (hutu comme tutsi), des bagarres entre chefs rivaux, des attaques menées par des bandes de jeunes armés de lances et de serpettes contre les uns et les autres se multiplient et empoisonnent l'atmosphère. Ces actes préfigurent déjà la déflagration violente mais brève qui se produit en novembre sans que l'administration belge n'ait à aucun moment perçu l'imminence et l'évidence du danger.
Le prisme ethnique du clergé expatrié
L'Église rwandaise, pilier et point de référence central dans un territoire où l'administration de tutelle n'a qu'une faible consistance politique, a pris, on l'a vu, une part active dans la prise de conscience de la contre-élite hutu, encore minoritaire et peu organisée. A l'instar et même davantage qu'au Congo voisin, cette église a réalisé que le monde colonial est à un tournant, 7. Ceci ressort du témoignage d 'lUle vieille femme tutsi avec l'ethnologue Claudine Vidal. Voir Claudine Vidal, Sociologie des passions (Côte d'Ivoire, Rwanda), Paris, Karthala, 1991, pp. 79 sv.
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UN CYCLE DE VIOLENCES VINDICATIVES
que les indépendances s'annoncent et que les rapports de force vont inévitablement être modifiés. Si elle veut rester maître de l'aumônerie des valeurs et perpétuer son influence dans le pays, elle se doit de rompre avec l'ancien régime en soutenant les "forces du progrès social" même et surtout si celles-ci sont embryonnaires. Beaucoup plus puissante qu'au Congo, cette église va largement conduire les évolutions au Rwanda. Le texte ci-dessous traduit bien ce changement de cap; il a été rédigé par 'un prêtre belge et adressé au mensuel catholique progressiste, La Revue Nouvelle 8. Il reste clairement prisonnier d'un prisme ethnique qui n'a jamais cessé d'imprégner la mentalité coloniale. Après une longue digression sur l'histoire ancienne du pays, il tente de répondre aux questions suivantes: Que subsÎste*t.iI du régime ancien .? On peut répondre: un cadre politique et un esprit. Le cadre est connu: Mwami, chefs, sous-chefs. Ceux-ci sont en majorité batutsi. Quelques bahutu nommés ces derniers temps semblent vouloir échapper à l'anoblissement et s'affmner chefs intègres. Expérience récente avec ses espoirs et ses risques: la pression du milîeu dirigeant est tellement forte encore! (...) Que penser de la thèse (sur l'aptitude
des Batutsi à être des chefs) ?
(...) Tout ceci amène à une (...) question: les Batutsi ont-ils une aptitude innée au commandement? lOTI est incontestable que, maîtres du pays depuis très longtemps et y exerçant un monopole quasi-exclusif de l'autorité, ils ont appris à commander et à s'imposer (...) TI existe donc un complexe de supériorité mututsi admis par les Batutsi, par les Bahutu et même jusqu'à ces derniers temps par les Blancs. 20 Quant au sens du commandement, on peut ici douter sérieusement des réalisations batutsi... sauf de celle qui a consisté à s'emparer du pouvoir et à le garder jalousement. En fait, esprit de domination, conservatisme archaïque, réticence devant tout progrès qui poUITait compromettre lem prédominance et leurs privilèges, verbalisme, grande assurance, fatuité qui ne doute de rien surtout pas d'eux-mêmes, abus d'autorité par l'arbitraire: la loi du cadeau sévit maintenant encore dans le tribunal, la chefferie, 1'hôpital où lU1''tarif' est parfois établi pour la distribution de soins et de remèdes Ceci n'est pas un tableau brossé pour abîmer un groupe ou caractériser violemment un état d'esprit: trop de faits recueillis prouvent cette esquisse non exagérée.
8. "Note sur le Rwanda et sur quelques problèmes qui s'y posent en 1958", Archives de J. D.
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Après un long passage sur les facteurs positifs et/ou susceptibles d'être améliorés: rôle d'un christianisme florissant, participation accrue des indigènes, plus précisément "d'éléments issus de la masse et libérés du complexe d'autorités fortes", la note répond à une seconde question sur "le mouvement des masses et la situation actuelle" et donne finalement la ligne que doit suivre l'Église. (La) situation peut ainsi se résumer: 1) la prédominance d'une classe qui coïncide avec une race: la race mututsi; 2) la subsistance d'une féodalité à base de privilèges et de domination arbitraire en l'absence de tout droit écrit etcn présence d'une administration locale en contact quotidien avec la masse~ 3) la prédominance de l'intrigue, du travail "dans le brouillard et le brouillage" sur la discussion ouverte et directe; 4) la présence d ~une masse de 84 % dont la situation est instable par manque de propriété privée, à peine défendue par les conseils de chefferie la plupart du temps dans les mains d "un chef qui en est le président et choisit certains candidats, toujours menacée de représailles à long tenne (...). Le mouvement des masses Certains éléments bahutu -- moniteurs, ancien séminaristes... -- ont pris conscience de cette situation peu compatible avec le christianisme qui prêche l'égalité foncière de tous les fils de Dieu, le respect de chacun et la mise en valeur de tous les talents, et avec les mouvements d'idée qui poussent au régnne démocratique et au rejet de ce qui sent le privilège de classe et de race. Un mouvement est né fait d'éléments peu nombreux mais appartenant à tous les coins du pays. Ces idées se répandent dans la masse qui lui est sympathique mais garde une réserve prudente en face de la réaction déjà entamée par la classe possédante qui s' aftmne "'révolutionnaire}} 9 (...) (I)es Bahutu) conscients et dynamiques, audacieux même dans un pays où l'opposition au pouvoir coutumier touche au crime de lèse-lnajesté (u.) ont eu jusqu'à présent une activité totalement désintéressée: tous ont déjà subi à cause de leurs activités en faveur de la masse des attaques sournoises, calomnieuses, rarement directes de la part
des" beatipossidentes". Aucun n'a renoncé, au contraire, forts de leur bon droit
et d'une certaine immunité née de leur situation indépendante (moniteurs, commerçants, petits patrons) (...). Leur faiblesse: manque de moyens suffisants pour une organisation puissante et manque d'hommes qui pensent mouvement et actions. Pour l'avenir, le mouvement devrait pouvoir compter sur des élites intellectuelles mais, nous l'avons déjà dit, celles-ci se préparent surtout dans les milieux batutsi. 9. La référence au caractère "révolutionnaire" de la classe possédante renvoie au comportelnent anti-colonial très répandu dans l'intelligentsia rwandaise et bunmdaise (tutsi) qui s'identifiera rapidement aux Nkrumah, Lmnumba et autres grands nationalistes africains.
UN CYCLE DE VIOLENCES VINDICATIVES
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Entre parenthèses, c'est par les étudiants rwandais en séjour en Belgique, presque tous Batutsi, que les Belges peuvent avoir lUle idée des problèmes qui se posent ici; source él1Unelmnent suspecte dont les dire en tout cas devraient être contrôlés par l'audition de l'autre partie... absente! Réaction des milieux batutsi Cette réaction se manifeste surtout par lUl regroupement autour du Mwa"zi officiellement père de tous, en fait père de ceux qu'il reconnaît comme siens, par lUle action sournoise de dénigrement ou de procès entamés contre certains dirigeants; par des pétitions aux signatures arrachées ou payées pour obtenir lUl soidisant désaveu des masses. Quelques articles de presse expliquent I'histoire de la domination mututsi, sans rien de constructif pour la masse, ou encore tente de dresser la masse contre les Blancs et les missions responsables de l'état actuel.(...). En Belgique, laUlèse défendue est la suivante: il n'y a pas de problème ou plutôt il existe lUl problème artificiel suscité par les Blancs qui divisent pour régner. Parmi les étudiants, W1Cminorité mututsi dynamique et souvent (le terme habile a été écrit puis raturé NDA) hostile à lUl "certain" pouvoir féodal, tente actuellement d'entrer dans le problème mututsi-muhutu pour se forger plus facilement lUle place panni ceux qui demain dirigeront le pays. Réaction de l'administration Après lUle période de crainte en face d'un mouvement de masse, de défiance vis-àvis de certains dirigeants, l'administration a pris conscience non seulement des problèmes qu'elles connaissaient, mais du bien fondé des griefs étalés et l'on peut espérer des réformes prochaines dans lUl sens plus démocratique. Le dernier discours du vice-gouverneur général en décembre 1958 le prouve de façon évidente. Réaction des missions Sans prise de position officielle - sauf par les hebdomadaires cités qui dépendent d'elles les missions sont favorables au mouvementà cause de ses revendications justes que certains missionnaires défendaient occasionnellement depuis longtemps déjà. Malgré la sympathie personnelle vis-à-vis de certains leaders, se marque une réserve officielle due à l'ignorance de l'avenir et à la prudence traditionnelle en milieu ecclésiastique. Une évolution se dessine donc dans la situation sociale de la masse; il est à souhaiter que "l'expectative sympathique" de l'Église ne se prolonge pas trop... Un peu comme en Europe, il y a lUl siècle... Veni Sancte spiritus.
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Ce texte que n'auraient pas désavoué les tiers-mondistes de l'époque est significatif de certains stéréotypes véhiculés par des progressistes chrétiens: l' image du Tutsi rejoint celle qui est en vigueur à ce moment (comme aujourd'hui d'ailleurs), c'est-à-dire celle d'un être habile, manipulateur,
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conservateur et dominateur. Il exploite une "masse" -- le tenne est récurrent dans la note -- définie racialement et qui commence à "se conscientiser". Aucune médiation n'est possible dans ce schéma manichéen: les éléments tutsi "modernistes" -- qui bien que minoritaires fonderont en 195900 parti, le RADER (Rassemblement démocratique rwandais), s'opposant au conservatisme des chefs --, ainsi que les étudiants tutsi en Belgique sont l'objet de méfiance: l'auteur n'est pas loin de les considérer en fait comme d'habiles opportunistes. Il est temps que les Blancs voient clair et en particulier l'Église que le rédacteur de la note souhaite plus positivement engagée dans la lutte de la masse hutu. Que le Saint-Esprit l'inspire donc davantage!
Le "Muyaga"
du Rwanda
En fait, le souffie du Saint-Esprit ne sera d'aucun secours. Quelques mois après la rédaction de cette note, c'est un autre souffle qui prévaut, celui du Muyaga. Car les origines et le développement de la jacquerie qui se déchaîne dès le 1er novembre 1959 n'obéissent guère à la logique de libération raciale et ethnique du schéma de la note précédente. Tout d'abord, les incidents, qui débutent en fait dès le 25 octobre à Nyanza suite à une banale altercation avec un sous-chef, s'inscrivent dans le climat de la très forte tension des mois précédents. lis opposent, dans le cadre d'ml antagonisme entre "Aprosomistes" et partisans de )'UNAR, des 'jeunesses" , des "swahili" 10 islamisés et/ou des sous-chefs de collines et leur entourage immédiat. Les violences se déclenchent dans le territoire de Gitarama puis gagnent en quelques jours tout le nord du Rwanda dans des régions (et surtout de petites agglomérations) où l'emprise de la cour royale a toujours éténloins forte, où les problèmes fonciers sont plus aigus et où il existe, on l'a vu, un particularisme régional spécifique.
10. Les "Swahili" Politiquement, que "citadins" communautés l'UNAR. Voir de l'École des
fonnent des petites communautés commerçantes
très marginales.
J. Kagabo les associe à l'UNAR, parti pour lequel ils sympathisent en tant opposés aux "washenzi" (gens des collines). Comme beaucoup d'autres islamisées, ils sont sensibles au discours anti-colonial et anti-beIge de José Hamim Kagabo, L'Islam et les "Swahili" au Rwanda, Paris, Éditions Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1988, pp. 243 sv.
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Très vite, c'est par le pillage et, dans les collines, par l'incendie des cases, des bananeraies et des caféiers surtout que les "rebelles" se manifestent. "Dans l'ensemble, commente le substitut du procureur du Roi au Rwanda, les agresseurs n'avaient qu'une idée: détruire tout ce qu'ils ne pouvaient emporter. La méthode habituellement suivie pour dévaster une demeure tutsi consistait à en piller le contenu pour, ensuite ou simultanément, la détruire, soit en l'incendiant (...) soit en la démolissant" Il. Les pillages et incendies allumés par les rebelles traduisent sans aucun doute le malaise foncier qui, on en reparlera plus loin, existe au nord du pays, une région à très forte densité de population: on cherche visiblement à chasser les derniers arrivants, les Tutsi et leurs familles 12. Il n'y a pas de mots d'ordre, pas de leaders: seulement des bandes de jeunes qui, on les reverra à l'oeuvre à partir de 1991, ''tuent, pillent et brûlent". Selon le témoignage d'un pasteur protestant travaillant dans une des régions principalement touchées, (une colline près de Kagbaye en territoire de Gîtarama), "la masse de la population, même dans notre région fortement Hutu, fut complètement surprise par l'attaque. La plupart furent contraints de se joindre aux bandes par les tactiques de terreur utilisées par elles. Beaucoup furent abasourdis et honteux que de telles choses pouvaient arriver. Ils appelaient cette "guerre" muyaga -- le vent fort, quelque chose qui vient d'on ne sait où et qui va on ne sait où (...). La masse de ceux qui suivirent le mouvement ne savaient pas de quoi il s'agissait ou bien l'accompagnèrent pour assouvir des haines particulières ou encore pour acquérir un butin" 13.Selon le même témoin, les gens avaient peur et parlaient en tremblant du livily ou du muvumo, termes qui renvoient au PARMEHUTU et dont le second signifie "malédiction". Le substitut du procureur confirme cette version en épinglant le fait que "les révoltés se Ianç(ent) dans des représailles folles où ils ne se contrôlaient plus et laissaient leur colère se déchaîner (...). Le mouvement d'én1al1cipation (des Hutu), poursuit-il, était à ce point impréparé qu'ils ne s'en rendaient pas compte. Ils ne pouvaient comprendre qu'ils combattaient pour eux-mêmes" 14. L'enquête judiciaire et les tén10ignages de l'époque ne font pas état d'un "plan d'élimination programmée", ce qui ne signifie pas que, dans l'ombre, Il. Jean-R. Hubert, La Toussaint fWandaise et sa répre.ysion, Bnlxelles, Académie royale des sciences d'outre-mer, 1965, p. 32. 12. Voir à ce sujet, Catharine Newbury, The Cohesion of Oppression. Clientship and Ethnicity in Rwanda, 1860-1960, New- York, Colwnbia University Press, 1988, pp. 202 et sv. 13. Cité par René Lemarchalld, op.cil., pp. 163-164. 14. Jeall-R. Hubert, op. cil., p. 32.
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une élite hutu ne s'active pas à envenimer la tension ethnique. On verra plus loin que cette élite raisonne déjà en terme de "développement séparé" pour les Tutsi. A Nyanza, "capitale" du Mwami, des nouvelles inquiétantes filtrent d'heure en heure: les victimes sont en effet surtout des chefs ou des souschefs tutsi de collines. On peut craindre des débordements vers Nyanza puisque les incidents font tâche d'huile dans les territoires septentrionaux de Gisenyi et de Ruhengeri. Mais la population ne paraît pas savoir ce qui se passe, comme le récit d'un leader de l'APROSOMA , le moniteur J.B. Sagahutu, habitant à quelques vingt kilomètres de Nyanza, le montre clairement 15. C'}est le jeudi .5 novembre 1959 que les nouvelles venant de Nyanza nous annoncèrent qu'il tàllaît courir chez le Mwami pour lui porter secours. Les souschefs battaient le tambour et, dans la soirée les gens annés aft1uaient vers Nyanza. Moi-même, je revenais du travail et je demandais aux gens pourquoi ils portaient des annes et où ils allaient. Tous me dirent qu'ils allaient à Nyanza (...) Un peu plus loin, j'ai rencontré mon sous-chef, il revenait de Nyanza. Je lui ai demandé des nouvelles. "Pourquoi, lui dis-je, faut-il courir à Nyanza avec des annes". "Puisque, répondit-il, on vous dit d'aller à Nyanza, allez-y et ne demandez pas pourquoi.. Je ne comprend pas votre question! On ne demande pas une telle chose quand il s'agit du Mwami...". Après avoir quitté le sous-chef, mes amis qui m'accompagnaient me dirent: "pourquoi une réponse aussi méchante ?". Arrivé chez moi, j'ai vu que tout le monde partait vers Nyanza avec des annes. Un moment je me suis dit: "J'y vais également pour voir ce qui s'y passe". J'ai pris une machette. Je me mis en route avec deux enfants de 15 et 16 ans.
La "convocation" du Mwami obéit à un impératif'shl1ple et urgent: la monarchie est attaquée et il faut la défendre. Tout le monde obéit, même Sagahutu, bien qu'il n'ait visiblement pas apprécié la réponse qui lui est donnée par son chef. Les témoignages le confirment: tout le monde a commencé à affiuer vers Nyanza à partir du 5 au soir~ C'est seulement le samedi 7 au matin que le Mwami s'adresse à ses sujets 16. Le Mwami se trouvait sous la barza. Nous étions très nombreux forcés de venir répondre à l'appel du Mwami. On disait qu'il était en danger. Le Mwami commença par nous dire que nous devions nous mettre en chefferies devant lui pour nous 15. "Témoignage de Jean-Baptiste Sagahutu sur les événements de novembre 59", Archives de J. D. 16. "La maison du Mwami pendant les événements de novembre 1959 (d'après des témoins oculaires), Archives de J. D.
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organiser en une véritable année. Une fois que tout le monde fut rangé, il nous dit qu'il attendait encore la réponse du Vice...gouvemeur général. Après cette réponse, le chef de l~armée que je (c -est le ~fwan1i qui parle NDA) vais désigner vous donnera des instructions que vous devrez suivre; Nkl1rangasera lecher de l'année du Busanza, les autres auront également leur chef d'armée. Cela se passait avant midi. L'après-midi, le Mwami revint à nouveau sous la barza. C'était vers 14 h. environ. il s'adressa de nouveau à la foule et donna l'ordre aux armées de partir pour chercher les Aprosoma: à une partie du Busanza, il donnait l'ordre de rester autour de sa maison, le reste devait partir vers le Marangara (où au moins trois chefs-clients du Mwami ont été tués ou blessés NDA). Nkuranga demanda également l'autorisation de partir comme chef de l'armée; il ajouta encore qu'il couperait la tête d'un Aprosoma pour la porterchezle Mwami.LeMwamine disaitrien tuais il riaît. Le
Mwami ajouta encore en s'adressant à la foule qu'il voulait voir Kayibanda vivant 17.
L'attente est donc longue. Pour beaucoup, elle a duré plus d'une journée au cours de laquelle les chefs tutsi et le Mwami ont tenté d'obtenir l'autorisation du Vice-gouverneur général de rétablir l'ordre eux-mêmes, ainsi que le confinne le témoignage de Sagahutu. Mais l'autorisation n'a pas été donnée. Plus que probablement le Vice-gouverneur aura annoncé au Mwami que l'ordre serait restauré rapidement. Ce jour là, il a effectivement décidé d'imposer un régime militaire d'exception: tout rassemblement de plus de 5 personnes est interdit, ce qui rendait illégaux les attroupements autour de l'Ibwami (maison du Mwami). Le Mwami est mécontent et "reproche leur carence aux forces de l'ordre" 18. Du 1er au 10 novembre, les forces de l'ordre sont effectivement invisibles : les récits et témoignages provenant de Nyanza le confirment. Pendant que ces négociations et ces palabres sur le maintien de l'ordre ont lieu, le ton monte chez les chefs de guerre qui s'échauffent et font des démonstrations de belliquosité devant leur Mwami. Celui-ci "ne dit rien" (il ne veut et ne peut visiblement pas désavouer ses chefs) : il précise seulement qu'il ne veut pas que l'on touche à ceux qui sont les chefs du parti rival, l'Aprosoma. Il sera évidemment rapidement dépassé. La nomination de Nkuranga est tout un symbole: l'intéressé est le fils du dernier des anciens chefs des armées tutsi (Abagabe).En le désignant, le Mwami réactive les vieilles traditions guerrières du Rwanda. 17, TIs'agit de Grégoire Kayibanda, le futur président de la République rwandaise et qui était un des membres fondateurs du Pannehutu. 18. Déclaratîon du Ministre du Congo et de Ruanda-Urundi au Parlement le 12 novembre 1959, Compte-rendu analytique du Sénat.
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Comment réagit la population? Le rapport ultérieur rédigé à l'intention du Ministre belge des colonies révèle le fait que la "masse hutu" prend fait et cause pour son Mwami et croit même en toute bonne foi que les opérations militaires sont commanditées ... par les Belges 19. Les incendiaires disaient agir au nom du Mwami, dont les ordres avaient été transmis par les gens de Ndiza. En effet, dès le début de la révolution hutu, les bruits suivants avaient circulé: les (des?) Tutsi retenaient le Mwanli prisonnier et celui-ci avait donné l'ordre de brûler leurs cases; eu égard aux abus, le Mwami désirait que les Tutsi quittent le pays, ce qui devait être obtenu par la destruction de leurs maisons. Lorsque l'avion de reconnaissancemilitaire survola la région pour se rendre compte de l'extension des troubles, les gens disaient que le Mwami était dans l'avion et que le trajet de celui...ciindiquait la direction dans laquelle il fallait brûler. Quand, après latin des troubles, le Mwami circula dans le pays, certains allèrent jusqu'à lui demander un salaire pour le travail qu'ils avaient effectué en brûlant les cases de ses elUlemÎs ! On prétendait également que l'administration belge et la Force Publique approuvaient les incendies, et, en certains endroits, des Hutu se présentèrent chez l'administrateur de territoire pour lui demander de l'essence !
Partout en tout cas, les témoignages font état d'une foule (de Hutu et surtout de Batwa) "aussi houleuse qu'incommensurable" autour del'Ibwami pendant la durée des opérations de représailles, une "foule énorme qui criait terriblement et poussait des hurlements" 20. On a un peu l'impression que ce qui est déterminant dans les comportements c'est une sorte de défoulement collectif dans et par une guerre autorisée par le Mwami. Les cibles de cette "muyaga" sont individualisées: il ne s'agit pas de tuer des "Tutsi" ou des "Hutu" --l'épithète ethnique n'est utilisée que trois fois dans les témoignages des leaders "hutu" -- mais tel ou tel "Aprosomiste" -- le terme revient sans cesse dans les récits -- qui est désigné à la vindicte par des chefs de guerre improvisés et livrés à eux-mêmes. La synthèse des témoignages oculaires cidessous illustre bien à la fois l'atmosphère de violence -- que certains clercs hutu, présents dans les conciliabules entre chefs tutsi, tentent parfois de contenir
-- ,
sa nature tout à fait arbitraire
de même que l'importance
19. Rapport sur les troubles de novembre au Rwanda, fait et présenté au Ministre du Congo Belge et du Ruanda-Unmdi par MM. Fr. Peigneux, G. Malengreau et S. Frédéricq, in Les dossiers du CRISP, op.cit., p. 150. 20. "Les captures de Mathias Semwaga et de ses compagnons Gervais Sengegera et de Léopold Mukuralinda" et "Témoignage de lB. Sagahutu" précédemment cité, Archives de l D.
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primordiale des rumeurs et des méprises sur les individus qui vient encore accroître le "muyaga" 21. Dans la soirée du samedi (7 novembre), vers 20 heures, Gashugi, sous-chef à Remera, Nkuranga, Nkubito, Kalima, Kayihura, Kimenyi, Butwatwa, Borgers Jacques (mulâtre) tiennent conseil chez Badege (sous-chef) non loin de Nyanza. La voiture de Rahamatali en a transporté ooe partie (cette voiture servira de taxi à l'entourage du Mwami) (...). Au cours de cette réunion (...) fut prise la décision d'attaquer Sindibona et Mpangare 22. Butwatwa, Kimenyi, Kahihura, Nkuranga, Badege, Butwatwa et Gashugi dirent qu'il fallait les tuer à tout prix. A trois, nous aurions préféré que les aITêter. Mais (ils) étaient formels (...). Ds ont dit également: "si vous ne les trouvez pas, vous devez les rechercher partout pour les tuer coûte que coûte". Ds menacèrent de considérer comme Aprosoma et de tuer tous ceux qui n'iraient pas les assassiner. (Le dimanche 8 novembre), vers 9 heures du matin, arrive la voiture de Sindibona qui, dit-on, a été tué chez lui vers 5 heures du matin. (...) Nkuranga revenait de Byimana (en territoire de Nyanza) avec son armée se vantant qu'il (l')avait tué, qu'on avait pillé sa maison et qu'il était fier d'avoir (...) vengé son frère Nkusi 23. Cette année marchait aussi sous la direction du nommé Rubengura Cyrille, fils de l'ex-sous-chefNaho de Kanyarira qui avait ooe liste de ceux qu'on devait tuer et des "ingo" qu'on devait incendier dans la sous-chefferie de Kanyarira. Vers la fm de la matinée lUle autre année revient du Buhanga (territoire d' Astrida) avec deux types qu'on appelle secrétaires de Gitera 24. Des gens frappaient ces types sur le camion. On apprend également ooe autre nouvelle: l'Eglise de Kiruhura a été envahie par ooe foule en arme poursuivant le chef Bwankoko de Buyenzi. On l'avait pris pour Gitera. (Puis) le métis arabe Khalfal1 de Gacmabwenge arrive en compagnie d'oo groupe composé de Swahili pour rapporter au Mwami que le chef MflZi et ses souschefs sont emprisonnés à Gitarama. Ds viennent demander au Mwami son intervention pour les libérer. Le chef Rwangombwa revenant de Kibuye rapporte que 50 Bahutu sont tués par l'armée de l'UNAR en chefferie Bwishaza et que cette année a arrêté sa voiture croyantque c'était le chef Bwanakweriqu'il cherchait pour le tuer. Un nommé Uziel Rufuku de Karambi vient demander l'intervention de l'année du A-lwami contre les Baprosoma qui ravagent la presque totalité du Kabagali. Rufuku ajoute que tous les Aprosoma sont cachés par la mission de Muyunzwe et nous ne sommes pas autorisés d'attaquer la mission. (... ). Vers 9
. . 21 . La maIson ." op. Clt. du MWamt..., " 22. Deux membres de l'APROSOMA. 23. TI s'agit d'oo sous-chef du territoire de Gatarama qui n'a en fait été que blessé lors d'ooe bagarre qui a eu lieu le 3 novembre entre des chefs partisans de l'UNAR et des "Aprosomistes" . 24. Le Gitera dont il est question est le fondateur de l' Aprosoma, Joseph HabyarimanaGitera, qui est aussi un ressortissant du territoire de Nyanza.
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heures du nlatin, au moment où la voiture de Sindibonaatrive apportant les nouvelles des victoires au Marangara, la foule s'excita. On allait tuer tout le monde: Kayibanda, etc... "Du reste criaient les Batwa, nos lances sont encore à jeun tandis que celles des autres ont été nourries. Nous allons demander au Mwami de pouvoir tuer Sagahutu qui est dans le cachot.
Les leaders "aprosomistes" paraissent, au début en tout cas, avoir été totalement surpris des représailles. J. B. Sagahutu, dont on a relaté le récit plus haut, ne se sent nullement inquiété par les menaces dont il a été l'objet dès le 5 novembre: 'je pensais qu'ils ne parlaient pas sérieusement", rapporte-t-il dans le récit de son arrestation 25. Il continue à vaquer à ses occupations le lendemain et refuse de tenir compte des avertissements de sa femme et de ses amis qui lui affirment qu'il "allait être tué en rentrant chez lui". L'abbé supérieur rwandais de la mission n'attache pas non plus d'importance à toutes ces rumeurs. "Il croyait que c'étaient des blagues".
Les réactions et les conséquences
Mais ce qui frappe le plus dans les récits c'est d'une part, on l'a dit, l'absence des forces de l'ordre. Ce n'est qu'à partir du 5 novembre que commencent à débarquer à Kigali quatre compagnies de la Force Publique du Congo et une compagnie de parachutistes belges commandée par le Colonel Logiest lequel viendra rapidement à bout de la jacquerie. D'autre part, l'administration territoriale est tout aussi inexistante. A Nyanza, l'A.T. de Jamblinne qui est au courant des interrogatoires musclés d'Aprosomistes à l'!bwatni reste sans réactions comme le témoignage de J. B. Sagahutu le montre 26.
(Le 7 novembre vers 6 heures) l'administrateur de Nyanza, Mr de Jamblinne anlva. (Les chefs "interrogateurs" de Sagahutu) s'empressèrent de vite fermer la fenêtre et les rideaux pour que Mr. de Jamblinne ne les aperçoive pas nlais surtout pour que je ne sois pas éclairé par la lumière de l'intérieur. Le Mwan'Î était toujours à l'intérieur. TIreçut Mr. de Jamblinne debout. Ce dernier semblait pressé et se tenait également debout. TIs causèrent un petit moment. L'administrateur demanda des nouvelles. Le Mwami répondit qu'il n'en connaissait pas. Mr. de Jamblinne demanda pour me voir. Le Mwami répondit qu'il ne savait pas que j'étais là. Peu après, Mr. l'administrateur m'a fait entrer à l'intérieur dans le salon où se trouvait 25. Témoignage de Jean-Baptiste Sagahutu..., op.eit. 26. Idem,
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le Mwami. Aussitôt, j'avertis qu'il restait une autre personne sur le barza. On fit entrer Sekaziga. L'administrateur me demanda si je souffrais beaucoup et si je désirais un médecin 27. Je répondis que oui. Le Mwami m'adressa alors la parole et me dit qu'il ne me connaissait pas et qu'il ne savait pas que j'étais là.. (...). Après la visite de l'administrateur, on ne m'a plus interrogé. Le Mwami a refusé de me laisser partir avec M. de Jatllblinne pour ne pas irriter les gens "car, disait-il, on raconte que les APROSOMA sont protégés par les Blancs".
Par ailleurs, le clergé rwandais se trouve tout à fait déforcé par rapport à ce qui se passe; un certain nombre de leaders et de propagandistes de l'Aprosoma sont arrêtés par les bandes armées tutsi au sortir des offices religieux. Les prêtres sont la cible des attaques des chefs de guerre qui président à leurs "armées" "qu'elles sont en droit de tuer (les prêtres) si ceuxci s'opposent aux "arrestations". Le clergé a peur et semble adopter une conduite de complète "neutralité" partisane. Le 6 novembre, l'abbé supérieur de la mission dont il a été question plus .haut a réuni tous les moniteurs de Kibingo dans une chambre. Sagahutu raconte:
TInous dit que ceux qui se sont affiliés à un parti ont très mal fait: en tant que moniteurs catholiques, nous ne devions pas nous affilier à un parti politique, car alors nous compromettions l'Église. C'était compréhensible de sa part car, à ce moment là, tout le monde avait peur. Mais intérieurement, j'avais le coeur tranquille et je n'avais pas conscience d'avoir mal fait.
J. B. Sagahutu se réfère ici aux consignes et directives des cinq vicaires apostoliques du Rwanda-Urundi à leur clergé et qui précisent que "nous devons respecter l'engagement de nos laïcs chrétiens dans la formation et le développement des partis politiques". Le bilan tiré au lendemain d'une "guerre" qui a fait près de 300 victimes et
plus de 2.000 habitations incendiées des deux côtés va tout naturellement mettre les chefs tutsi sur le banc des accusés. Les leaders de l'Aprosoma qui ont été emprisonnés à l'Ibwami livrent les noms de tous les "chefs d'armée" qui ont selon eux incité aux pillages et aux meurtres. A Ndeza, une dizaine d'entre eux sont dénoncés. Mais en fait ce sera tout le pouvoir tutsi qui va se trouver décapité: sur les 500 et quelques chefs et sous-chefs tutsi en place avant les événements, il n'en reste plus que 170 en décembre: les manquants ont été soit arrêtés, soit démissionnés, soit mutés, soit sinistrés ou bien sont en fuite. 27.Dans la partie antérieure de son récit, Sagahutu raconte les sévices dont il avait été l'obJet pendant llne heure.
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Du côté hutu et Aprosoma, il n'y a pas eu, dans de nombreux cas, de suites judiciaires "en raison de la difficulté de déceler les coupables (?)" 28. Le rapport ne mentionne pas le fait que ce sont des juridictions militaires (c.onseil de guerre) qui sont désom1ais compétentes, que celles-ci n'ont cherché à juger que ceux qui participèrent à la contre-offensive menée depuis Nyanza, et que les sentences ne pouvaient nonnalement faire l'objet d'un appel 29. Mais la réaction la plus significative est la lecture raciale et révolutionnaire qui est faite des événements. Ainsi, le rapport qui est fait au Ministre du Congo Belge et du Rwanda dissocie d'une part ce qu'il appelle "une révolution hutu" et d'autre part une "réaction tutsi". Le terme de "révolution" était d'autant plus surprenant sous la plume des rédacteurs du rapport que les données sur lesquelles ils fondaient leur argumentation n'évoquaient que l'actÎon de petites bandes opérant en ordre dispersé au nord du pays 30. Le rapport se terminait par une mise en cause très claire des "leaders tutsi" et par une défense de l'administration belge qui a pourtant été tout à fait absentéiste pendant la durée des événements.
Les leaders tutsi ont agi conune si I Administration belge était inexistante. TIs ~
prirent le pouvoir et rétablirent l'ancien droit de vie et de mort. TIs semblent avoir voulu, une nouvelle fois, mettre l'administration devant le fait accompli, en assurant eux-mêmes la répression du soulèvement et la liquidation par la force de leurs opposants
31 .
Il n'y a visiblement aucune perception de la peur qui s'est emparée de ces chefs, qui ont l'impression que l'administration belge leur a définitivement tourné le dos et que les guerriers "Aprosomistes" d'en face -- ceux de la partie septentrionale du pays -- vont s'emparer de la royauté, dont un des symboles 28. Rapport sur les troubles , op.cit. 29. Marcel d'Hertefelt, "Les élections conununales et le consensus politique au Rwanda", Zafre, Vol.l4, n05-6, 1960. 30. Selon le rapport de la Mission de visite de l'ONU, "chaque conunando
(des chefs de
guerre tutsi) se composait d'environ une centaine de personnes ou plus et incluait une ,majorité de Hutu, mais les leaders étaient généralenlent Tutsi ou Twa". U.N. Trusteeship Council, Report of the Visiting Mission, 1960, cité par René Lemarchand, op.cU., p. 165. 31 . Idenl.
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les plus populaires -- le Kalinga (c.-à.-d. le tambour royal) -- avaît été remis en question par une directive des évêques du mois d'août 32. Du côté de l' Aprosoma et duPannehutu, l'utilisation du prisme ethnique va servir à renforcer le plus rapidement possible la position de force de la "masse hutu" et de ses leaders auprès de l'administration belge. Moins d'une semaine après les événements, I'uncles chefs de file du Parmehutu, le commis de 3ème classe J. B. Rwacibo, ami intime du futur président rwandais, G. Kayibanda et futur ministre de l'intérieur, rédige une longue note établissant les étapes à suivre pour une "durable pacification du pays" 33. Cette note propose d'emblée la "détutsisation" radicale du pouvoir au nom de la volonté d'une masse qui se serait soulevée contre le régime monarchique et s'oppose au retour des "exilés" sur leur terre. Cette stratégie est déjà annonciatrice des violences raciales ultérieures au Rwanda et de la politique des "quotas ethniques" qui s'est instaurée depuis lors dans le pays.
Grâce à l'intervention énergique des Forces de l'Ordre, les troubles diminuent et le Rwanda reconnaît 1U1calme relatif. Mais ce calme n'est que momentané puisque les causes des émeutes que l'on vient de vivre subsistent et qu'à ces causes s'ajoute une tension encore plus grande produite par les événements de ces derniers jours. D'une part, la masse hutu heureuse de s'être vengée de ses puissants et orgueilleux oppresseurs est cependant inquiète des représailles inévitables de leurs ennemis réputés très haineux et revendicatifs. Elle s'oppose pour ce motif au rétablissement des réfugiés dans leurs propriétés et leurs biens. D'autre part, les Batutsi, chassés, blessés dans leur fierté ébranlée par les "petits et vulgaires Bahutu'"' sont aussi furieux que désolés de se voir errer comme des misérables sans biens ni résidence, eux qui hier étaient les maîtres absolus de la situation.
TIs se demandent anxieusement comment ils pourront retourner là d'où ils ont été chassés et où, s'ils sont acceptés, ils resteront sous la menace imminente de la masse prête à se soulever à la moindre alerte. Sans parler des rancoeurs inévitables des familles dont les membres ont été honteusement assassinés.
32. Cette affaire
de même que les accusations
de l'Église
contre
l'UNAR
ont
considérablement énervé les chefs de Nyanza qui s'efforcèrent de soutirer par la torture un maximum de preuves des leaders de l' Aprosoma tombés entre leurs mains comme tous les témoignages des archives de 1. D. en font état. 33. "Pour nne durable pacification du Pays", Kigali, 17 novembre 1959. Archives de 1. D.
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L~HECATONffiE
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Comment pacifier durablement le pays?
1) En prenant des mesures politiques efficaces avant la levée des mesures militaires. La cause du soulèvement populaire que nous vivons réside dans le fait que ce peuple est fatigué du régime actuel et veut à tout prix s'en débarrasser; il veut secouer une fois pour toute le joug tutsi, et supprimer ce régime absolutiste et corrompu. Pour que ce peuple se calme, il faut qu'il se voit représenter dans toutes les charges publiques: a) auprès du Mwami: il est temps de détutsiser la cour royale (...). b) dans l'administration du pays: il est urgent de Inettre des intérimaires hutu dans les sous-chefferies et chefferies dont les titulaires ont été chassés ou démis de leurs fonctions ou qui le seront dans l'avenir. c) dans les tribunaux indigènes: nomination d'éléments hutu dans tous les tribunaux indigènes de telle façon qu'il Y ait une représentation égale dans le personnel judiciaire (...).
d) organiser pour le mois de janvier ou de février 1960 au plus tard les élections des conseils de sous-chefferie et du pays prévus dans la Déclaration gouvernementale pour la période de transition (...).
2) En favorisant le reclassement des réfugiés dans les régions qui leur assureront le plus de chance de sécurité (TI est nécessaire) d'encourager l'existence d'une zone tutsi sans néanmoins la créer légalement (...). Seul sur les dix territoires du Rwanda, le territoire de Kibungu est resté intouché par les émeutes. Celui de Kigali ne les a connues qu'en la chefferie Bumbogo (...). Ainsi c'est vers ces deux territoires que la plupart des réfugiés tendaient à se diriger. (...) C'est dans cette région de Kibtmgu et de Kigali que les Tutsi se sentent le plus en sûreté. C'est là aussi que se trouvent mieux placés (leurs) intérêts économiques: possibilités de développement rationnel de l'élevage. C'est donc vers les régions des territoires de Kibungu et de Kigali qu'il faudrait orienter les réfugiés tutsi. Et afm de les y canaliser sans les forcer, il faudrait les attirer par les moyens suivants: (a) y installer des camps de réfugiés, (b) y organiser des services de secours aux réfugiés, (c) accorder des facilités d'installation et d'acquisition de terres de culture et de pâturages à ceux qui voudront s'installer dans ces régions. De l'autre côté, il faudrait cadastrer les terres de culture et les pâturages abandonnés par les réfugiés, les mettre à la disposition des souschefferies qui les distribueraient par le canal des conseils aux immigrants hutu venant des territoires tutsi.
