COLLECTION
DE
L'ÉCOLE 61
FRANÇAISE
DE
ROME
Jean-Pierre MARTIN Professeur à l'Université de Reims
PROVIDENTIA DEORUM
RECHERCHES DU POUVOIR SUR CERTAINS IMPÉRIAL ASPECTS ROMAIN RELIGIEUX
ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME PALAIS FARNESE 1982
© - École française de Rome - 1982 ISBN 2-7283-0039-9 ISSN 0223-5099 Diffusion en France : DIFFUSION DE BOCCARD 11 RUEDEMÉDICIS 75006 PARIS
Diffusion en Italie : «L'ERMA DI BRETSCHNEIDER» VIA CASSIODORO, 19 00193 ROMA
SCUOLA TIPOGRAFICA S. PIO X - VIA ETRUSCHI, 7-9 - ROMA
AVANT-PROPOS
Parmi les problèmes qui se posent à tout observateur de la réalité antique, celui du pouv oir, de sa conception, de son sens, est un des plus délicats. Habitués à une autorité déléguée, limitée dans le temps par le verdict populaire, reflet d'une opinion publique, il nous est difficile de pénétrer une mentalité qui appréhende le pouvoir comme issu de la volonté divine ou, tout au moins, placé dans un rapport étroit avec le monde des dieux; le souverain est alors considé ré comme ayant personnellement le droit de gouverner et l'on est enclin à confondre la fonc tion souveraine avec un homme qui se trouve placé, d'un mouvement naturel, au-dessus des autres hommes. Ce pouvoir s'inscrit dans le temps ; il a un passé et il se projette dans l'avenir. Il est partie d'une conception globale de l'évolution générale de l'univers qui engage le cours de la vie humai ne dans ses aspects purement individuels com medans les rapports que chaque individu entre tient avec ses semblables dans une société orga nisée politiquement. Cette conception du temps est religieuse par excellence et par nécessité; les Romains, le peuple «le plus religieux du mond e», ne pouvaient concevoir le pouvoir qu'im prégné de droit divin. De ce fait, il était légitime de s'interroger sur les conduites fondamentales de l'homme romain vis-à-vis du pouvoir. Mais une telle question devait trouver un point d'ap puisolide, riche de substance, une notion dont l'ancienneté et la permanence prouvaient le poids. Utilisant le passé, intervenant dans le pré sent, ouvrant la raison à la connaissance et à la compréhension de l'avenir, Prouidentia parut
être la notion idéale pour permettre le déchiffr ement de certaines formes cachées, ou peu appar entes, mais parmi les plus importantes, du pou voir impérial. Elle l'est d'autant plus que cette Providence est toujours Prouidentia Deorum; tout homme qui utilise sa propre providence emploie ce que les dieux lui ont donné. À partir du moment où un homme, par sa fonction, est plus que ses propres concitoyens, il est normal qu'il puisse se réserver l'exclusivité de la Provi dence, de toute éternité et à jamais issue des dieux. Comment pourrions-nous oublier que c'est à M. William Seston, membre de l'Institut, profes seurhonoraire à la Sorbonne, que nous devons l'idée initiale de ce travail. Qu'il soit remercié d'avoir su juger de la richesse et de la portée du thème d'étude proposé et d'avoir suivi avec une bienveillante efficacité sa longue élaboration; ses conseils ne nous ont jamais fait défaut, tout en nous laissant une entière liberté intellectuelle dans l'orientation de notre recherche, ce qui est la marque des vrais maîtres. Il nous est aussi particulièrement agréable de témoigner notre reconnaissance à l'indulgence éclairée de M. Michel Meslin, directeur de l'Ins titut d'Histoire de l'Université de Paris-Sorbonne, dont la connaissance de l'homme romain nous a été indispensable, et à celle de M. Jean Béranger, professeur honoraire à l'Uni versité de Lausanne, qui a si souvent croisé Prouidentia au cours de ses études pénétrantes sur le pouvoir impérial; tous deux nous ont beaucoup apporté. Nous avons également bénéficié de l'expé-
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AVANT-PROPOS
rience irremplaçable que possède de la vie rel igieuse sous le Haut-Empire M. Jean Beaujeu, professeur à l'Université de Paris-Sorbonne. Nous sommes enfin redevable à M. Marcel Le Glay, professeur à l'Université de Paris X-Nanterre, si intime connaisseur des mécanismes du sentiment religieux dans le monde romain, d'avoir bien voulu prêter à nos travaux un inté rêtaverti.
Mais cette thèse n'aurait pu paraître si M. Pierre Grimai, membre de l'Institut, profes seurà l'Université de Paris-Sorbonne, ne s'en était porté le garant et n'en avait proposé la publication dans la Collection de l'École française de Rome, et si M. Georges Vallet, son directeur, n'avait accepté de l'accueillir. Qu'ils nous per mettent de leur en exprimer toute notre respec tueuse gratitude.
INTRODUCTION
Dans notre civilisation occidentale, le mot «Providence» évoque invinciblement le christia nisme, l'action d'un dieu bienfaisant dans la création et dans l'évolution du monde des homm es. Elle est, comme nous pouvons le lire dans le dictionnaire d'E. Littré, cette « suprême sages separ laquelle Dieu conduit tout». Aussi aurions-nous facilement tendance à en accorder la formation et l'exclusivité au christianisme. Ce serait une conception fausse de la réalité, car le terme préexiste au christianisme dans la langue latine et il n'est en rien un mot savant ou peu employé. Il fait partie de la langue courante et est accessible à tous comme le montre sa pré sence dans les documents publics tels que les inscriptions et les monnaies, comme nous le verrons plus avant dans cette étude. D'ailleurs, en reprenant les termes utilisés par Littré, et en remplaçant simplement «Dieu» par «les dieux», nous aurions une définition acceptable d'un des aspects de Prouidentia à l'époque romaine païenn e. Son sens est déjà large, son contenu comp lexe, ses emplois assez nombreux et variés pour en faire une notion intéressante; elle l'est sur le plan de la langue, elle l'est dans la pers pective historique où nous chercherons à nous placer le plus souvent et le plus étroitement possible.
En effet, un mot ne peut être employé pen dant plusieurs siècles sans subir dans son utilisa tion,son contenu, la façon dont ceux qui s'en servent le comprennent, des changements, des interprétations, des distorsions de sens qui nécessitent une étude précise. Pouvoir en parler en toute connaissance de cause oblige à en rechercher l'origine dans la langue latine. Les philologues n'ont eu aucune difficulté à en éta blir l'étymologie; déjà Littré, sans risque d'er reur, voyait dans prouidentia un dérivé de pro, pour et uidere, voir. A. Ernout et A. Meillet pla cent prouidere dans les dérivés et composés de uideo1. Sous sa forme verbale prouidere, le mot apparaît pour la première fois dans la littérature latine, dans deux pièces de Plaute2, avec toute la valeur de ses éléments composants, «voir à l'avance», «prévoir», d'où «prendre des précaut ions». Puis, peu de temps après, il est utilisé par le poète M. Pacuvius, cet osque élève d'Ennius et ami de Laelius, qui écrivit quatorze tragédies dont il ne nous reste que 425 vers. Parmi ceux-là, il s'en trouve un qui contient prouidere :
1 A. Ernout-A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, 1967, 4e éd., p. 733. 2 Asinaire, II, 4, 44 : «Non, hercle, te prouideram, ...... Le Revenant, II, 2, 94: «Nil me curassis, inquam; ego mïhi prouidero». Cf. A. Walde- J. B. Hoffmann, Lateinisches etymologis ches Wörterbuch, Heidelberg, t. II, 1954, p. 378.
3 Frg. 407 R3 : « Car s'il y avait des mortels capables de lire dans l'avenir, la terre les placerait au rang de Jupiter». Cf. M. Valsa, Marcus Pacuvius, poète tragique, Paris, 1957. K. Latte, Römische Religionsgeschichte, Munich, 1960, p. 265, n. 2.
«Nam si qui quae euentura sunt, prouideant, aequiparent Iovi»2. Il est évidemment difficile de savoir si Plaute est l'introducteur du terme dans la langue ou s'il
INTRODUCTION emploie un vocable déjà courant. Plusieurs indi ces font pencher pour la première solution. Il faut replacer l'évolution du vocabulaire dans la grave crise de croissance que Rome connaît durant le deuxième siècle avant notre ère. La crise politique née du choc avec l'adversaire punique, de la peur de la défaite et de la dispari tionde YUrbs, des débuts de l'impérialisme méditerranéen et de l'évolution de la société à Rome et en Italie, eut des répercussions matér ielles, mais aussi morales, importantes. Le lan gage ne resta pas à l'abri de ces transformations; il lui fallut s'adapter à un état de choses nou veau. Plaute fut un de ceux qui permirent à la langue latine de traverser cette crise en s'adaptant, se purifiant et en se fixant4, tout en lui gardant l'essentiel de son originalité primitive. Mais dans Plaute, seule la forme verbale prouidere est utilisée. Nous ne trouvons chez lui aucune trace du substantif prouidentia. L'étape qui sépare l'introduction de prouidere de celle de prouidentia est, paradoxalement, longue. Ce der nier terme ne se trouve pour la première fois que dans la Rhétorique à Herennius, cet ouvrage d'auteur inconnu, publié sans doute entre 86 et 82 av. J.-C, et dont le titre exact a disparu. L'auteur, qui ne peut être Cicéron, est sans dout eun homme déjà mûr qui, sans être écrivain de métier, emploie une langue simple5. C'est dans le IVe livre, où est étudié le style, qu'à propos de la périphrase se trouve prouidentia: «Circuito est oratio rem simplicem adsumpta circumscrìbens elocutione, hoc pacto : "Scipionis prouidentia Karthaginis opes fregit". Νam hic, nisi ornandi ratio quaedam esset habita, Scipio potuit et Karthago simpliciter appellari»6. Le terme se trouve ensuite dans de nom breux passages de Cicéron. Ce dernier avait un
jour déclaré: «Jusqu'ici la philosophie a été négligée et n'a eu aucun éclat dans les lettres latines. Il m'appartient de la mettre en lumière, de la faire sortir de l'ombre»7. Le latin, langue d'une population réaliste, que l'on a même pu qualifier de fruste à la suite de certaines de ses réactions, en tout cas profondément attachée à la terre, est, par là même, capable d'exprimer le concret sous toutes ses formes. La contrepartie en est son peu d'adaptation à l'abstraction. Dans ce domaine, son indigence s'est révélée quand il a fallu faire passer en latin la culture hellénique et les subtilités de sa pensée philosophique. Les premiers à s'attaquer à ce problème se contentè rent simplement d'emprunter le mot grec et de le transcrire dans l'alphabet latin; ce fut le cas de philosophia. Cicéron refusa cette facilité et chercha à enrichir la langue latine, dans le domaine de la pensée spéculative, en réalisant l'équivalent de ce qu'offrait le grec8. Il partit de l'idée que le latin était capable de tout exprimer à condition de savoir s'en servir, c'est-à-dire d'utiliser les ressources fournies par le vocabul aire latin, même le plus banal. Si Cicéron s'est servi, lui aussi parfois, de la traduction pure et simple du grec en latin, ou de l'équivalence d'un terme grec et d'un groupe de mots latins9, il a surtout créé de nouveaux ter mes. Il l'affirme d'ailleurs lui-même, se réservant le droit d'inventer des néologismes10, à l'exemple de Zenon et à l'encontre, semble-t-il, d'une gran departie des linguistes et écrivains romains11. Les créations de Cicéron furent nombreuses et, pour la plupart, restèrent définitivement dans la langue latine; ce fut le cas de qualitas, à'humanitas, de conuenientia (pour ομολογία), d'aequilibritas (pour ισονομία). Mais, si l'on en croit J. Marouzeau, «la plus belle de ses créations
4 J. Marouzeau, Quelques aspects de la formation du latin littéraire (Coll. linguistique pubi par la Soc. de Linguistique de Paris, LUI), 1949, p. 28. 5 H. Bornecque, p. XVII-XIX de l'introduction à son édi tion-traduction, Paris, 1932. 6 IV, 32, 43. Il est déjà intéressant de noter que, dans ce passage, le mot prouidentia est employé pour signifier la qualité d'un homme. Grâce à elle, Scipion a pu vaincre les ennemis de Rome. 7 Acad. Post., I, 9. 8 J. Marouzeau, op. cit., p. 139. 9 M. O. Liscu, L'expression des idées philosophiques chez
Cicéron, Paris, 1937, p. 97 sq. C'est ainsi que l'idée de Destin, désignée en grec par ειμαρμένη est rendue par Cicéron à l'aide de fatum {De Divin., I, 125) ou bien par fatalis nécessitas (De Nat. Deor., I, 20) ou bien encore uis fatale (De Fato, III, 5). 10 Cic, De Fin., III, 2, 5 : «Quodsi in ea lingua quant plerique uberiorem putant concessimi est, ut doctissimi homi nesde rebus non peruagatis inusitatis uerbis uterentur, quanto id nobL· magis est concedendum, qui ea nunc primum audemus attingere?». 11 Cic, ibid., Ill, 15, 51 : «. . . quod nobis in hac inopi lingua non conceditur».
INTRODUCTION peut-être» fut proiiidentia12 et tous les autres dérivés de prolùdere qui ne sont pas attestés avant lui, prouidus et prouidenter en particulier. Comme toutes les autres, il s'est agi de créations savantes, dont les modèles ont été, à partir du terme grec πρόνοια, ceux qui en sont issus, προνοητης, προνοητικός, προνοητικώς. Sans enlever à Cicéron tous ses mérites, il est possible de ne pas être en accord avec J. Marouzeau sur ce point précis. En premier lieu parce que le mot existe dans la Rhétorique à Herennius. Ensuite parce que, si nous suivons l'ordre chro nologique, la première œuvre dans laquelle Cicé ron emploie le terme proiiidentia est le traité que nous appelons De Inuentione rhetorical. Nous ne savons pas grand chose sur les condi tions et la date de sa composition. Mais ce traité est manifestement de la jeunesse, sinon de l'e xtrême jeunesse de l'orateur. Certains pensent que la rédaction définitive a été réalisée en 81 av. J.-C; pour d'autres14, beaucoup plus tôt, puisque Cicéron aurait rédigé l'ensemble en 91 (il n'avait que quinze ans) et l'aurait publié dès 87, ce qui, d'ailleurs, le rendrait antérieur à la Rhétorique à Herennius. Tout le monde est en accord pour juger qu'il s'agit là d'un traité de rhétorique; l'Invention ne devait être que la pre mière partie d'un ensemble regroupant les con naissances nécessaires au bon orateur. Même si l'orateur Cicéron lui-même affecte, plus tard, de n'y voir qu'un travail d'étudiant15, l'œuvre est plus qu'un simple livre de notes. Mais ses limites sont très précises; Cicéron n'a pas cherché l'originalité et, étant donné sa jeu nesse, nous ne pouvons y trouver l'expression d'une pensée indépendante des écoles alors dominantes. Il est aisé d'y définir une source essentielle stoïcienne interprétée peut-être par un rhéteur du IIe siècle, Hermagoras de Temnos16, sans négliger les influences péripatéticien nes. Ce recueil de vocabulaire et de
ces nécessaires à l'orateur pour pratiquer son métier n'a pour but que de préciser la valeur technique des mots17 et ne peut donc en rien exprimer un aspect original de la pensée du jeune Cicéron qui n'était encore qu'un bon élève. Il n'a fait qu'utiliser une terminologie technique plus ou moins uniforme et courante en latin dans les écoles de rhétorique à l'époque de ses études. Comment croire alors que le jeune Arpinate aurait eu l'audace d'introduire un terme latin entièrement nouveau et si parfaitement adapté; et ce d'autant plus que proiiidentia, dans le De Inuentione, n'est, avec intellegentia et memoria, qu'une des parties de prudentia, ellemême composante essentielle de uirtus, avec iustitia, fortitudo et temperantia18. Cicéron nous pré sente un état de la rhétorique dans les années 91-81; il ne peut, étant donné ce but, avoir créé un terme nouveau. On ne saurait donc attribuer à Cicéron la création du mot proiiidentia qui était certainement déjà employé dans les écoles latines de rhétorique à l'époque de ses propres études. Ces remarques n'enlèvent aucun mérite à l'Arpinate qui a su ensuite, comme nous le ver rons, sortir des définitions trop rigides pour donner au mot une souplesse d'adaptation et un contenu riche qu'il ne possédait pas auparavant. C'est pourquoi nous adhérons pleinement à l'a ffirmation de saint Augustin, «la philosophie en latin a commencé avec Cicéron; elle a atteint avec lui sa perfection»19. Sans être le créateur absolu et unique du vocabulaire philosophique latin comme trop facilement certains l'ont pensé, Cicéron n'en reste pas moins celui qui a su utiliser habilement les matériaux qu'il a trouvés et les adapter aux ressources les plus anciennes du latin; c'est bien lui qui a donné à sa langue cette richesse d'expression qui a fait des Romains les dispensateurs de la pensée en Occi dent et les créateurs de notre humanisme20.
12 Op. cit., p. 139. 13 De Inv., II, 160. 14 C'est l'avis de H. M. Hobbell dans son introduction à l'œuvre, dans la collection Lœb, Oxford, 1949. 15 De Orat., I, 5. 16 C'est du moins ce que prétend H. M. Hobbell qui rapproche ce traité de la Rhétorique à Herennius. A. Hus, Intellegentia et intellegens chez Cicéron, dans Hommage à
J. Bayet (Coll. Latomus, LXX), 1964, p. 267, insiste sur la source stoïcienne. 17 A. Yon, Ratio et les mots de la famille de reor, Paris, 1933, p. 175. "De Inv., II, 159-163. "Contra Ac, I, 8. 20 A. Meillet, Esquisse d'une histoire de la langue latine, Paris, 1933, p. 217.
INTRODUCTION II faut donc enlever à Cicéron le mérite de l'invention du mot prouidentia, sans pouvoir d'ailleurs l'attribuer à quiconque. Mais si, un jour, quelqu'un a ressenti la nécessité de trouver un équivalent latin de πρόνοια, c'est que ce te rme avait lui-même un contenu précis et signifi catifpour celui qui pénétrait dans les domaines de la pensée spéculative. Dans de telles condit ions, retracer rapidement l'histoire de cette
notion dans le monde grec permet d'en dégager les aspects les plus profonds et les plus intéres santspour la suite de notre étude. Elle nous conduira à définir le rôle que prouidentia a joué, grâce à son riche contenu, durant la plus grande partie de l'histoire du principat, dans ses rap ports avec les dieux et les hommes, et au sein du pouvoir impérial.
PREMIÈRE PARTIE
DES ORIGINES À TIBÈRE : COMMENT UNE NOTION COMMUNE PREND UNE PLACE OFFICIELLE
CHAPITRE I
DE ΠΡΟΝΟΙΑ A «PROVIDENTIA» OU DE DRACON À CICÉRON
Saisir la notion qui nous intéresse le plus haut possible dans le temps ne saurait être superflu. En effet, puisque Rome doit à la Grèce l'introduction du terme latinisé dans son voca bulaire, donc dans les exercices de sa pensée, nous devons nous préoccuper de son contenu et de son rôle dans le monde grec. Les Romains, et Cicéron le premier, l'ont accueillie et utilisée avec tout l'acquis qu'elle possédait et qui se trouvait être déjà très différencié. Dès les épo ques archaïque et classique, πρόνοια avait atteint une place de choix dans les domaines de la justice, du gouvernement des hommes, de la vie religieuse. Elle ne devait plus l'abandonner tout en évoluant avec le temps. La période qui s'ou vre avec l'installation de royautés hellénistiques dans tout le bassin oriental de la Méditerranée est remarquable par la transformation profonde des rapports de l'homme et du monde; πρόνοια, comme les autres notions à la base de l'intell igenceet de la raison, en a subi l'effet. Il a été d'autant plus important que le stoïcisme s'en est emparé et que c'est à travers les théories du Moyen Portique que s'est effectué le passage de πρόνοια à prouidentia.
1 R. Dareste-B. Haussoulier-Th. Reinach, Recueil des ins criptions juridiques grecques, 2e s., fase. I, Paris, 1898, n° XXI, p. 1-24; R. Meiggs-D. Lewis, A Selection of Greek Historical Inscriptions, Oxford, 1961, n° 86, 1. 11. 2 Ainsi quand Platon, dans les Lois, aborde le problème du meurtre entre concitoyens (IX, 871a) : «"Ος άν εκ προνοίας τε καί αδίκως δντινα ούν των εμφυλίων αύτόχεφ κτείνη »
I - ΠΡΟΝΟΙΑ, L'HOMME ET LES DIEUX 1 - La justice La notion de πρόνοια apparaît très tôt dans des cadres aux contours précis : ceux de la justi ce entre les hommes. Dans le décret athénien de 409/408 av. J.-C, qui reprend la loi de Dracon sur le meurtre des dernières années du VIIe siècle, nous pouvons lire pour la première fois la formule εκ προνοίας; elle exprime ici l'action volontaire, délibérée et réfléchie en vue de pro voquer la mort de quelqu'un: «και έαμ με 'κ [π]ρονοί[ας] [κ]τ[ένει τις τίνα φεύγίείν'»1. Ce sens est désormais très fréquent2. Dans cette accep tionétroite, et qui donne au mot une significa tion forte, la langue juridique s'est emparée du terme et nous connaissons l'existence d'une δίκη τραύματος εκ προνοίας, c'est-à-dire d'une action pour blessures avec intention de donner la mort3. Dans la même ligne, mais en dehors du cadre judiciaire, Platon applique l'expression à la survie du genre humain et condamne celui qui, délibérément4, refuse la procréation et qui, par l'exercice de cette volonté, repousse les lois de la
3 À Athènes un procès engagé selon cette procédure devant l'Aréopage peut entraîner le bannissement; Lysias est souvent intervenu dans ce genre de procès (Contr. Simon, 28; 41 ; 43. Surtout le Περί τραύματος εκ προνοίας au § 6, 7 et 12), Cf. aussi Eschine, Contr. Ctésiphon, 212. "Lois, VIII, 838e; IV, 721c.
DES ORIGINES À TIBÈRE
a) Un des aspects du pouvoir. L'utilisation la plus fréquente du terme πρό νοια se trouve, avec ses dérivés, dans un
ne à la fois large et au contenu précis, celui de l'exercice du pouvoir. C'est un des aspects fonda mentaux de l'action de la puissance dirigeante qui sait faire montre de prévision et qui agit pour le bien de ses sujets ou de ses concitoyens administrés. Isocrate exprime cette idée en défi nissant la royauté comme «l'activité humaine la plus haute et celle qui exige le plus de «προ νοίας»10. Il n'est pas possible de mieux synthéti ser le contenu de πρόνοια qu'en laissant s'expr imerPériclès dans le discours que lui fait tenir Thucydide : « elle (l'intelligence) préfère, en se fondant sur les circonstances, se fier à la réflexion, dont la πρόνοια est plus solide»11; il s'agit de l'intelligence qui permet de tenir ferme la cité dans la bonne voie; c'est celle de l'homme d'État, celle des magistrats, celle des chefs de guerre12. Πρόνοια est utilisée sur tous les terrains où le pouvoir peut jouer un rôle, là où il doit agir avec justice et équité. Le stratège du Pirée Heraclite et le stratège d'Eleusis, Démainetos, en sont remerciés par des inscriptions honorifiques13. Et nous retrouvons le même état d'esprit dans l'a ttitude des rois lagides qui ordonnent de veiller strictement à l'application des lois qu'euxmêmes ont édictées14; πρόνοια est bien cette prudence protectrice nécessaire aux magistrats
5 Plat., Lois, IX, 874e; XI, 932e. Her., II, 161; VIII, 87. 6 Her., Vili, 87. 7 C'est pourquoi Platon, Lois, IX, 871a, met en parallèle εκ προνοίας et αδίκως. Cf. Her., II, 151. 8 Dem., Contr. Arisi., 7; 22. Contr. Everg. et Mnes., 19: Démosthène évite de confondre dans la même accusation, grâce à l'action de sa réflexion, Théphimos, celui qu'il accuse au nom de son client, et ses parents qui ne sont en rien responsables des actes de leur fils. Her., I, 159. Isocr., Aréop., 31. Sur l'Attel., 9 (Alcibiade exilé applique son esprit à ne commettre aucune faute). 9 Comme l'est le cocher de Platon qui réussit à imposer sa décision mûrement réfléchie à la mauvaise bête de son attelage (Phèdre, 254e). 10 Disc. Nie, 6. Voulant flatter Philippe de Macédoine, il lui applique cette définition {Phil., 69-70) et il en fait le seul dirigeant en Grèce vers qui tous peuvent tourner leurs regards puisqu'il sait marquer sa sollicitude à chacun en particulier. Une idée semblable se trouve exprimée sous la même forme dans deux inscriptions très mutilées, de l'extrême fin du IVe siècle; un décret des Milésiens (IG, IV, II, 5, suppl., n° 546b) et un autre décret, des Athéniens, au moment de la guerre contre Alexandre, fils de Cratère, et Antigone Gonatas (IG, IV, II, 5, suppl., n° 371c, frg. a). Cf. aussi Xen., Econ., VII,
38 (pour la reine des abeilles). 11 Thuc, II, 62, 5 : « . . .γνώμη δε άπο των υπαρχόντων, ης βεβαιότερα ή πρόνοια ». 12 Ainsi Phormion dans Thuc, II, 89, 9: «Τούτων μεν ουν έγώ εξω την πρόνοιαν κατά το δυνατόν». Ainsi celle que Nicias s'attribue en voulant détourner les Athéniens de l'aventureuse expédition de Sicile (Thuc, VI, 13, 1). Ainsi celle qui, mêlée intimement et efficacement à l'audace, pous seEpaminondas à tenter de surprendre les Athéniens (Xen., Hell., VII, 5, 8 : "Οσα μέντοι προνοίας έργα και τόλμης εστίν, ουδέν μοι δοκεϊ άνηρ έλλιπεΐν ». L'audace, τόλμη, n'est pas réfléchie, mais elle complète ici heureusement la πρόνοια. C'est l'union de ces deux tendances qui fait le grand chef sur le champ de bataille). 13 IG, II, 5, 591b, Salamine, 244-243 av. J.-C. (= Ditt., SylL, P, 454, 1. 9). IG, ibid., 619b, Eleusis, 216 v. J.-C. (?) ( = Ditt., SylL, IP, 547, 1. 16). Dans un cas approchant, les membres de la confédérat ion des Nésiotes ont honoré, par des éloges officiels, des couronnes et les titres de proxènes et bienfaiteurs, les juges chargés de trancher les différends et qui, eux aussi, l'avaient fait avec justice et équité (IG, XII, 5, 870, Ténos, IIe siècle av. J.-C). 14 Ainsi Ptolémée VI Philométor qui veut que personne ne soit lésé et n'ait ainsi l'occasion de venir se plaindre à lui :
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nature. C'est la condamnation sans équivoque de celui qui écarte la vie et, par ce refus réfléchi, porte atteinte au groupe humain dont il fait partie et à l'humanité entière. L'expression est aussi souvent utilisée pour évoquer tout ce qui aboutit à un résultat danger eux, mauvais ou même catastrophique pour la personne humaine, mais sans entraîner obliga toirement la mort5. Dans tous les cas, il s'agit d'exprimer l'idée d'une décision réfléchie, mûrie; de ce fait, πρόνοια s'oppose à τύχη, le hasard6. Mais elle peut être aussi la pensée volontaire contraire à la justice, c'est-à-dire à ce qui permet l'existence d'une société organisée dans laquelle l'individu est protégé et se sent protégé7. Cepen dantπρόνοια n'est pas seulement employée pour évoquer la pensée réfléchie qui répand le mal heur. Ses conséquences peuvent être positives et elle peut permettre d'éviter les dangers en appli quant son esprit à ne commettre aucune faute8. C'est l'attitude d'un homme conscient de ses responsabilités de dirigeant9. 2 - Le gouvernement des hommes
DE ΠΡΟΝΟΙΑ À «PROVIDENTIA« et aux chefs, mais qu'ils ont le devoir de trans mettre; elle est, à tous les échelons de la société et de l'administration, la base véritable de la justice15. Cette pensée réfléchie, nécessaire à la bonne direction du monde des hommes, indi spensable à la marche régulière de la cité, a des effets bénéfiques lorsqu'elle se transforme en actes; Démosthène lie expressément πρόνοια et ευδαιμονία et, pour lui, les hommes ne peuvent être conduits au bonheur que par «la réflexion, les saines pensées et une grande prévoyance»16. Seule une réflexion bien menée peut donner des résultats positifs si l'on veut apporter soin et
protection à ses semblables. C'est pourquoi, par l'exercice de la πρόνοια, il ne faut pas hésiter à s'attaquer aux problèmes les plus terre à terre qui, dans la vie quotidienn e, se présentent de façon continue : la sauvegar de des biens matériels17, la réparation des dom mages de guerre18, l'approvisionnement d'une cité et l'accès à certains privilèges19, mais aussi la protection contre les dangers extérieurs20 et les questions d'instruction ou d'éducation21. C'est avec la πρόνοια que doit s'exercer le res pect de la loi qui permet aux cités de conserver leur autonomie22 et de vivre dans la paix23. Ce
M. Th. Lenger, Corpus des Ordonnances des Ptolémées, dans Mém. Acad Roy. Belgique, Lettres, LVII, I, 1964, n° 35, 22 septembre 163 av. J.-C. Dans un contexte de réorganisation du pays et de pacifi cation sociale, le roi est obligé de se présenter comme un conservateur de l'ordre existant (cf. Cl. Préaux, La paix à l'époque hellénistique, dans Ree. Soc. Jean Bodin, XIV, 1961, p. 260-264). Ainsi Ptolémée Évergète II, Cléopâtre II et Cléopâtre III (M. Th. Lenger, op. cit., n° 56, 22 mai 117 av. J.-C). Le même auteur a étudié cette inscription dans les Studi in onore di Vincenzo Arangio-Ruiz, I, Naples, 1952, p. 495, η. 53 et p. 499, η. 79, et dans les Mélanges Georges Smets, Bruxelles, 1952, p. 497-508 et 514-515. 15 Un trait caractéristique de l'Egypte lagide doit être noté. Chaque fois qu'il est question d'exercer la πρόνοια il ne s'agit que de fonctionnaires et jamais du, ou des, souverains; cette « hiérarchie » est toujours respectée. Une lettre envoyée par un stratège à son supérieur, le dioecète, nous le montre de façon claire et précise : « Grâce d'abord à la Tychè de notre dieu et seigneur le roi, grâce ensuite à ta prévoyance (πρόνοια), grâce enfin à nos efforts qu'inspirent la crainte et la vigilance ...» (Aegyptische Urkunden aus den Königlichen Museen zu Berlin. Griechische Urkunden = BGU, VIII, 1764). La Tychè est réservée au souverain, les «efforts», le travail purement matériel au stratège et c'est le dioecète qui possè de la πρόνοια, la prévoyance nécessaire pour comprendre les ordres du roi, les interpréter et les faire appliquer dans tous les nomes. 16 Dem. Contr. Aristog., I, 33; ici πρόνοια est opposée à άπόνοια, le désespoir qui élimine toute réflexion. C'est ce bonheur que les Athéniens ont cru trouver dans les masses de richesses accumulées sur le territoire de leur cité au moment de l'apogée de la ligue de Délos; mais ce n'était justement pas un bonheur fondé sur une réflexion positive (Isocr., Sur la Paix, 83). Il ne pouvait, de ce fait, que conduire les Athéniens aux plus grandes catastrophes, celles de la guerre du Péloponnèse. Isocrate aborde ce même problème à plusieurs reprises: Phil., 32; Pan., 2 et 136; Plat., 1. 17 Ainsi dans l'arbitrage que Magnésie du Méandre impos e aux Itaniens et aux Hiérapytniens; le jugement en faveur des Itaniens est ainsi justifié: «δια της των φίλω[ν αύ]τών
κα[λ]ής προν[οίας » (Ditt., SylL, IP, 685, 1. 106, 139 av. J.-C). Ainsi aussi dans les honneurs décernés à Aristoclès, à Messene, parce qu'il avait été équitable IG, V, I, 1432, 1. 40). Dans les mêmes termes, Ptolémée II Philadelphe demande à un haut fonctionnaire de l'intendance militaire de veiller à ce que la localité d'Arsinoé ne soit pas soumise au logement de garnisons militaires, privilège dont elle avait été gratifiée dès sa fondation; la sollicitude doit mettre fin aux abus (M. Th. Lenger, op. cit., n° 24, vers 255 av. J.-C). 18 J. Pouilloux, Choix d'inscriptions grecques, Paris, 1960, n° 4, 1. 34-36. 19 L'Épidaurien Évanthès est honoré d'un décret de ses concitoyens pour avoir assuré l'approvisionnement de la cité et pour avoir obtenu des Romains qu'Épidaure ne fournisse jamais aucun contingent militaire (IG2, IV, I, 66, 72-71 av. J.-C). Un autre exemple montre que πρόνοια est aussi la quali té que chacun doit apporter à l'administration de ses biens propres, ce qui doit être compris comme un apport à la collectivité et la meilleure preuve d'un parfait esprit civique. C'est dans ce sens que les Hiérapytniens ont essayé d'agir (Ditt., Syli, IP, 581, 1. 51-52). 20 Les Salaminiens protégés des pirates par les soins du stratège du Pirée Chérédémos (Ditt., Syli, P, 454, 1. 9 et 14 = IG, II, 5, 591b). Dans un sens identique, les habitants de Samothrace ont pris un décret honorifique pour Hippodé mon, un général de Ptolémée Évergète, qui avait parfait ementorganisé la défense de l'île contre les assauts d'Antigone Doson (Ditt., Syli., P, 502, 1. 9-10).' 21 Un gymnasiarque d'Érétrie (IG, XII, 9, 234, 1. 6) et le cosmète des éphèbes d'Athènes (Ditt., SylL, IP, 717). 22 Comme en 196 av. J.-C. à Lampsaque (Ditt., SylL, IP, 591). C'est aussi le sens qui ressort de la lettre du consul Cn. Manlius Vulso aux Héracléotes sur la liberté et l'immunité accordées aux cités grecques; il leur garantissait l'autonomie pour avoir pris délibérément le parti de Rome (Ditt., SylL, IP, 618, 1. 10). 23 Ainsi Coméas, hipparque des clérouques de Lemnos (IG, II, 5, suppl., 318c). Deux autres inscriptions nous fournis sentdes exemples semblables. Un décret du «pagus» des Halasarnitains de Crète en l'honneur de la « prévoyance d'un
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DES ORIGINES À TIBERE
sont tous ces aspects si divers que nous retrou vonschez le premier écrivain qui emploie régu lièrement et abondamment πρόνοια, Polybe. b) Polybe. Le contenu et la signification de l'œuvre de Polybe ont particulièrement excité les imaginat ions des érudits depuis déjà longtemps. Le fait est d'autant plus important que le mot πρόνοια se trouve à de très nombreuses reprises dans son ouvrage24. Après avoir écarté l'avis de ceux qui ne veulent voir dans la pensée de Polybe qu'un reflet parfait de la philosophie stoïcien ne25, encore faut-il essayer de définir quel sens l'historien a donné à πρόνοια. Lui donne-t-il une place particulière et un contenu original, comme le nombre d'emplois dans son œuvre pourrait le laisser supposer? En réalité, Polybe utilise le mot dans son sens courant, en lui appliquant parfois une coloration personnelle et en privilé giantcertains aspects. Ces derniers sont particu lièrement intéressants pour nous à cause de l'influence que Polybe a pu avoir sur ses contemp orains, surtout les Romains. Nous retrouvons chez lui les sens courants de πρόνοια que nous venons d'énumérer. Il exprime par ce mot la nécessité des précautions à pren dre pour ne nuire à personne, la manière de faire ressortir le rôle important que peut jouer toute prudence protectrice, qu'elle soit celle d'un peuple sur un autre peuple ou de
sauveur», celle de Philippe V de Macédoine (Ditt, Syll., IP, 568, 1. 7). Un décret d'Oropos en l'honneur de la prévoyance de Hiéron qui a permis la délivrance de la cité (Ditt., Syll., IP, 675, 1. 23-24; Cl. Michel, Recueil d'inscriptions grecques, I, n° 205). 24 Relevé à soixante-huit reprises par R. Hercod, La con ception de l'histoire de Polybe, Lausanne, 1902, p. 97-98. 25 Certains, pour renforcer ce qui était chez eux une idée préconçue, ont cherché dans la Τύχη, maîtresse de la marche du monde et du cours des affaires humaines, le paravent facile de la Raison, de la Providence stoïcienne. Ce fut le cas de R. Hirzel, Untersuchungen zu Ciceros philosophischen Schriften, II, Leipzig, 1882, pour qui τύχη et πρόνοια étaient parfaitement assimilables. R, Hercod, op. cit., p. 95-102, a pu démontrer qu'il ne pouvait y avoir eu substitution et que les deux notions n'avaient pas chez Polybe même contenu et même sens. 26 Les Romains avec les Achéens contre les Messéniens (XXIII, 17, 3) ; les Éléens qui organisent la justice dans les campagnes (IV, 73, 8). Cf. aussi XVIII, 36, 4 et XV, 2, 5. 27 Scipion et les femmes et filles des Ilergètes (X, 18,
lier à particulier26. Cette protection est accordée par un supérieur à des individus qu'il a sous sa direction27, mais aussi à soi-même; en effet, un général est nécessaire à son armée en toute circonstance et il ne doit pas s'exposer inconsi dérément28. Polybe utilise le terme πρόνοια avec une très grande abondance lorsqu'il s'agit de montrer la sollicitude du chef dans la bataille, le soin qu'il apporte à préparer, puis à remporter la victoire, avant de savoir en tirer tout le profit possible. Elle est indispensable dans les préparatifs matér iels de la guerre29 et elle est la qualité essentiell e de tout général qui étudie la façon dont il va mener ses troupes, qui envisage quelles seront les conséquences du combat qui va s'engager30. Cette qualité ne fait pas défaut aux deux grands chefs puniques, Hasdrubal31 et surtout Hannibal qui sut toujours maintenir la condition physique et morale de l'ensemble de ses troupes en vue des combats futurs32. Au moment d'engager la partie décisive, le véritable chef doit envisager ce qui arriverait en cas d'échec33 et il doit s'occu per des détails matériels les plus mineurs34. Dans le combat, tous ceux qui sont dépour vus de πρόνοια courent à l'échec sans appel35; les autres ne peuvent que triompher36. Mais, sur ce plan, Polybe a sa personnalité de prédilection, Scipion. À trois reprises, il signale sa πρόνοια; ainsi dans les dispositions tactiques qu'il prend à Ilipa et à Zama37. Par sa réflexion sur les événe-
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28 Ainsi Hannibal durant toutes ses opérations en Italie (X, 33, 3); son action est marquée au coin de la sagesse: είκότως. 29 Les Romains (III, 106, 7; VI, 52, 3); les Carthaginois (III, 87, 5; XIV, 6, 9). 30 Philippe échoue devant Mélitaïa parce qu'il n'a pas pensé à préparer un matériel de siège et d'assaut (V, 98, 2). Cf. X, 41, 3. 31 XI, 2, 10. 32 III, 60, 7. 33 XI, 2, 6. 34 Ainsi la transmission des signaux optiques (X, 44, 6). 35 C'est le cas de l'Aitolien Théodotos qui échoue dans sa tentative d'assassiner Ptolémée sous sa tente (V, 81, 7) ou de Flamininus face aux Gaulois (II, 33, 6). 36 Philopoemen à Mantinée (XI, 17, 1); Adherbal à Drépane (I, 52, I); Hannibal à Cannes (III, 115, 11). 37 XI, 24, 6; XV, 12, 4 : «κατά την τοϋ στρατηγού πρόVOUXV ».
DE ΠΡΟΝΟΙΑ Λ «PROVIDENTTIA* ments présents et passés, il a su acquérir tout ce qui lui était nécessaire pour mener son action dans les meilleures conditions; il exprime la sagesse contenue en tout homme38. Bien entend u,après la bataille, le chef doit montrer la même πρόνοια pour faire respecter les droits de chacun, prisonnier ou soldat39. Par ces exemples, nous voyons que chez Poly beπρόνοια exprime la réflexion individuelle por tée à son plus haut degré d'intelligence et de pénétration, sans qu'il soit question d'y introdui re l'extraordinaire, c'est-à-dire le divin40. Hannib al comme Scipion n'utilisent que leurs qualités humaines41. La πρόνοια est bien la vertu essent ielle du chef puisqu'elle est toute pensée et jugement porté sur les réalités du moment, les causes qui les ont créées et les conséquences inéluctables qui en découleront. Elle s'oppose totalement à la fougue irréfléchie, au courage téméraire qui est la meilleure qualité du soldat mais qui ne peut, en aucun cas, être suffisante pour le général42. c) Πρόνοια dans l'État. La place tenue par πρόνοια lui permet de jouer un rôle essentiel dans les affaires de politi quegénérale, intérieure ou extérieure, intéres sant l'État. De nombreuses inscriptions 38 XXXVI, 8, 4 : «... όταν έξ ακεραίου βουλευωνται και πλείω ποιεΐσθαι πρόνοιαν τοΰ μηδέν παθεΐν ή τοΰ δράσαι κακώς τους εχθρούς». Scipion est alors tribun des soldats dans l'armée de Manilius (automne 149). 39 XVIII, 33, 8. 40 De ce fait, Polybe s'en prend aux historiens qui refu sent de décrire les choses telles qu'elles sont et qui font intervenir « des dieux ou des enfants des dieux » (III, 47, 7). 41 X, 2, 13; XI, 31,7. 42 Par là s'explique l'échec de Minucius, seulement témér aire, et le succès de Fabius dont la πρόνοια s'exprime dans sa circonspection, cause du salut de la république (III, 105, 9). Une remarque analogue, mais sans l'emploi de πρόνοια en I, 84, 6 et en IX, 14, 1-4, oppose le soldat de métier et le tacticien. 43 C'est le cas de Ptolémée VI Philométor qui attache une grande importance à la διαγραφή τοΰ σπόρου, nécessaire au bon ordre du pays qui ne peut survivre que si les récoltes sont bonnes : « Nous avons reçu de vous le serment non seulement dans les temples mais par écrit, au nom des rois de mettre la prévoyance la plus empressée à ce que les parcelles soient réparties à chacun suivant ses ressources, personne n'étant laissé de côté et personne n'étant au con traire surchargé ». P. Paris 63 (UPZ 1 10) reproduit et traduit
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les y font une allusion précise. Le roi hellénisti que est toujours à la recherche réfléchie de la sauvegarde de ses propres concitoyens ou sujets; c'est ce qui apparaît dans de nombreuses demandes d'exécution d'ordres royaux dans le squelles le souverain réclame la πρόνοια de ses subordonnés43. Souvent le souverain emploie le mot dans sa correspondance44 et πρόνοια expri mealors le respect de la légalité45. La cristallisation de la notion sur la personne du souverain s'est faite très tôt et Eumène II, dans une lettre à la ligue ionienne, parle de sa πρόνοια qui a procuré la paix46. Cet attachement est rendu évident par l'emploi constant, et en rapport direct avec Ptolémée, de πρόνοια dans la Lettre d'Aristée à Philocrate47 ; le mot est utilisé pour signifier la sollicitude du roi dans la prépa ration des cadeaux, coupes en or et cratères, destinés au grand-prêtre de Jérusalem, et le soin qu'il apporte à la renommée de sa bibliothèque enrichie par la traduction en grec des livres de la Loi des Juifs48. Cette sollicitude est celle du chef pour les peuples qu'il doit diriger dans le meilleur des chemins, pour l'ordre du pays et sa prospérité; c'est la réponse que fait le troisième sage juif au roi qui lui a demandé comment faire pour que ses amis lui ressemblassent49. C'est de la même façon que Polybe utilise πρόνοια pour parler des citoyens qui prennent en mains les dans P. Vidal-Naquet, Le bordereau d'ensemencement dans l'Egypte ptolémaïque, dans Papyrologica Bruxellensia, 5, 1967, p. 16. De même la lettre adressée au gouverneur de la satrapie de Carie (C. Bradford Welles, Royal Correspondanc e..., 37). 44 M. Th. Lenger, op. cit., n° 60 de 1 15 av. J.-C. Cf. P. Collomb, Recherches sur la chancellerie et la diplomatique des Lagides, Paris, 1926, p. 178-180 et 193-196. 45 C'est le cas des deux Héracléopolitains qui reçoivent satisfaction du souverain (M. Th. Lenger, op. cit., n° 110 et R. Taubenschlag, The Provisional Legal Protection in the Papyr i, dans The Journ. jurist. Papyrol., V, 1951, p. 153). 46 C. Bradford Welles, op. cit., n° 52, 1. 10-11 (hiver 167/ 166 av. J.-C). Dans le même esprit, Attale II accorde à la cité d'Amlada un moratoire de ses dettes qui étaient dues à sa révolte contre Pergame en 168/167, lors de la guerre galate {Id., ibid., dp 54, 1. 11). 47 Que nous datons de la fin du IIIe siècle ou du début du IIe av. J.-C. (cf. infra, p. 24, note 135). 48 VI, 80 et IV, 30. 49 XI, 190. Les deux premiers sages de Jérusalem avaient mis en évidence, le premier la magnanimité, le second la justice.
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affaires de la cité50 ou pour parler de Rome protectrice de ses amis et alliés en Méditerran ée51 ou bien encore pour évoquer quelques souverains comme Antiochos ou Philippe en Macédoine52. La πρόνοια est indispensable à la marche d'un État; grâce à elle, les Romains peuvent espérer les louanges et la gloire53; grâce à elle, Flamininus est aidé et servi dans toutes ses entreprises54, aussi bien publiques que personn elles. Grâce à elle, les jeunes princes devraient savoir choisir leurs «amis», ceux qui resteront leurs conseillers durant toute leur vie55. Rien ne peut être pire pour des dirigeants et pour leurs peuples que l'imprévoyance56. Mais, dans ce cas, il ne faut surtout pas accuser les dieux car, pour Polybe, la πρόνοια est totalement et profondé ment humaine. Rien ne peut mieux exprimer cette idée que ce passage des Histoires qui sem ble synthétiser avec le plus de rigueur et de justesse la pensée de l'écrivain grec: «Les gens qui, à cause de leur esprit naturellement borné, de leur inexpérience ou de leur paresse intellec tuelle,sont incapables de discerner avec exacti tude les occasions d'agir ainsi que les divers facteurs en jeu et les dispositions de chacun, attribuant aux dieux et à leur chance ce qui est l'effet d'une sagacité appuyée par la réflexion et la prévoyance»57. Cet aspect purement humain conduit inévitablement à limiter ses possibilités.
domaine qui lui a été assigné par crainte de la démesure qui guette tout homme et dont les conséquences inévitables se traduisent dans la condamnation par les dieux. La réflexion fait aussi appel à la prudence et la πρόνοια est aussi prudence; les tragiques nous en fournissent le meilleur exemple, que ce soit le chœur prêchant cette prudence à Electre ou Ajax s'adressant à sa femme et approuvant son attitude58. Tous les hommes sont limités par leur propre faiblesse, même s'ils usent de leur πρόνοια. Xénophon soutient le même point de vue et faisant de la πρόνοια une simple ressource de l'esprit humain, il en montre les limites; elle n'est même pas capable de donner à l'homme toutes les connais sancesqui lui seraient nécessaires. L'homme est alors obligé de faire appel à la divination et μαντική est l'opposé de πρόνοια59; il peut aussi se montrer audacieux, car l'audace est le com plément indispensable de la réflexion60. La πρόνοια serait-elle donc incapable de sort ir l'homme du rôle mineur qu'il tient dans la marche de l'univers? Ses facultés devraient-elles le maintenir dans les seuls domaines restreints où il lui est loisible d'agir? Tout le monde n'a pas pensé comme Xénophon ou Polybe, et Thu cydide nous le signifie quand il affirme qu'il vaut mieux des «prévisions sûres» que des «souhaits incertains» et des «espoirs inconsidérés»61. Mais ne serait-il pas possible de penser que cette assurance que l'homme possède de prendre de d) Les limites de son emploi. bonnes décisions, s'il fait effort de réflexion, Il ne peut être question d'utiliser la πρόνοια viendrait, tout au contraire, du lien étroit que les dans n'importe quelle circonstance et dans n'im dieux ont établi avec les hommes? Certains l'ont porte quel but. L'effort de l'homme, quand il agit cru et il ne manque pas d'exemples où πρόνοια avec réflexion, doit être de jauger ses propres est utilisée dans un contexte religieux ou comme capacités; chacun doit rester dans les limites du une notion de contenu religieux.
50 Que ce soit directement (VI, 9, 3) ou par l'intermédiai re d'une assemblée comme le sénat à Rome (VI, 13, 6; XXVIII, 16, 2). 51 Eumène et ses frères (XXI, 48 [46], 9 et XXI, 21, 1), les voisins de Philippe (XXIII, 1,2) 52 C'est ce qui leur permet d'imposer en Béotie des gouvernements à leur dévotion (XX, 5, 13). 53 XXI, 23, 5. 54 XVIII, 12, 2. 55 VII, 14, 6. 56 Celle des Eléens qui ne cherchent pas à recouvrer leur antique inviolabilité et à provoquer une nouvelle reconnais sance générale de ce privilège essentiel pour leur existence autonome (IV, 74, 2). Celle de Philippe rappelé à ses devoirs
envers la terre grecque (V, 104, 5). "X, 5, 8, traduction D.Roussel (Bibl. Pléiade, 1970, p. 622). 58 Soph., El, 1015-1016; Ajax, 536; Philoct., 774. Vision encore plus pessimiste dans Oed. T., 977-979. Il est vrai que dans ce passage Jocaste repousse toute réflexion pour défen dreune vie laissée aux mains du hasard. A πρόνοια s'oppose l'adverbe εΐκτί; nous retrouvons la même opposition des deux termes dans Isocr., Pan., 136, où d'ailleurs l'auteur défend la position inverse. 59 Cyr., I, 6, 23. 60 Xen., Hell, VII, 5, 8. 61 Thuc, IV, 108, 4.
DE ΠΡΟΝΟΙΑ Λ «PROVIDENTIA. 3 - Le sacré a) Dans les relations des hommes avec les dieux.
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rale que les hommes ont envers le monde divin. Tous les mots de la famille de προνοεω viennent naturellement au rédacteur quand est abordée la question de la piété65. Mais, dans l'intérêt que l'homme porte aux choses sacrées, le soin qu'il doit mettre à s'en défier dans certaines circons tances est aussi un des aspects de πρόνοια66; cet aspect reste cependant limité et nous pouvons considérer πρόνοια comme partie intégrante de la conception du divin que les Grecs possèdent, et cela dans un sens très positif67. Ces quelques traits suffisent à montrer les rapports étroits qui existent entre les hommes respectant leur πρόνοια et l'exerçant et le monde des dieux; ne pas utiliser la πρόνοια dans ce domaine aboutit à courir le risque, inutile car il peut être mortel, d'une rupture avec les dieux. Cette utilisation doit être franche et dépourvue de tout calcul68.
Quand les problèmes religieux sont abordés dans leur fond, les auteurs font souvent appel à la πρόνοια humaine qui agit sur plusieurs plans se rejoignant pour former un même ensemble. Il s'agit d'abord pour l'homme d'assurer la protec tionde ce qui est considéré comme du domaine des dieux; il doit en prendre le plus grand soin pour ne pas s'attirer la colère divine62. Dans la même ligne s'inscrivent les devoirs dus aux ancêtres; ils sont recommandés pour entretenir de bons rapports avec les dieux. Isocrate expri meparfaitement ce point de vue en rapprochant πρόνοια et ευσέβεια, la prévoyance et la piété63. C'est l'attitude qui permet à l'homme de faire agréer sa demande par les dieux. En outre la πρόνοια de chacun doit s'appli querà la sauvegarde des temples et des sanc b) Dans les relations des dieux avec les hommes. tuaires64. La πρόνοια de l'homme est au service des dieux; elle paraît indispensable au bien com Si les hommes ont une πρόνοια dont ils peu vent et doivent se servir, les dieux en sont natumun qui ne peut découler que de l'attitude 62 Remerciement au chrysonome des lampadistai de Patmos (Ditt., SylL, IIP, 1068, vers 200 av. J.-C). Problèmes intéressant les artistes dionysiaques (C. Bradford Welles, op. cit., n° 53, frg. II A), les technites d'Athènes (Ditt., SylL, II3, 704e 1.31; l'inscription se trouve sur le Trésor des Athéniens à Delphes). Les mêmes expressions sont employées pour toutes les actions purement matérielles qui touchent au domaine religieux : l'établissement d'une corporation pour honorer perpétuellement une certaine Épictèta, son mari et ses deux fils, pour la gravure et la conservation du règlement et du testament (cf. R. Dareste, Le testament d'Épictèta, dans Nouv. Rev. hist. Droit fr. et étrang., 1882, p. 249). De même pour l'érection d'une statue à Priène (C. Bradford Welles, op. cit., n° 63) et l'établissement et la consécration d'une stèle à Magnésie (IG, IX, 2, 1111, 1.36-37). 63 Isocr., Plat., 60. G. Mathieu et E. Brémond traduisent ευσέβεια par respect (coll. des Universités de France). C'est certainement insuffisant parce que beaucoup trop vague. 64 En particulier pour Apollon et Dionysos. Inscription de Paros, peut-être venue de Délos (IG, XII, 5, 270. Cf. L. Homolle, dans BCH, III, 1879, p. 158; VI, 1882, p. 3; VIII, 1884, p. 149 sq.). Inscription de Koropè où il est question d'assurer le bon ordre pendant les consultations de l'oracle d'Apollon Coropaios (F. Sokolowski, Lois sacrées des cités grecques, Paris, 1962, n° 83, 1. 16 et 51 = Ditt., SylL, IIP, 1157). Inscription de Lindos pour honorer, avec le plus d'éclat possible, Dionysos (Id., ibid., n° 137 A). 65 Piété à l'égard d'une divinité particulière à Mantinée; une certaine Nicippa, en 61 av. J.-C, avait montré sa généros ité à l'occasion de la célébration des Coragia (IG, V, 2, 265).
Piété envers la Mère par une ancienne prêtresse qui en reçoit le néocorat à vie, au Pirée (F. Sokolowski, op. cit., n° 48, frg. B, 1. 15-16). Piété envers Isis à Athènes (Id., ibid., n° 50 A, 1. 20). Reconnaissance par les Amphictyons de Del phes de la piété montrée par les technites athéniens (Ditt., SylL, P, 399, 1. 28, de 278/277 av. J.-C). Reconnaissance de la piété de l'Athénien Ammonios qui reçoit les honneurs delphiques aux jeux pythiques de 94 av. J.-C. (Id., ibid., IP, 734, 1. 6; trésor des Siphniens). 66 Soph., Oe
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DES ORIGINES À ΉΒΕΙΙΕ
Tellement aussi pourvus et elle leur permet d'agir dans le monde humain. Le soin que les hommes apportent au service des dieux trouve se contrepartie dans la protection que les dieux leur assurent69. D'ailleurs Aristote étend la soll icitude des dieux à l'ensemble des choses de la terre et les animaux sont, d'après lui, pourvus d'une δύναμις προνοητική pour leur survie et celle de leur espèce70; étant donné que tous les animaux se différencient essentiellement des hommes par leur absence de pouvoir de réflexion, cette δύναμις προνοητική ne peut être due qu'à l'intervention de la volonté divine. Mais c'est aussi la πρόνοια des dieux qui a fourni à l'homme tout ce dont il a besoin pour se proté gerdes atteintes venues de l'extérieur71. Les domaines dans lesquels la πρόνοια des dieux intervient sont multiples. Elle peut même se servir du canal de ceux qui n'ont pas encore de raison pour indiquer aux hommes l'avenir; ainsi le destin royal de Cyrus lui est signifié, dans un jeu, par les enfants de son village; les mages peuvent alors parler de πρόνοια72. Cette dernière prend rapidement l'aspect de la déci sion qui est réfléchie, puis voulue par les dieux. Bien des textes l'affirment sans détours, en
sant l'expression «providence divine», que ce soit pour la répartition des espèces, entre bon nes et nuisibles, sur terre73, ou pour la naissance de l'âme de l'homme ou de celle du Monde, l'une et l'autre créées par la providence du dieu74. D'ailleurs l'action de cette providence divine peut rester à jamais cachée aux yeux des profanes, mais être évidente pour ceux qui savent ressentir la présence divine et comprend re ce que les dieux ont voulu75. Parfois le surnom πρόνοια peut être donné à une divinité. Par un curieux jeu de mots, dont l'origine n'est pas à rechercher ici, mais qui est très représentatif d'un état d'esprit disposé à accorder à une déesse la qualité de «prévoyant e», l'Athéna de Delphes l'a reçu par substitution de Pronaia en Pronoia76. Démosthène fait allu sion à cette Athéna quand il accuse le sycophante Aristogiton d'être vendu aux agents de Philip pe de Macédoine; la qualifiant de «bonne et grande », il met en parallèle Athéna Pronoia et la Justice, la légalité et l'honneur qu'il place en opposition à l'absence de raison et à l'impuden ce d'un côté, à la témérité, la calomnie, le parju re et l'ingratitude de l'autre77. Ce ne sont pas les caractères les plus courants d'Athéna; c'est à
69 Soph., Ant, 282-283. Créon écarte, avec une extrême violence, l'idée qu'il puisse y avoir eu une intervention divine dans l'exécution des rites sur le corps de Polynice. Il utilise πρόνοια pour signifier qu'il est impossible que les dieux aient joué un rôle réfléchi et volontaire destiné à exprimer leur courroux envers lui et à le condamner. 70 Arist., Eth. Nie, VI, 7, 4 (= 1141 a). Προνοητικός est un mot qui n'est jamais employé à propos des hommes qui bénéficient de la φρόνησις. 71 La vue, ce sens si menacé, est bien protégé par les paupières, les cils et les sourcils (Xen., Mem., I, 4, 6). C'est une des marques de l'intérêt constant des dieux pour les hommes. 72 Her., I, 120. Les exemples sont multiples; un des plus caractéristiques est celui des omina proférés par des nou veaux-nés, donc en dehors de toute conscience. Même pen sée dans La Folie d'Héraklès d'Euripide (596-598). 73 Her., Ill, 108; πρόνοια est liée, dans ce passage, à σοφία, la sagesse. 74 Plat., Tim., 44c, passage dans lequel l'auteur recherche quelle est l'origine des corps et en vertu de quels actes de la πρόνοια θεών, l'âme est née. Cf. aussi Tim., 45b, où il démont re que les dieux ont placé sur le visage « les instruments qui servent à toutes les prévisions de l'âme ». Tim., 30b. 75 Par l'intermédiaire du choeur, interprète irresponsable du monde divin (Esc, Agam., 681-685), par les oracles (Soph., Trach., 821-823), par le nom même de Polynice, «qui aime les
querelles», ce qui était un avertissement clair (Eur., Phén., 636-637). Dans un contexte qui est encore plus dramatique, Oreste voit dans les paroles de sa sœur Electre l'expression de la θεοΰ πρόνοια qui lui indique sans aucun doute la voie du salut; les dieux se sont servis d'Electre comme interméd iaireinvolontaire pour faire connaître leur décision (Eur., Or., 1179). 76 Cette Athéna avait été appelée Pronaia parce que, pour le fidèle venu à Delphes par la route de terre, son sanctuaire précédait celui d'Apollon. Si nous en croyons Eschine, la transformation se serait faite à une époque très ancienne; à l'appui de son opinion il cite l'oracle de Delphes, prononcé à l'époque de Solon selon lui, qui consacrait les terres de Cirrha aux dieux : « La Pythie leur prescrivit ... de dédier la terre à Apollon Pythien, à Artémis, à Létô et à Athéna Pronaia pour qu'elle restât en friche ... ». Un peu plus loin, il reproduit les anathèmes et les imprécations lancés contre les transgres seurs de l'oracle et Athéna Pronaia est encore citée (Eschin., Contr. Ctésip., 108; 110; 111). Il est impossible de savoir si la transformation de Pronaia en Pronoia remonte à une époque antérieure au début du VIe siècle. 77 Dem., Contr. Aristog., I, 34-35 : «Είσί ταϊς πόλεσι πάσαις βωμοί και νεω πάντων των θεών, έν δε τούτοις και Προνοίας 'Αθηνάς ώς αγαθής και μεγάλης Θεοΰ, και παρά τω Άπόλλωνι έν Δελφοΐς κάλλιστος και μέγιστος νεώς ευθύς είσίοντι εις το ιερόν, ος ων θεός και μάντις κατ' άμφότερ' οΐδεν το βέλτιστον. άλλ'ούκ άπονοιας ουδ' αναίδειας. Και δίκης γε και ευνομίας
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l'évidence son surnom de Pronoia qui les lui donne et les accole à elle définitivement. Il s'agit, à chaque fois, de vertus essentielles au bon équi libre de la communauté humaine par le sain exercice de la raison et de la réflexion. Il ne peut qu'aboutir au règne du droit, de la loi et de l'honneur. L'opposition fondamentale est entre πρόνοια et άπόνοια, entre la pensée réfléchie et l'absence de raison, la folie78. Cette dernière ne peut déboucher que sur Γάναίδεια, c'est-à-dire l'inaptitude à concevoir sa place dans le monde des hommes, à Γάναισχυντία, le manque de pudeur dans les relations humaines, en un mot l'effronterie79, à la συκοφαντία, la délation dont les conséquences n'ont pas été envisagées par celui qui l'utilise, Γέπιορκία, le parjure qui trom pe les hommes, Γάχαριστία, l'ingratitude qui ne sait reconnaître ce qui est dû aux autres. L'impud eur,la délation, le parjure, l'ingratitude ne peu vent exister que chez des êtres qui ont oublié qu'ils étaient des hommes et, qu'à l'égal de l'Athéna de Delphes, ils étaient munis d'une πρό νοια capable de les tenir dans le droit fil de la raison, nécessaire à la vie en commun dans la cité. Ce dernier passage de Démosthène résume à lui seul tout ce que nous avons tenté de dire depuis le début de cette étude. Lorsque le mot πρόνοια est employé, il s'agit toujours de l'e xpression d'une pensée calculée et réfléchie, pri vilège de ceux qui, dans l'univers des vivants, possèdent les moyens de penser, les hommes et les dieux. L'aspect négatif que cette très ancien ne notion avait pris, et qu'elle a conservé dans le langage juridique, s'est maintenu dans ces étroi teslimites. Tout au contraire, dans tous les autres domaines de l'activité humaine ou divine, πρόνοια a représenté les caractères protecteurs et organisateurs de l'homme à l'égard de ses
semblables ou des choses divines, ou bien des dieux vis-à-vis de l'homme et le l'univers. Il est entendu que dans ses rapports avec les dieux, l'homme est en état d'infériorité; aussi, parfois, ne joue-t-il qu'un rôle de moyen de transmission de la volonté réfléchie des dieux sans que sa pensée propre intervienne; sa πρόνοια n'est alors que le reflet inconscient de la πρόνοια divine. De toutes façons, la πρόνοια s'oppose formellement à tout ce qui est irrationnel, μαντική, εική , et détermine comme ses buts ultimes, le bon heur pour les hommes et la satisfaction pour les dieux, chacun étant dans son domaine propre. Cet aspect religieux dans lequel baigne une grande partie de ce qui concerne la πρόνοια trouve son point d'aboutissement, et très tôt semble-t-il, dans une sorte de divinisation de la notion elle-même, dans la personnification et la personnalisation de la Providence. Dès le IIIe siècle av. J.-C, dans un recueil de préceptes delphiques attribués aux Sept Sages, il est dit : «[Π]ρόνοιαν τ[ί]μ[α]», sans que cette Providence soit rattachée à une divinité particulière; elle semble avoir pris son autonomie80. Qu'en est-il, par ailleurs, de cette «Πρόνοια Μυλασία», sans doute de la cité de Mylases, en Carie81? S'agiss ait-il de faire appel, matériellement, à la protec tion de Mylases ou d'un remerciement pour cet teprotection déjà accordée, ou bien est-ce l'ap pel à une divinité de la cité? Qu'en est-il aussi de cette dédicace «ΠΡΟΝΟΙΑΙ» faite sur une stèle rectangulaire par les Hiéromnamones, les princi pauxadministrateur du sanctuaire d'Epidaure82? S'agit-il d'une divinité totalement autonome, ou bien n'est-ce que l'épithète attribuée à tel ou tel dieu, ici Asclépios dans son rôle secourable de dieu guérisseur? Par quel biais que nous prenions le problè me, il faut nous rendre à l'évidence : il est parfai-
καί αίδοϋς είσι πασιν άνθρώποις βωμοί, οι μεν κάλλιστοι και άγιώτατοι έν αύτη τη ψυχή τή εκάστου και τη φύσει, οι δε και κοινή τοις πασι τιμάν ίδρυμένοι-άλλ' ούκ άναισχυντίας ούδε συκοφαντίας ούδ' έπιορκίας ούδ ' αχαριστίας, ά πάντα τούτιρ πρόσεστιν. ». 78 La traduction donnée par G. Mathieu dans le tome IV des œuvres de Démosthène publié dans la Collection des Universités de France, p. 151, «désespoir», est nettement insuffisante, et même prête au contre-sens, car le désespoir peut être l'aboutissement d'une réflexion, alors qu'ici il s'agit bien d'opposer άπόνοια à tout ce qui est du domaine de la
pensee organisée. 79 Le manque total de honte (αισχύνη), une des passions qui, selon Aristote, possède un caractère social et intervient dans nos relations avec autrui (cf. A. J. Voelke, Les rapports avec autrui dans la philosophie grecque, Paris, 1961, p. 64). 80 Ditt., Syll., IIP, 1268, 1. 7. Dans une collection d'aphorismes qui devait être placée dans le gymnase de Miletopolis. 81 P. Paris, Inscriptions grecques de l'Egypte, dans BCH, IX, 1885, p. 146, n° 6. Peut-être du IIIe siècle av. J.-C. 82 IG, IV, 1318, 1. 7. IIe siècle av. J.-C.
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tement normal et logique de voir πρόνοια deven ir, petit à petit, une divinité; mais les trois inscriptions précédentes laissent place à trop de suppositions dans leur contenu pour que nous puissions aboutir à des conclusions assurées dans ce domaine83. 4 - L'homme Même s'il y a divergences sur la place de πρόνοια dans le domaine du divin, le terme et l'ensemble de ses dérivés ont rapidement fait partie du vocabulaire courant et sont devenus accessibles à la compréhension de tous; leur emploi par les orateurs dans les assemblées populaires en est la preuve évidente. C'est qu'il y a un accord quasi-général sur la place que tient πρόνοια dans l'homme, en tant qu'individu doué de raison et, de ce fait, bienveillant. a) Πρόνοια attachée à l'homme. C'est chez Polybe que nous trouvons amorcé avec le plus de rigueur et de précision ce pre mier mouvement. Il a, en effet, parfaitement introduit la πρόνοια dans un système cohérent dans lequel il a donné une place prépondérante à la partie raisonnable de l'âme, seule capable de concevoir et de réaliser le bien en toutes choses84. La πρόνοια est chez lui, dans une tradi tion déjà classique, l'expression de la pensée réfléchie. Or toute l'attention de l'historien grec est concentrée sur l'homme, maître de son des tin propre, même s'il reconnaît l'existence d'un principe divin qui est chargé de régler au mieux
83 Polybe semble participer à ce mouvement qui fait attr ibuer aux dieux une providence et qui tend à diviniser la providence. A quatre reprises, cette providence intervient avec une connotation religieuse marquée: Polybe parle de la πρόνοια du Tigre, comme si le fleuve était un dieu (V, 48, 8) ; l'ardeur des soldats est décuplée par l'annonce que la θεού πρόνοια repose sur eux (X, 11, 8); c'est elle qui permet la prise de Carthagène grâce à l'assèchement subit d'un étang (X, 14, 11) et qui règle les conflits entre Achéens, Lacédémoniens et «anciens bannis» (XXIII, 17, 10). En réalité, Polybe ne croit pas à la πρόνοια du Tigre et il condamne l'attitude des soldats qui lui font confiance; dans les autres passages, il exprime, avec ces mots, la pensée des personnages qu'il met en scène dans des conditions particulières (Scipion doit galvaniser ses hommes et Lycortas ne fait appel à la
les affaires du monde, tout en restant sur un plan très général85. Cette attitude intellectuelle nous vaut cepen dant quelque originalité intéressante dans le traitement et la manière d'appliquer la πρόνοια. S'occuper des hommes, c'est aussi montrer que parmi eux il en est qui sont supérieurs aux autres par leurs qualités propres, par la façon dont ils savent s'en servir ou les développer. Apparaît chez Polybe une nette personnalisation de la πρόνοια qui devient une qualité individuell e. Elle permet de distinguer sans erreur possi bleles meilleurs parmi les maîtres des peuples, des royaumes ou des armées. C'est parce qu'ils ont su utiliser leur πρόνοια qu'Hannibal et Scipion sont grands vis-à-vis de Philippe ou de Persée qui sont présentés par Polybe comme leur véritable antithèse. La πρόνοια est le vérita ble apanage des grands hommes. D'ailleurs cette individualisation de la notion prend un aspect tout à fait neuf quand Polybe n'en fait plus la composante essentielle de l'es prit et de l'intelligence des grands chefs militai res du passé, mais l'applique à lui-même. Il le fait parce qu'il se considère comme celui qui est chargé d'annoncer et d'expliquer aux autres le sens de ce qui s'est déroulé auparavant et de ce que ses contemporains ont encore sous les yeux. À quatre reprises, l'historien aborde ce problème personnel; il présente alors la πρόνοια comme la volonté de l'écrivain de faciliter la tâche de son lecteur par une rédaction soignée et limpide pour tous86, la possibilité de savoir choisir les faits essentiels pour la conduite et la compré hension du récit87, l'habileté à les organiser pour en faire un ensemble cohérent et clair88. Polybe
voyance des dieux» que comme un moyen de persuasion efficace). Sur ces points, cf. F. Walbank, A Historical Com mentary on Polybitis, II, Oxford, 1967, p. 213. 84 Sur tous ces points, la meilleure étude est celle de P. Pédech, op. cit., p. 210-229 (surtout p. 213). 85 Mais il ne peut s'agir de la divinité stoïcienne. Cf. P. Pédech, Les idées religieuses de Polybe: étude sur la religion de l'élite gréco-romaine au IIe siècle av. J.-C, dans RHR, CLXVII, 1965, p. 42-58. 86 Sans pourtant que ce désir de clarté l'emporte sur la recherche des faits, ce qui est justement le défaut de l'histo rienrhodien Zenon. XVI, 17, 10. 87 XVI, 20, 2. 88 V, 31, 7.
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fait remarquer qu'il est bon que chaque auteur agisse ainsi à l'égard de lui-même, mais qu'il serait encore meilleur qu'il le fît à l'égard de ses «confrères». Comme lui-même l'a fait pour Zenon de Rhodes, il réclame la πρόνοια des autres sur ses propres œuvres89, à la fois critique acerbe et positive si les raisons sont justes, bien veillance si l'erreur n'est due qu'à l'ignorance. C'est à ce prix seulement que nous pouvons atteindre «le vrai et l'utile» et que nous repous sons ce qu'il y a de plus détestable en littérature, «le faux brillant et l'effet»90; une fois cela obte nu,l'œuvre peut avoir une valeur universelle91. Cette πρόνοια, ce «soin» comme il est traduit habituellement, est un choix volontaire exercé dans un but précis qui présente des caractères purement positifs. Tous les hommes ne peuvent pas, ou ne veulent pas, mettre cette qualité en action, la transformer en acte utile; or son emploi ne peut être réservé qu'à ceux qui res sentent très profondément l'utilité de son inter vention. La conscience de la place très humaine tenue par la πρόνοια ne doit pas, cependant, pousser à la valoriser. Polybe sait bien que, puisqu'elle est humaine, elle est faible. Il insiste sur le fait que l'imprévisible existe et qu'il reste hors de portée de la prévoyance humaine92. D'ailleurs, de ce fait, l'homme est excusable de certaines fautes : «l'avenir échappe en grande partie aux prévi sions humaines»93. Or Polybe ne donne place à
la πρόνοια que dans un environnement pure ment humain et l'attribue comme qualité à cha que homme. Mais elle ne peut le guider que si celui-ci le veut véritablement, car elle est le résultat et l'expression d'une réflexion indivi duelle94.
89 XVI, 20, 6. 90 XVI, 20. 91 V, 32. 92 La connaissance de la météorologie ne peut être totale; il existe des averses brutales, des inondations inattendues, des gelées ou des chutes de neige hors des possibilités de la prévision humaine (IX, 16, 2). 93 XI, 6, 6 (paroles de Thrasycratès aux Étoliens pour les inciter à s'allier à Philippe). 94 Alexandre applique sa πρόνοια à la sauvegarde des temples et des lieux consacrés de Thèbes, parce qu'il sait qu'une politique de modération peut lui rallier les Thébains (V, 10, 7). 95 X, 2, 13; X, 5, 8. 96 X, 5, 8. 97 La τόλμα utilisée seule conduit au désastre (V, 81, 7). Le couple πρόνοια-τόλμα est indispensable à celui qui agit: Adherbal (I, 52, 1), Hannibal (III, 47, 7). Nous pouvons cepen dantnoter que, dans quelques passages, Polybe lui-même attribue une certaine irréflexion à Hannibal (III, 15, 9). Il n'est pas besoin de voir ici un écho de la propagande
romaine comme semble le croire J. de Foucault, éd. et trad, des Histoires, livre III (Coll. des Universités de France), Paris, 1971, p. 48, n. 1. L'attitude de Polybe à l'égard d'Hannibal est cohérente; en effet, dans ce passage, le chef punique est plongé dans l'affaire de Sagonte, et Polybe prend bien soin de souligner, en III, 15, 6, son extrême jeunesse. La violence et l'irréflexion font partie intégrante de la jeunesse. Les événements mûrissent ensuite rapidement le caractère d'Hannibal qui sait alors utiliser sa πρόνοια. En outre, il ne faut pas oubier que le Punique a finalement été vaincu par Scipion qui, lui aussi, utilise au mieux sa πρόνοια. Cette défaite ne peut-elle s'expliquer par les faiblesses de jeunesse d'Hannibal qui sont exposées pour montrer que, contrair ement à Scipion, ses qualités n'ont pas toujours été parfai tes? 98 III, 105, 9: opposition entre Minucius et Fabius. Cf. aussi I, 84, 6; IX, 1-4. 99 X, 5, 8 où Polybe résume parfaitement sa pensée: «oî γαρ μή δυνάμενοι τους καιρούς μηδέ τας αιτίας και διαθέσεις εκάστων ακριβώς συνθεωρεΐν, ή δια φαυλότητα φύσεως ή δι' άπειρίαν και ραθυμίαν, εις θεούς και τύχας άναφέρουσι τας
b) Πρόνοια, expression de la raison, permet la φιλανθρωπία. Πρόνοια est, dans le domaine de la pensée réfléchie la quintessence du bien au cours de la vie de l'homme. Dans tous les actes qu'il accomp lit,chaque individu est soumis à la direction impérieuse de ses facultés intellectuelles. La πρό νοια est alors fondamentale puisqu'elle est la raison; d'ailleurs Polybe la met souvent en rap port avec le λογισμός95 qui est le calcul pour l'avenir, la réflexion appliquée étroitement à ce qui va se passer. Πρόνοια et λογισμός concourrent à produire Γάγχίνοια, la sagacité pénétrante, entièrement tournée vers les résultats pratiques à obtenir dans les meilleures conditions96. En outre, la πρόνοια est parfois l'auxiliaire, le plus souvent la directrice indispensable de la τόλμα, la témérité, la hardiesse97. Mais il existe aussi dans l'âme de l'homme des défauts qui peuvent effacer la πρόνοια, faiblesses de caractère com me la fatuité ou la précipitation98, faiblesses intellectuelles telles que la confusion d'esprit ou l'incompétence99.
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La maîtrise de soi que donne l'utilisation bien comprise de la πρόνοια doit avoir des effets positifs; ils sont résumés par le seul mot de φιλανθρωπία. Ce dernier terme exprime le sent iment d'amitié qu'un être ressent pour son sem blable et qui le rend bon et bienveillant100; la philanthropie peut être la bienveillance des dieux envers les hommes et Prométhée a été le premier φιλάνθρωπος101. Mais c'est parmi les hommes que la philanthropie a pris son sens le plus fort et un contenu gagnant peu à peu en richesse et en précision102. Elle est rapidement devenue un des aspects fondamentaux de l'autorité exercée sur les homm es, du «bon gouvernement», particulièrement celui exercé dans les monarchies hellénistiques où le souverain regroupe en lui la justice, la paix, l'ordre et la concorde103. L'expression la plus précise de cette idée se trouve, une fois de plus, dans la Lettre d'Aristée à Philocrate104 et le terme est continuellement présent dans le fo rmulaire des chancelleries, les inscriptions honor ifiques, les suppliques . . .105; en réponse, le sou verain accorde un bienfait, un φιλάνθρωπον dont la pratique est très répandue106. Sans avoir à
insister plus longuement, il est évident que nous nous trouvons dans la même ambiance que celle qui a présidé à la définition de ce qu'est la πρόνοια : exercice de la justice et du pouvoir, par un individu, pour la protection de l'ordre collect if et de chacun des administrés ou des sujets. Une lettre royale ptolémaïque contient d'ailleurs à la fois la mention des φιλάνθρωπα et une allu sion au «soin», πρόνοια, qui doit être mis à l'exécution de l'ordre royal107. Polybe a suivi la même voie et il a fait de πρόνοια une des qualités essentielles de celui qui a des responsabilités de direction dans la cité, que ce soit dans le domaine purement civil ou bien dans un cadre militaire, dans l'action com medans la réflexion. Il est alors le reflet de son temps et nous ne nous étonnerons pas de trou ver dans son œuvre, dans le même contexte, φιλανθρωπία et πρόνοια108. En ce sens, il a apport é à Rome, avec lui, un élargissement de la notion de providence qui aurait pu se trouver limitée dans son rôle et dans son champ d'ac tion. Toute une génération de Romains a été influencée dans ce sens. Mais il ne faudrait pas oublier la place tenue à Rome par la pensée
αιτίας τών δι' άγχίνοιαν εκ λογισμού καί προνοίας επιτελου μένων.» P. Pédech, La méthode historique de Polybe, Paris, 1964, p. 211-212, élargit la liste des défauts et vices qui provoquent les échecs et les oppose aux facultés qui contribuent à la réussite. 100 A. J. Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste, II, Le Dieu cosmique, Paris, 1949, p. 301; C. Spicq, La Philanthro pie hellénistique, vertu divine et royale, dans Studia Theologica, XII, 2, 1958, p. 170-171. C'est ce qu'exprime une des Définitions attribuées à Pla ton, 412e. 101 S. Tromp de Ruiter, De vocis quae est φιλανθρωπία signification atque usu, dans Mnémosyne, LIX, 1932; C. Spicq, op. cit., p. 173-174. Les dieux «philanthropes» sont nombreux: Zeus, Cronos, Èros, Hermès, Demeter, Apollon, 102 Reflet des devoirs assignés à chaque citoyen dans la cité, elle est une vertu «démocratique» presque spécifique aux Athéniens (Dem., C. Timocr., 24; C. Lept., 109). Elle est la qualité des juges (Dem., C. Lept., 165; C. Aristog., I, 81), expression de la modération et de la mesure (Eschin., C. Ctés., 57). Elle incite à la tolérance, au pardon parce qu'elle provoque la miséricorde (les Athéniens ont élevé un autel à 'Ελεος sur l'agora: Paus., I, 17, 1). F. Sokolowski, Lois sacrées de l'Asie Mineure, Paris, 1955, p. 183, 1. 3 (Antioche de Pyrame; 160 av. J.-C). Ecphante, Περί βασιλείας, § 275 Ο. Hense (L. Delatte, Les traités de la royauté d'Ecphante, Diotogène et
Sthénidas, Liège, 1942, p. 33 et 49). 103 Archytas de Tarente le souligne dans son traité Περί νόμου και δικαιοσύνης (in Stob., IV, 5, 61, t. IV, p. 218). 104 La philanthropie est alors étroitement liée à la person ne de Ptolémée II Philadelphe (V, 36; XI, 208, 265, 290). 105 C. Bradford Welles, op. cit., n° 25 (lettre du roi de Bithynie Ziaelas aux habitants de Kôs). De même au n° 31 (lettre d'Antiochos III à Magnésie). Ditt., OGIS, 90, 12 (pierre de Rosette). Cf. Cl. Préaux, La paix à l'époque hellénistique, dans Ree. Soc. Jean Bodin, XIV, 1961, p. 260. Très nombreux exemples dans C. Spicq, op. cit., p. 185 et dans M. Th. Lenger, La notion de «bienfait» («philanthropa») royal et les ordonnances des Lagides, dans Studi in onore di V. Arangio-Ruiz, I, p. 484-486. 106 M. Th. Lenger, op. cit., p. 485, qui a recueilli une ving taine de témoignages pour les Lagides. Cf. la définition de φιλανθρωπία que donne J. Bayet, Les sacerdoces romains et la pré-divinisation impériale, dans Bull. Clas. Lett. Acad. Roy. Belg., XLI, 1955, p. 453-527, repris dans Croyances et rites dans la Rome antique, Paris, 1971, p. 296: « ...une bienveil lancequasi naturelle qui étend ses bienfaits à 1'οΐκουμένη tout entière ...» 107 C. Spicq, op. cit., p. 186; M. Th. Lenger, Corpus des ordonnances des Ptolémées, dans Mém. Acad Roy. Belg., Let tres, LVII, I, 1964, n° 60, 1. 15 (= Ditt., OGIS, 168; fragment de stèle trouvé à Assouan). 108 V, 1 1, 6.
DE ΠΡΟΝΟΙΑ A « PROVIDENTIA » stoïcienne du moyen Portique dont πρόνοια est un élément capital. La notion de πρόνοια, bientôt transformée en prouidentia, en a pris un relief nouveau qui lui a fait tenir une place de choix dans la culture et la pensée romaines.
II - ΠΡΟΝΟΙΑ, ÉLÉMENT ESSENTIEL D'UN SYSTÈME PHILOSOPHIQUE : LE STOÏCISME
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Cition, et de ses deux successeurs immédiats, Cléanthe et Chrysippe (fin IVe-IIIe siècle av. J.C). Nous leur devons la place prépondérante donnée à πρόνοια dans le langage philosophi que. 1 - L'ancien portique a) Dieu est Providence.
En créant la doctrine, après une très longue Nous ne saurions, dans un tel chapitre, refai élaboration personnelle, Zenon a fait de πρόνοια re un exposé de la doctrine stoïcienne qui serait un élément essentiel de sa construction. Si Dieu tout à fait inutile. Il ne peut s'agir, non plus, est l'auteur du monde et se confond avec lui, il pour nous, de poser le problème de la place de ne peut se distinguer de la Raison qui est Provi la Providence dans ce système de pensée, ni de dence. Ce n'est pas un hasard si πρόνοια se savoir si, dans les rapports entretenus avec d'au-; trouve ainsi projetée au premier plan; Zenon a très notions, comme celles de Nécessité ou de voulu imposer l'idée d'une intention qui se réali Destin, elle ouvre le chemin à la compréhension sedans le mouvement de l'action, d'une volonté de l'univers. Notre but est beaucoup plus modest qui se définit dans le résultat de cette action109. e; il consiste à rechercher pourquoi la notion de Cette pensée réfléchie est Dieu lui-même; elle πρόνοια a été utilisée et développée par les pre permet de justifier l'événement quel qu'il soit, miers stoïciens, ce qu'ils ont apporté à son sens parce qu'elle en est la cause première. Pour et à son contenu. En outre, cet emploi n'a pu mieux faire admettre ce principe essentiel, la être sans conséquence sur l'utilisation de la comparaison avec l'âme de l'homme a été très notion, même en dehors des écoles philosophi souvent utilisée; c'est ce que fait Plutarque ques. quand il cite les paroles de Chrysippe : « De fait, Il nous faut absolument tenir compte du fait Chrysippe dit que Zeus et le monde ressemblent que le stoïcisme ne s'est jamais présenté comme à l'homme, le monde à son corps et la providen un mouvement parfaitement uni dont les gran ce à son âme; donc, lorsque la conflagration a desdirections de pensée auraient été ouvertes et lieu, Zeus reste le seul incorruptible parmi les définies dès le début, sans transformation possi dieux, il recueille tout en sa providence »no. ble.Sans changer le fond de la doctrine, de très L'âme est justement le principe fondamental de nombreux infléchissements, dus souvent à la l'activité et de la pensée, la source indispensable à l'action de chaque homme111. Or, la providence personnalité propre des philosophes, ont trans formé ou éclairé certains aspects. D'ailleurs, l'h est la pensée divine dans sa plénitude112; elle est abitude n'a-t-elle pas été prise très tôt de distin «l'expression même de l'essence divine» pour reprendre une formule frappante d'E. Bréguer plusieurs phases chronologiques, toutes étapes de l'évolution interne du stoïcisme. Nous hier113. Zenon et Chrysippe se sont servis de la nous intéresserons pour l'instant à la première πρόνοια, l'ont confondue avec Zeus, donc avec phase, contemporaine de la disparition de la Dieu, tout en lui laissant le contenu déjà précis cité, l'Ancien Portique. Il est éclairé par les per et riche que les siècles antérieurs lui avaient peu à peu accordé. Les premiers stoïciens ont simsonnalités du créateur du mouvement, Zenon de
109 Cf. V. Goldschmidt, Le système stoïcien et l'idée de temps, Paris, 1953, p. 100. 110 Plut., Comm. Not., 1077D (trad. E. Bréhier). 111 Id., ibid.: «Λέγει γοΰν Χρύσιππος έοικένοα τφ μεν άνθρώπ(ρ τον Δία και τον κόσμον, τη δε ψυχή την πρόνοιαν. »
112 Cf. F. Ogereau, Le système philosophique des Stoïciens, Paris, 1885, p. 68-69. 113 Dans son ouvrage Chrysippe, Paris, 1971 (rééd. de l'éd. de 1950), p. 203.
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DES ORIGINES À TIBÈRE
plement sublimé une notion commune, qui était restée presque totalement cantonnée dans le domaine des hommes; ils ont agi dans la ligne de ceux qui avaient déjà osé parler de «provi dence divine»114. Cette providence de Dieu est une intelligence finaliste qui est répandue dans tout l'univers115 et elle se trouve être la créatrice et l'organisatri ce de l'ordre universel. C'est pourquoi, la Provi dence est aussi la Loi, c'est-à-dire le principe organisateur par excellence. Cléanthe l'a chanté dans son Hymne à Zeus; il y a développé l'idée d'un dieu garant de la loi du monde, mais d'un monde obéissant à la volonté divine : « C'est à toi que tout cet univers, qui tourne autour de la terre, obéit où que tu le mènes Mais toi, tu sais réduire ce qui est sans mesure, ordonner le désordre; en toi la discorde est concorde»116. Dieu, par l'intermédiaire de sa providence, con ditionne et régit tout dans la perfection absolue. C'est une intention qui se réalise pleinement par l'administration effective de l'univers et qui dis pose toutes les parties du monde dans un ordre précis, fait pour la commodité des êtres raison nables, c'est-à-dire les hommes aussi bien que les dieux117.
Aux yeux des premiers stoïciens, l'existence de cet ordre voulu et pensé sur la terre trouvait sa preuve dans la vision de l'ordre cosmique, témoignage éclatant de l'activité de la Providenc e. Dès ce moment premier, l'intérêt porté aux corps sidéraux par le Portique ne s'est plus démenti, puisque leur existence, leur régularité dans le mouvement étaient pour tous le signe
évident et irréfutable de l'excellence de la doctri ne.Si l'ordre sur terre est le reflet de cette harmonie cosmique, encore faut-il déterminer quel est véritablement cet ordre et où il est possible de le trouver. Pour l'homme ordinaire, les événements peu vent paraître fortuits; en réalité, tout est rigo ureusement déterminé à l'avance et le fortuit n'est qu'apparence. C'est dans ces conditions que les premiers stoïciens ont accepté de prendre à leur compte présages et divination, moyens essentiels pour prédire l'avenir ou pour expli quer le présent; la détermination absolue des événements donne son seul fondement solide à la divination qui ne peut être, de ce fait, qu'une nécessité et un bienfait pour l'homme, quel qu'en soit le mode118. En effet, la divination est la science de l'interprétation des signes, mais aussi l'expression de l'inspiration immédiate de la divinité119, de sa prescience. C'est sur ce plan étroit que la providence et le destin se rappro chent jusqu'à se confondre, comme l'affirme Zenon : « Zenon le stoïcien, dans son ouvrage Sur la Nature, dit que le destin est une force qui met en mouvement les matières, aussi elle ne diffère pas de la providence et il l'appelle nature»120. Comment, dans ces conditions, comprendre les rapports de la providence et du destin dont Chrysippe nous donne une des définitions les plus restrictives, tout au moins dans la forme et le libellé où Aulu-Gelle nous l'a retransmise : «Au quatrième livre de son traité Sur la Provi dence, il dit: "le destin est l'enchaînement natu reldes choses dérivant les unes des autres de toute éternité, et se succédant d'après un ordre qui reste toujours invariable dans l'immensité des temps"»121.
114 Cf. supra, p. 14. 115 Hippolytus, Philos., 21, I (= SVF, II, 1029 et I, 153): «Chrysippe et Zenon disent que Dieu, principe de toutes choses, est un corps, le plus pur; sa providence s'étend à travers toutes choses ». 116 Cléanthe, Hymne à Zens, 7-8 et 18-19: « Σοι δή πάς οδε κόσμος έλισσόμενος περί γοΰαν Πείθεται f) κεν άγης, και εκών υπό σεϊο κρατείται . . . 'Αλλα σύ και τα περισσά έπίστασαι άρτια θεϊναι Και κοσμεϊν τακοσμα, και ού φίλα σοι φίλα εστίν ". 117 Sans négliger l'idée, que nous aurons l'occasion de retrouver plus tard, que cet ordre est beauté et que le sentiment esthétique est une preuve de l'existence de la
providence divine. 118 En particulier, les songes. Cic, De Div., II, 63, attribue à Chrysippe une définition de l'interprétation des songes: «La capacité de voir et d'appliquer ce que les dieux signifient aux hommes dans le sommeil ». 1 19 Sur ce point, cf. F. Ogereau, op. cit., p. 256. M. J. Lagrange, La religion des Stoïciens avant Jésus-Christ, dans Revue Thomiste, XXXIII, 1928, p. 67. 120 Stob., Ed., I, 178: «Ζήνων ό στωικός εν τφ περί φύσεως, δύναμιν κινητικήν της ύλης κατά ταύτα και ωσαύτως, ήντινα μη διαφέρειν πρόνοιαν και φύσιν καλεΐν ». Ειμαρμένη, φύσις et πρόνοια se confondent dans le même plan. 121 Aulu-Gelle, Nuits Attiques, VII, 2, 3.
b) Providence et Destin.
DE ΠΡΟΝΟΙΑ À «PROVIDENTIA»
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À vrai dire ce rapprochement, touchant à la confusion, entre destin et providence, était plus ancien que le stoïcisme lui-même. Les philoso phes présocratiques avaient déjà abordé ce pro blème et les notions d'είμαpμέvη, comme cidessus, ou d'άvάγκη ne leur étaient pas resté étrangères. Heraclite avait vu dans l'Heimarménè un principe de devenir gouvernant l'ordre du cosmos en suivant une loi nécessaire; Parménide avait défini cette même notion comme étant la divinité qui gouvernait le monde, et avait vu dans Γάνάγκη la déesse qui disposait de la vie des hommes à sa guise122. Allant plus loin, les atomistes avaient déjà identifié πρόνοια à ανάγκη, à ειμαρμένη et à δίκη123; liée à Γάνάγκη, la providence n'est plus qu'un principe inélucta ble contre lequel il est impossible et totalement inutile de lutter; identifiée à Γείμαρμένη, la provi dence devient une loi supérieure, mais toujours dépourvue de raison et, dans sa signification la plus profonde, inéluctable; si δίκη est prise dans son sens premier de « règle », de « manière d'être ou d'agir», qui, ni l'une ni l'autre, ne soit obliga toirement raisonnée ni raisonnable, nous restons dans ce même domaine de la nécessité caractéri sé par un enchaînement mécanique indéréglab le124. Même si, plus tard, Platon a cherché à sauvegarder la liberté de l'homme qui étouffait dans le déterminisme le plus rigoureux125, il faut attendre les stoïciens pour que le problème soit repris dans son ensemble et envisagé globale mentsous un angle tout à fait nouveau. Les premiers stoïciens ont fait de Γείμαρμένη un concept central de leur doctrine, sur le même plan, que Dieu, que la Nature et que la Providenc e, bien que, entre adeptes du Portique, il y ait eu de nombreuses nuances. Zenon voyait dans l'univers l'enchaînement ininterrompu des cau ses et des effets naturels qui s'en suivaient dans
une nécessité absolue; cette succession de cau ses et d'effets pouvait s'appeler ειμαρμένη, aspect de la πρόνοια. Cléanthe semble avoir lié ce fata lisme au mouvement régulier et éternel des pla nètes et des astres. Mais Chrysippe, tout en reconnaissant dans Γείμαρμένη l'enchaînement éternel et nécessaire des causes, sut habilement introduire des nuances subtiles et fondamental es. Cette causalité absolue domine tout ce qui existe, mais Chrysippe a distingué Destin et Nécessité; le Destin ne fait que lier éternell ement des causes naturelles et la providence devient alors une nécessité rationnelle, une loi, et non une brutale fatalité, même si toute action humaine reste nécessairement et éternellement prédéterminée. Malgré les efforts de Chrysippe, il n'est pas certain que la confusion des termes et des notions ait véritablement et totalement cessé. Cependant, la providence fut toujours opposée à τύχη, le hasard. Les deux termes sont parfait ement incompatibles dans le système stoïcien; ce que nous appelons un événement dû au hasard ne peut être que le reflet de notre impuissance à comprendre l'enchaînement des causes et des effets. En effet, la Tychè représente l'action exer céedans et sur le monde par les forces supérieur es issues du domaine divin; elle est «ce qui arrive contre toute prévision»126, celle sur qui l'homme ne peut avoir aucune influence et qu'il ne peut en rien comprendre. Le hasard ne peut être, pour les stoïciens, que le masque du destin; il est nécessaire, et légitime, de l'arracher pour parvenir à la juste connaissance de ce qui est la vérité127. L'action de la providence s'exerce donc dire ctement sur le monde et sur l'homme dans le monde. Comme nous l'avons vu, ce dernier peut entrer dans la connaissance de ses desseins par
122 Sur ces points particuliers, voir les développements contenus dans D. Amand, Fatalisme et liberté dans l'antiquité grecque, Louvain, 1945, p. 3. 123 Stob., Ed., I, 158 (4, 7) = I, 25, 26, p. 321 Diels: «και Δημόκριτος πάντα κατ' ανάγκην· την 5' αύτην είναι είμαρμένην και δίκην και πρόνοιαν και κοσμοποιόν ». 124 Sur ce point, voir les remarques de V. Guazzoni Foà, II concetto di Provvidenza nel pensiero classico e in quello paga no,dans Giornale di Metafisica, XIV, 1959, p. 69-70. 125 Plat., Rep., 617d-621b, pour le choix de sa nouvelle
condition, chaque âme a une destinée qui lui est particulière dans la liberté la plus totale. 126 Thuc, I, 140, 1 qui attribue à Périclès ces paroles: «Ενδέχεται γαρ τάς ξυμφορας των πραγμάτων ούχ ήσσον άμαθώς χωρήσαι ή και τάς διανοίας τοΰ ανθρώπου' δι' όπερ και την τυχην, δσα αν παρά λόγον ξυμβη είώθαμεν αίτιασθαι.» 127 Sur tous ces points des développements intéressants sont donnés par F. Allègre, Études sur la déesse grecque Tychè, Paris, 1889, p. 123-124 et par L. Guillermit-J. Vuillemin, Le sens du Destin, Paris, 1948, p. 35-60.
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DES ORIGINES A ΉΒΕΙΙΕ bénéfique pour le tout, car il faut suspendre l'intérêt individuel à l'intérêt du tout; ce dernier se réalise toujours, car il est le but de l'action et de l'intervention de la Providence. Au niveau de cette dernière, le mal apparent est transformé en bien réel. Aussi Chrysippe ne nie-t-il pas l'existence du mal; il accepte l'idée que la Provi dence a pu vouloir que les maux existassent dans le monde. La chose est évidente quand on prend conscience d'une vérité essentielle, tout a un contraire; tout bien est accompagné d'un mal qui lui correspond; c'est une loi générale qui ne peut être transgressée129.
l'intermédiaire de la divination; mais, même s'il arrive à savoir définir ce que l'avenir réserve, l'homme ne peut en rien le changer; s'il y a danger pour lui il ne lui est pas possible de le détourner. Le seul intérêt de la divination est de nous faire connaître ce qui sera; ce résultat est déjà important pour l'homme qui peut dès lors devenir le véritable agent de son propre destin; il lui permet d'abandonner son rôle passif. Sans qu'il puisse rien changer à ce qu'il a appris, la piété qu'il doit montrer à l'égard des dieux l'obli ge à s'adapter à sa véritable destinée128. La com préhension personnelle de la providence qui gui de chacun est un point positif, et décisif, dans l'évolution de la pensée de l'individu. Nul ne doit la négliger, sous peine de ne pas adhérer à son destin. D'ailleurs, et de toutes façons, la providence agit pour le bien de tous les hommes; elle en est même la source unique. Les preuves en sont innombrables. La première peut être trouvée dans la beauté et la perfection du monde tel qu'elles s'affirment aux regards de chaque hom me;tout individu doit avoir le sentiment esthéti que de l'organisation du cosmos, de l'harmonie qui y règne par la parfaite adaptation de chaque chose, de chaque être à ce qui les entoure ou les côtoie. Par cette contemplation qui oriente et définit sa compréhension, l'homme doit attein dreau bonheur, une des conséquences fonda mentales de l'existence et de l'action de la provi dence. Sur ce plan précis, les premiers stoïciens se sont très vite heurtés à l'objection, qui avait paru longtemps insurmontable, de l'existence du mal. En son temps, Chrysippe a répondu de la meilleure manière à ces objections : le mal peut être une punition ou un exemple, et donc avoir des effets bénéfiques pour l'homme (mais Platon avait déjà employé l'argument). En outre, ce qui nous paraît mauvais pour un individu peut être
La compréhension par l'homme de l'ordre du monde, de sa Loi qui avait été donnée par une Raison droite et infaillible, qui est la Providence, l'oriente fermement, et sans autre possibilité, vers la sagesse et la vertu, les fondements indi spensables à l'accomplissement total du destin de chacun. Car la vertu n'est refusée à personne; tout un chacun, noble ou esclave, est libre de se conformer ou non aux décrets de la Loi divine, véritable constitution de cette «Grande Cité» qu'est le cosmos. Cette vertu est subdivisée en une quantité considérable de vertus particuliè res qui peuvent se regrouper dans les quatre fondamentales dont, à la suite de Platon et d'Aristote, Chrysippe lui-même reconnaît l'exi stence : quand le sage discerne ce qu'il faut faire ou ce qui doit être évité, il pratique la prudence (φρόνησις); lorsqu'il ne se laisse pas aller à ses passions, toutes mauvaises, mais sait agir dans la juste mesure, il observe la tempérance (σωφρο σύνη); quand il supporte sans faiblesse l'adversit é, il montre sa force morale (ανδρεία); enfin, s'il attribue à chacun, homme ou dieu, ce qu'il mérit e,il pratique publiquement la justice (δικοαο-
128 Cf. V. Goldschmidt, op. cit., p. 90. 129 Chrys. ap. Aulu-Gelle, Nuits Au., VII dans le chap. 1, 1-3 (= SVF, II, 1169): «Ceux qui nient que le monde soit fait pour Dieu et pour les hommes, et que les choses humaines soient gouvernées par une providence, croient avancer une forte preuve à l'appui de leur opinion, quand ils disent: «s'il y avait une providence, il n'y aurait pas de mal sur la terre; car rien n'est plus difficile à accorder avec l'action de cette providence que ce nombre infini de souffrances répandues dans ce monde qu'on dit créé par Dieu exprès pour l'homme.
Chrysippe, en réfutant cette doctrine dans le quatrième livre de son traité Περί προνοίας, déclare qu'il n'est rien de plus absurde que de croire qu'il puisse exister du bien sans qu'il existe en même temps du mal. Car le bien étant le contraire du mal, il est nécessaire qu'ils existent tous deux, opposés l'un à l'autre, et appuyés, en quelque sorte, sur leur mutuel contraste » Cf. aussi Aulu-Gelle, ibid., VII, 1, 7 (= SVF, II, 1 170). Sur ce point, E. Bréhier, Chrysippe et l'ancien Stoïcisme, Paris, rééd. 1971, p. 205-209.
c) Providence et monde des hommes.
DE ΠΡΟΝΟΙΑ À «PROVIDENTIA»
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L'importance de l'impact d'un tel système, si finement élaboré, sur l'ensemble de la société
«intellectualisante» du monde hellénique nous est fournie par un document dont la date est discutée. Pour cette seule raison, nous ne pou vons l'écarter. Il s'agit de la Lettre d'Aristée à Philocrate, écrit issu du milieu juif hellénisé. Elle est censée nous narrer la façon dont la Loi des Juifs a été traduite d'hébreu en grec par soixan te-douze savants juifs de Jérusalem appelés, pour cette tâche, par Ptolémée Philadelphie, au Musée d'Alexandrie. Il s'agit manifestement d'une fiction; la Septante est évidemment anté rieure à cette Lettre. L'auteur, inconnu par ail leurs, est ici un propagandiste de la traduction grecque de la Loi auprès des Grecs eux-mêmes et de la pensée juive dans le milieu helléni que132. Dans cet écrit, πρόνοια est employée à plu sieurs reprises; mais, en une occasion, en XI, 201, l'auteur l'utilise dans un contexte précis et, de ce fait, intéressant pour nous. Le roi s'adresse aux philosophes de son entourage qui ont tous entendu les réponses fournies lors des banquets successifs auxquels ont participé les soixantedouze savants juifs de Jérusalem. Un seul de ces philosophes grecs prend la parole pour répon dre aux remarques faites par Ptolémée Philadelphe. Il déclare que, non seulement, chez ces hôtes juifs, l'intelligence et la vertu étaient les principes de toutes leurs réponses, mais que c'était Dieu qui en était le principe suprême et toujours présent. Après la réponse, très brève, on «passe aux réjouissances», et le banquet prend fin. Cette réponse est essentielle; Ménédème d'Erétrie a, en effet, déclaré: «Oui, ô roi; car, puisqu'une Providence gouverne l'univers, et qu'on admet à bon droit ce fait que l'homme est un être créé de Dieu, il s'ensuit que toute puis sance et toute beauté de pensée a son principe en Dieu»133. Dans sa thèse134, le père A. Pelletier
130 Chrys., Démonstrations sur la justice, ap. Plut., Stoic, rep., 15, 1041a (= SVF, III, 297): Και μην έν ταΐς περί Δικαιο σύνηςάποδείξεσι λέγει ρητώς οτι «πάν κατόρθωμα και εύνόμημα και δικαιοπράγημά έστι·». Cf. aussi Stob., Ed, II, 60, 9 (= SVF, III, 264). Diog. Laerc, VII, 125 (= SVF, III, 295). 131 Sur tous ces points étudiés ci-dessus, des remarques intéressantes sont faites par A. J. Voelke, Les rapports avec autrui dans la philosophie grecque d'Aristote à Panétius, Paris, 1961, p. 128-132. 132 Sur tous ces points, cf. A. Pelletier, Lettre d'Aristée à
Philocrate, introduction, texte critique, traduction et notes, Sources Chrétiennes, Paris, 1962, p. 7-55. 133 XI, 201 : «Μενέδημος δε ό Έρετριευς φιλόσοφος είπε. Ναί, βασιλεΰ" προνοία γαρ τών όλων διοικούμενων, και ύπεληφότων ορθώς τοϋτο, οτι θεόκτιστόν εστίν άνθρωπος, ακολουθεί πασαν δυναστείαν και λόγου καλλονήνφ άπό θεού κατάρχεσθαι ». La traduction est celle de A. Pelletier, op. cit., p. 195. 134 A. Pelletier, Flavius Josephe adaptateur de la Lettre d'Aristée. Une réaction atticisante contre la Koinè, Paris, 1962, p. 179.
συνη)130. Dans ce cas, le sage est le reflet, sur le plan humain, de la Providence et de l'action qu'elle mène à l'échelle de l'univers. Cette recherche du bien et du bonheur par l'exercice de la vertu peut donner à l'homme un comportement spécifique vis-à-vis de la cité et de ses lois. Le sage n'est-il pas libre et affranchi de toute contrainte extérieure et, dans le même temps, n'est-il pas seul capable de se conformer à la loi divine, le seul à pouvoir l'interpréter librement? Même si la loi humaine est pure convention, le sage ne doit pas se désintéresser de la vie politique dans sa cité; il doit accomplir ses devoirs de citoyen, être magistrat si cela est dans l'ordre des choses; mais il n'a pas besoin de s'attacher à telle ou telle forme politique, car aucun régime n'est meilleur qu'un autre; tous se valent quand on considère la seule véritable cité, l'univers où règne la Providence, Loi éternelle et parfaite. La cité humaine peut seulement tenter de se rapprocher de son modèle cosmique et le sage, qui seul possède une raison consciente d'elle-même, doit l'aider puisque la valeur intrin sèque d'une cité dépend de la fidélité de ses législateurs à la loi universelle. Le sage seul est digne de légiférer, de juger, d'enseigner, d'exer cer le pouvoir sous toutes ses formes. Sans assouvir une quelconque volonté de puissance, mais destiné à protéger ses semblables, il doit témoigner de tout ce que nous appelons vertu: φιλανθρωπία, πρόνοια, ομόνοια; il doit être ευε ργέτης pour tous, les sages qui sont ses compag nons, mais aussi les insensés qui pratiquent tous les vices contraires aux vertus131. d) La lettre d'Aristée à Philocrate.
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DES ORIGINES À ΉΒΕΙΙΕ
remarque «qu'il est significatif qu'Aristée se complaise à présenter à la sagesse païenne la pensée religieuse juive de l'époque comme dominée par cette pensée de Providence, et pré cisément avec le terme grec πρόνοια. Mettre cette constatation dans la bouche d'un philoso phe non juif témoin de tout ce banquet est une habileté». Cette habileté est peut-être plus importante encore que ne semble le penser A. Pelletier. L'auteur de la Lettre a trouvé dans la notion de πρόνοια le moyen de résumer une des idées fondamentales de la pensée grecque à l'époque de la rédaction du texte et de la mettre en rapport avec la pensée juive. Ménédème n'est ici que le prête-nom de l'e nsemble de la philosophie grecque; d'ailleurs, nous savons que ce philosophe est mort en 287 et qu'il n'est sans doute jamais venu à Alexand rie,préférant rester dans l'entourage d' Antigo ne Gonatas. Voulant utiliser un nom connu, le pseudo-Aristée a pris celui de Ménédème; vou lant frapper l'opinion grecque en utilisant une notion connue de tous, «à la mode» pourrionsnous dire, il a pensé à celle de πρόνοια et elle lui a semblé parfaitement apte à provoquer le ra pprochement voulu entre la philosophie grecque et la pensée juive. Pour obtenir un tel résultat, encore fallait-il que πρόνοια fût une des notions
dominantes de la pensée hellénique à l'époque de la rédaction de la Lettre™5. Rien ne peut mieux rendre compte du succès de l'Ancien Por tique dans les milieux cultivés hellénisés ou hel léniques que cette simple phrase rédigée par le pseudo-Aristée.
135 La remarque que fait A. Pelletier dans son édition du texte, p. 194, est sans doute inutile. Il importe peu que ce Ménédème soit «conforme à la tradition qui fait de lui un philosophe socratique ». Ménédème est le symbole du philo sophe de l'époque à laquelle Aristée veut faire croire que la Lettre a été rédigée. Il a pris un nom connu sans rechercher de véracité historique, son but étant de convaincre et non d'être «vrai». Il est même possible que l'auteur ait pris le nom d'Aristée pour rendre sa Lettre plus vraisemblable, en utilisant la réputation d'Aristée d'Argos, érudit, écrivain, poli ticien qui s'installa en Egypte vers 272 av. J.-C. (J. E. Stambauch, Aristeas of Argos in Alexandria, dans Aegyptus, XLVII, 1967, p. 69-74). De ces remarques pourraient d'ailleurs venir quelques arguments pour régler le problème de la datation de la Lettre. « Aristée » devait prendre dans la philosophie grecque de son temps un concept fondamental, s'il voulait favoriser le rapprochement et la compréhension entre Juifs et Grecs; ce concept est celui de -πρόνοια dans son acception stoïcien ne. Si Aristée l'a pris et l'a mis dans la bouche de Ménédème, c'est essentiellement parce que le stoïcisme est alors la philosophie dominante, à l'époque de la rédaction de la Lettre. C'est pourquoi, nous pensons devoir écarter les datations
diverses de la Lettre d'Aristée: entre 145 et 116 comme E. Van T'Dack, La date de la Lettre d'Aristée, dans Antidorurn W. Peremans, Louvain, 1968, p. 263-278; entre 145 et 127, comme E. J. Bickermann; en 100, comme H. G. Meecham; à l'épo que de Titus, comme le pense L. Hermann, qui voit dans Ptolémée Sôter et Ptolémée Philadelphe les doubles de Vespasien et de Titus et qui croit que le texte est en filiation directe avec Philon d'Alexandrie (La Lettre d'Aristée à Philocrate et l'empereur Titus, dans Latomus, XXV, 1966, p. 58-77). Il faut trouver une période pendant laquelle le stoïcisme est inattaqué, donc avant les assauts de la Nouvelle Acadé mie.C'est pourquoi, comme le conclut d'ailleurs A. Pelletier en s'appuyant sur d'autres arguments, la fin du IIIe siècle ou le tout début du IIe siècle avant J.-C. semblent être les périodes les plus adéquates. Cet auteur remarque lui-même, quand il montre pourquoi Flavius Josephe a réservé une grande faveur au vocabulaire stoïcien dans ses démarquages d'Aristée, combien le terme πρόνοια est banal dans le stoïci sme pour désigner la Providence divine (cf. Flavius Josephe adaptateur . . ., p. 264). 136 Marcianus, Instit., I, p. 11, 25 Mommsen (= SVF, III, 314). Voir les remarques de M. Pohlenz, Die Stoa. Geschichte einer geistigen Bewegung, 2e éd., Gottingen, 1955, I, p. 132 et II, p. 74.
e) Les apports de l'Ancien Portique. L'importance donnée à la notion de πρόνοια nous permet maintenant de nous arrêter à ce point d'aboutissement provisoire dans l'évolu tionde la pensée stoïcienne sur la question de l'intervention de la providence dans le domaine de la vie quotidienne, que ce soit de la cité dans son ensemble ou de chaque citoyen en particul ier. Chrysippe le déclare solennellement au début de son livre sur La Loi : « La Loi règne sur toutes choses, sur les affaires divines et les affai reshumaines; elle doit être l'autorité souveraine qui détermine le bien et le mal, le chef et le guide des êtres que la Nature a destinés à vivre en communauté, la règle qui mesure le juste et l'injuste, car elle est la puissance qui ordonne de faire ce qui doit être fait et qui interdit de faire ce qui ne doit pas être fait»136. De l'Ancien Portique se dégagent donc quel ques points fondamentaux : la πρόνοια est Rai-
DE ΠΡΟΝΟΙΑ Λ «PROVIDENTIA. son, c'est-à-dire action réfléchie de l'esprit. Elle agit pour le bien des hommes et leur bonheur sur terre. Il n'y a rien là qui puisse nous étonner, puisque ce sont des aspects déjà bien mis en évidence par tous les prédécesseurs des stoï ciens. Mais ces derniers ont apporté des él éments neufs à la notion : la place primordiale dans la formation et l'évolution de l'univers, en en faisant la Loi du monde, en la mettant en étroite liaison avec la divination, tout en la dis tinguant d'un destin compris comme fatalité ou pur hasard, simple fruit de la méconnaissance. Mais le pas le plus important est peut-être, com mele fait remarquer E. Bréhier, que « désormais la Providence est estimée tout entière non pas dans son essence divine, mais dans ses effets»137. La dimension cosmique qu'elle ne possédait pas encore lui a permis d'acquérir une place fonda mentale sur terre par l'intermédiaire de ceux qui la connaissent, qui la comprennent, qui la sui vent dans toutes ses démarches, les sages. Mais son évolution était loin d'être terminée après cette étape de forte implantation. Ce premier aperçu sur l'époque classique de l'histoire grecque nous a déjà permis de saisir les principales composantes de πρόνοια. Il en ressort les caractères d'une notion de relation entre les hommes; elle doit susciter entre eux la justice et le bon gouvernement puisqu'elle per met d'envisager ce qui doit se passer dans l'ave nir,qu'il soit proche ou lointain. Savoir penser, savoir prévoir, c'est aussi ne pas négliger le fait essentiel; tout vient des dieux et est dispensé sur terre par les dieux. C'est pourquoi, πρόνοια mar que aussi l'existence de relations entre les hom mes et les dieux. Ce que les hommes possèdent de πρόνοια n'est qu'une parcelle de la substance divine qui est toute providence, ou, comme diraient les stoïciens, de Dieu, de la Raison, de l'Intelligence du monde. Il est évident que la possession d'une telle place dans la pensée, dans tout ce qui fait partie d'un processus de réflexion sur le monde, son existence, sa compos ition, sa marche, ne permettait plus à personne de négliger la notion de providence.
137 E. Bréhier, op. cit., p. 204. 138 Sur les problèmes de chronologie et les détails biogra phiques connus, voir M. van Straaten, Panétius, sa vie, ses écrits et sa doctrine, avec une édition des fragments,
25 2 - Le moyen portique
La doctrine stoïcienne s'était assez rapide ment sclérosée; elle avait dû aussi subir les assauts de philosophes peu enclins à accepter sans discussion les principes de base énoncés par Zenon, Cléanthe et Chrysippe. Les adversai res les plus farouches furent les adeptes de la Nouvelle Académie représentés par Camèade. Aussi certains stoïciens cherchèrent-ils à donner à leur doctrine des aspects originaux et nou veaux mieux adaptés à l'époque et à l'évolution générale de la pensée. C'est dans ce moment crucial et de nouvelle impulsion pour le mouve mentque les Romains entrèrent directement en contact avec la Grèce, sa culture, ses modes de pensée. Leur venue ne fut certainement pas, non plus, étrangère au renouvellement du stoïcisme et au développement de ce qu'on a appelé le Moyen Portique. Au IIe siècle avant J.-C, il s'est exprimé dans la personne de Panétius de Rhod es, et au début du Ier siècle avant J.-C, dans celle de Posidonius d'Apamée. a) Panétius de Rhodes : C'est surtout grâce à Panétius que les Romains entrèrent en contact avec le stoïcisme, mais c'est aussi très certainement par l'usage de ces contacts que le philosophe de Rhodes sut infléchir la doctrine du Portique. Né à Rhodes, vers 175, disciple de Cratès de Mallos à Pergame, de Diogene de Babylone et d'Antipater de Tarse à Athènes même où il vint étudier avant l'année 150, il s'établit dans cette dernière cité où il rencontra, dans des circonstances inconnues de nous, Scipion Emilien (avant 140). Introduit dans la famille de ce dernier et devenu l'éducateur de ses enfants, il ne la quitta plus jusqu'à la mort de Scipion Emilien. Un seul fait concret de cette amitié nous est connu, le voyage en Orient que Scipion fit comme ambassadeur et où il fut accompagné par le philosophe. Après 138, Panét iuss'installa à Rome avant de revenir à Athènes où il mourut, en 109 ou en 108 avant J.-C.138. De
dam, 1946. Cf. aussi, A. E. Astin, Scipio Aemilianus, Oxford, 1967, p. 297-298. P. Grimai, Le siècle des Scipions, 2e éd., Paris, 1975, p. 303 sqq.
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ce fait, les élèves et les disciples de Panétius furent de deux sortes : des Grecs qui étaient des philosophes de profession, et des Romains qui, dans le fameux cercle dont la fondation a été attribuée à Scipion Émilien139, étaient surtout des hommes d'action ou qui, tout au moins, avaient l'esprit porté à l'action par leur sens pratique plus que spéculatif. C'est par leur inter médiaire, et à travers le filtre de la mentalité romaine, que la doctrine du Portique pénétra à Rome et que l'accent fut mis sur ce qui pouvait le mieux s'adapter à cette mentalité; c'est du moins ce que nous pensons percevoir dans ce que nos sources latines nous ont laissé de Panét ius. Ce dernier a donné une cohérence nouvelle aux théories stoïciennes en mettant l'accent, for tement, sur la nature individuelle de l'homme. Il a insisté tout particulièrement sur les circons tances diverses dans lesquelles chaque individu peut se trouver, que ce soit dans les États ou à l'intérieur des sociétés au milieu desquelles il vit; ces États et ces sociétés sont faits, dans une mesure importante, pour l'utilité suprême de l'individu140. Mais, dans toute société, l'homme ne peut se réaliser pleinement que dans l'action, puisque l'âme est principe de mouvement141; cette action doit nécessairement aller dans le sens de l'ha rmonie entre la nature individuelle et la nature humaine prise comme un ensemble142. Panétius défend ce point de vue au nom de la raison qui est, à la fois, détermination générale et détermi nations individuelles143. Pour Panétius, l'homme est orienté surtout vers son action individuelle; de ce fait, il a négligé la construction du cosmos
et les discussions techniques ou dialectiques qui rendaient difficile d'accès la doctrine du Porti que. Aussi, tout en admettant que l'homme était partie d'un grand Tout, il a refusé la transcen dancede la πρόνοια et la contrainte qu'elle pouv ait faire peser sur l'individu, allant jusqu'à lui enlever sa liberté, dans la mesure où elle pouvait être mal comprise. En faisant de l'homme le centre de son propre intérêt, Panétius lui a redonné la possibilité d'agir, dans un premier temps, pour son propre compte. C'est certain ementce point de vue qu'il défendait dans un traité, maintenant totalement perdu, Περί Προνοιας 144 Tous les stoïciens avaient cherché, jusqu'ici, la justification de la providence divine dans des indices purement extérieurs, dont la divination, qui reposaient sur l'idée commune de sympathie entre les astres et les habitants de la terre (tout changement dans la position des astres a ses répercussions dans toutes les autres parties du cosmos qui forment un tout cohérent et solidai re) 145. Panétius a refusé toute contagio des astres avec la terre; il a refusé le principe de la sympat hieuniverselle au nom de la raison qui ne peut admettre qu'on puisse rapporter à l'univers ce qui arrive aux êtres particuliers. Mais nier la divination et toutes les sortes de mantique qui étaient attachées étroitement à l'idée de sympat hie,était porter atteinte à la Providence divi ne146 pour laisser à l'homme la réalisation de sa propre destinée. L'individu pouvait se dévelop per et agir, selon une expression rationnelle de la πρόνοια, sans qu'un événement, indépendant de lui, pût, une fois pour toutes, déterminer le cours de son existence, sans qu'il perdît son
139 Comme le remarque A. E. Astin, op. cit., p. 294-296, l'expression «cercle de Scipion» est une invention moderne et il n'y a jamais eu d'exclusivisme intellectuel ou politique dans l'entourage de Scipion. En outre, il y a eu à l'époque bien d'autres litterati romains qui n'eurent aucun contact avec les amis de Scipion, tout en étant, eux aussi, influencés par les Grecs. Le philhellénisme n'a pas été l'exclusivité de l'entourage de Scipion Emilien. 140 Cf. I. Hadot, Tradition stoïcienne et idées politiques au temps des Gracqites, dans REL, XLVIII, 1970, p. 166, où l'au teur remarque, à juste titre, combien cette définition d'un État utile à l'homme doit être mise au compte d'influences académiques et péripatéticiennes. 141 P. Boyancé, Le Stoïcisme à Rome, dans Actes du VIIe
Congrès de l'Ass. Guil. Budé (1963), Paris, 1964, p. 225. 142 Β. Ν. Tatakis, Panétius de Rhodes, Paris, 1931, p. 218. 143 A. J. Voelke, Les rapports avec autrui dans la philosophie grecque d'Aristote à Panétius, Paris, 1961, p. 153. 144 Cicéron réclame ce traité à Atticus: Ad Au., XIII, 8. 145 Comme le remarque M. van Straaten, op. cit., p. 82, n. 3, la connexion entre la πρόνοια et le phénomène de divination est alors d'ordre causal. Cf. Cic, De Divin., II, 91. 146 B. N. Tatakis, op. cit., p. 116, a bien montré que Panét ius n'avait pas osé aller trop loin dans cette voie, car il ne pouvait éviter l'existence de tout finalisme sans supprimer son propre système de pensée. Sans se prononcer totale ment, il a été obligé d'admettre l'existence d'une divination subjective et intérieure sauvegardant la providence.
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libre-arbitre147. L'homme se développe en sui vant la ligne rationnelle d'une providence qui n'est plus extérieure à lui et qui lui ordonne de vivre en harmonie avec la nature humaine prise dans sa généralité; de l'harmonie issue de l'exer cicede la providence par la volonté, sort la vertu contemplative ou pratique. Sans abandonner complètement la providence divine et son finalisme total148, Panétius a réintroduit la providen ce dans l'individu et en a fait un instrument de sa raison propre et un moteur de son action quotidienne. Un passage de Panétius, qui nous a été trans mispar Aulu-Gelle, en latin et selon la transcrip tion de l'auteur romain lui-même149, est très significatif à cet égard. Panétius affirme que pour éviter d'être surpris par les embarras et les périls qu'Aulu-Gelle qualifie d'ex improuiso, il faut toujours être sur ses gardes et attentif com mel'athlète qui participe au concours de pancrac e150.C'est affirmer un trait que nous avions déjà entr'aperçu dans la littérature grecque de l'âge classique; l'homme doit rester maître de sa pro pre réflexion et, surtout, il doit faire servir sa propre réflexion à sa propre défense et à sa sauvegarde. Il y a là comme un retour en arrière, en direction du sens premier de πρόνοια; mais encore faudrait-il savoir quel mot grec AuluGelle a transcrit par improuisus. De toutes façons, la comparaison avec les athlètes sur le stade montre bien qu'il ne s'agit pas uniquement de leçons valables pour les sages, qui ne peuvent être très nombreux. Mais chacun ici est intéressé et le précepte s'applique à tous, car tout homme
est sensible à sa propre nature151. L'homme n'est pas le jouet de ses caprices, car sa raison les élimine et doit le conduire sur le chemin difficile d'une vertu qui lui soit access ible, une vertu que Panétius définit en termes concrets. Il s'agit, au-dessus de tout, d'aimer les autres hommes en les aidant dans l'intérêt génér alqui est l'expression de l'utilité de l'individu sur terre152. Cette tendance à individualiser la morale153 détient en elle-même la vertu fonda mentale, la justice; elle est la vertu sociale par excellence, car elle consiste à « maintenir la com munauté humaine, donner à chacun ce qui lui revient et respecter les engagements contract és»154. Cette prédominance de la justice laisse cependant une place à d'autres vertus. C'est ain sique la magnanimité, ou grandeur d'âme, tient dans l'esprit de Panétius un rôle considérable par son aspect individuel si éminemment intégré à elle. La magnanimité est à la fois patience ou persévérance (καρτερία), aspect passif essentiel puisqu'il permet de mépriser ce qui est contraire à l'équilibre de l'homme (la douleur, la mort), et courage (ανδρεία), un aspect actif, conséquence de la patience et qui permet au citoyen de parti ciper à la vie de sa cité en n'entreprenant rien que d'honnête, en mesurant ses propres forces et en préparant suffisamment ses actions. Ces trois vertus-sœurs, magnanimité, patience et cou rage, sont, avec la tempérance et la justice, les aspects les plus importants de cette vertu prati que qu'il est possible d'appeler maîtrise de soi (εγκράτεια) 155. Cet idéal moral, qui veut «intensifier pleine-
147 Cic, De Divin., II, 87; 97. Sen., Quaest. Nat., VII, 30, 2. Dans Cic, De Off., I, 9, Panétius est présenté comme insistant sur l'homme en proie à la deliberatio. 148 II n'y a pas eu rupture entre Panétius et ses prédéces seurs stoïciens comme l'a bien montré P. Boyancé, op. cit., p. 222-241. 149 Aulu-Gelle parle d'un ouvrage en trois livres intitulé De officiis, certainement un Περί τοΰ καθήκοντος : P. Grimal, Le siècle des Scipions. Rome et l'hellénisme au temps des guerres puniques, 2e éd., Paris, 1975, p. 306 et 313-314. 150 Aulu-Gelle, Nuits Att., XIII, 28, 3 (= M. van Straaten, op. cit., frg. 116): «Vita, inquit, hominum, qui aetatem in medio rerum agunt, ac sibi suisque esse usui uolunt, negotia periculaque ex improuiso adsidua et prope cotidiana fert. Ad ea cauenda atque declinanda perinde esse oportet animo prompto sem peratque intento, ut sunt athletarum, qui pancratiastae uocantur». 151 Cf. les remarques de P. Grimai, op. cit., p. 310-312.
152 Nous ne pouvons entrer ici dans la polémique qui oppose ceux qui, comme M. van Straaten, op. cit., font de i'humanitas l'idée centrale de l'éthique de Panétius (sans d'ailleurs qu'il emploie le mot; cf. p. 220), et ceux qui, com me I. Hadot, op. cit., p. 170, défendent l'idée que Panétius réserve Yhumanitas aux hommes de rang égal à lui. Sur Yhumanitas dans l'entourage de Scipion, cf. A.E. Astin, op. cit., p. 302-306. 153 E. Bréhier, Sur une des origines de l'humanisme modern e. Le «De officiis» de Cicéron, dans «Études de philosophie antique», Paris, 1955, p. 133. 154 Cic, De Off., I, 15. 155 Sur l'importance de la justice dans la pensée de Panét ius, cf. A. J. Voelke, op. cit., p. 156-157. Sur la magnanimité, cf. R. A. Gauthier, Magnanimité. L'idéal de la grandeur d'âme dans la philosophie païenne et dans la théologie chrétienne, Paris, 1951, p. 138-141 et 159 (dont la note 1) - 166.
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ment et complètement toutes les tendances et tous les appétits qui sont présents dans la nature humaine»156, est fondamentalement individualist e et met l'accent sur ce qui se trouve en tout homme : le désir de posséder la vérité, l'indépen dance de chaque individu, l'intime volonté d'or dre et de mesure157. La vertu n'est plus désor mais un savoir, mais elle est devenue l'expres sion d'une volonté réfléchie158, ce qu'est la πρό νοια elle-même, comme nous l'avons vu à plu sieurs reprises. Il est aisé de comprendre d'ail leurs pourquoi, tout en critiquant le principe de la sympathie universelle, les moyens divers de divination et, sans doute, le processus cyclique qui doit mettre fin provisoirement à l'univers avant de le faire renaître dans la conflagration, Panétius a conservé la notion de πρόνοια. Elle s'intégrait parfaitement à l'application morale individuelle qu'il avait faite du système stoïcien. Cette construction était bien adaptée à l'esprit romain et à la structure de l'État romain. C'est d'ailleurs pourquoi M. Pohlenz a pu défendre l'idée que Panétius est le premier représentant d'une éthique du chef qui n'est pas l'ambitieux subissant sa propre volonté de puissance, mais le grand homme d'État qui consacrerait sa car rière au bien de la communauté (le véritable portrait de Scipion)159. La magnanimité du dir igeant de la cité, qui est née de sa volonté réflé chie qui n'est autre elle-même que πρόνοια, doit se conformer au principe de justice s'il est ques tiond'établir un «bon gouvernement»160. Le pas que Panétius fait franchir à la doctrine du Portique est très important, car sa vision nette des données concrètes, le caractère humain et pratique de sa pensée, ne pouvaient que plaire aux Romains, plus habitués, dans
leurs propres relations sociales, à s'intéresser aux hommes en tant qu'individus qu'au genre humain envisagé globalement. Ils y voyaient l'utilité pratique dans le concret des choses. Panétius ne représente peut-être pas le sommet du stoïcisme comme M. Pohlenz l'affirme et le démontre à plusieurs reprises161, mais l'adapta tion à l'esprit romain, qu'il a réussie, a redonné au stoïcisme une vigueur nouvelle qui l'a dégagé de la sclérose et, surtout, lui a permis de mieux répondre aux virulentes attaques des autres éco les philosophiques. Grâce à Panétius, le stoïci smerepartit sur des bases nouvelles et put s'adapter à l'esprit de ceux qui allaient dominer l'ensemble du monde de la Méditerranée orient ale162.
156 M. van Straaten, op. cit., p. 221. 157 Id, ibid., p. 142. 158 Id, ibid., p. 222. 159 M. Pohlenz, Antikees Fiihrertum, Cicero de officiis und das Lebensideal des Panaitios, Leipzig, 1934. 160 E. E. Devine, Stoicism on the best Regime, dans Journal of the Hist, of Ideas, XXXI, 1970, p. 330-331. 161 1. Hadot, op. cit., a raison de mettre ce point en valeur. 162 Le stoïcisme de Panétius fit rapidement la conquête de l'élite de la société romaine où ses disciples furent nomb reux: Q. Aelius Tubero, C. Fannius, C. Laelius, Q. Mucius Scaevola, P. Rutilius Rufus ... Cf. Cic, Brut., 101, 113; De Fin.,
IV, 23; De Rep., I, 34... M. van Straaten, op. cit., fragments n° 2, 8-25, 137-147, donne de très nombreuses références sur ces points. Tous sont beaucoup plus jeunes que Scipion Émilien, sauf Laelius, et c'est grâce à leurs relations avec Scipion Émilien qu'ils ont établi leurs propres relations avec Panétius. Sur ce dernier point, voir A. E. Astin, op. cit., p. 296-297. 163 Sur les détails connus de sa vie, voir M. Croiset, Le philosophe Posidonius, dans Journ. des Savants, 1922, p. 145153; A. D. Nock, Posidonius, dans JRS, XLIX, 1959, p. 1-15; réédité dans «Essays on Religion and the Ancient World», Oxford, 1972, II, p. 853-876; mais, surtout, M. Laffranque, Poseidonios d'Apamée, Paris, 1964, p. 47-94.
b) Posidonius d'Apamée. Cette étape capitale fut complétée et, dans le même temps, infléchie de façon marquée, par l'élève le plus proche de Panétius, Posidonius d'Apamée. Son influence à Rome ne fut pas moins considérable que celle de son maître. A l'intérieur du Portique, il continua l'œuvre réfor matrice de Panétius, tout en cherchant, une fois de plus, à adapter la doctrine aux temps nou veaux. Cet esprit universel, aussi bien géographe, historien, mathématicien, naturaliste que philo sophe, ce grand voyageur qui parcourut l'Orient comme l'Occident, fit de Rhodes, dans les pre mières années du Ier siècle avant J.-C, le centre de son enseignement. C'est là que de très nom breux Romains, parmi les plus illustres, Pompée et Cicéron en particulier, allèrent écouter cet observateur passionné de l'univers163. Ils ne
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ménagèrent jamais l'expression de leur admirat ion pour un homme qui avait su établir un lien étroit entre ses travaux historiques, sa psycholog ie et son éthique, entre sa cosmologie et sa physique d'un côté, sa théorie du destin et de la divination de l'autre. Sa doctrine, «à la fois savante et pratique, symétrique mais rigoureus e», comme le dit M. Laffranque164, le mentre en opposition à Panétius sur des points essentiels. En particulier, il a su redonner à la providence la place qu'elle avait dans l'Ancien Portique et son système du monde, celle d'une fonction créatrice immanente, celle d'un principe direc teur. Cette Providence est une divinité active qui est chargée de soutenir et d'orienter la vie dans le monde, puisque tous les êtres qui ne sont pas éternels relèvent de la juridiction de la Natur e165. Tout possède une cause qui est une raison « déterminante » et il est possible de remonter la chaîne des causes qui aboutit à la Providence, loi primordiale et « règle » essentielle qui est « un art qui se réalise en actes»166. Cette Providence acti vequi pénètre dans toutes les parties du monde se confond avec la divinité qui « prévoit en pour voyant inséparablement»167 et qui, de ce fait, gouverne et ordonne l'Univers; elle permet de faire, en profondeur, l'unité organique de ce dernier. À cette place, elle est première «d'un point de vue téléologique, génétique et ordonnat eur»168. Si la Providence est l'instance suprême, elle est donc l'artisan de destin; or, les êtres les plus visiblement conformes à ses desseins sont les astres à la course réglée et régulière. De là la confiance de Posidonius en l'astrologie, mais aussi en tous les genres de divination. En effet, si, dans un sens, l'enchaînement des causes fait remonter au principe premier de l'Univers, dans l'autre sens il permet une prévision qui ne peut laisser aucune place au doute. La divination n'est pas absolue dans ses conclusions, car elle saisit les signes et non directement les causes.
Mais toutes les pratiques divinatoires sont util isables à condition de connaître les limites des éléments qu'elles nous apportent. Il n'est pas possible de façon conséquente d'en écarter une seule, même si l'on pense que certaines doivent être plus «signifiantes» que d'autres (l'astrologie en particulier qui utilise des corps célestes qui se confondent avec les dieux du Panthéon, com me leurs noms l'indiquent) et permettent de mieux définir et localiser les causes multiples qui expliquent clairement la réalité. Mais si la Providence est immanente à l'Uni vers, si elle en dirige l'évolution par la force de sa raison, elle possède en chaque homme une parcelle d'elle-même169. Il est évident que l'âme de chaque être humain est dotée de «providenc e», c'est-à-dire de la faculté rationnelle de con naître dans un premier temps, et d'œuvrer dans un second moment, le tout dans le sens de l'ordre universel. C'est cette faculté rationnelle qui doit primer dans l'homme. Elle doit contrôl er toutes ses énergies et l'ensemble de ses facult és.En effet, ce sujet connaissant qu'est l'homme n'est pas seulement un responsable passif, mais aussi un agent capable de modifier le cours des événements par la connaissance elle-même, et par tous les moyens qui mènent à cette connais sance: la science, la divination, la philosophie170. L'homme est fait pour l'action, pour toute action, et il ne lui faut pas vivre dans le désert s'il veut être un véritable sage. C'est en collaborateur de la divinité que l'homme peut agir sur les destins, le sien propre et ceux des autres hommes aussi. En effet, cette action ne peut s'établir qu'en suivant les directi ves de la Providence suprême, sans se laisser conduire par le hasard et sans s'abandonner à une fatalité qui serait inexorable. Il faut que l'homme organise, aménage, dirige, dans les limi tesde sa condition, mais en appliquant sa raison à la raison universelle. M. Laffranque résume parfaitement ce point de vue très cohérent quand elle déclare que l'homme a «à œuvrer,
164 Op. cit., p. 57. 165 Dans ce développement, nous nous appuierons surtout sur les excellentes remarques de M. Laffranque dans son ouvrage cité ci-dessus. 166 Diog. Laërce, VII, 149: «και αυτήν και τέχνην άποφαίνουσι δια τινας εκβάσεις, ώς φησι . . . και Ποσειδώνιος εν -τφ δευτέρα τοΰ φυσικού λόγου και έν τφ πέμπτφ περί μαντικής. »
167 Μ. Laffranque, op. cit., p. 338. 168 Id, ibid., p. 342. 169 Si, sur la divination, Posidonius s'oppose totalement à Panétius, sur l'existence de la providence dans l'homme, il s'en rapproche étroitement par l'importance qu'il donne à l'individu. 170 M. Laffranque, op. cit., p. 479.
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pour autant qu'il le peut, dans le sens de la Providence et de l'Ordre universel, en assumant la vocation sociale et raisonnable de son espè ce»171. La vocation de chaque être humain sur terre, dans ce contexte « providentialiste », est la recherche du bonheur, fin suprême pour soi et pour les autres. L'homme doit être novateur et son but doit être de donner à son temps une impulsion génératrice de progrès heureux172. La cohérence, exceptionnelle dans l'ensemble de la philosophie antique, d'une telle construction orientée vers la vie et aboutissant à l'individu, maître de sa propre liberté, ne pouvait que plai reaux Romains. La justification de tous les sy stèmes de divination, dont les plus employés à Rome173, laissait aux Romains la sensation qu'ils avaient trouvé, dans la πρόνοια, l'expression la plus simple et la plus directe de leur compré hension du monde, sans qu'ils éprouvent le
besoin de transformer en profondeur toutes leurs habitudes. Grâce à Posidonius, la notion de πρόνοια, et bientôt son équivalent latin de prouidentia, deve nait une notion qu'il était séduisant de placer au centre de la vie. Nous ne pouvons, dès lors, nous étonner qu'un homme comme Cicéron en ait fait un élément fondamental de sa pensée comme nous le verrons plus avant dans ce travail174. Il est l'héritier direct de toute cette lignée de pen seurs qui remonte aux premiers temps de la Grèce et qui ont, peu à peu, donné à πρόνοια une place de choix. Mais il a su adapter cette notion, l'apprivoiser à Rome, l'assimiler en l'i ntroduisant dans la vie et la réflexion purement romaines. Il en est le véritable introducteur dans la Ville et c'est à lui que nous devons son impor tante postérité dans le monde païen, puis chrét ien.
171 Id, ibid., p. 509. 172 Id, ibid., p. 502. 173 Dont l'haruspicine: Cic, De Divin., II, 15. 174 II n'est pas utile ici d'entrer dans le détail de la discus sionqui a opposé K. Reinhardt et P. Boyancé sur les problè mesdes sources de la conception de la Providence dans Cicéron: Panétius pour le premier, dans Kosmos und
thie, p. 92 (idée développée de nouveau par A. J. Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste. II. Le Dieu cosmisque, Paris, 1949, p. 397 et 416), Posidonius pour le second, dans Les preuves stoïciennes de l'existence des dieux d'après Cicéron, dans Hermès, XC, 1962, p. 45-71, repris dans Études sur l'humanisme cicéronien, Bruxelles, 1970, p. 327-331.
CHAPITRE II
UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR : CICÉRON
Comme nous l'avons vu au tout début de ce travail1, le mot prouidere apparaît dans la littéra turelatine avec Plaute et ne se développe en prouidentia, comme προνοέω l'avait fait en πρό νοια, que très tardivement. Si bien que, dans les écrits latins du IIe siècle av. J.-C, nous ne trou vons employé que prouidere, et encore un nomb re de fois très restreint. Nous pouvons d'ail leurs noter que, dans la perspective de l'évolu tionde la langue, les contacts directs que les Romains eurent avec les Grecs, et en particulier les contacts qui furent pris directement dans le fameux «cercle de Scipion» avec Polybe, n'eu rent pas une influence décisive. Le cas de Térence est exemplaire à cet égard; trois fois dans son œuvre prouidere est employé et, à chaque fois, d'une façon qui peut déjà sembler banale. C'est ainsi que, dans le Phormio, l'esclave Geta indique qu'on a pourvu à tout ce qui était matériellement possible2. Dans l'Andrienne, il s'agit pour Davus de faire tout ce qui est en son pouvoir pour que la situation ne tourne pas à sa confusion et à celle de son maître3. Mais chez un auteur pour qui l'élément humain est devenu primordial au point qu'il s'interroge sur les mobiles des actes de chaque individu4, prouidere possède un contenu plus
ample que précédemment. Comme chez Polybe, il est question de l'expression de la volonté indi viduelle d'un homme appuyée sur sa réflexion; d'ailleurs dans le passage de YAndrienne cité ci-dessus, prouidere s'oppose à la segnitia, l'indo lence, et à la socordia, le manque d'énergie, c'està-dire à une attitude d'esprit qui empêche d'agir et d'intervenir efficacement par manque de volonté. Plus précis encore est ce passage de l'Heautontimoroumenos; il va dans le même sens: «Putauit me et aetate et beneuolentia Plus scire et prouidere quant se ipsum sibi, In Asiani ad regem militatum abiit, Chrême!» 5.
1 cf. p. 1. 2 Phorm., v. 777-779. 3 Andr., v. 208: «Quae si non asîu prouidenîur, me aut erum pessum dabunt». 4 Cf. P. Grimai, Le siècle des Scipions. Rome et l'hellénisme au temps des guerres puniques, 2e éd., Paris, 1975, p. 284 et 290-291, avec le rappel du fameux vers 77 de l'Heautontimo-
roumnos: «Homo sum: humani nihil a me alienum puto». 5 V. 115-117, dans l'édition-traduction de J. Marouzeau (Coll. des Univ. de France), t. II, 1947. 6 Cf. supra, p. 17, n. 97. 7 Éditions de K. Dziatzko (1884) et de W. M. LindsayKauer (1926).
La liaison avec l'âge introduite ici par Térence est intéressante, car elle nous indique que la réflexion juste ne peut venir qu'avec l'âge; nous avions noté le même état d'esprit chez Polybe à propos d'Hannibal6. Le rapprochement prouidere-beneuolentia n'est pas très significatif; peutêtre faudrait-il ici préférer la correction apport ée par quelques éditeurs: «aetate et sapientia»7. En effet, s'il est vrai que beneuolentia est souvent employée avec aetas, dans Plaute et aussi dans Térence, sapientia est parfaitement en concor dance avec prouidere', le mot exprime l'idée
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d'une action réfléchie et pensée en vue d'un résultat positif. Il n'est pas besoin pour l'instant d'insister sur ce point; nous retrouverons plus loin, dans Cicéron, les rapports étroits qu'entre tiennent prolùdere et sapientia8. Il n'y a donc chez Térence aucun changement dans le vocabul aire,mais une simple transformation des rap ports entre prolùdere et tout ce qui constitue la pensée réfléchie; dans cet aspect des choses, l'influence du milieu culturel grec, et sans doute celle de Polybe lui-même, sont certaines. Mais il faut attendre Cicéron pour que s'ouvre le chapi tredécisif de l'introduction et du développe ment de prouidentia dans le vocabulaire et la pensée à Rome.
I - «PROVIDENTIA», UN ÉLÉMENT DE LA PHILOSOPHIE CICÉRONIENNE 1 - Les conditions DE LA CRÉATION PHILOSOPHIQUE CHEZ CICÉRON II est normal de trouver le mot prouidentia dans les traités philosophiques de Cicéron puis que, pour la plupart, ces ouvrages sont une pré sentation et un reflet des grands courants philo sophiques grecs du moment, de l'Épicurisme à la Nouvelle Académie et au Moyen Portique. Ce fait est d'autant plus normal que, comme nous l'avons dit, ce mot est la transcription du terme grec πρόνοια dont nous venons de voir les diffé rentes acceptions et qui est une des notions fondamentales du système stoïcien. Or, Cicéron lui-même, à propos de la rédaction de ses ouvra ges philosophiques, déclare : « Ce ne sont que des transcriptions; ils me coûtent peu de peine; je n'ai qu'à apporter les mots et j'en suis riche»9. Si
8 Cf. infra, p. 52. 9 Ad Ait, XII, 52, 3 . Cette lettre est datée du 21 mai 45. 10 Cf. supra, p. 3. 11 Cf. à ce sujet N. I. Barbu, Cicéron philosophe et homme d'action, dans Studii Clasice, VI, 1964, p. 137-47. On trouve dans cet article les références aux écrits antérieurs allant dans le même sens. A. Michel, La philosophie de Cicéron avant 54, dans REA, LXVII, 1965, p. 324-341; Cicéron et les sectes philosophiques. Sens et valeur de l'éclectisme
cette déclaration était le reflet de la réalité, une simple étude de la façon dont Cicéron a trans formé πρόνοια en prouidentia, ou a utilisé une transformation qui lui était antérieure comme nous l'avons vu plus haut10, serait suffisante et ne nécessiterait pas de longs développements; en effet, il suffirait, dans les textes, de remplacer prouidentia par πρόνοια pour retrouver les écrits des Grecs. Une étude plus ample est justifiée par le fait que le travail de l'Arpinate a été beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. Sa production philosophique est tardive dans sa vie puisqu'il n'a commencé le De Republica qu'en 54 av. J.-C. et que toutes les autres œuvres, à l'e xception du De Legibus, n'ont été rédigées qu'en tre 46 et 44, à un moment où l'activité politique de Cicéron était réduite par l'intransigeante domination de César. La rapidité, sinon la préci pitation, avec laquelle ces traités ont été écrits a pu faire douter certains de leur valeur, sinon de leur intérêt. En réalité plusieurs études récentes ont cherché à montrer en Cicéron, et ont réussi à le faire, un penseur cohérent et conséquent11. En effet, il s'est intéressé dès son plus jeune âge aux différents mouvements de pensée grecs; il eut comme maîtres qui façonnèrent son esprit les plus fameux du moment: l'épicurien Phaedros, un ami d'Atticus12, l'académicien Philon de Larissa, l'héritier spirituel de Camèade u, le stoï cien Diodote14 et Antiochos d'Ascalon, un plato nicien15 qui avait essayé de réaliser la synthèse de l'Académie, du Lycée et du Portique, et enfin Posidonios d'Apamée qui fut son ami16. Les œuvres philosophiques de Cicéron sont un aboutissement, le résultat d'une longue matur ation de la réflexion pendant des décennies, nourrie par les leçons de ses maîtres, par les échos des polémiques, par ses lectures nombreus es tout au long de sa vie, même au plus fort de
que, dans Eos, LVII, I, 1967/1968, p. 104-116; et les nombreux articles de P. Boyancé contenus dans Études sur l'humanisme cicéronien (Coll. Latomus, vol. 121), Bruxelles, 1970. 12 Ad Fam., XIII, 1, 2. 13 Brut., 306. 14 Ad Att., II, 20, 6. 15 Acad. Prior., II, 113. l6Ad Att., II, 1, 2.
UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICÉRON son activité politique. Il possédait des bibliothè ques dans toutes ses villas comme sa correspon dance en fait foi, mais il allait aussi lire chez des amis, tel Varron, ou chez des parents, comme son frère Quintus17. Ce long travail a trouvé son point final dans une œuvre originale; elle reste appuyée sur une documentation abondante18 qui lui sert à étayer sa pensée personnelle qui se refuse à être le simple écho atténué et romanisé d'une seule doctrine, d'un seul maître. Elle se présente tout au contraire comme un message adapté à l'esprit romain, dans un éclectisme que Cicéron a toujours voulu vivant et donc convainc ant19,parce que présenté de manière personn elleet originale, dans une très grande indépen danced'esprit qu'il a su conserver et qui fait l'intérêt de ses études.
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II est temps d'aborder l'étude du terme prouidentia dans l'œuvre philosophique de Cicéron en n'oubliant pas que ce dernier cherche à présent er une synthèse cohérente mais aussi, autant qu'il le peut, originale. En vérité, prouidentia et les dérivés de prolùdere apparaissent presque exclusivement dans un seul des traités de Cicé ron, le De Natura Deorum20; nous n'avons relevé que deux exceptions, dans la traduction-adaptat ion du Timée de Platon que Cicéron a réalisée21 et dans le De Diuinatione22. Le point est d'impor tancepuisqu'il nous permet déjà de conclure que, pour l'Arpinate, la prouidentia est une
notion qui trouve sa place de prédilection dans le domaine précis qui est l'objet du De Natura Deorum, c'est-à-dire la part prise par les dieux, à la fois dans la formation et l'évolution de l'uni vers, et dans l'activité et le rôle des hommes dans cet univers. Nous retrouvons ici l'expression même des idées stoïciennes sur le cosmos; un fait le prouve à l'évidence: c'est dans le livre II du De Natura Deorum que nous trouvons le plus grand nomb rede fois cités prouidere et ses dérivés23; or, ce livre II est consacré à la présentation, par Lucilius Balbus, de la théologie stoïcienne. En outre, chaque fois que le mot prouidentia est placé dans la bouche de l'un ou de l'autre des interlo cuteurs de Balbus, l'épicurien Velleius ou l'ac adémicien. C. Aurelius Cotta, c'est en réalité une allusion à la doctrine du Portique ou bien même une attaque virulente qui lui est portée24, com me le fait Cicéron lui-même tout au début de son œuvre25. D'ailleurs, dans ce même traité, et à trois reprises, Cicéron affirme l'équivalence du grec πρόνοια et du latin prouidentia26. Cependant, à trois reprises également, notre auteur se content e de transcrire πρόνοια dans l'alphabet latin et d'en faire Pronoea. Serait-ce, de sa part, une incertitude de vocabulaire ou bien une position de repli possible si la transformation en proui dentia avait paru trop audacieuse ou incompréh ensiblealors même pourtant qu'elle était déjà courante dans les cercles lettrés comme nous l'avons vu plus haut? En réalité, dans deux des trois cas, il s'agit de paroles de Velleius adres séesà Balbus; il emploie Pronoea plus par déri-
17 P. Boyancé, Les méthodes de l'histoire littéraire. Cicéron et son œuvre philosophique, dans REL, XIV, 1936, p. 288-309, reproduit dans Études . . . , p. 199-221. Cicéron utilise, dès 60, les œuvres de Panétius, de Dicéarque et de Théophraste. Cf. E. Smethurst, Cicero and Dicearchus, dans TAPA, LXXXIII, 1952, p. 224-232. C'est ce que prétend Cicéron lui-même, De Nat. Deor., I, 6: «Nos autem nec subito coepimus philosophari nec mediocrem a primo tempore aetatis in eo studio opérant curamque consumpsimus et, cum minime uidebamur, turn maxime philosophabamur . . . et principes Uli, Diodotus, Philo, Antiochus, Posidonius, a quibus instituti sumus». 18 Quand Cicéron ne possède pas certains ouvrages dans sa bibliothèque, au moment de la rédaction, il n'hésite pas à faire appel à ses amis: Ad Att., XIII, 8: «Epitomen Bruti Caelianorum uelim mihi mittas et a Philoxeno Παναιτίου περί προνοίας » (de Tusculum, 8 juin 45).
19 P. Grimai, Cicéron fut-il un philosophe ?, dans REA, LXIV, 1962, p. 121; J. C. Davis, The Originality of Cicero's Philosophical Works, dans Latomus, XXX, 1971, p. 115-119. Entre autres passages, c'est ce que Cicéron affirme à propos du devoir en De Off., I, 2, 6. 20 Prouidentia apparaît 18 fois; prouidere et ses autres dérivés, 10 fois. 21 De Univ., 3. 22 I, 117. 23 9 fois prouidentia; 7 fois prouidere et ses autres dérivés. 24 Velleius: I, 18 et I, 54. Cotta: III, 17; 65; 70; 78; 92 et 94. 25 1, 4. 26 1, 18: «πρόνοιαν, quam Latine licet prouidentiam dicere·». Π, 58: «prouidentia. . . (Graece enim πρόνοια dicitur)». II, 73: «... πρόνοιαν a Stoicis induci, id est prouidentiam ».
2 - La «Providentia» clcéronienne est stoïcienne
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sion que par conviction27. Ce caractère de déri sion et de dédain que veut faire ressentir Velleius est accentué par le uestra qui marque, à la fois, l'attribution exclusive à Balbus, donc aux stoïciens, de cette πρόνοια, et toutes les réserves qu'un épicurien peut avoir à son égard. Et même si, un peu plus haut, Velleius cite l'équivalence πρόνοια-prouidentia, il le fait avec beaucoup de réticence et en laisse à d'autres la responsabilité : «πρόνοιαν, quant Latine licet prouidentiam dicere»; le terme licet est très significatif de l'état d'esprit d'un homme qui veut rejeter l'ensemble d'un système philosophique en insistant sur son origine étrangère et en voulant aussi montrer son inadaptation à la mentalité et au monde romains. Lorsque Balbus répond en présentant la défense de son propre système, il n'a pas oublié les arguments de Velleius; il ne trouve rien de mieux pour le rappeler que d'employer le même vocabulaire que son interlocuteur. C'est pourquoi nous trouvons chez lui aussi le terme de Pronoea28. Au dédain répond l'ironie; parler de «providence stoïcienne», en employant Pronoea, à propos de la bonne saveur des poissons et des oiseaux, est manière de plaisanter et de montrer qu'il ne peut s'agir d'un argument sérieux. Par là même, refuser l'emploi de prouidentia dans la langue latine n'est pas plus sérieux; et c'est curieusement à travers les pro pos de Balbus que Cicéron lui-même affirme le bien-fondé de l'adoption de la transcription πρό νοια = prouidentia29 . Que la prouidentia et les problèmes qu'elle pose soient au centre des débats du De Natura Deorum nous est encore prouvé par le fait que, lorsque le mot est employé dans une autre œuvre philosophique de Cicéron, il ne l'est que par allusion à l'étude sur la nature des
dieux. Nous voulons parler ici du passage du De Diuinatione, écrit d'ailleurs immédiatement après le De Natura Deorum, en 44 av. J.-C, dans lequel Quintus s'appuie sur la démonstration de Balbus en utilisant alors tout naturellement le mot prouidentia: «si obtinemus . . . esse deos, et eorwn prouidentia mundum administrari . . .»30. De façon moins tranchante, mais cependant su f isamment claire, nous trouvons le même aspect dans la paraphrase du Timée; dans le paragra phe 3, 8, Cicéron déclare parler des dieux et de la naissance du monde31; tout naturellement vient dans la démonstration diuina prouidentia; il s'agit du même contexte de pensée, d'une semblable orientation d'esprit, celle affirmée dans les passages précédemment cités32. Il est parfaitement normal que le vocabulaire utilisé soit le même.
27 1, 20: «Pronoea uero uestra, Lucili, si est eadem, eadem requiro». I, 22: «Quaero, Balbe, cur Pronoea uestra cessauerit ». 28 II, 160: «ut interdum Pronoea nostra Epicurea fuisse uideatur?». 29 On sait que dans la tradition manuscrite certains mots laissés par Cicéron dans l'alphabet grec ont été transcrits par les copistes dans l'alphabet latin. S'il en était ainsi pour ces exemples, la démonstration ci-dessus serait sans valeur. Il ne le semble pas puisque nous trouvons πρόνοια dans d'autres passages; Cicéron a certainement employé volontairement Pronoea.
30 De Divin., I, 117. 31 «de deorum natura, ortuque mundi». 32 3, 10 : «Quam ob causam non est cunctandum profited, si modo inuestigari aliquid coniectura potest, hune mundum ani mal esse idque intellegens, et diuina prouidentia constitutum ». 33 Nous ne rechercherons pas ici quelles ont pu être les sources de Cicéron sur ce problème; peut-être s'agit-il plus précisément de Posidonius comme le pensent H. Jeanmaire, Introduction à l'étude du livre II du «De Natura Deorum», dans Rev. d'Hist. de la Philos, et d'Hist. Gén. de la Civ., 1933, p. 34-57, et H. A. K. Hunt, The Humanism of Cicero, Mel bourne, 1954, p. 136.
3 - Elle est preuve de l'existence des dieux et de leur action sur le monde Dans la totalité de ces traités, la cohérence de la pensée de Cicéron dans sa présentation de la providence divine est parfaite33. Il lui faut démontrer, avec des arguments solidement fon dés, l'existence des dieux et leur action sur les hommes. Les preuves en sont innombrables: Balbus fait sa démonstration à l'aide d'argu ments déjà présentés par ses prédécesseurs, les grands maître du Portique, Zenon, Cléanthe, Chrysippe: le spectacle du ciel en son ordre immuable, l'abondance des biens dans l'univers, la divination . . . Un seul Dieu pénètre toutes choses, il est la Nature, l'Intelligence du cosmos « qui pourvoit et veille à tout ce qui présente de
UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICÉRON l'intérêt et de l'utilité»34. Cette Intelligence est donc une providence douée de jugement; elle a créé un monde capable de durer, complet, et parcouru en son entier par la beauté et l'excel lence35. Dans un deuxième temps, Balbus prouve que la providence divine s'intéresse directement au monde en le gouvernant36. Les preuves de cette direction du monde par la providence sont aussi multiples: l'excellence de la marche du monde est une des plus fondamentales, car les dieux ne s'intéressent qu'au plus important; tou tes les parties du monde sont en sympathie, ce qui est bien la marque d'une force intelligente, organisatrice, «artiste»; le monde est disposé pour durer toujours, il ne manque de rien et il est souverainement beau dans sa propre perma nence et la permanence des éléments qui le constituent; de ces éléments font partie tous les êtres vivants, hommes y compris. La structure du corps de l'homme, les qualités de son esprit, ne peuvent être l'œuvre du hasard; elles sont donc le résultat d'une action volontaire et réflé chie pratiquée par une Intelligence, une Raison qui peut porter le nom de Providence divine37.
4 - Ses voies d'intervention dans le monde des hommes S'il existe une providence des dieux qui règne sur le monde et qui le gouverne, il ne faudrait pas négliger la providence particulière des dieux qui mène l'humanité dans son ensemble et cha que homme qui en est une des composantes. Tout ce qui est dans le monde a été préparé et disposé pour l'utilité des hommes: le ciel et les 34 II, 58: «Ipsius nero mitndi, qui omnia complexu suo coercet et conîinet, natura non artificiosa solum, sed plane artifex ab eodem Zenone dicitur, consultrix et prolùda utilitatum opportunitatumque omnium ». 35 Cf. A. J. Festugière, La révélation d'Hennés Trismégiste, II, Le Dieu cosmique, Paris, 1949, p. 393-394. 36 II, 73: «Proximum est, ut doceam, deorum prouidentia mundum administrari ». «... prouidentiam . . . quae mundum omnem gubernet et regat». II, 77: «Ex quo efficitur id, quod uolumus, deorum prouidentia mundum administrari». De même en II, 80; III, 65. De Divin, I, 117. 37 Cf. en particulier: II, 87; 98; 127-128. Pour l'homme: II, 133 (perfection de la structure de l'organisme humain); 140 (haute situation de l'homme dans l'univers); 142-144 (les
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astres qui le parcourent, non seulement comme spectacle, mais aussi comme cause nécessaire du rythme créateur des saisons qui fait naître les fruits de la terre. Enfin Balbus utilise l'argument de la providence divine révélée aux hommes par la mantique; que les dieux fassent connaître à l'humanité son avenir est la preuve de leur inté rêtpour la condition humaine38. Allant du tout à la partie, cette providence veille sur chaque État, sur chaque homme à l'intérieur de chaque État ou de chaque peuple; elle n'est que le corollaire indispensable de la providence universelle. La Providence est donc, à la fois, l'Intellect, la Raison du monde, la Nature intelligente et créat rice, nous retrouvons tous les caractères de la πρόνοια classique grecque, la pensée réfléchie qui permet l'action positive et qui est souvent l'action des dieux eux-mêmes. Elle est alors la providence qui s'exerce dans le monde, à tous les niveaux et même pour les plus petites chos es, pour permettre à l'homme, créature supér ieure, de mieux vivre et d'être parfaitement adapté au monde dans lequel il se meut. Il ne peut être mis en doute qu'il s'agit bien là de la pensée de Cicéron lui-même; la dernière phrase du De Natura Deonim nous le confirme tout à fait: «Haec cum essent dicta, ita discessimus, ut Velleio Cottae disputano uerior, mihi Balbi ad ueritatis simïlitudinem uideretur esse propensior»39. Il n'est pas nécessaire d'y trouver une ambiguïté40. Il est bien entendu que, dans le cours du traité, certains arguments stoïciens prouvant l'existence de la providence sont utili sésavec une grande prudence: ainsi quand Cicé ron aborde la preuve par la divination; il ne le fait que dans trois courts paragraphes d'une vingtaine de lignes41. Il n'y a là rien d'étonnant, particularités physiques de l'homme ne peuvent être dues au hasard). Réticences de Cotta. 38 II, 162-164: « . . . praedictionem rerum futurarum, mihi uidetur, nel maxume confirmare, deorum prouidentia constili rebus humants... Nec nero immerso generi hominum solum, sed etiam singulis a dis immortalibus constai et prouideri solet». 39 III, 95. 40 A. Michel, L'épicurisme et la dialectique de Cicéron, dans Actes du VIIIe Congrès Ass. Guil. Budé (Paris, 1968), Paris, 1969, p. 406: «... que l'on songe encore à la conclusion ambiguë du De natura Deorum », et n. 2. 41 II, 162-164.
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ni d'anti-stoïcien, puisque d'autres adeptes du Portique ont eu la même attitude dans ce domain e, à commencer par Panétius lui-même42. Si ce paragraphe final semble tourner court, il n'enlè ve rien à l'impression générale et à l'adhésion de Cicéron aux thèses stoïciennes sur le problème de la providence. Simplement il met l'accent le plus prononcé sur l'intervention de la providen ce au plan humain43.
donc providence, ou, tout au moins, il montre clairement l'existence d'une providence humain e, individuelle, mais qui ne peut être réservée qu'à un petit nombre45. Comment ne pas penser à la formule reprise par Cicéron à Platon qui lui-même s'adressait à Archytas de Tarente: « Nous ne sommes pas nés pour nous seuls, mais pour la patrie et pour nos concitoyens»46. De telles aspirations ne pouvaient qu'être très bien comprises et acceptées par les Romains de son temps.
5 - L'homme doit être le reflet de la providence divine Puisque la Providence, immanente à l'univers, en dirige l'évolution, l'homme doit faire primer en lui ses facultés rationnelles, car la raison humaine est de même nature que la Raison qui gouverne l'ensemble du monde. La présence de la raison en l'homme est due à l'existence de l'âme qui est issue directement de la divinité : «Animorum nulla in terris origo inueniri potest. Nihil enim est in animis mixtum atque concretum, aut quod ex terra natum atque fictum esse uideatur, nihil ne aut umidum quidem aut flabile aut igneum. His enim in naturis nihil inest, quod uim memoriae, mentis, cogitationis habeat, quod et praeterita teneat et futura prouideat et complecti possit praesentia, quae sola diuina sunt nec inuenietur umquam unde ad hominem uenire possint nisi a deo »44. La raison humaine possède donc, à son tour, un pouvoir de direction, de command ement, de réflexion et d'organisation que l'homme doit utiliser pour s'adapter à l'ordre du monde qu'il ne peut ni transformer ni transgress er. L'homme est actif et présent dans sa vie quotidienne; il ne peut être à l'écart de la réalité historique de son temps. C'est pourquoi celui qui agit est le sage par excellence; sa recherche est celle du bonheur. Dans notre monde, le sage ordonne et dirige, donne l'impulsion génératrice et créatrice. Il est 42 Cf. M. van den Bruwaene, La théologie de Cicéron, Louvain, 1937. 43 Cf. A. J. Festugière, op. cit., p. 424. 44 Tiisc, I, 66. 45 Si l'on suit l'analyse de M. Laffranque, Poseidonios d'Apamée, Paris, 1964, p. 502 sq., Cicéron doit cette concept ion à son ami philosophe qui aurait été le premier à rendre
II - «PROVIDENTIA», UN ÉLÉMENT DE LA NATURE HUMAINE L'acceptation fut d'autant plus aisée que Cicé ron n'a pas réservé l'essentiel de ses pensées et de sa réflexion à ses seules études philosophi ques. Pragmatique comme tout Romain, il a créé un vocabulaire philosophique latin, mais, en outre, il a tenté de faire passer ce vocabulaire dans la langue courante; pour lui, il ne devait pas y avoir d'obstacle entre les mots chargés d'exprimer la pensée philosophique et les mots de tous les jours; tout au contraire, les premiers devaient venir enrichir les autres. C'est pourquoi nous trouvons prolùdere, prouidentia et tous leurs dérivés exprimés et utilisés dans toutes ses œuvres, quel qu'en soit le genre. 1 - Un aspect de son pouvoir de réflexion Tout homme a la capacité de prouidere, car c'est le reflet de l'existence de sa propre pensée, de sa réflexion individuelle; c'en est même un des aspects fondamentaux. À plusieurs reprises Cicéron l'affirme, en par ticulier en se servant de l'intermédiaire d'Aristote pour montrer que la pensée, mens, est cons-
solidaires trois aspects de l'homme, le politique, le savant, le philosophe (p. 508). D'ailleurs lui-même s'est vanté, puisque ce n'était pas ordinaire à son époque, d'avoir fait descendre sur le forum et dans les affaires publiques la philosophie qui ne pouvait rester simple objet de loisir (Ad Fam., XV, 4, 16). 46 Pro Sestio, 138; De Off., I, 22; De Fin., II, 45.
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truite à partir d'éléments divers: «Cogitare enim et prouidere et discere et docere et iniienire aliquid et tam multa alia meminisse, amare odisse, cupere timere, angi laetari, haec et similia. . ,»47. Mens, divinité d'origine purement romaine, faisait l'ob jet d'un culte dans YUrbs depuis longtemps et possédait même son temple48; l'occasion de son installation et le sens qui lui a été donné ne sont pas indifférents à notre propos. C'est en 217 av. J.-C, après le désastre de Trasimène entraîné par les diverses impiétés de Flaminius49, que la partie consultée des Livres Sibyllins exigea, entre autres mesures expiatoires, d'élever un temple à Mens sur le Capitole. Rome avait alors installé, au centre religieux de la cité, la divinité qui est l'antithèse de tout ce qui est du domaine du sensus, c'est-à-dire de la sensation physique pure50; son caractère intellectuel est très pro noncé. C'est la divinité de la raison et de la réflexion. Deux motifs avaient conduit les quindecimuiri sacris faciundis et les sénateurs à introduire Mens dans l'ensemble des divinités officielles: dans un premiers temps, il s'était agi de mettre en avant la faculté qui avait manqué le plus à Flaminius dans la conduite de la guerre51, la faculté qui seule pouvait permettre le redresse ment et la victoire, à l'opposé donc de tout laisser-aller et de toute tendance à la témérité52. Mais le but poursuivi fut sans doute plus import ant;à un moment où se répandaient dans Rome les bruits les plus extravagants, les craintes les plus folles, où l'esprit de chacun était hanté par la menace proche d'Hannibal, où déjà des mou vements d'extrémisme mystique se dévelop paientdans la plèbe urbaine, ne fallait-il pas mettre au premier plan la divinité de la réflexion, de la raison, du jugement, seule capa bled'apporter le calme, nécessaire et indispensab le aux succès futurs, dans les esprits? Mens ne
s'oppose plus seulement à la témérité aveugle, mais aussi et surtout au mysticisme, si contraire à l'esprit romain, et à la peur panique, reflet d'une âme abandonnée par l'intelligence et inca pable, de ce fait, d'avoir une vue claire des événements53. Dès lors, nous comprenons mieux pourquoi Cicéron se félicite à plusieurs reprises de l'exi stence de ce temple, signe tangible de la présence de la divinité54. Nous saisissons aussi très bien le sens des composants divers de Mens dont Cicé ron nous donne la liste dans le passage des Tusculanes cité ci-dessus. Cogitare est le terme fondamental et ne prête pas à équivoque; il s'agit de l'acte de penser, de réfléchir, de songer dans un but précis; d'ailleurs cogitano est pris, par Cicéron lui-même, dans un sens très proche de mens55. Tous les autres termes ne sont là que pour expliciter cogitare : discere et inuenisse nous orientent vers l'étude, la recherche des connais sances nécessaires, la découverte par la ré flexion; mais cette dernière ne peut être assurée et être utile que par l'enregistrement de la mémoire: meminisse) cette expérience acquise doit être utilisée en faveur des autres êtres humains en agissant de deux façons, docere, enseigner, et prouidere, prévoir; seules la mémoir e et l'expérience peuvent le permettre. La lia ison entre mens et prouidere affirme l'existence chez l'homme de caractères particuliers qui le distinguent de tous les autres être vivants. La prouidentia est donc bien, essentiellement, un des aspects de ce qui fait la supériorité de l'hom me dans le monde où il vit, la pensée56.
47 Tusc, I, 22. 48 II fut dédicacé en 181 av. J.-C. Cf. Tite-Live, XL, 34, 4-5. 49 Tite-Live, XXII, 9, 7-11. 50 Cf. Cic, Or., 8. 51 P. Grimai, Le siècle des Scipions . . . , p. 122. 52 G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1966, p. 458. 53 Nous pouvons noter aussi que R. Schilling, La religion romaine de Vénus, Paris, 1954, p. 251-252, a rattaché Mens aux
origines mêmes de Rome en montrant en elle une des qualités essentielles d'Enée, le père des Romains. Un tel rapprochement ne pouvait que renforcer l'importance don née à cette divinité. 54 De Leg., II, 19. De Nat. Deor., IL 79. 55 Cic, Or., 8. 56 Le couple prouidere (ou ses dérivés) - mens se trouve à plusieurs reprises dans l'œuvre de Cicéron: Pro Lig., 17. De Orat., IL 333. De Divin., II, 1 17.
2 - TOUS LES HOMMES NE LA POSSÈDENT PAS Si tout homme possède la faculté essentielle de prouidere, chacun ne l'a pas avec la même
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intensité et la même force, ni la même plénitude. C'est, en effet, une qualité attachée à celui qui est en pleine possession de ses moyens physi ques, témoignage du développement optimum de son intellect. C'est pourquoi elle ne peut appartenir à la jeunesse que Cicéron appelle improuida aetas57; à travers l'exemple de Denys le Tyran, il nous rend évident que la jeunesse est le temps de la passion, du mouvement, du manque de réflexion qui conduisent sans conteste à l'erreur. Si la jeunesse a la mémoire, elle n'a pas suffisamment de connaissances, donc d'expérience, pour ins truire et prévoir58. Mais cette qualité ne peut être conservée aussi longtemps que la vie; il arrive un âge où l'esprit perd ses possibilités et, tout particulièrement, celle de juger en toute connaissance de cause puisqu'il ne peut plus embrasser toutes les données d'un problème. Dans ce sens, il est normal de voir les vieillards appelés par Cicéron improuidi59 et de leur acco lerun terme aussi péjoratif que celui de creduli; il est vrai que, dans ce passage, il est question du vieillard de comédie, hérité du théâtre hellénisti que, dont la bêtise permet le rebondissement de l'action; mais, à travers ce personnage dérisoire, ce sont toutes les faiblesses réelles de la vieilles se humaine qui sont mises en valeur. D'ailleurs d'autres exclusives sont prononcées par l'Arpinate; les femmes et les esclaves sont totalement dépourvus de cette qualité puisque les unes comme les autres sont destinés à ne s'occuper que de ce qu'il y a de médiocre et que leur comportement est le reflet obligé de cette médiocrité, surtout lorsqu'ils se trouvent face aux difficultés ou affrontés à la douleur60.
ron emploie des mots d'une grande violence pour expliquer l'attitude servile et le comporte ment féminin; esclaves et femmes ne peuvent exister quabiecte, c'est-à-dire sans aucun courag e, en s'abandonnant au destin et en restant sans réaction devant les événements parce que sans foi dans l'avenir, ce qui est le contraire même de ce que doit ressentir celui qui veut agir; timide, c'est-à-dire avec la crainte qui paralyse au moment de prendre une décision; ignaue, dans une inertie qui refuse l'action et qui peut même transformer l'action en lâcheté. Étant donné cet étalage de défauts, il est aisé de comprendre que, dans l'esprit de Cicéron, la faculté de prouidere est réservée à l'homme, uir, dans la force de l'âge, la plénitude de ses qualités intellectuelles, la totale liberté individuelle, que ne possèdent ni les femmes ni les esclaves, nécessaire à la comp lète indépendance de la réflexion qui ne peut s'épanouir qu'en dehors de toute contrainte matérielle.
57 Tusc, V, 62: «... iis enim se adulescens improuida aetate inretierat erratis eaque commiserat, ut saluus esse non posset, si sanus esse coepisset ». 58 De Rep., II, 1, 2: «neque cuncta ingenia collata in iinum tantum posse uno tempore prolùdere, ut omnia complecterentur sine re rum usti ac uetustate ». Usus représente ici l'expérience qui vient avec l'âge et uetustas a le sens d'une amicitia renforcée par l'ancienneté des relations. 59 Lael., 100. Il serait aisé de trouver une certaine contra diction avec le De senect. dans lequel, tout au contraire, Cicéron montre que la vieillesse est l'âge du consilium, de Yauctoritas, de la sententia et de la prudentia (Cat. m., 17). Mais il s'agit alors de vieillards illustres, encore capables de
donner des conseils de gouvernement grâce à l'immense acquis de la vie; pour les autres, le commun, il reste le travail de la terre! En outre, nous pouvons remarquer que prolùdere ou l'un de ses dérivés n'est jamais employé dans le Cato maior. 60 Tusc, II, 55: «... ne quid seruiliter muliebriterue faciamus ...» Les cris de Philoctète, abandonné dans l'île de Lemnos, sont inutiles et dégradants. Cf. Pro Cluent., 184: «midier abundat audacia, consilio et ratione deficitur». 61 Pro Lig., 17: «... fatalis quaedam calamitas incidisse uidetur et improuidas hominum mentes occupauisse, ut nemo mirari debeat humana consilia diuina necessitate esse superat a».
3 - Ses limites dans l'homme qui la possède Cela nettement affirmé, Cicéron reste en mesure de juger l'homme bien souvent impré voyant; mais cette carence, grave dans la conduit e de la vie, ne lui est pas totalement due et n'importe quel individu peut en être atteint par fois; en effet, il peut s'agir d'un cas où la volonté personnelle et individuelle n'est plus d'aucun secours. Il est des moments où l'homme prend de solides résolutions et ne peut aboutir parce qu'il se heurte à la volonté divine qui peut ellemême être cause de catastrophes61; avec l'aide
UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICERON de toutes ses qualités, l'homme ne peut atteindre ce qui est du domaine des dieux. La raison en est que personne ne peut prévoir ce qui est sans cause, et ce qui vient des dieux reste sans cause décelable pour l'homme. À trois reprises, Cicéron nous le démontre dans son traité De Diuinatione; voulant mettre en valeur l'idée émise cidessus, il affirme qu'il n'est pas possible de pré voir sans cause assignable62; si nous ne pouvons prévoir ce qui arrive par cas fortuit63 la divina tionn'existe pas ou bien, si elle existe, elle reste en dehors des possibilités humaines définies par Xars et la sapientia64. Ces deux dernières notions représentent, d'une part la capacité personnelle résultant de l'étude et de l'expérience, d'autre part la capacité de juger et d'agir sainement et sagement. Il est évident que, dans ce contexte, prouidere s'oppose à tout ce qui est fortuitum; c'est un chaînon supplémentaire ajouté à la lia ison étroite, que nous avions déjà notée, entre la prévision et la pensée. 4 - À QUI SERT-ELLE? a) À soi-même: pour la réussite de l'action imméd iate. L'homme doit donc prévoir. Mais dans quel but doit-il le faire, et cette prévision est-elle à courte ou à longue échéance? Cicéron répond à ces questions; l'homme doit d'abord assurer la réussite de l'action immédiate. C'est le cas de l'orateur qui a besoin, pour le succès des propos qu'il tient, de prêter la plus grande attention aux réactions de son auditoire; il peut ainsi adapter son discours et le rendre plus convaincant puisq u'il ira dans le sens attendu par les auditeurs65. Lorsque Cicéron lui-même prononce son pla idoyer qui est, à la fois, attaque contre Verres et
62 De Divin., II, 17. » Ibid., 25. 64 Ibid., Π, 14. Le couple prouidere (ou ses dérivés) sapientia (ou sapiens) se trouve à 13 reprises: Hort., frg. 33. De Orat., II, 333. 1 Ve rr., 51. Pro Cael, 22. Pro Mil, 84. Ad Q.f., I, 1, 3. LaeL, 6. Tusc, III, 30; IV, 37; IV, 57. De Divin., II, 14. De Rep., IV, 3. Phil, XIII, 6. 65 Part. Or., 15: « ... nam auditoris aures moderantur orator i prudenti et prolùdo, eae quod respuunt immutandum est ». Il est logique de trouver prouidus lié à prudens qui est la
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défense des habitants de la Sicile, toute son argumentation est bâtie en fonction des choix de son illustre adversaire, Hortensius, et des procé désde défense qu'il utilise. Il le déclare luimême et s'en fait gloire puisqu'il s'agit de l'ac tion d'un bon avocat; il abandonne une série de faits qui, dans un premier temps, sont nettement défavorables à Verres et que n'importe quel défenseur aurait immédiatement utilisés; mais Cicéron a pensé à l'emploi qu'Hortensius aurait pu en faire et qui se serait révélé désastreux pour les Siciliens: «Prouideo enim quid sit defensurus Hortensias»66. Dans la même position se trouve l'homme qui dialogue avec un autre et qui doit, s'il veut faire triompher son point de vue, envisager ce que son adversaire va employer et développer comme arguments; prouidere lui permet d'éviter tous les pièges que son interlocuteur peut lui tendre67. En outre, l'attention portée aux argu ments de l'adversaire permet de les réfuter avec plus de facilité. Cicéron sait bien que, dans ce domaine, l'homme ne peut arriver à la perfec tion;dans une discussion, dans un débat polit iqueou juridique, l'imprévu, quelles que soient les précautions que l'on prenne, peut survenir. Aussi s'en prend-il violemment à ceux qui ont réponse à tout, comme s'ils possédaient toute la science, alors qu'ils dissimulent derrière des mots leur incompétence et le vide de leur pen sée; n'était-ce pas le cas de Gorgias qui se disait capable de traiter tous les sujets à la demand e68? Dans la vie courante de chacun cette «prévi sion»est tout aussi nécessaire; elle l'est encore plus quand la vie est dominée par la politique, domaine dans lequel l'action est déterminée par la compréhension des événements immédiats et de leurs conséquences premières. Cicéron, en
capacité de celui qui distingue le bien du mal, donc qui peut obtenir dans son action des résultats positifs. Le couple prouidere (ou ses dérivés) - prouidentia (prudens) se trouve à 6 reprises: Hort., frg. 33. Or., 189. LaeL, 6. De Divin., II, 12. De Leg.,1, 60. De Rep., V, 1, 1. Dans le passage de YOrator, le mot employé est imprudentia. bbVerr.,V, 22. 67 De Fin., II, 17. 68 De Orat., I, 103.
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tant que représentenant des sénateurs qui s'op posent à Antoine, envisage l'importance stratégi que que peuvent revêtir la possession de Brindes et le contrôle du littoral italien dans la lutte qui s'ouvre69. Dans le même sens, il utilise le terme prolùdere pour montrer à Atticus qu'il ne peut faire aucun pronostic sur son élection au consulat70. D'ailleurs, grâce à son action, Cicéron a pu rendre meilleur Pompée, en politique tout au moins, c'est-à-dire «le faire renoncer quelque peu à sa versatilité démagogique » et, surtout, lui montrer et lui faire comprendre qu'il y a eu un événement essentiel dans les dernières années, la sauvegarde de la République par le consul de 6371. Cicéron met sa capacité de «prévision» à son propre service, tout en pensant à l'intérêt de l'État, et il met en évidence l'étendue de ses mérites qui sont, bien évidemment, très supé rieurs à ceux de Pompée. Dans une lettre à Aulus Torquatus, il affirme clairement que d'une bonne prévision découle la connaissance de l'ac tion immédiate à accomplir: «tarnen interdum coniectura possis proprius accedere»; en partant du postulat que la durée de la guerre ne peut être longue, il est possible d'envisager le dérou lement des événements72. Parfois Cicéron avoue l'impossibilité dans laquelle il se trouve de pré voir quoi que ce soit de ce qui doit advenir; il utilise alors le terme prolùdere pour bien souli gner qu'il ne possède pas les éléments nécessai res pour alimenter une réflexion positive et uti le73. Et puisque ce genre de réflexion est à la portée de chacun, personne, et tout particulièr ement les juges, ne peut être surpris de l'attitude prise par Cicéron; en effet, il n'agit alors qu'en fonction de toute sa conduite passée: «Mea quidem ratio, cum in praetentis rebus est cognita, turn in reliquis explorata atque prolùsa est»74.
b) À soi-même: pour éviter les conséquences de l'imprévoyance
69 Phil, XI, 26. 70 Ad Att., I, 1, 1 : «... quod adhuc coniectura prouideri possit». Lettre de juillet 65. Nous pouvons noter ici l'emploi du mot ratio que nous retrouvons proche de prolùdere à 8 reprises: Verr., I, 15. Ad Q.f., I, 1, 38. Ad Fam., III, 2, 2. De Divin., II, 25. De Leg., I, 22. Phil., XIII, 6. Ratio représente la faculté de faire ou de ne pas faire après mûre réflexion, tout particulièrement dans le domaine politique. 71 Ad Att., II, 1, 6. La lettre est de juin 60. 72 Ad Fam., VI, 4, 1 : «exitus prouideri possit». 73 Ad Att., II. 22, 6. Lettre de la fin juillet 59. 74 Verr., I, 15.
75 Pro Rose. Amer., 117. 76 De Divin., I, 50. Nous retrouvons ici un des aspects de la πρόνοια-pro uidentia déjà aperçu dans l'œuvre de Polybe. L'idée est la même chez l'un et l'autre. 77 Pro Rose. Amer., 151. 78 Phil., XII, 3. 79 Verr., I, 112. 60 Ad Fam., II, 10, 3. Lettre du 14 novembre 51. Cicéron l'envoie du camp de Pindenissus et il fait son propre éloge militaire. Cf. J. Carcopino, Les secrets de la correspondance de Cicéron, Paris, 1951, t. I, p. 404, n. 2.
C'est pourquoi une surprise dans l'action immédiate est la preuve du manque de réflexion préalable. Un des cas qui semblent le plus signi ficatif à Cicéron est celui des ambassadeurs d'Amérie venus auprès de Sylla présenter leur point de vue et qui n'ont pu le faire75. De tels échecs surviennent aussi chez ceux qui ne savent pas tout prévoir sur le champ de bataille et qui, ainsi obligatoirement surpris, sont battus; ce fut le cas des Carthaginois qui laissèrent enlever Hamilcar par les Syracusains parce qu'ils étaient aux prises avec une sédition interne à laquelle ils portaient toute leur attention76. N'est-ce pas aussi le fait de ces soldats qui abandonnent le champ de bataille pour échapper à la mort, mais qui n'ont pas pensé qu'ils pourraient être atten dusdans leur fuite et alors massacrés77? La surprise, qui n'est autre que le manque d'attention et de réflexion, est toujours favorable à l'adversaire et attire, presque immanquablem ent, le malheur; c'est ainsi que Pison et Calenus prennent l'avantage sur tous lorsqu'ils font mention de la paix à un moment où personne n'y a encore pensé78. En réalité, il faut toujours être prêt; dans la confection du mal, c'est ce qui fait la fortune de Verres qui voulait «ex improuiso si quae res nata esset, ex urbano edicto decernere»19. La meilleure prévision n'est-elle pas celle de l'homme qui, dans l'action qu'il entreprend, sait que son propre adversaire ne saura pas prévoir ce que lui-même a préparé et organisé? Dès ce moment la supériorité du premier est acquise. Prévoir que les autres ne prévoieront pas, n'est-ce pas là ce qu'il y a de meilleur dans l'homme et ce qui, en conséquence, est digne d'être remarqué et honoré80?
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II est donc incontestable que, dans l'esprit de Cicéron, prolùdere est une des qualités essentiell es de l'homme et qu'elle fait partie de sa pensée intime, de sa réflexion et de son jugement; si l'homme n'est pas toujours imprévoyant par sa faute, il l'est souvent parce qu'il n'a pas encore, ou qu'il n'a plus l'âge nécessaire ni la condition physique, ou bien parce qu'il ne sait pas utiliser les éléments mis à sa disposition et qui permett ent de comprendre les événements du moment et leurs conséquences en vue de l'action imméd iate. Il n'est pas étonnant dès lors de trouver dans un fragment de Y Hortensius une définition du domaine de prolùdere; sont alors jointes à prouidentia, sapientia et prudentia81. nous avons déjà fait la remarque que sapientia (ou sapiens) était très souvent et très étroitement lié à prolù dere62; si tout homme peut employer ses qualités dans la prévision, il en est peu qui le font, donc peu sont des sages; nous aurons l'occasion de revenir sur le contenu de la notion de sapientia dans ses rapports avec prolùdere. Mais ce der nier terme est aussi lié étroitement à prudential et même en découle: «quae uirtus ex prolùdendo est appellata prudentia»84. Là encore nous défini rons dans la suite les rapports exacts existant entre prouidentia et prudentia; mais ce dernier texte est important, même capital, puisqu'il veut nous donner une définition claire, précise, défi nitive de prudentia, qui se présente ici aussi comme la prouidentia de tout homme, donc du sage: «et (animus) exacuerit illam, ut oculorum, sic ingenii aciem ad bona seligenda et reicienda contraria»; discerner le bon pour mieux rejeter son contraire, c'est ce à quoi doit s'attacher la prouidentia de chacun. Le but poursuivi peut être personnel, et la distinction entre le bien et le mal peut déboucher sur un profit individuel; mais, et l'action n'en est que meilleure, cette «pointe effilée» du discernement doit aussi être mise au service de tous, dans la perspective de
créer le bonheur. Cicéron n'a pas négligé ces deux aspects complémentaires. Si prolùdere permet d'agir en toute connais sancede causes, c'est bien à l'acte réfléchi qu'est réservée la possibilité de porter l'attention sur l'avenir plus ou moins proche85. Ce regard lancé sur ce qui va se passer permet à chacun de préparer sa propre sauvegarde et de construire sa vie individuelle sans surprise, c'est-à-dire sans que puisse se présenter quelque événement qui n'ait été pressenti. Pour obtenir ce résultat enco re faut-il faire monter à son intellect une perpét uelle faction; elle est seule capable d'assurer à la vie une certaine régularité86. Cet effort est le fondement de la liberté de chacun de nous; nous retrouvons ici les idées stoïciennes, en particul ier celles qui font de l'homme l'être vivant qui sait s'adapter aux lois générales de l'univers dans un mouvement volontaire. Seul l'homme libre sait où sa vie le conduit et la prévision qui doit avoir sa place dans tout plan de vie est nécessaire pour assurer la sauvegarde personn elle87. Ce point est essentiel et il nous permet de mieux comprendre l'importance que revêt l'acte de prolùdere dans la conception générale de l'homme que développe Cicéron. Personne ne peut nier l'existence de lois fon damentales qui ne sont pas des lois humaines, mais qui sont les bases essentielles du fonctio nnement du cosmos, et donc de la vie des hom mes qui sont partie intégrante de l'univers. C'est à ces lois générales que l'homme doit adhérer volontairement, propter metum; nous ne pouvons d'aucune autre façon suivre le droit chemin, recte sequitur. Mais Cicéron va au-delà de ce qu'il considère comme une simple première étape, car il a aussi en vue les lois qui régissent l'État. Il ne s'agit certainement pas des lois que nous pourrions appeler conjoncturelles et qui ne sont que le reflet des nécessités du moment; elles sont destinées à disparaître avec les causes qui
81 Hort, frg. 33 (Müller): «Id est enim sapientis, proludere; ex quo sapientia est appellata prudentia ». 82 Cf. supra, p. 39, n. 64. 83 A 7 reprises; cf. p. 39, n. 65. 84 De Leg., I, 60. 85 Prolùdere est souvent associé à des mots, des formules qui sont l'expression de l'avenir: posterum : De Rep., I, 47 (=71). De Leg., Ill, 44. Phil., VII, 19.
Phil., XIII, 6. futurwn et futura : Pro Mur., 4. De Divin., I, 78; 101; II, 17 et 25. Ad Au., II, 22, 6 et X, 16, 2. res futurae: De Divin., II, 117. MTusc, IV, 37: «... ut ei nihil improuisum uccidere possit ». 87 Par ad St., V, 34.
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en ont amené l'application. Cicéron en parlant de ces lois entend celles qui ont été données par les dieux aux ancêtres, ces lois qui forment l'a rmature de la cité et qui, avant toutes les autres, sont les lois religieuses88. Nous ne pouvons trou vermeilleure illustration de cette idée dans les termes que Cicéron lui-même emploie: «qui gaudet officio»89. Dans le contexte présent le mot officium signifie l'ensemble de ce qui peut servir à l'action de l'homme politique, c'est-à-dire de celui qui, par métier pourrions-nous dire, est plongé directement dans l'événement, sans inter médiaire, et qui accomplit son devoir dans la joie, malgré les difficultés qu'il comporte. Il ne peut le faire que parce que son action est en conformité avec les lois de la cité, ces lois qui en sont l'armature et le cadre nécessaires. Lorsque Cicéron est obligé, au moment de la guerre civile, de prendre parti, il se présente comme prêt à rallier le parti pompéien. En réali té tous ses efforts tendent à soustraire sa person ne à l'engagement direct. Tout son processus de réflexion le conduit à éviter ce qui semble devoir être dangereux pour lui-même, tout en faisant mine d'avoir la ferme résolution de rejoindre, par voie de mer, l'armée du sénat90; ce n'est que prudence égoïste. Nous trouvons d'ail leurs la même attitude dans une lettre adressée à Decimus Brutus et écrite en juin 43, durant la guerre de Modène; Cicéron dissuade Brutus d'avoir quelque alarme pour lui et il lui déclare qu'il évitera les dangers qui pourront se présent er à lui; il démontre par là qu'il possède son plus complet sang-froid, mais il met aussi l'a ccent sur toute l'attention qu'il porte à sa propre personne et au sort que les événements peuvent lui réserver91. Mais une telle attitude peut aussi être le simple désir d'assurer sa sûreté personnelle face à la menace pressante d'un danger. Si Verres
avait porté plainte devant le sénat contre ceux qui avaient attenté à sa dignitas à Lampsaque et l'avaient menacé dans sa vie, les sénateurs auraient certainement pris les mesures nécessair es; elles auraient sauvé l'honneur de Verres et elles auraient aussi assuré la sauvegarde personn ellede chacun des patres pour l'avenir; en effet, dans la personne de Verres, représentant de Rome, l'ensemble des dirigeants romains avait reçu un outrage92. Dans le même sens, les alliés du peuple romain ont su se préserver des spolia tions effectuées trop souvent par les gouver neursau nom du peuple romain, tout en restant parfaitement fidèles à Rome en toutes circons tances. La réflexion et le jugement qu'ils ont portés sur les événements et la situation général e leur ont permis de maintenir une attitude qui, comme ils l'avaient bien vu, ne pouvait que leur être très favorable dans l'avenir93. Si la «prévision» peut apporter une aide eff icace à l'homme qui agit pour le bien, elle peut aussi malheureusement, et très facilement, servir à ceux qui agissent en dehors de toute légalité comme Chrysogonus dans l'affaire de Roscius d'Amérie94; que l'affaire s'ébruite et le destin du secrétaire de Sylla est scellé; il ne peut échapper à une accusation et à une condamnation qu'en prenant toutes les précautions nécessaires. Ver res est dans le même cas et toute sa politique a consisté à agir de telle sorte qu'il ne puisse jamais tomber sous les coups d'une accusation. Les précautions peuvent aller jusqu'à la confec tion d'un faux registre95 qui lui évite de succom ber à la violence due à la haine générale que les Siciliens lui vouent. À la suite de la destruction de la flotte de la grande île par les pirates, Verres cherche à détourner les soupçons d'im prévoyance et de prévarication; il établit des procès-verbaux d'interrogatoires, entièrement préfabriqués, mais qui, pense-t-il, l'innocente-
88 Ces idées sont clairement exprimées dans le livre II du De Legibus. 89 Parad St., V, 34. 90 Ad Att, X, 16. La lettre est datée du 14 mai 49. Cf. J. Carcopino, Les secrets de la correspondance de Cicéron, Paris, t. I, 1951, p. 414-415. Cicéron y est traité de «rodomont ». 91 Ad Fani., XI, 21, 3: «Ego enim quae prouideri potenmt non fallar in iis». Nous retrouvons la même idée dans Ad
Fam., III, 1 (lettre à Appius Claudius Pulcher de 53-52 av. J.-C). 92 Verr., I, 85: «qtiis non ex iniuria quae tibi esset facta sibi prouideret?» 93 Verr., V, 127 : «Ne publice a populo romano spoliarentur, officiis ac fide prouiderunt ». 94 Pro Rose. Amer., 110: «Monet, ut proiiideat, ne palam res agatur». 9iVerr., I, 157.
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ront. C'est un prouidens homo9b\ II pouvait pen ser avoir sauvé se position du moment et, en même temps, garanti son avenir politique. Obtenir sa sûreté personnelle, qu'on soit bon ou méchant, n'est pas le seul résultat tangible et possible de l'acte de prolùdere. Chacun peut l'uti liser au profit de ses idées ou, plus directement, de son activité. L'orateur doit donner au dis cours grâce et régularité par les figures de mots et les figures de pensées qui ornent son propos; une de ces figures de mots est l'emploi du terme inattendu97, c'est-à-dire celui qui a été suffisam ment préparé pour surprendre l'auditoire, le prendre au dépourvu et, par là, éveiller son attention et faire le succès de l'orateur. Le philo sophe, ou le politique, qui se lance dans une démonstration qu'il veut convaincante, ne peut le faire que s'il a utilisé au mieux son pouvoir de réflexion; l'approbation ne peut jamais découler d'une affirmation qui n'a pas été pensée: «Quocirca uereor committere ut non bene prolùsa et diligenter explorata principia ponantur . . .»98. Prouidere doit aussi permettre d'éviter le mal, dans son action générale, ou tout ce qui peut avoir un effet malheureux sur soi. Si, dans son discours, l'orateur introduit des vers au milieu de sa prose, sans le vouloir, il commet une faute qu'il aurait pu éviter par la prévision et la prépar ation; avec ces vers, le discours ne portera pas puisqu'il lui manquera l'essentiel, l'art99. Dans ce cas précis, la prévision est étroitement liée à l'observance de règles fondamentales et immuab les qui ont fait leurs preuves; «prévoir» est ici s'adapter à un ordre préétabli. Même quand le ton est moins docte, sinon badin, et que l'objet de l'écrit est futile100, Cicéron, pour exprimer une idée semblable, emploie les mêmes termes. Sans prévision il n'y a que malheurs; ainsi, dans la joute oratoire, on verra l'adversaire utiliser une argumentation subtile, propre à convaincre et à ébranler les plus solides convictions101; pour
éviter une pareille catastrophe, il faut suivre, mot à mot, le fil du discours de l'adversaire, ce qui permet de le réfuter et de ne pas rester impuissant face à ses arguments. Mais il est des malheurs bien plus grands et qu'il est pourtant possible d'éviter; lorsque les marchands abor dant en Sicile se sont défendus d'être des soldats de Sertorius et que, pour étayer leurs propos, ils ont montré que les produits qu'ils vendaient venaient d'Orient, ils n'avaient pas prévu que l'argument pouvait se retourner contre eux et que, de complices de Sertorius, ils devenaient les amis des pirates qui, à ce moment, ravageaient les côtes de l'île102. Mais l'imprévoyance a les conséquences les plus graves et provoque les désastres les plus grands quand elle sévit dans le domaine des passions. L'amitié est un sentiment si essentiel à l'homme, dans sa vie de tous les jours, qu'il lui faut prendre toutes les précautions avant d'éta blirun tel lien; c'est ce que Cicéron lui-même a réalisé lorsqu'il est devenu l'ami du Grand Pomp ée; la réflexion, le jugement porté sur la valeur de l'homme, sur ses vertus, sur le rôle qu'il pouvait être amené à jouer dans la cité à cause de ses qualités, l'on conduit à entrer dans son amitié103. Une amitié brisée est un trop grand motif de souffrances pour qu'on ne se permette pas une réflexion approfondie sur celui dont on veut faire son ami ou qui veut devenir votre ami104. D'ailleurs, durant toute sa vie, l'homme doit res ter attentif; il lui faut toujours prendre garde au spectacle du plaisir qui, dans un premier temps, l'affaiblit et le laisse sans réaction, puis l'entraîne lui-même et finit par le tenir dans les chaînes des passions; à ce moment il ne lui est plus possible d'envisager les conséquences de ses actes; elles ne peuvent être que désastreuses pour lui105, quelles que soient les bonnes résolu tions prises auparavant. Quant à ceux qui se
96 Verr., V. 102. 97 De Orat., III, 207: «...et riirsum alia dubitano, et improuisum quiddam, et dimimeratio et alia correctio ... ». 98 De Leg., I, 37. 99 Or., 189. 100 Ad Fam., IX, 18, 4: «Actum igitur de te est, nisi prouides». Dans cette lettre, datée de juillet 46, Cicéron s'adresse à L. Papirius Paetus; il le met en garde contre lui-même. 101 Tiisc, I, 77-78. Même les convictions sur l'immortalité
de l'âme peuvent être affaiblies, si l'on n'y prend garde. 102 yerr< y, 146 : «Non proitiderant eas ipsas sibi causas esse periculi, quibus argumentis se ad salutem uti arbitrabantur». 103 De domo sua, 29. 104 Lael., 78. Ce fut le cas de Cicéron qui s'est laissé aller à croire ceux qui le poussaient à briser son entente avec Pompée. Les conséquences en ont été désastreuses pour lui. 105 De Fin., I, 47.
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laissent entraîner volontairement dans l'aveugl ement de la passion, ils ne méritent que l'aversion puisqu'ils se dépossèdent eux-mêmes d'une des plus grandes qualités qui distinguent l'homme des autres êtres vivants, la «prévision»; leur propre manque de volonté et de dignité les conduit sans détour aux pires malheurs106. Lorsque Cicéron dessine les cadres d'une administration idéale en s'adressant à son frère, alors gouverneur propréteur d'Asie à Éphèse, il a garde d'insister sur la nécessité, dans les postes de responsabilité, d'éviter l'irritation qui provo quela colère; elle est toujours mauvaise conseill ère, car c'est une passion qui emporte l'âme, empêche toute réflexion et entraîne au désastre le malheureux qui s'y laisse aller107. Il est vrai que la colère n'est qu'un exemple parmi les passions qui menacent l'homme et que la pré voyance permet d'éviter; ainsi, aussi honteuse, aussi repoussante, est la joie débridée provo quéepar l'amour dans ses aspects les plus bas et les plus vulgaires; cette passion dégradante, mais les passions peuvent-elles avoir un autre caractère?, est l'apanage de ceux qui, comme la courtisane Chrysis mise en scène par Trabea, ne savent pas contrôler leurs sentiments et leurs ardeurs108. En toutes circonstances, l'homme de bien doit simplement montrer du contentement, ce qui est le résultat d'un effort de volonté sur soi-même. S'il est vrai que les passions ellesmêmes sont l'œuvre de la volonté, il est d'autant plus facile de les contenir109; il n'y a pas de meilleur moyen que la réflexion sur les consé quences. L'homme qui prévoit évite toute souffrance de l'âme ou, tout au moins, en atténue l'aspect le plus vif. La mort d'un proche est cruelle quand on se laisse surprendre par elle; n'est-ce pas pourtant la chose la plus aisée à prévoir puisque nous savons que personne ne peut y échapper? Quand on est venu lui annoncer la mort de son
fils, Anaxagore a pu dire: «Sciebam me genuisse mortalem»110, parce qu'il savait et parce qu'il pensait, depuis le jour de sa naissance, que l'être qu'il avait engendré trouverait sa fin dans la mort et que cette mort pouvait survenir à n'im porte quel moment; le sage ne pouvait en être surpris. L'homme doit avoir tout le temps à l'esprit les maux attachés à la nature humaine; sans cette présence, il sombre sûrement dans le désespoir, ce qui est aussi passion et qui l'écarté de sa condition humaine. À plusieurs reprises Cicéron reprend ce thème, tout particulièrement dans les Tusculanes, pour affirmer que tous les maux s'aggravent lorsqu'ils n'ont pas été pré vus111, que le chagrin naît de l'imprévu112, que le choc provoqué par l'accidentel dans notre vie de tous les jours ne peut être atténué, et même brisé, que par une longue réflexion préalable113. L'homme doit donc toujours avoir le souci d'éviter les passions, et leurs démonstrations excessives, marques d'un mauvais équilibre indi viduel qui abaisse et avilit. Cicéron lui-même, et il nous le montre avec orgueil, a su éviter par la prévision, la peine et l'amertume qu'auraient pu lui valoir ses malheurs politiques et l'ingratitude de ses concitoyens, qui sont allés jusqu'à l'exiler, après son consulat de 63. Un tel malheur ne peut pas plonger dans les passions, donc détruire, l'homme qui a su prévoir et qui n'est jamais surpris114. Le danger d'une telle position est de faire sombrer l'homme dans bien d'autres périls que Cicéron ne semble pas envisager, en particul ier le scepticisme et la méfiance à l'égard des hommes. Cela peut même aller plus loin, car il est peu d'hommes assez forts pour résister au malheur, même si ce qui est arrivé a été prévu; alors le courage consiste à éviter, à tout prix, la passion qui naîtra nécessairement; la mort volontaire peut être la solution; c'est ce qu'a fait Caton: «qui cum multa tata excedens prouidit turn quod te consulem non uidit»115. L'exigence est
106 De Fin., I, 33: «At nero eos et accusamus et insto odio dignissimos ducimus, qui blanditiis praesentium uoluptatum deleniti atque corrupti, quos dolores et quas molestias excepturi sint obcaecati cupiditate non prouident ...» 107 Ad Q. f.,1, 1, 38. 108 Tusa, IV, 68: «Haec laetitia quant turpis sit, satis est diligenter attendentem penitus uidere ». 109 Tusc, IV, 65. "°Tusc, III, 30.
mIbid. 112 Tusc, III, 52. Dans ce passage, Cicéron reprend les idées de l'école cyrénaïque,' comme il nous le dit. 113 Tusc, III, 31. Ce qui aboutit d'ailleurs à poser le problè mede l'existence du mal; s'il peut être atténué, existe-t-il vraiment? U4De Rep., I, 4 f= 7). 115 PW/., II, 12.
UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICÉRON considérable, parce que c'est celle du sage, et sans prévoyance il n'y a pas de sagesse. Rien ne peut la bouleverser, car rien ne peut la surpren dre ou la prendre au dépourvu: «Quid est quod tantam grauitatem constantiamque perturbet? An improuisum aliquid aut repentinum? Quid potest uccidere tale ei cui nihil quod homini euenire possit non praemeditatum sit?»Uò. Prouidere est bien une des qualités fonda mentales de l'homme pour sa propre sauvegard e, pour son intégrité d'être vivant supérieur. L'homme est maître de son destin, dans l'action immédiate comme dans le cours général de sa vie; il est seul capable de la conduire dans la sagesse en évitant l'imprévu, et cette action est à la portée de chacun de nous. Mais un tel équili breest toujours difficile à conserver puisque nous sommes en permanence menacés par les passions qui étouffent notre volonté et toutes nos capacités de jugement. c) Aux autres: pour leur offrir une protection générale. Mais prévoir n'est pas seulement utile à soimême; il est possible à chacun de mettre cette qualité au service d'autrui dans tous les domai nes pourvu que ce soit utile. Pourquoi certains possèdent-ils cette possibilité de se rendre uti les? Parce qu'ils ont des connaissances que les autres n'ont pas; cette science leur permet de mieux envisager l'avenir proche et d'en faire profiter les autres. C'est le cas du médecin visà-vis de son malade à qui il épargne la souffran ce dans la mort, du général à l'égard de ses troupes à qui il fait éviter l'embuscade ennemie, du pilote qui écarte le navire qu'il gouverne de tous les écueils de la navigation117. Les juges agissent de même lorsqu'ils condamnent les pré venus qui se présentent avec des arguments faux et qui cherchent à tirer profit personnel de la procédure engagée. Par là, ils garantissent la
"'Tiisc., IV, 57. 117 De Divin., II, 16: «Medicus morbum ingrauescentem ratione prouidet, insidias imperator, (empestâtes gubernator». Nous pouvons noter que l'acte de prouidere permet le suc cès; Cicéron emploie le mot imperator pour désigner le général; c'est déjà indiquer qu'il ne peut courir à l'échec. 118 Pro Cael., 22. La place de iustitia dans la cité est essentielle et Cicéron n'hésite pas à l'appeler «excellentissima
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liberté à tous les citoyens dont ils sont les pro tecteurs118; ils jugent à bon escient. Quand Cicéron est désigné pour succéder à Appius Claudius Pulcher à la tête de la province de Cilicie, il fait appel à la qualité de prouidere de son prédécesseur pour que ce dernier fasse, en Cilicie, tout pour aplanir les difficultés que Cicéron pourrait rencontrer à son arrivée et agir en fonction des intérêts du nouveau gouverneur (des contreparties sont prévues, mais Cicéron n'indique pas clairement quelles elles sont): «si rationibus mets prouisum a te esse intellexero . . .»119; pourvoir aux intérêts d'un autre hom meest, en même temps, s'intéresser à son pro pre sort, prévoir dans son propre intérêt. D'ail leurs l'intervention prévoyante d'un tiers peut avoir lieu sans que l'intéressé l'ait demandée bien qu'elle soit réalisée pour son bien et pour le bien de l'ensemble des citoyens; n'est-ce pas ainsi que Cicéron avait tout prévu, il le prétend tout au moins, pour éviter que quiconque détournât sur lui la faute de Verres; en agissant ainsi non seulement il se protège lui-même, mais il sauve aussi la justice et, à travers lui, la com munauté humaine120. d) Aux autres: pour leur offrir une protection poli tique. Dans le domaine de la politique, l'appel à cette qualité, celle d'un homme ou celle d'une collectivité, n'est pas rare. Cicéron s'en déclare pourvu abondamment pour Publius Lentulus Spinther dont il veut appuyer, pour un temps, les desseins politiques121. De la même façon, Pompée est intervenu en faveur de l'orateur d'Arpinum et l'a protégé de ceux qui, dans la cité, voulaient sa perte122. L'intervention polit iquepeut être demandée par celui qui en a besoin à l'homme capable de prolùdere', comme le malade appelle le médecin muni de ses con-
uirtiis » {De nat. Deor., I, 4). "9 Ad Fam., III, 2, 2. noVerr., IV, 91: «Verum tarnen ita mihi res tota prolùsa atque praecauta est ... ». 121 Ad Fam., I, 2, 4. La lettre est du 15 janvier 56. 122 Ad Fam., Ili, 10, 10. Lettre envoyée à Appius Claudius Pulcher qu'il lui faut se concilier pour bénéficier des suppli cations. Expédiée de Laodicée, mi-avril 50.
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naissances et donc capable d'agir sur les événe ments à venir, Cicéron fait appel, depuis Athè nes, à son ami Atticus pour qu'il empêche la prorogation de son gouvernement provincial; Atticus est chargé de tout faire ce qui est son pouvoir pour éviter le danger, tout relatif d'ail leurs, qui menace Cicéron123; ce dernier insiste sur la capacité que possède Atticus au moment où il s'adresse à lui: «Dum ades, quicquid prouideri poterit, prouide». Dans ce domaine de l'i nfluence politique, la prévoyance n'est pas seule ment réservée à des individus; elle peut s'appl iquerà une collectivité dont on veut le bien. C'est ce que Cicéron exprime en s'adressant au sénat pour qu'il prenne en mains la sauvegarde de la cité aux prises avec la conjuration de Catilina124. Dans le même sens, les juges qui, en s'occupant du cas de Verres, s'intéressent aussi «ad summam rem publicam et ad existimationem ordinis nostri salutemque sociorum»125. Le sort de chaque individu, en tant que per sonne et en tant que membre de la cité, est aux mains des dieux qui dirigent le monde et qui sont, de toute éternité, les maîtres des hommes. Si la pax deorum existe, il n'y a nulle crainte à avoir; mais il faut tout faire pour éviter la ruptu re de cette «paix des dieux» sans laquelle la cité se dissoudrait irrémédiablement et disparaîtrait à jamais. C'est pourquoi les prêtres doivent savoir ce qui plaît à chaque dieu et le leur donner lors des sacrifices; c'est leur tâche essent ielle126. Les augures par exemple, et il ne faut pas oublier que Cicéron fait partie du collège et a donc tendance à insister tout particulièrement sur leur rôle, doivent détourner la colère des dieux, catastrophique pour les humains, en pre nant les auspices; en connaissant à l'avance la volonté des dieux, ils permettent aux hommes d'échapper au bouleversement de leurs vies127. L'homme imprévoyant peut recevoir l'appui d'un homme plus prévoyant que lui, et, par ce dernier, voir sa sauvegarde personnelle assurée. C'est ce que présente, de façon plaisante, et
ambiguë, Cicéron quand il demande à son frère Quintus, maintenu dans sa propréture d'Asie sur l'insistance de Marcus et de ses amis, de faire honneur à sa charge et de bien agir pour être loué en toutes choses. Le sentiment du devoir accompli sera, pour Quintus, une consolation personnelle, mais permettra aussi de faire dispar aître, ou d'atténuer, «l'imprévoyance» de Cicé ron qui savait fort bien que cette prorogation ne serait pas du goût de son frère128. Il importe peu de savoir ici si Cicéron pense profondément ce qu'il dit129, mais le vocabulaire employé est inté ressant. En effet, pour augmenter l'impression produite, pour abaisser encore sa propre action à Rome, il utilise le terme prouisum; il a manqué à tous ses devoirs d'homme, car il n'a pas porté assez loin sa réflexion et son jugement. Seul peut le sauver et corriger une telle faiblesse, un hom mequi possède et utilise couramment sa qualité de prolùdere, son frère Quintus. C'est aussi un moyen de rehausser, par rapport à l'attitude négative de Cicéron, la grandeur de l'action pas sée et ce qu'on suppose de l'action future de l'actuel propréteur d'Asie. Le mot n'a pas été choisi au hasard, puisque la lettre n'a été compos ée que pour être connue de tous, comme J. Carcopino l'a montré130. Par ce dernier exemple, nous voyons à l'év idence que la qualité de prolùdere est essentielle à la survie de l'homme et, comme les exemples précédents nous l'ont montré, de toute commun auté humaine, dont celle formée par les Romains est la plus importante. Il s'agit donc d'une vertu politique fondamentale et, de ce fait, elle est l'apanage, dans ses formes les plus sérieuses et les plus profondes, des hommes d'État, des dirigeants, de ceux qui ont des res ponsabilités dans la cité ou la gouvernent. Cicé ron revient à plusieurs reprises sur ce point et il nous fournit quelques cas concrets qu'il prend à son époque, à l'époque juste antérieure à sa naissance, ou bien dans le passé le plus lointain de Rome.
123 Ad An., V. 11, 1. Lettre du 6 juillet 51. k 124 Cat., Ill, 4. 125 Verr., II, 28. 126 De Leg., II, 20 : «... quaeque quoique diuo decor ae grataeque sint hostiae, prouidento ». 127 De Leg., II, 21 : « Dhiorumque iras prouidento». 128 Ad Q. f., I, 1, 3 : «... ut hoc minus sapienter a nie
prouisum diligentia tua corrigatur». La lettre est datée de la fin 60-début 59. 129 II n'en croit rien, si nous suivons J. Carcopino, Les secrets de la correspondance . . . , I, p. 108. 130 Ibid., I, p. 26. Cicéron présente le tableau de l'adminis trationidéale d'une province.
UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICÉRON e) Elle appartient à l'homme responsable. L'homme qui doit s'occuper des affaires les plus graves de la cité ne peut être que celui qui a la possibilité de prévoir, donc de diriger131. De façon plus explicite, Cicéron nous présente le dirigeant, le rector, comme devant posséder cette qualité fondamentale: «Totam igitur expectas prudentiam huius rectoris, quae ipsum nomen hoc nacta est ex proludendo»132. Celui qui utilise ses possibilités de prolùdere pour diriger la cité doit en obtenir des résultats bénéfiques pour tous; il n'y a rien là que de normal; mais ce sont aussi, bien souvent, les résultats obtenus et la réussite qui font dire de l'homme auteur et responsable de ce succès qu'il a fait preuve de prévoyance et le désigne ainsi, aux yeux de tous, pour une place d'honneur et de responsabilité dans la cité133. Mais Cicéron sait nous montrer, à travers des cas concrets, des hommes qui ont pris des res ponsabilités importantes et qui ont réussi dans leurs entreprises grâce à l'utilisation qu'ils ont faite de leur qualité de prouidere. C'est, à l'év idence, le cas de Scipion dont la position préémin ente, due à ses origines glorieuses et à ses exploits militaires qui ont sauvé Rome, lui per met non seulement d'étudier le passé de la Ville pour définir la meilleure forme de gouverne ment, et donc de choisir à bon escient les meil leurs exemples, mais aussi d'envisager l'avenir en se servant des leçons apportées par le passé; Scipion doit indiquer à Rome son destin134. M' Glabrio, le préteur du jugement de Verres, est doté de la même qualité et doit la montrer dans l'affaire qui s'engage; en s'adressant à lui, Cicéron fait appel à son souci de prouidere qui ne peut qu'apporter un jugement équitable et sûr; l'emploi du mot est important, même s'il s'agit d'une flatterie à l'égard d'un homme dont dépend non seulement le sort d'un procès, mais aussi la destinée d'un homme, celle de Cicéron
131 De Oraî., II, 333 : « ... est consilium explicare suum de maximis rebus ... ut mente prouidere ». 132 De Rep., VI, 1, 1. wProRab. Post., I, 1. 134 De Rep., I, 47(=71) : «Aut de consiliis in posterum pronidendis cum tu duobus huius urbis terroribus depubis in omne tempus prospexeris?».
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lui-même, selon que l'accusé Verres sera con damné ou absous135. Le même genre de flatterie est adressé à Pompée pour un fait qui peut sembler mineur, la mise au pas, par leur dispersion, d'une troupe de gladiateurs de Capoue, propriété de César, et qui présentait un grave danger pour l'ordre pub lic136. D'ailleurs Cicéron ne se contente pas d'attribuer cette qualité, qui permet de diriger l'État, à des individus; il ne saurait oublier une collectivité comme le sénat qui est la véritable assemblée dirigeante de Rome et qui en est pourvue en chacun de ses membres, mais aussi en tant que corps qui veille pour éviter que le peuple romain ne sombre dans les malheurs et les désastres: «Est autem uestri consilii, patres conscripti, in posterum quant longissime prolùde re»^1. Cicéron lui-même fait partie de cette noble assemblée et donc participe de cette qualité en tant que membre du sénat et en tant qu'individu normalement pourvu de prouidentia. Dans son discours du 3 décembre 63, prononcé devant les comices tributes, il fait son apologie pour con vaincre le peuple de la culpabilité des Catiliniens et du bien-fondé des mesures qu'il a fait prendre au moment crucial, l'arrestation des conjurés et leur mise en surveillance chez des sénateurs. Par sa décision, il a sauvé la Républiq ue138. À plusieurs reprises, il revient sur cet épisode marquant de sa vie et, souvent, dans des termes très proches. Mais il n'hésite pas non plus à appliquer cette même qualité à bien d'au tres de ses actions politiques; ainsi à propos de la restauration de Ptolémée Aulète. Cicéron écrit à Lentulus qu'il a pris soin d'empêcher ses adversaires politiques, les tribuns de la plèbe, de faire voter une loi contraire à ce qu'il considérait comme les intérêts fondamentaux de Rome. Si les tribuns veulent vraiment intervenir, ils ne le pourront, grâce à Cicéron, qu'en violant les aus pices et en recourant à la violence; la prouidentia
ti5IVerr., 51. 136 Ad An., VII, 14, 2. La lettre est du 25 janvier 49. 137 Phil, VII, 19. 138 Cat., Ill, 14: «Primum mihi gratiae uerbis amplissimis aguntur, quod uirtute, consilio, prouidentia mea, res publica maximis periculis sit liberata ».
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de Cicéron permet, une fois encore, la sauvegar de de la res publica139. Dans le même esprit, il refuse de se lancer dans une entreprise qu'il considère comme dangereuse pour lui-même, et au-delà de sa propre personne, pour l'ensemble de la communauté romaine140. La prévoyance de l'homme d'État, de celui qui a des responsabilités dans la cité, même si ces responsabilités ne sont pas officielles, est l'instrument nécessaire à la sauvegarde de la République; seule elle permet d'éviter les mal heurs et les catastrophes qui entraîneraient la disparition de la Ville. Cette qualité a comme aboutissement la prise de décisions positives et bénéfiques pour l'ensemble du corps social. Les ancêtres ont toujours agi en ce sens, en assurant à Rome des institutions durables, solides, intan gibles car indispensables à l'existence de la Ville et à son bonheur141. Il en a été ainsi à la naissan ce même de Rome lorsque le héros fondateur a choisi l'emplacement géographique qui s'est révélé le meilleur pour l'avenir de Rome: sur un fleuve et proche de la mer, ce qui destinait à la durée et à la domination142. Caton l'Ancien a montré, tout au long de sa vie, dans son action publique, cette même qualité de jugement et de prévoyance nécessaire à l'homme d'État; c'est pourquoi il faut lui concéder une place import antequand on veut expliquer le déroulement et la grandeur de l'histoire de Rome143. D'ailleurs être prévoyant est un devoir pour tous ceux qui ont la lourde charge de diriger la cité et, bien entendu, surtout pour ceux qui possèdent la plénitude de Yimperium, les cons uls144. C'est l'attitude qu'affirme observer le gouverneur de la Gaule Chevelue, Plancus, en novembre 44, en réponse à Cicéron qui s'efforce de l'attirer dans l'orbite du sénat; toute sa
voyance est au service de la République145. Dans la liste de ceux qui, dirigeant la cité, possèdent cette qualité essentielle, Cicéron n'oublie pas sa propre personne; lors de la conjuration de Catilina, son action a été bénéfique pour tous146 et, puisque la prévision est la vertu des grands chefs, civils ou militaires, il peut se comparer aux plus grands généraux147. Quand Cicéron énumère les vertus qui font le bon dirigeant, il cite très souvent la «prévoyan ce ». Ainsi pour Pompée dont, politiquement, il a alors besoin de faire l'éloge148. Il emploie à peu près les mêmes termes quelques années plus tard pour parler de César, dont il est alors «le rabatteur zélé»149: «multum prouidens». Encore plus tard, il n'oublie pas que le jeune C. César, malgré son âge, s'oppose à la masse du peuple romain par la présence en lui, et la connaissance qu'il en a, de ce don de prévision; les autres citoyens ne l'utilisent pas et sont toujours sur pris par les événements et incapables d'assurer le salut de Rome150. Nous comprenons, dès lors, que la place que Cicéron donne à prouidentia en tant qu'élément fondamental de la uirtus n'est en rien usurpée151 puisque la uirtus est le rassem blement de toutes les qualités du chef, du diri geant, de l'homme d'État.
139 Ad Fam., I, 4, 2 : «... satis mi prouisum est . . . ». 140 Phil, XII, 25. 141 De Rep., IV, 3. 142 De Rep., II, 3: «Sed hoc uir excellente prouidentia sensit ac uidit non esse opportunissimos situs maritimos urbibus eis, quae ad spent diuturnitatis conderentur atque imperii ». 143 Lael„ 6. 144 Pro Mur., 4. 145 Ad Farn., Χ, 4, 3. 146 Cat., II, 19. 147 Ad Fam., Η, 10, 3. J. Carcopino, op. cit., I, p. 404, porte un jugement très critique sur cette lettre. En vérité, Cicéron n'est pas dupe de ses «exploits» militaires; il veut
ment montrer qu'il possède les mêmes qualités que les grands généraux victorieux de Rome. Même si son affaire a été simple, banale et sans véritable danger. La qualité ne se mesure pas obligatoirement à la hauteur de l'obstacle à franchir. 148 De Imp. Cn. Pomp., 29. 149 Ad Fam., VI, 6, 9. Lettre à Caecina de septembre 46. J. Carcopino, op. cit., II, p. 44, a certainement tort d'y voir «des louanges banales». L'emploi du mot prouidus prouve, tout au contraire, une recherche de l'éloge frappant. 150 Phil, III, 27. 151 De Inv., II, 160.
5 - La«providentia» est d'origine et de caractère divins Mais Cicéron va plus loin dans l'exploitation de la notion et approfondit encore le sens et le contenu qu'il veut lui donner. Il nous affirme que les dieux sont à la source de cette prévoyan ce et qu'ils en sont eux-mêmes pourvus. Les cygnes passaient pour accueillir la mort avec
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allégresse parce qu'ils connaissaient le sort qui les attendait après avoir quitté la vie; c'est Apol lonqui leur avait inspiré cette connaissance, cause de leur confiance et de leur joie absolue; c'est Apollon qui les avait rendus «pré voyants»152. Ce sens prophétique donné aux cygnes, mais pour eux-mêmes, est de même nature que celui qui inspire la Pythie de Del phes, révélatrice de l'avenir153. Dans ce domaine, les interventions permettent de prévoir à longue, ou même à très longue, échéance; pour ne pas abandonner le milieu grec, nous pouvons consta ter que c'est sous l'inspiration des dieux qui envoyèrent des abeilles se poser sur les lèvres du petit Platon reposant dans son berceau, qu'on put prédire au jeune enfant son futur talent oratoire154. Ces signes divins qui permettent aux hommes de prévoir à long terme peuvent aussi être donnés à une collectivité privilégiée et chois ieque les dieux renseignent globalement; il en est ainsi des Grecs qui avaient proscrit les trans formations des règles musicales pour garder à l'harmonie sa sévérité ancienne, seule garante de l'équilibre de la cité. Seule une inspiration divi nea pu pousser les Lacédémoniens à supprimer les cordes ajoutées par Timothée de Milet à la lyre traditionnelle155; si elle n'avait été divine dans son origine, une telle innovation aurait pu entraîner la disparition de la cité. Les Romains ne sont pas en reste et chez eux, tout autant que chez les Grecs, se produisent des interventions des dieux pour le bien des homm es. Eux aussi ont reçu, collectivement, des ins pirations qui ont orienté la formation de leur cité; ce trait est surtout visible dans le domaine de ce droit qui réglemente la vie de Rome à la fin de- la République. La confection de la loi des XII Tables est due à cette influence; tout part iculièrement deux de ses articles qui suppriment les lois de caractère privé et réservent les juge ments mettant en jeu la vie d'un citoyen aux comices centuriates. Pour Cicéron la prévision, qui est peu apparente au premier abord, réside
en ce que les tribuns de la plèbe n'existaient pas encore au moment de la confection des Tables et que, pourtant, ce sont les mesures qui y ont été placées qui ont permis, plus tard, de limiter leur arbitraire et leur caractère séditieux; une telle prévision ne pouvait être du domaine humain156. Romulus, dont nous avons déjà vu que Cicé ron le revêtait de «prévoyance»157, agit le plus souvent sous l'influence des dieux; il en est certainement ainsi dans l'importance qu'il donne à la science augurale qui est, en partie, chargée d'organiser le présent en fonction de l'avenir, même si ce dernier est très lointain158. Il en est de même quand il choisit la meilleure façon d'agir dans le moment présent. Même si, alors, pour un esprit logique, la solution choisie par Romulus ne semble pas la meilleure possible, nous ne pouvons rien lui reprocher puisque, toujours, l'avenir devait démontrer le bien-fondé de sa décision. Comment ne pas être scandalisé par ce coup de force brutal et inique que fut l'enlèvement des Sabines! Mais ce qui, au moment, a pu paraître aux contemporains une atteinte à la liberté et à l'équilibre politique de la région, devait se révéler nécessaire pour la perpétuité de la race romaine et de la Ville. Seule l'inspiration divine pouvait conduire Romulus à l'accomplissement d'un dessein aussi illogique en apparence159 puisqu'il semblait devoir obliger les Romains à une confrontation sans espoir avec les Sabins. Seul le destin futur de Rome éclaire la volonté de Romulus, reflet de la volonté divine. Et si nous reprenons un exemp le déjà utilisé, nous comprenons sans peine que Cicéron parle d'incredibili opportunitate pour le choix du site de Rome160; par ces mots forts, il exprime l'admiration éprouvée par tous devant un choix qui s'est révélé si fructueux depuis les origines alors que rien ne le laissait entendre quand Romulus et Rémus sont arrivés sur le site. Il est d'ailleurs normal que cette faculté de prévoir passe par l'intermédiaire d'un homme,
152 Tusc, I, 73 : «... qua prouidentes quid in morte boni sit ... ». 153 De Divin., II, 117: «Quid tarn diuinum autem quant adflatus e terra mentem ita mouens, ut earn prouidam rerum fitturarum efficiat?». 154 De Divin., I, 101. 155 De Leg., II, 39.
156 De Leg., Ill, 44 : «... admiranduni tantum maiores in posterum prouidisse ». 157 Cf. supra, n. 142. 158 De Divin., II, 70. 159 De Rep., II, 7 (= 12). li0DeRep., II, 3 (=5).
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puisque ce dernier a été créé par un dieu suprê me qui continue à l'inspirer et à intervenir en lui durant toute sa vie161. L'homme qui reçoit une telle faculté est chois i par les dieux; dans l'histoire de Rome, de tels bénéficiaires sont rares, car ils sont alors placés sur le même plan que les dieux. Scipion l'Afr icain s'adressant à Scipion Emilien exprime par faitement cette idée: «Deum te igitur scito esse, siquidem est deus, qui viget, qui sentit, qui meminit, qui prouidet, qui tam régit et moderatur et mouet id corpus, cui praepositus est...»162. Ce passage du Songe de Scipion ouvre bien d'autres perspectives que nous aurons l'occasion d'abor der par ailleurs, mais nous pouvons déjà noter que l'inspiration divine qui permet la prévision à long terme, et à très long terme, est réservée à un très petit nombre d'hommes que les dieux choisissent en fonction de leurs qualités propres et de la façon dont ils en usent. Ils sont alors destinés à parvenir au rang des dieux après leur mort; Romulus et Scipion en sont les plus parf aits exemples dans toute l'histoire de Rome. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que, dans les œuvres de Cicéron, ils soient étroitement atta chés au don de «prévoyance» et qu'il n'y ait aucun autre homme dont l'Arpinate parle qui le soit autant qu'eux, excepté . . . Cicéron luimême! Enfin, nous pouvons affirmer que pour Cicé ron cette «prévision» est tout ou partie de la divination elle-même. Il le dit à plusieurs repri sesen montrant que tout ce qui est fortuit est de son domaine163. Ne peut-elle pas apparaître, en effet, dans les moments les plus banaux de la vie? Le sommeil peuplé de songes prémonitoires ne peut l'être que par une intervention divine puisque, à ce moment, l'homme qui dort est sans réaction et ses sens sont sans vie164. D'ailleurs la prévision peut ne pas s'exercer dans le domaine du sensible, c'est-à-dire dans le monde que nous voyons, que nous entendons, goûtons, sentons et touchons165; elle peut alors entrer dans le
domaine propre de la divination, quelle que soit la forme revêtue par cette dernière. Il est vrai que la «prévoyance» est aussi une des qualités des dieux; c'est bien ce qu'exprime Apollon, par l'intermédiaire de la Pythie, à un moment où la menace gauloise pèse sur le sanctuaire même de Delphes : « Turn enim ferunt, ex oraclo ecfatam esse Pythiam: "ego prouidebo rem istam, et albae uirgtnes » 166
III- «PROVIDENTIA»: RÉALITÉS DE SON CONTENU Si nous avons vu dans quels domaines précis Cicéron faisait intervenir la prouidentia et la vertu de prouidere, nous pouvons tenter mainte nant d'élargir le champ d'étude et d'approfondir le contenu réel de la notion; cette approche, qui devrait être féconde et ouvrir quelques perspect ives nouvelles, non seulement pour comprendre Cicéron, mais aussi son époque, se fera à l'aide des termes et des notions diverses que Cicéron utilise parallèlement à prouidere et à ses dérivés, ou en liaison étroite avec eux. 1 - La raison Ces termes sont très souvent le reflet de l'ensemble des qualités rationnelles d'un hom me, ces qualités qui distinguent l'homme de la brute et de la bête. C'est le cas de ratio que nous trouvons à plusieurs reprises lié à prouidere161 . À chaque fois il y a volonté de montrer qu'il s'agit d'un élément de la raison pratique, celle qui détermine notre conduite dans la vie168. La réflexion est un privilège de l'homme et son exercice doit trouver son point d'aboutissement dans la capacité de l'individu à mener sa vie, et, en particulier, à conduire l'État, grâce à sa capa-
167 Ad Att., 1, 1,1. Ad Q. F., 1,1, 38. De Nat. Deor., I, 4; III, 78. De Divin., II, 15. De Leg, I, 22. Phil., XIII, 6. De façon moins nette, dans Verr., I, 15. 168 M. Ruch, Chronologie et valeur respective des disciplines gréco-romaines dans la pensée de Cicéron, dans Les Etudes Classiques, XXII, 1954, p. 362.
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cité d'évaluer les situations, de prévoir le cours que prendront les événements et de prendre, ou faire prendre, les mesures nécessaires169. Tous les hommes ont reçu cette raison qui permet, chez tous, la domination de l'esprit sur la matière170; mais elle n'est pas suffisante à épuiser cette tâche si elle est seule; elle doit, bien souvent, être accompagnée de Yintellegentia, la connaissance intuitive avec laquelle elle forme la pensée, la connaissance synthétique supérieur e171. Mais Yintellegentia a subi une re-création au IIe s. av. J.-C. pour signifier la capacité de jugement, et donc d'action, fondée sur la con naissance de principes théoriques172; elle permet alors d'interpréter le présent. Cette capacité per sonnelle se traduit aussi souvent par ars, que nous trouvons en rapport avec prolùdere111', l'homme qui possède Yars est compétent dans son domaine, car il s'est spécialisé par l'étude et y a gagné une très grande expérience; c'est l'homme qui connaît la théorie parce qu'il l'a apprise et qu'il sait s'en servir174. Il n'est donc pas surprenant que tous les termes se rapport ant ou touchant à l'activité de l'esprit se retrou ventemployés avec prouidere et ses dérivés. Un des plus utilisés est mens, pris dans son sens très général de pensée, ou de pensée intelligente, donc de raison175. Mens permet à Yintellegentia de reconnaître le réel tel qu'il nous est donné, et d'éviter l'erreur176; ce mot désigne l'intellect et est souvent pris par Cicéron en tant qu'équival ent du grec νους177. Il en est de même de la
cognitio, qui est la connaissance des causes théo riques178; elle mène à la vérité et est elle-même la cause, en chaque homme, de l'attrait pour le Beau179. Dans le même état d'esprit, cogitatio et cogitare sont rapprochés de prouidere, et cela à quatre reprises180; il s'agit, dans ces cas, de l'ac tion de méditer et de réfléchir avant d'agir; il faut peser, dans son esprit, les termes de l'alte rnative proposée181. Nous retrouvons les mêmes significations à meditano ou à praemeditatioÏS2 avec prouidere. Il est alors facile de comprendre qu'à de nombreuses reprises viennent sous le style de Cicéron deux adjectifs qui définissent parfait ementl'homme muni de ses possibilités de réflexion et de connaissance: acutus et cautus. Le premier est lié à prouidens en Ad Fam., V, 6, 8 (il s'agit de César) et à prouidus en De Leg., I, 22 (Cicéron parle alors de l'homme en général); c'est vouloir affirmer que tout individu peut être doté d'un esprit pénétrant, apte à comprendre les choses et le monde en profondeur, et, par ce moyen, à exploiter intelligemment les situations auxquelles il se trouve confronté. Cautus ou cautio sont employés plus souvent puisque nous les trouvons à sept reprises avec prouidere ou proui dus1^. Dans ce rapprochement, Cicéron désigne l'attitude circonspecte qui permet de ne pas s'en gager à la légère; une telle attitude est soutenue par la réflexion intelligente; elle s'oppose total ement à temeritas qui laisse trop de place au hasard184.
169 L Perelli, Natura e ratio nel II libro del De Republica ciceroniano, dans Riv. Filol. e di Istr. Classica, C, 1972, p. 302304. C'est exactement l'idée que nous trouvons exprimée en De Divin., II, 16: «Medicus morbum ingrauescentem ratione prouidet, insidias imperator, tempestates gubernator; et tarnen ii ipsi saepe falluntur, qui nihil sirie certa ratione opinantur». 170 V. Guazzoni Foà, La terminologia filosofica ciceroniana dans Giornale di Metafisica, XIII, 1958, p. 240. 171 A. Hus, «Intellegentia» et «intellegens» chez Cicéron (Coll. Latomus, LXX), 1964, Hommages à J. Bay et, p. 272. Cf. Tim., Ill, 10. 172 Les principes théoriques de la rhétorique et de la philosophie pour A. Hus, ibid, p. 280. En réalité, dans tous les domaines comme cela est indiqué dans le De Nat. Deor., II, 77, pour les dieux qui, de ce fait, peuvent avoir de grands desseins généraux (prouidentes). 173 De Divin., II, 14. 174 Cf. A. Hus, art. cit., p. 279 et J. Hellegouarc'h, Le voca bulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris, 1963, p. 257. E. Berti, // «De Republica» di
Cicerone e il pensiero politico classico, Padoue, 1963, p. 10. 175 Ainsi en Pro Mil, 84. Pro Lig., 17. Acad Post., I, 29. De Nat. Deor., I, 4. De Divin., II, 9; 27; 126. Tusc, I, 22; 66. 176 A. Hus, « Intellegentia » . . ., p. 267-268. 177 P. Boyancé, Cicéron et le Premier Alcibiade, dans REL, XXII, 1964, dans Études sur l'humanisme cicéronien (Coll. Latomus, CXXI), Bruxelles, 1970, p. 263. 178 Tusc, IV, 57. 179 P. Milton Valente, L'éthique stoïcienne chez Cicéron, Paris, 1956, p. 211. 180 Tusc, I, 22; 66; III, 30. De Nat. Deor., I, 54. 181 CI. Causerei, Étude sur la langue de la rhétorique et de la critique littéraire dans Cicéron, Paris, 1886, p. 46. lt2Tusc, III, 30; 31; IV, 57. 183 Ad Att., II, 1, 6. Ad Fam., XI, 21, 3. Pro Rose. Amer., 1 17. Verr., IV, 91. Lael, 78. Phil, XII, 25. 184 G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1966, p. 458. Cette opposition est bien indiquée, mais à propos de ratio, par A. Yon, Ratio et les mots de la famille de reor, Paris, 1933, p. 179.
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La prudentia contrôlée par la raison185 est engagée par Cicéron dans le même processus intellectuel et se trouve souvent rapprochée de prouidentia, quitte parfois à ce que le second terme ait toute la valeur de prudentia et soit employé à sa place comme s'il en était une forme savante186 démarquée directement du grec187. La prudentia fait partie des vertus grec ques de la tradition de Platon et des stoïciens188; c'est la φρόνησις, la capacité de distinguer ce qui est bien de ce qui est mal189, la science de ce qu'il faut faire ou ne pas faire dans tous les domaines de l'action, domestiques ou publics190, dans toutes les circonstances de la vie où l'hom medoit régler son comportement vis-à-vis de lui-même ou vis-à-vis des autres. Cette capacité est le résultat de l'étude et de l'expérience; elle ne peut s'acquérir que progressivement, bien qu'il y ait une prudentia naturelle, proche du bon sens, du don naturel191, à laquelle Cicéron fait parfois appel. La clairvoyance du prudens le con duit fatalement à la connaissance du vrai par l'habileté de l'esprit, sans que ce dernier terme soit pris en mauvaise part192, puisque cette habi leté est nécessaire pour obtenir la confiance193. À cette prudentia se joint souvent la sapientia qui s'en distingue assez difficilement194, bien que, parfois, la prudentia n'apparaisse que comme un élément de la sapientia195. Mais sapientia et ses
dérivés se rencontrent plus souvent encore joints à prouidentia; treize passages de l'œuvre de Cicéron en témoignent196. Les Romains ont chargé sapientia de tout le contenu du grec σοφία; c'est alors la connaissance de tout ce qui touche à l'humain et au divin pour en tirer une règle de vie197. Elle permet d'agir comme il con vient en toutes circonstances par un jugement sain porté sur les choses. Les connaissances intellectuelles, et particulièrement philosophi ques, l'expérience concrète, certaines capacités innées, forment la sapientia196. Sans sagesse il n'y a pas possibilité de raisonner, donc de voir cla irement le monde tel qu'il est et de trouver la recta uiuendi nia199, choisie et adoptée par cha que individu à la suite d'un effort personnel qui lui permet de respecter les règles de l'officium200, ce qui laisse à l'homme sa liberté. C'est bien la vertu par excellence, telle que le Moyen Portique l'avait déjà présentée sous le nom de σοφία201. Tous ces termes qui définissent les qualités rationnelles de l'homme peuvent se regrouper sous un seul vocable, uirtus, lui aussi employé avec prouidentia à cinq reprises 202. Il s'agit alors de désigner l'ensemble des qualités personnelles d'un individu et de l'excellence de ses facultés rationnelles203 d'où naissent la loyauté, la fermet é, le « courage » en temps de guerre, et le « mérit e civique» en temps de paix204. Cette uirtus est
185 P. Milton Valente, op. cit., p. 213. 186 J. Hellegouarc'h, Le vocabulaire latin . . ., p. 256. De Nat. Deor., II, 58: «nel prudentia nel prouidentia appellari recte possit ». 187 À huit reprises, les deux termes sont rapprochés : Hort., frg. 33. De Part. Or., 15. Or., 189, De Rep., VI, 1. De Leg., I, 60. Laei, 6. Acad. Post, I, 29. De Nat. Deor., II, 58. 188 H. F. North, Canons and Hierarchies of the Cardinal Virtues in Greek and Latin Literature, Cornell UP, 1966, p. 177. 189 De Inv., II, 160. 190 A. J. Voelke, Les origines stoïciennes de la notion de volonté, dans Rev. de Théol. et de Philos., XIX, 1969, p. 3. 191 M. Ruch, Études cicéroniennes, Paris, 1970, p. 78. 192 De Off., I, 15-16. M.O. Liscu, Étude sur la langue de la philosophie morale chez Cicéron, Paris, 1930, p. 234. Peut-on d'ailleurs aller jusqu'à parler, à propos de prudentia, de «vertu contemplative» comme le fait R. A. Gauthier, Magnanimité. L'idéal de la grandeur dans la philosophie paiënne et dans la théologie chrétienne, Paris, 1951, p. 159? Il est vrai que l'auteur a trouvé dans De Part. Or., 76-78, un reflet de la division des vertus telle que l'avait établie Panétius.
193 P. Milton Valente, op. cit., p. 214. 194 M. Ruch, Chronologie et valeur respective . . ., dans Les Et. Clas., XXII, 1954, p. 355, n. 14. 195 Hort., frg. 33. 196 Ad G /., I, 1, 3. Hort., frg. 33. I Verr., 51. Pro Cael, 22. De Oral, II, 333. Acad Post, I, 29. De Divin., II, 14. Lael, II, 6. Tusc, III, 30; IV, 37 et 57. De Rep., IV, 3. Phil, XIII, 6. 197 Cic, De Off., II, 5. Cf. J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 271. 198 Id., ibid., p. 272-273. 199 M. Ruch, op. cit., p. 365. 200 J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 542. 201 De Off., I, 153. Cf. H. F. North, op. cit., p. 175. 202 Cat., Ill, 14. De Inv., II, 160. De Imp. Cn. Pomp., 29. De Leg., I, 60. Tusc, IV, 57. 203 Cf. J. Hellegouarc'h, La conception de la «nobilitas» dans la Rome républicaine, dans Revue du Nord, XXXVI, 1954, p. 132, M. Ruch, Un exemple de syncrétisme philosophi que de Cicéron: Academica Posteriora $ 21, dans REL, XLVM, 1970, p. 205. 204 A. Guillemin, Cicéron entre le génie grec et le « mos maiorum», dans REL, XXXIII, 1955, p. 214.
UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICÉRON personnelle comme toutes les qualités qui fo rment la raison de l'homme et dont nous venons de parler205.
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Toutes ces qualités distinguent chaque indivi du de son prochain, c'est-à-dire le font remar querau milieu de ses semblables; mais encore est-il de son devoir de les utiliser dans tous les domaines où son action est possible. Ce dernier trait est fondamental dans la pensée de Cicéron, car ces qualités ne peuvent qu'être réservées, dans leur emploi, à certaines catégories de per sonnes, même si elles sont en germe, latentes, en chacun de nous, et la prolùdendo, suit cette règle. En effet ces qualités doivent être extériori sées par ceux qui, dans la cité, ont des responsab ilités. Pris dans son ensemble, Yordo senatorius en est abondamment muni206, au même degré que ceux qui, par leur âge, donc leur expérience, peuvent donner des conseils207 à l'égal de ce que faisaient les ancêtres208. La nature de l'État dépend essentiellement de l'utilisation de ces qualités rationnelles qui sont l'apanage de ceux qui interprètent le droit nécessaire à tout État constitué209 et qui permettent, dans leur domain e, d'éviter les erreurs et les absurdités. Il en est de même pour ceux qui jugent210 ou pour ceux qui agissent par la parole, les orateurs211. Mais c'est surtout le fait de ceux qui dirigent l'État, les
principes; la possession de la ratio oblige à lais ser la direction dans les mains de ceux qui l'ont et qui sont justement les principes111. Depuis le IIe siècle, des hommes d'État sont loués pour leur sapientia213 qui leur permet d'œuvrer à Yutilitas ciuium dans l'équilibre politi queet au salut de la Ville214. La prudentia est d'ailleurs la qualité fondamentale de l'homme d'État; dans un passage du De Republica (II, 67), prudens est étroitement associé à princeps215 ; le prudens uir est celui qui peut diriger ses propres actes et ceux d'autrui, car l'autorité découle naturellement de sa personne; il est le seul à posséder la capacité politique216. De la même façon, prudens et prudentia sont souvent rappro chésdes autres termes qui, dans la langue de Cicéron, désignent ceux qui sont destinés à pren dreen mains les rênes de l'État, comme le moder ator, le gubernator ou le rector111 . Par cette qual ité qui, comme nous l'avons dit, permet de peser le pour et le contre, et d'agir en toute connaissance de cause, l'homme politique qu'est Cicéron lui-même peut être justifié de toutes ses initiatives politiques, parfois qualifiées d'opport unistes; en réalité, elles sont l'effort d'adaptat ion fait par Cicéron grâce à une parfaite com préhension du mouvement des choses dans la durée, grâce à une véritable intuition qui permet de saisir les transformations à venir et donc de modifier la direction de l'action au moment opportun : « uidere itinera flexusque rerum publi carum»1ai*
205 La uirtus est la qualité de l'homme digne de ce nom, le uir, qui se distingue de ceux qui l'entourent quand il agit (fermeté dans l'ambition, héroïsme devant la mort). 206 Sapientia : Phil, XIII, 6. Ratio : Pro Sest., 130. Ad An., I, 17, 10... 207 Sapientia : Pro Cael, 76. Prudentia: Pro Caec, 34; 86. De Divin., II, 50. De Off., I, 122 .... 208 Sapientia des ancêtres: Verr., III, 14. Har. Resp., 18. Pro Mil., 83 ... 209 Pro Caec, 78. Lael, 6. Pro Font., 43... Cf. M. Ruch, Études cicéroniennes, Paris, 1970, p. 77. 210 pro plane, 56. 211 Brut., 112. La pensée est étroitement liée au langage, ratio à oratio : cf. A. Michel, Rhétorique et philosophie dans les traités de Cicéron, dans ANRW, I, 3, Berlin, 1973, p. 200. Cf. aussi Tusc, ΠΙ, 22 et IV, 33 et le commentaire de P. Boyancé, Cicéron et le Premier Alcibiade, dans Études sur l'humanisme cicéronien, p. 275.
212 Cf. L. Perelli, op. cit., p. 307. La constitution de Rome n'est bonne que parce que son élite dirigeante a toujours possédé la ratio. 213 Épitaphes des Scipions: CIL, I, 2, 7 et 11. Degrassi, ILLR, I, n° 309. 214 Cf. G. Jossa, L'utilitas rei publicae nel pensiero di Cicero ne, dans Studi Romani, XII, 1964, p. 270-279. V. Buckheit, Ciceros Triumph des Geistes, dans Gymnasien, LXXVI, 1969, p. 232-253. 215 Cf. à ce propos les remarques de E. Lepore, // princeps ciceroniano e gli ideali politici della tarda Repubblica, Naples, 1954, p. 72 et 102-106. De Rep., II, 67; VI, 1. 216 J. Hellegouarc'h, Le vocabulaire .... p. 257-258. 217 Cf. A. Krarup, Rector rei publicae, Gyldendal, 1956, p. 199 et 201, E. Berti, op. cit., p. 75-76 à propos de De Rep., VI, 1, 1 et II, 25. 218 De Rep., II, 25. Cf. P. Grenade, Autour du De republica, dans REL, XXIX, 1951, p. 167.
2 - L'action de «Providentia» dans la raison
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Par le fait, la uirtus est réservée aux mêmes catégories socio-politiques. La uirtus est un él ément intellectuel et moral de la nobilitas et, inversement, la véritable nobilitas ne peut appart enir qu'à ceux qui ont pu faire connaître leur uirtus au cours de leur carrière219; mais il n'y a pas de meilleur emploi que dans le domaine politique220. D'ailleurs l'exercice de la uirtus per met à ceux qui ne font pas partie de la nobilitas d'y accéder; les homines noni, les équités, les affranchis sont dans ce cas221; car la uirtus peut s'acquérir en entreprenant une action qui ait comme but le bien de tous et la sauvegarde commune222. Il est inutile d'aller plus loin pour démontrer que prolùdere et prouidentia se trou vent toujours associés à des notions qui expri ment les qualités fondamentales, dans l'esprit de Cicéron, des hommes les plus aptes, et les plus nécessairement aptes, à diriger l'État, à prendre les décisions qui s'imposent quand les événe ments l'exigent, à éviter les erreurs. Ce sont les qualités d'une élite politique et la prouidentia est une de ces qualités.
Dès lors, il ne peut être étonnant de rencont rer prolùdere et ses dérivés avec des notions qui marquent la façon dont sont utilisées les capaci tés intellectuelles définies plus haut, avec, en supplément, un aspect moral, ou moralisateur, souvent très accentué. C'est le cas de diligentia, associée à sept reprises à prouidere221 ; cette ver tus'applique à toute forme d'activité publique et permet de veiller constamment à la sécurité et au bien-être de ceux qui, par leur faiblesse,
vent être protégés; la diligentia met l'accent sur le zèle et le soin scrupuleux dans l'accompliss ement de cette action partout nécessaire224, indi spensable dans le domaine politique; les magist rats ne sont-ils pas souvent qualifiés de «dil igents» par Cicéron? À cette notion se joint souvent celle d'indust ria qui désigne l'activité impliquant une volonté de conquête par l'utilisation rationnelle et réflé chie de la force225, mais aussi de l'intelligence, tels que le font les homines noui dans leur acces sionaux charges226. Puisqu'elle est une des quali tésessentielles des Romains227, Cicéron la réser ve au vrai princeps, réceptacle de toutes les qual ités d'ordre moral et social. À la diligentia et à l'industria peut se joindre la uigilantia qui est, dans un premier temps, la faculté de rester éveil lé(le contraire du somnium), non simplement pour observer, mais surtout pour agir228. La uigilantia est une des pièces maîtresses du port rait du consul tel que Cicéron nous le présente en In Pis., X, 23-24229. Le soin scrupuleux, l'activi té, la résistance au sommeil sont des aspects de la uirtus, comme la prouidentia elle-même. La notion de labor, jointe deux fois, et de façon étroite, à prolùdere220, désigne l'énergie et l'appl ication de l'homme de guerre ou de l'homme politique quand il se trouve au milieu des diff icultés ou des dangers; le labor permet d'en triompher ou d'y échapper; il est aussi insépara ble de la uirtus231, car l'acharnement, l'opiniâtret é, mis à obtenir le résultat espéré ne peuvent être qu'un bien pour tous, à condition que l'ob jectif ait été très soigneusement choisi. Cette activité doit avoir un but positif, le bien-être des hommes; elle impose à chacun des officia, des devoirs dans lesquels transparaissent
219 Ad Hirt., frg. 3. Pro Sest., 136. Pro Mur., 16, 18. Ad Fam., III, 7, 5. Tusc, V, 55. La manifestation de la uirtus est une tradition de la noblesse romaine : Verr., II, 4, 81. Phil, IV, 13. 220 Cf. les commentaires de J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 242-245. 221 Cat, I, 32; IV, 16. 222 Κ. Kumaniecki, Tradition et apport personnel dans l'œu vrede Cicéron, dans REL, XXXVII, 1959, p. 177. D'ailleurs le tyrannus, le dominus, qui n'ont pas en but ce salut commun, ne peuvent, en aucun cas, s'appuyer sur la uirtus. Cf. J. Helle gouarc'h, op. cit., p. 353. 223 Souvent sous la forme adverbiale diligenter. 224 Ad Fam., I, 2, 4. Cf. J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 28-29 et
251-252. 225 De là son application, à côté de proludere, à Pompée dans le De Imp. Cn. Pomp., 29: «industria in agendo». 226 Cf. E. Lepore, op. cit., p. 204. 227 J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 254. 228 Cicéron se vante d'avoir été pourvu de uigilantia durant son consulat: De leg. agr., II, 77. Phil., I, 1. Cf. Cat., II, 19 et III, 3 avec prolùdere, comme en Phil., VII, 19-20. 229 Cf. Cl. Nicolet, Consul togatus. Remarques sur le vocabul airepolitique de Cicéron et de Tite-Live, dans REL, XXXVIII, 1960, p. 236. 230 De Imp. Cn. Pomp., 29. De domo sua, 29. 231 V. Pöschl, Grundwerte römischer Staatsgesimnung in den Geschichtswerke des Sallust, Berlin, 1940, p. 12.
3 - Les moyens de son action
UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICÉRON
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le sens profond de la solidarité des hommes et l'affirmation qu'ils composent une communauté terrestre d'intérêts232. Ne pas aller jusqu'au bout de ses devoirs est faire preuve de mollitia ani mi233, le contraire des vertus de l'homme d'ac tion qui sont à la base de Yofficium234; car ce dernier procure le plus intense des plaisirs quand on l'accomplit235 et est le garant de l'ave nir236. Plusieurs termes, eux-mêmes liés à prolù dere, ou employés avec lui, expriment et déve loppent cette idée de devoir actif; ainsi cura qui contient l'idée d'assistance dans le domaine poli tique237 et le mérite du citoyen dévoué au salut de la cité238; son action altruiste est nécessaire à la formation et à la permanence d'une société véritable239. À cura nous pouvons joindre St udium qui exprime clairement « l'activité déployée avec passion en faveur de quelqu'un ou de quel que chose»240, l'appui librement apporté à un homme, l'adhésion volontaire et totale241. Dans le même contexte, nous pourrions citer opera, une des uirtutes de l'homme politique, mais auss i,avec des formes de Yofficium, service et aide apportés à quelqu'un dans un des domaines, militaire, politique ou judiciaire242. Plusieurs autres termes latins traduisent l'a c omplis ement de ces devoirs; ils permettent de définir avec plus de précision l'ambiance dans laquelle se trouvent toujours placés prouidere et ses dérivés. Fortitudo est l'un d'eux; ce mot, bien que très peu courant dans les œuvres de Cicéron, évoque l'attitude de fermeté qui pousse aux grandes entreprises, mais toujours après mûre réflexion et donc utilisation positive de sa
son243. Cette vertu de l'homme d'action est une des plus anciennes que les Romains aient prati quées, avec la seule aide de la raison et bien avant d'avoir reçu une quelconque culture philo sophique244; c'est une vertu patrimoniale. Ce courage actif et énergique est souvent associé à constantia qui exprime l'accord de l'homme, en activité, avec les impératifs de sa conscience, qui veut mettre en valeur la fidélité à une opinion, à des principes, à une idée, ou même à un autre homme, quelles que soient les circonstances. Elle est obligatoirement qualité essentielle du magistrat ou de tout homme qui a des responsabilités dans l'État; ces derniers ne peuvent avoir leur conviction ébranlée dans la route qu'ils se sont tracée pour le bien comm un245. Arriver à cet état d'assurance intérieure ne peut être possible que si l'on a réfléchi, que si l'on a fait l'effort de «prévoir»246. Cette force intérieure de l'homme, sûr de son fait, aux con victions affirmées, transparaît aux yeux de tous dans la grauitas de l'intéressé. Si, avec constantia, grauitas est un des éléments de la magnanimité du philosophe, elle est aussi une des qualités essentielles du consul idéal247 qui sait garder, en toute occasion, une attitude extérieure de sérieux, de dignité dans le maintien, de sangfroid, seule capable d'en imposer et de calmer si la nécessité s'en fait sentir. La grauitas se traduit aussi par le don de parler avec conviction, de façon prenante, en allant même, s'il le faut, jus qu'au pathétique, à l'indignation, au véhément, pourvu que la pensée soit fondée sur un raiso nnement inattaquable248; elle marque la supériori-
232 A. Michel, La philosophie de Cicéron avant 54, dans REA, LXVII, 1965, p. 332. 233 De Fin., I, 33. 234 De Off., I, 19. P. Milton Valente, op. cit., p. 178. 235 Parad St., V, 1, 34. 236 Verr., V, 127. 2" Ad Fam., I, 2. 4. Phil, VII, 19-20. 238 J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique du prin cipal, Bâle, 1953, p. 186-217. D'ailleurs cura est un des éléments du portrait idéal du consul: In Pis., X,, 23-24. 239 M. Ruch, Un exemple de syncrétisme philosophique de Cicéron: Academica posteriora $ 21, dans REL, XLVIII, 1970, p. 225. 240 J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 175. 241 II ne faut cependant pas donner à Studium un caractère
d'irréflexion qu'il ne possède pas toujours. Il est souvent très proche de Yofficium et fait alors partie des qualités rationnell es. Cf. Ad Fam., III, 10, 10: «quo studio prouidit». 242 C'est le cas en Ad Fam., I, 2, 4 (avec prouidere). Cf. J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 174-175 et 219. 243 De Imp. Cn. Pomp., 29 (avec prouidere). J. Helle gouarc'h, op. cit., p. 247-248. 244 Cf., entre autres, De Fin., II, 56; III, 37. M. Ruch, Chro nologie et valeur respective . . . , dans Les Et. Clas., XXII, 1954, p. 360. 245 P. Krarup, op. cit., p. 176. 246Γΐί5α,ΐν, 57. 247 In Pis., X, 23-24. Cf. R. A. Gauthier, op. cit., p. 141, n. 1; Cl. Nicolet, Consul togatus . . .; p. 236. 248 Cl. Causerei, op. cit., p. 152. M. Ruch, Études cicéroniennes, p. 21.
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DES ORIGINES Λ ΉΒΕΙΙΕ
té sociale et morale de l'homme qui dirige la cité249. Constantia et grauitas expriment toutes deux aussi le respect de la fides250 en ce sens qu'elles suscitent la fides dans l'entourage de celui qui les pratique et les possède; il a besoin de la loyauté, cette confiance mutuelle indispensable pour por ter à son point d'aboutissement toute action qui engage plusieurs individus251. La fides est la ver tu supérieure du sage et de l'homme de bien, confondus grâce à elle252; ce sont la réflexion et la raison qui conduisent à l'accomplissement loyal de ce qui a été promis et à la confiance mutuellement échangée, en toute liberté. S'il s'agit là d'un des aspects du devoir de chacun, il l'est tout particulièrement de celui qui assure la direction et l'avenir de la cité. Mais il est un vocable qui résume l'ensemble de ces devoirs et qui est «la forme réfléchie et délibérée par excellence du vouloir et de l'initia tive»253, le consilium. Il définit l'emprise de la raison et apparaît comme une faculté souverain e254. Nous le trouvons souvent avec ratio155, avec sapientia, prudentia, ingenium . . ,256, mais aussi avec prolùdere et ses dérivés257. Il s'agit de la faculté de prendre des décisions ou de pren drel'initiative, ce qui a pour conséquence l'exer ciced'une influence. Là encore, le consilium est la capacité de ceux qui dirigent258 et une forme essentielle de l'action politique, que ce soit celle du rector, qui présente un caractère officiel, ou celle du princeps libérateur purement privé259. Le consilium «traduit dans la cité terrestre la
prééminence de l'intelligence ordonnatrice et de la volonté éclairée du politique»260; il permet à l'État de durer, qu'on puisse le trouver à l'int érieur d'un corps comme le sénat, disséminé par mi tous les optimates comme valeur spécifique de l'aristocratie romaine, ou bien en tant que caractère principal de Yoptimus uir, seul capable de créer dans la cité l'union de tous les bons citoyens261. En réalité, nous trouvons ici la notion qui exprime l'idée peut-être la plus signi ficative de la pensée de Cicéron: seule la sagesse de la délibération, c'est-à-dire la possibilité d'agir en toute connaissance de cause, après avoir pesé les termes du dilemme, peut permettre d'aboutir à faire le bien de tous. Elle est l'œuvre de notre volonté; Cicéron possède en elle une croyance sincère et lucide tout à la fois262. Prouidentia fait partie de cet ensemble «volontariste»; elle n'en est pas le plus modeste fleuron et elle n'en est pas non plus dissociable.
249 J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 292 et 300. 250 la, ibid., p. 285-287. 251 Ainsi en / Verr., 51, avec proludere et à propos du sénat. De même en Verr., V, 127, rapproché d'officium. Cf. aussi Cat., Ill, 2 et Phil., VII, 19-20. 252 In Pis., Χ, 23-24; P. Milton Valente, op. cit. p. 220-221. J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 30-34. 253 J. Hatinguais, Sens et valeur de la volonté dans l'huma nisme de Cicéron, dans ΒAGB, XVII, 1958, p. 57. 254 Une des qualités du consul idéal : In Pis., X, 23-24. 255 Ainsi De leg. agr., II, 102. Cf. A. Yon, op. cit., p. 175-177. 256 L. Perelli, op. cit., p. 306. 257 A 16 reprises: Cat., Ill, 14. De Imp. Cn. Pomp., 29. Pro Lig., 17. Phil., VII, 19-20; XIII, 6. Ad Att., X, 16, 2. Ad Fam., Ili, 10, 10. De Orat., II, 333. De Nat. Deor., II, 58 (cons iti trix); II, 162-164. De Divin., I, 117. De Leg., I, 22. De Rep., I, 47 (=71); II, 7 (= 12). Nous pouvons noter deux fois l'expression consilio prouideri : Ad Att., X, 16, 2 et Ad Fam., X, 4, 3. Proche de cette expression, un passage de la Première
Action contre Verres, 45 : « ei rei se prolùdere ac considère nelle; turn uero non strepitii, sed maximo clamore suam populus Romanus significami uoluntatem ». Pompée, dans la pre mière assemblée où il se trouve en tant que consul désigné, vient d'annoncer qu'il rétablirait la puissance tribunicienne et qu'il prendrait des mesures qui seraient toutes en faveur des populäres. 258 J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 254-258. C'est pourquoi Pompée l'emploie dans le passage de la Première Action contre Verres cité à la note précédente. Il s'affirme ainsi comme un homme d'État compétent et en qui chacun peut avoir la plus grande confiance. 259 Pour reprendre l'habile distinction faite par A. Magdelain, Auctoritas Principis, Paris, 1947, p. 23. 260 P. Grenade, Autour du De Republica, dans REL, XXIX, 1951, p. 180. 261 E. Berti, op. cit., p. 42; E. Lepore, op. cit., p. 103 et 317. 262 J. Hatinguais, op. cit., p. 58 et 69.
4 - Les résultats de son action L'individu qui regroupe en lui l'ensemble de ces qualités et de ces vertus est pourvu de Yauctoritas. La capacité personnelle, l'âge et l'expé rience, la puissance matérielle fondent cette auctoritas qui suscite à la fois l'influence et la supé riorité d'un homme de guerre, d'un politique, d'un juge . . . Mais cette influence ne doit pas s'exercer par la contrainte; tout au contraire, elle use de la persuasion et du consilium ; elle est
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nécessaire à l'homme politique qui, par elle et avec l'accord de tous, peut diriger et prendre des initiatives263. Il n'est donc pas étonnant de trouver ce vocable lié à trois reprises et de façon très étroite à prouidentia ou à prolùdere264. Cette «autorité» fait partie des vertus des sénateurs, de celles de Yimperator idéal, de Yoptimus uir, du princeps qui doivent tous la posséder pour bénéf icier de l'appui de l'opinion265; elle permet au pouvoir d'être réel et librement consenti par tous. C'est pourquoi il est tout naturel de trouver associés à proludere les vocables qui sont le reflet de cette idée de direction et de gouverne ment; neuf extraits des œuvres de Cicéron jo ignent prouidentia à des verbes qui sont l'expres sion de la direction des choses ou des hommes: administrari, regere, gubernari260. Ces mots ont ici des sens très généraux; si gubernari s'emploie surtout à propos de la direction d'un navire par celui qui tient le gouvernail, et si regere peut s'utiliser à propos de ceux qui dirigent des an imaux ou même de celui qui conduit un navire en en restant maître au milieu des écueils267, les trois termes ont pris très vite le sens très vague de «diriger» dans le domaine des affaires publi ques, à tous les échelons où il y a possibilité de commandement et d'initiative. Cette activité ne peut s'exercer que dans des conditions bien défi nies de moderatio; son sens premier est très proche de celui des trois termes précédents, mais avec certaines nuances importantes qui rendent le vocable plus riche268. Il s'agit de tou tes les formes de la maîtrise de soi qui permet, dans l'action, de régler ses décisions dans la mesure, avec discernement; c'est la mise en œuvre de toutes les qualités précédemment
décrites; de là le titre de moderator que Cicéron n'hésite pas à donner au guide de la République qui ne commande pas, mais qui dirige269 en dominant les événements et en sachant équili brerles forces antagonistes270 et qui, comme l'a remarqué P. Grenade, s'adapte et adapte le rég ime auquel il préside aux transitions nécessair es271 parce qu'il sait respecter autrui et aussi les convenances sociales, parce qu'il sait exercer sur lui-même le contrôle de la raison272. Il est normal que cette «autorité» s'exerce pour le bien de tous; elle s'exprime dans la recherche de la libertas qui est, par deux fois, liée à prouidentia273. Elle est clairement définie dans Parad. St., V, 34: «Quid est enim libertas? Potestas uiuendi ut uelis. Quis igitur uitiit, ut nuit, nisi qui recta sequitur qui gaudet officio, cui uiuendi uia considerata atque prolùsa est, qui ne legibus quidem propter metum paret sed eas sequi tur». Ce n'est pas seulement l'indépendance du citoyen, mais, en réalité, l'interdépendance de chacun à l'égard de ses concitoyens; elle est guidée par la raison et par la réflexion274. Mais elle est aussi le droit que laisse le princeps à tous de participer au gouvernement de l'État, dans les limites du respect d'autrui; en effet, dépasser ces limites est le fait de celui qui suit ses impul sions et pratique la licentia, moyen infaillible de parvenir à la dominano abhorrée. La libertas appartient aussi au peuple et, à Rome, elle est l'expression du rôle politique que doit jouer la plèbe pour faire de la Ville une cité équilibrée275. Mais le contenu de cette liberté reste vague parce que le princeps juge de son contenu selon les circonstances; cela fait partie de ses devoirs essentiels, ceux du bon dirigeant276. Dans ce contexte, Cicéron peut sans peine
263 A. Magdelain, op. cit., p. 6 et 18-19; S. E. Smethurst, Politics and Morality in Cicero, dans The Phoenix, IX, 1955, p. 117; J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 206, 296-312. 264 De Orat., II, 333. Ad Fam., III, 10, 10. / Verr., 51. 265 J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 331-336; H. F. North, op. cit., p. 177; E. Berti, op. cit., p. 46; E. Lepore, op. cit., p. 317. 266 Administrari : De nat. Deor., I, 4; II, 73, 75, 80. De Divin., I, 117. Regere: De Nat. Deor., I, 4; II, 73; III, 65; De Re p., VI; V, 1 (rector). Gubernari: De Nat. Deor., II, 73. 267 Ernout-Meillet, op. cit., p. 568. 268 À 3 reprises avec prouidentia : De nat. Deor., II, 87; III,
93. De Rep., VI, 4 (=26). ™De Rep., V, 8. Ad Au., VIII, 11, 1; J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 263-265; A. Magdelain, op. cit., p. 6. 270 E. Lepore, op. cit., p. 241. 271 Autour du De Republica, p. 167. 272 P. Milton Valente, op. cit., p. 192 et 247. C'est certainement la moderatio qui sépare le plus le princeps du dominus, du rex, du tyrannus, c'est-à-dire de celui qui établit un pouvoir injuste parce qu'il n'est pas fondé sur la raison et sur la mesure. 273 Ad Fam., IX, 24, 4. Parad. S., V, 1, 34. 274 Cf. J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 543. 275 E. Berti, op. cit., p. 35 et 42. 276 II faut noter que deux termes qui expriment un pro-
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DES ORIGINES À HBÈRE
faire appel à la notion de salus qui, à huit repri ses,est liée, plus ou moins étroitement, à prouidere211', il entend par là, en tout premier lieu, la sauvegarde des droits civiques et leur jouissance par ceux qui sont libres dans la cité278. Celui qui dirige la cité est responsable du respect des droits de chacun de ses concitoyens; sans ce respect, les homme prétendumment libres sont en réalité condamnés à une véritable mort civile, expression la plus nette de la dominatio et du tyrannus219. L'attention respectueuse portée à ces droits le fait bénéficier d'un grand crédit auprès de tous, la gratia280 qui entre dans la définition du princeps idéal tel que nous pou vons en retracer le portrait281. En outre, dans cet exercice salutaire, il accomplit ses devoirs envers les dieux, il pratique la religio282, le res pect de la loyauté et de la justice, du serment, en accomplissant avec le soin le plus scrupuleux, et pour tous les hommes, ce qui est le meilleur283. Ce sentiment est nécessaire pour obliger cha cun de nous à considérer les autres hommes comme nos semblables; tous les hommes sont liés entre eux par une étroite solidarité, Yhumanitas284. Ce terme, en réalité, englobe toutes les notions dont nous avons parlé ci-dessus et, tout particulièrement, celles qui s'attachent au com portement de l'homme d'État romain. Il doit
s'efforcer de rendre service avec bonté et avec justice285; il doit regrouper en lui la perfection de tout ce qui est humain, en prenant bien soin de mettre en valeur ce qui est propre et spécifi que à la nature humaine; il doit réaliser en lui l'harmonie de toutes les facultés de l'homme286. L'ensemble forme Yhumanitas, l'excellence hu maine, l'expression de ce qui distingue l'homme de la simple matière animée; elle assure la sol idarité et le progrès social, la cohésion de la communauté humaine sans s'attacher à tel ou tel individu en particulier. L'estime qu'on a de l'homme doit rester générale, car Yhumanitas refuse le choix et la distinction287. Prouidentia fait, sans conteste, partie de ce sentiment288 puis qu'il est logique que le bien à accomplir en faveur des hommes se réalise dans le présent, mais avec le but de procurer un avenir meilleur, plus ou moins lointain289. C'est dans ce cas, et en prenant alors le sens de «prévision», que la prouidentia est un élément fondamental, à la fois, de la direction des hommes et de la cité, et de Yhumanitas qui doit y présider. Encore faut-il pour les distinguer du commun des mortels, donner à ces hommes si pleins de qualités, des qualifications qui les mettent à part dans la société et les désignent à l'attention de tous. Cicéron emploie des termes précis et signi-
gramme politique précis et qui sont très souvent liés à prudentia et uirtus, ne se trouvent jamais, dans l'œuvre de Cicéron, directement en rapport avec prolùdere. Il s'agit de iustitia et de concordia. Iustitia consiste à donner à chacun selon ses mérites et, par là même, est un élément fondament al de toute politique et un idéal que poursuit le princeps (cf. E. Lepore, op. cit., p. 105). Concordia exprime l'accord entre les groupes ou entre des individus, particulièrement dans le domaine politique; c'est un idéal de gouvernement pour qui pratique prudentia et moderano (cf. E. Lepore, op. cit., p. 105 et 240-241). 277 Salus: Verr., II, 28; V, 146. Cat., Ill, 4. Pro Cael., 22. Pro Mur., 4. Ad Q. /., I, 1, 31. Phil., Ill, 27. Saluus : Tusc, V, 62. Ad Fam. IX, 24, 4. 278 Les rapprochements avec libertas sont nombreux : Phil., XI, 27; XIV, 38... 279 Cf. J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 157, 411-412, 549; J. Béranger, Tyrannus. Notes sur la notion de tyrannie chez les Romains, particulièrement à l'époque de César et de Cicéron, dans Principatus. Études de notions et d'histoire politiques dans l'Antiquité gréco-romaine, Genève, 1973, p. 51-60. 280 Liée elle-même à prouidentia en Ad Fam., I, 2, 4. 281 E. Lepore, op. cit., p. 204. 282 Avec prouidentia en Pro Cael., 22 et / Verr., 51. 283 R. A. Gauthier, op. cit., p. 159.
284 Avec proludere (et sapientia) en Ad Q. f., I, 1, 3. 285 Cf. J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 267-270. 286 D. Gagliardi, // concetto di «Hiimariitas» da Terenzo a Cicerone, dans La parola e le idee, VII, 3-4, 1965, p. 195. 287 G. Boissier, À propos d'un mot latin. Comment les Romains on connu l'«Humanitas», dans Revue des Deux Mond es, 1906, p. 765. P. de Labriolle, Pour l'histoire du mot «Humanitas», dans Les Humanités, classe des Lettres, 1932, p. 426427; N. I. Barbu, De summis bonis inter consulatum Caesaris disputatis, dans Latinitas, XVII, 2, 1969, 130-131; O. E. Nybakken, Humanitas Romana, dans TP APA, LXX, 1939, p. 404. H. Petré, Caritas. Étude sur le vocabulaire latin de la charité chrétienne, Louvain, 1948, p. 202-204. 288 II existe deux termes couramment employés avec humanitas, pietas et dignitas . La pietas a le même contenu que Yhumanitas, mais dans l'ordre familial ou dans le cadre de l'État. Dignitas représente le rang atteint par celui qui a su pratiquer Yhumanitas. Il nous faut constater que, dans l'œu vre de Cicéron, ni pietas, ni dignitas ne se trouvent avec prolùdere. 289 À 12 reprises, prolùdere et ses dérivés sont associés à: Futurum : Pro Mur., 4. De Divin., I, 101 ; II, 17; 126. Tusc, I, 66. Ad Att., II, 22, 6; X, 16, 2. Posterum : De Rep., I, 47 (=71). De Leg., Ill, 44. Phil, VII, 19-20; XIII, 6. Éuenturum: De Fin., I, 47.
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ficatifs. Il les traite de docti ou de doctissimi, c'est-à-dire de compétents grâce à la possession des connaissances qui sont nécessaires à l'action. Ce sont des spécialistes capables d'entreprendre au profit des autres dans des domaines divers qui ne sont pas limités à la rhétorique ou à la philosophie290. Ils sont aussi boni parce qu'ils possèdent au plus profond d'eux-mêmes des valeurs morales qui s'expriment, extérieurement et au su de tous, dans des vertus sociales291; ces dernières doivent avoir comme résultat le con sensus omnium et la concordia ordinum292. La conséquence en est que quiconque atta que l'État dans ses fondements en saurait être un bonus; c'est le cas de Catilina qui, pour avoir accompli ce qu'il avait ordonné et préparé, ne peut posséder aucune qualité; il est l'homme en qui personne ne doit avoir confiance. En contrep artie, le bonus devient l'homme idéal chargé de diriger l'État293. Dans ce cas, il peut être aussi qualifié d'honestus294', il s'agit d'une valeur très générale donnée aux catégories dirigeantes de la cité, c'est-à-dire à ceux qui exercent les honores, ou sont susceptibles de les exercer. Cette valeur sociale, qui est à l'origine du progrès dans la cité et fait condamner César par Cicéron295, s'accom pagned'un contenu moral qui, reflet du grec το καλόν, lie ì'honestum au decorum, la dignité natur elle de l'homme qui l'élève au-dessus des autres êtres296; pour Cicéron, qui subit ici l'influence du stoïcisme, c'est une valeur attachée à l'âme297. Nous pouvons trouver un point d'aboutisse ment légitime dans un terme qui par deux fois est lié à prouidere, beatus. Le beatus est, à la fois,
celui qui est comblé de biens, matériels et moraux, et celui qui n'a plus rien à désirer parce que l'homme qui possède toutes les qualités que nous avons énumérées ci-dessus lui a tout fourn i298. Il s'agit aussi d'un état d'esprit, celui de l'individu qui est parfaitement heureux parce qu'il sait posséder en lui toutes les qualités, parce qu'il se rend compte qu'il les a employées au mieux du bien public299. Dans beatus s'expr ime la quintessence des vertus de l'homme.
