Saint-Yves d'Alveydre ou une synarchie sans énigme
DANS LA MÊME COLLECTION « HISTOIRE ET TRADITION » ANDRES Gilles — ...
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Saint-Yves d'Alveydre ou une synarchie sans énigme
DANS LA MÊME COLLECTION « HISTOIRE ET TRADITION » ANDRES Gilles — Principes de la médecine selon la tradition. BAYLOT Jean — Oswald Wirth. BEATRICE Guy et BATFROI Severin — Terre du Dauphin et grand œuvre solaire. BONGARD Roger — Manuel maçonnique du rite écossais ancien et accepté. BOUCHER J. — La symbolique maçonnique. BRUNET E. — Maçonnerie et astrologie. CHRISTINGER R. SOLIER P. E R A C L E J . — La croix universelle. DELCAMP Edmond — La montée vers l'Orient. FONT J. G. — Histoire de l'alchimie en Espagne. G R A D A. D. — Pour comprendre la kabbale. GRINBERG Maurice — Introduction au Zohar. GRINBERG Maurice — Les dix commandements. GUÉRIN Pierre — Essai pour une philosophie ésotérique de l'histoire. GUILLOT R. P. — Le sens magique et alchimique du Kalevala. KERBOUL C. Y. M. — L'homme du Verseau. LADRET A. — Le grand siècle de la Franc-Maçonnerie. LE C O U R Paul — L'ère du Verseau. LEPAGE Marius — L'ordre et les obédiences. MAROLLEAU Jean — La symbolique chinoise. M A R S A U D O N Yves — De l'initiation maçonnique à l'orthodoxie chrétienne. MCINTOSH Christopher — La Rose-Croix dévoilée. PHAURE Jean — Cycle de l'humanité adamique. PLANTAGENET — Causeries initiatiques 3 tomes (Apprenti, Compagnon, Maître). SAVORET André — Visage du druidisme. SCHAYA Léo — L'homme et l'absolu selon la kabbale. STABLE P. — Deux clefs initiatiques de la Légende dorée : la kabbale et le Yi-King. WIRTH O. — Les mystères de l'art royal. WIRTH O. — La Franc-Maçonnerie rendue intelligible a ses adeptes (Apprenti, Compagnon, Maître). WIRTH O. — Le symbolisme occulte de la Franc-Maçonnerie. D ' Y G E Claude — Anthologie de la poésie hermétique. D ' Y G E Claude — Nouvelle assemblée des philosophes chimiques. OUVRAGES DE PAUL N A U D O N : La tradition et la connaissance primordiale dans la spiritualité de l'Occident. Les Silènes de Rabelais. Les loges de Saint Jean. La Franc Maçonnerie chrétienne. La tradition operative. L'Arche Royale de Jérusalem. Le Rite Écossais rectifié. Histoire, rituels et tuileurdes hauts grades maçonniques. Le Rite Écossais Ancien et Accepté. Les origines religieuses et corporatives de la Franc-Maçonnerie. L'humanisme maçonnique. Essai sur l'existentialisme initiatique. :
OUVRAGES DE JEAN TOURNIAC Principes et problèmes spirituels du rite écossais rectifié. Vie et perspectives de la Franc-Maçonnerie traditionnelle. Symbolisme maçonnique et la tradition chrétienne. HORS COLLECTION : Travaux
de la Cahier Cahier Cahier
loge de recherches 1976 n" XII 1977 n' XIII 1978 n' XIV
de Villard
de Honnecourt
Cahier n' 1 — 2" série. — Cahier n" 2 — 2" série
:
Collection « Histoire et Tradition » Jean Saunier
Saint-Yves d'Alveydre ou une synarchie sans énigme
DERVY-LIVRES 6, r u e d e Savoie PARIS VI e
© Dervy-Livres, Paris, 1981 ISBN : 285076-141-9
Du
—
« LA
SYNARCHIE
SOCIÉTÉ».
— « LES
M Ê M E
OU
A U T E U R
LE V I E U X
Paris 1971
(Culture
FRANCS M A Ç O N S
RÊVE Arts
», Paris 1972
D'UNE
Loisirs
NOUVELLE
-
(Culture
Grasset). Arts
Loisirs-
Grasset).
— « L ' O P U S DEI E T LES SOCIÉTÉS Paris 1973. (Culture Arts Loisirs
SECRÈTES -
Publications diverses concernant son œuvre. —
« SAINT
YVES
D'ALVEYDRE
SYMBOLISME» —
« SYNARCHIE SYMBOLISME»
—
n° 396, ET
CATHOLIQUES».
Grasset). Saint
Yves
et
d'Alveydre
ET LA SYNARCHIE »
in
« LE
1971. FRANC-MAÇONNERIE
»
in
«
LE
e
n° 397. 4 trimestre 1971.
« LA M I S S I O N D E S J U I F S D A N S L A V I E E T L ' Œ U V R E D E S A I N T YVES D'ALVEYDRE. » « ESQUISSE
D'UNE
BIBLIOGRAPHIE
DE
SAINT
YVES
» Ces deux textes en préface à « M I S S I O N Paris 1971 (Editions traditionnelles).
D'ALVEYDRE. JUIFS». —
« RECHERCHES «L'INITIATION».
SUR
SAINT
YVES
D'ALVEYDRE
»
DES
in
Boulogne s/Seine, n° 3, juillet-août-
septembre 1972. —
« POUR
U N E BIBLIOGRAPHIE
GÉNÉRALE
DE
SAINT
YVES
» in « L ' I N I T I A T I O N ». Boulogne s/Seine, n° 4 de 1978, n° 1 et 2 de 1979. D'ALVEYDRE
« INTRODUCTION
À "L'ARCHÉOMÈTRE" » suivi
« L'ARCHÉOMÈTRE MUSICAL » et PATRIARCHES».
de
« LA THÉOGONIE DES
Réédition Paris sd. (1979)
(Gutenberg
Reprints).
« SAINT YVES D'ALVEYDRE POÈTE. » Nice 1980
(Bélisane).
« SAINT YVES D'ALVEYDRE ET L'ORDRE MARTINISTE » in
« L'INITIATION » Boulogne s/Seine n° 1 de 1980. «INTRODUCTION À "CLEFS
Nice 1980
DE L'ORIENT".»
Réédition
(Bélisane).
« PRÉSENTATION DE "LA THÉOGONIE DES PATRIARCHES". »
Réédition Nice 1980 (Bélisane). « U N E ÉTRANGE HISTOIRE. » Présentation de « MISSION DE L'INDE EN EUROPE». Première édition intégrale sur le texte de 1886. Nice 1981 (Bélisane).
« II est C A .
doux de
de Sainte
comprendre Beuve
tout (Portraits
ce qui de
a vécu
»
femmes)
A la m é m o i r e d e Adèle Bichet et Joseph Saunier Rosalie Vial et Jean Revolat Clotilde Samuel et Ovide Colonel Melanie Gontard et Jean Serres, mes arrière grands-parents, contemporains des faits racontés dans ce livre. La dure condition faite aux travailleurs, dont ils étaient, ne leur p e r m i t j a m a i s de g o û t e r les c h a r m e s de la « philosophie occulte » ; en eurent-ils moins de sagesse pour autant ? J'aurais aimé raconter aussi leur histoire, si elle avait laissé plus de traces.
INTRODUCTION
« Il reste d'un homme ce que donnent à songer son nom et les œuvres qui font de ce nom un signe d'admiration, de haine ou d'indifférence. » Ainsi,
dès la première
phrase
de son
admirable
« INTRODUCTION À LA MÉTHODE DE LÉONARD DE VINCI »
1
Paul Valéry caractérise-t-il l'objet de la difficile entreprise de retrouver, ordonner, restituer les traces d'un h o m m e et de son intelligence. Et il faut convenir avec lui que retrouver cet h o m m e , c'est aussi « retrouver entre ses œuvres cette pensée qui lui vient de nous ». Au fait, l ' h o m m e qui fut Joseph Alexandre Saint Yves d'Alveydre (1824-1909) et devenu l'objet de ce livre, est bien signe d'admiration, mais d'un très petit nombre, recruté dans la mouvance (marginale mais permanente) des amateurs d'ésotérisme, sociétés secrètes et autres initiations
1. Paul Valéry : « I N T R O D U C T I O N À LA M É T H O D E D E L É O N A R D D E (1894). « V A R I É T É » . Paris, 1924 (Gallimard), p. 223. Je précise que, puisqu'une introduction de portée générale a nécessairement un caractère discursif, je ne donne dans ces notes que les références indispensables ; lorsque je viserai l'ensemble d'une œuvre, je me permettrai de ne pas citer tous les livres d'un auteur. Il n'en ira pas de même dans les chapitres suivants. VINCI»
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
plus ou moins initiatiques. Il fut bien, en son temps, signe de haines diverses, la plus éclatante étant celle d'une femme amoureuse et trompée qui se vengea avec un pamphlet cruel et injuste mais avec le talent étonnant que donne la passion. D'autres polémiques l'atteignirent ; toutes sont aujourd'hui éteintes. Et j'hésite à mettre au compte d'une haine qui le concernerait seul les innombrables écrits relatifs à la s y n a r c h i e et aux synarques de toutes obédiences où son n o m est cité, généralement à contretemps, quand ce n'est pas avec la plus grande sottise. Demeure, des trois critères de Valéry, l'indifférence. A cet égard la réussite, si l'on ose, de Saint Yves, est tout à fait éclatante à considérer qu'être ou ne pas être cité par les encyclopédies est significatif. Passe encore l'absence d'un dictionnaire, dont la rubrique comprend souvent peu de lignes mais destinées au plus grand n o m b r e ; mais voilà que l'auteur de milliers de pages dont certains, je l'ai dit, font grand cas, n'a pas, depuis 1909 jusqu'à ce j o u r suscité de biographie sérieuse, mise à part une exception honorable mais aujourd'hui insuffisante, sur laquelle je reviendrai. Autant dire nettement : pourquoi écrire un livre sur Saint Yves d'Alveydre? T o u t chercheur qui a consacré beaucoup d'heures de sa vie à tracer le portrait d'un h o m m e dont l'œuvre est qualifiée de mineure ou d'obscure craint évidemment de passer lui-même pour singulier lorsqu'il met au j o u r les résultats de ses investigations : il lui est donc nécessaire de démontrer aux autres mais au fond peut-être à lui-même, qu'il n'a pas tout à fait perdu son temps dans les dédales d'une érudition dérisoire à force de singularité. S'agit-il pour autant de plaider la réhabilitation — peut-être légitime — d'une œuvre méconnue ? Pas davantage. L ' h o m m e (celui-là, un autre, tous) est toujours significatif et le fait que son destin apparaisse c o m m e « marginal », et son œuvre mineure, n'en révèle pas moins les rêves du plus
INTRODUCTION
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grand n o m b r e à travers l'expérience des frontières franchies, fussent-elles celles du sens c o m m u n ; exactement de la m ê m e manière que les rêves sur l'au-delà sont le reflet en creux, ou en songe-creux, de l'ici-bas. Il y a ainsi des raisons de s'intéresser à la vie de Saint Yves, et elles sont de portée plus générale que son œuvre m ê m e . Elles relèvent, me semble-t-il, de trois ordres d'intérêt. Les premières tiennent moins aux épisodes de sa vie, dont les détours parfois curieux méritent d'être décrits, qu'à l'objet quasi unique de tous ses travaux qui, sous des formes diverses, tendent tous à concrétiser ou à incarner le rêve d'une synthèse universelle. De là les raisons du second ordre procurent à propos de lui l'occasion de s'interroger sur ce que fut le phénomène — faut-il le dire philosophico-littéraire ? — de l'occultisme à la fin du x i x siècle et au début du x x et dans lequel beaucoup puisent encore pour se consoler à l'approche du troisième millénaire. O n le verra, Saint Yves fut une figure eminente, quoique distante, de la recherche occultiste. Le connaître, c'est aussi mieux comprendre ces sortes d'activités intellectuelles qui pour les uns sont pure spiritualité, pour d'autres, noir obscurantisme, mais sur lesquelles il conviendrait d'autant plus de faire la clarté qu'à la faveur des incertitudes de l'époque, elles deviennent quasiment un phénomène de masse, révélé par l'activité scandaleuse de différentes sectes actuelles. c
c
En troisième lieu l'étude de l'œuvre de Saint Yves est indispensable à qui veut voir clair dans la question de la s y n a r c h i e qui, depuis son irruption, en 1941, dans le vocabulaire politique français, n'a guère été éclaircie. O r l'œuvre de Saint Yves est pour une large part consacrée à la s y n a r chie, et si sa connaissance ne suffit pas à éclaircir les énigmes qui lui sont postérieures — il employa le mot vers 1876 —, elle n'en est pas moins indispensable, ne fût-ce qu'à l'établis-
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
sèment d ' u n vocabulaire précis et de nature à définir les diverses acceptions du terme s y n a r c h i e . O n le voit, les trois sortes de raisons qui justifient l'attention accordée à Saint Yves d'Alveydre sont d'une importance inégale mais indéniable. Il paraît en tout cas indispensable de les expliciter davantage les unes et les autres, dès cette introduction.
C o m m e n t écrire « l'histoire d ' u n prophète... » ? Les épisodes de la vie de Saint Yves, j e l'ai dit, sont souvent singuliers ; au vrai, tout destin ne l'est-il pas lui-même, gloire et obscurité, ratage et réussite, n'ayant pour aune que le bonheur. La singularité de Saint Yves apparaît pourtant dans l'idée que, sous diverses formes, il s'est fait d'une « mission » personnelle, aux différentes étapes de sa vie ; et surtout dans l'obstination avec laquelle il a tenté de la réaliser. Il m e paraît opportun d'en donner dès maintenant quelques grands traits qu'on approfondira ultérieurement. Ainsi, en 1882, tout juste âgé de quarante ans (mais avec derrière soi force recueils poétiques inaperçus) il avait publié anonymement un livre intitulé « MISSION DES SOUVERAINS PAR L'UN D'EUX», et que j e c o m m e n t e r a i plus
complètement. Certains s'étant montrés surpris de ce titre — et de cette prétention — Saint Yves se crut obligé de s'expliquer ; il le fit peu après dans «MISSION DE L'INDE», livre paru à titre posthume, mais écrit en 1886 : « On m'a reproché d'avoir signé la Mission des Souverains par l'un d'eux. Non seulement je l'ai fait mais je le maintiens et j'en vais donner les raisons péremptoires ; (...) dans la constitution synarchique du cycle de Ram mais aussi dans l'ésotérisme chrétien, régner c'est servir, regnare
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INTRODUCTION
est. Tel était en effet le caractère des royautés synarchiques qui, depuis cinq mille ans, ne sont plus de ce monde. C'est à ce titre également qu'était et qu'est encore roi tout initié et que comme tel, de droit si ce n'est de fait, il faisait et fait encore partie du Conseil de ceux qui prétendent à la direction des nations. »
servire
Après avoir défini les caractères de cette « royauté initiatique » dont il affirme l'existence dans l'antiquité, en Orient et aussi dans le M o y e n Age chrétien — et en cela, il annonce certaines parts de l'œuvre de René Guenon, Saint Yves affirme sa mission personnelle : Les temps sont revenus, Dieu en soit loué au plus haut des cieux ! où le Verbe direct peut et doit rentrer en action et parler aux pouvoirs de la terre, pour peu qu'il se trouve un missionnaire au cœur assez humble pour s'adresser aux rois comme l'un d'eux. » Ni plus ni moins. Saint Yves est donc ce «missionnaire», et les deux piliers de son œuvre, la « SYNARCHIE » et plus tard «L'ARCHÉOMÈTRE», sont donc en ce x i x siècle finissant, inspirés par le Verbe soi-même, l ' a r c h é o m è t r e étant de plus réputé être « la clef de toutes les religions et de toutes les sciences de l'Antiquité». Il faut dire pourtant que ce messianisme solennel qui caractérise toute l'œuvre de Saint Yves (et donne à quelques pages un souffle surprenant) se double d'une autre face, en apparence antinomique, qui est aussi une des clefs de sa compréhension : autant il se pose en hiérophante majestueux jusqu'à la redondance, autant il s'est constamment montré soucieux d'explorer les conséquences concrètes, et parfois au sens le plus immédiat, de toutes ses théories, ce qui le distingue très évidemment de beaucoup d'occultistes adonnés au seul rêve. U n épisode peu connu de sa vie fournit un premier e
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
exemple très significatif de cette disposition, qu'on retrouvera souvent; peu après son mariage en septembre 1877, avec une riche aristocrate russo-polonaise, Saint Yves avait eu l'idée, peut être recueillie pendant sa jeunesse aux îles anglo-normandes, de tirer partie des algues marines. Il en fit un ouvrage théorique, paru en 1879, mais dans le m ê m e temps, il songe aux applications industrielles les plus pratiques. Ainsi pendant deux ans et demi, il dépose deux brevets eux-mêmes complétés par neufs certificats d'addition. N o n content d'inventer, il crée une société c o m m e r ciale pour fabriquer différents produits : l'algue-chocolat, l'algue-granule, l'algue-bain, mais aussi du papier, des procédés de conservation des denrées alimentaires e t c . . qu'il avait mis au point. L'affaire, on le verra, tourna mal sur le plan financier et elle n'a qu'une importance limitée, en elle-même. Pourtant c'est bien le même h o m m e qui cherche à la fois à commercialiser l'algue-granule et à parler aux souverains c o m m e l'un d'eux au n o m d'une royauté initiatique venue du fond des temps. O r cet h o m m e va aussi consacrer beaucoup de temps et d'énergie à propager deux idées synthétiques qu'il appelle la s y n a r c h i e au plan socio-politique, puis P a r c h é o m è t r e au plan métaphysique. La s y n a r c h i e est un système d'organisation sociale, prenant en considération la nécessité de gouverner simultanément, mais sans confusion, les aspects intellectuels et spirituels d'une part, politiques, militaires et juridiques d'autre part, économiques et sociaux enfin, de toute collectivité humaine. Le fondement principal de cette théorie est donc bien à rechercher dans les « trois fonctions sociales », qu'avec une érudition et une méthode foncièrement différentes Georges Dumézil a mises en évidence tout au long de son œuvre. Mais la comparaison s'arrêtera là. Saint Yves à partir de cette tripartition de toute vie
INTRODUCTION
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sociale élabore toute une constitution des états et de la vie publique. A la vie spirituelle correspondent trois fonctions : l'une spirituelle qui doit s'assurer la permanence de l'initiation de la théurgie et du sacerdoce; l'autre intellectuelle, permettant d'harmoniser l'ensemble de la vie universitaire, avec la représentation de toutes les familles, des loges maçonniques à la Société de Jésus en passant par la Sorbonne ; la troisième pratique, au niveau des différents cultes publics. La vie politique et morale, qui définit le pouvoir des gouvernements et des élus distingué de l'autorité spirituelle (qui caractérise la vie spirituelle) et du pouvoir des gouvernés (qui caractérise l'ordre économique), est le nœud central du système d'harmonisation sociale. Trois conseils doivent donc assurer, au plan législatif, l'élaboration sereine de la législation concernant l'Autorité sur l'instruction et les cultes, le pouvoir sur la police, la justice et la guerre, l'économie en matière de Finances, de travaux publics et l'agriculture, chacun ayant pour interlocuteur des élus ministériels correspondant à ces domaines. Enfin, la vie économique que Saint Yves définit c o m m e « principe d'organisation démocratique assurée par le suffrage universel n o t a m m e n t les collèges électoraux et par la rédaction de cahiers de v œ u x » , a pour vocation d'affirmer le pouvoir des gouvernés par le moyen de trois collèges électoraux, correspondant respectivement à l'enseignement au pouvoir juridique et au pouvoir économique. L'architecture générale d'un tel système est assurément malaisée à décrire en peu de mots ; d'autant que son exposé par Saint Yves lui-même, ne correspond pas, au plan de la chronologie, à l'ampleur du sujet. U n siècle après, pourtant, il est loisible de proposer une lecture méthodique, correspondant au fait que la s y n a r c h i e apparaît c o m m e décryptement de civilisations passées, et au prototype d'une organisation harmonieuse de la société. L'«aggartha », cette étrange cité souterraine décrite dans
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
la « MISSION DE L'INDE » (1886) est, ainsi, la description d'un « pôle » spirituel primordial et mondial ; l'histoire passée du m o n d e occidental dans ses rapports avec l'orient fait l'objet principal de la «MISSION DES JUIFS » publiée en 1884; à un
degré de généralité moindre, la « MISSION DES SOUVERAINS », publiée en 1882, apparaît c o m m e une histoire synarchique de l'Europe, des origines au traité de Westphalie. La France est, pour sa part, concernée par « LA FRANCE VRAIE » publiée en 1887 et par la curieuse épopée intitulée «JEANNE D'ARC VICTORIEUSE », de 1890, c o m m e par la petite brochure dont le titre est « L E CENTENAIRE DE 1789 ET SA CONCLUSION». Il convient, enfin, de mentionner la « MISSION DES OUVRIERS », de 1883, qui, elle, ne s'adresse ni à une civilisation ni à une patrie, mais à une classe sociale. T o u t cela donne lieu à des exposés théoriques, parfois complexes, souvent prolixes et pesants. Pourtant, d'un point de vue biographique, lajpublication des livres concernant la s y n a r c h i e s'inscrit dans un bref laps de temps : 1877-1890; et dans le m ê m e temps, il veut convaincre les pouvoirs en place de la nécessité de réformer la République. Au moyen d'un syndicat — celui de la Presse économique et professionnelle de France, déclaré à la Préfecture de Police, le 17 juin 1886 — il se jette à corps perdu dans les démarches dans les Ministères, au Parlement, à la Présidence du Conseil, à celle de la République ; il est reçu par Jules Grévy en 1887, par Sadi Carnot (le scandale des décorations est passé par là) en mai 1888; il y gagnera la Légion d'honneur... la s y n a r c h i e ne sera pas pour autant expérimentée en France. Il est également vrai, que dans le m ê m e temps, il discutait avec le général Boulanger et son h o m m e de confiance, le C o m t e Dillon. Il est vrai enfin que la s y n a r c h i e devait dépasser les clivages politiciens et les clivages de classe... rêve inachevé. U n autre rêve, encore plus synthétique, encore plus universel devait suivre, dans les conditions qu'on verra : celui de 1'« ARCHÉOMÈTRE ».
INTRODUCTION
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Cette œuvre ultime et inachevée nous est connue par le recueil publié sous ce titre en 1911 jpar quelques disciples. L'objectif de l'œuvre est de mettre en évidence les correspondances entre les signes zodiacaux, les planètes, les notes de musique, les alphabets de différentes langues sacrées connues et inconnues — et à ce dernier titre, on mentionnera le langage « V a t t a n » , langue primordiale parfaitement inconnue des linguistes — les couleurs, les formes architecturales. C'est que les préoccupations fondamentales de l'auteur sont bien contemporaines de celles des poètes et artistes «symbolistes», épris eux aussi de «correspondances», et que l'on peut assurément comparer son projet à ceux de Mallarmé. Mais, une nouvelle fois, dans cette recherche hors du c o m m u n , Saint Yves ne se borne pas à livrer une théorie abstraite. Le recueil de documents divers qui porte le titre de « L'ARCHÉOMÈTRE » s'ouvre sans doute sur un texte à caractère doctrinal : «La sagesse vraie», mais il comporte aussi des textes relatifs à un ensemble d'instruments matériels qui permettent de mettre en œuvre la technique archéométrique. Car Saint Yves avait effectivement déposé en juin 1903 un brevet, au sens industriel du terme, pour garantir sa découverte (un brevet, beaucoup plus explicité, fut également déposé en 1904 en Grande Bretagne). Au sens strict, l'ARCHÉOMÈTRE est formé de plusieurs cercles concentriques et mobiles où sont inscrits les divers éléments de correspondances (lettres, notes, couleurs, planètes, e t c . ) . Les corrélations obtenues peuvent être mesurées avec d'autres instruments : un « rapporteur de degrés », une « équerre archéométrique ». Les applications à la musique, pour laquelle Saint Yves avait une prédilection particulière, se font au moyen d'un « étalon musical » qui définit des longueurs de cordes. Ces dernières permettent à
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
leur tour d'établir des proportions applicables à l'architecture. Ainsi, par une technique complexe (et quelquefois incertaine car tous les documents n'ont pas été publiés) le système permet de passer d'un mot (par exemple le n o m « Marie ») à des notes de musique, pouvant former un hymne, puis à l'architecture d'une chapelle. Et le plus singulier dans tout cela est sans doute que l'entreprise n'est pas demeurée à l'état de rêve mais a connu plusieurs réalisations : entouré de plusieurs collaborateurs, dont un architecte et un musicien, Saint Yves a établi de n o m b r e u x plans très précis d'édifices et particulièrement de chapelles et aussi d'objets divers tels que des meubles. Il a, de même, composé une dizaine de pièces musicales et un gros traité intitulé « L'ARCHÉOMÈTRE MUSICAL » ( 1 9 0 9 ) et produit, toujours selon la m ê m e méthode, une nouvelle traduction de la Genèse publiée sous le titre « LA THÉOGONIE DES PATRIARCHES». Enfin une société par actions avait été créée pour exploiter cette étonnante invention. T o u t cela sera explicité dans ce livre, et je n'en dis ici que ce qui peut montrer à grands traits la spécificité du projet — littérairement avoué — de cet h o m m e . Sa préoccupation essentielle est effectivement la recherche obstinée de la synthèse universelle. C'est vrai pour la SYNARCHIE qui se veut loi générale démontrée scientifiquement — du moins c'est Saint Yves qui le dit — de l'histoire et de l'organisation des sociétés humaines. Mais aussi loi permanente et universelle qui devient ainsi objectif à réaliser concrètement ; c'est pourquoi Saint Yves en fait un véritable p r o g r a m m e philosophico-politique. Mais il est également singulier de constater (on le fera pourtant avec la plus extrême prudence) que les travaux érudits d'un Georges Dumézil permettent de retrouver dans les épopées des peuples indo-européens ce qu'il appelle « l'idéologie des trois fonctions», qui n'est pas sans points communs avec certains développements de Saint Yves.
INTRODUCTION
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Cette obsession de la synthèse est encore plus évidente dans les travaux relatifs à l'ARCHÉOMÈTRE, même s'ils sont d'un accès parfois malaisé, et nous y reviendrons. Mais, pour l'heure, il convient de retenir le fait fondamental : après s'être fait chair, le Verbe parle à nouveau par le truchement de Saint Yves. Soit. Cela exige qu'on se donne les moyens de comprendre l'histoire et la mission de ce prophète — qui, au demeurant, en vaut bien d'autres — et plus que cela. Mais au fait, c o m m e n t devient-on prophète à la fin du x i x siècle ? Je conviens bien volontiers, c o m m e auteur de ce récit, que la réponse à la question m'intéresse peu dans ses aspects généraux. N o n que je dédaigne, tant s'en faut, le prophétisme social monté à la tête des esprits les plus distingués du siècle ; il servira de toile de fond à toute cette histoire, tout autant qu'il en réduit la singularité. Il s'agit ici du seul projet d'un seul h o m m e et c'est déjà beaucoup de le décrire rigoureusement, ce qui contribue d'ailleurs, et à sa manière, à la compréhension d'un phénomène plus général. C'est à ce point qu'il devient nécessaire de dire quelques mots des sources du récit et de la manière que j ' a i eue de les utiliser. Car ce n'est pas assez que Saint Yves ait voulu être prophète, avec les zones d'obscurité que cela entraîne de soi ; il fut aussi un temps prophète controversé, avec les outrances de la polémique et de l'hagiographie, un autre temps prophète hautain et solitaire, avec les incertitudes du silence. Si bien que les témoignages qui le concernent sont, selon les époques, soit nombreux mais difficiles à interpréter, soit rares et apprêtés, avec la m ê m e conséquence. Des uns et des autres, j e donnerai toujours les références et parfois la lettre même, la citation complète étant ici c
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
comprise c o m m e une véritable « citation à comparaître » pour les témoins qui parfois ont des intérêts divergents à dire trop ou pas assez dans cette enquête difficile. Ma méthode a consisté simplement à tenter de vérifier chaque assertion, fût-elle minime, de tel ou tel. Je souhaite qu'elle ne lasse pas le lecteur, mais elle m'a paru la seule possible, et si j ' a i attaché du prix à signaler les points où elle n'a pas réussi, ce n'est pas par complaisance à l'échec mais dans l'espoir qu'un autre, plus heureux, reprendra l'enquête là où elle s'est arrêtée pour ce livre. Car les raisons de ces « trous » dans le récit d'un destin, corrélatifs aux carences des sources, ne sont point indifférentes ; les polémiques, fussent-elles injustes, procèdent directement ou non de la « dimension sociale » du personnage qui les a suscitées. De plus, on constate, au cas particulier, que si ces polémiques n'avaient pas eu lieu, on en saurait probablement encore moins sur l'homme, et qu'elles seules l'ont contraint (ou ont contraint ses amis) à s'expliquer. Je les situerai toutes en leur temps, mais la principale et la plus grave d'entre elles doit être évoquée ici. En 1886, Saint Yves avait 44 ans et il avait déjà publié, outre ses poèmes, «MISSION DES SOUVERAINS», « M I S S I O N DES OUVRIERS » et « MISSION DES JUIFS » ; parut donc cet in-12 de 300 pages intitulé « MONSIEUR LE MARQUIS ; HISTOIRE D'UN PROPHÈTE». L'ouvrage aurait fait un certain bruit, mais les archives de l'éditeur Marpon et Flammarion (aujourd'hui Flammarion), n'ont conservé aucun pressbook ni aucune indication relative au tirage qui permettent d'en mesurer l'ampleur. L'auteur signait « Claire Vautier, de l'Opéra ». L'état civil de La Rochelle la connaît sous le n o m de Marie Ernestine Claire Vigneau, née le 10 novembre 1848, fille d'un avocat et de Pauline de Varroc. « MONSIEUR LE MARQUIS » était, semble-t-il, son premier roman mais elle devait, par la suite, en écrire quelques autres. Elle était artiste et, peut-être, le n o m de
INTRODUCTION
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Vautier qu'elle utilise était-il bien un n o m marital plutôt qu'un p s e u d o n y m e . Ce qui est sûr, par contre, c'est qu'elle avait été, autrefois la (une?) maîtresse du jeune Saint Yves. Délaissée, s'estimant bafouée, elle publie ce roman aux clefs tout à fait transparentes ; Saint Yves y est Saint E m m e , la Comtesse Keller, la Comtesse Hellen, Madame Lacroix, Madame Decroix, Monsieur Lindford devient Monsieur Stanford etc. Et le pire pour Saint Yves est que le roman est bien écrit, bien enlevé, et se lit aujourd'hui encore agréablement. Et d'une cruauté terrible, habilement dosée, mêlant l'insinuation à la vérité; j ' e n donnerai des exemples en retraçant certains épisodes de la vie de Saint Yves. Sans doute est-il difficile d'utiliser un tel document ; j e le ferai pourtant et, me semble-t-il, à bon escient, pour deux raisons principales : La première est que le témoignage n'est cruel et sans doute injuste que pour Saint Yves lui-même parce que lui seul est visé par Claire Vautier. Mais c'est dire que tout ce qui l'entoure est serein ; par exemple le portrait de celle qu'il 2
2 . Le catalogue imprimé de la Bibliothèque nationale, Tome CCIV, Paris, 1 9 6 9 , colonnes 2 7 3 / 2 7 4 indique bien : « V A U T I E R » ( C L A I R E V I GNEAU, M"" ALFRED...).
D'après ce catalogue, et outre « M . L E M A R Q U I S », Claire Vautier a écrit les ouvrages suivants : — « F E M M E ET P R Ê T R E » , Paris, 1 8 8 8 ( E . Marpon et Flammarion), — « A D U L T È R E ET D I V O R C E » , Paris, 1 8 8 9 ( E . Marpon et Flammarion), — « D A N S LA B O U E » , Paris, 1 8 9 2 ( E . Flammarion), — « H É L È N E D A L T O N » , Paris, 1 8 9 3 ( E . Flammarion), - — « H A I N E C H A R N E L L E » , Paris, 1 8 9 8 ( E . Flammarion), — « E N C O R É E », par M"" Claire Vautier et Hippolyte Frandin, Paris, 1 9 0 5 (Delagrave). A noter que je n'ai pas trouvé jusqu'ici la date de son décès, ni la trace d'une éventuelle descendance.
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
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épousa, la rivale donc, est étrangement nuancé et presque affectueux. Et beaucoup d'autres détails, souvent puisés à bonne source, me paraissent objectivement utilisables. L'autre raison est plus importante encore : comment ne pas tenir compte du témoignage d'une telle passion amoureuse, devenue certes objet historique, mais combien significatif. Faut-il donc que l ' h o m m e ait été attachant et ait su passionner pour qu'une maîtresse déçue éprouve encore le besoin d'écrire un livre pour se venger. Et qu'elle ait dû en venir là pour trouver peut-être sa propre sérénité, témoigne bien évidemment d'une ferveur pour l'amant. A près d'un siècle de distance, la passion, la vie même, me sont apparues, à travers Claire Vautier, plus proches que tous les hommages compassés. Mais il est vrai que le pamphlet de Claire Vautier a pu, avec ou sans sa complicité, servir d'autres fins. U n e note de Stanislas de Guaïta indique qu'« on croit savoir que l'austère Camille Flammarion n'aurait pas été étranger à la rédaction de ce roman. M . Caminade passe aussi pour y avoir collaboré ». U n disciple enthousiaste, Fabre des Essarts, auteur d'une réponse à M m e Claire Vautier opte résolument pour considérer cette attaque c o m m e émanant d'un clan politique désireux de torpiller les efforts de Saint Yves. N o u s reviendrons en détail sur ces hypothèses, mais le fait est que le pamphlet obligea les amis à réagir — j ' a i cité Fabre des Essarts, en 1887. En mars de l'année suivante, Eugène de Masquard consacrera un long panégyrique à Saint Yves dans « L'ENCYCLOPÉDIE CONTEMPORAINE ILLUSTRÉE » ; quelques autres suivront plus tard. 3
4
mc
Fabre des Essarts : « M O N M A Î T R E — R É P O N S E À M C L A I R E V A U T I E R » , Paris, 1 8 8 7 (Typographie A.M. Beaudelot). 4 . Ce de Masquard est un bien curieux personnage sur qui je regrette de ne pouvoir m'arrêter. Son compte rendu de « L A F R A N C E V R A I E » parut dans 3.
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Mais surtout Saint Yves lui-même, dans « LA FRANCE ou MISSION DES FRANÇAIS», paru en 1887, consacra 137 pages à se justifier des accusations les plus graves et ce « Pro d o m o » fut par la suite la source quasi exclusive d'à peu près tout ce qui a été écrit sur la vie de Saint Yves. M ê m e l'ouvrage du pieux disciple Barlet, en 1910, ne consacre guère que 35 pages à l ' h o m m e ; et pour le reste, m ê m e si de n o m b r e u x auteurs que je citerai, les Jules Bois, Schüre, Victor Emile Michelet, Jollivet-Castelot, Papus, Vulliaud et beaucoup d'autres l'évoquent, ce n'est que très fragmentairement et sur des points souvent secondaires. Il n'est donc pas étonnant qu'aient cours à son sujet de nombreuses légendes, parfois fantastiques, mais aussi de nombreuses sottises où excellèrent particulièrement les anti-occultistes de l'entredeux-guerres et du régime de Vichy. VRAIE
Il faut donc tout vérifier méticuleusement si l'on veut tracer le « portrait historique et philosophique » de ce curieux prophète.
SAINT Y V E S INSPIRATEUR DE L'OCCULTISME
O n a vu qu'il prétendait à une royauté initiatique et se posait par là en « Grand Initié » pour reprendre le titre du best-seller d'Edouard Schüre, largement inspiré de Saint Yves, c o m m e ce dernier s'est largement inspiré de Fabre d'Olivet qui lui-même... Se v o u l a n t , s e l o n C l a i r e V a u t i e r , « G r a n d Hiérophante», Saint Yves ne pouvait manquer d'influer largement sur le mouvement appelé occultiste qui se développe largement dans le dernier quart du xix siècle. c
1'«
ENCYCLOPÉDIE
CONTEMPORAINE
ILLUSTRÉE.
REVUE
HEBDOMADAIRE
», deuxième année, n° 26, 11 mars 1888. Je dois communication de ce document (et de beaucoup d'autres) au Dr Philippe Encausse qui doit être ici remercié. U N I V E R S E L L E DES S C I E N C E S D E S A R T S ET D E L ' I N D U S T R I E
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
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Il n'est assurément pas le seul à l'influencer : un Eliphas Levi (1810-1875), qu'au demeurant il a peut-être rencontré et qui sur certains points l'a marqué, annonce lui aussi, s'il n'est pas le vrai père, ce mouvement divers qui côtoie ceux du spiritisme et des théosophismes plus ou moins orientaux. Ce qui est sûr, en tout cas, c'est qu'il a exercé une influence profonde sur plusieurs générations d'occultistes ; de son vivant même, Papus (le Docteur Gérard Encausse) trace de lui le portrait d'un véritable « Maître Spirituel » ; quelques années plus tard, un Jollivet Castelot — autre personnage étonnant — écrira que « les chefs de l'hermétisme le considéraient c o m m e un être presque surhumain, un thaumaturge et un inspiré dont on recueillait avec dévotion les avis». Il est vrai que le m ê m e ajoutait qu'il « faisait peu de cas des systèmes occultistes et m ê m e de la plupart des occultistes». Il refusa d'ailleurs toujours d'adhérer à quelque société secrète que ce soit . A vrai dire cela pose la question de savoir ce qu'était au juste ce mouvement occultiste. René Guenon, qui y avait traîné ses guêtres dans sa jeunesse, le juge sévèrement, mais il n'empêche que son analyse soit pertinente. 5
« L'occultisme, écrit-il en 1923, est aussi une chose fort récente, peut-être même un peu plus récente encore que le spiritisme ; ce terme semble avoir été employé pour la première fois par Alphonse Louis Constant, plus connu sous le pseudonyme d'Eliphas Lévi ; et il nous paraît bien probable que c'est lui qui en fut l'inventeur. Si le mot est nouveau, c'est que ce qu'il sert à désigner ne l'est pas moins : jusque-là, il y avait eu des « sciences occultes », plus ou moins occultes d'ailleurs, et aussi plus ou moins
5 . Jollivet Castelot : « L E D E S T I N O U LES FILS D ' H E R M È S », Paris, 1 9 2 0 (Chacornac). Sur cette question quej'aurai l'occasion d'évoquer plus tard voir mon étude sur « S A I N T Y V E D ' A L V E Y D R E ET L ' O R D R E M A R T I N I S T E » in
L'initiation,
n" 1, de
1980.
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INTRODUCTION
importantes : la magie était une de ces sciences, et non leur ensemble, comme certains modernes l'ont prétendu ; de même l'alchimie, l'astrologie et bien d'autres encore ; mais on n'avait jamais cherché à les réunir en un corps de doctrine unique, ce qu'implique essentiellement la dénomination d'occultisme . » 6
Guenon note le caractère tout à fait disparate des doctrines et pratiques que désigne ce dernier terme, et il en vient à réduire son usage à une école précise, qu'on retrouvera tout au long de ce livre : « Eliphas Lévi mourut en 1875, l'année même où fut fondée la Société Théosophique ; en France, il se passa alors quelques années pendant lesquelles il ne fut plus guère question d'occultisme. » A noter qu'il s'agit de la période pendant laquelle Saint Yves publie ses propres « MISSIONS ». Guenon poursuit : «C'est vers 1887 que le Dr Gérard Encausse, sous le nom de Papus, reprit cette dénomination, en s'efforçant de grouper autour de lui tous ceux qui avaient des tendances analogues, et c'est surtout à partir du moment où il se sépara de la Société théosophique, en 1890, qu'il prétendit en quelque sorte monopoliser le titre d'occultisme au profit de son école. Telle est la genèse de l'occultisme français ; on a dit parfois que cet occultisme n'était en sorte que du « papusisme » et cela est vrai à plus d'un égard, car une bonne partie de ses théories ne sont effectivement que l'œuvré d'une fantaisie individuelle; il en est même qui s'expliquent tout simplement par le désir d'opposer à la fausse « tradition orientale » des théosophistes, une "tradition occidentale" non moins imaginaire. »
6. René Guenon : « L ' E R R E U R traditionnelles, (page 6 1 ) .
SPIRITE
», Paris, Edition
1952
(Editions
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
Il est vrai que ce j u g e m e n t de Guenon peut n'être pas considéré c o m m e tout à fait serein, dans la mesure où, c o m m e on le verra, il avait eu l'occasion, dans sa jeunesse, de participer à l'action d'un groupe concurrent de ceux qu'animait Papus. Néanmoins, il me paraît bien situer l'ambition de constituer un corps doctrinal cohérent à partir de données disparates. Cela dit, ainsi conçu, l'occultisme apparaît c o m m e une variété littéraire, pour ne pas dire un genre qui, au demeurant, ne bénéficie d'aucun « statut » intellectuel, alors m ê m e qu'il tend de nos jours à devenir un « phénomène de masse » à travers le développement des groupements et des ordres de toutes sortes. J'entends bien qu'il ne faut surtout pas tout confondre, des disciples d'Eliphas Lévi aux sectateurs d'Hare Krishna, en passant toute la g a m m e de ces étranges productions de l'esprit humain... Elle est cependant singulière, cette intelligence occidentale, donneuse de leçons à tout l'univers et dont les ethnologues les plus remarquables peuvent élucider les rites de passage les plus étranges des Kwakiutl et des Bororos ; mais elle ne parvient pourtant pas à s'expliquer à elle-même la fonction sociale et la permanence des phénomènes occultistes, voire religieux chez elle-même. Il faut constater que ces phénomènes ne sont étudiés de façon réellement méthodique et sérieuse que dans leurs rapports avec la littérature et la poésie, et encore dans leurs aspects qui relèvent, au regard de la normalité, d'une sorte de « douce folie ». Et peut-être est-ce bien de cela qu'il s'agit dans un certain n o m b r e de cas ; mais cela ne permet pas de comprendre dans quelle mesure ces types de pensée et de raisonnement sont mis en œuvre par un beaucoup plus grand n o m b r e de gens qu'on ne croit. N o u s le relèverons de manière certaine, à propos de croyances relatives au rôle des « Sociétés secrètes » (ou prétendues telles) dans l'histoire, en particulier dans le cas de la SYNARCHIE. Il est vrai qu'il existe des monographies remarquables
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sur tel ou tel aspect ou personnalité de l'histoire de l'occultisme, et de n o m b r e u x auteurs au cours du dernier demisiècle ont fait sortir cette recherche du domaine des rêveries : Viatte, Béguin, Eliade, Cellier, Le Forestier, Joly, Derm e n g h e m mais aussi Secret, Amadou, Faivre, Mercier, Laurant, Richer... la liste n'est pas exhaustive, il s'en faut; mais la qualité m ê m e de ces travaux en indique aussi la limite : la singularité de chaque sujet dissimule en fait l'étendue sociale du phénomène. Entreprenant m o i - m ê m e une monographie, j ' é p r o u v e vivement la nécessité de situer l'occultisme contemporain de Saint Yves dans une histoire des idées sociales, largement marquée par le romantisme social et l'utopie qu'a bien décrits Maxime Leroy . Il est bien certain que l'occultisme constitue, c o m m e les rêves orientaux du théosophisme, une variété d'idéalisme répondant aux troubles qu'entraînent le développement du capitalisme et du machinisme, la diffusion du matérialisme (auquel répond le « spiritualisme »), et plus spécialement en France, les séquelles de la C o m m u n e et du déchirement social qu'elle entraîna. U n certain désespoir social trouve ainsi à s'exprimer dans « ces rêves sur le divin »> ; nul doute que la bourgeoisie lettrée, mais aussi la moyenne bourgeoisie des professions libérales, fonctionnaires et commerçants, est au premier chef intéressée par ces nouveaux idéalismes consolateurs. Au demeurant, il faut noter que les clivages politiques ne traversent pas systématiquement ces doctrines. La revue de la Société de Théosophie, «LE LOTUS ROUGE», abonde en déclarations favorables au socialisme, et plusieurs des 7
7 . Venant de citer, sans référence, certains auteurs qui méritent mieux, et n'en citant pas qui méritent tout autant, j'éprouve quelque scrupule à revenir aux références précises. Pourtant Maxime Leroy est plus que tout autre indispensable à qui veut comprendre l'époque en son « H I S T O I R E D E S I D É E S S O C I A L E S E N F R A N C E » , Paris, 1 9 5 4 (Gallimard).
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fondateurs de la C G T , dont Benoît Malon, sont des occultistes convaincus. Il faut d'ailleurs croire que le phénomène atteignit une grande ampleur quand on voit que Fernand Pelloutier, le fondateur des bourses du travail, éprouve le besoin de l'analyser et de la condamner longuement dans une conférence consacrée à « l'Art social », en mai 1896. Il est d'ailleurs curieux de constater que Pelloutier met le phénomène sur le m ê m e plan que l'art pornographique dont il accuse la bourgeoisie de se délecter. Je le cite : « Voici maintenant la débauche de productions du mysticisme, folies dont les auteurs ont toute leur raison parce qu'ils ne les imaginent qu'en vue d'étonner toujours davantage, mais qui font perdre aux lecteurs le peu de cervelle qui leur restait. C'est chaque jour une religion nouvelle ; reviviscence du bouddhisme, rénovation de l'occultisme de la Kabbale, reproduction des symbolismes de la Rose-Croix, des mystères d'Isis. "Je n'aurais pas cru moi-même, dit M. Léon de Rosny, que le bouddhisme eût pris en France une telle extension, ni ce caractère passionné et enthousiaste. A quoi faut-il l'attribuer? Sans doute à l'inquiétude des âmes, à leur désir de trouver une croyance et de se reposer dans la foi, après une période de doutes et d'incertitudes (...) Les esprits sont tourmentés, les cerveaux surexcités. Il faut s'attendre aux pires extravagances... vous le dirai-je? Je reçois tous les jours la visite d'hommes éminents qui se donnent à moi pour des bouddhistes pratiquants et convaincus. L'un d'eux m'affirme qu'il y a trente mille bouddhistes à Paris". A côté de ces chercheurs de cultes, voici les chercheurs de l'immatériel, théosophes (ainsi qu'ils se qualifient modestement), qui « veulent pousser aussi loin que possible les investigations dans le champ de la nature », pour essayer de comprendre ses lois et tâcher de découvrir les pouvoirs psychiques qui sont latents dans l'homme. Voici les sacrificateurs de la Messe noire qui accomplissent en l'honneur de Satan les cérémonies accomplies par les
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INTRODUCTION
catholiques en l'honneur de Dieu. Voici les envoûteurs, pétrisseurs de figurines, qu'ils blessent pour frapper leur ennemi lointain. Voici,... mais à quoi bon poursuivre cette enumeration. Un livre de M. Jules Bois a recueilli les mille folies écloses dans les cerveaux déséquilibrés de ce siècle, et toutes sont la création d'écrivains ou d'artistes qui, ne pouvant faire sain et fort ou ceux qui flattent le détraquement public, firent maladif et horrible. Au mépris de la morale commune, bonne pour le pauvre et dont se dispense la richesse, aux leçons de mysticisme, joignez la démoralisation qu'engendre la lubricité du livre, du spectacle, du tableau, de la musique même. Le livre n'inspire plus la réflexion, il prépare au rut ; le spectacle n'est plus la jouissance et à la fois le délassement intellectuels, c'est l'élixir qui ranime pour les prouesses de l'alcôve; le tableau n'est plus la figuration reposante et exaltante des merveilleux paysages, des nudités harmonieuses ; c'est le déshabillé savant qui met le feu à la cervelle et au ventre . » 8
Mais il est certain aussi que les modes de pensées systématisés par l'occultisme vont très au-delà de la simple expression historique à la fin du xix siècle. Sans prétendre donner ici l'étude d'ensemble qui serait nécessaire, je crois utile d'en dire quelques mots afin d'éclairer la question de la s y n a r c h i e . En matière d'histoire, le discours occultiste (et ses multiples variantes n'empêchent pas l'unicité du récit) accrédite l'idée que les gouvernements connus ne sont que des apparences. En fait, des «Maîtres spirituels», «grands Initiés » ou « mages » voire « Mahatmas » — au demeurant il en est de bons et de mauvais, transpositions des Anges et des D é m o n s — dirigent l'histoire, en « inspirant » des Sociétés secrètes et autres Fraternités initiatiques. c
8. Jacques Julliard : SYNDICALISME
pp. 509-510).
D'ACTION
« FERNAND
PELLOUTIER
DIRECTE»,
Paris, 1971 (édition du Seuil,
ET
LES
ORIGINES
DU
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
L'occultisme prétend ainsi démystifier l'histoire, en d é v o i l a n t les causes p r e m i è r e s des é v é n e m e n t s : « gouvernements invisibles et sociétés secrètes » c o m m e écrit Serge Hutin ; « Les sociétés secrètes mènent le m o n d e » dit Pierre Mariel ; une « Main cachée dirige... » dit un autre. A vrai dire, une fois la clef posée, on trouvera assez d'étrangeté aux faits eux-mêmes pour qu'il ne soit pas difficile d'écrire le fameux « il est curieux de constater » qui introduit toutes les déductions hasardeuses. Au demeurant, cela n'est pas tout à fait pathologique ; c'est une manière c o m m e une autre de rechercher les vraies causes qui échappent à la raison ; le mythe des « deux cents familles », celui des « gros », sont des expressions vulgaires d'une m ê m e recherche. Il faut dire néanmoins que cette lecture occultiste de l'histoire aboutit parfois à des résultats délirants : ainsi du mythe développé ces vingt dernières années à propos des prétendus arrière-plans occultistes du National-Socialisme, et qui relève en fait soit de l'apologie du crime de guerre, soit de la psychiatrie . Toutefois l'analyse des résultats du discours occultiste, c'est-à-dire tenu par des gens qui se réclament de cet ensemble doctrinal, est elle-même perturbée par l'intervention des diverses sortes d'anti-occultisme, qui sont c o m m e le reflet en creux de l'occultisme lui-même ; c'est-à-dire que les faits sont décrits de m ê m e manière, sauf 9
9 . Ce curieux phénomène littéraire que j'appellerai la re-création d'un « nazisme de rêve » a été inauguré par « L E M A T I N DES M A G I C I E N S de Pauwels et Bergier, mais il avait des prédécesseurs moins connus comme Edouard Saby avant-guerre. Une longue cohorte d'auteurs a fait d'Hitler un prétendu initié à tout et n'importe quoi : la Sainte Vehme, le templarisme, le catharisme, les doctrines nordiques, des initiations turques... Il n'y manque vraiment que les rites secrets des indiens sioux !... Cela n'est évidemment pas sérieux et mérite d'être dénoncé plus rigoureusement que cela n'a été fait jusqu'ici.
»
INTRODUCTION
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que l'appréciation de la valeur religieuse ou morale est radicalement différente. Ainsi quand les occultistes estiment bienfaisant le rôle exercé auprès du Tsar Nicolas II par le guérisseur Philippe et le Docteur Gérard Encausse, les anti-occultistes représentés entre les deux guerres par la curieuse « REVUE INTERNATIONALE DES SOCIÉTÉS SECRÈTES » de
M g r Jouin,
reprennent les mêmes faits pour leur donner une interprétation diabolique, et souvent aussi fanstatique et stupide que les élucubrations de Léo Taxil. Ceux-là ont une descendance aujourd'hui chez l'Abbé de Nantes et M g r Lefebvre, tous entichés de diabolisme bien spectaculaire. Mais les ravages de ces modes de pensée n'affectent pas seulement quelques groupuscules d'extrême-droite ; et puisque j e ne puis, dans cette introduction, que m'en tenir à quelques exemples, j ' e n choisirai un seul, surprenant mais révélateur. N u l n'ignore que le faux grossier connu sous le n o m de « PROTOCOLES DES SAGES DE SION » a été pendant de
nombreuses années depuis le début du siècle, un instrument de dénonciation du « judéo-maçonnico-bolchévisme », considéré c o m m e l'organe d'un complot permanent contre la chrétienté et l'occident. O r on peut s'étonner de voir que l'un des éléments ainsi dénoncés — en l'occurrence le c o m m u nisme russe, ou du moins certains de ses idéologues — a, depuis qu'il est au pouvoir, récupéré à son profit la dénonciation. Ainsi, en 1978, à ce que rapporte le correspondant du « M O N D E » à Moscou, Daniel Vernet, lejournal des jeunesses communistes « KOMSOMOLSKAYA PRAVDA » a, le plus officiellement du monde, dénoncé les menées convergentes des juifs et des francs-maçons... c o m m e au b o n vieux temps de l'Okhrana : « Il est bien connu que le Konzern Sionisto-maçonnique contrôle 80 % de l'économie et 95 % des moyens d'information des masses du Monde capitaliste » ;
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
Et selon un certain Emelianov : « L'Administration Carter est le plus grand repaire de juifs et de francs-maçons que l'Amérique ait jamais connu . » 10
O n peut lever la contradiction en affirmant naïvement que « les extrêmes se touchent » — M g r Lefebvre et les jeunesses communistes soviétiques — à ceci près que cela n'explique rien ! Si occultisme et anti-occultisme utilisent des arguments comparables, ce n'est pas l'effet d'on ne sait quelle prétendue « magie des extrêmes », mais l'aboutissement logique d'une analyse partant d'axiomes erronés. D e m ê m e qu'on peut peser juste avec une balance (de Roberval) fausse, on peut à l'inverse conduire à des conclusions aberrantes, un raisonnement suivi de manière cohérente mais à partir de prémisses erronées. C'est d'ailleurs à ce point que l'intérêt que présente l'œuvre de Saint Yves c o m m e inspirateur de l'occultisme, trouve une illustration intéressante dans l'affaire de la s y n a r c h i e . U n e s y n a r c h i e sans é n i g m e La carrière de ce m o t est assurément une des plus étonnantes qui soient — et révélatrice, à plus d'un titre, des fantasmes de toute une époque. C'est aussi pourquoi il me paraît indispensable de retracer brièvement ses diverses acceptions (au demeurant contradictoires) en vue d'introduire les distinctions indispensables dont j ' a i retracé les grands traits par ailleurs, et sur lesquelles j e reviendrai dans un autre ouvrage plus c o m p l e t ; ces 11
10. DÉNONCE
Daniel Vernet : LES
DE
« LE LA
JOURNAL
DES
JEUNESSES
FRANC-MAÇONNERIE
ET
DU
COMMUNISTES JUDAÏSME
EN
in « L E M O N D E » , 1 7 - 1 8 septembre 1 9 7 8 , p. 3 . 1 1 . Je me permets de renvoyer ici à mon ouvrage sur « L A S Y N A R C H I E LE V I E U X RÊVE D ' U N E N O U V E L L E S O C I É T É » , Paris, 1 9 7 1 ( C A L , et
OCCIDENT»,
OU
MENÉES
INTRODUCTION
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acceptions relèvent en fait de deux grandes catégories, qu'on peut appeler « la s y n a r c h i e i m p u t é e » et « la s y n a r c h i e a v o u é e ». Dans le premier cas, un ou des groupes sont accusés de former une organisation très occulte, intervenant dans les domaines économiques, politiques ou autres, soit par des complots, soit par des réseaux de complicité denses et e f f i c a c e s . Ces accusations peuvent venir d'horizons politiques divers, voire totalement antagonistes, tout en visant les mêmes h o m m e s . Et on va voir que dans cette catégorie se retrouvent plusieurs types de « s y n a r c h i e s » qui n'ont parfois pas grand-chose en c o m m u n . L'autre catégorie — celle de la s y n a r c h i e que j ' a i dite « a v o u é e » est d'un abord plus simple, du moins a priori ; je regroupe sous ce n o m les h o m m e s et les groupes qui se sont réclamés ouvertement d'une idée ou d'un système de pensée synarchique ou synarchiste ; ceux-là l'ont fait ouvertement et non sans prosélytisme. Il est donc singulier de les accuser de complot. C'est pourtant ce qui s'est passé. C'est que les deux catégories de s y n a r c h i e s que je distingue pour la clarté de l'exposé sont singulièrement mêlées dans les récits des auteurs ; et il est facile de comprendre que les chasseurs de s y n a r c h i e se soient fait un devoir de tous mêler. S'agissant de l'accusation de s y n a r c h i e , on peut dire que sa signification couramment admise, et en tout cas dominante dans les années 1960-1980, renvoie directement à la notion de technocratie, souvent considérée au niveau mondial. U n s y n a r q u e c'est aussi ce qu'est devenu un « énarque » (assimilation fréquente dans la presse de gauche) ; intellectuellement, il relève souvent des courants
Bernard Grasset) qui a tenté de décrire tous les sens du mot, en un nombre de pages restreint. Je publierai quelque jour un dossier beaucoup plus exhaustif... Si un éditeur veut bien en prendre le risque.
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
de pensée dits de « la nouvelle droite » (l'assimilation a été faite dans « LE NOUVEL OBSERVATEUR ») ; mais le s y n a r q u e est plus qu'un simple haut fonctionnaire national : le personnage a souvent une dimension politico-économique, et il participe à des groupes internationaux discrets et puissants du monde capitaliste : le « C l u b de R o m e » , le groupe de « Bilderberg » mais encore la « Trilatérale » ou « Pugwash ». U n des meilleurs exemples de cette utilisation du terme dans la presse me paraît avoir été donné par Alain Vernay, à propos
du
« CLUB
TECHNOSOPHIE
DE
ROME
ET LES MALHEURS
DE LA
» ; il écrit :
« Le Club de Rome, pour l'heure, n'est qu'un nom et une légende. Un nom puisqu'il consacre le souvenir d'un colloque qui a réuni dans la capitale italienne quelque soixante dirigeants industriels et universitaires désireux de se retrouver pour d'autres rencontres. Une légende : une sorte de super-groupe d'étude des crises contemporaines — non pas « X crise », comme on disait avant-guerre dans l'entourage de MM. Dautry, Lehideux, Sauvy, mais Alpha et Oméga Crise : il s'intéresse à tous les problèmes de civilisation. Le Club de Rome, pour reprendre une terminologie à vague parfum initiatique banal, n'est pas — ou pas encore — une synarchie. En effet, malgré les efforts de quelques-uns, il ne s'est pas donné, à ce jour, un chef visible et des chefs invisibles, un président, un secrétariat constitué, un encadrement permanent et même un budget. Il est, cependant, une synarchie en puissance, dans la mesure où ses membres, alors même que les raisonnements les amènent à des extrêmes de pensées incompatibles, se sentent plus proches les uns des autres que de ceux à qui, respectivement ils ressemblent . 12
1 2 . Alain Vernay : in « L E F I G A R O » , 1 9 - 2 0 mai 1 9 7 3 , p. 7 . J'ai collationné en 2 0 ans des centaines de citati^' s de presse où le mot
INTRODUCTION
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L'idée de conciliation de points de vue opposés ou divergents en un lieu supérieur aux contradictions des « h o m m e s ordinaires » donne à la s y n a r c h i e un parfum assez différent de celui de « maffia » qui est parfois utilisé. D'ailleurs dans l'œuvre romanesque de Raymond Abellio, et en particulier dans « LA TOUR DE BABEL », on trouve un tableau très clair de cet usage du mot s y n a r c h i e désignant un centre international et intellectuel, spirituel, animant des groupes tout à fait antagonistes. A ce point, le m o t retrouve d'ailleurs une dimension mythique, celle de la Société secrète supérieure, qu'on a déjà rencontrée dans l'occultisme, mais qui acquiert ici un point d'ancrage dans la réalité politico-économique et non pas dans les fantasmes pseudo-initiatiques. Mais avant d'en venir à cette signification relativement vague, la s y n a r c h i e a eu pendant la Deuxième Guerre mondiale et à la libération deux autres significations, d'ailleurs étroitement liées : la première, qui apparaît en 1941 après le remplacement de Pierre Laval par François Darlan, accuse une s y n a r c h i e d'être en train de saboter l'œuvre de « Révolution nationale » entreprise par le Maréchal Pétain. Cette s y n a r c h i e , c'est la nouvelle équipe ministérielle qui est décrite dans de nombreuses notes anonymes, à la fois c o m m e la poursuite de l'action des «judéo-capitalistes», et comme, l'héritière des recherches des intellectuels des années trente, n o t a m m e n t en matière de planification économique. Des listes de noms étaient donc dénoncées par les ultra de la collaboration, d'ailleurs «documentés», si l'on peut dire, par les spécialistes de- l'antimaçonnisme et de l'anti-occultisme qui trouvaient là matière à régler leurs
synarchie apparaît. Celle-ci me paraît l'une des rares intelligentes qui mérite d'être signalée.
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comptes. Des centaines de fiches petites ou grosses furent ainsi mises en circulation dans les allées du pouvoir, et c o m m e toutes les fiches policières ou para-policières, celles-là relèvent généralement du délire interprétatif. Mais encore ne serait-ce là qu'une péripétie si l'ensemble de ces matériaux d'origine douteuse n'avaient été récupérés et intégrés dans une autre explication des événements historiques de l'époque. Cette thèse, développée par des auteurs proches de la Résistance, a été largement popularisée, m ê m e si les procès de la Libération n'ont pas permis de faire la lumière souhaitable. Pour de nombreux auteurs, Georges Valois, Charles Dumas, Pierre Hervé, Roger Mennevée, plus près de nous, U l m a n n et Azeau, et beaucoup d'autres, la s y n a r c h i e n'est pas un sabotage de l'action de Pétain, au contraire, elle est l'explication du fait que Pétain ait pris le pouvoir au bénéfice d'une classe bourgeoise qui prend sa revanche sur le Front Populaire. C'est-à-dire que, selon cette thèse, la s y n a r c h i e s'identifie à toute la période d'avant-guerre, et devient le synonyme des efforts de la droite capitaliste pour instaurer un fascisme « à la française ». Devenant systématique, cette théorie, qui s'en prend néanmoins aux mêmes h o m m e s que la précédente, ce qui est pour le moins singulier, atteint parfois un schématisme aussi déplorable intellectuellement que celui de toutes les explications de l'histoire par les seules sociétés secrètes. Ainsi Adrien Dansette, juge-t-il les théories de ceux qui voient dans la Franc-Maçonnerie l'explication unique de la III République : e
« Une explication aussi sommaire de la vie politique française et qui dispense de plus amples recherches, peut seulement satisfaire les esprits qui se nourrissent d'explications mystérieuses parce qu'ils n'ont ni les connaissances
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assez étendues ni le jugement assez sûr pour découvrir les véritables cheminements de l'histoire . » 13
De fait cette dénonciation de « la s y n a r c h i e » est devenue, dans certains cas, tout à fait délirante, à raison m ê m e des confusions délibérément entretenues ; c o m m e l'écrivait René Guenon en 1949, en rendant compte de la réédition du livre de Saint Yves d'Alveydre : « La synarchie, selon ce dernier, n'a assurément rien de commun avec ce qui a fait tant de bruit en ces dernières années et à quoi il semble bien que ses promoteurs aient donné le même nom, tout exprès pour créer certaines confusions, en quoi ils n'ont d'ailleurs que trop bien réussi, car les livres et les articles publiés à ce propos ont répandu dans le public toute sorte d'erreurs grossières sur Saint Yves et sur son œuvre . » H
Guenon, ici, justifie la distinction entre les deux grandes catégories de « s y n a r c h i e s » : au-delà de ce qui a été dénoncé c o m m e synarchique, et dans la plus grande confusion, il affirme l'existence d'une doctrine synarchique de nature différente. D e fait, ce que j ' a i appelé la « s y n a r c h i e a v o u é e » présente des aspects beaucoup plus transparents que les différents « complots » supposés qui portent le m ê m e n o m . A ce titre, il faut compter donc la doctrine de Saint Yves à quoi ce livre est consacré. Et si j e l'ai appelée « u n e s y n a r c h i e sans é n i g m e », ce n'est certes pas que tout dans sa vie et son œuvre soit élucidé ; c'est en fait que sa doctrine est, quoi qu'on en pense, beaucoup plus transparente que les
13. PORAINE.
p.
Adrien Dansette : « H I S T O I R E R E L I G I E U S E D E LA F R A N C E C O N T E M Sous LA T R O I S I È M E R É P U B L I Q U E » , Paris, 1 9 5 1 (Flammarion),
71.
1 4 . René Guenon: « C O M P T E S R E N D U S » , Paris, Belhomme, Editions traditionnelles), p. 1 0 6 .
1973
(Villain et
40
SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
autres prétendues SYNARCHIES. C o m m e n t , en effet, donner des allures de complot à l'action d'un h o m m e qui multiplie livres, conférences, création de syndicat et autres associations, audiences politiques officielles... qui tend à faire parler de lui, sans y réussir il est vrai ? Sans doute sa doctrine fait-elle place à des considérations ésotériques — entre autres choses d'ailleurs. Mais il demeure que Saint Yves revendique hautement sa SYNARCHIE; c'est tout le contraire d'un comploteur. J'en dirai autant de ses différents disciples, d'ailleurs peu nombreux, et qui se situent peu ou prou dans la mouvance des organisations dites « martinistes » du n o m de l'ordre fondé par le Dr Encausse, et qui se référait plus ou moins exactement à Louis Claude de Saint-Martin. Certains auteurs ont fait de ces organisations martinistes des organisations terriblement occultes, c o m m e des enfants ignorants font les intéressants avec le peu qu'ils savent. Les organisations martinistes, si elles ont une certaine discrétion, sont parfaitement accessibles et en tout cas ne méritent aucunement les descriptions fantastiques dont on les a affublées. Aucune d'elle d'ailleurs n'a jamais eu d'importance politique véritable . Donc Saint Yves, et quelques cénacles occultistes et Martinistes encore existants, professaient une « SYNARCHIE SANS É N I G M E » et à vrai dire la seule. Car les autres groupes qui se sont historiquement réclamés de la SYNARCHIE posent bien des problèmes. Ainsi de 1'« Union Sinarquista », fondée officiellement en 1937 au Mexique, et qui deviendra un curieux m o u v e m e n t de masse nationaliste. Il était peu connu en Francejusqu'à ces dernières années où il a donné lieu à un remarquable ouvrage 15
15. Les comptes'rendus des travaux des groupes martinistes sont d'ailleurs souvent publiés, par exemple dans la revue « L ' I N I T I A T I O N » et rien ne permet, sauf à s'adonner à des fantasmes, de soupçonner on ne sait quels arrière-plans diaboliques à ces recherches.
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16
de Jean M e y e r . L'idéologie sinarquiste relève d'un nationalisme réactionnaire, voire fasciste, assez classique, et ne doit pas grand-chose à la théorie de Saint Yves, sauf que le n o m paraît avoir été introduit au Mexique par un occultiste d é n o m m é Tomas Rosales qui donne une définition très papusienne de la s y n a r c h i e , mais c'est en 1 9 1 4 , bien avant l'apparution du m o u v e m e n t sinarquiste lui-même, qui d'ailleurs appartient à la seule histoire du Mexique. Reste enfin à signaler, dans cette catégorie de la « s y n a r c h i e a v o u é e », un dernier groupe, qui n'est pas le moins intéressant. Officiellement, il n'a pas de n o m définitif, puisqu'il s'agit d'un ensemble d'organisations diverses — à commencer par « Les Etats généraux de la jeunesse » actifs en 1 9 3 4 — animées par un petit n o m b r e de personnes et n o t a m m e n t Jeanne Canudo et Vivian Postel du Mas, pour ne citer que les morts. Ce groupe, regroupant des proches de la Société de Théosophie, entre autres, s'était doté d'une doctrine ésotérique explicitée dans « LE SCHÉMA DE L'ARCHÉTYPE SOCIAL » signé par Vivian du Mas, et c'est lui qui rédigea en collaboration le fameux « PACTE SYNARCHIQUE » — (un des exemplaires conservé par la Bibliothèque Nationale est daté 1 7
du 1 7 mai 1 9 3 3 au 1 5 septembre 1 9 3 6 .
Ce groupe, j ' y insiste (car bien que je l'ai déjà affirmé dans un livre précédent, c'était avec trop de discrétion) ne s'est pas comporté en Société secrète : ainsi dans le n° d ' o c t o b r e 1 9 3 0 des
« CAHIERS DES ETATS GÉNÉRAUX DE LA
JEUNESSE», il disait publiquement souhaiter « u n régime synarchique dissolvant automatiquement sans violence les
1 6 . Jean Meyer : « L E S Y N A R Q U I S M E — U N FASCISME M E X I C A I N ? 1937-1947 », Préface de Jean Delumeau, Paris, 1972 (Hachette — Le temps des
hommes).
17. BN. Res. 4" L 57 19 322.
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
classes, tout en respectant et favorisant la diversité naturelle des personnes et la diversité fonctionnelle des citoyens... » Il y aurait beaucoup à dire sur la nature exacte de ce groupe d'inspiration occultiste ; je renverrai au témoignage curieux et passé inaperçu de Maurice Girodias, qui en fut m e m b r e et qui, probablement, y chercha plus des relations erotiques qu'une révélation spirituelle. Mais puisqu'il ne souhaite rien cacher de sa vie sexuelle, qui paraît dans ses mémoires avoir été la chose la plus importante de sa vie, on ne peut l'accuser d'avoir truqué tout ce qui se trouve à la périphérie de cette recherche. A vrai dire, sa légèreté m ê m e donne du prix à ce témoignage sur ce que fut le m o u v e m e n t synarchiste. U n petit cénacle . Il n'en demeure pas moins que c'est à partir des documents élaborés par ce groupe — et notamment le « PACTE SYNARCHIQUE » — que seront fabriqués les « montages » diffusés sous l'occupation ; dans un premier temps ces derniers seront le fait des anti-occultistes héritiers 18
des
fantasmes de la « REVUE INTERNATIONALE DES SOCIÉTÉS
SECRÈTES ».
C'est d'ailleurs pourquoi on peut dire que le mythe de la s y n a r c h i e est tout autant l'héritage des anti-occultistes que celui des occultistes, à moins qu'on préfère dire qu'il procède d'un étrange accouplement intellectuel. Il est évident que ce livre n'a pas pour objet d'exposer dans le détail la totalité de cette « étrange histoire » c o m m e eût dit Bulwer Lytton ; mais dans la mesure où je pense que les diverses acceptions du mot s y n a r c h i e ont, soit à être distinguées de la doctrine de Saint Yves, soit à lui être rattachées, je m'attacherai tout au long de l'exposé à montrer qu'une bonne connaissance de la doctrine de ce
18. Maurice Girodias : Paris, 1977 (Stock).
«J'ARRIVE!