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Tout est dit dans cette note dont la teneur fut, dans les faits, suivie à la fois par le leadership du Parmehutu 34 et par le pouvoir de tutelle désormais très largement entre les mains du Colonel Logiest désigné comme Résident civil spécial du R\vanda. Ce demierdisposant de moyens militaires accrus 35 et d'un pouvoir de substitution étendu ne cacha pas son hostilité à l'égard de l'UNAR, de ses dirigeants et du système monarchique en vigueur 36 : entre mars et mai 1960, le Conseil spécial qu'il présidait décida la suppression des rites royaux (Abiru) et du tambour Kalinga, tandis que les privilèges de pâturages des Tutsi sur les jachères agricoles de leurs clients "hutu" étaient suspendus. Les "réfugiés" tutsi restèrent exilés en leur pays. Beaucoup se virent subrepticement confisquer leurs terres et le nouveau pouvoir hutu suivit le type de suggestions émise par l'ami du futur président de la République: on recasa ainsi les familles dépossédées dans des "zones rurales pilotes" où on pouvait mieux les contrôler. Le vice-gouverneur Harroy et le Colonel Logiest pouvaient entièrement souscrire à la note du commis Rwacibo et de ses amis qui voulaient empêcher que les chefs tutsi ne regagnent leurs postes car cela équivaudrait, estimèrent les Belges, à déclencher une "sanglante contrerévolution" anti-hutu 37. Les dirigeants du Pannehutu, qui "étaient les seuls à accepter la politique de la puissance tutélaire" 38 et qui eurent donc toutes les faveurs de l'administration par rapport à une UNAR "indépendantiste" et de plus en plus anti-coloniale, remportèrent une victoire décisive aux élections communales de juin-juillet 1960. Le 25 juillet, le Mwami quitta définitivement le Rwanda pour la capitale congolaise; avec lui disparaissait une institution qui avait toujours été considérée comme le ciment d'un territoire difficile à administrer. En Belgique, le prisme de la "révolution ethnique" fut largement véhiculé dans les milieux progressistes. Il "passa" d'autant mieux qu'à cette époque, on y était monté contre les leaders nationalistes africains associés à des 34. Le 27 novembre, G. Kayibanda défendit publiquement la ségrégation des Hutu et des Tutsi en deux zones et dans un cadre confédéral. Citant Disraeli, il compara les "communautés du Rwanda à deux "nations dans un même État". Cité par R. Lemarchand, op.cit., p. 169 35. De 300 qu'ils étaient avant les événements, les effectifs militaires passèrent à 6.000. Voir J. P. Harroy, Rwanda: De la féodalité à la démocratie, Bruxelles, Hayez, 1984. 36. Ayant opté pour la "démocratisation", Logiest en avait conclu qu'il fallait "établir la république et abolir la monarchie". Voir Guy Logiest, "A propos de "Le Rwanda, son effort de développement", Chronique de Politique étrangère, 1972. 37. J.- P. Harroy, op.cit., p. 305. 38. Les dossiers du CRISP, op.cit., Préface de B. Verhaegen, p. 6.
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"communistes". Francis Monheim, le futur biographe enthousiaste d'un certain Joseph Désiré Mobutu, put ainsi comparer, sur le mode épique, les événements du Rwanda à la Révolution de 1789 et à celle de 1917. "Le vent semé par l'UNAR (?) a tourné en ten1pête,et la tempête s'est retournée contre l'UNAR (...) La vengeance fut immédiate et terrible. Brusquement déchaînée, la masse hutu s'attaqua aux Batutsi, tuant, pillant, brûlant tout ce qu'elle rencontrait (...). La situation au Rwanda s'améliore progressivement, le calme renaît. Mais demain, de nouvelles tueries auront lieu si l'on ne veut pas admettre que c'est une véritable révolution qui a secoué le pays" 39. Le vent de tempête décrit par Monheim savait où il allait; le Muyaga des Rwandais, lui, ne le savait pas.
Le mini-génocide
de 1963
En tout cas, contraireme,nt à ce qui se passe chez le voisin congolais, un système politique s'installe... et se fige. Sous le couvert d'une révolution antiféodale, un nouveau pouvoir cheffal est intronisé avec la bénédiction de l'autorité belge de tutelle. Il peut prétendre à la légitimité par le biais d'élections dont la légitimité et la régularité n'ont cependant été cautionnées qu'avec des réserves par l'ONU: on rappellera ici que les élections législatives de septembre 1991 s'étaient déroulées dans un contexte d'incitations à la violence par les nouveaux bourgmestres hutu, incitations qui faisaient dire à la commission des Nations-Unies pour le Rwanda qu' "une dictature raciale d'un parti avait été établie au Rwanda" et que "les développements des 18 derniers mois indiquaient une transition d'un régime oppressif vers un autre" 40. Comme attendu, le résultat des élections donna plus de quatre~vingt dix pour cent de voix au "pouvoir majoritaire hutu". L'UNAR, ne récolta pas plus d'un pour cent des suffrages. Il ne faisait pas bon de voter pour un parti dont les représentants locaux n'avaient cessés d'être harcelés, intimidés, jetés en prison et parfois assassinés pendant la campagne électorale. Progressivement, on commenca à voir des Tutsi prendre la "nationalité" de ceux qui avaient installé leur hégémonie sur le Rwanda.
39. Francis M01Ù1eim,"La Révolution rwandaise", miméo, s.d.. Archives de J.D. 40. "Rapport intérimaire de la Commission des Nations-Unies pour le Ruanda...Unmdi", 1961, p. 51.
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Un royaume revisité
Partant de la thèse d'Alexis de Tocqueville suivant laquelle "(les révolutionnaires français) utilisèrent les débris de l'ordre ancien pour construire le nouveau", Lemarchand a montré combien les élements centraux de la culture politique tutsi ont repris vigueur et ont été adaptés à un contexte d'institutions républicaines 41. Le nouveau système présidentiel n'est pas sans rappeler en effet celui de l'ancienne monarchie "revisitée". Grégoire Kayibanda va désormais incarner "l'idéal de la solidarité hutu de la même manière que le Mwami symbolisait naguère l'idéal de la suprématie tutsi" 42. Comme le Mwami, le président de la République est l'objet d'une vénération de la part de son "peuple hutu", vénération sen1blable à celle que l'on voue it un monarque: est-ce un effet du hasard si, au ministère des Affaires étrangères, son portrait est entouré de ceux de la reine d'Angleterre, de la reine Juliana des Pays-Bas, du roi Constantin de Grèce, du roi Frédérick du Danemark et, bien sûr, du roi Baudoin? Lemarchand rapporte que "pour mobiliser le soutien à ses idées, Kayibanda (...) expliquait aux gens que l'objectif de la révolution était de donner aux Hutu un Mwami propre" 43. "Pour la première fois dans l'histoire du Rwanda, rapporte dans ses souvenirs un des "héros" de la révolution, Dominique Mbonyumutwa, un Hutu accédait au fauteuil du Roi 44. Dans le même temps, ce culte est aussi celui que l'on voue à "un père fondateur de la révolution" ; on célèbre son style de vie austère -- comme un autre président "révolutionnaire", celui du Congo-Brazzaville, il roule dans un petit véhicule --, on exalte ses "moeurs incorruptibles", on en fait le symbole de la régénération morale et sociale d'un peuple. Robespierre et le ci-devant Capet font ainsi bon ménage pour la plus grande gloire de la "révolution hutu". Mais le nouveau monarchisfl1e rwandais va au-delà de cette symbolique. A l'instar du "temps féodal", le système Kayibanda renoue, tout naturellement pourrait-on dire, tant avec la réification du statut inviolable, irresponsable et innaccessible des Mwami qu'avec une stratégie de type clientéliste 41. 42. 43. 44.
René Lemarchand, op.cit., p. 264-265. Idem, p. 270. Idem, p. 272. Cité par son fils Shingiro Mbonyumutwa dans Rwanda. Gouverner autrement, Kigali,
hllprimCric nationale du Rwanda, juin 1990.
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indispensable pour contenter et le noyau dur des "pionniers" de la révolution et les leaders disposant d'un fort enracinement local, notamment ceux de la région septentrionale dont on avu plus haut les particularités historiques. Toutefois, beaucoup de chefs nationalistes et charismatiques afiicains de la première génération cherchèrent aussi à "utiliser les débris de l'ordre ancien pour construire le nouveau". Ce qui distingue le "présidentialisme monarchique" rwandais des autres réside sans doute dans l'édification d'un ordre politique où est constamment et consciemment entretenue la hantise du "péril extérieur" représenté par les Tutsi exilés aux frontières du pays depuis 1959 et auxquels un retour collectif ne sera pas autorisé. De ce point de vue, on soulignera que le drame était déjà inscrit dès les premières heures de l'indépendance; et les Nations-Unies, qui avaient le Rwanda sous leur tutelle, et encore moins lapuissanceadministrante belge n'ont jamais sérieusement cherché à régler }'épineuse question des 100.000 réfugiés tutsi à l'extérieur et qui ne purent participer aux élections législatives dans leur pays. La résolution 1743 de l'Assemblée générale des NationsUnies (février 1962) avait pourtant mis en place une commission chargée de réunir une conférence afro-asiatique qui aborderait entre autres "la réconciliation des diverses tendances politiques" et "la question du retour des réfugiés". La conférence en question se tint bien à Addis Abeba le 19 avril 1962 mais ces deux problématiques ne furent pas traitées. Elles ne furent plus jamais mentionnées par la suite dans les résolutions subséquentes des Nations-Unies. En lieu et place, il y eut de longs et frénétiques débats sur le problème du maintien de forces militaires belges pour assurer le maintien d'un ordre public qui continuait à être troublé par de petites incursions de réfugiés aux frontières. La Belgique, qui, soutenue par le nouveau gouvernement rwandais, refusait toute résolution portant sur un retrait des troupes belges du Rwanda, opta finalement dans la précipitation pour une politique qui enterrait définitivement la "réconciliation nationale" et le retour des réfugiés 45. Le non règlement de cette question allait entretenir les obsessions et les hantises ethniques dans chaque camp. Et, du côté du pouvoir rwandais, ce 45. Sur ces débats et sur les positions belges en particulier voir Institut belge d'information et de docwnentation, "Ruanda-Urundi. 1919-1962. Une solution belge à WI problème de décolonisation", Ministères des Affaires étrangères et du commerce extérieur, Bruxelles, s.d. Voir aussi Paul-Henri Spaak:, Combats inachevés. De l'espoir aux déceptions, Paris, Fayard, 1969, pp. 298-314. TIest assez remarquable que dans cet ouvrage, P. H. Spaak passe sous silence toute la problématique des 130.000 Tutsi réfugiés à l'extérieur du pays ainsi que lestnassacres subséquents de 1963.
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sont ces obsessions et ces hantises --. et en particulier le fantasme démesurément grossi de l' "envahisseur tutsi" -- qui vont servir de véritable ciment à un faux-semblant de "conscience nationale hutu" qui, en fait, n'est pas véritablement vécue comme telle au niveau des nlgo et des collines rwandaises.
Vers un second cycle de violences
Ces "envahisseurs, on les appelle les inyenzi, c'est-à-dire les cafards. La propagande hutu en fait des ennemis redoutables parce qu'ils n'attaquent, diton, que la nuit et qu'ils sont aidés par leurs congénères qui sont restés à l'intérieur après les massacres de 1959. .
Combien sont ces exilés ? Les porte-paroles de ceux que l'on appelle les "féodaux tutsi", c'est-à-dire les leaders de l'UNAR, citent le chiffre de 400.000 réfugiés tutsi 46. Ce chiffre est ne~ment exagéré: il signifierait en effet que la population tutsi ait quitté en totalité ~eRwanda. Plus plausible est le chiffre officiel donné par le HCR : 130 à 150.000 réfugiés -- 60.000 au Nord-Kivu, 35.000 en Uganda, 35 à 42.000 au Burundi et 10.000 en Tanzanie -- dont l'exode s'est étalé de 1959 à 1962. A ce chiffre, il faut toutefois ajouter tous ceux qui se sont cachés ou qui se sont intégrés chez leurs voisins, surtout en Tanzanie et en Uganda. En théorie, ces chiffres sont certes suffisants pour constituer un facteur de déstabilisation politique et les autorités rwandaises ne vont pas manquer d'en exagérer l'importance et faire de ces milliers de réfugiés des inyenzi en puissance. En réalité, comme le souligne Lemarchand, les radicaux exilés de l'UNAR sont doublement isolés et ne constitueront jamais une menace politique sérieuse pour le régime Kayibanda. D'une part en effet, "l'obstacle le plus fondamental à l'unité (des partisans exilés de l'UNAR) est l'interdiction qui leur est faite d'avoir des contacts directs et continus avec la population réfugiée" 47. Leur dispersion dans plusieurs pays les ont privé de toute opportunité de tester leur soutien auprès de réfugiés vivant le plus
46. Déclaration de M. Rwagasana, représentant de l'UNAR, à la commission de tutelle des Nations...Unies le 23 janvier 1962. Cité par La Libre Belgique, 25 janvier 1962. 47. René Lemarchand, op.cit., p. 206.
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souvent dans un total dénuement 48. En outre le leadership de la branche radicale de l'UNAR est profondément divisé à l'extérieur, comme le rappelle l'anthropologue belge Luc de Heusch qui se trouve en octobre 1963 à Kigali: la faction extrémiste de Rukeba s'affronte à celle d'un autre Unariste, Michel Kayihura, qui condamne la politique d'incursion militaire soutenue par la première 49. D'autre part, les autorités des pays voisins ne verront jamais d'un bon oeil le développement d'une agitation à leur frontière. Ainsi, en juin 1962 et en août 1963, le gouvernement ugandais interdit successivement deux associations qu'il considère comme menant des activités subversives contre un pays voisin so. A la frontière tanzanienne, les autorités locales eurent recours à la force pour contraindre les réfugiés à quitter les zones frontalières où les populations tanzaniennes locales, en majorité proches des Hutu, avaient peu de sympathies pour les groupes tutsi-hima Sl~Au Nord-Kivu, c'est à une véritable opérationd exclusiondes "non-.originaires",c'est-à-dire des réfugiés tutsi récents comme des Banyarwanda établis de longue date, que l'on assista dès la création de la nouvelle province du Kivu en 1963. Cette opération baptisée "Kanyarwanda" consista à éliminer systélnatiquement de la nouvelle administration provinciale tous les fonctionnaires considérés comme noncongolais; elle donna lieu à des campagnes d'intimidation, des sévices, des exactions et des assassinats politiques, principalement contre les Tutsi que les politiciens Bahunde accusaient de vouloir dominer le Nord-Kivu 52. Au Burundi enfin, alors même qu'il pouvait exister plus que des connivences entre les exilés rwandais et le pouvoir burundais toujours dominé par les ~
48. A la suite d'une mission au Kivu, un représentant de l'O.M.S. fait état de 15.000 réfugiés tutsi menacés d)eÀ1ennination par la famine, l)absence totale d'eau potable et la malaria dans cette province congolaise. Le Monde, 16 février 1962. 49. Luc de Heusch, "Massacres collectifs au Rwanda)', Synthèses, n° 221, octobre 1964, p. 423. 50. Le Courrier d'Afrique) 25 août 1963. 51. René Lemarchand) op. cit., p. 209. 52. Voir "Mémorandum des conullunautés hutu et tutsi du Nord-Kivu/'avrilI993,
.Arcmves
du CEDAF, n° ill 2649/1 ; "Intolérance ethnique, conflits fonciers et revendications politiques au Nord-Kivu", GEAD, Goma, 15 avril 1993, Archives du CEDAF) n° ill 2606 C. Notons que la rancoeur des politiciens locaux natifs du Nord-Kivu portait surtout sur le refus de la majorité des élus banyarwandais d'accepter le fait de la création d'une nouvelle province autonome du Nord-Kivu. Voir à ce sujet, Jean-Claude Willame, "La province du Nord-Kivu", dans Jean-Claude Willame et Benoît Verhaegen, "Les provinces du Congo. Structure et fonctionnement. Nord-Kivu et Lac Léopold ll", Cahiers économiques et sociaux, Collection d'études politiques, mES, Léopoldville) n° 3, octobre 1964, p. 37.
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Tutsi, c'est la real politik qui s'imposa finalement: les autorités burundaises choisirent en définitive de ne pas prêter le flanc à d'éventuelles accusations de son voisin rwandais. Au mois d'octobre 1963, c'est-à-dire un mois avant les premières incursions des inyenzi résidant au Burundi, le chef de file de l'UNAR François Rukeba, qui s'activait beaucoup à Bujumbura et surtout dans les milieux proches des rebelles congolais du Kivu, fut arrêté par la justice burundaise. A la fin novembre, l'année du Burundi intercepta, après quelques réticences, une première tentative des réfugiés qui, armés de lances, d'armes et de flèches, avaient entamé une marche vers la frontière rwandaise. Les autorités burundaises ne tirent cependant rien pour tenter d'arrêter la petite offensive de décembre qui déclencha les massacres S3. Au total donc, les conditions politiques ne sont guère réunies pour une "revanche" tutsi au Rwanda par le biais d'opérations de guerilla d'envergure montées à partir despa:ysvoisins~Ceci dit, on ne peut nier que les réfugiés lVlandais, qui aspiraient légitimement à retourner sur leurs collines, "s'agitaient" à J'ex'térieur : tantôt la proie d'agitateurs de l'UNAR rêvant à un vain rétablissement de la monarchie, tantôt ('lgissant de leur propre initiative, les "raids inyenzi" s'apparentent à des mouveme~ts ,> de "colère et de .revanche" quelque peu suicidaires.
Lemarchand distingue trois types de violence entre la période de l'indépendance et la fin de l'année 1963 : les actes de violence ponctuelles perpétrés aux frontière (parc de l'Akagera au début de 1962) contre des individus (européens comme africains) ou des familles spécifiques, les razzias de petites bandes de réfugiés entreprises contre des localités dans un but de pillage, enfin des mouvements plus organisés impliquant de petites armées d'inyenzi animées par une volonté d'abattre legouvemement rwandais 54. En fait, aucune de ces actions ne constituait une menace de déstabilisation pour un pays dont le régime "démocratique" bénéticiait de toutes les faveurs de l'étranger. Selon les témoignages pourtant "gonflés" de la presse belge de l'époque, les inyenzi ne formèrent jamais plus que des groupes de 1.500 à 2.000 hommes armés en tout et pour tout de lances, d'arcs et de flèches, de fusils de chasse de fabrication locale, plus rarement de quelques armes automatiques. "Armées" d'invasion tout à fait dérisoires face à une force
53. Lemarcb.and explique ce changement d'attitude suite à l'échec des négociations sur les tenues de la dissolution de l'union monétaire et douanière entre les deux pays. Voir René Lemarchand3 qp.cit., p. 221. 54. René Lemarchand, op.cit., p. 217.
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militaire rwandaise soutenue sur le théâtre des opérations par des soldats belges toujours présents au Rwanda au titre de coopérants techniques. L' "invasion" dite du Bugesera de décembre 1963 qui déclanche les pogroms anti-tutsi illustre on ne peut mieux l'inexistence de toute forme organisationnelle dans le chef des Inyenzi dont les leaders (?) auraient perpétré "un vaste complot", l'attaque devant être menée simultanément à partir de la Tanzanie, du Kivu, de l'Uganda et du Burundi. La thèse d'un complot, d'un "plan concerté" de grande envergure avancée par les autorités rwandaises et relayée immédiatement par la presse catholique belge 55 ne résiste guère à la réalité des faits. n exista sans doute des connivences quadrangulaires entre certains milieux politiques burundais, la tendance radicale de l'UNAR extérieure, l'ambassade de Chine populaire à Bujumbura et des éléments de l'Année populaire de libération du Kivu dirigée à l'époque par le Zaïrois Gaston Soumialot. Il est même probable, selon F. Reyntjens, que des mutins de l'armée congolaise qui avaient rejoint la rébellion muléliste du Kivu aient encadré les inyenzi lors de l'attaque du Bugesera 56.L'auteur estime toutefois que ce type de relations ne prêta guère à conséquence; elles ne reposaient d'aucune façon sur un socle idéologique et politique sérieux et n'étaient que la traduction d'un opportunisme petit bourgeois et même de la recherche, dans le chef de certains acteurs d'une mauvaise pièce de théâtre, de cadeaux, d'argent et d'avantages matériels 57. En fait de "complot" en tout cas, seule une poignée de 200 à 300 hommes -- certaines sources font état de seulement 80 inyenzi ! -parviennent, le 21 décembre à 6 h. du matin, à atteindre un camp militaire en voie d'achèvement. La suite de l' "attaque" relève de l'amateurisme le plus complet. "Après avoir fait le plein d'armes et de munitions, relate Lemarchand, (les inyenzi) se rendirent directement au camp de réfugiés de
55. Dans sa livraison du 15 janvier 1964, La Cité, organe de la démocratie chrétienne et défenseur principal du régime Kayibanda, reprend en détailla version du "complot" que les autorités rwandaises tentent d'accréditer. 56. Filip Reyntjens, "Rencontres burundaises: "fuyenzi" du Rwanda et rebelles du Kivu, dans Herbert Weiss et Benoît Verhaegen, Les rébellions dans l'Est du Zaïre (1964-1967), Les Cahiers du CEDAF, n° 7-8, 1986, p. 131. 57. Idem, p. 135.
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Nyamata où ils reçurent un accueil enthousiaste 58. Si l'on en croit les comptes rendus de certains observateurs, les envahisseurs perdirent un temps précieux à célébrer leur victoire et les libations auxquelles ils s'adonnèrent n'améliorèrent pas leur combativité. Bien que leurs rangs aient bientôt dépassé le millier lorsqu'ils atteignirent le pont de Kanzenze sur la rivière Nyabarongo, ils furent soudainement confrontés à plusieurs unités de la gendarmerie rwandaise armées de mortiers et d'armes semi-automatiques et opérant sous le commandement d'officiers belges. Complètement dépassés par la puissance de feu de leurs opposants, les envahisseurs furent rapidement repoussés" 59. Le camp de Nyamata fut entièrement détruit et la chasse aux Tutsi débuta dès ce moment: selon certains rescapés, un enclos fut construit par les forces de l'ordre, enclos dans lequel on emmenait pour fusiller tous les Tutsi que l'on capturait dans la région 60. Quant au caractère simultané d'une offensive devant être menée à partir des autres pays voisins, il ne se matérialisa qu'au travers de petites incursions menées de manière désorganisée et sans aucune direction ni aucun objectif tactique. Le 25 décembre, un petit groupe d'assaillants tutsi mené par un certain Kibibiro fut intercepté par l'armée ugandaise avant. d'avoir pu franchir la frontière. Un autre groupe de 600 hommes fut presque immédiatement repoussé par l'armée rwandaise deux jours plus tard. D'autres raids, lancés à partir du Kivu les 21 et 22 décembre échouèrent tout aussi lamentablement: les "envahisseurs" furent repoussés par la gendarmerie rwandaise à la ville frontière de Cyangugu 61. La dernière "offensive" eut lieu au début février 1964 : quelques centaines de réfugiés en haillons, munis seulement d'arcs et de flèches, s'attaquèrent au poste de frontière de Bugarama qu'ils saccagèrent avant de retourner en territoire congolais 62. Tout portait à croire que le "plan concerté" consista en définitive en quelques "mots d'ordre" incitatifs de la part d'un leadership purement opportuniste, voire en simples rumeurs, inspirés par les partisans de l'UN AR et diffusés dans les camps de réfugiés, vivant dans une précarité extrême et auxquels on fit croire qu'ils allaient pouvoir retourner sur leurs collines et récupérer leurs terres sans leur donner les moyens de ce retour en force: 58. Le camp de Nyamata était pudiquement présenté par les officiels rwandais comme un "paysannat rural pilote" où l'on "réintégrait" les familles tutsi expulsées de leurs collines depuis la "révolution hutu". 59. René Lemarchand, op.cit., p. 223. 60.~'Sornmes-nous complices d'un génocide ?", Pourquoi Pas ?, 7 février 1964. 61.ldem) p. 222, 62. La Libre Belgique, 5 février 1964 ~Le Monde, 7 février 1964.
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panni les assaillants, qui furent pratiquement tous massacrés, on ne découvrit aucun Unariste, aucun "cerveau", aucun "stratège" qui aurait pu faire véritablement croire à autre chose qu'à une attaque suicide.
Anatomie d'un massacre
Par contre, le "plan concerté" d'un massacre des Tutsi de l'intérieur se matérialisa bel et bien dans le chef des autorités nationales et surtout locales rwandaises. Se basant tantôt sur un "document" trouvé sur un Congolais qui accompagnait les envahisseurs et sur lequel aurait figuré une liste de "ministres du gouvernement féodal", tantôt sur des perquisitions opérées aux domiciles des personnalités de l'UNAR à Kigali, le gouvernement procéda le lendemain même de l~attaque avortée du camp Gako à l' arrestationd 'une vingtaine de notables associés à l'UNAR. Tous furent emmenés à Ruhengeri, considéré comme un lieu "sûr", et exécutés sans procès. "Certains d'entre eux, commenta Lemarchand, étai~nt connus pour leur attitude conciliante et jouissaient de l'estime de certains segments de la population hutu",63. Selon de Heusch, l'UNAR de l'intérieur avait pourtant rompu depuis le début de l'indépendance avec la dérive radicale des exilés: il avait exclu de ses cadres le "chef' des Inyenzi, François Rukeba et plaidait,- dans son organe de presse (sous haute surveillance), l'Unité, pour une action d'opposition légale dans le cadre de la République 64. Beaucoup plus grave fut la décision de laisser aux autorités locales (bourgmestres et préfets) l'organisation de "groupes d'auto-défense" similaires aux sinistres escadrons de la mort qui referont surface en 1994. En outre, tous les ministres du gouvernement reçurent l'ordre de se rendre dans les 10 préfectures du pays, reconverties en "zones d'exceptions"', pour y "superviser les groupes d'auto-défense". Dans le même temps, la radio nationale répétait inlassablement des messages demise en garde à la population "contre les terroristes tutsi" 65,tandis que des barrages de fortune étaient érigés et gardés par des civils paniqués.
63. René Lemarchand, op. cit., p. 223. 64. Luc de Heusch, "Massacres collectifs...", op.cit., p. 423. 65. Idem, p.223 ~Aaron Segal, "Massacres in Rwanda, London, The Fabian Society, mars 1964, publié dans East Africa and Rhodesia, 9 avril 1964 ; Le Monde, 4 février 1964 ; Le Courrier d'Afrique, Il février 1964 ; Pourquoi Pas?, 7 février 1964.
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Tous les ingrédients étaient présents pour une chasse aux Tutsi de l'intérieur. Selon de Heusch, la psychose anti-tutsi ne fut pas un phénomène purement incidentielet fortuit. "La détérioration du climat politique était devenue extrêmement critique au cours du mois d'octobre 1963, alors que je me trouvais au Rwanda" 66.Au cours de conversations avec des personnalités dirigeantes et de conseillers belges influents, de Heusch, que ses interlocuteurs tentèrent de gagner à la "cause hutu", rapporte que "les services du président (Kayibanda) savaient en octobre 1963 qu'un raid terroriste contre le Rwanda se préparait au Burundi. "L' "expert" belge qui me l'annonça me prédit avec une certaine satisfaction qu'il y aurait "du sport". En termes clairs, ceci veut dire que, dès qu'une poignée de "terroristes" auraient franchi la frontière du Burundi, la répression commencée à Nyabisindu 67 serait étendue à l'ensemble des Tutsi, à ceux qu'à travers tout le pays, on appelle depuis longtemps "les longs" par opposition aux Hutu, les "courts". (...). En bref, l'action décisive contre l'opposition, qui se compose dans l'ensemble de Tutsi, est entamée discrètement dès le 20 octobre, soit un mois avant toute invasion terroriste nouvelle, dans la seule commune du Rwanda (Nyabisindu) où l'UNAR avait remporté une victoire électorale au cours des élections communales d'août 1963. Déjà de hauts dignitaires du parti gouvernemental Parmehutu avaient été limogés au cours du Congrès de Gitarama pour n'avoir pas réussi à contrecarrer ce modeste succès. (...). Un calcul politique se profile derrière (le) génocide", conluait de Heusch 68. L' "offensive" de décembre 1963 sera le signal de l'hallali. Comme en 1959, les paysans hutu sont saisis par un nouveau muyaga qui sera cette fois meutrier puisqu'il fera au bas mot une dizaine de milliers de victimes contre 300 en 1959. A la différence de 1959, toutefois, les incitations à l'élimination physique semblent venir de l' "Autorité" elle-même. Dans la préfecture de Gikongoro, où les familles tutsi sont nombreuses et où débutent les massacres, c'est le préfet local qui, au cours d'un meeting improvisé des bourgmestres et des propagandistes PARM'EHUTU, aurait déclaré: "nous devons nous défendre nous...mêmes~La seule manière de le faire est de paralyser les Tutsi. Comment? Ils doivent être tués". Par ailleurs, Lemarchand précise que le ministre de l'Agriculture supervisait personellement les opérations 69.
66. 67 68. 69.
Luc de Reusch, "Massacres collectifs...", op.cil., p. 422. c'est-à-dire l'ancien Nyanza où était établie la cour royale. Luc de Heusch, "Massacres collectifs...", op.cit., pp. 424-425. René Lemarchand, op.cit., p. 223-225.
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Le mot d'ordre de l' "Autorité" fut effectivement suivi. Et le tragique décompte fut accablant, ainsi que le révèle un des (peu nombreux) témoignages oculaires directs sur les tueries en préfecture de Gikongoro publié par le journal catholique français,.Témoignage Chrétien. Une extermination pure et simple Le 25 décembre dans l'après midi (soit à peine trois jours après l' "offensive" du Bugesera NDA) commencait un "plan de répression" qui consistait à extenniner purement et simplement tous les habitants tutsi de toute une préfecture, celle de Gikongoro. Toute la population hutu, chrétiens et païens, catéchistes et catéchumènes, s'attaqua aux (...) Tutsi, par bandes d'une centaine environ, dirigés par des propagandistes du Parti avec la bénédiction des autorités. Cette fois, le but n' était pas de piller mais de tuer, d'extenniner tout ce qui portait le nom de tutsi. Pour éviter les possibles réactions humanitaires, les organisateurs du massacre avaient évité de donner comme objectifs les voisins immédiats des tueurs: une colline s'occupant de tuer les Tutsi d'une colline éloignée et vice-versa, restaient sur place quelques indicateurs du Parti. A Cyabika, on estime à près de 5.000 le nombre des victimes. A Kaduha, on vient de tenniner les statistiques de ce tragique bilan. Sur une population de 85.000 habitants, on estime le nombre des Tutsi à près de 9.000. Sur ce nombre, 1.677 ont été massacrés, plus de 500 disparus, 4.621 ont pu se réfugier à la Mission. On vient d'intimer l'ordre à ces malheureux de retourner chez eux: or, sur la seule paroisse de Kaduha, 2.060 huttes ont été brûlées, c'est-à-dire pratiquement toutes les huttes des Tutsi sur ce territoire. Les champs de haricots et les bananeraies saccagés, il ne reste qu'à ces malheureux que la perspective de mourir de faim... à la belle étoile. A Cyanika, il restait après le départ des réfugiés 138 tout jeunes orphelins de moins de 7 ans que les notabilités ont confiés cyniquement aux familles hutu. Comment seront-ils traités chez les assassins de leurs parents? La tuerie a commencé le jour de Noël dans l'après-midi et s'est poursuivie les 26, 27,28 et 29. Le massacre a été atroce: à part quelques notables ou propagandistes du Parti qui étaient dotés de fusils, la masse des tueurs n'avaient que des couteaux grossiers et des serpes indigènes. Les familles qui ne voulaient pas sortir des huttes étaient barricadées à l'intérieur et brûlées vives. Certains furent tailladés sur place, aux jointures des membres et du cou, et agonisèrent plusieurs jours sur place. La plupart furent dirigés sur la rivière voisine, puissante en cette saison: la Rukara ou la
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Mwogo. On les poussait à coups de bâtons et de serpettes, hommes, femmes et enfants, même des bébés. Anivés près de la berge, les tueurs ordonnaient aux malheureux de se déshabiller complètement (car dans ce pays archi-pauvre, il faut tout récupérer), puis on jetait tout le monde dans la rivière après les avoir assommés ou blessés gravement, pour qu'ils ne puissent s'enfuir à la nage. On estime à 2 à 3.000 cadavres ceux que la grande rivière du Rwanda, la Nyawarungu, a chatriés à travers tout le pays en passant à quelques kilomètres de Kigali, la capitale. A Kigali, les employés des ambassades, les professeurs européens et les agents techniques purent photographier et filmer pendant deux semaines le lugubre convoi. A Katumba, le niveau des eaux arrivant à la hauteur du tablier du pont, les cadavres ne pouvaient continuer leurs cours. Les autorités mirent des ouvriers (au travail) ,pour enterrer les malheureux ou les pousser avec des perches pour que, passant sous le pont, ils poursuivent leur sinistre voyage. Tout cela a été filmé et photographié... Nous pourrions col1tù1uerà narrer une suite d'atrocités qui se commettent dans tous les pays du monde quand la bête humaine est déchaînée: mutilations, castrations sur des sujets vivants, viols odieux, enfants jetés vivants dans les flanunes de leurs huttes, etc., etc. La plupart des tueurs sont chrétiens Mais ce qui est le plus atroce po'UI"ï..tS, c'est de constater que la plupart des tueurs sont des chrétiens souvent même des chefs de la chrétienté, des instituteurs, parfois même des membres d'Action catholique. (...) (Et) il faut bien constater que la plupart trouvent cela "nonnaI" ! fis appellent cela "faire la guerre: ni intambara ! La haine raciale, une propagande haineuse ont aveuglé la conscience de ce pays: on appelle mal ce qui est bien et bien ce qui est mal. Des chrétiens hutu ont été frappés et punis pour avoir protégé des Tutsi en danger de mort. Des prêtres rwandais sont encore en prison depuis quatre semaines, suspects de politique... ou simplement de charité. D fallait aussi que cela soit dit." 70.
Ce témoignage aurait pu être écrit en 1994 : trente années plus tard, ce sont les mêmes scènes d'extermination, les mêmes bons chrétiens devenus tueurs, le même désarroi dans le milieu catholique qui vont se reproduire comme si rien n'avait fondamentalement changé. Le cas des tueries de Gikongoro ne fut pas une énorme bavure ponctuelle. "Très vite, rapporte Lemarchand, la contagion gagna d'autres régions, accompagnée de son cortège de cruautés" 71. Toutefois, les témoignages sont plus rares et plus clairsemés: les media, aujourd'hui omniprésents, ne sont 70 ."Massacres au Ruanda", Témoignage chrétien, Paris, 6 février 1964. 71. René Lemarchand, op.cit., p.224.
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pas encore sur le devant de la scène. Et puis, le gouvernement rwandais impose très vite la loi du silence à laquelle de nombreux témoins, surtout la communauté belge du Rwanda, se soumettront (voir infra). Enfin, pratiquement un mois s'est passé entre le déclenchement des massacres et les premières révélations publiées dans la presse internationale. o~ sait seulement, par des relations épisodiques qui ne sont pas toujours de première main, que les préfectures de Cyangugu, de Gysenyi, de Kigali et de Kibungo furent également touchées soit par des assassinats ou des exécutions sommaires soit par la panique des populations tutsi. Dans pratiquement toutes ces zones, de petites incursions d'inyenzi s'étaient produites depuis juillet 1962. Dans la préfecture de Cyangugu, un chamie'r d'environ 60 victimes tuées par armes à feu fut découvert par un Européen travaillant dans une organisation internationale. En se basant sur un témoignage anonyme paru ultérieurement dans Le Courrier d'Afrique, il devrait s'agir d'une opération de "nettoyage" commanditée par un ministre qui avait en charge le contrôle des groupes dits d'auto-défense. (A Cyangugu), le ministre Otto Rusingizandekwe (qui avait en charge la préfecture) ordonna le 27 décembre d'amener à Cyangugu tous les prisonniers tutsi pris dans les différentes communes le 24 décembre. Ces prisonniers, au nombre de 96, furent chargés sur des camions le lundi 30 décembre à Th. du matin et massacrés dans la forêt vers midi, sans jugement. Certains avaient été pris tout à fait par hasard (au marché, par exemple). Certains témoins prétendent que panni ces prisonniers, il y avait des Hutu pris uniquement à cause de leur ressemblance physique avec les Tutsi. A ce massacre, le Préfet était présent. Les soldats retournèrent à Cyangngu dans des camions vides et laissèrent les cadavres sans sépultures. N'importe qui peut encore aller les photographier (comme cela a été fait par la Croix-Rouge internationale) au km. 35 de la route Cyangugu-Butare-Astrida). Malgré cela, les autorités ont démenti la chose. Tout indigène qui prétend qu'on a fusillé ces pauvres gens est immédiatement incarcéré" 72.
Dans la préfecture de Kibungo, les Pères blancs réussirent à convaincre le préfet et les bourgmestres "de ne pas inciter les populations contre les Tutsi locaux". A la mission locale, "Hutu et Tutsi célébrèrent même la messe de Noël ensemble et un "terroriste" tutsi qui avait trouvé refuge dans une famine fut remis aux autorités" 73. S'il n'y eut pas de cas de huttes incendiées, comme l'affirmèrent les Pères blancs, on découvrit cependant dans la 72. "La vérité sur les massacres du Rwanda", Le Courrier d'Afrique, Il février 1964. 73. Aaron Segal, op.cit., p. 626.
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préfecture un charnier de 150 personnes. "Un chauffeur de carnion a aussi rapporté à des missionnaires qu'il avait dû conduire un groupe d'une vingtaine de Tutsi à quelques kilomètres de Kibungo où ces hommes avaient été abattus par des militaires rwandais" 74.