290 Cf. A. Hus, «Intellegenda» et «intellegens» chez Cicéron, dans Hommages à J. Bayet (Coll. Latomus, LXX), 1964, p. 266-267 et 278-280. Avec prouidentia en Tusc, I, 73. 291 À 2 reprises avec prouidere: Pro S. Rose. Amer., 151. Tusc, I, 73 (avec docti). 292 Cf. E. Lepore, op. cit., p. 104-105 et les remarques contenues dans le compte-rendu de J. Béranger, dans REL, XXXIII, 1955, p. 460. 293 Cf. J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 45 et 486-487. Bonitas, qui n'est jamais employé par Cicéron avec prouidentia, expri mela même idée. O. E. Nybakken, op. cit., p. 403 et H. Petré, op. cit., p. 127. Il en est de même pour beneficentia et benignitas, aux sens très proches. 294 À 2 reprises avec prouidere : Pro S. Rose. Amer., 117 et De Rep., IV, 3 (sous la forme honeste). 295 Ad AU., VII, 11,1. Cf. P. Grenade, op. cit., p. 170. 296 P. Milton Valente, op. cit., p. 239-240; V. Guazzoni Foà,
op. cit., p. 235. S. E. Smethurst, op. cit., p. 128. 297 La uoluptas étant liée au corps : A. Michel, L'épicurisme et la dialectique de Cicéron, dans Actes VIIIe Cong. Ass. Giiil. Budé (1968), Paris, 1969, p. 402 (à propos de Lucullus, 128141). Sur l'ensemble de ces problèmes, J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 462-463. 298 De Rep., IV, 3. J. Hellegouarc'h, op. cit., p. 447. 299 De Leg., I, 60. 300 Cf. entre autres, Tusc, I, 66. Pro Mil, 84. Cat., Ill, 18. ™ De Rep., VI, 24 (=26). La traduction a donné lieu à une controverse entre M. van den Bruwaene et P. Boyancé. Cf., sur ce point, P. Boyancé, Sur le Songe de Scipion, dans Ant. Class., XI, 1942, p. 5-42, repris dans Études sur l'humanisme cicéronien (Coll. Latomus, CXXI), 1970, p. 288-289. Cicéron reprend l'argumentation en Tusc, I, 66.
5 - L'IMMORTALITÉ CÉLESTE Mais nous sommes restés jusqu'ici sur un plan purement terrestre et les vertus humaines, dites humaines parce que pratiquées dans notre monde, devraient avoir leur récompense au-delà de la mort. Cette rétribution à caractère moral n'est pas la seule, ni même la plus importante dans ce domaine. À plusieurs reprises Cicéron affirme que les attributs des dieux sont la mémoire et l'intelligence, l'invention, la volonté, la sagesse300. Ce sont justement les qualités qui, possédées par l'homme, le rendent proche des dieux; il est d'ailleurs la seule créature à pouvoir se rapprocher du monde divin, puisque le seul doué de raison comme les dieux. C'est ce qu'expose l'Africain à son petit-fils dans un des plus fameux passages du Songe de Scipion301: «Deum te igitur scito esse, si quidem est deus, qui läget, qui sentit, qui meminit, qui prouidet, qui tam régit et moderatur et mouet id corpus, cui praepositus est, quam hune mundum
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Me princeps deus». Chaque homme possède en lui une parcelle de la divinité, l'âme, et il se doit, dans toutes les actions qu'il entreprend, d'assu rerle triomphe de l'âme sur la matière, de l'éloigner de cette pesanteur de l'enveloppe charnelle qui tend à figer l'homme au plus bas niveau de la matière, de façon à imiter la divini té et à se rapprocher d'elle dans l'harmonie et dans la «sympathie»302. Certes, le devoir de tout homme est de prier les dieux de protéger et de conserver la cité et ses magistrats303, mais pour le rector reipublicae, que ses qualités ont désigné pour prendre en mains le destin de la Ville, ce ne peut être suffisant. Il doit agir en conformité étroite avec l'action de la divinité. Les hommes d'État qui ont bien servi la patrie en la sauvegardant, en la secourant et en l'accroissant304 se rapprochent des dieux au plus près305, car ils ont su utiliser les qualités que les dieux leur avaient données en faveur des hommes et de leur condition. La prouidentia fait éminemment partie de ces qualit és,comme nous l'avons vu. Cette attitude est très romaine; en effet, ce ne sont pas des vertus hors du commun qui per mettent à un homme de se rapprocher de la divinité; ce n'est pas le héros qui est mis en valeur, mais celui qui sait unir connaissances théoriques et expérience pratique en agissant pour le bien commun et pour servir de modèle à ses concitoyens306 à l'intérieur d'un cadre institu tionnel défini fondamentalement par le refus de la tyrannie. Le portrait présenté par Cicéron est celui de l'anti-héros, puisque Yoptimus uir est simplement celui qui sait mieux que les autres se servir de toutes les possibilités dont il est le
possesseur. Il n'y a rien là qui sorte de l'ordinai re et cela est logique puisque le Romain se méfie de l'extraordinaire; dans sa mentalité, ce dernier est plus souvent le signe de la colère des dieux et de la rupture de la pax deorum que d'une quelconque protection venue d'en-haut307. D'ailleurs nous ne pouvons affirmer qu'il s'agit véritablement d'un choix des dieux lorsque l'âme de celui qui a bien servi l'État monte à travers le cosmos pour jouir de l'immortalité céleste dans la contemplation de la beauté des choses du ciel. C'est l'effet de l'âme elle-même308 qui retrouve dans ce nouveau monde tous ceux qui, à Rome, ont su le mériter: «Iustitiam cole et pietatem, quae cum magna in parentibus et propinquis, turn in patria maxima est; ea uita nia est in caelum, et in hune coetum eorum, qui iam uixerunt, et corpore laxati illum incoiimi locum, quern iiides», dit Paul Emile à son fils309. Toutes les âmes sont immortelles, mais seules celles des hommes courageux et vertueux sont divines; l'Africain, avant de disparaître, met l'accent sur ce point : « Or il n'est pas de plus belle tâche que celle qui se rapporte au salut de la patrie»310. Le lieu de séjour de ces âmes d'élite est «inter flammas circus elucens, quem nos, ut a Grais accepistis, orbem lacteum nuncupatis »3U . En effet, la Voie Lactée était considérée comme la sphère des fixes, placée au-dessus de toutes les planètes mouvantes et errantes; en ce domaine, la doctri ne pythagoricienne avait été admise par tous312. Nous pouvons penser, avec le père Festugière, qu'il s'agit, en même temps que de la théorie de l'ascension de l'âme, d'un des τοποί habituels chez Cicéron313, bien que le passage cité à l'ap pui de cette idée ne soit pas très probant314. Le
302 De Fin., III, 64. 303 Cat., II, 2; III, 21. Pro Mur., I. Har. Resp., 57. Cf. aussi De Fin., V, 95. De Imp. Cn. Pomp., 47. De Leg., II, 19. 304 De Rep., VI, 13. La même idée est exprimée dans Pro Sest., 138. 305 Cf. P. Boyancé, Études sur le Songe de Scipion, Paris, 1936, p. 138. 306 Cf. R. G. G. Coleman, The Dream of Cicero, dans Proc. Camb. Philol. Soc, 1964, p. 8-9. 307 Nous ne pouvons nous empêcher de penser que Cicé ron se projette lui-même dans cet anti-héros au service de la cité et que, peut-être inconsciemment, il fait le portrait de l'homme qu'il aurait voulu être. N'aurait-il pas pu dire: «Aemilianus, c'est moi!»? Ce problème du portrait de
pion Émilien aux traits cicéroniens reconnaissables serait à étudier dans un autre contexte. 308 De Rep., VI, 29: «quibus agitatus et exercitatus animus uelocius in hanc sedem et domum suam peruolabit ». 309 De Rep., VI, 16. 310 Ibid., VI, 29. 311 Ibid., VI, 16. 312 A. J. Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste. II. Le Dieu cosmique, Paris, 1949, p. 442. 313 Id., Les thèmes du Songe de Scipion, dans Eranos, XLIV, 1946, p. 373. 314 Dans De Nat. Deor., II, 153. Cicéron se contente d'affi rmerque la raison humaine a pénétré dans le ciel, sans préciser plus nettement les formes d'immortalité.
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De Republica précise la pensée de Cicéron et met un point final à sa réflexion sur la concept ion de l'immortalité de l'âme. Cette démarche, évidente à ce moment, pour une compréhension plus intime de la religion du monde315 est fonda mentale pour une meilleure approche de la per sonnalité même de Cicéron; en outre, elle nous apporte des éléments indispensables pour com prendre le contenu futur du concept d'immortal ité à Rome, en particulier pour la façon dont le principat saura l'élargir à sa convenance. Ce point sera étudié plus tard. Pour l'instant, l'important est de constater qu'à la fin de la République, il existe un Romain, et non des moindres et certainement pas le seul, qui considère que les hommes d'État, bienfai teursde leur cité et de leurs compatriotes, sont destinés à une existence de caractère divin après leur mort. Toutes les âmes sont immortelles, mais seules certaines ont accès au monde céleste tel qu'il a été défini. Et, comme nous l'avons vu, la possession de cette qualité fondamentale par mid'autres qu'est la proiiidentia, est une nécessit é pour parvenir à dégager totalement l'âme du corps et la faire parvenir aux cieux. Cet étroit rapport établi entre les qualités individuelles, les aspects politiques et la religion ne peut nous étonner; il s'agit là d'un trait typiquement romain que nous retrouverons par la suite316. Dans l'œuvre de Cicéron se trouve le point d'aboutissement provisoire d'un long processus d'évolution d'une notion venue du plus profond de la civilisation grecque, interprétée, transfor mée, élargie, sinon même transfigurée, par les siècles, les civilisations, mais qui, à chaque étape, a peu perdu de sa substance première, pour, tout au contraire, gagner en profondeur dans
son contenu et son utilisation. Grâce à Cicéron, la proiiidentia pénètre véritablement dans l'ordre romain et y trouve immédiatement une place privilégiée qui l'associe étroitement à l'homme vertueux. La morale, en effet, reste totalement incluse dans l'action politique317 et a comme but une cité régie par la vertu incarnée dans son, ou ses, dirigeants; c'est un idéal qui reste commun à tous les principes.
315 A. J. Festugière l'a finalement bien mis en valeur dans La révélation . . ., II, p. 459. A l'intérieur même du De Republic a, le Songe de Scipion est considéré, à juste droit, comme un progrès dans le sens de l'eschatologie. Mais le sens approfondi n'en est pas encore signifié par l'auteur. 316 En prenant bien garde au fait que, pour Cicéron, plu sieurs hommes, au même moment, peuvent avoir les qualités de Xoptimiis uir et du rector reipublicae. Il se place toujours dans le cadre de «la constitution mixte» et refuse, par là même, tout aspect monarchique, même en cas de crise. Sur ce point, cf. R. G. G. Coleman, art. cit., p. 9-10 et J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique du principat, Bâle, 1953, p. 33: «Le princeps n'est qu'un des principes». Il est
réformateur, mais respectueux des lois; pour lui, l'État doit être «un équilibre de vertus et de biens» pour reprendre l'expression de A. Michel, dans Mata, XVIII, 1966, p. 188 dans son compte-rendu de l'article de E. Berti, // «De Repub lica» di Cicerone e il pensiero politico classico, dans Pubbl. della scuola di perf. in Filos. dellVniv. di Padova, I, 1, 1969. 317 Cf. P. Grenade, Remarques sur la théorie cicéronienne dite du «Principat», dans MEFR, 1940, p. 45. 318 Cf. M. N. Wetmore, Index Verborum Catullianus, New Haven, 1912. Mens se trouve à 38 reprises, mais ratio à 3 reprises et consilium à 2 seulement. Cf. J. Granarolo, L'œuvre de Catulle, Paris, 1967.
IV - «PROVIDENTIA»: LES CONTEMPORAINS DE CICÉRON La place importante prise par prouidere dans l'œuvre et la pensée de Cicéron pourrait laisser supposer qu'il en est de même chez ses contemp orains et qu'il n'est que le reflet de son époque. Il n'en est rien et la quête chez les écrivains de la fin de la République est assez décevante. Nous ne saurions nous en étonner puisque, comme nous l'avons vu, l'introduction du mot dans la langue latine est relativement récente; en outre, le développement de la notion s'est essentiell ement réalisé par l'intermédiaire du langage phi losophique. Ceux qui n'avaient pas eu de contact direct avec la pensée spéculative n'avaient aucu neraison d'utiliser son vocabulaire; ils se con tentaient des mots de la langue courante, et prouidentia n'en faisait pas encore partie. Un poète tel que Catulle en est un bon exemple; il sait exprimer toutes les nuances de la réflexion, il pénètre l'âme humaine dans ses profondeurs, mais on ne trouve jamais dans ses œuvres proui dereet ses dérivés318.
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Plus étonnants peut-être sont les cas de Varron et de Lucrèce ; l'un comme l'autre ont subi la forte influence de mouvements philosophiques: l'épicurisme pour celui-ci, l'Académie et le stoï cisme, qu'il cherche à concilier, pour celui-là319. Chez Lucrèce, il n'y a aucune trace des termes qui nous intéressent. Chez Varron, la moisson est presque aussi maigre puisque nous ne trou vons qu'une seule fois prolùdere utilisé, dans son sens le plus banal. Le mot reste sans relief, dans un contexte familier; il s'agit simplement de garantir les premiers jours de vie des oisons en les protégeant de l'humidité et des belettes320! Cependant, dans notre perspective, il y a plus de richesse dans les œuvres de deux auteurs plus significatifs et représentatifs: Salluste et César. L'un comme l'autre utilisent prolùdere et ses dérivés; mais ils le font avec une certaine parcimonie, treize fois chez Salluste321, vingt et une fois dans César322; cependant l'emploi de ces mots présente des caractéristiques intéressantes. Ils sont toujours utilisés dans des cas précis, faciles à répertorier et qui reflètent, sans doute mieux que chez Cicéron, leur vraie place dans le vocabulaire et la pensée courante du Romain de la fin de la République. Il est certain que le moindre intérêt se trouve chez César, tout simplement parce que les emplois qu'il en a fait dans ses œuvres n'intéres sent que quelques problèmes très limités. Cela est dû uniquement à la forme même des écrits du dictateur qui traitent essentiellement de questions militaires, stratégiques et tactiques, ou
politiques. De ce fait nous voyons César créer une relation étroite entre prolùdere et une ques tion que l'homme de guerre considère comme fondamentale, l'approvisionnement en vivres, et particulièrement en blé, de l'armée en campag ne.La prévoyance est nécessaire au chef de guerre si celui-ci veut non seulement enlever la victoire, mais encore donner à ses soldats, avant la bataille, un moral de vainqueur. Les questions d'intendance ne doivent pas rester en dehors des soucis et des soins d'un général conscient de ses responsabilités et, bien entendu, César s'a ttribue cette qualité à plusieurs reprises323. Cette attitude est celle observée par tous les chefs que César veut mettre en valeur et dont il nous montre les qualités324. Accorder à ses adversaires la qualité de pourvoyeur prévoyant est, pour César, mieux faire ressortir ses propres succès, et il montre bien que le manque de prévoyance dans ce domaine est éminemment dangereux, sinon catastrophique325. Cette qualité de chef responsable peut avoir un champ d'action plus large. Dans la bataille, il faut prévoir la façon dont l'ennemi agira et exé cuter les mouvements en conséquence326. Après l'échec de Dyrrachium, prolùdere permet au futur dictateur de triompher de Pompée, dont la défaite est alors inéluctable327, comme celle de Litavic, celles des Vénètes, de Vercingétorix, même si ce dernier a su utiliser sa faculté de prouidere pour provoquer le regroupement de toutes les forces gauloises autour de lui328. Dans un domaine plus général, c'est la qualité qui
319 P. Boyancé, Sur la théologie de Varron, dans REA, LVII, 1955, p. 82, repris dans Études sur la religion romaine, Rome, 1972, p. 280-281. 320 R.R., III, 10, 4 : «Easque cellas prouident, ne habeant in solo humorem, et ut molle habeant substramen e palea, aliane qua re, neue qua eo accedere possint mustelae, aliaeue quae bestiae noceant». 321 Cf. F. Natta, Vocabolario Sallustiano, Turin, 1894. 322 Cf. H. Merguet, Lexicon zur den Schriften Cäsars und seiner Fortsetzer, Iena, 1886. 323 Quand il demande à Labiénus de s'occuper du ravitai llement en vivres (BG , V, 8, 1 : «... et rei frumentariae prolùderei. . . », quand il l'assure lui-même dans ses combats contre les Suèves, ce qu'il considère comme aussi important que l'installation du camp (BG, VI, 10, 2 : «... rem frumento· riam prouidet, castris idoneum locum deligit»). De même en
BC, III, 34, 2: «... de re frumentaria ut prouiderent. . . ». 324 P. Crassus en Aquitaine (BG, III, 20, 1), Pompée luimême, sous Dyrrachium, qui sait priver son adversaire de blé (BC, III, 42, 5), Afranius dans la péninsule ibérique contre César lui-même (BC, I, 49, 1). 325 BG, III, 3, 1 : « neque de frumento reliquoque commeatu satis esse prouisum ... ». BG, III, 18, 6. 326 BG, V, 33, 1. César dans la bataille de la Sambre, en 57 (BG, II, 22, 1) et lorsqu'il empêche les soldats de se venger, car la vengeance risquerait d'être plus dangereuse pour eux que la prudence (BG, VI, 34, 7 : « Vt in eiusmodi difficultatibus, quantum diligentia prouideri poterai, prouidebatur»). Cf. BG, VII, 16, 3. 327 BC, III, 76, 4 : «Caesar, quod fore prouiderat ». 328 BG, VII, 39, 3. Ill, 9, 3. VII, 29-30.
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permet de défendre une province ou un territoir e329, qui permet d'apporter l'ordre et de repous ser toute surprise330. En réalité, nous retrouvons chez César l'a spect qui forme le contenu essentiel et profond de prolùdere. Il s'agit de la pensée réfléchie qui permet, en pesant le pour et le contre, d'envisa ger toutes les possibilités pour le proche avenir et autorise ainsi le succès dans l'action entrepris e. Nous le voyons bien quand César oppose cogitare à nihil proludere331, quand il lie prouideri à ratio, prolùdere à praesentire ou à consilium332. Et cette pensée doit se nourrir de connaissances et se pénétrer d'expérience, sans quoi l'acte de prolùdere ferait courir de graves dangers333. Pour César cet acte est un élément essentiel de la volonté humaine qui entreprend. Et il ne fait pas de doute que nous pouvons élargir la pensée de César et l'appliquer à tous les responsables dans la cité, ceux qui doivent, à la fois, diriger et protéger les hommes. Ce ne peut être qu'une qualité purement humaine, appuyée sur l'exi stence en chaque individu de la possibilité de réflexion que chacun utilise au mieux, par un effort de sa volonté propre; il doit le faire en n'oubliant jamais le contenu positif de la con naissance et de l'expérience. Puisque humaine, cette qualité a des limites que César ne manque pas de rappeler; elles sont dues à la faiblesse de constitution de l'homme334. La conséquence en est que César ne lie jamais
cette notion à l'existence des dieux; jamais il ne prétend qu'il s'agit du reflet de la puissance et de l'intelligence divines en l'homme. L'emploi du mot prolùdere renforce ce rationalisme que de nombreux auteurs ont voulu reconnaître comme un des traits fondamentaux de l'œuvre de César335. Il est évident que, pour lui, la raison humaine est capable, seule, de prendre dans les meilleures conditions, les décisions qui s'impo sent pour le bien de tous; c'est le sens que César veut attacher à prouidere. Cette possibilité devient un des aspects de cette maîtrise du temps que H. Fugier a parfaitement dégagés de cette œuvre336. Prouidere permet à César de bri der ses élans inconsidérés, de rester le dominat eur des événements en prenant chaque chose en son temps, en respectant les «règles du suc cessif», c'est-à-dire en réglant les problèmes dans l'ordre où ils doivent être abordés pour obtenir le succès. Savoir doser l'effort en fonc tion des obstacles à franchir sur le moment et dans l'avenir, savoir se servir des leçons du pas sépour agir, s'opposer au précipité ou au fortuit, sont bien des aspects de l'homme «prévoyant», préposé à la direction des autres hommes et à la victoire s'il a des combattants à mener sur le champ de bataille. Le cas de Salluste, d'une vingtaine d'années plus jeune que Cicéron, est un peu différent. Les traits fondamentaux restent les mêmes que chez César, mais l'originalité tient au fait que Salluste
329 BC, I, 85, 7 : «... ad usum prouinciae prouisum ...» BG, VII, 65, I: L. César doit défendre tout le territoire d'une province contre les menées de Vercingétorix. 330 Dans le cours d'un combat, l'imprévision est la cause première du désastre final (BC, II, 6, 3 : «... multa nostris de improuiso imprudentibus atque impeditis uulnera inferebant. . . »; leur attitude s'oppose à celle de Brutus qui renver se la situation, re prolùsa). Cf. BG, VI, 37, 6. Domitius s'expose aux coups de Pompée parce qu'il n'a pas su prévoir (BC, III, 79, 3) et le meilleur exemple est le guet-apens dans lequel Ambiorix, en 54, entraîna les Romains et Q. Titurius Sabinus «qui nihil ante prouidisset», alors que L. Aurunculeius Cotta «cogitasset haec posse in innere accidere» (BG, V, 33, 1-2). 331 Ibid. 332 BG, VII, 16, 3; 30, 2. V, 8, 1. 333 Connaissant le sort de ses prédécesseurs dans la région, P. Crassus approvisionne l'Aquitaine en vivres (BG,
III, 20, 2). Il faut connaître les réactions des peuplades gauloises pour leur faire face (BG, III, 3, 1). Grâce à l'expé rience, il est possible d'agir avec rapidité (diligentia) comme César dans sa poursuite du Suève Ambiorix (BG, VI, 34, 7). Sans elle, il n'y a qu'inconscience et témérité (BG, III, 18, 6 : «... inopia cibariorum, cui rei panim diligenter ab its erat prouisum »). "*BG, V, 33, 1-2. VII, 16, 3. 335 Cf., en particulier, W. Warde Fowler, Caesar's Concept ion of Fortuna, dans Class. Rev., XVII, 1903, p. 155-156. 336 H. Fugier, Un thème de la propagande césarienne. Dans le «De Bello Civili», César maître du temps, dans Bull, de la Fac. des Lettres de Strasbourg, XLVII, 1968, p. 127-133. César utilise les circonstances et reproduit le consilium que tous les grands Romains de la tradition ont utilisé et dont ils ont été les détenteurs. Mais l'auteur ne cite pas prouidere comme une des composantes de cette maîtrise du temps. La notion ne peut pourtant qu'en faire partie.
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est le premier à employer, comme Cicéron luimême, le substantif prouidentia337 . En outre, sa manière de voir est assez proche de celle de Polybe, tout au moins en ce qui concerne la façon dont il emploie prolùdere et ses dérivés. Il met l'accent sur l'aspect protecteur que procure la possession de la qualité de prolùder e338. Il la lie très souvent à celui qui dirige, au chef339, dont Marius est le meilleur exemple340, et il n'est pas jusqu'à Catilina qui ne montre cette faculté eminente dans le dernier combat qu'il livre contre Pétréius341. Dans l'esprit de Salluste, prouidentia est, dans un premier temps, la possibilité d'éviter toute surprise342. Mais c'est aussi la possibilité de rechercher et de trouver la vérité, le but de chaque homme, mais plus part iculièrement des sénateurs et de ceux qui doivent rendre la justice343. Cette vérité est la garantie de la stabilité de l'État et prolùdere concourt à la défense de l'ordre social. Très curieusement, mais de façon éclairante, César et M. Porcius Caton, pourtant opposés dans le débat, utilisent
le même mot, prouidere, pour défendre leurs idées344. Il exprime la sauvegarde de la concorde dans la cité345. Prouidere peut obliger à tenir un rôle de sentinelle attentive, comme il pousse à la vengeance346. En vérité, il peut recouvrir n'im porte quelle action pourvu qu'elle soit parfait ement adaptée aux circonstances; c'est le cas des discours, aux conclusions contraires, de César et de Caton. Mais cette prouidentia reste totalement et profondément humaine. Les dieux se placent au-delà d'elle347; c'est pourquoi Salluste l'associe aux termes qui, dans son propre vocabulaire, expriment la faculté qu'a l'homme de penser, de réfléchir et d'agir après avoir mis en action les ressources de son esprit. Prouidere s'intègre par faitement au système cohérent construit par Sal luste. Dans deux passages de son œuvre le terme se trouve mis en rapport directement avec ingenium, mot qui désigne ici le talent naturel et inné dont tout homme est pourvu348. Utiliser son ingenium nécessite normalement labor et cura,
337 Jug., VII, 5. Le fait est intéressant à noter; il permet de nuancer les appréciations courantes sur l'archaïsme recher ché du vocabulaire de Salluste. 338 Jug., X, 7. 339 Surtout Jugurtha qui prend toutes les précautions nécessaires avant de rencontrer Métellus (Jug., XLIX, 2 : «quae ab imperatore decuerint omnia suis prouisa: ...»), qui ne peut pas accepter la disparition de ceux qu'il a pris sous sa protection (Jug., LXII, 1) et qui, devant Numance, a employé au mieux sa prouidentia puisqu'il ne s'est pas laissé aller à la timidité, à la crainte apeurée (timorem) qui aurait pu le paralyser au moment d'entreprendre l'action décisive (Jug., VII, 5). 340 C'est lui qui, prouidenter, trouve pour son armée enga géeen plein été dans la campagne aride d'Afrique, la nourri turenécessaire (Jug., XC, 1) et qui sait omnia prouidere pour que ses soldats ne relâchent pas leur attention et que l'unité du groupe soit maintenue (Jug., C, 3). Marius exerce ainsi son véritable rôle de chef conscient de ses responsabilités. 341 Cat., LX, 4. Il est intéressant de noter que Catilina se trouve gratifié par Salluste de cette qualité pour la seule fois du récit, au moment où il va mourir. Cet emploi d'un terme si positif dans son contenu ne serait-il pas le signe d'une sorte de réhabilisation de Catilina? Sa conduite lors du dernier combat rachèterait, mais dans quelle mesure, son attitude passer. 342 Salluste qualifie le consul L. Bestia Calpurnius de satis prouidens, non seulement parce qu'il sait préparer son armée pour aller combattre Jugurtha, mais surtout parce qu'il sait éviter les embuscades, les surprises et les embûches (Jug., XXVIII, 5; insidias, dans le contexte général du passage,
semble préférable à inuidias, leçon portée par certains manuscrits). Ceux qui s'endorment, comme les Maures et les Gétules, sont surpris; rien n'est plus contraire à prouidere que le somnium (Jug., XCIX, 1-2); à propos de la même idée dans Cicéron, cf. supra p. 54. 343 Cat., LI, 2. 344 Pour César, prouidere permettait aux sénateurs de sau vegarder tout à la fois leur dignitas et leur fama (Cat., LI, 7). Pour Caton, prouidere consiste à ne pas attendre les dévelop pements de l'affaire pour sévir vigoureusement et éviter le pire, c'est-à-dire la disparition de l'ordre social et de la Ville elle-même (Cat., LII, 4). 345 Jug., X, 6-7. 346 Hist., I, 1. Il s'agit du discours du consul M. Aemilius Lepidus contre Sylla. 347 Jug., XC, I: «Igitur consul, omnibus exploratis, credo dis fretus, nam contra tantas difficultates consilio satis prouidere non poterai, qtiippe etiam frumenti inopia temptabatiir». 348 Jugurtha réussit à pénétrer l'esprit de P. Scipion grâce à ses qualités: «proelio strenuus... et bonus consilio» (Jug., VII, 5). Ce passage peut être mis en rapport étroit avec Thuc, II, 40, 3 : «Διαφερόντως γαρ δη και τόδε εχομεν ώστε τολμαν τε οί αυτοί μάλιστα και περί ών έπιχειρήσομεν έκλογίζεσθαι1 δ τοις άλλοις άμαθία μεν θράσος, λογισμός 5έ οκνον φέρει ». C'est la même vision de la nature humaine, comme l'a noté R. Syme, Sallust, Berkeley, 1964, p. 245-246. Il est aussi intéressant de remarquer que Thucydide emploie le mot λογισμός, la pensée réfléchie et organisatrice. C'est le mot utilisé si souvent par Polybe en liaison directe avec πρόνοια (cf. supra p. 17). Cf. aussi Jug., XXVIII, 5.
UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICÉRON car la volonté de l'individu est indispensable pour mettre en valeur ses propres talents et, surtout, les employer au mieux de la cause mune 349 Prouidere est placé en étroit rapport avec ce qui, chez notre auteur, exprime l'effort de la pensée individuelle; cette dernière a des buts qui lui sont assignés de toute éternité, la sagesse, sapientia, et, en franchissant une étape supplé mentaire, la uirtus qui peut être définie comme étant le fonctionnement de Yingenium en suivant certaines règles350. La faculté de prouidere fait partie de cet ensemble rationnel positif et s'op pose, comme les autres facultés de son espèce, à Yauaritia et à la lubido251, la passion la plus contraire à la qualité de prouidere. Même si Salluste utilise peu de fois prouidere, prouidentia et les mots qui en dérivent, il leur donne tou jours une place importante; ils ont leur rang, bien assigné, dans la reconstruction de la nature humaine qu'il dresse pour nous dans ses œuvres.
349 Jug., VII, 4 : « multo labore multaque cura ». XXVIII, 5 (à propos du consul L. Bestia Calpurnius qualifié de prouidens et qui est montré choisissant sa propre voie sans qu'inter vienneaucune pression extérieure). D. C. Earl, The Political Thought ofSallust, Cambridge, 1961, p. 10 et 30.
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Comme l'a bien remarqué D. C. Earl352, il emploie le vocabulaire traditionnel et usuel de son époque, mais sans hésiter parfois à prendre quelques termes récents; il le fait avec une gran deprudence et sans jamais leur donner une place prééminente ou abusive; c'est le cas de prouidentia. De toutes façons, Salluste n'est pas un philosophe et il ne cherche pas à approfondir chaque terme comme le fait Cicéron. Il nous montre simplement qu'au moment où il écrit le mot est entré, ou est prêt d'entrer, dans le langa ge usuel, qu'il est admis et compris comme une des qualités essentielles de tout esprit humain agissant. Mais si le décalage avec Cicéron est net, le fond est commun; simplement ce dernier, par une réflexion approfondie et personnelle, a fait franchir au terme prouidere des étapes qui ne seront atteintes par d'autres que plus tard. En quelque sorte, Cicéron reste, par son avance, isolé de son époque et de ses contemporains.
350 Jug., X, 7. D. C. Earl, op. cit., p. 11 et 61. 351 Jug., XXVIII, 5. D. C. Earl, op. cit., p. 14. Cat., LI, 2. 352 Op. cit., p. 112.
CHAPITRE III
AUGUSTE OU L'ABSENCE DE LA PROVIDENCE
Avec le principat est reconnue par tous une position prééminente à un seul homme dans l'État. Cela devait attirer sur le détenteur du pouvoir une attention favorable à l'absorption par ce seul homme de toutes les qualités jus qu'alors reconnues aux Romains, mais qui étaient encore dispersées sur une multitude d'in dividus. Une telle tendance ne pouvait qu'être renforcée par le fait, affirmé plus haut, que la qualité de prouidere, éminemment humaine, s'était trouvée de plus en plus confondue avec un des aspects fondamentaux de l'action divine. Comment le princeps aurait-il pu ne pas acquérir pour lui-même une telle qualité? Comment aurait-il pu résister à revêtir sa personne, de son vivant même, de la prouidentia? Cette dernière pouvait apporter de réels avantages à son pouv oir, à la conception que chacun se faisait de son action, à l'idée qu'il pouvait avoir des relations privilégiées avec les dieux. En un mot, comment l'empereur aurait-il repoussé l'idée de faire de prouidentia un des principes de sa souverainet é? Pourtant rien ne s'est déroulé aussi facil ement. En effet, si nous prenons en compte les
documents officiels, issus de la chancellerie ou des ateliers monétaires impériaux, prouidentia n'apparaît, publiquement affirmée, que durant le règne de Tibère, sur des monnaies de l'atelier de Rome1. Dans un premier temps, il nous faut expliquer pourquoi, durant toute la période augustéenne, la notion de prouidentia est restée à l'écart et n'a pas été utilisée officiellement. Nous allons chercher à dégager les raisons d'Au guste et à expliquer une attitude qui fait de son temps un moment de transition; si prouidentia était entrée dans le vocabulaire cicéronien, cil·· ne s'affirme comme principe de souverainelcagissant dans les domaines les plus divers qu'avec Tibère.
1 À ce propos, il est nécessaire d'écarter un petit bronze au nom de César signalé dans : Pellerin, Mélanges de diverses médailles. . . , Paris, 1765, 1, p. 196; J. Eckhel, Doctrina numorum veterum, Vienne, 1797-1798, VI, p. 12; H. Cohen, Descript ion historique des monnaies frappées sous l'Empire Romain, Paris, 1880, I, p. 19, n° 57; S. W. Stevenson, A Dictionary of Roman Coins, Londres, 1889, p. 659. Avers : DIVOS IVLIVS CAESAR Tête de César radiée à droite. Revers : PROVID SC de chaque côté d'un autel.
Pellerin, p. 196-197, et Stevenson, p. 659, considèrent ce type comme le plus ancien avec" Prouidentia. Cohen parle d'une monnaie de restitution, mais ne date pas sa frappe (I, p. 19). Après Stevenson aucun autre numismate ne cite ce type qui faisait partie de la collection Pellerin et qui a disparu depuis sa dispersion (le Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale n'en possède aucun exemplaire). Ce type, très rare, a été incontestablement frappé, non seulement après la mort de César, comme DFVOS l'indique, mais après les premiers types de Tibère, comme nous le verrons par la suite.
I - SES QUALITÉS CICÉRONIENNES 1 - L'homme réfléchi Si nous nous en référons aux œuvres contem poraines d'Auguste ou aux historiens qui ont
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cherché à nous dépeindre le plus exactement possible l'empereur, il est certain que nous som mes frappés par les nombreux traits qui font d'Auguste un homme sensé, réfléchi, pesant en toute occasion le pour et le contre avant d'agir, maîtrisant ses impulsions quand la nécessité s'en fait sentir. De multiples textes nous le montrent sous ce jour. C'est ainsi que Suétone nous pré sente en Auguste un chef militaire conscient de ses devoirs, de ce que devait être un perfectus dux, un adversaire résolu de la hâte et de la témérité2. Pour appuyer cette attitude et mont rer qu'il la prenait consciemment, le princeps citait la maxime grecque : « Σπεύδε βραδέως », ou bien les paroles de Polynice : «'Ασφαλής γάρ έστ'άμείνων η θρασυς στρατηλάτης»3. Peser le profit qu'on peut tirer d'une guerre, ne pas hasarder beaucoup pour gagner très peu, fa isaient partie des préceptes qu'il appliqua à sa vie. Cette prudence éclate dans nombre de ses actions. Découragé, malade, il est prêt à aban donner le pouvoir; mais, après mûre réflexion, il préfère le conserver, car il s'est aperçu que les solutions de remplacement étaient pires non seulement pour lui, mais surtout pour l'État dont il devait garantir la sécurité dans le présent et pour l'avenir4. Cette réflexion argumentée et adaptée à chacune de ses actions fut bien un des traits caractéristiques d'Auguste qui frappèrent ses contemporains. Lors des moments les plus difficiles et les plus décisifs de sa vie, comme à Actium, il nous est montré comme le plus réflé chides protagonistes. Dans une de ses célèbres Odes Romaines, Horace souligne que le triomphe d'Octave est celui de l'intelligence sur la force démunie de consilium, de la force tempérée par la réflexion et la raison sur la fureur aveugle :
« Vis consili expers mole mit sua; Vim temperatane Di quoque prouehiint In maius; »5 C'est un aspect de sa personnalité que Cicéron lui-même lui avait reconnu très tôt : «C. Cae sar adulescens, paene potius puer, incredibili ad diuina quadam mente atque uirtute . . . »6. Très habilement ici, l'Arpinate oppose mens et puer; comme nous l'avons vu, la raison et la capacité de réflexion ne viennent qu'avec l'âge. Montrer un adulescens, non un puer, et Cicéron en employant ici ce mot renforce l'admiration qu'il veut faire partager à tous pour le jeune Octave, qui sache utiliser mens, c'est lui assigner dans l'État une place de premier plan, au milieu de ceux à qui l'expérience et l'âge ont apporté la même faculté7. Dans cet épisode, nous retrou vonsmis en valeur le triomphe de l'intelligence. Sans que le mot soit prononcé, nous voyons à l'évidence que Cicéron aurait pu appliquer à Octave la dénomination de prouidus adulescens. D'ailleurs, la présence à côté de mente du mot uirtute ne fait que renforcer cette idée8.
2 Suét., Aug., XXV, 5 : «Nihil autem minus in perfecto duci quam festinationem temeritatemque contienne arbitrabatur». 3 Eur., Phénic, 612. 4 Suét., Aug., XXVIII, 6 : « Tutam nero . . . etiam in posterum praestitit ». 5 Hor., Carni., Ill, 4, 65 sqq. Cf. F. de Visscher, Auguste, restaurateur de l'ordre, dans Rev. Gén., LXXI, 1938, p. 490 et 498. A. La Penna, Orazio e l'ideologia del Principato, Turin, 1963, p. 55 et 60. 6 Phil., Ill, 2, 3. 7 C'est pourquoi d'ailleurs il ne faut pas traduire mente par «inspiration», comme le font A. Boulanger et P. Wuilleumier, dans la collection des Universités de France, Cicé ron, Discours, t. XIX, 1959.
Cela voudrait dire que le jeune homme n'est pour rien dans l'action qu'il entreprend et les décisions qu'il prend. Il est bien entendu que la proximité du mot diuina semble devoir entraîner à cette traduction; mais ce serait fausser le sens profond. Diuina ne signifie pas plus ici que «hors du commun», «semblable à celle des dieux». Et il est normal de le comprendre ainsi, puisque un jeune homme de 19 ans ne devrait pas avoir une telle capacité de réflexion. Dans le même sens, nous devons écarter le commentaire de A. La Penna, op. cit., p. 79, qui veut que dans ce passage Cicéron donne à Octavien une auréole religieuse. 8 En Phil., Ill, 4, 8, Cicéron reparle de la uirtutem Caesaris. 9 H. Markowski, De quattuor virtutïbus Augusti in clupeo
2 - VlRTUS En effet, uirtus est un des éléments-clés de l'idéologie, ou de la mystique augustéenne, telle qu'elle s'est affirmée peu à peu au cours des guerres civiles et de son règne. Virtus apparaît, officiellement, dès 26 av.J.-C, sur le fameux bouc lier d'or placé dans la Curie. Il célèbre quatre vertus cardinales qui sont, par l'originalité de leur groupement9, la preuve d'un choix réfléchi : «et clupeus aureus in curia lidia positus, quem mihi senatum populumque Romanum dare uirtutis
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clementiaeque iustitiae et pietatis. caussa testatum est per eins clupei inscriptionem » 10. Virtus repré sente ici l'ensemble des qualités du chef, surtout dans le domaine militaire; le fait que ce soit un bouclier qui porte le nom de la uirtus incline à privilégier cet aspect. Mais c'est aussi la qualité de tout dirigeant; c'est bien ainsi que Cicéron comprenait la uirtus11. Le clipeus uirtutis12 fut représenté sur de très nombreux monuments; Arles en possède une réplique en marbre avec une inscription rappelant le sens de cet objet honorifique13. Les monnaies elles-mêmes en furent le reflet puisque, dans une série de deniers frappée sur l'ordre du triumuir monetalis L. Aquillius Florus en 18 av. J.-C.14, les avers portent le buste de Virtus15. Les écrivains augustéens ne furent pas en reste pour vanter, directement ou par simples allusions, la uirtus du princeps, et ce dès les premiers temps de sa domination sur Rome. Virgile fait allusion à la «vertu italienne»16; plus précis, Horace s'adresse directement à Auguste et lui attribue la uirtus en le comparant aux héros du passé17, en montrant que le mérite ne doit pas être reconnu seulement en fonction des années18. Ce thème est repris par Ovide19. D'ail leurs ces deux mêmes poètes insistent sur le fait que ce sont les uirtutes du prince qui le font
grand et qui le placent au-dessus des autres hommes : «Quae cura Patrum, quaeue Quiritium, Plenis honorum muneribus tuas, Auguste, uirtutes in aeuum Per titulos memoresque fastus Aeternet. ? »20
aureo ei dato inscrìptis, dans Eos, XXXVII, 1936, p. Ill et 124. Il n'a trouvé qu'une seule fois le même groupement dans une oraison funèbre attique en l'honneur des citoyens morts à la guerre. 10 Res Gestae, 34, 2. 11 Cf. supra, p. 48. 12 Le clipeus est une image du cosmos. Cf. H. P. L'Orange, Studies on the Iconography of Cosmic Kingship in the Ancient World, Oslo, 1953, p. 90-91, W. Seston Le «clipeus uirtutis» d'Arles et la composition des «Res Gestae Divi Augusti», dans CRAI, 1954, p. 286-297. »Ann. Ep., 1952, n° 165. 14 H. Mattingly, dans BMC, I, p. XCVI. 15 Id, ibid., p. 7, n° 36-37 et p. 8, n° 43-44. C'est tout au moins le nom que Mattingly donne à cette tête couverte d'un casque orné d'une plume. Elle symbolise le guerrier et, peut-être, la vertu guerrière, mais il nous faut rester prudent dans la dénomination. Il est vrai que cette même année, un autre membre du triumvirat, M. Durmius, fit frapper des aurei et des deniers avec la tête a'Honos et l'inscription HONORI qui ne permet aucun doute {BMC, I, p. 10-11, n° 51 à 58). Or nous connais sons l'intérêt qu'Auguste a porté à Honos et Virtus en chan geant la date des jeux qui leur étaient consacrés (Dion Cass.,
LIV, 18). Son attachement semble aussi fort que celui qu'avait montré César à leur égard (cf. St. Weinstock, Divus Julius, p. 232-233). 16 Enétd., XII, 827 : «Sit Romana potens Itala uirtute propago». 17 Hör., Carm., IV, 15, 29. 18 Id, Epitr., IL 1, 48. 19 Ovid., Ars Amat., I, 184 : «Caesaribus uirtus contigli ante diem ». 20 Hör., Carm., IV, 14, 1-5. Dans le même sens, Ovid., Pont., Π, 8, 23. 21 J. Béranger, Pour une définition du Principat. Auguste dans Aulu-Gelle, XV, 7, 3, dans REL, XXI-XXH, 1943-1944, repris dans Principatus, Genève, 1973, p. 155. La uirtus est d'ailleurs cautionnée par l'ordre des dieux: cf. J. M. André, Les «Odes Romaines», mission divine, «otium», et apothéose du chef, dans Hommages à M. Renard, I {Coll. Latomus, CI), 1969, p. 33. 22 Virtutis clementiaeque forme un groupe par rapport aux deux autres vertus indépendantes l'une de l'autre. Pour insister sur cette liaison étroite, Auguste n'a pas hésité à construire sa phrase peu correctement; cf. H. Bardon, Les Empereurs et les Lettres Latines d'Auguste à Hadrien, Paris, 1968, p. 60, n. 1.
Nous pouvons d'ailleurs noter ici une nette évolution. Le terme uirtus a gagné en poids, en «épaisseur»; il est sorti du seul domaine militai re et n'est plus uniquement la qualité attachée à une race guerrière. Horace et Ovide en ont fait le mérite et la dignité que doit revêtir tout chef d'État romain, comme déjà Cicéron l'avait pensé et démontré21. Pour la sauvegarde de Rome, il faut en conserver toute la uirtus originelle et il est normal que le prince en soit le dépositaire et l'utilisateur prééminents. 3 - Clementia et iustitia Liée directement et étroitement22 à uirtus sur le bouclier d'or, nous trouvons clementia. Les actions entreprises par Auguste permettent de la mettre souvent en valeur; son utilisation a d'heu reuses conséquences aussi bien pour les enne mis qu'il a rencontrés sur sa route durant la
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guerre civile23, que pour ceux qui, après le réta blissement de la paix, se sont opposés à lui en fomentant des complots, comme Cinna24, ou en répandant des malveillances sur son compte, comme cet Aemilius Aelianus de Cordoue dont nous parle Suétone25, à qui Auguste pardonne des paroles pour le moins imprudentes. L'empereur lui-même s'attribue cette clémenc e si nous en croyons le discours que lui fait prononcer Dion Cassius devant le sénat, en 27 av. J.-C.26. La couronne civique qui est placée sur la porte de sa maison cette même année est le symbole de cette clémence, sauvegarde des citoyens27. Qu'elle fasse partie du domaine public ou des affaires privées28, c'est à elle qu'Ovide exilé fait appel. Étant donné la situa tion du poète, la peine très dure qu'il subit, son état d'esprit qui évolue entre le désespoir et le simple abandon aux réalités, il aurait pu en nier l'existence. Mais, tout au contraire, il s'empresse de flatter l'empereur; à deux reprises il montre que sa faute était telle qu'il a fallu toute la clémence d'Auguste pour ne lui infliger que cette condamnation à l'exil alors qu'il pouvait s'atten dre au pire29. Nous restons ici encore dans une atmosphère très cicéronienne sur beaucoup de points. Il n'y a donc aucun étonnement à trouver la iustitia liée à la dementia sur le dipeus uirtutis, comme elle l'est dans un passage du De Orator e30. L'importance de la iustitia est mise en valeur par l'érection d'un autel à la Iustitia Augusta, le 8 janvier 13 ap. J.-C. (sans doute dans un sanctuai re contenant la statue de cette vertu)31. Mais les
écrivains n'avaient pas attendu un si long temps dans le règne pour donner à la iustitia d'Auguste la place essentielle qui lui revenait depuis sa proclamation sur le bouclier d'or. Il est vrai que, durant tout son principat, Auguste s'est particu lièrement intéressé à la justice et à la façon dont elle était rendue; il sut toujours faire la part des choses et appliquer à chaque cas une justice adaptée32. Lui-même parfois s'intégrait aux tribu naux et participait aux délibérations en ne pre nant la parole que comme un juge parmi les autres33. Enfin, chaque fois qu'un de ses proches avait un problème avec la justice, il n'hésitait pas à aller le défendre comme il le fit pour Mécèn e34. De ce fait il est normal de voir, étant donné la portée morale et religieuse prise par iustitia, Ovide traiter Auguste de «prince si juste»35 et Horace faire de cette notion une des idées fon damentales qui composent le fil conducteur de son Carm., III, 336.
23 Laudatio Turiae, II, 7a; 19. Res Gestae, 3, 2 : à l'égard des citoyens et des nations étrangères; Ovid., Trist., V, 2, 35-36 : clémence après la victoi re. Cf. R. Syme, Le Révolution Romaine, Paris, 1967, p. 285 et 415. 24Sén., De Clem., VII-VIII; Dion Cass., LV, 22, 1. Cf. R. Syme, op. cit., p. 457-458. 25 Aug., LI, 3. 26 LUI, 6, 1 : επιείκεια est l'équivalent de dementia comme nous le montre la version grecque des Res Gestae. 27 Res Gestae, 34, 2 : «coronaque ciuica super ianuam meam fixa est ». De très nombreuses monnaies représentent cette couronn e. Cf. BMC, I, n° 35, 51, 126, 134, 139, 147 ... Cf. A. Alföldi, Insignien und Tracht der Römischen Kaiser, dans Die monarchische Repräsentation im Römischen Kaiserr eich,Darmstadt, 1970, p. 128-129. R. Syme, op. cit., p. 157. 28 Suét., Aug., LXVII, I: «Patronus dominusque non minus
seuerus quant facilis et clemens ...» 29 Trist., II, 125. Pont., II, 2, 119. 30 Cic, De Oral, II, 343 : « Virtus . . . habet pluris partis . . . dementia, iustitia, benignitas, fides, fortitudo in periculis communibus ... ». 31 Fast. Praen., CIL, I2, 231. Peut-être une allusion dans Ovide, Pont., HI, 6, 24-25. Cf. J. Gagé, Res Gestae Divi Augusti, Paris, 1935, p. 163; Id, «Basileia». Les Césars, les rois d'Orient et les «Mages», Paris, 1968, p. 21. 32 Suét., Aug., XXXIII, 1-2. 33 Dion Cass., LV, 34, 1-2. 34 Dion Cass., LIV, 30, 4. 35 Ovid., Trist., IV, 4, 11-12. 36 D. Norberg, La divinité d'Auguste dans la poésie d'Horace, dans Eranos, XLIV, 1946, p. 389. 37 Premier Édit de Cyrène dans l'édition F. de Visscher, Les édits d'Auguste découverts à Cyrène, réimpr. Osnabrück, 1965, p. 18-19 et 4647.
4 - Moderatio Le respect de la justice et l'exercice de la clémence ont une conséquence dans le compor tement général du princeps et aboutissent, com me chez Cicéron, à définir son gouvernement comme «modéré». Cette modération est évident e dans toutes les affaires concernant la justice. Ainsi dans la réforme de l'organisation de la justice criminelle en Cyrénaïque37, pour laquelle Auguste, en 7-6 av. J.-C, prend toutes précau-
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tions et utilise la plus grande prudence dans la forme. Ainsi encore lorsque l'empereur participe directement à la justice; il le fait au milieu des autres juges, en présentant la défense de ses amis38, en se défendant lui-même alors qu'il est attaqué par le défenseur de l'accusé39. C'est à cette modération qu'Ovide fait désespérément appel depuis Tomis; Auguste ne pourrait-il enco re user de modération en atténuant les rigueurs de son exil, lui qui a déjà «mesuré» son cour roux en n'appliquant pas la peine de mort au poète?40. Auguste a toujours cherché à conserver cette mesure à l'égard des institutions de la res publica. Elle se traduit par un grand respect qui le pousse à voter lui-même, à sa place, dans sa tribu, comme un quelconque de ses conci toyens41. Il prend place sur sa chaise curule, au milieu des magistrats de l'année42. Et surtout, il montre le plus grand respect pour le sénat, après l'avoir épuré, il est vrai. Il participe à ses séances et laisse chacun s'exprimer avant de donner son propre avis43. Respectueux des déci sions du sénat, il en relève la dignité44. Nous retrouvons ici un trait fondamental de la pensée politique de Cicéron qu'il a exprimée à plusieurs reprises; elle est une des bases de sa construc tion politique45 parce qu'elle est garante de l'or dre et de la convenance46. Comme P. Grenade l'a très bien définie, cette moderano n'est pas un simple arbitrage entre forces antagonistes, mais aussi la conduite d'un gouvernement par l'adap tation aux conditions nouvelles et aux transi tionsnécessaires47. Quand Auguste refuse à plusieurs reprises le titre de dominus par lequel le peuple le salue48,
quand il le fait «avec horreur» (exhorruit) lors de jeux et quand il publie un édit .pour blâmer ces formes d'adulation49, il répond parfaitement à l'attitude que Cicéron voulait que son prìnceps observât. L'empereur veut être l'exemple même du bon gouvernement; il n'est donc pas éton nant de voir que, grâce à la renommée de sa vertu et de sa modération50, Indiens et Scythes envoient des ambassadeurs et entrent dans l'amitié du peuple romain, les Parthes cèdent l'Arménie et rendent les enseignes des légions de Crassus. C'est tout le gouvernement d'Auguste qui est «modéré» et aucun, dans l'histoire de Rome, ne l'a été autant que lui, comme le remar que Ovide : «Idque facis nec te quisquam moderatius unquam Impedì potuit frena tenere sui»51.
38 Dion Cass., LV, 4, 7. 39 Id., LIV, 3, 2-3. 40 Ovid., Trist., Ill, 8, 42-43. V, 2, 55 (= 2b, 1 1). 41 Suét., Aug., LVI, 2. 42 Dion Cass., LIV, 10,5. 43 Id., LV, 34, 1. 44 Id., LVI, 41, 5, Suét., Aug., LVI, 6. 45 Cf. De Rep., VI, 24. Cl. Nicolet, « Consul togatus ». Remarq uessur le vocabulaire politique de Cicéron et de Tite-Live, dans REL, XXXVIII, 1960, p. 236. 46 Cic, De Off., I, 15-17. 47 P. Grenade, Autour du De Republica, dans REL, XXIX, 1951, p. 167. 48 Dion Cass., LV, 12,2 (δεσπότης = dominus). 49 Suét., Aug., LUI, 1-2.
50 Id, ibid., XXI, 6: «Qua uirtutis moderationisque fama ... ». 51 Ovid., Trist., II, 41-42. Dans ce passage, Ovide compare la « modération » d'Auguste à celle de Jupiter. 52 Cf. Cl. Nicolet, art. cit., p. 262. Cf. supra, p. 59. Concordia ordinum : Cic, Pro Cluent., 152. Cat., IV, 15. Ad Ait., I, 14, 4; I, 17, 8 et 9; I, 18, 3. Concordia entre les armées : Cic, Ad Fam., XI, 13a, 4-5. Elle est proclamée à plusieurs reprises sur les monnaies de la fin de la République : vers 61 (Syd., n° 901), et en 55/54 (Syd., n° 926, 927-930). 53 Res Gestae, 34, 1. 54 Dion Cass., LUI, 5,4. 55 Cf. A. Alföldi, Die Geburt der kaiserlichen Bildsymbolik, dans Museum Helveticum, X, 1953, p. 116-117.
5 - CONCORDIA ET SES ASSOCIÉS Le résultat le plus éclatant d'une telle modér ation dans le gouvernement se trouve dans la concordia. Selon Cicéron, elle ne peut provenir que de concessions mutuelles donnant à chacun un rôle précis dans un ensemble désormais har monieux52. Cette union des volontés dans une communauté d'idées et de sentiments est direc tement recherché par Auguste; il en affirme la légitimité et l'importance quand il déclare avoir reçu les pouvoirs absolus du consensus uniuersorum53 ou lorsqu'il proclame devant le sénat, si l'on en croit Dion Cassius, la nécessité d'«une concorde à l'abri des séditions»54; incontestable ment, il y a là un ton cicéronien55. D'ailleurs,
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• DES ORIGINES À ΉΒΕΙΙΕ
avec l'argent récolté pour lui élever des statues, Auguste préféra faire ériger une représentation de Concordici56 et, sans doute, un autel57 à l'int érieur d'un sanctuaire qui pourrait être celui de Janus si nous suivons à la lettre ce que nous dit Ovide58. Cette concorde générale et unanime lui permit de recevoir le surnom de Père de la Patrie59; le calendrier de Préneste souligne la coïncidence de ce jour anniversaire, le 5 février, avec celui de Concordia in arce60; le rapproche ment ne peut être fortuit. Mais tout l'entourage du princeps participa à cette «croisade» en faveur de concordia. Tibère fit commencer, dès 7 ap. J.-C, la reconstruction du temple de la Concorde qui s'élevait sur le Forum depuis plusieurs siècles; sa nouvelle con sécration, en son nom et en celui de son frère Drusus, eut lieu le 16 janvier 10 ap. J.-C; la plupart des calendriers61 et des écrivains62 ment ionnent le fait. C'est M. Agrippa qui, dans une sentence que Sénèque nous a conservée, oppose concorde et discorde et montre les méfaits de cette dernière: «Nam concordia paruae res cres cimi, discordia maximae dilabuntur »63 . Quand il aborde le problème de la rivalité entre Romulus et Rémus, Denys d'Halicarnasse dénonce la dis corde64; le propos est clair, il répond aux mêmes nécessités du moment et exprime un semblable point de vue sur les choses. Cette concorde recherchée et affirmée à plu sieurs reprises au cours du règne, et qui tend à se substituer à pax65, est soutenue et renforcée par plusieurs autres notions qui lui sont intime mentliées. Nous les avons déjà trouvées dans les
mêmes dispositions dans les œuvres de Cicéron66. Ainsi fides, le respect qu'on doit avoir pour elle, le retour à ce respect abandonné durant les guerres civiles; c'est l'idée qu'exprime clair ement Horace dans le Carmen Saeculare :
56 Dion Cass., LIV, 35, 2. 57 Fast. Praen., CIL, F, 234, au 30 mars (11 av. J.-C). Cf. J. Gagé, Res Gestae . . ., p. 170. ™Fast., III, 881 : «Ianus adorandus, cumque hoc Concordia mitis». 59 Suét., Aug., LVIII, 1 : «repentino maximoque consensu». Cf. Ovid., Fast., II, 127. 60 CIL, F, 233. 61 Cf. en particulier, Fast. Praen., CIL, F, 231. 62 Ovid., Fast, I, 639, Dion Cass., LV, 8, 1; LVI, 25, 1. 63 Sén., Ep., XV, 94, 46. Agrippa parle ici des rapports privés, mais, bien entendu, sa sentence doit s'entendre en un sens beaucoup plus général et doit s'appliquer à tons les domaines où des hommes entretiennent des rapports avec leurs semblables. Cf. Sail., Jug., X, 6.
64 Ant. Rom., I, 85, 4. Cf. P. M. Martin, La propagande augustéenne dans les «Antiquités Romaines» de Denys d'Hali carnasse (liv. I), dans REL, XLIX, 1971, p. 174. E. Gabba, Studi su Dionigi di Alicarnasso. I. La costituzione di Romulo, dans Athenaeum, XXXVIII, 1960, p. 177-191, a bien montré que Denys avait doté la Rome de Romulus des vertus qui président à l'État augustéen : ευσέβεια, σωφροσύνη, δικαιοσύνη, ανδρεία. Toutes sont contraires à la discorde. 65 P. Jal, «Pax Civilis-Concordia», dans REL, XXXIX, 1961, p. 210-231. 66 Cf. supra, p. 55-56. 67 Hor., Carm. Saec, 57-59. 68 Id., Carm., IV, 5, 20-22. 69 Virg., Enéid., I, 292-296. 70 Cf. supra, p. 58. 71 Suét., Aug., XXXI, 5. Dion Cass., LI, 20, 4.
«lam Fides, et Pax, et Honos, Pudorque Priscus, et neglecta redire Virtus Audet »67 la même impression se retrouve dans cette Ode68 adressée à Auguste et dans laquelle le poète fait la louange de celui qui a réussi à rendre à Rome et aux Romains tout ce dont le bellum ciuile les. avait privés; il le félicite aussi d'avoir mis fin à des événements cruels, qui n'avaient apporté avec eux que discorde, décadence des mœurs, crimes. La Fides est revenue avec Auguste et a chassé le mal de Rome comme l'évoque aussi Virgile à travers les paroles que Jupiter adresse à Vénus : « Cana Fides et Vesta, Remo cum fratre Quirìnus iura dabunt; dirae ferro et compagibus artis claudentur Belli portae; Furor impius intus saeuasedens super arma et centum uinctusaenis post tergum nodis fremei horridus ore cruent o·»69. Salus se trouve dans le même cas; nous avons vu l'importance que Cicéron y avait attachée en tant que sauvegarde de la jouissance des droits civiques70. Dans sa politique de restauration des rites archaïques, et dans l'accent qu'il voulut mettre sur certains aspects de ces rites, Auguste rétablit la célébration de Yaugurium SalutL·71
AUGUSTE OU L'ABSENCE DE LA PROVIDENCE
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72 xxxvii, 24, 1. " Fast. Praen., CIL, V, 234 : 30 mars 11 av. J.-C. Ovid., Fast., Ill, 881. Dion Cass., LIV, 35, 2. 74 Res Gestae, 34, 2. "LUI, 16, 4. Cf. Aulu-Gelle, N. An., V, 6, 11: «Ciuica corona appellatur, quam ciuis cud, a quo in proelio seruatus est». 76 BMC, I, n° 134, 139, 147, 157, 165, 171, 175, 178,... (à partir de 23 av. J.-C). Cf. Ovid., Trist., Ill, I, 47-48 : «Causa superpositae scripto testata coronae Seruatos eines indicai hidus ope ». 77 LUI, 5, 4 : «ύμεΐς δε και σώζεσθε ». 78 Par exemple Hon, Carm., I, 12, 49 où l'auteur présente Auguste comme le gardien (custos) du genre humain. Il s'agit d'ailleurs d'un élargissement de la notion à l'ensemble des habitants du monde et, par là même, d'un dépassement du cadre de la citoyenneté. C'est encore, à ce moment, une vision personnelle. Ovid., Trist., II, 205, fait appel à Auguste pour qu'il l'élo ignéde Tomis, continuellement menacée par les incursions barbares, de façon à ce qu'il ne puisse tomber en servitude.
Le devoir d'un César est d'empêcher tout abaissement de la condition d'un citoyen. En Trist., II, 574, Ovide l'invoque en tant que «patriae . . . salus tuae». " BMC, I, n° 90. Cf. A. Alföldi, Die Geburt..., dans Mus. Helv., IX, 1952, p. 220. 80 Cf. supra, p. 57. 81 Cic, Ad Fam., XI, 7, 2: «in liberiate et salute populi romani conseruanda ...» : après l'assassinat de César (la let tre est de décembre 44). 82 Res Gestae, I, 1. ^CIL, VI, 1, 873: SENATVS POPVLVSQVE ROMANVS IMP CAESARI DIVI IVLI F COS QVINCT COS DESIGN SEXT IMP SEPT REPVBLICA CONSERVATA. 84 BMC, I, n° 691, 692, 693. Tétradrachme d'argent. Cf. G. Walser, Der Kaiser als Vindex Libertatis, dans Historia, IV, 1955, p. 353-367. 85 A. La Penna, Orazio e l'ideologia del Principato, Turin, 1963, p. 99-103. A. Magdelain, Aiictoritas Principis, Paris, 1947, p. 36 et sa théorie du priticeps-libérateur, «priuato consilio». Il est exagéré de dire, comme le fait J. M. André, Les Odes I
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d'un sentiment de l'époque augustéenne, puis que nous le retrouvons dans de nombreux passa gesdes œuvres des poètes de cette époque78. Cette sauvegarde est, en premier lieu, «con servatoire» de ce qui existe; les hommes d'abord, mais aussi les institutions et la cité, tel que cela est affirmée sur une monnaie de 16 av. J.-C. portant au droit l'inscription S(enatus) C(onsulto) OB R(em) P(ublicam) CVM SALVT(e) IMP(eratoris) CAESAR(is) AVGVS(ti) CONS(ervatam)79. Mais la conservation de l'État ne va pas sans le retour à la liberté et à l'exercice de cette liberté tel que l'a défini Cicéron80 et qui lui a permis de lier étroitement libertas à salus*1. Le retour à cette liberté est affirmé par Auguste lui-même dès le premier paragraphe de ses Res Gestae: «Annos undeuiginti natus exercitum priuato consilio et prillata impensa comparaui, per quem rem publicam a dominatione factionis oppressant in libertatem uindicaui»*2. Une inscrip tion officielle, érigée sur le Forum en 29 av. J.-C. reprend, à la fin de la guerre civile, cette idée de conservation de l'État qui n'a pu se réaliser que par la défense de la liberté83. Quelques monnaies présentent Auguste en tant que Vindex Libertatis, et cela dès 28 av. J.-C, sur une frappe d'Ephèse : IMP CAESAR DIVI F COS VI LIBERTATIS Ρ R VINDEX84. L'émission reprend ce qui dans Cicé ron liait securitas à libertas et libertas à princepsS5.
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dont les fondements et le sens restent encore assez mystérieux; si nous en croyons Dion Cassius72, il s'agit d'une sorte de divination à deux degrés permettant, dans un premier temps, de demander aux dieux si, dans un second temps, il sera possible de sacrifier pour le salut du peuple Romain; là semblent être le but et le sens de la cérémonie; elle paraît avoir eu, tout au moins à ses débuts, un caractère exclusivement militaire, puisqu'elle ne pouvait être célébrée en cas de guerre. À plusieurs autres reprises, le princeps affi rma cette nécessité de sauvegarder l'ensemble des citoyens. C'est en ce sens qu'il faut prendre deux mesures importantes si nous gardons cette optique : la mise en place d'une statue et d'un autel de Salus Publica, sans doute aussi dans l'enceinte du sanctuaire de Janus73. En outre, sans qu'Auguste en ait pris directement l'initiati ve, il reçut le droit de laisser à demeure, sur le linteau de la porte de sa maison du Palatin, la couronne civique de chêne74. Dion Cassius nous en donne le sens précis : «και το τον στέφανον τον δρύϊνον υπέρ αυτών άρτασθοα, τότε οι, ώς και τους πολίτας σώζοντι . . . »75. La sau vegarde perpétuelle des citoyens ainsi assurée fut aussi proclamée et répandue par de nomb reuses émissions monétaires avec l'inscription OB CMS SERVATOS76. C'est l'idée qu'exprime Auguste dans le discours que lui fait prononcer Dion Cassius77 ; il correspond bien à l'expression
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C'est le 5 février 2 av. J.-C. qu'Auguste reçut le titre de Pater Patriae donné par « le sénat, l'ordre
équestre et le peuple romain tout entier»91. Ce titre n'est en rien une création du moment, faite ad hominem; si nous en croyons les historiens latins, Camille déjà92 avait reçu officiellement ce titre, et ensuite Marius, Sylla et César93. Sans qu'il y ait eu ratification, Cicéron fut appelé, publiquement, par Q. Catulus, parentem patriae (parens ayant ici exactement le même sens et le même contenu que pater)94. L'expression fait d'ailleurs partie de son vocabulaire courant et il l'emploie souvent pour désigner ceux qui avaient su dans le passé ou avaient pu dans le présent préserver l'État et leurs concitoyens95. Il était normal, dans ces conditions, que la paix rétablie, sa position dans la République parfaitement affirmée, un mouvement de gratitu de générale donnât à Octave, puis à Auguste, ce titre qu'il n'avait pas réclamé. Avant même qu'il ne l'accepte, le cognomen lui fut accolé spontané ment; Horace nous en donne la preuve dès 27 av. J.-C: « Si quaeret pater urbitim Subscribi statuts, »96. Dion Cassius signale aussi que le titre lui avait été décerné sans aucun décret avant son accep tation officielle97 et Suétone indique avec une grande insistance que toute la ferveur qui a entouré Auguste s'est exprimée le plus clair ement dans ce cognomen98. Nous pouvons d'ailleurs remarquer que cette idée de consensus général et de concorde a peutêtre joué un rôle dans le choix du jour de désignation officielle, le 5 février; le calendrier de Préneste signale ce même jour l'anniversaire de Concordia in arce99. Nous pouvons considérer que dans l'esprit d'un Romain de cette époque l'expression pater patriae rassemble la plupart
Romaines . . . , p. 37, n. 2, qu'Auguste utilise la libertas comme un pis-aller et sans véritable conviction. D'ailleurs cette liber tasne fait pas seulement partie de l'idéologie césarienne comme le pense l'auteur. 86 Phil, XIII, 46. 87 Res Gestae, 34, 2. Sur le clipeus uirtutis. 88 R Syme, La révolution romaine, p. 155. 89 Id., Livy and Augustus, dans Class. Philol., LXIV, 1959, p. 60. 90 Prop., Ill, 22, 21-22 : «Nam quantum ferro tantum pietate potentes stamus : 91 Res Gestae, 35, 1; Fasi. Praen., CIL, I2, 233; Ovid., Fast., II, 127.
92 Tite Live, V, 49, 7. 93 Suét., Div. lui, LXXVI, 2: «Cognomen Patris Patriae». 94 Cic, Pis., 6; Pro Sest., 121; Ad Att., IX, 10, 3. Cf. J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique du principat, Bâle, 1953, p. 276-277. 95 Cic, Phil, XIII, 23 et 25; De Rep., II, 47. Cf. W. Seston, Germanicus, héros fondateur, PP, XIV, 1950, p. 178 et 180181. 96 Carm., IIL 24, 27-28. 97 LV, 10, 10. 98 LVIII, I: «Patris patriae cognomen uniuersi repentino maximoque consensu detulerunt et ». 99 CIL, I2, 233. La liaison entre Concordia et Pater Patriae est soulignée par K. Kraft, Zur Münzprägung des Augustus,
Mais il y a une condition à la conservation des vertus primitives qui ont fait la grandeur de Rome et la pérennité de ses institutions : la pos session de la pietas. C'est le trait que Cicéron avait remarqué dans la personne du jeune Octa vien: «Intellegit maximam pietatem conseruatione patriae continent. Octavien a retenu la leçon puisqu'il a lui-même introduit la pietas dans les vertus cardinales qui président à son pouvoir et à son gouvernement87. Il était normal de trouver mise en valeur une des qualités que le jeune Octavien avait affirmé dès le début de sa carriè re publique en recueillant l'héritage de son père adoptif et en donnant priorité à la vengeance88. Octavien a d'autant plus de facilité à la présenter comme le moteur de son action qu'Antoine représente aux yeux de l'opinion publique l'hom me qui l'a toujours parfaitement négligée89. La pietas est une condition essentielle d'un pouvoir90 «conservateur» ou «restaurateur» tel que celui d'Auguste, puisqu'elle présente un caractère archaïque prononcé, qu'elle exprime l'attachement religieux au passé familial, au pas séde la cité, à ses traditions et à ses rites; en outre, elle affirme le lien étroit qui existe entre celui qui est à la tête des Romains et les dieux; ce lien permet aux dieux d'établir leur protec tionsur le princeps et, à travers lui, sur tous les Romains. La piété rejoint sains et libertas dans un même ensemble qui trouve son expression la plus achevée dans une formule dont la postérité à Rome est éclatante et qui reste attachée à l'empereur : Pater Patriae. 6 - Pater Patriae
AUGUSTE OU L'ABSENCE DE LA PROVIDENCE des notions dont nous avons parlé jusqu'ici; sur ce plan Auguste rejoint parfaitement la pensée de Cicéron. Cette concorde générale s'exprime sur deux plans : le premier est celui de la sauve garde, de la sûreté et de la conservation. La meilleure expression en est fournie par une série monétaire espagnole des années 19/15 av. J.-C; l'avers porte une inscription significative : SPQR PARENT(i) CONS(ervatori) SVO100. Un père doit avant tout assurer la protection de ses enfants et l'association avec salus apparaît tout naturellement dans Ovide : «O pater, ο patriae cura sahisque tuae»m. C'est pourquoi il est aisé de rapprocher pater et princeps comme le font Horace102 et Manilius103. Le second plan sur lequel s'exprime la con corde, à travers la formule pater patriae, est celui de l'indulgence, du pardon, de la justice et de la clémence, toutes qualités dont nous avons déjà noté la présence reconnue en Auguste. Cet aspect avait été mis au premier plan dès la fin de la République; un exemple peut nous le mont rer, celui des monnaies de C. Cassutius Maridianus qui portent l'inscription CAESAR PARENS PATRIAE, et qui peuvent être mises en relation avec le temple de Clementia Caesaris104. Cette justice est faite d'autorité, comme celle du paterfamilias sur ses enfants105; mais aussi, et c'est le complément indispensable d'une autorité bien comprise et susceptible d'être respectée, elle doit faire place à l'indulgence; la capacité qu'il possède à pardonner est essentielle chez le pater patrìae106. Il est logique de voir Ovide, dans son triste exil, faire appel à l'indulgence du
dans Sitz, der Wiss. Gesalls. der J. W. Goethe-Univers. Frankfort/ Main, VII, 1968, n° 5, p. 242. Cf. A. Alföldi, Die Geburt.. ., dans Mus Helv., X, 1953, p. 116-117. 100 BMC, I, p. 69, n° 397 à 402. Ces monnaies ont été frappées avant l'officialisation du titre, mais tout le contenu en est déjà bien exprimé. Nous pouvons noter que J. Béranger, op. cit., p. 277 et A. La Penna, op. cit., p. 87, agissent avec trop de célérité en datant ces monnaies de 19 av. J.-C. Pour A. Alföldi, art. cit., IX, 1952, p. 212, elles ont été frappées en 18/17 av. J.-C. De plus, il vaut mieux ne pas dire, ce que fait J. Béranger, ibid, que « le Sénat et le peuple romain rendent grâce à Auguste », ce qui semble officialiser ce qui ne l'est pas encore. Cf. Cic, De Rep., II, 47. 101 Trist., IL 574.
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verain en lui donnant, dans son rôle de justicier, le titre de Père de la Patrie : «Ipse pater patriae quid enim est ciuilius ilio?» alors qu'il vient de l'appeler princeps tam iustus au vers précédent107. Un passage des Pontiques éclaire encore mieux et plus précisément ce sens sur lequel Ovide insiste. Après avoir montré ce parens disposé à la bonté et au pardon, il le présente comme un père qui gronde sans punir, qui, quand il punit, se punit lui-même et rend sa propre vie pénible, sauf dans quelques rares cas comme celui du poète lui-même qui a commis, à ses dires, une faute si importante qu'Auguste ne put contenir les effets de sa puissance108. Et puisque, comme nous le dit Dion Cassius, le surnom de Père oblige les souverains à aimer leurs sujets comme leurs enfants109, il n'est pas étonnant de rencontrer sur une frappe de Lyon un avers portant ce cognomen et un revers à l'image de L. et C. Césars devenus les fils adoptifs du Prince110. 7 - Auguste est-il le princeps cicéronien? Si nous nous arrêtions à ce point de l'étude, nous pourrions conclure à la presque parfaite conformité des idéaux de Cicéron et des réalisa tionspratiques, ou, tout au moins des mots d'or dre et de propagande lancés par Auguste dès le début de son pouvoir sur Rome. Nous nous placerions ainsi dans la lignée, ancienne déjà, de ceux qui veulent voir dans le premier princeps le simple exécutant du programme cicéronien111. Il
102 Carm., I, 2, 50. 103 Astr., I, 7. 104 Cf. A. Alföldi, art. cit., p. 113. Dion Cass., XLIV, 4, 4. 105 Tite-Live, XXVI, 22, 15; Dion Cass., LUI, 18, 3. Cf. W. Seston, art. cit., p. 178. 106 Sén, De Clem., I, 10, 3 (il parle d'Auguste). 107 Trist., IV, 4, 12. los Vont., II, 2, 115 : «Sec? placidus facilisque parens, ueniaeque paratus». Cf. Trist., II, 37. 109 Ibid. 110 BMC, I, p. 88-91, n° 513 à 543. Cf. K. Kraft, art. cit., p. 236, n. 3. 111 Meyer, Reitzenstein . . . Plus récemment, M. Schäfer, Cicero und der Prinzipat des Augustus, dans Gymnasium, LXrV, 1957, p. 310-335.
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est certain que la terminologie est semblable et que, comme l'a montré J. Béranger, Auguste a établi sa domination sur une doctrine construite comme l'aurait fait Cicéron112. Si nous voulions porter un jugement de valeur, pourrions-nous aller jusqu'à accepter les idées énoncées par P. Grenade? Il voyait dans le régime augustéen une «imitation» de la théorie cicéronienne et une diffusion de ses différents aspects, surtout dans la dernière décennie du règne113. Mais, en même temps, il voyait dans Auguste, «un disci pledévoyé» employant cyniquement un langage qu'il savait ne plus recouvrir les réalités que Cicéron aurait voulu voir naître114. Mais alors, et dans l'optique de notre travail, comment peut s'expliquer le fait que le terme et la notion de prouidentia ne se trouvent jamais employés officiellement durant tout le règne d'Auguste, comme nous le verrons par la suite? Or, dans Cicéron, uirtus, moderano, fides, salus sont liées, et souvent étroitement, à prouidentia. Alors que commence la diversification des repré sentations monétaires, pourquoi ne trouvonsnous jamais la prouidentia'? Pourquoi Auguste n'a-t-il pas été fait «homme providentiel»? Une telle absence montre bien qu'Auguste n'a pas été le simple exécutant des théories de Cicé ron. Faut-il aller aussi loin que R. Syme et consi dérer que dans l'action d'Auguste rien ne re ssemble au programme de Cicéron puisque le princeps a voulu se passer de l'appui de précé dents115? Surtout de l'appui d'un «idéaliste impénitent»116! L'identité partielle de vocabulair e et même parfois de sens profond de chaque mot utilisé à la fois par Cicéron et dans les écrits ou les documents officiels, est avant tout due à des coïncidences issues de l'ambiance générale. Cette dernière écarte l'imitation réfléchie, mais permet l'emploi du vocabulaire et des idées tra ditionnel es. Certains de ces mots, quelques-unes de ces idées sont, comme nous l'avons vu,
rieures à Cicéron117 qui était lui-même un hom meen grande partie tourné vers le passé118. Mais il ne peut y avoir que de simples coïnci dences. Si c'était le cas, prouidentia aurait pu, et même aurait dû, par le jeu du simple hasard, se retrouver dans le vocabulaire augustéen. Or, il n'en est rien. Auguste n'est pas le princeps cicéronien parce qu'il a eu la volonté de ne pas l'être; il n'a pas voulu assumer certaines notions qui ne lui avaient pas semblé suffisamment for tes ou «parlantes» pour sa réorganisation du pouvoir et de la res publica. En effet, l'empereur est allé chercher les bases de son pouvoir dans d'autres directions. Elles sont parfois peu «cicéroniennes » et, pour la propre personne d'August e, donnent au princeps des caractères très audelà de ceux que possédait celui du De Republica.
112 J. Béranger, Cicéron, précurseur politique, dans Principatus, p. 128. 113 Autour du De Republica, dans REL, XXIX, 1951, p. 176. 114 Ibid., p. 183. Idée à peu près semblable dans J. Bérang er,Dans la tempête: Cicéron entre Pompée et César (5044 av. J.-C), dans Principatus, p. 115. 115 R. Syme, La Révolution Romaine, p. 305.
116 P. Grenade, Essai sur les origines du Principat, Paris, 1961, p. 111. 117 A. Magdelain, Auctoritas Principis, Paris, p. 24-25. K. Scott, Notes' on Augustus' religious Policy, dans Archiv für Religionswissenschaft, XXXV, 1938, p. 128. 118 A. Oltramare, La réaction cicéronienne et les débuts du Principat, dans REL, X, 1932, p. 81. L'auteur va jusqu'à parler d'« utopie réactionnaire ».
II - SES QUALITÉS NOUVELLES 1 - L'infléchissement des qualités cicéroniennes En premier lieu, certaines des notions que nous venons d'étudier ont subi, sous Auguste, un infléchissement qui en a transformé le sens et les fondements. Ces transformations se font sou vent dans une ligne que les grands imperatores de la fin de la République, et tout particulièr ement César, avaient déjà tracée. a) Clementia. Le cas de clementia est particulièrement mar quant à ce sujet. Avec le déclenchement des guerres civiles, son utilisation est devenue un moyen de propagande qui permettait d'acquérir la popularité. La façon qu'a eue César de la
AUGUSTE OU L'ABSENCE DE LA PROVIDENCE proclamer, de la développer uniquement après les succès remportés sur ses adversaires pomp éiens, en a fait une «vertu» du vainqueur à l'égard du vaincu; elle est devenue une qualité réservée à celui qui a abattu son adversaire119. De là la grande méfiance de Cicéron envers cette dementia qui n'est jamais en rapport avec la véritable justice120. César peut bien faire procla mersa clémence sur des monnaies121, par la construction d'un temple122, il ne peut empêcher cette qualité de devenir un des aspects du pou voir du dominiis, du tyran123 et non plus celle du princeps, telle que Cicéron se la représentait. Il ne s'agit plus d'établir un équilibre dans l'État, mais de faire sentir à certains la force de celui qui les domine et de leur inspirer un sentiment de culpabilité qui annihile toute résistance pour l'avenir. Ce n'est pas sous cet aspect qu'Auguste a fait placer la dementia sur le dipeus aureus, mais personne ne pouvait éviter d'y rattacher l'héritage de César. Comment distinguer Y insi diosa dementia dont parle Cicéron124 de la uera dementia que Salluste invite César à pratiquer125 et qu'Auguste aurait voulu imposer à l'opinion? L'empereur ne le put entièrement, ce qui expli quela discrétion certaine dans l'emploi officiel du mot126, de façon à éviter toute interprétation dépréciative ou désobligeante.
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b) Concordia. Concordia, par rapport à ce qu'entendait Cicé ron, a subi aussi un infléchissement qui l'a élo ignée de la conception du grand orateur. Déjà César avait proclamé la Concorde comme une des dominantes de son pouvoir; mais, comme la clémence, elle était, chez lui, la résultante de la
guerre civile et de la victoire remportée. Il lui était facile d'affirmer son désir de concorde une fois ses adversaires éliminés et prétendre qu'il était le seul à l'avoir voulue; il pouvait alors lui faire élever un temple et faire célébrer en son honneur des jeux publics annuels127. Par cette attitude, César est devenu le représentant vivant de la concorde et son garant; elle reste attachée à lui et l'équilibre de l'État dépend désormais de sa présence. Cette personnalisation de la concord e, que Cicéron ne pouvait accepter sinon dans des cas d'extrême nécessité, mais certainement pas de façon permanente, se poursuit sous Auguste. Une inscription de Bétique, qui peut être datée du début du principat, donne à la Concordia le cognomen d'Augusta12*. La plupart des écrivains de l'époque, à part Horace qui n'emploie jamais le mot, associent la concorde au pouvoir personnel129. Quand, en 10 ap. J.-C, Tibère consacre en son propre nom et en celui de son frère Drusus, le temple de la Concorde, le monument est immédiatement appelé temple de la Concordia Augusta130. La Concorde est désormais accaparée par l'empe reuret par sa famille; c'est ainsi que dans le portique qu'Auguste avait fait élever en 7 v. J.-C. et à qui il avait donné le nom de son épouse, Livie fit ériger un temple de la Concorde qu'elle dédia à son mari, l'empereur131. La famille con fisquait la Concorde; cette cristallisation signifie à la fois, comme le remarque Ovide, l'union parfaite régnant dans le ménage, «quant caro praestitit ipsa uiro»132, mais aussi que la présence de ce ménage uni est la condition nécessaire à la concorde dans l'État; depuis Cicéron l'évolution est décidément bien grande133!
119 P. Jal, La guerre civile à Rome, Paris, 1963, p. 464468, M. Rambaud, L'art de la déformation historique dans les «Commentaires» de César, Lyon, 1953, p. 283-289. 120 Cic, Ad Att., VIII, 16, 2; X, 4, 8; Phil, II, 116: «suos praemiis, adversarios clementiae specie deuinxerat». '21 BMC Rep., I, n° 549. 122 Dion. Cass., XLIV, 6, 4 (après Munda). A. D. Nock, Σύνναος θεός, dans Harv, St. in class. Philol., XLI, 1930, p. 44. 123 Cic, Ad Fam., XV, 19, 4; lettre de Cassius à Cicéron. 124 Ad Att., VIII, 16, 2. 125 Ep. ad Caes., I, 4, 5. 126 II n'est jamais utilisé sur les monnaies de l'époque augustéenne.
127 Dion Cass., XLIV, 4, 5. 128 ILS, 3786: «AVGVSTO PACI PERPETVAE ET CONCORDIAE AVGVSTAE Q VIBIVS FELICIO SEVIR ET VIBIA FELICVLA MINISTRA TVTELAE AVGUSTAE DSP DD». 129 Ainsi Den. Haï., Ant. Rom., II, 11, 2. Ovid., Fast., I, 639-648. Sans lui donner le qualificatif d'Augusta, Ovide fait de Concordia une divinité vénérée personnellement par Auguste : «quam colis ipse». 130 L'expression est employée dans le calendrier de Préneste :C/L, I2, 231. 131 Ovid., Fast., VI, 637 sqq. 132 Id., ibid., 638. 133 Cf. M. Amit, Concordia. Idéal politique et instrument de propagande, dans Jura, XIII, 1962, p. 145-146, J. Béranger,
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DES ORIGINES À ΉΒΕΙΙΕ
Sains suit exactement le même processus qui la conduit à se retrouver associée à la personne d'Auguste. Les exemples sont encore plus frap pants, car le mouvement a été plus marqué, salus n'offrant pas toute une gamme d'interpré tations comme le faisaient dementia et concordia. S'il s'agit toujours de la sauvegarde générale de l'État et de l'ensemble du monde romain, cette sauvegarde passe obligatoirement par la personne du princeps dont il faut à tout prix assurer la survie. De là ces vœux, décrétés par le sénat et présentés tous les quatre ans «pro ualetudine mea », et les supplications continuelles des particuliers, comme Auguste l'indique luimême134. La même liaison entre les vœux officiels et les initiatives privées est soulignée par Suéton e135. Une inscription de consécration, de Rome, de I ap. J.-C, est réalisée par un magister uici pour le salut de l'empereur136. À plusieurs repri ses,Ovide fait appel à ce salut qui ne peut venir que de la sauvegarde du princeps lui-même137. Mais dans ce domaine, le trait le plus significatif se trouve certainement dans les uota publica et les émissions monétaires qui leur sont associées. En 16 av. J.-C. furent engagés des uota suscepta pro salute et reditu Augusti, à un moment où l'empereur était parti avec Tibère pour la Gaul e138 et où un incendie et des prodiges avaient rempli Rome d'effroi. Plusieurs frappes monétair es, au nom de L. Mescinius Rufus, rappellent cet épisode avec l'inscription V(ota) P(ublica) S(uscepta) PR(o) S(alute) ET R(editu) AVG(usti) 139 ou avec une inscription plus explici te encore V(ota) S(uscepta) PR(o) S(alute) IMP(eratoris) CAE(saris) QVOD PER EV(m) R(es) P(ublica) IN AMP(liore) ATQ(ue) TRAN(quilliore) S(tatu) E(st) 140. Il est possible de joindre à ces frappes des séries espagnoles
tant l'inscription VOT(a) SVSC(epta) PRO SAL(ute) CAES(aris) AVG(usti)141 ou VOT(a) P(ublica) SVSC(epta) PRO SAL(ute) ET RED(itu)142. Un dernier exemple doit nous montrer l'i mportance attachée à cette notion de salus dans sa relation directe à la personne de l'empereur. Il se trouve dans les fameux Édits de Cyrène, très bien datés de la XVIe puissance tribunicienne d'Auguste, entre le Ier juillet 7 et le Ier juillet 6 av. J.-C. Dans le second édit, nous voyons trois citoyens romains installés en Cyrénaïque, en voyés à l'empereur par le gouverneur de la pro vince : « επειδή έατούς ούτοι, ο προς την έμήν σωτηρίαν τά τε δημόσια πράγματα άνήκεν », « pour le motif que ceux-ci avaient déclaré avoir connaissance de quelque chose intéressant mon salut et la chose publique...»143. Σωτηρία est bien dans ce texte l'équivalent du latin salus. Il nous importe peu ici de savoir ce qui pouvait menacer le salut de l'empereur144; l'important est de voir que sur un tel sujet, le gouverneur de la province prend les plus grandes précautions et préfère envoyer les accusés à l'empereur, lai ssant à ce dernier le soin de prendre une décision après sa propre instruction. Une telle attitude marque bien l'importance prise par la salus du prince; la vie de ce dernier, sa santé, sont les garants de la vie et de la sauvegarde de la cité et du monde romain. L'infléchissement vers la per sonnalisation de cette ancienne notion est enco re plus accentué que celui que nous avions noté pour dementia ou concordia. Ces aspects nouveaux développés, consciem ment ou non, par Auguste, l'éloignent considéra blementde la conception du prìnceps cicéronien. Il n'est donc pas étonnant que prouidus n'ait pas été employé, puisque le mot ne pouvait plus être la parfaite expression de la uirtus d'Auguste. Mais l'évolution ne s'est pas arrêtée à ce point. En effet, le princeps a mis en valeur d'autres
Remarques sur la Concordia dans la propagande monétaire impériale et la nature du Principal, dans Principatus, p. 370373. 134 Res Gestae, 9, 1-2. 135 Suét., Aug., LIX. 136 ILS, 3090. Cf. A. von Premerstein, Vom Werden und Wesen des Prinzipats, Munich, 1937, p. 126 et n. 3. 137 Trist, II, 206; Pont., II, 3, 98. 138 Dion Cass., LIV, 19, 7. Cf. H. Mattingly, The Imperial
«Vota», dans Proc. Brit. Acad., 1950, p. 156. 139 BMC, I, p. 17, n° 88, 90. Rome. 140 Ibid., n° 91 à 94. Rome. 141 Ibid., p. 74, n° 430. 142 Ibid., p. 76, n° 437 à 442. 143 Ligne 45. Texte et traduction dans F. de Visscher, Les Edits d'Auguste découverts à Cyrène, Bruxelles, 1940, p. 20-21. 144 À ce sujet, voir la discussion dans F. de Visscher, op. cit., p. 80-86.
c) Salus.
AUGUSTE OU L'ABSENCE DE LA PROVIDENCE qualités introuvables dans le prìnceps cicéronien, et dont il nous faut rechercher l'origine chez les imperatores. et, tout particulièrement, chez sar.
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Le cas le plus évident, et qui a depuis long temps déjà fait l'objet d'études approfondies, est celui de Victoria145. Le Principat est né de la guerre et ce caractère militaire originel est resté un des traits les plus constants; il se place au premier plan dès les débuts de la domination augustéenne. Nous sommes loin ici de la recher che cicéronienne du consensus qui élève à la direction de la cité l'homme qui s'impose aux yeux de tous par ses qualités. Même si dans cet aspect victorieux il existe un fond venu direct ementdu vieux droit des auspices, il ne pouvait être question pour Cicéron que la guerre civile, impie par excellence, permît l'accession au pou voir du princeps. La tendance n'était pas nouvelle, et Cicéron l'a combattue de son vivant. La Victoria s'est attachée à Sylla et on a pu parler en son temps de Victoria Sultana avec, à dater de 81 av. J.-C, des jeux annuels du 27 octobre au Ier novemb re146. L'imperator détient la victoire, il en est le dépositaire exclusif; elle l'accompagne dans tou tes ses entreprises. C'est elle qui fonde son pouv oir. La leçon est suivie par César, autorisé à porter en tout temps la pourpre et le laurier du triomphateur147. Des jeux sont organisés pour célébrer ses victoires148 et cinquante jours de
supplications sont organisés par le sénat à la nouvelle de Munda149. Octavien, héritier de César, a utilisé le même moyen de domination et d'affirmation de son pouvoir. Lui aussi eut toujours la possibilité de porter la couronne et la toge triomphale150. Il fut vingt-et-une fois salué imperator151 ; ses triom phes furent célébrés par tous les écrivains de son temps et dans les termes les plus éclatants et les plus flatteurs152, à l'image de ce que furent les cérémonies elles-mêmes153. Le rattachement de la victoire à la personne d'Auguste est particulièrement souligné par les mentions contenues dans les calendriers de Préneste et de Cumes154 : le 30 mars, le 14 avril, le 1er août, les 13, 14 et 15 août, le 2 septembre et le 3 du même mois. Auguste lui-même n'a garde d'oublier, dans ses Res Gestae, les 55 séries d'ac tions de grâce qui ont duré 890 jours et les neuf rois ou fils de rois qui ont été exposés dans ses triomphes155. Les monnaies reprennent et amplif ientle thème de la Victoire; il est, de loin, le plus abondant de la numismatique augustéenne, mais sans qu'il y ait le nom de la Victoria inscrit sur les pièces. Sur les frappes de Rome, la Vic toire se présente en buste156 ou en totalité, sui vant un type déjà courant, ailée et portant cou ronne de laurier et palme157 ou avec un globe et une corne d'abondance158. Les ateliers provin ciauxsuivirent la même politique de frappe : dans la Colonia Augusta Emerita, à Lyon, en Cyrénaïque et dans les ateliers orientaux d'Ephèse et de Pergame159. Enfin Auguste a voulu rendre éternel le lien qui le tenait étroitement attaché à la Victoire; il
145 L'article fondamental est celui de J. Gagé, La théologie de la Victoire impériale, dans Rev. Hist., CLXXI, 1933, p. 1-43. 146 Cf. J. Carcopino, Sylla ou la monarchie manquée, Paris, 1950, p. 116-117. 147 Dion Cass., XLIII, 43, 1. Cf. M. Reinhold, History of Purple as a Status Symbol in Antiquity {Coll. Latomus, CXVI), 1970, p. 45-46. '« Dion Cass., XLIV, 6, 2. 149 Id., XLIII, 42, 2. •so Id., LI, 20,2 et LUI, 26,5. Cf. Ovid., Trist., Ill, I, 35 sqq. 151 Une liste très précise en est donnée par T. D. Barnes, The Victories of Augustus, dans JRS, LXIV, 1974, p. 26. La première salutation, du 16 avril 43, est restée célébrée dans le calendrier de Cumes, CIL, I2, 236. 152 Hor., Epod., IX, 21-24 : «Io Triumphe! Tu moraris aureos Currus, et intactas boues?
Io Triumphe! Nee Iugurthino parent Bello reportasti ducem. » Carm., I, 2, 49; III, 5, 34; IV, 2, 49-50. '» Dion Cass., LI, 19,1; 21, 5-9. LUI, 1, 4. "*CIL, I2, 231-238 et 229. 155 Res Gestae, 4. 156 BMC, I, n« 97*, p. 19. 157 Ibid., n° 68, p. 12. 158 Ibid., n° 208*. p. 41 ; n° 224 et 225, p. 43. 159 Emerita: ibid, n° 293 à 303, p. 54-55. n° 316, p. 58. n° 340 à 343, p. 61. n° 403 à 409, p. 70-71. n° 424 à 426, p. 73. Lyon : n° 467, p. 80. n° 496, p. 85. n° 504-505, p. 86. Cyrénaïque: n° 686 à 688, p. 111. Orient: n° 592-593, p. 97. n° 602 à 604, p. 99. n° 615 à 623, p. 100-101. n° 647 à 649, p. 105. n° 671, p. 108.
2 - Les apports nouveaux a) Victoria.
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a fait élever dans la Curia Iulia une statue de la Victoria avec un autel pour son culte160. Dans certaines provinces, des mouvements spontanés élevèrent à cette Victoire des monuments, tels que l'autel de Tarragone en l'honneur de la pacification presque achevée de la péninsule ibé rique161. Très rapidement cet engouement, à la fois provoqué et spontané, fit de la Victoire une exclusivité de l'empereur et des membres de sa famille, seuls détenteurs possibles de la gloire militaire162, et bientôt de l'empereur seul. C'est ce que fait remarquer Dion Cassius à propos d'Agrippa qui renonça aux honneurs du triom pheà la suite de sa victoire dans le Bosphore Cimmérien. De cet épisode, l'historien grec date la délivrance des simples ornements triomphaux aux particuliers, même si la victoire est remport ée par eux sur le terrain163. Cette cristallisation de la Victoire sur un individu est parfaitement symbolisée sur une coupe à ombilic, trouvée près d'Annecy, et actuellement au Musée de Genève164. Le portrait d'Auguste, couronné des lauriers du triomphateur est au centre de la représentation; il est le sauveur et le maître du monde grâce à la victoire d'Actium qui est rap pelée par le nom d'Actius qui figure sur la coupe. D'ailleurs le feriale de Cumes note la pratique de supplications le 14 avril en l'honneur de la Victo ria Augusta165.
b) Pax. À la Victoire sont étroitement associées Concordia, sur laquelle nous ne reviendrons pas, et surtout Pax qui est la conséquence nécessaire des succès remportés. Il n'est donc pas étonnant 160 Le 28 août 29 av. J.-C. d'après Fast. Maff... CIL, I2, 225. Dion Cass., LI, 22, 1. 161 R. Etienne, Le culte impérial dans la péninsule ibérique d'Auguste à Dioclétien, Paris, 1958, p. 367 sqq. 162 R. Syme, op. cit., p. 381. 163 Dion Cass., LIV, 24, 8. Le dernier triomphe connu d'un particulier est celui de Junius Blaesus en 22 ap. J.-C, sous le règne de Tibère. 164 Cf. W. Deonna, La légende d'Octave-Auguste, dieusauveur et maître du monde, dans RHR, LXXXIII, 1921, p. 3336. D'après l'auteur, la coupe est contemporaine d'Auguste ou de très peu postérieure à sa mort. 165 CIL, I2, 229. Le calendrier a été gravé à l'époque d'Au guste.
de rencontrer de nombreuses manifestations de la Paix tout au long du règne d'Auguste. Là encore l'opposition avec Cicéron est forte, sinon fondamentale. Pour ce dernier, la paix ne peut survenir qu'avec l'accord général; pour Auguste, il s'agit de la paix octroyée à la suite de la victoire à l'exemple de ce que César avait fait166. Les victoires sur Sextus Pompée en 36 et sur Cléopâtre en 31 convertirent entièrement Octavien au programme tracé, dans ce domaine, par son père adoptif. Dès 28 av. J.-C. sont frappées à Éphèse des monnaies dont le revers représente Pax (une inscription confirme l'identification) tenant dans sa main droite un caducée167. Ce tétradrachme porte sur l'avers l'inscription LIBERTATIS Ρ R VINDEX; la paix est bien ici le fruit de la vengeance obtenue par les armes; elle s'exprime dans la libertas retrouvée dont Octavien est le seul garant. Dans cette commande officielle qu'a été le Carmen Saeculare, écrit par Horace pour les Jeux Séculaires de 17 av. J.-C, le poète proclame le retour de la paix dans l'univers romain168. Dans le même temps, Virgile se fait l'ardent propagand iste de cette paix enfin établie et qu'il peut comparer au retour de l'âge d'or169; il annonce le règne de la paix signifiée à tous par la fermeture des portes du temple de la guerre170. Mais c'est entre 13 et 9 av. J.-C. que fut atteint le point fort de cette politique voulue par Auguste lui-même. L'empereur a attendu pour l'officialiser d'en avoir terminé avec la pacifica tion de la péninsule ibérique et de la Gaule. Le 4 juillet 13, le sénat décida l'érection, dans la part ie nord du Champ-de-Mars, d'un autel monu mental de la Pax Augusta171. Le nom qui lui est donné nous montre une fois de plus l'individua166 Cf. les excellentes remarques de S. Weinstock, Pax and the «Ara Pads», dans JRS, L, 1960, p. 47. 167 BMC, I, n° 691 à 693, p. 112. Nous pouvons noter aussi les séries orientales, sans l'inscription PAX, mais avec une figure féminine tenant une branche d'olivier et une corne d'abondance que Mattingly appelle Pax: 605 à 608, p. 99 (deniers). 168 Hor., Carm. Saec, 57. 169 Virg., Éneid., VI, 789 sq.; IX, 641 sq. 170 Id, ibid., I, 289 sq. Le temple de Janus fut fermé trois fois durant le règne : Res Gestae, 13. 171 Res Gestae, 12, 2. La date précise est donnée par divers calendriers : Fast. Amitern., CIL, I2, p. 244.
AUGUSTE OU L'ABSENCE DE LA PROVIDENCE lisation de la notion et sa cristallisation sur l'em pereur, ce qui est logique puisqu'elle est la con séquence de Victoria, elle aussi dénommée Augusta. Cet autel fut dédicacé solennellement le 30 janvier 9 av. J.-C. 172 et connut dès cette année des sacrifices annuels auxquels les frères arvales semblent avoir participé dès le règne d'August e173. Entretemps, le 30 mars 11 av. J.-C, l'empe reuravait fait élever un autel et une statue de Pax, sans doute dans l'enceinte du sanctuaire de Janus174. Ces années sont l'époque de pointe du développement de la propagande pacifique fai sant de l'empereur un pacator orbis; ainsi le voit Ovide quand il fait allusion aux fêtes annuelles à l'Ara Pacis : «Pax, ades et toto mitis in orbe mane!»175. Il exprime la même idée quand, dans son exil pourtant si éloigné de Rome, il est dans la paix grâce à la puissance du princeps176. La paix que décrit Tibulle et qu'il magnifie est bien celle qui fut apportée par Auguste et qui fut conservée dans le monde romain grâce à la présence de l'empereur, seul garant possible de cette paix : « Interea Pax arua colat : Pax candida primum duxit araturos sub iuga curua boues; Pax aluit uites et sucos condidit uuae, f underet ut nato testa paterna merum; Pace bidens uomerque nitent, at tristia duri militis in tenebris occupât arma situs. At nobis, Pax alma, tieni spicamque teneto, praefluat et pomis candidus ante sinus»177. e) Fortuna et Félicitas. Fortuna et Félicitas complètent l'aspect mili taire étudié ci-dessus. Auguste lui-même nous le 172 Sacrifices annuels soulignés par tous les grands calen driers : Fast. Praen., CIL, I2, 232. Dans le feriale de Cumes, liés à des supplications pour l'imperium d'Auguste. 173 Henzen, Acta fratrum arvalium, p. XLI-XLVII. Le frag ment est de l'époque de Caligula; bien qu'il n'existe aucun autre fragment pour cette date, ce ne peut être Caligula le créateur de la cérémonie. 174 Avec les statues de Concordia et de Salus : Dion Cass., LIV, 35, 2. Fast. Praen., CIL, I2, 234. 175 Fast., I, 712. 176 Poni., II, 7, 67. 177 Tib., I, X, 45-50 et 67-68. 178 Res Gestae, 11. 179 Hon, Carm., Ill, 14 (retour d'Espagne); Dion Cass., LIV,
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confirme en rappelant que la «Fortune du Retour» a été célébrée à Rome lors de son retour de Syrie178. C'est à elle, et à la joie qui a accompagné le retour de l'empereur, que font allusion Horace et Dion Cassius179; les calen driers font mention, à la date du 12 octobre, de la fondation, et à la date du 15 décembre, de la dédicace de l'Ara Fortunae Reducis, en 19 av. J.-C.180. La cause immédiate de l'érection de cet autel, mais aussi bien d'autres indices prouvent la liaison avec le contexte militaire et victorieux; ainsi l'endroit où l'autel est élevé, «près de la porte Capène, devant le temple de l'Honneur et de la Vertu»181; or, Honos et Virtus sont des divinités liées étroitement à l'armée et à ses chefs182. Cette même année 19, Q. Rustius illus trace retour par des séries monétaires d'aurei et de deniers sur l'avers desquels étaient représent ées les têtes de Fortuna Victrix et de Fortuna Felix; le revers des deniers portait la représentat ion de l'autel, celui des aurei montrait la Victoi re ailée tenant un bouclier183. Dans le même temps, le monnayage espagnol, peut-être de la Colonia Patricia, développait le type de l'autel marqué de FORT RED184. Cette Fortune «Victo rieuse» et «Heureuse» est, bien entendu, celle d'Auguste lui-même; elle lui est attachée comme la Victoire, comme la Paix. Un trait le montre sans aucune ambiguïté et l'empereur a soin de le souligner; le jour de la fondation de l'autel fut appelé Augustalia185 et des jeux eurent lieu tous les ans, à partir de 11 av. J.-C.186. Les rapports qu'entretiennent Fortuna et Féli citas ont déjà été soulignés par d'autres, et nous en trouvons bien des exemples chez Cicéron lui-même187. L'époque augustéenne voit un ren forcement de ces rapports; elle est d'ailleurs
10, 3 (cf. LUI, 5, 4). noCIL, I2, 229 (Cumes); 245 (Amiternes), au 16 déc. 181 Res Gestae, ibid. 182 Cf. l'action de Marius en faveur d'Honos et de Virtus. 183 BMC, I, n° 1 à 4, p. 1-2. l**Ibid., n° 358 à 361, p. 63-64. 185 Res Gestae, ibid. 186 J. Gagé, Res Gestae Divi Augusti, p. 183. 187 Cf. G. P. Calasso, Appunti sul concetto di «Félicitas», dans Atene e Roma, VII, 1962, p. 27-28. Cic, Pro Mil., 33; Pro Font., 43; Ad Fam., I, 9, 7. lei Cicéron cite les paroles de Vatinius qui applique la formule à César; et Cicéron ne reprend pas l'ensemble à son compte.
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marquée par le poids plus important donné à Félicitas qui apparaît comme la conséquence nécessaire de la protection accordée par la FortunalS8. Le terme felix est un des plus employés de la langue latine et peut être appliqué à beau coup de choses, surtout quand il n'a que l'aspect descriptif d'un état de plénitude heureuse. Mais il a pris très vite une composante religieuse qui l'a peu à peu emporté sur la composante simple mentdescriptive189. Alors il peut être appliqué à des divinités et à ceux qui sont protégés par une ou plusieurs divinités : l'armée et le peuple romain, l'État romain, mais aussi ceux qui, com meSylla d'abord, qui prend le cognomen de Felix en 82190, César ensuite, dirigeant la Républiq ue191. Auguste ne pouvait que renforcer la tendance apparue à l'époque de Sylla et qui faisait de Félicitas une qualité lui appartenant en propre et dont il avait l'exclusivité. Cependant les dévelop pements restèrent modestes, sans doute parce que le titre a'Augustus fournissait au princeps, entre autres, tout le contenu du cognomen Felix192. Il existe deux allusions nettes à la Félici tasattachée à Auguste; la première se trouve dans le calendrier de Cumes où, à la date du 16 avril, il est question de supplications décrétées à Félicitas imperii 193; il s'agit de la célébration de l'anniversaire du jour où pour la première fois, Octavien a été salué imperator, le surlendemain de la victoire de Modène sur les troupes d'Antoi ne. Il s'agit bien de la Félicitas liée à la Victoire d'Octavien en personne; c'est dire qu'il a obtenu cette Victoire, et le titre a' imperator qui en a découlé, par la protection et la volonté des dieux. La seconde allusion est moins évidente et sûre, puisqu'il s'agit de paroles rapportées par Suétone; Valerius Messala, au nom du sénat et du peuple romain, salue Auguste en tant que «Père de la Patrie» et déclare: «sic enim nos perpetuam felicitatem rei publicae et laeta huic
precari existimamus »194 ; Si, dans cet épisode, il ne semble pas que félicitas soit directement liée à la personne d'Auguste, le fait est dû à ce que ce dernier sert d'intermédiaire obligé entre les dieux et les hommes; il permet aux Romains de bénéficier de la protection divine exprimée dans félicitas, et ceci pour l'éternité. Mais le sens en est le même; sans la présence d'Auguste cette félicitas ne saurait exister et ne pourrait agir dans le sens d'un consensus général.
188 Rhét. ad Her., IV, 20, 27. 189 G. P. Calasso, art. cit., ibid. 190 J. Carcopino, Sylla ou la monarchie manquée, p. 107112. 191 A. Alföldi, Insignien und tracht der Römischen Kaiser, in Die monarchische . . ., p. 207. 192 Cf. J. Carcopino, op. cit., p. 112. Pour un répertoire, L. Zieske, «Félicitas». Eine Wortuntersuchung, dans Hamb.
Philol. St., XXIII, 1972, p. 187 à 253. 193 CIL, I2, 229: «Eo die Caesar primum imperator appellatus est. Supplicatio Felicitati imperi». Ovid., Fast, IV, 675. Cf. J. Gagé, La «Victoire Auguste» et les auspices de Tibère, dans Rev. Arch., XXXII, 1930, p. 2. 194 Suét., Aug.., LVIII, 2. 195 Ovid., Pont., II, 2, 92.
3 - LA CRÉATION D'UNE AMBIANCE DIVINE a) La personne divine. Cette protection divine accordée à Auguste et reconnue par tous, donne au princeps un charis me, une grâce divine, qui le placent au-dessus des autres hommes et qui lui procurent, de son vivant même, un aspect divin bien éloigné désor mais du princeps cicéronien. Il n'est pas dans notre propos de reprendre dans ce développe ment toute la question de la divinité d'Auguste, de ses limites de son vivant; par contre nous essaierons de dégager quelques traits essentiels à une meilleure compréhension de la suite des événements, surtout après la mort du premier empereur. Étant donné que tout le monde reconnaît en Auguste un homme exceptionnel, il est normal de mettre en valeur ce qui, en lui, est de caractè re divin, son Genius et son Numen. Mais avant même leur exaltation, bien des démonstrations envers l'empereur avaient affirmé le caractère divin de sa personne. Ainsi, plusieurs de ses contemporains lui reconnaissent des aspects physiques qui ne peuvent être que ceux d'un dieu: la majesté de ses traits195, son regard étin-
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celant qui procure l'éclat à ce sur quoi il se pose196, qui apporte, comme celui de Phébus, la mort à celui qu'il fixe197, qui fait baisser les yeux en marque de soumission198. De ce fait, bien d'autres comparaisons avec les dieux furent élaborées à propos d'Auguste. Ovide le nomme caelestis uiri99, Horace le voit, comme Pollux et Hercule, au seuil des demeures étoilées, auprès d'eux, buvant le nectar des dieux200. Auguste est comparé à Jupiter car il est maître (rector) et père de la patrie comme Jupi ter est père et maître des dieux201. On doit honorer sa maison de la même façon qu'on le fait du Capitole202. Sur la coupe du musée de Genève, dont nous avons déjà parlé, Auguste est mis en parallèle avec Apollon et Mercure et apparaît, comme eux, vainqueur et pacificateur du monde203. Un nom donné à Octavien, le 16 janvier 27 av. J.-C, résume toute cette attitude, celui d'Augustus204. Le caractère de respectabilité divine est désormais attaché à tout ce qu'entreprend l'empereur et tout ce qui est appelé «auguste» se rapporte dorénavant à lui; les exemples sont innombrables. Officiellement, le huitième mois de l'année porte maintenant son nom205, comme certaines légions206. Paphos, relevée par l'emper eur,demande à s'appeler Augusta207. Au retour de l'empereur d'Orient, et alors qu'on lui élevait l'autel de Fortuna Redux, le jour de son arrivée fut mis au nombre des jours fériés sous le nom d'Augustalia208', Dion Cassius nous signale qu'«on donna aussi dès ce moment le nom de lois Augustes aux lois qu'il devait rédiger, et on
lut jurer d'y rester fidèles»209. Enfin, son gentilice de Iulius fut donné à divers bâtiments comme les Saepta, construits pour la tenue des comices tributes sur le Champ-de-Mars, et à une des tribus210. Il ne faudrait pas négliger, dans un dernier temps, la jonction, voulue par Auguste, entre les Lares compitales de Rome et son propre Genius', on aboutira rapidement à l'appelation Lares augustales donnée aux dieux protecteurs des quartiers de la Ville211. Durant toute sa vie, Auguste reçut des hon neurs à caractère divin. Ils revêtirent souvent, dans un premier temps tout au moins, une fo rme spontanée; ainsi les chevaliers qui fêtent l'anniversaire de sa naissance sans y avoir été obligés212. Mais très vite, ce jour anniversaire devint un jour de fêté officiel, avec des cérémon ies diverses dont un banquet, dès 13 av. J.-C, et des jeux qui devinrent annuels en 8 av. J.-C.213. On prit aussi l'habitude de nommer le princeps dans les voeux et Virgile put s'écrier :
196 Hor., Carm., IV, 5, 6-8 : « Instar ueris enim uoltus ubi tuos Adftdsit populo, gratior it dies, Et soles melius nitent». 197 Prop., IV, 6, 33-34. Cf. W. Deonna, art cit., LXXXVII, p. 87. 198 Suét., Aug., LXXIX, 3. 199 Ovid., Trist., I, 3, 37. 200 Hor., Carm., III, 3, 9-12. 201 Ovid., Trist., II, 37-39. 202 Ovid., Pont., III, 1, 135. 203 W. Deonna, art. cit., LXXXIII, p. 33-36. 204 Res Gestae, 34, 2. Fast. Praen., CIL, I2, 231. Ovid., Fast., I, 590 (qui, faussement, parle du 13 janvier). Dion Cass., LUI, 16, 6-8; 18,2. Il explique qu'il s'agit de montrer qu'Auguste est plus qu'un homme et qu'il porte le nom qui est donné d'habitude aux choses les plus respectables et les plus sain tes. Cf. G. Pugliese Carratelli, Auctoritas Augusti, dans La
Parola del Passato, Χ, 1949, p. 33. 205 Suét., Aug., XXXI, 2. Dion Cass., LV, 6, 7. 206 Id., LV, 23, 2-3. 207 Id., LIV, 23, 7. 208 Id., LIV, 10, 3 et 34, 2. 209 LIV, 10, 6. 210 Id., LUI, 23, 2; LI, 20, 2. 211 Un exemple en CIL, II, 1133 (= ILS, 3623), Italica: «magister Lamm Augustorfum)»; Ovid., Fast., V, 145 sq; Suét., Aug., XXXI, 6; Dion Cass., LV, 8, 6 sqq. 212 Suét., Aug., LVII, 2 : sponte atque consensu biduo». 213 Calendrier de Cumes : CIL, I2, 229, 23 septembre. Cf. J. Gagé, Res Gestae .... p. 181 ; Dion Cass., LV, 6,6. 214 Géorg., I, 42. 215 ILS, 8781. Cf. Hor., Epist., II, 1, 16 : « Iurandasque tiium per numeri ponimus aras». 216 Dion Cass., LI, 20, 1. 217 Res Gestae, 10, 1.
«
et uotis iam nunc adsuesce uocari»214.
En 3 av. J.-C, les habitants de Gangres, rattachée administrativement à la Paphlagonie, prêtent un serment «par Zeus, par la Terre et par le Soleil, par tous les dieux et toutes les déesses, et par Auguste en personne»215. Son nom fut aussi ins crit «dans les hymnes à côté des dieux»216 et, par décret du sénat, placé dans le carmen salia re217. Enfin, certains signes extérieurs accordés à Auguste marquent la place exceptionnelle, pour ne pas dire plus, accordée par tous à l'empe reur: ainsi le puluinar qui l'abritait, lui et sa
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famille, aux jeux du cirque218; ainsi, surtout, dans l'incorporation d'Auguste, de son vivant, à cer tains cultes comme dans le culte d'Artémis Kyndias à Bargylia en Carie, ou bien dans l'associa tion du princeps à certains dieux dans des fonda tionsnouvelles, comme les temples de la déesse Roma et de l'homme Auguste219. Mais l'empereur, de son vivant, n'avait pas encore à ce stade atteint la limite de la surhuman isationqui fit mettre en valeur son Genius, et le Numen qui en était issu. Comme nous l'avons vu plus haut, si les Lares compitales ont pu être appelés augustales, c'est parce qu'y a été joint le Genius de l'empereur qui a ainsi reçu régulièr ement un culte. De très nombreuses inscriptions montrent l'existence d'autels, de desservants, et donc de cérémonies, en l'honneur de ce Genius, ce compagnon de caractère divin, ce cornes de l'empereur220. Une base de statue d'Auguste, trouvée à Sorrente, présente une figure de son Genius avec une corne d'abondance221. Trèsrapidement on en est venu à parler du numen de l'empereur, c'est-à-dire à considérer l'existence, en Auguste, d'une puissance divine attachée et inhérente à sa personne, ce que Pippidi appelle de façon trop catégorique une «divinité tutélaire» 222 Le premier à employer le mot pour s'adres ser à Auguste semble avoir été Horace dans son Épure à Auguste qui date de 13 av. X-C.223. C'est beaucoup plus tard que fut érigé, à Rome même, peut-être près du temple d'Apollon et de la mai son d'Auguste sur le Palatin, une Ara Numinis Augusti qui est mentionnée dans les Fastes de Préneste, à la date du 17 janvier. L'année est
discutée, mais il semble bien qu'il s'agisse de 9 ap. J.-C.224. La province suivit rapidement cet exemple et Narbonne érigea aussi un autel le 22 septembre 11 ap. J.-C.225. Les poètes surenchéri rent et, parmi eux, Ovide fit de numen un des mots d'usage courant pour désigner l'empereur dans son rôle de distributeur de la bienfaisance et du pardon; il est vrai qu'à deux exceptions près, il emploie le mot numen à propos d'August e dans ses poèmes d'exil, Tristes ou Pontiques, dans lesquels il pense avoir tout intérêt à flatter le prince et à lui prodiguer des flatteries plus encore que ne le faisait le commun des mortels. Ce numen reçoit l'appel du suppliant; c'est à lui seul que peuvent désormais s'adresser les sup plications226 de tous les mortels227 qui doivent Γ« adorer »228. Certains, en dehors de tout cadre officiel cependant, sont allés encore plus loin et n'ont pas hésité à accoler à Auguste, quelquefois à des membres de sa famille, les noms de caelestis diuus et même deus. Appeler son numen caeleste est déjà indiquer l'aspect divin que l'on veut faire revêtir à Auguste sur terre, de son vivant229; c'est encore chez Horace que nous trouvons les premiers de ces accents; d'abord dans le Carm., I, 2230, puis, avec plus de précision, quand il déclare :
218 Suét., Aug., XLV, 1. 219 Cf. A. D. Nock, Σύνναος θεός, dans Harv. St. in Class. Philol. XLI, 1930, p. 42 et 44. Cf. l'utilisation du mot imago pour les représentations d'Auguste: Ovid., Trist., V, 2, 49 (= 2b, 5) et Pont., II, 8, 1-5 (allusion à des représentations en argent des membres de la famille impériale). 220 Cf. F. Borner, Der Eid beim Genius des Kaisers, dans Athenaeum, XLIV, 1966, p. 166, n. 97 avec une liste des inscriptions comportant Genius Augusti et p. 118, n. 99; C. Gatti, Augusto e le individualità divine, dans La Parola del Passato, XII, 1949, p. 261. 221 G. E. Rizzo, La base di Augusto, dans Bull, della Comm. Archeol. Com., LX, 1933, p. 91. 222 D. M. Pippidi, La date de l'«ara Numinis Augusti» de Rome, dans REL, XI, 1933, p. 455. Cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1966, p. 43-44.
223 Epit., II, 1, 15-17. 224 CIL, I2, 232. J. Gagé, Res Gestae . ., p. 166; D. M. Pippid i,art cit., p. 452-456. En 5 ap. J.-C, si nous en croyons L. R. Taylor, Tiberius' «ovatto» and the Ara Numinis Augusti, dans AJPhilol, LVIII, 1937, p. 191-192. Sa démonstration n'a pas été suivie. 225 CIL, XII, 4333 (= ILS, 112). 226 Trist., V, 2, 43-46 (= 2b, 1-4); V, 11, 20. Pont., II, 2, 28; II, 8, 38. 227 Pont., II, 8, 67. 228 À trois reprises, Ovide emploie adorare, terme réservé aux dieux: Trist., Ill, 8, 13; Pont., II, 2, 109; III, I, 97. 229 Pont., II, 8, 8. 230 Cf. D. Norberg, La divinité d'Auguste dans la poésie d'Horace, dans Eranos, XLIV, 1946, p. 398-400. 231 Carm., III, 5, 2-3.
« Praesens diuus habebitur Augustus » dans cette Ode où il compare Jupiter et Auguste, chacun à sa place pour régner231. L'expression est intéressante en ce sens qu'elle est prudente,
AUGUSTE OU L'ABSENCE DE LA PROVIDENCE diuus et non deus, et aussi parce qu'elle exprime une tendance déjà affirmée dans l'opinion232. Ovide ne fait pas preuve d'une telle réserve; il est vrai que là encore, il écrit de son doulou reux exil d'où il manie l'hyperbole, pensant y trouver le meilleur moyen de se voir attribuer un lieu de châtiment plus agréable et moins éloigné de Rome. À cet égard le passage le plus significatif se trouve dans les Pontiques où, dans les onze premiers vers, il traite Auguste à trois reprises de deus233. C'est bien une divinité vivan te que le poète supplie234, pour qui il demande la protection des dieux235, à qui il attribue le salut de la puissance romaine236 et la présence écla tante aux yeux de tous237. Dans cette prétention à la divinité et à l'universalité, nous sommes bien loin de ce que pensait Cicéron pour qui le moderator se définissait comme un dinimis poene uir.
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Cet aspect divin, dans toutes ses nuances et à tous ses degrés, officiels ou publics, est renforcé par l'appartenance d'Auguste à une famille qui possède elle-même des caractères divins. Ils reposent d'abord sur l'origine divine du père adoptif d'Octave, Jules César, qui avait dévelop pé le thème de Vénus, Genetrix de sa famille; il en avait fait un des points importants de sa propagande et, par elle, affirmait plus solid ement son pouvoir. L'adoption testamentaire a rendu le jeune Octave descendant direct de Vénus. Mais, plus encore que cela, la gens Iulia,
dont il fait partie dès 44, est descendante de la famille royale troyenne; c'est la grandiose démonstration faite par Virgile dans YÉneide; dans le chant central, Énée a la révélation, par son père Anchise, de la destinée qui attend sa race dont Auguste est, à ce moment, le dernier rejeton238. Ce sont ces mêmes aspects de l'origi ne de la gens Iulia qui avaient permis à César de se placer au-dessus des hommes. Dès la fin du mois de juillet 44, la position d'Octavien est renforcée par l'apparition du sidus Iulium; tous le comprennent, spontané ment, comme le signe de l'accueil de César au rang des dieux en tant que diuus239. La filiation avec le diuus Iulius est affirmée par tous les contemporains et rehausse le pouvoir d'Auguste; c'est ce que fait Virgile en parlant de diui genus240. La grande date, indiquée dans la plu part des calendriers, est celle de la dédicace du temple de César divinisé sur le vieux forum, à l'emplacement même où la plèbe de Rome avait brûlé le corps du dictateur241. Il s'agit bien d'une origine divine, et Horace comme Ovide se gar dent de l'oublier ou de la négliger242. Mais de cette notion de gens Iulia, fondament ale au début de la carrière d'Octavien, et part iculièrement durant la guerre civile, on en est assez rapidement passé à un élargissement qui a englobé tout l'entourage familial d'Auguste, la domus Augusta243. C'est elle, globalement, qu'Ovi de implore pour apaiser la colère de l'emper eur244; c'est à elle qu'il destine le pouvoir com me les dieux l'ont fait reconnaître à tous les hommes dans le monde romain245. Auguste lui-
232 il n'est pas besoin d'essayer de disculper Horace, com mele fait C. Gatti, art. cit., p. 260, qui voit ici le poète payer un tribut à son temps sans en avoir l'intention, sans y croire vraiment. Les choses sont certainement plus complexes, même si nous ne retrouvons nulle part ailleurs dans les œuvres d'Horace une telle expression. 233 II, 8, 1-11; de nouveau en 52, 61 et 76. 234 Pont., II, 2, 122-124. 235 Trist., V, 11,25. 236 Ibid., V, 2, 35. 237 Ibid., Π, 54. 238 Virg., Énéid., VI, 756 sq.; Cf. aussi Hor., Carm., Ill, 3, 31 sq.; P. M. Martin, art. cit., p. 169, fait remarquer que 22 chapitres sur les 90 du libre I des Antiquités Romaines de Denys d'Halicarnasse sont consacrés à Énée. 239 Hor., Carm., I, 12, 46 sq.; Suét., Div. lui, LXXXVIII; Diòn Cass., XLV, 7, 1 sq. Cf. H. Stern, L'image du mois d'octobre sur une mosaïque d'El-Djem, dans Les Cahiers de
Tunisie, XLV-XLVI, 1964, p. 27. Des monnaies espagnoles représentent cette comète avec l'inscription DIWS IVLIVS : BMC, I, p. 59-60, n° 323 à 329. Cf. G. Radke, Augustus und das Göttliche, dans Antike und Universalgeschichte. Festschrift H. Stier, Münster, 1972, p. 257 (pour CIL, IX, 4191). 240 Énéid., VI, 792. Cf. I, 289-290. Cf. aussi IX, 641, à travers ce qui est promis à Iule. 241 Le 18 août 29 av. J.-C. Affirmation répétée maintes fois sur les monnaies : DIVI F. 242 Hor., Carm., I, 2, 41 sq.; I, 12, 49; IV, 2, 37 sq.; Ovid., Ars Amat., I, 183; Met., XV, 839. 243 Cf. J. Gagé, Divus Augustus. L'idée dynastique chez les empereurs Julio-Claudiens, dans Rev. Arch., XXXIV, 1931, p. 35. 244 Ovid., Pont., rV, 6, 20. 245 Fast., I, 531 sq: Tibère est désigné comme le succes seuren tant que « nepos dei ».
b) La famille divine.
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même a soutenu cette tendance générale; deux exemples le montrent assez bien : les honneurs rendus à Marcellus, le neveu qu'Auguste desti naità sa succession et qui mourut si jeune. Ces honneurs se traduisirent par l'érection d'une sta tue en or avec une couronne du même métal, comme pour les dieux246, bien qu'il n'ait pas été officiellement divinisé; ses restes furent placés dans le Mausolée qu'Auguste avait fait construire pour lui et pour tous ceux qui composaient la domus Augusta. Le second exemple significatif est la construction par Agrippa du Panthéon qui était dédié à toutes les divinités rattachées à la domus : Mars et Vénus et le diuus Iulius; les vivants avaient leur buste dans le vestibule247. Il existe une preuve de la réussite de cette idée, un monument qui peut être daté des toutes derniè res années du règne, l'autel de la Gens Augusta à Carthage248. Il regroupe les motifs qui font de la famille d'Auguste une famille à part, en contact avec le reste du monde, mais à l'écart des autres hommes : Apollon et la victoire, Rome et le clipeus uirtutis, Énée, son père et son fils, Auguste sacrifiant à ses ancêtres et aux dieux protecteurs de sa race. Cet élargissement du poids divin d'Auguste à l'ensemble de sa famille, de ses proches et, en particulier, de ses successeurs désignés, a été parfaitement reçu partout dans l'empire249. Il s'agit là de quelque chose de neuf, mais qui était destiné à un brillant avenir.
Cet ensemble de qualités aboutit, tout natu rellement, au destin d'immortalité qui attend
Auguste après sa mort; comme son père César, il doit devenir diuus. Cela ne saurait nous étonner puisque c'est déjà ce que nous avons vu dans l'œuvre de Cicéron, à propos du Songe de Scipion; il est normal de rencontrer proche des dieux, et accepté par eux dans leur entourage, celui qui a montré tout l'éventail des qualités humaines que nous avons cherché à définir plus haut250. La pratique des vertus «cicéroniennes» a aidé Auguste à devenir le compagnon des dieux dans leur demeure. Quand Virgile déclare aux dieux : «Hune saltern euerso iuuenem succurrere saeclo Ne prohibete »251. et qu'il insiste sur le fait que le ciel envoie Octavien à la terre, il met bien en valeur les vertus du jeune homme. Dans le même sens va Horace lorsqu'il compare Auguste à Hercule et à Pollux qui, l'un comme l'autre, ont été : « Iustum et tenacem propositi uirum»252; ils montrent la place que le princeps doit occuper auprès d'eux, dans le ciel. C'est un semblable avis que donne Ovide253 et que l'empereur lui-même partageait si nous en croyons une lettre de lui que cite Suétone et qui se termine par ces mots: «benignitas enim mea me ad caelestem gloriam efferet»254; il est vrai que, dans cette lettre, Auguste raconte la façon dont il aime jouer de l'argent en n'exigeant pas de tous ses partenaires les mises normales. La conclusion sur sa bonté peut être prise avec quelque ironie, mais le mot n'est pas employé au hasard par l'empereur; la benignitas
246 Dion Cass., LUI, 30,6. 247 Id., LUI, 27, 2-4. 248 Cf. L. Poinssot, L'autel de la Gens Augusta à Carthage, dans Not. et Doc. pubi, par Dir. des Ant. et des Arts, X, 1929, p. 36-38. 249 Cf. l'inscription du cénotaphe de Pise pour L. et C. Cé sar : CIL, XI, 1, 1420 et 1421 (= ILS, 139 et 140). Une statue de Livie dans le temple d'Athéna Polias à Cyzique : cf. A. D. Nock, Σύνναος θεός, ρ. 42. À ce sujet, cf. les remarques de W. Ensslin, Gottkaiser und Kaiser von Gottes Gnaden, dans Sitz der Bayer. Akad. Wiss., Heft 6, Munich, 1943, p. 26-28. 250 Cf. supra, p. 60-61. 251 Virg., Georg., I, 500-501. 252 Hor., Carm., Ill, 3, 1. Mission morale de justice et de constance civique comme l'a remarqué A. Oltramare, Horace et la religion de Virgile, dans REL, XIII, 1935, p. 303.
Pour J. M. André, Les Odes Romaines . . . , p. 43, ces ass imilations aux dieux seraient le reflet chez Horace de la théologie stoïcienne. «Le prince participe aux attributs de l'Esprit dont les dieux ne représentent que les variations mythiques ». Sur la future accession au ciel d'Auguste, cf. CIL, X, 1, 3757 (= ILS, 137), Acerra : NAM QVOM TE, CAESAR, TEMPVS EXPOSCET DEVM CAELOQVE REPETES SEDEM QVA MVNDVM REGES. Cf. Ovid., Trist., II, 57-58; V, 2, 51-52 (= 2b, 7-8). V, 5, 61; Met., XV, 838-839 et 868-870. Sur ces passages, cf. F. Taegerr Charisma, II, p. 174. Cf. Man., I, 384-386: «post caelo maximus auctor». I, 7: «Caesar, patriae princepsque paterque ». 253 Ovid., Pont., II, 8, 25. 254 Suét., Aug., LXXI, 5.
c) La destinée divine et éternelle.
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fait bien partie des mérites qui désignent pour le séjour céleste. A travers cette boutade, le prin ceps affirme sa croyance en son destin d'immort alité divine. Mais, pour Auguste, les choses doivent être vues plus largement. C'est aussi la Victoire qui conduit à l'immortalité; de ce fait, on comprend l'exclusivité de la victoire que se réserve le princeps. Par là même, il garde pour lui l'exclusivité de l'immortalité et de la divinisation. C'est ce que constatent Virgile255, Horace, pour qui les bienfaits apportés par la victoire sont le garant de l'immortalité256, et enfin Ovide257. En réalité, c'est l'ensemble des vertus que nous avons décri tesplus haut, vertus «cicéroniennes» pures ou infléchies par la politique d'Auguste, vertus «cé sariennes», qui destinent le princeps à devenir diuus. Tous les poètes augustéens sont en accord sur ce point. Virgile le fait à mots plus couverts et discrets, insistant simplement sur le fait qu'il n'habitera jamais le séjour des morts258, qu'il a une place réservée dans le conseil des dieux259 et qu'il sera dieu260 avec un culte qui lui est promis261. À travers les vœux qu'ils font pour que la vie de l'empereur soit la plus longue possible, puis qu'elle apporte tant de bienfaits, Horace et Ovi de ont toujours soin d'indiquer le destin qui attend Auguste au ciel262. Chacun sait que le souverain est immortel et, comme le dit encore Ovide, destiné à être dieu263 pour assurer la perpétuité du règne de la famille sur tout l'uni vers264. Nous retrouvons d'ailleurs ici l'idée d'une stabilité durable et éternelle de l'État à laquelle Cicéron aspirait pour Rome265; mais, maintenant, elle est cristallisée sur une seule personne et sur celles de ses successeurs, ce que n'aurait pas admis et compris l'Arpinate.
d) L'Horoscope.
255 Géorg., IV, 560-562. ™Carm., IV, 1,4 et 15. 257 Trist, III, I, 46. 258 Géorg., I, 36. Sur ces points, cf. D. Pietrusinski, Koncepcja Apoteozy Augusta u Wergilinska, dans Eos, LX, 1972, p. 283 (résumé en français). 259 Géorg., I, 25. ™Énéia, IX, 641. 261 Éd., I, 7. 262 Hor., Carm., I, 2, 45; Ovid. Met., XV, 839; Trist., II, 57. 263 Pont., II, 2, 48. Ars Amai., I, 204 : «deiis . . . eris ». 264 Ovid., Trist., IV, 2, 10.
265 De Rep., Π, 3 (« diuttirnam rem publicam »). Pro Marcel., 22 (« respublica immortalis ») . . . Pour des détails complémentaires, cf. H. U. Instinsky, Kaiser und Ewigkeit, dans Hermès, LXXVII, 1942, p. 315-319. 266 L'ensemble de ces traits est rassemblé dans W. Deonna, art. cit., p. 57-106. Mais l'auteur, en traçant le portrait d'Octave-Auguste, «dieu sauveur et maître du monde», ne cherche pas à établir les étapes de l'évolution qui a conduit à considérer l'empereur comme tel. 267 Suét., Aug., XCIV, 18; Dion Cass., LVI, 25, 5. 268 Suét., ibid., 6.
Nous pouvons encore rencontrer des traits qui renforcent ce caractère divin d'Auguste et des membres de sa famille. Il ne s'agit pas de traits totalement nouveaux, mais leur utilisation à propos de l'empereur est nouvelle. Dans les chapitres XCIV à XCVII, de la Vie d'Auguste, Suétone nous décrit avec précision et prolixité tous les présages qui ont marqué qu'en la per sonne d'Auguste les dieux avaient fait un choix que les hommes ne pouvaient contrecarrer, qu'ils devaient accepter dans la joie. Il ne saurait être question ici de faire la différence entre les présages réels et les présa gescréés de toutes pièces pour donner plus de poids au pouvoir augustéen; il ne s'agit pas même de savoir quelles sont les histoires qui peuvent être datées avec précision de l'époque même d'Auguste et quelles sont celles qui ont été créées postérieurement pour magnifier le règne du premier princeps dans des buts politi ques266. Il y a cependant un fait précis et important que nous pouvons dater, en toute confiance, du vivant même d'Auguste; il s'agit de la publication de son horoscope en 11 ap. J.-C, après qu'il a interdit toute prédiction sur la vie et la mort de quiconque267. Répandu par voie d'affiches, et donc connu de tous, cet horoscope, qu'il fallait encore savoir interpréter, coupait court à toutes les spéculations possibles sur le moment de la mort de l'empereur. Cette publicité permettait également de montrer à tous que les astres, donc les dieux, avaient destiné, dès le jour de sa naissance, Octave au pouvoir suprême, comme P. Nigidius Figulus l'avait affirmé à son père : «affirmasse dominwn terrarum orbi natum»26S et
DES ORIGINES Λ HBÈRE comme, à Apollonie, l'astrologue Théogénès le lui avait confirmé269. Il était né le 23 septembre 63 av. J.-C.270 sous le signe de la Balance271 qui, d'après Manilius, est le signe propre de l'Italie qui présida à la fondation de Rome272. Ce dernier poète, dans ses Astronomiques, profite d'ailleurs de l'occasion pour donner à ce signe zodiacal une importance toute particulière; l'équilibre du fléau est le sym bole de l'arbitrage entre la vie et la mort qu'exerce celui qui nait à ce moment; il est aussi l'affirmation de son pouvoir sur les peuples, les nations, les cités, et, enfin, l'assurance de sa montée au ciel après sa mort273. Cet intérêt montré par Auguste pour tout ce qui touchait son thème de geniture est renforcé par plusieurs séries monétaires. Mais ces dernières ne portent pas l'image de la Balance, mais celle du Capri corne; elle est la constellation favorite de l'em pereur tout en n'étant pas celle de sa naissance. Il est inutile d'entrer ici dans les diverses expli cations qui ont été données de ce fait curieux274 et les nombreuses erreurs qu'il a provoquées275. La seule chose qui compte ici est l'intérêt
tré par Auguste pour l'astrologie conçue comme un moyen utilisé par les dieux pour faire connaît re leur volonté et susceptible d'être compris par tous. De cette idée découlent la publication de son horoscope et les frappes monétaires276. Auguste est bien destiné à l'immortalité, mais il l'est à des degrés divers; c'est ce dernier aspect qui le fait se distinguer totalement du princeps cicéronien. Ses qualités, ses vertus, ses mérites l'orientent déjà vers le ciel; mais, si l'on y regarde de près, bien d'autres parmi ses con temporains auraient pu se targuer d'en avoir autant que lui, à l'image de ce qui s'était produit dans la première moitié du siècle. En réalité son destin céleste est surtout contenu dans son origi nedivine et dans la protection divine dont il a été de tout temps l'objet; son horoscope en était la preuve la plus indiscutable et la plus claire pour tous. La vision générale s'est considérable ment élargie depuis Cicéron; Auguste groupe en lui tout ce qu'il y avait de traditionnel et de respectable par tous dans les constructions de l'Arpinate; mais il rassemble aussi en sa person ne tous les aspects nouveaux que les imperatores
269 Id., ibid., 17. 270 Id., Ibid., V, 1; XXXI, 2; C, 1; CIL, XII, 4333 (= ILS, 112) : autel de Narbonne. 271 Virg., Géorg., I, 32-35, lui assigne une place entre la Vierge et le Scorpion. 272 Man., IV, 773-775. 273 Man., IV, 547-552. J. Bayet, L'immortalité astrale d'Au guste ou Manilius commentateur de Virgile, dans REL, XVII, 1939, p. 160, a montré l'importance du rapprochement entre la fondation de Rome et la naissance d'Auguste sous le signe de la Balance, pour le culte de Rome et d'Auguste. 274 Pour A. E. Housman, dans son édition de l'œuvre de Manilius, Cambridge, 1937, I, pp. LXX et LXXI, il s'agit de la position de la Lune, astre privilégié, au moment de la nais sance. Pour L. R. Taylor, The Divinity of the Roman Emperor, Middletown, 1931, p. 166, le Capricorne est le seigneur des mers occidentales. Pour J. Gagé, Res Gestae Divi Augusti, p. 159, la préféren ce pour le Capricorne s'explique par la date fondamentale du 16 janvier 27 av. J.-C, ce jour étant dans le signe du Capricorne. À vrai dire, il est plus simple de penser qu'Auguste, suivant en cela certaines écoles d'astrologues, a préféré mett reen valeur le signe de sa conception plutôt que celui de sa naissance : J. Gagé, Basileia . . . , p. 52. E. Flores, Augusto nella visione astrologica di Manilio ed il problema della cronologia degli « Astronomicon» libri, Naples, 1961, p. 1-27.
Κ. Kraft, Zum Capricorn auf den Münzen des Augustus, dans Jahr. f. Numism. U. Geldgesch., XVII, 1967, p. 17-19. Mais il est peut-être possible d'élargir le débat si nous en croyons E. J. Dwyer, Augustus and the Capricorn, dans Mitte ilungen des Deutschen Archeologischen Instituts. Roemische Abteilung. Band 80, fase. I, 1973, p. 59-67. Le Capricorne n'aurait aucun rapport direct avec une date marquante de la vie d'Auguste. Il serait simplement le signe de la renaissance du Soleil et signifierait la domination sur l'Occident par la victoire. Ce serait le signe de la puissan ce victorieuse d'Auguste. 275 Ainsi Suét., Aug., XCIV, 18: «sideris Capricorni, quo natus est.»\ De même, Germ., Phaen., 558-560. 276 BMC, I, n° 305 à 308, p. 56 (Emerita, 22-19 av. J.-C). n° 344 à 348, p. 62 (Colonia Patricia? 19-16 ou 15 av. J.-C). n° 465-466, p. 80 (Lyon, 12-11 av. J.-C). n° 664, p. 107 (Orient, 27-20 av. J.-C). n° 698, p. 113 (Pergame). n° 696, p. 113 (Éphèse, 27-20 av. J.-C). L'importance qu'Auguste attache à l'astrologie peut enco reêtre soulignée par ce que, d'après Aulu-Gelle, (XV, 7, 3), il aurait écrit à son petit-fils Gaius : « En effet, comme tu le vois, j'ai passé le moment critique commun à tous les vieil lards, la soixante-troisième année». Ce moment critique est bien connu de tous les mathematici; le nombre d'années qui est le résultat de la multiplication de 9 par 7 est un des plus dangereux passages de la vie de chacun. Il est intéressant de voir qu'Auguste, alors qu'il atteint ce seuil, y a pensé; c'est la preuve d'une «imprégnation» astrologique importante.
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tout son effort a consisté à écrire un latin simp ont apportés avec eux et qu'ils n'avaient pas su, ou pas pu, définir pleinement. le, clair et qui soit compréhensible pour tous279. Son vocabulaire est pur parce que le besoin de Il est donc aisé de comprendre pourquoi dans les textes officiels la notion de prouidentia précision est toujours resté essentiel pour lui. n'apparaît pratiquement pas. Auguste n'avait pas Par là même les mots employés sont tradition nels et courants; prouidere ne peut faire except à l'utiliser, ou à la mettre en valeur, puisqu'elle faisait partie du cadre cicéronien, manifestement ion. Cela ne saurait nous surprendre puisque trop étroit pour la personnalité du premier véri nous retrouvons le mot dans un contexte bien table princeps. L'utilisation de prouidentia ne pouvait présenter aucun intérêt pratique pour précis : celui de la guerre où un chef doit pren dresoin de ceux qu'il commande. Bien entendu, imposer la conception qu'il avait élaborée de son propre pouvoir. À la limite, elle ne devait il s'agit ici de la res publica, mais tous les faits évoqués dans ce premier paragraphe des Res même que lui porter atteinte. En outre, Auguste a rétabli la concorde après la guerre civile et il Gestae ont une résonance militaire affirmée : l'a était inutile, concrètement, d'utiliser une notion rmée levée à ses frais, à 19 ans, pour rendre la que magistrats et généraux n'avaient su emliberté à la République, la récompense qu'il ployer pour assurer la paix. obtient pour ses hauts faits, l'admission au sénat, le droit de parler au rang des consulaires, enfin, et surtout, i'imperium. Ce premier paragraphe exprime donc bien le choix par le sénat de l'homme responsable et réfléchi qui peut sauver III - L'UTILISATION DE «PROVIDERE» la République par la force, mais aussi par l'a À L'ÉPOQUE AUGUSTÉENNE scendant que lui donne l'intelligence dans la con duite de ses troupes. Il n'est pas étonnant que le mot prouidere soit 1 - Les documents officiels ici employé puisqu'il s'agissait pour Auguste de rappeler une période pendant laquelle les idées II existe cependant quelques exemple de l'ut de Cicéron ont paru pouvoir s'imposer et où ilisation de prouidere dans des textes officiels ou Cicéron lui-même a salué avec espoir l'arrivée dans des écrits venant de la main même d'Au du jeune Octavien et de l'armée qu'il avait ra guste; mais la moisson reste très médiocre. ssemblée : «C. Caesar adulescens, paene potius puer, incredibili ac diuina quadam mente atque a) Les «Res Gestae». uirtute, cum maxime furor arderei Anton Le premier emploi de prouidere se trouve i »28°. En évoquant cette époque bien des dans les Res Gestae elles-mêmes; il est donc, années après, Auguste a retrouvé le vocabulaire comme il a été montré ailleurs277, un mot issu de du moment, les mots qui désignaient l'homme la dictée de l'empereur ou écrit de sa propre influent et supérieur, capable de prendre en main. Le passage est très clair: «Res publica ne mains les destinées d'un peuple, destinées guer quid detrimenti caperei, me propraetore simul cum rières dans un premier temps, pacifiques ensuit consulibus prouidere iussit»278. Il est incontesta e. D'ailleurs l'ensemble du vocabulaire de ce ble que, comme dans le reste de l'œuvre, il n'y a paragraphe est très «cicéronien», avec l'emploi pas recherche d'un mot savant; l'ensemble des de Hbertas, rapprochée ici de prouidere comme Res Gestae prouve, au contraire, qu'Auguste ne Cicéron lui-même en avait montré quelques veut pas se donner pour un homme de lettres; exemples281.
277 H. Bardon, Les empereurs et les lettres latines, 2e éd., Paris, 1968, p. 47. 278 Res Gestae, I, 3. La version grecque du Monument d'Ancyre (I, 8-10) porte: «Περί τα δημόσια πράγματα μή τι βλαβήι, έμοί μετά των υπάτων προνοεΐν έπέτρεψεν αντί στρατη-
γοΰ οντι». 279 Cf. Η. Bardon, op. cit., p. 51-53 et 62. 280 Cic, Phil., Ill, 2, 3 (du 20 décembre 44 av. J.-C). 281 Cf. supra, p. 57.
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282 D'autant plus aisément qu'Auguste semble ici repren dre un terme que le sénat aurait employé pour lui confier la protection de la République. Ne pourrait-on voir l'influence directe de Cicéron lors de cette réunion de l'assemblée des Patres qui s'est tenue le 1er janvier de l'année 43, au moment où Hirtius et Pansa deviennent consuls? Nous savons par ailleurs qu'Octavien prit possession de Yimperium le 7 jan vier. C'est bien l'intervention de Cicéron qui lui permit d'être associé aux consuls et au propréteur Décimus Brutus (cf. J. Carcopino, Les secrets de la correspondance de Cicéron, t. II, p. 165). 283 Dès le § 2 des Res Gestae, Auguste parle de César : «Qui parentem me um trucidauerunt . . . » 284 Nous possédons des fragments de quatre exemplaires
de ce décret. Ils proviennent de Priène, d'Apamée Kiboton, d'Euménie et de Dorylaeum : Ditt., OGIS, n° 458 (= CIG, III, 3957). Cf. W. H. Buckler, An Epigraphic Contribution to Let ters, dans Class. Rev., XII, 1927, p. 119. Ce décret a été pris en 9 av. J.-C. Il a été repris, en 2 av. J.-C, et dans des termes un peu différents, par la cité d'Halicarnasse : cf. W. H. Buckler, ibid. (= IBM, IV, 1, 894). Ehrenberg-Jones, Documents illustrating ..., n° 98. 285 OGIS, 458, 11. 41-42; 11. 4-5; 11. 51-52. 286 1. 54. 287 OGIS : ή πάντα 288 OGIS : πεμψάσα 289 OGIS : «δε πάντα, φανει,ς δε ». 2*>L 30-41.
b) Le calendrier d'Asie.
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Le second exemple de document officiel por tant mention de la providence est en grec uni quement. Il s'agit du décret de la communauté
d'Asie284 relatif à l'introduction du calendrier Julien dans la province. Sur les conseils du pro consul Paullus Fabius Maximus, le κοινόν της 'Ασίας décida de faire commencer désormais l'année avec le dies natalis d'Auguste (ή γενέθλιος ημέρα του θεοϋ)285 et d'appeler le premier mois Caesareus (άγεσθαι δε τον πρώτον μήνα Καίσαρ α)286. Le mot πρόνοια y est employé et la place, le sens qui lui sont donnés revêtent une impor tance certaine. Il nous faut citer ce passage fo ndamental de l'inscription : Έδοξεν τοις έπί της 'Ασίας Έλλησιν, γνώμη του άρχιερέως 'Απολλών ιου του Μηνοφίλου Άζανίτου· Επειδή ή θείως287 διατάξασα τον βίον ημών πρόνοια σπουδήν είσενενκα μένη και φιλοτιμίαν το τεληότατον τώι βίωι διεκόσμησεν αγαθόν ένενκαμένη τον Σεβαστόν, δν εις εύεργεσίαν ανθρώπων έπλή ρωσεν αρετής, ώσπερ ήμεΐν και τοις μεθ'ήμάς σωτήρα χαρισάμενη288 τον παύσαντα μεν πόλεμον, κοσμήσοντα δε είρήνην, επιφανείς δε289 ό Καίσαρ τας ελπίδας των προλαβόντων εύανγέλια πάντων ύπερ έθηκεν, ου μόνον τους προ αύτου γεγονότας εύεργέτας ύπερβα λόμενος, άλλ'ούδ'έν τοις έσομένοις ελπίδα ύπολιπών υπερβολής, ήρξεν δε τώι κόσμωι τών δι' αυτόν εύανγελίων ή γενέθλιος ημέ ρα τοϋ θεοΰ, »290. Le passage est intéressant parce qu'il nous présente une πρόνοια indépendante de la per sonne même d'Auguste; il s'agit de la Providence qui règne sur le monde et règle sa marche, de la Providence stoïcienne, maîtresse de l'univers parce qu'elle l'a formé, parce qu'elle le conduit, parce qu'elle le détruira pour le faire renaître identique à lui-même. Voulant le bien du cosmos et de ceux qui y vivent, elle a envoyé Auguste qui est son intermédiaire et son représentant sur la terre. Il agit sous sa direction et, par la même,
Auguste a recréé, par les mots qu'il utilise, l'ambiance de l'année 44-43 av. J.-C; il est donc logique qu'il fasse appel à protiidere282. Il est tout aussi normal que le mot, avec tout le contenu qu'il possède et qui en fait un mot-clé des écrits cicéroniens, n'apparaisse plus par la suite. Dans cette première année de sa vie publique, le jeune Octave n'a pas encore construit son personnage; il s'insère dans ce qui existe et cherche à ressem blerau personnage qui est attendu par une grande partie de l'opinion publique, sénatoriale ou non. Il se coule alors dans un moule dont l'artisan principal est Cicéron. Mais très rapidement, il abandonne ce rôle et, tout en utilisant l'ensemble de l'acquis cicéronien283, il se présente avec une stature bien différente, comme nous l'avons vu plus haut. C'est pourquoi le mot ne se retrouve nulle part ailleurs dans les Res Gestae; il ne pouvait plus avoir place dans l'ambiance nouvelle qu'Octave avait très tôt organisée autour de lui. Cet exemp lenous prouve d'abord l'extrême minutie avec laquelle Auguste a rédigé ces Mémoires, en cher chant toujours le mot approprié à la situation; dans un second temps, il montre que l'empereur a bel et bien transformé son propre personnage pour prendre une place originale, à côté, ou au-delà, de la figure du princeps cicéronien. Nous avons là la confirmation de ce que l'étude des «vertus» augustéennes nous avait déjà apporté en ce sens.
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doit réaliser ce que la Providence a voulu pour les hommes : l'ordre universel, la sauvegarde de chacun assurée, une bienfaisance supérieure à celle de ses prédécesseurs, l'espoir dans l'avenir par la paix et la prospérité. Ce choix de la providence s'exprime en un seul mot, Γάρέτη qui est le terme regroupant toutes les qualités néces saires à celui qui doit diriger et qui a été choisi pour cela. Il est aisé de comprendre qu'à partir du moment où Auguste est compris comme l'hom me qui joue ce rôle, le jour de sa naissance et l'anniversaire de ce jour sont bien, au sens pro pre, l'expression d'une «bonne nouvelle» (εύανγελίαν)291. Faire partir le calendrier nouveau de ce jour bénit et propice est un espoir de rendre les années futures heureuses, pacifiques et pros pères. En effet, par ce choix, les habitants de l'Asie se mettent en accord avec la Divinité qui a fait d'Auguste son exécutant dans le monde des hommes; c'est de cet accord seul que peut pro venir une vie heureuse pour tous; le sens de l'inscription est parfaitement clair et conforme à ce que nous avions déjà remarqué à propos d'autres inscriptions de l'époque hellénistique et dans la Lettre d'Aristée292 : recherche réfléchie de la sauvegarde des citoyens, de la paix et de la prospérité. Nous pouvons aussi noter que la liaison qui s'établit dans le texte entre le jour de la naissance d'Auguste et l'intervention de la πρόνοια n'est sans doute pas fortuite. Il est possi bled'y voir le rôle de l'astrologie à laquelle un certain stoïcisme avait donnée ses lettres de noblesse. Nous nous trouvons bien ici dans une ambiance grecque, purement et banalement grecque. C'est pourquoi nous ne pouvons en aucun cas attribuer à Auguste lui-même l'intr oduction de la πρόνοια dans le vaste ensemble formé par le rassemblement de ses qualités
pres. Même si l'initiative générale est venue du proconsul Paullus Fabius Maximus, ce dernier n'a fait que proposer une mesure; il n'a en rien rédigé le texte et choisi les termes de la décision prise en toute liberté par le κοινόν des cités d'Asie, sur la proposition du grand-prêtre Apollonios Ménophilos. La rédaction a été faite direct ementen grec, et selon les habitudes grecques. Aussi peut-on être étonné de l'interprétation de ce texte donnée par Ronald Syme293 qui, dans un premier temps, en place le commentaire dans un chapitre intitulé : « La mise en condition de l'op inion». Le lecteur est déjà orienté dans un sens précis! En outre, le savant anglais déclare que « l'Asie dépasse les bornes permises à la décence dans les actions de grâces qu'elle rend à la divine providence ». Pris par son zèle anti-augustéen et par un esprit peu compréhensif des sen timents de l'Orient, il porte un jugement trop sévère. Pourquoi parler de «bornes de la décen ce », à propos d'une allusion à la providence qui a fait naître Auguste, sans critère sûr pour les fixer; de plus, comme nous venons de le voir, des attitudes semblables pouvaient se retrouver dans tout l'Orient à l'égard des souverains hellé nistiques. L'initiative n'est pas venue d'Auguste et le «loyal proconsul» n'a joué aucun rôle dans la rédaction du décret. Pour les Grecs de cette province, le princeps romain, comme le souve rainhellénistique auquel il a succédé294, est l'in strument de la Providence envoyé sur terre pour le salut de l'humanité; il est «vertueux» et sau veur295. Dans ces conditions, il ne peut plus être ques tion de faire d'Auguste le «fabricant», le maître d'œuvre, d'une propagande s'appuyant sur la πρόνοια, la prouidentia romaine. C'est un él ément qu'il s'est refusé à utiliser, mais il a laissé chaque province de l'empire exprimer sa loyauté à sa manière; dans le contexte grec, l'emploi de
291 Cf. A. D. Nock, Early Gentile Christianity and its Helle nistic Background, dans Essays on the Trinity and the Incarnat ion, ed. by A. E J. Rawlinson, 1928, p. 90. 292 Cf. supra, p. 23-24. 293 R. Syme, La Révolution Romaine, p. 451, et notes 67 et 68. D'une façon moins outrancière, W. Ensslin, op. cit., p. 25, qui y voit l'expression d'une pensée commune à l'ensemble du monde romain. 294 Nous pouvons d'ailleurs noter que si la province d'Asie fait preuve d'un si bel enthousiasme à l'égard d'Auguste, c'est
peut-être que ses habitants retrouvent ce qu'ils avaient per du depuis 133 av. J.-C, être gouvernés par un monarque comme l'avaient été les rois de Pergame. L'Asie renoue avec son passé. 295 Cf. les excellentes remarques de F. Taeger, Charisma, t. II, Stuttgart, 1960, p. 193; M. P. Charlesworth, Providentia and Aeternitas, dans Harv. Theol. Rev., XXIX, 1936, p. 109; L. Berlinger, Beiträge zur inoffiziellen Titulatur der römischen Kaiser, Breslau, 1935, p. 86.
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DES ORldlNES À ΉΒΕΙΙΕ prouidentia, πρόνοια ne sont pas employés pour désigner une des qualités du princeps. Nous pou vons même dire qu'Auguste semble avoir tout fait pour que ces mots ne lui soient pas direct ementaccolés; les trois utilisations que nous avons étudiées restent des cas marginaux; ils .s'expliquent très bien par l'ambiance dans laquelle les documents dont ils font partie ont été rédigés. Il nous faut repousser sans détour l'idée de ceux qui veulent que ce soit Auguste lui-même qui ait développé le sentiment qu'il avait été envoyé par la Providence et qu'il possé daitune providence propre298. Si, officiellement, il n'y a pas de divine provi dence d'Auguste et s'il n'existe pas de Providen ce protégant le prìnceps, nous pouvons nous demander si cette attitude a été respectée par tous. Les écrivains, dits « augustéens », ont-ils eu le même état d'esprit que l'empereur? En effet, à une époque où l'influence exercée par Auguste est très forte dans le domaine des idées, à un moment de l'histoire de Rome où l'on a pu parler de «la tentation du despotisme intellec tuel»299, les écrivains ont-ils respecté le vocabul aireaugustéen et les limites que l'empereur lui-même, de façon explicite ou implicite, avait fixées?
296 W. H. Buckler, art. cit., p. 119. 297 Cf. A. D. Nock, art. cit., p. 91-92. Certains documents peuvent contenir un sens approchant, mais nous pouvons voir qu'à chaque fois Auguste a évité le terme prolùdere. Ainsi dans le cinquième édit de Cyrène, daté entre le 1er janvier et le 1er juillet 4 v. J.-C. (cf. F. de Visscher, Les édits d'Auguste découverts à Cyrène, Bruxelles, 1940, p. 22-23) Auguste parle de la protection qu'il accorde à ses sujets, du soin qu'il met, avec le sénat, à ce que personne ne souffre quelque tort ou ne subisse quelque exaction. Jamais le mot προνοεΐν n'est employé : ών κηδόμεθα ... (1. 78) οσην φροντίδα ποιούμεθα (11. 80-81). C'est d'ailleurs pourquoi nous pouvons être certain que l'original latin n'employait pas prolùdere comme l'indique G. Oliviero (version latine reconstituée dans de Visscher, p. 28) : quibus prouidemus pour traduire ών κηδόμεθα. Le mot grec a un sens très général, il ne peut être l'équivalent de prolùdere, d'autant que celui-ci a son
correspondant grec, et admis par tous, de προνοεΐν, comme nous l'avons vu dans les Res Gestae. Quelques inscriptions grecques, datées de l'époque d'Au guste, portent parfois le verbe προνοεΐν. Ainsi en IG, XII, 3, 174 : les magistrats de Cnide ont porté une affaire criminelle devant l'empereur qui leur répond et tranche le cas en faveur des accusés; il recommande aux Cnidiens «de mettre les actes publics en accord avec sa sentence» et il emploie alors le mot προνοήσαντες; c'est aux Cnidiens de «prendre soin». Il s'agit simplement ici de la reprise de formules banales, que nous avons souvent vu employées à l'époque hellénistique. Cf. aussi W. H. Buckler, Auguste, Zeus Patrôos, dans Rev. de PhiloL, IX, 1935, p. 177 sq. 298 Comme F. E. Adcock, Roman Political Ideas and Practi ce,Ann Arbor, 1959, p. 103; M. P. Charlesworth, art. cit., p. 109. 299 J. M. André, Le siècle d'Auguste, Paris, 1974, p. 280-284.
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πρόνοια ne pouvait étonner. Aussi retrouve-t-on le même trait dans le décret d'Halicarnasse, pris après 2 av. J.-C.296: «... έπεί ή αιώνιος και αθάνα τος του παντός φύσις το με γιστον αγαθόν προς υπερβάλλουσας ευεργεσίας άνθρώ- ποις έχαρίσατο, Καίσαρα τον Σεβαστόν ένενκαμένη τον τω καθ'ήμας εύδαίμονι βίω πατέρα μεν της έαυτοΰ πα τρίδος θεάς 'Ρώμης, Δία δε πατρωον και σωτήρα τοϋ κοι νοΰ των ανθρώπων γένους, ου ή πρόνοια τας πάντων εύ χάς ουκ έπλήρωσε μόνον άλλα και ύπερήρεν» Le sens général reste le même et l'appel à la φύσις éternelle et créatrice nous replace encore dans l'ambiance stoïcienne. Mais ici πρόνοια est employée plus directement en rapport avec Auguste, mais elle n'est pas encore confondue avec sa personne. En effet, c'est en tant que Zeus Patrôos que le princeps a une providence qu'il a su utiliser pour remplir les espoirs de tous les habitants de l'Asie et même pour aller au-delà de ces espérances en pacifiant la terre et la mer, en faisant régner la concorde, la justice, la prospérité dans les cités, et l'espoir dans l'avenir . . . Dans ce décret encor e,il ne s'agit pas de la providence de l'emper eur,mais de celle de Zeus Patrôos qui est assi milé à Auguste et qui est le protecteur du prin ceps sur terre. Πρόνοια exprime la mission divi nedont est chargé Auguste, celle d'un sauveur de l'humanité à la manière dont le monde orient al avait toujours compris le rôle de ses souver ains297. Il est donc évident que les inscriptions et les écrits officiels, même issus de la main d'Auguste, confirment les idées que nous avons mises en évidence dans un premier temps : proludere,
2 - La littérature a) Un emploi discret. Dans les œuvres des poètes augustéens et dans l'Architecture de Vitruve, le mot prouidentia
AUGUSTE OU L'ABSENCE DE LA PROVIDENCE n'est employé qu'une seule fois. Par contre, nous trouvons, à quelques reprises, prolùdere et ses dérivés les plus courants, particulièrement l'ad jectif prouidus. Mais les emplois sont assez rares et, surtout, tout à fait dans la ligne traditionnelle qui a été définie ci-dessus à propos des écrivains de la fin de la République. C'est ainsi que prouidere est mis en rapport direct avec des termes qui expriment la pensée et la capacité de réflexion de l'homme responsab le. Le cas de Regulus qui, en se perdant luimême, savait qu'il resterait un exemple pour les générations futures de Romains, est particulièr ement mis en valeur par Horace; il parle de sa mens prouidai0°. Ovide emploie la même expres sionpour désigner la capacité de voir l'avenir que possède la déesse Amona indignée du refus que lui oppose Céphalos301. Tibulle met en paral lèleprouidus et praesentire, ce qui oriente la réflexion dans la même direction302. Enfin, Vitruve place sur un plan semblable prouidentia et ratio303. Il est tout aussi logique de voir liés à prouidere des termes que nous avons déjà trou vés, dans la même position, dans les œuvres de Cicéron : cura qui exprime le mérite du citoyen dévoué au salut de la cité et qu'il est heureux de pouvoir nommer prouida304. Ainsi uirtus et sapientia qui sont l'expression, dans l'action de tous les jours, de l'homme qui sait réfléchir, tel cet Ulysse que nous présente Horace305. La possibilité de réflexion étant liée à l'expé rience, le jeune homme ne peut en être dotée, comme le remarque Horace, restant ainsi dans la droite ligne de ce que pensait Cicéron : «Aetatis cuiusque notandi sunt tibi mores, Mobiliusque decor naturis dandus, et annis. Imberbis iuvenis tandem custode remoto, Utilium tardus prouisor, prodigus aeris, Sublimis, cupidusque, et amata relinquere pernix»306. 300 Hor., Carm., III, 5, 13. 301 Ovid., Met., VII, 712. 302 Tib., El, II, 5, 12-13. 303 Vitr., De Arch, VII, 1, 1 (= 162, 15). VI, 2, 1 (= 139, 2). 304 Ovid., Fast., II, 60. Cf. aussi Vitr., De Arch., VI, 2, 1 (= 139, 2). 305 Hor., Epiu, I, 2, 17-20. 306 Hor., Ars Poet., 156-165.
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Il peut donc être soumis à la surprise comme n'importe quel homme qui néglige la réflexion; ce fut le cas d'Énée surpris de trouver Achéménide, naguère abandonné au milieu des rochers de l'Etna et qu'il croyait mort307. Dans un tout autre domaine, c'est aussi le cas de la femme qui n'a pas prévu l'arrivée de son amant et qui, parce qu'elle n'est pas préparée, laisse apparaît re tous ses défauts physiques308. Cela ne doit pas faire oublier qu'il y a des moments où la prévoyance humaine ne peut rien et les limites peuvent en être soulignées. Horace sait que la volonté de l'homme est aussi souvent tournée vers le refus de la réalité, dont la mort, sa propre mort, fait partie intégrante : « sed improuisa leti Vis rapuit rapietque gentis».309 D'ailleurs, dans les rapports de tous les jours, prouidere peut ne signifier que la politesse qui permet à quelqu'un de voir et de saluer le pre mier un homme important310. Mais le point fondamental n'est pas là; il se trouve dans les différents aspects de la prévision humaine que les auteurs mettent souvent en valeur. Ainsi celle qui est nécessaire dans le métier que chacun exerce; l'architecte de Vitruve qui sait prendre garde à ce que le théâtre qu'il élève ne soit pas exposé au midi311, qui doit soigner le bétonnage et sa solidité312. Le choix des sources thermales nécessaires à la bonne santé de l'individu doit aussi faire l'objet d'une réflexion minutieuse de façon à ce que l'adapta tion aux maladies et aux affections des hommes soit parfaite313. Enfin le talent consiste à suivre les règles générales de proportion tout en s'adaptant intelligemment aux usages locaux ou à la nature du lieu, de façon à ce que rien ne puisse choquer le visiteur ou l'observateur314. Le poète se trouve dans le même cas que l'architect e; Horace montre qu'un sujet bien conçu, c'està-dire réfléchi et pensé, selon les leçons de Socrate, permet au poète de trouver les mots qui 307 Ovid., Met., XIV, 161 : «... improuisoque . . . ». 308 Id, Rem. Amor., 347-348. 309 Hor., Carm., II, 13, 19-20. 310 Hor., Epit., I, 7, 69. 311 Vitr., De Arch., V, 3, 2 (= 108, 22). 312 Id., ibid., VII, 1, 1 (= 162, 15). 313 Id, ibid, VIII, 4, 1 (= 204, 24). 314 Id, ibid., VI, 2, 1 (= 139,2).
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l'expriment le mieux, car la précision est condi tionde compréhension315. La prévoyance exercée dans ces conditions est celle de l'homme qui sait mener les autres hommes, celle du chef à qui tous font confiance pour l'action à mener, pour la protection qu'il sait accorder à ceux qui l'ont choisi ou qui lui sont soumis. Ulysse visite beaucoup de villes, observe les mœurs des hommes, ce qui ne peut qu'être utile à un prince; dans ce domaine, il doit servir de modèle316 puisque tout vainqueur de Troie qu'il est, il ne se laisse pas entraîner à ne plus réfléchir, à ne plus observer dans l'ivres se du succès remporté. Regulus se trouve dans une position plus tragique, mais il sait qu'il doit servir d'exemple en faisant repousser le honteux traité proposé, au prix de sa liberté et de sa vie; il voit, au-delà de lui-même, l'avenir de Rome317. À travers ces deux personnages, Ulysse et Regul us,c'est en réalité un portrait d'Auguste qui est présenté par Horace; mais il n'a pas osé le faire franchement. Par contre, c'est ce que fait Ovide qui attribue une proidda cura au princeps dans son action en faveur de la restauration des sanc tuaires en ruines318; sa prévoyance permet à Rome de conserver la protection divine néces saireà sa sauvegarde et à son épanouissement. Il est intéressant de noter qu'il s'agit ici de la seule allusion directe à une «prévoyance d'Auguste»; Ovide le fait avec une grande discrétion et dans un contexte qui ne pouvait choquer puisqu'il était celui du rétablissement religieux après les années d'incohérence et d'abandon dues à la guerre civile; le mot dux rappelle que la victoire militaire a été la condition nécessaire à la res tauration religieuse, et donc à l'exercice de la « prévoyance ». Cette dernière peut avoir comme but la sau vegarde, ou la protection, personnelle; ainsi celle du cultivateur Simulus qui sait se ménager les ressources alimentaires nécessaires à une vie
315 Hör., Ars Poet., 311: «Verbaque prouisam rem non inuita sequentur». Le thème a été repris par Boileau dans un vers fameux. 316 Hor., Epit., I, 2, 19. 317 Id, Carm., III, 5, 13-18. 318 Ovid., Fasi., II, 59-60: «Cetera ne simili caderent labefacta ruina, cauit sacrati prouida cura ducis ». 319 Virg., Moretum, 59.
agréable319, comme celle de l'homme qui prépa re sa vieillesse en pensant à ce qui lui sera alors indispensable pour pouvoir bien la supporter, de bons livres et du blé en réserve320, comme celle du laboureur qui doit, avant d'aborder son tra vail, posséder et réunir tout le matériel qui lui est nécessaire pour que la terre lui apporte quelques profits321. Il est cependant à noter que c'est dans une ambiance religieuse que nous trouvons le plus souvent prolùdere et ses dérivés; nous l'avons déjà vu avec l'allusion aux restaurations religieu ses d'Auguste évoquées par Ovide. Des cas plus nets encore peuvent être étudiés. A deux repri ses,parlant d'hommes ou d'animaux qui ont la capacité de prévoir et de dévoiler l'avenir, Hora ceet Ovide leur adjoignent le qualificatif de prouidus : prouidus augur Thestorides qui annon ce la victoire et la prise de Troie, mais après de longues fatigues322, prouidus auspex pour le cor beau annonciateur323. Ce sont les dieux euxmêmes qui donnent ce don de prévoyance aux êtres qui en ont besoin, et qui ne sont pas obligatoirement des hommes. Une catégorie d'animaux particulièrement appréciée parce qu'utile à la vie rurale, les chiens de garde, n'a toutes ses qualités que grâce à Paies, la divinité fêtée dans les campagnes le 21 avril en tant que protectrice des troupeaux; les chiens forment une proidda turba324; le mot turba désigne une foule informe et sans loi, mais l'adjectif proidda apporte la note apaisante et organisatrice; il signifie l'intervention de la divinité, maîtresse de tous ceux qui doivent protéger les troupeaux des dangers provoqués par les loups. Mais prouidere est surtout une qualité possé déepar les dieux eux-mêmes et dont ils savent faire usage; c'est le cas d'Amona dans le passage des Métamorphoses que nous avons déjà cité et dans lequel Ovide attribue à la déesse une prolu da mens325. Que le terme soit appliqué à Apollon
320 Hor., Epit., I, 18, 109-110: «Sit bona libronim et prouisae frugis in annum Copia, ... ». 321 Virg., Géorg., I, 167. 322 Ovid., Met., XII, 18-19. 323 Hor., Carm. III, 27, 8. 324 Ovid., Fast., IV, 764. 325 Ovid., Met., VII, 712.
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ne peut étonner puisque le dieu se trouve alors évoqué dans son rôle de prophète, annonciateur des événements à venir par l'intermédiaire du chant d'un oiseau; ce dernier prévient l'augure de la destinée de la cité depuis le temple d'Apol lon nouvellement élevé sur le Palatin326. Proper ce revendique pour ses poèmes le mérite de l'originalité et il attribue à Apollon327 l'assurance que la postérité gardera éternellement le souve nir de ses vers ; ce dieu, qui a toujours répondu à ses vœux, est celui qui prend le mieux soin de ceux qu'il protège. Il n'y a rien là que d'assez banal et de très discret; ces écrivains restent tout à fait dans la ligne de ce qu'a voulu Auguste et, par l'exemple de prouidentia, nous voyons qu'ils ont parfaitement suivi la tendance impri méeà l'opinion par le princeps.
Comme Cicéron, Tite-Live tient proches les uns des autres prouidere et les mots qui définis sent le mieux l'homme muni de ses possibilités de connaissances et de réflexion, comme cautus ou praecautus; tout individu peut être doté d'un esprit pénétrant, apte à saisir le monde dans ses profondeurs, donc à l'utiliser avec intelligence selon les circonstances. Ce fut le cas de Claudius Marcellus faisant une sortie de Noia où il était enfermé333, celui de P. Scipion dans la péninsule ibérique334, des Phéréens de Thessalie335, ou encore celui du consul M' Acilius Glabrio s'adressant à ses soldats avant la bataille des Thermopyles336. Cette emprise de la raison sur l'esprit de l'homme est encore plus fortement marquée par les termes de consïlium et d'ingenium réunis dans un même passage; Tite-Live nous y décrit l'action des décemvirs chargés de rédiger les premières lois écrites de Rome; leur b) Tite-Live. réflexion doit déboucher sur une œuvre qui Tite-Live offre un exemple un peu différent, maintienne l'équilibre et la justice dans la cité : «Se quantum decem hominum ingénus prouideri ne serait-ce déjà que par le grand nombre d'emp lois de prouidere et de ses dérivés dans son potuerit, omnibus summis infimisque tura aequasœuvre328. En outre, il donne souvent à ces te se: plus poliere multorum ingenia consiliaque »33Ί . rmes des sens qui orientent le commentateur L'accomplissement et la mise en actes de la dans des directions nouvelles. réflexion sont traduits par le rapprochement Nous retrouvons l'aspect essentiel de prouider avec diligentia qui est l'expression de la sauve e, son intégration au domaine de la réflexion garde du bien-être et de la sécurité par le soin personnelle de chaque homme, c'est-à-dire de la scrupuleux dans l'action entreprise338, avec cura339 et praecaueo3*0. raison. Tite-Live fait les mêmes rapprochements de termes, de mots et d'expressions que CicéBien d'autres emplois de prouidere et de ses ron: ainsi cogitare, l'acte de penser et de réflé dérivés ne peuvent guère nous surprendre, puis chir qui permet la prévision329; ainsi animus qui qu'ils sont dans la ligne de l'utilisation qu'en ont est le lieu où se produit l'acte de prouidere330; faite Cicéron, Salluste ou César. Les consuls ainsi encore opinio331 et consulere332 qui font T. Geganius et P. Minucius assurent l'approv appel à la même faculté de réflexion, nécessaire isionnement en blé de Rome et évitent la disette qui aurait pu être déclenchée par la retraite de pour peser les termes d'une alternative ou pour envisager le futur proche. la plèbe sur le Mont Sacré et l'abandon des
326 Tib., JE/., II, 5, 11-12: «Tu procul euentura uides, tibi deditiis augur seit bene quid fati proiiida cantei auis ». 327 Prop., Ill, 1, 37-38 : «Ne mea contemplo lapis indicet ossa sepulcro Prouisum est Lycio nota probante deo ». 328 À trente-neuf reprises. Cf. D. W. Packard, A Concordanc e to Livy, Harvard, 1968. Le mot prouidentia est utilisé cinq fois par Tite-Live. 329 Tite-Live, XLIV, 24, 6 : « Haec cogitantem prouidere iubeJyat ...» 330 XXXI, 1, 5.
331 XXIII, 36, 2 : «Nec eum prouida futuri fefellit opinio». 332 XLIV, 34, 2. 333 XXIII, 43, 8 : « cauta prouisaque ... ». 334 XXV, 34, 7 : «Dux cautus et prouidens Scipio ». 335 XXXVI, 9, 7. 336 XXXVI, 17, 12 : «Satis undique prouisum atque praecautum est ». 337 III, 34, 3. 338 XXX, 5, 5. 339 Ibid., rv, 43, 9 et XXIV, 8, 13. 340 XXII, 42, 4. XXIV, 8, 13 : «summa cura prouidendum ac praecauendum uobis est».
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terres341. La prévoyance des tribuns militaires à pouvoir consulaire, dans une année de peste, permit d'éviter la disette342 et L. Horatius Pulvillus fut chargé de «prévoir» ce qu'il fallait en blé, en traits et en armes pour mener la guerre contre les Latins qui menaçaient Rome343. C'est la qualité de tous ceux qui ont des responsabilit és : les décemvirs rédigeant les dix tables de lois344, le sénat qui prend toutes les précautions nécessaires pour éviter la colère de la plèbe à la suite de l'affaire de Virginie tuée par son père pour lui éviter la passion du décemvir Appius Claudius345; c'est à cette prévoyance du sénat que le roi Eumène de Pergame fait appel pour le mettre en garde conte la délégation rhodienne qui, par des arguments spécieux, veut convain cre d'établir entre les alliés de Rome une inégali té injuste et dangereuse pour l'avenir politique en Orient346. Le sénat n'est pas la seule collectivi té à être dotée de cette qualité. Le sont aussi les Romains qui doivent tout faire pour diminuer la crainte des Grecs établis dans le voisinage de la Macédoine347, et les Rhodiens qui préviennent les desseins de l'ennemi et assurent ainsi la liberté de Caunos, de Myndos, d'Halicarnasse et de Samos348. Dans la même position se sont trouvés les anciens Romains qui ont su interdire aux patriciens l'accès aux magistratures pl ébéiennes et ont pu ainsi sauvegarder l'équilibre de l'État et surtout empêcher que l'opprobre et le mépris attachés au tribunat de la plèbe ne pût rejaillir sur les patriciens349. Dans le domaine militaire, nous retrouvons tous les traits auxquels l'œuvre de César, en particulier, nous a déjà habitués. Les soldats carthaginois, à qui les Romains n'ont pas laissé le temps de la réflexion, sont désorganisés, éga rés et incapables de prendre la moindre mesure; il faut prévoir, donc ne jamais être surpris, pour vaincre350. La même insouciance est préjudicia ble à la flotte romaine dans laquelle personne
n'avait su prévoir les conditions climatiques du milieu de l'été, particulièrement meurtrières par les «pestes» qu'elles pouvaient répandre351. C'est pourquoi la «prévoyance» là plus grande, c'està-dire la réflexion et une circonspection entière, doivent présider au choix d'un chef de guerre; c'est le sens du discours de Q. Fabius qui veut se faire élire alors que la première centurie a déjà voté et ne l'a pas désigné; la réflexion doit entraîner les citoyens à mieux voir les choses, à mieux envisager la réalité, à trouver la solution la meilleure, l'élection de Q. Fabius lui-même! La première centurie a agi sans réfléchir352. Dans un semblable état d'esprit, les ambassadeurs qui parlent au nom de Persée demandent à Eumène de prendre les précautions nécessaires pour que les Romains soient obligés de faire la paix; pour obtenir un résultat, ils font appel à l'intelligence du roi353. Cette adresse à un homme, et donc à la «prévoyance» de cet homme, est un aspect essentiel que prend la notion dans l'œuvre de Tite-Live. Elle n'est pas nouvelle non plus, mais notre auteur lui donne une force et un impact plus forts que ce que nous avons vu dans ce même domaine auparavant. La concentration sur un individu de cette qualité de proludere devient, avec lui, un point essentiel, sinon fonda mental, dans l'évolution de la notion. Bien entendu, étant donné le type même de l'œuvre de Tite-Live, c'est surtout dans le domaine mili taire que nous rencontrons ces chefs «pré voyants». Les exemples sont très nombreux et significatifs. Le consul M. Horatius, dans les combats menés contre les Sabins, sait tout pré voir pour conserver à son armée la cohésion et l'efficacité354. Le dictateur Camille, s'apprêtant à chasser les Gaulois de Rome, qu'ils ont prise, prépare son armée et la dispose sur le terrain dans les meilleures conditions possibles355. M. Claudius Marcellus maintient Epycide dans
341 II, 34, 3 : «... consules prouidissent . . . » 342 IV, 25, 6. 343 VI, 6, 14. 344 III, 34, 3. 345 III, 49, 8. 346 XXXVII, 53, 6. 347 XXXIX, 25, 12 : «Nisi prouideant aliquid Romani ... ». 348 XXXIII, 20, 12: «Nani alias auxiliis iuuerunt, alias prouidendo ac praemonendo conatus hostis, catisaque libertatis
fuerunt Cauniis, Myndiis, Halicarnassensibus, Samiisque ». 349 IV, 25, 1 1. 350 XXV, 39, 4 : «... nec prolùdere quicquam sinunt». 351 XXXVII, 23, 2. 352 XXIV, 8, 13 : «Itaque quis ad gubernacula sedeat, summa cura prouidendum ac praecauendum uobis est ». 353 XLIV, 24, 6. 354 III, 63, 3 : «Consul prolùdere omnia, ... ». 355 V, 49, 4.
AUGUSTE OU L'ABSENCE DE LA PROVIDENCE Syracuse de façon à ne pas être surpris par une sortie soudaine de l'ennemi356; d'ailleurs, il avait déjà montré auparavant toute sa «prévoyance» alors qu'il était enfermé dans Noia, ce qui lui avait permis de se dégager357; Tite-Live ajoute qu'il l'a fait « comme s'il s'était trouvé en présen ce d'Hannibal» et il entend par là qu'un chef doit toujours prendre les précautions les plus grandes quelque soit l'ennemi, qu'il ne doit jamais mésestimer; c'est un des aspects de l'acte de prolùdere. La présence d'Hannibal explique aussi l'attitude de T. Sempronius Gracchus qui vient de remporter un succès en s'emparant du camp ennemi; il ne se laisse pas griser et préfère se retirer à Cumes, à bon escient, pour éviter une attaque du chef carthaginois alors près de Capoue358; et, ajoute Tite-Live, «nec eum prouida futuri fefellit opinio ». Le même Ti. Gracchus, en envoyant le préteur M. Valerius à Blindes, le charge d'être «prévoyant» à l'égard de toute action pouvant provenir de Philippe et de la Macédoine359. Pour rassurer et encourager ses soldats avant la bataille qui va les opposer, aux Thermopyles, aux troupes d'Antiochos, le consul M'Acilius Glabrio a soin de les haranguer en soulignant que tout est prévu360 pour leur sauve garde dans un premier temps, et leur victoire par la suite. Le sens donné à cette « prévoyance » par TiteLive ressortit très bien d'un passage de son Histoire où il oppose l'attitude et le caractère des deux consuls de 216 av. J.-C, C. Terentius Varrò et L. Aemilius Paullus, avant la bataille de Cann es. Dès leur élection, tout oppose les deux hommes et Tite-Live le souligne bien en parlant de la nomination de Paullus, «par magis in aduersandum, quam collega, datur consult»361. Leurs caractères sont totalement dissemblables; Varron manque d'expérience dans cette magis trature puisque, contrairement à Paullus, il la remplit pour la première fois362; il prononce des harangues pleines d'arrogance, démagogiques 356 XXV, 26, 6. 357 XXIII, 43, 7: «omniaque, uelut aduersus praesentem Hannibalem, cauta prouisaque fuerant». 358 XXIII, 36, 2. 359 XXIII, 48, 3. 360 XXXVI, 17, 12 : «Satis undique prouisum atque praecautum est, ne quid aduersus nos in pugna praeter hostis esset ». 361 XXII, 35, 4. 362 Ibid. : « nouns magistratus ».
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dans le fond363, il est téméraire et impétueux364, il «vocifère»365 et est prêt à tomber dans le piège tendu par Hannibal. Il est le prototype de l'hom me qui manque totalement de réflexion et d'in telligence, celui qui se laisse aller à ses instincts et à ses passions du moment. Tout au contraire, L. Aemilius Paullus est décrit comme un homme raisonnable; il sait déplaire au peuple quand vient la nécessité d'affirmer la vérité, comme il le fait dans le discours qu'il prononce la veille de son départ de Rome366. Les termes que Tite-Live met dans la bouche du consul sont particulièr ement intéressants, puisqu'il lui fait utiliser des mots que nous avons déjà trouvés en correspon dance directe avec prolùdere : s'adapter aux ci rconstances, ne rien décider avant d'avoir vu où se trouvait l'ennemi, conduire les opérations «caute atque consulte» et repousser la témérité qualifiée de «stulta»367. Dans les paroles que Q. Fabius Maximus adresse à L. Aemilius Paul lusavant son départ, nous trouvons les mêmes idées réaffirmées: Varron «insanii» parce qu'il n'utilise pas la raison (ratio) qui doit rendre les Romains, dans leur combat contre Hannibal, «meliores, prudentiores, constantiores»; les der nières paroles de Q. Fabius peuvent être citées car elles présentent une des meilleures défini tions possibles de l'acte de prolùdere : «Gloriam qui spreuerit, ueram habebit. Sine, timidum pro cauto, tardum pro considerato, imbellem pro perito belli uocent. Maio te sapiens hostis metuat, quam stiliti dues laudent. Omnia audentem contemnet Annibal, nil temere agentem metuet. Nec ego, ut nihil agatur, moneo; sed ut agentem te ratio ducat, non fortuna : tuae potestatis semper, tuaque omnia sint. Armatus intentusque sis, neque occasioni tuae desis, neque suam occasionem hostides. Omnia non properanti darà certaque erunt: festinatio improuida est et caeca»368. La gloire, la vérité, la prudence, la circonspection, l'habileté sont les fruits de la raison qui doit guider le vrai chef; il n'y a rien d'étonnant à voir, tout à la fin, quali363 XXII, 38. 364 XXII, 41, 1 : «Ceterum temeritati consults ac praepopero ingenio materiam edam fortuna dedit». Ibid. : « inescatam temeritatem ferocioris consults ». 365 XXII, 41 : «indignante ac uociferante ». 366 XXII, 38. 367 Ibid. 368 XXIL 39, 20-22.
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fier la hâte d'«improuida»; le mot résume tout ce qui a été dit par Q. Fabius. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant non plus de voir prouidere attaché directement à L. Aemilius Paullus quand ce dernier s'oppose à laisser aller les soldats s'emparer du camp qu'Hannibal a abandonné sciemment pour atti rer les Romains dans un piège: «Et consul alter (Varrò) uelut unus turbae mïlitaris erat. Paullus etiam atque etiam dicere, prouidendum praecauendumque esse»369. Cette prévoyance du consul est d'ailleurs appuyée par les dieux puisque les poul ets sacrés lui donnent raison contre Varron et contre les soldats enflammés par le butin qui était à portée de leurs mains, car laissé en appât par le chef punique. La raison est bien l'élément essentiel de la notion de prouidere, mais l'homme est libre de l'utiliser ou de ne pas l'employer. P. Scipion avait toujours montré de grandes qualités de chef, «dux cautus et prouidens Scipio»370 mais, uictus necessitatibus, il partit au-devant d'Indibilis pour le combattre; ce temerarium consilium devait lui être fatal, à lui-même, mais aussi à ses soldats. Il s'oppose par là même à L. Aemilius Paullus qui réussit, pour un temps du moins, à imposer son point de vue. Seuls l'imprudence de Varron et son orgueil démesuré seront la cause du désastre de Cannes et de la disparition des deux consuls. Bien définie par Tite-Live lui-même, la quali té de prouidere est attribuée aux hommes pour qui l'historien a la plus grande admiration. C'est pourquoi Paul-Émile la possède au plus haut point. Il est le seul à se la voir attribuer autant de fois, huit, par Tite-Live. Paul-Émile pense à la sauvegarde de ses soldats et, lors des gardes, leur enlève le bouclier qui les faisait repérer de loin par les ennemis; sa prévoyance s'oppose à l'imprévoyance des soldats qui ne pensaient pas au danger représenté par l'éclat de leurs armes371. Tout son soin est attaché à la parfaite exécution des manœuvres qui ont été conçues
pour aboutir au succès; elles doivent donc res pecter les plans et les indications fournies au début de l'action372. Il sait utiliser des renseigne ments donnés par des marchands et sa «pré voyance» est capable de saisir le moment où l'adversaire est «imprévoyant», la nuit en parti culier, qui est l'ennemie du soldat puisque l'avantage est alors toujours à celui qui a pris l'initiative du combat373. Il est aussi intéressant de noter que Tite-Live met, à trois reprises, le verbe prouidere dans la bouche même de Paul-Émile qui s'adresse à ses troupes avant la bataille de Pydna et qui affirme publiquement son rôle de général, ses devoirs et ses capacités face à l'ennemi. Tite-Live lui fait insister sur la responsabilité unique du général qui est le seul à pouvoir prendre des décisions sur les opérations à mener, même s'il prend avis de ses officiers; lui seul sollicite ces avis et il en tient compte dans la mesure où il l'entend : « Unum imperatorem in exercitu prouidere et consulere, quid agendum sit, debere, nunc per se, nunc cum Us, quos aduocauerìt in consilium»374. Le général est à la tête de ses troupes pour faire en sorte que ses soldats soient sûrs de vaincre; la «prévoyance» du chef est nécessaire et suffi sante, tout à la fois, pour assurer le succès375 et Paul-Émile le montre encore quand, devant son conseil, il se justifie de ne pas avoir lancé, la veille, son armée sur Persée, il a pris sa décision seul et en toute connaissance de cause376. PaulÉmile est le prototype du véritable chef, celui qui sait organiser et agir après avoir envisagé tous les tenants et les aboutissants de la situa tion. C'est pourquoi il est toujours possible de consulter celui qui a su montrer sa «prévoyan ce» dans le passé, même si certains revers sont venus ternir, en partie tout au moins, sa réputat ion.Alors que tout son entourage poussait Antiochos à ne pas croire au passage des Romains en Asie, Hannibal réfugié à sa cour lui tint le langage contraire; Antiochos se rallia à son avis
369 XXII, 42, 4. 370 XXV, 34, 7. 371 XLIV, 33, 9 : «... ipsi nihil prouideant ». 372 XLIV, 33, 5 : «His satis exploratis, alia quoque primum, ut ordine ac sine tumultu omnia in agmine ad nutum imperiumque ducts fièrent, prouidit».
373 XLIV, 35, 12. 374 XLIV, 34, 2. 375 XLIV, 34, 5 : «Se, quod sit officium imperatoris, prouisurum, ut bene gerendae rei occasionem Us praebeat ». 376 XLIV, 39, 1.
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parce que le chef punique avait l'expérience des Romains, les connaissait pour les avoir fréquent és sur le champ de bataille et donc pouvait «prévoir» ce qu'ils allaient faire377. Tout roi, tou tecité a besoin de l'homme qui a déjà montré sa prouidentia, et Tite-Live emploie le mot pour donner une plus grande résonance à l'idée; Q. Servilius Priscus avait été dictateur lors de la prise de Fidènes; or, retiré des affaires politi ques, il réussit à rétablir une certaine entente entre les trois tribuns militaires à pouvoir consul aire(dont un de ses enfants); puis, connaissant le caractère et les ambitions des deux tribuns qui menaient l'armée romaine contre les Eques, il avait pu annoncer les insuccès de la campag ne. Les faits lui donnèrent raison et son presti ge en fut tel que les Romains n'hésitèrent pas à faire appel à lui pour reprendre la dictature et combattre les Eques qu'il vainquit. Sa prouident ia, appuyée sur l'âge et l'expérience, aetate et usu doctusm, reconnue par tous, a permis à Rome d'être sauvée379. Cette providence est bien une qualité humain e. N'importe qui peut la posséder, mais les degrés en sont divers suivant les individus. Imprévoyants dans leur garde, comme nous l'avons vu380, ce qui les conduit à la mort ou à la capture comme ces cinquante-neuf Carthaginois pris ex improuisom, les soldats peuvent aussi faire preuve de «prévoyance» en appréciant la permission qu'Hannibal leur donne d'aller voir leurs familles, car «et longius in futurum pronidentibus desiderium»392. Mais cette faculté a ses limites, pour tous. Elle peut être oblitérée ou affaiblie par les conditions naturelles; c'est ce que souligne Scipion l'Africain qui ordonne à Laelius et à Massinissa d'attaquer le camp de Syphax; cura et diligentia pourront suppléer à ce que la nuit ôte à la prouidentia: «quantum nox prouidentiae adimat, tantum diligentia expleant curaque»3*3. En outre, l'excès de prévoyance
peut conduire à retarder l'action; il est vrai que l'argument est employé par Antiochos qui veut faire passer les Phéréens de Thessalie de son côté et qui a donc intérêt à minimiser l'impor tanceque les Romains pourront avoir, à l'avenir, en Grèce384. En réalité, il est impossible que la prévoyan ce puisse amener à un résultat mauvais, si tout a été bien envisagé. Et quand Tite-Live, parlant de lui-même et de son œuvre, montre son effroi devant la tâche qui s'agrandit au fur et à mesure qu'il progresse dans l'histoire de Rome, le simple fait qu'il utilise le mot prouideo prouve qu'il a parfaitement envisagé les dimensions de son tra vail385 et qu'il en est le véritable maître. Une seule chose est capable de faire pièce à la faculté de prouidere que l'homme possède, l'intervention du fatum, le destin immuablement fixé par les dieux; Tite-Live nous en donne un exemple particulièrement marquant. Alors qu'il se trouve en Lucanie, Ti. Sempronius Gracchus voit les haruspices déclarer très mauvais présage le fait que, à deux reprises, des serpents aient rongé les foies des victimes d'un sacrifice. La volonté des dieux ainsi exprimée, le consul est trompé par de faux amis; allant à l'encontre de cette volonté, Gracchus met inutilement en action toute sa prouidentia', il ne peut détourner ce qui est voulu par les dieux; aussi va-t-il à son destin attiré par un traître dans un guet-apens mortel pour lui386. Les dieux peuvent donc intervenir dans le monde des hommes et perturber les facultés humaines jusqu'à les rendre inutiles. C'est év idemment parce que, eux aussi, possèdent une prouidentia qui est supérieure à celle des homm es. Mais Tite-Live n'y fait allusion qu'à deux reprises dans l'ensemble de son œuvre. Il est assez curieux de constater cette prudence. Elle se traduit par le fait que le propos ne touche alors que les événements très anciens. En outre,
377 XXXVI, 41, 6: «Umis nera et prouidere, et fideliter praedicere uisiis». 378 IV, 46, 4. 379 IV, 46, 10 : Et quod plurimum animorum fecit, dictator ex senatusconsiilto dictus Q. Semilius Priscus, uir cuius prouidentiam in republica cum midtis aliis tempestatibus ante experta ciuitas erat, turn euentu eins belli, quod uni certamen tribunorum suspectum ante rem male gestam fuerat ». 380 XLIV, 33, 9.
381 XXIII, 37, 6. 382 XXI, 21, 7. 383 XXX, 5, 5. 384 XXXVI, 9, 7. 385 XXXI, 1, 5: «Iam prouideo animo, uelut qui proximis litori uadis indued mare pedibus ingrediuntur». 386 XXV, 16, 4: «Nulla tarnen prouidentia fatum imminens moueri potuit».
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l'historien le fait de façon ambiguë, puisqu'il est possible d'interpréter comme négative l'inte rvention de la providence divine, sinon même que nous pouvons nier son existence. En effet, les deux fois, il s'agit de paroles rapportées et c'est dans la bouche d'un autre que Tite-Live place l'expression prouidentia deorum. À une des occasions où la lutte entre le patriciat et la plèbe avait empêché la nomination des consuls, l'interroi L. Papirius Mugillanus put s'attaquer aux sénateurs comme aux tribuns de la plèbe; il prétendit que, sans deorum prouidentia curaque, les Véiens et les Eques auraient pu s'emparer de YUrbs; l'indécision qui avait envahi l'esprit des ennemis de Rome leur était venue des dieux387. Il est évidemment difficile d'essayer de défi nir pourquoi Tite-Live nous raconte ce fait et emploie ce vocabulaire; y croyait-il? voulait-il nous y faire croire? y voyait-il simplement un trait caractéristique de l'époque qu'il décrivait et qui savait utiliser les dieux comme argument politique? La balance pencherait plutôt vers la dernière de ces solutions, si nous en croyons le second emploi de la providence divine que fait Tite-Live. Il s'agit alors de paroles prononcées par Tarquin le Superbe. Voulant que les Latins prennent parti contre Turnus d'Aricie qui lui a fait injure, le roi de Rome leur fait croire que Turnus lui a tendu un piège en forme de guetapens; seul le retard qu'il a eu pour venir à la réunion l'a sauvé. Ce retard est dû à «deorum quadam prouidentia »388 qui a permis, et son pro pre salut, et celui des Latins. Tite-Live ne prend pas ces paroles à son compte; en effet, dans ce passage, il trace le portrait du chef faux et ment eur qui utilise tous les arguments, même les plus fallacieux, propres à tromper ses interlocu teurs; cette allusion à la providence des dieux, dans la bouche de Tarquin, ne fait que renforcer les traits sinistres de son portrait. Cette providence des dieux intervient donc dans des conditions bien peu favorables à sa crédibilité. Il est certain que Tite-Live ne croit pas à son existence; c'est le reflet de sa propre pensée à l'égard de l'existence des dieux et de leurs interventions sur terre; c'est aussi un bon
387 IV, 43, 9. 388 1, 51, 3. 389 1, 1, 3.
exemple de l'atmosphère augustéenne peu por tée à donner à ces termes une place de choix dans le vocabulaire politique, institutionnel ou religieux du moment. Mais cela n'enlève rien à l'importance donnée par Tite-Live à la qualité de prolùdere en l'attachant à un individu. Il en a fait une des vertus fondamentales de l'homme res ponsable, politiquement et militairement. e) Diodore de Sicile. Il peut être intéressant de mettre en parallèle avec Tite-Live un historien grec qui est presque son contemporain, mais qui fait un tout autre emploi de la providence, Diodore de Sicile. Le fil conducteur que ce Grec fortement romanisé entreprend de nous faire suivre dans cette immense compilation qu'est sa Bibliothèque His torique, est justement la providence divine. Elle a réglé le cours de l'univers entier et, dans cet univers, le cours des choses humaines. C'est l'e nseignement fondamental que la jeunesse doit y puiser; il ne peut que servir à sa formation puisqu'elle y puisera toute l'expérience nécessai re à sa propre action. Dans l'histoire, c'est-à-dire dans le développe ment des événements, l'homme est l'artisan de la divine providence : «ώσπερ τινές υπουργοί της θείας προνοίας γενηθέντες»389. Comme chez TiteLive, ce sont les hommes qui font l'histoire, mais ils sont, pour Diodore, guidés par les dieux; dès le début, et pour l'éternité, une destinée leur a été fixée. Mêlant, puisque telle était sa volonté pour se distinguer de ses prédécesseurs, d'une part les temps mythiques, d'autre part les exploits des héros au temps des hommes, il fait intervenir la providence divine aussi bien dans les mythes que dans l'histoire. Parmi les récits mythiques, celui des Argonautes fournit à Diodore l'occasion de faire intervenir quatre fois ή των θεών πρόνοια : le passage d'Europe en Asie sur une bélier à toison d'or qui les mènent sur un chemin qu'ils n'auraient pu trouver seuls390; le dieu Glaucos apparaît aux yeux des Argonautes, les interpelle par leurs noms et s'apprête à leur découvrir l'avenir θεών πρόνοια391; enfin, les Argonautes peuvent pénétrer dans la ville quand
390 IV, 47, 1. 391 IV, 48, 7.
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Médée, par un remède puissant, a pu transfor mer sa vieillesse en beauté de la jeunesse, com me par «une providence divine»392; le dernier exemple montre Orphée sauvant les navigateurs; initié dans les mystères, il fait des vœux aux dieux de Samothrace pour conjurer les tempêtes et permet ainsi l'apaisement de la mer393. Dans ce cycle mythique, Diodore insiste une autre fois sur l'intervention de la providence divine, lors que l'enfant Cybèle est miraculeusement nourrie du lait de panthère et d'autres animaux ces394. Dans le monde des hommes, l'intervention de la providence divine n'est pas moins évidente. Elle joue un rôle dans les événements politiques; dans le discours que Théodore, un Syracusain, adresse à Denys au moment de la lutte contre Carthage, en 396 av. J.-C, il proclame que la reconquête de la liberté ne peut se faire qu'à l'aide de la providence des dieux : « θεών γάρ τις πρόνοια μετά των συμμάχων εν τοις δπλοις ημάς συνήγαγε προς το την έλευθερίαν άνακτήσασθαι, »395. Quand le héraut d'Athènes annonce que la cité refusera l'asile à quiconque attentera aux jours de Philippe de Macédoine, il est l'inte rprète de la providence divine annonciatrice du futur assasinat du roi396; il fallait la comprendre, si l'on voulait éviter à Philippe son sort tragique. La pluie abondante qui sauva l'armée d'Alexan dre qui traversait le désert pour rejoindre l'oasis d'Amon397, l'intervention d'un dragon qui indi que la plante qui va sauver Ptolémée, alors qu'il a été blessé et pénétré par le poison des Indiens398, sont aussi, pour Diodore, les preuves de la providence des dieux; il s'agit d'interven tions inattendues, mais qui s'expliquent par la suite de l'histoire : les succès d'Alexandre et sa
domination du monde, la place importante que prit Ptolémée dans la succession d'Alexandre et la formation du royaume lagide d'Egypte. Cette providence divine est un auxiliaire important de la justice; elle fait sentir son inter vention par le jeu de coïncidences qui ne peu vent être totalement fortuites. C'est ainsi qu'Agathocle a perdu ses enfants et sa propre armée le même jour du même mois où il avait fait assassi ner Ophelias et où il lui avait pris son armée399. Cet exemple lui semble si frappant qu'il lui paraît devoir servir de leçon à tous ceux «qui seraient tentés de mépriser l'influence divine». Quand les Locriens vont chercher du secours à Sparte, les Lacédémoniens leur conseillent de prendre comme auxiliaires les fils de Tyndare, les Dioscures; ils acceptent malgré le caractère étonnant de la réponse spartiate qui aurait pu être prise pour une fin de non-recevoir; la provi dence divine est intervenue pour leur faire accepter ces curieux conseils400. D'ailleurs les interventions de la providence divine se font souvent dans des affaires à carac tèrereligieux et viennent montrer aux hommes l'existence et la puissance des dieux. Quand les partisans de Cinna et de Marius, «souillés de sang», sont décimés par les proscriptions de Sylla, Diodore nous dit que certains, mais il prend cet avis à son compte, y virent un chât iment infligé par la providence des dieux; elle condamnait ceux qui, par les crimes commis, avaient montré leur impiété401. L'intervention de la providence divine est aussi nette lors de cet événement marquant de la vie religieuse de Rome que fut l'arrivée en Italie de la Grande Mère de Pessinonte, venue à la demande des Romains eux-mêmes. L'un des tribuns de la plè-
392 rV, 51,5: «'Αποκατασταθεϊσαν δ'είς την προύπάρχουσαν διάθεσιν και φανεϊσαν τώ βασιλεϊ καταπλήξασθαι τους ορών τας, και δόξαι τινί θεών προνοία μετηλλαχεναι το γήρας είς παρθένου νεότητα και κάλλος περίβλεπτον· ». 393 IV, 43, 1-2. 394 III, 58, 1 : «Ένθαΰθα τώ παιδίω κατά τίνα θείαν πρόνοιαν τάς τε παρδάλεις καί τίνα των άλλων τών αλκή διαφερόντων θηρίων παρέχεσθαι την θηλήν καί διατρέφειν ». 395 XIV, 67, 2. 396 XVI, 92, 2 : « Δια δε τής αΰτοματιζούσης φήμης ώσπερ θεία τινί πρόνοια > 397 XVII, 49, 4 : « Διό καί το συμβάν εδοξεν άνελπίστως σωθείσι θεών προνοία γεγονέναι ».
398 XVII, 103, 7: « ö τίνες εις θεών πρόνοιαν άνέπεμπον». 399 XX, 70, 1. 400 vili, 32, 2. Diodore dit : « είτε προνοία θεού είτε το ρηθέν οίωνισάμενοι. » ; mais, en réalité, il n'envisage sérieusement que la première solution, qui n'est d'ailleurs pas exclue par la seconde. 401 XXXVIII/ XXXIX. 6. 1 : «Διό και πολλοί τών μετρίων ανδρών την τών προκαταρξαντων τής μιαιφονίας τιμωρίαν είς την τών θεών πρόνοιαν άνέπεμπον. » II est intéressant de noter que Diodore parle de l'avis d'hommes μετρίοι, mesurés dans leur jugement, qui réfléchis sent avant de donner leur opinion.
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be n'avait pas voulu de l'introduction à Rome d'une divinité purement orientale; en trois jours une forte fièvre l'emporta. Cette mort est à la fois vengeance contre celui qui s'est opposé à la décision des dieux (la consultation des Livres Sibyllins), et aussi le signe que l'introduction de la nouvelle divinité apporterait le bien et la sauvegarde à YUrbs menacée402. Cette même pro vidence peut aussi désigner directement celui qu'elle veut voir régner, comme cela se pratique, à ce qu'on dit, chez les Ethiopiens403. L'exemple de Diodore est intéressant pour nous, car il s'agit d'un Grec, mais imprégné de culture romaine, qui a vécu à Rome, mais qui n'a jamais fait partie des cercles lettrés ou des cénac les politiques de YUrbs. Son esprit, imprégné d'un stoïcisme parfois caricatural par son sim plisme, est bien différent de celui des écrivains latins de son époque. Il ne suit pas les influences d'un Cicéron, il n'a pas à être le reflet des pressions de l'opinion publique, il ne vit pas
dans l'atmosphère créée par Octavien-Auguste. C'est ce qui explique qu'il présente une œuvre dont les fondements et le fil conducteur ne doi vent rien à son époque. Il est l'antithèse de Tite-Live qui, en plus de ses sentiments personn els,est le parfait reflet de ce qu'a voulu August e dans sa recherche des racines les plus profon des de l'histoire de Rome dans une continuité où les hommes, livrés à eux-mêmes, ont joué le rôle fondamental. Nous comprenons dès lors cette utilisation prudente, et purement humaine, de cette qualité de prouidere; tous prennent soin de ne pas lui donner tout le relief, tout le poids, que Cicéron avait su lui procurer. La période augustéenne est bien une période de transition pour la prouidentia, diluée, effacée dans une mesure commune, mais qui a conservé tout le sens que le temps avait accumulé en elle. À la mort d'Au guste, la notion est prête à réapparaître au prelier plan et à être utilisée officiellement, si l'em pereur le veut.
402 XXXVI, 13, 3. 403 III, 5, 1 : « ώς υπό της του δαιμονίου προνοίας έγκεχειρισμένης αύτω της αρχής >. C'est la seule fois dans l'œuvre de Diodore où πρόνοια est employée avec δαιμόνιον à la place de θεία ou θεών. Dans son index de l'édition Loeb, t. XII, 1967, R. M. Geer donne plu sieurs références à l'idée de providence (sept références exactement) là où il y a το δαιμόνιον, sans πρόνοια. Il faudrait nuancer, car l'intervention de la divinité peut exister
sans que ce soit sous son aspect «providentiel». C'est pour quoi d'ailleurs, les diverses traductions que donne F. Hoefer, Paris, 1851, pour la même expression incluant πρόνοια, ne reflètent pas toujours ce qui a été pensé par Diodore. Parler d'« intervention divine» (IV, 51, 5; XVII, 49, 4) est faible; parler d'« ordre des dieux » (IV, 48, 7) n'est pas plus exact que «protégée des dieux» (III, 58, 1) ou qu'« inspiration divine» (VIII, 32, 2).
CHAPITRE IV
TIBÈRE OU L'OFFICIALISATION DE LA PROVIDENCE
I - «PROVIDENTIA»: SON EXPRESSION OFFICIELLE ET PUBLIQUE
1 - Les sources Le règne de Tibère nous offre les premiers véritables documents officiels utilisant Prouident ia et l'affirmant aux yeux de tous. Un tel fait doit nous permettre, dans un premier temps, de nous poser plusieurs questions : à quelle date ces documents apparaissent-ils et quelle est l'oc casion, ou quelles sont les occasions, qui ont poussé Tibère à user de la Prouidentia? Il est bien certain que trouver l'événement qui a fait de Prouidentia un élément de «l'idéolo gie officielle», c'est aussi éclairer les buts de Tibère et, surtout, donner à Prouidentia un sens précis. En effet, si la notion est utilisée dans des cas bien définis, grand soin a été pris de lui donner une signification sans équivoque. Pour la suite de l'histoire de la providence, ce point de départ est capital et doit être compris et analysé le plus profondément possible. Les documents devraient nous permettre d'aboutir à quelques conclusions qui pourront éclairer l'évolution de «l'idéologie impériale» sous le Haut-Empire.
1 A/DIWS AVGVSTVS PATER Tête d'Auguste radiée (à droite ou à gauche). R/ PROVIDENT SC de chaque côté d'un autel surmonté de ses cornes. H. Mattingly, Coins of the Roman Empire in the British
Se posera aussi le problème de savoir pour quoi Tibère a rompu si brutalement avec les habitudes du règne d'Auguste, avec, pourrionsnous dire, les directives augustéennes. C'est peut-être un aspect de la personnalité de Tibère qui apparaîtra à travers le choix qu'il a fait de la Prouidentia pour exprimer le contenu de la volonté impériale. De ce fait, nous pourrons par ler de Prouidentia comme d'une notion «tibérienne ». Les éléments que nous possédons sont à la fois numismatiques et épigraphiques. Comme nous allons le voir, les monnaies sont incontesta blement les plus importants, car elles sont issues d'ateliers contrôlés par l'autorité romaine, que ce soit à Rome même ou dans les provinces. Mais les inscriptions ne seront pas à négliger, car elles viennent en complément des docu ments numismatiques et permettent, en particul ier, d'éclairer la portée de ces derniers dans l'opinion et la mentalité. Trois types monétaires portent, inscrit, le te rme Prouidentia. Le premier, au profil d'Auguste et à l'inscription sur l'avers DIWS AVGVSTVS PATER, est formé d'as1 dont les frappes, exécu téesdans les ateliers monétaires de Rome, ont été abondantes comme en témoignent les nomb reuses trouvailles de ce type dans les trésors
Museum (=BMQ, 1, p. 141, n° 146, 147, 148, 149, 150; H. Mattingly-E. A. Sydenham, The Roman Imperial Coinage (=RIC), I, p. 95, n° 6; H. Cohen, I, n° 228; A. S. Robertson, Roman Imperial Coins in the Hunter Coin Cabinet, Oxford, 1962, p. 60-61, n° 5 sq.; Cf. p. 430, n° 5 et pi. I.
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mis à jour2. Le deuxième type est au profil et à la titulature d'Agrippa3 et le troisième à ceux de Tibère lui-même4. Les deux derniers types sont plus rares que le précédent, particulièrement le troisième dont ni le British Museum, ni le Cabi netdes Médailles de la Bibliothèque Nationale ne possèdent un seul exemplaire. Le monnayage du règne de Tibère nous four nitd'autres exemples avec Prouidentia. Il est vrai qu'il ne s'agit plus alors du monnayage direct ementofficiel, c'est-à-dire provenant des ateliers impériaux. Ce sont des frappes réalisées dans des ateliers monétaires de municipes ou de colo nies qui avaient conservé, ou à qui Auguste avait concédé, le droit de battre leur propre monnaie. L'initiative est certainement locale dans le choix du type représenté, de l'inscription, du moment de la frappe; mais le contrôle exercé par les gouverneurs ne permettait pas beaucoup de fan taisie. En outre, il ne pouvait qu'être de bon ton de répondre aux sollicitations indirectes venues de Rome par l'intermédiaire des monnaies des 2 Trois exemples suffisent à le montrer : Dans le Tibre seul, 420 exemplaires : M. Grant, The Pat tern of official Coinage in the Early Principale, Essays in Roman Coinage près, to H. Mattingly, 1956, p. 108. À Vindonissa, près de 600 de ces pièces à ce type ont été mises au jour : C. M. Kraay, Die Miinzftinde von Vindonissa, 1962, p. 23 et p. 105, n° 3617 à 4237. À Lousonna (Vidy), les as de ce type, au nombre de 53, sont de fort loin les plus abondants des séries portant l'inscription DIVVS AVGVSTVS PATER: C. Martin, Lousonn a. IL Les monnaies, dans Rev. Hist. Vaudotse, LXXIII, 1965, p. 128, n° 80 sq. 3 A/ M AGRIPPA L F COS III Tête d'Agrippa avec une couronne rostrale, à gauche. R/ PROVIDEN S C de chaque côté d'un autel. H. Cohen, I, n° 2; E. Babelon, Monnaies de la République Romaine, Paris, 1886, p. 559; BMC, I, p. 143, c/de la note; RIC, I, p. 101 et 108, n° 34. Cf. p. 430, n° 4. 4 A/ TI CAESAR AVGVSTVS GERM Tête de Tibère. R/ PROVIDENT 5 C de chaque côté d'un autel. C. M. Kraay, op. cit. p. 105, n° 4238, 4239, 4240-4241, 4242, 4243, 4244; Th. Pekary, Zur Datierung des DIWS AVGVSTVS PATER/PROVIDENTIA Prägungen, dans Gazette numismatique suisse, Festschrift A Alföldi, XV, 1965, p. 128. Cf. p. 430, n° 1. 5 A/ IMP TI CAESAR AVGVSTVS PON MAX Tête nue de Tibère. R/ PERM DIVI AVG MVNIC ITALIC
ateliers impériaux. En ce qui concerne Prouident ia, ce sont des cités de la péninsule ibérique qui ont réalisé les frappes. Des as et des dupondii ont été émis à Italica, la capitale de la province sénatoriale de Bétique5. Les autres monnaies ont été frappées à Emèrita, capitale de la province impériale de Lusitanie; ce sont des as à l'effigie d'Auguste6, d'autres as à celle de Tibère7 et des semis*. Il est intéressant de noter immédiate ment que la seule péninsule ibérique, de toutes les parties du monde romain, est partie prenante dans ces frappes au nom de Prouidentia. Un atelier très important, comme celui de Lugdunum, n'en a jamais émis. Mais, plus encore, nous pouvons voir que seules deux des cités ibéri ques, sur les seize qui avaient conservé leurs ateliers de frappe9, ont consacré certaines de leurs émissions à Prouidentia. Bien entendu, rien sur ces monnaies ne per met de dater avec précision leur émission La première impression ne peut être que globale et plusieurs éléments nous indiquent, sans erreur
TI.
Un autel, et inscrit sur l'autel PROVIDE/NTIAE/AVGVS-
A. Heiss, Description générale des monnaies antiques de l'Espagne, Paris, 1870, p. 380, n° 8; A. Vives y Escudero, La Moneda Hispanica, Madrid, 1926, p. 127, n° 9, 10; R. Etienne, Le culte impérial dans la Péninsule ibérique d'Au guste à Dioclétien, Paris, 1958, p. 321, n° 24. Cf. p. 430, n° 2. 6 A/ DIWS AVGVSTVS PATER Tête d'Auguste nue ou radiée. R/ Un autel encadré par, à droite PERM, à gauche AVG. Sous l'autel : PROVIDENT. A. Heiss, op. cit., p. 401. n° 26, 27; A. Vives y Escudero, op. cit., p. 58, n° 39, 46, 47, 48, 49, 58, 61, 64; R. Etienne, op. cit., p. 331; 0. Gil-Farres, La ceca de la Colonia Augusta Emerita, dans Archivo espanol de Archeologia, 1946, LXII, p. 231-232, n° 113 à 124. Cf. p. 430, n° 6. 7 A/ TI CAESAR AVGVSTVS PON MAX IMP Tête de Tibère, nue ou lauree. R/ Un autel encadré par, à droite PERM, à gauche AVG. Sous l'autel : PROVIDENT. A. Heiss, op. cit., p. 40, n° 38; A. Vives y Escudero, op. cit., n° 74, 78; O. Gil-Farres, art. cit., p. 237, n° 149 à 154; Cf. p. 430, n° 3. 8 A/ Un autel encadré par, à droite PERM, à gauche AVG. Sous l'autel : PROVIDENT R/ Même disposition que l'avers. O. Gil Farres, art. cit., p. 237, n° 155. C'est un cas unique et aberrant. 9 R. Etienne, op. cit., p. 13.
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possible, qu'il s'agit bien de l'époque de Tibère. La mention DIVVS AVGVSTVS, c'est-à-dire d'Au guste ayant reçu la consécration et désormais accepté par les dieux dans leur monde, nous reporte automatiquement après la mort du pre mier princeps, en 14 ap. J.-C. Cela serait certaine ment insuffisant, car nous trouvons tout au long des règnes des Julio-Claudiens et des Flaviens des frappes avec les inscriptions DIVVS AVGVSTVS ou DIVVS AVGVSTVS PATER. Mais le rapprochement avec les avers portant la titulature et le profil de Tibère fait incontestable ment remonter l'ensemble de ces émissions au règne de cet empereur. Les monnaies «colonial es» ibériques nous le confirment; elles aussi mêlent les deux types d'avers. Pour l'instant, en ce qui concerne la datation, nous ne saurions, aller au-delà de ce bien mince résultat. D'autres éléments permettent certainement d'aboutir à des conclusions plus précises; dans ce contexte quelques inscriptions ne doivent pas être négli gées. En général, les éléments épigraphiques qui mentionnent la Prouidentia et qui peuvent être datés avec une assez grande précision sont très rares. Cependant il est des inscriptions qui, grâ ceà la connaissance que nous avons du lieu de leur découverte ou par le style de l'écriture, doivent être de la première moitié du premier siècle; nous pouvons les mettre en rapport avec les quelques éléments bien datés. Pour le règne de Tibère seules cinq inscriptions peuvent être prises en compte pour notre propos.
La première est d'Interamna (Terni, en Ombrie)10 et il est possible de la dater avec précision grâce aux noms des consuls ordinaires, Cnaeus Domitius Ahenobarbus et Marcus Furius Camillus Scribonianus. Ce dernier a eu son nom martelé en 42; il avait alors, en tant que légat de Dalmatie, appuyé la conspiration d'Asinius Gallus et de Statilius Corvinus contre Claude. Sans se faire reconnaître empereur, il avait déclaré qu'il allait rétablir la République. Abandonné par ses troupes, il fut assassiné par un de ses soldats11. Il avait exercé son consulat ordinaire en 32 ap. J.-C.12. La deuxième inscription est de Gortyne, en Crète13; elle aussi peut être datée, par la mention de la troisième année du procons ulat de P. Viriasus Naso, de 32 14. À ces deux inscriptions facilement datables, nous pouvons joindre trois autres dont la pre mière est encore issue d'Interamna15, la deuxiè me de Corinthe16 et la dernière d'Athènes17. Bien que ces inscriptions ne puissent être datées avec précision, ce n'est pas artificiellement que nous les joignons aux deux premières qui sont sans conteste du règne de Tibère. En effet, la seconde inscription d'Interamna doit être rapprochée de la première. Ce sont les seuls exemples de textes de cette cité offrant la mention de Prouidentia; il est évident qu'il s'agit presque certainement de l'expression publique d'un même événement qu'il est impossible, pour l'instant, de définir. A. B. West donne au document de Corinthe une date beaucoup plus récente: début de la deuxième moitié du Ier siècle ap. J.-C; mais l'ins-
i0CIL, XI, 2, 4170 (=ILS, 157). a/ SALVTI PERPETVAE AVGVSTAE/ LIBERTATIQVE PVBLICAE/ POPVLI ROMANI. b/ GENIO MVNICIPI ANNO POST/ INTERAMNAM CONDITAM/DCCIIII AD CN DOMITIVM/ AHENOBARBUM M FVRIVM/CAMILLVM SCRIBONIANVM COS. c/ PROVIDENΉAE TI CAESARIS AVGVSTI NATI AD AETERNITATEM/ ROMANI NOMINIS SVBLATO HOSTE PERNICIOSISSIMO Ρ R/ FAVSTVS TITIVS LIBERALIS VIVIR AVG ITER/ Ρ S F C. "Suét., Claud., XIII, 34. 12 V. Ehrenberg-A. H. M. Jones, Documents illustrating the Reigns of Augustus and Tiberius, 2e ed., Oxford, 1955, p. 43. nClL, III, suppl. 2, 12036 (= ILS, 158); V. EhrenbergA. H. M. Jones, op. cit., p. 65, n° 52. [NVM1INI AC PROVIDENTIAE/ [TI CA]ESAR AVG ET SENATVS/ [IN MEMORIAM] EIVS DIE QVI FVIT XV Κ
NOVEMBR/ [P] VIRIASVS NASO PROCOS TERTIO SVA PECVNIA/ CONSECRAVIT. 14 RE, IX, A I, col. 202-203 (R. Hanslik). 15 CIL, XI, 2, 4171 (= ILS, 3793). PROVIDENTIAE/ AVGVSTAE SACR. 16 A. B. West, Corinth, vol. VIII, part. II, Latin Inscriptions, Cambridge, 1931, p. 90, n° 110 (Cf. AE 1974, 607 et 1978, 778 avec la même dédicace, mais faite par la tribus Claudia). CALLICRATEAE/ PHILESI FIL/ SACERDOT IN PERPET/ PROVIDENTIAE AVG/ ET SALVTIS PVBLICAE/ TRIBVLES TRIBVS AGRIPP[I]AE/ BENE MERITAR 17 IG, III, 461 (= IG minor, II, 3, 3238). Ίουλίαν θεαν Ceßaarriv IIpóvouxv ή βουλή ή έξ Άρήου πάγου και ή βουλή των εξακοσίων και ό δήμος άναθέντος έκ των ιδίων Διονυσίου τοΰ Αΰλου Μαρα-θωνίου άγορανομουντωναύτοϋ τε Διονυσίου Μαρα/θωνίου και Κοίντου Ναιβίου "Ρούφου Μελιτέως.
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cription fait référence à une époque antérieure puisque cette prêtresse de la Providence Auguste et du Salut Public a certainement rempli ses fonctions pendant de nombreuses années. C'est en tant que prêtresse qu'elle reçoit les félicita tions,inscrites dans la pierre, des membres de sa tribu; elle n'a pu acquérir de tels mérites qu'au bout d'un certain nombre d'années dans sa fonction. Rien ne s'oppose à ce que nous fassions remonter la création de cette prêtrise à l'époque de Tibère. Quant à l'inscription d'Athènes, elle fait cer tainement allusion à Livie, la veuve d'Auguste. Il est vrai que le début du texte est assez ambigu; certains ont pensé à Julie qui a été aussi parfois appelée «Divine Auguste»18. Mais il n'est pas sûr qu'il faille joindre ici Οεβαστήν à Ίουλίαν θεάν et il vaut mieux comprendre «À la Divine Julie Providence Auguste»19. Livie porte l'appellation de «Divine», ce qui nous indique immédiate ment que l'inscription a été faite après sa mort, en 29, peut-être même sous le règne de Tibère bien que ce dernier n'ait pas permis sa divinisa tion officielle, qui n'interviendra que sous Clau de. De ce premier exposé des éléments dont nous disposons, nous pouvons mettre en valeur un trait essentiel: sous le règne de Tibère la notion de Prouidentia a pris une place officielle et publique de premier plan dans l'ensemble de l'Empire. Il est possible de considérer que cette «abstraction» est devenue commune à tous, en Orient comme en Occident. Cette utilisation pose de nombreux problè mes,en particulier celui de savoir pourquoi un tel développement et une telle officialisation de la notion durant ce règne, quels motifs ont pu provoquer ce mouvement voulu par Tibère, et suivi par certains, dans des régions aussi diffé rentes que la Crète, la Grèce, l'Italie et la pénin suleibérique. Ne trouve-t-on pas là un désir profond et affirmé de faire servir Prouidentia à la compréhension de certains événements ou à la propagande dont l'empereur a voulu entourer
ces mêmes événements? Mais s'agit-il d'un ou de plusieurs événements? Dans un premier temps notre démarche nous conduit à essayer de trou ver un dénominateur commun chronologique; en effet, de telles concordances ne peuvent être un résultat du hasard, ni même l'expression sou daine et spontanée d'une idée déjà sous-jacente dans le mental collectif. Elles recouvrent plutôt un essai de formation de ce mental collectif; chercher le sens de cette Prouidentia, c'est tout d'abord prendre conscience de l'objet auquel elle a pu être attachée et définir l'événement ou les événements qui ont pu être causes de son utilisation.
18 Cf. JHS, IX, p. 243, p. 19. 19 livie a aussi été appelée Iulia Augusta dès 14 ap. J.-C. Cf. RE, XIII, 917, 55. P. Graindor, Athènes sous Auguste, Le Caire, 1927, p. 155-156 et Athènes de Tibère à Trajan, Le Caire, 1931, p. 2-3 et 113.
20 Ce point de vue est encore défendu, à propos des émissions d'Émérita, par M. Blazquez, Propaganda dinàstica e las acunaciones de Hispania, dans Numisma, XXIII-XXIV, 1973-1974, p. 318.
2 - Pourquoi et quand? Le problème chronologique doit être abordé par l'étude des différentes monnaies. En effet, les frappes venues de Rome ont un caractère parfaitement officiel; les ateliers sont surveillés par le pouvoir impérial. S'il est possible de défi nir la date d'émission, nous possédons un point de départ important. De nombreux spécialistes de la numismatique se sont déjà penchés sur ces frappes pour tenter d'en déterminer la date. Il est incontestable que, quel que soit l'avers, ces monnaies font partie d'une même série d'émis sionsque nous pouvons appeler «série au type de l'autel». a) Une première approche. Une première solution, proposée par certains, mais sans véritable réflexion, doit être écartée20. Ces monnaies ne peuvent avoir été émises au moment de la mort et de l'apothéose d'Auguste. Une telle opinion a été confortée par la mention DIVVS AVGVSTVS. Mais il fallait alors se poser la question de savoir pourquoi d'autres pièces, avec le même revers, portaient les traits de Tibè reou ceux d'Agrippa. S'il faut trouver un él ément de cohérence dans les émissions, la consé-
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cration d'Auguste ne permet en rien d'aboutir à une solution vraisemblable. En outre, la repré sentation d'un autel sur le revers ne peut être en relation directe avec l'apothéose du premier princeps; un temple, l'aigle, la foudre seraient alors beaucoup plus indiqués. De plus aucune de nos sources ne mentionne, à Rome, l'existence d'un autel consacré au culte du nouveau diuus; or, il faut bien expliquer sa présence sur les revers monétaires; en faire la représentation de l'Ara Pacis n'a rien de convaincant puisqu'il n'y a pas de relation directe avec la consécration. Ces monnaies ne sont certainement pas des pièces émises pour célébrer et commémorer la divini sation d'Auguste. Il y a plus de soixante ans, L. Laffranchi a établi, à partir d'une étude des styles des diffé rentes monnaies, les périodes d'émission de cha que type21. Il a montré, avec une assez grande précision, que le type de l'as avec Prouidentia faisait partie de la série des monnaies émises à partir de 23 ap. J.-C, en même temps que les monnaies de Livie avec les personnifications de Pietas, de Salus, de Iustitia22. Les conclusions d'E. A. Sydenham recoupent justement ces pre miers résultats; définissant trois périodes stylis tiques durant le règne de Tibère, de 14 à 21, de 21 à 33, et après 33, il attribue les monnaies qui nous intéressent à la deuxième période23. C. H. V. Sutherland a essayé, lui aussi par l'étu dedes styles, de rapprocher les dates extrêmes; il plaça d'abord l'émission entre 22/23 et 3024, puis entre 24/25 et 3025. Depuis ces études, les différents savants qui ont abordé ce problème ont, en général, suivi leurs prédécesseurs. C'est le cas de M. Grant qui cependant propose, mais avec combien de pru dence, la date de 29 ap. J.-C.26. R. Etienne ne
discute pas les dates proposées puisqu'il attribue aux années 22/23 les émissions ibériques d'Itali ca «par similitude avec l'émission romaine de 22», en s'appuyant sur les études successives, et précédemment citées, de Sutherland et de Grant27. X Béranger suit aussi totalement Grant en adoptant la date de 2928. C. M. Kraay29 et Th. Pekary30 ne vont pas plus loin dans l'analyse. Kraay affirme même que les limites chronologi ques de cette importante frappe ne peuvent être fixées avec précision . Enfin S. Jameson, repre nant l'étude des styles, attribue l'émission Proui dentia au profil d'Agrippa sur l'avers à la même période; mais il le fait pas simple analogie avec les recherches et les résultats de ses prédécess eurs, ce qui n'est pas très probant31. Les concordances que nous pouvons trouver dans toutes les solutions proposées nous laissent insatisfait puisqu'elles aboutissent à des résultats imprécis. Un écart de six à onze années ne peut suffire à éclairer les mobiles d'une frappe aussi répandue. Il nous faut essayer de cerner les problèmes de plus près et, dans un premier temps, d'écarter certains arguments qui ne tien nent pas suffisamment compte des aspects de la mentalité du moment et qui font écran à tout effort de compréhension en profondeur. C'est ainsi que Kraay avance que l'inscription de Prouidentia sur les monnaies ne veut pas renvoyer à une manifestation particulière de cet te «vertu», mais que ce serait simplement la manière d'indiquer aux populations de l'Empire une des idées directrices de la politique impérial e32. Pour qu'une telle solution ait une quelcon que réalité, encore faudrait-il qu'à cette époque cette « idée directrice » possédât un sens compréh ensible pour le commun des mortels de Yorbis romanus. Or, nous l'avons vu, il n'en est certaine-
21 L. Laffranchi, Gli assi ed i dupondi commemorativi di Augusto e di Agrippa, dans Riv. hai. di numismatica, XXIII, 1910, p. 21-36. 22 là, ibid., ρ. 23. 23 E. A. Sydenham, Divus Augustus, dans Numismatic Chron icle, XVII, 1917, p. 258-278 (surtout p. 268). 24 C. H. V. Sutherland, Divus Augustus Pater. A Study in the aes Coinage of Tiberius, dans Num. Chr., XLI, 1941, p. 111. 25 Id., Coinage in Roman Imperial Policy, Londres, 1951, p. 99. 26 M. Grant, Roman Anniversary Issues, Cambridge, 1950, p. 63 et Roman Imperial Money, Londres, 1954, p. 125. 27 R. Etienne, op. cit., p. 324.
28 J. Béranger, La «prévoyance» (Providentia) impériale et Tacite, «Annales», I, 8, dans Hermès, LXXXVIII, 1960, p. 482. 29 C. M. Kraay, The Behaviour or Early Imperial Counter marks,dans Essays in Roman Coinage près, to H. Mattingly, 1950, p. 121 ; Die Münzfunde von Vindonissa, Bale, 1962, p. 23; compte- rendu d'A. S. Robertson, Roman Imperial Coins in the Hunter Coin Cabinet, dans JRS, LIII, 1963, p. 176179. 30 Th. Pekary, art. cit., p. 129. 31 S. Jameson, The Date of the asses of M. Agrippa, dans Num. Chron., 1966, p. 118 et 121. n Die Münzfunde von Vindonbsa, p. 11. Idée déjà émise par M. Grant, Roman Anniversary Issues, p. 64.
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ment rien puisque Prouidentia n'a pas été employée officiellement durant toute la période augustéenne et que, chez les écrivains les plus lus, le mot a trouvé bien peu d'emplois. Puis qu'une telle notion n'est pas encore assez répan due,n'a pas encore une «épaisseur» qui puisse en faire un objet de propagande générale, il nous faut plutôt essayer de lui trouver une appli cation particulière. En effet, c'est par l'adapta tion à un événement précis qu'une telle «abs traction » peut prendre une place dans l'esprit de chacun, avec un sens et un contenu. b) Les solutions partielles. Kraay, se contredisant alors, a parfaitement compris qu'il ne pouvait en rester à une idée générale et que, tout au contraire, il fallait cher cher plus avant le fait, l'événement, qui avait conduit à cette frappe Prouidentia. Dans ce même ouvrage, il essaie de trouver d'autres explications, en particulier à propos des émis sions portant le profil d'Agrippa. Il propose d'y voir des monnaies commémoratives de l'attribu tion de la puissance tribunicienne à Agrippa en 18 av. J.-C. Le cinquantenaire de cet événement tombant en 33 ap. J.-C, ce serait la date de l'émission33. De ce fait, les autres as avec Proui dentia, mais au type du Diuus Augustus, commém oreraient le cinquantième anniversaire de la restituta respublica de 27 av. J.-C. et auraient donc été frappées 23/24 ap. J.-C. Ce sont là des suppositions qui gardent un grand caractère de gratuité. En effet, pourquoi choisir tel anniversaire et pas tel autre? Une bonne méthode voudrait qu'on ne parte pas d'une date ou d'un événement pour chercher, en comptant tous les cinq ou dix ans, une date probable d'émission monétaire. Il faut, avant tout, qu'il y ait un lien plausible entre l'évén ementet la frappe avec tous ses éléments. Or nous ne voyons pas en quoi l'attribution de pouvoirs légaux pourrait être commémorée par Prouidentia, sans même que ces pouvoirs légaux
33 C. M. Kraay, op. cit., p. 14, n. 45. 34 C. H. V. Sutherland, Coinage in Roman Imperial Policy, Londres, 1951, p. 99. D'autres thèmes de cette philosophie apparaîtraient dans les séries monétaires da la même
soient indiqués, ou tout au moins suggérés, sur les monnaies. En outre, pourquoi fractionner ces frappes en plusieurs émissions indépendantes les unes des autres; rien ne nous y oblige, tout au contraire. En effet, si l'inscription Prouidentia avait été employée avec des représentations diverses, la solution pourrait être acceptée. Mais ici il n'en est rien; les revers représentent tou jours un autel, le même autel à l'évidence. Même si les profils sur les avers ne sont pas ceux d'un même personnage, l'autel des revers, associé étroitement à Prouidentia, doit nous faire recher cherune cause unique à la frappe. Dans ces conditions, il ne peut y avoir aucun rapport entre l'autel et la puissance tribunicienne d'Agrippa ou même entre l'autel et les pouvoirs délégués à Auguste en 27 av. J.-C. La réalité est certainement à la fois plus complexe et plus précise. Sutherland a cherché dans une autre direc tion et il est parti de la constatation que ces émissions pouvaient être normalement placées dans la période où L. Aelius Seianus, préfet du prétoire, semble être le véritable maître de Rome, profitant de l'éloignement volontaire de Tibère, d'abord en Campanie, puis à Capri, en 27. Pourquoi ne seraient-elles pas l'expression des idées mêmes de Séjan qui, visant à rempla cer Tibère, aurait ainsi répandu partout les bases philosophiques du régime qu'il voulait éta blir? Il se serait mis, en outre, de cette façon, sous la haute protection, sinon la direction morale, du Diuus Augustus**. Jameson a cherché à renforcer cette thèse en étudiant plus précisément les types Prouidentia portant le profil d'Agrippa35. Séjan aurait voulu être, non l'héritier direct et désigné de Tibère, mais son collègue comme Agrippa avait été celui d'Auguste. C'est l'idée qu'il aurait eue dès 23 ap. J.-C, au moment de la mort, peut-être provo quéepar lui-même, de Drusus, le fils du princeps. D'ailleurs, de la même façon qu'Agrippa avait épousé Julie, la fille du fondateur du principat, Séjan ne chercha-t-il pas à épouser Livia Julia,
que: IVSTmA, SALVS AVGVSTA, CLEMENTIA, MODERATIO, PIETAS. 35 S. Jameson, art. cit., p. 120-121.
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appelée aussi Livilla, veuve de Drusus et bellefille de Tibère? Ce dernier la lui refusa. La présence de la tête d'Agrippa, la référence au Diuus Augustus sur ces séries monétaires se comprendraient mieux ainsi et, dans tous les cas seraient bien l'expression des pensées et des désirs du favori de Tibère. C'est une opinion qui se heurte à de graves difficultés, malgré une apparence de cohérence. Exprimer une philosophie politique serait com préhensible si une telle philosophie était accessi ble à l'ensemble du public. Or c'est loin d'être le cas, et une telle propagande, faite par Séjan pour assurer sa propre publicité, ne pouvait avoir un bien grand retentissement; Prouidentia n'était pas encore entrée dans la mentalité commune. En second lieu, il est vrai que la volonté du favori de se faire désigner comme successeur de Tibère paraît admise par les historiens de l'Anti quité eux-mêmes. Tacite veut nous montrer « quo facinore dominationem rapttim ierit36. Suétone pense que Séjan préparait une révolution37 et Dion Cassius n'est pas en reste quand il montre la montée de l'orgueil du préfet du prétoire et la peur qu'a eue Tibère de le voir se faire procla merempereur38. Nous ne discuterons pas ici ce point de vue; mais que Séjan ait poursuivi ce but en étant d'abord le collègue de l'empereur à la façon dont Agrippa l'avait été d'Auguste est bien peu assuré. En effet, les relations entre Tibère et Séjan ne se sont jamais établies sur le même plan et de la même manière qu'entre Auguste et Agrippa. Ces derniers avaient vu leurs destins s'unir sur les champs de bataille; le fils adoptif de César savait qu'il devait une grande partie de son pouvoir à celui qui avait su faire triompher sa flotte à Actium. En outre, les événements avaient montré à Auguste la parfaite loyauté et le profond et total dévouement de son vieux compagnon. Il aurait été bien audacieux de la part de Séjan de vouloir se comparer à Agrippa, en mettant sur le même plan les vertus de ce dernier et ses propres qualités. Sa carrière
n'avait rien eu de remarquable, sinon par sa rapidité due à la faveur de membres de la famill e impériale et de Tibère lui-même. En effet, cet homme issu d'une famille équestre, avait été, dès 14, le collègue de son père Seius Strabo à la préfecture du prétoire; il lui avait succédé en 15, quand son père était devenu préfet d'Egypte. Il avait su gagner la confiance de ceux avec qui il collaborait, Gaius César dès le règne d'Auguste, Drusus lors du rétablissement de l'ordre en Pannonie, Tibère enfin qui le présente toujours com me le partenaire essentiel de ses travaux. Si, partout, les signes de la faveur sont évidents, nulle part nous ne trouvons l'éclat de la gloire militaire qui avait placé Agrippa au premier plan. L'attitude que Jameson prête à Séjan aurait été, dans le contexte de l'époque, une grave erreur psychologique. Il lui aurait fallu une sin gulière audace, ou une parfaite inconscience, ce que toute sa carrière dément, pour oser faire appel à la protection morale et à l'exemple d'Au guste. En effet, nous ne pourrions alors expli quer d'une autre façon l'inscription DIWS AVGVSTVS. Mais comment comprendre le PA TER qui suit? Le terme implique nécessairement des relations de parenté précises, naturelles ou par adoption39. Il montre, à l'évidence, qu'il ne peut être question d'attribuer cette frappe à l'effet d'une quelconque propagande séjanienne. En outre, dans cette hypothèse, à quoi répond raitl'image de l'autel? Nous ne saurions y voir une autre allusion à Auguste et à l'Ara Pacis. Enfin n'est-ce pas trop d'honneur fait à Séjan que de le présenter comme l'inspirateur de la frappe monétaire? N'est-ce pas envisager le pro blème général des émissions de monnaies sous un éclairage entièrement fautif? Aucune de nos sources ne donne des renseignements suffisants pour dire avec certitude qui indiquait les sujets des représentations et les inscriptions à placer sur les monnaies; aucune ne nous dit comment la décision était prise40. Il y a de grandes chanc es,sinon certitude absolue, pour qu'à une épo-
36 Tac, Ann., IV, 1, 1. 37 Suét., Tib., LXV, 1 : «Seianum res nouas molientem ... ». 38 Dion Cass., LVIII, 2, 7 et 4, 1 : «φοβηθείς μη και αυτοκρά τορα άντικρυς αυτόν άποδείξωσιν.» 39 C'est ce qu'a très bien remarqué R. Seager, Tiberius,
Londres, 1972, p. 177. 40 J. Beaujeu, Politique religieuse et propagande numismati que sous le Haut-Empire, dans Mèi. d'arch. et d'hist. offerts à A Piganiol, t. III, 1966, p. 1536.
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que où les types monétaires émis sont relativ ementpeu nombreux par rapport à ceux des règnes postérieurs, ce soit l'empereur lui-même qui décide ou, tout au moins, qui approuve les types émis. Il serait inconcevable que Tibère, même éloigné volontairement en Campanie et à Capri, ait laissé Séjan faire sa propre propagand e. Il était facile au préfet du prétoire de circon venir des sénateurs, de pousser des citoyens à lui décerner des honneurs, d'assurer à ses parents ou à ses amis des magistratures et des provinces; mais comment aurait-il pu imposer des thèmes monétaires qui étaient répandus dans tout l'Empire et qui étaient pour tous les symboles du pouvoir impérial? En tout cas, il ne pouvait le faire de façon cachée de Tibère. Et ce dernier ne pouvait laisser choisir à Séjan n'im porte quel thème, sachant fort bien quel impact cela pouvait avoir sur l'opinion. Tout au long de son règne Tibère a montré un intérêt suffisant pour les affaires de l'État pour ne pas avoir laissé le préfet du prétoire mener sa propre politique, tout au moins sur ce plan qui intéres saitl'ensemble de l'Empire. L'apparition des types Prouidentia avec la représentation d'un autel ne doit rien à l'influence séjanienne. M. Grant, tentant une approche plus circons tanciée du problème, a proposé d'autres solu tions. Il suggère la date de 29 ap. J.-C. avec trois arguments très dissemblables41. Dans un pre mier temps, il présente ces frappes comme pou vant commémorer la fin du troisième lustrum depuis la mort d'Auguste; la solution donnée est possible, sinon même logique, pour des monn aies portant l'inscription DIVVS AVGVSTVS et le profil du premier princeps. Mais alors nous ne voyons pas pourquoi, dans la même série, cer tains exemplaires porteraient le profil d'Agrippa et d'autres encore les traits de Tibère. En outre, comment dans ce cas précis expliquer l'image de l'autel? L'événement qui aurait provoqué la frap peest manifestement d'une toute autre envergur e et l'explication donnée par Grant est insuffi santeet bien peu vraisemblable.
Il nous propose un second rapprochement en faisant coïncider ces frappes avec la mort de la veuve d'Auguste, Livie, qui disparaît en 29, à l'âge de quatre-vingt-six ans. La Prouidendia serait Livie elle-même identifiée à cette «vertu». Nous nous heurtons aux mêmes difficultés que précédemment pour assurer la cohérence, nécess aire, de la série. De plus, des obstacles « histor iques» se dressent devant une telle thèse; chacun sait, en effet, que la mort et les funérailles de Livie furent entourées de peu de faste et que son testament, dans un premier temps, fut annulé.Tibère n'assista pas aux cérémonies, interdit de trop grands honneurs et ne voulut pas que l'apo théose lui fût décernée42. Comment, dans de telles conditions, penser qu'il aurait fait frapper une série monétaire en l'honneur de Livie? C'est une chose impossible à un moment où le prin ceps cherche à effacer et à faire oublier sa mère adoptive. La troisième hypothèse avancée par Grant met la frappe en relation avec le vingt-cinquième anniversaire de l'adoption de Tibère par Auguste en 4 ap. J.-C.43. Il s'agit là d'une possibilité qui nous rapproche, dans une certaine mesure, de la solution de ce problème. Il est aisé de comprend re que Tibère, dans ce cas précis, ait fait émett redes pièces à sa propre effigie, à celle de son père divinisé et à celle d'Agrippa qui l'a précédé dans le choix du fondateur du principat. Mais si les représentations des avers sont parfaitement compréhensibles en adoptant cette solution, les revers posent toujours les mêmes problèmes et restent énigmatiques. Pourquoi Prouidentia'? Pourquoi avoir fait représenter un autel? Grant parle bien de la consécration de cet autel qui aurait eu lieu en 29, mais il ne donne aucune preuve qui vienne étayer un avis donné très prudemment44 et qui ne découle que de ce que Grant lui-même a avancé dans un premier temps.
41 M. Grant, Roman Anniversary Issues, p. 63. 42 Tac, Ann., V, 1, 4. Suét., Tib., LI, 5-6. Dion Cass., LVIII, 2,
du même avis et reprend les propos de Grant. 44 M. Grant, op. cit., p. 63, n. 2. L'autel aurait été consacré en 29 et dédicacé en 31.
1-3.
43 J. Béranger, La «prévoyance» (Providentia) . . . , p. 483 est
c) La conjuration de Séjan. Pour aboutir à des conclusions plus fermes, sinon définitives, il faut faire entrer en jeu tous
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les éléments dont nous disposons et, en particul ier, les inscriptions dont nous avons déjà donné la transcription45. Dans cette optique, l'élément de base est la première inscription d'Interamna qui est datée avec précision grâce aux noms des consuls de 32 ap. J.-C. L'événement auquel il est fait allusion est incontestablement la «conjura tion» de Séjan et le châtiment de son auteur; Y«hostis pemiciosissimus » ne peut être que le préfet du prétoire déchu. Depuis longtemps déjà de nombreux historiens l'ont noté et il n'est pas nécessaire de revenir sur leurs démonstrations qui ont rendu le fait évident46. L'inscription de Gortyne vient renforcer ce point de vue; il y est question de «l'anniversaire du quinzième jour avant les calendes de novembre», c'est-à-dire le 18 octobre. Or la condamnation et le supplice de Séjan ont eu lieu le 18 octobre 31 ap. J.-C. C'est cet anniversaire qui est rappelé et commémoré par le proconsul P. Viriasus Naso à une date que nous devons penser très proche des faits, certa inement le premier anniversaire en 32. Là encor e,plusieurs historiens l'ont parfaitement noté, particulièrement R. S. Rogers et R. Syme47. Ces premiers faits précis doivent être utilisés comme bases de toute étude sérieuse, puisque ce sont les seuls éléments sûrs chronologique ment dont nous disposons. Le rapprochement avec les monnaies de type Prouidentia s'impose immédiatement; dans ces inscriptions, Prouident ia est aussi présente. Pourquoi ne pas penser que, si la Providence est mise en évidence dans les inscriptions commémoratives de la fin cruell e de Séjan, les monnaies avec la mention de cette «vertu» ne doivent pas leur émission au même événement? Mais encore, pour conclure de cette façon, faut-il savoir si la «conjuration» que la voix officielle a prétendue dirigée par le favori de l'empereur, a eu dans le monde romain un retentissement tel que le princeps s'est cru obligé de signaler universellement l'échec de ces menées. En effet, les inscriptions d'Interamna et
de Gortyne, pour officielles qu'elles soient, ne gardent qu'une signification locale. Faustus Titius Liberalis, le seuir augtistalis, et P. Viriasus Naso, bien que gouverneur de Crète et Cyrène, ont pris là des initiatives personnelles; l'un com mel'autre ont fait faire l'inscription à leurs frais. Même répondant à un désir universel ou à une demande générale, ce qui reste à prouver, de telles manifestations ne peuvent avoir la même portée qu'une émission monétaire officielle qui répand un nouveau type partout dans l'Empire. Toutes nos sources concordent sur un point : la position prééminente prise dans l'État par Séjan à partir de l'année 20, où sa fille fut promise à Claudius Nero, fils de Ti. Claudius Nero et frère de Tibère48, et jusqu'à l'année de sa chute, en 3149. Le mieux est d'écouter le pla idoyer que prononce le chevalier M. Terentius devant le sénat après la mort du préfet du pré toire50 : «Je fus l'ami de Séjan, j'aspirai à le devenir, je fus joyeux d'y avoir réussi. Je l'avais vu commander avec son père les cohortes préto riennes, ensuite remplir à la fois les fonctions urbaines et militaires. Ses proches, ses alliés étaient comblés d'honneurs Nous voyons ce qui frappe nos yeux, à qui tu (Tibère) dispenses les richesses, les honneurs, où se trouve la plus grande puissance de servir ou de nuire: tout cela, on ne peut nier que Séjan ne l'ait possé dé ... Considérez non pas le dernier jour de Séjan, mais seize années . . . Être seulement con nude ses affranchis, de ses portiers, était réputé un avantage magnifique». Comment mieux exprimer la place préémi nenteque Séjan tenait, de la volonté du prince, dans l'État, et que, pour renforcer son argument ation et sa propre défense, ce chevalier n'hésite pas à faire remonter à la première année du règne de Tibère? De nombreuses traces de cette adulation nous ont été conservées par nos sour ceslittéraires. À l'égal de Tibère, le sénat, les chevaliers, les tribus lui élevèrent des statues en
45 Cf. supra, les notes 10, 13, 15, 16 et 17. M. Grant, op. cit., p. 63, en avait déjà senti la nécessité, mais il n'avait pas poussé plus loin son analyse, l'essentiel de son propos ne se trouvant pas là. 46 M. P. Charlesworth, Providentia and Aeternitas, dans Harv. Theol. Rev., XXIX, 1936, p. 111-112; R. S. Rogers, Cri minal Trials and Criminal Legislation under Tiberius, dans
Philol. Monog. Amer. Philol. Assoc, VI, 1935, p. 114; R. Syme, Tacitus, Oxford, 1958, p. 416. 47 R. S. Rogers, Studies in the Reign of Tiberius, Baltimore, 1943, p. 27-28; R. Syme, op. cit., p. 416. 48 Tac, Ann., Ill, 29, 4. 49 Tac, Ann., VI, 8. 50 Pour les détails, R. Seager, op. cit, p. 178-214.
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nombre incalculable51; sous les prétextes les plus divers, - ainsi, en 28, à la suite de la révolte des Frisons -, magistrats et prêtres accompliss aient des sacrifices devant elles52. Peu à peu, la personne de Séjan avait été placée au-dessus de celle des autres hommes; son jour natal fut décrété fête publique; on jurait désormais par sa fortune, là encore à l'exemple de ce qui se faisait pour Tibère53. Enfin, c'était l'empressement général autour de sa personne : « Les hommes les plus considérables et les consuls eux-mêmes se rendaient assidûment le matin à sa demeure et lui communiquaient toutes les grâces particu lièresqu'ils avaient l'intention de demander à Tibère et les affaires publiques sur lesquelles le prince devait prononcer. Bref, rien ne se faisait plus sans lui»54. La ville de Rome était devenue la clientèle de Séjan; extérieurement, il était possible de croire qu'il était devenu l'égal de l'empereur55. Une telle puissance dans YUrbs ne pouvait qu'avoir son reflet en Italie et dans les provinces. Mais nous sommes, dans ce domaine, beaucoup moins bien renseignés. Cependant, il semble bien que les images du préfet du prétoire avaient été adoptées par les légions à côté de celles de Tibère et sur le même plan qu'elles56. Certaines cités avaient aussi fait leur cour à celui qui était censé représenter à l'époque la puissan ce dans l'Empire. C'est ainsi que la cité ibérique de Bilbilis avait frappé des monnaies à son effi gie57; cette frappe célébrant le cinquième consul at de Tibère et le premier consulat ordinaire de Séjan a été faite au début de 31; sans montrer une trop grande propension à l'adulation, le municipe a profité de l'occasion offerte par le consulat pour mettre en avant la personne de Séjan. Il ne faut pas oublier, en effet, que Tibère n'avait été, jusqu'en 31, que deux fois consul
durant son principat, la première en 18 avec Germanicus comme collègue, et la seconde en 21 avec Drusus. Dans chaque cas, le collègue du princeps était celui que tout désignait à la suc cession. Comment une cité provinciale telle que Bilbilis aurait-elle pu ne pas y voir le signe même que Séjan était désigné par l'empereur à lui succéder? La cité s'empressa, en outre, dans le même temps, de faire de Tibère et du nou veau consul des duunudri. Mais ce sont les seu les traces d'initiatives locales que nous possé dions. Elles suffisent cependant à nous montrer que, dans certaines provinces, la position de Séjan pouvait sembler aussi forte qu'à Rome même. La chute d'un homme aussi puissant et que l'empereur lui-même avait placé au faîte des honneurs58 ne pouvait qu'entraîner de graves secousses dans la Ville, mais aussi dans l'ensem ble du monde romain. Comme toujours, cette crise fut d'abord mar quée par la versatilité des hommes et ceux qui avaient adoré s'empressèrent de brûler. Dion Cassius nous a laissé un tableau pittoresque, mais aussi combien pitoyable, de ce renverse ment des sentiments : « Le peuple abattit, brisa, traîna dans la boue toutes ses statues ... Il y eut alors de nombreux désordres dans Rome. Le peuple massacrait au fur et à mesure qu'il l'aper cevait quiconque avait eu un grand pouvoir auprès de Séjan . . . Les soldats . . . brûlaient et pillaient ... Le sénat lui-même ne fut pas tran quille»59. Quelques années après l'événement, Juvénal nous en offre un tableau d'une teinte plus dramatique et tragique : « il en est que pré cipite leur puissance même, exposée à toute la violence de l'envie; ce qui les coule, c'est la longue liste de leurs honneurs. À bas leurs sta tues : des cordes les tirent à terre; et Duis la hache s'en prend aux roues mêmes des biges et
51 Tac, Ann., Ill, 72, 3. Dion Cass., LVIII, 2 et 4. 52 Dion Cass., LVIII, 4, 4. 53 Suét, Tib., LXV, 1. Dion Cass., LVIII, 2 et 6. 54 Dion Cass., LVII, 21, 4 (cf. aussi LVIII, 4 et 5). 55 Ibid., 4 et 6; H. W. Bird, L Aelius Seianus and his Political Significance, dans Latomus, XXVIII, 1969, p. 73 et 83. 56 Suét., Tib., XLVIII, 4 : «... syriacis legionibus, quod solae nullam Seiani imaginem inter signa coluissent». Pour ne pas l'avoir honoré de son vivant, elles sont les seules à recevoir
des présents après la chute de Séjan. 57 M. Grant, Aspects of the Principate of Tiberius, dans Num. Notes and Monographs, n° 116, 1950, p. 141; A. Vives y Escudero, La Moneda Hispanica, Madrid, t. IV, 1926, p. 56, n° 17-19. Cette frappe porte l'inscription : MVN AVGVSTA BILBI LISTI CAESARE/V L AELIO SEIANO COS. 58 Suét., Tib., LXV, 2. 5» LVIII, 11,3; 12, 1-3.
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brise, peine imméritée, les jambes des chevaux de bronze. Déjà sifflent les brasiers, soufflets et fournaises : cette tête adorée du peuple brûle, le colosse de Séjan craque ... On tire Séjan au croc, viens voir. Joie universelle . . . »60. Que pour exprimer son pessimisme ironique et pour nous donner une leçon de morale, Juvénal, plus de cinquante ans après l'événement, ait choisi la journée qui vit la chute de Séjan, montre à l'évidence le profond effet que firent sa condamn ationet ce qui s'en suivit. Le fait était encore présent à la mémoire de ses contemporains. La réaction populaire fut terrible, mais elle fut orientée, sinon provoquée, par la réaction officielle du sénat et de Tibère lui-même; ils firent condamner les enfants de Séjan; son fils aîné Strabo le fut très peu de jours après son père, le 24 octobre exactement; à la fin de novembre ou au début de décembre, ses deux derniers enfants, Capito Aelianus et lunula, furent étranglés après avoir été emprisonnés. Les amis de Séjan, ceux qui avaient recherché son appui dans leur carrière, son amitié dans leur vie privée, furent accusés d'avoir participé à un complot contre le trône61. Il fallait effacer jusqu'aux traces de l'existence de l'homme honn i.Son nom fut rayé des Fastes consulaires62 et disparut par martelage des inscriptions officiel les. La violence de la terreur avait rompu tous les liens de l'humanité63. Cet aspect destructeur, marque de la colère du prince, ne fut pas le seul. On célébra la chute de Séjan par des cérémonies et des actes divers, d'un caractère moins cruel tout en étant aussi significatifs. « Tous d'ailleurs décrétèrent . . . qu'on élèverait sur le Forum une statue à la Liberté, qu'une fête serait célébrée par tous les magistrats et tous les prêtres, ce qui n'avait jamais eu lieu, et que le jour de sa mort il y aurait, tous les ans, des jeux du cirque et des chasses par les soins des membres des quatre
collèges pontificaux et des flamines d'Auguste, chose qui, non plus, ne s'était jamais faite aupar avant»64. Ce tableau sommaire des mesures prises alors n'est valable que pour la capitale de l'Emp ire, mais il n'y a aucune raison de penser que des cérémonies semblables, ou de tout autre caractère, n'ont pas eu lieu en Italie et dans les provinces, que ce soit de décision officielle ou d'initiative individuelle. Le fait important est bien mis en valeur dans ce passage de l'Histoire Romaine de Dion Cassius : le caractère excep tionnel et extraordinaire des mesures prises; deux fois l'auteur insiste sur l'aspect totalement nouveau des décisions. Les manifestations d'ac tions de grâce qui ont accompagné la chute de Séjan et l'ampleur qui leur a été donnée révèlent à l'évidence toute l'importance que Tibère a voul uattacher à cet événement dramatique. D'ailleurs, près de Rome, les choses ont bien été ressenties de cette façon; dans les Fastes d'Ostie, pour l'année 31, à côté des inévitables noms des consuls (toujours sans Séjan cepend ant), les seuls événements relatés, et donc devant qui tous les autres s'effacent, sont la mort de Séjan, de ses enfants et de sa femme qui s'est suicidée. Dans sa sécheresse, ce document est peut-être le reflet le plus impressionnant du drame horrible qui s'est joué en octobre 31 et dont ont été victimes deux jeunes enfants pris et entraînés dans la disgrâce de leur père :
60 Juv., Sat, Χ, ν. 56-63 et 66-67 (trad. J. Bayet, Littérature latine, Paris, 1965, p. 387). 61 Tac, Ann.,Vl, 19, 2-3. 62 V. Ehrenberg-A. H. M. Jones, Documents illustra ting. ... p. 42, année 31 ap. J.-C. : TI CAESAR AVG[VS]TVS V/FAVSTVS CORNELIVS SVLLA/SEX TEDIVS
CATVLLV[S]/L FVLCINIVS TRIO/P MEMMIVS REGVLVS. Le nom de Séjan, collègue de l'empereur comme consul ordinaire, a été omis entre le nom de Tibère, et son cinquiè me consulat, et celui du premier consul suffect. » Tac, Ann., VI, 19, 2-3. 64 Dion Cass., LVIII, 12, 5.
TI CAESAR AV[G]VSTVS V FAVSTVS [CORNEL(ius) SVL(la)] VII ID MAI SEX TEDIVS [CAT]VLLV[S] Κ IVL L FVLCINIVS [TRIO] Κ OCT Ρ MEMMIVS R[EGVLVS] XV Κ NOV SEIANVS S[TRANG(ulatus)] VIIII Κ NOV STRABO [SEIANI] F STRANG(ulatus) VII Κ NOV [APICATA]
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DES ORIGINES À ΉΒΕΪΙΕ SEIANI SE OCCIDI[T K?] DEC CAPITO AELIA[NVS ET] IVNILLA SEIANI [F(ilii) STRANG (ulati)]65.
L'apparition à cette époque, et en concomit ance directe avec ces événements, d'une émis sion monétaire d'un type nouveau, chargée de faire prendre conscience à tous les habitants de l'Empire du danger auquel l'empereur avait échappé, est alors parfaitement compréhensible. Quel meilleur moyen de propagande et, pour rions-nous aller jusqu'à dire, de formation des consciences, que ces pièces passant de main en main, de ville en ville, de province en province, et apportant avec elles l'expression la plus acces sible de la pensée impériale? Comment mieux faire admettre par tous le point de vue de Rome et les mobiles qui avaient inspiré l'action du princeps? En outre, le retentissement de la con damnation et de la chute de Séjan ne pouvait être durable et ne pouvait rester un exemple que dans la mesure où Tibère trouvait un moyen d'augmenter son ampleur et d'en rendre les manifestations toujours présentes matérielle ment; une série monétaire répondait parfait ement à ces desiderata. Certaines monnaies ibériques, issues des frappes «coloniales», viennent renforcer ce point de vue. En effet, les frappes d'Émérita au type de l'autel portent sur le revers la mention PERM(issu) AVG(usti); elle indique l'autorisation donnée à la colonie de posséder un atelier monétaire et de battre monnaie. Il est bien cer tain qu'aucune frappe locale ne pouvait être totalement autonome et échapper au contrôle des agents du pouvoir central, en tout premier lieu les gouverneurs de province, malgré les franchises qui pouvaient être accordées dans ce domaine. Mais le fait d'avoir souligné la permis sion donnée par l'empereur montre que les habi tants de la colonie ont voulu traduire dans cette émission la pensée profonde de Tibère. Il n'y avait pas pour eux meilleure manière de mont rer leur loyalisme dans une période cruciale où
le prince demandait à toutes les forces de l'Em pire d'opérer un regroupement moral autour de lui. Par ce moyen, Emèrita participait au grand mouvement d'actions de grâce voulu par l'empe reurà la suite du «complot» séjanien. Cette colonie laisse apparaître le parfait accord, au moins apparent, qui s'est alors établi entre l'op inion et l'empereur, et la totale loyauté dont ses sujets ont alors fait preuve à l'égard de Tibère. Ce profond accord est renforcé par le fait que l'atelier monétaire d'Émérita a recopié sans aucun changement le type de revers des ateliers de la Ville; même si la frappe est médiocre, nous voyons parfaitement l'autel et une disposition semblable de l'inscription PROVIDENT66. C'est certainement une copie de la première émission romaine. D'après ce que nous avons dit plus haut de l'atmosphère générale et étant donné qu'il est à peu près certain que la frappe romai ne a commencé très peu de temps après la chute de Séjan, peut-être dès les mois de novembredécembre 31, l'émission ibérique d'Émérita peut être datée du courant de l'année 32. Il en est évidemment de même, en Bétique, de la frappe du municipe d'Italica qui reprend la même idée tout en transformant quelque peu la représentat ion; l'inscription se trouve sur un autel simple et il est question de PROVIDE/NTIAE/AVGVSTI67. Mais le sens et la date sont certainement semblables à ceux que nous venons d'affirmer pour Rome et pour Emerita (où les frappes sont beaucoup plus abondantes qu'à Italica). Tout cet ensemble est le reflet parfait des réactions de deux provinces à une propagande et à un événe ment si important et si décisif pour la vie et l'avenir de l'Empire. Cette attitude correspond en tous points à des mesures presque similaires prises dans d'au tres provinces et en Italie à la suite de la chute du préfet du prétoire. Pour la péninsule italien ne, deux exemples sont particulièrement frap pants. À Blindes, une dédicace en l'honneur de Tibère a été rédigée et gravée par les nouveaux élus au collège des Augustales de la ville68; à
65 G. Calza, Ostia. Nuove iscrizioni ostiensi, dans Notizie degli scavi di antichità, VI, 1930, p. 186, col. B, 11. 10-20 et p. 189. 66 Cf. supra, notes 6 et 7. En particulier Ο. Gil-Farres, art. cit., p. 231. 67 Cf. supra, note 5.
68 A. Degrassi, Una dedica degli Augustali Brìndmni a Tiberio, dans Athenaeum, XLII, 1964, p. 299-306 (les restitutions sont de l'auteur) : [TI CAESA]RI DIVI AVG[VSTI F]/[AVGVSTO C]ONSERVATORI PCATRIAEl/fLIBERTATE RES]TITVTA PVBLIC[A LAETITIA]/[OB HONORE]M AVGVSTALIT [ATIS].
ΉΒΕΙΙΕ OU L'OFFICIALISATION DE LA PROVIDENCE Capène, Tibère est félicité et honoré, comme à Blindes, du titre de conseruator patriae69. Les provinces ne furent pas en reste dans ces manif estations d'actions de grâce et d'adulation. À Nasium, en Gaule, une dédicace est faite «pro perpetua salute diuinae domus»10, ce qui associe, d'une manière intéressante, l'ensemble des membres de sa famille à l'empereur, comme si le «complot» de Séjan aurait pu provoquer un remplacement total à la tête du monde romain par l'anéantissement de toute la domus impérial e. De même, à Cesaree de Palestine, il est fort possible, sinon probable, que la désormais fameuse inscription de Ponce-Pilate71 relève des mêmes faits. Pourquoi le préfet de Judée n'aur ait-il pas marqué la chute de Séjan par la dédi cace d'un édifice en l'honneur de Tibère? Une telle construction laisserait à jamais le souvenir du terrible danger couru par le princeps12. A. Degrassi a repoussé cette solution73 à cause d'une restitution hasardeuse, et certainement fausse, de B. Lifshitz. Celle proposée par A. Degrassi74 est bien meilleure et elle n'exclut pas la dédicace du monument à la fin de l'année 31 ou, plus sûrement, dans les premiers mois de 32. Tous ces indices nous permettent de considé rer comme acquise la date de frappe des monn aies au type Prouidentia: fin 31-début 32 ap. J.-C. pour les toutes premières séries. Mais beaucoup d'autres problèmes viennent immédia tementà l'esprit si nous voulons trouver une solution globale au problème de l'officialisation de Prouidentia par Tibère, à ce moment donné.
69 Ehrenberg- Jones, Documents ..., n° 85 (= ILS, 159). L'inscription a été faite entre le 1er juillet 32 et le 30 juin 33 : Ή CAESARI DIVI AVGVSTI F/ AVGVSTO/ PONTIF ΜΑΧΙ ΜΟCOS V/ TRIB POTEST XXXIIII/ PRINCIPI OPTVMO AC/ USTISSIMO CONSERVATORI/PATRIAE PRO SALUTE ET/ INCOLVMITATE EIVS 70 CIL, XIII, 1,2,4635. 71 A. Frova, L'iscrìzione di Ponzio Filato a Cesarea, Istituto Lombardo, dans Acc. di Se. e Lett. Rendiconti, Classe di Lett., XCV, 1961, p. 419-434; B. Lifshitz, Inscriptions latines de Cesar ee,dans Latomus, XXII, 1963, p. 783, A. Degrassi, Sull'iscri zione di Ponzio Pilato, dans Atti dell'Acc. Naz, dei Lincei Rendiconti. Classe di Se. morali, storiche e filologiche, XIX, 1964, p. 59-65; J. Guey, Dédicace de Ponce-Pilate trouvée à Cesaree de Palestine, dans BSNAF, 1965, p. 38-39. 72 Ce Tiberieum peut être une simple salle munie de
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3 - «Providentia» : son autel Les monnaies que nous avons étudiées, et maintenant datées, posent le problème de l'exi stence d'un ou de plusieurs autels érigés en l'hon neur et pour le culte de la Providence. La repré sentation d'un autel sur les revers de ces frappes est-elle seulement symbolique ou bien est-elle le reflet de la réalité? Les avis sont très divergents sur ce point. Mais il nous faut, avant toute autre démarc he,préciser et décrire exactement l'image du revers. En effet, il ne s'agit pas, comme il est le plus souvent dit grossièrement, de la représentat ion d'un autel, mais de celle d'une enceinte d'autel, c'est-à-dire du mur entourant et clôtu rant l'emplacement où se trouve l'autel propre mentdit. Sur les pièces, il est facile de distinguer la façade avec les degrés qui donnent accès à une porte à deux battants maintenus fermée75. De chaque côté sont représentées des volutes décoratives, les cornila (et non des flammes styli sées). Ce genre de construction, plus ou moins monumentale, et dont le modèle peut être trou védans l'Orient hellénistique76, est bien connu déjà dans la Rome de cette époque. S'il s'agissait simplement d'une représenta tion symbolique, pourquoi aurait-on figuré un autel monumental? La pierre rectangulaire de l'autel traditionnel aurait dû suffire. En outre, ce serait faire fi d'un principe qui semble toujours suivi, celui de représenter sur les monnaies des monuments qui soient reconnaissables, c'est-àdire déjà élevés77. Il est donc beaucoup plus
banquettes, une cour entourée de pièces ou bien une place à portique. Il semble être lié au théâtre d'Hérode. ΊίΟρ. cit., p. 60-61. 74 [DIS AVGVSTI]S TIBERIEVM/ [ PO]NTIVS PILATVS/ [PRAEFJECTVS IVDA[EA]E/ [FECIT D]E[DICAVIT]. Cf. D. M. Pippidi, Note de lecturà. 26. Discutii in jurul lui Pontiu Pilât, dans Stud Clos., XII, 1970, p. 182-189. 75 Ce fait avait déjà été noté par W. Kubitschek, Die Münzen der Ara Pads, dans Jahreshefte des Osten Archaeol. Inst, in Wien, V, 1902, p. 164. 76 F. Studniczka, Altäre mit Grubenkammern, dans Jahr. Öster. Arch. Inst Wien, VI, 1903, p. 127, pensait que le modèle de ce type devrait être recherché à Cyzique. 77 Cf. D. F. Brown, Temples of Rome as Coin Types, dans Num. Notes and Monog., n° 90, 1940, p. 19.
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simple et logique de penser que la construction de cet édifice religieux, important par la place matérielle et le volume qu'il aurait désormais dans la ville, a été une réalité en correspondance parfaite avec le retentissement que Tibère a voul udonner à la condamnation de Séjan et de ses complices supposés. Il est donc possible d'affi rmerque, peu de temps après le 18 octobre 31, un autel a été dédicacé à Rome même en l'hon neur de Prouidentia qui avait sauvé Tibère et l'État. Il n'est pas non plus nécessaire, comme cer tains l'ont pensé, de croire que l'autel représenté est un autel augustéen réutilisé pour y placer la Prouidentia de Tibère. Une telle attitude est en totale contradiction avec les faits, l'importance des événements de 31 et l'aspect personnel que le princeps a voulu donner à toute l'affaire. Ni l'Ara Pacts'76, ni l'Ara Numinis Augusti, ni l'Ara Gentis Iuliae n'ont pu jouer ce rôle79. Mais si l'existence de cet autel ne peut faire de doute, il est difficile de savoir si la consécrat ion a pu avoir lieu sous le règne de Tibère lui-même. Durant ce principat, nos sources, litt éraires ou épigraphiques, ne mentionnent direct ementaucune cérémonie à cet autel. Mais il est certain qu'il a été terminé et utilisé par la suite puisque son existence est affirmée par les Actes des frères arvales80. À six reprises durant le Ier siècle, cette confrérie reconstituée par Auguste célèbre un sacrifice sur l'autel de la Providence ou à la Providence. A vrai dire, l'autel n'est mentionné que dans les deux premiers extraits
datant, l'un et l'autre, des deux premières années du règne de Caligula, en 38 et 39. Voici l'extrait des Actes de l'année 3881 :
78 II n'est pas possible de s'appuyer sur les concordances dans les représentations monétaires. En effet, si la forme générale est la même, ce qui est logique, dans le détail nous pouvons noter beaucoup de différences. C'est ainsi que sur les monnaies représentant l'Ara Pacts sont nettement indi qués les deux registres de décoration; en particulier, l'artiste a cherché à évoquer les deux scènes figurées. Ces détails ne se trouvent pas sur les monnaies tibériennes. Pour les monn aies au type de l'Ara Pacts: BMC, I, p. 271-272, n° 360 à 365, pi. XLVII, 2. Il n'est évidemment pas possible de suivre l'idée du danois P. H. Albrethesen, Providentia og Ara Pacts. Kejser Augustus fredsolter som motiv paa den romerske kejsertids monter, dans Nordik Numismatik Unions Medlemsblad, 1971, p. 73-79. Il pense qu'il n'y a qu'un seul autel consacré à Pax, à Salus et à Prouidentia; c'est celui que nous appelons Ara Pacts et qui serait représenté sur le monnaies. L'extrait nouveau des Actes des arvales de 38 rend cette opinion caduque (cf. n. 81).
79 Sur ces autels, M. Grant, Aspects . .., p. 79. 80 Nous ne pouvons douter que cet autel est bien celui qui est représenté sur les monnaies de Tibère. 81 Dernier établissement du texte dans J. Scheid, Les Frè res Arvales, Paris, 1975, p. 190-191, frg. d, l. 13-17. Mais n'était alors connue que la moitié droite du document. Au pri ntemps 1978, J. Scheid a découvert, à la Magliana, sur l'empl acement du bois sacré, la seconde moitié parfaitement conser vée ; elle a permis l'établissement du texte ici donné. Nous devons à J. Scheid et à sa grande amabilité la communicat ion de ce fragment; qu'il en soit sincèrement remercié. (Maintenant publié dans MEFRA, XCII, 1, 1980, p. 224). 82 Les Fastes d'Amiterne signalent des feriae, en exécution d'un senatusconsulte, à ce jour et à ce sujet. Veil. Pat., H, 103, donne comme date le V. Kalendas Iulias, ce qui est manifes tement une erreur. J. Gagé, Res Gestae Divi Augusti, Paris, 1935, p. 173, émet l'hypothèse, en suivant Hirschfeld, qu'il pouvait s'agir du jour où, depuis 23, Auguste renouvelait sa propre puissance tribunicienne.
A D VI Κ IVLIAS TAVRVS STATILIVS CORVINVS PROMAGISTER COLLEGII FRATRVM ARVALIVM NOMINE IN CAMPO AGRIPPAE AD ARAM PROVIDENTIAE AVGVSTAE VACCAM INMOLAVIT ADFVERVNT PAVLLVS FABIVS PERSICVS M FVRIVS CAMILLVS APPIVS IVNIVS SILANVS. Il s'agit du sacrifice d'une vache sur l'autel de la Providence Auguste; il est réalisé par le viceprésident du collège au nom de ce collège. Ce sacrifice, à cette date, est spécifique et isolé; quatre membres du collège, sur les douze frères, sont présents, ce qui est tout à fait normal, mais, bien évidemment, ne donne pas à cette cérémon ie un très grand relief. La date indiquée corre spond au 26 juin de l'année 38. La raison de ce sacrifice doit être mise en rapport avec l'autel de la Providence Auguste. Nous avons vu à la suite de quels événements sa construction avait été décidée; mais rien dans ce cadre ne semble se rattacher à cette date du mois de juin. Étant donné les habitudes des frères arvales qui, tout au long de l'année, célèbrent un grand nombre d'anniversaires, nous pouvons penser qu'il s'agit ici d'une cérémonie de ce genre; ce ne peut être que l'anniversaire de l'adoption de Tibère par Auguste, le 26 juin 4 ap. J.-C.82.
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Un tel sacrifice anniversaire n'a certainement pas été créé par Caligula. L'importance donnée par Tibère à la chute de Séjan et à l'érection de cet autel a sûrement donné l'occasion aux frères arvales de célébrer cette cérémonie tous les ans, depuis 32. Malheureusement les Actes sont tota lement lacunaires pour le mois de juin durant tout le règne de Tibère83 et il nous est, de ce fait, impossible d'apporter une preuve plus nette à notre hypothèse. L'extrait des Actes de l'année 39 est tout aussi intéressant pour notre propos84: MINERVAE VACCA[MIN TEMPLO NOVO] DIVO AVGVSTO BOVEM [MAREM ITEM] IN TEMPLO CONCORDIAE [VACCAM IN] PALATIO DIVO AVGVSTO B[OVEM MA REM] [ET] AD ARAM PROVIDENTIAL E] [VAC]CAM IMMOLAVIT. [ADFVER]VNT CN DOMITIVS C CA[ECINA LARGVS] [TAVRVS] STATILIVS CORVINVS. La datation reste ici assez délicate. Nous pou vons déjà noter qu'il ne s'agit pas du même genre de cérémonie que précédemment; en effet, l'autel de la Providence est un des lieux auxquels, durant la même journée, les frères se rendent : le nouveau temple du divin Auguste que Caligula venait de faire achever et avait consacré l'année précédente, le temple de la Concorde qui avait été totalement restauré par Tibère, sur l'ordre d'Auguste; ils vont aussi au Palatin, toujours en l'honneur du divin Auguste. La célébration est importante puisqu'y sont associés les dieux de la triade capitoline, protect ricede Rome85. Le fragment qui est immédiate ment rattaché à ce passage indique le huitième ou le septième jour avant les calendes de novemb re,c'est-à-dire le 25 ou le 26 octobre86. La cérémonie qui nous intéresse a donc eu lieu avant cette date. Étant donné les rapports étroits
que nous avons définis entre Prouidentia, cet autel et la chute de Séjan, ne serait-il pas possi bled'y voir le sacrifice anniversaire de la dispa rition du préfet du prétoire; ce sacrifice aurait eu lieu tous les ans, le 18 octobre, depuis l'année 32, avec une constante, la présence des frères arvales à l'autel de la Providence. En effet, les autres sacrifices cités dans ce passage des Actes ne datent pas tous de l'époque de Tibère; à preuve celui adressé à la triade capitoline dans le nouveau temple d'Auguste alors très récent. Malheureusement, là encore, nous ne possédons aucun fragment suffisant pour les mois d'octo bre des années précédentes, entre 32 et 38, pour avoir confirmation de notre hypothèse. Nous pouvons cependant tenter de proposer une resti tution des quelques lignes placées avant le fra gment f : [A D XV Κ NOVEMBRES L SALVIVS OTHO FLAMEN ET PROMAGISTER COLLEGII FRATRVM ARVALIVM NOMINE (sur cette ligne l'évocation de la chute de Séjan, raison de la cérémonie) IOVI BOVEM MAREM IVNONI VACCAM] Un passage de l'Histoire Romaine de Dion Cassius, mais qui reste vague, semble cependant confirmer que c'est immédiatement après la chut ede Séjan que ces cérémonies anniversaires ont été envisagées : «Κοινή δέ δή έψηφίσαντο . . . έορτήν τε διά τε των αρχόντων και δια των ιερέων απάντων, ö μηπώποτε έγεγόνει, άχθήναι, και την ήμέραν, έν fj έτελεύτησε και Ιππων άγώσι και θηρίων σφαγαΐς έτησιοις, ...»87. Le texte recèle une certaine ambiguïté dans sa construction, mais, accompagnant les jeux du cirque et les chasses, il semble bien indiquer que tous les ans, à l'anniversaire de la mort de Séjan, tous les magistrats et tous les prêtres devaient participer à une cérémonie solennelle. Nous en avons retrouvé la trace dans les Actes des frères arval es88. Nous pouvons conclure sur ce point que
83 Nous possédons de nouveau les Actes du mois de juin pour l'année 59. Il n'y a plus alors de cérémonie à l'autel de la Providence. Cf. W. Henzen, Acta fratrum arvalium quae supersunt, Berlin, 1874, p. LXX-LXXVI. 84 Établissement du texte dans J. Scheid, op. cit., p. 210211, frg. f et g, 1. 1-8. 85 En effet, Minerve n'est jamais célébrée seule dans les Actes, mais toujours comme composante de la triade
ne qu'il faut restituer dans son ensemble avant la ligne 1. 86 Fin du frg. g, 1. 9 [A(nte) D(iem)] VI(?) Κ NOVEMBR. 87 Dion Cass., LVIII, 12, 4-5. 88 Les quatre autres cas où la Providence est évoquée dans les Actes n'intéressent pas directement le problème posé actuellement. La Providence est alors évoquée sans l'autel, comme une divinité indépendante. Nous aurons l'o ccasion d'en reparler.