UNE
JOURNÉE
SUR
LA
TERRE»,
INTRODUCTION
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dernier permet d'y voir un peu plus clair et, sur certains points, de résoudre les énigmes du mythe de la s y n a r c h i e . Ayant ainsi exposé les principaux intérêts qui me paraissent justifier l'étude de la vie et l'œuvre de Saint Yves, j e dois encore, s'agissant de la méthode dont j ' a i dit qu'elle suivait les règles d'une enquête rigoureuse, expliquer le plan que je suivrai. Il est des plus simples et principalement guidé par la chronologie, parce que l'œuvre elle-même le rendait nécessaire. De 1842 à 1882, Saint Yves hésite et se cherche dans différentes directions, souvent poétiques ; il faut les explorer. De 1882 à 1890, toutes ses énergies sont consacrées à diffuser ses idées synarchiques. L'époque est assurément brève mais combien chargée aux yeux de l'analyste. Après, et jusqu'en 1909, c'est le silence et le deuil, mais aussi la recherche passionnée, c o m m e folle, c o m m e le Mallarmé du « coup de dés » est fou, d'une synthèse totale. Cette troisième partie n'est pas la plus simple à décrire ni la moins importante pour la suite. Au cours de cette enquête, j ' a i frappé à de nombreuses portes ; toutes, ou presque, se sont ouvertes ; les notes me permettront, chemin faisant, de remercier n o m m é m e n t ceux qui ont facilité ma recherche. Q u e tous, et surtout ceux, nombreux, qui m ' o n t demandé de n'être pas n o m m é s , trouvent ici l'expression de mes remerciements déférents et fraternels.
CHAPITRE
PREMIER
Orages, errances
Parmi les enfants nés en 1842 dont les générations suivantes ont retenu le n o m , on trouve des h o m m e s aussi différents que Charles Cros (mort en 1888), Stéphane Mallarmé (1898), Albert Sorel (1906), José-Maria de Hérédia (1906), François Coppée (1908), Ernest Lavisse (1922), Camille Flammarion (1925), Edouard Schüre (1929). La liste n'est évidemment pas exhaustive... Joseph Alexandre Saint Yves est né le 26 mars de cette année, dans la demeure paternelle au 23, rue de l'Echiquier, alors située dans l'ancien 3 arrondissement de Paris devenu le X depuis le décret impérial de 1859. D'après la déclaration à l'état civil cette naissance survint à une heure du m a t i n . Puisque Saint Yves devait s'intéresser beaucoup aux e
e
1
1. Comme on sait, les pièces de l'état civil parisien ont été détruites pendant la Commune ; leur reconstitution a été effectuée à partir d'extraits qui avaient été délivrés antérieurement. Ainsi l'acte de naissance de Saint Yves a-t-il été remplacé par un extrait en date du 12juillet I860, qui porte la mention « Mairie de Tours — Indre et Loire 42 de 1861 ». Il est possible que cette pièce ait été utilisée pour le recrutement militaire de Saint Yves dont je n'ai pas retrouvé trace dans les registres de conscription des Archives de Paris. Le texte de cet extrait d'acte de naissance a déjà été publié par mes soins dans la revue « L ' I N I T I A T I O N » en 1972.
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
sciences occultes, il n'est pas inintéressant de regarder son thème astrologique tel que l'a dressé Barlet. Au vrai, établi après la mort de l'intéressé, ce thème ne peut (évidemment) que tomber juste, en dépit d'erreurs techniques grossières signalées par son auteur, qui n'en conclut pas moins imperturbablement que « ces rectifications ne modifient en rien les présages publiés » . Mais après tout, l'astrologie ainsi comprise constitue un moyen c o m m e un autre de présenter un destin dans sa totalité, et c'est dans cette perspective et sans autre illusion que je reproduis ces « présages » déjà réalisés : 2
« La date de cette naissance correspond au sixième degré de la constellation du Bélier ; elle indique une supériorité qui procurera des honneurs, mais qui entraînera aussi de nombreux dangers. En interrogeant plus en détail le thème astrologique de nativité, on est immédiatement frappé de l'importance exceptionnelle de la troisième maison, région qui correspond aux facultés intellectuelles : Uranus, la planète principale, s'y joint, dans les Poissons, à Mercure, au Soleil et à Vénus ; Saturne, génie de la réflexion profonde, est près de se lever à l'horizon. Expression nette d'une intelligence très remarquable, aussi élevée que profonde, aussi artistique que religieuse ou savante. Neptune, entre Uranus et Jupiter joint à Saturne, dénote des tendances toutes particulières aux
2. Barlet op. cit., pp. 7 à 10. La rectification des données techniques a été publiée dans la revue « L A G N O S E » , Décembre 1910, n° 12, p. 281. Barlet explique qu'il a calculé pour le 27 mars au lieu du 26. Les données exactes sont : Ascendant à 19° 17' du Sagittaire — Maison II à 29° 7' du Capricorne — Maison III à 14° 31' des Poissons. Maison IV à 19° 36' du Bélier. Maison V à 14" 5' du Taureau. Maison VI à 2" 53' des Gémeaux. Soleil à 4° 53' 8". Lune à 177° 22'. Mercure à 337° 53'. Vénus à 10° 6'. Mars à 29° 38'. Jupiter à 19° 2'. Le signe de fortune à 71° 46'. Certains éléments demeuraient inchangés : Saturne à 13° 35' du Capricorne. Neptune à 19° du verseau. Uranus à 24° 26' des Poissons.
ORAGES, ERRANCES
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sciences mystérieuses : le Méridien dans le signe de la Balance annonce l'équilibre dans l'abondance de ces facultés. On voit là toutes les ressources de l'esprit à la disposition de l'enfant qui vient de naître, avec une prééminence très marquée de tendances religieuses et indépendantes. Quant au caractère, le Soleil en pleine exaltation dans le signe du Bélier dont Mars occupe l'extrémité, et le signe du Sagittaire au Levant, montrent clairement un esprit chevaleresque de solaire martial ; magnanime, confiant dans sa propre puissance, anxieux de consacrer toute son activité à la diffusion des beautés et des principes les plus sublimes. Joint à des facultés intellectuelles si riches, ce présage donnait l'image d'un de ces bardes celtiques qui ne quittaient la harpe que pour le combat en faveur de l'éternelle justice ou, plus près de nous, celle de ces illustres et mystérieux Templiers dont la mémoire fut si chère à Saint Yves. Il ne devait être guère plus heureux que ces grands modèles, car les brillantes promesses de son thème étaient mêlées de beaucoup d'ombres : sans doute l'Epi de la Vierge au haut du méridien annonçait honneurs et fortune, mais Mercure, Jupiter, Vénus, Mars sont infirmés par la situation la plus défavorable. Toutes les planètes sont sous l'horizon ; seule la Lune, dans la plénitude de son éclat, plane au milieu du Ciel dans la Balance, annonçant qu'une femme remarquable jouera un grand rôle dans l'avenir de l'enfant; mais des influences malheureuses s'ajoutent à cette faveur; Saturne lance sur cette direction les rayons les plus néfastes, contrariant en même temps l'heureuse influence de Mercure, de Jupiter et de Vénus. Les grandeurs promises, les accomplissements glorieux, attendus pour tant de talents, seront entravés de difficultés nombreuses, d'oppositions, de calomnies, de vicissitudes, qu'Uranus affirme encore. Neptune, par sa situation, dit aussi que presque tous les plans échoueront ; le Sagittaire à l'horizon annonce les deux extrêmes de fortune et d'infortune ; Mars en IV maison menace de grands troubles à la fin de la vie : l'intelligence même souffrira des agitations du doute et le mysticisme en sera tout assombri ; c'est ce qu'annonce la discordance de Saturne en son
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
domicile nocturne avec le Soleil, la Lune, Vénus et l'horizon. L'ardeur du caractère ne sera pas étrangère à ces déboires ; le thème dit, par les mêmes configurations, l'indépendance intransigeante ; Mars, en exil à l'entrée du Taureau, est, par ses rapports discordants avec Mercure, Jupiter, le signe de fortune et le Levant, l'indice d'une obstination violente et très préjudiciable. L'enfant en devait souffrir dès ses premières années, car la même planète défavorable occupant seule la quatrième maison menaçait de rapports fort pénibles avec le père. Aucun de ces présages ne devait manquer de s'accomplir. » 3
Ce père, Guillaume Alexandre Saint Yves, avait 37 ans au m o m e n t de cette naissance; il était lui-même le fils d'une certaine Cécile Agathe Saint Yves « et de père non d é n o m m é » , ainsi que l'indique l'acte de son mariage, célébré le 27 mai 1841 à la Mairie du 9 arrondissement (actuel 4 ). Son épouse, Marie Joséphine A m o u r o u x , avait dix-huit ans lors de la naissance, et elle était la fille d'Antoine Joseph A m o u r o u x , mécanicien, demeurant à Paris, 72, rue Saint-Antoine. Médecin, Guillaume Alexandre Saint Yves avait présenté et soutenu en 1838 une thèse pour le doctorat en médecine, en qualité d'ancien interne des hôpitaux, m e m b r e de la Société anatomique et de la Société scientifique et médicale des internes. Cette thèse, qui porte le n° 293, concernait plusieurs sujets différents ainsi décrits : e
e
3 . Nous aurons plus tard l'occasion de retrouver le problème des prénoms du père et du fils : le premier s'appelait officiellement Guillaume Alexandre, le second Joseph Alexandre. Mais, dans l'usage courant, ils paraissent avoir utilisé surtout le seul prénom d'Alexandre. C'est le cas pour la thèse de doctorat en médecine du père ; et pour le fils en ce qui concerne certains recueils poétiques ou la signature de son contrat de mariage.
ORAGES, ERRANCES
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« I. Des circonstances qui ont porté à supposer qu'il existait des voies directes de communication entre l'estomac et la vessie. II. Apprécier les moyens qui ont été conseillés pour arrêter l'hémorragie après l'accouchement. III. De la comparaison des sons. Syrene, sa théorie, son usage. IV. Quelle est la valeur des signes fournis par les mouvements de la paroi thoracique pendant l'inspiration et l'expiration ? » Rien dans ces sujets, n'indique une spécialisation particulière dans les questions relatives à l'aliénation mentale; or plusieurs auteurs ont affirmé qu'il était médecin-aliéniste : Claire Vautier dit m ê m e qu'il était « médecin-aliéniste d'un certain talent » ; l'affirmation est reprise par Barlet sans autre commentaire . O r , pour conforter le fait, je n'ai jusqu'ici trouvé qu'un ' document plus tardif, puisqu'il s'agit du contrat de mariage de Saint Yves en 1 8 7 7 , dans lequel son père est désigné c o m m e « Docteur Médecin en chef de la Maison Nationale de C h a r e n t o n ». Si on admet qu'il était né vers 1 8 0 5 ( 3 7 ans en 1 8 4 2 ) , il a donc environ 7 2 ans à ce moment, et on peut supposer que sa carrière professionnelle touche à sa fin. Si l'on se reporte à îa copieuse notice que la « GRANDE ENCYCLOPÉDIE » consacre en 1 8 9 0 , à la Maison Nationale de 4
5
6
4. Le contenu de cette thèse m'a été indiqué par M'"' Catherine Lupovici, Conservateur de la Bibliothèque de l'Académie Nationale de Médecine. La thèse a été publiée à Paris 1838 (Imprimerie et fonderie de Regnaux et C". Imprimeur de la Faculté de Médecine). 5. Claire Vautier, op. cit., p. 1. Barlet, op. cit., p. 7. 6. Cet acte, qu'on aura l'occasion de commenter, a été reçu par M' Ernest Bacquoy-Guedon, notaire à Paris, le 30 août 1877; il est ctuellement détenu par M Robert Benoist qui a bien voulu m'en donner onnaissance, conformément à la loi n" 79.18 du 3 janvier 1979 sur les archives. c
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
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Charenton sous la signature du Docteur Antoine Ritti, on constate un « trou » historique assez curieux : Ritti, qui en est alors le Directeur a v e c j . Christian, rend un h o m m a g e appuyé à ses prédécesseurs, du moins à certains ; il rappelle en particulier le rôle de Calmeil qui fut médecin en chef de 1 8 5 2 à 1 8 7 2 , époque où il prit sa retraite et ajoute : « depuis, le service a été de nouveau divisé entre M. J. Christian (hommes) et Ant. Ritti (femmes). » O r ces deux médecins n'ont pris leur service qu'en 1 8 7 8 . Qui a dirigé Charenton entre 1 8 7 2 et 1 8 7 8 ? La «GRANDE ENCYCLOPÉDIE» ne le dit pas, et je pense que la raison doit en être cherchée dans un grave désaccord entre Ritti et son prédécesseur immédiat. En effet, le Docteur René Sémelaigne qui a consacré un ouvrage important aux pionniers de la psychiatrie, écrit à propos de Charenton que « cet établissement passé depuis quelques années aux mains d ' h o m m e s totalement étrangers à la médecine mentale avait besoin, pour retrouver sa réputation, d'une orientation nouvelle», celle-là même que lui donnèrent Ritti et Christian . Ce qui revient à admettre que, si Guillaume Alexandre Saint Yves fut bien médecin chef de Charenton dans la période de 1 8 7 2 - 1 8 7 8 , ses conceptions et sa gestion furent loin de faire l'unanimité de ses confrères. Et c'est apparemment le moins qu'on puisse dire ! Q u o i qu'il en soit, et psychiatre ou non, le père de Saint Yves ne paraît pas avoir fait preuve de la psychologie élémentaire qui rend harmonieux les rapports entre un père et ses fils (puisque Saint Yves avait au moins un frère ). Barlet en témoigne rapidement avec pudeur : 1
8
René Sémelaigne : « L E S P I O N N I E R S D E LA P S Y C H I A T R I E F R A N Ç A I S E », Paris 1 9 3 2 (J.B. Baillière etfils),tome II, p. 2 5 1 . 8 . Plusieurs auteurs ont fait de Saint Yves un « fils unique » ; le dernier en date est le responsable de « l'occultisme » dans 1'« E N C Y C L O P É D I E D U M O N D E A C T U E L », Paris 1 9 7 6 (Edma) (il est vrai que cet opuscule comprend en 2 pages une des plus fortes densités de sottises que je connaisse en ce qui concerne Saint Yves). 7.
A V A N T ET APRÈS P I N E L
ORAGES, ERRANCES
51
« Autant le fils se montrait indépendant, autant le père déployait de rigueur pour le dompter ; le conflit de ces deux volontés inflexibles rendit l'enfance de Saint Yves très malheureuse'. » Claire Vautier évoque ces affrontements, qu'elle n'a sûrement pas inventés, en des termes plus crus, mais probablement recueillis auprès de Saint Yves lui-même : «Le père de Saint Emme (St Yves), médecin aliéniste d'un certain talent disait de son fils : « de tous les fous que j'ai rencontrés dans ma vie, celui-ci sera certes le plus dangereux. » Ce père était d'ailleurs peu recommandable par lui-même; homme de mœurs dissolues, il n'avait su opposer aux mauvais instincts de son fils que la brutalité la plus révoltante. C'est ainsi qu'un jour, l'enfant rentrant à la maison paternelle où, depuis deux jours, il n'avait pas paru, fut accueilli par un coup de cravache qui lui laboura le visage et manqua lui crever l'œil. Aux emportements paternels, André (Alexandre) opposait une froideur et un mutisme inébranlable. Les larmes de sa mère avaient seules le pouvoir de l'attendrir, et encore ne produisaient-elles sur cette âme sombre qu'une impression fugitive . » 10
Claire Vautier poursuit le tableau d'une vie familiale orageuse et lourde d'une violence dont on peut admettre sans difficultés qu'elle pesa très lourdement sur les années de formation de Saint Yves, et explique peut-être son rêve d'harmonie sociale.
En fait ce dernier avait un frère ainsi qu'il l'indique dans « L A F R A N C E page 122; ce dernier qui, je crois, se prénommait « Gaston » (un poème est dédié à ce nom dans « T E S T A M E N T L Y R I Q U E ») est mort du cancer (comme sa mère) entre 1873 et 1877, mais je n'ai pas retrouvé les actes d'état civil le concernant. 9. Barlet, op. cit., p. 10. 10. Claire Vautier, op. cit., p. 2. VRAIE»,
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
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« Habituée à se soumettre aux exigences d'un époux sévère et dur, la pauvre Madame Saint-Emme [Saint Yves], craintive et résignée, était incapable de diriger ou même de consulter une nature de la trempe de celle d'André [Alexandre] ; elle se contenait de gémir sur elle et sur les siens, qui s'occupaient fort peu d'ailleurs de ses lamentations. Entre cette faiblesse et cette brutalité, le jeune Saint-Emme [Saint Yves] eût bientôt perdu le germe des quelques bons sentiments dont il était capable. Ses instincts funestes, au contraire, se développèrent rapidement sous l'empire de la colère et de la haine qu'il voua à son père quand, par les ordres de celui-ci, il fut interné à Métray (sic). » Les drames de son enfance ainsi étalés sur la place publique, Saint Yves ne pouvait pas rester silencieux. Il répondit discrètement que sa mère était « une femme aussi sainte que distinguée » ; son père, « un médecin de grande valeur, h o m m e de la plus admirable et de la plus stoïque vertu » . Mais alors pourquoi ces affrontements ? La réponse est simple : Saint Yves prend toute la responsabilité sur lui et explique tout par son « mauvais caractère ». Il écrit, parlant de ses parents : « les pauvres chères âmes étaient en peine à cause de moi » ; et il en rajoute : 11
« Pauvres bien aimés parents ! au lieu d'encouragements, les notes qu'ils recevaient sur moi n'étaient pas faites pour les flatter; je les retrouve et je cite les pires : caractère âpre, indiscipliné, rébellion, arrêts, le thème variait peu. Alors les voisins, les amis, irritaient encore les plaies vives. C'était le préfet, le receveur général, le président du tribunal qui arrivaient majestueusement avec leurs gamins le dimanche et les jours de fête, quand la musique des régiments jouait sur les promenades. « Eh bien ! où donc est
11.
« L A F R A N C E V R A I E » , p.
60.
ORAGES, ERRANCES
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Alexandre ? » Mes parents rougissaient et confus, disaient : "En retenue." Alors les bons amis, comme ceux de Job, se pavanaient dans leur joie paternelle et maternelle et se lamentaient sur le malheur d'avoir un tel fils . » 12
Ainsi, Saint Yves a-t-il l'élégance de prendre tous les torts sur lui et de s'indigner des attaques portées contre son père. Mais son ami Eugène de Masquard, qui fait de lui en 1888 un éloge disproportionné, ne peut dissimuler l'existence de conflits acharnés : « Entre ce père taillé dans le moule éducateur romain et ce fils qui devait fonder ou rénover en occident l'ordre synarchique, qui est exactement le contraire de l'autoritarisme, on peut se figurer qu'il y eut une grande lutte de volontés pendant l'enfance et l'adolescence du futur missionnaire . » 13
Et il le décrit lui aussi c o m m e rebelle et indomptable. Il s'empresse d'ailleurs de témoigner qu'à l'époque où il écrit : « Le traité de paix est signé entre eux dans la plus profonde affection sur le témoignage même de la vocation, et une même fierté doublée d'une même tendresse rapproche ces deux hommes. Ils rient de leurs luttes et de leurs larmes passées : "Tes Missions valent au moins mes ordonnances, dit en plaisantant le médecin au thérapeute social, et elles peuvent faire du bien à plus de monde à la fois." »
12.
« L A F R A N C E V R A I E » , p.
61.
Eugène de Masquard : « L E M A R Q U I S D E S A I N T Y V E S D ' A L V E Y D R E - » in « L ' E N C Y C L O P É D I E C O N T E M P O R A I N E ILLUSTRÉE » , 2' année, n" 26, 11 mars 1888, page 42. 13.
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Il est vrai qu'avant d'en arriver là, Saint Yves avait beaucoup souffert et cela a, pour une part, nourri sa réflexion sur l'Autorité. Certaines parties de son œuvre ne peuvent se comprendre qu'en fonction de ces conflits, lorsque par exemple, il écrit dans « CLEFS DE L'ORIENT » : « Osons le dire, le père est destructeur. » ou encore : « Dans la famille, noyau de l'état social de l'homme, le mâle dans le père pèse lourdement sur l'Enfant mâle, il déprime, le plus souvent ses développements intellectuels et moraux en confirmant les variations du caractère qui se forme sous l'unité du sien, qui formé, veut tout plier à soi . » 14
Mais cela devait le conduire à vivre une autre histoire, grâce à une première rencontre, qu'il a qualifiée de décisive, et dont il a fait un récit très ému dans son « PRO DOMO ». A l'âge de treize ans, en 1855 donc, son père le confie à la colonie agricole de Mettray, à 5 kilomètres au N o r d de Tours. Là il va rencontrer celui dont il va faire son « père spirituel » ; nous allons voir qui était cet h o m m e , mais il faut d'abord souligner l'importance que Saint Yves accorde à cette rencontre : «Je m'attendais à un geôlier, presque à un bourreau, et je me jurais de me rendre libre ou de me tuer. Quand j'arrivais à Mettray, tous mes plans furent renversés comme un château de cartes. Jamais homme vivant n'a fait sur moi une impression pareille à celle que me produisit M. de Metz. C'est qu'en effet, un saint était devant moi, dans un
14.
«CLEFS D E L'ORIENT»,
Paris, 1877 (Didier Perrin), pp. 93-94.
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vieillard grave et charmant, accompli . »
55
dans un
gentilhomme
15
En fait, la fondation de Mettray, une des plus i m p o r tantes et aussi des plus controversées du xix siècle, s'adressait à l'enfance délinquante ; elle s'appelait en réalité « Société paternelle pour l'éducation morale, agricole et professionnelle des jeunes détenus âgés de moins de 16 ans acquittés en vertu de l'article 66 du C o d e pénal c o m m e ayant agi sans discernement ». O n se rappelle en effet que le Code pénal prévoyait que : c
« Lorsque l'accusé aura moins de seize ans, s'il est jugé qu'il a agi sans discernement, il sera acquitté ; mais il sera selon les circonstances remis à ses parents ou conduit dans une maison de correction pour y être élevé et détenu pendant tel nombre d'années que le jugement déterminera et qui toutefois ne pourra excéder l'époque où il aura atteint sa vingtième année. » Cette politique d'enfermement des enfants acquittés, qui était d'ailleurs étroitement liée dans l'esprit de ses promoteurs à l'idée de « régénération morale des classes inférieures », fut une des grandes idées de la première moitié du xix siècle en Europe : des centaines d'institutions sont fondées dans les différents pays européens entre 1813 et 1867. Frédéric Auguste Demetz (1796-1873) fut en France l'un des principaux promoteurs et théoriciens de ce type d'institution et c'est lui que Saint Yves rencontra à Mettray. Magistrat distingué, à l'apparence sévère des h o m m e s de c
15. « L A F R A N C E VRAIE», page 6 1 . J'aurai lieu de souligner à plusieurs reprises le « péché mignon » pseudo-nobiliaire de Saint Yves qui le fait abuser de la particule. Ce « De Metz » s'appelle tout bonnement « Demetz » : il n'y a pourtant aucune honte à cela.
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son rang, promis à un avenir brillant, il abandonne vers 1 8 3 4 son poste de Conseiller à la C o u r d'Appel de Paris pour se consacrer à l'étude des méthodes pénitentiaires. Ses publications de cette période caractérisent bien ses préoccupations : —
en
1 8 3 6 : « PROJET D'ÉTABLISSEMENT D'UNE MAISON
DE REFUGE POUR LES PRISONNIERS ACQUITTÉS À LEUR SORTIE DE PRISON
» (Paris. Imprimerie de H. Fournier).
—
en 1 8 3 7 : « RAPPORTS À M . LE COMTE DE MONTALI-
VET SUR LES PÉNITENCIERS DES E T A T S - U N I S
» (Paris Imprime-
rie Royale). — MM.
en 1 8 3 8 : « LETTRE SUR LE SYSTÈME PÉNITENTIAIRE À LES
MEMBRES
DES
CONSEILS
GÉNÉRAUX
DES
DÉPARTEMENTS» (Paris. P.Dupont). Dans de nombreuses autres brochures, qui se trouvent à la Bibliothèque Nationale, Demetz expose ainsi un système pénitentiaire et éducatif nouveau ; d'après le baron Charles Daru, il en aurait trouvé le modèle à H a m b o u r g où le Docteur Julius avait créé une maison destinée à la régénération des jeunes criminels . 16
16. Baron Charles Daru et Victor Bournat :
« ADOPTION,
T I O N ET C O R R E C T I O N D E S E N F A N T S P A U V R E S , A B A N D O N N É S ,
EDUCA-
ORPHELINS O U
e
Paris, 1875, (Charles Douniol et C' )- On remarquera l'étonnante juxtaposition des quatre adjectifs. On peut aussi consulter avec profit pour situer Mettray en son temps : Henri Gaillac : « L E S M A I S O N S D E C O R R E C T I O N , 1830-1845 », Paris, 1971 (Editions Cujas). Stéphane Douailles et Patrice Vermeren : « L E S P R I S O N S PATERNELLES VICIEUX»,
OU
LE G R A N D A I R D E S E N F A N T S P A U V R E S »
in
«LES RÉVOLTES L O G I Q U E S » ,
n" 8/9, Paris, 1979 (Editions Solin). Le Mettray, bagne de la fin du siècle est aussi évoqué par Marcel Voisin dans « C ' É T A I T LE T E M P S D E LA B E L L E E P O Q U E » , Claix, 1978 (Editions de la Pensée sauvage). Par ailleurs, je dois signaler que mes recherches, dont je donne ici (trop brièvement) quelques résultats, ont été facilitées par les Archives départementales d'Indre et Loir (n° 3070), les Archives de l'Académie des sciences morales et politiques, ainsi que par M. Henri Renard, Maire de Mettray, en 1970.
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Mettray sera l'œuvre de sa vie grâce à la donation de 700 hectares consentie en 1838 par le Vicomte Brétignières de Courteilles. L'institution qui est ouverte officiellement le 22 i an vi er 1840 s'attirera des patronages illustres : en consultant les comptes-rendus annuels on découvre les n o m s du C o m t e de Gasparin, du banquier François Delessert, du Prince Chalais-Périgord, du C o m t e de Rambuteau, du duc de Fezensac ; Alexis de Tocqueville, le docteur Villermé, le duc Decazes sont membres du Conseil d'Administration et les visiteurs illustres qui souscrivent à cette œuvre sont aussi divers que Lamartine, Emile de Gérardin, Ledru Rollin, Gladstone ou Arago... Son développement fut spectaculaire et l'on considérait vers 1887-1888 que près de 6 000 enfants y avaient été éduqués, dans une atmosphère d'ailleurs profondément dégradée après la mort de Demetz en 1873. Plus tard Mettray fut connu c o m m e un véritable bagne d'enfants, qui fut fermé après une campagne de presse où se distingua le journal satirique «L'ASSIETTE AU BEURRE», n o t a m m e n t pendant l'année 1909. Mais à l'époque de sa fondation par Frédéric Demetz, Mettray faisait figure d'œuvre d'avant garde, tout en étant fortement marqué par l'idéologie bourgeoise, ainsi qu'en témoigne un rapport officiel cité par le Baron Daru :
« Qu'a-t-il manqué à ces enfants ? une famille ; il faut la leur donner. Leur santé débile exige l'air et la vie des champs; leur avenir doit être le travail et la terre qui les attachera au sol, leur donnera le goût de l'ordre, de l'économie, les habitudes de la famille, l'amour de la propriété laborieusement acquise. Il n'y a rien à inventer. Mettray est le type le plus complet de ces établissements, et ses libérés sont recherchés par les propriétaires et cultivateurs des environs, ou placés aux villages voisins, comme forgerons, charrons ou charpentiers ; d'autres s'engagent dans les armées de terre ou de mer. »
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Parmi les aspects positifs et novateurs de l'entreprise de Demetz, on doit noter son souci de former de véritables pédagogues pour encadrer les enfants ; il déplorait la tendance qui consiste à « trop chercher à économiser sur le personnel des agents lorsqu'il s'agit de l'éducation de l'enfant » et avait créé une véritable école normale à l'intérieur m ê m e de Mettray. En second lieu, et de manière symbolique, l'institution n'avait ni grilles, ni murs, ni sentinelles armées, ce qui a émerveillé de n o m b r e u x témoins, tels que Ferrus, B o n n e ville de Marsanguy ou l'abbé Beaudeville. En fait, ces résultats étaient acquis au prix d'un mélange de contraintes psychologiques subtiles, de paternalisme et de cléricalisme, conditionnant et aliénant les individualités aussi gravement qu'un régime plus brutal. L'organisation était en effet très contraignante ainsi qu'en témoigne le règlement intérieur de l'Institution, r e p r o d u i t dans l'article précité de « LES RÉVOLTES LOGIQUES » :
« La population de la colonie est divisée par famille habitant une maison séparée. Chaque famille a son chaperon. Une famille se compose de quarante enfants formant deux sections. Chaque famille est indiquée par une lettre alphabétique spéciale qui est fixée sur l'habit de chaque colon, ainsi que son numéro matricule. La Direction générale de la famille est confiée à un agent de la colonie ayant titre He Chef de famille. Il a sous ses ordres un Sous-chef de famille. Les sous-chefs sont pris parmi les élèves de l'école préparatoire . Dans chaque section les 17
17. Je reproduis ici la note de « L E S RÉVOLTES L O G I Q U E S » (p. 21) : « Il s'agit de l'école fondée en 1839 pour former le personnel de la colonie, où "on reçoit des jeunes gens, choisis dans les fermes écoles et les écoles normales primaires, appartenant à dès familles honorables, élevés dans des sentiments profondément chrétiens et animés du généreux désir de coopérer à l'amendement des jeunes détenus, tout en perfectionnant leur
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Chefs et Sous-chefs sont secondés dans la surveillance par un colon qui reçoit le titre de frère aîné. Il est élu par la famille à laquelle il appartient, à la majorité des suffrages et à bulletin secret, il est nommé pour trois mois et peut être réélu. Le Directeur de la Colonie ratifie ou annule le choix de la famille. Le frère aîné constate les infractions sans pouvoir prononcer aucune punition. Ces infractions sont consignées sur un livret qui est visé chaque jour par le Chef de famille. Le frère aîné porte un chevron sur sa manche pour le distinguer de ses camarades, qui lui doivent obéissance. Il reçoit une gratification, si on est satisfait de sa conduite. Il porte dans les différents exercices, le drapeau de la famille, dont l'honneur lui est, en quelque sorte confié. Le Chef de chaque famille fait tous les jours un rapport au Directeur sur la conduite de ses enfants. Le Directeur seul inflige les punitions. » Chacune de ces « familles » habitait un pavillon qui comportait au rez-de-chaussée des ateliers, et à l'étage une vaste salle qui, le jour, servait de réfectoire et de salle de réunion, et la nuit recevait les hamacs, dans lesquels dormaient les colons. La discipline était militaire, et l'on ne cachait pas que la musique du m ê m e n o m devait être le seul délassement des enfants. Le travail agricole était intensif et, outre les profits qu'il procurait, devait conduire les enfants : « par une fatigue salutaire à un sommeil réparateur. » T o u t un système de bons points, de petits cartons roses et de tableaux d'honneur contribuait au surplus à infantiliser en permanence les colons. Le cléricalisme était l'âme de ce système éducatif, et il
éducation agronomique". » Cette définition des qualités demandées aux sous-chefs de famille est donnée par Bonneville de Marsanguy dans son ouvrage : « M E T T R A Y », Paris, 1866, p. 22.
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me paraît utile de citer encore un texte significatif de Demetz et Brétignière de Courteille en 1842 : « On n'invente rien en morale, heureux seulement qui peut trouver les meilleurs moyens de la rendre praticable ! C'est l'Evangile à la main que nous élevons nos enfants; notre système consiste à employer tous les instants, à faire valoir les plus simples pour en tirer un salutaire enseignement ou pour en faire ressortir une utile moralité. Le meilleur moyen d'éviter les graves délits, c'est de punir très sévèrement les fautes les plus légères : un mot inutile est réprimé chez nous. » Telles étaient donc les grandes lignes de l'œuvre de celui dont Saint Yves a voulu faire son « père spirituel » : il conviendra de revenir sur cette « recherche de paternité », et cela introduit la question de la nature de l'influence qu'il a pu exercer sur Saint Yves. Il faut préciser pourtant qu'à Mettray, ce dernier ne fut pas vraiment soumis au régime général des enfants pauvres ou délinquants. En 1855 en effet (c'est-à-dire l'année où il y entra), on avait créé une section particulière réservée aux enfants de familles aristocratiques et bourgeoises dont l'éducation était difficile. Ils séjournaient à Mettray dans le plus grand secret pour éviter le déshonneur à leur famille. Ils étaient soumis à un isolement complet dans un vingtaine de cellules agencées autour de la chapelle, qui leur permettaient d'assister à l'office sans être vus de quiconque. C'est à ce régime que fut soumis Saint Yves, au demeurant, pendant un temps limité ; je cite son récit : « Pendant quatre semaines, il me garda près de lui, m'interrogeant beaucoup sur toutes choses, m'initiant à ses pensées et à ses fondations, me faisant aimer du personnel, de directeurs qu'il avait formé, m'emmenant visiter les ateliers et les fermes des colons. Je travaillais cinq ou six heures dans ma belle cellule,
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près de l'autel de la chapelle, concourant incognito avec les élèves du lycée de Tours, deux classes au-dessus de la mienne, et attrapant les premiers rangs. Jamais je ne m'étais trouvé dans un monde d'impressions éducatrices si douces ; c'était enfin l'humanité, et, aimant mon joug plus que toute liberté, j'étais heureux pour la première fois, depuis mon entrée dans un collège. Cet inoubliable mois écoulé, un matin, après la messe de six heures où il communiait chaque jour, M. de Metz m'emmena, et me dit : "Mon cher ami, je n'ai que faire de vous ici, vous êtes libre." Un coup de massue sur le cœur ne m'eût pas fait pareille douleur ; il le vit, et me consola ainsi : "Je ne puis, en mon âme et conscience, me faire le complice d'un système universitaire que je crois à votre égard inutile et funeste. Tout par la liberté, rien par la contrainte : voilà le fond de votre caractère, et il me plaît ; et je vous aime ainsi comme si vous étiez mon propre enfant. Jamais je ne vous quitterai. Toute votre vie, je serai en pensée avec vous; et je serai en personne près de vous quand vous m'appellerez. J'entrevois devant vos pas des épreuves sans nombre, des chemins de traverses exceptionnels. Vous avez sur le front le signe d'une vocation que rien n'arrêtera, mais que tout essayera d'entraver. Tant que je vivrai, comptez sur moi ; après ma mort, appelez-moi encore dans vos prières, car je ne cesserai de veiller sur vous. Je vais maintenant vous emmener à vingt lieues d'ici chez un digne prêtre de mes amis, l'abbé Rousseau, curé d'Ingrandes-sur-Loire. Vous vous reposerez là pendant un an dans le travail et dans la paix." Ces temps furent les meilleurs de ma vie d'écolier, les seuls, sauf les vacances, dont ma pensée aime à se souvenir. Quelles qu'aient été plus tard les épreuves de ma destinée, quelques contradictions qu'aient soulevées en moi les cercles toujours grandissants de mes études, pendant plus de vingt ans où l'Université et le Christianisme luttèrent dans mes méditations avant d'y faire un pacte comme l'Ange avec Jacob, toujours ma mémoire revenait vers mon incomparable maître et vers ses œuvres. Ce dévouement infatigable sans aucun mobile person-
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nel, cet apostolat de la médiation et de la rédemption sociales rachetant les enfants pauvres du démon des prisons, les autres de celui des lycées, pour les guérir de la névrose disciplinaire par les bains de bonté, cette élite de maîtres stylés par ce chef d'ordre laïque, ces Blanchard, ces de Varenne et d'autres qui eussent pu trouver en toute carrière fortune, honneurs et gloire, la sainte paix d'âme de ce cher et digne curé d'Ingrandes, j ' y revenais toujours comme à une thébaïde des temps nouveaux. J'ai toujours eu sous les yeux dans toutes mes pérégrinations une petite gravure que M. de Metz m'avait envoyée en 1857 avec ces mots que je copie : "Songez, quand vous la regarderez, que votre meilleur ami habite dans les lieux qu'elle représente." » 18
Cet abbé Rousseau (prénommé Pierre Calixte) était curé d'Ingrandes-sur-Loire depuis 1853 et devait le rester pendant 13 ans ; il fut ensuite n o m m é curé de Beaulieu-lesLoches où il devait mourir en 1875, à l'âge de 48 ans. Ce prêtre paraît avoir eu dans sa vie deux préoccupations majeures, celle de bâtir ou restaurer les églises dans les paroisses dont il fut le desservant, mais aussi celle de l'enfance abandonnée puisqu'il fonda lui aussi un asile, et sans doute est-ce ce point qui le lia à Demetz. Toujours est-il que Saint Yves demeura chez lui un an, et il resta en correspondance avec lui, c o m m e avec le fondateur de Mettray . 19
1 8 . « L A F R A N C E VRAIE », Prodomo, pp. 6 3 , 6 4 , 6 5 . 19. L'Archevêché de Tours a bien voulu me communiquer le curriculum vitae de l'Abbé Rousseau : Né à Cinq Mars la Pile le 1 6 avril 1 8 2 6 . Prêtre le 3 0 juin 1 8 5 0 . Vicaire à Saint-Maurice de Chinon le 11 novembre 1 8 5 0 . Curé d'Ingrandes-sur-Loire le 1 5 mars 1 8 5 3 . Curé de Beaulieu-les-Loches le 3 1 mai 1 8 6 6 . Décédé à Beaulieu le 1 0 janvier 1 8 7 5 . Je dois à la même source d'avoir pu consulter « L A S E M A I N E RELIGIEUSE D U D I O C È S E D E T O U R » du 16janvier 1 8 7 5 qui retrace la «vie exemplaire » de Pierre Calixte Rousseau.
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U n e lettre reproduite dans « LA FRANCE VRAIE » n'apporte que peu de renseignements intéressants sauf sur un point : dès cette époque, Saint Yves jouait de l'orgue et bien, aux yeux de l'abbé, ce qui atteste, à tout le moins, un goût pour la musique que d'ailleurs il conserva tout au long de sa vie. Tels sont donc les éléments qu'on peut recueillir sur l'enfance de Saint Yves à travers divers témoignages qu'on a pu vérifier. Pourtant avant de s'interroger sur l'influence que Demetz a pu exercer sur lui, il me paraît intéressant de citer longuement le témoin à charge qu'est Claire Vautier, car elle apporte des éléments curieux sur le jeune Saint Yves. Sans doute ne faut-il pas les prendre au pied de la lettre — puisqu'elle cherche à nuire. Mais ne s'inspire-t-elle pas, aussi, de confidences, qui toutes travesties qu'elles soient, sont sans doute révélatrices ? « Le directeur (Demetz) à son tour, eut bientôt compris qu'il n'était pas en présence d'un être vulgaire ; il voulut sonder les profondeurs de cette âme, et fut effrayé de la trouver aussi fermée. "Dans mes voyages en Egypte, dit-il un jour à l'un des confidents, professeur du jeune Saint-Emme (Saint Yves), il m'est arrivé de me trouver face à face avec ces Sphinx qui, depuis des siècles, sont les sombres et mystérieux gardiens du désert ; je leur demandais vainement le secret des âges, des générations succédant aux générations ; vainement j'élevais la voix; pas un écho ne sortait de leurs profondeurs; vainement j'évoquais les souvenirs de l'histoire ; pas un nom pas un signe n'apparaissait sur leurs poitrines de granit. Et bien mon ami, conclut M. De Metz, lorsque je parle à ce jeune Saint-Emme, que je l'entretiens des devoirs de l'homme, de ses fins dernières, du but de la vie, son visage demeure aussi impassible, son âme semble aussi silencieuse, que celle des Sphinx du désert." Et le vieux professeur qui se connaissait en âmes pour
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en avoir étudié un grand nombre d'étranges et d'indomptées, répondit au directeur : "Ce sera un fou sublime ou un vulgaire aventurier!" Cependant, l'intelligence du jeune Saint-Emme dépassait les prévisions de ses maîtres. Il faisait en toutes choses des progrès rapides et surprenait par la régularité, l'opiniâtreté qu'il apportait aux travaux les plus arides. Ne riant jamais, il causait volontiers cependant avec ses professeurs, et paraissait éprouver une grande satisfaction lorsque le directeur venait passer quelques instants près de lui, ou l'admettait à sa table ; ce qui était la plus grande récompense, la plus haute marque d'estime qui fût accordée à un élève de la colonie. André Saint-Emme avait quinze ans lorsqu'un jour, voyant son vieux maître d'allemand verser quelques pleurs en parlant du pays natal qu'il n'espérait plus revoir, il se permit de rire, lui qui ne souriait jamais. — Vous êtes trop jeune, lui dit le vieillard un peu froissé, pour comprendre tout ce qui s'éveille en nous à ce nom de patrie ! — Monsieur le professeur, répondit froidement le jeune Saint-Emme, les mots foyer, religion, famille, patrie, ont été créés pour les besoins de l'homme vulgaire ; pour les autres, les prédestinés, ils sont vides de sens. — Je vous excuse, dit le maître, de méjuger du foyer, de la famille puisque la vôtre vous a éloigné, mais, jeune homme, votre patrie? — Ma patrie à moi, dit Saint-Emme avec calme, ma patrie n'est pas de cette terre ! — Vous répétez-là les paroles du Christ, prétendriezvous être comme lui, le Fils de Dieu ? — Vous l'avez dit ; seulement mon esprit a plus d'âge ; mes prophéties et ma doctrine avaient préparé les siennes ! Voilà toute la différence. Le maître d'allemand abasourdi, ne sut faire autre chose que de hausser les épaules ; mais en sortant, il rencontra l'aumônier de la colonie et ne put s'empêcher de lui parler de la conversation qu'il venait d'avoir avec Saint-Emme.
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— C r o i r i c z - v o u s , m o n s i e u r l'abbé, qu'il se dit frère aîné du Christ ? — Il m e l'a dit aussi, r é p o n d i t l ' a u m ô n i e r à v o i x basse, et il a refusé de se confesser à m o i , si j e ne m e confessais pas à lui ; j e n'en ai pas parlé, p o u r éviter le scandale ; mais, entre n o u s , ajouta le b o n abbé t o u t tremblant à l'oreille d u maître d'allemand, j e crois bien que les t e m p s prédits s o n t arrivés, et q u e cet enfant m a u d i t est l'Antéchrist l u i - m ê m e . C e t t e c r o y a n c e de l'abbé s'accrut e n c o r e quand, à q u e l q u e t e m p s de là, S a i n t - E m m e lui adressa la q u e s t i o n suivante : — M o n s i e u r l'abbé, c o m m e n t se fait-il que les chrétiens, qui se prosternent au seul n o m de D i e u , aient si p e u de respect p o u r celui de Satan ? L ' a u m ô n i e r se signa v i v e m e n t et recula, criant : — M a l h e u r e u x enfant, v o u s b l a s p h é m e z ! — N o n v r a i m e n t , répliqua le j e u n e h o m m e très c a l m e , c'est v o u s seul le b l a s p h é m a t e u r , j e v o u s assure, p o u r r i e z v o u s m e dire ce qu'est Satan ? — D é m o n de l'orgueil, esprit i m p u r précipité a u x enfers d'où il est sorti p o u r s'incarner en toi, cria l'abbé affolé ! — P o i n t du tout, reprit S a i n t - E m m e , et j e m ' é t o n n e q u e v o u s , le représentant d'une religion et d'un d o g m e q u e v o u s dites être le seul vrai, v o u s s o y i e z aussi i g n o r a n t de Satan, science é m a n é e du Principe s u p r ê m e ; de Satan, p r o g r è s , l u m i è r e , qui appelle t o u t e s les h u m a n i t é s à la perfection, t o u s les h o m m e s à l'égalité. — S a i n t - E m m e se préparait à c o n t i n u e r sa définition vraie o u fausse, m a i s l'abbé, se b o u c h a n t les oreilles, s'était s a u v é chez M . de M e t z , et l'avait supplié, par respect p o u r la religion d o n t il était le ministre, de défendre que S a i n t - E m m e lui adressât j a m a i s la parole. M . de M e t z , esprit large et éclairé, n'accorda aux frayeurs de l'abbé que j u s t e assez d'intérêt p o u r ne pas blesser l ' h o n n ê t e prêtre; m a i s cependant il v o u l u t avoir u n e e x p l i c a t i o n avec s o n pensionnaire et m a n d a celui-ci en sa présence. — S a i n t - E m m e , dit-il à ce dernier, j e n e prétends pas forcer v o t r e c o n f i a n c e ; m a i s d e p u i s q u e l q u e t e m p s , à
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dessein ou sans réflexion, par jactance peut-être, vous avez émis des prétentions, des doctrines qui ont blessé, épouvanté, les hommes honorables qui sont vos maîtres ici. Répondez-moi franchement, avez-vous voulu plaisanter? — Je ne parle que quand on m'y force, monsieur le Directeur, et je ne plaisante jamais. — Mais enfin, ces messieurs ont dit que vous vous annonciez comme le frère aîné du Christ ; avez-vous oui ou non prononcé ces paroles et les maintenez-vous ? Saint-Emme hésita un instant sous le regard un peu moqueur du directeur ; mais il se remit et répondit d'une voix ferme : — Je ne renie point ce que j'ai dit. — Ainsi, vous prétendez être un prophète ? Je ne conteste pas votre intelligence remarquable ; mais enfin, qui vous annonce, quoi vous prouve votre prédestination ? Saint-Emme serra fortement les lèvres, mais ne répondit pas. — Voyons, reprit M. de Metz, un peu impatienté, expliquez-vous au moins ! — Monsieur le Directeur, fit André en s'avançant près du fauteuil de celui-ci, comment se fait-il que, depuis ma naissance, j'ai été un objet de haine ou de crainte pour tous ceux qui m'ont approché? C'est qu'ils ne pouvaient me comprendre. Et à quoi dois-je attribuer l'indulgence que vous avez toujours témoignée pour ce qu'on nommait mes fautes? C'est que vous seul, jusqu'à ce jour, avez eu l'esprit assez grand pour me pressentir. — C'est me faire beaucoup d'honneur, répondit le digne vieillard avec un peu de malice, bien que troublé malgré lui par l'attitude du jeune homme et par son regard ferme et brillant. Il ne put cependant s'empêcher d'ajouter : — Avouez, mon cher enfant, que votre frère cadet, le nommé Jésus-Christ, était plus humble que vous ! — Notre mission n'est pas la même, répliqua SaintEmme avec assurance, il a semé dans la douceur et dans le sacrifice ; je viens récolter par la force et par la volonté. Il y eut un grand silence. M. de Metz l'interrompit en disant :
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— V o u s avez lu b e a u c o u p d'auteurs anciens, grecs et latins et v o t r e esprit, i m b u de leurs doctrines, a cru y t r o u v e r la révélation de sa destinée. — E n effet, répliqua S a i n t - E m m e , j'ai relu m e s o u v r a g e s , ils m ' o n t éclairé et m ' o n t révélé à m o i - m ê m e . — C e s o u v r a g e s quels s o n t - i l s ? d e m a n d a M . de M e t z , très grave. — Les o r p h i q u e s . — A h ! v o u s avez é t é ? . . . — O r p h é e , oui m o n s i e u r . N e souriez pas, m o n s i e u r de M e t z , v o u s savez bien que j e dis la vérité, car v o u s c r o y e z à la t r a n s m i g r a t i o n des â m e s que j e v i e n s d'affirmer. — O u i , en vérité, j'ai cette c r o y a n c e . C o m m e n t l'avez-vous deviné?... Je p e n s e v r a i m e n t q u e t o u t e â m e est appelée à la perfection et ne peut gravir les é c h e l o n s infinis qui y m è n e n t , que par de n o m b r e u s e s e x i s t e n c e s sur cette terre et sur d'autres, peut-être ; m a i s aucun s o u v e n i r de ces vies antérieures ne m ' e n atteste l'authenticité, et j e d o u t e q u e nul h o m m e puisse savoir et affirmer ce qu'il a été, ni d'où il vient. — Je suis pourtant celui-là, m o n s i e u r , dit S a i n t - E m m e a v e c force. — A l l o n s , dit M . de M e t z , é t o n n é s i n o n c o n v a i n c u , j ' a v o u e q u e v o t r e assurance et v o s affirmations, qui ne seraient que la p r e u v e d'un orgueil insensé chez u n h o m m e m û r , ne laissent pas que de m e causer u n e certaine é m o t i o n , v e n a n t d'un adolescent. Si v o u s n'êtes pas u n p r o p h è t e , v o u s d e v i e n d r e z certainement quelqu'un. L ' é l o g e que lui adressait le directeur ne parut faire a u c u n e i m p r e s s i o n sur S a i n t - E m m e qui salua f r o i d e m e n t et se retira dans sa cellule. C e t entretien avec M . de M e t z , fut suivi de b e a u c o u p d'autres. Le d i g n e vieillard, sans ajouter u n e foi absolue à la m i s s i o n d i v i n e de s o n pensionnaire, ne doutait plus c e p e n d a n t qu'il dût être u n e des gloires de s o n siècle. A u s s i , lorsque trois ans après, le père de S a i n t - E m m e rappela celui-ci p o u r qu'il assistât aux derniers m o m e n t s de
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE sa m è r e , le directeur de M e t t r a y vit-il partir le j e u n e h o m m e a v e c u n e grande peine. — Je suis v i e u x et n o u s ne d e v o n s sans d o u t e plus n o u s retrouver ici-bas, dit le vieillard t o u t é m u au j e u n e v o y a g e u r , m a i s tant que m e s y e u x verront la l u m i è r e , ils v o u s s u i v r o n t dans la route q u e v o u s allez parcourir. Si S a i n t - E m m e ressentit q u e l q u e é m o t i o n dans sa vie, ce fut en prenant c o n g é de cet h o m m e vénérable, et q u e l q u e s j o u r s après en v o y a n t m o u r i r sa m è r e . Les d e u x êtres qui avaient t é m o i g n é q u e l q u e s y m p a t h i e à sa j e u n e s s e étaient perdus p o u r A n d r é ; u n e barrière infranchissable s'élevait entre s o n père et lui ; ni l'un ni l'autre ne chercha à l'ébranler, et S a i n t - E m m e , à d i x - h u i t ans, a m o n c e l a dans s o n â m e s o m b r e des m o n t a g n e s de glace q u ' a u c u n souffle, si ardent, o u si pur qu'il fut, ne devait jamais pénétrer . » 20
O n aura remarqué, qu'au-delà des intentions polémiques souvent féroces, Claire Vautier marque, sinon une tendresse, du moins une certaine compréhension pour l'enfant Saint Yves et pour sa solitude. Mais aussi doit-on noter que, pour invérifiables que soient ses sources (et peut-être s'agit-il de confidences de Saint Yves, caricaturées, voire tournées en dérision), son propos acquiert une certaine crédibilité lorsqu'on voit Saint Yves lui-même (longtemps après, certes, mais qu'importe) comparer sa mission avec celle de Pythagore. Et cela n'est pas indifférent : « P y t h a g o r e , s o n é p o q u e , s o n œ u v r e et les c o n c l u s i o n s qu'elle c o m p o r t e , n o u s offrent d o n c u n e base s o l i d e p o u r l'étude q u e n o u s a v o n s entreprise, et l ' e x p o s i t i o n des m o y e n s à e m p l o y e r , p o u r redresser l'Etat social d é c h u , et rétablir la s y n t h è s e que le grand p h i l o s o p h e entreprit v a i n e m e n t de reconstituer.
20. Claire Vautier, op. cit., pp. 3-10.
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Or, dès notre v i n g t i è m e année, nous avions résolu d'être le P y t h a g o r e d u C h r i s t i a n i s m e , s u p p l a n t é d e p u i s la R e n a i s s a n c e p a r l ' E s p r i t p a ï e n . . . » 2 1
Si Saint Yves, à vingt ans, rêvait d'être Pythagore, pourquoi n'eût-il pas rêvé d'être Orphée à quinze ans, voire Prométhée ? C e qui est sûr en tout cas, c'est que Claire Vautier, elle aussi, confirme l'importance du rôle de Frédéric Auguste Demetz dans la vie du jeune Saint Yves. Sur cet aspect, j ' a i parlé d'une véritable « recherche de paternité » et il me semble que, du point de vue affectif, le comportement de Saint Yves est à la fois évident et relativement banal ; l'aura « providentielle » dont il entoure sa rencontre avec Demetz témoigne à sa manière, de l'ampleur de son désir affectif (et de sa frustration profonde) ; elle est le reflet positif, des rapports négatifs avec le père selon la chair. Il n'y a rien là de très surprenant. Mais Saint Yves assigne un autre rôle à Demetz dont il fait son inspirateur notamment pour la partie synarchique de son œuvre. Ainsi écrit-il solennellement dans la « MISSION DES JUIFS» (1884) :
«J'ai non seulement le droit mais surtout, comme les initiés, le devoir de témoigner aussi de la vérité, qui a été confiée à la garde de ma connaissance et de ma fidélité depuis ma dix-neuvième année. Cette vérité que je ne dois à aucun centre d'initiation actuellement existant, mais seulement à un mort possédant la tradition... » Et il confirme dans son « Pro d o m o », que cet auguste
21.
« L ' A R C H É O M È T R E »,
p.
9.
r
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vieillard qui a orienté ses études et sa vie, c'est bien Demetz . Mais quelle « tradition » pouvait bien posséder Demetz ? Ses diverses publications — toutes axées, c o m m e on l'a vu, sur les problèmes de l'enfance délinquante ou nécessiteuse — ne permettent pas de s'en faire une idée. U n e fois encore, on est contraint de s'en remettre à ce que dit Saint Yves et, au demeurant, je ne retiens pas c o m m e significatifs certains conseils d'une grande banalité du genre : 22
« Préparez-vous longtemps par l'étude avant de rien publier... ! » En fait, lorsque Saint Yves veut expliciter les enseignements qu'il aurait reçus de son « père spirituel », ses propos visent deux points : l'indication d'auteurs à lire, d'une part ; l'affirmation d'une certaine « Mission de la France», d'autre part. Sur le premier aspect, Saint Yves écrit : « Parmi les auteurs qu'il avait jadis lus ou connus, M. de Metz m'avait cité Joseph de Maistre, de Bonald et aussi Fabre d'Ohvet. Il m'avait signalé ce dernier comme un puissant esprit, comme un grand érudit classique, fourvoyé par la foi chrétienne dans celle du paganisme, mais concluant ainsi d'une manière singulière l'anarchie intellectuelle des encyclopédistes. Je dois dire à ma honte que ce signalement loin de me refroidir, m'avait enflammé pour cet auteur.
22.
« M I S S I O N DES J U I F S » , p.
4.
», Pro domo, p. 5 2 : «J'ai indiqué sans le nommer le grand français, l'auguste vieillard qui a orienté dans ce sens mes études et ma vie. Je vais lui consacrer ici quelques lignes de pieux hommages. La plupart de mes lecteurs connaissent au moins de nom Frédéric Auguste de Metz, etc. « L A F R A N C E VRAIE
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Un païen religieux en plein XIX siècle ! cela répondait à mes révoltes contre tous les jougs imposés, à mes curiosités aventureuses, à mes soifs de liberté et d'examen. Aussi, faisant peu de cas de Joseph de Maistre et de Bonald, j'avais une insatiable envie de lire d'Olivet. Mais le hasard voulut que, avant mon exil volontaire à Jersey, je n'eusse jamais sous la main ses livres devenus fort rares . » e
23
De fait, on aura l'occasion de revenir à la question des rapports de Saint Yves avec l'œuvre de Fabre d'Olivet, à propos de son séjour àjersey dont il fait état, mais aussi plus tard lorsqu'il sera publiquement et violemment accusé de plagiat. Mais pour l'heure on doit relever que si Demetz connaissait au moins de n o m l'œuvre de Fabre d'Olivet, ce qui n'était pas si c o m m u n , il ne mit pas de livres à la disposition de Saint Yves. En fait, on n'a guère là qu'une « indication de tendance » assez peu démonstrative de la pensée de Demetz, sauf à considérer son goût pour de Maistre et de Bonald c o m m e très caractéristique de certaines couches de la bourgeoisie de son temps. L'autre aspect de l'enseignement que Demetz aurait dispensé à Saint Yves concerne plus directement la théorie synarchique. Ce dernier prit les propos suivants à son « maître » : « Les autres peuples savent encore où ils vont, car ils ne cherchent qu'eux-mêmes et leur bien particulier, ce qui n'est pas une œuvre difficile. La Russie suit, dit-on, une tradition, celle du Testament de Pierre le Grand , la Prusse également 24
23.
« L A FRANCE VRAIE»,
24.
« LE TESTAMENT
Pro domo, pp.
81-82.
est en réalité un faux utilisés contre les S I O N » dont la carrière n'est
D E PIERRE LE G R A N D »
historique, au même titre que les « M O N I T A jésuites, ou « L E S P R O T O C O L E S D E S S A G E S D E malheureusement pas achevée.
SÉCRÉTA »
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depuis Frédéric II, l'Angleterre depuis Cromwell, l'Italie depuis Cavour. La France seule n'a plus de tradition suivie, parce qu'aucun régime politique n'est de taille à résumer son histoire. Elle a pourtant un testament à reprendre, mais il est social. Il n'émane pas d'un homme ni d'un gouvernement mais de la Nation tout entière : vous le trouverez dans les Etats généraux. » Saint Yves ajoute : « Plus tard, l'organisation et le fonctionnement de ces derniers me donna le fait de la loi sociale, non seulement de la France mais de l'humanité. C'est cette loi quej'ai passé ma vie à vérifier et je suis heureux d'en rendre hommage à cette indication de mon maître bien aimé en Economie sociale. Elle a été la lumière centrale à laquelle j'ai ramené tous mes travaux . » 25
Sur ce point aussi nous aurons à revenir longuement. Pourtant, dans les deux cas, on ne discerne pas dans l'œuvre de Demetz de considérations particulièrement remarquables sur ces questions. Mais il est vrai que tout cela a pu faire l'objet d ' e n t r e t i e n s p o l i t i c o - p h i l o s o p h i q u e s entre les d e u x h o m m e s , dont aucune trace n'a été conservée, hormis le souvenir de Saint Yves. Et puis, aussi, ce dernier a bien pu transformer a
Henri Rollin dans « L ' A P O C A L Y P S E D E N O T R E TEMPS» (Paris, 1939Gallimard) rappelle que ce texte a été soumis à Napoléon I" dès 1797 et publié en 1812 par un dénommé Lesur. Il est l'œuvre d'un général polonais émigré, Michel Sokolnicki, qui voulait par ce biais dénoncer les risques que l'impérialisme russe faisait courir à la Pologne et à l'Europe entière. 25. « L A F R A N C E V R A I E » , pp. 75-76.
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posteriori des entretiens très généraux en véritables prémonitions. D'ailleurs peut-être en a-t-il éprouvé le besoin en vue de donner une assise à sa propre mission. De fait, s'il veut faire de Frédéric Demetz son père spirituel, c'est à la fois pour réparer le traumatisme de ses rapports avec son père et pour donner à ses propres écrits une dimension altruiste et un prestige social comparables à ceux de Demetz. Se donnant un père hors du c o m m u n , il peut aussi décrire sa rencontre avec lui c o m m e un « signe du ciel » — le premier de plusieurs — qui magnifie son rôle personnel C e disant, je ne doute ni de l'amitié de Saint Yves et de Demetz, ni de l'intérêt de la pensée de ce dernier, mais j e relève dans le récit un signe qu'on retrouvera souvent et qui ressemble souvent à la surestimation de soi. Cela noté, beaucoup d'incertitudes demeurent dans la chronologie de cette période; j ' y reviens donc. Saint Yves dit être venu à Mettray à l'âge de 13 ans, soit vers 1855 ; il ne reste qu'un mois chez Demetz puis est confié à l'abbé Rousseau. Combien de temps ? O n a vu que l'intention de Demetz était de le laisser un an. Mais ce fut peut être plus si on en croit Barlet qui écrit : « Deux ans après son entrée à Mettray qu'il quitte la mort dans l'âme, convaincu mais non dompté, il rentre un peu plus résigné dans la discipline du lycée dont il assimile avec aisance la nourriture intellectuelle pour en ressortir diplômé, mais révolté comme devant . » 26
Ce retour dans un lycée, probablement parisien, mais non identifié, aurait donc eu lieu vers 1857. Et le seul point de repère qu'on ait à partir de là est le baccalauréat de Saint Yves.
26. Barlet, o p . cit., F51p. 1 2 .
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Il faut croire que son assimilation de la nourriture intellectuelle fut moins aisée que ne le dit Barlet, puisqu'il fut éliminé en 1860, et fut admis bachelier ès lettres en avril 1861 avec la mention assez b i e n : il vient d'avoir 19 ans, et ne peut être considéré c o m m e particulièrement précoce. Il est vrai que les conflits avec l'autorité s'étaient rallumés dès son retour au collège ainsi qu'il l'écrit lui-même : 27
« On m'eût tué plutôt que de me faire dire que j'admirais et que j'aimais un proviseur que je ne connaissais pas, ni un lycée dans toute sa hiérarchie disciplinaire. J'avais froid au cœur rien que d'y penser. Hélas le retour sous ces mêmes jougs ralluma toutes mes rébellions. Après le diplôme de bachelier ès lettre, une grossièreté d'un Maître lui valut une provocation de ma part. Craignant de me laisser seul étudiant à Paris, mon père me fit engager de force plusieurs années avant ma majorité . » 28
Si on place cet événement après le baccalauréat ès lettres d'avril 1861, c'est donc dans le courant de l'année 1861 qu'il faut situer cet engagement forcé (surtout, si l'on veut qu'il soit encore possible de parler de « plusieurs années avant la majorité »). Cela étant, j e dois convenir que ce premier épisode militaire de la vie de Saint Yves, c o m m e d'ailleurs le second en 1870-71, fait partie des points sur lesquels mes recherches, quoiqu'elles aient été méthodiques et obstinées, n'ont pas abouti j u s q u ' i c i . Je suis donc contraint de m'en 29
27. Les renseignements m'ont été fournis par le service central des Examens du Baccalauréat de l'Université de Paris (lettre 803/70 du 8 septembre 1970). 28.
« L A F R A N C E V R A I E » , p.
72.
29. Le capitaine de Frégate Muracciole, chef du service historique de la Marine du Ministre d'Etat chargé de la Défense nationale, m'a fait connaître, le 15 juillet 1970 (Réf. n° 628 EMM/HI SAB), que « le passage
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remettre aux seuls propos de Saint Yves. Ce dernier, engagé de force dans l'infanterie de marine, raconte que Demetz s'entremit pour lui permettre de reprendre ses études et de passer à Rennes le baccalauréat ès sciences qu'il souhaitait avoir*, ce qui lui permit d'entrer à l'Ecole de Médecine navale de Brest. Ces études médicales auraient duré trois ans. O n y reviendra dans un instant ; leur interruption vint de ce que Saint Yves aurait : « gagné la variole noire en se portant comme volontaire dans une salle pour remplacer un interne frappé de la contagion . » 31
Ayant ensuite manqué à l'appel, il se fit interdire de cours, ensuite de quoi il aurait obtenu un congé «renouvelable et renouvelé». Encore une fois, n'ayant pu retrouver le dossier d'une affaire, au demeurant mineure, je m'en remets au récit de Saint Yves. C'est à ce m o m e n t qu'il décida de gagner Jersey. O n a vu que c'est probablement en 1861 qu'il fut contraint de s'engager ; il dit qu'il suivit trois ans d'études médicales. Par ailleurs, évoquant en 1887 dans la «FRANCE VRAIE» ce départ, il écrit : « Il y a près de vingt-quatre ans que je quittai les côtes de France », ce qui permet de supposer qu'il se situe vers 1864-1865. D'ailleurs Barlet écrit qu'il fut libéré
très bref dans l'Infanterie de Marine et dans le service de Santé navale du philosophe et occultiste Joseph Alexandre Saint Yves d'Alveydre n'a pas donné lieu à des mentions dans les annuaires et les matricules de la Marine ». 30. Je me suis adressé successivement à la Division des Examens et concours de l'Académie de Rennes et aux Archives/d'Ile-et-Vilaine. Ces services ont bien voulu me faire connaître qu'ils ne disposent pas d'Archives antérieures à 1 8 8 3 en ce qui concerne le baccalauréat scientifique. 31.
« L A F R A N C E V R A I E » , p.
72.
76
SAINT-YVES D'ALVEYDRE 32
du service à 22 a n s , ce qui nous conduit effectivement en 1864, et il affirme qu'il resta cinq ans aux îles AngloN o r m a n d e s , avant de revenir sur le continent, lors de la guerre franco-prussienne de 1870. Pour approximative qu'elle soit, la chronologie qu'on vient de retracer semble donc cohérente, même si on est dans l'impossibilité de préciser de quoi furent faits tous ces jours, de quels bonheurs, de quelles révoltes et de quels rêves. Il demeure que ce départ à l'étranger laisse place à beaucoup d'hypothèses. Pourtant, en l'état, il faut croire Saint Yves lorsqu'il écrit : « Attiré vers Jersey par les œuvres et la gloire de Victor Hugo, j'allai me fixer en Angleterre, libre enfin de m'orienter à ma guise . » 33
Il faut penser sans doute qu'alors Victor H u g o , opposant à l'Empire, pouvait passionner un jeune h o m m e qui, sa vie durant, sera un hugolien fervent ; d'ailleurs plus tard, il consacrera un poème admiratif sinon admirable aux «FUNÉRAILLES DE VICTOR H U G O » . O n en reparlera. Sauf qu'à cette époque, H u g o n'est plus à Jersey : ayant fui en Belgique le 11 décembre 1852, H u g o séjourne effectivement à Jersey de 1852 à 1855 et donne « NAPOLÉON LE PETIT» et «LES CHÂTIMENTS». Mais de 1855 à 1870, donc
pendant la période qui nous intéresse, il est à Hauteville House, à Guernesey, où il produit ces chefs d'œuvre que sont «LES CONTEMPLATIONS» « L A LÉGENDE DES SIÈCLES», «LES MISÉRABLES»... de quoi faire rêver un jeune h o m m e effectivement. A Jersey, Saint Yves vécut modestement c o m m e 32. Barlet, op. cit., p. 13. 33.
« L A F R A N C E V R A I E » , p.
33.
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ORAGES, ERRANCES p r o f e s s e u r d e l e t t r e s et d e s c i e n c e s , c e q u i , d u m o i n s ,
lui
permit d'apprendre l'anglais. Il fit a u s s i la r e n c o n t r e d ' u n h o m m e q u i allait l u i o u v r i r p l u s i e u r s p o r t e s i m p o r t a n t e s p o u r sa f o r m a t i o n p e r s o n n e l l e , e t le p o r t r a i t q u ' i l t r a c e d e l u i n ' e s t p a s s a n s i n t é r ê t : « D a n s cette Sicile du N o r d , j e m'étais lié avec u n j e u n e h o m m e d'une e x c e p t i o n n e l l e valeur. Il se n o m m a i t A d o l p h e Pelleport, et n o t r e vieille et p r o f o n d e amitié, qui se retrouva e n c o r e sur le plateau d ' A v r o n en 1870, dura j u s q u ' à sa m o r t , arrivée à Paris, hélas ! il y a q u e l q u e s années, p e n d a n t u n de m e s v o y a g e s . Pelleport était u n P y r é n é e n de la race des anciens t r o u b a d o u r s . C œ u r et esprit puissant et charmant, c h e v a l e r e s q u e et p o é t i q u e à la fois, il avait sur cette terre m ê m e u n D i e u , V i c t o r H u g o , il avait aussi u n e déesse, la R é p u b l i q u e , qui résumait dans sa p e n s é e toutes les vertus m i r a c u l e u s e s , t o u t ce q u ' o n peut attendre de vrai, de j u s t e , de b o n , des m a g n i f i q u e s p r o m e s s e s de n o t r e nation en 1789. Il m'avait présenté à sa g r a n d - m è r e , à V i c t o r H u g o , qui daigna traiter un enfant en a m i . Pelleport m e fit connaître aussi t o u s ses coreligionnaires p o l i t i q u e s , républicains et socialistes, e x i l é s par N a p o l é o n III. Il y avait là, dans ces d e u x îles c h a r m a n t e s , Jersey et G u e r n e s e y , toute u n e p o é s i e v i v a n t e de souffrances i m m é r i t é e s , de s o u v e n i r s p o i g n a n t s , d ' e s p é rances fiévreuses, qui m'attacha p u i s s a m m e n t . » 3 4
J e n e sais si le p o r t r a i t d e P e l l e p o r t et le t a b l e a u
des
p r o s c r i t s s a t i s f o n t l ' h i s t o r i e n . Il m e s e m b l e q u ' i l s e n v a l e n t bien d'autres... T o u j o u r s est-il q u e trois p o i n t s d o i v e n t être c l a i r e m e n t distingués : —
la r e n c o n t r e d e S a i n t Y v e s a v e c V i c t o r H u g o
qui
« d a i g n a traiter u n e n f a n t e n a m i » ; —
34.
les
rapports
avec
« L A F R A N C E V R A I E » , p.
83.
les
proscrits,
et j e
ferai
une
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mention particulière pour les deux gendres de Pierre Leroux ; — sa rencontre avec la grand'mère de Pelleport, Virginie Faure, qui devait permettre à Saint Yves de mieux connaître la pensée de Fabre d'Olivet, et cela est peut-être capital pour comprendre sa pensée. De la rencontre avec Victor H u g o , je n'ai pas retrouvé de traces notables ; s'agit-il d'une unique présentation, ou le jeune Saint Yves fut-il admis à fréquenter plus longuement le poète ? Quand eut lieu cette rencontre ? A la lecture de la correspondance de Victor H u g o , j ' a i formé une hypothèse dont je conviens qu'elle est de pure intuition, et probablement arbitraire. Le 27 septembre 1867, Victor H u g o invite chaleureusement Pelleport : « M a i s v e n e z cher p o è t e , v o u s l o g e r e z j e ne sais o ù , m a i s v o u s m a n g e r e z chez n o u s . N o t r e fin d'été est v r a i m e n t charmante, et v o u s v o u s ajouterez à t o u t ce qui n o u s a i m e et à tout ce que n o u s a i m o n s . » 3 5
O r , quelque temps plus tard, le 29 novembre 1867, H u g o écrit « à un poète » non d é n o m m é : « N o u s s o m m e s d'accord, M o n s i e u r . Je ne crois pas au Christ mais a u x Christs. T o u t vient de D i e u . V o u s t r o u v e r e z dans « L E S M I S É R A B L E S » et aussi dans « W I L L I A M S H A K E S P E A R E » ma définition de D i e u . C e c r e d o v o u s satisfera, j e n'en d o u t e pas, car il c o n c l u t c o m m e v o s b e a u x et n o b l e s vers. D i e u est la s è v e , n o u s s o m m e s les fruits. J'ai écrit sur u n de m e s m u r s de m a m a i s o n d'exil : Dem dies. Je v o u s serre la m a i n , p o è t e . » 3 6
35. Victor Hugo — « C O R R E S P O N D A N C E » — Tome 1867-1873), Paris, 1952 (Albin Michel), p. 76. 36. Victor Hugo, op. cit., p. 88.