A Gisenyi, près de la frontière congolaise, "les femmes de notables tutsi qui avaient été arrêtés craignirent de ne plus jamais revoir leur mari: 'une centaine de femmes et d'enfants se suicidèrent en masse en se jetant dans la rivière" 75. A partir de la mi-janvier, les massacres de masse ont cessé. Il n'est pas impossible que, sur le terrain, l'autorité militaire belge toujours très présente au Rwanda ait contribué à "calmer le jeu". Toutefois, les arrestations, les assassinats et les exécutions individuels de même que les menaces d'expulsions d'expatriés, continuent. Les cas les plus souvent cités sont ceux de religieux que l'on suspecte d'avoir aidé les Tutsi. Aaron Seegal précise que le 24 janvier, un pasteur protestant, le Révérend Yona Kanamuzeyi est secrètement exécuté quelque part dans le Rwanda central. "Il avait été le leader d'un "paysannat" tutsi créé après les événements de 1959 dans une région où l'on était parvenu à éradiquer la mouche tsé-tsé. Il était resté strictement loyal vis-à-vis du régime en dépit du fait que son frère était un chef inyenzi. Il fut apparemment exécuté parce que le gouvernement croyait qu'il avait poussé la population tutsi de cette région à se rebeller" 76. Une semaine auparavant, le chauffeur et un employé d'un autre religieux, l'évêque de Nyundo, Mgr. Bigurumwarni, sont exécutés 77. Par ailleurs, les autorités s'en prirent aussi aux prêtres catholiques expatriés qui continuent à héberger des Tutsi dans leurs paroisses et qu'elles menacaient d'expulser 78.
Les conséquences
et les réactions
On l'a dit, la tâche de reconstituer une "géographie" des massacres fut rendue quasi-impossible par le black-out total imposé par le gouvernement ou par l'auto-censure des expatriés. Ce n'est qu'à la suite des premières
74. "Sommes-nous complices d'un génocide ?", Pourquoi Pas?, 7 février 1964. 75. Aaron Segal, op.cit., p. 626. 76. Idem. 77. Le Courrier d'Afrique, Il février 1964. 78. Pourquoi Pas?, 7 février 1964.
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révélations, d'ailleurs partiales, parues dans la presse belge à partir de la mijanvier 1964 (voir infra) que les nouvelles commencèrent à se répandre. Pour les populations victimes des représailles aveugles, les conséquences sont les mêmes qu'en 1959 : celles-ci ne trouvent le salut qu'en se cachant là où elles le peuvent (dans les marais, dans les forêts...) et, pour celles qui se trouvent aux frontières, qu'en passant dans le pays voisin. Selon les estimations du HCR, ils sont 50.000 à avoir quitté le pays suite aux tueries de 1963. A cette époque, on estime que 120.000 à 140.000 Tutsi sont restés au Rwanda (contre 393.000 recensés dans le dernier décompte officiel de 1956). Ils leur est interdit de quitter le pays de peur qu'ils n'aillent renforcer les rangs des Inyenzi. Ceux qui restent, relève Segal, sont dans une position impossible. "Bien que solidement présents dans l'administration et l'éducation, le gouvernement rwandais n'a.aucune confiance en leur loyauté. Même dans les périodes de grande stabililité, les perspectives de promotion pour ces Tutsi allaient être sévèrement limitées. Dans le même temps, ils sont considérés comme traîtres par les Inyenzi pour le soutien qu'ils apportent au régime rwandais. Une poignée seulement a réussi à quitter le pays secrètement et aujourd'hui moins de 20 réfugiés Tutsi passent quotidiennement en Uganda" 79. On peut dores et déjà avancer que les sanglants événements de 1963-64 allaient laisser des traces. Certains officiels rwandais estimaient en privé que quelque chose s'était définitivement cassé dans la difficile "cohabitation ethnique" 80. En 1960 et 1961, Hutu et Tutsi avaient reconstruit ensemble et spontanément leurs habitations. Maintenant qu'il y avait eu autant de morts non-enterrés, cette cohabitation risquait bien de céder la place à la méfiance, aux suspicions, aux peurs de la revanche. C'est pourquoi ceux qui avaient quitté le pays n'avaient plus guère de chance de pouvoir y retourner dans le moyen tenne. Une nouvelle étape dans le cycle vindicatoire était inscrite dans la trajectoire historique du pays. Les autorités politiques et morales rwandaises auraient pu atténuer les peurs collectives qui s'installent désormais en force dans le corps social si elles avaient pris l'initiative de les exorciser rapidement et symboliquement en cassant la dynamique infernale qui identifiait tous les Tutsi de l'extérieur à des "cafards malfaisants et dangereux" et tous ceux de l'intérieur comme leur "cinquième colonne". Une telle rupture fut rendue impossible du fait des 79. Aaron Segal, op.cit., p. 627. 80. Idem.
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évolutions politiques au sein de l'élite dirigeante elle-même. Celle..ci avait à cette époque tout intérêt à maintenir un schéma manichéen. Un officiel rwandais déclara à ce propos à Lemarchand : "avant l'attaque des inyenzi, le gouvernement était sur le point de tomber. Nous étions confrontés à d'énormes dissenssions entre nous. Non seulement, nous avons pu survivre aux attaques extérieures, mais ces attaques nous aidèrent à survivre à nos dissenssions 81. En tout cas, c'est d'abord une chape de plomb qui s'installe sur le pays. En plus d'imposer un black-out sur l'information, le gouvernement rwandais, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, commença par affirmer que "les informations relatives aux massacres relevaient de la plus haute fantaisie" 82. Ce n'est que le 29 janvier 1964 que les autorités politiques s'exprimèrent par le biais d'un communiqué diffusé par ses ambassades et qui l1cpouvait que prolonger le bail du régime Kayibanda. Après un long exposé sur "les efforts de Mr. Kayibanda en vue de réintégrer les Tutsi dans la communauté", ce communiqué s'indignait contre le "plan concerté" perpétré contre le gouvernement par de "fanatiques tutsi de l'intérieur" aidés par des "terroristes de l'extérieur". Les "bavures" qui étaient survenues par la suite s'expliquaient, selon ce communiqué officiel qui expédiait ce sujet en un court paragraphe, par la "colère et la fureur" du peuple contre les terroristes. A partir du 21 décembre 1962, quelques Wles (des bandes de terroristes) réussirent à entrer en direction de la capitale après avoir surpris des soldats occupés à la construction d'Wl camp à Gako. Deux de ces soldats ont été mis à mort, d'autres prisonniers des terroristes subirent les pires violences et les brutalités les plus avilIissantes. La population locale, surprise en pleine nuit, fut forcée de suivre les terroristes où était abattue sur place en cas de refus. Les foces de la garde nationale arrivèrent sur les lieux et parvinrent à disperser les terroristes. Elles ont fait des prisonniers dont certains étaient de nationalité étrangère.
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Pendant ces opérations, les mêmes forces de l'ordre ont pu mettre la main sur des documents qui intéressaient au plus haut point la Sûreté rwandaise car ils apportaient la preuve la plus formelle de la complicité de personnalités endurcies et fanatiques de l'ethnie tutsi qui étaient restées à l'intérieur du pays et simulaient Wle collaboration aussi parfaite que possible qui à l'Assemblée nationale, qui à l'administration.
8I.René Lemarchand, op.cil., p. 227. 82. Cité par le Pourquoi Pas? du 7 février 1964.
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Des perquisitions effectuées au domicile de ces suspects confmnèrent d'ailleurs leur complicité et, lors de l'atTestation de celui qui était désigné comme premier ministre du gouvernement féodal que les terroristes allaient mettre en place, l'on constata qu'il était porteur du texte du discours qu'il allait prononcer à cette occasion (.u). Déjà, avant l'incursion de Gako, des éléments tutsi s'étaient infiltrés dans la région de Gikongoro, Kaduda et Cyanika où, suivant les plans établis par 1"'Etat-major" des terroristes, ils auraient dû passer à l'attaque le 21 décembre 1963. TIs avaient commencé la préparation de cette opération par une campagne de faux bruits, d'intimidation, et de menaces à peine déguisées 83. Quand la nouvelle de l'agression soudaine de Gako arriva dans la région de Gikongoro, Kaduna et Cyanika, et qu'en même temps la population paysanne apprit qu'elle devait également être la victime d'une agression et des mêmes brutalités, elle a été subitement saisie de panique et de peur qui se changèrent bien vite en fureur et colère aveugle et s'est retournée contre les tetToristes" 84.
Le communiqué aux ambassades concluait que "grâce à la fermeté et à l'autorité du gouvernement qui n'était ni contestée, ni menacée", celui-ci a pu "ramener la paix et l'ordre et s'est occupé immédiatement de la réintégration des personnes qui avaient fui". Plus ambiguë et plus embarassée fut l'attitude de l'Eglise. Si Radio Vatican parla "du plus terrible génocide depuis celui des Juifs par Hitler", elle fut vigoureusement contredite par l'archevêque de Kigali, Mgr Perraudin, qui, dans une lettre adressée au Pape protesta contre cette déclaration et mit l'accent sur les "graves distorsions" dans les informations publiées sur les événements au Rwanda 85. En janvier 1964, dans leur message de Noël, les évêques rwandais condamnèrent sans appel les "assaillants" de l'extérieur tout en déplorant les réactions violentes de la population 86. A la fin du mois de février, une lettre pastorale de l'évêque de Butare, un Tutsi que l'on fit sans doute monter en première ligne, revint sur le sujet des violences. D'une part, l'évêque condamnait longuement et durement "les bandes terroristes", "car nous savons, affirmait-il avec force, et nous avons des preuves que leur intention était non seulement de renverser le régime et un gouvernement légalement établis, mais encore de le faire dans la terreur et dans le sang. (...). 83. Aucune infiltration ne fut jamais signalée à ce moment dans la préfecture de Gikongoro. Par contre, le communiqué ne fait aucunement mention des petites incursions de réfugiés dans les régions de Kibungo et Cyangungu. 84. Publié dans La Cité, 30 janvier 1964. 85. René Lemarchand, op.cit., note pp. 521-5'22. 86. Voir La Cité, 15 janvier 1964.
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Nous considérons comme responsables et coupables ceux qui font parvenir à l'extérieur, introduisent à l'intérieur, remettent et font circuler des lettres en rapport avec cette organisation terroriste". D'autre part, tout en manifestant sa compréhension à l'égard des autorités qui "prennent les dispositions nécessaires pour assurer l'intégrité du territoire et s'entourant de précautions oratoires, l'évêque condamnait "tous ceux qui donnent des mots d'ordre ou organisent ou participent à des campagnes de tuerie, d'incendie ou de pillage", "tous ceux qui participent activement aux conseils préparatoires de soulèvements arbitraires" 87. Mais, bien plus étonnantes furent les réactions dans l'ex-métropole. Au ministère des Affaires étrangères, ce fut le silence qui prévalut: aucune déclaration, aucun commentaire, aucunes interpellations un tant soit peu significatives au Parlement. En fait, les préoccupations de la Belgique officielle étaient tournées àce moment vers le Congo voisin en proie aux grandes rébellions de 1963-64. C'est d'ailleurs à travers le prisme "d'opérations terroristes fomentées (comme au Congo) à l'extérieur" que la presse belge, surtout d'obédience chrétienne, lit les événements du Rwanda. Il est surtout question, dans les commentaires et les témoignages sélectifs récoltés, d'opérations militaires montées "par une armée royale rwandaise" 88, d'interférences "d'officiers de l'Allemagne de l'Est dans des camps de réfugiés rwandais au Burundi" 89, d'un "prêtre défroqué qui, du Caire, dirige une agitation permanente au Rwanda" 90, ainsi que de la bonne tenue des bourgmestres et du calme rétabli rapidement par le gouvernement 91, de la "réintégration rapide des habitants tutsi qui ont fui leur village". Il est bien sûr fait état de représailles par les populations locales, mais c'est surtout le "complot guerrier systématique" mis en oeuvre par les Tutsi qui est mis en évidence 92. En réalité, il faut à cette époque lire la presse américaine (New York Times) ou française (Le Monde) pour avoir une version moins orientée des faits. Seules quelques personnalités élèvent leur voix pour corndamner les massacres (en plus de quelques missionnaires ou pasteurs indignés qui firent parvenir anonymement leur indignation à la presse étrangère) : Bertrand 87. Le texte intégral de cette lettre fut publié dans La Libre Belgique, 28 février 1964. 88. Le Peuple, 18-19 janvier 1964. 89. La Cité, 24 janvier 1964. 90. Le Soir, 4 février 1964 91 La Cité, 27 janvier 1964. 92. La Libre Belgique, 8-9 février 1964.
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Russel dénonce "le plus horrible et systématique massacre humain auquel il nous a été donné d'assister depuis l'extermination des Juifs par les Nazis" 93. Un enseignant suisse, détaché par l'UNESCO comme enseignant à Butare, démissionne car "il ne m'est pluspossible,explique-t-il de rester au service d'un gouvernement responsable de génocide". Dans sa lettre au .Monde, il fait état de massacres qui "sont la manifestation d'une haine raciale soigneusement entretenue: une réconciliation raciale aurait en effet obligé le gouvernement de M. Kayibanda qui est l'objet d'un véritable culte à un partage du pouvoir avec des élites qui sont maintenant assassinées" 94. L'anthropologue belge Luc de Heusch parla lui aussi de génocide planifié, demanda l'ouverture d'une enquête qui n'aura jamais lieu et désigna du doigt "quelques conseillers belge (qui) ont outrepassé la stricte neutralité de leur mission, orientant par leurs conseils, suggestions et interprétations tendancieuses de la situation objective, le durcissement du gouvernement nvandais envers les Tutsi"95. La question est déjà posée à l'époque: peut-on véritablement parler de génocide? Dans le sens juridique et sur le plan des conséquences, on peut y répondre par l'affirmative: il s'est agi, comme l'énonce la Convention internationale pour la répression du crime de génocide, d' "actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique racial ou religieux, comme tel". Toutefois, ce génocide n'a pas véritablement été systématisé, perpétré et organisé par les autorités nationales responsables obéissant à un plan qui aurait été concerté. Au niveau local pourtant et certainement dans la préfecture de Gikongorooù il n'y eut pas d' "envahisseurs" tutsi' où il n'y eut aucun mouvement séditieux local, des directives incendiaires contre les Tutsi furent suivies de passages à l'acte par des populations locales habituées, voire contraintes, à obéir aux ordres de leurs chefs. Quoi qu'il en soit de la qualification des événements de 1963-64, on retrouve les principaux ingrédients de la "violence populaire colérique". Le "TutSi", particulièrement celui de l'intérieur, est identifié, dans le contexte d'une situation politique instable, plus comme bouc émissaire que comme un ennemi ethnique réellement menaçant; les débordements n'obéissent pas à une logique instrumentale mais reposent sur des peurs attisées par des "rumeurs folles" ; les violences paraissent d'ores et déjà s'inscrire dans un
93. Cité par René Lemarchand, op.cit., p.224. 94. Le Monde 4 février 1962. 95. Luc de lIeusch, "Massacres collectifs...", op.cit., p. 426.
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cycle initié quelques années plus tôt: aux pillages et aux incendiesde huttes, s'ajoutent désormais des massacres sur une beaucoup plus grande échelle.
Les "déguerpissements"
.ethniques de 1973
A partir de 1964, les incursions des lnyenzi se feront beaucoup plus sporadiques et encore moins efficaces, même si les autorités rwandaises brandissent, dès que l'occasion s'en présente, l'épouvantail de nouvelles invasions extérieures bien armées et bien préparées qui ne se matérialiseront jamais 96. La question des réfugiés continue à être ignorée tandis que le premier "parrain" du Rwanda, la Belgique, contribue à faire rapidement oublier les "bavures" de 1963-64 en renforcant l'image idyllique d'un 'îlot de développement" où règnent des dirigeants sages et modérés gouvernant un peuple de paysans pauvres, travailleurs et méritants.
La silencieuse
implosion du mythe égalitaire
Le contexte des violences de 1973 est d'abord et surtout celui d'un affrontement pour le pouvoir au sein de la "quatrième ethnie". Certes, le "monarque présidentiel", n'est nullement en cause. Candidat unique aux élections de septembre 1969, il a été réélu avec 99,60 % des voix. Mais, dans 'l'ombre de ce Mwami, la classe politique hutu se muscle et surtout "s'émancipe" par rapport à sa clientèle paysanne. Elle se muscle avec un système de surveillance policière très active. Au cours de ses enquêtes d'octobre 1967 à mars 1968, C. Vidal rapporte qu'elle a beaucoup de mal à mener à bien son travail de terrain du fait d'un climat politique qui rend suspect toute évocation du passé. "Il fallut mettre au point, écrivit-elle plus tard, des situations d'enquêtes qui permettaient aux informateurs de
96. Dans la presse catholique belge, prisme anti-communiste oblige, il est question en décembre 1966-janvier 1967 de "bataillons rouges" de Tutsi disposant d' "instructeurs chinois" et d'un "armement important" (mortiers, roquettes et mines). Voir La Libre Belgique,5 décembre 1966 ~La Cité, 3janvier 1967.
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s'exprimer en étant sûrs de ne pas être écoutés par "la Sûreté" et sans courir le risque d'être accusés de propos favorables à la "féodalité" 97. Cette société sous haute surveillance semble aussi se morceler, s'individualiser en petits groupes et surtout se différencier en fonction de "ceux qui ont l'argent et ceux qui n'en ont pas". L'étud~ menée par V. Silvestre sur un "front pionnier" installé par les autorités dans la préfecture de Kigali, le paysannat de Masaka, relève ainsi que les traditionnels rassemblements autour de la cruche de bière ont de moins en moins le caractère de grandes fêtes collectives et font place à "des rencontres plus restreintes de quelques amis s'invitant mutuellement, parfois même par écrit. ( ...) A toutes ces occasions, le désir de se retrouver entre famillesjouissant d'un niveau de vie semblable apparaît clairement" 98. Car, c'est véritablement l'argent qui stimule les énergies et crée des situations d'inégalité tant à
l'intérieur du mgo que chez les immigrantsdupaysannat 99 ~
Le mythe de l'égalitarisme rwandais a vécu. "A la fin des années soixante, relève Vidal, le système des différences entre les détenteurs d'un savoir ou d'une qualification modernes et la paysannerie créait un univers symbolique propre à la "quatrième ethnie". En premier lieu, les politiciens et les fonctionnaires, fractions dominantes à l'intérieur de cette quatrième ethnie, montraient et démontraient, quant à eux, que leur pouvoir résidait et se reproduisait dans des sphères étrangères, inaccessibles aux masses rurales. Toutes solennités, tous rassemblements de foule, fournissaient le prétexte à de telles démonstrations". Et, dans le récit qu'elle fait d'une rete communale à laquelle elle assista, Vidal montre à quel point les saynètes "illustrent une attaque brutale et méprisante des paysans: ceux-ci demeuraient misérables parce qu'incapables d'abandonner leur mode de vie coutumier. La
remontrance était publiquementadministrée par le bourgmestre (.~,.) entouré d'amis politiques et de moniteurs scolaires" 100. A la différence d'autres "grands" pays africains, cette élite ne fait cependant pas figure de nouveaux riches, loin s'en faut: un ministre ne gagne 97. Claudine Vidal, Sociologie des passions (Côte d'Ivoire, Rwanda), Paris, Karthala, 1991, p. 32. Voir aussi du même auteur, "Enquête sur le Rwanda traditionnel: conscience historique.et traditions orales", Cahiers d'études afn.caines, XI, 4, 1971. 98. Victor Silvestre, "Différenciations socio-économiques dans une société à vocation égalitaire: Masaka dans le paysannat de l'Icyanya", Cahiers d'Études Africaines, XIV, 53, 1974, p. 164. 99. Idem. 100. ClaudîneVidal, Sociologie des passions, op.cil., p.31.
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que l'équivalent de 12.000 FB. Mais, s'il n'y a pas de grande corruption généralisée, tout ce petit monde politico-administratif est de tous les trafics de petite ou de moyenne envergure. D'abord, pratiquement toute la couche de nantis dont on a vite fait le tour "prospère" grâce à des crédits (qu'ils ne rembourseront jamais, vu la place qu'ils occupent dans la hiérarchie) avec lesquels ils louent des maisons aux Européens, achètent des minibus japonais, reprennent des bars et des commerces, interfèrent dans les comptoirs d'achat du café en sous-payant la part qui revient légalement au producteurs. Dans certains cas, des ministres et des députés entretiennent des bandes de jeunes qui pillent les mines d'étain et de cassitérite. Le produit de ces vols est acheminé vers l'Uganda voisin 101. Mais l'appât du gain ne peut aller loin dans un pays qui n'a guère de ressources permettant d'avoir pleinement accès à la "modernité". Cette élite politico-administrative f¥landaise, qui reste au fond immergée dans un monde paysan -- l'urbanisation, on le verra plus loin, est quasi-inexistante au Rwanda -- va ainsi se déchirer d'autant plus âprement que le "gâteau" national est petit. A mesure qu'approche l'échéance des élections présidentielles de 1973, les aigreurs vont opposer les "gens du Nord" aux "gens du Centre et du Sud". Les premiers, surtout présents dans l'armée, ont le sentiment d'être minorisés au profit d'une mince élite qui est, dit-on, entièrement dominée par des originaires de la préfecture de Gitarama, c'est-àdire de la région du président. Celui-ci apparaît comme de plus en plus isolé sur la scène politique et coupé des réalités du pays. En principe, son mandat présidentiel vient à expiration puisqu'il n'est plus rééligible après trois mandats successifs. Voulant couper court au régionalisme, à l' "embourgeoisement" et à la perte des valeurs morales qu'il condamne dans ses discours, a-t-il voulu opérer un "corne back" en entreprenant une "purification", un resourcement de la révolution hutu par la ré-utilisation du Tutsi comme bouc émissaire? En d'autres termes, est-il responsable du déclenchement de la mécanique de l'exclusion etlmique de février 1973 contre les "féodaux tutsi" qui continuent à détenir en nombre des postes importants dans la haute administration, dans l'enseignement et dans le secteur privé? Ou bien a-t-il été piégé soit par des 'Jeunes turcs" de son entourage qui prétendent agir en son nom, soit par des notables originaires du Nord qui ne veulent plus d'un quatrième mandat présidentiel pour Kayibanda ?
101. Sur cette petite cOffilption de la classe politique rwandaise, voir Jacques Wiame, "Le labyrinthe bantou'" Pourquoi Pas ?, 17 juin 1973, pp. 49-50.
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Vers un nouvel exode
En tout cas, le contexte régional est propice à une nouvelle explosion ethnique: on rappellera ici qu'un génocide a décapité l'élite politique hutu et a fait plus de 100.000 morts dans le Burundi voisin en 1972, ce qui va renforcer le sentiment sécuritaire anti-tutsi au Rwanda. C'est donc dans un climat de fortes incertitudes politiques, tant intérieures qu'extérieures, qu'une nouvelle "chasse aux Tutsi" on parlera alors de "déguerpissements" -- se déclenche en mars 1973. Selon la version d'étudiants tutsi qui sont au coeur de la tourmente, le président Kayibanda aurait déclaré le 24 novembre, jour de la fête rwandaise de la Justice que "c'en était fini d' "imfura" : ceux qui ne l'auraient pas compris ont trois mois pour quitter le pays" 102. Selon l'ambassadeur du Rwanda à Kinshasa, "même si l'on ne pouvait être sûr que le président avaît vraiment dit cela, il ne serait pas étonnant qu'il l'eût dit" 103. Cette allusion à l'arrogance aristocratique tutsi se situe dans le cadre d'une vive tension au sein du milieu scolaire et universitaire, haut-lieu de la reproduction des élites, depuis septembre 1972. Le témoignages anonyme cidessous est éclairant à ce sujet : La politique décidée depuis longtemps (par le gouvernement en matière de recrutement des élites) était de veiller au pourcentage représentatif: 90% de Bahutu, 10 % de Batutsi. La dernière rentrée scolaire a d'ailleurs manifesté la volonté du gouvernement d'observer pour la première fois de façon implacable ce pourcentage: on n'a admis, après enquête sérieuse, pour les premières années du secondaire inférieur et supérieur, que quelques Batutsi. La rentrée scolaire s'est d'ailleurs faite pour cette raison, avec plusieurs mois de retard. fi y a plusieurs mois déjà, depuis lors, dans divers établissements scolaires du pays (les écoles secondaires de Byimana, Nyamasheke et le collège officiel de Kigali 104), des luttes violentes ont opposé entre eux étudiants bahutu et étudiants batutsi. Ces derniers ont dû faire leurs valises, rentrer chez eux et abandonner tout espoir de pouvoir poursuivre des études 105.
102. Cité dans "La grande peur des Bahutu", Spécial, 28 mars 1973, p. 34. Le terme imfura renvoie à la jouissance de privilèges particuliers et d'Wle supériorité dans l'art de vivre. 103. Idem. 104. Les incidents au collège officiel ont entrâmé le départ des coopérants étrangers (suisses) et la fermeture de l'établissement. 105 .Publié dans La Revue Nouvelle, n04, avril 1973, pp. 472-473.
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C'est à la mi-février que la situation se dégrade réellement. L'explosion a maintenant gagné l'université de Butare sous l'impulsion probable des cellules locales du parti. Dans la nuit du 15 au 16 février dernier, poursuit le témoin1tles étudiants bahutu de l'Université nationale du Rwanda s'en sont pris aux Batutsi, nappant violemment plusieurs d'entre eux, chassant les autres du campus universitaire, qui sont allés se réfugier où ils le purent. Beaucoup, dans la suite, ont essayé de fuir à l'étranger, dans l'espoir d'y continuer leurs études. Certains ont pu passer la frontîère clandestinement et se trouvent actuellement au Zaïre ou au Bunmdi. D'autres ont été arrêtés, emprisonnés et amenés à Kigali. On est sans nouvelles d'eux depuis lors" 106.
Le mouvement de "déguerpissements" gagne dans le même temps le secteur privé et l'administration. Des listes sont placardées partout pour signifier lanùse à pied des éléments tutsi. Tout s'est fait (...) dans le calme, chaque établissement recevant la liste du personnel à licencier (qui doit "déguerpir", lit-on sur les listes). Le responsable européen du magasin Siera à Kigali, qui avait refusé d'obtempérer, s'est vu expulser du pays dans les 48 heures 107.(...) Les mêmes mesures s'appliquent actuellement à l'administration, du moins dans les secteurs centraux: ainsi le personnel tutsi de plusieurs préfectures a déjà été mis à pied. Le personnel médical est lui aussi fortement secoué: à Butare, 22 infmnières ont été renvoyées dans la seule journée du 26 février, entraînent un ralentissement énorme de toutes les activités de I'hôpital universitaire. n en va de même dans les autres secteurs: vétérinaires, agronomes, fonctionnaires des banques, etc. (...) Pour le moment, seul le secteur de l'enseignement primaire semble épargné (...). n faut noter que dans ce secteur le personnel tutsi est très important et leur licenciement pourrait entraîner la fermeture des écoles dans plusieurs régions 108.
Claudine Vidal, qui se trouve à cette époque à Kigali, confirme que les mots d'ordre et les "initiatives spontanées" viennent d' "en haut"~ Des listes d'employés tutsi de l'administration et du secteur privé, placardées sur les lieux de travail, exigeaient leur renvoi immédiat. On demandait aux Européens de licencier
106. Idem, p. 473. 107. Au total, une douzaine d'expatriés du secteur privé (dont huit Belges) sont expulsés de Kigali pour "atteinte à la Sûreté de l'État", en fait parce qu'ils employaient trop de Tutsi qu'ils se refusaient de licencier. Voir Pourquoi Pas ?, 3 mai 1973. lOS. Cité dans La Revue Nouvelle, op.cit., p. 473.
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leurs domestiques tutsi. Les professeurs étaient chahutés, boycottés ou insultés. A Butare, la micropole universitaire, r'accès des trois ou quatre bars fréquentés par les notables et la clientèle estudiantine fut interdit aux Tutsi. A tout cela, rien d'officiel: expulsions du travail et brimades se produisaient "spontanément", c'est-à-dire après que l'exemple en eut été dûment dOlUléen quelques endroits stratégiques. J'étais à cette époque au Rwanda. On pressentait bien que l'initiative était venue "d'en haut" mais il était manifeste qu'elle rencontrait l'assentiment d'Wle partie des clercs et des jeWles scolarisés hutu. Les exclusions et les brimades dont j'ai pu être témoin, à Butare et à Kigali, étaient pratiquées sans que les autorités s' en mêlent et ouvertement saluées par des discours enthousiastes 109.
Partie des modestes agglomérations rurales que sont Kigali et Butare, l'agitation anti-tutsi ne devait pas manquer de gagner rapidement les collines. On ne dispose que de peu d'informations sur les nouvelles exactions qui se produisent. Selon l'envoyé du Pourquoi Pas?, La flambée de violence (contre les Tutsi) s'est alors propagée dans d'autres régions. A Gitarama, à Kibuye, à Gisenyi notamment. On a tué, volé, pillé Wl peu partout (...). Le président est intervenu. TI a envoyé les ministres et les députés dans leurs fiefs électoraux avec mission de calmer les esprits. La garde nationale a commencé des patrouilles. Les policiers, même ceux de la présidence, ont été dépêchés dans les villages. En vingt-quatre heures, tout était calmé. Je me suis promené à Shibangi. Les femmes se rendaient au marché avec leurs paniers sur le tête comme si rien ne s'était passé. Les Hutu qui, quelques jours plus tôt, avaient brûlé des huttes, reconstruisaient 1'habitation de leurs voisins sinistrés. "TI ne faut pas faire la révolution dans les popriétés, mais dans les coeurs". Cette phrase du président avait suffi à apaiser la colère populaire. Combien de victimes? TIest hasardeux d'avancer des chiffres. Sans doute 400 ou 450 morts. Pour tout le pays 110.
Sont-ils véritablement des Tutsi ceux que l'on pourchasse sur les collines? Vidal estime que le mouvement anti-tutsi ne gagna pas la paysmmerie. La manoeuvre, éprouvée à plusieurs reprises et qui consistait à restaurer périodiquement l'unité nationale par l'exacerbation de sentiments ethniques, ne suscitait plus l'adhésion que de la minorité des clercs et des assimilés. Cependant le climat de troubles qu'elle avait instauré eut des effets en retour' des émeutiers attaquèrent et pillèrent les demeures de politiciens, il y eut des règlements de compte entre notables régionaux, des condamnations du régime s'exprimaient aussi bien sur les collines que dans les milieux populaires des petites villes, elles étaient le fait non d'agitateurs, mais de gens disant qu'ils n'avaient plus rien à perdre 111. 109. Claudine Vidal, Sociologie des passions..., op.cit., p. 39. 110. Jacques Wiame, "Le Labyrinthe bantou", Pourquoi Pas ?, 26 avri1I973, p. 45. 111. Claudine Vidal, op. cit., p. 39. Jacques Wiame dans sa série d'articles
sur le
"Labyrinthe bantou» au Rwanda parle également de "montagnards" hutu "ayant mis à sac
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C'est précisemment pour mettre un terme aux violences en sens divers émanant de ces groupes marginalisés et hétérogènes de chômeurs, de jeunes délinquants et mal scolarisés "qui n'avaient plus rien à perdre" que les autorités furent très vite poussées à éteindre un incendie qu'elles craignaient de ne pouvoir contrôler et qui pouvait bien se retourner contre elles. A côté du message dit de pacification des évêques rwandais, comme toujours empreint d'ambiguïtés dans sa manière de toujours ménager les uns et les autres 112, celui du président Kayibanda ramena au véritable enjeu politique qui soustendait les événements de février-mars 1973. Dans son adresse aux ministres, préfets et bourgmestres du pays, le président s'éleva au dessus de la mêlée en rappelant à tous le respect des lois, la discipline et le civisme; pas un mot dans ce document de la dimension ethnique des violences scolaires qui étaient réduites à une "contestation" qui ne s'était pas exprimée "en bonne et due forme", mais bien uneoondamnation du "régionalisme"(!) en même temps qu~une réprobation d'actes qui étaient identifiés à des "chahuts scolaires". Dans une lettre ultérieure écrite à un directeur d'établissement secondaire qui avait offert sa démission si ses élèves l'obligeaient à n'enseigner qu'à une seule ethnie, le président Kayibanda tint un double discours: il affirmait que "l'élimination d'une ethnie n'est pas admise non plus que le génocide intellectuel" (sic), s'élèvait contre la démagogie et déclarait qu'il fallait rétablir l'équilibre socio-ethnique dans tous les établissements et concluait que "l'amour des petits, quels qu'ils soient est pour (lui) un principe de vie" 113. Les "déguerpissements" brutaux de 1973 vont permettre de remettre brièvement en selle un président de la République 114 qui a donné à son entourage un signal on ne peut plus clair en matière de rééquilibrage ethnique. Tel est d'ailleurs le "slogan du jour" qui est martelé par ses ambassadeurs à l'étranger. Plus de dix ans après la révolution des Hutu, déclare l'ambassadeur du Rwanda à Bmxelles à des journalistes, les Tutsi continuent dans (leur) pays d'occuper le plus grand nombre de postes de responsabilités. Certaines entreprises n'emploient que des Tutsi. Dans les universités, 65 % des étudiants sont des Tutsi. Dans le
les propriétés de certains responsables politiques trop riches à leur goüt" (Pourquoi Pas?, 17 mai 1973, p. 50). 112. Le résumé de ce message est publié dans La Cité, 6 avril 1973. 113. Pour de larges extraits de ces documents, voir La Cité, 27 mars 1973. 114. Le 3 mai 1973, l'assemblée nationale révise la constitution. En plus de proclamer l'avènement du "socialisme démocratique", celle-ci autorise le président Kayibanda à se représenter pour la quatrième fois aux suffragesdes électeurs.
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secondaire, même proportion. La majorité du personnel enseignant. Dans l'administration, presque tous les hauts fonctionnaires sont tutsi. Sur cinq membres de la Cour suprême, trois sont TutsLLe clergé est composé en majorité de prêtres tutsi. Tout cela démontre que le gouvemementnvandais n'a jamais pratiqué une politique agressive à l'égard des Tutsi 115.
Affirmant comme en 1963 que les incidents constituaient un mouvement spontané "visant à obtenir une répartition des charges et des possibilités d'accès à l'enseignement", l'ambassadeur, répondant à la question de la réintégration des Tutsi, déclara sans ambages: "ils n'ont qu'à prendre la houe. Il n~est pas honteux de travailler de ses mains. Le gouvernement les aidera à se reconvertir". Il n'y aura pas de "reconversion" par la houe mais bien une décapitation de la majeure partie de l'élite tutsi qui en prenant une nouvelle fois le chemin de l'exil, désorganisa durablement l'administration et l'enseignement. TIs furent partiellement remplacés par une assistance technique étrangère (largement belge) qui plus que jamais jouera un rôle de substitution dont on ne voyait jamais la fin. Combien sont-ils? Selon Lemarchand, l'exode a sans doute été plus important qu'en 1959 et en 1963 116.En tout état de cause, il est discret du fait même de la catégorie sociale concernée: les clercs et les intellectuels. Mais il est porteur d'une plus grande dangerosité; car ces clercs et ces intellectuels, qui forment une nouvelle génération par rapport aux "Unaristes" et aux "féodaux" des années 50 et 60, vont progressivement constituer à l'étranger un vivier d'opposants autrement plus redoutables que les Inyenzi. Ce nouvel exode laisse en tout cas un Rwanda replié davantage sur luimême et sur son mythe de "révolution sociale". "Le Rwanda, rapporte à cette époque un observateur suisse, n'existe pas dans notre temps. Il s'agit moins d'un pays en voie de développement que d'une résurgence de temps révolus. Et son immobilisme, la prudence de ses gouvernants ne sont en fait qu.e le reflet d'une fonne de société condamnée, qui survit en dépit de tout" 117.
115. Extrait de La Libre Belgique, 8 mars 1973. 116. Communication personnelle. 117. Citation de l'envoyé spécial du Pourquoi Pas 1, Jacques Wiame, dans "Le Labyrinthe bantou~\ op. cit., 17maî 1973, p. 50.
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La guerre de 1990
Le coup d'État du général-major J. Habyarimana semble, à première vue, initier une période de rupture par rapport au double isolationnisme rwandais (géographique et sociopolitique). Mais l'ouverture est surtout celle qui bénéficie à une classe dirigeante qui se renforce autour d'un régime autoritaire. Les problèmes de fond de la société rwandaise ne sont toutefois pas réglés: la pauvreté s'accroît dans un contexte de saturation démographique et foncière tandis que la problématique des réfugiés et de la diaspora tutsi à l'extérieur n'est pas véritablement prise en charge par le régime.
Heurs et malheurs d'un régime
Lorsqu'il s'empare du pouvoir, sans rencontrer la moindre résistance, le 5 juillet 1973, le nouveau président, à l'instar de tous les militaires africains qui ont fait irruption sur le devant de la scène politique, joue avant tout la carte de la restauration de l'unité nationale en plus de celle de la moralité publique. "J'ai pris le pouvoir pour empêcher un massacre" affirme-t-il en faisant visiblement allusion à la situation troublée qui existe depuis le mois de mars 118. Le message (et certaines réalisations) du régime se place résolument sous le signe de la "modernité" et de ses artefacts. Le pays se couvre de routes bitumées, de centrales électriques; le secteur étatique prend de l'ampleur; les activités économiques se "rwandisent"; et surtout, les coopérations bi- et multilatérales étrangères se bousculent dans un pays réputé "sage et stable" qui, devenu vitrine de l'aide internationale, va être bientôt couvert d'innombrables "projets" (essentiellement ruraux) de développement: plus de 130 en 1985, répartis entre 18 bailleurs de fonds 119, soit un projet pour environ 40.000 habitants, ce qui est un record africain. Cette modernité rwandaise est toutefois fragile et surtout apparente. L'accoutumance à une assistance extérieure massive crée une situation où les "projets" n'en finissent pas de durer, où la coordination entre initiatives 118. Voir l'interview aujoumal Le Soir, Il juillet 1973. 119. Voir The Word Bank, "Rwanda: Agricultural Strategy Review, Report n° 4635-RW, Washington,27 juin 1985.