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l'autel de la Providence a bien été construit à Rome, que des cérémonies s'y sont déroulées dès le règne de Tibère et ont continué sous Caligula; c'est cet autel, avec son enceinte, qui est représenté sur les monnaies. Dans ce contexte, et puisque nous sommes maintenant autorisés à confondre les représentat ions de l'enceinte d'un autel et l'Ara Prouidentiae de Rome, il est évident que si nous prenons les monnaies d'Émérita, nous devons y reconnaît re cette même enceinte. Il n'y a aucune raison de penser que ces émissions locales auraient eu pour cause l'érection d'un autel de la Providence dans la Colonia Augusta89. Simplement, par ce moyen, Emèrita a montré qu'elle participait au grand mouvement d'actions de grâce déclenché à Rome le soir même de la chute de Séjan et qui venait de trouver une première expression uni verselle dans la frappe des monnaies romaines représentant l'autel monumental nouvellement érigé dans la Ville. Cette copie conforme au modèle romain ne permet pas d'affirmer qu'Émérita a élevé dans ses murs un autel de la Providence. Il n'en est pas de même d'autres cités qui n'ont pas hésité à suivre l'exemple de la capitale de l'Empire et ont élevé, à leurs frais, un monument de cette sorte. C'est certainement le cas de Corinthe90. Nous avons déjà vu que l'inscription date du début de la deuxième moitié du Ier siècle, mais que la prêtresse Callicratea, dont il est question, a dû exercer son sacerdoce pendant un nombre d'an nées suffisant pour que nous puissions remonter à l'époque qui nous intéresse. Callicratea dessert l'autel que la cité a consacré à Prouidentia et à Salus Publica; A. B. West a parfaitement raison de mettre en relation cette prêtrise, la construc tion de l'autel et la «conjuration» de Séjan91. La création de ce culte était une réponse bien
tée à la situation et aux souhaits de Tibère et nous pouvons penser que c'est à la suite de la décision de construire un autel à Rome que la même décision a été prise à Corinthe, dans les dernières semaines de l'année 31. La capitale de l'Achaïe marquait avec éclat son attachement et sa loyauté envers Tibère. Une autre cité nous a laissé la preuve de l'existence d'une ara Prouidentiae sur son terri toire: Italica avec sa frappe locale au type de l'autel (et non de l'enceinte d'autel) portant sur ses flancs l'inscription PROVIDE/NTIAE/ AVGVSTI92. Puisque, sans contestation possible, la représentation n'est pas celle de Rome, nous pouvons supposer qu'il s'agit d'un autel érigé à Italica même et dans les circonstances que nous avons définies plus haut. Cependant cette frappe présente une petite difficulté pour une telle interprétation. Elle porte, en effet, sur son revers aussi, l'inscription PERM(issu) DIVI AVG(usti). Nous savons que la simple initiative des provin ciaux n'était pas suffisante pour introduire un nouveau culte, ce dont il est question ici; il fallait aussi l'autorisation du pouvoir central93. Faudrait-il alors croire que le revers porte l'ind ication de cette autorisation impériale qui aurait été donnée par Auguste, peu de temps avant sa mort? Un tel point de vue transformerait com plètement notre vision des choses puisqu'il fau drait faire remonter la construction de l'autel aux toutes premières années du règne de Tibère. En réalité il n'en est rien parce que la mention PERM DIVI AVG a un caractère général qui rappelle simplement l'autorisation donnée par Auguste à l'ouverture d'un atelier monétaire dont les frappes n'auraient d'ailleurs pas com mencé avant 23 94. C'est le simple rappel d'un privilège obtenu du prince divinisé95. À cet ensemble, nous devons aussi ajouter les
89 R. Etienne, op. cit., p. 378-379. L'auteur pense que cet autel avait été érigé à l'époque d'Auguste, à une date voisine de 15 av. J.-C. et peu après la construction de l'autel de Tarragone. Ce point de vue est à écarter puisque, comme nous l'avons vu, une allusion officielle ou semi-officielle à la Prouidentia ne peut avoir été faite du vivant d'Auguste. En outre, l'enceinte, avec sa porte à deux battants, représentée sur les monnaies d'Emerita est tout à fait semblable à celle des monnaies romaines. Ces pièces sont des copies de celles de l'atelier romain et doivent être datées de la même année 32 ap. J.-C. Dans le même sens que R. Etienne, C. H. V.
therland, Aspects of Imperialism in Roman Spain, dans JRS, XXIV, 1934, p. 32. 90 Note 16, p. 105. 91 A. B. West, Corinth, vol. VIII, part 2, p. 90-91. 92 Note 5, p. 104 et p. 431 n° 2. 93 R. Etienne, op. cit., p. 407. 94 A. Garcia y Bellido, Colonia Aelia Augusta Italica, Madrid, 1960, p. 70. 95 16 cités ibériques l'utilisent encore durant le règne de Tibère (R. Etienne, op. cit., p. 13).
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deux inscriptions d'Interamna96. Ni l'une ni l'au tre ne fait allusion à un autel, car l'action de grâce a pris dans cette cité d'Ombrie des aspects différents. Le premier est une simple dédicace honorifique faite par un particulier, il est vrai seuir augustalis, Faustus Titius Liberalis. Mais le caractère spectaculaire de l'inscription, une table de marbre de 1,20 m de haut sur 2,13 m de large, de très belles lettres, bien dessinées, mar que évidemment la publicité que l'auteur a vou lului donner et l'accord très certain avec les sentiments de ses concitoyens très peu de temps après la découverte du «complot». La seconde inscription, PROVIDENTIAE/AVGVSTAE SACR, sur une petite plaque presque carrée, doit tout aussi certainement être rapportée aux mêmes événements et à la même ambiance, sans que nous puissions savoir s'il s'agit d'un geste isolé ou d'une décision officielle. Ces quelques exemples montrent que la pré tendue conjuration de Séjan, sa découverte et son châtiment, ont eu, dans l'ensemble du mon deromain, un retentissement considérable. Tibè re lui-même a orchestré la propagande chargée de rendre évident à quels graves périls l'État avait échappé. Pour les rappeler à ceux qui vivaient ou passaient à Rome, il a fait élever l'autel de la Providence; pour ceux qui vivaient en Italie ou dans les provinces, il a fait frapper les séries monétaires dont nous avons parlé et qui ont été répandues aussi bien en Occident qu'en Orient97. De nombreuses cités ont suivi l'exemple impérial et ont ainsi démontré l'unité et la loyauté du monde romain à l'égard de l'empereur régnant. D'ailleurs quel meilleur reflet peut-on trouver de la réaction générale qui a suivi la condamnat ion que les imprécations de Valère-Maxime con tre Séjan98 ? Ne le traite-t-il pas de parricide :
«cum unius parricida cogitatione cuncta scelera superata cernam»? Ne compare-t-il pas son action aux désastres que Rome a connus dans son histoire, la prise de la Ville par les Gaulois, la mort des Scipions, les défaites de Trasimène et de Cannes, les guerres civiles de la fin de la République . . .? Ne s'écrie- t-il pas : « Qui pourrait trouver des mots assez énergiques pour accabler de l'exécration qu'il mérite un monstre qui, au mépris des droits de l'amitié, voulut ensevelir le genre humain dans de sanglants ténèbres? Tu aurais pu, toi dont la rage effrénée l'emporte sur celle des bêtes fauves, te saisir des rênes de l'empire romain, les arracher aux mains bienfai santes du prince qui est notre père? Et si la fortune avait secondé tes fureurs, le monde aurait-il pu rester semblable?» Toute l'œuvre de Valère-Maxime est traversée par l'esprit d'un glorificateur sans nuances de Tibère et de son action; mais une telle indignation, peut-être mue ici par une véritable sincérité, ne peut être tota lement artificielle. Nous y voyons l'écho, sans doute amplifié, mais réel, de l'indignation uni verselle et, très certainement aussi, de la peur rétrospective qui a alors envahi le monde romain. C'est ce même écho que nous retrouvons chez un écrivain qui n'a eu aucun rapport direct avec Séjan et qui a écrit bien des années après l'événement. Le préfet du prétoire fournit à Sénèque un exemple qu'il veut frappant lorsqu'il aborde le problème de la mort et de l'attitude du sage devant elle. Pour montrer combien rap idement la mort élimine les hommes, même ceux que tout désignait aux plus grands honneurs et aux plus hautes destinées, pour rendre plus écla tante l'idée que toute condition humaine est changeante, notre philosophe s'exprime ainsi : « Tu as été chargé des plus hautes dignités : en
96 Notes 10 et 15, p. 105. 97 il est juste de remarquer que les trouvailles en Orient sont beaucoup plus rares qu'en Occident. Ce peut être sim plement le fait du hasard, mais c'est aussi le reflet d'une situation politique. Tibère s'est senti dans la nécessité de reprendre en mains, avec plus d'efficacité, l'Occident qui avait été certainement plus sensible à la personnalité de Séjan. Les réticences de l'Orient s'expriment clairement dans le refus des légions de Syrie d'introduire les images de Séjan.
L'abondance des trouvailles de monnaies au type Prouidentia en Occident, surtout dans les Gaules et les Germanies, a même pu faire croire à des ateliers de frappe dans ces régions (M. Grant, The Pattern . . . , p. 108. Kraay et Pekary sont aussi de cet avis. S. Jameson, The Date of the asses. . ., p. 123-124, avance même les noms de Lyon et de Nîmes. A. S. Robertson, Roman Imperial Coins .... p. LV, reste, à juste titre, plus prudente). 98 IX, 11, ext. 4.
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as-tu d'aussi grandes, d'aussi inespérées, d'aussi accumulées que Séjan? Le jour même où le sénat lui avait fait cortège, le peuple le mit en pièces; de ce corps sur lequel les dieux et les hommes avaient amoncelé tout ce qui se peut réunir d'honneurs, il ne resta rien pour le croc du bourreau»99. Si Sénèque a choisi un événement qui faisait déjà partie du passé historique de Rome, c'est parce qu'il avait encore valeur exemplaire et que chacun pouvait en apprécier la portée en util isant ses propres souvenirs. Là se trouve une preuve supplémentaire de l'importance qui y a été attachée par les contemporains et du reten tissement considérable qu'il a eu dans toutes les consciences. D'ailleurs Tacite, dans une attitude qui est conforme à son pessimisme foncier, pré sente l'épisode de Séjan comme étant le reflet, dans le monde des hommes, de la colère des dieux à l'égard des Romains. Séjan n'a eu d'habi leté et d'intelligence que celles que les dieux ont bien voulu lui accorder pour le mal de Rome100. Dans ce contexte dramatisé à l'extrême, et peut-être de façon volontaire, il fallait que Tibèr e, non seulement accepte le principe de démonstrations extraordinaires101, mais il lui fal lait trouver une notion qui exprime parfaitement ce que lui-même avait ressenti, une notion qui soit comprise facilement par tous. Tibère a chois i Prouidentia et l'a préférée à toute autre abs traction. Ce choix n'a pu être arbitraire; c'est pourquoi il nous faut maintenant nous poser le problème des motivations profondes du princeps dans ce choix. En effet, il peut paraître étonnant après ce que nous avons dit de l'effacement de la notion durant le règne d'Auguste et la première partie de celui de Tibère. La réponse peut nous éclairer sur la personnalité si discutée du succes seurd'Auguste et ouvrir le voie à une meilleure compréhension de son action.
II - «PROVIDENTIA»: UNE NOTION «TIBÉRIENNE»
99 Sen., De Tranq. An., XI, 11. îoo ρ Wiesen, «Isdem artibus uictus est», Tacitus, «Annal es»,IV, I, 3, dans Mnemosyne, XXIII, 1970, p. 402-407. 101 ô ουδέποτε έπεποίητο, comme le dit Dion Cass., LVIII, 12,5. 102 Ce qui est encore soutenu, de façon incidente, par E. Bianco, Indirizzi programmatici e propagandistici nella monetazione di Vespasiano, dans RIN, XVI, 1968, p. 182. L'au-
teur présente l'autel comme un type augustéeen et pense que l'ara est dédicacée à la prévoyance d'Auguste. 103 J. Gagé, Divus Augustus. L'idée dynastique chez les JulioClaudiens, dans Rev. Arch., XXXIV, 1931, p. 30. Cf. aussi du même auteur, La «Victoria Augusti» et les auspices de Tibère, dans Rev. Arch, XXXII, 1930, p. 1-35, et La théologie de la Victoire impériale, dans Rev. Hist., CLXXI, 1933, p. 1-43.
1 - Reprise d'un thème «augustéen»? La plupart des historiens qui ont abordé le problème de cette Prouidentia n'ont voulu voir en elle que le reflet de cette qualité qu'aurait possédée Auguste et qui aurait été déjà fort répandue durant son règne102. Nous avons vu qu'il n'en était rien et qu'il ne fallait pas se laisser abuser et écraser par la personnalité du créateur du principat. Auguste n'a pas tout inventé; après sa mort, le régime qu'il a créé ne reste pas immuable; il est, tout au contraire, en constante évolution et Tibère lui-même a apport é sa pierre à la construction de cet édifice. Ce qui est vrai dans le domaine institutionnel l'est aussi dans le domaine des idées qui président à la vie et au développement du principat. Certai nes d'entre elles viennent directement d'Auguste lui-même mais bien d'autres sont des complé mentsapportés par ses successeurs, suivant leur propre personnalité et les événements survenus durant leur règne. Pourquoi Tibère serait-il resté à l'écart d'un tel mouvement? Sa place de pre mier successeur d'Auguste n'est pas un élément suffisant. Les travaux de J. Gagé autour de la Victoria Augusti ont considérablement renforcé le pre mier point de vue. En effet, ce dernier a démont ré avec évidence que la Victoire d'Auguste con serve son identité propre tout au long de la dynastie Julio-Claudienne; à travers sa Victoire, c'est toujours le diuus Augustus qui est adoré comme protecteur de l'État et de la famille impériale. Il semble, en outre, suggérer qu'il doit en être de même pour les «pures abstractions telles que la Concorde, la Providence August e...»103. Dans le cas qui nous intéresse, Tibère
ΉΒΕΙΙΕ OU L'OFFICIALISATION DE LA PROVIDENCE n'aurait donc fait que rendre plus évidente une des qualités eminentes du premier princeps. D'ailleurs, à propos des émissions monétaires étudiées plus haut, les historiens et numismates anglais Mattingly et Sydenham n'hésitent pas à voir en elles une allusion «à la qualité de Provi dence prééminente chez Auguste, plutôt qu'à la Providence qui l'aurait placé parmi les dieux»104. A. D. Nock suit la même voie en discernant un rapport étroit entre la Providence et le culte d'Auguste divinisé105. M. P. Charlesworth a utili séles mêmes éléments pour montrer que la Providence d'Auguste est à l'origine de la conti nuité de l'État puisqu'elle a obligé le princeps à prendre Tibère comme héritier et qu'elle a forcé ce dernier à choisir lui-même son propre success eur106. J. Béranger a insisté sur ce point avec plus de vigueur encore, affirmant que le souve nir d'Auguste était toujours présent à l'esprit de chacun; les représentations et les inscriptions monétaires que nous avons citées rendraient évi dente une qualité dont Auguste serait désormais le prototype. En l'utilisant, Tibère se serait tout simplement placé sous le patronage d'August e107. Certains textes de l'époque augustéenne ont semblé pouvoir donner un appui décisif à l'idée qu'il existe, presque dès le début du principat, une Providence intimement liée à la personne d'Auguste. Charlesworth108 et Adcock109 ont utili séun passage d'un des décrets de Cyrène dans lequel Auguste lui-même déclare : «Έξ ου δήλον εστοα πάστ,ν τοις τας έπαρχήας κατοικουσιν, οσην φροντίδα ποιούμεθα έγώ τε και ή σύνκλητος του μηδένα των ήμΐν ύποτασομενων παρά το προσή κοντι πάσχιν η είσπράτεσθαι.»110. C'est dans le même sens que F. Taeger111 utilise le décret de la Communauté d'Asie relatif à l'introduction du calendrier julien dans la province, le début de l'année étant fixé au jour anniversaire de la
104 RIC, I, p. 94. 105 A. D. Nock, A dits electa. A chapter in the religious Hbtory of the Third Century, dans Harv. Theol. Rev., XXIII, 1930, p. 266. 106 m. P. Charlesworth, Providentiel and Aeternitas, dans Harv. Theol. Rev., XXIX, 1936. p. 111. 107 J. Béranger, La «prévoyance» (Providentia) . . . , p. 481483. 108 Op. cit., p. 110.
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naissance d'Auguste (9 av. J.-C). Cette décision a été reprise à Halicarnasse en 2 av. J.-C, à peu près dans les mêmes termes. Nous avons étudié plus haut le vocabulaire et la portée de ces deux décrets112 et nous avons conclu que, malgré l'em ploi du mot προ'νοια, ils ne pouvaient en rien avoir valeur universelle; tout au contraire, ils étaient, dans les termes employés, l'expression d'une mentalité orientale dont le vocabulaire pouvait être facilement retrouvé dans le langage hellénistique. Les cités et les autorités locales se sont contentées de reprendre un vocabulaire qui avait fait ses preuves, qui était habituel dans l'Orient grec et aisément compréhensible pour tous les habitants de la province. Pourquoi Tibè reserait-il allé chercher en Orient, dans des textes qui n'avaient qu'une portée locale, qui étaient d'initiative locale, qui étaient déjà anciens, un terme, une notion qui, en réalité, n'avait pas de rapport direct avec Auguste et sa propre pensée? En outre, s'appuyer sur le décret de Cyrène est tout à fait abusif, puisque le texte n'emploie à aucun moment la notion de Provi dence et ne cite le mot πρόνοια. Nier que Tibère ait pu développer une des qualités augustéennes n'est pas oublier le fait qu'il a toujours montré une grande piété envers Auguste. C'est lui qui a permis sa divinisation c'est lui qui a accepté et encouragé les honneurs attribués au nouveau diiius : temple au pied du Palatin, culte dans le temple de Mars Ultor en attendant la fin de la construction du précédent, dédicace d'une statue au théâtre de Marcellus, ... Il a aussi encouragé l'hommage des cités au premier princeps113 et Cyzique perd la liberté pour n'avoir pas terminé le temple du diuus Augustus114. Tibère a suivi Auguste dans de très nombreux domaines qu'il est inutile d'énumérer ici, mais ils nous montrent toute la révérence du second
109 F. E. Adcock, Roman Political Ideas and Practice, Ann Arbor, 1959, p. 103-104. 110 F. de Visscher, Les edits d'Auguste . . . , p. 22-23, 11. 79-82 (cf. supra, p. 78). Cinquième edit. 111 Charisma, II, p. 193. 112 Cf. supra, p. 90. UiSEG, XI, 922-923; H. Seyrig, Inscription de Gythion, dans Rev. Arch., XXIX, 1929, p. 84-106. 114 Tac, Ann., IV, 36, 2. Dion Cass., LVII, 24, 6.
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princeps envers son père adoptif. Toute son att itude à l'égard de Germanicus peut s'expliquer de cette façon115. Mais de tous ces faits qui ne prêtent pas à contestation pouvons-nous aboutir à la conclusion qu'en tire L. R. Taylor: «Toute la politique de Tibère à l'égard des honneurs divins est déterminée par les précédents d'Au guste»116? Nous ne pouvons admettre qu'en choisissant Prouidentia comme thème de propa gande, Tibère n'ait fait que reprendre un thème augustéen et que, par là même, il n'ait été qu'un simple continuateur de la politique de son père divinisé. En outre, il est bien certain que des émissions monétaires à diffusion quasi-générale dans l'Empire ont une portée considérable qui donne à Prouidentia un relief particulier qui est déjà, en soi, une originalité et une nouveauté. 2 - La Providence personnelle de Tibère II n'en est pas moins vrai que Tibère est étroitement rattaché à Auguste. Les monnaies qui portent à l'avers le profil d'Auguste et l'in scription DIWS AVGVSTVS PATER établissent une liaison entre l'empereur vivant et le prince divinisé et, par cet intermédiaire, entre la Provi dence présente sur le revers et Auguste. Mais nous ne devons pas en conclure trop rapidement qu'il s'agit de la Providence d'Auguste. Comment, en effet, dans ces conditions, pourrions-nous expliquer que des pièces au revers semblable, et donc avec Prouidentia, portent les profils de Tibère ou d'Agrippa? Faudrait-il alors parler d'une Providence de Tibère et d'une Providence d'Agrippa, parallèles à celles du fondateur du principat et qui seraient, par là même, concur rentes de celle d'Auguste puisque mises sur le même plan? Ce ne peut être le cas. Nous avons à notre disposition une même série monétaire qui regroupe plusieurs modèles d'avers, mais qui est la concrétisation d'une unique idée fondamental e exprimée par Prouidentia, le dénominateur commun dont nous devons chercher à définir le sens dans ce contexte.
115 Tac, Ann., I, 3, 5; 14, 3. II, 59, 1. 116 L. R. Taylor, Tiberius' Refusal of Divine Honors, dans TPAPA, LX, 1929, p. 97.
Les inscriptions d'Interamna et de Gortyne117 nous mettent sur le chemin d'une solution. En effet, il y est question, avec la plus grande préci sion dans les deux cas, de Prouidentia Tiberii Caesaris Augusti. Les termes sont clairs et ne peuvent prêter à équivoque; il s'agit ici de la Providence de Tibère en personne. Or, si l'hypo thèse que nous avons avancée plus haut d'une unité profonde dans le temps de l'apparition officielle du mot Prouidentia comme réplique à la « conjuration » de Séjan est exacte, il nous faut lier intimement ces inscriptions aux émissions monétaires. La seule objection qui pourrait être faite est que ces inscriptions ne sont pas officiel les, mais découlent de l'initiative privée et peu vent donc être des expressions individuelles et des interprétations du concept officiel. Si ce point de vue peut être défendu à propos d'Int eramna, il est plus difficile de le soutenir pour Gortyne ou le dédicant est le proconsul gouver neurde la province, un homme obligatoirement au courant de la portée de la terminologie offi cielle. Il faut donner à la Providence des monn aies le même sens qu'à celle des inscriptions, c'est-à-dire y voir une allusion à la Providence de Tibère lui-même, sans qu'il soit besoin de faire appel à cet intermédiaire, ou plutôt à cet initia teur, que serait Auguste. D'ailleurs refuser de voir dans cette Providen ce une qualité augustéenne correspond non seu lement à toute l'attitude d'Auguste durant son règne, mais aussi à la manière générale dont Tibère a organisé le culte de son diuus poter. Certes, et nous l'avons vu, l'empereur a toujours montré le plus grand respect pour Auguste; mais si nous essayons d'aller plus avant, nous nous apercevons que ce respect touche plus l'action et les idées de l'empereur vivant qu'Auguste mort et divinisé. Après avoir accepté l'apothéose de son père adoptif, Tibère n'a jamais cherché à développer le culte du second diuus. Deux exemp les suffiront à le montrer à l'évidence. À la mort de Tibère, le temple du diuus Augustus n'était pas encore achevé et n'était pas dédicacé, ce que fera Caligula peu après son avènement118.
117 Notes 10 et 13, p. 105. 118 Dion Cass., LIX, 7, 1.
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II nous faut maintenant nous poser, de nou veau, cette même question : pourquoi la plus importante série de monnaies au type
tia porte- t-elle le profil d'Auguste? Il est incon testable que, par ce moyen, Tibère veut affirmer le lien étroit qui l'unit au diuus. Ce lien a été créé par le choix du premier princeps et a été sanctionné par l'adoption; Tibère a été désigné par Auguste pour être son successeur puisqu'il était devenu son fils. Nous comprenons fort bien l'insistance sur ce point qui se traduit par la mention du mot PATER. C'est sa légitimité que Tibère proclame en même temps que le droit dynastique123. Aussi pouvons-nous mieux com prendre pourquoi Tibère a choisi un sacrifice à la Providence le 26 juin, jour anniversaire de son adoption par Auguste. Il a certainement fait coïncider la dédicace de l'Ara Prouidentiae en 32 et cet anniversaire. Le délai de construction, entre la décision prise sans doute à la fin du mois d'octobre 31 et le mois de juin de l'année suivante, est parfaitement plausible124, même pour un autel à enceinte comme celui-ci. Que les feriae à ce jour datent sans doute du début du règne de Tibère125 ne peut empêcher que l'inte rvention des arvales sur le nouvel autel ait été ajoutée et se soit renouvelée tous les ans à partir de 32. Cette volonté de mettre en relief sa légitimité est compréhensible si nous nous replaçons dans le contexte historique et dans l'atmosphère que nous avons définis, la révélation du prétendu complot de Séjan. Ce dernier, comblé d'hon neurs, a voulu aller plus vite que la volonté de l'empereur, ou, tout au moins, a-t-il voulu le faire croire. Or, le prince seul est responsable de sa succession, c'est son «domaine réservé». Tibère suit, en cette occasion, pas à pas, la ligne de son prédécesseur. Il n'était pas possible à l'empereur de laisser un autre décider à sa place. Séjan a voulu, tout au moins selon la propagande offi cielle développée après sa mort, affirmer sa volonté personnelle; peut-être même, laissa- t-on
119 J. Scheid, op. cit., p. 148, frg. a/ 120 Dans les actes de 38 particulièrement bien conservés. Cf. J. Scheid, op. cit., p. 188 (1. 13), 189 (1. 12), 189 (1. 19), 190 (1. 26), 191 (1. 7) et 192 (1. 6 du frg. f). 121 Val. Max., praef. 122 M. P. Charlesworth, art cit., p. 1 12, n. 4. De fait, l'au teur a bien remarqué l'existence d'une providence propre à Tibère, mais il n'a pas cherché à rendre cohérents les emplois divers de cette notion sous Tibère et il n'a pas tenté une synthèse des éléments dont il disposait.
123 Cf. R. Seager, op. cit., p. 177. 124 Les calendriers de Préneste et de Cumes montrent que la fondation de l'Ara Forttinae Reducis a été décidée le 12 octobre 19 av. J.-C. Cet autel était certainement plus modest e que celui de Prouidentia. Il a été dédicacé, terminé, le 15 décembre de cette même année 19. Si deux mois ont été suffisants pour lui, huit mois sont acceptables pour l'achèv ement de celui qui nous intéresse. Cf. J. Gagé, Res Gestae Divi Augusti, p. 185. 125 J. Gagé, ibid., p. 173.
En second lieu, les Actes des frères arvales nous indiquent à quelles occasions le divin Auguste était l'objet de cérémonies cultuelles; or, pour le règne de Tibère, ils n'en mentionnent qu'une seule en son honneur, à l'occasion de son dies natalis119, le 24 septembre 35 ap. J.-C. Quel con traste avec le règne suivant durant lequel Caligul a multiplie les honneurs envers son ancêtre! Les frères arvales sacrifient au moins six fois dans l'année au divin Auguste : le 3 janvier, le 1 8 mars, le 28 mars, le 23 avril, le 23 septembre, le 12 octobre120. Même si les fragments de l'époque de Tibère sont loin de nous avoir conservé l'ensem ble de l'année liturgique, le contraste n'en reste pas moins frappant. Tibère a rarement fait appel au diuus pater; il a peu cherché à mettre en valeur la personne de ce dernier et les possibilités qu'il détenait, par sa position privilégiée parmi les dieux, d'intervenir dans la vie de l'empire, d'être le garant des décisions et des actes du prince. Les frappes monétaires portant l'inscription PROVIDENT ne doivent pas être mises en rapport avec Auguste; ce serait faire fi des tendances toujours affi rmées de Tibère à l'égard de son père adoptif. Cette Providence est celle de Tibère lui-même. N'est-ce pas d'ailleurs l'idée qui transparaît dans la préface du recueil de Valère-Maxime: «... Caesar, inuoco : cuius caelesti prouidentia uirtutes, de quibiis dicturus sum, benignissime fouentur, uitia seuerissime uindicantur »121 . Cette Providence céleste est le moteur de l'action de Tibère, et de lui seul122. 3 - La Providence de Tibère et sa succession
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entendre, a-t-il essayé de prendre le pouvoir sans respecter une coutume qui n'était pas ancienne, mais qui, dans l'esprit de Tibère, et sans doute de la plupart de ses contemporains, ne devait pas être transgressée. La faute était d'autant plus grave que ce pouvoir, sous une forme ou sous une autre, lui semblait promis; il n'a pas su attendre, comme Tibère l'avait fait sous Auguste. Il est vrai que son origine sociale n'était pas la même; si, dans sa famille, il y avait eu des consuls, lui-même faisait partie de l'ordre équest re, ce que toute une partie du sénat eut d'autant plus de mal à accepter le jour où il devint consul126 par la volonté impériale. Quelle que soit l'ambiance dans laquelle Séjan a agi, et qui l'a peut-être poussé à agir, c'était porter atteinte à un aspect fondamental du pouvoir impérial : Auguste a choisi Tibère, entre autres raisons, parce qu'il l'a jugé capable de gouverner, c'est-à-dire aussi et peut-être sur tout de choisir le plus apte à lui succéder. Mais ce choix ne pouvait avoir lieu que dans le cadre de la Domus marquée par un charisme, sans négliger le fait que l'adoption pouvait y faire pénétrer des étrangers. La réalité affirmée off iciel ement est que, grâce à Prouidentia, une des idées essentielles du legs politique d'Auguste a été préservée et sauvée. Il est désormais assez aisé de comprendre que des monnaies au profil d'Agrippa fassent partie de ces séries de frappes. Tibère poursuit la même idée; il affirme la légitimité et le carac tère sacro-saint des choix successifs effectués par Auguste. En outre, une telle attitude lui permet de mettre en relief les positions respecti ves d'Agrippa et de Séjan; la soumission respec tueuse d'Agrippa face à la hâte sacrilège de Séjan qui pourtant, et quelque soit le travail effectué, n'avait pas rendu à l'État les mêmes services éminents que le premier. C'est en cela que Séjan peut être considéré comme un traître, comme un perniciosissimus hostis populi
ni127. Le rapprochement ainsi réalisé ne pouvait étonner, car, depuis longtemps déjà, il s'était automatiquement fait dans les esprits de tous; comment aurait-on pu éviter de comparer leurs destinées réciproques? N'était-ce pas d'ailleurs un des thèmes favoris des flatteurs qui entou raient le puissant du jour? Par une telle démonst rationpublique, Tibère met en évidence tout ce qui, en réalité, séparait les deux hommes. Dans cette ambiance il n'est pas indifférent que l'emplacement de l'autel de la Providence soit le campus Agrippae128, le lieu aménagé par Agrippa en jardin public et légué au peuple, à l'est de la Via Lata129. Ce large espace avait été terminé et dédicacé par Auguste lui-même en 7 av. J.-C.130; il ne semble pas avoir été totalement clos et était parsemé de bosquets de laurier et de buis. Il jouait le rôle de promenade publique et il laissait une place importante à des construc tions futures. Cette facilité explique l'érection en ce lieu de l'Ara Prouidentiae. Mais le campus offrait aussi un souvenir précis, celui d'Agrippa, dont Tibère voulait incontestablement se servir en cette circonstance. Et nous pouvons voir dans le rappel de la personnalité d'Agrippa, l'affirmation d'une idée dynastique131. L'exemple du compagnon d'Octa ve évoquait pour tous le souvenir de son associa tion au pouvoir, de son mariage avec la fille d'Auguste, Julie, et de l'adoption par l'empereur des deux fils nés de ce mariage, Caius et Lucius. Dans l'esprit d'Auguste, Agrippa devait servir de tuteur aux deux jeunes enfants et les préparer à sa succession; il n'était qu'un intermédiaire qui protégeait les intérêts des petits-fils de l'empe reurdevenus ses fils par l'usage du droit privé d'adoption. En couvrant Séjan d'honneurs et, plus encore, de responsabilités, en le laissant seul à Rome comme le vrai maître de la Ville, Tibère n'aurait-il pas eu les mêmes buts qu'Au guste avec Agrippa? N'aurait-il pas voulu faire de Séjan une sorte de «régent» dans sa succession
126 Sur ces oppositions venues de certains clans et de quelques familles de nobiles, cf. H. W. Bird, L Aelius Seianus and his Political Significance, dans Latomus, XXVIII, 1969, p. 87-88. 127 Note 10, p. 105. 128 Cf. supra, p. 116. 129 P. Grimai, Les jardins romains, Paris, n. éd., 1969, p. 120
et 178. 130 Dion Cass., LV, 8. 131 II faut aussi rappeler ici la très grande popularité d'Agrippa dans les provinces occidentales, et singulièrement en Gaule où les émissions monétaires à son effigie sont le plus répandues.
TIBÈRE OU L'OFFICIALISATION DE LA PROVIDENCE et non un véritable empereur, ce qui ne pouvait être réservé qu'à un homme du sang d'Auguste ou tout au moins de sa famille par alliance132? À la fin de l'année 23, les héritiers possibles du pouvoir sont encore nombreux, mais ils sont aussi très jeunes : les fils de Germanicus et d'Agrippine ont, respectivement, Nero 17 ans, Drusus 16 ans et Caligula 11 ans; le petit-fils de Tibère, Gemellus, n'a encore que 4 ans. Aucun n'était alors capable de diriger l'Empire sans l'aide d'un homme d'expérience et loyal envers l'empereur; Séjan semblait l'homme tout dési gné133. Les quelques années qui s'écoulent jus qu'en 30 ne changent rien au fond du problème, puisque Nero et Drusus sont alors éliminés et que le jeune Caius n'a encore que 18 ans. Cette attitude de Tibère correspond tout à fait au respect qu'il a toujours montré pour tout ce qu'avait entrepris et décidé Auguste; le princeps ne faisait que suivre l'exemple de son prédécess eur. Malheureusement le choix ne fut pas aussi concluant. L'échec est sans doute dû à la personnalité de Séjan, mais aussi à l'inexistence de ces liens forgés dans les combats et les épreuves et qui avaient rendu solidaires l'un de l'autre Auguste et Agrippa, unis dans la reconnaissance. Pour suivre le modèle augustéen, Tibère a pu penser faire de Séjan son gendre134. De toutes façons, l'empereur avait tout fait pour étendre l'influen ce de son préfet du prétoire; il l'avait présenté comme le partenaire de ses travaux; la fille de Séjan avait été promise à Drusus dès 20 ap. J.-C; des parents proches avaient été couverts d'hon neurs, de titres et de récompenses, en particulier son oncle Blaesus, vainqueur de Tacfarinas135. En réalité, Séjan chercha certainement, dans un premier temps, à jouer le rôle de régent d'un prince trop jeune pour régner; de ce fait, l'exi stence de princes adultes, ou approchant de l'âge adulte, était pour lui un obstacle. Marié à une princesse, sa position était solide. Il mena les deux opérations de front. Le premier pas qu'il devait franchir était l'élimination de Drusus, le
132 Tac, Ann., VI, 46, 2 : «S'il cherchait un successeur hors de sa maison, il craignait que ce ne fut livrer la mémoire d'Auguste, le nom des Césars aux railleries et aussi aux outrages». A. Boddington, Sejanus, Whose conspiracy?, dans Amer. Jour, of Philo., LXXXIV, 1963, p. 16.
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fils de Tibère, qui avait épousé Julia Livia (dite Li villa), fille du premier Germanicus (lui-même fils de Livie et de Claudius Nero). Drusus et Séjan s'entendaient mal136; Drusus s'entendait mal avec sa femme qui tomba amoureuse de Séjan; ce dernier se sépara de son épouse Apicata qui lui avait donné trois enfants. Le schéma d'action de Séjan comportait la mort de Drusus; elle arriva le 14 septembre 23, par empoisonne ment comme la version officielle l'affirma par la suite. Les fils de Julia Livia et de Drusus, Tiberius Gemellus et Germanicus étaient trop jeunes (4 ans); les successeurs de Tibère ne pouvaient qu'être les fils de Germanicus et d'Agrippine, Nero (né en 6 ap. J.-C.) et Drusus (né en 7 ap. J.-C). Ce sont eux que l'empereur recom manda au sénat après la mort de Drusus137. Séjan ne pouvait être un intermédiaire en ce cas. Il ne pouvait l'être que de Tiberius Gemellus (le petit Germanicus était mort aussi en 23) ou du jeune Gaius, troisième enfant de Germanicus et d'Agrippine, qui était né en 12 ap. J.-C. et avait été surnommé Caligula par les soldats de Ger manie. Tibère avait tout fait pour favoriser Ger manicus et lui permettre la meilleure préparat ion possible à son futur rôle d'empereur, com me Auguste l'avait demandé et voulu. Ce qui n'avait pas empêché une sourde inimitié de régner continuellement entre l'empereur et Ger manicus; Tibère ne perdit jamais la méfiance profonde que l'immense popularité de Germanic us avait fait naître en lui. Mais il resta loyal aux engagements pris, même quand le bruit se répandit que la mort de Germanicus était due à un empoisonnement ordonné par le princeps. La recommandation au sénat de Nero et de Drusus allait dans le même sens et était le reflet d'un semblable état d'esprit. Séjan décida alors de demander la main de Livia Julia (que Tibère lui refusa dans un pre mier temps) et d'éliminer Agrippine et ses deux fils aînés. Ce lui fut d'autant plus facile que cette dernière avait réuni autour d'elle une coterie
133 H. W. Bird, art. cit., p. 68-69. 134 Tac, Ann., VI, 46. 135 R. Seager, op. cit., p. 179. 136 Tac, Ann., IV, 3, 2. 137 Tac, ibid., IV, 8, 4-5.
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anti-tibérienne d'autant plus dangereuse pour l'empereur qu'elle s'appuyait sur les regrets lais sés par Germanicus138. Séjan, après des attaques indirectes, c'est-à-dire touchant des personnages de l'entourage d'Agrippine, s'attaqua direct ementà la famille de Germanicus en dénonçant l'entourage de Nero et un prétendu complot qu'il aurait monté avec sa mère en s'appuyant sur les légions de Germanie. Séjan s'y prit si bien qu'il réussit à convaincre Tibère, alors à Capri, et Agrippine fut déclarée ennemi public et relégué dans l'îlot de Pandataria139 où elle subit de mauvais traitements. Drusus se trouvait à Capri; Tibère l'envoya à Rome où il fut déclaré ennemi public et emprisonné (les charges contre lui demeurent inconnues). Nero fut relégué dans l'île de Pontia. Le dernier des fils de Germanicus, Caligula, avait été préservé. Il était encore fort jeune et ne semblait pas avoir pu tremper dans le complot. D'ailleurs il paraît bien que le jeune homme n'ait jamais fait corps avec sa mère et ses frères, avec leurs rancoeurs et leurs illusions; son caractère, ses penchants, ses goûts le portaient dans d'au tres voies. Suétone met sur le compte de la dissimulation, du calcul et de la fourberie ce qui n'était peut-être que penchant raisonné, quand il nous dit : « II ne donna aucune prise à ceux qui cherchaient à lui arracher des plaintes, car il paraissait avoir aussi complètement oublié les malheurs des siens que s'il n'était rien arrivé à aucun d'eux ... et montrait tant de soumission à l'égard de son grand-père et de son entourage qu'on a pu dire de lui, non sans raison : "II n'y eut pas meilleur esclave ni plus mauvais maît re"»140. C'est mettre en évidence que Caligula a toujours été plus proche de Tibère que de sa
famille; c'est aussi ce que pourrait prouver le fait que le jeune Gaius avait été envoyé chez sa grand-mère Antonia, et donc éloigné de sa mère, et qu'à 18 ans Tibère l'avait chargé de prononcer l'oraison funèbre de Livie, la veuve d'Auguste, son arrière-grand-mère. Les événements ne firent qu'accentuer cette tendance141. L'empereur s'était laissé aller à faire disparaître tous ceux qui semblaient, par leurs complots ou, tout au moins, par leurs persifla ges, être un danger pour lui-même et pour l'État. Mais il eut peur de voir Séjan éliminer toute la descendance d'Auguste. Il ne lui était plus possi blede laisser les choses se dérouler ainsi. C'est pourquoi le passage des Mémoires de Tibère que cite Suétone n'est pas aussi scandaleux et incroyable que l'historien le laisse entendre142. Quand Tibère déclare «qu'il avait puni Séjan parce qu'il avait découvert sa haine forcenée contre les enfants de son fils Germanicus», il nous montre simplement qu'il n'a eu la révéla tiondu plan du préfet du prétoire qu'après l'é limination d'Agrippine et de ses deux fils aînés; et il a agi quand il a jugé que Caligula était menacé par un véritable complot de Séjan; une lettre d'Antonia, la grand-mère de Gaius, avait déjà rendu Séjan suspect à Tibère143 et Tacite laisse entendre que cette menace sur Caligula était réelle144. Cette furor qui animait Séjan sembla à Tibère née du désir secret de détruire, d'anéantir la famille d'Auguste; le princeps ne pouvait y sous crire. Il s'est peut-être agi de la tentative déses pérée d'un homme qui sentait sa position s'effri ter,il n'empêche que Tibère prit la précaution de faire venir auprès de lui, à Capri, comme pour le protéger, le jeune Gaius145. Caligula y
138 Tac, Ann., IV, 12, 1-2. Cf. H. . Bird, art. cit., p. 70-71. 139 Suet., Tib., LUI, 3, 3. 140 Suét., Calig., X, 4. 141 D'ailleurs, une fois empereur, Caligula chercha à tou jours justifier l'attitude de Tibère à l'égard de Séjan et de ses complices. Cf. Suet., Calig., XXX, 4. 142 Suét., Tib., LXI, 2. 143 Fl. Jos., Ant. lud., XVIII, 6, 181-182. A. Boddington, art. cit., p. 7. 144 Tac, Ann., VI, 3, 4, parlant d'un certain Sextius Paconianus, déclare : « c'était un homme audacieux, malfaisant, épiant les secrets de toutes les familles, et que Séjan avait choisi pour préparer la ruine de Caius César». H. W. Bird, art. cit., p. 88-89, pense que l'attitude de
Tibère est surtout due à une campagne menée par les factions opposées à Séjan, et tout particulièrement aux milieux sénatoriaux traditionnels. Là serait née l'idée de faire croire à Tibère que Séjan préparait l'élimination de Caligula. Il est difficile de trancher, mais il semble curieux que se soient répandus des bruits totalement sans fondement ou sans vraisemblance. De toutes façons, réalité du complot ou non, le résultat ne pouvait qu'être le même à partir du moment où Tibère en était convaincu. 145 Suét., Calig., X, 3. L'auteur parle de cette venue à Capri à l'âge de 19 ans. Or, Caligula était né le 31 août 12 ap. J.-C. Son âge correspond donc parfaitement à l'époque qui précè de la condamnation de Séjan, le 18 octobre 31.
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reçut la toga uirilis, autre signe important. La condamnation de Séjan permit de sauver le jeu nehomme et d'affirmer ainsi, aux yeux de tous, sa position d'héritier146. Tibère a confirmé son choix par la suite en lui donnant, dès 33, la questure avant même qu'il ait atteint l'âge légal. La continuité dynastique était désormais assurée dans la Clementia et la Moderatio, sous l'égide de Concordia, comme des émissions de dupondii, dans les années 32/34, nous le prouvent147. Cet « excursus » nous a permis de déterminer, avec un peu plus de précision, la place qu'avait tenue Caligula auprès de Tibère et dans la suc cession impériale. Il a aussi montré que la posi tion de premier plan donnée au jeune Gaius coïncidait dans le temps avec la chute de Séjan; ce ne peut être uniquement l'effet du hasard. Par ce biais, nous pouvons revenir aux monnaies qui nous avaient servi de point de départ, celles portant le profil d'Agrippa sur l'avers. Une telle frappe entre parfaitement dans la politique générale signifiée par Tibère à la fin de l'année 31 et au début de 32. Comme pour les monnaies avec DIWS AVGVSTVS PATER, il s'agissait d'af firmer l'existence d'une famille privilégiée dans laquelle, seule, le choix du successeur pouvait être effectué. Certes, pour que tout le monde puisse comprendre que Caligula était ainsi dési gné, Tibère aurait pu employer des moyens plus directs et, de ce fait, plus clairs. Faire mettre le profil de Germanicus lui était interdit par l'op inion dans laquelle auraient pu se raviver les bruits qui avaient désigné Tibère comme son bourreau; il y aurait eu dans ce geste une provo cation gratuite et inutile. Il ne pouvait pas non
plus être question pour le princeps de faire frap per sur les monnaies le profil d'Agrippine, enco revivante et qu'il retenait toujours exilée et prisonnière dans l'îlot isolé de Pandataria où elle n'allait pas tarder à mourir148. Le meilleur moyen pour rendre public le choix définitif réalisé par Tibère était de rappel er au souvenir de tous la personnalité d'Agrip pa, grand-père de Caligula. Il présentait de mult iples avantages et, tout particulièrement, celui d'être le symbole de la loyauté envers l'emper eur,du choix volontaire d'Auguste et de refléter les qualités personnelles nécessaires au gouver nement de l'Empire. Par ce moyen, Tibère trou vait aussi un avantage personnel; il pouvait pen ser se rendre plus populaire en rappelant à tous la grande figure de Germanicus sans avoir à prononcer son nom. En outre, et déjà en 31 ap. J.-C, n'allait-il pas au-devant des vœux uni versels du peuple romain149 qui voyait dans le jeune fils de Germanicus «le prince rêvé»150. Par conséquent, les émissions monétaires au revers PROVIDENT répondent à plusieurs buts précis : affirmer le rôle prééminent de la Provi dence de Tibère qui a su faire éviter à l'empe reurles dangers d'un complot qui le menaçait, qui a su préserver l'avenir de la dynastie en écartant un usurpateur en puissance et en assu rant la succession au dernier descendant direct d'Auguste, le jeune Caligula. Rien n'avait été lais séau hasard par Tibère et le sens qu'il a donné à ces frappes était parfaitement clair pour les con temporains, car elles correspondaient à leurs préoccupations du moment : les dangers polit iques immédiats provoqués par la conspiration et
146 Dion Cass., LVIIL 8, 1. 147 H. Gesche, Datierung und Deutung der CLEMENTI AEMODERATIONI. Dupondien des Tiberius, dans Jahrbuch für Nunmmatik und Geldgeschichte, XXI, 1971, p. 37-80. 148 Agrippine meurt le 18 octobre 33, jour exact du deuxiè me anniversaire de la mort de Séjan. 149 Suét., Calig., XIII. L'auteur décrit les scènes d'allégresse à son entrée dans Rome comme princeps. 150 II pourrait sembler logique d'utiliser dans cet exposé l'inscription provenant d'Athènes (note 17, p. 105). Dans un contexte de glorification d'une famille privilégiée, la veuve d'Auguste, qui venait de mourir en 29, pouvait jouer un rôle de premier plan. Dans de telles circonstances, faire appel à Livie pour renforcer le ton de la propagande impériale n'aurait rien eu d'étonnant. Mais il ne faut pas oublier que la
mort de Livie n'a pas été l'occasion de grandioses funérailles, que son testament n'a pas été respecté, que Tibère a refusé sa divinisation. En outre, l'inscription d'Athènes a un caractè re tout à fait local; la πρόνοια dont il est question se rappro che plus de celle des inscriptions de la province d'Asie que de la Prouidentia romaine. En réalité, si l'événement qui a provoqué la gravure de cette inscription n'est pas défini dans le texte, il doit être en rapport avec le ravitaillement et l'approvisionnement d'Athè nes puisqu'un agoranome en fait la dédicace. Il s'agit donc de faits locaux et d'une Providence qui ne peut faire partie de la propagande développée par Tibère à la suite du «complot» de Séjan et de ses amis. Cf. P. Graindor, Athènes sous August e, p. 155-156.
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les incertitudes sur la stabilité future du principat à travers la grave question de la success ion151. Ainsi pensons-nous avoir approché la solu tion du problème posé par des émissions monét aires qui semblaient devoir leur apparition, jus qu'alors, au plus pur des hasards ou bien au simple caprice de l'empereur et de ses administ rateurs. Mais si l'unité de cette frappe due au fait précis que nous avons défini plus haut est maintenant rendue plus évidente, il n'en reste pas moins que nous n'avons pu encore expliquer pourquoi Tibère avait choisi Prouidentia comme la notion la mieux à même d'exprimer tout le sens qu'il voulait donner à l'événement. Quelles motivations réfléchies ont pu le conduire à cette expression de sa conviction? Pour quelles ra isons Tibère a-t-il apporté cette innovation, con trairement à toute la politique menée par August e?
III - «PROVIDENTIA»: RÉALITÉS CONTENU
DE SON
1 - Respect de l'action d'Auguste Une telle innovation paraît, à première vue, surprenante quand on connaît le respect que Tibère a toujours montré à l'égard d'Auguste et de ses décisions. Au moment de son accession, il a proclamé que seul Auguste était capable d'a ssumer le fardeau de l'Empire152 et, dans le domaine religieux, Tibère s'est continuellement montré très prudent. Il exigea le respect le plus 151 II est aussi possible d'affirmer que ces frappes ont eu leur importance renforcée par d'autres coïncidences chrono logiques dont Tibère aurait profité; mais, de toutes façons, elles ne peuvent rester qu'au second plan. La série DIWS AVGVSTVS peut être mise en rapport avec le soixantième anniversaire de la restituta respublica en 27 av. J.-C. (= 33 ap. J.-C). Pour Agrippa la date de 32 marquerait le cinquantenaire de l'attribution de la puissance tribunicienne (en 18 av. J.-C). Sur ces points, cf. C. M. Kraay, Die Münzfimde . . ., p. 14. À cette liste, nous pourrions ajouter les Vota XX de Tibère, en 34, qui, eux aussi, affirment la continuité du pouvoir. Mais, à notre avis, ce ne sont là que des rencontres fortuites, et les fondements profonds et véritables de ces
total de la mémoire d'Auguste et il condamna avec vigueur toute atteinte portée au souvenir de son père. Tacite nous en donne plusieurs exemples; celui de Granius Marcellus, gouver neurde Bithynie, accusé d'avoir coupé la tête d'une statue d'Auguste pour lui substituer celle de Tibère153; celui d'Appuleia Variila, petite-fille de la sœur d'Auguste, accusée d'avoir fait du divin Auguste, de Tibère et de sa mère le sujet d'un badinage injurieux154. Tibère a toujours pris très au sérieux les marques d'honneur ou d'irrespect à l'égard du divin Auguste155. C'est lui qui a fait diviniser Auguste, qui a accepté les honneurs offerts au nouveau diuus, qui les a même encouragés en acceptant de nouvelles distinctions que n'avait pas le diuus Iulius, comme la sodalité à'Augustales. Il a aussi encouragé l'hommage des cités à Auguste et Cyzique a perdu la liberté pour n'avoir pas terminé le temple du diuus August us156. Par contre, pour lui-même, Tibère montra toujours la plus grande prudence; il refusa les honneurs, les fêtes, les titres à caractère rel igieux qui lui étaient offerts157. Toute sa politique à l'égard des honneurs divins a été déterminée par les précédents augustéens158. Aussi n'y a-t-il rien d'étonnant à voir invoqué dans l'inscription de Gortyne le numen du César régnant159, car il ne lui donne pas une personnalité divine de son vivant. 2 - Les qualités «augustéennes» Dans ce contexte, nous ne pouvons être sur pris de voir Tibère utiliser les mêmes notions et qualités fondamentales que celles mises au pre mier plan par Auguste, pour lui-même. Tibère
émissions se trouvent ailleurs, comme nous avons essayé de le définir. 152 Tac, Ann., I, 11, 1 : «solam diui Augusti mentem tantae tnolis capacem ». 153 Tac, ibid., I, 74, 3. 154 Tac, ibid., II, 50, 1 : «probrosis sermonibus ». 155 D.C.A. Schotter, Tiberius and the Spirit of Augustus, dans Greece and Rome, XIII, 1966, p. 207-212. 156 Tac, Ann., IV, 36, 2. Dion Cass., LVII, 24, 6. 157 Cf. la lettre aux habitants de Gytheion (H. Seyrig, art. cit., p. 84-106). 158 L. R. Taylor, art. cit., p. 97. 159 Note 13, p. 105.
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conserve au principat le symbolisme de la Vic toire; le trait est évident dans les abondantes frappes lyonnaises au type de la Victoire assise sur un globe, représentant la domination univers ellede Rome160 ou sur les aurei et deniers de Lyon avec Tibère revêtu du paludamentum sur un quadrige161. Les ateliers de Rome frappèrent aussi des types à la victoire (avec DIWS AVGVSTVS PATER)162, à l'aigle sur un globe163, au foudre ailé164. La Paix est représentée sous la forme d'une femme assise tenant dans ses mains une branche et un sceptre165; c'est elle qui est célébrée par Valère-Maxime : «itaque stat pax»166 et qui crée, comme pour Auguste, une sorte de «divinité protectrice», pour reprendre l'expres sion de J. Gagé, la Félicitas161 . Comme Auguste, Tibère met en valeur Iustitia dans une frappe romaine de l'année 22/23 ap. J.C, représentant le buste d'une femme (est-ce Livie?) drapée et couronnée de fleurs et surmont ant l'inscription IVSTITIA168. Il était normal de voir l'accent mis sur elle, puisque la dédicace de la statue de Iustitia Augusta, le 8 janvier 13, avait été liée au triomphe de Tibère du mois d'octo bre précédent169. Clementia avait été maintes fois mise au premier plan par Auguste; Tibère en fit autant pour montrer qu'il avait toujours comme but la sauvegarde de ses concitoyens; les ateliers de Rome frappèrent, à une date comprise entre 22 et 32 ap. J.-C, des monnaies portant un petit buste au milieu d'un bouclier orné de fleurs et surmonté de l'inscription CLEMENTIAE170. Il y a de bonnes chances pour que nous puissions mett re en rapport étroit cette frappe avec la déci sion prise par le sénat, en 28, à la suite d'une
révolte chez les Frisons, de faire élever des autels à Clementia et Amicitia et des statues à Tibère et à Séjan171; il s'agit de vanter aux yeux de tous la clémence dont Tibère a fait preuve à l'égard des révoltés172. Dans la même ligne, et au même moment, Tibère a autorisé la frappe d'un revers à peu près semblable au précédent, mais où CLEMENT IAE était remplacé par MODERATIONI (ou MODERATIONS)173, qualité dont, presque à la même époque, Valère-Maxime donne une défini tionprécise : «Transgrediar ad saluberrimam part ent animi, moderationem, quae mentes nostras impotentiae et temeritatis incursu transuersas ferri non patitur. Quo euenit, ut reprehensionis morsu sit uacua, et laudis quaestu opulentissima»174. Comme nous l'avons vu175 cette «modération» est à la fois mesure dans l'exercice de la justice, mais aussi adaptation de la conduite du gouver nement aux réalités du moment. C'est la bonne attitude que Tibère a eue à la suite de la révolte des Frisons qui est célébrée ici par ce terme176 qui apparaît pour la première fois dans la numismatique. Les louanges recueillies pour cause de moderatio, et dont parle Valère-Maxi me, sont certainement le rappel de cet événe ment qui a abouti à la concorde générale dans cette partie septentrionale de l'Empire; elle a fait de Tibère un conseruator patriae, nom qui lui est donné à Antiquaria, dans la péninsule ibéri que177 et dans une dédicace des Augustales de Blindes et à Capène178. Dans ces derniers cas, il s'agit manifestement de démonstrations en l'honneur de celui qui avait su faire face au «complot» de Séjan179.
160 BMC, I, n° 12 à 27. Ces frappes commencées en 15/16 ne cessent qu'avec la mort de l'empereur en 37. C'est la représentation majeure du règne. 161 BMC, I, n° 1 à 11 (de 14, 15 et 16 ap. J.-C). 162 Ibid., n° 141. 163 Ibid., n° 155 et 156. 164 Ibid., n° 157 et 158. 165 Ibid., n° 30 à 61 (frappes de Lyon). Certains y voient Livie elle-même. •"Val. Max., IX, 11, ext. 4. 167 J. Gagé, Tibère à Capri : histoire, légendes et thèmes astrologiques, dans REI, Vili, 1961, p. 15; «Basileia», les Césars, les roL· d'Orient et les « Mages », Paris, 1968, p. 11. 168 BMC, I, n° 79-80. 169 J. Gagé, «Basileia» .... p. 21-22. 170 BMC, I, n° 85 à 89.
171 Tac, Ann., IV, 74, 3. Dans le même paragraphe il parle de la fin de la révolte des Frisons et de cette décision du sénat sans en voir l'accord profond. Cf. R. Seager, op. cit., p. 208. 172 Par là s'explique que sur les monnaies Tibère ne porte que le titre d'IMP VIII et que la représentation soit celle d'un bouclier. 173 BMC, I, n° 90. 174 Val. Max., IV, 1, 1. 175 Cf. supra, p. 70-71. 176 Et non la « modération » à l'égard des opposants polit iques comme il est affirmé dans RIC, I, p. 107-8, n. 2. 177 CIL, II, 2038. 178 A. Degrassi, Una dedica . . ., p. 299-306. 179 Val. Max., IX, 1 1, ext. 4, insiste sur cet aspect de restaurateur, donc de gardien, de l'ordre.
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Enfin Tibère a utilisé deux autres notions déjà employées par Auguste : salus et libertas. Pour la première, l'empereur a fait frapper une série importante dans les ateliers de Rome avec un buste féminin (encore Livie?) et l'inscription SALVS AVGVSTA placée sous le buste; l'ensem ble peut être daté de l'année 22/23 ap. J.-C.180; Tibère se rattache ainsi à la politique de sauve garde des droits civiques qui a marqué la propa gande et l'action augustéennes. Il était alors nor mal que, spontanément, cette notion soit reprise au moment de l'affaire séjanienne; c'est le cas à Interamna181, à Corinthe où Callicratea est prê tresse à la fois de Prouidentia et de Salus Publica182. Qu'à cette Salus soit liée étroitement la Liberias183 n'a rien non plus qui puisse étonner puisque nous l'avions déjà vu dans Cicéron et aussi à propos d'Auguste, la sauvegarde de la libertas étant une des activités essentielles du prince. Il est donc bien certain que Tibère a suivi l'exemple augustéen et en est resté profondé ment imprégné184, même quand il officialise Moderatio dont Auguste avait été gratifié par de nombreux écrivains. Mais alors nous revenons à notre première interrogation: pourquoi Proui dentia? À la suite de la découverte du «complot» et de la répression brutale de l'année 31/32, Tibère n'aurait-il pas pu trouver dans l'arsenal des qualités augustéennes celle qui aurait conve nu?Pourquoi avoir voulu totalement innover?
imperatores de la fin de la République plus que dans la tradition augustéenne. Un tel point de vue est insoutenable; en effet, aucune de nos sources ne nous permet d'affirmer que l'empe reuravait pour Cicéron une admiration particul ière.En outre, cela nécessiterait une politique hostile à celle qu'avait menée Auguste; nous avons vu qu'il n'en était rien; il serait incompréh ensibleque Tibère ait attendu autant d'années après le début de son règne pour adopter une telle attitude. Il faut chercher la solution dans une autre direction. Les récits de Tacite et de Suétone laissent une image très sombre de Tibère. Bien peu de vertus lui sont reconnues alors qu'il semble réu nir en sa personne les vices les plus horribles et les plus infamants. L'âge n'aurait fait qu'accen tuer ces traits alliant à la dissimulation native de l'empereur, la ruse, la cruauté, la débauche. La réhabilitation de Tibère a été entreprise depuis longtemps, mais souvent d'une manière provo cante et maladroite, donc peu apte à convainc re185.En fait, il est nécessaire de recréer l'am biance dans laquelle Tibère a passé sa jeunesse, son adolescence et un bon nombre d'années de son âge adulte, pour essayer d'y retrouver les bases de son action durant son principat et, en particulier, juste après la conjuration de Séjan. a) Le stoïcisme.
Nous pourrions trouver une première répons e en affirmant que Tibère a voulu, en «vieux républicain», reprendre un des thèmes chers à Cicéron et se placer ainsi dans la lignée des
Certains186 ont cru trouver dans le stoïcisme le mouvement philosophique le plus apte à faire comprendre le comportement du princeps, même dans ses outrances. Il ne s'agit pas de revenir sur tous les traits stoïciens relevés chez Tibère, son endurance et son austérité, sa sou mission à un idéal ascétique dans la vie de tous les jours, sa fermeté dans le malheur, son hor-
180 BMC, I, n° 81 à 84. Pour les frappes ibériques, R. Etien ne,op. cit., p. 324 et 329, 429-430. 181 Note 10, p. 105. La Salus est non seulement Augusta, mais Perpetua. 182 Note 16, p. 105. 183 Note 10, p. 105. Cf. R. S. Rogers, Criminal Trials and Criminal Legislation under Tiberius, dans Philol. Monog. Amer. Philol. Ass., VI, 1935, p. 114. A. Degrassi, art. cit.: [TI CAESA]RI DIVI AVG[VSTI F]/[AVGVSTO C]ONSERVATORI P[ATRIAE]/[LIBERTATE RES]TITVTA PVBUC[A
TIA]. 184 D'autres exemples, comme celui de PIETAS, pourraient être donnés. 185 Entre autres : E. Ciaceri, Tiberio successore di Augusto, Milan-Rome, 1934 et E. Kornemann, Tibère, Paris, 1962, p. 245, qui parle du « grand homme d'État tout imprégné de romanisme ». 186 En particulier, D. M. Pippidi, Tibère, Dion et PseudoCallisthène, dans Revista Clasica, XIII-XIV, 1941-1942, p. 74110, et Autour de Tibère, Bucarest, 1944, p. 149-178.
3 - Les apports «tibériens»
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reur de la flatterie et du vulgaire, sa conscience du devoir à accomplir pleinement, le sentiment d'être au service de ses sujets, son refus des honneurs divins pour lui-même Autant de traits rentrant incontestablement dans le cadre stoïcien187, mais qui ne sont pas uniquement stoïciens. C'est pourquoi ce jugement n'a pas réalisé l'unanimité des historiens. Il est certain que, même en faisant la part de la tradition anti-tibérienne qui a inspiré Tacite et, en partie, Suétone, il est aisé de trouver chez Tibère des attitudes, des actes qui ne sont en rien inspirés par la doctrine du Portique. Il est ainsi étonnant de voir un homme d'État stoïcien rechercher le «repos» à Capri188, dans une retraite agréable. De même, il est possible de trouver plus d'affectation que de sincérité dans le contenu de ses discours, tels qu'ils nous sont rapportés dans Tacite189. Il est toutefois difficile d'écarter totalement l'aspect «philosophique» de la monarchie de Tibère; il faut tenir compte des faiblesses d'un homme qui ne peut être le reflet sans faille du modèle idéal créé par les théori cienset les hommes de cabinet. Le prince avait reçu une éducation qui ne semble pas avoir été fondée sur la philosophie, et particulièrement le stoïcisme190. Mais tout homme cultivé de cette époque subit la pression intellectuelle de son milieu qui était, quant à lui, imprégné de stoïcisme. Sous le règne d'Auguste certains philosophes, tels Athénodore de Tarse, ont joué un rôle important191. Toute la maison de l'empereur était soumise à l'influence de véri tables «directeurs de conscience» stoïciens, comme Arius Didyme et Xénarchos. Il s'était créé un cercle de pensée dont l'action ne peut être définie en termes stricts et en résultats précis, mais qui n'a pu manquer de faire naître
un climat192. Tibère n'a pu que subir cette influence. Mais ce n'est sans doute pas à Rome qu'il est devenu un adepte de la Stoa; en effet si Auguste a permis aux philosophes stoïciens de faire partie de son entourage, il ne les a jamais autorisés à être ses maîtres politiques, tout au contraire peut-être193. C'est durant son long séjour de sept années à Rhodes que Tibère a subi l'influence de la doc trine de Zenon et a peut-être même essayé d'en être un adepte parfait. Suétone insiste sur la simplicité de la vie qu'il y mène quotidienne ment : «Hic modicis contentus aedibus, nec multo laxiore suburbano genus uitae citale admodum instituit »194; C'est l'attitude parfaite qui convient à celui qui «fréquentait assidûment les écoles et les salles de conférences des professeurs». Mais le plus important ne se trouve pas dans ces derniers faits. Toutes nos sources sont en accord sur un point : le contact décisif pour l'avenir que Tibère eut avec les arts de la divination et, tout particulièrement, avec l'astrologie qu'il n'avait certainement jamais pratiquée auparavant, même s'il avait déjà été attiré par la recherche de l'avenir195.
187 là, ibid., p. 169-176. 188 Tac, Ann., IV, 67. 189 A. Michel, Tacite et le destin de l'Empire, Paris, 1966, p. 130, n. 128, et p. 134. 190 II est possible que le philosophe stoïcien Nestor de Thrace ait été le précepteur de Tibère. Mais une seule allusion dans Macrobe, Sat., 21, demanderait confirmation. 191 P. Grimai, Auguste et Athénodore de Tarse, dans REA, XLVIII, 1946, p. 72-73. 192 H. Bardon, Les empereurs et les lettres latines, Paris, 1940, p. 10-11. 193 P. Boyancé, Le stoïcisme à Rome, dans Actes du VIIe
Congrès de l'Association Guillaume Btidé (1963), Paris, 1964, p. 243. 194 Suét, Tib., XI, 3. 195 W. M. Hayes, Tiberius and the Future, dans The Class. Journ., LV, 1959, p. 4. 196 Tac, Ann., VI, 21, 2. Suét., Tib., XIV, 6. Dion Cass., LV, 11, 1-2. 197 Cf. J. Gagé, Tibère à Capri ... .dans REI, Vili, 1961, p. 13-15, et R. Mac Mullen, Enemies of the Roman Order, Cambridge, 1966, p. 140. Tiberius Claudius Thrasyllus mour uten 36. 198 Dion Cass., LV, 11, 1-2.
b) L'astrologie. Il se lia dans l'île avec celui qui allait devenir son ami, sans doute même son confident, jusqu'à la fin de ses jours, Thrasylle, l'astrologue imbu des spéculations astronomiques du Portique196 et des recherches platoniciennes197. Tibère a sui vi les leçons avec profit puisqu'il devint luimême « très habile dans l'art de la divination par les astres»198. C'est ainsi qu'il put annoncer au consul Galba le glorieux avenir qui l'attendait : «Et toi aussi Galba tu goûteras quelque jour à
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l'empire»199. Les contemporains finirent même par croire que l'astrologie était un des moyens les plus pratiques de sa politique; la rumeur ne courait-elle pas que le prince examinait en per sonne les thèmes de geniture de certains parti culiers et qu'il les frappait de mort ou d'exil si ces horoscopes présentaient la possibilité de très hautes destinées200. Thrasylle donna à l'emper eur,dès le règne d'Auguste, son signe astral qui devait l'accompagner toute sa vie, le Scorpion, résultat de spéculations plus délicates que la simple observation de l'horoscope201. Cette pro pension aux recherches astrologiques ne l'empê cha nullement, dès 16 ap. J.-C, d'expulser de Rome les magiciens et ceux que l'on appelait «mathématiciens», c'est-à-dire les astrologues202; ce fut la conséquence du procès de M. Scribonius Libo qui avait en sa possession des pièces avec le nom de César et des sénateurs «additas atroces nel occultas notas», ce qui doit suggérer des renseignements de caractère astrologique203 après consultation de devins. Ce comportement général de Tibère, que nous ne pouvons ici que tracer à grands traits, explique plus facilement l'apparition de Prouidentia comme thème majeur de la politique de l'empereur en 31/32 ap. J.-C. Étant donné ce goût prononcé pour l'astrologie, de nombreux historiens ont parlé de la soumission totale de l'empereur à la fatalité ; c'est ce qu'affirme Suéto ne : « II croyait fermement que tout obéit à la fatalité»204. Ce n'est pas le sentiment exact que nous pouvons retirer de l'observation attentive de l'action de Tibère. En effet, et toutes nos sources sont en accord sur ce point, l'empereur n'a jamais perdu le contrôle de la situation politique; même quand il était loin de Rome, en particulier à Capri, il continuait à gouverner. Ses lettres arrivaient au sénat où elles étaient lues; c'étaient des ordres. Quand Tibère eut découvert à quelles extrémités l'action de Séjan pouvait conduire l'Empire, il décida d'agir. Il organisa lui-même la mise en scène qui allait aboutir si rapidement à la chute
du préfet. Son action fut alors précise, lucide; il sut choisir les hommes et il envisagea tout fro idement, même l'échec. Aucune résignation n'est apparente; tout au contraire, l'empereur montre une résolution vigoureuse. Tibère ne s'est pas soumis aux événements; il a ainsi montré qu'il était un véritable sage et il a rendu évidente sa liberté. En effet, le véritable homme libre est celui qui adhère sans aucune contrainte au cours de la destinée, à la volonté divine. Mais connaître la volonté divine, c'est la prévoir dans la mesure des possibilités laissées à l'homme205. C'est dans ce contexte que Prouidentia trouve sa place en tant que prévoyance. Tibère ne pou vait pas mieux exprimer l'idée que la découverte de la conjuration de Séjan et l'élimination de ce dernier lui avaient permis de rester en accord avec l'ordre des destins immuablement fixé par les astres. Peut-être même Tibère n'a-t-il entre pris son action qu'après consultation astrologi que et au moment choisi par Thrasylle lui-même. Dans la même ligne que la plupart des stoï ciens206, Tibère a rapproché Prouidentia et recherches des destins individuels par la divina tionastrologique. La croyance astrologique l'a conduit directement à croire à l'existence d'une Providence et à proclamer officiellement son rôle. L'empereur a montré qu'il avait compris le dessein des dieux, assurer la succession impérial e dans la famille d'Auguste et par son sang. C'est un lien étroit qui unit la répression du mouve mentséjanien, la succession au trône et l'évoca tion de Prouidentia. La sagesse prévoyante de Tibère a mis en accord le monde et la volonté divine; elle a permis d'affirmer la liberté de l'homme. C'est ce que l'empereur a voulu faire comprendre à ses contemporains en utilisant Prouidentia.
199 Tac, Ann., VI, 20, 2. 200 Dion Cass., LVII, 19, 3. 201 Cf. J. Gagé, «Basileia » . . ., p. 91-92. 202 Tac, Ann., II, 32, 3. Dion Cass., LVII, 15, 7. 203 Tac, Ann., II, 30, 2. Cf. D. C. A. Shotter, The Trial of M. Scribonius Libo Drusus, dans Historia, XXI, 1972, p. 91-
92.
c) La popularisation de «Prouidentia». Une telle utilisation présentait d'autres avan tages pour Tibère. Comme nous l'avons vu,
204 Suét., Tib., LXIX. 205 J. Bidez, La cité du Monde et la cité du Soleil chez les Stoïciens, dans Bull, de l'Acad roy. de Belgique, classe des Lettres, XVIII, 1932, p. 263-267. 206 Cf. supra, p. 22.
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Auguste avait réussi à regrouper en lui toutes les qualités du princeps cicéronien, celles qui auraient pu déjà en faire l'homme «provident iel», le princeps attendu par tous. Il avait aussi infléchi certaines des qualités cicéroniennes et adopté des qualités nouvelles dans une ambianc e divine où l'astrologie, avec le thème du Capri corne, tenait une place importante. Tibère suivit de près l'exemple de son prédécesseur; il a assu métotalement les qualités augustéennes. Et c'est dans cet événement fondamental de son règne qu'a été la conjuration de Séjan qu'il a pu le mieux les mettre en valeur. Plutôt que d'en voir l'expression se disperser à travers la Salus, la Concordia, la Iustitia, la Pax, la Fortuna ou la Félicitas, n'était-il pas plus simple de tenter de les regrouper sous un vocable unique qui en serait la quintessence parfaite et compréhensible par tous? Prouidentia a semblé à Tibère être la notion la plus parfaite pour exprimer tout ce qu'il voulait faire ressentir. Ce choix n'a donc pas été gratuit ou artificiel; non seulement tout l'Empire a su que la conspiration ourdie par Séjan avait échoué et que les conjurés avaient été punis, mais encore que l'échec était dû aux qualités fondamentales du princeps et à son accord parfait avec les destins fixés par les astres, avec l'ordre voulu par les dieux207. Cet effort de propagande n'a certainement pas été inutile et le développement de la notion, que nous étudierons par la suite, le montre bien. Mais les monnaies, les inscriptions officielles ou privées, ont répandu partout Prouidentia et l'ont imposée tel un mot d'ordre officiel, repris par tous. Quel meilleur exemple pourrions-nous trouver de cette brutale intrusion que les écrits de deux auteurs de l'époque tibérienne
logiquement séparés par la conjuration de Séjan. Dans l'œuvre de Velleius Paterculus il est impossible de trouver la moindre allusion à la Prouidentia et le plus petit emploi du mot; or, Velleius Paterculus disparaît en 31, au moment même du complot208. Par contre, Valère-Maxime dédie son œuvre à Tibère et dès la préface, place ses écrits sous l'invocation de la caelestis proui dentia de Tibère qui a sauvé Rome de Séjan. Il ne peut y avoir de meilleure conclusion que le texte même de cette préface qui exprime tout ce que nous avons cherché à démontrer dans les pages précédentes: «Te igitur hide coepto, penes quem nominimi deorumque consensus maris ac terrae regimen esse uoluit, certissima salus patriae, Caesar, inuoeo : cuius caelesti prouidentia uirtutes, de quibus dicturus sum, benignissime fouentur; uitia seuerissime uindicantur. Nam si prisci oratores ab loue Optimo Maximo bene orsi sunt, si excellentissimi uates a miniine aliquo principia traxerunt: mea paruitas eo iustius ad fauorem tuum decurrerit, quo cetera diuinitas opinione colligitur, tua praesenti fide paterno auitoque sideri par uidetur: quorum eximio fulgore multum caerimoniis nostris inclitae claritatis accessit. Reliquos enim deos accepimus, Caesares dedimus; et quoniam initium a cultu deorum peter e in animo est, de conditione eius summatim disseram »209. La conjuration de Séjan a ainsi provoqué l'officialisation de Prouidentia en tant que notion exprimant le mieux, et tout à la fois, l'attitude de Tibère face au «complot» et le sens que l'empe reura voulu donner à la répression. Prouidentia est devenue l'expression la plus profonde de la force du pouvoir impérial protégé par les dieux. Il est le seul à l'être et il permet d'assurer, de
207 Certains ont vu dans cette Prouidentia la simple expres sionde concepts généraux. Ainsi M. Grant, Roman Anniver sary Issues, p. 64, qui parle d'un « principe servant de guide à l'État», ce qui ne peut être considéré comme exact car il ne s'agit pas à proprement parler d'un principe de direction. Vont dans le même sens, R. Syme, Tacitus, p. 416; F. Taeger, Charisma, Stuttgart, 1960, p. 273; R. S. Rogers, Studies in the Reign of Tiberius, qui trouve le reflet de l'action de la Provi dence de Tibère dans de nombreux faits. Mais si elle est bien l'expression de toutes les qualités de l'empereur, encore fallait-il un événement précis pour la mettre en jeu. Nous pouvons trouver une note plus nuancée dans B. Levick, Tiberius the Politician, Londres, 1976, p. 90. L'auteur voit dans l'affirmation de Prouidentia l'expression d'un jugement
solide; mais la découverte de la conspiration n'en serait que l'aspect caricatural! Aussi découvre-t-il l'intervention de cette «vertu» dans les domaines les plus divers, militaire, polit iquevis-à-vis du sénat, approvisionnement de Rome... Rien de tout cela n'est précisément contenu dans la Prouidentia de Tibère. 208 Certains ont pensé voir dans Velleius Paterculus un partisan de Séjan qui aurait disparu, condamné à la suite du complot. Dans un article, G. V. Sumner, The Truth about Velleius Paterculus : Prolegomena, dans Harv. St. Class. Philoi, LXXIV, 1970, p. 290-297, prend le contrepied de ce point de vue et pense qu'il est décédé de mort naturelle, sans jamais avoir été un partisan de Séjan. 209 Val. Max., praef.
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façon sûre et définitive, la succession à ce pouv oir. Désormais officialisée, il serait normal d'en visager une utilisation développée de la notion et un élargissement de ses emplois dans les directions déjà tracées sous Tibère. Il n'en est rien et les règnes postérieurs à celui de Tibère ne nous fournissent que bien peu de renseigne ments et de documents mentionnant Prouident ia210.
frappé durant toutes les ultimes années du règne de Tibère. Mais cela n'est sûrement pas suffisant; en effet, et L. Laffranchi l'avait déjà supposé à propos des monnaies au profil d'Agrippa213, les frappes ont aussi continué sous le règne de Caligula, mais dans des conditions que nous ne connaissons pas. Plusieurs indices sont, à cet égard, intéressants. En premier lieu le fait qu'ont été trouvés trois exemplaires de l'au tel de la Providence en surfrappe sur des as de Caligula, le dernier dans le trésor de Vidy, réper torié en 1962, et portant nettement au revers TV - UN CONTINUATEUR DE TIBÈRE : CAES R AVG G E RMANICV S214. La série Proui CALIGULA dentia a continué à être frappée sous le règne de Caligula, et elle n'a pu l'être que si l'empereur l'a 1 - Les frappes monétaires voulu. Il est, bien entendu, possible de discuter le L'attitude de Caligula peut sembler, à cet point de savoir si certains de ces exemplaires, sinon même tous pour l'époque de Caligula, égard, caractéristique; il n'y a sous son règne aucune frappe monétaire au type Prouidentia et n'ont pas été frappés dans des ateliers de Gaule il n'existe que deux allusions à la Providence ou de Germanie, et non à Rome. Il est vrai que M. Grant215 et C. M. Kraay216 ont pu observer et dans les procès-verbaux des arvales. Une aussi maigre expression semble tout à fait correspon définir deux groupes reconnaissables au style de dre à Yopinio communis sur Caligula et la polit la frappe; l'un est d'un trait fin et élégant qui ne iqueantitibérienne qu'il aurait menée presque peut provenir que des ateliers romains. L'autre est formé de pièces plus grossières et plus lour immédiatement après son arrivée au pouvoir211. des. Ce sont ces dernières que l'on trouve en Les choses ne sont peut-être pas aussi simples et les faibles éléments dont nous disposons per plus grand nombre dans les camps du Rhin (le point le plus éloigné de Rome où elles ont été mettent, sans doute, de juger de l'attitude de Caligula d'une manière quelque peu différente. découvertes) et à Vindonissa (où plus de six En effet, et pour prendre dans un premier cents exemplaires ont été répertoriés). C'est temps les problèmes monétaires, s'il est évident pourquoi Grant, Kraay, mais aussi Pekary, ont qu'il n'y a aucune frappe nouvelle avec Prouident pensé qu'elles pouvaient être issues d'ateliers divers, dispersés en Gaule et dans les Germaia durant les quatre années de principat, cela ne veut pas dire que les frappes précédentes, com nies. mencées sous Tibère, n'ont pas été poursuivies, Ce point de vue peut être contesté mais il et tout particulièrement celles à l'image de l'au n'entre pas dans notre propos de le faire ici217. telde la Providence. Les trésors découverts nous Car même s'il s'avérait exact que la plupart de ont fourni un très grand nombre de monnaies ces monnaies eussent été frappées dans un con de ce type212. Il est certain que ce dernier a été texte géographique gallo-germanique, cela ne
210 Ce qui peut d'ailleurs venir renforcer l'idée exprimée plus haut d'un véritable mot d'ordre officiel qui aurait impos é Prouidentia. Sans cela, on ne comprendrait pas une telle éclosion sous Tibère et une telle absence sous ses succes seurs. 211 II suffit pour cela d'ouvrir quelques manuels récents; ainsi P. Petit, Histoire générale de l'Empire Romain, Paris, 1974, p. 82 : « II (Caligula) prit d'abord en tout le contre-pied de Tibère ». 212 Cf. supra, p. 104.
213 L. Laffranchi, Gli assi ed i dupondi commemorativi di Augusto e di Agrippa, dans RIN, XXIII, 1910, p. 27. 214 Th. Pekary, Zur Datierung.. . , p. 128-130, photo 1 b. 215 M. Grant, The Pattern of Official Coinage. . . , p. 108. 216 C. M. Kraay, JRS, LUI, 1963, p. 178, dans son compterendu de l'ouvrage de A. S. Robertson, Roman Imperial Coins in the Hunter Coin Cabinet, t. I, Oxford, 1962. 217 Cf. les réserves de S. Jameson, The Date of the asses of M. Agrippa, p. 123-124.
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ferait que renforcer l'idée que Caligula a laissé faire ces frappes, ou même les a encouragées. En effet, nous savons combien l'empereur s'est directement intéressé à ces provinces occidental es; il résida quelques mois, en 38/40, à Lyon et il sembla, en Germanie, vouloir reprendre à son compte la politique ambitieuse de son père Germanicus. Si la frappe des monnaies à l'image de l'autel de la Providence a continué sous Caligula, que ce soit à Rome ou dans les provinces occi dentales, elle n'a pu se faire qu'avec l'accord de l'empereur. C'est un premier point important qui est acquis; Caligula emploie Prouidentia, mais il n'en change ni les attributs ni la repré sentation par rapport au règne de son prédécess eur. Il y a continuité et cette continuité peut être considérée comme ayant été voulue par l'empereur lui-même. Un article récent tend à renforcer l'idée de la frappe de certaines de ces monnaies au type de l'autel et avec PROVIDENT sous Caligula. J. Ni çois, dans une étude sur les as de M. Agrippa, dont certains sont au type qui nous intéresse, démontre que ces as n'ont pu être frappés sous Tibère218; pour sa démonstration, il s'appuie en particulier sur un as trouvé dans les monnaies du pèlerinage de Condé-sur-Aisne219. Il étudie les caractéristiques stylistiques pour repousser une date de milieu du règne de Tibère soutenue par Jameson, ou une date de la fin du règne, entre 30 et 37, comme le pensent Kraay et Kùthmann220; l'axis de chaque série de cette époque lui sert d'argument principal. Nous avons vu221 que, en prenant unique mentles faits historiques et psychologiques, nous pouvons très bien admettre la frappe de certains as de M. Agrippa sous le règne de
re et, bien entendu pour ceux qui nous intéres sent,après la conjuration de Séjan. Rien ne s'oppose, tout au contraire, à ce que Caligula ait continué cette frappe et même lui ait donné plus d'ampleur qu'elle n'en avait auparavant. Le pré texte a pu être la découverte du complot et la sauvegarde de l'empereur assurée par cette découverte. C'est tout aussi logique dans la ligne des autres monnaies célébrant les membres de la famille de Caligula, d'autant qu'existe en Occi dent (à Nîmes surtout), où Caligula a eu de grandes activités, une tradition du monnayage d'Agrippa. J. Niçois rapproche avec raison ces émissions au profil du grand-père maternel de l'empereur régnant des donatiua distribués par Caligula dans les garnisons du Rhin lors de son passage marqué par l'élimination de Cn. Lentulus Gaetulicus222, là même où Agrippa avait été si entreprenant.
218 J. Niçois, The Chronology and Significance of the M. Agrippa asses, dans The Amer. Num. Soc. Museum Notes, XIX, 1974, p. 65-86. 219 J. B. Giard, Le pèlerinage gallo-romain de Condé-surAisne et ses monnaies, dans RN, X, 1968, p. 76-130. Dix-sept as à l'image de l'autel avec PROVIDENT S C ont été trouvés, dont le n° 1419 avec l'effigie d'Agrippa (mais cet as semble être une imitation). 220 H. Kiithmann, Divus Augustus Pater, dans Mitt. des Histor. Vere, der Pfalz, LVIII, 1960, p. 65 sq. 221 Cf. supra, p. 124. 222 Membres de la famille célébrés : sa mère Agrippine (RIC, I, p. 116, n° 16 à 19 et p. 118, n° 43); son père Germa-
nicus (RIC, I, p. 116, n° 20 à 22 et p. 119, n° 44 à 47); ses frères Nero et Drusus (RIC, I, p. 118, n° 43); ses sœurs Agrippine, Drusilla et Julia (RIC, I, p. 117, n° 26). Cf. J. Ni çois, art. cit., p. 77-78 et 84. Mais on ne doit pas penser avec cet auteur (p. 85) que Caligula ne pouvait pas faire appel à sa relation avec Tibère et qu'il a pris Agrippa comme substit ut.Comme nous l'avons vu, la simple citation de PROVIDENTIA rappelait à tous et sans équivoque possible les liens étroits entre Tibère et Caligula qui n'avait pu arriver au trône que grâce à la protection vigilante du successeur d'Auguste. 223 Cf. supra, p. 116-117.
2 - Les Actes des frères arvales Deux extraits des Actes des frères arvales nous permettent de confirmer l'idée d'une conti nuité entre Tibère et Caligula. Nous les avons étudiés plus haut223; nous ne reviendrons pas sur ces problèmes, sinon pour rappeler que l'ex trait de l'année 38 est du 26 juin et celui de l'année 39 sans doute du 18 octobre, il s'agit dans les deux cas de la présence des frères arvales à l'autel de la Providence et du sacrifice d'une vache qu'ils y font en son honneur, à l'une et l'autre date. Le sacrifice de juin 38 est isolé, ce qui est normal puisqu'il faut certainement commémorer l'inauguration de l'autel en 32 et seulement cet
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DES ORIGINES À TIBÈRE
acte. Ce n'est pas une des cérémonies les plus importantes de l'année; en effet, le vice-prési dent et trois frères y assistent, ce qui est la norme cette année-là pour un grand nombre de sacrifices (les 3 et 30 janvier, le 28 mars, le 24 mai, le 24 septembre et le 16 novembre)224; il n'existe aucune cérémonie à laquelle moins de quatre frères assistent. Nous sommes loin des neuf présents, dont l'empereur, président de la confrérie, les 26 et 29 mai pour, respectivement, le sacrifice anniversaire des funérailles de Tibère l'année précédente225 et le service de Dea Dia, au bois sacré, comme tous les ans. Nous sommes loin aussi des huit présents le 23 septembre, pour la commémoration du jour anniversaire de la naissance d'Auguste. Il n'en reste pas moins que cet anniversaire à l'autel de la Providence est important puisqu'il fait partie des trente à quarante cérémonies que les arvales accomplissent chaque année, suivant les instructions de l'empereur quand il ne s'agit pas de sacrifices ordinaires. Cette importance peut nous sembler d'autant plus grande qu'en 38 l'empereur est président de la confrérie. Mais, sans que nous puissions en avoir confirmation, à cause de la disparition des actes pour cette date du mois de juin, il est à peu près certain que, depuis 32, les arvales ont célébré cet anniversai re et qu'ici Caligula ne fait que suivre ce qui existait sous son prédécesseur. Il reprenait sim plement une cérémonie à laquelle il avait peutêtre déjà participé puisqu'il faisait partie de la
confrérie sans doute depuis 31, date à laquelle il avait succédé à son frère Nero Caesar226. Le maintien du sacrifice de juin souligne bien que Caligula a le désir de rester directement dans la lignée de son prédécesseur. Nous pouvons interpréter dans le même sens la cérémonie que nous avons datée du 18 octo bre 39227. Il s'agit alors de l'anniversaire de la dénonciation de la conjuration de Séjan; nous pouvons être certains que, depuis 32, il devait être célébré tous les ans par les arvales. Cette cérémonie est beaucoup plus importante que la précédente, non pas par le nombre des frères y participant, ils sont toujours quatre, mais par les actes cultuels réalisés et les lieux où ils se déroul ent.Rien n'est laissé au hasard et les choix sont significatifs. La cérémonie en l'honneur de la triade capi toline est normale puisque Jupiter, Junon et Minerve protègent la cité, puisque l'empereur, en tant que grand pontife, a des rapports directs avec eux pour la sauvegarde de Rome et de sa toute-puissance. Le sacrifice d'un bœuf au nou veau temple du divin Auguste, c'est-à-dire au temple que Caligula lui-même avait inauguré peu de temps auparavant, est une marque sup plémentaire de ce zèle envers le culte officiel du diiius Augustus que Caligula a toujours montré. Et si, comme le note J. Gagé, «il a toujours voulu rendre vivant et jeune le sang d'August e»228,ce sacrifice se comprend fort bien, puis qu'il célèbre l'anniversaire d'un complot qui
224 Henzen, AFA, p. XLI-XLVH (CIL, VI, 1, 2028). 225 Si l'on suit la restitution de Mommsen, que reprend J. Scheid, op. cit., p. 190 : [OB MEMORIAM TI CA]ESARIS. Mais il se présente quelques obstacles à cette restitution : en premier lieu, les Fastes d'Ostie nous donnent la date précise des funérailles de Tibère (CIL, XIV bis, 4535) : III NON APR F PEE, donc le 3 avril. D'autre part, Tibère n'est presque jamais appelé «Tibère César», mais «Tibère César Auguste»; ce serait ici une exception rarissime. Ne vaut-il pas mieux penser à une autre restitution qui rendrait la présence de Caligula tout aussi légitime? Ne pourrait-on restituer: [OB TRIVMPHVM GERMANICI CA]ESARIS, ce qui, d'ailleurs, serait plus conforme à la longueur de la lacune? Le 26 mai est, en effet, le jour anniversaire du triomphe célébré, en 17 ap. J.-C, par Germanicus sur les Chérusques, les Chattes, les Angrivariens et les autres peuples habitant jusqu'à l'Elbe. Ce triomphe fut mar qué par le retour de deux enseignes perdues par Varus. N'était-il pas naturel pour Caligula de fêter la fin de la 21e année depuis ce triomphe et ainsi, de rattacher le caractère
victorieux de son père à sa propre victoire, en un moment où il pense déjà à ses futures campagnes en Germanie, sinon même à celle de Bretagne. Il existe une intéressante inscrip tion,datée du 26 mai 38, qui y fait allusion (CIL, VI, 1, 811 = ILS, 192): M AQVILA IVLIANO/ Ρ NONIO ASPRENA TE/ COS/ VII K IVNIAS/ PRO SALVTE ET PACE ET/ VICTORIA ET GENIO/ CAESARIS AVGVSTI/ Il ne faudrait pas, non plus, oublier que, durant sa première année de règne, Caligula a fait frapper un grand nombre de monn aies évoquant Germanicus : RIC, I, n° 20, 21, 44, 45, 47 a et, sans doute, le dupondius nous montrant Germanicus sur un quadrige triomphal (RIC, I, p. 119). 226 M. Hoffman-Lewis, The Official Priests of Rome under the Julio-Claudians. A study of the Nobility from 44 BC to 58 AD, dans Pap., and Monog. Amer. Acad. Rome, 1955, p. 125, n. 35. J. Scheid, op. cit., p. 165-166. 227 Henzen, AFA, LI (CIL, VI, 32346). 228 J. Gagé, La théologie de la Victoire impériale, dans Rev. Hist., CLXXI, 1933, p. 10.
HBÈRE OU L'OFFICIALISATION DE LA PROVIDENCE aurait pu anéantir le sang d'Auguste et enlever à sa lignée le pouvoir que les dieux lui avaient donné et qui venait de lui être, en quelque sorte, confirmé par l'avènement de son arrière-petitfils. Le sacrifice d'un bœuf sur le Palatin, toujours en l'honneur du divin Auguste, doit se comprend re de la même façon; le sens familial en est particulièrement affirmé puisqu'il a lieu dans le sanctuaire dont Livie avait été la première prê tresse. Cette intervention des arvales, dans un tel lieu, lui confère un caractère public. Entretemps, les frères se sont arrêtés sur le forum, au temple de Concordici, divinité dont les vertus se sont cristallisées autour du prince et de sa famille; ils y ont sacrifié une vache. Enfin, le cycle de ces cérémonies d'octobre se termine normalement à l'autel de la Providence où une vache est immol ée. 3 - Le respect des tendances «tibériennes» Cet ensemble est intéressant à plus d'un titre. Que ces cérémonies aient déjà eu lieu sous Tibè re est indéniable, mais il n'est pas certain qu'el lesaient alors revêtu le même aspect que sous le règne de Caligula. Les sacrifices à la triade capi toline se comprennent aisément et leur existen ce sous Tibère ne peut faire de doute229. Il en est de même pour les cérémonies au temple de Concordia, divinité qui exprime à merveille le vœu d'unité de l'empire autour de son prince après les dangers du «complot» séjanien, sans
229 Cf. le passage de Dion Cassius, LVIII, 12, 1-5, cité p. 113, et qui donne, dans les cérémonies à la suite du complot, un rôle à tous les grands collèges et aux plus hauts prêtres qui officient, pour une part prépondérante, devant le temple capitolin. 230 II est intéressant de noter que l'ordre des cérémonies n'est pas laissé au hasard. On pourrait penser à un ordre en importance décroissante, puisque tout commence par les sacrifices au Capitole. Il n'en est rien, car, dans cette hypot hèse, on ne pourrait terminer à l'autel de la Providence qui est plus important, dans ce contexte, que le temple de Concordia, puisque la Providence est la notion qui exprime ici l'idée du salut de l'État. En outre, on peut être étonné de voir, dans la relation des Actes, les deux cérémonies en l'honneur du divin Auguste séparées par celle en l'honneur de Concordia. Une seule explication est possible; il s'agit de l'ordre chronologique dans lequel ces manifestations ont eu lieu, ce qui est
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oublier que ce temple avait été restauré par Tibère lui-même, sur l'ordre d'Auguste. Mais nous pouvons supposer que Caligula a introduit dans ces cérémonies celles en l'hon neur d'Auguste divinisé. En effet, comme nous le remarquions plus haut, il ne pouvait, sous Tibèr e,y avoir de manifestation cultuelle au temple du diuus Augustus, puisque ce dernier n'était ni achevé ni consacré. En outre, il y a bien peu de chances que la confrérie des arvales soit interve nue sur le Palatin, alors que le divin Auguste était laissé à l'écart, oublié volontairement par Tibère. Les caractères de cette nouveauté seront explicités par la suite230. Mais, quels que soient les changements introduits dans le rituel, Caligul a restait dans la ligne tracée par Tibère; il assurait la conservation des choix primordiaux de ce dernier dans le domaine religieux. Cette attitude de Caligula peut sembler éton nante si l'on se rappelle certains de ses premiers actes, une fois empereur, qui semblent marqués par un incontestable esprit anti-tibérien. Ainsi lorsqu'il fait casser le testament de Tibère à propos de Tiberius Gemellus231. Ainsi lorsqu'il va lui-même chercher, avant de les rapporter à Rome pour les placer dans le Mausolée d'August e, les cendres de sa mère et de ses frères et lorsqu'il fait annuler tous les décrets qui avaient été portés contre eux du vivant de Tibère et qu'il rappelle d'exil les condamnés232. Les honneurs posthumes pour sa mère, avec jeux du cirque et carpentum, et le titre d'Augusta donné à sa grand-mère Antonia, nouvelle sacerdos Augusti221,
tement dans la ligne des Actes qui font toujours un récit complet dans l'ordre où les choses se sont déroulées (ce qui est très apparent dans le compte-rendu des cérémonies au bois de Dea Dia, au mois de mai). Cet ordre chronologique nous permet de suivre, dans Rome, la marche des frères arvales, d'un lieu à l'autre. Tout commence sur la colline du Capitole, puis les frères descendent sur le forum où ont lieu les cérémonies au temple du diuus Augustus et celles au sanctuaire de la Concorde. Ensuite, empruntant le cliuus palatintis, ils montent sur la colline du Palatin où se déroule la cérémonie en l'honneur du diuus Augustus, dans l'aire qui lui est consacrée. Puis ils redescendent et se rendent au campus Agrippae, devant l'autel de la Providence. C'est le sacrifice final, point d'orgue de la journée. 231 Dion Cass., LIX, 1, 2. 232 la, ibid., 3, 6. 233 la, ibid., 3, 4.
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DES ORIGINES À ΉΒΕΙΙΕ
ne peuvent que renforcer cette première impress ion. Mais ce ne sont là que les apparences d'une réalité beaucoup plus simple. Le respect montré par Caligula à l'égard de Tibère a été très grand : il a fait déposer ses restes dans le mausolée et il semble même que, tous les 16 novembre, si la restitution habituellement admise est juste, les arvales aient sacrifié, au Capitole, un bœuf «nat ali Ti. Caesar Augusti»234. Dans les honneurs décernés au diuus Augustus et aux membres de sa famille, le « sang d'Auguste », il montre plus de zèle que Tibère235, mais il reste dans la ligne de ce dernier qui n'avait pas négligé, comme nous l'avons vu, le culte d'Auguste divinisé : début de la construction de son temple au pied du Palat in,culte dans le temple de Mars Ultor en atten dant la consécration du temple, dédicace d'une statue au théâtre de Marcellus . . . , sans oublier les importantes séries monétaires en l'honneur du diuus Augustus Pater236. La systématisation sous Caligula est simplement due au fait qu'il est le descendant direct d'Auguste, qu'il veut l'affi rmeraux yeux de tous, ce que Tibère n'avait pu faire, et qu'il s'agit là de la meilleure preuve de la légitimité de son pouvoir. Il est possible de trouver bien d'autres traits et faits qui confirment la caractère proche des politiques menées respectivement par Tibère et par Caligula. Tibère avait voulu se considérer comme le successeur légitime d'Auguste en tant que conseruator de l'âge d'or237; Caligula a été appelé «του ήδίστου άνθρώποις αιώνος»238. Une monnaie de Caligula fait allusion à la Concorde dont le temple avait été consacré par Tibère et Drusus en 10 ap. J.-C; elle porte l'inscription CONSENSV SENAT ET EQ ORDIN Ρ Q R et représente, au droit comme au revers, August e239.C'est une allusion très nette à la concorde
dans l'État, née avec Auguste, conservée par Tibère et que Caligula voulait renforcer. D'autres traits peuvent être trouvés dans la politique générale, en particulier dans l'attitude de Caligula à l'égard de ceux qui avaient été les fidèles compagnons et aides de son prédécess eur. En général, il y a continuité dans la faveur accordée. Il ne faut pas que les quelques excep tions cachent, là encore, la réalité. Caligula a bien persécuté M. Iunius Silanus, et l'a poussé au suicide peu de temps après son avènement, non pas parce qu'il avait été un des conseillers les plus brillants de Tibère, mais parce que Tibè reavait obligé Caligula à épouser, en 35, la fille de M. Iunius Silanus, Iunia Claudia (ou Claudilla). Ce mariage forcé n'avait pas été du goût du futur prince, mais il n'eut pas à le supporter longtemps puisque sa femme mourut en couches l'année suivante. En réalité, Caligula n'avait pu pardonner à M. Iunius Silanus son refus de l'a c ompagner rechercher les restes d'Agrippine, de Nero et de Drusus à Pontia et à Pandataria240. Il ne s'agit ici que d'un épisode très particul ier;il ne rentre en rien dans une politique générale de Caligula à l'égard des compagnons de Tibère. Tout au contraire, il donna ses faveurs, comme Tibère l'avait fait, à Paullus Fabius Persicus. De même, L. Annius Vinicianus, dont Tibère avait écarté les accusations portées contre lui en 32, P. Memmius Regulus qui avait été consul suffect le 1er octobre 31 et dont la position avait servi à abattre Séjan, furent favori sés dans leur carrière par Caligula241. Nous pour rions trouver d'autres exemples de faveurs accordées à des hommes qui avaient toujours appuyé la politique de Tibère, tels Cn. Domitius Ahenobarbus ou L. Vitellius. Comment, d'ailleurs, aurait-il pu en être autrement, alors que tous ces hommes avaient
234 Henzen, AFA, p. XLI-XLVII (CIL, VI, 1, 2028 et 4, 2, 32344) frg. g. (Pasoli, p. 1 13). Actes de l'année 38. 235 Les Actes des arvales de 38 et 39 nous fournissent une liste abondante de cérémonies pour les membres de la famille: le 30 janvier, anniversaire de la naissance de Livie; le 31 janvier, anniversaire de la naissance d'Antonia; le 23 septembre, anniversaire de la naissance d'Auguste; le 12 octobre, les Augustalia; le 25 ou le 26 octobre, anniversaire de la naissance d'Agrippine. 236 À ce sujet, voir les remarques de J. Gagé, La «Victoria Augusti» et les auspices de Tibère, dans Rev. Arch., XXXII,
1930, p. 27. 237 Suét., Tib., LIX, 2. Cf. E. Manni, La leggenda dell'età dell'oro nella politica dei Cesari, dans Atene e Roma, XL, 1938, p. 118. 238 Dittenberger, Syll., IIP, 3797. 239 RIC, I, p. 120. BMC, I, p. 160, n° 88 à 92. 240 J. P. V. Balsdon, The Emperor Gains, 3e éd., Oxford, 1966, p. 37-38. 241 Sur les carrières de ces hommes, cf. J. Scheid, op. cit., p. 110, 199,203,213.
TIBERE OU L'OFFICIALISATION DE LA PROVIDENCE participé à l'écrasement du complot de Séjan et, par là même, avaient servi les intérêts les plus directs du jeune Caligula qui, ce jour-là, avait vu s'ouvrir devant lui les portes du pouvoir? Le princeps a, de toute évidence, conservé le plus mauvais souvenir de Séjan et il se charge sou vent de le rappeler aux sénateurs qu'il qualifie de «clients de Séjan»242; il les accuse d'avoir corrompu le préfet en l'enflant d'orgueil par leurs flatteries243. Il est certainement possible de retrouver cet te politique anti-séjanienne dans la répression qui s'abat sur M. Aemilius Lepidus et sur Cn. Cornelius Lentulus Gaetulicus accusés d'avoir fomenté un complot pour abattre Caligul a en 39244. Or, il semble bien que «le courant séjanien ait pris l'initiative de la conspirat ion»245; en effet, Cn. Cornelius Lentulus Gaetul icusavait été très proche de Séjan puisque sa fille avait épousé un des fils du préfet du prétoir e. Il n'avait échappé à la condamnation et à la perte de son gouvernement de Germanie Supér ieure que par la puissance de sa position246. En réalité, Caligula a voulu abattre les derniers ves tiges du dispositif mis en place par Séjan; les années avaient passé, mais Gaetulicus disposait toujours de son armée et sa popularité était encore grande. Caligula décida d'agir et il le fit avec brutalité, après s'être rendu sur le Rhin et avoir eu une entrevue avec Gaetulicus, sans dout eau milieu du mois d'octobre 39247. 4 - LA MÊME «PROVIDENnA» Nous comprenons désormais de façon plus satisfaisante que Caligula ait fait mettre en
242 Suét., Calig., XXX, 4. 243 Dion Cass., LIX, 16, 5. 244 Suét., Diu. Claud., IX, 3. Cf. Henzen, AFA, p. XLIX {CIL, VI, 32346). 245 J. Cl. Faur, La première conspiration contre Caligula, dans Rev. Bel. Philol. Hist., LI, 1973, p. 46. 246 Tac, Ann., VI, 30, 2. Cf. J. P. V. Balsdon, op. cit., p. 6768. 247 II est d'ailleurs possible de se demander si, dans ce
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valeur Prouidentia et qu'il l'ait très certainement fait célébrer par les arvales. Nous restons pro fondément plongés dans l'ambiance anti-séj aniennede ce début de règne. Caligula n'a rien oublié de ses terreurs et des incertitudes nées des ambitions du préfet. Il n'a pas non plus oublié que Tibère avait placé dans Prouidentia tout ce qui l'avait sauvé, tout ce qui lui avait permis de conserver le trône et d'assurer sa succession à travers le jeune Gaius. Il est donc tout à fait normal que ce dernier laisse se déroul er les cérémonies à l'autel de la Providence à qui il doit le pouvoir. Mais, et c'est un point qu'il ne faut pas négliger, cette Providence reste celle de Tibère. Caligula ne cherche pas à se l'attr ibuer personnellement, par quelque biais que ce soit. C'est pourquoi les sacrifices ont lieu sur cet autel élevé par Tibère et, sans doute possible, comme symbole de la pietas de Caligula à l'égard de Tibère et comme signe de reconnaissance pour le pouvoir donné. Durant son court règne, Caligula a voulu réa liser une synthèse délicate : d'une part le respect de la mémoire d'Auguste qu'il n'a jamais rejeté, même quand il a cherché à y ajouter les souve nirsde Marc Antoine avec lequel il avait des points communs sur le plan « idéologique » et qui était aussi son ancêtre248; d'autre part la fidélité à Tibère qui l'avait soutenu, choisi et sauvé pour, finalement, lui donner le pouvoir, grâce à l'inte rvention de sa Prouidentia, expression de la pro tection accordée par les dieux à l'empereur. C'est à cette Providence que vont les faveurs de Caligula, qui ne change rien à sa conception; elle reste ce qu'elle était sous Tibère à partir des événements dramatiques de 31 ap. J.-C.
contexte anti-séjanien, l'entrevue et la condamnation par Caligula n'ont pas eu lieu à une date symbolique, celle du 18 octobre. Si les frères arvales sacrifient le 27 octobre « pour la découverte des desseins criminels de Cn. Lentulus Gaetuli cus », c'est qu'ils le font dès réception de la nouvelle à Rome, sans que la date de l'exécution entre ici en jeu. 248 Cf. à ce sujet, P. Ceausescu, Caligula et le legs d'Auguste, dans Historia, XXII, 1973, p. 269-283.
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DEUXIÈME PARTIE
PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ : UNE APPROCHE GRADUELLE
CHAPITRE I
CLAUDE ET NÉRON : UNE PÉRIODE D'ESSAIS
À partir du règne de Claude, nous pouvons noter de nouveaux changements significatifs dans l'emploi officiel de Prouidentia, que ce soit en tant que légende monétaire ou en tant qu'él ément épigraphique. En effet, les monnaies à l'image de l'autel sont très rares durant les deux règnes, et leur existence même peut être discut ée,comme nous le verrons par la suite. En outre, sous Néron, la monnaie d'Alexandrie frap pedes pièces d'un style nouveau. À ce premier fait viennent s'en adjoindre deux tout aussi importants : les frères arvales ne sacrifient plus à l'autel de la Providence durant les règnes de Claude et de Néron (ils ne le feront d'ailleurs jamais plus); par contre, sous Néron, et sous son seul règne, il y a des sacrifices de la confrérie à la Providence, mais pas sur son autel. Enfin, quelques inscriptions, d'Occident comme d'Orient, mentionnent Prouidentia ou πρόνοια; deux d'entre elles ont pu être rédigées par les empereurs eux-mêmes ou leurs proches collabo rateurs. Elles expriment parfaitement la pensée officielle du moment et doivent être particulièr ement étudiées. La première impression est qu'il se crée à ce moment un esprit nouveau qui donne à Prouidentia des aspects différents et un sens peut-être plus large que celui que Tibère lui avait assigné et qui avait été conservé par Cali gula durant son court principat.
I - LES DOCUMENTS
Les documents numismatiques sont rares et difficiles à interpréter. Nous pouvons tout de même tenter d'en tirer quelques conclusions. Il existe quelques très rares exemples d'asses de type tibérien à l'enceinte d'autel avec PROVI DENT SC et, à l'avers, DIWS AVGVSTVS PATER, mais avec la tête de Claude, radiée, à gauche1. Par rapport à la très grande masse de ces types frappée sous Tibère, leur très petit nombre ici est déjà une première indication; si la frappe s'est poursuivie, elle s'est très sérieuse ment ralentie. Nous pouvons même nous demander si elle a réellement continué. J. Niçois penche pour la poursuite de la frappe, mais il n'appuie cet avis sur aucun argument sérieusement capable de convaincre2. M. Grant ne discute pas l'émission de ces pièces sous Claude; il leur trouve même une date et une raison3. Pour lui, la frappe a eu lieu en 48-49, c'est-à-dire pour le 75e annversaire de la restituta respublica en 27 av. J.-C, date qui continue à être un grand jour dans les Fasti et les Ferialia. À l'occasion des fêtes qui ont marqué cette année, Claude aurait autorisé la reprise du type tibérien. Cette explication doit être écartée,
1 C. H. V. Sutherland, Divus Augustus Pater. A Study in the aes Coinage of Tiberius, dans NC, I, 1941, p. 97-116 (en parti culier, p. 112, n° 21); M. Grant, Roman Anniversary Issues,
Cambridge, 1950, p. 77 et pi. II, n° 11. Cf. p. 431, n° 7. 2 J. Niçois, art. cit., p. 77-78. 3 M. Grant, op. cit., p. 77.
1 - Les surfrappes de Claude
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
puisque l'expression de la Providence, comme nous l'avons prouvé ci-dessus à propos de Tibèr e,ne peut avoir aucun rapport avec des faits touchant la personne ou les actes d'Auguste. Puisqu'il s'agit encore de la Providence de Tibè reet de lui seul, puisque nous sommes encore très proches des événements et que le retentiss ement qui avait été donné à la répression n'était pas effacé, placer Prouidentia sur une monnaie, avec l'image de son autel, ne pouvait que rappel er la conjuration de Séjan. Il faut plutôt nous ranger à l'avis que J. B. Giard a émis à la suite de son étude sur le monnayage de bronze de Claude4. Pour lui, ces monnaies si rares sont dues à des surfrappes sur des asses de Caligula. En effet, dès le début de son règne, Claude, parmi les mesures destinées à effacer le souvenir du princeps précédent, sans toutefois faire prononcer Yabolitio memoriae, avait ordonné «que toutes les monnaies d'airain frappées à son (Caligula) image seraient fon dues»5. À vrai dire, nous ne savons pas quand la décision a été prise; si nous suivons le récit de Dion Cassius, la décision serait intervenue après les succès de Claude en Bretagne, donc en 44. C'est improbable; il vaut mieux placer la mesure au tout début du règne, lorsque le nouvel empe reurrefusa de condamner la mémoire de Caligul a, tout en ne négligeant pas de faire disparaître toutes ses statues6. Il était normal de comprend re les effigies monétaires dans une telle mesur e. Il semble bien que les officines locales de Gaule et de Germanie, ayant reçu l'ordre de fondre les monnaies de bronze de Caligula, aient préféré, dans un premier temps tout au moins, les surfrapper, ce qui était plus rapide et plus avantageux. De là, l'existence de ces quelques types avec la représentation de l'autel.
Cette explication est parfaitement plausible; en effet, Claude n'a aucun intérêt, ou avantage, à continuer à avoir à l'égard de la Providence de Tibère la même révérence que son prédéces seur; il ne lui devait rien et il avait certainement un assez mauvais souvenir de cette période si nous en croyons ce que nous conte Suétone. Car, même si Tibère l'avait mentionné parmi ses héri tiers de troisième ligne et s'il avait reçu, à la mort de l'empereur un legs de deux millions de sesterces environ7, il y avait aussi, de la part de Tibère, le refus des charges effectives et des responsabilités qui l'avait fait se retirer hors de Rome et avait accentué sa réputation d'incapacit é8. En outre, il n'avait pas pu voir sans amertu me son neveu, si jeune, accéder au pouvoir et, par là même semblait-il, lui barrer définitiv ement la route du principat. C'est un heureux concours de circonstances qui l'a amené sur le trône, mais il ne peut être question pour lui de faire des rappels de la politique de Tibère qui ne l'avait jamais favorisé9. Il n'avait, non plus, aucu ne raison de suivre les tendances de Caligula et son respect pour la mémoire de Tibère. D'ail leurs, comme nous l'avons dit, sous son règne, les frères arvales ne sacrifient jamais sur l'autel de la Providence, ce qui tendrait même à prou verque Claude a eu la volonté d'effacer cet épisode des mémoires, en commençant par l'en lever des cérémonies officielles10. Il nous faut donc considérer les frappes à l'autel de la Provi dence comme tout à fait exceptionnelles; elles ne répondent en rien aux vœux de l'empereur qui s'empressa certainement de les interdire pour laisser place à des types nouveaux et orig inaux qui veulent, à l'évidence, marquer le déve loppement d'une politique personnelle ne de vant rien à ses prédécesseurs immédiats11.
4 J. B. Giard, Pouvoir central et libertés locales. Le mon nayage de bronze de Claude avant 50 ap. J.-C, dans RN, XII, 1970, p. 33-61, en particulier p. 37 et p. 50, n° 108. s Dion Cass., LX, 22, 3. 6 Ibid., 4, 6. 7 Suet., Din. Cl, VI, 5. 8 Ibid., V, 1-2. 9 Même si Claude fait dresser près du théâtre de Pompée l'arc de marbre décrété bien longtemps auparavant par le sénat (Suet., ibid., XI, 7). Il s'agit ici du symbole de la Victoire, issue d'Auguste, et qu'aucun empereur ne peut
négliger. 10 II est vrai que les fragments conservés sont assez peu explicites et ne semblent pas pouvoir se rapporter aux dates-clé de l'autel de la Providence, 26 juin et 18 octobre. Cf. Henzen, AFA, p. LIV-LV, LVII-LVIII, LIX {CIL, VI, 32350 et 32351, et AE, 1969-1970, n° 1). 11 C'est le cas de CONSTANTLY (RIC, I, p. 124, n° 1 à 7; p. 130 n° 68; p. 131, n° 80), de VICTORIA (RIC, p. 127, n° 49 à 51), de SPES (RIC, p. 129, n° 64), de CERES (RIC, p. 129, n° 67).
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2 - Les émissions de Néron
d'autres types (Vesta et son temple, la Victoire, Neptune, . . .) dans un atelier occidental qui n'est pas Lyon et qui reste inconnu de nous. Il émet II en est presque de même pour Néron et les même l'hypothèse d'une frappe privée d'un pro frappes monétaires de son règne. En effet, deux consul ou d'un legatus. Mais, de toutes façons, types nous intéressent directement puisqu'ils cette série monétaire aurait été frappée en 64, portent une inscription à la Providence. Le pre pour commémorer le cinquantième anniversaire mier est un as du modèle que nous connaissons de la mort d'Auguste. bien désormais; au revers, l'image de l'enceinte Bien entendu, nous devons totalement écar d'autel et l'inscription PROVIDENT SC et à terl'opinion de Grant. Il n'est pas besoin de l'avers, le profil de Néron, lauré, à gauche, avec démontrer encore une fois que Prouidentia n'est l'inscription NERO CLAVDIVS CAESAR AVG pas en rapport direct avec Auguste et ne peut GERM PM TR P12. Les exemplaires sont très donc être mise en parallèle avec un événement rares, si rares qu'il ne semble pas, là encore, qu'il de la vie du premier princeps. Il n'est pas besoin puisse s'agir d'une frappe régulière. Pour non plus d'insister sur le fait que Néron ne doit E. A. Sydenham13, il s'agit d'une monnaie émise rien à la conjuration de Séjan; que, tout au à Lyon et qui ferait partie de la même série que contraire, pour son accession au trône, il doit les monnaies à l'image de l'autel de Lyon et à tout à Claude qui l'a adopté et qu'il ne peut donc l'inscription ROM ET AVG; il les rapproche aussi être question pour lui de rappeler la Providence des monnaies à l'image de Neptune. Sans être en de Tibère; elle ne le légitime en rien, il n'en a relation directe avec les événements du règne, nul besoin pour affirmer son pouvoir. Il faut elles pourraient avoir été frappées après l'incen donc bien voir dans cette frappe un type hybri die de Rome, en 65, qui avait déréglé le fonctio de,issu d'un atelier irrégulier qui a voulu, en nnementhabituel des ateliers monétaires. adoptant un type de revers ancien et le nouvel Pour H. Mattingly14, il s'agit d'un hybride jo avers des monnaies du jeune prince, faire passer ignant un avers de Néron à un revers de Tibère, sa faible production pour une frappe autorisée. sans doute de Lyon ou tout au moins de Gaule; En tout cas, Néron lui-même n'a rien à voir avec en aucun cas ce ne serait une frappe régulière. cette émission. Quand Sydenham et Mattingly se réunissent Cependant tout, dans l'attitude de Néron pour présenter leur Roman Imperial Coinage, ils n'est pas aussi simple qu'il y paraît. En effet, et proposent d'y voir la simple imitation gauloise contrairement à l'époque de Claude, les actes de types romains, mais sans aucun caractère des arvales mentionnent de nouveau la Provi officiel15. M. Grant va à l'encontre de cette opi dence, à trois reprises durant son règne. La nion16; il ne croit pas à leur qualité d'hybrides; il confrérie lui sacrifie alors, mais il n'est plus ne pense pas non plus qu'elles puissent venir de jamais question de Vara Prouidentiae et, surtout, la Providence est honorée dans un contexte bien Lyon, à la suite de l'incendie de Rome en 65. Pour lui, il s'agit de la reprise de frappes anté différent. Que ce soit pour la cérémonie de 59 ap. J.-C.17, le premier sacrifice de 66 18 ou le rieures, comme Néron le fait à ce moment pour
12 RIC, I, p. 176, n° 440 (= BMC, 1, p. 276, note 391). 13 E. A. Sydenham, The Coinage of Nero, Londres, 1920, p. 114. "BMC, I, p. 276, note 391. 15 RIC, I, p. 177. 16 M. Grant, op. cit., p. 80-82. 17 Henzen, AFA, p. LXX-LXXVI (= CIL, VI, 1, 2042 et 4, 2, 32354; Pasoli, Acta, p. 119, n° 26). «[L CALPVRNIVS L F] PISO MAGISTER COLLEGII FRATRVM ARVALIVM NOMINE IMMOLAVIT/[IN CAPITOLIO EX] SC OB SVPPLICATIONES INDICTAS PRO SALVTE NERONIS CLAVDI CAESAR/ [AVG GERM] IOVI BOVEM
MAREM IVNONI VACCAM MINERVAE VACCAM SALVTI/ [PVBLICAE VACCAM] PROVIDENTIAE VACCAM GENIO IPSIVS TAVRVM DIVO AVG BOVEM MAREM/[IN CO]LLEGIO ADFVERVNT C VIPSTANIVS APRONIANVS COS P MEMMIV[S]/[REGVLVS L SA]LVIVS OTHO TITIANVS SVLPICIVS CAMERINVS. 18 Henzen, AFA, p. LXXX-LXXXV, frg. c (= CIL, VI, 1, 2044 et 4, 2, 32355; Pasoli, Acta, n° 28c, p. 121). Cf. J. Scheid, op. cit., p. 270. «[ISDEM COS MAGISTERIO IMPERATORIS NE RONIS CLAVDI CAES AVG PP M APONI]VS/[SATVRNINVS PROMAGISTER COLLEGI FRATRVM ARVALIVM NOMINE
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second de la même année19, la Providence est mêlée à d'autres divinités. Le lieu où elle est à l'honneur n'est plus son autel du campus Agrippae, mais le Capitole; il est vrai que, dans les trois cas, IN CAPITOLIO est entièrement resti tué; mais la désignation du lieu ne peut faire aucun doute, puisque, à chaque fois, les cérémon ies commencent par des sacrifices aux memb res de la triade capitoline. Or, de tels sacrifices ont toujours lieu au Capitole, comme il est nor mal, et souvent dans le pronaos du temple, com me nous le précisent d'autres passages des actes20. Il y a donc eu transfert du lieu de culte; ce ne peut être sans signification, de même que la présence d'autres divinités, associées à Prouidentia, dont nous chercherons à définir le rôle et la place par la suite.
Mais puisqu'il ne peut plus s'agir de la Provi dence de Tibère, son utilisation relève d'autres causes qu'il nous faut chercher à définir, car ce n'est ni par hasard ni par habitude que les frères arvales ont dû sacrifier à Prouidentia. Il a fallu des événements exceptionnels et précis pour que de tels rites soient accomplis. Pour l'instant,
nous laisserons de côté les actes de 59 pour lesquels les renseignements fournis sont bien minces. Les actes de 66 devraient nous éclairer à leur sujet. Il y a, cette année-là, deux cérémonies en l'honneur de la Providence. La première n'est pas un sacrifice, mais la simple annonce publi quede vœux «pour la découverte des desseins des criminels»21; sont alors promis le sacrifice d'un bœuf à Jupiter, d'une vache à Junon, d'une vache à Minerve, d'un taureau à Mars et d'une vache à la Providence. La date de cette cérémon ie n'est pas précisée dans les actes, mais par sa place dans l'année liturgique nous pouvons lui assigner un jour compris entre le 1 1 janvier et le 20 mai, les deux seules dates sûres qui nous sont données à ce moment par le texte des actes, toutes les autres étant effacées22. Quels peuvent être alors ces nefarii ainsi dénoncés et décou verts? Les difficultés sont importantes étant donné que l'année 66 est la grande année de terreur et que les complots, ou indiqués comme tels, sont innombrables, que les condamnés ne se compt entplus. Pour essayer d'y voir plus clair, pre nons comme guide Tacite qui a consacré son dernier livre des Annales, malheureusement incomplet, à cette année et à la cruauté de Néron durant ces terribles jours. Il nous donne beaucoup plus de détails que Suétone et que Dion Cassius. Si nous suivons Tacite, les pre miers à être obligés de se suicider furent P. An-
VOTA NVNCVPAVIT IN CAPITOLIO OB DET]ECTA/[NEFARIORVM CONSILIA IOVI Β M IVNONI VACC MINERVAE VACC MA]RTI [TAVRVM PROVI]DENTIAE/VACC ] EOD[EM D]IE StAJCRATISSI/CMI PRINCIPIS GENIO TAVRVM (?) VA]CC HON[OR]I VACC AETERNI/[TATI IMPERI VACC IN COLLEGIO AD]FVERVNT M APONIVS SA/[TVRNINVS PROMAGISTER Q TILLI]VS SAS[S]IVS L SALVrVS OTHO/[TITIANVS .... "Henzen, ibid. (= CIL, ibid); Pasoli, n° 28 c, p. 123. Cf. J. Scheid, op. cit., p. 272. «M ARRVNTIO [M VETTIO BOLANO . . . . COS ...]/REDDITO SACRIFICIO QVOD FRATRES ARVA LESVOVERANT OB DETECTA NEFARIORVM CON]/SILJA MAGISTERI[O IMPERATORIS NERONIS CLAVDI CAES AVG II PP PROMAGISTER M APONIVS SATVR]/NINVS COLLEGI FRA[TRVM ARVALIVM NOMINE IMMOLAVIT IN CAPITOLIO IOVI Β M IVNONI] /VACC MINERVAE VA[CC PRO]/VIDENTIAE VACC M[ARTI
TAVRVM ]/IN COLLEGIO ADFVERV[NT M APO NIVS SATVRNINVS PROMAGISTER ] 20 Ainsi le 25 février de cette même année 59; Pasoli, Acta, p. 118. Cf. aussi les Actes de 57 : Pasoli, p. 115 21 Si nous suivons la restitution proposée par Henzen et reprise depuis, sans discussion, par Pasoli et J. Scheid. Mais les mots nota nuncupauit peuvent très bien être remplacés par la mention d'un sacrifice. Henzen n'avait choisi cette solution que parce qu'il voyait dans cette partie du procèsverbal la nuncupatio de voeux qui auraient été accomplis plus tard et transcrits dans la deuxième partie du procèsverbal de 66, celle qui nous intéresse et qui est citée cidessus. 22 II y a bien un passage du procès-verbal de l'année qui indique : ISDEM C[OS M] AIAS (frg. II, Pasoli, n° 28, frg. I, h, p. 122). La restitution est sûre, ce qui peut nous conduire, pour le terminus ante queni, jusqu'au quinzième jour avant les calendes de mai, c'est-à-dire le 14 avril.
II - «PROVIDENTIA» ET CONSPIRATIONS 1 - L'année 66
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teius et Ostorius Scapula; puis tombèrent Anneus Mela, Cerialis Anicius, Rufrius Crispinus et Pétrone (tous se suicidèrent pour éviter pro cès et condamnation), puis Minucius Thermus, enfin Barea Soranus, Servilia, sa fille, et Paetus Thrasea23. Suétone nous apprend aussi l'existen ce, à Bénévent, d'une conjuration menée par Annius Vinicianus, gendre de Corbulon qui avait amené Tiridate à Rome dans le courant de l'an née24. Pour nous, en présence de ces faits, le choix est délicat. Les indices dont nous pouvons nous servir sont assez minces. Nous pouvons cepen dantécarter, pour les causes de rédaction du premier procès-verbal, les poursuites contre Pae tus Thrasea, contre Barea Soranus et sa fille, et contre Vinicianus25, qui ont eu lieu indubitable ment après le séjour de Tiridate en Italie et à Rome. Or les actes des arvales de 66 célèbrent un des épisodes marquants de cette visite, le dépôt du laurier triomphal par Néron au Capitol e (en signe de victoire sur Tiridate)26. Mais ce passage se trouve nettement après celui qui nous intéresse, donc il est d'une date ultérieure. En outre, les termes «détecta nefariorum consilia » semblent bien signifier l'existence d'un comp lot, ou, tout au moins, la croyance en cette existence. C'est pourquoi, dans tous les noms donnés ci-dessus, il en est deux plus intéressants pour nous : P. Anteius et Ostorius Scapula. D'ailleurs Tacite, dans son récit des événements, nous con teleur histoire en premier, juste après avoir nommé les consuls de l'année27. Les détails de cette conspiration donnés dans les Annales sont significatifs pour notre propos. En effet, quelque temps auparavant, le préteur Antistius Sosianus avait été exilé pour avoir composé des vers injurieux pour le princeps et les avoir lus en public, lors d'un souper chez Ostorius Scapula28.
Pour rentrer en grâce, il n'hésita pas à se servir de la délation, mais en ayant l'habileté de s'a ppuyer sur des motifs suffisamment plausibles pour que l'empereur y prêtât attention. Dans son exil, il avait fait la connaissance d'un autre bann i,Pamménès, Chaldaeorum arte famosum, c'està-dire d'un astrologue de renom. La question du bannissement des astrologues a été posée maintes fois déjà. Mais il est peutêtre bon de reprendre rapidement la question29. En effet, ce n'est pas sous Néron que ce genre de poursuites contre tous ceux qui cherchent l'ave nira commencé. Nous savons que la première expulsion de Rome et de l'Italie eut pour auteur le préteur peregrin Cornelius Hispallus30; elle ne s'appliquait qu'aux astrologues. La seconde me sure fut prise par M. Agrippa durant son édilité de 33 av. J.-C.31. La raison alléguée à ces deux reprises est le trouble qu'ils provoquaient dans la Ville et en Italie. Sous Tibère, les faits sont plus difficiles à clarifier; il semble cependant qu'en 16 ap. J.-C, il y ait eu deux, ou plus sûrement trois, senatusconsultes32 touchant les astrologues, les devins, les magiciens noncitoyens et citoyens; en cas de condamnation, la mort n'était pas exclue. Une au moins de ces mesures semble avoir été prise à la suite de la conspiration de Drusus Libo qui fréquentait ass idûment les devins. Enfin, sous le règne de Claud e,un nouveau senatusconsulte, en 52, atrox et inritum33, chassa, d'Italie et de Rome une fois de plus, les astrologues; la cause donnée en fut le procès de Furius Scribonianus qui «avait inter rogé des astrologues sur l'époque de la mort du prince ». Sous Néron, nous avons aussi les traces d'ex pulsions d'astrologues. Dans sa Vie d'Apollonius de Tyane, Philostrate parle d'un « édit pour inter dire le séjour à Rome à tous les philosophes»34. Or, nous savons que sous le terme «philoso-
23 Tac, Ann., XVI, 14-15; 17 à 19; 21 à 35. 24 Suét., New, XXXVI, 2 (très bref). Dion Cass., LXII, 23, 6 est le seul à nous parler de cette tâche réalisée par Vinicia nus et qui permet de dater sa conspiration de l'année 66. 25 Cette hypothèse de Henzen, AFA, p. 114-115, est à écart er. 26 Suét., New, XIII, 4 : « laurea in Capitolium lata ». Dans les actes des arvales : Henzen, AFA, p. LXXX-LXXXV (= CIL, VI, 1, 2044 et 4, 2, 32355; Pasoli, Acta, p. 123, n° 28). Cf. J. Scheid, op. cit., p. 271, 1. 24-28. 27 Tac, Ann., XVI, 14, 1.
28 Tac, Ann., XIV, 48, 1. 29 Cf. en particulier, F. H. Cramer, Astrology in Roman Law and Politics, Philadelphie, 1954, surtout p. 254 sq. 30 Val.-Max., I, 3, 3. 31 Dion Cass., XLIX, 43, 4; LVI, 25, 5-6. 32 Tac, Ann., II, 27-33; Suét., Tib., XXXVI, 3; Dion Cass., LVII, 15, 8-9. Cf. R. S. Rogers, The Date of Banishment of the Astrologers, dans Journ. of Class. Philol., XXI, 1931, p. 203 sq. F. H. Cramer, op. cit., p. 240. 33 Tac, Ann., XII, 52, 3. 34 IV, 47.
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phes » se cachent tous ceux qui ont la science de la découverte de l'avenir, devins et astrologues. En outre, Philostrate nous fournit un renseigne ment particulièrement intéressant; Néron aurait pris cet édit au moment où il partait pour la Grèce; ce départ s'est effectué le 25 septemb re35. Nous pouvons maintenant revenir à la conju ration de P. Anteius et d'Ostorius Scapula. La rencontre avec Pamménès avait permis à Antistius Sosianus de découvrir que cet astrologue entretenait une correspondance avec les deux futurs accusés et qu'en particulier ce «Chaldéen» avait tracé les horoscopes des deux homm es. L'affaire n'aurait pu être que de peu d'en vergure si Antistius Sosianus, habilement, n'avait mis l'accent sur le fait que, quand des hommes d'une telle importance, d'un tel poids social, font faire leur thème de geniture, ce ne peut être que dans un but : savoir s'ils peuvent un jour accéder au pouvoir en ayant éliminé celui qui, actuelle ment,occupait le trône. Il y allait bien de la souveraineté de Néron et de sa sûreté, d'autant que le délateur avait eu soin de laisser entendre qu'ils s'enquerraient aussi de la destinée de l'em pereur. Or, l'horoscope du prince doit rester secret36 pour la sauvegarde de l'équilibre de l'État qui pourrait être menacé par l'annonce d'une échéance fatale proche déclenchant toutes les ambitions. De telles consultations avaient déjà coûté très cher à Aemilia Lepida sous Tibèr e37 et à Furius Scribonianus à l'époque de Clau de. Rien ne nous empêche de voir dans cet épiso de de la répression néronienne de l'année 66 la cause de la cérémonie accomplie par les frères arvales, cérémonie dans laquelle la Prouidentia tient une place si importante. Nous avons déjà dit comment la connaissance de certaines spécu lations astrologiques avait pu amener Tibère à
prendre Prouidentia comme notion essentielle pour exprimer tout ce qui avait été sauvé par la répression de l'action de Séjan38. Dans le context e de l'année 66, il s'agit plutôt de cérémonie pour la découverte de l'action de P. Anteius et d'Ostorius Scapula et non de la nuncupatio de vœux, les deux hommes s'étant rapidement suici dés à l'annonce de la dénonciation et de son retentissement. De ce fait, il faut penser que les sacrifices qui ont lieu plus tard dans l'année, mais toujours avant le 25 septembre, ne peuvent pas être mis en rapport direct avec la première cérémonie. Il n'y a qu'une certaine conformité apparente dans les éléments de ces célébrations39. Nous sommes sans aucun doute en présence de la solutio de vœux et donc de leur accomplissement une fois ce qui était demandé obtenu. En outre, étant donné la présence de la Providence, nous devons rechercher dans l'action des «criminels» du moment, des aspects qui soient semblables à ceux des conjurés précédents. La Providence nous invite en effet à penser que nous nous trouvons dans la même ambiance. Tacite nous fournit l'épisode adéquat quand il nous décrit par le détail les poursuites enga gées contre Barea Soranus, auxquelles il mêle d'ailleurs les problèmes du stoïcien Paetus Thrasea40. Au-delà d'accusations déjà anciennes et qui rappelaient des événements qui s'étaient déroul és durant la carrière de Barea Soranus, son accusateur, Ostorius Sabinus, lance le véritable et grave reproche, celui qui pousse à la décision : sa fille Servilia «pecuniam magis dilargita esset». Cet argent a été donné à des devins. Servilia l'a fait à partir du moment où son père a été accusé41 et dans les quelques jours qui ont pré cédé le procès; elle a alors essayé d'obtenir des assurances sur la bonne issue de ce procès. Mais, bien entendu, une telle enquête touchait à
35 Ce jour-là, les frères arvales font des vœux « pour le salut et le retour de l'empereur et de Messaline». Henzen, AFA, p. LXXX-LXXXV (Pasoli, p. 123). 36 Connaître le jour et le lieu de naissance ne peut suffire pour établir un parfait thème de geniture; il faut aussi connaître le moment exact de la naissance, de l'apparition au jour, l'horoscope. Cf. R. MacMullen, Enemies of the Roman Order, Cambridge, 1966, p. 131-132. 37 Tac, Ann., Ill, 22, 1. 38 Cf. supra, p. 131 sq.
39 D'autant que l'ordre des sacrifices annoncés par la nuncupatio ne serait plus celui de la solutio où le sacrifice en l'honneur de Mars a lieu après celui en l'honneur de la Providence, ce qui serait étonnant quand on connaît le scrupule religieux avec lequel les arvales, comme tous les Romains, respectent les rites. 40 Tac, Ann., XVI, 21, 23, 30-32. 41 II s'est passé quelques jours entre l'accusation portée et le procès devant le sénat.
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Néron lui-même et il était facile de la transfo rmer en recherche interdite sur les possibilités de mort de l'empereur. Servilia a défendu son action en prétendant qu'elle n'avait recherché que des assurances sur le salut de sa maison. Mais, pour notre propos, la vérité n'a pas d'im portance. Dans ce contexte, Tacite emploie le même mot, incolumitas, qu'il a utilisée pour définir le crime de P. Anteius et d'Ostorius Scapula42. Les mêmes soupçons reposent sur la fille et sur le père. Nous pouvons en conclure que les actes des arvales font allusion à cette condamnation de Barea Soranus. D'ailleurs, Tacite nous dit bien que ce procès fut le dernier de l'année43; or, dans les actes, il s'agit du passage qui précède immédiatement les vœux du 25 septembre pour le salut et le retour de Néron. Il n'est pas inutile de souligner le vocabulaire employé par les pro cès-verbaux des arvales dans les deux cas de 66 qui nous intéressent. Un mot se retrouve, consilia (dans le deuxième passage il n'y a que la fin du mot-SILIA, mais il ne peut y avoir de doute sur la restitution). Or, si le mot est banal et s'il vient de consulo, ce dernier terme est très sou vent employé pour signifier la démarche de ceux qui vont consulter des devins, des oracles, des magiciens ou des astrologues; Tacite l'utilise à plusieurs reprises, lorsqu'il parle des «consultat ions » de Pamménès ou quand il laisse la parole à la jeune Servilia44. Il est possible de trouver dans les œuvres d'autres auteurs des exemples
similaires qui montrent tous que le terme est technique et sert à qualifier ce genre de supputat ions45. Nous pouvons désormais considérer comme certain que les rites accomplis par les arvales dans l'année 66 avec l'appel à la Providence, l'ont été à la suite de consultations astrologiques qui ont conduit leurs auteurs, ou supposés tels, à la mort. La première cérémonie a eu lieu entre le 11 janvier et le 20 mai; la seconde s'est déroul ée entre le 19 juin et le 25 septembre46. Il est, de ce fait, évident, que l'édit pris pas Néron pour expulser les «philosophes» l'a été à la suite du second procès. Cela correspond parfaitement à ce que Philostrate déclare : « Néron, partant pour la Grèce, prit un édit . . . »47. La liaison entre les deux événements est d'autant plus évidente que, si la cause essentielle de la condamnation de Barea Soranus avait été la consultation de devins, ce dernier était aussi un philosophe. Dans son proconsulat d'Asie il avait montré « iustitia atque industria»46, le propre du philosophe qui accepte les charges49.
42 Tac, Ann., XVI, 30, 2 : « de incolumitate domiis ». (pour Servilia). Ibid., 14, 2 : « incolumitati eins». (Néron). 43 Ibid., 21, 1 : «Trucidatis tot insignïbus uiris, ad postremum Nero ». 44 Ibid., 14, 1 (consultationes) et 30, 2 (consultauerat). 45 Juv., VI, 575-576 : «quae nullum consulti, et iam consulitur». 46 II est assez difficile de donner une date précise, mais nous pouvons souligner que Tac, Ann., XVI, 24, 1, nous montre le déclenchement et le déroulement de l'affaire con tre Thrasea et Soranus au moment de l'arrivée de Tiridate à Rome: «Igitur, omni ciuitate ad excipiendum principem spectandumque regem effusa, ». En outre, Dion Cass., LXIII, 6, 1-2, après avoir décrit l'entrée dans Rome de Tiridate, parle des jeux scéniques et décrit les voiles tendus pour garantir du soleil. Étant donné que le roi est reparti dans l'été, nous pouvons peut-être placer le procès et la cérémonie des arvales durant le mois de juillet. 47 Phil., Vie d'Apoll. de Tyane, IV, 47.
48 Tac, Ann., XVI, 23, 1. 49 F. H. Cramer, op. cit., p. 234, dans son tableau des expulsions d'astrologues, attribue la mesure de 66 à la cons piration de Pison. Le fait est manifestement faux; cette conspiration a été découverte en avril 65, donc bien des mois avant l'édit. En outre, il n'y est jamais question de recherches astrologiques ou magiques, ce qui est la condition nécessaire minimum pour prendre un édit d'expulsion. C'est aux con damnations décrites ci-dessus, et plus particulièrement à celles de Barea Soranus et de Paetus Thrasea, qu'il faut rattacher l'édit de Néron. De la même façon, il est impossible de penser que les premières cérémonies de 66 où la Prouidentia est nommée ont un rapport avec le premier anniversaire de la découverte de la conjuration de Pison, puisque nous avons montré qu'une «ambiance astrologique» était absolument nécessair e, tout au moins à l'époque où nous nous trouvons. Dans le même sens (sacrifices de arvales rapporté à la conspiration de Pison), W. Huss, Die Propaganda Neros, dans L'Antiquité Classique, XLVII, 1978, p. 143 et n. 104.
2 - L'année 59 II est temps maintenant de revenir aux extraits du procès-verbal des arvales daté du 5 avril 59 et qui cite, lui aussi, le sacrifice d'une vache à la Providence. Il est réalisé à la suite des supplications décrétées par le sénat, comme il est normal, pour le « salut de Néron ». La formu-
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le est vague, mais l'explication ne présente pas de difficulté. En effet, l'année 59 est marquée par un des épisodes les plus connus, et les plus effroyables, du règne de Néron, le meurtre de sa mère Agrippine. Or nous savons par Tacite que des supplications furent ordonnées: «Miro tarnen certamine procerum decernuntur supplicationes apud omnia puluinaria, utque Quinquatrus, quibus apertae insidiae essent, ludis annuis celebrarentur; aiireum Mineruae simulacrum in curia et iuxta principis imago statuerentur; dies natalis Agrippinae inter nefastos esset»50. Tacite nous donne la raison officielle de ces supplications : un complot contre sa personne. Nous savons que l'empereur a créé, de toutes pièces, une conjura tion que sa mère aurait montée contre lui et dont l'affranchi Agermus aurait été l'instr ument51. Le meurtre de sa mère a tant tourmenté Néron52 que, par peur de la colère des dieux devant un crime si abominable, le princeps a multiplié les manifestations extraordinaires pour se les concilier : retour triomphal à Rome, mont éeau Capitole pour rendre grâces 53. Néron n'hésita pas, contre toute évidence, mais il fallait bien essayer de convaincre, à rejeter sur sa mère tous les crimes de son temps54 et à en faire l'inspiratrice de tous les complots ourdis contre la personne de l'empereur. Il ne fallait pas moins que de telles condi tions pour que le sénat eût la possibilité de décréter des supplications de caractère gratulatoire, qui duraient plusieurs jours et qui faisaient intervenir tous les dieux de la Ville dans leurs sanctuaires55. Néron n'a pas innové ici; il a repris une tradition peu ancienne, mais déjà marquée par plusieurs épisodes significatifs. En effet, durant la plus grande partie de l'histoire
de la République, les supplications étaient décré tées à la suite de victoires sur des ennemis extérieurs et pour services rendus à Rome et à la République56. Le grand changement se place en 63 av. J.-C. lorsque des supplications eurent lieu à la suite de la répression de la conjuration de Catilina57; ce fut la première fois qu'on magnifiât de cette façon l'action d'un citoyen, Cicéron, ayant sauvé la République dans l'exerci ce de ses fonctions consulaires. Après des suppli cations pour l'anniversaire des victoires de César et l'anniversaire de sa naissance58, pour la naissance du second triumvirat59, nous les retrouvons, à deux reprises, comme premières manifestations à la suite de complots avortés : celui de Fannius Cepion, en 22 av. J.-C.60 et celui de M. Scribonius Libo, contre Tibère, en 16 ap. J.-C.61. D'ailleurs, si pour le «complot» d'Agrippine, ce furent les premières supplica tions connues sous Néron, il y en eut bien d'au tres durant son règne; pour le meurtre de sa femme Octavie en 62, pour l'échec de la conjura tion de Faustus Cornelius Sulla et de Rebellius Plautus la même année, pour l'heureuse dél ivrance de Poppée en 63, pour l'échec de la conspiration de Pison en 65, pour la «victoire» sur Tiridate et son couronnement en 66, pour la lecture des poèmes de Néron, enfin pour les victoires artistiques et gymniques remportées par le princeps dans les concours auxquels il a participé en Grèce62. Lors de telles circonstances, tous les temples sont décorés et ouverts; chacun peut y pénét rer63. Mais, bien entendu, l'empereur, en tant que grand pontife, ne manquait pas de donner un programme précis de cérémonies et de sacri fices aux collèges religieux dont il avait la tutel-
50 Tac, Ann., XIV, 12, 1. 51 Tac, Ann., XIV, 7,6; Suét., Nero, XXXIV, 5; Dion Cass., LXII, 13-14. 52 Suét., Nero, XXXIV, 7-9; Dion Cass., LXII, 14. Le meurt re a eu lieu entre le 19 et le 28 mars 59. 53 Tac, Ann., XIV, 13, 2; Dion Cass., LXII, 16, 1-2. 54 Tac, Ann., XIV, 11, 1-2; Dion Cass., LXII, 14, 3. 55 Cf. L. Halkin, La supplication d'action de grâces chez les Romains (Bibl. Fac. Philos, et Let. Univ. Liège, fase. CXXVIII), Paris, 1953, p. 12-13. Il s'agit bien ici de supplications gratulai oires, pour remercier les dieux de la faveur accordée, dans le contexte actuel d'avoir échappé au complot. L. Halkin a montré que, sous l'empire, les supplications expiatoire et propitiatoire
avaient disparu au profit des gratulatoires. De toutes façons, il ne pouvait être question pour Néron de quelconques supplications expiatoires, qui auraient été, en réalité, une reconnaissance de son crime. 56 Voir la liste dans L. Halkin, op. cit., p. 16-76. 57 Cic, Phil, II, 13. 58 Dion Cass., XLIII, 44, 6 et XLIV, 4, 4. 59 Ibid., XLVII, 2, 2. é0 Ibid., LIV, 3, 5. 61 Tac, Ann., II, 32, 3; Dion Cass., LVII, 15, 5. 62 Respectivement Tac, Ann., XIV, 12, 1; XIV, 64, 1; XIV, 59, 4; XV, 23, 2; XV, 74, 1 et Dion Cass., LXII, 21, 5; Henzen, AFA, p. 78; Tac, Ann., XVI, 4, 2; Dion Cass., LXII, 18, 3. 63 Cf. L. Halkin, op. cit., p. 102.
CLAUDE ET NÉRON le. C'est ainsi que les frères arvales, le 5 avril 59, sacrifient au Capitole (ce qui était l'endroit le plus fréquenté lors des supplications gratulatoires) à chaque membre de la triade capitoline, au Salut Public, à la Providence, au Génie de l'em pereur, au divin Auguste. Nous pouvons être certains que nous sommes devant un «program me » adapté aux circonstances qui ont amené les sénateurs à prendre l'initiative des supplications. En effet, en 66, les frères arvales sacrifient de nouveau lors des supplications décrétées par le sénat64. Les cérémonies ne sont pas en l'honneur des mêmes divinités; si les dieux de la triade capitoline subsistent, et il n'y a rien là que de très normal, d'autant que les sacrifices ont lieu aussi au Capitole, les autres divinités sont Félici tas et Clementia, et sans doute une autre dont le nom a disparu sur le procès-verbal. Ces événe ments se sont certainement produits à l'occasion du couronnement de Tiridate III comme roi d'Arménie; ce fut une fête de la Victoria puisque Néron fut salué imperator, alla déposer le laurier de la victoire sur les genoux de Jupiter et ferma le temple de Janus65. Dans cette ambiance, la présence de la Félicité, née grâce à la paix, et de la Clémence, qui est celle de Néron à l'égard du vaincu Tiridate, sont tout à fait naturelles. Pourquoi les frères arvales ont-ils sacrifié à la Providence le 5 avril 59? Ce que nous avons dit plus haut à propos des deux passages des actes de 66 peut peut-être nous éclairer. À vrai dire, nous avons bien peu d'éléments en notre posses sion pour définir parfaitement ce qui était repro chéà Agrippine, sinon son secret espoir de con server, par tous les moyens à sa disposition et envers et contre tout, le pouvoir ou, pour le moins, les apparences de ce pouvoir66. Mais si nous observons plus attentivement, toujours à l'aide du portrait tracé par Tacite, la personnalit é d'Agrippine, un trait ne peut nous échapper, son goût pour la recherche divinatoire. Sous le règne de Claude, nous la voyons à deux reprises se servir de l'accusation de magie, de sorcellerie ou d'astrologie pour faire condamn er ceux qu'elle avait en but d'éliminer. Elle sut
64 Henzen, AFA, p. 78 (= CIL, VI, 1, 2044 et Pasoli, n° 28, frg. c, p. 122). Cf. J. Scheid, op. cit., p. 271. 65 L Halkin, op. cit., p. 122-123. 66 Tac, Ann., XIV, 2.
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souffler au délateur Tarquitius Priscus l'accusa tion de superstitions magiques pour perdre Statilius Taurus67; pour faire disparaître Domitia Lepida, Agrippine l'accusa de pratiquer des deuotiones contre elle-même68. Nous savons auss iqu'elle-même pratiquait l'astrologie, et très certainement de façon fréquente; c'est à la suite d'une de ces consultations de Chaldéens qui lui avaient annoncé le règne de Néron et son pro pre assassinat par son fils, quelle prononça la phrase fameuse: «Occidat, dum imperet»69. Mais le fait le plus important et le plus significatif pour nous s'est déroulé à l'avènement même de Néron; alors que Claude était déjà mort, Agrippi ne fit fermer les accès du palais et continua à publier des bulletins de santé optimistes. Son but nous est clairement indiqué par Tacite : «quo tempusque prospérant ex monitis Chaldaeorum aduentaret»70. Il s'agissait d'attendre le moment le plus propice par les conjonctions planétaires pour commencer un règne heureux et fécond; ce fut le troisième jour avant les ides d'octobre 54, à midi comme nous le précise Tacite; l'heure a été conservée dans les souven irsparce qu'elle a été choisie en fonction des configurations célestes. Néron ne manque d'ail leurs pas chaque année de fêter son Imperium le 13 octobre, comme les actes des arvales nous l'indiquent pour les années 58, 59 et 66. Nous pouvons tirer quelques conclusions rapides de cet assemblage de faits. Agrippine était une adepte des recherches divinatoires, particulièrement astrologiques, et elle y était sans doute experte elle-même. En outre, le pou voir de Néron n'existe que parce qu'elle l'a voulu et au moment où elle l'a voulu; c'est certain ement un des traits qui expliquent la dépendance du princeps à l'égard de sa mère, en même temps que, pendant longtemps, le refoulement de ses tendances à l'écarter, puis à l'éliminer. Mais, une fois l'acte accompli, le mieux vis-à-vis de l'opinion publique était de faire croire qu'Agrippine, dont tout le monde devait connaît re le goût pour l'astrologie, avait, elle aussi, cherché à tout savoir sur les destins du prince
"Id, 68 Id, 69 Id, 70 Id,
ibid., XII, 59, 1. ibid., 65, 1. ibid., XrV, 9, 3. ibid., XII, 68, 3.
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pour pouvoir l'abattre au moment le plus propic e, celui indiqué par les astres. Dans ce contexte, le sacrifice d'une vache à Prouidentia répond très bien au but recherché, et nous nous trou vons dans la même ambiance que celle, définie plus haut, des «conspirations» de l'année 66. 3 - Quelle «Providentia», pour quelles conspirations? Sous Néron, la mention de la Providence dans les divinités auxquelles on sacrifie est donc la marque de l'existence de complots contre la vie de l'empereur; mais ce ne sont pas n'importe quels complots; encore faut-il qu'ils aient comme fondement la recherche de l'avenir du prince par le moyen de l'astrologie. D'ailleurs il n'est pas impossible de trouver un lien entre les trois répressions, celle de 59 et les deux de 66. En effet, Tacite nous dit que P. Anteius « était haï de Néron comme ami d'Agrippine», et il nous a signalé peu avant qu'il faisait une pension annuelle à l'astrologue Pamménès71. Nous de vons comprendre que P. Anteius a fait partie de l'entourage d'Agrippine et a sans doute participé aux recherches astrologiques qu'elle avait entre prises avec l'aide de plusieurs Chaldéens dont Pamménès était un des éléments principaux. Cette accusation portée contre P. Anteius est une séquelle des événements de 59. Il en est peut-être de même pour Paetus Thrasea; Néron ne lui avait jamais pardonné une de ses premièr es manifestations publiques d'opposition, osten tatoires et provocantes. Au moment où le sénat prenait des décisions, dans «cette émulation de
71 Id, ibid., XVI, 14, 1. Cf. aussi XIII, 22, 2 où, à la suite de la réconciliation de Néron et de sa mère, l'empereur récompensa les amis de cette dernière. Il fut promis à P. Anteius le gouvernement de la Syrie. Il ne devait jamais l'obtenir. « Id, ibid, XrV, 12, 1; Dion Cass., LXII, 20, 4. 73 II est intéressant de noter que Tacite, dans ce même passage, nous dit bien que Thrasea d'habitude «laissait pas ser les adulations sans parler ou par une brève adhésion». C'est sa première manifestation d'opposition véritable après une carrière bien remplie qui l'avait mené au consulat suffect en 56 et à être membre du collège des XV uiri sacris faciundis. Il n'est pas exclu que Paetus Thrasea ait fait partie
bassesse» que dénonce Tacite, à la suite du meurtre d'Agrippine. Thrasea refusa péremptoi rement de s'y associer72; en particulier, il ne voulut pas que l'anniversaire de la naissance de la mère du prince soit placé au nombre des jours néfastes. Refuser d'abhorrer le nom d'Agrippine était laisser sous-entendre qu'on était de son parti73; on pouvait comprendre que Thrasea avait approuvé son action, et, en parti culier, la recherche des destins dont un stoïcien comme lui était parfaitement averti74. Les divinités qui reçoivent un sacrifice en même temps que la Providence sont aussi carac téristiques de la politique suivie par Néron à l'égard des conspirateurs et des idées qu'il a voulu imposer. La triade capitoline est présente les trois fois; Mars l'est dans les deux cérémon ies de 66, mais ne se trouve pas en 59; par contre, sont mentionnés en 59 et non en 66 Salus Publica, le Genius de l'empereur régnant et le diuus Augustus. En effet, dans le premier passage des actes de 66 qui nous intéresse, il semble bien qu'il y ait eu deux cérémonies distinctes, l'une à la triade capitoline, à Mars et à la Providence, et, certainement, étant donné la lacune du texte, à une ou plusieurs autres divinités. L'autre cér émonie est introduite par la formule EOD[EM D]IE qui indique bien qu'il y a changement de lieu; mais elle s'est déroulée après la première, dans la même journée. Les restes de l'inscription permettent d'affi rmerqu'il y a eu au moins deux divinités aux quelles les frères ont sacrifié, HONOS et AETERNITAS. Nous ne pouvons nous fonder que sur l'existence de ces deux divinités; en effet, la plupart des restitutions75, après eodem die, corn-
de l'entourage d'Agrippine. 74 Par contre, dans ce domaine précis, rien de semblable ne peut être relevé pour Ostorius Scapula et pour Barea Soranus. 75 Cf. la dernière en date : J. Scheid, op. cit., p. 270, 1. 5-6 du frg. c. Le premier empereur attesté pour avoir été appelé sacratissbmis dans une inscription est Domitien (CIL, VI, 1, 3828 = ILS, 6105). Trajan, Hadrien, Antonin, Marc Aurèle et L. Verus le furent eux aussi par la suite (cf. H. Fugier, Recherches sur l'expression du sacré dans la langue latine, Paris, 1963, p. 282).
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plètent ainsi la lacune: S[A]CRATISSI/[MI PRINCIPIS GENIO TAVRVM ] Cette resti tution est sujette à caution pour plusieurs rai sons. Nulle part ailleurs, que ce soit dans les actes des arvales, dans les inscriptions officielles, sur des monnaies, ne se trouvent accolés les mots princeps et sacer, encore moins sous la forme superlative sacratissimus. Cet adjectif, sous l'une ou l'autre de ses formes, ne se trouve d'ailleurs jamais dans les actes du premier siè cle. Cette restitution est, en réalité, impossible. Le mot sacratissi- ne peut se rapporter à l'empe reur.Mais, comme nous ne le voyons employé nulle part ailleurs, nous devons renoncer à lui donner un sens, à moins de le rattacher à eodem die et, en développant en SCAJCRATISSI/CMO], faire du jour du sacrifice un jour «très sacré». De toutes façons, il faut écarter les leçons qui veulent voir ici un sacrifice au Génie de l'empe reur.Chercher à quelles divinités les frères arva lesont rendu hommage est d'ailleurs voué à la même incertitude; il y a bien une divinité fémi nine, puisque nous trouvons VA]CC, mais, mal heureusement, HONOS et AETERNITAS ne sont jamais citées dans les autres actes de l'époque de Néron, si bien qu'il nous est impossible de savoir quelles autres divinités elles pouvaient accompagner de façon régulière76. Il est donc, dans ce contexte, inutile de rechercher pourquoi Honos est ici à l'honneur, puisque nous ne savons même pas s'il s'agit d'une cérémonie due aux mêmes circonstances. Dire qu'on est en présence d'une divinité en rapport avec des faits d'armes et des militaires ne peut pas nous faire véritablement progresser, même si Tacite nous dit qu'Ostorius Scapula était « environné d'une grande réputation
re et décoré d'une couronne civique méritée en Bretagne»77. Le cas de X Aeternitas est aussi déli cat. Son sens, accompagné ou non d'imperi, ne peut être que très général : maintien de l'empire dans la durée éternelle, maintien du pouvoir dans la même famille grâce à la découverte d'un complot qui serait une menace pour Rome et pour l'Italie78. Nous pouvons alors nous demand er pourquoi dans les autres cas de conspira tions du règne de Néron une notion de sens aussi vague et passe-partout n'a pas été employée? La réponse est simple; sa significa tion est plus précise que les commentateurs ne l'ont dit jusqu'ici, mais le peu d'éléments dont nous disposons ne permet ici aucune conclusion précise79. C'est pourquoi nous devons éliminer de notre propos et de nos raisonnements, ce qui concerne la Prouidentia, ce qui touche dans ces actes de 66 à Honos, à Aeternitas et, bien enten du, au Genius sacratissimi principis qui n'a, sans aucun doute, jamais existé dans ce passage. La triade capitoline apparaît toujours; cela est normal80 puisqu'elle est la protectrice de la vie de l'État sous tous ses aspects; sa prédomi nance dans la vie religieuse de Rome, tout au moins la vie officielle, quelles que soient les tendances personnelles de chaque empereur, n'est jamais remise en cause. Dans ce contexte général immuable, puisqu'elle est chargée de veiller à la bonne marche de Rome, il n'y a rien d'étonnant à l'évoquer pour la remercier d'avoir sauvé l'État d'une conspiration menaçante. Il n'est pas besoin d'insister. En dehors d'elle, les actes citent encore Salus Publica, le Genius imperatoris, le diuus Augustus et Mars en rapport direct avec Prouidentia. La mention de la Salus Publica81 n'a rien qui
76 D'ailleurs ces deux divinités n'apparaissent jamais plus dans les actes des arvales jusqu'au dernier procès-verbal conservé, de la fin du IIIe siècle. C'est pourquoi il faut bien avouer que la restitution Aeternitas imperi est tout aussi abusive, même en tenant compte du fait que Néron a créé des jeux «pro aeternitate imperii.» après la mort d'Agrippine (Suet., Nero, XI, 4) ; en effet, ce n'est pas l'expression officielle employée alors, mais une interprétation de Suétone puisqu'il nous dit lui-même que Néron «appellari maximos uoluit». "Tac, Ann., XVI, 15, 1. 78 Cf. les remarques de cet ordre contenues dans l'article de M. P. Charlesworth, Providentia and Aeternitas, dans Harv. Theol. Rev., XXIX, 1936, p. 124-126.
79 S'appuyer sur le passage de Suétone cité à la note 76, comme le fait M. P. Charlesworth, est impossible parce que Suétone ne dit pas ce qu'on veut lui faire déclarer. En outre, si l'appellation officielle de ces jeux avait été telle, nous n'aurions pas dû retrouver V Aeternitas dans les divinités auxquelles les arvales sacrifient le 5 avril 59, justement pour l'échec d'un «complot» monté par Agrippine. 80 Les arvales lui sacrifient à 56 reprises au cours du Ier siècle, dont 27 fois pour le seul règne de Néron! 81 Le mot Publica est restitué, mais il s'agit de la seule solution possible. Bien d'autres exemples de l'époque même de Néron peuvent être invoqués : le 6 novembre 57, le 6 novembre 58, le 15 décembre 58, le 25 février 59
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puisse nous étonner puisque nous avons vu que déjà Auguste, dans le but de proclamer la nécess itéde sauvegarder l'ensemble des citoyens, avait fait mettre en place une statue et un autel de Salus Publica*2. Sous Tibère, les premières monnaies portant l'inscription SALVS AVGVSTA sont frappées, à l'effigie de Livie83 et, plus import antencore pour nous, deux inscriptions sont dédiées à cette divinité84. Or ces deux inscrip tions,nous l'avons vu, contiennent une mention de Prouidentia et sont en rapport direct avec la conjuration de Séjan. Nous nous trouvons bien dans la même ambiance d'une conjuration met tant en jeu l'équilibre de l'empire à travers la personne du prince. Ce Salut Public est la déesse qui protège l'État en même temps qu'elle sauve garde la vie de l'empereur. D'ailleurs elle inter vient à plusieurs reprises dans les actes des arvales de l'époque de Néron85 et toujours en relation directe avec la personne de l'empereur (l'anniversaire de sa naissance le 15 décembre, l'anniversaire de son adoption le 25 février) ou de membres très proches de sa famille (l'anni versaire d'Agrippine le 6 novembre). La mention de Salus Publica donne aux actes du 5 avril 59 un caractère très personnel qui indique bien que la personne même de Néron était visée dans le complot monté par Agrippine, que son assassinat était projeté. C'est pourquoi il est ensuite question du Genius de Néron, cette parcelle de divin entièr ementliée à la personne de l'empereur vivant, qui naît et meurt avec lui, qui marque la conti nuité des générations, qui est le double de
que homme et le protège86. Sa présence accen tuele côté «personnalisé» des sacrifices de ce jour, car, chaque fois que le Genius intervient dans une cérémonie, la personne du princeps est au premier plan : anniversaire de sa naissance les 15 décembre 55, 57, 58, 59; anniversaire de la collation de Ximperium les 13 octobre 58 et 59; anniversaire de ses comices consulaires le 4 mars 59, de son pontificat le 5 mars 59 C'est dans le même esprit que le diuiis Augustus se trouve associé à la cérémonie; il est le garant de cette continuité de l'État à travers la dynastie julio-claudienne, ou plutôt par l'intermédiaire de la domus augusta que Néron, à ce moment, représente87. D'ailleurs, à plusieurs reprises, Genius de Néron, Auguste, Livie et Claude divini sésse trouvent unis lors d'une même cérémon ie88 qui se rapporte directement à la personne de l'empereur vivant. Tout cet ensemble signifie que c'est bien la personne même de Néron qui était menacée directement et que la domus a été mise en danger par le «complot» d'Agrippine; Prouidentia fait partie de cet ensemble de divini tés personnelles protectrices de Néron et atta chées étroitement à sa personne. Le cadre des conjurations de 66 est différent et les divinités engagées nous le montrent. Il n'y a plus aucune des divinités mentionnées cidessus, à part, bien entendu, Prouidentia. Mais nous avons vu que ce qui avait permis son util isation était très certainement l'emploi des arts divinatoires, et, tout particulièrement, de l'astro logie,dans les trois complots. Il n'y a pas d'autre dénominateur commun pour les différentes divi-
82 Fast. Praen., CIL, P, 234; Ovid., Fast., Ill, 882; Dion Cass., LIV, 35, 2. 83 RIC, I, p. 106, n° 23. 84 Cf. supra, inscription d'Interamna, note 10, p. 105. Ins cription de Corinthe, note 16, p. 105. Nous pouvons y joindre l'inscription de Capène, p. 115, n. 69. 85 À 13 reprises dans les procès-verbaux. Dans le même sens M. Le Glay, Le culte de Rome et de Salus à Pergame, ou l'annonce du culte impérial, Studien zur Religion und Kultur Kleinasiens, dans Festschrift für F. K. Dörner, Leiden, 1978, p. 563-564. L'auteur démontre que, dès l'époque d'Auguste (c'est ce qui différencie, pour nous Salus et Prouidentia), Salus est utilisée à propos de complots « césaricides », le premier étant celui de M. Aemilius Lepidus, en 30 av. J.-C. 86 Cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1966, p. 352-354.
Nous pouvons d'ailleurs noter que le Genius de l'empe reurreçoit toujours en sacrifice, non seulement un animal mâle, mais encore non châtré, ici un taureau. Ce n'est pas le cas des divinités masculines. Néron attache une très grande importance à son Genius puisque, sous son règne, apparais sent les premières monnaies avec l'inscription GENIO AVGVSTI et le profil de l'empereur : RIC, I, p. 168, n» 335 à 348. 87 II est assez curieux de voir un sacrifice au diuus August us se dérouler sur le Capitole. La plupart du temps ces sacrifices se déroulent au temple du divin Auguste achevé par Caligula et dans lequel se trouvent associés Livie et Claude. 88 Ainsi les 12 octobre 58, 59, 66 pour les Augustalia, les 13 octobre 58 et 66 pour la collation de Ximperium de Néron
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nités, sauf, comme il est normal, pour la triade capitoline. En effet, la grande différence entre les deux complots de 66, celui de P. Anteius et Ostorius Scapula et celui de Barea Soranus et de Paetus Thrasea, réside en ce que ces deux derniers n'ont pas comme but véritablement défini d'abattre Néron. Ces hommes ont simplement enquêté sur les possibilités de vie de l'empereur ou ont eu des contacts étroits avec ceux qui ont fait ces enquêtes. Nulle part il n'est dit qu'ils voulaient attenter à la vie de Néron, ce qui, par contre, fut le prétexte donné à la mort d'Agrippi ne; elle «s'était punie elle-même, se sentant cou pable d'avoir ordonné le crime », comme l'empe reurl'écrit, en personne, dans une lettre envoyée au sénat89. C'est pourquoi, lors des cérémonies des arvales, il n'a pas été nécessaire de «personn aliser» les sacrifices autant qu'en 5990; seul Mars a eu une place supplémentaire, les deux fois. Sa présence est assez difficile à expliquer, d'autant qu'il ne s'agit pas de Mars Ultor que Néron fait célébrer par les frères arvales à deux reprises et qui possède un caractère familial prononcé. En outre, Mars seul n'apparaît sous Néron que dans ces deux occasions de l'année 66. Au premier siècle, toujours dans les actes, Mars reçoit un sacrifice à trois reprises sous Othon et sous Domitien. Ensuite, au deuxième et troisième siècles, Mars est toujours flanqué d'un surnom, Pater, Victor ou Ultor. A chaque fois, le caractère militaire est très marqué : le sacrifice du 1er mars 6991 est accompli après la victoire sur les Sarmates en Mésie; celui du 14 septem bre 81 en l'honneur de la collation de Yimperium à Domitien qui lui donne tout son caractère
militaire, qui fait de l'empereur l'homme apte à défendre et à agrandir l'empire92; celui du 28 janvier 89 marque le retour de Domitien après la victoire remportée sans combattre sur Antonius Saturninus93. À part le dernier cas qui est provoqué par un véritable soulèvement des légions et la procla mation d'un nouvel empereur, il n'est rien qui nous permette de les rapprocher des sacrifices néroniens et de donner à ces derniers une expli cation plausible de la présence de Mars. Il nous faut, une fois de plus, considérer Γ« ambiance astrologique», de ces poursuites et de ces con damnations. L'intérêt montré par Néron à l'égard de ceux qui pratiquent la divination par les astres est marqué par l'édit de 66 qui les expulse94. Comme pour tous les empereurs ayant pris semblable décision, cette expulsion dénote aussi une profonde connaissance personn ellede l'astrologie accompagnée d'une croyan ce solide. Comme chacun le sait, plusieurs signes confirment cette impression : la présence de «Chaldéens» dans son entourage, que ce soit Tiberius Claudius Balbillus ou Ptolémée Séleucos95; la construction même de la Domus Aurea, palais du Soleil; l'existence, dans ce palais, d'une salle couverte d'un dôme représentant le ciel avec ses astres et tournant en suivant le même cours que le firmament. À l'aide de ce dôme, il était aisé pour un astrologue, et certainement pour Néron lui-même, de bâtir des horoscopes. Il n'est pas impossible qu'il n'ait agi, dans sa vie personnelle ou politique, qu'en suivant les recommandations des configurations astrologi ques, de la même façon que sa mère pour le faire reconnaître empereur après la mort de Claude.
89 Si nous en croyons Tacite, Ann., XIV, 10, 3. 90 Ce doit être un argument supplémentaire pour écarter la restitution sacratissimi principis genio tannini. Ici le Genius n'a pas besoin d'être évoqué. 91 A. Pasoli, Acta . . . , n° 34, p. 126. « Id., ibid., n° 42, p. 132. 93 Id, ibid., n° 47, p. 137. 94 D'ailleurs, il semble bien qu'il y ait eu un second édit expulsant nommément les astrologues et les magiciens. Néron l'aurait pris au moment de la rébellion de Vindex. Malheureusement, la source est un simple manuscrit du Xe siècle, sujet à caution quant à ses propres sources: «Sur Néron. À la fin de son règne, il fut irrité contre les magiciens
et les astrologues. Il édicta et ordonna qu'ils seraient expul sésde toute l'Italie un jour fixé. Ces derniers cependant affichèrent un contre-ordre annonçant que ce jour serait celui où il quitterait la vie. En ce jour, il mourut. Ils firent ainsi connaître exactement ce qui devait arriver». [Çatalogus Codicum Astrologorum Graecorum, VIII, 7, Bruxelles, 1911, n° 100). Il est possible qu'il y ait eu confusion avec un édit pris pas Vitellius et qui aurait eu les mêmes caractères et les mêmes conséquences. (Tac, Hist, II, 62. Suet, Vit., XIV, 4. Dion Cass., LXV, 1, 4). F. H. Cramer, Expulsion of Astrologers from Ancient Rome, dans Classica et Medioevalia, XII, 1-2, 1951, p. 36 sq. 95 Tac, Hist., I, 22, 3-5.
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Pourquoi ces sacrifices en l'honneur de Mars ne seraient-ils pas dus à ce que la répression entreprise par Néron contre les « conspirateurs » l'ait été sous un bon aspect astrologique de la planète Mars, planète et dieu se confondant dans l'esprit du prince96? Mars passe pour un astre malfaisant parce qu'il a une nature dessé chante97, mais son action peut s'exercer de façon bénéfique suivant les figures formées avec les autres planètes. Plusieurs cas peuvent se présent er; Mars est bénéfique lorsqu'il se trouve dans sa propre maison représentée par deux signes du zodiaque, le Scorpion et le Bélier98. Ce carac tèreest grandement renforcé si la Culmination Supérieure, ou Milieu du Ciel, est placée dans le signe où se trouve Mars et si cette dernière planète est en aspect favorable avec les autres planètes, par exemple en trigone avec les signes féminins, Cancer et Poissons99. Dans ces mêmes conditions, il ne faudrait pas oublier la théorie des confins (opta) qui localise chaque planète dans une partie de chaque signe zodiacal; quand la planète se trouve dans ses confins, elle est bénéfique100. Nous pourrions trouver beaucoup d'autres situations avantageuses de Mars et qui, certaines étant réunies, car une seule ne peut
suffire, rendent énergique et invincible. L'hom meirrésolu et pacifique qu'était Néron avait certainement besoin d'être appuyé par la certitu de astrologique pour agir avec sérénité. C'est d'ailleurs ce qui explique que cet homme faible aille alors jusqu'au bout de son action, même s'il s'agit de persécution ou de cruauté, puisqu'il sait que les astres lui donnent une position dominant e et inattaquable101. Son assurance dans cer tains cas ne peut s'expliquer qu'ainsi102. Il est vrai que toute la vie de l'empereur a dû être marquée profondément par son propre horoscop e, qu'il connaissait et qui était mauvais dans l'appréciation globale de sa vie et pour sa mort; « Néron naquit . . . dix-huit jours avant les calen des de janvier, précisément au lever du soleil De son horoscope nombre de gens tirèrent aussitôt une foule de prédictions effrayantes»103. Néron se vit continuellement contraint de combattre cette entrée dans la vie difficile et il savait qu'il risquait de succomber le jour où son action ne serait plus déterminée par sa propre observation des astres. Si la présence de Mars parmi les divinités auxquelles les arvales sacrifient a été imposée par Néron dans le sens astrologique que nous lui
96 Cela n'aurait rien d'étonnant si nous jugeons de la place donnée au Soleil dans la politique religieuse de Néron et la confusion entretenue avec Apollon. 97 Ptolémée, Tétrab., I, 5. 98 Id, ibid., 18. 99 Id, ibid., 19. 100 Id, ibid., 22. À ces arguments nous pouvons ajouter un passage signifi catifde Firmicus Maternus dans sa Mathesis, IV, 19, 13, qui dénombre les effets bénéfiques de Mars quand il est maître de la geniture (la planète qui est maîtresse du signe dans lequel la Lune pénètre après la naissance) : « Si Mars geniturae dominas fuerit effectus, faciet asperos inuictos et qui nullis rationibus subiugentur, mobiles contentiosos audaces, periculosos, uiolentos, qui adsiduis soleant rationibus decipi, edaces, qui multimi cibum facillimis rationibus digérant, fortes aequales ignitos, rubeis capillis, oculis sanguinotentis, imperiosos et principalia semper sibi uindicantes potestatis insignia » 101 G. Ch. Picard, Auguste et Néron. Le secret de l'empire, Paris, 1962, p. 142-143. L'auteur a très bien défini la personnalité de Néron « doux et indulgent », mais qui, « quand la peur le saisissait », «tuait comme une bête traquée dans son repaire». Mais il ne faut pas négliger l'assurance qu'il montre quand il est sûr de son fait, c'est-à-dire quand les astres l'ont confirmé dans la décision prise.
102 Cette assurance qui lui manque totalement, au moins à deux reprises décisives dans sa vie. La première fois lors du meurtre d'Agrippine; il en avait choisi le lieu et le moment, or rien'ne s'est déroulé comme prévu. Sa mère a été assassi née à un moment qui n'avait pas été choisi astrologiquement. Si bien que ses remords, ses terreurs futures, ses cauchemards qui le hantent toute sa vie, peuvent s'expliquer par le simple fait qu'il a tué sa mère, mais aussi par la certitude que le meurtre ne s'est pas déroulé sous une bonne conjonc tion des astres. Par là aussi s'expliquent les cérémonies nombreuses qu'il a ordonnées, comme pour exorciser les mauvaises conditions du crime. Le second événement est la révolte de 68. Devant elle, Néron est incapable de prendre une décision efficace, parce qu'il sait que son déclenchement s'est placé sous une conjonction d'astres qui lui est défavora ble et devant laquelle il ne peut rien. 103 Suét., New, VI, 1. Naissance le 15 décembre 37. Inter prétation plus nuancée des mêmes faits dans Dion Cassius, LXI, 2. Il ne faut pas garder seulement l'idée d'une naissance miraculeuse de Néron parce que l'enfant avait été frappé directement par les rayons du soleil, comme le fait P. Gri mai, Le «De Clementia» et la royauté solaire de Néron, dans REL, XLIX, 1971, p. 205-217. Ce signe était favorable, mais ne pouvait effacer le mauvais horoscope. En réalité, ces deux signes reflètent bien le caractère et la vie de Néron.
CLAUDE ET NÉRON avons donné, sa liaison avec Prouidentia est par faitement normale. Elle répond bien à des céré monies en relation avec les recherches astrologi ques entreprises par des hommes qui ont été obligés de se suicider pour échapper à leur condamnation publique. Nous pouvons en tirer quelques premières conclusions sur Prouidentia et le traitement qui lui est accordé sous Néron. Dans l'emploi de la notion l'empereur reste fidè leà celui qui l'a utilisée pour la première fois, Tibère : à la suite d'une conspiration, ou préten due telle, mettant en danger la personne de l'empereur et l'équilibre de l'État. Mais Néron introduit des nuances en lui donnant un aspect astrologique beaucoup plus marqué qu'aupara vant et en l'attachant encore plus étroitement à sa personne. Car cette Providence n'est plus celle de Tibère, qui semble abandonnée comme l'est son autel, mais celle de Néron qui l'accom pagnedurant toute sa vie, qui lui vient en aide et qu'il lui faut remercier pour ses interventions bénéfiques. La Prouidentia est alors un des prin cipes fondamentaux de la souveraineté de l'em pereur et est affirmée officiellement comme tel le. 4 - Son expression alexandrine L'époque de Claude et de Néron nous offre d'autres documents dans lesquels Prouidentia, ou son équivalent grec πρόνοια, sont employés. Cer tains ont un caractère tout à fait officiel, comme la série des ateliers monétaires d'Alexandrie qui intéresse directement notre propos. Ces monn aies, en l'honneur de la « Providence du Nouvel Auguste», présentent au revers l'empereur assis, à gauche, radié; il porte chiton et himation et il tient un globe et un sceptre104. Cette frappe de tétradrachmes de billon a
104 J. Vogt, Die Alexandrinischen Münzen, Stuttgart, 1924, p. 28-29. J. G. Milne, Catalogue of Alexandrian Coins, Oxford, 1971, p. 5. A/ NEP ΚΛΑΥ ΚΑΙΣ ΣΕΒ ΓΕΡ ΑΥΤΟ Tête de Néron, lauree, à droite. R/ ΠΡΟΝ ΝΕΟΥ ΣΕΒΑΣΤΟΥ Cf. S. Skowronek, On the Problem of the Alexandrian Mint, Varsovie, 1967, pi. V, n° 12. '05J. G. Milne, op. cit., n° 145 et 146 (56/57); n° 166
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commencé la troisième année du règne, c'està-dire 56/57 et ΠΡΟΝ(ΟΙΑ) fait partie d'une série de revers divers qui ont été émis à ce moment d'une manière moyennement abondant e. En ce qui concerne le type qui nous intéresse, il a été frappé tous les ans jusqu'aux émissions de 59/60 (sixjème année de règne)105. Une telle série ne peut nous laisser indifférent, mais, dans le même temps pose de nombreux problèmes. C'est, en effet, la première fois que cet atelier frappe des monnaies avec ΠΡΟΝ(ΟΙΑ). En second lieu, nous pouvons tout de suite remar querque toute la série a été fabriquée avant que, officiellement, dans les actes des arvales, on ne mentionne la Prouidentia dont la première appar ition est du 5 avril 59. Il serait évidemment tentant de ne pas chercher à établir de rapport étroit entre la ΠΡΟΝΟΙΑ du monde gréco-égypt ien et la Prouidentia romaine; c'est souvent ce qui est fait par les spécialistes de la numismati que qui ne veulent voir dans les frappes alexan drines que des monnaies à usage interne, ne pouvant avoir valeur universelle ni comme moyen d'échange, ni, a fortiori, pour les images et les légendes qu'elles portent106. En dehors du fait que ces monnaies ont une aire de circulation plus étendue que la seule province d'Egypte, il ne saurait faire de doute que les ateliers monétaires d'Alexandrie sont sous la surveillance et l'autorité du préfet d'Egypte. Ce dernier est là pour exécuter les ordres de l'empereur, avec la latitude que donne la distance qui le sépare de Rome et les coutu meset habitudes du pays qu'il gouverne. Le statut équestre original de la province fait que ce sont des hommes de confiance du prince, souvent proches de lui, qui exercent un gouver nement dont ils ne rendent compte qu'à l'empe reur.En outre, nous avons montré qu'il n'était pas possible d'isoler πρόνοια de prouidentia, d'en
(57/58); n° 181 et 182, 194 et 195 (58/59); n° 205 et 206 (59/60). Nous pouvons noter une légère différence dans les légen desde l'avers suivant les émissions : les n° 181 et 182 portent ΝΕΡΩ ΚΛΑΥ ΚΑΙΣ ΣΕΒΑ ΓΕΡ ΑΥΤΟ; les n° 194 et 195, 205 et 206 portent ΝΕΡΩΝ ΚΛΑΥ ΚΑΙΣ ΣΕΒΑ ΓΕΡ ΑΥΤΟ. Cf. ρ. 431, η» 8, 9, 10, 11. 106 C'est ce que dit J. G. Milne à propos de toute la série de billon qui nous intéresse.
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faire deux notions indifférentes l'une à l'autre. Elles ont le même sens et la même portée; c'est pourquoi, il nous faut rechercher les causes de cette apparition de πρόνοια sur les monnaies d'Alexandrie avant Rome, et essayer de dégager les rapports possibles avec le déroulement des événements à Rome même. « Le lien que nous pouvons établir entre Alexandrie et Rome, entre la prouidentia de la Ville et la πρόνοια d'Egypte, peut se trouver dans la personne du préfet d'Egypte du moment, Ti. Claudius Balbillus. Nous ne reviendrons pas sur les longues discussions qui ont opposé, et opposent encore, divers savants sur les relations familiales de ce Ti. Claudius Balbillus (est-il le fils de l'astrologue de Tibère, Ti. Claudius Thrasyllus?), sur sa carrière avant son couronnement dans la préfecture d'Egypte. Faut-il le confondre avec le Ti. Claudius Balbillus, ambassadeur des Grecs d'Alexandrie auprès de Claude et tenu par l'empereur pour son «compagnon», βαρβίλλωι τώι έμώι έτέρωι107? Faut-il croire que nous possé dons son cursus procuratorien rédigé au tout début du règne de Néron108 à Éphèse et qui, curieusement, montre plusieurs fonctions import antes en Egypte sous le règne de Claude, en particulier celle d'archiereus Aegypti qui en avait fait un véritable ministre des cultes dans la pro vince109? Une seule chose est certaine,
gue, ami de Néron, est bien celui qui est devenu préfet d'Egypte, qui a gouverné la province de 55 à 59 et dont Sénèque a vanté la science littérai re110. La coïncidence chronologique avec les frappes mentionnant ΠΡΟΝ(ΟΙΑ) ne peut échapp er.C'est sous le gouvernement de Ti. Claudius Balbillus et, sans aucun doute, sur son ordre, que ces monnaies ont été émises et diffusées. Pourquoi cette soudaine apparition de πρό νοια? Il est, bien sûr, possible d'évoquer ici le contexte astrologique puisque, comme nous l'avons déjà noté, πρόνοια fait partie du vocabul airehabituel des mathematici. Cette explication ne peut être suffisante; la cause serait trop vague et trop mince pour une frappe monétaire officielle. Nous possédons deux documents qui nous permettent d'aller plus avant dans la com préhension de l'action de Balbillus. Le premier est la fameuse lettre de Claude aux Alexandrins qui est datée du 10 novembre 41 m et où le nom de Balbillus se trouve. Le second a été gravé dans la pierre, à Memphis, et peut être daté de l'époque de la préfecture d'Egypte de Balbill us112. Ces deux textes mettent donc en présence des Balbillus et la πρόνοια. La coïncidence est d'autant plus troublante que nous devons y join dre les frappes monétaires d'Alexandrie. Pour rait-on n'être en présence que d'une coïnciden-
107 Dans la fameuse « lettre aux Alexandrins » : A. S. HuntC. C. Edgar, Select Papyri, II, Londres, 1934, n° 212, 1. 105 (= E. M. Smalwood, Documents. .., n° 370). Cette lettre est du 10 novembre 41. 108 AE, 1924, n° 78. 109 Cf. H. G. Pflaum, Essai sur les procurateurs équestres sous le Haut-Empire Romain, Paris, 1950, p. 207. Carrières , n° 15. [Ti. Claud]IO TI CLAVDI/..I FIL QVIR/[Ba]LBILLO/ [ . . . a]EDIVM DIVI AVG ET/[ . . . . e]T LVCORVM SACRO/ [rumque omnium qu]AE SVNT ALEXAN/[dreae et in tota Aegypt]O ET SVPRA MV/[s]EV[m] E [t ab Alexandri]NA BYBLIOTHECE/ET ARCHI[erei et ad Herrn] EN ALEXAN/ DREON PE[r annos . . .] ET AD LEGATI/ONES ET RES[ponsa Graeca Ca]ESARIS AVG/DIVI CLAVD[i] E[t trib milit le]G XX ET PRAE[f]/FABR DIVI CLA[udi et d d in triu]M[pho a divo]/CLAVDIO [corona murali et vexillo et hasta]/PVRA 110 Sen., N.Q., IV, 2, 13 : «Balbillus, uirorum optimus perfectusque in omni literarum genere rarissime . ...» Sur les traces de son gouvernement en Egypte, cf. Hunt-Edgar, op. cit., n° 281, pétition des collecteurs de taxes qui lui est envoyée.
111 Ci. supra, note 107. L. 99 ... Έαν τούτων άποστάντες αμφότεροι μετά πραότητος και φιλανθροπείας της προς αλλήλους ζην έθελήσητε και έγώι πρόνοιαν της πόλεως ποιήσομαι την άν(ω)τάτωι καθάπερ έκ προγόνων οικίας (ή}μΐν ύπαρχούσης. βαρβίλλωι τώι έμώι έτέρωι μαρτυρώ!, άεί πρόνοια[ν] (ύ)μών παρ' έμοί ποιουμένωι, ος και νΰν πάσηι φιλοτειμεία περί των άγονα τον υπέρ υμών κέχρ [ητε], και Τιβερίωι Κλαυδίωι Άρχιβίωι τώι έμώι έτέ[ρωι]. Έρρωσθαι. n2IGRR, Ι, η° 1110 (= OGIS, 666). Ε. Mary Smallwood, Documents illustrating the Principates of Gains, Claudius and Nero, Cambridge, 1967, p. 126-127, n° 418. Άγαθη τυχηι Έπεί Νέρων Κλαύδιος Καίσαρ Σεβαστός Γερμανικός αυτο κράτωρ, ό αγαθός δαίμων της οικουμένης, σύν άπασιν οις εύεργέτησεν άγαθοΐς την Αΐγυπτον την έναργεστάτην πρόνοιαν ποιησάμενος επεμψεν ήμεΐν Τιβέριον Κλαύδιον Βάλβιλλον ηγε μόνα, δια δε τάς τούτου χάριτας και ευεργεσίας πλημύρουσα πασιν άγαθοΐς ή Αίγυπτος, τας τοϋ Νείλου δωρεάς έπαυξομένας κατ' έτος θεωρούσα, νϋν μάλλον άπέλαυσε της δικαίας αναβάσεως τοΰ θεοϋ, εδοξε
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ce? Nous nous trouvons dans une ambiance hel lénistique et le vocabulaire utilisé est adapté à la mentalité de ceux qui lisent les textes, Alexan drinsou Memphites. Il est d'ailleurs parfait ementpossible de trouver des emplois de προ νοεΐν et de ses dérivés dans les États hellénisti ques, et tout particulièrement dans le royaume lagide113. Il est aussi aisé de trouver des exemp lesà l'époque des Julio-Claudiens; de nombreus es inscriptions orientales reflètent les mêmes idées et présentent le même vocabulaire que les textes épigraphiques de l'époque de l'indépen dance des États gréco-orientaux. C'est le cas d'une inscription faite par les Pariens en l'hon neur d'un de leurs concitoyens qui avait restauré les murs de la cité et avait, ainsi, assuré sa sécurité114. Il en est de même de l'«epikrima» du proconsul d'Asie Paullus Fabius Persicus dans laquelle il s'adresse aux Éphésiens pour mettre un terme aux abus auxquels se livraient les prê tres du grand temple d'Artémis115. Rien ne peut nous étonner dans ces deux inscriptions. L'emp loide προνοεΐν est banal, que ce soit dans le cas de remerciements adressés à un citoyen qui a fait preuve de clairvoyance ou que ce soit dans l'encouragement apporté à des magistrats pour qu'ils « prévoient » pour le bien de leur cité. Mais les deux textes dont nous avons donné des extraits ci-dessus ont certainement un tout autre caractère et sortent de la ligne ordinaire. Le premier est un document officiel émanant de la chancellerie impériale ou de Claude luimême; un papyrus nous l'a conservé. Le mot πρόνοια y est employé à deux reprises bien dis tinctes : à la ligne 102, il s'agit de la πρόνοια de l'empereur qui s'exerce sur les Grecs d'Alexan drie et dont l'action se fera sentir si ces derniers font cesser leurs rivalités avec les Juifs de leur ville, tout en continuant à vivre en bonne entent e avec eux. À la ligne 104, il est question de la
πρόνοια que Balbillus a toujours montrée, et vient encore de montrer en défendant les inté rêts des Grecs d'Alexandrie et leur cause. Il est le seul, dans la lettre, à recevoir un tel compli ment;il est vrai qu'il semble bien être le prési dent de cette ambassade puisque, au tout début, lorsque l'empereur énumère les noms des douze délégués d'Alexandrie, Ti. Claudius Balbillus est cité le premier. En outre, nous pouvons remar querque Claude lui donne encore une position avantageuse à la ligne 36 en déclarant que ce n'est que sur l'insistance de ό έμοί τιμιώτατος βάρβιλλος qu'il accepte que soit érigée à Rome une statue de la Paix Auguste Claudienne116. L'homme est important et Claude a soin de souligner qu'il est son «ami» (εταίρος), terme qui était facilement compris des Grecs orientaux puisqu'il était directement issu du vocabulaire aulique hellénistique117. Balbillus a très certain ement été le porte-parole des Alexandrins, car l'homme le plus connu de l'empereur, et donc le plus apte à lui faire admettre la cause qu'il défendait. Mais le plus important pour nous, dans la perspective qui nous intéresse, est de voir que la «sollicitude» dont fait preuve Balbil lus à l'égard des Grecs d'Alexandrie vaut à l'em pereur de faire lui-même agir sa propre « sollic itude» envers la cité. L'une comme l'autre con courent à rétablir le calme et la paix. Mais c'est la πρόνοια de Balbillus qui a provoqué et déclen ché celle du prince. Le second texte nous montre de nouveau Balbillus, ou plutôt un Balbillus, en liaison direc te avec πρόνοια. C'est un texte de Memphis dans lequel les habitants de ce nome se félicitent de ce que Néron leur ait envoyé pour les gouverner un homme tel que Balbillus. Grâce à sa bonne administration, mais aussi par l'inspiration qui lui vient des dieux, il a pu les satisfaire. Néron a su donner au pays l'homme qu'il lui fallait pour
113 Cf. supra, p. 18. 114 IG, XII, 5, 1030: « έπιμελήθεντα τής επανορθώ σεως των τειχών και της κατά την πόλιν ασφαλείας προνοηθέντα ». 115 F. Κ. Dörner, Der Erlass des Statthalters von Asia Paul lusFabius Persicus, Diss. phil. Greifswald, 1935. Cf. E. Mary Smallwood, op. cit., p. 106, n°380, col. II, 1. 8-10: «...ώστε τοΰ διηνεκώς κ[αί τοΰ κατά] /τον βίον χρησίμου τοΰ τε καθ'ολην την έπαρχεί[αν και] /κατά πόλιν προνοεΐν, άλλα μη
τοΰ ιδίου ένιαυτοΰ μό[νον], / » L'édit doit être daté de 44. 116 Respectivement lignes 17 et 36. 117 II est d'ailleurs assez difficile de savoir sur quels critè resla sélection des «amis» de Claude était réalisée. Nous pouvons noter que, dans ce même texte Tiberius Claudius Archibius est aussi appelé «ami» et nous savons, par ailleurs, que Paullus Fabius Persicus était aussi l'«ami» de Claude (CIL, XIII, 1, 1, 1168).
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que les crues du Nil soient bonnes et toujours en accroissement jusqu'au point optimum. Dans cet exemple, la πρόνοια du souverain est intervenue directement et a eu un effet bénéfique. Le rapprochement entre ces deux textes est aisé à faire; ils reflètent la même atmosphère. Celle, très particulière qui entoure et dans laquelle vivent ce, ou ces, Balbillus. En effet, aucun autre homme, dans aucun autre texte, n'est ainsi rapproché de la notion de πρόνοια. Mais, s'agit-il d'un seul homme ou de deux, étant donné qu'il y a au moins quatorze ans d'écart et même certainement un peu plus, puisque l'in scription de Memphis n'a pu être faite qu'après deux ou plusieurs années de préfecture de Bal billus? Peut-on, dans ces conditions, faire un seul homme de celui qui possède un cursus équestre marqué par plusieurs fonctions en Egypte et de celui qui a été l'ambassadeur des Alexandrins? Que devient alors le préfet d'Égypte de Néron? Pendant longtemps, on a cru à une telle ident ité118, mais J. Gagé a tenté de démontrer le contraire119. Les arguments qu'il présente sur les problèmes d'âge sont les plus solides; par cont re, nous pouvons très bien admettre que, même ambassadeur des Hellènes d'Alexandrie, Balbil lus n'ait pas été un Alexandrin. Pourquoi les Grecs de cette ville n'auraient-ils pas pris un autre grec, venu s'installer chez eux et qui avait déjà dû se faire connaître par sa science du sacré120? De toutes façons, et même si nous faisons du préfet le fils de l'ambassadeur, com mele pense J. Gagé121, la mention de πρόνοια les intéresse tous deux et l'existence des monnaies nous oblige à les représenter comme vivant dans une ambiance où le sacré, très certainement sous sa forme astrologique, avait la place pr imordiale. Nous pouvons même croire que
que Claude emploie le mot πρόνοια il ne fait que reprendre un terme que son «compagnon» Bal billus a lui-même employé dans la requête qu'il a présentée au nom des Grecs d'Alexandrie. Le mot est aussi employé par les Memphites parce qu'ils ont l'habitude de l'appliquer au préfet Bal billus. Cette habitude ne peut provenir que de la frappe de monnaies avec ΠΡΟΝΟΙΑ que le gou verneur a fait entreprendre dès le début de son gouvernement. Il ne pouvait être que de bon ton d'employer le même vocable. Tiberius Claudius Balbillus est, incontestable ment, un homme puissant et bien en cour. Sur tout, il a su éviter tous les obstacles politiques durant sa carrière et il a pu échapper à toutes les répressions ordonnées par Néron, s'il s'agit bien du même Balbillus que nous retrouvons à Éphèse, au tout début du règne de Vespasien. Le fait peut paraître étonnant, car, si nous en croyons Tacite122, il était des amis d'Agrippine. Il aurait reçu la préfecture d'Egypte après la pre mière grande crise entre l'empereur et sa mère. Agrippine accusée de méditer une révolution en faveur de Rubellius Plautus réussit à se discul per.Néron, pour effacer les soupçons qu'il avait eus, récompensa les amis de sa mère. Le trait est certainement exact; d'ailleurs, on a déjà souligné fortement que, sous le règne de Claude, la cote riequi entourait Agrippine et Pallas était essen tiellement formée d'hommes originaires de l'Orient grec123. Il est normal de supposer que notre préfet-astrologue faisait partie de l'entou ragede la fille de Germanicus, d'autant que, comme nous l'avons vu, cette dernière était férue de recherches astrologiques. C'est à ses connaissances dans ce domaine que Balbillus doit la confiance d'Agrippine; il les fit certainement servir à deux buts successifs : le mariage d'Agrippine et de Claude, et, surtout,
118 Cf. J. Schwartz, Bull. inst. franc, d'archéol. orient du Caire, XLIX, 1949, p. 45 sq. 119 J. Gagé, «Basileia». Les Césars, les rois d'Orient et les «mages», Paris, 1968, p. 80. 120 Un homme tel que ce Balbillus a dû s'installer à Alexandrie, venant d'Éphèse ou de sa région, pour étudier l'astrologie dont cette cité était devenue le grand centre d'étude et de diffusion. Cf. F. Cumont, L'Egypte des astrolo gues,Bruxelles, 1937. Nous pouvons d'ailleurs noter qu'il est à peu près certain que le Balbillus préfet d'Egypte s'est retiré à Éphèse. C'est
sur son entremise que les Éphésiens ont obtenu de Vespa siendes jeux sacrés, ce que, nous dit Dion Cassius, LXVI, 9 : « il ne permit à aucune autre ville ». 121 J. Gagé, op. cit., p. 81. Il pense le préfet né vers 15 ap. J.C. 122 Tac, Ann., XIII, 22, 1. 123 H. G. Pflaum, op. cit., p. 206-207. Parmi ces hommes l'auteur cite le Balbillus au cursus procuratorien et qui aurait été envoyé en Egypte comme archiereus Aegypti sous l'i nfluence d'Agrippine et de Pallas.
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l'adoption de Néron par Claude et sa désignation comme héritier présomptif124. Mais nous pou vons aller plus loin dans l'étude du rôle de Balbillus. Nous devons lui attribuer aussi la mise en scène qui précéda le choix précis du moment où Néron s'est présenté devant la cohorte de garde au palais et où l'annonce de la mort de Claude a été accompagnée de sa propre accla mation comme empereur125. Néron, une fois au pouvoir, ne pouvait l'oublier. Qu'il l'ait désigné comme préfet d'Egypte n'est, de ce fait, qu'une reconnaissance pour ce que l'empereur lui devait, que cette nomination ait été réalisée sous ou sans la pression de sa mère. Mais, et le problème se pose immédiatement, comment le préfet a-t-il pu ensuite échapper à l'effacement et à la disparition de la coterie d'Agrippine? Son éloignement de Rome y est, évidemment, pour beaucoup. En outre, Balbillus semble avoir mené une politique efficace dans son gouvernement ou, tout au moins, avoir eu la chance de l'exercer durant des années où la crue du Nil a été très favorable, comme l'expriment les Memphites126; personne ne paraît avoir eu à se plaindre de son gouvernement. Enfin, il a su très habilement mettre en valeur la personne de Néron auprès de ses administrés, tout en restant à l'écart des cabales romaines et des luttes d'in fluence du palais. Certaines séries monétaires sont caractéristiques à ce sujet; durant sa préfec turesont en effet frappés des types en l'honneur de Dikaiosynè, à'Eirénè, d'Homonoia et, plus inté ressant encore, d'Octavie et d'Agrippine, pour exalter la domus augusta. Sa politique de frappe est aussi orientée vers la proclamation de la puissance romaine, avec les types de Roma et du Démos des Romains. Enfin il met en valeur la personne même de Néron par les séries en l'hon neur de l'Agathodaimôn et de la Pronoia121. De toutes les façons, il aurait été difficile à
reur de se débarrasser d'un homme qui, par ses connaissances astrologiques, avait joué un si grand rôle dans son avènement; c'eût pu être, dans sa mentalité superstitieuse, comme un véri table suicide. Il est vrai aussi que Balbillus semble bien s'être peu à peu éloigné de l'entourage d'Agrippi ne, pour devenir un des meilleurs soutiens du pouvoir néronien, sans jamais aucun esprit de rébellion. Lors du «complot» d'Agrippine qui aboutit à son propre assassinat, à la fin du mois de mars 59, il est encore certainement préfet d'Egypte puisqu'il a le temps d'ordonner la sup pression des frappes en l'honneur d'Agrippine. En effet si, dans les séries de la sixième année du règne (59-60), nous trouvons tous les types dont nous avons parlé plus haut et, en particul ier le type ΠΡΟΝΟΙΑ qui est véritablement « balbillien », pour la première fois le type d'Agrippine n'apparaît plus. Par là, Balbillus don neson accord à la politique de Néron. Nous pouvons peut-être même aller plus loin. N'aur ait-il pas donné son accord préalable, et astrolo gique,au meurtre de cette mère abusive128? Son rappel, qui dut se placer dans la seconde moitié de l'année 59, n'est ni un désaveu ni une disgrâ ce; il faut y voir, tout au contraire, le désir de Néron, angoissé par son acte, irrésolu dans ce début de règne personnel, d'avoir près de lui un homme sûr, ayant fait ses preuves et, par dessus tout, capable, par ses connaissances astrologi ques, de diriger dans le bon sens l'action du princeps. Il est vrai que les preuves matérielles d'une telle place tenue par Balbillus dans l'entourage proche de Néron sont très rares. Cependant un passage de Suétone peut être utilisé de façon positive dans ce contexte: «Une comète, astre qui, d'après la croyance populaire, annonce la ruine aux puissances souveraines, s'était mon-
124 J. Gagé, op. cit., p. 109. 125 Tac, Ann., XIL 68-69. 126 Cf. n. 112 (= IGRR, I, 1110). Cf. aussi la pétition des collecteurs d'impôts du nome Arsinoïte : Hunt-Edgar, op. cit., n° 281. Balbillus s'était rendu populaire, au nom de Néron, par des actions spectaculaires comme le désensablement du Sphinx qui favorisa la théologie solaire de Néron en le rattachant à la tradition pharaonique.
127 II est d'ailleurs intéressant de remarquer que les Memp hites, dans l'inscription citée ci-dessus, parlent de la «très éclatante providence » du prince, qui est aussi appelé par eux «ô αγαθός δαίμων». Les Memphites ont repris à leur compte les deux thèmes monétaires rappelant directement Néron. Sur ces frappes, cf. J. G. Milne, op. cit., p. 5 sq. 128 Rien ne permet d'affirmer, comme le fait J. Gagé, op. cit., p. 109, que «tout au plus, connut-il alors un peu d'embarras ».
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trée plusieurs nuits de suite. Néron s'effraya de cette menace et, quand l'astrologue Balbillus lui eut appris que d'ordinaire les rois conjuraient de semblables présages en immolant quelque illus trevictime et les détournaient loin d'eux sur la tête des grands, il décida la mort de tous les plus nobles citoyens»129. Or, c'est justement à la suite de cette réponse, toujours d'après Suétone, que Néron put étouffer les conspirations de Pison à Rome et de Vinicius à Bénévent. La signification est claire: Balbillus se trouve dans l'entourage immédiat du prince en 65 et nous pouvons pen ser qu'il en est ainsi depuis 59. En outre, dans un cas aussi grave que l'apparition de cette comète, Néron n'hésite pas à le consulter et à suivre ses avis. Il est bien l'homme de confiance de l'empe reuret fait partie de ce monde d'hommes d'ori gine gréco-orientale qui tiennent les premières places dans les dernières années du règne130. Etant donné sa spécialité et ce que nous avons dit du caractère astrologique des «consulta tions» entreprises par P. Anteius, Ostorius Sca pula, Barea Soranus et, peut-être, Paetus Thrasea, nous pouvons tenir Balbillus pour un des grands responsables de ces répressions successi ves; c'était à lui de choisir le jour et l'heure.
D'ailleurs J. Gagé131 l'a bien vu lorsqu'il a démontré que, derrière l'attitude de Néron à l'égard de Thraséa au moment des préparatifs du couronnement de Tiridate, il y avait certain ement l'action, ou tout au moins, l'influence, de l'astrologue Balbillus, maître des destins du prince et aussi de tous ceux qui l'entourent. D'ailleurs, le choix de πρόνοια comme notion exprimant l'échec de complot à base astrologi que est bien dans la ligne de l'homme ou, tout au moins, de l'influence qu'il a exercée sur Néron. En effet, durant le règne de Néron, c'est sur son initiative, à Alexandrie, que ΠΡΟΝΟΙΑ apparaît. Nous pouvons laisser à cette ΠΡΟΝΟΙΑ un sens vague et général. Mais alors nous nous expliquons assez mal ce choix. Tout au contraire, si nous nous souvenons des événements de 55, ce qui a guidé ce choix s'éclaire. Les délateurs Iturius et Calvisius ont dénoncé un complot visant à mettre sur le trône Rubellius Plautus et nous savons les implications astrologiques qui ont certainement entouré les «fréquentes secrè tes conférences» tenues par Agrippine132. Balbil lus trouva normal de mettre en exergue de son action en Egypte, action qui n'était qu'un reflet de ce que voulait Néron, ΠΡΟΝΟΙΑ133 que Tibè-
129 Suet., Nero, XXXVI, 1-2. 130 H. G. Pflaum, op. cit., p. 208-209. 131 J. Gagé, op. cit., p. 110. 132 Tac, Ann., XIII, 18, 2 : «crebra cum amicis secreta habere». 133 Le choix ne peut étonner puisqu'il est déjà celui réalisé par Tibère, sans doute sous l'influence de Thrasylle, comme nous l'avons déjà vu. Nous pouvons donc établir un lien entre Thrasylle et Balbillus et reposer le problème de la filiation de l'un à l'autre que Cichorius, suivi de Cramer et de Mac Mullen, ont acceptée et que J. Gagé, dans l'œuvre citée plus haut, a rejetée. Ce que nous venons de dire pourrait infléchir les opi nions dans un sens positif et favorable à la filiation. D'autant plus que les arguments de J. Gagé sont inégaux; en particul ier, il semble difficile d'admettre l'existence de deux astrolog ies,dont les buts seraient différents. La première ne devrait rien ni à l'Egypte, ni à la Syrie, et aurait été acceptée et absorbée par les milieux helléniques; son action serait modér atrice et serait parfaitement représentée par Thrasylle, adepte du stoïcisme et des philosophies grecques; ne défend it-il pas Tibère contre les «cabales» des rois d'Orient (J. Gagé, op. cit., p. 76). La seconde astrologie serait une version «sémitique ou égyptienne» à caractère royal; Balbil lus en serait le premier représentant à Rome.
Il n'est pas question ici de réaffirmer la filiation directe, par le sang, Thrasylle-Balbillus. Par contre, il est impossible de croire à l'existence de deux astrologies de caractère différent, sinon opposé. En réalité, il y a des Grecs ou des Orientaux d'origine grecque qui pratiquent l'astrologie dont le creuset est l'Egypte et dont les maîtres sont Néchepso et Pétosiris: «Aegyptia ratio, quant Petosiris et Necepsos ostendere» (Plin., N.H., II, 23). Il y a une Egypte des astrologues comme l'a montré F. Cumont et c'est d'elle que viennent toutes les théories. Le fait que ΠΡΟΝΟΙΑ est employé, dans des circonstan ces presque semblables et sous l'influence de deux astrolo guesdifférents, montre bien cette unité. En outre, il est difficile de considérer une astrologie comme n'étant pas « royale »; en effet, le monde des astres est hiérarchisé : il y a les deux luminaires, les planètes bienfaisantes, les malfaisant es. Dans un horoscope, on recherche la planète qui est « maîtresse » d'un lieu ... Il n'y a d'astrologie que royale. Mais, bien entendu, on peut utiliser cette «science» en appuyant plus ou moins sur l'aspect « royal » et il est certain que Balbillus, attiré par l'Egypte et qui y a vécu, y a été plus sensible qu'un Thrasylle qui passa la plus grande partie de sa vie en Occident. Ils pratiquent cependant, l'un et l'autre, la même astrologie qui est synthétisée au IIe siècle par Claude Ptolémée d'Alexandrie.
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III - UN ESSAI ÉTONNANT DE CLAUDE
Un trait est certain maintenant, l'ambiance astrologique dans laquelle Prouidentia ou Pro noia se trouvent habituellement placées depuis l'officialisation de la notion à l'époque de Tibère. Il existe cependant certains documents de cette époque claudienne et néronienne qui posent des problèmes. Nous laisserons ici, sans les comment er plus avant, deux inscriptions de monde gré co-oriental qui, tout en utilisant le mot πρόνοια, ne le font que dans le sens très général que nous lui avons vu donné dans certaines inscriptions de l'époque hellénistique; il ne s'agit ici que du soin apporté par un légat à garantir les privilè gesde pêche et d'utilisation du bois des Istriens135, ou bien de l'Aréopage, du Conseil des Six Cents et du peuple athénien qui honorent l'épimélète de leur cité, Tibérius Claudius Théogénès «pour sa prévoyance»136. Pour notre propos, une inscription du règne de Claude est beaucoup plus importante, non seulement parce qu'elle est la reproduction d'un senatusconsulte, mais aussi parce que la Provi dence qui y est citée est réellement celle de l'empereur régnant. Il s'agit d'une inscription d'Herculanum regroupant deux senatusconsultes, le second du 2 mars 56 faisant une except ion,mais réaffirmant les règles générales émi ses par le premier qui date d'un 22 septembre d'une année entre 44 et 47. Pour bien affirmer
134 A. Alföldi, Insignien und Tracht der römischen Kaiser, dans Die monarchische Repräsentation im römischen Kaiserr eiche, Darmstadt, 1970, p. 236. Nous pouvons d'ailleurs noter, une fois de plus, combien les Memphites dans l'inscription IGRR, I, 1110, ont su bien utiliser le symbolisme monétaire dans leur vocabulaire : il y est question de « ό αγαθός δαίμων της οικουμένης ». 135 SEG, Ι, 329, 1. 29-32 (= Ε. M. Smallwood, Docu ments ... , n° 384) : Πομπώνιος Πεΐος Ίστριανών αρχουσιν [βουλή δήμω χαίρειν]. καί έκ τών γεγραμμένων ύμεΐν ύπό Φλ. [Σαβείνου καί Αίλν-]/ανοΰ ανδρών επισημότατων και έμο[ί τειμιωτάτων ήν άντι]/λ<χβέσθαι ότι ή άσθένια της πόλεως ύμώ[ν προνοίας τυγχάνει·
Nous avons suivi ici les restitutions faites par A. Wilhemm, Anz, Ak. Wien, 1922, p. 36 sq. Mais le mot πρόνοια est placé de façon assez arbitraire; bien d'autres restitutions sont possibles. J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique , p. 210, place cette inscription sous le règne de Néron alors qu'il est plus facile de la dater de 5 1 ; il s'en sert en outre sans signaler la restitution de πρόνοια, pour décréter que «le patronage impérial garantit les droits politiques et économi ques de l'Istrie ». La prudence veut que nous n'utilisions pas cette inscription. 136 OGIS, 428 (= IG, III, 556). L'inscription peut être datée des dix dernières années du règne de Néron.
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re avait déjà employée dans des circonstances semblables. Mais comme il n'y avait jusqu'alors aucun modèle à reproduire et comme le préfet ne pouvait utiliser les types Prouidentia de l'épo que de Tibère à l'image de l'autel parce qu'ils rappelaient la Providence de Tibère, Balbillus innova. Tout d'abord, il souligna bien par l'in scription qu'il s'agissait de la Providence de Néron : ΠΡΟΝ(οια) ΝΕΟΥ ΣΕΒΑΣΤΟΥ, celle qui lui avait permis de ne pas tomber dans le piège qui lui avait été tendu. En second lieu, il employa une représentation qui renforça la pre mière idée : l'Empereur assis, habillé à la grec que, la tête radiée et tenant un globe et un sceptre, c'est-à-dire les symboles du pouvoir. La liaison était aisée à faire entre ΠΡΟΝΟΙΑ et le souverain, entre la Providence et le pouvoir absolu de l'empereur sur l'ensemble de l'uni vers; Néron est le rector orbis, le maître de Γοίκουμένη134. L'empereur, en 59, a repris, à la suite du meurtre d'Agrippine, la notion qui avait été employée par Tibère pour Séjan et par Bal billus dès 56, sans que ce dernier ait eu de l'influence dans ce choix, puisqu'il se trouvait encore en Egypte et qu'« il n'y a rien qui indique qu'il ait été tenu au courant de ce qui se tramait contre Agrippine». Mais Néron n'est pas allé jusqu'à faire émettre des monnaies, dans les ateliers romains, le représentant tel que le mont raient les monnaies alexandrines; le caractère «royal» y était trop prononcé et aurait pu être considéré comme une agression vis-à-vis de l'op inion publique et du sens commun, en Occident tout au moins.
1 - L'inscription d'Herculanum
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que le premier sénatusconsulte est toujours en vigueur, il a été intégralement reproduit sur la table de bronze. C'est son préambule qui nous intéresse plus directement; il contient une allu sion importante à la Providence de l'emper eur137. Au premier abord, le contexte de cette ins cription semble bien différent de ce que nous avons rencontré jusqu'alors; la Providence de Claude semble devoir s'exercer dans un domai ne purement matériel et être la simple garantie de la permanence des bâtiments à Rome et en Italie. Voici un rôle bien terne et terre à terre pour la Providence! Faut-il alors se contenter de dire que, dès lors, elle «appartient à la terminol ogie impériale»138 ou bien que «inhérente au princeps, elle grandit après Tibère»139? Peut-on affirmer qu'une telle rédaction marque un tour nant et débouche sur une idée profondément charismatique de la personne de l'empereur140? Toutes ces interprétations sont nettement insuf fisantes, car elles ne dégagent pas les causes de l'emploi du mot PROVIDENTIA. Or, nous avons vu que la notion n'est jamais employée par hasard ou selon le bon vouloir de tel ou tel, surtout quand il s'agit de celle de l'empereur régnant, encore plus lorsqu'on se trouve face à un document aussi officiel qu'un sénatusconsult e. Nous pouvons voir tout de suite que, si la «Providence du meilleur prince», à première lecture, semble s'appliquer à la décision prise par le sénat, à l'instigation de Claude, pour la protection des édifices, elle ne le fait en réalité que d'une façon détournée. Le vocabulaire employé montre que les termes essentiels qui se rattachent à elle sont, de toute évidence, AETERNITATI et FELICITATI et, accessoirement,
PRAECEPTO AVGVSTISSIMO et EXSEMPLO SVO. À travers une mesure prise à propos d'un problème purement matériel et relevant de la réglementation courante, le sénat en a profité pour faire appel à des notions qui touchaient au problème matériel envisagé, la sauvegarde des bâtiments publics et privés : à l'Éternité de tout ce qui existe à Rome et en Italie est jointe la Félicité. Mais il est peut-être vrai que ces notions peuvent s'appliquer, au même moment, à un problème certainement plus important qui expli querait que l'empereur soit alors choisi comme « modèle » et qu'il faille suivre son exemple et ses prescriptions à qui l'adjectif superlatif AVGVS TISSIMO donne un caractère solennel, sinon sacré.
137 CIL, X, 1, 1401 (= ILS, 6043 et E. M. Smallwood, n° 365). CN HOSIDIO GETA L VAGELLIO COS/X Κ OCTO BERSC/CVM PROVIDENTIA OPTVMI PRINCIPIS TECTIS QVOQVE/VRBIS NOSTRAE ET TOTIVS ITALIAE AETERNITATI PROSPEXERIT QVIBUS/IPSE NON SOLVM PRAE CEPTO AVGVSTISSIMO SET ETIAM EXSEMPLO/SVO PRODESSET CONVENIRETQ FELICITATI SAECVLI INSTANTIS/PRO PORTIONE PVBLICORVM OPERVM ETIAM PRIVATORVM CVSTODIRE Ce sénatusconsulte est habituellement appelé «de aedificiis non diruendis ». En effet, son but est d'empêcher, à Rome et en Italie, les spéculations qui consistaient à détruire des
maisons pour en construire de nouvelles à la place et les vendre avec un fort bénéfice. 138 J. Bérenger, Recherches , p. 212 et n. 266. 139 M. P. Charlesworth, Providentia and Aternitas, dans Harv. Theol. Rev., XXIX, 1936, p. 113. 140 F. Taeger, Charisma, p. 301. 141 Bien que la tendance actuelle, prudente cependant, soit d'attribuer le sénatusconsulte au 22 septembre 45. Dion Cassius note en LX, 20, que Cn. Hosidius Geta a été assez brillant dans la campagne de Bretagne pour recevoir les ornements du triomphe alors qu'il n'avait pas encore été consul.
2 - Les Jeux séculaires A la suite de quels événements l'empereur a-t-il pu donner comme mots d'ordre PROVI DENTIA, AETERNITAS, FELICITAS? En suivant le schéma que nous avons déjà tracé, nous pou vons, dans un premier temps, rechercher la répression d'une conspiration dont les bases auraient été une consultation astrologique sur les destinées de l'empereur. Nous avons vu que le sénatusconsulte a dû être pris entre 44 et 47; en effet, les consuls nommés sont des consuls suffects et aucun autre document ne permet de leur attribuer une année avec précision141. En outre nos sources sont assez avares de rense ignements sur cette période, d'autant que, jusqu'à l'année 47, nous n'avons plus rien de l'œuvre de Tacite. Cependant une conspiration semble pou voir être retenue, celle d'Asinius Gallus et de T. Statilius Taurus Corvinus; Suétone nous dit
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que ces deux petits-fils des orateurs Pollion et Messala, «s'étaient attaché un grand nombre de ses affranchis et de ses esclaves»142; Dion Cassius ne cite que le nom d'Asinius Gallus et ne donne aucun détail particulier sur le déclenche ment et le déroulement de l'affaire143. En tout cas, il est certain que le complot et sa découvert e ont eu lieu en 46, Statilius Corvinus ayant été consul en 45 et n'étant plus mentionné dans aucun document postérieur à 46 (en particulier les actes des arvales, car il faisait partie de la confrérie depuis 33) 144. Mais plusieurs points s'opposent à ce que nous admettions ce complot comme la cause de la PROVIDENTIA de Claude, même si Suétone emploie la même expression pour indiquer les buts du complot, «ad res nouas», que Tacite145 pour la conspiration voulant mettre sur le trône Rubellius Plautus et dont nous avons vu les implications astrologiques, même si la liaison entre Prouidentia et Aeternitas rappelle l'inscrip tion d'Interamna à la suite du complot de Séjan146. Ce sont là des allusions trop ténues pour que nous voyons une recherche astrologi que à la base du complot. En outre, son organi sation ne semble pas avoir été très sérieuse : chez Suétone, il n'est question que d'affranchis et d'esclaves; chez Dion Cassius, les conjurés n'ont réuni ni armée ni argent et, en outre, ont laissé la direction à un homme, Asinius Gallus, ridicule par sa taille et sa laideur. D'ailleurs la fin de la conjuration ne paraît pas avoir été tragique, puisque Asinius Gallus fut simplement condamné à l'exil et que Statilius Corvinus, dont nous n'avons plus trace, ne fut certainement pas exécuté147. La répression, modérée, d'une telle conspira tion ne pouvait justifier l'appel à la Providence et à l'Éternité, encore moins à la Félicité. Il nous
faut chercher dans une autre direction et le libellé même de l'inscription doit nous y conduir e. L'expression felicitati saeculi instantis, la Féli cité du «siècle imminent», doit nous orienter vers le début d'une nouvelle période pour Rome et pour l'Italie. Ce ne peut être dû à la simple interdiction de la destruction d'immeubles dans un but spéculatif. En réalité, c'est une allusion très précise aux fêtes séculaires que Claude a organisées et célébrées durant l'année 47 148. Jeux séculaires traditionnels ou simples fêtes du 800e centenaire de la fondation de Rome? Là même où les auteurs anciens ont beaucoup de mal à se prononcer, J. Gagé a apporté des éclairciss ements très nets et indiscutables149. Claude a vér itablement voulu célébrer des Jeux séculaires, comme Auguste l'avait fait en 17 av. J.-C; les quelques traces de cérémonies conservées, grâce à Tacite {ludi circenses, Indus Troiae), le mont rent clairement. Que cela ait surpris n'a rien d'étonnant150, puisqu'en 47 il n'y avait que soixante-quatre ans que les jeux augustéens avaient été célébrés. C'est que Claude a voulu mêler deux traditions et faire coïncider les jeux séculaires et le huiti ème centenaire de la fondation de YUrbs. L'année 47 devait être considérée par Claude comme une année critique pour Rome, une année pendant laquelle dans un nouvel accord avec les dieux, la Ville devait prendre un nouveau départ dans une nouvelle jeunesse dont l'entente entre l'em pereur et les dieux était la garante. D'ailleurs ce n'est certainement pas un hasard si Claude, cette année-là, prit pour lui-même la censure; elle lui permit de renouveler,de «rajeunir» le sénat et de restaurer les mœurs ancestrales151. Dans ce contexte, l'inscription qui nous inté resse prend une tout autre envergure. C'est un véritable programme pour l'année suivante qui
»« Suét., Ci, XIII, 3. 143 Dion Cass., LX, 27, 5. 144 Sur sa carrière et ses liens de famille, cf. J. Scheid, op. cit., p. 151-155. 145 Tac, Ann., XIII, 19, 3. 146 Cf. n. 10, p. 105. 147 Cf., à ce propos, la discussion dans J. Scheid, op. cit., qui, contre l'avis de Mommsen, pense que, puisque le chef du complot a été seulement exilé, Statilius Taurus n'a pu être condamné à mort. 148 C'est pourquoi nous aurions tendance à dater le séna-
tusconsulte du 22 septembre 46. Le mot instans s'explique bien par la très grande proximité de l'année « séculaire ». Nos sources sur ces jeux sont assez nombreuses : des fragments d'Actes : CIL, VI, 4, 2, 32324 et 32325. Suet., Cl, XXI, 2-3. Tac, Ann., XI, 11, 1-2. Censorinus, De Die Natali, XVII, 11. Aur. Vict, Caes., IV, 14. Zosime, IL 4-5. 149 J. Gagé, Recherches sur les Jeux Séculaires, Paris, 1934, p. 83-89 et 103-104. 150 Suétone, pour ridiculiser Claude, insiste sur cet aspect d'incompréhension moqueuse partout répandu. 151 Tac, Ann., XI, 13, 1.
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est annoncé par elle, le Bonheur et l'Eternité qui sont dus à la Providence de l'empereur qui reçoit d'ailleurs ici le surnom a'Optimus comme Jupiter. Le sénat a habilement rappelé cette décision de célébrer les jeux séculaires; il l'a fait en tête du sénatusconsulte et en le liant fin ement à la décision de protection et de conservat ion des édifices publics et privés. Mais nous devons nous demander pourquoi on a fait ici intervenir Prouidentia. Nous pouvons supposer, sans risque d'erreur, que cela est dû aux calculs astronomiques, sinon astrologiques, auxquels Claude, très savant dans ce domaine, s'est livré, ou a fait se livrer les «sages» compétents, pour arriver au choix décisif pour l'avenir de Rome de l'année 47. 3 - Le Phénix D'ailleurs, Claude a encore renforcé l'aspect ésotérique de la démarche qui l'a conduit à choisir l'année 47. Il a fait intervenir l'oiseau fabuleux, le phénix. Seul Pline l'Ancien nous a gardé la trace de cette innovation, mais nous ne pouvons douter de la réalité du fait : « Cornélius Valérianus a rapporté que le phénix passa en Egypte sous le consulat de Q. Plautius et de Sex. Papinius. Cet oiseau fut apporté à Rome pendant la censure de l'empereur Claude, l'an 800 de Rome, et on l'exposa dans les comices, ce qui est attesté par les Actes, mais personne ne douta que ce fut un faux phénix»152. Incontestable ment, l'apparition de ce phénix en Egypte avait frappé l'opinion à l'époque de Tibère et chacun en avait cherché l'explication. En effet, il ne s'agit pas de l'apparition d'un nouveau phénix, mais de l'utilisation d'un phénix apparu sous le règne de Tibère, en 36 pour Pline et pour Dion Cassius153, mais en 34 pour Tacite qui en profite, d'ailleurs, pour nous présenter le phénix, les légendes qui l'entourent et sa signification154.
152 Plin., NH., X, 2. 153 Dion Cass., LVIII, 27, 1. 154 Tac, Ann., VI, 28, 1-6. 155 Ou bien d'Assyrie, ou bien encore à Héliopolis même, en Egypte, suivant les sources. 156 Sur lesquelles les auteurs de l'Antiquité ne sont pas tous en accord; la période peut évoluer de 500 à 1461 ans.
Nous devons noter que nos trois sources, si elles ne sont pas en accord sur la date, relatent bien le même fait, l'apparition du phénix en Egypte et son passage au-dessus du territoire. Il ne s'agit donc pas encore de la mort du vieux phénix et de la naissance du nouveau, mais c'est l'annonce de cette mort prochaine puisque pas sant au-dessus de l'Egypte, le phénix se dirige certainement vers sa terre natale d'Arabie155 où il va mourir et renaître dans l'instant. La vision du phénix passant était de toute évidence l'a nnonce d'un renouvellement des temps, d'un nou veau départ pour le monde puisque l'oiseau fabuleux meurt et renaît à périodes régulières156. Certains y ont vu l'annonce de la mort de Tibè re;c'est la version qui nous est donnée par Dion Cassius157 avec cette curieuse remarque: «Ει δε τι και τα Αιγύπτια προς τους "Ρωμαίους προσή κει»qui nous indique bien l'origine de cette introduction de l'oiseau légendaire : l'Egypte et l'auteur lie immédiatement à cet événement la mort de Thrasylle. Là encore, dans la publicité donnée à ce survol de l'Egypte et dans l'annonce de cette nouvelle, nous pouvons voir l'interven tion de l'astrologue de Tibère158. Thrasylle prétendait-il annoncer sa propre mort ou bien voulait-il laisser entendre que celle de Tibère allait survenir bientôt? Nous ne pou vons le savoir. Par contre, nous voyons immédia tementle parti que Claude a essayé d'en tirer. Il n'a pu le faire, bien entendu, que grâce à son entourage gréco-oriental et, très certainement, par l'intermédiaire de Ti. Claudius Balbillus qui occupait alors en Egypte un poste de confiance en rapport direct avec les cultes de la province. Puisque chacun avait connu le passage du phé nix en Egypte quelques années plus tôt, il était aisé à Claude de penser, ou de faire croire, qu'il venait seulement de mourir et de se renouveler. Il y avait pour lui plusieurs avantages intéres sants; en particulier, il affirmait aux yeux de tous, et la dépouille du phénix étalée aux comi-
Nous reviendrons plus tard sur ce problème. 157 LVIII, 27, 1. 158 Ce qui pourrait d'ailleurs renforcer l'idée que nous avons émise plus haut, qu'il n'y a qu'une astrologie dans le monde romain et qu'elle trouve sa source quasi-unique en Egypte.
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ces en était la preuve matérielle, qu'une ère nouvelle commençait en cette année 47, sous le signe de l'Éternité et de la Félicité; l'Éternité puisqu'il ne peut y avoir de croyance véritable dans l'existence du phénix que si l'on admet qu'à travers ses renouvellements successifs, il est éternel; Félicité parce que la naissance d'un nou veau phénix est garante de la création d'un nouv el âge d'or159, donc d'une renouatio temporum, gage de bonheur et de quiétude pour tous160. L'intervention de la Providence est la marque de l'heureuse coïncidence entre l'idée séculaire de la tradition quindécemvirale, l'idée séculaire des jubilés de la fondation de Rome et l'idée de renouvellement des temps issue du mythe du phénix161. C'est à l'astrologie qu'on le doit; en effet, le calcul des epiphanies de l'oiseau sacré repose entièrement sur des données planétaires. En Egypte, il est considéré comme l'annonciateur de la période sothiaque puisque les astronomes égyptiens avaient remarqué qu'à périodes régul ières, Sothis, l'étoile la plus brillante du ciel (c'est-à-dire Sirius) se trouvait à l'aube à la même hauteur au-dessus de l'horizon que le Soleil; cette conjonction coïncidait toujours avec le début de la crue du Nil, le 19 juillet julien. Cependant ce lever héliaque de l'astre ne se produit que toutes les 1461 années révolues162. Mais, quels qu'aient été les computs réalisés, l'intervention de l'astrologie et du calcul astr onomique est évidente; c'est ce qui explique que toute cette année 47 soit mise sous le vocable et sous la protection efficace de la Prouidentia Optami principis. En utilisant le même phénix que celui qui
était apparu en Egypte à la fin du règne de Tibère, et dont la dépouille avait été miraculeu sement conservée, Claude a un but bien précis dû au caractère double du symbole que repré sente son passage163 : il peut être le vieux phénix qui va vers la mort, et, dans ce cas il est normal de rapprocher sa présence de la mort de Tibère. Il annonce aussi le nouveau phénix et les temps de rénovation symbolisés par le principat de Claude lui-même. Il est d'ailleurs intéressant de voir que, dans cette perspective, Claude se ratta chedirectement à Tibère, négligeant le règne de Caligula. Certains avaient pu accueillir avec joie l'arrivée au pouvoir du jeune Gaius, mais tous durent vite déchanter. En exposant la dépouille du phénix au centre de Rome, Claude reprenait la même idée à son propre profit; son règne devait marquer le véritable renouveau des temps et le début d'un âge de «félicité»164. De l'importance que Claude a voulu donner à ce phénix, nous avons peut-être une trace matér ielle précise dans une peinture murale de Pompéi165. Dans un ensemble de découvertes faites au cours de l'année 1953 dans la boutique-auber ge d'un certain Euxinus, près de l'amphithéâtre, a été trouvée une peinture murale, à gauche de la porte d'entrée. Le Phénix est au milieu d'ar bustes sur les cîmes desquels, à droite et à gauche, sont perchés deux petits oiseaux; un troisième passe en volant au centre de la compos itionet deux paons face à face ferment la pein ture sur le plan inférieur. Entre le phénix et les paons on lit, en lettres noires : PHOENIX FELIX ET TV. Cette représentation et cette expression augurale sont intéressantes à plus d'un titre et certains ont cherché à lui donner un sens pytha-
159 Au second siècle, le phénix est représenté sur les monnaies à plusieurs reprises et il est très souvent accompa gné des légendes AETERNITAS, ΑΙΩΝ, SAEC AVR, TEMPORVM FELICITAS, nous aurons l'occasion de reparl er de ces types monétaires et des problèmes qu'ils posent. 160 Cf. A. J. Festugière, Le symbole du Phénix et le mysticis me hermétique, dans Fona Eng. Piot, Monuments et Mémoires pubi par l'Acad. Inscr. et Bel. Lett., XXXVIII, 1941, p. 149150. 161 II est à noter que J. Gagé, op. cit., p. 103, n'a vu que les deux premières traditions dans l'instauration des jeux de Claude. Le Phénix introduit la troisième et « égyptianise » astrologiquement l'ensemble. 162 J. Hubaux-M. Leroy, Le mythe du Phénix dans les litt ératures grecque et latine, dans Bull. Tac. Phil. Lett. Univ. Liège,
LXXXII, 1939, p. 17. Nous pouvons noter que dans l'inscription précédemment citée OGIS, 666, les Memphites utilisent la πρόνοια justement à propos des crues du Nil qui ont été bonnes, grâce à Balbillus. 163 Cf. sur ce point R. van den Broek, The Myth of the Phoenix according to Classical and Early Christian Traditions, dans Études préliminaires aux Rei. orient, dans l'Emp. Rom., XXIV, Leiden, 1972, p. 113-116. 164 L'oubli, sans condamnation, dans lequel Claude a voul uque soient tenues les actions de Caligula, s'explique ainsi parfaitement. 165 A. Baldi, Elementi di epigrafia pompeiana, dans Latomus, XXIII, 1964, p. 798-799. AE, 1967, η» 86a.
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goricien166 ou même chrétien, à cause de la présence des paons167. En réalité, il faut aller au plus simple et faire coïncider la confection de cette peinture avec quelque événement import antayant trait au phénix. Deux se présentent à nous : son passage en Egypte sous Tibère, l'expo sition de sa dépouille sous Claude. Baldi a pen ché pour la première solution. Il ne semble pas que ce soit exact; en effet, si cette apparition du phénix en Egypte a eu tant de retentissement, c'est que la mort de Tibère a eu lieu très peu de temps après et que l'opinion publique a rattaché l'un à l'autre. Cela ne paraît pas une excellente circonstan ce pour afficher sa croyance dans le mythe du phénix. Tout au contraire, si nous choisissons le moment où Claude utilise sa légende et le mont re,même mort, ou plutôt justement mort, n'estce pas le moment idéal pour l'utiliser et en faire une adresse à tous ceux qui fréquentent la bouti que-auberge, leur souhaitant de naître à une nouvelle vie, comme le phénix, heureuse, dans la félicité comme Rome elle-même, sous la direc tion«providentielle» de Claude? C'est pourquoi nous devons dater cette peinture et cette ins cription de 47, d'autant que nous retrouvons ici le mot FELIX qui exprime exactement la même idée que le terme FELICITAS que nous avons trouvé dans le sénatusconsulte pris sous le con sulat de Cn. Hosidius Geta et de L. Vagellius168. D'ailleurs, l'important retentissement que Claude a donné à la présence du phénix à Rome transparaît dans les textes qui nous en parlent.
Pline, comme Solin, nous disent bien que le fait a été consigné dans les Actes de la Ville en même temps - pouvons-nous aller jusqu'à dire sur le même plan? - que la censure de Claude: «Captusque anno octingentesimo urbis conditae hissii Claudii principis in coniino publicatus est. Quod gestum, praeter censurant quae manet, actis etiam urbis continetur»169. La corrélation entre les deux faits, phénix et censure, renforce d'ailleurs le caractère que Claude a voulu donner à cette dernière, celui d'un retour aux mœurs traditionnelles, au mos maiorum. En effet, si l'on peut définir avec G. Dumézil le cens comme l'acte qui consiste à «situer un homme ou un acte ou une opinion à sa juste place hiérarchique, avec toutes les con séquences pratiques de cette situation, et cela par une juste estimation publique, par un éloge ou un blâme solennel»170, nous ne pouvons oublier son caractère religieux, sinon magique171 dont le côté moral n'est qu'un aspect. Claude a pratiqué cet examen des mœurs avec persévé rance172 pour que chaque citoyen se conforme aux principes qui maintiennent la pax deorum173. Mais Claude alla plus loin et prit des décisions qui vont parfaitement avec l'esprit de l'année 47 que l'empereur avait voulue début de temps nouveaux pour Rome. L'exemple le plus connu est celui des notables des Trois-Gaules, citoyens romains, que l'empereur veut introduire directe ment,par adlectio, dans le sénat174. C'est bien un esprit nouveau que Claude cherche à faire souf fler sur Rome.
166 A. Baldi dans l'article cité ci-dessus. 167 Ciprotti, Postille sui Cristiani di Pompei e di Ercolano, dans Miscellanea Antonio Piolanti, II, 1964, p. 120. 168 II n'est pas impossible qu'une autre peinture de Pompéi puisse être rapprochée de cet événement. Il s'agit d'une peinture murale du temple d'Isis (Tran Tarn Tinh, Le culte d'Isis à Pompei, Paris, 1964, p. 141-142 et pi. X, 2). L'adorat ion d'Osiris se déroule en présence du phénix perché sur le sarcophage ouvert d'Osiris. Cette curieuse introduction du phénix est peut-être due au retentissement de son exposition à Rome et au sens de renaissance qui lui avait été donné et qui correspondrait si bien au mythe d'Osiris. Cf. aussi, sur cette représentation, R. van den Broek, op. cit., p. 242, n. 4 et pi. IV et V. 169 Solin, XXXIII, 14. Cf. Plin., N.H., X, 2. 170 G. Dumézil, Servius et la fortune, Paris, 1942, p. 188. 171 Cl. Nicolet, Le métier de citoyen dans la Rome
ne, Paris, 1976, p. 86. 172 Suét., CL, XVI. Le passage veut ridiculiser l'empereur qui aurait pris des décisions incohérentes et n'aurait pas su diriger ses enquêteurs. Il est amusant de constater que le même reproche avait été fait à Auguste : Macr., Sat., II, 4, 14. Tac, Ann., XI, 23-25. Dion Cass., LX, 17. 173 G. Piéri, L'histoire du cens jusqu'à la fin de la République Romaine, Paris, 1968, p. 112-113. 174 Ph. Fabia, La Table Claudienne de Lyon, Lyon, 1929 (= ILS, 212 et E. M. Smallwood, n° 369). Nous pouvons noter que l'empereur, au tout début de son discours emploie le verbe proludere (1. 4) : « Equidem primam omnium Ulani cogitationem hominum, quam/maxime primam occursuram mihi prouideo, deprecor, ne/quasi nouam htam rem introduci exhorrescatis, ...» Tac, Ann., XI, 23-25.
CLAUDE ET NÉRON 4 - L'échec de Claude Toutes ces mesures auraient pu être glori fiées par la postérité et laisser à Claude, dans l'histoire de Rome, un grand nom. Curieuse ment, quand nous envisageons l'effort fait par l'empereur, il n'en fut rien. Tout au contraire, l'ensemble de ses décisions fut tourné en déri sion et aucune tradition ne nous présente Clau desous les traits d'un grand empereur. Le fait est d'autant plus frappant que la politique menée par l'empereur sur le plan extérieur venait de porter ses fruits avec le première con quête de Rome depuis Auguste, la Bretagne devenue une nouvelle province en 44. Mais il se trouva en butte à de nombreux obstacles : jamais personne ne put oublier l'homme qu'il avait été avant son accession à l'Empire; on le disait fai ble d'esprit, fragile de santé; il se ridiculisait dans la conversation et dans la vie courante il avait toujours montré une incapacité devenue notoire. Son physique même ne plaidait pas en sa faveur175. A peu près toujours rejeté de la vie officielle, il avait compensé son «oisiveté», son otium, par l'étude et il était devenu un remar quable savant quand un heureux concours de circonstances le conduisit sur le trône. L'incrédulité dans tout ce qu'il pourrait entreprendre était déjà ancrée dans les esprits et chacun attendait, à l'affût. Les décisions prises pour l'année 47 parurent étonnantes et incomp réhensibles. Nos sources sont le net reflet de l'opinion désarçonnée par ses étranges jeux séculaires. Tout le monde se souvenait de ceux d'Auguste en 17 av. J.-C. et voilà que le crieur invitait à des jeux «que nul n'avait vus et ne devait revoir»176! Comment pouvait-on comprend re qu'une simple différence de calcul177 puisse rendre aussi authentiques l'une que l'autre deux cérémonies séparées seulement par soixante-
175 Suét., Cl, II-IX. Cf. la caricature donnée dans X'Apocoloquintose, V 2-3. 176 Suét., Cl, XXI, 5. 177 C'est bien le sens qu'il faut donner au mot qu'emploie Tacite, Ann., XI, 11, 1 (rationes), comme l'a remarqué J. Gagé, op. cit., p. 84, n. 3. L'influence de l'astrologie dans les calculs de Claude peut, sans doute, être trouvée dans l'intervalle de 64 ans qui sépare les deux jeux séculaires, d'Auguste et de Claude. En
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quatre ans? Personne ne pouvait percevoir le comput nouveau, d'autant que Claude n'hésita pas à l'appuyer sur ce ridicule phénix. Là encore, comment croire à la réalité de cette dépouille alors que la mort et la renaissance du phénix se devaient de rester mystérieuses? On savait que, après être né du corps de son père, le jeune phénix ensevelissait son père ou bien brûlait ses restes sur un bûcher. Même s'il se passait quel que temps entre le moment de la mort et le transport du corps sur l'autel du Soleil178, il était difficilement croyable que quelqu'un ait pu se saisir du corps et ait pu le faire parvenir à Rome. Pour les Romains il n'est rien dans cette action qui sonnât juste; nous pouvons d'ailleurs nous étonner qu'un homme, qui montra par ai lleurs de si belles qualités dans la conduite de l'État, ait entrepris aussi légèrement une action qui devait être l'apothéose de son règne et qui se termina par un échec total. Ce qui avait été si mal reçu ne pouvait que disparaître. La tradition a condamné l'entreprise de Claude et J. Gagé a bien montré que ce n'est qu'au IIe siècle, à partir du moment où ont été créées des fêtes du jubilé de Rome, que les jeux de Claude ont été réintroduits179. Mais la postéri té en avait perdu le sens puisque c'est certain ement à Domitien que l'on doit la suppression des jeux de 47 de la liste des jeux séculaires180; c'est lui qui, reprenant le comput augustéen, célébra de nouveaux jeux séculaires. Il se devait, pour la véracité de ses propres jeux, effacer totalement ceux de son prédécesseur Claude. Pour notre propos, les conséquences sont importantes. Les notions que Claude avait voulu imposer à Rome, comme des mots d'ordre, n'eu rent que bien peu de succès, sinon dans l'immé diateproximité des jeux et des cérémonies de 47. Nous en avons un excellent exemple dans la Prouidentia de l'empereur; Tacite nous le conte
effet, dans chaque vie, il y a des âges difficiles. Les âges sont calculés mathématiquement et l'un des plus dangereux est celui de 63 ans (9 χ 7). Claude n'aurait-il pas voulu simple ment«relancer» le cycle séculaire pour lui faire passer ce moment difficile de la 63e année? 178 Tac, Ann., VI, 28, 5. 179 J. Gagé, op. cit., p. 103-104. 180 Ibid., p. 89.
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parfaitement : « Le jour des obsèques (de Claud e), Néron prononça l'éloge funèbre. Tant qu'il vanta l'ancienneté de sa race, les consulats et les triomphes de ses ancêtres, il fut sérieux comme l'auditoire. De même, quand il rappela ses con naissances littéraires, et le fait que, sous son règne, l'État n'avait essuyé aucun échec au dehors, on l'écouta favorablement; quand il en vint à la prouidentia et à la sagesse, personne ne put s'empêcher de rire»181. Nous savons, par Tacite, que le discours avait été composé par Sénèque182; plusieurs explications en sont possi bles. Sénèque a pu utiliser des mots de son vocabulaire habituel; ils avaient pour lui, et en particulier prouidentia, un sens précis sur lequel nous aurons l'occasion de revenir. La présence de sapientia à côté de prouidentia peut nous conduire à admettre cette solution; mais alors nous devons nous demander pourquoi de tels mots ont amené les rires183. La simple compréhension de la psychologie générale d'une assemblée dans un pareil mo ment nous oblige à aller plus loin. Une brève allusion à la «prévoyance», à la «sagesse» du prince mort dans une atmosphère de recueill ement officiel, en public, aurait pu, au mieux, être accueillie par des sourires. D'autant plus que, et Tacite nous le rappelle, tous jusqu'ici avaient approuvé les éloges de Claude faits par Néron. Prouidentia et sapientia auraient très bien pu, simplement, résumer ce qui venait d'être dit, être la synthèse des qualités de Claude. Pour déclencher les rires dans une semblable cérémon ie184,il a fallu que les mots employés par Néron aient une résonance toute particulière, en con tradiction totale avec ce qui venait d'être affi rmé. Avec l'étude qui précède nous pouvons mieux comprendre l'accès d'hilarité qui s'est emparé de l'auditoire. Deux facteurs ont pu la provoquer, car, dans l'esprit de ceux qui écoutaient Néron,
tia se rapportait à deux faits précis. Le premier qui pouvait venir à l'esprit était l'intervention de la providence dans le domaine des conspirations à caractère astrologique; la chose est admise et officialisée depuis Tibère. Or, il ne faut pas l'ou blier, et tout le monde est au courant, Claude vient de mourir empoisonné, victime d'un comp lot mené par Agrippine. Cette providence qui aurait dû protéger Claude n'a pas joué; ses astro logues ont été incapables de déjouer ce dernier complot qui lui a été fatal. Ce premier point pouvait déjà amener le rire, bien qu'il y ait eu une certaine légèreté à le faire dans de telles conditions. Ce rire aurait même pu être i nterprété comme une insulte à l'égard de Néron et, surtout, de sa mère Agrippine, présente aux funérailles et qui avait tout fait pour que soit tenu secret le meurtre de Claude. C'est pourquoi nous devons en déduire que même si les audi teurs ont fait le rapprochement entre le complot et la providence impuissante de Claude, ils n'ont pu exprimer ouvertement, par le rire, leur opi nion. En réalité, le souvenir qui a provoqué les rires ne peut être que celui des jeux séculaires de 47. Comme nous l'avons montré, l'empereur les avait placés sous le vocable de sa propre Prouidentia, à la suite des subtils calculs qui lui avaient permis de choisir l'année 47 pour leur déroulement. Nous avons vu quel échec ils avaient connu, sans doute pas dans le déroule mentdes cérémonies, mais dans le sens que Claude avait voulu leur donner; personne n'avait pris au sérieux ce nouveau départ de Rome dans la Félicité éternelle. À ce moment aussi tout le monde avait ri, et l'avait fait ouvertement185. Il est évident que le rire de l'auditoire de l'éloge funèbre de Claude déclenché par le mot proui dentia est provoqué par le souvenir des rires de l'année 47, quand l'empereur avait voulu placer cette grande année sous ce vocable. Il ne pouvait
181 Tac, Ann., XIII, 3, 1. Il nous faut écarter les avis de ceux qui ne veulent voir dans la divinisation de Claude et les paroles prononcées par Néron qu'une simple moquerie à l'égard de l'empereur défunt (cf. VV. Esslin, Gottkaiser und Kaiser von Gottes Gnaden, p. 30). 182 Ibid., «oratio a Seneca composita». 183 Cf. L. Berlinger, Beiträge zur inoffiziellen Titulatur des
römischen Kaiser, Breslau, 1935, p. 82. Il pense que prouident ia est ici simplement mise sur le même plan que sapientia et est semblable à elle. 184 II ne faut pas oublier que les funérailles sont suivies de l'apothéose: Suét., New, IX, 1. 185 Suét., Cl., XXI, 5 : «Quare uox praeconis irrisa est inuitantis more sollemni ad ludos».
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y avoir matière à offense, même lors de funéraill es solennelles, à rire de cet épisode que chacun, alors, avait considéré comme burlesque186.
parmi ses ascendants et il ne la transmet pas à ses successeurs. Elle doit être chaque fois renouv elée, et elle ne peut l'être que dans des condi tions très particulières qui nous conduisent tou jours à prendre en considération les moyens de IV - «PROVIDENTIA»: RÉALITÉS DE SON divination propres à faire connaître l'avenir du CONTENU prince, en tout premier lieu l'astrologie. Que la providence intervienne lors des comp 1 - Dans l'utilisation impériale lots qui mettent en jeu la vie de l'empereur et donc le destin et la continuité du pouvoir à Nous pouvons maintenant aboutir à quelques Rome ne peut rien avoir d'étonnant. Ainsi se premières conclusions touchant à l'utilisation de comprennent aisément le rôle que Néron lui fait Prouidentia durant ces quelques décennies mar jouer au moins à trois reprises et les séries quées par les règnes des derniers Julio-Claumonétaires alexandrines. Claude a tenté audadiens. Le premier trait frappant, et que nous cieusement d'élargir le champ de la Prouidentia, avons déjà mis en valeur à propos de Tibère, est pour lui donner, en partant certainement des que la providence est individuelle; elle est tou mêmes bases astrologiques, un champ d'activité jours celle de l'empereur régnant ou bien, com plus vaste. Il a échoué dans cette tentative pour me sous Caligula, elle reste celle de l'empereur en faire la notion-clé exprimant le mieux la déci précédent. C'est une manifestation de la souve sion de commencer une ère nouvelle avec les raineté du princeps, mais il ne la doit à personne jeux de 47. Cet échec, qui s'explique surtout par
186 Cet épisode nous permet d'ailleurs deux conclusions sur Tacite et sur Sénèque. Dans un premier temps, nous pouvons affirmer la véracité de Tacite qui sait conserver les idées et les mots importants dans les documents qui servent de base à la construction de ses récits. La Table Claudienne de Lyon l'avait déjà montré. Nous en avons ici une confirmation ; l'emploi du mot prouidentia n'est pas dû au hasard, mais recouvre parfait ement la réalité du moment; nous pouvons être sûr qu'il a été prononcé par Néron. Le second point touche Sénèque. Étant donné l'effet pro duit, nous pouvons nous demander pourquoi il a introduit le mot prouidentia dans le discours écrit pour Néron. Nous ne pouvons trancher; en effet, il peut s'agir d'une inadvertance, puisque prouidentia est un mot de la langue habituelle de Sénèque, qu'il a même écrit un traité sur elle; mais il aurait fallu pour cela que Sénèque ne pense pas à l'effet qu'un tel mot pouvait produire; c'est possible, mais discutable. Par contre, si nous voyons dans Sénèque l'auteur de l'Apocoloquintose du divin Claude, écrite immédiatement après son accession à la divinisation, il serait possible d'y trouver un premier essai de raillerie sous le couvert d'un vocabulaire banal, une espèce de «clin d'œil», bien dans la manière grossière d'un homme qui, comme ses contempor ains, n'avait pas compris les buts de Claude en 47. Nous pouvons aussi remarquer que les premières lignes de l'Apocoloquintose contiennent peut-être une allusion à tous ces événements; en effet, l'auteur présente la mort de Claude comme le début d'un «saeculi felicissimi» que nous pouvons aisément rapprocher de l'expression officielle con tenue dans le sénatusconsulte reproduit à Herculanum,
tas saeculi. Il nous faut aussi ici aborder une nouvelle interprétation du Grand Camée de Paris. H. Jucker, Der Grosse Pariser Kameo. Eine Huldigung an Agrippina, Claudius und Nero, dans Jahrbuch des Deuts. Arch. Inst., XCI, 1976, p. 211-250, voit dans ce Camée un monument à la gloire de la famille impériale (comme, au même moment, l'arc élevé à la suite des succès spectaculaires en Bretagne). Une des figures (n° 8 sur la représentation), celle du côté gauche, assise, à hauteur du groupe central, tenant un uolumen dans sa main gauche, serait Prouidentia. Symbole de sagesse et de prévoyance, elle assure la continuité de la dynastie, en protégeant le jeune Néron qui serait représenté, enfant, devant elle (p. 247-248). La thèse est séduisante et nous pouvons très bien com prendre que Claude ait proclamé, en 51, que la Providence assurait la succession du pouvoir dans un représentant de la maison julio-claudienne, ce qui serait le début d'un nouvel âge d'or. Ce pourrait être alors considéré comme le complé mentnormal des jeux séculaires de 47, véritable début de cet âge d'or. La confection de ce Camée serait en corrélation directe avec l'adoption de Néron par Claude. Mais il y a plusieurs obstacles. Le premier est que nous ne sommes sûrs ni de la date de ce Camée, ni de l'identification des person nages(il suffit de voir le tableau établi par Jucker à partir des propositions faites jusqu'ici). Le deuxième est qu'il ne faut pas, comme le fait l'auteur, s'appuyer sur les exemples postérieurs de Galba ou de Nerva pour aboutir à la désignat ion de la Prouidentia. Enfin, nous ne connaissons à cette date aucune représentation de la Providence; comment aurait-elle été reconnaissable dans cette femme assise? Le problème reste en suspens.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ son voyage en Grèce et sa participation aux grands jeux traditionnels, et la proclamation de la liberté de la Grèce à Corinthe en cette fin d'année 67190. Il n'y aurait pas eu de liberté pour les Grecs si Néron n'avait eu la protection des dieux, cette πρόνοια qui s'est révélée pendant les jeux auxquels il a participé, mais qui l'a toujours suivi. L'expression «δια γης και δια θαλάττης» signifie bien que partout et toujours il bénéficie de cette protection; et Néron y inclut certain ement celle qui lui a permis d'aller en Grèce en lui faisant découvrir et châtier les comploteurs de 66. Car il ne faut pas oublier que son départ a suivi presque immédiatement le dernier de ces complots. Épaminondas, qui a parfaitement comp ris le sens des paroles de Néron191, rétablit le mot πρόνοια. C'est pourquoi, d'ailleurs, nous devons écarter les avis de ceux qui voient dans ces paroles l'expression du cynisme ou de la bêtise; ainsi M. Holleaux: «C'est une sottise que la phrase dévote, où le prince, le plus farouche ment impie qui fut jamais, bénit les dieux de l'Hellade et loue leur providence toujours occu pée de son salut»192. Aucune opinion n'est plus contraire à la réalité; Néron n'est pas impie, il croit à sa Prouidentia qui lui a permis de survi vreet d'assurer la continuité de l'empire, il croit à l'intervention des dieux puisque sa propre providence est issue de la volonté divine visible, en particulier, dans les astres. Dans cette procla mation, l'empereur reste fidèle à la conception de la providence que nous avons cherché à défi nir plus haut. Mais si nous avons délimité le champ d'ac tion de la Providence, si nous en avons tracé les modes d'apparition, il est encore possible de tenter d'en approfondir le sens. Nous avons vu que Sénèque a certainement fait utiliser le mot prouidentia à Néron dans l'éloge funèbre de
187 IG, VII, 2713 (= Ditt., Syli, II3, 814), (= ILS, 8794 et E. M. Small wood, n° 64). Texte, étude et traduction dans M. Holleaux, Discours prononcé par Néron à Corinthe en rendant aux Grecs la liberté, Lyon, 1889 (= Et. d'épigr. et d'hist. grecques, Paris, 1938, I, p. 165-185). 188 L. 21-24: «Και νΰν δε ού δι'ελεον υμάς άλλα δι'εΰνοιαν εύερ-| γετώ, αμείβομαι δε τους θεούς υμών, ών και δια γης καί δια θαλάττης αΐεί μου προνοουμένων πείπείραμαι οτι μοι τηλι^ καΰτα εύεργετεΐν παρέσχον ». 189 L. 35-37 : « αμειβόμενος δέ/καί ευσεβών τους θεούς ημών παριστανομένους/αύτω πάντοτε επί προνοία καί
σωτήρια » 190 Auguste et Néron. Le secret de l'Empire, Paris, 1962, p. 228-230. 191 II connaissait bien Rome et la mentalité romaine. Il avait déjà fait partie d'une ambassade envoyée à Caligula pour le féliciter (cf. IG, VII, 2711 = ILS, 8792 : lettre de Caligul a aux magistrats d'Acraephiae du 19 août 37, 1. 16). 192 Op. cit., p. 18-19. Il n'est pas non plus nécessaire de croire qu'Épaminondas amplifie les paroles de Néron (p. 21). Il ne flatte pas, il constate une réalité, la protection des dieux qui crée la Providence de l'empereur.
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la personnalité de Claude et sa maladresse d'érudit incapable de faire comprendre ses calculs, a conduit Néron à ne garder de Prouidentia que l'aspect que Tibère avait déjà mis en valeur. Cette Prouidentia qui sauve l'empereur et assure la continuité du pouvoir à Rome et dans le monde romain, n'est pas, bien sûr, due à la seule volonté humaine. Puisqu'elle s'exprime par les astres, elle est l'expression du vouloir divin. Pour terminer cette étude, il n'est sans doute pas de meilleurs textes pour exprimer cette idée que le discours prononcé à Corinthe par Néron, le 28 novembre 67, et que le décret voté par la ville d'Acraephiae en l'honneur de l'empereur à la suite des décisions prises et annoncées dans ce discours187. Deux passages nous intéressent directement. Après avoir proclamé la liberté et l'exemption de tribut pour tous les Grecs, Néron s'exprime ainsi : « En ce jour, pourtant ce n'est pas la pitié, c'est l'affection seule qui me fait généreux envers vous. Et je rends grâce à vos dieux, ces dieux dont, sur terre et sur mer, toujours, j'éprouvai la protection vigilante, de m'avoir donné l'occasion d'être si grandement bienfaisant»188. Le second passage intéressant se trouve dans le décret qu'a fait voter un riche habitant d'Acraephiae, Épaminondas, «grand-prêtre per pétuel des Augustes et de Néron Claudius César Auguste ». Il s'exprime en ces termes : « Considé rant que ... il rend grâces et hommages à nos dieux, toujours présents à ses côtés pour le pro téger et le conserver...»189. Épaminondas, dans les considérants du décret, reprend simplement les paroles mêmes de Néron et son vocabulaire : προνοία est l'équivalent du προνοουμένων de Néron. G. Charles Picard a bien montré l'étroite corrélation existant entre les triomphes esthéti queset athlétiques remportés par Néron durant
CLAUDE ET NÉRON Claude; or nous savons qu'une grande partie de son activité intellectuelle a été consacrée à la philosophie et que le stoïcisme a eu une grande influence sur lui; en outre, il a été le précepteur de Néron et son guide dans les premières années de son règne. Il a certainement eu une influence profonde sur son jeune élève et le vocabulaire utilisé par Néron peut en êire une trace. Et si Prouidentia paraît se trouver tout à fait dans la tradition établie par Tibère, encore faut-il essayer de voir si la notion n'a pas pris, grâce à l'influence de Sénèque, un contenu plus ample.
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Choisir Sénèque, dans un premier temps, pour chercher, à travers son œuvre et ses idées, le sens de prouidentia dans cette fin de la pério de julio-claudienne, n'est pas arbitraire. L'hom me est important par le rôle qu'il a joué dans la politique romaine, avec ses hauts et ses bas, apprécié par Tibère, haï par Caligula, négligé et écarté par Claude, admiré et utilisé par Néron, avant d'être définitivement rejeté et poussé au suicide. S'il n'a pas toujours vécu dans l'entoura ge proche des princes de cette époque, il a toujours eu des contacts très étroits avec des membres de leur famille ou des «clans» qui soutenaient leur action. En outre, Sénèque est un intellectuel qui a, dès son jeune âge, été attiré par la recherche philosophique, dans une étude désintéressée, car, comme le dit P. Grimai, «Sé nèque était avide de vie morale»193. Il eut de nombreux maîtres, dont les trois principaux, Sotion, Aitale et Papirius Fabianus, lui inculquèr ent, dans des styles différents, un éclectisme moral d'inspiration stoïcienne. Il n'a d'ailleurs jamais voulu être le représentant exclusif d'une école et il est resté un philosophe indépendant, mais subissant les influences de son époque, les
plus fortes étant celles du stoïcisme. Sur ce plan, nous pouvons dire que Sénèque reprend, en partie, la place tenue par Cicéron près d'un siècle auparavant et que personne n'avait réoccupée jusqu'alors. Mais cela ne veut pas dire que Cicéron a été un modèle pour Sénèque194. Ayant reçu l'éducation rhétorique traditionnelle, il devait avoir lu les plaidoyers et les traités de l'Arpinate, mais il ne lui doit certa inement que peu ce choses; les problèmes philo sophiques posés par Sénèque ne le sont jamais par rapport aux idées de Cicéron195. Ce trait le rend d'ailleurs d'autant plus intéressant pour nous, car il est le meilleur représentant de cette pensée philosophique éclectique de son temps, celle qui regroupe des aspects très divers d'origi ne et de contenu, dans lesquels Cicéron n'est sans doute pas absent, mais où il reste noyé et impersonnellement introduit. Si jamais il est possible d'entrevoir dans les événements l'i nfluence de la pensée philosophique du moment, c'est à Sénèque que nous devons nous adresser. Il a été comme le symbole et le résumé de son temps196. Sa pensée vise à l'essentiel, déterminer l'att itude intérieure de l'homme devant la vie et, à la suite de cette réflexion, régler sa conduite prati que. La philosophie est la vie même et elle consiste à vivre selon la nature qui est le souve rainbien. Dans l'ensemble de ses œuvres la Prouidentia tient une place importante, marquée à la fois par l'existence d'un traité, ou plutôt d'ailleurs un court ouvrage oratoire proche de la « dissertation », sur la Providence, et, d'autre part par les nombreux emplois que fait Sénèque du terme prouidentia dans ses démonstrations197. Il ne le fait jamais au hasard et, peut-être, grâce à lui, pourrons-nous définir, dans une mesure plus proche de la réalité, ce qu'a été la Prouidentia à l'époque de Claude et de Néron et quelle a été l'influence de Sénèque sur son sens et ses emplois.
193 P. Grimai, Sénèque, sa vie, ses œuvres, sa philosophie, Paris, 1957, p. 6. 194 Cf. A. de Bovis, La sagesse de Sénèque, Paris, 1948, p. 20-21; P. Boyancé, Le stoïcisme à Rome, dans Actes du VIIe Congrès Ass. Guil. Budé, (1963), Paris, 1963, p. 246. 195 Cicéron est cité à cinq reprises dans les Lettres à Lucilius et ne sert que de faire-valoir à la doctrine exposée.
Sa pensée n'est jamais discutée. 196 A. J. Festugière-P. Fabre, Le monde gréco-romain au temps de Notre Seigneur, I, Paris, 1935, p. 175. 197 A. L. Motto, Seneca Sourcebook. Guide to the Thought of Lucius Annaeus Seneca, Amsterdam, 1970, p. 48. R. Busa-A. Zampolli, Concordantiae Senecanae, Hildesheim- New York, 2 vol., 1975.
2 - Chez Sénèque
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETE
a) La «Prouidentia» est un bien de l'homme.
par prouidentia, a bien d'autres résultats heu reux : éviter d'être trompé par les choses204, con A plusieurs reprises, Sénèque affirme que la naître la suite des événements, ce que les sens ne peuvent contrairement à la raison205 qui per prouidentia est un bien accordé à l'homme seul : «Itaque prouidentia, maximum bonum condicionis met l'action. En effet, la raison est, à la fois, humanae. . . »198. Ce don lui est fait, tout simple réflexion et action, l'une ne pouvant aller sans ment,parce qu'il possède la raison, la capacité l'autre : «Non ad prouidendum tantum, sed ad res de penser, de réfléchir, d'envisager la meilleure gerendas satis est per se ipsa ratio»206. solution en pesant le pour et le contre : « Nulli Cette action a un but premier, la protection nisi nomini concessa prudentia est, prouidentia, de sa propre personne. Il en est ainsi des Barbar es qui ne savent pas être prévoyants pour euxdiligentia, cogitatio»199. Nous retrouvons là des termes employés par Cicéron dans le même con mêmes et protéger leurs propres vies : les Ger mains qui n'abritent pas leurs corps des rigueurs texte; ils ont ici le même sens : ratio est ce qui détermine la conduite de notre vie et est le du climat de leur patrie207, et ceux qui contemp reflet de l'ensemble des qualités rationnelles de lentles machines de siège sans comprendre l'homme, ce qui le distingue des animaux com qu'elles seront leur perte et le moyen de leur menous le montre Sénèque dans ce même pas servitude208. Il en fut ainsi de Cambyse qui, ne sage. Cogitatio n'est que le complément de cette réfléchissant pas, mais mû seulement par la colè ratio; c'est l'action de réfléchir et il est bon d'y re,voulut aller châtier les Éthiopiens de leur mettre de la diligentia, c'est-à-dire du zèle pour insolence209. Prévoir permet à chacun de mieux appréhender le malheur; il faut penser à la mort assurer sécurité et bien-être200. Cette réflexion est le contraire du désordre de ses proches pour ne pas succomber à la provoqué par l'impulsion violente201. La vie psy douleur le jour fatal210; il faut penser à la souf chologique de chaque individu est ainsi ramenée france pour l'éviter le moment venu et pour à l'adhésion de l'intelligence à un but; ce qui lui atténuer les maux présents211. C'est l'attitude permet d'éviter le désordre impulsif202. Cette qu'ont toujours eue, dans le passé, les hommes psychologie rationaliste croit en la toute-puissan qui ont marqué leur temps, tel Caton212. De ce ce du jugement dans la maîtrise de la vie affecti fait rien ne peut jamais toucher de tels hommes, ve. C'est dans la raison que se trouve le souver ni la vieillesse213, aussi inévitable que la mort ain·bien qui est aussi «infragilis animi rigor et que seul l'exercice de la réflexion peut donner le courage d'affronter avec sérénité puisqu'elle « ne prouidentia, et subtilitas, et sanitas, et libertas, et concordia, et decor»201: la raison de l'homme peut s'éviter, ni se prévoir»214. détermine une ligne de conduite qui doit être Tout le paragraphe XXV du De Vita Beata est suivie et qui conduit à l'harmonie et à la beauté, consacré au triomphe de la prévoyance pour mais qui mène aussi à la libertas, c'est-à-dire ici chacun d'entre nous; Sénèque y montre que la au respect d'autrui qui engendre la propre liber volonté réfléchie peut transformer toute réalité té que chacun possède de réfléchir et d'agir en et la rendre favorable; il y prononce la phraseconnaissance de cause. clé de sa pensée sur ce sujet : «Prouisum est enim L'exercice de la raison, qui peut s'exprimer a me, ne quis mihi ater dies esset»215. Il suffit de
198 Ep., I, 5, 8. 199 De Ira, I, 3, 7. Cf. aussi De Ira, I, 12, 5 (iudicans), I, 17, 2 et Ep., V, 45, 5 (emploi de mens). 200 Cf. supra, p. 50-51 et 54. 201 De Ira, I, 10, 1 : «Ideo numquam adsumet ratio in adiutorium improuidos et uiolentos impetus » 202 P. Grimai, op. cit., p. 51, définit le jugement comme «la traduction à la conscience d'une appréhension comprehensiv e directe de la réalité ». 203 De Vit. Beat., IX, 4. 204 Ep., V, 45, 5.
205 Ep., VII, 66, 35. 206 De Ira, I, 17, 2. 207 Ibid., I, 11,3. 208 De Vit. Beat., XXVI, 3. 209 De Ira, III, 20, 2. 210 Cons. Marc, IX, 2. 211 Ibid., IX, 5. 212 Ep., VIII, 71, 10. 213 De Brev. Vit., IX, 4. 214 Quaest. Nat., VI, 1, 10. 215 De Vit. Beat., XXV, 3.
CLAUDE ET NÉRON
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prévoir pour rendre faste ce qui semble néfaste : être pauvre parmi les pauvres du pont Sublicius n'est pas plus désastreux que d'être opulent dans une maison brillante, où l'or et l'argent sont d'un usage commun, à condition d'avoir forgé son âme à de telles situations; c'est le travail d'une réflexion prévoyante. Mais cette prévoyance n'est pas obligatoir ement égoïste. Elle peut agir au profit des autres; l'homme doit être altruiste216. C'est ce que fai saient, au dire de Posidonius repris et accepté par Sénèque, les sages pendant l'âge d'or : « Horum prudentia, ne quid deesset suis, prouidebat»217. C'est ce que chacun doit faire pour ses parents, ses enfants, ses amis et ses concitoyens, car c'est un devoir: «...ipso officio ducente nolente, iudicantem, prouidentem, non impulsimi et rabidum»218. Nous retrouvons ici tous les te rmes exprimant la volonté réfléchie nécessaire pour bien envisager les conséquences de l'acte entrepris et agir dans le bon sens. Mais, puisque tout le monde n'a pas la volont é nécessaire pour agir avec prévoyance, cette qualité est réservée à ceux qui sont chargés de guider les autres pour leur bien. Par l'exercice de la prévoyance, la raison de l'homme peut avoir Yauctorìtas qui lui permet de diriger en toute connaissance de cause, sans avoir besoin de recourir à la peur, à la colère ou à la cupidité qui sont le propre de l'imprévoyance219. Elle permet de garantir au sage les conditions idéales de vie dans lesquelles il peut le mieux s'expri mer,Yotium à l'écart des affaires publiques qui lui donne Yarbitrium sui temporis220. Dans un passage célèbre du De Ira221, Sénèque fait une allusion à la formation et à l'organisation de l'empire romain; il place son unité sous le signe
de la prévoyance du peuple romain: «Quod hodie esset Imperium, nisi salubris prouidentia uictos permiscuisset uictoribus »? . Ici, Sénèque prêche la transformation de la colère en amitié et l'expérience faite par Rome lui en fournit une prestigieuse et éclatante démonstration222. Le peuple romain a toujours mené une politique cohérente et ordonnée dont le but, exprimé ici par salubris, est la sauvegarde des intérêts de chacun dans le respect des autres, la paix dans un ordre cohérent où tout homme a sa place223. C'est une vue classique, mais il est intéressant d'y voir utilisé le terme prouidentia; il n'est cer tainement pas mis là par hasard, et si son sens profond en rend l'utilisation normale, il n'est pas impossible non plus d'y voir une certaine influence d'événements contemporains. En effet, le De Ira semble avoir été écrit peu de temps après le retour de l'exil de Corse, vers 49 pour les uns, en 51-52 pour les autres224. Ce retour à Rome est dû à l'influence d'Agrippine qui a remplacé Messaline auprès de Claude; mais, assurément, il est bon que Sénèque en soit reconnaissant à l'empereur, d'autant que, dès 49, il est préteur désigné. Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il fasse alors appel, dans l'œuvre qu'il écrit, à l'actualité et cette salubris prouidentia est bien celle que Claude a mise· en valeur dans l'année 47 comme exprimant le mieux son action et sa volonté de marquer le point de départ d'une ère nouvelle225. Sénèque le fait avec prudence, en rattachant la politique de Claude au mouvement général que Rome a suivi dans sa progression territoriale depuis ses origines, en l'incluant dans la destinée harmonieuse de la Ville; mais il emploie bien le mot, comme ne peut le faire que le bon courtisan qu'il est alors redevenu.
216 Cf. la discussion sur le «moi» et «l'autre» dans A. de Bovis, op. cit., p. 118-119. 217 Ep., XIV, 90, 5. 218 De Ira, I, 12, 5. 219 Ibid., I, 10, 1. Cf. aussi Ep., XIX, 105, 3 (pour auctoritas). 220 Ep., XII, 73, 10. 221 De Ira, II, 34, 4. 222 M. T. Griffin, Seneca, a philosopher in Politics, Oxford, 1976, p. 250. 223 J. M. André, Sénèque et l'impérialisme romain, dans « L'idéologie de l'impérialisme romain » (coll. de L'Univ. de
Dijon), Paris, 1974, p. 22-23. Nous sommes ici plus près du discours de Claude pour l'introduction des Gaulois aux honneurs que de la diatribe de l'Apocoloquintose contre le princeps qui a voulu voir en toge les Grecs, les Gaulois, les Espagnols. 224 E. Paratore, La letteratura latina dell'età imperiale, Flo rence, 1969, p. 43, en 49. M. T. Griffin, op. cit., p. 250 et 396 : 51-52. 225 C'est pourquoi nous pensons que l'œuvre a été écrite immédiatement au retour d'exil et peut donc être datée de l'année 49.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
La providence est une qualité fondamentale de celui qui guide et dirige parce qu'elle est un apanage du sage et que le chef doit être un sage. C'est ce qui tranparaît dans le De Clementia qui a pu être appelé le «catéchisme de Sénèque à Néron»226 et qui se présente comme un recueil de principes qui doivent orienter l'action du jeune princeps. La prévoyance fait partie de ses préceptes: «Adice, quod sapiens prouidet et in expedito consilium habet»121. L'empereur est l'âme de l'État comme l'État est le corps de l'empereur. Son action doit tou jours être rationnelle, car le prince est un modèl e pour tous ; il doit donc s'élever au-dessus de lui-même et devenir un sage; il doit avoir la connaissance (sapiens) et en tirer des règles de vie et de gouvernement par le consilium. Le sage et le prince se confondent dans l'homme de bien qu'a deux reprises Sénèque décrit et à qui aussi, à deux reprises, il accorde la qualité exprimée par prouidentia. Nous devons citer les extraits de ces deux lettres à Lucilius, car le vocabulaire employé par Sénèque, en rapport avec la notion qui nous intéresse, est important. Dans la première de ces lettres, il fait la description des beautés de l'âme de l'homme de bien : «Si nobis animum boni uiri liceret inspicere, ο quam pulchram faciem, quam sanctam, quant ex magnifico placidoque fulgentem uideremus, hinc iustitia, Mine fortitudine, hinc temperantia prudentiaque lucentibus! Praeter has, frugalitas, et continentia, et tolerantia, et liberalitas comitasque, et (quis credat?) in homine rarum humanitas bonum, splendorem Uli suum adfunderent! Tune prouident ia, cum elegantia, et ex istis magnanimitas eminentissima, quantum, Di boni, decoris Uli, quan tumponderis grauitatisque adderent! Quanta esset cum gratia auctoritas!»228. La seconde lettre étu die le problème de la connaissance du bien: « Intelleximus in ilio perfectam esse uirtutem. Hanc in partes diuisimus : oportebat cupiditates refrenari, metus comprimi, facienda prouideri, reddenda distribuì: comprehendimus temperantiam, fortitu-
dinem, prudentiarn, iustitiam et suum cuique dedimus officium »229 . La prouidentia est un élément essentiel de l'homme de bien puisqu'elle donne Yauctoritas qui permet de diriger, et la grauitas qui, comme chez Cicéron230, est un élément de la magnanimit é, mais aussi la dignité dans le maintien et le pouvoir de convaincre, tout aussi nécessaires au chef. Nous retrouvons d'ailleurs ici, dans les deux textes, les quatre vertus cardinales de l'homme : iustitia, fortitudo, temperantia, prudentia qui forment la uirtus proprement dite, c'està-dire l'ensemble des qualités personnelles de l'individu et l'excellence de ses facultés ration nelles. Pour les autres caractéristiques de l'hom mede bien, il en est une sur laquelle nous pouvons mettre l'accent, Yhumanitas. Sénèque, jouant sur les mots, nous indique que, malgré son nom, c'est une des qualités les plus rares chez les hommes, et donc que c'en est une des plus importantes. Nous avons aussi, à propos de Cicéron231, relevé les sens a'humanitas', nous avons vu que, chez l'Arpinate, il ne s'agissait que d'une notion sans grand relief, perdue parmi les autres. Par contre, Sénèque lui donne une place de choix et il fait de cette estime que nous devons avoir pour tous les hommes un fonde ment de son attitude philosophique et la conduit e de sa propre vie. Cette action en faveur des hommes est réglée par la raison, donc par la providence, et elle s'adresse elle-même à des êtres raisonnables, dans l'harmonie232. Elle s'e xprime par la tolerantia et la continentia, toutes deux toujours nécessaires au respect d'autrui. Enfin cette providence humaine a un but, la bienfaisance. L'homme de bien ne peut l'éviter, car «à l'homme de bien, il est impossible de ne point faire ce qu'il fait, car il ne sera plus hom mede bien, s'il ne le fait»233. Le bien en l'homme et le bien qu'il fait autour de lui sont intimement et définitivement liés. Cet homme est obligé d'agir, car l'événement prouve sa «bonté provi dentielle en ceci même qu'il advient»234. Son
226 J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique , p. 231. E. Cizek, L'époque de Néron et ses controverses idéologi ques, Leiden, 1972, p. 103, voit dans ce traité le plus import anttémoignage de l'idéologie politique de Sénèque, partisan d'un «despotisme philosophique», dans lequel le monarque respecte les intérêts de ses sujets. 227 De Clem., II, 4 (= II, 6, 1).
228 Ep., XIX, 115,3. 229£p., XX, 120, 11. 230 Cf. supra, p. 55. 231 Cf. supra, p. 58. 232 Cf. P. Grimai, op. cit., p. 54-55. ™De Benef.. VI, 21, 2. 234 V. Goldschmidt, Le système stoïcien et l'idée de temps, 2e éd., Paris, 1969, p. 109.
CLAUDE ET NÉRON action conduit inéluctablement à ce qu'il y a de meilleur : le repos de l'âme et son élévation dans la sécurité, car elle ne sera plus aux prises avec les terreurs, dans la joie immense et immuable, la douceur, l'épanouissement intérieur235. Le bienfait est-il mal reçu qu'il faut recommencer dans la même voie : « La grandeur d'âme consis te à le (le bien) voir perdu et à le faire encor e»236. La prouidentia est intimement associée à cette action, elle en fait intimement partie; elle est un des moyens essentiels qui permettent l'accès de tous au bonheur qui peut être aussi bien celui des sujets des sages pendant l'âge d'or237, que celui des sages eux-mêmes à qui est garantie l'absence d'occupations publiques238, ou bien encore que la fidélité des peuples regrou pésdans l'empire sous la domination de Rome239. L'existence en l'homme de cette providence est indéniable; elle lui donne une supériorité considérable sur tout ce qui existe dans le mond e,puisqu'elle permet de considérer l'univers dans sa plénitude et de le comprendre. Mais une telle faculté, tout humaine qu'elle soit, ne peut être que le reflet d'une des vertus divines.