III
(années
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J'imagine donc que c'est à l'automne 1867 que Pelleport a présenté Saint Yves à Victor H u g o ; le type des questions auxquelles répond ce dernier correspond bien à des préoccupations que Saint Yves pouvait avoir. En fait, à cette époque, il écrivait déjà des vers et a fort bien pu les soumettre à H u g o mais encore une fois, il ne s'agit ici que d'une hypothèse, voire d'un rêve. Peu importe, au demeurant, sinon de noter que si le poète H u g o « daigna traiter un enfant en ami », il ne fut pas, lui, bouleversé par la rencontre de Saint Yves, au point d'en laisser des traces. Par contre, Saint Yves persista dans son admiration pour l'œuvre du Maître, et à de nombreuses reprises on pourra noter à quel point il est bien le fils de la génération romantique ; et sans doute rêva-t-il de s'identifier à l'image du poète que décrit la préface des « RAYONS ET LES OMBRES » :
« Toute son enfance à lui, poète, n'a été qu'une longue rêverie mêlée d'études exactes. C'est cette enfance qui a fait son esprit ce qu'il est. Il n'y a d'ailleurs aucune incompatibilité entre l'exact et le poétique. Le nombre est dans l'art comme dans la science. L'algèbre est dans l'astronomie et l'astronomie touche à la poésie ; l'algèbre est dans la musique, et la musique touche à la poésie. L'esprit de l ' h o m m e a trois clefs qui t o u t : l e c h i f f r e , la l e t t r e , la n o t e . »
ouvrent
L ' a r c h é o m è t r e , plus tard, sera la mise en œuvre de ce principe. Mais il est vrai aussi que les rapports entre H u g o et les « illuminés » de son temps, tels que les a étudiés Auguste Viatte, laissent place à de telles rencontres. S'agissant de ses rapports avec les proscrits du Second Empire, Saint Yves les évoque longuement dans « LA FRANCE VRAIE » et il est certain qu'il a été influencé largement par ce milieu, au demeurant disparate ; on a vu que c'est
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Pelleport qui fut son conducteur, dans cette découverte. Mais je rappelle aussi que le récit est tardif, et intervient près de vingt ans plus tard. O mémoire ! « D e p u i s qu'ils s o n t d e v e n u s g o u v e r n a n t s , les m ê m e s h o m m e s m'intéressent m o i n s que les g o u v e r n é s . M a i s alors, d o m i n é par u n e grande c o n c e n t r a t i o n de v i e intellectuelle, j ' é p r o u v a i s u n intérêt p a s s i o n n a n t à é c o u t e r les cris de ces naufragés de n o s t e m p ê t e s politiques ; et des instincts de c h i e n de T e r r e - N e u v e i l l u m i n a i e n t déjà m o n j e u n e cerveau. Principes, d o c t r i n e s , aspirations générales, s e n t i m e n t s g é n é r e u x de ces proscrits, j e ne m e lassais pas d'entendre t o u t ce qui s'agitait en e u x . La fraternité é v a n g é l i q u e régnait le plus s o u v e n t entre leurs différents clans, mais elle faisait défaut, et p o u r cause, en ce qui regardait l ' E m p i r e . J'appris ainsi que, p o u r des d i v e r g e n c e s d'idées, les h o m m e s de n o t r e p a y s étaient capables de s'accabler de t o u t e s les injures et de s'accuser de t o u s les c r i m e s . J'en é p r o u v a i s t o u j o u r s u n s e r r e m e n t de c œ u r , c o m m e à u n e fausse n o t e de m u s i q u e , et les j o u r n é e s de j u i n m e s e m b l a i e n t valoir le 2 d é c e m b r e , 9 3 , l'inquisition. M a i s , à part ces n u a n c e s qui heurtaient m e s b e s o i n s innés d'esthétiq u e , j'aurais d o n n é t o u s les bals des Tuileries p o u r u n e seule heure passée parmi ces infortunés pleurant s o u s les saules de B a b y l o n e . D e t o u t e s ces d o u l e u r s chères à la m i e n n e , de t o u t e s ces n o u v e l l e s o ù b o u i l l o n n a i t l'ivresse des idées, de t o u s ces c œ u r s g r o s de sincérités r é v o l t é e s , de t o u t e s ces n o b l e s blessures par o ù criaient ces destinées, jaillissait u n e v i e v o l c a n i q u e , l u m i n e u s e , triste, et que j ' a i m a i s . J'en appris plus peut-être sur les c h o s e s p o l i t i q u e s et sociales, à les considérer dans le v i f de leurs é p a v e s h u m a i n e s , q u e plusieurs e x i s t e n c e s et mille b i b l i o t h è q u e s n'auraient su m ' e n dire. S o u s des f o r m e s doctrinales et e x c l u s i v e s a u x quelles l'individualité et la tolérance de m a p e n s é e n'ont j a m a i s pu s'inféoder, j ' a i m a i s chez ces h o m m e s u n f o n d vibrant d ' h u m a n i t é en travail c o m m e l ' O c é a n . Q u a n d j e retournais parmi les A n g l a i s , la c o m p a r a i s o n ne m'était pas m o i n s salutaire : c'était la d o u c h e froide après la chaude.
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Plus conforme à mes goûts de réserve et de quant à soi aussi bien qu'à ma raison, ils l'étaient incomparablement moins à mon intelligence et à ma sociabilité. Les fils d'Albion me rappelaient les anciens Pharisiens, nos exilés français les Saducéens et les Esséniens. Les premiers me reportaient aussi aux Romains, les seconds aux Chrétiens des catacombes. Alors, comparant le positivisme des uns et sa sagesse avec les généreuses et transcendantalcs folies des autres, je me prenais parfois à pleurer dans la solitude. » Ainsi, Saint Yves convient-il que son séjour aux îles Anglo-normandes a eu beaucoup d'importance dans la formation de sa pensée philosophico-politique, et il place à
Parmi les personnes avec lesquelles il fut en relations très suivies, il mentionne explicitement les deux gendres de
37.
« L A F R A N C E VRAIE»,
pp. 83-84-85.
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Pierre Leroux, qui étaient aussi des disciples, et cela constitue une indication de premier plan en ce qui concerne la formation de Saint Yves. Le premier de ces gendres, Etienne Luc Desages, né en 1820, avait suivi Pierre Leroux à Boussac où il avait fondé une colonie agricole et une imprimerie «Sociétaire». Il se disait « adepte de la doctrine de l'humanité et du C o m m u n i o n i s m e ». Il explicita sa pensée avec son beaufrère Auguste Desmoulins, dans un ouvrage paru en 1848. N é en 1823, ce dernier avait aussi rejoint Leroux à Boussac en 1846; c o m m e Desages, il collabora aux publications du g r o u p e : « LA REVUE SOCIALE » et « L'ECLAIREUR DE L'INDRE». Tous deux furent accusés d'avoir participé à l'insurrection lyonnaise du 15 juin 1849, mais ils furent acquittés après une incarcération et un voyage éprouvants. Mais dès les premiers jours de décembre 1851, ils furent à nouveau arrêtés et condamnés à la déportation en Algérie ; ayant pu rejoindre Leroux à Jersey, ils collaborèrent au journal « L'ESPÉRANCE» qu'avait fondé le philosophe . 38
C'est donc à Jersey que Saint Yves les rencontra, et sans doute put-il, grâce à eux, connaître Pierre Leroux (17971871). Il n'est pas possible ici de retracer toute la complexité de la pensée de ce socialiste romantique, héritier du Saint-Simonisme (mais qui ne l'est, peu ou prou, en ce x i x siècle ?) ; toujours est-il qu'il n'est pas indifférent que c
38. Voir « D I C T I O N N N A I R E D E B I O G R A P H I E F R A N Ç A I S E » , Tome X , colonnes 1167 et 1473. Je ne sais si Saint Yves continua à les fréquenter après son retour à Paris. En tout cas, Desages, professeur de français à Jersey, y demeura jusqu'en J879 et vécut dans une retraite studieuse jusqu'à sa mort enjuin 1903. Desmoulins pour sa part quitte Jersey pour rejoindre une colonie dissidente de l'Icarie de Cabet aux Etats-Unis. Revenu en France, il se livra à d'importantes activités de syndicaliste, coopérateur et d'éducateur ouvrier. Conseiller municipal de Paris, délégué syndical des Instituteurs, collaborateur à la « R E V U E S O C I A L I S T E » , etc.. il mourut en 1892.
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Saint Yves ait été en contact avec ce courant de pensée, avec lequel il est en harmonie sur plusieurs points . Ainsi Leroux accorde-t-il une grande importance aux études de religions comparées — toutes considérées c o m m e « des formes passagères et progressives d'une vérité éternelle», et s'il reconnaît à la religion chrétienne une vérité, c'est parce qu'elle est synthétique, héritière du judaïsme, de l'hellénisme, du platonisme. U n e telle idée se retrouve aisément chez Saint Yves. D e la même manière, on trouve chez ce dernier une recherche de ce que Leroux appelle « la loi de continuité » ; Saint Yves fit assurément sienne la définition suivante : w
« La philosophie de l'histoire consiste essentiellement dans la compréhension de l'unité ; elle cherche avant tout à embrasser les rapports qui unissent, dans un instant quelconque de développement toutes les parties de la connaissance et de l'activité humaine. Car, de même que toutes les parties d'un corps organisé se modifient simultanément, et dans une relation nécessaire, à chaque instant de durée, ainsi tous les arts, toutes les sciences et toutes les pratiques existent et se développent simultanément. » Le système synarchique de Saint Yves prétendra bien plus tard être cette philosophie de l'histoire ; l ' A r c h é o m è t r e prétendra aussi mettre en évidence la relation nécessaire entre les arts et les sciences. D'ailleurs lorsque David O w e n s Evans note que, dès 1831, Leroux a élaboré une théorie des correspondances qui anticipe Baudelaire et Mallarmé (il est vrai que la loi d'analo39. Sur Leroux, voir, entre autres, David Owen Evans : « L E », Paris, 1948 (Librairie Marcel Rivière et C") et aussi que l'irremplaçable « H I S T O I R E D E S I D É E S S O C I A L E S » de Maxime Leroy, Tome I I I , Paris, 1954 (Gallimard).
S O C I A L I S M E R O M A N T I Q U E . PIERRE L E R O U X ET SES C O N T E M P O R A I N S
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gie universelle de Charles Fourier ne l'annonce pas moins), on peut être assuré que Saint Yves situe bien son projet c o m m e réalisation concrète de ces rêves. L'idée qu'une « aristocratie de l'intelligence » est de nature à donner à la société une direction spirituelle se retrouve chez Leroux c o m m e chez la plupart des Saint-Simoniens ; elle connaîtra aussi chez Saint Yves une expression renouvelée. Toutes ces convergences, et quelques autres qu'on pourrait expliciter, suffiraient à montrer l'importance de la rencontre de Saint Yves avec Desages et Desmoulins. Mais il y a plus : ces derniers, c o m m e Leroux, s'intéressent à la magie, à l'extase, aux faits merveilleux, et tous connaissent l'œuvre de Fabre d'Olivet. Grâce à eux, c o m m e grâce à Pelleport, Saint Yves va pouvoir étudier cette œuvre singulière, et peut-être m ê m e recueillir des souvenirs et documents inédits. Selon Léon Cellier ", à qui j'emprunterai beaucoup pour cette partie, puisqu'il a élucidé n o m b r e de points essentiels, Desmoulins j o u e un rôle certain dans l'histoire posthume de l'œuvre de Fabre d'Olivet. C'est en effet lui qui édita à Jersey, en 1859, l'œuvre posthume de Philippe Faure : «JOURNAL D'UN COMBATTANT DE FÉVRIER » ; c o m m e l'œuvre était brève, on ajouta des textes divers : Leroux donna un essai « LE ROCHER DES PROSCRITS » qui est en fait une partie de « LA GRÈVE DE SAMAREZ », et dans lequel il est question du culte inventé par Fabre. Desmoulins ajoute des notes biographiques sur Fabre d'Olivet et sur Saint Martin ; il ajoute encore des extraits d'œuvres du théosophe de Ganges : l'introduction de 4
1'« HISTOIRE
PHILOSOPHIQUE
DU
GENRE
HUMAIN »
et
la
traduction des « VERS DORÉS » . O n voit que le milieu des amis de Saint Yves était 4 1
Léon Cellier, Fabre d'Olivet. « C O N T R I B U T I O N À L ' E T U D E D E S Paris, 1 9 5 3 (Librairie Nizet). 4 1 . Il faut signaler aussi que selon Cellier, Desmoulins est la principale source (erreurs comprises) de ce que Fabre des Essarts écrit sur Fabre d'Olivet dans « L E S H I É R O P H A N T E S », Paris, 1 9 0 5 (Chacornac). 40.
A S P E C T S RELIGIEUX D U R O M A N T I S M E » ,
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constitué de connaisseurs de Fabre. Et encore n'ai-je qu'à peine cité jusqu'ici un personnage central de l'affaire : Virginie Faure, née Didier, d'une famille de la région de Pamiers. Elle était la grand'mère d'Adolphe Pelleport, et aussi la mère de Philippe Faure qu'on vient de citer et qui était m o r t à Jersey, en 1856, à l'âge de 33 ans. Mais aussi, elle avait bien connu Fabre d'Olivet lui-même, et paraît avoir été un personnage bien singulier. Il me paraît utile de citer ici un témoin, M. Dupont, dont Léon Cellier reproduit lui-même le propos : mc
M Faure, continue M. Dupont, était elle-même une femme extraordinaire. Très liée avec Fabre d'Olivet, elle avait connu et fréquenté les plus hautes personnalités politiques ou littéraires de son temps. Elle-même était un peu un personnage historique, ayant brodé et confectionné de ses mains le bonnet de baptême du petit roi de Rome. Instruite, cultivée, douée d'une mémoire prodigieuse, elle savait l'histoire mieux que pas un professeur de Sorbonne, et elle en parlait avec indépendance d'esprit, en des aperçus originaux et souvent hardis ; elle savait le latin, cela va sans dire ; mais encore le grec, l'anglais, l'italien. Elle lisait Homère, Dante et Shakespeare dans l'original. Très myope, elle se servait de préférence d'elzévirs, qu'elle tenait soigneusement enfermés en un bahut dont elle avait la clef. Il lui arrivait fréquemment au matin, et avant d'avoir fait aucune toilette, un vieux châle sur les épaules, les pieds dans des pantoufles, d'ouvrir le bahut fidèle, et là, la porte sur elle, et disparaissant à demi dans l'armoire, de lire ses chers livres des heures durant, sans se douter que le moment du déjeuner était venu... et que l'on ne savait pas ce que l'on mangerait ce jour-là. Elle ne dédaignait point Rabelais. Gargantua et Pantagruel faisaient souvent l'objet de nos conversations. Elle appelait cela rabelaisotter. » Et j ' a v o u e adhérer pleinement à l'opinion de Léon Cellier lorsqu'il ajoute :
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« Il me plaît de souligner ce dernier trait, qu'ont soigneusement passé sous silence ceux qui ont fait de M"" Faure la consolatrice de Fabre d'Olivet, et qui ont transformé en tendre égérie celle qui nous apparaît sous les traits d'une vieille dame pittoresque et bavarde . » 42
« Très liée avec Fabre d'Olivet »... D e fait, que signifie au juste une telle expression? En effet, de n o m b r e u x auteurs de la mouvance occultiste, dont Léon Cellier analyse les témoignages — et souvent les erreurs —, ont donné à entendre qu'elle avait été la « consolatrice » de Fabre, disciple et amante, voire maîtresse spirituelle autant que fille. Cellier refuse cette légende tenace que n'appuie aucun document sérieux ; il admet qu'elle fut probablement l'élève de Fabre en matière de musique et que, certainement, elle fut séduite par ses doctrines ; cette rencontre se situe probablement à l'époque où Fabre r o m p t avec sa femme (la séparation juridique intervient en mars 1823) et c'est d'ailleurs le m o m e n t où naît Philippe, le fils de Virginie Faure. Q u a n t à savoir si elle fut davantage qu'une élève pour Fabre, le fait ne peut guère être élucidé ; c o m m e d'ailleurs le point des éventuels manuscrits inédits qu'elle aurait pu détenir, et communiquer à Saint Yves. En tout cas, ce dernier trace un portrait ému de la vieille dame : « Parmi ces nobles âmes, une des plus humbles et des plus grandes, une des plus silencieuses et des plus sages, était la grand'mère de mon ami ; M Virginie Faure. Un tombeau l'attachait à cette île, celui de Philippe Faure son fils, mort exilé. » mc
42. Cellier, o p . cit., p. 372.
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Je signale au passage que, sur le m o n u m e n t funéraire, elle avait fait graver un des « vers dorés », le dernier dans la traduction de Fabre : « Au sein des immortels, deviens un Dieu toi-même. » Saint Yves poursuit : « Elle ne devait quitter son deuil que pour aller le rejoindre, le jour où son petit-fils et moi lui rendîmes les derniers devoirs. C'était tout un poème d'intelligence et de douleur muettes que cette simple et eminente femme. Courbée sous le faix des ans, pauvrement vêtue de noir, vivant d'une petite rente qui confinait à la misère, elle était comme une urne très obscure, pleine de cendres lumineuses et d'aromates d'un grand prix. A la voir avec son cabas, son air doux et triste, ses yeux vagues et résignés, sa bouche rentrée et sans dents que remuait machinalement une causerie avec un être invisible, à la voir longeant timidement comme une ombre les murs de Saint Hélier pour aller faire son maigre marché, on n'eût pas deviné une individualité d'une aussi grande valeur. Elle revenait, toujours causant avec l'âme de son fils qu'elle semblait regarder intérieurement. Qui se serait douté, parmi les superbes Anglais qui voyaient passer la pauvre vieille, qu'elle possédait un trésor pour moi sans prix. M"" Faure avait en effet dans une armoire ce que je convoitais depuis longtemps, les livres de Fabre d'Olivet, et, non seulement elle les savait par cœur, mais l'auteur avait été son ami . » 43
Continuant ses souvenirs, il poursuit ailleurs : « Comment ! Vous avez connu cet homme extraordinaire, disais-je à M""-' Faure; ah! je vous en prie, parlez-moi de lui. 43.
« LA FRANCE VRAIE»,
p.
89.
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Pelleport, qui ne pouvait entendre que l'éloge ou les vers de Victor Hugo, s'endormait invariablement au bout de cinq minutes. Je lisais à haute voix les œuvres de Fabre d'Olivet, au bruit de l'Océan tourmenté par les vents. La soiree s'achevait trop vite, et j'avais hâte de voir arriver celle du lendemain pour lire encore, pour entendre toujours l'histoire secrète de mon grand homme, sa recherche des mystères, le culte polythéiste qu'il avait rétabli, sa mort étrange, tous ses manuscrits brûlés par des haines intolérantes, ses derniers vœux . » 44
En fait Saint Yves entend par là répondre à Claire Vautier et à quelques autres qui l'accusaient d'avoir plagié effrontément Fabre d'Olivet. N o u s retrouverons ce point plus tard, en 1886. S'agissant du séjour à Jersey, Claire Vautier avait écrit que Virginie Faure (qu'elle appelle M a dame Henry) avait donné à Saint Yves des manuscrits inédits q u ' i l a u r a i t i n t é g r é s sans s c r u p u l e dans son œ u v r e personnelle . En affirmant que tous les manuscrits de Fabre ont été brûlés, Saint Yves détruit l'accusation contre lui ; on sait aujourd'hui, grâce n o t a m m e n t à Cellier, que des manuscrits inédits existaient et ont été retrouvés, mais cela ne prouve pas pour autant que Virginie Faure en détenait. Q u o i qu'il en soit, il faut retenir de cet épisode que Saint Yves à Jersey a eu connaissance au moins des principales œuvres imprimées de Fabre et qu'il s'est passionné pour elles. O n verra plus tard ce qu'il en a retenu dans son œuvre. Victor H u g o , les proscrits, notamment Leroux et ses gendres, Virginie Faure et à travers elle Fabre d'Olivet, telles sont donc les relations les plus importantes que Saint Yves se serait faites pendant son séjour hors de France — en tout cas celles dont il parle. 45
44.
« L A F R A N C E V R A I E » , p.
89.
45. Claire Vautier, pp. 30 et 135.
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Il est vrai toutefois qu'il ne vécut pas seulement à Jersey, et séjourna à unema_pjusieurs reprises en Grande Bretagne et en particulier à Londres ; au d e m e u r a n t , tout au long de sa vie il aima vivre dans ce pays. Il écrit cFailleursl «Quand j'eus dévoré les bibliothèques de mes amis, j'allais mettre à contribution l'univers tout entier dans le British museum de Londres. Je vérifiai ainsi l'exactitude des sources de Fabre d'Olivet . » 46
Il me paraît indispensable de mentionner, à propos de ce ou ces séjours à Londres, un point malheureusement obscur mais qui est susceptible de donner quelques indications supplémentaires sur les années de formation de Saint Yves. Malheureusement, parce qu'une fois encore, l'auteur anon y m e qui fournit cette piste n'indique pas ses sources : « De Jersey il va en Angleterre. Là il trouve le moyen de faire connaissance de Sir Bulwer Lytton, G.M. de la Société Rosicrucienne de Londres.Tl TaiFaulsîTa connaissance d'un abbé défroqué, du nom de Constant, initié à la Rose Croix de Francfort plus connu sous le nom d'Eliphas Levy (d'après Wittemans Histoire de la Rose Croix) . » 47
En fait, il n'est pas sûr du tout que Saint Yves ait été en relations avec Bulwer Lyttori~(l^u7-l873y^cIoWTé"^tre est First Baron Lytton) célèbre auteur des « DERNIERS JOURS DE POMPÉI», de « Z A N O N I » , de «L'ETRANGE HISTOIRE», et
de
bien d'autres ouvrages surprenants. Esotériste éclairé, à l'époque qui nous intéresse, il était aussi « Grand patron » de
46.
« L A FRANCE VRAIE»,
p.
92.
47. « L E S D O C U M E N T S M A Ç O N N I Q U E S » . Février 1 9 4 4 , p. 1 2 9 . L'ouvrage de Wittemans, d'ailleurs mal référencé dans cet article a été réédité à Paris, 1 9 7 9 (Baudouin) La « Bibliothéca Esoterica » signale une édition en 1925.
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la « Sécrétas Rosicruciana in Anglia », une organisation discrète, qui n'en mérite pas moins la plus grande attention. Il est également remarquable qu'il ait été en relation avec Eliphas Levi qui était venu à Londres pour la seconde fois en 1861, et c'est probablement cette circonstance rapportée par Wittemans avec beaucoup d'approximations qui inspira le rédacteur de la notice des «DOCUMENTS
MAÇONNIQUES».
Mais rien ne prouve n o n plus que Saint Yves ait été en relations personnelles avec Eliphas Levi. Sans doute la chose est elle possible : Levi ne mourra qu'en 1875 et il est très probable que Saint Yves a lu avec intérêt ses principaux livres. Mais, ni dans un cas ni dans l'autre, o n n'a de certitudes. Ce qu'on sait, par contre, s'appuie sur des faits plus tardifs mais qui ont peut-être pu trouver leur origine dans la période considérée. Vers la fin des années 1880, en J^ffet, Saint Yves entretenait des rapports de grande amitié avec l e j î l s du précédent, Edward RoEërt BuTwer First Earl of Lytton (premier C o m t e Lytton — 1831-1891). La preuve en est fournie par un poème dédié à la Reine d'Angleterre, le « POÈME DE LA REINE » écrit j>ar_Saint Yves en 1889, traduit en anglais par Lytton la m ê m e année mais qui ne sera publié dans sa version bilingue qu'en 1892 après la mort de ce dernier . Lord Lytton fut un diplomate à la brillante carrière mais aussi un poète prolixe. Je ne retracerai pas ici ses pérégrinations politiques fort intéressantes, mais j e noterai qu'à la surprise générale, et sur l'insistance jgersonnelle dfiJLflrd. Beaconsfield (Disraeli^, il fut n o m m é vice-Roi des Indes (installé le 12 avril J 876, il démissionna en mars 1880, dès la défaite électorale de 48
48. Une édition du « P O È M E D E LA R E I N E » en langue française a été publiée en 1889 (Lahure). L'édition bilingue (traduction en Anglais par Lord Lytton) est parue en 1892. Je signale qu'à la Bibliothèque nationale elle figure au catalogue au nom de « T H E E A R L OF L Y T T O N » (8 ye 2 3 0 5 6 ) . e
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Disraeli et la Reine Victoria le fit comte de Lytton le 28 avril 1880) ; il fut jmssi à Paris un ambassadeur d'Angleterre très remarqué de 1887 à_T891 ; c'est là qu'il devait mourir soudainement le 24 novembre 1891 . Je ne puis retracer ici les multiples événements violents qui marquèrent la vice-royauté de Lord Lytton ; il faut savoir pourtant que l'une de ses principales préoccupations (avec la lutte contre la famine) fut d'assurer la sécurité de la frontière de l'EiTrphxface à r Afghanistan de Yakoub Khan (qu'il contraignit à l'abdication), mais surtout face aux menées russes dans cette région. A cette fin Lord Lytton fit implanter un très important service de renseignements politiques et militaires. O n retrouvera plus tard cet aspect de ses activités qui explique peut-être certains points énigmatiques de l'œuvre de Saint Yves — j e pense en particulier à « LA MISSION DE 49
-
L'INDE ».
Mais ce qu'il faut souligner, c'est que, m ê m e si c'est à tort qu'on a pu confondre Sir Bulwer Lytton et Lord Lytton, son fils, on se trouve en fait ramené à une famille dont les membres sont bien connus pour leur goût pour l'ésotérisme. René G u e n o n m e n t i o n n e i n c i d e m m e n t dans « LE THÉOSOPHISME » l'existence d'un ordre dit « des Frères de Lumière » (Fratres Lucis) qui avait été institué par « un israélite anglais n o m m é Maurice Vidal Portmann, orienta-
4 9 . Sur la carrière de Lord Lytton, on consultera, entre autres le classique « T H E D I C T I O N N A R Y OF N A T I O N A L B I O G R A P H Y », volume X I I , London (Oxford University Press) Reprinted 1 9 6 7 - 1 9 6 8 , p. 3 8 7 sq. Egalement Cynthia Gladwyn : « T H E P A R I S E M B A S S Y », London 1 9 7 6 (Collins) dont je dois communication au « British Council ». Sans multiplier les références, je signale encore Asghar H. Bilgrami : « A F G H A N I S T A N A N D B R I T I S H I N D I A 1 7 9 3 - 1 9 0 7 », New Delhi, 1 9 7 2 (Sterling Publishers. Notamment le chapitre 8 : « L O R D L Y T T O N A N D T H E A F G H A N Q U E S T I O N » ) Toute la littérature indienne de langue anglaise fait évidemment allusion au rôle de Lord Lytton.
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liste et h o m m e politique qui, en 1876, faisait partie de l'entourage de Lord Lytton, alors vice-roi des Indes». Guenon qui, dans les premières éditions de « THÉOSOPHISME » avait d'ailleurs confondu le père et le fils Lytton (mais rectifia rapidement l'erreur) ajoute ces phrases essentielles : « Ce n'est sans doute pas par un simple hasard que ce nom de Lytton se retrouve à chaque instant mêlé à l'histoire de l'occultisme; c'est justement chez une personne appartenant à la même famille qu'Eliphas Levi fit, à Londres, certaine évocation d'Appollonius de Thyane qu'il a décrite dans son ' Dogme et Rituel de Haute Magie ", et dont le but était, paraît-il, la connaissance d'un secret social important. i Tous ces rapprochements sohFsusceptiblês"3'offrir un grand intérêt à ceux qui voudraient étudier les dessous politiques o u politico-religieux de l'occultisme ccïïïïempôrain et des organisations qui s'y rattachent de près ou de loin, d e s s o u s qui sont certainement plus dignes d'attention que tout l'appareil fantasmagorique d o n t o n a j u g é b o n de s ' e n t o u r e r p o u r m i e u x les d i s s i m u l e r a u x y e u x d e s "profanes" . » 5
50. Sur tous ces points il convient de se référer non à la première édition (erronée) de Guenon : « L E T H É O S O P H I S M E , HISTOIRE D ' U N E P S E U D O RELIGION » mais à la réédition augmentée de textes ultérieurs, Paris, 1965 (Editions traditionnelles) pp. 299, 301 et 374. Plusieurs amis érudits que je dois remercier, en particulier M M . René G. et Tourniac Jean m'ont fourni de précieux renseignements sur cette question difficile, en lien avec la fonction exacte de la Societas Rocicruciana in A n g l i a . M. Tourniac, en particulier, m'a confirmé l'importance du rôle joué par certains membres actifs ou honoraires de la SRIA, dans le domaine de l'ésotérisme occidental ou la diffusion des doctrines orientales. Ainsi me cite-t-il le cas de John Yarker (1833-1913), véritable touche-à-tout des rites, parfois considéré soit comme un maçon mystique, soit c o m m e un charlatan, et dont il a pu suivre la trace dans la presque totalité des hauts grades maçonniques britanniques existant ou en voie de développement au xix' siècle, et même peut-être jusque dans la
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Cela étant, on doit convenir que cet aspect du séjour de Saint Yves en Grande-Bretagne demeure énigmatique, m ê m e si on peut supposer que Saint Yves a noué des relations intéressantes. Mais de là à imaginer qu'il a pu être m e m b r e de telle ou telle organisation — à commencer par la « Societas Rosicruciana in Anglia » (qui se trouve au carrefour de beaucoup de choses), il y a un pas qu'on ne saurait franchir; d'autant que jusqu'à la f i n de ses jours ou presque (on le verra en 1903), Saint Yves a toujours affirmé hautement son refus d'entrer dans quelque société secrète que ce soit.
maçonnerie operative de Clément Stretton, pour ne rien dire du rite E.A.A. dont il reçut une douzaine de patentes de 33" de différents suprêmes conseils, du rite de Swedenborg dont il fut, paraît-il, suprême Grand Maître pour l'Angleterre. Aussi M. Jean Tourniac estime-t-il, c o m m e moi, que l'on est fort loin de tout connaître sur les activités de Lord Lytton comme de son père, Bulwer-Lytton, à propos de la diflùsion eri~ occident de certaines traditions orientales ou « légendes » extraeuropéennes et îTâttîrc notre attention sur un autre passage de l'œuvre de R . Guenon, savoir une note du « Roi D U M O N D E » (l'ouvrage où précisément il est question de Saint Yves et de l'Agarttha), chap. VII (« Luz o u LE SÉJOUR D ' I M M O R T A L I T É » ) , ainsi rédigée : « Dans les traditions de certains peuples de l'Amérique du Nord, il est aussi question d'un arbre par lequel des hommes qui vivaient primitivement à l'intérieur de la terre, seraient parvenus à sa surface, tandis que d'autres hommes de la même race seraient demeurés dans le monde souterrain. » Il est vraisemblable que Bulwer-Lytton s'est inspiré de ces traditions dans « L A R A C E F U T U R E » (The Coming Race). U n e nouvelle édition porte le titre : « L A R A C E Q U I N O U S E X T E R M I N E R A » (Note 4, p. 60, Ed. Gallimard, 1958). Monsieur J. Tourniac me confirme enfin qu'à défaut d'appartenance effective à la maçonnerie. Saint Yves d'Alveydre ne pouvait avoir fait partie de la Societas Rosicruciana in A n g l i a , les propositions à l'élection en son sein d'un candidat ne pouvant concerner que des maîtres maçons « subscribing members » de la Grande Loge Unie d'Angleterre ou d'une juridiction maçonnique reconnue par elle ou en lien d'amitié avec elle, et qui « accept and believe in the fundamental principles o f the Trinitarium christian faith ». Je remercie une nouvelle fois M. Tourniac de l'attention qu'il a portée à ces recherches et de ses précisions.
ORAGES.
ERRANCES
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Q u o i qu'il en soit, on doit encore signaler que son goût pour les sciences et techniques occultes, sans doute réel, dès le séjour à Jersey, et dans un milieu très entiché de tous ces mystères, permet à Claire Vautier de l'accuser de s'être livré à de dangereuses expériences de magnétisme. Elle affirme qu'il s'était rendu compte par hasard de l'existence de ses possibilités sur une chienne (Diane) que lui aurait offert Virginie Faure. Elle l'accuse ensuite d'avoir guéri par ce moyen la jeune fille d'un juif allemand (Betty) et d'en avoir profité pour se livrer à toutes sortes d'expériences sur elle. « A partir de cette époque, ajoute-t-elle, Saint Emme accomplit nombre de miracles ; il guérit les malades, retrouve les objets perdus, fit enfin tout ce qui concernait son état de prophète. Sa réputation prit dans l'île une importance colossale, mais elle ne dépassait pas les rives de Jersey et pour cette grande ambition ce terrain était trop petit. » Je dois avouer pourtant que je n'ai pas jusqu'ici retrouvé de témoignages précis sur cette notoriété locale qui aurait été celle de Saint Yves à Jersey. Mais, au passage, Claire Vautier profite de ces allusions au mesmérisme pour accuser Saint Yves d'avoir engrossé la jeune Betty et de l'avoir abandonnée ; elle situe cet épisode vers 1867. Au cours d'une scène tragique, Betty se serait jetée à l'eau, et Diane, la chienne de Saint Yves, l'aurait empêché de plonger pour la sauver; Saint Yves, ayant dû poignarder la chienne, put enfin aller au secours de la jeune femme qui, malheureusement, était déjà morte. Autant il me paraît que certaines notations de Claire Vautier peuvent parfois être utilisées, autant je suis très
51. Claire Vautier, p. 28.
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dubitatif devant son récit fantastique et tout disposé à admettre les dénégations de Saint Yves. N o n seulement ce dernier affirme incidemment que son chien est « m o r t de vieillesse», mais il proteste solennellement de son innocence : « Ai-jc besoin de dire que les grotesques pamphlets par lesquels on essaie d'entraver mes œuvres en donnant le change sur moi et sur les miens ne sont que des romans de chantage. Ils n'ont même pas une ombre de réalité qui puisse motiver leurs imaginations crapuleuses, pas plus dans cette phase de mon existence qu'en aucune autre. C'est ainsi que jamais une femme de ma connaissance ne s'est noyée dans un endroit où je me trouvais et à plus forte raison sous mes yeux. Car, inconnue ou non, juive, chrétienne ou de n'importe quel credo, je l'eusse repêchée d'un bond, malgré La Fontaine . » 32
Cette accusation d'avoir usé et abusé de procédés relevant de l'hypnotisme reviendra à plusieurs reprises dans le roman de Claire Vautier qui prétendra que son héroïne, Marthe Durieux (en fait elle-même), fut soumise à de tels traitements. Je suis convaincu que Saint Yves s'est intéressé vivement à ces phénomènes, c o m m e à tout ce qui concerne les évocations des morts, nous le verrons. Et il est vrai aussi qu'il a dédié des poèmes à celle qu'il appelait « Psyché». Mais cela ne donne, à mes yeux, que plus de prix, à l'ironie lucide que manifeste Saint Yves. « De plus, j'ai eu la malchance de ne pas rencontrer dans ma vie de garçon une seule soi-disant voyante, qui, à l'examen, ne fût pas une farceuse. Il est vrai que, dans ma naïveté d'alors, j'ai appelé Psyché à travers quelques maritornes qui faisaient semblant d'être somnambules ; mais
52.
«LA
F R A N C E V R A I E » , p.
91.
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je n'ai jamais eu d'autres réponses que celle de Gotton et de Margoton . » 53
En définitive, le portrait du jeune Saint Yves à Jersey montre une immense curiosité et un goût profond de la recherche. Il dit refuser tous les dogmatismes, les bigots, « les jésuites et les suppôt^^e_tojjj:£s__les; tyrannies ». N u l doute d'ailleurs qu'il participe pleinement aux rêves scientifiques de l'époque, tout en demeurant tributaire des contradictions entre la science et la religion. Et il me semble qu'il analyse assez bien ses contradictions personnelles dans le passage suivant : « La poésie des cérémonies et la paix_d'âme des gens d'Eglise plaisaient toujours à mon cœin^TEvangile et les Prophètes m'étonnaient, comme dit Jean-Jacques Rousseau ; je faisais toujours ma prière matin et soir avec la foi du charbonnier, et le souvenir de M. de Metz restait devant moi comme le sphinx lumineux de la Charité. En dehors_de_cela, j'étais un petit-fils de Descartes et de Voltaire. Dès que je raisonnais, ma foi ne se tenait plus debout, et je n'y trouvais qu'obscurité complète comme dans les labyrinthes souterrains de l'Egypte. La création faite en six fois vingt-quatre heures, le paradis terrestre, les deux arbres inconnus en botanique, le serpent qui parle, une pomme perdant l'Humanité entière; tout cela me semblait un conte bleu, une lanterne magique pour amuser les petits enfants en attendant l'âge de raison. C'est pourquoi, ne comprenant rien à cette Chute, je ne comprenais pas grand'chose à la Rédemption, en dehors de la divine bonté de Jésus-Christ. Je croyais le JudéoChristianisme sans intellectualité propre, incapable de résister à l'examen. Ma sagesse imberbe me disait : les encyclopédistes ont raison ; mais quel malheur ! et comme j'aimerais mieux la sainte folie judéo-chrétienne, si une
53.
« L A F R A N C E VRAIE » , p.
92.
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raison transcendante m'en démontrait le bien-fondé ! Ainsi pas de principes, pas de méthodes, pas de finalités scientifiquement et rationnellement démontables sur cette Terre, tout au moins, telle est donc ta foi de charbonnier, continuais-je, en me parlant à moi-même. Secouant le découragement profond où ces pensées me jetaient, je me reprochais ma pusillanimité, et de ne point oser briser avec des préjugés. C'est pourquoi j'admirais d'avance l'homme d'un génie audacieux qu'on me disait avoir remplacé tout cela par quelque chose de rationnel. J'avais soif de ce sublime restaurateur de la philosophie religieuse des Grecs et des Romains . » 54
Pourtant, s'il est vrai qu'au cours de toutes ces années Saint Yves travaille beaucoup — et dans toutes sortes de directions — et s'il est probable qu'il accumule les projets et les écrits, il publie peu. Je n'ai jusqu'ici retrouvé qu'une seule plaquette, datée de Noël 1868, qui puisse lui être attribuée avec certitude ; il s'agit de « LA DIANE DES AMES » que j'analyserai dans un prochain chapitre avec toutes les œuvres de jeunesse. Avec la guerre de 1870 et la chute du Second Empire se clôt cette première partie de la vie de Saint Yves, faite de révoltes et de rêves. En 1870, il a 28 ans, il n'a rien, il n'est rien, et le chemin lui paraît décidément bien long.
54.
« L A F R A N C E V R A I E » , pp.
88-89.
C H A P I T R E II
Désespoir, Bonheur
A vrai dire, cette guerre de 1870 ne marque pas par elle-même un tournant dans la vie de Saint Yves et j'eusse aussi bien pu marquer la coupure à un autre m o m e n t , sauf que nous n'avons aucun point de repère marquant dans les années à Jersey ; sauf aussi que le prochain point de repère précis, et correspondant à des faits significatifs sera situé plus tard, en 1877, avec le mariage de notre chercheur. Pourtant la guerre de 1870 est importante aux yeux de Saint Yves lui-même dans la mesure où U~ a j u g é indispensable de répondre vigoureusement à l'accusation de « désertion » portée contre lui. Je le cite une nouvelle fois : « Quand la guerre éclata, j'étais en congé de six mois renouvelable pour l'étranger et renouvelé de nouveau depuis huit jours ; jetais chez moi, en Angleterre, dans la modeste et studieuse indépendance que je m'étais créée péniblement, et qui m'était chère. Légalement, j'eusse été dans mon droit strict en restant en repos, à l'abri de tous les périls, jusqu'à la fin de la guerre ou peu s'en faut; mais j'en serais inévitablement mort de désespoir. C'est pourquoi, en quarante-huit heures, j'avais tout quitté pour prendre le paquebot et courir au drapeau de l'infanterie de marine.
SAINT-YVES D'ALVEYDRE D u 9 s e p t e m b r e au 2 0 n o v e m b r e , j'étais au fort de Bicêtre, à la r e d o u t e des H a u t e s - B r u y è r e s et à toutes les o p é r a t i o n s d o n t ces points o n t été le centre. D u 2 0 n o v e m b r e au 9 d é c e m b r e , j'étais à la r e d o u t e de la Pépinière et à t o u s les e n g a g e m e n t s qui ont eu lieu s o u s s o n feu, la prise de la G a r e - a u x - B œ u f s y c o m p r i s . D u 9 d é c e m b r e au 25, j'étais au plateau d ' A v r o n et à t o u t e s les actions dans lesquelles m a c o m p a g n i e a d o n n é . C'est le m ê m e j o u r m ê m e du b o m b a r d e m e n t d u plateau que j'ai reçu d u V a l - d e - G r â c e m a c o m m i s s i o n d'aide-major de l'armée. Q u e l q u e s j o u r s après j'étais attaché sur m a d e m a n d e aux c o m p a g n i e s de m a r c h e partant p o u r les tranchées d ' A r c u e i l - C a c h a n . C'est p e n d a n t une reconnaissance d e v a n t le fort d'Issy qui brûlait s o u s le b o m b a r d e m e n t des Prussiens d o n t o n craignait l'assaut, que j'ai attrapé m o n h o r i o n . J ' é p a r g n e au lecteur la citation de tous m e s certificats p o u r m e b o r n e r aux d e u x derniers. J'extrais ce qui suit du rapport adressé par m o i le 2 0 j a n v i e r au d o c t e u r Jules W o r m s , c h i r u r g i e n - m a j o r à l'état-major de la garde nationale de la Seine : "Je tiens à v o u s faire remarquer q u e Saint Y v e s a été blessé à la m a i n par u n éclat de projectile p e n d a n t u n service c o m m a n d é . Je suis h e u r e u x q u e m e s n o t e s m e p e r m e t t e n t de d o n n e r ce t é m o i g n a g e à Saint Y v e s d o n t j e n'ai qu'à m e louer s o u s t o u s les r a p p o r t s . " S i g n é : D o c t e u r Alfred G u i l l o n , A n c i e n c h i r u r g i e n - m a j o r a u x c o m p a g n i e s de m a r c h e des 2' et 1 7 1 bataillon Je s o u s s i g n é , certifie les attestations ci-contre et ne puis q u e répéter les é l o g e s qu'elles c o n t i e n n e n t au sujet des services de Saint Y v e s , j'ai eu l ' h o n n e u r d'avoir s o u s m e s ordres ces c o m p a g n i e s dans les différentes sorties qu'elles o n t faites d e v a n t l ' e n n e m i , et j'ai été à m ê m e d'apprécier le zèle et le c o u r a g e de Saint Y v e s , d o n t j'ai d u reste fait m e n t i o n dans m o n rapport à l'état-major. e
S i g n é : E u g . Koller, C h e v a l i e r de la L é g i o n d ' h o n n e u r , e x - c h e f des 2 et 1 7 1 bataillon de m a r c h e e
e
DÉSESPOIR,
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BONHEUR
Suivent les signatures légalisées à la mairie du huitième arrondissement. Ainsi, loin de m'être dérobé à la dette de sang en 1870-71, comme on a eu l'infamie de le dire, je l'ai volontairement acquittée lorsque je pouvais ne pas le faire, légalement parlant. Ainsi, quoique ennemi systématique de la guerre, je ne la redoute pas pour moi, mais pour les autres, et j'ai même eu l'honneur de m'y distinguer très modestement, en méritant d'être signalé dans des ordres du jour et dans des rapports à l'état-major de Paris. On comprendra bien qu'il y a humilité de ma part et non orgueil à relater ce qui précède, tant à cause de mon humble grade que de l'obligation même où je suis de repousser de moi de semblables indignités. Ce n'est pourtant pas à moi qu'elles peuvent faire honte, mais à ceux qui les ont criminellement forgées et à ceux qui les ont répétées avec la plus coupable légèreté. Ces derniers, s'ils sont honnêtes, rougiront de s'être faits les complices d'une infâme calomnie, et ils le regretteront ; quant aux autres, les supposer capables de repentir, c'est leur faire beaucoup d'honneur . » 1
En fait, si j ' a i cité longuement les justifications que présente Saint Yves, c'est une nouvelle fois parce que les Archives militaires ne m ' o n t pas permis, pour l'heure, de restituer la vérité des faits, du moins tels que les a enregistrés l'Administration de l'époque. Mais il faut dire aussi que la période comporte un révélateur terrible pour tous ceux qui l'ont vécue : l'attitude qu'ils ont eue face à la C o m m u n e de Paris, elle-même prototype des massacres dont fut capable la bourgeoisie triomphante de ce moment. Le lecteur comprendra donc que, dans un souci d'objectivité, je laisse la parole à Saint Yves tout en notant qu'il sert dans les rangs des versaillais.
1.
« L A F R A N C E VRAIE » . pp.
46-49.
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
Mais il est vrai que cet épisode, tel qu'il l'a vécu, témoigne aussi de l'émergence de son système d'harmonie sociale, baptisé s y n a r c h i e . Sans doute le récit est-il « arrangé » d'une certaine manière puisque Saint Yves, écrivant en 1887, témoigne de sentiments qu'il éprouvait début 1871, et nul ne peut attester qu'il ne donne pas un accent prémonitoire à une théorie apparue bien plus tard. Mais écrivant près d'un siècle après ce témoignage, que pourrais-je dire? Dès lors, autant rappeler ce que dit Saint Yves sur ses sentiments pendant la C o m m u n e . «La première fois que j'avais exposé mes idées, c'était en 1871, à Versailles, devant quelques compagnons d'armes, pendant qu'au loin Paris brûlait. "Tenez, disais-je, en montrant le poing aux nuées rouges, cet incendie vient du temps d'Etienne Marcel. Notre génie national a su l'éteindre pour plus de cinq cents ans ; mais ce n'est pas Thiers qui l'éteindra à coups de canon, c'est moi avec une loi vraie, juste et bonne pour tous !" Combien de paroles mes certitudes et mon inexpérience de solitaire n'ont-elles pas laissé échapper ainsi, qui ont dû me faire passer pour ce que je n'étais nullement : un orgueilleux et un fou ! Voyant les camarades inquiets à mon sujet, un officier d'artillerie, que j'avais connu à la redoute des HautesBruyères, et qui fut plus tard aide de camp d'un Ministre de la Guerre, vint à mon secours et me dit : "Explique-toi, car je sais que ce n'est pas de toi-même que tu parles, mais d'un système que tu crois presque mathématique." Je ne me le fis point répéter. Je m'expliquai, et quelques voix répondirent : "Il faut absolument publier cela, mais vous aurez bien des gens contre vous ." » 2
Saint Yves, on l'a déjà noté, se trouvait du côté des Versaillais, mais rien ne permet de savoir s'il a effectivement
2.
« L A FRANCE VRAIE»,
pp. 121-122.
DÉSESPOIR,
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participé à la répression de la C o m m u n e ; on notera de plus qu'il met sérieusement en doute les résultats de la politique violente de Thiers s'agissant du règlement des conflits sociaux. C e qui est sûr, c'est qu'il ne se signala pas par des opinions trop subversives puisqu'il put rentrer, probablement en 1872, au Ministère de l'Intérieur, c o m m e employé-auxiliaire au 2" Bureau de la Presse (presse parisienne). Il démissionnera en 1878, après son mariage . Le Service dans lequel il se trouvait, dirigé par un M . Sirouy, se livrait à l'analyse de la presse, activité comparable à celle qu'accomplissent aujourd'hui les renseignements généraux. Saint Yves dit qu'il était saturé de politique, ayant eu l'occasion de suivre la presse parisienne, la presse provinciale et les journaux anglais. Saint Yves, et après lui ses biographes, Barlet et de Masquard, décrit cette période de sa vie c o m m e particulièrement sinistre ; Demetz, son protecteur, meurt, mais aussi sa mère et son frère, emportés tous deux par le cancer. C'est aussi à ce m o m e n t qu'il eut une vie sentimentale quelque peu agitée, ce qui permettra à Claire Vautier quelques échos scandaleux dont au demeurant Saint Yves reconnaît le bien fondé : 3
3. J'ai déjà signalé dans mon premier ouvrage sur « L A S Y N A R C H I E » l'impossibilité où je me suis trouvé de pouvoir consulter le dossier du fonctionnaire Saint Yves qui devrait se trouver aux Archives nationales sous la cote F' b' 279. 1. Il est évident que cette pièce eût fourni un curriculum vitae minimum rapportant au moins les études et la situation militaire de Saint Yves. Ce dossier a pu être prélevé à l'époque de l'occupation par quelque service anti-sociétés secrètes désireux de traquer les synarques ; à moins que ce ne soit à la Libération. Mais contrairement aux usages administratifs, aucune pièce n'indique de communication à un autre service... La date de la démission en 1878 m'a été communiquée par la « Mission des Archives de France au Ministère de l'Intérieur » et peut donc être tenue pour sûre.
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« Mon amour de la vérité m'entraîne à confesser humblement que le sombre vide de ces deuils m'entraîna à l'illusion de demander des consolations à des erreurs de cœurs et de sens. Ce furent autant de déceptions rapides que j'avais eu de deuils foudroyants. J'entrevis, grâce à ces épreuves, certains abîmes de la vie de Paris, et je me rejetai violemment en arrière dans l'austérité bienfaisante dont je n'aurais jamais dû me départir . » 4
Saint Yves se dit alors complètement désespéré et songe m ê m e à entrer chez les trappistes ; peut-être songe-t-il aussi au suicide. D'ailleurs différents poèmes, qu'à peu de temps de là il réunira dans le recueil intitulé «TESTAMENT LYRIQUE», évoquent ses tragédies de cette époque. Plusieurs pièces font allusion au suicide : par exemple le poème « LA SŒUR », dédiée à la Comtesse Georges de Mniszech (qui n'était autre qu'Anna Hanska (1828-1915) mariée à Georges Mniszech (1822-1881)). Saint Yves songe : « A ma vie improductive « A mes vingt ans révolus « A ma sombre tentative « D'être libre en n'étant plus . » 5
4.
5.
«LA
F R A N C E VRAIE»,
« SUICIDE
p.
122.
», p. 86. Un autre poème intitulé » (page 77) est lui-même très explicite. « O charme de la mort ! O calme ! O majesté ! De l'espace et du temps j'atteignais la limite, Je sentis vaguement le vent d'un autre orbite, Et je songeais... Seigneur! c'est dont l'Eternité? Non, le temps me reprend. J'entr'ouvre la paupière, Et trahi par la mort, vendu par le poison, Je vois des médecins rebâtir ma prison Qui demain eût été captive sous la pierre. »
« TESTAMENT
LYRIQUE
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De la m ê m e manière, il évoque très souvent ses drames sentimentaux et met très romantiquement en opposition son goût des femmes et de l'Amour et l'accomplissement d'une haute mission spirituelle. J'en retiendrai un exemple très significatif dans le même recueil ; il s'agit d'un poème intitulé « L'ABSENCE » :
« O mes maîtres, mes divins maîtres, Hermès, Homère, d'Olivet O mes Bardes, ô mes grands prêtres Avec vous mon esprit vivait Dans les surhumaines merveilles ! Hélas ce qui cause mes veilles N'est plus le grand œuvre idéal : L'Amour a vaincu la science, Et j'abdique sous sa puissance l'Art sacerdotal et royal !» 6
Il s'adonne longuement au lyrisme de la séparation, et montre aussi qu'il n'hésitait pas à mêler son rêve de « grand initié » à ses amours, donnant là encore prise aux accusations de Claire Vautier. Ainsi cette strophe : «Je ne vous aime plus » Quoi! celle que j'aimais, Celle qui jurait m'aimer et pour jamais Celle à qui j'ai donné, chère deshéritée La révélation du feu de Prométhée, L'initiation magique des élus, Elle me dit à moi : «je ne vous aime plus ! » 7
Je pourrais évidemment multiplier les exemples. Saint Yves est alors un poète prolixe mais, en fait, ces quelques thèmes suffisent à son portrait moral, à condition d'ajouter un autre trait général : le dégoût profond pour la Société de son temps. 6.
« T E S T A M E N T L Y R I Q U E » , p.
178.
7.
« T E S T A M E N T L Y R I Q U E » , p.
224.
SAINT-YVES
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D'ALVEYDRE
Le chapitre suivant, consacré à l'analyse d'ensemble des œuvres de jeunesse, permettra de voir les différentes expressions que Saint Yves donne à cette révolte et à ces cris de haine. Je n'en retiens qu'un pour l'heure : « Ce n'est plus Paris ; c'est Byzance. Le veau d'Or, seul Dieu de ce temps, Le tient déchu sous la puissance De son temple de charlatans. N'ayez plus peur Prusse et Russie Calmez-vous Alpes et Balkans : Sur Jeanne d'Arc, pâle et transie, Les filles dansent leurs cancans ! Velleda livre à Rigolboche Son gui, sa serpe, ses trépieds Et Paris, vieux Titan, bamboche Avec des grelots d'or aux pieds ! »... 8
. . . e t les strophes se poursuivent sur ce ton néo-hugolien. Saint Yves alors, mettant ses actes en accord avec ses pensées, ne fréquente que peu de gens « deux ou trois salons » sans plus. J'aurai lieu de montrer qu'il ne vivait pourtant pas dans la solitude et chercha m ê m e à ce m o m e n t à se faire des relations de qualité : Alexandre Dumas, le Père Didon, le Docteur Favre, le C o m t e de Chaudordy et quelques autres sur qui j e reviendrai, c o m m e les disciples de Frédéric Le Play. Dans un de ces salons, il allait faire une rencontre décisive. Saint Yves était en effet reçu, à ce que dit Barlet, par le Bibliophile Jacob. Ce pseudonyme cache en réalité Paul Lam)ix_X18Q6-1884) qui est une curieuse figure de l'érudition au x i x siècle. Il est notamment l'éditeur de mémoires historiques — ceux du Cardinal Dubois ou de Marie d'Estrées, entre autres. c
H.
« T r S T A M P . N
I
I Y I H Q l
I
» . p.
4 6 .
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Il fut l'auteur de romans historiques ( 1 8 3 1 : « LE ROI DES RIBAUDS », 1 8 3 6 : « L ' H O M M E AU MASQUE DE FER», 1 8 3 9 : « LA CHAMBRE DES POISONS ») mais il a laissé une œuvre historique considérable bien que souvent anecdoti-
que. O n retiendra n o t a m m e n t : « HISTOIRE DE L'ORFÈVRERIE ET DE LA JOAILLERIE » ( 1 8 5 0 ) , « L A JEUNESSE DE MOLIÈRE» ( 1 8 5 7 ) , « CURIOSITÉS DE L'HISTOIRE DES ARTS, DE L'HISTOIRE DE FRANCE, DE L'HISTOIRE DU VIEUX PARIS » ( 1 8 5 8 ) .
Il était passionné par les mœurs de l'ancienne France et aborda aussi le théâtre. Son salon était un rendez-vous apprécié, à la Bibliothèque de l'Arsenal dont il était conservateur depuis 1 8 5 5 . Son frère Jules Lacroix ( 1 8 0 9 - 1 8 8 7 ) était lui-même h o m m e de lettres ; autëûfcTe romans et de poèmes, il fut s u r t o u t connu c o m m e adaptateur de Shakespeare : «MACBETH»
en
1 8 3 0 , «ŒDIPE ROI»
en
1 8 5 8 , « L E ROI
LEAR» en 1 8 6 8 . Il intervient dans cette histoire dans la mesure où il était l'époux de Caroline Rzewuska ( 1 7 9 5 1 8 8 5 ) qui en était à son troisième mariage, sans compter quelques (multiples) autres liaisons avec des personnages souvent de premier plan. Elle était par ailleurs la sœur aînée de « L'Etrangère » connue dans les lettres françaises sous le n o m de M a d a m e Hanska l'épouse d ' H o n o r é de Balzac. Caroline Lacroix avait une nièce, née Marie Victoire de Riznitch ', qui vivait elle aussi à Paris. Saint Yves lui fut présenté chez Paul Lacroix. La date de cette'rencontre n'est pas précisé mais on peut penser qu'elle intervinLgn 1 8 7 6 . En effet, dans « LA FRANCE VRAIE», lorsque Saint Yves évoque le véritable désespoir qu'il éprouvait à ce m o m e n t et que j ' a i déjà mentionné, il ajoute : 1
9. Selon les auteurs et les actes, ce n o m d'origine Serbe est orthographié Riznitch, Rieznitsch, Riçniç. Je m'en remettrai à l'usage des uns et des autres, tout en préférant la première.
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« Pour la seconde fois la Providence daigna mettre dans ma vie sa bénédiction : la première avait été M. de Metz, la seconde devait être ma femme. U n a n a p r è s , j ' é t a i s m a r i é et la Charité en comblant mon espérance, confirmait trop ma foi pour ne pas me commander des œuvres . » 10
Sachant que le mariage devait avoir lieu en septembre 1877, on peut admettre que la rencontre intervint courant 1876. Tout ceïa~3êvait changer considérablement la vie de Saint Yves, ne fût-ce que par les qualités exceptionnelles de son épouse et par la position de sa famille dans le « gotha » européen. Mais avant de préciser de nombreux points de sa biographie, il me paraît utile de citer ce qu'écrit Claire Vautier à propos de cette rencontre car, en dépit de l'animosité qu'elle manîïFste envers Saint Yves, son témoignage fournit un point de départ intéressant. Je tends m ê m e à penser que sur certains points, l'acuité m ê m e de sa passion la conduit, paradoxalement, à une objectivité assurément particulière, mais « plus vraie que nature » c o m m e on dit familièrement : femme jalouse, elle dit du bien de celle qui est « objectivement » sa rivale. Le fait est assurément digne d'attention : « La Comtesse Marie Hellen (Marie Kellej}._aiors_âgée de quarante-cinq à cinquante ans environ avait conservé, en dépit des années, les restes d'une beauté jugée célèbre à l'époque du dernier empire. Très grande, élancée, le visage un peu amaigri sous le fard qui dissimulait habilement les rides, l'œil noir et profond, rendu plus expressif p.ir l'estompe qui en 1 0 . « L A F R A N C E VRAIE», p. 1 2 4 . Dans un autre passage du même livre p. 3 1 , Saint Yves corrobore indirectement l'hypothèse de la rencontre en 1 8 7 6 , lorsqu'il écrit en 1 8 8 7 : «Je ne parle point des onze dernières années de ma vie qui n'ont aucun mérite à être irréprochables, étant bénies de Dieu par un exceptionnel bonheur... »
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accentuait le dessin, la comtesse Hellen portait haut sa tête héraldique, et imposait à tous par sa grâce fière et souveraine. De violents orages avaient traversé sa vie. Elle avait inspiré de grands amours, de puissantes haines, semé sur sa route de nombreux bienfaits, récolté de noires ingratitudes. Elle s'était mêlée à de hardies entreprises financières et politiques, et avait même joué, dans la dernière guerre de l'Allemagne avec la France, un rôle assez important pour qu'il ne fût pas oublié. Depuis quelques années cependant, la comtesse s'était séparée du monde bruyant et, dans son petit hôtel de la rue Vernet, elle vivait d'une façon relativement obscure, entre ses souvenirs et quelques rares amis. Fatiguée de plaisirs, saturée d'amour et de satisfactions orgueilleuses, cette femme intelligente, avide de sensations nouvelles, cherchait dans l'inconnu, le mystérieux, l'invisible, ce que la vie ne pouvait plus lui donner. Son esprit, tourné vers les sciences occultes, ne rêvait rien moins que la découverte de la pierre philosophale. Ce n'était certes pas un insatiable désir de richesse qui poussait cet être audacieux à la conquête de l'absolu. La comtesse Marie Hellen s'ennuyait et voulait savoir. Voilà tout. Quand on lui présenta Saint-Emme, elle le trouva laid et il lui déplut. Mais après qu'elle eût mieux^tudielesTignes largement tracées de ce visage, lorsque ses yeux, à elle, s'arrêtèrent sur les yeux noirs et singulièrement brillants de notre héros, elle le crut puissant parce qu'il était froid, énigmatique parce qu'il était calculateur, et se sentit saisie par une vive curiosité que leur conversation accrut encore. Saint-Emme était trop clairvoyant pour ne pas juger de suite cet esprit dominateur et cette âme forte. Il comprit aussitôt que la comtesse ne croirait pas à l'homme divin et dédaignerait le prophète. Certes, elle voulait soulever le voile de l'inconnu ; mais ce voyage dans l'ignoré, elle prétendait l'accomplir solidement appuyée au réel et au prouvé, et non sur les ailes fragiles d'un rêve mystique. Aussi Saint-Emme se borna-t-il à l'entretenir des secrets de la kabbale et des sciences hermétiques.
SAINT-YVES D'ALVEYDRE La c o m t e s s e , si éclairée qu'elle fût, n'avait fait q u ' e m b r a s s e r u n e n s e m b l e sans en approfondir les détails. Elle resta é b l o u i e par t o u t ce que s o n interlocuteur lui révéla et surtout par ce qu'il sut lui faire pressentir. —• N o u s n o u s reverrons, d i t - e l l e ; j e suis toujours chez m o i de quatre à six heures. N e l'oubliez pas. Il s'en garda b i e n ; et, d e u x j o u r s après, il se présenta c h e z la c o m t e s s e H e l l e n , à l'heure qu'elle lui avait i n d i q u é e . V ê t u e d'un l o n g p e i g n o i r aux couleurs s o m b r e s , ses c h e v e u x fauves relevés haut p o u r m i e u x d é c o u v r i r s o n beau c o u , dans le d e m i - j o u r s a v a m m e n t c o m b i n é de s o n b o u d o i r , la c o m t e s s e était d'une beauté si frappante que les sens de S a i n t - E m m e en furent v i v e m e n t é m u s . Déjà, le l u x e qu'il v o y a i t répandu autour de lui, ce l u x e d o n t il était avide, avait surexcité s o n i m a g i n a t i o n et éveillé ses appétits. C o n v o i t e r cette f e m m e , se jurer qu'il la posséderait et qu'il entrerait en maître dans cette d e m e u r e o ù il venait aujourd'hui en s i m p l e visiteur, t o u t e s ces p e n s é e s n'eurent q u e la durée d'un éclair qui suffit pourtant à les fixer i r r é v o c a b l e m e n t dans l'audacieuse v o l o n t é de l'aventurier. — Je v o u s attendais plus tôt, dit la c o m t e s s e en se laissant r e t o m b e r sur la chaise o t t o m a n e qu'elle avait quittée p o u r recevoir S a i n t - E m m e . Il s'inclina, disant : — M o n désir m ' y poussait ; m o n respect m'a retenu. C e t t e r é p o n s e plut à la grande d a m e qui reprit a v e c u n a i m a b l e sourire. — Je m e suis affranchie des lois du m o n d e . Je lui ai d o n n é t o u t e s m e s années de j e u n e s s e ; j'ai m a i n t e n a n t acquis le triste droit de v i v r e à m a guise. Il v o u l u t p r o t e s t e r ; elle l'arrêta d'un geste. — Pas de banalités entre n o u s , cher maître ; e n s e i g n e z m o i p l u t ô t , j'ai s o i f d'apprendre. — A i n s i v o u s la c r o y e z possible la réalisation de cette g r a n d e c h i m è r e que l'on appelle l'absolu ? — M a d a m e , dit S a i n t - E m m e , j e pourrais m e c o n t e n t e r d e v o u s r é p o n d r e que, depuis H e r m è s j u s q u ' à C a g l i o s t r o , e n passant dans l'antiquité arabe par Géber, Al Faraby, A v i c e n n e , Paracelse, et plus tard R o g e r B a c o n en A n g l e -
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terre, T h o m a s d ' A q u i n en Italie, R a y m o n d Lulle en E s p a g n e , tous les savants alchimistes o n t affirmé la pierre p h i l o s o p h a l e , et que Spinoza et Leibnitz y croyaient fermement. — O u i , ils y croyaient ; j ' e n suis certaine a v e c v o u s ; m a i s s'ils l'ont cherchée, ils ne l'ont pas t r o u v é e , et la réalisation, m o n s i e u r , la réalisation ! s'écria la c o m t e s s e avec vivacité. — Veuillez m ' é c o u t e r m a d a m e , reprit S a i n t - E m m e , et c o n s e r v e r tout v o t r e c a l m e . Je v o u s disais t o u t à l'heure que j e pourrais m e borner à v o u s citer tant de n o m s j u s t e m e n t célèbres, p o u r v o u s p r o u v e r que n o n s e u l e m e n t la science h e r m é t i q u e n'est pas une c h i m è r e , mais qu'elle est la base f o n d a m e n t a l e de tout ce qui existe de créé o u d'incréé, la s c i e n c e m è r e de t o u t e s les autres sciences, en u n m o t l'essence de la P e n s é e Créatrice se manifestant par la v o l o n t é . C e p e n d a n t , à v o u s , m a d a m e , qui v o u l e z et qui d e v e z savoir (il appuya f o r t e m e n t sur ces derniers m o t s ) , j'affirme q u e la d é c o u v e r t e de la t r a n s m u t a t i o n des m é t a u x n'est plus à faire, q u e les t e m p l e s anciens en avaient le secret et q u e . . . — M a i s , i n t e r r o m p i t la c o m t e s s e incapable de se contenir, s'il existe ce secret, qui le p o s s è d e ? et s'il est perdu, qui le retrouvera ? — M o i , r é p o n d i t S a i n t - E m m e a v e c u n e assurance si g r a v e , q u ' u n grand frisson secoua le corps de la c o m t e s s e Hellen. — Il y a q u i n z e ans, reprit S a i n t - E m m e , ce que l'être v u l g a i r e appelle le hasard, et q u e l'initié n o m m e le destin, la g r a n d e Loi enfin, m e m i t en présence d'un vieillard, d'un être divin. S o n n o m appartient au t e m p s et il ne m'est pas p e r m i s de le révéler. J'ai reçu d e lui la s u p r ê m e initiation. Par la science intégrale d o n t il a i l l u m i n é m o n â m e , la m o r t et la vie n'ont plus de secrets p o u r m o i . — A h ! s'écria la c o m t e s s e , j e d o i s v o u s prévenir q u e j e n ' a d m e t s le m y s t é r i e u x et le surnaturel que c o m m e une science e n c o r e i g n o r é e o u t o m b é e dans l'oubli, mais accessible à toutes les intelligences réfléchies et p o s s é d a n t
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE u n e s o m m e d'érudition suffisante p o u r rechercher et comprendre l'inconnu. Q u e l q u e s p e r s o n n e s v e u l e n t voir en v o u s u n être privilégié extraordinaire, n'ayant de l ' h u m a i n q u e la f o r m e , m a i s d o m i n a n t la vie et n'en subissant pas les lois. R é p o n d e z , m o n s i e u r ; q u ' y a-t-il de vrai dans t o u t ceci ? Je n e v o u s cache pas q u e j e suis très incrédule. — M o ï s e et Jésus furent des h o m m e s , dit S a i n t - E m m e a v e c u n sourire. Et, v o y a n t u n e o m b r e passer sur le front de la c o m t e s s e il s'empressa d'ajouter : — T o u t être qui, franchissant les d o m a i n e s de l'habituel, apporte dans u n e société des é l é m e n t s n o u v e a u x d e science et de p r o g r è s , peut et doit être c o n s i d é r é a u t r e m e n t que les autres h o m m e s . Il s'appellera p r o p h è t e • dans le J u d é o - C h r i s t i a n i s m e , de m ê m e qu'il devenait d e m i - d i e u parmi les anciens. A n o t r e é p o q u e , il est p r o b a b l e q u ' o n le traitera de fou ; m a i s q u e lui i m p o r t e , si s o n œ u v r e d e m e u r e ! La v i e de Jésus et s o n martyre o n t été sa m a n i f e s t a t i o n visible, m a i s il fallait que les v o i l e s du t e m p l e \ se déchirassent p o u r que l'esprit et le règne de l ' H o m m e D i e u fussent établis sur la terre. — Je hais le m y s t i c i s m e , dit la c o m t e s s e ; la vérité est nue. — Et c'est p o u r q u o i elle se d é r o b e ! O h ! m a d a m e , a d m i r e z plutôt la sagesse de l'antiquité cachant s o u s u n triple v o i l e la terrible et m y s t é r i e u s e Isis, et p r o s t e r n e z - v o u s aux portes de s o n t e m p l e . — Il n'existe plus, dit la c o m t e s s e ; l ' h o m m e , qui v o u l a i t savoir, s'armant de la Justice, a détruit l'édifice o ù la vérité était prisonnière. — M a i s elle y est d e m e u r é e , m a d a m e , écrasée s o u s les ruines de l'autel d e v e n u s o n t o m b e a u . — E n l'y cherchant, p e u t - o n d o n c l'y t r o u v e r e n c o r e ? — Certes ; et c'est à q u o i j e v o u s c o n v i e . D ' â g e en âge, d e g é n é r a t i o n en g é n é r a t i o n , les secrets d u passé o n t été transmis à q u e l q u e s êtres choisis et privilégiés. A p r è s celui qui fut m o n maître, j e suis d é s o r m a i s sur la terre le seul dépositaire de la tradition. — A v e z - v o u s d o n c le droit de m e la révéler ? observa
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la c o m t e s s e avec u n fin sourire. Sans cloute, l'antiquité appelait la f e m m e au sacerdoce, m a i s elle lui refusait l'initiation s u p r ê m e . — Et c'est cette e x c l u s i o n , s o n u n i q u e erreur, qui fut la cause de s o n a n é a n t i s s e m e n t , s'écria S a i n t - E m m e . Car, de m ê m e que l'esprit universel t r o u v e sa m a n i f e s t a t i o n dans la nature naturante, de m ê m e l ' h o m m e livré à ses seules forces reste i n c o m p l e t , tant que la f e m m e ne s'est pas unie à lui par le lien i n d i s s o l u b l e du divin et de l ' h u m a i n . — M a d a m e , reprit le p r o p h è t e avec force, les premiers d e g r é s de l'initiation s o n t la science et la v o l o n t é , le t r o i s i è m e , c'est l ' a m o u r , et cette f e m m e , sans laquelle m o n œ u v r e et m a force restent i n f é c o n d e s , cette f e m m e , Marie, c'est v o u s . La c o m t e s s e se leva t o u t e droite, fixant sur S a i n t - E m m e ce regard i m p é r i e u x qui avait s u b j u g u é tant de fiers esprits, fait courber des têtes c o u r o n n é e s , mais d o n t le c h o c i m p r é v u n e fit pas m ê m e tressaillir l ' i m p o s t e u r . Leurs y e u x se fouillèrent, l u m i n e u x , implacables ; q u a n d ils se détournèrent, ces d e u x êtres s'étaient m e s u r é s , l'un était fort, l'autre était grand ; celui-là fut v a i n c u . A v e c u n g e s t e plein de majesté, la c o m t e s s e Marie tendit sa m a i n à S a i n t - E m m e . — Je crois f e r m e m e n t , dit-elle d'une v o i x é m u e , que l o r s q u ' u n e f e m m e c o m m e m o i rencontre u n h o m m e c o m m e v o u s , c'est q u ' u n p o u v o i r supérieur a v o u l u qu'il en fût ainsi. J'accepte l'arrêt d u d e s t i n ; m a i s j'ai b e s o i n de m e reconnaître. L a i s s e z - m o i seule. Je v o u s écrirai q u a n d il faudra revenir. Il s'inclina sur la belle m a i n qui s'offrait à lui et la baisa ardemment. A u seuil de la porte il se retourna : — Science, v o l o n t é , a m o u r , dit-il d'un s o n de v o i x profond. La lourde portière r e t o m b a sur lui, et la c o m t e s s e resta seule. — A m o u r , répéta-t-elle ; et, par u n m o u v e m e n t inquiet elle se tourna vers l'une des glaces de s o n b o u d o i r : — A h ! le t e m p s , le t e m p s ! reprit-elle a v e c une
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expression d'amertume qu'effaça bientôt un sourire confiant. Son cœur n'avait-il pas l'éternelle jeunesse ? Quelques jours se passèrent pendant lesquels SaintEmme eut le loisir de tracer tous ses plans d'avenir, mais qui lui semblèrent mortellement longs. Un matin enfin, on lui remit une lettre scellée d'un cachet armorié. Le cœur de notre héros battait violemment en parcourant des yeux ce billet dont l'écriture nettement accusée décelait le caractère viril de la personne qui l'avait tracé. — Je m'absente de Paris pour quelque temps, disait la lettre, je vous préviendrai de mon retour. La comtesse signait : Marie Hellen. C'était tout. — Fuirait-elle ? pensa Saint-Emme. Et il eut un mouvement de rage. -— Elle aura peur ; ou bien elle doute. Je me suis peut-être trop hâté ! Que faire maintenant, et comment savoir ? Soudain, son regard s'alluma : — En vérité, murmura-t-il j'étais fou de ne pas y avoir pensé plus tôt. — Ma belle comtesse, vous êtes vaincue d'avance. Ce fut ce soir-là qu'il alla chez Marthe". » Il est évident que le portrait moral que veut tracer Claire Vautier demeure très partial ; mais il est vrai aussi qu'il est très difficile de restituer l'original. La véritable « Comtesse Marie Hellen » était née Marie Victoire de Riznitch, le 24 décembre 1827, à Odessa. Son p è r e j e a n était lé « descendant d'une famille d'armateurs Serbes établis à Trieste et prodigieusement riches. Ricnicz, très instruit, très distingué, était un homme de grande valeur. Il sut mériter 11.