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RWANDAISE
extérieures est inexistante, où l'évaluation des réalisations est pratiquement nulle 120.L'impact des infrastructures de communication ne paraît pas avoir atteint réellement le monde paysan; les échanges commerciaux entre régions restent peu développés 121. Une seule catégorie en bénéficie, celle des commerçants dont les marges bénéficiaires sont souvent usurières (voir Jnfra). En outre, la "modernisation" rwandaise s'est accompagnée d'une dégradation attestée des conditions de vie paysannes dont l'amélioration est l'objectif premier de tous les "développeurs" étrangers. Un tenne est mis ici au fameux mythe de la "République égalitaire". C'est en réalité, on le verra plus loin, une bourgeoisie quadrifonne qui se solidifie, à l'instar du Zaïre voisin, pendant la période de "l'argent facile'" des années 70 : militaires, fonctionnaires, commerçants et technocrates accumulent les revenus de la terre, de la construction immobilière... Sur le plan politique, tout en exaltant les valeurs de la révolution de 1959, le régime met rigoureusement une sourdine à tout ce qui pourrait ressembler à de l'ethnisme. En juillet 1974, l'ancien président Kayibanda est condamné à mort suite à des enquêtes menées pendant Il mois sur les tueries anti-tutsi d'avril 1973, enquêtes qui auraient fait apparaître la responsabilité personnelle du chef de l'Etat 122. Le nom du nouveau parti unique, le Mouvement révolutionnaire pour le développement (MRD) 123 qui est une copie conforme du parti-Etat zaïrois dans lequel le citoyen naît, vite! meurt, ne contient plus aucune référence au terme "révolution hutu". Bien plus, certains "Tutsi de l'intérieur" sont cooptés au sein de la bourgeoisie rwandaise et prospèrent dans le gros commerce. Certains d'entre eux sont même des proches du pouvoir, même s'il n'est pas question pour eux d'exercer de hautes fonctions politiques. Mais cette "ouverture" est en trompe l'oeil. Au fil des années 80, le pouvoir se restreint autour de ce qu'on a appelé l'Akazu (littéralement, la 120. Idem. Voir aussi 1. P. HatToy et al., "La Républîque rwandaise", Association pour l'étude de la division internationale du travail, Bruxelles, janvier 1983, Deuxième partie, pp. 1-30. 121. Ce point est mis en évidence dans G. Mombaerts et al., "Rapport de la mission d'identification du programme de coopération agricole", Bruxelles, Administration générale de la coopération au développement, octobre 1985. 122. Spécial, 24 juillet 1974. La sentence fut commuée en prison à perpétuité. Le président Kayibanda mourut deux années plus tard (16 décembre 1976), empoisonné selon la rumeur publique.
123.Devenu plus tard MRND.
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petite maison), c'est-à-dire le président et surtout sa belle-famille. Autant le premier est considéré comme un "sans famille", autant la seconde, dont le lignage est "plus noble", a étendu son emprise sur tout ce que le Rwanda comporte d' "affairistes". Tout ce "petit monde" est pratiquement originaire de quelques collines des préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri, centre nerveux du pouvoir politique 124.Ce pouvoir a quasi-totalement décapité les anciennes et modestes baronnies politiques du régime précédent et qui étaient toutes originaires du sud ou du centre du pays. Contrairement à ce qui se passe chez le "grand frère" zaïrois, la liquidation physique est plus systématiquement utilisée et les peines d'emprisonnement sont rigoureusement appliquées: dans ce petit pays à peine plus grand que la Belgique et où le réseau de communication est dense, le contrôle social et .politique est beaucoup mieux assuré que dans le vaste Zaïre où le chef de l'État a toujours cherché à imposer une image de clémence 125. Le pouvoir d'État repose sur une effectivité beaucoup plus grande de l'exercice de la contrainte sociale: ses ramifications vont aussi pénétrer davantage la société. On a beaucoup exalté un modèle communal rwandais qui aurait été une avancée démocratique décisive. En fait~ il n'en a jamais été ainsi. Ce modèle "occulte non seulement le souci constant d'un quadrillage rigoureux des populations, mais aussi la faible capacité des institutions locales à dynamiser leur environnement autrement que par des corvées, travaux obligatoires et "séances d'animation" qui sont autant de surcharges pour des paysans déjà sur-occupés à assurer plus ou moins correctement leur survie. Aux yeux de la population, le constat est général et massif: le bourgmestre est avant tout, si ce n'est exclusivement, perçu comme le représentant d'un pouvoir omniprésent et vécu comme moteur de prélèvements divers (recouvrement d'impôts, taxes et amendes, prestations de travail obligatoire, etc.) et de contrôle auquel il est très difficile d'échapper" 126. Comme dans le Burundi voisin, tout ce qui "vient de l'extérieur" continue à être considéré comme une menace. A la fin 1985, le régime renvoie sans ménagement en zone troublée près de 30.000 réfugiés protégés par le H.C.R. 124. Voir l'ouvrage de Filip Reyntjens, L'Afrique des Grands Lacs en crise. Rwanda, Burundi: 1988-1994, Paris, Karthala, 1994, pp. 31 sv. 125. Beaucoup de notables zaïrois ont été condamnés à mort, mais on les retrouve à nouveau sur le devant de la scène quelques années plus tard. 126. Jean-Claude Willame, "La panne rwandaise", La Revue Nouvelle, décembre 1990, n° I2.Voir aussi André Guichaoua, L'ordre paysan des hautes terres centrales du Burundi et duR"wandu, Paris, L'Hannatlan, 1989, p. 186.
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et installés aux abords du parc de l' Akagera : une bonne partie de ces réfugiés qui sont d'origine tutsi ont quitté les territoires frontaliers suite à la vague xénophobe "anti-rwandaise" qui sévit sous 'le régime Obote depuis 1982. Sur le plan intérieur) une répression sévère s'abat à partir d'août 1986 sur les partisans de sectes "illégales" qui commencent à s'enraciner solidement au Rwanda: 300 membres sont arrêtés, sommairement jugés et condamnés à des peines allant jusqu'à 12 ans d'emprisonnement 127.La répression est d'autant plus aisée qu'au Rwanda, la magistrature est statutairement sous la dépendance du pouvoir exécutif et que beaucoup de ses membres ne sont même pas des juristes 128.
Les Inkotanyi aux frontières
Autant la dytwniquepolitique rwandaise se fige à l'intérieur et autant le pouvoir rwandais croit que le temps joue en sa faveur, autant la dynamique extérieure apparaît complexe, confuse même au milieu des années 80. Celle des réfugiés d'abord. Les estimations les concernant vont de 175.000, selon les données du H.C.R., à deux millions selon les dires des exilés tutsi. Ce dernier chiffre est de toute évidence exagéré: il va permettre d'alimenter l'argumentation des autorités rwandaises selon laquelle il n'est évidemment pas possible pour un pays déjà surpeuplé et exigu d'accueillir une telle masse de population en sus.
127. Amnesty International, Weekly Update Service, 32/86. Deux de ces sectes sont des émanations des Témoins de Jéhovah et de l'église adventiste du septième jour. 128. Sur les spécificités du statut de la magistrat:ute rwandaise, voir Odette-Luce Bouvier) "Magistrature :sous le diktat de l'exécutif', Dialogue., n° 162, janvier 1993.
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VINDICATIVES
Tableau 1 : Estimations du nombre de réfugiés rwandais Pays
1960-66
1972
1982
1986
1989
234.000 *65.000 80.000
256.000 *66.000 90.000
242.000
Burundi
52.000
Ouganda
70.000
42.000 *64.000 72.000
Tanzanie Zaïre Autres
14.000 25.000
14.000 23.000
14.000 22.000
14.000 11.000 1.100
118.000 *75.600 21. 000 Il.000 1.960
161.000
151.000
350.000 *181.100
372.000 181.100
393.960 174.960
Total
* Estimations effectuées par le H.C. R. Source: Estimations effectuées par Antoine Nyagahene, "La vraie réalité sur le nombre de réfugiés rwandais'~, Dialogue, n° 145, mars-avril 1991 à partir d'ooe dizaine de sources différentes.
En fait, l'identification du profil du "réfugié-type" n'est pas aisée' beaucoup d'entre eux se sont souvent accommodés de leur exil en s'insérant dans le pays d'accueil, tout en entretenant le mythe du retour aux collines de leurs ancêtres. Certains de leurs chefs, plus particulièrement ceux qui sont établis en Ouganda et que l'on retrouvera plus tard à la tête du FP~ se seraient volontiers intégrés, n'était le climat anti-rwandais qui s'était amplifié au milieu des années 80 (voir infra). En outre, au fil des décennies, les situations sociales se sont fortement diversifiées. Qu'y a-t-il de commun, fait remarquer G. Prunier, entre les bergers d'origine tutsi de l'Ankole en Ouganda et les avocats de même origine résidant à New York 129? La diaspora tutsi est très éparpillée dans le monde: elle se trouve non seulement dans les pays limitrophes (Zaïre, Burundi, Tanzanie et Ouganda), mais aussi ailleurs en Afrique, en Europe et aux ÉtatsUnis. Enfin, même si elle caresSe des rêves nostalgiques de retour au pays, même si elle continue à entretenir la symbolique et le folklore du passé, la mentalité de cette diaspora est fort éloignée de celle des anciens "Unaristes"
129. Gérard Prunier, Eléments pour une histoire du Front patriotique rwandais, Politique Africaine, n° 51, octobre 1993, p. 123.
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des années 60 attachés à la fois au rétablissement des pouvoirs du Mwami et/ou aux idéologies de gauche. La seconde dynamîq,uepolitique concerne les évolutions politiques mouvementées qui se produisent en Ouganda. Depuis la reinstallation en 1980 de Milton Obote, les "Banyarwandais" ont été l'objet d'un ostracisme parfois violent. Ainsi, tous furent suspectés de soutenir la guérilla contre le nouveau pouvoir ougandais: "en octobre 1982, une vaste opération de razziadéportation fut lancée dans l'Ouest où près de 80.000 personnes furent prises au filet et poussées vers le territoire rwandais dans des conditions catastrophiques" 130. Lorsqu'en janvier 1986, Yoweri Museveni, que beaucoup d'Ougandais assnnilent à un "Rwandais", prit le pouvoir à la suite d'une longue guérilla menée avec des fils de réfugiés tutsi, les sentiments antirwandais ne faiblirent pas en Ouganda: on accusa le nouveau président de "rwandiser"son régime en plaçant à la tête de l'année de libération ougandaise de nombreux Tutsi ou assimilés. En effet, comme l'explique Prunier, "les combattants banyarwanda, vétérans éprouvés, jouèrent un rôle essentiel dans l'encadrement et la fonnation (des troupes de la National Revolutionary Army (NRA) de Museveni)" 131.Sous le régime populiste qui s'installe en Ouganda, ils vont occuper des fonctions importantes dans les services de la NRA, de l'intelligence militaire, de la police, de l'administration centrale et parfois même locale. Conscients de leur précarité, la question était entendue pour ces cadres: ils étaient bel et bien des étrangers dans leur pays d'adoption. Le retour (armé) au Rwanda devenait pour eux la seule alternative. C'est en décembre 1987, selon Prunier, qu'est fondé le Rwandese Patriotic Front, l'actuel FP~ et c'est durant les mois suivants que les militants de ce mouvement -- une petite minorité active -- entreprennent un noyautage systématique de certains services de l'armée, notamment du service infonnatique et de la Sécurité militaire avec pour objectif le recrutement d'une sorte d'armée parallèle formée pour envahir le Rwanda 132.Ils opèrent alors la "jonction" avec un certain nombre de cadres civils hutu passés à l'opposition au Rwanda ou d'hommes d'affaires tutsi: selon Prunier, trente-six petites cellules clandestines furent créées entre le début 1988 et l'attaque du 1er octobre 1990 133.
130. 131. 132. 133.
Idem) p. 127. Idem) p. 128. Idem, p. 126. Idem, p. 127.
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Mais, ces "exilés" et ces "combattants", dont la langue n'est plus le français et qui communiquent entre eux surtout en swahili, en kiganda et en anglais 134, la langue officielle de la NRA, connaissent mal leur ancienne patrie. "En parlant à l'époque avec les jeunes Rwandais en Ouganda. écrit Prunier, on avait souvent l'impression d'une grande ignorance de la réalité rwandaise et d'un décalque un peu mécanique sur celle-ci de leur longue expérience ougandaise avec Habyarimana=Obote et FPR=NRA. Quant aux buts de la guerre, ils semblaient souvent symboliques: "pouvoir rentrer chez soi (en ajoutant qu'on en repartirait aussitôt), "être reconnu", "avoir un pays", etc. Les problèmes socio-économiques (surpopulation, pauvreté de l'agriculture rwandaise, etc.) étaient superbement rejetés. Les problèmes d'établissement d'un régime démocratique à Kigali étaient simplifiés selon les lignes de la "no party democracy" qui avaient donné naissance au système des comités de résistance (en Ouganda). Le rôle des extrémistes tutsi, et notamment des partisans d'une restauration monarchique, était nié ou considéré comme marginal et anachronique" 135. Si beaucoup sont de jeunes Ougandais, un certain nombre sont venus du ZaJreou du Burundi "pour faire le coup de feu". Ils font partie de cette "diaspora" de marginaux péri-urbains ou semi-ruraux de la région qui n'a plus d'horizon devant elle et qui est disponible pour "la guerre". C'est celleci, et non pas tant l'idéologie politique ou l'appartenance ethnique, qui va d'ailleurs souder cette armée. En août 1992 à l'époque où il commence à être question de négocier avec le gouvernement rwandais, leur che£: Paul Kagame, se serait adressé à ses Inkotanyi en ces termes: "Le FPR n'a pas demandé un cessez-le feu. Quand la guerre a éclaté, le gouvernement rwandais croyait qu'il allait régler le problème par les armes. Maintenant il pense que nous pouvons négocier... Voussavez, les oreilles des Rwandais viennent d'être nettoyées par le fusil et maintenant, ils (les Rwandais) commencent à se rallier à notre cause; Comprenez-vous ce revirement, vous autres? Moi, je pense que ces oreilles deviennent plus attentives grâce à notre Kamarampaka 136 (...). Connaissez-vous notre Kan,arampaka ? Quand les hommes
134. Ce constat est effectué par la commission internationale d'enquête qui se rend dans la zone FPR en janvier 1993. Voir Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, "Rwanda. Violations massives et systématiques des droits de l'homme depuis le 1er octobre 1990", Paris, février 1993, p. 68. 135. Gérard Prunier, "L'Ouganda et le F. P. R., Dialogue, n° 163, février 1993, pp. 15-16. 136. Référendum en français. On dit que quelque chose est "kamarampaka" quand il sert à trancher un différend. L'usage de ce mot vient du référendum organisé en 1960 et qui résulta en l'abolition de la monarchie.
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de droit (...) ne sont plus capables de trancher un différend, notre Kamarampaka, c'est ça (il montre un fusil Kalachnikov)" 137.
Les reportages et les images sur leFPR ont bien mis en lumière la réalité d'une "armée de libération" étrangère en "son" pays: des soldats, dont on a souvent souligné le très jeune âge, ou des officiers qui s'expriment en anglais; des regards et des comportements évasifs et distants; des pratiques "stratégiques" visant à rassembler dans des cantps les populations que l'on ne connaît pas, cette prudence parfois excessive dans la progressionnrilitaire; cette langue de bois qui rappelle celle des guérilleros maoïstes des années 60 et 70 ; cette obsession aussi à surveiller, contrôler et détourner de certaines zones dites "d'insécurité" les journalistes étrangers. Au moment où cette année d'exilés pénètre sur le sol rwandais, elle est loin d'être sûre de savictoire~ Selon Prunier, l'offensive du 1er octobre 1990 est un pari lancé par une fraction seulement du FPR qui a risqué son va-tout en organisant au sein de la NRA des désertions de soldats et d'officiers de la NRA -- environ 2.500 -- en les c.onvainquant que le régime Habyarimana ne tenait plus qu'à un fil et qu'ils seraient accueillis en libérateurs. Le projet était d'autant plus risqué qu'il n'avait nullement la caution de Museveni. Si ce dernier était sans doute au courant des projets du FPR, il continuait à penser les court-circuiter en parvenant à une négociation diplomatique avec Kigali. Comme l'explique Prunier, les liens entre le régime Museveni et le FPR sont en effet ambigus et complexes: d'une part, il y a la solidarité bien réelle entre combattants unis par l'ancienne guérilla, de l'autre, il y a les impératifs de la real politik pour un régime qui est à la recherche d'un brevet de bonne conduite internationale; d'une part, il y a la menace de déstabilisation aux frontières que peut causer un FPR bien organisé -- il dispose de relais locaux à tous les niveaux dans la population civile de l' Ankole en Ouganda --; d'autre part, il y a l'impérieuse nécessité pour le FPR à disposer d'une base arrière pour pouvoir acheminer le matériel de guerre dont il a besoin 138. Quoi qu'il en soit, le pari du FPR est d'abord manqué: tout de suite l'attaque tourne mal. Le "commandant" Fred Rwigyema qui est à la tête d'une poignée de déserteurs -- Prunier parle d'une cinquantaine de "soldats" seulement -- est tué par un tireur isolé dès les premiers jours de l'offensive. Deuxièmement, la NRA a dressé dès le 2 octobre des barrages routiers pour empêcher d'autres "déserteurs" de se joindre à leurs camarades sur le front. 137. Traduction d'un discours de P. Kagame enregistré sur une cassette vidéo enregistrée par la FPR sous le titre Inkotanyi igice Cya Kabili (Inkotanyi, deuxième partie) 138. Idem, pp. 16 sv.
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Fin octobre, une contre-attaque réussie de l'armée rwandaise a pratiquement mis en déroute l'opération d'invasion initiale. Le successeur du "commandant Fred", Paul Kagame, fut contraint d'opérer un repli dans la zone de la Virunga, hautes terres montagneuses où l'armée ne pouvait les poursuivre. A cette occasion, le FPR organisa la déportation de certaines populations frontalières: cette pratique avait pour but de créer des zones dites de "tirs libres" mais elle servait aussi à la réquisition forcée de porteurs pour transporter les armes ou le butin des pillages 139. "Ce fut pour les combattants une période extrêmement difficile. Mal vêtus pour résister à des températures souvent proches de zéro, isolés, mal nourris, beaucoup moururent de faim et d'épuisement" 140.Il était visible que ceux qui, au sein du FPR avaient cru pouvoir cueillir un "fruit mûr" s'étaient lourdement trompés, même si, à moyen terme, les premiers déboires du FPR allaient en fin de compte aguerrir et discipliner une guérilla sans véritable projet politique.
La "répression"
Comme en 1963, l'échec de la première phase de l' "invasion" du FPR allait à nouveau déclencher un nouveau cycle de violences où les incitations aux meurtres de la part des autorités locales ont joué un rôle moteur. Les violences doivent d'abord être placées dans un contexte doe déstabilisation et de tensions politiques internes. A partir de 1990 en effet, le régime Habyarimana est fragilisé par le mouvement de libéralisation politique qui traverse toute l'Afrique. La "bonne gouvemance", l'impératif de démocratisation et de respect des droits de l'homme, la tenue de conférences nationales et d'élections "sous surveillance" internationale sont partout à l'ordre du jour et à l'agenda des institutions internationales de développement. De surcroît, l'ouverture pratiquée au Burundi voisin sous le régime Buyoya va constituer un défi majeur pour u.n Rwanda politique, habitué à un style de gouvernementalité autoritaire et qui pense être à l'abri des accusations de "dictature". Pour faire front à cette déstabilisation potentielle et rencontrer ces défis, la fixation autour d'une invasion par un "ennemi" extérieur va à 139. Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, "Rwanda. Violations massives et systématiques des droits de l'homme depuis le 1er octobre 1990", op.cil., p. 74. 140. Gérard Prnnier, "Eléments pour un histoire du Front patriotique rwandais", op.cil., pp.
134-135.
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nouveau servir de prétexte pour une Akazu échéances.
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sur la touche à retarder les
Dès les premiers jours de l'offensive, c'est l'union sacrée contre cet ennemi qui s'instaure. Dans la capitale, la répression -- plus de 7.000 arrestations arbitraires, y compris celles de non-Rwandais -- résulta d'une habile mise en scène. C'est en effet un simulacre d'attaque nocturne sur Kigali que l'on s'empressa d'attribuer aux "rebelles" du FPR qui fut le prétexte, comme en 1963, à un ratissage systématique de comnlerçants, fonctionnaires, enseignants tutsi (le plus souvent dénoncés par des voisins ), d'étrangers "en situation irrégulière", d'opposants (hutu comme tutsi), de notables avec lesquels on a des comptes à régler 141.Cette répression n'alla pas au-delà de certaines limites: en cette période où les "surveillances internationales" se démultipliaient au nom du principe du respect des droits de l'homme, il n'était pas dans l'intérêt des autorités nationales rwandaises de provoquer la "fureur populaire" contre les Tutsi. A l'intérieur, ce fut autre chose. Entre octobre 1990 et janvier 1993, on incendia, pilla et massacra -- comme en 1963 -- dans plusieurs régions du pays; en octobre 1990 dans le Mutara, en janvier-février 1991, dans le Bugogwe, au printemps 1992 dans le Bugesera et en janvier 1993 dans le nord-ouest du pays. La manière dont les pillages, les incendies et les assassinats se produisent est pratiquement toujours la même: partout, ils sont précédés d' "exhortations" par des autorités locales (bourgmestres, chefs de cellules du parti, moniteurs agricoles, enseignants, conseillers communaux...), ou des opérations-simulacres tendant à faire croire à la population q,u'elle est attaquée par les."bandits", c'est-à-dire les Inyenzi. Les "messages" à la population sont tragiquement simples et toujours explicites. Tout est bon pour repousser l' "envahisseur" et massacrer le "complice intérieur" : on réutilise les anciens symboles royaux (le tambour royal) comme ceux de la période post-coloniale (l'umuganda, les travaux de "débroussaillage", mots d'ordre qui sont retraduits par des appels au meurtre). En décembre 1990 paraît dans le journal Kangura, lancé en mai 1990 par un journaliste, arrêté en juillet pour incitation à la haine raciale mais relâché en octobre, un "appel à la conscience des Bahutu" qui rappelle les discours les plus incendiaires de 1959. Au nom de la "pure démocratie du peuple majoritaire", les Hutu sont invités à contrer le "plan diabolique" des 141. Filip Reyntjens, op.cit. pp. 95-97.
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Tutsi qui vise à attiser les haines entre les premiers en utilisant comme en 1962 deux annes efficaces: "l'argent et les femmes Batutsikazi". Plus de pitié donc pour les Tutsi, plus de mariages avec leurs filles et leurs femmes, plus d'alliance avec leurs commerçants, les Tutsi hors de l'armée et de l'administration civile 142.Le ton est donné: les pillages des connnerces et surtout les massacres des familles tutsi tout entières est déjà inscrit dans ce texte incendiaire. De la synthèse des exactions et massacres collectifs survenus entre octobre 1990 et janvier 1993 établie par la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, nous avons extrait les échantillons les plus représentatifs de violences orchestrées par des autorités locales et qui donnent lieu à des comportements de pillages et de meurtres chez les habitants. l~ Région de KibUira 143 "Les troubles ont commencé (dix jours après le commencement de la "guerre") avec une réunion à la sous-préfecture (...) à laquelle étaient convoqués les conseillers communaux.(...). Le préfet était présent à la réu.iuon, mais il n'a rien dit. Le souspréfet a montré deux cadavres disant que c'étaient des Hutu tués par les Tutsi 144 et a ordonné aux conseillers de rentrer chez eux pour sensibiliser la population en vue d' "assurer la sécurité". La réunion n'a duré que vingt minutes. Les conseillers sont rentrés et ont convoqué des gens de leurs secteurs à des réunions ce même aprèsmidi (...). (Dans 1Uldes secteurs de la commune), Madame Yozefina Mugeni, a fait battre le tambour pour faire accourir les gens. C'est alors qu'elle les a incités à s'en prendre aux Tutsi, disant qu'il fallait incendier les maisons des Inyenzi parce qu'ils voulaient exterminer les Hutu (...). (Dans 1Ulautre secteur, un conseiller) a suivi les attaquants sous prétexte d'assurer leur sécurité. D'après un témoin, (...) il aurait dit: "Vous êtes en train de brûler les maisons, mais cela ne vaut pas grand chose, Au lieu de me montrer les crânes, vous ne faîtes que manger des vaches" 145. (Les agresseurs) ont massacré de façon systématique. Un tueur a avoué qu'il a battu une victime et l'a ensuite jetée à la rivière Nyabarongo, croyant l'homme mort. Quand il a remarqué que la victime était encore en vie, il l'a retirée de l'eau, l'a encore battue et puis l'a rejetée dans la rivière, cette fois défmitivement.
142. Le texte complet de ces "10 commandements des Bahutu" a été publié dans Politique Africaine, n° 42, juin 1991. 143. TIs'agit d'une commune située à mi-chemin entre Kigali et Gisenyi. 144. n n'y a, rappelons-le, aucune intrusion de cette région par le FPR dont les combattants sont déjà repoussés au Nord. 145. En d'autres termes, il ne faut pas seulement piller mais tuer.
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(Deux autres attaques ont encore eu lieu dans la même région: au début de mars 1992 et en fm décembre). La dernière attaque à Kibilira différait des deux premières par un aspect très important: cette fois, les agresseurs ont attaqué aussi les Hutu qui avaient adhéré aux partis (de l'opposition) (...). L'accusation a été souvent proclamée mais jamais avec la force et la clarté d'un discours prononcé par (un certain) Léon Mugesera 146 à Kabaya, commune de Gaseke, près de Kibilira, le 22 novembre 1992. (Dans son discours), il a remarqué que "nous ne pouvons avoir la paix si nous ne déterrons pas la hache de guerre". Puis il a continué en ces tennes : "La loi est sans équivoque: "sera punie de la peine capitale, toute personne qui se rendra coupable d'actes visant à affaiblir le moral des forces années". Qu' attend-on pour l'exécuter? Vous savezpertinemm.entqu'il ya des complices dans ce pays. Ds envoient leurs enfants dans les rangs du FPR (...). Qu' attend-on pour décimer et ces familles et ces gens qui les recrutent. (...). L'erreur fatale que nous avons commise en 1959, c'est que nous les (les Tutsi) avons laissé sortir (quitter le pays). (Chez eux), c'était en Éthiopie, mais nous allons leur chercher un raccourci, à savoir la rivière Nyabarongo" 147,>
Région des Bagogwe 148. Commune de Mukingo Dès le premier jour de la guerre, les Bagogwe et Tutsi du Nord-Ouest ont connu des difficultés. Comme les Tutsi de l'intérieur, il étaient taxés de "complices" des Inkotanyi, mais dans cette région frontalière où les tensions montaient plus gravement à cause des risques d'attaques, ils étaient appelés aussi "lnyangarwanda", une vieille expression qui veut dire "ceux qui haïssent le Rwanda" (...). Dans la commune de Mukingo, le bourgmestre a ordonné un umuganda ou travail commun obligatoire le 12 octobre 1990. Mais au lieu de réparer la route ou construire une nouvelle école, les habitants sont allés tuer et manger le bétail des femmes (...). Cette idée des attaques comme '~vail" respectable a été reprise quelques jours plus tard par le bourgmestre de Kibilira (...).
(Le 25 janvier 1991, dans la même commune, suite à l'attaque du FPR sur Ruhengeri deux jours auparavant), le bourgmestre a envoyé des policiers communaux et des gardes forestiers avec la camionnette communale pour prendre des Bagogwe. Ces responsables, aidés par les enseignants, et le directeur du centre 146. D s'agit d'un ami intime du président de la République. 147.En 1963, cette rivière était déjà celle où l'on jetait les cadavres des Tutsi assassinés. 148. Les Bagogwe sont des populations d'origine tutsi qui se sont rendues indépendantes du pouvoir des Mwami. Elles vivaient traditionnellement d'activités pastorales et résidaient à l'écart, sur des pâturages de haute altitude. Plus récemment, du fait de la diminution des pâturages, elles ont adopté l'agriculture et les occupations salariées mais continuent à vivre en petits groupes et à l'écart des collines.
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scolaire, un conseiller communal et d'autres
citoyens ordinaires,
ont tué des
Bagogwe avec des pierres, des lances, des bâtons, et même des fusils (...). Commune Kinigi Selon les témoins, le 27 janvier vers 15 h., des conseillers de la commune de Kinigi, sous la direction du bourgmestre, ont amené des Bagogwe de la commune à un endroit qui s'appelle "rond point"(...). Les victimes ont été assassinées, dans un premier ternps, avec des machettes, des pierres et des lances sous fonne de bambou acéré. Par la suite, un militaire a tiré des balles sur chacune des victimes (...). Commune Gaseke et Giciye (H') Parce qu'il n'existait pas de camp militaire à proximité, les autorités locales et le peuple ordinaire ont dû exécuter les attaques eux-mêmes, sans l'appui des soldats (...). Ds ont reçu encourngmnents et direction de personnes importantes. Le ministre de l'Intérieur, le préfet de Ruhengeri et le directeur de la prison centrale de Ruhengeri sont venus apporter une directive sous fonne de tract qui disait: "Allez faire un umuganda spécial. Détruisez tous les buissons et tous les Inkotanyi qui s'y cachent. Et surtout n'oubliez pas que celui qui coupe une mauvaise herbe doit aussi détruire ses racines" (...). L'attaque s'est déroulée le 2 février 1991, tout de suite après un umuganda. Une grande foule est venue attaquer chez Karasanyi, accusé d'avoir mis des Inkotanyi à l'abri. Les agresseurs portaient des lances, machettes, houes, bambous pointus et grosses pierres (...). Les attaquants disaient qu'il s'agissait d'une directive de l'État de tuer tous les Tutsi. D'autres disaient que l'attaque était pour débroussailler les endroits où pouvaient se cacher les Inkotanyi (...). Autres communes de Gisenyi Les autres con1ffiunes de la préfecture de Gisenyi sont restées plus ou moins calmes (après l'attaque du FPR sur Ruhengeri en janvier 1991). C'était manifestement pour remédier à cette "lacune" que l'on a monté une mise en scène au camp militaire de Bigogwe. Pendant la nuit du 3 au 4 février, les militaires ont tiré pendant quelques heures répétant le simulacre joué à Kigali au mois d'octobre 1990. Le matin suivant, les militaires sont partis à la recherche des forces du FPR qu'on disait dans les environs ou, faute d'eux, des "complices" (...). Pendant les mois de novembre et décembre 1992, on a trouvé quatre cadavres dans la forêt de Gishwati. Les autorités ont indiqué que les morts avaient été victimes des "bandits" qui habitaient la forêt (c'est-à-dire des Inkotanyi NDA) et ont décidé d'entreprendre une opération de "débroussaillage". Depuis plus d'une année, la plupart des Rwandais refusaient de faire ['umuganda. Mais pour cette opération de débroui>~sainage, les autorités de la communeont fait appel à leurs populations pour
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participer à ce travail communautaire. La date du travail étaittixée au 28 décembre et "les travailleurs" ont dû se présenter avec machettes et gros bâtons (...). Le jour fixé, les Tutsi et Bagogwe (de la commWle)ne se sont pas présenté pour le travail (...). Les Hutu ont remarqué leur absence et les ont suspectés. Sans doute les Bagogwe et Tutsi, connaissant bien 1:tmstoire de l'umuganda de débroussaillage,
avaient trouvé prudent de rester chez eux
(00')'
Le jour de l'umuganda, des foules
années de machettes et de bâtons sont sorties de la forêt pour brûler les maisons des Bagogwe et Tutsi, pour tuer les vaches et pour piller. Région du Bugesera (Cette région, qui est pourtant éloignée des zones de guerre, mais qui abrite un camp militaire important -- le camp de Gako où sont entraînés tous les soldats rwandais, a été le théâtre de nombreuses tueries en mars 1992 (NDA). (...) Le 1er mars 1992,(un tract circule dans la commune de Kanzenze). TIconcluait en ces termes: 'lOlL
mars, c'est le contraire qui est arrivé. Les Hutu ont attaqué les Tutsi, en par les secteurs Maranyundo et Mayange. Les attaques se sont ensuite Myenzi, Kanazi et autres secteurs de Kanzenze, ensuite aux commlUles Ngenda et Gashora.
Un témoin a raconté: "C'était Wl vendredi quand le conflit a éclaté. Nous avons entendu beaucoup de bruit. C'était minuit, le 6 mars. Ds ont bIiHé notre maison et trois maisons des voisins. Dans l'Wle des maisons, ils ont d'abord tué Wl vieillard... L'attaque était organisée de telle façon qu'ils passaient de cellule en cellule en pillant les biens, en prenant ou en tuant le bétail et en brûlant les maisons. Nous ne pouvons pas dire le nombre des assaillants (...). Us disaient qu'ils devaient tuer les Tutsi". Un autre a déclaré: "L'attaque a commencé la nuit vers 20 heures 30". C'est à ce moment qu'on a commencé â piller nos biens et le lendemain ils ont commencé â tuer. Ds venaient en grand vacanne en criant comme des fous (u.). Ds sont venus avec des paniers pour prendre les grains de haricots et des récipients pour prendre la viande. Ds ont pris des haricots, tué chèvres et vaches (...). Après le pillage, ils sont partis manger leurs proies (...). Ds ont tué quatre de mes enfants et ma femme. Ma femme, on l'a jetée dans Wle latrine. C'est Wl homme du Nord qui était mon ami qui
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me l'a dit. TIétait panni les assaillants (...). TIsétaient très nombreux (...). Trois de mes enfants ont échappé. Je les ai confiés à 1.UlHutu à qui j'avais donné 1.Ulevache. TIsles a cachés dans sa maison. L'origine du conflit, c'est notre bourgmestre et notre conseiller (...). Auparavant, je n'avais de problèmes ni avec les voisins ni avec le conseiller. Le conseiller ne m'a pas attaqué lui-même. TIa attaqué dans une cellule autre que la sienne."
Les massacres systématiques de populations Tutsi et de ceux que l'on qualifie de "traîtres" et d'espions à leur solde ont débuté bien avant le "génocide" de 1994. Le schéma de l'élimination par la violence (d'abord les pillages, puis les incendies et enfin les meurtres collectifs) s'inscrit dans celui de 1994 qui en constitue la suite logique, comme ils s'inscrit d'ailleurs dans la suite des cycles de violence qui ont jalonné l'histoire politique du Rwanda. Même si l'armée nationale est impliquée, elle n'est pas, comme dans beaucoup d'autres situations africaines, l'acteur et l'auteu.rprincipal des massacres.
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C'est surtout une administration locale, proche de la population, qui joue un rôle essentiel dans rinitiative des massacres. "Dans un pays comme le Rwanda, écrivent avec raison les auteurs du rapport de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, les autorités locales jouent un rôle fondamental. Les populations des campagnes étant en grande partie illettrées, et les agents de l'administration territoriale étant en contact avec elle quotidiennement, c'est eux qui disposent du pouvoir réel. La société traditionnelle étant très structurée, le pouvoir s'exerce sans difficulté. Il se manifeste par des injonctions, de simples incitations, voire des suggestions. C'est sans doute ce qui rend ces agents irremplaçables. L'observation de l'échiquier politique rwandais permet d'ailleurs de vérifier que l'administration territoriale constitue pour tous les partis un enjeu fondamental" 149. Ceci dit, les massacres sont loin d'être de simples dérives "populaires". De la même manière qu'en 1963 et en 1973, il existait un entourage présidentiel composé de familiers -- souvent des anciens "héros de la révolution hutu" -qui tiennent un discours "ultra-nationaliste", un pouvoir parallèle à l'État organisé est l'initiateur et le commanditaire des violences qui se développent après le 1er octobre 1990 : celui que les Rwandais appellent l'Akazu et qui regroupe un entourage de familiers du président Rwandais dont les fonctions officielles ne sont pas toujours en rapport avec leur influence réelle. Même s'il provient d'un "repenti" dont les motivations sont sans doute ambiguës, le témoignage d'un journaliste qui a travaillé comme agent du Service central de renseignements jusqu'au début de la guerre est de ce point de vue significatif. 149. Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, op.cil., p. 79.
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"TIaffinne qu'il a assisté à des réWlions du groupe connu sous le nom diescadron de la mort 150. TIdit qu'il se souvient d'une réW1Ïonqui s'est tenue à 2 heures du matin en janvier 1991 avant la prise de la ville de Ruhengeri. Participaient à cette réwllon Joseph Nzirorera (alors ministre des Mines et de l'Artisanat), Charles Nzabagerageza (alors préfet de Ruhengeri), Côme Bizimungu (alors préfet de Gisenyi) et Casimir Bizimungu (alors ministre des Affaires étrangères). Après la libération de la ville, ils ont décidé de tuer les Bagogwe. Le colonel Sagatwa, Protais Zigiranyîrazo (beaufrère du Président), le député Rucagu et le préfet Nzabagerageza étaient tous d'accord sur ce point. Le préfet Nzabagerageza devait dire aux bourgmestres de chercher des gens dignes de confiance pour faire ce travail. (Le journaliste) affmne qu'il s'agissait d'mIe opération de grande envergure qui a coûté 15 millions de francs rwandais. Le rôle (du journaliste) était de vérifier les résultats de l'opération, pour s'assurer que ceux qui devaient mourir étaient réellement morts (...). La réunion qui a préparé les massacres des Bagogwe était présidée par Juvénal Flabyarimana luison épou:Jcétant aussi présente, ainsi que le colonel Sagatwa et son épouse et un sorcier amené par Sagatv/a. C'est le ministre Joseph Nzirorera qui était chargé d'apporter l'argent nécessaire au préfet Nzabagerageza. C'est le colonel Elie Sagatwa qui aurait proposé l'opération du massacre des Bagogwe et le Président Habyarinlana aurait acquiescé de la tête. Nzirorera, Nzabagerageza et Côme Bizîmungu devaient chercher les bourgmestres en qui ils avaient confiance. Une fois l'opération commencée, on devait s'assurer de la présence des gendannes pour que le travail se fasse "bien" 151.
Les populations sont donc conditionnées dès le début de l'offensive du FPR à la préparation d'une guerre contre un envahisseur étranger. C'est ce schéma-là quî va s'înscrire dans la manîère de penser un génocîde, y compris chez les intellectuels au lendemain de l'hécatombe. Il faut dire que la terreur qu'inspirent les Inkotanyi n'est pas un mot vide de sens., .Les motivations essentiellement guerrières des combattants du FPR~ les bombardements de zones civiles (camps de réfugiés), les "disparitions" et les ,meurtres individuels, mais aussi et surtout les déplacements de centaines de mî11îersde paysans fuyant les "envahîsseurs" 152ont convaîncu tout le monde, nonobstant les accords d'Arusha qui se négocient en dehors du "pays reel" de ce que le Rwanda était entré en état de gueue civîle et qu'à l'înstar de ce quî se produisait à chaque invasion de l'ancien royaume, celui des Hutu devait à tout prix -- mais à quel prix! -- être défendu.
150. TIs'agit en fait de ceux qui ont été appelés Interahamwe. 15I . Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, op. cil., p. 38. 152. Idem, pp. 64-74.