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Comment refuser à Dieu ce qu'on reconnaît chez l'individu, chez l'homme: «sunt qui putent, ipsis animum esse, et quidem prouidum dispensantem singula, et sua, et aliena, hoc autem uniuersum, in quo nos quoque sumus, expers consilii; ferri temeritate quadam, aut natura nesciente quid faciat»2*0. C'est un problème que Sénèque n'est pas le premier à poser, mais qu'il résout résolu mentdans un sens positif; l'existence de Dieu est indéniable. Nous retrouvons ici le stoïcisme le plus pur et, à plusieurs reprises, comme l'aurait
fait un stoïcien des premiers temps, il nous mont requ'il faut confondre Dieu et la Providence : «... sed eundem quem nos, Iouem intelle· gunt . . . cui nomen omne conuenit. Vis illum fatum uocare . . . Vis illum prouidentiam dicere . . . Vis illum naturam uocare . . . Vis illum uocar emundum ... ; ipse enim est hoc quod uides totum»241. À plusieurs reprises, Sénèque reprend cette idée : il y a une Providence divine qui est un des noms que nous donnons à Dieu242 qui est créa teur et ordonnateur du monde243, en particulier des vents si bien distribués entre les différentes parties de la terre244. La Providence est la cause unique d'où tout découle; elle gouverne dans le monde qu'elle a créé. Elle gouverne aussi, et c'en est la conséquence inéluctable, les hommes qui vivent dans ce monde et qu'elle a aussi créés, en toute connaissance de cause; car ne peuvent être issus d'un principe provident que des êtres euxmêmes providents et donc issus de la réflexion. L'homme n'a pas été fait par inadvertance245 et la Providence agit toujours pour le mieux; un homme comme Démétrius, le philosophe cyni que que Sénèque a sans doute connu pendant le règne de Caligula, en est la preuve la plus écla tante246. Après les avoir créés, la Providence con tinue à s'occuper du monde et des hommes; il faut que le monde se développe sans encombre et qu'il exécute ses fonctions247 et il ne le peut que grâce à elle. Bien qu'il soit mortel, comme tout ce qui existe, que des dangers le menacent continuellement, le monde est toujours prolongé grâce à l'intervention de la vigilante providenc e248. Il est vrai que les dieux connaissent toutes les destinées; rien pour eux n'est fortuit et ils peu vent ainsi agir sur la vie de chacun249. La provi dence est au service des hommes et leur donne
235 De Vit. Beat., III, 4. 236 De Benef., VII, 32. 237 Ep., XIV, 90, 5. 238 Ep., XII, 73, 10. 239 De Ira, II, 34, 4. Si un homme refuse ce qu'on lui donne, il faut le provo querpar d'autres bienfaits. 240 Q. Ν., I, prologiis, 15. 241 Ο. Μ, Π, 45, 1-3. 242 Ep., lì, 16, 6 «Si prouidentia in imperio est». Q. N., V, 18, 5.
243 Ibid. : « Non in hoc prouidentia, ac dispositor Me mundi Deus». Cf. De Benef., VI, 23, 3 et VII, 3, 2. 244 Ο. Ν., V, 18, 1. 245 De Benef., VI, 23, 5 : « (natura) cogitami ». 246 De Benef., VII, 8, 3 : « Huic non dubito, quin prouidentia et talem uitam, et talem dicendi facultatem dederit, ne aut exemplum saeculo nostro, aut conuicium deesset». Cf. M. T. Griffin, op. cit., p. 311. 247 Q. M, II, 45, 2. 248 Ep., 58, 27-29. 249 De Benef., IV, 32, 1.
b) La «Prouidentia» est qualité divine.
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tous les bienfaits possibles, non seulement en pourvoyant à leurs besoins immédiats, mais auss ien leur donnant le superflu: «neque enim necessitatibus tantummodo nostris prouisum est; usque in delicias amamur»250. La providence, dans ses bienfaits pour l'homme, est inépuisable et celui qui croit avoir tout perdu recevra des compensations multiples; c'est le cas de Polybe251. À travers les événements qui nous sem blent les plus contraires à la raison, au bon sens, à la justice même, il y a toujours l'action de la providence. Comment a-t-elle pu placer Arrhidée sur le trône? C'est, répond Sénèque, que le trône fut, en réalité, donné à son père et à son frère252. Le fait brut a effacé le vrai but de la providence qui fait les maîtres, les chefs, les rois et sait les choisir bons. C'est pourquoi la Providence doit être con nue des hommes s'ils veulent retrouver leur chemin dans les ténèbres qu'ils se sont euxmêmes créées, c'est-à-dire s'ils veulent choisir le bien et le profitable. «Mais il y a un moyen de recouvrer la clarté si nous voulons, c'est en acquérant une connaissance parfaite des choses divines et humaines, en les repassant dans notre esprit, en examinant ce qui est bon, ce qui est mauvais, ce qui en porte le nom à faux, et en recherchant toutes les choses qui concernent la vertu, le vice et l'ordre de la providence»253. Cette connaissance, dont les moyens sont multip les, doit permettre d'éviter de porter de mauv aisjugements sur les dieux et leur providence comme on pourrait le faire si l'on se contentait des apparences : les malheurs qui arrivent aux hommes justes, la brièveté de notre vie, autant d'obstacles à la «vie heureuse»254, alors que la perfection de la vie heureuse doit être soustraite aux aléas quotidiens et au problème du temps255. Sénèque se présente comme un défenseur des dieux et de leur providence et il a prononcé un plaidoyer sur ce sujet, le De Providentiel256. Le
250 Ibid., IV, 5, 1. 251 Cons. Polyb., XVIII, 3. 252 De Benef., IV, 31, 1. 253 Ep., XIX, 110, 8. 254 Ep., VIII, 74, 10. 255 Ep., XVII, 101, 7-8. V. Goldschmidt, op. cit., p. 205-206.
problème est posé d'entrée de jeu : « Tu m'as demandé, Lucilius, pourquoi, si le monde est régi par une Providence, tant de maux arrivent aux hommes de bien»257. Le problème de l'exi stence même de la Providence n'est pas posé car Lucilius est censé ne pas en discuter, mais sim plement se plaindre d'elle. Sénèque défend l'image d'un univers organisé, dominé par un Dieu-Providence, bon pour les hommes. Mais dans le monde rien n'est fortuit, tout obéit à une loi fixée pour l'éternité par laquelle les mal heurs, ou plutôt ce que nous appelons «mal heurs», car pour l'homme vertueux ces événe ments ne peuvent être appelés ainsi, sont utiles à l'homme. Il n'y a pas de Providence «méchant e», «calamitas uirtutis occasio est»258 car le sage doit toujours s'adapter aux événements; mieux même, il doit, de sa propre volonté, adhérer pleinement à eux; il montre son accord avec ce qui est fixé et intangible et qui est nécessair ement bon. En effet, Dieu endurcit, éprouve, per sécute ceux qu'il estime et qu'il veut rendre parfaits259. Il est, dans ce domaine précis, recta ratio. Mais, dans les difficultés de la vie quotidienn e, au milieu des obstacles qui jonchent la route de chaque homme durant sa vie, comment reconnaître la Providence, comment savoir qu'elle existe et qu'elle agit? La réponse donnée par Sénèque est celle de la plupart des stoïciens jusqu'alors : l'ordre manifeste qui règne à travers le monde et, tout particulièrement, celui du ciel : « II est pour l'instant superflu d'établir qu'une si vaste machine ne subsiste pas sans un gardien qui la protège; que les mouvements qui rappro chentet éloignent les astres les uns des autres ne sont pas accidentels; . ..que cette grande révolution dans laquelle sont entraînées sans un heurt . . . tant d'étoiles étincelantes dont chacune brille à son rang, obéit à une Loi éternelle»260. La même nécessité qui préside aux révolutions des corps célestes détermine les événements de
256 Cf. P. Grimai, La composition dans les «Dialogues» de Sénèque. IL Le «De Providentiel» dans REA, LU, 1950, p. 239. 257 De Prov., I, 1. 258 Ibid., IV, 6. 259 Ibid., IV, 7. 260 Ibid., I, 2.
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la vie humaine; la connaissance scientifique, mathématique de ces mouvements permet de comprendre tout ce qui arrive dans le monde, sans d'ailleurs pouvoir le modifier261. Comme le dit V. Goldschmidt, «le monde du devenir et, surtout, du devenir humain, est ainsi investi de la régularité rationnelle des mouvements as traux»262. Comme la Providence veille aussi bien sur ces révolutions astrales que sur la vie de chaque homme, que tout dans l'univers est lié intimement, Sénèque n'hésite pas à approuver l'astrologie : « Les destins sont nos maîtres et la durée de notre vie est arrêtée dès la première heure de notre naissance. Les causes engendrent leurs effets; un perpétuel enchaînement détermi ne les événements particuliers et géné raux. . . Les choses ne sont pas, comme nous nous le figurons, des hasards, mais des résul tats»263. L'allusion à l'heure de la naissance est, évidemment, la marque de la croyance en la recherche de la destinée par l'observation du ciel au moment, hora, où l'enfant paraît au jour. L'astrologie est ainsi parfaitement justifiée et elle n'est même plus discutée; l'accord avec la providence et avec son propre destin réclame la connaissance de son horoscope, de son thème de geniture. Bien d'autres avaient évoqué ce problè me, nous l'avons vu plus haut, mais ils l'avaient toujours fait avec une certaine prudence qui n'est plus de mise dorénavant264. Providence et astrologie sont liées l'une à l'autre, la seconde étant le meilleur moyen, sinon le plus facile, de prouver l'existence de la première. Il ne faut pas oublier que Sénèque représente parfaitement la pensée de son temps, sans gran deoriginalité, mais avec une parfaite précision. C'est pourquoi sa conception de la Providence n'est pas indifférente. L'œuvre, si déconcertante par ailleurs, de Lucain, La Pharsale, nous offre
les mêmes tendances. Partout est présente l'idée de Destin qui fait pressentir le stoïcien; le neveu de Sénèque croit à la rationalité du monde phy sique et son univers est régi par une loi suprê me,un principe ordonnateur (qu'il appelle le plus souvent Jupiter) qui a fixé l'histoire du monde dans un ordre inaltérable265, qui reste éternellement et à jamais en place pour le bien de ce monde. Cela peut paraître paradoxal alors que l'œuvre veut démontrer qu'il n'y a pas de croissance indéfinie, que le Destin a choisi d'anéantir Rome et que la guerre civile est le prix dû par les Romains pour les fautes qu'ils ont commises266. Mais ce pessimisme ne signifie pas la négation par l'auteur du caractère provi dentiel du Destin267; le plan élaboré par le Dest in pour abaisser les Romains est juste, car la prospérité romaine était une anomalie dans le monde. Mais les hommes restent libres et autonomes dans leur action; ils sont responsables de la formation des événements; la puissance contrai gnante du Destin laisse un large champ à la volonté humaine, mais encore faut-il que chaque homme comprenne ce que veut le Destin et y adhère, comme le fait Caton, l'homme vertueux par excellence. Il s'est rendu compte que la république était perdue, mais il accepte l'arrêt divin, il adhère à l'ordre de la Providence268, sans se résigner et sans être infidèle à ses idées269. D'ailleurs, dans cette optique, se comp rendrait peut-être mieux le curieux éloge de Néron que Lucain a placé dans les premiers vers de la Pharsale110', sa venue au pouvoir a été prévue par les destins et il est une des consé quences obligées des guerres civiles. Cela ne lui enlève en rien son caractère providentiel, d'abord en tant qu'inspirateur du poète luimême qui trouve en lui l'élan poétique (qui ne
261 Ep., XI, 88, 15-16. 262 Op. cit., p. 188. 263 De Prov., V, 7. Cf. D. Amand, Fatalisme et liberté dans l'antiquité grecque, 2e éd., Amsterdam, 1973, p. 19, n. 3. 264 L'étroite liaison entre les astres et la providence se retrouve chez Diodore de Sicile, II, 29; chez Strabon, X, 3, 23 : «... κατά την αυτήν αίτίαν, καθ' ην και ουράνιους νομίζουσι τους θεούς και προνοητικούς των τε άλλων και τών προσημασιών. » Chez Valère-Maxime aussi, 1, 5, 1, où observation des présa geset Providence divine vont de pair. 265 B. M. Marti, The Meaning of the Pharsalia, dans Amer.
Journ. of Philoi, LXVI, 1945, p. 356. 266 Phars., II, 304-305 et 312-313. 267 J. Brisset, Les idées politiques de Lucain, Paris, 1964, p. 51-78. 268 Sans que Lucain emploie jamais le mot prouidentia, à cause des exigences de la métrique. Mais l'idée est bien la même. Les utilisations du verbe ou des adjectifs dérivés sont très rares: Phars., III, 71: «Haec ubi siint prouisa duci» (César) ; Phars., IX, 328 : « Omnia si quis/Prouidus ... ». 269 A. Michel, La philosophie politique à Rome d'Auguste à Marc-Aurèle, Paris, 1969, p. 211-212. 270 Phars., I, 33-66.
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peut venir, que d'un être divin), et, parce que, après sa mort, et parce qu'il a su suivre toute sa vie les arrêts du destin, il sera le protecteur de Rome dans la paix. Il ne faut pas voir dans ce passage une ironie mordante et provocatrice271. Néron suit les destins, adhère à leur programme, fait partie de leur plan; mais cela ne peut éviter la décadence de Rome, car « rien d'élevé ne reste longtemps debout» et, un jour, les liens du mon dese briseront et tout retournera vers l'antique chaos. Néron agit suivant la Providence, même si cela n'est pas appréciable par les hommes, au jour le jour. 3 - Chez Philon d'Alexandrie Un autre écrivain de cette époque est encore plus intéressant pour notre propos; n'a-t-il pas écrit deux livres De Prouidentia? Il s'agit de Philon d'Alexandrie272. Le milieu dans lequel il a vécu est très éloigné de l'univers romain, tout au moins au premier abord. En effet, Philon est un juif, d'Alexandrie, de famille aisée liée à celle des Hérodes et sans doute originaire de Palestine. Né vers 13 av. J.-C, il reçut une éducation comp lète dont la Bible resta la source essentielle. Sa vie fut en grande partie consacrée à commenter la Loi. Mais il a voulu aussi être un philosophe et le milieu alexandrin lui a fourni d'excellents maîtres; il est particulièrement ouvert à la cultu re hellénique qui règne en maîtresse à Alexan drie à travers les courants les plus divers : stoï cisme, platonisme éclectique, aristotélisme. Son œuvre est le reflet de ces diverses influences et elle ne peut nous laisser indifférent étant donné l'origine géographique de l'auteur, cette Egypte dont nous avons déjà relevé l'importance dans toutes les apparitions officielles de Prouidentia. Nous retrouvons dans les deux traités De
271 P. Grimai, L'éloge de Néron... est-il ironique?, dans REL, XXXVIII, 1960, p. 296. 272 S'il est possible d'attribuer au même Philon la Legatio ad Gaium, le Contra Flaccum et, d'un autre côté, les œuvres philosophiques comme le De Prouidentia. Cf. les remarques de M. Hadas-Lebel dans son édition du De Prouidentia, Paris, 1973, p. 45-46. 273 1, 33; II, 55-58. 274 I, 45 : «Prouidentia, illa uniuersi mundi anima». 275 1, 66 : « Prouidentiae siquidem proprium est curam gerere
Prouidentia les grands thèmes déjà abordés chez les auteurs précédents. Nous n'entrerons pas dans le détail, car le texte intégral de ces œuvres serait à donner, mais nous insisterons sur cer tains points importants qui coïncident étroit ement avec les traits de la Providence déjà décrits. C'est à elle que nous devons la création de toutes choses et l'ordre du monde tel que nous le percevons dans son immuable enchaîne ment273et dans son écoulement, car c'est elle aussi qui le meut; elle est l'âme de l'univers tout entier274. Elle prend soin de chaque homme sur la terre275, car en chaque homme existe la provi dence qui est gouvernement de l'esprit sur le corps276; elle protège les hommes dans leur vie quotidienne277; elle est toujours juste et ne peut se tromper, même quand il semble qu'un hom mede bien est frappé par le malheur ou qu'un impie est heureux278. En outre, la Providence est éducatrice; elle apporte aux hommes la connais sance;sans elle, il ne peut y avoir appréhension de la réalité, compréhension et invention; il ne peut alors exister aucun art279. Tous ces argu ments, l'ensemble de cette démonstration, por tent la trace profonde de l'influence stoïcienne et la conception du sage que Philon nous présent e est semblable à l'idéal stoïcien et au sage tel que Sénèque le concevait : « Ο sapiens, unde habes uirtutis et prudentiae facultatem, quum quae te genuit natura, insipiens est, et uniuersalis proui dentia nulla est?»280. Mais il existe un point important qui n'est pas dans le ton ordinaire de la pensée de son époque. Philon repousse l'astrologie et toute recherche sur la vie des hommes à partir des astres; il ne peut y avoir de fatalisme astral et Philon le démontre à l'aide de nombreux argu ments281 : le déterminisme astral est destructeur de la morale, il ne tient pas compte des faits et,
singulorum ». 276 1, 25-28. L'homme est « prévoyant » parce qu'il existe une providence divine. 277 1, 46-47. 278 1, 30; 34; 56; 61-62. II, 3-11. 279 1, 32; 46. 280 I, 71. Cf. J. Daniélou, Philon d'Alexandrie, Paris, 1958, p. 68-69. 281 1, 77-88.
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en particulier, il est incapable de connaître avec précision le moment de la conception, ce qui empêche tout calcul précis282. Il nie toute res ponsabilité et, par là, toute liberté à l'homme. Philon ne peut l'accepter, puisque la liberté de l'homme est expressément revendiquée par lui, et pas seulement dans le De Prouidentia. Mais son attitude, à ce sujet, reste en réalité très ambiguë; en effet, il traite avec une grande bien veillance l'astronomie et lui laisse un grand rôle; les astres sont des êtres divins, des dieux visibles et manifestes et ils sont, dans leurs évolutions, l'image de l'ordre divin voulu par le Démiurge283. Comme D. Amand l'a bien remarqué, « il semble l'avoir connue et même goûtée»284. Cette attitu deambiguë peut s'expliquer par les origines juives de Philon, car son judaïsme, sa foi monot héiste profonde le poussent à proscrire l'astro logie; plus sûrement peut-être y verrions-nous l'attraction de la Nouvelle Académie ou bien même, à l'intérieur du stoïcisme, de Panétius qui refusait la doctrine traditionnelle de la Stoa sur ce point. Mais, quelle que soit l'origine de sa réflexion anti-astrologique à propos de la Provi dence, Philon est bien le reflet de la pensée philosophique de son temps dont la doctrine stoïcienne fournit l'armature dans ce milieu alexandrin où il a fait ses études et où il a vécu. Il est bien sûr possible de dire, comme le fait toute la tradition philosophique, que ce traité De Prouidentia n'a aucune originalité, qu'il soit écrit de jeunesse et donc simples «cahiers de notes», ou bien œuvre de la maturité comme on l'admet plus généralement maintenant285, et qu'il est le reflet d'un monde purement livresque et inac tuel286. On peut toujours penser, en effet, que parmi les études successives portant De Aeternitate mundi, De opificio mundi, De incorruptibilita-
te mundi, . . . Philon ait traité, normalement de la Providence qu'il côtoyait à chaque pas de sa démarche philosophique287. Mais nous ne pouvons oublier que Philon a joué un rôle politique durant sa vie et qu'il a été le chef de la délégation des Juifs d'Alexandrie envoyée à Rome, auprès de Caligula, pour plai der la cause de leurs coreligionnaires massacrés et terrorisés par les Grecs du grand port égyp tien (en 38). Cette position eminente qui lui est alors accordée traduit l'autorité dont il jouissait à Alexandrie; elle était due à l'importance social e de sa famille, à sa culture et à son rayonne ment intellectuel, à sa connaissance de la polit iqueromaine et de son monde si difficilement penetrable. C'est la marque d'un homme qui n'est jamais resté à l'écart de la vie de son temps. Nous savons par ailleurs que Philon accepte l'empire romain et qu'il se sent bien à sa place dans cette cité à l'échelle du monde. En outre, dans le deuxième traité De Proui dentia, Philon a un interlocuteur qui est là pour présenter des objections; il s'agit du jeune Alexandre. Il semble bien qu'il faille voir dans ce jeune homme le même interlocuteur que dans le De Animalibus, c'est-à-dire le neveu même de Philon, dont la carrière postérieure est très bril lante; après avoir apostasie288, ce Juif est devenu épistratège de Syrie en 41, procurateur de Judée en 45, préfet d'Egypte de 66 à 69 et il se trouve avec Titus, en 70, à la prise de Jérusalem. Nous retrouverons ce Tiberius Julius Alexander un peu plus tard; pour l'instant il n'est qu'un audi teur attentif et un faire-valoir, par ses questions judicieuses, de Philon lui-même. Si l'identifica tion est juste289, encore faut-il trouver une expli cation à ce dialogue. On peut y déceler, comme M. Hadas-Lebel290,
282 Sur ces points, cf. D. Amand, op. cit., p. 84-90. M. Ha op. cit., p. 88-89. 283 II, 70-75. En 74: «Numerus autem planetarum prodest uniuerso : uerum hominum est otio praeditorum dinumerare singulorum utilitatem ». Cf. E. Bréhier, Les idées philosophi ques et religieuses de Philon d'Alexandrie, Paris, 1935, p. 167168. 284 Op. cit., p. 88-89. Il cite de nombreux passages d'autres œuvres de Philon où ce dernier se présente en parfait adepte des conceptions astrologiques classiques, allant jusqu'à reconnaître la sympathie universelle et sa conséquence, la connaissance à l'avance des événements terrestres par l'o bservation des corps célestes.
285 Cf. les divers arguments résumés dans M. Hadas-Lebel, op. cit., p. 38-40. ™ Ibid., p. 116-117. 287 Ainsi De incorr. mundi, 235, 13 Β (= SVF, II, p. 187, 13) : «... καί τη προνοίρ, ψυχή. δ'έστι τοϋ κόσμου· » 288 Flavius Josep., Ant. Jud., XX, 100; sur sa carrière: Bel. Jud., II, 220; 309; 492-498; V, 4546. 289 Cf. M. Hadas-Lebel, op. cit., p. 4042. 290 Reprenant les arguments de P. Wendland, Die Philo sophischen Quellen des Philo von Alexandria in seiner Schrift über die Vorsehung, Berlin, 1892, p. 86, et de M. Pohlenz, Philo von Alexandria, dans Nachr. der Gesch. Wissens, in Göttingen, Philol.-hist. Kl, 1942, p. 412-415.
das-Lebel,
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un essai pour ramener à la foi ancestrale «un jeune rebelle déjà en voie d'apostasie». Il est alors curieux de voir le moyen employé, l'utilisa tion d'arguments uniquement empruntés aux écoles philosphiques grecques. Faire croire à la Providence stoïcienne, ou de contenu stoïcien, telle qu'elle était enseignée dans les écoles hellé niques, ne pouvait être un moyen très sûr de faire revenir à la Loi. D'ailleurs, la suite de la vie d'Alexandre est là pour le montrer et nous prou verl'échec de cette tentative curieuse. Nous pouvons peut-être trouver une autre solution dont, malheureusement, les preuves ne seront pas meilleures, mais qui doit être envisa gée.Cette discussion sur la Providence ne serait-elle pas la prise en considération d'un thème d'actualité? On a déjà remarqué que ce dialogue ne pouvait cadrer avec l'atmosphère dramatique dans laquelle les Juifs d'Alexandrie ont vécu à partir de 38 et jusqu'en 41; il doit être antérieur et M. Hadas-Lebel le date des environs de 30 291. Nous n'oublions pas que dès la fin du mois d'octobre 31, à la suite du complot de Séjan, partout a été répandue la Prouidentia de Tibère qui lui avait permis d'échapper à la mort, à la destruction de son pouvoir et à la dispari tion totale de sa famille. Ne serait-ce pas à cette officialisation de la Providence du prince que pourrait répondre le dialogue de Philon avec le jeune Alexandre? Notre penseur posa le problè me philosophique de la providence, en des te rmes courants, mais qui sont, comme nous l'avons vu, l'exact reflet de la pensée commune à l'époque. Philon n'aurait-il pas ici tenté d'exploi ter ce que Tibère venait de répandre partout dans le monde romain, et, ainsi, de mieux ancrer le pouvoir impérial dans une idéologie dont les fondements se trouveraient dans la réflexion philosophique grecque à tendance stoïcienne. Il ne s'agit en rien d'une démonstration officielle, mais du simple essai de mise en œuvre d'une pensée sur un thème d'actualité. Et nous pou vons croire que cette faculté de faire se rejoin dre les faits de la vie de l'époque et les spécula tionsphilosophiques a permis à Philon d'avoir un prestige si grand dans sa communauté d'ori gine. Mais alors, pourquoi pour définir cette Providence ne pas prendre comme exemples les 291 Op. cit., p. 42.
événements contemporains? La prudence, plus philosophique que politique, appelait la plus grande réserve; l'homme est-il capable de vra iment discerner, dans le foisonnement du quoti dien, ce qui est vraiment l'œuvre de la Providen ce? Ne vaut-il pas mieux reprendre les argu ments d'école, les exemples du passé, ceux de Polycrate, ceux de Denys, de Socrate, d'Anaxagore, tout en pensant au temps présent? Ce n'est là qu'une hypothèse, mais elle nous permet d'intégrer la pensée alexandrine au grand mouvement qui a développé l'importance de Prouidentia dans le monde romain dans ces années 31-68. En effet, et c'est la première con clusion sur cette époque que nous pouvons tirer, la Providence est maintenant une notion admise officiellement et comprise par tous dans l'empir e. Un certain consensus se dégage et, désormais, exprimer la providence d'un empereur, c'est lui donner le sens précis que nous avons défini.
4 - «PROVIDENTIA»: ACCORD ENTRE LES DIEUX ET LES HOMMES II s'agit, en tout premier lieu, d'un accord entre les dieux et les hommes; croire à la provi dence d'un homme, c'est croire à une Providen ce au-dessus des hommes et dont elle est issue. Il y a accord entre la raison dans l'homme et la raison du monde, la première étant un reflet de la seconde. Tout individu doit se laisser guider par le principe rationnel qui est en lui, mais tous n'en sont pas capables. Affirmer sa providence est, pour un princeps, montrer qu'on est cons cient de suivre, dans son action du moment, la voie de la raison, la recta nia. Mais attacher la providence à la personne d'un empereur, c'est l'attacher au principe de souveraineté dans l'em pire; le mouvement est logique, puisque l'exerci ce de la «prévoyance» a toujours été réservé à une élite parmi les hommes; Cicéron lui-même en convenait. Étant donné la forme du pouvoir politique sous le principat, il est normal de voir la providence réservée à un homme, expression unique de la souveraineté, l'empereur. C'est ce qu'expriment parfaitement les monnaies
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d'Alexandrie représentant Néron muni du scep treet du globe, expressions du pouvoir. C'est l'astrologie qui permet de comprendre l'existence de cette liaison étroite entre les dieux et l'empereur, puisque l'harmonie de la révolu tiondes astres est le modèle de l'ordre qui doit régner dans le monde terrestre grâce au princeps, et puisque la position des planètes doit orienter l'action quotidienne comme elle déter mine l'avenir de chacun au moment de la nais sance. Nous avons vu que maintenant tout le monde admettait ces principes et que l'astrolo gie avait droit de cité292. Ce dernier est cepen dant limité; en effet, à partir du moment où l'empereur a la souveraineté totale, et puisqu'il possède une relation privilégiée avec les dieux et que cette relation privilégiée s'exerce par le moyen de l'astrologie, il est normal qu'il se réserve ce moyen de divination. Il y a deux raisons majeures à cela : l'astrolo gie permet de définir le destin de chacun à la naissance; or il existe une genesis imperatoria, un thème de geniture qui destine à l'exercice du pouvoir; c'est une recherche que tout particulier doit éviter. En outre, par l'astrologie, on peut connaître le moment de la mort du prince et, ainsi, préparer l'événement en conséquence, au besoin par le moyen d'un complot; c'est encore une recherche que le prince se doit d'interdire. Nous comprenons dès lors les poursuites inlas sables, et répétées, contre les Chaldéens, les mathematici et autres devins; ce n'est pas nier leur art; c'est tout au contraire y attacher une très grande importance; ce n'est pas vouloir les faire totalement disparaître, mais c'est faire en sorte qu'ils ne vivent que pour l'empereur et à son service. Il n'y a pas contradiction entre les poursuites et les condamnations d'un côté et, de l'autre, la présence, aux côtés du prince, d'un Thrasylle ou d'un Balbillus. L'utilisation de
trologie par l'empereur est une des marques de sa providence; c'est ce qu'ont fait Tibère, encore en précurseur, et Néron. Il est certain aussi que ce renforcement de l'aspect personnel et, en un sens, autocratique, de la providence est dû à des influences égyp tiennes, que nous avons essayé de dégager; elles s'exercent, très certainement, dès l'époque de Tibère pour triompher sous Claude et sous Néron. L'association de la course des astres et de la crue du Nil, le fleuve étant un dieu en Egypte, ne pouvait qu'accentuer ces tendances et renforcer le principe monarchique à la base de l'organisation du monde293. L'expression officielle de la Providence de l'empereur n'est pas seulement proclamation d'un principe de souveraineté. C'est aussi, sui vant en cela la doctrine stoïcienne, un principe d'adhésion à la volonté divine, la marque d'une action libre, mais dans le sens voulu par le destin. C'est pourquoi Tibère comme Néron peu vent proclamer leur propre providence lorsqu'ils ont éliminé certains complots; les conjurés allaient contre l'ordre établi, non pas arbitraire ment, mais par les dieux. Par la répression, le princeps obéit à la volonté divine, suit le destin fixé de toute éternité. Et, comme nous l'avons vu dans la doctrine stoïcienne la plus classique, cela peut aller jusqu'à l'adhésion volontaire à ce qui, pour un regard non averti, possède un caractère horrible et repoussant; c'est ainsi que Néron peut proclamer sa providence après avoir fait assassiner sa mère; pourtant, il n'y a pas pire sacrilège dans toute société antique que le parri cideou le matricide. Placer cet acte odieux sous l'invocation de la Prouidentia est vouloir démont rer publiquement que ce meurtre était dans le dessein divin et devait nécessairement être accompli. Le sage est celui qui sait adhérer, même à ce qui semble être un malheur.
292 On pourrait trouver des traces de cette introduction de l'astrologie dans bien des œuvres de cette époque. Pétrone a certainement été un croyant dans ce système de divination; d'ailleurs un Chaldéen lui avait prédit le temps qui lui restait à vivre (Sai., 76-77). Cf. J. de Vreese, Petron 39 und die Astrologie, Amsterdam, 1927. E. Riess, The Influence of Astro logyin Life and Literature at Rome, dans The Class. Weekly, XXVII, fase. 10, 1933, p. 77. Pour Lucain, R. J. Getty, The Astrology of P. Nigidius Figulus, dans The Class. Quart., XXXV, 1941, p. 17-22. Même s'il y
a de nombreuses erreurs astronomiques, le tableau général est juste, et, surtout, il marque l'acceptation de l'astrologie. 293 Cf. D. Bonnaud, La crue du Nil, Paris, 1964, p. 335. L'auteur pense que le stoïcisme de Lucain a subi une influen ce égyptienne par l'intermédiaire de Balbillus. Ces influences égyptiennes ont été parfaitement ressent ies à l'époque de Néron puisque, lors de ses derniers jours, le bruit courut qu'il allait se réfugier en Egypte (Plut., Galb, II et XrV). Il est possible d'y voir, une fois de plus, une idée de Balbillus.
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En effet, suivre la providence ne peut avoir que des effets bénéfiques. Elle montre à l'éviden ce que l'empereur est pourvu de la uirtus qui s'exprime par sa dementia, sa iustitia, sa magnitu do animi, sa fortitudo294 . Mais nous devons aussi remarquer qu'à cette époque la bienfaisance de l'empereur qui passe par l'intermédiaire de sa providence n'est pas encore exprimée en termes très précis. Elle garde un caractère très général. Elle est, avant tout, la garante de la continuité du pouvoir impérial et donc de l'empire luimême; en évitant les complots grâce à sa prouidentia l'empereur prolonge son pouvoir et le légitime en même temps puisqu'il est ainsi reconnu et confirmé par les dieux. Bien entendu, cette légitimité est reconnue à l'ensemble de la domus de l'empereur, c'est-à-dire à tous les des cendants d'Auguste (la découverte des complots évite le changement de dynastie). Au-delà de cette continuité du pouvoir ainsi affirmée à l'intérieur d'une même famille, il y a l'assurance de l'éternité de Rome elle-même. C'est ce point que Claude, le moins «julien» des empereurs de cette période, a voulu mettre en valeur. Mais sa tentative pour appliquer sa Pro vidence directement à la création d'un saeculum nouveau et heureux pour Rome, sans passer par la révélation encore nécessaire qu'est la découv erted'un complot, a échoué par maladresse et, peut-être manque d'information. Cette tentative sera reprise, avec succès, plus tard. Enfin, il est un aspect que nous ne pouvons laisser à l'écart. Nous avons vu que, dans la théorie habituelle de la providence, reprise sur ce point par Cicéron, la manifestation par un homme de son don de providence durant sa vie pouvait le conduire à l'immortalité céleste. Nous pouvons alors nous demander si l'appel à la Providence du prince crée les conditions favora blesà la consecratio de ce prince. Rien n'est moins évident; en effet, et en écartant le cas de Néron, nous nous apercevons que Tibère n'a pas été divinisé et que Claude a bien reçu l'apothéos e, mais que, quand Néron a rappelé «sa provi dence», tous les assistants se sont pris à rire.
Nous avons tenté d'expliquer plus haut ces rires; nous pourrions ajouter ici que Sénèque, l'auteur du discours, a peut-être cru qu'il pouvait, dans la meilleure tradition stoïcienne, faire de la provi dence de Claude un argument solide pour affi rmer la réalité de sa divinisation. Manifestement il s'est lourdement trompé et nous pouvons con sidérer qu'à cette période la providence du prin cen'est pas un argument directement utilisable pour sa consécration295. Il nous faut donc surtout remarquer que la période 31-68 a vu officialiser la Providence att achée à la personne de l'empereur vivant. Cette providence, dans son contenu, dans ses causes et dans ses effets, est conforme au schéma intellec tuel que les philosophes, tous sous l'influence stoïcienne, lui ont fabriqué. Et s'il faut « chercher la providence dans la faculté du sage de s'adap ter aux événements»296, ne faudrait-il pas dire qu'elle marque encore l'acte final de la dynastie julio-claudienne? La mort de Néron est volontair e; il se suicide lorsqu'il s'aperçoit que les événe ments vont à l'encontre de sa propre survie; il comprend que les destins ont décidé sa dispari tion;il se soumet à leur décret. Il est vrai que cette fin, à travers le récit de Suétone, est ren due dérisoire par la peur, les supplications. Mais nous ne sommes pas forcés de croire que l'em pereur n'a pas pensé, en s'enfonçant le fer dans la gorge, qu'il exécutait librement l'arrêt du des tin et qu'il mourait ainsi en homme «pré voyant», en véritable sage297.
294 Cf. P. Grimai, Sénèque et la vie politique au temps de Néron, dans Ktéma. I, 1976, p. 171-175. 295 Nous pouvons d'ailleurs noter que Caligula utilise tou jours la providence de Tibère alors que ce dernier n'a pas
été divinisé. 296 V. Goldschmidt, op. cit., p. 124. 297 Cf. Suét., Nero, XLIX, 5-6. A. de Bovis, op. cit., p. 135138.
V - «PROVIDENTIA»: UN ÉLÉMENT DE LA CRISE DE 68/69 1 - Galba et sa succession II n'est pas dans notre propos de reprendre tous les événements qui ont marqué la crise politique des années 68/69. Il nous faut néan moins insister sur certains points qui peuvent
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faire comprendre comment la Prouidentia survit à la dynastie julio-claudienne et comment elle est de nouveau utilisée, et sur une large échelle, comme nous le verrons. À la mort de Néron, il a fallu recréer un nouveau type de pouvoir; l'édifice établi par Auguste était ébranlé dans ses fondements mêmes; en effet, un des principes essentiels, bien que non officiellement déclaré, était la suc cession à l'intérieur d'une même famille, issue d'Auguste, protégée par les dieux, possédant un charisme spécial dû à la Victoria Augusti; de ce fait, ces années sont aussi la crise de toutes les notions de caractère divin qui étaient attachées à chaque empereur en tant qu'héritier de son prédécesseur. En effet, toute la dynastie, jusqu'à Néron inclus, a vécu dans les traditions triom phales du premier princeps29s et la crise de 68/69 est aussi la crise de la Victoria Augusti. Il fallait essayer de réintégrer ces notions dans un système nouveau, cohérent, compréhens ible pour tout un chacun, et qui soit aussi, dans ses aspects extérieurs, le continuateur du précé dent, sinon même sa copie conforme. Galba, Othon, Vitellius « ont refait, à distance, les expé riences d'Auguste»299. Mais la Victoria Augusti a été remplacée par la Victoire personnelle de chaque empereur; aucun n'a osé, pris de scrupul e, réutiliser à son profit le charisme augustéen300. Plus tard, Vespasien le fera en l'annexant à la maison des Flavii.
a) Les documents. Dans ce contexte, la place de Prouidentia ne fait pas vraiment difficulté. En effet, comme nous l'avons vu précédemment, cette notion n'a jamais été attachée à la personne même d'August e; tout au contraire, elle a, chaque fois qu'elle a été employée, été affirmée comme la Providence de l'empereur régnant à propos de faits précis, ponctuels, échappant toujours à la généralisat ion. Rien ne pouvait s'opposer à ce que les nouveaux empereurs l'utilisassent de la même façon et en lui conservant le même contenu, le même sens. C'est ce qui est arrivé avec Galba pour le règne duquel nous possédons trois docu ments essentiels nommant la Prouidentia. Il s'agit d'une série monétaire et de deux extraits d'inscriptions de grande portée. Les monnaies sont des as issus des ateliers de Lyon301. Ils reprennent tous le modèle tibérien, mais en l'associant à la personne de Galba302. La première inscription est un extrait des actes des frères arvales parfaitement daté du court règne de Galba303. Enfin le dernier document est un édit pris par le préfet d'Egypte Tiberius Julius Alexander et répandu dans l'ensemble du terri toire; il porte sur un problème d'impôts. À trois reprises, dans ce très long texte retrouvé dans le temple d'Ibis de l'oasis d'El-Khargeh, πρόνοια est employée304. Il s'agit donc de trois documents très diffé-
298 J. Gagé, La théologie de la Victoire impériale, dans RH, CLXXI, 1933, p. 11, n. 1. 299 J. Béranger, L'hérédité du principal. Note sur la transmis sion du pouvoir impérial aux deux premiers siècles, dans Principatus, Genève, 1973, p. 141. 300 J. Gagé, Divus Augustus. L'idée dynastique chez les Emper eurs Julio-Claudiens, dans RA, XXXIV, 1931, p. 39. 301 Ou de Rome, car Yaegis semble être un attribut des ateliers romains. 302 RIC, I, p. 216, n° 164. BMC, I, p. 360, note. Cf. p. 432, n° 12, et pi. I. A/ SER SVLPI GALBA IMP CAESAR AVG PM TR Ρ Tête de Galba, lauree, à droite, avec aegis. R/ PROVIDENT S C Autel avec flammes et cornes. 303Henzen, AFA, p. XC-XCVI (=C/L, VI, 1, 2051 et 4, 2, 32359), (= Pasoli, p. 125, n° 34, 11. 24-32). [ISDE]M COS IIII IDVS I[AN] ADOPTIO FACTA L LI[CINIANI] [MAGISTER]IO SER GALBAE IMP CAESARIS AVG PROM[AG L SALVIO]
[OTHONE TITIA]NO COLLEG FR[ATRVM A]RVAL NOM IM[MOLATVM IN] [CAPITOLIO OB AD]OPTIONE[M SER SVLPICI GAL]BAE C[AESARIS IOVI BM] [IVNONI VACC MINERVAE VACC SALVTI PUBLICAE Ρ R] VACC [ PROVI [DENTIAE VACC VA]CC SECVRI [TATI VACC GENIO IPSI]VS TAVRVM IMP ™SEG., XV, 873 (= OGIS, 669), 1. 1-6; 47-48; 62-65. Texte et traduction dans G. Chalon, L'édit de Tiberius Julius Alexand er, dans Bibliotheca Helvetica Romana, t. V, Lausanne, 1964, p. 27, 30, 33-34. Cf. M. Mac Crum - A. G. Woodhead, Select Documents of the Principales of the Flavian Emperors, Camb ridge, 1966, n° 328. . ..Τιβέριος Ιούλιος Αλέξανδρος λέγει· πασαν πρόνοιαν ποιούμενος τοϋ διαμένειν τώι προσήκοντι καΐταστήματι την πόλιν άπολαύουσαν των εύφεργεσιών ας έχει παρά των Σεβαστών και του την Αϊγυπτον έν ευστάθεια διάγουσαν εύθύμως υπηρετεϊν τήι τε εύθηνία και τήι μεγισίτηι τώ[ν] νΰν
PROVIDENTIA ET SOUVERAINETE
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Le document le plus net, parce qu'il nous indique la cause du sacrifice à la Prouidentia, est l'extrait des procès-verbaux des arvales. C'est immédiatement après l'acte d'adoption de L. Piso Licinianus que les frères ont accompli leurs sacrifices. Le fait n'est pas fortuit puisque, un peu plus loin dans le texte, il est parlé de l'adoption de (= faite par) Servius Sulpicius Gal ba César. Les circonstances de cette adoption sont bien connues, car tous les historiens de l'antiquité ont mis en valeur cet acte qui a précé dé la mort de Galba de cinq jours seulement. C'est la première fois que nous trouvons Prouidentia placée en liaison directe avec l'adop tiondu successeur. Pour rester dans le domaine des arvales, les actes du 25 février 59 décrivent une cérémonie en l'honneur de l'adoption de Néron Claude César Auguste Germanique; il est vrai qu'il ne s'agit pas alors du moment de l'adoption, mais de l'anniversaire de celle déci dée par Claude quelques années plus tôt. Nous pouvons tout de même rapprocher les deux cérémonies, car, si Néron fait célébrer cet anni versaire, c'est qu'il considère que l'adoption l'a
désigné pour le pouvoir et lui a permis de deve nirprinceps; nous nous trouvons incontestable ment dans la même ambiance. Or, ce 25 février 59, les arvales se contentent, au Capitole, de sacrifier à Jupiter, Junon, Minerve et au Salut Public305. Prouidentia semble donc être une inno vation de Galba dans ce contexte bien précis. Comment peut-elle s'expliquer? Les conditions générales dans lesquelles cette adoption a été réalisée nous donnent déjà quel ques éléments de réponse. Depuis l'arrivée à Rome de Galba, la situation s'était rapidement dégradée; «il avait indisposé presque tous les ordres»306; il n'avait pas su garder la faveur et le prestige certains qui l'avaient fait accepter par tous comme princeps. L'inquiétude était d'autant plus forte que rien n'était assuré pour l'avenir et que les jours passaient sans que Galba s'enga geâtdans une voie précise. Et il est certain que de cet homme déjà âgé, resté sans descendance, tout le monde avait attendu qu'il désignât son successeur, ou, tout au moins, qu'il fixât les règles de la succession. Tacite montre bien que ce problème agitait l'opinion, et Galba lui-même, depuis longtemps, nous pouvons traduire depuis son arrivée au pouvoir : « un dessein d'adoption que depuis longtemps Galba discutait avec lui-même et avec son entourage. Il n'était même pas, depuis les derniers mois, de sujet dont on s'entretînt davantage dans toute la vil le»307. L'hésitation de Galba est compréhensible puisqu'il n'y avait aucun précédent, et qu'il fal lait innover. Le problème était d'autant plus délicat que cette innovation allait peut-être déci der de l'évolution du principat pour un long temps; il est certain aussi que l'entourage de l'empereur était très partagé à ce sujet308.' Le
καιρών ευδαιμονία, μήι βαρυνομένην καιναΐς και άδίκοις εΐσπράξεσι, Ουκ άγνοώι δ'οτι πολλήν πρόνοιαν ποιεϊσθε και τοΰ την Αΐγυπτον έν ευστάθεια [δ]ιαμ[ένειν], Περί δε των άρχαιοτέ[ρων] έκ[θ]έσεων, ένκει[μένω]ν ύμ[ώ]ν αΐς [ | ] σειν ή όρίσαι πολλάκις ο[ύδέν] πλέ[ον] περιε[ποί]ησαν πλην άργυρισμοϋ των πραγμ[ατικ]ών και της τώ[ν άνθρώ]πων έπιτ[ρίψεως, Καί σαρι Σ]εβ[α]στώ[ι] Α[ύ]τοκράτορι γράψ[ωι μ]ετα των άλλω[ν] δσα αύτώι δηλώσωι τώι μόνωι δυναμ[έν]ωι τα τοιαύτα όλ[οσχερ]ώς [έ]κκόπτε[ιν ου είσι|αιτι]αι της πάντων ή[μ]ων σωτηρίας ήι δι[η]νεκής [εΰ] εργεσία καί πρόνοια· ε[το]ύς πρώτο[υ] [Λουκ]ίου Λειβίο[υ Γάλ]βα Καί[σ]αρος Σεβαστού Αύτοκράτορος, Έ[π]εΐφ[ι] Φ'·
305 Henzen, AFA, LXX-LXXVI (= CIL, VI, 1, 2042 et 4, 2, 32354), (= Pasoli, p. 1 19, n° 26). Nous pouvons noter qu'à ce moment le président du collège des Arvales était L. Calpurnius Piso, le beau-frère de l'adopté de 69. Cf. J. Scheid, op. cit., p. 384. Même sacrifice le 25 février 58. 306 Suét., Galba, XVI, 1. 307 Tac, Hist., I, 12, 2-3. Les candidats étaient nombreux et la lutte des clans a dû être très forte. Il semble bien d'ailleurs que Titus ait cherché à se mettre sur les rangs. Il partit d'Orient pour aller saluer Galba et Tac, Hist., II, 1, insiste beaucoup sur les buts supposés de ce voyage. Cf. aussi Suét., Tit., V, 1. 308 Ibid., 13; Plut., Galba, XXI.
rents dans la forme, mais qui ont un caractère commun, leur côté officiel. En outre, deux d'en treeux peuvent être datés avec la plus grande précision : les actes des frères arvales rapportent une cérémonie qui s'est déroulée le 10 janvier 69; l'édit de Tiberius Julius Alexander est daté du 6 juillet 68. La définition chronologique est plus délicate pour la série monétaire; nous reviendrons sur le problème difficile qu'elle pose par la suite.
Ι
b) L'adoption de L. Pison.
CLAUDE ET NÉRON
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besoin d'une décision se faisait tellement sentir que chacun pensait que Galba choisirait une date solennelle pour annoncer sa décision; le 1er janvier 69, date de son entrée en charge comme consul pour la seconde fois, semblait à tous la meilleure309. Or rien ce jour ne se passa et la déception fut immense pour ceux qui voyaient avec angoisse le temps passer et l'empereur vieillir. Rien sans doute n'aurait été décidé si des événements survenus en dehors de Rome n'avaient obligé Galba à précipiter son choix. Plutarque lie bien les deux affaires et montre que l'adoption fut provoquée par les troubles déclenchés en Germanie : « Galba fut surpris, quand il tardait et réfléchissait encore, par le soulèvement de Germanie»310, et «instruit de cette révolution lointaine, Galba ne retarda plus l'adoption qu'il projetait»311. Le prétexte à ce soulèvement fut l'absence de gratification de la part du nouvel empereur312, mais le mouvement déboucha rapidement sur une véritable révolte prenant en compte bien d'autres revendications. Il semble que, dans un premier temps, les légions de Germanie Supérieure aient voulu que Galba se choisît un successeur; une phrase de Tacite est assez ambiguë à ce sujet : « elles (les légions) réclament un autre empereur, mais elles laissent au sénat et au peuple romain la liberté de le choisir»313. C'est ce que confirme Suétone, qui cite un texte tiré des archives qu'il a consult ées,et ce qu'affirme Plutarque314. Galba n'ayant pas fait ce choix, les légions décident de s'en remettre au sénat et au peuple romain, puis, et l'entraînement est très compréhensible, elles finissent par acclamer Vitellius, gouverneur de Germanie Inférieure. L'annonce de ce qui se passait en Germanie obligea Galba à prendre un successeur en l'adoptant; ce fut L. Piso Frugi Licinianus, un homme assez jeune (30 ans environ), d'une haute
valeur morale, mais qui n'avait pas encore eu l'occasion de montrer ses qualités et de faire ses preuves. Par un choix délibéré, cette adoption s'est déroulée sous le signe de la Prouidentia. Il est certain que, restant dans la ligne des emplois précédents, chacun pouvait comprendre cette notion et la place que Galba voulait lui donner. Grâce à sa providence, Galba avait échappé à un complot qui était destiné à anéantir le pouvoir actuel et la continuité du pouvoir que seul le princeps régnant pouvait assurer. C'était même revenir à la première expression officielle de la Providence sous Tibère, et le faire tout aussi clairement315; Galba, en choisissant un success eur,a vaincu le mouvement en Germanie puis qu'il a répondu à la demande de ceux qui voul aient être rassurés pour l'avenir du pouvoir impérial. En outre, Prouidentia lui a permis d'as surer cette succession à son fils; en effet, la cérémonie des arvales se déroule une fois le processus d'adoption réalisé devant les «comitia imperii», comme le dit Tacite316; ils ont dû se réunir au Champ-de-Mars, alors que la cérémon ie des arvales se déroule au Capitole. L'appel à la Prouidentia était aussi un moyen de faire comprendre à chacun que l'empereur n'avait pas agi sous une quelconque pression, mais que seul esa propre réflexion, sa lucidité et sa sagesse l'avaient guidé dans son choix. D'ailleurs nous pouvons considérer cette mise en valeur de la Providence comme, assuré ment, la certitude pour l'avenir d'un pouvoir solide et continu, et donc d'un nouveau départ heureux pour Rome, sous le signe du respect du bien public317 et du choix du plus digne (optimus)iiS. Désormais cette Providence exercera ses bienfaits et Galba peut dire, en s'adressant à Pison : « c'est à toi et à moi de veiller à ce qu'il (Néron) ne soit pas regretté aussi des honnêtes gens», mihi ac tibi prouidendum est319. La Provi dence est parfaitement apparente ici, comme
309 Plut., ibid., 3. 310 Plut., ibid., XXII, 1. 311 Ibid., XXIII, 1-2. 312 Dion Cass., LXIII, 4, 1. 313 Tac, Hist., I, 12, 1. 314 Suét., Galba, XVI, 5; Plut., Galba, XXII. 315 G. Charles-Picard, Auguste et Néron. Le secret de l'Empir e, Paris, 1962, p. 242 : «... dans la pratique il suivait surtout l'exemple de Tibère ».
316 Tac, Hist., I, 14, 1. 317 Ibid., I, 13, 4 : « reipublicae curam». 318 Ibid., I, 16, 2. Bien que le passage soit extrait du discours de Galba recomposé entièrement par Tacite, le mot optimus a pu être employé par l'empereur lui-même; en effet, nous l'avons vu utilisé par le sénat dans le sénatusconsulte η de aedificiis non diruendis», à propos de Claude et proche de prouidentia. 319 Tac, Hist., 1, 16, 7.
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elle l'est dans le discours que Pison prononce devant les soldats de garde au Palatin peu de temps avant la mort de Galba et la sienne pro pre : «prouisum adoptione uidebatur ut »320; la providence de Galba était garante de la paix civile, de la sécurité et avait réussi à bannir la crainte. C'était en même temps une précaution prise par Galba. En effet, en utilisant Prouidentia, et donc en se plaçant en quelque sorte sous le patronage des empereurs qui s'en étaient déjà servi, l'empereur pensait pouvoir s'assurer une force psychologique importante face aux ambit ions qui se déclaraient un peu partout. En parti culier, le choix de Pison avait éliminé celui qui pensait être un capax imperii, Othon. La désigna tion solennelle, publique, garantie par l'accord des hommes et des dieux, et le rappel de la Prouidentia qui, jusqu'ici avait toujours joué un rôle très positif, ont pu sembler suffisants à Galba pour écarter tous les dangers immédiats, faire rentrer dans la droite ligne tous les égarés et regrouper l'opinion publique autour de lui. Prouidentia permettait de croire au début d'une période favorable pour Rome et l'empire, à con dition de garder Galba et de se soumettre au choix de son successeur. Mais la Providence est aussi la défense de lui-même présentée par Galba. Depuis son arri vée au pouvoir, tout le monde se plaint de son âge avancé, ne veut voir en lui qu'un vieillard invalide et laid (n'était-il pas entièrement chauv e?)321, débile et crédule322. Tacite emploie là le mot le plus frappant et le plus juste; comme nous l'avons vu dans Cicéron323, la pensée com mune voit dans la vieillesse un naufrage de l'es prit, de la mémoire et de l'intelligence, sauf pour quelques hommes d'élite, isolés du reste des humains par la faveur divine. Pour l'opinion commune, et surtout après ses premiers mois de règne, après ses cruautés inutiles, après ses hési tations catastrophiques, après ses faiblesses
envers un entourage de médiocres et de profi teurs, il ne peut être question de le faire entrer dans cette dernière catégorie. Dans l'esprit de Galba, l'adoption de Pison est la réponse à ces appréciations désobligeantes sur son caractère; la proclamation de sa proui dentia est l'affirmation d'un esprit encore jeune, capable de réflexion et d'action en faveur de tous et efficace. Il n'est ni credulus, ni improuidus, comme le vieillard de Cicéron324. Nous pou vons même aller plus loin et penser que le désir de paraître homme parfaitement réfléchi et pro fondément capable de prendre une décision sans l'aide de personne, lui a fait faire le choix du jeune Pison. Prendre celui auquel personne ne pense, n'est-il pas la preuve qu'on possède encore toutes ses facultés, surtout quand ce choix repose sur un homme dont «l'âge a déjà échappé aux passions de la jeunesse»325, c'està-dire qui se trouve lui-même à l'époque de la vie la plus favorable à l'exercice de la providen ce? Proclamer devant tous sa providence est pour Galba, lui semble-t-il, le meilleur moyen de regrouper autour de lui les indécis, les prudents revigorés par cette manifestation d'intelligence; d'ailleurs ne dit-il pas lui-même: «Aussitôt ton adoption connue, on cessera de voir en moi un vieillard, seul reproche qu'on me fasse actuelle ment»326. Mais, depuis les débuts de son utilisation officielle par Tibère, nous avons noté que Proui dentia était toujours en rapport direct avec les procédés divinatoires astrologiques. En serait-il de même avec Galba? Pouvons-nous dégager des conclusions certaines, sur ce point, d'une étude des actes et de la psychologie de l'empereur, telle du moins que nous pouvons l'apercevoir à travers nos sources? La personnalité de Galba nous échappe en grande partie, mais certains indices laissent voir autour de lui une atmosphèr e où règne la recherche divinatoire. Dès sa jeunesse, Auguste lui avait prédit son avène-
320 Tac, Hist., I, 29, 5. Cf. M. P. Charlesworth, Providentia and Aeternitas, dans Harv. Th. Rev., XXIX, 1936, p. 115. -321 Tac, Hist, I, 6, 1 ; I, 7, 5. 322 Ibid., I, 12, 5 : «... Infimnim et credulum ... ». 323 Cf. supra, p. 38. 324 Cic, Lael., 100. 325 Tac, Hist., I, 15, 5.
™Ibid.,l, 16,6. Comme nous l'avons déjà dit, le discours est recomposé par Tacite, sans doute en fonction des événements de son époque; il n'empêche que nous avons encore ici la preuve que les paroles qu'il fait prononcer à Galba sont tout à fait dans la ligne politique et psychologique du princeps en ce mois de janvier 69.
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ment: «Και συ τέκνον της αρχής ημών παρατρώςη»327. Suétone rappelle les nombreux présages qui l'auraient amené, au cours de sa vie, à croire à son destin, en particulier le présage de la mule qui devait mettre bas pour annoncer son suc cès328, et diverses prédictions faites dans la péninsule ibérique au moment de sa révolte et qui vainquirent des hésitations ultimes329. Du rant son court règne, les renseignements que nous possédons sont minces; nous avons cepen dantquelques indications plus précises sur son attitude au moment de l'adoption de Pison. Toutes nos sources sont en effet en accord pour présenter la journée du 10 janvier comme ayant été marquée par des signes sinistres : ora ges affreux, coups de tonnerre et éclairs330, aver ses assourdissantes331. Plutarque exprime très bien ce qui a alors été ressenti par tous: «la divinité n'admettait ni n'approuvait cette adopt ion, dont l'issue ne serait pas bonne ». Or, Galba n'a pas renoncé et Tacite, étonné, tente d'en trouver l'explication, mais il n'ose trancher : « il dédaignait ces phénomènes comme étant dus au hasard ou peut-être ce que le destin (fatum) réserve a beau être révélé, on ne l'évite pas»332. La première attitude ne peut être la bonne; en effet, un tel scepticisme ne semble pas faire partie du personnage, ni d'ailleurs de la mentalit é générale de son époque. La seconde est tout aussi peu satisfaisante; le fatalisme, tel qu'il est ici exprimé, n'est pas de mise un jour semblable. Si Galba avait poussé son raisonnement jusqu'au bout, il n'avait même pas besoin de pratiquer la moindre adoption. Dans le maintien de la cérémonie, il faut certainement voir autre chose. Nous pouvons penser, et la mention de Prouidentia nous y conduit presque obligatoirement, que le jour de l'adoption de Pison n'a pas été choisi au hasard, mais après un calcul astrologique. Ce dernier devait reposer, ou bien sur le thème de Galba,
ou bien, plus certainement, à la fois, sur les thèmes de geniture de Galba et de Pison. L'assu rance de Galba ne peut venir que d'un tel procé dé; c'est l'astrologie qui lui donne le courage de repousser des signes qui, normalement, auraient dû faire ajourner la cérémonie, puisque les mêmes faisaient repousser comices, sacrifices ou jeux. Muni d'un décret de la Providence, celui issu des confrontations des thèmes de geniture, Galba était assuré du succès de son entreprise. C'est d'ailleurs cette même confiance qui lui fait refuser les signes néfastes qui se produisent lors du sacrifice qu'il offre à Apollon, sur le Palatin, le 15 janvier. L'haruspice Umbricius, à l'examen des entrailles des victimes, lui annonce « instantis insidias ac domesticum hostem»333. Galba aurait pu encore écarter le complot qui était forgé contre lui; Othon, à mots couverts, était désigné par l'haruspice. Mais confiant dans sa Providen ce qui, pensait-il, lui avait déjà permis d'éliminer la révolte de Germanie et de pratiquer l'adop tionde Pison, il ne recula pas. Son destin était alors scellé334. Durant les quelques jours de règne qui res tent à Galba après l'adoption, Prouidentia est devenue le principe directeur de l'action impér iale, celui qui commande tout pour le bien de tous. Nous en trouvons la preuve dans un passa gedes Entretiens d'Épictète rapportés par Arrien335 : «Après l'assassinat de Galba, quel qu'un disait à Rufus : "Peut-on dire que la Provi dence gouverne encore le monde?" Rufus lui dit: "Me suis-je jamais, même en passant, servi de l'exemple de Galba pour prouver que le mon deest gouverné par la Providence?"» Épictète se sert de l'actualité et il est normal que l'ense ignement d'un philosophe stoïcien comme Musonius Rufus soit souvent un reflet des réalités du moment. Cependant, il ne faut pas aller trop loin et voir dans ce bref dialogue la révélation que «le meurtre de Galba fut dénoncé comme un
327 Suét., Galba, IV, 2. Tac, Ann., VI, 20, 2 attribue cette prédiction à Tibère au moment du premier consulat de Galba: «Et tu, Galba, quandoque degustabL· Imperium». Il attribue cette parole à la science de Tibère dans l'art des Chaldéens. Dans le même sens, Dion Cass., LXIV, 1. 328 Suét., Galba, IV, 4-5. 329 Id, ibid., IX, 5; Χ, 5. 330 Tac, Hut, I, 18, 1. 331 Plut., Galba, XXIII, 3.
332 Tac, Hist, I, 18,2. 333 Id, ibid., I, 27, 1. Cf. Plut., Galba, XVIII, 4. 334 Tac, ibid., 29, 1 : « Il fatiguait les dieux d'un empir e qui n'était plus le sien ». 335 Epict., Entr., III, 15, 14: '"Ρούφφ τις ελεγεν Γάλβα σφαγέντος οτι "νϋν πρόνοια ό κόσμος διοικείται;" ό 8έ "μή παρέργως ποτ', εφη, άπό Γάλβα κατεσκεύασα οτι πρόνοια ό κόσμος διοικείται;".
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défi à la Providence»336. S'il en était ainsi Musonius Rufus n'aurait pu faire la réponse que nous connaissons. Il est peut-être vrai qu'aux yeux des victimes stoïciennes de Néron, rappelées d'exil, Galba soit apparu comme un Justicier envoyé par les dieux, mais cette attitude n'a pu être que celle d'un très petit cercle. La remarque qui est faite au philosophe est ironique; il ne faut pas oublier, en effet, que la Prouidentia de l'empe reura été proclamée en public, à Rome, le 10 janvier et qu'il est mort assassiné, abandonné de tous le 15 du même mois. Le contraste est saisis sant, mais, bien entendu, il ne peut engager directement les philosophes stoïciens. Ce n'est pas Musonius Rufus qui a vu dans l'action de Galba l'intervention de la Providence; c'est l'em pereur qui a choisi de mettre en valeur sa provi dence à un moment et dans un contexte où, justement, elle ne pouvait plus que se four voyer337. En réalité le propos de notre philoso phe est ici simplement ironique puisqu'il feint de confondre la Providence stoïcienne et celle proclamée par Galba. La réponse de Rufus per met de montrer que les philosophes ne doivent pas rechercher un homme pour être l'expression de la Providence qui gouverne le monde. De la même façon, et toujours à propos de ce passage d'Arrien, nous devons écarter l'idée de M. P. Charlesworth338 qui pensait que beaucoup de Romains avaient vu une preuve de l'interven tion de la Providence divine dans l'avènement de Galba qui semblait représenter une promesse d'amélioration du régime par rapport à ce qu'avait été le règne de Néron. Nous avons vu que, très rapidement, Galba a été de moins en moins apprécié, pour finir même détesté, et que sa politique a été violemment critiquée. Mais personne n'avait encore placé son avènement et ses premiers mois de règne sous le signe de
l'intervention de la Providence; Galba lui-même ne l'a pas fait et si chacun espérait la paix, la sécurité, la concorde, ce ne fut pas sous le voca blede la Providence339. La question posée à Musonius Rufus est en rapport direct avec la proclamation de Prouidentia lors de l'adoption de Pison et son effondrement lors de la mort de l'empereur et de son successeur désigné. C'est donc bien un mot d'ordre de confiance que Galba a lancé le 10 janvier 69 en proclamant sa providence. Il est tout à fait normal qu'il ait cherché, et très rapidement étant donné les diff icultés du moment, à le répandre dans l'ensem ble du monde romain. N'innovant en rien, l'em pereur choisit le moyen le plus simple et le plus sûr de propagande, les séries monétaires. Bien que le règne n'ait duré que sept mois, la production monétaire de Galba est riche en émissions diverses et souvent originales. Colin M. Kraay a bien montré que l'action personnelle de l'empereur avait été importante dans les types choisis; il a, en particulier, pu prouver que l'arrivée à Rome du princeps (elle ne s'est pas produite avant la mi-octobre 68) avait provoqué l'apparition d'émissions d'un caractère entièr ementdifférent des précédentes340; elles reflètent les différents aspects de sa politique du moment: LIBERTAS AVG, PAX AVG, CON CORD, SALVS AVGVSTA, ROMA .... Pendant longtemps on a cru qu'une grande partie de ces monnaies, issues sans doute des ateliers de Lyon, avaient été frappées de façon posthume et, très certainement par Vespasien qui se voulait vengeur de Galba341. La série avec PROVIDENT se trouve comprise dans ces émissions et Vespas ienaurait ainsi, simplement, rappelé l'acte d'adoption de Pison par Galba342. C. M. Kraay, après avoir démontré que les arguments pure ment techniques étaient sans valeur, pense qu'il
336 P. Grenade, Le pseudo-épicurisme de Tacite, dans REA, LV, 1953, p. 51. 337 Même si, par la suite, Galba devint un martyr du stoïcisme. Cf. J. Gagé, Vespasien et la mémoire de Galba, dans REA, LTV, 1952, p. 290-315. 338 M. P. Charlesworth, Providentia and Aeternitas, dans Harv. Th. Rev., XXIX, 1936, p. 114-115. 339 II ne faut pas tenir compte ici du passage de Plutarque, Galba, V, 2 : «... ώμολόγησεν έπιδώσειν τη πατρίδι την έαυτοΰ πρόνοιαν, ... », comme le fait J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique . . ., p. 210. Plutarque attribue ces paroles à Galba alors qu'il vient
d'être acclamé empereur en n'étant que gouverneur de Tarraconnaise. Il y a bien peu de chances que Galba ait alors employé le mot prouidentia. Si le sens général est exact, il est fort possible que Plutarque ait traduit par πρόνοια une sim ple cura ou une quelconque sollicitudo. La façon dont l'empe reura ensuite utilisé la Prouidentia ne permet pas de croire qu'il y ait fait allusion à cette époque. 340 C. M. Kraay, The aes Coinage of Galba, dans Num. Notes and Monog., CXXXIII, 1956, p. 7-11 et p. 55. 341 BMC, I, pp. CCXV-CCXVII. 342 M. P. Charlesworth, art. cit., p. 115.
CLAUDE ET NÉRON
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faut rendre le type PROVIDENT à la frappe de Galba343. Nous le suivrons dans cette voie, mais avec des arguments d'un autre genre. Nous avons vu l'importance de l'acte d'adopt ion réalisé par Galba le 10 janvier 69, le reten tissement qu'il avait voulu lui donner et le poids qu'il pensait qu'un tel acte aurait auprès de l'opinion. Le côté spectaculaire et public de l'adoption, le caractère inébranlable de la déci sion de Galba malgré les présages sinistres nous l'affirment parfaitement. Ce désir de convaincre l'opinion publique nécessitait des moyens plus importants que les cérémonies à Rome, même imposantes comme elles le furent. La frappe de monnaies était le meilleur vecteur possible de la propagande impériale. Nous pouvons considérer comme certain que Galba a fait frapper ces monnaies à partir du 10 janvier. Cela explique leur relatif petit nombre dans les découvertes ou dans les trésors actuellement recensés344. Il s'agit bien de la providence de Galba puis que sa titulature et son portrait sont inscrits dans le bronze. Mais nous devons nous demand er pourquoi le type de revers choisi a été celui déjà employé par Tibère, l'autel avec portes, cornes et flammes. S'agit-il, comme pour Caligul a, de marquer la continuité de règne à règne, à partir de Tibère345? La providence de Galba se rattacherait alors directement à celle du succes seurd'Auguste puisque l'autel représenté est incontestablement celui qui a été appelé Ara Prouidentiae et construit par Tibère. Galba cher che à placer le choix de Pison sous les mêmes auspices «providentiels» qui avaient permis d'éviter la mort au jeune Gaius. C'était rappeler
la façon dont la première dynastie avait été sauvée, puis consolidée; c'était affirmer qu'il devait en être de même en 69. Le sens ne pouv ait en échapper346 puisque les monnaies au type de l'autel avaient été très répandues et continuaient sans doute encore à servir, particu lièrement dans les milieux touchant à l'armee 347
343 Art. cit., p. 50 et p. 114, n° 397. 344 Le British Museum n'en possède aucun exemplaire. I. Soncini, Note sulla monetazione di Galba, dans RIN, XIX, 5e s., LXXIII, 1971, p. 73, fait toujours une place à des explica tionscomme «l'exaltation de la prévoyance du prince à l'égard du peuple» ou «un rappel particulier du rétabliss ement de la paix». Surtout étant donné que l'auteur, en s'appuyant uniquement sur la titulature de l'avers, aboutit aux mêmes conclusions que ci-dessus. 345 Cf. supra, p. 139. 346 Mais l'image de l'Ara Prouidentiae ne veut pas dire qu'on continue à y sacrifier. Nous pouvons même penser que cet autel n'existe plus. De toutes façons, y sacrifier aurait été sacrifier à la Providence de Tibère et non honorer, comme il se doit maintenant, la Providence de Galba. Nous pouvons avancer une autre hypothèse. Etant donné
la précipitation avec laquelle il a fallu frapper et distribuer ces monnaies avec PROVIDENT, dans l'atmosphère dramati que de ces derniers jours de règne, il n'a peut-être pas été possible de créer un nouveau type; on s'est alors contenté d'utiliser la seule représentation jusqu'ici employée avec PROVIDENT, l'enceinte d'autel (tout au moins en Occident). 347 II est possible de parler d'une imitation du type tibérien, mais il faut certainement écarter l'idée qu'il s'agit de perpétuer le souvenir d'Auguste (J. Béranger, La «Prévoyan ce» (Providentia) impériale et Tacite, Annales, 1, 8, dans Principatus, p. 338-339.) Il peut y avoir souvenir, et alors on peut remonter en-deçà de Tibère, mais il s'agit toujours de la Providence de l'empereur régnant. 348 Ce qui est en soi normal, puisque les gouverneurs de province ne pouvaient continuer à exercer leurs fonctions qu'une fois confirmés par le nouvel empereur.
c) L'édit de Tiberius Julius Alexander. Le dernier document qui nous intéresse directement pour notre sujet est l'édit du préfet d'Egypte Tiberius Julius Alexander. Ce juif de naissance, neveu du philosophe Philon d'Alexand rie, s'était détaché de son milieu et de sa foi d'origine pour embrasser la carrière des hon neurs. Après avoir été procurateur de Judée en 48, il était devenu préfet d'Egypte en 66. Nous avons vu plus haut que c'est sans doute lui, encore jeune, qui est l'interlocuteur de Philon dans son deuxième traité De Prouidentia. L'édit qui nous intéresse, pour le vocabulaire utilisé, est daté très précisément du 6 juillet 68, très peu de temps après la mort de Néron et alors que le sénat venait de reconnaître et d'ac cepter Galba comme empereur. Par ce texte, le préfet porte à la connaissance des populations les réformes par lesquelles il compte inaugurer son administration sous le nouveau règne; c'est comme l'annonce d'un nouveau départ dans son administration348. Il s'adresse aux stratèges, fonc tionnaires qui sont directement responsables devant lui de la perception des impôts dans les nomes; il leur ordonne de ne plus percevoir
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETE
certains impôts349. A trois reprises, le mot πρό νοια est écrit. La première fois, à la ligne 3, il s'agit de la πρόνοια du préfet lui-même qui main tiendra la ville (Alexandrie) dans l'état qui con vient, grâce à son soin. Le deuxième passage, à la ligne 45, fait allusion à la πρόνοια que montrent les stratèges dans l'exercice de leurs fonctions, de façon à ce que l'Egypte demeure dans la prospérité. Enfin, le troisième extrait, à la ligne 65, rappelle la bienfaisance et la πρόνοια cons tantes de l'empereur envers les habitants de l'Egypte. Nous retrouvons dans cet édit la forme et le fond des ordonnances «philanthropiques» des Lagides qui visaient à la pacification sociale du pays, ce qui est aussi le but de celle de Tiberius Julius Alexander350; la langue est la même et nous avions déjà noté qu'il était souvent fait allusion à la πρόνοια des fonctionnaires locaux ou royaux351. Il est incontestable que le préfet d'Egypte a hérité, en même temps que des pou voirs de ses prédécesseurs lagides, de leurs méthodes et de leurs conceptions dans l'exercice de ses fonctions. Cependant, il est certainement possible d'aller un peu plus loin dans l'analyse. C'est ce qu'a fait G. Chalon dans son excellente édition-traduction de l'édit. Pour lui, Tiberius Julius Alexander a publié son édit au reçu de Rome de la nouvelle de l'élévation de Galba; il en aurait été un partisan et le préambule comme les phrases finales (donc l'allusion à la πρόνοια du souverain) seraient une description des idées directrices, nous dirions du programme de gou vernement, du nouvel empereur. Plusieurs raisons nous ferons écarter une tel le position. En premier lieu, il n'y a pas eu de programme politique de Galba. Il ne s'est pas agi, en le choisissant comme empereur, que ce
soit pour les soldats ou pour les sénateurs, de prendre un homme qui établirait sur des bases nouvelles une politique évidemment contraire à celle de Néron. De ce fait, il est impossible d'affirmer352 que la πρόνοια «jouait un rôle sail lant dans le programme de Galba dont elle const ituait, semble-t-il, une caractéristique essentiel le». Pour appuyer cet avis, G. Chalon cite les monnaies avec PROVIDENT, et les paroles de Musonius Rufus, à travers Épictète, qui, l'un et l'autre, se rapportent seulement aux cinq der niers jours du règne. En outre, il cite le passage où Plutarque fait utiliser par Galba, encore en Tarracconaise, le mot πρόνοια. Nous avons vu ce qu'il fallait en penser et nous avions conclu qu'un tel extrait ne pouvait rien prouver sur l'existence d'une prouidentia officielle avant le 10 janvier 69. De toute façon, les autres notions utilisées par Tiberius Julius Alexander sont assez générales et vagues pour ne pas pouvoir être accrochées précisément à tel ou tel prince : la bienfaisance, le salut de tous, la félicité des temps présents . . .353. D'ailleurs, nous devons absolument nous poser la question de savoir si cet édit fait bien allusion à Galba. En effet, les termes sont si généraux, si vagues, les compliments adressés à l'empereur si peu précis, que nous pouvons soupçonner la chancellerie d'Alexandrie d'avoir rédigé un texte qui pût s'appliquer à n'importe quel prince (par exemple à la ligne 8 : ευεργέτης Σεβαστός αυτοκράτωρ). C'est bien un panégyri que, comme le dit G. Chalon354, mais de qui? Certains ont pensé à Néron lui-même, mais le long préambule en l'honneur du princeps, l'a nnonce d'une réorganisation financière et donc sociale, semblent bien marquer le début d'une ère et d'une administration nouvelles355. En véri-
349 Le contenu de l'édit est précisément étudié dans G. Chalon, op. cit., p. 97-236. 350 Cf. supra, p. 9 et 18. 351 Cf. supra, p. 9, n. 15. 352 G. Chalon, op. cit., p. 50-51. 353 Comme l'a bien remarqué J. Béranger dans son compt e rendu du livre de G. Chalon, REL, XLII, 1964, p. 604-607. Mais cette appréciation générale juste ne doit pas faire dire que πρόνοια est une qualité souveraine qui n'appartient pas en propre à Galba, qu'elle est « la vertu impériale par excel lence, aux aspects multiples» et qui se manifeste dans tout ce qui concerne les intérêts vitaux de l'État. Nous avons eu
l'occasion de montrer que cette conception était parfait ementerronée. J. Béranger revient donc sur son affirmation contenue dans Recherches sur l'aspect idéologique ..... p. 200, comme quoi la formule πάσαν πρόνοιαν ποιούμενος « avait un caractère d'actualité, reflétait la doctrine officielle, obéissait aux directives du maître». Il n'en est rien; la formule n'est pas passe-partout; elle n'est employée que dans des cas précis, comme nous l'avons vu plus haut, mais il s'agit d'une habitude de chancellerie et non d'ordres venus de l'empereur. 354 Op. cit., p. 48. 355 G. Chalon, op. cit., p. 118.
CLAUDE ET NÉRON té, nous pouvons nous demander si, avec habile té et prudence, ce qu'il a montré dans toute sa carrière, Tiberius Julius Alexander n'a pas fait préparer cet édit pour afficher publiquement son loyalisme, en laissant en blanc le nom du nouvel empereur au milieu d'une phraséologie assez générale pour s'appliquer à n'importe quel autre empereur auquel, de toutes façons, Tibe rius Julius Alexander aurait ainsi proclamé sa fidélité et sa loyauté. C'est pourquoi nous ne devons pas nous atta cher particulièrement à la mention de la πρόνοια de l'empereur. Elle ne correspond ici que par hasard à Galba et n'est en rien la preuve qu'il s'agit d'un des principes de sa politique (en avait-il d'ailleurs?). Ce langage ne pouvait sur prendre, en Egypte d'abord où la πρόνοια du souverain se reflète dans celle de ses administ rés depuis l'époque lagide, où la sollicitude du souverain s'exprime à travers la sollicitude de ses fonctionnaires à l'égard des Égyptiens. Cet édit, par son contenu et par son langage, s'insère parfaitement dans la chaîne des ordonnances philanthropiques. Il ne pouvait plus surprendre à Rome où on était habitué depuis longtemps à la phraséologie orientale, mais où aussi on con naissait l'emploi de πρόνοια qui avait été fait à Alexandrie par Tiberius Claudius Balbillus et le sens de souveraineté qu'il lui avait donné. En outre, quand on sait, comme Alexander le savait lui-même, le rôle que l'astrologie jouait dans le jeu politique et dans le choix pour le pouvoir, faire allusion à la πρόνοια de l'empereur était rappeler qu'il était le possesseur d'un thème de geniture qui le destinait au pouvoir. Et, quelque soit le princeps, le préfet savait que cette allusion serait bien accueillie. Qui oserait prendre le pou voir sans l'accord des dieux qui ne peut jamais être rendu plus évident que par l'horoscope qui destine à l'empire? En ce qui concerne la Providence, le règne de Galba ne marque pas une rupture. Étant donné que la qualité était attachée à chaque empereur qui s'en servait, il n'était pas difficile de la réutil iser, ce qu'a fait Galba. Il l'a réutilisée, comme ses prédécesseurs, dans un contexte précis, la
356 J. Béranger, Diagnostic du principati l'empereur romain, chef de parti, dans Principatus, p. 277. 357 Cf. P. Grenade, Le pseudo-épicurisme de Tacite, REA,
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révolte des légions de Germanie qui l'a poussé à adopter le jeune Pison. Là encore, il a suivi ses prédécesseurs et il est difficile d'affirmer que «Galba suit un programme tout tracé»356. C'est la nécessité qui l'a poussé à cette adoption; le choix du jour a sans doute été fait par une étude astrologique et c'est pourquoi Galba a choisi de placer cette action sous le signe de Prouidentia qui n'est pas devenue pour cela définitivement un attribut impérial. Mais grave alors est la situation de la Providence; les morts de Galba et de Pison, cinq jours après la proclamation de la Providence de l'empereur et l'intense effort de propagande fait autour d'elle, ne peuvent-elles pas lui porter un coup fatal dont la question posée à Musonius Rufus serait le reflet dans l'opinion publique éclairée? Il est certain qu'après la tentative de Claude, Prouidentia venait de connaître un second échec, peut-être plus grave que le premier, car terminé dans le sang et dans la ruine de ce qu'elle aurait dû protéger et sauvegarder par son action: la suc cession au trône, mais aussi tous les autres thè mes d'action affirmés par Galba, PAX, SALVS SECVRITAS et AEQVITAS qui apparaît pour la première fois sur les monnaies, c'est-à-dire la volonté d'équilibre dans la conduite des affaires de l'État357. 2 - Othon néglige «Providentia» Sur les deux règnes suivants, les documents sont peu abondants en général et, en ce qui nous concerne, pour la Providence, très rares. Pour les 95 jours du règne d'Othon, nous ne possé dons même aucun document. La production des ateliers monétaires a été assez réduite puisque nous n'avons à son nom que des pièces d'or et d'argent dont les quelques légendes (cinq au total) ne nous apprennent pas grand-chose puis qu'elles se contentent de reprendre des thèmes déjà largement utilisés ou de proclamer la Paix et la Sécurité358. Il n'y est pas question de Provi dence. Ce n'est pas qu'Othon ait vécu dans une
LV, 1953, p. 54, n. 1. 358 RIC, I, pp. 218-220.
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ambiance défavorable à l'apparition et à l'utilisa tion de la Providence; c'est même tout le cont raire. En effet, l'empereur a toujours été entour é d'astrologues, conseillé par eux et croyant sincère en leurs prédictions. N'avait-il pas vécu dans l'entourage de Néron, son compagnon int ime, partageant ses espoirs, confident de ses des seins et de ses secrets? C'est bien ainsi que Plutarque nous le décrit au moment où il com prend que Galba ne l'adoptera pas et ne le prendra donc pas comme successeur: «Car les devins et les Chaldéens qu'il avait toujours auprès de lui ne le laissaient absolument pas abandonner ses espérances ni renoncer à son ambition. Ptolémée surtout l'y affermissait et se faisait croire, pour lui avoir souvent prédit autrefois que Néron ne le tuerait pas, mais serait mort avant lui, et que lui-même, survivant à ce prince, serait à la tête des Romains. Les faits ayant vérifié la première de ces prédictions, Pto lémée n'admettait pas qu'Othon désespérât de la seconde»359. Tacite présente les choses de la même façon et insiste encore plus sur le rôle de Ptolémée qui est présenté comme le seul guide qu'ait vra iment suivi Othon (il l'avait auprès de lui en Lusitanie) et comme le véritable instigateur du meurtre de Galba360. Nous voyons d'ailleurs, par scrupule religieux, mais surtout grâce à l'avis de Ptolémée Séleucos, Othon ne pas déclencher son coup de force dès le 10 janvier, jour de l'adop tionde Pison361. Aucun de ses actes ne semble, durant son court principat, avoir échappé à la contrainte astrologique. Othon a pris le pouvoir, et a éliminé Galba, contraint et forcé; il le dit lui-même dans l'allocution qu'il prononce devant les sénateurs le soir du 16 janvier : «... ingressus senatum positaque breui oratione quasi raptus de publico et suscipere imperiimi ut coactus gesturusque communi omnium arbitrio »362. Il a été
contraint de prendre le pouvoir et cette con trainte s'est exercée par l'intermédiaire d'hom mesqui n'étaient, en réalité, que les interprètes du destin astrologique, car Othon a agi «le jour fixé», destinata die363. Rien ensuite n'aurait pu le faire reculer; il ne se préoccupa pas des signes défavorables nombreux qui marquèrent son départ à l'armée, dans la plaine du Pô364. Il décida de livrer bataille contre l'avis de ses meil leurs généraux, au nom de «fortunam et deos et numen Othonis»365. Cette confiance en soi, qui n'avait pu lui être donnée que par les astres, explique aussi son attitude confiante, et même curieusement joyeuse, jusqu'à la fin366; elle expli queaussi sa résignation à la mort : « Que Vitellius soit victorieux puisque les dieux l'ont voul u»367. En réalité, il n'y avait pas place ici pour Prouidentia, même si la divination astrologique avait entièrement guidé l'action d'Othon. En effet, si nous nous en tenons aux critères d'appar ition de cette notion tels que nous les avons définis auparavant, il ne peut être fait appel à la Providence : il n'y a pas de complot contre l'em pereur puisque la désignation de Vitellius s'est faite du vivant de Galba, les 2 et 3 janvier suivant les différentes légions de Germanie; il n'y a aucun événement marquant dans lequel Othon aurait été le représentant de la sauvegar de et de la continuité de l'État. D'ailleurs, il n'a rien prévu pour sa succession, même si Plutar quefait semblant de croire qu'il avait pensé à adopter son neveu Cocceianus368. Après la mort d'Othon, alors que le désespoir est maître dans les rangs de son armée, aucun soldat ne sait à qui s'adresser pour reprendre le pouvoir du princeps mort et pour le perpétuer369, ce qui explique la reddition ou le ralliement de la majeure partie à Vitellius. Enfin, Othon aurait-il pu proclamer sa propre
359 Plut., Galba, XXIII, 7. 360 Tac, Hist., I, 22, 3-5. Cf. aussi Suet., Otho, IV, 1-2. 361 Suét, Otho, VI, 2. 3« Id, ibid., VII, I. 363 Id, ibid., VI, 3. À ce propos, il faudrait peut-être nuancer l'avis de J. Béranger, Le refus du pouvoir, dans Principatus, p. 168, qui associe cette attitude d'Othon à toutes les démarches de refus du pouvoir que nous connaissons pour d'autres emper eurs et qui doivent déboucher sur le consensus des hommes
et des dieux. Il s'agit ici plutôt de rechercher le consensus des hommes en prouvant que l'action entreprise a été impo séepar les dieux. 364 Suét., Otho, VIIJL5. 365 Tac, Hist., II, 33, 2. 366 Plut., Othon, XV. Tac, Hist., II, 46, 1 : « nequaquam trepidus et consilii certus ». 367 Dion Cass., LXIII, 13, 1. 368 Plut., Otho, XVI, 2. 369 Tac, Hist, II, 51.
CLAUDE ET NÉRON Prouidentia alors qu'il venait de nier, par le fer, celle de Galba, proclamée hautement et officie llement? Alors qu'il venait, dans ses discours, de démontrer qu'une telle proclamation était une atteinte à la volonté des dieux: «Vous avez vu, camarades, l'affreuse tempête par laquelle les dieux ont signifié qu'ils avaient en horreur une adoption sinistre»370. En condamnant le choix fait par Galba, Othon a condamné en même temps la Providence qui y était attachée. Il ne lui était pas possible de la réutiliser à son profit, même en montrant qu'il n'était question que de la sienne propre; on aurait pu croire qu'il se plaçait sous le patronage de Galba, ce qui lui était impossible et ce à quoi il ne pouvait song er371. Mais le problème ne pouvait pas se poser dans les mêmes termes pour son rival Vitellius. 3 - Vitellius, son désarroi et « providentia» Reconnu empereur à Rome le 19 avril 69, il ne régna que jusqu'au 20 décembre de la même année. Son monnayage est assez divers, plus élaboré que celui d'Othon; néanmoins, il reste peu abondant et peu diversifié, surtout en ce qui concerne les frappes de bronze. En effet, Dion Cassius nous le confirme, «il conserva la monn aie frappée sous Néron, Galba, Othon, sans s'offenser de leurs images»372. Parmi les quelques séries frappées durant son règne se trouve un ensemble d'as portant, au droit, le profil de Vitellius avec sa titulature, et, au revers, l'image maintenant habituelle, de l'enceinte d'autel à deux battants, avec les cor nes de l'autel et l'inscription PROVIDENT SC entourant l'autel lui-même373. Étant donné que toutes les titulatures de cette série portent le
370 là, ibid., I, 38, 1. 371 Les actes des frères arvales sont conservés dans leur totalité pour la durée du règne d'Othon. Les cérémonies sont nombreuses (16, 26 et 30 janvier; 26 et 28 février; 1er, 5, 9 et 14 mars). Il n'y est jamais sacrifié à la Prouidentia, quelle que soit l'occasion. Cf. Henzen, AFA, p. XC-XCVI (= CIL, VI, 1, 2051 et 4, 2, 32359). 3" Dion Cass., LXIV, 6, 1. 373 RIC, I, p. 228, n° 24. Cf. p. 432, n° 13 et pi. I. 374 Ibid., p. 221-222. Nous pouvons d'ailleurs noter que le visage de Vitellius est peu connu; les premiers soldats qui le
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nom d'Augiistiis et qu'elles ont été frappées à Rome, ces monnaies peuvent être datées de la seconde partie du règne, c'est-à-dire qu'elles sont émises à partir du moment où Vitellius est entré à Rome, le 18 juillet, et où il a reçu le titre d'Augiistiis qu'il n'avait pas voulu accepter jus qu'alors. Il est d'ailleurs très possible que Vitel liusn'ait commencé à faire frapper le bronze ou les alliages de cuivre qu'à la fin de son règne, au moment où le conflit avec Vespasien allait in éluctablement éclater. Vitellius ressentit alors le besoin de répandre partout et le plus vite possi blesa propagande374. La cause de l'apparition de cette série de pièces de bronze est assez difficile à déceler; les éléments sur Vitellius, malgré l'abondance de nos sources, nous manquent. Chercher dans le domaine astrologique est un peu vain, car l'em pereur ne semble pas être un adepte de cette science. Cela ne veut pas dire que sa vie n'a pas été entourée, comme celles de tous ses contemp orains, de signes divins et de présages. Ne nous dit-on pas que son horoscope, examiné par ses parents à sa naissance, effraya sa famille qui chercha toujours à lui éviter les plus hautes charges375. Mais lui-même a toujours écarté les signes du destin et dédaigné «toujours davanta ge toute loi divine et humaine»376. Il prit aussi un édit resté célèbre, toutes nos sources nous en parlent, qui expulsa les astrologues de Rome et de l'Italie377. Si nous avons dit que, le plus sou vent, une telle mesure était prise par des emper eurs soucieux de protéger leurs propres recher chesastrologiques et de se réserver la connais sancede l'avenir, il ne peut en être ainsi de Vitellius. Nous ne voyons aucun Chaldéen dans son entourage et il ne croit à aucun signe, à aucun présage378. Il ne peut s'agir ici que d'une mesure prise contre des hommes qui, par leur
découvrent caché dans une remise à chiens ne le reconnais sent pas dans un premier temps. Or, le seul véritable moyen pour bien connaître le visage du souverain était les monn aies. Ce qui signifie que très peu de monnaies au profil de Vitellius avaient alors circulé. 375 Suét., Vit., III, 4. 376 Id., ibid., XI, 2; Dion Cass., LXIV, 2, 1. 377 Tac, Hut., II, 62, 4; Suét., Vit., XIV, 5; Dion Cass., LXIV, 1,4. 378 Tac, Hist., IL 56, 1-2; Dion Cass., LXIV, 8; 10; 16.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETE
propagande astrologique, appuyaient certain ement les ambitions de Vespasien. En effet, ce dernier, comme nous le verrons, a été poussé au pouvoir par un ensemble de révélations à carac tèredivinatoire; en outre, cet édit a été pris par Vitellius peu de temps avant le 1er octobre, tout au moins d'après Suétone379, à un moment où la menace de Vespasien est déjà très forte et s'exer ce sur bon nombre de légions, même en Occi dent. Mais cela ne suffit pas à expliquer l'appari tion de monnaies au type de l'enceinte d'autel avec PROVIDENT. La seconde réponse apportée à ce problème doit être recherchée du côté de Galba. En effet, la dernière série officielle à ce type est du règne de Galba. Ne pourrait-ce être, pour Vitellius, un moyen de s'affirmer comme son successeur et son vengeur vis-à-vis d'Othon, écarté de ce fait comme un vil usurpateur? Après la mort d'Othon, on s'est mis à fleurir l'endroit près du lac Curtius, où Galba avait été tué et il est devenu rapidement un lieu de pèlerinage pour ses propres soldats au moment même où Vitel liusétait accepté comme empereur380. Vitellius lui-même n'a-t-il pas fait rechercher et condamn er ceux qui avaient réclamé à Othon des récompenses pour avoir participé au meurtre de Galba381? Il est vrai que cette mesure faisait plutôt partie de l'arsenal du bon ordre politique; d'ailleurs Vitellius se présenta plus comme un nouveau Néron, à l'instar d'Othon, en l'imitant dans son action382, en prenant plaisir à faire chanter des vers du dernier julio-claudien et en offrant des sacrifices officiels à ses mânes en présence des membres de tous les grands collè gesreligieux383. La frappe des monnaies ne peut donc venir d'une imitation de Galba, ni même d'une imitation de Néron puisque, nous l'avons vu, il n'y eut sous son règne, aucune frappe officielle au type de l'enceinte d'autel. En tant que réponse à un complot déjoué, ou à déjouer, Prouidentia aurait pu aussi être
employée. Alors qu'il était encore à Lyon et qu'il se dirigeait vers l'Italie à petites étapes et avec prudence, un Boïen, Mariccus, provoqua une révolte qui fut rapidement étouffée, mais qui aurait pu avoir des conséquences graves, car ce Gaulois se disait inspiré par les dieux384. Faire appel à la Providence à ce propos aurait pu passer pour un bon moyen de propagande, d'au tant que Vitellius avait assisté à son exécution. Mais, comme nous l'avons dit plus haut, les monnaies sont certainement de la dernière période de frappe du règne; en outre, elles sont sorties des ateliers romains, et il est difficile de penser que Vitellius, plusieurs mois après, aurait fait répandre ces monnaies en souvenir d'un épisode que bien peu devaient avoir encore à la mémoire. Une dernière solution a été proposée385. Étant donné le précédent de Galba, ne pourraiton pas penser que cette série monétaire doit être mise en rapport avec le choix, fait par Vitellius, de son fils comme successeur? Nos sources insistent à plusieurs reprises sur la volonté de l'empereur de laisser, après sa mort, le pouvoir à son fils, encore tout petit à l'épo que; il le recommande à son armée alors qu'il est encore à Lyon : « Ensuite, il voulut que toute l'armée allât à la rencontre de son fils encore au berceau; il se le fit apporter, le couvrit du paludamentum et le tenant dans ses bras, il l'appela Germanicus, puis l'entoura de tous les insignes du rang impérial»386. C'était engager l'armée et tous ses proches. D'ailleurs, quand l'entourage de Vitellius veut perdre Junius Blaesus et essaye de rendre du courage à l'empereur, son frère vient lui rappeler que «si le destin lui réserve quelque accident, il a un fils»387. Après la défaite de Crémone, au moment où les troupes appuyant Vespasien se rapprochent de Rome, il prend son fils dans ses bras, il le présente à tous «pour exciter leur compassion et, certainement aussi, pour montrer par qui devait s'accomplir la
379 Suét., Vit., XIV, 5. Y a-t-il eu deux édits comme le pense F. H. Cramer, op. cit., p. 234? Le second aurait peut-être été pris dans les derniers jours du règne, dans le même but que le premier, ce qui expliquerait la fameuse réplique des Chaldéens à cette proclamation, qu'il mourrait le jour indiqué par lui pour l'expulsion. 380 Tac, Hist., II, 55, 2; 88, 7. 381 Suét., Vit., X, 2. Cf. C. M. Kraay, The aes Coinage of
Galba, dans Numism. Notes and Monographs, CXXXIII, 1956, p. 50. 382 Dion Cass., LXIV, 7, 3. 383 Tac, Hist., II, 95, 2. 384 Id, ibid., Il 61. 385 M. P. Charlesvvorth, art. cit., p. 115. 386 Tac, Hist., II, 59, 5. 387 Tac, Hist., Ill, 38, 10.
CLAUDE ET NÉRON succession»388. Quand, le 18 décembre, à la suite de la capitulation de ses troupes à Narnia, il quitte le Palatin, il emmène en litière son petit garçon389 qui est tué, peu après son père, deux jours plus tard390. À partir de ces faits, il est assez difficile de voir dans cette politique la cause immédiate de la frappe des monnaies au type enceinte d'autel-PROVIDENT. En effet, il n'y a pas eu d'adoption et si Galba pouvait proclamer sa clairvoyance dans le choix réalisé, si Tibère avait pu rendre officielle sa providence qui avait sauvé la dynastie, il ne pouvait en être de même ici où, pour la première fois, un emper eurdésigne comme successeur un fils de son sang. En outre, cette désignation n'a jamais revê tude caractère véritablement officiel; il n'y a eu qu'une présentation aux légions de Germanie. S'il était vrai que les monnaies avec la Providen ce commémoraient et proclamaient tout à la fois un tel événement, nous pourrions nous étonner de trouver un délai aussi long entre le fait et la frappe à laquelle, chose étonnante aussi, l'atelier3 de Lyon n'aurait pas participé. Ce n'est certainement pas l'exaltation d'un succès qu'il faut y rechercher. Ne serait-ce pas plutôt, dans ces derniers mois de règne, et pour quoi pas à partir de cet édit chassant les astrolo guesaux calendes d'octobre, la preuve d'un pro fond désarroi? Vitellius se sait menacé; il lui faut réagir et, dans ce domaine, la propagande numismatique ne peut être oubliée. Aussi fait-il refrapper, à son propre profit, un type connu et répandu qui rappelle la stabilité du pouvoir impérial à travers tous les périls intérieurs. Pour Vitellius, affirmer à la face du monde qu'il possé daitune prouidentia, c'était infirmer tout ce qui se disait de lui : qu'il ne savait pas prendre de
388 Dion Cass., LXIV, 16, 5. 389 Tac, Hist., Ill, 67, 3. 390 Dion Cass., LXIV, 22. Ou quelques mois après si l'on en croit Tac, Hist., IV, 80, 1, qui attribue sa disparition à Mucien qui «prétextait que la discorde durerait, s'il n'étouffait pas
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précautions et juger de ce qu'il fallait pour l'ave nir,qu'il ne savait prendre aucune décision dans les cas graves, qu'il faisait toujours preuve d'un caractère hésitant et velléitaire quand on n'était pas obligé de l'arracher à sa torpeur, sinon à son sommeil391, qu'il prenait des desseins successifs contradictoires qui provoquaient partout le désordre392. N'est-ce pas le portrait de Yimprouidus tel qu'aurait pu le tracer Cicéron? Par les frappes PROVIDENT, Vitellius affirme au monde qu'il est un esprit réfléchi, clair, sensé, capable d'une action méthodique et efficace. Il démont re, dans le même mouvement, que c'est lui que les dieux, providents pour les hommes, ont chois i pour diriger l'empire romain et qu'il est donc impie de s'attaquer à lui. Nous pensons donc que, pour la première fois, il faut donner à Prouidentia sous Vitellius un sens plus général que la notion n'avait jus qu'alors. Ce n'est pas un événement particulier qui a provoqué son apparition, comme lors des règnes précédents, mais une situation générale mauvaise, presque désespérée déjà, et Prouident ia pouvait être un moyen d'action psychologi que. Nous retrouvons les mêmes caractères dans les autres séries monétaires sorties à la même époque des ateliers de Rome393 et qui procla ment YAequitas de l'empereur, la Concordia, la Pax, la Liberias qu'il fait régner, aussi bien que Cérès et l'Annone qui assurent le ravitaillement en blé de Rome et la survie de ses habitants. Étant donné les événements et leur évolution rapide, une telle politique eut une portée nulle sur l'opinion; il était beaucoup trop tard pour Vitellius; personne ne pouvait croire, ne seraitce qu'un instant, à l'existence de la providence d'origine divine d'un tel empereur.
tous les germes de guerres ». 391 Tac, Hist., II, 95, 6; IIL 55, 1. 392 Dion Cass., LXIV, 16, 2. 393 RIC, p. 226-228.
CHAPITRE II
LES FLAVIENS OU LA FAMILLE PROVIDENTIELLE
Les choses changèrent totalement avec l'arr ivéeau pouvoir de Vespasien. Rome était lasse de cette instabilité de plus d'un an et demi, depuis la disparition de Néron. Pour retrouver l'équilibre politique, économique (la Ville com mençait à manquer de blé), psychologique, Rome accepta celui que les légions d'Egypte avaient proclamé empereur dès le 1er juillet 69 et dont les troupes venaient d'éliminer d'Italie les Vitelliens. Elle supporta le gouvernement de Mucien au nom de Vespasien en attendant l'arr ivéede ce dernier qui n'eut lieu qu'à la fin de l'année 70, certainement en octobre. Il arriva sous le signe de la paix retrouvée et Pax resta un des grands symboles de son règne avec son propre forum qui porta ce nom. Mais stabilité et paix demandent aussi autre chose : une succes sionassurée. C'est dans ce jeu et cet ensemble de stabilisation et d'établissement d'une conti nuité politique et dynastique que s'intègre Prouidentia.
Les documents officiels du règne de Vespas iennommant la Prouidentia ne sont que d'un seul type, les monnaies. Mais elles sont très nombreuses. En effet, elles apparaissent presque
tous les ans (la titulature de l'empereur permett ant de les dater avec précision) et, plus curieux, certaines sont à l'effigie et portent les titulatures des deux fils de l'empereur. Nous nous trouvons ainsi en présence de caractères assez nouveaux et qu'il nous faudra tenter d'expliquer après les avoir approfondis. Par contre, les représentations des revers n'ont rien pour nous étonner, puisque nous y retrouvons l'enceinte d'autel, à double porte, avec les cornua de l'autel, l'inscription PROVI DENT et SC de chaque côté; ces monnaies sont toutes des as de bronze des ateliers de Rome (les plus nombreuses), de Lyon ou de Tarragone (assez rares). Les années de frappe ne sont pas indifférentes; à l'effigie et à la titulature de Ves pasien, nous possédons de ce type, des monnaies de 71 (les plus nombreuses et en provenance des trois ateliers précités, Rome, Lyon et Tarragone), de 72 (Rome et Lyon), de 73 (Rome), de 77 ou 78 (Lyon) et de 79 (Lyon)1. Nous pouvons déjà noter une interruption de ces frappes en 74, 75, 76 et, peut-être 77. Pour les pièces au profil et à la titulature de Titus, nous possédons des as de 72 (Rome), de 73 (après le 1er juillet, car Titus y est dit CENSOR; de Rome), de 76 (de Lyon), de 77 ou 78 (de Lyon)2. En ce qui concerne Domitien, les monnaies sont moins nombreuses: un as de 72 (de Rome), un de 73 (de Rome), un de 75 (de Rome toujours)3.
lRIC, II, p. 74, n° 494(71); n° 544a, b, c(73); p. 104, n° n° 770 (79). Cf. p. 432, n° 14 (pi. ZÄ/C, II, p. 87, n° 621 (72);
n° 771 (76), p. 107, n° 785 (77 ou 78). Cf. p. 432, n° 19, 20, 21, 22. iRIC, II, p. 95, n° 687 (72); p. 97, n° 698 (73); p. 98, n° 712 (75). Cf. p. 432, n° 23, 24, 25.
I - LES DOCUMENTS NUMISMATIQUES
p. 102, n° 746(72); p. 79, 763 (77 ou 78); p. 105, I), 15, 16, 17, 18. p. 91, n° 655 (73); p. 105,
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
II nous faut résoudre deux problèmes : le premier, habituel maintenant, doit nous permett re de définir pourquoi Vespasien a cru bon de faire réapparaître Prouidentia sur les monnaies, alors que, justement, celui auquel il s'était oppos é,celui qu'il haïssait certainement profondé ment4 comme homme et comme soldat, Vitellius, avait lui-même utilisé la Providence, ou tenté de l'utiliser, dans sa propagande. La deuxième question que nous devons nous poser est pourquoi la Prouidentia, avec ce type de représentation, est employée à de si nombreuses reprises durant le règne et pourquoi Titus et Domitien sont associés à leur père dans cette frappe. Ce sont là des caractères tout à fait nouveaux et originaux qui répondent, le fait est certain, à une politique déterminée que nous devons définir pour mieux comprendre ce qu'a été le principat flavien. Encore une fois, parler d'exaltation de la propre personne de l'empe reur,placée au-dessus de celles de ses sujets5, ne peut être satisfaisant. Un premier trait est d'importance; ces séries monétaires n'ont commencé à être émises que durant l'année 71, alors que Vespasien a été reconnu empereur par le sénat dès le 21 décemb re 696. Mais nous savons que l'empereur n'était pas rentré tout de suite à Rome, voulant d'abord tenir parfaitement en main tout l'Orient; il ne revint qu'en octobre 70 et il fut accueilli dans un grand concours d'enthousiasme7. Ce retour s'a ccompagna d'une prise en mains personnelle des intérêts de l'empire par Vespasien; les change ments sont alors très nets dans les séries monét aires, ce qui a été remarqué depuis longtemps8. On peut l'attribuer à la reconstitution des ate liers monétaires du sénat qui avaient dû brûler avec le Capitole dans les événements de la fin du règne de Vitellius. Il faut surtout y voir les directives personnelles de Vespasien qui a voulu donner son prope style et son programme aux frappes de bronze, les plus courantes dans la
circulation, donc les plus utiles pour la propa gande. Avant son retour à Rome, parmi les plus importants, avaient été frappés des as, des ses terces et des dupondii, aux types AETERNITAS, SALVS AVGVSTI, IVD CAP, ROMA, SPES AVGVSTA, VICTORIA AVGVSTI, TVTELA AVGVSTI, AEQVITAS AVGVSTI et quelques autres9. Leur nombre est assez mince et contrast e singulièrement avec l'abondance des types nouveaux à partir du moment où Vespasien se trouve à Rome : il fit d'abord frapper des repré sentations «conjoncturelles» telles FORTVNAE REDVCI, PAX AVGVSTI ou ROMA RESVRGES10, puis, à partir du 1er janvier 71 et du troisième consulat de l'empereur, des séries nouvelles qui sont le reflet de la pensée de Vespasien luimême : PROVIDENTIA se trouve alors mêlée à ces frappes exaltant CONCORDIA, IVDAE CAP TA,LIBERTAS AVGVSTI ou RESTITVTA, MARS VICTOR, PAX AVGVSTI, ROMA RESVRGES ou VICTRIX, SALVS AVGVSTA, VICTORIA AVGVSTI 11, ... Nous pouvons donc attribuer, en toute certitude, l'expression de la Prouidentia sur les monnaies à la volonté personnelle de Vespasien. Ce premier point est important puisqu'il nous montre qu'il s'agit d'une notion à laquelle Vespas iensemblait particulièrement attaché.
4 Flav. Jos., Bell. Jud., IV, 589 : « II méprisait comme maître un homme qui s'était jeté en furieux sur l'Empire comme s'il s'était agi d'un désert ». 5 W. Ensslin, Gottkaiser und Kaiser von Gottes Gnaden, p. 34. 6 Tac, Hist., IV 3, 5. 7 Dion Cass., LXV, 9. 8 RIC, II. p. 7.
9 RIC, II, n° 384, 392, 393, 394 et 395, 396, 397, 398, 399. Cf. E. Bianco, Indirizzi programmatici e propagandistici nella monetazione di Vespasiano, dans RIN, XVI, 1968, p. 145-230. 10 RIC, II, n° 402, 403, 407. 11 RIC, II, p. 66 à 76. 12 J. Gagé, Vespasien et la mémoire de Galba, dans REA, UV, 1952, p. 290-315.
II - QUEL SENS LEUR ATTRIBUER? 1 - Le rappel de Galba Mais cela ne nous explique toujours pas pourquoi Vespasien a voulu que soit exaltée sa Prouidentia. Une première réflexion conduit à nous demander si le princeps flavien n'a pas voulu rendre hommage à celui dont il se consi dérait comme le successeur légitime, Galba. Plu sieurs indices le montrent assez clairement12.
LES FLAVIENS
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Quand Titus partit d'Orient sur l'ordre de son père pour aller auprès de Galba et lui rendre hommage, nombreux déjà avaient été ceux qui avaient pensé qu'il accomplissait ce voyage pour être adopté et devenir ainsi le successeur du vieux princepsn; ce voyage se fit dans l'hiver 68-69 14, à un moment où justement toute l'opi nion, comme nous l'avons vu, était tendue vers le choix que Galba devait faire et qu'il retarda jusqu'au 10 janvier. D'ailleurs quand Titus apprit, à Corinthe, le meurtre de Galba, il ne se rendit pas à Rome, mais il revint auprès de son père, sous «une inspiration divine», nous dit Flavius Josephe, qui y voit une des préfigurations de l'avenir grandiose des Flaviens15. C'est, en tout cas, le signe d'un refus d'accepter ce qui peut se passer après le meurtre à Rome et, en même temps, il s'agit de la reconnaissance du caractère légitime que le pouvoir de Galba avait revêtu. Le second trait en rapport avec la mémoire de Galba est la politique favorable à son action qui est entreprise par le représentant de Vespasien à Rome, Mucien, et Domitien, le fils du nouvel empereur, encore en Orient. C'est ce der nier qui, devant le sénat, fait les premières pro positions; Tacite présente ainsi les choses: «Le jour où Domitien prit séance au sénat, il pronon ça sur l'absence de son père et de son frère, ainsi que sur sa propre jeunesse, quelques parol espleines de modération et se montra noble dans sa tenue . . . César proposait dans son rap port de rétablir les honneurs de Galba; Curtius Montanus émit alors l'avis que la mémoire de Pison fut pareillement honorée. Les sénateurs votèrent l'une et l'autre motions. Mais celle qui concernait Pison n'eut pas d'effet»16. Malgré cer taines libertés prises par Domitien vis-à-vis de son père durant cette courte période, une telle politique ne pouvait qu'avoir l'aval de Vespasien. Dans la remise en ordre de l'État, il était bon de retrouver le souvenir d'une stabilité que la guer re civile avait rompue. Si on effaçait le souvenir
d'Othon et de Vitellius, il était normal de s'a ppuyer sur la mémoire de Galba dont tous, au début, avaient accepté la souveraineté. Il est aussi possible de retrouver un écho de cette mise en valeur de la personne et du règne de Galba dans les premières années de la puis sance de Vespasien, dans l'œuvre de C. Silius Italicus, les Punica. Ces dix-sept chants sur la deuxième guerre punique sont surtout un hym neà la puissance romaine, passée et présente. Celui qui avait sans doute été un délateur sous Néron, qui le récompensa par le consulat en 68, réussit à traverser les événements de 68/69 sans dommage et à devenir même proconsul d'Asie avant de se retirer en Campanie pour étudier et écrire17. Il sut, dans son œuvre, introduire l'idéo logie impériale de l'époque des Flaviens en pro cédant par allusion et en utilisant le vocabulaire adéquat18. Il ne s'en cache d'ailleurs pas et, dans le chant III, il exalte l'action de Vespasien, de Titus et de Domitien, en particulier les campag nesmilitaires qui leur ont donné la Victoire19. Pour le problème qui nous intéresse un autre passage, répondant certainement au souci de mettre toujours en valeur les idées dominantes du moment est important : «lamque per Etniscos legio completa maniplos Rector em magno spectabat nomine Galbam »20. Ce n'est pas un hasard si Galba est qualifié de «grand nom»; il ne peut s'agir ici que d'une allusion au règne récent de cet empereur et au renom qui est le sien au début de la période flavienne, ou que, tout au moins, Vespasien a cherché à lui faire garder. Enfin, il est un dernier trait qui montre tout l'intérêt que Vespasien a porté au renom de Galba. Il semble bien qu'à Lyon en particulier, dans l'année 70-71, on ait continué à frapper des monnaies avec, sur l'avers, le profil et la titulature de Galba21. C'est presque certainement le cas des aurei et des deniers (AEQVITAS, CONCORDIA PROVINCIA, FORTVNA AVG, PAX AVG,
13 Tac, Hist., IL 1 ; Suét., Tit., V, 1. 14 Flav. Jos., B.J., IV, 499. 15 Ibid., 501. 16 Hist., TV, 40, 1-3. Les chefs des Flaviani avaient déjà relevé les statues de Galba en Italie. 17 Cf. E. Paratore, La letteratura latina dell'età imperiale, Florence, 1969, p. 145-146.
18 Cf. J. Béranger, Idéologie impériale et épopée latine , dans Principatus, p. 393-394. 19 Sii. Ital., Punica, III, 594-611. 20 Id, ibid., VIII, 468-469. Ce passage est d'ailleurs précédé d'un autre parlant du «ductor Piso »dont il vante et la jeunes se et le courage. *' RIC, II, p. 197.
PROVIDENTIA ET SOUVERAINETE
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ROMA VICTRIX). Pour les monnaies de bronze, il faut montrer plus de prudence; nous avons vu, en effet, que le type PROVIDENT, qui fait partie de ces séries, doit être attribué normalement et surtout logiquement, à une frappe du vivant de Galba, à l'extrême fin de son règne et en corréla tion avec l'adoption de Pison. Il n'est pas imposs ibleque certaines autres soient dans ce même cas. En particulier pourraient l'être celles évo quant la PIETAS qui serait, justement, celle de Vespasien à l'égard de son prédécesseur imméd iatGalba, Othon et Vitellius étant ainsi total ement effacés. Il y a donc bien mise en valeur de Galba et de son règne; Vespasien veut se faire considérer comme le seul successeur légitime, afin d'assu rer lui-même sa propre légitimité et celle de sa lignée. Mais ce ne peut être suffisant pour expli quer que le premier princeps flavien ait utilisé Prouidentia. En effet, le rappel de la Providence de Galba serait ici bien curieux et inutile puis que Galba avait cru montrer sa Providence en assurant la continuité de l'État par l'adoption de Pison. De la part de Vespasien, il serait étonnant de rappeler de cette façon un épisode aussi précis; il ne faut pas oublier que l'entreprise de Galba a totalement échoué. En outre, elle s'était faite, en réalité, au détriment de Vespasien, puis qu'il se trouvait en Orient, général puissant et estimé, et que ce n'est ni à lui ni à son fils que Galba avait fait appel. Même en se plaçant en vengeur de la mémoire de Galba et de Pison, ce dernier dans une bien moindre mesure, il n'était pas dans l'intérêt de Vespasien de remettre en mémoire cet événement si particulier. Ce n'est pas dans ce domaine que nous pourrons trouver la bonne explication.
2 - LA PART DE L'ASTROLOGIE Nous avons vu que, chaque fois que Prouident ia était utilisée, l'astrologie avait sa part dans 22 Suét., Vesp., XXV, 1. 23 RIC, II, p. 28, n° 121 a et b (Vespasien); p. 39, n° 209 et 210 (Titus). Cf. J. Gagé, Le Colosse et la Fortune de Rome, dans MEFR, XLV, 1928, p. 106-122. 24 Cf. P. Jouguet, Mél. A Ernout, 1940, p. 201-210 (d'après le papyrus Fouad, I, 8). M. Mac Crum-A. G. Woodhead,
l'apparition de la notion et dans son officialisa tion. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour Vespasien? La matière est ici assez mince, mais ne doit pas être négligée. Vespasien passe pour un sceptique et un homme de «bon sens», ce qui semble exclure toute croyance en l'astrologie. Or, Suétone te rmine sa biographie de l'empereur flavien par ce qui lui semble le mieux résumer l'homme, sa croyance en l'astrologie : « De l'avis de tous, il eut toujours une si grande confiance dans son horos cope et dans celui des siens que, malgré de multiples conjurations tramées contre lui ... »22. Nous n'avons aucun renseignement particulier sur cet horoscope, qui est, bien entendu une genesis imperatoria, ni d'autres détails sur ses rapports directs avec les Chaldéens et leur art. Mais nous avons quelques autres indices intéres sants: ainsi, sur une monnaie des années 75-79, un aureiis plus précisément, nous pouvons voir Aeternitas debout, tenant dans ses mains les têtes de Sol et de Lima, avec un autel allumé à ses pieds23; le cours immuable des deux astres et leur éternelle renaissance sont l'image de l'éter nitédu monde et marque bien l'intérêt de Ves pasien pour le ciel et les corps qui s'y meuvent. Nous pouvons aussi relever le fait que Vespasien a été acclamé par le peuple alexandrin, le jour de son entrée dans la ville, dans l'hippodrome de la cité24. Or, ces acclamations à cet endroit ne peuvent laisser indifférent à l'égard de l'astrolo gie. En effet, l'hippodrome est un monde en miniature, un microcosme, qui permet de mettre en rapport les 12 portes des carceres et les 12 signes du zodiaque, les 7 tours de la course et les 7 planètes, les couleurs des factions et l'influen ce de chaque planète . . ,25. Vespasien reçoit l'a ccord du peuple grec d'Alexandrie, accord qui est garanti par les astres. Mais les rapports étroits que Vespasien entre tenait avec l'astrologie sont rendus plus évidents encore par le fait que l'empereur s'était attaché officiellement un astrologue en qualité de con seiller et de devin; il s'appelait Seleucos26. Ils Select Documents of the Principate of the Flavian Emperors, Cambridge, 1961, n° 41. 25 P. Wuilleumier, Cirque et astrologie, dans MEFR, XLIV, 1927, p. 184-209. 26 Tac, Hist., II, 78, 2.
LES FLAVIENS sont aussi rendu évidents par la façon dont il voulut expulser les astrologues de Rome et de l'Italie dès le début de son règne. Comme nous l'avons déjà vu, cette politique est toujours le marque d'une croyance dans les astres, puis qu'elle permet à l'empereur de se réserver cette science pour un usage strictement personnel. F. H. Cramer pense qu'il y a eu deux édits d'ex pulsion: le premier pris dès 70 et qui ne serait que le renouvellement de celui de Vitellius27; le second dès l'année suivante, touchant officiell ement les philosophes; mais nous connaissons les liens étroits que pouvaient entretenir des hom mes de tendance stoïcienne avec la recherche astrologique28; seul Musonius Rufus échappa à cette proscription, car il avait embrassé sa cau se; mais une brouille survint, il repartit pour l'exil. Ces expulsions correspondraient-elles à des complots montés contre l'empereur et qui se seraient appuyés sur l'étude de son thème de geniture, ce qui justifierait l'emploi de la Prouidentia? Le problème est difficile à trancher, car nos sources sont bien peu importantes sur ce point. Alors que Vespasien n'était pas encore à Rome, Mucien fit périr Calpurnius Galerianus, le fils de C. Pison, pour des motifs obscurs (« l'illu stration de son nom», «la jeunesse de sa person ne» ne peuvent être considérés comme argu ments suffisants); mais il est dit qu'«il y avait des gens pour faire courir le bruit mensonger de son avènement»29. Incontestablement de tels bruits ne pouvaient reposer, pour être crus, que sur son horoscope. Mais cet incident ne peut être à la base, et de l'expulsion des philosophes et astrologues, et de la proclamation de la Provi dence de l'empereur; ce n'est pas Vespasien qui en a pris l'initiative et Mucien a certainement agi de son propre mouvement, ce qui d'ailleurs, nous dit Tacite, «porta la terreur à son comb le». 3 - La part de l'Orient Ce n'est pas dans cette expulsion que nous trouverons la solution. Elle doit se trouver en
27 F. H. Cramer, Astrology in Roman Law and Politics, Philadelphie, 1954, p. 234. Dion Cass., LXVI, 9. 28 Dion Cass., LXV, 13. 29 Tac, Hist., IV, 1 1, 6.
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Orient, là où Vespasien a été proclamé emper eur. Et nous pouvons tout de suite noter que l'astrologie n'a pas été absente des événements, nous l'avons vu avec le symbolisme de l'hippo drome. a) Balbillus. Le fait est encore plus évident avec la grande mansuétude que le nouveau pnnceps prodigua à quelques philosophes, «les plus célèbres d'entre eux» nous dit Dion Cassius30 qui s'en étonne presque puisque Vespasien avait banni les astro logues de Rome. Mais ces astrologues ont parti cipé à son accession au pouvoir, directement peut-être, indirectement sûrement en façonnant l'opinion. C'est sans doute l'explication de la considération montrée pour Balbillus qui, inter venant auprès de l'empereur, permit aux Éphésiens de célébrer des jeux sacrés dès l'année 71 ou l'année suivante. Ce Néronien vivait mainte nant à Éphèse; son prestige était tel, dans sa cité comme auprès des autorités, qu'il put faire autor iser des jeux qui, Dion Cassius prend soin de nous le dire, ne furent permis à aucune autre ville31. Balbillus devait cette faveur à son art, certainement aussi à ses relations dans lesquell es Tiberius Julius Alexander devait tenir la meil leure place. L'apparition du nom de Balbillus, qui avait fait frapper, au début du règne de Néron, des séries monétaires avec ΠΡΟΝΟΙΑ32, étonne moins dans le contexte d'un emploi de Prouidentia. Malheureusement, nous ne pouvons pas mesurer son influence propre, si même elle a été directe ou indirecte; en effet, il a certaine ment fallu un grand talent pour que Vespasien acceptât, et honorât, un tel représentant des tendances néroniennes; Tiberius Julius Alexan der y est certainement pour beaucoup, mais nous n'avons, là encore, aucune preuve vérita ble. Cependant la personne de Balbillus, son influence, ne peuvent suffire à expliquer l'appa rition de Prouidentia sur les monnaies, même si le personnage est allié à la famille royale de
30 Dion Cass., LXV, 9, 2. 31 Cf. J. Gagé, Basileia . . . , p. 158-160. 32 Cf. supra, p. 157.
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Commagène qui soutint la lutte de Vespasien contre les Juifs, même s'il est «celui qui fait parler les images de la Bête» de l'Apocalypse johannique33. Il fait, en réalité, partie, avec bien d'autres éléments, d'une ambiance favorable à l'éclosion de la Prouidentia de l'empereur: elle est, dans un premier temps, toute orientale et fait appel à des sources sémitiques et égyptien nes nombreuses et variées qui ont influencé Vespasien à des degrés très divers. Nous som mes loin alors des événements auxquels Balbillus tentait de répondre par ses frappes avec ΠΡΟΝΟΙΑ.
Vespasien est à la tête des légions d'Orient depuis la dernière année du règne de Néron; les Juifs, excédés par les vexations du procurateur de Judée, Gessius Florus, s'étaient révoltés et avaient pris rapidement le contrôle de presque toute la province. Néron y envoya Vespasien pour rétablir la situation; ce que ce dernier, avant la mort de Néron, et malgré les moyens mis en œuvre, n'avait pas encore réussi à faire. Mais, ce qui importe pour nous est le temps passé en Orient, et plus particulièrement en Judée, par le futur empereur. Il l'a fait dans un milieu qui n'était pas uniquement romain, car, dans l'entourage même des chefs romains, se trouvaient de nombreux Juifs qui avaient refusé de prendre le parti des révoltés; ainsi le roi Agrippa II et sa sœur Bérénice; maître d'un État iduméen, au nord-est de la Judée, ce roi contrôl ait également le temple de Jérusalem. Mais, tout en pratiquant la religion juive, la famille- royale était déjà parfaitement intégrée au monde romain (une des sœurs d'Agrippa II avait épousé le procurateur de Judée, Félix). Il est possible aussi que de nombreux roitelets, de Commagèn e, d'Émèse en particulier, aient été aussi Juifs d'origine, sinon de pratique. En tout cas, c'est dans ce milieu que Vespasien vit avant d'assu merle principat; il en a très certainement subi l'influence, mais dans quelle mesure? Dans cet entourage juif, un homme joua un
rôle prépondérant par sa personnalité, sa force de conviction, son art de la persuasion, Flavius Josephe. Depuis la mort d'Hérode, une profonde agitation populaire se répandit à plusieurs repri sesdans toute la Palestine; des bandes armées étaient menées par des «rois» et répandaient la terreur. Ces royautés messianiques ne furent jamais qu'éphémères, mais elles donnèrent nais sance au dernier grand mouvement, celui des «Sicaires», qui disparut seulement à la prise de Massada, en 73. Flavius Josephe, qui appartient à une famille sacerdotale, est un docteur de la Loi, mais il connaît bien les milieux gréco-romains et il est même allé à Rome en 64. En 66, il command e les troupes juives en Galilée contre les Romains; mais il veut avoir avant tout comme rôle celui de résoudre les problèmes internes aux Juifs; enfermé dans Jotopata, il échappe à la prise de la ville et est fait prisonnier par les Romains. Il se rallie alors à Rome, cherche à convaincre ses coreligionnaires d'arrêter la guerr e.Après la fin de cette dernière, il s'installe à Rome, sans fonctions officielles, et il y écrit ses œuvres principales, dont le récit du Bellum Judaicum1*. À partir du moment où il est rallié, Flavius Josephe cherche à détourner en faveur de Ves pasien le courant monarchique subversif qui est le soutien le plus fort de la révolte juive. Il parle alors en véritable prophète35; il est encore pri sonnier, et enchaîné, qu'il prédit à Vespasien le pouvoir impérial dont il va bientôt être chargé. Il nous raconte lui-même la scène : «... Josephe lui exprima le désir de l'entretenir seul à seul; Vespasien ayant fait sortir tout le monde sauf son fils Titus et deux de ses amis, Josephe alors lui dit: 'Toi, Vespasien, tu crois avoir en la personne de Josephe un prisonnier de guerre, sans plus : en réalité, je viens à toi en messager porteur des plus grandes nouvelles; autrement, si je n'étais pas envoyé par Dieu, je connaissais la loi des Juifs et je savais comment il convient aux généraux de mourir. Tu m'envoies à Néron? À quoi bon? Penses-tu que ceux qui doivent succéder à Néron avant ton règne se maintien dront au pouvoir? C'est toi, Vespasien, qui seras
33 J. Gagé, op. cit., p. 159. 34 Sur tous ces problèmes, voir la mise au point rapide mais précise de P. Vidal-Naquet, Du bon usage de la trahison,
dans Flavius Josephe, La guerre des Juifs, trad. P. Savinel, Paris, 1977, p. 86-93. 35 Flav. Jos., B.J., III, 352.
b) Le milieu juif et Flavius Josephe.
LES FLAVIENS
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César, c'est toi qui seras empereur, toi et ton fils ici présent! Maintenant fais serrer mes chaînes plus fort et garde-moi pour toi. Car tu es maître absolu, non seulement de ma personne, César, mais de la terre, de la mer et de toute la race humaine. Quant à moi, je demande à être puni d'une garde plus rigoureuse si je suis trouvé coupable de légèreté envers la parole de Dieu»36. Josephe utilise les courants de pensée et d'ac tion de son époque; il en repousse tous les extrémismes, comme le messianisme apocalypti que qui aboutissait à l'idée d'une fin de l'histoire que l'homme avait la possibilité de connaître37. Mais il sait qu'existe, très ancrée dans les esprits, l'idée qu'un souverain du monde viendra du sol de Judée à son époque; c'est d'ailleurs, en partie, cet oracle qui a poussé à la révolte et a alimenté de fallacieux espoirs. Josephe montre que cette prédiction doit être retournée en faveur de Ves pasien, proclamé empereur alors qu'il était enco re en Judée. Les Juifs n'avaient pas su le prévoir, malgré ses propres exhortations : « Mais, ce qui les poussa le plus à la guerre, ce fut un oracle ambigu, trouvé également dans leurs Écritures sacrées, disant que, à cette époque, quelqu'un venant de leur pays commanderait à l'univers. Ils reçurent cette prédiction comme les concer nantet beaucoup de leurs sages se trompèrent dans leur interprétation; mais, en fait, l'oracle prédisait l'élévation à l'empire de Vespasien, qui fut proclamé empereur sur le sol de Judée»38. D'ailleurs ces prédictions juives sont connues de Tacite qui les développe assez longuement et conclut de la même façon que Josephe : « II y était dit que précisément en ce temps-là l'Orient prévaudrait et que des gens partis de Judée deviendraient les maîtres du monde. Ce texte ambigu annonçait Vespasien et Titus»39. Suétone cite aussi la même tradition sur les destins accordés à l'homme qui viendrait de Judée40.
L'effort de Josephe porte sur un point précis, faire comprendre à ses contemporains, de sa religion, que Dieu a abandonné le Temple et qu'il s'est réfugié chez les Romains; tous les prodiges et les présages l'annoncent clairement, pour ceux qui, comme Josephe lui-même, savent voir au-delà des apparences41 : «la Divinité a fui du Sanctuaire . . . elle réside chez ceux avec qui vous êtes actuellement en guerre»42, et «La For tune passe toute du côté des Romains»43. Faire la guerre aux Romains est, de ce fait, faire la guerre à Dieu et donc courir obligatoirement à la défaite et au châtiment; c'est tout le sens du discours de Josephe; il le tient, sous les murs de Jérusalem aux assiégés pour les convaincre de cesser toute résistance44. Dieu a confié l'Empire à Vespasien et à son fils Titus45 et c'est la guerre juive qui a été pour eux le tremplin vers le pouvoir; il ne peut y avoir de meilleure preuve du choix fait par Dieu46 et de la protection efficace qu'il leur accorde. Il faut savoir se sou mettre à ceux à qui l'univers est soumis grâce à la haute protection de Dieu; pour Josephe, à partir du règne de Vespasien, Rome est l'État de droit divin47. Nous voyons ainsi qu'autour de Vespasien, durant son séjour en Orient et particulièrement en Judée, s'est formée peu à peu une ambiance favorable à sa désignation comme l'envoyé de Dieu pour établir la paix et dominer le monde. Une partie des Juifs l'a accepté de cette façon et l'a même, de ce fait, soutenu. Le fait est d'autant plus intéressant pour nous que, dans l'œuvre de Flavius Josephe, les différents aspects de ces événements sont placés sous l'égide de la Provi dence, de πρόνοια. Josephe a d'abord composé son œuvre en araméen, sa langue maternelle, puis il l'a traduite en grec48. Or nous savons qu'il a réservé une grande faveur au vocabulaire stoï cien et l'utilisation de πρόνοια ne peut donc nous étonner49. Toute la révolte, toute la campa-
i6Ibid., III, 399-402. Dion Cass., LXVI, 1, 4 reprend cette prédiction, en citant Flavius Josephe. 37 BJ, V, 412. Cf. P. Vidal-Naquet, op. cit., p. 111. 38 ß/, VI, 310-313. 39 Tac, Hist., V, 13, 4-5. 40 Suét., Vesp., IV, 9. 41 BJ, VI, 288-315. Cf. Tac, Hist., V, 13, 3 : « Et audita maior humana uox excedere deos ». 42 B7, V, 412.
43 Ibid., Ill, 354. "Ibid.,V, 376-419. « Ibid., V, 2. 46 Ibid., III, 401. 47 Ibid., V, 409. 48 Cf. P. Vidal-Naquet, op. cit., p. 13-14. 49 A. Pelletier, Flavius Josephe adaptateur de la Lettre d'Aristée. Une réaction atticisante contre la Koinè, Paris, 1962, p. 264.
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gne militaire, toutes les actions de Vespasien et de Titus, sont marquées par l'intervention de la providence divine ou de leur propre providenc e. La Providence divine intervient toujours en faveur des Romains et contre les Juifs. Quand les 'jusqu'au boutistes' de Jérusalem eurent massac ré le grand-prêtre et la garnison romaine qui était pourtant protégée par une convention, un jour de sabbat, la providence divine a provoqué au même moment le massacre de Juifs installés à Cesaree50. Punition divine qui est le prélude de la ruine. C'est aussi la Providence divine qui a inspiré Néron en lui faisant envoyer Vespasien en Orient; pour répondre à l'oracle qui prévoyait la domination du monde par un homme venu de Judée : « Peut-être aussi poussé par Dieu qui pourvoyait déjà à l'organisation de l'Empire, Néron envoya Vespasien prendre le commande ment des forces armées de Syrie»51. L'existence même de Josephe, sa sauvegarde personnelle, sa rencontre avec Vespasien, sont du domaine de l'action providentielle de Dieu; grâce à elle seul e,Josephe peut échapper à la mort52. Grâce à elle seule, il est venu, auparavant, s'enfermer dans Jotopata : « Vespasien se saisit de cette nouv elle comme d'une très grande chance : il pensa que c'était par un effet de la divine providence que l'homme qui passait pour le plus intelligent des ennemis fût venu de son propre mouvement se mettre en prison»53. Nous pouvons d'ailleurs suivre, dans l'œuvre de Josephe, presque pas à pas, la prise de conscience par Vespasien du rôle qui lui est assigné; quand l'Orient le reconnaît comme empereur, il ne peut plus douter de son destin: «Vespasien était amené à penser que l'empire ne lui était pas échu sans l'assistance de la providence divine, et que c'était quelque juste destinée qui lui avait remis le pouvoir univers el»54. Il est bien entendu que cette providence divi nea son reflet dans l'action que mènent les
50 BJ, II, 457. 51 Ibid., Ill, 6-7. 52 Ibid., III, 391. " Ibid., III, 144. 54 Ibid., IV, 622; W. Ensslin, op. cit., p. 29-30.
hommes choisis par Dieu et dont l'intervention est, de ce fait, 'providentielle'. L'armée romaine, dans sa discipline et dans son organisation en est un exemple frappant et qu'il est bon que chacun suive; c'est ce que Josephe a essayé de faire lui-même lorsqu'il commandait en Gali lée55. Les rares échecs romains ne peuvent être dus qu'à la perte momentanée de cette qualité, et de cette faculté, de prévoyance. Comme s'il s'agissait alors d'une mise à l'épreuve, elle passe pour un temps à leur ennemi du moment, aux Juifs de Jérusalem. C'est ce qu'explique Titus à ses soldats qui ont été attirés dans un guet-apens bien construit par les assiégés; les Romains ont agi sans ordre, sans commandement et la pré voyance des Juifs aurait été inutile si Titus avait pu diriger l'action56. Enfin, c'est Vespasien luimême qui est pourvu de cette «prévoyance». À la nouvelle de la défection de Vindex et de son soulèvement contre Néron, «il prévoyait les di scordes civiles qui allaient suivre, le danger qu'al laitcourir l'Empire dans son ensemble . . . »57. Et, comme nous le dit Josephe, l'action de la Provi dence divine, si nette dans tout le déroulement de la guerre, finit par faire croire Vespasien à sa propre providence : « Mais, insensiblement, il fut amené à le croire, car Dieu suscitait déjà en lui des aspirations à l'Empire et lui faisait prévoir, par d'autres signes, qu'il aurait le sceptre»58. Il y a donc eu un mouvement juif favorable à Vespasien et à son pouvoir universel. Josephe en est le meilleur interprète, mais nous pourrions en trouver trace ailleurs, particulièrement dans les Oracles Sibyllins qui présentent un écho de ce courant d'opinion qui plaçait en Vespasien tous ses espoirs. Il est certain que de nombreux grou pes ont refusé les principes radicaux qui soustendaient l'action des insurgés de Jérusalem. D'ailleurs, un autre Juif, selon la tradition, pro prement rabbinique, conseillait la modération et, même, après être sorti de Jérusalem, était allé saluer Vespasien du titre d'Imperator et lui rap-
55 Ibid., Ill, 70. 56 Ibid., V, 121. 57 Ibid., IV, 441. 58 Ibid., Ill, 404. L'épisode se place après les paroles pro phétiques de Josephe devant Vespasien et Titus.
LES FLAVIENS peler que seul un roi pouvait prendre la ville59. Il s'agit de Johanan ben Zakkaï qui refusa aussi le messianisme apocalyptique et qui, après avoir guéri Vespasien d'une violente attaque de goutt e,mal auquel il était souvent soumis, obtint de lui la permission de créer une école rabbinique. Les intermédiaires entre l'Empire romain et le monde juif étaient nombreux et ne manquèr ent jamais d'intervenir. Du côté romain, Titus en fut certainement un des éléments les plus influents. Sa liaison, sans doute un peu posté rieure à l'acclamation impériale de son père, avec la reine Bérénice est une preuve de son attirance pour ce monde et, presque certaine ment, de son intime compréhension60. Ces Juifs qui appuient Vespasien et ses ambitions, et qui sont, pour la plupart, fortement hellénisés, ne veulent pas être coupés de leur culture qui fait partie intégrante du monde romain. Là s'expli que leur rôle auprès de Vespasien; là s'explique aussi que le vocabulaire employé par Josephe, quand il transcrit son œuvre en grec, est celui qui pouvait être le mieux compris, et le mieux accepté, par les Grecs d'Orient et par les hom mes cultivés des milieux romains. Πρόνοια fait éminemment partie de ce vocabulaire61. c) Le milieu gréco-oriental. Cela a été d'autant plus facile que le milieu gréco-oriental a agi dans le même sens que les cercles juifs dont nous venons de parler. Nous connaissons une série impressionnante d'oracles et de présages délivrés par les plus importants
59 Aboth de Rabbi Nathan, version B, VI, 11 et Midrash Ekha Rabbati, I, 31, 26. Cf. A. Schalk, Die Erhebung Vespasians nach Flavius Josephus, Talmud' und Midrash. Zur Ges chichte einer messianischen Prophétie, dans Aufstieg und Nie dergang der Römischen Welt, II, 2, Prinzipat, Berlin, 1975, p. 208-327; J.Gagé, Basileia , p. 138-139; P. VidalNaquet, Du bon usage , p. 94-95 et 1 12. 60 Tac, Hist, II, 81,4. " Nous pouvons d'ailleurs noter à ce sujet l'inscription OGIS, I, 428, dans laquelle Tiberius Claudius Théogénès fait intervenir sa pronoia pour remercier Bérénice, fille d'Agrippa, de ses interventions évergétiques à Athènes. Le langage est commun et ne peut surprendre dans ce milieu où, dès Hérode, on a cherché à imiter les souverains hellénistiques (cf. P. Vidal-Naquet, op. cit., p. 49-50). 62 Tac, Hist., II, 78, 7. Suet., Vesp., V, 9, parle de
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sanctuaires du Proche-Orient. Deux exemples sont particulièrement frappants, l'un touchant le père, l'autre se rapportant au fils. Avant d'avoir été acclamé à Alexandrie, le 1er juillet 69, Vespasien croyait déjà à son avenir impérial, et Josephe et les cercles juifs qui l'e ntouraient y étaient pour beaucoup, nous l'avons dit. Mais il cherchait des confirmations; c'est ainsi qu'il consulta le dieu du Mont Carmel qui n'a ni représentation ni temple; par l'intermé diaire du prêtre Basilidès, ce dieu lui fit une réponse laissant place à toutes les ambitions : «Les dieux te donnent une grande demeure, un vaste terrain et beaucoup d'hommes»62. La con sultation entreprise par Titus eut un résultat plus précis. Revenant de Corinthe, où il avait appris la mort de Galba, il s'arrêta à Chypre et alla consulter l'Aphrodite de Paphos; dans un entretien secret, le prêtre Sostratos lui «dévoile l'avenir», ce qui renforça la confiance de Titus63. Tacite ne nous dit pas en quoi Titus met sa confiance, mais en refusant d'aller à Rome ce dernier à renoncé à reconnaître Othon comme empereur. La réponse de Sostratos n'a pu que le renforcer dans l'idée que le règne d'Othon serait éphémère et que, surtout, lui-même et son père étaient destinés au pouvoir suprême64. Mais l'événement le plus important, le der nier en date d'ailleurs, se situe à Alexandrie même. Proclamé empereur par les légions d'Egypte le 1er juillet 69, à l'instigation du préfet Ti. Julius Alexander, certainement après de nomb reuses tractations, mais dans une atmosphère de confiance65. Vespasien, qui est alors en Pales-
tion de tous ses projets, de tous les desseins formés dans son esprit, si vastes qu'ils fussent ». 63 Tac, Hist., II, 2, 5 et 4, 3. 64 J. Gagé, op. cit., p. 140 pense que l'avenir dévoilé a été celui de Titus seul. Il faut plutôt croire que, tout en promett ant l'empire à Titus, Sostratos n'a pas oublié Vespasien. 65 Flavius Josephe ne déclare-t-il pas (57, IV, 631) au moment de l'avènement de Vitellius à Rome, qu'« Alexandrie était sûre » (politiquement, bien entendu). L'influence de Tib. Julius Alexander a été d'autant plus grande qu'il fut un intime de Titus et de Bérénice (cf. E. G. Turner, Ti. Julius Alexander, dans JRS, XLIV, 1954, p. 54). Sur le rôle du préfet, cf. V. Burr, Tiberius Julius Alexand er, Antiquitas, Reihe I, Band I, Bonn, 1955, p. 58-60.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
tine, décide de se rendre en Egypte; il s'y trouve seulement dans le courant de l'hiver 69/70. Attendant les vents favorables, il profite de son séjour pour consulter Sérapis « sur les affaires de l'empire»66. Après avoir prié le dieu, il crut voir un certain Basilidès que Tacite présente comme un des principaux Egyptiens et Suétone comme un affranchi. Or, cet homme, quelle que soit sa condition, ne pouvait pas se trouver dans le Serapeum à cet instant. Ce fait surnaturel était de bon augure et marquait la reconnaissance de Vespasien par le dieu. Cette faveur de Sérapis devait se marquer par une action qui montra, aux yeux de tous, que le dieu soutenait le nouvel empereur qui était investi sur terre des pouvoirs divins. Ce fut réalisé par le moyen spectaculaire de guérisons miraculeuses67 qui rendirent écla tant le choix de Sérapis; un aveugle, obéissant aux ordres du dieu, vint trouver Vespasien, de même qu'un estropié de la main68. Avec sa salive et avec son pied, le princeps guérit immédiate ment l'un et l'autre, au milieu de la foule. Cette forme frappante était d'abord chargée de faire adhérer à la cause de Vespasien tous ceux qui, à Alexandrie, et en Egypte, voyaient en Sérapis un dieu suprême, secourable et bienfai sant,c'est-à-dire la plupart des habitants de l'Egypte, mais surtout les milieux hellénisés. D'ailleurs Ph. Derchain a pu démontrer que les épisodes des rapports entre Sérapis et Vespasien déroulent le fil d'une investiture en bonne et due forme, comme pour un souverain lagide69. À partir de ce moment, l'élu du dieu exerce ses pouvoirs surnaturels de sauvegarde et de guérison. De ce fait, Vespasien est le premier parmi les principes à régner en Egypte même suivant
les règles d'investiture lagides, elles-mêmes issues de celles des pharaons70. Un autre miracle, si l'on en croit Dion Cassius, avait préparé l'opinion publique à une telle faveur et une telle investiture : « Lorsque Vespas ienentra dans Alexandrie, le Nil monta, en un seul jour, d'une palme de plus que la coutume, ce qui, disait-on, n'était jamais arrivé qu'une seul e fois»71. Or, nous l'avons déjà vu à propos d'une inscription incomplète de l'époque de Néron72, une si heureuse crue, si subite surtout, doit être attribuée au dieu Sérapis et à sa πρό νοια73. Nous retrouvons ici la Providence, jamais citée par ailleurs dans tous ces oracles et présa ges,en réalité toujours présente et qui pouvait le mieux exprimer ce que les habitants de l'Egypte ou, tout au moins certains, ressentaient. Là encore, l'accord avec la pensée philosophi que grecque est aisé. Tout le monde peut se retrouver autour de la notion de Βασιλεία qui apparaît comme l'antithèse du chaos, semblable au mal; c'est la solution la plus parfaite pour garantir le salut de chacun74. Il n'est d'ailleurs que de suivre le dialogue fictif que Philostrate a établi entre Dion, Euphrates et Apollonius de Tyane et les paroles que ce même Apollonios adresse à Vespasien qui, dit l'auteur faussement, serait venu à Alexandrie pour le consulter75. Même si l'œuvre n'a été écrite que sous les Sévères, sans remonter au-delà de 216/217, même si elle reflète plus les idées de cette épo que que celles du temps de Vespasien, il n'est pas possible de négliger une théorie de la Βασι λεία réclamant « un prince juste, vertueux, sage » et qui pratique la modération76. Cette importance de la Βασιλεία est d'ailleurs
66 Tac, Hist., IV, 82, 1 ; Suét., Vesp., VII, 2. Sur les contacts avec le Serapeum, cf. J. Gagé, L'empereur romain devant Sérapis, dans Ktéma, I, 1976, p. 152-153. 67 Tacite les place avant la visite à Sérapis. Il faut les placer après et comme conséquence, tel que le fait Suétone. 68 Tac, Hist., rv, 81, 2-6; Suét., Vesp., VII, 5-6 (il parle d'un infirme d'une jambe); Dion Cass., LXV, 8. 69 Ph. Derchain, La visite de Vespasien au Serapeum d'Alexandrie, dans Chr. d'Egypte, 1953, p. 278. 70 J. Gagé, op. cit., p. 127; id., La propagande sérapiste et la lutte des empereurs Flaviens avec les philosophes (Stoïciens et Cyniques), dans Rev. Philos., CXLIX, 1959, p. 74. À propos de Néron et du pouvoir royal, Sénèque, dans le
De Clem., I, 8, 3, fait déjà allusion aux formules rituelles des hymnes pharaoniques justifiant leur divinité solaire. 71 Dion Cass., LXV, 8, 1. 72 Cf. supra, p. 158, n. 112. 73 D. Bonnaud, La crue du Nil, Paris, 1964, p. '322 et 335. 74 J. Béranger, Le refus du pouvoir, dans Principatus, p. 185. 75 Philostr., Vit. Apoll, V, 27-40. M. Josefowicz-Dzielska, La participation du milieu d'Alexandrie à la discussion sur l'idéal du souverain dans les deux premiers siècles de l'Empire Romain, dans Eos, LXIV, 1976, p. 45, p. 50 et p. 53-54. 76 Ibid., V, 28. Pour la date de l'œuvre cf. J. Gagé, L'empe-
LES FLAVIENS
209 4 - Les convictions de Vespasien
rendue plus évidente par Yomen-nomen de Basil idès. À trois reprises, au mont Carmel et au Sérapeum d'Alexandrie, intervient un personnage qui porte ce nom et qui joue le rôle le plus important dans l'anecdote, car intermédiaire entre les dieux et les hommes ou véritable dou ble du dieu, épiphanie de Sérapis. C'est d'ail leurs ainsi que Vespasien comprend les événe ments du Sérapeum: «Alors il expliqua ... le nom de Basilidès comme la réponse essentielle de l'oracle»77. Rien ne pouvait plus s'opposer à sa reconnaissance par tous, en Orient, comme souverain du monde romain, tout au moins dans le milieu grec ou hellénisé, sémitique sans être juif, ou juif. Chez tous, le règne de Vespasien s'amorçait dans une très forte légitimité, puisque reconnue par les dieux eux-mêmes de façon éclatante. Tout le monde aussi est d'accord sur les buts poursuivis par une royauté de ce type; elle doit être pacificatrice et, dans un premier temps, mettre fin à la guerre juive et, par là même, aux tensions qui pouvaient exister entre les commun autésgrecques et juives dans toutes les grandes villes d'Orient. Elle doit être aussi bienfaitrice et salvatrice pour tous; c'est ainsi que Vespasien est acclamé à Rome même, à son retour: «Et ceux devant qui il passait, dans leur joie de le contempler et devant le charme qui émanait de sa personne, poussaient toutes sortes de cris, l'appelant bienfaiteur, sauveur, seul empereur digne de Rome»78. Elle doit enfin concourir au bonheur du genre humain tout entier comme le pense Flavius Josephe en parlant de la célébra tion du triomphe de Vespasien et de Titus com mede la «naissance de l'espoir concernant son (Rome) bonheur»79.
Nous avons vu qu'il y avait eu convergence de certains courants juifs et des propagandes issues de la plupart des grands sanctuaires orientaux, gréco-sémitiques ou gréco-égyptiens, pour appuyer l'idée d'une Βασιλεία que Vespas ienavait le devoir d'appliquer puisque les dieux l'avaient choisi. Il est certain que l'empereur se laissa peu à peu convaincre et qu'il finit certain ement par y croire; l'interprétation de l'épisode de Basilidès est, à cet égard, significative80. Nous pouvons être certains aussi que l'influence de Titus a été très importante; nous l'avons vu agir à Paphos; nous avons évoqué ses rapports avec Bérénice; nous devons en déduire une parfaite compréhension de l'état d'esprit et de la mentalit é des orientaux. Nous savons aussi que Titus a insisté auprès de son père pour obtenir la grâce de Josephe, une fois celui-ci fait prisonnier81. C'est lui qui a paraphé, après avoir donné son accord, le texte définitif du Bellwn Judaicum, alors qu'il fut publié entre 76 et 79, c'est-à-dire du vivant de Vespasien82. Titus a appuyé cette politique de Βασιλεία parce qu'il y avait intérêt; en effet, elle contenait en elle-même un élément fondamental pour lui, l'hérédité. C'est d'ailleurs Titus lui-même qui présente ce fait primordial à Vespasien lorsque celui-ci est irrité par l'attitude de Domitien en Italie. «Les légions, lui dit-il, les flottes sont pour le pouvoir suprême un rempart moins ferme que le nombre des enfants ... Le sang est un lien indissoluble pour tout le monde et surtout pour les princes»83. Appui pour le présent, mais aussi espérance pour l'avenir dans une continuité sans faille qu'un père même n'a pas le pouvoir de
reur romain devant Sérapis, dans Ktéma, I, 1976, p. 158. L'au teur montre bien que ce qui apparaît le plus frappant est l'investiture d'un César romain réalisée par le «philosophe par excellence et pourtant conçue comme celle de la Basileia parfaite» {art. cit., p. 159, et La propagande sérapiste , p. 79). 77 Tac, Hist., IV, 82, 3. 78 Flav. Jos., BJ, VII 71. L'auteur ne transmet pas obligato irementla vérité, mais interprète, suivant son propre état
d'esprit, l'accueit des Romains à Vespasien. 79 Id, ibid., VII, 157. 80 D'autant que Vespasien ne pouvait oublier tous les autres présages qui l'avaient entouré durant sa vie et qui nous sont décrits par Tacite, Hist., IL 1, Suétone, Vesp., V, et Dion Cassius, LXV, 1. 81 Flav. Jos., BJ, III, 396-397 et 408. 82 Id., Vie, 363. 83 Tac, Hist., IV, 52, 2.
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briser. La présence d'enfants dans la force de leur âge est un argument employé par les sol dats de Vespasien eux-mêmes : « Ils (le sénat et le peuple romain) ne choisiraient pas comme président ... un homme sans enfant au lieu d'un père de famille»84. C'est aussi l'argument avancé par Marcellus devant le sénat en réponse à Helvidius Prisais : «Vespasien, un vieillard, un triomphateur, père d'enfants qui étaient des hommes»85. Dans le même sens vont les paroles de Pline l'Ancien saluant, avec emphase, le pou voir de Vespasien : « Dieu, c'est pour un mortel, aider les mortels, et voilà le chemin de la gloire éternelle! Chemin qu'ont suivi les plus grands des Romains et par où s'avance aujourd'hui d'un pas céleste, avec ses enfants, le plus grand souve rainde tous les temps, l'empereur Vespasien, qui donne ses soins à l'empire épuisé »86. Tout cela sous-entend la succession directe et Dion Cassius nous affirme qu'il s'agissait de la volonté propre de Vespasien87 et, si nous en croyons Flavius Josephe, celle des Romains qui, à l'arrivée de Vespasien dans la Ville « priaient la divinité ... de garder le pouvoir à ses enfants et à leurs descendants successifs à l'abri de toute contestation»88. Ce n'est peut-être pas, au moment, l'exact sentiment du populus de Rome, mais il existe certainement une plus grande con fiance dans l'avenir (il ne faut pas oublier l'an goisse qui avait été ressentie quand Galba avait retardé, de jour en jour, le choix de son success eur). Dans cet épisode encore, nous pouvons voir que Titus ne négligea rien pour affirmer son rôle de successeur, à un point tel qu'il fit un voyage triomphal en Orient après la prise de Jérusalem; Beyrouth, Antioche, en particulier, l'accueillirent avec un grand faste89. Certains purent même le soupçonner de certaines intri gues, dans l'hiver 70-71, qui auraient pu le con duire à se faire proclamer roi de l'Orient90. À la vérité, il se conduisit simplement comme le suc cesseur désigné et c'est en triomphateur, mais
aussi en véritable régent, qu'il participa au triomphe sur la Judée auquel, en bonne logique religieuse, le seul empereur régnant, Vespasien, aurait dû participer, puisque en théorie l'unique Victorieux. Mais c'est Vespasien qui le voulut ainsi; d'ailleurs, pour bien montrer ce que tous deux devaient à l'Orient qui les avait lancés vers le pouvoir, ils passèrent la nuit précédant le triomphe dans le temple d'Isis au Champ de Mars; ce sanctuaire fut, le lendemain, le point de départ du long cortège qui monta au Capitole, et dans lequel Vespasien et Titus étaient sur un pied d'égalité, chacun sur son propre char de triomphe91.
84 Flav. Jos., BJ, IV, 596. 85 Tac, Hist., IV, 8, 7. 86 Plin. l'Ane, NH, II, 5(7), 18. 87 Dion Cass., LXV, 12, 1. 88 Flav. Jos., BJ, VII, 73. Κ. Η. Waters, The Second Dynasty of Rome, dans The Phoenix, XVII, 1963, n'a certainement pas tort lorsqu'il prétend que tout le monde savait que Vespasien
allait fonder une dynastie nouvelle (p. 208), mais il affirme trop rapidement que le cas de Vespasien prouve que le général le plus puissant pouvait lui-même se faire empereur (p. 207). *9Ibid., VII, 96-115. 90 Suét., Tit., V, 4. 91 Flav. Jos., BJ, VII, 121-157.
III - «PROVIDENTIA»: RÉALITÉS DE SON CONTENU Comment, dans ces conditions, pouvait-on présenter à Rome, à l'Italie, à l'Occident, ce principat qui devait tant de ses aspects, et même sa naissance à l'Orient? L'utilisation de Prouidentia pouvait résoudre le problème. Connue des Romains, elle ne pouvait choquer, et chacun pouvait placer, derrière le mot, ce qui lui conve nait: le rôle de l'astrologie et le destin tracé à Vespasien dès son accession au monde par les astres. On pouvait d'ailleurs penser que les astres avaient fait plus. La proclamation par les troupes d'Egypte le 1er juillet 69 n'était certain ement pas fortuite et le choix du moment avait pu être fait en fonction de la conjoncture astrale. Nous n'avons aucune preuve, mais plusieurs indices peuvent nous conduire à cette conclus ion.Tout d'abord, la personnalité même de Ti. Julius Alexander sur laquelle, nous l'avons vu, l'influence de son oncle Philon avait tenté de s'exercer, ne peut être négligée. La proclamation s'est faite après de longues négociations avec Vespasien et son entourage; elle a été préparée
LES FLAVIENS attentivement et le milieu dans lequel vivaient l'un et l'autre ne pouvait que pousser à choisir une date astralement favorable. 1 - Le «dies imperii» En outre, il a été dès longtemps remarqué qu'avec Vespasien un grand changement s'était produit dans le choix du dies imperii; pour la première fois, un empereur faisait partir son règne du jour de son acclamation par l'armée et non du moment de sa reconnaissance par le sénat, comme pour tous les empereurs précé dents, le 1er juillet 69 et non le 21 décembre de la même année. On y a vu une transformation quasi-révolutionnaire, donnant à l'armée des pouvoirs que, jusqu'ici, le sénat avait réussi à conserver. D'autres ont montré tout l'intérêt que Vespasien avait trouvé à agir de la sorte et tout le mérite qu'il eut de faire coïncider le fait et le droit puisqu'il avait agi en empereur depuis le 1er juillet, même si Vitellius régnait encore à Rome; il lui fallait légaliser après coup ses actes92. Cette révolution habile n'existe peut-être pas si Vespasien a simplement placé son dies imperii le jour où les astres avaient montré les conjonctions, les associations, les diagonales, les triangles ... les plus favorables à celui qui voul ait établir son pouvoir sur le monde romain. Il ne faut pas oublier que la désignation et l'acclamation par les troupes n'avaient pas été spontanées, mais préparées avec la plus grande minutie; le 1er juillet n'avait pu être choisi au hasard. C'est pourquoi, il n'y a pas dans l'attitu de de Vespasien une marque d'autoritarisme, ni même un simple effet de nécessaire rétroactivité légale, mais, tout simplement, l'affirmation que le règne a commencé le jour où les astres don naient à Vespasien le meilleur des avenirs. Et, dans le fond, il importait peu que ce fussent des légions qui eussent été le moyen de cette procla mation; elles étaient formées de citoyens
92 B. Parsi, Désignation et investiture de l'empereur romain (Ier et IIe siècles ap. J.-C), Paris, 1963, p. 153-154. J. Béranger, Recherches sur l'aspect... , p. 103: «L'heure du destin avait sonné ailleurs qu'à Rome». Par ailleurs l'auteur parle du «souvenir qui importait»; il faut certainement aller plus loin.
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romains donc des représentants du peuple romain qui reconnaissait la volonté des dieux. À Rome, les tenants de l'astrologie ne pouvaient être surpris de voir employer le mot Prouidentia pour rappeler un tel fait et le processus menant de l'un à l'autre ne pouvait que leur paraître logique93. 2 - Les monnaies Cependant cette Prouidentia conservait enco re un caractère oriental marqué et dont nous avons noté les traits plus haut et qu'un Romain de Rome ne pouvait oublier. Elle était bien née en Judée et en Egypte, elle s'y était officiell ement affirmée et elle avait accompagné Vespas iendans son voyage d'Orient en Occident. D'ail leurs n'apparaissait-elle pas sur les monnaies juste au moment de cette arrivée de l'empereur à Rome? Aussi Vespasien prit-il soin d'atténuer ce caractère et de faire oublier son origine; c'est pourquoi les revers monétaires présentent l'ima ge,maintenant bien connue, de l'enceinte d'aut el. De cette façon, l'empereur réenracinait sa Prouidentia dans la tradition purement romaine et occidentale. Il est bien entendu que cet «habillage» de Prouidentia, fait pour éviter de choquer les Romains, ne rappelle plus en rien l'événement qui a créé le type et fait ériger le monument, très certainement déjà disparu à cette époque. Mais on ne pouvait manquer d'évoquer les séries précédentes, sous les empereurs julio-claudiens comme sous leurs tout premiers successeurs. On ne pouvait oublier le sens qui lui avait été donné pendant longtemps. De ce fait, cela permettait à Vespasien de ne pas oublier, pour lui-même, la façon dont son arrivée au pouvoir s'était déroul ée et d'en remercier les dieux qui en avaient été les acteurs, tout en ne développant pas plus avant les conséquences orientalisantes de son investiture alexandrine94. En outre, l'empereur
93 Nous pouvons d'ailleurs penser que la première série avec PRO VIDENT a été émise à partir du 1er juillet 71, en commémoration de l'anniversaire de la proclamation de 69. 94 C'est ce que remarque J. Gagé, Basileia , p. 128, à propos du triomphe de Vespasien et de la prééminence rapidement rendue à Jupiter Capitolin.
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rappelait à tous le souvenir des Julio-Claudiens et de la stabilité du pouvoir qui paraissait main tenant merveilleuse, après les événements de 68/69 qui faisaient aspirer à un pouvoir continu. Se placer dans la lignée des Julio-Claudiens était aussi atténuer le caractère originellement orient al de cette Prouidentia. Sans aller jusqu'à dire qu'il s'agit d'un «rappel explicite ou implicite de la mémoire d'Auguste»95, il y a là, incontestable ment, une réminiscence affirmée de l'époque julio-claudienne96 et l'essai d'établissement d'une certaine continuité. 3 - Une souveraineté à caractère religieux Est-ce à dire qu'«il y a une remarquable continuité dans la représentation figurée de ces pièces et, malgré l'écart de temps, dans l'idée qu'elles perpétuent»97; ce serait, tout simple ment, le règlement, par l'empereur, «en bon père de famille», de sa succession et la mise en bonnes mains du gouvernement. L'origine de la Prouidentia de Vespasien nous a orientés dans une direction où la Providence prend un sens beaucoup plus large. Ce sens est affirmé vigou reusement par un fait totalement nouveau, la répétition presque systématique tous les ans du type monétaire, et non seulement par Vespasien, mais aussi par ses deux fils Titus et Domitien. Vespasien affirme sa souveraineté à caractère religieux transmissible héréditairement. Le princeps a transcrit les signes indubitables qui lui avaient montré la voie du pouvoir en un seul mot, Prouidentia; il a alors rattaché cette derniè re aux bases légales de son pouvoir qu'il met en
95 J. Béranger, La «Prévoyance» (Providentia) impériale et Tacite, Annales, I, 8, dans Principatus, p. 338. Cf. aussi K. Scott, The Imperial Cult tinder the Flavians, StuttgartBerlin, 1936, p. 31. 96 M. Grant, Roman Anniversary Issues, p.88-89 ( mais à utiliser avec prudence pour sa trop grande systématisation). 97 J. Béranger, art cit., p. 339. 98 Id, Recherches sur l'aspect..., p. 103 (rétroactivement pour la première puissance tribunicienne). 99 M. Rostowsew, Étude sur les plombs antiques, dans Revue Numismatique, 1898, tessere n° 5, p. 89; id, Tesserarum Urbis Romae et suburbi plumbearum Sylloge, SaintPétersbourg, 1903. A/ Autel cylindrique avec flammes, posé sur une estrade
valeur pour la première fois depuis Auguste, et peut-être alors dans la tradition du début de son règne : le consulat qu'il accomplit à neuf reprises durant son principat. Cependant Prouidentia n'apparaît pas sur les monnaies chaque fois que Vespasien est consul; c'est tout à fait normal pour les deux premiers consulats que Vespasien exerce sans être à Rome; mais il n'y a pas d'émission, ou tout au moins nous n'en avons aucune trace, pour les années des Ve74, VIe75 et VIIe76 consulats. La date du premier juillet est aussi chaque année le moment du renouvellement de la puissance tribunicienne98 et Prouidentia est peut-être en rap port avec elle. En effet, ne pourrait-on rattacher à ce renouvellement annuel une tessere de plomb décrite par M. Rostowsew à la fin du siècle dernier99. Cette tessere en plomb, officielle, ne porte ni l'effigie, ni le nom de l'empereur. Mais nous pouvons peut-être l'attribuer au règne de Vespas ien.En effet la liaison ici marquée entre Proui dentia et Tribunicia Potestas correspond parfait ementà cet empereur, puisque c'est le 1er juillet que la puissance tribunicienne de Vespasien est renouvelée et que c'est aussi le 1er juillet que la Providence lui a permis d'être salué imperator. Il s'agit alors de la réception par l'empereur de sa puissance tribunicienne en présence, sans doute, des sénateurs, mais surtout avec l'aide et l'appui de Prouidentia qui doit être représentée ici sous les traits féminins que Rostowsew attribue à Roma sans explication. Ce serait d'ailleurs là la première représentation de Prouidentia en tant que divinité personnifiée. Cela n'aurait rien d'étonnant puisqu'elle représente les forces divi-
sur laquelle se trouve une inscription : PROVIDENT R/ Tribunal quadrangulaire sur lequel se trouvent quatre personnages, tous assis sur des subsellia; celui du milieu est le personnage principal; il est tourné à gauche, la main gauche appuyée sur le siège, la droite levée vers le visage. Il semble parler à ses deux voisins de gauche qui sont tournés vers lui. Derrière le personnage principal, une femme (semblet-il) assise, à gauche, la tête radiée, la main droite posée sur l'épaule du premier personnage. Sur l'estrade, l'inscription : Τ Rl(bunicia) POT(estas)
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Mais Vespasien y a ajouté un caractère nou veau, l'hérédité du pouvoir. En effet, nous avons déjà parlé des immenses services que Titus, en Orient, avait rendus à la cause de son père. À son retour à Rome, au printemps 71, il célébra avec Vespasien, en un triomphe commun, sa victoire sur les Juifs. En outre, si Titus et Domitien furent appelés Principes Iuventutis et portè renttous deux le titre de César, seul le premier fut véritablement un co-régent; il fut préfet du prétoire, il reçut Yimperium proconsulaire, il fut
partenaire de son père dans la puissance tribunicienne et dans la censure de 73/74, il eut la possibilité de parapher les édits impériaux . . . Enfin, et surtout, il utilisa le praenomen d'imperator ce qui marqua sa véritable désignation comme successeur par Vespasien102. Il est donc tout à fait logique et normal de voir la Prouidentia, expression de la souveraineté impériale, attribuée aussi bien à Titus qu'à Vespasien. En effet, sur les monnaies au profil et à la titulature de Titus, émises du vivant de Vespasien, la Prouidentia n'est plus celle de Vespasien103, mais bien celle de Titus lui-même qui lui assure le pouvoir, la co-régence, aussi bien que ses consul ats,sa censure, son Imperium, ses puissances tribuniciennes. Il en est de même pour Domitien; certes, il ne partage pas le pouvoir et, durant le règne de son père il reste assez à l'écart, malgré son titre de Princeps Iuventutis et celui de César, malgré plusieurs charges consulaires (il est vrai qu'il n'est consul ordinaire qu'une seule fois en 73), Vespasien marqua certaines réticences à son égard et même, lors de son retour en Italie, à leur première rencontre à Bénévent, il le blâma et l'humilia publiquement104. Mais Vespasien ne pouvait aller plus loin dans ce sens. En effet, toutes les prédictions de l'Orient l'avait désigné pour le pouvoir, mais en lui associant toujours ses deux fils. Il ne lui était pas possible d'en écarter un des deux, alors que l'opinion avait vu, unanime, dans leur existence la promesse de la stabilité de l'État pour de très nombreuses années. Aussi Domitien eut-il droit, lui aussi, à des frappes avec PROVIDENT et portant son profil et sa titulature, cela en 72, en 73 et en 75. Nous pouvons déjà noter que ces séries sont moins nombreuses et moins abondantes que cel les de son frère, ce qui s'explique par les réticen ces de Vespasien et sa méfiance qui ne donnèr entà Domitien qu'un rôle mineur dans l'État. Mais il participa à la Prouidentia qui avait per mis aux Flaviens de venir au pouvoir pour sau ver Rome et établir la paix; d'ailleurs lui-même n'avait-il pas reçu un signe divin de protection,
100 Cf. supra, p. 165. 101 II s'agit de quatre des thèmes principaux apparaissant sur des séries monétaires parallèles à celle avec PROVI DENT.
102 B. Parsi, op. cit., p. 172-173. 103 Comme le pense M. P. Charlesworth, Providentiel and Aeternitas, p. 1 15. 104 Dion Cass., LXV, 9, 3; 10, 13.
nés qui ont poussé Vespasien au pouvoir et lui ont indiqué le meilleur chemin à suivre pour accéder au principat. Dans le même sens, nous pouvons relever le lien étroit avec la censure que Vespasien et Titus ont exercée à partir du 1er juillet 73 et dont le lustrum final a eu lieu en 74. Nous avions déjà remarqué que Claude avait rempli cette magis trature à caractère semi-religieux l'année même où, par des jeux séculaires, il proclamait sa Pro vidence sur le monde romain100. Le renouvelle ment du monde et sa nouvelle jeunesse pas saient par la transformation du sénat à l'aide a' adlectiones ou d'épurations, en introduisant de nouveaux chevaliers dans l'ordre équestre et en procédant à un examen général des mœurs. C'est exactement ce qu'entreprit Vespasien et il fut le premier empereur à reprendre la censure et à l'exercer depuis Claude. En outre, il profita de l'occasion pour faire une promotion de patri ciens rendue nécessaire par la disparition des grandes familles de Rome seules capables d'as surer certains sacerdoces. Vespasien a repris, dans ce domaine, une partie de la tradition claudienne et affirmé le renouvellement des temps que son arrivée au pouvoir provoquait. Cette renouatio ne pouvait être que bonne puisque la Providence veillait sur ses débuts et s'incarnait dans le princeps. Elle devait faire régner partout la Paix, l'Espérance, l'Équité et la Félicité101. 4 - L'hérédité du pouvoir
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venu d'Orient, quand il avait pu s'échapper du Capitole emporté dans les massacres et les incendies, sous le déguisement d'un sectateur d'Isis? Le rappel d'un tel événement, que Domitien s'empressa de mettre en valeur, le liait étro itement aux prédictions orientales autour de Ves pasien et de Titus, et le faisait participer à leur destin. C'est d'ailleurs ce par quoi, en partie tout au moins, nous pouvons expliquer les conditions de l'avènement de Domitien. On a dit que «l'es prit de l'avènement de Domitien est difficil ementsaisissable»105. Ajouter qu'«il bénéficia de l'orientation dynastique du temps, non d'une désignation expresse de son frère» ne jette que peu de lueurs et ne touche pas au fond du problème. À vrai dire, le fait d'avoir placé Domit ien,comme son père et comme son frère, sous le vocable de la Prouidentia suffisait à le dési gner comme successeur; en effet, il était alors, comme Vespasien l'avait voulu, lié aux pouvoirs qui formaient les bases légales de la puissance de l'empereur. Que l'acclamation des prétoriens ait précédé la reconnaissance par le sénat ne change rien à l'évidence des faits; le pouvoir ne pouvait échapper à Domitien, sauf si les hommes avaient eu l'audace de provoquer les dieux. Les dieux ont désigné Vespasien et ses deux fils; ils doivent exercer leur Providence, en même temps ou successivement, mais tant qu'ils sont vivants. C'est bien ce qu'a voulu exprimer Vespasien en faisant émettre ces monnaies avec son propre visage et celles portant le visage et la titulature de Titus et de Domitien; toutes sont sous le vocable de Prouidentia. Il n'y a donc rien d'étonnant à voir les frères arvales sacrifier en même temps au salut de Vespasien et de Titus et immoler à chaque dieu deux victimes, une pour chacun des empereurs106. Il est encore plus
significatif de trouver des serments au nom du Genius de Vespasien, mais y associant celui de ses deux fils107. Les dieux avaient lié leurs sorts; ils n'étaient pas maîtres de les défaire, quelle qu'ait été leur secrète tendance. Vespasien a été ainsi obligé de donner à Prouidentia un ton nouveau. Certes, tous les tenants de l'astrologie, tous ceux qui se souve naient de la façon dont la Providence avait été utilisée jusqu'ici, pouvaient y trouver leur compt e et être satisfaits. Mais, même son caractère oriental originel effacé, cette Providence a incon testablement pris beaucoup plus d'importance que les précédentes, tout en restant apparem ment dans sa lignée. Elle est l'expression d'une souveraineté à caractère religieux et héréditaire, indestructible et sans possibilité d'être écartée par la volonté d'un homme, fut-il empereur. Prouidentia a permis la fondation d'une nouvelle Domus Augusta, sans que le souvenir de la pre mière soit totalement effacé108. Mais, dans son symbolisme monétaire Vespasien n'avait pas innové, préférant rester dans la tradition. Il n'en est plus de même avec Titus.
105 B. Parsi, op. cit., p. 173. 106 En 75 {AFA, p. XCIX = CIL, VI, 1, 2054 et 4, 2, 32361). Le nombre de victimes n'est pas indiqué ici. Le 3 janvier 76 {AFA, p. C = CIL, VI, 1, 2055). Le 3 janvier 78 {AFA, p. CI = CIL, VI, 1, 2056). Une seule victime par divinité cette année-là. 107 G. Pugliese-Carratelli, Testi e documenti, dans La Parola del Passato, III, 1948, p. 171, n° XVI; p. 173, n° XVII; p. 174, n° XIX. S. Weinstock, Di'vi« Iulius, Oxford, 1971, p. 214, note 3, s'étonne à tort de la présence des fils de Vespasien dans ces serments. 108 J. Gagé, Diviis Augustus. L'idée dynastique chez les
reurs Julio-Claudiens dans RA, XXXIV, 1931, p. 39. Mais on ne peut pas dire, comme le fait J. Béranger, La «Prévoyance» (Providentia) , p. 340, que «le père avait choisi le fils pour le remplacer à la tête de l'État tout comme Auguste avait «prévu» des héritiers dans le même but». Les conditions sont totalement différentes. Auguste n'a jamais employé Prouidentia; les dieux orientaux n'ont joué aucun rôle et la dynastie flavienne n'avait pas besoin de justifier la transmission héréditaire; elle s'était imposée d'elle-même par la Prouidentia reposant sur Vespasien et ses deux fils à la fois. De la même façon, les explications données par E. Bian-
IV - «PROVIDENTIA»: LA CONTINUITÉ ET SES LIMITES 1 - Son expression par Titus a) Une nouvelle représentation monétaire. En effet, dès la première année de son règne, et sans doute même les tout premiers mois, apparaît un nouveau type de représentation monétaire associée à Prouidentia. Il explicite par-
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faitement ce que nous venons de dire. Il s'agit, pour la première fois avec cette légende, de sesterces109. Les deux hommes paraissent facilement ident ifiables; à gauche Vespasien dont la tête radiée de certaines monnaies indique la divinisation, et de l'autre côté, Titus toujours représenté, com mecertainement dans la réalité, plus grand que son père. Les deux attributs, globe et gouvernail, sont utilisés pour la première fois avec Prouident ia, mais ce n'est pas leur première apparition dans la numismatique romaine. Leurs significa tions respectives sont assez claires. Le gouvern ailest, le plus souvent, attaché à Fortuna depuis le quinarìus de P. Sepullius Macer110. Mais c'est à César que l'on doit la première dédicace de Fortuna avec un gouvernail; c'est alors l'expression du gouvernement de Rome et du monde romain qui ressemble à celui du marin qui tient le gouvernail et qui dirige le navire111. L'idée est ancienne et la retrouver associée, dans ces séries monétaires, à Prouidentia n'a rien qui puisse nous étonner; à plusieurs reprises, nous avions déjà remarqué une telle liaison dans l'œuvre de Cicéron112. Elle fut repri se pour exprimer la maîtrise de la mer et la protection exercée sur Auguste dans ses expédi tionsoutre-mer113. Dans cette optique, le gouvern ail est le symbole de la Fortuna Redux, la com pagne protectrice qui ramène son protégé sain et sauf. Dans ce sens, retrouver son symbole, le gouvernail, associé à Prouidentia sous le règne de Titus ne peut étonner. En effet, nous ne
devons pas oublier que Titus a dû son accession au pouvoir, non seulement à ses propres qualit és,mais surtout à une campagne militaire qui lui a permis de les montrer et de les faire admir er.La Prouidentia qui les a fait désigner, lui et son père, pour prendre en mains les destinées de l'empire romain, leur a aussi permis le «Bon Retour» à Rome et la célébration d'un triomphe commun sur les Juifs. Le gouvernail est donc, à bon droit, associé à Prouidentia plus comme maître des mers qui ont permis la venue à Rome de Titus et de Vespasien, que comme le vague symbole du gouvernement du monde. Si nous envisageons cette dernière idée, notre monnaie présente un symbole beaucoup plus précis et plus éclairant, le globe que le personnage à droite tient dans sa main tendue. C'est le globe de l'univers, attribut de Jupiter, de la déesse Roma, du Genius Populi Romani; c'est le support de la souveraineté et le symbole de la domination du monde114. Celui qui possède le globe dans sa main est le rector orbis; il est le maître de YOikouménè et il affirme ainsi sa maît rise de l'univers connu et habité115. D'ailleurs, toujours dans le même sens, nous pouvons peutêtre voir dans la présence du globe et du gouvern ail côte à côte le désir de signifier que l'empe reurest, à la fois, dominateur des terres et des mers; c'est le sens que, semble- t-il, nous pouvons attribuer à une monnaie de César, de 46 av. J.-C, où globe et gouvernail sont associés à un sceptre et à une corne d'abondance116. En tout cas, le premier sens donné à la représentation de ce
co, Indirizzi programmatici e propagandistici nella monetazione di Vespasiano, dans RIN, XVI, 1968, p. 167 et p. 183, doivent être écartées. Il est insuffisant, sinon faux, de dire que Vespasien applique une politique dynastique et choisit un successeur. Il ne pouvait agir autrement, dès lors qu'il accept aitson investiture à Alexandrie. Il n'est pas exact, non plus, de rattacher, comme cet auteur le fait p. 149, les frappes avec Prouidentia et COS VIII (donc de 77/78) à la commémora tion du dixième anniversaire de la victoire dans la guerre civile. 109 RIC, II, p. 128, n° 97 et 98. BMC, II, p. 259, n° 178, 179, 180, 181. Cf. p. 433, n° 26 et pi. I. A/ IMP Τ CAES VESP AVG P M TR Ρ Ρ Ρ COS VIII Tête de Titus, lauree, à droite ou à gauche. R/ PROVIDENT AVGVS (ou AVGVST) S C Deux hommes, en toge, se font face, debout. L'un, à gauche, présente un globe. L'autre, à droite, tend la main droite, avec laquelle
il semble tenir un gouvernail. Sur quelques exemplaires, l'homme à droite sem ble avoir la tête radiée et l'homme à gauche la tête lauree. 110 Sydenham, The Coinage of the Roman Republic, Lon dres, 1952, n° 179. 111 Cf. S. Weinstock, Divus Iulius, Oxford, 1971, p. 123-124. 112 Cf. supra, p. 57. De Nat. Deor., II, 73. 113 Hor., Carm., 1,35,29-32. 114 A Alföldi, Insignien und Tracht der Römischen Kaiser, dans Die monarchische Repräsentation in römischen Kaiserrei che, Darmstadt, 1970, p. 195 et 235. 115 S. Weinstock, op. cit., p. 38-53, a pu montrer, à travers la littérature, la numismatique et l'art, la naissance de ce symbolisme du globe et son développement de Pompée à la fin du Ier siècle ap. J.-C. 116 Sydenham, op. cit., n° 163. Monnaie de T. Carisius. Cf. aussi n° 181.
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revers ne peut prêter à confusion; il s'agit bien de l'expression de la souveraineté, exercée par les deux hommes représentés, sur le monde. Cette idée est en parfaite concomitance avec Prouidentia et avec le contenu, plus large qu'au paravant, que Vespasien lui a donné. Mais la présence des deux hommes et le geste qu'ils font expriment une autre idée, plus cachée et plus difficile à déceler. Si l'on s'en tient aux apparences, on peut y voir l'image de la simple transmission du pouvoir de Vespasien à son fils, suivant une règle fixée depuis les débuts de la dynastie flavienne117, tout en assu rant la paix sociale118. Ce serait Vespasien divini sé tendant à Titus le regimen orbisH9, de la même façon que, sur une autre monnaie, nous pouvons voir Roma tendant à Titus à cheval le palladium, symbole de la Ville Éternelle120. On peut aussi y voir, en allant un peu loin dans l'interprétation, la transmission du pouvoir de père en fils sans qu'il y ait liberté du second par rapport au premier. Le fils a obtempéré aux ordres du père qui l'a choisi; un des premiers actes du nouveau princeps aurait été un acte d'obéissance121. Rien dans la représentation qui nous intéresse ne peut faire penser à une telle soumission et, de toutes façons, bien des obsta clesse dressent qui nous obligent à écarter tous les avis précédents. Le premier est particulièrement important; il s'agit de la date d'émission de ce sesterce. Il est incontestablement frappé durant l'année 80, année du huitième consulat de Titus indiqué dans la titulature. Il serait extrêmement curieux qu'au moins six mois après la mort de son père, Titus ait eu besoin d'affirmer que Vespasien lui avait bien transmis le pouvoir, qu'il était son successeur légitime, qu'il avait les mêmes pou voirs que lui et ... qu'il était un fils obéissant. On eut compris, à la rigueur, qu'il le fît dès les
premiers jours de juillet 79, très peu de temps après la mort de son père, le 23 juin. On ne voit pas l'intérêt qu'il pouvait en retirer dans un moment où personne ne cherchait à contester son pouvoir. Un seul argument peut être avancé à l'encontre de ce point de vue; en 79, il y a eu une frappe PROVIDENT avec l'image de l'e nceinte d'autel et au nom et au profil de Vespas ien122. Si nous croyons qu'il y a coïncidence entre ces séries et la date du 1er juillet, il est fort possible que Titus ait laissé se répandre cette série préparée au moment de la mort de Vespas ien,le 23 juin, et qu'il n'ait pas éprouvé, de ce fait, le besoin d'une série personnelle avec Proui dentia. Mais, même dans cette hypothèse, nous ne voyons pas pourquoi Titus aurait fait, en 80, une série rappelant simplement la succession. D'autant plus que cette succession, nous l'avons vu, ne posait aucun problème et ne pou vait que se passer sans heurt, comme il advint. En effet, la corégence, le partage des responsabil ités avaient été admis par tous et il ne pouvait être question de revenir sur ce qui avait été fait dès les débuts de la nouvelle Domus Augusta. La succession héréditaire, corollaire de la corégenc e, allait de soi et la gloire particulière que Titus pouvait en retirer n'avait plus guère besoin d'une frappe postérieure, comme il n'était pas nécessaire de commémorer leur longue commun autéde pouvoirs123. Ce n'est pas dans cette direction que nous avons une chance de trouver une approche de solution. D'ailleurs si nous regardons attentivement la monnaie, nous pou vons juger de l'attitude des deux hommes; ils sont sur un pied d'égalité; la seule différence est que l'un tient un globe et que l'autre s'appuie sur le gouvernail ou a, simplement, le gouvernail auprès de lui. S'agit-il vraiment du Diuus Vespasianus et de Titus? Ne peut-on pas penser plutôt à Titus et à son
117 M. P. Charlesworth, Providentia and Aeternitas, dans Harv. Th. Rev., XXIX, 1939, p. 115. 118 A. D. Nock, A dits electa, dans Harv. Th. Rev., XXIII, 1930, p. 266. 199 BMC, II, p. LXXV. 120 RIC, II, p. 115. 121 G. C. Belloni, Significati storico-politici delle figurazioni e delle scritte delle monete da Augusto a Traiano, dans ANRW, II,
1, 1975, p. 1067. Idée reprise par H. Temporini, Die Frauen am Hofe Trajans, ein Beitrag zur Stellung der Augustae im Principat, Berlin-New York, 1978, p. 51. 122 RIC, II, p. 105, n° 770; atelier de Lyon. Cf. p. 432, η» 18. 123 P. L. Strack, Untersuchungen zur römischen Reichsprä gung des Zweiten Jahrhunderts, Stuttgart, 1930-1931. t. I, p. 45.
LES FLAVIENS frère Domitien? En effet, la couronne radiée indiquée par Mattingly sur quelques types de la série est très difficilement apparente et pourrait tout aussi bien être une couronne de laurier ou même n'avoir jamais existé du tout124. Plusieurs arguments peuvent être employés pour nous fai re adopter la solution de la représentation des deux frères. C'est d'abord l'existence dans les mêmes séries monétaires d'un sesterce représen tant Titus et Domitien face à face, se serrant la main en présence d'une femme garante de ce geste d'entente, la PIETAS, indiquée dans l'in scription du revers en tant que PIETAS AVGVST125. Cette mention recouvre un double aspect, la Piété des deux fils à l'égard de leur père et la «piété» de Titus envers son frère, c'est-à-dire cette tendresse fraternelle que Tacite s'est plu à souligner126; même si ce dernier fait allusion aux tout premiers temps du règne de Vespasien, nous savons que ses sentiments ne se sont pas démentis par la suite. C'est ce que confirme cette monnaie. La nôtre vient direct ementdans son prolongement et la complète heureusement. Le résultat de cette PIETAS doub le, envers le père et envers le frère, est le respect des décisions de Vespasien et donc la succession de Titus assurée à Domitien. En effet, nous l'avons vu, la Prouidentia qui a permis à Vespasien de prendre le pouvoir l'a choisi en fonction de ses propres qualités, mais aussi parce qu'il avait des fils en âge de régner; le retour à la stabilité devait obligatoirement faire échoir le sceptre entre les mains de Domit ienquelle que soit l'attitude de ce dernier. C'est bien ce que souligne Suétone : « Quant à son frère, qui ne cessait de comploter contre lui ... Titus eut la constance de ne point le faire tuer, ni l'éloigner, ni même diminuer les honneurs, et il continua, comme dès le premier jour de son 124 D'ailleurs, dans RIC, il n'en est jamais question. 125 RIC, II, p. 128, n° 96. 126 Tac, Hist., IV, 52, 4 : « Vespasianus haud aeque Domitiano mitigatus quam Titi pietate gaudens ...» 127 Suét., Tit., IX, 5. 128 Ibid., 2. Ce n'est pas un hasard si les deux anecdotes, sur Domitien et sur ces patriciens, sont groupées dans le même paragraphe. Il s'agit du même problème. Aur. Vict., Caes., X, 10, 4: «Vous rendez-vous bien compte que le pou voir est donné par le destin et qu'il est vain d'essayer de commettre un crime dans l'espoir de s'en emparer ou par
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principat, à le proclamer son associé (consortem), son futur successeur, le suppliant parfois avec des larmes, quand ils étaient seuls, de con sentir enfin à payer de retour son affection»127. Cette attitude de Titus ne se comprend que s'il est uni à Domitien par des liens plus forts que la seule parenté, des liens à caractère religieux, qui ne peuvent jamais être rompus, sinon par les dieux eux-mêmes. Tant qu'ils n'ont pas agi, et ils ne le pouvaient qu'en faisant disparaître Domit ien,ce dernier reste le successeur désigné. C'est d'ailleurs pourquoi Titus se préoccupe peu de ceux qui aspirent au pouvoir: «Deux patriciens ayant été convaincus de prétendre à l'empire, il se contenta de les engager à y renoncer, en leur disant: 'C'est le destin qui donne le pouvoir suprême'»128. Or, le destin a déjà fait son choix; c'est celui, après Titus, de Domitien; personne ne peut en douter et c'est pourquoi Titus peut, en toute tranquillité, accorder sa grâce à ces patriciens, même après étude de leurs horoscop es. Pour nous placer véritablement dans l'am biance flavienne, nous devrions, plutôt que de destin (Suétone emploie le mot fatum), parler de prouidentia. C'est elle qui est la garante de la stabilité dans la succession familiale, c'est elle qui a imposé à Vespasien de se joindre ses deux fils. C'est elle qui est proclamée par le sesterce qui nous intéresse, en tant que protectrice de la succession au pouvoir. Si nous y reconnaissons Titus et Domitien, la représentation se com prend mieux et est tout à fait dans la ligne de ce qu'a voulu Vespasien, ou plutôt dans la ligne de ce que les dieux ont imposé à Vespasien et, à travers lui, à Titus et à Domitien. C'est pourquoi, nous devons bien considérer Domitien comme le consors de Titus et l'associé de son pouvoir129, même s'il n'en a pas les marques visibles, comcrainte de le perdre?». Contrairement à ce que pense et écrit P. Dufraigne dans son édition-traduction d'Aurélius Victor, Les Belles-Lettres, 1975, p. 94, n. 5, cette sententia sur le pouvoir conféré par le destin n'est pas un simple topos. Elle reflète au contraire parfaitement le sens du principat flavien. 129 Cf. A. Alföldi, art. cit., p. 236, à propos du globe et des règnes conjoints, celui de Titus et de Domitien étant ici rapprochés de ceux de Caracalla et Géta, et de Valerien et Gallien.
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me le praenomen imperatoris ou la véritable corégence qu'avait exercée Titus du temps de son père. Cela ne pouvait rien changer à ce qui avait été indiqué et ordonné par les dieux. Titus et Domitien partagent le pouvoir souverain et universel avant que Domitien ne l'obtienne seul à la mort de son frère; c'est le verdict de la Providence; c'est aussi le sens qu'il faut attribuer au sesterce de l'année 80. Il est, en un sens, l'équivalent et le pendant des monnaies Prouidentia émises sous Vespasien.
et des troubles sanglants. La présence de Galba est normale; nous avons souligné l'importance que Vespasien avait attachée à son règne et à son action. L'absence d'Auguste est explicable au moyen des buts poursuivis par Titus dans ces séries en quelque sorte commémoratives. En effet, l'empereur, veut, avant tout, affirmer que la politique dynastique des Flaviens est sembla ble à celle des Julio-Claudiens, que s'est formée et qu'existe une seconde Domus Augusta sembla ble à la première, prenant modèle sur elle en ce qu'elle possédait de meilleur et de plus profita ble pour l'ensemble du monde romain. Par cet b) Des monnaies de restitution. effort spectaculaire, la dynastie flavienne justi fiait à la fois son installation au pouvoir et la À part ce type totalement nouveau, et que nous venons de tenter d'expliquer, le court transmission héréditaire du pouvoir, comme Auguste l'aurait fait s'il avait eu un fils132. C'était règne de Titus est aussi marqué par plusieurs séries d'as de bronze, frappés à Rome, et présen souligner le fait que Vespasien avait agi comme Auguste s'il s'était trouvé placé dans les mêmes tant au revers l'image maintenant traditionnelle de l'enceinte d'autel avec PROVIDENT. Mais il y conditions; il y avait un parallélisme qui ne pouvait que donner plus de poids et de prestige a deux nouveautés; à l'avers, nous avons la reproduction du type DIVVS AVGVSTVS PA aux Flaviens. Mais il ne faut pas accorder ici à Prouidentia plus d'importance qu'elle n'en a; en TER, tête de Tibère radiée à gauche; au revers, en plus de PROVIDENT, il y a, ajouté de champ, effet, elle n'est qu'une des notions utilisées par mi bien d'autres. Étant donné son développe la titulature de Titus, sous six formes différentes, ment ultérieur, il est normal que Titus l'ait voulu suivie du mot REST(ituit)130. Ces as ne sont pas les seuls; en effet, Titus a fait frapper un très restituer, mais nous ne devons pas, comme le grand nombre de restitutions par les ateliers de pense J. Béranger, lui faire une place à part et Rome dans l'année 80-81. C'est ainsi que, tou prépondérante jusqu'à dire que «ce sont les jours pour le DIWS AVGVSTVS PATER nous monnaies seules qui, par la prouidentia spécial trouvons le type de la Victoire au bouclier mar ement comprise, établissent une filiation Augustequé SPQR, le type de l'aigle sur un globe, sur un Tibère, Auguste-Titus-Domitien»133. Toutes les cippe ou sur un foudre. Mais les restitutions ont monnaies restituées sont les représentants et les aussi intéressé les frappes de M. Agrippa, de défenseurs d'un tel programme. Tibère personnellement, de Drusus, de Livie, de Il est donc bien certain que Titus a poursuivi, Nero Drusus, de Germanicus, d'Agrippine l'An vis-à-vis, de la Prouidentia, la même politique cienne, de Claude et de Galba131. Le choix est que son père; c'était un acte normal puisque volontaire et un tri a été fait; nous pouvons ainsi justement la Prouidentia était la garante de la noter qu'il n'y a aucun restitution de monnaies succession héréditaire, ayant donné la souverai neté sur le monde connu non seulement à un des règnes d'Auguste, de Caligula, de Néron, d'Othon et de Vitellius. Pour les quatre derniers, homme, Vespasien, mais aussi, globalement et cela se comprend aisément puisqu'ils n'avaient en totalité, à ses deux fils Titus et Domitien. pas été divinisés, qu'ils étaient considérés com C'est pourquoi la monnaie au nouveau type de mede mauvais empereurs et que les deux der représentation n'indique aucun changement; elle niers de la liste avaient provoqué la guerre civile n'est que la réaffirmation et la confirmation d'un
130 Ä/C, II, p. 142, n° 191, 192, 193, 194, 195 et 196. Cf. p. 433, n° 27. 131 Cf. RIC, II, p. 141-148.
132 J. Béranger, La «Prévoyance» (Providentia) impériale et Tacite, Ann., I, 8, dans « Principatus », p. 339. 133 Id., ibid., p. 341.
LES FLAVIENS fait que tout le monde connaissait, mais qui aurait pu être oublié étant donné la conduite discutable de Domitien, l'homme qui devait suc céder à Titus comme les dieux l'avaient voulu, en toute souveraineté. Les monnaies de restitu tion ne pouvaient que venir en renfort de cette idée-force, tout particulièrement pour celles qui utilisaient aussi Prouidentia.
2 - Domitien et l'abandon de «Providentia» Avec l'arrivée au pouvoir de Domitien, nous pouvons noter, à l'égard de Prouidentia, un grand changement. La notion devient tout à fait secondaire dans les séries monétaires. En effet, elle n'apparaît plus que dans les séries de resti tutions, dans la lignée de celles frappés sous Titus. Nous trouvons un as de bronze avec l'en ceinte d'autel au revers, DIWS AVGVSTVS PATER et la tête d'Auguste au droit; l'inscription du revers indique la restitution ordonnée par Domitien: IMP D AVG REST SC avec PROVID ENT134. Cette série de Rome, aux exemplaires conservés assez rares, peut être datée de 82 comme toutes les autres séries restaurées qui, comme précédemment, reprennent des types des règnes de Tibère et de Claude. Mais elles sont en moins grand nombre que sous Titus et elles ne sont plus frappées après 82. En réalité, dans ce domaine, Domitien s'est contenté, la première année de son règne, de continuer la politique monétaire de son frère; mais il n'y a pas attaché la même importance ni donné le même sens, puisqu'il l'a interrompue immédiate ment après. Une telle série ne devait donc pas avoir de sens particulier, précis pour Domitien. Par contre, l'important est dans le fait que Proui dentia n'apparaît plus du tout sur les monnaies durant le reste du règne de Domitien. Nous pouvons nous en étonner étant .donné son importance' pour l'ensemble de la seconde 134 RIC, II, p. 211, n° 455. Cf. p. 433, n° 28. 135 Suét., Dom., XIII, 1. 136 Ibid. 137 Suét., Dom., H, 6. Il aurait aussi comploté contre lui : Suét., Tit., IX, 5. Dion Cass., LXVI, 26, 2. 138 Dion Cass., LXVII, 2.
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Domus Augusta', nous devons surtout tenter de l'expliquer. a) L'hostilité envers ses prédécesseurs. Domitien doit son pouvoir à la Prouidentia, comme son père et son frère auxquels il a été associé, même si cela s'est fait sur un mode mineur. Il le sait, mais il ne le proclame pas, car c'est une chose qu'il a toujours difficilement admise pour plusieurs raisons : la protection que les dieux lui avaient accordée lors des massacres du Capitole n'était-elle pas la preuve de sa pré destination au pouvoir? N'était-ce pas lui qui, parce qu'il était à Rome et parce qu'il avait agi dans les derniers mois du règne de Vitellius comme au moment du gouvernement de Mucien, avait véritablement donné le pouvoir à son père et à son frère135? Jaloux, il avait tou jours considéré que le pouvoir lui avait été enle véet que son arrivée au principat n'était qu'un retour à l'ordre des choses : « Une fois parvenu à l'empire, il n'hésita pas à proclamer au sénat qu'il avait donné le pouvoir suprême aussi bien à son père qu'à son frère, et qu'ils le lui avaient rendu»136. D'ailleurs, pour bien souligner cette idée avancée officiellement, il montra toujours, nous pourrions dire systématiquement, une attitude hostile à tout ce qu'avait fait Titus; il attaqua sa mémoire dans des édits et par des allusions137, il haïssait les amis de son père et de son frère, il chercha à déshonorer son frère à propos d'eunu ques,il interdisait qu'on prononçât la moindre harangue de Titus devant lui, car il y voyait une injure personnelle138. Il se peut même qu'il se soit livré au rite du refus du pouvoir qui était évidemment inutile pour un homme que la Pro vidence avait désigné à la succession de son frère139; mais un tel geste lui permettait d'affi rmersa liberté à l'égard de ses prédécesseurs. Il considérait qu'il était le seul vrai princeps et qu'il obtenait, enfin, en 81, la première place à laquell e il avait été désigné dès 69. Ses laudateurs 139 Si nous suivons J. Béranger, Les Génies du sénat et du peuple romain et les reliefs flaviens de la Cancelleria, dans Principatus, p. 402410, qui voit dans le relief A, où la tête de Nerva aurait remplacé celle de Domitien, la représentation d'une entrée solennelle de Domitien avec refus du pouvoir.
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n'ont pas manqué d'utiliser l'argument; c'est le cas de Martial : « Bientôt maître du pouvoir, il le résigna, se contentant de la troisième place dans le monde qui était à lui»140. C'est aussi ce qu'af firme, plus discrètement, Quintilien : « Quid tarnen his ipsis eius operibus, in quae donato imperio iuuenis secesserat, siiblimius, doctius, omnibus denique numeris praestantius?»141. Domitien a bien « abandonné le pouvoir » comme le dit J. Béranger142, «idéalement, c'était lui, Domitien, le premier, le vrai princeps ». Dans ces con ditions, il lui était impossible d'évoquer la Prouidentia qui avait donné la souveraineté aux Flaviens, mais ne lui avait accordé que la troisième place. Il ne pouvait la proclamer sans montrer qu'il acceptait d'avoir eu des prédécesseurs devant lesquels il avait été, un jour, obligé de s'effacer. b) «Prouidentia» ne peut aller au-delà de luimême. Un second point l'obligea à ne pas utiliser la Prouidentia. Non seulement celle-ci avait donné la souveraineté aux Flaviens, mais elle avait fixé la succession de trois empereurs, sans voir plus avant. Or, Domitien se trouve être ce dernier prévu par la Providence; rien n'est plus sûr pour l'avenir, d'autant que l'empereur n'a pas d'en fant. Il ne peut évoquer la Prouidentia pour assu rersa succession. De là, pour lui, un inconfort dans sa position, qui se transforme rapidement en véritable angoisse; il se sent le dernier d'une lignée parce que les dieux l'ont voulu ainsi. Cette angoisse devant une mort qui ne sera pas seule ment la sienne, mais celle d'une famille, se tra duit par des mises en scène macabres où, pen dant un instant, Domitien peut se sentir le maît redu destin de ses hôtes qu'il effraie par l'appa rat funéraire du banquet143, par les exécutions nombreuses et qui augmentent au fil des années, qu'il décide seul comme s'il était le destin et que le sort de chacun était entre ses mains,
140 Mart., IX, 101, 15-16. 141 Quint., Inst. Oral, X, 1, 91. "2Art. cil, p. 410. 143 Dion Cass., LXVII, 9, 1-2. 144 Suét., Dom., XVI, 1-7. 145 Ibid., XV, 1.
dait de lui. Mais il ne peut oublier sa propre mort qui le hante et dont il a peur, et qu'il cherche désespérément à éviter144. Il aurait pu tenter d'assurer sa succession. Mais, en réalité, il n'y croit pas vraiment, même lorsqu'il choisit les enfants de son cousin ger main, Flavius Clemens, «dont il avait publique ment décidé que les fils encore tout petits seraient ses successeurs et perdraient leurs anciens noms pour s'appeler l'un Vespasien, l'au tre Domitien»145. Il ne fait ce choix que tardive ment,sans doute peu de temps avant le consulat de Flavius Clemens en 95. Il chercha bien à montrer à tous que la domus Flavia se perpétuait à travers eux, mais on a l'impression douloureus e qu'il court à l'échec volontairement; nous n'avons aucune trace d'honneurs officiels qui auraient placé ces deux enfants dans une posi tion eminente; et, surtout, il est étonnant de constater que Domitien n'a choisi aucun inte rmédiaire pour assurer le pouvoir d'enfants aussi jeunes; il n'aurait pas manqué de le faire, à l'imitation d'Auguste avec Agrippa, s'il avait cru cette succession possible. La Prouidentia a donné le pouvoir à trois Flaviens; le princeps le sait. Dans ces conditions, il lui était impossible d'évo quer la Providence et de la faire apparaître sur des monnaies; c'eut été en contradiction avec l'acte réalisé qui était un choix de Domitien seul, et non une intervention des dieux. c) Comment masquer la réalité. Il employa d'autres moyens pour essayer d'oublier le destin qui était fixé à sa famille. Il voulut que Rome connût un nouveau départ et que son règne marquât le début d'une ère de jeunesse et de félicité. C'est pourquoi, reprenant le comput augustéen interrompu par Claude, il fit célébrer des jeux séculaires auxquels il donna un éclat particulier, en 88 146. Mais il ne dut pas y gagner une très grande confiance puisque, la nuit, peu de temps avant son assassinat, on le
146 Ibid., IV, 7. Cf. les importantes séries monétaires qui leur sont consacrées: R1C, II, p. 199, n° 365; p. 201-202, n° 375 à 387. Il ne pouvait placer ces jeux sous le signe de Prouidentia qui aurait rappelé l'échec et le ridicule de Claude.
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voit rêver à la période plus heureuse et plus prospère que l'État allait connaître après sa mort147. Ce fut encore pour se masquer la réalité qu'il eut cette politique, si contraire à l'esprit romain et occidental, qui consista à rendre sacrée la personne de l'empereur vivant; dans ce contexte, nous pouvons nous expliquer ses exagérations allant jusqu'au désir de se faire appeler dominas et deus148. N'était-ce pas pour lui le moyen de tenter de surmonter sa destinée et celle de sa famille en s'égalant aux dieux? C'est dans le même esprit qu'il faut comprendre ce que J. Gagé a appelé «une exploitation personnelle et tapageuse» du sanctuaire capitolin149 avec l'institution de Yagôn Capitolinus, le développe ment du culte de Minerve, patronne de l'emper eur,la propagande pour luppiter Custos, qui avait sauvé Domitien en 69, et pour luppiter Tonans dont il se considérait comme le protég é150. Il voulut se démarquer totalement de ce qui avait été la politique religieuse de ses prédé cesseurs. D'ailleurs ne chercha-t-il pas à défier aussi les Juifs en percevant le didrachme sur tous les Juifs, mais au profit du Capitole, et en interdisant tout prosélytisme judaïsant? Dans un contexte plus terre à terre, mais qui n'en est pas moins significatif, Domitien, comme son père et son frère, accumula les magistratur es, bases légales de son pouvoir; il semblait ne vouloir les laisser à personne d'autre. Il fut con sul presque tous les ans, il accumula les saluta tions impériales et, surtout, il prit la censure perpétuelle dès l'année 85, ce qui lui donnait l'illusion de posséder un contrôle total et perma nentsur tous ses sujets151. Domitien tenta aussi de réagir en ayant une attitude agressive à l'égard de tous ceux qui étaient soupçonnés, ou de consulter sur l'avenir du prince, ou de posséder eux-mêmes une geni ture de caractère royal. Il ne pouvait pas adopt erl'attitude négligente de Vespasien qui, lui,
était assuré par la Prouidentia que ses fils lui succéderaient; Titus avait pratiqué, en toute conscience et sûreté, la même politique. Aussi Domitien n'hésita-t-il pas à expulser, par des édits, les philosophes et les astrologues de Rome et de l'Italie, en 89/90 dans un premier temps, et une seconde fois en 93 152. Il ne pouvait agir autrement à l'égard de ceux qui s'opposaient à sa personne et à l'augmentation de son pouvoir, ni à l'égard de ceux qui recherchaint dans les signes célestes son propre destin. Cela n'empê cha d'ailleurs par les Chaldéens de faire des prédictions sur sa mort; lui-même connaissait son horoscope, le jour et la nature de sa disparit ion153. Il pourchassa en particulier tous ceux qui étaient soupçonnés d'avoir une genesis imperatori a', ce fut le cas de Mettius Pompusianus qui, en plus de son horoscope royal, «faisait circuler une carte du monde dessinée sur parchemin » 154, ce qui était le signe de sa future domination de l'oikouménè que seul pourtant l'empereur pouv ait assurer. Domitien croyait aux présages et à tout ce qui semblait signe venant des dieux; certains lui furent favorables, comme ceux lui annonçant l'échec de la révolte de L. Anton ius155. D'autres présageaient sa mort et la dispa rition de la domus Flavia : les prédictions unique mentfunestes de l'oracle de Préneste, l'insistan ce des présages fulguratoires qui ont pu faire dire qu'il se déchaînait méthodiquement contre Domitien une véritable « guerre des haruspices », foudre sur le temple de la famille, le cyprès dont la vigueur symbolisait celle des Flaviens définit ivement abattu . . .156. Larginus Proclus lui annon ça même le jour de sa mort157. Mais Domitien ne voulut pas céder à cet assaut mené sans doute de façon volontaire et inspiré, en tant qu'instr ument d'épouvanté, par les adversaires acharnés de l'empereur, stoïciens et peut-être prosélytes du culte juif. Domitien n'accepta pas ce destin; il chercha
147 Suét., Dom., XXIII, 4. 148 Ibid., XIII, 2-4. 149 J. Gagé, La propagande sérapiste. . . , p. 86. 150 Mart., VI, 10; VII, 56 et 99; IX, 39 et 86. 151 Dion Cass., LXVII, 4, 3 et 13. 152 Suét., Dom., X, 5; Dion Cass., LXVII, 13, 3; Cf. F. H. Cramer, Astrology in Roman Law ,,.,ρ. 143.
153 Suét., Dom., XIV, 2-3. 154 Ibid., X, 5; Dion Cas., LXVII, 12, 4 et 15. 155 Ibid., VI, 3-4. 156 Ibid., XV, 3-7; J. Gagé, La propagande sérapiste. p. 97. 157 Dion Cass., LXVII, 16, 2.
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toujours à en détourner les effets et à en repous ser l'échéance. Pour montrer aux yeux de tous l'inanité des prédictions, il laissa en vie Larginus Proclus jusqu'au jour supposé de son décès, ce qui le sauva. Par contre, il mit à mort l'astrolo gue Asclétarion qui avait, sans doute, divulgué les secrets de la mort de l'empereur; il voulait ainsi démontrer la faiblesse et la fausseté de ses prédictions; mais, malgré les précautions prises, le corps de l'astrologue fut dévoré par les chiens comme lui-même l'avait annoncé158. Quand un crieur appela Flavius Sabinus empereur au lieu de consul, il s'empressa de faire tuer son cousin germain pour détourner de sa personne ce qui pouvait être considéré comme un omen159. Mais il est impossible d'échapper au destin; Domitien ne pouvait léguer son pouvoir à quelqu'un de sa famille et quand Nerva fut compromis par des astrologues qui lui attribuaient un destin impér ial,Domitien fut incapable d'agir, même s'il eut la velléité d'exiler Nerva160. Dans ce contexte, Domitien ne pouvait utili serla Prouidentia dans sa propagande officielle. Certes, c'est bien à elle qu'il devait sa souverai neté totale et sans partage, qu'il pouvait être appelé le «maître du monde»161; mais il la possé daitdans des conditions qu'il n'avait jamais voul ureconnaître, ce qui était déjà de sa part un refus d'accepter son action et son influence. Il ne pouvait plus la proclamer comme assurant la succession. Il lui était impossible de la présenter face à celui qui devait posséder le pouvoir suprê me après lui, puisque, avec lui, la famille Flavia devait voir s'interrompre son brillant destin. C'est tout cela que Domitien a voulu refuser et qu'il a cherché à éviter, enthousiaste un jour, désespéré le lendemain. Là encore, il lui était inutile d'invoquer la Providence; il aurait même été provocant; ce qui n'empêcha pas les philoso phesd'insister sur son manque de sagesse qui est la marque même du faible ou de l'orgueil leux, de toute façon du tyran, celui qui refusant le destin qui lui est fixé, n'y adhérant pas volon tairement, est improuidus et court à sa propre
perte162. Il est normal que ce soit celui qui, parmi d'autres, avait orienté Vespasien et ses fils vers le pouvoir, qui annonce la mort de Domit ienau moment même où, à Rome, il est frappé; c'est ce que fit Apollonius de Tyane à Ephèse163. Prouidentia, malgré le dernier épisode, a donc joué un rôle considérable à l'époque des Flaviens. Elle est devenue une notion «pleine», c'est-à-dire signifiant la remise de la totalité de la souveraineté, de la maîtrise de monde, à un homme et à ses descendants. Sa naissance, autour de Vespasien, dans le milieu juif et hellé nisé de l'Orient, lui a donné cet aspect de la βασιλεία. Le premier Flavien y a cru profondé ment et en a fait l'élément protecteur de son principat, mais il a eu l'habileté de «gommer» les aspects orientaux pour pouvoir réintrégrer Prouidentia, avec son contenu largement renouv elé,dans le contexte romain et occidental, en profitant de l'utilisation de Prouidentia qui avait déjà été faite. Rien de tout cela ne pouvait cho quer ou sembler une innovation telle qu'il eut fallu se dresser contre elle au nom de la tradi tion. C'est ce que Titus accepta facilement; il est vrai qu'il avait été pour beaucoup dans sa forma tionet dans la manière dont elle fut imposée. C'est ce que Domitien refusa, comma il avait refusé tout ce qui s'était tramé en Orient alors que lui, à Rome, croyait assurer son propre pouvoir, protégé qu'il était par les dieux. Son avènement, qui ne pouvait être que le dernier dans la famille flavienne, devait voir la dispari tion de Prouidentia comme notion officielle. Mais il y eut là un grand avantage pour l'avenir; Prouidentia ne succomberait pas avec Domitien et dans l'exécration de sa tyrannie.
158 Suét., Dom., XV, 8-10; Dion Cassius, LXVII, 16, 3. 159 Suét., Dom., X, 6. 160 Dion Cass., LXVII, 15, 5. 161 Mart., VII, 5, 5; Vili, 2, 6 et 32, 6; Stace, Silv., HI, 4, 20.
162 Cf. le long débat entre Apollonios et Domitien, le philo sophe et l'anti-sage : Philos., Vit. Apoi, VIII, 1-7. 163 Phil., Vit. Apoi, VIII, 26; Dion Cass., LXVII, 18.
3 - Les faibles échos littéraires Mais cette importance ne se traduit pas dans la littérature latine du temps. Même dans le domaine philosophique, prouidentia tient une
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ensemble, il n'y a rien d'original en ce qui con cerne le traitement de prouidentia; il n'y a aucun rappel de l'actualité et de la place fondamentale tenue par la providence dans l'avènement de la dynastie flavienne. Il en est à peu près de même chez Quintilien. Et pourtant, venu à Rome avec Galba, ferme soutien de Vespasien à qui il dut sa chaire de rhétorique et son salaire, il continua son ense ignement sous Titus et sous Domitien qui le fit consul. Il est vrai que les douze livres de l'Institutio Oratoria ont été composés en 92 et 93, à l'époque du principat de Domitien; et, plus encor e,ce dernier a confié à Quintilien, alors même qu'il était entrain de rédiger le quatrième livre de son Institutio, l'éducation de ses petitsneveux, ses successeurs désignés, les fils de Fla vius Clemens et de Domitilla172. Dans ces condi tions très particulières, il ne pouvait être ques tion pour lui de faire appel à la providence à un moment où, justement, le pouvoir officiel l'effa çait, comme nous l'avons expliqué plus haut. D'ailleurs, à de nombreuses reprises, il décerne des éloges à l'empereur, en véritable adulat eur173. En outre, ce qui ne pouvait qu'augment er sa tendance à ne pas faire place à la Provi dence, il est un adversaire farouche de la manièr e de Sénèque174. Il existe, à ce propos, un passa geparticulièrement intéressant dans lequel Quintilien repousse l'idée d'une providence veil lant sur le monde : « Car est-il un père qui me pardonne de me livrer encore à l'étude, et qui ne
164 Pline Α., Ν. H., Praef., 13. 165 Cf. l'introduction de J. Beaujeu à l'édition-traduction des livres I et II, Les Belles Lettres, Paris, 1953. 166 Elle amincit les Alpes pour permettre un passage plus facile (N. H., III, 23 (19), 5 : »tieluti naturae prouidentia»). Elle a donné au scolymos ou limmia des vertus utiles à l'homme (XXII, 43, 1). Elle a enfermé les principaux viscères dans des membranes pour les protéger (XI, 77, 1). Elle rancit l'huile en un an pour en rendre l'usage général, même pour le commun des hommes (XV, 3 [7], 1). 167 Elle pousse les oiseaux à choisir des herbes permettant d'abriter le nid de la pluie (X, 50, 2). Elle a rendu les oreilles et les narines molles pour les empêcher d'être brisées (XI, 87, 1). Elle permet aux poissons de ne pas être avalés par les dauphins en obligeant ces derniers à se mettre sur le dos avant de se saisir de leur proie (IX, 7, 1). 168 Le saule (XVI, 46, 1), les plantes épineuses (XXII, 7, 2), le lentisque dont la triple récolte indique les trois périodes
de labourage (XVIII, 61, 1). "9 XXXrV, 40, 1. >7° VIII, 58, 1 et X, 30 (23), 2. 171 Ils ont fait fondre les statues des particuliers, en 158 av. J.-C, pour lutter contre les ambitions trop fortes (XXXIV, 14, 1). Ils ont expulsé les médecins grecs d'Italie pour éviter que les moeurs romaines ne soient perverties (XXIX, 8, 2, et 9), car ils n'ont pas la grauitas qui est un complément de prouidentia. Ils ont cherché à réduire le plus possible les dépenses dans le travail de la terre (XVIII, Ç, 1). 172 Quint, Inst Oral, IV, proem., 2. 173 Ibid^ Χ, 1. Il est traité de «premier des poètes», d'au teur d'ouvrages « élevés, doctes, achevés », de l'homme qui a le mieux chanté la guerre, qui a toutes les qualités. Mais prouidere n'intervient jamais dans ces louanges. 174 Même si c'est au profit de celle de Cicéron. E. Parator e, La letteratura latina dell'età imperiale, Florence, 1969, p. 152-154.
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place modeste, à la limite de l'inexistence. Ni Pline l'Ancien, ni Quintilien, ni Martial ou Stace ne lui ont donné un rôle à la mesure de sa place dans les domaines politique et religieux de l'épo que. Pline l'Ancien emploie assez souvent prouidere, prouidentia et leurs dérivés; mais il ne le fait que d'une manière très traditionnelle et sans allusion aux temps présents, bien qu'il ait été proche de Vespasien et de Titus à qui il a dédié sa Naturalis Historia publiée en 77. Cette œuvre encyclopédique est, comme le dit l'auteur luimême, «rerum natura, hoc est tiita»16*. Dans sa conception du monde, très influencée par le stoïcisme comme nous pouvons le voir dans le livre II consacré à la cosmographie165, il fait une grande place à la nature prévoyante ou, plutôt, à la naturae prouidentia qui pourvoit à la bonne marche du monde et au bien-être de ceux qui y habitent. Il la voit dans le fait qu'elle favorise l'homme dans sa vie166 et aussi les animaux167 et les plantes168. Pline s'extasie même sur la pré voyance de la nature, et sur sa bonté, qui ont fait que le fer, mortel pour l'homme, est lui-même mortel par la rouille qui est son châtiment169. Cette providence qui existe dans le monde et l'organise se retrouve dans certains animaux capables de prévoir, comme les écureuils attent ifsaux tempêtes, ou les grues170. Mais les hom mes en sont aussi pourvus et les meilleurs exemp lesse trouvent parmi les ancêtres qui ont per mis la grandeur de la Rome actuelle171. Dans cet
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déteste la sécheresse de mon âme, si je me sers de la parole autrement que pour accuser les dieux qui m'ont fait survivre à tous les miens? Ne suis-je pas la preuve qu'aucune providence ne veille sur les choses de ce monde?»175. Il y a là comme un écho de la position de Domitien, même si, chez Quintilien, cette douleur s'expr ime à la suite de la perte de son dernier fils en qui il avait placé les plus grands espoirs. Mais nous avons, à propos de ce fait familial, comme le reflet de cette position d'abandon, sans autre issue que la mort, dans laquelle s'était placé Domitien, le dernier des Flaviens à bénéficier de la Prouidentia à l'origine de la fortune impériale de sa famille. Cela ne l'empêche pas cependant de parler à d'autres reprises de la providence. Mais il limite son rôle. Elle est, en premier lieu, celle qui donne les qualités oratoires, le plus beau pour Quintilien: «oratio, qua nihil praestantius homini dédit prouidentia »176; dans ces conditions, de tel les qualités doivent être utilisées au mieux de l'intérêt des hommes et ne peuvent donc servir qu'à des gens de bien177. Parfois il fait allusion à la Providence stoïcienne régissant le monde et s'opposant à la conception atomiste des épicur iens178. Il n'exclut pas totalement, en réalité, ce don de prévoyance de l'homme179, mais il le fait rarement et, dans ce domaine, Quintilien est loin
de suivre son modèle, Cicéron; mais cela reste compréhensible dans l'atmosphère domitienne, peu favorable à prouidentia. Nous nous trouvons en face des mêmes traits chez deux autres écrivains qui ont, encore plus que Quintilien, adulé Domitien, Martial et Stace. Ils ne s'aimaient pas, mais ils eurent la même attitude à l'égard du détenteur du pouvoir impér ial.Tous deux reconnurent en Domitien le maî tre du monde, le père des terres habitées180; sa souveraineté sans partage lui permet d'assurer le salut de la terre dans le bonheur universel181; il doit tout cela à ses qualités182. C'est ce qui aurait pu pousser ces écrivains à faire appel à la prouidentia de Domitien; or, l'un comme l'autre l'évitent, certainement volontairement. En effet, par ailleurs, ils tentent de répondre aux angois ses de l'empereur sur sa propre destinée183 et Martial souhaite au fils de Domitien de recevoir un jour sa succession184. Il paraît clair que Stace et Martial ont évité de nommer la providence, ce qui aurait pu cho quer Domitien et lui rappeler ce qu'il voulait justement oublier. Il est, d'ailleurs, un fait symptomatique; quand Stace utilise prouidere ou prouidus, à quelque sujet que ces termes se rap portent, il ne le fait jamais dans les poèmes qui s'adressent à Domitien, ni même dans les Silves. Les exemples se rapportent toujours à des dieux
175 Quint., Inst. Orat., VI, proem., 4. Β. Zucchelli, // destino e la provvidenza in Quintiliano (a proposito del proemio del VI libro dell'Institutio), dans Paideia, XXIX, 1974, p. 3-17, essaye de retrouver une cohérence interne et psychologique aux propos de Quintilien qu'il trouve en contradiction avec le reste, logique, de sa pensée. Ce n'est sans doute pas là que peut résider la meilleure explication. 176 1, 10, 7. Ces qualités font partie des choses 'honnêtes' et agréables, toutes bienfaits de la providence (I, 12, 18). Elles sont le privilège divin reçu à sa naissance par Cicéron (X, 1, 109) et Quintilien note que Cicéron attribue son succès sur Catilina à prouidentia deorum (XI, 1, 23). 177 XII, 1, 12. 178 V, 7, 35 et VII, 2. 179 La providence l'a formé pour qu'il subsiste dans son intégrité physique (V, 12, 19: à propos des eunuques qui ne peuvent atteindre à la beauté de l'homme « intégral »). L'avo catdoit en faire preuve pout éviter que son témoin ne se montre craintif, trop effacé ou inconséquent (V, 10, 7) et le médecin doit s'en servir lors de son diagnostic (VII, 10). 180 Stace, Silv., IV, 2, 14; Mart., V, 3, 3 (praeses mundi); VII,
5, 5 (terrarum dominimi); IX, 7, 1. 181 Mart., V, I, 7; III, 91, 1; Stace, Silv., IV, I, 25. 182 Particulièrement la pudor soulignée par Stace, Silv., TV, I, 10, et Martial, VI, 4, 5 et IX, 7, 2. Ces qualités lui permet tentd'affirmer sa gloire dans la paix retrouvée après ses éclatantes victoires (Stace, Silv., TV, 3, 10; IV, 2, 41-42; IV, 1, 45 pour Janus et la paix) et de répandre partout ses bienfaits (Mart., VIII, 54 (=56), 2-3). 183 Stace évoque et glorifie la rénovation de Rome à partir du 17e consulat de l'empereur et annonce un siècle nouveau grâce aux jeux séculaires (Silv., TV, 1, 17-20 et 37). Il annonce une longue série d'années pour Domitien (IV, 3, 143-150), tout en rappelant que son pouvoir lui est venu des dieux directement, sans intermédiaire (IV, 3, 122 sq. : paroles pro phétiques de la Sibylle de Cumes). Martial renchérit en faisant de Domitien l'égal de Jupiter, et en montrant que dans la victoire il est supérieur à son père et à son frère puisqu'il est seul à remporter la victoire alors que ses prédécesseurs étaient associés (I, 6, 6 et II, 2, 5-6). 184 VI, 3, 1-6.
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ou des héros qualifiés de prouidus par l'au teur185. Ce n'est alors que l'emploi d'un adjectif banal pour qualifier dieux et héros dans leur action oraculaire (Manto, Adraste) ou, le plus souvent, militaire (Actor, Tydée, Alcidamas, Polynice), ou bien encore pour qualifier les qualités générales de réflexion et de prudence d'Ulysse. Le règne des Flaviens marque donc une incontestable évolution de la notion de Proui dentia, dans son contenu, dans son emploi, dans ses effets. Après la tentative de Galba d'en faire, désespérément, l'ultime appel à une prolongat ion de son règne, pour lui-même et pour son successeur désigné Pison, on aurait pu penser que le discrédit attaché à l'empereur assassiné allait mettre un terme à l'utilisation de la provi dence comme moyen de propagande et reflet de l'action impériale. Il n'en a rien été; tout au contraire les événements de 69 ont permis le retour en grâce de Prouidentia, d'abord par l'i ntermédiaire de Vitellius qui tenta de réagir con tre les menaces qui l'entouraient et y répondit, dans un sens plus général qu'auparavant, par la proclamation de sa providence. Mais l'importance des Flaviens est beaucoup plus grande. La Prouidentia qui est proclamée et affirmée chaque année, ou presque, durant les règnes de Vespasien et de Titus, a une origine orientale marquée. Cette dernière n'était pas totalement absente des prouidentiae des règnes julio-claudiens, nous l'avons vu avec Néron en particulier. Mais ici, elle naît dans le milieu oriental et c'est elle qui donne la souveraineté et le pouvoir dans le monde romain. Mettre en valeur Prouidentia, en faire une des notions essentielles du règne, c'est affirmer la légitimité, à caractère religieux, de sa domination sur Yorbis romanus. Vespasien s'est contenté, pour la rendre facilement acceptable à Rome et en occi dent, de lui donner un « habillage » qui efface ses
caractères trop orientaux. En outre, et c'est un des points qui permet de mieux expliquer le caractère héréditaire si affirmé sous les Flaviens, cette providence a destiné, globalement, Vespas ienet ses deux fils à l'empire. Les dieux ont voulu cette succession pour rétablir le monde romain dans la stabilité. Mais Domitien, avec toutes ses aigreurs et ses ressentiments à l'égard de son père et de son frère, a une position ambiguë. Cette Prouidentia justifie son pouvoir; il ne peut l'oublier, et c'est ce que Titus avait signifié par une nouvelle série monétaire. Mais, si Domitien l'accepte, il sait alors qu'il est le dernier des Flaviens. Aussi préfère-t-il l'effacer et faire comme si une ère nouv elle commençait avec lui, comme si rien ni personne ne l'avait précédé, ou plutôt comme si ce qui l'avait précédé ne le concernait pas. De là cette fuite en avant, consistant en meurtres, en proscriptions, en tentatives pour entourer sa personne d'un prestige sacré que nul empereur n'avait encore connu. Il s'est cru obligé de se démarquer de ses prédécesseurs, tout en ayant toujours à l'esprit qu'il était, du fait de cette prouidentia, elle-même à l'origine du succès flavien, le dernier empereur possible de la lignée. Supprimer Prouidentia était l'ultime moyen pour oublier son destin et tenter d'y échapper. Cette attitude a, une fois de plus, sauvé la providence. Le tyran abattu dans les conditions que l'on connaît, elle n'est pas tombée avec lui. Elle a été sauvegardée, parce qu'il l'avait luimême repoussée. Aussi peut-elle reparaître très vite en tant que moyen efficace de propagande. Son efficacité était d'autant plus grande qu'elle avait gagné en «épaisseur», en poids, et qu'elle portait en elle toute la signification profonde du pouvoir impérial. Elle ne pouvait être négligée par les empereurs; ils allaient lui donner des champs d'action plus précis.
185 Cf. R. J. Deferrari-M. C. Eagan, A Concordance of Statins, Brookland, 1943 (14 exemples). Stace, Theb., X, 639 (Manto); III, 450 (Adraste); X, 329
(Actor); Vili, 681 (Tydée); VI, 769 (Alcidamas); IV, 197 (Polynice); id, AchiL, I, 802 (= II, 128) (Déidamie); I, 698 (=11, 24) et I, 542 (Ulysse).
CHAPITRE III
NERVA ET TRAJAN : UNE NOUVELLE «PROVIDENTIA»?
La manière dont Domitien avait utilisé prouidentia, ou plutôt la façon qu'il avait eue de la négliger et de l'écarter très rapidement, ne pouv ait qu'être très favorable à l'emploi de la notion par tous ses successeurs. Ne pouvait reposer sur elle la condamnation de la mémoire du Néron chauve. En outre, prouidentia avait désormais pris trop d'importance, son contenu et son sens s'étaient suffisamment élargis pour qu'elle pût passer pour indispensable dans l'installation, l'a f ermis ement et le fonctionnement du pouvoir impérial. Aussi n'est-il pas étonnant de la voir reprise par Nerva, puis par Trajan. Mais, vérit ablement pour la première fois, les séries numismatiques sont accompagnées d'une littérature, à caractère semi-officiel, qui répand elle aussi la notion, en lui donnant une place de choix dans la conception générale du pouvoir. Pline le Jeu ne et Dion Chrysostome ne seraient-ils pas les instigateurs d'un changement dans l'emploi de prouidentia et dans l'importance qui lui est don née par Trajan à la fin de son règne?
1 II faut écarter une monnaie de Cesaree de Cappadoce sur le revers de laquelle Mionnet (Suppl. VII, p. 666, n° 42) a lu ΠΡΟΝ CTPAT, là où Pick, Zur Titulatur der Flavier, dans Zeits. f. Nutnism^ 1887, p. 317, et A. Merlin, Les revers monét aires de l'empereur Nerva, Paris, 1906, p. 128, ont rétabli la bonne lecture : OMON CTPAT7 2RIC, II, p. 229, n° 90 (= BMC, III, p. 21, n° 117). Cf. p. 433, n° 29 et pi. I. A/ IMP NERVA CAES AVG Ρ M TR Ρ COS HI PP
I - NERVA ET SA SUCCESSION 1 - Le document Le nouveau changement de dynastie aurait pu provoquer la disparition de Prouidentia com me notion fondamentale, ou tout au moins importante, dans le cadre de la politique et de la propagande impériales. Il n'en est rien, puisque dans le court laps de temps où Nerva régna, il eut le temps de faire frapper une monnaie, un sesterce, avec Prouidentia', mais ce type est nou veau sur plusieurs points et appelle, de ce fait, un commentaire approfondi. Il est le seul docu ment qui nous intéresse directement pour cette brève période1 et sa plus grande originalité est l'inscription placée sur le revers, PROVIDENTIA SENATVS2. D'après la titulature, ce sesterce de l'atelier de Rome peut être daté de l'année 97 et, sans doute, avant le 27 octobre, date à laquelle Nerva, en même temps que Trajan, assuma le titre de
Tête de Nerva, lauree, à droite. R/ PROVIDENTIA SENATUS. S C à l'exergue. Deux hommes en toge se font face. Celui qui est tourné vers la droite esquisse un pas vers l'autre. Il soutient de sa main droite un globe et semble tenir, dans sa main gauche, un sceptre. Le second, tourné vers la gauche, tient le globe entre ses deux mains, la main droite sur le globe, la gauche en-dessous.
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Germaniciis et le plaça dans sa titulature officiell e. Les deux hommes face à face sont l'empereur, tourné à droite, et un homme symbolisant le sénat, regardant vers la gauche. Il n'est pas besoin, comme certains l'ont fait, de voir ici la représentation du Genius Senatus3. Ce n'est que le sénat lui-même; d'ailleurs, comme l'a remar quéJ. Béranger4, rien dans la légende ne per met de croire à la représentation du Genius Senatus qui, de toutes façons, est toujours mont résous la forme d'un homme barbu, sans rap port avec les réalités contemporaines; ici il ne s'agit que d'un sénateur représentant l'ensemble du corps des pères conscrits. Mais, ce qui pour nous est beaucoup plus important, pour la pre mière fois la Providence n'est plus celle de l'em pereur régnant, comme elle l'avait été dès son apparition sous Tibère. Si l'on en croit l'inscrip tion, elle est celle d'une assemblée prise dans son ensemble, comme un corps uni, le sénat. C'est une nouveauté dont nous devons chercher à expliquer précisément l'apparition.
comprendrait mal qu'une telle proclamation d'un programme politique ait eu lieu tant de temps après l'avènement du princeps. De toutes façons, la mention du sénat ne peut étonner, puisque ce sont les sénateurs les plus influents qui l'ont choisi, au sein de leur assemblée, pour être le successeur de Domitien8. Mais cela n'ex plique en rien la présence de prouidentia. Nous pouvons d'ailleurs remarquer que, sur tous les autres revers monétaires de Nerva, le sénat n'ap paraît jamais; il n'est lié qu'à prouidentia. S'il s'agissait de montrer à tous les habitants de l'empire le rôle que le sénat avait joué dans l'avènement de Nerva, et celui qu'il voulait jouer durant son règne, il aurait été normal de voir le sénat représenté sur bien d'autres frappes; ce n'est pas le cas. Le sénat n'apparaît qu'une fois, et lié à prouidentia. C'est pourquoi nous devons aussi écarter l'idée que cette monnaie marquerait le désir d'affirmer le partage du pouvoir entre l'empe reuret le sénat, ce que semble indiquer la repré sentation figurée du revers. C'est ce qu'explique A. Merlin : « La Providence du Sénat, sur l'invita 2 - Une première approche tion de Nerva qui tend le globe vers lui, veille sur le monde, assiste l'empereur dans la tâche De nombreux auteurs ont mis en valeur l'a pénible et difficile de le régir; c'est la proclamat de l'accord qui règne entre les deux pouv pparition de cette prouidentia senatus, mais, com ion me nous l'avons déjà souvent vu, ils lui ont oirs, l'attestation qu'une grande part est laissée donné un caractère si général qu'il ne peut reflé au sénat dans la direction des affaires, que l'ari terla réalité profonde. En effet, dire que célé stocratie prête à l'Auguste, qui l'accepte volont brer la Prouidentia Senatus «parut de bon augur iers, et au besoin le sollicite, son concours pour le gouvernement de l'État»9. C'est vouloir affi e»5, que faire frapper de telles monnaies sert à montrer qu'on est un «représentant du sénat»6, rmer qu'il y a un partage du pouvoir, une vérita que Nerva «veut gouverner d'accord avec le bledyarchie qui se serait instaurée après la sénat»7, reste à la surface des choses et présente «tyrannie» de Domitien10, que l'empereur ne trop d'ambiguïtés pour approcher réellement le serait que le premier parmi les sénateurs et que sens profond de la formule. ce serait au sénat que reviendrait la véritable Il ne peut s'agir de la publication d'une maxi direction du monde romain, qu'il y aurait une priorité du sénat dans le pouvoir11 ou qu'existemeà la base du gouvernement de Nerva; on
3 Cf. P. L. Strack, Untersuchungen zur Römischen Reichs prägung des Zweiten Jahrhunderts, I, Stuttgart, 1931, p. 45 (à propos de Trajan, mais le raisonnement est le même); BMC, III, introd., p. XLIX; J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique..., p. 180: «Un thème monétaire, à dessein publicitaire, représente le Génie du sénat ». 4 Qui revient donc ici sur ce qu'il a dit précédemment : Les Génies du sénat et du peuple romain, et les reliefs flaviens de la Cancelleria, dans Principatus, p. 400-401. 5 P. Petit, Histoire générale de l'Empire romain, Paris, 1974,
p. 153. 6 L. Cerfaux-J. Tondriau, Un concurrent du christianisme, le culte des souverains dans la civilisation gréco-romaine, Paris-Tournai, 1957, p. 357. 7 A. Piganiol, Histoire de Rome (coll. Clio, t. III), Paris, 1962, p. 287. 8 Dion Cass., LXVII, 15, 5. 9 A. Merlin, op. cit., p. 57. 10 M. P. Charlesworth, Providentia and Aeternitas, p. 116; P. L. Strack, op. cit., p. 45.
NERVA ET TRAJAN raient, simplement, d'amicales relations entre le sénat et l'empereur12.
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II nous faut aller plus loin. Un premier trait frappe; il existe dans la représentation du revers une grande ressemblance avec le revers de la monnaie émise en 80 par Titus, montrant ce dernier face à son frère Domitien. Nous en avons expliqué plus haut le sens : affirmation du lien à caractère religieux, c'est-à-dire qu'aucune force humaine ne peut rompre, et qui assure à l'empi re et à la succession13. Ce lien religieux est bien établi par nos sources; en effet, Nerva n'a pas été choisi au hasard par les autres sénateurs et les conjurés. Nos sources nous parlent de son origi ne,de sa noblesse, de son âge, de sa carrière irréprochable, de son poids moral et de ses capacités parmi ses collègues du sénat14. Mais, de notre point de vue, le plus important se trouve dans un autre domaine: Nerva avait un horoscope impérial: «[Νέρουα] διαβληθείς υπ' ασ τρολόγων»15. Dion Cassius indique bien que si les conjurés, en dernière analyse, s'adressent à Nerva, c'est bien à cause de ses «compromiss ions» avec des astrologues; ces derniers n'avaient pu que lui annoncer que son thème de geniture le destinait au pouvoir suprême. Domit ienl'avait su, mais un astrologue lui avait dit que Nerva mourrait dans peu de temps; l'empe reurl'avait laissé vivre puisque lui-même était beaucoup plus jeune que Nerva et qu'il avait, sans doute, bien des difficultés à voir dans cet homme relativement effacé et discret un rival
possible; et cela au contraire d'autres qu'il n'hé sita pas à faire périr. D'ailleurs, comme Dion Cassius le souligne lui-même, c'est ce destin astrologique qui a per mis à Nerva d'accepter le pouvoir et il ne semble pas avoir hésité longtemps : « έξ ούπερ pçtov έπει σαν αυτόν άναδέξασθαι την ήγεμονύχν». Comme J. Béranger l'a parfaitement noté, le choix de Nerva est bien un choix des dieux, comme pour ses prédécesseurs16; son horoscope en est le signe comme, en Orient pour Vespasien, les pro phéties juives et Sérapis l'avaient été. L'emploi de Prouidentia dans ce contexte n'a rien qui puisse nous étonner. Si le sénat est joint à la providence, c'est, tout simplement, pour signifier que la désignation du prìnceps par les dieux s'est faite par l'intermédiaire de l'assemblée des pères conscrits; elle a été la première à reconnaître dans Nerva celui que les dieux avaient choisi, et cela pour la première fois de façon aussi nette dans l'histoire du principat. Cette monnaie est donc un rappel de la désignation sénatoriale de l'empereur17. Mais le sénat, dans cet épisode, n'a été qu'un intermédiaire provisoire; ce rôle ne lui donne en rien, ni le droit, ni la possibilité de contrôler l'empereur dans son action. Le sénat s'est contenté de « reconnaître » l'homme désigné pour assumer le pouvoir dans le monde romain. Mais alors pourquoi proclamer, dans l'année 97 seulement, cette prouidentia? Il est certain que Nerva, appuyé par le sénat, a eu besoin de proclamer la légitimité divine de son avènement à la suite des difficultés qu'il connut dans son gouvernement de Rome. Malgré des distribu tions de congiaires, malgré l'exaltation, pour la première fois sur des revers monétaires, de la Concardia Exercituum avec l'image de deux
11 A. Alföldi, lnsignien und Tracht. . ., dans Die Monarchis che Repräsentation im römischen Kaiserreiche, Darmstadt, 1970, p. 237. 12 RIC, III, p. 221. Il est insuffisant aussi d'y voir simple mentla glorification du soin mis par le sénat à assurer un changement politique dans la paix et le calme (H. Temporini, op. cit., p. 52). 13 Cf. supra, p. 217. 14 Dion Cass., LXVII, 15, 5. 15 Id., ibid. Il est curieux, et choquant, de voir A. Garzetti, Nerva, Rome, 1950, p. 29 et 32, repousser totalement et sans l'ombre d'une preuve la mention de cet horoscope impérial
détenu par Nerva. Il est trop facile d'affirmer que le fait a été reconstitué après coup ou que Dion Cassius est une bonne source, sauf justement sur ce point. Cette attitude ne permet pas à Garzetti d'aborder les problèmes de mentalité; d'ailleurs il se garde de citer la pièce avec PROVIDENTIA SENATVS; il n'y est jamais fait allusion. C'est une lacune qui donne de Nerva un portrait tronqué, et de son époque une image peu exacte. 16 J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique , p. 116. 17 B. Parsi, Désignation et investiture de l'empereur romain (l«-ll* siècles ap. J.-C), Paris, 1963, p. 174.
3 - La légitimité divine
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
mains jointes18, il dut subir les exigences des prétoriens qui obtinrent le châtiment des assas sins de Domitien. Devant une telle menace, il n'était que temps de proclamer la légitimité du pouvoir de l'empereur, voulu par les dieux. Avoir cédé sous la menace ne devait pas porter atteinte au prestige de Nerva qui devait défen dreles principes éthiques inspirant son principat; il devait les développer comme avait cher chéà le faire le sénat : la Liberté proclamée dans les inscriptions19 et sur les monnaies20, l'Equité qui permet de peser le pour et le contre et la Justice qui tranche en toute connaissance de cause21. C'est tout cela qu'il faut protéger et sauver, car «l'accession de Nerva répond à la volonté d'assurer et de perpétuer le principat»22. L'empereur a relevé un pouvoir pour tenter d'en faire un meilleur usage que précédemment, pour le regénérer. Mais il n'oublie pas de montrer à tous que le destin, pour son honneur, l'a chargé de cette mission et que le sénat a été l'intermé diaire choisi par les dieux pour la lui imposer. Tous les actes de Nerva sont dictés par cette intime conviction.
Dans ce contexte, nous devons aller plus loin dans l'interprétation. Si, dans un moment difficil e, il fallait que tous se rappelassent que le sénat, en désignant Nerva, n'avait été que le dispensa teur de la volonté des dieux, il fallait aussi mont rer que l'empereur n'oubliait pas une de ses tâches essentielles, le choix d'un successeur23. C'est ce que signifie proludendo.; car Nerva a été aussi choisi pour assurer la régularité du passage du pouvoir, dans le calme et l'ordre.
Nous retrouvons ici les désirs et les espoirs qu'avait eus Galba et qu'il avait exprimés par le même mot dans un contexte presque semblable. Mais il existe une grande différence : Galba ne s'est pas préoccupé immédiatement après son arrivée au pouvoir de sa succession et de son organisation; le résultat en fut qu'il s'y prit trop tard et que la proclamation de sa prouidentia ne put rien pour le sauver et pour sauver Pison. Tout au contraire, et c'est certainement un des termes du contrat passé avec les sénateurs qui l'ont poussé à prendre le pouvoir, Nerva sait qu'il lui faut bientôt, le plus rapidement possi ble,assurer sa succession24. Par la frappe des monnaies prouidentia senatus il affirme qu'il assurera dans les plus brefs délais ce qui lui a été confié par les dieux, par l'intermédiaire du sénat, la désignation officielle de celui qui lui succédera. Ce n'est pas une nouveauté; nous retrouvons ici le caractère double qu'à pris prouidentia à l'avènement des Flaviens, à la fois moteur de la prise de pouvoir et assurance qu'une lignée nouvelle et protégée par les dieux allait s'installer et prospérer pour le plus grand bonheur du monde romain. De ce fait, nous devons moins nous étonner que certains devant la forme prise par l'adoption de M. Ulpius Traianus. Que Nerva ait imité Gal ba en se contentant d'une nuncupatio dans laquelle l'adopté passe pour être élu25 ou qu'il s'agisse d'une adrogatio26, n'a pas ici beaucoup d'importance. L'essentiel est dans le déroule ment public de la cérémonie qui associe le peu ple de Rome au choix fait par Nerva : « dans un temple devant le puluinar de Jupiter Optimus Maximus»27. L'absence de l'adopté peut paraître particulièrement étonnante, mais seul compte véritablement l'assentiment donné par
18 RIC, III, p. 223, n° 2; p. 224, n° 14, 15; p. 225, n° 26, 27; p. 227, n° 53, 54, 55 et 69; p. 228, n° 70, 79, 80, 81; p. 229, n° 95, 96, 97. 19 CIL, VI, 1, 472 (= ILS, 274). 20 RIC, III, p. 223, n° 7; p. 224, n° 19; p. 225, n° 31, 36 ... : LIBERTAS PVBLICA. 21 Ibid., p. 223, n° 1 et 6; p. 224, n° 13 et 18; p. 225, n° 25 et 37, 30 et 36:....: AEQVITAS AVGVSTI et IVSTITIA AVGVSTI. 22 J. Béranger, La notion du principat sous Trajan et Hadrien, dans Principatus, p. 282. 23 Tout en interprétant mal la signification de la monnaie,
H. Mattingly, BMC, III, p. XLIX et P. L Strack, op. cit., p. 47, ont bien vu ce point. 24 II n'est pas possible, comme le fait B. Parsi, op. cit., p. 17, de mettre exactement en parallèle Galba et Nerva, d'en faire deux empereurs disposant l'un comme l'autre d'un prestige tout relatif. La situation de Nerva est beaucoup plus forte que celle de Galba; la suite des événements est là pour nous le prouver. 25 B. Parsi, op. cit., p. 18. 26 J. Béranger, La notion du principat sous Trajan et Hadrien, dans Principatus, p. 283. 27 Plin, Pan., VIII, 1.
4 - LE CHOIX D'UN SUCCESSEUR
NERVA ET TRAJAN les dieux, «ex consensii deonim» dit Pline le Jeune28. Il n'est donc pas tellement question de rechercher «l'adhésion publique»29, mais plutôt de montrer à tous que ce qu'avait voulu la proui dentia en élevant Nerva au trône était réalisé et que les dieux avaient donné leur accord au choix de Trajan auréolé par la Victoire dont Nerva dépose les lauriers sur les genoux de Jupiter30. Cest bien là l'expression suprême de la libertas', il ne peut y en avoir de plus grande que d'adhérer à la décision des dieux : « Les dieux en ont revendiqué la gloire : ce fut leur œuvre, ce fut leur ordre; Nerva ne fut que le ministre et celui qui adoptait n'a fait qu'obéir aussi bien que l'adopté»31. D'ailleurs le choix qu'a fait Nerva lui a été imposé par les faits. Il n'y a aucun cynisme dans les propos de Pline qui montre simplement que Nerva ne pouvait choisir quelqu'un d'autre que Trajan, si ce n'est au risque de la guerre civile. C'est le propre de l'empereur « prévoyant » de se soumettre à la destinée indiquée par les dieux qui veulent le bien de Rome, donc ne veulent pas qu'une nouvelle fois la guerre civile s'en empare et y fasse des ravages. Le seul moyen de l'éviter était de prendre Trajan com mefils; c'est ce que les dieux voulaient, c'est la grandeur de Nerva de s'y être soumis32. La série monétaire avec PROVIDENTIA SENATVS était le reflet de ces idées. Dans le destin que les dieux ont scellé pour Nerva, il y a tout l'avenir de Rome dans un parfait accord avec les forces divines, il y a le choix de celui qui doit, après Nerva, assurer la grandeur de Rome et de son empire. C'est exactement ce qu'a compris Pline le Jeune et qu'il exprime en montrant Trajan, encore en Germanie, au milieu de ses troupes après avoir accepté son adoption, décla rant: « Déjà la providence des dieux t'avait élevé au premier rang»33. C'est pourquoi, aussi, il peut dans une lettre, appeler Nerva « l'homme le plus
28 Id, ibid., LXVIII, 1. Cf. Tac, Hist., I, 15, 1 qui cite des paroles de Galba prononcées à son propre sujet : « me deorum hominumque consensii ad Imperium uocatum ». 29 B. Parsi, op. cit., p. 18. 30 Mais ces lauriers viennent de Pannonie où ne se trouve pas Trajan. La Victoire est celle de Nerva, mais, à partir de l'adoption, elle est aussi celle de Trajan. Cependant, nous devons laisser ici la Victoire au second plan; elle n'est pas essentielle. 31 Plin., Pan., VIII, 2.
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habile à prévoir»34. C'est pourquoi, enfin, mais bien plus tard, Eutrope, dans son Abrégé de l'His toire romaine, peut déclarer : « reipublicae diuina prolusione consultât, Traianum adoptando»35. B. Parsi a montré que, dans le Panégyrique de Pline, le souvenir de la corégence de Titus avec Vespasien était toujours présent pour évoquer celui de Trajan avec Nerva36. La chose est certai ne et évidente, et vient renforcer ce que nous disions de prouidentia. La succession de Nerva par Trajan s'intègre dans l'histoire de la même façon que celle de Vespasien et de Titus37; Pline montre bien que la corégence de Trajan est calquée sur celle de Titus. Or, nous avons vu que si Titus avait été associé au pouvoir par son père, c'est que les prophéties et tout ce qui a été interprété alors sous le nom de prouidentia, n'avaient jamais dissocié le père du fils. De même, Nerva en faisant appel à la prouidentia qui l'a guidé dans le choix de son successeur, veut prouver qu'existe entre lui et Trajan le même association d'origine qu'entre Vespasien et Titus; c'est aux cieux qu'il faut retrouver l'or igine d'une telle adoption qui était rendue néces saire puisque, contrairement aux Flaviens, il ne pouvait s'agir d'une succession directe. Dans la même position, et avec la proclamat ion qui semble exactement la même, de la prouidentia, Galba avait échoué. Cet échec était dû à ce que le pas franchi par la prouidentia sous les Flaviens, grâce à l'immense influence oriental e que nous avons définie, n'était pas encore envisageable. Par contre, Nerva a bénéficié du précédent et a pu ainsi rendre crédible le choix qu'il faisait, crédible pour la personne de Trajan mise au-dessus de celle des autres hommes, mais aussi crédible pour sa propre personne qui en sortit renforcée. Le précédent flavien était une caution nécessaire au succès de l'entreprise de Nerva, et des sénateurs qui lui avaient apporté
32 Id, ibid, Vili, 3-6. Il ne faut pas voir ici, comme B. Parsi, op. cit., p. 174, un embarras de Pline. Il décrit ce qui est, et qui est admirable pour lui et pour les Romains de son temps. Cf. W. Ensslin, op. cit., p. 32-33. 33 Plin., Pan., X, 4. 34 Id, Ep., IV, 17, 10. 35 Eutr., VIIL 1, 2. 36 Op. cit., p. 175. 37 Plin., Pan., VIII, 6.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
leur appui. Il faut bien voir d'ailleurs que, con trairement à ce que disent certaines de nos sources38, dans ces conditions, il n'était pas ques tion pour Nerva d'abandonner le pouvoir ou même de le partager véritablement avec Trajan. La subordination de Trajan à Nerva va de soi39; elle est aussi dans le programme de la providenc e. C'est pourquoi nous devons repousser l'inte rprétation de ces faits donnée par B. Parsi40 qui déclare : « Vespasien s'était unilatéralement attr ibué le pouvoir de désigner son successeur. Nerv a, forcé par les circonstances, renouvelle le geste. Il reprend à son compte une innovation flavienne, et désormais voilà une nouvelle arme qui s'ajoute à l'arsenal impérial». Cette série de propositions ne rend absolument pas compte d'une atmosphère qui n'est pas seulement juridi que,mais dans laquelle les éléments religieux, regroupés dans prouidentia, jouent un rôle fon damental. Vespasien ne s'est rien arrogé de luimême; la providence qui l'a poussé sur le trône lui a imposé le choix de son fils comme succes seur.Il en est de même pour Nerva. L'empereur nomme l'empereur, la proposition est juste, mais ce n'est pas l'expression d'une volonté autono me, ce n'est pas seulement un principe juridi que;c'est une manifestation de l'intervention de la volonté divine sur terre. La proclamation de la Prouidentia Senatus n'annonce donc en rien un partage des pouvoirs entre l'empereur et le sénat; nous ne pouvons même pas dire, comme le fait A. Merlin, que le sénat «se voit de nouveau appelé à seconder l'Auguste dans l'expédition des affaires, dans l'application des mesures nécessaires à la pros périté générale Prouidentia Senatus résume à merveille la physionomie propre de son règne»41. Le sénat ne recouvre aucune prépon dérance, mais simplement, il joue un rôle; ce dernier lui a été confié par les dieux : être l'inte rmédiaire qui permette aux hommes de reconnaît re que Nerva a un pouvoir qui lui était destiné de toute éternité; être le garant du choix que le nouvel empereur fera de son successeur. Il y avait d'ailleurs un grand avantage à avoir
38 Aur. Vict., Caes., XII, 2. Lact., De Mort, pers., XVIII, 4. 39 J. Béranger, La notion du principat sous Trajan et Hadrien, dans Principatus, p. 292.
fait passer cette prouidentia par l'intermédiaire du sénat. Comme nous l'avons vu dans le cas de Galba, cet empereur n'avait pu imposer, ni même rendre crédible le choix de Pison, parce qu'il l'avait placé sous l'égide de sa propre provi dence. Or, un homme aussi âgé peut-il encore avoir une providence, une vision claire des cho ses à venir? Une telle réflexion pouvait venir à l'esprit devant Nerva et ses soixante-cinq ans fatigués, malgré toute l'expérience acquise. An noncer que les dieux s'étaient servi de la caution du sénat, assemblée intemporelle et sans âge, jouissant d'un prestige moral considérable et passant pour posséder l'optimum de l'intelligen ce et de la compréhension des événements, était •renforcer considérablement la position de Nerv a.C'était, surtout, assurer aux choix qu'il ferait la caution de la sérénité, de la solidité, de la durée. Nous comprenons mieux, dès lors, la for te position que le sénat a toujours gardée à l'époque des Antonins. Il ne s'agit pas de pouvoir juridique; il n'en a pas plus que sous les JulioClaudiens ou sous les Flaviens et l'empereur est le seul véritable pouvoir dans l'empire. Mais le sénat a retrouvé le respect qui devait entourer sa dignitas puisque les dieux lui ont reconnu ce rôle d'intermédiaire qui lui permit d'être à l'or igine du choix de Nerva et, à travers Nerva, de celui de Trajan et de ses successeurs.
II - TRAJAN : DE L'HABITUDE À L'APPROFONDISSEMENT L'arrivée au pouvoir de Trajan se fit dans les meilleures conditions. Sa désignation ne pouvait être remise en cause grâce aux garanties et aux appuis dont Nerva s'était entouré ... Le destin de Rome était scellé et affirmé par la Prouident ia, expression de la volonté divine. C'est pour quoi Trajan peut se permettre, une fois la nouv elle de la mort de Nerva parvenue jusqu'à lui, de rester sur les frontières de Germanie. Il se
40 B. Parsi, op. cit., p. 181. 41 Op. cit., p. 60.
NERVA ET TRAJAN contente d'envoyer une lettre au sénat où il affirme ne vouloir jamais pratiquer la tyrannie et dans laquelle il refuse le titre de pater patriae42. Ce n'est qu'au printemps 99 qu'il revient à Rome et y fait son entrée solennelle dans un grand concours de peuple.
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À cette toute première période du règne de Trajan, nous devons attacher deux documents numismatiques importants. Le premier est une monnaie, très rare sous la forme de Yaureus et rare sous celle du denier. La représentation du revers est accompagnée de l'inscription PROVID43. Le second document numismatique est un médaillon d'argent frappé à Rome, connu à un seul exemplaire et portant la même formule que sous Nerva, PROVIDENTIA SENATVS44. Ces deux frappes posent plusieurs problèmes qu'il nous faut tenter de résoudre si nous vou lons dégager la signification de prouidentia au début du règne de Trajan. Nous pouvons noter, dans un premier temps, que pour la première fois Prouidentia apparaît sur des monnaies d'or ou d'argent et uniquement sur des types issus de ces métaux; les monnaies d'orichalque, de cuivre ou de bronze de la même période ne portent jamais Prouidentia. Cette dernière partage ce pri vilège avec les représentations (sans légende, sinon une simple titulature de l'empereur) de Félicitas, de Fortuna, de Germania et de Vesta45.
En revanche les monnaies portant Abundantia, Concordia, Roma, Victoria sont frappées dans tous les métaux, et Pietas, la représentation de Trajan à cheval et celle de la célébration de distributions avec CONG Ρ R, uniquement sur des sesterces et des dupondii. Ce sont là les séries émises dès la mort de Nerva et l'accession au pouvoir de Trajan. Sans que nous puissions les considérer vér itablement comme « le programme du règne »46, il est certain que ces monnaies illustrent un cer tain nombre de vertus impériales qui pouvaient orienter et guider le règne. Mais il y a une très grande différence dans le style des représentat ions : Félicitas, Fortuna, Abundantia, Concordia, Victoria nous apparaissent sous une forme fémi nine stéréotypée; seuls les attributs accordés à chacune permettent de les distinguer les unes des autres. Nous pouvons les considérer comme de véritables divinités. Il n'en est pas de même avec PROVID qui ne peut être confondue ici avec ce qui est couramment appelé « vertu impér iale»; elle tient incontestablement une place à part bien marquée par la représentation du revers, ce qui a pu faire dire qu'il s'agissait, en réalité, de la seule véritable émission d'access ion47. Cette série aurait donc été frappée dès l'automne 98. De toutes façons, et cela avait déjà été remarqué, toutes ces séries ont été émises avant le retour à Rome de Trajan. En effet, la plupart portent dans la titulature de l'empereur le titre de P(ater) P(atriae) que Trajan refusa et qu'il ne porta qu'un peu plus tard48 sur les instances répétées du sénat. Il est possible de
42 Plin., Pan., XXI, 1. 43 RIC, II, p. 246 n° 28; BMC, III, p. 38, n° 53, 54. Pi. X, 3. Cf. p. 433, n° 30. A/ IMP NERVA CAES TRAIAN AVG GERM Ρ Μ Tête de Trajan, lauree, à droite. R/ PROVID TR Ρ COS II Ρ Ρ Un homme, debout à droite, en habit militaire, tenant un sceptre (ou une lance) dans sa main gauche, face à un homme en toge, à gauche, tenant un rouleau et tendant un globe, dans sa main droite, au premier. 44 F. Gnecchi, Appunti di Numismatica Romana. Medaglioni inediti, dans RIN, I, 1888; id, I Medaglioni Romani, t. I, 1912, Milan, p. 44, n° 2. Ce médaillon a un diamètre de 27 millimètres. BMC, III, p. 38, n° 55. Cf. p. 433, n° 31.
A/ IMP CAES NERVA TRAIAN AVG GERM Ρ Μ Tête de Trajan, lauree à droite. R/ PROVIDENTIA SENATVS Trajan, à gauche, en toge, tenant un sceptre dans la main gauche, face à un homme, en toge. Ensemble, ils soutien nent un globe. 45 RIC, II, p. 245, n° 3, n° 13 (Félicitas); n° 4 et p. 246, n° 14 (Fortuna); p. 245, n° 5 et p. 246, n° 15 (Germania); p. 245, n° 9 et p. 246, n° 21 (Vesta). Ces types reçoivent ces attributions après comparaison avec les types monétaires des règnes précédents; mais certaines de ces attributions pourraient être discutées. 46 P. V. Hill, The dating and arrangement of the undated coins of Rome, AD 98-148, Londres, 1970, p. 24. 47 Id, ibid., p. 128. 48 Cf. Plin., Pan., XXI, 1-4.
1 - LA SIGNIFICATION DES MONNAIES DU DÉBUT DU RÈGNE
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
dire, comme P. L. Strack49, que Ρ Ρ a été ajouté sans que le consentement de Trajan ait été demandé, tout simplement parce qu'il se trou vait alors trop loin et qu'il était nécessaire de faire sortir rapidement les premières émissions de son règne. Il est aussi parfaitement inutile de penser que Trajan lui-même a fait supprimer, dans une deuxième vague d'émissions, la frappe des monn aies avec PROVID. Strack y voyait une inter vention directe de Trajan qui aurait interdit ce type. Mais, dans ce cas, il ne peut trouver aucu neexplication cohérente à une telle attitude50. En réalité, s'il s'agit véritablement du type fonda mental d'accession, la situation est plus facil ement compréhensible. Il n'était pas besoin de reproduire PROVID dans des séries qui ne fa isaient que réaffirmer certaines généralités sans se rattacher à une réalité précise qui aurait demandé à être proclamée à un moment défini. La signification de la frappe est assez claire. L'homme représenté, à droite, en habit militaire, ne peut être que Trajan dans le costume de sa fonction, puisqu'il est alors légat de Germanie supérieure. Face à lui, un homme en toge dont on peut discuter la signification; pour les uns, il s'agit de Nerva transmettant à Trajan le pouvoir symbolisé par le globe51; pour les autres, l'hom me en toge est une personnalisation du sénat, comme sur les monnaies de Nerva52. Cette quer elle aurait de l'importance, s'il fallait absolu mentdonner aux personnages représentés une signification très précise. Nous ne pouvons y voir un «tournant» décisif dans l'évolution du principat; ce n'est pas le passage du pouvoir civil (l'homme en toge) au pouvoir militaire (l'homme en habit militaire). D'ailleurs le sens serait tout à fait différent selon l'attribution donnée à l'hom me en toge, le sénat ou Nerva. Il serait curieux qu'une monnaie avoue la soumission du «pouv oircivil » au « pouvoir militaire » et exprime, en clair, que le choix de Trajan par Nerva était un
choix obligé par la puissance du légat et sa popularité auprès de troupes qui n'auraient pas hésité à l'acclamer Imperator si Nerva ou le sénat n'avaient pris les devants. Personne n'avait inté rêt à proclamer publiquement cette vérité. Si l'homme en toge était le symbole du sénat, faudrait-il aller jusqu'à dire qu'il y a mise en commun de la «prévoyance» du princeps et de celle du sénat pour gouverner l'empire, sans qu'il y ait domination de l'une sur l'autre53 ? Dès le début du règne, le sénat aurait pris les devants pour assurer son çple et confirmer sa place dans la vie politique romaine. Cette inter prétation pourrait contenir quelque vérité, si les monnaies de l'époque de Nerva avaient déjà eu une telle signification; or nous avons vu qu'il n'en était rien. Même si cela expliquait la dispa rition du type monétaire dès le retour de Trajan à Rome, il ne nous est pas possible d'envisager les faits sous cet angle; en effet, jamais le sénat, dans chacun de ses membres, n'a pensé à parta gerle pouvoir; l'idée même ne pouvait venir à personne. Si nous identifions, sur le revers de cette monnaie, Nerva et Trajan, il semble aisé d'y voir le rappel de l'adoption de l'année précédente et la confirmation d'une succession décidée devant Jupiter Capitolin et sous sa garantie54. Certains ont même été jusqu'à dire que ce revers était le rappel de la corégence exercée par Nerva et Trajan, corégence qui officialisait le nouveau pouvoir de Trajan55. Sans être inexacte, cette explication doit être élargie pour trouver le véri table sens de la frappe de 98. À la mort de Nerva, il était nécessaire de rappeler dans quel lesconditions s'était déroulé le choix de Trajan par le vieil empereur; il fallait, avant tout, réaf firmer que rien n'avait été laissé au hasard, puis que les dieux eux-mêmes avaient indiqué qui devait devenir empereur et avaient ainsi garanti la succession. Il fallait rappeler que le choix n'avait pas été l'expression d'une volonté auto-
49 Op. cit., I, p. 20 sq. 50 P. L. Strack, op. cit., p. 43. 51 M. P. Charlesworth, Providentia and Aeternitas, dans Harv. Th. Rev., XXIX, 1939, p. 117; G. G. Belloni, Significati storico-politici delle figurazioni e delle scritte delle monete da Augusto a Traiano, dans ANRW, II, 1, p. 1081.
52 P. L. Strack, op. cit., p. 45-46; BMC, III, p. LXVII. 53 P. L. Strack, op. cit., p. 46-48. 54 M. P. Charlesworth, art. cit., p. 117; A. D. Nock, A diis electa : a chapter in the religions history of the Third Century, dans Harv. Th. Rev., XXIII, 1930, p. 267. 55 G. G. Belloni, art. cit., p. 1081.
NERVA ET TRAJAN
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nome, ni du sénat, ni de Nerva, mais que la prouidentia avait assuré la régularité de la trans mission du pouvoir et, par là même, le bonheur pour Rome et le monde romain. C'était une assurance contre une quelconque opposition qui aurait pu se faire jour dans la Ville, peut-être dans les rangs des prétoriens que Trajan s'em pressa, par la suite, de disperser56. C'était aussi une précaution pour le sénat lui-même qui garantissait ainsi le respect de sa libertas et de sa dignitas que Nerva avait pris soin de conserver et de remettre en valeur. Mont rer que Trajan arrivait au pouvoir grâce à la protection des dieux qui était passée par l'inte rmédiaire du sénat au moment de l'avènement de Nerva était s'assurer que la manière dont Nerva avait gouverné vis-à-vis du sénat allait se pour suivre dans les mêmes conditions. C'est pourq uoi, l'homme en toge peut être, à la fois, Nerva et le sénat. La mention de Prouidentia montre bien qu'il ne s'agit pas de l'acte de dévolution du pouvoir directement du sénat à Trajan ou de Nerva à Trajan, mais elle signifie, plus simple ment,que les dieux ont choisi Nerva, puis Trajan pour succéder à Nerva. Pour les contemporains qui avaient en main la monnaie le sens était clair et personne ne devait chercher à démêler dans l'homme en toge la représentation du sénat ou celle de Nerva. C'est pourquoi nous devons nuancer l'avis de J. Béranger qui pense qu'il importait de proclamer par l'image la collabora tion de Nerva et de Trajan57; le point fondamenta l, n'est pas là, même si ce sens peut être donné à la représentation du revers; ce n'est que rester à la surface des choses. C'est pourquoi aussi, et contrairement à ce que pense G. G. Belloni58, l'inscription aurait pu être tout autant PROVID SENATVS et l'hypothè se de Strack selon laquelle le faible diamètre de chacune de ces pièces n'a pas permis d'inscrire SENATVS n'est pas aussi absurde que le pense
le savant italien. Il nous faut, dans ce contexte, mettre en parallèle le médaillon d'argent avec l'inscription PROVIDENTIA SENATVS et les monnaies étudiées ci-dessus. C'est ce qu'a bien vu Strack59; bien que, là encore, il importe peu de savoir si est représenté le sénat ou le Génie du sénat. Comme G. G. Belloni l'a fait remarq uer,ce médaillon n'a pas été produit pour une vaste diffusion et il a été très certainement desti néaux sénateurs et à des personnages de haut rang, pour leur rappeler sous quels auspices commençait le règne de Trajan et pour signifier qu'il ne pouvait être que dans le droit fil de ce qu'avait fait Nerva60. Il est évident que ce médaillon ne peut être en contradiction avec les monnaies, même si, sur le médaillon, les deux hommes sont en toge. Il s'agit bien là de la même Prouidentia et de la même signification profonde. C'est pourquoi nous ne pouvons nous en tenir à un sénat laissé dans sa « sphère humain e»61ou à l'expression d'une contradiction entre ces scènes représentées sur les revers et la réali té politique du moment marquée par la subordi nationdu sénat à l'empereur62. Elles sont, tout au contraire, le reflet parfait de ce que le sénat et Nerva avaient voulu; le sénat ne fait que mettre en valeur l'honneur qui lui a été accordé de servir d'intermédiaire entre les dieux et les hommes et d'exprimer la volonté divine à tra vers l'utilisation de la Prouidentia. La disparition de ces types monétaires après l'arrivée de Trajan à Rome s'explique aisément. Il n'est pas besoin pour cela de faire appel à l'esprit peu religieux de l'empereur qui s'est rarement fondé sur des considérations d'ordre religieux pour agir et qui est un des rares emper eurs à avoir montré son scepticisme à l'égard des prédictions astrologiques63. Il nous faut d'ail leurs noter trois épisodes qui, s'ils sont véridiques, permettraient de nuancer cette opinion. Dans un discours qu'il prononce à Pruse, vers
56 Dion Cass., LXVIII, 5, 4. 57 La notion du principat sous Trajan et Hadrien, dans Principatus, p. 286. 5Mrr. cit,p. 1081. 59 Op. cit., p. 48. Mais il nous faut toujours écarter sa vision d'un sénat aidant le princeps à porter le fardeau de la gestion du monde. Le sénat n'assure pas une place de direc tion et l'empereur est bien plus que le premier des séna teurs.
60 Art. cit., p. 1082. 61 J. Béranger, Le «Genius Populi Romani» dans la politi queimpériale, dans Principatus, p. 417. 62 G. G. Belloni, art. cit., p. 1084. 63 Cf. J. Beaujeu, La religion romaine à l'apogée de l'Empire, t. I, 1955, Paris, p. 98 et 102. Contra R. Paribeni, Optimus Princeps. Saggio sulla storia e sui tempi dell'Imperatore Traiano, Messine, t. II, 1927, p. 189.
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l'année 100, Dion fait une allusion au dieu qui avait prophétisé et annoncé le pouvoir de Trajan et qui avait été le premier à le déclarer maître du monde64. Il ne donne pas son nom, mais, si certains ont pensé à l'Asclépios de Pergame ou à l'Apollon de Claros, il vaut mieux se rallier à l'Apollon de Didymes pour qui Trajan avait mont rédes considérations particulières au début de son règne (reconstruction de la voie sacrée de Milet à Didymes, en 101 ou en 102; construction du grand nymphée de Milet). En remerciement, le princeps avait reçu un grand nombre de sta tues et était devenu prophètes de l'Apollon de Didymes. Trajan avait certainement reçu cette prophétie avant son avènement, peut-être alors qu'il accompagnait son père, proconsul d'Asie en 79/80, en tant que questeur ou légat65. Lors de son premier consulat de 91, son collègue M' Acilius Glabrio et lui-même eurent de semblables présages; ils annonçaient à celui-ci l'empire, à celui-là la mort66. Peu de temps avant son adopt ion, il avait eu un autre songe : « il lui semblait qu'un homme âgé, revêtu de la prétexte et orné d'une couronne comme on représente le sénat, lui imprimait avec un anneau son cachet au côté gauche du cou, puis sur le côté droit»67. Nous pouvons évidemment soupçonner une tradition sénatoriale d'avoir répandu le second épisode après même le règne de Trajan. De toutes façons, cela ne doit rien changer à notre propos sur la Prouidentia. Trajan n'avait pas besoin de faire continuer la frappe. Son installation au pouvoir s'était déroulée sans opposition et sans aucun problème; l'empereur n'a pas cru bon d'appuyer encore sa propagande sur le fait qu'il avait été choisi par les dieux à travers l'action du sénat et de Nerva. La cause était entendue. Mais
il pourrait s'en resservir plus tard. Ce fut certa inement le cas de la prophétie de l'Apollon de Didymes, qui ne put que renforcer sa position quand il mit l'accent, à partir de 112, sur la campagne qu'il allait entreprendre contre les Parthes et pour laquelle il avait besoin de l'appui sans faille de l'ensemble du monde oriental.
64 Or., XLV, 4. 65 R. Paribeni, Optimus Princeps, I, p. 75; C. P. Jones, An Oracle given to Trajan, dans Chiron, V, 1975, p. 403-406. 66 Dion Cass., LXVII, 12, 1. 67 Id., LXVIII, 5, 1. 68 CIL, X, 1, 6310 (= ILS, 282). PROVIDENTIAE IMP CAESARIS NERVAE TRAIANI AVGVSTI GERMANICI EX SC 69 CIL, VI, 4, 2, 31298. [IMP] CAES [DIVI NERVAE F]
[NER]VAE TRA[IANO AVG] [GERM PO]NT MAX TRI[B PQT . . . IMP] [COS Ρ Ρ P]VERI ET PVEL[LAE ALIMENTARIE] [ ]EIVS CIV[ ] [ . . . ]TE PLEB[ . . . ] [ PR]OVIDENT 70 CIL, IX, 5894 (= ILS, 298); C. de la Berge, Essai sur le règne de Trajan, Paris, 1877, n° 78; E. M. Smallwood, Docu ments . . . , n° 387. IMP CAESAR! DIVI NERVAE F NERVAE TRAIANO OPTIMO AVG GERMANIC DACICO PONT MAX TR POT XVIIII IMP IX COS VI Ρ Ρ PROVIDENTISSIMO PRINCIPI
2 - Les autres documents a) Épigraphiques. Nous devons immédiatement noter que, dans les séries monétaires officielles, Prouidentia ne réapparaît qu'assez tardivement, dans les toutes dernières années du règne. Cependant, entre les émissions monétaires, quelques documents épigraphiques viennent s'intercaler au cours de ce principat. Ils peuvent peut-être nous permettre de définir certaines étapes dans l'évolution de la Providence et son rôle dans l'appréciation du pouvoir impérial. La première inscription a été trouvée à Terracine et elle devait être gravée sur le soubasse ment d'une statue de Trajan68. De chaque côté de l'inscription se trouvent deux représentat ions; à droite, un aigle sur un sceptre et un homme en toge en position d'humilité; à gauche, un homme en toge tenant par la main un enfant en toge. Étant donné que dans la titulature de Trajan, nous ne trouvons pas encore le titre de Dacicus, nous pouvons en déduire que cette ins cription a été gravée avant 104 ap. J.-C. La deuxième inscription, retrouvée à Rome dans les restaurations du pont Cestius entreprises au IVe siècle, est très fragmentaire69. La troisième est celle placée sur l'arc de triomphe d'Ancóne70; il
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pouvait comprendre qu'il s'agissait de la Prouidentia puis qu'elle n'avait encore jamais été représentée ainsi et le globe, qui a déterminé l'attribution du RIC n'est pas un élément suffisant. P. V. Hill, op. cit., p. 138, n° 344 a placé ce sesterce en 107, en corrélation avec les Decennalia et en même temps que les émissions commémoratives de la guerre dacique. La date et les événements sont tout à fait acceptables, mais pourquoi s'agirait-il de la Prouidentia? Cf. aussi du même auteur, The Bronze Coinage of AD 103-111, dans Num. Chron., 1970, p. 70, où il affirme la correspondance avec le triomphe dacique. L'attribution est évidemment délicate. Mais la Prouidentia n'est pas la seule figure féminine à être associée à un globe. Avant le règne de Trajan, on trouve Roma avec un globe placé sous ses pieds, sur une monnaie de Q. Fufius Calenus de 47 av. J.-C. (Sydenham, 131), sur une monnaie de C. Vibius Pansa en 43 (Sydenham, 159). Cette association se retrouve sur de nombreuses autres frappes monétaires après César (A. Alföldi, Insignien und Tracht der Römischen Kaiser, dans Die monarchische Rapräsentation im Römischen Kaiserr eiche, p. 195, 235-236) (S. Weinstock, Divus Julius, p. 42-45). Une autre attribution est possible; sur un relief de la Via Cassia (Furhmann, Mitt. Arch. Inst., Π, 1949, p. 23 sq. et pi. 8), César est face à une figure féminine qui lui tend la main et un globe se trouve entre les deux. Il s'agit de la représentat ion de XOikouménè dominée par César. S. Weinstock, op. cit., p. 47, l'a d'ailleurs rapproché d'une monnaie de Trajan, un dupondius, avec ITALIA REST (RIC, II, p. 278, n° 470); pour lui, la figure agenouillée est XOikouménè tenant le globe qui est son symbole. Cette monnaie est des mêmes années que celle de la fausse Prouidentia assise. Nous pensons qu'il faut aussi y reconnaître XOikouménè, ce qui est en correspondance parfaite avec les séries commémoratives des guerres daciques.
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SENATVS Ρ Q R QVOD ACCESSVM ITALIAE HOC ETIAM ADDITO EX PECVNIA SVA PORTV TVTIOREM NAVIGANTIBVS REDDIDERIT À droite de l'inscription : PLOTINAE AVG CONIVGI AVG À gauche de l'inscription : DIVAE MARCIANAE AVG SORORI AVG 71 SEG, VII, 969; E. M. Smallwood, n° 397; OGIS, 618. Υπέρ σωτη ρίας καί ύγε[ί] ας Αύτοκρά τορος Νέρου α Τραιανοΰ Κ αίσαρος Σέβα στοΰ Γέρμα νικοΰ Δακικ [ο]ΰ αγωγός ύ Ι δάτων είσ Ι φερομένω Ι [ν] εις Κάν[α]τα Ι [έ]κ προνοίας Ι [Κ]ορνηλίουΙ Πάλμα πρεΙ[σ]3 Σεβ άντισΙτρ Cf. Dion Cass., LXVIII, 14, 5. 72 Nous laissons de côté une inscription de Sarmizegetusa, en Dacie, dont le caractère curieux éveille les soupçons et l'a fait placer dans les «falsae et alienae» (CIL, III, 1, 71) : Prouidentia Avg uere pontijicis uirtus romana quid non dornet I sub iugum ecce I rapitur et Da I nubius. Un pont et deux tours complètent l'inscription qui rappell e de trop près un des actes spectaculaires de Trajan, la construction d'un pont de pierre sur le Danube : Eut., VIII, 6; Dion Cass., LXVIII, 13 et Procop., De aedif., IV, 6. 73 II nous faut écarter un type des années 103-111, anépigraphe, représentant une femme assise, à gauche, avec un globe à ses pieds. Dans RIC, II, p. 281, n° 514, cette femme est appelée Prouidentia sans aucune justification. En effet, cette première apparition de Prouidentia en tant que personn ification resterait totalement isolée. En outre il serait éton nant que quand le besoin s'est fait sentir de représenter Prouidentia personne n'ait plus pensé à ce type. Enfin, on ne Ι
104 et 109, date à laquelle Cornelius Palma a quitté la province de Syrie72. Ces quatre inscriptions devraient nous per mettre de mieux dégager le sens qu'il £aut accor derà Prouidentia dans la première partie du règne, puis à partir de 115, en liaison étroite avec les abondants revers monétaires de cette époque. Cette dernière date semble d'autant plus importante qu'une très grande innovation a été introduite, la représentation de Prouidentia en tant que divinité, sous les traits d'une femme debout73.