«MONSIEUR
LE M A R Q U I S » ,
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l'estime de Napoléon à qui il fut probablement présenté en Italie. Il emmena aussitôt après leur mariage sa jeune femme sur les bords de l'Adriatique où il possédait un magnifique château. Les grâces et les charmantes qualités de Pauline furent vivement admirées par Caroline Murât qui vivait alors à Trieste et qui recherchait sa société. C'est la perte de leur fortune, occasionnée par le non-paiement des fournitures livrées au gouvernement russe qui ramena Pauline à Hopczyca, le village qui lui revenait en dot. Elle se souvint alors des préceptes de sa mère et fit preuve d'une véritable grandeur d'âme, en s'adaptant aux nouvelles circonstances. Elle se voua entièrement à l'éducation de ses enfants et entoura des soins les plus tendres son mari, édifiant par sa conduite ceux qui l'avaient connue, même cette mauvaise langue de Bobrowski ce qui n'est pas peu dire . » 12
Cette Pauline, mère de Marie Victoire est donc la plus jeune sœur cTËvejyne Rzewuska, plus tard Madame Hanska, puis Madame Honoré de Balzac ; cela conduit à mieux comprendre l'importance de cette famille dans l'aristocratie russo-polonaise et européenne. Alors se trouve à sa tête le châtelain de Pokrebyszeze, Adam Laurent Rzewuski, orateur de tout premier plan au service de la cause de la noblesse polonaise. Il faut dire que la famille est des plus anciennes ; d'après un de ses descendants actuels : « Elle avait pris ses racines dans la région du Podlavie (en français : sous bois) située au centre du territoire composé par l'actuelle Pologne, dont la ville de Rzew qui s'y trouve serait à l'origine de notre nom. à moins qu'elle 12. Ces renseignements et de nombreux autres dans les pages suivantes sont empruntés à l'ouvrage remarquable de Sophie de Korwin-Piotrowska : « B A L Z A C ET LE M O N D E S L A V E — M A D A M E H A N S K A ET L ' Œ U V R E B A L Z A C I E N N E » , Paris, 1933 (Librairie Ancienne Honoré Champion), ici p. 86 Le Tadeusz Bobrowski cité in fine est l'auteur de « M É M O I R E » paru à Lwof en 1900.
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n'ait reçu le sien du nôtre. Ces origines appartiennent probablement à la légende ainsi que celles selon lesquelles nous descendrions d'un certain Leckus, qui fut le dernier duc de la tribu encore païenne des Jadzwingues au • vnr' siècle. Puis notre nom reparaîtrait, dit-on au XII siècle avec un évêque de Plock, qui fut un Rzewuski. L'histoire authentique des Rzewuski ne commence qu'avec le xvr' siècle et notre nom sera porté continuelle' ment par des personnalités militaires et politiques jusqu'au dernier partage de la Pologne sous son dernier roi, Stanislas Auguste Poniatowski. Mais depuis un certain Paul Rzewuski au xvf' siècle, l'histoire de notre famille a été aussi intimement liée à celle de l'Ukraine et le château principal de ma famille était situé dans le Duché de Kiev . » e
13
O n trouvera chez cet auteur, c o m m e chez Sophie de Korwin-Piotrowska, de n o m b r e u x éléments sur les ancêtres prestigieux de toute la famille. J'en resterai ici plus particulièrement à la période qui nous occupe, qui est d'ailleurs chargée en personnages notables quand ce n'est pas remarquables. U n des fils du C o m t e Adam-Laurent, Henri, est lui-même un personnage important de l'histoire des lettres polonaises. Sophie de Korwin-Piotrowska rapporte que « C'est Adam Mickiewicz qui, au cours d'un séjour qu'ils firent ensemble à Rome en 1832, découvrit dans la conversation de son ami de tels dons de narrateur et de peintre qu'il lui fit promettre d'écrire tout cela pour devenir le meilleur des écrivains polonais. C'est donc à Mickiewicz que nous devons des chefs-d'œuvre tels que les délicieux 13. Cf. Alex Ceslas Rzewuski. O.P. : «A TRAVERS L'INVISIBLE C O N F E S S I O N S D ' U N D O M I N I C A I N » , Paris, 1 9 7 6 , Librairie Pion, p. 107. Je dois remercier l'auteur de ce livre par ailleurs fort intéressant, qui m'a fourni des précisions utiles bien qu'il ait perdu de vue depuis longtemps la lignée russe de sa famille. CRISTAL
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Souvenirs de Severin Soplica, échanson de Parnawa, parus en 1 8 3 7 , en novembre, qui devait faire de Rzewuski le créateur du roman historique en Pologne ou — comme le disait Balzac lui-même — le "Walter Scott polonais". Quant à ses Miscellanées, bien qu'elles aient soulevé en Pologne, au moment où elles parurent, une tempête d'indignation, nous y trouvons actuellement à côté de peintures âpres et profondes qui font songer à Molière et à La Bruyère, de savoureuses caricatures qui rappellent les albums de Daumier et de Gavarni. »> Deux autres frères, Adam et Ernest, étaient, paraît-il, des esprits remarquables d'intelligence et firent carrière dans les armes. • Les quatre filles de la famille étaient toutes des femmes distinguées à tous points de vue, si l'on en croit les témoins. « Quant aux filles, écrit Sophie de Korwin-Piotrowska, la nature s'est montrée à leur endroit véritablement généreuse, car avec les plus brillantes qualités physiques, elle leur a prodigué les dons les plus remarquables d'intelligence. S. Wasylewski écrit d'elles : "Les dames de la famille Rzewuski subjuguaient régulièrement ceux qui les approchaient par une certaine beauté qui appartenait à elles seules et par une froide splendeur de l'intelligence, par un esprit qui évoquait infailliblement le froid scintillement des stalactites " . » H
Aline était pour sa part une excellente musicienne c o m m e d'ailleurs d'autres membres de sa famille. Caroline, qui fut donc successivement Madame Sobanska puis Madame Cyrkowicz (ou Tchirkovitch) puis Madame Jules Lacroix, traîna toujours à sa suite une foule d'admirateurs : elle fut la maîtresse du grand poète polonais Mikiewicz et, dit-on, faillit épouser, entre autres, le critique Sainte-Beuve. 14. Sophie de Korwin-Piotrowska, o p . cit., pp. 35-36.
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La carrière d'Eveline de Balzac est pour sa part bien connue . Enfin Pauline est décrite par Bobrowski c o m m e 15
« Aimable, intelligente, spirituelle, très versée dans les questions de politique étrangère (et) a une conversation incomparable. » Telle était donc l'ascendance de Marie Victoire, fille de Jean de Riznitch et de Pauline Rzewuska. Elle avait une sœur qui par la suite épousera u n gentilhomme polonais, Ciechanowieski, et j'aurai lieu d ' y revenir à propos d'un apparentement curieux. Pour sa part, elle épousa, à une date que j e n'ai_pas retrouvée, le C o m t e Edouard Fédorovitch Keller . C e dernier qui descendait d'un Ministre plénipotentiaire de Frédéric le Grand à la Cour de Catherine II, avait pour mère la Comtesse de Borch, de la famille des fameux « Porte Glaive », propriétaire d'immenses domaines dans les régions de Vitebsk et de Minsk. En 1846, date de la naissance de sa fille aînée, il était vice-gouverneur de Kieff ; quatre ans plus tard, il était à Riga le bras droit du Prince Louvaroff, gouverneur général de Livonie, Courlande et Esthonie. A son décès, en 1903, il a rang de Sénateur, Chambellan de la cour Impériale et Conseil Privé ^3e sa majesté le Tsar. U n e belle situation. 16
15. Il existe beaucoup d'ouvrages de balzaciens éminents qui évoquent 1'« étrangère » ; l'un des plus accessibles demeure évidemment celui d'André Maurois : « P R O M É T H É E O U LA VIE D E B A L Z A C » , Paris, 1965 (Hachette). 16. Les usages varient sur le point de savoir si ce nom doit ou comporter la particule « de ». Beaucoup d'aristocrates russes séjournant en Europe occidentale l'adoptaient, en quelque sorte pour manifester leur qualité aristocratique. En fait les familles russes nobles ne l'employaient que rarement, puisqu'en Russie les noms nobles ne proviennent pas de propriétés comme c'est le cas en France ou en Allemagne (voir ce point Henri Rollin : « L ' A P O C A L Y P S E D E N O T R E T E M P S » , p. 298).
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Pourtant, Marie Victoire, Comtesse Keller, divorcera en 1876 ainsi que l'indiquent les Almanachs de la noBTesse russe. Et elle paraît avoir été séparée de son époux depuis plusieurs années ; en effet, l'acte notarié, dresséTe 1 3 avril 1873, par Maîtres Thomas et Cottin, par lequel elle fit l'acquisition d'un hôtel particulier près de l'Etoile indique que le C o m t e Keller habite Saint-Pétersbourg, alors que son épouse habite à Paris « rue de la Ferme des Mathurins, n u m é r o un » . Néanmoins de cette union étaient nés quatre enfants dont il convient de dire quelques m o t s , d ' a u t a n t que plusieurs d'entre eux peuvent avoir j o u é un rôle dans l'histoire des archives disparues de Saint Yves. L'aînée, la Comtesse Marie Edouardovna était donc née le 15 aoûtT846~a Kiew, pendant le sous-gouvernorat de son père ; elle eut pour parrain le général Bibikoff. Elle a laissé des souvenirs dignes d'attention publiés sous le titre « MÉMOIRES D'UN MONDE ENGLOUTI » et qui contiennent des documents intéressants sur certains groupements politiques ultra réactionnaires, tels que la Sainte Ligue ou Sainte Droujine . En 1873, âgée de 27 ans, elle avait quitté la C o u r pour épouser le C o m t e Nicolas Kleinmichel et le suivre dans ses commandements militaires. En 1877, il fut n o m m é à la tête d'une brigade mais m o u r u t peu après. Pourtant de cette union naquit au moins une fille, 01ga_gui, par la suite, épousera le Baron Modeste Nicolaevitch de Korff. U n intéressant portrait a été dressé d'elle par Juliette Adam qui joua à la tête de la «NOUVELLE REVUE», mais aussi dans 17
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17. Ces précisions figurent dans la transcription de l'acte aux Hypothèques de Versailles, dont les pièces anciennes sont actuellement archivées à la Conservation des Hypothèques de Meaux. 18. Comtesse Kleinmichel : « S O U V E N I R S D ' U N M O N D E E N G L O U T I » , Paris, 1 9 2 7 , Calman-Lévy. Henri Rollin, op. cit., analyse p. 3 8 9 ce qu'elle dit des lignes russes. 1 9 . Henri Rollin, op. cit., p. 2 9 9 .
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différents cénacles, un rôle intellectuel et politique important à la fin du xix siècle. En 1886, en effet, cette dernière publia sous le pseudonyme de « C o m t e Vassili » un ouvrage intéressant qui fit scandale en Russie ; très documenté sur la Société russe, il donnait, dit Henri Rollin, « des principaux membres de la famille impériale et des personnages de la Cour, des portraits dont l'exactitude m ê m e devrait soulever de violentes colères ». Il ajoute que les diplomates étrangers s'y référaient souvent dans leurs rapports à leurs gouvernements. O r le C o m t e Vassili trace un portrait attachant de la Comtesse JCleinmichel. 1
« La Comtesse Kleinmichel est, pour ainsi dire, la sosie de Madame Nélidow, du salon de laquelle son salon ne se distingue que par le nombre de diplomates qui le fréquentent. La comtesse, étant veuve, n'a personne à consulter quant au choix des gens qu'elle reçoit, et comme elle pousse l'amour de la politique jusqu'à la passion, elle attire dans sa maison tous ceux qui s'y intéressent avec elle. C'est une petite femme à l'œil interrogateur, qui furette dans les actions et la conscience de son prochain, avec une habileté incroyable. Elle connaît tout le monde, est bien avec tous les personnages importants deTËurope, a allumé sa cigarette à celle de tous les ministres et ambassadeurs de la terre. Remplie d'esprit, amusante au possible, jadis très jolie, ayant les manières tapageuses d'un collégien en vacances et la prudence d'un homme d'Etat, elle est une précieuse ressource pour tous ceux qui la connaissent. Sa maison n'est pas précisément un centre politique, mais elle rappelle, sous certains rapports, la chancellerie d'un ministère. Je l'ai toujours beaucoup admirée, car je la trouve l'un des types les plus intéressants et les plus curieux que j'aie jamais rencontrés. Elle m'a été extrêmement utile à cause des personnes qui la fréquentent, personnes parmi lesquelles plusieurs qu'il ne m'eût pas été possible de voir ailleurs. Pour un diplomate, la comtesse Klemmichel serait
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une femme idéale ; car son esprit d'observation atteint un degré d'intensité extraordinaire. J'ai toujours regretté de voir cette intelligence supérieure s'user dans l'inaction ; je crois qu'elle-même est de mon avis ; je la soupçonne d'être tout aussi bien informée quant à sa valeur personnelle, qu'elle l'est au sujet des événements qui agitent le monde. Madame Kleinmichel est une_j3Cjrsorine qui^ n'a plus d'illusions. L'ambition, la soif de dominer sont aujourd'hui les seules passions qui puissent la séduire encore. Elle est responsable de tout ce qu'elle a fait dans sa vie, careJieJIa fait sciemment, froidement. Ce n'est pas une âme susceptible d'être égarée par l'entraînement. A Pétersbourg, elle recherche peu les femmes qui ne la fréquentent guère, en quoi elles ont tort selon moi. La comtesse Kleinmichel est l'un de ces esprits qui peuvent toujours être un enseignement pour les autres . » 2U
Cette femme assurément remarquable paraît s'être définitivement installée en Francej elle mourut à Paris le 19 novembre 1931 et fut inhumée à VersaiilelTalleüirpaTTiersa mère, de son beau-père et d'un de ses frères. Sa sœur, la Comtesse Jeanne Sophie Edouardovna, née en 1849, a laissé beaucoup moins de tracesTaGHmcïïnént du décès de sa mère en 1895, le faire-part indique qu'elle est « Demoiselle d'honneur _de_ S. A.L^ Madame la Grande Duchesse Constantin de Russie». Par ailleurs, on la retrouvera, en 1909, légataire universelle de Saint Yves, avec la qualité de « Grande Maîtresse de la C o u r de son Altesse Impériale, Madame la Grande Duchesse Alexandra i Jossifowna». C'est sans doute beaucoup, du moins en dignité, mais historiquement c'est bien peu. Le troisième enfant naquit rapidement après, en 1850. Il s'agit du C o m t e Théodore Edouardovitch qui devint militaire ; devenu lieutenant Général, il commanda le 2 corps d'armée de Sibérie. Il épousera la Princesse Marie e
20. Comte Paul Vassili, « L A S O C I É T É Paris, 1886 (Nouvelle Revue), pp. 224-225.
DE
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Alexandrovna Shahowskoy, et sera tué à l'ennemi en 1904 à Janzelin. Le dernier enfant, né en 1859, est le C o m t e Alexandre EdouardoYitch ; il fut Chambellan de la C o u r imperiale" et Secrétaire d'Etat, et m o u r u t à Paris Te 3 novembre 1938. Il est inhumé à Versailles auprès de sa sœur, la Comtesse Kleinmichel. Ce bref panorama de l'ascendance et de la descendance de Marie Victoire de Riznitch situe bien la classe sociale, voire la caste aristocratique à laquelle elle appartenait. Mais il reste beaucoup à dire et à découvrir sur les grandes passions qu'elle aurait inspirées, c o m m e sur son rôle politique réel auquel on a fait allusion, et qui aurait tenu à lune liaison avec un souverain. U n e fois encore nous retrouvons certaines allégations sous la plume de Claire Vautier mais elle est loin d'être la seule à en parler. A propos de la fortune de la nouvelle Madame Saint Yves, elle écrit 21
« Qu'elle se composait plus particulièrement de rentes de services à la Comtesse en remerciements des services politiques qu'elle avait rendus autrefois. L'une assez importante, était un,joyal_souvenir que la grande dame craignait de perdre alors que son mariage viendrait à se connaître . » 22
U n e nouvelle fois, ce témoignage qui, par ailleurs, veut accabler Saint Yves (on dit qu'il est déçu par le fait que la 21. Beaucoup de précisions de premier ordre m'ont été amicalement fournies par M. Serge Theakston, pour qui le « Gotha » russe n'avait pas de secrets. Une bonne synthèse de cette famille, mais évidemment difficile à exploiter est fournie par le faire-part de décès de la Marquise d'Alveydre qui a été reproduit par Philippe Encausse, dans « L E M A Î T R E P H I L I P P E D E L Y O N », Paris, 1973 (Villain Belhomme), pp. 368-369. 22. Claire Vautier : « M O N S I E U R LE M A R Q U I S », p. 196.
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fortune de Marie Victoire n'est pas à la hauteur de ce qu'il espérait) peut être pris en considération en ce qui concerne son épouse. De quel royal présent pouvait-elle bénéficier? Il faut attendre 1910 pour que deux auteurs émettent deux thèses résolument contradictoires, l'un étant un adversaire, l'autre un disciple de Saint Yves. Le premier, l'Abbé Emmanuel Barbier (1851-1924) , écrit dans ses « INFILTRATIONS MAÇONNIQUES DANSLEGLISE » que Saint Yves « avait épousé la yguyg_ morganatique d'Alexandre II ». Cette assertion a été reprise sans vérification par un grand n o m b r e d'auteurs, et cela j u g e leurs méthodes. Cette thèse n'a pourtant aucune consistance. Alexandre II a été assassiné I é î 3 mâfsTcîSl, soit quatre ans après le mariage de Marie Victoire avec Saint Yves. C o m m e n t eût-elle été veuve d'Alexandre II ? Et si elle avait été à un m o m e n t ou à un autre liée avec ce souverain, comment eût-elle pu néanmoins l'épouser tout en étant mariée soit avec le C o m t e Keller, soit avec Saint Yves ? L'allégation de l'Abbé Barbier n'est donc qu'un enjolivement de la réalité appuyé sur une confusion : Alexandre II eut bien une épouse morganatique mais ce fut Iekaterina Mikhaïlovna Dolgorouka (1848-1922) qui devint Princesse Yourewska pour la circonstance. 23
23. L'abbé Barbier qui fut jésuite, comme Barruel son devancier dans le délire antimaçonnique, quitta la compagnie et fut recteur de divers collèges et aumônier général de l'ACJF. Il se distingua surtout par la violence de ses attaques contre tout « modernisme » et allait débusquer l'hérésie partout même là où elle n'était pas. Il fut également une des personnalités importantes de la Société secrète catholique dénommée « La Sapinière». On peut consulter principalement l'œuvre remarquable d'Emile Poulat : « I N T E G R I S M E ET C A T H O L I C I S M E INTÉGRAL » ainsi que mon « O P U S D E I ET LES SOCIÉTÉS SECRÈTES C A T H O L I Q U E S » , Paris, 1973 (Cal. Grasset). Les « I N F I L T R A T I O N S M A Ç O N N I Q U E S D A N S L'EGLISE» ont été publiées en 1910 par Desclée de Brouwer. L'assertion concernant Saint Yves se trouve page 135.
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La m ê m e année 1910, le témoignage de Barlet est très allusif ; commentant la rencontre de SainTYves avec "Marie Victoire, il écrit qu'elle « Subit d'autant plus vivement l'attrait de cette âme élevée et poétique qu'elle-même, douée d'une intelligence supérieure, avait pénétré bien des_mystères recueilli dans les pays du Nord bien~3es_secrets précieux, appris, même auprès des trônes les plus élevés, à connaître les dessous de cette politique que Saint Yves rêvait de purifier et de ~ rénover". » t
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Barlet se borne à évoquer « les pays du N o r d » ; quelques années plus tard, un auteur anonyme, paraissant bien documenté, encore qu'écrivant dans une revue particulièrement suspecte, « LES DOCUMENTS M A Ç O N NIQUES » va dans la m ê m e direction : les pays du N o r d , mais sans faire allusion à une liaison royale ; Saint Yves, après son mariage « Fait avec sa femme un voyage circulaire en Europe et est reçu à la Cour de Danemark où la reine, née princesse de »Hesse,les accueille. On appelle celle-ci la "grand'mère de l'Europe" parce que sa nombreuse progéniture est bien mariée. Une fille a épousé l'empereur Alexandre III de Russie, une autre le roi Othon de Grèce, une autre encore le Prince de Galles, le futur Edouard V I I . Elle invitera souvent le jeune ménage. C'est jjarja Cour de Danemark et, dans une certaine mesure, _par ^elle de Russie que Saint Yves pénétrera dans la haute société internationale . » 25
24. Barlet, op. cit., page 23. 25. « L E S D O C U M E N T S M A Ç O N N I Q U E S » n° 5, février 1944, p. 129, ( « S A I N T Y V E S D ' A L V E Y D R E A N C Ê T R E D E LA S Y N A R C H I E » ) .
Le n" 7 d'avril comportait un article relativement bien documenté sur » (l'auteur est un des rares à comprendre l'importance d'un document tel que « LE S C H É M A D E L ' A R C H É T Y P E S O C I A L » dans cette affaire). « L A SYNARCHIE
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Malheureusement, l'auteur de ces lignes n'indique aucune source, et il faut donc demeurer dans l'incertitude. Mais, faute de preuves décisives, on peut nourrir une intime conviction à partir d'indices précis ; je pense en avoir trouvé un dans le poème qui sert de dédicace à la tragédie « LE MYSTÈRE DU PROGRÈS » et qui est daté de Noël 1 8 7 7 , pour l'anniversaire de Marie Victoire. Dans ce poème très emphatique, Saint Yves exalte son amour pour elle ; j ' e n cite trois strophes (il en compte neuf) « Comme toi l'oeil fixé sur un but surhumain Je me sentais mourir, quand Dieu me prit la main Amour suprême, hymen splendide ! Au soleil de nos cœurs tout s'éclaira soudain Le chemin de la croix conduisait à l'Eden, Le désert à la thébaïde ! Ah sois glorifiée et bénie à jamais! C'est toi que je cherchais aux deux, toi que j'aimais! C'est pour toi que dès cette vie, Au fond de ma pensée et de ma passion, J'abritais en priant le céleste rayon Qui te chérissant, t'a ravie ! Pour moi tu refusas jusqu'à la... Et des rivaux^aToux de ma félicité Taxent ton hymen de folie ; Mais dans leur faux amour et leur fausse amitié La sagesse de Dieu regarde avec pitié Et nous dit : c'est moi qui vous lie ! » 26
Philippe Encausse dans son « P A P U S » (p. 317) a émis l'hypothèse que cet article a été rédigé par Jean Marques Rivière qui en compagnie de Bernard Fay et de Robert Vallery-Radot dirigeait cette revue. Cette hypothèse me paraît effectivement pouvoir être retenue. 26. Alexandre Saint Yves : « L E M Y S T È R E D U P R O G R È S , Tragédie héroïque en cinq actes avec Chœurs et Ballets », Paris, 1878 (Didier et C - ) , p. 8.
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Tel est l'indice qu'on peut retenir : un mot manque au premier vers de la dernière strophe, que Saint Yves n'a pas voulu écrire ; la rime et la scansion permettent de comprendre « majesté » ou « royauté » et la chose est probable. Mais, en l'état, manquent encore des éléments décisifs.
** Le premier témoignage cité de Claire Vautier trace un portrait qui montre Marie Victoire très entichée de sciences occultes et mystérieuses. Cela ne lui est pas propre, et toute l'histoire des diverses branches de la famille Rzewuski est parsemée d'histoires étonnantes ou terrifiantes. Le père Alex-Ceslas Rzewuski, en rappelle plusieurs. Aussi celle de Rosalie Rzewuska, femme de l'Emir Rzewuski :
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« Faisant le tour des propriétés Rzewuski d'Ukraine, elle voulut visiter le caveau de famille à Staro-Konstantinow en Volhynie, où le corps de son beau-frère, le Hetman Severin, reposait. Le caveau se trouvait dans une Eglise dominicaine. Elle demanda au Prieur de la conduire dans les caveaux ; lorsque celui-ci l'y introduisit, elle découvrit avec horreur que le cercueil avait été ouvert et que le corps de son beau-frère gisait, à quelques mètres de là sur les dalles. Elle voulut le voir de près, et chose curieuse dit-elle, le hetman était parfaitement reconnaissable mais voilé d'une sorte de toile d'araignée, à travers laquelle on pouvait toutefois discerner les traits. »
Sophie de Korwin-Piotrowska rapporte, pour sa part, de nombreuses anecdotes et légendes de la famille : cet esprit fort qui écrivit des œuvres impies jusqu'à ce que le spectre de sa mère vint les effacer. O u bien encore les déambulations nocturnes de feu le C o m t e Adam Laurent
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dont témoignent ses fils Ernest et Adam. O u encore l'apparition de Wenceslas Hanski qui vint annoncer sa mort à Pauline, la mère de Marie Victoire, et qui m o u r u t effectivement à l'heure dite et loin d'elle. Faut-il encore ajouter que la tante Caroline était en relations suivies avec plusieurs disciples de M a d a m e de Krudener et que toute la famille s'intéressait beaucoup à S w e d e n b o r g , ce dont témoigne aussi la Comtesse Kleinmichel ? O n pourrait multiplier les exemples et les traits pour compléter le tableau, mais il est clair que le goût de l'occulte avait été nourri de traditions familiales chez Marie Victoire. ^ Mais avant d'en terminer avec cette présentation générale de la Société dans laquelle pénètre Saint Yves, je voudrais appeler l'attention sur trois apparentements curieux, et qui ont un certain intérêt. Le premier concerne le Général Maxime Weygand dont certains ont voulu faire un « grand synarque » des années quarante. O r il avait épousé, le 13 novembre 1900, Renée de Forsanz dont la grand'mère, Comtesse Ciechanowicka, était la propre sœur de Marie Victoire de Ritnitch. Ainsi était-il par alliance, le petit neveu de Saint Yves. Voilà quT devrait combler les amateurs de complots, d'autant qu'ils peuvent à loisir imaginer Saint Yves donnant, entre 1900 et 1909, maintes instructions occultes à celui dont une légende tenace a fait par ailleurs le fils de l'infortuné Maximilien du Mexique ! 27
Le second apparentement curieux qu'il paraît intéressant de signaler concerne une princesse Radziwill qui était née Catherine Rezwuska le 30 mars 1858 à SaintPétersbourg ; e l l e était fille du général C o m t e Adam 27. Sophie de Korwin-Piotrowska, p. 4 1 . Voir également Jacques Weygand : « W E Y G A N D 1970 (Flammarion), p. 43.
M O N PÈRE»,
Paris,
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Rzewuski (1801-1888), frère de Pauline et par là cousine germaine de Marie VictoireT et nièce_de Balzac! Ä quinze ans, elTe avait épousé le Prince Guillaume Radziwill, à qui elle donna quatre enfants avant de le quitter. « Splendeur et misères d'une m y t h o m a n e » dit André Maurois qui fait de sa vie un roman balzacien . Il est vrai qu'elle devait être une étrange aventurière, qui serait parvenue à séduire^ le ..mysogine invétéré qu'était Cecil Rhodes — le fondateur entre autre?~3ëTâT«De Béers ». Délaissée par ce dernier, elle trafiqua des chèques importants et se retrouva devant les tribunaux. Le prince Guillaume Radziwill, excédé, obtint le divorce; elle partit aux Etats-Unis où nous la retrouvons mêlée à deux affaires de faux documents ; dans la première elle dénonce des faux, dans la seconde, elle les commet. O r le premier de ces faux n'est autre que les célèbres — tristement ! — « PROTOCOLES DES SAGES DE SION ». A deux reprises, en 1 9 2 1 , dans 1'« AMERICAN HEBREW » le. 2 5 février, dans la «REVUE MONDIALE» le 1 5 mars, Catherine Radziwill accuse n o m m é m e n t des agents de la police tsariste, Manouilov et Golovinski, d'avoir inventé d e toutes pièces les protocoles à la demande du Chef de l'Okhrana en T^uropè occidentale, le fameux Ratchhovski. Henri Rollin précise que 28
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« Golovinski qu'elle recevait chez elle à Paris lui aurait même montré le travail qu'il avait rédigé à la suite de ses recherches à la Bibliothèque Nationale et qui, disait-il, devait "un jour révolutionner le Monde" . » 29
Le témoignage de Catherine Radziwill fut très controversé; tous les antisémites ne manquèrent pas de dénoncer le fait qu'elle était une aventurière : la « REVUE 28. André Maurois, op. cit., p. 621. 29. Henri Rollin, o p . cit., p. 381.
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INTERNATIONALE DES SOCIÉTÉS SECRÈTES», de M g r J o u i n , va
dauber sur son compte pendant des années, ainsi que H . de Vries de Heekelingen . Au demeurant, Henri Rollin remarque que 30
« Le témoignage de la princesse, il convient de le noter — comporte de nombreuses erreurs, en particulier celle de placer en 1905 la fabrication d'un document publié en 1903; on ne saurait donc en retenir que l'impression générale de souvenirs lointains sans doute déformés par le temps. » Cela étant, il n'est pas indifférent que cette affaire des » soit aussi, et fut-ce par le biais d'un apparentement, rapprochée de l'œuvre de Saint Yves, auteur d'une « MISSION DES JUIFS » d'un esprit totalement différent. Mais il faut dire que certains ont affublé cette « MISSION DES JUIFS » de 1884 d'un caractère provocateur qui expliquerait le déferlement d'antisémitisme de ces années en France. De ce fait nous aurons l'occasion d'y revenir, mais il faut dire aussi que Catherine Radziwill devait peu après défrayer la chronique par la publication, fin 1924, de dix-sept lettres, inédites, entre Madame Hanska et son frère cadet, Adam Rzewuski (le père de Catherine). Ces lettres furent d'ailleurs publiées en France en 1926 en annexe à la thèse de Miss Juanita Helm Floyd. Malheureusement nul n'a jamais vu, ni ne verra jamais les originaux de ces lettres d'un vif intérêt, au dire des balzaciens. A moins, bien sûr, que seule quelque défection notariale ait fait obstacle à la divulgation posthume des originaux prévue par Catherine Radziwill. Et il est vrai qu'en France, dans la seconde moitié du x x siècle, tant de « PROTOCOLES DES SAGES DE SION
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30. Je renonce à citer les élucubrations innombrables de Mgr Jouin et ses collaborateurs ! Je cite néanmoins le moins abscons, H. de Vries de Heekelingen : « L E S P R O T O C O L E S D E S SAGES C O N S T I T U E N T - I L S U N F A U X ? » , Lausanne, 1 9 3 8 . (Imprimerie A . Rochat.)
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notaires ont été pris en défaut par la justice ou le fisc qu'on ne peut jurer de rien. Pourtant, faut-il s'en remettre au j u g e m e n t qu'André Maurois fait sur cette étonnante aventurière : les merveilleuses lettres n'ont jamais existé : « Dans la vie de Catherine Rzewuska, tout n'est qu'imposture et mensonge. » Voire ! Après Maxime Weygand et Catherine Radziwill, un troisième apparentement mérite d'être signalé, car il intéresse directement l'histoire de l'occultisme. Apparentement très indirect il est vrai, mais qui indique néanmoins que certaines rencontres intellectuelles ont été possibles. Il s'agit en l'occurrence de l'occultiste Enel dont l'oeuvre est bien singulière . Enel, de son vrai n o m , Michel Wladimirovitch Skariatine, était né le 6 mai 1883; en 1912, on le retrouve « Cornette au Régiment des Chevaliers Gardes de l'Impératrice Maria Féodorovna » ; or, dans ce m ê m e régiment d'élite, on rencontre aussi, c o m m e lieutenant, le C o m t e Alexandre Féodorovitch Keller, né le 16 octobre 1883, fils du C o m t e Théodore Edouardovitch, le troisième enfant de Marie Victoire. Mais les deux h o m m e s ne sont pas unis seulement par le m ê m e service militaire, puisque la propre sœur de Skariatine, Irène Wladimirovna, avait épousé le C o m t e Keller qui, par la suite, s'occupera de la publication posthume de « L'ARCHÉOMÈTRE » en compagnie des « Amis de Saint Yves ». 31
Dans ces conditions, on peut penser qu'Enel, dont certaines œuvres évoquent explicitement les travaux de Saint Yves, a pu rencontrer ce dernier et être largement influencé par lui ; quoi qu'il en soit, il nous faut maintenant revenir au mariage de Saint Yves et aux conséquences qu'il eut sur sa vie. 31. Une rapide biographie d'Enel a paru dans la signature de N . Green-Skariatine dans les « C A H I E R S A S T R O L O G I Q U E S » , Nice, septembre-octobre 1964, page 251 (j'en dois connaissance à Robert Amadou), Enel est décédé le 16 novembre 1963.
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La cérémonie fut célébrée en Angleterre, à Westminster dans le C o m t é de Middlesex, le 6 septembre 1877, les futurs époux résidant alors à l'Hôtel Bristol, Burlington Garden Saint J a m e s . EfiTävait été précédée par un contrat de mariage reçu le 30 août par M Bacquoy-Guédon, notaire à Paris. Ce contrat n'apporte que peu de renseignements sur la situation patrimoniale des conjoints . Ces derniers ont choisi le régime de la séparation de biens, qui permet à la future épouse d'avoir l'entière administration de ses biens, et la jouissance libre de son revenu (dans les autres régimes matrimoniaux de l'époque, l'époux eût été administrateur des biens de l'épouse). Le choix de ce régime dispense de faire par contrat le constat des biens possédés par chacun des époux, ce qui ne permet pas de savoir si la différence des fortunes était réellement importante, ce qu'on peut d'ailleurs supposer. U n certain n o m b r e de dispositions juridiques montrent d'ailleurs le souci de sauvegarder les intérêts des futurs héritiers de la future marquise. 32
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En particulier on notera que les deux époux se consentent des donations « mutuelles et irrévocables » d'une portée différente. Celle du futur époux à la future épouse porte sur la toute propriété de l'universalité de ses biens, droits et actions mobilières et immobilières ; celle de la future épouse concerne seulement le quart de l'universalité de ses biens, puisqu'elle doit compter avec les droits de ses propres enfants. Mais, d'une manière générale, on peut dire que ce contrat est le plus favorable possible pour les deux conjoints, dans le cadre d'une séparation de biens. Il est difficile de savoir pourquoi le mariage fut célébré 32. La transcription de l'acte, effectuée le 17 septembre 1877, est actuellement détenue par la mairie du 8 arrondissement de Paris. 33. Je dois communication de cette pièce à M" Robert Benoist, notaire à Paris, successeur de M Bacquoy Guédon. e
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eri Angleterre, alors qu'une ligne rayée au contrat montre qu'il était envisagé à la Mairie du huitième arrondissement (la Comtesse habitait rue Vernet, Saint Yves 108 C h a m p s Elysées). Faut-il croire Claire Vautier lorsqu'elle affirme que l'opinion du milieu de la Comtesse était très hostile ce qui expliquerait cette discrétion ? Le couple s'installa donc dans l'hôtel que Marie Victoire avait acheté en 1873 (actes des 19 mars et 10 avril) au 27 (ex n° 31) de la rue Vernet. U n e nouvelle fois je cite Claire Vautier en ce qu'elle peut avoir d'objectif : « C'était un charmant petit hôtel que celui que l'ex-Comtesse Hellen possédait rue de V. Des plantes exotiques très rares, de grandes belles glaces aux cadres artistiques et dont les biseaux mettaient partout des étincellements de diamant, des bronzes superbes, des meubles de haut goût, de vieilles tapisseries, des tableaux de maîtres, toutes ces choses empruntées à tous les pays, à tous les âges étaient là, réunies en un savant amoncellement, et encadraient bien la belle et majestueuse figure de la nouvelle marquise. Sa livrée était bleue, élégante mais sobre. Elle voulut que les gens du marquis eussent la livrée noire. C'était plus grave . » 34
Cet hôtel avait été payé 150 000 francs, et la brève description de sa consistance permettra d'avoir une idée du train de vie des nouveaux époux, à deux pas de la place de l'Etoile. Elevé sur près de 300 m , l'immeuble comportait au rez-de-chaussée un, grand vestibule à colonne, débouchant sur un escalier d'honneur avec rampe en fer forgé ; cela existe toujours m ê m e si l'immeuble est aujourd'hui divisé à usage de divers bureaux. Le rez-de-chaussée comptait encore une grande pièce, une grande cuisine, l'office et ses dépendances. Au premier étage : grand et petit salon 2
34. Claire Vautier, p. 201.
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donnant sur la rue, un grand cabinet de travail, une salle à manger de plein-pied sur un jardin d'agrément. Au second étage : un boudoir, trois chambres à coucher, un cabinet de toilette et un « lieu à l'anglaise » sans compter armoires, dégagement, lingerie. Enfin au troisième étage : deux belles chambres sur la rue avec cabinet de toilette, quatre autres chambres (moins belles, peut-être pour la domesticité?) salle de bains e t c . . T o u s les visiteurs ont repris des termes comparables à ceux de Claire Vautier pour décrire cet immeuble, j ' e n citerai encore deux. Barlet, le disciple fidèle, écrit : « Véritable palais de l'art, discret, intime, où les chefs-d'œuvre s'harmonisaient en une unité si heureuse qu'on en oubliait le luxe pour n'y ressentir que la majesté du Beau et de l'Intelligence révélée par leur distribution. Au-dessus, des riches tapisseries qui ménageaient dans les escaliers une lumière discrète et mystérieuse ; au-dessus de cette galerie de tableaux dont le charme compensait les limites resserrées, se trouvait une pièce plus simple, plus intime encore, mais non moins saisissante par son recueillement et sa disposition : la bibliothèque du Maître, toute remplie de ses livres préférés et des instruments de ses travaux mystérieux. C'était là que loin de tout bruit, dans la paix d'un silence heureux, sur un bureau fort simple faisant face à l'immensité du ciel d'orient, il venait étudier, méditer encore, reprendre comme à l'abri du luxe lui-même, la vie d'ascète de Jersey, achever de faire éclore les grandes pensées qui l'occupaient depuis près de trente ans '. » 3
T o u t à sa dévotion, Barlet ne prend pas garde au fait qu'à l'époque de sa venue rue Vernet, Saint Yves a 35 jins, et fait remonter à la prime jeunesse les grandes pensées du Maître ! 35. Barlet, o p . cit., pp. 25-26.
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Jules Bois, curieux personnage lui aussi, témoigne mais avec un rien d'irrespect, sur celui qu'il appelle « le Maître des occultistes modernes » et dont il affirme que « bien supérieur à eux, il a donné à leur travers un cachet original et presque sympathique » : «J'étais bien j e u n e q u a n d j'allai le v o i r p o u r la p r e m i è r e fois. Il habitait alors un charmant hôtel rue Vernet. Jamais, m ê m e chez les plus anciennes familles patriciennes, je ne d é c o u v r i s autant de portrait d'aïeux, s o l e n n e l s à perruque, héraldiques. Il avait c o u t u m e de s'asseoir à contrejour, afin d e faire une i m p r e s s i o n plus p r o f o n d e . T o u t e f o i s , a v e c de j o l i s c h e v e u x gris, u n sourire rusé, des m a i n s chargées de b a g u e s , serré dans une r e d i n g o t e élégante, il m'affirmait a v e c le sérieux d'une c o n v i c t i o n peut-être m o m e n t a n é e , qu'il avait écrit quatorze cents pages en trois j o u r s et qu'il c o m m u n i q u a i t par télépathie a v e c le grand Lama du T h i b e t . Il le décrivait comme~ïïrî vieillard n'ayant plus q u e le souffle / p o u r se s o u t e n i r . . . M a i s q u e l q u e s années après, des / e x p l o r a t e u r s qui e u x du m o i n s s'étaient d o n n é la peine I d'aller j u s q u ' à Lama n o u s le m o n t r è r e n t tout j e u n e , presque ( enfant ... » 3 6
Il est probable que ce témoignage concerne une période postérieure de près de dix années au mariage de Saint Yve^ car ce n'est sans doute pas avant 1885/1886 qu'il entretiendra ses visiteurs de l'Aggartha et du « Mahatma » ici allègrement identifié au Dalaï Lama. Mais l'ensemble de ces souvenirs, qu'il m'a paru intéressant de rassembler, trace de Saint Yves un portrait qui le montre parfaitement à l'aise (trop peut-être) dans son rôle de nouvel aristocrate... un peu « parvenu ». Encore n'est^îl p ï i encore titulaire de ce titre de Marquis auquel Claire Vautier a fait allusion. Elle en donne
36. Jules Bois : Flammarion), p. 36.
«LE MONDE
INVISIBLE»,
Paris s.d. (1092) (Ernest
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d'ailleurs une explication liée aux difficultés que rencontra le couple après son mariage, et qui furent bien ressenties par Saint Yves puisqu'il y fait allusion dans le poème que j ' a i cité. « Q u o i qu'il en fut, lorsque les n o u v e a u x é p o u x , bravant l ' o p i n i o n o s è r e n t reparaître dans le m o n d e , M a d a m e Saint E m m e [lire Saint Y v e s ] fut saluée de s o n titre d e c o m t e s s e sans s o u c i de ce p e r s o n n a g e très g r a v e et très correct qu'elle amenait a v e c elle. La situation d'abord difficile, d e v i n t intolérable. La C o m t e s s e , qui aimait s o n mari fut p r o f o n d é m e n t b l e s s é e de l'injure faite à celui-ci. Partons, dit-elle. A u s s i bien que f a i s o n s - n o u s ici ? Et n'est-il pas t e m p s de s o n g e r à v o t r e gloire ? Ils partirent d o n c et visitèrent l'Italie. U n e terre y était à vendre" à laquelle s'adjoignait le titre de M a r q u i s . La C o m t e s s e n'eut garde de laisser échapper u n e si belle o c c a s i o n de se d é p o u i l l e r d u n o m roturier qui jetait u n e o m b r e épaisse sur s o n b o n h e u r . Elle sacrifia q u e l q u e s milliers de francs ; le grand h i é r o p h a n t e [ainsi Claire Vautier se m o q u e - t - e l l e de Saint Y v e s ] se chargea des d é m a r c h e s à faire auprès d u Pape, de qui dépendait le f a m e u x marquisat et q u a n d ces formalités furent a c c o m p l i e s , M . le M a r q u i s et M a d a m e la M a r q u i s e d'Alberti [lire d ' A l v e y d r e ] rentrèrent à P a r i s . » 37
O n a déjà vu, à propos de la Cour de Danemark, qu'après son voyage le couple aurait fait (peut-être) « un voyage circulaire en Europe » ; pourquoi pas en Italie donc ? D'ailleurs dans un «HYMNE À MA FEMME», publié en annexe au « MYSTÈRE DU PROGRÈS », Saint Yves fait allusion à des moments de j r a n d bonheur vécus en Italie, au plus tard e n ï 878 : ~ "
37. Claire Vautier,
op.
cit.,,
pp. 199-200.
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« Ü Milan ! ô basiliques ! Lac, Miroir d'un amour pur ! Où planent angéliques Des colombes dans l'azur ! Humble Eglise d'où s'élance L'Angélus dans le silence, L'âme au sein de l'infini ! Jardins, palais Borromée... O vision bien-aimée D'un bonheur par Dieu béni ! » 38
Mais quant à savoir si ce titre est effectivement d'origine italienne, on va toucher du doigt toute la difficulté des recherches concernant Saint Yves. Ainsi un disciple, Fabre des Essarts, par ailleurs capable d'éloges dithyrambiques, écrit-il en réponse à Claire Vautier : « Reste le gros péché de mon maître : l'achat du marquisat. Sur ce point, comme sur d'autres, je ne puis que constater la déroute de votre logique. Eh ! quoi, ne vous arrive-t-il pas tous les jours, de donner du baron ou du vicomte à vos visiteurs ? Ces barons et ces vicomtes, je les suppose tous authentiques, c'est-àdire justifiant d'une longue série d'aïeux cotés au même taux, pourvus du même titre. Ce titre, toutefois, a une origine. Omnia ab ovo, disons-nous dans notre jargon d'école. Remontons au moyen âge. Une guerre est engagée. Un aventurier quelconque s'y distingue par un goût prononcé pour la tuerie. Reconnaissance du suzerain, qui récompense le massacreur, en faisant de lui l'un de ses grands feudataires. Une autre fois, c'est un mari facile (il y en a eu à toute les époques), dont le roi reconnaît la complaisance en le faisant comte ou baron. Ailleurs, c'est un jeune page, qui, pour d'autres complaisances, est doté d'une duché-pairie. 38. Alexandre Saint Yves :
« L E MYSTÈRE D U P R O G R È S » ,
p. 177.
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Et cette n o b l e s s e achetée au prix du meurtre o u d u d é s h o n n e u r , v o u s n'hésitez pas à l'admettre. M a i s , en r e v a n c h e , v o u s v o u s i n d i g n e z contre u n h o m m e , qui, sans bassesse ni intrigue, a v e c l'unique désir de céder a u x instances d'une f e m m e a i m é e , acquiert à des b o n s deniers c o m p t a n t s , u n marquisat t o m b é en q u e n o u i l l e ! » 3 9
L'émotion est assurément respectable et l'argumentation plaisante, mais que sait-on de plus ? O n peut penser à juste titre que les disciples n'avaient pas à être au courant des moindres détails de la vie privée de leur « Maître ». Autant s'en remettre à ce dernier. De fait il commence à s'en expliquer dans l'avant-propos de « LA FRANCE VRAIE » et son discours liminaire n'est pas sans vigueur : U n j o u r n a l m'a traité de faux m a r q u i s . C o m m e j e n'ai pas plus l'habitude de m'affubler de faux titres que de m e t t r e les d o i g t s dans m o n nez, que de prendre de l'argent dans la p o c h e de m e s v o i s i n s o u des d i a m a n t s sur la tête de m e s v o i s i n e s de table, v o i c i la s i m p l e vérité : Je l'extrais de la lettre d ' e n v o i du d i p l ô m e o n n e peut plus a u t h e n t i q u e que j'ai reçu en 1880, et d o n t j e ne suis ni plus h o n t e u x ni plus fier q u e s'il m e venait des croisades. « M o n cher Saint Y v e s , D é s i r a n t h o n o r e r en v o u s le savant et surtout l ' h o m m e utile et m o d e s t e q u ' o n a j u s t e m e n t appelé u n bienfaiteur d e l ' h u m a n i t é , q u e l q u e s a m i s et m o i a v o n s o b t e n u p o u r v o u s j e titre de M a r q u i s . J'espère q u e cette r é c o m p e n s e v o u s sera chère ainsi qu'à v o t r e e x c e l l e n t e f e m m e et que v o u s y verrez u n e p r e u v e de n o t r e p r o f o n d e et affectueuse e s t i m e . V o t r e tout d é v o u é , s i g n é : Le c o m m a n d e u r CP. . » 4 0
39.
Fabre des Essarts : « M O N M A Î T R E — R É P O N S E À Paris, 1 8 8 7 (typographie Beaudelet), pp. 2 4 - 2 5 .
VAUTIER», 40.
« L A F R A N C E V R A I E » , pp.
44-45.
M""
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T o u t cela est fort bien, et la seule précision utile est que le marquisat a été acquis en 1880. Mais quant au reste? Q u i est ce « C o m m a n d e u r » ? Quelle autorité a délivré ce titre? Et Saint Yves mérite-t-il vraiment à ce m o m e n t le titre de « bienfaiteur de rhurnanité »? Il a publié quelques recueils de poèmes, û n n v r e doctrinal : «CLEFS DE L'ORIENT», intéressant sans plus. Il vient de se lancer dans une entreprise d'exploitation industrielle des algues marines... Sont-ce là des titres à une reconnaissance éternelle du genre humain? O n peut en douter. Certes Saint Yves en rajoute un peu : « La lettre précédente émane d'un des plus dignes et des plus éminerifs philanthropes de l'Europe. Enfin pour savoir à quoi m'en tenir sur la loi française à cet égard, je me suis adressé à l'un de mes Conseils légaux, ancien président de la Chambre des Avoués de Paris, aussi solide ami qu'éminent jurisconsulte, Mr T.N. Il m'a répondu ce qui suit le 5 octobre 1880 : "Je ne vois point le moindre inconvénient à ce que vous preniez le titre étranger dont vous avez le brevet régulier. C'est d'un usage journalier. On ne pourrait être attaqué que par celui auquel ce titre appartiendrait déjà et qui pourrait faire ordonner par justice qu'on n'a pas le droit de s'en servir, e t c . . " » Saint Yves affirme qu'il tient ces documents à la disposition de ses amis et conclut : « Quant aux autres, non seulement ils peuvent supprimer le titre de marquis si celui-ci les gêne, mais aussi le De et le Saint de mon nom si cela leur fait plaisir. » La chute n'est pas sans force, sachant que le lecteur n'est guère renseigné pour autant. Sauf sur un point : en parlant de supprimer le « de » et le « saint » de son n o m , Saint Yves donne à entendre qu'il s'appelait « De Saint Yves » ce que n'indique pas l'état civil. Et on retrouvera à de nombreuses
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reprises ce petit travers, ou cette petite prétention pseudonobiliaire, qui prête à sourire dans la meilleure hypothèse. A moins que d'aucuns y voient quelque chose de plus grave, c o m m e une tendance paranoïaque. Q u a n t à savoir si ce marquisat dépendait du siège Romain, j ' a i bien sûr essayé de le vérifier par diverses voies qui n'ont pas à être décrites ici. La dernière en date de mes tentatives s'est traduite par la réponse officielle suivante, sous le timbre : « Archivio Segreto Vaticano » n° 9 683, dont le lecteur appréciera tant la fermeté que la courtoisie du refus. « Cité du Vatican le 28 octobre 1978 Monsieur En réponse à votre lettre du 26 août, je vous informe que les documents que V D U S désirez sont situés dans la période postérie_ure à 1878 (élection de Léon XIII) qui est close dans nos archives. Ces documents sont par conséquent inaccessibles. Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les plus distingués Mgr Martino Giusti Préfet. » C o m m e par ailleurs, j ' a i gravement péché en essayant quelques autres manœuvres moins officielles... mais sans plus de succès, je n'attends plus guère de certitudes. Au vrai, le Saint Esprit lui-même pourrait-il forcer la porte des Archives Secrètes du Vatican ? Q u e son mariage ait profondément changé les conditions de la vie matérielle et intellectuelle de Saint Yves est tout à fait certain et il n'y a pas lieu de commenter longuement les conséquences qu'il entraîna, sauf à retenir quelques points significatifs. Le premier concerne les publications de Saint Yves : elles se multiplient en 1877 et Ï878Tet il y a lieu de supposer
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que Marie Victoire les aida, soit par ses relations, soit par une aide financière. Mais nous examinerons ce point au chapitre suivant consacré aux différentes œuvres de jeunesse. Par contre, il faut examiner dès à présent quelques aspects particuliers qui, sans toucher directement à la doctrine, donnent un éclairage pour le moins singulier aux préoccupations de Saint Yves à cette époque — préoccupations qui ne trouvèrent de concrétisation qu'avec l'aide de la nouvelle marquise. Il s'agit en premier lieu d'une tentative d'utilisation industrielle des algues marines, accompagnée à la même époque des recherches sur l'alchimie. Je développerai assez longuement ces points — pour autant que des documents existent, parce qu'ils illustrent à merveille certains aspects du caractère de Saint Yves : de la belle doctrine initiatique certes, mais aussi du tangible, et de l'industriel si possible! Et j ' a v o u e qu'il ne me déplaît pas non plus, aujourd'hui, que les algues marines ont donné lieu à de multiples applications utilisées partout, de montrer que ce rêveur occultiste n'avait pas toujours tort ; non parce qu'il était occultiste... mais peut-être parce qu'il était rêveur.
D e l ' u t i l i t é des a l g u e s m a r i n e s Je ne sais si l'idée lui en était venue lors de son séjour aux Iles Anglo-Normandes, ou si les constatations qu'il fit confirmèrent ses recherches sur les sciences de l'Antiquité. Toujours est-il que dans le courant de l'année 1879, c'est un véritable feu d'artifices : — le 27 mars, par l'intermédiaire du « Cabinet industriel de M . A r m e n g a u d j e u n e , I n g é n i e u r C o n s e i l , 23 boulevard de Strasbourg à Paris», M . Alexandre Saint Yves, propriétaire à Paris, dépose une demande de brevet d'Invention de 15 ans (N° 129.822) « pour la fabrication de divers produits à l'aide d'un mucilage extrait des algues marines ». 1
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Il me paraît intéressant de citer longuement le premier brevet parce qu'il donne une idée assez précise des préoccupations et des travaux de notre h o m m e qui, pour une fois, n'est pas trop prolixe. « 11 y a l o n g t e m p s q u e l'on a s o n g é à extraire et utiliser la substance m u c i l a g i n e u s e que renferment les algues marines. E n E u r o p e , o n a cherché p o u r les apprêts des étoffes à remplacer la fécule, l ' a m i d o n et la colle animale par le m u c u s extrait des varechs et autres plantes que l'on t r o u v e sur les côtes de l'ouest de la France et de l'Angleterre. Les c h i n o i s tirent d u H a i - T h a o u n e matière qui sert à l'alimentation. M a i s ce n'était là que des tentatives isolées et sans caractère pratique j u s q u ' à la date d u B r e v e t pris par M . Linford qui le p r e m i e r a i m a g i n é de préparer cette s u b s t a n c e m u c i l a g i n e u s e s o u s une f o r m e qui permettrait de la rendre apte à diverses applications intéressantes. M ' é t a n t rendu acquéreur d u B r e v e t Linford, j e m e suis livré à de n o u v e l l e s recherches sur la nature d u m u c u s des plantes marines, j'ai p e r f e c t i o n n é les m o y e n s d'extraction de cette substance et j ' e n ai t r o u v é des applications q u e l'on ne s o u p ç o n n a i t pas avant m o i . A y a n t étudié de plus près les algues marines, j'ai r e c o n n u que t o u t e s ces plantes marines, sauf de rares e x c e p t i o n s , p e u v e n t être utilisées p o u r l'industrie en raison des matières s e m i - g o m m e u s e s a m y l a c é e s e m u l s i o n s qu'elles r e n f e r m e n t en plus o u m o i n s grande quantité et de l'analogie qu'offre, par sa f o r m u l e c h i m i q u e , la g e l é e q u ' o n peut retirer du plus grand n o m b r e avec le sucre et la fécule. D e là, u n e série de produits industriels que j e suis arrivé à fabriquer a v e c le m u c u s des algues et qui s o n t destinés à constituer p r i n c i p a l e m e n t des s u c c é d a n é s a v a n t a g e u x et é c o n o m i q u e s de corps existants. Parmi ces produits industriels faits a v e c le m u c i l a g e , j e citerai des cuirs factices des étoffes transparentes et autres produits que l'on ne s o u p ç o n n a i t pas avant m o i . C e s o n t ces applications n o u v e l l e s d o n t j e désire m'assurer le p r i v i l è g e par la présente d e m a n d e de B r e v e t . P o u r bien faire c o m p r e n d r e la m i s e en pratique de m o n
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invention, je décrirai d'abord le procédé perfectionné que j'emploie pour l'extraction du mucus, matière première de ma nouvelle industrie, et ensuite je décrirai en regard des échantillons annexés à cette demande les principaux produits de ma fabrication. Il serait trop long d'énumérer toutes les variétés de plantes marines qui renferment la matière mucilagineuse que j'ai définie. Il me suffira de désigner les algues qui sont dans la classe des Finoïdés et dans celle des Floridées et des Zoosporées le Carragahen les Chaudrus Crespsus et autres espèces analogues, les Ividea edulis, Alavia esculenta, Rodynanea palmata, de nos mers ; parmi les plantes exotiques, je citeri le Nodi, le Nouri et le Hai Thao des mers de la Chine et du Japon, le gigavtina speciosa, les gracilavea spinosa, lichenoides d'Australie, le durvillea utilis ou edulis du Chili et du Cap de Bonne Espérance. Quelle que soit la nature de ces plantes, voici comment j'opère pour en extraire le mucus. On commence par soumettre les algues à un lavage à l'eau froide ou chaude ou à ces deux eaux, seules ou additionnées soit de l'alccol au 10 soit d'un lait de chaux, soit de carbonate de soude ou de tout autre agent suivant que l'algue choisie est plus ou moins riche en cellulose ou en sels à séparer. On peut, avant d'extraire le mucus, sécher la plante et la réduire en poudre selon la nature de l'algue et le but qu'on se propose. Pour extraire le mucilage, l'eau chaude est préférable à l%au froide, la vapeur à l'eau chaude. On opérera de préférence dans une chaudière de forme conique, de façon que les algues, soit lavées, soit à l'état de poudre, portent sur un diaphragme à une certaine distance du fond par ou arrive soit la vapeur, soit la chaleur à la masse de l'eau. On peut aussi mettre plusieurs diaphragmes. La quantité d'eau ou de vapeur d'eau doit être en raison de l'avidité de la plante, pour ce liquide, soit de 15 à 10 fois le poids de la plante suivant celle-ci (...) Pour la netteté et la transparence du mucus, il faut étendre d'eau le plus possible et laisser déposer en maintenant une température de 50 à 60° à l'aide
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de la vapeur ou du bain-marie. Je me sers à cet effet, d'un vase cylindro-conique terminé par un robinet pour soutirer d'abord les impuretés déposées, ensuite le mucus. Le mucus soutiré, abandonné au refroidissement, pris en gelée, est ensuite employé à différentes applications pour lesquelles ou partie desquelles des marques de fabrique ont été déposées ; je signalerai en particulier : 1°) L'algue cuir transparent (échantillon 1 et 2), obtenu par coulage sur plaque et dessication après addition préalable d'une matière oléagineuse ou d'un alcool triatonomique en proportion variable suivant l'épaisseur et la souplesse désirée. 2°) L'algue cuir opaque, même procédé, plus incorporation de matières propres à donner la résistance, l'opacité, et la couleur qu'on désire, et application s'il y a lieu sur un tissu mou : seline, papier ou autre servant de support, échantillons 3 à 9. Ces deux cuirs sont destinés : le premier, soit au décalque pour architectes, état-major, etc. soit aux appareils chirurgicaux, comme remplaçant suivant leur épaisseur le gutta-percha, le sparadrap, la taffetas d'Angleterre, la baudrue et pouvant être rendu adhésif et supporter toute application ou incorporation médicamenteuse. Le deuxième à la teinture, à la reliure, à la tabletterie, etc. pouvant être frappé, gaufré, chagriné ou maroquiné. 3") L'algue-apprêt obtenu en lamelles à trois degrés de puissance, pour étoffes de lin, de coton, de soie ou de laine. Voir les échantillons 10 à 14, qui montrent ces tissus revêtus de l'algue-apprêt. 4°) L'algue-savon, produit purement végétal, à base de soude où le mucilage remplace soit les graisses, soit les résines. Ce savon qui suivant la concentration peut être obtenu soit à l'état mou, soit dur, soit en poudre est spécialement destiné à cause de son absolue pureté et de sa composition aux manufactures d'étoffes de laine, de soie, de coton ou de lin. 5°) L'algue-colle pouvant remplacer hygiéniquement la colle de peau dont se servent les peintres. 6") L'algue-bain, extrait mucilagineux pour la toilette.
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7") L'algue-granule a quatre degrés de concentration, les trois premiers enrichis de matières azotées sont destinés à l'administration, la quatrième pouvant servir à la préparation des pâtes, des sirops. » C e premier brevet, dont je viens de citer les grands traits, n'est qu'un des aspects de l'activité de Saint Yves et des collaborateurs qu'il avait réunis. Le 8 mai de la m ê m e année, paraît dans « LE FIGARO » un article très louangeur signé d'un Dr Cabrol qui, appelant Saint Yves un «bienfaiteur de l'humanité», fait l'éloge des différentes applications des algues qu'il a mises au point. A quelques temps de là, paraît une brochure de 55 pages intitulé « L'UTILITÉ DES ALGUES MARINES » ; j e pense qu'elle fut publiée courant juin, puisque l'article précité y est reproduit ; d'autre part, l'exemplaire que je détiens est marqué du cachet d'entrée à la Société « Algues marines » fondée par Saint Yves au 11 bd des Italiens ; ce cachet porte la date du 25 juin 1879. Cette brochure se veut surtout descriptive : il s'agit de situer les algues dans la nature, la science, l'hygiène, l'alimentation et l'industrie. Saint Yves n'hésite pas à étaler sa science : outre les Anciens, il ne cite pas moins de 65 n o m s de savants divers, généralement naturalistes, chimistes et médecins — et, dans un grand n o m b r e de cas, il s'agit d ' h o m m e s qui eurent une certaine notoriété — du moins à consulter les encyclopédies anciennes. Cela démontre en tout cas que Saint Yves souhaitait convaincre en s'entourant d'un appareil scientifique inattaquable. Il semble aussi avoir travaillé d'arrache-pied à cette époque, puisqu'il dépose, dans un laps de temps relativement bref, de nombreuses additions au brevet dont j ' a i cité l'essentiel. Le 24 juillet 1879 : nouvelles précisions sur la purification des algues, ainsi que sur les applications de l'algue chocolat, les engrais, la nourriture du bétail et de la volaille.
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Le 1" août : application à l'encollage du papier le 4 octobre : application au couchage du papier le 19 janvier 1880 : confection de pâte à rouleaux pour l'imprimerie à base de gélatine végétale le 11 février : confection de galettes pour l'alimentation des chevaux le 10 mai : nouvelles précisions sur la préparation des gélatines le 25 octobre : application aux toiles cirées et aux étoffes cuirs le 25 décembre : application des algues marines à la conservation et au transport des viandes, légumes et substances alimentaires : il s'agit en fait d'un enrobage à peu près hermétique. O n voit que Saint Yves ne chôme pas ; il a, j e l'ai dit, créé une Société ; d'après le journal « LE PANTHÉON DE L'INDUSTRIE » qui exalte le caractère « révolutionnaire » de ces réalisations, deux usines importantes fonctionnent en septembre 1879 , et on distribue force prospectus c o m m e r ciaux. Mais les recherches de Saint Yves ne s'arrêtent pas là = le 20 avril 1881, il dépose un nouveau brevet concernant cette fois une technique de fabrication de la pâte à papier; sans doute est-il inutile que je décrive dans le détail ce nouveau brevet (n° 142.433) sauf à noter qu'il est déposé au n o m du « Marquis Alexandre Saint Yves ». Le Marquis est mentionné, mais « d'Alveydre » ne figure pas encore sur ce document. Saint Yves aura les pires difficultés avec ce brevet, et cherche à blanchir le papier obtenu par son procédé. Claire Vautier ironise longuement sur ce problème c o m m e sur la recherche d'associés et de capitaux. Ce qui est sûr, c'est que le 25 novembre 1881, Saint 41
41. « L E P A N T H É O N D E L ' I N D U S T R I E » , 7 septembre 1879, p. 324; l'article est signé C.G.
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Yves déposera un nouveau certificat d'addition portant sur ce problème du blanchissement de papier . Il est fort possible d'ailleurs que tous ces travaux aient mis Saint Yves en conflit avec toutes sortes de gens : j ' a i noté dans l'introduction que, d'après Stanislas de Guaïta, un certain M. Caminade avait collaboré au livre de Claire Vautier. Je n'ai guère trouvé de personnages illustres répondant à ce n o m — sauf, au catalogue de la Bibliothèque nationale, un Jean-Pierre Caminade, auteur en 1866 et 1867 de brochures sur les avantages de l'application de la racine de luzerne à la pâte à papier. Et peut-être ce Caminade craignit-il que les algues ne portent tort à sa luzerne ? Sans doute Saint Yves s'y prit-il bien mal dans cette affaire : sûr de soi, et sans doute hautain avec les hommes, il fut assurément victime de la sottise d'affairistes bornés, ceux qu'avait décrits Balzac. Mais j ' a i m e assez les conclusions qu'il tire de cette affaire : 42
« L'idée scientifique était juste, l'idée humanitaire meilleure encore. Les populations de nos côtes sont extrêmement pauvres à côté d'une mer que je persiste à indiquer comme une source de richesses agricoles, industrielles, commerciales, sans parler de ses trésors mécaniques, minéraux et même métalliques, l'argent entre autres. L'ignorance seule peut douter de cela ; et aucun savant réel ne me contredira sur tous ces points (...) Mon idée sera certainement reprise un jour par des associations, et ces dernières pouvant faire financièrement ce qu'un particulier ne pouvait pas continuer, trouveront des millions et des milliards là où nous avons semé et perdu des centaines de mille francs. Ma consolation est de n'avoir emprunté ni fait perdre un centime à personne, tout le capital de cette entreprise étant sorti de notre seule bourse. 42. Tous les Brevets et certificats d'addition que j'ai cités sont conservés par les archives de l'Institut national de la Propriété industrielle.
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A u s s i je voudrais bien savoir qui a le droit de me reprocher nos propres pertes, puisque en aucun temps je n'ai associé qui que ce soit à cette affaire et à nos risques exclusivement personnels ! Seuls les admirables enfants de ma femme auraient pu et pourraient se plaindre d'une équipée où le patriotisme ainsi que l'amour du travail et des travailleurs entraient au moins autant que le désir très légitime d'améliorer une fortune où je n'avais rien apporté. C'est au contraire depuis ce temps que l'amitié et l'estime de ces chers et nobles êtres ont encore augmenté pour moi, car ils ont vu ma vie, mes efforts, mes travaux et mon très grand chagrin de n'avoir pas réussi dans une industrie dont j'attendais beaucoup . » 43
Deux choses demeurent en tout cas : la première est que son idée a été effectivement reprise depuis lors et a donné des résultats réels ; la seconde est que le m ê m e h o m m e qui publie des poèmes, élabore sa théorie synarchique, rêve d'une synthèse philosophique totale, travaille aussi d'arrache-pied à des brevets très concrets et à gérer une entreprise. Et l'absence de succès ne suffit pas à porter un jugement définitif : elle témoigne sans doute que Saint Yves ne sut pas mettre en œuvre certaines méthodes. Par contre elle n'enlève rien à la diversité de ses préoccupations, à l'ouverture de son champ d'intérêt intellectuel et à sa capacité de travail. Cela amène d'ailleurs à appeler l'attention sur d'autres préoccupations de Saint Yves. O n peut penser légitimement, en effet, que son intérêt pour les algues marines s'insère dans une préoccupation plus large de restitution des sciences antiques : on verra qu'il affirmera plus tard que ces dernières avaient atteint un haut degré de développement. Je crois qu'il est également en lien avec des recherches concernant l'Alchimie. 43.
« L A FRANCE VRAIE»,
pp. 125-126.