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Au terme de ce chapitre, on ne peut manquer de constater que la violence politique est bel et bien un mode de production du politique à certaines époques de l'histoire contemporaine du Rwanda: elle intervient aux moments où la couche dirigeante sent sa cohésion menacée soit par une intrusion extérieure -- c'est alors que les violences prennent des fonnes génocidaires --, soit par ses propres conflits internes. Les violences nvandaises ne doivent toutefois pas être réduites à la pré... existence d'une "culture" qui privilégierait une aggressivité comportementale de type cyclique. Elles ne qualifient pas non plus un type de régime qui serait fondamentalement "dictatorial". Ces violences renvoient à un question précise: celle d'une identité ethnique existentielle. Y a-t-ilvéritablement des affrontements "ethniques" entre deux communautés clairement identifiées? On s'est efforcé de montrer ici que le moteur central de la dynamique politiqu{~ rwandaise a été surtout propulsé par la continuité d'un système autoritaire, quadrillant toutes les communes et essentiellement préoccupé par la pérennisation du pouvoir d'une faction politique, qu'elle soit l'Akazu ou les "vétérans" de la "révolution hutu". Le présidentialisn1e rwandais n'a été somme toute que la continuation de l'ancien "Mwamiship" réinterprété dans un cadre ethno-populiste et reposant sur le mythe d'une révolution majoritaire. Dans ce contexte, il n'y a pas eu réellement d'affrontements etlmiques entre deux groupes clairement identifiables au niveau de leur leadership respectif. Le "Tutsi" a été en fait le bouc émissaire et non un véritable acteur politique, un bouc émissaire sur lequel ont pu se décharger des peurs, des fantasmes, des stéréotypes simples. En 1959, comme le rappelle la vieille Nyirabwandagara, les "rebelles" de l'APROSOMA ne s'en prennent pas aux Tutsi en tant que tels mais sont montés surtout contre le despotisme et l'insupportable arrogance de certains chefs 133.Mais la polarisation ethnique à consonance raciale a déjà reçu sa consécration avec le revirement du milieu missionnaire. La future classe dirigeante va saisir l'opportunité de ce type de discours pour asseoir son hégémonie. En 1963, en 1973, en 1990 ce sont ses manipulations ethnicistes qui mettent le feu aux poudres: les Tutsi "qui 153. Claudine Vidal, Sociologie des passions, op.cit., p. 81.
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savent comme les Blancs supporter et attendre le bon moment" lS4 reviennent se venger, dit-on et laisse-t-ondire sur les collines! A chaque reprise, les incitations au "passage à l'acte" proviennent de l'Autorité (le plus souvent au niveau communal) et les gens obéissent parce que, comme le déclarait récemment un théologien protestant rwandais lors d'un reportage télévisé sur les massacres, "on a toujours obéi au Chef dans ce pays". Mais la responsabilité des "chefs" n'est pas uniquement celle des "hauteurs de l'État" et il faut éviter, comme le fait valoir A. Guichaoua, tout "angélisme populaire" facile. Il n'y a pas eu une propagande de type totalitaire par le "haut" qui aurait modelé des masses "comme une cire molle". "Les propagandes politico-ethniques furent aussi élaborées par des milliers d'hommes et de femmes qui tout en disant vouloir la paix (...) ont fini par accepter l'idée de la fatalité de la guerre (...). Les paysans hutu rwandais n'auraient pu été entraînés aussi massivement dans les affrontements d'avriljuin 1994, s'ils n'avaient pas, pour une certaine partie d'entre eux au moins, accepté la logique de la guerre, s'ils n'y avaient pas adhéré, s'ils n'avaient pas voulu la gagner, et très concrètement en récolter (...) les dividendes" 155.
154. Idem, p. 80 . 155 . André G UlC ", . " haoua, Un 1our d passe... , op.CIt., p. 38. .
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4. REGIME
DEMOGRAPHIQUE ET VIOLENCES
"Le préservatif ou la machette", telle est l'équation non-dite,crnelle et simple à laquelle il serait tentant de réduire la situation rwandaise. Le Rwanda est le pays où les densités de population sont parmi les plus élevées au monde.n détient aussi le record mondial de la natalité avec un taux moyen de 5,2% l'an. Comparaison n'est certes pas raison. On rappellera tout de même qu'au moment où se produit la première révolution agraire dans l'Occident médiéval (invention des outils en fer et des premières charrues, c'est-à-dire des types d'instruments aratoires toujours d'usage courant au Rwanda), les taux de 60 à 80 habitants au km2 pouvaient être considérés comme un maximum dans ce que Pierre Chaunu appelle le "monde plein" des XIIème et XIIIème siècles 1. Au Rwanda, l' "entassement" humain -- on atteint des indices de 500 ou 600 habitants au km2 en certains endroits -- serait-il ainsi producteur d'un habitus de violence, seul règlement possible d'une croissance démographique impossible à juguler? On se gardera ici de tout déterminisme facile. Il n'empêche que le facteur démographique, sans en être la cause, doit être placé à l'arrière plan des violences rwandaises 2.
1. PieITe ChaWlu, Le temps des réformes. 1. La crise de la Chrétienté:
1250-1550, Paris,
Editions Complexe, 1984, pp. 48 sv. 2. Sur la polémique relative au rapport entre surpopulation et génocide au Rwanda, voir H. L. Vis, P. Goyens, D. Brasseur, "Rwanda: A Case for Research in Déveloping COWltries", Lancet, n° 344, 1994 ; L. Bonneux, "Rwanda: A Case of Demographîc Entrapment", idem, pp. 1689-90 ; Robert E. Ford, "The Population-Environment.Nexus and Vulnerability Assessment in Africa", Geojournal, Vol. 35, n° 2, February 1995, pp. 207-217 ; Jennifer Olson, "Behind the Recent Tragedy in Rwanda", op. cit., pp. 217-223.
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La phase de dépression
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RW ANDAISR
démographique
Pourtant la démographie rwandaise n'a pas toujours eu l'aspect dramatique qu'on lui connaît aujourd'hui. Autant une certaine densification a pu se produire, on l'a vu, pendant une partie du XIXème siècle, autant la période 1880-1900 marque le début d'une césure démographique qui a duré jusqu'à la :findes années 1940 et qui n'a pas touché que les seuls territoires du Ruanda-Urundi. Le tournant du siècle et la première partie duXXème siècle marquent en effet une période de désenclavement et de mise en dépendance dont on connaît encore mal l'ampleur. Selon C. Thibon, "l'histoire du Burundi et du Rwanda se raccroche alors, avec un certain décalage, à 1'histoire démographique de la région des Grands et de l'Afrique orientale et centrale. Les recherches menées à ce jour ont confirmé pour le tournant du siècle l'hypothèse d'une '~crise démographique" qui a considérablement modifié la distribution géographique et l'importance des peuplements dans l'ensemble de la région des Grands Lacs" 3. Pratiquement toutes les régions sont touchées: au Nord, le Busoga, au Sud et au Sud-Est, le Bukerebe et le Buha, à l'Ouest, le Buganda, tandis qu'un repliement se dessine à l'est et à l'ouest du lac Tanganyika. Selon J.-P. Chrétien, l'Afrique des Grands Lacs connaît successivement une grande peste bovine venue de la Corne de l'Afrique et qui ravage la région en 189192, une grave épidémie de variole en 1892, la diffusion d'un parasite d'origine américaine, les chiques, causant une multiplication d'infirmités et de décès, des vagues de criquets pèlerins entre 1893 et 1895, des disettes durant toute les années 1890 4. A ceci, il faut encore ajouter des hécatombes importantes dues à des déplacements de population liées aux méfaits usuels du commerce d'esclaves qui en est cependant à ses débuts au Rwanda 5, aux guerres internes ou aux calamités d'origine climatique (sécheresses, excès de précipitations, chutes de grêle). L'ouverture relative du Rwanda (et des autres royaumes) sur l'extérieur a soudainement fragilisé toute la région et ce furent 3. Christian Thibon~ op. cit., p. 217. 4. Jean-PieITe Chrétien, "La crise écologique de l'Afrique de l'Est au début du XIXème siècle", dans Questions sur la paysannerie au BU11lndi~ Bujwnbura, Université de Bujwnbura, 1985, p. 61. 5. Selon B. Lugan et les diaires des premiers Pères blancs établis au Rwanda, le Rwanda a commencé à exporter des esclaves en assez grand nombre vers la fm du règne du mwanlÎ Rwabugiri. Voir B. Lugan~ "L'économie d'échange au Rwanda de 1850 à 1914",Aix-enProvence, tl1èse de doctorat, pp. 301-302 et L. de Lacger, Le Rwanda ancien et moderne, op.cit., p. 10.
REGTh..1E DEMOGRAPHIQUE
ET VIOLENCES
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tout naturellement les territoires situés de part et d'autre des routes caravanières, vecteurs de maladies et lieux d'affrontements brutaux, qui furent principalement touchés, c'est-à-dire la voie Bunyoro-Buzinza via le Buganda, le triangle Ujiji-Tabora-,Bukoba, les rives des lacs Tanganyika et 'Kivu, l'Imbo au Burundi et le Kinyaga au Rwanda. Certes il Y a, au début du siècle, des zones de densité élevée (principalement sur les terres hautes et bien entendu dans les lieux proches des centres du pouvoir), un peuplement concentrique et dégressif au furet à mesure que l'on s'éloigne vers les marges, mais rien de comparable avec la saturation démographique qui débute à la fin de la période coloniale. Même s'il ne faut pas amplifier la portée des calamités anciennes, souvent exagérées tant par l'isolement et le dénuement des premiers témoins européens que par une rhétorique moralisante destinée à justifier les interventions "pacificatrices" des mInées 1890 6, toutdolme à penser que la démographie dans ces régions se présente sous la forme d'un "encéphalogramme plat" lequel est encore aggravé par le fait que de la fin du XIXème siècle à 1930 les données climatiques indiquent une phase d'assèchement général. La période qui s'ouvre avec la conquête coloniale et s'achève au lendemaÏtl de la seconde guerre mondiale ne va guère apporter de modifications substantielles au régime démographique du Rwanda. Trois facteurs interdépendants vont contribuer au maintien du "déficit" démographique: une succession de famines et d'une manière générale de disettes larvées, une situation sanitaire toujours fragile, les ponctions migratoires tat1tÔtspontanées tantôt causées par les opérations de recrutement de main-d'oeuvre en faveur des grosses entreprises congolaises. Tous ces facteurs sont bien entendu conditionnés par une politique de double coercition coloniale, celle d'une administration européenne qui hésite entre deux styles (directe et indirecte), et celle, beaucoup plus brutale et prédatrice, des intermédiaires africains. Plus que le Burundi voisin, le Rwanda a été souvent sujet à des famines à répétition. Elles sont plus fréquentes avant la pénétration belge: pluies excessives, sécheresse, invasion de criquets ou de chenilles marquent la période qui va de 1897 à 1916. Elles restent récurrentes après cette date. Sous l'occupation belge, on en dénombre au moins trois. La première, baptisée Rumanura par les autochtones, survient à la fin de 1915, c'est -à-dire à l'époque de l'arrivée des premières troupes belges venues au Rwan.da pour déloger les Allemands. La situation de guerre qui prévaut à ce moment est 6. Jean-PieITe Chrétien, "La crise écologique...", op.cit., p. 59.
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étroitement liée à cette famine; elle s'accompagne d'un cortège de calamités dans les régions du nord-ouest (Mulera, Bushiru et Kanage) et du centre du pays (Nduga) : recrutement de nombreux porteurs et ratissage des rugo qui entraînent des désertions de villageois et des récoltes perdues, brigandage, rançonnements et spoliations qui répandent une insécurité généralisée, déplacement de populations (par les Allemands) dans des régions frontalières (au Bugoyi, par exemple), retour à la jachère de nombreux champs abandonnés lors des durs combats de juin 1915 à mai 1916. Selo11 le supérieur de la mission de Nyundo, 20 à 25.000 personnes auraient péri dans son diocèse sur une population d'environ 100.000 habitants 7, sans compter les 20.000 soldats rwandais (et burundais) recrutés par les Belges dont les deux tiers mourront de malaria, de maladies intestinales et puImonaires8. La seconde, appelée Rwakayihura, survient dans la période 1926-1929. Elle est cette fois plus directement liée à un phénomène naturel: l' itTégularité du régime de pluie selon les régions, mais le phénomène est aggravé par les carences de l'administration belge (voir infra). Ses effets paraissent cependant avoir été grossis dans le but non seulement de frapper (déjà) l'opinion publique, mais aussi pour embarrasser son chef hiérarchique qui serait accusé d'imprévoyance. Selon les correspondances du Résident, Pierre Ryckmans qui se rend sur les lieux en 1926, "on a compté en de nombreux endroits à la fois les morts locaux et ceux venant d'ailleurs et enfin le nombre de décès sans rapport avec la famine ou survenus avant celle-ci" 9. Il est aussi probable que des populations ont quitté provisoirement ou définitivement la région pour échapper aux directives de certains administrateurs locaux; au cours de sa tournée dans la région comprise entre Kanyinya et la frontière de l'Urundi, Ryckmans constatera de visu l'incompétence et l'arbitraire du responsable belge local qui punit sévèrement les chefs chez lesquels la famine est réelle et épargne ceux qui lui apparaissaient comme les moins prévoyants 10. Quoi qu'il en soit, même si la famine n'est pas réellement attestée, la mécanique de fuite des populations est enclenchée et ne cessera de prendre de l'ampleur. Lorsque la famine reprend de plus belle en 1928 et 1929 -- les Belges tentent toujours de la minimiser car cela fait mauvais effet auprès de la Commission des mandats des Nations-Unies -- , les départs continuent 7. Cité par Jean Rumiya, Le Rwanda sous le régime du mandat belge (1916-1931), Paris, L'f[annatlan, 1992,p. 72. 8. Voir Jacques Vanderlinden, Pierre Ryckmans. 1891~1959. Coloniser dans l'honneur, Bruxelles, Édition De Boeck Université, 1994, p, 64. 9, Idem, p. 134. 10, Idem, p. 133.
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d'augmenter (45.000 en 1927 et 1928). D'après D. Newbury, ceux-ci sont plus à mettre au compte de la dureté d'un régime colonial sans beaucoup d'imagination. A partir de cette période, le schéma mental qui s'installe chez les fonctionnaires coloniaux est le suivant: "la famine étant le résultat de la paresse des Noirs, ceux-ci doivent cultiver d.avantage ; la famine étant le résultat d'un manque d'accès à la culture des marais, les paysans doivent les irriguer et y planter; la mortalité résultant en partie des difficultés à transporter les aides alimentaires d'urgence, les paysans doivent être mobilisés pour construire des routes; la famine résultant de la sécheresse, de nouvelles cultures résistant à la sécheresse doivent être introduites et ces cultures doivent être entreprises par les paysans dans le cadre d'obligation vis-à-vis de l'État et ses autorités" Il. Ainsi, le combat contre la famine est conçu comme une justification majeure pour l'intensification de directives provenant d'en haut. La dernière grande famine qu'a connue le Rwanda, la famine dite "Ruzagayura", est celle de 1943-44. Coïncidant avec une vague de sécheresse exceptionnelle et un retour des épidémies (typhus et variole), elle fait quelque 300.000 victimes et, selon P. Gourou, provoque une nouvelle vague d'émigration de l'ordre de 150.000 personnes entre 1943 et 1945 12. Ici encore, la surcharge des travaux et corvées imposés "pour le bien des populations" -- tous les paysans se voient contraints de cultiver 60 ares de cultures saisonnières au lieu des traditionnels 10 ares qui sont requis depuis 1926 13 -- accroît la situation déjà précaire et vulnérable de la paysannerie rwandaise. Les grandes famines au Rwanda ne sont cependant pas que des "accidents
de parcours" spectaculaires. Elles s'inscrivent en effet dans une longue période de disettes endémiques qui s'étale de 1920 à 1944 et qui n'atteint pas un seuil de mortalité spectaculaire. "La chronologie (de celles-ci) échappe à toute règle interne: on ne repère aucune périodicité, aucun cycle, mais, à l'image d'un feu de forêt, une succession désordonnée .avec des reprises et peu
Il. David Newbury, "The "Rwakayihura" famine of 1928-1929. A nexus of colonial rule in Rwanda", Histoire sociale de l'Afrique de l'Est..., op. cit., p. 285. 12. Ian et Jane Linden, Church and Revolution in Rwanda, Manchester,
Manchester
University Press, 1977, p. 207. Pierre Gourou, La densité des populations du RuandaUrundi. Esquisse d'un étude géographique, Bruxelles, IRCB, 1953. 13. Bonaventure Habimana et Jean-Paul Harroy, "Instauration et abrogation des cultures vivrières obligatoires au Rwanda", Civilisations, Vol. 30, n° 3-4, 1980, pp. 179-180.
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de temps de répit; entre 1880 et 1945, les périodes calmes de dépassent jamais les cinq ans" 14. Autre manifestation de la complexité démographique f\vandaise : les famines au Rwanda ne sont pas liées aux densités de peuplement. Plusieurs auteurs ont noté qu'elles frappent le plus souvent des régions peu peuplées et où la taille de l'exploitation est plus petite. Par contre les territoires plus denses résistent beaucoup mieux, preuve s'il en est d'un relatif isolement de terroirs qui communiquent mal entre eux 15. Famines et précarité alimentaire seront pratiquement toujours précédées, accompagnées ou suivies de maladies et/ou d'épidémies quî rongent sournoisement les conditions de reproduction physiologique. "Ainsi, constate Thibon, les récits familiaux rappellent l'étendue des cas de stérilité, la multiplication des couches et d'accouchements prématurés, la fréquence des aménorrhées de famine; les généalogies familiales dévoilent des conjonctures de raréfaction des naissances, d'augmentation des avortements, enfin le gel pour un temps de la nuptialité. Les premiers rapports démographiques et médicaux ont observé ces déséquilibres; ils s'étonnèrent, sans pour autant s'inquiéter, de la présence de classes creuses, de l'absence des enfants en bas âge dans certall1s territoires. (...). Les famines et les épidémies, qui se répétèrent et s' entrecroisèrent, ne purent que perturber la fécondité, qu'entretenir l'irrégularité de la fécondation, la multiplication des aménorrhées de famine mais aussi la progression de la stérilité" 16.Le faible suivi de la situation sanitaire par une administration dépourvue de moyens et qui ne cherche guère à en avoir ne va évidemment pas améliorer les choses. En 1925-26, le jeune Ryckmans va se trouver confronté à cette "paresse" des cadres médicaux européens qui torpille la politique de médecine mobile conseillée par la Commission des mandats des Nations-Unies, estimant néfastes les déplacements continuels du corps médical et inutile la formation d'assistants médicaux indigènes 17. Enfin, le dernier trait spécifique du déficit démographique nvandais durant la période d'occupation européenne réside dans les flux migratoires spontanés ou administrativement dirigés. Dans le premier cas, il s'agit le plus souvent de 14. Christian Thibon, op.cil., p. 210. 15. René Bourgeois, Banyarwanda et Barondi. Tome 1 : La coutume, Bruxelles, I. R. C. B., n035, 1954 et Pierre Leurquin, Le niveau de vie des populations rorales du RuandaUrundi, Paris, 1960. 16. Idem, pp. 210~21 L 17. Jacques Vanderlinden, op.cil., p. 135 sv.
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populations frontalières qui émigrent temporairement ou définitivement dans les colonies voisines (surtout l'Ouganda dans le cas du Rwanda). Ainsi, en 1927-28, les données de l'administration britannique en Ouganda font état d'une immigration annuelle de J'ordre de 46.000 unités en provenance des territoires du Ruanda-Urundi (ce sont en majorité des Rwandais) ; ce chiffre passe à 100.000 en 1936-38. Les statistiques de Rwandais qui s'établissent définitivement en Ouganda indiquent un accroissement encore plus spectaculaire: ils sont en effet 30.000 en 1931 et 200.000 en 1948, soit près de 20% de la population totale du Buganda, tandis que, fait encore plus significatif le nombre de femmes quittant le Rwanda paraît avoir augmenté six fois entre 1931 et 1948 18. Par ailleurs, le Rwanda sera aussi considéré comme un réservoir de maind'oeuvre pour une industrie et un colanat congolais plus "n1angeur" d'hommes adultes valîdes que de capitaux. Les ponctions opérées en faveur de l'U. M. H. K. débutent dans les années 1925-26 et se poursuivent jusqu'en 1929 ; elles reprennent ensuite pour une dizaine d'années à partir de 1949. Durant la première période, on dénombre plus de 7.000 ressortissants du Ruanda-Urundi dans les mines du Katanga 19.N'étaient les taux de mortalité des recrutés durant les premiers années -- "désastreux" en 1925-26 (810/00) puis jugés "acceptables" par la suite (de 20 à 50 pour mille) -- , les ponctions brutes ont dû être importantes, les demandes de l'UMHK se situant aux alentours de 250 HAV par mois. Au Kivu, où le colonat belge est plus développé, les recrutements se comptent aussi en milliers d'hommes, surtout au lendemain de la seconde guerre mondiale 20. D'abord stimulée par la contrainte pendant les années 1920, par la suite encouragée -- et aussi mieux contrôlée par l'administration territoriale du fait des nombreux abus commis par les chefs locaux (rétention des salaires des "engagés") --, la politique de migration était parfaitement en harmonie avec le maintien des ponctions dites "traditionnelles" sur le milieu paysan, ponctions qui induiront un comportement de désertion dans ce même milieu. En 1920 déjà, une telle politique était mise en évidence dans les documents officiels belges. : "chez une population aussi nombreuse que dans le Ruanda-Urundi, il y a un nombre suffisant d'individus audacieux qui manifestent leur impatience vis-à-vis de l'autorité des chefs et qui ne sont pas 18. Davis Newbury, op.cit., pp. 280-281. 19. Bruce Fetter, "L'Union Minière du Haut Katanga, 1920-1940. La naissance d'une sousculture totalitaire, Les Cahiers du CEDAF, n° 6, 1973, pp. 12-20 ~Jacques Vanderlinden, op. cil., p. 143. 20. Catharine Newbury, The Cohesion of Oppression, op.cil., pp. 161-171.
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satisfaits de I'horizon limité de la vie villageoise: un engagement à long tenne dans une entreprise ou un poste gouvernemental européen les libère de leurs obligations coutumières" 21. Famine, disette larvée, manque de maîtrise sur les épidémies et les maladies, émigration dirigée ou spontanée, tous ces facteurs qui empêchent une reprise de la croissance démographique doivent être appré.hendés dans le contexte d'un système de double colonisation qui est caractéristique du Ruanda-Urundi. Contrairement au discours officiel, il n'y eut en fait jamais de système d'administration véritablement indirecte au Rwanda. Si celle-ci est à la rigueur de mise jusqu'au milieu des années 1920, ceci est dû tout simplement à l'insuffisance numérique de fonctionnaires coloniaux. Mais, à partir des réfonnes administratives de 1929, le mode degouvemement révèle son vrai visage~ D'une part, la "territoriale", comme on l'appelle au Congo, détermine autoritairement et supervise jusque dans les moindres détails les travaux et cultures imposées: comme l'écrit candidement l'administrateur de Nyanza dans son rapport annuel de 1930, "c'est de la politique directe, la plus "directe" qu'il soit possible d'imaginer" 22. D'autre part, le centre de gravité du système autoritaire, standardisé ethniquement et administrativement à partir de 1929 --les chefs hutu disparaissent du paysage administratif -- , repose sur les sous-chefs tutsi. Ces derniers sont à la fois patrons de clientèles "traditionnelles", percepteurs, distributeurs de terre, juges, contremaîtres, recruteurs... ; plus que de simples intennédiaires entre le Blanc et la paysannerie, ils sont les privilégiés d'un régime colonial qui a le plus souvent cru que leur "race", "débarrassée de sa cruauté ancestrale", les destinait à être des chefs légitimes 23. Cette "cohésion de l'oppression", pour reprendre l'heureuse expression de C. Newbury, est ainsi à la racine même de la grande fragilité d'une société rurale dont l'environnement global n'est en aucune façon propice à une croissance ou à une reprise du régime démographique.
L'explosion
du régime démographique
Pourtant, c'est durant la phase terminale de cette "cohésion de l'oppression" que se produit une reprise démographique qui, à partir de 1950, 21. Rapport sur l'administration du Ruanda-Urundi, 1921, p. 87 22. Rapport annuel 1930, tenitoire de Nyanza, RIR. U., n° 7 (89). èité par Jean Rumiya, Le Rwanda sous le régime du mandat belge (1916-1931), Paris, L'Hannatlan, 1992, p. 228. 23. Catharine Newbury, op.cit. et Jean Rwniya, op.cft., pp. 222-226.
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prend un essor .que rien ne viendra tempérer. Le grappique de ce qui devient un véritable boom démographique est particulièrement saisissant. Alors que la croissance annuelle plafonne à une moyenne de 1,6% de 1900 à 1940, l'expansion grimpe à 3,5% par la suite. Paradoxalement, l'administration directe commence à avoir des effets positifs. L'occupation administrative est en effet plus dense, ce qui signifie de meilleurs soins, l'éradication des épidémies, une densification du réseau routier qui permet un meilleur approvisionnement alimentaire, la diffusion de plantes qui permettent de pallier les problèmes de soudure... Graphique 1 : Croissance de la population rwandaise 1913-2000 (en '000 hab.) 20000 15000
o Fourchette haute
10000 .Fourchette
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5000 0 ('f"') 1"""'1 0\
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Source: Calculs établis à partir de diverses sources par André Guichaoua, Destins paysans et politiques agraires en Afrique centrale, Tome 1.L 'ordre paysan del, hautes terres centrales du Burondi et du Rwanda, Paris, L'Hannattan, 1989, p. 38.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Belgique se doit de démontrer à la Commission des territoires sous tutelle des Nations~Unies qu'elle administre le Rwanda correctement et pour le bénéfice des populations qui sont appelées à "s'émanciper" progressivement et à jouir de la pleine autonomie dans un délai rapproché. En 1948, la Belgique est durement interpellée par les représentants de certains pays du bloc de l'Est qui lui reprochent de n'avoir rien entrepris dans leurs territoires du Ruanda-Urundi depuis 32 ans. Ce à quoi P. Ryckmans, devenu représentant de la Belgique aux Nations-Unies, répond par des chiffres et des réalisations dont ne peuvent pas toujours se prévaloir d'autres puissances administrantes : création de 21 hôpitaux et 47 dispensaires qui ont donné en un an plus de 6 millions de
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consultations (contre 247.000 en 1923), scolarisation de la moitié des enfants en âge scolaire, mise en valeur du pays dont les activités commerciales sont passées de 4 à 1.300 millions de FB...24.
Le mieux-être est effectivement réel au Rwanda, grâce en partie à la croissance des investissements réalisés dans le cadre d'un plan décennal mis en oeuvre en 1952 25. C'est durant les années 50 que sont lancés ou renforcés de grands "programmes d'économie rurale" : luttes anti-érosives, diffusion de semences sélectionnées, mise en route d'un plan d'émigration de 25.000 familles au Kivu, instauration de paysannats,vastes programmes de drainage des marais, etc. A la fin des années 50, les disettes ont quasiment disparu. Mais la situation médicale et surtout la pauvreté en milieu rural ne sont pas encore maîtrisés. Il y a encore plus de quarante mille tuberculeux (pour un seul sanatorium de 300 lits) tandis que le pian et la malaria continuent à faire des ravages. "Qui sait, en Belgique, rapporte un télnoin séjournant à l'époque dans la région des Grands Lacs, qu'au Ruanda-Urundi, la grosse majorité des gens ne mangent qu'une fois par jour? Que le revenu moyen d'une famille de cinq enfants est de 1500 francs par an ? Qui sait qu'au Rwanda, (...) les médicaments sont quasi-inexistants et que l'on calme les files de malades en leur faisant de fausses piqûres ?" 26. Sur le plan de l'enseignement, les résultats restent aussi décevants, voire très médiocres. Certes, les effectifs scolaires ont plus que doublé entre 1950 et 1959 : 110.000 élèves dans l'enseignement primaire en 1950, 273.000 en 1959. Mais la rattrapage est loin d'être réalisé puisque la populatioll d'âge scolarisable est de l'ordre de l,là 1,25 millions. Il n'empêche que les chiffres sont là et ils indiquent surtout une reprise structurelle du peuplement. Il y a, comme le démontre C. Thibon, une recomposition très nette des classes d'âge creuses, c'est-à-dire celles qui sont nées juste avant les famines de 1924-29 et 1943-1944 : la proportion des enfants de moins de 16 ans est de plus de 40% pour la période 1955-57 (alors
24. Cité par Jacques Vanderlinden, op.cit., p. 660. 25. Les subventions (non remboursables) versées au titre de ce plan décennal millions F. B./an en 1950-51, à 400 entre 1952 à 1957, 600 en 1958-50 en 1960. 26. Cité par Lucîe Bragard dans "Vers l'indépendance du Ruanda-Urundi. essentiels", Dossiers de l'Action sociale catholique, nQ 8, octobre 1959, p.
passent de 150 et 750 millions Les problèmes 8.
ET VIOLENCES
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qu'elle est inférieure de 4 à 5 points dans les régions VOlsmes de l'EstTanganyika) 27. Un autre facteur va contribuer à la reprise démographique interne: la fin des migrations internationales dont on a vu l'importance durant la phase dépressionnaire. Devenus indépendants, les pays voisins du Rwanda, mên1e s'ils ne peuvent pas toujours contrôler les flux depopulation aux frontières, ne vont plus accepter les pratiques coloniales d'importation demain-d'oeuvre. Au Zaïre, les "Banyarwandais", dont la majorité sont des Hutu qui ont immigré datlS les années 20, sont d'ailleurs, on l'a vu au chapitre précédent, le sujet d'un ostracisme politique en 1962-63. En Ouganda, où ils sont estimés à plus de 250.000 en 1959, les Rwandais, en majorité employés comme main d'oeuvre agricole chez les paysans baganda et cherchant à s'intégrer dans le pays, sont déjà "une source potentielle de friction politiq'ue" en 1961 signale D. Apter 28. La voie est donc politiquement coupée à une des solutions possibles à l'allégement de l'explosion de population. Seules les migrations internes pourront, on le verra dans le paragraphe suivant, modérer pour un temps la pression démographique.
L'accroissement
des densités et les violences
Dès avant l'indépendance du pays, on n'a cessé de tirer le signal d'alarme à propos d'une "catastrophe démographique" annoncée. En 1944 déjà, le futur gouverneur Jean-Paul Harroy s'inquiétait de la saturation prochaine des superficies cultivables au Rwanda 29. Quatre années plus tard, le géographe P. Gourou calculait qu'il faudrait, d'ici 1959, transplanter hors du RuandaUrundi près d'I.500.000 personnes pour maintenir les densités agricoles à la limite de la couverture des besoins (3,5ha par famille) 30~ En 1959, l'échéance est repoussée à 1968 : à cette date, la saturation devrait être 27.Christian Thibon, op. cU., p. 215. 28, David E. Apter, The Political Kingdom in Ouganda. A Study in Bureaucratic Nationalism, Princeton, Princeton University Press, 1961, pp. 32, 182. 29. Jean-Paul Harroy, "L'Afrique, terre qui meurt: la dégradation des sols africains sous l'influence de la colonisation", Bruxelles, Université Libre de Bruxelles, thèse de doctorat, 1944. 30. Piene Gourou, La dellsité de la population .au Ruanda-Urondi~ Esquisse d'une étude démographique, Bruxelles, I. R. C. B., 1953.
120
L'HECATO:MBE
RWANDAISE
complète, la moyenne de la terre cultivable par famille étant abaissée à 2,5 ha considéré comme un minimurnvital 31. Par la suite (1972-75), le seuil de survie descend sous la barre des 2 ha (1,7) tandis qu'en 1981, le seuil autorisant un revenu monétaire "qui permet de créer un marché vivifiant dans l'économie nationale" et qui assure "le décollage économique" est fixé à 1,8 ha.32. En 1984, l'Enquête nationale agricole donne une fourchette s'établissant entre 0,8 ha par exploitation dans les préfectures densément peuplées et 1,6 dans les zones de faible peuplement 33. Comme le fait remarquer A. Guichaoua, "la notion de superficie cultivable (et de seuil de survie NDA) semble relativement extensible, les classifications et arpentages sur le terrain bien aléatoires!" 34. Ceci dit, les contraintes sont bien réelles. La densification du pays a pris depuis quelques années des proportions tout à fait inquiétantes: les densités passent de 74 habitants/km2 en 1950 à 250 en 1987. Les autorités rwandaises et, avant elles, le pouvoir tutélaire se sont certes efforcés de désengorger les hautes terres à forte densité (Ruhengeri, Gisenyi, Butare, Kibuye) en recourant à des remembrements de terres (à Shyogwe, en préfecture de Gitarama), puis, d'une manière plus systématique, en développant le système des paysannats et/ou de "projets de développement intégré" dans la partie moins peuplée du pays (Bugesera,Kibungo, Byumba). Selon le recensement de 1978, les principaux apports de population de ces régions proviennent des préfectures de Kigali, Butare, Gikongoro, Ruhengeri, Kibuye et d'une partie de celle de Gitarama.
31. Cité par Lucie Bragard, op.cit., p. 6. 32. Calculs établis par P. Sirven à partir de G. Delepierre et B. Prefol, "Disponibilité et utilisation des terres au Rwanda, situation actuelle et perspectives", Rubona, Institut des sciences agronomiques du Rwanda, 1973. 33. "Enquête nationale agricole 1984", Kigali, Ministère de l'Agriculture, de l'Élevage et des Forêts, Vol. l, rapport l, septembre 1985, p. 69. 34. André Guichaoua, Destins paysans et politiques agraires en Afrique centrale. Tome 1. L'ordre paysa,t des hautes terres centrales du Burondi et du Rwanda, Paris, L'Hannatlan, 1989, p. 49.
121
REGnvm DEMOGRAPHIQUE ET VIOLENCES
Tableau 2 : Évolution des densités rurales au Rwanda Année
1934 1940 1950 1960 1970 1978 1980 1987
Population (26.338km2) 1.595.400 1.913.322 1.954.870 2.694.990 3.756.607 4.820.000 5.257.000 6.754.000
Densité brute (17.000 km2)
60,5 72,6 74,0 102,3 142,6 183,0 199,6 249,6
Densité physiologique
93,8 112,5 115,0 158,5 221,9 283,5 309,2 386,7
Source: Laurien Uwizeyimana, "Croissance démographique et production agricole au Rwanda. Impossible adéquation ?", Cahiers du CIDEP, nOS,janvier 1991.
De son côté, en partant d'une "photographie" du peuplement par souschefferies ou secteurs administratifs, J. Nzisabira relève, en plus de l'attraction des centres de négoces et des centres administratifs, quatre axes de migrations internes pour les ruraux: le versant du Lac Kivu, un couloir central qui descend le long des rivières Mukungwa (proche de Ruhengeri) et Nyabarongo, le Bugesera, et surtout l'axe situé le long du Parc de l'Akagera 35. Al' exception du quatrième axe, ces régions sont surtout des zones de caféieulture ou de paysannats. Seules les terres situées au bord du Lac Kivu peuvent être regardées comme excellentes, les autres axes de migration étant partagés entre des terres bonnes à moyennes et des terres pauvres ou très pauvres (Bugesera, et savanes de l'Est). Mais l'établissement de "fronts pionniers" 36 devait bientôt atteindre ses limites. Les cartes précédentes montrent en effet que si le peuplement gagne en importance dans le Nord-Est et l'Est dont les densités sont souvent inférieures à 50 habitants au km2 avant 1958, le surpeuplement continue à progresser dans les régions à haute concentration de population (Ruhengeri, Gisenyi, Butare et, fait relativement récent, les alentours de la capitale, 35. Jean Nzisabira, "Accumulation du peuplement rural et ajustements agro-pastoraux au Rwanda", Cahiers du CIDEP, n° 1, juin 1989, pp. 47-48. A ces axes, il faut encore ajouter la préfecture de Kibongo, réceptacle par excellence des populations en quête de terre, selon Guichaoua. Voir André Guichaoua, Destins paysans, op.cit., p. 79. 36. On verra dans le chapitre suivant que l'expression "front pionnier" doit être nuancée: en effet, il n'existe pas dans les régions d'accueil de changements décisifs dans le mode de vie et de production qui caractérise d'ordinaire lIDtel front.
122
L'HECATOMBE
RWANDAISE
Kigali, qui acquiert progressivement les caractéristiques d'une véritable agglomération urbaine). Il n'y a donc pas véritablement de mouvements migratoires tranchés qui réussiraient véritablement à dégorger des territoires surpeuplés, encore qu'entre 1970 et 1978 le taux d'accroissement annuel moyen de la population des régions denses augmente moins vite que celui des régions de peuplement récent (sauf dans les préfectures de Kigali et de Kibuye). La pression foncière généralisée qui découle de cette densité d'occupation des sols pose, on s'en doute, la question de l'apparition de disettes et de déficit alimentaire à plus ou moins long tenne en même temps que celle des violences qui peuvent surgir dans un milieu où les ajustements spatiaux ne s'effectueraient plus. Tableau 3 : Évolution de la population et superficies disponibles x 1000
1/1/1982
1/1/1987
1/1/1992
1/1/2000
Population totale Population urbanisée Population rurale nonagricole Population agricole Taille des ménages ruraux Nbre des ménages agr.
5.462 284
6.574
7.844 657
10.239 1.611
155 5.023 4,5 1.116
308 5.860 4,3 1.363
518 6.669 4,2 1.588
863 7.765 4,0 1.941
Superficie maximale disponible pour les cuIt. vivrières et les jachères (1000 ha)
1.013
1.015
1.015
1.017
Superficie moyenne disponible par ménage pour es cuIt.. vivrières et jachères (ha)
0,9
0,74
0,63
Source: Calculs effectués par le Ministère du Plan du Rwanda, 1985.
O~52
REGThAE DEMOGRAPIDQUE
123
ET VIOLENCES
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ET VIOLENCES
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126
L 1J'HRCATOMBE
RWANDAISE
Or, les perspectives ne sont guère réjouissantes dans ce domaine. Même dans le cas où l'on retient les hypothèses d'évolution démographique annoncées dans les plans quinquennaux (8,6 enfants nés vivants par femme à 6,5 en l'an 2002), la population totale continuera à croître dans des proportions considérables. Le tableau ci-dessus, qui tient COll1ptede cette hypothèse, en donne la mesure. "Si l'on tient pour relativement constante la superficie maximale disponible, notait un rapport de la coopération belgo-rwandaise, (...) on en arrive inévitablement à la question suivante: comment maintenir l'équilibre entre population vivrière dans une agriculture où les exploitations agricoles deviennent de plus en plus petites" 37. En partant d'un modèle de simulation qui tient compte des densités d'occupation, migrations, des superficies et des rendements des cultures vivrières, trois chercheurs canadiens sont arrivés au début des années 80 à établir un tableau présentant les dates critiques d'apparition de déficit alimentaire pour chaque préfecture. Comme on peut s'en rendre compte à la lecture du tableau ci-dessOus, les seuils critiques ont été repoussés encore à plusieurs années. Même si les auteurs reconnaissaient que leurs résultats devaient être interprétés avec toutes les précautions d'usage du fait de la médiocre qualité des données disponibles, de la non-prise en compte de facteurs qualitatifs et de variables non-économiques, il n'en reste pas moins vrai que tôt ou tard l'ampleur de la croissance démographique n'est plus tenable.