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avait été construit sur le môle du port réaménag é grâce à l'empereur. L'honneur principal en revient à Trajan, mais il est partagé, comme l'indiquent les deux inscriptions sur les côtés, par sa femme Piotine et sa sœur Marciane alors morte et divinisée. Grâce à la titulature, cette inscription peut être datée de l'année 115 (avant la prise de Batnae et de Nisibe qui valut au prince ses X et XI salutations impériales). La quatrième et dernière inscription qui peut éclai rernotre propos vient d'Orient; elle a été gravée sur une borne, ou une stèle, placée de distance en distance, le long du conduit qui apportait l'eau du plateau de Haurân. Elle a été posée là en l'honneur de Trajan et du légat de Syrie A. Cornelius Palma Frontonianus, conquérant des Etats nabatéens71. La datation ne peut être très précise; mais elle ne peut se placer qu'entre
b) Numismatiques. En 115, en 116 et en 117, ce type a été reproduit sous deux formes différentes, mais très approchantes, une femme debout, à gauche,
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symbolisant et personnifiant Prouidentia, tenant un long sceptre vertical, ou faiblement incliné, dans sa main gauche et ayant la main droite au-dessus d'un gros globe placé à ses pieds. La seconde représentation ajoute simplement à l'ensemble une colonne sur laquelle la Providen ce appuie son coude gauche. Le globe est parfois suffisamment important pour qu'on aperçoive sur lui des représentations qui semblent être les signes du zodiaque (mais nous ne pouvons en reconnaître aucun de façon précise)74. Les légendes des revers sont assez diverses. Nous pouvons trouver, pour l'année 115, PRO VID dans le champ, de chaque côté de la repré sentation féminine et, autour de la monnaie, COS VI Ρ Ρ SPQR75, PRO AVG et PARTHICO Ρ M TR Ρ COS VI Ρ Ρ SPQR76 ou PM TR P COS VI Ρ Ρ SPQR77 ou encore SENATVS POPVLVSQVE ROMANVS S C78. Au droit se trouve la tête de Trajan, toujours à droite et toujours lauree; la titulature varie : IMP TRAIANO AVG GER DAC Ρ M TR P, IMP CAES NER TRAIAN (ou TRAIANO) OPTIM (ou OPTIMO) AVG GER DAC, IMP CAES NER TRAIAN OPTIM AVG GER DAC PARTHICO ou encore IMP CAES NER TRAIANO OPTIMO AVG GER DAC Ρ M TR Ρ COS VI Ρ Ρ. Ces monnaies sont surtout des deniers, quel ques aurei et un seul sesterce avec l'inscription SENATVS POPVLVSQVE ROMANVS. Toutes ces monnaies sont courantes, sauf le sesterce qui semble rester rare79. En 116, un nouveau denier connu avec PROVID et Ρ M TR Ρ COS VI Ρ Ρ SPQR au revers et, sur l'avers, IMP CAES NER TRAIAN OPTIM AVG GERM DAC PARTHICO et la tête de Trajan lauree, à droite80. Un sesterce et un dupondiiis portent tous deux PROVIDENTIA AVGVSTI SPQR S C, le revers du dupondiiis
portant la tête de Trajan radiée et non lauree, comme tous les dupondii de ces années81. Ce sont toutes des monnaies fréquentes et relativ ementabondantes. En 117, est frappé un denier de même type que celui de 11682 et des deniers et des aurei anépigraphes, mais où, sans être nommée, la Prouidentia est parfaitement reconnaissable83. Toutes ces frappes sont communes et très répandues. Les dates ici données le sont d'après l'excellente étude de P. V. Hill, déjà citée, qui rend parfaitement compte de la cohé rence des émissions et de leur succession. En revanche, nous aurons, sans doute, à apporter quelques compléments sur le sens à donner à de telles représentations. En effet, il est évident qu'il faut expliquer deux points fondamentaux. Le premier est ins crit dans la chronologie : pourquoi, après les émissions de 98, avoir totalement interrompu les frappes Prouidentia, qu'elles se présentent sous une forme ou sous une autre? Pourquoi ne les avoir reprises qu'à l'extrême fin du règne, dans ses ultimes années? Le second de ces points est tout aussi important, et sans aucun doute corol laire du premier; pourquoi avoir éprouvé le besoin d'inventer une nouvelle représentation monétaire et pourquoi avoir personnifié Proui dentia, ce qui ne s'était encore jamais produit? Répondre à ces quelques interrogations, c'est tenter de définir en raison de quels faits, de quels événements, en fonction de quelles pens ées, issues de l'empereur et des membres de son entourage, de telles décisions ont été prises. La tâche est assez délicate, car les documents épigraphiques sont en petit nombre et ne nous permettent pas d'établir une véritable liaison, puisque l'un est daté de 115, l'année même du
74 Nous pouvons noter à ce propos les excellentes et judicieuses remarques contenues dans l'article de G. Tabarroni, Globi celesti e terrestre sulle monete Romane, dans Physis, VII, 1965, p. 317-353. Il distingue les représentations du Ciel et de la Terre. Il montre de façon convaincante (p. 326) que sur les monnaies que nous étudions ici est bien représenté le globe céleste avec sa bande zodiacale et son éparpillement d'étoiles comme la tradition l'avait établi depuis les monn aies de Q. Pomponius Musa, de 68/66 av. J.-C. (Sydenham, p. 134-136). 75 RIC, II, p. 260, n° 240. Cette monnaie est datée dans cet ouvrage de 112-114. P. V. Hill, op. cit., a montré que la formule COS VI Ρ Ρ SPQR n'avait été employée que pour la
21e émission, en 115. Cf. p. 433, n° 32. 7' RIC, II, p. 269, 357. Cf. p. 434, n° 35. 77 Ibid, 358 (pi. IX, n° 157; revers), 359, 360. Cf. p. 433, n° 33 et pi. I. 78 Ibid., p. 291, n° 661. Cf. p. 434, n° 34. 79 Inconnu de Cohen, il se trouve dans les collections de l'Université d'Oxford. 80 RIC, II, p. 269, n° 364. Cf. p. 434, n° 36. 81 RIC, II, p. 291, n° 663 (sesterce) et 664-665 (dupondii). Cf. p.434, n° 37. 82 ibid., p. 269, n° 361 et 362. Cf. p. 434, n° 38. 83 Ibid., n° 363 et 365. Cf. p. 434, n° 39.
NERVA ET TRAJAN renouveau de la Prouidentia monétaire, le second a trait à l'action du légat de Syrie Cornel iusPalma et ne fait que vanter, selon un mode que nous connaissons bien déjà pour l'Orient, la πρόνοια d'un homme qui dans son gouverne ment a su améliorer la situation et le sort de ses administrés (ici par la construction de conduites d'eau, le plus grand bien possible dans ces régions). Seules les inscriptions de Terracine et de Rome se trouvent dans les années séparant les frappes monétaires du début et celles de la fin du règne. Peut-être pourront-elles nous servir de jalon; mais, comme nous le voyons, dans ce cas la documentation reste, malheureusement, bien mince. C'est pourquoi nous devons chercher dans d'autres domaines qui nous apporteront peutêtre la solution, ou, tout au moins, une approche de solution; elle nous permettrait de définir le nouveau sens, le nouveau contenu, qu'a pu pren dreProuidentia dans les trois dernières années du règne de Trajan. Ne faut-il pas, en effet, penser à un changement de mentalité, ou à l'e xpression d'une mentalité nouvelle, dont la litt érature, ou plutôt certains auteurs, auraient été à la fois les fabricants et les reflets? Or, dans ce domaine précis, dans ce que certains ont appelé l'idéologie impériale, deux hommes ont joué un rôle capital, dans l'entourage même de Trajan, et dès les toutes premières années de son principat, Pline le Jeune et Dion de Pruse, dit Chrysostome.
3 - Un «Panégyrique» et des «Orationes» a) Pline le Jeune, un panégyrique, la «prouident ia». Le Panégyrique a été prononcé par Pline à son entrée en charge comme consul suffect, le 1er septembre 100. Il ne nous est pas parvenu
84 II avoue lui-même le remaniement de son discours : Ep., III, 13 et 18. 85 Cf. la liste des passages donnée dans M. Durry, Pline le Jeune. Panégyrique de Trajan, Paris, 1938, p. 7. 86 Id., ibid., ρ". 15. Cf. aussi p. 20. R. Syme, Tacitus, Oxford, 1958, p. 95.
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sous sa forme primitive, nécessairement brève. Mais Pline l'a remanié, car réécrire était chez lui un système qu'il a aussi appliqué à l'ensemble de sa correspondance84. Les traces de ce remanie mentont été trouvées en de nombreux endroits85 et M. Durry a pu aller jusqu'à dire que le véritable discours n'avait pas dû dépasser le tiers du texte actuel. Mais deux conclusions sont importantes pour nous : le remaniement a été réalisé très peu de temps après le consulat de Pline et nous pouvons penser qu'en 101 le texte que nous connaissons était rédigé. La seconde conclusion est que Pline a voulu fixer pour la postérité les traits du meilleur des prin ces; il a fait de Trajan le prince idéal, le bon empereur qui est désormais apparu comme « vrai, d'une vérité générale et solide célé brant les qualités essentielles du prince»86. Même si les lieux communs sont en nombre important, même s'il ne semble pas y avoir une bien grande originalité dans cette présentation, son succès postérieur montre que le Panégyrique est arrivé au bon moment, dans un monde qui attendait l'officialisation d'une telle théorie du souverain et de son pouvoir, à une époque où régnait un empereur qui pouvait approuver ces paroles et cette présentation de lui-même. Or, à plusieurs reprises, Pline emploie le mot proui dentia ou l'un de ses dérivés, en les appliquant au souverain régnant87. En outre, ce mot appar aîtdans plusieurs lettres de Pline, les unes à Trajan, les autres à ses amis et correspondants. Il est certain que Pline a attaché une grande importance à la notion de prouidentia et qu'il en a fait un mot-clé de sa conception du pouvoir, conception acceptée par l'empereur comme nous allons le voir par la suite. De ce fait, le Panégyrique et les lettres nous permettent de faire la transition entre les émissions monétaires de 98 et celles de 115-117. Dans le commentaire, nous y associerons les inscriptions de Terracine et d'Ancóne.
87 Nous pouvons d'ailleurs noter que le mot ne se trouve jamais dans les passages qui font incontestablement partie des remaniements postérieurs du discours. Le mot a été utilisé et employé par Pline face à Trajan, le 1er septem bre 100.
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b) Dion Chrysostome, des Περί βασιλείας, ή πρό νοια. C'est à la même époque que celle de la rédac tiondéfinitive du Panégyrìque que Dion de Pruse, dit Chrysostome, publia ses quatre traités Περί βασιλείας qui sont importants pour notre propos. Rhéteur et philosophe tout à la fois, dès ses débuts88, il eut une carrière mouvementée, marquée surtout par son exil sous Domitien et par ses liens d'amitié avec Trajan89. C'est certa inement en pensant à ce dernier qu'il rédigea ses quatre traités; c'est même sans doute devant lui qu'il prononça le premier et le quatrième. Il le fit certainement dans la période où Trajan se trouva à Rome dans la première partie de son règne, entre le printemps 99 et le mois de mars 10190. Dans le premier et le troisième discours, Dion développe l'idée du caractère divin du pou voir et aussi de son origine céleste. Il présente la monarchie comme le meilleur des régimes et nous décrit ce que doit être le bon roi. Le second est constitué par une discussion entre Philippe et le jeune Alexandre à propos du profit qu'on peut tirer de la lecture d'Homère. Le qua trième est une conversation entre Alexandre et Diogene le Cynique où sont repris les divers arguments des trois précédents discours. Dion est un parfait connaisseur de la mentalit é romaine; les contacts nombreux et longs qu'il a eus à Rome dans la première partie de sa vie, sous Vespasien, lui permettent de mêler dans son œuvre les influences gréco-orientales et romaines. Comme Pline, il est un parfait repré sentant de son époque. Or, dans les quatre trai tés, et surtout dans le premier et dans le
88 Cf. A. Momigliano, C. R. de Ch. Wirszubski, Liberias.. ., dans JRS, XLI, 1951, p. 146-153. 89 Cf. l'anecdote racontée par Philostrate, Vie des Sophist es, I, 7, 2, dans laquelle apparaissent Dion et Trajan parlant ensemble sur le même char. R. Syme, op. cit., p. 40. G. W. Bowersock, Greek Sophists in the Roman Empire, Oxford, 1969, p. 4748. 90 M. Durry, op. cit., p. 29. Bien que J. von Arnim, Leben und Werke des Dion von Prusa, Berlin, 1898, p. 435, suggère la date de 105 pour Or. III. 91 Ils se sont retrouvés face à face durant l'été 112, Dion en accusé et Pline en juge, à Nicée. A travers la lettre 81 du livre X que Pline adresse à Trajan, il ne semble pas que le gouverneur ait vraiment connu le rhéteur. La coïncidence de leur manière de juger et de concevoir le pouvoir n'en est que
me, il utilise προνοεΐν et πρόνοια à plusieurs reprises, en liaison directe avec l'accompliss ement des devoirs monarchiques. Même si, à cet teépoque, au début du règne de Trajan, Dion et Pline ne se sont pas rencontrés et connus, ce qui serait possible grâce au lien que Trajan pouvait représenter entre eux, il n'en reste pas moins qu'ils expriment, chacun à leur manière, le même idéal de pouvoir, et qu'ils l'expriment avec le même vocabulaire91, si tant est que puis sent être rapprochés, étroitement, mots latins et termes grecs. c) Leur conception du pouvoir. Dion Chrysostome fonde le pouvoir, quel qu'il soit mais plus encore quand il est monarc hique, sur une délégation du pouvoir divin et sa légitimité ne peut venir que de Zeus92 qui la transmet à qui bon lui semble93. En effet, l'empi re romain est à l'image du royaume à la tête duquel se trouve Zeus94. D'ailleurs les bons rois ont droit au sceptre de Zeus lui-même, symbole des «pleins pouvoirs»95. Cette paternité divine sur la terre oblige Zeus à une sollicitude profon de envers celui qui la dirige parce qu'il l'estime et qu'il est l'homme de sa confiance96. Pline le Jeune raisonne de la même façon et, à plusieurs reprises, il voit dans Trajan l'empereur désigné par la volonté des dieux: «...tarnen nostrum liqueret diuinitus constitutum»97; il n'a pas de peine à rappeler la cérémonie d'adoption qui a eu lieu devant le puluinar de Juppiter Optimus Maximus et qui n'a été que l'exécution de ce que les dieux avaient décidé98. Lui aussi affirme la
plus frappante (cf. M. Szarmach, «Mowy Krolewskie » Diona ζ Pnisy, dans Eos, LXIV, 1976, p. 175 avec un résumé en français). Sur le procès, G. Sautel, Aspects juridiques d'une querelle de philosophes au IIe siècle de notre ère, dans Rev. Int. Droits Ant., III, 1956, p. 423-443. 92 Or., I, 73 : «... βασιλεία, Διός βασιλέως εκγονος ». 93 Or., IV, 27. 94 Or., Ill, 50. 95 Or., I, 12 (το σκήπτρον) ; 45 (την έπιτροπήν). 96 Or., I, 40. Ill, 51 sq. Cf. L. François, Julien et Dion Chrysostome. Les Περί βασιλείας et le second panégyrique de Constance , dans REG, XXVIII, 1915, p. 434435. 97 Pan., I, 4; 5. 98 Pan., VIII, 1-2. Cf. X, 4.
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sollicitude particulière des dieux à l'égard de Trajan au destin duquel Jupiter veille". Pour qu'il y ait harmonie réelle entre la cité des hommes, dirigée par le roi choisi par les dieux, et le monde divin, encore faut-il que le souverain terrestre imite Zeus et ait comme but l'exercice de ses propres vertus, car le bien ne se trouve que dans les vertus100. Celles du souve rainsont nombreuses et même innombrables, car il doit toutes les posséder: «ό γαρ βασιλεύς ανθρώπων άριστος έστιν, άνδρειότατος ών και δικαιότατος και φιλανθρωπότατος και ανίκητος υπό παντός πόνου και πάσης επιθυμίας»101. C'est la définition du souverain parfait et idéal que nous pouvons retrouver dans d'autres passages des Discours de Dion102. Il doit être juste, équitab le,lucide, énergique, philanthrope, modéré dans ses rapports avec ceux qui lui sont soumis, sévère avec lui-même, dans sa vie publique et dans sa vie privée, tempérant et prudent103. Il lui faut repousser la mollesse, la richesse, l'orgueil qui conduit aux fausses ambitions104. Il lui est nécessaire de rechercher les soucis et les fat igues qui sont la marque du véritable souverain, «τους δε πόνους υπομένεις»105, « φιλοπονώτερος δε έν άπασι τοις εργοις των υπ' ανάγκης πονούντων»106. Régner, c'est se raidir dans l'ef fort en refusant les plaisirs107, c'est accepter tous les travaux pénibles pour soi108 quitte à ne pas employer toute sa nuit à dormir109. Tous ces aspects de l'action et de l'âme roya lessont utilisés par Pline le Jeune : la force et le courage dans la paix comme dans la guerre110; le goût du travail accompli qui oblige à ne pas prendre de repos si ce n'est un «parcus et breuis somnus»111; il repousse tout autre genre de vie que frugal, pour soi et pour l'État112. Dans sa
tâche d'empereur, Trajan s'est toujours montré juste et généreux quand il le fallait, créant même l'abondance113; il est plein d'« humanité, de modération, de gentillesse»114; sa bonté et sa mansuétude sont grandes, comme celles d'un père115. Pline complète ce tableau en mettant en valeur l'esprit de discipline que Trajan a su faire régner, son absence totale de cupidité, sa court oisie dans les rapports humains et la pureté de ses moeurs116 Mais, par-dessus tout peut-être, le monarque doit faire ressentir autour de lui, et jusqu'au plus humble, qu'il ne gouverne pas sans aimer: « Toi qui n'es jamais plus empereur qu'au moment où tu joues le rôle d'ami»117. L'amour du souverain pour ses sujets légitime la monarc hie et ne peut que la rendre populaire, ce qui est nécessaire pour un bon gouvernement118. L'amour est le couronnement de toutes les autres qualités du souverain et il est nécessaire, car le roi, dans sa place de direction, doit mont rer l'exemple à ses sujets; ses qualités doivent se retrouver, comme par osmose, dans son peup le119. C'est pourquoi le roi doit montrer ses qualités au grand jour, car il lui faut travailler utïlitate omnium™ et il ne peut séparer son propre intérêt de celui de ses sujets; il y va de son autorité et de son prestige. Cet altruisme l'oblige à se surpasser, mais exige de tous l'effort d'adaptation nécessaire. Le véritable chef, celui qui reçoit les marques de respect les plus éclatantes, est celui qui règne pour tous les hommes sans aucune exception, les bons comme les méchants, parce qu'il est le pilote, le pasteur, le chasseur qui conduit sa meute121. Il ne s'agit pas seulement de régner pour le plaisir égoïste de dominer et de gouver-
» Pan., LXXX, 4. »°° Or., III, 2. 101 Or., IV, 24. 102 Or., I, 34-36. >03 Or., IV, 51; III, 82, Cf. aussi LXII, 34. V. Valdenberg, La théorie monarchique de Dion Chrysostome, dans REG, XL, 1927, p. 152-154. *°*Or., IV, 88-132. >05 Or., III, 3. ««* Or., ΙΠ, 5. Cf. aussi III, 62-63. w> Or., 1,21. >08 Or., III, 57. "»Or., I, 13; III, 65. »° Pan., LXXXI, 2; XII, 2-4; XIII, 1-2.
111 Pan., XLIX, 8; XII; XIV, 3; XV, 4. 112 Pu«., XLIX, 5;XLI, 1. 113 Pan., XXIX, 4-5; XXV, 2; XXXIII, 2; XXXVI, 4. 114 Pan., II, 7. Cf. XVI, 1 ; XLIX, 7. "s Pan., XXI, 3-4. 116 Pan., XX, 3; XLI, 3; XXIV, 2; XX, 2. 117 Pan., LXXXV, 5. Cf. Or., II, 69. •I8 Pan., LXXXVI, 4. Cf. Or., I, 20. 119 Or., ΙΠ, 82. Cf. V. Valdenberg, art. cit., p. 153. 120 Pan., LXVII, 4; LXVIII, 1 et XCIV, 5. 121 Or., I, 12; 17 («κηδόμενος δε πάντων»); 65. Ill, 56: « κυβερνήτης . . .γεωργός . . . κυνηγέτης ». Idée développée en III, 63-68.
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ner; le but est «adesse et adsistere »122 , être pré sent et être utile. Le chef est un bienfait univers el, c'est-à-dire que son action s'exerce dans tous les domaines, mais dans une seule direction, celle du bien123; en effet, le faible a besoin du fort, et jamais inversement, l'homme peu instruit utilise le travail et les aptitudes de celui qui a les connaissances, l'homme sans raison doit calquer son action et son attitude sur celui qui en est pourvu124. D'ailleurs, là encore, il n'est que le vicaire de Jupiter sur lequel il prend modèle125. Son action est de servir et de sauver les homm es126. Sa bienveillance et son esprit de justice concourent à la sauvegarde de la cité et des peuples qu'il dirige : «πάντων δε ούτος ανθρώπων γίγνεται σωτήρ και φύλαξ»127. Un domaine doit particulièrement être surveillé par le roi, celui de la protection des individus; c'est pourquoi il doit apparaître comme celui qui apporte un soin particulier et méticuleux à la tenue des armées qui sont aux citoyens ce que les chiens sont au troupeau128; il ne faut pas le laisser tomber dans la mollesse et le désoeuvrement. Le peuple est ainsi défendu contre tous les malheurs qu'il ne pourrait éviter s'il était réduit à ses seules for ces : «Ψυχή δε και τούτου συνίησι, και πολλά πάσχει, ρυομένη μεν έκ νόσων το σώμα, ρυομένη δε έκ πολέμων, ρυομένη δε έκ χειμώνος, ρυομένη δε έκ θαλάσσης»129. La place de celui qui gouverne dans le mon de est celle du soleil dans l'univers; il est partout présent, il voit tout, il entend tout et il intervient comme bon lui semble, et toujours dans un sens bénéfique130. Mais ce pouvoir monarchique doit être conforme aux lois (νόμιμος), bien qu'il soit déclaré irresponsable (άνυπεύθυνος) et que la loi soit présentée comme δόγμα du roi131; cette irresponsabilité ne veut pas dire que le pouvoir est sans limite dans ses choix, mais qu'il
122 Pan., LXXX, 3. l"Or., ΙΠ, 50; 62. 124 Cf. V. Valdenberg, art cit., p. 152. 125 Pan., LXXX, 4-5. 126 Pan., VI, 1. 127 Or., III, 6. Cf. III, 10. 128 Or., I, 28. Cf. L François, art. cit., p. 427. 129 Or., III, 69. 130 Pan., LXXX, 3. Même idée dans Or., III, 73-82. 131 Or., III, 43.
se seulement le roi de rendre compte de ses actions à qui que ce soit. Irresponsabilité et légalité peuvent parfaitement être unies; la loi est δόγμα en ce sens qu'elle est décision ou règlement et non tout ce que veut le monarque. Cette légalité est la condition indispensable d'une vie régulière de l'État132. Pline et Dion expriment l'un et l'autre les mêmes certitudes sur le pouvoir et sa concept ion. Tous les deux opposent le «bon roi» ou le vrai princeps au tyran, au dominas133, qui est méchant, sans morale, cupide, paresseux, sou cieux de sa seule personne et de son seul bienêtre; toute son action est orientée sur sa seule personne. Il est vrai qu'il serait possible de trou ver des différences dans la forme, et peut-être dans les origines d'une telle attitude chez l'un et chez l'autre134. Il n'y a pas chez Dion la passion contenue dans Pline, le mouvement du discours qui entraîne; ses exposés sont plus posés, car il s'agit pour lui de démontrer plus qu'il ne cher che à agir véritablement en s'intégrant direct ementà une façon concrète de gouverner et en étant partie prenante comme Pline l'est du gou vernement de Trajan. Il est vrai aussi que les origines philosophiques, visibles dans l'expres sion même, sont plus nettes chez Dion que chez Pline. Chez le rhéteur grec, le langage et les idées orientent vers les formulations stoïciennes, ou plus précisément cyniques, qui réclamaient du roi des qualités humaines, et la manière de voir des platoniciens qui exigeait du souverain une βασιλική επιστήμη, des qualités spéciales qui permettaient seules de diriger l'État135. La pen sée philosophique de Pline est moins évoluée, mais elle ressortit au même fond philosophique grec, à base de stoïcisme, qui débouche, de tou tes les façons, sur le rôle primordial de la vertu et du perfectionnement moral. La vie perd toute
132 Sur ces différents points, cf. V. Valdenberg, art. cit., p. 157-159, et L François, op. cit., p. 435. 133 Pan., II, 3 : « non enim de tyranno, sed de ciue, non de domino, sed de parente loquimur». Or., III, 43; 48. 134 Sur les points de rapprochement, voir la bonne synthè se de F. Trisoglio, Le idee politiche di Plinto il Giovane e di Dione Crisostomo, dans // Pensiero Politico, V, 1972, p. 3-42. 135 V. Valdenberg, art. cit., p. 155; L. François, art. cit., p. 435-436.
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valeur si elle est occupée par le mensonge éhonté et la dissimulation méprisable136. Dans ces deux systèmes parallèles, un point est pour nous fondamental, la place tenue par les mots et les notions de πρόνοι-α ou de prouidentia. Cette place est loin d'être négligeable et nous permet de mieux comprendre le processus qui a conduit à faire frapper des monnaies où la Providence est représentée sous le forme d'une figure féminine. C'est à six reprises, dans le Panégyrique de Trajan, que nous pouvons trouver prouidere et ses dérivés137. Pline le Jeune fait allusion à l'adoption de Trajan par l'intermédiaire de la providence des dieux : « La providence des dieux t'avait déjà mis au premier rang; tu souhaitais encore rester au second et même y vieillir»138. Nous pouvons ainsi retrouver, avec prouidere et ses dérivés, la plupart des grands thèmes que nous avons étudiés plus haut à propos de la conception du pouvoir que Pline se faisait. Que cette prouidentia vienne des dieux est aussi affi rmé dans le premier paragraphe du Panégyrique où notre auteur montre que quand les hommes agissent aves «prévoyance», c'est qu'ils ont reçu le secours des dieux : « car les hommes ne sau raient rien inaugurer selon les rites, rien avec prévoyance (prouidenter) sans le secours, le cons eil et le respect des dieux immortels»139. La prouidentia venue des dieux est nécessaire aux hommes pour engager toute action dont ils veulent voir la réussite. Cette providence des dieux qui a choisi Trajan continue à guider son action et à le protéger; c'est la garantie essentiell e de la confiance que chacun peut avoir en l'empereur et qui est fondamentale pour la réus site de son action. Trajan n'a pas parlé autre ment que ses prédécesseurs lorsqu'il est entré dans la curie, le premier jour de son consulat; il a évoqué la liberté, il a demandé au sénat son
appui dans sa lourde tâche, il a rappelé qu'il veillerait aux intérêts publics. Les sénateurs l'ont cru parce qu'ils le savaient protégé par la provi dence des dieux et donc incapable de sombrer dans l'imprévu qui avait fait disparaître certains de ses prédécesseurs140. Tous peuvent suivre l'empereur sans crainte et obéir à ses ordres, il a prévu pour tous et son action ne peut être que bénéfique. N'en a-t-on pas les preuves matérielles dans les distributions et les largesses qu'il a faites au peuple et aux soldats, en prenant soin de les garder sur un pied d'égalité. C'est Trajan lui-même qui a prési déà ces distributions, et qui a permis à tous, sans exception, de recevoir une part de ce qui était promis et dû: «expectatus est, prouisumque ne quis aeger, ne quis occupatus, ne quis denique longe fuisset»141. Trajan a bien agi dans l'intérêt de tous, et cela grâce à la prouidentia. Dans le même sens l'empereur a châtié les délateurs qui avaient foulé aux pieds les lois; s'il s'est montré brutal et sévère, c'est pour sauver les citoyens qui se trouvaient continuellement en insécurité, mais c'est aussi pour que les lois qui avaient fondé l'État subsistent et soient respectées : « excidisti intestinum malum et prouida seueritate cauisti ne fundata legibus ciuitas euersa legibus uideretur»142? Trajan est bien le «bon roi», car son action doit non seulement être bénéfique pour ses contemporains, mais il doit aussi servir d'exemple à la postérité; de ce fait, il est normal qu'il laisse proclamer ses mérites pour permett re aux générations à venir d'avoir le modèle, l'étalon, nécessaire pour conduire leur propre action143. Nous pouvons alors noter que proui dentia est utilisée par Pline chaque fois qu'il s'agit de définir en quoi Trajan est un bon princeps. Prouidentia est bien pour Pline un des fondements essentiels du pouvoir impérial. Ce sont ces mêmes caractères que nous
136 Or., I, 33. Cf. L. Lemarchand, Dion de Pruse. Les œuvres d'avant l'exil, Paris, 1926, p. 177-178. De très nombreux passages, dans Dion, abordent ce pro blème de la finalité vertueuse de l'action du roi: I, 15-16, 21-23. II, 77; III, 4-10; 51-57; 133-135 ... IV, 75 137 X. Jacques- J. van Ooteghem, Index de Pline le Jeune, dans Mém. Acad. Roy. Belgique, LVIII, 3, 1965. 138 Pan., X, 4: «prouidentia deorum»; M. P. Charlesworth, Providentia and Aetemitas.. ., p. 116; J. Béranger, Recherches
sur l'aspect idéologique du pnncipat, Bâle, 1956, p. 221, n. 254. 139 Pan., I, 1. 140 Pan., LXVI, 3: «quos insidiosa tranquillitate prouectos improuisus turbo perculerat». 141 Pan., XXV, 4. 142 Pan., XXXIV, 2. 143 Pan., LXXV, 4 : « denique ut in posterum exemplo prouideres ».
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retrouvons dans les discours Περί βασιλείας de Dion de Pruse, mais d'une façon peut-être moins nette et moins précise. Cependant quelques pas sages sont intéressants pour notre propos puis qu'ils placent πρόνοια en position avantageuse. En effet, le terme πρόνοια employé à huit repri sesdans ces discours, se trouve directement lié à αρχή, le terme qui désigne dans le langage de Dion, l'exercice du pouvoir monarchique (cela à cinq reprises). Ce sont les dieux qui mènent le monde et exercent sur lui, à la fois, leur puissan ce de direction et leur providence144. Mais cette providence est aussi une composante fondament ale de celui qui dirige; c'est celle du berger dont toute l'activité doit consister à garder et sauver les bêtes de son troupeau145. C'est en se servant de sa πρόνοια que le plus fort doit venir à l'aide du plus faible comme dans les essaims d'abeill es146,que celui qui dirige doit supppléer à tout ce qui manque aux autres sur le plan pratique et physique, comme sur le plan intellectuel147. Nous rejoignons d'ailleurs ici la définition du gouvernement que nous avons citée plus haut : «ή μεν αρχή νόμιμος ανθρώπων διοίκησις και πρόνοια ανθρώπων κατά νόμον, βασιλεία δε άνυπεύθυνος αρχή, ό δε νόμος βασιλέως δόγμα»148. C'est la prévoyance des hommes, de ceux qui gouvernent, qui permet d'établir une direction de la cité conforme aux lois; cette conformité n'est obtenue que si le monarque possède la πρόνοια qui lui vient des dieux et qui lui permet justement, non pas d'être irresponsable de ses actes, mais, tout au contraire, de ne pas avoir à en rendre compte puisqu'ils sont exécutés sous la direction de la πρόνοια et que, de ce fait, ils ne peuvent qu'être en conformité avec la loi. Ce que décide le roi (δόγμα) n'est pas arbitraire, mais le résultat d'une réflexion qui conduit à un gouver nement juste et régulier. Un tel souverain doit
son pouvoir aux dieux; en conséquence, il leur doit le plus grand respect puisqu'ils ont euxmêmes mis leur confiance en lui; il doit aussi penser à ce que ce pouvoir serve aux autres; cette utilité est la seule justification de sa puis sance terrestre149. Il ne peut pas exister sur terre d'άpχή sans πρόνοια et la πρόνοια est l'attribut essentiel du «bon roi». Et Trajan est le vrai représentant de ce pouvoir monarchique qualifié d'heureux et de divin par Dion : « Περί δε της εύδαίμονός τε και θείας καταστάσεως της νΰν επικρατούσης χρή διελθεΐν έπιμελέστερον»150. Πρόνοια marque bien la souveraineté parfaite, celle qui ne peut qu'ap porter les bienfaits à ceux qui lui sont soumis151. Nous avons dans ces discours les mêmes idées que celles émises, au même moment, par Pline. Un consensus intellectuel s'est formé autour du pouvoir impérial et Trajan possède la connais sancedirecte, dès les premières années de son règne, de cette conception du pouvoir. La correspondance de Pline, qui s'arrête avant la frappe des monnaies avec la personnifi cation de Prouidentia, nous offre d'autres exemp lesintéressants et, dans notre optique, instruct ifs, de l'utilisation du mot et de ses dérivés. Il n'est pas inutile de voir de quelle façon proui dentia est employée dans des lettres souvent remaniées et retravaillées avant la publication et dans lesquelles l'auteur, même à propos de ques tions mineures, a voulu exprimer ses idées et celles de son temps. Tous les emplois de prolùdere et de ses déri vés ne sont pas caractéristiques et un certain nombre relève du simple usage courant. C'est ainsi que Pline peut parler de ce qui est «prévu» par les lois152; du jeune homme tout «préparé» pour être l'époux de la fille d'Arulenus Rusticus153, de la nécessité de tout prévoir lors d'une
144 Or., I, 42. L. François, art. cit., p. 435-436, qui voit dans ce passage un des plus évidents dans sa signification stoï cienne. La loi à laquelle le monde obéit est la Raison univers ellestoïcienne. 145 Or., IV, 44. 146 Or., III, 50 (où l'image du troupeau est reprise). 147 Or., III, 62. 148 Or., III, 43. 149 Or., III, 52 : «Ηγείται δε τοις άλλοις άνθρώποις συμφέρειν την αύτοϋ πρόνοιαν ούτως ώς αύτώ την εκείνων (se. θεών) αρχήν ».
150 Or., Ill, 50. Cf. aussi III, 107 et 127. 151 J. Béranger, Recherches sur l'aspect..., p. 211; M. P. Nilsson, Gesch. der griesch. Rei, II, p. 370-371. 152 Ep., III, 9, 6. A. N. Sherwin- White, The Letters of Pliny. A Historical Social Commentary, Oxford, 1966, p. 230: lettre sur la plainte des habitants de la Bétique contre leur gouver neurmort et allusion à la lex Acilia. Elle a été écrite en 100 ou au début 101 (désormais toutes les dates des lettres seront données d'après cet ouvrage). 153 Ep., I, 14, 3. Début 97 (Sherwin-White, p. 1 17).
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lecture publique pour que même l'intervention la plus saugrenue ne puisse démonter le lec teur154, de l'imprévoyance d'Octavius Rufus qui attend des autres ce qu'il devrait puiser en luimême pour pouvoir publier155. Certains des amis de Pline possèdent la faculté de prolùdere : Julius Naso qui brigue les honneurs, qui a prévu qu'il ne pourrait plus bénéficier du crédit qu'avait eu son père et qui, de ce fait, a su se constituer un solide réseau d'amitiés156. Corellius, à qui Pline fait toujours part de ses projets parce qu'il est prouidentissimiis et sapientissimus de l'époque157. Dans cette lettre où Pline s'adresse au jeune Ummidius Quadratus qui lui a demandé des renseignements sur le déroulement des événe ments après la mort de Domitien et sur les poursuites entreprises contre les délateurs, il se trouve vis-à-vis de ce jeune correspondant dans la position où il se trouvait alors vis-à-vis de Corellius; attribuer de tels compliments à ce dernier était certainement sous-entendre que Quadratus avait raison de le choisir comme gui de, car il était aussi prouidentissimiis et sapientis simus. Il reprend ces mêmes termes dans une autre lettre envoyée entre janvier et août 105, à Clusinius Gallus158 qui lui demandait de défendre Corellia. Il expose alors à son correspondant tout ce qu'il doit à Corellius dans sa carrière; c'est lui qui lui a toujours donné les meilleurs conseils et a été son guide dans les honneurs. Là encore, les qualités de Corellius rejaillissent sur Pline; c'est pour ce dernier une manière de se mettre en valeur et le terme de prouidentissimus n'en prend que plus de poids. Enfin Pline accorde aussi ces facultés à Junius Mauricus, un sénateur qui avait été con damné sous Domitien, en 93, et que nous con naissons par ailleurs; il intervint pour empêcher des massacres d'innocents déjà sous Galba159 et il prit la tête de ceux qui, à la chute de Vitellius,
voulurent consulter les archives particulières des empereurs pour pouvoir accuser les déla teurs en toute connaissance de cause160; de ce fait, Martial peut le donner comme exemple d'aequitas161 . Il n'est donc pas étonnant qu'à son sujet Pline puisse conter des anecdotes dans lesquelles Mauricus montre sa fermeté et son courage162 et qu'il puisse ainsi le définir : «Vir est grauis, prudens, multis experimentis eruditus, et qui futura possit ex praeteritis prolùdere»163. Il est enfin intéressant de noter que, dans une derniè re lettre relative à un particulier, Pline parle de la prouidentia de cet homme; c'est la seule fois où le mot est employé pour un homme quelcon que : «Nam cum in omnibus rebus turn in disponendis facultatibus plurimum tibi et usus et prouidentiae superest» 164. Il est vrai qu'il s'agit de Calvisius Rufus, un compatriote de Corne, que Pline a l'habitude de consulter pour ses affaires, ici pour l'achat de terres; cette «prévoyance» est celle qui permet de savoir si les terres achetées seront d'un bon rendement et si, au prix deman dé de trois millions de sesterces, l'affaire est viable dans l'avenir. Dans sa spécialité, Calvisius Rufus a la capacité de savoir dans quel sens les choses évolueront; il est l'homme de bon cons eil : «Adsumo te in consïlium rei familiaris, ut soleo»165. Pline reconnaît donc cette qualité à ceux qui réunissent dans leur spécialité la réflexion, l'e xpérience et les connaissances. De ce fait, il ne l'écarté pas de lui-même, de sa propre personne. À deux reprises, il emploie le verbe prolùdere à propos de ses activités littéraires, ce qui indique d'ailleurs qu'il les concevait comme son activité la plus importante et la plus durable. Sa pré voyance lui permet de produire des écrits inté ressants et qui apportent au lecteur un surcroît de connaissances et la possibilité de se poser des problèmes166, surtout quand ils s'adressent à un homme comme Metilius Nepos qui est «uir
154 Ep., VI, 15,4. 155 Ep., II, 10, 5. De 97 ou 98 (Sherwin-White, p. 159). 156 Ep., VI, 6, 5. 157 Ep., IX, 13, 6. Avant 100 (Shenvin-White, p. 491). 158 Ep., IV, 17, 10: «quod cum recordor, intellego mihi laborandum, ne qua parte uidear hanc de me jiduciam prouidentissimi uiri destituisse ». (Sherwin-White, p. 294). 159 Plut., Galba, VIII, 8. 160 Tac, Hist., IV, 40, 9.
161 Mart., V, 28, 5. 162 Ep., IV, 22, 3-6. 163 Ep., I, 5, 16. Début 97 (Sherwin-White, p. 93), au moment où Mauricus revient d'exil. 164 Ep., III, 19, 9. Entre 100 et 105 (Sherwin-White, p. 253). 165 Ibid., 1. 166 Ep., IV, 26, 2. Lettre adressée à Metilius Nepos. «Quant o opere mihi prouidendum est ».
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grauissimiis, doctissimiis, disertissimus, super haec occupatissimus»; de tels éloges renforcent év idemment les propres qualités de Pline, dont celle qui lui permet de «pourvoir» aux besoins d'un homme de cette envergure. Pline prend toutes les précautions nécessaires pour que son œuvre ne soit jamais déflorée en particulier de façon à ce que ses discours conservent tout leur effet possible quand ils seront prononcés167. Mais le plus important pour notre propos est l'application à la personne même de l'empereur, par Pline, de prolùdere et de ses dérivés. Il reste parfaitement dans la ligne des emplois qu'il en a faits dans le Panégyrique. Dès le début de l'année 106, il montre que les sénateurs savent faire appel à la prouidentia de l'empereur quand il s'agit de remédier aux maux du moment168. Mais Pline fait ici allusion à une des décisions les plus importantes prises par Trajan durant son règne à propos des aspirants aux charges du cursus sénatorial. L'ami de Pline, le sénateur Homullus, fit appel à l'intervention impériale pour faire cesser les excès de dépenses des candidats aux magistratures, en repas, en présents, en argent. Cet appel n'a pas été fait en vain et le princeps a accordé ce que demandait le sénat; en outre, il a ajouté la mesure fondamentale pour l'économie italienne, obliger les sénateurs à posséder un tiers de leur fortune foncière en terres de la péninsule. Pline fait aussi intervenir la providence de Trajan dans les essais faits pour empêcher les crues dévastatrices du Tibre169: «Tiberis alueum excessit et demissioribus ripis alte superfunditur. Quamquam fossa, quam proiiidentissimus imperator fecit, exhaustus premii ualles ...... L'emploi de l'adjectif prouidens au superlatif permet à Pline de faire ressortir l'étendue de la catastro phe, sans doute produite par les pluies
ne dans le Latium, puisque l'empereur lui-même malgré toute sa sagesse, toute sa réflexion intell igente, n'a pu prévoir un débordement du fleuve qui, par son ampleur, est plus du domaine du prodige que de la rationalité. Mais ce sont, évidemment, les lettres en voyées par Pline, gouverneur de Pont-Bithynie, à Trajan, qui nous permettent de mieux saisir tout le poids donné à la notion par notre sénateur. Adressées directement au princeps, lues par lui, rien de ce qu'elles contenaient ne pouvait lui échapper et ne pas être approuvé par lui. Or, à quatre reprises, la notion est employée par Pline à propos de Trajan; deux fois sous la forme prouidentia et deux fois sous celle prouidentissimus. La providence de l'empereur est évoquée directement pour la rentrée des deniers pu blics170 dans la province, et pour fixer une règle qui sauvegarde définitivement les intérêts finan ciers des cités de Pont et Bithynie; elles se voyaient confirmer le droit de protopraxie ou créance privilégiée171. L'intervention de Trajan et de sa providence permet de rendre éternel ce qui n'était jusqu'ici qu'éphémère. D'ailleurs Pline n'hésite pas à s'adresser directement à Trajan en lui appliquant le titre de proiiidentissimus. Il le fait quand il aborde le problème de la protection des personnes, plus précisément des voyageurs qui passent par Byzance et qui procu rentsa richesse à la cité; Trajan s'est montré proiiidentissimus en y faisant envoyer un centu rionlégionnaire et quelques troupes pour maint enir l'ordre et prévenir les exactions; il a ainsi protégé à la fois les hommes et les intérêts de la cité qui sont aussi ceux de l'empire: «Prouidentissime, domine, fecisti quod praecepisti Calpurnio Macro, clarìssimo uiro, ut legionarium centurionem Byzantium mitteret»172. Enfin, Pline emploie le même adjectif dans une lettre abordant ce qui
167 Ep., V, 20, 8 : « Prouidendum est mihi ne gratiam 171 Ep., X, 108, 2: «Existinw tarnen tua prouidentia constinouitatis et floretn, quae oratitincidam illam uel maxime com tuendum aliquid et sanciendum, per quod utilitatïbus eorum in mendai, epistidae loquacitate praecerpam ». perpetuum consulatur ». De la troisième année du gouverne 168 Ep., VI, 19, 3 (Sherwin-White, p. 376). ment de Pline (Sherwin-White, p. 717). 169 Ep., VIII, 17, 2. En 107, après la cura aluei Tiberis de 172 Ep., X, 77, 1. Seconde année du gouvernement de Pline Pline (Sherwin-White, p. 467-468). Cf. J. Le Gali, Le Tibre, (Sherwin-White, p. 665). Nous pouvons noter que la traduc fleuve de Rome dans l'Antiquité, Paris, 1953, p. 132. tionde M. Durry, CVF, Paris, 1964, p. 58: «Maître, tu as eu 170 Ep., X, 54. De la seconde année du gouvernement de une excellente idée ... », est trop faible pour rendre l'adjectif Pline (Sherwin-White, p. 635): «Pecuniae publicae, domine, au superlatif que Pline n'emploie pas tout le temps, donc à prouidentia tua et ministerio nostro et iam exactae sunt et qui il donne un sens particulièrement fort. exiguntur».
NERVA ET TRAJAN aurait dû être la grande œuvre de prestige que le gouverneur entreprenait dans sa province; c'est tout au moins ainsi que Pline la présente dans une première lettre à Trajan: «Rien ne me paraît plus convenable que de te proposer des travaux aussi dignes de l'immortalité de ton nom que de ta gloire et qui auront autant de beauté que d'utilité»173. Le réponse prudente de Trajan, recommandant des études préliminaires, permet à Pline d'appeler l'empereur prouidentissimus, car ce dernier a une préoccupation fondamental e : éviter que le lac de Nicomédie, une fois relié à la mer, par le canal prévu par Pline, ne se vide totalement: «Tu quidem, domine, prouidentissi me, uereris ne commissus jlumini atque ita mari lacus effluat»i74. Là aussi Trajan a comme but la protection des personnes et des biens dans une de ses provinces à laquelle il montre la même sollicitude qu'aux autres. De tels emplois de prouidere et de ses dérivés ne peuvent nous étonner. Nous retrouvons sim plement ici ce que nous avons déjà rencontré à de nombreuses reprises depuis Cicéron et Sénèque. Et d'ailleurs, nous avons dans Pline le même vocabulaire général, en liaison avec proui dentia, que chez les autres auteurs : tous les termes s'appliquant à la réflexion personnelle appuyée sur la maturité et les connaissances de l'individu. Corellius, par là même qu'il est proui dentissimus et aussi sapientissimus115, est l'hom me de bon conseil; il inspire la confiance la plus totale (hanc de me fiduciani). Nul ne peut être amené à faire jouer cette qualité s'il ne s'est d'abord accompli dans le travail et s'il n'y a gagné les connaissances (eruditus), le poids (grauis), la prudence (prudens) et l'expérience (ttSMs)176. Prouidere permet de protéger les inté rêts légitimes de chacun dans le moment pré sent, mais aussi de les assurer dans l'avenir et à jamais. C'est le sens qui est donné à la demande de Pline concernant la protopraxie des cités de Bithynie et du Pont. D'autres empereurs, préc édemment, ont établi des règles; certains l'ont fait
mEp., X, 41, 1. 174 Ep., X, 61, 1. Seconde année du gouvernement de Pline (Sherwin-White, p. 646). mEp., IX, 13, 6; IV, 17, 10. 176 Ep., I, 5, 16; IV, 26, 2 et III, 19, 9.
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avec sagesse et indulgence («quae sunt ab Ulis instituta, sint licet sapienter indiata»), mais ils ne l'ont fait que pour le moment présent et, de ce fait, leur efficacité a été éphémère. La supériorit é de Trajan est de posséder une auctoritas appuyée sur une prouidentia qui lui permet de prendre des décisions «in perpetuum»i77. Il n'y a donc rien là que de banal par rapport à ce que nous avons déjà vu auparavant. Que la prouidentia soit incluse dans une conception glo bale du princeps ne doit pas non plus nous étonner; Cicéron n'avait rien fait d'autre, et l'avait certainement réalisé avec plus de préci sionet de profondeur que Pline. Mais la concept ion de Cicéron, comme nous avons essayé de le montrer, n'avait pas été admise par Auguste; et, par la suite, prouidentia n'avait été employée que «ponctuellement». Tout au contraire, Pline et Dion sont entrés en contact direct avec l'empe reuret c'est pour lui, devant lui, en s'adressant à lui qu'ils ont exposé et forgé leur conception du pouvoir impérial dans laquelle prouidentia a une place de premier plan. En effet, le mot n'est pas employé inconsidérément par Pline; il ne l'est qu'en des occasions importantes et pour des hommes de poids dans la cité. Prouidentia se trouve au sommet des qualités exigées des indi vidus responsables dans leur vie et dans leur travail. Il est d'ailleurs intéressant de noter qu'à trois reprises178, prouidentia ou prouidentissimus se trouvent très proches du titre de dominus par lequel Pline* interpelle Trajan dans la grande majorité de ses lettres. En quelque sorte, c'est une explication du mot dominus qui pourrait être pris en mauvaise part, surtout en se souve nantde l'utilisation qu'en avait faite Domitien. Contrairement à cette malheureuse époque, il ne peut être question d'un maître vis-à-vis de ses esclaves, ayant sur eux droit de vie et de mort. L'empereur est un maître parce qu'il possède la qualité essentielle du chef, celle de prouidere, celle qui lui permet d'être accepté par tous, librement, comme le souverain, l'homme qui
177 Ep., X, 108, 2. Cf. Ep., I, 5, 16: «(Mauricus) gui futura possit ex praeteritis prouidere ». 178 Ep., X, 54, 1 : «... domine, prouidentia tua ...» Ep., X, 61, 1 : «... domine, prouidentissime ...» Ep., X, 77, 1 : « Prouidentissime, domine ...»
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saura toujours diriger l'État pour son plus grand bien. Se soumettre à un tel dominus, c'est faire preuve d'intelligence et de clairvoyance, tout en restant libre179. C'est bien ainsi que Trajan a jugé les choses et les a acceptées. Il est certain que Pline n'au rait pu employer prouidentia et proiiidentissimus en parlant de l'empereur et en s'adressant dire ctement à lui, si ce dernier n'avait pas pris en compte, pour lui-même, la notion et tout le sens que Dion et Pline lui avaient donné. D'ailleurs dans une de ses réponses à une demande de Pline, Trajan emploie le même vocabulaire que le gouverneur de Pont-Bithynie : «Manifestum est, mi Secunde carissime, nec prudentiam nec diligentiam tibi defuisse circa istum lacum, cum tarn multa prouisa habeas, per quae nec periclitetur exhaurìri et magis in usti nobis futurus sit»180. Le ton de la réponse, l'adresse personnelle et affectueuse à Pline lui-même, ne peuvent faire douter qu'il s'agit ici d'un texte dicté par Trajan lui-même. Pline avait fait mention de la «grande prévoyance» de l'empereur dans sa première lettre, comme nous l'avons vu plus haut181. Avec une grande courtoisie et une parfaite habileté, Trajan encense Pline avec les mêmes termes que ceux employés par le gouverneur; de ce fait, nous avons ici, dans ces quelques lignes, une parfaite définition de la providence, faite de prouidentia et de diligentia, c'est-à-dire d'activité réfléchie, pour réaliser une œuvre utile dans le moment et durable dans l'avenir pour le plus grand bien des habitants de Nicomédie et de la région. Cependant, en attribuant à Pline la quali té dont ce dernier l'avait gratifié, Trajan ne place pas son gouverneur sur un pied d'égalité avec lui, ce qui serait inconcevable pour l'un comme pour l'autre. Derrière l'éloge de Pline et la satis faction exprimée par le princeps se cache la conception que Trajan se fait de son pouvoir. Il est bien l'homme qui possède la prouidentia, qui lui a été reconnue par les dieux; ceux qui l'a ident dans sa tâche, parce qu'ils sont choisis par lui, agissent au nom de cette providence et avec
179 Cf. sur la prééminence reconnue au princeps, les remarques contenues dans M. Hammond, Pliny the Younger s views on Government, dans Harv. St. in Class. Philol., XLIX, 1938, p. 115-140.
cette providence. Elle passe à travers eux, lai ssant une partie d'elle-même en eux, de telle sorte qu'ils agissent comme l'aurait fait l'empe reuren de semblables occasions. 4 - Le sens de «providentia» dans les documents épigraphiques Ceux qui aident l'empereur dans ses lourdes charges ont été choisis par la providence de l'empereur qui a su déceler leurs qualités et les utiliser au mieux. Ils ne peuvent avoir de provi dence eux-mêmes que dans la mesure où ils ont été légitimement désignés par le princeps au poste où ils se trouvent. C'est d'ailleurs pourquoi le légat de Syrie, A. Cornelius Palma, peut évo quer sa propre providence182. Si des conduits d'eau ont été construits et installés, si l'eau a ainsi été amenée jusqu'à Auranitis (El Afinè), cela est dû à l'intelligence et au travail du gou verneur, mais la πρόνοια qu'il dit posséder n'est que le reflet de celle de l'empereur qui l'a dési gné pour cette fonction; sans cette désignation, il ne posséderait pas la moindre πρόνοια et ne pourrait donc en faire état. Et l'emploi du mot n'est pas, de la part du légat propréteur, un abus de pouvoir ou une tentative orgueilleuse de se placer au-dessus de son rang. Nous nous trou vons ici face au même état d'esprit qui fait attribuer à Pline, dans ses actes de gouverne ment, la providence qui est issue de Trajan luimême. Dans les deux cas, nous avons un parfait reflet des théories officielles qui ne font des gouverneurs que les représentants particuliers de l'empereur, de son pouvoir et de toutes ses qualités intrinsèques. Les deux inscriptions, de Terracine et d'Ancône, entrent désormais facilement dans ce pro pos183. La première est inscrite sur un autel ou sur un soubassement de statue. Cette inscription est flanquée de deux représentations : à droite, un homme tenant un sceptre sur lequel se tient un aigle et un autre homme en toge, mais dans
18O£p.f X, 62. 181 Ep., X, 61, 1. 182 Cf. supra, n. 71 (= OG1S, 618). 183 Cf. supra, n. 68, 70 (= CIL, X, 1, 6310 et IX, 5894).
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une position qui traduit la soumission et l'humil de l'aigle est le symbole du pouvoir de Jupiter ité; à gauche, un homme en toge tenant par la dans le ciel, délégué sur terre à un homme, main un enfant en toge. Cette dédicace à Proui· Trajan, dont l'adoption par Nerva s'est déroulée sous l'égide de Jupiter Capitolin. La Providence dentia, à la suite d'un sénatusconsulte, pose quel ques problèmes, ainsi que les reliefs qui l'enca de l'empereur est celle des dieux qui l'ont choisi drent. pour tenir la place où il se trouve présentement, Étant donné la titulature de Trajan dans ce celle des dieux qui ont inspiré Nerva dans son texte, et surtout l'absence de Xagnomen Dacicus, propre choix alors que son légat soumettait les nous pouvons être certains que l'inscription a Germanies par la force des armes. été rédigée avant l'année 104. Mais à quel pro Nous pouvons sans difficulté rapprocher cet pos? Dans un premier temps, nous pouvons sans teinscription des monnaies frappées à l'avèn doute suivre R. Paribeni184 qui y découvre une ementde Trajan et dont nous avons parlé plus allusion nette aux grands travaux entrepris par haut187. Faut-il aller jusqu'à penser que cette Trajan à Terracine et dans sa région. En effet, la Providence serait aussi, étant donné la présence tradition attache à cet empereur la construction de l'homme tenant un enfant par la main, une du port de Terracine. En outre, le princeps fit allusion à l'institution des alimenta à Terraci améliorer les liaisons routières dans toute cette ne188?Les preuves en sont bien ténues; certes, la zone, en particulier en faisant réaliser le pavage mesure a été saluée à Rome comme «aeternitati de la Via Appia entre Terracine et Forum Appii185, Italiae suae prospexit»189, mais aeternitas n'est pas le rétablissement d'un pont entre Terracine et encore automatiquement liée à prouidentia et, comme l'a remarqué P. Veyne190, «toute décision Fondi186. Mais il y a quelques difficultés à accep ter une telle position et cette interprétation. Les impériale, à quelque objet qu'elle se rapporte, travaux ont duré fort longtemps et il semble annonce l'éternité de l'État en ce qu'elle est bien que les véritables améliorations n'ont été bonne et salvatrice ». En outre, quand on célèbre accomplies que dans les années 109-110, dates l'institution, cela se fait sous l'invocation de la des deux inscriptions citées plus haut. Il serait liberalitas et de Yindulgentia que nous retrouvons donc bien étonnant que, dans un sénatusconsult dans de nombreuses inscriptions. Les alimenta e, on ait célébré la Prouidentia du prince alors sont un effet de la complaisance du prince qui a que le principal des travaux n'était pas encore agi au-delà de ce à quoi il était légalement tenu; accompli, sans doute même pas encore commenc ce n'est pas de la charité, mais le fait d'une é à Terracine même. En outre, les représentat volonté particulière du princeps, en dehors de ions figurées ne peuvent absolument pas être toute pression extérieure191. Il est sûr que rien mises en rapport avec la construction ou l'am ne s'oppose à ce que prouidentia ait été invoquée énagement de routes ou avec de quelconques pour ce qui est un bienfait impérial, d'autant que travaux publics. nous possédons cette inscription de Rome Il faut chercher les certitudes dans une autre (note 69) qui, incontestablement si nous en direction. Cette dédicace à la Providence de croyons la restitution du mot alimentariae, rap l'empereur est un rappel de la façon dont il est proche prouidentia de l'institution alimentaire. Il arrivé au pouvoir. En effet, le sceptre surmonté est donc possible que l'inscription de Terracine,
184 Optimus Princeps. Saggio sulla storia e sui tempi dell'Im peratore Traiano, Messine, II, 1927, p. 116. 185 Cf. C. de la Berge, Essai sur le règne de Trajan, Paris, 1877, p. 107 (inscription η" 60, p. XXVI). 186 Ibid., n° 55, p. XXIII. 187 Cf. sur ce point les remarques, trop rapides, de M. P. Charlesworth, Providenha and Aeternitas . . . , p. 116. 188 Ibid. mILS, 282; cf. 6106 (E.M. Smallwood, n° 437). « ...T. Pomponium Bassum, clarissimutn uirum, demandatam
sibi curant ab indulgentissimo imp. Caesare Nerva Traiano Augusto Germanico, qua aeternitati Italiae suae prospexit, secundum liberalitatem eins ita ordinare, ut omnis aetas curae eius merito gratias agere debeat » 190 P. Veyne, Le pain et le cirque, Paris, 1976, p. 769, η. 327. 191 Id., ibid., p. 648; Id., Les «Alimenta» de Trajan, dans Les Empereurs Romains d'Espagne, Paris, 1965, p. 166-168; J. Gaudemet, Indulgentia Principis, Trieste, 1962.
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au caractère officiel indiscutable, ait voulu célé brer les alimenta en les liant à l'adoption et à l'avènement de Trajan. Mais nous devons rester prudents face à des documents aussi peu explicit es, même en sachant que c'est certainement Nerva qui avait créé ce système des alimenta et que, dans ces conditions, le choix d'un succes seura permis de perpétuer ce système. Dans ce contexte, nous ne pouvons aller plus loin dans l'explication. La seconde inscription qui nous intéresse nous porte plus avant dans le cours du règne de Trajan. Ce dernier avait, en effet, rénové le port d'Ancóne en l'agrandissant et en faisant construir e, à ses frais, un môle destiné à protéger la rade contre les vents du nord-ouest. Le sénat et le peuple romain ont traduit leur gratitude par la construction, sur le môle même, d'un arc de triomphe pour avoir rendu plus sûr l'accès de l'Italie aux navigateurs, comme le dit l'inscrip tion que l'on peut toujours lire in situi92. En effet, Ancóne était devenu un port stratégiquement important au moment de la seconde guer re dacique et depuis que la voie du Danube était devenue un grand axe commercial sûr193. La dédicace, réalisée entre le 10 décembre 114 et le 9 décembre 115 (XVIIIIe puissance tribunicienne), est adressée au prouidentissimo prìncipi. Ici, le sens est clair, précis sans possibilité d'argutie sur son contenu; Trajan est prouidentis simus parce qu'il a permis une amélioration matérielle, qu'il l'a voulue pour le bien des hom mes (qui sont ici «ceux qui naviguent», les marins). Nous retrouvons le sens exact que Pli ne, dans plusieurs de ses lettres194, donnait à prouidentissimus, un protecteur des personnes et des biens apportant avec lui l'amélioration du
sort de ceux qui lui sont soumis dans son gou vernement. La prouidentia de l'empereur est donc maintenant, officiellement, attachée à la bienfaisance impériale, mais sans doute pas dans tous ses aspects et quel qu'en soit l'objectif195. Il s'agit ici de l'aboutissement d'un mouvement que nous avons vu commencer avec Pline et Dion et qui a été peu à peu compris et accepté par tous. Il est d'autant plus intéressant de noter que sont associées à Trajan sa femme Piotine, sur l'arc, à droite de l'inscription centrale : PLOTINAE lAVGICONIVGI AVG, et sa sœur, alors morte196 et qui venait d'être divinisée, Marciane, à gauche de l'inscription centrale: DIVAEIMARCIANAE IAVGISORORI AVG. À la Providence de l'empereur sont liés ses plus proches parents, ceux qu'il a voulu faire participer à sa gloire197 et qui formaient, avec Diuus Traianus Pater, la Domus Augusta. Cela ne signifie pas que Piotine et Marciane participent de la providence de Trajan ou en possèdent une partie. Cette qualité n'est pas divisible et, surtout, elle n'est pas fémi nine198. Seul Trajan possède la prouidentia qui a été nécessaire pour la construction du môle et l'agrandissement du port, mais la pietas qu'il porte à Piotine et à Marciane, une des qualités essentielles du souverain selon Dion Chrysostme199, fait partie de sa providence, la favorise et la renforce. Il est normal qu'à cet acte de bienfai sancele sénat et le peuple romain aient pensé à associer la femme et la sœur de l'empereur, très certainement suivant les propres désirs de Trajan. Il est donc certain que, dorénavant, prouident ia et ses dérivés peuvent être employés dans les occasions où l'empereur réalise un bienfait part iculièrement important et spectaculaire. C'est
192 J. Carcopino, Rencontres de l'histoire et de la littérature romaines, Paris, 1963, p. 213. 193 R. Paribeni, op. cit., II, p. 118. 194 Cf. supra, p. 247. 195 À la fin de la construction de la Via Traiana, de Bénévent à Brindes, le sénat et le peuple romain firent ériger, à Bénévent, un arc avec une inscription en l'honneur du fortissimus princeps (ILS, 296). 196 Le 28 août 112. 197 Nombreuses monnaies frappées à l'effigie de Piotine et de Marciane : cf. RIC, II, p. 297 à 300. Marciane et Piotine sont déjà depuis longtemps associées à cette gloire par le titre d'Augusta qu'elles possèdent l'une et
l'autre depuis, au moins, l'année 105. En effet, une inscrip tion de Luna (CIL, XI, 1, 1333 = ILS, 288) le leur donne: PLOTINAE AVG, MARCIANAE AVG. Leurs noms encadrent une inscription en l'honneur de Trajan. Les trois sont donc déjà étroitement unis. Cf. RE, suppl. XV, 1978, col. 932, W. Eck; l'importance de Marciane jusqu'à sa mort le 29 août 112 est marquée par le grand nombre d'inscriptions qui lui sont dédiées (col. 933). 198 Jamais, jusqu'alors, que ce soit en Grèce ou à Rome, πρόνοια ou prouidentia n'ont été mises en rapport avec une femme. Il s'agit d'une qualité fondamentalement masculine. Dans la période postérieure, les exceptions restent rares. 199 Or., I, 15.
NERVA ET TRAJAN d'ailleurs pourquoi nous trouvons le mot, accolé à l'action de deux prìncipes, dans l'œuvre de Frontin, De aquae duetti urbis Romae. Or, ce dernier, curator aquarum en 97 et qui publia son ouvrage en 98, après l'avènement de Trajan, pas se pour un écrivain austère, sévère et ne publiant que dans un but d'utilité publique200. C'est pourquoi l'emploi de prouidentia Nervae principis, à propos de l'enquête menée sur le débit des aqueducs de Rome, montre toute l'i mportance attachée par l'empereur, mais surtout par Frontin et, certainement, par l'opinion publi que,à la restauration et à l'entretien des conduit es : « quel débit j'ai constaté moi-même après une enquête minutieuse provoquée par la providence de Nerva, le meilleur et le plus cons ciencieux des empereurs»201. Comme l'a bien remarqué P. Grimai202, la nomination de Frontin a répondu à une intention politique de Nerva, la réforme profonde du système d'adduction et de distribution d'eau à Rome. Nerva avait certaine ment donné des instructions précises, ce qui permet à Frontin, en plus de prouidentia, d'appel er l'empereur optimus et, surtout, diligentissi· mus. Ce travail préparatoire de Nerva et les ordres précis qu'il a donnés rejaillissent sur la façon dont Frontin a mené son enquête prélimi naire;il l'a fait de manière scrupuleuse. Les subordonnés n'agissent bien que si leurs supé rieurs savent donner les ordres nécessaires; c'est à la providence de Nerva que Frontin doit d'agir avec maîtrise et efficacité. C'est une telle attitude qui peut seule permettre de résoudre les problè mes et de donner satisfaction à tous, ce qui est le but ultime de tous ceux qui travaillent à l'amélioration des conditions de vie. C'est d'ailleurs pourquoi Frontin peut s'éton nerde l'échec d'Auguste pour Vaqua Abietina : «Quae ratio mouerit Augustum, prouidentissimum principem, perducendi Alsietinam aquam, quae uoeatur Augusta, non satis perspicio»20*. L'étonnement vient du fait qu'en de nombreuses occa sions Auguste a montré qu'il était prouidentissi-
200 E. Paratore, La letteratura latina dell'età imperiale, Flo 1969, p. 149. 201 Frontin, De aquaed., LXIV, 1 : « deinde quern ipsi scrupulosa inquisitione praeeunte prouidentia optimi diligentissimique Neruae principis inuenerimus ». rence,
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mus et, tout particulièrement dans le domaine des aqueducs, des fontaines et des citernes de Rome; il a fait réviser entièrement, par Agrippa, le réseau et il a fait installer de nouvelles fontai nes;il a fait construire de nouveaux aqueducs204. L'action d'Agrippa est ici parfaitement comparab le à la mission confiée à Frontin par Nerva; c'est pourquoi il existe une prouidentia d'Auguste et c'est pourquoi aussi notre auteur peut s'éton ner que l'eau de Vaqua Alsietina n'ait aucun agré ment, qu'elle ne soit pas potable et qu'elle ne puisse donc jamais être mise à la disposition du public. Chez Frontin, pour la première fois, l'e nsemble d'un service public est placé sous l'invo cation, la protection et la direction de la proui dentia de l'empereur. Il s'agit bien de la même tendance que celle que nous avons dégagée des œuvres de Dion, de Pline et, surtout, de l'inscrip tion d'Ancóne. Mais il nous faut noter qu'à cha que occasion, nous nous trouvons en présence d'une action singulièrement importante de l'em pereur. La providence de l'empereur ne peut entrer en jeu et être utilisée que pour des actions de grande portée. C'est bien aussi ce que nous avions vu dans la correspondance de Pli ne. 5 - Les types monétaires de 115-117 a) Un changement dans le règne. Il y a déjà longtemps qu'a été remarqué un changement de style dans le règne de Trajan et dans la politique menée par le princeps. En parti culier, R. Syme a pu démontrer que le principe dynastique avait connu un développement im portant à partir de 112205. Ce fut peut-être le moment symbolique de la formation de la dynast ie et de l'affirmation d'une nouvelle domus imperatoria. Plusieurs indices nous le montrent avec précision : inauguration du forum et de la basilique, à Rome, le 1er janvier 112, consécrat ion du père de Trajan par le sang, frappes
202 P. Grimal, éd. et trad, de Frontin, CUF, Paris, 1944, p. 29, η. 3. 203 Frontin, De aquaed., XI, 1. 204 Res Gestae, XX, 2. 205 R. Syme, Tacitus, p. 232.
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monétaires pour sa femme Piotine, sa sœur Marc iane, sa nièce Matidie, association de Trajan, Piotine, Marciane et Matidie dans les mêmes inscriptions honorifiques à Lyttus, en Crète206, la même association sur un camée du Musée de Naples207, divinisation de Marciane le 29 août de la même année, le lendemain de sa mort, et frappes monétaires avec l'inscription Diua Au gusta Marciarla, début de l'iconographie de Vibia Sabina, la fille de Matidie déjà mariée à Hadrien. Sans aller jusqu'à dire qu'il s'agit, en 1 12-1 14, du point culminant du principat de Trajan et que la sacralité de la personne de l'empereur n'a jamais atteint un tel degré208, il est certain que Trajan cherche à répondre à des nécessités nouvelles, à la fois morales et matérielles. Ces dernières peu vent être le désir de reformer et de garantir l'unité du monde romain autour de la personne de l'empereur, de rechercher un nouvel équili bredans le pouvoir. Trajan n'aurait-il pas eu l'idée, à ce moment, d'exécuter une part import ante du programme que Dion de Pruse avait défini, à Rome, devant lui, dans son IIIe Discours περί βασιλείας? Ce dernier, dans cette œuvre, insiste justement sur l'importance de parents fidèles autour du Basileus', le bon prince doit être φιλοίκειος et φιλοσυγγενής209. Il est certain que l'influence de Dion à cette époque semble avoir été importante; nous avons vu que le phi losophe-rhéteur avait sans doute été envoyé à Tarse et à Alexandrie en 112, pour y régler les affaires locales, mais aussi certainement dans un but de propagande plus général210. Nous savons aussi tout ce que nous pouvons lui attribuer dans la place importante prise par Jupiter et Hercule dans le panthéon personnel de Trajan 211 Dans ce contexte, marqué par l'influence de Dion, une émission monétaire PROVIDENTIA pourrait se comprendre, puisque nous avons vu
que le mot faisait intimement partie du vocabul airedu philosophe. Nous pouvons d'ailleurs noter que c'est au milieu de l'année 114 que Trajan a reçu officiellement, du sénat, Yagnomen Optimus, qu'il l'a accepté alors qu'il l'avait refusé en 99. Ce trait indique bien un changement dans l'attitude de Trajan, dans sa mentalité profonde. Beaucoup d'hommes, dans l'empire, avaient pris l'habitude d'appeler Trajan optimus et même des monnaies avaient porté la légende optimus princeps. L'acceptation de l'empereur ne peut venir seulement de ses premiers succès en Orient (transformation de l'Arménie en province romain e).L'interprétation doit être plus religieuse; la guerre orientale est maintenant directement pla cée sous la protection de Jupiter dont Trajan partage les attributs et qu'il représente sur terre. Dans le même temps, l'empereur donne une interprétation plus explicite, plus précise et plus élevée de sa «mission» de princeps212.
206 Inscr. Cret., I, p. 179 sq., n° 22-26. 207 A. Carandini, Roma, Anno 112: La IH Orazione περί βασιλείας di Dione di Prusa, Traiano, φιλοίκειος e una gemma del Museo Nazionale di Napoli, dans Archeologia Classica, XVIII, 1, 1966, p. 125-127. ™Ibid., p. 130. 209 Or., Ili, 119-122. A. Carandini, art. cit., p. 137-139. 210 D. Kienast- H. Castritius, Ein vernachlässigtes Zeugnis für die Reichspolitik Trajans : die zweite Tarsische Rede des Dion von Prusa, dans Hbtoria, XX, 1971, p. 62-83.
211 B. Scardigli, Da Traianus Optimus Princeps a Traianus Optimus Augustus, dans Quaderni Urbinati di Cultura Classica, XVIII, 1974, p. 86-89. 212 Ibid., p. 66-98. 213 J. Vogt, Die Alexandrinischen Münzen, I, p. 109 sq; H. Mattingly, dans 1RS, XV, p. 212; A. D. Nock, A dits electa. A chapter in the Religious History of the Third Century, dans Harv. Theol. Rev., XXIII, 1930, p. 267. 214 LXVIII, 33 et LXIX, 1.
b) Une première approche. Peut-être aussi s'est-il agi pour l'empereur d'assurer la continuité de son pouvoir. C'est pourquoi, sans préjuger du sens profond, cer tains ont cru voir dans les séries monétaires de 115/117, avec la légende PROVIDENTIA, une première allusion à la politique successorale de Trajan. Suivant l'exemple de Galba, puis de Nerva, n'aurait-il pas, par ce moyen, annoncé le choix de celui qui devait hériter de son pouvoir, Hadrien213, qui se trouvait alors aux côtés de l'empereur dans la lutte menée contre les Parthes, en tant que gouverneur de Syrie? Nous aurions alors la preuve que Trajan n'avait pas été l'empereur hésitant et indécis ou, tout au moins, peu préoccupé de préparer ce qui se passerait après lui, tel que nous le présente Dion Cassius214.
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Cette explication a peu de probabilités d'être exacte; en effet, nous comprendrions mal que le choix d'un successeur fût réalisé sans que son nom même fût prononcé et sans qu'aucune publicité fût faite autour de sa personne; cela n'avait été le cas ni pour Pison, ni pour Trajan lui-même. Le simple fait d'évoquer la Prouidentia ne pouvait suffire à affirmer aux yeux de tous une succession qui aurait mérité, comme précé demment, cérémonie officielle, proclamation et intervention des dieux cautionnant une pareille entreprise215. La mention de Prouidentia sur les monnaies aurait-elle été simplement l'annonce que Trajan allait penser à sa succession? Il aurait été alors curieux de sa part de faire durer le «suspense» pendant plus de deux ans. Cette explication est d'autant plus impossible que nos sources affirment bien que, s'il y a eu choix d'Hadrien, ce choix n'a été définitivement fait qu'iVz articulo mortis216. En outre, nous ne pouvons trouver aucune justification astrologique à cette adoption, à ce moment précis. Et ce d'autant plus que Trajan n'a jamais pratiqué l'astrologie et qu'il n'a sans doute jamais été très intéressé, même de façon purement intellectuelle, par les moyens de divi nation217. Il est vrai que le frère du grand-père d'Hadrien, par là même un parent de Trajan, était un astrologue de talent et qu'il avait prévu le destin impérial de son petit-neveu218; mais ce destin était connu depuis le jour de sa naissance et nous voyons mal pourquoi Trajan se serait brusquement décidé à lui donner une quelcon que valeur en 114 ou en 115 alors qu'il s'en était gardé auparavant. Il est certain que nous ne pouvons lier les émissions Prouidentia à l'annon ce d'une adoption, à la pensée d'une adoption, et encore moins à une adoption dont la cause serait astrologique. Il est vrai que certains ont cru voir, à partir
de 111-112, un changement dans l'attitude de l'empereur à l'égard de la religion et surtout à l'égard de certains courants mystiques s'organisant autour de sa propre personne. Son départ pour l'Orient, cette campagne de conquêtes engagée contre les Parthes n'auraient-ils pas été simplement le désir d'agir à l'égal d'Alexandre, de s'identifier à Alexandre, dans une sorte d'exal tation mystique, de vertige, bousculant toute rai son219? Trajan s'est-il laissé emporter sur le char du Soleil, comme un véritable cosmocrator?220, semblable au dieux? En réalité, il n'y a jamais eu chez Trajan la moindre héliolâtrie, ni même un quelconque penchant pour les religions oriental es. En outre, ce ne sont pas des tendances purement mystiques qui pourraient être reflé tées dans la notion de Prouidentia, qualité de la raison et de la réflexion et non de l'élan senti mental. D'ailleurs, il a été déjà démontré que Trajan avait su garder «la tête froide» dans la grande entreprise qu'il avait abordée en Orient221. Ce ne peut être dans un nouvel état d'esprit que nous pouvons trouver la cause pre mière et fondamentale de l'apparition des types monétaires à la personnification de Prouidentia. De toute façon, ces frappes n'ont commencé à être émises qu'après le départ de Trajan et le début de son séjour en Orient. C'est pourquoi certains ont voulu les mettre en corrélation immédiate avec les premières victoires remport ées sur les Parthes. En effet, Trajan avait certa inement débarqué à Séleucie de Piérie en décemb re 113; il avait passé l'hiver à Antioche et avait commencé la conquête au printemps 114, en pénétrant en Arménie et en recevant la soumis sion des peuples du Caucase dans la PetiteArménie. L'Arménie devint alors province romain e. Dans le même temps, Lusius Quietus triom phait en Atropatène (Mèdie). Trajan revint pas ser l'hiver 114-115 à Edesse, profitant de ses
215 II n'est pas possible, comme A. D. Nock, art. cit., semble le faire, d'isoler les séries de 117. A partir de 115, le renouvel lementde ces frappes trois années consécutives marque bien l'homogénéité des séries. Leur sens n'a pu changer entre 115 et 117. 216 HA, Vit. Hadr., IV, 10. 217 F. H. Cramer, op. cit., p. 153. 218 HA, Vit. Hadr., II, 4. 219 Cf. J. Beaujeu, La religion romaine , I, p. 99; C. de la Berge, op. cit., p. 151.
220 F. Cumont, Trajan «cosmocrator»?, dans REA, XLII, 1940, p. 408. 221 J. Guey, Essai sur la guerre parthique de Trajan, 1 14-117, Bucarest, 1937, p. 18 sq. Mais il ne faut pas oublier le rôle qu'a pu jouer, dans la préparation de la campagne, très méthodique, un homme comme Dion, que l'empereur a envoyé comme ambassadeur officieux à Tarse, en 112-113, et certainement à Alexandrie (cf. les remarques de D. KienastH. Castritius, art cit.).
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succès spectaculaires. Étant donné que les pre mières frappes Prouidentia semblent pouvoir être datées du début de l'année 115, la coïnci dence est parfaite. Pourquoi Prouidentia ne serait-elle pas l'expression de la protection divi ne qui a permis à Trajan, utilisant sa propre providence venue des dieux, de tracer le plan victorieux et de conduire ses armées au suc cès222? Nous retrouverions ici la prévoyance du chef de guerre à laquelle Polybe, Cicéron, César et bien d'autres, comme nous l'avons vu, avaient attaché tant d'importance. Une telle résurgence serait particulièrement étonnante pour plusieurs raisons. En premier lieu, jamais jusqu'à cette date Prouidentia n'a été utilisée sur les monnaies pour commémorer une quelconque victoire. Cela serait insuffisant si nous ne trouvions, sans difficulté, d'autres monnaies signifiant très cla irement les succès remportés par Trajan : Mars avec lance et trophée; Virtus avec lance et parazonium, Trajan entre deux trophées ,223. Sur ces frappes le sens est clairement indiqué et accessible à chacun. Il ne pouvait en être de même avec les représentations de Prouidentia sur lesquelles rien ne rappelle la guerre, aucun symbole, aucun objet. Tout au contraire, le glo be, le sceptre, la tenue «civile» ne peuvent être rapportés directement à ces premiers succès de Trajan qui, de toutes façons, ne pouvaient être suffisants pour justifier cette nouvelle frappe et la personnification de Prouidentia. Il faut cher cher dans une autre direction, sans négliger cependant l'arrière-plan oriental certainement fondamental dans l'apparition de ce type nou veau.
c) Trajan et l'Orient.
222 P. L. Strack, op. cit., I, p. 228-229; J. Béranger, Recher ches sur l'aspect idéologique , p. 214; H. Stern, L'image du mois d'octobre sur une mosaïque d'El Djem, dans Cahiers de Tunisie, XII, 1964, p. 25; P. V. Hill, op. cit., p. 150, n'attribue ce sens qu'aux frappes de 117. 223 P. V. Hill, ibid., p. 149 sq. 224 J. Gagé, «Basileia», les Césars, les rois d'Orient et les Mages, Paris, 1968, p. 197. 225 P. H. Musurillo, Acta Mart. Alexand., n° VIII; J. Gagé, L'empereur romain devant Sérapis, dans Ktéma, I, 1976, p. 149150.
226 Anthol. Palat., VI, 332: «À Zeus Casios, souverain des dieux, l'Énéade Trajan, souverain des hommes, a dédié cette offrande : deux coupes artistement ciselées, une corne d'au roch incrustée et rehaussée d'or. Il les prit aux Gètes super besqu'il terrassa de sa lance. En retour, dieu des sombres nuées, accorde lui de terminer glorieusement la campagne qu'il entreprend contre les Achéménides, pour que ton cœur puisse se réjouir d'un double trophée, fait des dépouilles des Gètes et de celles des Arsacides ». 227 J. Beaujeu, op. cit., p. 101.
Comme J. Gagé l'a bien fait remarquer224, quand Trajan arrive en Orient, il n'a avec les sanctuaires et les dieux locaux, aucune attache particulière, ni même aucune affinité précise. Son attitude jusqu'alors, à l'égard des cultes orientaux dans leur ensemble, avait plutôt été celle de l'indifférence et de la méconnaissance. Elle est rendue évidente par le fait que, dans les années précédant la venue de Trajan en Orient, Sérapis avait fait des miracles contre l'emper eur225. La campagne contre les Parthes ne pou vait avoir que des conséquences heureuses et favoriser un rapprochement entre le dieu alexandrin et Trajan. Il n'en plaça pas moins sa campagne nouvelle sous la protection du Zeus du Mont Casios, proche d'Antioche. Cet hommag e était destiné à favoriser ses desseins militai res imminents; il y dédia des parties du butin pris, bien auparavant, aux Daces; deux coupes ciselées et une corne d'auroch incrustée d'or; il s'agissait d'obtenir l'appui du dieu dans la guer recontre les Parthes comme le montre l'epigramme composée alors par Hadrien226. Il n'y a là rien de très nouveau dans les actes religieux de Trajan; cet hommage n'est que traditionnel et classique à l'égard d'un dieu que n'importe quel romain pouvait facilement assimiler à Jupiter, en tant que dieu du ciel, qu'il soit réellement un Baal solaire ou un simple Zeus Hypsistos227. Pour l'instant, Trajan n'a qu'un but, la lutte con tre les Parthes. De la même façon, avant d'entrer à Antioche, Trajan fit les gestes nécessaires, qu'attendaient les Syriens, dans les sanctuaires
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de Zeus et d'Apollon à Daphnè228, à l'entrée même de leur capitale. Le caractère banal et simplement conforme aux habitudes du lieu ne peut rien nous appren dre de nouveau sur l'attitude religieuse de Trajan et nous ne pouvons rien y déceler qui puisse nous permettre d'y voir plus clair dans les frap pes Prouidentia. Mais deux autres actes ont une signification différente, car ils furent provoqués par un événement extérieur, devant lequel l'em pereur ne put rester sans réagir, le tremblement de terre qui détruisit une partie d'Antioche et fit de nombreuses victimes dont le consul M. Vergilianus Pedo229. Une telle catastrophe, à laquelle Trajan n'avait échappé lui-même que de justesse, ne pouvait que frapper les esprits, en Orient comme en Occident et à Rome. L'empereur ne pouvait pas ne pas en tenir compte, même si lui-même n'y attachait pas une importance majeure. En effet, pour les Romains de son armée, pour son entourage, il s'agissait d'un pro dige, signe de la colère des dieux qui ont aban donné les hommes dans leurs entreprises. Il faut, à l'homme, rétablir la paix des dieux et retrouver l'appui divin230. Si ce dernier fait défaut, Trajan n'a plus rien à espérer dans la campagne qu'il a entreprise contre les Parthes et qui avait pourtant si heureusement commencé. Sa réaction, sur le plan religieux, s'est déroul ée en deux temps, en deux étapes intimement liées l'une à l'autre et qui montrent que l'empe reuravait pris les choses au sérieux; il était
profondément inquiet de l'avenir. J. Gagé a montré avec efficacité que Trajan s'était alors adressé à l'oracle d'Héliopolis, sur l'insistance de ses amis231. Nous devons adhérer à l'idée que cette consultation et les pressions de son entou ragesont dues à la crainte sur l'avenir répandue par le tremblement de terre232. D'après Macrobe, Trajan, après d'ailleurs avoir «testé» le dieu, aurait posé deux questions correspondant par faitement à la situation du moment : le sort futur de son entreprise (contre les Parthes) et son retour à Rome après la fin de la guerre. La réponse des prêtres se fit sous la forme d'un sarment de vigne enfermé dans un linge pur, un «linceul» qu'il faut interpréter, comme J. Gagé, en tant que prescription d'un rite de lustration; il en a retrouvé la description dans le curieux passage de Jean Malalas où ce dernier décrit la prise temporaire d'Antioche par les «Perses» peu avant l'arrivée de Trajan. Les habitants se seraient soulevés, auraient massacré les ennemis qui avaient incendié un quartier de la ville en s'enfuyant. En réalité, rien dans ce récit n'est vraiment historique et il faut attribuer aux céré monies présidées par Trajan, d'abord près d'An tioche puis après avoir pénétré dans la ville, des caractères de lustration et de purification parfa itement assimilables aux rites cathartiques nécess itéspar un tremblement de terre233. Ce dernier peut être placé en janvier 115; la consultation d'Héliopolis et la purification d'Antioche au raient eu lieu très peu de temps après234.
228 Malalas, Chron., XI, 272. Cf. la discussion sur le texte de Malalas dans J. Gagé, op. cit., p. 177-185. 229 Dion Cass., LXVIII, 24-25. Sa présence à Antioche pose un problème. Il est, en effet, à son premier mois de charge et il ne peut s'agir d'un des consuls de l'année précédente. Cf. J. Guey, art. cit., p. 102. 230 Cf. R. Bloch, Les prodiges dans l'antiquité classique, dans Mythes et religions, 46, Paris, 963, p. 115-118. G. Downey, A Hbtory of Antioch in Syria from Seleucus to the Arab Conquest, Princeton, 1962, p. 215, pense que le tremblement de terre a bien été compris comme un signe de la colère divine et que, apparemment, les chrétiens ont été accusés d'en être les responsables (exécution d'Ignace). 231 Macr., Sat., I, 23, 14.J. Guey, Essai sur la guerre parthique de Trajan (114-117), Bucarest, 1937, p. 44-45, place la consultation à Héliopolis immédiatement après celle de Zeus Casios. Nous ne pouvons. suivre l'auteur sur ce point. 232 J. Gagé, op. cit., p. 189-190. 2}iIbid.,p. 179-182, p. 184.
234 Nous pouvons noter, à ce propos, un intéressant passa ge dans Juvénal; il semble faire allusion à ce tremblement de terre d'Antioche, en VI, 408-412 : « Elle recueille aux portes les bruits, les rumeurs toutes fraîches, elle en forge ellemême : le Niphates vient de se ruer sur les populations, un déluge immense couvre là-bas les campagnes, les villes chanc ellent, le sol s'affaisse; voilà ce qu'elle raconte dans les carrefours au premier venu». Un peu plus loin, il est ques tion de généraux revêtus du paludamentum. C'est peut-être l'ambiance de la campagne contre les Parthes. La date du tremblement de terre est discutée; nos sour ces manquent de précision et nous n'avons que peu de points de repère. La date donnée ici est celle de E. Groag, Lusius Quietus, dans RE, ΧΙΠ, col. 1879, 1. 20 sq., et P. Longden, Notes on the Parthian Campaigns of Trajan, dans JRS, XXI, 1931, p. 1-35. J. Guey, art. cit., p. 95, préfère une date comprise entre le 13 et le 30 décembre 115. Il en est de même de G. Downey, op. cit., p. 213-214.
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En présence de ces faits, nous pouvons tenter un rapprochement avec les frappes Prouidentia et la personnalisation de la notion. Ces séries se comprennent mieux avec la familiarité désor mais plus grande de Trajan et de l'atmosphère de religiosité orientale qu'il connaissait à Antioche et à laquelle il avait participé à la suite du tremblement de terre. Il lui était nécessaire de trouver une notion qui puisse être reprise et comprise par tous, en Orient comme en Occi dent. L'important était le but poursuivi par Trajan : assurer le bon droit de la lutte contre les Parthes; affirmer la confiance qu'on pouvait avoir dans l'issue de la guerre, à un moment où chacun semblait en douter devant les résultats médiocres de la première année de campagne et surtout après la démonstration de la colère des dieux. Il fallait regrouper toutes les forces orien tales autour de l'empereur, de sa personne et de sa politique. Prouidentia pouvait y pourvoir, sur tout pour ceux qui ne se trouvaient pas présents lors des cérémonies de purification d'Antioche; il fallait autre chose de plus profond et de plus durable. Or, les rapports de Trajan avec l'Orient n'avaient jamais été particulièrement chaleu reux,et ce depuis longtemps; comme l'a remar quéJ. Gagé, les Actes des martyrs alexandrins nous fournissent l'exemple de Grecs s'opposant aux juges impériaux et improvisant un «mira cle»de Sérapis pour montrer que le dieu ne se trouvait pas du côté de l'empereur235. Nous avons vu quel rôle Sérapis avait joué dans l'av ènement de Vespasien et dans la proclamation de la providence de l'empereur qui lui avait permis de s'imposer au pouvoir et d'établir un principat
stable. Proclamer la Prouidentia était rappeler les souvenirs de l'époque de Vespasien et le grand rôle qu'avait joué le Sérapéum et que, sans doute, le temps avait transformé en rôle primordial236.
235 J. Gagé, op. cit., p. 199-200. Ce procès est sans doute proche de l'année 108. Cf. les remarques de Pline, XLIX, 8; elles ont trait aux rites égyptiens. Nous pouvons d'ailleurs noter qu'un détachement de la III Cyrenaica fait, à Jérusalem, une dédicace à Iovi Ο M Sarapidi pour le salut et la victoire de Trajan et du peuple romain (= ILS, 4393). 236 Nous pouvons d'ailleurs noter la coïncidence existant entre le tremblement de terre d'Antioche et la révolte de Cyrène. Il n'est pas question d'y voir une conséquence imméd iate. Mais les Juifs ont pu profiter de l'atmosphère de trouble et de crainte répandue par la nouvelle de la catastro phe survenue à Antioche.
237 Nous ne croyons pas qu'on puisse trouver dans l'attitu de de Trajan la cause de la révolte des Juifs qui auraient senti une modification dans la politique impériale à leur égard, alors qu'elle était jusqu'ici très bienveillante (J. Gagé, op. cit., p. 203). Cf. J. Beaujeu, La religion romaine..., I, p. 105. 238 Talmud de Jérusalem, Soucca, V, I (trad. M. Schwab, Paris, 1883). La liaison avec la campagne orientale est d'ail leurs bien soulignée dans un texte où l'anecdote n'a rien d'historique : « La femme du souverain romain (trompée par ces apparences fâcheuses) envoya à son mari et lui fit dire : au lieu de vaincre les barbares, viens soumettre les Juifs qui se révoltent contre toi ».
Prouidentia pouvait aussi jouer le même rôle à l'égard du milieu juif oriental. C'est sans doute au début de l'année 115 que les Juifs de Cyrène prirent violemment à partie les Grecs de la pro vince. Ce conflit racial tourna rapidement à la lutte contre le pouvoir impérial; la Cyrénaïque fut ravagée et le mouvement gagna l'Egypte et Chypre en prenant de redoutables proportions même si, à Alexandrie, les Grecs réussirent à contenir les Juifs. Il y avait là, sur les arrières de l'armée de Trajan, une insurrection grave et dan gereuse; c'était un foyer que l'empereur devait éteindre au plus vite237. Proclamer la Prouidentia de l'empereur, la protection divine reposant sur lui et lui permettant d'établir un pouvoir équili bréet bienfaisant, c'était rappeler là aussi de quelle façon des hommes comme Flavius Jose phe avaient pu replacer le pouvoir impérial dans le cadre des prophéties juives annonçant à Ves pasien son imperìum sur le monde habité. En utilisant, comme Vespasien, la Prouidentia, Trajan pouvait affirmer que, contrairement à ce que les événements de 114 et du début 115 pou vaient faire croire, le pouvoir impérial retrouvait en Orient un second souffle et comme une nou velle investiture. L'effet ne fut d'ailleurs pas très efficace, bien en-deçà sans doute de ce que pou vaient espérer Trajan et ses conseillers; dans la tradition juive l'empereur passe pour un persé cuteur sans pitié du peuple d'Israël238.
NERVA ET TRAJAN d) Une nouvelle période. La proclamation de Prouidentia par les séries monétaires commençant en 115 pouvait aussi être parfaitement comprise en Occident. Il suffit pour cela de reprendre la façon dont Dion Chrysostome et Pline le Jeune se sont servis de la notion et l'ont utilisée globalement comme mar que de la souveraineté et de la bienveillance des dieux envers l'empereur et de l'empereur envers ses sujets. L'aspect bienfaiteur du princeps appar aissait clairement dans la reconstruction d'Antioche à laquelle Trajan aida considérablement en faisant réparer ce qui avait été touché et en faisant reconstruire ce qui avait été anéanti239. Sa grande générosité s'appliqua en particulier à l'important Artemision de Daphnè240. Mais il y eut une coïncidence de date qui permit à Prouidentia de prendre cette place pré dominante que les monnaies nous montrent à partir de 115. En effet, pour la première fois depuis Auguste, un empereur fait frapper des monnaies rappelant la rénovation de son pou voir à caractère surnaturel par la célébration des Vicennalia soluta et des Tricennalia suscepta. Des aurei de l'automne 115 et du début de l'année 116 portent, au revers, l'inscription Ρ M TR Ρ COS VI Ρ Ρ SPQR et VOTA SVSCEPTA avec la représentation de deux hommes se faisant face, l'un en toge à gauche, tenant un sceptre, l'autre la poitrine nue et portant une corne d'abondanc e dans la main gauche, en train de sacrifier sur un autel cylindrique241. La frappe est importante, non seulement par le métal employé, mais aussi parce que c'est la première fois que des vœux réguliers apparaissent sur une série monétaire,
239 Malalas, p. 227. En particulier un théâtre avec une statue de Calliope, un nymphée, et un arc avec Romulus, Rémus et la louve pour signifier que la restauration était bien l'œuvre de Rome. Cf. G. Downey, op. cit., p. 216; J. Guey, art. cit., p. 102. 240 R Paribeni, op. cit., II, p. 137-138. 241 RIC, IL p. 270, n° 371 à 374 (= BMC, III, p. 115, n° 587). Cf. H. Mattingly, The Imperiai «Vota», dans Proceed Brit. Acad., XXXVI, 1950, p. 158. 242 Ainsi pour Auguste: Dion Cass., Uli, 16; LIV, 12 et 19. Pour Tibère : Dion Cass., LVII, 24. 243 BMC, I, p. 16-17, n° 87, 88, 90, 92. 244 La coïncidence entre les Vicennalia et les frappes
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indiqués aussi clairement. En effet, avant le règne de Trajan, il y a de nombreuses allusions à ces vœux réguliers et officiels dans la littératur e242. Mais les seules frappes monétaires qui font allusion à des vœux particuliers sont prises dans un contexte précis qui n'est pas celui du renou vellement du pouvoir du princeps', ainsi, pour Auguste, les nota suscepta pro salute et redini Augusti sont célébrés par des deniers de Rome de 16 av. J.-C.243. Mais il est néanmoins certain que tous les empereurs ont marqué le passage régulier de leur pouvoir par des vœux qui sont formulés pour la période qui va commencer et qui sont accomplis pour la période qui se termi ne. Trajan, par la frappe que nous avons citée ci-dessus, donne plus d'importance que ses pré décesseurs à sa vingtième année de pouvoir et au début d'une nouvelle période de dix ans. Cette publicité apportée au début d'une nouv elle période de prospérité et de bonheur pour l'empire romain et pour son imperator qui voyait son pouvoir renouvelé et rajeuni, correspond bien à l'atmosphère de crainte et d'incertitude de l'année 115, née du tremblement de terre d'Antioche et d'une campagne militaire qui semb lait devoir durer plus qu'il n'avait été espéré. Non seulement Trajan ne pouvait plus reculer, mais encore il devait trouver le moyen de redon ner un sentiment d'élan unitaire dans l'empire. Officialiser ses uicennalia fut un de ces moyens; placer son action sous la direction d'une divinité appelée Prouidentia en fut une autre, parallèle au premier, et tout aussi efficace244. En effet, en dehors de tout ce qui a conduit Trajan à faire frapper ces nouvelles monnaies, la représentat ion de la Prouidentia a, en elle-même, une signi-
Prouidentia a bien été relevée par P. V. Hill, op. cit., p. 147149, mais il ne semble pas en avoir tiré de conséquence particulière. M. P. Charlesworth, Providentiel and Aeternitas. . . , p. 117, a fait le rapprochement, mais il n'y a vu que le rappel du jour où la Providence de Nerva avait assuré à Trajan sa succession. Ce ne peut être le cas ici, car la représentation est totalement différente et tient évidemment compte de l'évolution des mentalités que nous avons cherché à définir ci-dessus. Un tel rappel, pour être parfaitement compris, aurait nécessité une représentation semblable ou très appro chante.
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fication précise. Elle est le symbole de la souve directement sur la politique des empereurs (comme Piotine auprès de Trajan, puis auprès raineté par le diadème qu'elle porte, par le long sceptre qu'elle tient245 semblable à celui que d'Hadrien; comme Matidie aussi qui a accompa Trajan lui-même porte sur certaines monnaies246. gné Trajan en Orient)249. Par l'intermédiaire de sa propre providence, Cette souveraineté s'exerce précisément sur l'e qui n'est que le reflet de celle des dieux reposant nsemble du monde habité, représenté par le glo be sur lequel on peut voir quelques signes du en lui, Trajan remplit le mandat qui lui a été confié et il inaugure une nouvelle période pen zodiaque et que la Providence désigne de sa main droite pour qu'il n'y ait aucune équivoque. dant laquelle le principat est reconduit pour le Que Trajan, ou que les responsables de la frappe bonheur de tous250. Le bail avec les dieux est réaffirmé pour dix ans, mais il l'est plus ferme sous sa direction, aient cru bon de représenter Prouidentia sous une forme féminine n'a rien de ment que d'habitude, grâce à l'intervention de véritablement étonnant puisque depuis très Prouidentia, dans un moment considéré par tous comme difficile et qui avait subi la colère des longtemps de nombreuses «vertus» ou «abstrac tions divinisées» avaient déjà été représentées dieux. Si Prouidentia est en liaison avec la cam pagne contre les Parthes, elle ne l'est pas, com sous cet aspect : Pietas, Victoria, Mais le faire pour Prouidentia prouve qu'on a voulu lui don me certains l'ont cru251, avec les victoires rem ner un poids particulier et que, surtout, Trajan a portées, mais, tout au contraire, avec les difficul distingué sa Providence de celle de ses prédéces tés nées dans la première année de ces campag seurs et qu'il en a ainsi affirmé le caractère nes,que ces difficultés soient dues à la guerre originel divin. Ce n'est pas une révolution puis elle-même ou à des phénomènes prodigieux extérieurs au conflit. que l'on savait qu'elle était une divinité fémini ne; les frères arvales ne lui sacrifiaient-ils pas D'ailleurs ce trait correspond tout à fait à ce que nous avons démontré jusqu'ici; jamais proui une vache? Mais, désormais, grâce à Trajan, il était possible de la représenter, ce qui ne s'était dentia n'a été utilisée pour constater un état sans doute jamais encore produit. En outre, il heureux, mais toujours pour permettre, par son est possible de rapprocher le développement de intervention, d'assurer, dans l'avenir, proche ou cette représentation de Prouidentia de l'impor lointain, une situation favorable et bénéfique tancereconnue aux femmes de la famille impér pour tous les hommes. C'est bien ce qui est iale. Comme nous l'avons déjà vu, Marciane, proclamé ici et c'est pourquoi, en 116 (année où Piotine, Matidie, Sabine bientôt, sont mises en Trajan reçut le titre de Parthicus) et en 117, les ateliers monétaires continuent à frapper des avant247; elles symbolisent les vertus privées tra ditionnel es et A. Carandini a pu déclarer que la monnaies avec Prouidentia. Elles ne proclament consécration de Marciane marquait le début toujours pas les victoires, mais elles assurent que la politique suivie par Trajan connaît les d'un nouveau siècle, celui où les femmes de la cour voyaient s'affirmer leur rôle et leur impor premiers résultats heureux et que cela ne peut tance par une divinisation systématique248, mais que se prolonger. Les mauvais souvenirs de l'a nnée 115 sont ainsi effacés. De la même façon que aussi dans l'influence qu'elles peuvent avoir
245 A. Alföldi, Insignien . . . , dans Die monarchische Reprä sentation.. . , p. 189 et 228 sq. 246 RIC, II, p. 283, n° 551-552. A. Arnaldi, Aeternitas e Perpetuitas nella monetazione di età tetrarchica, dans RIN, LXXIX, 1977, p. 114, présente le globe tenu dans la main à! Aeternitas, à la suite de Belloni dans un article qui n'était pas encore paru, Aeternitas du Lexicon Mythologiae Classicae, comme indiquant la propagatio imperii; sa personnification exprimerait la prouida cura et traduirait une mens prouida. 247 Cf. supra, p. 250. Un camée de Naples unit Trajan, Piotine et Matidie (cf. G. Richter, Engraved Gems of the
Romans, Londres, 1971, p. 112, n° 543). ™Art. cit., p. 132-133. 249 Mais cela ne veut pas dire que Prouidentia devient une vertu féminine; elle reste encore exclusivement réservée aux hommes, comme nous l'avons déjà dit. 250 J. Béranger, La notion du principat sous Trajan et Hadrien, dans Principatus, p. 286; id., Le «Genius Populi Romani» dans la politique impériale, ibid., p. 419. 251 J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique ..., p. 214; P. L. Strack, op. cit., p. 228 sq.; P. V. Hill, op. cit., p. 150.
NERVA ET TRAJAN
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Pline avait placé Prouidentia au sommet des qual ités exigées des responsables de la cité, Trajan la met au premier plan de son action dans les trois dernières années de son règne. En Orient, une telle attitude pouvait répondre à tous ceux que certains aspects de la politique du prìnceps avaient inquiétés, comme les Grecs d'Alexandrie; elle pouvait tenter de calmer ceux qui, comme les Juifs de Cyrène, s'étaient soulevés contre l'autorité impériale, en montrant qu'à l'image de Vespasien, les sanctuaires et les prophéties orientaux avaient donné à Trajan une nouvelle investiture252. En Occident, cette nouvelle investiture a très
heureusement coïncidé avec les Vicennalia et les débuts d'une nouvelle période que Trajan a pu mettre sous la protection de la Prouidentia, par cequ'il disposait là d'une notion qui avait eu l'avantage d'avoir été déjà utilisée dans des situa tions difficiles par ses prédécesseurs. Elle offrait un contenu parfaitement adapté à ce que l'empe reurvoulait proclamer. C'était, en 115, un appel à la confiance en la stabilité du pouvoir; d'ail leurs, sur le plus grand nombre de monnaies, la Prouidentia appuie son coude gauche sur une colonne qui est le signe de la securitas que fait régner le prìnceps dans un empire désormais stable253 et qui devrait le rester.
252 Contrairement à ce que pense J. Gagé, op. cit., p. 197, c'est une véritable nouvelle investiture que Trajan recherche pour ne pas avoir à renoncer à son but, la conquête du royaume parthe, et pour ne pas perdre tout crédit. 253 P. V. Hill, op. cit., p. 38. Nous pouvons d'ailleurs noter
que cette stabilité est aussi celle du sol et la colonne qui reste debout, sur laquelle on peut s'appuyer et qui résiste, c'est aussi celle qui ne peut être renversée par un tremble ment de terre.
llA
TROISIÈME PARTIE
PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ UNE NÉCESSITÉ DYNASTIQUE
CHAPITRE I
HADRIEN : LE POUVOIR ET LA PROVIDENCE DES DIEUX
Lorsque l'empereur Trajan meurt, rien n'est alors décidé clairement et publiquement pour sa succession, semble-t-il tout au moins. Dès l'Anti quité, nous le savons, personne n'était en accord pour savoir si Hadrien avait été adopté deux jours avant la mort de Trajan ou bien si, grâce à Piotine et à Attianus, il avait été imposé comme princeps par un tour de passe-passe macabre1. Il n'est pas, pour l'instant, nécessaire de trancher ou de trouver une explication aux attitudes de Trajan et de son entourage. Ce qui compte est la situation ambiguë dans laquelle s'est immédiate ment trouvé Hadrien; il est alors éloigné de Rome, puisqu'à Antioche en tant que gouverneur de la Syrie, et à un moment où la situation militaire face aux Parthes n'est pas totalement stabilisée. Il lui faut affirmer son pouvoir sur place et le faire reconnaître à Rome, sans heurt. C'est ce à quoi il emploie les premiers mois, avec une rare efficacité : proclamation par les soldats, ordre à Piotine, à Matidie, sa belle-mère, et à Attianus, de transporter les cendres de Trajan de Sélinonte à Rome, lettre habile et presque humb leau sénat pour s'excuser d'avoir pris le pou voir sans l'avertir, parce que pressé par les nécessités du moment2. Il lui fallait assurer ce pouvoir et la répression du «complot» des quat reconsulaires, qu'il l'ait voulue ou non, y contri bua fortement. Mais ce ne pouvait être suffisant ;
l'empereur utilisa bien d'autres moyens dont certains nous intéressent directement. Parmi eux, les documents qui font mention de Prouidentia sont nombreux et significatifs.
1 HA, Vit. Hadr., IV; Dion Cass., LXIX, 1. 2 HA, Vit. Hadr., IV, 9. iRIC, II, p. 415, n°589aetb; p. 418, n°602aetb; BMC, III, p. 417, n° 1203 à 1205; p. 421, n° 1236; P. L. Strack, op. cit., II, n° 554.
À l'avers : IMP CAESAR TRAIANVS HADRIANVS AVG Ρ M TR Ρ COS III. Cf. p. 434, η» 40 et pi. I. Il faut écarter le même type, mais avec un avers SABINA AVG (BMC, III, n°954a). P. L. Strack, p. 215, n° 6, a montré qu'il ne pouvait s'agir que d'un hybride.
I - LES DOCUMENTS Les documents numismatiques se répartis sent sur l'ensemble du règne dans cinq séries qui doivent retenir notre attention sans que nous cherchions pour l'instant à leur donner une date précise d'émission. Cependant, grâce aux classements effectués par les numismates, nous pouvons dores et déjà affirmer que deux de ces séries sont du début du règne, une de la fin de la première moitié et les deux autres des ultimes années. Toutes portent, à l'avers, avec la titulature de l'empereur, la tête ou le buste d'Hadrien, ou lauré ou radié, quelquefois cuirassé et drapé. La première émission, de Rome, est compos ée de sesterces et de dupondii avec, au revers, PROVIDENTIA DEORVM et une représentation tout à fait originale : Hadrien debout, de face, regarde vers la gauche un aigle volant à droite; il lève la main droite comme pour recevoir un sceptre que lui apporte l'aigle; il semble tenir un rouleau dans la main gauche3. Étant donné la
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
mention du troisième consulat dans la titulature de l'avers, nous pouvons placer cette émission entre 119 et 121. La deuxième série, composée de deniers, reprend, avec PROV AVG, le modèle trajanien de 1154; frappée sans doute en 121/ 122, dans les ateliers de Rome, elle ne contient peut-être pas l'exemplaire sur lequel Prouidentia tient un sceptre court; il s'agirait d'une émission orientale indéfinie5. La troisième émission est formée d'as, ou de médaillons de bronze, en très petit nombre, frappés certainement à Rome et qui présentent un type inédit de revers : la Provi dence debout, à gauche, tient un soc de charrue et une houe; à côté d'elle sortent de terre deux épis6; ils auraient été émis entre la fin de l'année 125 et le début de 128. Une large émission romaine d'as, de dupondii, de sesterces et de deniers forme la quatrième série et reprend, avec l'inscription PROVIDENTIA AVG, le type de 121/1227. La cinquième émission a été réalisée à Alexandrie; elle est la seule datée avec précision grâce à la marque KB, entre le 29 août 137 et le 10 juillet 138, date de la mort d'Hadrien. La seule inscription du revers est ΠΡΟΝΟΙΑ repré sentée debout, à gauche, portant chiton et péplos, couronnée d'une guirlande de fleurs; elle tient dans sa main droite un Phénix radié et,
dans sa main gauche, un long sceptre8. Nous aurons l'occasion de revenir sur l'ensemble de ces datations qu'il nous faudra préciser9. À ces sources numismatiques, nous devons joindre deux documents épigraphiques mention nant la providence. Le plus important est la requête des cultivateurs d'Aïn-el-Djemala et le sermo des procurateurs de l'empereur rédigé dans le but de régir les terres domaniales de la région de Dougga10. Le texte était gravé sur les quatre panneaux d'un cippe quadrangulaire; il se présentait comme une ara lapidea de caractè re sacré, accessible aux regards et à la consulta tion de tous11. Les termes ont donc un caractère officiel et les mots utilisés, gravés pour l'éternité, ne le sont pas au hasard. C'est pourquoi, nous devons attacher une importance particulière aux deux mentions de prouidentia. La date de ce texte ne peut être donnée avec certitude, mais les décisions prises sont peut-être la conséquenc e du voyage que l'empereur fit en Afrique, sans doute en 128. La seconde inscription est une lettre du pro consul d'Asie aux habitants d'Aezani à la suite d'un différend relatif à l'exigence, par le procons ul Mettius Modestus (119-120), d'un vectigal, au bénéfice de la cité, de la part des locataires de
4 A / IMP CAESAR TRAIAN HADRIANVS AVG R / PRO AVG Ρ M TR P COS III Prouidentia debout, à gauche, montrant un globe de sa main droite et tenant un sceptre (quelquefois le coude de Prouidentia est appuyé sur une colonne). RIC, II, p. 356, n° 133 et 134; BMC, III, p. 277, 278, n° 302 à 308; p. 373, n° 1024; P. L. Strack, II, n° 76. Cf. p. 434, n°41 et pi. I. 5 Tout au moins selon H. Mattingly, BMC, p. 373, n° 1024. 6 À l'avers : HADRIANVS AVGVSTVS. RIC, II, p. 429, n° 699 (as); BMC, III, p. 444, (hésite entre as et médaillon); P. L. Strack, II, n°444 a (dupondius et as); F. Gnecchi, / Medaglioni Romani, III, p. 23, n° 127; J. M. C. Toynbee, Roman Medallions, dans Num. St., V, 1944, p. 94. Cf. p. 434, n° 42. 7 A / HADRIANVS AVG COS III Ρ Ρ R / PROVIDENTIA AVG S C (sauf sur les deniers). Prouidentia debout, à gauche, montrant avec la main ou à l'aide d'une baguette un globe, et tenant un sceptre (quelquef ois appuyée sur une colonne). RIC, II, p. 370, n°261, 262; p. 439, n°772; p. 444, n°823; BMC, III, p. 327-328, n° 694 à 699; p. 381, n° 43; p. 473, n° 1536 à 1539; p. 484, n° 1607. Cf. p. 434, n°43 et pi. I.
8 A / AYT KAIC TPA / ΑΔΡΙΑΝΟ CEB R. Stuart Poole, Catalogue of Coins of Alexandria and the Nomes, Londres, 1893, p. 72, n° 597 à 600; J. Vogt, Die Alexandrinische Münzen, Stuttgart, 1924, I, p. 109-110 et II, p. 60; J. G. Milne, Catalogue of Alexandrian Coins in the Ashmoleum Museum, rééd., Oxford, 1971, p. 37, n° 1560 à 1568. S. Skowronek, On the Problems of the Alexandrian Mint, Varsovie, 1967, pi. VIII, n° 10. Cf. p. 435, n° 44. 9 Sur une première approche, cf. RIC, II, p. 317. 10 J. Carcopino, MEFR, XXVI, 1906, p. 362-481 ; col. 1, 1. 1-6 et col. 2, 1. 1-8. E. Mary Smallwood, Documents illustrating ..., n° 464. «... rogamus, procurato / [res, per projuidentiam uestram quam / [nomine Cajesaris praestatis, uelitis nobis / [et maiestat (ou utilitat)]i illius consulere, dare no / b[is eos agros] qui sunt in paludibus et in silvestribus, Sermo procurato[rum im]/p(eratoris) [CJaes(aris) Hadriani Augiusti) : quia Cae[sar n(oster) pro] / infatigabili cura sua, per qu[am adsi]/due humanis utili[ta]tibus excu[bat, om]/nes part esagrorum quae tani oleis au[t] / uineis quam frumentis aptae sunt [ex/c]oli iubet, itcirco per missum prou[id/en]tiae eins, ... ». 11 Cf. C. Courtois, L. Leschi..., Tablettes Albertini. Actes privés de l'époque Vandale, Paris, 1952, p. 100, n. 1 et p. 102.
HADRIEN
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cleroi appartenant au temple de Zeus12. Hadrien ordonne un nouveau partage des terres, consa crées anciennement à Zeus, par lots de grandeur moyenne. Il s'agit ici aussi d'un document offi ciel, puisque affiché à l'extérieur de la cella du temple de Zeus, et visible par tous. Il faut placer sa rédaction et sa mise en place durant l'année 125-126. En dehors de ces documents originaux et contemporains, il est déjà intéressant de noter ce qu'a pu écrire de l'empereur et de son carac tèreun historien du début du IIIe siècle, Dion Cassius; les termes employés, dont πρόνοια, sont intéressants parce qu'ils nous livrent ce qui, un siècle après son avènement, définissait Hadrien dans l'opinion publique13 : «Ήιτιώντο μεν δη ταΰτά τε αύτοΰ και το πάνυ ακριβές τό τε περίεργον και το πολυπράγμον έθεράπευε δε αυτά και ανε λάμβανε τχ\ τε άλλη επιμέλεια και πρόνοια και μεγαλοπρέπεια και δεξιότητι, »14. Tous ces éléments peuvent concourir à nous permettre de définir ce qu'a été pour Hadrien Prouidentia. Dores et déjà nous pouvons nous poser la question de savoir s'il y a eu un apport nouveau, dû à la personnalité de l'empereur et aux influences nombreuses, variées, multiples qu'il a subies durant toute sa vie, ou bien si, au contraire, Hadrien n'a, dans ce domaine, fait que suivre ses prédécesseurs. Les apparences fe raient plutôt pencher pour la première solution. En effet, les frappes monétaires sont marquées par une nouveauté dont nous essayerons de défi nir la portée, l'apparition de l'expression original e PROVIDENTIA DEORVM qu'aucune pièce jus qu'alors n'avait portée. Cette innovation ne peut être sans portée et la recherche de sa significa tion demande de replacer la frappe dans son contexte historique; il peut seul éclairer le sens qu'a voulu donner Hadrien non seulement à
l'inscription, mais aussi à la représentation qui est, elle aussi, une nouveauté marquante.
12 Ditt., OGIS, n°502 (=CIL, III, 1, 355); E. Mary Smallwood, n°454b, 1. 1-5. «Άουίδιος Κουιήτος Αίζανειτών άρχουσι βουλής / δήμωι χαίρειν. Άμφισβήτησις περί χώρας ιεράς, άνα/τεθείσης πάλαι τώι Δά, τρειβομένη πολλών ετών, τηι προνοία τοΰ / μεγίστου αύτοκράτορος τέλους έτυχε ... ». 13 II est vrai que, pour le règne d'Hadrien, nous ne possé dons plus que le résumé réalisé par Xiphilin. Mais, dans la description du caractère de l'empereur, nous pouvons
ser que l'abréviateur n'a pas innové dans le choix des mots. 14 Dion Cass., LXIX, 5, 1. 15 H. Stern, L'image du mois d'Octobre sur une mosaïque d'EUDjem, dans Cah. de Tunisie, XLV-XLVI, 1964, p. 25. 16 M. R. Alföldi, Providentia Augusti to the question of limes fortifications in the 4th Century, dans Acta antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae, III, 1955, p. 249. 17 L. Berlinger, Beiträge zur inoffiziellen Titulatur des römischen Kaiser, Breslau, 1935, p. 85.
II - PROVIDENTIA DEORVM 1 - UNE PREMIÈRE APPROCHE L'originalité de la représentation et de l'in scription n'a pas échappé à certains commentat eurs. Aussi ont-ils voulu y voir immédiatement l'amorce d'un changement de mentalité et d'orientation dans la conception profonde du pouvoir impérial. C'est ainsi que H. Stern ne veut y voir qu'un type d'accession, certes origi naldans sa présentation, mais correspondant simplement à la personnalité propre de l'empe reur;il ne cherche pas à aller au-delà de cette signification générale15. Ce ne peut être satisfai sant puisque la frappe n'a commencé qu'en 119 et qu'à ce moment Hadrien n'a plus besoin de simplement commémorer son accession au pouv oir. D'autres commentateurs n'ont pas hésité à faire de cette émission un manifeste du contenu particulier des liens unissant Jupiter à Hadrien; elle signifierait que le dieu aurait accordé une protection particulière à l'empereur16. D'autres encore sont allés beaucoup plus loin et ont cherché à expliquer ce qu'ils ont défini comme un bouleversement de la conception profonde du principat. C'est ainsi que L. Berlinger a pensé que cette représentation monétaire permettait à Hadrien de donner à la souverainet é impériale un caractère charismatique qu'elle possédait déjà, mais que personne n'avait osé mettre en évidence de façon si éclatante17. Cette elucidation du type semble évidente à
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A. D. Nock qui présente la monnaie comme sug gérant l'idée que le ciel, en l'occurrence Jupiter, a choisi le successeur de Trajan; le savant anglais n'hésite pas à suggérer qu'une telle trans formation est due à la tournure d'esprit «hellé nistique» d'Hadrien18. Dans le même sens, J. Beaujeu montre que l'empereur fait une démonstration éclatante de l'idée que son pou voir est une émanation directe de celui de Jupi terqui partage avec le princeps la charge du monde et le gouvernement des hommes; c'est une investiture directe que le souverain des hommes a reçue du souverain des dieux19. H. Mattingly va encore plus loin et pense qu'il s'agit de l'affirmation que le pouvoir ne peut plus s'acquérir suivant les mérites mais qu'il est accordé «par la grâce de Dieu»; Hadrien en avait d'autant plus besoin que son adoption par Trajan n'avait pas paru évidente à tous et que son pouvoir, de ce fait, pouvait être contesté20. Hadrien exécuterait un mandat dont il ne serait redevable qu'aux dieux. Quelques auteurs, sans approfondir véritabl ement le sens de la frappe, ont été plus prudents à juste titre. Ils ont entr'aperçu les innombrables difficultés qu'une telle interprétation introduis ait dans la marche régulière du principat. C'est ainsi que J. Béranger, qui a semblé parfois accepter l'idée d'un pouvoir placé délibérément sous la dépendance céleste21, a souvent nuancé son opinion première. Il a admis que l'expres sion PROVIDENTIA DEORVM ne pouvait repré senter une révolution dans la conception du principat : « Ce thème de propagande ne saurait prouver que les conceptions se suivent, de nouv elles remplaçant celles qui sont périmées, mar quant les étapes d'une évolution irréversible et un changement d'idéal»22. Déjà M. P. Charlesworth, tout en admettant l'idée que le souverain tenait son pouvoir du choix des dieux, pensait
que l'expression ne correspondait pas à un chan gement défini dans la conception du pouvoir23. Ces intuitions ne peuvent, de toutes façons, être suffisantes pour expliquer ce nouveau type monétaire qui, sans être très courant, n'en a pas moins été assez répandu pour avoir eu un cer tain impact sur l'opinion.
18 A. D. Nock, A dus electa : a chapter in the Religious History of the Third Century, dans H.ThK, XXIII, 1930, p. 267 (= Essays on Religion and the Ancient World, I, p. 265). 19 J. Beaujeu, La religion romaine à l'apogée de l'Empire, I, Paris, 1955, p. 116 (mais ici l'auteur y voit une certaine continuité avec les idées de Trajan exprimées par une autre imagerie). 20 H. Mattingly, BMC, III, p. CXXVI. Cf. dans le même sens W. Ensslin, op. cit., p. 34. 21 J. Béranger, Étude sur Saint Ambroise : l'image de l'État
dans les sociétés animales : «Exameron», 5, 15, 51-52. 21, 66-72, dans Principattis, p. 329. 22 J. Béranger, La «prévoyance» (Providentia) impériale et Tacite, «Annales», I, 8, dans Principatus, p. 351; id., La notion du principat sous Trajan et Hadrien, dans Principatus, p. 288. 23 M. P. Charlesworth, Providentia and Aeternitas, dans H.TkR., XXIX, 1936, p. 118. 24 RIC, II, p. 339, n° 3 a, b, c, d et e (pi. XII, 217) et p. 341, n° 22 A et B, et p. 342, b° 22 C; P. L. Strack, II, n° 2.
2 - L'exemple «trajanien» Comme nous l'avons dit un peu plus haut, il nous faut repousser l'idée que cette frappe puis seêtre en relation directe avec l'avènement d'Hadrien. Il n'est pas possible que l'empereur ait attendu deux années pour proclamer les con ditions de son arrivée au pouvoir. Une telle opinion n'aurait pas été hors des réalités s'il n'y avait eu bien d'autres frappes, en 117 et en 118, pour exprimer tout ce que représentait l'acces siond'Hadrien à l'empire. En outre, il ne peut certainement pas s'agir d'une nouvelle appré hension, ou d'une nouvelle compréhension, du rôle de l'empereur dans le monde. Le passage, que certains ont voulu voir, du choix par le mérite au choix par les dieux, est certainement en dehors de la propre conception d'Hadrien, telle qu'il veut l'exprimer. En effet, le point de vue officiel est clair et partout proclamé : c'est le choix réalisé par Trajan et l'adoption peu de temps avant sa mort qui ont fait d'Hadrien le successeur légitime de Yop· timus princeps. Les premières monnaies frappées à Rome, au tout début de son principat, alors même qu'il se trouve encore en Orient, procla mentl'adoption; des aurei et des deniers portent l'inscription ADOPTIO et montrent Trajan et Hadrien, face à face, et se serrant la main droit e24. Le sens en est évident et ne peut souffrir
HADRIEN
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discussion. En outre, sur presque toutes les émissions de ces deux premières années, Hadrien proclame sa filiation avec Trajan et, quelquefois, avec Nerva : PARTHIC DIVI TRAIAN AVG F Ρ M TR Ρ COS Ρ Ρ ou bien PARTH F DIVI NER NEP Ρ M TR Ρ COS sur des aurei et des deniers de l'année 117, ou bien encore IMP CAES DIVI TRAIAN AVG F iRAIAN HADRIAN OPT AVG GER et d'autres formules approchantes sur des sesterces et des dupondii de la même année25. Il est vrai que toutes ces formules disparaissent sur les monnaies à partir de 119 et que même ADOPTIO n'est plus employé. Est-ce à dire qu'il y a eu un brusque changement d'optique dans la conception intime du principat? Est-ce à dire qu'Hadrien cherche à se détacher des origines de son pouvoir ou essaye de les faire oublier? Certainement pas; simplement ce qui a été affirmé en 117 et en 118 est maintenant assimilé et accepté par tous. De nouvelles confirmations, une publicité plus gran deencore sont sans aucune nécessité26. À ce point il est nécessaire d'envisager les conditions dans lesquelles Hadrien est arrivé au pouvoir pour mieux comprendre ce qui soustend son action. Son adoption est contestée par certains et nous savons que si l'auteur de la Vita Hadriani dans l'Histoire Auguste a accepté la ver sion officielle des faits27, Dion Cassius a recueilli la tradition contraire et nous l'expose dans les plus grands détails; cette adoption ne serait qu'une habile machination de Piotine et d'Attianus28. Malgré sa grande prudence, Hadrien se heurta, dès l'abord, à de grosses difficultés: en Orient même où la situation sur les nouvelles frontières était difficile et où le soulèvement des Juifs n'était pas encore totalement maté; à Rome, où le sénat se vit obligé de réprimer, peut-être en dehors de l'aval d'Hadrien, le « comp lot» des quatre consulaires, A. Cornelius Pal ma, Lusius Quietus, L. Publilius Celsus et C. Avidius Nigrinus29. Mais ces difficultés n'étaient pas
les seules. Même accepté comme princeps, il lui fallait succéder à un empereur dont le prestige immense avait été ratifié par l'acceptation de Yagnomen d'Optimus quelques années plus tôt. Était-il possible de prendre la suite du meilleur des empereurs, si ce n'était en prenant modèle sur lui? Là réside le fond véritable de la politi quequ'Hadrien a voulu mener durant les pre miers temps de son règne. C'est bien ainsi qu'il faut comprendre les bons rapports qu'il entretient avec le sénat, dans la lignée de Trajan qui voulait respecter la dignitas de l'assemblée, et son refus d'honneurs excess ifs.En particulier il ne voulut pas des honneurs du triomphe dans la guerre parthique; il décida de les réserver à Trajan, malgré sa mort. Le sénat lui accorda le titre de Pater Patriae (que, de ce fait, nous trouvons sur de nombreuses titulatures des premiers mois du règne); il le refusa pour ne l'accepter qu'après l'avoir mérité, en 128. Nous retrouvons ce même trait de respect à l'égard de Trajan dans le fait qu'Hadrien a ordonné l'achèvement des travaux de l'arc de Bénévent qui était consacré à la glorification du règne de Trajan grâce aux douze panneaux histo riésrésumant les actes principaux de la vie de l'empereur30. Dédié sans doute à l'automne de l'année 114, il devait être achevé vers 118 ou 119 et Hadrien en profita pour s'y faire représenter sur deux panneaux de l'attique; un tel geste lui permettait d'affirmer à la fois sa piété à l'égard de son père adoptif maintenant divinisé, et la légitimité de la succession qu'il avait assumée31. Ces reliefs étaient chargés de montrer à tous que Trajan avait bien, de son vivant, choisi Hadrien comme son successeur. Mais ce sont encore les monnaies qui nous apportent, sur cette question, les leçons et les conclusions les plus intéressantes. Dans les deux années 117 et 118, tout un ensemble de légendes et de revers sont émis pour proclamer la gran deur de Trajan et la justesse de ses vues : en plus
25 RIC, II, nombreuses monnaies aux pages 338-342 et aux pages 405-407. 26 D'ailleurs nous retrouvons l'appel à la filiation dans une série des années 134-138 à la légende DIVIS PARENTIB\S (RIC, II, p. 367, n° 232 A et B), il est vrai sur de rares aurei. 27 HA, Vit Hadr., IV. 28 Dion Cass., LXIX, 1.
29 Ibid., 2. La réalité de ce complot nous échappe complè tement. 30 Cf. en particulier R. Paribeni, Optimiis Princeps ..., II, p. 225-263. 31 J. Beaujeu, La religion romaine . . . , p. 436-437; P. Veyne, Une hypothèse sur l'arc de Bénévent, dans MEFR, LXXII, 1960, p. 213.
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de la représentation se trouvant sur les revers ADOPTIO, un aureus et un sesterce montrent Trajan et Hadrien face à face, tenant un globe entre eux32. La PIETAS d'Hadrien est proclamée par une importante série et l'empereur y a joint habilement une autre série avec PAX; il cher chait à faire ainsi cautionner par Trajan divinisé sa politique pacifique sur les frontières de l'em pire; en effet, cette conception n'avait pas été partout bien accueillie même si Trajan l'avait déjà amorcée33. Plus significatifs encore sont les deux types monétaires qui ont un rapport direct avec la politique orientale et les succès de Trajan : ORIENS symbolisé par le buste de Sol radié34, et TRIVMPHVS PARTHICVS avec le seul Trajan sur son quadrige35. Dans cette perspective, et comme nous avons essayé de le montrer par ailleurs, le type le plus intéressant est Yaureus portant l'image du Phén ix. L'oiseau se présente sur le revers, radié, à droite, parfois perché sur un monticule ou sur une branche de laurier; il n'existe aucune légen de;l'avers porte l'inscription DIVI (ou DIVO) TRAIANO PARTH AVG PATRI avec le buste de Trajan laure, drapé et cuirassé, à droite36. C'est la première apparition de l'oiseau fabuleux sur un revers monétaire; elle ne peut être sans signi fication. Mais il faut écarter toute idée qui vou drait faire de l'épiphanie d'un nouveau phénix la cause de la frappe de cette monnaie37. Le der nier officiellement apparu avait été annoncé, nous en avons parlé, sous Tibère, en 34 ou en 3638. Aucune des durées de vie de l'oiseau com munément admises ne pouvait justifier une nouv elle mort et une nouvelle naissance. En réalité, en premier lieu, le Phénix est ici le symbole de l'Orient; c'est son domaine privilégié dans lequel il accomplit des périples avant de mourir en Egypte, à Héliopolis. Qu'il soit l'oiseau d'Arabie, de Syrie ou d'Assyrie, ce sont là les contrées qui ont été parcourues par Trajan, et qui l'ont été
victorieusement. L'association, sur une même monnaie, de Trajan et du Phénix, est ainsi une manière de garder le souvenir du grand dessein conquérant de l'empereur mort. Le Phénix est aussi l'oiseau-roi devant qui tous s'inclinent et à qui tous se soumettent; il est éblouissant dans son aspect extérieur et exerce un ascendant quasi-religieux sur ceux qui le voient. Il ne peut être que victorieux, ce qui nous permet de comprendre que, dans les mêmes émissions, nous trouvions les aurei avec la légende TRIVMPHVS PARTHICVS. Sa tête radiée, dans une certaine mesure, l'assimile au soleil qui est représenté lui-même sur les frap pes ORIENS; cette effigie de Sol est reprise à une série de Trajan de l'année 11639. Le Phénix est encore l'oiseau qui meurt sur un bûcher, dans les parfums et l'apparat, comme lorsque l'empereur mort est admis au rang des diui, sur le bûcher de la consécration. L'ignis diuinus joue le rôle d'introducteur nécessaire à l'existence céleste du prìnceps mort et à la naissance d'un nouveau Phénix. Cette double signification existe sur le revers qui nous intéresse. Quand l'oiseau atteint le terme de sa vie, un nouveau Phénix, son fils, apparaît. Nul symbole ne pouvait mieux soutenir Hadrien dans le combat qu'il menait pour convaincre l'opinion qu'il était le véritable successeur de Trajan, choisi et adopté par lui sans qu'il y ait eu le moindre complot post mor tem imperatoris. D'ailleurs toute l'attitude d'Ha drien ne semble-t-elle pas calquée sur celle de l'oiseau fabuleux? En particulier n'a-t-il pas mont réà l'égard de Trajan la même piété que le jeune Phénix à l'égard de son père mort? Quand Hérodote nous décrit le grand voyage accompli par le nouveau Phénix chargé du corps de son père40, comment ne pas penser à Hadrien ordon nantà Piotine, Matidie et Attianus de transpor ter de Sélinonte à Rome, avec les plus grands soins et les plus solennels honneurs, les cendres
32 RIC, II, p. 338, n° 2 a, b, c; p. 405, n° 534 a et b. 33 RIC, II, PIETAS : p. 339, n° 8 a et b; p. 340, n° 13; p. 341, n°22; p. 345, n°45. PAX : p. 339, n° 7 a, b, c; p. 340, n° 12; p. 341, n° 21; p. 345, n°44. 34 RIC, II, p. 340, n° 16; p. 341, n° 20; p. 345, n° 43 a, b, c. 35 J. P. Martin, Hadrien et le Phénix. Propagande numismat ique, dans Mél. d'Histoire Ancienne offerts à William Seston,
Paris, 1974, p. 327-337. 36 RIC, II, p. 343, n° 27 et 28; BMC, III, p. 245, n° 48 et 49; P. L. Strack, op. cit., I, n° 23 et 24. 37 P. L. Strack, op. cit., II, p. 55-56. 38 Tac, Ann., VI, 28; Pline, NH, X, 2; Dion Cass., LVIII, 27. 39 RIC, II, p. 267, n° 326 à 330. 40 Hér., II, 73.
HADRIEN de Trajan? Par ce moyen, Hadrien assurait la légitimité de son pouvoir; il faisait ainsi recon naître son adoption et, par elle, sa filiation. Mais, en outre, la signification contenue dans la représentation du Phénix comportait un sens plus général, peut-être plus important pour nous. Comme nous l'avons déjà dit, succéder à Trajan était une tâche délicate étant donné la popularité de ce dernier; son règne laissait der rière lui une impression de renouveau dans un exceptionnel équilibre et une justice parfaite. La transition d'un règne à l'autre ne pouvait qu'être difficile. Le Phénix fournissait à Hadrien la poss ibilité d'affirmer aux yeux de tous qu'à un empereur idéal succédait un prince tout autant idéal. C'était un autre Trajan qui prenait maintenat la place laissée par le Trajan mort; le Phénix n'est-il pas l'oiseau qui se recrée tout en restant identique à lui-même41? Par le biais de l'oiseauroi, Hadrien affirme sa ressemblance avec Trajan; c'est la promesse d'une époque aussi belle, aussi éclatante, aussi glorieuse que le règne écoulé. C'est aussi dans ce contexte de rattachement étroit à Trajan qu'il nous faut placer la série monétaire avec PROVIDENTIA DEORVM. En effet, les monnaies frappées à partir de 1 19 doi vent être considérées comme en continuité avec celles de 117-118, et non en rupture. D'ailleurs n'y a-t-il pas, pour prendre un seul exemple, toujours en 119 des émissions avec PIETAS ou SALVS comme durant les deux années précé dentes42? Le principat suit son cours, mais Hadrien met l'accent sur certains points qu'il juge importants.
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Dans cette proclamation de la providence divine, nous ne devons pas négliger un aspect
dont nous avons déjà parlé à maintes reprises; mettre en valeur la providence, c'est affirmer que son propre destin a été tracé dès sa naissan ce et que de nombreuses confirmations en ont été reçues tout au cours de la vie. Si nous en croyons l'Histoire Auguste, rien de tout cela ne manquerait à Hadrien : «Vers la fin du règne de Domitien, il fut envoyé en Mésie inférieure, où l'on prétend qu'un mathématicien lui confirma, sur son futur avènement à l'empire, la prédiction de son grand-oncle Aelius Hadrianus, très versé dans la science des observations célestes»43. Hadrien est donc bien le possesseur d'une geni ture impériale, et il l'a toujours su; une telle connaissance ne pouvait que renforcer la con fiance en son destin au moment de la mort de Trajan. D'ailleurs, tout au long de sa vie, il reçut bien d'autres confirmations de sa destinée impér iale: les sorts virgiliens44, les livres Sibyllins, la réponse donnée par «Juppiter Nicephorius »45, le présage de la puissance tribunicienne perpétuell e par la perte du manteau de pluie des tribuns, le don par Trajan du diamant que lui-même avait reçu de Nerva46. Mais si proclamer une telle prédestination pouvait se traduire par l'e xpression de la Prouidentia, nous ne comprenons pas pourquoi il a fallu une nouvelle représentat ion sur les revers monétaires, ni pourquoi Hadrien a attendu deux ans pour le faire. Il nous faut aller beaucoup plus loin dans l'interpréta tion pour en saisir le sens profond. La signification globale du revers est claire : Hadrien étend la main pour recevoir un sceptre que lui apporte un aigle. Le sceptre est un des symboles du pouvoir; c'est celui de Jupiter, celui des rois hellénistiques, celui qu'ont déjà porté de nombreux empereurs sur les monnaies47. C'est donc bien le pouvoir qui est offert par l'aigle à Hadrien. Encore faudrait-il savoir ce que repré sente cet aigle. Là encore, la réponse paraît simple; de très nombreux commentateurs l'ont
41 Claud., Phoenix, 60-70. 42 RIC, IL p. 425, η» 587 a, b et 588 : PIETAS; p. 356, n° 136 à 139; p. 416, n°595; p. 418, n° 604 a, b, c: SALVS. »HA, Vit Haar., II, 34. 44 Si une telle consultation est concevable à la fin du 1er siècle, il est cependant possible qu'elle entre plus aisément dans l'atmosphère de la fin du IVe siècle pour soutenir une apologétique païenne : cf. Y. de Kish, Les «Sortes Vergilianae» dans l'«Histoire Auguste», dans MEFR, LXXXII, 1970, p. 321-
362. 45 HA. Vit. Hadr., II, 8-9. 46 Ibid, III, 5, 7. 47 II n'est nul besoin d'insister sur cet aspect après la remarquable mise au point synthétique de A. Alföldi, Insignien und Tracht der Römischen Kaiser, p. 110-117, in Die monarchische Repräsentation im römischen Kaiserreiche, Darmstatt, 1970, p. 228-235. Sur les monnaies de Trajan, la personnification de Proui-
3 - La succession légitime
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interprété comme une représentation de Jupiter lui-même, seul capable de décerner sur terre le pouvoir qu'il détient dans le ciel48. L'explication paraît d'autant plus simple et vraie que Jupiter est souvent représenté sur des monnaies de la même époque : assis ou debout, tenant foudre et sceptre49. A vrai dire, de telles interprétations ne sont pas entièrement satisfaisantes, même si est évoqué à ce propos le précédent de Nerva adopt antTrajan sous la caution religieuse de Jupiter. En effet, un aureus frappé durant ces mêmes années nous présente Hadrien, debout, à droite, recevant un globe des mains de Jupiter qui lui fait face et qui est parfaitement reconnaissable par la foudre qu'il tient dans sa main gauche; entre les deux, curieusement placé sur le sol, se tient un aigle de face, mais tournant la tête vers Jupiter50. Il est étonnant de voir, à la fois, Jupiter et l'aigle; il est possible de se demander pour quoi l'artiste a cru bon de rajouter cet oiseau dans une scène qui se suffisait déjà largement à elle-même; il y aurait comme une redondance, inutile et gratuite, si l'aigle .était le parfait équi valent de Jupiter. Cette équivalence est assurément discutable. Si l'artiste a représenté à la fois le dieu et l'aigle, c'est qu'il a voulu exposer et faire comprendre une idée double : Jupiter donne le globe qui symbolise la domination sur le monde entier à Hadrien, sous le regard de l'aigle qui ne peut être ici que le symbole de l'apothéose et donc du diuus Traianus. Ce dernier se présente comme un intermédiaire et un garant à la délégation de pouvoir réalisée par Jupiter pour le gouverne ment de l'univers. Durant la fin du règne de Trajan et pendant tout le principat d'Hadrien
ont été frappées de très nombreuses monnaies à l'image de l'aigle, très souvent les griffes repo sant sur un sceptre, et, pour qu'il n'y ait pas possibilité de confusion, portant la légende CONSECRATIO51. L'aigle est le symbole de la divini sation. De ce fait, nous devons placer dans le même cadre chronologique et donner le même sens à des monnaies frappées en Asie et mont rant Jupiter tendant la main sur laquelle se trouve un aigle, ou assis avec un aigle à ses pieds52. Il est temps maintenant de revenir à la repré sentation d'Hadrien recevant le sceptre de l'ai gle. Ce dernier est certainement l'oiseau de l'apothéose53. C'est Trajan mort et divinisé, délé gué par les dieux, qui donne à Hadrien le sym bole de son pouvoir sur terre. Sous un autre aspect, nous retrouvons ici la ligne politique générale définie plus haut et que nous avions caractérisée par l'insistance et la volonté à se placer toujours dans les pas de Trajan. Hadrien cherche à affirmer, avec le plus de force possi ble,la légitimité de son pouvoir; il ne le possède que parce que Trajan l'a bien voulu. Mais une dernière difficulté subsiste : pour quoi parler de PROVIDENTIA DEORVM, de Pro vidence des dieux"? Comme nous l'avons déjà noté, l'expression apparaît ici pour la première fois sur un revers monétaire. Il est vrai aussi de dire que l'originalité ne s'arrête pas là; c'est aussi la première fois qu'il est question d'une qualité attribuée à l'ensemble des dieux; jus qu'alors le complément DEORVM n'a jamais été employé. Ceux qui ont fait de l'aigle le seul symbole de Jupiter n'ont jamais posé le problè mefondamental : pourquoi cette Providence
dentia porte le sceptre. Cf. T. Hölscher, Victoria Romana, Archäologische Untersuchungen zur Geschichte und Wesenart der römischen Siegesgöttin von den Anfängen bis zum Ende des 3. -jh. n. Chr., Mainz, 1967, p. 24 (symbole du règne sur la terre). L'auteur en voit le modèle dans les reliefs de l'arc de Bénévent. 48 A. Alföldi, ibid., p. 232; L. Ber linger, op. cit., p. 85; M. R. Alfoldi, art. cit., p. 249; H. Stern, art. cit., p. 25; F. Taeger, Charisma..., II, p. 4 10. Nous pourrions multiplier les exemples sur ce point! Le dernier est celui de J. Rufus Fears, Princeps a dits electus : the Divine Election of the Emperor as a Political Concept at Rome, dans Pap. and Monog. Amer. Acad in Rome, XXVI, 1977, p. 245.
49 R1C, II, p. 348, n°63 et 64. Ce sont des aurei et des deniers assez courants. ™RIC,ll, p. 353, n° 109. 51 RIC, II, p. 298, n° 734 (frappe d'Asie Mineure) : Piotine, p. 299, n° 743 à 745 (frappe d'Asie Mineure) : Marciane, p. 390, n°420a,b et 421; p. 479, n° 1051 a, b: Sabine, p. 391, n° 423 a, b; n° 424, 425 a, b, et 426 : Matidie. 52 RIC, II, p. 401, n°497, 499 et 500. Cf. aussi n°495, 498, 501. 53 C'est pourquoi nous devons écarter l'idée de J. Beaujeu, La religion romaine . . . , I, p. 155, qui a voulu voir dans le Phénix, «concurrent venu d'Egypte», dans «une innovation hardie», le remplaçant de l'aigle pour symboliser la consé cration.
HADRIEN
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était-elle celle «des dieux» et non pas «de Jupi ter»? Pourquoi lisait-on PROVIDENTIA DEORVM et non PROVIDENTIA IOVIS? Faud rait-il alors comprendre que Jupiter représente et symbolise l'ensemble des dieux? Mais une telle explication cadrerait très mal avec une délégation du pouvoir suprême qui ne peut être l'œuvre que du roi des dieux et non de l'ensem ble des divinités qui l'auraient décidé collégialement. Il est évidemment possible de penser à un simple emprunt à la langue littéraire dans laquelle l'expression était devenue courante, comme nous l'avons déjà vu54 : chez Cicéron55, chez Tite-Live56, chez Sénèque57, et surtout chez Pline le Jeune qui montre, à plusieurs reprises, que la providence des dieux a choisi Trajan et a guidé son action en lui apportant continuelle ment sa protection58. Faudrait-il donc croire qu'Hadrien s'est contenté de reprendre cette idée de Pline et de se l'appliquer à lui-même ? Le fait n'est pas impossible puisque nous savons que le prince a pris modèle sur son prédécess eur; mais encore faudrait-il que cette explica tion coïncidât avec la représentation monétaire que nous avons tenté d'interpréter plus haut. Ce n'est pas exactement le cas. Serait-il alors plus simple de penser à l'e xpression des propres idées philosophiques d'Ha drien, adepte du stoïcisme, et qui aurait repris ici, tout simplement, une des formules les plus fondamentales du système de la Stoa? Un tel exercice serait curieux; les monnaies ne sont certainement pas faites pour le bon plaisir de l'empereur et la satisfaction de ses seules idées. Elles sont chargées de répandre des pensées claires, normalement accessibles à tous et capa bles de regrouper l'ensemble des habitants de l'empire autour de quelques idées-forces. Aussi devons-nous écarter cette solution.
En vérité, comme souvent, l'explication est plus aisée. Puisque l'aigle est celui de l'apothéo se de Trajan, il nous faut comprendre que Trajan divinisé a été délégué par l'ensemble des habi tants du monde divin pour laisser le pouvoir à Hadrien. Parmi tous les dii il nous faut aussi compter tous les diui. Dès le début de son règne, Hadrien s'est préoccupé de descendre d'un empereur divinisé. La tâche était rendue un peu délicate par le fait que Trajan était mort en Asie Mineure et que la décision de consécration prise par le sénat devait être suivie de la cérémonie solennelle elle-même. C'est pourquoi les cérémonies ont eu lieu en plusieurs étapes; dans un premier ensemble le corps de Trajan a été brûlé, à Sélinonte même, les cendres recueillies ont été mises dans une urne transportée jusqu'à Rome par Piotine, Matidie et Attianus; la cérémonie de funérailles, au cours de laquelle l'urne a été placée dans le pied de la colonne trajane, a eu lieu sur le forum nouvellement construit. Nous ne pouvons la confondre avec une consecratio', il s'agit ici simplement des funérailles de l'empe reurmort, considéré comme un homme et rece vant, comme tel, une sépulture59. La véritable cérémonie de divinisation n'a pu se dérouler qu'au retour à Rome d'Hadrien, au début de l'été 11860. Ce retard n'avait pas empêché de nombreux documents officiels, en avance sur les événements, de proclamer l'arrivée d'Hadrien en tant qu'empereur comme si elle était le fait d'une révélation divine, celle de Trajan mort et divinisé, et non la volonté d'un homme. Un des plus intéressants est un papyrus égyptien qui présente un fragment de dialogue théâtral en l'honneur d'Hadrien61. Ce dialogue met en scène Phébus-Apollon et le Démos personnifié. Or Apollon montre Trajan sur son char et tous les deux annoncent l'avènement d'Hadrien à qui
54 J. Béranger, La «prévoyance» {Providentia) ..., dans Principatiis, p. 351-352, l'avait bien remarqué, mais sans en tirer de conséquence particulière. 55 De Div., I, 117; De Nat. Deor., II, 73, 77, 80, 162-164; II, 65. 56 I, 51, 3; IV, 43, 9. 57 Cf. supra, p. 178. 58 Pan., X, 4. Cf. supra, p. 243. 59 E. Bickerman, Consecratio, dans « Le culte des souve rains dans l'Empire Romain», dans Fondation Hardi, XIX,
Vandœuvres-Genève, 1973, p. 13-19. 60 C'est avec cette dernière qu'il faut sans doute confon dre le triomphe posthume de Trajan sur les Parthes et non avec ses funérailles comme le pense J. C. Richard, Les funér ailles de Trajan et le triomphe sur les Parthes, dans REL, XLIV, 1966, p. 351-362. Une inscription, ILS, 322 (CIL, VI, 1, 984) montre que la consécration n'est pas encore réalisée au début de l'année 118. 61 P. Giessen, Bd. I, Heft I, n° 3 (Kornemann).
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tous doivent se soumettre « δι' άρετήν καΐ πατρός τύχην θεοϋ ». Ce papyrus peut être daté de la fin de l'année 117, et il est présenté comme un véritable omen pour celui qui voulait être le légitime successeur de Trajan62. En outre, dans le même temps, c'est-à-dire les cinq derniers mois de 117 et les premiers temps de 118, des monnaies ont été émises indiquant désormais la filiation divine d'Hadrien: PARTHIC DIVI TRAIAN AVG F Ρ M TR Ρ COS Ρ Ρ63, DIVO TRAIANO PATRI64. L'empereur poursuivit aussi, et très rapide ment,la politique de mise en valeur de la famille impériale telle que Trajan l'avait commencée. Nous avons déjà montré combien cette politique de consécration des membres morts de sa famill e (son père par le sang d'abord, puis sa sœur Marciane), les frappes monétaires à l'effigie de Piotine, de Marciane, de Matidie, étaient le point de départ d'une nouvelle politique dynastique. Par l'affirmation d'une large domus imperatoria elle avait pris un caractère beaucoup plus ample que sous les règnes précédents65. Hadrien en faisait partie de façon eminente; en premier lieu parce que, par son père, il était le cousin issu de germain de Trajan; en second lieu, et c'est le point le plus important, parce qu'il avait épousé, grâce à l'empereur ou à Piotine, la petite-nièce du princeps, Vibia Sabina, qui était elle-même la petite-fille d'une dina, la propre sœur de Trajan,
Marciane66. Il était tout à fait normal qu'une fois au pouvoir Hadrien mît l'accent sur cette parent é et en fît le fondement essentiel de sa propa gande. C'est ainsi que nous devons comprendre la présence de l'empereur sur deux panneaux de l'arc de Bénévent, qu'ils représentent des scènes de l'époque de Trajan dans lesquelles Hadrien se serait introduit, ou bien qu'ils montrent le retour posthume de Trajan comme l'a pensé P. Veyne67. Dans les deux cas, ils sont la preuve, rendue évidente aux yeux de tous, de l'appart enanced'Hadrien à la famille impériale, c'està-dire la condition essentielle pour espérer accé derau pouvoir. Durant ces premières années, Hadrien a gar déle cap que Trajan avait indiqué dès les années 112-114. De nombreuses monnaies, qui peuvent être datées de 117-118, portent les effigies de Piotine et de Matidie68. Elles ont une place de choix dans la domus augusta puisqu'elles portent chacune le titre officiel d'Augusta et qu'elles sont, par ce titre même, destinées à être divini sées.Il semble que Matidie l'a été le 23 décem bre11969 et Piotine en 122. Rien ne pouvait s'opposer à la divinisation de la femme de l'em pereur défunt, maintenant diuus, et de la bellemère de l'empereur régnant, non pas en tant que telle, mais parce qu'elle était la fille d'une divini sée,elle-même fille de divinisé70. C'est pourquoi nous devons considérer que lorsque la formule
62 W. den Boer, Trajan's Déification and Hadrian's Success ion,dans Ane. Soc, VI, 1975, p. 203-212. « RIC, II, p. 338-340 et 405-407. 64 RIC, II, p. 342-343. Après la consécration, Trajan est toujours appelé DIWS TRAIANVS PARTHICVS. 65 Cf. supra, p. 250 sq. Il est impossible de voir dans les frappes Prouidentia Deorum une cassure avec la tradition, en accentuant l'idée du choix divin qui n'aurait été apparente que pour Auguste depuis le début du principat. C'est ce que pense J. Rufus Fears, op. cit., p. 245-246 et 278. Il insiste, en particulier, sur le fait que le choix divin reste une doctrine pour justifier un pouvoir illégal (p. 321). H. Temporini, op. cit., p. 53-54, défend une idée presque semblable à celle de J. Rufus Fears. Elle pense qu'il s'agit d'un changement profond parce qu'Hadrien devait légitimer son pouvoir. La simple Prouidentia de Trajan n'aurait pas été suffisante, aussi s'est-il référé à une Prouidentia plus élevée et incontestable, celle des dieux. Mais, comme nous l'avons déjà vu, parler de la providence d'un empereur, c'est déjà parler de celle des dieux. Ce n'est pas là que se trouve la véritable explication de l'apparition de Prouidentia Deorum sur les monnaies du début du règne d'Hadrien. 66 Sans vouloir entrer ici dans le conflit qui oppose les
tenants du choix du meilleur par l'adoption et ceux de l'hérédité, nous pouvons immédiatement voir que le but ultime de Trajan est bien de mettre à part une famille dans laquelle le successeur puisse être désigné. Dans ces condit ions, nous pouvons considérer qu'Hadrien était le mieux placé, et pas seulement par les fonctions dont Trajan l'avait chargé. Dans ce cadre, son accès au pouvoir devient normal et il faut écarter l'idée que Trajan ait pu penser à des hommes en dehors de cette domus. 67 Cf. P. Veyne, art. cit., p. 214. J. Beaujeu, op. cit., p. 436437. 68 RIC, II, p. 343-344, n° 29 à 34. 69 Pasoli, Acta Fratrum Arvalium, p. 151, n° 61 : «Χ Κ Ianuar. in consecrationem Matidiae Aug. socrus imp. Caesaris Troiani Hadriani Aug. unguenti piando) (duo) ...» (= Henzen, AFA, p. CLVIII). 70 On a souvent mis l'accent sur les raisons politiques qui auraient poussé Hadrien à pratiquer ces divinisations (aide de Piotine pour l'arrivée au pouvoir et durant toute sa carrière; rôle important de Matidie auprès de Piotine dans un «parti de la paix»; cf. A. Carandini, Roma, anno 112..., dans Archaeologia Classica, XVIII, 1, 1966, p. 133-135). Cela peut être exact, mais les aspects religieux sont évidemment
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PROVIDENTIA DEORVM est utilisée, il s'agit de on pas fait de l'ensemble des diui les dispensa faire ressentir non seulement l'ambiance divine teurs de la Providence qui guide l'empereur qui entoure le pouvoir impérial - il y a beau dans son gouvernement? Ce pourrait être alors coup d'autres moyens pour cela -, mais surtout le sens complet et définitif de l'expression PRO de souligner que ce pouvoir est dû à l'apparte VIDENTIA DEORVM qui se comprendrait mieux ainsi dans l'ambiance qui baigne ce début de nance à une famille très particulière. En son sein, l'empereur mort a été divinisé, mais aussi règne. Il est d'ailleurs intéressant de noter son père par le sang, son père adoptif et sa sœur. qu'une fois de plus Trajan a peut-être donné Ils sont tous là ces diui symbolisés par l'aigle sur l'élan à ce mouvement; en effet, sous son règne, les revers monétaires. C'est à eux tous qu'Ha ont été frappées plusieurs séries de monnaies de drien doit son pouvoir. Il n'y a sans doute pas de restitution, exclusivement des aurei et des meilleure expression de cette idée-force que le deniers émis à un assez petit nombre d'exemp texte d'une inscription découverte en Bretag laires. Elles commencent avec des monnaies de la République et forment un ensemble qui est ne71. Elle a été gravée sur l'ordre du légat A. Platorius Nepos, entre 122 et 124, pour l'ex comme un résumé de l'histoire de Rome72. Pour écution du uallum«de l'une à l'autre mer», par nous, l'intérêt doit se porter sur certains modèl es au nom du DIWS IVLIVS, d'Auguste, de l'armée de Bretagne; l'indication des grands tra Tibère, de Claude (en tant que DIWS CLAVvaux est précédée d'une formule de portée génér ale, mais fondamentale dans notre optique : DIVS), de Galba, de Vespasien, de Titus et de Nerva. Nous pouvons noter les absences de Cali [DIVORVM]OMNIVM FIL[IVS] I [IMP CAE gula, de Néron, d'Othon, de Vitellius et de Domit SAR TRIAIANVS HADR[IANVS] I [AVGVSTVS IMPO]SITA NECESSITALE IMien,les mauvais empereurs qui non seulement n'ont pas été divinisés, mais encore ont laissé PERII] [INTRA FINES CONSERTATI DIVI une tache dans l'histoire de Rome; ils doivent NOPRA[ECEPTO] être exclus de toutes les mémoires73. Il est diffi C'est parce qu'il est le fils de diui (ici Trajan et cile de donner une date précise, dans le règne de Piotine) qu'il possède le pouvoir légitime de don Trajan, à ces émissions de restitution. Étant don ner des instructions et des ordres qui ne peu néque la titulature de l'empereur inclut le titre vent être discutés. DACICVS et ne comprend pas celui de PARMais il nous est peut-être possible d'aller plus THICVS, la frappe a eu lieu entre 102 et 114. loin dans cette voie. Tous les hommes et les Mattingly et Sydenham, suivis par d'autres, ont femmes divinisés font partie d'un monde semb voulu la placer en 107, en s'appuyant sur un lable; leur apothéose les a placés côte à côte, là passage de Dion Cassius qui se contente pour où ils veillent sur les destinées de Rome. Si bien tant d'annoncer, pour cette année-là, la dispari que parler de Prouidentia deorum, c'est aussi tion autoritaire de toutes les monnaies de mauv ais aloi74. Ce ne peut être une explication con faire appel à la protection de tous les diui qui peuplent le ciel et qui forment un ensemble vaincante et suffisante; la cohérence de la série doit nous reporter à la période 112-114 durant auquel il est bon de souvent se référer. Sous les Flaviens, la désignation divine de Vespasien laquelle Trajan apporta tant de nouveautés. Le rappel de la lignée entière des diui, depuis César avait englobé ses deux fils Titus et Domitien, mais la Prouidentia avait alors limité ses effets à bien oublié jusqu'alors, entre parfaitement dans la famille Flavia. Pourquoi maintenant n'auraitcette politique de développement et d'élargisse-
prépondérants. D'ailleurs le montre bien l'attitude d'Hadrien à l'égard de Sabine, que Carandini place dans le « parti de la guerre», et avec laquelle l'empereur s'entendait assez mal semble-t-il. Ces aspects «terre à terre» ne pouvaient empê cherde la faire diviniser à sa mort. 7' CIL, VII, 498 (=AE, 1947, 123). Cf. A. Piganiol, La polit iqueagraire d'Hadrien, dans »Les Empereurs Romains
gne », p. 139-140. 72 RIC, II, p. 303. "RK7, II, p. 311-313, n°815 à 836. Bien qu'il n'ait pas été consacré, nous pouvons noter la présence de Tibère, premier successeur d'Auguste et respectueux de sa mémoire. 74 RIC, II, p. 303. De même A. Carandini, art. cit., p. 128; Dion Cass., LXVIII, 15.
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ment de la domus augusta. C'est pourquoi nous placerions volontiers ces émissions en 112, au moment même où Trajan divinise son père et par là-même l'introduit dans la liste officielle. Hadrien n'a pas eu besoin de reprendre toutes ces frappes; par la légende PROVIDENTIA DEORVM, par l'image de l'aigle apportant le sceptre, il a signifié clairement qu'il était le lég itime successeur de Trajan et de toute la grande lignée des diui qui les avaient précédés. Il était parfaitement justifié qu'une telle affirmation prît place au début du règne75, mais une fois l'empe reurprécédent divinisé. Après un départ aussi significatif et tout le poids qui lui était ainsi donné dans le cadre du pouvoir impérial, il était impossible que Prouidentia restât sans utilisation dans la suite du règne.
drien ont-elles répondu à des préoccupations semblables, ou bien, sous des dehors équival ents,le sens profond en a-t-il été transformé?
75 II est même possible qu'Hadrien n'ait fait faire cette série qu'après la consécration de Matidie, donc dans les premiers jours de l'année 120. Contra, P. V. Hill, The dating ..., p. 154 : de la troisième année de règne, entre le 10 décembre 118 et le 9 décembre 119.
76 RIC, II, p. 343, n° 29, 30, 31, 32, 32 A; p. 344, n° 33 (Pioti ne);p. 344, n° 34 (Piotine et Matidie). 77 CIL, XIV, 3579 (Tibur). 78 Ligne 32. 79 Henzen, AFA, p. CLVIII; Pasoli, Acta, p. 31 et 151.
1 - La place prépondérante des femmes de la famille impériale
.
Qu'Hadrien ait pris modèle sur Trajan ne peut nous étonner après ce que nous venons de mettre en avant à propos des premiers aspects de sa politique et de sa propagande. Et s'il avait innové dans un premier temps avec la légende PROVIDENTIA DEORVM et la représentation qui lui était associée, il était normal de le voir revenir aux modèles de son père adoptif divini sé. En effet, tout au long de son règne, il a mené la même politique de mise en valeur religieuse de la domus imperatoria, tout particulièrement par le rôle donné aux femmes. Dans la première année de son règne, l'empe III - PROVIDENTIA AVG reura fait frapper plusieurs séries d'or et d'ar Les frappes PRO AVG (note 4) à l'image de la gent, en l'honneur de Piotine (la mieux représent Providence, reprennent sans changement import ée) et de sa belle-mère Matidie, parfois asso antles monnaies de la dernière période (115ciées sur un même aureus76. Nous pouvons être 117) du règne de Trajan, le type même que certains qu'une telle floraison recouvre leur très YOptimus Princeps avait inauguré. Nous avons vu grande influence dans l'entourage d'Hadrien, et que cette représentation de la Providence sous certainement sur l'empereur lui-même. À la mort une forme féminine, avec les attributs du pouv de Matidie, en décembre 119, le princeps pronon ça lui-même la laudano funebris11 de celle dont il oir, résultait d'un ensemble de causes diverses : le désir de rassurer au moment d'une campagne loue, en particulier, la grauitas, la modestia, ì'inmilitaire orientale difficile, alors qu'un prodige dulgentia, avant de souligner ce qu'il faut consi venait de détruire Antioche et que les Juifs com dérer comme le plus important pour Hadrien et mençaient à bouger; la nécessité de justifier le pour la légitimité de sa charge, «Augustae jiliam surnom d'Optimus enfin accepté officiellement et diuae»78. La cérémonie de consécration eut par l'empereur; la nécessité de proclamer un lieu le 23 décembre, peut-être le lendemain de la avenir heureux, sûr, enviable pour tous, par le mort. Les frères arvales, en ce jour, envoyèrent relief donné à tous les membres de la famille deux livres de parfums en leur nom propre, et impériale et par le début d'une nouvelle période cinquante livres d'encens au nom de leurs appar de règne, de dix ou de vingt ans. Tout cet effort iteurs79 « in consecrationem Matidiae Aug. socrus devait concourir à conserver l'unité matérielle et imp. Caesaris Traiani Hadriani Aug». L'auteur de morale du monde romain dont Trajan avait alors la Vie d'Hadrien dans l'Histoire Auguste a retenu un urgent besoin. Les émissions de deniers l'importance donnée à cette mort et à cette
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consécration, en soulignant que furent donnés en l'honneur de Matidie des jeux de gladiateurs et «d'autres cérémonies publiques» dont nous aurions aimé connaître le détail80. Dans un autre passage, il fait allusion aux «immensissimas uoluptates» qui ont eu lieu à Rome et à la suite desquelles, en l'honneur de Matidie, Hadrien fit distribuer des «aromatica» au peuple81. La monn aie de Rome frappa immédiatement des aurei et des deniers au nom de DIVA AVGVSTA MATIDIA, à l'image de l'aigle de la CONSECRATIO, ou à celle de la PIETAS82. L'importance donnée à cette divinisation n'a pas été oubliée puisque, encore, dans le Feriale Duranum, une supplica tion est accomplie en l'honneur de dina Matidia : « [IIII N]ON. [I]VLIAS OB [N]ATALEM DIVAE MATIDIAE DIVA[E) MATI[DI]AE SVPPLI[CAT]I[O] »83. Cet apparat, ce souvenir gardé, ne peuvent nous étonner puisqu'il s'agit bien encore de l'affirmation de la légitimité d'Ha drien. Il la tient essentiellement de sa femme Sabine parce qu'elle est une descendante directe du père de Trajan divinisé; la consécration de Matidie ne peut que renforcer cet aspect dynas tique et vient confirmer le titre d'Augusta qu'elle avait reçu de Trajan. Hadrien semble avoir eu une attitude plus discrète à l'égard de Piotine morte. Cela peut sembler un paradoxe étant donné que, vivante, son rôle avait été très important auprès d'Ha drien; d'ailleurs, elle est sans doute morte à Nîmes, alors qu'elle accompagnait l'empereur dans sa visite des Gaules, à l'automne 121. Mais morte elle n'était plus que l'épouse de Trajan et ne faisait pas partie de son sang, comme Matid ie, Sabine, et Hadrien lui-même. Cela ne pouv ait empêcher les honneurs et la consécration de la dernière Augusta vivante. L'empereur resta vêtu de noir pendant neuf jours, écrivit des
hymnes glorifiant Piotine84, lui fit construire une basilique à Nîmes même85, prononça son éloge funèbre86, et la fit diviniser, joignant son culte à celui de son mari dans le nouveau temple const ruit à l'extrémité ouest du forum de Trajan : DIVI[S TR]AIANO PARTHICO ET [PLOTINAE IM]P PARENTIBVS SVI[S]87. Il est incon testable que cette attitude envers Matidie et Piotine est en parfaite continuité avec la politi quemenée par Trajan dans la seconde moitié de son règne et qui s'était tout particulièrement affirmée à partir de 112-114.
*°HA, Vit. Hadr.,lX,9. 81 Ibid, XIX, 5. 82 RIC, II, p. 391, n° 423 à 427. 83 R. O. Fink, A. S. Hoey, W. F. Snyder, The Feriale Dura num, dans Yale Cl. St, VII, 1940, col. 11, ligne 19. 84 Dion Cass., LXIX, 10, 2. 85 HA, Vit. Hadr., XII, 2. 86 Dion Cass., LXIX, 10, 3 a (=Exc. Vat., 109). 87 CIL, VI, 4, 2, 31215 (inscription placée sur le temple inauguré sans doute seulement entre 125 et 128). Cf. HA, Vit. Hadr., XIX, 9 et Dion Cass., LXIX, 10, 2.
88 Sur ces points, cf. E. Demougeot, La formation de l'Eu rope et les invasions barbares des origines germaniques à l'avènement de Diodétien, Paris, 1969, p. 187-200. C'est à ce moment que sont frappées, à Rome, des monnaies de bronze avec la légende BRITANNIA et sa représentation (=RIC, II, p. 412, n°577aetb). 89 Dion Cass., LXVIII, 32. De nombreuses inscriptions font allusion à des travaux de reconstruction, particulièrement de routes; ainsi la route d'Apollonie à Cyrène (SEG, IX, 252): «... uiam quae tumultu Iudaico euersa et corrupta erat ... ».
2 - La situation en Orient Les séries monétaires qui sont l'objet de notre étude actuelle peuvent aussi, comme elles l'avaient été sous Trajan, être mises en rapport avec une situation extérieure ou frontalière diffi cile. Il est vrai que la situation n'est en rien comparable avec celle des années 114-117 en Orient. Cependant le début du règne d'Hadrien est marqué par un soulèvement sarmate sur le Bas-Danube coïncidant avec une révolte en Dacie dès 118 et un autre mouvement chez les Iazyges et les Quades (la Dacie fut alors dédoub lée). C'est aussi le moment où, après avoir mis fin à la révolte des Brigantes, Hadrien donna l'ordre de faire commencer les travaux de cons truction d'un mur en Bretagne88. Mais, s'il fallut aussi mater une dangereuse sédition de nomad esen Maurétanie et y établir des camps, ce fut encore en Orient qu'eurent lieu les événements les plus décisifs, tout au moins dans notre pers pective. La révolte juive du printemps 117 avait été écrasée, non sans difficultés, par Lusius Quietus et par Marcius Turbo, mais les morts avaient été nombreux, les destructions considérables89. Si
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en 121 tout est terminé matériellement, les esprits restaient certainement surchauffés et la moindre étincelle pouvait remettre le feu à toute la région. C'est ce qui faillit se produire avec l'affaire du taureau Apis qui agita l'Egypte, et tout particulièrement Alexandrie, dès le milieu de l'année 121. Depuis la plus haute histoire égyptienne, le taureau Apis était considéré com meune des incarnations de Ptah, le grand dieu de Memphis. Chacune de ses disparitions était le début d'une période difficile de deuil qui ne devait pas se prolonger trop longtemps. Les prê tres de Memphis étaient chargés, après avoir procédé aux funérailles, à la momification et à l'enterrement du taureau mort, de trouver un nouvel Apis90. Ce dernier se reconnaissait, si nous en croyons Hérodote, à ce qu'il avait le poil noir, une marque blanche en forme de croissant sur le front, la figure d'un aigle sur le dos, celle d'un scarabée sur la langue et les poils de la queue doubles91. Si nous en croyons l'Histoire Auguste, plusieurs villes d'Egypte se disputaient pour recevoir l'animal nouvellement trouvé après plusieurs années d'angoisse92; les troubles furent assez graves, et ils utilisèrent certain ement le canal des mouvements à peine apaisés de la lutte contre les Juifs, pour qu'Hadrien envoie une lettre aux Alexandrins; elle semble avoir rétabli le calme93. Ce retour à la paix intérieure fut sanctionné par l'érection d'une statue de granit noir «pour le salut de l'empe reur», et par une monnaie, frappée à Alexandrie, à l'image du taureau94. Dans la mentalité de cette époque pareil incident n'était pas négligea ble et ses conséquences auraient pu être amplif iées à l'échelle de tout l'Orient. Hadrien sut habilement s'en emparer et le retourner en sa faveur. L'arrivée du nouvel Apis était gage de prospérité et de bonheur; il marquait le début
d'une nouvelle période heureuse pour l'Egypte et pour celui qui la dirigeait. C'est ce gage pour l'avenir qu'il fallait prendre en 121; c'est d'ail leurs un aspect que, dans d'autres conditions, Hadrien saura mettre en valeur95. .
90 Cf. K. Michalowski, L'art de l'ancienne Egypte, Paris, 1968, p. 101, 467 et 476. De la XVIIIe dynastie à l'époque lagide, les Apis furent embaumés et enterrés à Sakkarah. 91 Hér., III, 28. 92 HA, Vit. Hadr., XII, 1. Nous pouvons remarquer, comme J. Beaujeu, op. cit., p. 133, n. 3 de la p. 132, que l'auteur a mal compris le processus, puisque le taureau ne peut être logé qu'à Memphis. Mais le détail est sans grande importance; c'est le résultat sur l'état d'esprit qui compte. 93 Dion Cass., LXIX, 8, la (=Exc. Vat., 108).
94 J. Vogt, op. cit., p. 99. 95 En outre, il ne faut pas oublier les malheurs qui peu vent s'abattre sur celui qui refuse Apis, comme Cambyse l'avait fait, ce qui le fit sombrer dans la folie (Hér., III, 28-30). 96 RIC, II, p. 356, n° 140. 97 H. Mattingly, The Imperial « Vota », dans Proceed. Brit. Acad., XXXVI, 1950, p. 158. P. V. Hill, The dating . . . , p. 55. 98 RIC, II, p. 330.
3 - Les voyages Si nous pouvons penser qu'il y a coïncidence entre les frappes PRO AVG et des difficultés extérieures, surtout orientales comme sous Trajan, nous ne devons pas négliger les renouvelle ments périodiques à l'intérieur du règne. Il ne peut évidemment être encore question de decennalia pour le principat propre d'Hadrien. Mais, en 121, l'empereur inaugure une politique origi nale qui est comme un nouveau départ pour son règne, celle des visites dans les provinces. À l'occasion de son premier départ a été émise une série d'aurei à la légende V(ota) S(uscepta) PRO RED(itu) et à l'image d'Hadrien en personne sacrifiant sur un autel, face au Genius du Peuple Romain96. Il n'est pas impossible qu'Hadrien ait choisi de célébrer par ces vœux la fin de son premier lustrum de règne97, et qu'il ait fait coïn cider les vœux pour son retour avec des Vota suscepta V9S. C'est le point de départ d'une nouvelle pério de fondamentale dans le règne d'Hadrien, celle marquée par ses voyages dans les provinces; elle dure, interrompue par quelques courts séjours à Rome, jusqu'au début de l'année 132 ou 133, bien qu'il ne faille pas négliger un arrêt dans la Ville de 125 à 128. Ces visites de provinces font partie d'un plan prémédité, car elles ne sont pas toujours nécessitées par des situations locales difficiles qui auraient demandé la présence effec tivedu prince. Il est toujours possible de trouver
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telle ou telle raison au déplacement dans une province donnée, mais il est impossible de défi nir un dénominateur commun, si ce n'est la curiosité touristique ou l'ouverture d'esprit. Ce n'est ni suffisant ni convaincant pour expliquer une attitude qui frappe par son aspect systémati que". L'importance qu'Hadrien y a attachée est ren due évidente à nos yeux par trois séries monétair es capitales et originales, la première au nom des provinces (ou des régions), la deuxième avec l'allusion à l'empereur en tant que RESTITVTOR de telle ou telle province, la dernière avec la mention de la venue de l'empereur dans la pro vince ou la région, ADVENTVI AVG. Ces frappes datent des années 134-138, une fois les voyages d'Hadrien tous réalisés; elles sont comme le point d'orgue de toute une politique parfait ement calculée et pensée100. Un trait nous intéres se au premier chef, l'insistance mise sur la notion et le mot ADVENTUS; nous le retrouvons d'ailleurs sur d'autres séries monétaires, mais sans être suivi de la mention d'une quelconque province; il s'agit alors de l'entrée d'Hadrien dans Rome101. Il est certain que commémorer la venue du souverain dans une province n'est pas simplement vouloir se souvenir de son entrée solennelle dans sa capitale. Il est vrai que tout alors est qualifié de sacré, l'apparat qui entoure
l'entrée proprement dite102, le cortège, comme la décoration des maisons, les sacrifices, les ban quets qui ont lieu dans la ville103. Sans qu'il faille aller jusqu'à parler de l'épiphanie d'un dieu104, ce qui n'est pas encore dans la mentalité romain e, il est certain qu'une telle entrée doit avoir des conséquences bénéfiques pour la cité et la province. Elle doit marquer le début d'une ère nouvelle de bonheur et de prospérité grâce à la présence physique de l'empereur, gage vivant de cette félicité future qui commence au jour où il foule le sol provincial pour la première fois. C'est le sens qu'Hadrien a voulu donner à ses voyages dans les provinces; à la suite de son passage, toutes connaissent un nouveau départ, dans la jeunesse et le bonheur. Les séries monét aires de 134-138 ont été émises pour constater que ce qui avait été prévu et provoqué par l'empereur s'était produit. Les séries des provin ces confirment le but poursuivi et le résultat obtenu. Hadrien peut être proclamé le RES TITVTOR de chacune d'entre elles; d'ailleurs, c'est peut-être cette même année 121 qu'il avait promis d'être le RESTITVTOR ORBIS TERRARVM comme il est proclamé sur un sesterce où une femme tourrelée, comme si le monde était une cité unique, est à genoux devant l'em pereur et tient un gros globe105. Dans une telle perspective, au début de cette cinquième année
99 Les raisons purement militaires de reprise en main et de réorganisation de l'armée ne peuvent non plus suffire (cf. M. Hammond, The Antonine Monarchy, dans Pap. and Monog. Amer. Acad in Rome, XIX, 1959, p. 170). Des monnaies spécial es pour les armées furent frappées aux types EXERCITVS SYRIAC, RAETIC, DACIC, GERMANIC, BRITAN, CAPPADOC, HISPANIC, MAVRETANIC, MOESIAC, NORICVS et COH PRAETOR (cf. RIC, II, p. 457 à 462, n°908 à 937). 100 RIC, II, p. 374-375, n°296 à 314 et p. 445-450, n° 838 à 871 : provinces seules; p. 377-378, n°321 à 329 et p. 463-467, n°938 à 966: RESΉTVTORI; p. 376, n° 315 à 320 et p. 451 à 456, n° 872 à 907 : ADVENTVI AVG. Nous pouvons noter que se retrouvent dans les trois séries : AFRICA, ALEXANDRIE ASIA, HISPANIA, ITALIA, SICILIA. Dans les deux séries ADVENTVS et RESTITVTOR : ARABIA, BITHYNIA, GALLIA, MACEDONIA, PHRYGIA. Dans les seules séries ADVENTVS : CILICIA, MOESIA, NORICVM, THRACIA. Dans les seules séries RESTITVTOR: ACHAIA, LIBYA, NICOMEDIA. Dans les seules séries « provinces » : AEGYPTOS, CAPPADOCIA, DACIA.GERMANIA.NILVS.Enfin.noustrouvonsàlafoisdansles séries ADVENTVS et dans les séries « provinces » : BRITANNIA, rVDAEA, MAVRETANIA. Il est intéressant de noter, mais peutêtre n'est-ce qu'une coïncidence ?, qu'il s'agit des trois provinces
dans lesquelles l'empereur a lui-même combattu durant son règne. 101 Inscription du revers : ADVENTVS AVG ou AVGVSTI : RIC, II, p. 366-367, n°224 à 227; p. 436, n°740 et 741; p. 441, n° 793 et 794. Ces monnaies sont aussi datées des années 134-138. 102 Sur les origines et l'apparat, cf. S. Weinstock, Divus Julius, Oxford, 1971, p. 289-290; A.Alföldi, Die Ausgestaltung des Monarchischen Zeremoniells, dans Die monarchische Repräsentation ... , p. 88. 103 Cf. les sacrifices des frères arvales, le 10 juillet 118, pour l'arrivée d'Hadrien à Rome; le mot aduentus est alors officiellement utilisé : « L. Pomponio Basso T. Sabinio Barbaro cos VI Idus lui. (?) in Capitolio ob aduentum Imp. Caes. Traiani Hadriani Aug...» (Pasoli, p. 150). Cf. aussi l'arc de Bénévent. 104 S. Weinstock, op. cit., p. 330 et 296-297; César a été appelé θεός επιφανής {Sylt, IP, 760) par la province d'Asie. Mais c'est une exception et les empereurs ne furent pas qualifiés d'Epiphanes comme l'avaient été certains rois lagides : cf. A. D. Nock, Notes on Ruler-Cult, dans Essays on Religion and the Ancient World, I, Oxford, 1972, p. 155-156. 105 RIC, II, p. 416, n° 594 a et b.
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de règne, alors qu'Hadrien a tracé son program me de visites, la frappe de monnaies avec la mention de la Prouidentia de l'empereur ne pouv ait surprendre; mieux même, elle entrait parfa itement dans l'annonce d'une nouvelle période.
saïques, est un homme âgé, barbu et entièr ementdrapé. À vrai dire, au premier abord, cette idée est séduisante; mais elle se heurte à quel ques difficultés. La première est l'expression saeculum aureum qui est très claire et ne peut prêter à équivoque; c'est bien une allusion à une période, dont la durée dans le temps n'est pas définie précisément, mais qui est obligatoir 4 - Le«saeculum aureum» ement longue; c'est pourquoi on l'appelle «siè cle», car elle présente une unité profonde, elle a) Le document numismatique. doit s'ouvrir, puis se développer suivant un ryt Bien d'autres traits existent qui nous renfor hmerégulier comparable à celui de la marche des centdans cette idée que, en 121, a dominé la astres dans le cercle zodiacal109. Elle doit s'éten volonté de faire commencer une période nouvell dre à l'ensemble de Vorbis terrarum symbolisé ici e. Il est nécessaire, à ce propos, de dire quel per le globe que tient l'homme. ques mots d'un aureus et d'un denier des années Un second point fait difficulté, la présence de 119-122, d'après la classification de Mattingly et l'oiseau Phénix sur le globe. Nous devons certa Sydenham106. inement le rapprocher de celui qui avait été Le développement de l'inscription du revers représenté sur les monnaies de 117-118 en l'hon ne peut prêter à confusion; il s'agit du neur du divin Trajan; nous en avons tenté l'inte SAEC(ulum) AVR(eum), du «siècle d'or». L'hom rprétation plus haut110. Le Phénix est le symbole me représenté a donné lieu à quelques polémi de la succession et de la filiation, par adoption, quesquant à sa signification et à son identité. Il qui unit Hadrien à Trajan; il est la promesse est certain que l'ovale auquel il se tient est une d'un règne aussi heureux que l'avait été celui de représentation du cercle zodiacal; il symbolise le YOptimus Princeps. Nous pouvons penser que sur renouvellement sans fin des phénomènes de la les monnaies de 121 la signification est la même. nature à travers le déroulement des saisons et C'est pourquoi, si on ne veut pas voir dans des années. C'est pourquoi la plupart des com l'homme imberbe et à demi-nu Aiôn, pourquoi mentateurs ont vu dans l'homme figuré ici le ne pas penser, comme nous l'avons déjà affirmé Génie de l'Âge d'Or ou l'ont assimilé à ΑΙΩΝ qui par ailleurs111, que cet homme soutenant le glo symbolise l'éternelle jeunesse de l'univers dans be du monde est l'empereur, à la fois Trajan son renouvellement régulier, «séculaire»107. contemplant son propre reflet, son successeur D'autres encore y voient Annus (ou Eniautos), le Hadrien, et Hadrien exposant aux regards le Génie de l'année lui aussi associé aux saisons, symbole éclatant de sa filiation et des promesses mais qui limite sa protection à l'année qui com qu'elle contient pour l'avenir de Rome. Ce sont mence dans le rythme régulier scandé par la les promesses d'un saeculum aureum, non seul course du soleil108. Cette dernière opinion s'ap ement continuité sans faille, non seulement copie puie sur le fait que l'homme représenté est conforme de ce qu'a été le règne précédent, mais imberbe et jeune, alors que Aiôn, quand il est aussi âge nouveau dont l'expression se traduit précisément désigné comme sur certaines par Aetemitas et par Félicitas.
106 RIC, II, p. 356, n°136. A / IMP CAES TRAIAN HADRIANVS AVG Buste d'Hadrien, lauré, drapé et cuirassé. R/PMTRP COS III SAEC AVR Un homme debout, à droite, l'épaule droite nue, la gauche recouverte par un vêtement qui passe à l'oblique sur la poitrine, tenant dans sa main gauche un globe surmonté d'un Phénix. Il est enfermé dans un cadre ovale auquel il se tient par le bras droit.
107 En particulier, D. Levi, Aion, dans Hesperia, XIII, 1944, p. 269-314; J. Beaujeu, op. cit., p. 153. 108 L. Foucher, Annus et Aion, « Le temps chez les Romains», dans Caesar odunum, X bis, Paris, 1976, p. 197-203. 109 Sans qu'il faille rechercher un point de départ défini astronomiquement; à moins que l'astrologie n'ait joué un rôle dans le choix de l'année, sinon du jour, ce qui n'est pas impossible. uo Cî. supra, p. 268-269. 111 J. P. Martin, art. cit., p. 336-337.
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b) L'Éternité. En effet, la période qui va de 118 à 122, au maximum, est le seul moment, durant le règne d'Hadrien, où sont frappées des monnaies avec AETERNITAS AVGVSTI112. Sans vouloir refaire une histoire de XAeternitas à Rome, il est bon de revenir sur certaines étapes fondamentales avant le IIe siècle. Rattachée au pouvoir impérial ou à l'empereur lui-même l'emploi de la notion n'est pas nouveau. Dès le début du règne de Tibère des revers de monnaies émises à Emèrita et à Tarraco portent l'image d'un temple et l'in scription Aeternitas Augusta113; l'inscription d'Interamna dont nous avons parlé plus haut mention ne X«aeternitatem Romani nominis »114■. Sous Claude, il est question de « totius Italiae aeternitati». Sous Néron, les actes des frères arvales de l'année 66 citent le sacrifice d'une vache à AETERNITATI IMPERI115. Mais surtout, sous Vespasien et dès le début de son principat, appa raissent de nouvelles monnaies mettant au pre mier plan l'AETERNITAS P(opuli) R(omani). À partir de 75/76 est créée la personnification de XAeternitas sous la forme d'une femme drapée tenant dans sa main droite une tête radiée, le Soleil, et dans sa main gauche une tête surmont ée d'un croissant, la Lune116. Sous Titus sont frappés des as avec la légende AETERNITATI AVG et la personnification de l'Éternité portant, pour la première fois, une corne d'abondance et un sceptre117. Domitien reprit la même formule, mais son Éternité porte de nouveau les têtes
symbolisant le Soleil et la Lune118; les actes des frères arvales de 86, 87 et 90 évoquent Xaeternitas imperii119. Sous les règnes de Nerva et de Trajan, l'Éternité connaît un développement important; les frappes reprennent les modèles monétaires de Domitien avec les symboles du Soleil et de la Lune; elles sont particulièrement nombreuses sous YOptimus Princeps120. Pline luimême mentionne des vœux pro aeternitate rii//121 C'est cette dernière Aeternitas qui est reprise sur les monnaies du début du règne d'Hadrien puisque l'Éternité personnifiée y tient les têtes du Soleil et de la Lune. Cette représentation ne doit pas laisser indifférent; son origine est certa inement orientale, sinon égyptienne, et nous savons que le groupe hiéroglyphique soleil-lune traduit l'idée d'éternité122. Que ce soit Vespasien qui l'ait utilisée le premier n'a rien qui puisse nous étonner, étant donné les fondements de son pouvoir tels que nous les avons définis. Ses implications astrologiques sont certaines; le Soleil et la Lune, dans tous les horoscopes anti ques que nous possédons, jouent un rôle fonda mental; la plupart des configurations s'ordon nent autour d'eux qui sont considérés comme les maîtres des génitures, diurnes pour le Soleil, nocturnes pour la Lune. Ce sont les deux Lumin aires123. Hadrien se contente ici de suivre le modèle de Trajan; mais il est important de souli gner que les monnaies de Trajan avec l'évocation de XAeternitas Augusti12* peuvent toutes être
112 RIC, II, p. 344, n°38 et p. 346, n°48 (denier) de 118, dont certains frappés après le retour d'Hadrien à Rome; p. 354, n° 1 14 et 1 15 (denier) et p. 417, n° 597 a, b, c, d (dupondit) des années 119-122. 113 A. Heiss, Description générale de monnaies antiques de l'Espagne, Paris, 1870, p. 401, n°28, 29; p. 402, n° 39, 40, 41; p. 124, n° 54, 56, 56 bis; p. 125, n° 61 bis. 114 CIL, XI, 2, 4170 (ILS, 157). Cf. supra, n. 10, p. 105. "*CIL, X, 1, 1401 (ILS, 6043), Herculanum. Cf. supra, p. 164 et note 18, p. 145. Il nous faut répéter ici que, pour le règne de Néron, il ne faut pas tenir compte des jeux qui auraient été en 60 fondés pro aeternitate imperii. Nous avons déjà montré qu'il s'agissait d'une interprétation de Suétone et non d'une dénomination officielle (cf. supra, p. 153, notes 76 et 79). 116 RIC, II, p. 61, n°384 et p. 65, n°408 (AET Ρ R); p. 28, n° 121, et p. 39, n° 209 et 210 (personnification). <" RIC, 11, p. 130, n°122 et 123. 118 RIC, II, p. 191, n° 289 et 297; p. 192, n° 297 a.
119 Cette insistance mise par Domitien à proclamer l'éter nitédu «pouvoir» correspond parfaitement à ce que nous avons dit de son attitude psychologique durant son règne sur le problème de sa succession. Il faut aussi rappeler, dans ce cas, l'importance des jeux séculaires de 88. "0RIC, II, p. 250, n°91, 92; p. 259, n°229; p. 260, n°241; p. 261, n°242. 121 Pan., LXVII, 3. Ce qui ne veut pas dire, comme l'affi rmeJ. Beaujeu, op. cit., p. 150, que la formule Aeternitas imper ii,se retrouve dans le formulaire des vœux prononcés tous les 3 janvier. Aucun des actes des arvales conservés, à l'épo quedes Antonins, ne comporte une allusion à cette Aeternitas lors de ces vœux. 122 W. Deonna, Éternité, dans «Hommages à F.Cumont» (Coll. Latomus, II), Bruxelles, 1949, p. 71. '» Ptol, Tetrab., IV, 3 ... 124 II est inutile de chercher à savoir s'il s'agit d'augusti ou d'augusta ; le sens en est le même pour les contemporains.
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datées de la seconde moitié du règne et, plus précisément encore, des années 111-112. Ces émissions doivent être replacées dans le cadre de ces transformations apportées alors à la con ception du principat par Trajan et par son entourage. Hadrien en avait été le principal bénéficiaire. Il n'est pas étonnant de retrouver, dans une expression de sa politique, le modèle qu'il a toujours voulu suivre. En liant l'Éternité au « siècle d'or », il lui donnait une profondeur et un poids qu'elle ne semblait pas posséder jus qu'alors. c) La Félicité. Le cas de Félicitas est presque parallèle à celui d'Aete mitas. Il doit aussi nous éclairer sur les monnaies PRO AVG, le sens qui y est attaché et les conséquences qui en ont été tirées. Mais l'apparition sur les monnaies est plus tardive que celle de l'Éternité. C'est, en effet, Galba qui, le premier, fit frapper des dupondii avec la per sonnification de FELICITAS AVG ou PVBLICA, portant une patere et une corne d'abondance125. Le développement, sous les Flaviens, est rapide; de 71 à 79, de façon presque ininterrompue, Vespasien commanda l'émission des représenta tions de la Félicitas Publica avec le caducée et la corne d'abondance126. Il en est de même sous Titus où FELICITAS AVG réapparaît127 et sous Domitien où le rythme se ralentit cependant considérablement128. Cela ne veut pas dire que Félicitas est inconnue, sous l'empire, même off iciel ement, avant la crise de 68/69. En effet, les frères arvales sacrifient à Félicitas, peut-être dès les années 38-41, pour l'anniversaire de la nais sance de Drusilla129, plus sûrement entre le 6 et '25 RIC, I, p. 205, n° 54 et 55. 126 RIC, II, p. 73, n° 485; p. 78, n° 540, 541 a, b; p. 80, n° 554; p. 81, n° 567; p. 82, n° 578; p. 84, n° 594; p. 105, n° 768. Nombreuses émissions aussi sous le règne de Vespasien, en l'honneur de Titus et de Domitien. Nous pouvons noter l'existence d'une FELICITAS REDVCIS en 77/78 (p. 104, n° 760). 127 RIC, II, p. 126, n° 88 à 90 (année 80). >28fl/C, II, p. 195, n°324. 129 Pasoli, Acta, p. 15, n° 12. 130 Henzen, AFA, LIV-LV (= Pasoli, p. 114, n° 15). "*Ιά, ibid, LXIX-LXX; LXX-LXXVI; LXXVII; LXXXLXXXV; XC-XCVI; CIX-CXI. 132 Plin., Ep., X, 58, 7.
le 12 janvier 44, pour la collation du titre de Père de la Patrie à Claude130. Ensuite Félicitas appar aîtà plusieurs reprises, avec quelquefois le qual ificatif de Publica, dont huit fois sous Néron, deux sous Vitellius et une sous Domitien131. Nerva, si nous en croyons Pline, employa l'expres sion félicitas temporum dans un édit132. Durant le règne de Trajan, une seule émission monétaire est à noter, avec FELICITAS AVG, et dans une série a'aurei consacré à Piotine133. Par contre, le principat d'Hadrien est marqué par une abon dance de séries telle qu'on en n'avait jamais vu pour FELICITAS. Toutes les grandes périodes de frappe ont possédé leur série avec Félicitas. Dès 118, des aurei avec la légende FEL AVG134; en 119-122, à côté de la même formule, est employée l'expression FEL P(opuli) R(omani)135; puis, en 132-134, apparition de légendes nouvell es, ROMA FELIX et, entre 134 et 138, ITALIA FELIX136. Une telle abondance, une telle insis tance, n'ont rien d'artificiel. Elles sont le reflet d'une volonté précise qu'il nous intéresse d'au tant plus de connaître que les premières frappes, si nous suivons l'ordre chronologique, sont con temporaines de séries avec l'Éternité, le Saeculum Aureum et, surtout, la Providence. En affi rmant la continuité de son pouvoir par rapport à celui de Trajan, nous pouvons même dire dans ces premières années sa conformité à celui de Trajan, Hadrien ouvre une perspective d'éternité dans la prospérité, le bonheur et le succès, ce que concentre en lui le mot Félicitas. La Provi dence de l'empereur est dans une position char nière; c'est elle qui «prévoit» ce que sera l'ave nirde Rome, non seulement dans les immédiat es années du règne, mais aussi à beaucoup plus lointaine échéance137. 133 RIC, II, p. 298, n° 735. Son extrême rareté empêche d'en tirer toute conclusion utile. 134 RIC, p. 345, n° 40 a et c; p. 346, n° 50. 135 RIC, II, p. 354, n° 1 19 à 121 ; p. 417, n° 598 a, b, c. 136 RIC, II, p. 431, n°703, 704; p. 433, n°718 à 722; p. 364, n° 208, 209; p. 365, n° 220; p. 367, n° 233 à 240; p. 438, n° 748 à 757; p. 442, n° 801 à 808. 137 Nous pouvons ici noter que c'est ce qui explique que, dans les premières années du règne, les frappes AETERNITAS et FELICITAS sont concomitantes. Ensuite, et après avoir rendue publique sa providence, l'empereur peut se contenter de proclamer le «bonheur», les résultats de sa « prévoyance ».
HADRIEN Nous retrouvons ici un climat que nous avons déjà connu, une tentative curieuse que nous avons déjà étudiée, celle de Claude. Dans l'inscription d'Herculanum, le sénatusconsulte «de aedificiis non diruendis»lis, nous trouvons citées les quatre notions-clés, Prouidentia, Aeternitas, Félicitas et Saeculum. Il nous faut rappeler que nous avions essayé de montrer que l'ensem ble devait mis en rapport avec l'exposition de la dépouille du Phénix, l'oiseau que justement nous retrouvons sur les monnaies d'Hadrien portant la légende SAEC AVR. Or, nous savons mainte nantque cette politique, en 47, a été attachée à la célébration de nouveaux jeux séculaires, donc d'un nouveau départ pour Rome, sinon même d'un nouvel esprit. L'échec de Claude avait été total. Nous pouvons donc être surpris de voir Hadrien reprendre les mêmes éléments, certa inement dans un but semblable. d) Le «Natalis Urbis». Hadrien a été beaucoup plus habile que Clau de.Lui aussi a proclamé un saeculum, mais il s'est bien gardé de l'attacher à des périodicités préexistantes, déjà utilisées et, de ce fait, n'ap portant pas la nouveauté qu'il jugeait nécessaire. Il l'a proclamé à un moment du règne qu'il voulait faire comprendre comme important, jus teavant d'entreprendre ses grands voyages dans son empire. C'est pourquoi il crée, le 21 avril 121, des jeux, commémorés par un aureus et un sesterce, significatifs. La légende du revers est ainsi rédigée: ANN(O) DCCC-LXXIIII NAT(ali) VRB(is) P(arilibus) CIR(censes) CON(stituti) l39; la représentation figurée de ce revers est tout à fait originale aussi : un homme jeune est assis, à gauche; il tient dans sa main droite une roue à quatre rayons et il enserre, de son bras gauche un, ou trois, obélisques. Il est certain que ce «Génie du cirque» ressemble beaucoup au Génie du Saeculum Aureum et que les symboles qu'il a entre les mains sont significatifs de
138 Cf. supra, n. 137, p. 164 (CIL, X, 1, 1401 = ILS, 6043). 139 RIC, II, p. 357, n° 144; p. 419, n° 609; P. L. Strack, op. cit., II, n° 56 et 545. 140 Cf. D. Levi, Ahn, dans Hesperia, XIII, 4, 1944, p. 292. 141 P. Wuilleumier, Cirque et astrologie, dans MEFR, XLIV, 1927, p. 184-209. 142 En particulier, J. Gagé, Recherches sur les Jeux
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pression des mêmes idées : la roue peut être considérée comme le signe du renouvellement sans fin des phénomènes de la nature140 et, audelà de la simple allusion aux faits matériels, il ne faut pas négliger la représentation du cirque. Parler de cirque, c'est aussi évoquer l'image du ciel, la course des planètes dans le cercle du zodiaque141; nous en avions noté l'importance pour l'avènement de Vespasien. Il est inutile de revenir sur les problèmes posés par cette initiative; de nombreuses études ont déjà essayé d'apporter des éclaircissements et y sont parvenues sur presque tous les points142. Nous pouvons cependant reprendre quelques aspects qui devraient nous éclairer sur le rôle que joue la Prouidentia dans ce contexte. Le choix du 21 avril était normal; jour de la fête très ancienne des Palilia, mais aussi, tradition nellement, jour où Romulus a fondé la cité en 753 av. J.-C. Jusqu'à cette époque toutefois rien n'avait marqué ce Natalis Urbis. Les jeux du cirque de 121 sont un premier pas. Nombreux sont les commentateurs qui ont posé la question de savoir pourquoi l'année 121 avait été choisie par l'empereur. À part les Quinquennalia, jamais officiellement cités, il n'y a rien de marquant dans cette 874e année de Rome. Aucun calcul portant sur les cycles quindécemviraux ou étrus ques ne peut nous apporter une explication suf fisante, qu'il se rapporte à la ville de Rome elle-même ou bien à la vie de l'empereur (il a alors 46 ans). En réalité, en cette année 121, Hadrien réali se un lancement; il fait une annonce pour une période dont le début est prévu (providence) pour un peu plus tard et qui doit être un saecu lumaureum. Cette annonce était rendue néces saire par le départ d'Hadrien pour un long séjour dans les provinces. Il voulait partir de Rome en laissant la promesse de faire bientôt commencer une période heureuse dont son pas sage dans l'empire était une amorce. L'empereur
res, Paris, 1934, p. 94-97; id., Le «Templum Urbis» et les origi nesde l'idée de «Renovatio», dans Annuaire de l'Inst. de Philol. et d'Hist. Orient, et Slave, IV, 1936 dans Mélanges F. Cumont, p. 175-178; J. Beaujeu, La religion romaine..., p. 128-161; P. Turcan, La «fondation» du temple de Vénus et de Rome, dans Latomus, XXIII, 1964, p. 42-55.
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savait pertinemment qu'il placerait le début de cet âge nouveau le 21 avril 128; R. Turcan l'a magistralement montré143. L'année 128 est l'achèvement du huitième siècle de 110 ans depuis la fondation de la Ville; elle correspond aussi, suivant Varron et les genethliaci, à la fin d'un double cycle de 440 ans, or, tous les 440 ans se produit la palingénésie du monde. En 128, Rome devait connaître le début d'une troisième renouatio. C'était une année privilégiée entre toutes et c'est certainement à cette date qu'Ha drien a réalisé la cérémonie de fondation du temple de Rome et de Vénus, centre de la rel igion de YUrbs, de son éternité et de son bonh eur144. Cette idée de fonder une nouvelle fois Rome, de lui donner une nouvelle jeunesse qui la ren dra heureuse est encore renforcée par l'appari tion de représentations monétaires qui sont le parfait reflet de cet état d'esprit. Il faut citer, en particulier, celles qui, pour la première fois145, montrent Romulus à l'âge adulte et l'appellent CONDITOR146. Nous connaissons les rapports étroits entretenus par ce terme avec les expres sions parens patriae et, bien entendu, pater patrìae147. Or, c'est justement en 128 qu'Hadrien accepte ce titre. Grâce à la providence des dieux qui lui a permis de rester uni à Trajan dans sa domus, qui en fait le parent d'un diuus, qui exige qu'il se serve de son prédécesseur comme d'un modèle indispensable, Hadrien est devenu le rec tor orbis. Il est admis comme tel par tous et la meilleure illustration se trouve sur des aurei de 121 où l'empereur est face à Jupiter et tient le globe de l'univers148. Mais, après cette première étape nécessaire pour établir solidement son pouvoir, il devait faire plus. Il lui revenait de faire que Rome puisse repartir sur de nouvelles
bases, dans chacune de ses composantes, la Ville elle-même, toutes les provinces, les régions, les cités qui formaient l'empire. Il se devait d'être un nouveau fondateur pour l'éternité de Rome, comme Romulus l'avait été. C'est bien ce que pouvaient annoncer les monnaies avec la repré sentation de la Prouidentia Augusti. La Providen ce désigne du doigt, ou de la baguette, le globe, parce qu'Hadrien dirige le monde, tout ayant une large vision de ce que sera son avenir. Le tout se traduit dans la solennité du Natalis Orbis. Il est curieux de constater qu'Hadrien utilise le même processus, le même vocabulaire, les mêmes éléments (dont le Phénix), que Claude avant lui. Mais il a su trouver dans le renouvelle ment de l'anniversaire de Rome l'élément essent ielpour un nouveau départ vers la Félicitas™9.
143 Art. cit., p. 49-51. 144 II existe des monnaies commémoratives de Sévère Alexandre pour le centenaire du temple en 228. Nous savons, par ailleurs, que la dédicace ou consécration n'a été faite que la construction presque achevée en totalité, en 136/137 (cf. J. Beaujeu, op. cit, p. 129-131). 145 Sauf en enfant, avec la louve (cf. S. Weinstock, Diviis Julius, p. 176, n. 8). 146 RIC, II, p. 425, n° 653. Romulus tient un sceptre et un trophée. Étant donné le contexte, nous pouvons attribuer ce sesterce à l'année 128; p. 439, n°776 (année 136-137). 147 S. Weinstock, op. cit., p. 183-184. L'auteur note combien
plus souvent que d'autres Hadrien est appelé conditor ou κτίστης dans les inscriptions. 148 RIC, II, p. 353, n° 109. 149 C'est d'ailleurs certainement à Hadrien et à la politique ici définie que nous devons de retrouver les jeux de Claude, mal interprétés, dans certaines listes comme celle de Censorinus (De die natali, XVII, 1 1) ou celle de Zosime, II, 4-5. 150 Idée déjà apparente dans Virg., En., VI, 792-794; dans Stac, Silv., IV, 1, 37-38; dans Mart., V, 7 (avec le phénix) qui célèbre la rénovation de Rome exécutée sur les ordres de Domitien.
e) La «Renouatio». Ce bonheur devait évidemment s'établir dans tous les domaines, même les plus matériels, grâ ceà la providence de l'empereur. C'est pourquoi nous ne devons pas nous étonner de trouver, dans les années 125-128, des médaillons et des inscriptions très caractéristiques de cet état d'es prit de renouvellement, de renouatio150. Dans une telle rénovation, l'important reste encore le domaine de la production agricole, les ressources de la terre. Bien entendu, il y a aussi les frontières, les monuments, les fêtes, l'admi nistration générale, mais rien ne peut être consi déré comme primordial à côté du rendement agricole, ce qui fait vivre, au jour le jour, tous les habitants de l'empire et de Rome en particulier. D'ailleurs le symbolisme monétaire insiste sur le cercle du zodiaque, c'est-à-dire sur la course des planètes et des luminaires créateurs du temps
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qui favorise ou non les récoltes. Le simple cycle des saisons est sous-jacent dans de telles express ions151. Nous connaissons par ailleurs tout l'i ntérêt qu'Hadrien a porté à l'agriculture et à ses activités connexes. Dans de nombreuses régions, il chercha à recréer une catégorie de petits possessores protégés, aux dépens des grands domai nes impériaux dont les marges étaient souvent laissées en friche. Son but était d'augmenter la production152. Les deux inscriptions dont nous avons donné le texte plus haut153 entrent dans cette perspectiv e. La lettre du proconsul d'Asie, Avidius Quiet us, aux habitants d'Aezani peut être datée de 125/126, année pendant laquelle nous savons avec certitude qu'il gouverna la province154. Elle montre qu'il est intervenu comme arbitre dans une situation délicate héritée de son prédécess eur155;il s'agissait de la jouissance de terres anciennement consacrées à Zeus et qui avaient été réparties en lots entre les habitants d'Aezani. Avidius Quietus devait trancher deux problèmes: la taille du clews et le taux du vectigal à payer. Cette question relative à la jouissance de terres était très importante pour la cité. Or, comme le dit le gouverneur lui-même, c'est grâce à la πρό νοια de l'empereur que l'affaire a pu recevoir une solution durable. Le mot n'est pas employé au hasard et nous devons lui donner son sens le plus fort. Nous savons qu'Hadrien a parcouru toutes les régions d'Asie Mineure, certaines à deux reprises, en 124/125 et en 129156. C'est certainement durant le premier voyage, pendant lequel Hadrien visita les régions du nord de l'Anatolie, que le problè me des habitants d'Aezani lui a été posé. En effet, nous devons supposer que si le proconsul parle de la providence de l'empereur, l'affaire a dû être présentée à Hadrien alors qu'il était
présent dans cette petite cité. Nous avons noté ci-dessus la liaison étroite qui existait à Rome entre Hadrien compris comme un nouveau fon dateur et sa providence; nous avons aussi remar qué qu'il fallait attacher une importance capitale à la proclamation de X'Aduentus de l'empereur dans chaque province ou région et que, là encor e,la providence s'y trouvait attachée. À Aezani tous ces éléments se sont trouvé réunis. La pro clamation de la providence de l'empereur doit être mise en corrélation avec les monnaies ADVENTVI AVG PHRYGIAE et RESTITVTORI PHRYGIAE qui sont datées des toutes dernières années du règne, mais qui sont le constat des déplacements et des bienfaits apportés par le prince lors de ces voyages. La providence d'Ha drien s'est exercée parce qu'il est passé par Aezani157. Avidius Quietus, dans cette inscription, emploie un mot de caractère officiel, en rapport avec l'effet bénéfique, immédiat et à long terme, que suggère la personne de l'empereur présente en un lieu, tout particulièrement dans le domai ne de la terre et du travail agricole, c'est-à-dire de ce qui est le plus nécessaire à l'homme dans sa vie quotidienne. Nous pouvons noter que, dans le texte de la lettre, toutes les autres quali tés de l'empereur sont soumises à la prouidentia, ou contenues en elle : φιλανθρωπία, το δίκαιον, επιμέλεια158. Il ne peut faire de doute que le proconsul a su utiliser le vocabulaire convenab le, adapté à la situation, sinon recommandé; nous connaissons, par ailleurs, la sévérité d'Ha drien à l'égard de ceux qui n'accomplissaient pas leur tâche avec l'ardeur et, surtout, l'esprit voul us159. Il est possible d'expliquer de la même façon l'inscription d'Aïn-el-Djemala. La première r emarque que nous pouvons faire est de noter l'emploi du mot prouidentia à deux reprises. La
151 Cf. L. Foucher, art. cit., p. 198-199. 152 Cf. G. Ch. Picard, La civilisation de l'Afrique Romaine, Paris, 1959, p. 59-76. En termes plus généraux et plus crit iques sur les résultats, qui ne nous intéressent pas direct ement: A. Piganiol, La politique agraire d'Hadrien, dans Les Empereurs Romains d'Espagne, Paris, 1965, p. 135-143. 153 Cf. supra, p. 264-265, notes 10, 11, 12. 154 Cf. la lettre d'Hadrien à Stratonicè qui lui donne ce titre (L. Robert, Hellenica, VI, Paris, 1948, p. 20-88). 155 U. Laffi, / Terreni del Tempio di Zeus ad Aizanoi, dans Athenaeum, XLIX, 1971, p. 3-53; P.U.Alexander, Letters and Speeches of the Emperor Hadrian, dans Harv. Stud, in Class.
Philoi, XLIX, 1938, p. 155-156. 156 Cf. S. Perowne, Hadrian, Londres, 1960, p. 96-100 et p. 126. 157 RIC, II, p. 456, n° 905 et p. 467, n° 962 à 964. Une dédica ce à Hadrien et à Sabine semble avoir été faite à Aezani à l'occasion de ce passage (CIG, 3841 et 3841 b). En Phrygie, ils ont certainement visité de nombreuses autres cités dont Traianopolis, Synnada, Melissa et Philomelium (cf. B. W. Henderson, The Life and Principale . . . , p. 291). 158 L 7-8 de la lettre. 159 HA, Vit. Hadr., XIII, 10.
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première fois, il est utilisé par les demandeurs, la seconde fois par les procurateurs de l'empe reureux-mêmes. Cette double citation en mont retoute l'importance. Cette dernière est d'au tant plus grande que la réponse des procura teurs est, en réalité, sur ce point, une correction apportée à ce qui a été affirmé par les auteurs de la requête. En effet, les demandeurs font appel à la providence des procurateurs : «procuratores, per prouidentiam uestram » et les procura teurs répondent, dans un considérant à caractè re officiel, par délégation de la providence de l'empereur: «per missum prouidentiae eins». Par ce moyen, les procurateurs montrent qu'ils n'ont pas de providence, et qu'ils ne peuvent être considérés que comme des intermédiaires entre les agriculteurs du domaine et l'empereur dont la providence agit pour trouver une solution à leurs problèmes160. Il est vrai que les protestatai res avaient parlé de «cette providence que vous déployez au nom de César»; ils savaient que tout émanait de l'empereur. Mais si les procurateurs prennent grand soin de rétablir la réalité, c'est que, dans ce contexte, précis, le mot prouidentia avait pris un poids tout particulier. D'ailleurs, en examinant de plus près le sermo procuratorum, nous nous apercevons que la providence de l'empereur {prouidentia eins équivaut à prouident ia Augusti) donne le «pouvoir ipotestas) à tous d'occuper non seulement les terres palustres et silvestres pour qu'ils les plantent d'oliviers et de vignes ... ». Toute cette politique est placée sous l'invocation de la providence d'Hadrien; le consi dérant général est tout à fait explicite à cet égard: «Attendu que notre César. .. ordonne de mettre en valeur toutes les parties des champs propres à la culture tant de l'olivier ou de la vigne que de céréales ... ». Il en est exactement de même de la lex hadriana «de rudibus agris» qui est citée par les procurateurs. Mais le pro cessus ne pouvait se déclencher qu'après la
venue, YAdiientus, d'Hadrien dans la province. Aduentus et prouidentia sont liés parce que seule la présence réelle de l'empereur permet l'ordre, la félicité du moment, et, pour plus tard, la réparation de tous les torts; elle autorise et favorise singulièrement le développement agri cole. C'est pourquoi nous devons supposer qu'au cours de son voyage de 128 dans la province d'Afrique, Hadrien a promis l'application, au nom de sa providence, au domaine d'Aïn-elDjemala, de la décision générale prise pour les terres en friches et leur occupation. L'ayant fait sur place, peut-être devant les agriculteurs euxmêmes, ces derniers pouvaient alors invoquer cette providence (en flattant au passage l'orgueil des procurateurs); les fonctionnaires impériaux pouvaient alors en annoncer officiellement l'ap plication, toujours sous le signe de cette proui dentia^. C'est pourquoi aussi il ne faut pas seulement voir dans les paroles des procurat eurs,« le ton affecté et emphatique de la formul e de chancellerie»162. Dans le cadre ainsi tracé s'inscrit parfait ement un de nos documents numismatiques163. La Prouidentia y est représentée avec des attributs qui ne lui étaient pas jusqu'ici destinés, le soc de charrue et la houe164. Il n'est pas certain qu'il s'agisse d'une monnaie régulière étant donné qu'il manque toujours les deux lettres SC carac téristiques des frappes de bronze; plutôt qu'un as, il vaut peut-être mieux, comme le faisait Gnecchi, considérer cette pièce comme un médaillon. Cela ne change évidemment rien à sa signification profonde. Cette frappe est la simple conséquence de ce que nous avons décelé aupa ravant dans la politique d'Hadrien; c'est sous le signe de la Providence qu'est placé le renouveau de la terre, qu'est mise en avant sa fécondité durant ces années 125/128. D'ailleurs il semble que cette Providence, dans l'esprit même d'Ha drien et de ses contemporains, et à l'intérieur de
>t0 C'est pourquoi toute traduction de ce texte doit pren drele plus grand soin de conserver le mot « providence » les deux fois où prouidentia apparaît. Il est curieux de constater que J. Carcopino a gardé « providence » dans la réponse des procurateurs, mais a traduit, la première fois, par « sagesse ». Il faut aussi écarter la traduction de la réponse des procura teurs dans C. Courtois . . . , Les Tablettes Albertini, p. 105 : «par délégation de son autorité».
161 C'est pourquoi aussi les procurateurs peuvent prendre, à ce moment, leur décision seuls, sans en référer à quicon que. 162 J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique , p. 185. 163 Cf. supra, note 6. 164 Jusqu'au règne d'Hadrien, il n'y a aucune divinité, sur aucune monnaie, qui soit accompagnée de ces instruments.
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ce contexte précis, se confond avec TELLVS; une série de deniers des dernières années du règne (134/138) nous montre la même représent ation avec l'inscription TELLVS STABIL(ita) 165. Que dans ce domaine bien précis, et dans ces années, TELLVS ait succédé à PROVIDENTIA n'a rien qui puisse nous étonner puisque alors Hadrien considère, à mauvais ou à juste droit, peu importe ici, que les buts qu'il s'était fixés sont atteints et qu'il n'a donc plus besoin de Providence. Ces séries, complétées par d'autres sur lesquelles TELLVS porte un globe, ou un panier de fruits, ou encore un branchage de vigne166, sont un constat de l'efficacité de la Providence de l'empereur; la Terre est STABILIT A, c'est-à-dire solide, sûre, durable dans son apport à l'homme, dans la situation idéale pour lui fournir ce qui lui est indispensable167; par là même, elle est éternelle. Il est normal que prouidentia ait trouvé place dans l'ensemble constitué autour de l'annonce d'un saeculum aureum. Le siècle d'or doit être, avant tout, l'époque pendant laquelle il est inter dità quiconque de mourir de faim. Proclamer la providence de l'empereur dans ce domaine, pla cer l'action générale menée dans toutes les régions où Hadrien est passé sous l'invocation de la providence impériale, était une nouveauté; mais, dans son fond, elle se rattachait étroit ementà toutes les actions conduites par les pré décesseurs immédiats du prince168. Le trait est aussi vrai dans les problèmes de la terre et de la production agricole que dans la nécessité, pro fondément ressentie, de donner plus de poids au pouvoir impérial, responsable des cycles et des rythmes dans la vie du monde romain. Il est possible, au surplus, que chez Hadrien certaines influences extérieures aient joué un rôle. En effet, le fait que les épis sortent de terre est le
signe que la providence du prince permet aux céréales de pousser. Le sens est très différent de celui de la représentation d'épis de blé déjà détachés du sol et qui ne servent alors qu'à vanter la prospérité du moment. Dans le cas qui nous occupe, il est évidemment possible de pen ser à la Demeter éleusinienne auprès de laquelle l'empereur a été admis comme myste et comme époptès (à son second voyage en 128/129)169. Il assura au sanctuaire des avantages matériels et il a été montré pertinemment que l'image du culte éleusinien ne l'avait jamais abandonné170. La «renaissance» d'Hadrien due à la révélation et mise en valeur par un cistophore de Perga me171, a pu coïncider en 128, avec le début véritable du saeculum aureum lui-même sanc tionné par le titre de pater patriae et la consécrat ion du futur temple de la Ville éternelle. Dans une toute autre direction, il est certa inement aussi possible de penser à quelques influences égyptiennes. Le problème est un peu plus délicat, car il ne semble pas qu'Hadrien soit allé en Egypte avant le mois d'août 130. En outre, les troubles provoqués par l'affaire du taureau Apis, en 121, n'étaient sans doute pas faits pour amener Hadrien à accepter facilement l'influence égyptienne. Cependant ses goûts pour l'astrologie et tous les aspects religieux et mysti ques qui étaient répandus dans le bassin médi terranéen ne pouvaient manquer de le placer dans des dispositions éminemment favorables. Or, nous le savons, Sérapis est le dieu qui est maître de la crue et, par cet intermédiaire, maît re de faire pousser les céréales en Egypte ou d'en faire un désert. Il est le créateur et le soutien de la vie; il possède la πρόνοια. C'est ainsi qu'Aelius Aristide attribue l'inondation bienfaitrice à «la sagesse et la πρόνοια de la divinité»172; une intaille porte la légende θεοΰ
165 RIC, II, p. 372, η" 276. "*RIC, II, p. 372, n°277 et 278; p. 441, n°791; p. 445, n° 835. 167 Les explications de P. L. Strack, op. cit., II, p. 182-184, sont bien embarrassées; s'il a justement lié les frappes PRO VIDENTIA et celles avec TELLVS, comme d'ailleurs Mattingly (BMC, III, p. 444), il n'en a pas tiré d'explications cohérent es. Le simple intérêt d'Hadrien pour l'agriculture (M. P. Charlesworth, Providentiel and Aeternitas, p. 118) nous laisse sur un plan beaucoup trop général. Dans les mêmes années, nous pouvons aussi noter un
médaillon avec Tellus entourée de quatre enfants symboli sant les saisons (Strack, II, p. 61, n°560). 168 pour l'aspect purement agricole, il n'est pas besoin de parler ici de toutes les mesures prises par Nerva et par Trajan, des alimenta en Italie à l'inscription d'HenchirMettich. 169 HA, Vit. Hadr., XIII, 1 ; Dion Cass., LXIX, 1 1, 1. 170 J. Beaujeu, La religion romaine .... p. 165-170. 171 RIC, II, p. 404, n° 532. 172 Discours sur l'Egypte, 123.
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πρόνοια et représente la tête de Sérapis entou rée de quatre enfants, comme le motif de Tellus Stabilita sur le médaillon cité dans la note 167173. En outre, de nombreuses inscriptions officielles soulignent les rapports étroits entretenus par πρόνοια, Sérapis et la production agricole en général; nous en avons vu auparavant quelques exemples174, dans lesquels la πρόνοια du dieu était directement passée au roi. Il est donc pro bable que, même sans en avoir reçu l'influence directement sur place, les cultes égyptiens aient joué, auprès d'Hadrien un certain rôle dans cette introduction de la providence dans le domaine du renouveau de l'agriculture, point important de la politique de l'empereur entre 121 et 129175. Il n'y a donc rien d'étonnant à constater que Dion Cassius, à travers son abréviateur Xiphilin, mais ce dernier reprend certainement dans ce cas le vocabulaire même de l'historien, attribue à un seul empereur, justement Hadrien, la πρό νοια176. Il est tout aussi significatif que ce soit dans un passage où l'auteur insiste sur les bienf aits apportés par l'empereur durant ses visites aux villes, et, tout particulièrement l'eau et le blé. C'est bien à une renouatio touchant les pro ductions agricoles et donc améliorant les condi tions de vie dans l'empire, qu'il faut rattacher ici la providence du prince. Mais des séries monét aires à la légende et à l'image de la providence de l'empereur apparaissent une nouvelle fois à la fin du règne et complètent le sens que nous pouvons donner à la notion.
terces avec la même représentation que sur les monnaies de 121 : la Providence, debout, montre un globe (quelquefois avec une baguette) et tient un sceptre; elle est parfois appuyée sur une colonne. La seule véritable différence tient en ce que la légende PROVIDENTIA est complète177. L'originalité se trouve dans les émissions alexan drines : la Providence s'y présente sous la forme d'une femme, portant péplos et chiton, et sem blant couronnée d'une guirlande de fleurs; elle tient un phénix radié sur sa main droite et un long sceptre incliné dans sa main gauche178. Si, dans un premier temps, les monnaies des ate liers romains ne peuvent pas être datées plus précisément qu'entre 134 et 138, la marque KB, sur les tétradrachmes d'Alexandrie, indique la période de frappe qui va du 29 août 137 au 10 juillet 138, date de la mort d'Hadrien. 1 - La conservation de l'acquis
Les nouvelles séries de frappes monétaires regroupent des émissions de deniers et de
Nous nous trouvons dans des années plus difficiles pour Hadrien. Il est vrai qu'il vient, à la fin de l'année 133 ou au début de 134, de pren dre Jérusalem et d'y créer la colonie à'Aelia Capitolina et de remodeler, matériellement, la ville. Désormais la paix régnait partout; c'est pourquoi, comme nous l'avons dit, ce moment fut choisi pour faire émettre les séries des pro vinces, celles avec la légende ADVENTVI et cel les avec l'autre légende RESTITVTORI en même temps que les pièces commémorant les visites aux armées. L'accomplissement de ce qui avait été promis se trouvait maintenant réalisé. Enco re fallait-il conserver l'acquis. C'est peut-être ce à quoi a répondu la construction de la «Villa» de Tibur, commencée sans doute dès 118. Ces immenses constructions, dont le plan glo-
173 Winckelmann, Mon. Ant, p. 109-111. Cf. D. Bonnaud, La crue du Nil, Paris, 1964, p. 322. 174 Cf. supra, p. 11 et 18. 175 D'autant que les relations entre Sérapis et Hadrien, en Egypte, ont été excellentes comme le montre l'émission ADVENTVS, à Alexandrie, qui représente Sérapis et Isis accueillant Hadrien et Sabine (RIC, II, p. 452, n° 877). Il existe bien d'autres indices (cf. A. D. Nock, ΣΥΝΝΑΟΣ ΘΕΟΣ, Ι, dans «Essays on Religion and the Ancient World», Oxford, 1972, p. 216-217). Peut-être Hadrien a-t-il fait un second voyage en Egypte en 134 (S. Follet, Hadrien en Egypte et en Judée, dans
Rev. Philol, XLII, 1968, p. 54-77). Nous devons aussi noter que les épouses des rois lagides en s'identifiant à Isis s'assimilaient en même temps à Demet er;les noms semblent être devenus interchangeables. Sabi ne, Augusta en 128, est Isis en Egypte (cf. les monnaies commémorant son passage) et joue, de ce fait, auprès de son mari, un rôle important dans la fécondation de la terre (cf. F. Le Corsu, Isis. Mythe et mystères, Paris, 1977, p. 97-98). 176 Cf. supra, p. 265; Dion Cass., LXIX, 5, 1. 177 Cf. supra, note 7. 178 Cf. supra, note 8.
IV - LES DERNIÈRES ANNÉES
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bal n'est pas connu, ont provoqué des comment aires très divers allant de la louange du goût et de l'imagination de l'empereur à l'opprobe pour la fantaisie d'un simple dilettante. Si nous nous en tenons au but poursuivi par Hadrien, les choses sont claires et exprimées parfaitement par sa biographie de l'Histoire Auguste : « II édifia de façon magnifique sa villa de Tibur; on y voyait les noms des provinces et des endroits qui avaient le plus grand renom, comme le Lycée, l'Académie, le Prytanée, le Canope, le Poecile et le Tempe. Ne voulant rien omettre, il y fit même placer les enfers»179. En laissant de côté la dernière notation qui est un moyen pour l'auteur d'introduire son propos sur les signes prémonitoires de la mort d'Hadrien, il est évi dent que la villa est un résumé, une synthèse du monde romain. L'empereur a procédé de la même façon que pour les monnaies; là où cha que province était reconnaissable à ses attributs particuliers et caractéristiques, ici, dans la villa, un lieu, un bâtiment, une statue, sont chargés de symboliser la province; il y a longtemps que ce fait a été noté pour le Canope, symbole de l'Egypte180. Tout cela est dû à la volonté personnelle de l'empereur qui veut pouvoir vivre au milieu de son empire; une telle villa lui donne la possibilit é, essentielle, de parcourir Yorbis romanus et de lui apporter bienfaits et prospérité sans avoir, maintenant, besoin de se déplacer. L'aduentus de l'empereur peut se dérouler chaque jour et assu rerainsi l'éternité de l'empire181. Ce microcosme peut suffire à Hadrien pour renouveler et con server les forces de jeunesse et de fécondité développées dans le monde. C'est pourquoi il n'est nulle nécessité de le comparer à Tibère retiré à Capri, «hypocondriaque et cruel»182. Il suffit d'ailleurs de savoir qu'il n'y vécut pas de façon permanente et qu'il n'y mourut pas pour comprendre que le sens de sa présence dans sa
"9 HA, Vit. Hadr.,XXVl,5. 180 Cf. la mise au point de B. Andreae, L'art de l'ancienne Rome, Paris, 1973, p. 525-527. 181 Hadrien avait-il ce but dès avant ses voyages? Avait-il prévu la construction en même temps qu'il proclamait sa Providence et le début proche d'un nouveau siècle d'or? 182 P. Petit, Hhtoire général de l'empire romain, Paris, 1974, p. 161.
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villa est tout différent de celui de la retraite de Tibère dans son île. Durant ces dernières années, l'empereur n'avait plus une excellente santé. Lui qui résis taitmieux qu'un autre au froid, à la neige, au vent ou à la chaleur, devint rapidement un hom me malade. Il lui fallait alors penser à deux problèmes connexes : inspirer confiance par le renouvellement chargé d'espérances de son pro pre pouvoir dans les Vicennalia1*3, et perpétuer le pouvoir impérial par la désignation d'un suc cesseur. Le moment s'imposait d'autant plus que les années 135/136 sont marquées par deux évé nements importants et utilisables par la propa gande impériale : la mort de Bar Kochba, qui élimine tout danger en Orient, et l'achèvement de la construction du temple de Rome et de Vénus (sans doute le 21 avril 136) 184. Il était bon, alors, de replacer Rome dans un mouvement ascendant qui permette à tous de garder con fiance dans l'avenir. De très nombreux commentateurs ont déjà mis en rapport les séries monétaires, et tout particulièrement les deniers et sesterces de Rome portant la légende PROVIDENTIA, avec la succession d'Hadrien. C'est le cas de H. Mattingly et de E. A. Sydenham dans les introductions à leurs recueils de monnaies185; ils font des émis sions Prouidentia une allusion précise au choix d'Antonin comme héritier du pouvoir (et, nous pouvons le noter tout de suite, pas à celui de L. Ceionius Commodus). A. D. Nock fait exactement la même remarque186, ainsi que M. P. Charlesworth187. Cela semble à chacun si évident que personne ne tente une véritable explication. Or les choses ne sont certainement pas aussi sim ples, même si le fond est le reflet de la réalité. D'autant que certains ont tendance à ne pas joindre aux monnaies des ateliers de Rome le tétradrachme d'Alexandrie; si Charlesworth et J. Vogt iss y voient aussi une allusion à l'adoption
183 Qui commençaient le 10 décembre 135 (d'après P. V. Hill, The dating . . . , p. 167). 184 Cf. J. Beaujeu, La religion romaine . .., p. 129-134. 185 BMC, III, p. CXLVI; RIC, II, p. 328. 186 A Diis Electa, IV, dans Essays on Religion and the Ancient World, I, p. 264. 187 Providentia and Aeternitas . . . , p. 1 18. 188 J. Vogt, Die Alexandrinischen Münzen, p. 109-110.
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d'Antonin (toujours elle seule, mais il est vrai que la datation de la monnaie l'impose ici), J. G. Milne189 refuse à Pronoia d'être semblable à la Prouidentia romaine et, insistant sur la présence du phénix, y voit l'anticipation des événements de 139 en Egypte, le début d'une nouvelle pério de sothiaque. Pris sous cet angle, le problème semble pouvoir être résolu facilement. Il y a pourtant bien d'autres aspects.
nelles et de plus proches des milieux sénator iaux192. Mais, publiquement, tout cela était effa céet rendu invisible par son titre d'Augusta qui en faisait la première collaboratrice de l'empe reurdans une association intime puisque fondée sur la religion. C'est pourquoi, à partir de cette année 128, d'importantes séries monétaires ont été émises au nom de SABINA AVGVSTA193. Elle est asso ciée à CONCORDIA, à IVNO REGINA, à PIETAS, à PVDICITIA, à VENVS GENETRIX, à VESTA. 2 - La mort de Sabine Ses liens avec les caractères politiques et rel igieux du pouvoir impérial se marquent, en parti culier, par sa participation aux voyages d'Ha Ces dernières années du règne d'Hadrien sont marquées par des événements importants drien dans le monde romain. En 129, elle se qui peuvent jouer leur rôle dans la réapparition trouve en Asie Mineure avec l'empereur, et, à de la Prouidentia. Le premier fait est la mort de Thasos, une dédicace est faite à l'Olympien Sau veur et à la NÉçt"Hpçt194. Elle est en Egypte, aux la femme de l'empereur, Vibia Sabina, en 136. C'est elle qui formait le lien le plus étroit entre côtés de l'empereur, dans son périple au long du Hadrien et la domus augusta; petite- fille de la Nil, peut-être jusqu'à Philae; comme les Pha sœur de Trajan, Marciane, elle était petite-fille et raons et les reines d'autrefois, leur seule présen fille de diuae. Nous avons vu que ce mariage, ce devait faire pousser le blé et apporter l'eau à satiété aux hommes et aux animaux. Des bronzes voulu par Trajan et Piotine, avait été décisif dans la carrière d'Hadrien. L'empereur le ressentait d'Alexandrie commémorent cette venue; Ha profondément; prononçant l'éloge funèbre de drien et Sabine y sont représentés accueillis par Matidie, il prend soin de citer sa femme, en Sérapis et par Isis195. Ensemble, ils accomplis décembre 119: «sibique saluant Sabinae sent la visite des principaux sanctuaires et Sabi meae . . ,»190. Mais c'est en 128 que la place de neest auprès d'Hadrien quand il est initié aux Sabine devint essentielle; elle reçut alors le titre mystères de Sérapis et par le prophète d'un d'Augusta et ce n'est certainement pas une sim temple d'Héliopolis196. C'est ensemble qu'ils sont ple coïncidence si 128 est aussi l'année marquant conduits par Julia Balbilla, peut-être la petitele véritable début du saeculum aureum avec la fille de l'astrologue et préfet Balbillus, consulter dédicace du temple de Rome et de Vénus, l'acte l'oracle de Memnon qui, par l'intermédiaire d'un le plus important. Dorénavant Sabine participe, de ses colosses ne se faisait entendre qu'au lever à part entière, à la direction de l'empire, au côté du soleil. Nous en avons une trace matérielle de son mari. Qu'il y ait eu des différends entre avec les quatre épigrammes laissées sur le colos eux est certain et les ragots de l'Histoire Auguste se par Balbilla; elles font allusion à la consulta ont un fond de vérité191. Ils étaient peut-être dus tion du 20 novembre 130 et la seconde mention ne la présence de Sabine : « Βασιλήΐ,δι τυΐδε au caractère même de Sabine et à ses tendances profondes qu'on a pu qualifier de plus Σαβίννρ»197. 189 J. G. Milne, Catalogue of Alexandrian Coins, Oxford, n. éd. 1971, p. XXXII. 190 CIL, XIV, 3579, ligne 5. 191 Vit. Hadr., XI, 3. 192 A. Carandini, art. cit., p. 135. mRIC, II, p. 386-389, n°390 à 416; p. 475-479, n° 1017 à 1050. De nombreuses inscriptions privées donnent à Sabine ce titre d'Augusta bien avant 128; ainsi sur la base d'une de ses statues élevée à Pergé, SABINAE AVGVSTAE (AE, 1965, 211) et sur bien d'autres (cf. RE, suppl. XV, col. 910, W. Eck). Mais officiellement elle n'a été Augusta qu'au moment où Hadrien
acceptait d'être Pater Patriae (cf. A. Carandini, Vibia Sabina, Florence, 1969, p. 72 et p. 204, n. 6, 7, 8). 194 IG, XII, suppl., 440 (cf. A. Carandini, op. cit., p. 214). 195 P. L. Strack, op. cit., II, p. 164. 196 Preisendanz, Griech. Zauberpap., Leipzig, 1928, p. 149, 4, 2445. Cf. R. Mac Mullen, Enemies of the Roman Order, Har vard, 1966, p. 101. 197 A. et E. Bernand, Les inscriptions grecques et latines du Colosse de Memnon, Paris, 1960, n° 31; F. H. Cramer, Astrology in Roman Law and Politics, Philadelphie, 1954, p. 173; J. Gagé, Basileia..., p. 217-219.
HADRIEN La mort de Sabine ne pouvait avoir que des conséquences importantes étant donné la place qu'elle tenait, religieusement et mystiquement, auprès de l'empereur. Elle entraînait d'abord sa consécration; depuis Marciane être Augusta, et elle l'avait été dès 105, était une préparation durant la vie terrestre à la divinisation après la mort. C'est pourquoi il nous faut écarter sans la moindre hésitation les avis de ceux qui ne veu lent pas qu'Hadrien ait accepté cette apothéose de son vivant, et qui pensent que la consécration a été le fait d'Antonin198. Les séries monétaires avec CONSECRATIO et DIVA AVGVSTA SABINA ont bien été émises dès la cérémonie de divinisa tion réalisée199. Sur ces pièces, nous pouvons noter la présence de l'aigle, ou bien seul sur un sceptre ou bien emportant Sabine sur son dos; nous en avons dégagé le sens à propos de la monnaie d'Hadrien à la légende PROVIDENTIA DEORVM200. C'est l'aigle de Jupiter, mais c'est aussi le symbole de tous les diui qui accueillent la nouvelle dina; désormais, à l'instar des autres diui, diua Sabina étendra sa protection sur Hadrien201. Les cendres de Sabine furent dépo sées dans le tout nouveau Mausolée202 et son souvenir se conserva suffisamment pour que des commerçants africains de Sabratha qui avaient reçu un emplacement sur le forum de César lui fassent une dédicace: «DIVAE SABINAE A[VG] SABRATHE[NSES] EX AF[RICA] »2O3.
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Malgré les rapprochements possibles, et même certains, cette place importante donnée à Sabine de son vivant, surtout à partir de 128, et après sa mort, n'est pas suffisante pour expli quer l'apparition de nouvelles monnaies avec
PROVIDENTIA AVGVSTI. Une deuxième voie peut être ouverte si nous prenons en compte le renouvellement des pouvoirs de l'empereur par la célébration de ses Vicennalia. La Providence entretient des rapports étroits, nous l'avons vu aussi, avec le début de nouvelles périodes heu reuses. Un document, malheureusement bien postérieur puisqu'il est daté du règne de Marc Aurèle, nous assure que l'empereur a célébré ses vicennalia le 13 décembre 136: «ιζ'ύπέρ τοΰ τον θεον Άδρ[ι]ανον δευτέραν της αρχής [δεκετηρίδα] πεπληρωκέναι πάροδος.»204. Cet «achèvement de la deuxième période de dix ans» de son pouvoir a coïncidé, ce 13 décembre 136, avec la fin de la vingtième puissance tribunicienne de l'emper eur.D'ailleurs les années 134-137 sont marquées par de nombreuses émissions monétaires avec les légendes VOTA PVBLICA ou VOTA SVSCEPTA205. Il est certain que nous pouvons les lier à des événements précis de cette période, en parti culier la victoire sur les Juifs et le retour d'Ha drien (sur ces monnaies les symboles de victoire sont nombreux). Mais il n'est pas interdit de penser que ces vœux particuliers, auxquels nous pouvons joindre le dixième anniversaire de la consécration du temple de Rome et de Vénus et sans doute son inauguration en 136-137, ont coïncidé avec la célébration de la fin des uicennalia et le début des tricennalia d'Hadrien. Il est possible de comprendre les Vota suscepta com menota suscepta XXX; la couronne de chêne qui se trouve sur certains de ces types peut être prise pour le symbole de ces renouvellements périodiques du pouvoir206. D'ailleurs, cette pério de 135-138 voit la célébration de quelques céré monies marquant le renouvellement du pouvoir et l'appel à la protection des dieux et du monde divin dont les Liberalitates peuvent être comme l'expression207. Il n'est pas impossible que les séries monétaires des provinces aient été émises,
198 Henzen, AFA, p. 149; RIC, II, p. 327 (avec hésitation). 199 RIC, II, p. 390, n° 418 à 422; p. 479, n° 1051, 1052. 200 Cf. supra, p. 270. 201 Ce type de représentation est d'ailleurs repris à celui de DIVA MARCIANA (RIC, II, p. 299, n°743 à 745; p. 300, n° 748). 202 CIL, VI, 1, 984 (=ILS, 322). ™Not. d. Scavi, 1933, p. 433-444 (=AE, 1934, 146). La dédicace est du 13 décembre 138.
liste des inscriptions en l'honneur de la ditta dans RE, suppl. XV, col. 914, W. Eck. 204 S. Eitrem-L. Amundsen, Papyri Osloenses, III, Oslo, 1936, p. 45, n°77, col. 11, 1. 15-16 (=E. M. Smallwood, n° 147). 205 RIC, H, p. 373, n° 289 à 295; p. 441, n° 792. 206 Cf. M. Hammond, op. cit., p. 50, note 55. 207 RIC, II, p. 369, n°253; p. 438, n°765 et p. 443, n° 817 (LIBERALITAS AVG VI); p. 369, n°254; p. 438, n°766 (LIBERALITAS AVG VII).
3 - Les «Vota» renouvelés
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en 137, à l'occasion de ces uicennalia208 , ce qui renforcerait ce que nous avons dit à propos de ces émissions. Nous nous trouvons bien dans une ambiance favorable à la proclamation de la PROVIDENTIA AVGVSTI, c'est-à-dire à la certitude d'assurer un bon départ dans une période nouvelle. Mais le plus important ne se trouve sans doute pas là; en effet, étant donné sa date précise, la série d'Alexandrie ne peut être rangée dans le même ensemble, tout au moins directement. Un autre fil conducteur est nécessaire.
nous présente cette succession comme une suite d'incertitudes et d'hésitations de la part de l'em pereur. Hadrien aurait d'abord pensé à L. Iulius Ursus Servianus, son beau-frère puisqu'il avait épousé l'unique sœur de l'empereur, Aelia Domitia Paulina. C'était son plus proche parent, un homme déjà très âgé et qui avait eu une carrière remplie et brillante, car marquée par trois con sulats, dont deux ordinaires (à la fin du règne de Domitien, puis en 102, enfin en 134) 210. Les rap ports entre les deux hommes n'avaient pas tou jours été très bons et il semble qu'ils ne se soient réconciliés véritablement que dans les dernières années du règne de Trajan, au 4 - Le choix d'un successeur moment exact où l'empereur mettait justement Un aureus, très rare, peut nous orienter. Il au premier plan les relations familiales. De son mariage avec la seule sœur d'Hadrien, Servianus porte, au droit, la tête nue d'Hadrien, à droite, avec la légende HADRIANVS AVG COS III Ρ Ρ eut une fille, Julia, qui épousa Cn. Pedanius et, au revers, la légende DIVIS PARENTIBVS Fuscus Salinator, lui-même consul ordinaire avec Hadrien en 118. De ce mariage naquit au avec les bustes de Trajan et de Piotine, se faisant face; une étoile est placée au-dessus de chacun moins un garçon, le petit-neveu d'Hadrien, enco d'eux209. Il ne peut être daté avec une grande rejeune dans les années 136-138. D'après la biographie, l'empereur n'en aurait pas voulu précision, mais il est remarquable comme sou dain rappel de la filiation divine d'Hadrien. Ce pour lui succéder, de la même façon qu'il aurait signe n'est pas gratuit; il traduit une des grandes repoussé les prétentions d'A. Platorius Nepos préoccupations de la fin du règne, la préparation (consul avec Hadrien en 119) et de D. Terentius de la succession; elle ne peut se faire que par la Gentianus (consul suffect en 116). volonté de l'empereur régnant et elle doit se À la suite d'un nouvel accès de sa maladie, faire, comme Yaureiis l'indique, dans la ligne l'hydropisie, il se décida à adopter celui que l'auteur de la Vie d'Hadrien appelle Ceionius choisie par Trajan et par Piotine. Il ne peut faire de doute qu'en privilégiant Trajan et Piotine, en Commodus et que Dion Cassius nomme Lucius tant que Parentes, parmi les diui, Hadrien ait mis Commodus211. Ce L.. Ceionius Commodus était au premier plan le problème de sa succession. né en 100 et se trouvait être le beau-fils de C. Et pourtant les apparences sensibles ne sem Avidius Nigrinus, ce consulaire, ami d'Hadrien, qui avait disparu dans le « complot » du début du blent pas nous montrer un empereur conscient règne, en 118. Si nous nous fions à nos sources, de la règle qu'il se devait de suivre. En effet, le choix du successeur s'est réalisé il n'existait aucun lien de parenté entre L. Com en plusieurs étapes qui, au premier abord, ne modus et l'empereur; le successeur désigné avait paraissent pas laisser de place prépondérante à simplement accompagné Hadrien dans son der la domus imperatoria. Il est bon de rappeler ici nier voyage, celui d'Egypte. Plus encore, c'est à les faits généralement admis. L'Histoire Auguste la suite de ce choix dont il n'est pas permis de
208 P. L. Strack, II, p. 139-141; p. 184. L'importance de cette période qui commence en 112 a bien été mise en valeur par P. Gros, Rites funéraires et rites d'immortalité dans la liturgie de l'apothéose impériale, dans EPHE, IVe section, Se. Hist, et Philol., 1965/1966, p. 477-490. P. Gros montre qu'à partir de la consécration de Marciane et de celle du père de Trajan il y a sacralisation de toute la domus augusta (p. 480) dont tous les membres sont promis à l'immortalité céleste.
209 RIC, II, p. 367, n° 232 A et 232 B. 210 HA, Vit. Hadr., XXIII. Sur les détails connus de sa vie, cf. E. Groag, RE, 10», 1917, col. 882-891. 211 HA, Vit. Hadr., XXIII, 10-11; Dion Cass., LXIX, 17, 1. L'adoption eut lieu entre juillet et décembre 136, peutêtre en août (cf. B. W. Henderson, The Life and Principate . .. , p. 259, n. 8).
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douter puisque le successeur désigné reçut le titre de César, le consulat et la puissance tribunicienne (peut-être seulement le 10 décembre 136), et fut désormais connu sous le nom d'Aelius César, que Servianus et son petit-fils Pedanius Fuscus auraient été exécutés (donc en 136 ou au début 137)212. À la suite de la mort d'Aelius César, le 1er janvier 138, Hadrien dut transformer sa succes sionen procédant par étapes. Le 25 février 138, il adopta Titus Aurelius Boionius Annius Antoni nus qui avait épousé une petite-fille de Matidie, la belle-mère d'Hadrien, et n'avait que dix ans de moins que l'empereur. Ce nouveau fils d'Hadrien dut lui-même adopter le fils d'Aelius César, Lucius Verus (donc petit-fils d'Hadrien par adopt ion) et Marcus Annius Verus, le petit-fils du beau-frère de l'empereur213. Étant donné le jeu ne âge des deux derniers, Antonin devait servir d'intermédiaire pour leur ouvrir la voie du pou voir à leur âge adulte. Quand Hadrien mourut, le 10 juillet 138, tout se déroula comme il l'avait prévu et Antonin devint princeps. Cette succession et le caractère étonnant des choix d'Hadrien, allant jusqu'à écarter et faire exécuter ses plus proches parents, ont donné lieu à de multiples controverses qu'il est inutile de reprendre ici. Mais nous devons essayer de replacer les émissions PROVIDENTIA dans ce contexte et leur donner des causes précises. Comme nous l'avons vu ci-dessus, les autres évé nements de ces dernières années du règne peu vent être mis en rapport avec la Providence, mais ne sont pas suffisants pour expliquer les frappes qui nous intéressent. Il est incontestable qu'il nous faut les mettre en rapport avec ce qui a retenu l'attention de tous pendant ces années, la succession. De ce fait, nous nous trouvons dans une ambiance déjà connue qui fait jouer un rôle important à la Providence pour assurer le pouvoir dans une lignée définie par l'empereur malgré les embûches créées par certains (dont les fameux «complots»). Or, nous avions vu qu'à
chaque fois l'astrologie jouait un rôle considéra ble sinon prépondérant. Nous pouvons aisément en trouver la trace dans les événements de 136138. C'est ainsi que la biographie de l'Histoire Auguste présente le jeune Pedanius Fuscus «quod Imperium praesagiis et ostentis agitatus speraret»214', dans les présages et les prodiges, il est aisé de supposer l'existence d'un thème de geni ture «impérial». Les allusions sont beaucoup plus précises quand il s'agit de L. Ceionius Commodus. L'auteur de sa vie insiste sur le fait qu'Hadrien connaissait l'horoscope d'Aelius Cés ar, qu'il savait que sa vie ne serait pas longue; malgré cela et en toute connaissance de cause, il l'avait choisi comme héritier de son pouvoir215. C'est d'ailleurs à ce propos que la biographie d'Aelius César a soin de nous rappeler que Marius Maximus avait mis en avant la profonde science d'Hadrien en astrologie qui lui avait per mis d'établir et de comprendre son propre thè me. Le goût d'Hadrien pour tous les aspects de la recherche divinatoire n'est plus à démontrer; il ne cessa, dans ce domaine, d'affirmer une curiosité, et certainement une foi, inlassables. C'est pourquoi, si nous devons définir avec pré cision la place tenue par la Providence dans ce contexte, il nous faut tenir compte d'un docu ment astrologique capital.
212 Dion Cass., LXIX, 17, 1-2. Dans HA Vit Hadr., XXIII, la chronologie des faits est peu apparente. Cf. R. Syme, The Ummidii, dans Historia, XVII, 1968, p. 94. 213 HA, Vit. Hadr., XXIV, 1; Dion Cass., LXIX, 21, 1. 214 HA, Vit. Hadr., XXIII, 3.
215 HA, Vit. Hadr., III, 8 et IV, 5. 216 Cf. W. Gundel-H. G. Gundel, Astrologumena. Die astrolo gische literatur in des Antike und ihre Geschichte, Wiesbaden, 1966, p. 241-244.
5 - DU RÔLE DE L'ASTROLOGIE a) Les trois thèmes de geniture d'Antigone de Nicée. Ce document est un ensemble de trois horos copes; il est tiré de l'œuvre d'Héphestion de Thèbes, un écrivain-astrologue de la deuxième moitié du IVe siècle et Égyptien. Il a écrit un traité en trois livres dans lesquels il a compilé un nombre important d'extraits d'auteurs des siècles antérieurs que, sans lui, nous ne connaît rionsplus216. Dans le livre II, il nous donne in extenso plusieurs horoscopes «historiques» pris
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dans les ouvrages d'Antigone de Nicée217. Il est incontestable que ces trois thèmes forment un tout qui existait comme tel dans Antigone. Ce dernier nous est très mal connu, nous pourrions même dire presque totalement incon nu.Pourtant il serait bon de savoir si nous pouvons avoir quelque confiance en de semblab les textes et si leur auteur est digne d'être écouté et suivi. Les tentatives faites jusqu'ici n'ont donné que des résultats peu nets pour notre propos218. Sa réputation astrologique a été très grande, mais faut-il le confondre avec le physicien qui porte le même nom? Il est cité par Palchos et Rhétorios à la fin du IVe siècle et par Jean Lydus au VIe siècle. Mais il est surtout nommé par Porphyre dans son Isagoge au Tétrabiblos de Claude Ptolémée d'Alexandrie219, dans un chapitre sur les figures géométriques formées par les constellations : « . . .Άντίγωνος και Φνάης ό Αιγύπτιος, και άλλοι, τινές ...» Porphyre, mort entre 301 et 305, a rédigé son Isagoge vers 270280. Antigone de Nicée doit donc être placé dans la période 140-260. Mais l'étude de la technique astrologique peut nous permettre une approche plus précise. En effet, dans le cours du deuxième siècle après Jésus-Christ, les domaines des mathématiq ues, de l'astronomie et de l'astrologie sont mar qués par l'œuvre fondamentale de Claude Ptol émée d'Alexandrie. Vivant dans la première moit iéde ce siècle220 et observant le ciel entre 127 et
151, il rédigea alors ses œuvres dont le Tétrabiblos dans lequel il systématise et regroupe les observations de ses nombreux prédécesseurs dans la science astrologique et les siennes pro pres221. Son importance dans l'évolution de l'a strologie est capitale, car il a rendu clairs la plupart des préceptes, il leur a donné une fo rmulation compréhensible et un vocabulaire qui ne variera guère désormais. À telle enseigne que tout astrologue se devait maintenant de prendre appui sur l'œuvre de Ptolémée pour conduire ses démonstrations; son renom est universel; en sont la preuve, les nombreuses citations qu'il est possible de déceler dans les ouvrages posté rieurs, l'intérêt de Porphyre, de Firmicus Maternus à l'époque de Constantin222, d'Héphestion de Thèbes qui l'appelle «le divin Ptolémée» et le cite très souvent223. À partir de sa parution, son ouvrage devient un instrument indispensable de travail et de référence. Or, Antigone de Nicée est appelé, par Héphestion de Thèbes, un disciple de Néchepso et de Pétosiris224. La remarque est intéressante parce qu'il s'agit d'une des sources fondamental es de l'astrologie au IIe siècle et encore aux siècles suivants. Historiquement Néchepso est un pharaon de la XXVIe dynastie225 qui aurait régné au milieu du VIIe siècle avant J.-C. Pétosir is pourrait être ce grand-prêtre d'Hermopolis dont le tombeau a été retrouvé226. Les longues inscriptions qui s'y trouvent, le style et la techni-
217 Cet ensemble a été publié dès 1903 dans le recueil intitulé Catalogus Codicum Astrologorum Graecorum; dans son édition des manuscrits de Vienne, W. Kroll a fait place au plus important de ces trois thèmes de geniture, l'Imperatoris Hadriani genitura, le seul horoscope impérial que nous possédions dans son entier (CCAG, VI, p. 67-71; Cod. Vindob. = Cod. Phil. gr. 108, f. 301, ex cap. ρξδ\ § VII). Il le complétait et le corrigeait, en cas de besoin, à l'aide d'un manuscrit de Paris étudié par F. Cumont (Cod. Paris 2417, f. 106. Les variantes par rapport au manuscrit de Vienne sont données en notes par W. Kroll). Enfin, en 1911, Ch. E. Ruelle publiait, dans la même collection, un troisième manuscrit, lui aussi de Paris, de ce même texte et, en outre, il y ajoutait deux horoscopes qui, dans le manuscrit, venaient immédiatement après celui d'Hadrien (Cod. Paris 2501, f. 132 r, dans CCAG, VIII, 2, p. 82-84 : horoscope d'Hadrien; p. 84, 1. 1 à 26 : deuxiè me horoscope : p. 85, 1. 1 à 10: troisième horoscope). Très peu de commentateurs ont utilisé cette source: V. Stegemann, art. Horoskopie, dans Handwörterbuch des Deutschen Aberglaubens, IV, Berlin-Leipzig, 1931-32, col. 370372 (point de vue de la technique astrologique). F. H. Cramer,
op. cit., p. 162-178 et p. 268 (quelques passages traduits). J. Gagé, Basileia ..., p. 229-232 (quelques passages traduits). O. Neugebauer-H. B. van Hoesen, Greek Horoscopes, Philadel phie, 1960, p. 90-91 (traduction anglaise incomplète). 218Riess, RE, 1, col. 2422; Cumont, RE, suppl. 1, col. 90; Kroll, RE, suppl. 5, col. 2. 219Porph., Isag., 51, f. 201. 220 Cf. A. Bouché-Leclercq, L'astrologie grecque, Paris, 1889, p. 110. 221 Cf. F. E. Robbins, éd. de Ptolémée, Tetrabiblos (Coll. Loeb, 1964), p. VI-X. 222 Firm. Mat., Mathesis, II, proem., 4 : « Les véritables antiscia . . . sont ceux que Ptolémée a mis en évidence après une recherche pleine de soin». 22iCCAG, VIII, 2, p. 81, 2: «ό θείος Πτολεμαίος». Héphest ion le prend pour base dans son étude Περί τύχης αξιωματ ικής. 224 CCAG, VI, p. 67, 11. 5-6. 225 Manethon, Aegyptiaca, f 68, 69a et 69b. 226 G. Lefebvre, Le tombeau de Pétosiris, Le Caire, 1924, 3 volumes.
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que des bas-reliefs ont permis de le dater de la fin du IVe siècle avant J.-C. En outre, l'inventeur du tombeau a pu déchiffrer, sur les parois, un grand nombre de graffiti, en grec, des IIIe et IIe siècle avant J.-C; Pétosiris, après sa mort, eut une grande réputation de «sage»; on venait à son tombeau en pèlerinage et peut-être même pour obtenir des miracles : « J'invoque Pétosiris dont le cadavre est sous terre mais dont l'âme réside au séjour des dieux; sage, il est réuni à des sages»227. Bien entendu, ce pharaon et ce grand-prêtre ne sont pas les auteurs d'un syst èmeastrologique et ils n'ont pas posé les fonde ments de la «science» postérieure, même s'ils sont partout cités comme tels, et surtout comme s'ils étaient maître et disciple228. Pour tous les Anciens, ils ont vécu dans des temps très reculés et ils ont écrit leur œuvre à la suite d'une révéla tionnocturne par l'intermédiaire d'« une voix du ciel»229. En réalité, les ouvrages et les opinions mis sous le nom de Néchepso et de Pétosiris l'ont été pour leur donner plus de poids, plus de prestige, celui que confère l'ancienneté qui est l'assurance d'une plus grande proximité avec les dieux. Il faut penser à une rédaction entre le IIIe et le Ier siècle avant J.-C, peut-être plutôt entre 150 et 120, ce qui n'empêcha pas les retouches et les corrections apportées par ceux qui voulaient faire passer leurs découvertes à la postérité grâ ceaux noms de Néchepso et de Pétosiris230. Le succès a été considérable puisque Pétosiris est
devenu un nom courant pour désigner et per sonnifier l'astrologue231. Toute l'astrologie du début de l'empire repose sur ces deux piliers; il n'est donc pas étonnant de les voir évoquer ici, mais ils sont évoqués seuls, comme étant la source unique d'An tigone de Nicée; or nous savons que l'apparition et la diffusion de l'œuvre de Ptolémée d'Alexandrie a obligé les astrolo gues«à sortir de la routine des Néchepso et Pétosiris»232. Antigone en est-il vraiment sorti? Il est certain que l'étude de la technique astrologique employée par Antigone233 nous per met de faire un très grand nombre de rappro chements avec Ptolémée234. Mais cela ne nous apprend rien de très précis puisque Antigone et l'Alexandrin ont évidemment puisé aux mêmes sources. L'étude de certaines différences est beaucoup plus positive; en effet, Ptolémée a ren duclairs la plupart des préceptes astrologiques, il leur a donné une formulation compréhensible et un vocabulaire désormais presque définitiv ement fixé. Or, à l'intérieur des thèmes rédigés par Antigone nous remarquons de nombreuses imprécisions235 qui dénotent une méthode sou vent peu élaborée par rapport à celle de Ptolé mée236. Nous pouvons même trouver, sur quel ques points, de véritables oppositions entre les deux astrologues237. Il est certain qu'une étude en profondeur montrerait que non seulement Antigone ne s'est pas servi de l'œuvre de Ptolé mée238, mais qu'il ne l'a sans doute pas connue.
227 Id, ibid., I, p. 9. 228 Néchepso est souvent appelé ό Βασιλεύς : Vet. Val., Ill, 5; VI, 11. Imperator: Firm. Mat., IV, 22, 2. Ils sont presque toujours associés: Firm. Mat., Ill, proem., 4; IV, proem., 5;... 229 E. Riess, Nechepsonis et Petosiridis fragmenta magica, dans Philologus, suppl. 6, 1891-1893, p. 332. 230 C'est l'avis de W. Kroll, RE, VI, 2, col. 2160-2167. De même F. Cumont, Astrology and Religion among the Greeks and Romans, New York, 1912, p. 43. E. Riess, op. cit., p. 329330, croit à une date plus récente, entre 80 et 60 av. J. C. 231 Juv., Sat., VI, 580-581. 232 A. Bouché-Leclercq, op. cit., p. 111, n. 1. 233 Si l'on ne tient pas compte de possibles remaniements de l'œuvre d'Antigone par Héphestion ou par des prédéces seurs d'Héphestion. Certains passages semblent des gloses, d'autres ne paraissent être que des résumés (surtout dans le deuxième et le troisième thème). 234 Sans les citer tous ici, il suffit de donner les plus importants : les domiciles des planètes et les « sectes » (CCAG,
VI, p. 62, 1. 16-26 et Ptol., Tetrab., I, 17); le nombre de frères dépendant du nombre et de la position des planètes bienveil lantes(CCAG, VI, p. 70, 1.20-29 et Ptol., Tetrab., III, 5); la dignité royale (ou impériale) en rapport avec la position des planètes autour des deux luminaires (CCAG, VI, p. 69, 1. 27-31 et p. 70, 1. 2-6; Ptol., Tetrab., IV, 3). 235 Ainsi la confusion entre le lever héliaque de Mercure et de Saturne et leur apparition au-dessus de l'horizon (CCAG, VI, p. 69, 1. 6 et 23). Le nom de zénith donné à ce qui est Culmination Supérieure ou Milieu du Ciel (CCAG, VI, p. 69, 1. 10 et 15-16)... 236 Par exemple dans la définition des satellites du Soleil (CCAG, VIII, 2, p. 85, 1. 6). 237 Pas d'intervention de Saturne pour l'hydropisie (CCAG, VI, p. 69, 1. 5) ; utilisation de la doryphorie pour les qualités de l'esprit (CCAG, VI, p. 69, 1. 7) ... 238 Un seul point pose véritablement problème dans cette perspective. À la fin de l'horoscope d'Hadrien, l'auteur demande à son lecteur de tenir compte d'autres éléments pour aborder le calcul de la durée de la vie (CCAG, VI, p. 71,
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L'astrologue de Nicée se présente toujours com mel'adepte de théories plus anciennes, peu éla borées ou pas encore définitivement fixées. Comme un crédit universel a été très rapide mentaccordé à Ptolémée, nous devons affirmer que les horoscopes d'Antigone de Nicée ont été rédigés entre 138 et 200 et, certainement, beau coup plus près de 138 que de 200, en somme sous les règnes d'Antonin le Pieux ou de Marc Aurèle et L. Verus. De ce fait, ce thème de geniture est un document presque contemporain de l'empereur et important pour la compréhens ion de son règne et de la mentalité de son époque.
Mais, pour l'instant, il est bon de tenter d'éclaircir la nature des deux autres horoscopes. En effet, comme nous l'avons dit, ce n'est pas un hasard si, dans le recueil d'Héphestion, ces trois thèmes d'Antigone ont été trouvés groupés. Il est à peu près certain qu'ils devaient former, à eux trois, dans l'œuvre de l'astrologue de Nicée, un tout. Il reste à définir ce qui pouvait les lier; ce ne peuvent être que des personnes ayant eu des contacts étroits avec Hadrien. Dans son édition, de 1911, du troisième thè me, F. Cumont avait pensé attribuer cet horosco pe à Pedanius Fuscus, ce jeune homme qui dis parut, condamné à mort, en 136239. Des recher chesastronomiques délicates ont pu apporter la date précise correspondant à chaque thème de geniture : 24 janvier 76 ap. J.-C. pour le premier;
ce n'est qu'une confirmation qu'il s'agit bien de celui d'Hadrien pour lequel nous possédons la même date par l'Histoire Auguste240; 5 avril 40 ap. J.-C. pour le deuxième; 6 avril 113 ap. J.-C. pour le dernier241. De nombreux indices permettent d'être en accord avec F. Cumont et de voir dans le person nageauquel se rapporte le troisième thème, Pedanius Fuscus : en particulier le passage ind iquant que «tombé sous l'accusation d'aspirer à l'empire, il fut exécuté avec un vieillard de sa famille». Cela correspond parfaitement à ce que nous dit Dion Cassius qui parle de la mise à mort de Pedanius Fuscus et de son grand-père Servianus pour avoir désapprouvé le choix de L. Ceionius Commodus242. L'horoscope correspond encore plus étroitement au récit de l'Histoire Auguste dont l'auteur insiste sur les présages et les prodiges qui avaient fait espérer l'empire au jeune Fuscus, et sur la manière dont Hadrien poussa Servianus et son petit-fils à la mort243. Mais une grave difficulté se présente aussitôt; nous savons par Dion Cassius que Pedanius Fus cus avait dix-huit ans lorsqu'il fut mis à mort; or, le thème de geniture dit expressément qu'il est mort «à peu près à vingt-cinq ans». En suivant l'historien grec, tous les auteurs ont reporté sa naissance à l'année 118, celle même où son père avait été consul244. Mais, étant donné l'horosco pe, qui a été rédigé à un moment très proche du déroulement des événements, nous devons écar terl'opinion admise communément et placer sa naissance dans l'année 113. En outre, si nous ajoutons les 25 ans à 113, nous sommes aussi
1. 15-28). Il s'agit, en particulier, de la théorie du τόπος άφετικός, lieu privilégié dans lequel il faut trouver une planèt e « aphète » et à partir duquel on prend le nombre de degrés d'ascension jusqu'à l'obstacle constitué par une planète anaérétique (Mars ou Saturne) qu'elle soit présente réellement ou en aspect. Or, si nous en croyons Bouché-Leclercq, cette théorie est une création de Ptolémée (op. cit., p. 410-421) qui l'exposa d'ailleurs en détail (Tetrab., III, 10). Cela veut-il dire qu'Antigone a connu l'œuvre de l'Alexandrin? En réalité Antigone ne s'en sert pas véritablement et la remarque reste mal liée au reste de son étude. Ces lignes ont pu être ajoutées à l'horoscope d'Hadrien après Antigone, simple note placée en marge à un moment où la question des aphètes avait reçu la marque maîtresse de Ptolémée. «9 CCAG, Vili, 2, p. 85, note 1. 240 HA, Vit. Hadr., I, 3 : «VIIII Kal Feb. ». 241 Ο. Neugebauer-H. Β. van Hoesen, Greek Horoscopes, p. 91; p. 79-80.
Leur étude minutieuse a permis de mettre en évidence le fait que la position des planètes avait, dès l'Antiquité, été presque parfaitement calculée; les écarts ne dépassent pas 5 degrés dans le premier thème et 10 degrés (ce qui est un cas exceptionnel) dans le deuxième. Ce sont des écarts négligea bles pour les méthodes astrologiques. Le troisième thème ne nous donne aucune position précise des astres dans les signes; les auteurs américains ont pu faire les calculs: le Soleil au 15e degré du Bélier, Mercure au 6e degré du Bélier, Saturne au 2e degré du Bélier, Horoscope dans le Bélier, au lever du Soleil, Jupiter au 23e degré des Poissons, Vénus au 22e degré du Verseau. C'est dans ce thème que se trouve la seule erreur grave : la Lune ne peut se trouver dans le Lion; elle est dans le Taureau, au 19e degré. L'erreur est sans doute due à une mauvaise transcription d'un copiste. 242 LXIX, 17, 1. 243 Vit. Hadr., XV, 8; XXIII, 2-3. 244 RE, XIX, 1, n°6, col. 21.
b) Un ensemble familial.
HADRIEN obligés de reporter la date de la mort de Fuscus à l'année 138, alors que, jusqu'ici, on pensait à 136. Cela correspond d'ailleurs beaucoup mieux à l'atmosphère dans laquelle l'auteur de la Vie d'Hadrien place les exécutions de Servianus et de Fuscus, à un moment où l'empereur prend peur que Servanius ne lui survive, ce qui ne peut être que dans les derniers mois de sa vie : «sub ipso mortis tempore et Seruianum . . . »245 . Ces mots recouvrent avec plus de précision et de véracité la première partie de l'année 138 pendant laquelle les souffrances d'Hadrien furent diffic ilement supportables, qu'ils ne reflètent l'atmo sphère de l'année 136246. Mais cela ne nous permet toujours pas d'at tribuer le deuxième thème de geniture qui, mal heureusement, ne comporte aucun fait particul ier et caractéristique; nous ne possédons même pas la longueur de la vie du personnage. Il est cependant certain que ce thème doit être mis en rapport avec les deux autres. Certains, ne tenant compte que de l'horoscope d'Hadrien, y ont vu la geniture du père d'Hadrien247. Il est certain que les quelques traits indiqués dans le thème peuvent correspondre à ce que nous savons de la vie de P. Aelius Hadrianus Afer; «personne eminente dont les ancêtres auront été éminents». En effet, le père de l'empereur avait été préteur et un de ses ancêtres, sous César, était devenu le premier sénateur de la famille. Mais il s'agit là de renseignements bien minces et, sur tout, nous ne voyons pas pourquoi, entre l'horos coped'Hadrien et celui de Pedanius Fuscus, serait venu se placer celui du père de l'empereur qui n'avait joué aucun rôle dans sa vie (puisque mort dès 85), et dont on ne rappelle jamais le souvenir. Cette opinion n'est pas vraiment ren forcée si l'on considère qu'Hadrianus Afer était l'arrière-grand-père du jeune Pedanius Fuscus. Si nous restons dans le cadre de la famille, ce qui semble s'imposer, ne vaudrait-il pas mieux pen ser au grand-père de Pedanius Fuscus, ce L. Iulius Ursus Servianus dent il est question dans le troisième thème : « il fut exécuté avec un
245 HA, Vit. Hadr., XXV, 8. 246 Ce sont aussi les conclusions auxquelles aboutit F. H. Cramer, op. cit., p. 178; p. 268. 247 Cf. F. H. Cramer, op. cit., p. 162. 248 Cf. Groag, RE, 10, 1, n°538, col. 882-891.
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lard de sa famille ». Cette attribution est à consi dérer de près. Rien dans le thème ne peut aller à l'encontre d'une attribution à Servianus. Le caractère « emi nent » de sa personne est beaucoup plus évident que celui du père d'Hadrien. En effet, Servianus eut une carrière brillante248; trois fois consul, dont deux fois ordinaire et la dernière fois en 134; il remplit des fonctions consulaires import antes; c'est ainsi qu'il succéda sans doute à Trajan dans la légation de Germanie. Puis il passa en Pannonie249 où il prépara la première expédition dacique. Son talent militaire lui avait valu la confiance de Trajan et il faisait partie de ses amici que le prince consultait. Il recommand a Pline le Jeune pour l'obtention du ius trìum liberorum, en 98250. Plusieurs allusions de Y His toire Auguste montrent que, durant le règne de Trajan, ses relations avec son beau-frère Hadrien ne furent pas excellentes; en particulier, Servia nus s'était permis de dénoncer à l'empereur les dépenses et les dettes d'Hadrien (dès 98) 251. Cependant, avant le dénouement tragique, ils semblaient s'être réconciliés252. Le manque de détails sur la vie de Servianus dans notre horos cope peut s'expliquer par la condamnation et l'exécution du vieillard qui auraient entraîné une véritable abolitio memoriae; elle permettrait de comprendre que nous ne possédions que très peu d'inscriptions comportant son cursus honorum, ce qui est extraordinaire pour un homme ayant revêtu trois fois le consulat, le maximum pour un particulier à cette époque, et ayant eu une vie si longue et si remplie. Nous devons penser qu'Antigone se devait de montrer une grande discrétion à l'époque où il écrivait, ce qui n'aurait eu aucun sens pour le père d'Hadrien. Mais il reste un dernier point à éclaircir puisque ce deuxième thème correspond à une naissance le 5 avril 40. S'il s'agit bien de Servianus, ce dernier n'a pas 90 ans à sa mort, comme nous le transmet Dion Cassius par l'intermédiaire de Xiphilin, mais près de 98 (si, à cause du thème de Pedanius Fuscus, nous reportons l'exécution
249 Plin., Ep., VIII, 23, 5. 250 Id, ibid, X, 2, 1. 251 HA, Vit. Hadr., II, 6. 252 Ibid, VIII, 11.
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en 138 au lieu de 136). Étant donné la pauvreté de nos sources sur ce point, rien en fait ne s'y oppose, d'autant que l'auteur de la Vie d'Hadrien utilise une fois le mot nonagenarius25* qui peut étendre le sens à la période allant de 90 à 99 ans. De toutes façons, dans le cadre familial où nous devons nous tenir, nous ne pouvons attribuer logiquement l'horoscope à une autre personne qu'à Servianus. Étant donné que ce thème est le document historique le plus proche des événe ments que nous possédions, nous devons corri gerla date de naissance de Servianus, jusqu'ici admise (en 47), et lui donner l'âge de 96 ans au moment où commence à se poser le problème de la succession, en 136. Nous devons, à bon droit, nous demander si ces thèmes de geniture nous apportent quelques éclaircissements sur la politique successorale d'Hadrien. Leur contenu doit être examiné de près. Il est vrai que, dans un premier temps, une lecture rapide du thème d'Hadrien fournit à l'historien bien des déceptions. Il ne nous apprend rien sur la politique générale de l'emper eur,sur ses voyages, sur son action religieuse, ou sa politique monumentale . . .254. Il ne semble s'y trouver que généralités et banalités. En réalit é,il nous faut aller un peu plus loin et dégager avec précision les sujets autour desquels Antigo ne a organisé son étude. À côté de quelques remarques intéressant l'esprit, l'aspect physique ou les conditions de la mort d'Hadrien il est des thèmes qui, par l'ampleur de leurs développe ments, l'emportent de très loin: le fait qu'Ha drien ait été empereur et la façon dont il l'est devenu, et ses relations et problèmes de famille. D'ailleurs, juste après la mention de la durée de la vie, les deux points sont liés l'un à l'autre
dans l'horoscope : « Celui pour qui le thème a été écrit, a été adopté par un empereur qui lui était apparenté; ... il devint empereur»255. En ce qui concerne les interprétations astrologiques qui permettent d'expliquer pourquoi Hadrien a été adopté256 et pourquoi il a été empereur, Antigo ne insiste longuement et y revient à trois repri sesau cours de son étude : le fait, tout simple, d'être empereur, les honneurs reçus et la proskynèse exécutée devant lui par tous257, l'allusion aux «rois régnant sur des multitudes de peu ples»258. Les détails de technique astrologique pure donnés sont très intéressants pour notre connaissance, car ils nous permettent de savoir ce qui était véritablement considéré comme fo ndamental pour envisager une geniture comme «royale». Mais, quelles que soient les positions et les configurations des signes du zodiaque et des astres, encore fallait-il qu'il fût adopté, c'està-dire que «Jupiter soit sur le même centre que la Lune, dans le premier signe du zodiaque». Hadrien aurait pu posséder tous les autres signes indiqués par Antigone pour expliquer la possession du pouvoir impérial (les deux lumi naires sur l'Horoscope, la Lune à la tête de sa secte, Mars dans son propre trigone et ses pro pres degrés . . .), il n'aurait pas été empereur s'il n'avait pas possédé, dans son thème, les él éments nécessaires à l'adoption par l'empereur régnant. Ces remarques sur la geniture d'Ha drien sont importantes à deux points de vue : le premier est qu'il n'y a pas de genesis imperatoria type ou modèle qui serait applicable automati quement; le second nous montre que la légitimi té du pouvoir d'Hadrien vient directement de son adoption par son prédécesseur Trajan259. Nous avions vu cette adoption affirmée avec
253 XXIII, 8. 254 C'est d'ailleurs pourquoi il a été jusqu'ici très négligé par les historiens. 255CC4G, VI, p. 68, 1.10-11. 256 CC'AG, VI, p. 71, 1.6-7. 257 II ne s'agit pas ici de trouver une réalité historique à ce rite sous Hadrien. Il est seulement symbolique, dans le milieu oriental où vit Antigone et où il est lu, du pouvoir impérial et de sa conception. ™CCAG, VI, p. 68, 1.16-27; p. 69, 1.1-2 et 1.27-31; p. 70, 1. 2-6. 259 Le thème de Pedanius Fuscus prouve qu'il était possi bled'avoir des espoirs de puissance impériale en ayant des
positions astrales totalement différentes de celles d'Hadrien (à part le groupement de plusieurs planètes et centres dans un seul signe, ce qui est un bon point de départ) : naissance au moment même du lever du Soleil (comme Néron); c'est une des conjonctions les plus significatives, comme l'avait déjà souligné Manéthon, I (= V), 279-280 : ... Ήέλιος τ'έπίκεντρος εν άρσενι,κοΐσχ τόποισιν, γεννώσιν βασιλήα, θεον βροτον άνθρώποισιν ; un des deux luminaires en contact avec un des centres provoque les destinées illustres. En outre, deux planètes sont les satellites du Soleil en le précédant dans le sens du mouvement diurne, Mercure et Jupiter.
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éclat dans les premières séries monétaires du fait qu'Antigone aborde ensuite l'étude des thè règne; nous la voyons ici confirmée comme la mes du mari et du petit-fils de Domitia Paulina, base essentielle du pouvoir d'Hadrien. ont provoqué une insistance qui, en-dehors de "Dans un second temps, Antigone insiste lo son contexte, pourrait paraître tout à fait inutile nguement sur le mariage d'Hadrien, qui fut uni et superflue. que et resta sans descendance. Il nous livre un Enfin, toujours à propos de la famille, notre astrologue aborde le problème des rapports ensemble d'explications astrologiques très préci d'Hadrien et de ses proches. Il ne parle que d'un sessur ces deux points260. Cette insistance ne seul aspect, celui de l'hostilité que l'empereur a doit pas être négligée; elle répond certainement montrée à leur égard et il explique astrologiqueà une question que beaucoup de personnes ment les causes de ce conflit264. L'allusion est ici s'étaient posée : pourquoi Sabine restant stérile, très claire, d'autant qu'Antigone a soin de souli l'empereur ne l'a-t-il pas répudiée de façon à gner que cette hostilité est née quand l'empe prendre une autre femme qui lui aurait donné reurétait έν άπονοίςζ., «dans le désespoir»; cette des enfants? Dans quel but? Mais certainement notation correspond parfaitement à l'état d'es pour qu'un de ces enfants puisse lui succéder un prit d'Hadrien dans les tout derniers temps de jour. C'est ce qui est évidemment sous-entendu dans le thème et nous devons considérer, com sa vie, tels qu'ils nous sont décrits par l'auteur de la Vie d'Hadrien: «Hadrianus autem ultimo med'autres qui en ont depuis longtemps fait la uitae taedio iam adfectus »265 . Ces parents proches remarque261, qu'Hadrien est convaincu de la avec qui il entra en conflit ne peuvent être que valeur de ce système de succession: D'ailleurs, dans, le discours, fictif dans la forme où nous le Servianus et Pedanius Fuscus. Il est ainsi certain que l'horoscope reflète la réalité avec une gran lisons, mais certainement plein d'une substance deprécision. Son principal centre d'intérêt est proche de la réalité, que Dion Cassius prête à Hadrien après la mort de L. Ceionius Commode justifier le pouvoir impérial d'Hadrien et sa succession, d'expliquer pourquoi, astrologiquedus et en faveur du choix d'Antonin, l'empereur affirme bien qu'il n'a recours à l'adoption que ment parlant, mais c'est alors irréfutable, il a été parce que « la nature ne m'a pas accordé d'avoir obligé de s'attaquer à ses plus proches parents un enfant»262. En allant dans l'approfondisse par le sang266, dont, justement, les thèmes de geniture sont immédiatement exposés dans la ment des mêmes préoccupations, Antigone signale qu'Hadrien n'a eu qu'une seule sœur; sur suite de l'œuvre. ce point encore, il explique longuement ce qui a Cette liaison entre les thèmes est encore ren provoqué cet état de fait263. Ces longs comment due plus évidente si nous nous arrêtons quelque peu sur l'horoscope de Pedanius Fuscus. Son aires sont évidemment chargés de mettre en valeur le rôle joué par là sœur d'Hadrien, Domicontenu et sa réalité sont d'une grande préci sion. À part la question de sa mort et son goût tia Paulina, plus âgée que lui et qui, justement, avait épousé L. Iulius Ursus Servianus. Elle était pour l'amour et les gladiateurs, il n'est envisagé donc la gramd-mère de Pedanius Fuscus puisque que le problème de sa famille et des torts qu'il sa seule fille, semble-t-il, avait épousé le consul lui causa à partir du moment où il aspira à de l'année 118, Cn. Pedanius Fuscus Salinator. l'empire. Nous pouvons noter qu'Antigone le Cette position familiale importante dans le déclare responsable de la mort de ses parents déroulement de l'histoire de la domiis augusta, le «qui furent célèbres mais qui eurent une mort
260 CCAG, VI, p. 68, L 13; p. 70, 1. 8-20; p. 71, 1. 2-4. 261 J. Béranger, L'hérédité du principal Note sur la transmis sion du pouvoir impérial aux deux premiers siècles, dans Principatus, p. 143-144. 262 Dion Cass., LXIX, 20, 2. 263 CCAG, VI, p. 68, 1. 13-14; p. 70, 1. 20-35. 264CC4G, VI, p. 68, 1. 14-15; p. 71, 1.4-6. Dans le premier passage, il faut entendre «τους ιδίους» dans le sens des « proches » à l'intérieur de la famille, et non
étrangers à celle-ci. En effet, cette remarque vient immédia tementaprès le passage sur sa sœur et, dans l'extrait de la p. 71, le mot συγγενείς est employé. Or, les deux passages sont incontestablement parallèles. 265 HA, Vit. Hadr., XXIV, 8. 266 C'est pourquoi nous devons refuser de voir dans le thème d'Hadrien, le thème de geniture impérial- type; les éléments manquants sont trop nombreux.