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Sur ce point aussi l'ironie méchante de Claire Vautier a amené Saint Yves à donner quelques explications limitées mais qu'on peut compléter par quelques témoignages. Claire Vautier place d'ailleurs ces recherches à la m ê m e époque ou peu après l'affaire des Algues marines, et je ne crois pas inutile de citer une nouvelle fois son propos : (
« La comtesse rappela à Saint-Emme qu'il était en possession de la formule sacrée, et que rien n'empêchait plus la réalisation du grand œuvre. On installa donc à grands frais un laboratoire de chimie; on prépara nombre de chaudière, d'alambics, de cornues, de matras. On amoncela les phosphates de chaux, le chlorure de sodium, les muriates de cuivre, d'étain, d'antimoins, de mercure; les sels et l'hydrochlorate d'ammoniaque, les soudes, le soufre, le zinc, le rhodium argenté, l'irridium aux mille nuances, les paillettes du palladium, le rhuténium, le chrome aux couleurs vertes et jaunes, l'osmium bleuâtre, le platine, e t c . . On entassa livres sur livres ; Arnaud de Villeneuve, Raymond Lulle, Basile Valentin, Paracelse, Libavius, et Van Helmont, Geber, Stahl, Geoffroy, Marcgraff, Humphrey Davy, Lavoisier, Agrippa, Richter et Scheelle, Leibnitz, e t c . , e t c . . Enfin toute l'alchimie ancienne, toute la chimie moderne, fournit le secret de ses découvertes et de ses labeurs au couple fortuné qui allait devenir le Trismégiste du xix' siècle. On distilla longtemps. On obtenait bien l'azote, l'hydrogène, l'oxygène et le carbone, cette substance du diamant; mais celui-ci ne se montrait pas et le Ternaire magique, frénétiquement répété :« Science, Volonté, Amour», ne produisait, au fond du creuset, qu'un métal noirâtre, quelquefois d'un gris argenté, à la surface duquel émergeaient parfois quelques paillettes dorées, mises là seulement pour tenter l'orgueil du demi-dieu et railler son impuissance. Des sommes folles furent englouties. Lui ne se lassait point mais la comtesse fut prise de crainte et voulut s'arrêter. Un soir, aprFs une journée d'efforts stériles,
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fatigué l u i - m ê m e , mais n o n abattu, S a i n t - E m m e quitta s o n laboratoire et descendit près de sa f e m m e . Elle lisait q u a n d il entra, et ce pli p r o f o n d qui, chez elle, dénotait toujurs u n e é m o t i o n o u u n souci, traçait s o n large sillon près des y e u x , sur le front. La présence de s o n mari ne dérangea pas la c o m t e s s e . Il s e m b l a i t qu'elle n'en eût pas c o n s c i e n c e tant elle était absorbée. — Q u e l i s e z - v o u s d o n c là Marie ? d e m a n d a le p s e u d o m a r q u i s . Elle ne r é p o n d i t pas tout d'abord, puis s o u d a i n e m e n t , jetant le livre qu'elle tenait : — A n d r é , s'écria la marquise d'Alberti, Pepita Claës avait raison lorsqu'elle dit à s o n é p o u x qui, c o m m e n o u s , recherchait le grand I n c o n n u : " C e que tu ne trouveras pas, Balthazar, c'est la force u n i q u e , le m o u v e m e n t . " — O u i , j e le sens, c o n t i n u a l ' e x - c o m t e s s e , la science peut d é c o u v r i r le principe ; mais elle ne fera pas q u e ce principe agisse. Elle peut entrevoir la Vérité et la V o l o n t é ; m a i s elle ne contraindra pas cette Vérité et cette V o l o n t é à se manifester. — N o u s n o u s s o m m e s t r o m p é s , m o n ami, n'allons pas plus loin. — Je ne saurais m'arrêter, r é p o n d i t S a i n t - E m m e . V o t r e faiblesse est f e m m e , m a chère, et j e l'excuse ; mais m a force d o i t passer o u t r e e t . . . — Je m ' y o p p o s e f o r m e l l e m e n t , déclara le c o m t e s s e . N o s e x p é r i e n c e s o n t nécessité des d é p e n s e s qui e x c è d e n t de b e a u c o u p celles q u e j e puis m e p e r m e t t r e ; n o u s n ' a v o n s rien o b t e n u qui fut de nature à n o u s d o n n e r u n e espérance ; m a c o n v i c t i o n est faite; elle est inébranlable. — M a i s , c e p e n d a n t , objecta le mari, ce n'est pas la lecture d'un r o m a n qui va, en q u e l q u e s heures, détruire v o t r e c r o y a n c e et v o s aspirations de dix années ? — D ' a b o r d répondit la m a r q u i s e d'Alberti, v o u s savez c o m m e m o i que rien, dans l ' œ u v r e de Balzac, n'est r o m a n , m a i s é t u d e a p p r o f o n d i e , science de la vie, du c œ u r h u m a i n et de la vérité. O r cette vérité m'a pénétré. N ' i n s i s t e z d o n c pas, m o n ami ; ce serait inutile et v o u s m e désobligeriez.
SAINT-YVES D'ALVEYDRE S a i n t - E m m e se tut, c r o y a n t à u n caprice de f e m m e , et pensant qu'il lui serait sans d o u t e facile de le vaincre. Q u e l q u e s j o u r s après, plusieurs m é t a u x étant v e n u s à lui m a n q u e r , il écrivit à la m a i s o n o ù il se fournissait d'ordinaire. A u b o u t d'une s e m a i n e , n'ayant rien reçu, il alla v o i r l u i - m ê m e ce qui causait ce retard d o n t il se plaignit arrogamment. — M . le m a r q u i s v o u d r a bien m ' e x c u s e r , répondit le fabricant avec u n e p o l i t e s s e trop outrée p o u r qu'elle fût sincère, m a i s m a d a m e la c o m t e s s e H e l l e n a fait régler et arrêter s o n c o m p t e ces j o u r s - c i , e n n o u s p r é v e n a n t de n e plus rien livrer à l'hôtel sans u n ordre de sa part. — Et bien, m o n s i e u r , fit S a i n t - E m m e , m a d e m a n d e v a u t cet ordre, j e s u p p o s e ? — O h ! c e r t a i n e m e n t , dit le m a r c h a n d , qui s'empressa d e noter t o u t ce d o n t le m a r q u i s réclamait livraison. M a i s u n e s e m a i n e entière s'écoula et rien ne vint. S a i n t - E m m e s'adressa ailleurs et, c o m m e il était sans argent, il fit e x p é d i e r à l'hôtel. — N ' a - t - o n rien apporté p o u r m o i ?, d e m a n d e - t - i l en rentrant. — P a r d o n , m o n s i e u r le m a r q u i s , r é p o n d i t le d o m e s t i q u e , u n e n v o i de la m a i s o n Billaud-Billander. M a i s m a d a m e la m a r q u i s e a refusé. — A h ! très b i e n , dit S a i n t - E m m e qui b l ê m i t . Il se c o n t i n t pourtant et reprit a v e c s a n g - f r o i d : — Je craignais le contraire. La c o m t e s s e était u n p e u pâle q u a n d s o n mari la rejoignit dans l'élégant b o u d o i r o ù ils se réunissaient c h a q u e soir. Elle s'attendait à de la colère, à des reproches t o u t au m o i n s , et, bien q u e résolue à ne pas céder, elle é p r o u v a i t u n e certaine crainte des d i s s e n t i m e n t s q u e s o n refus p o u v a i t faire éclater. Elle ne baissa pas les y e u x pourtant, q u a n d il la regarda. Elle était bien trop forte et trop fière p o u r cela. Elle souffrait de ce qu'elle avait fait ; m a i s elle ne le regrettait pas, car elle était c o n v a i n c u e de sauver ainsi leur tranquillité à t o u s d e u x . H a b i t u é e à c o m m a n d e r , cette f e m m e absolue ne se rendait pas un c o m p t e exact de l ' h u m i l i a t i o n qu'elle i m p o s a i t à s o n
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mari, et de la dépendance honteuse à laquelle elle le soumettait. Ayant toujours habituellement géré ses intérêts, elle en avait gardé la direction après son mariage, et la pensée que ce put être injurieux pour Saint-Emme, ne lui était pas venue. D'ailleurs, il y avait cette différence d'âge, qui, selon la comtesse, devait tout expliquer et tout atténuer. Et puis, en somme, cet acte d'autorité, que pouvait-il contre son amour ? Trouvait-elle moins de grandeur à cet homme qu'elle avait choisi, le croyant prédestiné ? Et sa science à lui, sa volonté, sa connaissance était-elle détruite, parce qu'il n'avait pu s'approprier la puissance suprême ! Non, certes. Ils avaient été loin. Ils reprendraient peut-être un jour le chemin parcouru, mais ils auraient acquis de nouvelles forces, des moyens plus efficaces, une science plus absolue. Elle pensait tout cela, tandis qu'après quelques phrases banales poliment et péniblement échangées entre eux, elle considérait le visage assombri de Saint-Emme qui feignait de lire pour cacher son irritation. — Mon ami, dit enfin la comtesse, je ne voudrais pas que vous fussiez blessé de ce que j'ai cru devoir faire aujourd'hui. — Si vous le voulez bien Marie, interrompit M. le marquis, nous n'en parlerons pas. Vous avez sagement agi, si votre conscience ne vous reproche rien. Il dit cela noblement, mais une sorte de menace prophétique était dans son regard plus encore que dans son langage . » 44
Ce récit est assurément destiné à nuire à Saint Yves, n o t a m m e n t en faisant de ces recherches un point de conflit grave entre son épouse et lui. Mais, à vrai dire, Saint Yves lui-même confirme avoir consacré beaucoup de temps et d'argent à ces recherches :
44. Claire Vautier, pp. 204 et suivantes.
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« Sachant par ouï-dire que je m'étais occupé de certaines sciences, car tout est dans tout, la langue des aspics et des vipères est allée son train : alchimie, pierre philosophale, folie, soif inextinguible de l'or, le tout soigneusement calculé pour essayer de jeter le discrédit sur mes œuvres de paix sociale. Je n'éprouve aucun embarras de répondre, non à ces sornettes, qui n'en valent pas la peine, mais à ceux de mes lecteurs qui pourraient en être troublés. Pouvant consacrer à la vérification de tous les aspects d'une même vérité les loisirs que d'autres gaspillent, je suis debout avant les plus matineux et travaille seize heures sur vingt-quatre. C'est pourquoi j'ai vécu et étudié pendant plus d'un siècle, si je compare l'emploi de ma vie aux pertes de temps de la plupart des hommes. J'ai pu ainsi, pour ma satisfaction personnelle, pousser plusieurs branches de la connaissance jusqu'aux limites du possible, entre autres jusqu'où porte la Philosophie chimique de l'admirable et regretté Dumas, jusqu'où est allée, depuis, l'interrogation de l'éminent M. Berthelot. Comme d'autres sciences pures, non appliquées, je crois que la chimie a encore plus de découvertes dans l'avenir que n'en renferment son passé et son présent. » Mais Saint Yves prend catégoriquement parti sur les possibilités réelles, à son époque, de mettre au point des procédés industriels. Quant à l'application, je fais toutes mes réserves, et j'ai volontairement perdu quelque argent à me laisser duper sous ce rapport, afin de ne jamais induire personne en erreur. Je ne crois nullement à la valeur industrielle des inventeurs actuels de transmutations. Mais il y a des mirages, des trompe-l'œil intéressants en chimie, et même certaines interférences de plans assez curieuses. Un esprit investigateur peut même aller au-delà, jusqu'à des lois touchant aux états latents de la substance, jusqu'à la frontière de la molécule et de l'atome. Possibilités
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onéreuses de laboratoire, impossibilités à l'usine : voilà ce que répond la vérité expérimentale sur ce point et par suite, l'honnêteté . » 45
D'ailleurs Jules Bois dans son « M O N D E INVISIBLE » confirme que Saint Yves lui tint le m ê m e propos confirmant que ses recherches lui avaient coûté très cher et offrant à l'écrivain de lui faire visiter son laboratoire. De plus, un document beaucoup plus tardif (il date de 1893 — et j ' y reviendrai à ce moment) publié par le Docteur Philippe Encausse montre que Saint Yves continuait à s'intéresser à l'Alchimie et à chercher à mettre au point des procédés industriels de fabrication de l'or et de l'argent. Enfin, à propos des activités de Saint Yves à cette époque, il est une question que je veux mentionner brièvement : ses voyages qui doivent se situer au début des années 1880. Claire Vautier écrit : Saint-Emme partit. Il alla en Belgique, en Suisse, en Italie et même en Allemagne, où il faillit être arrêté, ses prédications ne se trouvant pas en harmonie avec les doctrines gouvernementales de M. de Bismarck (...) Il voyagea ainsi pendant quatre ans et fit quelques prosélytes parmi les naïfs et les affamés d'inconnu et de merveilleux. Il fonda dans le Nord un nouveau système de banque qui fut un moment florissant et lui rapporta des sommes importantes. Mais ceux qu'il avait dupés ayant bientôt reconnu leur erreur, les théories monétaires allèrent encore grossir le nombre déjà suffisant, des œuvres avortées de M. le marquis !» 46
Ce passage mêle allègrement le vrai et le faux : Saint Yves a assurément voyagé pour un cycle de conférences ; nous y reviendrons. Mais il dément fermement dans « LA
45.
« L A FRANCE VRAIE»,
pp.
4 6 . Claire Vautier, p. 2 5 0 .
128-129.
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FRANCE VRAIE », le fait d'être allé en Allemagne, et de s'être jamais livré à des activités bancaires quelconques. Et je pense que ces dénégations doivent être prises en considération. U n e nouvelle phase importante de la vie de Saint Yves va ainsi s'achever, après quoi débutera celle, de sa mission synarchique, elle-même complexe et tourmentée. Pourtant, avant d'aborder cette dernière, il me paraît encore indispensable de jeter un regard sur les diverses productions poétiques de la période qui s'achève. J'en ai cité quelques exemples au passage ; et il est vrai que les disciples en font peu de cas... Il me semble pourtant que les œuvres dites «dejeunesse» sont autant significatives à travers leur irrésolution m ê m e que celles de la maturité dût l'amour propre en souffrir. C'est pourquoi il faut regarder en face quel poète fut Saint Yves, pour comprendre son destin.
CHAPITRE
III
Premiers vers, première doctrine
Il est difficile de savoir à quel m o m e n t de sa vie, Saint Yves entreprit de se livrer à des activités artistiques ; on a relevé qu'il jouait déjà de l'orgue à l'époque de son séjour chez l'abbé Rousseau à Ingrandes, qu'on a situé vers 1856. Par contre en ce qui concerne ses tentatives poétiques, la première publication que je crois pouvoir lui attribuer intervient en 1868, alors qu'il se trouve à Jersey, dans le milieu hugolien. Mais il faut noter aussi que dans le recueil intitulé « TESTAMENT LYRIQUE » et paru plus tardivement, en 1877, les poèmes regroupés en trois grandes parties sont rapportés à des périodes différentes : — L i v r e p r e m i e r : V o l o n t é ( f r a g m e n t s ) d e 1860 à 1865 — L i v r e d e u x i è m e : A m o u r ( f r a g m e n t s ) d e 1865 à 1872 — L i v r e t r o i s i è m e : V é r i t é ( f r a g m e n t s ) d e 1868 à 1875. N o u s aurons l'occasion de revenir sur ce recueil et sur sa signification, mais on peut retenir le fait que Saint Yves indique 1860 c o m m e date des premiers poèmes qui lui ont parus dignes d'être publiés. Encore faut-il savoir que l'appréciation de cette dignité par Saint Yves a quelque peu
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évolué ; Barlet qui par ailleurs n'accorde que peu d'attention à toutes ces œuvres, écrit en effet : « Comme on sent dans cette préface [celle de « MYSTÈRE publié en 1878] la marque du génie qui doit écrire les grandes œuvres de la seconde période ! Hâtonsnous d'y arriver sans plus nous arrêter à ces premiers vols de l'Aiglon. Aussi bien ce sont productions que l'auteur a désavouées depuis : quelques années après cette préface, elles étaient reprises par Saint Yves partout où il a pu les retrouver et mises au pilon, de sorte qu'elles sont aujourd'hui introuvables . » DU PROGRÈS»
1
Le m ê m e Barlet ne souhaite d'ailleurs pas faire grand cas de tous ces poèmes : « Les œuvres de jeunesse ne doivent pas nous occuper longtemps : ce sont des poésies échappées pour ainsi dire à l'enthousiasme de l'étudiant. » Victor Emile Michelet, pourtant admirateur de Saint Yves, parle de « poèmes très médiocres, insignifiants » et m ê m e d'un «fatras de rimailleries ». Seuls Papus et Edouard Schüre manifestent un certain enthousiasme devant ces productions de Saint Yves. Néanmoins, bons ou mauvais, ces poèmes exigent qu'on s'y arrête un peu car, de toute manière, ils sont révélateurs de l ' h o m m e et de ses rêves ; les œuvres dites « de jeunesse», et à ce titre souvent négligées, sont quelquefois beaucoup plus transparentes que les autres, quand il s'agit de découvrir l'homme. Encore faut-il pouvoir les identifier ! Et ce n'est pas toujours facile lorsque les œuvres ont été publiées sous un pseudonyme voire sans n o m d'auteur.
1. Barlet. op. cit.. page 41.
PREMIERS VERS, PREMIÈRE DOCTRINE
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Claire Vautier témoigne une nouvelle fois, mais de manière approximative; elle écrit, à propos des travaux poétiques de Saint Yves pendant son séjour à Jersey : « Il tenta de ressusciter le vers hexamètre créé par Orphée, forme puissante et complète dans la langue des Virgile et des Horace mais incompatible avec les exigences de la langue française. Son œuvre avorta ; il la refondit en alexandrins et composa un poème qu'il intitula « P R O M É T H É E »; il écrivit « LES H E U R E S » et quand il eut fait un volume, il le signa « H E R M È S » . 2
Le dernier volume évoqué par Claire Vautier demeure une énigme : Saint Yves a bien publié dans « TESTAMENT LYRIQUE » un poème intitulé « LES HEURES » et dédié à la Baronne de L o w e n t h a l ; Barlet mentionne aussi un recueil sous ce titre, mais il ne le reprend pas dans sa bibliographie. Par ailleurs les catalogues de la Bibliothèque Nationale, ne permettent pas de retrouver, m ê m e aux anonymes, « LES 3
HEURES » ou
« HERMÈS ».
Par contre le témoignage de Claire Vautier est à peu près exact en ce qui concerne «PROMÉTHÉE». J'ai en effet retrouvé à la Bibliothèque Nationale un poème intitulé « LA DIANE
DES
AMES
—
OUVERTURE
DE
LA
TRILOGIE
DE
PROMÉTHÉE». Le texte est signé à la fin Alexandre Saint Yves et daté « Ile de Jersey, Noël 1868 ». Il peut donc, sauf 2. Claire Vautier, op. cit., page 13. Ce passage a été rappelé par Gilbert Tappa dans l'intéressante étude par laquelle il a opportunément complété ma propre bibliographie de Saint Yves parue dans « L ' I N I T I A T I O N » en 1978 et 1979. G. Tappa « S A I N T Y V E S D ' A L V E Y D R E . A PROPOS D ' U N E R É C E N T E B I B L I O G R A P H I E » in B É L I S A N E , Bulletin de Philosophie et d'Histoire traditionnelles, 1978. Nice, 1979, pp. 59-76. Dans ce chapitre, je n'indiquerai pas en notes les éléments bibliographiques que le lecteur trouvera rassemblés dans la bibliographie générale à la fin du volume. 3. « T E S T A M E N T L Y R I Q U E » , Livre troisième (1868-1875), page 367. La période recouvre pour partie le séjour à Jersey.
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h o m o n y m i e vraiment improbable, être considéré c o m m e son œuvre. D'ailleurs cela est confirmé par ce que Saint Yves écrit dans la préface de «LE MYSTÈRE DU PROGRÈS», publié en 1878, et dans laquelle il explique à son épouse la genèse de l'œuvre qu'il lui dédie. «J'étais jeune alors et l'impossible me tentait ; je voulus offrir une tragédie, donner une fête, non à mes contemporains plus soucieux d'autres choses, mais aux demi-dieux de cette Grèce si intellectuellement religieuse, si poétiquement savante, dont les mystères perdus éblouissaient mes veilles et ravissaient mes songes. Non, me disais-je, non; ces symboles superbes ne sont pas morts ; et il suffit d'une âme croyante pour leur rendre l'animation, le souffle, la parole et pour agiter de nouveau la magie des sanctuaires de l'esprit sur la brutalité de ce siècle désenchanté ! Si je croyais encore qu'écrire soit utile [or Saint Yves n'a encore publié que peu d'oeuvres, et il écrira bientôt des milliers de pages], je prendrais aujourd'hui pour sujet le Messie. Alors, l'idée me vint d'ouvrir et de fermer le cycle de Prométhée, depuis les origines sauvages de l'humanité sur cette terre, jusqu'à sa réintégration dans la perfection divine par le total développement de la Perfectibilité. Je mets à vos pieds, chère amie, la première partie de cette présomptueuse tentative . » 4
« LA DIANE DES AMES » sous-titrée « ouverture de la trilogie de Prométhée » correspond donc bien aux intentions exprimées par Saint Yves, à ceci près qu'on ne voit pas quelles œuvres constituent la « trilogie » annoncée, puisque la tragédie héroïque appelée « LE MYSTÈRE DU PROGRÈS » ne suffit pas à faire une trilogie. L'entreprise fut-elle abandonnée ? O u faut-il espérer découvrir des manuscrits inédits ou des publications inaperçues jusqu'ici? je ne sais. 4.
« LF MYSTÈRE
nu
PROGRÈS
». Préface pages 15-16.
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Toujours est-il que Saint Yves, dans la m ê m e préface de 1878, situe très tôt dans sa vie l'origine de ses travaux sur le thème de Prométhée ; en achevant sa préface, il dit : « Nous connaissons, chère amie, la signification directe et cachée de cette œuvre, ébauche de celles qui l'ont suivie. J'ai éprouvé moins de plaisir à écrire, il y a vingt ans, ce poème, qu'à vous le lire, et à me sentir si puissamment pénétré par la seule attention dont j'aime le suffrage à l'égard des choses divines. » « Il y a vingt ans », faut-il croire que le projet était si ancien? Cela nous conduirait vers 1858, Saint Yves ayant quelques 16 ans. Il se peut qu'il se soit laissé entraîner par la plume, mais il se peut aussi qu'il date ainsi moins l'œuvre réalisée que le rêve qui fut à son origine. Et on a vu que très tôt il rêva d'Orphée, de Pythagore et de Prométhée... et le récit de Claire Vautier n'était peut-être pas aussi erroné qu'on aurait pu le craindre. Je retiens donc et jusqu'à preuve d'autre chose « LA DIANE DES AMES » c o m m e la première œuvre publiée de Saint Yves. « LA DIANE » est selon le Robert, une batterie de tambour, une sonnerie de clairon ou de trompette qui se fait à la pointe du j o u r pour réveiller soldats ou marins, ce qui correspond bien à l'intention quasi prophétique de Saint Yves. L'œuvre est modeste : elle comporte 24 strophes comptant chacune 10 vers octosyllabes. U n poème ne se résume évidemment pas ; pourtant le cheminement de Saint Yves est simple; il s'adresse à la Muse, lui demandant de prendre pitié des h o m m e s , puisque le doute est général et que m ê m e les prêtres « n'entendent plus le sens des cieux». C'est d'ailleurs là un thème — la décadence de la Société — qu'on va retrouver dans de nombreuses œuvres, contemporaines du désespoir que j ' a i déjà écrit — Autant citer la 5' strophe :
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« Et tout meurt — au sein de l'orgie S'éteignent dans l'obscurité Et la jeunesse, et l'énergie, Et la gloire et la vérité. La science est morte à l'idée. Des avortons d'une coudée Parlent des dieux, pour les nier Et l'art, enclavé dans la forme Meurt, comme cet athlète énorme Qu'un chêne avait fait prisonnier. » Cet extrait permet d é j u g e r le style poétique. Pendant plusieurs strophes encore, le poète développe le thème du caractère monstrueux de la société dans laquelle il vit, en opposition avec ses visions radieuses de Bardes en prière. « La Muse indique alors la mission : Affirmez les dieux chez l'athée S'il en est un de bonne foi Confessez Christ et Prométhée Devant les scribes de la loi (...) Et secouant un glas funeste Menacez du verbe céleste Les prêtres prévaricateurs. » Visiblement ces thèmes sont bien de Saint Yves, et ils annoncent de manière grandiloquente ce que va être sa mission personnelle : « Courage à tous car l'heure est proche Prométhée a fini son temps, Il va descendre de sa roche Parmi les peuples palpitants ; L'oiseau des despotes chancelle ; Une splendeur universelle Se lève dans l'immensité Réveille-toi terre française! Le grand vent de la Marseillaise Va souffler sur l'humanité » (strophe XXIII).
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T o u t cela reflète le désarroi, assez ordinaire à cette époque, d'un jeune h o m m e confronté à la crise intellectuelle que connut le Second Empire finissant ; et il réagit de manière très hugolienne dans le style de « LES RAYONS ET LES OMBRES » :
« Le poète en des jours impies, vient préparer des jours meilleurs... » 5
C'est particulièrement évident dans une œuvre qui a été attribuée à Saint Yves, par la « BIBLIOTHÈCA ESOTÉRICA » de D o r b o n et publiée en 1 8 7 3 sous le pseudonyme Celtil : « L'AGE DE PLÂTRE » . La Bibliothèque Nationale qui détient ce premier titre, comporte aussi un autre poème du m ê m e Celtil, également paru en 1 8 7 3 chez Lachaud (l'autre étant paru chez E. Dentu) et intitulé « FRANCE, ROY OU PEUPLE ». En fait j e n'ai retrouvé aucune preuve absolue que ces deux œuvres sont de Saint Yves : mais une nouvelle fois, le style, les thèmes, certaines allusions permettent de tenir l'affirmation du catalogue D o r b o n (qui, au demeurant a été élaboré par des gens qui avaient pu connaître Saint Yves), c o m m e hautement vraisemblable. D'ailleurs une confirmation indirecte est fournie par le fait que « L'AGE DE PLÂTRE » est dédié à Alexandre D u m a s fils : or dès l'année suivante, 1 8 7 4 , un autre livre de Saint Yves : « LE RETOUR DU CHRIST », s'ouvre sur une lettre de Dumas à l'auteur ; de plus un poème de « TESTAMENT LYRIQUE », « LES ASTRES » classés dans la période 1 8 6 8 - 1 8 7 5 est dédié à Dumas. Il semble bien que Saint Yves soit entré en relations avec Dumas, ce qui correspond d'ailleurs aux préoccupations occultistes et mystiques de cette période de la vie de l'auteur de « LA D A M E AUX CAMÉLIAS ». Mais avant d'expliciter ce point, je crois utile de transcrire cette brève 6
Voir aussi sur ce point précis mon étude sur « S A I N T » dans la revue « B É L I S A N E » , 1 9 8 0 . 6. Bibliothèca Esotérica. reproduction de 1975 page 452. 5.
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dédicace d'un poème qui ne sera probablement pas publié de si tôt. « Monsieur, Je viens de lire votre belle réponse à un académicien. Veuillez agréer, avec mon applaudissement, la dédicace de ce poème. Vous appelez « RÈGNE DE LA BÊTE » ce que j'intitule «L'AGE DE PLÂTRE», et comme vous en avez avant moi, proclamé publiquement la malfaisance, je vous en offre l'autopsie. Qu'en penseront les intéressés ? J'aime à croire qu'ils seront de notre avis. Dans le cas contraire, la concordance de nos vues suffirait à ma satisfaction. Sympathie et ralliement autour de cette devise : l'Art pour la vérité. 7
Celtil. Paris 15 avril 1873 . » Celtil, donc, se plaît à souligner les convergences de sa pensée avec celle de D u m a s : (il est probable que « L'AGE DE PLÂTRE » a été formé sur le modèle de « L'AGE D ' O R » ou de « L'AGE DE FER »). Et cela nous fournit l'occasion de retracer quelques aspects peu connus de cette période pour D u m a s et G. Sand ; cette dernière développait, à ce moment, une théorie très « s y n a r c h i q u e » , concernant la fusion sincère des partis c o m m e seul moyen de combattre la décadence intellectuelle et morale de la France qu'elle ne pouvait admettre, ainsi qu'elle l'écrivait à Juliette A d a m . Je suppose que « la belle réponse à un académicien » évoquée par Celtil fait allusion à une polémique qui avait été 8
7. Ce nom de « Celtil » apparaît dans un poème de « T E S T A M E N T : « L A G U E R R E » dédié à Georges Derrien (page 331) : « Au dessous (des Cieux), les Héros, les géants des vieux Ages, Les Celtil, les Rolland, les vainqueurs du Thabor Dans les torrents d'agent qui percent les nuages, descendent aux appels d'un invisible cor. » 8. Sur ce point et quelques autres que je vais développer voir Annarosa Poli « G E O R G E S A N D ET LES A N N É E S TERRIBLES », Bologne-Paris, 1975, R. Patien et A.G. Nizct. pages 279 et suivantes. LYRIQUE»
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ouverte par le livre d'Ideville : « L'HOMME QUI TUE ET L'HOMME QUI PARDONNE», paru chez Dentu en 1872 et précédé d'une lettre à A. Dumas. A l'occasion d'un procès, d'Ideville s'était demandé s'il fallait tuer ou pardonner la femme adultère et il avait choisi le p a r d o n . Dumas, au contraire, qui à ce m o m e n t se penchait sur la question en écrivant « LA FEMME DE CLAUDE », réagit en soutenant qu'il fallait tuer l'adultère : son livre « L'HOMME FEMME, réponse à M. d'Ideville», parut en juin 1872 chez Michel Lévy et connut un énorme succès : 37 éditions dans la seule année 1872, dit Annarosa Poli. La polémique, à laquelle participent, entre autres, Georges Sand, Emile de Girardin, le docteur Henri Favre, n'a aujourd'hui que peu d'intérêt, mais on trouve chez Dumas d'étonnantes théories à propos des femmes, que Celtil - Saint Yves approuve peut-être : 9
« L'humanité collective et individuelle continue à se trouver devant cet X charmant et terrible : la femme. Nous naissons d'elle toujours, nous mourons par elle souvent, car si elle donne la vie à l'enfant, elle la reprend tant qu'elle peut à l'homme, dans l'état actuel des choses. » Il est certain que Dumas, dans toute cette affaire et quelques autres, avait été profondément influencé par le Docteur Favre. Ce personnage peu connu, que Victor Emile Michelet appelle « le vieux Druide » est demeuré bien énigmatique '". 9. Il s'agit d'Henry le Lorgne, Comte d'Ideville (1830-1887) diplomate et auteur de divers ouvrages sur le Maréchal Bugeaud, Pie IX et Victor Emmanuel. 10. V i c t o r E m i l e M i c h e l e t : « L E S C O M P A G N O N S D E L A H I É R O P H A N I E », page 137. Cet auteur qui trace un portrait sympathique de Favre, affirme, imprudemment, me semble-t-il « qu'il a parlé plus qu'il n'a écrit ». J'avoue avoir trouvé horriblement longues les Xlll +715 pages de « LES TROIS TESTAMENTS, EXAMEN MÉTHODIQUE, FONCTIONNEL DISTRIBUTIF ET PRATIQUE DE LA
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Dumas l'avait rencontré chez Georges Sand en 1866 et, sous son influence, passa du positivisme à un certain mysticisme, tout imprégné d'occultisme, de kabbale et d'astrologie. Il est vrai que cela n'améliora pas son équilibre ; vers 1873 (la période qui nous occupe), écrit Carlos M . Noël : « En proie à de véritables crises de neurasthénie, D u m a s songeait alors au suicide » et il attribue cette dépression au mysticisme obscur né de la fréquentation du Dr Favre . C e dernier, à qui Saint Yves dédie un poème dans 11
« TESTAMENT
LYRIQUE »
(« LES
ORIGINES
NATURELLES
DE
e
L'HOMME », dans la 3 partie de 1868 à 1875) développe dans toute son œuvre une curieuse théorie d'où il ressort que l'histoire du monde est le fruit d'un combat entre les celtes ,c
», Le Havre, 1872 (Imprimerie Alphée Brindeau et C ). Non moins longs me sont apparus les deux volumes (420 pages et 445 pages) des « BATAILLES D U CIEL ». A propos de ce dernier ouvrage, je signale que la première édition par Chamuel, en 1892, est intitulée « BATAILLES D U CIEL. MANUSCRIT D ' U N VIEUX CELTE». Le nom de Favre n'apparaît nul part et la Bibliothèque Nationale l'a répertorié aux anonymes (8" R III 57). Par contre la réédition est intitulée « LES BATAILLES D U CIEL. MÉMOIRES D ' U N VIEUX CELTE» (Dr Henri Favre), 2 vol., in 8°, Paris, 1902 (Librairie Chamuel). Favre est aussi l'auteur de « Au PAYS DE L'OCCULTE. LES COFFRETS DE FAMILLE », Paris, 1905 (Fr. de Rudeval), qui est une histoire particulièrement bizarre. Il était né à Poitiers en 1827 et mourut aux Roches Prémarie dans la Vienne. Paul Chacornac, dans son « E L I P H A S L É V I » (Paris, 1926. Chacornac dit de lui qu'il était : «Un lavatérien de première force et un adepte de l'astrologie (...) comme homme c'était une individualité sympathique et une nature originale. Doué d'une lucidité surprenante, presque de double vue, il devinait les moindres secrets du coeur ; il pénétrait le mystère de l'âme, et discernait d'un seul coup d'œil les plus complexes maladies du corps. Sa conversation étincelante souvent était parfois difficile à cause de sa phraséologie » (page 186). Je dois dire que c'est bien l'impression que donnent ses écrits. Il faut mentionner que Chacornac publie une photo hors-texte de ce curieux personnage. A noter ainsi que V . E . Michelet signale «qu'il a dicté à sa fille voilée sous le pseudonyme Francis André, un livre assez étrange, « L A VÉRITÉ SUR J E A N N E D ' A R C », dans lequel, en vue de résoudre l'énigme de la dame des Armoises, il invente une hypothèse saugrenue». 11. Carlos M. Noël : « L E S IDÉES SOCIALES D A N S LE T H É Â T R E D E A. D U M A S FILS». Paris, 1912. Albert Messein. page 267. BIBLE
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dont il est le porte-parole et les euskariens, juifs et francs-maçons. De plus, à de nombreuses reprises, il manifeste un vif intérêt pour toutes les techniques de suggestion et de voyance, par l'intermédiaire de femmes, qui est aussi une question à laquelle Saint Yves s'intéressait. Et sans doute fut-il aussi sensible à ce que Favre prétendait révéler de l'antique civilisation celte — on en retrouvera des traces dans sa propre doctrine et n o t a m m e n t dans « MISSION DES JUIFS » ; peut- être aussi faut-il voir dans cet intérêt pour les celtes d'origine du pseudonyme de Celtil. Ce qui est sûr, c'est que de nombreux poèmes font allusion aux bardes celtiques et que plusieurs contemporains ont commenté cet aspect de l'œuvre de Saint Yves. C'est Barlet qui écrit : il est 1
« le barde celte revenant au xix siècle pour lui révéler les profondeurs mystérieuses et sublimes des sanctuaires antiques. Il ne peut lui-même en retrouver la trace sans entendre à nouveau les chants héroïques des harpistes initiés aux mystères druidiques, sans être tenté de braver l'aridité prosaïque de notre langage, pour les redire en paroles rythmiques . » 12
1 2 . Barlet, op. cit., page 38. Il est évidemment difficile d'apprécier, voire d'actualiser les « usages » de la tradition celtique par rapport à la notion de judéo-christianisme. Ce qu'on a rapporté des théories du Dr Favre, mais qu'on retrouvera à propos de certaines phrases d'un autre ouvrage de Saint Yves, pose des problèmes philosophiques et théologiques queje n'ai ni la prétention ni les moyens de traiter. Toutefois certaines indications précieuses de M . Jean Tourniac, que je remercie une nouvelle fois, permettent de déceler une opposition au sein des sensibilités chrétiennes entre deux groupes. Celui qui se réfère à une conception de ce qu'on pourrait appeler le « christianisme celto-nordique » (que M. Tourniac appelle « le Christ sans Ieschouah ») et dont on retrouve la trace chez des auteurs c o m m e Paul Le Cour ou Julius Evola, mais probablement aussi chez les tenants de ceux
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Mais je souhaite citer un autre témoin, d'ailleurs inattendu, qui n'est autre qu'Edouard Schüre et qui consacre à Saint Yves plusieurs chapitres d'un livre curieux ; il avait semble-t-il bien compris le drame des dernières années de la fin du Second Empire et décrit le désespoir d'un jeune h o m m e spiritualiste : « Il avait u n e c o n s c i e n c e trop haute de s o n idéal et une v u e trop perçante du m o n d e actuel, p o u r ne pas m e s u r e r l'abîme qui les séparait. A b î m e infranchissable ! »
C'est à ce propos qu'il ajoute : « C o m m e n t un j e u n e h o m m e épris à la fois de la s p l e n d e u r radieuse de l'Hellénie classique et de la p r o f o n deur é s o t é r i q u e du C h r i s t i a n i s m e , n'eût-il pas, t o u r n é le d o s à cette civilisation a v e c u n e sorte de d é g o û t m ê l é d ' é p o u v a n t e ? A u x vacances, il se réfugiait aux pays de ses
qu'on appelle aujourd'hui la « Nouvelle droite ». Il faut bien dire que cette conception est bien proche d'un « anti-judaïsme spirituel » qui, au plan du politique, ressemble à la lecture de Maurras l'helléniste ; elle se défend de tout antisémitisme, c o m m e on l'a encore constaté lors de certains événements de 1980. La vérité oblige à dire que la marge est étroite... L'autre « sensibilité chrétienne », si on se réfère à un terme approximatif, ne recourt ni aux Celtes ni à la Grèce mais, au contraire, s'assume judéo-chrétienne, insistant sur « la filiation de David » du Christ, voire à une certaine tradition de l'ésotérisme hébraïque. Dans l'expression officielle de l'Eglise Romaine, elle a pu s'exprimer à travers des phrases telles celle de Pie XI : « Nous sommes tous spirituellement des sémites. » ou encore de Jean Paul II : «qui rencontre le Christ, rencontre le judaïsme». Cela me paraît faire également référence à VEpître aux Romains (11, 17) lorsque Paul explique que : « le rejet d'Israël n'est ni total ni définitif » ou « si quelques-uns des rameaux ont été coupés et si toi, qu'olivier sauvage, tu as été à leur place et as eu part avec eux de la riche sève de la racine de l'olivier, ne fais pas le fier aux dépens des rameaux. Que si tu fais le fier, sache que ce n'est pas toi qui portes la racine, c'est la racine qui te porte».
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ancêtres, aux bois les plus sauvages, aux plages les plus désertes de la Bretagne. Il ne leur demandait ni l'amour ni le rêve, il y cherchait la vérité ! Car une sorte d'instinct éternel et primordial pousse tout d'abord les poètes à chercher Dieu dans les feux grandioses des éléments et dans les harmonies de l'univers visible. Par ce genre de Communion passionnée avec la nature, le jeune Saint Yves se sentait plus proche parent des anciens druides que des prêtres et des savants d'aujourd'hui . » 13
Celtil, ainsi p r o m u nouveau barde, donne avec « L ' A G E » un poème de quelques 450 vers qui est un dialogue entre « LE POÈTE » et « LA LYRE » qui commentent la situation de la France. La lyre expose — longuement — au poète que les pires ennemis de son pays ne sont pas les étrangers, quoique la France soit haïe dans le monde entier, mais bien les Français eux-mêmes : DE PLÂTRE
«... Scepticisme, égoïsme, ignorance Horreur du vrai, du beau, du juste, indifférence, Avidité du gain, des hochets, des galons, Soif de jouir mordant cœurs, nuques et talons, Buvant la conscience et dénichant l'idée, Faim du pouvoir mangeant toute chair possédée, Hypocrisie abjecte, âpre vénalité Vanité colossale et libertinité. Voilà vos ennemis . » 14
T o u t est de ce ton — longuement — mais non sans réminiscence littéraire parfois habile : Schure : « F E M M E S I N S P I R A T R I C E S E T P O È T E S Paris, 1 9 0 8 , Perrin, pages 3 4 1 - 3 4 2 . Le biographe d'Edouard Schure, G . Jeanclaude : « E D O U A R D S C H U R E , A U T E U R D E S G R A N D S INITIÉS - S A VIE S O N Œ U V R E », Paris, 1 9 6 8 (Librairie Fischbacher), signale opportunément que, dans une de ses dernières œuvres, parue en 1 9 2 0 , « L ' A M E C E L T I Q U E ET LE G É N I E D E LA F R A N C E » , Schure se référait êxpÏÏcitement à Saint Yves et à la S y n a r c h i e . " 1 4 . « L ' A C E D E P L  T R E » , page 1 2 . 13.
Edouard
ANNONCIATEURS»,
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«... quand Dieu le veut le bras d'un homme Frappe juste : un Blücher roule et râle. Un Grouchy arrive à temps »... Il n'y a pas lieu de commenter cette image évidemment hugolienne. T o u t cela respire une insatisfaction profonde face à l'ordre social existant — trait qu'on a déjà noté, «Je cherche un doux pasteur : voici le loup J'invoque un Fénelon : j'aperçois Dupanloup » Je pourrais multiplier les exemples : les traits ne sont pas sans force ni sans pertinence, mais le ton est bien marqué de l'emphase propre à l'époque. Toujours est-il que la politique est présente et de manière immédiate : « Mais qu'attendent-ils donc pour refaire une France? Sur quels Dieux comptent-ils ? Quelle est leur espérance ? Napoléon ? Chambord ? Orléans ? Gambetta ? » Et à vrai dire, ni le poète, ni la lyre, n'apportent de solution précise, sauf à condamner l'état des choses de l'époque. L'autre poème de Celtil : «FRANCE, ROY OU PEUPLE», paru la même année, est d'une veine tout à fait comparable. L'œuvre est encore plus ambitieuse : plus de 750 vers. Le poète s'adresse aux Français et leur prédit les pires divisions, voire le démantèlement de leur pays s'ils ne cherchent pas à s'unir : « Les Bourbons prendront l'ouest, les d'Orléans le centre Et les républicains jaloux feront leur antre Du Midi. Quand au Nord, de Dunkerque à Calais, Il entendra rugir les léopards anglais.
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Telle est la loi de mort encore enveloppée De mystère et qui pend sur vous sa lourde épée, Si vous n'amendez pas ce pays qui fut grand, Qui ne veut pas mourir et pourtant est mourant. » Ledit poète se présente lui-même dans les termes suivants : «Ecoutez-moi, Français. Qui suis-je donc? — Personne. Je suis le clairon noir qui d'âge en âge sonne, Et l'Esprit qui m'embauche est à la fois ouï De votre Panthéon jusqu'au Mont Sinaï. J'ai vu crouler l'Egypte, et l'Inde et la Judée, Tyr, Ecbatane, Athènes où rayonnait l'Idée, Et craquer, de l'Indus jusqu'à son cœur Toscan, Rome où la force en rut bouillait, sombre volcan... » T o u t cela, que j ' a b r è g e ressemble bien à la « Mission» que s'attribue Saint Yves, on ne peut en douter. Celtil s'en prend aux partis, ceux du C o m m u n i s m e et de la Bourgeoisie, aux prêtres « tout noirs, du dehors au dedans», aux agioteurs, et affirme une germanophobie exacerbée : « On ne doit plus haïr en France en ce moment Que la Prusse sanglante et son peuple allemand. » Le poème prend ensuite la forme d'un dialogue où interviennent la France, Bourbon, d'Orléans, un vieillard, et Jacques B o n h o m m e . Ce dernier se livre à un réquisitoire violent contre toute monarchie et contre le cléricalisme. La France conclut, elle aussi, à l'idée républicaine. Il est vrai que la question était alors en débat dans l'ensemble du pays. Il faudra attendre encore 1875 pour qu'apparaisse clairement la III République. Celtil participe donc à sa manière à cette grande querelle nationale. e
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Toutefois, dès 1874, Saint Yves publie (sans n o m d'auteur) un autre ouvrage « LE RETOUR DU CHRIST — APPEL AUX FEMMES » qui dénote d'autres préoccupations que strictement politiques. Là aussi on retrouve Alexandre Dumas fils, à qui les épreuves du livre ont été soumises le 7 juin 1874 ; ce dernier manifeste un certain désaccord, notamment à propos de la femme, à qui Saint Yves prête une « initiation » que D u m a s récuse. Je transcris intégralement la lettre qu'il adresse à Saint Yves : Cher Monsieur, J'ai lu, je n'ai pas besoin de vous dire avec quel intérêt et quelle attention, les épreuves que vous m'avez confiées. C'est écrit par un peintre, par un poète, par un prophète, peut-être. Le triomphe définitif de Christ n'est pas douteux pour l'auteur, pas plus que pour moi ; mais je ne crois pas, comme lui, que le triomphe et le salut qui en découlera seront l'œuvre de la Femme et de Marie. Je crois que, sans Marie, le Christianisme triompherait plus vite. C'est Elle qui l'embarrasse dans une légende touchante, poétique, mais étroite, plus faite pour l'art que pour la conscience. Je ne vois en Elle que l'éternelle curieuse qui veut faire changer l'eau en vin par Jésus, comme Elle a voulu faire manger du fruit de l'arbre de science à Adam, et à qui Jésus, pénétré de sa mission répond : « Il n'y a rien de commun entre vous et moi. » Elle ne sera jamais mon intermédiaire entre mon Dieu et moi. Je vais droit à Christ, je la salue, en passant, parce qu'Elle est la Mère de Dieu et qu'Elle est pleine de grâce, si vous voulez ; mais nous n'avons rien à nous dire, et la preuve, c'est que, lorsque son Fils ressuscite, je ne la rencontre pas au tombeau.
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Prenons garde à Marie, c'est la Vierge, c'est la Mère, mais c'est toujours la Femme ; elle apparaît trop aux petites filles de la campagne. De ce que l'Homme s'égare, ne concluons pas que c'est la Femme qui le remettra dans son chemin. Elle ne peut que l'y suivre quand il l'aura retrouvé, et il le retrouvera seul. Du reste, il y a matière à discuter éternellement sur ce sujet et je n'ai que quelques lignes écrites en hâte à mon service, pour aujourd'hui du moins. Je suis dans la lecture du Père Didon. Je vais commencer sa quatrième conférence. Jusqu'à présent c'est irréfutable, et il n'y a pas un être pensant qui ne pense ainsi. Sa forme est claire, loyale, simple, élevée, et le souffle chrétien y passe librement et largement par les portes et les fenêtres ouvertes sur tous les horizons. Nous allons probablement encore nous séparer quand nous allons arriver aux mystères de l'incarnation et de la divinité en chair et en os du Christ. Ici on ferme les portes et les fenêtres et on étouffe. On met l'Infini dans une matrice et il n'y reste pas, bien entendu. En même temps, l'homme supérieur qui se fait le propagateur de cette doctrine merveilleuse, est enfermé aussi dans un texte, dans une lettre dont il ne peut pas se dégager, lui, ce qui fait l'impossibilité de s'entendre. Tout cela n'empêchera pas le Catholicisme de périr et le Christianisme de triompher. « Tout à vous. » O n retrouve donc bien dans cette lettre la défiance à l'égard de la femme — fût-elle Marie — que j ' a i déjà signalée. Mais il est intéressant de noter aussi l'allusion au Père Didon. Ce dernier, p r é n o m m é Henri Martin et qui était né en 1840, était un prédicateur dominicain en vue dans les années qui nous occupent. Roman d'Amat précise qu'à Marseille, pendant les années 1872-1876, une foule de trois à cinq mille personnes se pressa pour l'entendre. Le manuscrit lui fut remis le 18 mai 1874.
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Il donna lui aussi une brève lettre, préface au « RETOUR » (dont semble-t-il le premier titre était « LA D A M E INCONNUE» que j e transcris elle aussi : DU CHRIST
« Mon cher ami, Le manuscrit de la Dame inconnue que vous m'avez soumis a vivement frappé mon attention. En dépit de tout ce qu'il peut contenir d'hétérodoxe et que le Pharisien pourrait vertement relever, je ne saurais louer assez le vigoureux esprit de Foi qui l'a inspiré, qui éclate à travers toutes les pages et qui semble un souffle nouveau, en cette terre et en ce siècle usés. Je ne parle pas de ce patriotisme éloquent qui se marie avec tant de puissance à l'élan religieux et qui devine si bien toutes les ressources qui restent à notre pauvre pays pour le relever de ses défaites. Je crois que de telles pages sont en pleine opportunité, et qu'un tel cri (car ce livre est un cri de la conscience) portera coup, non seulement en France, mais en Europe. Faites tout pour que ce cri s'étende loin. A vous en religieuse et forte amitié, J.M. Didon, De l'ordre de saint Dominique » La lettre est aimable, sans beaucoup plus ; pourtant les chroniqueurs des journaux « L'UNIVERS » et « LE FIGARO » jugeant l'orthodoxie du livre particulièrement douteuse attaquèrent le Père Didon. Dès le 2 4 août, ses supérieurs l'exilèrent au couvent du Havre, dont il revint quelques six mois plus tard ; il est vrai que ce retirement lui permit de mettre au point un recueil de conférences sur « L'HOMME 15
SELON LA SCIENCE ET LA FOI » .
C e « RETOUR DU CHRIST », daté à la fin du 15 mai 1874 est un texte de 116 pages, et comporte 5 parties d'importance très inégale, mais qui toutes sont des dialogues en prose. 15.
Cf.
"1
)|(.'TIONNAIKI l>l lilOCKAl'HII
FKANÇAISK».
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(2 pages seulement) comprend une adresse des Rois mages annonçant à la femme l'apparition d'un monde nouveau. « L'ÉVEIL »
Dans « LA VOCATION » (14 pages), la Femme s'adresse à Marie pour se lamenter sur la dégradation de la vie sous toutes ses formes, et de la Société chrétienne en particulier. Le discours est emphatique, mais on discerne déjà un thème cher à Saint Yves : la distinction entre l'autorité et les pouvoirs ; les maux des Sociétés proviennent de la révolte de ces derniers contre la première et de leurs luttes fratricides ; les déviations de la science, la primauté des industries, l'athéisme des lois s'expliquent par là. Le chapitre des « ÉPREUVES » (33 pages) voit défiler les petites, les enfants des riches, la mercenaire, les enfants pauvres, la mère pauvre, les jeunes filles, les sœurs, les épouses, les femmes nobles, les bourgeoises, les ouvrières, les aïeules, qui toutes se lamentent sur tel ou tel aspect de leur condition. Je ferai une mention pour les artistes, car dans leur discours apparaît un thème qu'on retrouvera aussi plus tard :
«Jadis aux chants m a g i q u e s des o r g u e s , c o m m e autrefois aux s o n s de la lyre d ' A m p h i o n , les pierres se levaient vers le ciel en silencieuses h a r m o n i e s . M u s i q u e des y e u x , architecture, q u ' e s - t u d e v e n u e ? Et v o u s génies é v o c a t e u r s , o ù est caché le sceptre de l'art sacerdotal et r o y a l ? V i e n n e , Strasbourg, M i l a n , N o t r e D a m e , W e s t m i n s ter, K i e w , M o s c o u , B y z a n c e r é p o n d e z ! N ' y avait-il rien q u e des instincts cupides, rien q u e des passions é g o ï s t e s dans l ' â m e de c e u x qui v o u s o n t é v o q u é e s , ô g i g a n t e s q u e s cathédrales assises sur l ' i m a g e d'une c r o i x orientée, superbes t e s t a m e n t s de granit et de marbre, irrécusables testaments de l ' â m e des t e m p s passés ?
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Ü prêtres de Grand Art, où êtes-vous ? où sont vos merveilleux secrets ? » 16
Partout les chœurs de Saint Yves discernent et condamnent une vénalité généralisée. Viennent ensuite « LES MYSTÈRES » ( 1 7 pages) : « L'ESPRIT » s'y adresse à la Femme, et ce chapitre a un caractère doctrinal plus net que les précédents. Saint Yves y esquisse l'idée de la tripartition des pouvoirs qu'on retrouvera c o m m e fondement de la S y n a r c h i e . Le premier pouvoir est Caïn, chef du M o n d e politique ; le seœncTest Abel, la tête du M o n d e religieux ; le troisième est SetïT, le gouverneur des mœurs sociales . Cette tripartition entre les fils d'Adam, Saint Yves la retrouve entre les fils de N o é , avec une inversion (Tailleurs. C h a m , qui correspond à Caïn n'occupe que le second rang, alors que Sem, considéré c o m m e la transfiguration d'Abel occupe le premier rang ; Japhet, lui correspond à Seth. A partir de là, Saint Yves développe une doctrine, qui dans sa terminologie m ê m e fait parfois penser à celles d'auteurs de la fin du x v m siècle, tels que Martinez de Pasqually : « C'est de la prévarication des pouvoirs qui règlent les générations d'Adam, que viennent les guerres de Jéhovah (...) l'assassinat d'Abel par Caïn, l'asservissement de l'autorité religieuse au pouvoir politique, était le fruit de la chute d'Adam, l ' H o m m e universel, sollicité par la vanité d'Eve de rapporter à lui les fruits de la science et de les séparer du rang et de l'ordre qui leur est assigné par moi à l'arbre de leur généalogie divine. » A partir de là, « L'ESPRIT » définit la mission du Christ, en tant que réformateur de tout l'ordre social... mais il est 17
e
16. « L E RETOUR D U CHRIST», page 4 5 , l'allusion au mythe d'Amphion est intéressante. On la retrouvera plus tard chez Paul Valéry. 17. « L E R E T O U R nu C H R I S T ». page 6 7 .
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vrai que les propos prêtés à l'Esprit annoncent aussi une autre « MISSION » : « Ecoute, Fille de Japhet, Ecoute ! le siècle ne se fermera pas sans que les tabernacles s'ouvrent... » La Femme est alors transportée dans les cieux, où elle demande au Christ de revenir sur terre, et il est vrai que sa prière a pu paraître hétérodoxe aux théologiens : « Reviens sur terre, mais JDhrist et non Jésus . » D ' o ù probablement les difficultés du Père Didon. La dernière partie. f36_pages) est donc consacrée_au « RETOUR DU CHRIST ». La Femme, revenue du Paradis et instruite par les Rois Mages qui résument les chapitres précédents, est alors confrontée à l'Anti-Christ décrit par Saint Yves de manière fantasmagorique, en compagnie de l'Anti-Dieu et de la Bête. Les hauts faits dont se vante l'Anti-Dieu ne sont pas dénués d'antisémitisme : 18
« Grâce à mes théologiens choisis pour la plupart dans les tribus d'Israël, forts en Talmud et rémunérés convenablement, quoique sans inutile prodigalité, j'ai fait répandre assez d'encre et de ténèbres sur les textes sacrés pour qu'il soit difficile d'y voir clair, même avec une lampe ou des becs de gaz. » Et un peu plus loin : « Chaque jour, tout Israël entretient, à mon Service, l'amour du veau d'or dans l'âme de mes populations. Avec quelle vigueur, les douze tribus entonnent les cantiques en l'honneur du métal tout puissant ! »
18.
« LE RETOUR D U C H R I S T » ,
page
77.
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Les trois « puissances infernales » commentent ainsi longuement ce qui fait leur pouvoir sur les h o m m e s . Saint Yves décrit ensuite une sorte d'apocalypse très imagée. « Epouvantable fracas d'Eglises, d'Empires, de Royaumes et de Républiques s'entrechoquant dans les ténèbres»... qui entraîne un «déluge populaire». Toutes les femmes s'enfuirent — non sans avoir longuement commenté une nouvelle fois leur condition, et affirmé leur résolution : « Voici la montagne lumineuse ; allons plus haut, toujours plus haut ! Marie a sauvé le Monde, Jeanne d'Arc a sauvé la France, toutes les femmes unies par le même Esprit, sauveront les hommes du néant de leurs œuvres. Gravissons notre calvaire, allons chercher l'inspiration divine qui rayonne sur les crimes lumineuses de l'Eglise, et prions ! » 19
Finalement apparaît la Jérusalem céleste et dans une autre épopée de Saint Yves consacrée à Jeanne d'Arc, on retrouvera une autre description du Paradis ; et le Christ est de retour « en Esprit et en vérité ». « LE RETOUR D U CHRIST » annonce donc un peu ce que deviendra l'œuvre de Saint Yves, mais de manière encore voilée derrière un style pompeux et qui a beaucoup vieilli. Il faut attendre 1877 pour voir Saint Yves publier à nouveau diverses œuvres. Cette année-là, qui est aussi celle de son mariage, il publie coup sur coup « TESTAMENT LYRIQUE » et « CLEFS DE L'ORIENT»; en 1878, ce sera sa tragédie héroïque, «LE MYSTÈRE DU PROGRÈS ».
19.
« LE RETOUR D U CHRIST»,
page 111.
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PREMIERS VERS, PREMIÈRE DOCTRINE
« TESTAMENT LYRIQUE »
Les deux premières œuvres sont très dissemblables : Tune est un recueil de poèmes, souvent anciens, on l'a vu ; l'autre un texte doctrinal. Elles ont néanmoins en c o m m u n trois chapitres en prose, intitulés respectivement « LA NAISSANCE », « LES SEXES DE L ' A M O U R
»,
« LA
M O R T
». « T E S -
» comporte également une dédicace qui ne peut se comprendre qu'à la lumière de « CLEFS DE L'ORIENT » : « Aux civilisés de la Chrétienté et de l'Islam, devant Israël c o m m e témoin, les conclusions religieuses de ce livre sont dédiées. » Je reviendrai bientôt sur ce point. « TESTAMENT LYRIQUE » est un gros recueil de plus de 4 4 0 pages et qui comporte soixante poèmes. C o m p t e tenu de la période au cours de laquelle ils ont été écrits, on retrouve tous les thèmes qu'on a déjà cités ; du désespoir, et en particulier du désespoir amoureux, à l'exaltation d'une mission à venir ; de la condamnation des mœurs du temps à la plus grande sérénité. Cela ne peut évidemment se résumer. Mais il me paraît en tout cas intéressant de reproduire la table de ce livre, ne fût-ce que parce que les dédicaces de certains poèmes indiquent dans quel milieu évoluait alors Saint Yves, ou cherchait-il à se faire des relations. TAMENT LYRIQUE
TABLE DE TESTAMENT LYRIQUE LA NAISSANCE LIVRE PREMIER VOLONTÉ ( F r a g m e n t s ) , de 1860 à 1865 A M LES DEUX VOIX Moonnssiie u r de M e t z A M a d a m e H o n o r é de Balzac L'ORAGE Madar
178
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
. . . . A M o n s i e u r A d o l p h e Pelleport A M o n s i e u r Jean G i g o u x PARIS A Monsieur Victor H u g o LE M A L B A B Y L O N I E N . . . A M a d a m e la Princesse P a l é o l o g u e L'ATLANTIQUE A Madame la c o m t e s s e d ' A l t o n - S h é e MISÈRE A M o n s i e u r Philippe d e Faye LETTRE A M a d a m e la c o m t e s s e E . d ' H . SUICIDE A M o n s i e u r le v i c o m t e G o d e f r a y LE P A S T E U R A M o n s i e u r G e o r g e s Pallain LA S Œ U R A M a d a m e la c o m t e s s e Georges de Mnizsech L'ENFANCE A u n e Enfant AMITIÉ A u n e j e u n e fille ASCÉTISME A une jeune f e m m e PRIÈRE A M a d a m e V . Faure U N S O N G E D E LA TERRE A M o n s i e u r Ernest R e n a n L'AMOUR CHARNEL LE C A L M E
LES S E X E S E T L ' A M O U R
LIVRE D E U X I E M E A M O U R ( F r a g m e n t s ) d e 1865 à 1 8 7 2 A LA FEMME DÉESSE ET FEMME RÊVE L'AVE A M O N ESPRIT FAMILLIER L'ABSENCE L'ANTRE N O X ALMA MAGIE LE C A N T I Q U E LA GLOIRE L'ADIEU
PREMIERS VERS, PREMIÈRE DOCTRINE
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JE NE VOUS AIME PLUS SUR MER PARDON EPITAPHE LA MORT
T R O I S I E M E LIVRE VÉRITÉ ( F r a g m e n t s ) , de 1868 - 1875 LA TERRE LA POÉSIE LE TRAVAIL
A M o n s i e u r le capitaine Gilbert A M a d a m e la c o m t e s s e de Keller A M o n s i e u r Charles Shasher
LES ORIGINES NATURELLES DE L'HOMME . . . A M o n s i e u r le d o c t e u r Favre L'AMOUR
LES ORIGINES SOCIALES
A Monsieur
ANTEROS LA LIBERTÉ L'AUTORITÉ
le A la A A A
LE TEMPLE LES HEURES
le c o m t e de C h a u d o r d y A M o n s i e u r le c o m t e du R ü t t e A Madame
LES ANCÊTRES
b a r o n de S a i n t - A m a n t Madame c o m t e s s e A . de M a u g n y M o n s i e u r le d u c D e c a z e s M o n s i e u r H e c t o r Pessard
la m é m o i r e de Fabre d ' O l i v e t A Monsieur Georges Derrien LA GUERRE A M o n s i e u r le d o c t e u r Q u a r a n t e L'ALPE LA VICTOIRE APTÈRE . . . A M o n s i e u r L. B o u c h a r d A M o n s i e u r G a s t o n Saint Y v e s L'ALPE A Monsieur LA SCIENCE
LE GRAND ASCÈTE
la b a r o n n e de L o w e n t h a l A Monsieur le d o c t e u r Saint Y v e s
LA LUNE
A M a d a m e la c o m t e s s e R z e w u s k a
180
SAINT-YVES D'ALVEYDRE LE RETOUR DU GRAND PASTEUR LE BERCEAU LES ASTRES LA MISSION
. . . A Monsieur Le Play A Monsieur de Villiers du Terrage A Monsieur Alexandre Dumas
L'ÉPOUSE DE DIEU
LA CRÉATION LE PATER DES ROIS MAGES
A Monsieur le comte Georges de Mniszech A la mémoire de ma Mère. »
Il est certain que plusieurs de ces personnages mériteraient qu'on retrace leur figure, et leur intérêt pour l'occulte ; j e pense n o t a m m e n t à Georges de Mniszech qu'on retrouvera plus tard. O n aura aussi l'occasion de revenir sur certains c o m m e Le Play ou le comte de Chaudordy. Q u a n t aux poèmes eux-mêmes, les strophes que j ' a i eu l'occasion de citer montrent un style néo (ou post) hugolien qui n'appelle pas beaucoup de commentaires. T o u t n'y est pas médiocre, loin de là, mais l'ensemble ne relève pas pour autant d'un génie de premier ordre. La dernière grande œuvre poétique de la période sera « LE MYSTÈRE DU PROGRÈS » qui s'ouvre par une dédicace à Marie Victoire datée de Noël 1877 — son anniversaire, et qui est un poème de 5 4 vers que j ' a i déjà cité. Le recueil se ferme d'ailleurs sur un « HYMNE À MA FEMME » de 3 2 strophes d'un style parfaitement ampoulé. Il se clôt sur les vers suivants : « Par toi sa Providence à mon tour me caresse J'en sens dans ton amour tous les biens infinis Et je laisse tomber, perles de ma tendresse, Mes larmes sur tes pieds bénis ! » 20
20.
« LE MYSTÈRE D U PROGRÈS
», page
186.
PREMIERS VERS, PREMIÈRE DOCTRINE
181
L'essentiel du livre — 146 pages — est consacré à une «tragédie en cinq actes avec chœurs et ballets», qu'il me paraît difficile de résumer en peu de mots. T o u t se passe chez les Dieux grecs ; et les différents actes sont consacrés à l'autorité, à la révolte, au complot, à la lutte et la réalisation de Prométhée. Autant cette tragédie est pesante, malgré quelques beaux vers, autant il me semble intéressant de citer des extraits de la préface qui sont parfaitement clairs. C'est déjà le Saint Yves de la seconde période qui commence à apparaître. O n se rappelle que Saint Yves faisait remonter très haut dans sa jeunesse son intérêt pour les mythes antiques ; il situe cet intérêt par rapport aux différentes sciences : « En procédant de haut en bas, dans la seule hiérarchie des connaissances humaines, je constatais l'absence de trois sciences faute desquelles la Politique et la Sociologie ne peuvent être réduites à l'état scientifique, faute desquelles l'Histoire, dépourvue de principes, de lois et de finalités, demeure, soit un mauvais livre ennuyeux et inachevé, soit, dans sa partie purement extérieure, une simple chronologie nécrographique. Les trois sciences, dont je constatais l'absence sur les programmes officiels de l'enseignement, sont : la Théodoxie ou Théodicée, la Théologie générale et la Théologie comparée. Elles m'occupaient alors, comme aujourd'hui celles d'une autre hiérarchie; c'est à ce titre que j'étudiais, parmi les cultes trithéistes, celui qu'Orphée légua à la Grèce. Au nombre de symboles de son incomparable Mythique, celui de la Perfectibilité, Prométhée m'arrêta longtemps ; il me sembla planer sur ce siècle en travail, avec la même puissance que l'Apocalypse de Saint Jean, que les Prophéties d'Isaïe ou de Daniel. Cet immense et titanique hiéroglyphe, si vigoureusement cloué par le Dieu du travail sur le Caucase, cet holocauste des Forces de la Terre défiant le Ciel après l'avoir forcé, ce victime menaçant comme un triomphateur, suspendu dans les nuées au-dessus des générations tumul-
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
tueuses dejaphet, indomptable comme elles, mordu au flanc par l'Aigle ou le Vautour de l'Autorité qu'il brave, ce colosse tourmenté dont l'Océan baise les pieds, et qui élève vers les Astres ses points chargés de chaînes, qui, vaincu mais non convaincu par la douleur, vaillant jusqu'à la folie, antithèse du Job sémitique, crie aux hommes blancs : debout ! à la Science : plus haut ! à l'Art : plus loin ! à l'Industrie : en avant! au Destin : jamais! à la Providence toujours! à toute volonté : courage! n'est-ce pas le génie véritable de notre Europe, et ne dirait-on pas qu'en concevant cette figuration de l'Esprit du Progrès, Orphée devançait de quatre mille ans son époque, et regardait la nôtre à la pleine lumière d'une initiation parfaite ? » Mais ce qui me paraît le plus intéressant provient de la doctrine que Saint Yves esquisse et qu'on retrouvera dans plusieurs œuvres ultérieures, qu'il s'agisse de la « MISSION DES JUIFS » ou de la « LA SAGESSE VRAIE ». C ' e s t pourquoi j e le cite longuement : « Un dernier mot de théologie comparée sur la conception orphique du Progrès, par rapport à l'idée moïsiaque de la Chute. Orphée et Moïse qui, tous deux, vécurent à peu près dans le même temps, reçurent, l'un et l'autre l'Initiation sacerdotale et royale dans les Temples d'Egypte. Tous deux, puisant aux mêmes sources intellectuelles, dotèrent les temples qu'ils fondèrent ou restaurèrent d'une Cosmogonie cachée dans une mythique génésique, et qui, jusque dans les noms propres, véritables hiéroglyphes graphiques révèle une communauté indéniable d'origine et de traditions. La marche générale de l'Humanité terrestre ne pouvait échapper au génie, pas plus qu'à la science et à l'inspiration de ces deux fondateurs de Peuples et d'Etats sociaux. Chacun l'envisagea d'un point de vue diamétralement opposé, qui peut sembler contradictoire, et pourtant ne l'est pas. Moïse regardant l'Humanité du haut de l'Unité divine, du sommet des sciences théogoniques, en marqua la marche
PREMIERS VERS, PREMIÈRE DOCTRINE
183
s u i v a n t la m é t h o d e d e s c e n d a n t e , propre à cet ordre de sciences, il fut ainsi fidèle à l'antique O r t h o d o x i e . A i n s i c o n s i d é r é e s , du haut de l ' U n i v e r s , du f o n d de l'Essence d i v i n e , depuis leur principe impérissable j u s q u ' à leurs o r i g i n e s a n t h r o p o m o r p h i q u e s et terrestres, les p u i s sances c o n s t i t u t i v e s de l ' U n i v e r s e l A d a m t o m b e n t de l ' O r d r e d i v i n , et leur m a r c h e spirituelle est e f f e c t i v e m e n t u n e chute. O r p h é e , au contraire, forcé, v u l'état de la Thrace, de la G r è c e et des îles, de c o m p t e r a v e c le s c h i s m e f é m i n i n , et de d o n n e r le pas à la N a t u r e sur D i e u , i m i t e la réserve des Prêtres é g y p t i e n s , ses maîtres, cache au f o n d des M y s t è r e s et d e l'Initiation les secrets de l ' O r t h o d o x i e , et dans les v o i l e s m y t h o l o g i q u e s de sa C o s m o g o n i e , affecte de v o i r la Race h u m a i n e et sa m a r c h e , n o n pas s e l o n la m é t h o d e d e s c e n d a n t e de ses principes célestes, m a i s suivant la p r o g r e s s i o n ascendante de ses o r i g i n e s naturelles sur la Terre. Partant de la N a t u r e c o m m e principe, de l ' A n t h r o p o l o gie c o m m e science, cette s e c o n d e m a r c h e , s e m b l a b l e au principe d o n t elle a c c o m p a g n e les é v o l u t i o n s plastiques, n'est plus, en effet u n e chute, mais u n e p r o g r e s s i o n ascendante vers le Principe m â l e o u D i e u . C e s d e u x m é t h o d e s , ces d e u x manières d'envisager la hiérarchie des réalités et des connaissances, ainsi q u e la m a r c h e d u R è g n e h o m i n a l , loin de s'infirmer l'une l'autre, c o m m e l ' a n t a g o n i s m e intellectuel et p o l i t i q u e des t h é o l o g i e n s et des naturalistes m o d e r n e s , pourrait le faire s u p p o s e r , s'éclairent m u t u e l l e m e n t ; et l'une sans l'autre est i m p u i s s a n t e à faire face à la totale Vérité. M i l l e pardons p o u r ce p o i n t de t h é o l o g i e c o m p a r é e ; j e le r é s u m e en d e u x a x i o m e s de T h é o l o g i e générale. C o n s i d é r é dans les Principes universels qui le c o n s t i t u e n t c o m m e Puissance et c o m m e R è g n e , l ' H o m m e , tel que l'a v o u l u v o i r M o ï s e , d e s c e n d de D i e u . O b s e r v é dans les O r i g i n e s terrestres qui le manifestent a u x sens c o m m e E s p è c e , l ' H o m m e , tel que l'a v o u l u v o i r O r p h é e , m o n t e de la N a t u r e . En aucun cas. il ne d e s c e n d du s i n g e , et ne peut
184
SAINT-YVES D'ALVEYDRE s'abaisser plus bas q u e l u i - m ê m e , q u e l q u e désir qu'il en puisse avoir. La R é d e m p t i o n c o r r e s p o n d p r o v i d e n t i e l l e m e n t au p r e m i e r a x i o m e , la Perfectibilité r é p o n d i n t e l l e c t u e l l e m e n t au s e c o n d ; toutes d e u x o n t p o u r Principe et p o u r Finalité la Perfection de l'Essence d i v i n e , soit q u e l'un, par les sciences et les arts de l'ordre d i v i n , révèle au R è g n e h o m i n a l s o n R o y a u m e spirituel; soit que l'autre, par les sciences et les arts de l'ordre naturel, m e t t e de plus en plus l'Espèce h u m a i n e en p o s s e s s i o n de s o n d o m a i n e t e m p o r e l . Le M e s s i e est l'incarnation de l'Esprit r é d e m p t e u r d u R è g n e . P r o m é t h é e est le s y m b o l e de la Perfectibilité de l'Espèce. Le p r e m i e r r e m o n t e v a i n q u e u r dans le R o y a u m e d'où il est d e s c e n d u ; le s e c o n d redescend v a i n c u sur le d o m a i n e d ' o ù il est m o n t é . Fils d e j a p h e t , en C o s m o g o n i e , l'Espace, en A n d r o g o nie, la Race blanche, P r o m é t h é e est le g é n i e d u P r o g r è s . Ses associés, les Cabires, s o n t des d i e u x célestes qui se s o n t liés à lui par s e r m e n t , dans le but de d e v a n c e r la v o l o n t é d e Jupiter à l'égard des H o m m e s e n c o r e s a u v a g e s , en leur révélant avant le t e m p s prescrit par lui, les Sciences et les Arts a v e c la Parole, et en les faisant passer de l'Etat de N a t u r e à l'Etat social. Les Cabires dans la haute antiquité g r e c q u e , f a m e u x et révérés.
furent
C e que les auteurs grecs, fort r e s p e c t u e u x d'ailleurs d u secret de leurs M y s t è r e s religieux, en laissent transpirer, s e m b l e révéler u n e puissante c o r p o r a t i o n sacerdotale, d ' o r i g i n e p h é n i c i e n n e , très versée dans les sciences de la N a t u r e , répandue dans l'ancienne Ionie, et particulièrement o c c u p é e de métallurgie. Jupiter, le J é h o v a h , o u plutôt le W i s h n o u o r p h i q u e , m a i n t i e n t l ' U n i t é du M o n d e , et en v e u t à P r o m é t h é e de la c o m p r o m e t t r e , en révélant trop tôt à l'Espèce h u m a i n e des B i e n s q u e s o n i n e x p é r i e n c e sociale va c h a n g e r en M a u x ; il r e p r o c h e au T i t a n d'avoir m i s dans sa c o n s p i r a t i o n sept de ses Fils, et enfin d'être m o n t é dans le Ciel p o u r y ravir le Feu
PREMIERS VERS, PREMIÈRE DOCTRINE
185
sacré, l'Ardeur de l'Essence divine, et en animer l'Humanité. Ce qui exalte Prométhée dans son rôle et dans son œuvre précipitée, c'est son amour malheureux pour Minerve, la fdle du cerveau divin, la Sagesse la Perfection. La Pensée complète de Jupiter. J'ai cherché à mettre chaque caractère dans son degré propre de Vérité, et à me conformer à la tradition orphique. J'ignore comment Eschyle, dans ses deux tragédies perdues, avait conçu le rôle personnel de Jupiter, si toutefois il l'a mis directement en action. Il me semble pourtant l'avoir sacrifié à un parti pris. En définitive, ce que veut Prométhée, c'est substituer son action à celle du Maître, et devenir un Jupiter lui-même, s'il le pouvait. Je me suis borné à indiquer, tel qu'il m'est apparu, ce rôle de l'Autorité, moins sympathique peut-être, mais non moins important que celui du Progrès violent, dont la Révolte n'est intéressante, après tout, que parce qu'elle n'est pas totalement désintéressée de tout motif ni de toute passion personnelles. Dans cette lutte, d'ailleurs, l'Eternel doit avoir raison du Temporel, celui-ci fût-il immortel comme le Titan, le Ciel doit maîtriser la Terre, Dieu l'Homme, la Perfection, la Perfectibilité, Toute la partie. L'Etat sauvage lui-même serait moins funeste à l'Ordre divin, dont l'Homme est une Puissance détachée, que le Progrès, si celui-ci devait demeurer indéfini, sans Principe religieux qui en détermine le but, sans méthode qui en équilibre la marche, sans régie supérieure qui en coordonne les résultats acquis . » 21
En fait ces quelques pages de la préface expriment fort bien ce qu'a voulu démontrer Saint Yves et plus clairement que toute sa tragédie. Au demeurant ce n'est pas la dernière fois que l'on découvre ce trait chez notre auteur : 12 ans plus tard, il donnera une épopée consacrée à «JEANNE D ' A R C » , d'une longueur comparable. N'est pas poète qui veut. 21. « L E
M Y S T È R E D U PROGRÈS
», pages 16 à 22.