37. "Pression démographique et agriculture de subsistance, A. G. C. D., "Rapport de mission d'identification du programme de la coopération agricole", Bruxelles, octobre 1985.
REGIME
DEMOGRAPillQUE
127
ET VIOLENCES
Tableau 4 : Facteurs critiques du développement régional au Rwanda Préfectures
Année critique
Densité (1978..1998)
Déficit alimentaire
Butare Bywnba Cyangugu Gikongoro Gisenyi
1998 2000 1993 1.998 1998
MoyelUle/forte Moyenne MoyelUle/forte Moyenne/forte Faible
1998 1983 1998 1998 1988
Gitarama Kibungo Kibuye
1998 1993 1988
Forte Forte Moyenne
1998 2000 1988
Kigali Ruhengeri
2000 1998
Très forte Faible
1983 1983
Qualité des terres agricoles Pauvres Très pauvres Moyenneslbonnes MoyenneslboIUles Moyenneslbonnes Excellentes à la frontière zaïroise Moyenneslbormes Moyennes/pauvres Moyennes sauf au bord du lac Moyenne slbonne s Bonnes! excellentes
Source: A. Albert, M. A. Crener et G. Gagnon, "Modèle de simulation démo-économique pour le Rwanda (1978-1998)", Groupe d'études en développement international (GREDI), Uni versité d'Ottawa, septembre 1982.
L'inquiétude est surtout suscitée par l'explosion d'une population jeune urbaine etpériurbaine qui exerce une pression de plus en plus forte sur la pyramide des âges (cfr. graphiques ci-dessous). Les enquêtes démographiques menées au Rwanda dans les années 70 avaient déjà révélé les modifications sensibles des comportements démographiques en milieu urbain, périurbain et dans les zones rurales d'immigration. On y observait une diminution de l'écart entre les naissances consécutives aux pratiques nouvelles de sevrage et d'allaitement, un rajeunissement de l'âge au mariage ainsi qu'un recul des maladies stérilisantes et abortives 38. A ceci il faut encore ajouter le poids d'un exode rural composé en grande partie de jeunes célibataires dont beaucoup fonneront le gros des effectifs des Interaham}ile.
38. Ministère du Plan, Enquêtes démographiques 1970, Kigali, 1973 ; Bureau national du recensetneut, Résultats préliminaires, Kigali, 1978.
128
L~HECATOMBE
RWANDAISE
Graphique 2 : Pression démographique de la population jeune au Rwanda
Pyramide des Ages
et Enfants à Charge Pyramide deI
Pyramide
des
1977
1977 Jlt
75+
JO.14
JO.14 es.-,
10...
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ADULTES D'ETRE
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EN AGE ACTIFS
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SEXE FEMININ
Pour chaque enfant. charge, le Rwanda ne compte qu'1 adulte en ige d'être actif. Pour chaque enfant à charge, la plupart des pays industrialisés comptent 2 is 3 adultes en Age d'être actifs.
Profil de la Population
Profil de la Population 1982
75+
75+
LE NOM8RE DE PERSONNES ENTRANT DANS lA PHASE REPRODUCTIVE DE lEUR VIE EST fAIBLE 'AR RAPPORT AU NOM8RE DE PERSONNES SORTANT DE CETTE PHASE
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SEXE FEMININ
Source: "Rapport sur la planification démographique au Rwanda", Kigali~ Office national de la population (ONAPO)~ (1980).
REGIME DEMOGRAPmQUE ET VIOLENCES
129
Si l'on s'en tient à la seule population scolarisable de 7 à 17 ans, on arrive à des chiffres qui donnent le vertige. En 1990, les effectifs de la population en âge scolaire ont été estimés à 2~188..000.Si l'on s'en tenait aux données de la planification rwandaise, plus de 550.000 unités étaient laissées en dehors du système scolaire. En outre, pour pouvoir atteindre les objectifs de sa planification, il était prévu que le Rwanda devait impérativement multiplier l'infrastructure existante par 5 ! 39 Ces "variables non-économiques" conditionneraient-elles le climat de violences politiques toujours à l'état de latence et qui se sont cycliquement manifestées depuis 1959 ? Les pistes de solutions proposées depuis plus de deux décennies par les démographes et les agronomes -- émigration internationale, planning familial, augmentation des rendements --, seraientelles finalement en complet porte~à-faux par rapport à l'hypothèse d'un état de guerre et de violences cycliques comme moyen de soulager une pression démographique insupportable? Le raisonnement est théoriquement séduisant. Pourtant, il faut se garder de corrélations trop hâtives. L'explosion de 1959 part d'une chefferie, Ndiza (en territoire de Gitarama), qui n'est pas située dans une zone de population particulièrement saturée; elle gagne cependant immédiatement le Nord-Est, effectivement très peuplé, mais aussi la région "vide" de Byumba. Par contre la préfecture de Butare et les zones de peuplement important comme la préfecture de Cyangugu restent à l'écart des événements 40. En fait, ce n'est pas l'intensité du peuplement qui a été à l'origine des violences mais plus probablement sa consséquenc indirecte, à savoir la raréfaction des terres pour une partie des populations. En 1954, l'institution de l'ubuhake a été finalement abrogée, mais, outre le fait qu'elle continuait à subsister dans la pratique, cette décision bien tardive de l'autorité de tutelle ne résolvait pas le problème capital de la double surcharge, agricole et pastorale, qui pesait sur le développement du pays. La suppression de l'ubuhake ne pouvait sortir ses effets que si l'on procédait à une réforme complète du régime d'appropriation des terres par les "patrons" tutsi, les paysans, du fait de l'accroissement des densités de population, étant contraints de vivre sur et de se contenter de parcelles foncières de plus en plus petites 41. 39. Voir Laurien Uwizeyimana, "Les difficultés d'intégrer population et développement à partir de l'exemple du Rwanda", Hubert Gérard ed., Intégrer population et développement, Chaire Quetelet 1990, Louvain-la~Neuve, Academia, 1993, pp. 631-632. 40
sur les
130
L~HECATOlvfBE
RWANDAISE
On est beaucoup moins bien renseigné, on l'a vu, sur l'ampleur et l'étendue des violences en 1963-64.La préfecture de Gikongoro, ou du moins la partie pour laquelle on dispose de témoignages et où les violences se déclenchent, est de densité moyenne. Ensuite, la tension et les troubles gagnent ici des zones très peuplées (Gisenyi, Cyangugu), là-bas des régions de densité moyenne (Kigali, Kibuye), là-bas encore des zones peu habitées (Kibungo). Les préfectures à forte densité comme Butare et Ruhengeri n'ont pas vraiment bougé. Il n'y a donc pas de corrélation automatique entre saturation démographique et violences. Quant à la "guerre de 1990", elle touche surtout et d'abord des zones à saturation démographique (Ruhengeri et Gisenyi). Selon les projections de la Banque mondiale, la croissance démographique annuelle a même repris vigueur dans ces deux préfectures (de 3.1% pour la période 1970-78 à 4.2% pour la période 1978-82 en ce qui concerne Gisenyi, de 1.9% à 2.9% pour les mêmes périodes en ce qui concerne Ruhengeri) 42. Le Bugesera, région à vocation "moderniste" où se trouvent concentrés de nombreux paysannats et un gros projet de la Banque mondiale --qui se trouve par ailleurs en difficulté --, est aussi touché: mais ici, il n'y a pas de corrélation directe et significative entre densité -- elle est relativement peu importante -- et expansion de la violence. D'un point de vue micro-géographique, la pression démographique n'est donc pas en elle-même un vecteur de violences, même s'il est vrai que leur apparition coïncide avec une explosion de population qui débute au début de la ''transition démographique", même s'il est vrai que depuis 1990 la pression devient de plus en plus difficilement soutenable au Rwanda, particulièrement celle de la population jeune. En fait, c'est davantage vers l'ensemble de la condition paysanne qu'il faut se tourner de même que vers les différents acteurs sociopolitiques du génocide, ce qui est l'objet du chapitre suivant.
interactions population-envirolll1ement-développement (GRIDEP), Louvain~la~Neuve, n° Il, juin 1994, pp. 13-14. 42. Projections basées sur le troisième plan de développen1cnt nvandais.
REGJ1v.IE DEMOGRAPmQUE
131
ET VIOLENCES
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5. UNE RURALITE
OPPRESSANTE
La perception d'un monde plein et, en particulier, des contraintes foncières et écologiques ne se modifie que sur la longue durée car, comme l'a rappelé Braudel, "l'homme estprisomrier,des siècles durant, (...) d'un équilibre lenten1ent construit dont il ne peut s'écarter sans risquer de remettre tout en cause" 1. Au Rvvanda, la paysmmerie a pu s'adapter, jusqu'à un certain point, à ce monde plein en tirant parti au maximum des espaces encore disponibles. Toutefois l'immobilisme du mode de vie, du mode de production et du mode d'occupation de l'espace, joint au conservatisme d'une classe dirigeante s'abritant derrière un moralisme en trompe-l'oeil, ont constitué un cadre contraignant à une prise de conscience des limites physiques et humaines de l'écosystème rwandais. Les violences politiques ont-elles été la traduction semi-consciente d'une impossibilité à franchir autrement le cap des contraintes de cet écosystème? Telle est la question à laquelle on voudrait tenter de répondre dans ce chapitre.
Des "avancées"
mitigées
La "révolution majoritaire hutu" a eu pour conséquence de faire sauter, provisoirement en tout cas, un verrou de la société paysanne rwandaise: le problème de la répartition inégale de l'accès aux ressources foncières et pastorales, problème qui avait trouvé un début de solution à la fin de la période de tutelle. Avec la suppression, d'abord théorique puis effective, du servage foncier caractéristique des institutions coutumières de l'ubuhake et de l'ubugerwa 2 1. Fernand Braudel, Écrits sur l'histoire, Paris, Flammarion, 1969, p. 51.
2. C'est-à-dire l'appropriation par les possesseurs de bétail des terres de réserve pour leurs besoins de pâture extensive.
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entre 1954 et 1962, un premier ajustement peut se produire. En principe, la double surcharge pastorale et agricole est atténuée par le départ forcé d'une large portion de la. classe possédante tutsi et par la redistribution entre les paysans de tous les instruments de la production :la terre, l'accès aux pâturage et la bétail. Cette opération s'effectue entre 1960 et 1961, c'est-àdire avant même la proclamation de l'indépendance du pays. Soutenues par une coopération belge très flatteuse pour le "courage politique" de la classe dirigeante rwandaise, les autorités pratiquent aussi une politique d'ouverture de "fronts pionniers" par le biais de paysannats puis de gros projets de développement agricole intégré. A première vue, le paysan s'adapte à ce nouvel environnement comme le tableau ci-dessous parait le démontrer: Tableau 5 :Principaux
indicateurs agricoles au Rwanda (1966-1983) 1966
1983
Accroissement annuel moyen (1966-83)
Population Production tonnes) Production Production
(millions hab.) vivrière (milliers de
3,2 2,3
5,7 4,7
3,5 4,0
théorique (T/ha) vivrière par tête (kg)
7,5 720
7,6 820
o 0,8
%
Source: Laurien Uwizeyimana, "Croissance démographique et production agricole au Rwanda. hnpossible adéquation ?", Cahiers du CIDEP, n° 8,janvier 1991, p. 21.
Entre 1966 et 1983, la production vivrière croît plus rapidement que la population totale encore que l'écart soit limité. Les aléas climatiques peuvent cependant être déstabilisateurs. En 1984, par exemple, la sécheresse qui sévît entre mai et août réduit la production vivrière totale d'un million de tonnes. En 1987, en revanche, ce sont des pluies trop abondantes qui détruisent les récoltes de maïs, de pommes de terre et de haricots. En 1988, des maladies ravagent les parcelles de haricots dans le Su-Ouest. Les dérèglements saisonniers, moins dramatiques certes que ceux des années 30 ou 40, continuent de faire partie du paysage climatique au Rwanda, ce qui réactive la mémoire et les peurs des anciennes disettes du passé: en 1962, en 1974-75 et 1978-80, ils ont engendré des disettes limitées à quelques régions seulement.
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Celle qui se déclare peu avant la "guerre d'octobre" est par contre beaucoup plus dramatique: elle touche 47 communes dans toutes les préfectures orientales et centrales du pays. Le tableau montre aussi que l'augmentation de cette production est surtout à mettre en relation non pas avec un accroissement de la productivité, qui reste constante, mais bien avec l'extension des superficies cultivables. En d'autres termes, la paysannerie "mange" de plus en plus d'espace mais ne le fait pas fructifier. Autre facteur positif: l'introduction de nouvelles cultures (la pomme de terre et peut-être aussi le soja) connaît un net succès, surtout la première qui permet une valorisation des terres de haute altitude et l'acquisition d'un revenu complémentaire pour les paysans. Au Rwanda, l'expérience a été particulîèrement concluante, 45% de la production étant commercialisée contre 25 pour le KiV\let 10 pour le Burundi 3. Toutefois, le jugement d'ensemble sur l'évolution de la production paysanne est plutôt mitigé. Outre la faiblesse des rendements indiquée dans le tableau, la banane à bière reste le principal produit d'une économie tournée vers l'autosubsistance. Élément primordial de la sécurité économique et de la socialisation locale, elle oppose en fait une grande inertie au changement du fait de la place majeure qu'elle occupe dans l'économie paysanne.
3. Sur la culture de la pomme de terre au Rwanda, voir Gregory J. Scott, "La pomme de teITe en Afrique centrale. Une étude sur le Burundi, le Rwanda et le Zaïre", Les Cahiers du CEDAF, n° 4-5, 1988.
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Tableau 6 : Production et rendement des principales cultures vivrières entre 1970 et 1984 Production (en '000 T~) 1970 1980 Banane Haricot Sorgho Pois Arachide Maïs Patate douce Pomme de terre Manioc Soja
1.656 145 141 64 15 50 379 134 330 n.d.
2.063 181 179 35 16 85 871 217 542 4
1984 1.982 256 171 17 14 111 730 251 324 5
Rendement (1966-1983) -1.6 -0,6 0,0 -0.1 +0.3 +0,2 +1.6 +0.4 +0.2 +0.9
Source: Banque mondiale, "Rwanda. Agricultural Strategy Review", 27 juin 1985, p. 13 ; Lanrien Uwizeyimana, op. cit., p. 57.
Par ailleurs, la montée assez surprenante de la production du manioc et des patates douces, jadis boudée par les paysans, indique bien que les producteurs ruraux ne veulent plus se laisser prendre par la sécheresse, véritable épée de Damoclès dont ils sont parfaitement conscients. Mais elle marque sans doute aussi le fait que les familles ont moins de temps à consacrer à la culture: outre qu'elles résistent bien à la sécheresse, ces spéculations requièrent en effet peu d'entretien. Que ce soit pour la banane à bière, le manioc ou la patate douce, on a affaire en tout cas à des produits à faible valeur nutritionnelle. Dans le domaine des cultures industrielles qui étaient supposées alimenter le développement par l'obtention de devises, le constat est lui aussi en clairobscur. Si statistiquement la production caféière dépasse aujourd'hui les 30.000 tonnes (contre 6.270 tonnes en 1963), la qualité de cette production ne cesse de se dégrader depuis 1970 : en dépit de tous les "encouragements" du gouvernement -- on consacre au café les meilleures terres, les meilleurs intrants et les plus grands efforts de vulgarisation -- le paysan rwandais n'est plus motivé qu'à fournir un café très ordinaire alors que la compétition internationale aujourd'hui tourne autour de sa q,ualité. En réalité, il préfère des cultures vivrières qui ne sont, elles, pas "encouragées" et qui, lorsqu'elles sont commercialisées, rapportent davantage. Le même constat peut être fait pour les autres cultures industrielles qui ne sont plus pour les producteurs
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ruraux que des cultures d'appoint permettant une sorte de revenu minimum garanti. Tableau 7 : Indice du prix réel des cultures industrielles au producteur (1976 = 100)
Café Thé Pyrèthre Quinquina
1978
1979
1980
1981
1982
143.2 116.3 77.5 77.6
123.7 100.0 66.7 64.2
115.2 101.3 68.3 52.0
108.2 110.0 73.3 48.8
98.3 106.3 70.8 47.3
Source: Banque mondiale, Rwanda. Agricultural Strategy Review~ op.cil.
En réalité, ces cultures se maintiennent, le plus souvent parce qu'elles sont "imposées", parce qu'il faut bien faire flèche de tout bois, parce qu'il est toujours utile de disposer du revenu garanti que procurent les cultures du café et du thé, mais elles sont clairement devancées par la simple expansion de la démographie. Les paysans n'y croient guère en tout cas. "Beaucoup d'entre nous, déclarera l'un d'entre eux, ont dû perdre leurs terres parce que le projet les confisquait pour faire planter le thé. Et malheureusement, ce thé ne nous est pas utile... Si un enfant pleure, tu ne peux pas aller lui cueillir du thé pour faire de la soupe ou un plat de légumes. Même les chèvres n'en mangent pas.~. Oui, bien sûr qu'il profite à certains: ces agronomes qui s'évertuent à nous coller des amendes pour nous obliger à l'entretenir... Ça nous poigne au coeur de devoir maintenir ces cultures sur des champs où nous produirions du sorgho, du maïs ou de la pomme de terre (produits). que nous pourrions consommer nous même" 4. Et F. Bezy de conclure: "on est en pleine logique d'autosuffisance alimentaire" 5. Voire même de survie. S'il y a donc une adaptation toute relative à la précarité, il existe aussi beaucoup de signes indiquant le maintien dans la longue durée d'un certain nombre d'inerties structurelles. Ainsi, l'expérience du paysannat et celle du projet de développement rural intégré, que les autorités veulent associer à la révolution sociale hutu, présentent très tôt des symptômes de "langueur". Dans son évaluation de celui de l'Icyanya au nord du Bugesera, pour lequel la coopération belge a beaucoup investi, V. Sylvestre évoque déjà en 1974 "un 4. "A bâtons rompus sur les collines rwandaises, Dimensions 3, n° 6, novembre-décembre 1985, pp. 5-6. 5. Fernand Bezy, "Rwanda 1962-1989. Bilan socio-économique d'1U1régime", Louvain-laNeuve, 1990, p. 23.
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paysannat (qui) reste en bonne partie une société d' autosub sistance, la production en vue du marché n' (étant) pas pleinement consciente" 6. Il n'y a pas véritablement d'enthousiasme pour le réinvestissen1ent des gains dans la production agricole, mais un appétit pour la consommation et l'argent de la part d'un monde qui chercherait globalement et implicitement à sortir de la pauvreté rurale et donc de l'agriculture. "L'importance de l'argent est telle qu'elle donne l'impression à l'observateur de se trouver dans une société de consommation. L'argent est le véritable moteur qui stimule les énergies; c'est lui en effet qui permet de satisfaire les nombreux besoins: habitat amélioré, vélo, radio, montre, habillement, viande, etc." 7. Bien plus, toujours selon V. Silvestre, les ambitions rurales se situent en dehors de l'agriculture: "pour I'instant, le riche est celui qui n' exerce pas la profession d'agriculteur (...). Les dynamismes s'expriment, mais pas dans le cadre de l'agriculture. Ici, comme ailleurs, la colonisation et l'attitude des nouveaux riches ont conduit à un mépris de cette profession qui aboutit à la réflexion suivante: "Quelle est ta profession ? -- Je n'en ai pas... je cultive!" 8. Plus de dix ans après, c'est un constat similaire qui peut être effectué. "Être paysan, ce n'est pas un métier, c'est une occupation", déclarait en 1985 un conseiller d'une commune de la préfecture de Gitarama 9. Les paysans ne font plus confiance dans l'avenir de leur "profession" : même si, en présence des enquêteurs, des experts étrangers et des autorités locales (moniteurs), ils se déclarent poliment satisfaits de leur conditions, le discours qu'ils tiennent est surtout un discours de surface. En "creusant" un peu, on découvre sans trop de difficultés un autre discours: il n'y a pas de marché sûr et rémunérateur pour les vivres, pas assez de main-d'oeuvre pour cultiver des parcelles dispersées, trop de taxes, trop de temps perdu pour des travaux dits d'utilité publique umuganda (voir infra) ... Les coopérations étrangères ne se sont pas fait faute d'investir massivement dans l'amélioration de la condition paysanne: le pays est parsemé de plus d'une centaine de "projets" à vocation rurale soutenus à bout de bras et à coup de centaines de millions de dollars. A partir du lmlieu des années 1980, c'est un constat d'échec qui peut être dressé de ces réalisations agricoles qui veulent être autant de "vitrines "pour les bailleurs de fonds étrangers: isolement des "projets" par rapport aux contraintes du monde rural, recours à des champs de démonstration très coûteux, mangeurs 6. Victor Sylvestre, op.cil., p. 165. 7. Ide",. 8. Idenl, p. 166. 9. Cité par André Guichaoua, Destin paysan..., op.cil., p. 133.
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d'espace, et qui ne convainquent pas les ruraux, inexistence d'évaluation autre qu'administrative, frais récurrents qui rendent virtuellement impossible la prise en charge des projets par les Rwandais, pléthore d'initiatives étudiées, fonnulées et réalisées sous la direction exclusive d'un persoIll1elétranger qui, bénéficiant de conditions de vie enviables, s'incruste pendant de longues années... 10. A. Hanssen a trouvé les mots justes pour qualifier l'extraordinaire suroccupation du Rwanda par les coopérations étrangères. "Il n'est aucun pays qui compte autant d'assistants au développement (...) par kilomètre carré que le Rwanda. (...). La première conséquence de cette situation est la concurrence effrénée que se livrent (des) organismes bien intentionnés. C'est qu'il fait bon vivre au pays des mille collines, pour les coopérants et les volontaires. Dcs'urcroît, comme les détournements de fonds destinés à l'aide au développement gardent des proportions tout à fait raisonnables (comparées à la moyenne africaine), chacun peut espérer ici pour son projet des résultats qu'il serait vain d'envisager, par exemple, au Zaïre ou au Soudan" Il.
Des contraintes
paysannes
uniformes
Les pesanteurs, l'inertie et la routine des grandes machines de développement ont contribué à occulter pendant un temps sans doute excessif les évolutions partiellement souterraines qui se dessinaient dans les exploitations agricoles au Rwanda. A force de privilégier la macro-économie, à force de discuter à perte de vue sur des modèles théoriques ou sur les avantages et désavantages respectifs de certaines techniques agronomiques, on a perdu de vue l'acteur dans son environnement et ses contraintes. Depuis la publication en 1984-85 des résultats de l'enquête nationale agricole menée par l'USAID, cet environnement et ces contraintes sont heureusement mieux connus. Le premier constat qui peut être effectué est la grande diversité des situations dans les classes de superficie et le mode de tenure des exploitations familiales 12. 10. Banque mondiale, "Rwanda. Agricultural Strategy Review", op. cil., pp. 33-34. Pour les projets belges, voir Rapport de la mission d'identification~", op.cil. Il. Alain Hanssen, Le désenchantement de la coopération. Enquête au pays des mille coopérants, Paris'$L'Hannattan, 1989, pp. 10,26. 12. Sauf indication contraire, les statistiques citées ici sont empruntées à cette enquête. Voir Ministère de l'Agriculture,
de l'Élevage et des Forêts, Service des enquêtes et des
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Ainsi, dans la plupart des préfectures fortement peuplées (Gisenyi, Cyangungu, Kibuye), seules 6 à Il % des EAF ont plus de 2 ha alors que la moyenne nationale se situe à 16%. On voit ainsi se creuser des écarts non négligeables entre petits et moyens possédants: quelque 182.000 exploitants (sur 1.112.000) possèdent près de la moitié des terres de culture du pays. La concentration de la propriété foncière est massive près de la capitale (28% des exploitants et 56% des terres), dans la préfecture de Gitarama (21 et 51), de Gikongoro (18 et 47) et dans celles où les disponibilités en terre sont encore relativement abondantes (Kibungo et Byumba (23 et 47). C'est aussi dans des régions à forte densité (Cyangugu et Kibuye) où plus de 10% des exploitants ne sont plus propriétaires d'un champ qu'ils ont la plupart du temps loué ou reçu en prêt. Enfin, c'est aussi dans les zones de peuplement intense de Gisenyi, Kibuye et Ruhengeri que l'on trouve la plus forte parcellisation des champs: la superficie moyenne des blocs de terrain qui ne sont que rarement d'un seul tenant y oscille entre 15 et 19 ares. Cette parcellisation ne fait que s'aggraver de génération en génération dans la mesure où tous les membres masculins de la famille sont en droit de réclamer leur part de terre. "On assiste ainsi à l'établissement d'un damier exceptionnellement complexe, aussi bien sur les collines que dans les marais où sont imbriqués les différents lignages et leurs membres" 13. Ces diversités ne doivent cependant pas occulter une détérioration généralisée des modes d'exploitation. Dans toutes les préfectures, la superficie moyenne des exploitations ne varie que de 0,8 ha à 1,6 ha. On est loin des 2 à 3 ha jugés nécessaires pour induire un processus de décollage agricole. Assez paradoxalement, le système de location de parcelles est de plus en plus répandu. 40 à 70% des paysans prennent des champs en location, non pas pour produire un surplus mais, dans 76 à 86% des cas, pour satisfaire leurs besoins alimentaires. Du côté des loueurs (17% des paysans enquêtés), le "besoin de récompense", c'est-à-dire un complément de revenu en argent (ou en nature), est invoqué dans plus de 55% des cas. Toutefois, certaines investigations de terrain aboutissent à des constats beaucoup plus dramatiques que ceux des enquêtes nationales agricoles 14
statistiques agricoles (SESA), "Tableaux statistiques de l'enquête nationale agricole", Kigali, 1985. 13. André Guichaoua, Destins paysans..., op.cit., p. 55. 14. Bien que n1enées de la manière la plus rigoureuse possible, les enquêtes nationales agricoles, conduites par des expatriés et des Rwilndais considérés dans le monde paysan
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Ainsi, en 1988, dans une commune de la préfecture (très peuplée) de Gisenyi, 20,9% des superficies font l'objet d'achats (contre seulement 4,6% de terres mises en location) par le biais d'un marché illégal des terres surtout, alors que l'enquête nationale de 1984 avait estimé ce phénomène encore peu rép.andu. Selon les résultats des recherches menées par Catherine André, la majorité des ventes de terre sont des "ventes de détresse", c'est-à-dire des ventes réalisées pour faire face à des dépenses imprévues ou "à une suite de chocs dans la consommation, la vente d'une parcelle de terre représentant l'ultime solution pour obtenir les liquidités nécessaires (...). Autrefois, le bétail représentait un actif réalisable qui permettait de faire face à des chocs de la consommation ou de la production; Mais le bétail a pratiquement disparu de la colline (de la commune de Kamana) et ne joue donc plus cette fonction d'assurance" 15. Autre caractéristique générale: la détérioration du patrimoine fOllcier. A l'exception (paradoxale) de la préfecture de Kibuye, on assiste à la quasidisparition de la jachère qui ne concerne plus que 7 à Il % des champs cultivés. En outre, sauf dans les régions fortement peuplées de Gisenyi et de Ruhengeri où la pression foncière est la plus forte, 23 à 33% des espaces ne sont plus cultivés depuis deux ans et plus de 80% d'entre eux sont laissés sans protection aucune. Interrogés sur les motifs de cet état de chose, les paysans invoquent surtout quatre raisons dont l'importance varie suivant les zones écologiques: la nécessité de consacrer davantage de surface pour le bois de chauffage (surtout évidemment dans les hautes terres où les nuits sont froides), des sols qui deviennent de moins en moins productifs (surtout à Kibuye et Ruhengeri), le manque de moyens (dans les zones "pionnières" de Byumba et de Kibungo) et surtout les nécessités du pâturage (Kigali et Butare principalement) . Cette dernière contrainte a fait l'objet de nombreuses polémiques au Rwanda où l'on a souvent considéré que le surcharge pastorale était un facteur de destruction progressive du patrimoine foncier. Selon les résultats de l'enquête nationale de 1984, il apparaît clairement que le cheptel bovin s'est considérablement accru. Alors qu'on l'estimait à 626.000unités en 1982, c'est-à-dire un chiffre légèrement supérieur à celui de 1959, on en décompte en fait plus de 830.000 en 1984, soit 4,4 à 1,9 vaches par exploitation selon les régions. Demeuré un élément essentiel du prestige social en même temps comme des agents de l'Etat et donc avec méfiance, n'ont pas toujours réussi à cerner des comportements que ce monde ne tenait pas à dévoiler. 15. Catherine André, "Évolution des droits fonciers au Rwanda: une main invisible", Rapport préparatoîre de la commission 2 du Il ème congrès des économistes de langue française, CIFoP, 1994, pp. 9, 17-18.
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qu'un matelas de sécurité, le cheptel bovin est à plus de 70%-90% réparti dans les rugo des hautes terres et tous les projets incitant les paysans à la stabulation pennanente ou même semi-permanente ont échoué. La question d'un surpâturage destructeur des espaces agricoles reste entière 16. S'il est vrai que les terres consacrées à la pâture représentaient en 1982 la moitié des superficies dis'ponibles pour les cultures vivrières et les jachères, il n'est pas évident que le surpâturage soit un facteur plus aggravant que d'autres pour le sort du paysan rwandais. C'est en effet dans le contexte d'un environnement global qu'il faut apprécier la condition d'ensemble de la paysannerie. Or qu'indique cet environnement sinon une lente et inexorable dégradation des conditions de travail pour cette paysannerie qui, à défaut d'intensification, est en quête constante d'u.n espace qui se restreint et se détériore. Les pentes cultivées à 50% sont fréquentes, les sols se latérisent, les pâturages diminuent (du fait de l'expansion du bétail), les forêts, ou ce qu'il en reste, sont attaquées. En 1985, on estimait à 400.00 ha la réserve de terres cultivables, mais celle-ci était atomisée à travers tout le pays et appartenait en fait aux exploitations sous fonne de jachères ou de pâturages. Selon les estimations de G. Delepierre, les superficies maximales disponibles pour les cultures vivrières resteraient, toute autre chose étant égale, invariables tout au long de la période 1983-2000 (1.015.000 ha) 17. Certes il existe bien des diversités dans le paysage: d'une part des régions au peuplement ancien et dense où le "quasi-immobilisme des populations impressionne", d'autre part des zones de colonisation récente où l'on pourrait s'attendre à un comportement pionnier. En fait, ces diversités ne sont qu'apparentes. "Si, dans les paysannats, la part plus importante des cultures commerciales et donc des revenus monétaires introduit des comportements économiques plus intégrés dans l'économie monétaire, les résultats agricoles, le standard alimentaire voire les comportements migratoires des colons "spontanés" ne sont pas fondamentalement différents dans les régions où les terres sont relativement abondantes. Car, outre le handicap de l'llostilité climatique plus grande, les conditions de fertilité, la capacité de travail, les méthodes culturales et les moyens techniques y restent similaires" 18.
16. Pour lUle discussion sur le sujet, voir Henry Neel, "Fertilisation des tetTes au Rwanda", Bruxelles, A. G. C. D., février 1986. 17. G. Delepierre, "Évolution de la population et des tetTes disponibles", Kigali, 1984. 18. André Guichaoua, Destins paysans..., op.cil., p. 81.
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Mais les contraintes ne sont pas uniquement physiques: elles sont aussi humaines. Les anciennes corvées coloniales ont été remplacées par l'umuganda, le travail obligatoire du samedi.L'umuganda, finement analysé par A. Guichaoua, est en fait une succession pern1anente de "grandes tâches nationales impératives" dans toutes les communes du pays depuis le début du régime Habyarimana : "campagne nationale de construction de salles de classe pour la mise en oeuvre de la réforme du premier cycle d'enseignement au début de la décennie (1970) ; lui succède aussitôt le lancement d'un vaste programme de locaux administratifs sur l'ensemble du territoire (souspréfectures, bureaux communaux, tribunaux de canton, prisons, puis logements des bourgmestres et agents techniques, etc.). Cettematérialîsation ostentatoire (et improductive) de l'existence de l'État n'était pas encore achevée (...) que tombait le mot d'ordre imposant la couverture de la totalité du territoire par des dispositifs de lutte anti-érosive (1986-1987)" 19~ Le ministère de l'Intérieur du Rwanda a estimé à 3 milliards de Frw par an la valeur théorique de ces travaux d'umuganda, soit 52 demi-journées par an et une "perte" de 100 Frw par jour pour 1,15 millions de ménages, même si, comme le précise Guichaoua, cette valeur n'est pas réellement atteinte: les décomptes transmis par les communes indiquaient une moyenne d'utilisation du potentiel théorique de 30%. Ce dernier chiffre traduit en fait les résistances larvées de ceux dont on dit qu'ils sont les bénéficiaires des travaux imposés et qui sont stigmatisées par les autorités communales lesquelles ne manquent pas de déplorer l' "arriération des mentalités paysannes", l' "ignorance" et la "paresse". Résistances ambiguës toutefois: dans ses enquêtes menées en 1989, Guichaoua a relevé des discours paysans qui alternent entre la reconnaissance de la nécessité de ces travaux obligatoires et la contestation du poids de la contrainte à assumer. "La grande majorité des personnes interrogées déclare se soumettre à l'umuganda sans réserves majeures précisément grâce à l'importance des réalisations tangibles. (...) Sur ce point, le thème de. la mobilisation "militante", à forte connotation nationaliste, semble être largement assimilé. (...) D'une manière générale, pratiquement toutes les réserves et oppositions exprimées semblent se focaliser sur l'insuffisante compréhension des modalités de sa mise en application et des contraintes qui l'accompagnent. Ainsi, il semblerait que ce n'est pas tant le volume de travail à fournir (...) que les conditions de cette prestation qui déterminent la majorité des jugements individuels et de l' "opinion collective". Les deux éléments 19. André Guichaoua, "Les "travaux communautaires" en Afrique centrale", Revue TiersMonde, Vol. 32, n° 127, juillet-septembre 1991, p. 562.
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essentiels qui structurent les appréciations concernent, d'une part, l'identification des "bénéficiaires" effectifs des travaux réalisés et de l'autre ce que l'on pourrait appeler le "calcul socio-économique" que chacun fait entre les avantages divers qui peuvent être retirés de cette obligation et les "coûts" directs et indirects qu'elle occasionne" 20. Quoi qu'il en soit, dans la manière dont il était appliqué, l'umuganda est devenu sans doute de plus en plus impopulaire au fil des années. Sa suppression a finalement coïncidé au début de la course des autorités derrière lapseudo-libéralisation politique. A partir de la guerre de 1990, il revient, on l'a vu, sous la forme de "travaux" très particuliers demandés à la paysannerie dans le cadre de la chasse aux "ennemis" intérieurs et extérieurs du pays!
La pallvreté,partout
Est-ce cet environnement difficile et contraignant qui donne cette impression de pauvreté unifonne parfois proche de la misère? On dispose de peu d'informations précises sur les revenus au Rwanda. La dernière grande enquête nationale date de 1984. Pour la suite, quelques enquêtes ponctuelles ont été menées dans l~uneou l'autre préfecture. Les évaluateurs des projets de développement, plus absorbés par les conditions techniques d'exploitation, ne se sont pas vraiment sentis concernés par la question. En 1983, la consommation a été estimée à quelques 54.000 Frw par an et par ménage agricole 21 : un tiers seulement consistait en revenu monétaire tiré de la vente de vivriers et de cultures industrielles. Les dépenses du ménage consistaient surtout en achat de nourriture (30 à 50%), le reste étant affecté au logement et à l'équipement (15%), à l'habillement (10 àI5%), et en dernier lieu au transport, à la santé et aux frais scolaires. Les variations régionales entre revenus sont attestées par l'enquête nationale agricole de 1984 sans que la distinction entre zones de peuplement dense et "fronts pionniers" soit véritablement significative. S'il est vrai que la valeur monétaire des exploitations de la zone de colonisation de Kibungo approche les 85.000 Frw., celle de la. préfecture de Byumba n'attejnt que 62.000 Frw alors que celle de Kigali, qui est beaucoup plus dense, franchit Je 20. Idem, pp. 564-565. 21. Ministère du Plan, "Enquête Nationale sur le budget et la consommation", Tome ill, Kigali, 1988, pp. 100-103.
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cap des 70.000. Même à l'intérieur d'un "front pionnier", les variations sont le plus souvent liées à l'histoire individuelle comme V. Sylvestre l'avait déjà bien vu dans son évaluation du paysannat de l'Ycyanya dans les années 70. "La diversité des situations et des revenus, écrivait-il, même parmi les familles à caractéristiques ide.ntiques, rend hasardeuse toute tentative d'établir des moyennes correctes à l'échelon du périmètre. Les variables sont à ce point multiples (...) qu'un échantillon énorme serait nécessaire pour établir des moyennes valables pour l'ensemble" 22. Dans ses enquêtes en préfecture de Gitarama (1985), A. Guichaoua apporte des infonnationsplus pointues sur les conditions de vie des exploitants agricoles de même que sur celles des paysans salariés ou ex.. salariés de projets de développement 23. Les résultats de ces enquêtes indiquent le caractère étroit et limité des perspectives dans l'un et l'autre cas. La moyenne des reVen\lSfamiliaux nets se situe à 23.000 Frwet l'écart par rapport à la moyenne est relativement faible: 60% de l'effectif se situe dans une fourchette de 15 à 30.000 Few. Les conditions de vie apparaîssent similaires parmi l'ensemble des ménages agricoles: la moyenne des dépenses (légèrement supérieures au revenu) ne laisse guère de disponibilité pour les ménages: seules 15% environ des familles ont un excédent annuel supérieur à 10.000 Frw. 87% des dépenses sont consacrées à la couverture des besoins immédiats des membres du ménage. L'enquête confirme que la majeure partie des dépenses sont consacrées à la subsistance: 85% des familles consacrent 50% de leurs dépenses à t'achat de produits vivriers et de boissons. Viennent ensuite les dépenses d'habillement et d'éclairage (20%) .Les achats d'équipements agricoles ne représentent que 3% du budget 111énager. On se trouve visiblement dans une économie de la fermeture: les trois quarts des revenus relèvent d'échanges purement locaux ou intra-régionaux et l'on empêche "un enrichissement démesuré des mieux lotis (afin d') atténuer les effets des mécanismes naturels qui aboutiraient à une différenciation sociale exacerbée" 24. Dans la même préfecture, les retonlbées de l'embauche, le plus souvent épisodique, dans les deux grands projets de développement (Banque mondiale et B.I.T.) sont plutôt modestes: les revenus monétaires annuels Inoyens des paysans salariés ou ex-salariés, jeunes pour la plupart, ne sont pas 22. Victor Silvestre, op. cit., p. 122. 23. André Guichaoua, "Budgets et stratégies monétaires des paysans au Burundi et au Rwanda", Revue Tiers-Monde, TonIe 27, n° 106, avril-juin 1986. 24. Iden" p. 389.