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violente»267. La notation est intéressante parce que, jusqu'alors, on plaçait la date de disparition de Julia et de Cn. Pedanius Fuscus Salinator juste après le consulat de 118268 puisqu'il n'est plus question du consul, dans nos sources, après cette date. Il faut donc croire maintenant qu'ils ont été entraînés par leur fils dans sa chute. Mais, dans cette affaire, leur rôle reste particu lièrement obscur. Antigone confirme également l'exécution «d'un vieillard de sa famille»; il ne peut s'agir que de Servianus. Sa mention par Antigone permet de le disculper de toute partici pation aux menées de Fuscus; il n'était pour rien dans ces tentatives et son petit-fils l'a entraîné dans sa condamnation269. En outre, le jeune Fus cus a provoqué l'effacement de tous ceux qui faisaient partie de sa famille, et ce d'une façon humiliante pour tous270. Pour Antigone, il le démontre astrologiquement; il est le seul re sponsable de tous les maux survenus, puisque, par son caractère insensé confinant à la folie, accompagné d'un dérèglement de ses mœurs, il a pu croire qu'il accéderait à l'empire. À la fin de ce troisième thème, nous pouvons dire qu'Antigone a fait un excellent exposé de la situation et a expliqué, et justifié par là même, la position d'hostilité et de violence prise par Hadrien à l'égard de sa famille dans les derniers temps de son règne. En particulier, les thèmes de geniture développés par Antigone justifient les choix faits par l'empereur pour sa succession. Il fallait expliquer la mise à l'écart de ses pro ches parents. Il n'est pas impossible que, dans ces dernières années, l'opinion ait été choquée par les suspicions suivies de condamnations et d'exécutions; la seule réponse acceptable par tous devait être astrologique, car elle ne pouvait plus alors être l'objet de discussions. Pour affi rmer leur pouvoir, les successeurs d'Hadrien en
avaient besoin et c'est peut-être sur leur ordre qu'Antigone a rédigé cet ensemble, parfaitement compréhensible pour les contemporains, mais dont Héphestion de Thèbes n'a pas vu la portée historique, se contentant d'en goûter la techni que astrologique.
267 CCAG, VIII, 2, p. 85, 1. 19 et 24-25. 268 Ce qui a pu pousser certains à affirmer que leur mort, très peu de temps après 118, pouvait être due à une épidé mie(cf. R-Syme, The Ummidii, dans Ristoria, XVII, 1968, p. 87). 269 Nous pouvons remarquer que le deuxième thème, que nous attribuons à Servianus, ne comporte presque que des éloges sur le personnage : autorité, richesse, eminence, bon heur. 270 Nous ne savons pas de qui il est ici question, puisque
nous ne connaissons ni frère ni sœur à Fuscus. Serait-ce du côté de son père? Antigone veut pousser tellement loin sa démonstration qu'il attribue à la position des astres dans le thème de Fuscus, une influence sur d'autres personnes. C'est pour le moins curieux en bonne orthodoxie astrologique; mais Anti gone est obligé d'accomplir pareille « acrobatie » pour justi fier Hadrien. 271 HA, Vit. Ael, II, 7.
V - «PROVIDENTIA» ET SUCCESSION 1 - L. Aelius Caesar La question de la succession d'Hadrien se retrouve donc posée. Par elle, nous allons pou voir rejoindre le problème qui nous occupe, celui de la réapparition de la Prouidentia sur les monnaies dans ces dernières années du règne. Il est nécessaire de rester dans la ligne fixée par Trajan et, comme nous l'avons vu, admise et renforcée par Hadrien: l'existence d'une domus augusta au sein de laquelle se trouve obligatoir ement le successeur. C'est ainsi qu'Hadrien luimême était devenu empereur grâce à son maria ge avec Sabine, porteuse du sang impérial, et pas seulement parce qu'il était un parent relativ ementproche de Trajan. L'année 136 est décisive. Elle est marquée d'abord par la consécration de Sabine, ce qui est totalement conforme aux habitudes prises de puis Trajan et à la place tenue auprès de l'empe reur,en tant qu'Augusta, par Sabine. Mais c'est aussi l'année du choix comme successeur, et de l'adoption, d'un certain L. Ceionius Commodus. Il reçut d'ailleurs, à la suite de cette adoption, le gentilice d'Hadrien et le cognomen de Caesar; il fut appelé L. Aelius Caesar. Pour l'historien, la surprise est grande; en effet, cet homme né en 100, fils d'un consul ordinaire de 106271 et mem-
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bre d'une famille illustre de consulaires272, n'avait fait jusqu'ici qu'une carrière assez médioc re.Il s'était surtout fait remarquer, dans l'e ntourage immédiat d'Hadrien, par son goût des lettres et de la gastronomie; il était «voluptueux et lettré»273, mais rien ne semblait pouvoir le distinguer parmi les amici de l'empereur; tout compte fait, le personnage semble assez médioc re et ne pas avoir les qualités nécessaires à l'exercice du pouvoir. En outre, il avait épousé Avidia, la fille de C. Avidius Nigrinus qui avait disparu dans le «complot» des consulaires de 118. Enfin, il était d'une santé extrêmement déli cate et fragile; cet état avait sans doute été la cause des déficiences de sa carrière. Faut-il donc croire, comme certains, que ce choix n'a été dicté à Hadrien que par des impér atifs purement politiques, la nécessité dans laquelle se serait trouvé l'empereur de se concil ier,dans une période difficile, un des clans les plus puissants du sénat274? Faut-il croire qu'Ha drien aurait voulu, tardivement, réparer une « re gret able erreur», l'exécution de C. Avidius Nigri nus? A la suite de ce que nous avons dit jus qu'ici, il s'agirait d'une véritable révolution dans l'esprit même du principat et de la marque d'une singulière faiblesse de la part d'Hadrien peu coutumier du fait. Avait-il besoin d'employer un tel moyen pour «désarmer une partie de l'opposition sénatoriale», celle du clan des vict imes de 118? Cette opposition existe- t-elle réell ement et peut-elle porter son effort sur la succes sionimpériale? Ces factions sénatoriales, qu'on dit si puissantes, auraient-elles accepté le choix d'un homme que tout le monde savait condamné à brève échéance, miné qu'il était par la tubercul ose (à ce qu'il semble, tout au moins)? Faut-il y voir alors un choix dicté par les destins astrologiques? La décision d'Hadrien s'expliquerait par la connaissance du thème de geniture de L. Ceionius Commodus; il l'aurait interprété de façon favorable275. Les deux courts
passages de la Vita Aelii sur lesquels une telle opinion peut s'appuyer ne sont pas très probants à cet égard276. Qu'Hadrien ait connu la geniture de L. Ceionius Commodus n'a rien qui puisse étonner, mais rien ne nous dit qu'il l'avait recon nueen tant que geniture impériale. D'ailleurs l'auteur de la Vie déclare qu'Hadrien n'était pas convaincu des capacités d'Aelius Caesar à gérer les affaires de l'État. La mention de cette appréc iation signifie bien que l'empereur savait qu'il n'avait pas d'horoscope impérial. Le second pas sage est encore plus explicite puisqu'il nous montre qu'Hadrien n'était pas dupe de ce qui n'avait peut-être été donné que comme un pré texte, l'existence d'une geniture impériale de L. Ceionius Commodus. Sa réponse à celui qui lui disait, devant les signes évidents d'affaibliss ement physique d'Aelius Caesar, qu'on avait peutêtre mal dressé son horoscope, est sans équivo que dans son expression désabusée. Ce n'est pas l'existence d'une geniture impériale qui a provo quéle choix de L. Ceionius Commodus; cette adoption ne se termine pas, comme le soutient F. H. Cramer, par une «débâcle des astrolo gues ». L'intrusion dans la famille impériale, par adoption, de ce quasi-inconnu, est d'autant plus étonnante que l'empereur possédait des parents relativement proches : son beau-frère Servianus, la fille et le gendre, Cn. Pedanius Fuscus Salinator, de ce dernier, et leur petit-fils et fils, Peda nius Fuscus. Pourquoi ne pas avoir choisi l'héri tierdu pouvoir parmi eux? Il semble bien que, dans un premier temps, Hadrien ait favorisé cette branche de sa famille : d'abord la réconcil iationavec Servianus malgré les différends du règne de Trajan, mais surtout l'accession de son beau-frère à un troisième consulat en 134. Son âge, 94 ans si nous en croyons l'horoscope, est déjà une preuve de cette faveur. Le geste est important puisqu'il donne à Servianus une place prééminente parmi les consulaires; il est désor-
272 Vit. Ver., I, 7. Son grand-père était probablement un des frères arvales de 78. Cf. R. Syme, Antonine Relatives : Ceionii and Vettuleni, dans Athenaeum, XXXV, 1957, p. 306-314. 273 J. Carcopino, L'hérédité dynastique chez les Antonins, dans REA, LI, 1949, p. 288. 274 H. G. Pflaum, Le règlement successoral d'Hadrien, dans Historia Augusta-Colloquium, Bonn, 1963. Antiquitas, Reihe 4,
band 2, Bonn, 1964, p. 95-122 (surtout p. 100 et 121). R. Syme, art. cit., p. 320. Id, The Ummidii, dans Historia, XVII, 1968, p. 93. 275 F. H. Cramer, op. cit., p. 175; J. Gagé, Basileia . . . , p. 232. 276 HA, Vit. Ael, III, 8 et IV, 5.
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mais un des rares particuliers, à cette époque, à revêtir par trois fois la dignité de consul, c'està-dire autant de fois qu'Hadrien lui-même277. Il est très possible que ce geste ait été une prépar ation, non pas à l'empire pour Servianus, mais à ce qu'il serve d'intermédiaire et de tuteur à un successeur plus jeune et encore inexpérimenté,· son petit-fils Pedanius Fuscus, qui, à 21 ans selon son thème, n'avait pas commencé son cursus. Il restait trois obstacles réels à franchir: le pre mier était constitué par l'âge des deux hommes, l'un trop vieux, l'autre trop jeune; ce fut, si nous en croyons Dion Cassius, une des idées qui aurait présidé au choix postérieur d'Antonin, « incapable de se laisser aller à aucune précipita tion par jeunesse, ou à aucune négligence par vieillesse»278; précipitation et négligence de vaient alors parfaitement correspondre aux caractères de Pedanius Fuscus et de Servianus. Le deuxième obstacle a certainement résidé dans les mœurs du jeune Fuscus; nous avons vu que c'était un point sur lequel l'auteur de son horoscope avait particulièrement insisté279. Le problème est loin d'être mineur; un des traits importants qui permit au futur Marc Aurèle de devenir le successeur d'Hadrien et d'Antonin fut justement son caractère droit et austère qui lui valut, de la part d'Hadrien, le surnom de Verissimus260. Le contraire d'une telle attitude ne pouv ait qu'être un point défavorable. Le troisième obstacle tient à un fait fonda mental qui peut expliquer une grande partie des problèmes posés par la succession d'Hadrien et des empereurs qui vinrent après lui. Toute la politique menée par Trajan, en donnant le titre d'Augusta aux femmes de la famille impériale, ce qui les conduisait à une divinisation quasi-auto matique,a été de privilégier sa propre famille et de faire de son sang, le sang impérial par excel lence; le moyen essentiel a été de prendre un ancêtre divinisé, au-delà duquel il n'est pas nécessaire de remonter; il s'est agi du père natur elde l'empereur Trajan, celui qui a été consacré par son fils et qui a été appelé à partir de ce
277 Cf. la curieuse anecdote contée par Dion Cassius, LXIX, 17, 3, dans laquelle on voit Hadrien ayant demandé à ses amis les noms de dix hommes «μοναρχεΐν δυναμένους», ne leur en laisser donner que neuf puisque, dit-il, «j'en ai un, c'est Servianus».
moment DIWS PATER TRAIANVS; Trajan a fait émettre à son nom quelques séries monétair es281.Sur quelques-unes le père de l'empereur tient le sceptre, un des symboles du pouvoir, comme s'il l'avait transmis à son fils. Cette con sécration a souvent été mal comprise ou négli gée comme inexplicable. Il faut en réalité la replacer dans la politique générale de Trajan et dans la mentalité qui préside à la conception du pouvoir impérial. Trajan n'a pas d'enfant et n'a plus, dans les années 110-112, l'espoir d'en avoir jamais avec Piotine. Il lui faut donc, pour favori serson sang, car il le croit bénéficiaire d'un charisme, chercher du côté de sa sœur Marciane qu'il a déjà faite Augusta. Mais, pour que luimême et, par alliance, Piotine ne soient pas en dehors de ce charisme, il lui fallut remonter à une génération antérieure; que son père et celui de Marciane soit mort sans doute depuis plu sieurs années ne pouvait empêcher une consé cration qui était devenue une nécessité. Un simple regard porté sur l'arbre généalogi que des Ulpii-Aelii nous montre que Pedanius Fuscus et Servianus descendent d'un ancêtre qui leur est commun avec le père de Trajan; mais ils ne font pas partie de la branche privilégiée issue du père de Trajan. Le seul moyen d'en faire partie était de suivre l'exemple donné par Hadrien lui-même qui avait épousé, vers l'année 100, une petite-fille de Marciane, c'est-à-dire une arrière-petite-fille du Diuus Pater Traianus, Sabi ne. Cet acte est devenu essentiel à partir du moment où le père de Trajan a été divinisé. Ce mariage, voulu par l'empereur et par Piotine, peut-être la véritable instigatrice de toute cette politique, avait fait d'Hadrien l'héritier légitime du pouvoir impérial. L'impératrice et Trajan pensaient sans doute que l'avenir pourrait être assuré par les enfants du couple Sabine-Hadrien. Mais le couple resta sans descendance, ce qui reposa le problème. Mais il ne pouvait l'être que dans le cadre familial étroit défini sous le règne dé Trajan. Un trait le montre bien : jamais Hadrien ne pensa à répudier Sabine, malgré sa
278 LXIX, 20, 4. 279 CCAG, VIII, 2, p. 86, 1. 7-8. 280 HA, Vit. Marc, I, 10 et IV, 1. 281 R1C, II, p. 261, n° 2,51, 252; p. 301, n° 762 à 764.
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stérilité et leurs rapports intimes difficiles. Elle constituait à elle seule le lien fondamental qui joignant Hadrien à Trajan faisait sa légitimité. Elle seule avait le sang du père de Trajan dans les veines et donc le charisme nécessaire à l'exercice du pouvoir dans la conception trajanienne. C'est pourquoi Hadrien a gardé Sabine près de lui et en a fait une Augusta, c'esi-à-dire l'a associée à son pouvoir, en 128, au moment où commence véritablement le nouveau siècle d'or. Dans ce contexte, si Hadrien avait pensé à Pedanius Fuscus comme successeur, il aurait fal lu lui faire contracter un mariage avec une fille issue du sang du Diuus Pater Traianus. Il n'est pas interdit de penser qu'Hadrien avait envisagé une telle solution. La première étape, en 133, était de désigner Servianus pour un troisième consulat en 134, ce qui lui donnait un prestige considérable et le désignait à l'attention de tous. Il aurait pu ainsi servir de tuteur à Pedanius Fuscus marié à une fille porteuse du sang des Ulpii. Mais l'empereur eut rapidement Fuscus «in summa detestatione», comme le dit l'auteur de la Vie d'Hadrien2*2. Cette aversion était certa inement due à sa vie dissipée et à ses mœurs si nous en croyons l'horoscope d'Antigone de Nicée, et sans doute aussi à sa trop grande assurance devant un destin qui lui semblait être tout tracé. Aussi, en 136, après l'avoir fait consul au 1er janvier, Hadrien choisit-il L. Ceionius Commodus. Recevant le cognomen de Caesar, il devint officiellement L. Aelius Caesar. En réalité, dès cette date, le but que s'est fixé Hadrien est plus lointain que sa succession immédiate; il réalise déjà la même politique successorale qu'il établi ra en 138. L. Ceionius Commodus avait, au moins, un fils et une fille. En l'adoptant et en en faisant son héritier, Hadrien savait fort bien qu'il assurait le pouvoir à ce fils encore très jeune (sans doute cinq ans); personne ne pouvait en douter. C'est sur ce point que tout semble devoir buter; pourquoi ce choix qui, quelque soit l'état de santé du père, est, à longue échéance, celui du fils? Pourquoi avoir choisi un homme qui semble totalement étranger à la famille? Les
réponses sont d'autant plus délicates que, si en 138, le choix d'Antonin est aussi celui d'un étran gerà la famille, ce dernier était marié à une descendante du père de Trajan, ce qui changeait profondément ses rapports avec l'empereur. Il n'y a rien de tel avec L. Ceionius Commodus; d'ailleurs, il a été remarqué que, contrairement à Antonin, L. Aelius Caesar n'avait pas reçu le titre à'Imperator. Il n'avait donc pas la désignation complète de l'héritier présomptif. Cela n'est pas dû à une modération d'Hadrien qui serait la conséquence du manque de qualités intrinsè ques de L. Aelius Caesar (ce qui n'était pas le cas d'Antonin). Il faut plutôt y voir le fait que, ni par le sang, ni par alliance, il ne faisait partie de la domus augusta issue du père de Trajan. Il faut peut-être en revenir à la brillante, mais peu appréciée, démonstration de J. Carcopino, renforcée par les remarques pertinentes de P. Grenade : L. Ceionius Commodus était un fils bâtard d'Hadrien283. Qu'Hadrien ait voulu leur laisser, à lui et à son fils, le pouvoir est une chose toute à fait normale. Mais, étant donné les règles fixées par Trajan, il ne le pouvait qu'en les réintégrant dans les descendants du père de Trajan. Nous pouvons croire que, dès 136, et non pas en 138 comme veut nous le faire croire l'auteur de la Vie d'Hadrien, l'empereur a pensé à un mariage futur, nécessaire et indispensable, entre le fils du nouveau César et Annia Galeria Faustina, qui n'a pas encore dix ans à ce moment. Elle était la fille d'Antonin et de Faustine, elle-même descendante en droite ligne de Marciane, son arrière-grand-mère, et donc de son père divinisé qui était aussi celui de Trajan. N'est-ce pas au même moment, dans cette année 136, que l'empereur fait se fiancer le jeune M. Annius Verus, lui aussi descendant en droite ligne du père de Trajan, avec la fille de L. Ceio nius Commodus? Il n'a pourtant que 15 ans et elle certainement quelques années de moins284. Dès ce moment, Servianus et Fuscus ne peu vent plus avoir un quelconque espoir; ils savent qu'ils sont définitivement écartés de la success ion.C'est pourquoi il est peut-être possible de garder la date traditionnelle de l'exécution de
282 Vit. Hadr., XXIII, 3. 283 J. Béranger, La notion du Principat sous Trajan et Hadrien, dans Principatus, p. 294-296; J. Carcopino, art. cit.,
p. 262-321; P.Grenade, Le règlement successoral d'Hadrien, dans REA, LU, 1950, p. 258-277. 284 HA, Vit. Marc, IV, 5.
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Servianus et de Fuscus, c'est-à-dire entre la dési gnation de L. Aelius Caesar et sa mort le 1er janvier 138. En effet, l'horoscope de Pedanius Fuscus nous déclare qu'il est mort vers sa 25e année; ce peut donc être légèrement antérieur à 138. Un détail du thème de geniture d'Hadrien peut intéresser cette question: «Après 61 ans et 10 mois, le degré Horoscope et la Lune sont en aspect quadrat avec Saturne, ce qui ne le fait pas périr grâce à l'aspect favorable que forment Vénus et lui pour la seconde fois»285. Cette nota tion précise nous reporte à la fin du mois de novembre 137; ce fut peut-être le moment choisi par Pedanius Fuscus pour essayer de reprendre place, d'une façon que nous ne connaissons pas, dans les successeurs possibles286, la santé de L. Aelius Caesar étant certainement déjà très alté rée. Les exécutions de Servianus et de Fuscus, l'éloignement de nombreux proches, enlevèrent totalement à cette branche la possibilité d'accé derau pouvoir, même par alliance avec des descendants des Ulpii. Quand L. Aelius Caesar meurt, le 1er janvier 138, le même problème se repose à Hadrien. Comment conserver le pouvoir au très jeune fils du César mort, son propre petit-fils depuis l'adoption? L'empereur choisit alors le consulai re T. Aurelius Fulvus Boionius Arrius Antoninus, homme sérieux et probe, qui avait l'avantage immense et décisif d'être le mari de Faustine, descendante directe de Marciane, et qui avait déjà perdu ses deux fils. Il devint alors T. Aelius Caesar Antoninus et il reçut le titre d'Imperato r. Mais il ne devait être, comme L. Ceionius Commodus son prédécesseur287, qu'un fidéicommissaire du principat, pour reprendre l'expression de J. Carcopino; car le principat était dévolu, en réalité, au jeune L. Verus. Il est vrai qu'Antonin est un homme relativement âgé, il n'a que dix ans de moins qu'Hadrien. Aussi, l'empereur oblige-t-il Antonin à pratiquer une double adoption, celle de L. Verus et celle de M. Annius Verus, qui a maintenant 18 ans, qui doit épouser la sœur de L. Verus et qui présente toutes les garanties
pour assurer au mieux toutes les transitions nécessaires288. Tout est ainsi parfaitement mis en place et encore renforcé par le mariage prévu, et approuvé par Antonin, de L. Verus et de la fille d'Antonin, Faustine, dite la Jeune pour la disti nguerde sa mère. C'était assurer la succession au sang du père de Trajan, auquel serait venu se joindre, subrepticement, celui d'Hadrien289. Comme l'a parfaitement bien remarqué P. Gre nade, « Faustine la Jeune avait pour mission d'as surer, par la progéniture qu'elle devait naturell ement avoir, la transmission du sang des UlpiiAelii»290. Il faudrait dire, encore plus exactement et plus officiellement, celui des Ulpii qui renfer me, exclusivement, le charisme porteur des féli cités et des prospérités que seul le pouvoir impérial peut répandre.
285 CCAG, VI, p. 68, 1. 7-9. 286 ptol., Tétrab., IV, 9 : cette position de Saturne provoque la mort par étranglement ou par étouffement dans une foule. 287 Mort en étant Caesar, il ne fut pas divinisé. Ses cendres furent néanmoins placées dans le nouveau Mausolée {CIL,
VI, 985). 288 La faveur impériale s'était déjà étendue à son père, M. Annius Verus, qui, lui aussi, avait eu droit à trois consu lats^, 121 et 126. 289 Sur ces points, cf. J. Carcopino, art. cit., p. 319-321. 290 P. Grenade, art. cit., p. 266.
2 - «Providentia» et «domus augusta» C'est dans cette ambiance et au milieu de ces choix qu'apparaissent les dernières frappes monétaires à l'image de la Prouidentia. Elles se comprennent désormais plus aisément. En pre mier lieu, nous pouvons y voir une réponse à ce renouvellement cyclique des temps qui se pro duit au bout de vingt années. Mais c'est aussi la proclamation de l'assurance qu'à la mort de l'empereur la succession se fera sans aucun heurt, parce qu'elle est prévue dans tous ses détails et pour longtemps, parce qu'elle doit donner à Rome et à son empire une grande période de stabilité. Tout ce programme est déjà contenu dans la première adoption, celle de L. Ceionius Commodus; aussi pouvons-nous penser que les émissions Prouidentia ont pu être réali sées à ce moment, dès 136. Leur signification et leur poids ne purent qu'augmenter avec l'échec des tentatives de Fuscus, entraînant Servianus, peut-être à la fin du mois de novembre 137. En effet, s'ils avaient réussi dans leur entreprise, tout le plan échafaudé par Hadrien s'effondrait. Or, il était dans la droite ligne de ce qu'avait
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voulu réaliser Trajan et il répondait à des nécess ités profondes qui allaient bien au-delà de la personnalité de Pedanius et de Servianus. Pro clamer la Prouidentia était montrer à tous que la politique successorale voulue par Trajan était sauvegardée et se perpétuait. En assurant la succession, la Prouidentia de l'empereur permettait à l'empire de continuer à connaître la Félicitas qui est aussi proclamée dans des séries monétaires très abondantes, par miles plus communes de cette fin de règne; elle se présente sous la forme FELICITAS AVG ou sous celle FELICITAS P(opuli) R(omani)291. Par son action, Hadrien prépare l'avenir; par sa Pro vidence il crée et sauvegarde la Félicité du peu ple romain. Une des représentations figurées sur les revers des monnaies FELICITAS est particu lièrement significative à cet égard; nous y voyons Hadrien tenant le rouleau, symbole des lois et du pouvoir qui lui a été transmis par Trajan; il ne le tient que sur quelques rares frappes dont les PROVIDENTIA DEORVM du début du règne292. L'empereur est face à la Féli citas, représentée par une femme tenant le cadu cée; ils se serrent la main. La volonté de l'empe reurcrée la félicité, pour maintenant et pour toujours, grâce à la succession assurée par sa propre providence. Il est facile de comprendre qu'existe une association étroite avec l'Éternité de Rome proclamée, elle aussi, au même moment : ROMA AETERNA, en corrélation avec la dédicace du temple de Rome et de Vénus293. Plutôt que de croire qu'Hadrien a réalisé cette cérémonie parce qu'il était « vieilli et malade » au retour de Judée294, ne vaut-il pas mieux penser
qu'il a voulu faire coïncider l'achèvement du temple avec l'établissement de sa succession295. Il pouvait ainsi provoquer un renforcement réc iproque des deux aspects complémentaires de sa politique. L'association entre l'éternité et la féli cité se retrouve sur un denier des mêmes années en l'honneur de ROMA FELIX296. Cette Providence affirme aussi publiquement qu'Hadrien a respecté les volontés de Trajan, son père adoptif. La série monétaire d'Alexan drie est particulièrement importante à cet égard297. En effet, la Providence tient sur sa main droite un phénix. Nous avons vu plus haut le sens qu'il fallait attacher aux monnaies des ate liers romains représentant le même oiseau fabu leux, tout au début du règne : Hadrien y affi rmait sa ressemblance avec Trajan et son désir de faire connaître à Rome et à l'empire une période de bonheur éclatant, comme Trajan lui-même l'avait fait durant son règne298. Dans le même temps, Hadrien confirmait la légitimité de son pouvoir. Sur les monnaies d'Alexandrie, la signi fication du phénix est semblable; l'empereur a choisi son successeur, définitivement cette fois299 et ce successeur, à la ressemblance d'Hadrien, permettra à l'Egypte de connaître bonheur et prospérité. Le règne d'Antonin, qu'Hadrien sent maintenant très proche étant donné son état de santé qui empire chaque jour, sera dans la ligne du précédent comme celui d'Hadrien l'avait été dans celle de Trajan. Les perspectives affirmées par la présence du phénix sont les mêmes. D'ailleurs une lettre d'Hadrien à Antonin, écrite après l'adoption, et qui nous a été conser vée en partie par un papyrus du Fayoum, reflète
291 RIC, II, p. 367, n° 233 à 236; p. 368, n° 237 à 240; p. 437, n° 748 à 757; p. 442, n° 801 à 808. 292 Cf. supra, p. 263. Ce rouleau existe aussi sur les monn aies RESTITVTORI ORBIS, ADVENTVS AVG, FORTVNAE REDVCI et tous les types ADVENTVS de provinces. Nous avons parlé des rapports étroits entretenus par ces émissions avec celles de la Prouidentia de l'empereur. RIC, II, p. 368, n° 237; p. 437, n° 754; p. 442, n° 805. Nous pouvons aussi noter que L. Aelius Caesar porte ce rouleau sur une monnaie (RIC, II, p. 482, n° 1069) qui le représente face à Roma, assise et en armes, lui serrant la main. C'est le signe de l'adoption qui lui a donné l'espérance du pouvoir. Nous ne trouvons cependant rien de tel pour Antonin quand il a été César. 293 RIC, Π, p. 370, n° 263 et 263 A, 265.
294 J. Beaujeu, La religion ..., p. 131. 295 Ce qui pose le problème de la date de la dédicace; le 21 avril 136 est trop tôt puisque L. Ceionius Commodus n'a pas été adopté avant août; le 21 avril 137 ne correspond à rien d'important pour la succession et le 21 avril 138 est certainement trop tard. Nous pouvons en conclure que la cérémonie a eu lieu en 136, mais après la première adopt ion. 296 RIC, II, p. 370, n° 264. 297 Cf. supra, n. 8, p. 264. 298 Cf. supra, p. 268-269. 299 Tout en étant de la dernière année du règne, nous pouvons penser que la frappe n'a été réalisée qu'après l'adoption d'Antonin, le 25 février 138.
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parfaitement cet état d'esprit300: «L'empereur César Hadrien Auguste à son très cher Antonin, salut. Avant tout, je veux que tu saches que je vais être délivré de ma vie, ni de façon prématur ée, ni de façon incompréhensible...». Hadrien sent venir sa mort, il s'y prépare et il y prépare Antonin avec lucidité. C'est pourquoi, une émis sion monétaire évoquant la Providence de l'em pereur qui a choisi Antonin et qui présente le phénix comme le garant de la continuité dans le bonheur, est parfaitement adaptée à l'état d'es prit de l'empereur à ce moment. De ce fait, il nous faut écarter l'avis de ceux qui veulent voir dans cette frappe la simple annonce du début du cycle sothiaque de l'année suivante301. Une telle anticipation n'est pas logique dans le contexte général de cette fin de règne et la Providence a un sens à la fois plus restreint et plus précis. À Rome, nous pouvons trouver la confirmat ion que toute cette politique successorale, faite au nom de la Providence, est parfaitement dans les perspectives trajaniennes. Les frappes à la légende PIETAS nous la fournissent. Elles sont très nombreuses et elles peuvent toujours être mises en relation avec un aspect du programme tracé par Trajan. En fait, dès l'année 117, le type apparaît dans le monnayage d'Hadrien, et sous une forme qu'il va conserver durant tout le règne : la Pietas devant un autel et, le plus sou vent, une ou deux mains levées302. Nous trou vons ce type avec Sabine vivante303, certain ement à l'occasion de la réception de son titre d'Augusta, en 128, qui la destine à la consécrat ion et à faire partie des diui qui protègent l'empire. La Pietas est aussi présente sur les monnaies émises en l'honneur de Sabine divinisee-.304 Mais la grande floraison de ce type a lieu à partir de la fin de l'année 136 et dure jusqu'à la fin du règne d'Hadrien. Pour Hadrien lui-même
dans un premier temps305; et surtout, ce qui est beaucoup plus significatif, pour les deux Césars successifs, L. Aelius Caesar306 et Antonin pendant la courte période où il fut César, entre le 25 février et le 10 juillet 138307. Cette abondance de frappes et de représentations (parfois il y a un autel, quelquefois la Pietas a une main levée, quelquefois les deux, d'autres fois encore elle tient une boîte à encens ou à parfums, . . .) souli gnele fait que les adoptions successives se sont faites dans la piété, c'est-à-dire dans le respect de la volonté de Trajan. Cette piété est réell ement un des aspects de la Providence de l'empe reurproclamée au même moment. Le signe du bras, ou des bras, levé vers le ciel est significatif de la prière ou de l'action de grâces envers les dieux308, ici les diui à qui il est montré que leurs décisions sont parfaitement respectées. S'il fal lait encore démontrer l'étroite connexion entre PIETAS et les problèmes de succession à l'int érieur d'une domus imperatoria précisément défi nie, par Trajan le premier, il suffirait de men tionner les deniers de MATIDIA AVG DIVAE MARCIANAE F, portant au revers la légende PIETAS AVG et l'image de Matidie plaçant cha cune de ses mains sur les têtes de ses deux filles, Matidie la Jeune et Sabine309, ou portant dans ses bras deux enfants310. Le programme dynasti que est tracé et chacun sait par qui il doit passer. Nous devons rapprocher cette frappe de sesterces d'Antonin encore César; toujours avec PIETAS, ils nous montrent la Piété étendant une étoffe au-dessus de deux petits personnages en toge qui ne peuvent être que les jeunes L. Verus et M. Annius Verus qu'Antonin venait d'adopt er311. L'association, autour du problème de la suc cession dans la domus augusta, de la Providence, de l'Éternité, de la Félicité et de la Piété est encore renforcée par la présence et l'affirmation
300 B. P. Grenfell-A. S. Hunt, Fayûm Towns and their Papyri, Londres, 1900, p. 112-116 (Pap. Fay. 19) (Smallwood, n° 123); P. J. Alexander, tetters and Speeches of the Emperor Hadrian, dans Harv. St. Class. Philol, XLIX, 1938, p. 170. 301 J. G. Milne, Catalogue of the Alexandrian Coins, Oxford, nouv. éd., 1971, p. XXXII. 302 RIC, II, p. 339, n° 8; p. 413, n° 579. 303 RIC, II, p. 387, n°405; p. 477, n° 1029 à 1031; p. 478, n° 1039 à 1041 ; p. 479, n° 1048. 304 RIC, II, p. 390, n° 422; p. 391, n° 427. 305Ä/C, II, p. 370, n°257 à 260; p. 439, n°771; p. 444, n° 822.
i06RIC, II, p. 391, n°429; p. 393, n°438, 439, 442, 444; p. 481, n°1061, 1062, 1074. 307 RIC, II, p. 394, n°452; p. 395, n°454; p. 484, n° 1082 à 1085, 1090, 1091 ; p. 485, n° 1093. 308 Cf. Sén., De Benef., IV, 4, 2: «Celui qui parle ainsi n'entend donc pas la voix distincte de nos prières ni des vœux que les hommes font de toutes parts, les bras au ciel (sublatis in caelum manibus) ... ». i09 RIC, 11, p. 301, n°759, 761. WRIC, II, p. 301, n°760. illRIC, II, p. 484, n° 1085.
HADRIEN
305
de Concordia et de Spes. Les frappes à l'image et à la légende Concordia sont réalisées en très grand nombre, mais toujours à des périodes définies du règne. Celles d'Hadrien n'intéressent que le tout début et la fin du règne, les années 117 à 121 et les années 134 à 138312. Les unes et les autres sont étroitement liées à la succession. De ce fait il est parfaitement logique de trouver d'aussi nombreuses émissions en l'honneur de Sabine313. Il ne peut s'agir de magnifier l'entente exemplaire du couple impérial, à la suite d'Au guste et de Livie314. C'est la concorde avec les vœux de Trajan qui est ici évoquée; c'est l'optimus princeps qui a voulu le mariage entre Hadrien et Sabine. Dès son avènement, en même temps que des monnaies proclament son ADOPTIO, le nouvel empereur affirme qu'il restera fidèle au choix matrimonial dans la lignée du Diuus Pater Traianus. C'est pourquoi, il est tout aussi logique de retrouver ces mêmes types asso ciés à L. Aelius Caesar et à Antonin en tant que César; ce ne sont pas leurs ménages respectifs qui sont mis en valeur, ce qui n'aurait à ce moment pas grand intérêt, mais la conformité de la succession aux plans voulus par la Providence de Trajan, des diui de la famille et d'Hadrien lui-même315. Cette Concorde est bien un des fruits de la Providence, puisqu'elle assure l'ave nirdu pouvoir impérial, et, par là, le bonheur pour l'ensemble des habitants du monde romain, à jamais. Que de telles émissions orientent la réflexion vers l'avenir est confirmé par l'existence sur un grand nombre d'entre elles d'une petite statuette de Spes placée aux pieds de la Concorde. C'est l'espérance que tout pourra continuer suivant le même plan et, en particulier, que les successions dans la domus imperatoria se feront le plus sim plement et le plus facilement possible, c'est-àdire directement, de père à fils, sans qu'il soit besoin de passer par l'adoption. Spes, seule, est
d'ailleurs présente, tenant la fleur qui est son symbole, sur plusieurs séries d'Hadrien et d'Aelius Caesar; mais toutes celles d'Hadrien peu vent être datées des années où se placent les adoptions successives. En effet, à partir de ce moment seulement, l'empereur a l'assurance que tout se déroulera comme prévu316. D'ailleurs, si Spes est peu utilisée dans la numismatique au Ier siècle, ses emplois sont particulièrement significatifs. C'est ainsi que des sesterces de 6971 montrent Spes tendant une fleur à Vespasien qui est accompagné par Titus et par Domitien317. La continuité dynastique était ainsi parfaitement et publiquement affirmée. Par les frappes à l'image de la Providence, Hadrien a, dans un premier temps, affirmé aux yeux de tous les liens étroits qui le joignaient à Trajan; par eux, il pouvait proclamer la parfaite légitimité de son pouvoir. Dès 121, après cette première étape, il se devait d'annoncer sa pro pre providence; le charisme qu'il possédait lui permettait de proclamer le début d'un nouveau saeculum aurem dont le symbole matériel et visible serait le temple de Rome et de Vénus, de l'Éternité et de la Félicité. C'est cette Félicité que son arrivée et son passage dans les provinces étaient chargés de provoquer; les solutions apportées aux problèmes agraires, parfois une véritable renaissance de la production agricole, en étaient la marque la plus éclatante aux yeux de tous. Enfin, l'empereur ne pouvait oublier que cette domus imperatoria, dans laquelle il était entré grâce à Trajan, devait se perpétuer; par sa providence, il devait organiser sa succes sion sur des bases qui avaient toutes une signif ication précise : la Piété envers ceux qui l'avaient précédé dans la divinisation. Hadrien, quitte à éliminer ses plus proches parents par le sang, laissa le pouvoir impérial dans la lignée du Diuus Pater Traianus.
312 RIC, II, p. 339, n° 4; p. 340, n° 9, 14; p. 341, n° 17; p. 345, n°39; p. 346, n°49; p. 354, n° 118; p. 367, n°231; p. 405, n°535; p. 406, n°540; p. 407, n°542; p. 408, n°550; p. 409, n°556; p. 410, n°566; p. 442, n° 799. 313 RIC, II, p. 386, n° 390 à 393; p. 387, n° 398 à 400; p. 475, n° 1017, 1018, 1021; p. 477, n° 1025 à 1027; p. 478, n° 1037. 314 J. Béranger, Remarques sur la «Concordia» dans la propagande monétaire impériale et la nature du principat, dans Principatus, p. 371. 315 RIC, II, p. 391, n°428; p. 392, n°436; p. 393, n°437, 443;
p. 480, n°1057, 1058; p. 482, n° 1070 (Aelius Caesar); p. 395, n°453; p. 396, n°458; p. 483, n° 1078; p. 484, n° 1081, 1089. il6RIC, II, p. 371, n°274; p. 372, n°275; p. 441, n°790; p. 444, n° 834 (Hadrien). Le n°181, de la p. 361, de la période 125-128, est plus douteux, à moins qu'il ne faille, lui aussi, le mettre en rapport avec le titre d'Augusta donné à Sabine en 128. RIC, II, p. 431, n° 435; p. 480, n° 1053 à 1055; p. 482, n° 1065 à 1067. 317 RIC, II, p. 63, n° 396; p. 71, n° 462.
CHAPITRE II
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE OU COMMENT ABOUTIR AU «PRINCEPS» IDÉAL
de règne1 et qui l'était alors pour la première fois. En ce qui concerne Antonin le Pieux, plu sieurs séries PROVIDENTIAE DEORVM ont été frappées entre 139 (peut-être), 140 et 144; cette datation, si nous voulons être précis, pose cer tains problèmes. En effet, ces pièces présentent une nouveauté remarquable; les revers n'ont pas repris la représentation figurée de la Providenc e2, mais utilisent tous l'image de la foudre verti cale, en deux parties; chaque partie est munie de deux petites ailes et de quatre éclairs3. Ces aurei, deniers, sesterces et dupondii ont été frappés en grand nombre. Il en est de même dans les trois premières années du règne conjoint de Marc Aurèle et de L. Verus, avec des émissions dès leur avènement, en 161. Pour elles aussi, nous pouvons faire quelques remarques préliminaires; dans les représentations, la foudre ailée et «éclairée» est I - «PROVIDENTIA» : GARANTE D'UNE FAMIL abandonnée. On en revient à la figure féminine, LE CHARISMATIQUE mais avec des attributs différents de celle de l'époque de Trajan ou d'Hadrien (globe, baguett e, sceptre). En effet, elle est parfois, rarement à Ce sont surtout les tout débuts de règne qui vrai dire, représentée assise et tenant une pate sont marqués par des séries PROVIDENTIA re4; mais, le plus souvent, nous la voyons DEORVM (pas exclusivement cependant, comme debout, tournée vers la gauche, tenant un globe nous le verrons), c'est-à-dire qui reprennent l'e et une corne d'abondance5. Nous pouvons sim xpression utilisée par Hadrien à son propre début plement noter pour l'instant que les émissions
Le rôle et la place de la Prouidentia sont désormais parfaitement définis. Elle est devenue l'élément moteur du pouvoir impérial, indispen sable à son exercice dans le respect des déci sions prises par les empereurs précédents. Elle est l'élément de légitimité et de stabilité, dans le même temps qu'elle est seule capable d'assurer l'avenir et la continuité du pouvoir impérial. De ce fait, les séries monétaires portant la légende et l'image de la Providence sont extrêmement nombreuses sous les règnes d'Antonin, de L. Verus et de Marc Aurèle, de Marc Aurèle seul, et, enfin, dans les années où Commode organise son pouvoir sur le monde romain. Quelques rares inscriptions, dans lesquelles la Providence est citée, peuvent aider à compléter ce tableau.
1 Cf. supra, p. 265 sq. 2 II est vrai jamais encore employée avec PROVIDENTIA DEORVM, mais seulement avec PROVIDElsmA AVG. iRIC, III, p. 32, n°59; p. 35, n° 80a et b; p. 110, n°618; p. 1 14, n° 663. Cf. p. 435, n° 45. 4 RIC, III, p. 215, n° 18. Il s'agit d'un denier de l'année 161
au seul nom de Marc Aurèle. Cf. p. 436, n° 52 et pi. I. s Pour Marc Aurèle : RIC, ΙΠ, p. 215, n° 19 à 25. Cf. p. 436, n° 52 et pi. I; p. 217, n° 47 à 52. Cf. p. 436, n° 53; p. 279, n° 833. Cf. p. 436, n°53; p. 218, n° 66 à 73a. Cf. p. 436, n°54; p. 220, n° 95 à 97. Cf. p. 436, n° 55. Un type montre, avec les mêmes attributs, la Providence
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETE
de ce type, pour L. Verus, s'arrêtent à l'automne 163, alors qu'elles se poursuivent pour Marc Aurèle jusqu'en décembre 164. Enfin, les trois premières années du règne de Commode (jusqu'au 10 décembre 182, date de sa huitième puissance tribunicienne) sont mar quées par le même genre de séries à la légende PROV DEOR, mais avec un retour aux représent ationsde l'époque de Trajan cautionnées par Hadrien, la femme debout, tenant une baguette qu'elle dirige vers un globe, et, de l'autre main, un sceptre6. Pour Marc Aurèle et L. Verus, pour Commode aussi, la coïncidence entre ces émis sions et leur avènement est incontestable. Par contre, le cas d'Antonin, au premier abord, ne peut être résolu de façon aussi simple.
1 - Foudre et Providence des dieux En effet, l'année 138, après la mort d'Hadrien le 10 juillet, n'est marquée par aucune émission en l'honneur de la Providence, alors que, déjà, Antonin a fait émettre des séries à son nom, insistant, dans un premier temps, sur son acces sionà la charge de Pontifex Maximus1. La seule série Prouidentia qui pourrait être datée de cette année est assez suspecte8; en effet, la titulature d'Antonin qui est utilisée ici, ANTONINVS AVG PIVS TR Ρ COS II, est tout à fait inhabituelle et ne se trouve que sur ces séries. En outre, il est curieux de constater que PROVIDENTIA n'est pas au datif, comme sur toutes les autres monn aies du règne d'Antonin ou de ses successeurs. Enfin, contrairement aux émissions Prouidentia des années suivantes, ce type n'a aucun corre spondant dans les frappes de bronze de la même
de face : p. 278, n° 812 à 816. Cf. p. 436, n° 52 et pi. I. Pour L. Verus: RIC, III, p. 251, n°460 à 468. Cf. p. 436, n° 62; p. 253, n° 482 à 485 et 490 à 491a. Cf. p. 436, n° 64 et 66; p. 318, n° 1303 à 1306. Cf. p. 436, n° 62. Providence de face : p. 254, n° 497. Cf. p. 437, n° 67. 6 RIC, III, p. 402, n°301, 303; p. 403, n°305; p. 404, n°312, 317; p. 406, n°330a et b; p. 407, n° 336, 341. Cf. p. 437, n°70, 72, 74. 7 RIC, III, p. 25-26. SRIC, III, p. 32, n°59; BMC, IV, p. 15, n°81*. Cf. p. 435,
année. Nous pensons qu'il est préférable d'écar ter cette monnaie. Même si PROVIDENTIA, au nominatif, est d'un emploi habituel sous Ha drien, il serait assez étonnant qu'Antonin lui ait attaché si rapidement la nouvelle représentation de la foudre. En effet, jusqu'en 140, aucun revers ne porte une légende se rapportant à une divini té; il n'y a d'allusions qu'aux fonctions d'Antonin, en particulier ses puissances tribuniciennes et ses consulats. Il faut certainement considérer que ce n'est qu'en 140 qu'apparaît la frappe PROVIDENTIAE DEORVM à l'image de la foudre ailée et munie d'éclairs. Il nous faut tenter d'expliquer cette nouveauté introduite avec Prouidentia. Il est vrai que la foudre avait déjà été utilisée, toujours de façon rare, donc significative. Si nous mettons à part un denier militaire de Q. Salvidius Rufus frappé en Gaule en 39 av. J.-C.9, la première monnaie portant la foudre ailée sur son revers est un as émis, dès 14-15 ap. J.-C, par Tibère en l'honneur du DIWS AVGVSTVS PATER10. Il a été reproduit, dans leurs séries de restitution, par Titus d'abord, puis par Nerva11. Entretemps, pour lui-même, Titus a fait frapper une série avec la foudre placée horizontalement sur une table drapée (entre le 1er janvier et le 1er juillet 80); ensuite, Domitien, tous les ans de 81 à 85, fit représenter la foudre sur un trône ou bien un aigle sur la foudre12. Trajan restitua les émis sions de Titus, avec la foudre sur la table, en l'honneur du DIVVS VESPASIANVS et du DIVVS TITVS13. Enfin, Hadrien, en 121-122, fit émettre des quadrantes de bronze avec, au revers, la foudre ailée et, parfois, au droit, un aigle14. L'utilisation est donc rare, mais elle se fait toujours dans un cadre historique et mental précis qu'il nous faut définir.
n°45. 9 RIC, I, p. 42. i0RIC, I, p. 95, n°l. 11 RIC, II, p. 143, n° 206 (Titus); p. 232, n° 130 (Nerva). URIC, II, p. 119, n°23a et b (Titus); p. 154, n°2; p. 155, n° 16; p. 156, n°24; p. 158, n°40; p. 159, n°49; p. 160, n°50 et 57 (Domitien). 13 RIC, II, p. 312, n° 829 et p. 313, n° 833. 14 RIC, II, p. 421, n° 619, 624, 625.
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE a) Des avis divergents. Cette brève synthèse doit nous permettre de mieux comprendre l'idée qu'a eue Antonin en employant cette représentation avec la mention de la Providence. Il est évidemment certain que la foudre est l'élément essentiel de la puissance de Jupiter et suffit très souvent à le symboliser. Mais dire qu'« Antonin est le représentant sur terre de Jupiter, dont la Prouidentia l'a élevé au pouvoir»15 est une constation qui serait valable pour tous les empereurs et il est difficile de voir, dans ce cas, quel intérêt l'empereur aurait eu à proclamer une telle banalité et pourquoi il l'au rait fait à ce moment. Nous reporter à la première frappe impériale doit nous en ouvrir le sens. Quand Tibère fait placer la foudre sur les monnaies du DIWS AVGVSTVS, il fait une claire allusion à la consé cration d'Auguste et à son passage parmi les dieux. C'est le sens premier qu'il nous faut lui attribuer et qui est parfaitement confirmé par les frappes postérieures, celles de restitution d'abord qui sont toutes en l'honneur d'un diuus, mais aussi celles réalisées par Titus et par Domitien. Chacun pour leur part, ces derniers font allusion à la divinisation de leur prédécesseur; ils réaffirment les liens qui les attachent les uns aux autres. Dans cette perspective, l'étonnant est de voir Antonin attendre quelques années pour émettre un type symbole de la consecratio. En réalité, il faut comprendre que la foudre avait pris plus de poids et de substance avec Trajan. Des aurei, des deniers et des sesterces des années 112-114 sont tout particulièrement instructifs à cet égard16; le revers porte la légende CONSERVATORI PATRIS PATRIAE et Jupiter y tient sa foudre en protecteur de Trajan qui tient lui-même un bran chage. C'est la reprise d'un thème qui apparaît clairement sur l'arc de Bénévent; les deux pan neaux au sommet de l'arc, sur la façade tournée
15 J. Beaujeu, La religion .... p. 325. Même idée dans J. Re fus Fears, op. cit., p. 255. 16 RIC, II, p. 261, n° 249, 250; p. 287, n° 619. 17 RIC, II, p. 261, n° 251 et 252. Pour l'arc de Bénévent, cf. J. Beaujeu, op. cit., p. 432. 18 A. D. Nock, A dus electa, IV, dans Essays in Religion and the Ancient World, I, p. 265.
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vers la ville, représentent, à gauche, la triade capitoline avec Jupiter tendant la foudre vers le panneau de droite où se trouve Trajan qui tend lui-même la main vers Jupiter. Dans les autres séries monétaires de ces mêmes années se trou vent les émissions en l'honneur de la divinisa tion du père de Trajan, qui a peut-être eu lieu en 11417. L'ensemble fait partie des intentions nouv elles que Trajan veut exprimer à ce moment et dont nous avons essayé de dégager plus haut les traits essentiels et prédominants. Ce sont ces mêmes intentions que nous retrouvons sous Hadrien, en 121-122; en se ratta chant à Trajan de manière étroite, il pouvait annoncer la prochaine ouverture d'une période heureuse. C'est aussi dans cette ligne qu'il nous faut placer les émissions d'Antonin à l'image de la foudre. Il s'affirme cpmme le dépositaire lég itime du pouvoir de celui qui avait organisé la succession dans la lignée des Ulpii, sous la pro tection de Jupiter et de tous les dim, dont le tout dernier consacré, Diuus Hadrianus. C'est pourq uoi, nous devons formellement écarter l'op inion de ceux qui, comme A. D. Nock, pensent qu'il ne faut y attacher aucune signification par ticulière18. Nous devons aussi repousser l'avis de ceux qui veulent placer l'émission en 142 pour la mettre en rapport avec les Quinquennalia d'An tonin, qui ne sont d'ailleurs pas attestés d'une autre manière19. Il n'est pas non plus possible de s'en tenir à des remarques, plus proches de la réalité, mais qui restent trop générales : « rappel d'une adoption sans problème»20, «Prouidentia deorum qui a choisi Antonin pour l'empire»21 ou bien encore «justification spirituelle du pouvoir impérial»22. Il est toutefois certain que se pose le problè me de la date d'émission; elle ne peut se placer avant 140 et peut être poussée jusqu'en 144. Serait-ce qu'Antonin, avant d'accepter total ement le pouvoir, l'aurait refusé dans le sens où J. Béranger l'entend23 ? Le fait est impossible
19 P. V. Hill, The dating and arrangement .... p. 92-93. 20 P. L. Strack, op. cit., III, p. 127. 21 RIC, III, p. 7. 22 BMC, IV, p. LVI. 23 J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique du princi pal,Bâle, 1953, p. 148.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
puisque Antonin a été adopté à la fin du mois de février 138 et qu'à partir de ce moment, en tant que César, il est le successeur désigné; il aurait pu repousser le pouvoir quand la proposition de l'adoption lui avait été faite, et Hadrien y avait pensé24. À la mort de l'empereur, il ne pouvait plus en être question. Peut-on croire alors qu'Antonin a attendu, pour une telle proclamation, de posséder les titres et les pouvoirs qui faisaient à ses yeux le véritable empereur, en particulier le titre de Pater Patriae? Cela, non plus ne semble pas exact; en effet, sans que nous sachions à quelle date précise Antonin a reçu ce titre, ce ne peut être, malgré un premier refus, qu'avant la fin de l'année 139, puisque les monnaies frap pées en 140 portent l'indication Ρ Ρ25. Antonin a-t-il attendu d'être officiellement déclaré Pins? Comme nous l'avons vu ci-dessus, Pietas peut être mise en relation directe avec Prouidentia', l'acceptation d'un tel titre par un empereur, pour la première fois, pouvait être une heureuse occasion de mettre en valeur la Prouidentia Deorum. Etant donné la nouveauté représentée par l'attribution à l'empereur de ce titre de Puis, les historiens de l'Antiquité ont cherché à expliquer le processus et à en trouver les raisons. L'auteur de la Vita Pii donne toutes les solutions qui lui semblent possibles : le sou tien physique apporté à son beau-père affaibli par l'âge, à son entrée à une séance du sénat, la sauvegarde de la vie d'Hadrien qui voulait se suicider dans ses derniers mois, les honneurs divins rendus à Hadrien malgré de fortes opposi tionssénatoriales, la sauvegarde de sénateurs condamnés par Hadrien, enfin, et l'auteur pen che pour ce qui lui semble le plus vraisemblable, «à cause de sa bonté immense et du bonheur constant dont on jouit sous son règne»26. Il ne faut pas se laisser prendre dans un amas si considérable de causes diverses, dont chacune peut recouvrir une vérité et une réalité. Pour
prendre un exemple, nous avons une confirmat ion dans la lettre, conservée sur un papyrus, qu'Hadrien envoie à Antonin, alors César, donc après son adoption, et où il s'adresse «à toi qui t'es trouvé près de moi alors que j'étais malade, m'encourageant et m'exhortant à prendre quel que repos»27. Puisqu'un choix entre toutes ces solutions possibles serait artificiel, il ne peut s'agir d'un bilan du règne; il commence à peine. Aussi ne faut-il pas voir en Pietas, «un idéal proposé par ce prince à son siècle et le principe fondamental de cet «ordre moral» qu'il s'est efforcé d'établir»28. En réalité, avant même que le cognomen lui soit officiellement accolé, Antonin est Pius. Il l'est à partir du moment où, adopté par Hadrien, il a accepté d'adopter lui-même L. Verus et Marc Aurèle, les véritables successeurs d'Hadrien (et, comme nous l'avons vu, L. Verus étant peut-être le seul véritable successeur d'Hadrien). D'ail leurs, entre la fin du mois de février et le mois de juillet 138, de nombreuses monnaies à l'effigie du nouveau César concentrent la propagande autour des thèmes de Concordia et de Pietas29. Il semble même que quelques monnaies aient por téle titre de Pius avant sa dévolution officielle30. De nombreux papyri lui donnent le titre d't\)σεβής dès le 28 juillet31. Ces aspects publics, mais sans caractère officiel, sont fondamentaux. Anto nin n'a fait qu'entériner ce qui lui était déjà donné. Mais il l'a lié à deux autres décisions qui touchaient la domus imperatoria, la consécration d'Hadrien et l'attribution à son épouse Faustine du cognomen d'Augusta : «... il le plaça parmi les divinisés. Il permit au sénat de donner à sa femme Faustine, le nom d'Augusta et il reçut l'appellation de Pius »32. Les trois actes sont bien groupés parce qu'ils forment un tout, dont le couronnement est l'a ppellation Puis pour Antonin. L'empereur se fait appeler Pieux quand tout, dans la succession, est
24 Dion Cass., LXIX, 20, 5. 25 HA, Vit. PU, VI, 6. 26 Ibid., II, 3-7. 27 Β. P. Grenfell - A. S. Hunt, Fayûm Towns and ..., ρ. Ι ΠΙ 16, 11.5-6. H. G. Pflaum, La valeur de la source inspiratrice de la «Vita Hadriani» et de la «Vita Marci Antonini» à la lumière des personnalités contemporaines nommément citées, dans Bonner Historia Augusta-Colloquium, Bonn, 1968/1969. Antiquitas,
Reihe 4, band 7, Bonn, 1970, p. 189, prend parti gratuitement et sans approfondissement de la notion, pour la première solution proposée. 28 J. Beaujeu, op. cit., p. 289. 29 RIC, II, p. 394-396 et 483-485. 30 RIC, III, p. 26-27 et 96-97. 31 Cf. J. Beaujeu, op. cit., p. 286, n. 6. 32 HA, Vit. PU, V, 1-2.
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parfaitement mis en place, suivant sa propre volonté, qui n'était que le reflet de celle d'Ha drien. Dans cet ensemble, l'attribution du nom d'Au gusta à Faustine est loin d'être un élément négli geable. Comme nous l'avons vu à propos de Marciane et de Matidie, ce n'est qu'à travers elle que la succession légitime peut se faire, puis qu'elle est elle-même descendante de diui et de diuae et, en droite ligne, du Diuus Pater Traianus. Le fait fondamental qui explique la Piété d'Antonin se trouve dans cet ensemble parfaitement défini, et il est inutile de le chercher ailleurs, surtout dans des propositions vagues. D'ailleurs, ces deux années 138 et 139 sont marquées par des émissions de monnaies d'Antonin avec la représentation de la Pietas, la main levée et devant un autel33. Dans le même temps, les émis sions pour Faustine et à son nom sont centrées sur la Concordia, complémentaire de la Pietas dans le respect des décisions prises par Hadrien et par son prédécesseur34. Et il n'est sans doute pas indifférent que, durant ces mêmes deux pre mières années du règne, aient été frappées des séries monétaires au nom et à l'image des pro vinces de l'empire35. On a l'habitude de les ratta cher à une mesure précise prise par l'empereur dès son avènement, la remise de la moitié de Xaurum coronarium donné par les provinces au moment de son adoption36. La correspondance est possible, mais il ne faudrait pas oublier que de nombreux empereurs avaient pris cette mesure, Auguste, Trajan, Hadrien en particulier, et qu'ils n'avaient pas commémoré cet acte par des émissions monétaires37. Ne peut-on, plutôt, y voir un rappel de la politique d'Hadrien à l'égard des provinces et, en particulier, de son passage fécondant, créateur de bonheur et de prospérité pour maintenant et pour l'avenir? Par ce moyen, Antonin montrait son attachement à
l'œuvre d'Hadrien, fondement de sa propre sou veraineté sur l'ensemble de l'empire. Il est cer tain que, de cette manière, le sens de Pins peut se rapprocher étroitement de ce que nous avons dit de Proiiidentia et de son rôle. Est-ce à dire qu'il faille faire coïncider les frappes Proiiidentia Deorum avec l'acceptation du nom de Pius? Cer tainement pas puisqu'il y a un écart chronologi que impossible à combler. En effet, s'il est possi blede discuter de la date de la consécration d'Hadrien que le sénat ne s'est pas préoccupé de décréter rapidement, il n'est pas possible de la repousser au-delà du mois de mars 139. Cette dernière date est certainement excessive; il faut plutôt penser à une divinisation qui aurait été célébrée avant le début du deuxième consulat d'Antonin38. Devrait-on alors mettre en rapport cette frap peen l'honneur de la Proiiidentia Deorum avec un renouvellement des temps, la fin d'un cycle et le début d'une nouvelle période? Nous avons vu, sous Hadrien, le cas se produire. Si nous écartons des Quinquennalia qui ne sont apparent es nulle part39, il nous reste cependant un autre indice important; mais il est purement égyptien. L'année égyptienne commençait le 20 juillet et coïncidait avec la crue du Nil; mais les astrono mes,depuis fort longtemps, avaient remarqué qu'à plusieurs reprises il y avait eu coïncidence entre le début de la crue, le lever du Soleil et l'étoile la plus brillante, Sothis (= Sirius). De ce fait, ce lever héliaque de l'astre a été compris comme le signe du renouveau de la vie apporté à la nature, le point final mis à une période, en même temps que le point de départ d'une nouv elle ère pour la terre égyptienne40. Mais la coïncidence ne se renouvelle que toutes les 1461 années41. Or une de ces si rares correspondances s'est produite en 139. Plusieurs séries monétair es, à Alexandrie, marquèrent l'événement; l'une
n° 42*; 33 RIC,p. 31, III, n°p. 52; 26, p.n° 97, 6; p.n°27, 523,n°524, 13 à527. 14b; p. 28, n° 24; p. 30,
ria de 139, c'est-à-dire le 25 mars. 39 Le seul indice, bien faible, serait la frappe de monnaies au type du Genius (du sénat ou du Peuple Romain) : cf. RIC, III, p. 14. 40 Pour les détails, cf. J. Hubaux - M. Leroy, Le mythe du Phénix dans les littératures grecque et latine, dans Bibl. Fac. Philos, et Lett. Univ. Liège, fase. LXXXII, Liège-Paris, 1939, p. 17-27. 41 Censor., De die natali, XVIII, 10.
"RIC, III, p. 66, n°327; p. 67, n°328 à 330, 335; p. 68, n°336, 337; p. 158, n° 1074; p. 159, n° 1075, 1076; p. 160, n° 1086 à 1089. 35 RIC, III, p. 104-107, n° 574 à 596. 36 HA, Vit. PU, IV, 10. 37 M. Hammond, op. cit., p. 78 et p. 111, n° 127. 38 RIC, III, p. 20, place la divinisation d'Hadrien aux Hila-
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d'entre elles est importante pour notre propos. Elle nous montre, au droit, le profil d'Antonin avec sa titulature AYT Κ ... ΑΔΡ ΑΝΤΩΝΙΝΟ ΕΥ CEB, au revers l'inscription ΑΙΩΝ et un Phénix regardant vers la droite avec son nimbe à sept rayons autour de la tête42. Le même type est repris la sixième année du règne (142/143) avec la titulature ANTHNINOC CEB EYCEB43. Censorinus confirme le début de cette ère sothiaque en 139 : « imperatore Antonino Pio II Bruttio Praesente Romae consulibus idem dies fuerit ante diem XIII Kai Aug. . . . »44. Les rapports de cette ère avec le Phénix sont aussi bien établis, ne seraitce que dans un discours d'Aelius Aristide qui est certainement contemporain du début de cette Grande Année45. Que cet événement ait été mis en valeur par l'émission d'Alexandrie n'a rien qui puisse nous étonner puisqu'il y avait une heu reuse coïncidence de plus avec le commence ment de cette nouvelle période, le début du règne d'Antonin. Un point resterait à expliquer, pourquoi une nouvelle frappe semblable la sixi èmeannée du règne, sans qu'il y ait eu la moin dreémission intermédiaire? Sans chercher à répondre, pour l'instant, à cette interrogation, nous nous contentons de constater que, dans un premier temps, il n'est pas possible de trouver les mêmes causes aux émissions de ΓΑΙΩΝ d'Alexandrie et aux séries Prouidentia Deorum de Rome. Le décalage chronologique est encore trop important et cette Providence n'est pas en rapport direct avec le début de la nouvelle ère sothiaque. b) La mort de Faustine l'Ancienne. La solution ne doit pas se trouver très loin de tout ce que nous venons de dire, car l'ensemble de ces traits forme bien l'ambiance habituelle de la Prouidentia. Ne serait-il pas possible, en repre nantles rapports familiaux existants, de croire à
42 J. Vogt, op. cit., I, 115; II, 63. J. G. Milne, op. cit., p. 40. 43 J. Vogt, op. cit., I, 115-116; II, 68. J. G. Milne, op. cit., p. 42. 44 De die natali, XXII, 10. 45Orat., XLV, 107. Cf. R. van den Broek, The Myth of the Phoenix according to Classical and Early Christian Traditions, dans Et. Prél. Rei. Or. dans Emp. Rom., XXIV, Leiden, 1972, p. 71. Au début de chaque nouvelle période sothiaque naîtrait
la liaison entre les séries Prouidentia Deorum à l'image de la foudre ailée et la mort de Faustine l'Ancienne, la femme d'Antonin? Ce décès, qui a certainement eu lieu en 14146, a été entouré d'un luxe particulier de cérémonies qui nous sont décrites par l'auteur de la Vita Pii : « Le sénat lui décerna la consécration, des jeux du cirque, un temple, des flaminiques et des statues d'or et d'argent. Lui-même (Antonin) consentit que l'image de l'impératrice fut portée dans tous les jeux du cirque, et il accepta la statue d'or que le sénat voulut lui ériger ... Il consacra, en mémoir e de Faustine, un fonds spécial à l'entretien de jeunes filles pauvres, qui furent appelées Faustiniennes»47. Une telle enumeration doit nous faire réflé chir sur l'importance qui a été donnée à tous ces actes à la mort de Faustine. Ils ont certainement dépassé en ampleur ce qui s'était vu jusqu'ici pour une femme de la famille impériale. C'est pourquoi il est insuffisant d'interpréter de telles démonstrations comme la marque et l'expres sion d'un «veuf inconsolable», comme l'official isationde «l'attachement traditionnel des Ro mains pour leurs parents et ancêtres »48 ou encor e,dans la même ligne de pensée, comme une recherche de toutes les forces religieuses de Rome pour servir au renouveau religieux49. En effet, les cérémonies qui sont célébrées ne le sont pas en l'honneur d'une morte, mais d'une impératrice divinisée; nous ne pouvons oublier le partage alors réalisé : le mort en son tombeau (le Mausolée d'Hadrien) avec le culte normale ment rendu par la famille, le dieu en son temple, avec ses images et son culte particulier. C'est ce dernier aspect, totalement public, qui est mis en valeur par l'auteur de la Vita Pii; ce n'est pas un «témoignage exemplaire de la Pietas pour les défunts». En outre, la Diua Augusta Faustina reçut un très grand nombre d'émissions monét aires en son honneur immédiatement après sa
un nouveau Phénix. Cf. P. Perdrizet, La tunique liturgique historiée de Saqqara, dans Mon. et Mém. Fond Eug. Piot, XXXIV, 1934, p. 111-113. 46 HA, Vit. PU, VI, 7 : tertio anno imperii sui Faustinam uxorem perdidit. 47 Ibid., VI, 7-8 et VIII, 1. 48 J. Beaujeu, op. cit., p. 289. 49 P. L. Strack, op. cit., III, p. 107.
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mort. Nous y retrouvons les thèmes, habituels maintenant, d'Aete rn itas, de Concordia, de Consecratio bien entendu, de Pietas et ces nouvelles PVELLAE FAVSTINIANAE qui font allusion aux dernières institutions alimentaires créées en sa mémoire50. Dans ce domaine aussi, une telle abondance prend un caractère surprenant parce que nouveau. Tous ces traits particuliers s'expliquent par le fait fondamental que nous avons déjà souligné, Faustine est Augusta, elle est la descendante directe du père de Trajan divinisé; c'est elle qui possède le sang qui donne la légitimité du pouv oir. Ce n'est que grâce à elle qu'Antonin a pu devenir empereur et ce n'est que par elle que peut se créer la légitimité des successeurs d'Antonin. Dans le même temps d'ailleurs, par un médaillon, ou un as, très peu répandu, le prince rappelle le souvenir de l'Augusta qui a précédé Faustine, Sabine, elle aussi descendante directe du père de Trajan. Cette pièce fait partie d'un vaste ensemble qui regroupe d'autres sesterces et as en l'honneur de la Diua Faustina et qui se présentent sur le même modèle51. Cette insistan ce mise par Antonin sur la consécration de sa femme avait un autre but bien précis; il fallait donner désormais une influence plus importante à leur fille, Faustine la Jeune, qui devenait la dépositaire du sang des Ulpii; elle avait la possib ilité de le transmettre légitimement. Or, Faustine la Jeune était fiancée à celui qui avait été fait César à la mort d'Hadrien, le futur Marc Aurèle. En effet, Antonin avait, en partie, changé les plans de son père adoptif; ce dernier avait destiné la jeune Faustine à L. Verus et c'était un point de l'accord passé avec Antonin52. Mais L. Verus était très jeune et c'est le prétexte que prit Antonin pour remplacer, auprès de Faustine la Jeune, L. Verus par Marc Aurèle. Il n'y a peut-être pas dans ce geste une position totalement antinomique de celle d'Hadrien. Il est fort possible que l'empereur, qui se sentait
déjà âgé, puisque né en 86, ait jugé plus prudent d'assurer rapidement la succession par le maria ge de Faustine. Elle ne pouvait être mariée que vers sa quinzième année; mais L. Verus avait le même âge ou même était un peu plus jeune; un mariage entre les deux ne pouvait se faire imméd iatement et il aurait fallu attendre quelques années de plus. Avec Marc Aurèle, le même problème ne se posait pas; né en 121, il a déjà vingt-quatre ans lorsque Faustine est en âge de se marier, en 145. Ce n'était pas véritablement contrevenir aux désirs d'Hadrien, puisque l'e ssentiel subsistait dans la personne de Faustine. D'ailleurs L. Verus ne resta pas à l'écart du sang des Ulpii, puisque, de la volonté de Marc Aurèle ou suivant un vœu d'Antonin, il put épouser, en 164, une des filles de Faustine et de l'empereur, Lucilia; cette liaison matrimoniale ne manqua pas de provoquer quelques difficultés sous le règne de Commode. C'est certainement aussitôt après la mort de Faustine l'Ancienne que les fiançailles de Marc Aurèle et de Faustine la Jeune furent célébrées et proclamées officiellement par deux séries de sesterces dédiées à CONCORDIAE; nous y voyons Antonin et Faustine l'Ancienne, le pre mier tenant une statuette, la seconde un sceptre, sa faisant face ; entre eux, plus petits, se trouvent Marc Aurèle et Faustine la Jeune se serrant la main au-dessus d'un autel53. Ce sesterce résume parfaitement la situation à la mort de la femme d'Antonin; il indique précisément de quelle façon la succession doit se réaliser, en passant par les deux Faustines, conformément aux vœux (= CONCORDIA) d'Hadrien. La mort de Faustine l'Ancienne a été un moment décisif dans l'évolution du principat d'Antonin. Il était jusqu'ici comme en attente puisque, à l'intérieur de la famille impériale, il n'était que l'époux de Faustine, véritable détent rice de l'hérédité du pouvoir. Nous pouvons remarquer qu'à partir de son troisième consulat,
50 RIC, III, p. 69-76, n°343 à 407; p. 161-169, n° 1099 à 1200. 51 RIC, III, p. 158, n° 1073A; p. 158, n° 1073 a, b, c, d. 52 Ce fait seul prouve la position prééminente qu'Hadrien réservait à L. Verus, puisqu'il lui faisait épouser celle qui détenait le sang des Ulpii. HA, Vit. Marc, VI, 2. 53 RIC, III, p. 108, n° 601 ; p. 163, n° 1 129 (DIVA AVG FAVS-
ΉΝΑ). Il faut, là encore, écarter l'idée que «l'union du couple impérial sert de modèle et de garant à la concorde de tous les jeunes ménages de Rome » (J. Beaujeu, op. cit., p. 290-291). A. Alföldi, Insignien und Tracht . . ., dans Die monarchische Repräsentation im römischen Kaiserreiche, p. 214.
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le 1er janvier 140, mais plus sûrement après 141, le monnayage d'Antonin se transforme et se diversifie considérablement. Dans ces émissions nouvelles viennent s'inscrire les séries avec Prouidentia Deomm et la représentation de la foudre. Comme nous l'avons dit plus haut, la foudre peut presque toujours être mise en rap port avec la consécration; aussi devons-nous lier ces émissions importantes à la divinisation de Faustine l'Ancienne. Elles expriment le sent iment que le programme familial est exécuté et qu'il assurera prospérité et éternité. En effet, la Providence n'est pas absente des monnaies de DIVA AVGVSTA FAVSTINA, mais son nom n'est jamais mentionné. De nombreuses séries mont rent une femme, la plupart du temps debout (elle n'est assise que dans un seul cas), tenant un globe et un sceptre (une seule fois sans le scep treet levant la main libre); toutes ces monnaies portent alors la légende AETERNITAS54. Les attributs sont ceux de la Providence de Trajan et d'Hadrien; dans le cas de Faustine, est simple mentsoulignée le renouvellement continuel qui permet l'Éternité grâce à la Providence dont le rôle, sous-entendu, n'a pas moins de valeur. Ce renouvellement dans la continuité est par faitement souligné par d'autres monnaies, tou jours avec la légende AETERNITAS, qui présen tent sur leur revers une figure féminine tenant un phénix ou bien supportant un globe sur lequel est perché un phénix55. Nous avons déjà montré les rapprochements possibles entre le phénix et l'idée de Providence. L'occasion provo quéepar la période sothiaque nouvelle, dont le début avait presque coïncidé avec la mort de Faustine, l'assurance que tout était préparé pour la succession par l'intermédiaire de sa fille, ont permis, une nouvelle fois, l'utilisation de l'oiseau fabuleux. Par ce moyen, l'accent était mis, avec plus de vigueur encore, sur l'idée du renouvelle ment des temps, sur la conception d'un départ dans une jeunesse neuve de Rome et de l'empir e. C'est pourquoi, nous devons aussi attribuer à la mort de Faustine l'Ancienne la réapparition, à Alexandrie, la sixième année du règne, de la
pièce portant la légende ΑΙΩΝ et l'image du Phénix. Une nouvelle fois, en ces années 141 et 142, l'empire repartait sur de nouvelles bases heureuses et propices; les ateliers alexandrins, ces mêmes années, pouvaient frapper des revers sur lesquels étaient représentés Antonin et Faust ine, affublés des attributs, l'un du Soleil, l'autre de la Lune, c'est-à-dire, à eux deux, comme un tout, symboles de l'Éternité56.
"RIC, III, p. 70, n°350 a, b, 351; p. 162, n°1108 à 1110 (assise); p. 166, n° 1163 a, b; p. 167, n° 1164. Cf. p. 436, n° 50. 55 RIC, III, p. 69, n°47; p. 161, n° 1103 A; p. 162, n° 1103 B, n° 1105; p. 165, note (médaillon); p. 166, n° 1156 et 1157.
56 J. Vogt, op. cit., p. 114-116. Cf. P. L. Strack, op. cit., III, p. 57, n. 150. 57 RIC, III, p. 83, n° 446. Cf. p. 435, n° 51 et pi. I.
2 - Une Providence discrète, mais souvent présente a) L'année 148/149, porteuse de Félicité. Durant le règne d'Antonin, à aucune autre reprise, n'apparaît l'inscription de la Providence sur les monnaies. Ce fait ne signifie pas qu'elle soit totalement absente. En effet, comme pour les séries AETERNITAS de Faustine divinisée, une figure de femme debout avec un globe à ses pieds (ou le tenant) et un sceptre apparaît à plusieurs reprises sans aucune légende si ce n'est la désignation des puissances tribuniciennes et des consulats. L'exemplaire qui arrive le plus tôt dans le règne est un denier au nom de Marc Aurèle César, AVRELIVS CAESAR AVG PII F, avec l'i ndication de sa troisième puissance tribunicienne, c'est-à-dire celle qui s'étendit du 10 décembre 148 au 9 décembre 14957. La série est importante et elle est accompagnée de frappes à l'image de Minerve, de Fides, de Mars, de Clementia; mais, surtout, nous retrouvons cette année-là le grou pement que nous avons plusieurs fois signalé, de CONCORDIA et de PIETAS. La première se pré sente sous la forme d'une femme qui abrite sous son manteau, de chaque côté, une petite figure masculine sur sa droite, et une plus petite figure, incontestablement féminine, sur sa gauche; il ne peut s'agir que de Marc Aurèle et de son épouse, Faustine la Jeune. La Pietas est debout, une main sur la tête d'une petite fille et tenant sur son bras gauche un enfant tout petit, ou bien elle
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tient un sceptre et étend la main au-dessus d'un enfant, ou bien encore, elle tient une boîte à parfums avec un enfant à ses côtés58. Avant cette date, dans le monnayage du César Marc Aurèle, Pietas n'avait été utilisée que dans les séries de 140/144, mais avec la représentation d'instr umentsde culte et de sacrifice qui orienterait plutôt vers les fonctions religieuses d'augure et de pontife du jeune homme59. Quant à Concordi ci, elle apparaît dans une circonstance très préc ise, en 145, pour le mariage de Marc Aurèle et de Faustine qui a dû se dérouler au mois d'avril. Sous la légende VOTA PVBLICA, les vœux publics prononcés officiellement pour les jeunes époux, nous pouvons voir Faustine et Marc Aurèle, face à face, debout, se serrant la main sous le patronage de la Concordia qui se tient entre eux deux. C'est l'expression de la concorde avec les vœux d'Hadrien, toute succession devant obligatoirement passer par l'intermédiai re de Faustine; d'ailleurs, elle reçut alors le titre d'Augusta, fondamental dans cette perspective60. Au même moment, à Alexandrie, apparaissent sur les monnaies de nombreuses représentations des signes du zodiaque ou des astres. Ils orien tentle mariage vers l'idée d'éternité61 qui est garantie par le mouvement régulier des planètes dans la bande du zodiaque. Mais c'est à l'année 148/149 qu'est réservée la Providence; il est vrai que c'est un moment privilégié, un aboutissement momentané qu'Antonin a voulu souligner avec force et gravité. Comme J. Gagé l'a fait remarquer, l'ouverture de la nouvelle ère sothiaque avait servi de préface et d'introduction, dès 139 donc, aux cérémonies devant commémorer le neuvième centenaire de la Ville62; en outre, cet anniversaire se trouvait en coïncidence avec les uicennalia du temple de Rome et de Vénus, le 21 avril 148, et avec les
primi décennales d'Antonin lui-même. La prépa ration d'une année si importante s'est réalisée à l'aide de séries monétaires représentant Romul us en personne, ou bien la louve et les jumeaux, ou bien encore Énée et Anchise. L'année même a été marquée par une abondante production PRI MI DECENNALES et par d'autres émissions, plus rares, comme AN(num) F(austum) F(elicem) OPTIMO PRINCIPI, et le bronze représentant la tensa de la divinité Roma63. Le tout a été accom pagné de jeux, et nous n'avons aucune raison d'en douter, même s'ils ne sont évoqués que par une courte allusion d'Aurelius Victor : « il célébra magnifiquement le neuvième centenaire de Rome»64. D'ailleurs un médaillon de cette même année 148 porte l'expression Temporum Félicitas, très significative de l'ouverture d'une nouvelle période de bonheur pour Rome et pour son empire65. Le couronnement de ce moment capital se place l'année suivante. C'est la naissance d'un, ou de deux enfants, conçus justement durant l'année 148. Il est vrai que la chronologie des naissances d'enfants dans le foyer de Marc Aurèl e et de Faustine pose d'assez difficiles problè mes qui ne sont pas encore totalement tranchés; nous pouvons cependant nous fonder sur les travaux d'A. Birley66. Dans tous les cas, il est certain que, le 30 novembre 147 était née la première fille du couple, Annia Aurelia Galeria Faustina67. C'est à la suite de cette naissance, qui assurait l'avenir, que Marc Aurèle reçut, dès le 1er décembre, la puissance tribunicienne et Yimperium proconsulaire68; il possédait dorénavant les pouvoirs légaux lui permettant d'être vérit ablement consors imperii comme Antonin l'avait été lui-même en recevant les mêmes pouvoirs le 25 février 138, dans le même temps qu'il était adopté69. Ce dernier a simplement attendu que
58 RIC, III, p. 82, n° 441 : CONCORDIA; p. 83, n° 449; p. 178, n° 1274; p. 179, n° 1281 a et b; p. 180, n° 1293 a et b, 1294: PIETAS. 59 RIC, III, p. 79, n° 424 a, b, c, d; p. 174, n° 1234 et 1240. 60 De 145 à 161, Faustine est appelée Augusta, alors que Marc Aurèle n'est que César et ne devient Augustus qu'à son accession au trône. Un tel décalage, normal dans les perspect ives que nous avons tracées, montre bien l'importance des femmes dans la succession. 61 J. Vogt, op. cit., p. 116-117. 62 J. Gagé, Le «Tempîum Urbis» et les origines de l'idée de
«Renovatio», dans Ann. Inst. Philol. Hist. Or. et Slav., IV, 1936 (Mélanges F. Cumont), p. 156. Id., L'empereur romain devant Sérapis, dans Ktéma, I, 1976, p. 157. 63 RIC, III, p. 9. J. Gagé, Recherches sur les Jeux Séculaires, Paris, 1934, p. 100-102. 64 XV, 4. 65 P. L. Strack, op. cit., III, p. 72 et 138. 66 A. Birley, Marcus Aurelius, Oxford, 1966. 67 HA, Vit. Marc, VI, 6. 68 M. Hammond, op. cit., p. 75 et p. 107-108, n. 107. 69 HA, Vit. PU, IV, 7.
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la descendance soit assurée pour confirmer déf initivement Marc Aurèle. Il faut, évidemment, écarter les opinions de ceux qui veulent que de tels honneurs ne puissent correspondre qu'à la naissance d'un garçon70; nous avons avons vu l'importance de la place tenue par les femmes dans la succession impériale. La seconde étape, dans les naissances, prit un aspect encore plus important et spectaculaire. En effet, le 7 mars 149, naquirent des jumeaux dont l'un mourut très tôt, avant le 28 mars; l'autre, une fille de nouveau, fut appelée Annia Aurelia Galeria Lucilia71. Seuls les documents monétaires apportent la preuve de l'existence de ces jumeaux, mais ils sont suffisamment parlants pour qu'il n'y ait pas de doute. Deux types monét aires sont particulièrement adaptés à cet événe ment : un denier de Faustine représentant un trône sur lequel s'ébattent deux très petits enfants, avec des étoiles au-dessus de leurs têtes72; tout autour se lit la légende SAECVLI FELICIT. Le second type est encore plus explici te puisque déjà employé à l'époque de Tibère. Il s'agit de deux cornes d'abondance entrecroisées desquelles émergent deux têtes d'enfants, avec, tout autour, la légende TEMPORVM FELICIT AS73. Cet aureus au nom d'Antonin, parfait ement daté de 148/149 par l'indication de la puis sance tribunicienne, reprend un sesterce du jeu ne Drusus qui, en 22/23, commémorait la nais sance des petits-fils de Tibère, Tiberius Gemellus et Germanicus74. Le thème n'avait jamais été repris entretemps. Pour que des émissions si spectaculaires aient marqué ces naissances fallait-il que l'empe reurattachât une importance toute particulière à l'idée de la perpétuation de l'empire. Le pre mier point, déjà indiqué, est que la conception de ces jumeaux s'était faite durant l'année 148, celle du neuvième centenaire de la Ville. Ils sont le reste vivant de cette année décisive; ils ont commencé leur vie en même temps que Rome prenait un nouveau départ; ils sont en
pondance étroite avec le nouveau cycle de la Ville et du monde romain. En outre, la naissance de jumeaux est très frappante étant donné sa rareté. Il ne peut s'agir que d'une marque de satisfaction et de reconnaissance envoyée par les dieux et qui rapproche du monde divin ceux qui en sont les bénéficiaires. Et si les jumeaux sont le symbole des Dioscures, protecteurs de la jeu nesse militaire75, ils sont aussi semblables à Romulus et à Rémus. C'est certainement cet aspect qui l'emporte en 149 où tout est fait pour rappeler la naissance de Rome, où la représentation de la louve allai tant les jumeaux est partout répandue, où le thème de Romulus fondateur est connu de tous parce que partout affirmé. Nous pourrions ajou terque la mort d'un des deux enfants ne pouvait que renforcer ce rapprochement; Rome n'existe véritablement que quand Rémus a été éliminé par son frère. En un sens, il est rassurant, et conforme au plan des dieux, qu'après avoir don néce signe de leur faveur, ils enlèvent un des enfants; cet acte se fait au profit de celui qui doit apporter au monde romain la Félicitas annoncée sur les monnaies. Le même cas se reproduisit avec Commode; nous aurons l'occa siond'en reparler, mais nous pouvons tout de suite dire que, parmi les enfants de Marc Aurèle et de Faustine, les deux seuls à avoir joué un rôle important ont été les éléments d'une paire vite dissociée par la mort: Commode bien sûr, mais aussi cette Lucilia, née en 149, et qui, en 164, devint l'épouse de L. Verus. Étant donné la différence d'âge, il aurait été plus simple de réserver à L. Verus comme épouse la fille aînée du couple, Faustina. Si Lucilia a été choisie, c'est que sa place était eminente parmi les si nom breux enfants du couple impérial. Dans ces conditions, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'Antonin ait fait reprendre, pour Marc Aurèle, les émissions à l'image de la Providence, de la Concorde et de la Piété, sur lesquelles nous voyons apparaître les silhouettes des enfants.
™ BMC, IV, p. XXXIV-XXXIX; PIR, I, 697, p. 123. 71 A. Birley, op. cit., p. 139-140. Cf. M. Manson, Le temps à Rome d'après les monnaies, dans «Aiôn», Caesarodunum, Xbis, 1976, p. 185 et 189-190. ™RIC, III, p. 95, n°509. Cf. A.AIföldi, Insignien und Tracht . . ., p. 244.
73 R1C, III, p. 48, η» 185; p. 133, n° 857; p. 134, n° 859. 74 RIC, I, p. 107, n° 28. "Cf. A. Alföldi, op. cit., p. 217, n. 5 (continuée p. 218). En relation avec une inscription grecque nommant les «nou veaux Dioscures, les fils de Drusus César». Tac, Ann., II, 84.
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE Cette reprise était la première, mais Marc Aurèle était confirmé par cette naissance de jumeaux, voulue par les dieux, dans son rôle de consors imperii et d'héritier du pouvoir. Ces naissances de 149 ont été le résultat de l'exécution des programmes «prévoyants» des empereurs précé dents, en plein accord avec ce qu'ils avaient décidé; elles sont porteuses de Félicité pour les nouveaux temps. Il s'agit véritablement d'un moment privilégié qu'Antonin a voulu souligner avec vigueur et en toute conscience. L'évidence en est ressentie quand nous voyons que, dans les années immédiatement suivantes, ne se trouve plus dans les émissions monétaires de Marc Aurèle César le même rapprochement, la même association entre la Providence, la Concorde et la Piété, même si cette dernière est utilisée dans les séries de trois années, en 155/156, 156/157 et 160/16176. b) Le temple du Diuiis Hadrianus. Bien d'autres frappes, durant le règne d'Antonin, présentent la figure féminine de Prouidentia sur leurs revers, mais toujours sans son nom. Elle est partout parfaitement identifiable à cause de ses attributs à peu près immuables (comme sur les monnaies AETERNITAS de la DIVA AVGVSTA FAVSTINA). Nous pouvons tout de suite classer avec les émissions de 142, un sester ce77qui doit être interprété dans le même sens que les frappes Prouidentia de cette année, tel que nous l'avons expliqué plus haut. Un dupondius portant au revers TR POT XV COS IIII et l'image de la Providence debout, fait partie d'une série un peu particulière de l'année 151/15278. En effet, il présente une titulature que nous ne trouvons, sur les monnaies, que dans les deux années allant du 10 décembre 150 au 9 décembre 152; et ce ne sont pas toutes les séries qui la possèdent. La plupart du temps, le nom de
76 RIC, III, p. 185, n°133O et 1333; p. 186, n° 1343; p.91, n°487 et 490 (la Pietas est entourée de deux enfants et en porte deux autres); p. 189, n° 1359 et p. 190, n° 1361 (même représentation avec les enfants). 77 RIC, III, p. 1 12, n° 647. Cf. p. 435, n° 46. 78 RIC, III, p. 138, n° 896 a. Cf. p. 435, n° 47. 79 Une difficulté se présente ici. En effet, l'auteur de la Vita Pii, Vili, 2, nous confirme bien la construction de ce temple sous le règne d'Antonin, mais la Vita Veri, III, 1, place
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l'empereur est réduit à ANTONINVS AVGVSTVS PIVS. Or, sur les séries qui nous intéressent, nous trouvons IMP CAES Τ AEL HADR ANTO NINVS AVG PIVS Ρ Ρ, c'est-à-dire le nom et la titulature complets comme ils sont apparents sur un très grand nombre de monuments. C'est un rappel de l'adoption par Hadrien dont Antonin avait pris les noms en 138. C'est aussi un rappel d'Hadrien lui-même. Un seul événement peut être mis en rapport avec Hadrien dans ces deux années, la dédicace du temple du Diuus Hadrianus qu'Antonin avait fait commencer sur le Champ de Mars dès la consécration de son père adoptif obtenue avec l'accord du sénat79. Dans ce contexte, une allusion à la Providence n'aurait rien de surprenant puisque la succes sionétait assurée par la Prouidentia Deorum, parmi lesquels tous les diui, dont Hadrien80. Il est vrai que nous pourrions nous contenter d'y voir un rappel de la première année de règne à l'occasion des troisièmes quinquennalia61. Mais nous pouvons aussi rapprocher ce type d'un rare denier de 151 qui, sous une invocation à la CONCORDIAE82, représente Antonin debout, avec le rouleau qui marque la possession de son pouvoir, serrant la main de Faustine, face à lui, tenant un sceptre. Il s'agit bien de l'accomplisse ment du programme d'Hadrien; en ce moment, Antonin détient le pouvoir; il le transmettra par l'intermédiaire de sa fille dont le rôle fondament al est parfaitement indiqué par le sceptre. Faus tine a la tête voilée, parce que son action se place dans un cadre totalement religieux. c) Les naissances d'enfants impériaux. Enfin, les deux dernières émissions monétair es qui nous intéressent sont, l'une de 155/156, l'autre de 156/157; elles ne renferment que des exemplaires de bronze. Dans les deux cas, la
la dédicace du temple au moment même où L. Verus prenait la toge virile. Quel que soit son âge, 151 semble un peu tard et il doit être possible de faire remonter cette prise de toge virile jusqu'en 145, ce qui devrait correspondre à peu près à la quinzième année de L. Verus. 80 Cf. W. Weber, CAH, XI, p. 330. SIRIC, III, p. 11. "RIC, III, p. 49, n°191.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
représentation est semblable : une femme, la Providence, à gauche, montre de la main un grand globe à ses pieds et tient, de la main gauche, un sceptre83. L'explication n'en est pas très aisée, et il n'est pas possible, comme le fait P. L. Strack, de renvoyer à ce qui a été dit au sujet des émissions précédentes, et depuis Trajan!84. En réalité, seule une confrontation avec les types émis au nom du César Marc Aurèle, les mêmes années, permet d'éclaircir quelque peu ce problème. Nous nous apercevons sans difficulté que, depuis 149, il n'y a, justement, qu'en 155/156 et 156/157 que sont utilisées les frappes Pietas et Félicitas. Elles ne peuvent qu'être en liaison étroite, comme d'habitude, avec la Providence apparente sur les monnaies d'Antonin; tout se replace facilement dans le contexte que nous avons défini plus haut à propos de la succession d'Hadrien, particulièrement pour la Félicité. Une seule occasion a pu provoquer un tel déploie mentmonétaire, la naissance de nouveaux enfants du couple Marc Aurèle-Faustine. Le pro blème posé est assez difficile à résoudre puisque la chronologie des enfants morts jeunes ne s'éta blitpas aisément. Cependant il est possible de faire correspondre ces émissions avec la naissanc e, en 156, d'Hadrianus, et à la fin de l'année 157, de Domitia Faustina. Nous avons l'assurance de deux autres naissances entre les jumeaux de 149 et Hadrianus en 156; celle de T. Aelius Antoni nus,dont le nom apparaît dans le Mausolée d'Hadrien85; il serait né et mort dans l'année 15286. T. Aelius Aurelius, connu aussi par son inscription funéraire du Mausolée, serait né en
15487, mais serait mort aussi très rapidement. Leur disparition en si peu de temps, à l'un com meà l'autre, explique aisément qu'il n'y ait pas eu de frappes monétaires rappelant et exaltant leur naissance88. Par contre, Hadrianus et Domitia Faustina ont certainement vécu quelques années, même s'ils sont morts, l'un comme l'autre, avant la fin du règne d'Antonin89. C'est pourquoi l'empereur a eu le temps de développer une frappe exaltant leur naissance et leur vie comme porteuses de bonheur pour l'empire. Si nous pouvions parfa itement définir les dates des émissions de monn aies au nom de Faustine la Jeune, nous pour rions certainement trouver des correspondances étroites avec ce qui vient d'être dit. Ce serait particulièrement vrai pour les émissions CONCORDIA qui existent en si grand nombre à part ir du moment où Faustine a été faite Augusta. Ces émissions se distinguent les unes des autres par la seule titulature donnée à Faustine : FAVSTINA AVGVSTA90, FAVSTINA AVG PII AVG FIL91, FAVSTINAE AVG PII AVG FIL92, FAVSTINAE AVG ANTONINI AVG PII FIL93, FAVSTINA AVG PII AVG F94 et FAVSTINA AVG ANTONINI AVG PII F95. La Concorde, sur les revers, se présente dans des attitudes et avec des attributs parfois différents : elle peut se tenir de face ou de côté, elle peut être assise; elle tient parfois une fleur, une patere; elle peut s'appuyer sur son coude. Mais il existe un élément toujours présent, la corne d'abondance qu'elle peut tenir ou qui peut être déposée, à côté d'elle, sur le sol ou sur un globe. C'est elle qui fait l'unité de ces émissions, qui doit être pour nous le fil conduc-
83 RIC, p. 143, n° 946; p. 144, n° 953 et 957 (année 155/156). Cf. p. 435, n°48 et pi. I; p. 145, n°966; p. 146, n° 970 et 972 (année 156/157). Cf. p. 435, n°49. Cf. M. Manson, Variante inédite d'un as d'Antonin le Pieux, dans BSFN, 1960, p. 439440. 84 P. L. Strack, op. cit., III, p. 154. 85 CIL, VI, 1, 993. A. Birley, op. cit., p. XXXVII. 86 P. L. Strack, op. cit., III, p. 117, n. 357 (il s'appuie sur les Fastes d'Ostie). 87 CIL, VI, 1, 994. 88 À moins qu'il ne faille faire correspondre le type Pronidentia de 151/152 avec la naissance de T. Aelius Antoninus. Il aurait vécu suffisamment longtemps pour qu'il y ait une frappe en son honneur, mais pas assez pour qu'elle soit totalement développée, particulièrement vers Félicitas. Nous pouvons remarquer que, pour cette année, le monnayage
d'Antonin ne comporte pas non plus de PIETAS (qui se trouve par contre l'année précédente, 150/151 : RIC, III, p. 50, n° 197, 201 ; p. 135, n° 873 et p. 136, n° 882). 89 Deux inscriptions grecques en l'honneur d'Hadrianus : CIG, II, 2968 et 3709, Éphèse: . ..Άδριανον υίον Μ. Αυρηλίου Άντωνείνου Καίσαρος Σεβαστού ... Cf. PIR2, I, p. 123. 90 RIC, III, p. 93, n° 496; p. 191, n° 1368; p. 193, n° 1390. 91 RIC, III, p. 93, n° 500 a, b; 502 a, b, 503 a; p. 94, n° 503 b, c; p. 191, n° 1372 a, b, 1373, 1374 a, b, c; p. 193, n° 1392 et 1393. 92 RIC, III, p. 93, n° 500a. 93 RIC, III, p. 93, n° 500 a, b, 501, 502 a, b, 503; p. 94, n° 503 b.c. 94 RIC, III, p. 93, n° 500 c. 95 RIC, III, p. 191, n° 1372 a, b, 1373 a, b, c; p. 193, n° 1392.
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teur qui nous donnera la signification de l'e Nerva et Trajan. De cette dernière période, les nsemble. seules frappes datent du début du règne de La corne d'abondance est un attribut ancien Trajan et ont été émises tous les ans de 98/99 à de la Concorde; elle se trouve sur un sesterce de 102102; nous pouvons noter une particularité: la Caligula représentant ses trois sœurs, Agrippine, Concorde est assise, porte une corne d'abondanc Julia et Drusilla qui symbolise elle-même la Conc e double et son nom n'est pas inscrit sur le orde96. Sous Néron, la Concorde est aussi asso revers. Les dates nous conduisent directement à ciée à la corne d'abondance, comme sous Vitelles mettre en liaison avec l'adoption et la success lius97. Il est incontestable que cette Concorde ion.C'est encore plus évident, et nous l'avons «se matérialise autour du prince et de sa famill déjà montré103, pour les émissions du règne e»98. Mais c'est à partir de Vespasien que Cond'Hadrien. Les frappes au nom de l'empereur cordia, qui peut se trouver sans la corne d'abon sont toutes datées des années 117-121 ou 134dance, mais qui la possède le plus souvent, voit 138, les deux périodes où s'affirment publique ses types monétaires se multiplier. Durant le ment les problèmes de succession ou ceux en règne du premier Flavien, ils associent tous les rapport direct avec la succession104; les monn membres de la famille, et, en particulier Titus en aies de Sabine à ce motif ne sont d'ailleurs tant qu'héritier. Ces émissions sont réalisées dès frappées qu'à partir du moment où elle est 69-70 à Lyon et en Orient, à partir de 71 et Augusta, en 128. Enfin, parmi les quelques séries jusqu'en 73 à Rome, date à laquelle elles sont produites en l'honneur d'Aelius Caesar, entre le moment de son adoption et sa mort le 1er janvier interrompues99. Titus frappa les mêmes revers pour lui-même, pour le Diuus Vespasianus, pour 138, figure une Concordia105, de même que dans Julia et pour Domitien100. Par contre, ce dernier le monnayage, très réduit, d'Antonin Caesar, se contenta d'une émission, en 82/83, en l'hon entre le 25 février 138 et le 10 juillet de la même neur de Domitia101. La simple enumeration de année106. des types, leur grand nombre, les destinataires À partir d'Antonin, la répartition des émis qui sont tous les membres de la famille impérial sions est très claire; la CONCORDIA avec une e, montrent à l'évidence qu'il faut les mettre en corne d'abondance est réservée aux monnaies rapport avec la politique dynastique des Flades femmes de la famille impériale107. Comme viens. nous l'avons mentionné plus haut, c'est le cas de Ce type de Concordia avec la corne d'abon Faustine la Jeune, mais le même fait s'était pré senté avec Faustine l'Ancienne108 dont les monn dance connaît un renouveau éclatant sous Hadrien après une éclipse presque totale sous aies prouvent que Concordia n'est célébrée que
96 RIC, I, p. 117, n°16. 97 RIC, I, p. 148, n°43 (Nerva); p. 224, n° 1; p. 227, n° 19 a, 20, 21 (Vitellius). 98 J. Béranger, Remarques sur la «Concordia» dans la pro pagande monétaire impériale et la nature du principat, dans Principatus, p. 373. Livie avait élevé un temple de la Concorde en l'honneur d'Auguste : Ovid., Fast., VI, 637. 99 RIC, II, p. 20, 46, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 67, 72, 73, 78, 91 (17 séries différentes). 100 RIC, II, p. 129, n°112 a, b, c; p. 130, n° 124; p. 134, n° 149; p. 137, n° 166 a, b, c, d; n° 167 a; p. 140, n° 178 et 179. 101 RIC, II, p. 179, n° 212. Ce trait correspond parfaitement à ce que nous avons dit de la politique de Domitien vis-à-vis de sa succession et des problèmes qu'elle lui posait. 102 RIC, II, p. 245, n°2 et 12; p. 246, n°31; p. 272, n°388; p. 273, n° 399 (année 98/99); p. 247, n° 33; p. 274, n° 412 (pour l'année 100); p. 248, n°55; p. 275, n°430, 431; p. 276, n°445 (pour l'année 101-102).
L'importance de cette frappe en début de règne peut aussi être soulignée par le fait que, dans les monnaies de restitution, a été émis au aureus au nom du DIVVS CLAVDIVS, avec la Concorde (sans prototype connu de l'époque de Claude). 103 Cf. supra, p. 298 sq. 104 Un seul cas, entre 125 et 128, sous le nom de la Concorde (RIC, II, p. 360, n° 172). Il peut sans doute être mis en rapport avec l'attribution de titre d'Augusta à Sabine, en 128. 105 RIC, II, p. 391, n°428; p. 393, n°443; p. 480, n° 1057 et 1058. 106 RIC, II, p. 395, n° 453 a, b; p. 483, n° 1078; p. 484, n° 1081 et 1089. 107 Une seule exception : RIC, III, p. 33, n° 65 et 66 (deniers des années 140-143; à mettre en rapport avec la PROVIDENΉΑ DEORVM de 142; cf. supra). "»RIC, III, p. 67, n°328 à 330, 335; p. 68, n°336 et 337; p. 158, n° 1074; p. 159, n° 1075 et 1076; p. 160, n° 1087 à 1089.
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du vivant de l'impératrice, puisqu'il n'y a aucune frappe Concordia dans les émissions de la Dina. C'est qu'elle a d'étroits rapports avec la succes sionqu'elle soit par des fils adoptés, comme celle de Faustine l'Ancienne, ou par des fils natur els, ce qui ne peut que lui donner plus d'impor tance encore. C'est pourquoi, nous devons repla cerdans un même ensemble les émissions avec Prouidentia, Pietas, Félicitas et celles rappelant la Concordia et sa corne d'abondance. Ce dernier attribut indique qu'il y a des enfants capables d'assurer la succession un jour, en pleine confor mitéavec les désirs des fondateurs de la dynast ie et avec un but essentiel, prolonger à jamais le bonheur du monde romain. Le lien peut donc être établi entre la Proui dentia d'Antonin, la Pietas et la Félicitas de Marc Aurèle et, enfin, la Concordia de Faustine la Jeune, par les naissances de 156 et de 157. Bien que, avant la fin du règne d'Antonin, il y ait eu encore deux naissances, nous ne retrouvons plus de monnaies avec la Providence. Mais, à ces occasions, ont été frappées des monnaies avec Concordia pour Faustine et, pour Antonin, de très belles pièces avec PIETATI AVG. En 157/ 158, 158/159 et 159/160 (en partie), elles repré sentent la Pietas tenant un globe et un enfant; elle est entourée de deux enfants; ce sont, à ce moment, les enfants vivants du couple, Annia Aurelia Galeria Faustina, Lucilia et la dernièrenée, dans le courant de l'année 158, Fadilla109. Les émissions de la deuxième partie de l'année 160 et de 160/161 montrent la Pietas avec deux enfants dans les bras et deux enfants à ses côtés. C'est l'annonce d'une nouvelle naissance, celle de Cornificia, dans le courant de l'année 160110. Il existe donc, durant ces années du règne d'Antonin, tout un monnayage centré sur la nais sance des enfants, c'est-à-dire sur le problème et l'importance de la succession. C'est à la Provi dence que tout doit être attribué, et
ment celle des dieux et des diui qui a permis l'établissement d'un pouvoir stable, solide, sûr et, surtout, durable. Le respect des accords et des décisions pris par les prédécesseurs a per mis d'aboutir au résultat escompté par tous depuis longtemps, la succession assurée à des enfants portant en eux le sang du père de Trajan passé par l'intermédiaire des femmes de la famille impériale. La naissance d'enfants et leur présence dans la domus, sans le passage par l'adoption, est un magnifique couronnement à l'œuvre entreprise par Trajan et sa propre Provi dence. Personne ne pouvait oublier que, jus qu'ici, depuis les Flaviens, aucun empereur n'avait pu avoir d'enfant légitime. Au début de l'année 161, avec quatre enfants vivants, l'avenir est assuré; d'autant plus que, comme nous l'avons vu, l'absence de garçon ne peut pas poser de problème majeur. Ces filles pourront trans mettre le sang des Ulpii aussi bien que des hommes. La Providence est bien la créatrice de la Félicité par l'exécution des volontés des diui et des diuae dans la Concorde et la Piété111. Il n'y avait aucune raison de changer de direction après la mort d'Antonin; Marc Aurèle et L. Verus ont respecté et appliqué les mêmes idées avec persévérance.
109 RIC, III, p. 146, n°977; p. 149, n° 1002; p. 62, n°302; p. 152, n° 1031 et 1035. 1I0i?/C, III, p. 152, n° 1032, 1035A; p. 64, n°313 a, b, c, d; p. 154, n° 1045; p. 91, n°487 a, b, 490 (monnayage de Marc Aurèle de l'année 160/161). Sur ces points, cf. M. Manson, art. cit., p. 192. 111 II faut, sans hésitation, écarter des commentaires de ces notions, tout ce qui pourrait avoir rapport avec des
sentiments personnels : amour pour son conjoint, tendresse pour ses enfants, regrets pour sa femme morte . . . Tous ces sentiments ont peut-être été ressentis par Antonin, par Marc Aurèle, par les Faustines; mais ils ne peuvent se traduire sur des monnaies qui ne sont pas faites pour montrer des états d'âme passagers, mais, par leur caractère religieux profond, sont chargés de transmettre ce qui fait le corps et la force du principat, ici la continuité dynastique voulue par les dieux.
II - «PROVIDENTIA» : VERS L'APOGÉE 1 - Les documents des règnes de L. Verus et de Marc Aurèle Si nous regardons de près les émissions Prouidentia du règne conjoint de Marc Aurèle et de Lucius Verus (161-169) ou du principat soli taire de Marc Aurèle (169-180), nous ne trouvons pas de changement important dans les représen tationsdes revers. Il existe une conformité pres-
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE que totale avec le règne précédent; seuls quel ques petits détails apportent une note neuve, bien modeste au premier abord. En outre, c'est la seconde remarque, ces séries sont très abon dantes et le thème de la Providence devient tout à fait commun dans tous les métaux. C'est même certainement un des thèmes les plus répandus et les plus classiques durant cette période. Entre le début du mois de mars 161 et le 10 décembre 161, date du début de la seizième puissance tribunicienne de Marc Aurèle, trois séries ont été émises pour évoquer la PROVIDENTIA DEORVM : des deniers montrent la Pro vidence assise, tenant une patere112; des aurei et des deniers présentent un type qui constitue la seule véritable nouveauté du moment : la Provi dence debout, à gauche, tient un globe et une corne d'abondance; c'est ce dernier attribut qui constitue la nouveauté, puisque la Providence ne l'avait jamais possédé jusqu'ici113; enfin, des ses terces et des dupondii présentent une Providen ce presque semblable, simplement de face, mais la tête à gauche, tenant toujours un globe et une corne d'abondance114. L'année 161/162 est mar quée par une importante production du même type, aurei, deniers et sesterces115. Et nous pou vons noter, cette même année, un quinaire d'or avec la même représentation, mais sans la légen de Prouidentia Deorum116. En 162/163, il s'agit d'une production semblable, mais uniquement en deniers117. Enfin, en 163/164, ce sont encore des deniers en nombre important118. À partir du 10 décembre 164, s'arrête la pro duction de ce type et nous notons un retour à la représentation de la Providence tenant un scep treet une baguette, avec un globe à ses pieds. C'est le modèle connu depuis Trajan. Mais, avec le changement de représentation sur les revers,
112 RIC, III, p. 215, n° 18. Cf. p. 436, n° 52 et pi. I. 113 RIC, III, p. 215, n° 19 à 25. Cf. p. 436, n° 52 et pi. I. 114 RIC, III, p. 278, n° 812 à 814. Cf. p. 436, n° 52 et pi. I. 115 RIC, III, p. 217, n°47 (douteux), 48 à 52; p. 279, n° 833. Cf. p. 436, n° 53. 116 RIC, III, p. 217, n° 57. Cf. p. 436, n° 53. i·7 RIC, III, p. 218, n° 66 à 73a. Cf. p. 436, n° 54. 118 RIC, III, p. 220, n° 95 à 97. Cf. p. 436, n° 55. "9RIC, III, p. 284, n°905 à 907; p. 285, n°911, 912. Cf. p. 436, n° 56 (pi. I) et 57. 120 RIC, III, p. 286, n° 923, 924. Cf. p. 436, n° 58. •21 RIC, III, p. 227, n° 170. Cf. p. 436, n° 59 et pi. I.
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les pièces ne portent plus le nom de la Providenc e, sous aucune forme. Ce sont des sesterces et des dupondii pour 164/165119 et 165/ 166120, puis des deniers pour 166/167121 et 167/168122. À part irde la fin de l'année 168, nous nous trouvons devant un arrêt des séries de la Providence. La reprise n'a lieu que dans l'année 171/172 avec un retour à la légende PROV DEOR et la repré sentation de la Providence tenant un globe et une corne d'abondance, sur des sesterces123. Dans les émissions de cette année, entre le 10 décembre 171 et le 9 décembre 172, un sesterce original doit être placé à part; il porte, au droit, la titulature M ANTONINVS AVG TR Ρ XXVI et le profil de Marc Aurèle, lauré, à droite; au revers, la légende est PROVIDENTIA AVG IMP VI COS III S C; sont représentés Marc Aurèle et le très jeune Commode, debout, à gauche, sur une estrade, s'adressant à quatre soldats qui tiennent respectivement, aigle et bouclier, lance, étendard et lance; le dernier tient en outre une bride de cheval124. Il s'agit d'ailleurs d'un exemp laire rarissime. Les monnaies au nom de L. Verus sont répart ies,de façon continue, de mars 161 à l'automne 163 (juste avant que l'empereur ne reçoive le titre d'Armeniacus). Elles ne présentent aucun caractère particulier. Elles sont toutes au type de la Providence debout, à gauche, tenant un globe et une corne d'abondance, avec la légende PROV DEOR125, aurei et deniers surtout, puisque les pièces de bronze n'apparaissent que dans la première série de 161. Il faut noter en complé ment,comme pour Marc Aurèle, mais d'une façon beaucoup plus développée, des quinaires d'or avec la même représentation, mais ne por tant pas le nom de la Providence126. Ils sont aussi très rares.
61.
122 RIC, III, p. 227, n° 176; p. 228, n° 186. Cf. p. 436, n° 60 et
123 RIC, III, p. 296, n° 1045. Cf. p. 437, n° 68. 124 RIC, III, p. 296, n° 1046. Cf. p. 437, n° 69 et pi. I. 125i?/C, III, p. 251, n°460 à 466; p. 318, n° 1303 à 1306 (année 161). Cf. p. 436, n°62; p. 253, n°482 à 485 (année 161/162). Cf. p. 436, n°64; p. 253, n°491 et 491a (année 162/ automne 163). Cf. p. 437, n° 66. 126 RIC, III, p. 251, n° 467, 468 (année 161). Cf. p. 436, n° 63; p. 253, n°490 (année 161/162). Cf. p. 437, n°65; p. 254, n°497 (année 162/163). Cf. p. 437, n° 67 et pi. I.
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À cet ensemble imposant de documents numismatiques, nous devons joindre deux ins criptions. L'une date du règne conjoint de Marc Aurèle et de Lucius Verus; elle a été retrouvée sur le site de Concordia, en Gaule Cisalpine; elle a été gravée en l'honneur du «juridique» de Transpadane, C. Arrius Antoninus127. Malgré son nom, il ne semble pas être parent de l'empereur Antonin; consul suffect vers 170, il devint pro consul d'Asie vers 184/ 185128. L'autre inscription date des dernières années du règne (entre 177 et 180) alors que Commode détient le pouvoir, en le partagent avec son père. Il s'agit du discours d'un sénateur inconnu, reproduit sur une plaque de bronze et trouvé aux environs de Seville129. C'est une réponse prononcée après Yoratio impériale; elle apporte des amendements à la question débattue ce jour, la limitation des frais entraînés par les jeux de gladiateurs. 2 - Année 161 : respect et continuité À l'intérieur de l'ensemble de la production monétaire du règne de Marc Aurèle, un trait frappe tout particulièrement si on prend en compte le principat de son prédécesseur et ses émissions monétaires : la raréfaction des types ™CIL, V, 1874 (=ILS, 1118). C] ARRIO ...[F QVIR ANTO NINO PRAE[F AERARI SATVRN[I IVRIDICO PER ITALIAM [RE GIONIS TRANSPADANAE P[ RI MO FRATRI ARVALI PRAETORI CVI PRIMO IVRISDICTIO PVPILLA RIS A SANCTISSIMIS IMP MANDATA EST AEDIL CVRVL AB ACTIS SENATVS SE VIRO EQVESTRTVM TVRMAR TRIBVNO LATICLAVIO LEG IIII SCYTHICAE IIII VIRO VIARVM CVRANDAR QVI PRO VIDENTIA MAXIMORVM IMPERAT MIS SVS VRGENTIS ANNONAE DIFFICVLI TATES IWIT ET COSVLVIT SECVRI TATI FVNDATIS REIP OPIBVS ORDO CONCORDIENSrVM PATRONO OPT OB INNOCENTIAM ET LABORI I28P/ÄM, p.212-213,n°1088. 129 CIL, II, 6278 : Senatusconsultum de sumptibus ludorum gladiatorum minuendis (= ILS, 5163) 1. 12-13. Cf. A. Piganiol, Recherches sur les Jeux Romains, Paris, 1923, p. 62-70; J. H.
utilisés par les ateliers. À l'inverse d' Antonin qui avait multiplié et diversifié les représentations, et tout particulièrement les personnifications130, Marc Aurèle et L. Verus pratiquent une politique restrictive. Cette concentration sur quelques types est évidemment due à la volonté expresse des empereurs, ou plutôt de Marc Aurèle qui a voulu mettre l'accent sur quelques idées-forces qu'il jugeait fondamentales pour faire comprend re et apprécier son principat. C'est pourquoi l'abondance des séries avec la Providence, pour l'un et l'autre des empereurs, prend une particu lièrevaleur qu'il nous faut essayer de détermin er. L'année 161 a été particulièrement chargée en événements significatifs, certains prémonitoir es, en ce qui concerne l'action d'Antonin luimême. En effet, au milieu de l'année 160, l'empe reuravait désigné pour le consulat ordinaire, au 1er janvier 161, Marc Aurèle pour la troisième fois (cas exceptionnel sous son règne; personne n'avait rempli plus de deux consulats, sauf luimême qui en était à son quatrième), et L. Verus pour la deuxième fois. Cette désignation coïnci daitavec la fin de la célébration des nota soluta decennalia II suscepta decennalia III, marqués par de très nombreuses émissions monétaires depuis le début de l'année 158131. Nous pouvons croire que c'est à ce moment qu'Antonin a défiOliver - R. E. A. Palmer, Minutes of an Act of the Roman Senate, dans Hesperia, XXIV, 1955, p. 320-349. ... Ο MAGNI IMPP QVI SCITIS ALTIVS FVNDARI REME DIAQVAE ETIAM MALIS CONSVLVNT QVI SE ETIAM NECESSARIOS FECERINT. ETIAM FRVCTVS TA^TAE VESTRAE PROVIDENTIAE EMERGET . . . 130 Cf. F. Gnecchi, Le personificazioni allegoriche sulle monete imperiali, dans RIN, XVIII, 1905, p. 354-355. L'auteur a relevé 30 «personnifications allégoriques» pour le règne d'Antonin; c'est le maximum pour tout l'empire. Il n'y en a plus que 22 sous Marc Aurèle et L. Verus n'en utilise que 10 dans ses émissions. Il est difficile d'interpréter cette limitation comme une attitude de neutralité religieuse qui refléterait aussi une répugnance certaine pour les Olympiens au profit d'une religion plus intériorisée (J. Beaujeu, op. cit., p. 364). Tout au contraire, Marc Aurèle a choisi de mettre l'accent sur ce qu'il y avait de plus vrai et de plus profond dans la religion de son temps sans qu'il y ait subordination «de la religion à la morale ». 131 H. Mattingly, The Imperial «Vota», dans Proc. Brit. Acad., XXXVI, 1950, p. 160; RIC, III, p. 152, n° 1033, 1034; p. 153, n° 1037, 1042; p. 63, n° 306, 307.
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nitivement tracé le programme de sa succession; il devait en sentir la nécessité devant ses forces faiblissantes et sa santé altérée (il a soixantequatorze ans). Ce programme se traduisit par l'exaltation de la Concorde dans son propre monnayage, entre le 10 décembre 160 et le 7 mars 161; une des plus caractéristiques et des plus significatives de la série est un as avec la légende CONCORD COS UH et qui présente, au revers, trois mains qui se serrent mutuellem ent132. Ce sont les mains d'Antonin, de Marc Aurèle et de L. Verus; le pacte qui préside à la succession, dans la ligne de ce qui avait été décidé à l'adoption d'Ahtonin lui-même, est désormais réaffirmé et la Concorde en est la garante. D'ailleurs, les premiers mois de 161 voient aussi la frappe de séries d'aurei, de deniers et de bronzes représentant Marc Aurèle, encore César, sur un quadrige, et portant le sceptre surmonté de l'aigle133. Ce programme est affirmé, au même moment, à Alexandrie avec des émissions à la légende ομόνοια134. Le destin de l'empire était parfaitement scellé; sur un as d'Antonin, du début de l'année 161, réapparut le phénix, monté sur un globe tenu par une figure féminine sans nom, mais qui pourrait être l'Aeternitas135. L'oiseau fabuleux est le symbole de la continuité dans le prochain renouvellement des hommes. À la mort d'Antonin, Marc Aurèle suivit à la lettre le programme tracé. Il ne pouvait en être autrement quand nous lisons, maintenant, ce que le nouvel empereur dit lui-même devoir à Antonin: «la persistance inébranlable dans les décisions prises après réflexion», «la continuité dans l'action », « persister et ne jamais abandon ner une enquête», «prévoir (προνοητικόν) de loin et pousser l'organisation dans le détail sans dramatiser», «conserver toujours ce qui était indispensable à l'empire», «agir toujours selon la tradition, sans pourtant se préoccuper de paraître le gardien des traditions»; il qualifie
Antonin d'homme «capable de se guider luimême et de guider les autres»136. Il se devait de respecter le conseil qu'il donne : « N'estime jamais utile pour toi ce qui peut te forcer un jour à trangresser la parole donnée, à abandon ner le respect de toi-même»137. Cette admiration pour Antonin était profondément et sincèrement ressentie; elle se traduisit par le geste que tout le monde attendait, l'apothéose de l'empereur défunt que le sénat accorda sans aucune difficult é. Les funérailles et le deuil public prirent un aspect très solennel138 et furent suivis de la céré monie de consécration139, rappelée, sur le Champ de Mars, par la colonne dédiée au Diuo Antonino Augusto', sur le relief de la base, nous retrouvons les symboles fondamentaux de cette ambiance caractéristique de renouvellement des temps dans le respect des décisions prises par ceux qui sont devenus diui et diuae; Antonin vient de rejoindre Faustine dans le séjour des divinisés et ils sont salués par Roma, assise, alors qu'une figure masculine ailée coupe l'ensemble du relief; c'est peut-être Aion, «le temps en per pétuel renouvellement»140. Dans le même état d'esprit, mettant en valeur la consécration d'An tonin et l'idée d'éternité, nous rappellerons l'existence d'un dyptique résumant la marche de l'empereur vers le ciel en plusieurs stations. Nous pouvons y voir, au registre inférieur et au second plan, le bûcher où l'effigie d'Antonin a été brûlée; deux aigles s'en échappent; au pre mier plan, un quadrige tiré par des éléphants est surmonté d'une chapelle dans laquelle se trouve la statue, assise, d'Antonin qui tient un sceptre. Au registre supérieur, l'empereur monte au ciel, aidé par deux personnages ailés et il va y rejoin drecinq personnages alignés, dont un barbu, représentant certainement les diui existants. Sur le côté, en quart de cercle, se déploie la bande du zodiaque portant les signes de la Balance, du Scorpion, du Sagittaire, du Capricorne, du Ver seau et des Poissons; au-dessus de cette bande
132 RIC, III, p. 154, n° 1050. 133 RIC, III, p. 92, n°491 a, b, c; p. 189, n° 1360 a, b; 1362, 1365. 134 J. Vogt, op. cit., II, p. 90. 135 RIC, III, p. 154, n° 1051. 136 Marc. Aur., Pens., I, 16. 137 Id., ibid., III, 7.
138 HA, Vit. Marc, VII, 10-11. 139 Cf. E. Bickerman, Consecratio, dans Le culte des souver ainsdans l'empire romain, Entretiens sur l'Antiquité classique {Fond. Hardt, XIX), Vandœuvres-Genève, 1972, p. 19-24; HA, Vit. PU, XIII, 3-4. 140 Cf. R. Bianchi-Bandinelli, Rome. Le centre du pouvoir, Paris, 1969, p. 286-287.
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se trouve un buste (de femme?), avec une auréol e d'où semblent partir des rayons141. Cet objet souligne bien l'importance attachée à cette con sécration et à la lignée des diui. Mais ces faits ne pouvaient être suffisants pour évoquer la Prouidentia Deorum qui, très clairement depuis Hadrien tout au moins, assu rait la légitimité et la continuité du pouvoir dans une perspective heureuse pour Rome et son empire. Si nous nous intéressons toujours aux événements de l'année 161, nous devons aussi remarquer que Marc Aurèle n'hésita pas alors à faire de L. Verus son collègue, à égalité de pouv oirs, dans la charge impériale : « il se donna son frère pour collègue, le nomma Lucius Aurelius Verus Commodus, lui conféra le titre de César et celui d'Auguste, et, à partir de ce moment, ils gouvernèrent ensemble l'État. On vit alors pour la première fois l'empire entre les mains de deux Augustes » 142. Cette nouveauté ne devait pas plai reà tout le monde. D'autant plus que, jusqu'à ce jour, si L. Verus avait reçu des marques d'estime, et même de grande estime, de la part d'Antonin, comme le second consulat alors qu'il était enco retrès jeune, il n'était, dans un premier temps, que le fils adoptif de l'empereur défunt. Mais surtout il n'était pas rattaché, par le sang, à la famille impériale puisque les promesses de mariage avec Faustine avaient été brisées par Antonin lui-même au profit de Marc Aurèle. Plus jeune et n'ayant pas encore eu sa part de pouv oir, il pouvait sembler facile de l'écarter. C'est ce qu'Antonin n'avait pas voulu pour pouvoir respecter l'accord passé avec Hadrien. C'est auss ipourquoi Marc Aurèle lui donna les mêmes pouvoirs qu'à lui-même et annonça officiell ement ses fiançailles avec sa propre fille, Lucilia, qui n'avait pourtant encore que douze ans143. Par ce moyen, L. Verus était réintégré dans la famille impériale, -comme il l'aurait été s'il avait épousé, comme prévu par Hadrien, Faustine la Jeune. Avec une génération d'écart, le plan établi par Hadrien était réalisé. De nombreuses réticences
141 Au British Museum. Cf. S. Weinstock, Divus Julius, Oxford, 1971, pi. 24, n°4. 142 HA, Vit. Marc, VII, 5-6; Dion Cass., LXXI, I, 1. 143 HA, Vit. Marc, VII, 7. 144 HA, Vit. Veri, III, 8.
se sont fait jour au sénat144; il est même possible qu'une place aussi importante donnée à L. Verus n'ait pas correspondu aux sentiments profonds de Marc Aurèle à son égard145. Mais l'empereur était guidé par une idée plus haute que la simple réaction personnelle vis-à-vis d'un autre indivi du;il en allait de l'intérêt général de Rome puisque le respect des accords passés était la condition nécessaire à l'éternité de la Ville dans la bonheur. Il est certain que les premières frap pes du règne à la légende PROVIDENTIA DEORVM répondent parfaitement à cette volont é personnelle de Marc Aurèle, elle-même reflet d'une volonté plus générale. En ce début d'année 161, nous pouvons enco renoter un détail intéressant. Une anecdote est contée à la fois dans la Vita Marci et dans la Vita PU; dans la première, il est dit: «Fortunam auream, quae in cubiculo solebat esse, ad Marci cubiculum transire iussit». Dans la seconde, en termes presque identiques: «Fortunamque au ream, quae in cubiculo principum poni solebat, tranjerri ad eum iussit»146. Répété dans les deux vies, il faut le comprendre comme un fait symbol iquede la transmission du pouvoir impérial. Or, c'est la première fois que nous entendons parler de cette statuette d'or de Fortuna. Il est incontes table que le transfert de la chambre d'Antonin dans celle de Marc Aurèle, en même temps que l'empereur mourant recommandait à son succes seurl'État et sa fille, est la marque matérielle du passage du principat de l'un à l'autre. Fortuna n'est régulièrement utilisée dans la numismatique qu'à partir de Vespasien. Il n'est pas besoin alors d'y voir l'obligation qu'aurait eue Vespasien «de se chercher des garants divins aux lieu et place des ancêtres diui qui lui manquaient»147. En réalité, cette Fortuna est semblable à la Fortuna Redux qui apparaît sur de très nombreuses monnaies toutes les fois que le princeps quitte ou regagne Rome, à l'exemple de la première frappe FORTVN REDV, sous Auguste148. C'est ce qui apparaît de façon encore
145 146 147 148
HA, Vit. Marc, XV, 3. HA, Vit. Marc, VII, 3; HA, Vit. Pii, XII, 5. J. Beaujeu, op. cit., p. 325, η. 7; p. 116-1 17. RIC, I, p. 85, n° 274, 275.
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plus évidente sous le principat de Trajan149. De ce fait, il est assez étonnant de voir maintenant Fortuna promue au rang de divinité capable d'as surer le passage sûr et régulier du pouvoir. Il est peut-être possible d'interpréter les faits d'une manière quelque peu différente. En premier lieu, cette statuette semble liée au couple impérial de façon étroite, et non pas seulement à l'empereur. En effet, elle est desti néeà rester dans la chambre et non pas, comme il eût été normal, mêlée aux divinités protectri ces de la maison, dans le laraire. Fortuna veille sur le couple et elle est aussi bien associée à Marc Aurèle qu'à Faustine, qu'Antonin recom mande spécialement, au même moment, à son successeur puisque par elle passait la véritable hérédité. Nous pouvons noter un deuxième point curieux; l'auteur des Vies prétend que c'était une habitude de placer cette statuette de Fortuna dans la chambre de empereurs. Il ne peut donc s'agir d'une innovation d'Antonin; dans ce cas l'auteur n'aurait pas employé le verbe solere. Remonter en-deça est une obliga tion,mais Fortuna ne tient pas une place particu lièrement remarquable, ni durant le règne d'Ha drien, ni durant celui de Trajan. C'est cependant durant leurs principats qu'il doit falloir nous arrêter. Il ne peut s'agir que d'une «habitude» familiale et dynastique; tout le contexte est là pour nous le montrer. En outre, tout ce qui est dit de cette effigie correspond point par point, telles que nous les avons définies, à la situation et à la position données dans l'Histoire Auguste à
Prouidentia. Tout semble se passer comme si Fortuna avait absorbé les caractères principaux de Prouidentia. S'il n'est pas question de cette statuette avant la mort d'Antonin, c'est sans dout eque Marc Aurèle y a attaché une importance particulière. Nous pouvons peut-être en trouver la trace dans une des toutes premières séries monétaires de son règne; elle est formée de deniers à la légende PROV DEOR; ils montrent, au revers, une femme assise, tenant une pater e150; s'il s'agit de la Providence le fait est unique et ne se renouvellera plus151. Malgré la légende, cette effigie peut être celle de Fortuna à la sta tuette de laquelle Marc Aurèle aurait attaché assez d'importance pour répandre son image sur les monnaies. S'il fallait en chercher une confir mation, il faudrait noter que le monnayage de L. Verus ne comporte pas ce type, alors que le partage du pouvoir, sur un pied d'égalité, voulu par Marc Aurèle, provoque une grande concor dancedes types émis dans les monnayages res pectifs des deux empereurs152.
149 J. Beaujeu, op. cit., p. 68-69. 150 i?/C, III, p. 215, n° 18. 151 Seul un sesterce de la DIVA FAVSTINA (Faustine l'An cienne) montre la Providence assise, mais tenant un globe et un sceptre, avec l'inscription AETERNITAS (RIC, III, p. 162, n° 1110). Peut-être s'agit-il de la même statuette interprétée dans ses attributs? 152 Pour cette même période (mars-décembre 161), Marc Aurèle s'est réservé deux autres types : mains unies avec épis de blé et fleur (RIC, III, p. 216, n°29) et SALVTI AVGVST (RIC, III, p. 278, n°817). Il faut totalement écarter l'idée (R. Dailly - H. van Effenterre, Le cas Marc Aurèle, essai de psychosomatique historique, dans REA, LVI, 1954, p. 347-365) que Marc Aurèle s'est joint Lucius Verus parce qu'il trouvait en lui ce qui lui manquait, « un mâle caractère », « la force tranquille, l'absence de doute de soi-même et d'inquiétude». Le problème ne se situe pas
au niveau du caractère de Marc Aurèle. Les aspects psychi quesn'ont rien à voir dans les choix réalisés. La concordance dans le monnayage souligne le partage du pouvoir sur un pied d'égalité : Marc Aurèle et L Verus, face à face, se serrent la main sous l'égide de CONCORDIA AVGVST (RIC, III, p. 214, n°7, 8, 9; p. 215, n° 10-11; p. 217, n°795 à 803; p. 250, n°448 à 455; p. 251, n°456; p. 316, n° 1278 à 1283; p. 317, n° 1285 à 1296. Il s'agit de la frappe la plus abondante et la plus répandue de cette année 161). Les deux empereurs procèdent à une Liberalitas (RIC, III, p. 215, n°16, 17, 18; p. 278, n° 806 à 811; p. 251, n°459; p. 317, n° 1301, 1302). Deux mains unies autour d'un étendard, les deux empereurs ensemble sur une estrade, ou bien, chacun dans ses propres émissions, tenant un globe (RIC, III, p. 216, n°26 à 32; p. 279, n°818 à 822; p. 251, n°457, 469; p. 317, n°1297, 1299; p. 318, n° 1307).
3 - Le Bonheur promis Les autres séries émises en 161 avec la légen dePROV DEOR peuvent être aisément expli quées. Elles proclament le respect des accords passés au sujet de la succession comme les pré cédentes émissions sous Hadrien ou Antonin. Cependant il existe un trait original; Marc Aurèl e et L. Verus ont fait émettre ce type dans
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l'année même de leur arrivée au pouvoir. Nous pouvons le comprendre si nous nous penchons sur les attributs de la Providence. Comme nous l'avons dit plus haut en faisant la liste et la description de ces monnaies, la Providence tient une corne d'abondance, attri but qu'elle n'avait possédé jusqu'ici. Nous pou vons en rester à ce que nous avons dit du sens de la corne d'abondance et de la liaison étroite qu'elle entretient, sur les monnaies Concordia, avec les naissances d'enfants dans le couple Marc Aurèle-Faustine. C'est certainement ce qui est célébré par l'évocation de la Providence et son attribut nouveau. En effet, le 31 août, à Lanuvium, sont nés des jumeaux, T. Aurelius Fuivus Antoninus et L. Aurelius Commodus153. Pour la seconde fois, la faveur des dieux retombait sur le couple en lui donnant des jumeaux; nous avons rappelé l'importance de ce cas exception nel de naissance dans la mentalité du moment à propos des enfants de 149. Que soit arrivé aux mêmes parents ce nouveau signe divin ne pouv ait que renforcer l'idée d'une protection singul ièrevenue du ciel. En outre, cette faveur arrivait à un moment riche en événements importants dans la vie de l'empire : pour la première fois étaient unis dans le pouvoir consulaire Marc Aurèle et L. Verus; suivant les vœux d'Antonin, ils partageaient le pouvoir sur un pied d'égalité. Les naissances d'août étaient la confirmation éclatante du bienfondé des décisions prises et, en particulier, de l'association des deux empereurs. C'était le signe qu'une nouvelle période heureuse pouvait com mencer pour Rome; l'avenir était désormais totalement assuré. Il l'était déjà auparavant, puisque plusieurs filles de Marc Aurèle étaient en vie et que l'une d'elles, Lucilia, était fiancée à L. Verus. Mais la merveilleuse confirmation
tenait à la naissance de garçons. Marc Aurèle et L. Verus pouvaient alors exalter la Prouidentia Deorum, celle des diui et des diuae qui avait permis d'aboutir à ce point de perfection; la corne d'abondance symbolise la naissance des jumeaux. De fait, il est normal de la retrouver sur les monnaies émises parallèlement par les deux empereurs et qui portent mention des divi nités que nous connaissons pour être souvent en rapport avec la Providence : CONCORDIA avec patere, corne d'abondance et, parfois, la présen ce de Spes154. Plus précise encore, des monnaies rappellent celles émises pour les jumeaux de 149: FEL(icitas) TEMP(orum) avec Félicité tenant le caducée et l'inévitable corne d'abon dance155. Un témoignage plus éclatant encore de l'ass urance en l'avenir de Rome apporté par les nais sances peut être trouvé sur deux revers du mon nayage de Faustine la Jeune. Le premier sur des sesterces et des as, reprend la formule ci-dessus sous la forme TEMP(orum) FELIC(itas) et mont reFaustine, debout, entourée de quatre petites filles et tenant deux autres enfants dans ses bras; sur certains exemplaires, une ou plusieurs étoiles se trouvent représentées au-dessus de la tête des enfants156. Ce sont les six enfants vivants du couple à partir de l'extrême fin du mois d'août 161 : Faustina, Lucilia, Fadilla, Cornificia et les jumeaux qui venaient de naître. Ils expri ment, par leur simple existence, la continuité heureuse promise à Rome. Le second revers est dédié à la SAECVLI FELICIT(as) et nous présent e, sur le puluinar, presque dressés, les jumeaux Commode et Antoninus; au-dessus de leurs têtes se trouvent parfois une ou deux étoiles157. C'est la reprise exacte d'une pièce frappée à l'occasion de la naissance des premiers jumeaux158. Ces naissances sont bien le point de départ d'une
153 HA, Vit. Comm., I, 2. 154 RIC, III, p. 214, n° 1 à 6; p. 277, n° 793, 794 (avec Spes); p. 250, n°444 à 447; p. 316, n° 1276, 1277. Il faudrait étudier à part la place de Spes en fonction des naissances, ou plutôt de l'attente des naissances. Ce serait sans aucun doute plus éclairant que les Junon, les Isis Lactans d'Alexandrie, les Venus Genetrix . . . 155 RIC, III, p. 278, n° 804, 805; p. 317, n° 1300. 156 RIC, III, p. 347, n° 1673 à 1677. Il existe aussi le même
motif sur des aurei et des deniers, mais il n'y a alors que quatre enfants (deux debout, deux dans les bras de Fausti ne) : RIC, III, p. 271, n°718, 719. Il s'agit sans doute de Faustina et de Lucilia debout, de Fadilla et de Cornificia, encore petites, dans les bras de leur mère. Il faudrait placer ces émissions avant la naissance des jumeaux. Nous pouvons noter l'absence d'étoiles sur ces revers. 157 RIC, III, p. 271, n° 709 à 712; p. 346, n° 1665, 1666. 158 Cf. supra, p. 316.
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nouvelle période de bonheur; le mot saeculum rappelle à l'évidence le saeculum aureum inaugur é par Hadrien. La présence d'étoiles est intéressante puisque ce sont les seules monnaies sur lesquelles nous les trouvions associées directement à des per sonnages, ici les jumeaux. Leur signification ne prête pas à confusion; en effet, très rares sont les monnaies impériales à porter une étoile (en dehors des motifs étoiles et croissant qui ont une autre signification); il s'agit toujours d'émis sionsqui ont un rapport direct avec l'apothéose ou avec les idées de consécration et d'immortalit é céleste. C'est le cas de la monnaie émise par le monétaire M. Sanquinius, en 17 av. J.-C. (l'a nnée des Jeux séculaires, la coïncidence n'est pas fortuite) et portant l'effige de César avec une étoile au-dessus159. Tibère avait fait émettre des pièces en l'honneur du DIWS AVGVST DIVI F et du DIWS AVGVSTVS PATER; toutes deux portaient le profil d'Auguste radié, avec une étoi leau-dessus (la seconde a aussi la foudre, tou jours attachée à la consécration, comme nous l'avons vu)160. Sous Caligula, la tête radiée d'Au guste est entourée de deux étoiles161 et Vespasien et Trajan ont procédé à des restitutions, le premier pour le DIWS AVGVSTVS PATER, le second pour le DIWS VESPASIANVS; chacune de leur pièce porte une étoile sur le revers162. Enfin, un denier de l'époque d'Antonin, au nom de la DIVA FAVSTINA et évoquant l'AETERNITAS, a son revers totalement occupé par une étoile à huit branches163. Elle est le symbole de la divinisée. Sur les monnaies qui nous intéres sent directement, ces étoiles rappellent que les jumeaux sont sous la protection des diui, qu'ils ont été choisis par eux pour être leurs succes seurs. Mais la signification est double, car ce rappel du passé est aussi une ouverture sur l'avenir, non seulement terrestre, mais encore céleste. Comme leurs prédécesseurs, les jumeaux sont destinés à accéder au ciel des diui après
avoir été le chaînon indispensable dans la mar che régulière de Rome164.
™RIC, I, p. 73, n°141 à 144. 160 RIC, I, p. 103, n° 1 ; p. 1 10, n° 46. MRIC, I, p. 116, n°9. 162 RIC, II, p. 141, n°189A; p. 142, n° 196; p. 143, n°204; p. 312, n° 828. 163 RIC, III, p. 70, n° 355. Sur la signification de l'étoile, cf. H. Stern, L'image du mois d'octobre sur ime mosaïque d'ElDjem, dans Cah. de Tunisie, XLV-XLVI, 1964, p. 26-27;
S. Weinstock, op. cit., p. 373-381 et 128. 164 II faut aussi interpréter dans ce sens deux monnaies de 77/78, l'une au nom de Vespasien, l'autre de Titus, représent ant une proue surmontée d'une large étoile, même s'il s'agit de la reprise d'un type frappé en Orient pour Marc Antoine, et même si cette frappe a été réalisée pour le centenaire de la bataille d'Actium (RIC, II, p. 6, n° 108; p. 38, n° 198). 165 HA, Vit. Marc, XXI, 3.
4 - «Providentia» et la campagne orientale Mais les séries avec la Providence ne s'arrê tentpas en 161. Elles continuent à être émises durant les premières années du règne conjoint, que la Providence soit nommée ou non, jusqu'au 9 décembre 168 pour celles au nom de Marc Aurèle, mais jusqu'à l'automne 163 seulement pour celles de L. Verus. Il n'est pas très aisé de dégager un sens précis pour toutes ces frappes et nous devons faire preuve d'une grande pru dence. Au premier abord, elles ne semblent pas correspondre à des événements particuliers; Marc Aurèle et L. Verus ne se seraient-ils pas contentés de continuer à proclamer l'existence d'une Providence des dieux qui leur servirait de guide, qui les protégerait, orienterait leur action et leur assurerait le succès dans leurs entrepri ses? Une telle solution paraît d'autant plus envi sageable que CONCORDIA accompagne encore PROV DEOR dans les émissions de 161/162, 162/163, 163/164 (sauf, cependant, dans les émis sions au nom de L. Verus). Après 164, cette cor respondance cesse. Il est certain que nous pou vons mettre en rapport les frappes de l'année 161/162, et peut-être même celles de l'année 162/163, avec la naissance d'un nouvel enfant du couple impérial, M. Annius Verus, le troisième garçon vivant à ce moment165. Il était aisé d'exal ter la Concorde à ce propos; mais la Félicité future n'est pas évoquée dans le monnayage, puisqu'elle est déjà assurée par les jumeaux qui sont destinés à accéder directement et sans entrave au pouvoir. Aussi, est-il peu sûr de mett rela Providence en rapport avec cette naissanc e. Il faut plutôt envisager ces émissions en fonc tion des événements dominants. Or, dès la fin de l'année 161, l'empire est menacé par de nom·
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breux ennemis extérieurs : en Bretagne, en Ger manie supérieure, mais surtout en Orient où le roi parthe Vologèse III, après des escarmouches, déclare la guerre à Rome, en bonne et due forme, au printemps 162. Les premiers temps furent désastreux pour les Romains et les légions ne purent opposer une résistance assez efficace pour interdire aux Parthes l'entrée de la province de Syrie. La situation parut si grave à Rome que les empereurs procédèrent à des enrôlements massifs et, surtout, décidèrent que L. Verus lui-même irait prendre la tête des trou pes en Orient166. Cette décision n'avait pas seule ment un caractère d'importance militaire et n'in diquait pas uniquement une prise en main sérieuse de la situation pour sauvegarder l'équi libre interne de l'empire. En effet, si nous nous en tenons aux simples qualités de L. Verus, rien ne faisait soupçonner en lui un remarquable chef de guerre; tout au contraire, si nous en croyons l'auteur de la Vita Veri, il se complaisait dans les jeux et l'assouvissement de ses désirs; rien ne semblait pouvoir le retenir de se livrer à ses passions167. En réalité, la présence de L. Verus en Orient devait rappeler à tous les dernières grandes campagnes militaires dans ces régions, celles, victorieuses, de Trajan. En outre, elle ne pouvait manquer d'évoquer le voyage bienfaisant, pacifi cateur et propice d'Hadrien dans ces mêmes régions. Les monnaies émises au moment du départ de L. Verus et pendant son périple sont particulièrement intéressantes à ce sujet, d'au tant plus que nous pouvons les mettre en corre spondance avec celles à l'image de la Providence. Dans les séries frappées avant le 10 décembre 162, nous trouvons deux types normaux dans un pareil contexte, FORT RED pour souhaiter un bon retour à l'empereur, et PROFECTIO AVG avec la représentation de L. Verus en habit mili taire, en tant que chef des armées168. Entre le 10 décembre 162 et l'automne 163, avant que L. Ve rus ne reçoive le titre à'Armeniacus, nous retrou vonsces deux mêmes formules, plus une ADLOC
AVG qui présente L. Verus s'adressant aux sol dats; elle symbolise la prise de contact et de commandement de l'empereur à son arrivée en Orient169. Mais il y a beaucoup plus important pour notre propos. Plusieurs séries de sesterces, de dupondii et d'as portent la légende FELIC AVG et la représentation d'un bateau, avec son pilote et ses rameurs, et, le plus souvent, une Victoire et deux étendards170. C'est l'expression de la Félicité apportée par l'empereur à son passage. En effet, nous savons que L. Verus a mis un certain temps pour atteindre la Syrie. Tombé malade avant même de partir d'Italie, il n'est arrivé à Antioche qu'au printemps 163. Il a pris le temps, en bateau, d'aller de port en port, d'île en île. L'auteur de la Vita Veri y voit la poursuite de sa vie «honteuse et dégradante; pendant que l'Orient était dévasté, il passait par Athènes et Corinthe accompagné d'orchestres et de chants, musardant par tous les ports d'Asie, de Pamphylie et de Cilicie, connus pour les plaisirs qu'on y trouvait»171. En réalité, ce périple, que nous con naissons assez bien grâce à des inscriptions gra vées en l'honneur de L. Verus à son passage172, a comme but de rassurer, non seulement en déployant la force de l'armée romaine, mais auss ien promettant la Félicité pour l'avenir. La présence de l'empereur était la garante de cet avenir heureux. C'est pourquoi il lui fallait pas ser par les principales cités d'Orient et se mont rer au maximum d'habitants de ces régions. Son arrivée à Antioche prenait évidemment le même sens, sans qu'il ait besoin de montrer de particu lières qualités militaires. Sa simple personne portait en elle la Félicité à venir, dont la victoire sur les Parthes était, à ce moment, un élément essentiel. Dès lors, nous comprenons pourquoi, à ce départ, à ce voyage, à ces monnaies avec FELIC AVG, puissent correspondre des émis sions avec la Providence durant ces deux années 162 et 163. Grâce à la Providence des dieux qui l'a fait empereur et le protège, L. Verus apporte avec lui la Félicité.
166 Id., ibid., Vili, 6; Dion Cass., LXXI, 2. 167 HA, Vit. Veri, IV-VL 168 RIC, III, p.252, n°475 à 481; p.318, n° 1317 à 1320; p. 319, n° 1321 à 1323. Ces frappes sont communes et répan dues.
, III, p. 321, n°1359. 170 RIC, III, p. 319, n° 1325 à 1335; p. 320, n° 1336 à 1340. 171 HA, Vit. Veri, VI, 9. 172 T. D. Barnes, Hadrian and L Verus, dans JRS, LVII, 1967, p. 71.
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE II est tout aussi logique que la Providence ait continué à être utilisée durant toute la campa gne parthe. Mais les empereurs se gardent bien de la mettre directement en cause dans le conflit si difficile que Rome a à mener en Orient. Cette guerre devait durer jusqu'en 166 et il fallut tout le talent de Statius Priscus et, surtout, du Syrien Avidius Cassius, pour venir à bout des Parthes et les obliger à demander la paix. Les séries monét aires de L. Verus, à partir de la fin de l'année 163, sont totalement le reflet de son rôle militai re; il est représenté, en habit militaire et à che val; ses victoires sont exaltées par les représent ationsnombreuses de la Victoire, de la Paix, du Parthe vaincu et prisonnier. De multiples monn aies portent les surnoms qu'il reçut, Armeniacus à l'automne 163, Parthicus maximus en août 165, en même temps qu'est évoquée la Victoria Parthica. Durant ces mêmes années, le monnayag e de Marc Aurèle est très différent; si nous y trouvons aussi l'exaltation de la Victoire et de la Paix, si les symboles militaires y sont abondants et souvent semblables à ceux utilisés sur les séries de L. Verus, certains modèles sont réser vésà la frappe de Marc Aurèle. Il s'agit, en particulier, de Prouidentia à partir de l'automne 163, mais aussi de Félicitas, de Annona et des célébrations de Vota. Il s'agissait de notions trop importantes dans la conception globale du principat antonin pour leur laisser subir les aléas d'une guerre. Comme nous l'avons vu, cela ne veut pas dire que L. Ve rus n'en est pas porteur, mais engagé direct ementdans la bataille, il laisse à Marc Aurèle le soin de les répandre par l'intermédiaire de son propre monnayage; il ne conserve pour lui que les aspects purement militaires. D'ailleurs, s'ils reçoivent au même moment les salutations impériales (la deuxième à l'automne 163, la tro isième en août 165), les surnoms sont d'abord donnés à L. Verus: Armeniacus à l'automne 163 alors qu'il n'est pris par Marc Aurèle que dans le courant de l'année 164; Parthicus maximus dès août 165, alors qu'il n'est attribué à Marc Aurèle qu'en février 166. Les monnaies émises entre le mois d'août 165 et le 9 décembre de cette même
173 RIC, III, p. 258, n° 538 à 545; p. 326, n° 1429 à 1436. 174 Dion Cass., LXXI, 2, 3.
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année sont très intéressantes à cet égard. Celles de L. Verus montrent la Victoire tenant une pal me, ou bien l'empereur à cheval enfonçant sa lance dans un ennemi à terre, ou bien encore un Parthe prisonnier; d'autres exaltent déjà la VlC(toria) PAR(thica)173 à la suite de la prise et de la destruction de Séleucie-du-Tigre et de Ctésiphon, et de la fuite du roi des Parthes; ces événements semblaient devoir mettre fin à la guerre174. Ces mêmes mois, le monnayage de Marc Aurèle est profondément différent : dans les frappes de bronze Prouidentia se trouve seul e; celles d'or et d'argent sont réservées aux représentations de Roma, assise, tenant le pall adium ou une Victoire, et une lance; à celle de Félicitas, tenant toujours un caducée et une cor ne d'abondance, avec un globe à ses pieds; à celle, enfin, d'Annona tenant des épis de blé, une corne d'abondance, avec un modius à ses pieds et, parfois, un bateau175. Rien ne peut mieux exprimer tout ce qui est ressenti à ce moment dans le monde romain. Grâce aux succès rem portés en Orient par un empereur choisi par la Prouidentia Deorum, Rome est assurée de la pro tection et de l'éternité (en effet, ces représentat ions de Roma ne peuvent qu'être en rapport direct avec la Roma du Templum Urbis) ainsi que du bonheur grâce à un approvisionnement sans faille. 5 - «PROVIDENTIA» ET L'ANNONE Nous avions noté que, sous le règne d'Ha drien, la Providence pouvait participer des pro blèmes généraux posés par l'agriculture dans l'empire. Ce souci de la production agricole dans les provinces est primordial puisqu'il détermine de façon précise le ravitaillement de Rome et de l'Italie. Les voyages d'Hadrien avaient été, en partie, destinés à faire revivre l'agriculture là où elle languissait; la Providence de l'empereur était à la base de ce renouveau, corollaire du renouvellement général des temps à Rome où allait commencer à se développer un saeculum aureum116. La préoccupation du ravitaillement
175 RIC, III, p. 223, n° 134 à 137; p. 224, n° 138 à 143. 176 Cf. supra, p. 278 sq.
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de la Ville n'était pas nouvelle et s'il n'y avait que les monnaies pour en témoigner, nous aurions déjà une idée assez précise, depuis Néron, sous le règne duquel Annona est encore assimilée à Cérès177, jusqu'à Hadrien, en passant par Vitellius, Vespasien, Titus, Domitien et Nerva. La plupart de ces monnaies donnent comme attributs symboliques à Annona des épis de blé, un modius, et, très souvent, une proue de navire ou un élément de bateau, comme l'ancre ou le gouvernail. Cependant, c'est sous le principat d'Antonin que Annona devient un leit-motiv dans les émissions monétaires; elle apparaît presque tous les ans tout au long du règne. Qu'elle soit étroitement liée à la personne de l'empereur est souligné par un très rare sesterce d'Antonin en l'honneur d'ANNONA AVG FELIX178; nous ne savons pas à quelle occasion cette émission a été réalisée, mais l'épithète FELIX, donnée seule ment jusqu'alors à Roma et à Venus, réunies dans le fameux temple construit par Hadrien, indique à l'évidence que le ravitaillement de la Ville fait directement partie des plus hautes nécessités de l'action impériale; par l'intermé diaire de la Félicitas, qui fait partie intégrante d'elle-même et de ses résultats, Annona est issue de la Providence du prince; il la détient de la volonté des dieux et des diui en tant que succes seurlégitime. C'est dans cette perspective que nous devons envisager la mention de l'Annona, en liaison avec Prouidentia, sur les monnaies de Marc Aurèle, depuis les émissions de 163/164 jusqu'à celles de 166/167. Il est évident que la guerre en Orient était excessivement dangereuse pour le ravitai llement par mer de l'Italie, surtout pour le blé qui venait d'Egypte; il ne fallait pas que ces événements puissent peser sur la vie quotidien ne de l'Italie. L'Annone est assez importante pour être placée désormais sur le même plan que la Félicité et la Providence. La signification est précise : quand le blé arrive toujours en Italie, le plan voulu par les dieux a été bien suivi; leur Providence s'exerce encore sur
pereur qui reste son protégé, mais, et nous pou vons de nouveau le noter, la Providence ne peut être liée directement aux combats. De ce point de vue, le partage des charges entre Marc Aurèle et L. Verus a été extrêmement utile. Dans ce contexte, nous ne devons pas nous étonner de rencontrer évoquée la «prouidentia maximorum imperat(onim) » dans l'inscription de Concordia gravée en l'honneur de C. Arrius Antoninus179. Le mot n'est pas employé au hasard puisque, un peu plus haut dans le texte, il est question des sacratissimis imp(eratoribus), expression qui au rait pu être reprise. Mais prouidentia est just ement ici utilisée à propos des difficultés de rav itail ement qu'a connues Concordia. L'interven tion du patron de la cité de Cisalpine, qui n'agit lui-même qu'en fonction de la providence des empereurs et comme leur délégué, a permis à Concordia de se sortir de ces difficultés nées, très certainement, des menaces que les Barbares d'Europe Centrale on fait peser sur le Norique, en y pénétrant même, dès l'année 167. À travers cet exemple, il est certain que la Providence des empereurs s'exerce non seul ement sur le ravitaillement de Rome, mais qu'elle doit assurer la subsistance de l'Italie et, en réali té,de l'ensemble du monde romain. C'est un souci primordial, puisque seule la résolution des problèmes qu'elle pose permet la continuité et la perpétuité de la cité. Le fait est encore bien souligné par les émissions de l'année 166, avant et après la quatrième salutation impériale reçue dans l'été à la suite de la fermeture définitive de la campagne orientale et de la fin de la guerre. Il est normal que cette année-là encore Prouidentia ait accompagné Félicitas et Annona sur les monn aies de Marc Aurèle. En outre, dans les émis sions d'avant l'été, elle se retrouve avec des monnaies sur lesquelles réapparaît PIETAS, à la fois pour Marc Aurèle et pour L. Verus180; cette dernière est représentée debout, jetant de l'e ncens sur un autel et tenant de l'autre main la boîte à encens. Ces deniers, nombreux, rappel lentle souvenir des ancêtres divinisés qui
177 RIC, I, p. 150, n° 73 à 83; p. 151, n° 84 à 87. 178 RIC, III, p. 123, n° 757 : l'Annone debout, à gauche, tient une tablette et un gouvernail. À gauche, deux bateaux à demi visibles, dont l'un porte un modius et des épis de blé. À droite, un phare.
i79CIL, V, 1874. Nous pouvons noter que lorsque l'auteur de la Vita Marci expose le soin mis par Marc Aurèle à distribuer le blé, il emploie le verbe prolùdere; XI, 5: rei frumentariae grauiter prouidit. 180 RIC, III, p. 225, n° 148; p. 258, n° 560.
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avaient remporté de semblables victoires, Trajan en tout premier lieu. Ils évoquent aussi la mémoire de celui qui a désigné Marc Aurèle et L. Verus pour régner et qui a porté le surnom de Pius, Antonin. Enfin, ce respect montré à l'égard des diui ouvre la perspective du triomphe que les deux empereurs célèbrent ensemble le 12 octobre 166, non sans que L. Verus, en revenant de Syrie, ne soit repassé par la Grèce, comme pour confi rmerla Félicitas qu'il avait promise par son pre mier passage181. Ce triomphe n'est pas seule ment celui des deux empereurs, bien qu'app aremment ils reçoivent les honneurs les plus grands et les plus spectaculaires : un titre sup plémentaire, celui de Medicus; chacun accepte d'être considéré comme Pater Patriae182; comme nous l'avions dit à propos d'Hadrien, ce titre correspond à l'exercice d'une véritable tutelle des empereurs sur Rome pour une nouvelle période. D'ailleurs la seconde partie de l'année 166 est marquée par la frappe de dupondii à la légende VOT DEC ANN SVSC; sur le revers Marc Aurèle sacrifie sur un trépied mobile183. Si nous suivons H. Mattingly, il faudrait y voir les nota decennalia suscepta à la suite de nota quinquennalia soluta; ce serait la première mention d'un quinquennium qui n'a peut-être été célébré que par sa coïncidence avec la paix et le triom phesur les Parthes184. Malgré cela, ce triomphe n'a pas été que celui des deux empereurs; il est le triomphe de l'e nsemble de la domus imperatoria. En premier lieu, la participation au pouvoir, organisée sur un pied d'égalité, était celle de deux frères d'un côté, d'un beau-père et de son gendre de l'autre. En effet, L. Verus avait épousé à Éphèse Lucilia, la fille de Marc Aurèle qui lui avait été promise dès 161 185. À l'occasion de cette union, Lucilia reçut le titre d'Augusta comme toutes les fem mes de la famille chargées de transmettre le
sang des Ulpii. De cette façon, L. Verus était désormais parfaitement intégré à la famille impériale qui tendait à former, autour des emper eurs un tout cohérent et peu penetrable. Le second trait marquant de cette même année fut le titre de César donnée aux deux garçons vivants de Marc Aurèle, Commode qui n'avait que cinq ans et M. Annius Verus qui en avait à peine quatre186. Par ce moyen public, ils étaient tout désignés à la succession de Marc Aurèle et de L. Verus, tout au moins tant que Lucilia n'avait pas d'enfant. Enfin, Marc Aurèle pratiqua une innovation qui ne pourrait être qu'anecdotique, mais qui a été relevée par les chroniqueurs de l'Antiquité et qui a été pour eux un objet d'étonnement : « Les enfants de Marc, de l'un et l'autre sexe, participèrent au triomphe des deux princes, en sorte que l'on vit alors des jeunes filles sur le char triomphal»187. Ce n'est pas un simple geste d'affection ou de fierté paternelle. C'est l'affirmation aux yeux de tous que la protection des dieux qui a donné la victoi re s'étend sur l'ensemble de la famille au sein de laquelle la succession est désormais assurée. L'existence de ces enfants, dans leur jeunesse même, prouve l'accord entre les empereurs et les dieux proclamé par Prouidentia et Félicitas en particulier. Ces dernières notions, en tant que divinités, n'ont pas été directement liées aux victoires et aux péripéties des combats, mais la Providence a permis la victoire et, par là même, le développement du bonheur promis. Il ne pouvait être surprenant que, les années suivantes, le monnayage se poursuivît sur ces thèmes à dominante militaire (surtout pour L. Verus), mais faisant toujours une place à Prouidentia, même si son nom n'apparaît plus sur les revers. Dans les deux années 167 et 168, il n'y a qu'une seule véritable innovation, l'intr oduction d'Aequitas dans les émissions des deux empereurs; cette notion semble exprimer l'«éga-
181 HA, Vit. Marc, XII, 8; Vit. Veri, VII, 9. 182 HA, Vit. Marc, IX, 3. Marc Aurèle aurait attendu le retour de L. Verus pour le prendre. Ibid., XII, 7. 183 RIC, III, p. 288, n° 944. 184 Ari. cit., p. 161. 185 HA, Vit. Marc, IX, 4-6. Le mariage a eu lieu à Éphèse en 164. Peut-être est-ce à cette année ou à l'année suivante que nous pouvons attribuer les monnaies de LVCILLA AVGVSTA
avec PIETAS : RIC, III, p. 275, n° 774 à 777 et p. 353, n° 1755 à 1757. 186 HA, Vit. Comm., XI, 13. Le jumeau de Commode était mort en 165. 187 HA, Vit. Marc, XII, 10. La scène n'est pas représentée sur les monnaies où nous voyons seulement Marc Aurèle et L Verus sur le char de triomphe: RIC, III, p. 288, n°940 (Marc Aurèle); p. 328, n° 1455 (L Verus).
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le attention » que chacun a porté à respecter les engagements dans le but d'être profitable à Rome et à son empire; ce désir d'égalité se traduit d'ailleurs, le 1er janvier 167, par le troisi ème consulat de L. Verus qui en fait l'égal en honneur de Marc Aurèle188.
III - «PROVIDENTIA»: LES DIEUX PROTÈ GENTLA «DOMUS AUGUSTA» 1 - La mort de L. Verus et ses conséquences L'année 168 fut marquée par les redoutables dangers venus des Barbares du nord; ils obligè rentMarc Aurèle et L. Verus à se rendre en Italie septentrionale, auprès des armées, dès le printemps. Mais il n'y eut pas de véritable enga gement militaire, les Quades envoyant même des ambassadeurs189. Ce qui aurait pu être une parti cipation directe aux combats, s'ils avaient eu lieu, explique peut-être qu'il y ait un arrêt dans les émissions Prouidentia de Marc Aurèle. Mais en janvier 169 L. Verus mourut et cette dispari tion peut aussi expliquer la disparition provisoi re de Prouidentia. L. Verus reçut la consécration, comme il était normal, et des monnaies en l'hon neur du nouveau diuus furent mises en circulat ion190. Cette mort devait transformer la situation; Marc Aurèle ne pouvait plus éviter de prendre lui-même la tête de ses armées devant les dan gers menaçant de nouveau le limes danubien et toute l'Italie du nord. Mais avant de partir, il voulut assurer la protection de l'enfant, ou des enfants191, que Lucilia avait eus de L. Verus. Sa fille n'avait que vingt ans, mais son titre d'August a lui donnait une place prééminente, ainsi qu'à ses descendants, dans la famille impériale. Elle dut épouser, dès l'été 169, un Syrien, un des
"«RIC, III, p. 227, n° 178; p. 228, n° 189 à 192; p. 290, n°960, 961 (Marc Aurèle); p. 260, n°576, 577; p. 330, n° 1479 (L. Verus). Pour la traduction par « égale attention », cf. P. Grenade, Le pseudo-épicurisme de Tacite, dans REA, LV, 1953, p. 40. 189 HA, Vit. Marc, XIV, 1-4. ™Ibid., XV 3-4; RIC, III, p. 262, n° 596 a, b: légende
hommes les plus appréciés de l'empereur pour ses qualités militaires, Claudius Pompeianus192. Il était beaucoup plus âgé que Lucilia, sa carriè re était déjà glorieuse et il avait été consul; il ne pouvait être pour l'enfant, ou les enfants, du premier mariage de sa femme qu'un tuteur et qu'un protecteur, car en eux coulait le sang des Ulpii. Mais un nouveau drame frappa l'empereur juste avant son départ pour le nord; le petit M. Annius Verus mourut d'une tumeur à l'oreil le193.Il avait été fait César en même temps que Commode; ce dernier était désormais le seul garçon survivant de tous les enfants de Marc Aurèle et de Faustine, et peut-être de la famille entière. A partir de ce moment il ne fait aucun doute que la succession lui est assurée définit ivement. 2 - La mise en avant de Commode Pour mettre toutes les chances du côté de Rome dans la lutte vitale qui s'ouvrait, Marc Aurèle inaugura, ou plutôt systématisa, une poli tique de présence de l'ensemble de la famille impériale dans les camps militaires. Il faut que soient réunis autour de lui tous ceux qui ont été désignés par la Prouidentia Deorum et qui, de ce fait, sont porteurs du bonheur et de l'éternité de la Ville; il est nécessaire qu'ils soient présents avec lui là où ce bonheur et cette éternité sont le plus menacés. Dans cette perspective, il est cer tain que ce n'est pas un simple hasard ou une inclination personnelle de Marc Aurèle qui lui a fait donner Pompeianus comme mari à Lucilia; comme il était un des meilleurs généraux de l'empereur, il allait participer à la campagne de 170; par cette union, Marc Aurèle s'assurait au camp la présence de Lucilia Augusta. N'avait-elle pas été présente en Orient, aux côtés de L. Ve rus, au moment de la Victoria Parthica? Son mariage n'avait-il pas eu lieu à Éphèse, comme
CONSECRATIO avec l'aigle ou le bûcher. 191 Les monnaies de Lucilia, du type FECVNDITAS, mont rent, les unes un enfant, d'autres deux, les dernières trois enfants (RIC, III, p. 275, n°764 à 766; p. 352, n° 1736 à 1739). Faut-il les interpréter à la lettre? 192 HA, Vit Marc, XX, 6-7. 193 HA, Vit Marc, XXI, 3-5.
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gage de cette victoire future sur la terre d'Asie? Lucilia se trouva aux côtés de son mari, et de l'empereur, dans l'hiver 169/170, de même que Faustine si elle n'était pas déjà enceinte de son dernier enfant. Il y a, chez Marc Aurèle, comme la peur de ne pouvoir seul assurer la sauvegarde de Rome et de son empire; il a besoin de la présence de tous les porteurs du charisme impérial. C'est ainsi seulement qu'il peut mener la lutte. Après les difficultés des années 170 et 171, marquées par les combats contre les Marcommans et par l'e nvahis ement de la Bétique par les Maures, l'an née 172 semble avoir vu une offensive romaine et un succès décisif sur les Marcommans obligés d'accepter de jurer un traité. Mais nous devons nous arrêter sur deux épisodes qui sont apparus à tous comme étroitement rattachés à cette vic toire. Le premier est la naissance du dernier enfant du couple Marc Aurèle-Faustine, une fille appelée Vibia Aurelia Sabina; elle naquit sans doute dans le courant de l'année 171. La pours uite de la fécondité du couple était une marque évidente de la faveur divine, toujours dans la ligne tracée par les prédécesseurs de Marc Aurèl e.Une autre marque de cet intérêt des dieux pour l'empereur fut, durant l'année 172, un épi sode de la guerre considéré comme un miracle. La foudre avait détruit une machine de siège manœuvrée par les Quades qui allaient l'utiliser pour s'emparer du camp romain. Le miracle fut attribué aux prières de Marc Aurèle194; il eut assez de retentissement, et certainement d'abord dans l'esprit même de l'empereur, pour être représenté sur la première scène de la colonne aurélienne. C'est dans cette ambiance générale, et en même temps que des monnaies commémorant la victoire sur les Germains, que réapparaît la Providence. Nous la trouvons, sur des sesterces, sous deux formes différentes, PROV DEOR et PROVIDENTIA AVG195. La première reprend le type habituel depuis le début du règne, avec la Providence tenant le globe et une corne d'abon dance. De ce fait nous pouvons penser à une
émission à l'occasion de la naissance de Vibia Aurelia Sabina (ce qui reporterait sa naissance à la fin de l'année 171, au mois de novembre peut-être). La seconde série est beaucoup plus intéressante puisque totalement nouvelle dans sa présentation. Le revers nous montre Marc Aurèle et Commode face à des soldats qui symb olisent l'armée entière. C'est la transcription en image, dans le bronze, d'une cérémonie qui a réellement eu lieu. Le 15 octobre 172, Commode a reçu le titre de Germanicus. L'importance de cet épisode n'a échappé à aucune de nos sources qui en font mention196. Il a pris un aspect d'au tant plus solennel que Marc Aurèle y fut aussi appelé Germanicus197. Dans l'évolution de la con ception du pouvoir impérial, cette cérémonie publique est capitale, car elle se déroule en présence non seulement de l'armée qui est com meun condensé du peuple romain, mais aussi de toute la famille, de tous les porteurs du sang charismatique. D'ailleurs, une inscription de cet teépoque, trouvée à Marsala, en Sicile, est une prière pour la sauvegarde et le retour de l'empe reuret «de ses enfants»198. Toutes les filles de Marc Aurèle devaient être présentes avec leur mère, Lucilia et son mari Claudius Pompeianus, Faustina avec Claudius Severus et Fadilla, nouv elle mariée, avec son époux, un neveu de L. Ver as, M. Peducaeus Plautius Quintillus. Il ne peut faire de doute que Commode était aussi présent; un tel acte ne pouvait se dérouler sans présenta tion réelle aux soldats. Comme toujours, les monnaies sont le reflet d'une scène qui s'est réellement jouée, même si les artistes sont obli gés de styliser. Le geste est capital, car, comme nous le mont rel'évocation de la Providence, il engage défin itivement l'avenir; entièrement dans le cadre voulu par ses ancêtres divinisés, Marc Aurèle, par sa propre providence, désigne comme suc cesseur le seul garçon vivant de la famille. Désormais, ils portent chacun le même titre; ils se sont montrés côte à côte, comme sur un pied d'égalité qui, à terme, doit se réaliser. Et pourt ant, Commode n'a que onze ans; mais il est
i9*Ibid., XXIV, 4; A. Birley, Marcus Aurelius, Londres, 1966, p. 234. 195 RIC, III, p. 296, n° 1045 et 1046. Cf. p. 437, n° 68 et 69 (pi. I). Cf. supra, p. 321.
™ HA, Vit. Comm., XI, 14. 197 HA, Vit. Marc, XII, 9. Dion Cass., LXXI, 3. 198 G. Barbieri, Nuovi iscrizioni di Marsala, dans Kôkalos, VII, 1961, p. 15 sq.
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maintenant porteur de la Félicitas et de X'Aeternitas de Rome et du peuple romain. D'ailleurs une nouvelle période ne commençait-elle pas pour Rome puisqu'on avait célébré la fin des decennalia et le début des decennalia II justement l'an née précédente199? C'est pourquoi nous ne devons pas nous attarder sur les autres hon neurs qui se sont ensuite accumulés sur Commod e; ils découlaient nécessairement de la décision de 172 mais, comme ils dépendaient aussi de certaines conditions d'âge, ils n'ont pu être don nés en même temps : ainsi le titre de prìnceps iuventutis dans l'été 175200; le 27 novembre 176, il reçut Yimperium, il fut désigné pour le consul at ordinaire de 177 et il participa au triomphe, avec son père, sur un pied d'égalité, le 23 décemb re de cette même année. Il partagea son consul at ordinaire avec le mari de Fadilla, le neveu de L. Verus, son beau-frère, M. Peducaeus Plautius Quintillus. Il reçut aussi sa première puissance tribunicienne, puis, en peu plus tard dans cette année 177, le nom d'Auguste, le titre de Père de la Patrie201. Il avait à peine seize ans et, comme L. Verus entre 161 et 169, il partageait total ement le pouvoir avec son père. Dans les conditions que nous avons décrites, il est vain de se poser la question de savoir pourquoi Marc Aurèle a «choisi» Commode pour lui succéder, alors qu'il connaissait ses vices ou, tout au moins, les imperfections de son caractère, ce qui est relevé par toutes nos sourc es. Dans la déjà longue succession d'empereurs depuis Trajan, Marc Aurèle était le premier à avoir des enfants vivants et suffisamment grands pour prendre sa succession sans difficulté. Il ne pouvait lui venir à l'idée de chercher une autre solution. Cette présence d'enfants était en effet le signe évident de la faveur des dieux, le signe que personne avant lui, depuis un siècle, n'avait eu. Ce signe est rendu plus éclatant encore par la disparition du jumeau de Commode et du petit M. Annius Verus qui laissèrent un seul gar çon, sélectionné par les dieux eux-mêmes, par l'intermédiaire de leur Providence. L'existence
199 H. Mattingly, The Imperial «Vota», p. 161. 200 Événement marqué par d'importantes émissions monét aires : RIC, III, p. 262, n° 600 à 603; p. 334, n° 1518 à 1522. Ce n'est pas, comme le pense A. Birley, op. cit., p. 259, le moment où s'affirme publiquement sa position d'héritier.
de Commode est la garantie de ce que la ligne suivie par Marc Aurèle est la bonne et que, pour le bien de Rome, il faut aller jusqu'au bout de cette politique dynastique. D'ailleurs, c'est une position qui correspond en tous points à ce que nous savons, par luimême, de la pensée de l'empereur. En effet, il lui était impossible, en évoquant la πρόνοια et en inscrivant le mot, de ne pas penser à la Prouidentia qu'il faisait placer sur ses monnaies. Or, le fondement même du stoïcisme est de suivre la voie tracée de toute éternité par cette Raison unique qu'on peut appeler Providence : « Tout est plein de la Providence divine; le hasard ne va pas sans la nature, sans une trame et un entrel acement d'événements gouvernés par la provi dence. Tout vient de là»202. Mais l'homme doit agir pour mériter la providence : « Ou bien nécessité fatale et ordre inexorable, ou bien pro vidence bienveillante ou bien encore chaos d'un hasard sans guide. Si c'est la nécessité inexorab le, pourquoi résister? Si c'est la providence qui permet de se rendre les dieux propices, rends-toi digne du secours divin...»203. Ce secours ne peut être engagé que pour le bien des hommes : «Si les dieux ont délibéré sur moi et sur ce qui doit m'arriver, ils ont bien délibéré; car il n'est pas facile d'imaginer un dieu sans réflexion. Mais pour quel motif voudraient-ils me faire du mal? Quel avantage en auraient-ils pour eux ou pour l'ensemble sur lequel ils veillent?»204. D'ail leurs, il ne peut être question de nier la réalité des dieux : « S'ils (les dieux) n'existent pas ou bien s'ils ne se soucient pas des hommes, à quoi bon vivre dans un monde sans dieux ou sans providence? Mais ils existent et ils se soucient des affaires humaines»205. C'est une affirmation qui revient à plusieurs reprises parce que, pour Marc Aurèle, elle justifie l'existence même de l'homme, de son action sur terre: «Ou bien chaos, entrelacement et dispersion; ou bien union, ordre et providence. Dans le premier cas, pourquoi désirer séjourner dans ce composé de hasard et dans un tel brouillamini? Pourquoi me
201 HA, Vit. Connu., II, 4; Vit. Marc, XXII, 12. 202 Marc Aur., Pens., II, 3. 203 Ibid., XII, 14, 1-2. 204 Ibid., VI, 44, 1-2. 205 Ibid., II, 11, 2-3.
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE soucier d'autre chose que de la manière de « de venir terre»? Pourquoi me troubler? Car la dis persion s'étendra jusqu'à moi, quoique je fasse. Dans le second cas, je respecte celui qui gouvern e, je suis calme et j'ai confiance en lui»206. Cette confiance ne peut être qu'absolue, quels que soient les événements: «Tout ce qui arrive, arri vejustement; c'est ce que tu découvriras si tu observes exactement, et je ne dis pas comme conséquence de la justice, mais selon la justice, comme si quelqu'un nous attribuait notre part suivant notre mérite»207. En reprenant l'arg ument de l'existence du mal, et de sa justification, Marc Aurèle cherche à découvrir ce qu'il peut contenir de positif en lui-même, et pas seule ment en fonction de ses conséquences. On s'est souvent posé le problème de savoir s'il y avait une liaison possible entre la politique menée par l'empereur et sa philosophie personnelle. Les résultats ont toujours été décevants parce qu'on a voulu trop embrasser et juger de toute sa politique, à tous les niveaux. Marc Aurèle con centre sa pensée sur les problèmes fondament aux, dont celui de sa succession fait éminement partie. Comment pourrait-il être interdit de rap procher la providence dont il parle si bien de celle qui apparaît sur les monnaies? Combien ces phrases, citées ci-dessus, prennent de relief et de réalité tangible si nous les lisons dans la perspective du pouvoir impérial devant passer à Commode! Comment ne pas penser à ce dernier en lisant que « même la gueule du lion, le poison, toute chose nuisible, comme les épines ou la boue, surviennent, comme conséquences, en des êtres nobles et beaux; ne les imagine pas comme étrangers à ce que tu respectes; songe plutôt à la source d'où vient toute chose»208. Chaque étape de l'évolution, ou plutôt de l'approfondissement de sa pensée, entre 171 et 180, ne le mène qu'à la confirmation dans la résolution qui lui est indi quée depuis toujours par ses ancêtres : prendre Commode comme successeur. Il ne pouvait y avoir d'autre solution puisque l'empereur avait un fils vivant. Les qualités de Commode ne pou vaient entrer dans le jeu puisqu'il n'y avait pas de choix différent possible.
206 Ibid., VI, 10. 207 Ibid., IV, 10. 208 Ibid., VI, 36.
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3 - LE RÔLE ESSEfmEL DE LA FAMILLE IMPÉRIALE Mais, autour de Commode, est regroupée tou tela domus imperatoria qui doit veiller sur lui et qui l'accompagne, en même temps que Marc Aurèle, dans les campagnes militaires. Le carac tèreprééminent et primordial de la famille est souligné par le fait que ce sont les deux gendres de l'empereur, Cn. Claudius Severus et T. Clau dius Pompeianus, qui furent ensemble, et cha cun pour la deuxième fois, consuls ordinaires en 173. Ils ne durent cet honneur qu'à leur position de maris de filles de Marc Aurèle. Un fait plus significatif fut un nouveau titre donné à Faustine, celui de MATER CASTRORVM, en 173 ou en 174, à un moment où la lutte contre les Quades et les Iazyges était extr êmement difficile. Des monnaies furent frappées, au nom de FAVSTINA AVGVSTA et en l'honneur de M ATRI CASTRORVM; elles nous montrent l'impératrice sacrifiant devant des étendards qui symbolisent l'armée où elle se trouve alors pré sente209. Faustine se trouvait ainsi engagée dans un rôle parfaitement clair et défini, celui de protectrice privilégiée des armées lorsqu'elle y est présente. Elle devait ce rôle à sa position d'Augusta; elle participait ainsi directement à la sauvegarde de Rome. Ce titre était donc loin d'être négligeable, comme certains l'ont pensé; il indiquait, à l'évidence, quelle place fondamental e était tenue par les femmes porteuses du sang des Ulpii. Cet aspect était bien le principal dans ce titre; en effet, si nous prenons les émissions monétaires à la légende MATRI CASTRORVM frappées après la mort de Faustine, pour DIVA AVG FAVSTINA ou pour DIVAE FAVSTINAE PIAE, nous nous apercevons d'un changement dans la représentation inscrite sur les revers. Nous y voyons Faustine assise, tenant un sceptre et un globe, devant trois, ou deux, étendards; le globe est surmonté d'un phénix210. Nous retrou vonssur cette frappe des symboles dont nous avons déjà parlé; ce sont eux qui forment les fondements imagés de la succession impériale voulue par les dieux et par les diui, promesse d'un éternel renouvellement dans le bonheur
209 RIC, III, p. 346, n° 1659 à 1662. 210 RIC, III, p. 274, n° 752 et 753; p. 360, n° 171 1 et 1712.
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pour Rome et son empire. Il ne pouvait s'agir de la simple mise en valeur de l'éternité des impér atrices divinisées211, ce dont tout le monde était convaincu, mais de l'éternité de la protection et du bonheur qu'elles pouvaient assurer, en parti culier sur les armées défendant l'empire. D'ail leurs, de son vivant, Faustine participe activ ement aux tâches impériales; c'est ainsi que Phi lostrate nous la décrit intervenant directement, soutenue par sa fille dernière-née qui n'a que trois ou quatre ans, dans le procès d'Hérode Atticus à Sirmium, au quartier général212. Cette place fondamentale tenue par Faustine dans la légitimité du pouvoir peut encore être soulignée par l'épisode de la révolte d'Avidius Cassius en Syrie, durant trois mois et six jours de l'année 175. Les causes de cette révolte peu vent être multiples, mais il est certainement étonnant de voir un gouverneur aussi emèrite, dont les hauts services militaires durant la guer recontre les Parthes semblaient garantir la loyauté, se laisser ainsi proclamer empereur. Nos sources nous ont laissé quelques passages intéressants à ce sujet; ils ont été trop souvent négligés ou repoussés comme invention pure. À travers son abréviateur, Dion Cassius déclare que «Quant à Cassius, ce fut trompé par Fausti ne qu'il commit cette grave faute; Faustine, en effet (elle était fille d'Antonin le Pieux), s'attendant à ce que son mari, qui était d'une mauvaise santé, mourût d'un instant à l'autre, craignit que l'empire, Commode étant jeune et d'un caractère trop simple, ne vînt à passer dans les mains d'un autre qui la réduisît à une condition privée, et elle persuada en secret à Cassius de se tenir prêt pour le cas où il arriverait un accident à Antonin, à l'épouser et à s'emparer du pouvoir suprê me»213. La biographie de l'Histoire Auguste tient à peu près le même langage : « II eut réalisé ce projet si Avidius Cassius ne se fût révolté en Orient et n'y eût pris le nom d'empereur, de l'avis, dit-on, de Faustine qui désespérait de la santé de son mari. D'autres disent que Cassius se fit nommer empereur après avoir fait courir le
bruit de la mort d'Antonin, et l'avoir proclamé diuus Marcus »214. Nous pensons devoir nous en tenir à ce qui est dit par Dion Cassius, qui est très clair et qui donne un récit logique si nous nous replaçons dans l'atmosphère que nous avons essayée de définir jusqu'ici. L'état maladif, et certainement dépressif, de Marc Aurèle est une réalité. Or, Faustine doit assurer la succession à son fils encore trop jeune pour s'imposer seul; il lui faut aussi conserver une place prépondérante qu'elle perdrait si Commode passait sous la tutelle d'un de ses gendres, qu'elle est très loin d'apprécier. Choisir Avidius Cassius pour ce rôle, mais en tant qu'époux de l'Augusta, était un bon calcul qui garantissait tous les projets tracés par la Prouidentia Deorum, puisque, à cette date, Faus tine ne peut sans doute plus avoir d'enfant. Des contacts entre Faustine et Avidius Cassius avaient certainement été pris. C'est la fausse nouvelle de la mort de l'empereur qui a déclen ché le processus, car le gouverneur de Syrie n'avait aucun avantage à brusquer les choses", d'autant qu'il n'était pas sûr de tous les gouver neursen Orient (celui de Cappadoce s'opposera à lui et provoquera son échec). D'ailleurs, s'il fallait une preuve de l'erreur commise par Avi dius Cassius, nous la trouverions dans la deman de de divinisation faite immédiatement par le gouverneur pour Marc Aurèle. Le geste n'était pas réalisé seulement pour s'assurer une certai nepopularité; il affirmait délibérément les droits de Commode. Cet épisode est significatif de la place tenue par la domus imperatoria. Marc Aurèle le souligna encore aussitôt quand il partit reprendre en mains l'Orient après l'assassinat d'Avidius Cassius. C'est accom pagné de Commode, de Faustine et certainement d'autres membres de sa famille qu'il s'y rendit. Ce ne fut pas, comme il est parfois dit, pour faire cesser les calomnies répandues sur le compte de Faustine215, mais parce que sa présence, comme celle de Commode, était nécessaire pour rendre aux provinces orientales la stabilité, la confiance
211 H. Mattingly, The Consecration of Faustina the Elder and her Daughter, dans Harv. Theol. Rev., XLI, 1948, p. 147-151. 212 Philostr., V. Soph., II, 1, 11-12. 213 Dion Cass., LXXI, 22, 3. 214 HA, Vit. Marc, XXIV, 6-8. Quelques détails
taires dans V. Avid. Cass., VII, 1-3 (mais plus favorable à une véritable conjuration dans lequelle Faustine et Avidius Cas sius seraient les principaux meneurs). 21S A. Birley, op. cit., p. 250.
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en l'avenir. Seule la domus augusta pouvait les rétablir par son passage. C'est pourquoi, en 175 et 176, toute la famille parcourut les régions orientales; c'est d'ailleurs dans les montagnes du Taurus que Faustine mourut en 176. Elle fut divinisée et de très nombreuses monnaies mar quèrent son passage parmi les dieux avec les légendes CONSECRATIO, SIDERIBVS RECEPTA et, surtout, AETERNITAS qui devient la frappe la plus importante à chaque consécration féminine, puisque ce sont les femmes de la famille impér iale qui assurent l'éternité de leur propre famill e, du pouvoir impérial et de Rome elle-même; très souvent, le phénix sur le globe est chargé d'exprimer cette idée216. En outre, ce n'est qu'après sa mort que Faustine fut gratifiée du surnom de PIA que nous trouvons dans quel ques-unes de ses titulatures monétaires. Elle était porteuse de la Pietas, comme son père l'avait été de son vivant; elle était donc garante de la succession et de la continuité du pouv oir217. Un dernier trait montre tout l'intérêt protec teurque Marc Aurèle a apporté à sa famille directe après la mort de Faustine. Son biographe nous dit que «Fabia fit tous ses efforts, après la mort de Faustine, pour l'épouser, mais ne vou lant pas donner une belle-mère à tant d'enfants, il prit pour concubine la fille d'un procurateur de sa femme»218. Le refus de ce mariage avec Ceionia Fabia, sœur de L. Verus, à qui Marc Aurèle avait été destiné dans sa jeunesse, au moment de l'adoption d'Antonin, est significatif. L'empereur ne voulait pas risquer d'avoir des enfants qui seraient devenus des concurrents possibles pour Commode; ou plutôt, il écartait la possibilité de favoriser les enfants que le fils de Fabia, M. Peducaeus Plautius Quintillus, pouvait avoir avec une des filles de l'empereur, Fadilla, qu'il venait d'épouser. Cette demande de Fabia reposait évidemment sur les promesses non tenues de février 138. Pour bien marquer qu'il se
refusait désormais à changer quoi que ce soit à la succession, donc au choix des dieux, Marc Aurèle prit officiellement une concubine, recon nuepar la loi uxoris loco, mais dont les enfants ne pouvaient bénéficier d'aucun des droits de ceux issus du mariage légal. Il n'était donc pas question de « ne pas irriter par un second maria ge les enfants issus du premier lit»219, mais de protéger Commode dans ses droits éminents à la succession. À vrai dire Marc Aurèle n'était pas ici un novateur. Il ne faisait que suivre des exemp lestrès caractéristiques, car répondant de la même façon au même problème. En premier lieu celui de Vespasien qui, après la mort de Flavia Domitilla, prit «paene iustae uxoris loco», l'ancienne secrétaire d'Antonia, la mère de Claud e,Cenis220; par ce moyen, il empêchait la nais sance de tout problème de succession et, sur tout, il respectait le choix que la Providence avait fait de lui-même et de ses enfants pour tenir le pouvoir221. Le second exemple suivi par Marc Aurèle est celui de son père Antonin le Pieux. L'auteur de la biographie de l'empereur n'en parle que par une simple incidente; les deux préfets du prétoire, Fabius Cornelius Repentinus et Furius Victorinus, n'auraient obte nuleur charge que «grâce à la concubine du prince»222. Or, nous connaissons le nom de cette concubine par une inscription : «... papas Galeriae [Aug libertjae Lysistrates concubinae diui PU »223. Il s'agit bien d'une situation officielle, qui n'a évidemment rien de honteux, mais qui per mettait à l'empereur, après la mort de Faustine, de garantir les droits à la succession de L. Verus et de Marc Aurèle. Ce dernier en prenant com meson père une concubine officielle, respectait le choix de la Prouidentia Deorum; seul Commod e pouvait lui succéder. Dans l'été 177, ce der nier épousa Bruttia Crispina qui fut faite August a immédiatement au moment de son mariage ou l'année suivante224.
216 RIC, III, p. 273, n°740; p. 349, n° 1693, 1696. Sur la divinisation, Dion Cass., LXXI, 31 et HA, Vit. Marc, XXVI, 5-6. 217 Ni L. Verus, ni Marc Aurèle ne porteront le cognomen de Pins durant leur principat. Seul Marc Aurèle en fut gratifié après sa mort. 218 HA, Vit. Marc, XXIX, 10. 219 G. Lacour-Gayet, Antonin le Pieux et son temps, Paris,
1888, p. 248. 220 Suét, Vesp., III, 3. 221 Cf. supra, p. 214. 222 HA, Vit. PU, VIII, 9. 223 CIL, VI, 2, 8972 (= ILS, 1836). 224 Dion Cass., LXXI, 33, 1; HA, Vit Marc, XXVII, 8; Vota Publica pour le mariage, cf. H. Mattingly, art. cit., p. 161 et p. 186, n. 26.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ 4 - L'assurance dans l'avenir
Marc Aurèle est donc totalement resté dans la ligne tracée depuis Trajan et Hadrien. Il ne pouvait en être autrement alors que, pour la première fois, les dieux montraient une faveur exceptionnelle en lui donnant un grand nombre d'enfants et qu'ainsi la succession était assurée. En réalité, durant tout son règne, dans ce domain e, Marc Aurèle est sûr de lui; la Providence des dieux l'a désigné à travers l'adoption et son mariage avec Faustine. Toute sa philosophie per sonnelle le porte à suivre librement le destin qui lui est tracé pour la grandeur et la pérennité de Rome. «"Je n'ai pas de chance, voici ce qui m'arrive". Non pas, mais "j'ai de la chance, voici ce qui m'arrive"»225. L'empereur a toujours envi sagé les événements sous cet angle, sûr que son engagement était le bon puisque sous l'égide de la Providence. Un seul exemple peut nous le montrer aisément, son attitude à l'égard d'Avidius Cassius. Si nous en croyons la biographie du gouver neurde Syrie, L. Verus lui-même, à la suite de la campagne contre les Parthes, aurait dénoncé Avidius Cassius à Marc Aurèle comme un auidus imperii. Marc Aurèle aurait répondu d'une manière qui cadre parfaitement avec ce que nous avons essayé de définir comme état d'es prit : « Si les dieux lui destinent l'empire, nous ne pourrions nous en défaire, quand même nous le voudrions; car vous savez le mot de notre bisaïeul : "Nul prince n'a tué son successeur". Si, au contraire, il ne doit pas régner, il trouvera sa perte dans ses entreprises mêmes, sans que nous recourrions à des mesures cruelles»226. Même si ces lettres sont considérées généralement, et à bon droit, comme des constructions du biogra phe,elles ne sont pas, par leur contenu, en dehors des réalités psychologiques de l'empe reur;nous devons en tenir compte ici. L'attitude de Marc Aurèle ne devait pas varier; quand la révolte éclata et qu'elle lui fut annoncée, «il ne montra pas une grande colère »227. Il ne se
225 Marc Aur., Pens., IV, 49. 226 HA, V. Avid. Cass., 1, 7 et II, 2-3. 227 Ibid., VII, 5. Cf. aussi HA, Vit, Marc, XXIV, 8. 228 V. Avid Cass., VIII, 1.
tit pas de cette attitude et, en particulier, il regretta la mort de Cassius, s'affligeant «d'avoir perdu une occasion d'exercer sa clémence»228. Ce n'est certainement pas une simple mise en scène qui ne refléterait pas ses pensées profond es. Marc Aurèle est trop sûr de lui, il connaît trop bien le destin tracé à sa famille, pour ne pas pardonner à celui qui n'a pas respecté les volon tésdivines, s'est attaqué à leur choix, et ne pouvait donc qu'échouer comme cela est arrivé. Par là aussi s'explique la mansuétude dont il fit preuve à l'égard de tous ceux qui avaient, ne serait-ce qu'un moment, suivi Avidius Cassius. On le lui reprocha; il répondit : «Notre conduite et le respect que nous professons pour les dieux nous assuraient la victoire»229. Il put encore écri reà Faustine : « Soyez donc sans inquiétude : les dieux nous protègent, et ma piété les touche»230. Cette piété était le respect de la loi divine qui voulait, exprimée par la Providence, que la suc cession restât dans les rangs de ceux qui possé daient le sang des Ulpii. C'est bien pourquoi, face à la révolte d'Avidius Cassius et Marc Aurèle étant reconnu comme vivant, le sénat a si vite réagi en mettant le gouverneur hors-la-loi; pour la même raison, il s'est trouvé des gouverneurs de provinces, comme celui de Cappadoce, des soldats, des centurions pour ne pas suivre Avi dius Cassius. Tous savaient que la Providence avait désigné Marc Aurèle et que sa succession ne pouvait s'établir que dans sa lignée. Aussi n'est-il pas étonnant de trouver dans le discours d'un sénateur, en 177, un appel à la tanta uestra prouidentia, celle de Marc Aurèle et de Commode231. Le problème en cause, les frais provoqués par les jeux de gladiateurs, ne semble pas devoir mériter une intervention de la provi dence des empereurs. Mais il s'agit d'un problè me d'intérêt général aux conséquences import antes pour l'équilibre financier de toutes les provinces de l'empire. Faire appel, dans ce con texte, à la providence impériale, c'est affirmer qu'il y aura continuité dans l'action et que ce qui est entrepris durera aussi longtemps que la
13.
229 Ibid., VIII, 2. 230 Ibid., XI, 8. Il reprend deux vers d'Horace. Carni., I, 17, 231 Cf. supra, p. 322.
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE dynastie232. Faire appel à la providence était devenu un aspect normal du discours, pour en renforcer la portée et celle des décisions prises ou à prendre. C'est dans cette atmosphère que Marc Aurèle mourut le 17 mars 180, alors qu'il se trouvait au quartier général de Vindobona, en compagnie de Commode233.
IV - COMMODE : LE «PRINCEPS IDÉAL» La succession, de Marc Aurèle à Commode, se fit sans aucune difficulté; elle s'imposa à tous, sans solution de rechange possible, puisque vou lue et confirmée explicitement par les dieux et les diui. Le nouvel empereur se devait, comme ses prédécesseurs, d'utiliser et d'exalter la Provi dence des dieux. Il ne s'en priva pas puisque les documents fournis par son règne sont nombreux et ne peuvent trouver leur explication que dans une étude attentive, tenant compte des événe ments du règne et de la personnalité, si déconc ertante, de l'empereur. Les émissions monétair es sont particulièrement abondantes et bien datées en général; elles portent toutes, à l'avers, la tête ou le buste de Commode, avec des titulatures variables suivant les années.
232 A. Birley, op. cit., p. 275-276. 233 Dion Cass., LXXI, 33, 4; HA, Vit. Marc, XXVIII; Aur. Vict, De Caes., XVI, 14. 234 RIC, III, p. 402, n° 301, 303; p. 403, n° 305. R/ PROV DEOR TR Ρ V IMP IIII COS II Ρ Ρ S C Providence, debout, à gauche, tenant une baguette au-dessus d'un globe placé à ses pieds, et un sceptre. Cf. p. 437, n° 70 et pLL 235 RIC, III, p. 367, n° 7. Les revers des deniers ne portent pas l'inscription PROV DEOR, mais la représentation est la même que sur les sesterces ou les dupondii Cf. p. 437, n° 71. 236 RIC, III, p. 404, n° 312, 317. Même représentation, avec PROV DEOR, qu'en 180. Cf. p. 437, n°72. 237 RIC, III, p. 368, n° 19. Même représentation, sans PROV DEOR, qu'en 180. Cf. p. 437, n°73. 2ÌSRIC, III, p. 406, n°330 a et b; p. 407, n°336, 341. Même représentation, avec PROV DEOR, qu'en 180. Cf. p. 437, n°74. 239 RIC, III, p. 369, n° 32. Même représentation, sans PROV DEOR, qu'en 180. Cf. p. 437, n°75. 240 RIC, III, p. 371, n°44. Même représentation, sans PROV DEOR, qu'en 180. Cf. p. 438, n°76.
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1 - Les documents du règne Dés 180 (cinquième puissance tribunicienne), les ateliers de Rome frappent des sesterces et des dupondii234 ou des deniers235 avec la repré sentation de la Providence sous la forme d'une figure féminine. Ils font de même au cours de l'année 181 avec sesterces et dupondii236 et deniers237. Nous notons encore les mêmes séries de sesterces et dupondii23S et de deniers239 au début de l'année 182, jusqu'à la cinquième salu tation impériale. La fin de l'année 182, après cette salutation impériale que nous ne pouvons dater avec précision, est marquée par une émis sion de deniers240. Durant l'année 183 et jusqu'à la sixième salutation impériale, les sesterces por tent la même représentation mais avec PROVID AVG au lieu de PROV DEOR241; les deniers de cette période ne présentant pas de change ment242; mais, cette même année est frappé un médaillon de bronze au revers tout à fait origi nal243. De cette sixième salutation impériale au 9 décembre 183, les ateliers de Rome continuent à frapper des sesterces et des dupondii avec PROV DEOR244, des sesterces avec PROV AVG245, des deniers246. Du 10 décembre 183 à la septième salutation impériale (dans le courant de 184) sont émis des sesterces avec PROV AVG247, des deniers comme les précédents248 ou bien avec
241 RIC, III, p. 409, n°355. Même représentation qu'en 180. Cf. p. 438, n° 77. 242 RIC, III, p. 371, n°50. Même représentation qu'en 180. Cf. p. 438, n° 78. 243 F. Gnecchi, / Medaglioni Romani, III, p. 65, n° 123. R/ PROVIDENTIAE DEORVM TR Ρ VIII IMP IIII COS IIII Ρ Ρ Commode, la tête voilée, à gauche, accompagné de trois personnages, prêts à sacrifier sur un trépied. À droite, une figure militaire, avec une lance, s'appuie sur un cippe. Au second plan, deux arbres dont les branches forment une voûte. Cf. p. 438, n° 82. 244 RIC, III, p. 411, n°380. Même représentation qu'en 180. Cf. p. 438, n° 80. 245 RIC, III, p. 411, n° 379; p. 412, n° 389. Même représentat ion qu'en 180. Cf. p. 438, n° 79 et pi. I. 246 RIC, III, p. 373, n°65. Même représentation qu'en 180. Cf. p.438, n°81. 247 RIC, III, p. 414, n° 417. Même représentation qu'en 180. Cf. p. 438, n° 83. 248 RIC, III, p. 374, n° 78. Cf. p. 438, n° 84.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ des avers, L AEL AVREL COMM AVG Ρ FEL, qui est caractéristique de la dernière année du règne. Il s'agit d'aurei et de deniers avec PROVIDENTIAE AVG et la représentation d'Hercule256 et de sesterces avec une représentation d'Hercul e un peu différente257. Cette simple enumeration montre un change mentconsidérable par rapport aux règnes précé dents. Nous pouvons dire que la Providence, sous des aspects divers, est omni-présente durant le principat de Commode. Nous assistons à une espèce d'apogée et cette exaltation qui semble sans limite doit d'abord éveiller notre attention; elle ne peut rester sans explication. En outre, à ces très nombreuses monnaies, il est possible de joindre trois inscriptions qui men tionnent explicitement Prouidentia. Les deux premières sont des extraits des Actes des frères arvales, l'un de 183, entre le 21 mai et la fin de l'année258, l'autre de 186, entre le 31 mai et la fin du mois de décembre259. Dans le second extrait
249 RIC, III, p. 375, n° 85. Cf. p. 438, n° 84. 250 RIC, III, p. 422, n° 486 et 487. R/ PROVID AVG Ρ M TR Ρ XI IMP VIII COS V Ρ Ρ S C Bateau, avec rameurs, voile déployée, navigant à droite ou à gauche. Certains exemplaires portent au droit, sous le buste de Commode, P(rimi) D(ecennales). Cf. p. 438, n° 85 et pi. II. 251 RIC, III, p. 383, n° 158. R/ PROVID AVG PM TR Ρ XII IMP VIII COS V Ρ Ρ Bateau navigant à droite. Cf. p. 438, n° 86. 252 F. Gnecchi, op. cit., III, p. 65, n° 122. R/ PROVID AVG Ρ M TR Ρ XII IMP VIII COS V Ρ Ρ Bateau navigant, à gauche. Cf. p. 438, n° 86. 253 J. Vogt, op. cit., p. 149. Musée d'Alexandrie, dans BSAA, XVII, p. 238 et 285. Au revers, Commode, en toge, debout, tenant une patere au-dessus d'un autel. En présence d'un soldat avec une lance et de deux autres soldats. Cf. p. 438, n°87. 254 G. Dattari, Numi Augg. Alex., tab. VIII n°3858; J. Vogt, op. cit., p. 149. Cf. p. 439, n° 88. 255 J. G. Milne, op. cit., p. 65, n° 2691 à 2693; S. Skowronek, On the Problems of the Alexandrian Mint, pi. VIII, n° 11. Au revers, la Providence, debout, à gauche, radiée, vêtue d'un chiton et d'un péplos, la main droite levée et un sceptre dans la main gauche. Cf. p. 439, n° 89. 256 RIC, III, p. 396, n° 259 et 259a. R/ PROVIDENTIAE AVGVSTAE Hercule, debout, à gauche, le pied sur une proue,
appuyant sa massue sur un tronc d'arbre; il tient la foudre avec laquelle il serre la main d'Africa qui est debout, à droite, tenant le sistre et portant une peau d'éléphant comme coiffu re;à ses pieds, un lion. Elle tient peut-être aussi un épi de blé. Cf. p. 439, n° 90. 257 RIC, III, p. 439, n°641. R/ PROVIDENTIAE AVG S C Hercule, debout, à gauche, le pied sur une proue, appuyant sa massue sur un rocher et recevent des épis de blé de l'Africa qui est debout, à droite, tenant le sistre et portant une peau d'éléphant; à ses pieds, un lion. Cf. p. 439, n° 91 et pi. II. 258 Henzen, AFA, p. CLXXXVIII (= Pasoli, Acta, n° 82, p. 40 et 162). Τ PACTVMEIO MAGNO L SEPTIMIO FLA[VIANO COS . . . ] | IN CAPITOLIO PRO SALVTE IMP CAES M AVRELI COMMODI ANTO[NINI AVG PII SARM ET GERM MAX] FRATRES ARVALES CONVENERVNT ET IMMOLAVIT CN [CATILIVS SEVERVS PROFLAMEN IOVI] | 0 M BOVEM MAREM IVNONI REG BOVEM FEMINAM M[INERVAE BOVEM FEMINAM] SALVTI BOVEM FEMINAM PROVI DENTIAE DEORVM [BOVEM FEMINAM GENIO IPSIVS (?) TAVRVM]. 259 Henzen, AFA, p. CXCII (= Pasoli, n° 83b, p. 163). IN CAP[ITOLIO PRO SALVTE IMP CAES M AVRELII COMMODI ANTONINI] | PII FEL AVG [S]A[RM GERM MAX BRITT Ρ M] | Ρ Ρ FRATR ARVA[LES CONVEN ET IMMOL FL SVLPICIANVS PROMAG IOVI Ο M] | BOVEM MAREM [I VNONI REGINAE VACCAM MINERVAE VACCAM SA]|LVTI VACCAM [PROVIDENTIAE DEORVM VACCAM GENIO IPSIVS] | TAVRVM . . . |
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une représentation de la Providence légèrement modifiée; au lieu de tenir un sceptre, elle est munie d'une corne d'abondance249. La grande régularité de ces émissions est alors interrompue dans le cours de l'année 184 pour ne reprendre qu'avec la huitième saluta tionimpériale, dans l'année 186. Les sesterces sont d'un type de revers nouveau250. Entre le 10 décembre 186 et le 9 décembre de l'année sui vante sont frappés, toujours à Rome, des aurei251 et un médaillon de bronze252. Ensuite sont émis, à Alexandrie, quelques tétradrachmes avec ΠΡΟ ΝΟΙΑ, entre mars 188 et mars 189253 et entre mars 189 et mars 190, avec la même représentat ion que l'année précédente254 ou, parfois, un motif nouveau255. Enfin deux séries monétaires ne peuvent être datées avec précision, car elles ne portent pas l'indication des puissances tribuniciennes. Mais il est certain qu'elles ne peuvent avoir été émises qu'à l'extrême fin de l'année 191 et pendant l'année 192 étant donné la titulature
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE PROVIDENTLAE DEORVM est entièrement resti tué; les éditeurs s'y sont risqués parce que l'or dre des dieux et des animaux sacrifiés semble exactement le même qu'en 183 où la position de Prouidentia Deorum est certaine. La troisième inscription est un extrait de la pétition à l'empe reurdes colons du Saltus Burunitanus, en Afri que proconsulaire260. Les colons de ce domaine impérial exposent à Commode le conflit qui les oppose aux fermiers et aux procurateurs impér iaux. Ils invoquent les règlements antérieurs pour limiter leurs obligations en jours de corvée qu'un conductor avait brutalement accrues; Commode leur donna satisfaction par un rescrit de 181 ou 182. 2 - LE «PRINCEPS» IDÉAL: DE NAISSANCE ET DE FORMATION L'abondance de documents en rapport avec la Prouidentia est déjà une originalité importante de Commode vis-à-vis de ses devanciers. Il nous faut essayer de l'expliquer et de déterminer ce qui a pu pousser l'empereur à en faire un des thèmes majeurs de son iconographie monétaire. Il est certain qu'il nous faut tenir compte de la personnalité du jeune empereur et de l'ambian ce dans laquelle il a vécu. Or, cette dernière est tout à fait particulière et originale. Durant toute sa jeunesse, dès sa naissance, Commode a pu se considérer, et tout le monde le considérait ainsi, comme objet de la faveur des dieux. À cela, plusieurs raisons. En premier lieu, par son père et par sa mère, Commode a en lui le sang des Ulpii; il peut remonter directement jusqu'au Diuus Pater Traianus par la chaîne des diui et des diuae. Hérodien nous le fait comprendre d'une manière schématique, mais claire : « car l'impératrice Faustine, sa mère, était fille d'Antonin le Pieux, petite-fille d'Hadrien et arrièrepetite-fille de Trajan. Tels étaient les ancêtres de Commode»261. L'auteur indique parfaitement la succession par le sang en passant par la branche de la famille où se sont trouvés les divinisés, en remontant jusqu'à Trajan, mais en omettant Ner-
260 CIL, VIII, 2, 10570; suppl. 1, 14464 (ILS, 6870), Soukel-Khémis. . . . Idque comptait nos miserrimos homines iam rursum diuinae prouidentiae tuae supplicare . . .
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va. Cet arrêt à Trajan ne peut être considéré comme fortuit. Il est vrai qu'Hérodien ne parle pas du père de Trajan, mais en réalité il nous laisse supposer la filiation naturelle et divine tout à la fois par le Diuus Pater Traianus) l'arrêt à cette hauteur parmi les ascendants de l'empe reurest particulièrement significatif. Mais ce privilège du sang était partagé par Commode avec ses frères et sœurs. Or, tous les autres garçons sont morts en bas-âge ou très jeunes : d'abord ceux qui étaient ses aînés, le jumeau de Lucilia (s'il a véritablement existé) né en 149, T. Aelius Antoninus, T. Aelius Aurelius, Hadrianus, nés entre 152 et 156 et morts très rapidement. Mais surtout, Commode a vu dispar aître, à quatre ans, son jumeau, T. Aurelius Fulvius Antoninus. Nous avons déjà eu l'occasion de montrer l'importance que revêtait une naissance gémellée, comme signe de la faveur divine. Cette faveur est d'autant plus grande lorsque, des jumeaux, il ne reste qu'un seul; c'est ce qui le désigne, à coup sûr, pour un magnifique destin. Si ce frère avait survécu, Commode aurait été obligé de partager le pouvoir avec lui, sur un pied d'égalité, ce que semblaient avoir prévu les horoscopes des deux nouveaux-nés dont la vie devait être aussi favorable à l'un qu'à l'autre262. Ce partage du pouvoir qui aurait été rendu nécessaire peut être prouvé par les honneurs qui ont entouré son frère cadet, M. Annius Verus, né en 162 et qui, en 166, en même temps que lui, avait été fait César. Lui aussi était désigné par Marc Aurèle pour partager le pouvoir avec Com mode. Mais, nouvelle faveur des dieux envers ce dernier, M. Annius Verus mourut en 169 et Com mode resta le seul garçon de la famille et le successeur désigné unique. Sous les Flaviens, on avait déjà vu un fils succéder à son père, mais l'époque présente rendait évidente une immense différence : Com mode était né alors que son père était déjà empereur; il était porphyrogénète, ce qui ne s'était encore jamais vu. L'empereur lui-même y avait immédiatement attaché une extrême im portance : « La fortune, après lui, m'a appelé à l'empire; j'y ai un droit naturel et il ne m'a point
261 Hérod., I, 7, 4. 262 HA, Vit Comm., I, 4.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETE
fallu l'acheter ... Je suis né dans le palais et près du trône, j'ai été revêtu de la pourpre en sortant du sein maternel, et le jour qui me donna la vie m'assura l'empire . . . Mon père, déjà monté au ciel, a pris sa place au nombre des dieux, et il nous a remis le soin des choses d'ici-bas»263. Il est certain que ce discours de Commode aux soldats, au moment de son avènement, a été recomposé; mais il reprend certainement les arguments employés par le jeune empereur. Ce qui est dit est des plus vraisemblable dans la mentalité générale entourant la domus augusta telle que nous avons essayé de la déterminer jusqu'ici. D'ailleurs, dès son plus jeune âge, son entou rage familial, à commencer par Marc Aurèle lui-même, le plaça dans une position prééminent e qui l'encouragea à se sentir comme un être privilégié : le titre de Germanicus et la présenta tion officielle aux soldats dès 172; par ce moyen, la participation à la Victoire et au triomphe de son père; l'agrégation au collège des pontifes en 175; l'accès au consulat le 1er janvier 177, car il est le plus jeune consul de toute l'histoire de Rome (même Néron y avait accédé un peu plus âgé); la puissance tribunicienne et le véritable partage du pouvoir avec son père à partir de la même année. En outre, Marc Aurèle l'a toujours gardé près de lui, dans ses nombreuses campag nes,avec les autres membres de la famille, comme porteur de la Félicitas nécessaire à l'éter nitéde Rome; il savait que sa présence devait l'assurer. L'esprit simple de Commode a ressenti très tôt les atteintes de cette position privilégiée, unique jusqu'alors, ce qu'on ne devait pas faire faute de souligner devant lui. Le choix des dieux était réalisé; c'était l'accomplissement idéal de la Prouidentia Deorum comme l'avaient voulu Trajan et Hadrien; c'était le couronnement de l'ac tion qu'ils avaient menée et qu'Antonin et Marc Aurèle avait poursuivie. Ils avaient tous été liés les uns aux autres, comme les maillons d'une chaîne, par les femmes de la famille. Le point de
perfection était atteint avec un fils qui assumer ait seul le pouvoir. C'est ce qui avait été désiré dès le début, comme Pline le Jeune l'avait bien souligné dans son Panégyrique. Le destin de Commode était tellement fixé dès le premier jour que Marc Aurèle lui fournit immédiatement les meilleurs maîtres; eux-mêmes entretinrent leur jeune élève dans les mêmes idées et le préparèrent à avoir un grand règne : « Marc Aurèle tâcha de former Commode et par ses leçons et par celles des plus célèbres et des plus habiles professeurs»264. La courte description psychologique donnée par Dion Cassius est, à cet égard, éclairante : « Commode, de sa nature, était sans méchanceté, sans malice, autant qu'homme du monde; mais sa grande simplicité et aussi sa timidité le rendi rent l'esclave de ceux qui l'approchaient»265. Il ne faut pas, comme l'historien de Nicomédie, en déduire que ce furent de là que vinrent les traits de débauché et sa profonde cruauté que tous mettent en valeur. Son premier entourage a été excellent, bien choisi; mais Commode a tout de suite senti les privilèges personnels que recouv raitune telle sélection de maîtres éminents qui furent sans doute, pour plaire à Marc Aurèle, flatteurs pour leur élève. Commode ne put échapper à l'orgueil, à la sûreté de soi et de son jugement, ce qui ne pouvait le conduire qu'à des actions d'enfant gâté et capricieux266. C'est pen dant ces toutes premières années que Commode a pu mesurer l'incommensurable fossé qui le séparait du commun des mortels. Il était, et il se sentit très vite, l'accomplissement parfait de l'œuvre de la Providence; tout le monde le savait, tout le monde le pensait, tout le monde devait le dire autour de lui. C'est cet ensemble qui a formé son caractère, ses «prédispositions fâcheuses» qui ne pou vaient en rien empêcher la succession de se faire267, puisque Commode était, véritablement le princeps idéal avant même d'avoir régné. Et il n'est pas sûr que, comme nos sources nous le disent et veulent nous le faire croire pour défen-
263 Hérod., I, 5, 5-6. W. Ensslin, Gottkaiser und Kaiser von Gottes Gnaden, p. 35, a raison quand il montre que par ce discours Commode a voulu se placer au-dessus de ses prédé cesseurs. 264 HA, Vit. Comm., I, 5.
265 Dion Cass., LXXII, 1, 1. 266 HA, Vit. Comm., I, 9. Épisode de l'étuviste qu'il a voulu faire jeter dans le brasier du bain. 267 J. Béranger, La notion du pnncipat sous Trajan et Hadrien, dans Principatus, p. 285.
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dre la mémoire de Marc Aurèle, l'empereur ait été sans illusion sur ce que serait le principat de son fils268. Les dieux auraient-ils pu se tromper? La question elle-même ne pouvait se poser à Marc Aurèle, car le choix de Commode était intimement lié à la Félicité et à l'Éternité de Rome. Il n'était pas imaginable que tout disparût au moment même où était atteint ce qui semb lait à tous le point de perfection dans la con ception héréditaire du pouvoir impérial. Il est, de ce fait, possible, de se demander si les bruits d'une naissance adultérine de Commod e n'ont pas été répandus pendant et après le règne de l'empereur. L'insistance mise sur la débauche de Faustine, sur son goût pour les gladiateurs et les matelots, cadre mal avec ce que nous savons des rapports de Marc Aurèle et de son épouse, et du rôle qu'il lui a fait jouer tout au long de sa vie. Il faut être encore plus circonspect quand nous voyons que les longs développements sur sa vie infâme se trouvent justement développés à propos de la naissance de Commode : « Quelques auteurs prétendent, ce qui est assez vraisemblable, que Commode Antonin, son successeur et son fils, n'était pas né de lui, mais d'un adultère»; «mais l'opinion général e est que ce prince fut réellement le fruit d'un adultère; et l'on sait, en effet, que Faustine choi sissait ses amants à Caiète, parmi les matelots et les gladiateurs»269. Il est certain que l'histoire a été inventée de toutes pièces pour justifier et expliquer le règne de Commode; le seul moyen de trouver une explication au scandale était d'enlever à l'empereur son hérédité. Il n'était plus le fruit de la Providence des dieux, car, s'il était bien l'enfant de Faustine, porteuse du sang des Ulpii, il l'était en dehors du mariage légal, reconnu par les dieux et seul capable de fournir le successeur attendu. Nous pouvons enlever
sans hésitation cette tache à la mémoire de l'impératrice Faustine270. Pour que dans l'avènement de Commode tout soit au point de perfection il ne manquait que la divinisation de son père Marc Aurèle. Il ne pouv ait s'y soustraire, non seulement parce que tout le monde le demandait, mais aussi parce qu'il était, et qu'il devait l'affirmer, l'aboutissement d'une chaîne de diui et que le destin de son père était tout tracé dans les cieux. C'est ce qu'il déclara aux soldats dans le discours qu'Hérodien lui fait tenir et que nous avons cité un peu plus haut. À Rome, il s'acquitta de tous ses devoirs religieux, en allant dans tous les temples présent er des vœux271, et, surtout, il offrit à son père la cérémonie d'apothéose, des prêtres portant son nom et un temple (un des rares construit à Rome sous son règne)272. En outre, il fit frapper un assez grand nombre de monnaies, dans tous les métaux et les alliages, portant toutes la légen de CONSECRATIO et le nom du DIWS ANTONINVS PIVS. Les représentations étaient assez diverses : l'aigle avec divers attributs, le bûcher de la consécration, Marc Aurèle sur un quadrige d'éléphants273. Ce premier pas nécessaire accomp li, Commode pouvait véritablement engager son règne; il le fit dans la tradition de ses prédé cesseurs, en exaltant la PROVIDENTIA DEORVM.
268 HA, Vit. Marc, XXVII, 11-12. Cf. J. Béranger, Étude sur Saint Ambroise: l'image de l'État dans les sociétés animales; «Examéron», 5, 15, 51-52, 21, 66-72, dans Principatus, p. 327. 269 HA, Vit. Marc, XIX, 1 et 7. 270 C'est pourquoi aussi il faut écarter l'idée que l'abon dance des monnaies consacrées par Marc Aurèle à son épous e divinisée serait la marque du désir de l'empereur d'effacer les bruits courant sur la conduite de Faustine; ces bruits n'existaient certainement pas encore (H. Mattingly, The Con secration of Faustina the Elder and her Daughter, dans Harv.
Theol. Rev., XLI, 1948, p. 147-151). De même, il ne faut pas croire que Marc Aurèle a fait venir Faustine auprès de lui, à l'armée, pour mettre fin aux commérages sur la vie privée de l'impératrice (comme le pense A. Birley, op. cit., p. 250). Nous avons vu que la raison majeure de sa présence était mystico-religieuse. 271 Hérod., I, 7, 6. 272 HA, Vit. Marc, XVIII, 8. 273 RIC, III, p. 397, n°264; p. 398, n° 265 à 275; p. 441, n° 654 à 664.
3 - «PROVIDENTIA»: L'AFFIRMATION D'UNE LÉGITIMITÉ II était normal que l'empereur fît proclamer immédiatement son arrivée au pouvoir comme la conséquence normale d'une décision prise depuis longtemps par les dieux, les diui et les diuae. C'est pourquoi, dès l'année 180, apparais sent les émissions à la légende PROV DEOR,
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
avec la reprise de la représentation de la Provi dence telle que Trajan l'avait lui-même fixée, debout, avec un globe à ses pieds et un sceptre dans la main gauche274. Ce retour à la plus ancienne figuration peut s'expliquer par le fait que Commode n'a pas d'enfant et qu'il ne peut donc prendre comme attribut de la Providence la corne d'abondance dont, dans ce cas précis, à propos de Marc Aurèle et de Faustine, nous avons vu le sens. Il se peut aussi que l'empereur ait voulu se rattacher à la tradition la plus haute, celle remontant jusqu'à Trajan; c'était un moyen d'indiquer quelle était réellement sa filiation et quelle était la lignée de diui dont il était l'abou tissement parfait. Le sens de telles séries est parfaitement clair dans ce contexte; Commode est le détenteur légitime du pouvoir sur l'ensem ble du monde; il est le maître mythique d'une période cosmique représentée par le globe qui porte, comme une bande qui se développe autour, les signes du zodiaque275. D'ailleurs, pour renforcer cette idée et lui donner une expression claire et précise, Commod e a fait frapper des monnaies en l'honneur de IVPPITER CONSERVATOR et qui représentent Jupiter tenant un sceptre, debout, de face, éten dant sa foudre au-dessus de Commode qui tient lui-même une branche et un sceptre276. Comme nous l'avons déjà dit277, la foudre n'est pas que le symbole de la puissance; elle est aussi l'attribut qui rappelle la consécration. Jupiter, en tenant la foudre au-dessus de Commode, indiquait à tous le lien religieux qui attachait l'empereur à son père divinisé; dans sa charge impériale, Commod e était protégé par les diui. Mais ce n'était pas seulement la reprise d'un thème traditionnel exprimant la simple protection278; la forme nouv elle de la représentation nous le prouverait s'il en était besoin. En outre, les deux frappes, avec la Providence et avec Jupiter, sont intimement liées; elles ont été réalisées au même moment et elles sont les seules de toute cette année 180 à
porter la titulature M ANTONINVS COMMODVS AVG. Ces deux émissions sont d'autant plus mar quantes qu'elles tranchent nettement dans la production de l'année qui est presque total ement concentrée sur des représentations militai res chargées de symboliser la paix revenue sur les frontières du nord, grâce à un accord avec les Barbares; l'événement fut partout consigné comme une victoire : Victoire tenant patere et palme; trophée entre deux prisonniers; Virtus avec lance et parazonium; Commode tenant lan ce et parazonium; Commode brandissant un javelot sur un ennemi à terre. D'autres émis sions, en liaison directe avec celles ci-dessus citées, rappellent le retour de l'empereur à Rome avec FORT RED ou ADVENTVS AVG. Ce retour devait aussi apporter bonheur et prospér ité à Rome représentée assise et tenant une Victoire. Durant l'année 181, les émissions de caractè re militaire et guerrier semblent s'effacer quel que peu. Les principaux types marquent, avant tout, la fin de la période de guerre et de danger pour Rome : Victoire, Paix, Sécurité et Commode sur son char triomphal avec son sceptre surmont é de l'aigle. Ces émissions sont accompagnées de nouveautés qui expriment les résultats heu reux de la paix et, en particulier, par l'intermé diaire de notions étroitement liées à la Providenc e, l'Annone et la Félicité. Que ces notions n'ap paraissent qu'en 181 montre tout le prix que Commode attachait à la paix. Conscient du rôle que la Providence lui avait assigné, il savait qu'il ne pouvait le tenir plein ement que la paix rétablie sur les frontières. Nos sources attribuent souvent la fin des combats au simple désir de Commode de pouvoir aller jouir des plaisirs et des félicités que la Ville lui offrait279. En réalité, les objectifs visés sont plus élevés. Le changement apporté, d'une année sur l'autre, dans les légendes et les représentations monétaires, nous prouve bien que l'empereur,
274 Cf. supra, p. 339, n. 234, 235. 275 A. Alföldi, Insignien und Tracht . . ., dans Die monarchis che Repräsentation . . ., p. 235-237. 276 RIC, III, p. 403, n°304 (uniquement frappé dans le bronze). 277 Cf. supra, p. 312.
278 RIC, III, p. 356-357, J. Beaujeu, op. cit., p. 373 et n. 1. 279 HA, Vit. Comm., III, 5. Surtout Hérod., I, 6, qui prétend que Commode donna comme prétexte la possibilité qu'aurait à Rome un ambitieux de s'emparer du pouvoir. Un tel argument ne peut avoir été utilisé par l'empereur.
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE
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en 180, se savait alors incapable d'accomplir le programme que lui traçait la Providence : le bon heur et la prospérité; l'obstacle à l'exécution de ce programme était la guerre. C'est pourquoi, parallèlement à ces nouveaux thèmes, Commode a permis la réutilisation de PROV DEOR et de IVPPITER CONSERVATOR, «conservateur» de la lignée impériale dans la paix maintenant retrouvée280. Le fait évident que la Providence des dieux a, par la personne de Commode, provoqué un renouvellement du pouvoir à Rome, est renforcé publiquement, cette même année 181, par la présentation de vœux impériaux. Un as et un dupondius, avec la légende VOTA DEC ANN SVSC, nous montrent Commode debout, la tête voilée, sacrifiant en tenant une patere au-dessus d'un trépied281. Alors que le règne vient juste de commencer, leur interprétation est assez délicat e, d'autant que d'autres séries de Vota decennalia suscepta apparaissent de 183 à 186. Il n'est certainement pas besoin d'y voir un quinquen nium dont le point de départ aurait été le pre mier Imperium de Commode en 176; l'opinion de H. Mattingly sur ce point peut être écartée282. Il vaut mieux les traiter comme la marque du véritable début du règne, «parce que la mort de Marc Aurèle l'avait laissé seul empereur»283. Il est intéressant de noter que Commode a attendu d'être à Rome pour prononcer ces vœux; peutêtre voulait-il que toutes les cérémonies en rap port avec la consécration de son père fussent accomplies? Peut-être considérait-il, comme semble le prouver le programme monétaire de cette année 181, qu'il ne pouvait véritablement commencer à régner que dans la paix établie solidement et durablement. De toutes façons, quelle que soit la solution adoptée, la proclamat ion, encore une fois renouvelée, de la Providen ce des dieux était parfaitement adéquate; il était logique de placer la période de dix ans qui s'ouvrait pour Rome sous ses auspices et sa
sauvegarde, en la personne de Commode qui l'incarnait. Il est alors facile de comprendre que les co lons du Saltus Burunitanus284 aient choisi ce mo ment de paix et d'espoir pour s'adresser de nouve au à l'empereur; ils n'avaient pu obtenir satisfac tion après une première plainte à laquelle avait répondu un rescrit de L. Verus et Marc Aurèle ou de Marc Aurèle et Commode, qui n'avait pas été respecté par les procurateurs et le conductor incriminé. Ils ont profité d'un moment particu lièrement favorable, un début de règne dans la paix, donc prometteur. Ils ont aussi employé les mots qu'il fallait: diuina prouidentia tua, ce qui permettait à la fois d'évoquer la Prouidentia Deorum et la Prouidentia Augusti, comprises comme étant étroitement mêlées dans la personne même de l'empereur. À un moment où Commod e voulait faire régner la prospérité dans le monde romain, il ne pouvait rester indifférent à un appel qui se faisait au nom de sa Providence. Il le pouvait d'autant moins qu'il attachait une très grande importance à l'Afrique et à sa pro duction agricole nécessaire à Rome et à l'Italie; nous aurons l'occasion d'en reparler. En effet, sa Providence devait permettre à tous de vivre et de produire de façon à ce que rien ne pût interrompre le ravitaillement de la Ville tributair e, aux deux-tiers, des moissons africaines285. La réponse impériale ne pouvait être que positive; nous retrouvons ici la Providence dans un rôle que nous lui avons déjà vu jouer, sous Hadrien, pour le domaine d'Aïn-el-Djemala, même si le problème posé était différent286. C'était sous le signe de la Providence, à un moment où Rome partait pour une nouvelle destinée avec un prin cejeune, mais dans la ligne des principats précé dents, que devait se placer un renouveau de la terre et de sa fécondité. C'est ainsi que l'ont compris les colons du saltus, même si, vu de loin, la suppression de quelques jours de corvée ne semble pas devoir bouleverser les données éco-
280 RIC, III, p. 404, n° 308c. 281 RIC, III, p. 405, n° 318 et 321. 282 H. Mattingly, The Imperiai «Vota», p. 186, n. 27. 283 J. Beaujeu, op. cit., p. 374. 284 Cf. supra, p. 341, n. 260. 285 Cf. G. Ch. Picard, Néron et le blé d'Afrique, dans Cah. de Tun., rV, 1956, p. 163-173. Sur Souk-el-Khemis, cf. G. Ch. Picard - J. Rouge, Textes et documents relatifs à la vie
que et sociale dans l'Empire Romain, Paris, 1969, p. 218-223. 286 M. Rostovzev, Storia economica e sociale dell'Impero Romano, Florence, 1965, p. 456. L'auteur a raison de souli gner la réponse nette et précise de Commode, sans enquête supplémentaire. L'appel à la Providence de l'empereur entraîne une prise de position personnelle, sans intermédiair e.
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nomiques générales. Mais Commode ne pouvait qu'être sensible à un tel appel au moment où il sentait la nécessité de donner une impulsion nouvelle au monde romain, en cette année 181, comme le souligne toute sa production monétair e. Les émissions de monnaies en 182 expriment les mêmes idées, sans changement remarquable. Nous notons toujours l'existence de frappes symb olisant la victoire obtenue : Mars, Pax, Securitas, Victoria, Jupiter tenant une Victoire, tous liés aux représentations de Minerve armée et de Roma. Cette continuité dans les thèmes indique tout le prix que Commode attachait à la paix. Vers la fin de l'année287, l'empereur reçut sa cinquième salutation impériale, certainement, si nous en croyons Dion Cassius, à la suite de succès obtenus par Sabinianus sur les Carpi au nord de la Dacie288. Cette courte campagne ren força les émissions de type militaire ou victo rieux, mais n'effaça pas les autres frappes en l'honneur de la Providence des dieux, de Juppiter Conseruator, toujours présent aux côtés de la Providence et dans la même attitude que l'année précédente, de l'Annona. Cette dernière, sur un sesterce, présente un trait intéressant; la personn ification de l'Annone tient dans sa main une statuette féminine dont les attributs sont une patere et un sceptre; plutôt que d'y voir Concordia2S9 dont la liaison directe avec Annona n'est jamais nettement attestée, ne vaudrait-il pas mieux penser à Prouidentia? Il est vrai que la patere n'est que très rarement un de ses attri buts, mais sa présence dans la main de l'Annone serait parfaitement dans les perspectives tracées par l'empereur en ce début de principat. Sont aussi présentes aux côtés de la Providence, la Félicitas dans des émissions très nombreuses, et la Pietas qui fait alors son retour290. En vérité, nous retrouvons toutes les notions qui sont chargées d'exprimer les buts du nou veau règne dans le respect des règles fixées par les prédécesseurs. Il est d'ailleurs une anecdote
très significative à cet égard; elle nous est contée par Dion Cassius : « Commode, entre autres extravagances qu'il débita au sénat, dans une harangue où il faisait son propre éloge, dit que, son père étant un jour tombé dans un bourbier profond, passant à cheval auprès de lui, il l'en avait retiré. Telles étaient les prouesses dont il tirait vanité»291. Il ne s'agit pas seulement d'or gueil de la part de Commode; il voulait surtout montrer qu'il s'était toujours soumis, avec piété, aux lois fixées par la Providence des dieux. Il avait tiré son père de l'embarras, puisque ce n'était pas encore pour lui le moment de pren dre le pouvoir qui, de toutes façons, lui était délégué par les dieux. Ce respect de la loi divine, cette soumission acceptée librement sont le reflet d'un parfait accord avec la pensée profon de qui a sous-tendu l'action du pouvoir impérial depuis Trajan. Durant ces deux premières années, à travers ces évocations de la Providenc e, nous ne trouvons rien de véritablement nou veau dans la conception même du pouvoir impér ialet de la légitimité de Commode dans son exercice. Les événements de 183 ne peuvent que renforcer cette manière de voir; ils accentuent encore l'importance du rôle de la Providence.
287 Nous pouvons le supposer à cause du petit nombre de types monétaires avec IMP V. 288 LXXII, 3, 3 ; E. Demougeot, La formation de l'Europe et les invasions barbares, I, Paris, 1969, p. 231. 289 RIC, III, p. 405, n° 325a; p. 406, n° 325b.
290 RIC, III, p. 369, n° 31. Il n'est pas impossible que ce soit la Pietas dans la main d'Annona; dans ce cas, le sens profond resterait le même. 291 Dion Cass., LXXII, 4, 3.
4 - L'année 183 ou la confirmation a) Lucilia. Cette année 183 fut marquée par de nom breuses difficultés pour Commode, particulièr ement sur le plan intérieur. La plus importante fut une conspiration qui, selon nos sources, aurait dû aboutir à son assassinat. Toutes insis tent longuement sur les membres de cette conju ration et sur ses développements; c'est la preuve évidente de l'impact de cet épisode du règne dans l'opinion. Il est vrai qu'à la tête du complot se trouvait la propre sœur de l'empereur, Lucili a. Elle avait été l'épouse de L. Verus et, après la
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE mort de ce dernier, Marc Aurèle l'avait obligée à se marier avec Claudius Pompeianus. Les biographes de Commode ont cherché les causes d'une telle entreprise dans des directions bien différentes, sinon divergentes; pour Dion Cassius, ce ne fut que l'effet d'un caractère «ni plus sage, ni moins déréglé» que celui de son frère; pour l'auteur de la Vita Commodi, Lucilia fut déterminée dans son action par le développe ment de la cruauté de Commode; enfin, Hérodien nous la présente comme jalouse d'avoir perdu la préséance, au profit de Crispine, depuis l'accession au pouvoir de son frère292. Les deux premiers avis sont invérifiables et doivent être utilisés avec précautions étant donné leur carac tèrevague et peu étayé. Par contre, l'opinion d'Hérodien est plus intéressante, même si elle doit être interprétée. En effet, il ne faut pas oublier que Lucilia a été impératrice, avec tous les honneurs que cela comportait. Elle portait toujours, officiellement, le titre d'Augusta, à l'égal de Crispine. Elle était porteuse du sang des Ulpii, et si Commode et Crispine ne pouvaient avoir d'enfant, elle représentait la légitimité telle que l'avait définie Marc Aurèle. Elle pouvait la transmettre à l'enfant ou aux enfants qu'elle avait eu de L. Verus. Le monnayage de Lucilia marque d'ailleurs parfaitement la place qu'elle devait tenir et il rappelle de très près celui des deux Faustines. Nous y retrouvons l'insistance mise sur CONCORDIA et sur PIETAS, qui représentent avant tout la place prépondérante tenue par les Augustae dans le processus de conservation et de transmission du pouvoir, dans le respect intégral de ce qui avait été décidé auparavant293. Incon testablement, et malgré la présence de Crispine, Lucilia avait conservé une place prépondérante à Rome; Hérodien nous dit qu'elle avait toujours son trône au théâtre et qu'on portait le feu devant elle. Il n'en reste pas moins qu'il est difficile de savoir si la conjuration a été réelle ou
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si Commode s'est emparé de simples*bruits pour éliminer sa sœur. L'ampleur de la répression semble bien prouver qu'il y avait eu un commenc ementde réalisation, maladroitement exécutée par le fils que Claudius Pompeianus avait eu d'un premier mariage, le jeune Claudius Pomp eianus Quintianus. Ce ne put être qu'à sa posi tion privilégiée, qu'au charisme dont elle était porteuse, que Lucilia dût de réunir autour d'elle une coterie importante avec le préfet du prétoi re Tarrutenius Paternus (dont Dion Cassius nie la participation), un neveu de Marc Aurèle, Mar cusUmmidius Quadratus, Norbana et Norbanus, Paralius et sa mère . . ,294. Il semble que la répres sionse soit déroulée en deux temps, le premier permettant de toucher les plus engagés, sauf Paternus, le second atteignant de simples «symp athisants», comme les frères Quintilii, des con sulaires et Vitrasia Faustina, une petite-cousine de Commode295. Dans une première étape, Lucil ia fut exilée dans l'île de Capri avant d'être exécutée ou d'être poussée au suicide. C'est à la suite de cet épisode dramatique, en réalité assez mal connu, que Commode dévelop pa l'exaltation de la Prouidentia sur les monn aies; il le fit à plusieurs reprises au cours de l'année, et sous les deux formes, PROVIDENTIA DEORVM et PROVIDENTIA AVGVSTI (qui appar aîtainsi pour la première fois dans son monn ayage)296. En effet, la réponse au complot de Lucilia se trouvait dans la Providence; ce devait être la justification de l'empereur. L'action de la Providence de l'empereur ne pouvait s'exercer qu'en suivant étroitement ce qui était indiqué par la Providence des dieux. Commode était l'empereur légitime et personne ne pouvait lui enlever son pouvoir, puisque c'était aller à l'encontre de ce que dieux et diui avaient affirmé être leur volonté. Il devait être d'autant plus enclin à le proclamer nettement que le complot s'était noué au sein de sa propre famille et autour d'une Augusta dont le sang était celui des
292 Ibid., 4, 5; HA, Vit. Comm., IV, 1; Hérod., I, 8, 4. malgré le monnayage de Crispine. Le thème de la Félicitas C'est pourquoi J. Aymard, La conjuration de Lucilia, dans peut s'expliquer différemment. 293 RIC, III, p. 274 et 275; p. 352 et 353. REA, LVII, 1955, p. 88, peut parler de «querelle de palais» et d'« ambition féminine blessée». Il n'est pas besoin de croire à 294 HA, Vit. Comm., IV, 4. la naissance d'un enfant du couple Commode-Crispine com 295 Ibid., 8-1 1 ; Dion Cass., LXXII, 5, 1-3. 296 Cf. supra, notes 241 à 245. mecause occasionnelle et supplémentaire de la conjuration,
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Ulpii. Son "élimination réussie interdisait toute possibilité, à ceux qui en auraient eu l'intention, de le renverser. Ceux qui voudraient le tenter iraient à l'encontre de la volonté divine. C'était aussi un avertissement à ses autres sœurs qui, sans être Augustae, étaient porteuses du même charisme. Pour bien souligner dans quel cadre il plaçait la découverte et la répression du complot, pour en marquer toute l'importance, Commode fit faire des vœux pour son salut par la confrérie des frères arvales que nous voyons réapparaître dans ce rôle pour la première fois depuis bien longtemps297. Le médaillon de bronze avec la légende PROVIDENTIAE DEORVM et montrant Commode en train de sacrifier sur un trépied représente peut-être un des sacrifices qui ont été accomplis à ce moment et auxquels Commode participait en personne. Mais la rentrée en scène des frères arvales dans ce rôle est intéressante. Elle peut s'expliquer de deux manières. Nous pouvons y déceler un regain de faveur de la confrérie; en effet, il est facile de noter, grâce aux actes du IIe siècle, une certaine désaffection pour tout ce qui touche le culte impérial et la personne de l'empereur; l'action des frères arval esest concentrée sur le culte agraire de Dea Dia. Or, le contraire était vrai au Ier siècle. Ce regain de faveur pourrait s'expliquer par l'inté rêtporté par Antonin, puis par Marc Aurèle, à tous les collèges religieux de Rome. Il est d'ail leurs à remarquer que Marc Aurèle encore César, sous le règne d'Antonin, avait exercé la présidence de la confrérie des arvales, en 145; Antonin le Pieux lui-même avait été désigné pour exercer la charge de flamine de la confrérie pour l'année 156298. Nous savons enfin, ce qui confirme cette sorte d'intérêt, que Marc Aurèle fit en sorte que Commode pénétrât très jeune dans les principaux collèges sacerdotaux de Rome299. Mais, plus sûrement, nous devons penser que Commode à redonné à la confrérie un des rôles
qu'elle avait eus au premier siècle, particulièr ement sous Néron, prononcer une action de grâce quand le princeps échappait à une conjuration mettant en péril la famille impériale. Ici, l'occa sionen était d'autant mieux trouvée que le péril était venu du sein même de la domus augusta. En ce sens, il nous faut sûrement écarter l'idée, émise par certains, de la simple introduction, cette année-là, de la Providence des dieux dans des vœux annuels réguliers qui auraient été créés dès l'avènement de Commode300. Il ne peut s'agir que de vœux extraordinaires, spécialement prononcés à la suite du complot de Lucilia; il est tout à fait logique d'y retrouver la triade capitoli ne et la Salus, toujours à l'honneur sur les monn aies. L'empereur avait simplement fait repren dre à la confrérie arvale une tradition dont nous avions déjà noté les traces301.
297 Cf. supra, note 258. 298 Année 145 : Henzen, AFA, p. CLXVIII (= Pasoli, p. 155); année 155 : Henzen, AFA, p. CLXX (= Pasoli, p. 156). 299 HA, Vit. Marc, XVI, 1; Vit. Comm., I, 10. 300 J. Beaujeu, op. cit., p. 375-376.
301 Cf. les actes des arvales de l'année 59, supra, p. 145. 302 J. Beaujeu, op. cit., p. 372, n. 1 ; RIC, III, p. 358. 303 HA, Vit. Comm., VIII, 1. Il s'agit sans doute de L. Tutilius Pontianus Gentianus, déjà cité dans ce même rôle dans la Vit. Marc, XXIX, 1. Il fut justement consul suffect en 183.
b) «Pins». Il y a longtemps qu'a été remarquée l'appari tion cette même année 183, du titre Pius dans la titulature de Commode302. L'auteur de la biogra phiede l'empereur replace cette appellation de Pius dans un curieux contexte : « Lorsque Com mode eut désigné consul l'amant de sa mère, le sénat, pour se moquer sans doute, lui donna le nom de Pius»303. L'anecdote, fabriquée pour accabler Commode, est certainement fausse, même si ce consulat et l'attribution du nom de Pius ont coïncidé. Un trait du récit doit tout de même être retenu, l'auteur lie le nom de Pius à des personnages de la famille impériale, et, en particulier, à Faustine; il fait comme si, à travers elle, il pouvait passer quelque chose de la Pietas qui avait entouré le couple impérial FaustineAntonin. S'il est certain que Pius permet de toucher à la famille, c'est sur un plan beaucoup plus élevé que la simple insinuation grossière à laquelle se livre l'auteur de la Vita Commodi. Il s'agit d'un appel à la mémoire d'Antonin et Pius a le même sens que pour lui; en effet, Antonin avait accepté
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE ce titre uniquement quand il avait jugé que la mise en place de la succession était parfaite304. C'est aussi ce que tenta de faire Commode; il considéra, une fois le danger constitué par la personne et la présence de Lucilia écarté, que le pouvoir qu'il détenait, dans les formes qu'il revêt ait alors, lui était définitivement acquis. Son succès sur la conspiration ne pouvait que l'avoir renforcé dans cette idée qu'il avait fait œuvre de Piété en conservant le pouvoir, en sauvegardant sa position, comme les dieux et les diui l'avaient voulu. Il ne s'agissait pas seulement de faire croire que tous les torts, dans cette querelle de famille, étaient de l'autre côté305, ni d'opposer de bons sentiments à une tentative impie306. C'était l'affirmation que Commode avait respecté la volonté des dieux, qu'il était en parfait accord avec eux. Le complot de Lucilia et sa répression ont très certainement décidé Commode à placer PIVS dans sa titulature. Mais une petite difficul té subsiste. Nous avons vu que le sacrifice des frères arvales ne pouvait se placer qu'après le 20 mai 183 et qu'il correspondait certainement à la conspiration. Or, les actes des arvales du 7 jan vier de la même année donnent déjà à l'empe reurle nom de Pius : « quod bonum faiistum felix fortunatum salu/ tareque sit imp Caes M Aurelio Commodo Antonino Aug Pio Sarmat/Germ maximo p.m. p.p. cos HH optimo maximoque princi pi ... »307. La date est sans équivoque possible. II est cependant tentant de trouver une solution en admettant que la première phase de la conjura tion de Lucilia, comprenant l'attentat de Pompeianus et l'arrestation et l'éloignement de la sœur de l'empereur, a eu lieu à la fin de l'année 182. À la suite de ces premiers événements, le sénat aurait immédiatement accordé le nom de Pius à Commode. Les actes des arvales comport ant le sacrifice à Prouidentia Deorum, corres pondraient à la seconde phase, celle où l'emper eur,accentuant la répression, décide de faire disparaître définitivement sa sœur; le prétexte
304 Cf. supra, p. 310. 305 RIC, III, p. 358. 306 J. Beaujeu, op. cit., p. 372, n. 1. 307Pasoli, p. 160, n° 82, 11. 11-13. 308 Cette solution pose aussi le problème des monnaies de 183 dont un très grand nombre ne porte pas encore PIVS
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fut, sans doute, comme le souligne Prouidentia, que, de Capri, elle continuait à conspirer. Il serait d'ailleurs tout à fait logique que le sacrifi ce arvale, comme au premier siècle, soit en rap port avec la mort du chef de la conjuration, plutôt qu'avec son simple bannissement de Rome. Le nom de Pius, quant à lui, peut sans difficulté correspondre à la découverte du comp lot et à la relative clémence montrée par l'em pereur en cette occasion308. Dans ce contexte, il est tout aussi logique de retrouver des séries monétaires avec la légende Prouidentia Augusti, puisque l'action vigoureuse de Commode a empêché le complot d'arriver à ses fins. Ces émissions ont certainement été fai tes dès la première phase du complot et l'arres tation de Pompeianus; toute une série, en effet, ne porte pas encore le nom de Pius. Elles ont continué à être frappées tout au long de l'année, concurremment avec la Prouidentia Deorum réapparue sans doute après la seconde phase de répression et en concomitance avec les cérémon ies des frères arvales qui répondent aux mêmes objectifs. c) «Félicitas». La place tenue par Félicitas, et avec elle par Annona, semble de plus en plus importante dans les préoccupations à la fois matérielles et rel igieuses de Commode. De ce fait, nous avons un grand nombre d'émissions monétaires avec ces notions. Un médaillon de cette même année 183 montre Commode entrain de sacrifier devant Roma et devant une figure féminine munie d'une gerbe d'épis et d'une corne d'abondance; il s'agit presque certainement d'Annona, car ce sont ces mêmes attributs qui la distinguent sur le monn aies courantes309. Mais l'apparition d'un nouveau revers est encore plus significative des intentions de Com mode à ce moment. Il s'agit d'un sesterce avec la légende TEMPORVM FELICITAS et la représent ationde quatre jeunes garçons en train de
dans la titulature. Il est difficile de situer ce retard par rapport aux actes des arvales, à moins que la gravure finale des actes étant faite à la fin de l'année, le graveur ait attribué, à Commode, le 7 janvier, un titre qu'il n'avait pas encore. 309 F. Gnecchi, op. cit., II, pi. 88, 3-4.
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jouer; ils symbolisent les quatre saisons et donc le renouvellement régulier des temps qui est éternel et qui permet la vie310. Par ce moyen, l'empereur accentuait l'impression qu'il voulait donner d'un nouveau départ à la suite de l'échec du complot de Lucilia. C'était la reprise du thè me de l'Âge d'Or mis au premier plan par Hadrien, eh liaison avec l'Éternité de Rome; il était resté sous-jacent tout au long des règnes d'Antonin, de L. Verus et de Marc Aurèle; Com mode venait de lui redonner une vigoureuse actualité. Un tel geste était parfaitement compréh ensible; en tant que princeps dans la lignée de ses prédécesseurs, Commode était porteur de tous les avantages de l'Âge d'Or, contenus dans son propre pouvoir légitime. Il a voulu montrer que par la disparition de Lucilia il ne pouvait plus y avoir d'obstacle à son pouvoir; l'épisode avait été voulu par les dieux pour mieux faire ressentir à tous que Rome prenait un nouveau départ heureux. Il est difficile de l'attribuer à la paix sur le frontières, car le thème serait apparu beaucoup plus tôt311. Le lien avec la Providence est évidemment très étroit, comme il l'avait été sous Hadrien. Et nous ne devons pas négliger la première appari tionsur les monnaies de Commode d'Hercule, appuyé sur sa massue, tenant un arc et muni d'une peau de lion sur son bras gauche312. Le motif n'est pas entièrement nouveau, mais son apparition, cette année-là, à la suite des événe ments auxquels nous avons fait allusion, n'est pas sans signification; ce porteur de justice et de paix, bienfaisant, protecteur des hommes, est lui-même étroitement uni à la Félicitas Temporum. Il lui est rattaché nommément sur un médaillon d'Antonin le Pieux313 et il se trouve avec Tellus Stabilita sur un médaillon de la fin du principat d'Hadrien; y sont justement repré sentés les enfants personnifiant les quatre sai sons314. Ces deux thèmes sont incontestablement liés à la Providence. Par là même, Hercule, à
travers les bienfaits de l'Âge d'Or maintenant renouvelé, est une des expressions de cette Pro vidence. Commode a choisi ce contexte précis et exclusif pour faire apparaître Hercule dont il avait peut-être déjà idée de se servir de façon plus ample. Dans tous les cas, ces thèmes et ces notions rassemblés à un moment crucial du règne ont permis à l'empereur d'affirmer, face à des membres de sa propre famille, sa totale légitimité, reconnue par les dieux puisque cou ronnée par le succès contre les conspirateurs. Commode en eut certainement sa confiance en lui renforcée. Durant la fin de l'année 183 et une partie de 1 84, la publicité a été donnée aux mêmes thèmes à travers les émissions monétaires. Se continue simplement la propagande autour de l'élimina tion de Lucilia et de ses complices. La Prouidentia, qui n'est plus alors qu Augusti315, se trouve normalement associée à Félicitas, et plus particu lièrement à Temporum Félicitas, avec toujours la même représentation des saisons316. Hercule est toujours présent avec les mêmes attributs que l'année précédente ou bien, debout, de face, la main droite sur la hanche, la main gauche tenant la massue, et enveloppé dans la peau de lion317. Les nouveautés sont rares. Apparaît bien une représentation de Commode tenant une branche et une corne d'abondance ou bien au moment de sacrifier pour des uota publica; il faut sans doute déjà rapprocher ces types de la campagne militaire en cours en Bretagne, dirigée par L. Ulpius Marcellus, et qui aboutit, à une époque de l'année que nous ne connaissons pas, à la proclamation de la septième salutation impérial e de Commode. Nous devons tout de même noter, sans pouvoir l'expliquer, le retour à quel ques représentations de la Providence sur des deniers, sans son nom; elle tient alors la corne d'abondance, suivant le modèle établi par Marc Aurèle. C'est une exception dans le règne et il ne nous est pas possible de mettre en rapport cette
310 RIC, III, p. 41 1, n° 382, 383 (même inscription dans une guirlande). 311 J. Beaujeu, op. cit., p. 369. Il faut aussi écarter l'idée émise dans RIC, III, p. 358, que ces revers correspondraient à une année de grande prospérité (agricole sans doute). 312 RIC, III, p. 410, n° 365 (sesterce).
313 P. L. Strack, op. cit., III, p. 72, n° 600. 314 Id., ibid., Il, p. 61, n° 560 (Hadrien est revêtu d'une peau de lion). 315 Cf. supra, notes 247, 248, 249. il6 RIC, 111, p. 414, n°438. 317 RIC, III, p. 414, n° 409; p. 413, n° 399b et 399a.
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE frappe, isolée, avec une naissance comme nous l'avons fait pour Marc Aurèle. Après la septième salutation impériale, les revers monétaires sont centrés sur la Victoria Britannica et la Providence n'apparaît plus mal gré le début, dès 184!, des vœux décennaux sanc tionnés par des monnaies sur lesquelles Commod e sacrifie pour les Vot. Susc. Dec.318; sur d'au tres modèles, Roma tient une Victoire et une corne d'abondance avec, derrière elle, des épis de blé; la légende est alors D(ecennales) P(rimi) R(omae) C(onditae?)319. Commode voulait faire prendre à Rome un nouveau départ pour une période de prospérité longue et heureuse. Aussi pouvons-nous avancer que la corne d'abondance tenue par Roma peut être rapprochée de celle qui est dans la main de la Providence ou dans celle de l'empereur lui-même sur les monnaies de la première partie de l'année. Ces émissions étaient les annonciatrices de ce nouveau départ de Rome dans la prospérité, grâce aux victoires remportées en Bretagne; d'ailleurs, l'Italie est elle aussi représentée à ce moment avec une corne d'abondance. Il est cependant symptomatique de rencontrer un empereur continuelle ment obligé de relancer son pouvoir et son ascendant par des vœux dont J. Beaujeu a bien montré qu'ils confinaient au désordre320.
5 - «Providentia», salvatrice et confirmatrice a) Perennis. Les revers monétaires de 185 et du début de l'année 186 ne nous parlent plus directement de la Providence. Elle s'efface pour un court moment, mais elle n'est pas totalement oubliée. Il est vrai que l'année 185 est celle d'un nouveau très grave danger pour Commode, les plans de renversement de l'empereur préparés par le pré fet du prétoire, Perennis. Il n'est pas utile de
318 RIC, III, p. 376, n°99a, b,c; p. 416, n°441; p. 417, n°444a. 319 RIC, III, p. 376, n° 96. 320 Op. cit., p. 374. 321 Dion Cass., LXXII, 9, 1-2; HA, Vit. Comm., VI, 2. 322 Hérod., I, 9, 1. 323 RIC, III, p. 377, n° 109.
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reprendre le détail de cette affaire, si ce n'est pour insister sur certains de ses aspects, très caractéristiques, qui pourraient expliquer qu'on n'ait plus fait appel à la Providence. Nos sources diffèrent sur certains détails, mais l'ambiance générale de l'affaire est la même partout; il s'agit d'une conspiration qui a pris ses sources dans les armées; le mécontente ment était grand dans les légions de Bretagne qui s'étaient mutinées peu de temps auparav ant321. En outre, Perennis aurait mis en avant son fils en lui faisant donner le commandement des armées d'Illyrie et en lui faisant attribuer tout le succès de la campagne contre les Sarmates322. Le but de ce complot aurait été de s'empa rer du pouvoir impérial au propre profit de Perennis, comme le croit Hérodien, ou pour son fils, comme le pense Dion Cassius. Que cette conspiration ait eu une réalité tangible ou bien qu'il ne se soit agi que de dénonciations venues de l'entourage de Commode pour se débarrasser d'un homme dont la puissance était devenue trop grande, aucun membre de la famille de l'empereur ne s'y trouva engagé. Ce fut certain ement la raison qui empêcha, dans ce cas, Com mode de faire appel à la Providence. Par contre, il plaça l'ensemble de ces épiso des,liés directement aux campagnes militaires victorieuses du moment, sous l'invocation de la Félicitas qui reste considérée, pendant cette année, comme une conséquence de la victoire; des monnaies avec la légende FEL AVG mont rent la Félicité tenant une Victoire dans sa main323; d'autres revers, avec la SAEC(uli) FEL(icitas), présentent la Victoire plaçant sur une palme un bouclier sur lequel est inscrit VO(ta) DE(cennalia). Ce dernier type est répandu toute l'année 185 et durant la première partie de l'année 186324. Dans ce renouvellement décennal est encore évoqué le saeculum aureiim325, comme sur les monnaies plus courantes avec les légen desVOT SVSC DEC ou PRIMI DECENN326. Mais
324 K/C, III, p. 378, n° 113; p. 421, n°472; p. 422, n°482. 325 Un médaillon de 185 montre un personnage assis dans le cercle du zodiaque et tenant ce zodiaque (ou le poussant) : F. Gnecchi, op. cit., II, pi. 83, n° 3. ""Rie, III, p.378, n°115; p.418, n°454a,b; p. 419, n°459a, b.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
le plus frappant, dans ce domaine limité, est l'apparition de la Victoria Felix sur des bronzes de la fin 185-début 186 : la Victoire debout, ins crit sur un bouclier VO DE327; c'est la réplique, presque conforme, des revers SAEC FEL. La même idée s'exprime ici, celle que par la Victoi re le «Bonheur du siècle» est assuré dans le renouvellement décennal des pouvoirs de l'em pereur garant de l'existence de Rome. C'est pourquoi, il n'est sans doute pas suffisant de dire que le titre de Felix qui est alors donné à Com mode et qu'il introduit dans sa titulature célèbre «l'échec des prétendues machinations de Perennis»328. C'est aussi ce qu'affirme l'Histoire August e329,mais la coïncidence, relevée par l'auteur, ne doit pas nous laisser croire que seul cet épisode a été la cause de la prise de ce surnom que nul, avant lui, si ce n'est Sylla, n'avait porté. Le sens et la portée en sont beaucoup plus larges et doivent être rapportés à l'ensemble des événe ments. C'est pourquoi, d'ailleurs, il n'est pas impossible, si nous en croyons quelques rares monnaies sur lesquelles le titre figure dans la titulature, que Felix ait été attribué à Commode à la fin de l'année 184330. Serait ainsi rendu plus clair l'accent mis sur la Félicitas dès le début de l'année suivante; la conjuration de Perennis ne figure alors que comme un élément de renforce ment et d'affirmation du caractère « heureux » du principat commodien, puisque l'empereur avait devancé et supprimé ceux qui voulaient le faire disparaître.
Mais, à partir de la huitième salutation impér iale, dans le courant de l'année 186, les frappes monétaires prennent des caractères très nou veaux et la Providence de l'empereur réapparaît.
Une première explication possible tend à en attribuer la cause à la paix revenue partout; les mutineries en Bretagne avaient pris fin grâce à l'action habile de Pertinax; dans la troisième expeditio germanica les succès décisifs obtenus alors, sans doute sur les Quades, valurent à Commode cette huitième salutation impériale, bien qu'il eût été retenu à Rome par le sénat et le peuple331. Cependant, l'année 186 est aussi marquée par le début de la révolte de Maternus qui trouble, peut-être, les Gaules, les Espagnes et même Rome en 187. Mais, vu par l'empereur, il ne s'agit que d'une affaire de déserteurs et de brigands qui ne mérite pas qu'on y fasse allusion directement; en tant que simple affaire de poli ce,elle ne pouvait être liée ni à la Victoire, ni au triomphe332. La paix revenue rend parfaitement compte des émissions avec la légende VOT SOL DEC ou de celles qui s'adressent à PACI AETERNAE, ou même à Félicitas et à Liberalitas August i333;mais, pour d'autres séries le rapprochement est plus difficile à faire, en particulier pour IOVI EXSVPER, pour NOBILITAS AVG ou encore pour PROVID AVG334. Le fait est d'autant plus marquant que les monnaies en l'honneur de la Providence de l'empereur portent une représen tation tout à fait nouvelle avec cette légende, un bateau navigant. Pourquoi une telle innovation dans la secon de moitié de l'année 186? Avant le règne de Commode la présence d'un bateau sur les monn aies n'est pas inconnue. Il apparaît souvent au second plan, mais parfois aussi, comme dans le cas qui nous intéresse, il tient tout le champ de la pièce. Nous pouvons négliger quelques exemp laires de 30/27 avant J.-C, de 68 après J.-C. et du règne de Domitien335; ces derniers portent, au droit, une image de Cérès couronnée d'épis, ce qui indique, incontestablement, que le navire
327 RIC, III, p. 421, n°474. 328 J. Beaujeu, op. cit., p. 372, n. 1 ; p. 395. 329 Vit. Comm., VIII, 1. 330 RIC, III, p. 376, n° 91, 98a; p. 377, n° 100 (titulatures D et E). Contra, J. Beaujeu, op. cit., p. 372, n. 1. 331 Cf. E. Demougeot, op. cit., p. 231-232; HA, Vit. Comm., XII, 8. P. H. Storch, Cléandre : une autre vue, dans Ant. Class., XLVII, 1978, p. 514, attribue les caractères nouveaux des monnaies à l'influence de Cléandre qui voulait présenter Commode comme un empereur béni par les dieux et
rant un âge heureux et fortuné. En réalité, aux yeux de tous, Commode présentait déjà tous ces caractères; nous ne voyons pas très bien quel profit Cléandre pouvait en tirer pour lui-même. 332 Hérod., I, 10. 333 RIC, III, p. 381, n°137, 140; p. 422, n°484; p. 423, n° 490. 334 RIC, III, p. 381, n° 138, 139; p. 422, n°483, 485, 486, 487 (cf. p. 438, n° 85); p. 423, n° 488 et 489. 335 RIC, I, p. 60, n° 9; p. 195, n° 1 1 ; RIC, II, p. 208, n° 431 B.
b) Le navire et la Providence.
LA PROVIDENCE INDISPENSABLE est celui du ravitaillement de Rome (sans que nous soyons en mesure de définir le fait histori que précis auquel il ferait allusion). C'est seulement à partir du principat d'Ha drien que la représentation du bateau connaît un développement important. Durant les quinze premières années du règne, les revers présen tant un navire sont tous anépigraphes336. Mais, à partir des frappes de 132-134, le bateau est pres que toujours accompagné de l'adresse à la FELI CITATI AVG337. Le lien qui unit le navire et la Félicité de l'empereur, ou du César, ne se dément désormais plus jamais, mais il faut atten drele principat de Marc Aurèle et de L. Verus pour le retrouver. Il réapparaît d'abord, entre décembre 162 et l'automne 163, sur de très nomb reuses monnaies de L. Verus338; c'est la série dominante durant cette période. Le navire est ensuite utilisé, entre 166 et 172, pour le tout jeune Commode, déjà César, comme nous l'avons vu; les as portent la légende FELICITATI CAES339. Nous le retrouvons encore pour Com mode César, en 176340 avec la même légende. Enfin, le dernier exemple est émis parallèlement pour Marc Aurèle et pour Commode, qui sont alors presque totalement associés au pouvoir, entre décembre 176 et l'automne 177341. Quelque soit le type de bateau représenté, quelquefois une simple galère, quelquefois avec un mât portant une voile déployée, il est tou jours lié à Félicitas. Au premier abord, l'explica tion la plus simple vient à l'esprit; ces monnaies font allusion à des expéditions ou à des voyages dans lesquels les navires ont joué un grand rôle. Ce trait peut paraître évident avec Hadrien qui se serait ainsi contenté de commémorer ses diverses traversées de la Méditerranée, d'une rive à l'autre ou d'île en île342. Ce serait aussi le cas de L. Verus qui parcourut l'Orient au prin temps et à l'été 1 63 ; nous avons expliqué en quoi ce voyage était porteur de Félicité343. Mais cer taines difficultés se présentent avec Commode César et avec Marc Aurèle. En effet, dans les
, II, p.353, n°112 et 113 (années 119-122); p. 362, n° 195, 196; p. 427, n° 673, 674 (années 125-128). 337 RIC, II, p. 364, n° 209; p. 431, n° 703 à 706; p. 433, n° 718 à 720 (années 132-134); p. 368, n°239, 240 (années 134-138); p. 380, n°351, 352, anépigraphes et non datés, mais certaine ment après 128.
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années indiquées par les frappes, nous connais sons des voyages effectués par les deux emper eurs pour se rendre aux armées, mais ils ne se sont pas faits par mer. Dans ce cas, la représent ation d'un navire n'a plus de rapport direct avec un fait matériel parfaitement défini. Le bateau est devenu le symbole de la Félici té qui est apportée par les empereurs durant leurs pérégrinations, et par leur seule présence; pour Marc Aurèle et Commode, ils manifestent la présence de cette Félicité auprès des armées du Danube et des Germanies. Dans l'année 177, Marc Aurèle et Commode commémorent leurs succès des années précédentes (nombreuses monnaies DE GERMANIS, DE SARMATIS), l'él imination d'Avidius Cassius, la mort et la divini sation de Faustine la Jeune. Dans cette même période sont émises des monnaies en l'honneur de PAX AETERNA (c'est la première fois que la Paix reçoit ce qualificatif) et de PIETAS. En réalité, cette Félicitas est surtout celle de Com mode, et sans doute dès sa présentation à l'a rmée en 166; il en est porteur en tant que succes seurde Marc Aurèle. La mort d'Avidius Cassius a éliminé l'homme qui aurait pu porter atteinte à la domiis augusta et à la Félicité qui s'y trouvait contenue dans la personne de Commode, et à la Paix dont la suite des empereurs; désignés par les dieux, sont les garants éternels. C'est le sens global pris dorénavant par la représentation du navire. c) Crispine. C'est certainement cette même idée que reprend Commode en faisant reproduire, en 186, le bateau sur des sesterces. D'ailleurs, comme son père, il associe cette série à une autre qui, pour la première fois depuis 177, proclame la Pax Aeterna. La paix du début de l'année peut très bien expliquer cette frappe; mais il existe cependant quelques petites difficultés. Pourquoi Commode a-t-il cru bon de faire mettre PROV AVG à la place de FELICITATI? Nous avons vu
»« RIC, III, p. 319, n° m RIC, III, p. 334, n° 340 RIC, III, p. 337, n° 341 RIC, III, p. 307, n° 342 RIC, II, p. 326. 343 Cf. supra, p. 328.
1325 à 1335; p. 320, n° 1336 à 1340. 1513. 1550. 1192 à 1200; p. 308, n° 1201.
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que dans l'esprit de Marc Aurèle, une telle repré sentation était incontestablement liée à la suc cession et aux problèmes qu'elle pouvait poser et qu'il fallait résoudre. C'est à ce genre de questions que nous devons nous attacher pour comprendre la frappe de Commode. Et d'ailleurs n'est-ce pas le plus souvent au moment où il s'agit d'affirmer pleinement le lien de famille que la Providence intervient? Nos sources ne sont pas très précises sur ces points. Il existe cependant un événement import antpar le choc qu'il a certainement provoqué dans l'opinion, mais qu'on ne sait trop où placer dans la chronologie du règne : l'exil, puis la mort de la femme de Commode, l'Augusta Crispine. L'Histoire Auguste semble présenter la mort de Crispine comme une des nombreuses consé quences de la conjuration de Lucilia344 ou tout au moins comme se déroulant très peu de temps après. La situation est présentée presque de la même façon dans Dion Cassius, et tous deux sont d'accord pour attribuer à l'adultère la cause de cette disgrâce345. En réalité, il n'y a pas de lien de cause à effet et Crispine a certainement été éloignée, puis exécutée, plusieurs mois, sinon plusieurs années après l'affaire de Lucilia. À part irdu moment où nous devons distinguer nett ement dans le temps les deux affaires, ne serait-il pas possible de voir dans les émissions à la légende PROV AVG un indice de la disgrâce de Crispine? Un autre document pourrait aussi nous le faire croire, l'extrait des actes des frères arvales correspondant à une cérémonie de la seconde moitié de l'année 186346. Le fragment est très mutilé, mais le peu qui subsiste permet de rap procher son libellé de celui des actes de 183. Nous sommes en présence d'une cérémonie du
même genre «pour le salut de l'empereur», dans laquelle la Providence des dieux est honorée du sacrifice d'une vache. Une telle intervention de la confrérie ne pouvait se produire que pour des raisons identiques à celles qui avaient provoqué ces sacrifices en 183; nous en avons précisé la nature. L'éloignement, puis l'exécution de Crispi ne peuvent être cette raison majeure; cela signi fierait aussi que Crispine n'a pas été seulement accusée d'adultère, mais certainement aussi de complot contre la vie de l'empereur. Il est vrai qu'il s'agissait de deux états parfaitement unis, puisque Crispine avait, dans l'organisation de l'État, la position privilégiée d'Augusta qui lui donnait la possibilité de transmettre le pouvoir. Ce n'était, il est vrai, qu'une possibilité restreinte puisqu'elle n'était pas porteuse du sang des Ulpii, au contraire de Commode. Nous pouvons penser que la désinvolture montrée par l'empe reurà l'égard de son épouse tient à ce fait fondamental. Il n'avait pu être question pour Hadrien, pour Antonin, même pour Marc Aurèle, de se séparer de leurs femmes qui faisaient leur légitimité grâce au sang qu'elles portaient. Com mode ne pouvait avoir les mêmes scrupules à l'égard d'une femme totalement étrangère à la famille impériale, puisque fille de C. Bruttius Praesens. Les honneurs dont elle était entour ée347 ne pouvaient lui faire oublier la précarité de sa position. Il est fort possible que Commode ait inventé de toutes pièces cet adultère et ce complot de Crispine, car il pouvait en tirer avantage. En effet, à partir du moment où son épouse est exécutée, il est le seul détenteur absolu du pouv oir. Aucune autre de ses sœurs n'est Augusta', il peut se considérer comme le seul à avoir été désigné par la Providence des dieux et des diui
344 HA, Vit. Comm., V, 9. 345 Dion Cass., LXXII, 4, 6. Dans une étude déjà ancienne, J.M.Heer, Der historische Wert der «Vita Commodi» in der Sammlung der «Scriptores Historiae Augustae», dans Philologus, suppl. IX, 1901, p. 59-61, s'est appuyé sur deux inscrip tions(CIL, VIII, suppl. 1, 16530 et III, suppl. 2, 12487) pour démontrer que Crispine était encore en vie et Augusta en 187, date de l'inscription de Mésie Inférieure. F. Grosso, La lotta politica al tempo di Commodo, Turin, 1964, p. 662-664, en s'appuyant sur CIL, VIII, 1, 2366, a voulu repousser l'exil et la disparition de Crispine en 191 ou même en 192. Sa démonst ration est peu convaincante. Il vaut mieux en rester aux
dates de Heer, tout en sachant bien que l'inscription de Mésie Inférieure a pu être faite alors que l'élimination de Crispine était déjà réalisée, la nouvelle n'étant pas encore parvenue dans la région (ce qui n'exclut donc pas l'extrême fin de l'année 186 pour ces événements). 346 Cf. supra, note 259. 347 En particulier, de très nombreuses émissions monétair es avec CONCORDIA; elles signifient son accord avec les décisions prises pour la succession et donc la reconnaissance de la lignée des Ulpii à travers Commode. RIC, III, p. 399-400, et p. 442-443.
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pour continuer la lignée des Ulpii; il absorbait en lui toutes les forces réservées à ceux qui portaient le charisme impérial, alors qu'elles avaient été, jusqu'ici, toujours divisées et parta gées: Hadrien avec Sabine, Antonin avec Faustine, Marc Aurèle avec Faustine la Jeune. Pour la première fois, Commode en était l'unique por teur dans l'ensemble du monde romain. Ce fut certainement le but qu'il poursuivait depuis longtemps. Maintenant qu'il n'y avait plus aucu ne Augusta, Commode, qui par son père et par sa mère possédait le charisme impérial, était désor mais, religieusement parlant, mais aussi à ses propres yeux, le princeps idéal. Il résumait et synthétisait en sa personne toute la domus imper atoria. Aussi est-il tout à fait logique qu'il ait fait répandre dans les derniers temps de l'année 186, au moment où les frères arvales sacrifiaient, des monnaies avec le bateau de la Félicité, mais avec la légende PROV AVG. Grâce à sa propre Provi dence, qui avait permis d'éliminer Crispine, der nier obstacle à la volonté expresse des dieux, Commode pouvait enfin répandre partout le Bonheur qu'il portait en lui; la paix qui semblait établie pour longtemps dans l'empire ne pouvait que renforcer cette vision optimiste de l'avenir de Rome sous la direction de Commode. De ce fait, il faut totalement écarter l'opinion de ceux qui veulent voir dans l'apparition de ce navire sur les monnaies une allusion à la création, ou plutôt à l'organisation, d'une flotte annonaire d'Afrique348. Même si Providence et Annone sont parfois liées, la signification de ces revers est profondément différente et se rattache à la con ception même du pouvoir impérial. Si nous prenons en compte les autres monn aies frappées au même moment, nous trouvons
exprimées des idées semblables à celles mises en évidence dans les émissions PROV AVG. Deux types sont particulièrement intéressants dans ce contexte des derniers mois de l'année 186. Le premier exalte la NOBILITAS AVG349, c'est-à-dire le lignage exceptionnel, unique en vérité, de Commode porphyrogénète, qui faisait qu'il était le seul désormais à pouvoir régner sans partage; en outre, le palladium porté par Nobilitas rappell e la fondation de Rome et fait de Commode un nouveau conditor de la Ville. La seconde frappe, totalement inédite alors, est un revers honorant Iuppiter Exsuperatoritis*50. Il est représenté en Jupiter banal, mais il tient un sceptre et une branche, symbole de paix. Il est inutile ici de revenir sur les études qui ont su parfaitement définir quelles étaient les caractéristiques et les origines de ce surnom donné à Jupiter351. L'important pour nous, dans la perspective qui est nôtre, est de voir que Commode a donné à Jupiter les caractères d'un dieu suprême, maître du mouvement des astres et qui assure par son action le salut de tous les habitants de la terre. L'empereur en est l'image et le représentant sur terre; comme ce Jupiter, il regroupe en lui désormais toutes les forces que les dieux veulent bien laisser aux hommes. En outre, ce surnom donné à Jupiter lui ouvrait une perspective d'universalité que le Jupiter Capitolin ne connaissait pas. C'était l'affirmation sans équivoque que Commode était bien maintenant le souverain universel352.
348 HA, Vit. Comm., XVII, 7. La correspondance avec les monnaies Prov. Aug. est affirmée, en particulier, par RIC, III, p. 359; J. Rougé, Recherches sur l'organisation du commerce maritime en Méditerranée sous l'Empire Romain, Paris, 1966, p. 468; F. Grosso, op. cit., p. 215. Bien d'autres auteurs ont soutenu la même position : H. Pavis d'Escurac, Réflexions sur la »Classis Africana Commodiana », dans Mèi. W. Seston, Paris, 1974, p. 400, tout en ne voyant pas ce qui semble être le véritable sens des monnaies avec le navire, a eu raison d'écarter cette hypothèse. 349 RIC, III, p. 381, n° 139; p. 422, n°485; p. 423, n°489. 350 RIC, ΠΙ, p. 381, n° 138; p. 422, n°483.
351 Cf. surtout F. Cumont, Jupiter summus Exsuperantissimus, dans Archiv. Rei. Wiss., IX, 1906, p. 323 sq; J. Beaujeu, op. cit., p. 388-391. 352 Sur les frappes de 187, la branche est remplacée par la foudre; ce trait indique encore mieux que c'est à toute une lignée d'empereurs choisis par les dieux que Commode doit sa position actuelle. Il ne faut pas exagérer l'influence orientale dans la mise en valeur d'Exsuperatorius; il s'agit seulement de l'exaltation de Jupiter, et donc de Commode, par ce nouveau surnom, d'ailleurs très vite et facilement admis (nombreuses inscrip tions: ILS, 3094; CIL, XI, 1, 2600 . . .).
d) Bonheur et prospérité. Toute la production monétaire de l'année 187 reste concentrée autour de ces mêmes thèmes que nous retrouvons sans surprise puisque les
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événements qui les avaient fait naître s'étaient déroulés durant les tous derniers temps de 186 : PROV AVG, IOVI EXSVP, NOBILITAS AVG. Il s'agit donc toujours de mettre en valeur la per sonne de Commode, seul détenteur désormais des charismes impériaux permettant de possé derle pouvoir et de répandre partout et pour toujours le bonheur et la prospérité. Quelques précisions sont simplement ajoutées pour en affiner le sens. C'est ainsi que, pour la première fois, est employée l'expression FELICITAS PVBLICA, avec la simple représentation de la Félicité tenant patere et sceptre353. Cette expression signifie que la Félicité de l'Âge d'Or règne main tenant partout dans le monde grâce à Commode qui en est le porteur et le vecteur eminent. D'ailleurs l'empereur exerçait à bon droit sa tutelle salutaire et bénéfique sur tout ce qui existait, même sur ce qui, dans l'État, possédait Yauctoritas la plus ancienne, donc la plus vénérab le, le sénat. Dans cet esprit, l'empereur fit émett reune importante série, frappée dans tous les métaux, où il se présentait en tant que PATER SENATVS354. Il était utile pour l'empereur de faire passer l'assemblée des Patres sous sa pro pre autorité; le sénat était le seul corps à possé derune puissance religieuse que le princeps ne pouvait contrôler qu'en occupant une position religieusement prééminente. Tout était définit ivement intégré dans un monde unique soumis au prìnceps qui put alors se proclamer, sans exagération, AVCTOR PIET(atis)355. Il est difficile d'y voir uniquement une « piété exubérante » dont il se proclamerait le champion avant de la développer «dans les cultes orien taux et les extravagances herculéennes»356. Le sens ne doit pas en être cherché dans ce qui va se passer, mais dans ce qui s'est déjà passé; c'est le constat d'une action déjà accomplie. Commod e était l'homme qui avait augmenté la Piété et
qui en était, tout à la fois, la source et le garant. En effet, il pouvait considérer que toute son action jusqu'alors s'était faite dans la ligne tracée par ses prédécesseurs et qu'il avait parfaitement respecté les engagements pris; en particulier, il avait éliminé les obstacles qui auraient pu briser le pacte, Lucilia et Crispine. Ne pouvait-on y trouver l'occasion, à juste droit, d'exalter sa piété qui, en toute logique, en faisait le père de tout ce qui existait dans le monde romain357? La piété de ce père assurait, dans la jeunesse, un nouveau départ vers le Bonheur. Les revers portant la légende IOVI IWENI, sur lesquels Jupiter port ait la foudre qui rappelait aussi la succession, appelaient à une nouvelle jeunesse du mond e358. Les deux années 186 et 187 ont été certain ement décisives dans l'évolution de la conception du pouvoir impérial de Commode. Mais tout a été déclenché par l'élimination de Crispine qui a renforcé l'empereur dans son idée qu'il était le seul à pouvoir gouverner le monde. Dans ce contexte, il était normal de mettre en valeur la Providence359, celle des dieux et celle de l'empe reur,comme ayant agi pour le bien présent et futur de l'ensemble des habitants de l'empire. Commode était désormais le seul détenteur et dispensateur de la Pietas et de la Félicitas. Que se soit alors exprimée Γ« affirmation orgueilleuse du principe d'hérédité » ne peut étonner puisque l'empereur est le premier à détenir seul, au pouvoir, le sang des Ulpii, aboutissement parfait de tout le processus engagé au début du siècle. L'élimination des deux Augustae le libère total ement de quelque contrainte que ce soit. Les revers monétaires de la deuxième partie de 186 et de 187 sont l'affirmation de cette totale liberté que personne n'avait jamais eue avant lui. Elle faisait d'un seul homme, par le moyen de l'exer cicede la Providence issue des dieux, le dispen sateur de la Félicité dans le monde.
353 RIC, III, p. 383, n° 159; p. 423, n° 495; p. 424, n° 503. 354 RIC, III, p. 383, n° 156 à 157a; p. 424, n° 502. 355 RIC, III, p. 382, n° 146; p. 423, n° 494. 356 J. Beaujeu, op. cit., p. 382. Il faut aussi écarter l'idée selon laquelle il s'agit d'une frappe en l'honneur de Cybèle (RIC, III, p. 359). 357 En 189, apparaît un revers PIET SENAT (RIC, III,
p. 428, n° 538). 358 J. Beaujeu, op. cit., p. 391, n.3. RIC, III, p. 424, n°499. Représentation semblable, cette année-là, à celle de Iuppiter Exsuperatorius. 359 L'existence d'un médaillon de bronze (cf. supra, p. 340, n. 252) prouve l'importance attachée à la notion à ce moment.