186
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
U n e dernière œuvre de la période vaut d'être signalée : elle est en prose, elle est doctrinale, elle est brève. Il s'agit de « CLEFS DE L'ORIENT ».
CLEFS DE L'ORIENT
Ce livre est assurément un tournant important dans l'œuvre de Saint Yves, et pour des raisons multiples ; la première étant qu'il s'agit pour la première fois d'un texte ayant un caractère doctrinal avéré. Ö r cela n'est pas si fréquent chez Saint Yves, en dépit des apparences, et si l'on s'en tient aux œuvres publiées de son vivant (ce qui exclut «MISSION DE L'INDE» et «L'ARCHÉOMÈTRE»). C'est d'ailleurs là un point capital pour comprendre la suite, et c'est pourquoi on va le développer avant m ê m e de relever quelques autres aspects historiquement intéressants. U n seul auteur, me semble-t-il, a pris soin de mettre en évidence ce caractère de l'œuvre : il s'agit de Marcel Clavelle, qui devait par la suite être le collaborateur de la revue de René Guenon «LES ÉTUDES TRADITIONNELLES». Sous d'autres n o m s il a poursuivi dans des revues telles que « LE VOILE D'ISIS », et « LE SYMBOLISME », une œuvre discrète dont l'importance est indéniable, bien qu'elle ait donné lieu à controverses. En 1 9 3 5 , déjà, il remarquait dans « LE VOILE D'ISIS » que » et à certains égards « MISSION DES JUIFS » comportaient les éléments d'une doctrine cohérente et qui fait que ces deux livres tranchent dans l'œuvre de Saint Yves : « CLEFS DE L'ORIENT
« Il est d'ailleurs digne de remarquer, écrivait-il, que l'auteur de la « MISSION DES JUIFS » qui se recommandait d'une « tradition » et d'une « initiation » assez imprécises n'a en fait publié aucun ouvrage doctrinal d'ésotérisme ; cela est d'autant plus étrange que, s'il peut y avoir des inconvénients à écrire publiquement sur certaines sciences traditionnelles,
PREMIERS VERS, PREMIÈRE DOCTRINE
187
et sur des applications sociales ou autres des doctrines ésotériques, il n'en est évidemment pas de même en ce qui concerne l'exposé des principes... » 22
De fait, on aura lieu de constater que la plupart des ouvrages de Saint Yves sont sinon historiques, du moins des dissertations sur l'histoire passée, c o m m e aussi des p r o grammes d'action philosophico-politique ; ils se réfèrent sans doute à certains principes tels que « la s y n a r c h i e » qui explique à ses yeux et sous des formes diverses l'histoire des principales civilisations, mais c'est toujours à travers des illustrations très conjoncturelles, qu'il explicite la réalité. Cela étant, « CLEFS DE L'ORIENT » permet aussi de compléter le tableau des différentes sources et références de Saint Yves ; d'abord parce que le livre est dédié à un diplomate, le comte de Chaudordy et il y Vlieu de s'interroger sur ce faît ; ensuite parcelque cette dédicace comporte après la signature la mention de « m e m b r e de l'union de la Paix sociale », ce qui indique une appartëhancTîrifërèssarite ; enfin~parceque pour la première fois apparaît le terme de s y n a r c h i e : on peut se demander d'où il provient. D'autre part il est indispensable d'analyser les différentes théories que développe Saint Yves, tant à propos de l'unité des différentes religions abrahamiques qu'à celui de certaines sciences occultes (telles que psychurgie ou nécromancie). Mais avant de développer tous ces points, il est indispensable de dire quelques mots de la matérialité m ê m e du livre. Pour en avoir une connaissance complète, le lecteur ne peut se référer qu'à l'édition. cudgiriaie_d^i8^7^ ova_à cdlej^^9J$0, éditée par les Editions Bélisane et à laquelle j ' a i donné une
22. Jean Reyor :
» in 1935, pages 283-294. Cette étude a été publiée à l'occasion de la réédition de « L ' A R C H É O M È T R E » en 1934 (avec une note de Philippe Encausse). «ETUDES
« S A I N T Y V E S D ' A L V E Y D R E ET L ' A R C H É O M È T R E
TRADITIONNELLES»,
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
188
23
introduction h i s t o r i q u e ; toutes les autres, sans exception, y compris donc celle de Papus, sont incomplètes. Elles ne reproduisent en effet que les trois chapitres, consacrés à « LA NAISSANCE », aux
« SEXES ET L'AMOUR » et à « LA MORT »
qui
ouvraient ainsi chacune des trois parties de « TESTAMENT LYRIQUE ».
O r « CLEFS DE L'ORIENT » comporte en plus une préface de 23 pages, qui commente le réveil religieux de tout l'Islam, déjà perceptible à l'époque. Saint Yves expose les conséquences de ce réveil dans le cas où les grandes puissances (occidentales) seraient divisées, ce qui est le cas, à ses yeux / depuis 1648. Il esquisse les grands traits de cette histoire européenne (qu'il explicitera plus tard dans « MISSION DES SOUVERAINS » et condamne l'inertie des états européens m o dernes. Il préconise l'ouverture d'une concertation large, modifiant
« LA
CONSTITUTION
GÉNÉRALE
DES
RAPPORTS
INTERGOUVERNEMENTAUX ».
O r cette dernière ne lui paraît pas possible. « Tant que les Eglises d'abord, représentées par leurs évêques, les Nations ensuite, représentées par les premiers de leurs magistrats, n'auront pas ouvert un concile œcuménique et un congrès de légistes, tendant à harmoniser leurs rapports religieux, leurs codes, s'éclairant mutuellement, tenant u n compte exact des besoins religieux et sociaux que révèlent non seulement les maux dont les peuples sont travaillés, mais aussi les biens qui leur sont acquis. » « Alors, quand le concile des Eglises ayant admis à I audition fraternelle les représentants religieux d'Israël et de l'Islam, léguera à l'Europe les canons sacerdotaux de ses principes sociaux et de ses fins religieuses, de ses rapports comme Etat social de la médiation chrétienne avec les autres Etats sociaux de la terre, — quand le Congrès des 2 3 . « C L E F S D E L ' O R I E N T » , Nice, 1980, Bélisane. Introduction de Jean Saunier. Les autres éditions sont recensées dans la bibliographie générale figurant à la fin du volume.
PREMIERS VERS, PREMIÈRE DOCTRINE
189
Jurisconsultes aura fait pour les mœurs ce que le Concile aura accompli pour la foi, le Conseil des Etats pourra ouvrir avec fruit, les diplomates y prendre place et réaliser l'équilibre européen jusqu'ici peu réel . » 24
Les trois instances ainsi décrites réalisent la synarchie que souhaite Saint Yves, m ê m e si à l'époque il ne se fait guère d'illusions sur la date de sa réalisation : « En attendant que les Eglises, les Tribunaux et les Etats d'Europe, s'entendent pour mettre à l'étude et faire progressivement passer en acte le projet d'une synarchie qui réalise enfin l'équilibre attendu, il pourra s'écouler un certain nombre d'années précieuses que l'initiative individuelle fera sagement de mettre à profit . » 25
Les trois chapitres principaux n'évoquent pas directement la synarchie, ils font l'exposé de certaines possibilités d'entente « initiatique » entre Talmud, Evangile et Coran ; Saint Yves indique d'ailleurs explicitement dans la conclusion que « Les trois chapitres s'adressant aux civilisés des trois cultes, leur prouveraient peut être que les systèmes réservés dont parle Saint Cyrille, sans toucher aux questions de dissidence qui séparent et opposent les Chrétiens, les Mahometans, les Israélites, peuvent, en s'appuyant d'une part sur le texte hébreu de leur cosmogonie, ou d'autre part sur une définition précise de la promesse, leur donner une initiation commune, conforme à leur âge et à leurs facultés, une source de vie religieuse, de science synthétique, de lumière sociale qui leur fait intérieurement défaut . » 26
Les 28 pages de la conclusion reviennent longuement sur la nécessité de résoudre « la question d'orient » dans ses 24.
« CLEFS D E L ' O R I E N T
2 5 . Id., page 1 9 . 2 6 . Id., page 1 1 4 .
», pages
12-13
de l'édition
1877.
190
SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
différents aspects au moyen d'un accord sur les principes qui fait parfois penser aux propos ultérieurs de René Guenon dans son « O R I E N T E T O C C I D E N T ». Saint Yves préconise non s e u l e m e n t la c r é a t i o n d e s t r o i s « i n s t i t u t i o n s amphictyoniques » déjà décrites, mais aussi qu'elles siègent dans « une ville neutralisée p o l i t i q u e m e n t , sacrée religieusement », ce qui résoudrait la question de Jérusalem. Plus d'un siècle après la question reste posée ! En définitive, les grands traits de la synarchie telle qu'elle apparaît dans « C L E F S D E L ' O R I E N T » comportent les exigences suivantes : 1) Rendre aux Eglises une institution commune, un Conseil suprême, un rôle initiateur dans une ville neutralisée par les ïtatïTëT consacrée par elles ; 2) Accorder aux~nations dans la même ville une chambre haute des Assises, un jury composé des délégués de leurs magistratures ; 3) Fonder dans la même métropole un conseil des Etats, dont les conseillers seraient fournis par la diplomatie actuelle. 4) Fonder dans une cité-mère, une Université modèle qui soit pour les civilisés majeurs des deux sexes et des trois cultes, une sources d'initiation complète aux mystères de la science de l'art et de la vie . » 27
Il s'agit donc bien d'instaurer la suprématie d'une sorte d'autorité spirituelle s'imposant à tous les pouvoirs t e m p o rels, et pas seulement à ceux qui relèvent de l'ordre politique. Néanmoins, on remarquera au passage l'affirmation du paragraphe 3 selon laquelle « la diplomatie actuelle » peut fournir des éléments applicables dans une autre perspective. Cela nous amène à traiter du point que j ' a i déjà signalé, le fait que le livre soit dédié à un diplomate, le comte de 27. Id., pages 131-132.
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Chaudordy (et dans le dédicace m ê m e Saint Yves lui demande de l'excuser de mettre en doute la capacité actuelle des diplomates à réaliser la paix en Europe...). Il ne paraît pas inutile de rappeler qui était ce personnage. Fils d'un magistrat important dévoué à la Monarchie de Juillet, Jean Baptiste Alexandre Damase de Chaudordy, né à Agen en 1824, avait débuté dans la diplomatie en 1851 c o m m e attaché d'ambassade à R o m e . Après divers séjours à Weimar, à Londres, Copenhague, Carlsruhe, et à l'Administration centrale du Ministère, il fut n o m m é Ministre plénipotentiaire en 1868. Au m o m e n t du 4 septembre, il était directeur aux Affaires étrangères et participa à ce titre, aux travaux de la délégation de Tours pour défendre les intérêts diplomatiques de la France en guerre ; il préconisa une orientation vers l'Angleterre et s'opposa à Thiers,plein d'illusions sur" le comportement de la Russie . Elu, en février 1871, député du Lot et Garonne, il soutint la politique du duc de Broglie (il siégeait à l'extrême droite). En 1873, toutefois, il reprit sa carrière diplomatique c o m m e ambassadeur en Suisse puis à Madrid, mais il refusa l'Ambassade de Constantinople en 1876. Il accepta néanmoins de représenter la France à la Conférence internationale de Constantinople qui s'ouvrit la m ê m e année (le 8 décembre 1876) pour s'interrompre dès le 22 janvier 1877. C'est à cette conférence que Saint Yves fait allusion à plusieurs reprises. Elle avait été longuement réclamée par le Cabinet de 28
29
28. Pour reconstituer la carrière de Chaudordy, on dispose du DE BIOGRAPHIE FRANÇAISE», tome VIII (colonnes 835-836), ainsi que de son dossier personnel accessible aux Archives du Ministère des Affaires Etrangères. Voir aussi mon introduction à « C L E F S D E L ' O R I E N T », dont je reprends ici les grandes lignes. 29. Consulter sur ce point Henri Hauser, Jean Maurain, Pierre Benaerts : « D u LIBÉRALISME À L'IMPÉRIALISME », Paris, 1939, Félix Alcan, page 152. «DICTIONNAIRE
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Londres afin que les principales puissances européennes imposent à « la Porte » (nom de l'empire O t t o m a n en langue diplomatique) des réformes fondamentales rendues nécessaires par les massacres auxquelles elle s'était livrée, notamment en Bulgarie, en mai 1876. Les puissances occidentales voulaient modifier les conditions de nomination (sous leur contrôle) des gouverneurs de provinces et instituer une Commission internationale de surveillance. La Turquie refusa tout net, ce qui fut interprêté c o m m e un défi et une bravade, ce qui entraîna l'ajournement de la conférence puis la guerre russo-turque déclarée le 22 avril 1877*'. Pendant la conférence, Chaudordy eut à appliquer la politique ultra russe du duc Decazes avec pour unique consigne de voter uniformément avec la Russie (et éventuellement l'Allemagne) et non avec l'Angleterre. Ce qui est sûr, c'est que longtemps après encore il manifestait des sentiments hostiles à la Turquie mais aussi à l'Islam dans son ensemble, ce qui donne à penser que la leçon de « diplomatie spirituelle » que Saint Yves avait voulu lui donner l'avait bien peu convaincu ; aussi écrivait-il en 1897. « Demander au Sultan de faire des réformes et même les lui indiquer c'est perdre son temps; il ne les fera pas. Nous avons il y a 20 ans préparé la même œuvre à la Conférence de Constantinople. Cela n'a servi à rien. Aussi ceux qui ont fait partie de cette réunion doivent n'avoir aucune illusion. Il est reconnu que jamais un mahométan et surtout le chef de la religion ne consentira à exécuter des réforme qui lui auront été présentées par des chrétiens. C'est ainsi que s'expriment les ouvrages qui traitent de l'islamisme et qui sont écrit par ses membres même les plus modérés . » 31
Hippeau : « H S I T O I R E D I P L O M A T I Q U E D E LA », Paris, 1 8 8 9 , E. Dentu. 3 1 . Comte de Chaudordy : « L A F R A N C E ET LA Q U E S T I O N D ' O R I E N T » , Paris, 1 8 9 7 , Plon-Nournt, pages 8 - 9 . 30.
Voir
Edmond
III' RÉPUBLIQUE ( 1 8 7 0 - 1 8 8 9 )
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Par la suite, il devait interrompre une nouvelle fois sa carrière diplomatique entre 1878 et 1881 ; mais Gambetta tint absolument à le rappeler pour lui confier l'Ambassade de Saint Pétersbourg. Toutefois, la chute du Ministre, le 21 février 1882, fit rapporter sa nomination avant m ê m e qu'il ait quitté Paris. Il démissionna aussitôt et définitivement pour consacrer le reste de la vie (il devait mourir le 26 mars 1899) à écrire des ouvrages d'histoire et de politique contemporaine. L'analyse de ces derniers est significative de ses tendances profondément cléricales et réactionnaires au plan social, bien que républicaines quant à la forme de gouvernement. Par exemple, son ouvrage consacré à « L A F R A N C E E N 1889 », et qui fait bien évidemment référence au centenaire de la Révolution, est très caractéristique de ses idées en matière de politique intérieure : il considère c o m m e une erreur capitale l'exclusion de l'enseignement religieux, il considère que la séparation de l'Eglise et de l'Etat mettrait fin à la cohésion nationale, il veut un général à la tête de l'Etat (Boulanger?) il se déclare surtout résolument contre tout impôt progressif sur le r e v e n u , il dénonce véhémentement les responsabilités de la presse. Plusieurs de ces thèmes eussent probablement pu se retrouver sous la plume de Saint Yves, mais aucun n'est vraiment fondamental dans son œuvre. 32
3 2 . Comte de Chaudordy : « L A F R A N C E Plon-Nourrit, page 1 2 3 . Il a publié en outre dans la période : —
Paris,
1889,
», Paris,
1887,
Paris,
1888,
EN 1 8 8 9 » ) ,
« L A F R A N C E À LA S U I T E D E LA GUERRE D E 1 8 7 0 - 7 1
Plon-Nourrit. —
« D E L ' E T A T P O L I T I Q U E D E LA N A T I O N F R A N Ç A I S E » ,
Plon-Nourrit. —
« C O N S I D É R A T I O N S SUR L'ÉTAT D E LA F R A N C E À L'INTÉRIEUR
», Paris,
1 8 9 5 , Pion. —
« C O N S I D É R A T I O N S SUR LA P O L I T I Q U E EXTÉRIEURE ET C O L O N I A L E D E
LA F R A N C E » , Paris, 1 8 9 7 , Ed. Plon-Nourrit et C " .
194
SAINT-YVES
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Pourtant ce dernier à cette époque a publié l'ensemble de ses « missions », développé sa théorie synarchique. O n ne peut donc dire que Chaudordy se soit rallié à ses vues. Son p r o g r a m m e politique tient en quelques points et aucun ne doit rien à Saint Yves : élargir le collège électoral du Président de la République aux Conseillers généraux, limiter le n o m b r e des députés, réaffirmer le rôle du Conseil d'Etat dans la préparation des lois, donner au Président de la République le libre choix des ministres (ce qui eût d'ailleurs été incompatible avec le caractère irresponsable de la fonction présidentielle sous la IIP République), créer une instance de vérification de la validité des élections . Aucun des traits de l'organisation synarchique de la vie publique préconisés par Saint Yves ne se retrouve donc dans les écrits de Chaudordy. Il se peut d'ailleurs que leurs relations n'aient été que très épisodiques mais rien ne permet d'en être sûr. Ce qui est sûr en tout cas c'est que Saint Yves, à l'époque, prit soin de lui dédier un poème de son « T E S T A M E N T L Y R I Q U E », c o m m e il l'avait ainsi fait pour le Play. Toujours est-il que la dédicace à Chaudordy démontre bien le souci constant de Saint Yves de mettre en œuvre ses idées par les moyens appropriés et d'influencer concrètement la marche des événements. J'ai déjà noté que la m ê m e dédicace, datée du 21 mars 1877 est signé « Guillaume Alexandre Saint Yves M e m b r e de l'Union pour la Paix sociale ». Je ne reviendrai pas sur la question des prénoms, qui sont ceux du père de Saint Yves, lui-même se p r é n o m m a n t «Joseph A l e x a n d r e » ; mais l'un et l'autre usaient couramment du seul prénom d'Alexandre. A vrai dire rien ne permet une certitude absolue : tout le m o n d e a jusqu'ici attribué ce livre à Saint Yves, et son père n'en a jamais revendiqué la paternité. Saint Yves lui-même 33
33.
« L A F R A N C E EN 1 8 8 9
», page
92.
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fera remonter à 1876 ses premiers écrits sur la synarchie, ce qui correspond à ce livre. J'ai supposé par ailleurs que cette substitution de prénoms, était un signe de réconciliation, sans aucune preuve... mais l'inverse n'est pas davantage démontré. Alors ? Toujours est-il que la mention « M e m b r e de l'Union de la Paix sociale » est en elle-même particulièrement intéressante, car elle fait allusion à l'une des institutiojis_çrées_rJar_ Frédéric Auguste le Play (1806-1882), l'un des fondateurs de la sociologie. TT est bien oublié aujourd'hui, mais il eut pourtant une grande influence sur son t e m p s . Je n'ai pas le loisir de retracer ici sa carrière au demeurant complexe : élève de Polytechnique et de l'Ecole des Mines, ingénieur à l'échelle européenne (il exploita des mines dans l'Oural) puis inspecteur général il fut aussi conseiller d'Etat en 1855 puis sénateur. Partisan du progrès il fut commissaire de différentes expositions universelles en 1855, 1862 et 1867. Jean Jacques Bloch et Marianne Delort écrivent que le sérieux de cette dernière exposition est dû à son commissaire général. Ils ajoutent que l'alliance de pensée de ce catholique conservateur avec Michel Chevalier le Saint Simonien a fait de ces deux h o m m e s « les deux principaux acteurs de ces manifestations du second E m p i r e » . 34
Il est d'ailleurs vrai que Napoléon III faisait le plus grand cas des idées sociales de Le Play qui, par ailleurs, inventa littéralement l'enquête et les monographies de 34. Pour mesurer son influence, on peut recourir, entre autres sources à : Adrien Dansette : « H I S T O I R E RELIGIEUSE D E LA F R A N C E C O N T E M P O R A I N E S O U S LA I I I ' R É P U B L I Q U E » , Paris, 1951, Flammarion. Maxime Leroy : « H I S T O I R E D E S IDÉES SOCIALES E N F R A N C E D E P U I S LA R É V O L U T I O N », Paris, 1 9 6 9 , Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence. S'agissant de son activité en tant que Commissaire des Expositions universelles, un juste hommage lui a été rendu par Jean-Jacques Bloch et Marianne Delort dans « Q U A N D P A R I S ALLAIT À L ' E X P O », Paris 1 9 8 0 , Librairie Fayard.
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
familles ouvrières construites selon un plan scientifique. Et Sainte Beuve, en 1864, fait de lui « L'homme de la Société moderne par excellence, nourri de sa vie, élevé dans son progrès, dans ses sciences et dans ses applications, de la lignée des fils de Monge et de Berthollet ... » 35
Toujours est-il qu'après la crise la C o m m u n e , Le Play anima diverses institutions qui formaient « l'Ecole de la Paix sociale » ; la première remontait en fait à 1856 : « la Société de l'Economie sociale » organisait des enquêtes sociologiques. Les « Unions de la Paix sociale » organisées au plan local, avaient pour objectif de réunir les h o m m e s de bonne volonté. Et de s'opposer à toute lutte de classe. En cela elles préfiguraient l'action du catholicisme conservateur. « L'Ecole des Voyages » formait ce qu'on appellerait aujourd'hui des « enquêteurs » capables de rédiger des monographies de familles ouvrières publiées dans la collection « L E S O U V R I E R S D E S D E U X M O N D E S ». En quatrième lieu « les Conférences de la Paix » devaient promouvoir les idées de Le Play au plan des nations ; et enfin le « Comité de la Bibliothèque » assurait la diffusion des livres de Le Play et de ses disciples . T o u t cela nécessiterait un exposé plus approfondi dans la mesure où l'influence de Le Play s'étendit à l'ensemble du catholicisme, dans ses aspects conservateurs, mais aussi dans ses aspects plus « sociaux » sinon progressistes. La C F T C ,(>
35. Charles Augustin de Sainte Beuve : « N O U V E A U X L U N D I S », tome 9, Paris, 1884, Calmann Lévy, pages 161 et suivantes : « L A RÉFORME SOCIALE E N F R A N C E ,
DÉBUTS
DE L'OBSERVATION
C O M P A R É E DES
PEUPLES
», par M . Le Play. Chronique du 5 décembre 1864. 36. J'emprunte cette description à Le Play lui-même : « L ' E C O L E D E LA P A I X S O C I A L E , S O N HISTOIRE, SA M É T H O D E ET SA D O C T R I N E » , Tours, 1881, Alfred Marne et Fils. Cet éditeur avait à l'époque le monopole des publications de l'Ecole. EUROPÉENS
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naissante en fut tributaire c o m m e d'autres courants plus réactionnaires . Il n'est donc pas très surprenant que Saint Yves, qui dédie à Le Play un poème dans « T E S T A M E N T L Y R I Q U E », ait été intéressé par un m o u v e m e n t qui tendait à la paix sociale sur la base d'études plus sociales (voire sociologiques) que politiques. Mais le fait est que je n'ai jusqu'ici, pour appuyer cette affirmation, qu'une brève mention au bas d'une préface, et cela ne permet pas beaucoup de conclusions. Sur ce point aussi, seule la découverte des archives de Saint Yves permettrait d'en savoir davantage. Néanmoins l'indication, si minime soit-elle, vaut d'être notée. Plus surprenante cependant pourrait être l'apparition du terme de synarchie dans l'œuvre de Saint Yves ; l'étymologie m ê m e cTumot renseigne peu : « gouvernement ensemble » ou « avec jpriririrjes », par opposition à anarchie, l'un et l'autre s'admet ou s'admettent. Il faut souligner en tout cas que Saint Yves n'en est pas l'inventeur puisque, en 1861, on trouve ce mot chez LA. Vaillant, dans sa « C L E F M A G I Q U E D E L A F I C T I O N E T D U F A I T . I N T R O D U C T I O N À L À ~ S C Î Ë N C E N O U V E L L E » ouvrage édité chez E. Dentu. Vaillant eut à cette époque une notoriété certaine à cause de ses travaux sur les bohémiens ; professeur du Collège international de Bucarest et professeur de langues à l'Ecole de Saint-Sava en Roumanie, il avait longtemps vécu chez les Bohémiens, et aurait reçu une partie de leurs traditions et en tout cas prétendit les révéler dans plusieurs ouvrages . 37
M
3 7 . Cf. « L E M O U V E M E N T O U V R I E R » , 1 8 1 5 - 1 9 7 6 , édité par la C F D T , Paris, 1 9 7 7 , Montholon services. 3 8 . Vaillant est de plus l'auteur de : — « L A R O U M A N I E » , Paris, 1 8 8 4 , Bertrand. — « B I B L E D E LA S C I E N C E B O H É M I E N N E » , Paris, 1 8 5 1 , Imp. Preve et
C
k
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Eliphas Levi, d'après sa correspondance citée par Chacornac, porte sur lui un j u g e m e n t mêlé, à propos de la-dite « C L E F M A G I Q U E » : « C'est l'ouvrage nouveau d'un savant qui serait un initié, s'il n'était pas un profanateur. Il veut retirer le voile de la grande Loi. C'est un insensé, mais il sait immensément_et son travail est des plus i m p o r t a n t s p o u r n o u s . C e t écrivain est un dejios adversaires. Je l'ai déjà cité dans mes ouvrages (NB : dans l'histoire de la Magie) car à part son inintelligence de la hiérarchie je fais le plus grand cas de ses recherches. » ^ t a « C L E F M A G I Q U E » est en tout cas un livre touffu et confus, construit c o m m e un catéchisme par demandes et réponses, et qu'il me paraît impossible de résumer. Je citerai néanmoins quelques extraits où il est question de la synarchie car certains passages font effectivement penser à Saint Yves. C'est le cas lorsque Vaillant dénonce l'état de la société de son temps et la caractérise par « l'anarchie » : « D. Cet eden ou le Paradis exi5tj^-iL.qu£Jinje_part ? R. Assurément non ; car partout la société est plutôt une sombre forêt qu'un riant jardin, et moins un palais qu'une caverne. Les sentiers sont hérissés d'épines et de ronces ; ses arbres ne donnent que des fruits âpres et amers ; ses ruisseaux ne charrient que larmes et que sang. On n'y entend que menaces ; on n'y voit que vengeances ; on y étouffe sous le simoun de l'orgueil ; on y est affamé de dominations ; et altéré de jouissances ; on s'y dispute en —
Ed.
« L E S R Ô M E S : HISTOIRE VRAIE DES VRAIS B O H É M I E N S
», Paris,
1857,
Dentu. —
« GRAMMAIRE,
DIALOGUES
ET V O C A B U L A I R E
D E LA
LANGUE
DES
B O H É M I E N S » , Paris, 1 8 6 8 , Maisonneuve. D'après Paul Chacornac, il a laissé un manuscrit de 1 0 volumes in-folio consacré à « L A S C I E N C E N O U V E L L E ». Le texte d'Eliphas Levi cité ci-après est un extrait de la biographie de ce dernier, Chacornac, page 208.
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riant; on s'y insulte en chantant; on s'y trahit en s'embrassant ; on s'y déchire pour être heureux ; on s'y calomnie pour plaire ; on s'y dévore pour vivre. D. Comment nommc-t-on cet Etat de lä société ? R. Cet état se nomme anarchie. D. Que signifie ce mot? R. Ce mot signifie sans principes, absence de principe, manque de foi à un principe, quel qu'il soit, vrai ou faux, parce que l'anarchie est là où ne domine aucune principe ; là où il n'est foi d'aucune sorte, ni à la fable ni à la vérité, ni à la religion, ni à la science ; là ou le principe faux et le principe vrai sont en luutte, où la société sacerdotale, aristocratique et féodale, est en lutte avec la société philosophique démocratique et libérale ; là enfin où le principe vrai n'étant pas encore devenu certitude n'a pas encore établi la foi à la vérité (p. 128). » C'est donc par opposition à l'anarchie que Vaillant c o m m e Saint Yves définit la synarchie : « D. Ainsi, cette lutte de la tyrannie et de la liberté de la religion et de la philosophie, qui fait l'anarchie, doit bientôt finir ? R. Sans doute ; parce que la parole vraie est la sonde qui a scruté tous les mystères et dévoilé toutes les impostures, le flambeau qui a réduit en cendres les ronces et les épines de l'esprit humain, le rayon lumineux qui va pénétrer les intelligences et vivifier les cœurs, et que, sur cette parole^sera bientôt^fondée la_synarchie du droit et du devoir, double principe quPdoit faire à jamais la loisoaale, et. de cette socionomie, la religion de l'avenir (p. 134). » Mais il faut noter que Vaillant manifeste un anticléricalisme violent qui n'a pas son équivalent chez Saint Yves. Ils ont toutefois en c o m m u n la recherche d'une loi sociale, fondée sur une science que Vaillant, on vient de le voir, appelle «socionomie». Mais, là encore, apparaît une différence importante :
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Saint Yves pour sa part arrive à caractériser la synarchie c o m m e un ensemble d'institutions économiques, politiques, spirituelles, au plan des nations mais aussi des civilisations. Il préconise très concrètement des structaargs-saciales et des mécanismes d'arbitrage, et cela est très net dès « C L E F S D E L'ORIENT».
Rien de tel chez Vaillant, dont l'exposé demeure au plan des vœux très généraux et se fonde sur des considérations morales c o m m e le montre encore l'extrait suivant : « D. S'il n'y a d'ordre vrai et de paix réelle que là où les devoirs et les droits sont égaux, s'il n'y a également de devoirs et de droits que là où la justesse d'esprit et la justice de cœur savent les établir, que faut-il donc faire entrer au plus tôt dans l'harmonie morale de l'ordre, dans la lumière scientifique de la paix ? R. Pour entrer au plus tôt dans cet état normal de l'ordre et de la paix, les justes doivent s'assembler à l'effet d'établir la synarchiejdesjdevoirs ^t des droits égaux, d'en rédiger le code, et de proclamer la loi universelle de l'avenir, sans quoi l'ordre ne sera jamais qu'une anarchie mal éteinte, l'ordre du despotisme; sans quoi la paix ne sera jamais qu'une guerre mal étouffée, la paix de la tyrannie sans quoi la liberté ne sera jamais qu'un feu follet, la fraternité une chimère, et l'égalité une utopie. D. Pourquoi tout, quoi qu'on fasse, ne sera-t-il jamais qu'un vain palliatif, un replâtrage inutile, tant que la synarchie des devoirs et des droits égaux n'aura pas été promulguée ? Parce que toute justice étant dans l'égalité des devoirs et des droits de l'esprit et du corps, de l'intelligence et du cœur, nulle justice ne peut être tant que ne domineront pas l'esprit sur la matière, l'intelligence sur la sottise, la science, lumière et raison de Dieu sur l'allégorie, ombre et intelligence de l'homme. D. Sur quelle base doit être assise cette synarchie des devoirs et des droits ?
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R. Sur leur solidarité mutuelle et réciproque dont ce double axiome est l'expression : « Fais à autrui le bien que tu vaudrais qu'il te fit; ne fait à autrui rien de mal que tu ne voudrais pas qui te fut fait (pp. 179-180). » Peut-on dans ces conditions conclure que Saint Yves s'est directement inspiré de Vaillant ? Qu'il ait pu connaître son livre est évidemment possible ; que certaines aspirations soient communes aux deux auteurs paraît établi — on aurait pu multiplier les exemples ; mais encore faut-il préciser qu'elles ne sont pas propres à Vaillant, mais appartiennent à « l'air du temps » et en particulier à ce qu'on a appelé « le romantisme social du xix siècle » et, à cet égard, il ne serait pas sérieux d'accuser Saint Yves de plagiat. Néanmoins, s'il n'y a pas de preuve que Saint Yves ait pris le mot « synarchie » chez Vaillant, il y a au moins un indice pour affirmer le contraire ; il_s^ßit_cTurie^lettre de Saint Yves lui-même à Pajpusqui est datée des 9 eFTu~mài 1897 sur papier à en-tête du « C o b u r g Hôtel. Grosvenor Square w. » à Londres : c
«J'ai lu Vaillant avec un vif intérêt. C'est Dupuy devenu déiste, étymoTogîsîë~~et soriologucr Synarchie ! [souligné par Saint Yves] lejnot y _estmpi< non lachosx. heureusement. Ce qu'il dit du christianisme confirme son ignoran~cë~cTe la Révélation . » 39
O n pourrait sans doute penser que Saint Yves ne veut pas reconnaître qu'il doit le concept de la synarchie à Vaillant ; en fait, il s'agit d'une correspondance privée avec Papus, en qui il a totalement confiance et qui se situe vingt ans après « C L E F S D E L ' O R I E N T » : dès lors on ne voit pas pourquoi Saint Yves ne reconnaîtrait pas à Vaillant la 3 9 La lettre de Saint Yves appartient au_MS__5423_de la Bibliothèque de Lyon. L'Abbé Dupuy dont il est question est l'auteur d'un livre sur « L ' O R I G I N E D E T O U S LES C U L T E S ».
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paternité d'un mot auquel il a lui-même donné un contenu tout à fait différent. Ainsi, Chaudordy, Le Play, Vaillant nous permettentils non pas d'achever, mais de nuancer en le complétant le portrait philosophique de Saint Yves. Quelques mots s'imposent encore sur le livre luimême, qui traite essentiellement de l'âme humaine, et des moyens d'action sur elle, ce que Saint Yves appelle «psycurgie», «la science et l'art d'aimer et de vouloir». S'agissant de l'amour, Saint Yves qui transpose les « mystères divins » dans les relations humaines, développe longuement sa théorie de l'attraction féminine dans des termes parfois étonnament « a n i m a u x » . Mais, ne pouvant tout résumer, il me paraît nécessaire d'insister sur ce que Saint Yves dit de la mort ; tout d'abord parce qu'il esquisse une doctrine assez différente de celle des spirites contemporains et qui, à certains égards, évoque celle du « L I V R E D E S M O R T S T H I B É T A I N S » . Et cette doctrine, au demeurant singulière, synthétise parfaitement ce qu'il écrit sur la naissance, les sexes, l'amour et la femme. L'autre intérêt de cette citation est qu'elle anticipe sur des faits postérieurs, liés à la mort de son épouse et au cours desquels Saint Yves traduira dans « les faits » (?) ce qu'il écrit l'année m ê m e de son mariage. T o u t cela me paraît justifier amplement la reproduction de quelques unes des pages consacrées à la mort : « N u l œ i l profane n'a v u la m o r t ; p e r s o n n e ne s e m b l e appelé à m o u r i r ; et pourtant elle est p r o c h e . Q u a n d cette puissance c o s m o g o n i q u e du « Père » v e u t entrer en acte, avant qu'elle n'ait suscité les causes m o r t e l l e s d u trépas, la « N a t u r e » s ' é m e u t , 1'« Eternel F é m i n i n » s ' a g i t e ; « I o n a h » , la substance c o s m o g o n i q u e de la vie, frissonne sur la terre et dans les c i e u x , et les â m e s des m o r t s c o u r e n t avertir les v i v a n t s et v o l e n t au secours de ce qui va mourir.
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Cependant, la mort n'est implacable et sourde que pour les profanes et les profanateurs. L'initié l'appelle ou la repousse, l'arme ou la désarme, l'excite ou la combat, la déchaîne ou l'entrave. Ces choses, en dehors des autels, doivent demeurer voilées et n'être révélées que derrière eux. Pourtant, par la puissance de son amour, la femme, image humaine de la nature, a fait frissonner ce voile noir et reculer la mort. J'ai vu un médecin désespéré dire à une mère : « Hélas ! il faudrait un miracle ! » La mère est demeurée seule au chevet de son enfant : le miracle s'est fait. Si vous voulez mourir, appelez la mort. Si vous voulez l'éloigner d'un être cher, priez de toute la puissance de votre âme. Mais lorsque quelqu'un doit absolument succomber, lorsque l'heure fatale est venue, courage ! Veillez encore sur ce qui va s'endormir : jamais, jamais le dévouement ne fut plus nécessaire. Le médecin, sentant son art vaincu, s'éloigne à tort. Au traitement de la maladie doit succéder celui de l'agonie ; à la thérapeutique corporelle, la Psycurgie des anciens thérapeutes. Le prêtre, quand il a administré ses admirables sacrements et récité ses formules, se retire ; pourtant, il reste beaucoup à faire. A l'exorcisme des sens physiques doit s'ajouter un enchantement réel de la sensibilité, une conjuration précise des ancêtres présents. Si le prêtre et le médecin, forcés de multiplier leurs services, ne peuvent disposer d'assez de temps pour les prolonger ainsi dans chaque foyer, l'initiation graduée des sexes et des âges est donc nécessaire à l'assistance du mourant comme à la religion du vivant. Ainsi, mère ou père, femme ou mari, fille ou fils, sœur ou frère pourront donner à qui s'en va toute l'aide dont la mort impose le besoin. Et quand le dernier soupir est rendu, quand vous avez
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ferme les yeux de l'être aimé, ne voyez pas l'âme partie au loin, n'abandonnez pas ce cadavre à la veillée des mercenaires : jamais ce qui l'habitait n'eut plus soif de votre intelligence et faim de votre amour. Ecoutez, et puisse votre cœur tressaillir. Celui qui veille pieusement un mort aimé, avec la science du psycurge, l'âme du mort aimé l'enveloppe dans ses tourbillons désespérés. Pleine encore des pensées, des sentiments, et des sensations de l'existence physique, plus souffrante d'avoir quitté son effigie que de s'y tordre de douleur, cette âme qui, dépourvue d'initiation, se sent brisée dans ses attaches corporelles et n'en peut trouver d'autres, s'effare, frissonne, s'élance et retombe sans initiative, dans une nouvelle agonie d'épouvantements. En vain, si elle vient des sphères divines, son génie céleste lui fait signe; en vain les ancêtres l'exhortent. Sa clairvoyance lumineuse frappée de cécité par l'habitude des yeux, son entendement de surdité par l'habitude des oreilles. Plus, dans l'existence, cette âme s'est enracinée à ses instincts, plus elle s'est oubliée dans sa chair, moins elle a repris science, amour et conscience de la vie immortelle, plus aussi elle est prisonnière de son cadavre, possédée par lui et travaillée par son anéantissement et sa décomposition. L'état des aliénés les plus désespérés ne donne qu'une faible idée de ces souffrances posthumes qui peuvent durer des siècles. Soulevez la « Nature » de tous les battements de votre cœur, priez Dieu près de ce cadavre, vous ne pouvez pas savoir quel bien vous faites. Cette âme ne voit plus que la nuit, n'entend plus que l'inouï, ne mesure plus que l'insondable, n'a plus qu'une pensée, qu'un sentiment, qu'une sensation : le vertige des épouvantements. La raison et la morale, ces deux rapports avec le milieu humain d'ici-bas, sont bouleversées en elle. Son moi souffre alors le commencement de la mort seconde sans pouvoir s'y engloutir: son individualité se
PREMIERS
VERS,
PREMIÈRE
DOCTRINE
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cherche dans ses viscères dissociés sans p o u v o i r s'y retrouver ; sa p e r s o n n e étrangère à e l l e - m ê m e se poursuit à travers ce cerveau et ce c œ u r i n a n i m é s sans p o u v o i r s'atteindre. S u s p e n d u e sur « l ' H o r e b » , sur ce puits d é v o r a n t de l'abîme que r o u v r e l'absence du soleil, frissonnante, ahurie, sans p o u m o n s p o u r crier, sans bras p o u r faire u n geste, sans y e u x p o u r les ouvrir et pleurer, elle v e u t à toutes forces se r e p l o n g e r dans ce cadavre qui, sauf de l u g u b r e s e x c e p t i o n s , lui d e m e u r e fermé c o m m e le sera la t o m b e . Elle reste v a g u a n t e dans l'horreur. A l o r s le « P s y c u r g u e » doit l'attirer. S'il le fait, palpitante, elle cherche dans les ténèbres de s o n a v e u g l e m e n t , dans le silence de sa surdité. Q u e c h c r c h e - t - e l l e ? Elle ne le sait : u n e é p a v e , un p o i n t d'appui, une l u m i è r e , u n e v o i x dans sa p r o p r e t o u r m e n t e . Et tout i m p r é g n é des effluves de la vie, le s u r v i v a n t l'attire peu à p e u vers s o n c œ u r c o m m e vers u n foyer r a y o n n a n t , vers u n asile sacré. Frémissante, elle y v i e n t l e n t e m e n t et s'y réfugie a v e c ivresse. D a n s cette clairvoyante et c h a u d e s y n c o p h a t i e , elle puise a v e c avidité d u c o u r a g e , de la force, de la vie psycurgique. Elle peut attendre enfin, s ' a c c o u t u m e r , regarder a v e c sa v u e , é c o u t e r avec s o n e n t e n d e m e n t que l'usage des sens a pervertis. Elle peut briser p e u à peu les liens rationnels et m o r a u x d e ses passions et de ses facultés, entrevoir d i s t i n c t e m e n t le m o n d e intelligible, d é p l o y e r ses inéités e n g o u r d i e s d e p u i s la naissance, retrouver s o n principe o n t o l o g i q u e , reprendre p o s s e s s i o n de sa v o l o n t é . Q u a n d elle s'est ainsi r e c o n n u e c o m m e un ramier qui se repose avant de repartir, lorsqu'elle se sent capable d'affronter 1'« H o r e b » et de s'y orienter, q u a n d elle aperçoit les â m e s , les ancêtres et le g é n i e ailé qui l'appelle p o u r d e s c e n d r e o u p o u r m o n t e r , alors, prête, elle se retourne vers l'être aimant qui la porte, la caresse de l'âme, prie p o u r elle, et la pleure de l'autre côté de la vie.
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE L o n g u e m e n t , l e n t e m e n t , l'exilée baise ce coeur p i e u x et d é s o l é , l'emplit d'une d o u c e chaleur éthérée, d'une irradiat i o n délicieuse, le presse d'une étreinte spirituelle e x q u i s e , lui disant ainsi dans le v e r b e ineffable des â m e s et des d i e u x : « M e r c i ! A d i e u ! N o n ! A u revoir en D i e u !
4 0
»
Je crois que le lecteur doit avoir présente à l'esprit cette longue citation lorsque plus tard nous aurons à reparler de Saint Yves et la mort. Mais pour l'heure nous achevons de parcourir la première partie de l'œuvre de Saint Yves. Rien à vrai dire n'y est particulièrement marquant, sauf la diversité des préoccupations de l'homme. Sauf surtout la haute idée qu'il a de lui-même et de sa « mission ». Et c'est bien l'apparition de cette dernière qu'il faut maintenant décrire.
40.
« CLEFS DE L ' O R I E N T
», Editions
1877,
pages
99
à
107.
C H A P I T R E IV
Souverains, ouvriers, Français, u n i s s e z - v o u s
Les années 1880 vont être, pour Saint Yves, celles de l'extériorisation de sa mission synarchique, qui va donner lieu à de nombreuses publications, mais aussi à d'autres manifestations publiques en vue de la propagation de l'idée. Ce point doit être souligné dès l'abord : le système synarchique selon Saint Yves peut bien, dans certaines parties, comporter une référence à l'ésotérisme ; il demeure que sa propagation intervient au grand j o u r et par des moyens publics : livres, brochures, conférences, création d'un syndicat, pétition adressée aux parlementaires, au gouvernement, etc. Rien qui ressemble à des menées occultes, un complot, une société secrète. C'est bien une action ouverte sur^Topinion publique qulejxyjsage Saint Yves (il souhaitait également fonder des journaux) et m ê m e s'il se défend de vouloir exercer un pouvoir politique, il propose une vaste réforme des institutions et des mœurs politiques, par des moyens tout à fait classiques : quoi de plus ordinaire qu'une pétition ? L'autre trait caractéristique de cette période, c'est la diversité des sujets abordés par Saint Yves avec une fécondité réelle ; sans doute avait-il entassé de n o m b r e u x documents au cours des années antérieures et peut-être écrit des textes : toujours est-il que des centaines de pages sont publiées pendant un laps de temps relativement bref.
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SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
Pour des raisons à la fois pratiques et logiques, je ne suivrai pas rigoureusement l'ordre chronologique de ces publications (pour lequel on peut se référer à la bibliographie générale). Le présent chapitre concernera les aspects les plus extérieurs, historiques, voire politiques, de ces publications, ce qui nous conduira à analyser principalement « M I S S I O N DES S O U V E R A I N S »,
« M I S S I O N D E S O U V R I E R S »,
et
« LA
FRANCE
» (ou « M I S S I O N D E S F R A N Ç A I S ») qui sont des dissertations historiques. Mais cela nous oblige à faire place aux tentatives de réalisation concrète de ces idées politiques au moyen d'un syndicat. Le chapitre suivant sera principalement consacré à la « M I S S I O N D E S J U I F S » parue en 1884, et qui est aussi une occasion de préciser les rapports de Saint Yves avec différentes écoles « initiatiques ». Il conviendra également de faire place aux problèmes liés à l'accusation d'avoir plagié Fabre d'Olivet qu'on lancera contre lui à cette é p o q u e ; on s'interrogera aussi sur les rapports de ce livre avec l'antisémitisme, virulent à cette époque. Le chapitre d'après aura pour thème principal la « M I S S I O N D E L ' I N D E E N E U R O P E ». Il est vrai que ce livre ne fut pas publié à ce m o m e n t : écrit en 1886, il ne verra lejour qu'à titre posthume. Il pose cependant des questions essentielles pour la compréhension de cette partie de l'œuvre de Saint Yves, d'autant que certains éléments ont été mis sous le domaine public à ce m o m e n t . De plus, il fournit une première occasion de s'interroger sur la postérité intellectuelle de Saint Yves, à commencer par le René Guenon du « Roi D U M O N D E » . A côté de cette question principale, je traiterai des différentes publications surtout poétiques qui, en 1889 et 1890, marquent la fin de cette période de la vie de Saint Yves. VRAIE
SOUVERAINS, OUVRIERS, FRANÇAIS, UNISSEZ-VOUS
« MISSION
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DES SOUVERAINS »
C e livre, dont la première édition parut en 1882 sans noiTi_d'auteur, avait pour titre initial «
MISSION ACTUELLE DES
» ; sa deuxième édition, mais s'agit-il bien d'une nouvelle é d i t i o n ? , s'appelait « M I S S I O N A C T U E L L E D E S S O U V E R A I N S P A R L ' U N D ' E U X » ; puis on trouve « M I S S I O N D E S
SOI JVERAINS
1
SOUVERAINS
PAR L'UN D ' E U X
»...
Dès l'introduction de ce livre, j ' a i rappelé la justification « initiatique » que Saint Yves donne à cette royauté qu'il revendique. Mais cela ne viendra que plus tard. En l'occurrence, Saint Yves garde le ton politique qui sied à qui prétend divulguer « u n e n o u v e l l e d o et r i n e gouvernerriejitaie », dans «un nouveau livre d ' E t a t » , qui expose « le machiavélisme de la lumière ». Dans la préface il affirme son ambition : « Avant les cabinets, c'est l'opinion publique seule qu'il faut aborder premièrement. C'est là qu'est la grande force, le seul levier capable de soulever l'Europe de l'ornière sanglante qui la conduit en Amérique. » Il convie cette opinion publique, supposée être de son avis, à exercer dans chaque état européen une « pression morale sur les gouvernements », par des moyens légaux que sont les comités, adresses, délégations aux Chefs d'Etats. T o u t cela devant déboucher sur un pacte fédéral et des institutions européennes. C o m m e le zodiaque comporte douze signes, cette « Mission » compte douze chapitres, de portée tout à fait 1. Deux auteurs compétents : le préfacier de la rédition par Nord-Sud après la guerre, et Gilbert Tappa récemment dans « B É L I S A N E » supposent qu'il ne s'agit pas d'éditions différentes, mais d'un même tirage dont seuls couverture et brochage seraient différents. Leur supposition me paraît exacte.
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
inégale. Le premier commence par une série de définitions théoriques situant les différentes formes de gouvernement par rapport aux trois grandes divisions de la vie sociale eue sont la Religion, la Politique et l'Economie. A la première correspond la théocratie; à la seconde correspondent la monarchie et la république, chacune d'eues pouvant être « pure » ou « mixte » (ce qui les distingue étant le fait que leur principe réside dans la volonté populaire ou dans celle de ses fondateurs) ; à l'Economie correspond ce que Saint Yves appelle l'emporocratie. Il est évident qu'à partir de ces définitions abstraites et très générales, il peut distinguer différentes phases dans l'histoire et la vie des Etats, et ce sera d'ailleurs l'objet de dix chapitres qui retracent l'histoire de l'Europe. Mais il me paraît intéressant de remarquer que sous le terme de théocratie, Saint Yves vise en fait une sorte de magistère spirituel reposant sur ce qu'on a appelé depuis «l'unité transcendante de toutes les r d i g i o n s » . Et je crois utile de le citer car cela éclaire tout le projet synarchique. « A v a n t le s c h i s m e d'Irshou, l'Asie, l'Afrique, l ' E u r o p e entière furent g o u v e r n é e s par une théocratie, d o n t toutes les religions d ' E g y p t e , de Palestine, de Grèce, d'Eturie, de Gaule, d ' E s p a g n e , de Grande B r e t a g n e , ne furent que le d é m e m b r e m e n t et la d i s s o l u t i o n . C e t t e théocratie, n e t t e m e n t i n d i q u é e dans les annales sacrées des H i n d o u s , des Perses, des C h i n o i s , des E g y p tiens, des H é b r e u x , des P h é n i c i e n s , des Grecs, des E t r u s q u e s , des N u m i d e s et des bardes C e l t i q u e s , et p r e s q u e dans les chants de l ' e x t r ê m e Scandinavie et de l'Irlande, cette théocratie, dis-je, fut f o n d é e par le c o n q u é r a n t culte q u e célèbrent le R a m a y a n de W a l m i k i et les D y o n i s i a q u e s de Nonus . 2
2. « M I S S I O N D E S S O U V E R A I N S » , Editions Nord-Sud, page 32. On notera que les allusions au « Cycle de Ram » et au « Schisme d'Irshou », qui seront largement développées dans « M I S S I O N D E S J U I F S » en 1 8 8 4 , sont dès ce moment parfaitement explicités.
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OUVRIERS,
FRANÇAIS,
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Saint Yves montre ensuite des exemples de cette unité première sur quoi repose selon lui la théocratie. Il mentionne ainsi Appollonius de Thyane conversant dans tous les centres religieux du monde, de la Gaule jusqu'au fond des Indes ou de l'Ethiopie. C o m m e n t ne pas songer à son évocation par Eliphas Levi ? U n autre exemple est celui de Moïse qui fonda cette théocratie d'Israël « dont la Chrétienté et l'Islam sont les colonies religieuses», et à ce point nous retrouvons les thèmes de « C L E F S D E L ' O R I E N T » . Mais Saint Yves fournit un autre exemple, assez inattendu à l'époque : «De nos jours, la Franc-M^onnerie, char^ente_ et squelette d'une théocratie, est la seule institution qui porte cecaractère d'universalité et qui, à partîFdu trente-troisième degré, rappelle un peu, quant aux cadres, l'ancienne alliance intellectuelle et religieuse. » Il est de fait que cette conception de la maçonnerie ne devait pas être partagée par la plupart des maçons de l'époque ; on verra au chapitre suivant qu'elle fut néanrnoins prise au sérieuxjpar cjvoelques^uns ; reste à savoir quel est cet « au-delà du trente-troisième degré » du Rite Ecossais Ancien Accepté que vise Saint Yves. Dans ce premier chapitre, je retiendrai une dernière affirmation, mais qui est importante pour la suite : «L'autorité n'appartient jamais à la force. La politique en est essentiellement dépourvue, et il n'appartient qu'à la religion seule de prêter au principe, soit monarchique, soit républicain, un reflet d'autorité, par la consécration solennelle, soit du pouvoir monarchique, soit des pouvoirs de la nation. » Les chapitres suivants sont un long exposé historique dont le point de départ est « l'Eglise jusqu'aux papes ». Saint
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Yves affirme que l'Eglise connut alors plusieurs formes : société secrète ((les premiers disciples connaissent une initiation secrète) marquée par la démocratie et la république, jusqu'à ce qu'elle se moule dans les formes civiles du monde romain ; ou du moins que le diocèse de Rome ne se prenne à vouloir hériter de l'orgueil de la Ville. Ainsi l'évêque de Rome prétendit-il, politiquement, à la dictature et à l'impérialat, les autres évêques à l'oligarchie et à l'aristocratie. La papauté en formation (chapitre III) s'établira face à l'Empire d'Orient, dont Saint Yves justifie la fonction en dépit des fautes des empereurs ; il définit ainsi le dessein de Rome : i
« Empêcher à tout prix l'unité juridique de l'Italie, afin de n'avoir pas de dépendance légale et immédiate à subir, chasser de la Péninsule une domination et une race par une autre, ériger en Occident un Empire rival de celui de Constantinople, déchaîner contre cet Empire à peine créé la plus épouvantable révolution qui ait jamais menacé l'Etat social, frapper tour à tour toutes les dynasties qui essayèrent d'arracher l'Europe à ce chaos, régner souverainement^sur lesjruinesjde la Chrétienté... » 3
Tel est donc la politique de la papauté politique, que Saint-Yves oppose à celle d'un souverain.Pontificatjdigne de ce n o m . Armée dé'l'orthodoxie (comprendre l'usage abusif de cette notion) et de l'excommunication (alors que, dit-il, Jésus n'excommunia ni Pierre, ni Judas, ni les autorités hébraïques qui le condamnèrent), l'Eglise s'érigea donc en pouvoir politique. Avec Charlemagne, elle tombera dans la dualité des Empires d'Occident et d'Orient. Vis-à-vis du premier, l'Empire Carolingien, elle renouvellera sa conduite vis-à-vis de l'Empire grec ; sa politique est aussi à l'origine de la « révolution féodale » : de 3. d" page 65.
SOUVERAINS, OUVRIERS, FRANÇAIS, UNISSEZ-VOUS
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m ê m e que le Pape s'est emparé du pouvoir politique, chaque chef local détournera à son profit exclusif les pouvoirs qui lui avaient été confiés pour le bien public. D'où des affrontements terribles au plus haut niveau, contre Grégoire VII et l'Empereur Henri IV : « Deux dominations, deux patries, deux empires . » Saint Yves poursuit son exposé historique et affirme que les différentes croisades ne furent rien d'autre que « la proclamation publique de cet impérialat violent » de la papauté (chapitre VI) dirigée autant contre l'Orient que contre l'Islam. Le Pape ne put pas redevenir un pontife réel : 4
« Là, et là seulement, il eût pu rallier à lui — au nom du Père, Israël et l'Islam — au nom du fils toutes les Eglises chrétiennes — au nom du Saint Esprit, toutes les religions de l'Asie, dont la plus ancienne, celle des Mages, était venue saluer, genou en terre, Jésus-Christ dans son berceau. La papauté eût fait ces choses, si elle eût pu les concevoir et les vouloir, et elle les eût conçues et voulues, si elle eût été en fonction théocratique et religieuse . » 5
Autant dire que ce marquis pontifical dénonce vigoureusement le caractère antireligieux et antisocial de la politique des papes. D o m m a g e , vraiment, que les Archives Romaines nous soient demeurées fermées ! Ensuite il commente l'origine et la fonction des monarchies royales qui apparaissaient en Occident et plus particulièrement en Espagne, en France et en Angleterre ; et il souligne que dans le m ê m e temps où ces monarchies combattent chez elle le féodalisme, elles demeuraient entre elles dans une situation de caractère féodal, avec un long cortège de rébellions, telle celle de Philippe le Bel.
4. d" page 125. 5. d° page 131.
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« Dès lors, ajoute-t-il, le gouvernement général de l'Eglise latine est mort, empire tué par la papauté, papauté tuée par une royauté ; et du même coup avec la guerre de cent ans, la Cour d'Appel du meurtre présidée par l'athéisme gouvernemental européen, s'ouvre béant devant les rois et les nations du Christ . » 6
Ainsi postérieurement à l'écroulement du double choix public de l'Empire et de la papauté, lui-même anarchique par diarchie, va s'instaurer, selon Saint Yves une anarchie généralisée où seule compte la force des armées et rien d'autre. Mais à l'impuissance sociale de la papauté, va s'ajouter la Réforme, voire les Réformes, puisque Saint Yves met sur le m ê m e plan gallicanisme, anglicanisme, protestantisme sous toutes ses formes ; les unes et les autres sont, dit-il : « La réponse politique des nationalités et des races différentes à cette prétention politique de l'impérialat romain des papes », 7
et il en profite pour noter que le « récent d o g m e » de l'infaillibilité est dans le droit fil de cette évolution monarchique de l'Eglise romaine. Le chapitre IX décrit et commente les guerres de religions et leur conséquence principale : l'instauration d'une « république athée des Etats chrétiens » et là encore Saint Yves dénonce longuement la responsabilité de R o m e : « Si la papauté n'eût pas été une fonction politique mixte, érigée sur des cadres impériaux, posés eux-mêmes sur un plan ethnique à tradition césarienne, elle eût devancé ce mouvement des grandes unités divisionnaires nationales 6. d° page 184. 7. d° page 205.
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et dynastiques, elle en eût été l'initiatrice religieuse, et, le consacrant théocratiquement, elle eût fait œuvre de Souverain Pontificat européen . » 8
En fait, ici c o m m e avant, c'est d'une mécojmaissjmce complète des fondements irj&ellectuels e t scientifiques djun ordre social véritablement chrétien que Saint Yvêsuccuse la papauté- Et corrélativement, c'est eux qu'il se propose d'exposer dans sa « Mission ». A ce stade de l'histoire, je m'en remets à l'excellent résumé qu'a donné Barlet des propositions de Saint Yves, puisqu'aussi bien, il s'agit de donner une idée générale et non de remplacer la lecture du livre complet . 9
Henri IV rêvera inutilement avec la reine Elisabeth de réaliser par une dernière guerre les Etats vraiment unis de l'Europe ; Richelieu et Mazarin reprendront son plan en mode individuel, et, par des expédients politiques, réaliseront, dans le traité de Westphalie, cette anarchie internationale qu'on a, comme par dérision, décorée du beau nom d'équilibre européen. Depuis plus de deux siècles, la paix armée qu'il institue nous écrase toujours plus lourdement, règne de la force anarchique et stérile substitué à l'idéal chrétien de la Fraternité universelle. Cet idéal, manqué deux fois par la Papauté et par la Royauté, la Révolution française, à la remorque des philosophes encyclopédistes, prétendit à son tour le réaliser en mode laïque. « Quelques formules théocratiques de la maçonnerie tombèrent dans l'anarchie des esprits, mais séparées de leurs principes, de vérités qu'elles auraient pu être, elles devinrent les dogmes de l'athéologie militante. Ces trois mots : Liberté, égalité, fraternité, pour les initiés de tous les temps n'ont jamais représenté des principes. Un principe est un radical, une racine, le point de départ 8. d" page 224. 9. Barlet, op. cit., pages 49 à 55.
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE p r e m i e r d'une série d é t e r m i n é e de c o n s é q u e n c e s spécifiques, n'appartenant qu'à l u i . . . Il saute aux yeux que ces trois m o t s n ' e x p r i m e n t rien de tel, mais des manières d'être de principes qu'ils n'indiquent pas. »
r
La liberté r a m e n é e à s o n p r e m i e r t e r m e , le libre, m a r q u e « ce quP«t~7ÏÏwiifé, infini, et il n'y a q u e la Force première, l'Esprit universel qui porte ce caractère, qui en soit l e Principe. » L'Egalité, r a m e n é e à s o n premier t e r m e , l'égal par e x c e l l e n c e , « n'existe pas c o m m e idée radicale en d e h o r s des m a t h é m a t i q u e s abstraites, et VUnité en est le p r i n c i p e . . . L' égalité des h o m m e s a p o u r principe le Règne hominal, l'Espèce
humaine,
la Puissance
essentielle,
cosmogonique
occulte,
d ' o ù sortent et o ù rentrent t o u s les h o m m e s ; leur égalité n'existe q u e dans cette e s s e n c e m ê m e d o n t le caractère est l'identité ». La Fraternité a s o n p r e m i e r t e r m e dans le Frère ; « le frère par e x c e l l e n c e ; le frère universel n'existe pas, c o m m e idée radicale en d e h o r s de la Paternité qui le constitue/rère de frère. Le Père e s t ^ d o n c _ l e Principe d u frère. C e Père Cosmogonique, si o n l ' e n v i s a g e c o m m e père spécifique de l ' H o m m e , c'est cette puissance o c c u l t e à laquelle n o u s a v o n s ' d o n n é le n o m
d'Espèce
humaine,
de Règne
hominal,et
si o n
le
c o n s i d è r e dans s o n universalité, c o m m e la p r e m i è r e Puissance c o n s t i t u é e de l ' U n i v e r s , c'est ce p o i n t c u l m i n a n t , ce principe et cette fin de la vie et de la science q u e n o u s appelons Dieu. Les trois principes, de la Liberté, de l'Egalité, de la Fraternité, s o n t en toutes lettres dans la c o s m o g o n i e é g y p t i e n n e de M o ï s e : R O U A H E L O H I M , l'Esprit m o t e u r ; ADAM, l ' H o m m e universel ; I H O H A , D i e u et la N a t u r e , puissance c o n s t i t u t i v e de l ' U n i v e r s . ' C e s trois principes inversés s o n t aussi dans la Trinité chrétienne : P È R E , F I L S , S A I N T - E S P R I T ; le Père renfermant e n lui
la
M È R E ou
la
N A T U R E ».
« C'est ainsi que, née d'idées théocratiques sectarisées par l ' A t h é i s m e , la R é v o l u t i o n française, avec ses faux principes de 178V, tit, e x a c t e m e n t , sans le savoir, ce qu'avait
SOUVERAINS,
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UNISSEZ-VOUS
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fait la papauté : de la politique sur la R e l i g i o n , tandis que c'est le contraire qu'il faut faire. » L'Anglais Pitt se chargea d'exploiter au profit de s o n pays la vanité de ce m o u v e m e n t et l'anarchie d e s c e n d u e j u s q u e dans les esprits. C e n'était pas l'unité factice réalisée u n instant par l ' a m b i t i o n personnelle de B o n a p a r t e qui p o u v a i t y remédier : « L'Europe, au contraire, avait d é s o r m a i s d e u x dictateurs en lutte : l'un à la tête de l'empire radical des mers, l'autre rêvant sur terre u n e i m p o s s i b i l i t é , l ' E m p i r e de C h a r l e m a g n e au xix ' siècle. C e fut l ' h o m m e de proie q u i . . . , p o u r faire face à s o n rival anglais, coalisa contre lui l'Europe m a r i t i m e ; ce fut le d e s p o t e de la terre qui se déclara le c h a m p i o n de la mer. » C e p e n d a n t , N a p o l é o n v a i n q u e u r aurait p u entendre les v œ u x des nations, et arriver à un b o n c o d e général capable d e s u b o r d o n n e r la s o u v e r a i n e t é de la Force à la paix sociale entre les g o u v e r n e m e n t s c o m m e entre les nations. « M a i s , h e u r e u x , dans ses v u e s d ' a m b i t i o n vulgaire, de g r o u p e r autour de lui des a d h é s i o n s impériales et royales, il ne profita p o i n t de l'excellent terrain qu'il avait t r o u v é t o u t préparé par l'ancienne d i p l o m a t i e française. » Il s u c c o m b a ! 1
La Sainte Alliance qui le précipitait de la roche T a r p é i e n n e n'était, à s o n tour, q u ' u n e fausse théocratie qui devait avorter dans le C o n g r è s de V i e n n e , c o m m e le rêve de Henri IV avait avorté en Westphalie. L'anarchie internationale reprenait de plus belle a v e c la q u e s t i o n d'Orient, p o u r aboutir au C o n g r è s de 1856 et à l ' h é g é m o n i e prussiennne c o n f i r m é e par le traité de 1870. T o u t e cette politique se r é s u m e e n c o r e par l'inévitable diarchie de t o u t ce qui n'est jpas réglé J^ju^l'JJnité de la VôîôrîtT d i v i n e ^Empiré m a r i t i m e a n g l o - s a x o n ^ ~ c o n t f e Ejrnpire terrestre de Russie que l'avenir transportera sans d o u t e dans le Pacifique en mettant les E t a t s - U n i s , fils de la Vieille Europer énTace de P A n t i q u c Orientjisiaüqjae, mais qui ne peut aboutir, en t o u s cas. qu'aux horreurs d'une guerre universelle et à u n b o u l e v e r s e m e n t générâT~dont le passé historique n'a d o n n é e n c o r e aucun e x e m p l e " . 1
10. On remarquera que ces prévisions ont été écrites il y a près de
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
218
La faute en est uniquement à l'abandon des principes de la théocratie véritable ; ils sont seuls capables de fournir une organisation normale de la société. Il ne s'agit aujourd'hui ni de détruire, ni de conserver au-dessus des Etats ou de leur chefs un ordre social quelconque, puisqu'il n'y en a pas ; il faut le créer. Il faut former au-dessus de nos nations, de nos gouvernements, quelle que soit leur forme, un gouvernement général, purement scientifique, émané de nos nations mêmes, consacrant tout ce qùTconstitue leur vie antérieure. Voici, dans ses plus grands traits, ce que serait ce gouvernement général que Saint Yves nomme S Y N A R C H I E : 1° Un
Conseil
Fumpéen
HP*
Communes
nationales
(Londres, Paris, Bruxelles, etc., tous les grands centres de la vie civile et de la civilisation), nommé par une assemblée de tous les économistes, financiers, industriels, agriculteurs, ou par leurs chambres corporatives, prononcerait sur tous les intérêts économiques internationaux : Il serait présidé par l'élu des chefs d'Etat, avec le titre d'Empereur arbitral. Ses jugements, consacres par ies deux autres conseils, seraient mis sous la sanction des armées nationales de terre ou de mer confédérées, en cas d'infraction d'une nation et après procès par les trois Conseils réunis. 2° Conseil Européen des Etats nationaux, composé de conseillers élus dans chaque capitale par tous les corps de la magistrature nationale, pour prononcer sur toutes les questions internationales de droit publicjjustice internationale, revision des trait^sT^œrganlsatîon de la diplomatie, le tout devant former un code de droit public, une Constitution européenne qui, enregistrée par le Conseil des Communes, serait mise sousja garde et la consécration solennelle du Conseil des Eglises et placée sous la sanction de l'Union des armées nationales de terre et de mer. 3° Conseil international des Eglhzs-iiationales, c'est-à-dire de la totalité des corps enseignants de chaque nation, sans distinction de corps, de sciences ni d'art, depuis les Universités laïques jusqu'aux institutions de tous les Cultes reconnus par la loi civile ; l'évêque national qui le consacrera dans sa patrie en sera le Primat catholique orthodoxe (en
SOUVERAINS, OUVRIERS, FRANÇAIS, UNISSEZ-VOUS
219
prenant ces mots dans toute leur acception d'universalité, de tolérance intellectuelle et de charité morale). Ce Conseil aurait pour objet : la consécration des trois Conseils et des villes libres; le règlement des questions internationales se rattachant aux cultes et aux universités; la création des collèges ou d'ordres européens, sacerdotaux ou militaires ; le sacre des souverains, la collation des dignités et grades européens, la détermination des canons des sciences, arts et métiers ; l'initiative des concours, fetes et fondations sociales ; « les conquêtes de l'Empire de la civilisation liant les races asiatiques et africaines à la paix de la Chrétienté d'Europe, au règne de Dieu, par Jésus-Christ, sur toute la terre comme au ciel », — la fondation et la conservation des colonies européennes ; « la neutralisation de toutes les capitales religieuses ; l'initiative de toutes les créations destinées à conjurer les maux sociaux». Telle est cette première Mission par laquelle Saint Yves conviait le m o n d e à s'unir c o m m e sous l'égide de l'Unité divine représentée par l'Assemblée des Eglises et des Universités laïques de toutes espèces, réconciliées. Ainsi la synarchie européenne que propose Saint Yves aura partout pour conséquence — c'est-à-dire qu'elle précédera — la synarchie nationale. D'ailleurs il envisage une prompte réalisation en écrivant dans l'adieu au lecteur : « D'ici un an ou deux, tous les esprits ralliés à la synarchie devront se compter ou se concerter en vue d'adopter un programme et des moyens d'action et de propagande. De même que dans les grandes périodes de l'universelle Eglise, des Ordres nouveaux sont venus à leur heure, répondre à de nouveaux besoins sociaux, de même aussi, entre les conservateurs et les révolutionnaires européens, l'ordre des synarchistes devra planter son drapeau d'arbitrage et de paix~sociale. — Les organes 'de propagande seront, dans chaque pays,
220
SAINT-YVES
1
D'ALVEYDRE
u n j o u r n a l et u n e r e v u e ayant p o u r titre « La synarchie nationale » d ' A n g l e t e r r e p o u r les A n g l a i s , d ' A l l e m a g n e p o u r les A l l e m a n d s , etc. etc. Et t o u s ces o r g a n e s réunis formeront un journal s y n t h é t i q u e , u n e revue universelle, ayant p o u r titre « L A SYNARCHIE EUROPÉENNE
1 1
».