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significativement supérieurs à ceux des ménages agricoles. Même s'ils sont plus à l'aise, ils sont pris dans une logique d'épargne imposée face au manque de terre. Les structures de leurs dépenses ne sont pas fondamentalement différentes de celles des paysans non-salariés: tous achètent surtout des aliments et de la boisson, bien que pour des montants moins élevés. Ils dépensent également plus dans l'aménagement de l'habitation et surtout dans l'équipement agricole (17% contre 3% pour les exploitants agricoles sans salaires) . Mais ici aussi, les différences en chiffres absolus restent modestes. Le modèle d'autosubsistance se reproduit car, s'il y a mieux-être, il n'y a pas de véritable percée dans l'investissement rural. "La constitution d'un petit cheptel, l'achat d'outils neufs et de bonne qualité améliorent le quotidien mais ne contribuent que faiblement à desserrer les contraintes les plus fortes de l'exploitatiQ1'4et dont la principal est le foncier. Dans l'attente de récupérer les parcelles que son père conserve et qui seront à leur tour divisées, un jeune n'a pas d'autre alternative que de reconstituer sur une exploitation réduite et morcelée une bananeraie et une caféière, ce qui nécessite plus de temps et de travail que des investissements monétaires" 25. A ces investissements monétaires, le paysan moyen n'a d'ailleurs pas facilement accès. En 1975, un réseau de banques populaires avait été créé dans le but de mobiliser l'épargne rurale et d'accorder en retour des crédits aux exploitants agricoles. L'opération rencontra un franc succès surtout dans la préfecture pionnière de Kibungo et dans celle de Kigali. Dix ans plus tard, les résultats étaient à l'inverse de ce qui était visé: alors que les dépôts des "cultivateurs" représentaient 50% du total, c'étaient les commerçants qui avaient en fait bénéficié de l'opération (50 à 57% des crédits octroyés) alors 26 qu'ils n'avaient contribué aux dépôts qu'à concurrence de 9,5% A la fin des années 1980, la situation des revenus ruraux s'est encore dégradée. Si l'on en croit les résultats de l'enquête menée en 1990 dans une région de la préfecture de Butare par S. Marysse, Ndayambaje et E. Waeterloos, 50% des ménages n'atteignent pas le revenu rt1édian annuel 26.812 Frw. "En comparaison avec le revenu moyen d'un ménage de cette région répertorié lors de l'enquête nationale de 1983, il semble qu'il y ait une
25. Idenz, p. 393. 26. Banque populaire du Rwanda, Rapport annuel 1984, Kigali, 1984
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baisse du revenu de l'ordre de 5.000 Fnv par an" 27. Dans une autre étude menée dans la même région, S. Marysse, T. De Herdt et E. Ndayambaje arrivent à des chiffres encore plus significatifs sur les inégalités de revenu dans le monde rural: la partie prélevée par le segment le plus riche de la population y serait de 61%en 1990 et de 66% ell 1992 28. La structure des dépenses n'a pas non plus varié: 45% du revenu est consacré à l'autoconsommation alimentaire: la famille rurale consacre surtout ses achats aux denrées alimentaires qu'elle ne peut pas produire ellemême (sel, huile...). Si l'on prend en considération les tableaux de fréquence, on constate une dégradation généralisée des conditions de vie : vingt pour cent de l'échantillon connaît un taux important d'autoconsommation(75%) ; 43 % ne dépensent rien pour l'éducation alors que 66% des ménages ont des enfants en âge de scolarité; 20% des familles ne dépensent rien pour leur santé, près de 60% desménagesoo sont pas arrivés à faire une quelconque épargne financière: "si l'on y ajoute (ceux) qui ont dû s'endetter, on arrive à 81% de la population rurale qui n'a pas réussi à réaliser la moindre épargtlc en espèce" 29.
Une société cloisonnée minorité
et insulaire face à J'enrichissement
d'une
Cette longue théorie de données statistiques, plus ou nloms représentatives et plus ou moins fiables, est indicative du malaise profond qui sévit dans le monde rural rwandais. Malaise d'un milieu centré sur l'autosubsistance qui reste peu ouvert sur l'au-delà du rugo parce qu'il ne perçoit pas les avantages palpables immédiats qu'il pourrait en retirer. Malaise à l'égard d'un destin où les contraintes sont légion. Malaise vis-à-vis d'une activité quîn'est pas considérée comme une véritable profession et dont on cherche à sortir sans en trouver les moyens. Malaise enfin à l'égard de l' "Autorité" qui dispense des messages et des politiques "ruralisants" auxquels on ne croit pas.
27. Stefaan Marysse, Elie Ndayambaje et Evert Waeterloos,
"Revenus ruraux avant
l'ajustement structurel. Cas de Kirarambogo", Cahiers du CIDEP, n° 19, mars 1994, p. 45. 28. S. Marysse, T. De Herdt et E. Ndayambaje, "Appauvrissernent de la population rurale et l'ajustement structurel: causalité ou coïncidence? Le cas de Kirarambogo (Rwanda)", Centre for Development Studies, Antwerpen, 1993. 29. Idem, pp. 21-22.
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Car la paysannerie ne fait pas confiance en cette "Autorité" (même si au fond celle-ci est issue de ses rangs et même si le paysan obtempère aux ordres donnés)pas plus que celle-ci ne la recherche. Au bas de la hiérarchie locale, les "encadreurs", le plus souvent découragés par leurs conditions de travail, ne sont pas perçus par le paysan comme étant des leurs parce qu'ils sont des "salariés", c'est-à-dire relevant d'un autre monde, celui de l'État. Utilisés à toutes les tâches, on les voit circuler dans leur circonscription avec un quittancier pour percevoir amendes et impôts ou pour dispenser sans les nuancer des directives parfois contradictoires qui viennent d'en haut. Au fur et à mesure que l'on monte dans la hiérarchie, la distance se marque. "Les appréciations (sur la paysannerie), même lorsqu'elles apparaissent comme purement techniques, semblent souvent marquées par le souci de maintenir une certaine distance sociale par rapport à elle (...) et de dégager (sa) responsabilité en renvoyant l'essentiel des critiques et des insuffisances sur les cadres d'exécution" Pas étonnant dès lors que l'exploitant se replie sur son rugo et fasse semblant d'entendre. La même méfiance existe lancés à grands frais par essentiellement vécus comme qu'ils sont effectivement (voir
à l'égard des projets de développement rural les coopérations extérieures. Ceux-ci sont des "corps étrangers" dans le milieu rural, ce supra).
Ce repli et cette insularité renforcent le cercle vicieux d'une condition paysanne précaire. Ils permettent en effet à un autre acteur de la vie rurale, le commerçant, d'en retirer de substantiels bénéfices. Ceci est d'autant plus paradoxal que le réseau routier rwandais s'est considérablement amélioré depuis le milieu des années 70 ce qui permettait théoriquement d' "ouvrir" davantage le monde rural sur l'extérieur. Mais le principal bénéficiaire de cette amélioration dans les voies de communication a été le connnerce dont les revenus s'expliquent par d'énormes écarts de prix au producteur. De véritables rentes de situation sont ainsi retirées de ce différentiel régional des prix, même si elles sont en définitive modestes. Aux chefs lieux des préfectures, l'écart entre les prix des produits alimentaires les plus courants est de l'ordre de 1 à 4. Il s'amplifie dès que l'on s'écarte des agglomérations. En effet, l'un des problèmes auxquels le commerçant a été traditionnellement confronté réside dans l'absence d'encouragement des autorités à autoriser l'établissement de petits 30. Jean Bagirameshi, Cléophas Bazihizina et Michel Bamaud, "Pour une pratique de la vulgari~1:tion agricole au Rwanda", Revue Tiers...Monde, Tome 26, n° 106, avril-juin 1986, p. 423.
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commerçants ruraux en milieu urbain: des taxes variant de 10.000 à 700.000 Frw étaient requises à ceux-ci suivant les zones urbaines où ils souhaitaient s'installer, ce qui posait la difficulté, majeure pour ces commerçants, des retours à vide.
Tableau 8 : Écarts entre les prix de détail des produits alimentaires aux chefs lieux de préfecture
-
(moyenne 1986 Frw/kg) Prix maximwn Haricots blancs Haricots verts Petits pois verts Pommes de terre Farine de sorgho Farine de manioc Bananes à cuire Viande de chèvre Viande de porc Poisson ftuné .,
Prix minimum
88 174 119 16 51 55 24 450 450 276
30 39 33 10 32 24 10 150 125 150
Source: Ministère du Plan, "Bulletin de statistique", octobre 1987, pp.14-16.
Le caractère "enclavé" des différentes régions du pays, le traditionnel repli sur le rugo les a aussi encouragés à des pratiques usuraires. "Dans une ambiance d'incertitude, écrit F. Bezy, la spéculation peut se donner libre cours, et (le commerçant) ne s'en prive pas; il lui arrive même couramment d'utiliser le stockage pour accuser les pénuries et provoquer des flambées de prix pendant la soudure". Un chercheur rwan.dais donne les deux cas d'école suivants tirés de ses recherches dans le Bugesera au début des années 80 31 : "A. Un commerçant achète dans le paysannat en juillet-août, au moment des récoltes, deux tonnes et demie de sorgho à 10 Frw. Illes stocke pendant deux mois et, à la pénurie des mois d'octobre-novembre, il les revend aux mêmes paysans à 20 Frw.
31. Citation de F. Bezy, op. cit., à partir de B. Runyinya, "hmovations agraires et gestion des espaces ruraux au Rwanda", Doctorat en Sciences de l'Environnement, Arlon, 1985, pp. 209-210.
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Coût des achats: Frais de stockage, pertes Recettes des ventes Marge bénéficiaire Soit
25.000 5.000 50.000 20.000 67% du prix d'acbat
B. En octobre-novelnbre, les paysans manquent souvent de haricots et ils sont à court de liquidités. Le commerçant leur prête l'équivalent de 5 sacs de haricots, qu'ils rembourseront avec du café à la récolte de mai...juin. La convention est simple, mais usurière: un sac de haricots (100 kg) vaut un sac de café (10 kg). Coût des haricots à 10 Frwlkg Recettes de café à 120 Frwlkg Marge bénéficiaire Soit
5.000 30.000 25.000 FlW 300% du prix d'achaf'
On pourra s'étonner de l'acceptation de ces pratiques par le producteur. En fait, ce dernier préférera faire confiance malgré tout à "son" commerçant plutôt qu'à la coopérative locale en laquelle il n'a pas souvent confiance: il est en effet de très nombreux cas de coopératives où la gestion est inexistante, où il n'existe aucun fonds de roulement et où encore le responsable (trésorier). "est parti en prenant la.caisse avec lui". En outre, la plupart d'entre elles sont des émanations de l'autorité communale et préfectorale, ce qui suffit à rendre le paysan méfiant 32. La montée en phase des petits et moyens commerçants ruraux détenteurs de monopoles locaux est un phénomène relativement neuf au Rwanda. Leur prolifération est liée aux importants aménagements routiers effectués depuis le milieu des années 70 : selon les estimations de la Banque mondiale, le charroi de véhicules lié à leurs activités aurait plus que doublé entre 1976 et 1985 33. Dans le but (théorique) d'atténuer les variations de prix, le gouvernement rwandais a suscité une pléthore de "coopératives" étatiques souvent appuyées par les coopérations étrangères (OPROVIA, TRAFIPRO, etc.). En réalité, 32. Dans l'inventaire des ONG rwandaises de 1989, 71 à 73% d'entre elles déclarent "entretenir des relations étroites avec les autorités ministérielles et conununales" . Voir ., INADES Fonnation Rwanda, "Inventaire des ONG 1989", Kigali, Banque mondiale, 1989. 33. Banque mondiale, Rwanda: Agricultural Strategy Review, op. eit., p. 14.
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ces organes de commercialisation, fortement subsidiés par des financements extérieurs, ont été handicapés par les carences usuelles de gestion propres à ce genre d'organisme: dépenses somptuaires du genre "grands magasins" à l'européenne, fixation de prix très bas qui étaient avantageux pour les commerçants revendeurs, diversification pléthorique des produits, nonremboursement des factures de gros clients protégés par "l'État", incapacité à lutter contre la dérégulation induite par une aide alimentaire extérieure intempestive. .. 34. Mais, en dépit de leur aisance relative, les petits' et moyens commerçants ne sont pas les véritables gagnants de la montée des fortes inégalités sociales dans le pays. Au Rwanda, c'est surtout la proximité du pouvoir politique qui fonde la richesse. Les calculs macro-économiques récemment effectués par J. Maton identifient une véritable "nomenclature" dont la richesse est étroitement liée à du pouvoir. Les conclusions que cet auteur en tire sont extrêmement dures. "Les nouveaux riches (rwandais) ont coupé les liens culturels avec "leur" peuple (...). Les riches dirigeants du Rwanda se sont comportés de façon irresponsable, quelque soit leur statut et leur appartenance culturelle et/ou ethnique: hauts fonctionnaires, ind'ustriels ou commerçants, Hutu ou Tutsi. Ils ont continué à ramasser âprement des richesses dans un désert économique, au milieu d'une effroyable misère et aux bords d'un volcan social et politique qui pouvait exploser à tout moment" 35. Dans le tableau ci-dessous, on notera surtout la situation de plus en plus privilégiée de la classe des fonctionnaires dont les revenus dépassent ceux des commerçants à partir du début de la décennie 1980. On comprend l'acharnement que ces privilégiés mettront à défendre leur position que des accords du genre de ceux d'Arusha menaçaient et cela au prix d'une guerre civile totale avec de nouveaux venus. On relèvera aussi qu'en 1982, les couches les plus nanties (le "dixième décile" comme les appelle J. Maton) prélevaient 20% des revenus en milieu rural. Dix années plus tard, les prélèvements ont plus que doublé pour se situer à près de 50% en 1993-94.
34. "Rapport de la mission d'identification...", op. cil., pp. 25-28. 35. JefMaton, "Développement économique et social au Rwanda entre 1980 et 1993. Le dixième décile en face de l'apocalypse", Faculté des Sciences Economiques, Unité d'Enseignement et de Recherche au Développement, Gent, octobre-novembre 1994, pp. 29-30.
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Tableau 9 :Revenus sectoriels et disparités des revenus (Indices pour la période 1982-94) Année
(1)
(2)
1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994
23.720 23.845 23.663 23.326 22.733 22.601 23.286 21.498 21. 042 21.042 19.180 18.009
0.060 0.060 0.058 0.057 0.056 0.056 0.062 0.068 0.067 0.068 0.057 0.037
(1) (2) (3) (4) (5)
(3)
(4)
(5)
0.056 0.091 0.097 0.098 0.081 0.089 0.113 0.118 0.118 0.116 0.123 0.127 0.126
0.87 0.87 0.85 0.83 0.83 0.84 0.79 0.78 0.77 0.74 0.76 0.78 0.74 0.75 0.72
21.8 22.8 24.0 23.9 26.9 28.7 30.7 33.4 34.6 37.1 41.2 45.5 51.6
Consommation privée par habitant (en Fr Rw.) Revenu des commerçants Revenu des fonctionnaires Part
du secteur agricole dans le revenu
Part du dixième décile dans les revenus (c.-à.-d. les revenus les plus élevés)
Source: JefMaton, op. cit., annexe B5.
Ruralité
et urbanisation
Partout en Afrique, l'insatisfaction du monde rural s' est exprimée dans des flux de migration vers la ville conduisant à une urbanisation anarchique et incontrôlée. Le Rwanda y a quant à lui échappé pendant longtemps du fait d'une politique anti-urbaine qui remonte au temps colonial. A l'indépendance, les "villes" du Ruanda-Urundi sont des petites agglomérations peuplées surtout de ceux qui échappent à l'emprise des chefs et des sous-chefs: étrangers swahili et congolais, réfugiés et migrants divers, auxiliaires recrutés pour les besoins de l'administration... Si en 1959 Usumbura franchit le cap des 40.000 "extra-coutumiers", Kigali et Astrida (Butare) n'en comprennent
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que 4.800 et 3.100 respectivement. "Décrits comme des lieux de perdition et de prostitution par les missions, l' accès en est sévèrement contrôlé par l'administration belge (rafles périodiques et obligations de détenir un "passeport de déplacement" pour les non-résidents). De ce fait, les velléités d'installation des paysans à proximité des centres urbains sont fermement et durablement découragées" 36. Ce biais anti-urbain s'est prolongé bien au-delà de l'indépendance. Les migrations vers la ville sont associées à la délinquance tant par les ruraux que par l' "Autorité". La seconde continue à recourir aux procédés en vigueur à l'époque de la tutelle: contrôles policiers fréquents, arrestation des "femmes libres", forte résistance à accorder une position statutaîre à des mouvements sociaux urbains et surtout souci de les contrôler jusqu 'au milieu des années 80. Les premiers développent des comportements plus ambigus. D'une part, ils souhaitent leurs enfants une sortie de la "rnralité". D'autre part, ces parents jugent négativement les "dépravations urbaines", et condamnent en bloc tous ces "délinquants" qui ont quitté le rugo "pour faire de l'argent en ville", qui "refusent les conseils de leurs parents" et deviennent des bandits", qui "n'ont plus la force de travailler dans les champs". "Même les filles s'échappent dès qu'elles peuvent et on ne sait pas où elles vont". L'urbanisation s'est pourtant inexorablement poursuivie au Rwanda bien que la dynamique soit très lente et sans rapport avec celle des autres pays d'Afrique. Le taux d'urbanisation estinlé à 3.50% en 1970 est passé à 4.50 en 1978, et à plus de 6 en 1985. A Kigali, une population migrante qui représenterait en fait les 4/5 de la population de la capitale est installée à Kigali en 1985-86 dans des quartiers "spontanés" (utujagali) : un tiers sont des primo-migrants venant des zones rurales ou des centres secondaires 37. Mais cette "urbanisation" gagne aussi tous les autres chefs-lieux de préfecture dont l'essor avait été naguère freiné par la création des frontières nationales (la frontière zaïroise pour Gisenyiet Cyangugu, la frontière burundaise pour Butare). "Aujourd'hui, écrit Guichaoua, tous les chefs-lieux sont de véritables "villes" de plusieurs milliers d'habitants autour desquelles s'exprime avec force. (en particulier le long des routes qui y conduisent) la pression foncière exercée par des centaines d'exploitants agricoles fortement intégrés dans les échanges dits "urbains". Les chefs-lieux des préfectures (...) préfigurent en quelque sorte un état avancé de 1'hyperdensification rurale 36. André Guichaoua, Destin paysan..., op.cit., p. 106. 37. Voir Daniel Bourdon et Félicien Ngango, "Urbanisation et équité sociale", Dialogue, n° 126, janvier-février 1988.
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lorsque les exploitants agricoles n'auront plus que des jardins de plus en plus petits à se partager et à transmettre à leurs enfants. Perspective que décrit très finement cette remarque d'un paysan de la préfecture de Kibuye : "pour ceux qui ont peu, ils mettent au monde mais ils ne savent pas la suite~ Il faut que leurs enfants trouvent un métier en dehors de l'agriculture... Avec le temps et le développement, il y aura des villes le long des routes" 38. En attendant ces échéances assez redoutables dans le .moyen tenne, l'autorité renâcle et résiste. Elle voit d'un très mauvais oeil cette prolifération de petits artisans, de petits revendeurs, de transporteurs à brouette, de laveurs de voiture, en un mot de tout ce secteur monnel qui, plus ou moins lié à la "survie", gagne depuis longtemps toutes les villes africaines. En décembre 1982, le président Habyarimana prononce un discours dans lequel il déclare qu'il faut "éliminer de la ville les vagabonds". En 1983, le cahier de doléances de ceux que le B.I.T. nomme les "artisans de Kigali" et auxquels l'organisation apporte depuis 1977 un appui important dans le cadre de son programme mondial pour l'emploi est particulièrement significatif. "Les gendarmes nous attaquent et nous demandent les pièces légales(...). Nous, les cordonniers, avons peur. Nous sommes persécutés par les policiers communaux. (...) Pour ce qui est des pièces légales, c'est terrible. Les rafles sont organisées tous les jours. (...) (Les gendannes) viennent aussi pendant la nuit et nous forcent à ouvrir nos portes. On ne peut pas se fier à eux car les bandits viennent après.(...) A X, nous payons 2.000 francs pour être libérés. La quittance ne vaut qu'un jour. Les gendannes m'ont incarcéré et j'ai dû payer 1.000 francs pour qu'ils me relâchent; ils m'avaient pris pour un vagabond" . "Ils m'ont interpellée, déclare pour sa part cette animatrice du groupe d'artisans de Kigali et m'ont dit que nous soutenions les petits vagabonds et voleurs. Après leur avoir dit et redit que c'étaÎent des artisans au métier reconnu, ils ne devaient pas me montrer que j'avais raison. fis en ont relâché quelques-uns qui avaient des attestations, mais les autres furent incarcérés" 39. "Nous avons le problème, déclare un autre, de ne pas être considérés par les autorités qui ignorent notre métier et disent qu' il ne peut pas nous faire vivre, nous, nos femmes et nos enfants. Ainsi quand nous cherchons les pièces légales à la commune, on nous demande les attestations
38. Idem, p. 124. 39. A. Barampama, "A l'écoute des artisans du secteur non-structuré de Kigali. Résultat d'wIe recherche-action participative", Organisation internationale du travail, Programme mondial de l'emploi, Genève, 1986, pp. 46-48.
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de travail. Voyant que nous n'en avons pas, on nous prend pour des bandits" 40. Il faudra toute la pression du B.I.T~, de la Jeunesse ouvrière catholique de Kigali et du conseiller spécial suisse du président de la République pour qu'en mars 1983 les "artisans de Kigali" reçoivent finalement leur carte de travail et pour que leur association (KORA) soit reconnue (1985). Cette lutte pour la reconnaissance ne concerne toutefois qu'un peu plus de 2.000 anciens "vagabonds". En outre, dès que le mouvement se fonnalisera, il ne pourra échapper aux luttes de pouvoir entre les dirigeants de l'association 41. L'exemple de l'organisation KORA, considéré comme un cas d'école, n'essaimera guère ailleurs. En 1987, des organisations similaires étaient "en fonnation"à Butare,Ruh,engeri et Gisenyi, mais n'étaient fortes que de moins de 600 artisans. La volonté de contrôle est toujours intacte, certains hauts fonctionnaires de l'administration envisageant l'idée d'imposer par le haut une Chambre nationale des Métiers. "Dans le milieu rural, écrivait un expatrié, les artisans sont jusqu'à présent totalement ignorés et pratiquement aucune commune ne les a recensés en vue d'un appui" 42. Dans le même temps, la suspicion s'installe à l'égard de tout ce qui est "étranger", c'est-àdire tous ces immigrants du Zaïre et de l'Afrique de l'Est qui se sont installés dans le commerce, l'artisanat et les emplois d'ouvriers ou de techniciens 43. Il restait cependant des milliers de "vagabonds" livrés à eux-mêmes dans la capitale et dans les centres préfectoraux. Ces laissés pour compte allaient pouvoir constituer une main-d'oeuvre disponible pour tous les coups de main. On peut sans risque de se tromper émettre l'hypothèse que la majorité des "groupes d'autodéfense", des Interahamwe, de ceux que l'on appelle les "purs" et des "milices du CDR" furent recrutés dans leur rang.
40. Cité par B. Lecomte, C. Maldonado et P. Ransom, "La promotion du "secteur non structuré" : le cas de Kigali", Revue Tiers-Monde, Tome 37, n° 106, avril-juin 1986, p. 440. 41. Louis Kwihangana, François Ramseyer et Emmanuel Braun, "Appui au secteur non structuré du Rwanda. Mission d'évaluation", Kigali-Busigny, novembre-décembre 1988. 42. Jean-Pierre Godding, "Des artisans pour quoi faire ?", Dialogue, n° 135, juillet-août 1989,p.25. 43. André Guichaoua, Destin paysan..., op. cit., p. 188.
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On ne peut pourtant pas réduire les explosions de violence rwandaise à la seule perspective des coups de mains de ces "vagabonds" et "bandits sociaux" des villes et des petits centres urbains, coups de main qui auraient été encouragés et soutenus par une poignée de politiciens extrémistes. Il faut sans doute aller en deçà de ces épiphénomènes et constater qu'une formidable angoisse traverse la fabrique sociale rwandaise au seuil des années 90. Une angoisse qui est produite par une série de contradictions et de crise jugées insurmontables. La plus obvie concerne un mode extensif d'exploitation du patrimoine foncier qui se détériore au fil des décennies. On semble ici être anivé à un point limite, ce dont les populations rurales ont commencé à prendre conscience puisque certains disent déjà ouvertement ne plus souhaiter que leurs enfants restent dans une agriculture de subsistance de plus en plus aléatoire. Dans le même temps, ils reprochent à la jeune génération de partir "vagabonder" dans les villes en abandonnant leurs diverses obligations familiales et sociales. Ces paysans sont aussi tiraillés entre des valeurs sociales conservatrices qui renforcent la dominante autoritaire dans le contextepolitiq'ue et les contraintes de plus en plus fortes du milieu rural: quelque part, ils se sentent "floués" par les acteurs hégémoniques de ce milieu (personnel communal, commerçants, coopératives...) et résistent en cherchant à maintenir l'indépendance du rugo. Mais, attachés à ces acteurs par une soumission à l' "Autorité", ils ont tout aussi peur de voir le désordre s'instaUee entre eux sur la colline et surtout au sein de la jeune génération avec laquelle ils ont des liens le plus souvent conflictuels. "Adhésion contrainte d'un côté, défi insupportable à l'autorité, de l'autre, écrit Guichaoua. Dans les deux cas, on retrouve la même perception désabusée d'un ordre qui se défait inexorablement et qui ne peut se maintenir que dans la mesure où l'obligation s'applique mécaniquement et de manière
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rigoureuse" 44. Mais ce monde rural clos n'a-t-il pas aussi voulu en finir avec les contradictions insupportables dans lequel ses acteurs se meuvent en les "pacifiant" et en se pacifiant eux*mêmes dans la violence partagée? Ceux qui, à Kigali ou dans les collines les plus reculées, ont brandi le spectre de l' "ennemi intérieur" ont effectivement réussi à recréer une "unanimité", mais celle-ci s'est finalement révélée tout autant factice que suicidaire. De-ci de-là toutefois, des frémissements annonciateurs d'ouverture se manifestaient au niveau d'une mince élite qui s'engouffra, parfois de manière ambiguë, dans l' "opposition" et les structures multi-partisanes urbaines. Mais la domination de la vieille élite sur un monde paysan conservateur et quadrillé ne laissait guère de place à ces progressistes. Dès que les "nouveaux riches", dont les contours s'étaient progressivement consolidés sous le régime Habyarimana, se sentirent attaqués, ils n'acceptèrent que très superficiellement de relâcher leur pression sur le verrouillage du pays à peine de voir se développer une jacquerie paysanne qui avait déjà menacé le régime Kayibanda en 1973. Le schéma de la guerre totale contre l' "ethnie d'en face" était une nouvelle fois implicitement incrit dans le chef de ceux qui ne pouvaient pas renoncer à leurs privilèges d'autant plus que ceux-ci ne reposaient que sur le surplus qu'ils pouvaient extraire du milieu rural.
44. André Guichaoua, "Les "travaux communautaires" en Afrique centrale'\ op. cil., p. 57.
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"Comment, dans un espace fondamentalement continu, (les hommes) ontils procédé pour se différencier culturellement, s'approprier des territoires, inventer des concepts de frontière et de ruptures (...) et répéter ensuite par les voies les plus violentes que les "étrangers, les autres, y sont interdits de séjour ?" 1. Telle est fondamentalement la question qui nous a interpellé dans cette étude. Beaucoup de commentateurs et d'observateurs ont voulu voir dans l'hécatombe rwandaise la manifestation d'une sorte de "bombe atomique" dont le détonateur a été soigneusement et minutieusement assemblé dès le début de l'invasion du F. P. R. D'aucun affirment qu'il s'agit d'un événement exceptionnel qui doit être traité en tant que tel à l'instar des deux autres génocides connus: celui de l'Allemagne nazie et celui des Arméniens au début du siècle. Certains vont jusqu'à mettre en doute la pertinence d'une analyse sur les facteurs sociopolitiques qui ont servis de toile de fonds aux violences. Du fait d'une actualité spectaculaire et surtout des centaines de milliers de morts, beaucoup omettent de rappeler les massacres "génocidaires" moins médiatisés qui ont eu lieu contre les Banyarwanda et les populations de pasteurs dans l'Uganda voisin en 1984 et 1985, ceux qui continuent à se perpétrer au Soudan dans le contexte d'une sanglante guerre de religion, ceux qui ont récemment éclaté au Mali entre nomades touaregs et milices locales représentant les "sédentaires", ou ceux qui peut-être se préparent au Tchad entre les "arabo-musulmans" du Nord et les chrétiens du Sud autour d'enjeux de conservation et de prise du pouvoir. Mênle s'il était finalement et rigoureusement démontré que le génocide rwandais a été minutieusement perpétré par les "hauteurs de l'État" 2, il ne s'est en tout cas pas déroulé dans 1. Luc Cambrezy, "Les chemins de l'exode. Représentations spatiales, pratiques territoriales et foncières des populations réfugiées ou déplacées. Des recherches à entreprendre", Chroniques du SUD, ORSTOM, n° 13, 1993, p. 166. 2. Rappelons ici que les témoignages sur l'implication de ces "hauteurs" reposent principalcruent sur les dires d'un ancien lnterahamwe repenti et que le fait que les premiers massacres aient commencé très peu de temps après l'assassinat du président
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le cadre d'un système totalitaire, ni même dans celui d'une volonté explicite d'exterminer délibérément un "peuple" en tant que peuple au nom d'un appareil idéologique cohérent, mais d'abord sans doute dans celui d'une criminalisation croissante du politique en Afrique jointe à }'addition de très lourdes contraintes socio-économiques. Il convient donc d'éviter les lieux communs -- et la notion de génocide risque bien d'en être un à force d'être asséné comme un slogan -- et surtout de préciser de quelle violence il s'agit. Comme le rappelait il y a quelques années un analyste, "si la presse et même nombre d'intellectuels bien-pensants, ne cessent de mettre en avant les actes de cruauté que les tyrannies et guerres civiles africaines provoquent quotidiennement, actes qu'on ne saurait justifier quelles qu'en soient leurs origines, l'analyse politique se doit quand même de pénétrer plus avant la réalité de ce qu'est la violence en Afrique aujourd'hui. Car sî le spectacle de la cruauté gratuite, surtout si elle est télévisée, est toujours très édifiant, il ne nous explique pas grand chose" 3. Dans le cas rwandais comme dans celui de l'Angola, du Liberia, de la Somalie, etc., il semble bien que l'on doive peaufiner les analyses en plongeant dans un univers où la violence du pouvoir se reproduit (en se dégénérant) à travers toute la société. Dans tous les cas, on ne fera pas l'économie du "pourquoi". Bien entendu ce "pourquoi", question lancinante dans une civilisation -- la nôtre -- qui a exclu la justification du passage à l'acte de violence nonsanctionnée par le droit, nous rappelle, comme on l'a fait dans leprenner chapitre, que la conflictualité sous sa forme la plus brutale et la plus inacceptable s'inscrit dans la condition de l'homme et que la majorité de ceux qui l'ont pensée ont cherché des moyens de la canaliser (par le biais du Prince ou de l'Etat ou par d'autres moyens). Le "pourquoi" ne se réduit pas non plus, on l'a souligné, au postulat d'une sorte de "sauvagerie primitive" si souvent mise en lumière jusque dans de grandes oeuvres littéraires. Ceci étant dit, on a voulu montrer dans cette étude qu'au-delà de l'arnpleur d'un drame fortement médiatisé, celui-ci a reposé ausi sur un terreau historique, politique, démographique et socio-économique que nous avons tenté d'élucider ici, sans toutefois que l'on puisse parler d'un quelconque déterminisme. L'hécatombe rwandaise n'était certes pas annoncée et il serait
Habyarimana ne prouve pas ipso facto la réalité d'une "préparation minutieuse" par le seul entourage du chef de l'État. 3. PatrickChabal, '~Pouvoir et violence en Afrique postcoloniale", Politique Africaine, n° 42,juin 1991, p. 57.
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injuste de reprocher après coup aux acteurs internationaux chercheurs !) de ne pas l'avoir prévue.
(et aux
L'arrière-plan historique a été un facteur facilitateur de violences à un double titre. Ainsi qu'on l'a montré dans la partie consacrée à l'ancrage traditionnel des violences, celles-ci ont été utilisées comme un instrument central de la gouvemementalité, particulièrement depuis le milieu du XIXème sièclè. Après l'indépendance, ce furent les différents épisodes de violences récurrentes dont les analystes ont souvent fait l'économie dans un contexte de préjugés particulièrement favorables à l'égard des dirigeants du pays. La "logique" duale de fonctionnement du système politique a de ce point de vue échappé à ceux qui ont "sur-occupé" le pays aux mille collines. Du Rwanda, on a en effet surtout perçu la "logique du climatiseur", celle d'un pays vanté pour la sagesse et la modération de ses dirigeants qui auraient été plus qu'ailleurs branchés sur le "développement". On n'a pas perçu l'autre logique tapie dans la trajectoire politique rwandaise, celle de la "véranda", logique où le pouvoir ne se partage pas avec celui qui a toujours servi de bouc émissaire sacrificiable. Un pouvoir parallèle a ainsi fonctionné à côté du pouvoir officiel "démocratique" qui donnait bien le change, un pouvoir parallèle dont les soubassements ont reposé sur des références fondatrices fondamentalement "ethnicistes". A. Guichaoua a de ce point de vue montré la différence qui a pu exister entre le Rwanda et le Burundi, souvent qualifié de ')umeau" du premier. Au Rwanda, "la justification ethnique et l'argumentaire qui l'accompagne ne s'expliquent (...) pas, comme au Burundi, par une dérive institutionnelle ou des régressions sanglantes dues à l'exacerbation ponctuelle des peurs et des passions, mais constituent une dimension constitutive fondamentale de l'organisation de l'État et du champ politique rwandais" 4 Toutefois, les violences politico-ethniques rwandaises n'ont pas été seulement conditionnées par un fonctionnement du système politique sur deux registres. Même s'il faut se garder ici aussi de tout déterminisme ~- les violences ne peuvent être corrélées avec les régions à forte densité démographique --, le facteur démographique, c'est-à-dire l'insoutenable croissance de la population et en particulier celle d'une population jeune et marginalisée, a pu également être un facteur facilitateur des tensions ethniques dans la fabrique sociale. Le Rwanda est de ce point de vue parvenu à un seuil critique. 4. André Guichaoua, "Un lourd passé...", op. cil., p. 23. On reviendra plus bas sur la question du sens de la référence ethnique en dehors du champ politique.
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Certes, il a pu, pendant plusieurs décennies, s'adapter à cette croissance démographique. Mais la persistance d'une agriculture de simple autosubsistance et de type extensif, la sourde compétition entre terres de pâture et terres agricoles, la lente dégradation du p.atrimoine foncier, la diminution des cours des produits d' exportation (café), le désintérêt pour un type d'activités dont la paysannerie cherche implicitement ou explicitement à sortir et à faire sortir ses enfants, l'accroissement du nombre de paysans sans terres, les aléas climatiques de la dernière décennie, etc~ sont de lourds handicaps qui pèsent de plus en plus sur les destins paysans. A la précarité des conditions de vie paysanne, il faut encore ajouter une politique traditionnelle de méfiance et même de répression contre tout mouvement d'émigration rurale. Le taux d'urbanisation au Rwanda est un des plus faibles d' Afrique et c'est seulement à une époque récente que des agglomérations dignes de ce nom se sont progressivement créées dans le pays. Le biais anti-urbain des autorités coloniales puis post-coloniales a été tout à fait contre-productif par rapport a l'accroissement inéluctable d'une population jeune, sans avenir devant elle, déscolarisée, marginalisée, en rupture de ban avec son milieu familial et une pesante ruralité, et donc disponible pour tous les coups de main. C'est surtout ce groupe de population, principal porteur du socle de la violence socio-politique un peu partout en Afrique 5, qui, au Rwanda, a formé le gros des effectifs des lnterahamwe et des milices d'autodéfense des années 90. Et c'est sans doute lui que l'on risque bien de retrouver demain dans les rangs des lnkotan.yi. Enfin, plus qu'en beaucoup d'autres pays africains, la société rwandaise, paysanne, urbaine ou péri-urbaine, a été mise sous la coupe d'une élite politique qui s'est enrichie, non pas par le biais de commissions juteuses sur les marchés publics, mais par celui d'une accumulation (et d'une extorsion) interne via des mécanismes de spéculation foncière et/ou immobilière et du différentiel des prix dans la sphère d'un commerce intérieur où les cloisons étanches ont été maintenues entre régions. Le poids de cette extorsion sur le milieu rural a ainsi empêché que naissent des terreaux locaux d'accumulation où activités commerciales et production agricole auraient été imbriquées à l'instar de ce qui se passe chez les "ethnies" entrepreneuriales du Cameroun (Bamileke) ou du Zaïre (Banande,Bakongo...). Maintenus dans le cadre étriqué du rugo, paysans avec ou sans terres et groupes marginalisés eurent peu d'opportunité de trouver une issue à la précarité de leur condition. 5. Au sujet de ce socle marqué par la violence, voir Célestin Monga, Alltrhopologie de la colère. Société civile et démocratie en Afrique noire, Paris, L'Hannatlan, 1994, pp. 36-38.