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6 - L'exaltation des dernières années
sion, qu'il a dû prendre son poste peu de temps après le 12 août 188, date à laquelle son prédé cesseur, M. Aurelius Verianus, se trouve encore a) Les monnaies d'Alexandrie. en Egypte. Il est à ce poste le 23 août 189 comme un papyrus nous l'a confirmé363. Il quitte l'ÉgypLes frappes de monnaies au type de la Provi dence ou avec la légende Prouidentia deviennent te dans les derniers mois de 189 ou les tout alors plus rares; elles sont isolées, ou géographipremiers de 190, pour prendre la préfecture de quement pour les émissions d'Alexandrie, ou l'annone à Rome. Il ne peut faire de doute que chronologiquement et par leurs représentations nous devons à la présence de ce gouverneur la pour les monnaies des ateliers de Rome en frappe des monnaies alexandrines à la légende 192360. Que, durant les deux années 188/189 et ΠΡΟΝΟΙΑ. 189/190, seuls les ateliers d'Alexandrie fassent Ce qu'il a voulu exprimer est plus difficile à apparaître la légende ΠΡΟΝΟΙΑ, et pour la seule définir. Cependant, ce chevalier se présente, fois du règne, pose un problème difficile à résou durant la plus grande partie de sa carrière, com dre.Étant donné la façon dont se présentent ces meun double spécialiste, du droit et de l'anno émissions; elles ne peuvent faire allusion à un ne. C'est ce dernier trait qui doit nous intéresser événement local; d'autant que la représentation plus directement. Il avait, en particulier, été de Commode sacrifiant ne peut être la transcippraefectus uehiculorum, avec une tâche précise, tion d'une réalité puisque, durant son règne, qui avait fait passer le poste des charges cente l'empereur ne s'est pas rendu en Egypte. Ce ne naires aux charges ducénaires, le ravitaillement peut être une série émise pour commémorer le de l'armée tout au long de la Via Flaminia*64. Ce souvenir de son passage en Egypte avec Marc sont certainement ses capacités dans le domaine Aurèle; elle aurait été émise en 185 ou 186. du ravitaillement qui ont poussé Commode à le Prétendre que c'est à l'attentat manqué de mettre directement à la tête de l'Egypte sans Maternus, à Rome, en mars 187, qu'il faut attri être passé par aucune autre préfecture. Le fait buer, à Alexandrie, des monnaies qui n'ont com qu'il soit resté peu de temps en Egypte et qu'il mencé à être frappées qu'en mars 188, un an ait été appelé immédiatement après à la préfec après!, ne peut fournir une solution acceptab turede l'annone, à Rome, doit être interprété le361.Comme nous l'avons déjà dit, de toutes comme la marque de confiance donnée à un façons, le mouvement de Maternus relève de la spécialiste et non comme une disgrâce, ou tout simple police et ne peut mettre en jeu la Provi au moins, à une rétrogradation provoquée par dence. Cléander365. Le seul rapprochement utile que nous puis En réalité, le gouverneur d'Egypte avait réuss sions faire se place sur le plan du gouvernement i dans la tâche qui lui avait été assignée dans sa du préfet d'Egypte d'alors. En effet, les années province; elle était en rapport avec l'annone, d'émission de ces monnaies avec ΠΡΟΝΟΙΑ cor avec la flotte alexandrine du blé qu'il a peut-être respondent à peu près exactement au temps su réorganiser et rendre plus efficace366, avec passé à la tête de la province par M. Aurelius l'accomplissement de la réquisition et du regrou Papirius Dionysius dont nous connaissons bien pement des récoltes. Si, en outre, son séjour la carrière par une inscription grecque de avait coïncidé avec une remise en ordre générale Rome362. Nous savons, avec une suffisante consécutive à des troubles dont nous possédons
360 Cf. supra, notes 253 à 257. Cf. p. 438, n° 87, 88 et 89, p.439, n° 90 et 91 (pi. ID. 361 J. Beaujeu, op. cit., p. 376. 362 IG, XIV, 1072 (=IGRR, I, 135). Cf. la notice prosopographique que lui a consacrée H. Pavis d'Escurac, La préfecture de l'annone, service administratif impérial d'Auguste à Constant in, Rome, 1976, p. 352-353. H. G. Pflaum, Carrières procuratoriennes, p. 472, n° 181.
363 Cl. Préaux, La Préfecture d'Egypte de 187 à 190, dans Chron. d'Égyp., XXII, 1947, p. 338. 364 H. G. Pflaum, Essai sur les procurateurs équestres sous le Haut-Empire Romain, Paris, 1950, p. 77. 365 Ni Dion Cass., LXXII, 13, 2, ni HA, Vit. Comm., XIV, 1, n'envisagent une telle manœuvre. Cf. cependant H. Pavis d'Escurac, op. cit., p. 52, 81, 293, 353. 366 Sur cette flotte, cf. J. Rougé, op. cit., p. 265-266.
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sans doute les traces367, et avec des crues favorab les,il est tout à fait logique qu'il ait fait appel à la ΠΡΟΝΟΙΑ; tout aussi normal était d'y associer l'empereur, puisque c'était à la ΠΡΟΝΟΙΑ de Commode de créer les conditions favorables à de bonnes récoltes, à une bonne annone, par l'intermédiaire de l'action de son gouverneur; nous en avons déjà vu des exemples sous les règnes précédents368. Il est vrai que le ravitaillement de Rome et de l'Italie était devenu, à la fin du principat de Commode, un souci primordial. Nos sources nous laissent entr'apercevoir de graves difficul tés : « il y avait une grande disette de blé », nous dit Dion Cassius à propos d'une dès dernières années369. C'était une des conséquences du déclin économique général de l'empire dû, en particulier, aux guerres de Marc Aurèle et à la peste, au développement du brigandage et, cer tainement, de la piraterie. Or, l'empereur ne pouvait pas rester indifférent devant un mauvais ravitaillement de Rome; cela pouvait susciter des mouvements populaires dangereux. Mais, surtout, l'annone faisait partie intégrante du pouvoir impérial, elle était considérée comme un des aspects de la Félicitas et comme une des expressions matérielles de la Prouidentia de l'empereur et des dieux. Il y avait longtemps déjà que Pline avait exalté l'annone créatrice d'abondance pour tous, grâce à l'action de l'em pereur370. Tacite lui-même avait placé un épiso de de disette dans Rome, sous le principat de Claude, dans un passage consacré aux prodiges de l'année : « La disette de grains et la famine qu'elle causa étaient regardées aussi comme des présages funestes»371. Qui dit prodige, dit colère des dieux et donc abandon de la protection accordée à l'empereur. Il fallait éviter que les difficultés de l'approvisionnement ne se retour nassent contre Commode lui-même. C'est pour quoi la nomination de M. Aurelius Papirius Dio-
nysius à la préfecture de l'annone au début de l'année 190, alors que la crise avait déjà éclaté, était plutôt un signe de faveur pour un homme qui venait de résoudre les premiers problèmes en Egypte et qui l'avait proclamé, au nom de l'empereur, par les émissions monétaires à la légende ΠΡΟΝΟΙΑ.
367 Cf. M. Rostovzev, op. cit., p. 452-453; H. A. Musurillo, The Acts of the Pagan Martyrs, Oxford, 1954, p. 65-69. 368 II faut évidemment écarter l'opinion de J. G. Milne, op. cit., p. XXXII qui ne veut voir dans ces monnaies que la reprise du type d'Hadrien. 369 Dion Cass., LXXII, 13,2. 370 Pan., XXIX, 3-5. 371 Tac, Ann., XII, 43, 1.
372 J. Aymard, Essai sur les chasses romaines, Paris, p. 554. ™RIC, III, p. 384, n° 172; p. 385, n° 184; p. 386, n° 186; p. 426, n°524; p. 427, n°533; p. 428, n°541 (Fortuna Felix); p. 385, n° 180, 181; p. 387, n° 196; p. 427, n° 530; p. 428, n° 540; p. 429, n° 552; 555 (Victoria Felix); p. 385, n° 177; p. 387, n° 195 et 195a; p. 428, n° 550 (Roma Aeterna); p. 388, n°203 (Roma Felix).
b) Les difficultés du monde romain. Le problème à résoudre était d'autant plus capital pour Commode qu'il développait, dans ces années, un nouvel aspect de ses conceptions religieuses, en poussant jusqu'à leurs dernières extrémités les fondements religieux de son pouv oir, ce qui a pu être appelé le « Commodianisme» ou la «folie du moi». Mais, auparavant, dans les années 188 et 189, les émissions monét aires des ateliers de Rome ne recèlent pas de changement fondamental par rapport aux an nées précédentes. L'accent était toujours placé sur la Félicité, Félicitas Aug. bien entendu, mais aussi quelques expressions nouvelles, dévelop pant et élargissant le thème, Fortuna Felix, Victo riaFelix. En même temps réapparaissait la légen de Roma Aeterna, disparue depuis Antonin, mais qui rappelait toute la politique religieuse menée par Hadrien autour de l'Urbsi72. Il est sans doute possible de voir dans cette frappe une commém oration de la dédicace du temple de Rome et de Venus en 128; c'en serait alors le soixantième anniversaire. De toutes façons, une telle concept ion entre parfaitement dans les vues globales de Commode sur son propre rôle et sur celui de la Ville. Si bien que, dès l'année 189 semble-t-il, apparut aussi la légende Roma Felix373. Mais la véritable accélération du processus religieux autour de la personne de Commode se produisit à partir de 190. Il ne doit pas étonner en fonc tion, d'une part de l'héritage mystique dont l'em pereur était porteur, d'autre part des événe ments du moment.
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En effet, la situation générale de l'empire semble plutôt mauvaise à partir de 187/188. Ce fut d'abord une nouvelle « peste » qui se répandit à Rome même et dans toute l'Italie; elle était venue sans doute, encore une fois, d'Orient374 et elle s'accompagna des bruits les plus fous d'em poisonnements volontaires375. Ce fut peut-être au même moment que Maternus, avec ses comp lices, essaya d'assassiner Commode dans Rome (en 187 ou 188)376. Puis une très forte disette, due à des difficultés dans l'approvisionnement toucha Rome et l'Italie (nous en avons vu les prémices avec l'intervention de Papirius Dionysius en Egypte); toutes nos sources y font allu sion et Hérodien insiste sur le fait qu'elle était due en grande partie aux retards des achemine ments de blé d'Afrique à cause des troubles provoqués par les canes377. À ce propos, il est difficile de croire que le proconsul d'Afrique, P. Helvius Pertinax, ait, de façon volontaire, pro voqué la défaillance de l'annone pour déclen cherle processus conduisant à la chute de Cleander378. Une telle initiative aurait pu être plus dangereuse pour lui-même que pour Clean der;le proconsul n'a certainement pas eu besoin d'accentuer ce qui existait déjà379. Nous pouvons être sûr, qu'étant donné l'importance du problè me,Commode lui-même reprit en mains la direction des approvisionnements, avec l'aide du nouveau préfet de l'annone, Papirius Dionysius380; il semble que l'empereur ait choisi ce moment pour établir une taxation381. Un autre incident avait mis le comble à la tension dans la Ville. Ce fut sans doute en 189 qu'un léger tremblement de terre provoqua un incendie qui se répandit dans une partie import ante de Rome382; le feu prit au temple de la
Paix et s'étendit à toute la zone du forum et à une partie du Palatin. Son déclenchement et son extension furent interprétés comme un prodige, un signe de la colère divine envers les hommes. Tous ces événements, en aussi peu de temps, transformèrent les rapports entre le peuple de Rome et l'empereur dont l'entente avait été jus qu'alors excellente. Et si Commode, entrant dans Rome après la chute de Cleander, fut encore acclamé383, il passa ensuite rapidement au banc des accusés : « ces accidents funestes qui se suivi rent de si près aigrirent l'esprit du peuple contre Commode; il rejetait sur lui la cause de tous ses malheurs»384. C'est encore Hérodien qui nous affirme que le caractère de l'empereur se trans forma à ce moment : « Tout le monde lui devint suspect», et nous savons par sa biographie de XHistoire Auguste que l'année 190 fut marquée par de nombreuses condamnations, dont celles d'un Antoninus, fils de M. Petronius Sura Mamertinus et de la sœur de l'empereur Cornificia; périt aussi Annia Fundania Faustina, épouse de T. Vitrasius Pollio et nièce de Marc Aurèle385. Cette première réponse apportée par Commode aux événements ne pouvait être suffisante. La seconde, plus importante, fut purement religieu se et totalement dans la ligne tracée depuis le début du règne, dans la tradition de ses prédé cesseurs.
374 Hérod., I, 12, 1-2. 375 Dion Cass., LXXII, 14, 3-4. 376 Hérod., I, 10, 6-7. 377 Hérod., I, 12, 4; Dion Cass., LXXII, 13,2; HA, Vit. Comm., XIV, 1. 378 Thèse défendue par G. Ch. Picard, Pertinax et les pro phètes de Caelestis, dans RHR, CLV, 1959, p. 61; reprise par H. Pavis d'Escurac, op. cit., p. 162 et p. 293. 379 F. Grosso, op. cit., p. 625. 380 Ce dernier pose un problème. Une seule de nos sour cesnous dit qu'il fut mis à mort sur l'ordre de Commode (Dion Cass., LXXII, 14, 3). La phrase est placée dans un paragraphe qui regroupe des faits qui se sont déroulés à des dates très différentes. Ce n'est certainement pas
ment, en 190, que cette élimination a dû avoir lieu; mais plus tard, sans doute en 192, alors que le problème annonaire n'était pas totalement résolu. 381 HA, Vit. Comm., XIV, 2-3; F. Grosso, op. cit., p. 305; H. Pavis d'Escurac, Réflexions sur la «Classis Africana Commodiana», dans Mèi. W. Seston, p. 400-401. 382 Hérod., I, 14, 2-6; Dion Cass., LXXIII, 24, 1. 383 Hérod., I, 13, 7. 384 Hérod., I, 14, 7. 385 HA, Vit. Comm., VII, 4-8. 386 F. Altheim, Le déclin du monde antique, Paris, 1953, p. 315. 387 J. Beaujeu, op. cit., p. 397.
c) La réponse religieuse de Commode. Il n'est pas possible de parler alors de l'appa rition d'«un nouveau type humain» ou d'«une rénovation des plus vieux instincts»386, ni même de penser que Commode procède à la libération de «ses instincts frénétiques»387. Il s'agit plutôt d'un raisonnement logique qui permet de pous-
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ser à leurs dernières extrémités les facteurs rel igieux déjà existants. Comme nous l'avons dit plus haut, Commode regroupait en lui, grâce à la Providence des dieux et des diui, tous les charismes contenus dans le sang des Ulpii; ils lui permettaient d'être le dispensateur et le garant de la Félicité pour l'Eternité de Rome. Si, en 189/190, les événe ments semblaient comme un démenti ou même comme un désaveu, il ne pouvait être question pour l'empereur d'abandonner tout ce qui faisait sa position privilégiée; l'aurait-il voulu qu'il ne l'aurait pu puisque ce n'était pas de lui qu'elle dépendait et qu'il n'était qu'un dépositaire emi nent. L'attitude générale de Commode nous montre qu'il croyait sincèrement et profondé ment à sa place et à son rôle. Face à des événe ments peu favorables, la réaction, logique, de l'empereur fut d'accentuer le rôle qu'il jouait dans l'État, de prendre tout en charge directe ment,en un mot de tout rendre «commodien». À partir de ce moment, ce qui était «commod ien»fit intimement partie de la personne même de l'empereur, fut une partie de luimême. Ce qui était «commodien» participait désormais totalement des aspects bénéfiques que, grâce aux dieux, l'empereur conservait en lui. Ainsi peut s'expliquer ce développement étonnant de l'appropriation, par Commode, de tout ce qui, dans l'Empire, devait parfaitement fonctionner ou servir d'exemple universel. À commencer par la ville même de Rome; l'incen die qui l'avait ravagée devait permettre à Com mode de lui donner son nom et, pour bien montrer qu'il voulait en être considéré comme le nouveau fondateur, il en fit une colonie388. L'épisode est réel puisque des sesterces et des as, datés très précisément de 190, portent la
légende COL(onia) L(ucia) A(urelia) N(ova) COM(modiana)389; ils représentent Commode, la tête voilée, donc exécutant un rite religieux, con duisant deux bœufs tirant un soc de charrue. Dans la même perspective, l'empereur donna aussi son nom au sénat, aux légions, au jour où ces décrets importants avaient été pris, au peu ple romain lui-même390. Enfin, le calendrier fut totalement assimilé à la propre personne de l'empereur puisque chaque mois reçut un nom tiré de sa titulature; cette maîtrise globale et totale du temps ne pouvait qu'être l'annonce d'un nouveau siècle d'or, ou, plus sûrement, de la reprise de ce siècle d'or qui avait commencé sous Hadrien et qui, maintenant, pouvait lui aussi recevoir le nom de «commodien»391. Toute cette politique d'absorption, ou plutôt d'osmose, était, dans l'esprit de Commode, et certainement de beaucoup de ses contempor ains, très positive. Nous ne devons pas y voir un quelconque mépris; faire de Rome la colonie Commodienne n'était pas la rabaisser au rang des villes de l'empire qui avaient reçu le même titre392. Le titre de colonie était glorieux et recherché393 et il ne faisait jamais table rase du passé lorsqu'il était accolé à une ville déjà exis tante. Mais, surtout, comme l'a montré J. Aymard, l'empereur insistait sur l'idée de renouvel lement(la colonie est noua)294", c'est pour Rome un nouveau départ; assimilée à l'empereur Felix, elle ne pouvait être aussi que Felix. C'est le même sens qu'il faut accorder à tout ce qui est «commodien». D'ailleurs les monnaies et les médaillons de cette année 190395 développent le thème de la Félicité autour de l'idée de l'écoul ementdu temps, avec les légendes TEMP FELIC et SAECVLI FELIC396; mais ces monnaies étaient encore le reflet de l'intervention directe de l'em pereur dans ce renouvellement du temps; en
388 Dion Cass., LXXII, 15, 2; HA, Vit. Conrni., VIII, 9. 389 RIC, III, p. 430, n° 560; p. 431, n° 570. Développement de J. Aymard, Commode-Hercule, fondateur de Rome, dans REL, XIV, 1936, p. 352-354. 390 Dion Cass., LXXII, 15, 2; 6 (le sénat est aussi ευτυχής, Felix). HA, Vit. Comm., VIII, 9; XV, 5. 391 Dion Cass., LXXIII, 15, 3; HA, Vit. Comm., XI, 8; XIV, 3. Il faut écarter l'avis de S. Weinstock, Diviis Julius, p. 155, qui ne veut voir dans le calendrier de Commode qu'un décalque des calendriers grecs et qui ne lui trouve d'original ité que dans l'audace qu'a eue l'empereur de l'introduire à
Rome. 392 J. Beaujeu, op. cit., p. 398. 393 Aulu-Gel., Ν. Α., XVI, 13. 394 J. Aymard, art. cit., p. 354. 395 II est assez difficile de savoir si tout ce que nous avons cité à été appelé «commodien» dès 190. J. Beaujeu, op. cit., p. 399, n. 3, pense que le calendrier n'a existé sous cette forme qu'à la fin 191. Mais cela ne peut changer le sens général de l'œuvre de Commode. 396 RIC, III, p. 389, n° 209, 214; p. 430, n° 565; p. 431, n° 573; 566, 567, 574, 575.
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effet, elles portent comme représentation sur leurs revers un caducée ailé entouré de deux cornes d'abondance croisées. Il s'agissait, dans ce cas, de rappeler avec un peu d'avance, mais il le fallait pour la coïncidence avec la nouvelle fondation de Rome, la naissance gémellée de Commode, trente ans auparavant397. Dès sa nais sance, il avait été désigné pour développer un siècle d'or. C'est aussi dans ce sens qu'il nous faut pren dre de nouveaux revers monétaires avec la légende GEN(io) AVG(usti) FELIC(is)398 et un médaillon portant l'inscription PIO IMP(eratori) OMNIA FELICIA399; Commode, la tête voilée, sacrifie sur un trépied face à Neptune. Sur un autre médaillon, à la légende VOTIS FELICIBVS, Commode sacrifie sur un trépied alors qu'on aperçoit deux galères et deux barques, dont l'une porte Sérapis, qui s'avancent vers le rivage où se trouve un phare à trois étages400. Il est inutile ici de revenir à la juste critique faite par J. Beaujeu à A. Alföldi et à J. M. C. Toynbee qui voulaient voir dans le dernier médaillon la célé bration des nota du jour de l'an mêlés à un Nauigium Isidis anticipé401. Nous retrouvons ici simplement un des soucis principaux du mo ment, le ravitaillement de Rome et de l'Italie, Sérapis et Neptune étant les divinités protectri ces des flottes pendant leurs traversées402. Ce sens n'exclut pas une dimension plus large incluant la protection de la vie entière de Rome et de l'Italie qui dépend de la mer. Il est, en tout cas, certain que, durant toute cette année, il a existé un lien de cause à effet entre le nom de Commode et la Félicité; tout ce qui était devenu «commodien», pouvait aussi devenir Felix
que l'empereur était porteur de cette Félicité par son action qui se déroulait sous le signe de la Piété (PIO IMP), c'est-à-dire de l'affirmation du respect de ses prédécesseurs et de leurs décisions. Mais Commode est allé plus loin. Il s'est identifié à Hercule. Ce dernier était traditionnel lement le protecteur de tous ceux qui avaient pour métier ou occupation principale la lutte guerrière. C'est en tant que soutien dans ses entreprises militaires que Trajan l'avait introduit dans la numismatique et en avait fait un de ses dieux favoris. Puis Hadrien l'avait associé à son annonce de l'Âge d'Or et au développement du culte de Roma Aeterna403. C'est sous ces deux aspects que Commode développa le rôle d'Herc ule;il y était porté par le fait qu'Hercule proté geait les combattants dans l'amphithéâtre; son goût pour ce genre de combats, attesté par tou tes nos sources, ne pouvait que le conduire à donner une place prépondérante à Hercule. Dans l'arène, comme le dieu, Commode montrait courage, force et adresse. Il reproduisait face au peuple romain les exploits d'Hercule et, comme lui, en débarrassant le monde de ses monstres, il en était le bienfaiteur404. Mais dans l'assimilation de Commode à ce dieu, il existe des traits sup plémentaires non négligeables. Nous y trouvons, en particulier, la recherche de l'Âge d'Or qui s'appuie sur l'idée d'un Hercule fondateur de Rome et étendant, à l'infini des temps, ses bienf aits sur la Ville405. Comme le dit J. Gagé, «l'acte mystique par lequel Commode-Hercule préten dait fonder une Rome à son nom était à la fois la répétition du geste de Romulus, et le rite sécul aire, faisant en quelque sorte rebondir la durée
397 Sur le sens de la représentation, cf. supra, p. 319-320. Pour J. M. C. Toynbee, Roman Medallions, dans Num. St., V, 1944, p. 77, il s'agit simplement des attributs de Félicitas qui serait liée à Mercure pour le commerce. ™RIC, III, p. 430, n°561. 399 F. Gnecchi, op. cit., II, p. 58, pi. 82, n°4; J. M. C. Toynb ee,op. cit., p. 77. 400 F. Gnecchi, op. cit., II, 172-176, pi. 89, n° 6 à 8; J. M. C. Toynbee, op. cit., p. 78. 401 J. Beaujeu, op. cit., p. 377-379. Va à l'encontre de A. Al földi, A Festival of Isis in Rome under the Christian Emperors of the rVth Century, dans Diss. Pann., II, 7, Budapest, 1937, p. 48-51. J. M. C. Toynbee, op. cit., p. 78. 402 J. Beaujeu, op. cit., p. 380-381. Il est cependant curieux
de parler de l'arrivée d'une flotte d'Afrique, car Carthage n'est pas encore la nouvelle Alexandrie comme le pense J. Beaujeu, p. 380, n. 6. Si ce sont bien des médaillons distr ibués au jour de l'an, pourquoi ne seraient-ils pas en rapport direct avec l'action entreprise l'année précédente, en Egypte, par son gouverneur Papirius Dionysius, action qui a été consacrée par les monnaies ΠΡΟΝΟΙΑ dont nous avons parlé plus haut? 403 Cf. J. Beaujeu, op. cit., p. 84-87; p. 159. 404 Ibid., p. 401-405. C'est d'ailleurs dans l'enceinte de l'am phithéâtre que l'empereur appelle le peuple romain «com modien», le faisant ainsi participer directement à ses bienf aits. 405 J. Aymard, art. cit., p. 355-356.
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illimitée de l'Urbs»406. Ce programme se trouve être exactement la voie tracée par Hadrien et conservée par ses successeurs, en faveur de l'Eternité de Rome dans la Félicité. La différence ne concerne que l'exacerbation par Commode de tout ce qui était largement contenu dans les attitudes et les positions de ses prédécesseurs. Sur cette stupéfiante assimilation, nos sour cesne nous épargnent aucun détail. Commode prit lui-même le surnom d'Hercule ou d'Hercule Romain407; il se présenta au public avec ses attributs, la peau de lion et la massue; on lui éleva des statues qui le représentaient à l'image du dieu; il fit placer sa propre tête à la place de celle du Colosse qu'il munit d'une massue et d'un lion de bronze à ses pieds; Commode, le Colosse et Hercule se trouvaient confondus408. Enfin, pour parfaire l'assimilation, le sénat lui octroya le titre de Deus et on créa, de son vivant, un Flamen Herculaneiis Commodianus409 pour présider les sacrifices qui lui étaient dus comme à un dieu. Les monnaies confirment entièrement les sources écrites et laissent apparaître, en 191, des types fondamentalement nouveaux410. Ainsi les émissions en l'honneur de Her(culi) Commodiano où le dieu est représenté seul, tenant une corne d'abondance et sacrifiant sur un autel411. Il est normal de voir refrappé la même année le type ROMA FELIX; s'ajoutant à l'ancien GEN AVG FELIC apparaît une Felic(itati) Perpetuae qui montre sur ses revers la Félicitas et Commode, face à face et se serrant la main412. Le choix d'Hercule et sa véritable fusion avec Commode renforçaient le bonheur éternel promis à Rome.
C'est à travers ce monnayage que nous ressen tonsle mieux l'effort considérable réalisé par Commode pour conserver sa position privilégiée de garant de la Félicité. En vérité, son assimila tion à Hercule ressemble à une fuite en avant, face à des événements qu'il ne pouvait plus maîtriser, en particulier le ravitaillement de la Ville devenu irrégulier413. Les émissions de 192 expriment le même état d'esprit, en le précisant s'il en était besoin; apparaît le type Hercules Romaniis, avec la massue, ou bien la massue, l'arc, le carquois et les flèches; parfois, Hercule debout tient sa massue et une peau de lion et couronne un trophée414. L'autre expression em ployée, plus répandue encore, est celle d'Hercul es Romanus Conditor; sous cette appellation, certaines monnaies montrent Hercule condui sant la charrue tirée par deux bœufs. L'image est semblable à celles des monnaies commémorant la fondation de la Colonia Commodiana de Rome; cet Hercule est Commode en personne415. Nous pouvons aussi attribuer à cette époque un HERCVLI COMITI qui fait du dieu le compa gnonde Commode, celui qui l'accompagne com meconseiller dans toutes ses campagnes et dans toutes ses actions416. Dans ces séries de 192 se trouvent les deux émissions qui nous intéressent plus directement; grâce à elles, nous pourrons parfaitement définir, dans ce contexte, le rôle et la place de la Providence417.
406 J. Gagé, Basileia . . . , p. 244. 407 Dion Cass., LXXIII, 15, 2; 15, 1; HA, Vit. Comm., VIII, 5. Hérod., I, 14, 8 (qui prétend qu'il changea son nom de Commode en celui d'Hercule, ce qui est manifestement faux). 408 HA, Vit. Comm., IX, 2; Dion Cass., LXXII 22, 3; Hérod., I, 15, 9. Cf. J. Gagé, Le Colosse et la Fortune de Rome, dans MEFR, XLV, 1928, p. 117. L'auteur y voit, d'une façon certa inement exagérée, l'image de l'empereur vivant et pourtant déjà divinisé, « tel qu'il se voulait dans l'apothéose ». 409 HA, Vit. Comm., VIII, 9; IX, 2; XVII, 11. 410 Annoncés par certaines représentations intéressantes décrites dans J. Beaujeu, op. cit., p. 401-402. 411 RIC, III, p. 390, n°221; p. 432, n°581; p. 433, n° 586, 591. 412 RIC, III, p. 391, n°224, 225, 228; p. 432, n°583; p. 433, n°593 (Roma Felix); p. 391, n° 227 (Genius); p. 433, n° 595
(Félicitas). 413 C'est pourquoi il n'est peut-être pas nécessaire de sup poser un complot militaire pour expliquer certaines frappes de 191 (J. Beaujeu, op. cit., p. 386-387) : IOM SPONSOR SEC AVG; IOVI DEFENS SALVTIS AVG; MARTI VLTORI; MATRI DEVM CONSERV AVG; SERAPIDI CONSERV AVG et celles commémorant des VOTA SOLV PRO SALVT Ρ R (RIC, III, p. 434-435). D'autant que FELIC PERPETVAT fait partie de ces émissions. L'importance donnée à Sérapis nous oriente encore très certainement vers les problèmes de ravitaill ement par mer. 414 RIC, III, p. 395, n°250 à 254b; p. 396, n°254c et d; p. 439, n° 637 à 640; 643 à 645 (avec AVG). 4|5 RIC, III, p. 396, n° 247; p. 436, n° 616; p. 437, n° 629. 416 RIC, III, p. 438, n° 634. 417 Cf. supra, notes 256 et 257. Cf. p. 439, n° 90 et n° 91 (pl. Π).
d) Le retour à la Providence. Ce retour à la Providence, abandonnée dans le monnayage depuis plusieurs années, est inté-
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ressant à plus d'un titre. Le motif des revers est tout à fait original; il symbolise un contact direct entre Commode-Hercule et l'Africa, parfaitement reconnaissable à ses attributs (peau d'éléphant en guise de coiffure et sistre). Nous pouvons rapprocher ces monnaies de deux passages fo ndamentaux de l'Histoire Auguste qui montrent tout l'intérêt que Commode a porté à l'Afrique. Dans le premier, la biographie affirme que l'em pereur avait projeté un voyage en Afrique, qu'il ne fit pas418. Dans le second il nous est affirmé qu'«il équipa une flotte africaine, qui devait sur tout servir dans le cas où les blés d'Alexandrie seraient venus à manquer. Il fit prendre à Car thage le nom ridicule &Alexandria Commodiana togata, et à cette flotte celui de Commodiana Herculea»419. Comme nous l'avons vu plus haut, il faut totalement écarter l'idée, encore défendue par F. Grosso420, que cette flotte ait pu être créée en 186. Une autre opinion, récemment émise, voudrait que l'auteur de la Vita Commodi ait transposé son expérience d'homme du IVe siècle dans les événements qu'il relatait421. Ce récit ne serait que «la marque des protestations des milieux romains du IVe siècle contre l'annone constantinopolitaine »422. Il doit être possible de revenir à une concept ion plus simple de la réalité en acceptant les données fournies par la biographie de Commod e. Ces données sont, en effet, tous à fait plausi blesdans la ligne politique générale du moment, et correspondent aux éléments numismatiques. Mais, il ne faut pas chercher quelque représentat ion de navire; le rapprochement doit s'effectuer avec les deux séries en l'honneur de la Providen ce Auguste. C'est pourquoi, dans un premier temps, nous devons placer en 192, et pas avant, la volonté exprimée de réorganiser les arrivages de blé d'Afrique en convois réguliers423, et le désir qu'aurait eu l'empereur de se rendre en Afrique même. Cette action et ces projets sont
parfaitement compréhensibles dans la mentalité de l'empereur. Les difficultés de ravitaillement n'avaient pas véritablement cessé depuis 189/ 190, même si Papirius Dionysius avait, en partie, réussi en Egypte; mais cette dernière province ne fournissait plus qu'un appoint, important, à l'annone. L'Afrique était alors le principal four nisseur. Or, à cause en grande partie des trou bles provoqués par les canes, elle n'avait pas totalement remplie sa mission ces deux derniè res années. Dans sa politique de reprise en mains personn elle424, il était normal que l'empereur ait pensé s'attaquer directement au problème de l'annone d'Afrique. Dans cette perspective, nous ne pou vons nous étonner de lui voir donner, en 192 et certainement pas auparavant, à la flotte les noms de «Commodienne Herculéenne». Elle était ainsi placée dans l'orbite de félicité et de prospérité sur laquelle se trouvait l'empereur. Mais pour qu'existe une flotte «heureuse», com me il y a des arbres «heureux», porteurs de fruits, encore fallait-il que l'Afrique produisît suf fisamment. C'est à un tel souci que répondent les monnaies avec la légende Prouidentia. Quand l'Afrique reçoit Hercule, c'est-à-dire Commode, nous nous trouvons en présence du projet de voyage établi par l'empereur; ce projet a dû être une réalité. En effet, nous l'avons montré à pro pos d'Hadrien et de Marc Aurèle, la présence de celui ou de ceux qui possèdent les marques du choix divin, les charismes, a un effet fécondant et apporte la félicité. C'est dans ce sens que nous devons prendre le désir de déplacement de Commode; arrivant sur le sol d'Afrique, comme Hercule, il faisait pousser les récoltes, rendait les moissons riches, apportait la prospérité à tous ceux qui travaillaient la terre. Le rapprochement avec Hercule était d'autant plus favorable dans ce domaine que Commode semble avoir eu une prédilection toute particulière pour le culte
418 HA, Vit. Connu., IX, 1 (il ne faut pas prendre en compte la malveillance de l'auteur qui a vu dans cette intention exprimée par Commode un moyen de toucher le sumptus itinerarius et l'utiliser à d'autres fins). 419 HA, Vit. Connu., XVII, 7. 420 Cf. supra, p. 355. 421 H. Pavis d'Escurac, art. cit., p. 406-408. 422 J. Rougé, op. cit., p. 267, n. 1. 423 H. Pavis d'Escurac, art. cit., p. 405, argumente contre la
biographie en montrant que le mot instituit est impropre, qu'il n'a pas pu y avoir création «ex nihilo». Nous pensons que, tout au contraire, le terme est parfaitement juste; com meCommode a fondé Rome, il a établi une flotte; cela ne veut pas dire que Rome et la flotte n'existaient pas avant lui. 424 Sans doute après la disgrâce de Papirius Dionysius qui ne date peut-être que des premiers mois de 192.
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phallique d'Hercules Rusticus dont la fonction fécondante était prépondérante; n'avait-il pas fait d'un de ses favoris un prêtre de ce vieux dieu, à la fois grec et italique425? Les épis de blé, tenus ou tendus par l'Afrique à Hercule symboli sent parfaitement ce rôle de fécondation qui est attribué au dieu, donc à Commode. Hercule a le pied sur une proue de navire, car la production de l'Afrique est destinée à traverser la mer pour aller à Rome; c'est à Commode-Hercule de la transporter en toute sûreté. Dans ce contexte, l'appel à la Providence ne peut nous étonner. Dans la situation difficile faite à l'empereur, surtout à cause du ravitaill ement, Commode avait été obligé de renforcer les aspects religieux contenus dans sa propre per sonne et de mettre de plus en plus en valeur les charismes qu'il portait en lui. Pour renforcer l'effet recherché en 192, Commode a jugé bon de reprendre le thème fondamental qui exprimait sa légitimité au pouvoir : la Providence des dieux et des diui l'avait choisi et lui avait donné cette position privilégiée pour qu'il puisse exercer sa propre providence à la recherche de la Félicité pour l'Éternité de Rome. Commode rappelait ici à tous qu'il était l'héritier légitime, que son pou voir ne pouvait être contesté qu'à condition de s'attaquer aux dieux eux-mêmes. C'est bien ce que signifie la foudre que porte Hercule sur les aurei et les deniers; elle rappelle la filiation avec les dita et les diuae, la piété de Commode à leur égard par son respect des décisions prises par eux. Il y a, malgré les apparences présentées par ces séries, comme un retour aux sources du pouvoir de l'empereur; c'est certainement ce qui exprime le mieux le désarroi dans lequel il se trouve plongé durant cette année 192. Seule l'exaltation de ses qualités divines pouvait, pens ait-il, venir à bout des difficultés et recréer, ou continuer, le siècle d'or, cette idée à laquelle, comme nous l'avons vu sous le principat d'Ha drien, la Providence était intimement attachée. Si nous ne voulons pas tenir compte des allusions malveillantes de l'Histoire Auguste, il est difficile de savoir pourquoi le voyage ne s'est pas fait. L'existence de ces monnaies, dont on n'a
425 HA, Vit. Comm., X, 9. Cf. J. Bayet, Les origines de l'Her cule Romain, Paris, 1926, p. 450.
pas retrouvé un très grand nombre d'exemplair es, semblerait prouver que le voyage de Com mode était imminent et qu'il aurait pu s'effec tueren 193. Mais ne vaut-il pas mieux penser que la monnaie équivaut au voyage, qu'exprimer dans l'or, l'argent, le bronze, son désir d'aller en Afrique, c'est le matérialiser et le rendre réel? De ce point de vue, le principat de Commode est très différent de celui de Marc Aurèle ou de celui d'Hadrien. L'empereur est presque tou jours resté à Rome, se terrant même, suivant nos sources, dans son palais pour éviter d'être assas siné. Et pourtant le princeps avait une conscien ce aiguë de l'importance de son rôle et de ce qu'il apportait de bonheur au monde habité, de la même façon que le pensaient ses prédéces seurs sur le trône. Mais, alors que Marc Aurèle emmenait toute sa famille dans ses campagnes, Commode restait dans la Ville ou proche d'elle. N'aurait-il pas trouvé des substituts à sa présen ce réelle? N'aurait-il pas su amener le monde dans la Ville plutôt que d'aller au monde? Hadrien s'était bien retiré dans son microcosme de Tibur. En tant qu'Hercule, Commode était déjà voyageur et, rééditant dans l'amphithéâtre les travaux du dieu, il pouvait se considérer comme présent partout où Hercule était passé; de ce fait, il était fécondant et propice pour toutes ces régions. En outre, les extravagances publiques de Commode, prises le plus souvent comme l'expression d'une démence furieuse, ne trouve raient-elles pas leur explication la plus juste dans ce désir de prouver que l'empereur est le dominateur et le fécondateur du monde, comme les dieux et les diui l'avaient voulu? En effet, tout ce qu'il réalisait dans l'amphithéâtre était inscrit dans les Acta de Rome, parce que Com mode considérait qu'il s'agissait là de son activi té fondamentale426. Elle l'était véritablement, puisque, par les animaux et les gladiateurs qu'il réunissait et qu'il combattait victorieusement, l'ensemble du monde romain était présent. Et même, puisqu'il ne pouvait pas y avoir de limite à son pouvoir, il faisait venir des animaux d'audelà du limes, « du midi et du septentrion », com·
426 HA, Vit. Comm., XV, 4.
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me dit Hérodien427. En transformant certaines personnes en monstres, il pouvait passer pour le maître des régions, au-delà du monde connu, où les hommes n'ont pas leur place428. Au lieu d'al ler combattre les Barbares et de faire tuer des citoyens dans ces luttes, Commode a préféré les victoires sur les symboles du monde qu'il ras semblait dans l'arène et dont il était, véritabl ement et matériellement, le seul victorieux429. Cette victoire, comme toutes les autres victoires, était éminemment fécondante et heureuse; aussi les assistants devaient-ils toujours scander: «Tu es le maître, tu es le premier, tu es le plus heureux de tous les hommes»430. Commode pens ait que de cette façon il réalisait son devoir d'empereur qui lui avait été tracé par la Provi dence et qu'il se devait de totalement respecter pour le bien de tous. Le principat de Commode, toute son action et tous les principes sur lesquels il s'est appuyé, n'étaient que l'aboutissement de ce qui était en germe dans l'empire depuis Trajan et Hadrien, depuis qu'avait été affirmé le droit de succession par le sang des Ulpii; il avait été choisi par la Providence des dieux pour fournir à Rome les empereurs capables d'apporter la Félicité et l'Éternité à la Ville. Le point le plus fructueux pour l'avenir a été la liaison établie par Hadrien entre sa propre personne, en tant que princeps, et le destin de Rome. Ses successeurs n'ont pas failli à l'annonce, à la recherche, à l'établiss ement d'un siècle d'or. Mais ils avaient tous été obligés de compter avec d'autres membres de la domus imperatoria, les vrais porteurs du sang des Ulpii, les femmes, seules véritables dispensatri ces de la Félicité et de l'Éternité, une fois mortes et de nouveau vivantes par la divinisation431.
Seul Commode échappait à ce partage. Étant l'unique garçon survivant des enfants de Marc Aurèle et de Faustine, il regroupait en lui tous les charismes jusqu'ici dispersés; il savait, com metous ceux autour de lui le savaient, comme son père le savait, que cela était dû à une faveur particulière des dieux et de leur Providence. Assumant seul cette Providence, il pouvait aller aussi loin qu'il le voulait dans ce qu'on a pu appeler sa «mégalomanie mystique» ou sa «fo lie», même jusqu'à l'identification avec celui qui était le réceptacle des forces de renouvellement heureux, Hercule. Le buste du Palais des Conser vateurs représente la synthèse de ce qu'a voulu être Commode : l'Hercule, maître du monde, garant du siècle d'or, fondateur de la Ville432. Alors qu'avant lui toute la donnis augusta portait le poids de la Providence et de l'Éternité, Commode est seul. Ce point de perfection qu'il représente dans le système établi dès le début du siècle est aussi un point final à partir du moment où l'empereur n'a pas d'enfant. Commod e l'a-t-il ressenti ainsi, l'a-t-il même voulu et recherché lorsqu'il a écarté Crispine, l'a fait mett re à mort et ne l'a remplacée que par une concubine, la fameuse Marcia qui provoqua sa mort? A-t-il voulu que tout se termine avec lui ou a-t-il cru que l'Éternité de Rome ne pouvait plus passer que par sa propre éternité, sa propre immortalité? Nous ne pouvons le savoir; mais son principat n'avait pas été inutile. L'engage ment religieux de la personne de l'empereur était allé trop loin pour qu'un total retour en arrière fût possible. Désormais la Providence, avec tout ce qui l'accompagne, fait partie inté grante du pouvoir impérial. La disparition de Commode ne pouvait effacer sa présence.
427 Hérod., I, 15, 5. Toutes nos sources ne tarissent pas sur ces aspects et nous donnent l'échantillonage presque comp let des animaux du monde: Dion Cass., LXXII, 18; 19; 20. HA, Vit. Comm., XI, XII, XIII. 428 Dion Cass., LXXIII, 20, 3. HA, Vit. Comm., IX, 6. 429 Le rapprochement avec la victoire sur les ennemis extérieurs est fait par Hérod., I, 15. 430 Dion Cass., LXXIII, 20, 2. 431 II faut totalement écarter l'idée qu'il puisse y avoir des «diui de seconde zone». Le terme est employé par H. G. Pflaum, dans la discussion qui a suivi la communication de M. Durry, Sur Trajan Père, dans Les Empereurs Romains d'Espagne, Paris, 1965, p. 53. En employant cette expression
désobligeante, H. G. Pflaum parlait du père de Trajan dont nous avons vu que la divinisation avait été rendue nécessaire pour fonder une hérédité parfaite dans la possession du pouvoir impérial. Le problème est aussi posé par H. Temporini, op. cit., p. 246-255 ; elle en écarte l'idée. Il en est de même des remarques faites par E. J. Bickerman, Diva August a Marciano, dans Amer. Jour, of Philol., XCV, 1974, p. 369-370, qui pense que « les princesses divinisées sont une sorte de seconde classe dans les divinités » et que « le terme de diva n'est qu'un titre ». C'est ne pas vouloir voir le rôle fondamenta l, indispensable, joué par Marciane, Matidie, Sabine et les deux Faustines. 432 J. Aymard, art. cit., p. 361.
CHAPITRE III
«PROVIDENTIA» ET SOUVERAINETÉ DYNASTIQUE UNE CONFIRMATION
I - PERTINAX ET LA FAVEUR DES DIEUX 1 - La difficile succession de Commode L'assassinat de Commode, dans la nuit du 31 décembre 192, causa une rupture dramatique dans le processus de stabilité du pouvoir qui avait été recherché dès l'époque de Trajan et qui avait été, sans conteste, un succès. La succession, préparée et exécutée sans faille, était la garante de la prospérité et de l'éternité de Rome. C'est tout cela qui était brisé pour un temps. Commod e n'avait rien envisagé pour sa succession; il n'avait pas d'enfant vivant, sa femme légitime avait été écartée et exécutée; il avait vécu avec une concubine dont les enfants, s'il y en avait eu, ne pouvaient avoir aucun droit au pouvoir. Avait-il pensé, étant donné son âge, avoir encore tout le temps pour organiser sa succession, ou bien, comme nous l'avons déjà suggéré, avait-il cru à sa propre immortalité et à la confusion totale de son propre destin et de celui de Rome? Nous ne pouvons le savoir. Il n'empêche que tout ce qui, jusqu'ici et depuis Trajan, avait été placé sous l'invocation de la Providence se trou vait brisé, anéanti par sa mort. Avec lui, pouvaient aussi disparaître les espé rances dans le siècle d'or dont il était le garant choisi par les dieux. Le choc psychologique était d'autant plus grand que sa mort s'était placée au moment de sa totale assimilation à Hercule, 1 J. M. C. Toynbee, Roman Medallions, dans Num. St., V, 1944, p. 74-75. 2 C'est ainsi que Fadilla prévint elle-même Commode au
alors qu'étaient prêts les médaillons qu'il devait sans doute faire distribuer le 1er janvier; avec son effigie munie des attributs herculéens se retrouve sur les revers avec la légende d'Hercule Romain Fondateur (Conditor) ou d'Hercule Romain Auguste1. Il n'y avait pas désir d'une révolution qui aurait fait repartir Rome sur des bases entièrement nouvelles; c'était inconcevab le pour un esprit de cette époque. Tout au contraire, étant donné la réussite passée des Antonins, malgré l'épisode de Commode, qui d'ailleurs n'était pas odieux à tout le monde, on se retournait vers les principats d'Antonin le Pieux et de Marc Aurèle; il ne fut alors jamais reproché à ce dernier d'avoir laissé Commode lui succéder, ce qui aurait pu être une tache indélébile sur sa mémoire; mais tout le monde savait qu'il y avait été conduit par les dieux eux-mêmes et chacun ne pouvait que l'approu ver dans sa démarche. La colère des dieux, dont une des manifestations avait été la disette à Rome, avait fait tomber Commode, mais n'avait pas condamné les buts que s'était fixée la lignée antonine. Il fallait renouer avec eux, dans un parfait accord avec les dieux. Aussi le choix d'un successeur ne pouvait-il se faire que dans un cadre extrêmement restreint. Celui de la famille impériale d'abord, mais tous les membres survivants, en particulier les der nières filles de Marc Aurèle, avaient eu un rôle relativement effacé tout en restant proches de Commode2. Aucune n'était Augusta et ne semmoment du mouvement populaire contre la disette et contre Cleander (Herod., I, 13, 1-4).
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blait pouvoir intervenir avec poids et efficacité dans la situation créée par la disparition de leur frère. Les pensées se tournèrent plutôt vers ceux qui avaient connu Marc Aurèle, qui l'avaient aidé de leurs efforts et de leurs conseils, qui avaient été ses comités et ses amici. Ils pourraient repro duire ce qu'avait été l'accord de l'empereur et des dieux et recréer l'anneau, maintenant manq uant, de la chaîne de la Providence. Ce fut à Pertinax qu'échut l'empire parce qu'il présentait certaines caractéristiques que les autres amici de Marc Aurèle ne possédaient pas. En effet, en ne prenant en compte que sa carrièr e, il est faux de dire que Pertinax s'imposait. Il présentait de très beaux états de service pour le fils d'un affranchi : simple instituteur d'abord, puis entré dans la carrière équestre, avant de se faire remarquer au point d'être adlecté parmi les anciens préteurs, d'être légat de légion, gouver neurde plusieurs provinces impériales, consul, proconsul d'Afrique et enfin préfet de la Ville3. Mais un tel homme, avec une telle carrière, n'était pas le candidat idéal pour succéder à Commode. En effet, à part une courte disgrâce, due sans doute à Perennis, à la suite peut-être de la conspiration de Lucilia, de 182 à 1854, il avait parfaitement servi l'empereur comme il avait servi son père. Nous pouvons même dire qu'il avait été un des sénateurs les plus favorisés et les plus en vue sous le principat de Commode; ce fut surtout vrai à la fin du règne où nous le voyons successivement praefectus alimentorum, sans doute en 187, avant d'être proconsul d'Afri queet préfet de la Ville dès 189. Durant ces années, il dénonça lui-même à Commode son beau-frère Antistius Burrus comme recherchant, pour son propre chef, le pouvoir impérial5 avec C. Arrius Antoninus. Quel qu'ait été le motif d'une telle démarche, elle ne pouvait que signif ier, au moment, une totale allégeance à
de. Auprès de l'empereur, Pertinax était au som met de sa puissance en 192 puisqu'il fut son collègue dans le consulat (il était alors consul pour la seconde fois). Pourquoi de telles faveurs6 et comment n'ont-elles pas empêché Pertinax de devenir princeps?
3 Sur les étapes de sa carrière, cf. F. Grosso, op. cit., p. 684-685; F. Cassola, Pertinace durante il Principato di Com modo, dans PP, CV, 1965, p. 454-464. 4 A. Birley, Septimius Severus, Londres, 1971, p. 118-122. 5 HA, Vit. Pert., Ill, 7. 6 Ibid., IV, 3. Une malencontreuse lacune ne nous permet pas de savoir les raisons, données par le biographe, du choix fait par Commode pour le consulat ordinaire de 192. 7 II s'agit de la scène XVI de la colonne. 8 Pour la datation, nous suivons J. Guey, La date de la
«Pluie Miraculeuse» (172 ap. J.-C.) et la colonne aurélienne, dans MEFR, LX, 1948, p. 105-127, et LXI, 1949, p. 93-118. A. Birley, Marcus Aurelius, Londres, 1961, p. 240, place l'év énement en 173, mais dans son Septimius Severus, p. 123, accepte à son tour 172. 9 Dion Cass, LXXI, 8 et 10. 10 Ibid., 8, 4. La tradition, très postérieure, qui attribue ce miracle à des légionnaires chrétiens doit être totalement écartée.
2 - Miracles et signes divins ' En réalité, une grande partie des faveurs accordées par Marc Aurèle, puis par Commode, peut s'expliquer, outre les talents de l'homme qui sont indiscutables sur le plan de l'adminis trationet du commandement tant civils que militaires, par certains épisodes marquants de sa vie, quelques-uns à coloration religieuse. Le pre mier de ces événements touchant Pertinax est le plus important; il s'agit du fameux miracle de la Pluie. Il est resté un des plus célèbres de toute la période antonine et a été représenté, en bonne place, sur la Colonne de Marc Aurèle, assez près du miracle de la foudre dont nous avons parlé7. Dans le cours de l'année 172, sans doute à l'automne8, un détachement, ou un corps comp let, de l'armée romaine, isolé dans les monta gnesde Pannonie et encerclé par les Quades, faillit totalement disparaître à cause de la cha leur et du manque d'eau. Les Barbares atten daient leur reddition, sans intervenir directe ment, lorsqu'un soudain orage, accompagné de pluies diluviennes, vint désaltérer et redonner force aux Romains qui repoussèrent facilement leur ennemi et se dégagèrent9. Le miracle fut attribué à l'intervention d'un mage thaumaturge égyptien, Harnouphis, qui se trouvait alors auprès de Marc Aurèle, loin des lieux du combat. Il aurait obtenu, par des enchantements, l'inte rvention du dieu Thot-Shou, appelé par les Romains Hermès Aérios10. Marc Aurèle semble
«PROVIDENTIA» ET SOUVERAINETÉ DYNASTIQUE avoir donné son assentiment à cette version. Pour bien montrer à tous l'accord qui s'était alors produit entre l'empereur et le dieu, des monnaies furent frappées avec la légende RELIG AVG qui établit l'intimité de ce lien, et la repré sentation de Mercure assimilé au dieu égypt ien11. Une de ces émissions présente, avec la même légende, une petite chapelle de style égypt ien, certainement construite à Rome, la même année, en l'honneur du dieu12. Comme nous le voyons, le retentissement de cet épisode de la guerre contre les Quades a été considérable et considérablement exploité. Or, en tant que légat de la Ière légion Adiutrix, P. Helvius Pertinax commandait le corps romain qui avait été ainsi sauvé. Il est impossible qu'un tel sauvetage miraculeux n'ait pas rejailli sur lui; son prestige dut alors être très grand auprès des troupes et de tous ceux qui eurent connaissance de ce miracle13. Pour Marc Aurèle, ce fut certa inement la confirmation qu'il l'avait à bon droit fait pénétrer dans l'ordre sénatorial; d'ailleurs Pertinax eut très peu de temps à attendre pour atteindre le consulat en 175 14. La promotion si rapide au consulat d'un adlecté ne dut pas plaire à tout le monde, mais elle était due certaine ment plus à cet épisode de la pluie miraculeuse qu'aux propres exploits militaires de Pertinax. Devenu comme un intermédiaire entre les dieux et Marc Aurèle, il fut un des comités de l'empereur et l'accompagna dans son périple en Orient, après l'épisode malheureux d'Avidius Cassius. Nous savons aussi que le princeps faisait très souvent son éloge devant les soldats ou quand il parlait au sénat15. Il n'est pas impossi ble de croire que toutes les faveurs dont il a joui désormais, sous Marc Aurèle comme sous Com mode, et jusqu'à son second consulat avec l'em pereur lui-même le 1er janvier 192, ont découlé pour la plus grande part de l'épisode de 172. C'est d'ailleurs pourquoi, malgré les menaces pesant sur lui, comme entre 182 et 185, il put
" RIC, III, p. 235, n° 285 et 285a (année 172-173); p. 236, n° 298; p. 237, n° 308 et 309 (année 173-174); p. 298, n° 1070 à 1073 (année 172-173). 12 RIC, III, p. 299, n° 1074 à 1076 (année 172-173). Cf. J. Beaujeu, op. cit., p. 343-344. 13 A. Birley, Septimhis Severus, p. 112-113. C'est ce qu'a remarqué F. Cassola, art. cit., p. 476-477.
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toujours éviter d'être compromis. Il est tout auss icompréhensible qu'un esprit religieux et mys tique comme celui de Commode ait voulu l'avoir auprès de lui, comme il avait été près de son père. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant de voir Commode le faire préfet de la Ville et consul ordinaire dans ces dernières années de son règne, où, comme nous l'avons dit, la situa tion à Rome était difficile à cause des carences de l'annone et à un moment où l'empereur devait faire appel à toutes les forces contenues dans son empire. Il est d'autres épisodes de la vie de Pertinax tout aussi significatifs et qui semblent toujours découler de ce premier événement. Ainsi en Bre tagne, où il avait été envoyé par Commode en tant que legatus Augusti propraetore pour y empêcher des mutineries dans les légions qui y étaient stationnées, «il parvint à y arrêter les mouvements séditieux des soldats qui voulaient un autre empereur, quel qu'il fût, mais surtout Pertinax lui-même»16. L'auteur résume de façon précise ce qui s'est passé : « il étouffa donc en Bretagne des séditions dont il était lui-même le sujet». Il aurait peut-être fallu dire «dont il était devenu le sujet». Qu'une nouvelle mutinerie ait éclaté pour le faire empereur prouve qu'aux yeux des soldats il recelait un pouvoir d'essence différente de celui des autres légats. D'après Dion Cassius, il était encore en Breta gnequand se produisit, à Rome même, un évé nement tout aussi spectaculaire; un cheval de la faction des Verts, que Commode soutenait tou jours, remporta une victoire éclatante; il s'appel ait Pertinax. Ce fut l'occasion, dans le Cirque, d'un omen populaire; à ceux qui disaient, en le voyant, «c'est Pertinax», d'autres répliquaient, «si ce pouvait être lui!», faisant allusion à l'hom me par l'intermédiaire du cheval17. La notation est intéressante parce que certainement vraie étant donné la source. Elle montre d'abord les liens d'amitié étroits que Commode entrete-
14 Dion Cass., LXXI, 22, 1. 15 HA, Vit. Pert., II, 10. '»Ibid., Ill, 6. Cf. Vit. Comm., VIII, 4. Pour Dion Cass., LXXII, 9, 2, cette sédition en Bretagne aurait provoqué la chute de Perennis. 17 Dion Cass., LXXIII, 4, 1-2.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
naient avec Pertinax et qui étaient connus de tous; «ce cheval appartenait aux Verts et était fort aimé de Commode». Il est ici sous-entendu qu'il aimait le cheval comme il aimait l'homme. Le second point important dans cette anecdote est la popularité de Pertinax dans la population urbaine. Son nom est connu, alors que, très certainement, n'étaient pas connus les noms de tous les gouverneurs, même s'ils avaient déjà été consuls (surtout pour les consuls suffects). Son nom éveillait un écho favorable qu'il est possible d'attribuer aux récents succès sur les mutins de Bretagne, mais qu'il faut surtout, et toujours, rattacher à l'épisode de la pluie miraculeuse. Qu'il ait pu apaiser les séditions provenait de cette aura particulière qu'il possédait de puis 172. S'il faut en croire encore Dion Cassius, quelques années après, en réalité en 192, Com mode aurait présenté publiquement le même cheval, ramené de la campagne, couvert d'or; tous, en le voyant, auraient dit : « c'est Perti nax!»18. N'aurait-ce pas été un omen provoqué? Commode aurait ainsi forcé, religieusement, la main au peuple; ce n'est pas une sorte de prédic tionqu'aurait recherchée l'empereur mais la claire désignation de son successeur. Si l'anecdot e est réelle, s'il ne s'agit pas d'une retranscrip tion après coup, les perspectives sont changées; Commode aurait, de sa propre volonté, désigné Pertinax comme successeur. Quelle que soit la vérité, à ce moment, son rôle de préfet de la Ville mettait Pertinax au premier plan dans Rome, d'autant que, sans être le supérieur du préfet de l'annone, il participait aux problèmes de ravitaillement par son contrôle exercé sur les poids et mesures, par ses compétences judiciai res étendues dans le domaine commercial19. En 192, la situation s'était certainement nettement améliorée par rapport à 190 et la plèbe pouvait l'attribuer à son rôle. C'est dans ces conditions, très favorables au premier abord, que Pertinax accepta le pouvoir, avec des réticences qui ne furent peut-être pas
seulement dues au rite, non officiel, de refus du pouvoir20. La part active qu'il avait prise dans la politique de Commode le fit recevoir avec une froideur certaine par plusieurs membres in fluents du sénat, le 1er janvier 193; le consul Falco affirma nettement ce que beaucoup devaient penser à ce moment, que Pertinax semb lait être une créature du préfet du prétoire Laetus et qu'il avait été le complice de Marcia21. Cette méfiance se trouva accrue quand le nouvel empereur n'accepta pas qu'on touchât au cada vrede Commode; en outre, il ne participa pas à la séance de défoulement, à la limite de l'hystér ie, durant laquelle fut insulté l'empereur mort de la façon la plus basse (n'était-il pas gau cher!)22. Cette attitude de Pertinax est parfaitement compréhensible; il savait qu'il ne pouvait établir son pouvoir que dans une certaine continuité. Sa référence sera toujours Marc Aurèle, mais une suppression trop brutale, trop complète de ce qu'avait été et de ce qu'avait fait Commode pouv ait être encore plus dangereux. C'est pourquoi il conserva la fiscalité de son prédécesseur et laissa en place tous ceux qui avaient été désignés par lui dans les provinces ou dans les hauts postes à Rome (le seul changement fut la dési gnation de son beau-père Sulpicianus, à sa place, comme préfet de la Ville)23. Il ne pouvait être question de s'opposer à Yabolitio memoriae de Commode, ni de ne pas pratiquer la restitutio memoriae des victimes de Commode24. Mais détruire totalement le fils était obligatoirement porter une certaine atteinte au père, ce qu'il fallait éviter pour établir un pouvoir sur des bases solides. Tout l'effort de Pertinax porta désormais sur le retour à ce qui était considéré comme le meilleur des pouvoirs ayant existé, celui d'Antonin et de Marc Aurèle; Hérodien a bien relevé cette volonté personnelle de choisir l'empereur-philosophe comme modèle25. Ce ne fut pas, comme on l'a souvent dit, un règne en totale réaction avec ce qui avait précédé, et pas
18 Ibid., LXXIII, 4, 3. 19 Sur ces problèmes, cf. H. Pavis d'Escurac, La Préfecture de l'annone, Rome, 1976, p. 239, 275-276, 281, 20 J. Béranger, Le refus du pouvoir, dans Principatus, p. 173. 21 HA, Vit. Pert., V, 2; Vit. Comm., XX, 1-3.
22 HA, Vit. Comm., XVIII-XIX. » Cf. F. Grosso, op. cit., p. 406-408; Dion Cass., LXXIII, 7; HA, Vit. Pert., XIII. »CIL, VI, 1, 1343 (= ILS, 1127): M.Antonius Antius Lupus. 25 Hérod., II, 4, 2.
.PROVIDENTIA» ET SOUVERAINETE DYNASTIQUE même, dans une large mesure, avec le principat de Commode26. Pertinax reçut tout de suite tous les titres qui l'affirmaient comme empereur légi time27; il existe cependant une nouveauté puis qu'il accepta immédiatement le titre de Père de la Patrie que tous les autres empereurs qui l'avaient précédé n'avaient pris qu'après quelque temps de règne; nous aurons l'occasion de reve nirsur ce point. Dès le 13 janvier, il fut coopté par le collège des frères arvales28. Son pouvoir était désormais parfaitement assis et les monn aies qu'il fit émettre exprimèrent, mieux que tous les textes, sur quoi il le faisait reposer.
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de Rome, dans tous les métaux. Enfin, nous ne devons pas négliger une frappe d'Alexandrie qui, avec la légende ΠΡΟΝΟΙΑ ΘΕΩΝ, montre la Providence debout, levant ses deux mains vers un globe suspendu dans le ciel31. a) Les premières interprétations.
Les trois mois de principat, si brefs au regard de l'histoire, ont permis d'avoir une production monétaire assez abondante et, surtout, suffisam ment diversifiée, pour pouvoir définir, en pro fondeur, les buts essentiels poursuivis par Perti nax. En ce qui concerne notre centre principal d'intérêt, nous nous trouvons en présence d'une, ou de plusieurs séries significatives à plus d'un titre. Tous les revers de ces émissions, sous des formes diverses, sont en l'honneur de la Prouidentia Deorum; mais la figure allégorique de la Providence est représentée dans une attitude qui est nouvelle pour elle. Une première série pré sente une figure féminine, tournée vers la gau che, qui lève ses deux mains vers une grande étoile à huit branches dans le ciel29; elle a été émise à Rome et frappée dans tous les métaux. La seconde série nous montre la figure féminine, toujours tournée vers la gauche, mais ne levant que le bras droit, et à demi, vers la même étoile; le bras gauche est souvent replié sur la poitri ne30; cette émission est aussi sortie des ateliers
Comme ces émissions ont été parmi les plus abondantes du principat de Pertinax, elles ont donné lieu à une importante littérature; malheu reusement, elle n'envisage, le plus souvent, la situation qu'à l'intérieur du bref règne du suc cesseur de Commode, et, de ce fait, tourne court dans ses tentatives d'interprétation. Il est cepen dantutile de les résumer rapidement ici pour mieux définir ce que sera notre position. La solution la plus simple a été formulée par A. D. Nock, à la suite d'H. Cohen : la présence de l'étoile serait une allusion à une comète appa ruesous Commode à deux reprises, en 190 et la dernière année du principat; Hérodien y fait allusion dans toute une série de prodiges et de présages annonçant la chute de l'empereur32. Dans un premier article, H. Stern avait accepté cette explication qui avait l'avantage de montrer que Pertinax avait été annoncé par les dieux, au moyen de la comète, du vivant même de Com mode; le nouvel empereur pouvait ainsi faire croire qu'il détenait son pouvoir de la volonté des dieux33. A. Alföldi a pensé que Pertinax avait voulu se faire considérer comme sideribus demissus^, mais l'insistance sur une telle conception ne semble pas parfaitement adaptée au moment et à la situation. H. Mattingly, dans une étude plus poussée35, a distingué les deux types de représentation; celle à la figure féminine les deux mains levées symboliserait la sagesse bien faisante qui a pris soin de l'espèce humaine en lui envoyant, depuis le plus haut du ciel, Perti-
26 J. Béranger, Tacite, «Annales», I, 8, 6. Fortune privée impériale et État, dans Principatus, p. 361. 27 Dion Cass., LXXIII, 5, 1 ; HA, Vit. Pert., V, 4. 28 Henzen, AFA, p. CXCIV (= Pasoli, n° 85, p. 41 et 163164). 29 RIC, IV, 1, p. 8, n° 10A et 10B (Cf. p. 439, n° 92 et pi. II); p. 10, n° 21; p. 11, n° 31; p. 12, n° 37 (Cf. p. 439, n° 93). 30 RIC, IV, 1, p. 8, n° lia et b; p. 10, n° 22; p. 11, n° 23, 29 et 30, p. 12, n° 38. Cf. p. 439, n° 95 et 96 (pi. II).
31 J. Vogt, op. cit., Il, p. 112 et I, p. 158. Cf. p. 439, n° 97. 32 Hérod., 1, 14, 1. A. D. Nock, A dits electa. IV, dans Essays on Religion and the Ancient World, I, Oxford, 1972, p. 265, n. 64. 33 H. Stern, BSNAF, 1963, p. 76. 34 A. Alföldi, Insignien und Tracht. . . , dans Die monarchis che Repräsentation in römischen Kaiserreiche, p. 202-203. Idée reprise dans W. Ensslin, op. cit., p. 46. 35 H. Mattingly, BMC, V, 1, p. LXIV. Cf. RIC, IV, 1, p. 4.
3 - « Providentia Deorum ».
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nax, l'homme semblable aux dieux. La figure du revers ne serait pas la Providence, malgré la légende, mais le Monde tendant ses mains sup pliantes vers la grande étoile qui symboliserait le libérateur. Par contre, la variante avec une seule main levée exprimerait non l'exaltation, mais la résignation, et serait une frappe exécutée sur l'ordre de Septime Sévère, juste avant la consécration de Pertinax; l'étoile représenterait l'âme de ce mort désormais illustre. A. M. Woodward a fait bon marché d'explica tions aussi compliquées36. Son apport principal a été de montrer, définitivement, que toutes ces séries avaient été émises du vivant de Pertinax et que la signification ne pouvait varier en pas sant de l'une à l'autre (même s'il était possible de croire à plus d'effusion lorsque les deux mains étaient levées). L'auteur a eu raison de rapprocher ces monnaies de celles de l'époque d'Hadrien sur lesquelles, avec la légende PIETAS, nous voyons une figure féminine en postu re d'adoration37. Par contre, il n'en a pas tiré toutes les conséquences logiques, car il ne faut pas aller jusqu'à dire qu'il s'agit de la représentat ion de la Pietas sur les monnaies de Pertinax. Le sens profond est ailleurs. H. Stern est revenu sur le problème dans un autre de ses articles38; tout en conservant l'idée de l'apparition de la comète dans la dernière année du règne de Commode, il a approfondi le sens de l'étoile et en a fait le présage d'un temps heureux, le messager d'un règne de félicité, un signe de bon augure au début de ce principat. J. Gagé a repris ce point de vue et a affirmé que Pertinax avait transfor mé volontairement une apparition céleste en signe de bon augure, et qu'il l'avait proclamé publiquement grâce à ses monnaies39. En vérité, ces explications ne sont pas très convaincantes. Elles le sont d'autant moins que plusieurs séries monétaires de l'année 192, donc du règne de Commode, s'accompagnent de la représentation d'une étoile dans le champ; ainsi,
nous la trouvons sur des monnaies portant les légendes Fides Militum,. Fortuna Felix, Victoria, Pietas, Liberias et Liberalitas40. S'il s'agit de cette même comète apparue en 192, Commode aurait pu, par ces monnaies, utiliser à son propre profit ce signe du ciel, marque de faveur insigne envers un empereur qui ne sentait plus son trône assuré. En ce sens, Pertinax aurait pu le reprendre et lui donner une signification favora ble à son action puisque, après l'assassinat de Commode, il était évident que la comète n'était pas apparue pour lui.
36 A. M. Woodward, The Coinage of Pertinax, dans Num. Chron., XVII, 1957, p. 88-89. 37 Cf. supra, p. 304. 38 H. Stern, L'image du mois d'octobre sur une mosaïque d'El-Djem, dans Cah. de Tun., XLV-XLVI, 1964, p. 24-25 et 27-32. 39 J. Gagé, Basileia , p. 248. Une dernière interprétat ion, donnée par J. Rufus Fears, op. cit., p. 274-275, veut voir
dans la figure drapée Roma qui appellerait les dieux à exercer leur Prouidentia pour assurer la transmission du pouvoir impérial sans guerre civile. 40 Sur ce problème, cf. J. Beaujeu, op. cit., p. 391-393. 41 Cf. supra, p. 327. 42 RIC, III, p. 70, n° 355. 43 P. L. Strack, op. cit., III, p. 100.
b) Le sens profond. Il faut peut-être aller vers une solution plus simple, si on veut bien mettre en rapport la légende Prouidentia Deorum, déjà utilisée et bien connue de nous, avec la représentation du revers. Nous avons déjà fait la remarque, à pro pos de monnaies du début du principat de Marc Aurèle, que l'étoile, ou les étoiles, étaient le plus souvent en rapport direct avec l'apothéose ou avec les idées de consécration et d'immortalité céleste41; pour se rendre à cette évidence, il suffirait de rappeler l'existence d'un denier de DIVA FAVSTINA qui porte sur son revers une étoile à huit branches qui l'occupe entière ment42. Étant donné que Commode n'a pas été divinisé, il ne peut s'agir d'une référence au dernier empereur, mais, bien évidemment, à ceux qui l'ont précédé; ces derniers sont les Dei qui exercent leur Providence, comme le signifie la légende. En émettant ces séries monétaires, Pertinax implorait la protection de tous les diui et de toutes les diuae; il faisait appel aux Antonins, mais surtout, sans doute, à Marc Aurèle et à Faustine la Jeune. Mais la signification est certa inement plus profonde; ces mains levées qui mar quent le contact recherché entre l'homme et la sphère céleste et divine43, veulent établir un
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rapport direct entre les empereurs et impératri ces divinisés et le nouveau princeps, en passant par-dessus le règne de Commode. C'est la légiti mité, tellement plus importante que celle don née par des titres juridiques, que recherche Pertinax; elle lui serait donnée par le dernier diuits, Marc Aurèle. Il lui semblait que diuus Marcus était le seul moyen d'établir, dans un premier temps, un pouvoir stable, puisqu'il l'a ffirmait comme placé dans une continuité logi que qui ne pouvait être refusée. Ne pourrait-on d'ailleurs donner un sens approchant à des émis sions plus rares en l'honneur des DIS CVSTODIBVS et des DIS GENITORIBVS44? Pertinax était bien le protégé d'une divinité, le divin Marc Aurèle, comme l'a bien remarqué, mais sans lui donner de nom, F. Taeger45. En outre, s'il se rattachait à l'empereur dont il avait été Yamicus et le cornes, il se devait d'accomplir la même politique, celle qui était intimement liée à l'idée de Providence, et qui devait se traduire par l'espoir d'un renouvellement des temps et de la naissance d'un siècle d'or. Une telle propagande, un tel espoir, ne pou vaient se placer que sous le patronage de ceux qui avaient donné l'impulsion à ce mouvement; rien dans son action ne pouvait être crédible sans cela; c'était, en outre, le seul moyen de pouvoir proclamer l'Éternité de Rome. C'est pourquoi la plus grande partie du monnayage de Pertinax se trouve attachée à cette idée. Dans ce sens, nous comprenons mieux que Pertinax n'ait pas hésité à faire célébrer des Vota Decennalia qui furent commémorés par d'importantes séries monétaires. Des aurei, des deniers, des sesterces et des as portent la légende VOT DECEN et représentent l'empereur, la tête voilée, sacrifiant sur un trépied46. Des dupondii portent l'inscrip tion PRIMI DECENNALES à l'intérieur d'une couronne de feuillage de chêne47. Il semble bien que ces vœux aient été prononcés, tout au moins
en ce qui concerne le collège des arvales, le 12 janvier48; ils le furent certainement en même temps que les vœux annuels pour le salut de l'empereur qui, d'ordinaire, étaient faits le 3 jan vier; ce sont les circonstances qui les avaient fait déplacer dans le temps. Pour la première fois, des vœux décennaux étaient prononcés pour l'empereur à son arrivée au pouvoir et, pour la première fois aussi, ils étaient confondus avec les habituels vœux annuels49. C'était le signe d'une incertitude certaine sur son propre pouvoir; Pertinax, par l'intermédiaire de Decennalia qui ne correspondaient qu'à sa prise de pouvoir, cherchait à protéger son futur règne et à le faire durer. Ce principat devait être une période de bonheur et de prospérité et Pertinax y fit allusion avec des monnaies au type SAECVLO FRVGIFERO50, ce siècle qui ne pouv ait être autre que le saeculum aureum, fécond et propice. L'idée en fut renforcée par les monn aies en l'honneur d'Ops Diuina portant des épis de blé51. Comme nous l'avons déjà vu pour les Antonins, l'empereur ne pouvait développer ces thèmes, et ne pouvait même agir, que parce qu'il s'était placé sous la protection de la Prouidentia Deorum, l'élément indispensable. Grâce à elle, ce qu'il faisait pouvait être pris au sérieux et son pouvoir, pensait-il, se trouvait assuré. Le trait matériel le plus évident pour tous en était le ravitaillement de Rome et de l'Italie; de fait, il est partout souligné dans nos sources qu'il s'en occupa activement: «annonae consultissime prouidit»52. Ce fut d'ailleurs lors d'une inspection qui dut avoir lieu à Ostie, «en mer» dit Dion Cassius, que le consul Falco fut poussé à pren drele pouvoir53. Enfin, autre fait très significatif, l'empereur reprit les dispositions de la lex Hadriana de rudibus agris en faveur des possessores qui mettraient en valeur des terres incultes ou en friche54. Cette politique ne pouvait débou cherque sur la Laetitia Temporum et sur Roma
44 RIC, IV, 1, p. 7, n° 2; p. 9, n° 15 et 16. À moins que ces formules ne désignent les astres. 45 F. Taeger, Charisma, II, Stuttgart, 1960, p. 419. 46 RIC, IV, 1, p. 8, n° 13; p. 10, n° 24; p. 11, n° 31 A; p. 12, n° 39. 47 RIC, IV, 1, p. 11, n° 28. 48 Henzen, AFA, p. CXCIV (= Pasoli, n° 85, p. 41 et p. 163164).
49 L'exemple de Pertinax sera suivi, en particulier par Élagabal en 218. 50 RIC, IV, 1, p. 8, n° 12. 51 RIC, IV, 1, p. 8. n° 8 a et b; p. 10, n° 20; p. 11, n° 27; p. 12, n° 35 a et b, 36. 52 HA, Vit. Pert., VII, 6. 53 Dion Cass., LXXIII, 8, 2. 54 Hérod., II, 4, 6.
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Aeterna, comme il est normal de le voir depuis Hadrien et ses successeurs. Pertinax s'était atta ché résolument à la même conception du pouv oir, mais il n'avait, au départ, aucun charisme particulier, à peine une aura singulière pour sa participation indirecte au miracle de la pluie. Aussi ne fit-il pas appel à sa propre Providence; sans doute considérait-il que, ne faisant pas part ie de la domus imperatoria, celle des descen dantsdes Ulpii, il ne pouvait en être possesseur. Il montra son originalité en remettant au pre mier plan Mens. Pour la première et la dernière fois, cette vieille divinité apparut sur les monn aies sous la forme Menti Laudandae55 . Il mettait en valeur son Intelligence qui, grâce à la raison et à la réflexion, permettait d'éviter tout élan irrationnel; depuis Cicéron56, nous savons com bien les deux notions de mens et de prouidentia sont complémentaires. Mais, plus curieusement encore, c'est un empereur en attente d'agir que nous montrent nos sources. Il n'a pas accompli tout ce qu'il avait envisagé dans les trois mois de son principat. D'ailleurs, dès le 1er janvier, une de ses décisions peut étonner; sa biographie de l'Histoi re Auguste nous dit que : « Flavia Titiana, épouse de Pertinax, fut appelée Augusta le même jour que lui Le sénat voulut donner à son fils le titre de César, mais Pertinax qui avait déjà refu sépour sa femme celui d'Augusta, répondit au sujet de son fils, "quand il l'aura mérité"»57; il l'obligea à vivre comme un simple particulier, en dehors du palais58. Ce scrupule peut étonner et il n'empêcha pas, dans certains provinces, des inscriptions en l'honneur de l'impératrice (mais peut-on lui donner ce titre?) en tant quAugusta et de son fils en tant que César, d'être exécut ées59. Dans le geste de Pertinax, il n'est pas question de voir une simple abnégation de la part d'un empereur qui se serait donné corps et
âme à sa tâche60, en maintenant les siens hors d'une entreprise aussi difficile et risquée. En effet, dans les conditions où Pertinax prit le pouvoir, à l'âge qu'il avait alors, près de soixante-sept ans, il est impossible qu'il n'ait pas pensé à sa succession, devoir essentiel, fonda mental de tout princeps. Il est vrai que, dans un premier temps, il n'a peut-être pas su comment l'organiser et il a voulu réserver l'avenir en ne s'engageant pas envers son fils qui était encore jeune, dix ou douze ans nous dit Hérodien. Une remarque de Dion Cassius est, à cet égard, signi ficative : « son pouvoir n'était pas encore affer mi»61. C'est une vérité, mais l'organisation de sa succession n'aurait-elle pas été, au contraire, un moyen de renforcer son pouvoir? En réalité, nous savons que Pertinax voulait attendre, pour prendre ses plus importantes décisions, une date bien précise dans le calendrier de Rome, celle de l'anniversaire de la fondation de la Ville, le 21 avril. La biographie de l'Histoire Auguste ne nous en parle, incidemment, qu'à propos des gouver neursde provinces et de ceux qui tenaient un honneur de Commode : « II ne déplaça aucun de ceux à qui Commode avait donné des charges; il attendait le jour anniversaire de la fondation de Rome»62. La remarque est fondamentale, car nous savons par Hérodien que Pertinax avait des projets, que l'historien qualifie d'admirables, et que, nous dit-il, il n'eut pas le temps d'exécuter63. Nous nous retrouvons ici tout à fait dans l'am biance créée par les Antonins. Pertinax, pour renforcer sa légitimité, voulait rattacher son pouvoir à l'anniversaire de Rome, c'est-à-dire au jour où la ville devait prendre un nouveau départ, symbole de l'Age d'Or qu'Hadrien avait lui-même rattaché à Rome dans le Templum Urbis. Ce 21 avril 193, les diui et les diuae, dont il avait requis la Providence, devaient le confirmer
55 RIC, IV, 1, p. 8, n° 7. 56 Cf. supra, p. 37. 57 HA, Vit. Pert., V, 4 et VI, 9. Dion Cass., LXXIII, 7, 2. 58 Hérod., II, 4, 9. 59C7L, XIII, 1, 2, 4323 (= ILS, 410). De même sur des monnaies d'Alexandrie (J. Vogt, op. cit., I, p. 158) et des milliaires d'Achaïe (CIL, III, suppl. 2, 1414935, 14149«, 14168). Cf. H. G. Pflaum, Les personnages nommément cités par la «Vita Pertinacis» de l'«Histoire Auguste», Bonner Historia-
Augusta-Colloquium, dans Antiquitas, 4, 11, Bonn, 1974, p. 126 et 129. 60 J. Béranger, art. cit., p. 363. 61 Dion Cass., LXXIII, 7, 2. A propos de l'épouse de Perti nax, il n'est pas nécessaire de tenir compte des "désordres de sa conduite", sur lesquels nous ne savons rien. 62 HA, Vit. Pert., XII, 8. 63 Hérod., II, 4, 5.
64 HA, Vit. Pert., XII, 8.
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voir le sang des Ulpii, porteur des charismes fondamentaux pour assurer stabilité et avenir. Par une telle alliance, Pertinax serait devenu le gendre de Marc Aurèle et le beau-frère de Com mode. C'est un chemin qu'un autre, d'une façon différente, allait suivre bientôt. En tout cas, s'il avait prévu une telle alliance pour le 21 avril, Pertinax avait en vue le renforcement de son pouvoir; elle aurait été le symbole de la protec tiondivine dans le renouvellement éternel des temps créateur de bonheur, de prospérité et de fécondité. Quelle que soit la solution apportée à ce problème, tout nous montre que Pertinax n'avait établi son pouvoir qu'en fonction de ce qu'avaient fait avant lui les Antonins. Il s'était placé sous la direction de leur Providence; il n'avait comme programme que ce que les Anto nins avaient réalisé, en effaçant cependant Com mode et son exaltation dangereuse, mais sans totalement l'éliminer, puisqu'il était porteur des charismes que l'empereur devait maintenant rechercher pour lui-même. L'importance atta chée à cette notion de Providence des dieux ne peut nous échapper quand nous voyons que, malgré l'hiver et les difficultés de communicati on, le préfet d'Egypte avait reçu l'ordre précis de reproduire sur les monnaies d'Alexandrie le type romain de la Providence, les mains levées vers une étoile (ou un globe comme ici). Cette représentation n'a pu être inventée sur place, puisque nous n'en avons aucun exemple avant Pertinax et qu'elle est semblable, presque en tous points, à celle de Rome. Il est vrai que, sans cet appel à la Providence, il n'y aurait eu, dans un premier temps, aucune possibilité pour Pertinax de véritablement, et sûrement, se rattacher à Marc Aurèle et aux autres diui; il l'avait toujours senti, à bon droit, comme une nécessité. Mais il avait décidé d'a ttendre la confirmation dans la possibilité qui lui serait laissée d'entreprendre et d'agir le 21 avril. Auparavant, la période ne pouvait encore qu'être celle du doute, ou plutôt de l'épreuve. N'est-ce pas ainsi qu'il faut prendre le courage qu'il mont raen se dirigeant seul, sans armes, ce 28 mars, vers le petit groupe de soldats qui avait pénétré
65 Ibid., XIII, 8.
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dans le palais66? Dans une telle conjoncture, il devait avoir la preuve véritable de l'appui qui lui était fourni par les dieux; il devait y trouver l'assurance qu'un grand destin l'attendait, lié à celui de Rome. Mais, la Providence des dieux ne lui accorda pas son appui; il n'en était pas le véritable élu. Sa mort ne pouvait que provoquer la montée des ambitions. Si Pertinax avait été accepté par tous67, il ne pouvait en être de même de ceux qui se disputaient le pouvoir, et du premier d'entre eux, Didius Julianus.
II - SEPTIME SÉVÈRE ET LE RETOUR OFFICIEL AUX ANTONINS 1 - La Providence dans la lutte pour le pouvoir Le choix de Didius Julianus, qui força la main des prétoriens et des sénateurs, déclencha des réactions immédiates dans tout l'empire. En effet, il n'était personne pour s'imposer réell ement à l'opinion et au monde, si nous restons dans le cadre que nous nous sommes fixé. Seules la force, la popularité et le renom semblaient pourvoir faire la différence entre les uns et les autres. Il fallait récréer une légitimité, c'est-àdire fournir l'assurance que, de nouveau, le pou voir impérial, dans la personne de son détenteur le princeps, serait en conformité avec le destin éternel et heureux de Rome. Chacun de ceux qui entrèrent alors en lice essaya de le faire, avec sa manière propre; mais un seul eut l'énergie, le temps nécessaire et l'appui des dieux pour aller au bout de son destin. Didius Julianus avait fait une assez brillante carrière favorisée, à ses débuts, par Marc Aurèle lui-même, puisqu'il avait été élevé chez Domitia
XI.
** Hérod., II, 5, 4-8; Dion Cass., LXXIIL 9-10; HA, Vit. Pert.,
67 II faut écarter l'idée, souvent émise, que Pescennius Niger se serait fait proclamer empereur pendant le règne de Pertinax (cf. G. M. Bersanetti, Su Pescennio Nigro, dans Aegyptus, XXXIX, 1949, p. 86). 68 HA, Vit. Did. Jul, I, 3 et 8. Cf. H. G. Pflaum, Les person nagesnommément désignés par la «Vita Didi Juliani» de Γ« His toire Auguste», Bonner Historia- Augusta-Colloquium, dans
Lucilia, la mère de l'empereur68. Ni le consulat qu'il avait partagé avec Pertinax lui-même, ni le proconsulat d'Afrique auquel il accéda après ce même Pertinax69 ne pouvaient lui donner un relief suffisant pour être assuré du pouvoir, d'au tant qu'il lui manquait cette aura à laquelle se reconnaissaient les prédestinés et qui se tradui saitpar les signes divers envoyés du monde divin. D'ailleurs, il ne chercha pas à le faire croire et il ne se présenta jamais que comme un homme semblable aux autres. Ses émissions monétaires ne reposent que sur quatre thèmes : l'union nécessaire entre lui et les soldats (CON CORD MILIT), la sécurité du peuple romain (SECVRITAS Ρ R) grâce à un bon gouvernement du monde (RECTOR ORBIS) sous la protection de Fortuna10. Il n'y a rien là que d'assez plat et de peu d'envergure. Mais, sans doute pour compenser ce qu'il n'était pas lui-même, il chercha à assurer son pouvoir dans l'avenir en acceptant le titre de Père de la Patrie (pas immédiatement d'ailleurs), mais surtout en laissant le sénat faire de sa femme, Manlia Scantilla, et de sa fille, Didia Clara, des Augustae71. Par leur intermédiaire, il voulait montrer qu'il assurait l'avenir et qu'il n'était pas seul à prendre sur lui le poids de l'empire. Le monnayage de ces deux femmes est là pour nous indiquer dans quel sens Didius Julianus comprenait leur rôle. La PIETAS PVBLICA, attachée à sa femme, mais surtout la FORTVNA FELIX et l'HILARITAS TEMPORVM de sa fille72, reprenaient, avec discrétion, les thè mes des Antonins, et voulaient faire croire à un avenir radieux que la domus augusta aurait pu assurer avec l'accord des dieux. Mais Didius Julianus ne chercha pas à se rattacher plus étroitement aux Antonins73 et il ne fit jamais appel à la Providence des dieux; ou il n'en eut pas le temps, ou il n'en eut jamais le désir, pensant pouvoir véritablement fonder un
Antiquitas, 4, 11, Bonn, 1974, p. 143. 69 HA, Vit. Did. Jul., II, 3. 70RIC, IV, 1, p. 13-17. 71 HA, Vit. Did Jul., III, 4. 72RIC, IV, 1, p. 16 et 18. 73 Même s'il fit mettre à mort ceux qui avaient organisé l'assassinat de Commode, Laetus et Marcia (Dion Cass., LXXIII, 16, 5).
.PROVIDENTIA» ET SOUVERAINETE DYNASTIQUE pouvoir nouveau qui ne serait issu que de lui seul. Ce ne pouvait être suffisant, car, pour obte nir un tel résultat, encore aurait-il fallu un accord général autour de sa personne, comme il y en avait eu un, au début, autour de Nerva. C'était loin d'être le cas et rien n'est plus signifi catif de la dysharmonie du monde romain durant son court principat que l'anecdote contée par l'Histoire Auguste : « De là, il se rendit au spectacle du cirque, mais il y trouva les sièges indistinctement occupés»74. Dans ce microcos me, qui est comme un reflet du monde gouverné par Rome, un tel désordre était significatif et ne pouvait paraître que comme l'image de celui de l'État. Qu'il ait été injurié par le peuple ne pouv ait qu'ajouter à la confusion générale. Il est vrai que, déjà, Septime Sévère en Pannonie (dès le 9 avril) et Pescennius Niger, à Antioche, s'étaient, eux aussi, faits proclamer empereurs par leurs armées et avaient été reconnus, l'un comme l'au tre, par de nombreux gouverneurs de provinces. Pour l'empereur, à Rome, le dernier recours, après avoir en vain essayé de faire partager son pouvoir par Septime Sévère qui avançait vers la Ville, fut d'en appeler aux ressources de la reli gion. Mais là, comme ailleurs, Didius Julianus montra à l'évidence qu'il n'était pas le favori des dieux; il apparut au grand jour ce que lui-même soupçonnait, ou savait, de son destin. Sa tentati ve de faire sortir de Rome, au-devant des trou pes de Septime Sévère, tous les prêtres de la Ville pour implorer sa pitié, échoua avant même d'avoir connu un semblant d'exécution; il ne put faire tomber le légat de Pannonie dans le piège du sacrilège75. Alors il jeta ses ultimes espoirs dans des opérations de caractère magique qui lui permettaient, à la fois, de connaître l'avenir qui lui était réservé, et de détourner les forces mauvaises qui semblaient l'assaillir contre ses propres ennemis. La réalité de cette dernière tentative de défense nous est attestée par Dion Cassius et l'Histoire Auguste qui nous en donnent le détail76, avec les inévitables sacrifices d'en fants. Le sort de Didius Julianus était réglé
74 HA, Vit. Did Jul, IV, 7. 75 Ibid., VI, 5. 76 Dion Cass., LXXIII, 16, 5; HA Vit. Did. Jul, VII, 9-11. 77 Dion Cass., LXXIII, 14, 4. 78 Cf. les oracles delphiques sur les trois hommes {HA, Vit.
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depuis longtemps, et l'empereur en était peutêtre conscient; le jour où il avait procédé à son premier sacrifice comme empereur, devant le sénat et le peuple, on avait vu apparaître trois étoiles autour du soleil77; elles signifiaient l'é limination de Didius Julianus par un des trois hommes qui, par leur puissance et leur renom, pouvaient prétendre au pouvoir : Clodius Albinus, Septime Sévère et Pescennius Niger78. Éloigné géographiquement, mais se sentant puissant par les dix légions que, grâce au ralli ement de certains légats, il pouvait commander, Pescennius Niger s'était laissé proclamer emper eur à Antioche dès les premiers jours d'avril 193. Dans les esprits, sa position était bien meil leure que celle de Didius Julianus. Lors des manifestations qui eurent lieu à Rome contre ce dernier, très souvent Pescennius Niger fut appel é,nommé de façon pressante le sauveur possi ble: « Ils demandaient tout haut Niger pour qu'il vînt au plus tôt venger l'honneur de l'empire et les délivrer des indignités dont ils souffraient »79. Si nous en croyons Hérodien, ce n'était, dans Rome, qu'une seule voix pour lui demander de prendre en main l'empire et tous les vœux allaient vers lui («il tenait de Pertinax»!). D'ail leurs, selon l'Histoire Auguste, une inscription en vers grecs, placée sous sa statue qui se trouvait elle-même devant sa maison de Rome, résumait parfaitement ce qu'on pouvait attendre de Niger : « Cette image est celle de Niger, la terreur du soldat égyptien et le compagnon de Thèbes. Il veut le siècle d'or. Il est aimé des rois, aimé des peuples, aimé de la Rome d'or. Il est cher aux Antonins et à l'empire. Il se nomme Niger et nous l'avons fait roi, afin que la matière fût semblable à la personne»80. L'auteur ajoute que Septime Sévère interdit qu'on effaçât l'inscrip tion. Nous avons peut-être dans ces quelques lignes ce qui a fait, un moment, la popularité de Pescennius Niger: son attachement loyal aux Antonins et à leur politique générale, c'est-à-dire celle qui devait déboucher sur le siècle d'or et
Pese. Nig., Vili, 1-6). 79 Hérod., Π, 7, 3; Dion Cass., LXXIII, 13, 5. Cf. G. M. Bersanetti, art. cit., p. 81 et 86. 80 HA, Vit. Pese. Nig., XII, 6.
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sur une «Rome d'or», donc éternelle et divine. Nous retrouvons ici les thèmes fondamentaux qui ont sous-tendu, sous la direction de la Provi dence, toute l'action des Antonins. L'empire ne lui avait pas été promis, mais, une fois les Anto nins disparus et l'empire à l'encan, n'irait-on pas jusqu'à penser qu'il ne pourrait y avoir de meil leur successeur que ce loyal serviteur? Pescennius Niger lui-même qui avait reçu cette statue et cette épigramme à Thèbes, a pu les prendre, après la mort de Commode, et peut-être même avant celle de Pertinax, comme des signes du destin. Une fois de plus les oracles orientaux auraient joué leur rôle dans la lutte pour le pouvoir à Rome. Il n'est donc pas étonnant, dans ce contexte, qu'une fois proclamé empereur, Pescennius Niger ait fait frapper des monnaies qui repren nenttous les thèmes fondamentaux de l'époque antonine. Pour qu'ils soient, dans la mesure du possible, répandus dans la plus grande partie de l'empire, il n'hésita pas à ouvrir un atelier monét aireà Antioche même. La plupart des monnaies émises le furent sur les modèles de Rome et avec des inscriptions en latin81. Au milieu des motifs et des légendes de caractère purement militaire, apparaissent les allusions à la Félicitas Temporum, à la Saeculi Félicitas dont le sens cosmique est parfaitement défini par la repré sentation d'un croissant entouré de sept étoiles, à Roma Aeterna et à X'Aeternitas (avec la même représentation que Saeculi Félicitas). Ce sont bien tous les thèmes de l'Âge d'Or et ce n'est pas une promesse en l'air que fait Pescennius Niger. Il doit penser, grâce à l'inscription de Thèbes, qu'il est empereur à bon droit puisque destiné à relever l'héritage des Antonins, l'assurance du siècle d'or. Dans cette perspective, nous ne pouvons nous étonner de voir Pescennius Niger faire frapper, toujours à Antioche, une monnaie avec la légende ΠΡΟΝΟΙΑ ΘΕΩΝ et représentant un
aigle, peut-être perché sur une branche de pal mier, et regardant à gauche82. Ce n'était pas la simple reprise des deniers de Pertinax avec Prouidentia Deorum93, ni même des tétradrachmes d'Alexandrie de la même époque; c'était l'affirmation de la continuité par rapport à la lignée antonine, ou, tout au moins, de la protec tionqu'elle pouvait lui apporter dans sa nouvell e charge. L'aigle était le symbole de Jupiter, évoqué par ailleurs comme Conseruator et com mePrae(ses) Orbis84, mais il était aussi l'image de l'apothéose. Cette Providence des dieux, qui doit diriger Niger dans son gouvernement, était celle de tous les diui et les diuae. Grâce à cet oracle donné à Thèbes, peut-être aussi à l'intervention d'autres oracles orientaux et particulièrement syriens qui s'étaient déjà montrés si actifs à l'époque de Vespasien, Pescennius Niger s'est senti investi d'une mission bien définie : conser ver le pouvoir dans l'empire au nom des Anto nins et pour que les buts qu'ils avaient fixés à Rome, en plein accord avec les dieux, pussent être atteints. En réalité, personne à ce moment ne pouvait se détacher du proche passé antonin s'il voulait essayer d'établir son pouvoir. Toute l'action des prétendants se fit en fonction de cette évidence fondamentale. Il n'était pas possible d'effacer brusquement toute une dynastie qui avait passé un accord fructueux avec les dieux en faveur de Rome et de son avenir éternel. C'était cet accord qu'il fallait retrouver à tout prix; il était la condi tionde la survie, et de celui qui détenait le pouvoir, et de Rome elle-même. Pescennius Niger, Clodius Albinus, Septime Sévère le savaient fort bien, comme le peuple de la Ville le savait; ne fut-ce pas lui qui, assemblé dans le Circus Maximus, soudainement, sans mot d'ordre ni meneur, demanda «εύτυχίαν τη τοϋ δήμου σωτηρ£ς£ », c'est-à-dire la Félicitas. Ils dirent cette parole, et ensuite, donnèrent à Rome les titres de Souveraine et d'Éternelle»85. Ce jour-là, la
81 Cet atelier semble avoir été ouvert en juin 193 et il le reste jusqu'à la fin de 194 (cf. J. P. Callu, La politique monét airedes empereurs romains de 238 à 311, Paris, 1969, p. 162). 82 W. Wroth, Catalogue of the Greek Coins of Galatia, Cappadocia and Syria, Londres, 1899, p. 192, n° 346. Cf. p. 440, n° 98. 83 J. P. Callu, op. cit., p. 171.
84 RIC, IV, 1, p. 19-39, n° 1 à 94 a et b. Nous pouvons être plus affirmatif que ne l'est J. Gagé, L'empereur romain devant Sérapis, dans Ktéma, I, 1976, p. 163, sur les influences rel igieuses gréco-orientales exercées sur Pescennius Niger et qui l'ont décidé à se faire proclamer empereur. 85 Dion Cass., LXXV, 4, 4.
2 - Le destin fixé par les dieux Cette assurance évidente dans son destin que Septime Sévère a présentée tout au long de ces années de lutte, provenait tout simplement de l'appui que le monde divin lui avait concédé depuis longtemps. De son destin, Septime Sévère connaissait la grandeur depuis ses plus jeunes années, non seulement parce qu'il en avait été inopinément averti, mais aussi parce qu'il avait consulté, dans ce but, devins et astrologues. Pour la première fois depuis Hadrien, nous retrou vonsl'astrologie dans un rôle important, dans le contexte d'une désignation de l'empereur. Un tel retour s'explique très bien dans une période de crise* qui semblait mettre fin à ce que les dieux avaient décidé, la conservation du pouvoir dans une même famille. Depuis Hadrien, il n'était plus nécessaire d'utiliser l'astrologie pour désigner un empereur puisque seule comptait
s« Cet événement s'est produit en décembre 196, mais il est le reflet des sentiments profonds des Romains auxquels chaque candidat à l'empire tente de répondre le mieux possible. Cf. J. Gagé, Basileia , p. 245 et n. 59; p. 261. J. Gagé a repris cette idée dans Le «Sollemne UrbL·» du 21 avril au IIIe siècle ap. J.-C. : rites positifs et spéculations sécul aires, dans Mél. Hist. Rei. offerts à H. Ck Puech, Paris, 1974, p. 239-241. Il y voit la reprise de formules prononcées le 21 avril en l'honneur de Rome et considère que, dans l'esprit
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ment l'hérédité87 qui passait au-dessus de toute recherche sur la geniture. Sous les Antonins, les travaux des Chaldéens n'avaient plus d'intérêt dans un domaine, la détermination de celui qui devait s'installer au pouvoir, où les critères dynastiques étaient devenus les seuls import ants. C'est pourquoi nos sources sur Antonin le Pieux, sur L. Verus, sur Marc Aurèle et sur Com mode ne nous parlent que très peu du rôle de l'astrologie durant leurs règnes. Cette remarque ne veut pas dire que cette « science » avait dispa ru ou était moins appréciée à ce moment qu'elle ne l'avait été auparavant; ce n'était certainement pas le cas puisque cette époque était aussi celle de Claude Ptolémée d'Alexandrie et que Marc Aurèle, dans plusieurs passages de ses Pensées, parle de l'astrologie et des astrologues88. Mais elle ne pouvait plus jouer un rôle dans la succes sion;y aurait-il eu d'autres personnes possédant, à ce moment, une geniture impériale, que cela n'aurait pas été dangereux pour le prince en place dont la désignation, à l'intérieur d'une même famille, divinement privilégiée, était à l'abri de toute atteinte extérieure à cette famille. Il n'en était plus de même après l'assassinat de Commode; parmi les moyens qui permettaient de savoir quelle était la volonté des dieux, et pouvait-on choisir et accepter un empereur en dehors de cette volonté?, l'astrologie retrouvait immédiatement une place eminente. Toute la vie de Septime Sévère, jusqu'à son installation au pouvoir, avait été entourée de signes divins favorables; la liste en est« longue, car, à part Hérodien, toutes nos sources s'éten dentavec abondance dessus; ce qui prouve bien qu'il s'agissait d'un point fondamental pour l'em pereur et sa propagande cherchant à légitimer sa prise de pouvoir, dans un premier temps tout au moins. Il est d'ailleurs vraisemblable que la plupart de ces prédictions avaient été contées par Septime Sévère lui-même, dans sa propre
des Romains, une telle exclamation spontanée signifie que, lorsqu'il n'y a pas d'empereur, Rome, en tant que l'Urbs sacra, règne, remplaçant le princeps. 87 De là, les difficultés qu'a éprouvées F. H. Cramer, Astro logy in Roman Law and Politics, Philadelphie, 1954, p. 178184, à trouver les traces d'un véritable rôle de l'astrologie sous Antonin, Marc Aurèle ou Commode. 88 En particulier IV, 48, 1.
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biographie; leur retentissement fut tel que Dion Cassius écrivit, et ce fut sa première œuvre, «un livre des songes et des signes sur lesquels Sévère fonda l'espoir d'arriver à l'empire»89. Ces présa geset ces omina sont historiquement très import ants, contrairement à ce qui est trop souvent dit90; ils ne sont pas simplement l'expression du caractère personnel de l'empereur, superstitieux et prompt à croire en tout ce qui semblait extra ordinaire, incompréhensible pour l'homme. Ils sont la traduction de ce que voulait être le pouvoir de Septime Sévère, comment il devait être ressenti et dans quelle ligne il se plaçait. La première série de présages ne faisait qu'annon cer les possibilités qu'il avait de devenir, un jour, le maître du monde : il s'était assis par mégarde sur le siège impérial91 et on lui offrit, pour le vêtir décemment lors d'un dîner chez l'emper eur,une toge appartenant à Commode92. Le même sens doit être attaché à l'anecdote du serpent qui ne le piqua pas durant son somm eil93 et au songe dans lequel, alors qu'il se trouvait dans la péninsule ibérique, il vit l'uni vers avec Rome en son centre; il le toucha et entendit un concert harmonieux94; il était né pour établir l'ordre et l'équilibre dans l'univers. Une deuxième série de présages est en rap port direct avec les Antonins et le montre comme protégé, divinement, par eux. En arri vant à Rome, à son tout premier voyage, «il trouva son hôte occupé à lire la vie de l'empe reurHadrien»95, sans doute à haute voix, ce qui fit que le nom même d'Hadrien frappant le pre mier les oreilles du jeune homme, lui parut être un omen. Mais surtout, dans un songe, au moment d'épouser Julia Domna, il vit Faustine la Jeune, déjà divinisée depuis longtemps, leur
parer le lit nuptial «dans le temple de Vénus, près du Palais», c'est-à-dire dans le temple de Rome et de Vénus construit sur l'ordre d'Ha drien, et dont la cella de Vénus servait aux jeunes mariés pour y prêter serment96. Cette allusion au Templum Urbis peut vouloir démont rer que Septime Sévère était le légitime succes seurdes Antonins et qu'il deviendrait, comme Hadrien, un nouveau fondateur de Rome; d'ai lleurs n'avait-il pas eu, en songe, l'ordre de res taurer le temple d'Auguste à Tarraco, et ne s'était-il pas vu allaité par une louve, comme Romulus et Rémus97 ? Il devait apporter avec lui la prospérité et la fertilité symbolisées par l'eau sortant de ses mains comme d'une source98. Il lui fut enfin indiqué quand il devait pren drele pouvoir. Le jour où il apprit que Pertinax avait été élevé à l'empire, il eut un songe dans lequel il voyait passer Pertinax, à cheval, sur la Voie Sacrée; brusquement le cheval le renversait et prenait Septime Sévère sur son dos au milieu de l'étonnement et de l'admiration du peuple présent99. Les rapports avec Pertinax ne furent jamais mieux soulignés que lorsque Septime Sévère, dans sa lutte contre Pescennius Niger, bénéficia lui-même, et fit bénéficier son armée, d'une « pluie miraculeuse » qui ne pouvait rappel er à tous que celle qui avait mis en valeur Pertinax : « des nuées au milieu d'un ciel serein, un vent par temps sans vent, des tonnerres hor ribles et des éclairs intenses, qui se mêlèrent à une pluie torrentielle»; les soldats de Septime Sévère en eurent une grande confiance dans leur chef «parce que les dieux venaient à leur secours»100. Tous ces présages, divulgués et abondamment répandus, résument parfaitement les buts poursuivis par Septime Sévère, la signi-
89 Dion Cass., LXXII, 23, 1. Il l'envoya à l'empereur qui en parut content dans sa réponse; c'est à la suite de cela qu'il fit le songe qui l'engagea à écrire son Histoire. C'est le caractère divin de l'empereur qui lui a permis d'écrire. Il est semblable au poète, inspiré des dieux. Hérod., II, 9, 4. 90 A. Birley, Septimius Severus, Londres, 1971, p. 72. 91 Dion Cass., LXXIV, 3, 3; HA, Vit. Sev., I, 9. 92 HA, Vit. Sev., I, 7. 93 Ibid., I, 10. 94 Dion Cass., LXXIV, 3, 2; HA, Vit. Sev., III, 5. 95 Ibid., I, 6. 96 Dion Cass., LXXIV, 3, 1. 97 HA, Vit. Sev., III, 4 et I, 8; Dion Cass., LXXIV, 3, 1.
98 Ibid., 3, 2. 99 Le seul présage qui est retenu par Hérodien, II, 9, 5-6. Nous pouvons d'ailleurs noter qu'immédiatement après ce passage, Hérodien (II, 9, 7) parle de la croyance de Septime Sévère en la θείςι τζρονοίφ qui l'aurait appelé à régner et le lui aurait signifié par les différents présages. Dion Cass., LXXIV, 3,3. 100 Dion Cass., LXXIV, 7, 6-7. L'empereur reçut d'autres prédictions, simplement confirmatives, durant son règne; ainsi celle de Zeus Belos lors de son passage, avec sa famille, au retour d'Egypte, fin 201-début 202. Cf. J. et J. Cl. Balty, Apamée de Syrie, archéologie et histoire dans ANRW, II, 9, 1, 1976, p. 130.
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fication qu'il a voulu donner à son pouvoir en même temps que son contenu réel. Mais rien de tout cela n'était suffisant et si ces présages ont été pris en compte, c'est que le futur empereur possédait une genesis imperator ia, qu'il la connaissait depuis longtemps et qu'il y croyait fermement. Tant que la lignée antonine était au pouvoir, Septime Sévère savait qu'il ne pouvait réaliser les promesses contenues dans son horoscope, puisque les charismes portés par le sang des Ulpii ne pouvaient qu'être supérieurs et annihiler toute autre considération religieuse ou divinatoire. Il n'en était plus de même après la disparition de Commode. Nous ne savons pas si ses parents avaient fait tirer son horoscope à sa naissance même, mais nous le voyons, alors qu'il est légat du proconsul d'Afrique, consulter «pour s'assurer de sa destinée»101 et connaître à ce moment tout ce qui devait lui arriver. Il recommença alors qu'il était proconsul de Sicile « pour savoir s'il parviendrait à l'empire », mais il fut dénoncé; son audition permit de le blanchir totalement102; il est vrai que Commode, absolu mentassuré de l'appui divin, ne pouvait que négliger ceux qui possédaient ce genre de genes is. Mais, entretemps, dans l'été 187 sans doute, Septime Sévère s'était marié pour la seconde fois; il ne l'avait fait qu'après une enquête de caractère astrologique. Lors de son séjour en Syrie, à la tête de la IIII Scythica, il s'était intéressé de très près aux oracles locaux, dont le Zeus Belos d'Apamée qu'il avait consulté103. Il avait certainement fait la connaissance de Julius Bassianus, grand-prêtre du dieu-soleil Elagabal, à Émèse, qui avait deux filles. La cadette portait le nom de Julia Domna parce que son horoscope la destinait à un roi104. Septime Sévère le sut à cette époque et ne l'avait pas oublié lorsque sa première femme mourut; il était alors gouver neurde Lyonnaise. En épousant Julia Domna, il renforçait ses chances et sa propre assurance,
101 HA, Vit. Sev., II, 8. 102 Ibid., IV, 3. 103 Dion Cass., LXXVIII, 8, 6. 104 Cf. A. Birley, Septimius Sevenis, appendice I, p. 297. En araméen, Domna signifie «femme d'un roi ». HA, Vit. Sev., III, 9; Vit. Cet, III, 1. 105 Dion Cass., LXXVI, 11, 1.
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mais seulement si l'occasion se présentait, c'està-dire si les Antonins disparaissaient. C'est bien à l'astrologie que nous pouvons attribuer la prise de pouvoir de Septime Sévère; personne autour de lui ne pouvait présenter de conditions aussi favorables et propices à une entente avec les dieux. Il en était si intimement convaincu qu'il n'hésita pas, une fois au pouvoir, à faire repré senter son horoscope dans une pièce du palais105 où il rendait la justice; chacun pouvait voir et comprendre que Septime Sévère, en tant qu'em pereur, était à une place qui lui avait été réser véepar les dieux. Bien entendu, le princeps n'avait pas fait indiquer le point horoscope, de façon à ce que personne ne pût jamais calculer la durée de sa vie, tout en contemplant lieux et aspects des astres, tous caractéristiques d'une geniture impériale. Cela suffisait à sa propagand e106. Ils complétaient et couronnaient tous les traits qui, auparavant, dans l'opinion, avaient affirmé pour tous son rôle prédestiné.
3 - LA RENTRÉE EN SCÈNE DE LA PROVIDENCE a) La Providence, garante de la succession. Les mesures, à la fois politiques et religieu ses, que prit Septime Sévère sitôt arrivé à Rome, permirent la rentrée en scène de la Providence. Parvenu dans la Ville à une vitesse qui parut prodigieuse, il fit rapidement procéder, après avoir été reconnu empereur par le sénat, à la divinisation de Pertinax. La cérémonie revêtit une très grande ampleur et Septime Sévère pro nonça lui-même l'éloge funèbre107. Mais il alla plus loin, en faisant de l'empereur assassiné son père : il introduisit son nom dans sa titulature : IMP CAE L SEP SEV PERT AVG, et il fit frapper des aurei, des deniers et des sesterces à l'effigie du nouveau diuus, avec la légende CONSECRA-
106 J. Guey, La date de naissance de l'empereur Septime Sévère d'après son horoscope, dans BSNAF, 1956, p. 33-35. De ces indications l'auteur a pu déduire la date de naissance de l'empereur; elle doit être placée le 11 avril 145 et non 146, comme le laisse entendre l'Histoire Auguste. 107 Dion Cass., LXXIV, 4, 1-5, 5; HA Vit. Pert., XV, 1-5; Vit. Sev., VII, 8-9.
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ΤΙΟ et la représentation d'un aigle ou du bûcher funéraire surmonté du quadrige triomphal108. La titulature de Pertinax sur ces monnaies est très caractéristique des désirs de Septime Sévère: DIVVS PERT(inax) PIVS PATER. En l'appelant Pater, l'empereur reprenait l'attitude qu'avant lui avait eue Hadrien, dont l'adoption avait été discutée: de la même façon, sur des monnaies en l'honneur de Trajan divinisé, il avait fait inscrire DIWS TRAIANVS PATER109. Par ce moyen, il voulait signifier qu'il se considér ait comme ayant été adopté par Pertinax, ce que marquait aussi l'introduction du nom dans la titulature. Il faut aller encore plus loin si nous nous intéressons à la présence du titre de PIVS que jamais, durant son court principat, Pertinax n'avait pris ni porté. Cette introduction officielle est importante parce que nous retrouvons ici ce qui avait fait la valeur du titre sous Antonin, où il avait été donné à l'empereur pour avoir res pecté, dans le cadre de la succession, les accords passés avec Hadrien, alors divinisé. Nous avons étudié ce point plus haut et nous avions conclu que, jusqu'à la fin des Antonins, ce terme recouv raittoujours, cette même idée. Septime Sévère, en l'appliquant à Pertinax, le reprenait dans ce sens. Pertinax avait été empereur légitime et c'était à bon droit qu'il avait pu faire appel à la Providence des dieux, car c'était elle qui l'avait placé sur le trône impérial; en prenant le pouv oir, il n'avait fait que respecter les volontés exprimées par le monde divin, dont les diui. Pour l'affirmer encore plus nettement et publi quement, ce furent les sodales Antoniniani qui s'occupèrent du culte du nouveau diuus. Dès ce moment déjà, Septime Sévère, qui se présentait comme le légitime successeur du légitime suc cesseur de Commode, se rattachait aux Anton ins; la manière était encore très discrète, mais le processus était bien engagé.
Et pourtant il réalisa alors officiellement, mais tout était peut-être entendu d'avance entre les deux hommes, un choix étonnant en donnant le titre de César à D. Clodius Albinus, gouver neur de Bretagne. Il est évidemment possible de l'expliquer comme le fait Hérodien lui-même110; Septime Sévère ne pouvait pas combattre sur deux fronts à la fois, or Pescennius Niger s'était déjà proclamé empereur depuis longtemps (de puis l'annonce de la mort de Pertinax); comme il contrôlait une grande partie de l'Orient, il fallait l'éliminer, mais, pour cela, il y avait nécessité d'abandonner Rome pour l'Orient. Clodius Albi nus était le seul gouverneur puissant en Occi dent, en l'absence de Septime Sévère, il pouvait s'emparer du pouvoir. Le titre de César était un moyen de satisfaire ses ambitions en l'empê chant de pratiquer toute action contraire aux intérêts de Septime Sévère. Une telle explication paraît bien insuffisante. En effet, il existait des moyens beaucoup plus simples et n'engageant en rien l'avenir pour obli ger Clodius Albinus à rester dans son rôle de gouverneur. Tout au contraire, le titre de César donnait normalement maintenant un droit à la succession, comme pour L. Aelius Caesar ou pour Antonin lui-même qui porta le titre quel ques mois en 138. En outre, il fournissait à celui qui le portait un prestige considérable et une place incomparable dans l'État. Faudrait-il alors croire ce que raconte la biographie de l'Histoire Auguste111; Clodius Albinus aurait déjà été choisi comme César par Commode lui-même, à un moment où il craignait des révoltes contre lui. Le détail de l'histoire, avec la lettre de Commod e, est certainement faux, mais il y a sans doute un fond de vrai dans les relations étroites et confiantes qui auraient existé entre l'empereur et Clodius Albinus. Ce dernier aurait pu les faire jouer auprès de Septime Sévère qui n'aurait pas
mRIC, IV, 1, p. 94, n° 24A et B; p. 181, n° 660B, a b, c; 660 C. 109 Cf. supra, p. 300. 110 Hérod., II, 15, 2. i» HA, Vit. Clod. Alb., II-III; Vit. Sev., VI, 9. Cf. C. E. van Sickle, The Legal Status of Clodius Albinus in the Years 193-96, dans Class. PhiloL, XXIII, 1928, p. 124-125. Il faut aussi écarter l'idée, moderne (E. Manni, La lotta di Settimio Severo per la conquista del potere, dans Riv. FU. Istr.
Clas... XXV, 1947, p. 211-243) que ce choix n'aurait été réalisé que pour montrer l'accord avec le sénat. Ce geste qui, théor iquement, engageait l'avenir, ne pouvait recouvrir un sens aussi restreint alors que Clodius Albinus prend le gentilice de Septimius et que, même s'il ne reçoit pas la puissance tribunicienne et Ximperium proconsulare (mais Marc Aurèle en 139 et Commode en 166 ne les avaient pas non plus reçus), il est totalement associé à la domus Augusta (cf. CIL, VIII, suppl. 4, 26498; XIII, 1, 1, 1753).
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voulu aller à l'encontre de choix faits par Comm ode112. La solution est peut-être plus simple. En réal ité, il ne s'agit pas, dans l'esprit de Septime Sévère, d'assurer le pouvoir à Clodius Albinus pour lui-même, mais de le faire servir d'interméd iaire en attendant que les propres enfants de l'empereur et de Julia Domna, Bassianus et Geta, soient en âge de régner. Si nous en croyons Hérodien, Septime Sévère lui-même l'avait affi rmédans une lettre qui est, dans tous ses passag es,« pleine de démonstrations d'amitiés » : « di sant que l'empire avait besoin d'un homme de sa qualité , que pour lui il était déjà vieux, que les douleurs de la goutte l'empêchaient souvent d'agir, et que ses enfants étaient encore trop jeunes pour prendre sa place»113. La dernière remarque est vraie, Bassianus a cinq ans et Géta quatre; à quoi bon en parler, si Clodius Albinus avait dû être le véritable successeur? Septime Sévère a voulu reproduire le schéma antonin et rééditer ce qu'avait fait Hadrien, mais cette fois au profit de ses propres enfants. Il prenait un homme d'expérience pour assurer la transition avant que Bassianus et Geta fussent en âge de prendre le pouvoir et de le partager, comme L. Verus et Marc Aurèle. Nos sources veulent toujours nous présenter des étapes chro nologiques dans la pensée de Septime Sévère à propos de sa succession: d'abord Clodius Albi nus, puis, après réflexion, «son amour pour ses fils devenus grands»114. En réalité, l'empereur a toujours agi avec la même pensée, dans le même but, donner le pouvoir à ses fils Bassianus et Geta. Pouvait-il d'ailleurs en être autrement à partir du moment où l'empereur se considérait comme élu par les dieux et donc choisi aussi pour fonder une dynastie; il en était certaine ment d'autant plus convaincu qu'il avait la chan ce d'avoir des garçons vivants. Une monnaie de Julia Domna est là pour nous confirmer ce point de vue; il s'agit d'une série, frappée dans tous les métaux à Rome, entre 193 et 196, et
ment dès 193. Avec la légende FECVNDITAS, nous voyons une femme assise tenant un enfant dans ses bras et un second enfant se tient debout face à elle115. L'allusion aux deux enfants du couple est très claire; ce n'est pas simple mentvouloir faire étalage des bonnes disposi tionsà la maternité de Julia Domna, qui serait comme un modèle pour toutes les matrones romaines. C'est l'affirmation d'une fécondité vou lue par les dieux pour que les enfants succèdent à leur père dans le pouvoir; des monnaies du même genre avaient eu la même signification pour les enfants du couple Marc Aurèle et Faustine la Jeune. Nous comprenons mieux dès lors pourquoi une importante série monétaire a été frappée à Rome, donc sur l'ordre et sous le contrôle de Septime Sévère, en l'honneur de D CLODIVS ALBINVS CAES ou de D CL SEPT ALBIN CAES. Elles ont été émises en 193 puisqu'elles portent l'indication du premier consulat de Septime Sévère. Mais, ce qui est plus intéressant pour nous, elles possèdent la légende PROVID AVG et la représentation de la Providence tenant une baguette au-dessus d'un globe qui est à ses pieds, et un sceptre dans l'autre main116. Le sens en est clair, d'autant que le monnayage propre à Septime Sévère, cette année-là et jusqu'en 196, ne comporte aucune allusion à la Providence. Grâce à la Providence de l'empereur, la stabilité du pouvoir était établie solidement par le choix d'un homme qui saurait servir de tuteur aux enfants de l'empereur si ce dernier venait à brutalement disparaître dans la nouvelle campag ne-entreprise. Nous retrouvons ici, sans surpris e, la Providence utilisée dans son rôle de pro tectrice et de garante de la succession. Cette émission a dû se poursuivre l'année suivante et peut-être encore en 195. Elle a été accompagnée d'autres séries qui étaient en lia ison étroite avec elle, comme sous les Antonins : FELICITAS et ROMA AETERNA en particul ier117; grâce à la Providence de l'empereur,
112 II ne faut, en tout cas, pas jouer sur le fait qu'il y a eu abolitio memoriae de Commode et que tous ses actes ont donc été effacés. En réalité, très rapidement, le souvenir de Commode a été réintégré dans les actes de l'empereur, ce qui correspondait au sentiment d'une partie de la population et, peut-être de l'armée. "3Hérod., II, 15,4.
"*HA, Vit. Clod. Alb., Ill, 5. 115 RIC, IV, 1, p. 165, n° 534; p. 207, n° 838, 844. 116 RIC, TV, 1, p. 44, n° 1 a, b, e; p. 51, n° 50. Cf. p. 440, n° 99. 117 RIC, IV, 1, p. 44, n°4; p. 45, n° Ila, b; p. 52, n° 52 a à g., 55 (SAECVLI FEL); p. 53, n° 58.
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mRIC, IV, 1, p. 52, n° 51. 119 RIC, IV, 1, p. 53, n° 62, 63. 120 RIC, IV, 1, p. 174, n° 612, 612A, 613; p. 175, n° 619 à 621; p. 176, n° 629 (SAECVLI FELICIT); p. 177, n° 637; p. 178, n° 642, 643.
121 CIL, II, 693. 122 Dion Cass., LXXV, 1, 1. 123 Des monnaies d'Asie portent ce titre : RIC, IV, 1, p. 179, n° 650. Mais aussi des émissions romaines plus tardives : RIC, IV, 1, p. 210, n° 880 et 881. Cf. A. Alföldi, op. cit., p. 69.
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été ouverte par le consulat conjoint de Septime Sévère et de Clodius Albinus. Mais il était cer tain que cela ne pouvait être durable, surtout à partir du moment où Septime Sévère remportait des victoires en Orient qui lui permettaient d'él iminer Pescennius Niger.
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l'avenir heureux et éternel de Rome est assuré par l'intermédiaire de Clodius Albinus. Nous pouvons aussi noter la présence d'un sesterce avec ANNONA118 qui ne peut pas signifier la part que prend, en Bretagne, Clodius Albinus à l'a nnone, mais exprime le sentiment que, grâce à l'avenir assuré, le ravitaillement de Rome et de l'Italie se fera toujours parfaitement. La CONCORDIA, à laquelle d'autres monnaies de bronze font allusion, n'est pas celle de deux hommes, de deux armées, mais celle qui scelle l'accord des dieux et des hommes pour la prospérité du monde, symbolisée par la double corne d'abon dance119. D'ailleurs, les monnaies de Rome en l'hon neur de Clodius Albinus se rapprochent, par leurs thèmes, de celles de Julia Domna; ces dernières ont été frappées à Alexandrie, à Émèse et à Laodicée- sur-mer et nous y retrouvons ROMA AETERNA, PIETAS, CONCORDIA, FELI CITAS TEMPORVM120. Elles sont une très nette confirmation de la même idée, l'avenir de Rome sous la direction de Bassianus et de Geta, l'épi de blé entre deux cornes d'abondance. La Concordia de Julia Domna a la même signification que celle de Clodius Albinus. L'un comme l'autre devaient assurer la protection des enfants, com mel'avaient voulu les dieux; ils s'étaient expres sément fait entendre par l'exercice de la Provi dence de Septime Sévère. Dans ces conditions, il. n'est pas étonnant de trouver, pour la première fois dans une inscription, l'adjectif au superlatif prouidentissimus, appliqué à l'empereur, en 194; le texte découle certainement de l'accord avec Clodius Albinus cautionné par les monnaies avec PROVID AVG. Il s'agit d'une dédicace en l'hon neur de l'empereur faite par les duumvirs de Norba, en Lusitanie, à la suite de l'érection d'une statue de l'empereur: «Imp. Caesari Lucio I Septimio Seuero Pertinaci Aug. Pont. Max. Trib. Pot. II Imp. Ill I Cos. II Pro Cos. P. P. I Optimo Fortis simo Prouidentissimoque Principi ex arg. p. X\C D. Mio Celso I et L Petronio Nigro IIV D. D.»121. Une telle dédicace répondait parfaitement à la situation du moment, alors que l'année avait
b) La Providence, garante du rattachement à la lignée antonine. Septime Sévère procéda en plusieurs étapes qui furent toutes chargées d'éliminer les inte rmédiaires entre lui et les Antonins et de renfor cer autour de lui le rôle de la nouvelle domus diuina qui assurerait le pouvoir à ses enfants. C'est en 195, alors que le problème Niger était déjà résolu à part les résistances désespérées de Byzance, que l'empereur franchit la première étape. Au début du printemps, Septime Sévère mont aune curieuse expédition en Mésopotamie, «par désir de gloire» nous dit Dion Cassius122; avait-il alors le dessein d'étendre les frontières de l'empire? Ou bien une telle campagne ne lui avait-elle pas paru nécessaire pour acquérir des succès, assez aisés d'ailleurs, qui lui permett raient de porter les titres à'Arabicus et d'Adiabenicus et de paraître ainsi s'être déplacé en Orient pour une guerre étrangère et non pour une guerre civile? Le but profond est sans doute ailleurs; cette campagne lui permit d'associer sa femme et ses enfants à sa victoire, comme Marc Aurèle l'avait fait avant lui. Ce fut dans cette campagne qu'il forma réellement sa domus augusta. Le 14 avril, Julia Domna, comme avant elle Faustine la Jeune, reçut le titre de Mater Castro· rum123 qui l'associa pleinement à toutes les actions guerrières de son mari et lui fit apporter aux armées la certitude de la victoire par sa présence bénéfique. Très peu de temps après, et alors qu'il se trouvait toujours en Orient, le princeps se proclama fils du divin Marcus Pius, expression que nous retrouvons sur des sester-
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ces frappés à Rome, en 195, après la cinquième salutation impériale; ils représentent Roma tenant une Victoire et une lance124. Nous pou vons noter que c'est à ce moment qu'apparaît dans le monnayage de Septime Sévère la légen deSAECVLI FELICITAS jusqu'alors absente125. La filiation ainsi proclamée était l'annonce de la renaissance du siècle d'or. Du fait de cette fili ation nouvelle, l'empereur, sans encore rien chan gerpour lui-même, transforma les noms de son fils aîné Bassianus et le fit appeler M. Aurelius Antoninus126; la transformation eut lieu avant le 10 décembre de cette année 195 127. C'était un pas décisif que franchissait Septime Sévère. Par ces deux actes qui liaient lui-même et son fils aux Antonins, il montrait à tous quelle serait désor mais sa politique, particulièrement dans le domaine capital de la succession: totalement dynastique comme celle des Antonins. À partir de ce moment, Clodius Albinus ne pouvait plus se faire aucune illusion sur son rôle d'intermédiaire et sur la place qu'il pourrait tenir. Aussi, certainement dans les derniers mois de 195, prit-il le titre d'Auguste et ouvrit-il, à Lyon, son propre atelier monétaire128. Il reprit à son compte, IMP CAES D CLO SEP ALB AVG, les frappes avec PROV AVG; il en fit même tirer, en deniers, un nombre important129. Il voulait exprimer la légitimité du choix qui avait été fait, en sa personne, et il essayait de démontrer que ce n'était pas son fait si l'accord avait été rompu. En effet, cette Providence qu'il mettait au pre mier plan, toujours représentée comme sur les pièces des ateliers romains, n'était pas la sienne; elle restait celle de Septime Sévère qu'il était impossible d'écarter puisque expression de la volonté des dieux. En outre, pour bien affirmer cette légitimité qu'il voulait acquise définitive ment, Clodius Albinus conserva, sur ces frappes,
le nom de SEPTIMIVS qu'il avait pris lorsqu'il avait été fait César130. Mais, dans le même temps, maintenant qu'il s'était proclamé Augustus, cette Providence pouvait aussi être la sienne; il lui était loisible de l'exercer et il pouvait se sentir délié de toute attache particulière avec Septime Sévère. La réplique de Septime Sévère fut rapide; cette fois-ci elle affirma définitivement et off iciel ement le principe d'hérédité. Sur la route du retour en Occident, à Viminacium, dans les pre miers mois de 196, l'empereur donna à son fils aîné, qui n'avait pas encore huit ans, le titre de César131. À ce propos, le biographe pense que Septime Sévère le fit «afin d'ôter à son frère Géta l'espérance d'être empereur»; faut-il com prendre que Géta aurait pu remplacer Clodius Albinus comme intermédiaire, durant la jeunes se de Caracalla? L'empereur ne pouvait envisa ger une telle solution. De retour à Rome, avec toute sa famille, Septime Sévère prépara sa cam pagne contre Albinus. Ce fut certainement à ce moment132 qu'il donna encore plus de précision à la succession qu'il voulait établir; il fit appeler, officiellement, son fils imperator destinatus; de très nombreuses inscriptions, sous des formes diverses, donnent ce titre à Caracalla, en plus de celui de César et comme pour y apporter une précision133. L'expression fut aussi utilisée sur quelques monnaies du jeune héritier qui possé daitson propre monnayage depuis qu'il était César134. Il ne s'agissait en rien d'un titre «const itutionnel», mais d'une simple désignation mor ale de l'héritier présomptif135 avant le départ pour une expédition militaire qui pouvait se révéler difficile et où, d'ailleurs, Septime Sévère faillit perdre la vie. Septime Sévère voulut renforcer cette idée et, dans le même temps, contrecarrer les émis-
124 RIC, IV, 1, p. 185, n° 686. 125 RIC, IV, 1, p. 186, n° 692 et 698. 126 Hérod., III, 10, 5; HA, Vit. Sev., X, 3. 127 ILS, 8805 (inscription d'Aezani). 128 Cf. J. P. Callu, op. cit., p. 207, n. 5 : l'atelier est resté en fonctionnement de la fin de l'année 195 au 19 février 197. 129 RIC, IV, 1, p. 49, n° 33 à 36. Cf. p. 440, n° 100. 130 Cf. A. Birley, op. cit., p. 192. 131 HA, Vit. Sev., X, 3. Cf. G. M. Bersanetti, art. cit., p. 81 (note 3 de la p. 80). 132 H. U. Instinsky, art. cit., p. 215, n. 12. Contra, J. Fitz,
When did Caracalla become «imperator destinât lis» ? dans Alba Regia, VIII-IX, 1967-1968, p. 285-286, qui opte pour le 4 avril 197. 133 Cf. la liste dans J. Béranger, La démocratie sons l'Empir e Romain : les opérations électorales de la Tabula Hebana et la «destination, dans Principatiis, p. 223, n. 71. 134 RIC, IV, 1, p. 212, n° 6: ϋΕδΉΝΑΤΟ IMPERAT(ori) avec lituus, apex, bucrane et simpulum. 135 J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique..., p. 148-149.
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sions qu'Albinus faisait faire à Lyon. A Rome, il fit frapper des deniers avec la légende PROVI DENTIA AVG et toujours la même figure fémini ne tenant une baguette et un sceptre et avec un globe à ses pieds136. Parallèlement, l'atelier monétaire oriental, sans doute installé à Laodicée, frappait le même denier137. Ce fut le moment où cet atelier ne parut être qu'une simple branche des ateliers de Rome138 et où il reproduisit les mêmes types, mais pas tous les types romains. Nous pouvons considérer ceux choisis pour être émis à Laodicée comme les plus importants dans la propagande impériale; PROVIDENTIA AVG était de ceux-là. Dans tout l'empire Septime Sévère faisait savoir qu'en accord avec les dieux qui l'avaient placé sur le trône, il avait assuré sa succession dans la per sonne de son fils Caracalla. Un tel acte assurait la félicité future de Rome. Dans les mêmes séries, au point de vue chro nologique, c'est-à-dire en cette fin d'année 196, apparurent des aurei et des sesterces avec la légende ADVENTVI AVG FELICISSIMO139. Le retour d'Orient et l'arrivée à Rome se trouvaient qualifiés de «Très Heureux» grâce à l'assurance que la prospérité serait éternelle puisque la suc cession assurée. Les VOTA PVBLICA qui furent pris à ce moment peuvent être inclus dans le même contexte et recouvrent, en grande partie, le même sens140. De ce fait aussi, et pour la première fois sous son règne, la Victoire peut être qualifiée d'Aeterna141 . L'expédition menée en Gaule était avant tout chargée de confirmer que Septime Sévère suivait toujours la bonne voie, celle que les dieux lui avaient tracée; il y cher chait la confirmation de son bon droit quand il avait donné le nom des Antonins à son fils et qu'il en avait fait un César, imperator destinatus. Aussi on ne pouvait empêcher cette campagne
militaire de recevoir le titre de « Très heureuse », non pas seulement par son résultat purement matériel, la défaite de l'ennemi, mais surtout parce que cette victoire avait assuré la continui té du pouvoir et avait définitivement confirmé Septime Sévère dans la voie où il s'était engagé les deux années précédentes142. C'est pourquoi, il ne faut certainement pas voir dans la Prouidentia de cette époque un simple rappel de l'accession, cent ans auparavant, de Nerva au principat, accession qui avait été marquée par les émis sions à la légende PROVIDENTIA SENATVS143. Il ne s'agit que d'une coïncidence et le souvenir de Nerva ne peut être rappelé ici, même si, déjà à cette époque, la politique des Antonins était sous-jacente à tout ce qu'entreprenait SeptimeSévère. D'ailleurs, en cette même fin d'année 196, les ateliers d'Alexandrie frappent des drach mesavec la légende ΠΡΟΝΟΙΑ CEBACTH et représentant la Pronoia debout. Toutes ces piè ces sont au nom de Julia Domna144. C'était l'aff irmation de l'existence de la domus augusta; Julia Domna, en tant qu' Augusta et que Mater Castrorum, devait assurer la succession sous l'égide de la Providence. Au retour de la campagne de Gaule, après la défaite et la mort d'Albinus, tout obstacle était définitivement supprimé; Septime Sévère pouv ait se sentir encore plus sûr de l'appui divin dans la voie où il s'était engagé; la réussite était le signe de l'accord. Il pouvait maintenant agir avec plus de brutalité, non pas seulement parce qu'il était le seul à posséder la force militaire et à pouvoir imposer à tous sa loi, mais aussi parce qu'il savait que rien, ni d'humain ni de divin, ne pouvait plus l'arrêter dans son entreprise. Dès son retour à Rome, il exigea du sénat la divinisa tion de Commode145; «il fit l'éloge de Commode en plein sénat et devant le peuple assemblé, il
136 RIC, IV, 1, p. 102, n° 92 a, b. Cf. p. 440, n° 101 et pi. IL 137 RIC, IV, 1, p. 157, n° 491 a, b. Cf. p. 440, n° 101. 138 Cf. RIC, IV, 1, p. 58-59. 139 RIC, IV, 1, p. 100, n° 73, 74; p. 189, n° 718, 719; p. 190, n° 731. 140 RIC, TV, 1, p. 102, n° 96 a, b; p. 190, n° 730; p. 191, n° 736. Ce qui n'exclut pas qu'ils soient aussi prononcés pour le salut et le retour de l'empereur de Gaule (cf. H. Mattingly, The Imperiai «Vota», p. 164). 141 RIC, IV, 1, p. 102, n° 94 et 95.
l*2CIL, VIII, suppl. 1, 14454; le chevalier M. Rossius Vitulus a été «proc. ann. ob exped. felicL·. Gall. ». 143 M. Grant, Roman Anniversary Issues, Cambridge, 1950, p. 116. 144 J. Vogt, op. cit., I, p. 164, qui a bien vu qu'il fallait mettre ces monnaies en rapport avec l'élévation de Caracalla au rang de César. Cf. II, p. 1 14. C'est le seul exemple d'une femme bénéficiant d'une émission à l'image de la Providenc e. Cf. p. 441, n° 107. 145 HA, Vit. Sev., XI, 3.
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l'appela dieu, il dit enfin . . . que ce prince n'avait déplu qu'à des infirmes»146. Sans qu'il y ait eu, semble-t-il, une cérémonie particulière, comme pour Pertinax, Septime Sévère, à partir de ce moment, se considéra comme le fils de Marc Aurèle et le frère de Commode147. Une telle décision était inscrite dans les faits et les réalisa tionsdes années précédentes. Septime Sévère ne pouvait se contenter de donner à son fils les noms antonins si lui-même n'était pas officiellement rattaché à la dynastie. Il ne pouvait pas se déclarer le fils de Commode; car, même si ce dernier n'était plus aussi décrié qu'il avait pu l'être de son vivant, il était difficile à l'empereur de paraître descendre directement de lui. En outre, il existait un obstacle d'âge; Septime Sévère était plus âgé que ne l'aurait été Commode. Par contre, se rattacher à Marc Aurèl e présentait tous les avantages possibles. Il est certain que ce ne fut pas seulement un choix réalisé pour des raisons répondant à des aspira tions personnelles de l'empereur et de son entourage; ce ne fut pas dû non plus à des raisons financières ou politiques qui auraient permis à l'empereur de voir se rallier à lui quelques grandes familles qui avaient bien servi Marc Aurèle148. Les raisons profondes sont religieuses. La consécration de Marc Aurèle n'avait été discutée par personne parce que cet empereur avait été celui qui avait le mieux répondu à ce qu'on attendait d'un prince détenteur de charismes, avoir un fils capable de lui succéder. De ce fait fondamental résultait qu'il n'était pas possible d'escamoter Commode. Dans la conception que
nous avons essayé de définir, il se trouvait être le princeps idéal, et nous avons vu qu'il avait agi en tant que tel. Si déconcertante qu'ait été son attitude, il n'en était pas moins resté le fils d'un diiius, né dans la pourpre, aboutissement logi que, mais favorisé par les dieux, d'une série de diui et de diuae porteurs du même sang, donc des mêmes charismes. Pour la cohésion mysti quede la famille impériale, il était nécessaire de le réintroduire et seule la consécration le pouv ait. En même temps, n'étant que son frère, Septime Sévère avait la possibilité de ne pas prendre à son compte tous les actes de Commod e. Par contre, en étant le fils de Marc Aurèle, il bénéficiait de tous les avantages du princeps idéal, comme Commode à son avènement (à part la naissance porphyrogénète). Septime Sévère suivit, presque trait pour trait, le modèle de Marc Aurèle; comme ce dernier l'avait fait avec Commode, il décida de partager le pouvoir avec son fils en lui donnant le titre à'Augustus. Pour ce faire, il choisit, délibérément, des circonstan ces très particulières, en grande partie créées par lui-même.
146 Ibid., XIL 8. 147 Dion Cass., LXXV, 7, 4; 8, 1. Une monnaie, très rare, est dédiée à la CONSECRATIO de Commode (RIC, IV, 1, p. 99, n° 72; p. 191, η» 736Α). L'importance réservée désormais à Commode peut être soulignée par le nom qui a été donné, entre septembre 202 et janvier 205, à Jérusalem: COL(onia) AELIA KAP(itolina) COMMODIANA (les dates sont fixées par la mention de FVLVIA PLAVTILLA AVG). Cf. B. Lifshitz, Jérusalem sous la domination romaine, dans ANRW, II, 9, 1, 1976, p. 485-486. 148 J. Béranger, Diagnostic du principat: l'empereur romain chef de parti, dans Principatus, p. 263; C. R. Whittaker, The Revolt of Papirius Dionysius A D. 190, dans Historia, XIII, 1964, p. 357. Ce n'est certainement pas ce ralliement que recherche Septime Sévère en se rattachant aux Antonins. Il
avait bien d'autres moyens de le provoquer. Par contre, le ralliement de certaines grandes familles, que l'auteur nom me,a pu en être facilité. R. Syme, Emperors and Biography. Studies in the Historia Augusta, Oxford, 1971, p. 79, 81 et 85, insiste sur le poids pris par le nom Antoninus qui, après la mort du dernier véritable Antonin, serait devenu le nom des bons empereurs et l'e xpression la plus claire du pouvoir. L'« usurpateur » Septime Sévère aurait trouvé en lui un moyen de stabiliser son propre pouvoir; il se serait appuyé sur son admiration pour Marc Aurèle et sur un rêve qui lui avait révélé qu'un Antonin devait lui succéder. Ces explications ne sont pas suffisantes et ne répondent pas à la question : pourquoi le nom Antoni nus a-t-il acquis ce poids si important? 149 Dion Cass., LXXV, 9, 1.
c) L'Orient, la famille impériale, le «siècle des Antonins». C'est avec une certaine surprise que nous voyons l'empereur quitter brusquement Rome et l'Italie, s'embarquer pour l'Orient en vue de combattre les Parthes. Dion Cassius parle d'une nouvelle invasion de Barbares et du siège de Nisibis149. Ce ne fut sans doute qu'un prétexte et il vaut mieux croire ici ce qu'en dit la biographie de l'Histoire Auguste, tout en l'interprétant et en
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y apportant certaines corrections : « C'était un bruit généralement répandu que ce prince voul ait faire la guerre aux Parthes sans aucune nécessité, dans le seul but d'acquérir de la gloi re»150. Le fond semble véridique, si ce n'est que la gloire n'est pas exactement le but recherché. Septime Sévère rééditait simplement la campa gne de Trajan dans les dernières années de son règne. Les premiers succès acquis en 195 n'avaient pas été suffisants, ou n'avaient pas été remportés à un moment que l'empereur avait jugé assez propice pour accepter le triomphe et le titre de Parthicus. Ce titre avait été le couron nement du principat de Trajan et il est le seul qui lui soit resté après sa mort. Il est appelé Diuus Traianus Parthicus; c'est le titre qui l'a ccompagne éternellement dans le monde des dieux où il se trouve. Nous ne devons pas oublier non plus que cette dernière période du règne de Trajan fut aussi celle de la personnification de la Prouidentia sur les monnaies151 et de la divinisation du père de Trajan. Nous avons là le point de départ de toute la politique dynastique menée par tous les empereurs antonins. Septime Sévère chercha à recréer la coïncidence pour être sûr d'avoir l'appui des dieux et des diui. Parti avec sa fem me, comme Trajan, avec ses enfants, comme Marc Aurèle, il lui fallait remporter un succès décisif sur l'ennemi Parthe. Pour le rendre plus spectaculaire et plus significatif, il fallait aussi choisir une date qui serait symbolique d'un renouvellement des temps dans la continuité, toujours recherchée, par rapport aux Antonins. Cette date fut celle du 28 janvier 198. En effet, le 28 janvier 98 avait été le dies imperii de Trajan, à la mort de Nerva.
Le 28 janvier 198, Septime Sévère s'empara, avec son armée, de la capitale des Parthes, Ctésiphon152. C'est alors qu'il fut salué en tant que Parthicus Maximus; il reçut aussi sa onzième salutation impériale et, surtout, il proclama son fils aîné, Caracalla, Auguste, et son fils cadet, Géta, César. Ils étaient tous les deux présents à la prise de Ctésiphon153. Comme il a été montré par ailleurs, c'était le moment où se créait vérit ablement la notion de «siècle des Antonins», où elle prit une forme définitive grâce à une chro nologie précise154. De ce fait, le dies imperii de Caracalla correspondait au dies imperii de Tra jan, ce qui devait être pris comme le gage d'un nouveau siècle heureux pour Rome, comme l'avait été celui des Antonins; en réalité, par le moyen de l'adoption posthume, Septime Sévère le renouvelait à travers ses fils. Ce ne peut être un hasard si Trajan, et non Nerva, a été choisi pour jouer ce rôle de « véritable auteur de cette lignée de dieux», pour reprendre l'expression de J. Guey. Il l'avait été totalement, en concomitanc e avec la guerre parthique, en divinisant son père et sa sœur, pour créer ainsi la lignée chari smatique des Ulpii à laquelle Septime Sévère lui-même voulait se rattacher et qu'il désirait perpétuer par ses deux fils. Tout au cours du déroulement du principat des Sévères, Trajan ne perdit pas cette place prépondérante. Dans le Feriale Duranum, à la date du 28 janvier, les soldats de Sévère Alexan dre sacrifiaient une vache à la Victoire Parthique de Septime Sévère et un bœuf au divin Trajan. Dans ces conditions, qui rapprochaient de façon significative deux épisodes distincts du règne de Trajan, il n'y a rien d'étonnant à voir de nouveau apparaître des monnaies au type Prouidentia,
>™HA, Vit. Sev.,X;XV, 1. 151 Cf. supra, p. 238. 152 Dion Cass., LXXV, 9, 4; HA, Vit. Sev., XVI, 1. Cette prise, au jour voulu par l'empereur, montre bien la faible résistance des Parthes qui n'étaient pas du tout prépa résà une guerre qu'ils n'avaient certainement pas recher chée. 153 HA, Vit. Sev., XVI, 3-4. Dans un article récent, Z. Rubin, Dio. Herodian and Severus Second Parthian War, dans Chiron, V, 1975, p. 431-436, a cherché à démontrer que Caracalla avait été proclamé Auguste dès 197 et que Ctésiphon avait été prise dès l'autom ne 197. La date de la Victoria Parthica sur le Feriale Duranum
ne serait qu'une manipulation de l'administration de l'empe reurpour la faire coïncider avec le dies imperii de Trajan. Cette chronologie est possible; elle ne change rien au fait essentiel : imposer aux esprits la coïncidence avec l'avèn ementde Trajan. Son importance serait encore mieux mise en valeur s'il y avait eu manipulation du calendrier. Par contre, M. G. Angeli Bertinelli, / Romani oltre l'Eufrate nel II secolo D.C. (le province di Assiria, di Mesopotamia e di Osroene), dans AWRW, II, 9, 1, 1976, p. 37-38, conserve la date traditionnelle. 154 J. Guey, 28 janvier 98-28 janvier 198, ou le siècle des Antonins, dans REA, L, 1948, p. 60-70.
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avec baguette, sceptre et globe, tel qu'il avait été frappé sous Trajan, au moment de sa campagne contre les Parthes et de l'orientation décisive de sa succession. Un denier est émis dès 198, et son émission se poursuivit en 199, avec cette fois la légende PROVIDENTIA AVGG, qui rappelait qu'il y avait désormais deux empereurs qui régnaient conjointement155. Dans le même état d'esprit, les ateliers d'Alexandrie émirent des drachmes au profil de Septime Sévère, avec la même légende que deux ans auparavant pour Julia Domna, ΠΡΟΝΟΙΑ CEBACTH156. Grâce à la Providence qui avait assuré à Sep time Sévère son pouvoir, qui lui avait permis de rétablir la paix dans l'empire et qui avait établi le lien indispensable avec les diui et les diuae porteurs des charismes impériaux Ulpiens, l'ave nirde Rome était assuré. Les personnes de sa femme et de ses fils, cette domus diuina indes tructible, en étaient le gage vivant et visible dans leur piété. C'était un nouveau départ, pour un nouveau siècle, dans la Félicité et pour l'Éternit é. Tout le monnayage de 198/200, qui n'est pas spécifiquement en rapport avec la Victoire et les événements militaires, rappelle ces points. Dans les émissions au nom de Caracalla et de Géta, certaines rappelaient qu'ils étaient les fils de Sévère Auguste et qu'ils lui devaient tout ce qu'ils étaient157. La Piété était exaltée; de la même façon qu'il l'avait introduite dans le nom de Pertinax, il plaça le titre de Pius dans son
nom; il apparaît sur les monnaies dont nous venons de parler. Caracalla et Géta étaient les fils de Seueri Augusti Pii qui avait su montrer sa propre piété envers les diui, en établissant avec eux un lien qui reformait la chaîne familiale qui avait failli être interrompue à la mort de Comm ode158. Cette année 198 était bien le moment d'un nouveau départ grâce à Septime Sévère, Restitutor Urbis159, qui célébra alors des Vota Decennalia; ils furent commémorés par des frappes de Laodicée160. Elles appelaient à une nouvelle jeu nesse de l'empire à travers la personne du fils de l'empereur, maintenant Auguste161. Tout comm ençait, ou plus exactement recommençait le 28 janvier 198; c'est certainement avec cette date qu'il faut faire coïncider les uota. Il était normal d'avoir attendu cette date, car, depuis la dispari tion de Commode, tout était trop mouvant, rien ne semblait pouvoir être assuré pour longtemps. Grâce à la succession assurée sous l'égide de la Providence, et donc en accord avec les dieux et les diui, le monde romain était destiné à connaît re la Félicité. Nous retrouvons alors, et logique ment,les expressions employées sous les Antonins: SAECVLI FELICITAS162, FELICITAS TEMPORVM163, FELICITAS seule ou FELICITAS AVGG ou FELICITAS PVBLICA, mais aussi le caractère de FELIX attribué à PROFECT AVGG164, à VICTORIA AVGG165, à FORTVNA166, à CONCORDIA167. Ce Bonheur devait être éternel
155 RIC, TV, 1, p. 108, n° 139. Cf. p. 440, n° 103. De nomb reuses autres monnaies portent AVGG. Même type, p. 112, n° 166 (année 200-201). Cf. p. 440, n° 104. 156 J. Vogt, op. cit., II, p. 114 et I, p. 164. Cf. p. 441, n° 107. L'auteur a bien vu le rapport avec la frappe de Rome de la même année et l'élévation de Caracalla au rang d'Auguste. Il faut totalement écarter le point de vue de J. G. Milne, op. cit., p. XXXII, qui veut y voir une anticipation de la visite que Septime Sévère accomplit à Alexandrie l'année suivant e. 157 RIC, TV, 1, p. 212, n° 3 et p. 277, n° 404 (alors que Caracalla n'est encore que César); p. 314, n° 3; p. 330, n° 110, HOA(Géta). 158 Autres monnaies avec PIETAS AVGG: RIC, IV, 1, p. 178, n° 642 (Julia Domna, atelier de Laodicée); p. 209, n° 863 (Julia Domna, atelier de Rome). PIETAS AVGVSTAE : RIC, IV, 1, p. 209, n° 864 (Julia Domn a,atelier de Rome); Julia Domna est représentée entre
Septime Sévère et Caracalla; un globe se trouve entre eux. 159 RIC, IV, 1, p. 108, n° 140A (ROME); p. 161, n° 512A (Laodicée). 160 RIC, IV, 1, p. 162, n° 519, 520 a et b (Laodicée seule ment; l'empereur les a célébrés en Orient). 161 RIC, IV, 1, p. 214, n° 20. 162 RIC, IV, 1, p. 161, n° 513 (Laodicée): Septime Sévère; p. 170, n° 577 (Rome); p. 209, n° 865 (Rome) : Julia Domna; p. 215, n° 25 A (Rome) : Caracalla. La monnaie représente les bustes de Caracalla et de Géta. 163 Thème uniquement réservé à Géta César: RIC, TV, 1, p. 314, n° 1, 2 (Rome); p. 317, n° 22; p. 330, n° 109 (Rome). 164 RIC, TV, 1, p. 108, n° 138 (Septime Sévère). i65RIC, IV, 1, p. 109, n° 144 a, b; p. 193, n° 750 (Rome, Septime Sévère). 166 RIC, TV, 1, p. 167, n°552 à 554 (Rome, Julia Domna). 167 RIC, TV, 1, p. 166, n° 547 (Rome, Julia Domna).
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rer cette Providence puisque par elle passait l'avenir radieux. Toute cette politique constructive n'empêcha pas Septime Sévère de mettre toutes les chances de son côté dans les années suivantes. D'ailleurs faire de Caracalla un Auguste alors qu'il n'avait que dix ans, ressemblait plus à une précaution, à caractère religieux et mystique, qu'à une nécessi té matérielle. Il sembla à Septime Sévère qu'un tel titre présentait une garantie, pas tant vis-à-vis des hommes que vis-à-vis des dieux; cette asso ciation au pouvoir pouvait être un gage de suc cès dans sa politique de succession; les contem porains devaient d'autant plus le ressentir ainsi que la même chose s'était passée pour Commod e et qu'il avait succédé à son père sans aucune difficulté. En outre, le goût qu'avait Septime Sévère pour la «science» astrologique lui avait toujours fait craindre ceux qui, comme lui, auraient pu considérer avoir une geniture impér iale, ou ceux qui n'hésitaient pas à consulter les astrologues pour connaître la durée de son pro pre règne et de sa propre vie, peut-être pour préparer l'élimination de ses enfants. Très exacte certainement est la remarque que fait la biogra phiede l'Histoire Auguste à propos de la dispari tion,sur ordre impérial, d'un grand nombre d'hommes, «sous le prétexte qu'ils avaient con sulté sur sa vie des Chaldéens ou des devins. Quiconque pouvait aspirer au trône lui parais sait suspect, parce que ses fils étaient encore des enfants, et c'était la raison dont semblaient se prévaloir ceux qui espéraient l'empire»175. La biographie place cette incidente au moment de la présence de Septime Sévère en Orient, alors qu'il s'apprêtait à engager la lutte contre les Parthes. Étant donné le but de cette campagne, aboutir à un succès éclatant le 28 janvier pour
168 RIC, IV, 1, p. 108, n° 141 (Rome, Septime Sévère). 169 RIC, IV, 1, p. 276, n° 403 (Rome, Caracalla encore César) : SECVRITAS PERPETVA. 170 RIC, IV, 1, p. 315, n° 7 a, b (Rome, Géta; représente les bustes de Septime Sévère et de Julia Domna; leur Concorde est voulue par les dieux, parce que leur accord est conforme à l'éternité de Rome). 171 RIC, IV, 1, p. 213, n° 16 (Rome, Caracalla encore César). 172 RIC, IV, 1, p. 316, n° 19 (Rome, Géta); p. 166, n° 539 a, b, 540, 541 (Rome, Julia Domna); p. 314, n° 5 (Rome, Géta). Cf. CIL, II, 259 : « Au Soleil éternel, à la Lune, pour l'éternité
de l'empire et le salut de l'empereur». D'ailleurs Rome, de Ville sacrée, devient bientôt « la Ville sacrée des empereurs». CIL, VI, 1, 1244 (= ILS, 98), à propos de Caracalla: «m sacrarti Urbem suam». Cf. J. Gagé, Le «Sollemne Urbis» du 21 avril au IIIe siècle ap. J.-C. : rites positifs et spéculations séculaires, dans Mél. Hist. Rei. offerts à H. Ch. Puech, Paris, 1974, p. 228. 173 RIC, IV, 1, p. 167, n° 549 (autre modèle, plus simple, n° 550). 174 CIL, III, 1, 1439. 175 HA, Vit. Sev., XV, 4-5.
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comme la Victoire168, la Sécurité169, la Concord e170, l'Espérance171. Il est bien entendu que tout devait aboutir, comme il était de règle dans ce contexte depuis Hadrien, à une ROMA AETERNA et à une AETERNITAS IMPERII172. Les représentations figurées sur ces dernières monnaies montrent nettement que c'était réellement dans la domus augusta, et dans elle seule, que résidait la possi bilité d'une éternité de l'empire. En effet, y sont représentés les couples Septime Sévère- Caracalla ou Caracalla-Géta. Ce rôle primordial joué par la famille impériale ne pouvait pas mieux être mis en valeur que par ces aurei des ateliers de Rome, au nom de Julia Augusta; sous la légende FECVNDITAS, nous voyons la Terre (Julia Domna elle-même), la main sur un globe parsemé d'étoiles, entourée par quatre enfants qui symbol isent les quatre saisons; la fécondité de Julia Domna, qui avait donné le jour à deux enfants qui devaient régner, permettait le renouvelle ment régulier des saisons, nécessité immuable pour la prospérité du monde; un panier de fruits symbolise la fécondité de la terre sur ces revers173. À partir du 28 janvier 198, les choses furent parfaitement claires et établies; la dynast ie des Sévères n'était que la perpétuation de celle des Antonins, comme une copie conforme, avec les mêmes buts affichés pour le plus grand bonheur de Rome et de son empire. C'est à la Providence, issue de celle des Antonins, créatri ce, grâce à Trajan et à la divinisation de son père, de la lignée, que tout cela avait pu être établi et maintenu. On le comprit si bien que certains n'hésitèrent pas à faire, comme à Sarmizegetusa, des dédicaces en l'honneur des «NVMINI ET PROIVIDENTIAE I[MPP] SEVERI ET AN[TONINI ET . . . ] »174. Il était possible
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lancer une ère nouvelle, une telle attitute n'avait rien d'étonnant. Le moment était crucial et il lui fallait se protéger de tout et de tous. À partir du moment où l'empereur a eu la possibilité de réaliser, le jour qu'il avait prévu, l'accession de son fils au titre d'Auguste et donc au partage du pouvoir, les dangers étaient bien moindres, sinon insignifiants.
naies commémoratives de ces jeux, en présence de la Concordia ou de la Pietasm. Mais il est un événement qui donna encore plus de relief à ces jeux; la coïncidence avec eux ne fut sans doute pas fortuite; il s'agit du maria ge de Caracalla avec la fille du préfet du prétoir e, C. Fulvius Plautianus. De ce fait, et comme les monnaies nous l'indiquent, Fulvia Plautilla devint Augusta (certainement avant le 29 août 202). L'empereur venait de revenir d'Orient et le mariage dut être associé, dans un premier d) Les Jeux séculaires. temps, à la célébration du retour proprement Une telle réussite ne pouvait empêcher la dit, des victoires sur les Parthes, et des decennarecherche d'autres assurances. C'est ainsi que lia qui n'avaient pas encore été fêtés dans la l'empereur décida de donner un grand éclat aux Ville181. De ce mariage naissaient de grands jeux séculaires qu'il fit célébrer en 204. Il est espoirs, dont celui de donner à l'empire un prinpossible de dire, avec J. Gagé, que «l'empereur ceps qui succéderait un jour à Caracalla et à Géta. C'est en ce sens qu'il faut interpréter une africain fonde définitivement, suivant la loi du rituel, ce «siècle fécond» qu'il a promis dès son série de monnaies, frappées dans tous les avènement»176. Mais il ne faudrait pas croire métaux, en l'honneur de Plautilla Augusta. Elles qu'ils ont été accomplis comme l'aboutissement ont été émises dès le moment de son mariage. d'un processus qui avait fait de la mort de Com Les revers représentent Caracalla et Plautilla, mode «la promesse d'une nouvelle ère»177. Ils debout, face à face, se serrant la main, avec la s'inscrirent, comme renouvellement, dans une légende PROPAGO IMPERI182; le sens en est continuité dont Commode ne pouvait être exclu. clair quand, dans la même série d'émissions, Grâce aux monnaies et aux différents fragments apparaît, avec la même représentation, un appel d'Actes qui ont pu être retrouvés178, le caractère à la CONCORDIAE AETERNAE183, simple reflet profondément «familial», et dynastique, des jeux de celle qui avait déjà permis à Septime Sévère apparaît. Septime Sévère dirigea les rites, mais il et à Julia Domna d'assurer leur succession en la fut toujours accompagné de Caracalla et de Géta personne de Caracalla184. qui lui dictaient les paroles et prières à prononc Une autre série monétaire de Plautilla mont er. Julia Domna présida, le second jour, aux re,sous l'invocation de la PIETAS AVGG, une rites des 110 matrones en l'honneur de Juno femme debout, à droite (certainement Plautilla Regina; parmi les matrones se trouvait sa nièce, elle-même, plutôt qu'une simple personnification Julia Soaemias, en tant que première des matro de la Pietas), tenant un sceptre de la main droite nes«équestres»179. Les deux Augustes furent et ayant un petit enfant sur son bras gauche; souvent représentés, face à face, sur les l'enfant tend les bras vers elle185. Comme l'a bien 176 Recherches sur les Jeux Séculaires, Paris, 1934, p. 1 10. 177 J. Gagé, Les Jeux Séculaires de 204 ap. J.-C. et la dynastie des Sévères, dans MEFR, LI, 1934, p. 66. 178 CIL, VI, 4, 2, 32326 à 32331; P. Romanelli, Notizie degli Scavi di antichità, VI, s. 6, 1931, p. 313-345; J. B. Pighi, De ludis saecularibus Romani Quiritium, 1941, p. 140-150. 179 J. Gagé, Les Jeux Séculaires , p. 34 et 69. 180 RIC, IV, 1, p. 127, n° 293; p. 202, n° 816 a et b; p. 203, n° 826 a et b (Septime Sévère). 181 A. Birley, op. cit., p. 215. iS2RIC, IV, 1, p. 269, n°362; p. 309, n° 578A. De même pour Caracalla : p. 222, n° 67. A, R. Birley, Septimius Sevenis, «Propagator Imperii», dans Actes du IXe Congrès Int. Et. sur les frontières romaines,
Bucarest-Cologne, 1974, p. 297-298, montre que, dans les inscriptions, le titre Propagator Imperii n'est attesté qu'en 166 (CIL, XIV, 106 pour L. Verus, à Ostie) et qu'en 178-180 sur un médaillon en l'honneur de Marc Aurèle et de Commode. Par contre, il a noté dix-huit exemples sévériens (dont dix-sept venus d'Afrique du nord). Qu'il y ait un rapport étroit avec une politique d'expansion territoriale qui serait dans la ligne de Marc Aurèle est certain. Mais le sens est beaucoup plus large comme nous le voyons par l'exemple de Caracalla et de Plautille. 183 RIC, IV, 1, p. 269, n° 361. 184 RIC, IV, 1, p. 220, n° 52 (aureus de Caracalla de 201). 185 RIC, IV, 1, p. 270, n° 367; p. 309, n° 578 et 581.
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vu J. Gagé, une telle monnaie ne pouvait qu'être l'allusion à la naissance d'un enfant de Caracalla et de Plautilla. Et dans le discours que prononça le magister des quindecimniri sacris faciundis devant le sénat, en 203, pour demander à l'a ssemblée d'ordonner l'ouverture des jeux séculair es, il est possible de trouver une allusion à une naissance prochaine186. Ces conclusions ont été très discutées et elles sont repoussées par un grand nombre d'érudits187, sous prétexte qu'Hérodien et Dion Cassius188, ce dernier bien discrè tement, suggèrent que la mésentente s'établit dès le début et que le mariage ne fut pas con sommé étant donné le jeune âge de Caracalla. Nous pensons pouvoir apporter quelques él éments nouveaux en faveur de cette naissance qui aurait eu lieu à la fin de l'année 203 ou au début de 204. En premier lieu, le type PIETAS AVGG n'apparaît pas dans les premières frappes en l'honneur de Plautilla, qui sont parfaitement caractérisées par son nom mis au datif189. Ce ne peut donc être le mariage qui est ainsi commém oré.Or, nous avons vu à plusieurs reprises que PIETAS était toujours liée aux problèmes dynas tique et de succession. En second lieu, en même temps que ces séries, apparurent aussi des types CONCORDIA FELIX avec Caracalla et Plautilla se serrant la main190; le qualificatif de Felix attr ibué à la Concorde montre qu'elle était heureuse
parce que destinée à assurer l'éternité de l'empi re et de Rome. Le résultat venait d'être obtenu; il ne pouvait l'être que par la naissance d'un enfant. Julia Domna possédait déjà, dans son monnayage, le même type signifiant qu'en ayant eu des enfants, elle avait assuré le bonheur et la prospérité de Rome dans l'avenir191. Nous pou vons aussi remarquer que la formule Concordia Felix ne fut plus jamais employée par la suite, jusqu'à la mort de Caracalla. C'était une allusion précise à la possession d'enfants qui pourraient prendre la succession. Il est donc possible d'ad mettre cette naissance. En coïncidence avec la célébration des jeux séculaires, elle faisait de cet enfant «l'enfant du siècle», garant de la fécondité de la race, de l'abondance des naissances aujourd'hui et dans l'avenir, pour l'éternité de Rome. Ce fut, pour Septime Sévère, une nouvelle confirmation qu'il avait agi en conformité avec les vœux des dieux; tout ce qu'il avait réalisé jusqu'alors était accept é et encouragé. La naissance de cet enfant à l'aube d'un nouveau siècle en était le signe écla tant192 et toute la famille impériale s'y trouvait associée193, particulièrement les femmes de cette famille. Depuis les Antonins, elles étaient les vecteurs du sang charismatique, porteur des féli cités des temps194; elles ne pouvaient être mises à l'écart ou négligées.
186 Pas tellement dans la phrase « il augmentera le comble de la félicité publique», ce qui est banal dans le cadre des jeux séculaires, que dans celle, en partie restituée, avec «nascetur», «il naîtra un fils à Antonin». Cf. J. Gagé, art. cit., p. 48-54. 187 En dernier lieu, A. Birley, op. cit., p. 225, n. 2 et p. 232, n. 1. 188 Hérod., III, 10, 8; Dion Cass., LXXVI, 2, 5. 189 Cf. P. V. Hill, Notes on the Coinage of Septimius Severus and his Family, AD 193-217, dans Num. Chron., IV, 1964, p. 171, qui l'explique par l'accession de la frappe des monn aies de Plautille à un atelier autonome. 190 RIC, IV, 1, p. 270, n° 365 a et b. 191 RIC, V, 1, p. 166, n° 547 (Septime Sévère et Julia Dom nase serrant la main). Parallèlement à sa femme, Caracalla possède le même revers : RIC, IV, 1, p. 231, n° 123, 124 a, b. Il faut certaine ment écarter le type p. 178, n° 642 (Laodicée) qui joint à un avers de Julia Domna, le revers des monnaies de Plautille avec PIETAS AVGG. Ce ne peut être qu'un hybride. Cf. J. Béranger, Remarques sur la CONCORDIA dans la propagan de monétaire et la nature du principat, dans Principatus,
p. 378-379. 192 J. Gagé, art. cit., p. 56-57. 193 Elle se trouvait toute entière réunie, avec Plautien aussi, sur l'Arc des Changeurs qui date de 204 (J. Gagé, ibid., p. 59). C. Fulvius Plautianus est souvent appelé socer, beau-père par rapport à Caracalla, ou consocer, par rapport à Septime Sévère. Sa parenté avec les divers membres de la domus diuina est toujours indiquée. Cette place importante est encore soulignée par le titre de cornes des empereurs qui lui est donné pendant le voyage effectué en Afrique en 203 (AE, 1967, n° 537). Sur la lecture corniti au lieu de necessario, cf. M. Corbier, Plautien, «cornes» de Septime Sévère, dans Mei. Philos., Litt, Hist. anc. offerts à P. Boyancé, (Coll. École Fr. de Rome, XXII), 1974, p. 213-218. 194 II ne faut pas, comme le fait P. V. Hill, art. cit., tableaux des p. 181-183, lier directement aux jeux séculaires et à leurs anniversaires les années suivantes, les revers PIETAS AVGG, VENVS FELIX, NOBILITAS, FELICITAS SAECVLI, FELICI TAS AVGG, FECVNDITAS, LAETITIA TEMPORVM ou FELI CITAS TEMPORVM. Comme nous l'avons déjà vu, les jeux séculaires sont loin d'être la seule cause de leur frappe.
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Augustes, ils revinrent à Rome par l'Asie, la Thrace, les provinces danubiennes où la famille impériale apporta, par sa présence, la Félicitas aux armées197. Dans ce contexte général, au moment du retour à Rome et dans les mois suivants, il est tout à fait normal qu'on ait fait appel, sur des monnaies de SEVERVS PIVS AVG, à la PROVID AVGG198, toujours représentée avec le sceptre, la baguette et le globe. Elles voulaient marquer que l'action de la Providence des empereurs, issue de celle des dieux, s'était exercée pour le bien du monde romain et qu'elle continuerait à s'exercer par le mariage de Caracalla qui ne pouvait qu'être fécond, par la célébration des jeux séculaires qui ouvraient une nouvelle pério de heureuse et propice. La meilleure confirmation de la liaison éta blie entre la Providence et les jeux séculaires se trouve dans les Actes mêmes de ces ludi. À deux reprises, d'abord dès la septième ligne du texte, puis dans une partie très mutilée et difficilement interprétable199, le mot Prouidentia est parfait ement apparent. Quand il est cité pour la premièr e fois, il se trouve dans le discours que lit le magister du collège des quindecimuiri sacris faciundis, Manilius Fuscus, devant le sénat; pro noncé dans la première partie de l'année 203, ce discours annonce la fin d'un siècle et le début d'un nouveau, le septième, en 204. Les jeux sont placés sous l'invocation de la prouidentia principalis, celle que les deux Augustes exercent en provoquant l'organisation de ces ludi. La signif ication d'une telle mention est simple : la Provi dence des dieux et des empereurs permet la tenue des ludi saeculares et, grâce à la bienveil lance divine, Septime Sévère et Caracalla annonc entun nouveau siècle heureux pour Rome. Nous serions tenté de joindre à ce document exceptionnel une autre inscription, d'un genre très différent, mais dont, finalement, la significa-
195 II apparaît sur quelques monnaies dès 201. 196 Cf. supra, p. 310 et 348. 197 Dion Cass., LXXV, 13; LXXVI, 1; Hérod., III, 10, \;HA, Vit. Sev., XVII. Les seules traces certaines du passage ont été trouvées en Mésie et en Pannonie, mais le voyage a dû côtoyer tout le Danube. Cf. J. Kolendo, Etudes sur les inscrip tionsde Novae, dans Archaeologia, XVI, 1965, p. 124-129. Sur l'ensemble du voyage, A. Birley, op. cit., p. 205-214. 198 RIC, IV, 1, p. 127, n° 284. Cf. p. 440, n° 105.
199 CIL, VI, 4, 2, 32326 : MANILIV]S FVS[CV]S MAG COLLEGII EX LIBELLO [L]EGIT [CVM DENV]O TEMPORE SA[E]CVL[I VETERIS ELAPSO] ADMON[EAT] VOS CELEBRITATIS FESTE ANNVS PRO[VI]DENTIA PRINCIPALIS EST P[ATRV]M CV[RA CIL, VI, 4, 2, 32330: ...... ]M PROVIDENTIA [ ]CTA.... Cf. P. Romanelli, Notizie degli Scavi di antichità, 1931, p. 322, n. 2; A. Birley, op. cit., p. 215-217. I
Ce fut aussi durant cette période préparatoir e aux jeux séculaires que Septime Sévère et Caracalla introduisirent dans leurs titulatures le titre de Pins195. Après la campagne contre les Parthes, après les victoires remportées et de nouvelles provinces ajoutées à l'empire, après l'association au pouvoir de Caracalla, sur un pied d'égalité avec son père, le titre de Pitts pouvait être introduit dans le nom puisque la succession était établie sur des bases solides que le mariage de Caracalla devait bientôt confirmer. Septime Sévère voulait retrouver ici le sens pro fond qui avait permis à Antonin d'être, le pre mier, appelé Pins; il le fit sans oublier Commode qui était toujours présent, sinon indispensable196. Ces années 200/204 furent décisives dans la fo rmation et l'affirmation de la nouvelle domus augusta, qui n'était d'ailleurs nouvelle qu'en apparence; par l'adoption posthume, elle était la continuatrice, à la fois mystique et réelle, de la dynastie antonine et du sang des Ulpii. Les jeux séculaires ne devaient marquer qu'un simple renouvellement des temps, une nouvelle jeunesse de Rome et du monde, tels qu'Hadrien lui-même l'avait fait en dédicaçant le temple de Rome et de Vénus, dans la ligne de ce qui avait été prévu par Trajan quelques années auparavant. Cette piété était d'autant mieux res sentie que, comme Hadrien aussi, Marc Aurèle ensuite, Septime Sévère, avec toute sa famille, venait, au retour d'Orient, de parcourir un grand nombre de provinces où il avait apporté fécondit é et paix. De Syrie, ils étaient allés en Palestine, puis en Egypte (au milieu de l'année 199) où Septime Sévère sembla accomplir un véritable doublet de la visite d'Hadrien qui était le dernier empereur à s'y être rendu. Il fit placer dans le tombeau d'Alexandre, désormais interdit, un grand nombre d'écrits magiques. Repartis pour la Syrie où ils se trouvèrent tous le 1er janvier 202 pour l'inauguration du consulat des deux
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tion est semblable. Il s'agit du texte d'Aïn-Ouassel qui reprend, mot pour mot, le sermo procuratorum d'Aïn-el-Djemala, à l'époque d'Hadrien200. Il est vrai qu'il n'y a rien de plus que les mots employées par les procurateurs d'Hadrien; aucun n'est original, pas même prouidentia. Mais il n'est pas inintéressant que ce soit sous le règne de Septime Sévère que ce texte soit repris et republié. Il correspond au souci toujours affi rmé de l'empereur de prendre en considération les intérêts économiques, et particulièrement agricoles, des provinciaux. Il n'est pas impossible que cette décision ait été prise en coïncidence avec les jeux séculaires; nous ne devons pas oublier les rapports étroits entretenus par proui dentia avec le saeculum aureum annoncé par Hadrien201. En cette année 204, nous nous trou vons dans la même atmosphère de renouatio générale et tout particulièrement des product ionsagricoles par l'amélioration des conditions de vie des paysans. Nous pouvons d'ailleurs noter que l'inscription d'Aïn-Ouassel ne comport e pas, comme celle d'Aïn-el-Djemala, la requête des cultivateurs202. En a-t-il existé une, envoyée à Septime Sévère? La republication du sermo est elle véritablement une réponse? Ne serait-ce pas plutôt une initiative impériale? À l'orée d'un nouveau siècle heureux l'empereur n'aurait-il pas simplement repris, sous l'égide de la Provi dence, ce qu'Hadrien avait réalisé dans des con ditions approchantes? D'ailleurs nous retrou vonsaussi le lien étroit entre le bonheur des paysans et l'existence de la famille impériale et sa perpétuation au pouvoir. C'est ce qui est affirmé par le début du texte où est évoquée la Salus de l'empereur, de l'Auguste Caracalla, du César Géta et de l'Augusta Julia Domna, mère des camps203. La décision prise, c'est-à-dire la
remise en vigueur de la lex hadriana, est étroit ementassociée à la famille impériale; l'abondan ce des moissons, le développement des terres cultivées sont la marque de la protection des dieux sur la domus augusta. Comme pour les jeux séculaires, le «coefficient dynastique»204 est important et prouidentia est toujours présente. Cet empereur, que certains ont voulu voir inquiet, a tenté de mettre toutes les chances de son côté; reprendre une mesure qui avait parti cipé à l'inauguration du saeculum aureum d'Ha drien et avait rejailli sur ses successeurs en bienfaits innombrables ne pouvait qu'être un acte favorable à lui-même, à ceux qui devaient lui succéder, à l'ensemble du monde romain.
200 CIL, VIII, suppl. 4, 26416 (= P. F. Girard, Textes de droit romain, 5e éd., p. 881). D. Flach, Inschriftenuntersuchungen zum römischen Kolo· nat in Nordafrika, dans Chiron, Vili, 1978, p. 486-487, col. II, 1. b-c : ... itcirco permissum prouidentiae eins . . . 201 Cf. supra, p. 285 sq. 202 Nous possédons incontestablement le début de l'in scription. 203 À ce propos, nous pouvons rappeler ici l'existence de sept inscriptions gravées sur des pierres d'autel à Pétra (AE, 1968, 518 à 524) pro salute des deux Augustes, du César Géta,
de l'Augusta, totiusque domus diuinae. M. Christol, Un écho des jeux séculaires de 204 ap. J.-C. en Arabie, sous le gouvernement de Q. Aiacius Modestus, dans REA, LXXIII, 1971, p. 124-140, voit dans l'installation de ces autels décidée par le gouverneur un acte directement en rapport avec les jeux. 204 J. Gagé, art. cit., p. 64. 205 RIC, IV, 1, p. 127, n° 285 (Septime Sévère); p. 235, n° 164 (Caracalla): modèles sans aegis; p. 127, n° 286 (Sept imeSévère); p. 235, n° 165 (Caracalla): modèles avec aegis. Cf. p. 441, n° 106.
4 - La Providence et Gorgone Dans les années suivantes, la Prouidentia res ta présente sur les monnaies; mais nous devons noter des changements dans la légende et dans les représentations. Une première série d'aurei et de deniers ne portent sur leur revers que le mot, en entier, PROVIDENTIA et une représent ation totalement nouvelle et parfaitement origi nale. Il s'agit d'une tête de Méduse, de face, avec des ailes et des serpents dans ses cheveux; elle est quelquefois seule; d'autres fois, représentée plus petite, elle laisse une place à Yaegis. Ces deux types se trouvent dans les émissions de Septime Sévère et dans celles de Caracalla205. Pour la date d'émission, nous nous contenterons pour l'instant de la placer dans la période 202/ 210. Un denier de Géta, encore César, donc avant 209, reprit la représentation de la Providence debout, tenant une baguette et un sceptre, avec un globe à ses pieds; mais, sur ce denier, pour la
.PROVIDENTIA» ET SOUVERAINETÉ DYNASTIQUE première fois sous le règne de Septime Sévère, apparaît l'expression PROVID DEOR206. Le même type fut repris, avec la légende PROVIDENTIA DEORVM, en entier et au nominatif, pour Géta devenu Auguste et assumant les titres de Pius et de Britannicus207 . À cette émission, il faut peut-être joindre une très large émission d'aurei, de deniers, de sesterces, de dupondii et d'as au nom de Caracalla, avec la même repré sentation et la légende PROVIDENTIAE DEORVM208. Il nous faut maintenant chercher à définir les causes de telles émissions et, surtout, de la reprise inattendue de l'expression «Provi dence des dieux». Immédiatement après J 'apogée de l'année 204, où tout paraissait merveilleusement en pla ce pour une félicité sans égale, l'empire se retrouva plongé dans de graves difficultés nées, dans un premier temps, au sein même de la famille impériale. À la suite d'un complot, selon la version officielle, en réalité parce qu'il com mençait à jouer un rôle trop important dans l'État et qu'il était haï de Caracalla, le préfet du prétoire Plautien fut exécuté le 22 janvier 205 209. Le fils du préfet et sa fille, l'épouse de Caracalla, furent exilés aux îles Lipari. Ce ne sont pas ces événements qui ont pu provoquer la frappe des nouvelles monnaies Prouidentia. D'ailleurs, il paraît évident que le monnayage n'a pas insisté sur cette affaire; nous pouvons simplement noter une mise en valeur du type de Roma210 et l'apparition d'un type de Jupiter tenant le scep treet la foudre qui symbolise le pouvoir et la succession à ce même pouvoir211. Un bon nomb redes émissions SAECVLI FELICITAS, FELICI TAS AVGG , que nous pouvons dater avec précision, ont été faites à ce moment. Mais il est certain que les ateliers monétaires impériaux n'avaient pas reçu l'ordre de mettre en valeur la découverte de ce «complot». Les émissions Prouidentia à la tête de Méduse doivent être rapprochées d'autres événements, d'autant que leur originalité (nous ne les
206 RIC, IV, 1, p. 321, n° 51. Cf. p. 441, n° 109 et pi. II. 207 RIC, IV, 1, p. 326, n° 90. Cf. p. 441, n° 111. 208 RIC, IV, 1, p. 244, n<> 227; p. 296, n° 511 a, b, c, d; p. 297, n° 514 et 519. Cf. p. 441, n° 110 et pi. II. 209 Hérod., III, 11-12; Dion Cass., LXXVI, 3-4. 210 RIC, IV, 1, p. 196, n° 768, 769 (as de Septime Sévère);
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vons que sous Victorinus par la suite) a été voulue pour répondre à un fait précis où Médus e trouve obligatoirement sa place. Durant une année qui ne peut être précisée, mais qui doit être 205 ou 206, un procès tint la vedette au sénat. Dion Cassius, qui était alors présent à Rome, nous en a laissé un récit assez précis. Il s'agit du procès intenté au proconsul d'Asie Popilius Pedo Apronianus qui «fut accusé parce que sa nourrice avait, disait-on, autrefois vu en songe qu'il arriverait à l'empire et parce qu'il passait pour se livrer, dans cette intention, à des pratiques magiques»212. L'instruction paraît avoir été particulièrement poussée et plusieurs témoins avaient déposé; l'un, en particulier, accusa un sénateur chauve d'avoir assisté à ces pratiques; l'édile Baebius Marcellinus fut accusé par le délateur et immédiatement exécuté, à sa sortie du sénat. Apronianus fut condamné et exécuté, alors qu'il n'avait même pas pu présent er sa défense. Une telle rapidité était tout à fait exceptionnelle comme d'ailleurs l'exécution de Baebius Marcellinus qui ne respectait pas le délai de dix jours fixé entre toute sentence et son exécution depuis Tibère; en outre, elle s'était déroulée alors que l'empereur n'était pas encore prévenu de la décision. Un tel scénario, une telle crainte panique dans les rangs des sénateurs, un tel irrespect des procédures légal es, dénotent toute la gravité de l'affaire. Elle touchait à la maison impériale et à son avenir. Nous possédons d'ailleurs une inscription bilingue d'Ephèse qui traduit parfaitement l'i mportance prise par cette affaire; elle a certain ement eu, en Asie, un retentissement considérab le. Dans ces quelques lignes aucun nom n'est cité, mais les termes employés sont assez clairs pour ne pas prêter à équivoque sur la raison qui a poussé l'affranchi impérial Helico à accomplir son devoir d'obsequium à cette occasion213 : QVOD EVIDENTI IN[LVSTRIQVE PROVI] DENTIA DOMINI N[OSTRI SEVERVS ET] ANTONINVS PII AV[GVSTI ET GETA]
p. 117, n° 197 (denier de Septime Sévère). 211 RIC, IV, 1, p. 117, n° 196 (aurei et deniers de Septime Sévère). 212 Dion Cass., LXXVI, 8, 1. 213 Cf. G. Boulvert, Domestique et fonctionnaire sous le Haut-Empire Romain, Paris, 1974, p. 101-102.
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[CAESAR] CVM [IVLIA AVG VBIVIS SPES] PARRICIDI ALES INSID[IATORVM SVST VLERVNT] HELICO LIBERTVS EORVM [ DONVM [POSVIT]214 Étant donné que le donum et l'inscription ont été faits à Éphèse, il ne paraît pas que nous puissions les rattacher au «complot» de Plautien, ni aux autres condamnations qui l'ont suivi, comme celle de M. Peducaeus Plautius Quintillus, époux de Fadilla et gendre de Marc Aurèle215. Le cas Apronianus est beaucoup mieux adapté. Nous retrouvons, pour la première fois depuis bien longtemps, Prouidentia rattachée à une conspiration qui est montée contre l'empe reuret qui menace l'ordre de succession choisi par le princeps en accord avec les dieux. Le proconsul avait contre lui deux charges principales. La première était le songe qu'aurait eu sa nourrice et qui le destinait au pouvoir impérial; mais il ne pouvait s'agir évidemment que d'un fait ancien, connu de tous depuis de nombreuses années; il ne pouvait être suffisant pour entraîner une condamnation puisque Apro nianus n'était pas lui-même en cause. La seconde charge fut décisive; le gouverneur, prenant pour base ce rêve ancien, aurait entrepris des cérémon ies de caractère magique. Ce fut ce chef d'accu sation qui entraîna la condamnation et la mort, et dans des conditions si particulières; c'était une action beaucoup plus grave que n'importe quel complot banal. En effet, le but de la magie est de faire agir les forces surnaturelles, quelles qu'elles soient, bonnes ou mauvaises, selon la volonté de celui qui a su utiliser les moyens nécessaires pour les dominer. Le magicien cherche à asservir le mon deà ses desseins216 et à modifier l'ordre prévu des choses. C'est ce que recherchait Apronianus, par des actes que nous ne connaissons pas, mais 214 CIL, III, 1, 427 (= ILS, 430). Suit le texte grec placé en six lignes. 215 Dion Cass., LXVI, 7, 3-4. Il n'est pas possible non plus, comme le voudrait A. Birley, op. cit., p. 252, n. 1, de ratta cher cette inscription à des mouvements de révolte qui auraient touché l'Asie à ce moment. Le terme parricidiales est trop précis pour pouvoir être rapproché des hostes publici de l'inscription de Sicca {ILS, 429). Il touche directement aux empereurs et pas seulement dans un contexte d'ordre
qui étaient destinés à empêcher Septime Sévère et ses enfants de régner pour pouvoir prendre leur place. Le danger était beaucoup plus grand que dans une simple conjuration; en effet, Apro nianus n'avait pas besoin de complices sur place, à Rome (Baebius Marcellinus avait su ce qui se passait, mais il n'en était pas véritablement comp lice). Le charme magique pouvait agir à distan ce et, de sa demeure d'Éphèse, le proconsul pouvait tuer et faire disparaître les empereurs et leur descendance. L'action magique était sans doute la seule qui pût interrompre un processus voulu par les dieux. Dans un cas semblable, il ne pouvait être question d'atermoiements. Tant que les «sorciers» n'étaient pas morts, ils pouvaient encore agir, même du fond d'une prison. C'est pourquoi, Baebius Marcellinus fut immédiate ment tué; personne n'était très sûr de sa culpabil ité, mais que faire, dans un tel cas, contre le simple soupçon? Le laisser vivre était peut-être signer la condamnation des empereurs. De même, il fallait aller surprendre Apronianus en Asie, sans lui laisser la possibilité de réagir. Ce furent des circonstances tout à fait exceptionnell es qui expliquent l'affolement, le trouble, la ter reur qui s'étaient répandus dans le sénat pen dant la courte procédure, telle que nous l'a décrite Dion Cassius. Nous sommes loin ici des procès relatifs aux capaces imperii qui possé daient une simple genesis imperatoria217. C'est à cet événement marquant, sur lequel nos autres sources sont curieusement muettes, et qui est très caractéristique de la mentalité générale à cette époque, que nous devons lier les monnaies avec Prouidentia et la tête de Méduse. La Providence, comme dans l'inscription d'Éphès e, avait permis d'éviter la disparition de l'empe reuret d'assurer, dans le même temps, la succes sion à son fils, comme les dieux l'avaient voulu. La relation établie avec la tête de Méduse s'ex plique par le contenu magique de l'action entre-
public. 216 Cf. A. M. Tupet, La magie dans la poésie latine, I, Paris, 1976, introd. 217 F. H. Cramer, op. cit., p. 213-214 et 269-270, n'a pas vu la grande différence de nature existant entre les situations. Mêmes remarques dans A. Birley, op. cit., p. 230-240 et dans R. Mac Mullen, Enemies of the Roman Order, Harvard, 1966, p. 134-135.
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prise contre le princeps. En effet, la Gorgone nous est parfaitement définie dans ces quelques vers de Pindare : « Un jour, le fils de Danaé, conduit par Athéna, arriva dans l'assemblée de ces hommes bienheureux; il tua la Gorgone et, tenant à la main sa tête hérissée d'une crinière de serpents, il revint apporter aux habitants de l'île une mort pétrifiante»218. Persée, pour l'offrir à Polydectès, était allé chercher la tête de Médus e, la seule des trois Gorgones à ne pas être immortelle. Mais, pour la tuer, encore fallait-il éviter son regard qui pétrifiait; Persée ne le put que grâce à Athéna qui guida son bras pour qu'il pût trancher la tête de Méduse. Il réussit à s'envoler jusqu'en Ethiopie, puis il revint à Sériphos, toujours avec la tête hideuse qui pétrifia tous ceux qui avaient persécuté sa mère et le héros Dictys. Désormais, cette tête posséda en elle-même le pouvoir de paralyser ceux qui la regardaient, qu'elle fut au service d'un homme ou à celui d'un dieu. C'est pourquoi l'art grec l'a si souvent utilisée comme image apotropaïque dès l'époque archaïque, aussi bien sur les temples que sur les vases219. Représentée sur un bouclier, elle paral ysait l'ennemi et permettait la victoire, comme sur le bouclier d'Athéna, l'égide220. Les Romains la reprirent à leur compte et elle fut souvent citée et utilisée, comme dans la Pharsale où Lucain montre Erichto faisant appel à un dieu, qui nous est mystérieux, capable de soutenir la vue de la Gorgone221. Ce caractère «insoutena ble» serait déjà, en soi, suffisant pour expliquer la place prise par Méduse sur les monnaies de Septime Sévère et de Caracalla. Mais nous devons aller plus loin dans l'interprétation. Apollonios de Rhodes, dans ses Argonautiques, nous conte une anecdote tout à fait signifi cative à cet égard. Alors que les Argonautes poursuivaient leur difficile voyage de retour, le devin Mopsos, mordu par un serpent du désert de Lybie, mourut sans qu'on pût tenter quoi que
ce fût pour le sauver222. Le fait n'aurait rien d'étonnant si nous ne savions que ce serpent était un de ceux qui étaient nés des quelques gouttes de sang tombées de la tête coupée de la Gorgone, en Lybie, pendant le voyage aérien de Persée vers l'Ethiopie223. Plus intéressant encore est le fait que Médée était présente à cette mort et qu'elle ne put rien pour l'empêcher. Or, elle était la magicienne par excellence, prêtresse d'Hécate; elle était savante dans les poisons, savait préparer des philtres dans des chaudrons et user de la fascinatio224. Elle était partout craint e,car sa puissance sur les êtres et les choses était incommensurable. Or, malgré tous ses dons, elle ne put rien contre la morsure du serpent et ne fit qu'assister à la mort de Mopsos. Alors que les dieux eux-mêmes pouvaient subir les charmes de la magicienne, seule la Gorgone ne pouvait être utilisée par elle. À travers le serpent issu de son sang, Méduse pouvait annihil er la plus grande des magiciennes. C'est dans ce sens que nous devons chercher la solution à la présence de Méduse sur les monnaies romaines de l'époque de Septime Sévère. C'était une réponse à un assaut donné au pouvoir impérial avec des moyens magiques. La tête de la Gorgone était la marque du triomphe assuré sur ces pratiques; elles auraient pu about ir s'il avait été fait appel à toute autre force. Les serpents qui formaient la chevelure de Méduse exaltaient, comme un des leurs l'avait démontré en Lybie, l'invincibilité et le triomphe sur tout adversaire. Ils donnaient l'assurance de vaincre toutes les forces redoutables qui, utilisées par les magiciens, soumettaient les êtres à leur volonté. Nous avons certainement là le fait fon damental qui a poussé Septime Sévère à faire placer la tête de Méduse sur ces monnaies. Elles peuvent avoir été émises en 207; en effet, un très rare aureus, avec l'indication TR P XV, représent e, sur son revers, la même tête de Méduse, mais sans aucune légende, si ce n'est la titulature de
218 X' Pyth., 3, 70-74. 219 Au milieu du fronton du temple d'Artémis à Corcyre. Sur une métope du temple d'Apollon à Colydon, du temple C de Sélinonte. En outre, le motif de la Gorgone forme souvent l'acrotère du sommet (à Colydon, à Sélinonte, à i'Heraion de Samos sans doute). Motifs en terre cuite à Syracuse. Repré sentée sur le Vase François et sur le vase de Vix.
™Anth. Palat., VI, 126. 221 Luc, Phars., VI, 730-749. Cf. Ovid., Trist., IV, 7, 11-
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222 Argon., IV, 1502-1536. A. M. Tupet, op. cit., p. 161. 223 Luc, Phars., IX, 659-705. 224 A. M. Tupet, op. cit., en particulier p. 155-162.
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l'empereur225. Il est incontestable, étant donné que ce type ne se retrouve aucune autre année et dans aucune autre série, que les monnaies avec Prouidentia et le faciès de la Gorgone ont été émises au même moment, par un autre ate lier (il ne s'agit que d'aurei et de deniers). En outre, un trait très caractéristique de la majorité des frappes de bronze de cette année nous con duit à la même conclusion; les bustes de Septi meSévère et de Caracalla, sur les avers, portent très souvent l'égide226. Ce n'était pas la première fois pour Septime Sévère; dès le début de son règne, nous pouvons voir Yaegis sur plusieurs de ses monnaies. Par contre, c'était un début pour Caracalla et, cette année-là, un seul type de port rait à l'avers ne porta pas Yaegis; les années suivantes son utilisation dans son monnayage devint très rare227. L'occasion de son apparition ne peut se trou ver que dans les faits que nous avons décrits plus haut, avec toutes leurs conséquences icono graphiques. D'ailleurs, tous les types émis, avec certitude, durant cette année 207, sont particu lièrement intéressants en fonction de ce que nous venons de dire. La présence de Minerve, elle-même liée à l'égide, est tout à fait logique. Trouver une représentation de l'Africa sur un denier228 pourrait étonner, mais la Gorgone est liée à la Lybie, la terre d'origine de Septime Sévère et de sa famille, par les serpents que son sang y fit naître. Sur quelques-uns de ces modèl es,il semble bien que la figure féminine qui symbolise l'Afrique tient, dans sa main gauche, un serpent. Nous pouvons même envisager que la popularité de la Gorgone et de son mythe en Afrique a donné l'idée au princeps de la faire représenter sur les monnaies. Nous devons aussi en rapprocher l'image d'Esculape, au milieu des
colonnes d'un temple distyle, portant son habi tuel bâton sur lequel s'enroule un serpent; il est entouré par deux serpents qui se dressent229; ce type est unique dans le monnayage sévérien et ne se retrouve dans aucune série des années suivantes. Esculape aussi, par les serpents qu'il sait charmer, peut vaincre toutes les forces mauv aises, et même rappeler les morts à la vie; il est sauveur et souvent guérit en apparaissant en songe et en indiquant alors, mais il faut savoir interpréter le songe, le traitement nécessaire. Il n'est pas impossible que, dans le cas des prati ques magiques d'Apronianus, Esculape ait eu un rôle sauveur par l'intermédiaire d'un songe envoyé à Septime Sévère; par ce moyen, il lui aurait révélé les manigances du gouverneur qui pouvaient porter atteinte à la santé, déjà défi ciente, de l'empereur et le conduire à la mort. Deux autres types monétaires de cette même année 207 peuvent aussi être mis en liaison directe avec ces événements. Un denier, avec la légende IOVI VICT, montre Jupiter sur un qua drige, lançant sa foudre sur deux géants230; ces derniers symbolisent la force sauvage, brutale, irrésistible qui peut tout entraîner dans son silla ge,vers les pires catastrophes; Jupiter représent e ici la force d'ordre qui empêche la sauvagerie de pénétrer dans le monde des hommes, ce qui aurait pu se réaliser si les pratiques magiques d'Apronianus avaient obtenu l'effet recherché. Dans ce cadre, Jupiter agit comme la Gorgone et, par la foudre qu'il lance, protège la domus augusta et la succession telle qu'elle était établie à l'intérieur de celle-ci. Ce type monétaire, réser vé à Septime Sévère, ne fut pas réutilisé l'année suivante. La dernière émission que nous pouvons mett re en rapport étroit avec les événements de
225 RIC, IV, 1, p. 118, n° 205 A. Cf. K. Pink, Der Aufbau der römischen Münzprägung in der Kaiserzeit, dans Num. Zeits., 1933, p. 17-54. Nous devons noter la découverte au Danemark, dans une tombe de l'âge du fer, d'un aureus de Caracalla au type de la Méduse et de Prouidentia. C'est une des très rares monnaies d'or romaines retrouvées dans ces régions. Elle n'a été con servée que parce qu'elle avait été incluse dans un pendentif, dont le rôle apotropaïque, étant donné la présence de la Méduse, est certain (cf. J. Balling, Un aureus de Caracalla trouvé à Fyn, dans Nordik Numismatik Unions Medlemsblad, 1966, p. 23-26, d'après le Bull. Anal. Hist. Rom., V, 1966,
n° 748). 226 RIC, IV, 1, p. 196-197 et 282. 227 RIC, IV, 1, p. 282-283. Il y a là une possibilité de dater, sans grand risque d'erreur, une partie des monnaies nondatées par la puissance tribunicienne. Le monnayage de Géta ne comporte jamais Yaegis, car il n'est pas Auguste. 228 RIC, IV, 1, p. 118, n° 207 et 207A. 229 RIC, IV, 1, p. 118, n° 205; p. 196, n° 775 a et b (Sept imeSévère); p. 227, n° 99 (Caracalla); p. 333, n° 129 a et b (Géta). «°i?/C,rV, 1, p. 118, n° 204.
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206/207, dans le monnayage de Septime Sévère comme dans celui de Caracalla, est formée de deniers, de sesterces, d'as représentant une galè re,sur laquelle nous distinguons très souvent les rameurs, le pilote et le capitaine231. Comme nous l'avons déjà dit, la représentation d'un navire ne signifiait pas obligatoirement l'existence d'un voyage réel, en mer, des empereurs. C'était le navire de la Félicitas, apportant la prospérité et le bonheur dans le renouvellement des temps; l'intervention de la Providence, qui en était l'al liée nécessaire et indispensable, l'avait sauvée par son génie propre. Ce motif de la galère n'avait été jusqu'ici employé qu'en 202, avec la légende ADVENTVS AVGVSTOR (ou AVGG) pour marquer le retour de la Félicité dans la Ville, grâce à l'arrivée et à la présence des deux Augustes232. Nous pouvons aussi noter que ce type de la galère avait été utilisé, uniquement sur des bronzes de Septime Sévère, dès 206233; nous devons les mettre en rapport avec la découverte des pratiques d'Apronianus auxquell es ces frappes ont dû être la première réponse avant que le thème ne fût développé avec plus de précision dans les émissions que nous avons étudiées plus haut. De ce fait, nous pouvons placer la révélation des actions de caractère magique du gouverneur dans les derniers mois de 206. Un dernier trait relatif à la conception du pouvoir impérial est exprimé par ces émissions. Toutes celles qui faisaient allusion à la façon dont les empereurs avaient pu éviter les char mes magiques en les prévenant, ne furent util isées que par Septime Sévère et Caracalla; seuls ils pouvaient intervenir et faire jouer leur Provi dence. Géta n'était que César, ce qui ne lui donnait que la force potentielle d'accéder au
pouvoir, sans le faire véritablement participer à ce pouvoir. Aussi, à cette occasion, ne partageat-il avec son père et son frère que le type d'Esculape et celui de Minerve. C'est pourquoi, aussi, sur ses revers, il ne fut jamais fait appel à la Méduse et à la Providence, mais seulement à la Providence des dieux représentée sous sa forme féminine habituelle avec le sceptre, la baguette et le globe234. C'était la première fois que Pronidentia Deonim apparaissait sous les Sévères, mais la signification en est simple. Géta avait été menacé de mort, tout autant que son père, son frère et sa mère, par les pratiques d'Apronianus qui étaient destinées à faire disparaître l'ensem ble de la famille. Mais, parce qu'il n'était pas Auguste235, il n'avait pu agir lui-même contre les charmes magiques. Il avai simplement été proté gé contre eux et avait ainsi conservé, en restant en vie, toutes ses chances d'arriver au pouvoir. Il était normal d'appeler cette protection Providen ce des dieux. Ce furent eux qui, par l'intermé diaire de Septime Sévère et de Caracalla, sauvè rentla dynastie entière. Cette intervention était la marque évidente que les dieux et les diui auxquels Septime Sévère avait rattaché sa famill e le protégeaient et approuvaient son action. Il ne pouvait plus y avoir d'obstacle sur la route bien tracée par les empereurs, même la magie avait été vaincue par eux236. Aucune autre monnaie du règne conjoint de Septime Sévère et de Caracalla ne porta plus mention de Prouidentia. L'accession de Géta au rang d'Auguste, en 209, ne transforma pas fonda mentalement le monnayage; d'ailleurs les Vota solata decennalia suscepta uicennalia de Caracall a, en 208, n'avaient pas été, non plus associés à une expression quelconque de la Providence, tout en apparaissant sur les monnaies237. Les
231 RIC, IV, 1, p. 119, n° 215; p. 196, n° 774 (Septime Sévèr e);p. 227, n° 98; p. 282, n° 426 et 429 (Caracalla). On peut y joindre le n° 121 de la p. 230 (non daté). 232 RIC, IV, 1, p. 114, n« 178 a et b (Septime Sévère); p. 121, n° 58. 233 RIC, rV, 1, p. 196, n° 770 et 771. 234 RIC, IV, 1, p. 321, n° 51. Cf. p. 441, n° 109 et pi. IL 235 JuliaDomnaestdugustaîmalgrécela.ellenepossèdepasde revers avec la Providence et la tête de Méduse. Comme nous l'avons déjà souligné, les femmes de la famille impériale ne sont jamais directement asssociées à Prouidentia, elles ne peuvent
l'être que par l'intermédiaire de YAugustus. 236 Les deniers de Septime Sévère, de Caracalla et de Géta faisant allusion à des VOTA PVBLICA, doivent sans doute être rattachés à ces événements (et non à l'annonce du départ pour l'expédition de Bretagne, comme le pense H. Mattingly, The Imperial «Vota», p. 165) : RIC, IV, 1, p. 129, n° 306; p. 237, n° 178; p. 321, n° 57. J. Rufus Fears, op. cit., p. 275, ne voit dans les émissions Prouidentia Deorum que l'assurance de Septime Sévère d'avoir suivi le plan divin. L'interprétation reste trop vague. 237 RIC, rV, 1, p. 237, n° 180 et 181; p. 284", n° 441A.
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émissions, que nous avons citées plus haut, avec les légendes PROVIDENTIA (ou PROVIDENTIAE) DEORVM et se rapportant à Géta Auguste et à Caracalla, ne peuvent avoir été réalisées qu'après la mort de Septime Sévère. Comme pour les émissions précédentes, il aurait été impossible de faire circuler des monnaies exal tant la Providence des dieux, uniquement en l'honneur de deux Augustes sur les trois, et en écartant justement de ces frappes Septime Sévèr e,le premier de ces Augustes et le fondateur de la dynastie. D'ailleurs, à son accession au rang d'Auguste, Géta utilisa la titulature IMP CAES Ρ SEPT GETA PIVS AVG; mais, en 210, après l'a ttribution du titre de Britannicus aux trois emper eurs, il en vint à la titulature Ρ SEPT GETA PIVS AVG BRIT, qu'il porte justement sur les monnaies qui nous intéressent. En outre, il con serva cette titulature jusqu'à sa mort, au début de l'année 212. Nous pouvons dire, avec une grande certitude, que ces monnaies, celles de Géta comme celles de Caracalla qui sont semblab les par les représentations, ont été émises entre le 4 février 211, jour de la mort de Septime Sévère à York, et le 27 février 212, jour de l'assassinat de Géta par son frère, dans les bras de Julia Domna.
avec M AVR ANTONINVS PIVS FELIX AVG, peut être très justement datée de l'année 213238. Nous essaierons de serrer les faits de plus près par la suite, et pour l'ensemble des émissions des années 213 à 217. a) Caracalla et Géta.
À part les émissions que nous venons de citer, et que nous chercherons à expliquer dans les pages qui suivent, le règne de Caracalla fut marqué par d'autres frappes Prouidentiae Deorum, comportant toujours la même représentat ion. Elles ont été émises dans tous les métaux, mais portent des titulatures qui ne permettent pas de définir avec précision leur date d'appari tion dans la circulation monétaire. Une seule,
La première série regroupe des émissions en l'honneur et de Caracalla et de Géta; ce sont incontestablement des séries d'avènement. C'était l'affirmation publique que les deux emper eurs étaient sur un pied d'égalité en ce qui concerne les pouvoirs (sauf le Grand Pontificat dévolu à Caracalla par droit d'ancienneté dans le rang d'Auguste, comme cela avait été pour Marc Aurèle vis-à-vis de L. Verus). C'était aussi la con firmation de leur légitimité. Ils étaient à cette place parce que fils d'un empereur choisi par les dieux, dans une lignée de divinisés qui remontait officiellement à Nerva, comme le proclamaient de nombreuses inscriptions. Cette accession double était le couronnement de la politique de Septime Sévère dont nous avons essayé de mont rer, au niveau de la conception et des idées, la conformité voulue avec le principat antonin, et tout particulièrement le règne de Marc Aurèle. Mais ce fut certainement à la succession d'Antonin le Pieux qu'avait pensé Septime Sévè re en organisant la sienne. Nous pouvons, sur ce point, croire sa biographie de l'Histoire August e229:«Septime Sévère témoigna en mourant une grande joie de ce qu'il laissait la direction de l'État, avec le même pouvoir, à deux Antonins, comme Antonin le Pieux l'avait laissée à Verus et à Marc Aurèle, ses fils adoptifs, et surtout de ce qu'il avait sur lui l'avantage de donner pour empereurs au peuple romain, non des fils par adoption, mais ses propres fils». Et il n'est pas impossible qu'il ait pu écrire, même si contrair ement à ce que dit l'Histoire Auguste, Géta n'a jamais porté le nom d'Antonin que seul son frère possédait, «saluez les Antonins, mes fils et mes successeurs »240. Le but poursuivi par l'empereur était atteint; comme il l'avait toujours désiré, les enfants de son sang lui succédaient; c'était la
238 Cf. RIC, IV, 1, p. 85. Monnaies de 213 : p. 301, n° 535. Cf. p. 441, n° 112. Monnaies de 213-217: p. 259, n° 309 a et b; p. 307, n° 572 a et b; p. 308, n° 576. Cf. p. 441, n° 112 et pi. II.
239 HA, Vit. Sev., XX, 1-2. 240 HA, Vit. Get., I, 7. Il aurait aussi employé cette expres siondans ses dernières paroles: «Antoninis meis»: Vit. Sev., XXIII, 3.
III - LA PROVIDENCE ET LE MAINTIEN DE LA DYNASTIE ANTONINO-SÉVÉRIENNE 1 - Un parfait accord avec les dieux.
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marque publique et éclatant de la faveur des dieux et des diui auxquels il avait rattaché sa famille. Le signe était d'autant plus éclatant que le seul règne conjoint jusqu'ici connu, celui de Marc Aurèle et de L. Verus, ne groupait pas deux empereurs du même sang, frères, comme c'était maintenant le cas. Cette dualité du pouv oir, aux yeux de Septime Sévère, avait un autre avantage; elle devait empêcher que ne se reprod uisît ce qui s'était passé avec Commode. Ce dernier, qui réunissait en lui tous les charismes de la famille impériale, avait été conduit aux pires excès mystiques. Le partage du pouvoir, qui devait s'établir sur les mêmes bases d'entent e qu'entre Marc Aurèle et L. Verus, était une garantie contre ces excès. Il n'est pas besoin, comme le fait J. Gagé241, de supposer que Septi meSévère avait attendu 209 pour faire Géta Auguste parce que c'était le moment où l'enfant supposé de Caracalla et de Plautille était mort. Il avait dû disparaître bien auparavant. L'empe reur avait depuis longtemps en vue cette acces sion de Géta au rang d'Auguste; mais il devait attendre une occasion favorable. En 209, l'expé dition militaire en Bretagne, qualifiée elle aussi de Felicissima, devait permettre à Géta de parti ciper, par la Victoire, à la prospérité et à l'éterni té de Rome et de son empire. Il fallait ce dépla cement fécondant dans une province pour rap peler celui de Caracalla chez les Parthes, au moment où lui-même avait obtenu son accession à ce rang d'Auguste. Dans un premier temps, il était bon pour Caracalla et pour Géta d'exalter ce parfait accord avec les dieux que constituait leur avène ment commun. Et, comme nous l'avons déjà souvent vu, rien ne pouvait mieux répondre à cette idée que des émissions au nom de la Provi dence. D'ailleurs, parmi les diui et les diuae qui étaient à la base du pouvoir des deux Augustes, se trouvait maintenant, en bonne place, Septime Sévère lui-même qui venait d'être divinisé. En effet, l'acceptation de cette consécration par les hommes et par les dieux était aussi nécessaire pour légitimer leur avènement. Désormais, ils
241 J. Gagé, Les Jeux Séculaires de 204 ap. J.-C. et la dynastie des Sévères, dans MEFR, LI, 1934, p. 64. 242 Hérod., IV, 1; Dion Cass., LXXVI, 15; HA, Vit. Sev., XIX,
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étaient fils de diiius et directement rattachés à une lignée de diui remontant à Nerva et à Trajan Père. Toutes nos sources nous décrivent l'apo théose de Septime Sévère242. Ses cendres, trans portées dans une urne depuis la Bretagne, furent déposées dans le Mausolée d'Hadrien, comme il était normal pour un descendant de la famille antonine, même fictif. Elles avaient été escortées tout au long du chemin, et au milieu de la vénération populaire, par la famille impér iale et, en particulier, les deux empereurs et l'Augusta Julia Domna. Dès la cérémonie réali sée, des monnaies en l'honneur du nouveau DIVVS SEVERVS PIVS ou du DIWS SEPTIMIVS SEVERVS PIVS furent émises, avec les représentations habituelles du bûcher funéraire, mais aussi avec le puluinar ou l'aigle sur un autel avec une colonne, un globe, la foudre, ou enlevant l'empereur dans les airs. Toutes symbol isaient à la fois le pouvoir et la succession assurée243. La grande diversification des motifs et le nombre relativement grand, pour une pareille occasion de frappe, d'exemplaires re trouvés, prouvent l'importance fondamentale que Caracalla et Géta avaient attachée à cette divinisation, caution supplémentaire et indispen sable de leur légitimité. Il semble que ce soit à ce moment que le rôle de Julia Domna ait été renforcé, à l'intérieur de la famille impériale, par les titres de PIA et de FELIX qu'elle porte désormais sur toutes ses monnaies jusqu'à sa mort. Elle restait, en tant qu'épouse encore vivante d'un empereur mainte nantdivinisé, l'élément essentiel de liaison avec les dieux et l'ensemble du monde divin. Pendant que la Providence permettait à ses deux fils de détenir le pouvoir, elle était la garante de la Piété, c'est-à-dire de l'accord passé avec Septime Sévère et, par ce dernier, avec ses prédécesseurs divinisés. L'exercice du pouvoir par Caracalla et Géta devait réaliser les buts de Félicité dont elle-même était porteuse depuis qu'en tant qu'Augusta elle était associée au pouvoir; sa pré sence, comme celle des empereurs, était fécon dante et propice. Nous retrouvons ici, étroit ementliées comme elles l'étaient depuis les Anto-
3-4; XXIV, 1-2. 243 RIC, IV, 1, p. 239, n° 191A à F; p. 292, n° 490 A et B.
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nins, les trois notions qui étaient les fondements du pouvoir impérial, Prolùdendo, Pietas, Félicitas. Une grande partie de la propagande monétaire de Julia Domna se fit autour de ces thèmes qui permirent de mettre en relief la Fecunditas (ses deux fils étant empereurs, c'était une garantie pour la fécondité générale de l'empire), la Pietas bien sûr, la Félicitas ou la Saeculi Félicitas244. Elle se trouvait désormais dans une position de per fection qui en faisait la mère par excellence, celle de tout ce qui existait comme le montraient des revers originaux, MAT AVGG MAT SEN MAT PATR, avec la représentation de l'impératrice, assise ou debout, tenant une branche et un scept re245. Dans le même temps, les deux Augustes ne partagèrent avec leur mère que deux frappes, pratiquement identiques: VOTA PVBLICA et AEQVITAS PVBLICA; les voeux permettaient d'établir dans l'État l'équilibre nécessaire à sa bonne marche; ils étaient peut-être aussi les nota soluta de ceux pris avant le départ pour l'expédi tion de Bretagne. Ils étaient cependant étroit ementassociés à l'avènement puisqu'ils étaient accompagnés des VOTA SVSCEPTA X de Géta246. Grâce à la Providence des dieux, les deux frères pouvaient régner ensemble et célé brer conjointement leur retour à Rome par la proclamation de l'ADVENTVS AVGVSTI, porteur de bonheur pour la Ville247 et de la CONCORDIA AVGG. Elle fut largement répandue pour bien montrer que leur règne conjoint était en accord avec la volonté des dieux et des diuiZ4s puisque les revers les présentaient couronnés par les dieux et se serrant la main. b) La Providence ne protégeait que Caracolla. Cette entente, nous le savons par toutes nos sources qui sont en accord sur ce point, n'était qu'une façade; les deux frères se détestaient profondément. Il est inutile de revenir sur des
244 RIC, IV, 1, p. 272, n° 374 {Fecunditas); p. 273, n° 384 (Pietas); p. 272, n° 375 (Félicitas); p. 311, n° 590 (Saeculi Félicitas). 245 RIC, IV, 1, p. 273, n° 380, 381; p. 310, n° 588. 246 RIC, IV, 1, p. 297, n° 513 et 517; p. 298, n° 523 (Caracall a et Vota Publica); p. 295, n° 507 (Caracalla et Aequitas); p. 311, n° 595 (il ne s'agit pas de Pietas, mais de Julia Domna sacrifiant pour les Vota Publica); p. 275, n° 395 (Aequitas sur un médaillon d'argent); p. 327, n° 93 (Vota Suscepta X de
faits bien connus grâce à Hérodien249. L'import ant pour nous est de savoir comment Caracalla a pu, après le meurtre, dans sa propagande, expliquer et réutiliser la Providence sans que cela parût véritablement scandaleux ou provocat eur, et sans que son pouvoir en fût décisivement ébranlé. Une fois de plus, tout reposa sur l'idée d'un complot qui aurait abouti à nier la volonté des dieux et à ne pas laisser le pouvoir à la lignée choisie par eux. Cette lignée était représentée par Caracalla puisqu'il était l'aîné, qu'il portait le nom des Antonins, qu'il ne pouvait imaginer, après lui, un pouvoir se redivisant à l'infini. Mais il lui était tout aussi difficile d'envisager que, puisqu'il n'avait pas d'enfant vivant, ce pourrait être un enfant de Géta qui serait son successeur, si son frère, comme probable, devait se marier. Dans son désir de puissance, mais aussi dans sa façon de comprendre, mystiquement, la posses siondu pouvoir impérial, la situation ne lui a semblé trouver d'issue que dans la disparition de Géta, étape nécessaire dans un premier temps. Mais il ne fallait surtout pas que cela apparût comme une prise de position contre la volonté des dieux; tout au contraire, il était nécessaire de les y associer. C'est pourquoi, Caracalla avait besoin d'un complot monté par son frère contre lui. C'est ainsi qu'il présenta les choses devant les soldats et devant le sénat où il se justifia250. En particulier, il accusa Géta d'avoir voulu l'empoisonner. Cette disparition, exécutée de sang-froid, lui permit de développer une politique de terreur qu'il jugeait indispensable à son maintien au pouvoir qu'il ne voulait plus partager avec per sonne. Là encore, toutes nos sources insistent largement sur les meurtres en série, les condamn ations, les contraintes au suicide qui ont suivi la mort de Géta. Mais elles présentent les dispa-
Géta); p. 342, n° 183; p. 343, n° 189 (Aequitas); p. 343, n° 187 et 192 (Vota Publica). ™RIC, IV, 1, p. 242, n° 212 (Caracalla); p. 326, n° 84; p. 342, n° 182 (Géta). 248 RIC, IV, 1, p. 296, n° 508 a, b, c (Caracalla); p. 326, n° 86 a, b; p. 342, n° 184 (Géta). 249 Hérod., IV, 3, 1. 250 Ibid; HA, Vit. Anton., II, 4.
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l'adoption posthume réalisée par son père, Carac alla savait qu'il était un Antonin, mais il ne pouvait se sentir tel totalement que si n'existait plus aucun descendant naturel direct des Anton ins. Ce même souci de rendre exclusif ce pou voir lui fit, quelque temps plus tard semblet-il256, éliminer le fils de l'empereur Pertinax qui avait fait une belle carrière jusqu'au consulat suffect. Il était dangereux par l'estime dans laquelle beaucoup le tenaient; il l'était surtout parce que, dans un premier temps, Septime Sévère s'était rattaché à l'empereur Pertinax et qu'il en avait introduit le nom dans ses propres nomina. Cet Helvius Pertinax aurait pu aussi avoir quelques ambitions fondées religieusement sur ce précédent, ou tout au moins être utilisé par des ambitieux257. Contrairement à Commode, dont l'assurance dans le domaine mystico-religieux venait de ses origines religieusement parfaites, Caracalla était un inquiet et un anxieux; au fond de lui-même était-il si sûr d'être à bon droit, c'est-à-dire selon la volonté des dieux, dans sa charge impériale? Dans l'élimination de tous ceux qui, de près ou de loin, touchaient aux véritables Antonins, il cherchait la confirmation de sa propre légitimit é. D'ailleurs nos sources nous le montrent cont inuellement à l'affût de tous les moyens de divi nation dont il se servait comme leviers, souvent essentiels, de son action politique. Hérodien nous dit qu'« il consultait tous les oracles et avait beaucoup de foi dans les devins, les haruspices, les astrologues; il en faisait une recherche exact e»258. Dion Cassius est encore plus précis; il se servait des horoscopes des principaux citoyens pour savoir s'ils avaient de l'affection ou de l'aversion pour lui, et il en tirait les conséquenc es259; il condamnait ceux qui consultaient des oracles, mais lui-même se servait de tous les magiciens et de tous les sorciers qu'il connais-
251 Hérod., IV; Dion Cass., LXXVII, 14; HA, Vit. Anton., III. 252 Hérod., IV, 6, 3. ™Ibid; Dion Cass., LXXVII, 1, 1. 254 HA, Vit. Anton., III, 8; Hérod., IV, 6, 3. 255 Ibid; Dion Cass., LXXVII, 16, 6a (= Exe. Vat., 146). Cornificia, par l'adoption fictive, était devenue officiellement sœur de Septime Sévère: AE, 1954, 171: .. . . CORNIFICIAE AVG(usti) N(ostri) SO [ R(oris) ... Caracalla élimine donc
celle qui doit être considérée comme sa tante. 256 Dans l'anecdote racontée dans la biographie de l'Histoi re Auguste, Caracalla aurait déjà porté le titre de Germanicus qu'il n'eut qu'en 213 (Vit Anton., III et X, 6). Hérodien présente ces événements comme s'ils se déroulaient dans le même mouvement (cf. IV, 6, 3). 257 Anecdote reprise dans HA, Vit. Gel, VI, 8. 258 Hérod., IV, 12, 3. 259 Dion Cass., LXXVIII, 2.
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rus comme des personnes qui auraient eu des rapports étroits avec Géta, et qui auraient pleuré à l'annonce de sa mort251. En réalité, il s'agit d'une politique beaucoup plus radicale et bien plus réfléchie qu'il n'y paraît au premier abord. Hérodien ne s'y est pas totalement trompé; ne précise-t-il pas, à un moment : « II voulait couper jusqu'à la racine de tout ce qui restait des maisons impériales»252. N'ayant pas supporté le partage du pouvoir avec son frère, il ne pouvait pas plus supporter que vivent des personnes ayant du sang impérial dans les veines. Un tel acharnement prouve combien, dans l'esprit de l'empereur, ce n'est pas une surprise, mais aussi dans l'opinion générale, le fait dynastique était acquis au profit d'une famille privilégiée. De ce fait, il fit exécuter les exilés de 205, sa femme Plautille et le frère de cette dernière253; si nous en croyons Dion Cassius, cette décision aurait été prise dès l'arrivée au pouvoir de Caracalla, du vivant de Géta. Ce n'est pas impossible; mais se débarrasser de celle qui, parce qu'elle était Augusta, pouvait encore jouer un rôle important, était lourd de menaces pour tous ceux qui avaient un lien naturel avec la famille impériale. Plus grave, mais aussi plus significatif peut-être, cet Antonin tua des Antonins, «le petit-fils de Marc Aurèle, Pompeianus, née de Lucilia, fille de cet empereur, et de Pompeianus avec qui elle s'était mariée à la mort de Vérus»254. Lucilia avait été Augusta et son exil et sa mort- sous Commode ne pouvaient pas effacer le sang des Antonins dans ses descendants. L'empereur alla encore plus loin en obligeant à se suicider celle qui était certainement la dernière fille vivante de Marc Aurèle, Cornificia: «Sa cruauté alla plus loin. Il fit mourir une sœur de Commode, déjà fort âgée, pour laquelle les autres empereurs avaient eu beaucoup de considération en mémoire de son père Marc Aurèle»255. Depuis
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sait260. Il vivait dans la crainte des charmes magi ques qui auraient pu agir contre lui; des Alamans l'auraient ainsi rendu fou261. Nous pouvons trouver dans les événements de 206, dont nous avons parlé ci-dessus, l'origine de cette peur de l'enchantement qui était devenue maladive chez lui, en même temps que la crainte du poison qui lui avait fait se constituer une réserve personnell e destinée à combattre ses ennemis262. Mais, en même temps qu'il essayait de faire disparaître les derniers véritables Antonins vivants, il lui fallait agir en Antonin. Il en portait le nom et il lui était nécessaire, dans sa propa gande, d'affirmer qu'il suivait la ligne même tra cée par Trajan et ses successeurs, pour le bon heur et l'éternité de Rome. Les émissions monét aires répondirent à ce besoin. Peu de temps après la mort de Géta, il semble avoir mis l'a ccent sur SECVRITAS PERPETVA et, reprenant la légende RESTITVTOR VRBIS utilisée par son père, il se rattachait à lui et à sa politique, tout en montrant que Γ« exécution » de son frère assu rait l'avenir de Rome et sa stabilité263. Il put aussi continuer à évoquer Concordia, puisqu'il lui fallait montrer son accord avec les dieux; Julia Domna devenait un élément indispensable pour garantir aux yeux de tous cette concorde, puisqu'elle était porteuse, dans ses nomina euxmêmes, de la Pietas et de la Félicitas. C'est sans doute elle qui est représentée sur un as de 212, serrant la main d'un homme en toge qui tient une lance, Caracalla lui-même264. Il était évident que la mère de l'empereur devait tenir une place considérable et indispensable aux yeux de l'opi nion; c'était elle qui faisait le lien avec Septime Sévère et, à travers son mari divinisé, avec les Antonins. C'était parfaitement ressenti par Carac alla; elle était le dernier élément qui lui était mystiquement nécessaire. Aussi l'emmena-t-il dans tous ses voyages et participa-t-elle à toute
la politique générale menée par son fils dans l'empire. Nous sources abondent en détails sur son rôle dans ce domaine265. Une fois seul à représenter les Antonins dans le monde des vivants, il lui était loisible de répandre de nouveau l'idée de la conformité de son action avec ce qui avait été prévu par les dieux, avec la Prouidentia Deonim. C'est pour quoi, en même temps qu'il introduisait le titre de Felix dans sa titulature, il proclama de nou veau sur les monnaies la Providence des dieux; dans cette dernière, il introduisait celle de son père divinisé qui était censé, de cette façon, avoir approuvé son action à l'encontre de Géta et de Cornificia en particulier. Il n'est pas éton nant que les frappes de bronze à ce type soient parmi les plus courantes du règne; elles ont certainement continué à être émises, à partir de 213, jusqu'à la fin du principat de Caracalla. La Providence des dieux avait orienté, et orientait à chaque moment, l'action du princeps. A part un denier avec la légende FELICITAS TEMPOR266, qui exprime l'idée que, maintenant, après l'élim ination de Géta, le Bonheur éternel est définitiv ement assuré à Rome, le type PROVIDENTIA DEORVM restait le seul à représenter l'ensem ble de ces notions de renouvellement des temps dans la prospérité que nous savons cependant toujours au premier plan des préoccupations de l'empereur. Le sénat n'avait-il pas pris l'habitude de lui souhaiter un règne de cent ans? «Une acclamation toujours répétée depuis qu'il était parvenu à l'empire»267. Dion Cassius présente comme un présage de sa disparition l'ordre que Caracalla envoya au sénat, par écrit, de cesser cette acclamation qui voulait signifier que le principat de l'empereur coïncidait avec le saeculum aureum et que sa présence apportait la prospérité. La divine Providence de l'empereur fut d'ail-
260 Id., LXXVII, 18, 4; 20,4. 261 Id., LXXVII, 15, 2. 262 Id., LXXVIII, 6, 3. 2iìRIC, IV, 1, p. 244, n° 229 a, b; p. 296, n° 512 a, b; p. 297, n° 515, 520 (Securitas); p. 244, n° 228 (Restitutori. Ces types monétaires ne se trouvent pas dans les émis sions de Géta; nous pouvons les attribuer à la deuxième partie de l'année 212, après le meurtre. 264 K/C, IV, 1, p. 297, n° 518. 265 II est possible que le denier de Julia Domna, IVNO
CONSERVATRIX (R1C, IV, 1, p. 272, n° 377), ait été frappé juste après le meurtre de Géta II est, en tout cas, tout à fait nouveau. Ce denier correspond à un autre denier de Caracall a, avec IOVI CONSERVATORI (p. 258, n° 301). Julia Domna a accompagné Caracalla, en 215, dans son voyage en Orient. Après l'Egypte, ils sont passés par Apamée (cf. J. et J. Cl. Balty, Apamée de Syrie, archéologie et histoire, ANRW, II, 9, 1, p. 130). 266 RIC, IV, 1, p. 245, n° 233 A. 267 Dion Cass., LXXVIII, 8, 3.
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la volonté des dieux avait clairement désigné? Pouvait-on le remplacer sans dommage pour le bonheur et l'éternité de Rome? Ce fut à ces questions angoissantes que Macrin chercha à répondre très rapidement. Il est vrai qu'il sem ble avoir pris le pouvoir sous l'effet de menaces pesant sur sa vie; n'avait-il pas été dénoncé comme susceptible d'attenter à la vie de l'empe reurpar Flavius Maternianus qui avait consulté devins et magiciens (on parla de nécromancie)? Il avait pris les devants pour sauver sa propre vie, mais il se retrouve empereur, acclamé par les soldats271.
268 CIL, VI, 4, 2, 31338 a (= ILS, 452). 269 H. G. Pflaum, Essai sur le cursus publicus sous le HautEmpire Romain, Paris, 1940, p. 99-100. Cf. R. E. A. Palmer, Severan Ruler-Cult and the Moon in the City of Rome, dans ANRW, II, 16, 2, 1978, p. 1099. 270 II est peut-être possible de joindre à cette inscription celle de Mistra (CIG, V, 538) qui, à propos de restaurations entreprises dans la cité à la suite de destructions dues au temps et aux inondations, parle de l'intervention de la θείας προνοίας (1. 24). Faut-il aussi parler de CIL, VI, 1, 1080 (= 4, 2, 31236)? Cette inscription de Rome est très endommagée et a donné lieu à beaucoup de spéculations. Certains l'ont attribuée à Caracalla, d'autres à Élagabal (comme J. Gagé, Élagabal et les pêcheurs du Tibre, dans Mél. J. Carcopino, Paris, 1966, p. 403418). J. Le Gall, Le Tibre, fleuve de Rome dans l'Antiquité, Paris, 1953, p. 269, n. 1, l'écarté totalement, car il y voit un faux de la Renaissance. À la ligne 4, se lit: « Prouidens
imperi sui mai[estatem] [auxit et termines] ampliauit ... ». Pour écarter cette inscription, J. Le Gall s'appuie sur la rédaction de la titulature et la verbosité du style. R. E. A. Palmer, art. cil, p. 1098-1099, s'oppose à ce point de vue et donne de nombreux exemples de verbosité dans des inscriptions en l'honneur de Caracalla. Malgré cela, nous ne serions pas loin de penser comme J. Le Gall; l'emploi de prouidens est curieux, surtout dans un texte hyperbolique où nous attendrions plutôt prouidentissimus, courant, sinon habituel à l'époque, ou bien encore un appel direct à la providence, comme le diuina prouidentia eins de CIL, VI, 4, 2, 31338a. Dire, comme Palmer, p. 1102, que «Prouidens probab ly governs imperi sui» n'est pas plus probant que de rappel er en même temps la Prouidentia des monnaies de Septime Sévère. La plus grande prudence s'impose et nous laisserons de côté cette corporation de pêcheurs et de plongeurs du Tibre. 271 Hérod.. IV, 12, 8 et 14, 2-3. Dion Cass., LXXVIII, 5, 2-4.
2 - Comment, avec la Providence, corriger une usurpation a) Macrin, par son fils, se rattache à la dynastie précédente. Cette arrivée au pouvoir ne se fit pas dans les meilleures conditions, surtout si nous restons dans le domaine précis que nous nous sommes fixé. Les difficultés provinrent d'abord de la per sonnalité même de M. Opellius Macrinus, un chevalier originaire de Caesarea en Maurétanie, de famille obscure, et qui n'avait accompli qu'une carrière administrative et financière avant d'être préfet du prétoire. Il se devait déjà de faire oublier cette modeste origine. Il y avait beaucoup plus grave. En effet, il succédait à un empereur qui ne laissait pas de
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leurs évoquée par les conducteurs d'attelages de bêtes de somme et les tenanciers des bureaux du cursus publicus des Viae Appia, Traiana, et Annia26* qui travaillaient sous les ordres du praefectus uehiculorum269. Cette inscription avait été déposée à Rome le 3 juillet 214. Elle donne une bonne idée de ce que recouvrait cette Providenc e, ici associée étroitement à l'entretien des rou tes servant au ravitaillement des armées. L'em pereur y est qualifié de Magno et Inuicto ac super omnes prinlcipes fortissimo felicissimo· que ; la grandeur, l'invincibilité, la force, le bonheur qui rendent grande, invincible, forte et heureuse Rome, découlent de l'action de la providence divine de Caracalla qui le place super omnes principes et qui lui a permis de recréer cette association de cochers. L'empereur était le point d'aboutissement parfait, une nouvelle fois, de la lignée d'empereurs qui l'avait précédé270. Caracalla avait su faire exalter sa propre person ne en mettant en relief le rôle de la providence des dieux dans son accession au pouvoir, dans l'élimination de tous ceux qui pouvaient faire obstacle à la volonté générale qui voulait qu'il ne fût que seul empereur. La Providence restait inséparable du pouvoir impérial et de la souve raineté conservée dans la lignée antonine. Le meurtre de Caracalla, le 8 avril 217, entre Carrhae et Edesse, par le centurion Martialis et à l'instigation du préfet du prétoire M. Opellius Macrinus, sonnait comme un défi lancé à la Providence des dieux. Pouvait-on tuer celui que
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descendance directe, mais dont de nombreux membres de la famille restaient vivants : sa mère, en premier lieu, Julia Domna, Augusta, Mater Castrorum, Mater Senatus; mais aussi, la sœur de sa mère, Julia Maesa, qui avait deux filles, Julia Soaemias Bassiana et Julia Avita Mammaea. La première de ses filles, par son mariage avec Sex. Varius Marcellus, avait donné le jour à un fils, né en 203 sans doute, Varius Avitus Bassianus (son prénom est inconnu). La seconde, de son mariage avec Gessius Marcianus, avait eu aussi un fils, né après celui de sa sœur, M. Julius Gessius Alexianus Bassianus272. Dans l'ambiance formée autour du pouvoir impérial depuis un siècle, c'est-à-dire dans l'es prit héréditaire et dynastique qui s'était peu à peu imposé, l'existence de cette famille posait un grave problème, celui de la légitimité de Macrin. Cette légitimité ne se trouvait-elle pas du côté de cette famille qui avait reçu l'assentiment des dieux depuis l'installation au pouvoir de Septi meSévère, et depuis que Julia Domna, qui vivait encore, avait été faite Augusta? Macrin avait deux attitudes possibles. Ou bien, il se plaçait en «révolutionnaire», c'està-dire qu'il se présentait comme un empereur totalement nouveau, sans attache avec le passé, sinon même en contradiction avec ce passé. Mais alors, il lui fallait être impitoyable avec la famille des Sévères; il devait la faire totalement disparaître. En réalité, Macrin n'avait pas les forces et l'implantation nécessaires pour mener une telle politique. Aussi laissa-t-il dans la paix, retirée à Emèse, la famille des Sévères et de Julia Domna; il leur avait demandé de s'installer là où il leur plairait273. Julia Domna ne tarda pas à s'y laisser mourir de faim et de désespoir, atteinte en outre par un cancer du sein. À partir du moment où il ménageait la famille sévérienne, il lui fallait trouver le moyen de paraître plus légitime, vis-à-vis des dieux mais aussi des homm es, que les membres de la parenté de Julia Domna.
272 Cf. Dion Cass., LXXVIII, 30, 2-3. Herod., V, 3, 3. 273 Dion Cass., LXXVIII, 23, 6. 274 HA, Vit. Diad., I, 2 et VI, 2.
Macrin prit le parti qui lui sembla le plus simple, rééditer, comme une copie conforme, la politique de Septime Sévère au moment de son avènement et de sa prise de pouvoir. Il décida de se rattacher, artificiellement, à la dynastie des Sévères et de se présenter comme étant leur légitime successeur. Lui aussi avait été choisi et accepté par les dieux pour être le garant de l'éternelle prospérité de Rome. D'ailleurs, à plu sieurs reprises, l'auteur de la Vie de Diadumenianus, dans l'Histoire Auguste, revient sur ce pro blème fondamental et l'expose en ces termes : «Au premier bruit de la mort de Bassianus, une profonde douleur s'empara de tous les soldats qui, voyant un Antonin enlevé à la direction de l'empire, pensèrent que l'empire allait périr avec lui », et « Le nom (Antonin) était si aimé dans ces temps-là que quiconque ne le portait pas ne paraissait pas mériter le trône»274. Macrin procéda en plusieurs étapes, toutes complémentaires les unes des autres. En pre mier lieu, il attendit habilement quelques jours après le meurtre de Caracalla pour accepter officiellement d'être empereur. La raison essent ielle en était simple, faire coïncider son avène ment avec l'anniversaire de la naissance de Sep time Sévère : « C'est ainsi que le quatrième jour, qui était le jour natal de Sévère, il fut, comme un homme à qui l'on fait violence, élu empereur par ses troupes»275. D'ailleurs Macrin considéra les jeux célébrés pour cet anniversaire comme les propres jeux de son avènement; il refusa ceux qu'on voulait lui donner à Rome276. Cette heu reuse coïncidence, le 1 1 avril, lui permit alors de prendre le nom de Seuerus et de l'introduire dans ses propres nomina277; il devint, dans ses titulatures officielles, IMP CAESAR M OPELLIVS SEVERVS MACRINVS. Nous pouvons noter qu'il plaça Seuerus en premier cognomen, avant le sien propre de Macrinus. Devenu un nouveau Sévère, il se devait d'agir comme celui-ci l'aurait fait. C'est pourquoi, alors qu'il en avait été le véritable assassin, il deman-
27S Dion Cass., LXXVIII, 11,6. 216 Ibid., 17, 1. 277 HA, Vit. Mac, V, 6.
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da la consécration de Caracalla que le sénat lui accorda278. Ses cendres furent déposées dans le «monument des Antonins»279. De cette façon, on pouvait considérer qu'il n'y avait pas de hiatus dans la lignée des diui', et, dans le fond, en prenant le nom de Seuerus et en faisant accor derl'apothéose à Caracalla, Macrin se plaçait dans la position qui avait été celle de Septime Sévère vis-à-vis de Marc Aurèle et de Commode, toutefois sans éprouver le besoin de se procla merfils de Sévère et frère de Caracalla. Une troisième étape était tout aussi essentielle pour préparer l'avenir. Macrin avait un fils encore jeune, Diadumanianus; peu assuré pour lui-même de son pouv oir, il voulait montrer que tout était organisé de façon à ce que Rome n'eût pas à souffrir de sa propre disparition. Il le fit en imitant, une nouv elle fois, Septime Sévère, et en rattachant alors solidement, lui semblait-il, son fils à la lignée des Sévères-Antonins. Il lui fit prendre le nom à'Antoninus : M. OPELLIVS ANTONINVS DIADVMENIANVS CAESAR; il portait en même temps le titre de César qui en faisait l'héritier tout dési gné. En même temps, il paraissait que porter un tel nom plaçait Macrin et son fils en total accord avec les dieux. Les soldats purent pousser cette acclamation qui est peut-être véridique tell ement elle reflète parfaitement l'état d'esprit de l'époque : « Nous avons un Antonin, nous avons tout. Les dieux nous ont donné Antonin; Antonin est digne de son père; Antonin est digne de l'empire»280. Il n'osa pas réaliser une adoption posthume, mais le résultat était exactement le même. De cette façon, comme Septime Sévère et Caracalla, Macrin et Diadumenianus se trou vaient placés dans la lignée des empereurs remontant jusqu'à Nerva; ils étaient protégés, sauvegardés dans leur existence et leurs entre prises par toute une lignée de diui. Ils furent, en outre, renforcés dans leur posi tion, par une prophétie qu'avait jadis faite la
déesse Caelestis, à Carthage, sous Antonin le Pieux, et qui avait annoncé qu'il y aurait huit empereurs qui porteraient, successivement, le nom d'Antonin281. Il semble que les soldats con naissaient cette prophétie qui avait peut-être été répandue dès les premières années du principat des Sévères. En donnant le nom d'Antonin à son fils, et en le faisant accepter et acclamer par tous comme son successeur, Macrin pouvait penser lui avoir donné une position définitivement soli de puisque, dans la famille de Julia Domna, personne alors ne portait le nom d'Antonin. En effet, il n'y avait de descendants que du côté de la sœur de l'Augusta qui venait elle-même de disparaître très rapidement. Macrin et Diadumen ianus pouvaient paraître aux yeux de tous com meles héritiers légitimes, et des Antonins, et des Sévères-Antonins. Aussi l'empereur crut-il encore renforcer sa position en prenant les titres de Pins et de Felix et en les introduisant dans sa titulature282. En donnant à son fils le nom d'An tonin, Macrin avait fait preuve de Pietas et il ouvrait la voie à la Félicitas; nous trouvons ici, une nouvelle fois, les thèmes fondamentaux que nous avons étudiés par ailleurs et qui sont, tou jours, la conséquence de la Prouidentia. Aussi n'est-ce en rien une surprise de voir cette notion utilisée, et très abondamment, par Macrin.
278 HA, Vit. Mac, V, 2; V, 9 (diuum illum appelions) ; VI, 8. C'est pourquoi il nous faut écarter l'idée de J. Rufus Fears, op. cit., p. 276, qui ne veut voir dans l'expression Prouidentia Deorum employée par Macrin que la recherche d'une sanc tion divine à son usurpation. 279 Dion Cass., LXXVIII, 9, 1. 280 HA, Vit. Diad., I, 8; Cf. Vit. Mac, II, 5; V, 1; VI, 6; Dion
Cass., LXXVIII, 19,1. 281 HA, Vit. Mac, III, 1-4. 282 Ibid., VII, 2 et 5, XI, 2 (où il est dit, à tort, qu'il refusa le nom de Pins); Dion Cass., LXXVIII, 16, 2, confirme l'acceptat ion. 283 RIC, IV, 2, p. 11, n° 80; p. 20, n° 195 et 196. Cf. 442, n° 113 et pi. II.
b) Macrin proclame la Providence des dieux. En effet, des deniers, des sesterces, des dupondii, tous certainement frappés à Antioche, rappellent l'existence de la PROVIDENTIA DEORVM. La scène représentée n'est plus tout à fait la même que sous le règne précédent : la figure féminine tend bien une baguette audessus d'un globe placé à ses pieds, mais de l'autre main, elle tient une corne d'abondance et non un sceptre283. La corne d'abondance a dû être placée ici pour montrer que la succession était parfaitement assurée avec le jeune Diadu-
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menianus. Il faut certainement écarter toute solution restrictive qui voudrait limiter l'appari tion de ces monnaies à la promotion du jeune César au rang d'Auguste le 24 avril 218, alors que la nouvelle qu'Élagabal avait été proclamé emper eur à Émèse le 16 venait de parvenir à Antioche284. En réalité, relativement à la courte durée du règne, l'abondance des types Prouidentia Deorum nous assure qu'il s'agit d'un modèle établi dès le début du principat de Macrin et dont la frappe s'est certainement poursuivie jus qu'aux derniers jours de ce principat. En effet, elle était l'expression la plus profonde depuis longtemps déjà, de la conception d'un pouvoir issu de la volonté divine, protégé par les dieux et les diui et devant ouvrir à Rome une période d'éternité heureuse. Une grande partie du monnayage de Macrin, en-dehors des thèmes purement militaires, fut utilisée pour répandre cette idée liée à la Provi dence des dieux. Ainsi l'accent mis sur les voeux publics dès le début du principat, sans doute des nota decennalia suscepta2*5. Ils étaient liés à Jupi terporteur de la foudre, mais aussi, dans le contexte qui nous intéresse, à Félicitas, à Securitas286. C'était la confirmation du début d'une nouvelle période dans un lendemain assuré. Le plus important alors se trouve dans les séries parallèles à celles portant Prouidentia Deorum, dans l'affirmation de la SECVRITAS TEMPORVM, tenant un sceptre et le coude appuyé sur une colonne qui exprime la stabilité établie pour toujours287 et dans la proclamation, habi tuelle aussi, mais significative ici, de la FELICI TAS TEMPORVM, tenant un caducée et une cor ne d'abondance288. Ce furent justement les émis sions les plus nombreuses de son principat; elles étaient chargées d'en exprimer les buts. Ils étaient semblables à ceux des empereurs précé dents.
La providence des dieux avait placé Macrin et son fils sur le trône, dans la lignée des emper eurs divinisés, pour qu'ils assurent l'avenir heu reux et la stabilité de Rome. Diadumenianus représentait l'espérance, et ses monnaies portè rent SPES ou SPES PVBLICA289, à travers son père nouveau fondateur de Rome, comme ses prédécesseurs, dont Septime Sévère à qui il avait repris la formule RESTITVTOR VRBIS290; sur un denier avec cette légende, Macrin sacrifie sur un trépied, tout en tenant un sceptre. Il n'y avait rien d'original dans ces conceptions; tout au contraire, Macrin a recherché ce qui pouvait donner à son pouvoir le même sens que celui accordé à Septime Sévère, dans la tradition antonine. C'était pour lui le seul moyen d'asseoir son principat dans l'ensemble du monde romain. Il n'y a rien d'étonnant à ce que partout, et en dehors des monnaies, cette propagande ait été répandue. Nous sommes en possession de qua tre inscriptions, nombre exceptionnel pour un principat aussi court, donnant à l'empereur le qualificatif superlatif de Prouidentissimus. C'est à Macrin que nous devons l'emploi habituel du terme pour désigner et qualifier l'empereur; bien que connu dans de semblables conditions, il n'avait jamais été employé si systématique ment ou, tout au moins, sur une aussi grande échelle. Cela ne pouvait venir que de la volonté expresse de l'empereur qui plaçait tout son règne sous la marque de la Providence, gage de sa légitimité. Plus elle semblait douteuse ou con testable, plus il trouvait intérêt à y porter son insistance. La première de ces inscriptions peut être datée d'avant le 10 décembre 217 et avait été placée sur l'arc construit à Diana, en Numidie, en l'honneur du princeps et de son fils; c'est le seul subsistant dans le monde romain qui leur
284 H. Mattingly, BMC, V, 1, introd. La biographie de l'Histoire Auguste (Vit. Mac, X, 4) a tort de dire que Diadumen ianusn'a jamais eu le titre d'Auguste. Il porte ce titre sur un denier (R1C, IV, 2, p. 14, n° 118), ce qui est confirmé par Dion Cassius, LXXVIII, 34, 2. Des monnaies d'Antioche portent aussi les titres de Αυτο κράτωρ et de Σεβαστός. Nous ne voyons pas pourquoi E. Pasoli, Julius Capitolinus. Opilius Macrinus, introd., test, crit., trad., note, Bologne, 1968, p. 83, n. 48, refuse le titre à! August us à Diadumenianus.
285 H. Mattingly, The Imperiai «Vota», p. 166-167. 286 RIC, IV, 2, p. 6, n° 5, 6, 7, 12, 13; p. 16, n° 126, 127, 132, 133. 287 RIC, IV, 2, p. 11, n° 90 à 95 (certaines sans colonne); p. 21, n° 201 à 207. 288 RIC, IV, 2, p. 9, n° 57 à 59; p. 10, n° 60 à 63; p. 19, n° 172 à 178. 289 RIC, IV, 2, p. 14, n° 113 à 117; p. 22, n° 218 à 220. 290 RIC, IV, 2, p. 11, n° 81.
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début du règne de Nobilissimus Caesar. L'abou tissement de l'entreprise dans cette région était attribué à l'action des empereurs, sur un pied d'égalité qui n'était pas réel à ce moment : Proui dentissimi Augusti fecerunt293 . Ce n'était pas la Providence des empereurs qui avait permis d'améliorer les routes de la région; c'étaient des empereurs légitimes au regard des dieux et des diui qui avaient eu l'initiative de ces améliorat ions. L'affirmer partout devait avoir semblé une nécessité à Macrin étant donné, dans la réalité qu'il vivait quotidiennement, la précarité de sa propre situation et surtout de celle de son fils trop jeune pour être son substitut en cas de malheur. Les événements ne tardèrent pas à lui donner raison dans ses craintes.
291 CIL, VIII, 1, 4598 (= ILS, 463); P. Salama, L'empereur Macrin Parthicus Maximus, dans REA, LXVI, 1964, p. 340-341, n° 55. 292 AE, 1960, 36 (Cimeliuzantik); P. Salama, art. cit., n° 46.
293 CIL, III, 2, 5708 (= ILS, 464), et 5736; P. Salama, art. cit., n° 21 et p. 349, n. 2. 294 HA, Vit. Elag., VIII, 4.
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ait été dédié : IMP CAES M [OPELLIO] SEVERO [MACRINO] PIO FELICI AVG PON[T] MAX TRIB PO[TES]T COS DESIGN Ρ Ρ PROCOS PROVIDENTISSIMO ET SANCTISSIMO PRINCIPI ET [M OPELLIO] ANTONINO DIADVME [NIANO] 291. Il est vrai que l'inflation sur les mots n'avait pas commencé avec Macrin, mais le choix des termes n'est pas indifférent, et l'insistance sur l'aspect «prévoyant» de l'empe reurest capitale dans notre optique. Se sentant peu assuré dans son principat, Macrin avait inté rêtà insister sur le fait qu'il n'était que l'exécu teur de la volonté des dieux pour l'avenir heu reux de Rome. C'est ce qui était souligné sur l'arc de Diana; il ne faut donc pas, nous le voyons ici clairement, attendre l'accession de Diadumenianus au rang d'Auguste pour faire jouer un rôle à la Providence; elle était entrée en jeu dès le début du principat de Macrin. Les trois autres inscriptions sont placées sur des milliaires. Il ne s'agit pas d'un qualificatif qui n'aurait eu que le sens d'un simple remercie ment à l'égard d'un empereur qui aurait const ruit une nouvelle route, qui en aurait restauré une ancienne ou qui aurait amélioré les condi tions de sécurité. Pour des actes de caractère si banal, le terme aurait été tout à fait déplacé. En réalité, l'insistance mise sur l'aspect prouidentissimus de l'empereur, sur des bornes que tout le monde pouvait déchiffrer en passant, était un aspect essentiel de la propagande de Macrin; il voulait que tous les voyageurs connussent sa légitimité garantie par les dieux dans la ligne de ses prédécesseurs. Sur une colonne milliaire de Lycaonie, à la suite de la construction d'une Via Nova, nous trouvons la même expression que sur l'arc de Diana, SANCTISSIMVS AC PROVIDENTISSIIMVS PRINCEPS292. Les deux autres milliaires ont été trouvés en Norique, sur le réseau routier de la vallée de la Drave où avaient été entreprises de grandes opérations de bornage; ils associent, comme le précédent, Macrin et son fils, mais ils les qualifient tous deux de Prouidentissimi Augusti, alors que Diadu menianus porte encore le titre habituel depuis le
3 - Le dernier Antonin et la réaffirmation de la filiation a) L'avènement d'Êlagabal et ses mariages. La précarité de la position de Macrin fut utilisée par les femmes syriennes de la famille sévérienne, la sœur de Julia Domna, Julia Maesa, et les filles de cette dernière, Julia Soaemias et Julia Mammaea. Elles s'appuyèrent, les deux pre mières surtout, sur la ressemblance du fils de Soaemias, Varius Avitus Bassianus, avec Caracalla, et le firent passer pour le fils de ce dernier. C'était lui donner une légitimité que, sans ce subterfuge, il ne pouvait avoir. En effet, être parent d'une Augusta, sa grandmante Julia Domn a,avoir vécu dans l'entourage impérial durant le principat de Caracalla ne pouvaient suffire. Tout au contraire, en faire un fils adultérin de l'empereur assassiné, mais divinisé, enlevait tout son pouvoir à Macrin et, surtout à son fils dont le nom d'Antonin qu'il portait devenait une véri table usurpation. D'ailleurs, une fois installé sur le trône, Élagabal n'appela plus Diadumenianus que le « pseudo-antonin »294. Toutes nos sources insistent sur cette filiation et sur le fait qu'il prit alors les noms de M. Aurelius Antoninus, qui marquèrent son origine
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mieux que toute propagande295. «Cette femme (Maesa), lorsqu'ils admiraient la beauté de son petit-fils, les assurait qu'il était véritablement le fils d'Antonin, quoiqu'il passât pour être d'un autre»296. Ce fut le point le plus important pour emporter la décision auprès des soldats; il con court aussi à le faire accepter sans trop de peine à Rome et dans l'opinion publique; sa victoire sur Macrin et sa proclamation comme empereur suscitèrent d'ailleurs plus d'espoirs que de craint es.En étant devenu le fils d'Antonin, ce qui apparut souvent dans sa titulature officielle, il se trouvait placé directement dans une lignée de diui et de diuae remontant jusqu'au début de la dynastie antonine; il était surtout devenu «fils du divin Magnus Antoninus, petit-fils du divin Sévère»297. En outre sa grandmante Julia Domna avait été divinisée, très certainement par Macrin qui avait eu aussi besoin de cette caution298; c'était pour Élagabal un avantage direct qui lui permettait de constituer autour de lui une domus imperatona composée de diui, de diuae et d'Augustae, Julia Maesa sa grand-mère et Julia Soaemias sa mère. Ces femmes jouèrent un rôle essentiel, non seulement par leur propre personnalité qui était forte, non seulement parce qu'elles avaient la tutelle d'un empereur adolescent, mais encore parce que, avec leur titre d'Augusta, elles étaient une partie intégrante du pouvoir impérial; elles étaient porteuses des charismes nécessaires à l'équilibre de ce pouvoir et à sa perpétuité, com metoutes les Augustae depuis Trajan et Hadrien particulièrement. Étant donné cette mentalité, il n'est pas étonnant de les voir participer activ ement à la marche et au fonctionnement de l'em pire. Ce furent elles qui renversèrent la situation dans la bataille décisive près d'Antioche, le 8 juillet 218. Ce furent elles aussi qui tentèrent d'apporter des atténuations à la politique menée
par Élagabal, et de réduire, dans la mesure du possible, ses extravagances qui choquaient les Romains299. À Rome même, Julia Maesa l'accom pagnait partout, au sénat comme au camp des prétoriens300. En outre, comme il était normal, l'épouse de l'empereur reçut aussi le titre d'Augusta. Il est vrai que durant son court principat de quatre ans, Élagabal changea trois fois de femme et qu'à chaque fois l'épouse fut Augusta. Il y eut d'abord Julia Paula, « d'une des meilleures famil lesde Rome»301, «à dessein, disait-il de devenir plus tôt père»302. La lignée devait se perpétuer, puisque avoir un fils était la marque de l'accord des dieux et de l'empereur. Cette union fut célé brée en grande pompe et avec la participation de tous les ordres et de tout le peuple de Rome; ce qui n'empêcha pas l'empereur de répudier très vite Julia Paula, sous un prétexte qui peut sembler mineur, une tache sur le corps; elle dut paraître à l'esprit religieux de ce princeps com meun signe de mauvais augure303. Il ne pouvait rester sans une femme qui pût lui donner des enfants; il la choisit alors dans un cercle plus restreint, celui de sa parenté. En effet, il releva de ses vœux, en tant que grand pontife, la Vestal e Aquilia Severa qui était peut-être de sa famill e; là se trouve sans doute la raison de ce mariag e, et non, comme nos sources le suggèrent, un souci de provocation en montrant qu'il se plaçait au-dessus des plus vieilles lois religieuses de Rome. Elle devint immédiatement Augusta304. Mais Élagabal répudia aussi Aquilia Severa. Il réalisa alors un mariage encore plus parfait dans la vision dynastique. Ce fut sans doute ce qui lui fit écarter sa seconde épouse. Il se lia en effet à une Annia Faustina qui nous est présentée com me«parente de Commode»305 ou comme «des cendante de Claudius Severus et de Marc Antonin»306. Ces renseignements sont certainement
295 Dion Cass., LXXIX, 2, 2; HA Vit. Elag., I, 7; II, 1; III, 1-2 (cf. Vit. Marc, IX, 6; Vit. Diad., IX, 4-5). 296 Hérod., V, 3, 10. 297 Henzen, AFA, p. CCII-CCVII, frg. b (Pasoli, n° 88, p. 42 et p. 168, ligne 22) : 30 mai 218. 298 Cf. J. F. Gilliam, On «Divi» under the Severi, dans Hommages à M. Renard, II (Coll. Latomus, 102), Buxelles, 1969, p. 286-287. 299 Hérod., V, 5, 6. 300 HA, Vit. Elag., XII, 3. Ce qui a accrédité l'idée que les
Augustae signaient les senatusconsultes {ibid., IV, 1-2). 301 Hérod., V, 6,1. 302 Dion Cass., LXXIX, 9, 1 (il l'appelle Cornelia Paula, mais les monnaies ne lui donnent que le nom de Julia Paula Augusta). 303 Dion Cass.,LXXIX, 9, 1-3. 304 Ibid., 9, 3; Hérod., V, 6, 2; HA, Vit. Elag., VI, 6. 305 Hérod., V, 6, 2. 306 Dion Cass., LXXIX, 5, 4.
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exacts; il ne peut s'agir que d'une petite-fille, ou d'une fille, du couple formé par la fille aînée de Marc Aurèle, Annia Aurelia Galena Faustina et par Cn. Claudius Severus, consul ordinaire en 173. Cette Annia Faustina était donc l'arrièrepetite-fille, ou la petite-fille de Marc Aurèle. Grâ ceà un tel mariage, il ne pouvait y avoir aucun doute sur la légitimité, politique, des enfants qui pourraient naître du couple. Ces derniers auraient en eux le sang charismatique des Ulpii et par leur intermédiaire la dynastie se trouver ait refondée sur des bases solides et religieus ement sûres. Il est certain que nous devons attr ibuer à sa parenté directe avec Marc Aurèle ce mariage. Un «complot» avait permis de faire disparaître le premier mari d'Annia Faustina, Pomponius Bassus. Comme pour ses prédécesseurs, il s'agit pour Élagabal du problème fondamental dont la solu tion était seule capable d'asseoir définitivement son pouvoir. Il ne faut donc pas, comme nos sources nous y invitent, ne voir dans le principat de cet empereur que les excentricités extérieur es, qui avaient toutes d'ailleurs un fondement religieux. En réalité, la conception du pouvoir impérial était restée exactement la même : une charge due aux dieux et aux diui qui ne pouvait appartenir qu'à une famille dans laquelle coulait le sang charismatique des Antonins et des Sévèr es.Aussi est-ce sans étonnement que nous nous trouvons face à une production numismatique qui, par de très nombreux aspects, ressemble à celle de ses prédécesseurs, tout particulièrement dans le domaine qui nous intéresse. Et, comme il est normal, Prouidentia est à l'honneur.
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Les ateliers de Rome ne commencèrent à frapper des monnaies avec la légende PROVID DEORVM qu'à partir du moment où Élagabal fut
présent à Rome. En effet, ce dernier avait passé l'hiver 217-218 à Nicomédie et il ne parvint dans la Ville qu'au printemps ou au début de l'été 219. Ces monnaies sont d'un type assez courant; les unes représentent la Providence tenant un globe et une corne d'abondance, les autres la même figure féminine tenant une baguette et une cor ne d'abondance, en s'appuyant sur une colonne et avec un globe à ses pieds307. Cette même année furent émis des antoniniani et des deniers avec la même allégorie et ces mêmes attributs, mais sans la légende308. Le sens général de ces émissions reste le même que sous les précédents règnes et nous n'avons pas besoin d'y insister plus. Nous devons simplement noter combien ici il s'agit d'une attitude tout à fait banale mainte nantet bien peu conforme avec le portrait de l'empereur tracé par nos sources. En 220 et en 221, le même type fut encore émis, mais toujours sans la légende, sur des deniers, des sesterces et des dupondii. La seule différence notable est l'apparition d'une étoile dans le champ309. La Providence est loin d'être la seule figure allégorique ou divinité à posséder cette étoile. À partir de 220, de très nombreuses représentations en furent munies, particulièr ement celles qui étaient en rapport direct avec l'empereur en tant que SACERD DEI SOLI ELAGAB, ou que INVICTVS SACERDOS AVG, ou encore que SVMMVS SACERDOS AVG310. Les modèles sur lesquels l'empereur est entrain de sacrifier, est couronné par la Victoire, se trouve sur un quadrige et tient le globe et le sceptre, sont aussi marqués par la présence de l'étoile au-dessus du prince. Bien d'autres monnaies, non seulement d'Élagabal, mais aussi de Julia Maesa (SAECVLI FELICITAS), de Julia Soaemias (VENUS CAELESTIS), de Julia Paula (CONCORDIA), d'Aquilia Severa (CONCORDIA et VENVS FELIX), d'Annia Faustina (CONCORDIA) mont rent cette étoile311.
307 RIC, IV, 2, p. 37, n° 128 (denier); n° 129 (antoninianus). Cf. p. 442, n° 115 et pi. IL 308 RIC, IV, 2, p. 29, n° 22 et 23. Cf. p. 442, n° 114. Peut-être une monnaie de Cesaree de Cappadoce portant l'image d'une femme assise tenant un globe et une corne d'abondance représente-t-elle la Providence (W. Wroth, Cata logue of the Greek Coins of Galatia, Cappadocia, and Syria, p. 85, n° 294). 309 RIC, IV, 2, p. 30, n° 31; p. 31, n° 42, 43; p. 54, n° 321,
322; p. 55, n° 332, 333. Cf. p. 442, n° 116 et 117. 310 RIC, IV, 2, p. 34, n° 86 à 88; p. 56, n° 350 (Rome); p. 43, n° 191 (Antioche) : INVICTVS SACERDOS AVG; p. 37, n° 131, 132, 134 (deux étoiles), 135; p. 58, n° 369 à 371: SACERDOS DEI SOLI ELAGAB; p. 38, n° 146, 147 (Rome); p. 44, n° 200 (Antioche). 311 RIC, IV, 2, p. 50, n° 270 à 273; p. 61, n° 421 à 424 (Julia Maesa); p. 48, n° 240 et 242 (Julia Soaemias); p. 45, n° 210 à 212; p. 46, n° 213; p. 59, n° 380 à 384 (Julia Paula); p. 59,
b) «Prouidentia Deorum».
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II faut certainement attacher à cette repré sentation le même sens que celui donné à l'étoi le sur les monnaies Prouidentia de Pertinax; elle est en rapport avec l'idée de consécration et d'immortalité céleste. C'était une référence à la protection des diui et au choix qu'ils avaient fait d'Élagabal comme empereur. C'était l'affirma tion du lien étroit qui unissait le princeps vivant aux empereurs morts et divinisés, et tout part iculièrement à Caracalla et à Septime Sévère. C'était aussi la confirmation que le pouvoir d'Élagabal reposait sur les mêmes bases qu'au paravant et qu'il avait les mêmes buts, le renou vellement des temps dans la prospérité éternelle de Rome et de son empire. C'est pourquoi aussi, dès les débuts de son règne, Élagabal avait placé dans sa titulature les surnoms de Pius et de Felix, qui avec ses nomina, le faisaient ressem bler comme un frère, ou plutôt un fils, à son prédécesseur divinisé Caracalla312. La Pietas se retrouve sur une série d'Élagabal, sous la forme PIETAS AVG313, et sur des frappes de Julia Maesa, de Julia Soaemias et de Julia Paula, ce qui est conforme à ce que nous avons dit jusqu'ici de la place de Pietas dans le cadre dynastique314. Plus importante encore était la possibilité ouverte par le règne d'une Félicitas générale et éternelle que des Vota Publica pour l'empereur appellèrent à son avènement : « la veille des ides de juillet, les frères arvales se sont réunis au Capitole, devant la cella de Junon Reine, afin de prononcer les vœux annuels pour le salut et la sauvegarde de l'empereur César Marc Aurèle
Antonin Pieux Heureux Auguste, grand pontife, revêtu de la puissance tribunicienne, consul, père de la patrie, proconsul, et de Julia Maesa, grand-mère de notre Auguste, et de toute leur maison divine; afin de prononcer aussi les vœux décennaux pour l'empereur César Marc Aurèle Antonin Pieux Heureux Auguste, grand pontife, revêtu de la puissance tribunicienne, consul, père de la patrie, proconsul; de même, ils se sont réunis pour commencer les jeux vo tifs et ont acclamé: "Très Heureux! Que Jupiter allonge de beaucoup ta vie avec nos années ! sois pieux et heureux, Marc Anto ninempereur César Auguste! Les dieux te gar dent!"»315. À ces vœux faits par les frères arvales, correspondirent des deniers, frappés à Antioche, avec la légende VOTA PVBLICA et représentant Élagabal sacrifiant316. Toutes les formules expr imant la nécessaire continuité des temps dans le bonheur furent utilisées par le monnayage d'Éla gabal et des femmes de la maison impériale : la simple FELICITAS, AVG ou PVBL317, mais aussi la FELICITAS TEMPORVM très répandue et reprenant parfois l'image du bateau (une galère) dont nous avons dégagé le sens et dont nous avons vu qu'il n'était pas nécessaire de la mettre en liaison avec un voyage maritime réel318. L'allusion à un nouveau siècle d'or est conte nuedans SAECVLI FELICITAS ou SECVRITAS SAECVLI319. C'est la durée éternelle qui est pro mise à Rome : AETERNITAS AVG320, SECVRITAS PERPETVA321 qui assure la stabilité du monde romain (idée rendue apparente par la colonne
n° 389 à 394; p. 60, n° 398 (Aquilia Severa); p. 47, n° 232; p. 48, n° 233; p. 60, n° 399 (Annia Faustina). 312 Dion Cass., LXXIX, 2, 2. Son véritable nom, une fois empereur, est IMP CAESAR M AVR ANTONINVS PIVS FELIX AVG. 313 RIC, IV, 2, p. 36, n° 126, 127. 314 RIC, IV, 2, p. 50, n° 263 à 266; p. 61, n° 414 à 416 (Julia Maesa); p. 48, n° 237A (Julia Soaemias); p. 46, n° 221, sous la forme caractéristique de la figure féminine levant ses deux bras vers le ciel pour établir un contact avec les diui (Julia Paula). 315 Henzen, AFA, p. CCVII (= Pasoli, p. 168, 11. 31-38). 316 RIC, IV, 2, p. 44, n° 202, 203. 317 RIC, IV, 2, p. 42, n° 187A (Élagabal); p. 49, n° 251 (Julia Maesa). ll*RIC, IV, 2, p. 38, n° 148 à 150; p. 42, n° 188 (galère);
p. 44, n° 201 (Élagabal); p. 50, n° 274 (avec deux enfants) (Julia Maesa); p. 46, n° 217 (Julia Paula). 319 RIC, IV, 2, p. 38, η" 145 (Élagabal); p. 50, n° 270 à 273; p. 61, n° 421 à 424 (Julia Maesa). 32° RIC, IV, 2, p. 42, n° 185 (Élagabal). À juste titre, il a été montré qu'Élagabal n'avait pas négligé le natalis Urbis et que YUrbs sacra avait toujours tenu, sous son règne, une place prépondérante dans les rites annuels, même si Élagabal l'avait associée à d'autres rites, peut-être venus de son dieu d'Émèse (cf. l'inscription des piscatores et urinatores de Rome, du 8 juin 219, citée dans J. Gagé, Le «Sollemne Urbis» du 21 avril au IIIe siècle ap. I.C. : rites positifs et spéculations séculaires, dans Mèi. Hist. Rei offert à H. Ch. Puech, Paris, 1974, p. 230-231). 321 RIC, IV, 2, p. 58, n° 374.
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sur laquelle la Sécurité s'appuie parfois), SPEI PERPETVAE322. La CONCORDIA, souvent procla méeelle aussi, est AETERNA, parce que, en accord avec les dieux et les diui, elle permet la continuation de la dynastie par l'intermédiaire des femmes qui doivent donner une descendanc e323. Ce sont là les mêmes thèmes que sous les règnes précédents, donc la même conception du pouvoir; ce n'est pas dans ce domaine qu'Elagabal présenta une quelconque originalité. Il était le successeur légitime de Caracalla et il pouvait proclamer la SALVS ANTONINI AVG ou la VIC TORIA ANTONINI AVG324; il était aussi le garant de l'avenir de Rome puisqu'il était dans la lignée que les dieux avaient choisie et protégeaient toujours. Parmi les anecdotes, plus ou moins scandal euses, racontées par la biographie de l'Histoire Auguste, il en est qui peuvent avoir la même signification que ces monnaies. C'est ainsi qu'«on dit qu'il promit un jour, à ses convives, un phénix ou, à la place de cet oiseau, mille livres d'or, si on voulait le lui laisser»325. Offrir un phénix, c'était donner à chacun le symbole du renouvellement des temps, de la jeunesse nouvelle imprimée à une époque dont l'or, celui du saeculum aureum, était le seul remplaçant possible. À ce moment l'empereur pensait bien à la Félicité et à l'Éternité. Beaucoup de ses démonstrations recouvraient l'annonce d'un monde idyllique, comme l'envers heureux de celui dans lequel les hommes vivaient : l'eau de mer remplirait les bassins en pleine terre, le vin coulerait des fontaines, la nourriture serait faite de pierres précieuses; ces dernières seraient si nombreuses, si banales, qu'elles ne pourraient, pas plus que l'or, exciter les convoitises. Et tou tes ces démonstrations curieuses, choquantes pour les vieux Romains, toute cette richesse déployée, ne tenaient peut-être pas tant à son origine orientale et aux habitudes de sa région natale, qu'au désir de montrer, dès maintenant,
ce que serait la SAECVLI FELICITAS dont il était le garant. Mais une telle attitude déplut énormément aux Romains; Élagabal eut beau proclamer que la Providence des dieux l'avait placé sur le trône et le faisait agir, il eut beau porter officiellement le nom des Antonins, la situation se tendit dan gereusement dans l'année 221. À la fois pour renforcer son pouvoir et assurer un moyen de remplacement en cas de nécessité, Julia Maesa fit adopter par Élagabal son autre petit-fils, M. Julius Gessius Alexianus Bassianus, surnom mé Alexandre à partir de ce moment; il était le fils de Julia Mammaea326. Le jeune garçon, il n'avait pas douze ans, fut créé César le 10 juillet 221 et fut désigné, avec l'empereur lui-même, pour le consulat ordinaire de l'année suivante. Une fois de plus, nous pouvons sur ce point en croire Hérodien, Julia Maesa voulut faire croire que sa fille Julia Mammaea avait eu ce fils à la suite de relation d'adultère avec Caracalla. Cette liaison directe semblait toujours une nécessité pour asseoir une légitimité. Elle permettait, en tout cas, au jeune Sévère Alexandre de remplac er, en cas de besoin, Élagabal, puisque, sans avoir à utiliser l'échelon intermédiaire constitué par l'adoption, il se rattachait directement à Caracalla. L'avenir lui était garanti. Des sesterces et des dupondii, uniquement au nom d'Élagabal, portant la mention de la désignation pour le quatrième consulat, présentent l'image de la Pro vidence; ils commémorent cette attribution du titre et du rang de César qui faisait de Sévère Alexandre l'héritier légitime du pouvoir327. Quand Élagabal et sa mère comprirent le danger qu'il représentait, il était trop tard; personne ne put s'opposer aux soldats lorsqu'ils s'en prirent à Élagabal lui-même qui avait voulu écarter Alexandre et lui enlever son titre de César. Assu résd'une succession «antonine», donc garantie par les dieux, ils assassinèrent Élagabal et sa mère, Julia Soaemias328.
322 RIC, IV, 2, p. 44, n° 199. 323 RIC, IV, 2, p. 46, n° 215; p. 59, n° 386 et 387 (Julia Paula). Mais toutes les autres monnaies avec Concordici, sans qualificatif particulier, recouvrent la même idée. 32*RIC, IV, 2, p. 37, n° 136 à 140; p. 58, n° 372 et 373 (SALVS); p. 38, n° 151 à 157A; p. 58, n° 375 à 377 (VICTOR IA). Uniquement pour Élagabal.
325 HA, Vit. Elag., XXIII, 6. 32("Herod., V, 7, 1-2; Dion Cass., LXXIX, 17, 2; HA, Vit. Elag., XIII, 1-2. 327 RIC, IV, 2, p. 55, n° 332 et 333 : PM TR Ρ ΙΙΠ COS III DES ΠΙΙ S C. Cf. p. 442, n° 1 17. 328 Hérod, V, 8, 8; Dion Cass., LXXIX, 20, 2; HA, Vit. Elag., XVII, 1-3.
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414 4 - Le dernier Sévère
Si Élagabal fut, comme toutes nos sources le soulignent à l'envi, le dernier à porter le nom d'Antonin, la dynastie n'en était pas pour cela interrompue. Dès son avènement, le jeune César devenu empereur introduisit dans son nom le cognomen de Seuerus329 pour bien montrer dans quelle lignée il voulait se placer publiquement. Si nous en croyons sa biographie de l'Histoire Auguste, il aurait catégoriquement refusé de prendre le nom d'Antonin, malgré les vives soll icitations du sénat330. Le fait est qu'il ne le porta jamais; peut-être voulut-il, malgré sa filiation «antonine» par Caracalla, mettre en valeur ses liens étroits avec Septime Sévère; tout en étant le fils de Caracalla, il est surtout le petit-fils du divin Sévère331. Il est regrettable que le principat de Sévère Alexandre soit si mal connu, puisqu'il a été démontré que la biographie de l'Histoire Auguste, malgré sa longueur, ne pouvait inspirer la moindre confiance; c'est certainement une des vies les plus falsifiées332. Les extraits de Dion Cassius et les passages d'Hérodien relatifs à son règne laissent aussi une grande place à la crit ique et ne peuvent être utilisés qu'avec prudenc e. C'est pourquoi seules les inscriptions et les monnaies restent des documents sûrs, mais qui, à cause de leur isolement, sont souvent difficiles à interpréter, surtout lorsqu' il faut les replacer dans une chronologie précise. Et pourtant, Prouidentia est utilisée à plusieurs reprises sur les frappes monétaires de Sévère Alexandre.
Nous pouvons les regrouper en quatre séries, suivant, à la fois, la chronologie, les représenta tions des revers et les légendes. Une première série regroupe sous les légendes PROV DEOR et PROVIDENTIA DEORVM des pièces d'argent et de bronze; la Providence est représentée debout, appuyée sur une colonne, et tenant, comme à l'habitude, une baguette au-dessus d'un globe se trouvant à ses pieds et une corne d'abondanc e333. La deuxième série porte la même repré sentation sur ses revers, si ce n'est un sceptre à la place de la corne d'abondance, mais avec la légende PROVIDENTIA AVG334. À cette série, nous pouvons joindre des bronzes de Rome ne portant comme légende que la titulature de l'em pereur, Ρ M (ou PONT MAX) TR Ρ II COS Ρ Ρ, correspondant à l'année 221, et qui représentent la Providence avec baguette et corne d'abondanc e335; nous pouvons y ajouter des bronzes de l'année 224 qui se présentent de la même manièr e336.La troisième série au type de la Providence présente un revers un peu différent : la Provi dence est debout, de face, et elle tient dans ses mains des épis de blé et une ancre; sur le sol se trouve un modius; la légende est PROVIDENTIA AVG337. Des types, à peu près semblables, mais portant la titulature de 231 338, sans autre légen de, permettent de placer cette série à cette date. Cette frappe est très importante, puisque R. A. G. Carson a pu l'évaluer à 30% des émis sions de l'année339. Enfin, une dernière série regroupe des monnaies dans tous les métaux, avec la légende PROVIDENTIA AVG, et sur le squelles la Providence tient des épis de blé et une corne d'abondance, avec un modius à ses pieds340.
329 Sur ses rares monnaies en tant que César, il n'est que M AVR ALEXANDER CAES. 330 HA, Vit. Sev. Alex., VII-X. 331 ILS, 479, 480, 8920, 8921, 332 Cf., en particulier, R. Syme, Ammiamis and the Historia Augusta, Oxford, 1968. 333 RIC, IV, 2, p. 84, n° 172 (cf. p. 442, n° 118); p. 118, n° 597 à 599. Cf. p. 442, n° 119. Il faut y joindre un type semblable d'Antioche ou d'Emèse, p. 93, n° 294, mais, à la place de la corne d'abondance, un sceptre (cf. p. 442, n° 120). 334 RIC, IV, 2, p. 84, n° 173, 174. Ce ne sont que des deniers et ils forment, d'après R. A. G. Carson, BMC, VI, p. 43, 20% de la frappe d'argent de l'année. Cf. p. 442, n° 121 et pi. II.
Nous devons y joindre des deniers orientaux (RIC, IV, 2, p. 93, n° 296). Cf. p. 442, n° 121 et pi. II. 335 RIC, IV, 2, p. 103, n° 397. Cf. p. 443, n° 122; p. 104, n° 404 à 406. Cf. p. 443, n° 123. 336 RIC, IV, 2, p. 105, n° 414 à 416. Cf. p. 443, n° 124. 337 RIC, IV, 2, p. 89, n° 251, 252; p. 121, n° 645 à 647. Cf. p. 443, n° 125 et pi. II. 338 RIC, IV, 2, p. 111, n° 518, 519; p. 112, n° 520. Cf. p. 443, n° 126. 339 BMC, VI, p. 45. iwRIC, IV, 2, p. 89, n° 249, 250; p. 121, n° 642 à 644. Cf. p. 443, n° 127. Un de ces sesterces a été retrouvé à Paris, rue SainteCroix-de-la-Bretonnerie : J. Gricourt, Sesterces d'Alexandre Sévère trouvé à Paris, dans BSFN, XIX, 7, 1964, p. 386.
a) Les documents.