Le p r o g r a m m e était donc particulièrement ambitieux, et Saint Yves paraît avoir beaucoup travaillé à lui donner la dimension internationale qu'il souhaitait. Il fait d'ailleurs allusion dans « L A F R A N C E V R A I E » à cet aspect de son activité. Mais en des termes relativement discrets et qui mériteraient de plus amples recherches. «En
à peine eus-je publié la " M I S S I O N D E S q u e j ' e n t e n d i s siffler de l'étranger et d'ailleurs pas mal de reptiles. Je reçus des lettres a n o n y m e s m e m e n a ç a n t de m e couvrir de b o u e m o i et les m i e n s , d'autres parlant m ê m e de m o r t . Triste g e n s , m e disais-je, et j e haussai les épaules. Loin de m ' é m o u v o i r p o u r si peu, la m ê m e année, j e continuai m o n œ u v r e par la parole. A B r u x e l l e s dans la grande salle de l ' H ô t e l de Ville, j e d é m o n t r a i la loi de la j j a j x ^ c m t i n e n t a l e à u n millier d ' h o m m e s d'élite de t o u t e s les n a t i o n s . M o n plan était de faire la m ê m e c h o s e l'année suivante, à A m s t e r d a m , puis dans les capitales de toutes les petites puissances, p o u r les a m e n e r à se constituer en Sénat e u r o p é e n , s o u s le protectorat de la_Francë e t . d e la Russie d'abord, puis de t o u s les grands Etats qui auraient v o u l u entrer dans cette L i g u e de bien p u b l i c . » 1882,
SOUVERAINS",
1 ! f
12
f
Ce « Sénat de la Paix » devait s'appuyer sur des regroupements de petits Etats : Belgique, Hollande, Dane\ mark, Suède, au N o r d , Roumanie, Serbie, Montenegro, 11.
« M I S S I O N DES SOUVERAINS
12.
« L A F R A N C E VRAIE»,
page
», page 469. 17.
SOUVERAINS,
OUVRIERS,
FRANÇAIS,
UNISSEZ-VOUS
221
Grèce en Orient, Suisse, Espagne, Portugal, en Occident. A la fin de « M I S S I O N D E S J U I F S » également, Saint Yves évoque ces tentatives : « Après un commencement d'exécution par une dépêche au bourgmestre d'Amsterdam au sujet d'une conférence pour l'année 1883, cette ligne de conduite n'a pas été suivie . » 13
Malheureusement Saint Yves ne donne pas davantage d'explications sur les raisons de cette interruption. Il ajoute seulement : « C'est pourquoi, sans cesser de leur garder toute ma sympathie, j'ai décliné par écrit à mes amis de Londres et de Paris toute participation active et toute responsabilité dans les Sénats de la Paix. » S'agissant de la conférence de Bruxelles, que Saint Yves situe la même année que « M I S S I O N D E S S O U V E R A I N S » , elle n'a laissé aucune trace dans le fonds des réceptions de l'Hôtel de Ville, ainsi que me l'a fait connaître M'™ M. Martens, archiviste de la ville . Toutefois, grâce au docteur Philippe Encausse, j ' a i pu retrouver l'allocution de Saint Yves publiée en une mince brochure sous le titre de « S Y N A R C H I E , u
DISCOURS
PRONONCÉ
AU
TRAGE ET D E FÉDÉRATION
CONGRÈS
INTERNATIONAL
D E LA PAIX.
D'ARBI-
»
Saint Yves y résume très brièvement ses vues sur l'histoire européenne, et propose des réalisations concrètes : « Sachons-le bien, c'est un parti que nous allons constituer en Europe ; le parti de la réconciliation des partis, le parti dlFTarbitrage appliqué à toutes les questions intergouvernementales qui se règlent jusqu'ici par voie l'antagonisme armé. » 13. « M I S S I O N D E S J U I F S » , tome I I , page 935. 14. Lettre à l'auteur du 4 août 1978.
222
SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
T o u t le rêve, fondé sur « le christianisme laïque et la science » est là. Le moyen n'est pas dans l'insurrection armée, mais dans un véritable ^qujy^niemerit^es_sages : «Les chefs des différents cultes, des universités, des loges maçonniques, tels sont les hommes qu^nous_dejains convaincre, afin qu'au nom de leur solidarité sociale, si ce n'est au nom de la charité universelle ils agissent en les éclairant, sur les pouvoirs assez imprévoyants pour persécuter, ou assez impuissants pour ne pas réformer la persécution. Nous ferons donc sagement, pour répondre dans l'avenir aux éventualités de cette nature, éventualités toujours menaçantes, de choisir parmi nous des spécialistes de cette question, des membres de tous les cultes, de toutes les universités, de toutes les loges des nations représentées dans ses rangs . » 15
Saint Yves trace ainsi le plan cTung sorte d ' œ c u m é nisme des sages, mais aussi des spécialistes et c'est un trîeme sur lequel il reviendra et qui fait que certains ont vu en lui un premier ancêtre de la « technocratie ». Mais cette conférence marque aussi une certaine inflexion dans le système synarchique et les institutions proposés. O n se rappelle que dans « L E S C L E F S D E L ' O R I E N T » , Saint Yves décrivait ces dernières c o m m e : — U n conseil suprême des Eglises, — U n e chambre haute des magistratures des Etats, — U n conseil des Etats à base diplomatique, — U n e université-mère correspondant aux initiations des trois cultes. Dans « M I S S I O N D E S S O U V E R A I N S », l'organisation européenne doit compter : 15.
« LA SYNARCHIE
», page 3.
SOUVERAINS,
OUVRIERS,
FRANÇAIS,
UNISSEZ-VOUS
223
— U n Conseil des communes nationales, — U n Conseil européen des Etats nationaux, — U n Conseil international des Eglises nationales. La conférence de Bruxelles apporte des précisions supplémentaires sur l'organisation interne des Etats, que leur forme celle de monarchie absolue ou de république. Saint Yves préconise que soit mise en place une triple représentation : — De tous les corps enseignants, légiférants en matière d'enseignement, — De tous les corps juridiques, légiférants en matière de droit civil, — De tous les corps économiques, finance, industrie, agriculture, commerce, syndicats professionnels légiférants en matière d'économie publique, examinant les ressources, discutant et votant le b u d g e t . 16
« MISSION
DES OUVRIERS »
Cette organisation va être explicitée, la m ê m e année 1882, dans une autre « Mission » : « M I S S I O N A C T U E L L E D E S O U V R I E R S » . Cette dernière comporte les mêmes variations de titre que celle des souverains ; cette première édition chez Dentu, bien décrite c o m m e telle par Gilbert Tappa (qui en a assumé une réédition en 1979), fut suivie en 1883 de l'édition Calmann-Lévy et parut à nouveau en 1884 avec le n o m de Saint Yves. Le texte ne comporte que soixante-quatre pages. Saint Yves appelle les ouvriers « mes enfants », dans un styjerésolument paternaliste : «J'ai lu, dit-il, tous les économistes du siècle, je sais par cœur tous leurs dogmes : capital, travail, échange, agricul16. d' page 5.
224
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
ture, industrie, commerce etc. Ils cherchent les vraies lois d'une science nouvelle et nécessaire ; mais ils ne les ont pas encore trouvées . » 17
Malheureusement ni références ni citations ne permettent de se faire une idée des auteurs étudiés par Saint Yves. A-t-il par exemple connu Marx, à peine traduit en français... ? Pour l'essentiel, le livre critique sévèrement les politiques de l'époque, conservateurs ou révolutionnaires, et surtout les mœurs parlementaires. Saint Yves justifie par là les aspirations de la classe ouvrière : « Voyant que ni les économistes, ni les protectionnistes, ni les socialistes ne vous donnaient en fin de compte ce que vous vouliez, vous n'avez plus compté que sur vos forces coalisées, et vous appuyant sur elles pour défendre vos droits et vos intérêts, vous avez voulu vendre librement votre travail. De là l'Internationale, les grèves, les congrès ouvriers, le collectivisme enfin. Je crois la liberté bonne à tous, et aucun sage, aucun savant, aucun chrétien ne peut vous reprocher de chercher par elle l'amélioration de votre sort, et, en vous-mêmes, dans votre solidarité mutuelle, de trouver votre force première de résistance, votre premier point d'appui plus accessible et moins dangereux que le gouvernement. Prenez garde cependant que les politiciens ne se mêlent encore de vos affaires, pour faire les leurs et pas les vôtres . » 18
A partir de là, Saint Yves conseille les travailleurs ; son espoir part de l'affirmation que, par nature, le capital et le travail ne sont pas voués à un antagonisme définitif; seuls les 17. « M I S S I O N 18. d° page 8.
DES OUVRIERS
», page 5.
SOUVERAINS, OUVRIERS, FRANÇAIS, UNISSEZ-VOUS
225
politiciens sont responsables du fait que leur dualité paraisse un dogme : Saint Yves n'emploie pas le terme « lutte des classes», mais son discours va bien dans le sens de la négation de cette dernière. Pour lui les conflits du travail ne sont jamais qu'une « querelle dejamille » entre l'ouvrier et l'usinier. Mais au-delà des querelles, l'analyse scientifique des intérêts des uns et des autres, lui permet d'affirmer que « de bons traités de paix » sont possibles entre eux, à la condition que l'Etat ne s'en mêle pas. Discours « libéral » dirait-on aujourd'hui ! En fait, pour parler un langage contemporain, la critique de Saint Yves porte à la fois sur l'appareil d'Etat, et sur la «classe politique», dans laquelle il comprend les conservateurs et les destructeurs — et il me paraît symptomatique que pour lui ce dernier terme désigne ceux qui se réclament du socialisme de l'époque. Néanmoins il est intéressant de noter qu'à ses yeux tous ceux qui dirigent l'Etat ou prétendent le diriger apparaissent c o m m e tributaires d'une m ê m e formation : sortis des mêmes collèges, ils poursuivraient leurs querelles sur le dos des ouvriers. La critique a un certain relent « anarcho-syndicaliste » dont l'époque a connu beaucoup d'exemples. Saint Yves met en cause l'ambition personnelle, l'avancement, la recherche des décorations — tous les thèmes de l'antiparlementarisme bien connu, voire vulgaire — sont développés de manière démagogique ; toutefois, il cherche à s'en dégager en développant trois causes principales aux imperfections du système de l'époque. La première tient au fonctionnement du système représentatif qui à ce m o m e n t crée une oligarchie. La seconde provient de l'existence de « chambres à tout faire », et là il en revient à l'idée de spécialisation fondée sur la science ou la compétence. La troisième est liée à la centralisation à outrance de l'Etat, au plan national, mais aussi au plan européen et, à ce
226
SAINT-YVES
stade,
D'ALVEYDRE
il
revient aux thèmes de la « M I S S I O N D E S tout en prenant soin, lorsqu'il évoque la « vraie théocratie », de ne pas apparaître c o m m e un clérical. Il appelle donc tous les travailleurs à s'organiser eux-mêmes sans trop s'occuper des clans politiques : SOUVERAINS»,
«Je v o u s conseille de saluer b i e n p o l i m e n t les u n s et les autres, de ne j a m a i s entrer en d i s c u s s i o n s stériles a v e c e u x , d e les laisser se c o n s e r v e r o u se détruire, s'emparer o u s'expulser de l'Etat et d u f o n c t i o n n a r i s m e , à leur g u i s e : p e u i m p o r t e n t à la création qui n o u s o c c u p e , les querelles b y z a n t i n e s entre les revenants du B a s - E m p i r e qui n o u s y m è n e r a i e n t e n c o r e une fois. U n m o n d e n o u v e a u s'est l e v é , m o n d e libre et qui r é p o n d : la science, la j u s t i c e , la richesse m'appartiennent, et j e m e gouvernerai m o i - m ê m e . Le m o n d e n o u v e a u c'est le v ô t r e m e s enfants ; seul il r e n f e r m e v o s vrais appuis, v o s meilleurs i n s t r u m e n t s de perfectabilité et de totale é m a n c i p a t i o n . » 19
S'il n'opposait la synarchie à l'anarchie, je dirais que le synarche s'exprime c o m m e un véritable anarchiste, avec je ne sais quoi d'autogestionnaire ! Ayant achevé sa critique, Saint Yves propose aux ouvriers de créer trois chambres formées d'hommes d'élite compétents. La première, celle de l'Enseignement national, correspond au magistère spirituel et intellectuel dont on a déjà parlé — elle correspond à un remodèlement complet du système éducatif; notons au passage que l'enfant que fut Saint Yves réapparaît pour clamer : « D a n s les é c o l e s , dans les l y c é e s , il n'y aura plus ni grilles, ni t a m b o u r s , ni clairons, ni m a n i e m e n t d ' a r m e s ! » 2 0
19. d° page 34. 20. d° page 44.
VIE SPIRITUELLE (Volonté
Universelle
assentie.)
VIE ECONOMIQUE
VIE MORALE (Union,
en harmonie,
et Individuelle,
des deux
fournissant
la règle
Volontés,
Universelle
de conduite
sociale.)
(Volontés
individuelles
dans
leur
prises
totalité.)
Principe d'organisation monarchique assuré par le Pontificat suprême — la hiérarchie sacerdotale — et l'Initiation (pour le recrutement).
Principe d'organisation, aristocratique, assuré par l'élection parmi ceux reconnus apte par l'Autorité (Nomination par les Collèges électoraux élus par l'ensemble des citoyens).
Principe d'organisation démocratique assuré par le suffrage universel nommant les Collèges électoraux (et par la rédaction des cahiers).
Réalisation de la Fraternité
Réalisation de VEgalité devant la Loi, (trait d'union des deux Volontés.)
Réalisation de la Liberté (propre de la Volonté populaire).
(propre de la vie Universelle).
Législateurs, pour la Formation de la loi politique (élus par les Collèges électoraux) divisés en trois genres. pour les Dogmes, et leur unité (Théurgie, Initiations).
Sacerdoce
i
e
Enseignement
J théorique de tout genre. - Examens de capacité j des Candidats j au Pouvoir. Cultes publics.
de Y Autorité
De Vie intellectuelle
(Cultes, instruction, lois les concernant).
(Le Primat)
du Pouvoir
(Justice, guerre, police, etc.), lois les concernant.
de Y Economie
(Finances, travaux, etc.), lois les concernant.
Autorité
Ministres, pour l'Exécution de la loi sociale (élus par les Législateurs) réunis en trois Conseils d'Etat.
De Vie morale (Le Souverain
justicier)
Justice, armée de terre et de mer, Affaires étrangères, Grades et récompenses. De Vie économique (Grand économe)
Finances, travaux publics, commerce, etc.
Pouvoir des Gouvernants (les Elus)
D'Enseignement
(économique de la vie intellectuelle).
De Pouvoir
juridique
(Vie économique de la Magistrature).
De Pouvoir
Economique
(Finances, production, distribution).
Pouvoir des Gouvernés (L'Electorat)
228
SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
La deuxième chambre correspond aux organes et aux représentants de la législative civile ou nationale, et la troisième celle de l'économie nationale. Si on examine cette nouvelle structure représentative dans le détail on s'aperçoit que dès ce m o m e n t le système de Saint Yves est exposé pratiquement en totalité ; certes les autres « Missions » qu'on va examiner apportent ici ou là des nuances et surtout des illustrations historiques, mais l'essentiel est dit. Barlet l'a d'ailleurs fort bien résumé dans un tableau que je crois utile de reproduire car il expose d'un regard ces thèses sur lesquelles Saint Yves est souvent beaucoup trop prolixe. Le p r o g r a m m e de réforme politique étant maintenant connu pour l'essentiel, il convient de voir quels efforts fit Saint Yves pour le faire connaître, et prendre en considération par les autorités politiques de son temps. Les tentatives européennes ayant rapidement tourné court, sans q u ' o n sache trop pour quelles raisons, c'est vers la réforme de l'Etat français qu'il va se tourner ; et pendant plusieurs années, il va dépenser beaucoup d'argent pour faire connaître ses idées. Le premier point d'application qu'il retient est la création de la «troisième chambre», celle de l'économie.
Saint Y v e s syndicaliste C'est un aspect bien peu connu de sa vie, et ses disciples, soit par ignorance, soit par gêne, en ont peu parlé... si bien que je crois être le premier à avoir essayé de reconstituer l'histoire du syndicat qu'il fonda. Mais une nouvelle fois, je crois que c'est utile car cela illustre parfaitement le caractère de l ' h o m m e toujours soucieux de compléter l'exposé théorique par des réalisations concrètes.
SOUVERAINS, OUVRIERS, FRANÇAIS, UNISSEZ-VOUS
229
Saint Yves, prophète et hiérophante ne dédaigna donc pas de créer un syndicat. Il faut se rappeler que la pleine liberté syndicale est alors chose tout à fait neuve : la loi fondamentale remonte au 21 mars 1884 et encore a-t-elle été combattue par les organisations ouvrières dans la mesure où elle impose une déclaration à la préfecture du n o m des dirigeants, et les travailleurs craignent que cela n'entraîne une surveillance de caractère policier et facilite la répression . Au demeurant ce n'est pas une organisation ouvrière qu'envisage Saint Yves mais plutôt ce qu'on a appelé ultérieurement un groupe de pression dans un domaine opportunément choisi : celui de la presse (patronale) professionnelle. 21
«Il existe en effet, écrit-il dans « L A F R A N C E V R A I E » , à côté de la grande presse religieuse et scientifique, sociale et politique, une petite presse très humble mais utile aussi et qui mérite à tous les égards les encouragements de sa sœur aînée. C'est celle de tous les journaux professionnels qui vont des industries les plus puissantes aux plus modestes corps de métier . » 22
Dans le m ê m e texte, Saint Yves date son projet de 1885 sans autre précision. En fait mes recherches auprès du bureau du travail et de la main-d'œuvre (Section des 21. Barlet écrit (page 8 7 ) que Saint Yves avait été le premier inspirateur de la loi sur les syndicats. Ayant beaucoup étudié l'histoire du mouvement ouvrier, y compris dans le cadre des responsabilités que j'ai eu l'occasion d'exercer dans ce domaine, je n'ai nulle part retrouvé d'allusions tant soit peu précises à Saint Yves. Il demeure que des gens c o m m e Benoît Malon ( 1 8 4 1 - 1 8 9 3 ) , responsable de la « R E V U E SOCIALISTE » et fondateur de la C G T , connaissaient certainement Saint Yves ; il est vrai aussi que la loi n'a pas été faite par les syndicalistes, mais, au contraire, par des politiciens désireux de canaliser l'activité syndicale. 22. « L A F R A N C E VRAIE », page 20.
230
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
syndicats professionnels) de la Préfecture de Paris, permettent de préciser que le « Syndicat de la Presse Economique et Professionnelle » dont le siège était 18 rue Daunou à Paris, ne fut légalement déclaré que le 17 juin 1886 (et d'ailleurs en 1978 il n'avait toujours pas été dissous légalement). En fait, compte tenu de l'ensemble des travaux qui entourent la création d'un syndicat, ce décalage dans le temps n'a rien d'exceptionnel. E n tout cas, d'après le récit que donne Saint Yves, le Syndicat se serait publiquement manifesté dès janvier 1886, en conviant plus de deux cents syndicats ouvriers à une grande réunion dans la salle de la rue de Lancry (qui est bien connue dans l'histoire du syndicalisme) afin d'exposer le projet d'un grand conseil de l'Economie nationale. Il me paraît intéressant d'essayer de situer aussi précisément que possible les principaux personnages qui s'intéressaient au Syndicat. Saint Yves en donne une liste dans « L A F R A N C E V R A I E » mais il est indispensable de compléter les mentions qu'il donne. Le Syndicat comportait un comité de patronage et un bureau ; de plus, certains ministères avaient désigné des représentants auprès des instances dirigeantes. Le C o m i t é de patronage était composé en 1887 des personnalités suivantes : François Cesaire Demahy dit « de Mahy », né à la Réunion en 1830, Docteur en médecine et qui fut député de son île de 1876 à 1889 (en 1885 il avait battu M g r Fava et M. de Villèle, petit-fils du ministre de la Restauration). En 1887 il sera Ministre de la Marine et des Colonies dans le cabinet Tirard. Auparavant il avait été en désaccord avec 23
23. « L A F R A N C E V R A I E » , page 511. Je précise une fois pour toutes que sauf exception mes sources de base, dans ce passage sont le « D I C T I O N N A I R E D E B I O G R A P H I E F R A N Ç A I S E » et pour les Parlementaires, le fameux « R O B E R T ET C O U G N Y » et son supplément. Je dois également remercier les services des Archives de l'Assemblée Nationale et du Sénat qui m'ont fourni avec efficacité tous les renseignements, fussent-ils de peu d'importance, que j'ai eu l'occasion de leur demander.
SOUVERAINS,
OUVRIERS,
FRANÇAIS,
UNISSEZ-VOUS
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l'expulsion des Princes mais, siégeant à gauche, il se prononça pour les poursuites contre le Général Boulanger. Par la suite, en 1899, il participera au lancement de « L ' A C T I O N F R A N Ç A I S E » mais, au bout de quelques mois, il s'en séparera en raison de l'antirépublicanisme systématique de certains dirigeants, c o m m e Henri Vaugeois. Il mourra en 1906. U n autre parlementaire, également Docteur en M é d e cine et élu de la Réunion c o m m e sénateur de 1882, à sa mort, en 1890 faisait également parti du comité : il s'agit de Jean Milhet-Fontarabie. Saint Yves m e n t i o n n e ensuite « M . Deschanel, député». Il ne peut s'agir d'Emile Deschanel (1819-1904) puisque, depuis 1885, il était sénateur inamovible, mais de son fils Paul (1856-1922) qui, par la suite, sera Président de la République et acquerra la célébrité que l'on sait à cause d'un cachet de trional d'un train et d'une garde-barrière. A l'époque qui nous intéresse, il venait d'être élu député d'Eure et Loir en 1885 sur une liste républicaine. Le comité comprenait encore deux m e m b r e s : M . Muzet « Président de l'Union Syndicale du C o m m e r c e et de l'Industrie » et qui fut aussi député et Ernest Deusy (1823-1897) : Avocat à Arras, il s'attacha à la cause des intérêts agricoles et à celle de la classe ouvrière et présida pendant de longues années des sociétés mutualistes. Mais c'est surtout à l'agriculture qu'il se consacra. Elu député du Pas-de-Calais en 1876, il demandait, dans son programme, la protection de l'agriculture, la révision des traités de commerce, l'économie dans les budgets, la liberté de l'enseignement, le refus des guerres aventureuses, l'organisation de la république conservatrice et constitutionnelle. A l'expiration de son mandat (en 1881), il se dévoua entièrement au syndicalisme agricole et c'est sans doute à ce titre qu'il a rencontré Saint Yves. Les fonctionnaires chargés de représenter certains
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ministères auprès du syndicat étaient l'intendant militaire Aristide Baratier (1834-1918) qui revenait d'une mission au T o n k i n ; Ferdinand Buisson (1841-1932) qui était à ce moment-là Inspecteur Général de l'Instruction publique et Directeur de l'enseignement primaire : on sait qu'il devait collaborer étroitement avec Jules Ferry pour préparer le statut de l'école laïque ; par la suite, il fut un des Dreyfusards les plus convaincus. Enfin le Ministre de la Marine, alors l'Amiral Aube, dont on reparlera, s'était fait représenter par l'Inspecteur en chef du Commissariat de la Marine, Louis Châtelain (1840-1908) qui, en 1899, devait être n o m m é Conseiller d'Etat au service extraordinaire. Puisque nous en sommes aux parrainages dont bénéficia le syndicat, il faut noter que le président d'honneur, à ce que dit Saint Y v e s , fut le savant alors quasi centenaire, Michel Eugène Chevreul (1786-1889) qui, au cours d'une audience : 24
« Répondit à notre syndicat les paroles éminemment flatteuses et encourageantes que les journaux ont reproduites. » Les rubriques malheureusement trop brèves qui ont été consacrées à ces différents personnages montrent assez leur « position de classe », pour employer un terme relativement équivoque ; ils sont républicains mais souvent modérés, voire conservateurs. Toujours est-il qu'ils ont laissé des traces assez aisément accessibles. Il n'en va pas de m ê m e des membres du bureau, sur qui je n'ai guère recueilli, sauf dans un cas, d'autres renseignements que ceux que donne Saint Yves. Ces membres étaient donc : P r é s i d e n t : Hippolyte D e s t r e m 25
« L A F R A N C E VRAIE », page 2 2 . 2 5 . Hippolyte Destrem (1816-1894) est l'exception que je signalais. Banquier de formation, h o m m e d'affaires, internationales (il fut pour beaucoup dans le développement des chemins de fer espagnols de 24.
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Secrétaire : Le Baron Théodore de C a m b o u r g A r c h i v i s t e : « De » Saint Yves d'Alveydre Autres m e m b r e s : Dureau, Directeur du journal des Fabriquants de Sucre ; Decle, Président du syndicat des fabriquants bijoutiers ; Deville Constant, m e m b r e du conseil des P r u d h o m m e s . Je ne sais combien de personnes adhéraient par ailleurs au syndicat. Voilà donc la cohorte qui devait, selon les rêves de Saint Yves, réformer la politique française, supprimer les antagonismes de classe, dépasser les clivages entre droite et gauche et, par une pesée sur l'opinion publique, permettre l'instauration de la synarchie. Saint Yves se défendra toujours de quelque ambition politique que ce soit ; dans le syndicat, il reste m ê m e en retrait modestement, c o m m e le simple archiviste. Pourtant, c'est bien une action politique qu'il propose au Syndicat, à travers toute une série de démarches et de publications qui ont pour objet de faire prendre en considération la synarchie par les pouvoirs publics. C'est cette action politique qu'il faut retracer maintenant car on s'aperçoit qu'elle a mobilisé une grande partie de l'énergie de Saint Yves pendant cette période alors que, par ailleurs, il continue à s'intéresser aux sciences occultes. Pour reconstituer cette activité, on dispose des éléments fournis par « L A F R A N C E V R A I E » de 1887, de deux petites brochures sur « L E S E T A T S G É N É R A U X D U S U F F R A G E Tarragone à Reus et Lerida, et de Seville à Cadix), il fut aussi fourriériste. Ayant abandonné V. Considérant, il devint théoricien modéré, et écrivit nombre d'ouvrages aujourd'hui oubliés : « P E R T E O U S A L U T D E LA F R A N C E » en MORALES
1871,
DE
« L A F U T U R E C O N S T I T U T I O N D E LA F R A N C E O U LES LOIS
L'ORDRE
« MARSEILLAISE D U xx
c
POLITIQUE
SIÈCLE » en
»
1887,
en
1881
et une
(chez
Dentu),
une
« R É N O V A T I O N POLITIQUE
À LA PORTÉE D E T O U S » en 1893. « L A R É N O V A T I O N » était le titre de sa revue. Par ailleurs il présidait une « Ligue pour le progrès social et la paix perpétuelle » ainsi qu'une « Association pour la solution pacifique des conflits sociaux ». Ce dont Saint Yves rêvait aussi. MISE
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SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
U N I V E R S E L » parues en 1888, ainsi que d'un rapport adressé par Saint Yves au bureau et au comité de patronage du syndicat « en commémoration du centenaire de 1789 ». Vers la fin de 1884 ou le début de 1885, donc, Saint Yves avait réuni « quelques amis », c'est-à-dire, essentiellement, le Baron Théodore de C a m b o u r g , délégué à cet effet par un « Comité de défense des Intérêts français » et Hippolyte Destrem. De là sortit le projet exposé le 24 janvier 1886 aux Syndicats ouvriers ; ce texte est reproduit dans « L A F R A N C E V R A I E » sous le titre « L E G R A N D C O L L È G E É C O N O M I Q U E A V E C SES
CINQ
TRIE,
FACULTÉS,
COMMERCE,
SAVOIR
: FINANCE,
MAIN-D'ŒUVRE »
2 6
AGRICULTURE,
INDUS-
.
Cette étape étant franchie, le syndicat va s'adresser directement au gouvernement et sollicite des audiences auprès des différents ministères. Ces dernières seront accordées en janvier/février 1887, par le Cabinet Goblet et particulièrement l'Amiral Aube, à la Marine, le Général Boulanger à la Guerre, Albert Dauphin aux Finances, Flourens aux Affaires Etrangères et Berthelot à l'Instruction Publique. Tous, dit Saint Yves « Ont été unanimes à considérer notre but national comme aussi méritoire qu'utile. » C'est à ces occasions que furent désignés les représentants des ministères auprès du syndicat. Je ne sais si les rapports entre le syndicat et les ministères furent aussi sereins que Saint Yves l'affirme ; notamment avec Boulanger : en mars de la même année, en effet, ce dernier prit vivement à partie la commission parlementaire de l'armée, accusant les commissaires « d'errements monarchiques ». O r le président de cette commission n'était autre que de M a h y qui le prit d'autant plus mal que la lettre avait été 26.
« L A F R A N C E VRAIE
», page
503.
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publiée avant de lui être parvenue. Boulanger dut s'excuser platement . Il faut dire aussi que la période voit s'affronter les camps politiques et sociaux avec violence et à tout propos ; 1886 a vu la grève de Decazeville en janvier, la loi interdisant le séjour des Princes, en juin, la loi laïcisant le personnel des écoles primaires en octobre. C'est aussi cette année-là que D r u m o n t publie « L A F R A N C E J U I V E » . 1887, c'est l'année de l'affaire Schnaebele, du départ de Boulanger du ministère (il sera mis en non-activité en mars de l'année suivante, puis élu triomphalement) et aussi en décembre, la démission de Grevy après le scandale des décorations. Le discours unifiant, voire lénifiant de Saint Yves, pouvait-il être entendu dans tout ce vacarme ? Toujours est-il qu'en janvier 1887, le syndicat rencontre le Président de la République, Jules Grévy, qui avait été réélu en décembre 1885. O n lui remit des cahiers de vœux. Le premier de ceux-là, au n o m b r e de cinq, concernait la constitution d'un Conseil de la Finance nationale, réunissant les Collèges électoraux formés par « la Banque, les institutions de crédit, le Syndicat des agents de change, les porteurs français et syndiqués des fonds d'Etats et municipaux ». Le second vœux tendait à la constitution d'un « Conseil Supérieur de l'Agriculture française » élu par les syndicats d'agriculteurs, de viticulteurs et de propriétaires fonciers. Les troisième et quatrième tendaient au m ê m e but en ce qui concerne d'une part les campagnies industrielles et les associations d'ingénieurs, d'autre part les institutions commerciales : chambres de commerce, commerçants 11
2 8
27. Adrien Dansette : « L E B O U L A N G I S M E » 1886-1890, Paris, 1938, Librairie académique Perrin, pages 74-75. 28. Cette période a été largement étudiée par des auteurs renouvelée récemment par Zeev Sternheel dans « L A D R O I T E R É V O L U T I O N N A I R E » , Paris, 1978, Le Seuil.
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SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
syndiqués, maisons de commission, d'importation et d'exportation, syndicats de commis voyageurs. Les quatre séries de conseil, on le voit, sont des institutions patronales, et leur ensemble ressemble un peu à ce qui est devenu le Conseil Economique et Social d'aujourd'hui. Seul le dernier vœu concernait la main-d'œuvre des villes et des champs, et préconisait la création d'un Conseil où seraient représentés « les syndicats mixtes ou simples des patrons, des contremaîtres et des ouvriers». Il préconisait également la création de Bourses de la main-d'œuvre (il faut rappeler que de 1883 à 1888, on était en pleine crise de l'emploi), un crédit ouvrier syndical, et la possibilité de créer des banques populaires. Tous ces conseils n'auraient dans un premier temps qu'un rôle consultatif auprès des chambres et du Gouvernement, et leur réunion, en tant que Collège Economique de France, se ferait en présence de délégations du Conseil d'Etat et de la C o u r des Comptes. C'est donc bien d'une sorte de magistrature de l'ordre économique qu'il s'agit. Grévy aurait fait le plus grand éloge de tout ce dispositif et conseillé à ses promoteurs d'obtenir l'assentiment du législatif. Cependant que les vœux sont diffusés assez largement (10 000 exemplaires dit Barlet, sans préciser à destination de quel public — peut-être celui des notables?), le syndicat adresse une pétition aux chambres, enregistrée sous le numéro 1047. De Mahy la dépose, et en m ê m e temps il en est le rapporteur devant la X I V Commission, lors de la séance du 26 mai 1888. C o m m e on pouvait s'y attendre son bref rapport publié au Journal Officiel est des plus enthousiastes... et la pétition est renvoyée pour étude aux ministres concernés . e
29
29. Le syndicat avait été reçu à cette occasion par le Président de la Chambre. L'administration du service des Archives de l'Assemblée Natio-
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Dans le m ê m e temps, le syndicat avait entrepris de visiter à nouveau les instances étatiques ; cela donne lieu le 5 mai 1888 à une nouvelle audience chez le Président de la République, S. Carnot qui avait remplacé Grévy. L'adresse qui lui fut lue et remise a été publiée par Saint Yves en 1888 sous le titre « L E S E T A T S G É N É R A U X D U S U F F R A G E U N I V E R S E L » ; il compare d'ailleurs sa démarche à celle des cahiers de 1789 et demande que soit rapidement promulgué un décret organisant la représentation des intérêts économiques dans l'Etat. Dans la foulée, le syndicat fut encore reçu par le Président du Conseil des Ministres, alors Charles Floquet ; ce dernier promit de faire étudier le projet par les hauts fonctionnaires qui furent d'abord Isaïe Vaillant, ancien directeur de la Sûreté fédérale et Trésorier payeur général de la Loire, puis Bourgeois, ancien Préfet de police, alors son secrétaire d'Etat au ministère de l'Intérieur. De C a m b o u r g et Saint Yves les rencontrèrent plusieurs fois, mais je ne sais à quelles conclusions ils aboutirent. En tout cas il est intéressant de noter que les efforts de propagande du syndicat et de Saint Yves s'exerçaient également en direction des grands courants politiques de l'époque. Aussi mentionne-t-il, dans « L ' O R D R E É C O N O M I Q U E » , les convergences de ses théories avec cellesjitFétat-major du parti catholique, et n o t a m m e n t avec le m o u v e m e n t des « Etats généraux de Romans ». Adrien Dansette rappelle en effet que l'oeuvre des Cercles, animée par Albert de Mun, et depuis 1881 par le Marquis de la T o u r du Pin (qui d'ailleurs s'inspire des études de Le Play), avait préparé à sa manière le centenaire de 1789. Ainsi
nale m'a fait connaître qu'il n'existe pas de document permettant de retrouver la trace des audiences ainsi accordées par le Président.
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« En réponse à la célébration officielle par le gouvernement du Centenaire des Etats de Vizille, l'œuvre des Cercles provoque la réunion d'Etats du Dauphiné à Romans : il s'agit d'édifier un système de représentation des droits et intérêts professionnels en face du suffrage universel et du régime parlementaire qui, menés par la bourgeoisie, assurent en fait la prédominance capitaliste. Le mouvement, parti du Dauphiné, se propage dans d'autres provinces en dix-huit réunions semblables dont les cahiers sont fusionnés par des Etats généraux tenus en 1889 . » 30
Il s'agit donc bien de créer un ordre coopératif inspiré par la contre-révolution, et l'éloge des efforts de Saint Yves par le C o m t e de Marolles, qui représente l'œuvre, n'est évidemment pas neutre sur le plan politique. Aussi Saint Yves se hâte-t-il d'affirmer que la gauche de la nation, qu'il identifie aux Francs-Maçons, Juifs, Protestants et universitaires lui a également réservé le meilleur \ accueil. Mais ce n'est pas tout : « Il nous restait après avoir exploré les deux ailes politiques de la nation, à faire notre propagande de Bien public auprès des chefs de partis qui essaient de refaire politiquement un centre d'équilibre, c'est-à-dire un gouvernement futur qui sera toujours instable sans notre méthode. Conviés à continuer notre bonne œuvre, et^ cette fois auprès du Comte Dillon et du GénéraTBoulanger^ nous avons eiTîe plaisir de le faire en mars et avril 1888T» ~~ Certains auteurs ont fait de Saint Yves, sans doute imprudemment, un conseiller occulte de Boulanger ; aucun , historien du boulangisme ne le mentionne p o u r t a n t . Il est 31
30. Adrien Dansette : « H I S T O I R E RELIGIEUSE D E LA F R A N C E C O N T E M sous LA I I I R É P U B L I Q U E » , Paris, 1 9 5 1 , Flammarion, page 1 8 8 . 3 1 . Ulman et Azeau ont une telle affirmation dans « S Y N A R C H I E ET P O U V O I R », Paris, 1 9 6 8 , Julliard, page 4 3 . Je ne sais d'où ils la tiennent ; il est PORAINE
E
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vrai que le syndicat avait déjà rencontré le Général alors qu'il était ministre et, en l'occurrence, il s'agit d'une nouvelle conversation de plusieurs heures, dont De C a m b o u r g aurait fait un compte rendu écrit; je n'en ai pas retrouvé trace. Q u a n d au C o m t e A r t h u r Marie Dillon (1834-1922), il fut dans les coulisses du boulangisme un personnage important : camarade de promotion de Boulanger à Saint-Cyr, il fut h o m m e d'affaires, puis se lança dans l'aventure politique en 1886 : il représentait les monarchistes (en juin 1888 il rencontre le C o m t e de Paris à Londres) et surtout recueillait et administrait les fonds du mouvement. Enfin il fut l'initiateur des campagnes publicitaires : photographies, chansons, objets divers à l'effigie de Boulanger proviennent de son sens des affaires. En août 1889, il fut d'ailleurs condamné par la Haute Cour, en m ê m e temps que Boulanger et Rochefort. Chargé principalement des tractations occultes, politiques et financières du boulangisme, il n'est donc pas étonnant qu'il se soit entremis entre le syndicat et Boulanger, c o m m e il l'eût fait pour tout groupe éventuellement susceptible de se rallier au général. Je ne pense pas qu'on puisse en dire p l u s . Saint Yves en tout cas se félicite — mais jusqu'à un certain point seulement de ses rencontres avec Boulanger : 32
« Les réponses du Général Boulanger à notre démarche syndicale auprès de lui en 1887 au Ministère deTa~G ïïêrre, ainsi que nos conversations tant avec lui qu'avec son ami en mars et avril 1888, nous permettent de croire que nos efforts de ce côté n'auront point été totalement perdus, malgré les soucis politiques qui régnent dans ce camp [Saint Yves écrit en 1889, la débandade du boulangisme approche]. Ce qui :
vrai qu'ils citent rarement leurs sources. Pour le reste, je me suis référé à Dansette, Meyer, Mermeix, Zevaes, la Duchesse D'Uzès, sans succès. Ces sources sont pourtant parmi les meilleures. 3 2 . Dansette : « L E B O U L A N G I S M E » , page 1 4 6 .
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; nous porte en outre à le supposer, c'est la série d'articles remarquables parus au sujet de la représentation des intérêts économiques, dans la presse dévouée au Général Boulanger, et qui en ne nous citant pas ont rendu un service de plus à notre modeste mouvement. » Etrange propagande, en vérité, que celle qui conduit à se féliciter qu'on n'ait pas parlé de soi, à moins que Saint Yves craigne tout simplement d'être compromis ! Il est vrai qu'il reconnaîtra aussi que le Marquis Fery d'Esclandes (de la C o u r des Comptes) a adopté son p r o g r a m m e économique pendant sa présidence à la tête de la Ligue des Patriotes . La dernière grande manifestation du syndicat dont j ' a i retrouvé trace concerne un banquet organisé le 29 juillet 1888 : le discours prononcé par « le Marquis de Saint Yves » (conservé par une seconde brochure intitulée elle aussi « L E S ETATS GÉNÉRAUX D U SUFFRAGE U N I V E R S E L ») retrace les différentes démarches dont j ' a i parlé, non sans se référer à l'engagement de Moïse et à l'histoire des Etats Généraux de l'Ancien Régime. U n ultime rapport devait être publié en 1889 : celui que j ' a i cité à plusieurs reprises, sous le titre : « L ' O R D R E ÉCONOMIQUE DANS L'ELECTORAT ET D A N S L ' E T A T », sans pouvoir préciser quelle suite lui fut réservée. Il est à noter que dans ce dernier document, Saint Yves donne l'impression (vraie ou fausse ?) que l'audience de son organisation s'est élargie ; il fait état de l'adhésion enthousiaste des représentants des Chambres syndicales ouvrières, Bunnel et Gruger ; du Baron Michel, du sénateur Isaac ; des syndicalistes agricoles, Husar, du nord-ouest, de Masquard dans le M i d i . 33
34
33. Zernheel consacre tout son chapitre II à cette « Ligue des patriotes ». 34. N o u s avons déjà rencontré Eugène de Masquard, auteur d'une petite biographie de Saint Yves. Le catalogue de la B . N . (tome CIX)
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Par ailleurs Saint Yves se félicite de diverses initiatives prises par des parlementaires : les projets Méline et Ferry sur les Chambres d'agriculture ; les projets Faure et Siegfried sur les Chambres de commerce et d'industrie. Il donne à penser que ces textes doivent quelque chose aux v œ u x déposés par le syndicat... Mais ce ne serait pas la première fois qu'il prend ses désirs pour des réalités. L'histoire du syndicat nous a entraîné loin dans le temps, et il faut se rappeler qu'à la m ê m e époque, Saint Yves continue ses exposés ésotériques, en publiant en 1884 : « M I S S I O N D E S J U I F S » , en écrivant en 1886 : « M I S S I O N DE L ' I N D E » que nous retrouverons aux chapitres suivants. Néanmoins, s'agissant des œuvres de caractère politique, il faut mentionner encore deux publications d'importance inégale : « L A F R A N C E _ V R A I E — o u M I S S I O N D E S F R A N Ç A I S » et
« LE
CENTENAIRE
1789
ET SA C O N C L U S I O N ».
Le premier, paru en 1887, est un gros volume dédié à sa femme et à Demetz, qui, je l'ai déjà signalé, comporte deux parties très distinctes. La première appelée « P R O D O M O » donne des explications sur sa vie personnelle; j ' e n ai reproduit l'essentiel ; il en sera à nouveau brièvement question au chapitre suivant à propos des polémiques suscitées par la « M I S S I O N D E S J U I F S » . donne une longue liste de ses brochures d'inspiration diverse qui vont de l'éducation rationnelle du ver à soie aux méfaits du tabac et de l'acool, en passant par les inégalités douanières et la ligue des antivaccinateurs. J'en citerai trois qui concernent directement la S y n a r c h i e : —
L ' A L C O O L , LE T A B A C , LE VÉGÉTARISME, LA V E R T U , C I V I L I S A T I O N ET
C H R I S T I A N I S M E D E L ' E U R O P E PAR D E S M I S S I O N N A I R E S C H I N O I S — ET C H R I S T I A N I S M E , —
SYNARCHIE
Nîmes (s.d.) Imprimerie de Guillot.
L E S BIENFAITS D E LA C O N S T I T U T I O N S Y N A R C H I Q U E E N C H I N E , LES
C A U S E S D E L ' I M P U I S S A N C E D U PARTI R A D I C A L ET SOCIALISTE, C I R C U L A I R E A U X
N î m e s (s.d. 1906), Imprimerie de A. Pujolas et Méjan. — Revue : L ' O M N I C R A T E O U R É P U B L I Q U E S Y N A R C H I S T E F R A N Ç A I S E , n" 6 à 8 de 1906. Cette revue avait pris la suite de « L E R É A C T I O N N A I R E » . Tout un programme ! C O N S E I L S G É N É R A U X . L A S U P P R E S S I O N D E LA PEINE D E M O R T ,
242
SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
L'autre partie : « P R O P A T R I A » commence page 141 et s'achève page 526. C o m m e Barlet, je renonce à résumer un tel livre : fidèle à une méthode para-historique, Saint Yves illustre son a priori relatif aux trois ordres de la synarchie ; tantôt cette dernière est réalisée — c'est le cas à certains moments des Etats Généraux, et l'ordre social est h a r m o nieux — tantôt, elle ne l'est pas et cela explique les pires désordres sociaux. T o u t est là. Pour donner au lecteur une idée de la complexité du récit de Saint Yves qui est une paraphrase synarchique de l'histoire de France, je reproduis le sommaire détaillé d « P R O P A T R I A » en me bornant à ajouter, d'après Barlet, les correspondances de chaque chapitre avec les lames du Tarot. J'avoue n'être guère convaincu par ce genre d'exercice, mais j e le mentionne parce que cela aura un intérêt par la suite et anticipe en effet très clairement sur les recherches relatives à l'Archéomètre. e
Table
LA
des chapitres
FRANCE VRAIE. —
TOME
de
PRO
PATRIA
I
Chapitre premier Arcane de l ' H o m m e
La Loi d'Etat des Païens et la Loi synarchique des Judéo-Chrétiens. — La première nous gouverne encore exclusivement. — Nécessité de l'avènement de la seconde. — La Loi politique des gouvernants. — La loi sociale des gouvernés. — Tableau parallèle des deux Lois. — Conditions de leur alliance
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Chapitre II La Papesse
A p p l i c a t i o n des principes précédents. — La Mission Souverains.
La Mission
des Juifs.
des
— Caractère m i s s i o n n a i r e d u
p e u p l e français. — La France n'est p o i n t e n d é c a d e n c e , elle est en travail p o u r t o u s les peuples
Chapitre III La mère céleste L'histoire est le seul g u i d e certain d u s o c i o l o g u e et d e l ' h o m m e d'Etat. — D e l ' i m p o r t a n c e des o r i g i n e s d e la S o u v e r a i n e t é dans u n e N a t i o n . — R o m e , L o n d r e s , Paris. — L'origine d u D r o i t public français est sociale, et sa f o r m e p r e m i è r e est la Synarchie. — P r e u v e de cette vérité : les Etats g é n é r a u x . — Premiers Etats g é n é r a u x à N o t r e - D a m e en 1302. — Caractère s y n a r c h i q u e de la N a t i o n et de la S o u v e r a i n e t é françaises ; les trois P o u v o i r s s o c i a u x d e la N a t i o n à N o t r e - D a m e en 1 3 0 2 . C e t t e c o n s t i t u t i o n nationale est a b s o l u m e n t différente de la loi p o l i t i q u e de M o n t e s q u i e u et d'Aristote. — S o n a n a l o g i e avec les Synarchies antiques. — Stabilité qu'elle prête a u x g o u v e r n e m e n t s . — Leur instabilité sans elle
Chapitre IV L'Empereur Le C é s a r i s m e de B o n i f a c e VIII c o n f o r m e à la l o i p o l i t i q u e des Gentils. — La Synarchie française c o n f o r m e à la l o i sociale d e s J u d é o - C h r é t i e n s . — Folie de l ' E m p i r e universel par la force. — Justification d e M o ï s e et d e s P r o p h è t e s à ce sujet. — U n G o u v e r n e m e n t français a p p u y é sur u n e Synarchie française est i n v i n c i b l e par le C é s a r i s m e e u r o p é e n . — E x e m p l e e m p r u n t é a u x Etats g é n é r a u x d e
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D'ALVEYDRE
1302. — L'acte d i p l o m a t i q u e qui crée l ' E u r o p e m o d e r n e v i e n t de la Synarchie française. — H a r m o n i e s historiques des C e l t o - G a u l o i s de l ' O c c i d e n t et des C e l t o - S l a v e s de l'Orient. — U n tzar synarchiste au q u a t o r z i è m e siècle. — D o u s c h a n . — P o u r q u o i ce retour sur le passé ? — Il m o n t r e l'avenir. — D u rôle futur des C e l t o - L a t i n s et des C e l t o - S l a v e s dans la Synarchie j u d é o - c h r é t i e n n e
Chapitre V L'Hiérophante A n a l y s e o r g a n o l e p t i q u e de l'ancienne Synarchie française. — E l é m e n t s représentatifs m a n q u a n t dans le p r e m i e r O r d r e s y n a r c h i q u e . — Les R a b b i n s . — Est-il de l'essence d u C h r i s t i a n i s m e de persécuter le J u d a ï s m e ? — Le sectarisme chrétien est p o l i t i q u e et il vient de la loi césarienne des Païens. — Jusqu'au Vf siècle la Synarchie sociale régnait entre C h r é t i e n s et Juifs. — Elle cesse à partir de C o n s t a n t i n et surtout de T h é o d o s e . — L ' U n i v e r s i t é de France. — Elle faisait partie de la C l e r g i e . — L ' U n i v e r s i t é de Paris est la m è r e de toutes celles de la C h r é t i e n t é . — S o n rôle futur dans la Synarchie e u r o p é e n n e . — S o n rôle passé, s o n o r i g i n e . — Gerbert. — Le C l o î t r e N o t r e - D a m e . — S a i n t - V i c t o r , S a i n t e - G e n e v i è v e , S a i n t - T h o m a s du L o u v r e . —- La S o r b o n n e . — C o l l è g e s d'Arcourt, d u C a r d i n a l - L e m o i n e . — Statuts p o n t i f i c a u x de l ' U n i v e r s i t é . S o n r e c r u t e m e n t au suffrage professionnel. — Sa force et sa faiblesse sociales à travers l'Histoire
Chapitre VI Les deux voies La magistrature g o u v e r n e m e n t a l e . — L'électorat dans la tradition française, dans les Etats g é n é r a u x . — M a n d a t i m p é r a t i f des P o u v o i r s s o c i a u x de la N a t i o n . — D i f f é r e n c e d e s élections qualitatives et des élections quantitatives. — L'électorat dans l ' U n i v e r s i t é . — L'électorat dans le Parle-
SOUVERAINS, OUVRIERS, FRANÇAIS, UNISSEZ-VOUS
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m e n t . — A p p l i c a t i o n de la tradition à l'électorat actuel. — Le Parlement. — S o n o r i g i n e . — Les C o m m u n e s , les Juristes et la M o n a r c h i e . — La S o u v e r a i n e t é p o l i t i q u e , la S o u v e r a i n e t é sociale. — Leurs P o u v o i r s propres. — J e u de ces P o u v o i r s faussés par les reliquats f é o d a u x . — La N o b l e s s e et la Magistrature. — Sa situation en p o r t e - à - f a u x entre la N a t i o n et le G o u v e r n e m e n t . — Le C é s a r i s m e des rois écrase s o u s l'arbitrage social de la Justice
Chapitre VII Le Char d'Osiris La C o u r des A i d e s est u n e création de la Synarchie française. — Les Etats g é n é r a u x avaient c o m m e s a n c t i o n l ' E c o n o m i e p u b l i q u e . — La C o u r des C o m p t e s est u n e création de la M o n a r c h i e . — Efforts des rois p o u r se l'inféoder. — Ils lui accordent tout d'abord les plus hautes p r é r o g a t i v e s de la N o b l e s s e , et font p o u r elle t o u t ce qu'ils auraient dû faire p o u r la Magistrature. — Ils assimilent m ê m e les conseillers auditeurs à la grande C l e r g i e , c'est-à-dire au p r e m i e r O r d r e s y n a r c h i q u e . — La N a t i o n , p o u r ressaisir le c o n t r ô l e de l ' E c o n o m i e p u b l i q u e , crée la C o u r des A i d e s et l ' o p p o s e à la C o u r des C o m p t e s . — T a c t i q u e de la M o n a r c h i e p o u r absorber la C o u r des A i d e s . — C o n s é q u e n c e s de cette a b s o r p t i o n
Chapitre VIII B a l a n c e et G l a i v e Les T e m p l i e r s et la Synarchie. — Philippe le B e l et les T e m p l i e r s . — Force i n v i n c i b l e de n o t r e T r a d i t i o n q u a n d la S o u v e r a i n e t é nationale est à la fois politique et sociale. — La Papauté et les T e m p l i e r s . — N é c e s s i t é d'un C o l l è g e des s o u v e r a i n s et d'un e n s e i g n e m e n t supérieur à leur u s a g e . — La t h é o l o g i e scholastique. — S o n matérialisme g o u v e r n e mental. — Saint T h o m a s d ' A q u i n et la p o l i t i q u e d'Aristote. — Influence du T h o m i s m e en matière de g o u v e r n e m e n t . —
SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
A c t i o n du naturalisme aristotélien sur la Papauté et sur les classes dirigeantes des N a t i o n s . — N é c e s s i t é d'un C o n c o r dat intellectuel entre prêtres et laïques sur les bases de la Synarchie
Chapitre I X La lampe voilée A p p l i c a t i o n s de la m a t h è s e à l'étude des lois de série et d e la loi d ' h a r m o n i e dans les o r i g i n e s de la France m o d e r n e . — L ' é v o l u t i o n sociale et g o u v e r n e m e n t a l e se règle par lois d e série et m a r c h e à u n e loi d ' h a r m o n i e . — Les Etats g é n é r a u x s o n t la préfiguration s p o n t a n é e de cette dernière. — Leur caractère e s s e n t i e l l e m e n t médiateur. — Leur s u p p r e s s i o n a p o u r c o n s é q u e n c e fatale le d u a l i s m e p o l i t i q u e des g o u v e r n e m e n t s et des g o u v e r n é s . — P r e u v e s de cette vérité. — L ' é v o l u t i o n m o n a r c h i q u e et la loi s y n a r c h i q u e aux prises dans n o s o r i g i n e s . — Le libre v o t e de l ' i m p ô t n o n par les représentants du Législatif g o u v e r n e m e n t a l , m a i s par c e u x des trois P o u v o i r s s o c i a u x des g o u v e r n é s . — P r e u v e s d e ce fait i m p o r t a n t . — P r e u v e d u m a n d a t i m p é r a t i f des cahiers. — Paroles remarquables de saint Louis
Chapitre X La roue de Fortune Poitiers est le Sedan d u X I V siècle. — La France en t e m p s d'invasion. — Puissance de la Synarchie en t e m p s de crise. — Les Etats g é n é r a u x de 1356. — Les P o u v o i r s s o c i a u x r é f o r m a n t les P o u v o i r s g o u v e r n e m e n t a u x . . . E
Chapitre XI La Force La Loi d'Aristote s o u t e n u e par la Loi française et croulant sans elle. — Les g o u v e r n a n t s et les g o u v e r n é s
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politiques en l'absence des Etats g é n é r a u x . — E t i e n n e Marcel et la C o m m u n e de Paris. — La R é f o r m e et la R é v o l u t i o n . — Les Etats g é n é r a u x s o n t réformateurs, parce qu'ils sont s o c i a u x et n o n politiques. — Le d é m a g o g u e Marcel d e v i e n t césarien. — S o n alliance avec le roi de N a v a r r e . — C o m p a r a i s o n de la r é v o l u t i o n d u q u a t o r z i è m e a v e c celle du xvnr' siècle. — M a l g r é la R é v o l u t i o n de Paris, les Etats g é n é r a u x de C o m p i è g n e ne furent p o i n t r é a c t i o n naires. — Erreurs d'Etienne Marcel. — Sa b o n n e foi. — Paris r é v o l u t i o n n a i r e et Paris s y n a r c h i q u e
Chapitre XII Le Sacrifice R e t o u r sur les e n s e i g n e m e n t s politiques et s o c i a u x d u x i v siècle. — Synarchie des g o u v e r n a n t s et des g o u v e r n é s . — A n a r c h i e p o l i t i q u e d'en haut. — A n a r c h i e p o l i t i q u e d'en bas. — U n seul r è g l e m e n t p o l i t i q u e possible des d e u x anarchies : le C é s a r i s m e . — U n seul arbitrage social p o s s i b l e entre les d e u x anarchies : la Synarchie. — Les o r i g i n e s de la S o u v e r a i n e t é nationale en France présagent quel sera s o n parfait a c c o m p l i s s e m e n t . — La civilisation française v i e n t des Etats g é n é r a u x . — Les o r d o n n a n c e s progressistes des rois v i e n n e n t des cahiers de n o s p o u v o i r s o c i a u x . — L'étude des Etats généraux conciliation
où
et la Loi sociale les Jésuites
et
qu'elle les
révèle
sont le terrain
Francs-Maçons
doivent
de se
rencontrer. — Erreur des h o m m e s de droite en prenant l'ancien R é g i m e p o u r la T r a d i t i o n française. — Erreur des h o m m e s de g a u c h e en c o n f o n d a n t avec l'ancien R é g i m e cette T r a d i t i o n républicaine. — Identité des doctrines g o u v e r n e m e n t a l e s des Jésuites et des F r a n c s - M a ç o n s . — La Loi sociale des Etats g é n é r a u x m é c o n n u e par M i g n e t , Boulainvilliers, D a r e s t e , A . de B r o g l i e , Rcederer, Rathery, A u g u s t i n T h i e r r y , G e o r g e s Picot. — E l o g e du travail de M . G e o r g e s Picot. — C r i t i q u e de s o n p o i n t de v u e de politicien parlementaire. — N é c e s s i t é de se b o r n e r au fait social des Etats g é n é r a u x , à la Loi o r g a n i q u e des g o u v e r n é s , et à en tirer des c o n s é q u e n c e s p o u r le présent et p o u r l'avenir
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
Chapitre XIII La Mort Les G o u v e r n e m e n t s et l'Etat e x c l u s i v e m e n t politiques s o n t une hérésie sociale en France. — D u x i v au x v i siècle, la T r a d i t i o n française est p o l i t i q u e et sociale à la fois, la t h é o r i e et la pratique de l'Etat é g a l e m e n t . — I m p o r t a n c e actuelle et future de cette vérité. — C i t a t i o n s e m p r u n t é e s a u x trois P o u v o i r s s o c i a u x de la N a t i o n et à c e u x du G o u v e r n e m e n t , d u xiv' au x v r siècle. — A b s t r a c t i o n faite d e la féodalité, la Loi s y n a r c h i q u e qui est celle de la S o u v e r a i n e t é sociale en France est l ' o r g a n i s m e propre à la d é m o c r a t i e . — P r e u v e s et citations e m p r u n t é e s à la France d e cette é p o q u e et m ê m e à H e n r i III. — Renaissance d u C é s a r i s m e e u r o p é e n au x v r siècle : le légat d u pape, P h i l i p p e II, la C o m p a g n i e de Jésus aux prises a v e c la T r a d i t i o n française. — R é s u m é de ce chapitre et des précédents 1
e
TOME I I
Chapitre XIV Les deux urnes La foi des disciples et la foi d u c e n t u r i o n dès le Calvaire. J é s u s Christ et Jules César. — L'ordre des Jésuites. — Sa f o n d a t i o n à M o n t m a r t r e . — C a l v i n et Ignace au c o l l è g e M o n t a i g u . — Parallèle de leur direction p o l i t i q u e et de ses résultats. — E n c o r e A r i s t o t e et le T h o m i s m e . — C o m p a r a i s o n de la S y n a g o g u e et de l'Eglise sacerdotale, de Judah et de B e n j a m i n avec les C a t h o l i q u e s latins et les O r t h o d o x e s grecs, d'Israël a v e c la C h r é t i e n t é . — D é v e l o p p e m e n t s de la C o m p a g n i e de Jésus. — T o u s les doctrinaires g o u v e r n e m e n t a u x s o n t jésuites. — L o g i q u e de la C o m p a g n i e de Jésus et de sa doctrine césarienne. — Le C é s a r i s m e est en travers d u m o u v e m e n t de la C h r é t i e n t é . — M o n t e s q u i e u t h o m i s t e . — B a c o n , M a c h i a v e l . — Prise à partie d'Aristote : la guerre et l'esclavage. — E n c o r e les t h é o l o g i e n s . — La Loi d'Etat
SOUVERAINS, OUVRIERS, FRANÇAIS, UNISSEZ-VOUS
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p a ï e n n e et la Synarchie. — La dictature r o m a i n e d u C o n c i l e d e T r e n t e et la Synarchie ecclésiale de France. — Les Jésuites et leur utilité de n i v e l l e m e n t contre les seigneurs et contre les prélats f é o d a u x . — La nation française est trop chrétienne p o u r être v r a i m e n t sectaire. — C e q u e serait n o t r e clergé dans u n e Synarchie d é m o c r a t i q u e . — Q u e l en serait le résultat p o u r la papauté. — La Synarchie se t r o u v e d e u x fois dans l ' O r a i s o n d o m i n i c a l e
Chapitre
XV Typhon
Le C é s a r i s m e n o u s v i e n t d u d e h o r s . — Les s e r m e n t s d u sacre et l ' a b s o l u t i s m e . — N é c e s s i t é d'une r é v i s i o n de ces s e r m e n t s , au p o i n t de v u e social. — Justification de la s y n t h è s e catholique, si o n en écarte l'esprit de d o m i n a t i o n de la loi des Gentils. — C a u s e s de l'action césarienne des Jésuites. — P o u r q u o i elle é c h o u e , m ê m e q u a n d elle t r i o m p h e . — Le p o i n t de v u e social m é c o n n u dès le x v r siècle. — Parité d'erreurs entre t o u s les politiciens. — Faute de la nation : exclure p o l i t i q u e m e n t les Jésuites au lieu d e les socialiser. — C o n s é q u e n c e s de cette faute. — R i c h e l i e u et les Etats g é n é r a u x . — Prophéties d u Tiers en 1614. — D é c h é a n c e sociale de la n o b l e s s e en 1614. — D i s c o u r s du baron de S e n n e c e y . — Le Tiers d e m a n d e u n c o u p d'Etat contre les classes privilégiées
Chapitre X V I La T o u r F o u d r o y é e Le P a r l e m e n t , la N o b l e s s e et la Fronde. — C a u s e s de l'erreur de la magistrature et du barreau français en matière d e g o u v e r n e m e n t , au x v i r et au x i x siècles. — M é c o n n a i s sance de la Loi sociale par ces oligarches c o m m e par n o s m o n a r q u e s . — Louis X I V et le C é s a r i s m e royal et clérical. — C a u s e s de ses erreurs. — C e s dernières en ce qui regarde les trois P o u v o i r s s o c i a u x . — Le C l e r g é . — S o n a s s e m b l é e 1
SAINT-YVES D'ALVEYDRE d e 1683, le faux g a l l i c a n i s m e politique v i s - à - v i s de la papauté et ensuite v i s - à - v i s de la n a t i o n . — La p e r s é c u t i o n c o n t r e les Protestants : ses vraies causes s o n t sociales par a b s e n c e d'application de la Loi sociale en France. — N o m b r e u s e s citations. — Louis X I V à s o n lit de m o r t s o u p ç o n n e enfin la nécessité de la Loi s y n a r c h i q u e . . . .