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Ces facteurs réunis ont formé la toile de fond de violences et d'exclusions dont le "Tutsi" a été en définitive la victime "sacrificiable" à certaines époques de la trajectoire politique du pays. Violences qui ont été instrumentales dans le chef des autorités locales (bourgmestres, moniteurs, cadres communaux...) vis-à-vis desquelles les populations entretiennent des sentiments ambivalents. Mais aussi violences colériques et populaires qui expriment le blocage et les destructurations d'une société qui prend conscience du "point limite" où elle est arrivée, ainsi que la recherche d'une cohésion et d'une illusion pacificatoire, pour reprendre le concept de Girard, autour de thèmes simples et aisément assimilables en situation de déréliction socio-économique. De ce point de vue, il sera sans doute nécessaire de revisiter la vision purement "ethniciste" du génocide. A. Ricard, citant V. Nahoum-Grappe dans son ouvrage sur la Yougoslavie 6,avu juste dans sa tentative de comprendre la barbarie des actes perpétrés au Rwanda. "C'est justement parce que la différence entre les "catégories ethniques est si faible que la violence est si intense: "l'intimité culturelle et sociale entre l'agresseur et l'agressé (...) permet une plus grande finesse de la cruauté. et aggrave la douleur de la victime: sauvagerie et raffinement sont ici la même chose" (Y. NahoumGrappe, op. cit., p. 61)" 7. Comment l'identité "ethnique" se vit-elle au niveau des individus et des collectivités? D'où viennent ces peurs soudainement déclanchées et qui engendrent des violences insensées pour nos démocraties où leur forclusion est un impératif catégorique? On n'a pas encore trouvé de réponses satisfaisantes à ces questions. On ne pourra faire l'économie d'une telle interrogation, car comment comprendre les modes d'interaction pacifique vécue dans la vie quotidienne sur les collines, les services rendus entre voisins au-delà des catégorisations ethniques, les solidarités "interethniques" qui sont attestées par beaucoup de témoignages sur le génocide de 1994. Chercheurs, journalistes, coopérants et diplomates ne sont-ils pas eux aussi des inducteurs de simplifications identitaires ? "Ai-je affaire à un Tutsi ou à un Hutu 1" N'est ce pas la première question qui leur vient à l'esprit lorsqu'ils sont en présence d'interlocuteurs rwandais que l'on enferme ainsi dans des schémas réducteurs?
6. V. Nahoum-Grappe, La guerre dans l'ex-Yougoslavie, Paris, Ed. Esprit, 1994. 7. Alain Ricard, ''Nécessité du travail de la mémoire", Politique Africaine, n055, octobre 1994~ P< 114.
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En deçà de ces mécanismes psycho-sociaux, on peut se demander si les violences rwandaises qui débouchent sur ...1 'hécatombe de 1994 ne sont pas aussi la traduction de la fermeture d'un système d'autorité et de socialisation sur lui-même* On rappellera ici que le Rwanda a longtemps résisté militairement à toute pénétration extérieure, plus spécifiquement au moment où le commerce à longue distance creuse ses sillons partout dans le reste de l'Afrique centrale. Depuis l'indépendance du pays, le Rwanda politique s'est à nouveau refermé sur son système de contrôle sécuritaire et autoritaire des populations. L'habitus de violence et, en particulier le génocide de 1994 ont été d'abord la traduction d'un refus obstiné d'une fraction de la classe politique d'affronter le risque de l'ouverture et du relâchement des contraintes qui garantissent la pérennité de son pouvoir. Pour le monde rural toutefois, le risque était et reste perçu comme tout .aussi porteur d'incertitudes et de dangers. La paysannerie, repliée sur ses rlJgo, a pris, on l'a vu, l'habitude de s'adapter à la précarité et de trouver divers accommodements avec un système de contrainte d'un autre âge: ses chefs, ses bourgmestres, ses préfets, elle les connaissait bien et savait comment contourner leurs exigences et leur autoritarisme. Elle préférait continuer à traiter avec eux plutôt qu'avec des étrangers qu'une mémoire collective et fantasmatique assimilait à des "bandits" venus pour reprendre leurs biens et leurs terres. Cette fermeture et ce refus d'une "transnationalité" qui est déjà bien marquée dans beaucoup de pays voisins 8, est de plus en plus intenable. Depuis la fin des années 1980 d'ailleurs, les signes d' "ouverture" se sont manifestés au Rwanda, notamment avec la lente irruption, dans le champ politique ou dans celui de la "société civile" (O. N. G.), d'une minorité remettant en question les structures autoritaires d'un régime usé, quand bien même ses comportements ne sont pas dénués d'un certain opportunisme. La "guerre de 1990" et le génocide de 1994 ont malheureusement interrompu cette timide ouverture. L' "étranger" fantasmé a vaincu en s.'insérant dans une situation de vide polîtique créée par des \'Îolences suicidaires. Voici donc venu le temps des combattants armés, qui parlent entre eux en anglais ou en kiganda, qui n'ont pas ou plus de parents sur les collines, qui ne peuvent même pas se prévaloir de tel ou tel lignage, qui retournent dans 8. Sur la réalité de ces différentes transnationalités en Afrique orientale, voir François Constantin, "La transnationalité : de l'individu à l'État. A propos des modes populaires d'action internationale en Aftique orientale, dans Michel Girard, Les individus dans la politique i1Jternotionale, Paris, Economica, 1994, pp. 160 sv.
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un pays probablement mythifié par la rumeur et qu'ils ne connaissent pas. Voici que s'installent dans la capitale des "administrateurs" de la diaspora tutsi qui viennent du lointain, qui parlent aussi anglais entre eux et qui ne connaissent, eux non plus, rien d'un pays que leurs parents ont quitté depuis longtemps. Voici que Kigali ou Butare sont envahis par des centaines d'anciens "originaires", parfois revanchards, qui sont à la recherche de nouvelles opportunités qu' ils n'avaient pas dans les contrées d'exil où on les rejetait, par des dizaines de petits commerçants venus parfois en grosses limousines de Kampala et de Bujumbura, dont certains ont très vite reconstitué les stocks de marchandises et le parc de taxis de la capitale et dont d'autres contrôlent déjà un marché parallèle de la monnaie par l'intermédiaire de jeunes vendeurs désoeuvrés. Voici enfin que le pays se couvre de camps de déplacés intérieurs qui sont presque aussi nombreux que ceux des réfugiés de l'extérieur 9. En bref, comme l'a titré un article de la IAibre Belgique, c'est bien "un autre monde quia pris possession du Rwanda" 10. Le pays va devoir s'ouvrir et composer avec de nouvelles et dures réalités, mais et c'est bien là le problème, cette ouverture a été réalisée par la force des armes. Au-delà de l'avenir incertain d'un nouv~u pouvoir d'exception aux contours politiques encore flous, il y a toute la problématique lourde du destin de la société rwandaise. "Le Rwanda vient de se doter d'une nouvelle génération de déviants sociaux", n'hésitent pas à affirmer deux observateurs. Comment sera-t-il possible, se demandent-ils, de réadapter à une vie normale cette génération de jeunes qui a appris à obtenir ce qu'elle voulait par des raccourcis, soit en tuant, soit en volant, alors qu'il n'y a pas aujourd'hui ni cadre de référence, ni structures, ni parents ?" Il. Mais la tragédie rwandaise illustre aussi une autre problématique, celle de la gestion internationale d'une crise qui, outre qu'elle a pris une ampleur sans précédent, s'inscrit dans un ordre mondial qui a perdu ses certitudes autant ethniques que politiques 12. Gesticulations françaises par le biais d'une 9. Selon les estimations de la MINUAR, il existait en octobre dernier 1.8miUions
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déplacés à l'intérieur du Rwanda et plus de 2 millions de réfugiés à l'extérieur du pays. Tenant compte du nombre très approximatif des victimes du génocide, ceci signifie que plus de la moitié des familles rwandaises ne sont plus sur leur tetTe. 10. La Libre Belgique, 7 septembre 1994. Il. Vincent Dudant et Jean-François Lecomte, "Quel avenir pour Epimaque, Jean de Bien et le Rwanda", La Cité, 18 août 1994, p. 38. 12. Sur la perte des certitudes et la montée concomitante du hasard et de l'a-systémisme, voîr James N. Rosenau, Turbulence in World Politics. A Theory oj Change alld Continuil)" Princeton, Princeton University Press, 1990. Voir aussi B. Badie et M. C.
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opération humanitaire destinée à couvrir un appui de longue date aux dérives du régime rwandais mais dont on ne peut par ailleurs ignorer l'efficacité, timidités et hésitations belges liées à un affrontement feutré entre des lobbies belgo-1Wandais divisés, démission et paralysie d'une machine onusienne dont le leadership s'est érodé au fil des décennies, prolifération de petites et de grandes ONG humanitaires -- une centaine actuellement présentes au Rwanda --tous ces facteurs sont indicatifs d'une perte de sens dans le chef des acteurs anciens et nouveaux sur la scène internationale 13. Il ne sera pas aisé pour un Rwanda à la dérive de gérer la formidable "ingérence" de bonnes actions et de bons sentiments, d'intentions louables ou moins avouables qui s'est déployée au Rwanda. Les esquisses de solutionne sont ni dans les recommandations théoriques sur la bonne gouvernance, sur le respect des droits de l'homme, sur les impératifs de la démocratisation, ni non plus dans les plans qui se concoctent ici et là sur le rétablissement d'une sorte de régime de tutelle înternationale dans des zones d'extrême turbulence. Peutêtre se trouvent-elles d'abord et plus prosaïquement dans la mise au pas de ceux qui ont fait de la violence un commerce. On pense ici bien entendu aux circuits qui acheminent insidieusement armes, munitions et mines antipersonnelles que l'on trouve parfois en vente libre sur les marchés de Bujumbura, de Goma ou de Nairobi et qui ne sont que le sommet émergé de toutes sortes de milieux mafieux opérant dans des zones à forte dangerosité en Afrique ou ailleurs. Mais, on songe aussi à tout cet énorme commerce d'armement officiel sanctionné par les Etats dans la cadre de la "coopération militaire" et que le Fonds monétaire et la Banque mondiale ont naguère, une fois n'est pas coutume, dénoncé ouvertement 14. Mais il Y a aussi toute la partie immergée de l'iceberg dont il convient aussi de se soucier. Elle est en définitive celle du destin à plus long terme d'une nation qui n'est plus pour l'instant qu'un entassement de réfugiés et surtout... de peurs, de violences et de représailles. Le scénario d'un processus auto-destructeur ne doit ici nullement être écarté lorsque l'on mesure la rapidité et la facilité avec laquelle ce qui ne fut enfin de compte qu'une Smouts, Le retoumenlent du monde. Sociologie de la scène internationale, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques et Dalloz, 1992, de même que Zaki Laïdi, L'ordre mondial relâché. Sens et puissance après la guerre froide, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques & Berg, Paris, 1992. 13. Jean-Claude Willame, "Diplomatie internationale et génocide au Rwanda", Politique Africaine, n055, octobre 1994. 14. Interview de M. Camdessus dans Die Welt, repris dans Jeune Afrique, 5 octobre 1988, p. 17.
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"promenade militaire" vint à bout d'un État qui n'a que trente-deux ans d'existence et lorsque l'on voit se profiler les dérives d'une "armée patriotique", composée en grande partie de jeunes marginalisés sur lesquels les nouvelles autorités ne paraissent guère avoir de prise. Pour l'instant en tout cas, on ne voit pas apparaître les signes d'une possible gestion de crise à travers des pactes entre "leaders communautaires" qui décident d'inscrire la paix comme objectif central de leurs interactions, ainsi que cela s'est passé en Afrique du Sud ou au Moyen-Orient. La logique de guerre (larvée) reste à l'ordre du jour et elle conduit au mieux à un style de restauration autoritaire semblable à celui de Museveni en Ouganda qui s'est imposé lui aussi après les massacres et les violences "génocidaires" connnis en 1984-1985. Au pire, elle produirait une situation de dérèglement interne apparentée aux cas angolais, cambodgien ou afghan où le pouvoir brut, la prédation économique ou la belliquosité pour elle-même seraient autant des buts que des moyens et où la désaffiliation idéologique et politique liée à l'absence de projet inverserait le schéma de Clausewitz 15.
15. Sur la transformation du sens de la guerre dans ]a situation d'après-guerre froide:>voir Zaki Laïdi, Un monde privé de sens, Paris, Fayard, 1994, pp 147 sv.
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LISTE DES TABLEAUX, GRAPHIQUES ET CARTES
Liste des tableaux Tableau 1 : Estimations du nombre de réfugiés rwandais Tableau 2 : Évolution des densités rurales au Rwanda Tableau 3 : Évolution de la population et superficies disponibles Tableau 4 : Facteurs critiques du développement régional au R\vanda Tableau 5 : Principaux indicateurs agricoles au Rwanda (1966-1983) Tableau 6 : Production et rendement des principales cultures vivrières entre 1910 et 1984 Tableau 7 : Indice du prix réel des cultures industrielles au producteur Tableau 8 : Écarts entre les prix de détail des produits alimentaires aux chefs lieux de préfecture Tableau 9 : Revenus sectoriels et disparités des revenus
95 121 122 127 133 135 136 148 151
Liste des graphiques Graphique 1 : Croissance de la population rwandaise 1913-2000 117 Graphique 2 : Pression démographique de la population jeune au Rwanda 128
Liste des cartes Carte Carte Carte Carte au
1. Densités de population 2. Densités de population 3. Densités de population 4. Densités de population Rwanda (1959-1992)
au Rwanda en 1948 au Rwanda en 1958 au Rwanda en 1978 (1978) et zones de troubles
123 124 125 131
AFRIKA AFRIKA
STUDIE-
INSTITUUT
EN DOCUMENTATIECENTRUM
ASDOC
v.z.w.
~ : 65, Belliardstraat,1 040 BRUSSEL il: 02/230.75.62; 02/230.57.77 Fax.: 02/230.76.05 Het Mrika Instituut waarvan de statuten gepubliceerd werden in bet Belgisch Staatsblad van 2 juli 1992, is een Instelling van openbaar nut. Het beeft tot doel : a)
de Afrika studies in België te bevorderen, te richten en te coordineren.
b)
dien~ten met wetenscbappelijk karakter ten voordele van instellingen en organismen, hetzij publieke of private, hetzij Belgische of buitenlandse, hetzij natuurlijke of rechtspersonen;
c)
de bewaring en de valorisatie van het documentair patrimonium betreffende Afrika;
d)
de bevordering van de Noord-Zuid dialoog met betrekking tot Afrika, zowel nationaalals intemationaal.
De Raad van Bestuur is hoofdzakelijk samengesteld uit vertengenwoordigers van Overheid, van de Universiteiten en van instellingen die zich met Afrika bezighouden. Voonitter van het Instituut is W. Van Hemelrijck, en Directeur G. de Villers. Het Afrika Studie- en Documentatiecentrum (ASDOC) is opgenomen in het Afrika Instituut. Het vervult sedert zijn oprichting in 1970 een drievoudige opdracht : op gebied van documentatie, van vorsing en van publicatie. Het tijdschrift dat door het ASDOC wordt uitgegeven onder de titel"Cahiers du CEDAF/ASDOCstudies" zal voortaan "Cahiers africains" genoemd worden om de gebondenheid aan het Afrika Instituut te onderlijnen. Het Afrika Instituut/ ASDOC is gevestigd in de Belliardstraat, 65 (3de verdieping), 1040 Brussel. DOKUMENTATIECENTRUM Het Afrika Instituut/ ASDOC beschikt over documentatie die voor het publiek toegankelijk is van dinsdag tot vrijdag, van 9u tot 12u30 en van 13u30 tot 16u30 (16u op vrijdag). Deze documentatie is vooral gewijd aan de politieke geschiedenis van 1959 tot op heden. Verder wordt aandacht besteed aan de ontwikkelingsproblematiek vanuit een socio-economisch en vannit een socio-politiek standpunt. Geografisch gezien betreft dit fonds Afrika. De documentatie over Zaïre -en in een wat mindere mate Rwanda, Burundi is evenwel het meest waardevolle bezit van
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het Centrum.
Het Centrum beschikt verder over een documentatie in verband met Algerije (voornamelijk
voor de periode 1960-1980).
INSTITUT CENTRE
D1ETUDE
AFRICAIN
ET DE DOCUMENTATION
AFRICAINES
CEDAF
a.s.b.l.
: 65, rue Belliard, 1040 BRUXELLES
'it: 02/230*75.62;02/230.57.77
Fax.: 02/230.76.05
L'Institut Africain, dont les statuts ont été publiés au Moniteur le 2 juillet 1992, est un établissement public qui a pour objectifs: a) l'impulsion, l'orientation et la coordination des études africaines en Belgique; b) la prestation de services à caractère scientifique envers des institutions ou organismes publics ou privés, belges ou étrangers, ainsi qu'envers des personnes morales ou physiques; c) la conservation et la valorisation du patrimoine documentaire relatif à l'Afrique; d) la promotion du dialogue Nord-Sud appliqué à l'Afrique tant sur le plan national qu'internatiolk,t Le Conseil d'Administration est principalement composé de représentants des pouvoirs publics, de représentants des universités et de représentants d'institutions africanistes. L'Institut a pour président: W. Van Hemelrijck, et pour directeur: G. de Villers.
-
Le Centre d'Etude et de Documentation Africaines (CEDAF), qui remplit depuis sa création en 1970 -, une triple mission de documentation, de recherche et de publication, a été intégré dans l'Institut Africain. Pour manifester cette intégration, les Cahiers du CEDAF sont devenus les Cahiers Africains. Les locaux de l'Intitut MricainlCEDAF 1040 Bruxelles
sont situés au 65 rue Belliard (3è étage),
CENTRE DE DOCUMENTATION L'Institut AfricainlCEDAF dispose d'une documentation accessible au public du mardi au vendredi, de 9h à 12h30 et de 13h30 à 16h30 (16h le vendredi).
L'histoire politique récente et l'actualité constituent un axe inlportant de la documentation.La période concernéeva de 1959à nosjours. Une autre orientation majeure est la problématique du développement sous l'angle socio-économiqueet socio-politique. L'aire géographique couverte est l'Afrique; mais c'est sa documentation sur le Zaïre - et dans une moindre mesure le Rwanda, et le Burundi qui constitue la
-
principale richesse du Centre. Le Centre possède également un fonds documentaire l'Algérie (pour la période 1960-1980 surtout).
important
concernant
MEMBRES FONDATEURS DE L'INSTITUT AFRICAIN OPR1CHTERS VAN HETAFRIKA INSTITUUT A.COUPEZ M. VAN SPAANDONCK G. CRAENEN J. VANDERLINDEN J. DENIS J.~L. VELLUT R.DEV1SCH Y.VERJù\SSELT A. GERARD AFRIKA STUDIE- EN DOCUMENB. JANSSENS TATIECENTRUM,V.Z.W., vertegenwoordigd R. LENAERTS doorzijnvoorzitter CENTRE D'ETUDE ET DE DOCUF.REYNTJENS W. VAN HEMELRIJCK MENTATION AFRICAINES, a.s.b.l., représenté parsonprésident M. VAN OFFELEN CONSEIL D'ADMINISTRATION DU CEDAF RMD VAN BEHfER VAN HEr ASDOC
Président J Voorzitter: F. REYNTJENS (Rijksuniversitaircentrum Antwerpen) Président honoraire JEre voorzitter: A.A.J. VAN BILSEN (Universiteit Gent) D. BEKE (Universiteit Gent) J. BOSSUYT (European Centre for Development Policy.Management) R. DEV1SCH (Katholieke Universiteit Leuven) J. DONEUX A. DUCAMP (Université Libre de Bruxelles) J. GERARD-LIBOIS (Centre de Recherche et d'Information Socio-politiques CRISP) B. JANSSENS S. MARYSSE (Ce'ntrum Derde Wereld) J. VAN LIERDE (Centre de Recherche et d'Information Socio-politiques - CRISP) W. VAN HEMELRIJK (Afrika Bibliotheek) J.-L. VELLUT (Université Catholique de Louvain) B. VERHAEGEN (Universités du Zaïre) Y. VERJù\SSEL T (Vrije Universiteit Brussel) Directeur J Direkteur: G. de VILLERS Directeur-adjoint JAdjunkt-direkteur:J.-C. WILLAME Secrétaire général! Sekretaris generaal: G. de VILLERS Secrétaire de rédaction J Redaktie secretaresse: E. SIMONS
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DE L1INSTITUT AFRICAIN/CEDAF HEl AFRIKA
CAHIERS DU CEDAF 1991/ASDOC-STUDIES - WILLAME
Jean-Claude,
INSTITUU1/ASDOC
1991
Zal"re, années 90, Volume 1 : De la démocratie
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"octroyéelf â
la démocratie enrayée (24 avril 1990 22 septembre 1991), 5-6/1991, 318 p./blz. CAHIERS DU CEDAF 1992/ ASDOC-STUDIES
1992
- de VILLERS Gauthier, Zaire, années 90, Volume 2 : Zaïre 1990-1991 :Faits et dits de la société d'après le regard de la presse, 1-2/1992, 235 p.lblz. - de VILLERS Gauthier (sous la direction de), Petite économie et phénomènes informels au Zaïre et en Afrique, 3-4/1992, 257p./blz. .. WILLAME Jean-Claude, Les manipulations du développement. 5/1992, 182 p./blz. .. de VILLERSGauthiert
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CAHIERS AFRICAINS 1993 I AFRIKA STUDIES 1993
- SIMONS Edwine,
Inventaire des des études africaines en Belgique de Afrika studies in België, 1-2/1993, 341 p./blz.
- Inventaris
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- MUTAMBA MAKOMBO Jean-Marie, Lumumba correspondant de presse, 3/1993, 84 p./blz. - WYMEERSCH Patrick (sous la direction de), Liber amicorum Marcel d'Hertefelt. Antropologische.opstellen- Esais anthropologiques, 4-5/1993, 380 p./blz. - NDA YWEL è NZIEM, Zaire, années 90, volunle 3; La société zaïroise dans le miroir de son discours religieux (1990-1993), 6/1993, 102 p./blz. CAHIERS AFRICAINS 1994 I AFRIKA STUDIES 1994
-
WILLAME Jean-Claude, Gouvernance et pouvoir. Essai sur trois trajectoires africaines. Madagascar, Somalie,Zaïre, 7-8/1994, 206p./blz.
- de VILLERS G. (sous la direction de ), Belgique/Zaïre: quel avenir? Actes des rencontres de Bruxelles, 7-9 octobre 1993, 9-10-11/1994, 349 p./blz. - MARYSSE S., de HERDT T., NDA YAMBAJE E; Rwanda. Appauvrissement et ajustement structurel, 12/1994, 86 p./blz. - MAYOYO BlTUMBA TIPO-TIPO, Migration Sud/Nord : Levier ou obstacle? Les migrants zaïrois en Belgique, 13/1995, 167 p./blz.
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AFRIKA FOCUS Driemaandelijks tijdschrift van AFRIKA DRUG v.z.w. / Quarterly of the association AFRIKA BRUG I Périodique trin1esteriel de r association AFR.JKABRlJG ISSN0772-084X VOLUME 10, NR. 1-2, 1994 En mémoire... A l'avenir? (D. de Lame) ZANA AZIZA ET AMBALA Carnet de route d'un voyageur congolais: MasaIa à l'Exposition universelle d'Anvers, en 1885 (-suite et fin-) Ahmed ISIITIAQ Weste.rnand Muslim Perceptions of Universall-Iulnan Rights A. DECLERCK& A~MEHEUS Medische bijstand in ontwikkelingslanden, kreatief denken en een nieuwe aanpak. zijn gewenst Willy-Roland MFUKALA MOKE KEY Stratégies matrimoniales et appropriation de la terre chez les Yansi: pour une grande solidatité entre générations BOEKEN, CONFERENTIES EN MEDIA / BOOKS, CONFERENCES AND MEDIA / LIVRES, CONFÉRENCES ET MEDIA "Culture and Communication. The Forgotten Dimension in Development Cooperation fi (P. Wymeersch) Alain Van der Beken, "Proverbes Yaka du Zaïre" (N. Bursens) AFRICA REVIEW Sierra Leone
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iSSNIO,;'l'W94 Périodique Tweemaandelijks Bimonthly
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Institut Africain Afrika Instituut Centre d'Etude et de Documentatîon Afrîka Studie. en DokumentatieAfricaine. (CEDAF) Centrum (ASDOC) rue Belliard,65, Belliardstraat BRUXELLES 1040 BRUSSEL BELGIQUE BELGIË BELGIUM fil (32)21230.75.62- Fax: (32)21230.76.05
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Jean-Claude
WILLAME
ET POUVOIR Essai sur trois trajectoires
Madagascar
Somalie
africaines
Zaïre
La fin des années 80 a vu déferler en Afrique de nouveaux concepts " froids ",comme la gouvernance et la démocratisation libérale. Ceux-ci ont été principalement " commercialisés " par les institutions financières internationales (Banque mondiale et F.M.I.) qui ont réussi à asseoir leur leadership doctrinal sur leur capacité à débourser des montants financiers importants. De l'ajustement structurel du début de la dernière décennie, on est passé à l'ajustement" politique ". A travers différents itinéraires politiques suivis par trois pays africains (Madagascar, Somalie et Zaïre), l'étude entend montrer le contraste qui existe entre la "froideur" de l'appareil conceptuel de la gouvernance et la " chaleur" du déterminant politique dans les différentes situations et, donc, la faible pertinence du premier face à des processus qui se développent surtout dans un contexte de luttes pour l'obtention ou la conservation du pouvoir. Ceci signifie-t-il que l'Afrique se marginalise dans la violence, les querelles entre factions et la corruption? Il n'est pas aisé de répondre à une telle question au vu d'évolutions, souvent en trompe-l'oeil, dont l'émergence remonte à quelques années seulement. Il n'est pas impossible qu'à la faveur des phénomènes centrifuges liés à la remontée spectaculaire de luttes ethniques, religieuses et autres, de nouvelles recompositions se profilent dont on ne perçoit pas encore aujourd~hui le sens exact. Les nouveaux acteurs politiques ne seront en tout cas plus les aînés d'hier qui se sont discrédités par des accumulations ostentatoires ayant détruit l'essence même de la redistribution patrimoniale. Ils ne seront peut-être pas non plus les" opposants" désannés d'aujourd'hui. Pour réussir à émerger, ces acteurs devront certainement être capables d~intégrer dans leurs pratiques
les spécificités de leurs propres trajectoires qui seront sans doute bien différentes de cellesdont nous rêvonspour eux.
S. MARYSSE, T. de HERDT, E. NDAYAMBAJE
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Si les deux premières décennies qui ont suivi l'indépendance du
Rwanda ont été marquées par le progrès, la situation économique du pays s'est dégradée à partir de 1985, contraignant le gouvernement
d'Habyarimana à faire appel aux institutionsfmancières internationales
-
notamment FMI et Banque Mondiale. Le Programme d'Ajustement Saucturel (PAS) déma.ITe en 1990 avec une dévaluation de la monnaie de
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40% et une réfonne du secteur du commerceextérieur~
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Analysant l'impact de rajustement structurel sur les conditions de vie de la population de deux communes rurales du Rwanda, entre 199092, les auteurs démçntrent que pour 75% des familles, l'existence s'est dégradée mais que cet appauvrissement n'est pas imputable à l'application du PAS: il y a une relation de coïncidence plutôt que de causalité entre les deux phénomènes. Les expériences rwandaise et malienne sont comparées: elles montrent que le PAS n'entraîne pas nécessairement la paupérisation. Cest la capacité de la classe politique, avec l'administration, à accepter la nécessité de l'Ajustement et à adopter ensuite les mesures idoines, qui explique les résultats si différents voire divergents obtenus au Mali et au Rwanda. L'étude a été réalisée avant que le Rwanda ne sombre dans le chaos mais la question des massacres déclenchés en avril 1994 est abordée: y a-t-il un lien entre l'évolution socio-économique du pays et cette irrup... tion de violence? Le drame rwandais s'est produit dans un contexte très spécifique souligné par les auteurs.
;;c
- Ste/aan MARYSSE est professeur en économie du dévelop.w pement d'Anvers (UFSIA). - Tom de HERDT est assistant au Centre de Développement de l'UFSIA. - Elie NDAY AMBAJE est économiste, diplômé de l'Université Nationale du Rwanda. ISBN: 2-7384-3101-1 ISSN : 1021-9994
Institut Africain-CEDAF Afrika Instituut-ASDOC Bruxelles-Brussel
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atta1\ ~ BURUNDI
\j\\artn MBONIMP
Hutu, Tutsi, TWa. Pour une société sans Castes au Burundi,
A Melchior
1993, NDEGA
1 09p.
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Répressionau Burundi. Journal d'un priso/mier vainqueur. (Coll.MémoiresAfriaines), 1993, 135p
Y A V énérand
"...
70
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RWANI)A GASARABWE N AHlMAN
Edouard
A Ferdinand
Parlolls Kinyarwanda-Kirundi, 1992, 290p La Rwanda. Emergence d'un Etat. (Coll. Racines du PréJellt),
150 Il
1993, 346p
170lf
,
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Le Rwanda .'iOll.Sle régime du tnandal belRe (1916-1931). (Col/. Racines du Présent), 1992, 249p HP 'H OO.. 140F
RUMIY A Jean
ZAIRE BUANA
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KABUE
COQUERY
-VIDROVITCII
COQUERY
- VIDROVITCH
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DORLODOT
Philippe
DE VILLERS G. (dir.) DELIS Ph. & SINARD Ch. DIGEKlSA PILUKA Fr.V.
DUNGIA
Emmanuel
GBABENDU E.A. et autre GBABENDU E.A. et autre
:leGOOSSENSI;r.
et "utres
Citoyen Président, lettre ouverte au Président Mobutu et aux t.45F alllre.s, 2(~(J/)...,.."""""""""""""""""""""""""""""'" RébellÙnu et Révo/utions ail Zaïre (Coll. Racine.,;du Présent) (Coquery- Vidrovitch, Fore,rtt,Weiss) T.I, 237p 130F Rébellions et Révolutions au Zai're (Coll. Racines du 1""J,fent) (COqlU!f)'~ Vidrovitch, Fore.it~Weiss) T.2, 210p 115F "Marche t!'e,lfipoir"KÙuha.fa 16février 1992. NOIl-violellce pOlir III Démocralie au Zaïre (Coll. lllïre-/listoire et Société), 1994, 324p 190F BeLgique / Zaïre; Ulle histoire ell quête d'avenir (Cahiers Africains, 11°9-10-11),1994, 346p, 180F Ecollomie de la construction à Kinshasa, 132p 100F Le massacre de Lubumbashi. Zaïr 11-12 mai 1990. Dossier d'un témoin accu.'ié, 1993, 144p 220F Mobutu et l'argent du Zaïre. Révélations d'un diplomate, ex-age/lt des services secrets, 1992, 215p 120F Volonté de changement au Zaïre (Fame 1), 1991, 217p 120F 120F Volollté de changemellt au Zaïre (J'orne 2), 1991, 223p Nourrir Killshasa. L'approvisiollnement local d'une métropole africaille (B.Mil1te1t,E. Tollelu) (Coll. Zarre~HiJt.Soc.), 1994, 400p , , 240F 130F Du COI1KO prospère au 7.aïre ell débacle, 1991, 2401'
KALONDA DJESSA J.G. 7,11Ire,le pouvoir à /a portée du peuple, 2041' KAMITAT\ I Cl6'phas , P.Lumumba. Justice pour le héro.f, 1992, 308p KAPITA-MULOPO L. KASONGO-NGOY I MAKIT A CapitaL scolaire et pou,Joir social Cil Afrique - A quoi ,!fcr! LUMUNA
SANDO
MAlJREL
Auguste
Kahllva
MBA Y A & STREIFFELER
MUBUMBILA MFIKA Mouvance Prog.du Congo PINIAU
Bernard
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A. et autres
TSBITENGE VERHAEGEN
Muteha B.
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WEISS lIerhcrt r. \VILLIAM J.C
le diplÔ111euniversitaire, Préf de B. Verhaegen, 224p ,."... Nord-Katanga. 1960-1964. De la séce.'isio1tà la guerre civile. Le meurtre des chefs, 1993, 222p Le Congo de la colonisation belge à l'indépendance. (Col/. Zaïre-Histoire et Société), J992~ 352p Zaïre. ViLLage,ville et campagne (Coll. A/tenlatives PaYJal1lle,s),ISGp , Sur le sentier 11lystérieuxdes nombres flairs, 1841' Congo (Zai're) Démocratie !léo-coloniale ou deuxième indépendante?, 1992, 1921' Congo-Zaïre. 1874-1981. La perception du. lointain. (Coll. Racines du Présent), 1992, 285p Droit coutumier africain. Proverbes judiciaires Congo (Zai'r). Préfde L. V.Thomas, 1993, 397p Zoi're, combat pour la deuxiènte indépendance, 1241' Femmes zaïroise.rtde Kisangani .~Lonlbats pour la survie (Coll. llistoire et société), 1991, 300p L Ienseignement universita.ire au Zafre. De Louvanium à l'CJNA7A (1958-1978), 2001' Radicali.fl1le rural et llifte pour ['indépendance au Congo Zaïre. Le parti solidaire africain (1959-1960), 1994, 350p Zaïre, l'épopée
d'1nga
-
Chrollique
IIOF 160..13SF 120F 185F 125F 12Sft~ 110F 150F 250F 75 F 180F .IIOF 210F
d'une prédation
industrielle (Coll. Villes et Entreprises). 213p
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REVUE TIERS-MONDE Revue trimestrielle publiéepar L'Instilut d'Etude du DéveloppementEconomiquect Social de l'Universitéde Paris l
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L'OUVERTURE HETERODOXE: POLITIQUES ET REFORMES ECONOMIQUES
pour
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La création de la CNUCED et l'évolution da la pensée sur le développement
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Réformes des politiquas commerciales performances économiques Libéralisation
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financière:
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Mobilité financière internationale: effets déstabilisateurs et régulation
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Concurrence dirigée et efficacité dynamique en Asie :Japon, Corée du Sud, Taïwan
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Du plan au marché:
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la réforme maitrisée en Chine
Financement éGhanges et investissement: le cercle vicieux de l'Afrique sub-saharienne
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REVUE TIERS-MONDE REVUE TRIMESTRIELLE publiéepar 1'1nstitu( d'Etude du Développement Econonlique et SOCIal de l'Uni versité de Paris I
Octobre...Déc(~mbre 1994
N° 140
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Le marché du travail à Yaoundé 1983-1993. La dé:-cnnic perdu(
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LESUEUR Jean-Yveset Les services publics subsahariens : importance socioPlANE Patrick éronomiquc et évaluationdes politiques d'assainissement DUPONT Véronique, DUREAUFrançoise
Rôle des mobilités circulaires dans les dynamiques urbaines. Illustmtions à partir de l'Equateur et de l'Inde.
MUKOKO Blaise
Modèles alternatifs d'industrialisation et généralisation des revenus monétaires: une approchekeynésienne. A prQPos du débat sur le déve!oj?oenzent
Planification ou marché du dé\'eloppement l'approche nationale des programmes
MAHIEU F.R.
? Des projets à
DocunJelltation:
BUZELAY
L'union fiscale et douanière des Douze: quels enseignements pour l'intégration régionale en Afrique centrdle ?
Alain
Au delà des apparences: années 90.
MADESCLAIRE
Yannick
un autre regard sur le: Vietnam des
Le Doint sur ... .. GUILLEN
De la pensée de la CEPAL au néolibéralisme, du néolibérnlisme au néostructuralisme, une revue de ta litténtture sud-américaine
ROMO
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REVUE TIERS-M()NDE Revue trirnestrielle publiéepar L'InsUlUl d'ElUde du Développement Economique de 11Jnivcrsité de Paris 1
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Sociétés en mutation restructurations mondiales et in j t iat ive s 10ca les
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L'cÙ1nique et le local dans les IUlles politiques contcmpordines en Afrique australe Crise ct recomposition des identités à Madagascar Acteurs islamistes et modernité dans l'Egypte des vingt demièrc..1')années
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Introduction
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I <'Les recomposÜions J. Ph. Peeuuuls
collectives:
Nerissa
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Les ligues régionales et les associations islamiques EgYPlC : deux formes de regroupemcnt à vocation socialc et caritative Rcconversion agricole, syndicalisme ouvrÎer el conscÙ:nce de classe en Andalousie La cOTllinuil~ ('Jure villes el campagne>. dU I\'cotJ. L.: rÙk-des associations urbaines
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TABLE I)ES I\'IAFfIERES "L'Africain" n° 166, 'l'oussaint 1994 Pages 1 Présence des étudiants étrangers à ~1ons ) RWANDA 4 De Charybde en Scylla? 9 Comité rwandais d'action l'Ourla démocratie .I. Refus d'une solution militaire inlposée au peuple rwandais (30juillet 1994) II. Déclaration du 12 novelnbre 12 Déclaration des membres des ON G f\.va.ndaises et de leu cs partenaires (Nairobi, le 18 novenlbre 1994) 14 Les vacances du Maître PHaroS p. I et II 15 BURUNDI 16 Dimension politique et enjeux socio-économiques de la crise burundaise 17 VIE DE L'EGLISE Pour une Eglise participative (Louvain-la-Neuve 19/11/94) 20 Passeport 2000. Interview du P. GABBIADINI sur l'accueil des réfugiés en Belgique
26 ZAIRE 29 3] 32 33 34 36 39 40 41 42 43 44 en en
Guy de MARNEFFE s.j. Jacques DELOOZ s.j. Laurien NTEZIMANA
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Jean-Claude BANTU EtiefU1e Alain TONNANG Jean PEETERS cicm O.R.A.
Le Zaire nouveau
Appel aux Zaïrois de l'étranger PHaroS p. 111et IV MONDE ETUDIANT: So.C.T.S.A.: présentation Ignace B. MOUNKOUE Appel à l'aide CEZAM Dieudonné K AZADI L'Amicale de la Maison Africaine Engels KASONGO-NGIESU NOUVELLES FAMILIALES PUBLICATIONS RECENTES (Hun-Ian Rîghts Watch. Qui a anné Ie RWclJ1da ? : Dialogue ~ Georges DEFOUR, Le développenlent rural en Afrique Centrale: Ph. de DORLODOT, "Marche de l'Espoir" ~Le Zaïre que nous voulons: un projet de société Paul GERADIN, Guide de docun1entation ~Clés pour l'islam. FONDATION PERE EVERARD - (Publicité) COtnn1ent faire face aux soucis d'un deuil ? Cahiers africains Afrika Studies Table des matières p. 3 de la couverture: mots croisés (129) et Kasparovia (13) Vincenzo SORETII, p. 4 de la couverture: ACOTRA
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"L'Africain" est édité par le C.A.C.E. A.C. Asbl, rue Léon BenIus 7, 6000 Charleroi T 07 JI] 1 JI 86 Comité de rédaction: Antwerpen: Muheme Bagalwa ~ Bruxelles: Valérien Mudoy, Camille Tedanga Jpota ~ Charleroi: Stanislas Kagish~ Jean-Claude Karibuhoye ~ Leuven: Jean-Pierre Mbwebwa Ka1ala~ Liège: François Buditn'bani Yambu~ Louvain-la-Neuve: Bwanga wa Mbenga, Ngonga-ke---Mbembe: Mons. Bcnoit Mboula~ Natnur : Tite Kubushishi, Gilbert Ndulnbi~ Eustache Niyitugabira : France: Anicet Mobe-Fansiama, c/o Nsunsa, Il, rue Castelnau, F-94240 L'Hay-les-Roses, Zaïre: Malomalo Mozanimu, B.P. 10] 20. Kinshasa. --------------
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19790
EN PAGES FOURNIE 14110
par Corlet, Imprimeur, S.A. - Précédent dépôt: avril 1995 - Dépôt
Condé-sur-Noireau
légal; octobre 1996
(France)
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