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PROVIDENTIA» ET SOUVERAINETÉ DYNASTIQUE
b) La première série: «Prouidentia Deorum». La première série de monnaies, avec la légen de PROV DEOR, étant donné ses nombreuses ressemblances avec des monnaies bien datées, a été généralement placée en 223 341. Sans nier le fait qu'il y ait eu des frappes de ce type durant cette année 223, TR Ρ II est là pour le prouver, il faut certainement nuancer. En effet, l'expression «Providence des dieux» nous est maintenant connue parfaitement et nous savons qu'elle est en relation directe avec le choix du nouveau souverain fait par les dieux et les diui. Pour proclamer que son propre pouvoir était l'expres sion de la volonté divine, Sévère Alexandre ne devait pas attendre des mois, ce qui aurait été d'une extraordinaire maladresse. Nous avons déjà défini, à propos de Macrin, ce que représent aient de tels types d'avènement dans la concept iongénérale du pouvoir impérial. Sévère Alexandre avait tout autant que Macrin besoin d'affirmer d'où il tenait sa légitimité. En portant immédiatement le nom de Seuerus, il faisait un appel clair à la protection de certains diui. Dans la même ligne, nous devons considérer le type PROV DEOR comme un type d'avène mentfrappé dans le courant de l'année 222; il peut être mis en rapport, comme pour Macrin, avec la Securitas représentée sur des bronzes de cette même année342. Ce rapprochement est ren forcé par l'utilisation de la colonne, qui sert d'appui à la Providence, et qui est le symbole de cette Sécurité. Que ce type ait continué à être émis en 223, sans doute jusqu'au premier anni versaire de l'avènement ne saurait étonner. Dans le sillage de la Providence, et associés à elle, ont été émis des modèles exprimant les idées de bonheur et d'éternité, comme l'habitude en avait été prise. Ces représentations et ces légendes sont très nombreuses et il est difficile de faire un choix dans des monnaies qui ne peuvent être datées qu'approximativement (entre 222 et 228
341 BMC, VI, pp. 52-53; K. Pink, Der Aufbau der römischen Münzprägung in der Kaiserzeit, dans Num. Zeits., 1935, p. 1215. 342 RIC, IV, 2, p. 103, n° 395. 343 RIC, IV, 2, p. 118, n° 611, 612; p. 119, n° 613, 614. 344 RIC, rV, 2, p. 1 17, n» 594. 345 P. Oxy, XXXI, 2565.
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pour l'or et l'argent; entre 222 et 231 pour le bronze). Cependant les types SECVRITAS PERPETVA343 ou POTESTAS PERPETVA, qui est une expression tout à fait nouvelle et originale, mais qui présente la même femme assise avec un sceptre que Securitas344, peuvent avoir été frap pés dès le début du règne. Certaines représentat ions de Félicitas, très nombreuses surtout pour Julia Mammaea, peuvent aussi se rapporter à ces premiers mois, mais nous ne pouvons en être totalement assuré, bien que leurs liens avec la Providence ne puissent qu'être très étroits, com mesous les règnes précédents. En tout cas, dans cette première démarche, il n'y a rien de bien nouveau et Sévère Alexandre est resté dans la tradition. c) Ulpien et les émeutes de Rome. La deuxième série a comme légende PROVIDENTIA AVG; ce changement a certainement une signification précise. Il s'agit, cette fois, d'une intervention personnelle de l'empereur, dans la ligne de ce que les dieux et les diui ont voulu pour lui et par lui. Il ne pouvait être question que d'une intervention décisive du prince dans un domaine assez important pour toucher à la famille et au pouvoir durant cette année 223. Très souvent la proclamation de la Providence de l'empereur s'était faite à la suite de la découverte d'un complot visant à renverser le pouvoir en place. Or, nous savons depuis peu que le fameux jurisconsulte Domitius Ulpianus n'avait pas été tué en 228, comme on le croyait jusqu'ici. Un papyrus d'Oxyrhynchos345, en pla çant vers mai-juin 224 la fin de la préfecture d'Egypte d'Epagathos, principal responsable du meurtre d'Ulpien346, oblige à penser que la dispa rition d'Ulpien avait eu lieu l'année précédent e347. Il faut d'ailleurs rapprocher le meurtre du préfet du prétoire d'une série d'émeutes qui durèrent trois jours et trois nuits348. Elles
346 Dion Cass., LXXX, 2, 2-4. 347 J. Modrzejewski-Z.Zawadzki, La date de la mort dVlpien et la préfecture du prétoire au début du règne d'Alexandre Sévère, dans RD, XLV, 1967, p. 565-611 (particulièrement p. 568-569 et 589-591). 348 Dion Cass., LXXX, 2, 1-2; Chron. Min., I, p. 227 (Chronicon Paschale, éd. Mommsen).
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auraient été provoquées par le mécontentement des prétoriens envers leur préfet et elles auraient opposé la population de Rome à ces mêmes cohortes, sans doute au printemps 223. La réconciliation entre le peuple et les préto riens ne serait intervenue qu'en laissant Ulpien être assassiné par les soldats. Julia Mammaea, qui l'avait poussé à ces hautes fonctions, l'empe reurlui-même, auprès de qui Ulpien était venu se réfugier, ne purent le sauver349. Une telle tension dans la ville avait mis en péril le pouvoir impérial qui s'était trouvé impuissant à arrêter l'émeute; il avait fallu le sacrifice d'Ulpien, favori de l'empereur et de sa mère, pour calmer les esprits. Il est fort probable qu'à la suite de ces événe ments la monnaie impériale a frappé les types PROVIDENTIA AVG. C'était pour l'empereur un moyen de montrer qu'il avait conservé le contrôl e de la situation et qu'il fallait interpréter la fin de l'émeute comme son succès personnel; il était protégé par les dieux qui ne voulaient que lui pour assurer l'avenir de Rome et de son empire. Il est tout aussi normal que ces émissions aient été poursuivies en 224, d'autant plus que ce fut l'année du dernier épisode de ces événements, la mise à mort du principal instigateur de l'émeute, tout au moins d'après le résumé de Dion Cassius par Xiphilin : « De plus, Epagathos, étant donné qu'il avait été la principale cause du meurtre d'Ulpien, fut envoyé en Egypte, sous prétexte d'en être gouverneur, de peur que, si on le punissait, il ne survint quelque trouble à Rome; puis, ayant été mené de là en Crète, justice fut faite de lui»350. Cette exécution marqua le point final de la révolte et fut un succès pour Sévère Alexandre. D'ailleurs, les monnaies bien datées de 224, en même temps que le type Prouidentia Aug, laissent apparaître de nouvelles représentat ions en accord étroit avec l'événement. En
ticulier, nous pensons que le type avec la légen de IOVI VLTORI ne doit pas être mis en rapport avec une restauration du temple de Juppiter Ultor, mais à la vengeance tirée d'Epagathos par Sévère Alexandre351. A mettre aussi en liaison avec la Providence de cette année, deux types nouveaux, l'empereur en tenue militaire tenant un globe et un sceptre352, c'est-à-dire possédant la plénitude d'un pouvoir qu'il serait inutile de vouloir lui disputer; la Félicitas (ou Roma) assise, tenant le Palladium et un sceptre353, symboles de la durée éternelle de la puissance romaine. C'est sans doute à ce moment que s'est vérit ablement développée la propagande monétaire autour des idées de Félicitas et d'Aeternitas qui tinrent une si grande place dans les frappes. Mais elles le furent toujours en rapport constant avec la domus imperatoria, dite diuina. Cette der nière, en 225, s'agrandit avec le mariage du jeune empereur et de Cn. Seia Herennia Sallustia Barbia Orbiana qui devint immédiatement Augusta. Pour assurer la protection des enfants du coup le, si cela s'avérait nécessaire, le père de X Au gusta, qui s'appelait peut-être Seius Sallustius Macrinus, fut fait César. Des monnaies de Sévère Alexandre, de sa mère et de sa femme célébrè rent la CONCORDIA AVGVSTORVM354 qui était l'expression de cet accord voulu par les dieux pour la continuité dynastique et celle de la puis sance romaine. Sur les trois monnayages aussi, nous retrouvons SAECVLI FELICITAS355, l'espoir d'un «siècle heureux»; il devait se développer grâce à la famille impériale et au jeune couple tout particulièrement, main dans la main, sous la légende PROPAGO IMPERI356. De la même épo que datent les très nombreux FELICITAS TEMPORVM qui sont inscrits surtout sur les monn aies de Julia Mammaea357 qui est Mater Augusti, Mater Castrorum, Mater senatus, Mater patriae et, bientôt même, Mater immersi generis humani35S.
349 Zos., I, il, 1-3. 350 Dion Cass., LXXX, 2, 3. 351 RIC, IV, 2, p. 104, n° 412 et 413 (et p. 65). 352 RIC, IV, 2, p. 74, n° 43 et 44; p. 105, n° 419 à 421. 353 RIC, IV, 2, p. 105, n° 422. i5*RIC, IV, 2, p. 114, n° 551 (Sévère Alexandre); p. 97, n° 330 (Julia Mammaea); p. 122, n° 655 à 658 (Orbiana). 355 RIC, IV, 2, p. 93, n° 299 (Sévère Alexandre; frappe orientale); p. 99, n° 348 (Julia Mammaea); p. 97, n° 325
biana). 356 RIC, IV, 2, p. 97, n° 323 (Orbiana). 357 RIC, IV, 2, p. 92, n° 277 (Sévère Alexandre; frappe orientale); p. 96, n° 317 (médaillon avec Julia Mammaea et Sévère Alexandre). Le même p. 123, n° 661; p. 125, n° 682; p. 126, n° 692, 693. 358 RIC, IV, 2, p. 96, η« 318 (médaillon); p. 126, n° 689 à 691. De très nombreuses inscriptions portent ces titres (en particulier, ILS, 485; CIL, III, suppl. 1, 8360, . . .).
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II est possible que cette propagande ait été enco re renforcée par l'exil en Afrique d'Orbiana (en 227 ou en 228) et par l'exécution de son père. En outre, il ne faut pas négliger, en 228, le centième anniversaire de la dédicace, par Hadrien, du temple de Rome et de Vénus, du templum Urbis. De ce moment peuvent être datées les émissions de Julia Mammaea avec la légende FELICITAS PERPETVA et sur lesquelles nous pouvons voir l'impératrice-mère assise, face à deux femmes, dont l'une, qui porte un globe qu'elle lui tend, pourrait être la Providence; derrière Julia Mam maea se tient Félicitas avec son caducée359. De la même ambiance sont issues les frappes, très répandues, ROMAE AETERNAE360 qui repren nentet affirment l'idée de l'éternité constam ment renouvelée de la Ville dans la PERPETVITAS361; la représentation de cette dernière se rapproche beaucoup de celle de Securitas et de celle de Prouidentia, le globe et le sceptre, quel quefois la colonne étant ses attributs essentiels. D'ailleurs le lien étroit qu'entretenait le princeps avec Roma est indiqué de façon tout à fait originale sur un denier d'une frappe orientale, Antioche ou Emèse, sur lequel l'empereur est appelé SACERDOS VRBIS362. Sévère Alexandre ne proclamait pas, comme le pense J. Gagé, qu'il était grand-prêtre de la Ville parce qu'il voulait «faire oublier les caprices indécents de son cou sin Élagabal par un respect religieux des tradi tions nationales»; nous avons vu que son prédé cesseur avait suivi les mêmes idées religieuses dans ce domaine, même si elles s'étaient expri mées extérieurement de façon fort différente. La religion de l'Urbs était mise au premier plan parce que, à la fois, elle garantissait la pérennité de Rome et de la dynastie et elle était elle-même sauvegardée par la présence d'un empereur choisi et protégé par les dieux. Nous pourrions multiplier les exemples de monnaies exprimant
ces idées, comme FORTVNAE FELICI, VENVS FELIX, PAX AETERNA .... Cela ne pourrait que nous renforcer dans l'impression qu'il s'agit d'un des domaines essentiels de l'idéologie impériale et que rien ne serait véritablement possible sans l'appel constant à la Providence qui choisit, qui oriente et qui protège. La mort de Julia Maesa, après 224, mais avant 227, puisqu'elle apparaît comme dina dans le Feriale Diiranum, ne put que renforcer cette position de Sévère Alexandre. En effet, jusqu'ici, il était fils et petit-fils de diui, mais par simple adoption; dorénavant, il était le petit-fils d'une dina à laquelle il consacra plu sieurs séries commémoratives de sa divinisat ion363. Ces années 225-228 présentent, au point de vue où nous nous sommes toujours placé, les aspects profonds d'un apogée de règne, à un moment où la paix extérieure subsistait encore. A partir de 230, il n'en fut plus de même.
359 RIC, IV, 2, p. 123, n° 660 (Julia Mammaea et Sévère Alexandre); p. 125, n° 675 (Julia Mammaea seule). 360 RIC, IV, 2, p. 118, n° 602 à 607 (Sévère Alexandre); p. 124, n° 667 (Sévère Alexandre et Julia Mammaea). 361 RIC, IV, 2, p. 84, n° 175; p. 117, n° 593 (PERPETVITAΉ AVG). it>2RIC, IV, 2, p. 93, n° 297. Cf. J. Gagé, Le «Templum Urbis» et les origines de l'idée de «Renovatio», dans Ann. Inst. Philol. Hist. Or. et Slav., Mélanges F. Cumont, IV, 1936, p. 159.
Id., Le «Sollemne Urbis» du 21 avril au IIIe siècle ap. J.-C. : rites positifs et spéculations séculaires, dans Mél. Hist. Rei. offerts à H. Ch. Puech, Paris, 1974, p. 228 et 232. 363 RIC, rV, 2, p. 101, n° 377 à 380; p. 127, n° 712 à 714. 364 RIC, II, p. 27, n° 110 (Vespasien, année 77/78); p. 188, n° 276; p. 193, n° 309; p. 208, n° 432 (Domitien, années 85 et 86); p. 362, n° 197; p. 380, n° 353; p. 429, n° 700 (Ha drien, années 125/128). 365 RIC, II, p. 441, n° 796 (des années 134/138).
d) «Prouidentia» et «Annona». C'est à ce moment qu'apparurent les nou veaux revers représentant la Providence avec des épis de blé, une ancre et un nwdius devant elle, avec ou sans la légende PROVIDENTIA AVG. Jamais jusqu'alors de tels éléments n'avaient été employés pour la singulariser. Par contre, ces attributs avaient déjà été utilisés à de nombreuses reprises dans la numismatique impériale. En particulier, les épis de blé joints au modins se trouvent sur plusieurs monnaies de l'époque flavienne et du règne d'Hadrien, mais le plus souvent sans légende particulière364. Mais c'est à la fin du principat d'Hadrien qu'apparaît la première pièce avec une représentation approchante (épis de blé, modius, gouvernail et navire), sous la légende ANNONA AVG365. Antonin le Pieux développa considérablement le type, presque tous les ans, dans des combinai sons diverses mêlant les épis de blé, la proue de
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navire, l'ancre, le gouvernail, les fleurs de pavot, le modius Ces séries furent poursuivies, peut-être avec moins de constance, par Marc Aurèle, L. Verus et, en dernier lieu, Commode366. Septime Sévère reprit le thème abondamment, et presque tous les ans, de 194 à 210, sous des formes diverses mais très approchantes367. Ens uite, cette représentation n'apparut plus que rarement368 avant d'être reprise dans les séries de 222/231 et de 228/231 par Sévère Alexandre, avec ou sans la légende ANNONA AVG369. Comme nous l'avons déjà dit à plusieurs reprises, cette insistance sur l'annone n'était pas seulement due à des soucis momentanés pour le ravitaillement de Rome et de l'Italie, soucis qui auraient été dus à de mauvaises récoltes, à des difficultés d'approvisionnement ou de transport. C'était, en réalité un souci permanent qui faisait partie des tâches primordiales auxquelles devait s'attaquer le princeps. Parler de perpétuité et de continuité de Rome, c'était aussi affirmer la con tinuité et la perpétuité d'un bon ravitaillement de la Ville; elle ne pouvait succomber dans la disette ou la famine, car sa disparition aurait été le signe de l'effondrement du monde romain tout entier. Aussi ne faut-il pas prendre à la lettre les légendes Annona Aug. de Sévère Alexandre et croire qu'en 230/231, date de la plupart de ces émissions, il y eut un problème particulier dans le service de l'annone. Le fait que l'empereur ait fait placer la même représentation sous l'invoca tion de la Prouidentia Aug. prouve simplement qu'il s'agissait plutôt d'un problème à venir, d'une menace que l'empereur allait écarter dans les prochains mois ou les années suivantes. D'ail leurs, à plusieurs reprises, les émissions
NA AVG furent faites les mêmes années que celles qui commémoraient les Vota. Ainsi, sous Antonin le Pieux, il y eut coïncidence avec les PRIMI DECENNALES dans les séries de 147/ 148370, avec les VOT SOL DEC II et les VOTA SVSC DEC III en 158/ 159371. Il en fut de même sous le principat de Commode où, en 184, Y An nona Aug. fut célébrée en même temps que les D(ecennales) P(rimi) R(omae) C(onditi)i72. Nous retrouvons des rapports semblables sous le principat de Sévère Alexandre. Ce fut en 230 qu'il commémora ses Vota Decennalia soluta et qu'il célébra ses Vota Vicennalia suscepta. Quelques monnaies, bien datées, nous le mont rent avec précision, avec la Victoire inscrivant VOT X sur un bouclier, ou bien ce même bouc lier placé sur une colonne basse, ou bien enco reVOTIS VIGENNALIBVS dans un branchage de laurier373. Ce renouvellement un peu précipit é374du règne, pour lui donner un nouveau départ, était peut-être dû à ce que l'empereur plaçait le début de la période en juin 221; au moment de son adoption par Élagabal, il aurait reçu, en tant que César, des pouvoirs plus importants que les Césars précédents. Mais il ne faut surtout pas négliger la situation générale de l'empire; dans le cours de l'année 230, arrivèrent à Rome les nouvelles des menaces qui pesaient sur les frontières orientales; elles étaient dues au remplacement des Parthes par les Perses Sassanides qui, après avoir pris le contrôle de la Mésopotamie, faisaient pression sur la Cappadoce et la Syrie. Au printemps 231, Sévère Alexan dre partit pour l'Orient combattre Artaxerxès. À ce moment, furent de nouveau émis des types monétaires se rapportant à la Victoire et à tous les aspects militaires d'une campagne; en
366 Cf. en particulier, RIC, III, p. 33, n° 62 a et b; p. 107, n° 597; p. 113, n° 656; p. 115, n° 675; p. 118, n° 713; p. 144, n° 948; p. 145, n° 964... 367 RIC, IV, 1, p. 184, n° 677, 681 (année 194); p. 98, n° 57 (année 195); p. 100, n° 75 (année 196/197); p. 103, n° 107 et p. 192, n° 748 (année 197/198); p. 106, n° 123 et 124; p. 107, n° 135B (année 199/200); p. lîl, n° 156; p. 193, n° 751, 756 (année 200/201); p. 117, n° 198 (année 205); p. 117, n° 200 (année 206); p. 118, n° 208 (année 207); p. 198, n° 787 a et b (année 209); p. 199, n° 794 a, b, c; 795 a, b (année 210). Un type de Caracalla du vivant de Septime Sévère : p. .234, n° 151 A (années 206-210). 368 Sous Caracalla, en l'année 212: RIC, IV, 1, p. 240,
n° 195. 369 RIC, IV, 2, p. 85, n° 187 à 189; p. 111, n° 518, 519; p. 112, n° 520; p. 114, n° 548 à 550. 370 RIC, III, p. 131, n° 840, 841; p. 132, n° 847. 371 RIC, III, p. 150, n° 1006, 1007. 372 RIC, III, p. 376, n» 95. 373 RIC, IV, 2, p. 87, n° 217; p. 90, n° 260; p. 110, n° 505; p. 111, n° 510; p. 124, n° 666. Cf. H. Mattingly, The Imperiai «Vota», p. 168. 374 Normalement les decennalia sont célébrés au début de la dixième année de règne; ils auraient dû avoir lieu en mars 231. Cf. X. Loriot, A propos des «vota decennalia» de Sévère Alexandre, dans BSFN, XXV, 1970, p. 585-586.
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même temps qu'eux, et y étant normalement associées, furent frappées des émissions qui sont des prospectives pour le temps après la victoire. Proclamer l'annone n'était pas dire que les Per ses avaient arrêté le ravitaillement de Rome, ni même qu'ils le menaçaient directement, ce qui était évidemment faux. Mais c'était affirmer que le départ de l'empereur était un acte fécondant pour les régions où il passerait et que, de ce fait, l'approvisionnement de la Ville en serait encore mieux assuré qu'auparavant; c'était une nécessit é, autant que la Victoire, pour la survie de l'empire. Il pouvait alors passer pour normal de con fondre Annona et Prouidentia, puisque c'était aux dieux, à leur Providence, à celle qu'ils avaient donnée à Sévère Alexandre dans sa lignée dynast ique, qu'il fallait attribuer la prospérité de Rome. La présence à ses côtés, durant cette campagne, de sa mère, une Augusta, fille de dina, ne pouvait que renforcer cet aspect fécondant du voyage pour les régions traversées et, par contrecoup, pour Rome elle-même; c'était le plus important. En outre, ce voyage s'inscrivait dans la perspective d'une nouvelle période décennale heureuse. Le retour de l'empereur, son triomphe en septembre 232, confirmèrent aux yeux de tous les traits charismatiques que possédait Sévère Alexandre. C'est pourquoi, nous devons très certainement comprende de la même façon les émissions de 234 375, toujours en l'honneur de PROVIDENTIA AVG, mais qui, sur les revers, ont vu l'ancre remplacée par une corne d'abondance, alors que les épis de blé et le modius subsistent. C'est certainement encore un type d'annone376. Nous pouvons le rattacher au nouveau départ de Sévère Alexandre, toujours accompagné par l'Augusta Julia Mammaea, pour le limes rhénodanubien menacé par les Alamans qui exerçaient une pression de plus en plus forte d'année en année. La Providence, partie intégrante de la personne de l'empereur, devait permettre
surer sans difficulté, dorénavant et malgré les Barbares, la survie de Rome qui s'exprimait d'abord dans son «pain quotidien». D'ailleurs cette Providence n'était plus munie de l'ancre puisque l'empereur n'avait pas à s'embarquer et à naviguer pour accomplir sa mission militaire au nord de l'empire. Encore une fois, il ne s'agis saitpas d'exprimer la protection sur des voies de ravitaillement puisque le blé annonaire ne venait pas de ces régions. Mais, dans un sens beaucoup plus large et d'une manière plus pro fonde, l'empereur, comme dans tout ce qu'il fai sait, apporterait la prospérité perpétuelle au peuple romain. Il n'est pas impossible que, dans cette derniè re année de principat, nous puissions aller un peu plus loin. En effet, dans les ultimes émis sions monétaires apparaît, pour la première fois du règne, la légende SPES PVBLICA avec la représentation de Spes tenant une fleur et dans une attitude ressemblant à la marche377. Ces séries semblent liées, elles aussi, aux campagnes militaires puisque, sur un as, toujours avec SPES PVBLICA, l'empereur est figuré recevant une statuette de la Victoire de la part d'une figure féminine qui ne peut être que Spes. Or, nous l'avons déjà vu à plusieurs reprises, Spes est souvent utilisée pour signifier l'attente d'un enfant par l'impératrice. D'après nos sources, à ce moment, Sévère Alexandre n'est pas marié; mais nos renseignements sont si peu précis qu'un lien matrimonial établi avant la campagne dans le nord n'est pas impossible. Il expliquerait les monnaies avec Spes, avec la Providence et sa corne d'abondance et une nouvelle série avec la légende FECVNDITAS AVGVSTAE (un enfant et une corne d'abondance) pour Julia Mammaea378. De toutes façons, et comme le cas s'est toujours présenté jusqu'ici, Prouidentia fait partie des cha rismes que l'empereur doit à sa lignée à travers les Augustae et qui le rattachent, lui encore, à Trajan et à son père; même si cette filiation n'était plus officiellement indiquée, elle restait
375 La date est confirmée, en partant d'autres bases, par K. Pink, art cit., 1935. 376 Même représentation sur un denier avec ANNONA AVG, p. 88, n° 230. Il est certainement de la même année.
377 RIC, IV, 2, p. 89, n° 253 à 255; p. 121, n° 648 à 650. Nous trouvons à peu près la même figuration, mais pour INDVLGENTIA AVG, p. 115, n° 557. 378 RIC, IV, 2, p. 98, n° 33,1, 332; p. 124, n° 668.
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PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ
profondément ressentie par tous. Mais son assas sinat par les soldats, le 18 mars 235 379, boulever sa une fois de plus les données. Rien n'était prêt pour sa succession; sa mère avait succombé avec lui; il n'y avait plus de Sévères, donc plus d'Antonins. Une fois de plus, la Prouidentia pouvait sembler appelée à disparaître puisqu'elle n'était plus dans la possibilité de garantir une lignée, maintenant totalement disparue, dans son
379 Hérod., VI, 9, 6; HA, Vit. Sev. Alex., LXI.
voir. Pourtant, elle résista à ce changement, s'adapta et continua à se développer, pour deve nirune des qualités fondamentales de presque tous les empereurs du IIIe siècle qui la procla mèrent dans un nombre infini d'émissions monétaires. Il est vrai qu'elle avait trouvé sa sauvegarde dans son attachement étroit aux idées, impérissables quel que soit le pouvoir existant, de Bonheur et d'Éternité de Rome.
CONCLUSION
Le destin singulier de prouidentia ne s'arrête pas en 235. Mais il est bon de faire étape à un moment marqué par la fin de la dynastie antonino-sévérienne; elle nous permet de jeter un regard synthétique sur le chemin parcouru et de dégager, dans la mesure du possible, les voies d'avenir réservées à la providence dans le domaine qui nous intéresse. Peu à peu, au cours des années, la notion a acquis, dans le cadre restreint, mais fondamental pour la marche du monde, du pouvoir impérial, une place primord ialeet essentielle. Cela ne peut étonner celui qui envisage son rôle dans la pensée grecque d'où elle est issue. Dès l'origine de l'emploi du mot προνοεΐν et de ses dérivés, leur importance est soulignée par le fait que ces mots trouvent leur place dans des domaines qui ressortissent tous à l'essentiel de ce qui caractérise l'homme, dans ses rapports avec ses semblables ou dans sa liaison avec le monde inconnaissable, mais toujours présent, des dieux. Il est vrai qu'il s'agit d'une capacité qui est expression de la raison humaine, c'est-à-dire de ce pouvoir de réflexion, de mémorisation, de compréhension que seul de tous les êtres vivants l'homme possède; elle est en chaque individu la parcelle d'origine divine qui fait l'originalité de la nature humaine dans le monde des vivants. Aussi, en tant qu'attachée intimement à l'es prit, la capacité de προνοεΐν prend une place de choix dans l'ensemble des possibilités que les dieux ont bien voulu laisser aux hommes sur terre. Elle est un des aspects de la faculté de réflexion qui utilise toutes les ressources de l'es prit de l'homme, tout particulièrement sa faculté d'accumuler les faits passés pour les faire servir
au présent. Mais la simple mémoire ne saurait suffire à fabriquer un homme prévoyant; encore faut-il qu'il sache choisir dans ses connaissances celles qui sont le mieux adaptées aux situations du moment, de façon à ce que son action imméd iate ait sa pleine efficacité. Potentiellement, tout individu possède le pouvoir de προνοεΐν, mais dans la réalité les obstacles sont nombreux, ceux de l'âge, ceux des passions surtout qui réprésentent l'empêchement majeur. Peu d'hom messont, en vérité, capables de l'employer de façon permanente et positive. C'est pourquoi il est logique de le voir réservé à certaines catégor ies d'hommes qui, de ce fait, doivent être les chefs ou les dirigeants, qu'ils soient civils ou militaires, ou les deux à la fois. Pour agir sur et dans le monde, il faut que le dirigeant exerce sa πρόνοια. Grâce à elle, il est sûr de respecter les lois et de les appliquer au mieux des intérêts de la collectivité tout en ne portant pas atteinte aux droits de chacun. C'est le cas du magistrat, du roi, du général, s'ils veulent être certains de remporter les succès escomptés. Mais cette faculté possède un caractère origi nalqui la distingue de toutes les autres, et qui est le véritable fondement de son importance. Elle utilise les connaissances acquises non seule ment pour le présent, mais surtout pour prépa rer l'avenir. C'est là son originalité la plus pro fonde, celle qui ne pouvait que lui donner une place à part, et de premier plan, dans les facultés humaines. Par elle, et sans sortir du domaine d'activité des hommes, chacun peut envisager et prévoir ce qui va se passer; il peut s'y préparer et y préparer les autres. De ce fait, il était logi que que la philosophie s'en emparât pour faire
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CONCLUSION
des sages les possesseurs les plus parfaits de la faculté de προνοεΐν. C'est pourquoi les stoïciens en ont fait la notion suprême, la notion clé de leur système. Le sage est le collaborateur de la divinité en ce sens que son seul but est de rechercher et de suivre les plans divins établis de toute éternité pour le monde des hommes. Par l'usage de leur πρόνοια, ils le peuvent. Mais chacun garde, à cet égard, sa totale liberté, car la providence ne peut se confondre avec le hasard ou avec un quelconque fatalisme; il est possible de refuser, aussi bien que de suivre, les lois divines. Il était aussi logique, dans ce cadre, de lier à la providence tous les moyens possibles de connaître l'avenir; l'astrologie se trouva être rapidement le plus important d'entre eux. Bien des nuances, suivant les hommes et les époques, ont été apportées à la prise de cons cience de l'existence et du rôle de πρόνοια. Il n'en reste pas moins que quand Rome entre en contact avec la Grèce, cette notion possède un contenu, un poids qui lui donnent une place eminente dans les facultés humaines. Mais il était réservé à Rome de lui donner son rôle le plus éclatant. L'étape décisive est franchie par Cicéron qui agit en filtre épurateur et fixateur. En donnant au mot prouidentia droit de cité dans la langue latine, il en a définitivement fixé les limites dans une parfaite adaptation à l'esprit romain. Dans la ligne de ses prédécesseurs, il fait de prolùdere une des qualités essentielles de l'homme, une partie fondamentale de sa faculté de réflexion. Elle doit être surtout celle du diri geant, officiel ou simplement moral, de la cité, celui à qui on demande conseil et qui oriente la marche de ses concitoyens pour le bien de tous. C'est un des aspects, peut-être le plus important, de la uirtus qui assure la continuité de la cité en s'appuyant sur les apports positifs du passé. Elle est garante de Yauctoritas de certains individus qui sont ainsi réellement libres de leur action réfléchie. Désormais étroitement associée à l'homme vertueux dans son action, surtout poli tique, prouidentia exprime le plus parfaitement possible l'idéal d'une cité régie par la vertu dans le temps présent et% pour le bonheur futur de tous, en accord complet et intime avec la volont é divine. Autour de prouidentia, Cicéron avait dessiné le profil de celui qui devait être capable de diriger la cité. Auguste en joua le rôle, mais il le
fit dans des cadres précis et personnels qui, tout en n'évitant pas les influences de son temps, cicéroniennes en particulier, laissèrent de côté prouidentia. Il le fit sans doute de façon volontair e, préférant s'appuyer sur d'autres notions plus personnelles et qui lui semblèrent plus adaptées à ce qu'avait été sa carrière avant son succès final, Victoria, Pax, Félicitas. Ces dernières pro clamèrent suffisamment ses mérites et les effets de la protection divine qu'il devait à son action et à ses origines. Cette mise à l'écart allait avoir des effets singulièrement bénéfiques pour proui dentia. Elle lui évita la banalisation extrême qui toucha rapidement Pax et Victoria, désormais systématiquement utilisées tout au cours du déroulement du principat, dans des cadres et à propos d'événements de moins en moins précis et de moins en moins significatifs. Et pourtant, une telle qualité ne pouvait manquer, un jour ou l'autre, d'être de nouveau attribuée à la person ne du princeps. Tibère remit en honneur la pro vidence, et à une place qu'elle ne devait plus jamais quitter. Il la déposa au cœur même de la conception du pouvoir impérial. Pour cela, il lui fallait un événement essentiel qui permît d'affirmer que l'empereur, grâce à sa prouidentia, pourvoyait à tout, particulièrement à l'essentiel qui était d'organiser et de préserver l'avenir de Rome. Cette sauvegarde passait nécessairement par le maintien au pouvoir d'une famille désignée et protégée par les dieux, celle d'Auguste dans un premier temps. C'est pour quoi Tibère a ordonné de répandre la nouvelle de l'intervention de sa providence et lui a fait construire un autel à la suite du «complot» de Séjan; en effet, ce dernier semblait avoir eu comme but de faire disparaître tous les memb res de la domus augusta, particulièrement ceux susceptibles de succéder à Tibère. En procla mantsa providence, qui n'était que l'expression de celle des dieux, l'empereur montrait qu'il était le seul lien entre le passé et l'avenir, entre les décisions d'Auguste concernant sa succession et son propre successeur qui ne pouvait être pris que dans la domus augusta. Seul il savait ce que les dieux avaient réservé à Rome et son succès sur les menées de Séjan était le signe de l'accord des dieux avec son action. Prouidentia, avec tou te la richesse que Cicéron lui avait donnée, devient alors la notion qui confirme le prince dans son action. Mais il ne s'agit jamais d'affir-
CONCLUSION mer seulement une quelconque idée directrice de la politique impériale, ou bien une qualité générale de l'empereur. Elle n'intervient que pour marquer la protection divine existant, par l'intermédiaire du prince, sur le pouvoir impér ialdans sa continuité. Cela ne peut se produire que dans des cas particuliers et surtout lors de complots qui ont pour base une recherche astro logique. En effet, nous l'avons dit, l'astrologie, en tant que moyen de connaître l'avenir, était un complément naturel de la prouidentia. Seule la providence de l'empereur pouvait être capable de surmonter un obstacle né de la lecture des astres. C'est pourquoi nous voyons apparaître plusieurs fois après le règne de Tibère prouident ia à la suite de complots dont quelques-uns possèdent des fondements astrologiques cer tains : sous Néron (Rubellius Plautus, Agrippine), sous Commode (Lucilia, Crispine peut-être), sous Septime Sévère et Caracalla (Apronianus), sous Sévère Alexandre enfin (Ulpien). Les autres utilisations de prouidentia que nous avons trouvées au cours de deux premiers siècles du principat ne démentent en rien le point de départ tibérien. Il s'agit toujours d'év énements particuliers mettant en jeu la continuité du pouvoir impérial. Proclamer sa providence semble à certains empereurs un excellent moyen d'affirmer et de rendre plus solide et moins discutable le choix de leur successeur. Cette proclamation permettait de précéder toute opposition et de la désarmer (ou de croire l'avoir désarmée). Le premier à appliquer la notion dans ce domaine fut Galba avec le choix de Pison; il fut suivi par Hadrien dans ses diffé rents choix de 136 et 138. Il est à remarquer que l'astrologie ne fut pas absente, dans ces moments, des décisions prises. Le trait est enco re plus marquant quand il s'agit de la succession assurée à ses propres enfants, comme sous Marc Aurèle et Lucius Verus ou sous le règne de Septime Sévère. Dans ce contexte, il doit nous apparaître comme normal que l'empereur, par l'intermé diaire de prouidentia, proclame sa propre légit imité au pouvoir. Chacun ne le fait, une fois de plus, que dans des moments choisis et significat ifs. Au tout début du règne, ce pouvait être un moyen de faire comprendre à tous que le pou voir de l'empereur ne pouvait être l'objet de discussions (Trajan, Pertinax, Macrin, . . .). Mais
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une telle proclamation peut tout aussi bien se placer à un moment décisif du règne, quand l'empereur a besoin de réaffirmer aux yeux de tous que son action est protégée par les dieux et que tout se déroule pour le plus grand bien de la cité (ainsi Commode ou Sévère Alexandre). C'est dans ce cadre qu'en deux étapes décisi ves a été mis en évidence le fait que la légitimité qui était proclamée pour l'empereur touchait aussi l'ensemble de la famille impériale. Dès l'action entreprise par Tibère à la suite de la conjuration de Séjan, une telle conception était sous-entendue. Mais avec l'arrivée au pouvoir de Vespasien, et sous les complexes influences orientales, grecques et juives, prouidentia devient la créatrice d'une domus augusta nouvelle dans laquelle le pouvoir ne peut se transmettre qu'hé réditairement. La légitimité ne peut plus se pla cer que dans l'hérédité. Mais, sous les Flaviens, elle était réduite, par sa conception de départ, au seul Vespasien et à ses deux fils. Trajan, peut-être sous l'influence de Pline et de Dion de Pruse, sans doute aussi sous celle de Piotine, lui donna une plus large extension. En divinisant son père par le sang, il créa une lignée impériale qui, de diuus en empereur, devait conduire Rome sur la route du bonheur et de la prospérit é. C'est sur quoi Hadrien mit le premier l'accent en ne se contentant plus de proclamer la proui dentia de l'empereur régnant, mais en faisant appel, directement, à la Prouidentia Deorum. La famille impériale est la protégée des dieux et de tous les diui. Pendant longtemps, les empereurs n'ayant pas eu de fils, le sang des Ulpii passa par les femmes qui le transmirent et dont le rôle fut aussi important durant leur vie qu'après leur mort, en tant que diuae. Elles étaient les garant es du choix des dieux. La confirmation la plus éclatante en fut donnée par la naissance de Commode et son arrivée au pouvoir; il s'agissait d'un point de perfection dans l'action de la pro vidence. Dans ces conditions, il ne pouvait y avoir de fin pour cette dynastie; Septime Sévère l'avait compris et il se plaça dans la lignée antonine pour bénéficier de la protection des diui. C'était le meilleur, sinon le seul moyen d'assurer de façon décisive son pouvoir dans le présent et pour l'avenir. Mais Hadrien avait fait franchir un pas sup plémentaire à prouidentia en la liant à Rome et à son éternité. La limite de vision et d'action de la
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CONCLUSION
prouidentia n'est pas à mesure humaine. Dans une innovation hardie, Claude avait tenté de la lier à la Félicité d'un nouveau siècle. Mal comp ris et rejeté par tous dans la dérision, il fallut attendre Trajan, puis Hadrien (avec la proclamat ion d'un nouveau saeculum aureum), pour que soit affirmé, à travers la prouidentia de l'empe reur,l'heureux renouvellement des temps, une véritable renouatio. La présence physique de l'empereur et des membres de sa famille ne pouvait partout qu'apporter fécondité, richesse et joie. Tous étaient chargés d'assurer à Rome son éternité heureuse. Le lien étroit, désormais placé sous l'égide de prouidentia, qui unissait la dynastie et l'avenir de Rome ne devait plus être abandonné jusqu'à la fin de la lignée antoninosévérienne, que ce fût à travers l'assurance d'un ravitaillement régulier de Wrbs et de l'Italie ou par l'intermédiaire de promesses de paix et de félicité périodiquement réaffirmées. De Cicéron à Sévère Alexandre le chemin parcouru n'est pas aussi important qu'il peut paraître. La réalité profonde est la parfaite homogénéité présentée par l'utilisation de proui dentia au cours de ces deux siècles et demi. Cette homogénéité est due au fait que, lorsque prouidentia est employée officiellement pour la première fois par Tibère, son contenu et ses limites sont parfaitement fixés et connus grâce à Cicéron. La notion est immédiatement placée au cœur du pouvoir impérial en tant qu'issue de la volonté des dieux et destinée à une famille chois ie, charismatique. Elle ne peut plus désormais s'en séparer et par elle nous pouvons juger comb ien, au cours des deux premiers siècles du principat, la conception profonde du pouvoir est restée la même, quels que soient les événements ou les caractères particuliers de chacun des empereurs. Prouidentia peut prétendre à la place eminente de fil conducteur dans l'élaboration et le développement du principat comme forme de pouvoir. Elle en est l'élément peut-être le plus stable, en tout cas le plus significatif1.
Il n'en reste pas moins assez étonnant de constater combien les écrivains sont restés en retrait sur cette expression de la foi dans l'avenir de Rome rattachée à une dynastie choisie par les dieux. Nous avons vu qu'au Ier siècle, après le règne d'Auguste, la littérature emploie assez sou vent le mot prouidentia ou l'ensemble des déri vés de prouidere; mais elle est loin de le faire dans l'optique qui est celle des empereurs et qui est exprimée prioritairement sur les monnaies. Il n'est pas jusqu'à Sénèque chez qui nous ne pou vons trouver qu'utilisation banale et commune de prouidentia. En vérité, la rencontre s'est seul ement produite quand Pline le Jeune et Dion Chrysostome ont abordé directement le problè me du pouvoir impérial; prouidentia et πρόνοια y ont immédiatement retrouvé place comme garantes de la réussite du régime dans la réalisa tion de la mission pour laquelle l'empereur avait été désigné2. Ils ont peut-être même été, sciem ment ou inconsciemment, les initiateurs de l'ut ilisation que Trajan a faite de prouidentia à partir de 114-115 et qui oriente définitivement l'emploi de la notion. Cela n'empêche pas certains d'être peu sensi bles à cette affirmation d'un pouvoir issu des dieux et peut-être de le refuser volontairement. C'est sans doute le cas de Tacite qui, résigné qu'il est à l'empire, demeure, de son plein gré, étranger aux grands thèmes de la propagande impériale officielle3. Il est vrai qu'à côté d'un emploi courant de prolùdere, Tacite n'utilise le mot prouidentia qu'à trois reprises4. Dans deux des trois cas, il ne s'agit pas de rapport direct avec le pouvoir impérial et sa conception; le mot est alors employé dans le cadre militaire habi tuel dont nous connaissons bien d'autres exemp les, ici pour Civilis et ses Barbares et pour les légions d'Othon5. Le troisième emploi nous reporte à cet épisode que nous avons tenté d'ex pliquer : l'éloge funèbre de Claude prononcé par Néron6. Cependant, il a été démontré que Tacite s'en prenait surtout à une providence trop
1 C'est le sens global que nous pouvons retrouver dans les traités sur la royauté attribués par certains au IIe siècle. Cf. L. Delatte, Les traités de la Royauté d'Ecphante, Diotogène et de Sthénidas, Liège-Paris, 1942, p. 151-152. 2 Cf. M. Amit, Propagande de succès et d'euphorie dans
l'Empire Romain, dans Jura, XVI, 1965, p. 54. 3 R. Syme, dans REA, LXII, 1960, p. 140. 4 A. Gerber-Α. Greef, Lexicon Taciteum, Leipzig, 1877. 5 Hist., IV, 29, A; II, 19, 3. 6 Ann., XIII, 3, 1.
CONCLUSION
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humaine, mais qu'il acceptait le dogme de la protection de Rome par les dieux7. Il acceptait l'action de la Providence dans le monde des hommes puisque les dieux envoyaient des signes aux hommes. D'ailleurs, sans accepter l'idée que tout empereur était désigné par la Providence des dieux et possédait sa propre providence, Tacite admettait la «prédestination» de Vespas ienà l'empire8. Il était donc sans doute moins éloigné qu'on a pu le penser de cette prouidentia attachée au souverain régnant. L'aspect dynasti que qui lui était lié devait certainement lui répu gner beaucoup plus. Il est vrai que les historiens doivent montrer une certaine prudence dans l'emploi de proui dentia. Il pouvait être difficile d'attribuer aux principes du passé une qualité de caractère divin qui était devenue une des composantes essent ielles du pouvoir impérial des premiers Antonins, puis de leurs successeurs et des Sévères eux-mêmes. C'est pourquoi sans doute, et sans que ce soit la seule raison, nous ne trouvons jamais le mot dans les œuvres de Suétone qui se contente d'employer proludere et ses dérivés quelques rares fois et dans un sens et avec un contenu banaux9. Il ne pouvait en être de même avec ceux qui traitaient de problèmes qui ne se rattachaient pas directement à l'histoire de Rome ou de ses empereurs. Un écrivain comme Plutarque pouv ait aborder ces questions sans difficulté ni rét icences dans ses œuvres morales. Nous savons combien ses contacts avec Rome ont été nom breux et étroits; il en a eus dès sa jeunesse, en Grèce même, avec les autorités romaines d'alors et il était peut-être présent lors du discours de
Néron à Corinthe donnant la liberté aux Grecs10. Il fit deux séjours à Rome, sous Vespasien et à la fin du règne de Domitien, et s'il «aime les Grecs », il « admire les Romains » et leur éclatant e réussite, même s'il conserve un grand esprit critique à l'égard de certains empereurs. Mais, avec Nerva, Plutarque trouve «un empereur selon son cœur»11; puis Trajan le comble de faveurs qu'il accepte et Plutarque lui dédie ses Regnum et Imperatorum Apophthegmata. Mais c'est avec Hadrien, le philhellène, qu'il a certa inement les relations les meilleures : « et surtout j'applaudis celui qui a été notre guide dans la conduite de ces affaires et qui lui-même en médite et en prépare presque tous les détails»12. Il n'est pas exclu qu'à cette même époque du début de la dynastie antonine Plutarque ait eu des contacts avec Dion Chrysostome13. Ces cont acts, cette ambiance, cette admiration, ne pou vaient pas ne pas avoir une influence plus ou moins continue sur l'œuvre de Plutarque et sur les conceptions de la vie et de l'organisation du monde qu'il y expose. Comme il a été remarqué, «son attention reste fixée sur le présent» dont on sent l'existence et le poids dans chacun de ses ouvrages14. Sa conviction, maintes fois affi rmée, est que Dieu, qui est le créateur du monde, le gouverne15. Il possède une providence et on peut l'appeler Providence16; la divinité se définit essentiellement chez lui comme Providence17. Certains peuples, certains hommes sont issus plus particulièrement de cette Providence et la possèdent eux-mêmes; c'est le cas des Grecs18 et de Rome dont il faut chercher principe d'exis tence et de durée dans la Providence19. À l'inté rieur de ces peuples, bien des hommes peuvent
7 P. Grenade, Le pseudo-épicurisme de Tacite, dans REA, LV, 1953, p. 40. 8 Hist., I, 10, 7; II, 78; Agr., XIII; Ann., XVI, 5, 3. 9 Cf. par exemple, Aug., XXVIII, 6; XLII, 1; Dom., XIV, 7; XV, 9 ... 10 F. E. Brenk, In Mist Apparelled. Religious themes in Plutarch's «Moralia» and Lives, Leiden, 1977, p. 70, n. 5. 11 R. Flacelière, Trajan, Delphes et Plutarque, dans Recueil Plassart, Paris, 1976, p. 99. 12 De Pyth. orac, 409 B-C. R. Flacelière, Rome et ses emper eurs vus par Plutarque, dans Ant. Class., XXXII, 1963, p. 4446. 13 C. P. Jones, Plutarch and Rome, Oxford, 1971, p. 34-35. 14 R. Flacelière, art cit., p. 28.
15 De trib. r. p. gêner., 826 C-Ε; De St. repug., 1050 B. 16 De Is. et Osir., 377 E; De tat. viv., 1129 B. 17 D. Babut, Plutarque et le stoïcisme, Paris, 1969, p. 474 (à propos de De def. orac, 420 B qui contient une violente attaque contre les Épicuriens) et p. 143 (une providence unique peut gouverner une pluralité de mondes). 18 De and. poet., 29 E. Il ne faut pas interpréter ce passage de façon trop absolue, comme le fait D. Babut, op. cit., p. 356, en tant qu'expression d'un nationalisme hellénique; ici les Grecs s'opposent aux Barbares,. « sans valeur morale»; mais, vis-à-vis de ces derniers, les Romains ne peuvent se retrou ver que dans la même position que les Grecs. 19 Cf. R. Flacelière, De Fortuna Romanorum, Plutarque, dans Mèi. J. Carcopino, Paris, 1966, p. 367.
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CONCLUSION
posséder cette faculté essentielle, expression de la raison20; elle est forcément l'apanage du sou verain21. Elle doit se traduire par la bienfaisance, car l'homme d'État doit trouver «son refuge et sa force dans la "philanthropie"»22. Deux passa gessont tout particulièrement éclairants sur cet aspect de la bienfaisance de la Providence23. La puissance divine est à l'origine de tout bien et de tout ce qui est utile à l'homme; elle ne peut être indifférente sans se nier elle-même24. Partout, Plutarque défend l'idée d'une providence bien faisante, particulièrement contre ceux qui veu lent la confondre avec tychè25. Il n'y a rien là de véritablement original, mais de telles affirma tionsne pouvaient pas, à cette époque, ne pas faire penser à l'utilisation de prouidentia dans la conception du pouvoir impérial26. D'ailleurs, il a été remarqué depuis long temps que c'est au second siècle que «la foi en une Providence divine prend une forme défi nie»27, parce qu'on s'intéresse avant tout aux rapports entre la divinité et l'homme, comme Aelius Aristide ou Apulée. Il est aisé de retrouver chez l'un et chez l'autre les mêmes tendances que dans l'œuvre de Plutarque : cette providence divine créatrice du monde et des hommes28 qui lui doivent tout dans leur vie propre et dans leur environnement29. Elle trahit son existence par son intervention continuelle et bienveillante dans l'univers et son mérite se mesure aux bienf aits que les hommes ont reçus d'elle30. Elle assure la vie de chacun dans le présent, dans le moment31 et elle apporte un secours
ble à l'individu faible et peureux qui attend d'elle sa sauvegarde et son salut32. Elle est l'e xpression de la justice immanente33 et elle peut renverser tous les obstacles34 provoquant, par son action, un climat de béatitude et de félicité35 qui doit se perpétuer à jamais car elle organise l'avenir heureux36. Cette providence divine, si positive dans ses actes, peut exister dans l'homme; elle doit même être recherchée par lui : «... la providence et les autres vertus que nous recherchons à la fois pour elles-mêmes, en tant qu'éminentes et belles par elles-mêmes, et pour autre chose, à savoir le bonheur/ qui est le fruit le plus souhaitable des vertus »37. Le but premier est alors de faire ser vir sa providence au bien de la cité38; aussi est-il logique que ce soit une qualité qu'Aelius Aristide accorde à Rome : «Vous rendez libres et autono mescelles d'entre elles (les cités grecques) qui étaient les plus nobles et les chefs de jadis, et vous guidez les autres avec modération, considé rationet providence»39. Aelius Aristide ne pouv ait pas ne pas penser à l'empereur en pronon çant ces paroles; pour lui la perfection de l'empi re romain dans son immensité est due à une providence qui ne peut être, en-deçà de celle des dieux, que celle de l'empereur si connue par ses expressions monétaires. Il est donc certain que le rôle capital et croissant que prouidentia joue dans l'expression et la conception du pouvoir impérial trouve, au IIe siècle, un répondant de poids dans la place de la Providence dans la pensée religieuse de
20 Les exemples sont très nombreux : De and. poet., 27 D (Ulysse); 31 Α-B (Achille) ... Il en est de même dans les Vies (Antoine: 917 Β = 111, 8; Eumène: 585 D = V, 4; Marius : 409 Β = VII, 3...). 21 De tr. r. p. gêner., 826 C-E. 22 Th. Reno irte, Les «Conseils Politiques» de Plutarque, Louvain, 1951, p. 130-131. 23 De def. orac, 420 B; De comm. not., 1075 E. 24 D. Babut, op. cit., p. 474-475; J. Beaujeu, La religion de Plutarque, dans Inf. Lit., janv.-fév. 1960, p. 18; B. Latzarus, Les idées religieuses de Plutarque, Paris, 1920, p. 93. 25 F. E. Brenk, op. cit., p. 155-156; D. Babut, op. cit., p. 311. 26 La vraie gloire du prince est sa vertu politique et sa justice absolue (cf. De laude ipsius, 543 D-Ε). Cf. K. Scott, Plutarch and the Ruler Cult, dans ΊΡ ΑΡΑ, LX, 1929, p. 130. 27 M. Caster, Lucien et la pensée religieuse de son temps, Paris, 1937, p. 123. 28 Ael. Arist., XLIII, 7-10; Apul., Apol., XXVII, 2; XXXIX, 1;
De Plat, et eins dog., I, 12-13; De Mundo, XXIV, 19; Met., XI, 1, 2... 29 Cf. A. Boulanger, Aelius Aristide et la sophistique dans la province d'Asie au IIe siècle de notre ère, Paris, 1923, p. 187. 30 C'est le cas de la « philanthropie » d'Asclépios et de Sérapis dans les œuvres d'Aelius Aristide. A. Boulanger, op. cit., p. 188. 31 Apul., Met., III, 7, 2; VI, 29, 2; XI, 12, 1 ... 32 Apul., Met., VI, 15, 1; VIII, 28, 1; VIII, 31, 3 ... 33 Apul., Met., III, 3, 3; III, 3, 8 ... 34 C'est le cas de la providence d'Isis : Apul., Met., XI, 12, 1 ; XI, 15, 4; XI, 21,7... 35 Apul, Met., V, 3, 1 ; XI, 21, 7. 36 Apul., Met., II, 5, 2. 37 Apul., De Plat, et eins dog., IL 10. Cf. Apol, LXXXIV, 6; Flor., VII, 4 (Alexandre) et XIV, 5. 38 Apul., De Plat, et eius dog., II, 8. 39 Ael. Arist, Éloge de Rome, XXVI, 96. Cf. 36.
CONCLUSION cette époque. Si nous pouvons croire que les penseurs et les écrivains ont eu une certaine influence en ce domaine, ne faudrait-il pas cependant renverser les termes? Ne serait-il pas possible de penser aussi à des auteurs qui auraient infléchi et simplifié leurs conceptions de la direction du monde à la vue et à la com préhension de ce qu'était le pouvoir impérial romain? Ainsi s'expliquerait plus aisément que désormais, en particulier chez Aelius Aristide, la Providence suive de près les affaires humaines et les événements particuliers, qu'elle soit acces sible et pitoyable, précise et minutieuse40. C'est pourquoi il ne faut pas critiquer le second siècle comme atteint «d'insuffisance métaphysique» et trop tenté par le côté matériel de la vie quoti dienne41. L'importance donnée à la Providence dans la conception d'un pouvoir impérial créa teur de la Félicité pour l'éternité de Rome ne pouvait que pousser chacun à placer la foi en la Providence au centre de sa pensée et de sa vie. L'attitude des empereurs envers la Providence a autant influencé les sophistes que les sophistes ont apporté leur pierre à la construction de la conception du pouvoir. Il serait possible de trou ver ces mêmes tendances chez bien d'autres auteurs, tels Élien ou Tertullien42 et l'existence d'un Lucien, qui a pris la peine d'écrire un Zeus refuté contre la Providence, ne saurait éliminer le fait que le principal du sentiment religieux du second siècle trouve sa place autour d'elle. C'est pourquoi il n'est pas étonnant que prouidentia ait continué à être utilisée au IIIe siècle dans les mêmes cadres que nous avons fixés plus haut. Si la notion n'avait été liée qu'à une conception dynastique du pouvoir impérial, il lui aurait été difficile de survivre à la fin de la dynastie antonino-sévérienne. Mais elle était
40 A. Boulanger, op. cit., p. 195. M. Caster, op. cit., p. 126. 41 Ces critiques sont reprises maintes fois dans les deux ouvrages cités à la note précédente. 42 Cf. G. Claessen, Index Tertullianus, Paris, 1975. Prolùdere et tous ses dérivés apparaissent à 67 reprises dans son œuvre. Mais leur emploi demanderait une étude particulière qui ne devrait cependant pas éviter de prendre en compte le moment et sa mentalité dominante. 43 Cf. R. Mac Mullen, Roman Government's Response to Crisis, AD 235-337, Londres, 1976, p. 39 et p. 26-27.
427
trop ancrée dans les mentalités pour disparaître d'un coup comme n'importe quelle autre «ver tu»qui aurait été trop personnalisée. En outre, les différentes facettes dont était munie la Provi dence dans ses emplois officiels lui permirent de survivre. En effet, si elle pouvait être associée à une succession familiale garante de la prospérité future de l'empire, nous ne pouvons oublier que, depuis Hadrien, Prouidentia et Roma Aeterna sont intimement unies. S'il n'y a plus de dynastie stable malgré les efforts faits en ce sens par tous les empereurs, Rome doit subsister éternelle ment;ils s'attachent à affirmer leur dévotion envers Roma Aeterna et leur croyance dans un nouvel âge d'or qui est tout aussi répandue dans les séries monétaires et les inscriptions (particu lièrement pour Probus, les tétrarques et Const antin)43. C'est par cette «osmose» entre l'emper eur,l'âge d'or et la religion de YUrbs44 que Prouidentia est sauvée. Étant donné la précarité générale de la situa tion, nous pouvons même constater que jamais la Providence n'a connu une telle débauche d'ex pressions, monétaires en particulier. Sans voul oir entrer dans le détail, nous devons simple mentnoter que presque tous les empereurs et tous les usurpateurs, ou considérés comme tels, ont fait frapper des monnaies à la légende PROVIDENTIA (ou AVG ou DEOR comme précédemm ent). Jusqu'au règne de Gallien, les représentat ions des revers ne diffèrent pas essentiellement des plus courantes des règnes précédents : la Providence debout tenant une baguette et une corne d'abondance ou un sceptre avec un globe à ses pieds45. Tacite reproduit la transmission du globe de Jupiter à l'empereur et Victorinus la tête de Méduse46. Les représentations nouvelles sont assez rares : Mercure sous Gallien et Auré-
44 Cf. J. Gagé, Le «Templum Urbis» et les origines de l'idée de «Renovatio», dans Mél. F. Cumont, Paris, 1936, p. 183. 45 II est inutile ici de donner les références à RIC; elles sont très nombreuses et permettent de voir que ce style de représentation est surtout abondant sous les règnes de Gailien, de Probus, de Carausius et Allectus, et au début de la tetrarchie. 46 Tacite: RIC, V, 1, p. 331, n° 54 et p. 348, n°212 (anioniniani). Victorinus: RIC, V, 2, p. 395, n°99 (aureus de Colo gne).
428
CONCLUSION
lien47 qui lia aussi Vénus à Prouidentia48 et qui créa un nouveau type utilisé par la suite par Tacite, Florianus et Probus, celui de Sol faisant face à la Providence49. Mais le trait le plus neuf et le plus marquant dans le traitement de Proui dentia se trouve à la fin du IIIe siècle par l'appa rition de symboles purement militaires : déjà des enseignes avec Sol sur les monnaies citées cidessus, un trophée et deux enseignes avec Carausius50, mais surtout la représentation de la façade d'un camp militaire qui devient, sous des formes diverses, le type presque exclusif de Prouidentia51 avec une légende nouvelle sous la tetrarchie, PROVIDENTIA DEORVM QVIES AVGG (elle n'est valable que pour les Augustes).
Le camp militaire et la Prouidentia restent liés l'un à l'autre jusqu'à la fin du règne de Constant in. Il n'est pas question ici de chercher le sens de toutes ces frappes et dans quel contexte évé nementiel elles apparaissent52. Nous nous con tenterons de dire que de tels emplois doivent être envisagés dans le sens de Prouidentia défini tout au long de notre travail; cette efflorescence de la Providence au IIIe siècle et au début du IVe siècle n'a pu prendre son plein essor qu'en fonc tion de l'existence de conditions rendant son emploi utile pour les empereurs. Elle était deve nue la seule garante de la stabilité toujours recherchée du pouvoir impérial et de l'éternité heureuse de Rome sous la protection divine.
"Gallien: RIC, V, 1, p. 188, n° 653. Aurélien: RIC, V, 1, p. 303, n° 396. **RIC, V, 1, p. 302, n» 335. 49 Aurélien : RIC, V, 1, p. 281, n° 152, 153 ... Tacite : RIC, V, 1, p. 331, n° 52, 53 ... Florianus : RIC, V, 1, p. 359, n° 110 à 113. Probus : RIC, V, 2, p. 1 10, n° 844 à 850. 50 RIC, V, 2, p. 505, n° 497; p. 539, n° 949; p. 546, n° 1066. 51 Dès 294 avec la représentation des tétrarques sacrifiant devant la porte d'un camp: RIC, VI, p. 351, n° 10a; p. 353,
n°30a... 52 Quelques aperçus sont contenus dans M. R. Alföldi, «Providentiel Augusti» to the question of limes Fortifications in the 4th Century, dans Act. Ant. Acad Se. Hung., Ill, 1955, p. 245-259. Sur les rapports de la tetrarchie et de l'Éternité de Rome, cf. W. Seston, Dioclétien et la tetrarchie, Paris, 1946, p. 219220.
TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES TYPES ET LÉGENDES MONÉTAIRES «PROVIDENTIA»
TABLEAU CHRONOLOGIQUE RÈGNE
DE
431
TIBÈRE
TIBÈRE Légende du revers 1
2 3
PROVIDENT SC
Représentation du revers
Occasion d'émission
Date d'émission Métal et atelier
Références
juin 32
As (Rome) C. M. Kraay, Die Münzfunde von Vindonissa, n° 4238 à 4244. p. 105,
juin 32 juin 32
As, dupon- A. Vives y Escudero, dius (Italica) La Moneda Hispanica, p. 127, n° 9 et 10. As (Emerita) Id., ibid., p. 59, n° 74 Semis (Emer et 78. O. Gil-Farres, La cecà ita) de la colonia Au gusta n° 155. Emerita, p. 237,
juin 32
As (Rome)
(même occasion)
juin 32
As (Rome)
(même ocassion)
juin 32
Enceinte d'autel, rec tangulaire. Porte à deux battants sur la façade.
À la suite de la con juration de Séjan, inauguration d'un autel à la Providence Auguste. PERM DIVI AVG (même représentat (même occasion) MVNIC ITALIC ion) PROVIDE/NTIAE / AVGVSTI PERM / AVG (même représentat (même occasion) PROVIDENT ion)
MARCUS AGRIPPA 4
PROVIDEN
(même représentat ion)
(même occasion)
RIC, I, p. 108, n° 34.
DIVUS AUGUSTUS PATER PROVIDENT PERM / AVG PROVIDENT
(même représentat ion) (même représentat ion)
RIC, I, p. 95, n° 6. Infra, pi. I. As (Emerita) A. Vives y Escudero, op. cit., p. 58, n° 39, 46 à 49, 58, 61, 64.
RÈGNE DE CLAUDE PROVIDENT SC
Enceinte d'autel, rec tangulaire. Porte à deux battants sur la façade.
(surfrappes)
As (Rome)
M. Grant, Roman Anniversary Issues, p. 77 et pi. II, n° 11.
REGNE DE NERON 8 ΠΡΟΝ ΝΕΟΥ ΣΕΒΑΣΤΟΥ 9 ΠΡΟΝ ΝΕΟΥ ΣΕΒΑΣΤΟΥ 10 ΠΡΟΝ ΝΕΟΥ ΣΕΒΑΣΤΟΥ 11 ΠΡΟΝ ΝΕΟΥ ΣΕΒΑΣΤΟΥ
L'empereur, assis à gauche, radié, por tant chiton et himation, tenant un globe et un sceptre. (même représentat ion). (même représentat ion). (même représentat ion).
Complot de Rubellius Plautus. Protec tionastrologique du prince.
56/57
Tétradrachme J. G. Milne, Cat. of (Alexandrie) n° Alexandrian 145 et 146. Coins,
(même occasion)
57/58
idem
Id., ibid., n° 166.
(même occasion)
58/59
idem
« Complot » d'Agrip pine.
59/60
idem
Id., ibid., n° 181, 182, 194, 195. Id., ibid., n° 205, 206.
432
TABLEAU CHRONOLOGIQUE RÈGNE DE GALBA Légende du revers
12
PRO VIDENT SC
Représentation du revers
Occasion d'émission
Enceinte d'autel. Adoption de Pison Porte à deux battants sur la façade.
Date d'émission Métal et atelier 69 (à partir As (Lyon) du 10 janvier)
Références R/C,I,p.216,n°164. Infra, pi. I.
RÈGNE DE VITELLIUS 13 PROVIDENT SC
Enceinte d'autel. Affirmation de la 69(18juillet- As (Rome) Porte à deux battants légitimité de son 20 décemb sur la façade. pouvoir. re).
RIC, I, p. 228, n° 24. Infra, pi. I.
RÈGNE DE VESPASIEN VESPASIEN 14 PROVIDENT SC 15 PROVIDENT SC 16 PROVIDENT SC 17 PROVIDENT SC 18 PROVIDENT SC
71 Enceinte d'autel. Affirmation de la Porte à deux battants légitimité d'un pou voir à caractère re sur la façade. ligieux et dynastique. (même représentat (même occasion) 72 ion). (même représentat (même occasion) 1er juillet). 73 (après le ion). (même représentat (même occasion) 77-78 ion). (même représentat (même occasion) 79 ion).
As (Rome, RIC, II, p. 74, n° 494. Lyon, Tarra- Infra, pi. I. ■ gone). As (Lyon)
K/C,II,p.lO2,n°746.
As (Rome) As (Lyon)
RIC, II, p. 79, n° 544 a, b, c. K/C,ILp.lO4,n°763.
As (Lyon)
KJC, II, p. 105, n° 770.
TITUS 19
PROVIDENT SC
20
PROVIDENT SC
21
PROVIDENT SC
22
PROVIDENT SC
(même tion). (même tion). (même tion). (même tion).
représenta-
(même occasion)
72
As (Rome)
Λ/C, II, p. 87, n° 621.
représenta-
(même occasion)
731er (après juillet).le
As (Rome)
RIC, II, p. 91, n° 655.
représenta-
(même occasion)
76
As (lyon)
RIC, II, p. 105, n<'771.
représenta-
(même occasion)
77-78
As (lyon)
RIC, II, p. 107, n( 785.
72
As (Rome)
RIC, II, ρ 95, n° 687.
le As (Rome) 1er (après 73 juillet). 75 As (Rome)
RIC, II, p. 97, n° 698.
DOMITIEN 23 PROVIDENT SC 24 PROVIDENT SC 25 PROVIDENT SC
(même représentation). (même représentation). (même représentation).
(même occasion) (même occasion) (même occasion)
RIC, II, p. 98, n° 712.
TABLEAU CHRONOLOGIQUE REGNE
DE
433
TITUS
TITUS Légende du revers
Représentation du revers
26 PROVIDENT AVGVS Titus, debout à droit se e,et Domitien, de bout à gauche, sou tiennent un globe entre eux deux. Un gouvernail entre les deux.
Occasion d'émission
Date d'émission Métal et atelier
Affirmation de la légitimité du pou voir de Titus et de sa transmission à Domitien quand Ti tus aura disparu.
Références
80
Sesterce (Rome)
RIC, II, p. 128, n° 977 98. Infra, pi. I.
80-81
As (Rome)
JUC, II, p. 142, n° 191, 192, 193, 194, 195, 196.
As (Rome)
i?/C, II, p. 21 l,n° 455.
DIVUS AUGUSTUS PATER 27
PROVIDENT
Enceinte d'autel. (monnaie de restitu Porte à deux battants tion). sur la façade.
REGNE DE DOMITIEN DIVUS AUGUSTUS PATER 28 PROVIDENT
Enceinte d'autel. Porte à deux battants sur la façade.
(monnaie de restitu tion).
82
REGNE DE NERVA 29 PROVIDENTIA SENATVS SC
Nerva, debout, te Légitimité religieuse 97 (avant le Sesterce nant un globe, faisant du pouvoir de Nerva 27 octobre) (Rome) face à un sénateur garantie. debout.
RIC, II, p. 229, n° 90. Infra, pi. I.
RÈGNE DE TRAJAN 30
PROVID TR Ρ COS II PP
Trajan, debout à droite, recevant un globe de Nerva, de bout à gauche.
Afirmation de la l 98 (fin de égit mité de l'acces l'année) sionau pouvoir de Trajan. 31 PROVIDENTIA 98 (fin de Trajan, debout à (même occasion) gauche, tenant un SENATVS l'année) sceptre, face à un sénateur en toge. Ils soutiennent un globe. 32 PROVID Prouidentia, debout Appel à la confiance 115 COS VI PP SPQR à gauche, tenant un dans la stabilité du sceptre, un globe à pouvoir et son r ses pieds. enouvel ment pour un avenir heureux. 33 PRO AVG Prouidentia, debout (même occasion) 115 PM TR Ρ COS VI PP à gauche, tenant un SPQR sceptre. Appuyant son coude gauche sur une colonne, elle montre un globe à ses pieds.
Aureus, de RIC, II, p. 246, n° 28. nier (Rome). Médaillon d' n° 2. I, p. 44, argent. (Ro F. Gnecchi, me). Denier (Rome).
K/C,II,p.260,n°240.
Aureus, de K/C,II,p.269,n°358, nier, (Rome). 359, 360. Infra, pi. I.
(à suivre)
434 (suite) 34 35 36 37
TABLEAU CHRONOLOGIQUE Légende du revers
Représentation du revers
Occasion d'émission
PRO AVG SENATVS POPVLVSQVE ROMANVS SC PRO AVG PARTHICO PM TR Ρ COS VI PP SPQR PROVID PM TR Ρ COS VI PP SPQR PROVIDENTIA AVGVSTI SPQR SC
(même représentat ion).
(même occasion)
115
Sesterce (Rome).
RIC, II, p. 291, n° 661.
(même représentat ion).
(même occasion)
115
Denier (Rome).
K/C,II,p.269,n°357.
(même représentat ion).
(même occasion)
116
Denier (Rome).
RIC, II, p. 269, n° 364.
(même représentat ion).
(même occasion)
116
RIC, II, p. 291, n° 663, 664, 665.
(même occasion)
117
Sesterce, dupondius (Rome). Denier (Rome).
(même occasion)
117
Aureus, de RIC, II, p. 269, n° 363, nier (Rome). 365.
38
PROVID PARTHICO PM TR Ρ COS VI PP SPQR
39
(anépigraphe)
Prouidentia, debout à gauche, tenant un sceptre, pointant sa main droite vers un globe à ses pieds.
Date d'émission Métal et atelier
Références
KJC, II, p. 269, n° 361, 362.
REGNE D'HADRIEN 40
Hadrien, debout de face, regardant vers la gauche un aigle volant à droite, vant la main droite pour recevoir un sceptre de l'aigle et tenant un rouleau dans la main gauche.
Affirmation de la gitimité du pouvoir d'Hadrien dans une lignée de diui.
119
Sesterce, du- RIC, II, p. 415, n° 589, pondius a et b. P. 418, n° 602 a (Rome). et b. Infra, pi. I.
Prouidentia, debout à gauche, tenant un sceptre, montrant de la main droite un globe à ses pieds (qqfois coude sur une colonne). 42 PROVIDENTIA Femme, debout à AVGVSTI COS III gauche, tenant une charrue et un teau. 43 PROVIDENTIA AVG Prouidentia, debout (SC sur le bronze) à gauche, tenant un sceptre, parfois puyée sur une lonne, montrant de la main, ou avec une baguette, un globe à ses pieds.
Annonce du « saeculum aureum».
121
Denier (Rome).
R/C,II,p.356,n°133, 134. Infra, pi. I.
Renouatio de culture dans le cadre du « saeculum reum ». Organisation de la succession drien.
128
As (Rome)
i?/C, II, p. 429, n° 699.
Denier, terce, dupondius, as me).
i?/C, II, p. 370, n° 261, 262. P. 439, n° 772. P. 444, n° 823. Infra, pi. I.
41
PROVIDENTIA DEORVM SC
PRO AVG PM TR Ρ COS III
136-138
(à suivre)
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
(suite) 44
435
Légende du revers
Représentation du revers
Occasion d'émission
Date d'émission Métal et atelier
ΠΡΟΝΟΙΑ
Pronoia, debout à gauche, vêtue du chiton et du péplos, porte une guirlande, tient un Phénix dié à gauche et un long sceptre versal.
(même occasion)
Entre le 29 août 137 et le 10 juillet 138.
Références
TétraJ. G. Milne, n° 1560 à 1568. drachme (Alexandrie) -
RÈGNE D'ANTONIN LE PIEUX ANTONIN LE PIEUX 45
PROVIDENTIAE DEORVM (SC sur le bronze)
46 TR POT COS III SC 47 48
49
Foudre ailée
Prouidentia, debout à gauche. TR POT XV COS UH Prouidentia, debout SC à droite.
Mort de Faustine l'Ancienne.
142
(même occasion)
142
Dédicace du temple dudiuus Hadrianus et troisièmes quinquennalia. TR pot xix cos im Prouidentia, debout Naissance d'HadriaSC à gauche, tenant un nus. sceptre, pointant sa main droite vers un globe à ses pieds. TR pot xx cos im (même représentat Naissance de Domitia Faustina. SC ion).
151-152
Aureus, de nier, sester ce,dupondius (Rome) Sesterce (Rome). Dupondius (Rome).
ß/C,III,p.32,n°59; p. 35, n° 80 a et b; p. 110, n° 663.n° 618; p. 114, RIC,647.III, p. 112, n° RIC, n° 896 III, a. p. 138, Infra, pi. I.
155-156
Sesterce, du RIC, 953946; III,957. et p. 143, 144, pondius, as n° (Rome). Infra, pi. I.
156-157
Sesterce, du n° III, p. 145, 146, pondius, as RIC, 966; n°970;p. 146, n° 972. (Rome).
FAUSTINE L'ANCIENNE 50
AETERNITAS (SC sur le bronze)
Femme, debout (une Mort de Faustine fois assise), tenant l'Ancienne. globe et sceptre, ou globe seul (une main levée ou un voile flottant au-dessus de la tête).
142
Aureus, nier, ce, dius, as me).
J?/C,III,p.70,n°350a et b, 351; p. 162, n°1108, 1109, 1110; p. 166, n° 1163 a et b; p. 167, n° 1164.
149 (après le 7 mars).
Denier (Rome).
Ä/C,III,p.83,n°446. Infra, pi. I.
MARC AURELE 51
TR pot m cos π Prouidentia, debout Naissance de à gauche, appuyée aux. sur une colonne nant un sceptre de la main gauche et tendant une guette de la main droite.
436
TABLEAU CHRONOLOGIQUE REGNES DE MARC AURELE ET DE LUCIUS VERUS MARC AURÈLE Légende du revers
Représentation du revers
Occasion d'émission
Date d'émission Métal et atelier
Références
52
PROV DEOR TR Ρ XV COS IH (SC sur le bronze)
Affirmation de la légitimité dynastique du pouvoir.
161 (mars- Aureus, de 10 décemb nier, sesterc e,duponre). dius (Rome)
R/C,III,p.215,n°18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25; p. 278, n° 812, 813, 814. Infra, pi. I.
53
PROV DEOR TR Ρ XVI COS III (SC sur le bronze)
Prouidentia, debout à gauche (une fois de face), tenant globe et corne d'abondanc e (une fois assise avec patere). Prouidentia, debout à gauche, tenant globe et corne d' abondance. (même représentat ion).
54 55 56
57 58
(même occasion)
161-162
Naissance de M. An162-163 nius Verus. Passage de L. Verus en Orient. PROV DEOR (même représentat Campagne parthe. 163-164 TR Ρ XVIII COS HI ion). Ravitaillement de Rome assuré. TR POT XIX IMP II Prouidentia, debout (même occasion) 164-août 165 COS III SC à gauche, tenant un bâton et un sceptre. À ses pieds, un globe. août 165TR POT XIX IMP III (même représentat (même occasion) 10 déc. 165 COS III SC ion). 10 déc. 165TR POT XX IMP III (même représentat (même occasion) COS III SC ion). été 166 PROV DEOR TR Ρ XVII COS III
59 TR Ρ XXI IMP IIII (même représentat Affirmation de la 10 déc. 166COS III ion). légitimité dynastique 10 déc. 167 du pouvoir (Com mode et M. Annius Verus Césars). 10 déc. 16760 TR P XXII IMP IIII (même représentat (même occasion) COS III ion). février 168 février 16861 TR Ρ XXII IMP V (même représentat (même occasion) COS III ion). 10 déc. 168
Aureus, de nier, sesterc e,quinaire d'or (Rome) Denier (Rome).
K/C,III,p.217,n°47, 48, 49, 50, 51, 52, 57; p. 279, n° 833.
Denier (Rome).
RIC, III, p. 220, n° 95, 96, 97.
i?/C, III, p. 218, n° 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 73 a.
Sesterce, du- n° RIC, 905,III, 906, p.907.284, pondius (Rome). Infra, pi. I. Sesterce n°RIC,911,III,912.p. 285, (Rome). Sesterce, du- n° RIC,923,III, 924. p. 286, pondius (Rome) Denier RIC,170. III, p. 227, n° (Rome). Infra, pi. I. Denier (Rome). Denier (Rome)
RIC,176. III, p. 227, n° RIC,186. III, p. 228, n°
LUCIUS VERUS 62
PROV DEOR TR Ρ COS II (SC sur le bronze)
63
TR Ρ COS II
64
PROV DEOR TR Ρ II COS II
Prouidentia, debout Affirmation de la à gauche, tenant légitimité dynastique globe et corne d' du pouvoir. abondance.
mars 16110 déc. 161
mars 161(même représentat (même occasion) ion). 10 déc. 161 (même représentat Naissance de M. An 161-162 ion). nius Verus.
Aureus, de RIC, p. 462, 251, nier, sesterc n° 460,III, 461, e,dupon- 463, 464, 465, 466; dius (Rome). p. 318, n° 1303, 1304, 1305, 1306. Quinaire d'or n° RIC, 467,III, 468. p. 251, (Rome). Denier RIC, n° 482, 483, III, 484, p. 253, 485. (Rome). (à suivre)
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
(suite) Légende du revers
Représentation du revers
65
TR POT II COS II
(même représentat ion).
66
PROV DEOR TR Ρ III COS II
(même représentat ion).
67 TR POT III COS II
Prouidentia, de face, tête à gauche, tenant globe et corne d' abondance.
Occasion d'émission
437
Date d'émission Métal et atelier
Références
Quinaire d'or n° RIC,490.III, p. 253, (Rome). Naissance de M. An- 10 déc. 162- Denier RIC, III, p. 253, automne 163 (Rome). n°491 et 491a. nius Verus. Passage de L. Verus en Orient. 10 déc. 162- Quinaire d'or n° (même occasion) RIC,497.III, p. 254, automne 163. (Rome) Infra, pi. I. (même occasion)
161-162
REGNE DE MARC AURELE 68
PROV DEOR TR Ρ COS II SC
Prouidentia, debout à gauche, tenant globe et corne dabondance. 69 PROVIDENTIA AVG Marc Aurèle et IMP VI COS III SC mode, debout à che, sur une estrade, s'adressent à 4 dats qui tiennent, respectivement, aigle et bouclier, lance, étendard, lance. Le dernier tient une bride de cheval.
Naissance de Vibia Aurelia Sabina. Miracle de la foudre.
171-172
Sesterce (Rome).
RIC,1045.III, p. 296, n°
Affirmation de la légitimité dynastique du pouvoir mode reçoit le titre de Germanicus).
171-172
Sesterce (Rome).
RIC, n° 1046.III, p. 296, Infra, pi. I.
RÈGNE DE COMMODE 70
Affirmation de la légitimité dynastique du pouvoir.
180
Sesterce, du- n° RIC,301,III, 303,p. 402, 305. pondius (Rome). Infra, pi. I.
(même occasion)
180
Véritable début du règne (retour à la paix, accomplisse ment des vœux dé cen aux).
181
Denier n° 7. III, p. 367, RIC, (Rome). Sesterce, du- n° RIC,312,III,317.p. 404, pondius (Rome).
(même représentat (même occasion) ion). (même représentat Légitimité du pou ion). voir en accord avec les dieux et les diui. (même représentat (même occasion) ion).
181
PROV DEOR Prouidentia, debout TRPVIMPIIIICOSII à gauche, tenant un SC sceptre et une ba guet e au-dessus d'un globe. 71 TR Ρ V IMP Uli (même representat COS II PP ion). 72 PROV DEOR (même représentat TR Ρ VI IMP IIII ion). COS III SC 73 TR Ρ VI IMP IIII COS III PP 74 PROV DEOR TR Ρ VII IMP IIII COS III SC 75 TR Ρ VII IMP IIII COS III PP
181-182 181-182
Denier n° 19. III, p. 368, RIC, (Rome). Sesterce, duRIC,330 336,III, a,341. b;p.p. 407, 406, pondius, as n° (Rome). Denier n°RIC, 32. III, p. 369, (Rome). (à suivre)
438 (suite) 76 77 78 79 80 81 82
TABLEAU CHRONOLOGIQUE Légende du revers
Représentation du revers
Occasion d'émission
TR Ρ VII IMP V COS HI PP PROVID AVG TR Ρ VIII IMP V COS IIII PP SC TR Ρ VIII IMP V COS IIII PP PROV AVG TR Ρ VIII IMP VI COS IIII PP SC PROV DEOR TR Ρ VIII IMP VI COS IIII PP SC TR Ρ VIII IMP VI COS IIII PP PROVIDENTIAE VEORVM TR Ρ VIII IMP IIII COS III PP
(même représentat ion). (même représentat ion).
(même occasion)
(même représentat (même occasion) ion). (même représentat À la suite du comp ion). lot de Lucilia. (même représentat ion).
PROV AVG TR Ρ VIIII IMP VI COS IIII PP SC
84
PM TR Ρ VIIII IMP VI COS IIII PP (qqfois sans PM).
85
PROVID AVG PM TR Ρ XI IMP VIII COS V PP SC
86
PROVID AVG PM TR Ρ XII IMP VIII COS V PP ΠΡΟΝΟΙΑ L'empereur en toge, debout tenant une patere au-dessus d'un autel. Un soldat avec une lance et deux autres soldats. ΠΡΟΝΟΙΑ (même représentat ion).
88 89
ΠΡΟΝΟΙΑ
(même occasion)
(même représentat (même occasion) ion). Commode voilé, à (même occasion) gauche, accompagné de 3 personnages, prêt à sacrifier sur un trépied. Une f igure militaire avec une lance et s'appuyant à droite sur un cippe. Au second plan, deux arbres dont les branches forment comme une pergola. Prouidentia, debout (même occasion) à gauche, tenant un sceptre et une ba guette au-dessus d' un globe. (même représentat (même occasion) ion) (qqfois corne d'abondance à la place du sceptre). Navire, avec rameurs, Paix et Félicité re navigant à droite trouvées (à la suite de la mort de Crispi(ou à gauche). ne?). (même représentat (même occasion) ion).
83
87
(même occasion)
Pronoia, debout à gauche, vêtue d'un chiton sur les memb res inférieurs et l'épaule gauche, lève la main droite et tient un sceptre de la main gauche.
Date d'émission Métal et atelier 182
Références
Denier (Rome). 183 (premiè Sesterce re émission) (Rome).
RIC, III, p. 371, n°44.
183 (premiè re émission) 183 (secon de émission).
RIC,50. III, p. 371, n°
Denier (Rome). Sesterce (Rome) Dupondius. 183 (secon Sesterce de émission). (Rome).
RIC, n° 355. III, p. 409,
RIC, III, p. 411, n°379;p.412,n°389. Infra, pi. I. RIC,380.III, p. 411, n°
183 (secon Denier n° 65. III, p. 373, RIC, de émission). (Rome). 183 Médaillon de n°F. Gnecchi, 123. III, p. 65, bronze (Rome).
183-184
Sesterce (Rome).
RIC,417.III, p. 414, n°
183-184
Denier (Rome).
RIC, n° 78; III, p. 375, p. n°374, 85.
186 (secon Sesterce de émission). (Rome).
n° 486,III, RIC, 487. p. 422, Infra, pi. II.
186-187
Remise en ordre économique de l'Egypte.
188-189
(même occasion)
189-190
(même occasion)
189-190
Aureus, méd i?/C, III, p. 383, n° 158. ail on de n° F. Gnecchi, 112. III, p. 65, bronze (Rome). TétraJ. Vogt, II, p. 149. drachme (Alexandrie) Tétradrachme (Alexandrie) Tétradrachme (Alexandrie)
J. Vogt, II, p. 149. G. Dattari, n° 3858. J. G. Milne, n° 2691 à 2693.
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
(suite) Légende du revers 90
Représentation du revers
PROVIDENTIAE AVG Hercule, debout à gauche, le pied sur une proue, appuyant sa massue sur un tronc d'arbre, à droite, et tenant la foudre, serrant la main de Africa, qui porte une peau d' éléphant sur la tête et se tient debout à droite, tenant un sistre et un épi de blé (?); à ses pieds, un lion.
91 PROVIDENTIAE AVG Hercule, debout à SC gauche, le pied sur une proue, appuyant sa massue sur un rocher, et recevant des épis de blé d' Africa qui est de bout à droite, tenant un sistre et portant une peau d'éléphant comme coiffure ; à ses pieds, un lion.
Occasion d'émission
439
Date d'émission Métal et atelier
Références
Affirmation de la légitimité d'un pou voir fécondant.
192
Aureus, de n° 259 a.p. 396, nier (Rome). RIC,259,III,
(même occasion)
192
Sesterce (Rome)
n° 641. III, p. 439, RIC, Infra, pi. II.
REGNE DE PERTINAX 92
93 94
95 96 97
PROVID DEOR COS II Prouidentia, debout Recherche d'une l à gauche, levant ses égit mité donnée par deux mains vers une les diui. grande étoile. PROVIDENTIAE (même représentat (même occasion) DEORVM COS II SC ion).
1er janvier28 mars 193.
Aureus, de RIC, nier, (Rome). n° 10 aIV,et b.I, p. 8, Infra, pi. II.
1er janvier28 mars 193.
PROVID DEOR COS II Prouidentia, debout à gauche, levant sa main droite vers une grande étoile, main gauche s,ur la poi trine. PROVIDEN DEORVM (même représentat COS II SC ion). PROVIDENTIAE (même représentat DEORVM COS II SC ion)
(même occasion)
1er janvier28 mars 193.
Sesterce, du- RIC, I, p.n°31; 10, pondius, as n° 21; IV,p. 11, p. 12, n° 37. (Rome). Aureus, de n° IV, I, p. 8, nier, (Rome). RIC,11 aetb. Infra, pi. II.
(même occasion)
1er janvier- Dupondius 28 mars 193. (Rome). 1er janvier- Dupondius, 28 mars 193. as (Rome).
ΠΡΟΝΟΙΑ ΘΕΩΝ
Pronoia, debout, l evant les deux mains vers un globe sus pendu.
(même occasion) (même occasion)
1er janvier- Tétra28 mars 193. drachme (Alexandrie)
RIC,29. IV, I, p. 11, n° n° 30; IV,p. 12, RIC, I, p.n° 38. 11, Infra, pi. II. J. Vogt, I, p. 158; II, p. 112. (à suivre)
440
TABLEAU CHRONOLOGIQUE PESCENNIUS NIGER
98
Légende du revers
Représentation du revers
Occasion d'émission
πρόνοια οεων
Aigle sur une bran Recherche d'une l che de palmier, à égit mité donnée par gauche. les diui.
Date d'émission Métal et atelier juin 193-fin 194
Argent (Antioche)
Références W. Wroth, Cat. of Greek Coins of Galatia, Cappadocia, Syria, p. 192, n° 346.
CLODIUS ALBINUS 99 PROVID AVG COS
100
PROV (ou PROVIDEN ou PROVIDENT ou PROVIDENTIA) AVG COS II
Prouidentia, debout à gauche, tenant un sceptre et une ba guette au-dessus d'un globe. (même représentat ion).
Affirmation d'une stabilité assurée du pouvoir (Clodius Albinus César).
193
Aureus, de 1 a,IV,b, I,c; p.p. 51, 44, nier, sesterce n°RIC,50. (Rome)
Affirmation du ca 196-19 fé Denier ractère légitime de vrier 197. (Lyon) la succession assurée à Clodius Albinus.
n° 33, IV, RIC, 34, I,35,p.3649,a, b, c.
RÈGNE DE SEPTIME SÉVÈRE 101 PROVIDENTIA AVG Prouidentia, debout La succession est à gauche, tenant un assurée. sceptre et une ba guette au-dessus d'un globe.
octobre 19619 février 197
Denier (Rome, Laodicée).
RIC, IV, I, p. 102, n°92 aetb;p. 157, n°491 aetb. Infra, pi. II.
RÈGNES DE SEPTIME SÉVÈRE ET DE CARACALLA SEPTIME SÉVÈRE 102
ΠΡΟΝΟΙΑ CEBACTH Pronoia debout.
103
PROVID AVGG
Prouidentia, debout à gauche, tenant un sceptre et une ba guette au-dessus d'un globe.
104
PROVID AVGG
105
PROVID AVGG
(même représentat ion). (même représentat ion).
Affirmation de la l égit mité du pouvoir de l'empereur. Affirmation de la l égit mité du pouvoir de l'empereur et assu rance dans la stabilité pour l'avenir par le règne conjoint. (même occasion)
198-199
200-201
Jeux séculaires
204
198
TétraJ. Vogt, II, P· 114. drachme (Alexandrie) Denier RIC,139.IV, I, P· 108, n° (Rome) Infra, pi. II. Denier (Rome) Denier (Rome)
RIC,166.IV, I, P· 112, n° RIC,284.IV, I, P· 127, n° (à suivre)
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
(suite) 106
Légende du revers
Représentation du revers
Occasion d'émission
PROVIDENTIA
Tête de Méduse, de Pratiques magiques face, avec des ailes d'Apronianus. et des serpents dans ses cheveux (qqfois sur aegis). JULIA
107 ΠΡΟΝΟΙΑ CEBACTH
Pronoia debout
441
Date d'émission Métal et atelier
Références
207
Aureus, de n° RIC,285,IV,286.I, p. 127, nier, (Rome)
196-197
Drachme J. Vogt, II, p. 114 (Alexandrie)
DOMNA
Affirmation de la l égit mité du pouvoir de l'empereur. CARACALLA
108
PROVIDENTIA
Tête de Méduse, de Pratiques magiques face, avec des ailes d'Apronianus. et des serpents dans ses cheveux (qqfois sur aegis).
207
Denier (Rome)
RIC, n° 164,IV,165.I, p. 235,
207
Denier (Rome)
RIC, IV, I, p. 321, n°51. Infra, pi. II.
GÉTA 109
PROVID DEOR
Prouidentia, debout Pratiques magiques à gauche, tenant un d'Apronianus. sceptre et une guette au-dessus d'un globe.
RÈGNES DE CARACALLA ET DE GETA CARACALLA 110 PROVIDENTIAE DEORVM
Prouidentia, debout à gauche, tenant un sceptre et une ba guette au-dessus d'un globe.
Affirmation de la l égit mité du pouvoir de Caracalla et de Géta.
211
Aureus, de nier, sester ce,dupondius, as (Ro me).
RIC, IV, I, p. 244, n°227;p.296,n°511 a, b, c, d; p. 297, n° 514 et 519. Infra, pi. II.
211
Denier (Rome)
RIC, IV, I, p. 326, n°90.
Aureus, ses terce, dupondius, as (Ro me).
RIC, IV, I, p. 259, n°301 a et b; p. 301, n°535;p.307,n°572 aetb;p. 308, n° 575 a, b, c et 576. Infra, pi. II.
GÉTA 111
PROVIDENTIA DEORVM
(même représentat ion).
(même occasion)
REGNE DE CARACALLA 112 PROVIDENTIAE DEORVM (SC sur les bronzes)
Prouidentia, debout Affirmation de la l à gauche, tenant un égit mité du pouvoir sceptre et une ba de Caracalla seul. guette au-dessus d'un globe.
213
442
TABLEAU CHRONOLOGIQUE RÈGNE DE MACRIN Légende du revers
113 PROVIDENTIA DEORVM (SC sur le bronze)
Représentation du revers Prouidentia, debout à gauche, tenant une corne d'abondance et une baguette audessus d'un globe.
Occasion d'émission
Date d'émission Métal et atelier
Affirmation de la l avril 217égit mité du pouvoir juin 218 de l'empereur.
Références
Denier, ses n° p. 20,2, n°p. 195, 11, terce, dupon- RIC,80; IV, dius (Antio- 196. Infra, pi. IL che?).
RÈGNE D'ÉLAGABAL 114
115
116 117
PM TR Ρ II COS II PP Prouidentia, debout à gauche, jambes croisées, tenant une corne d'abondance et une baguette ; puyée sur une lonne. À ses pieds, globe. PROVID DEORVM (même tion) (ou bien tenant ne d'abondance et globe). PM TR Ρ HI COS III PP Prouidentia, debout à gauche ; à ses pieds, un globe. Une étoile dans le champ. PM TR Ρ UH COS III PP Prouidentia, debout (SC sur le bronze) à gauche, tenant une (qqfois, en plus, corne d'abondance et une baguette auDES IIII) dessus d'un globe. Une étoile dans le champ.
Affirmation de la gitimité du pouvoir de l'empereur.
219
Antoninianus, denier (Rome).
RIC,22, IV, n° 23. 2, p. 29,
Affirmation de la gitimité du pouvoir de l'empereur avec l'accord des diui.
219-220
Antoninianus, denier (Rome).
n° 128,IV,129.2, p. 37, RIC, Infra, pi. IL
(même occasion)
220
Denier (Rome).
RIC,31. IV, 2, p. 30, n°
(même occasion)
221
Denier, antoninianus, RIC, 332, 321, 42,IV,333. 43;2, p.p. 55, 322; 31, 54, terce, dupon- n° dius (Rome).
RÈGNE DE SEVERE ALEXANDRE 118
PROV DEOR
Prouidentia, debout à gauche, appuyée sur une colonne. 119 PROVIDENTIA Prouidentia, debout DEORVM SC à gauche, jambes croisées, tenant une corne d'abondance et une baguette audessus d'un globe; appuyée sur une colonne. 120 PROVID DEORVM Prouidentia, debout à gauche, tenant une baguette au-dessus d'un globe et un sceptre. 121 PROVIDENTIA AVG (même représentat ion).
Affirmation de la légitimité du pou voir de l'empereur. « Conjuration » d'Ulpien.
223
Denier (Rome)
223
Sesterce, du- n° 597,IV,598,2, 599. p. 118, pondius, as RIC, (Rome). Infra, pi. IL
(même occasion)
223
Denier (Rome)
(même occasion)
Denier (Ro me et Antioche).
n°RIC, 172.IV, 2, p. 84,
RIC,294.IV, 2, p. 93, n°
RIC, n° 296. 173,IV,174; 2, p.p. 93, 84, Infra, pi. IL (à suivre)
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
(suite)
443
Représentation du revers
Occasion d'émission
PM TR Ρ II COS PP SC Prouidentia, debout à gauche, tenant ba guette au-dessus d'un globe et corne d' abondance; appuyée sur une colonne. 123 PONTIF MAX TR Ρ II (même représentat COS PP SC ion).
(même occasion)
223
As (Rome)
(même occasion)
223
124
(même occasion)
224
Sesterce, du- n°RIC,404, IV, 405, 2, p. 406. 104, pondius, as (Rome). Sesterce, du- n° 2, p.416.105, pondius, as RIC,414,IV,415, (Rome).
Légende du revers 122
PONTIF MAX TR Ρ III COS PP SC
(même représentat ion).
125 PROVIDENTIA AVG Prouidentia, debout Promesse de prospér (SC sur le bronze) de face, tête à gau ité. che, tenant des épis de blé sur un modius et une ancre. (même occasion) 126 PM TR Ρ Χ COS III Prouidentia, debout à gauche, tenant des PP SC épis de blé sur un modius et une ancre. (même occasion) 127 PROVIDENTIA AVG Providentia, debout (SC sur le bronze) à gauche (ou de face, tête à gauche), t enant deux épis de blé sur un modius et une corne d'abon dance.
Date d'émission Métal et atelier
Références RIC,397.IV, 2, p. 103, n°
230
Aureus, de RIC, IV, 2, p. 89, nier, sester n° 645, 252; 646, 647. p. 121, ce,dupon- n°251, dius, as (Ro Infra, pi. II. me).
231
Sesterce, as (Rome).
234
Aureus, de RIC,249, 642, IV,250; 643, 2, p.p. 644. 121, 89, nier, sester n° ce,dupondius, as (Ro me).
RIC,518, n° 520.IV,519-; 2, p. 112, 111,
13
12
26
29
33
14
40
41
43
47
48
51
52
56
59
67
69
70
79
Planche I - Types monétaires Providentia
85
91
92
94
96
101
103
109
110
112
113
115
119
121
125
Planche II - Types monétaires Providentia
SOURCES
Les textes utilisés sont, dans la plupart des cas et sauf indication contraire, ceux des collections class iques dites Teubner, Loeb ou Guillaume Budé {Collec tiondes Universités de France). La recherche a été facilitée par la consultation des indices d'auteurs : R. Busa - A. Zampolli, Concordantiae Senecanae, 2 vol., Hildesheim- New York, 1975. G. Claessen, Index Tertullianus, Paris, 1975. L. Cooper, A Concordance to the Works of Horace, Washington, 1916. R. J. Deferrari, M. I. Barry, M. Mac Guire, A Concor danceof Ovid, Washington, 1939. R. J. Deferrari, M. C. Eagan, A Concordance of Statius, Brookland, 1943. A. Gerber -A. Greef, Lexicon Taciteum, Leipzig, 1877. S. Govaerts, Le Corpus Tibullianum. Index verborum et relevés statistiques. Essai de méthodologie statistique, Univ. de Liège, Labor, anal. Stat. des langues anc, fase. 5, La Haye, 1966. A. A. Howard - C. N. Jackson, Index Verborum C. Suetonii Tranquilli, Cambridge, 1922. X. Jacques - J. van Ooteghem, Index de Pline le Jeune, dans Mém. Acad. Roy. Belg., LVIII, fase. 3, 1965. G. Lodge, Lexicon Plautianum, 2 vol., Leipzig, 1924. H. Merguet, Lexicon zu den Schriften Cäsars und seiner Fortsetzer, Iena, 1886. -, Lexicon zu den Schriften Cicero's mit angäbe Sämtli cherStellen, Iena, 1892. -, Handlexicon zu Cicero, Leipzig, 1905. G. W. Mooney, Index to the «Pharsalia» of Lucan, Dublin, 1927. F. Natta, Vocabolario Sallustiano, Turin, 1894. H. Nohl, Index Vitruvianus, Leipzig, 1876. W. A. Oldfather, H. V. Canter, Β. Ε. Perry, Index Apuleianus, dans Philol. Monog. pubi. Amer. PhiloL Assoc, III, 1934.
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INDICES
INDEX AUCTORUM ANTIQUORUM
Aelius Aristide: Dbcours : XXVI, 36 : 426, n. 39. XXVI, 96 : 426, n. 39. XLIII, 7-10:426, n. 28. XLV, 107:312, n. 45. Anthologie Palatine : VI, 126 : 397, η. 220. VI, 332 : 254, η. 226. Apollonius de Rhodes : Argonautiques, IV, 1502-1536: 397, η. 222. Apulée : Apologia : XXVII, 2 : 426, η. 28. XXXIX, 1 : 426, η. 28. LXXXIV, 6 : 426, η. 37. Florida : VII, 4 : 426, η. 37. XIV, 5 : 426, η. 37. Metamorphoseon : II, 5, 2 : 426, η. 36. III, 3, 3 : 426, η. 33. III, 3, 8 : 426, η. 33. III, 7, 2:426, η. 31. VI, 15, 1 : 426, η. 32. VI, 29,2:426, η. 31. VIII, 28, 1 : 426, η. 32. VIII, 31, 3:426, η. 32. XI, 1, 2 : 426, η. 28. XI, 12, 1:426, η. 31, 34. XI, 15, 4 : 426, η. 34. XI, 21, 7 : 426, η. 34. De Piatone et eins dogmate : I, 12-13:426, η. 28. Π, 8 : 426, η. 38. II, 10 : 426, η. 37. Aristote : Ethique à Nicomaque, VI, 7, 4 (=1141a) : 14, n. 70. Auguste : Res Gestae : 1, 1 : 73, n. 82.
1, 3 : 89, n. 278. 2 : 90, n. 283. 3, 2 : 70, n. 23. 4 : 79, n. 155. 9, 1-2 : 78, n. 134. 10, 1 :83, n.217. 11:81,11.178, 181, 185. 12, 2 : 80, n. 171. 13 : 80, n. 170. 30,2:251, n.204. 34, 1:71, n.53;83, n.204. 34, 2 : 69, n. 10; 70, n. 27; 73, n. 74; 74, n. 87. 35, 1:74, n. 91. Augustin : Contra Academicos, I, 8 : 3, n. 19. Aulu-Gelle : Nodes Atticae : V, 6, 11:73, n. 75. VII, 1, 1-3 : 22, π. 129. VII, 1, 7 : 22, η. 129. VII, 2, 3:20, η. 121. XIII, 28, 3 : 27, η. 150. XV, 7, 3:69, η. 21; 88, η. 276. XVI, 13 : 360, η. 393. AuRELius Victor : Caesares : IV, 14 : 165, η. 148. Χ, 10, 4:217, η. 128. XII, 2 : 232, η. 38. XV, 4:315, η. 64. XVI, 14 : 339, η. 233. Censorinus : De Die Natali : XVII, 11 : 165, η. 148; 282, η. 149. XVIII, 10:311, η. 41. XXII, 10:312, η. 44. César: Bellum Ciuile : I, 49, 1 : 62, η. 324. I, 85, 7 : 62, η. 329. 11, 6, 3 : 62, η. 330.
462
INDICES
III, 42, 5 : 62, η. 324. Ill, 76, 4 : 62, η. 327. Ill, 79, 3 : 63, π. 330. Bellwn Gallicum : 111,3, 1:62, n. 325; 63, n. 333. Ill, 9, 3 : 62, n. 328. Ill, 18,6:62, n. 325; 63, n. 333. Ill, 20, 1 : 62, n. 324. Ill, 20, 2 : 63, n. 333. V, 8, 1:62, n. 323; 63, n.332. V, 33, 1 : 62, n. 326; 63, n. 330, n. 331 ; 63, n. 334. VI, 10, 2 : 62, n. 323. VI, 34, 7:62, n. 326; 63, n. 333. VI, 37, 6 : 63, n. 330. VII, 16, 3 : 62, η. 326; 63, η. 332, η. 334. VII, 29-30 : 62, η. 328; 63, η. 332. VII, 39, 3 : 62, η. 328. VII, 65, 1 : 62, η. 329. Cicéron, Dialogues : Academica Posteriora : I, 9 : 2, n. 7. I, 29:51, n. 175; 52, n. 187, n. 196. Academica Priora, II, 113 : 32, η. 15. Brutus : 101 : 28, η. 162. 112: 53, η. 211. 113:28, η. 162. 306 : 32, η. 13. Caio maior, 17 : 38, η. 59. De Diuinatione : I, 50 : 40, η. 76. I, 78 : 41, η. 85. I, 81 : 50, η. 166. I, 101 : 41, η. 85; 49, η. 154; 58, η. 289. I, 117: 33, η. 22; 34, η. 30; 35, η. 36; 56, η. 257; 57, η. 266; 271, η. 56. Ι, 125 : 2, η. 9. 11,9:50, η. 165; 51, η. 175. II, 12 : 39, η. 65. Π, 14 : 39, η. 64; 50, η. 163; 51, η. 173; 52, η. 196. II, 15 : 30, η. 173; 50, η. 167. Π, 16:45, η. 117; 51, η. 169. II, 17 : 39, η. 62; 41, η. 85; 58, η. 289. II, 25 : 39, η. 63; 40, η. 70; 41, η. 85. 11,27:50, η. 164; 51, η. 175. Π, 50 : 53, η. 207. 11,63:20, η. 118. Π, 70 : 49, η. 158. Π, 87 : 27, η. 147. II, 91 : 26, η. 145. II, 97 : 27, η. 147. II, 117 : 37, η. 56; 41, η. 85; 58, η. 289. II, 126: 51, η. 175; 58, η. 289. De Fato : II, 45 : 36, η. 46. III, 5 : 2, η. 9. De Inuentione : II, 159-163 : 3, η. 18. Π, 160: 3, η. 13; 48, η. 151; 52, η. 189, η. 202.
Laelius : 6 : 39, η. 64, η. 65; 48, η. 143; 52, η. 187, η. 196; 53, η. 209. 78 : 43, η. 104; 51, η. 183. 100 : 38, η. 59; 188, η. 324. De Le gib us : I, 22 : 40, η. 70; 49, η. 161; 50, η. 167; 56, η. 257. Ι, 37 : 43, η. 98. Ι, 60 : 39, η. 65; 41, η. 84; 52, η. 187, η. 202; 59, η. 299. Π, 19 : 37, η. 54; 60, η. 303. Π, 20 : 46, η. 126. Π, 21 : 46, η. 127. Π, 39 : 49, η. 155. III, 44: 41, η. 85; 49, η. 156; 58, η. 289. De Natura Deorum : I, 4 : 33, η. 25; 45, η. 118; 50, η. 167; 51, η. 175; 57, η. 266. Ι, 6 : 33, η. 17. Ι, 18:33, η. 24, η. 26. Ι, 20 : 34, η. 27. Ι, 22 : 34, η. 27. Ι, 54: 33, η. 24; 51, η. 180. Ι, 125 : 2, η. 9. Π, 58 : 33, η. 26; 35, η. 34; 52, η. 186, η. 187; 56, η. 257. Π, 65:271, η. 55. Π, 73 : 33, η. 26; 35, η. 36; 57, η. 266; 215, η. 112; 271, η. 55. II, 77 : 35, η. 36; 51, η. 172; 271, η. 55. II, 79 : 57, η. 54. II, 80 : 35, η. 36; 57, η. 266; 271, η. 55. Π, 87 : 35, η. 37; 57, η. 268. II, 98 : 35, η. 37. II, 127-128: 35, η. 37. II, 133:35, η. 37. II, 140 : 35, η. 37. II, 142-144 : 35, η. 37. Π, 153 : 60, η. 314. II, 160 : 34, η. 28. II, 162-164: 35, η. 38, η. 41; 56, η. 257; 271, η. 55. III, 17 : 33, η. 24. III, 65 : 33, η. 24; 35, η. 36; 57, η. 266; 271, η. 55. III, 70 : 33, η. 24. III, 78:33, η. 24; 50, η. 167. III,' 92 : 33, η. 24. III, 93 : 57, η. 268. III, 94 : 33, η. 24. III, 95 : 35, η. 39. De Officiis : I, 2, 6 : 33, η. 19. I, 9 : 27, η. 147. I, 15:27, η. 154; 52, η. 192. Ι, 15-17:71, η. 46. Ι, 19: 55, η. 234. Ι, 22:36, η. 46. Ι, 122:53, η. 207. Ι, 153:52, η. 201. II, 5 : 52, η. 197. Orator: 8 : 37, η. 50, η. 55. 189 : 39, η. 65; 43, π. 99; 52, η. 187. De Oratore : I, 5 : 3, η. 15. I, 103 : 39, η. 68.
INDEX AUCTORUM ANTIQUORUM II, 333 : 37, η. 56; 39, η. 64; 47, η. 131; 52, η. 196; 56, η. 257; 57, η. 264. Π, 343 : 70, η. 30. III, 207 : 43, η. 97. Partiîiones oratonae : 15:39, η. 65; 52, η. 187. 76-78 : 52, η. 192. Paradoxa, V, 34 : 41, η. 87; 42, η. 89; 55, η. 235. De Republica : I, 4 (=7): 44, η. 114. I, 34 : 28, η. 162. I, 47 (=71): 41, η. 85; 47, η. 134; 56, η.257; 58, η.289; 74, η. 95. Π, 1, 2 : 38, η. 58. II, 3 : 48, η. 142; 49, η. 169; 87, η. 265. 11,7 (=12): 49, η. 159; 56, η.257. 11,25:53, η. 218. Π, 47 : 75, η. 100. Π, 67:53, η. 215. IV, 3 : 39, η. 64; 48, η. 141; 52, η. 196; 59, η. 294, η. 298. V, 1, 1:39, η. 65; 57, η. 266. VI, 1, 1 : 47, η. 132; 52, η. 187; 53, η. 215. VI, 13 : 60, η. 304. VI, 16:60, η. 309, η. 311. VI, 24 (=26): 50, η. 162; 57, η. 268; 59, η. 301; 71, η. 45. VI, 29 : 60, η. 308. Tusculanae disputationes: 1,22:37, η. 47; 51, η. 175, η. 180. Ι, 66: 36, η. 44; 51, η. 175, η. 180; 58, η.289; 59, η. 300. Ι, 73:49, η. 152; 59, η. 291. Ι, 77-78:43, η. 101. Π, 55 : 38, η. 60. III, 22:53, η. 211. III, 30: 39, η. 64; 44, η. 110, η. 111; 51, η. 180, η. 182; 52, η. 196. III, 31:44, η. 113; 51, η. 182. 111,52:44, η. 112. IV, 33:53, η. 211. IV, 37 : 39, η. 64; 41, η. 86; 52, η. 196. IV, 57: 39, η. 64; 45, η. 116; 51, η. 178, η. 182; 52, η. 196, η. 202; 55, η. 246. IV, 65 : 44, η. 109. IV, 68 : 44, η. 108. V, 55 : 53, η. 219. V, 62:38, η. 57; 58, η. 277. De Universo (Timée): 3:33, η. 21; 34, η. 31. 3, 10 : 34, η. 32. De Finibus: I, 33:44, η. 106; 54, η. 233. 1,47:43, η. 105; 58, η.289. Π, 17 : 39, η. 67. Π, 56 : 55, η. 244. III, 2, 5 : 2, η. 10. III, 15, 51:2, η. 11. III, 37 : 55, η. 244. III, 64 : 60, η. 302. IV, 23 : 28, η. 162. V, 95 : 60, η. 303.
463
Cicéron, Discours : Pro Caecina : 34 : 53, η. 207. 78 : 53, η. 209. 86 : 53, η. 207. Pro Caelio: 22: 39, η. 64; 45, η. 118; 52, η. 196; 58, η. 277, η. 282. 76 : 53, η. 207. Catilinaires : 1,32:54, η. 221. Π, 2 : 60, η. 303. II, 19 : 48, η. 146; 54, η. 228. III, 2:56, η. 251. III, 3 : 54, η. 228. III, 4:46, η. 124; 58, η. 277. III, 14 : 47, η. 138; 52, η. 202; 56, η. 257. III, 18:59, η. 300. III, 21:60, η. 303. IV, 15:71, η. 52. IV, 16:54, η. 221. Pro Cluentio: 152:71, η. 52. 184:38, η. 60. De Domo, 29 : 43, η. 103; 54, η. 230. Pro Fonteio, 43 : 53, η. 209; 82, η. 187. De Haruspicum Responso : 18:53, η. 208. 57 : 60, η. 303. De imperio Cn. Pompei: 29: 48, η. 148; 52, η. 202; 54, η. 225, η. 230; 55, η. 243; 56, η. 257. 47 : 60, η. 303. De Lege agraria : Π, 77 : 54, η. 228. Π, 102 : 56, η. 255. Pro Ligario, 17 : 37, η. 56; 38, η. 61 ; 51, η. 175; 56, η. 257. Pro Marcello: 22 : 87, η. 265. Pro Milone : 33 : 81, η. 187. 83 : 53, η. 208. 84 : 39, η. 64; 51, η. 175; 59, η. 300. Pro Murena : 1 : 60, η. 303. 4 : 41, η. 85; 48, η. 144; 58, η. 277, η. 289. 16:53, η. 219. 19:53, η. 219. Philippiques : Ι, 1:54, η. 228. 11,3: 150, η. 57. II, 12:44, η. 115. II, 116:77, η. 120. 111,2,3:68, η. 6; 89, η. 280. III, 4, 8 : 68, η. 8. 111,27:48, η. 150; 58, η. 277. IV, 13:53, η. 219. VII, 19 : 41, η. 85; 47, η. 137; 54, η. 228; 55, η. 237; 56, η. 251, 257; 58, η.289. XI, 26 : 40, η. 69. XI, 27 : 58, η. 278. XII, 3 : 40, η. 78.
464
INDICES
XII, 25:48, η. 140; 51, η. 183. XIII, 6: 39, η. 64; 40, η. 70; 41, η. 85; 50, η. 167; 52, η. 196; 53, η. 206; 56, η. 257; 58, η. 289. XIII, 23 : 74, η. 95. XIII, 25 : 74, η. 95. XIII, 46 : 74, η. 86. XIV, 38 : 58, η. 278. In Phonem, Χ, 23-24: 54, 55, η. 238, η. 247; 56, η. 252, η. 254. Pro Plancio, 56:53, η. 210. Pro Rabido Postumo, I, 1 : 47, η. 133. Pro Roscio Amerino : 110:42, η. 94. 117:40, η. 75; 51, η. 183; 59, η. 294. 151:40, η. 77; 59, η. 291. Pro Sestio : 121 :74, η. 94. 130 : 53, η. 206. 136:53, η. 219. 138:36, η. 46. In Verrem Actio I : 45 : 56, η. 257. 51 : 39, η. 64; 47, η. 135; 52, η. 196; 56, η. 251; 57, η. 264; 58, η. 282. In Verrem Actio 2 : I, 15:40, η. 70, 74; 50, η. 167. I, 85 : 42, η. 92. I, 112:40, η. 79. I, 157:42, η. 95. 11,4, 81:53, η. 219. II, 28:46, η. 125; 58, η. 277. III, 14 : 53, η. 208. IV, 91 : 45, η. 120; 51, η. 183. V, 22 : 39, η. 66. V, 102 : 42, η. 96. V, 127 : 42, η. 93; 55, η. 236; 56, η. 251. V, 146: 43, η. 102; 58, η. 277. Cicéron, Correspondance : Ad Atticum : I, 1:40, η. 70; 50, η. 167. Ι, 14, 4:71, η. 52. Ι, 17, 8-9:71, η. 52. Ι, 17, 10 : 53, η. 206. Ι, 18, 3:71, η. 52. Π, 1, 2 : 32, η. 16. Π, 1,6:40, η. 71; 51, η. 183. Π, 20, 6 : 32, η. 14. Π, 22, 6 : 40, 73; 41, η. 85; 58, η. 289. V, 11, 1:46, η. 123. VII, 11, 1:59, η. 295. VII, 14, 2:47, η. 136. VIII, 16, 2:77, η. 120, η. 124. IX, 10, 3 : 74, η. 94. Χ, 4, 8 : 77, η. 120. Χ, 16, 2 : 41, η. 85; 42, η. 90; 56, η. 257; 58, η. 289. XII, 52, 3 : 32, η. 9. XIII, 8 : 26, η. 144; 33, η. 18. Ad Familiäres : 1, 2, 4: 45, η. 121; 54, η. 224; 55, η. 237, η. 242; 58, η. 280. Ι, 4, 2 : 47, η. 139.
Ι, 9, 7 : 82, η. 187. Π, 10, 3 : 40, η. 80; 48, η. 147. III, 1 : 42, η. 91. III, 2, 2:40, η. 70; 45, η. 119. 111,7,9:53, η. 219. III, 10, 10 : 45, η. 122; 55, η. 241 ; 56, η. 257; 57, η. 264. VI, 4, 1:40, η. 72. VI, 6, 9 : 48, η. 149. IX, 18, 4:43, η. 100. IX, 24, 4 : 58, η. 277. Χ, 4, 3 : 48, η. 145. XI, 7, 2:73, η. 81. XI, 13a, 4-5:71, η. 52. XI, 21, 3:42, η. 91; 51, η. 183. XIII, 1, 2 : 32, η. 12. XV, 19, 4:77, η. 123. Ad Quintum fratrem : I, 1, 3 : 39, η. 64; 46, η. 128; 52, η. 196; 58, η. 284. Ι, 1, 31: 58, η. 277. Ι, 1, 38 : 40, η. 70; 44, η. 107; 50, η. 167. Cicéron, Fragments : AdHirtium, 3:53, η. 219. Hortensias, 33 : 39, η. 64, η. 65; 41, η. 81; 52, η. 187, η. 195, η. 196. Claudien : Phoenix, 60-70:269, η. 41. Cléanthe : Hymme à Zeus, 7-8 et 18-19 : 20, η. 116. Démocrite : I, 25, 26, p. 321 Diels : 21, η. 123. Démosthène : Contre Aristocrate : I, 7 et 22 : 8, n. 8. I, 33 : 9, n. 16. I, 34-35 : 14, n. 77. I, 81 : 18, n. 102. Contre Evergos et Mnésiclès, 19 : 8, n. 8. Contre Leptine : 109: 18, n. 102. 162 : 18, n. 102. Contre Midias, 97 : 13, n. 67. Contre Timocrate, 24 : 18, n. 102. Denys D'Halicarnasse : I, 85, 4 : 72, n. 64. II, 11, 2:77, n. 129. Diodore De Sicile : I, 1, 3 : 100, n. 389. 111,5, 1: 102, n. 403. III, 58, 1 : 101, n.394; 102, n.403. IV, 43, 1-2 : 101, n. 393. IV, 47, 1 : 100, n. 390. IV, 48, 7 : 100, n. 391 ; 102, n. 403. IV, 51, 5 : 101, n.392; 102, n.403. VIII, 32,2: 101, n. 400. XIV, 67, 2 : 101, n. 395. XVI, 92, 2 : 101, n. 396.
INDEX AUCTORUM ANTTIQUORUM XVII, 49, 4 : 101, η. 397; 102, η. 403. XVII, 103, 7 : 101, η. 398. XX, 70, 1: 101, η. 399. XXXVI, 13, 3: 102, η. 402. XXXVIII-XXXIX, 6, 1 : 101, η. 401. Diogene Laërce : VII, 125 : 23, η. 130. VII, 149 : 29, η. 166. Dion Cassius : XXXVII, 24, 1 : 73, η. 72. XLIII, 43, 1 : 79, η. 147. XLIII, 44, 6 : 150, η. 58. XLIV, 4, 4 : 75, η. 104; 150, η. 58. XLIV, 4, 5 : 77, η. 127. XLIV, 6, 2 : 79, η. 148. XLIV, 6, 4 : 77, η. 122. XLV, 7, 1 : 85, η. 239. XLVII, 2, 2 : 150, η. 59. XLIX, 43,4: 147, η. 31. LI, 19, 1 : 79, η. 153. LI, 20, 1: 83, η. 216. LI, 20, 2:79, η. 150; 83, η. 210. LI, 20, 4:72, η. 71. U, 21, 5-9 : 79, η. 153. LIII, 1, 4 : 79, η. 153. LUI, 5, 4 : 71, η. 54; 73, η. 77; 81, η. 179. LUI, 6, 1 : 70, η. 26. Uli, 16, 4 : 73, η. 75; 257, η. 242. LUI, 16, 6-8:83. η. 204. LUI, 18, 2: 83, η. 204. LUI, 18, 3 : 75, η. 105. UH, 23, 2:83, η. 210. LUI, 26, 5 : 79, η. 150. LUI, 27, 2, 4 : 86, η. 247. LUI, 30, 6 : 86, η. 246. UV, 3, 2-3 : 71, η. 39. LIV, 3, 5: 150, η. 60. LIV, 10, 3 : 81, η. 179; 83, η. 208. LIV, 10, 5 : 71, η. 42. LIV, 10, 6 : 83, η. 209. LIV, 12 : 257, η. 242. LIV, 19 : 257, η. 242. LIV, 19, 7 : 78, η. 138. UV, 23, 7:83, η. 207. LIV, 24, 8 : 80, η. 163. LIV, 30, 4 : 70, η. 34. LIV, 34, 2 : 83, η. 208. UV, 35, 2 : 72, η. 56; 73, η. 73; 154, η. 83. LV, 4, 7:71, η. 38. LV, 6, 7 : 83, η. 205. LV, 8: 124, η. 130. LV, 8, 1 : 72, η. 62. LV, 8, 6:83, η. 211. LV, 10, 10 : 74, η. 97. LV, 11, 1-2: 131, η. 196, η. 198. LV, 12, 2:71, η. 48. LV, 22, 1 : 70, η. 24. LV, 23, 2-3 : 83, η. 206.
LV, 34, 1-2:70, η. 33; 71, η. 43. LVI, 25, 1 : 72, η. 62. LVI, 25, 5 : 87, η. 267. LVI, 25,5-6: 147, η. 31. LVL41, 5:71, η. 44. LVII, 15, 5 : 150, η. 161. LVIL 15,7: 132, η. 202. LVII, 15, 8-9 : 147, η. 32. LVII, 19,3: 132, η. 200. LVII, 21, 4: 112, η. 54. LVII, 24 : 257, η. 242. LVII, 24, 6 : 128, η. 156. LVIII, 2, 1-3: 110, η. 42. LVIII, 2, 7 : 109, η. 38. LVIII, 2-4: 112, η. 51. LVIII, 4, 1 : 109, η. 38. LVIII, 4, 4: 112, η. 52. LVIII, 5: 112, η. 54. LVIII, 6: 112, η. 53, 55. LVIII, 8, 1 : 127, η. 146. LVIII, 12, 1-5: 137, η. 230. LVIII, 12,5: 113, η. 64. LVIII, 12,4-5: 117, η. 87. LVIII, 27 : 268, η. 38. LVIII, 27, 1 : 166, η. 153, 157. LIX, 1,2: 137, η. 231. LIX, 3, 4 : 137, η. 233. UX, 3, 6: 137, η. 232. LIX, 7, 1: 122, η. 118. LIX, 16,5: 139, η. 243. LX, 4, 6 : 144, η. 6. LX, 17 : 168, η. 172. LX, 22, 3 : 144, η. 5. LX, 27, 5 : 165, η. 143. LXI, 2 : 156, η. 103. LXII, 13-14 : 150, η. 51, η. 52. LXII, 14,3: 150, η. 54. LXII, 16, 1-2 : 150, η. 53. LXII, 18, 3: 150, η. 62. LXII, 20, 4: 152, η. 72. LXII, 21, 5: 150, η. 62. LXIII, 4, 1: 187, η. 312. LXIII, 6, 1-2: 149, η. 46. LXIII, 13, 1: 194, η. 367. LXIV, 1,4: 195, η. 377. LXIV, 2, 1 : 195, η. 376. LXIV, 6, 1 : 195, η. 372. LXIV, 7, 3 : 196, η. 382. LXIV, 8 : 195, η. 378. LXIV, 10 : 195, η. 378. LXIV, 16: 195, η. 378. LXIV, 16,2: 197, η. 392. LXIV, 16, 5: 197, η. 388. LXIV, 22 : 197, η. 390. LXV, 1 : 209, η. 80. LXV, 1, 4 : 155, η. 94. LXV, 8 : 208, η. 68. LXV, 8, 1:208, η. 71. LXV, 9 : 200, η. 7. LXV, 9, 2 : 203, η. 30. LXV, 9, 3 : 213, η. 104.
465
466 LXV, 10, 13 : 213, η. 104. LXV, 12, 1 : 210, η. 87. LXV, 13:203, η. 28. LXVI, 9 : 160, η. 120. LXVI, 26, 2 : 219, η. 137. LXVII, 2 : 219, η. 138. LXVII, 4, 3:221, η. 151. LXVII, 9, 1 : 220, η. 143. LXVII, 12, 1 : 236, η. 66. LXVII, 12, 4 : 221, η. 154. LXVII, 13:221, η. 151. LXVII, 13, 3 : 221, η. 152. LXVII, 15 : 221, η. 154. LXVII, 15, 5 : 222, η. 160; 228, η. 8; 229, η. 14. LXVII, 16, 2 : 221, η. 157. LXVII, 16, 3 : 222, η. 158. LXVII, 18 : 222, η. 163. LXVIII, 5, 1 : 236, η. 67. LXVIII, 5, 4 : 235, η. 56. LXVIII, 13 : 237, η. 72. LXVIII, 14,5:237, η. 71. LXVIII, 15 : 273, η. 74. LXVIII, 24-25 : 255, η. 229. LXVIII, 32 : 275, η. 89. LXIX, 1:263, η. 1; 267, η. 28. LXIX, 2 : 267, η. 29. LXIX, 5, 1 : 265, η. 14; 286, π. 176. LXIX, 8, la: 276, η. 93. LXIX, 10, 2:275, η. 84, η. 87. LXIX, 10, 3a : 275, η. 86. LXIX, 11, 1:285, η. 169. LXIX, 17, 1-2:291, η. 212. LXIX, 17, 3:300, η. 277. LXIX, 20, 2 : 297, η. 262. LXIX, 20, 4 : 300, η. 278. LXIX, 20, 5:310, η. 24. LXIX, 21, 1:291, η. 213. LXXI, 2 : 328, η. 166. LXXI, 2, 3 : 329, η. 174. LXXI, 8 : 368, η. 9. LXXI, 8, 4 : 368, η. 10. LXXI, 10 : 368, η. 9. LXXI, 22, 1 : 369, η. 14. LXXI, 22, 3: 336, η. 213. LXXI, 33, 1 : 337, η. 224. LXXI, 33, 4 : 339, η. 233. LXXII, 1, 1 : 342, η. 265. LXXII, 3, 3 : 346, η. 288. LXXII, 4, 3:346, η. 291. LXXII, 4, 6 : 354, η. 345. LXXII, 5, 1-3:347, η. 295. LXXII, 9, 1-2 : 351, η. 321; 369, η. 16. LXXII, 13, 2 : 357, η. 365; 358, η. 369; 359, η. 377. LXXII, 14, 34 : 359, η. 375. LXXII, 15, 2 : 360, η. 390. LXXII, 15, 6:360, η. 390. LXXII, 18-20:365, η. 427. LXXII, 22, 3 : 362, η. 408. LXXII, 23, 1 : 380, η. 89. LXXIII, 4, 1-2 : 369, η. 17. LXXIII, 4, 3 : 370, η. 18.
INDICES LXXIII, 5, 1:371, η. 27. LXXIII, 7 : 370, η. 23. LXXIII, 7, 2 : 374, η. 57, 61. LXXIII, 8, 2 : 373, η. 53. LXXIII, 9-10 : 376, η. 66. LXXIII, 13, 5 : 377, η. 79. LXXIII, 14, 4 : 377, η. 77. LXXIII, 15, 1-2:362, η. 407. LXXIII, 15,3:360, η. 391. LXXIII, 16, 5 : 376, η. 73; 377, η. 76. LXXIII, 20, 2 : 365, η. 430. LXXIII, 20, 3 : 365, η. 428. LXXIII, 24, 1 : 359, η. 382. LXXIV, 3, 1 : 380, η. 96, η. 97. LXXIV, 3, 2 : 380, η. 94, η. 98. LXXIV, 3, 3 : 380, η. 91, η. 99. LXXIV, 4, 1-5:381, η. 107. LXXIV, 7, 6-7 : 380, η. 100. LXXV, 1, 1 : 384, η. 122. LXXV, 4, 4 : 378, η. 85. LXXV, 9, 1 : 387, η. 149. LXXV, 9, 4 : 388, η. 152. LXXV, 13 : 393, η. 197. LXXVI, 1 : 393, η. 197. LXXVI, 2, 5 : 392, η. 188. LXXVI, 3-4 : 395, η. 209. LXXVI, 8, 1 : 395, η. 212. LXXVI, 11, 1:381, η. 105. LXXVI, 15 : 401, η. 242. LXXVII, 1, 1 : 403, η. 253. LXXVII, 14:403, η. 251. LXXVII, 15, 2 : 404, η. 261. LXXVII, 16, 6a: 403, η. 255. LXXVII, 18, 4 : 404, η. 260. LXXVIII, 2 : 403, η. 259. LXXVIII, 5, 24 : 405, η. 271. LXXVIII, 6, 3 : 404, η. 262. LXXVIII, 8, 3 : 404, η. 267. LXXVIII, 8, 6:381, η. 103. LXXVIII, 9, 1 : 407, η. 279. LXXVIII, 11,6:406, η. 275. LXXVIII, 16, 2:407, η. 282. LXXVIII, 17, 1 : 406, η. 276. LXXVIII, 19, 1:407, η. 280. LXXVIII, 23, 6 : 406, η. 273. LXXVIII, 30, 2-3 : 406, η. 272. LXXVIII, 34, 2 : 408, η. 284. LXXIX, 2, 2 : 410, η. 295. LXXIX, 5, 4 : 410, η. 306. LXXIX, 9, 1 : 410, η. 302. LXXIX, 9, 1-3:410, η. 303. LXXIX, 17, 2 : 413, η. 326. LXXIX, 20, 2 : 413, η. 328. LXXX, 2, 1-2 : 415, η. 346. LXXX, 2, 24 : 415, η. 346. LXXX, 2, 3:416, η.350. Dion Chrysostome : Orationes : I, 12:240, η. 96; 241, η. 121. I, 13:241, η. 109.
INDEX AUCTORUM AlsTTIQUORUM I, 15:250, η. 199. I, 15-16:243, η. 136. I, 17:241, η. 121. 1,20:241, η. 118. Ι, 21 : 241, η. 107. Ι, 21-23 : 243, η. 136. Ι, 28 : 242, η. 128. Ι, 33 : 243, η. 136. Ι, 34-36:241, η. 102. Ι, 42 : 244, η. 144. Ι, 73 : 240, η. 92. 11,69:241, η. 117. Π, 77 : 243, η. 136. III : 240, η. 90. 111,2:241, η. 100. III, 3 : 241, π. 105. III, 4-10:243, η. 136. III, 5 : 241, η. 106. III, 6 : 242, η. 127. III, 10:242, η. 127. III, 43 : 242, η. 131, η. 133; 244, η. 148. III, 48 : 242, η. 133. III, 50 : 240, η. 94; 242, η. 123; 244, η. 146, η. 150. III, 51-57:243, η. 136. III, 52 : 244, η. 149. III, 57 : 241, η. 108. III, 62 : 244, η. 147. III, 62-63 : 241, η. 106; 242, η. 123. III, 65 : 241, η. 109. 111,69:242, η. 129. III, 73-82 : 242, η. 130. III, 82 : 241, η. 103, η. 129. III, 107 : 244, η. 149. III, 119-122:252, η. 209. III, 127 : 244, η. 150. III, 133-135 : 243, η. 136. IV, 24:241, η. 101. IV, 27 : 240, η. 93. IV, 44 : 244, η. 145. IV, 51 : 241, η. 103. IV, 75 : 243, η. 136. IV, 88-132 : 241, η. 104. XLV, 4 : 236, η. 64. LXII, 3-4 : 241, η. 103. Epictéte : Entretiens, III, 15, 14: 189, η. 335. Eschine : Contre Ctésiphon : 57: 18, η. 102. 108, 110, 111: 14, η. 76. 212:7, η. 3. Eschyle : Agamemnon, 681-685: 14, η. 75. Euripide : La Folie d'Héraklès, 596-598 : 14, n.72. Oreste, 1179: 14, η. 75. Les Phéniciennes : 612:68, n. 3. 636-637 : 14, n. 75.
Eutrope : VIII, 1, 2:231, n. 35. VIII, 6 : 237, n. 72. Firmicus Maternus : Mathesis, II, proem. 4 : 292, n. 222. III, proem. 4, et IV, proem. 5 : 293, n. 228. IV, 19, 13 : 156, n. 100. IV, 22, 2 : 293, n. 228. Flavius Josephe : Antiquités Judaïques: XVIII, 6, 181-182: 126, n. 143. XX, 100: 181, n.288. Autobiographie, 363 : 209, n. 82. Bellum Judaicum : 11,220: 181, n.288. 11,309: 181, n.288. II, 457 : 206, n. 50. 11,492498: 181, n.288. 111,6-7:206, n.51. III, 70 : 206, n. 55. III, 144 : 206, n. 53. III, 352 : 204, n. 35. III, 354 : 205, n. 43. III, 391 : 206, n. 52. III, 396-397 : 209, n. 81. III, 399-402 : 205, n. 36. III, 404 : 206, n. 58. III, 408 : 209, n. 81. IV, 441:206, n.57. IV, 499 : 201, n. 14. IV, 501 : 201, n. 15. IV, 589 : 200, n. 4. IV, 596:210, n. 84. IV, 622 : 206, n. 54. IV, 631:207, n.65. V, 2 : 205, n. 47. V, 45-46: 181, n.288. V, 121:206, n.56. V, 376-419: 205, n. 44. V, 409 : 205, n. 47. V, 412:205, n.37, n.42. VI, 288-315 : 205, n.41. VI, 310-313:205, n.38. VII, 71:209, n. 78. VII, 73:210, n.88. VII, 96-115:210, n. 89. VII, 121-157:210, n.91. VII, 157:209, n.79. Frontin : De Aquaeductu : XI, 1 : 251, n. 203. LXIV, 1:251, n.201. Germanicus : Phaenomena, 558-560: 3, n. 275. Hérodien : I, 5, 5-6 : 342, n. 263. I, 6 : 344, n. 279.
467
468 1,7,4:341, η. 261. I, 7, 6:343, η. 271. I, 8, 4 : 347, η. 292. 1,9, 1:351, η. 322. I, 10 : 352, η. 332. I, 10,6-7:359, η. 376. I, 12, 1-2 : 359, η. 374. I, 12, 4:359, η. 377. I, 13, 1-4:367, η. 2. I, 13,7:359, η. 383. I, 14, 1:371, η. 32. I, 14, 2-6 : 359, η. 382. I, 14, 7: 359, η. 384. I, 14,8:362, η. 407. I, 15:365, η. 429. I, 15, 5:365, η. 427. I, 15, 9: 362, η. 408. Π, 4, 2 : 370, η. 25. Π, 4, 5 : 374, η. 63. Π, 4, 6 : 373, η. 54. Π, 4, 9 : 374, η. 58. Π, 5, 4-8 : 376, η. 66. Π, 7, 3 : 377, η. 79. Π, 9, 4 : 380, η. 89. II, 9, 5-6 : 380, η. 99. II, 15, 2:382, η. 110. Π, 15,4:383, η. 113. III, 10, 1 : 393, η. 197. III, 10, 5 : 385, η. 126. III, 10, 8 : 392, η. 188. III, 11-12: 395, η. 209. IV: 403, η. 251. IV, 1 : 401, η. 242. IV, 3, 1 : 402, η. 249, η. 250. IV, 6, 3 : 403, η. 252, η. 254, η. 255. IV, 12, 3 : 403, π. 258. IV, 12, 8:405, η. 271. IV, 14, 2-3:405, η. 271. V, 3, 10:410, η. 296. V, 5, 6:410, η. 299. V, 6, 1 : 410, η. 301. V, 6, 2 : 410, η. 304, η. 305. V, 7, 1-2 : 413, η. 326. V, 8, 8 : 413, π. 328. VI, 9, 6 : 420, η. 379. Hérodote : Ι, 120: 14, η. 72. Ι, 159: 8, η. 8. Π, 73 : 268, η. 40. Π, 151:8, η. 7. Π, 161: 8, η. 5. 111,28:276, η. 91. III, 108 : 14, η. 73. VI, 66 : 13, η. 68. VIII, 87 : 8, π. 5 et 6. HlPPOLYTE : 21, 1 :20, η. 115.
INDICES Histoire Auguste : Hadrien : I, 3 : 294, η. 240. Π, 3-4 : 269, η. 43. Π, 6:295, η. 251. II, 8-9 : 269, η. 45. III, 5, 7 : 269, η. 46. III, 8:291, η. 215. IV : 263, η. 1 ; 267, η. 27. IV, 5:291, η. 215. IV, 9 : 263, η. 2. VIII, 1 1 : 295, π. 252. IX, 9 : 275, η. 80. XI, 3 : 288, η. 191. XII, 1 : 276, η. 91, η. 92. XII, 2 : 275, η. 85. XIII, 1 : 285, η. 169. XIII, 10:283, η. 159. XV, 8 : 294, η. 243. XIX, 5:275, η. 81. XIX, 9 : 275, η. 87. XXIII : 290, η. 210; 291, η. 212. XXIII, 3: 291, η. 214; 301, η. 282. XXIII, 2-3 : 294, η. 243. XXIII, 8 : 296, η. 253. XXIII, 10-11:290, η. 211. XXIV, 1:291, η. 213. XXIV, 8 : 297, η. 265. XXV, 8 : 295, η. 245. XXVI, 5 : 287, η. 179. Aelius Caesar: Π, 7:298, η. 271. III, 8 : 299, η. 276. IV, 5 : 299, η. 276. Lucius Verus : I, 7 : 299, η. 272. III, 8 : 324, η. 144. VI, 9 : 328, η. 171. VII, 9:331, η. 181. Antonin le Pieux: II, 3-7:310, η. 26. IV, 7:315, η. 69. IV, 10:311, η. 36. V, 1-2:310, η. 32. VI, 6:310, η. 25. VI, 7:312, η. 46. VI, 7-8:312, η. 47. VIII, 1:312, η. 47. VIII, 2:317, η. 79. VIII, 9 : 337, η. 222. XII, 5 : 324, π. 146. XIII, 3-4 : 323, η. 139. Marc Aurèle : I, 10 : 300, η. 280. IV, 1 : 300, η. 280. IV, 5:301, η. 284. VI, 1:315, η. 67. VII, 3 : 324, η. 146. VII, 5-6 : 324, η. 142. VII, 7 : 324, η. 143.
INDEX AUCTORUM ANTIQUORUM VII, 10-11:323, η. 138. Vili, 6 : 328, η. 166. IX, 3: 331, η. 182. IX, 4-6:331, η. 185. XI, 5 : 330, η. 179. XII, 7:331, η. 182. XII, 8:331, η. 181. XII, 9 : 333, η. 197. XII, 10:331, η. 187. XIV, 1,4:332, η. 189. XV, 3 : 324, η. 145. XV, 3-4 : 332, η. 190. XVI, 1 : 348, η. 299. XVIII, 8 : 343, η. 272. XIX, 1 : 343, η. 269. XIX, 7 : 343, η. 269. XX, 6-7 : 332, η. 192. XXI, 3 : 327, η. 165. XXI, 3-5 : 332, η. 193. XXII, 12:334, η. 201. XXIV, 4 : 333, η. 194. XXIV, 6-8:336, η. 214. XXIV, 8 : 338, η. 227. XXVI, 5-6:337, η. 216. XXVII, 8:337, η. 218. XXVII, 11-12:343, η. 268. XXIX, 1 : 348, η. 303. XXIX, 10:337, η. 218. Commode : Ι, 2 : 326, η. 153. 1,4:341, η. 262. Ι, 5 : 342, η. 263. Ι, 9 : 342, η. 266. Ι, 10 : 348, η. 299. II, 4 : 334, η. 201. III, 5 : 344, η. 279. IV, 1 : 347, η. 292. IV, 4 : 347, η. 294. IV, 8-11:347, η. 295. V, 9 : 354, η. 344. VII, 4-8 : 359, η. 385. VIII, 1 : 348, η. 303; 352, η. 329. VIII, 4 : 369, η. 16. VIII, 5:362, η. 407. VIII, 9 : 360, η. 388, η. 390; 362, π. 409. IX, 1:363, η. 4 18. IX, 2:362, η. 408, η. 409. IX, 6:365, η. 428. Χ, 9 : 364, η. 425. XI : 365, η. 427. XI, 8:360, π. 391. XI, 13:331, η. 186. XI, 14 : 333, η. 196. XII: 365, η. 427. XIII : 365, η. 427. XIV, 1:357, η. 365; 359, η. 377. XIV, 2-3:359, η. 381. XIV, 3 : 360, η. 390. XV, 4:364, η. 426. XV, 5 : 360, π. 390.
XVIII-XIX : 370, η. 22. XX, 1-3:370, η. 21. Avidiiis Cassius : I, 7 : 338, η. 226. Π, 2-3 : 338, η. 226. VII, 1-3 : 336, η. 214. VII, 5 : 338, η. 227. VIII, 1 : 338, η. 228. VIII, 2 : 338, η. 229. XI, 8 : 338, η. 230. Pertinax : Π, 10 : 369, η. 15. 111,6:369, η. 16. III, 7 : 368, η. 5. IV, 3 : 368, η. 6. V, 2 : 370, η. 21. V, 4: 371, η. 27; 374, η. 57. VI, 9 : 374, η. 57. VII, 6 : 373, η. 52. XII, 8:374, η. 62; 375, η. 64. XIII : 370, η. 25. XIII, 8 : 375, η. 65. XV, 1-5: 381, η. 107. Didius Julianus : I, 3 : 376, η. 68. I, 8 : 376, η. 68. II, 3 : 376, η. 69. III, 4:376, η. 71. IV, 7 : 377, η. 74. VI, 5:377, η. 75. VII, 9-1 1 : 377, η. 76. Pescennius Niger : Vili, 1-6 : 377, η. 78. XII, 6 : 377, η. 80. Clodius Albinus : 11-111:382, η. 111. Ill, 5:383, η. 114. Septime Sévère : I, 6 : 380, η. 95. I, 7 : 380, η. 92. I, 8 : 380, η. 97. I, 9:380, η. 91. I, 10 : 380, η. 93. II, 8 : 381, η. 101. III, 4 : 380, η. 97. III, 5 : 380, η. 94. IV, 3 : 381, η. 102. VI, 9:382, η. 111. VII, 8-9:381, η. 107. Χ: 388, η. 150. Χ, 3 : 385, η. 131. XI, 3 : 386, η. 145. XII, 8 : 387, η. 146. XV, 1 : 388, η. 150. XV, 4-5 : 390, η. 175. XVI, 1 : 388, η. 152. XVI, 3-4 : 388, η. 153. XVII: 393, η. 197. XIX, 3-4 : 401, η. 242. XX, 1-2 : 400, η. 239.
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470 XXIV, 1-2:401, η. 242. Caracalla : Π, 4 : 402, η. 250. 111:403, η. 251, 256. Ill, 8 : 403, η. 254. Χ, 6 : 403, η. 257. Géta, VI, 8 : 403, η. 257. Macrin : II, 5 : 407, η. 280. III, 1-4:407, η. 281. V, 1 : 407, η. 280. V, 2 : 407, η. 278. V, 6 : 406, η. 277. V, 9 : 407, η. 278. VI, 6 : 407, η. 280. VI, 8 : 407, η. 278. VII, 2 : 407, η. 282. VII, 5 : 407, η. 282. IX, 6:410, η. 295. Χ, 4 : 408, η. 284. XI, 2 : 407, η. 282. Diadumenianus : Ι, 2 : 406, η. 274. Ι, 8 : 407, η. 280. VI, 2 : 406, η. 274. IX, 4-5 : 410, η. 295. Élagabal : Ι, 7:410, η. 295. II, 1:410, η. 295. III, 1-2 : 410, π. 295. VI, 6 : 410, η. 304. VIII, 7 : 409, η. 294. XII, 3 : 410, η. 300. XIII, 1-2:413, η. 326. XVII, 1-3 : 413, η. 328. XXIII, 6:413, η. 325. Sévère Alexandre : VII-X : 414, η. 330. LXI : 420, η. 379. Horace : Carmen saeculare, 57-59 : 72, η. 67; 80, η. 168. Carmina : I, 2, 41 sq. : 85, η. 242. I, 2, 45 : 87, π. 262. I, 2, 49 : 79, η. 152. I, 2, 50 : 75, η. 102. I, 4 : 87, π. 256. I, 12,46:85, η. 239. I, 12,49:73, η. 78; 85, η. 242. I, 15:87, η. 256. I, 17, 13 : 338, η. 230. 1,35,29-32:215, η. 113. II, 13, 19-20:93, η. 309. III, 3, 1 : 86, η. 252. 111,3,9-12:83, η. 200. III, 3, 31 sq. : 85, η. 238. III, 4, 65 sq. : 85, η. 242. 111,5,2-4:79, η. 152; 84, η. 231. III, 5, 13-18 : 93, η. 300; 94, η. 317. III, 14:81, η. 179.
INDICES III, 24, 27-28 : 74, η. 96. III, 27, 8 : 94, η. 323. IV, 1,5:69, η. 20. IV, 2, 37 sq. : 85, η. 242. IV, 2, 49-50:79, η. 152. IV, 5, 6-8 : 83, η. 196. IV, 5, 20-22 : 72, η. 68. IV, 15, 29: 69, η. 17. De Arte Poetica : 156-157:93, η. 306. 311 :94, η. 315. Epistulae : 1,2, 17-20:93, η. 305; 94, π. 316. 1,7, 69:93, η. 310. Ι, 18, 109-110:94, η. 320. Π, 1, 15-17:83, η. 215; 84, η. 223. Π, 1, 48 : 69, η. 18. Epodon Liber, IX, 21-24 : 79, η. 152. ISOCRATE : Aréopagitique, 31:8, η. 8. Sur l'attelage, 9 : 8, η. 8. À Nikoklès, 6 : 8, η. 10. Panégyrique : 2:9, η. 16. 136:9, η. 16; 12, η. 58. Philippe : 32 : 9, η. 16. 69-70 : 8, η. 10. Plataïque : 1 : 9, η. 16. 60: 13, η. 63. Juvénal : VI, 408-412:255, η. 234. VI, 575-576: 149, η. 45. VI, 580-581 : 293, η. 231. Χ, 56-63: 113, η. 60. Χ, 66-67: 113, η. 60. Laudatio Turiae: II, 7a : 70, η. 23. II, 19 : 70, η. 23. Lettre d'Aristée à Philocrate : IV, 30: 11, η. 48. V, 36: 18, η. 104. VI, 80: 11, η. 48. XI, 190: 11, η. 49. XI, 201 : 23, η. 133. XI, 208 : 18, η. 104. XI, 265, 290 : 18, η. 104. LucAiN : Pharsale : I, 33-36 : 179, η. 270. 11,304-305: 179, η. 266. 11,312-313: 179, η. 266. 111,71: 179, η. 268. VI, 730-749: 397, η. 221. IX, 328 : 179, η. 268. IX, 659-705 : 397, η. 223.
INDEX AUCTORUM ANTIQUORUM Lysias : Contre Simon : 28 : 7, η. 3. 41 : 7, η. 3. 43 : 7, η. 3. Au sujet d'une accusation pour blessure, 6, 7, 12 : 7, n. 3. Macrobe : Saturnalia, II, 4, 14 : 168, η. 172. Malalas : XI, 227 : 257, η. 239. XI, 272 : 255, η. 228. Manethon : Aegyptiaca, f. 68, 69a et 69b : 292, n. 225. Apotelesmatica, I (=V), 279-280 : 296, n. 259. Manilius : Astronomica : I, 7 : 75, η. 103. I, 384-386 : 86, η. 252. IV, 547-552 : 88, η. 273. IV, 773-775 : 88, η. 272. Marc Aurèle : Pensées : I, 16:323, η. 136. II, 3 : 334, η. 202. II, 11, 2-3:334, η. 205. III, 7 : 323, η. 137. IV, 10 : 335, η. 207. IV, 48 1 : 379, η. 88. IV, 49 : 338, η. 225. VI, 10 : 335, η. 206. VI, 36 : 335, η. 208. VI, 44, 1-2 : 334, η. 204. XII, 14, 1-2 : 334, η. 203. Martial : Ι, 6, 6:224, η. 183. Π, 2, 5-6:224, η. 183. III, 91, 1 ; 224, π. 181. V, 1,7:224, η. 181. V, 7 : 282, η. 150. V, 28, 5:245, η. 161. VI, 3, 1-6:224, η. 184. VI, 4, 5 : 224, η. 182. VI, 10:221, η. 151. VII, 5, 5:222, η. 161. VII, 56:221, η. 150. VII, 99 : 221, η. 150. IX, 7, 2 : 224, η. 182. IX, 39 : 221, η. 150. IX, 86 : 221, η. 150. IX, 101, 15-16:220, η. 140. VIII, 2, 6: 222, η. 161. VIII, 32, 6 : 222, η. 161. VIII, 54 (=56), 2-3 : 224, η. 182. Ovide: Ars Amatoria : I, 183:85, η. 242. I, 184 : 69, η. 19.
I, 204 : 84, η. 263. Ex Ponto : II, 2, 8 : 84, η. 229. II, 2, 28 : 84, η. 226. Π, 2, 48 : 87, η. 263. Π, 2, 92 : 82, η. 195. 11,2, 109:84, η. 228. 11,2, 115:75, η. 108. Π, 2, 119:70, η. 29. II, 2, 122-124:85, η. 234. II, 3, 98 : 78, η. 137. II, 7, 67: 81, η. 176. 11,8, 1-11:84, η. 219; 85, η. 233. Π, 8, 23 : 69, η. 20. Π, 8, 25 : 86, η. 253. II, 8, 38 : 84, η. 226. II, 8, 52 : 85, η. 233. Π, 8,61:85, η. 233. Π, 8, 67 : 84, η. 227. Π, 8, 76 : 85, η. 233. III, 1,97:84, η. 228. III, 1, 135: 83, η. 202. 111,6,24-25:70, η. 31. IV, 6, 20 : 85, η. 244. Fasti : 1,531 sq.: 85, η. 245. Ι, 590 : 83, η. 204. Ι, 639 : 72, η. 62. 1,639-648:77, η. 129. Ι, 712:81, η. 175. 11,59-60:93, η. 304; 94, η. 318. Π, 127 : 72, η. 59; 74, η. 91. III, 881:72, η. 58; 73, η. 73. IV, 764 : 94, η. 324. V, 145 sq.: 83, η. 211. VI, 637 sq.: 77, η. 131, 132. Métamorphoses : VII, 712 : 93, η. 301 ; 94, η. 325. XII, 18-19:94, η. 322. XIV, 161:93, η. 307. XV, 838-839 : 85, η. 242; 86, η. 252; 87, η. 262. XV, 868-870 : 86, η. 252. Remedia Amoris, 347-348 : 93, η. 308. Tristia : I, 3, 37 : 83, η. 199. Π, 37-39 : 75, η. 108, 109; 83, η. 201. 11,41-42:71, η. 51. II, 54 : 85, ή. 237. 11,57-58:86, η. 252; 87, η. 262. II, 125 : 70, η. 29. II, 205 : 73, η. 78. 11,206:78, η. 137. 11,574:73, η. 78; 75, η. 101. III, 1,35 sq:79, η. 150. III, 1,46:87, η. 257. III, 1,47-48:73, η. 76. III, 8, 13 : 84, η. 228. III, 8, 42-43:71, η. 40. IV, 2, 10 : 87, η. 264. IV, 7, 11-12:397, η. 221. V, 2, 35-36 : 70, η. 23; 85, η. 236.
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472
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V, 2, 43-46 (=2b, 1-4) : 84, η. 226. V, 2,49(=2b, 5): 84, η. 219. V, 2, 51-52 (=2b, 7-8) : 86, η. 252. V, 2, 55 (=2b 11): 71, η. 40. V, 5, 61 : 86, η. 252. V, 1 1, 20 : 84, η. 226. V, 11,25:85, η. 235. M. Pacuvius : Fragments, 407 R3 : 1, η. 3. Pétrone : Satyricon, 76-77 : 183, η. 292. Philon d'Alexandrie : De incorrupîïbilitate mundi, 235, 13B: 181, n. 287. De Providentia : 1,25-28: 180, n.276. 1,30: 180, n. 278. I, 32: 180, n. 279. I, 33: 180, n. 273. 1,34: 180, n.278. I, 45 : 180, n. 274. I, 46 : 180, n. 279. I, 46-47 : 180, n. 277. I, 56 : 180, n. 278. 1,61-62: 180, n.278. I, 66 : 180, n. 275. I, 71 : 180, n.280. 1,77-78: 181, n.281. 11,3-11: 180, n.278. II, 55-58 : 180, n. 273. II, 70-75: 180, n.283. Philostrate : Vie d'Apollonios de Tyane : IV, 47 : 149, n. 47. V, 27-40 : 208, n. 75. V, 28 : 208, n. 76. VIII, 1-7 : 222, n. 162. VIII, 26 : 222, n. 163. Vie des Sophistes, II, 1, 11-12 : 336, n.212. PlNDARE : Pythiques, X, 3, 70-74 : 397, n. 218. Platon : Lois : IV, 721c: 7, n.4. VIII, 838e : 7, n. 4. IX, 871a: 7, n. 2; 8, n.7. IX, 874e : 8, n. 5. XI, 932e : 8, n. 5. Phèdre, 254e : 8, n. 9. République, 617d-621d : 21, n. 125. Timée : 30b : 14, n. 74. 44c : 14, n. 74. 45b : 14, n. 74. (Définitions), 412e: 18, n. 100. Plaute : Asinaria, II, 4, 44 : 1, n. 2. Mostellaria, II, 2, 94 : 1, n. 2.
Pline L'Ancien : Naturalis Historia : Praef., 13:223, n. 164. 11,5,(7), 18:210, n. 86. II, 23 : 162, n. 133. 111,23 (19), 5:223, n. 166. VIII, 58, 1 : 223, n. 170. IX, 7, 1 : 223, n. 167. X, 2 : 166, n. 152; 168, n. 169; 268, n. 38. X, 30 (23), 2 : 223, n. 170. X, 50, 2 : 223, n. 167. XI, 77, 1 : 223, n. 166. XI, 87, 1 : 223, n. 167. XV, 3 (7), 1 : 223, n. 166. XVI, 46, 1 : 223, n. 168. XVIII, 8, 1 : 223, n. 171. XVÎII, 61, 1 : 223, n. 168. XXII, 7,2:223, n. 168. XXII, 43, 1 : 223, n. 166. XXIX, 8, 2:223, n. 171. XXIX, 9:223, n. 171. XXXIV, 14, 1 : 223, n. 171. XXXIV, 40, 1 : 223, n. 169. Pline Le Jeune : Epistulae : I, 5, 16 : 245, n. 163; 247, n. 176, n. 177. I, 14, 3:244, n. 153. II, 10, 5 : 245, n. 155. III, 9, 6 : 244, n. 152. III, 13:239, n. 84. III, 18:239, n. 84. III, 19, 1 : 245, n. 165. III, 19, 9 : 245, n. 164; 247, n. 176. IV, 17, 10: 231, n.34; 245, n. 158; 247, n. 175. IV, 22, 3-6 : 245, n. 162. IV, 26, 2 : 245, n. 166; 247, n. 176. V, 20, 8: 246, n. 167. VI, 6, 5 : 245, n. 156. VI, 15, 4 : 245, n. 154. VI, 19, 3:246, n. 168. VIII, 17, 2 : 246, n. 169. VIII, 23, 5 : 295, n. 249. IX, 13, 6 : 245, n. 157; 247, n. 175. X, 2, 1 : 295, n. 250. X, 41, 1 : 247, n. 173. X, 54 : 246, n. 170. X, 54, 1 : 247, n. 178. X, 58, 7 : 280, n. 132. X, 61, 1 : 247, n. 174, n. 178; 248, n. 181. X, 62 : 248, n. 180. X, 77, 1:246, n. 172; 247, n. 178. X, 108, 2 : 246, n. 171 ; 247, n. 177. Panegyricus : I, 1 : 243, n. 139. I, 4-5 : 240, n. 97. II, 3 : 242, n. 133. 11,7:241, n. 114. VI, 1 : 242, n. 126. VIII, 1-2 : 240, n. 98. VIII, 1 : 230, n. 27.
INDEX AUCTORUM ANTIQUORUM Galba, Π: 183, η. 293. V, 2 : 190, η. 339. VIII, 8:245, η. 159. XIV: 183, η. 293. XVIII, 4: 189, π. 333. XXI : 186, η. 308. XXI, 3 : 187, η. 309. XXII: 187, η. 314. XXII, 1 : 187, η. 310. XXIII, 1-2: 187, η. 311. XXIII, 3: 189, η. 331. XXIII, 7: 194, η. 359. Marius, VII, 3 : 426, η. 20. Othon, XV: 194, η. 366. XVI, 2 : 194, η. 368. POLYBE : 1,52, 1: 10, η. 36; 17, η. 97. 1,84,6: 11, η. 42; 17, η. 98. II, 33, 6 : 10, η. 35. III, 15, 9 : 17, η. 97. III, 47, 7: 11, η. 40; 17, η. 97. III, 60, 7 : 10, η. 32. III, 87, 5 : 10, η. 29. III, 105,9: 11, η. 42; 17, η. 98. III, 106, 7 : 10, η. 29. III, 115, 11: 10, η. 36. IV, 74, 2 : 12, η. 56. V, 10, 7 : 17, η. 94. V, 11, 6: 18, η. 108. V, 31,7: 16, η. 88. V, 32: 17, η. 91. V, 48, 8: 16, η. 83. V, 81, 7: 10, η. 35; 17, η. 97. V, 98, 2 : 10, η. 30. V, 104,5: 12, η. 56. VI, 9, 3 : 12, η. 50. VI, 13, 6 : 12, η. 50. VI, 52, 3 : 10, η. 29. VII, 14, 6 : 12, η. 55. IX, 14, 1-4: 11, η. 42; 17, η. 98. IX, 16,2: 17, η. 92. Χ, 2, 13: 11, η. 41; 17, η. 95. Χ, 5, 8 : 12, η. 57; 17, η. 95, η. 96, η. 99. Χ, 11, 8: 16, η. 83. Χ, 14, 11: 16, η. 83. Χ, 18, 15: 10, η. 27. Χ, 33, 3: 10, η. 28. Χ, 41, 3: 10, η. 30. Χ, 44, 6 : 10, η. 34. XI, 2, 6 : 10, η. 33. XI, 2, 10: 10, η. 31. XI, 6, 6 : 17, η. 93. XI, 17, 1: 10, η. 36. XI, 24, 6 : 10, η. 37. XI, 31,7: 11, η. 41. XIV, 6, 9: 10, η. 29. XV, 2, 5 : 10, η. 26. XV, 12, 4 : 10, η. 37. XVI, 17, 10: 16, η. 86.
.
Vili, 2:231, η. 31. Vili, 3-6: 231, η. 32. Vili, 6:231, η. 37. Χ, 4 : 231, η. 33; 240, η. 98; 243, η. 138; 271, η. 58. XII: 241, η. 111. XII, 2-4:241, η. 110. XIII, 1-2:241, η. 110. XIV, 3:241, η. 111. XV, 4:241, η. 111. XVI, 1:241, η. 114. XX, 2:241, η. 116. XX, 3:241, η. 116. XXI, 1 : 233, η. 42. XXI, 1-4 : 233, η. 48. XXI, 3-4:241, η. 115. XXIV, 2 : 241, η. 116; 243, η. 142. XXV, 2:241, η. 113. XXV, 4:243, η. 141. XXIX, 3-5 : 358, η. 370. XXIX, 4-5 : 241, η. 113. XXXIII, 2:241, η. 113. XXXVI, 4:241, π. 113. XLI, 1:241, η. 112. XLI, 3:241, η. 116. XLIX, 5:241, η. 112. XLIX, 7:241, η. 114. XLIX, 8:241, η. 111. LXVI, 3 : 243, η. 140. LXVII, 3 : 279, η. 121. LXVII, 4 : 241, η. 120. LXVIII, 1 : 231, η. 28; 241, η. 120. LXXV, 4 : 243, η. 143. LXXX, 3 : 242, η. 122, π. 130. LXXX, 4 : 241, η. 99. LXXX, 4-5 : 242, η. 125. LXXXI, 2 : 241, η. 1 10. LXXXV, 5 : 241, η. 1 17. LXXXVI, 4:241, η. 118. XCIV, 5 : 241, η. 120. Plutarque : Moralia : De audiendis poetis : 27D : 426, η. 20. 29Ε:425, η. 18. 31Α-Β:426, η. 20. De communibus notitiis adversus Stoicos : 1075E : 426, η. 23. 1077D: 19, η. 110, η. 111. De defecai oraculorum, 420B : 425, η. 17; 426, η. 23. De Iside et Osiride, 377E : 425, n. 16. De latenter vivendo, 1129B : 425, η. 16. De laude ipsius, 543D-E : 426, η. 26. De Pythiae oraculis, 409B-C : 425, n. 12. De Stoicorum repugnantis : 1041A:23, n. 130. 1050B : 425, n. 15. De tribus rei publicae generibus, 826C-E: 425, n. 15; 426, n.21. Vitae : Antoine, III, 8:426, η. 20. Eumène, V, 4 : 426, η. 20.
473
474 XVI, 20: 17, η. 90. XVI, 20,2: 16, η. 87. XVI, 20, 6 : 17, η. 89. XVIII, 12, 2 : 12, η. 54. XVIII, 33, 8: 11, η. 39. XVIII, 36, 4 : 10, η. 26. XX, 5, 13 : 12, η. 52. XXI, 21, 1: 12, η. 51. XXI, 23, 5 : 12, η. 53. XXI, 48 (46), 9: 12, η. 51. XXIII, 1,2: 12, η. 51. XXIII, 17,3: 10, η. 26. XXIII, 17, 10: 16, η. 83. XXVIII, 16, 2: 12, η. 50. XXXVI, 8, 4: 11, η. 38. Porphyre : Isagoge, 51, f. 201:292, η. 219. Procope : De aedificiis, IV, 6 : 237, η. 72. Properce : III, 1, 37-38 : 95, η. 327. 111,22,21-22:74, η. 90. IV, 6, 33-34 : 83, η. 197. Ptolémée d'Alexandrie : Tétrabibîos, I, 5: 156, η. 97. I, 17 : 293, η. 234. I, 18: 156, η. 98. I, 19: 156, η. 99. I, 22 : 156, η. 100. Ill, 5 : 293, η. 234. III, 10 : 294, η. 238. IV, 3:279, η. 123; 293, η. 234. IV, 9 : 302, η. 286. QUINTILIEN : De Institutione oratoria : I, 10,7:224, η. 176. I, 12, 18:224, η. 176. IV, proem., 2 : 223, η. 172. V, proem., 4 : 224, η. 175. V, 7, 35 : 224, η. 178. V, 10, 7 : 224, η. 179. V, 12, 19 : 224, η. 179. VII, 2 : 224, η. 178. VII, 10 : 224, η. 179. Χ, 1 : 223, η. 173. Χ, 1, 91 : 220, η. 141. Χ, 1, 109 : 224, η. 176. XI, 1, 23 : 224, η. 176. XII, 1, 12 : 224, η. 177. Rhétorique à Herennius: IV, 20, 27: 82, η. 188. IV, 32, 43 : 2, η. 6. Salluste : Catilina : LI, 2 : 64, η. 343. LI, 7 : 64, η. 344.
INDICES LU, 4 : 64, η. 344. LX, 4:64, η. 341. Epistulae ad Caesarem, I, 4, 5 : 77, η. 125. Historiae, I, 1 : 64, η. 346. Jugurtha : VII, 4 : 64, η. 349. VII, 5 : 63, η. 337; 64, η. 339, η. 348. Χ, 6-7:64, η. 345; 72, η. 63. Χ, 7:63, η. 338; 65, η. 350. XXVIII, 5 : 64, η. 342, η. 348, η. 349; 65, η. 351. XLIX, 2 : 64, η. 339. LXII, 1 : 64, η. 339. XC, 1 : 64, η. 340, η. 347. XCIX, 1-2 : 64, η. 342. C, 3 : 64, η. 340. Sénêque : De Beneficiis : IV, 4, 2 : 304, η. 308. IV, 5, 1 : 178, η. 250. IV, 31, 1: 178, η. 252. IV, 32, 1 : 177, η. 249. VI, 21, 2 : 176, η. 233. VI, 23, 3 : 177, η. 243. VI, 23, 5 : 177, η. 245. VII, 3, 2: 177, η. 243. VII, 8, 3: 177, η. 246. VII, 32: 177, η. 236. De Clementia : I, 8, 3 : 208, η. 70. I, 10, 3 : 75, η. 106. II, 4, I (6, 1) : 176, η. 227. νΐΙ-νΐΠ:70, η. 24. Dialogi : De breuitate vitae, IX, 4: 174, η. 213. Consolatio ad Marciam : IX, 2: 174, n.210. IX, 5: 174, n. 211. Consolatio ad Polybium, XVIII, 3 : 178, n. 251. De Ira : I, 3, 7 : 174, n. 199. I, 10, 1: 174, n. 201; 175, n. 219. I, 1 1, 3 : 174, n. 207. I, 12,5: 174, n. 199; 175, n. 218. I, 17, 2: 174, n. 199, n.206. 11,34,3: 175, n. 221; 177, n. 239. Ili, 20, 2 : 174, n. 209. De Prouidentia : I, 1 : 178, n. 257. I, 2 : 178, n. 260. IV, 6: 178, n.258. IV, 7: 178, n. 259. V, 7 : 179, n. 263. De tranquillitate animi, XI, 11 : 120, n. 99. De Vita beata : III, 4 : 177, n. 235. IX, 4: 174, n.203. XXV, 3: 174, n. 215. XXVI, 3 : 174, n. 208. Epistulae ad Lucilium : I, 5, 8 : 174, n. 198.
INDEX AUCTORUM Al^TIQUORUM II, 16, 6: 177, η. 242. V, 45, 5 : 174, η. 199, η. 204. VII, 66 : 174, η. 205. VIII, 71, 10: 174, η. 212. VIII, 74, 10 : 178, η. 254. XI, 88, 15-16: 179, η. 261. XII, 73, 10 : 175, η. 220; 177, η. 238. XIV, 90, 5 : 175, η. 217; 177, π. 237. XV, 94, 46 : 72, η. 63. XVII, 101,7-8: 178, η. 255. XIX, 105, 3: 175, η. 219. XIX, 1 10, 8 : 178, η. 253. XIX, 115,3: 176, η. 228. XX, 120, 11: 176, η. 229. Naturales Quaestiones : I, prolog. 15: 177, η. 240. 11,45, 1-3: 177, η. 241, η. 247. IV, 2, 13: 158, η. 110. V, 18, 1: 177, η. 244. V, 18, 5: 177, η. 242, η. 243. VI, 1, 10: 174, η. 214. VII, 30, 2 : 27, η. 147. SiLius Italicus : Punica : 111,594-611:201, π. 19. Vili, 468-469:201, η. 20. Solin: XXXIII, 14: 168, η. 169. Sophocle : Ajax, 536 : 12, η. 58. Antigone, 282-283 : 14, η. 69. Electre, 1015-1016: 12, η. 58. Œdipe à Coione, 1179-1180 : 13, η. 66. Œdipe Roi, 977-979 : 12, η. 58. Philoctète, 774 : 12, η. 58. Les Trachiniennes, 821-823 : 14, n.75. Stace : Achilleis : I, 542:224, η. 185. 1,698 (=11, 24): 224, η. 185. Ι, 802 HI, 128) : 224, η. 185. Silvae : 111,4,20:222, η. 161. IV, 1, 10 : 224, η. 182. IV, 1, 17-20:224, η. 183. IV, 1,25:224, η. 181. IV, 1, 37 : 224, η. 183. IV, 1, 37-38 : 282, η. 150. IV, 1,45:224, η. 182. IV, 2, 41-42: 224, η. 182. IV, 3, 10:224, η. 182. IV, 3, 122 sq.: 224, η. 183. IV, 3, 143-150:224, η. 183. Thebais : III, 450 : 224, η. 185. IV, 197:224, η. 185. VI, 769: 224, η. 185. VIII, 681 : 224, η. 185.
Χ, 329:224, η. 185. Χ, 639:224, η. 185. Stobee : Ι, 158 (4, 7): 21, η. 123. Ι, 178:23, η. 130. II, 60, 9 : 23, η. 130. IV, 5, 61 : 18, η. 103. Strabon : Χ, 3, 23: 179, η. 264. Suétone : César : LXXVI, 2 : 74, η. 93. LXXXVIII : 85, η. 239. Auguste : V, 1 : 88, η. 270. XXI, 6: 71, η. 50. XXV, 5 : 68, η. 2. XXVIII, 6: 68, η. 4; 425, η. 9. XXXI, 2 : 83, η. 205; 88, η. 270. XXXI, 5:72, η. 71. XXXI, 6:83, η. 211. XXXIII, 1-2: 70, η. 32. XLII, 1 : 425, η. 9. XLV, 1:84, η. 218. LI, 3 : 70, η. 25. LUI, 1-2:71, η. 49. LVI, 2:71, η. 41. LVI, 6:71, η. 44. LVII, 2:83, η. 212. LVIII, 1 : 72, η. 59. LVIII, 2 : 82, η. 194. LIX-.78, η. 135. LXVII, 1 : 70, η. 28. LXXI, 5 : 86, η. 254. LXXIX, 3 : 83, η. 198. XCIV, 6 : 87, η. 268. XCIV, 17 : 88, η. 269. XCIV, 18 : 87, η. 267; 88, η. 275. C, 1 : 88, η. 270. Tibère : XIV, 6: 131, η. 196. XXXVI, 3 : 147, η. 32. XLVIII, 4: 112, η. 56. LI, 5, 6: 110, η. 42. LUI, 3, 3: 126, η. 139. LVIII, 11, 3: 112, η. 59. LVIII, 12, 1-3: 112, η. 59. LIX, 2: 138, η. 237. LXI, 2 : 126, η. 142. LXV, 1: 109, η. 37; 112, η. 53. LXV, 2: 112, η. 58. LXIX: 138, η. 237. Caligula : Χ, 3 : 126, η. 145. Χ, 4 : 126, η. 140. XIII: 127, η. 149. XXX, 4: 126, η. 141; 139, η. 242. Claude : ΙΙ-ΙΧ : 169, η. 175.
475
476 V, 1-2 : 144, η. 8. VI, 5: 144, η. 7. IX, 3: 139, η. 244. XI, 7: 144, η. 9. XIII, 3-4: 105, η. 11. XIII, 3 : 165, η. 142. XVI: 168, η. 172. XXI, 2-3 : 165, η. 148. XXI, 5: 169, η. 176; 170, η. 185. Néron : VI, 1 : 156, η. 103. IX, 1 : 170, η. 184. XI, 4: 153, η. 76. XIII, 4 : 147, η. 26. XXXIV, 5: 150, η. 51. XXXIV, 7-9 : 150, η. 52. XXXVI, 2 : 147, η. 24. XXXVI, 1-2 : 162, η. 129. XLIX, 5-6: 184, η. 297. Galba : IV, 2: 189, η. 327. IV, 4-5: 189, η. 328. IX, 5: 189, η. 329. Χ, 5: 189, η. 329. XVI, 1: 186, η. 306. XVI, 5: 187, η. 314. Οthon : IV, 1-2 : 194, η. 360. VI, 2: 194, η. 361. VI, 3: 194, η. 363. VII, 1 : 194, η. 362. VIII, 5 : 194, η. 364. Vitellius : III, 4 : 195, η. 375. Χ, 2: 196, η. 381. XI, 2: 195, η. 376. XIV, 4 : 155, η. 94. XIV, 5 : 195, η. 377, η. 379. Vespasien : III, 3 : 337, η. 220. IV, 9 : 205, η. 40. V, 9 : 207, η. 62. VII, 5-6 : 208, η. 68. XXV, 1 : 202, η. 22. Titus : V, 1: 186, η. 307; 201, η. 13. V, 4 : 210, η. 90. V, 13: 186, η. 308. IX, 2:217, η. 128. IX, 5: 217, η. 127; 219, η. 137. Doniitien : IV, 7 : 220, η. 146. VI, 3-4:221, η. 155. Χ, 5 : 221, η. 152, η. 154. Χ, 6 : 222, η. 159. XIII, 1 : 219, η. 135, η. 136. XIII, 2-4:221, η. 148. XIV, 2-3 : 221, η. 153. XIV, 7 : 425, η. 9. XV, 1 : 220, η. 145. XV, 3-7:221, η. 156.
INDICES XV, 8-10:222, η. 158. XV, 9 : 425, η. 9. XVI, 1-7 : 220, η. 144. XXIII, 4 : 221, η. 147. Tacite : Agricola, XIII : 425, η. 8. Annales : I, 3, 5: 122, η. 115. I, 11, 1: 128, η. 152. I, 14, 3: 122, η. 115. I, 74, 3 : 128, η. 153. Π, 27-33: 147, η. 32. II, 30, 2 : 132, η. 203. 11,32,3: 132, η. 202; 150, η. 61. Π, 50, 1 : 128, η. 154. Π, 59, 1: 122, η. 115. Π, 84: 316, η. 75. III, 22, 1 : 148, η. 37. III, 29,4: 111, η. 48. 111,72, 3: 112, η. 51. IV, 1, 1 : 109, η. 36. IV, 3, 2 : 125, η. 136. IV, 8,4-5: 125, η. 137. IV, 12, 1-2 : 126, η. 138. IV, 36, 2: 121, η. 114; 128, η. 156. IV, 47 : 147, η. 34. IV, 67 : 131, η. 188. IV, 74, 3: 129, η. 171. V, 1,4: 110, η. 42. V, 8: 111, η. 49. VI, 3, 4 : 126, η. 144. VI, 19, 2-3: 113, η. 61, η. 63. VI, 20, 2 : 132, η. 199; 189, η. 327. VI, 21, 2: 131, η. 196. VI, 28, 1-6: 166, η. 154. VI, 28, 5: 169, η. 178; 268, η. 38. VI, 30, 2 : 139, η. 246. VI, 46, 2 : 125, η. 132, η. 134. XI, 11, 1-2: 165, η. 148; 169, η. 177. XI, 13, 1 : 165, η. 151. XI, 23-25 : 168, η. 172, η. 174. XII, 43, 1 : 358, η. 37 1.' XII, 52, 3 : 147, η. 33. XII, 59, 1: 151, η. 67. XII, 65, 1: 151, η. 68. XII, 68-69: 161, η. 125. XII, 68, 3: 151, η. 70. XIII, 3, 1 : 170, η. 181, η. 182; 424, η. 6. XIII, 18, 2: 162, η. 132. XIII, 19, 3: 165, η. 145. XIII, 22, 1 : 160, η. 122. XIII, 22, 2: 152, η. 71. XIV, 2: 151, η. 66. XIV, 7,6: 150, η. 51. XIV, 9, 3: 151, η. 69. XIV, 10, 3 : 155, η. 89. XIV, 11, 1-2: 150, η. 54. XIV, 12, 1 : 150, η. 50, η. 62; 152, η. 71. XIV, 13, 2 : 150, η. 53. XIV, 48, 1 : 147, η. 28.
INDEX AUCTORUM ANTIQUORUM
:
:
XIV, 59, 4 : 150, η. 62. XIV, 64, 1 : 150, η. 62. XV, 23, 2 : 150, η. 62. XV, 74, 1 ; 150, η. 62. XVI, 4, 2: 150, η. 62. XVI, 5, 3 : 425, η. 8. XVI, 14-15: 147, η. 23, η. 27. XVI, 14, 1: 149, η. 44; 152, η. 71. XVI, 15, 1 : 153, η. 77. XVI, 17-19 147, η. 23. XVI, 21-35 147, η. 23; 148, η. 40. XVI, 21, 1 : 149, η. 43. XVI, 23, 1 : 149, η. 48. XVI, 24, 1 : 149, η. 46. XVI, 30, 2 : 149, η. 42. η. 44. Historiae : 1,6, 1: 188, η. 321. Ι, 7, 5: 188, π. 321. Ι, 10, 7:425, η. 8. Ι, 12, 1: 187, η. 313. Ι, 12, 2-3 : 186, η. 307. Ι, 12, 5: 188, η. 322. Ι, 13,4: 187, η. 317. Ι, 14, 1: 187, η. 316. Ι, 15, 1:231, η. 28. Ι, 15, 5: 188, η. 325. Ι, 16,2: 187, η. 318. Ι, 16, 6: 188, η. 326. Ι, 16,7: 187, η. 318. Ι, 18, 1: 189, η. 330. Ι, 18, 2: 189, η. 332. 1,22,3-5: 155, η. 94; 194, η. 360. 1,27, 1: 189, η. 333. 1,29, 1: 189, η. 334. 1,29,5: 188, η. 320. 1,38, 1: 195, π. 370. II, 1: 186, η. 307; 201, η. 13. Π, 2, 5 : 207, η. 63. Π, 4, 3 : 207, η. 63. Π, 19, 3 : 424, η. 5. Π, 33, 2 : 194, η. 365. Π, 46, 1 : 194, η. 366. 11,51: 194, η. 369. Π, 55, 2 : 196, η. 380. Π, 56, 1-2 : 195, η. 378. Π, 59, 5 : 196, η. 386. Π, 61 : 196, η. 384. 11,62,: 155, η. 94. Π, 62, 4 : 195, η. 377. Π, 78, : 425, η. 8. II, 78, 2 : 202, η. 26. II, 78, 7 : 207, η. 62. II, 81,4:207, η. 60. II, 88, 7 : 196, η. 380. II, 95, 2 : 196, η. 383. 11,95,6: 197, η. 391. 111,38, 10: 196, η. 387. III, 67, 3 : 197, η. 389. III, 55, 1 : 197, η. 391. IV, 3, 5 : 200, η. 6. IV, 8, 7 : 210, η. 85.
IV 11 6 : 203, η 79 IV ?9 4 : 424, η S IV, 40, 1-3 : 201, η. 16 IV, 40, 9 : 245, η. 160. IV, 52, 2 : 209, η. 83. IV, 52, 4:217, η. 126. IV, 80, 1 : 197, η. 390. IV, 81, 2-6 : 208, η. 68 IV, 82, 1 : 208, η. 66. IV 8? 3 : 209, η 77 V, 13, 3:205, η. 41. V, 13,4-5:205, η. 39. Terence : Andrienne, 208 : 31, η. 3. Heauîontimoroumenos : 77,: 31, η. 5. 115-117: 31, η. 4. Phormio, 777-779:31, η. 2. Thucydide : Ι, 140, 1 : 21, η. 126. Π, 40, 3 : 64, η. 348. 11,62,5:8, η. 11. Π, 89, 9 : 8, η. 12. IV, 108,4: 12, η. 61. VI, 13, 1 : 8, η. 12. TlBULLE : Ι, 10, 45-50 : 81, η. 177. Ι, 10, 67-68 : 81, η. 177. 11,5, 11-13:93, η. 302; 95, η. 326. Τίτε- Live : 1,51,3: 100, η. 388; 271, η. 56. 11,34, 3:96, η. 341. III, 34, 3:95, η. 337; 96, η. 344. III, 49, 8 : 96, η. 345. III, 63, 3 : 96, η. 354. IV, 25, 6 : 96, η. 342. IV, 25, 11:96, η. 349. IV, 43, 9 : 95, η. 339; 100, η. 387; 271, η. 56. IV, 46, 4 : 99, η. 378. IV, 46, 10 : 99, η. 379. V, 49, 4 : 96, η. 355. V, 49, 7 : 74, η. 92. VI, 6, 14 : 96, η. 343. XXI, 21, 7 : 99, η. 382. XXII, 9, 7-11:37, η. 49. XXII, 35,4:97, η. 361, η. 362. XXII, 38 : 97, η. 363, η. 366, η. 367. XXII, 39, 20-22 : 97, η. 368. XXII, 41, 1 : 97, η. 364, η. 365. XXII, 42, 4 : 95, η. 340; 98, η. 369. XXIII, 36, 2 : 95, η. 331 ; 97, η. 358. XXIII, 37, 6 : 99, η. 381. XXIII, 43, 7 : 97, η. 357. XXIII, 43, 8 : 95, η. 333. XXIII, 48, 3 : 97, η. 359. XXIV, 8, 13 : 95, η. 339, η. 340; 96, η. 352. XXV, 16, 4 : 100, η. 386. XXV, 34, 7 : 95, η. 334; 98, η. 370.
477
478 XXV, 39, 4 : 96, η. 350. XXV, 26, 6 : 97, η. 356. XXVI, 22, 15 : 75, η. 105. XXX, 5, 5 : 95, η. 338; 99, η. 383. XXXI, 1, 5 : 95, η. 330; 99, η. 385. XXXIII, 20, 12 : 96, η. 348. XXXVI, 9, 7 : 95, η. 335; 99, η. 384. XXXVI, 17, 12 : 95, η. 336; 97, η. 360. XXXVI, 41, 6: 99, η. 377. XXXVII, 23, 2 : 96, η. 351. XXXVII, 53, 6 : 96, η. 346. XXXIX, 25, 12 : 96, η. 347. XLIV, 24, 6 : 95, η. 329; 96, η. 353. XLIV, 33, 5 : 98, η. 372. XLIV, 33, 9 : 98, η. 371 ; 99, η. 380. XLIV, 34, 2 : 95, η. 332; 98, η. 374. XLIV, 34, 4-5 : 37, η. 48; 98, η. 375. XLIV, 35, 12 : 98, η. 373. XLIV, 39, 1 : 98, η. 376. Valére Maxime : Praef.: 123, η. 121; 133, η. 209. Ι, 3, 3 : 147, η. 30. Ι. 5, 1 : 179, η. 264. IV, 1, 1 : 129, η. 174. IX, 11, ext. 4 : 119, η. 98; 129, η. 166, 179. Varron: Res Rusticae, III, 10, 4 : 62, η. 320. Virgile : Eclogue, I, 7: 87, η. 261.
INDICES Enéide : I, 289 sq. : 80, η. 170; 85, η. 240. I, 292-296 : 72, η. 69. VI, 756 sq. : 85, η. 238. VI, 789 sq. : 80, η. 169. VI, 792 : 85, η. 240; 282, η. 150. . IX, 641 sq. : 80, η. 169; 85, η. 240; 87, η. 260. XII, 827 : 69, η. 16. Géorgiques : Ι, 25 : 87, η. 259. 1,32-35: 88, η. 271. Ι, 36 : 87, η. 258. Ι, 42 : 83, η. 214. Ι, 167:94, η. 321. Ι, 500-501:86, η. 251. IV, 560-562 : 87, η. 255. Moretum, 59:94, η. 319. ViTRUVE : De Architectura : V, 3, 2 (=108, 22) : 93, η. 311. VI, 2, 1 (=139, 2) : 93, η. 303, η. 304, η. 314. VII, 1, 1 (=162, 15) : 93, η. 303, η. 312. VIII, 4, 1 (=204, 24) : 93, η. 313. Χενορηον : Cyropédie, Ι, 6, 23 : 12, η. 59. Économique, VII, 38 : 8, η. 10. Helléniques, VII, 5, 8 : 8, η. 12; 12, η. 60. Mémorables, I, 4, 6 : 14, η. 71. ZosiME : I, 11, 1-3 : 416, η. 349. 11,4-5: 165, η. 148; 282, η. 149.
INDEX INSCRIPTIONUM
Année epigraphique : 1934, 146 : 289, η. 203. 1947, 123:273, η. 71. 1952, 165 : 69, η. 13. 1954, 171:403, η. 255. 1960, 36 : 409, η. 292. 1965, 211:288, η. 193. 1967, 86a: 167, η. 165. 1967, 537 : 392, η. 193. 1968, 518 à 524: 394, η. 203. 1969-70 : 144, η. 10. 1974,607: 105, η. 16. 1978, 778 : 105, η. 16. Α. Baldi, Latomus, XXIII, 1964, 798-799: 167, η. 165; 168, η. 166. G. Barbieri, Kôkalos, VII, 1961, 15 : 333, η. 198. Α. et E. Bernand, Les inscriptions grecques et latines du colosse de Menmon, n° 31 : 288, n. 197. G. Chalon, L'édit de Tiberius Julius Alexander, Π-2>Α: 186, η. 304. Corpus inscriptionum Graecarum : 11,2968:318, η. 89. Π, 3709:318, η. 89. Ill, 3957 : 90, η. 284. Corpus inscriptionum L\tinarum : I, 2:53, η. 213. Ρ, 229: 79, η. 154; 80, η. 165; 82, η. 193; 83, η. 213. Ρ, 231:70, η. 31; 72, η. 61; 77, η. 130; 83, η. 204. 12,231-238:79, η. 154. Ρ, 232:81, η. 172; 84, η. 224. Ρ, 233:72, η. 60; 74, η. 91, 99. Ρ, 234 : 72, η. 57; 73, η. 73; 81, η. 174; 154, η. 82. Ρ, 244: 80, η. 171. II, 693:384, η. 121. Π, 1133: 83, η. 211. Π, 2038 : 129, η. 177. 11,6278:322, η. 129. III, 1,71:237, η. 72. III, 1, 355 : 265, η. 12. III, 1,427:396, η. 214.
III, 1, 1439 : 390, η. 174. III, 2, 5708 : 409, η. 293. Ill, suppl. 1, 8360:416, η. 358. Ill, suppl. 2, 12036 : 105, η. 13. Ill, suppl. 2, 12487 : 354, η. 345. Ill, suppl. 2, 1414935 : 374, η. 59. Ill, suppl. 2, 1414938 : 374, η. 59. Ill, suppl. 2, 14168 : 374, η. 59. V, 1874 : 322, η. 127; 330, η. 179. VI, 1,472:230, η. 19. VI, 1, 811: 136, π. 225. VI, 1, 873 : 73, η. 83. VI, 1, 984 : 271, η. 60; 289, η. 202. VI, 1,993:318, η. 85. VI, 1,994:318, η. 87. VI, 1, 1080:405, η. 270. VI, 1, 1244 : 390, η. 172. VI, 1, 1343:370, η. 24. VI, 1, 2028: 136, η. 224; 138, η. 234. VI, 1, 2042 : 145, η. 17; 186, η. 305. VI, 1, 2044 : 145, η. 18; 146, η. 19; 147, η. 26; 151, η. 64. VI, 1, 2051 : 185, η. 303; 195, η. 371. VI, 1, 2054 : 214, η. 106. VI, 1, 2055 : 214, η. 106. VI, 1, 2056 : 214, η. 106. VI, 1,3828: 152, η. 75. VI, 2, 8972 : 337, η. 223. VI, 4, 2, 31215:275, η. 87. VI, 4, 2, 31236:405, η. 270. VI, 4, 2, 31298 : 236, η. 69. VI, 4, 2, 31338a : 405, η. 268, η. 270. VI, 4, 2, 32324 : 165, η. 148. VI, 4, 2, 32325 : 165, η. 148. VI, 4, 2. 32326 à 32331 : 391, η. 178; 393, η. 199. VI, 4, 2, 32344 : 138, η. 234. VI, 4, 2, 32346 : 136, η. 227; 139, η. 244. VI, 4, 2, 32350 : 144, η. 10. VI, 4, 2, 32351 : 144, η. 10. VI, 4, 2, 32354 : 145, η. 17; 186, η. 305. VI, 4, 2, 32355 : 145, η. 18; 146, η. 19; 147, η. 26. VI, 4, 2, 32359 : 185, η. 303; 195, η. 371. VI, 4, 2, 32361 : 214, η. 106. VII, 498:273, η. 71. VIII, 1,2366:354, η. 345.
480
INDICES
Vili, 1,4598:409, η. 291. Vili, 2, 10570 : 341, η. 260. Vili, suppl. 1, 14454 : 386, η. 142. Vili, suppl. 1, 14464: 341, η. 260. Vili, suppl. 1, 16530 : 354, n. 345. Vili, suppl. 4, 26416 : 394, n. 200. Vili, suppl. 4, 26498 : 382, n. 111. IX, 4191:85, n. 239. IX, 5894 : 236, n.70; 248, n. 183. X, 1, 1401 : 164, n. 137; 279, n. 115; 281, n. 138. X, 1, 3757: 86, n.252. X, 1, 6310: 236, n. 68; 248, n. 183. XI, 1, 1333 : 250, n. 197. XI, 1, 1420-21:86, n. 249. XI, 1, 2600 : 355, n. 352. XI, 2, 4170 : 105, n. 10; 279, n. 114. XI, 2, 4171 : 105, n. 15. XII, 4333 : 84, n. 225. XIII, 1, 1, 1168: 159, n. 117. XIII, 1, 1, 1753:382, n. 111. XIII, 1,2, 4323:374, n. 59. XIII, 1, 2,4635: 115, n.70. XIV, 106 : 391, n. 182. XIV, 3579 : 274, n. 77. XIV bis, 4535: 136, n. 225. C. Courtois.... Les Tablettes Albertini, 105 : 284, η. 160. A. Degrassi, Athenaeum, XLII, 1964, 299-306: 114, η. 68; 129, η. 178; 130, η. 183. S. EiTREM-L. Amundsen, Papyri Osloenses, III, 1936, 45, n° 77 : 289, n. 204. R. O. Fink, A. S. Hoey, W. F. Snyder, Yale Classical Studies, VII, 1940 : 275, η. 83. W. Henzen, Acta Fratrum Arvalium quae supersunt: 117, n. 83; 136, n. 224, n. 227; 138, n. 234; 144, n. 10; 145, n. 17, n. 18; 146, n. 19; 147, n.25, n.26; 148, n.35; 151, n.64; 185, n.303; 186, n.305; 195, n.371; 272, n.69; 274, n.79; 280, n. 130, n. 131; 289, n. 198; 340, n.258, n.259; 348, n.298; 373, n. 48; 412, n.315. M. Holleaux, Études d'épigraphie et d'histoire grecques, I, 165-185 : 172, η. 187. Α. S. HuNT-C. C. Edgar, Select Papyri, II, 212 : 158, n. 107. Inscriptiones Graecae : II2, 3, 3238 : 105, n. 17. II, 5, 318c: 9, n. 23. II, 5, 371c, f. a: 8, n. 10. II, 5, 546b : 8, n. 10. II, 5, 591b: 8, n. 13; 9, n. 20. II, 5, 619b: 8, n. 13. III, 1, 461 : 105, n. 17. III, 1, 556 : 163, n. 136. IV, 66 : 9, n. 19. IV, 1318: 15, n. 82. V, 1, 538 : 405, n. 270. V, 1, 1432 : 9, n. 17. V, 2, 265 : 13, n. 65.
VII, 2711: 172, n. 191. VII, 2713: 172, n. 187. IX, 2, 1111: 13, n.62. XII, 3, 174 : 92, n. 297. XII, 5, 270 : 13, n. 64. XII, 5, 870 : 8, n. 13. XII, 5, 1030: 159, n. 114. XII, suppl. 440 : 288, n. 194. XIV, 1072 : 357, n. 362. Inscriptiones Graecae ad res Romanas pertinentes I, 135:357, n.362. I, 1110: 158, n. 112; 161, n. 126. Inscriptiones Latinae liberae rei publicae : I, 309:53, n.213. Inscriptiones Latinae selectae : 98 : 390, n. 172. 112:84, n.225. 137:86, n.252. 139 et 140 : 86, n. 249. 157: 105, n. 10; 279, n. 114. 158 : 105, n. 13. 159: 115, n.69. 192 : 136, n. 225. 212 : 168, n. 174. 274 : 230, n. 19. 282: 236, n. 68; 249, n. 189. 288 : 250, n. 197. 298 : 236, n. 70. 322 : 271, n. 60; 289, n. 202. 410 : 374, n. 59. 429:396, n. 215. 430:396, n. 214. 452 : 405, n. 268. 463:409, n.291. 464 : 409, n. 293. 479 : 414, n. 331. 480 : 414, n. 331. 485 : 416, n. 358. 1118:322, n. 127. 1127: 370, n. 24. 1836:337, n.224. 3090 : 78, n. 136. 3094 : 355, n. 352. 3623:83, n.211. 3786:77, n. 128. 3793 : 105, n. 15. 4393 : 256, n. 235. 5163:322, n. 129. 6043 : 164, n. 137; 279, n. 115; 281, n. 138. 6105 : 152, n. 75. 6106:249, n. 189. 6870: 341, n. 260. 8781:83, n.215. 8792 : 172, n. 191. 8794 : 172, n. 187. 8805 : 385, n. 127. 8920-8921:414, n. 331.
INDEX INSCRIPTIONUM P. JouGUET, Mèi A. Ernout, 1940, 201-210: 202, η. 24. Notizie degli scavi : 1930: 114, n.65; 186, n. 189. 1931 : 391, n. 178; 393, n. 199. 1933:289, n. 203. Orientis Graeci inscriptiones selectae : 90: 18, n. 105. 168 : 18, n. 107. 428: 163, n. 136; 207, n.61. 458 : 90, n. 284, n. 285, n. 286, n. 287, n. 288, n. 289, n. 290. 502 : 265, n. 12. 618:237, n. 71; 248, n. 182. 666: 158, n. 112; 167, n. 162. 669 : 185, n. 304. A. Pasoli, Acta Fratrum Arvalium, dans Studi e Ricerche, VII, 1950: 145, n. 17, 18; 146, n. 19, n.20; 147, n.26; 151, n.64; 155, n.91, n.92, n.93; 185, n.303; 186, n.306; 272, n.69; 274, n. 79; 280, n. 129; 340, n. 258, n. 259; 348, n. 298; 373, n. 48; 412, n.315. H. G. Pflaum, Essai sur les procurateurs équestres, 207: 158, η. 109; 160, η. 123; 162 η. 130. PROSOPOGRAPHIA IMPERII ROMANI2, I, 123: 318, Π. 89. I, 212-213 : 322, η. 128. M. RosTOWSEW, Revue numismatique, 1898, 89 : 212, n. 99. J. Scheid, Les Frères Arvales: 116, n. 81; 136, n. 225, n. 226; 138, n.241; 145, n. 19; 147, n.26; 151, n.64; 186, n. 305.
481
H. Seyrig, Revue Archéologique, XXIX, 1929, 84-106: 121, n. 113. SUPPLEMENTUM EPIGRAPHICUM GRAECUM : 1,329: 163, n. 135. VII, 969:237, n. 71. IX, 252 : 275, n. 89. XI, 922-923: 121, n. 113. XV, 873 : 185, n. 304. Sylloge inscriptionum Graecarum : P, 399: 13, n.65. P, 454:8, n. 13; 9, n.20. P, 502 : 9, n. 20. IP, 547 : 8, n. 13. IP, 568 : 10, n. 23. IP, 581:9, n. 19. 113,591:9, n. 22. IP, 618:9, n. 22. IP, 675 : 10, n. 23. IP, 685 : 9, n. 17. IP, 704e: 13, n.62. IP, 717: 9, n. 21. IP, 734 : 13, n. 65. IP, 760 : 277, n. 104. IP, 814 : 172, n. 187. IIP, 1068 : 13, n. 62. IIP, 1157: 13, n. 64. IIP, 1268 : 15, n. 80. IIP, 3797 : 138, n. 238. A. B. West, Corinth, VIII, 2, 90-91 : 118, n. 91.
INDEX NOMINUM (Le nom des empereurs est imprimé en petites capitales)
M' Acilius Glabrio : 47. M' Acilius Glabrio : 95, 97. M' Acilius Glabrio : 236. Adherbal : 10, n. 36; 17, n. 97. Aelia Domitia Paulina : 290, 297. T. Aelius Antoninus : 318, 341. Aelius Aristide : 285, 312, 426-427. T. Aelius Aurelius : 318, 341. Aelius Hadrianus : 269. P. Aelius Hadrianus Afer : 295. Q. Aelius Tubero : 28, n. 162. Aemilia Lepida : 148. Aemilius Aelianus : 70. Q. Aemilius Laetus : 376, n. 73. M. Aemilius Lepidus : 64, n. 346. M. Aemilius Lepidus : 154, n. 85. M. Aemilius Lepidus : 139. L. Aemilius Paullus : 97, 98. L. Aemilius Paullus : 60, 98. L. Afranius : 62, n. 324. Agathocle : 101. Agrippa II : 204. Agrippine l'Ancienne: 125-127; 135, n.222; 138, 218. Agrippine la Jeune : 135, n.222; 150-152; 153, n.76, n.78; 154; 156, n. 102; 160-163; 170, 175, 319. Ajax : 12. Alexandre le Grand: 17, n.94; 101, 240, 253, 393. L Alfenus Varus : 136, n. 225. Ambiorix : 63, n. 330, n. 333. Anaxagore: 44, 182. Anchise : 85, 315. C. Anicius Cerialis : 147. M. Annaeus Mela : 147. Annia Aurelia Galeria Faustina : 315, 320, 326, 333, 411. Annia Aurelia Galeria Lucilia: 313, 316, 320, 324, 326, 331-333, 341, 346-350, 354, 356, 368, 403. Annia Faustina: 410, 411, 412, n. 311. Annia Fundania Faustina : 359. M. Annius Verus : 302. M. Annius Verus Caesar: 327, 331, 332, 334, 341. L. Annius Vinicianus : 138, 147. P. Anteius Rufus : 146, 148, 149, 152, 155, 162.
Antigone Gonatas: 8, n. 10, n. 24. Antigone de Nicée: 291-294; 296-298; 301. Antiochos III: 18, n. 105; 97-99. L. Antistius Burrus : 368. Antistius Sosianus : 147, 148. Antonia Augusta: 126, 137, 318, η. 235; 337. Antonin le pieux: 152, η. 75; 287-289, 291, 294, 297, 300-305, 307-320, 322-325, 327, 330-331, 336-337, 341-343, 348, 350, 354-355, 358, 367, 370, 379, 382, 393, 400, 407, 417-418. M. Antonius Felix : 204. L Antonius Saturninus : 155, 221. Apicata: 113, 125. Apollonios de Rhodes : 397. Apollonios de Tyane : 147, 208, 222. M. Aponius Saturninus : 145, 146, n. 18, n. 19. C. Appius Iunius Silanus : 116. Appuleia Variila : 128. Apulée : 426. L Aquillius Floras : 69. Aristée : 18, 23, 24, 91. Aristote : 14, 22, 36. Arius Didyme : 131. Arrien : 189-190. C. Arrius Antoninus : 322, 330, 368. M. Arruntius : 146, n. 19. L. Arruntius M. Furius Camillus Scribonianus : 105, 116, 147148. Asinius Gallus: 105, 164-165. Athénodore de Tarse: 131. M. Atilius Regulus : 93-94. Auguste: 67-92; 94-95, 102-110, 113, 116-118, 120-133, 136-139, 144-145, 151, 154, 168, n. 172; 169, 184-185, 188, 191, 212, 214, n. 108; 215, 218, 220, 251, 272, n.65; 273, 305, 309, 311, 319, n. 98; 324, 327, 380, 422, 424. Augustin : 3. Aulu-Gelle : 20, 27. Aurélien : 427, 428, n. 49. M. Aurelius Cleander: 352, n.331; 357, 359, 367, n.2. C. Aurelius Cotta : 33, 35, n. 37. T. Aurelius Fulvius Antoninus: 326, 341. M. Aurelius Mausaeus Valerius Carausius : 427, n. 45; 428. M. Aurelius Papirius Dionysius : 357-359, 361, n. 402; 363.
INDEX NOMINUM Aurelius Victor : 315. L. Aurunculeius Cotta : 63, η. 330. Avidia Plautia : 299. C. Avidius Cassius : 329, 336, 338, 353, 369. C. Avidius Nigrinus : 267, 290, 299. Avidius Quietus : 283. Baebius Marcellinus : 395-396. Barea Soranus: 147-149; 152, n. 74; 155, 162. Basilides : 207-209. Bérénice : 204, 207, 209. C. Bruttius Praesens : 354. Q. Caecilius Metellus Numidicus : 64, n. 339. A. Caecina : 48, n. 149. C. Caecina Largus: 117. Caligula: 81, η. 173; 116-118, 122-123, 125-127, 134-139, 144, 154, η. 87; 167, 171-173, 177, 181, 184, η. 295; 191, 218, 273, 319, 327. Callicratea: 105, η. 16; 118, 130. L. Calpurnius Bestia : 64, η. 342, η. 349. Ρ. Calpurnius Macer : 246. L Calpurnius Piso : 145, n. 17. C. Calpurnius Piso: 149, n.49; 150, 162. L Calpurnius Piso Frugi Licinianus: 185, n. 303; 186-191, 193-194, 201-202, 225, 230, 232, 253, 423. L. Calpurnius Piso Caesoninus : 40. C. Calvisius Rufus : 245. Cambyse : 174, 276, n. 95. Capito Aelianus : 113, 114. Caracalla: 217, n. 129; 383-386, 388-395, 397-407, 409-410, 412414, 418, n. 367, 368; 423. Camèade : 25, 32. Cn. Catilius Severus : 340, n. 258. Catulle : 61. C. Cassius Longinus : 77, n. 123. C. Cassutius Maridianus : 75. Ceionia Fabia : 337. L. Ceionius Commodus: 287, 290-291, 294, 297-299, 301-305, 319, 382. Censorinus: 312. César: 32, 47-48, 51, 59, 62-64, 67, n. 1; 69, n. 15; 73, n. 81; 74, 76-77, 79-80, 82, 85-86, 90, n.283; 95-96, 109, 150, 215, 237, n.73; 254,273, 295,327. C. César : 75, 86, n. 249; 88, n. 276; 109, 124. L. César: 75, 86, n.249; 124. Chrysippe : 19-22, 24-25, 34. Cicéron: 2, 4, 7, 28, 30, 32-63, 64-65, 68-77, 79-81, 82, n. 187; 86-90, 93,95, 102, 130, 150, 165, 173-174, 176, 182, 184, 188, 197, 215, 223, n. 174; 224, 247, 254, 271, 374, 422, 424. Claude: 105-106, 143-145, 147-148, 151, 154-155, 157-161, 163173, 175, 183-184, 186, 188, n.318; 193, 213, 218, 220, 273, 279-282, 319, n. 98, n. 102; 337, 358, 424. Ti. Claudius Archibius: 159, n. 117. Ti. Claudius Atticus Herodes : 336. Ti. Claudius Balbillus : 155, 158-163, 166, 167, n. 162; 183, 193, 203-204, 288. M. Claudius Marcellus : 95-96. Ti. Claudius Nero: 111. Ti. Claudius Nero : 111, 125. Ti. Claudius Nero: 125-126, 135, η. 222; 136, 138, 218.
483
Ti. Claudius Pompeianus : 332-333, 335, 347, 403. Claudius Pompeianus Quintianus : 347-349. Ap. Claudius Pulcher : 42, n. 91 ; 45. Cn. Claudius Severus : 333, 335, 410-411. Ti. Claudius Theogenes : 163, 207, η. 61. Ti. Claudius Thrasyllus: 131-132, 158, 166, 183. Cléanthe : 19-21, 25, 34. Cléopâtre II : 9, η. 14. Cléopâtre III : 9, η. 14. Cléopâtre VII : 80. D. Clodius Albinus : 377-378, 382-386. P. Clodius Thrasea Paetus : 147-148, 152, 155, 162. Clusinius Gallus : 245. Commode : 307-308, 313, 316, 321-322, 326, 331-365, 367-375, 378-383, 387, 389-391, 393, 401, 407, 410, 418, 423. Constantin : 292, 427-428. Corellia : 245. Q. Corellius Rufus : 245, 247. L. Cornelius Cinna: 101. Cn. Cornelius Cinna Magnus : 70. Cn. Cornelius Lentulus Gaetulicus: 135, 139. P. Cornelius Lentulus Spinther : 45, 47. A. Cornelius Palma Frontonianus : 237, 239, 248, 267. Sex. Cornelius Repentinus : 337. P. Cornelius Scipio Aemilianus : 11, n. 38; 25-26, 27, n. 152; 28, 31, 50, 61, n. 315; 64, n. 348; 86. P. Cornelius Scipio Africanus : 2, 10-1 1, 16, 17, n. 97; 47, 50, 59, 99. Cn. Cornelius Scipio Hispallus : 147. P. Cornelius Scipio Nasica : 95, 98. Cornificia : 320, 326, 359, 375, 403-404. Crispina : 337, 347, 353-356, 365. Cyrus : 14. Démosthène : 9, 14-15. Denys d'Halicarnasse : 72. Denys le Tyran : 38, 101. Diadumenianus : 407, 408, n. 284; 409. Didia Clara : 376. Didius Julianus : 376-377. Diodore de Sicile: 100-102. Dion Cassius: 70-71, 73-75, 80-81, 83, 113, 117, 144, 146, 165166, 195, 203, 208, 210, 229, 252, 273, 286, 290, 294-295, 336, 342, 346-347, 358, 369-370, 373-374, 377, 379, 384, 387, 392, 395-396, 403-404, 414, 416, 423-425. Dion Chrysostome: 208, 227, 236, 239-242, 243, n. 136; 244, 247-248, 250-252, 253, n.221; 257, 265. Domitia Faustina: 318. Domitia Lepida: 151. Domitia Longina: 319. Domitia Lucilia : 376. Domitien: 152, n.75; 155, 169, 199-201, 209, 212-214, 217-225, 227-230, 240, 245, 247, 269, 273, 279, 280, 283, n. 150; 290, 305, 308-309, 319, 330, 352, 417, n.364; 425. Cn. Domitius Ahenobarbus : 63, n. 330. Cn. Domitius Ahenobarbus : 105, 117, 138. Cn. Domitius Corbulo : 147. Dracon : 7. Drusus Iulius Caesar: 72, 77, 108-109, 112, 125, 218, 316. Drusus Iulius Caesar: 125-126, 135, n.222; 138. Élagabal : 373, n. 49; 405, n. 270; 406, 408-414, 417418.
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INDICES
Electre : 12, 14, η. 75. Enee: 37, η. 53; 85, 93, 315. Ennius : 1. Epictète: 189, 192. Eumène II: 11, 12, η. 51. Eutrope : 231. Paullus Fabius Maximus: 90-91. PauUus Fabius Persicus : 116, 138, 159. Q. Fabius Maximus : 96-98. Q. Fabius Maximus Verrucosus: 11, n. 42; 17, n. 98. Fadilla: 320, 326, 333-334, 337, 367, n.2; 396. Fannius Caepio : 150. C. Fannius Strabo : 28, n. 162. Faustine l'Ancienne: 301-302, 310-314, 317, 319-320, 323, 325, n. 151; 347-348, 355, 365, n.431; 372. Faustine la Jeune: 301-302, 313-320, 324-325, 326, 332-333, 335-338, 343-344, 347-348, 353, 355, 365, 372, 380, 383-384. Faustus Cornelius Sulla: 113, 150. Faustus Titius Iiberalis: 111, 119. Firmicus Maternus : 292. C. Flaminius : 37. Flavia Domitilla : 223, 337. Flavia Titiana : 374-375. Flavius Clemens : 220, 223. Flavius Josephe: 24, n. 135; 201, 204-207, 209-210, 256. Flavius Maternianus : 405. T. Flavius Sabinus : 222. T. Flavius Sulpicianus: 340, n.259; 370. Florien : 428. Frontin: 251. Q. Fufius Calenus : 40. L Fulcinius Trio : 113. Fulvia Plautilla: 391-392, 401, 403. C. Fulvius Plautianus: 391, 392, n. 193; 395-396. M. Furius Camillus : 74, 96. T. Furius Victorinus : 337. Galba: 171, n. 186; 184-196, 200-202, 207, 210, 218, 223, 225, 230-232, 245, 252, 280, 423. Gallien : 217, n. 129; 427. T. Geganius Macerinus : 95. Germanicus: 112, 122, 125-127, 135, n.222; 136, n.225; 160, 218. Germanicus : 316. Gessius Florus: 204. Geta: 217, n. 129; 383-385, 388-391, 394-395, 398-404. M. Granius Marcellus: 128. Hadrianus : 318, 341. Hadrien: 152, n.75; 252-254, 258, 263-305, 307-313, 315, 317319, 324-325, 327-331, 338, 341-342, 345, 350, 353, 355, 358, 360-365, 372, 374, 379-380, 382-383, 390, 393-394, 401, 410, 417, 423-425, 427. Hamilcar : 40. Hannibal: 10-11, 16, 17, n. 97; 31, 37, 97-99. Harnouphis : 368. Hasdrubal : 10. C. Helvidius Priscus: 210. Hephestion de Thèbes: 291-292, 294, 298.
Herode : 207, n. 61. Hérodien: 343, 347, 351, 359, 365, 370-371, 374, 377, 379, 382, 402-403, 413414. Hérodote : 276. A. Hirtius : 90, n. 282. Horace : 68-70, 72, 74-75, 77, 81, 83-84, 86-87, 93-94. M. Horatius : 96. C. Horatius Pulvillus : 96. Q. Hortensius Hortalus : 39. Cn. Hosidius Geta: 164, n. 137, 141; 168. Iulia Aquilia Severa: 410-412. Iulia Balbilla : 288. Iulia Domna : 380-381, 383-384, 386, 389-392, 394, 399-402, 404, 406-407, 409. Iulia Drusilla: 135, n. 222; 280, 319. Iulia Maesa: 406, 409, 411-413, 417. Iulia Mammaea: 406, 409, 413, 416-417, 419. Iulia Paula : 410-412. Iulia Soaemias : 391, 406, 409, 411-413. Ti. Iulius Alexander: 181, 185-186, 191-193, 203, 207, 210. Iulius Bassianus: 381. L Iulius Caesar : 62, n. 329. Iulius Civilis : 424. Iulius Naso : 245. L Iulius Ursus Servianus : 290-291, 294-303. Iunia Claudilla : 138. Iunilla: 113-114. Q. Iunius Arunelus Rusticus : 244. Q. Iunius Blaesus: 80, n. 163; 125. M. Iunius Brutus : 63, n. 330. D. Iunius Brutus Albinus : 42, 90, n. 282. M. Iunius Homullus : 246. Iunius Mauricus : 245. M. Iunius Silanus: 138. Jugurtha : 64, n. 339, 342, 348. Julie : 108. Juvénal: 112, 255, n. 234. T. Labienus : 62, n. 323. C. Laelius : 28, n. 162; 99. Larginus Proculus : 221-222. M. Licinius Crassus Dives : 62, n. 324; 63, n. 333; 71. C. Licinius Mucianus : 197, n.390; 199, 201, 203, 219. Livia Iulia: 108-109, 125. Livie: 77, 86, n.249; 106-107, 110, 125-126, 127, n. 150; 129-130, 137, 138, n.235; 154, 218, 305, 319, n.98. Lucain: 179, 183, n. 292; 397. Lucien : 427. Lucilius : 176, 178. L Lucilius Balbus : 33-35. Lucrèce : 62. Lusius Quietus : 255, n. 234; 267, 275. Q. Lutatius Catulus : 74. Macrin : 405-410, 415, 423. Macrobe : 255. C. Maecenas : 70. M. Manilius: 11, n. 38; 75, 88. Ti. Manilius Fuscus : 393.
INDEX NOMINUM Manlia Scantilla : 376. A. Manlius Torquatus : 40. Cn. Manlius Vulso : 9, n. 22. Marc-Antoine : 40, 74, 82, 86, 139, 327, n. 164. Marc Aurèle: 152, η. 75; 289, 291, 294, 300-302, 304, 307-308, 310, 313-318, 320-327, 329-339, 341-345, 347-348, 350-351, 353-355, 357-359, 363-365, 367-370, 372-373, 375-376, 379, 382, η. Ill; 383-384, 387-388, 391, η. 182; 393, 396, 400-401, 403,407,411,418,423. Marcellus : 86, 121, 138. A. Marcellus: 210. Marcia : 365, 370, 376, η. 73. Marciane : 237, 250, 252, 258, 270, η. 51; 272, 288-289, 300-302, 304,311, 365, η. 431. Q. Marcius Turbo : 275. Mariccus : 196. C. Marius: 64, 74, 81, n. 182; 101. Marius Maximus : 291. Martial : 220, 223-224, 245. Massinissa : 99. Maternus : 352, 357, 359. Matidie: 252, 258, 263, 268, 271-272, 274-275, 288, 304, 311, 365, n.431. Matidie la Jeune : 304. P. Memmius Regulus : 113, 138, 145, n. 17. Ménédème d'Erétrie : 23-24. L Mescinius Rufus : 78. Messala: 165. Messaline: 148, n.35; 175. P. Metilius Sabinus Nepos : 245. M. Mettius Modestus : 264. Mettius Pompusianus: 221. P. Minucius : 11, n. 42; 95. M. Minucius Rufus : 17, n. 98. Minucius Thermus : 147. Q. Mucius Scaevola : 28, n. 162. L. Munatius Plancus : 48. C. Musonius Rufus : 189-190, 192-193, 203. Nechepso: 162, n. 133; 292-293. Néron: 143, 145-163, 170-173, 176, 179-180, 183-187, 190, 192196, 199, 201, 203-204, 206, 208, 218, 225, 227, 273, 279-280, 296, η. 259; 319, 330, 342, 348, 423-425. Nerva: 171, η. 186; 219, η. 139; 222, 227-235, 236, η. 69, η. 70; 249-251, 257, η. 244; 269-270, 279, 285, η. 168; 308, 319, 330, 341, 377, 386, 388, 400-401, 425. P. Nigidius Figulus : 67. Nonnius Attianus : 263, 267-268, 271. Octavie : 150, 161. Octavius Rufus : 245. Ophelias : 101. M. Ostorius Scapula: 147-149, 152, n.74; 153, 155, 162. Othon : 155, 185, 188-189, 194-196, 202, 207, 218, 273, 424. Ovide : 69-72, 75, 77-78, 81, 83-87, 94. T. Pactumeius Magnus : 340, n. 258. M. Pacuvius : 1. Pallas: 160. Pamménès: 147-149, 152. Panetius de Rhodes : 25-29, 33, n. 17; 36, 52, n. 192; 181.
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Sex. Papinius Allenius: 166. L. Papirius Migillanus : 100. L Papirius Paetus : 43, n. 100. Parménide : 21. Cn. Pedanius Fuscus Salinator: 290-291, 294-303. M. Pedo Vergilianus : 255. M. Peducaeus Plautius Quintillus : 333-334, 337, 396. Périclès : 8. Persée : 16, 96, 98. Pertinax : 352, 359, 367-378, 380-382, 387, 389, 403, 412, 423. Pescennius Niger : 376, n.67; 377-378, 380, 382, 384. Pétosiris: 162, n. 133; 292-293. M. Petreius : 64. Pétrone: 147, 183, n.292. M. Petronius Sura Mamertinus : 349, 375. Philippe II: 8, n. 10; 12, n.51, n.56; 14, 101, 240. Philippe V: 10, n. 23, n.30; 12, 16, 17, n.93; 97. Philocrate: 18, 23. Philon d'Alexandrie : 24, n. 135; 180-182, 191, 210. Philostrate : 147-149, 208, 336. Pindare : 397. Platon : 7, 21-22, 33, 36, 49, 52. A. Platorius Nepos : 273, 290. Plaute: 1-2, 31. Q. Plautius: 166. Pline l'Ancien : 166, 168, 210, 223. Pline le Jeune: 227, 231, 239-248, 250-251, 257, 259, 271, 279-280, 295, 342, 423-424. Piotine: 237, 250, 252, 258, 263, 267-268, 270, n.51; 271-275, 280, 288, 290, 300. Plutarque: 19, 187, 189, 190, n.339; 192, 194, 425-426. Polybe : 10-12, 16-18, 31-32, 40, n. 76; 64, n. 348; 254. Polycrate de Samos : 182. Pompée le Grand : 28, 40, 43, 45, 47-48, 62, 63, n. 330; 144, n. 9; 215, n. 115. Sex Pompée : 80. T. Pomponius Atticus : 26, n. 144; 32, 40, 46. Pomponius Bassus: 411. T. Pomponius Bassus : 249, n. 189. T. Pomponius Proculus Vitrasius Pollio : 359. Ponce-Pilate : 115. Popilius Pedo Apronianus : 395-396, 398-399. Poppée: 150. M. Porcius Cato Censorius : 48, 174, 179. M. Porcius Cato Uticensis : 44, 64. Porphyre : 292. Posidonius d'Apamée : 25, 28-30, 32, 34, n. 33; 175. Probus : 427-428. Properce : 95. Ptolémée d'Alexandrie : 162 n. 133; 292-294, 379. Ptolémée Aulète : 47. Ptolémée Evergète : 9, n. 20. Ptolémée Evergète II : 9, n. 14. Ptolémée Philadelphe : 9, n. 17; 11, 18, n. 104; 23, 24, n. 135. Ptolémée Philométor: 8, n. 14; 11, n.43. Ptolémée Séleucos : 155, 194, 202. Ptolémée Sôter: 24, n. 135; 101. L. Publilius Celsus : 267. T. Quinctius Flamininus: 10, n.35; 12. Quintilien : 223-224.
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INDICES
Rémus: 49, 72, 257, η. 239; 316, 380. Romulus : 49-50, 72, 257, π. 239; 281-282, 315-316, 361, 380. Sex. Roscius : 42. Rubellius Plautus : 150, 160, 162, 165. Rufrius Crispinus : 147. Q. Rustius: 81. P. Rutilius Rufus : 28, n. 162. Sabine: 252, 258, 270, n.51; 272, 273, n.70; 275, 283, n. 157; 286, n. 175; 288-289, 297-298, 300-301, 304-305, 313, 319, 355,365, n.431. Sabinianus : 346. Salluste : 62-65, 95. L. Salvius Otho Titianus : 145, n. 17; 146, n. 18; 185, n. 303. M. Scribonius Libo Drusus : 132, 147, 150. Seia Herennia Sallustia Barbia Orbiana: 416-417. L. Seius Strabo : 109. Séjan: 108-120, 122-127, 129-130, 132-133, 135-136, 139, 144145, 148, 154, 163, 165, 182, 422-423. Ti Sempronius Gracchus : 97, 99. Sénèque: 72, 119-120, 158, 170, 171, η. 186; 172-180, 184, 208, η. 70; 223, 247, 271, 424. Septime Sevère : 372, 376-394, 396-401, 403-404, 405, η. 270; 406-408, 410, 412, 414, 418, 423. L. Septimius Flavianus : 340, n. 258. L. Sergius Catilina: 46, 59, 64, 150, 224, n. 176. Q. Sertorius : 43. Servilia: 147-149. Q. Servilius Priscus Structus : 99. Sévère Alexandre : 282, n. 144; 406, 413-419, 424. Sextius Paconianus : 126, n. 144. C. Silius Italicus:201. Socrate: 93, 182. Solin : 168. Q. Sosius Falco : 370, 373. Stace : 223-224. Taurus Statilius Corvinus : 105, 116-117, 151, 164-165. M. Statius Priscus Licinius Italicus : 329. Suétone: 70, 74, 78, 86-87, 126, 130-131, 144, 146-147, 161-162, 164-165, 187, 189, 196, 202, 204, 208, 217, 279, n. 115; 425. Q. Sulpicius Camerinus : 145, n. 17. Sylla : 40, 42, 64, n. 346; 74, 79, 82, 101. Tacite : 427-428. Tacite: 109, 120, 130-131, 146-152, 169-170, 171, n. 186; 186-189, 203, 205, 208, 217, 358, 424-425. Tarquin le Superbe : 100. M. Tarquitius Priscus: 151. Tarrutenius Paternus : 347. Sex. Tedius Valerius Catullus: 113. Terence : 31-32. Terentius: 111. D. Terentius Gentianus : 290. C. Terentius Varrò : 97-98. Tertullien : 427. Thucydide : 8, 12, 64, n. 348. Tibère : 5, 67, 72, 77-78, 80, n. 163; 85, n.245; 103-139, 143-148, 150, 154, 157, 162-164, 166-168, 170-173, 182-184, 188, 189, n.327; 191, 197, 218-219, 228, 257, 268, 273, 279, 287, 308-309, 316, 327, 395, 422-424. Tiberius Gemellus : 125, 137, 316.
Tibulle:81, 93. Tigidius Perennis: 351-352, 368, 369, n. 16. Q. Tillius Sassius: 146, n. 18. Tiridate: 147, 149, n. 46; 150-151, 162. Tite-Live : 95-100, 102,271. Q. Titurius Sabinus : 63, n. 330. Titus: 24, n. 135; 181, 187, n.307; 199-201, 204-207, 209-210, 212-219, 221-223, 225, 229, 231, 273, 279-280, 305, 308-309, 319, 327, n. 164; 330. Trajan: 152, n.75; 227, 228, n.3; 231-244; 246-259, 263, 266276, 278-280, 282, 285, n. 168; 288, 290, 295-296, 298-301, 303-305, 307-309, 311, 313, 318-321, 325, 327-328, 331, 334, 338, 341-342, 344, 346, 361, 365, 367, 382, 388-390, 393, 404, 407, 410, 419, 423-425. Trajan Père: 250-251, 275, 290, n.208; 300-302, 305, 309, 311, 313, 320, 341, 365, n. 431 ; 388, 401. Q. Tullius Cicero : 33-34, 46. Turnus : 100. Ulpien: 415-416. L Ulpius Marcellus : 350. Ulysse : 94, 225. C. Ummidius Quadratus : 245. M. Ummidius Quadratus : 347. L Vagellius : 164, n. 137; 168. Valére Maxime: 119, 123, 129, 133. Valerien: 217, n. 129. M. Valerius Falto : 97. M. Valerius Messala Corvinus : 82. Varron : 33, 62, 282. C. Velleius : 33-34. C. Velleius Paterculus : 133. Vercingétorix : 62. C. Verres : 39-40, 42, 45-47. L. Verus : 152, n.75; 291, 302, 304, 307-308, 310, 313, 316, 317, n.79; 320-332, 334, 337-338, 345-347, 350, 353, 379, 383, 391, n. 182; 400401, 403, 418, 423. Vespasien: 24, n. 135; 160, 185, 190, 195-196, 199-218, 220-223, 225, 229, 231-232, 240, 256, 259, 273, 279, 280-281, 305, 308, 319, 324, 327, 330, 337, 378, 417, n.364; 423, 425. M. Vettius Bolanus: 146, n. 19. Vibia Aurelia Sabina : 333. Victorin : 395, 427. Vindex: 155, η. 94; 206. M. Vinicius : 162. M. Vipsanius Agrippa: 72, 80, 104, 106-110, 122, 124-125, 127, 128, n. 151; 134-135, 147, 218, 220, 251. C. Vipstanus Apronianus : 145, n. 17. Virgile : 69, 72, 83, 85-87. P. Viriasus Naso: 105, 111. ViTELLius: 155, n.94; 185, 187, 194-197, 200, 202-203, 211, 218-219, 224, 245, 273, 280, 319, 330. L. Vitellius : 138. Vitrasia Faustina : 347. Vitruve : 92-93. Xenarchos: 131. Xénophon : 12. Zenon de Kittion : 2, 19-21, 25, 34, 131. Zenon de Rhodes : 17.
INDEX GRAECORUM VERBORUM
άγχινοια : 17. αδίκως : 7, η. 2; 8, η. 7; 186, η. 304. ανάγκη : 21, 241. αναίδεια: 14, η. 77; 15. άναισχυντία : 15. ανδρεία : 22, 27. άπόνοια : 14, η. 77; 15, 297. αρετή : 90-91, 272. αρχή : 102, η. 403; 189, 244, 289. αχαριστία : 15. βασιλεία : 208-209, 222, 240, 244, 252. δικαιοσύνη : 18, π. 103, 22, 23, η. 103. δίκη : 21. δόγμα : 242, 244. δύναμις: 14, 20, η. 120. εγκράτεια : 27. εΐκη : 12, 15. ειμαρμένη : 2, η. 9; 20, η. 120; 21. ελευθερία : 101. έπιορκία : 15. ευαγγέλια : 90-91. ευδαιμονία : 9, 92, 186, η. 304; 244. ευεργέτης : 23, 90, 92, 158, η. 112; 172, η. 188; 186, η. 304; 193. ευσέβεια: 13,310,312. ισονομία : 2. καλόν : 59. καρτερία : 27.
νους : 51. ομολογία : 2. ομόνοια : 23, 161, 323. προνοεϊν : 13, 31, 89, η. 278; 92, η. 297; 159, η. 115; 172, η. 188; 240, 421. προνοητής : 3, 159, η. 114. προνοητικός: 3, 14, 179, η. 264; 323. πρόνοια: 3-4, 7-19, 20, η. 120; 21, 23-28, 30-34. 90-92, 100-101, 102, η. 403; 105, η. 17; 121, 157-163, 167, η. 162; 172, 181, η. 287; 186, η. 304; 190, η. 335, η. 339; 192-193, 205, 207, 227-208, η. 1; 237, η. 71; 240, 243-244, 248, 264-265, 285286, 334, 349, 357-358, 371, 378, 380, η. 99; 386, 389, 422, 424. Σεβαστός, Σεβαστή: 90, 92, 105, η. 17; 106, 157, η. 104, η. 105; 158, η. 112; 163, 186, η. 304; 192, 237, η. 71; 312, 318, η. 89; 386, 389. σοφία : 14, η. 73; 52. συκοφαντία : 15. σωτηρία, σωτήρ : 78, 90, 92, 172, η. 189; 186, η. 304; 237, η. 71; 242, 378. σωφροσύνη : 22. τόλμα : 8, η. 12; 17, 64, η. 348. τύχη : 8, 10, η. 25; 17, η. 99; 21, η. 126; 271, 293, η. 223; 426.
λογισμός : 17, 64, η. 348.
φιλανθρωπία : 17-18, 23, 158, η. 111; 283. φιλάνθρωπος: 18, 241. φρόνησις : 14, η. 70; 22, 52. φύσις: 15, η. 77; 17, η. 99; 20, η. 120; 92.
μαντική : 12, 15, 29, η. 166.
Ψυχή: 15, η. 77; 19, η. 111; 181, η. 287; 242.
INDEX RERUM ET NOTIONUM
Abolito memoriae : 144, 295, 370, 383, η. 1 12. Abundantia, abondance : 233, 241. Action de grâce: 113, 118-119, 304. Adoption: 85, 109, 123-124, 161, 171, n. 186; 185, n.303; 186191, 193-195, 197, 202, 230-231, 234, 236, 240, 243, 249-250, 253, 266-269, 272, n.66; 278, 287, 290, n.211; 296-299, 302-305, 309-311, 319-320, 323, 337, 382, 388, 393, 400, 403, 407, 413, 417-418. Aduentus: 277, 283-284, 286-287, 303, n.292; 344, 386, 399, 402. Aegis : 394, 397-398. Aequitas (Équité) : 8, 193, 197, 200-201, 213, 230, 241, 245, 331, 402. Aeternitas (Éternité, éternel): 82, 100, 105, n. 10; 146, n. 18, 152-153, 164-167, 178, 181, 183-184, 200, 202, 232, 249, 258, n.246; 264, 278-282, 287, 303-305, 313-315, 317, 323-324, 325, n. 155; 327, 329, 332, 334, 336-337, 341, 343, 350, 353, 358, 360-362, 364-365, 367, 373, 375, 378, 383-384, 386, 389-392, 401, 404-405, 408, 412-413, 415-417, 420, 422-424, 427-428. Âge d'Or: cf. Saeculum aureum Aigle: 107, 129, 218, 236, 248-249, 263, 269-271, 273-274, 289, 308, 321, 323, 344, 378, 382, 401. Aion : 167, n. 159; 278, 314, 323. Alimenta : 249-250, 285, n. 168; 313. Amicitia, amitié : 38, n.58; 43, 129, 175, 240. Amiens, ami: 12, 159, n. 117; 241, 295, 299, 368, 373. Amour: 44, 241. Anniversaire: 83, 91, 108, 111, 116-117, 121, 123, 127, n. 148; 136, 138, n.235; 145, 150, 152, 154, 186, 211, n.93; 280, 282, 358, 374, 417. Annona, annone: 322, η. 127; 329-330, 344, 346, 349, 355, 357-359, 363, 369-370, 373, 384, 386, η. 142; 417-419. Apothéose: 106-107, 110, 122, 170, η. 184; 184, 270-271, 273, 289, 327, 362, η. 408; 372, 378, 401-407. Ara Prouidentiae : 107-110, 114-119, 123, 134-137, 139, 143-146, 157, 163, 191, 195-197, 199, 211, 216, 218, 422. Arvales: 81, 116-117, 123, 134-138, 139, η. 247; 143-149, 151, 153-157, 165, 185-187, 195, η. 371; 214, 258, 274, 277, η. 103; 279-280, 322, η. 127; 340, 348-349, 354-355, 371, 373, 412. Astres: 21, 26, 35, 84, η. 274; 131-133, 152, 155-156, 161, 162, η. 133; 167, 172, 178, 180-181, 183, 194, 202-203, 210-211, 278, 294, η. 241; 296, 311, 315, 355, 371, 381, 423.
Astrologie, astrologues : 29, 88, 91, 131-133, 147-149, 151-152, 154-158, 160-167, 170-171, 179-181, 183, 188-189, 193-197, 202-203, 210-211, 221-222, 229, 235, 253, 278, η. 109; 279, 285, 288, 291-294, 296-299, 379, 381, 390, 403, 422-423. Aiictoritas (autorité) : 38, η. 59; 53, 56-57, 73, η. 85; 75, 175-176, 241, 247, 259, 356, 422. Augusta : 80-83, 137, 250, η. 197; 272, 275, 286, η. 175; 288, 298, 300-301, 304, 305, η. 316; 310-311, 313, 315, η. 60; 319, η. 104; 331, 335-336, 347-348, 354-356, 367, 374-376, 386, 390-391, 394, 399, η. 235; 401, 403, 406-407, 409410, 416, 419. Augustus: 78, 82-83, 103, 105-106, 108-110, 113-114, 115, η. 69, η. 74; 118, 120-122, 127-129, 136-138, 143, 145, 152-153, 164, 195, 315, η. 60; 350, 387-388, 399, η. 245; 408, η. 284; 409. Autorité : cf. Auctoritas. Avenir: 41, η. 85; 49, 55, 58, 68, 77, 92, 94, 100, 114, 127, 131, 147-148, 187, 195, 207, 209-211, 219, 221, 231, 239, 243, 245, 247-248, 274, 276, 278, 280, 287, 292, 305, 307, 311, 315, 338, 375-376, 378, 384, 390, 413, 416, 421-423, 426. Bateau: 215, 328-330, 340, η. 250, η. 251, η. 252; 352-353, 355, 361, 363-364, 399, 412, 417418. Beauté, beau : 20, η. 117; 22, 35, 51, 60, 174, 247. Beneuolentia : 31. Bien : 13, 22, η. 129; 23-25, 34, 41-42, 45-46, 52, 54-59, 61, η. 316; 95, 102, 173-174, 176, 178, 188, 190, 223-224, 231, 242, 248, 250, 334, 422423. Bienfait, bienfaisant, bienfaiteur: 1, 8, n. 13; 18, 20, 61, 84, 87, 91, 119, 156-157, 172, 176-178, 184, 188, 192, 208-209, 224, n. 176, n. 182; 242, 244, 250, 257, 283, 286-287, 328, 350, 361, 371, 394, 426. Bienveillance, bienveillant: 16-18, 181, 242, 257, 393. Bon gouvernement : 18, 25, 28, 71, 241, 376. Bonheur: 9, 15, 22-23, 25, 30, 36, 166-167, 177, 209, 224, 230, 235, 257-258, 276-277, 280, 282, 303-305, 310-311, 315, 318, 320, 324-325, 331-332, 336, 344-345, 352, 355-356, 362, 373, 375, 389-390, 392, 394, 399, 402, 404405, 412, 415, 420, 422-423, 426. Bonté, bon: 18, 41, 58-59, 75, 86, 176, 178, 223, 239-244, 252, 310. Bouclier d'or : cf. Clipeus uirtutis. Bûcher: 169, 268, 323, 343, 382.
INDEX RERUM ET NOTIONUM Caducée : 80, 303, 326, 329, 361, 408, 417. Cautus: 51, 95,97-98. Censure: 165-166, 168, 213, 221. Chaldéens : cf. Astrologie. Charisme, charismatique : 82, 124, 185, 265, 300-301, 305, 307, 333, 347-348, 355-356, 360, 363-365, 374-375, 381, 387-389, 401,410-411,419,424. Clementia, clémence: 69-70, 75-78, 108, n.34; 127, 129, 151, 184, 314, 338, 349. Clipeus uirtutis : 68-70, 77, 86. Cogitatio : 37, 51, 63, 95, 119, 174. Cornes : 84, 362, 368-369, 373, 392. Comète: 161-162,371-372. Complot: 110-111, 113-115, 118-119, 122-123, 126-127, 129-130, 132-133, 135-137, 139, 144-147, 150, 152-155, 157, 161-162, 164-165, 170-172. 182-184, 187, 189, 195-196, 202-203, 263, 267, 290-291, 299, 336, n.214; 346-349, 351-352, 354, 368, 395-396,402,411,415,423. Concordia, concorde : 18, 58, n. 276; 59, 64, 71-72, 74-75, 77-78, 80, 81, n. 174; 89, 117, 120, 127, 129, 133, 137-138, 174, 190, 197, 200-201, 229, 233, 288, 305, 310-311, 313-320, 323, 325, n. 152; 326-327, 347, 384, 389-392, 402, 404, 411, 413, 416. Conditor (fondateur): 282-283, 355, 360-362, 365, 367, 400, 408. Confiance : 52, 109, 243, 247, 256, 259, 287, 335, 350, 357. Conjuration : cf. Complot. Consecratio, consécration : 72, 105, 107, 110, 116, 138, 184, 251, 258, 268, 270-272, 274-275, 282, n. 144; 285, 289, 290, n.208; 298, 300, 304, 309-314, 317, 323, 327, 332, 337, 343-344, 372, 381, 387, 401, 407. Consensus: 59, 71, 74, 79, 82, 133, 138, 182, 194, n.363; 231, 244. Conseruator, conservation: 73-75, 114, n. 68; 115, 129, 130, n. 183; 138, 309, 344-346, 362, n.413; 378, 404, n.265. Consilium : 38, n. 59; 56, 61, n. 318; 63, 68, 73, n. 85; 95, 98, 145, n. 18; 147, 149, 176-177, 245. Consors: 217, 315, 317. Conspiration : cf. Complot. Constantia : 55, 144, n. 11. Continuité: 102, 121, 135, 138, 171-172, 184, 187, 191, 195, 202, 209, 252, 304, 307, 314, 323-324, 326, 330, 337, 373, 388, 391, 412, 418, 422-423. Corne d'abondance : 79, 80, n. 167; 84, 215, 257, 279-280, 307, 316, 318-321, 326, 329, 333, 340, 344, 349-351, 361-362, 384, 407-408,411,414,419,427. Courage : 11, 27, 52, 55, 241, 361. Crue (du Nil) : 160-161, 167, 183, 208, 285, 311, 358. Culte: 115, 118, 121-122, 136, 138, 146, 158, 166, 221, 254, 275, 286, 312, 315, 348, 356. Cura: 55, 64, 65, n.349; 75, 93-95, 99-100, 190, n.339; 249, n. 189; 258, n. 246; 264, n. 10; 393, n. 199. Decennalia : 237, n. 73; 276, 315, 322, 331, 334, 340, n. 250; 345, 351-352, 373, 389, 391, 399, 408, 412, 418-419. Désespoir: 9, n. 16; 15, n.78; 44, 70, 195, 297. Destin, destinée : 2, n. 9; 16, 19-22, 25-26, 29, 38, 45, 47, 49, 60, 85-89, 99-100, 109, 119, 124, 132-133, 152, 162, 164, 171, 175, 177, 179-180, 183-184, 189, 194-196, 205-206, 210, 211, n.92; 214-215, 217, 220-222, 224-225, 229-231, 241, 253, 269, 273, 299, 301, 323, 338, 341-343, 345, 365, 367, 376-379, 381.
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Devin: 132, 147-149, 183, 194, 202, 379, 390, 403, 405. Devoir : 42, 48, 56-57, 98, 175. Dies imperii: 211, 388. Dies natalis : 90, 123, 150. Dignitas, dignité: 42, 44, 58, n.288; 59, 64, n.344; 69, 71, 119, 176, 232, 235, 267. Diligentia : 54, 63, n. 333; 95, 99, 174, 248, 251. Divination: 12, 20, 22, 25-26, 28-30, 34-35, 39, 50, 73, 131-132, 171, 183, 195, 253, 403. Divinisation: 15, 87, 106-107, 121, 170, n. 181; 171, n. 186; 184, 215, 252, 258, 270-272, 275, 289, 300, 309, 311, 314, 336, 343, 353, 365, 381, 386, 388, 390, 417, 423. Divinisé : cf. Diuus. Ditius, diua, diui, dtuae: 84-87, 103, 106-110, 118, 120-123, 128, 137-138, 152-153, 158, n. 109; 218-219, 250, 268, 270-273, 275, 282, 288-290, 300, 304, 307-309, 311-314, 317, 319-320, 323-327, 330-333, 335-337, 341, 343-344, 347, 349, 354, 360, 364, 365, n.431; 372-375, 378, 380-382, 387-389, 399-402, 404, 407-410, 412-413, 415, 417, 419, 423. Doctus:2, n. 10; 59, 99, 246. Dominano : cf. Dominus. Dominus : 57-58, 71, 77, 221, 242, 247-248, 395. Domus Augusta : 85-86, 115, 120, 124, 127, n. 150; 132, 137-138, 145, 153-154, 161, 171, n. 186; 182, 184-185, 214, 216, 218-222, 224, 250-251, 272-274, 282, 288, 290, 297-298, 300-302, 304-305, 310, 312-313, 319-320, 324, 331-332, 335338, 341-342, 347-348, 351, 353-355, 365, 367, 374, 376, 379, 382, n. 111; 384, 386-387, 389-390, 392-395, 398-399, 401, 403, 406, 410, 412, 415-416, 422-424. Domus diuina : cf. Domus augusta. Domus imperatoria : cf. Domus augusta. Dynastie, dynastique: 127, 154, 171, n. 186; 184-185, 191, 197, 199, 210, n.88; 214-216, 218, 223, 251, 272, 275, 304-305, 319-320, 325, 334, 339, 378, 383, 385, 390-391, 393-394, 400, 403, 405-406, 410, 412-414, 417, 419, 421, 423-425, 427. Épi : 264, 285, 325, n. 152; 330, 340, n.256, n.257; 349, 351-352, 364, 373, 384, 414, 417, 419. Équité : cf. Aequitas. Espérance, espoir : cf. Spes. Éternité, éternel : cf. Aeternitas. Étoile: 290, 316, 326-327, 371-372, 375, 377-378, 390, 411-412. Expérience : 38-39, 52-53, 56, 60, 63, 68, 93, 95, 100, 245, 247. Famille divine : cf. Domus augusta. Fatalité: 21, 25, 29, 132, 189, 422. Fatum:!, n.9;99, 189,217. Fecunditas, fécondité: 284, 287, 333, 345, 363-365, 375, 383, 390, 392-393, 401-402, 419, 424. Félicitas, félicité: 81-82, 129, 133, 151, 164-165, 167-168 170, 192, 213, 220, 233, 277-278, 280-282, 284, 302-305, 314 318, 320, 326-331, 334, 342-344, 346, 347, n.292; 349-353, 355356, 358, 360-365, 372, 376, 378, 383-386, 389, 392-393, 395, 399-402, 404-405, 407-408, 411-413, 415-417, 422, 424, 426427. Felix: 167-168, 171, n. 186; 280, 303, 330, 340, 352, 358, 360-362, 372, 376, 386, 389, 392, 400-401, 404-405, 407-409, 411, 412, n.312;417. Fidélité: 139, 193. Fides : 56, 70, n. 30; 72, 76, 133, 314, 372. Filiation : 267, 269, 272, 278, 290, 344, 364, 385, 409, 414, 419.
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INDICES
Finalisme : 26, η. 146; 27. Fondateur : cf. Conditor. Fortitudo : 3, 55, 70, n.30; 176, 184. Fortuna : 81-83, 97, 112, 119, 123, η. 124; 133, 194, 200-201, 205, 215, 224, 233, 303, η. 292; 324-325, 328, 341, 344, 358, 372, 376, 389, 417. Foudre: 107, 129, 218, 270, 307-309, 312, 314, 333, 340, η. 256; 344, 355, η. 352; 356, 364, 395, 398, 401, 408. Funérailles: 110, 136, 170-171, 271, 276, 323. Fuîurum : cf. Avenir.
n.34; 129, 133, 176, 178, 184, 208, 230, 241-242, 244, 269, 335, 350, 381, 416, 426. Iiistus : cf. lustitia.
Geniture : cf. Horoscope. Genius: 82-83, 105, n. 10; 136, n.225; 145, n. 17; 146, n. 18; 151-154, 185, n.303; 214, 228, 235, 276, 278-279, 311, n.39; 340, n. 258, n. 259; 361-362. Globe: 79, 129, 157, 163, 183, 215-216, 218, 227, n.2; 228, 233, n.43, n.44; 234, 237, n.73; 238, 254, 257, n.246; 258, 264, n. 4, n. 7; 268, 270, 277-278, 282, 285-286, 307-308, 314, 318, 320-321, 323, 325, n. 152; 329, 333, 335, 337, 339, n.234; 344, 371, 375, 383, 386, 389-390, 394, 399, 401, 407, 411, 414, 416-417, 427. Gloria, gloire: 12, 86, 97, 109, 171, n. 186; 210, 224, n. 182; 231, 247, 250, 384, 388. Gouvernail: 215-216, 330, 417-418. Gratia: 58, 249, n. 189. Grauitas: 55, 176, 223, n. 171; 274. Gubernator : 53, 57.
Labor : 54, 64, 65, n. 349. Légitimité: 123-124, 138, 184, 202, 209, 225, 229-230, 240, 267, 269-270, 273, 275, 296, 301, 303, 305, 307, 313, 324, 336, 343, 346-347, 350, 354, 364, 374, 376, 385, 400-401, 403, 406, 408-409,411,413, 415,423. Liberalitas : 176, 249, 289, 325, n. 152; 352, 372. Liberias, liberté, libre: 21, 26, 30, 38, 41, 45, 49, 52, 56-58, 73-74, 80, 89, 91, 94, 96, 101, 105, n. 10; 113, 114, n. 68; 121, 128, 130, 132, 172, 174, 181, 187, 190, 197, 200, 216, 219, 230-231, 235, 243, 248, 356, 372, 422. Loi: 7, 15, 20, 22-25, 41-42, 49, 95-96, 178-180, 182, 196, 204, 242-244, 346, 386, 391, 421-422. Loyalisme, loyauté: 52, 58, 91, 109, 114, 118-119, 125, 127, 193, 336.
Hasard: 8, 12, n.58; 21, 25, 29, 35, 51, 189, 229, 234, 264, 334. Hérédité, héréditaire: 209, 212-214, 218, 225, 272, n.66; 313, 325, 343, 356, 365, n. 431 ; 379, 385, 406, 423. Héritier: 108, 121, 127, 144, 161, 185, 287, 291, 300-301, 317, 319, 334, n. 200; 364, 385, 407, 413. Honestus : 27, 59. Honos: 72, 81, 146, n. 18; 152-153. Horoscope : 87-88, 132, 148, 155-156, 162, n. 133; 179, 183, 189, 192, 195, 202-203, 217, 221, 229, 269, 279, 291-302, 341, 379, 381, 390, 396. Houe : 264, 284. Humanitas, humanité: 2, 27, n. 152; 35, 58, 113, 176, 196, 241. Immortalité: 59-61, 86-88, 184, 247, 290, n.208; 327, 365, 367, 372, 397, 412. Imperator: 47, n. 117; 57, 76, 79, 82, 88, 130, 151, 206, 212-213, 218, 234, 257, 293, n. 228; 301-302, 330, 385-386, 425. Imperium : 48, 89, 90, n.282; 146, n. 18; 151, 154-155, 187-188, 194, 211-213, 256, 257, n.246; 279, 315, 334, 345, 382, n. 111; 390-391, 405, n.270; 416. Impiété: 13, n. 67; 101. Imprévoyance, imprévoyant : cf. Improuidus. Imprévu : 17, 45. Improuidus: 12, 38, 40-43, 46, 93, 98-99, 175, 188, 197, 222. Imprudentia : 39, n. 65 ; 98. Indulgentia : 75, 245, 249, 274, 419, n. 377. Ingenium : 56, 64-65, 95. Intellegentia, intelligence : 3, 7-8, 11, 16, 20, 23, 25, 34, n. 32; 35, 37, 51, 54, 56, 59, 63, 68, 89, 95-96, 120, 174, 188, 232, 248, 374. lustitia (justice, juste) : 3, 7-9, 14, 18, 22, 24-25, 27-28, 45, 58, n. 276; 58, 64, 69-71, 75, 77, 86, n. 252; 92, 95, 101, 107, 108,
Jeux: 71, 77, 79-80, 83-84, 113, 117, 137, 153, n.79; 160, n. 120; 164-166, 167, n. 161; 169, 172, 189, 203, 213, 220, 224, n. 183; 275, 279, n. 115, n. 119; 281, 312, 315-316, 322, 327-328, 338, 391-394, 406, 412. Jumeaux: 315, 317-318, 326-327, 334, 341. Justice, juste : cf. lustitia.
Magie, magiciens: 132, 147, 149, 151, 155, n.94; 368, 377, 393, 395-399, 403-405. Magnanimitas. magnanimité: 27-28, 52, n. 192; 55, 176. Mal : 22, 24, 40-41, 43-44, 52, 120, 174, 208, 246, 334-335. Malheur: 40, 4344, 47-48, 174, 184, 242. Mater castrorum : 335, 384, 386, 406, 416. Mathematicus, mathématicien : cf. Astrologie. Memoria, mémoire: 3, 37-38, 59, 188, 331, 343, 367, 403, 421. Mens : 36-37, 51, 61, n.318; 68, 89, 93-94, 129, 258, n.246; 374. Mérite : 93, 243, 266, 335. Mesure : cf. Moderatio. Moderatio, moderator: 18, η. 102; 28, 53, 57, 58, η. 276; 70-71, 76, 85, 108, η. 34; 127, 129-130, 201, 206, 208, 241. Modius : 329-330, 414, 417-419. Mysticisme, mystique : 37, 285, 393. Natura, nature : 8, 20-21, 29, 34-35, 65, 173, 177, 223, 334. Navire : cf. Bateau. Nécessité : 2, n. 9; 19-21, 178, 334, 375, 390. Nobilitas : 54, 352, 355-356, 392, n. 194. Humen : 82, 84, 105, n. 12; 128, 194. Officium : 42, 52, 54-55, 175-176. Omen : 14, n. 72; 209, 222, 272, 369-370, 380. Optimus: 56-57, 60, 166-167, 188, n.318; 240, 251-252, 266-267, 274, 278, 305, 315, 349, 384. Oracle : 14, n. 76; 205-209, 255, 378, 381, 403. Ordre: 11, 13, n. 67; 18, 20, 22, 28-30, 34, 36, 43, 47, 63-64, 71, 91, 129, n. 179; 175, 178-181, 183, 196, 230, 246, 284, 334, 380, 396, 398. Pacification, pacificateur : 83, 192, 209, 328. Paix : cf. Pax. Passion : 43-45, 97, 188, 242, 328, 421.
INDEX RERUM ET NOTIONUM Pater Patriae : 72, 74-75, 82-83, 233, 267, 280, 282, 285, 288, n. 193; 309-310, 331, 334, 371, 376, 412. Pax (paix) : 9, 11, Γ8, 40, 52, 70, 72, 77, η. 128; 80-81, 89, 91, 96, 116, η. 78; 129, 133, 136, η. 225; 151, 159, 175, 180, 188, 190-191, 193-194, 197, 199-201, 205, 213, 216, 224, η. 182; 229, η. 12; 241, 268, 272, η. 70; 276, 286, 329, 331, 344-346, 350, 352-353, 355, 359, 389, 393, 406, 417, 422, 424. Pax deonim : 46, 60, 168, 255. Perpetuitas, perpétuité: 49, 257, η. 246; 316, 330, 362, η. 413; 390, 394,410,415,417-418. Phénix: 166-169, 264, 268-269, 270, η. 53; 278, 281-282, 286, 288, 303-304, 312, 314, 335, 337, 413. Philanthropie, philanthrope: 18, 192-193, 241, 426. Philosophie, philosophe : 2-3, 10, 23-24, 29-30, 32, 36, n.45; 59, 65, 109, 131, 147, 149, 162, n. 133; 173, 190, 192, 203, 209, n.76; 221,240, 252,335,421. Pietas, piété: 13, 22, 58, n.288; 69, 74, 107, 108, n.34; 121, 130, n. 184; 139, 202, 217, 233, 250, 258, 267-269, 275, 288, 304-305, 310-314, 316-318, 320, 330, 337-338, 346-349, 353, 356, 361, 364, 372, 376, 384, 389, 391-393, 402, 407, 412. Puis, pia: 308, 310-311, 317-318, 331, 335, 337, 340, 343, 348349, 382, 389, 393, 395, 400-401, 409, 412. Planète: 21, 60, 156, 162, n. 133; 183, 202, 281, 293, n.234; 294, n. 241; 315. Postenini, postérité : cf. Avenir. Praecautus : cf. Cautiis. Précaution : 1, 10, 42-43, 78, 96-97, 126, 235, 246, 390. Prédiction : 205, 213-214, 221-222, 379. Présage : 20, 87, 99, 162, 179, n. 284; 189, 191, 195, 205, 207-208, 209, n. 80; 221, 236, 269, 291, 358, 371, 380-381, 404. Prévision, prévoir: 8, 12, 14, n.74; 17, 21, 25, 29, 38-45, 47-50, 55, 58, 62, 93-96, 99, 132, 159, 174-175, 205-206, 223, 323. Prévoyance, prévoyant: 9, 10, n.23; 11, n.43; 12-13, 17, 44, 46-50, 62-63, 93-94, 96-99, 120, n. 102; 132, 163, 170, 171, n. 186; 174-176, 182, 184, 191, n.344; 206, 223, 231, 234, 243-245, 254, 280, n. 137; 317, 409, 421. Prodige : 78, 205, 255, 291, 358-359, 371. Propagande: 106, 108-110, 114, 119, 122-123, 127, n. 150; 130, 133, 190-191, 193, 195, 197, 200, 209, 221-222, 225, 227, 236, 252, 266, 272, 274, 287, 310, 350, 379, 386, 402, 404, 408, 410, 417, 424. Prospérité: 11, 91-92, 192, 232, 257, 276-277, 280, 287, 302-303, 311, 314, 344-345, 350, n. 311; 351, 355-356, 363, 367, 373, 375, 380, 384, 386, 390, 392, 399, 401, 404, 406, 412, 419, 427. Protection, protecteur: 10, 12-14, 82, 88, 90, n.282; 94, 108109, 135, n.222; 139, 172, 174, 205, 213, 215, 217, 219, 235, 242, 246-247, 250-251, 254, 256, 265, 271, 289, 309, 316, 326, 329, 331-332, 336, 344, 350, 358, 361, 375, 384, 394, 416, 419, 422-423, 425, 428. Proue : 327, n. 164; 330, 340, n. 256, n. 257; 364, 417. Providence : 1, 10, n. 25; 14-15, 16, n. 83; 18-27, 29-30, 34-36, 67, 90-92, 100-103, 106, 111, 115, 117-124, 127, 132-135, 137, 139, 143-146, 148, 151-152, 157, 161, n. 127; 163-165, 170173, 176-185, 187-190, 193-197, 200, 202-203, 206, 212, 214, 218-219, 223-225, 228-229, 231-232, 236, 243-244, 246, 248251, 254, 256, 258, 263, 269, 271-274, 280-286, 291, 303-305, 308-309, 314, 317-318, 321-322, 325-330, 333-334, 337-340, 342-348, 350-352, 355-357, 360, 362-365, 367-368, 371-376, 378, 381, 383-386, 389-390, 393-396, 399-402, 404-405, 407409, 411, 413-417, 419, 421423, 425-428.
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Prouidentia: 1-4, 7, 19, 30-37, 39, n.65; 40, n.76; 41, 47, 50, 52-54, 56-61, 63-65, 67, 76, 89, 91-92, 99-100, 102-108, 1 ΙΟΙ 11, 114-120, 122-124, 127-128, 130, 132-135, 139, 143-146, 148, 152, 154, 157-158, 163-167, 169-177, 179, n.268; 180197, 199-200, 202-204, 210-216, 218-219, 222-225, 227-239, 243-266, 269-274, 278, 281-291, 298, 302-303, 307-312, 314, 317, 320-321, 322, n. 127, n. 129; 324-327, 329, 330, 332-334, 337-350, 352-353, 355-358, 363, 367, 371-373, 378, 384, 386, 388-390, 393-396, 398-400, 402, 404, 405, n.270; 407-408, 411-412,414-417,419-428. Prouidentissimus : 236, n. 70; 245-247, 250-251, 384, 405, n. 270; 408-409. Prolùdere : 2-3, 31-33, 35, n.38; 36-37, 39, n.65; 40-41, 43, 45, 47, 50-51, 54-59, 61-65, 89-90, 92-94, 96-100, 102, 168, n. 174; 175, 188, 223-224, 243, 245-246, 330, n. 179; 373, 422, 424-425. Prouidus: 3, 35, n.34; 39, n.65; 51, 68, 93-94, 97, 177, 179, n.268; 224, 243, 257, n. 246. Prudentia, prudence : 3, 8, 10, 12, 22, 38, n. 59; 39, n. 65; 41-42, 51-53, 56, 58, n. 276; 62, n. 326; 68, 71, 97, 99, 128, 174-176, 182, 225, 241, 245, 247-248. Puluinar: 83, 230, 240, 326, 401. Quinquennalia : 281, 309, 311, 317, 331, 345. Raison : 7, 14-17, 19, 22-23, 25-27, 35-37, 50-51, 53, 55-57, 59, 68, 95, 97-98, 174-176, 182, 242, 244, n. 144; 253, 334, 374, 421, 426. Ratio : 2, 3, n. 17; 40, n. 70; 50, 51, n. 169; 53, 56, 61, n. 318; 63, 93, 97, 162, n. 133; 169, n. 177; 174, 178. Rector: 47, 53, 56-57, 60, 83, 163, 201, 215, 282, 376. Réflexion : 8-12, 14-15, 17, 25, 27, 31-32, 36-38, 40-44, 46, 50, 55-57, 61, 63, 65, 68, 93, 95-96, 173-175, 177, 182, 187, 225, 244-247, 253, 305, 323, 334, 374, 383, 421-422. Religio : 58, 369. Renouvellement : cf. Renouatio. Renouatio : 166-167, 213, 224, n. 183; 257, 269, 281-282, 285-286, 289, 302, 311, 314, 323, 329, 335, 345, 350-351, 360, 365, 373, 375, 393-394, 399, 412-413, 424. Restauratio : 74, 129, n. 179. Restitutor : 277, 283, 286, 303, n. 292. Sacerdos: 137,411,417. Sacratissimus : 146, n. 18; 153, 155, n. 90; 330. Sacré : 13, 160, 277, 390, n. 172. Sacrifice: 81, 112, 116-117, 135-137, 139, 145-146, 148-149, 150-156, 186, 189, 196, 277, 315, 348, 354, 362, 377. Saeculum: 164, n. 137; 165, 167, n. 159; 171, n. 186; 184, 224, n. 183; 258, 316, 326-327, 351-352, 373, 385, 387-389, 391395,402,411,416. Saeculum aureum: 80, 138, 167, 171, n. 186; 175, 177, 278, 280-281, 285, 287, n. 181; 288, 301, 327, 329, 350-351, 356, 360-361, 364, 367, 373-375, 377-378, 385, 394, 404, 412413, 424, 427. Sagesse, sage : cf. Sapientia. Sains, salut: 14, n.75; 48, 53, 58, 60, 72-76, 78, 81, n. 174; 85, 91, 93, 100, 105, n. 10, n. 16; 106-107, 108, n.34; 115, 116, n.78; 118, 130, 133, 136, n.225; 137, n.230; 145, n. 17; 149-151, 153-154, 172, 185, n.303; 186, 190-193, 200, 208, 214, 224, 256, n. 235; 257, 269, 276, 325, n. 152; 340, n. 258,
492
INDICES
η. 259; 348, 354-355, 362, η. 413; 373, 386, η. 140; 390, η. 172; 394, 412413, 426. Sanctissimiis : 409. Sapientia (sagesse, sage): 1, 10, η. 28; 11, 14, η. 73; 22-25, 27, 29, 31-32, 36, 39, 41, 44-45, 52-53, 56, 58, η. 284; 59, 64, 93, 97, 119, 132, 166, 170, 171, η. 186; 175-178, 180, 183-184, 187, 208, 222, 245-246, 285, 293, 349, 371, 422. Sauvegarde : 9, 11, 27, 41, 45-48, 58, 64, 72-73, 75, 78, 91, 94-95, 97, 102, 129-130, 135-136, 148, 175, 195, 206, 208, 242, 310, 333, 335, 412, 422, 426. Sauveur: 80, 87, η. 266; 91-92, 209, 335, 377, 398. Sceptre: 129, 157, 163, 183, 206, 215, 217, 227, η. 2; 233, η. 43, η. 44; 236, 238, 240, 248-249, 254, 257, 263-264, 269-270, 274, 279, 282, π. 146; 286, 289, 300, 307-308, 313-315, 317-318, 321, 323, 339, η. 234; 340, 344, 346, 355-356, 383, 386, 389, 391, 394-395, 399, 402, 407-408, 411, 414, 416-417, 427. Securitas, sécurité: 54, 68, 73, 95, 174, 177, 188, 190, 193-194, 259, 344, 346, 376, 404, 408, 413, 415. Serment : 58, 83, 380. Siècle : cf. Saeculum. Siècle d'or : cf. Saeculum aureum. Signes (du zodiaque): 88, 156, 202, 221, 238, 294, n.241; 296, 315, 323, 344. Soc : 264, 284, 360. Soin: 10-11, 13-14, 17-18, 54, 58, 92, n.297; 95, 103, 163, 180, 192, 210, 229, n. 12; 242, 284, 330, n. 179. Sollicitudo, sollicitude: 8, n. 10; 9, n. 17; 10-11, 14, 159, 190, n.339; 193,240-241,247. Songe : 50, 236, 380, 398. Souveraineté: 67, 148, 157, 171, 182-183, 193, 201, 212-216, 218-220, 222, 224-225, 244, 256-258, 265, 311, 367, 378, 405. Spes (espérance, espoir) : 91-92, 144, n. 11; 200, 213, 305, 326, 345, 396, 408, 412, 419. Stabilité : 64, 87, 197, 199, 201, 212-213, 217, 225, 259, 302, 307, 350, 367, 373, 375, 408, 428. Stoïcisme, stoïciens: 3, 7, 10, 16, n. 85; 19-22, 24-26, 28, 32-34, 36, 41, 52, 59, 61, 86, n.252; 90-92, 102, 130-132, 148, 152, 162, n. 133; 173, 177-184, 189-190, 203, 205, 221, 223-224, 242, 244, n. 144; 271, 334, 422. Studium : 55. Succession, successeur: 86, 112, 120-121, 123-125, 127-128, 132, 134, 135, n.22; 138-139, 171, 184, 186-188, 190, 194197, 199, 200-201, 210, 212-213, 215, n. 108; 216-220, 223225, 227-232, 234, 250, 253, 257, n.244; 263, 266-267, 269, 272, 278, 279, n. 119; 287, 290-291, 296-305, 310-311, 313, 315, n.60; 316-320, 323, 325, 327, 330-338, 341, 343, 349,
354, 356, 365, 367, 370, 374-375, 378-379, 381-383, 385-386, 389-390, 393-396, 398, 400-402, 406, 413, 420, 422-423, 427. Supplication : 78-80, 82, 84, 145, n. 117; 150-151, 184, 275. Temeritas, témérité: 14, 17, 37, 51, 68, 97, 177. Temperantia, tempérance : 3, 22, 27, 176, 241. Thème de geniture : cf. Horoscope. Tolerantia, tolérance: 18, n. 102; 176. Tricennalia : 257, 289. Triomphe, triomphateur: 68, 79-80, 129, 136, n.225; 164, n. 141; 170, 172, 209-210, 211, n.94; 237, n.73; 267-268, 271, n.60; 331, 334, 341, 352, 388. Trophée : 254, 282, n. 146; 344, 362, 428. Tyrannus, tyran, tyrannie : 57, n. 272; 58, 60, 77, 222, 228, 233, 242. Urbs: 64, n.344; 102, 112, 118, 165, 168, 170, 175, 281-282, 285, 315-316, 329, 358, 362, 374-375, 377, 379, n.86; 380, 389, 390, n. 172; 404-405, 408, 412, n. 320; 417, 424. Usurpateur: 127, 196. Utilitas, utilité: 35, 181, n.283; 241, 247, 264, n. 10. Vérité : 21, 28, 51-52, 56, 64, 97. Vertu : 15, 22-23, 27-28, 43, 46, 48, 52, 54-55, 59-61, 71, 74, 77, 86-88, 90, 100, 109, 111, 133, n.207; 137, 177-178, 192, n. 353; 223, n. 166; 241-242, 258, 375, 426-427. Vicennalia : 257, 259, 287, 289-290, 315, 399, 418. Victoria, victoire: 62-63, 77, 79-82, 87, 94, 97, 120, 129, 136, n.225; 144, n.9; 145, 150-151, 155, 185, 200, 213, 215, n. 108; 218, 224, n. 182, n. 183; 231, 233, 253-254, 256, n.235; 258, 289, 328-329, 331, 333, 338, 342, 344, 346, 351-352, 358, 365, 372, 384-386, 388, n. 153; 389, 391, 397, 401, 410-411, 413, 418-419, 422. Vigilantia : 54. Ville : cf. Urbs. Virtus: 3, 45, n. 118; 48, 52-55, 58, n.276; 64-65, 68-69, 76, 78, 81, 89, 93, 107, 123, 176, 178, 180, 184, 233, 254, 287, n.72; 344, 422. Vœux : cf. Vota. Volonté: 14-15, 28, 31, 38, 44-46, 49, 54, 56, 59, 63-64, 82, 88, 99-100, 103, 109, 111, 123-124, 132, 172, 174-175, 183, 197, 210-211, 230, 232, 234-235, 240, 290, 311, 348, 370-371, 379, 382, 385, 396-397, 402, 405, 408-409, 415, 422, 424. Vota: 78, 87, 95, 101, 144-146, 148-149, 257, 276, 279, n. 121; 289, 305, 313, 315, 322, 326, 329, 331, 337, n. 224; 343, 345, 348, 350-352, 361, 362, n.413; 373, 386, 389, 392, 402, 408, 410, 412, 418.
TABLE DES MATIÈRES Pag. Avant-Propos Introduction
V 1 PREMIÈRE PARTIE DES ORIGINES À TIBÈRE : COMMENT UNE NOTION COMMUNE PREND UNE PLACE OFFICIELLE Chapitre I DE ΠΡΟΝΟΙΑ À PROVIDENTIA OU DE DRACON À CICÉRON
I - ΠΡΟΝΟΙΑ, L'HOMME ET LES DIEUX 1. La justice 2. Le gouvernement des hommes a. Un des aspects du pouvoir b. Polybe c. Πρόνοια dans l'État d. Les limites de son emploi 3. Le sacré a. Dans les relations des hommes avec les dieux b. Dans les relations des dieux avec les hommes 4. L'homme a. Πρόνοια attachée à l'homme b. Πρόνοια, expression de la raison permet la φιλανθρωπία
'
1. L'ancien Portique a. Dieu est Providence b. Providence et Destin c. Providence et monde des hommes d. La Lettre d'Aristée à Philocrate e. Les apports de l'ancien Portique 2. Le Moyen Portique a. Panétius de Rhodes b. Posidonius d'Apamée
"
II - ΠΡΟΝΟΙΑ, ÉLÉMENT ESSENTIEL D'UN SYSTÈME PHILOSOPHIQUE : LE STOÏCISME
7 7 8 8 10 11 12 13 13 13 16 16 17 19 19 19 20 22 23 24 25 25 28
494
TABLE DES MATIERES
Chapitre II UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICÉRON I - Providentia, un élément de la philosophie cicéronienne 1. 2. 3. 4. 5.
Les conditions de la création philosophique chez Cicéron La Prouidentia cicéronienne est stoïcienne Elle est preuve de l'existence des dieux et de leur action sur le monde Ses voies d'intervention dans le monde des hommes L'homme doit être le reflet de la providence divine
II - Providentia, un élément de la nature humaine 1. 2. 3. 4.
Un aspect de son pouvoir de réflexion Tous les hommes ne la possèdent pas Ses limites dans l'homme qui la possède À qui sert-elle? a. À soi-même, pour la réussite de l'action immédiate b. À soi-même, pour éviter les conséquences de l'imprévoyance c. Aux autres, pour leur offrir une protection générale d. Aux autres, pour leur offrir une protection politique e. Elle appartient à l'homme responsable 5. La prouidentia est d'origine et de caractère divins
III - Providentia ·. réalités de son contenu 1. 2. 3. 4. 5.
32 32 33 34 35 36 36 36 37 38 39 39 40 45 45 46 48 50
La raison L'action de Prouidentia dans la raison Les moyens de son action Les résultats de son action L'immortalité céleste
IV - Providentia ·. les contemporains de Cicéron
50 53 54 56 59 61
Chapitre III AUGUSTE OU L'ABSENCE DE LA PROVIDENCE I - Ses qualités cicéroniennes 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.
L'homme réfléchi Virtus Clementia et iustitia Moderatio Concordia et ses associés Pater Patriae Auguste est-il le princeps cicéronien?
67 67 68 69 70 71 74 75
TABLE DES MATIÈRES II - Ses qualités nouvelles
495 76
1. L'infléchissement des qualités cicéroniennes a. Clementia b. Concordia c. Salus 2. Les apports nouveaux a. Victoria b.Pax c. Fortuna et Félicitas 3. La création d'une ambiance divine a. La personne divine b. La famille divine c. La destinée divine et éternelle d. L'horoscope
76 76 77 78 79 79 80 81 82 82 85 86 87
III - L'utilisation de Providere à l'époque augustéenne
89
1. Les documents officiels a. Les Res Gestae b. Le calendrier d'Asie 2. La littérature a. Un emploi discret b. Tite-Live c. Diodore de Sicile
89 89 90 92 92 95 100 Chapitre IV
TIBÈRE OU L'OFFICIALISATION DE LA PROVIDENCE I - Provi denti a ·. son expression officielle et publique 1. Les sources 2. Pourquoi et quand? a. Une première approche b. Les solutions partielles c. La conjuration de Séjan 3. Prouidentia : son autel II - Providentia : une notion tibérienne 1. Reprise d'un thème «augustéen»? 2. La Providence personnelle de Tibère 3. La Providence de Tibère et sa succession
103 103 106 106 108 110 115 120 120 122 123
III - Providentia : réalités de son contenu
128
1. Respect de l'action d'Auguste 2. Les qualités « augustéennes » 3. Les apports «tibériens» a. Le stoïcisme b. L'astrologie c. La popularisation de prouidentia
128 128 130 130 131 132
TABLE DES MATIÈRES
496
IV - Un continuateur de Tibère: Caligula 1. 2. 3. 4.
134
Les frappes monétaires Les Actes des frères arvales Le respect des tendances « tibériennes » La même Prouidentia
134 135 137 139
DEUXIÈME PARTIE PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ : UNE APPROCHE GRADUELLE Chapitre I CLAUDE ET NÉRON: UNE PÉRIODE D'ESSAIS I - Les documents 1. Les surfrappes de Claude 2. Les émissions de Néron
143 143 145
II - Prouidentia ET CONSPIRATIONS ' 1. L'année 66
146
III - Un essai étonnant de Claude
163
2. L'année 59 3. Quelle Prouidentia, pour quelles conspirations? 4. Son expression alexandrine
1. 2. 3. 4.
146 149 152 157
L'inscription d'Herculanum Les jeux séculaires Le Phénix L'échec de Claude
163 164 166 169
IV - PROVIDENTIA: RÉALITÉS DE SON CONTENU
171
1. Dans l'utilisation impériale 2. Chez Sénèque a. La Prouidentia est un bien de l'homme b. La Prouidentia est qualité divine 3. Chez Philon d'Alexandrie 4. Prouidentia'. accord entre les dieux et les hommes V - PROVIDENTIA : UN ÉLÉMENT DE LA CRISE 68/69 1. Galba et sa succession a. Les documents b. L'adoption de L. Pison c. L'édit de Tiberius Julius Alexander 2. Othon néglige Prouidentia 3. Vitellius, son désarroi et Prouidentia
171 173 174 177 180 182 184 184 185 186 191 193 195
TABLE DES MATIÈRES
497
Chapitre II LES FLAVIENS OU LA FAMILLE PROVIDENTIELLE I - Les documents numismatiques
199
II - Quel sens leur attribuer?
200
1. Le rappel de Galba 2. La part de l'astrologie 3. La part de l'Orient a. Balbillus b. Le milieu juif et Flavius Josephe c. Le milieu gréco-oriental 4. Les convictions de Vespasien
200 202 203 203 204 207 209
III - PROVIDENTIA : RÉALITÉS DE SON CONTENU 1. 2. 3. 4.
210
Le dies imperii Les monnaies Une souveraineté à caractère religieux L'hérédité du pouvoir
IV - PROVIDENTIA: LA CONTINUITÉ ET SES LIMITES 1. Son expression par Titus a. Une nouvelle représentation monétaire b. Des monnaies de restitution 2. Domitien et l'abandon de Prouidentia a. L'hostilité envers ses prédécesseurs b. Prouidentia ne peut aller au-delà de lui-même c. Comment masquer la réalité 3. Les faibles échos littéraires
211 211 212 213 214 214 214 218 219 219 220 220 222
Chapitre III NERVA ET TRAJAN: UNE NOUVELLE «PROVIDENTIA»? I - Nerva et sa succession 1. 2. 3. 4.
Le document Une première approche La légitimité divine Le choix d'un successeur
II - Trajan : de l'habitude à l'approfondissement 1. La signification des monnaies du début du règne 2. Les autres documents a. Épigraphiques b. Numismatiques
227 227 228 229 230 232 233 236 236 237
498
TABLE DES MATIÈRES 3. Un « Panégyrique » et des Orationes a. Pline le Jeune, un panégyrique, la prouidentia b. Dion Chrysostome, des Περί βασιλείας, ή πρόνοια c. Leur conception du pouvoir 4. Le sens de prouidentia dans les documents épigraphiques 5. Les types monétaires de 115-117 a. Un changement dans le règne b. Une première approche c. Trajan et l'Orient d. Une nouvelle période
239 239 240 240 248 251 251 252 254 257
TROISIÈME PARTIE : «PROVIDENTIA» ET SOUVERAINETÉ: UNE NÉCESSITÉ DYNASTIQUE Chapitre I HADRIEN: LE POUVOIR ET LA PROVIDENCE DES DIEUX I - Les documents II - Providentia Deorum 1. Une première approche 2. L'exemple «trajanien» 3. La succession légitime III - Providentia Aug 1. 2. 3. 4.
La place prépondérante des femmes de la famille impériale La situation en Orient Les voyages Le saeculum aureum a. Le document numismatique b. L'Éternité c. La Félicité d. Le Natalis Urbis e. La Renouatio
IV - Les dernières années 1. 2. 3. 4. 5.
La conservation de l'acquis La mort de Sabine Les Vota renouvelés Le choix d'un successeur Du rôle de l'astrologie a. Les trois thèmes de geniture d'Antigone de Nicée b. Un ensemble familial
263 265 265 266 269 274 274 275 276 278 278 279 280 281 282 286 286 288 289 290 291 291 294
TABLE DES MATIÈRES
499
V - Providentia et succession
298
1. L. Aelius Caesar 2. Prouidentia et domus augusta
298 302
Chapitre II LA PROVIDENCE INDISPENSABLE OU COMMENT ABOUTIR AU «PRINCEPS IDÉAL» I - Providentia garante d'une famille charismatique
307
1. Foudre et Providence des dieux a. Des avis divergents b. La mort de Faustine l'Ancienne 2. Une Providence discrète, mais souvent présente a. L'année 148/149, porteuse de Félicité b. Le temple du Diuus Hadrianus c. Les naissances d'enfants impériaux
308 309 312 314 314 317 317
II - Providentia ·. vers l'apogée 1. 2. 3. 4. 5.
Les documents des règnes de L. Verus et de Marc Aurèle Année 161 : respect et continuité Le Bonheur promis Prouidentia et la campagne orientale Prouidentia et l'annone
III - Providentia ·. les dieux protègent la Domus Augusta 1. La mort de L. Verus et ses conséquences 2. La mise en avant de Commode 3. Le rôle essentiel de la famille impériale 4. L'assurance dans l'avenir IV - Commode : le Princeps idéal 1. 2. 3. 4.
320
Les documents du règne Le princeps idéal, de naissance et de formation Prouidentia : l'affirmation d'une légitimité L'année 1 83 ou la confirmation a. Lucilia b. Pius c. Félicitas 5. Prouidentia, salvatrice et confirmatrice a. Perennis b. Le navire et la Providence c. Crispine d. Bonheur et prospérité 6. L'exaltation des dernières années a. Les monnaies d'Alexandrie b. Les difficultés du monde romain c. La réponse religieuse de Commode d. Le retour à la Providence
320 322 325 327 329
.'
332 332 332 335 338 339 339 341 343 346 346 348 349 351 351 352 353 355 357 357 358 359 362
500
TABLE DES MATIÈRES Chapitre III PROVIDENTIA ET SOUVERAINETÉ DYNASTIQUE UNE CONFIRMATION
I - Pertinax et La faveur des dieux 1. La difficile succession de Commode 2. Miracles et signes divins 3. Prouidentia Deorum a. Les premières interprétations b. Le sens profond II - Septime Sévère et le retour officiel aux Antonins 1. La Providence dans la lutte pour le pouvoir 2. Le destin fixé par les dieux 3. La rentrée en scène de la Providence a. La Providence garante de la succession b. La Providence garante du rattachement à la lignée antonine c. L'Orient, la famille impériale, le «siècle des Antonins» d. Les jeux séculaires 4. La Providence et Gorgone
367 367 368 371 371 372 376 376 379 381 381 384 387 391 394
III - La Providence et le maintien de la dynastie antonino-sévérienne
400
1. Un parfait accord avec les dieux a. Caracalla et Géta b. La Providence ne protégeait que Caracalla 2. Comment, avec la Providence, corriger une usurpation a. Macrin, par son fils", se rattache à la dynastie précédente b. Macrin proclame la Providence des dieux 3. Le dernier Antonin et la réaffirmation de la filiation a. L'avènement d'Élagabal et ses mariages b. Prouidentia Deorum 4. Le dernier Sévère a. Les documents b. La première série Prouidentia Deorum c. Ulpien et les émeutes de Rome d. Prouidentia et Annona
400 400 402 405 405 407 409 409 411 414 414 415 415 417
Conclusion
421
Tableau chronologique des types et légendes monétaires Providentia
429
Planches hors-texte
(entre les pages 444 et 445)
TABLE DES MATIÈRES
501
Sources
445
Bibliographie
447
Indices Index auctorum antiquorum Index inscriptionum Index nominum Index Graecorum verborum Index rerum et notionum
461 479 482 487 488
Table des matières
;
493