Chapitre XVII Etoile des M a g e s T e s t a m e n t des cahiers. — I m p ô t . — C o n s é q u e n c e s de l'observance o u de la v i o l a t i o n de la Loi et du D r o i t s o c i a u x . — Le P o u v o i r é c o n o m i q u e est social. — Périodicité. — E n France la civilisation et les p r o g r è s v i e n n e n t des g o u v e r n é s . — P r e u v e s de ce fait. — Les Etats g é n é r a u x v e u l e n t c o n t r ô l e r la guerre et la d i p l o m a t i e . — P o u r les m ê m e s raisons, ils v e u l e n t régler le duel et la m o r a l e p u b l i q u e . — F o n c t i o n n e m e n t des Etats g é n é r a u x . — Lacunes représentatives des c o m m u n a u t é s rurales dans le Tiers. — Le corps électoral des trois O r d r e s au x v n f siècle. — Le c o n c o r d a t social dans les c o m m u n e s rurales d'aujourd'hui. — Les P o u v o i r s s o c i a u x n'étaient point et ne d o i v e n t point être politiques. — Intérêt des g o u v e r n a n t s actuels à leur r e c o n s t i t u t i o n d é m o c r a t i q u e . — Garanties d'ordre et de p r o g r è s que la Synarchie française du passé offre aux g o u v e r n e m e n t s actuels et futurs. — S o n esprit général en matière ecclésiastique, judiciaire, législative, financière, é c o n o m i q u e et militaire. — C o n c l u s i o n s : D a n g e r grave de ne pas rétablir d é m o c r a t i q u e m e n t les P o u v o i r s s o c i a u x de la Nation
Chapitre XVIII Le Crépuscule Les trois P o u v o i r s s o c i a u x au x v n T siècle. — D u P o u v o i r social de l ' E c o n o m i e . — P r o g r e s s i o n des i m p ô t s et de la dette p u b l i q u e . — A n a l o g i e a v e c n o t r e t e m p s . — La
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c r o i s a d e g o u v e r n e m e n t a l e c o n t r e les financiers, au xviir siècle. — E n r i c h i s s e z - v o u s : pratiqué plus s c a n d a l e u s e m e n t par les g o u v e r n a n t s avant la R é v o l u t i o n que depuis. — P r e u v e : Sully, Richelieu, Mazarin, C o l b e r t , D u b o i s , etc. — L ' a n t i - s é m i t i s m e financier et ses résultats désastreux au xviir siècle. — L'arrangement d i p l o m a t i q u e et militaire de l'Europe depuis 1648 est la seule cause des e m p r u n t s et des dettes p u b l i q u e s . — N é c e s s i t é c o n s é c u t i v e d'un s y s t è m e de crédit. — S y s t è m e de L a w . — P o u r q u o i sa c h u t e m o m e n t a n é e . — D i f f é r e n c e entre n o s B o u r s e s de finance et celles des T e m p l i e r s o u B o u r s e s de solidarité entre toutes les branches de l ' E c o n o m i e . — Les H a n s e s celtiques. G é n i e et h o n n ê t e t é de L a w , m a l g r é ses erreurs. — O p i n i o n du cardinal D u b o i s sur les Etats g é n é r a u x . — O p p o s i t i o n des privilégiés du x v n r siècle à la r é f o r m e é c o n o m i q u e de T u r g o t . — Le pacte de famine. — Grandeur de T u r g o t . — Les é c o n o m i s t e s littéraires. — J u s t i f i c a t i o n des causes et des fins de la R é v o l u t i o n française en matière é c o n o m i q u e D u P o u v o i r social de la Justice. — S o u s L o u i s X I V et d e p u i s lui, elle d e v i e n t l ' i n s t r u m e n t d'un p o u v o i r de plus en plus sectaire, qui frappe s u c c e s s i v e m e n t toutes les sectes g o u v e r n e m e n t a l e s qui s'en s'ont servies p o u r frapper. — L ' e x c l u s i v i s m e g o u v e r n e m e n t a l n'offre pas plus de sécurité a u x magistrats : E x e m p l e . — O p i n i o n de Louis X V sur les Etats g é n é r a u x . — P r o p h é t i e de T u r g o t à Louis X V I . — Justification des causes et des fins de la R é v o l u t i o n quant à la Justice D u P o u v o i r social de l ' E n s e i g n e m e n t . Sa s y n t h è s e au q u a t o r z i è m e siècle est la C l e r g i e . — C a u s e du fractionnem e n t de la C l e r g i e de siècle en siècle. — Le sectarisme et la sectarisation. — Le m o u v e m e n t p h i l o s o p h i q u e et scientifique du xviir siècle est u n e r e v e n d i c a t i o n de la C l e r g i e c o n t r e le sectarisme politique. — Grandeur de ce m o u v e m e n t . — Ses c o n s o n a n c e s dans l'Histoire universelle. — C'est l'universalité qui refera par la liberté l'unité perdue par la d o m i n a t i o n . — Le C a t h o l i c i s m e d'assentiment d'avant C o n s t a n t i n a c o m m e c o n s o n a n c e e x e c u t i v e cette rébellion des g o u v e r n é s . — Elle n'est athée et a n t i - j u d é o - c h r é t i e n n e qu'en apparence et par p o l é m i q u e p o l i t i q u e ; elle sert les fins
SAINT-YVES D'ALVEYDRE sociales du J u d é o - C h r i s t i a n i s m e . — Voltaire, D i d e r o t , R o u s s e a u , B a y l e , D ' A l e m b e r t , l'abbé de Saint-Pierre, le m a r q u i s d ' A r g e n s o n , C o n d i l l a c , H e l v é t i u s . Les savants : Clairaut, Bailly, M o n g e , Lagrange, Lacaille, C h a p p e , Legentil, Pingret, Laplace, etc. — Signification religieuse du m o u v e m e n t scientifique. — Signification sociale de cette e x p l o s i o n de la perfectibilité contre ses obstacles
Chapitre X I X Le Soleil Caractère religieux des p h i l o s o p h e s savants de l ' E n c y c l o p é d i e . — D ' A l e m b e r t . — C o n f o r m i t é de la foi intellectuelle a v e c l'ésotérisme j u d é o - c h r é t i e n et catholique. — C o n c o r d a n c e de ce m o u v e m e n t avec celui de l ' E g l i s e M è r e et de l'ancienne U n i v e r s i t é française. — Caractère m o i n s r e l i g i e u x des p h i l o s o p h e s p u r e m e n t lettrés d u XVIII' siècle. — Sa cause. — V o l t a i r e religieux, chrétien et c a t h o l i q u e sans le savoir. — Les m é t a p h y s i c i e n s s o n t les d é f r o q u é s de la t h é o l o g i e . — L ' E c o l e m é t a p h y s i q u e depuis D e s c a r t e s . — Il n e faut pas plus sacrifier la n a t i o n a l i s m e à l'universalisme que faire le contraire. — Erreur funeste de n o s p h i l o s o p h e s à ce sujet. — Séparation de l'esprit spéculatif d'avec la vie sociale. — La déclaration des D r o i t s d e l ' H o m m e . — C e l l e des D e v o i r s reste dans les d e u x T e s t a m e n t s . — La Synarchie concilie les d e u x . — C o n s é q u e n c e de l'ignorance des p h i l o s o p h e s et des t h é o l o g i e n s : r è g l e m e n t g o u v e r n e m e n t a l païen du m o u v e m e n t des u n s et des autres. — Influences étrangères : les Etats protestants, la M a ç o n n e r i e anglaise et a l l e m a n d e . — Le véritable facteur de la R é v o l u t i o n sanglante est le d u c d'Orléans. — D ' A l e m b e r t et le R o i de Prusse. — Voltaire et l'Angleterre. — R o u s s e a u et la Suisse calviniste. — M o n t e s q u i e u et Lord Chesterfield. — C o n c l u s i o n : g o u v e r n e r , c'est prévoir ; prévoir, c'est savoir. — La science h i s t o r i q u e et l'art de g o u v e r n e r . — L ' E v o l u t i o n française sera le fruit des Etats g é n é r a u x , la R é v o l u t i o n sanglante sera le fruit de leur cessation s o u s l'influence du d u c d ' O r l é a n s et de l ' A n g l o m a n i e
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Chapitre X X 1 7 8 9 et 1887. — M ê m e situation, m ê m e s périls. — La crise financière. — Les s o u r c e s de l ' i m p ô t . — Rentrée en s c è n e fatale d u P o u v o i r é c o n o m i q u e des g o u v e r n é s . — Désastres si cette rentrée est politique. — Les paysans. — S o u v e n i r s et p r é v o y a n c e . — P e r s o n n e ne p r é v o y a i t de r é v o l u t i o n v i o l e n t e en 1789. — C o m p a r a i s o n a v e c le t e m p s actuel. — Le C l e r g é . — La N o b l e s s e . — Le Tiers. — D i s t i n c t i o n de la R é v o l u t i o n c y c l i q u e , sans s e c o u s s e , d'avec la r é v o l u t i o n d'accident. — La r é v o l u t i o n d'accident u n i q u e m e n t causée par l'usage e x c l u s i f de la Loi aristotélienne. — Elle ne pourra r é n o v e r et améliorer q u e l'ancien R é g i m e . — C o m m e n t la r é v o l u t i o n d'accident aurait p u et peut toujours être é v i t é e . — E x a m e n des trois P o u v o i r s s o c i a u x et de leur r é f o r m e nécessaire dans le sens d é m o c r a t i q u e . — D e la S o u v e r a i n e t é . — Il n'y en a q u ' u n e et elle est scientifique. — La S o u v e r a i n e t é et la T r a d i t i o n sacrée. — Sectarisme du T i e r s . — S i e y è s . — D e la S o u v e r a i n e t é du P e u p l e s e l o n la T r a d i t i o n française. — D e la définition d u P e u p l e . — D é f i n i t i o n de la N a t i o n . — La Loi sociale est la Loi o r g a n i q u e d u P e u p l e et de s o n C o r p s électoral. — La Loi p o l i t i q u e est la loi o r g a n i q u e de la N a t i o n et de s o n C o r p s g o u v e r n e m e n t a l . — L ' U n i o n des d e u x est la Synarchie. — C'est par le m a n q u e d ' o r g a n i s a t i o n de l'Electorat social q u e la r é v o l u t i o n d'accid e n t sera surtout causée. — Les municipalités. — Erreurs de la tradition r é v o l u t i o n n a i r e latine à leur sujet. — D a t e s a u g u s t e s de la R é v o l u t i o n française, c o m m e c o n t i n u i t é et a c c o m p l i s s e m e n t de notre c y c l e historique. Le 4 août 1789, le 14juillet 1790, le 14juillet 1792
Chapitre XXI Couronne des Mages Q u e l q u e s définitions. — C e q u ' o n appelle c o n s t i t u t i o n s p o l i t i q u e s o u r é g i m e s ne r é p o n d q u ' a u x t e m p é r a m e n t s . —
SAINT-YVES D'ALVEYDRE Parmi t o u s les peuples m o d e r n e s , c'est la France qui, par ses Etats g é n é r a u x , s'est le plus a p p r o c h é e de la C o n s t i t u t i o n t y p i q u e o u sociale. — F o r m u l e actuelle d e cette C o n s t i t u t i o n . — P o u v o i r s é l e c t o r a u x s y n a r c h i q u e s o u Etat social français. — P o u v o i r s législatifs s y n a r c h i q u e s o u Etat p o l i t i q u e français. — P o u v o i r s s y n a r c h i q u e s g o u v e r n e m e n t a u x o u Etat dirigeant français. — N i république ni m o n a r c h i e latines, m a i s Synarchie française unissant les d e u x Principes et les d e u x Lois o r g a n i q u e s des g o u v e r n a n t s et des g o u v e r n é s . — La dynastie m e n t a l e de France. — E x e m p l e s d e ces sortes d e d y n a s t i e s n o n héréditaires. — C e t y p e de g o u v e r n e m e n t est c o n f o r m e à la T r a d i t i o n sacrée c o m m e à la Science sociale. — Le G o u v e r n e m e n t s y n a r c h i q u e était le p r o g r a m m e des T e m pliers. — H o m m a g e a u x v i n g t - d e u x Grands Maîtres de l ' O r d r e du T e m p l e . — Le droit des f e m m e s dans cette C o n s t i t u t i o n t e m p l i è r e . — La T r a d i t i o n d e ce droit. — M o ï s e , les Etats g é n é r a u x d'Israël et le droit des f e m m e s . — Le droit des f e m m e s après la trangression de J u d a h et s o n passage d e la L o i sociale d e M o ï s e à la L o i p o l i t i q u e des Gentils. — Le m ê m e droit à l ' a v è n e m e n t de J é s u s - C h r i s t . — Elisabeth, A n n e , Marie. — L ' é s o t é r i s m e m o ï s i a q u e et sa L o i sociale c o n s e r v é s par la T r a d i t i o n f é m i n i n e . — Saint M a t t h i e u , Saint L u c , le Protévangile Nativité
de Sainte
Marie,
Histoire
de Saint Jacques,
Y Evangile
de la
de la Nativité
de Marie
et de
VEnjance du Sauveur, e n ce qui regarde l'initiation des f e m m e s et d e leurs droits au T e m p l e m ê m e . — Les f e m m e s prêtresses d u J u d é o - c h r i s t i a n i s m e p e n d a n t trois siècles et d e m i . — R é a c t i o n de la L o i d'Etat des païens et en particulier de R o m e c o n t r e le droit des f e m m e s . — Pression césarienne sur les c o n c i l e s d e C h a l c é d o i n e , de L a o d i c é e et d e C a r t h a g e à ce sujet. — I m p o r t a n c e de la C o n s t i t u t i o n des T e m p l i e r s . — La Synarchie c o n n u e des Papes c o m m e des Grands Maîtres français. — Le TRI-REGNO. — C o n s p i r a t i o n d e Philippe le B e l contre la Synarchie des T e m p l i e r s . — Bertrand de G o t . — La c o n s o n a n c e d e l ' e x t e r m i n a t i o n des T e m p l i e r s est la Terreur. — Le T e m p l e à Paris. — C'est là q u e Philippe le B e l fait s o n c o u p d'Etat contre l'Ordre. — I n n o c e n c e des T e m pliers. — Q u e l q u e s m o t s sur l'Ordre d e M a l t e installé au T e m p l e après e u x . — Le T e m p l e à la fin d u x v n T siècle. — La
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m o n a r c h i e héréditaire vient finir dans le T e m p l e , là o ù elle a e x t e r m i n é les T e m p l i e r s . — C e n'est pas l'Ordre des T e m pliers qu'il faut reconstituer, c'est leur m o t d'ordre S y n a r c h i que
Chapitre XXII Le Crocodile Les A s s e m b l é e s législatives de la R é v o l u t i o n . — Leurs décrets réformateurs v i e n n e n t de la préparation des lois par les anciens Etats g é n é r a u x . — I m p o r t a n c e de ce fait. — Sa m é c o n n a i s s a n c e par l'abbé Siéyès et par la C o n s t i t u t i o n p o l i t i q u e de 1791, en ce qui regarde le n o u v e l Electorat sans c o r p s . — D e l'Electorat sans corps o u p u r e m e n t i n d i v i d u e l . — D e s électeurs et des élus dans ces c o n d i t i o n s i n o r g a n i q u e s . — D u Légistatif i n o r g a n i q u e . — D e l ' e m p i r i s m e des i n s t i t u t i o n s représentatives et électorales i m p o r t é e s chez n o u s de l'étranger. — Erreurs des p h i l o s o p h e s à ce sujet, et, par suite, des historiens et des politiciens. — E x e m p l e s : M i g n e t et T h i e r s . — I l l o g i s m e s et i m p u i s s a n c e intellectuelle de J e a n J a c q u e s R o u s s e a u à révéler à la S o u v e r a i n e t é d u P e u p l e et à la d é m o c r a t i e , leur Loi scientifique d'organisation. V i c t o i r e de la T r a d i t i o n des Grands Maîtres français de l'Ordre du T e m p l e sur t o u s les p e u p l e s actuels, en matière électorale et représentative. — Le Législatif des T e m p l i e r s , d'après F r o i s sart. — D e l'insuffisance de la préparation des Lois en A n g l e t e r r e , vérité e n t r e v u e par Stuart Mill ; son erreur. — P r e u v e de cette erreur tirée de la préparation e x c l u s i v e m e n t g o u v e r n e m e n t a l e de lois aux E t a t s - U n i s . — J u s t e s critiques d e ce s y s t è m e par d ' é m i n e n t s A m é r i c a i n s , M M . W o o d r o w W i l s o n et H o a r , sénateur. — Le Législatif en Suisse, erreurs et dangers d u s y s t è m e plébliscitaire en cette matière. — Les A s s e m b l é e s du P e u p l e ne p e u v e n t pas être législatives. — Les A s s e m b l é e s législatives s o n t f o r c é m e n t g o u v e r n e m e n t a l e s . — Le s y s t è m e anglais en France. — S o n i m p u i s s a n c e . — Le m o u v e m e n t des faits r a m è n e t o u s les p e u p l e s libres vers n o t r e Synarchie templière. — Preuves bibliographiques : M M . G u m e r s i n d o de Azcarate, V . Fedele L a m p e r t i c o ,
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE Prins, de Lavelaye, C h e r b u l i e z , sir H e n r y H a i n e , W o o d r o w W i l s o n , etc. — J'arme i n t e l l e c t u e l l e m e n t depuis 1882 la France p o u r qu'elle reprenne la tête de la civilisation en cette matière. — Sa victoire militaire est liée à cette M i s s i o n t e m p l i è r e . — Erreurs de T h i e r s sur le caractère réel de la R é v o l u t i o n et de l ' E m p i r e . — N a p o l é o n . — S o n o n t o l o g i e m e n t a l e . — Le Père Patraut. — B r i e n n e . — V a l e n c e . — A N A N K E , A N A N K O U . — La Loi de série. — L ' A r m é e . — A n a l o g i e actuelle des t e m p s . — N a p o l é o n dans la balance s y n a r c h i q u e . — M e n t a l i t é classique du N a p o l é o n en matière d e g o u v e r n e m e n t . — Ses erreurs. — R é f o r m e de l'ancien R é g i m e par N a p o l é o n . — S y n t h è s e n a p o l é o n i n e . — T o u t e cette r é f o r m e sort d u T e s t a m e n t des Etats g é n é r a u x . — I n c o m p a r a b l e unité de cet Etat p o l i t i q u e r é f o r m é . — Sa p o r t é e p o s s i b l e . — P o u r q u o i ne l'atteint-il pas ? — Q u e l q u e s paroles de N a p o l é o n à ce p r o p o s . — Sa m é p r i s e . — Il t o u c h a p r e s q u e à la C o n s t i t u t i o n des T e m p l i e r s par la force de s o n g é n i e , mais en matière législative s e u l e m e n t et n o n électorale. — C e t t e lacune fut sa perte, et d e m e u r a la cause de n o s faiblesses a u - d e d a n s et a u - d e h o r s . — N a p o l é o n et le C o n s e i l d'Etat. — C e qu'il y avait à faire ; soutenir l'Etat p o l i t i q u e par u n Etat social de m ê m e grandeur. — A E m p i r e n o u v e a u , n o u v e l l e Féodalité. — La Féodalité d u x i x siècle. — Erreurs d'écoles à ce sujet. — La Féodalité du x i x siècle est plus générale q u ' o n n e l'a cru. — S o n analyse c o n f o r m é m e n t à la Loi sociale. — La Féodalité intellectuelle, j u r i d i q u e , é c o n o m i q u e . — Seul r e m è d e p o s s i b l e ; l'Electorat en C o r p s , s e l o n sa Loi d'organisation. Les Lois électorales d e p u i s l'an III j u s q u ' à n o s j o u r s . — P r o g r è s dus à d e u x R é p u b l i q u e s . — Suffrage universel, loi sur les Syndicats. — E m p i r i s m e des républicains de 1848 ; leur b o n n e v o l o n t é . — L e d r u - R o l l i n et C a r n o t pressentent m y s t i q u e m e n t la Loi sociale de l ' E l e c t o rat et la nécessité de sa c o n s t i t u t i o n p r o f e s s i o n n e l l e . — C a u s e s réelles de la c h u t e de la R é p u b l i q u e de 1848. — Série a n a l o g u e des faits actuels. — Le Suffrage universel d e v a n t la C h a m b r e des d é p u t é s , le 27 j u i n de la présente année. — M . Labordère et M . Spuller. — Portée de la loi sur les S y n d i c a t s . c
1
— Instructions d o n n é e s aux préfets par M . W a l d e c k R o u s s e a u , c o m m e m i n i s t r e de l'Intérieur, à ce sujet. — S o n
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erreur en c r o y a n t que n o t r e salut peut n o u s venir de l'imitat i o n des institutions de d e h o r s . — N o t r e salut ne viendra q u e de n o t r e retour à n o t r e Principe populaire et à sa Loi sociale d ' o r g a n i s a t i o n . — O p i n i o n de n o s penseurs o u v r i e r s à ce s u j e t ; lettres à m o i adressées par M . C o n s t a n t D e v i l l e , m e m b r e du C o n s e i l des P r u d ' h o m m e s , sur ce sujet. — Identité des c o n c l u s i o n s o r g a n i q u e s de M . C o n s t a n t D e v i l l e et de celles de n o t r e H i s t o i r e , de s o n Principe populaire et de sa Loi d'organisation électorale. — C e s v u e s c o u r o n n e n t celles de L e d r u - R o l l i n , de C a r n o t et de M . W a l d e c k R o u s s e a u . — L'Electorat et le Législatif j u g é s dans l'avenir. — La Loi sociale de l'Electorat organisera aussi l ' O p i n i o n p u b l i q u e et la Presse. — D e l ' O p i n i o n sans Etats g é n é r a u x . — D e la Presse sans o u a v e c Etats g é n é r a u x . — Les j o u r n a listes, les écrivains, les arts. — Leur m i s s i o n . — Le Journal d'avant les j o u r n a u x . — D e l'organisation des j o u r n a l i s t e s . — La Presse dans les Etats g é n é r a u x futurs. — D e la liberté de la Presse et de ses c o n d i t i o n s de durée. — Paroles de M i r a b e a u . — Les faits. — S u c c e s s i o n des Lois de Presse d e p u i s u n siècle. — R é s u m é de l'Histoire o r g a n i q u e de la France réduit e n tableaux. — T a b l e a u de la Synarchie p r i m i t i v e é b a u c h é e sur le plan des T e m p l i e r s . — T a b l e a u de l'absorption des P o u v o i r s s o c i a u x du p e u p l e par la m o n a r c h i e . — T a b l e a u de l'ancien R é g i m e anarchique o u d u césarisme t h é o l o g i q u e des B o u r b o n s . — T a b l e a u de la R é v o l u t i o n d'accident et de catastrophe. — T a b l e a u s y n t h é t i q u e de l'ancien R é g i m e et de la R é v o l u t i o n d'accident c o n d u i s a n t à la r é f o r m e e x c l u s i v e de l'ancien R é g i m e . — T a b l e a u de la Féodalité p o l i t i q u e d u x i x ' siècle. — T a b l e a u de la Féodalité é c o n o m i q u e d u x i x ' siècle. — Tableau de la c o n s é q u e n c e de tout ce qui > p r é c è d e c o m m e p r o g r e s s i o n de dette p u b l i q u e
Conclusion La situation é c o n o m i q u e . — S o n r e m è d e . — Le grand C o l l è g e é c o n o m i q u e . — D i s c o u r s aux d é l é g u é s des S y n d i cats o u v r i e r s , le 2 4 j a n v i e r 1886. — F o n d a t i o n du S y n d i c a t de
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE la Presse é c o n o m i q u e et p r o f e s s i o n n e l l e en 1886. — Marche s u i v i e p o u r rétablir l'usage des Vœux et des CluieïS. de l ' O r d r e é c o n o m i q u e . — C o m p t e r e n d u officiel d u bureau d u S y n d i c a t de la Presse p r o f e s s i o n n e l l e et é c o n o m i q u e à ses adhérents. — M e m b r e s d u c o m i t é de patronage. — R e p r é sentant des ministères. — B u r e a u d u Syndicat. — R a p p o r t du bureau a u x m e m b r e s d u S y n d i c a t sur les d é m a r c h e s faites auprès du g o u v e r n e m e n t en faveur de la représentation délibérante et c o n s u l t a t i v e des intérêts é c o n o m i q u e s . — N o s v œ u x au M i n i s t è r e des Affaires étrangères. — R é p o n s e de M . Flourens. — A u x M i n i s t è r e s du c o m m e r c e et de l ' A g r i culture. — A u M i n i s t è r e des Finances. — R é p o n s e de M . D a u p h i n . — A u M i n i s t è r e de la Guerre. — R é p o n s e de M . le général B o u l a n g e r . — A u M i n i s t è r e de la Marine. — R é p o n s e de M . l'amiral A u b e . — A u M i n i s t è r e de l'Instruct i o n p u b l i q u e . — R é p o n s e de M . B e r t h e l o t . — N o s v œ u x à M . le président de la C h a m b r e des d é p u t é s . — Sa r é p o n s e . — N o s v œ u x à M . le président de la R é p u b l i q u e . — Sa r é p o n s e . — Cahier f o n d a m e n t a l de l'Ordre é c o n o m i q u e . — Les g o u v e r n a n t s n'attendent que la b o n n e v o l o n t é des g o u v e r nés. — P o i n t s acquis. — R é n o v a t i o n de l'usage des V œ u x et des Cahiers de t o u t u n O r d r e : l ' E c o n o m i q u e . — Le Cahier f o n d a m e n t a l de cet O r d r e est agréé en principe par l'Etat p o l i t i q u e . — C'est a u x g o u v e r n é s à r é p o n d r e au g o u v e r n e m e n t dans u n m ê m e esprit d'organisation et de solidarité nationale. — V i v e la France ?
O n le voit, c'est bien un véritable décryptement de l'histoire de France que Saint Yves prétend réaliser, et si l'on fait abstraction de l'esprit de système qui domine l'œuvre, certaines analyses ne sont pas sans finesse. D'ailleurs, et m ê m e si on ne peut comparer le niveau scientifique des recherches, il me semble, qu'à sa manière, Saint Yves donne un récit imaginaire, qui, en mettant en évidence le schéma trifonctionnel qui préside aux Etats
SOUVERAINS, OUVRIERS, FRANÇAIS, UNISSEZ-VOUS
259
Généraux, pourrait être analysé à la lumière des travaux d'un Georges Duby . Ce dernier a fait apparaître clairement « la permanence en France durant un siècle d'une image triangulaire de l'ordre social » et il est à noter que lui-même ne manque pas de se référer à la trifonctionnalité mise en évidence par Georges Dumézil dans les modes de pensée des peuples indo-européens. Encore une fois la méthode de Saint Yves ne revêt pas les mêmes caractères scientifiques, mais on ne peut s'empêcher de découvrir dans sa lecture de l'histoire le souci de mettre en évidence de telles constantes. La dernière œuvre « politique » que j ' a i mentionnée est beaucoup plus brève : une brochure de 24 pages, tirée à part ,5
de la « NOUVELLE REVUE » du 15 mai
1889.
Elle n'apporte rien de nouveau par rapport à ce que j ' a i déjà dit du système synarchique, mais simplement elle confirme qu'en cette année 1889, Saint Yves espère toujours convaincre politiquement. O r son expression publique touche à sa fin : il y aura bien la m ê m e année 1889, des poèmes à certains souverains européens sans grand intérêt, et en 1890 l'épopée dédié à Jeanne d'Arc : j e commenterai plus tard ces productions. Mais l'introduction de «JEANNE D'ARC» est un adieu désabusé et presque amer au lecteur et pour tout dire, une rupture : « Notre but étant absolument impersonnel, comme nous avons pris soin de le déclarer dès l'abord, partout et à qui de droit, nous ne voulions pas pousser nos regrets jusqu'à l'importunité, fut-ce vis-à-vis des principaux intéressés : les gouvernements.
3 5 . Georges Duby : « LES TROIS ORDRES o u FÉODALISME, Paris. I'^78, Gallimard.
L'IMAGINAIRE DU
260
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
Après Jeanne d'Arc victorieuse, nous cesserons donc d'écrire et de discourir publiquement sur ce sujet, et nous attendrons que se produise ou non la contrepartie de notre œuvre d'altruisme. Cette contrepartie ne peut être pour nous qu'un examen officiel de la loi synarchique (...). Quant au public lui-même, nous avons aussi à en attendre la contrepartie de nos œuvres de dévouement, avant de reprendre la plume que nous déposons en ex-voto sur la dernière page de Jeanne d'Arc victorieuse. Cette contrepartie, qu'elle se produise ou non ne peut être qu'une pesée d'opinion. Nous n'avons pas, et nous ne voulons devoir à personne les moyens matériels de faire une propagande factice dans les journaux ; car elle serait factice dans ces conditions. (...) Si le public français se sent intéressé et qu'il le manifeste par ses organes d'opinion, nous croirions lui être agréable en reprenant la plume, et sinon, non . » 36
En fait, ni l'examen public, ni la pesée d'opinion ne vinrent jamais. Q u e s'est-il donc passé entre 1889 et 1890 qui mit ainsi fin aux ambitions de notre auteur, âgé à cette époque de quarante-huit ans seulement. Problèmes d'argent"? De santé? Désaccords politiques au sein du syndicat? R e t o m bées du boulangisme ? O u simple lassitude ? Rien dans jgs textes qu'on peut retrouver ne permet pour l'heure de se faire une idée exacte de ce qui conduisit Saint Yves à mettre fin à ses écrits et à son action. Mais il est vrai aussi que les polémiques dont il avait été l'objet au cours des années 1885-1886 avaient sans doute porté un coup très dur à son personnage social — et peut-être m ê m e n'avaient-elles eu lieu que dans le dessein d'entraver son action publique.
36. «|i ANNE D'ARC VICTORIEUSE», pages 12, 18-19.
SOUVERAINS, OUVRIERS, FRANÇAIS, UNISSEZ-VOUS
261
C'est en tout cas à l'occasion d'un de ses nouveaux livres, la « MISSION DES JUIFS », qu'elles étaient intervenues et c'est de ce livre qu'il faut maintenant parler.
CHAPITRE V
Initiations
De fait, il y a peu de temps entre cette étrange « MISSION » et les propos désabusés qu'on vient de rapporter : guère plus de cinq ans. DES JUIFS
Pourtant ce livre devait, au moins aux yeux de son auteur, bouleverser le monde, en servant de justification métaphysique, scientifique et historique à l'ensemble de son entreprise ; y compris dans les aspects de politique immédiate que j ' a i décrits. Saint Yves le dit d'ailleurs sans les moindres ambages, ou plus exactement le fait dire :
« C'est ainsi par e x e m p l e que l'auteur des études b i b l i o g r a p h i q u e s de la " N o u v e l l e R e v u e " du 15 août 1884 disait ce qui suit sur m a " M i s s i o n des Juifs" : "Si ce livre eût paru de 1828 à 1835, il n'est pas d o u t e u x p o u r n o u s qu'il eût d é t e r m i n é u n m o u v e m e n t a u t r e m e n t i m p o r t a n t , large et bienfaisant q u e celui des Fabre d ' O l i v e t , des A u g u s t e C o m t e , des Fourier et des Saint S i m o n " . Loin de m o i la pensée, en citant les paroles trop bienveillantes qui précèdent, de v o u l o i r m ' e n prévaloir, en m e m e t t a n t a u - d e s s u s des grands h o m m e s qu'elles m e n t i o n n e n t . M a i s à l ' h u m b l e p o i n t de v u e o ù j e m e suis placé, c'est-à-dire celui de l'absence de tout s y s t è m e p e r s o n n e l et par c o n s é q u e n t de t o u t e gloire, j e les accepte en
264
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
tant qu'elles se bornent à exprimer le simple but d'utilité nationale que j'ai poursuivi . » 1
Il est vrai que ce passage, écrit en 1887, a pour principal objectif de répondre à l'accusation portée contre Saint Yves en 1885 et 1886 d'avoir plagié l'œuvre de Fabre d'Olivet dont, j e l'ai rappelé, il avait eu connaissance lors du séjour à Jersey, auprès de Virginie Faure. Mais ce n'est pas son unique objectif; Saint Yves situe bien l'ambition de son livre par rapport à certains réformateurs que l'on confond aujourd'hui allègrement dans la catégorie des «utopistes». Sur le plan de la méthode, il faut dire que ce livre élargit le champ historique de la « MISSION DES SOUVERAINS » aux dimensions de l'antiquité, et des diverses civilisations d'orient et d'occident. La méthode est la m ê m e : il s'agit d'une « fresque historique », d'une dissertation sur l'histoire, de l'illustration d'une thèse. L'appareil critique, la discussion des sources, des indices et des témoins sont absents ; il s'agit encore de la préhistoire de la science historique et, en cette fin du xix siècle, Saint Yves se comporte exactement c o m m e ses devanciers, à commencer par le Fabre d'Olivet de 1'« HISTOIRE PHILOSOPHIQUE DU GENRE HUMAIN ». A cet égard ce dernier titre n'est pas tromperie. Saint Yves, qui le connaissait, s'en est inspiré, on verra dans quelles circonstances ; mais pour l'heure la similitude de la méthode me paraît encore plus importante à relever. U n ' auteur c o m m e Edouard Schüre, dont les « GRANDS INITIÉS. ESQUISSE DE L'HISTOIRE SECRÈTE DES RELIGIONS » doit beaucoup à Saint Yves (mais il s'empresse de le reconnaître... pour n'être pas accusé de plagiat), la définit assez bien : c
1. « LA FRANC F VHAIF ». p. ' M .
INITIATIONS
265
« M. Saint Yves n'aime pas à citer ses sources ; il procède trop souvent par simples affirmations et ne craint pas les hypothèses risquées, lorsqu'elles favorisent son idée préconçue . » 2
N'est-ce pas, au fait, le propre de toute « histoire philosophique » ? L'ampleur d'un tel livre m'interdit de tenter de le résumer — Barlet lui-même y avait renoncé ; néanmoins, pour en donner une idée précise, il avait établi une table analytique très détaillée et bien supérieure à une simple nomenclature des chapitres. Il avait en plus rappelé en tête de chacun de ces derniers l'arcane majeur du Tarot auquel il correspond. Ce document étant le plus complet établi à ce jour, je le reproduis ci-après pour donner une idée d'ensemble de cette « mission » . 3
2 . Edouard Schüre : « ESQUISSE DE L'HISTOIRE SECRÈTE DES RELIGIONS, Rama — Krishna — Hermès — Moïse — Orphée — Pythagore — Platon —Jésus ». Paris, 1 9 2 5 (Librairie Académique Perrin), p. 1 8 3 . Je rappelle que la toute première édition de ce livre est de 1 8 8 9 , donc peu de temps après «MISSION DES JUIFS», et Schüre « (s') empresse de reconnaître la haute valeur de ce livre extraordinaire auquel (il) doit beaucoup »... Il dit aussi « son livre d'une rare élévation, d'une vaste science ésotérique, abonde en pages d'un grand souffle, en tableaux grandioses, en aperçus profonds et nouveaux ». Schüre fait également allusion à Saint Yves, pp. 1 2 7 , 1 8 2 , 2 0 2 et 4 4 7 . J'ai, par ailleurs, cité son témoignage extrait de « FEMMES INSPIRATRICES ET POÈTES ANNONCIATEURS» de 1 9 0 8 . Il faut signaler aussi que «L'AME CELTIQUE ET LE GÉNIE DE LA FRANCE» en 1 9 2 0 fait une large place à la théorie synarchique. Pour une première approche, sur Schüre on peut conseiller G. Jean-Claude : « EDOUARD SCHÜRE — SA VIE SON ŒUVRE ». Paris, 1968 (Librairie
Fischbacher).
3 . Barlet. op. cit., p. 6 9 .
266
SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
TABLE A N A L Y T I Q U E D E LA M I S S I O N DES JUIFS D'après Barlet
PRÉFACE AVANT-PROPOS
PREMIERE
PARTIE
R é c o n c i l i a t i o n de la Science et de la R e l i g i o n
— La Science moderne et l'Ancien testament.
CHAPITRE PREMIER.
(Arcane
I. — Le
Mage.)
Antagonisme actuel des deux sciences : l'une procédant de bas en haut et l'autre de haut en bas ; l'une par induction et évolution, l'autre par involution et déduction. — Cet antagonisme est légitime et les deux sciences y ont également contribué. — Il se résout par une synthèse lumineuse. — Elle est dans la Tradition judéo-chrétienne interrogée dans son esprit scientifique, ésotérique. — Avant de la faire assentir au lecteur, on va prendre une vue synoptique des connaissances actuelles
267
INITIATIONS
CHAPITRE II. — Essence et substance de l'Univers. (Arcane
II. — La Porte
du Sanctuaire
( O n l'appelle aussi : la Papesse. La
occulte.)
— La Nature.
—
Science)
L'analyse n'est q u ' u n e partie d e la m é t h o d e totale. — Il y a aussi u n e o p é r a t i o n d'intelligibilité. — L ' e x a m e n d u m o n d e matériel d o n n e u n e idée d u rapport entre la Vie intelligible dans l'Univers (l'Essence) et ses s u p p o r t s sensibles ( f o r m e s substantialisées). — D ' o ù q u a tre ordres de sciences nécessaires : Sciences d e l ' E s sence, de la F o r m e , de la Substance (de la N a t u r e naturée) : Physiogonie. Science des Principes de la f o r m e et des facultés ( o u d e la N a t u r e naturante) : Cosmogonie. S c i e n c e de l'Esprit, de l'Intelligence d ' o ù d é c o u l e n t ces Principes et a v e c qui l'âme h u m a i n e est en c o m m u nion (ou de l'homme) : Androgonie. Science d u principe s u p r ê m e de toutes c h o s e s , les c o n t e n a n t dans u n e inaccessible U n i o n créatrice plus a b s o l u e q u e l ' U n i t é ( o u de D i e u ) : Théogonie. Elles s o n t r é s u m é e s dans le n o m hébreu de quatre l e t tres : I, È, V , Ê . — Les Sciences p o s i t i v e s n e s o n t q u e la base, d u reste nécessaire, d e la s y n t h è s e , et sans celle-ci elle est impuissante. — Cette synthèse antique, KaldeoE g y p t i e n n e , est dans M o ï s e
CHAPITRE III. — Essence et substance des êtres et des choses terrestres (Arcane
III.
—
La Mère
Céleste
(Isis-Uranie),
ou
l'Impéra-
trice)
La science p o s i t i v e constate le j e u de la Force, n o n sa s o u r c e ; l'ascension des êtres v i v a n t s , n o n la descente de la V i e ; il y a u n e autre science, l ' O n t o l o g i e , branche de la C o s m o g o n i e . —
268
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
Elle était enseignée par les sacerdoces du Monde civilisé. — Cycles qu'elle comportait, comparés à la Chronologie biblique. — Il ne faut pas s'en tenir à la lettre de la Bible ; les religieux ignorants commettent cette erreur aussi bien que les savants positifs. — La Science vraie est religieuse et la Religion vraie est savante
DE
UXIÈME
PA
R
TIE
D i s t i n c t i o n entre l'Autorité et le P o u v o i r .
CHAPITRE
IV. — La Science dans l'Antiquité
(ou Source et division des religions.) (Arcane
IV.
—
La
Pierre
cubique,
l'Empereur,
le
Domina-
teur.)
La Science antique comprenait nos connaissances actuelles. (Electricité, photographie, minéralogie, chimie, pyrotechnie, vapeur, magnétisme, optique, télégraphie, physiologie ; astronomie). — Chronologie de la Science antique. — Le Christianisme est le prolongement de cette science et la renferme. — L'Esotérisme est encore conservé dans certains sanctuaires. — Moïse l'a connu et l'a mis dans son œuvre; quelques exemples philologiques à l'appui. — Toutes les religions sont sorties des sanctuaires où elles n'en faisaient qu'une ; elles ont été divisées 3 000 ans avant Jésus-Christ ; le Christ a imprimé le mouvement vers leur réunion dans la science religieuse
INITIATIONS
269
CHAPITRE V. — O r i g i n e r é e l l e d e s H é b r e u x ( D e s q u e l s n o u s t e n o n s la Science religieuse u n i q u e . ) (Arcane
V. —
Le
Maître
des Arcanes
ou
le Pape,
ou
l'hiéro-
phante
D i v e r s i t é des races h u m a i n e s dans l'unité d u genre h u m a i n d o n t A d a m est le Principe U n i v e r s e l (vrai sens de la B i b l e sur ce sujet). — Parmi ces races, les H é b r e u x sont des Celtes errant pour fuir u n e tyrannie spéciale du P o u v o i r (expliquée plus loin). — D ' o ù les c o n s é q u e n c e s p h i l o l o g i q u e s qui p r o u v e n t leurs m i g r a t i o n s , a p p u y é e s de p r e u v e s a n t h r o p o l o g i ques. — Ils o n t c o n s e r v é la tradition (oubliée o u a b a n d o n n é e par leurs c o n t e m p o r a i n s ) et en m ê m e t e m p s l'organisation sociale n o r m a l e qui lui c o r r e s p o n d a i t (basée sur la distinction d u P o u v o i r et de l'Autorité, et d o n t o n va parler)
CHAPITRE VI. — C y c l e d e R a m . — E m p i r e u n i v e r s e l d u Bélier. — Théocratie universelle de l'Agneau. — Synarchie trinitaire (Arcane mieux
VI.
—
l'Union
Les
deux
des
contraires
routes
ou par
l'amoureux, l'amour.
—
la liberté Le
Sceau
ou de
Salomon)
Situation respective des races et des p e u p l e s 1 7 0 0 ans avant la première dynastie é g y p t i e n n e (il y a 8 6 0 0 ans), race noire et race b l a n c h e en particulier. — Etat des Celtes plus s p é c i a l e m e n t ; des druidesses et de leur tyrannie. — E x o d e de R a m et de ses partisans p o u r y échapper (ce qu'est R a m , s o n histoire). — Il c o n q u i e r t le T o u r a n , l'Iran, l'Asie M i n e u r e , l ' E g y p t e et l'Inde. — R é o r g a n i s a t i o n de s o n Empire en mode synarchique
(première
description
de
cette
organisation).
—
E x t e n s i o n sur l ' O c c i d e n t par réversion. — R a m s o u v e r a i n pontife sur le territoire neutre de la Paradesa. — Organisation du sacerdoce. — 3 5 0 0 ans de paix sociale. — M o ï s e et Jésus o n t p r o m i s le retour de ce r è g n e
270
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
CHAPITRE VII. — S u i t e d u C y c l e d e
Ram
(Détails c o m p l é m e n t a i r e s . ) (Arcane
VU.
—
Le
Char
d'Osiris,
Le
Chariot.)
( D a n s la m y t h o l o g i e g r e c q u e , le char de B a c c h u s . ) D a t e de ce c y c l e d'après la c h r o n o l o g i e antique. — E t e n d u e d e l ' E m p i r e de R a m . — S o n o r g a n i s a t i o n . — Ses débris en Inde, à D e l p h e s , en Etrurie, chez les druides, dans les m y s t è r e s anciens, chez les H é b r e u x . — Caractères essentiels d e la Synarchie : distinction de l'autorité et d u P o u v o i r . — Les restes de la Synarchie en C h i n e
TROISIÈME
PARTIE
Les trois p o u v o i r s sociaux, spéciaux
ARTICLE PREMIER. — Division
CHAPITRE VIII. — S c h i s m e (Arcane
VII.
—
La
Balance
des
Empires
d'Irshou
et le Glaive
o u la
Justice)
(L'équilibre de la dualité) 3 5 0 0 ans après R a m ; 3 2 0 0 ans avant J é s u s - C h r i s t , la f o n c t i o n de K o u s h a (ou g o u v e r n e u r ) de l'Inde est d e v e n u e héréditaire. — Irshou, e x i l é p o u r avoir v o u l u l'usurper, fait partout u n s c h i s m e doctrinal (marqué par les n o m s des Ioniens (Yonijas), P h é n i c i e n s , Pasteurs, le N e m r o d ( v o i e du tigre), des Philistins, I d u m é e n s , e t c . ) . — La loi d u Taureau s u c c è d e à la loi de l ' A g n e a u (et d u Bélier). — E x p l i c a t i o n t h é o r i q u e de ce s c h i s m e (par la d i s c u s s i o n entre Irshou et le C o l l è g e sacré au sujet de la p r é é m i n e n c e du principe féminin sur le m a s c u l i n dans le C o s m o s o u de leur équilibre). — C o n s é q u e n c e s pratiques et historiques de ce s c h i s m e (le
INITIATIONS
271
s y m b o l e de la C o l o m b e r o u g e ; l'invasion des Pasteurs ; influence sur le l a n g a g e ) . — Grande p o u s s é e de peuples d u N o r d au S u d par les s c h i s m a t i q u e s ( T o u r a n i e n s n o t a m m e n t ) c o n t r e les o r t h o d o x e s (lutte qui se r e t r o u v e j u s q u ' e n t r e César et P o m p é e ) . — D e p u i s ce t e m p s , le C é s a r i s m e et la C o n s t i t u t i o n arbitrale de R a m seront t o u j o u r s en o p p o s i t i o n dans ce monde
CHAPITRE
IX.
— Suite du schisme d'Irshou. — Christna. — Fo-Hi. — Mystères d'Isis. — Zoroastre.
(Arcane
IX.
—
La lampe
voilée
ou
l'Hermite)
Les théories d'Irshou d i v i s e n t partout les esprits. — E n Inde, n o t a m m e n t , o n v o i t naître la secte i o n i e n n e des philosophies Vedanta, Mimansa, Veisèshika, de Kanada, N y a y a , Y o g a , Sankya. — D i v i s i o n dans le g o u v e r n e m e n t des peuples : e n Iran (sauf l ' H e b y r e h ) ; en E g y p t e après la V I d y n a s t i e ; e n A s s y r i e , par le r è g n e d e N e m r o d . — R é a c t i o n des centres d ' o r t h o d o x e s qui e n v o i e n t partout des m i s s i o n n a i r e s : Christna ; F o - H i ; la Trinité Osiris-Isis-Horus établie en Egype, les m y s t è r e s d'Isis; Zaratoushtra. — R é s u m é et critique de ces doctrines e
X . — Le Césarisme assyrien. — Les Orthodoxes abramides ou néo-ramides.
CHAPITRE
(Arcane
X.
— Le Sphynx.
(Hermanubis
— La roue de fortune
et Typhon
; le bien
d'Ezéchiel)
et le mal
en antagonisme) O n arrive s p é c i a l e m e n t , e n ce chapitre, à l'histoire des H é b r e u x et à la M i s s i o n des Juifs : e n A s s y r i e , N i n u s est après Irshou le p r e m i e r adversaire du règne de D i e u . — T e n t a t i v e de réaction de S é m i r a m i s . — A p r è s elle, anarchie générale ; b o u l e v e r s e m e n t s m é t é o r o l o g i q u e s m ê m e ; r é v o l u -
SAINT-YVES D'ALVEYDRE t i o n féodale des p o u v o i r s l o c a u x . — E x o d e d ' A b r a m et des A b r a m i d e s , o r t h o d o x e s qui fuient l'Assyrie. — Signification é s o t é r i q u e de leurs n o m s . — Leur installation à Salem, terre neutre. — C o m m u n i c a t i o n avec Melchisédec, le roi d e j u s t i c e .
ARTICLE II. — Efforts
des Orthodoxes
l'anarchie
CHAPITRE X I . — (Arcane
XI.
contre
Ionienne
L'Egypte. — Les Orthodoxes. — Moïse
— Le Lion
Muselé
o u la f o r c e ; p u i s s a n c e
de la force spirituelle.) D é t a i l s sur la science d o r i e n n e c o n s e r v é e en E g y p t e ; c'est sur cette science q u e s'appuie M o ï s e . — Filiation de sa réaction d o r i e n n e : à l ' i n v a s i o n des H y c s o s , Jacob-Israël vient en E g y p t e p o u r sauver cette science des o r t h o d o x e s . J o s e p h la fait t r i o m p h e r au palais du Pharaon A r n o s o u A h m è s ( X V I I L dynastie) ; situation des C e l t e s B o d h o n e s en E g y p t e à cette é p o q u e . — D a n s les m ê m e s t e m p s , les o r t h o d o x e s font partout des efforts considérables c o n t r e la l i g u e des Ioniens. — Leurs attaques o b l i g e n t le pharaon à u n e p o l i t i q u e à m o i t i é césarienne ; m a i s le D o r i s m e est c o n s e r v é par les m y s t è r e s ; les D o r i e n s s o n t c a n t o n n é s dans le D e l t a . — T e l est le m i l i e u o ù naît M o ï s e ; histoire d e sa j e u n e s s e — Il est initié, m a i s c o n s e r v e la c o n s t i t u t i o n p o l i t i q u e ; il laisse ainsi les Juifs à la m e r c i d u destin. — Le s a c e r d o c e prépare u n s u c c e s s e u r o r t h o d o x e , J é r o b o a m ; le s c h i s m e éclate d é f i n i t i v e m e n t . — L ' E g y p t e châtie R o b o a m (sans le détrôner), m a i s le s c h i s m e persévère et s'accentue. — Le roi d e j u d a s o u m e t s o n culte à celui de l ' A s s y r i e et en appelle le roi c o n t r e ses adversaires : Israël appelle l ' E g y p t e ; mais elle est e n guerre civile, i m p u i s s a n t e . — Samarie est p r i s e ; les d i x tribus d o r i e n n e s s o n t dispersées en M é d i e ; — d é s o r m a i s le p e u p l e c h a r g é de c o n s e r v e r la tradition est n o y é dans la m a s s e du g e n r e h u m a i n ; c'est l ' H u m a n i t é entière qui sera chargée de sa restitution
INITIATIONS
CHAPITRE XII. — (Arcane
273
Moïse. — Orphée. — L'Exode.
XII.
— Le Sacrifice
o u le
Pendu.)
( D é v o u e m e n t p o u r autrui.)
Situation des H é b r e u x en E g y p t e ; leur participation a u x travaux publics i n s p e c t é s par M o ï s e . — M e u r t r e d'un E g y p tien par M o ï s e ; s o n e x p i a t i o n s e l o n la loi o r t h o d o x e (refuge i n v i o l a b l e dans les t e m p l e s , à c o n d i t i o n d ' é p r e u v e s e x p i a t o i res terribles). — Initiation c o n s é c u t i v e q u e M o ï s e reçoit d ' o r t h o d o x e s de la race noire (c'est-à-dire la tradition la plus antique) ; p r e u v e s p h i l o l o g i q u e s dans la B i b l e . — Elle était f o n d é e sur le quaternaire de sciences établi au chapitre II et q u ' o n r e t r o u v e chez P y t h a g o r e . — M o ï s e traduit la science o r t h o d o x e en u n e œ u v r e sociale s e l o n le principe des o r t h o d o x e s . — A c o t é de lui, O r p h é e est initié dans les t e m p l e s de l ' E g y p t e . Il diffère de M o ï s e en d e u x p o i n t s : il s'adresse s p é c i a l e m e n t aux C e l t e s d ' E u r o p e , et c'est par l'art qu'il agit, en m o d e Ionien d i v i n i s é . — Ses œ u v r e s
CHAPITRE XIII. — Constitution synarchique d'Israël : conseil de Dieu : conseil des dieux ; conseils des Anciens. Science de Moïse Arcane
XIII.
—
—
Le Squelette
La M o r t ,
faucheur.
c'est-à-dire
la t r a n s f o r m a t i o n , la c o n v e r s i o n radicale) C'est la Synarchie q u e M o ï s e (initié e n dernier lieu par Iéthro) institue par les livres de l'Exode, du Lévitique et des Nombres. — S o n œ u v r e , qui a des fins universelles, est f o n d é e sur la théurgie par alliance a v e c le D i e u des esprits de t o u t e chair : I - E V E . — C e t t e alliance est p e r s o n n e l l e à M o ï s e , m a i s il a laissé u n e tradition orale qui est la clef des quatre s c i e n c e s et des arts c o r r e s p o n d a n t s . — Il a confié à une garde doriennelz c o n s e r v a t i o n de ces principes ARTICLE III. — Anarchie
et
dissolution
274
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
CHAPITRE X I V . — La Synarchie d'Israël. — L'Anarchie des prud'hommes du troisième Conseil. — La Monarchie politique
(Arcane
XIV.
—
Les
deux
Urnes.
— L ' A n g e de la t e m p é r a n c e , c'est-à-dire l ' U n i o n des d e u x e s s e n c e s , céleste et divine) La Synarchie i s o l é e au m i l i e u des Ioniens va d é g é n é r e r ; 2 0 0 ans après M o ï s e , A b i m e l e c h tente u n e s u p r é m a t i e I o n i e n n e . — L ' O r t h o d o x i e attaquée partout ne peut soutenir Israël qui est o b l i g é de se matérialiser. — La d é c a d e n c e est retardée par l'école des P r o p h è t e s , grâce à l'institution m o ï s i a q u e de l'initiation f é m i n i n e et du Nazaréat. (A ce p r o p o s , étude sur la psychurgie.) — M a l g r é tout, 2 0 0 ans après A b i m e l e c h ( 4 0 0 ans après M o ï s e ) , le 3 C o n s e i l p r é d o m i n e et v e u t u n roi. — S a m u e l y r e m é d i e d'abord par la c o n s é c r a t i o n très rapide de Saül qui d e v i e n t i n d i g n e , puis par celle d'un s u c c e s s e u r n o n héritier qui est initié ( D a v i d ) . — Saül r é p o n d par le massacre d u c o n s e i l de D i e u ; le t e m p l e v i v a n t est détruit ; celui de pierre (de S a l o m o n ) est le palais d u roi p o l i t i q u e q u i fera périr Israël par les autres rois politiques e
CHAPITRE X V . — Prise de Jérusalem. — Suite de la Monarchie politique. — Séparation des tribus. — L'ancien droit public et le Césarisme assyrien. — Ruine d'Israël (Arcane
XV.
— Typhon
le D i a b l e , c'est-à-dire la d i v i s i o n )
D a n s la n o u v e l l e c o n s t i t u t i o n , d i x tribus (les Israélites) restent attachées au D o r i s m e ; les d e u x autres (celle de Juda o ù est le roi), s o n t p o l i t i q u e s ; de là le s c h i s m e . — T r o u b l é e e n c o r e partout ailleurs, l ' o r t h o d o x i e ne p e u t intervenir p o u r redresser cette a n o m a l i e . — D a v i d est roi p o l i t i q u e , m a l g r é
INITIATIONS
275
son initiation par Samuel : Absalon, son fils, commence le schisme en se mettant à la tête de l'orthodoxie. — Explication détaillée de la nature de ce schisme. — La divergence est accrue par le dénombrement que fait David. — La nomination de Salomon est une réaction dorienne ; il s'appuie sur l'Egypte. — Il est initié, mais conserve la constitution politique; il laisse ainsi les Juifs à la merci du destin. — Le sacerdoce prépare un successeur orthodoxe, Jeroboam ; le schisme éclate définitivement. — L'Egypte châtie Roboam (sans le détrôner), mais le schisme persévère et s'accentue. — Le roi de Juda soumet son culte à celui de l'Assyrie et en appelle le roi contre ses adversaires : Israël appelle l'Egypte ; mais elle est en guerre civile, impuissante. — Samarie est prise ; les dix tribus doriennes sont dispersées en Médie ; — désormais le peuple chargé de conserver la tradition est noyé dans la masse du genre humain ; c'est l'Humanité entière qui sera chargée de sa restitution XVI. — L'Ancien monde et le Césarisme. — Bible et Targums samaritains.
CHAPITRE
(Arcane
XVI.
—
La
tour
décapitée
ou
la
Maison
Dieu,
c'est-à-dire conflit des forces perdues par division et causant la ruine.) Dans le même temps, le Césarisme triomphe partout. (Vers 720 ans av. J.-C.) : en Assyrie, par Salmanazar, Sargin; et par elle sur toute l'Asie occidentale ; — en Europe, par la fondation de Rome ; son caractère de peuple de proie ; c'est le Nemrodisme le plus bas. — Les dix tribus dispersées, leur dépôt (la Bible Samaritaine) ne se retrouve qu'en fragments, et le Talmud les combat. En Judée, les prophètes, seuls débris de la Synarchie, représentent le deuxième Conseil ; ils tombent eux-mêmes dans le sectarisme politique, tandis que le roi, politique aussi, ne comprend plus sa mission universelle. — Seule dans le monde, l'Egypte soutient encore l'orthodoxie. — Des initiés laïques tentent de réagir : Bouddha, Lao-Tseu, Solon, Tarquin I". — Mais le Césarisme triomphe avec Nabuhodonosor : Jérusalem est prise en 587
276
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
XVII. — La Captivité. — Esdras. — Le retour. Les Targums. — Le Talmud
CHAPITRE
(Arcane
XVII.
— L'Etoile
des Mages
ou l'Etoile
rutilante.
—
C'est-à-dire rayon de la lumière divine sur l'obscurité terrestre.) Les Juifs captifs conservent leurs traditions à l'intérieur de la famille et se répandent dans toutes les fonctions publiques. — Fonction économique qu'ils remplissent spécialement en Assyrie comme chez tous les peuples décadents. — Mais ils ne conservent plus que l'exotérisme du Mosaïsme. — Trois intellectualités sociales surnagent dans ce déluge : l'Inde, la Chine et les Juifs (sous la Judée). — La Perse, envahissant toute l'Asie englobe les Juifs ; Zoroastre sauve dans ce pays les débris de l'orthodoxie; — (en Chine, Confucius n'est qu'un prud'homme de génie) ; les rois de Perse contribuent à préserver les débris du Mosaïsme en les soumettant à leur politique ; il en résulte que la restitution d'Esdras est l'œuvre d'un parti clérical juif. — En effet, il y avait une tradition orale pour clef de l'hermétisme, mais les communautés laïques qui la conservaient ne la livrèrent pas au parti de Juda que représentait Esdras. — Aussi la prophétie n'est plus sociale ; elle est littéraire ; elle reste étrangère aux communautés laïques qui subsistaient en divers lieux et où JésusChrist se retira avant sa mission : — La Synarchie moïsiaque n'existe plus ; les textes et le culte moïsiaques sont remplacés par une pédagogie primaire et formaliste : les livres constituant depuis Esdras l'enseignement de la tradition forment un quaternaire, au lieu du triple aspect de l'hermétisme moïsiaque ; la kaballe écrite en provient. — Depuis, elle a été condamnée par l'Eglise catholique : quelques mots sur sa bibliographie
277
INITIATIONS
CHAPITRE X V I I I . — L'Empire Persan. — Les Sanctuaires et les Initiés. — Les Guerres Médiques. — L'Anarchie Hellénique. — L'Empire Macédonien. — L'Asie. — La Judée sous les Grecs. — Le Bouddhisme. — La Chine. ( O u : Fin de l ' O r t h o d o x i e e n Asie) (Arcane
XVIII.
— Le Crépuscule
o u La
Lune)
( S y m b o l e des ténèbres pleins de péril) D é s o r m a i s le m a l p o l i t i q u e va t o u t dissocier : perte générale des traditions : e n Etrurie, à D e l p h e s , e n C h i n e : — Les sacerdoces, incapables d e résister, o u tentent d e sauver les t e x t e s , o u c o m m e n t e n t l ' e x o t é r i s m e en l a n g u e v u l g a i r e ( V é das, Z o r o a s t r e ) . — A u x efforts d u C é s a r i s m e p o u r les anéantir, les O r t h o d o x e s r é p o n d e n t e n e n v o y a n t des Sages et en fondant des mystères. — Le N e m r o d i s m e persan r e d o u b l e sa rage : r é d u c t i o n définitive de l ' E g y p t e par C a m b y s e ; réduction de l ' o r t h o d o x i e g r e c q u e par D a r i u s , D a t y s , X e r xes, etc. — O r g a n i s a t i o n d e la synarchie en Grèce et sa destruction à la suite des guerres m é d i q u e s : — ( O b s e r v a t i o n s sur la différence capitale entre cette histoire et celle de l ' e n s e i g n e m e n t officiel). — R ô l e d ' A l e x a n d r e e n faveur d e l ' o r t h o d o x i e ; il m e u r t p r é m a t u r é m e n t . — U n i v e r s i t é laïque d ' A l e x a n d r i e d e s t i n é e à faire pièce a u x sanctuaires. — R é a c t i o n d u B o u d d h i s m e en Inde et en C h i n e
ARTICLE IV. — Le Messie
Rédempteur
CHAPITRE X I X . — Rome. — Ses Institutions empiriques. — L'Empire romain. — Dissolution sociale de l'Ancien Monde. — Les Prophètes Juifs et le gouvernement général. — Odin. — Apollonius de Tyane (Arcane
XIX.
— La lumière
resplendissante
o u le S o l e i l . )
( S y m b o l e d u retour de la lumière) Fin de l ' O r t h o d o x i e en E u r o p e à m o i t i é c o u v e r t e par l ' E m pire r o m a i n : à R o m e m ê m e : œ u v r e dissolutrice de la
SAINT-YVES
278
D'ALVEYDRE
royauté d'abord, de la république ensuite, confirmant la supériorité de la Synarchie sur le Césarisme qu'elles réalisent. — Que sont devenus au 1" siècle les trois pouvoirs sociaux ? : Dans l'Enseignement, la religion est réduite au culte formel, qui est absorbé par les hommes politiques ; pour l'Economie, elle est fondée sur l'esclavage ; en politique, tout principe de vie collective est détruit. — Conséquences dans l'invisible : manifestation de la Puissance du Mal. — Maladie sociale irrémédiable si les sanctuaires ne s'étaient fermés pour conserver la communication, interrompue par ce tourbillon pestilentiel, de l'Humanité terrestre avec l'Humanité céleste. — Il faut que par eux et du haut de celle-ci, un Rédempteur descende sur terre pour être la tête céleste du corps social terrestre. — Ce Rédempteur sera le Christ social des prophètes. — Deux réactions se sont produites contre l'immortalité de l'Empire romain ; celle d'Odin, et celle d'Apollonius de Tyane. — Mais elles sont insuffisantes (la Synarchie seule pouvait être efficace). — Tout autre est l'œuvre de Jésus-Christ ; appui du faible contre le fort et le violent, il fait sentir comment sont faussés les trois Pouvoirs sociaux et la nécessité de les rétablir. — Grandeur suprême de son rôle
CHAPITRE XX. — Jésus-Marie. — Les Pouvoirs politiques. — Le Judaïsme et le Mosaïsme, ouvert. — Les Ordres laïques. — Vie publique de Jésus, sa science, ses miracles, sa promessse, sa mort, sa résurrection. — Le Christianisme des Apôtres est l'Israëlitisme messianique. — Le Christ crucifié est le Christ glorieux. — La loi de sa promesse sociale est la Synarchie (Arcane
XX.
— Le réveil
des morts
ou
le jugement
dernier)
Chapitre supprimé par l'auteur dans la crainte d'alimenter la guerre sociale par la publication d'une nouvelle Vie de Jésus. — Il lègue à un Israélite le soin de glorifier le Christ dans la lumière scientifique et la Vérité sociale
INITIATIONS
279
CHAPITRE X X I . — De César à la destruction de Jérusalem. — De la dispersion des Juifs à leur reconstitution possible en Palestine. ( R e v u e rapide de l'ère c h r é t i e n ne) Arcane
O.
symbole
—
Le
Crocodile
de la perte
(ou
de l'Homme
le Fou,
o u le
Mat,
aveuglé
par
Mal)
le
M ê m e avant T i t u s , la dispersion des Juifs à travers le m o n d e entier assure la greffe du C h r i s t i a n i s m e dans t o u t e s les p r o v i n c e s r o m a i n e s et g é n è r e ailleurs l'Islam i s m e ( o m b r e du C h r i s t i a n i s m e ) . — Les Juifs s o n t p e r s é cutés s o u s les E m p e r e u r s aussi bien q u e les C h r é t i e n s . — Formation de l'Eglise p r i m i t i v e ; fixation philosop h i q u e du d o g m e par les Pères de l'Eglise. — La d o g m a tique gréco-latine, fixe, assujettit l'Eglise à l ' E m p i r e . D ' o ù l ' a b o u t i s s e m e n t à C o n s t a n t , et la s u b s t i t u t i o n de l'Eglise officielle au J u d é o - C h r i s t i a n i s m e . — Les Juifs restent teurs
gnostiques en
ce
l'intolérance Les
ce
seuls
riciens voulaient
a
ce
trait
sont
eux
centres
dans
l'Ordre
kabbalistes la
qui
à
césarienne
Cependant seront
en
qui
la
l'Eglise
qui
préparent de
Templiers
dits synarchie
de
de chrétiens des
regarde vie
l'Esprit, la
contre la
francs-maçons :
preuve
chez
—
renaissance.
—
et les
primitifs. par
d'où
eux.
réflexion et
libéra-
Chrétienté;
l'histoire
d'étude Pythago—
Ils rapide
de la maçonnerie. — M a i s le m o u v e m e n t laïque qui s ' o p p o s e dans le C é s a r i s m e , appelant l ' e m p i r i s m e laïq u e des travailleurs (ou futur socialisme) contre celui des classes dirigeantes : la synarchie est le seul r e m è d e possible. — Les Juifs ont résisté à t o u s ces N e m r o d i s m e s (preuve par leur histoire rapide depuis Constantin j u s q u ' à n o s j o u r s ) . — Cependant le développement de l'esprit
laïque
a
soulevé
de
nouvelles
difficultés
(par
l'exégèse), parce q u ' o n n'a plus les principes de la religion éternelle. — C e qui surnage, c'est l'esprit transcendantal scientifique des livres de M o ï s e . — C'est la p r o m e s s e religieuse et sociale des A b r a h m i d e s et de
280
SAINT-YVES D'ALVEYDRE Jesus. — C'est la Synarchie, loi scientifique de l ' o r g a nisme dans
des ce
sociétés.
livre,
est
— le
La
salut
Synarchie, unique
seule non
en
seulement
question de
la
Chrétienté, mais d u m o n d e entier, c o m m e le p r o u v e u n e e s q u i s s e de l'état des religions en Asie. — C e t t e S y n a r chie, M o ï s e l'a sauvée e n la recueillant dans les U n i versités d o r i e n n e s les plus antiques ; les Juifs o n t failli à sa c o n s e r v a t i o n (en faisant détruire J é r u s a l e m ; J é s u s - C h r i s t l'a reconstituée ; elle reste encore à réaliser, car l'Autorité est toujours sacrifiée en face d u N e m r o d i s m e . — Les Juifs, identifiés a v e c les sacrificateurs sont restés, cependant, le sel et le ferment de la vie chez les C h r é t i e n s . Il leur reste à parfaire le Judéo-Christianisme ; c'est leur m i s s i o n et ils y s o n t prêts Conclusion. — A p p e l aux plus intelligents en faveur de la Synarchie ; sa d é m o n s t r a t i o n est le fruit d'un travail g i g a n t e s q u e ; s o n Principe est le Principe d'unité d e toutes les religions et de t o u s les peuples ; la loi d e l'avenir, la loi d e V i e de l ' H u m a n i t é ; le t e m p s est v e n u d e la réaliser. — La France le peut m i e u x q u e qui q u e ce soit. — A p e r ç u des m o y e n s pratiques
e
Il faut signaler qu'un chapitre, le X X , qui devait compter plus de cent pages et dont le sommaire est indiqué de manière assez précise a été p u r e m e n t et s i m p l e m e n t s u p p r i m é par Saint Yves qui craignait, d i t - i l , d ' a l i m e n t e r la g u e r r e e n t r e t h é o l o g i e n s et talmudistes par une nouvelle « V I E DE JÉSUS», c o m m e indiqué dans le résumé du X X chapitre. C'est à un israélite que Saint Yves lègue le soin de combler la lacune consécutive à cette destruction . e
4
4. U n auteur, M. Jacques Weiss, a laissé entendre qu'il était celui-là. Pourtant un médiocre paraphrase peut difficilement passer pour un achèvement.
281
INITIATIONS
En tout cas, Saint Yves fut assez vivement attaqué à ce propos, c o m m e à quelques autres ; ainsi Ernest Bosc écrit-il en 1900 : « Il est bien fâcheux que M. Saint Yves ait brûlé, dit-il, son manuscrit. Pourquoi ? Cette interrogation laisse le champ ouvert à bien des hypothèses. Les uns ont dit que « LA VIE DE JÉSUS » eût été la démolition totale de l'œuvre. D'autres que l'éditeur israëlite ayant beaucoup dépensé pour un livre en faveur des Enfants d'Israël, n'avait pas voulu y insérer un chapitre qui n'était pas, tant s'en faut, en l'honneur des Juifs... » 5
Il demeure qu'aucune trace n'a été retrouvée de ce chapitre et qu'on ne peut s'en faire aucune idée. Bien que je ne puisse entrer dans le détail de cette œuvre, il me paraît nécessaire de mentionner rapidement quelques points précis, qui ont une certaine importance. Le premier, qu'on peut relever principalement dans les quatre chapitres initiaux, concerne le caractère scientifique que Saint Yves assigne à ses recherches, et sa volonté de réconcilier la science et la religion, y compris les différentes traditions. A cet égard il faut noter que Saint Yves donne les éléments d'une « doctrinejes^cycles », mais que les quatre âges du monde sont inversés sous sa plume, c o m m e d'ailleurs ils le sont chez Fabre d'Olivet (ce dernier soutenait m ê m e que les Brahmes avaient introduit la confusion dans leur tradition). Par ailleurs, Saint Yves revient sur des questions telles que la science des morts. Il c o m m e n t e le « LIVRE DES MORTS
» — l'initiation de la femme et quantité d'autres questions que nous avons déjà entrevues. Il rend longuement hommage aux Juifs qui ont été « les premiers évocateurs de l'Esprit public » en Europe et ont tenu un rôle libérateur à EGYPTIENS
5. Ernest Bosc : « L A DOCTRINE ÉSOTÉRIQUE À TRAVERS LES ÂGES». Paris s.d. (1900) Chamuel. T o m e I I , p. 292. N o u s retrouverons E. Bosc (1837-1920) à l'occasion de l'antisémitisme de l'époque.
282
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
l'égard de la vie sociale européenne. Mais il me paraît surtout curieux de signaler l'intérêt que Saint Yves porte à des différentes prophéties politico-historiques, soit qu'il interprète celles qu'il a recueillies, soit qu'il en énonce lui-même. Ainsi celle-ci relevant du premier genre, suivie d'une autre du second : « C'est ce même Christ qui, selon Mohammed, doit réapparaître, et régner à Jérusalem, pour y réaliser l'Avènement du Règne de toutes les Promesses. Mais, disent les Musulmans, ce ne sera pas sans de terribles guerres : massacre des Juifs par l'Islam, batailles de Gog et de Magog, de la Russie et de la Chine jusqu'en Palestine, l'Angleterre vaincue aux Indes, ayant déchaîné le Céleste Empire sur son rival moscovite. A la fin, selon les Tawilistes, les Unitaires ou Mouâhadins l'emporteront, à la prière de Jésus, et la Paix sera fondée sur la Loi du Règne de Dieu. Je pourrais multiplier les prophéties de ce genre qui abondent dans l'ésotérisme de bien d'autres sectes, depuis l'Egypte et le Sinaï, jusqu'aux Chrétiens de saint Jean, qui se ramifient dans les Parsis et dans les autres affiliations de l'extrême Orient. Ce qui précède suffit à démontrer qu'un royaume juif rencontrerait en Palestine, non seulement l'engrenage carnassier des Etats européens entre eux, non seulement la rivalité de tous les cultes politiques de la Chrétienté, mais un dogmatisme des peuples orientaux, non chrétiens, et tendant néanmoins à tirer du Christianisme des conclusions antijudaïques, plus radicales que celles des Chrétiens eux-mêmes. Resteraient, comme appoints, les Maronites, Juifs et Phéniciens d'origine, disent-ils, quoique excellents Chrétiens. Mais ils ne brûleront pas une cartouche, avant le partage de la Turquie et la prise de Constantinople par des Puissances soi-disant chrétiennes, mais non synarchistes, leur offrant encore moins de garantie d'indépendance que les Turcs. Ainsi, par la force même des choses, ils ne combattront avec les vingt-cinq ou trente mille hommes qu'ils peuvent
INITIATIONS
283
mettre en ligne, que pour sauvegarder cette indépendance et leur autonomie. Les Druses, si caressés par les consuls généraux anglais, pour l'importance de certains points de leur territoire et pour les quelques dizaines de mille hommes qu'ils peuvent armer, ne seront pas moins avisés que les Maronites. Resteraient donc, outre ces derniers, les Unitaristes ou Mouâhadins musulmans, babistes ou wahabites, depuis l'Afrique jusqu'à l'Indoustan, d'accord avec le fonds synarchique des peuples de l'ancienne Asie : Indiens, Siamois, Parsis, Thibétains, Chinois, Japonais. Mais ils auront le bon sens de n'intervenir qu'à la fin du conflit des Puissances européennes et musulmanes. Resterait encore, en Europe et en Amérique, l'appoint des sectes millénaristes, qui attendent, elles aussi, un avènement personnel du Christ. Mais ces dernières n'arriveraient certainement qu'après la bataille et avec la Croix Rouge, pour enterrer les morts et chanter le De Profundis. Car la politique de l'Angleterre et des Etats-Unis, emporocratique avant tout, donnera bien quelques dollars ou quelques livres sterling, mais ne risquera jamais un cuirassé ni un régiment que dans les guerres d'intérêt matériel et purement égoïstes. La reconstitution tranquille et garantie d'une nationalité juive en Palestine nécessite donc la fin du Nemrodisme en Europe. En Europe, parce que les Juifs n'ont que la Chrétienté et son Continent métropolitain comme Alliance scientifique, donc religieuse, à conclure par la Synarchie dans le présent et pour l'avenir. Il s'agit donc, pour assurer la sécurité de cet avenir, soit sur notre Continent soit sur les autres, non seulement de Droit commun pour les Juifs, en Europe, mais de Droit public, réel, pour les Européens, chose impossible sans un Gouvernement Général, synarchique, conforme au programme social des Abramides, de Moïse et de la Médiation trinitaire de Jésus-Christ. C'est donc toujours le même problème universel d'un
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
Etat social terrestre, anarchique ou synarchique, qui se pose, depuis trente-deux siècles aujourd'hui, devant le particularisme cultuel et social de la Direction et de l'Alliance israélite ou juive. Mais cette fois, ce n'est plus seulement le problème qui est universel, ce sont ses éléments qui sont de nouveau universalisés d'un Pôle à l'autre, par les rapports matériels des peuples, qui entraîneront forcément une conclusion morale et intellectuelle, similaire. La solution est donc plus facile et plus proche quejamais, en la prenant là où elle est, et où je l'ai montrée et démontrée à satiété. Je ne m'occuperai ici que de son cadre, en aidant le lecteur à mesurer avec l'Etalon dorien la Judéo-Chrétienté actuelle, comme toutes les Sociétés humaines, dont nous avons vérifié la santé ou les maladies organiques à la lumière de la même Loi. Science, Justice, E c o n o m i e : voilà les trois Pouvoirs sociaux qui constituent le Mètre social de Ram, des Abramides, de Moïse et de la Promesse de Jésus-Christ. » Ces exemples de telles « prophéties » sont fréquents chez Saint Yves — on en rencontrera d'autres dans « MISSION DE L'INDE » ; ses écrits n'en ont que plus d'étrangeté et il est parfois difficile de porter une appréciation sur eux. Mais il demeure que Saint Yves, soit qu'il commente l'histoire des civilisations, soit qu'il anticipe, met toujours l'idée synarchique au centre de ses préoccupations. Il la « retrouve » dans le passé, il la « voit » dans l'avenir : c'est une idée fixe. Cela explique qu'il prenne ses « preuves » ou ses matériaux historiques là où il les trouve, tout en leur donnant une signification que n'avaient pas prévue ses devanciers. O n en a vu un exemple avec le mot m ê m e de s y n a r c h i e utilisé par Vaillant. O n en retrouve un autre à propos du point de savoir si Saint Yves a plagié ou non l'œuvre de Fabre d'Olivet dans cette « MISSION DES JUIFS ».
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La question fut en tout cas publiquement posée peu de temps après la publication du livre. Dans «LE RAPPEL», journal connu et important en cette fin du xix siècle, Victor Meunier consacra sa rubrique scientifique des 7 et 10 juillet 1885 à établir les emprunts de Saint Yves à 1'« HISTOIRE PHILOSOPHIQUE DU GENRE HUMAIN » et accessoirement à 1
« LA LANGUE HÉBRAÏQUE RESTITUÉE » et aux
« VERS DORÉS DE
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PYTHAGORE » .
La confrontation des textes montre des emprunts indéniables, encore que d'une ampleur discutable quant au point de savoir s'ils constituent l'essentiel de la « MISSION DES JUIFS ». O n eût attendu que Saint Yves les reconnaisse — ceux faits à Fabre d'Olivet, c o m m e à d'autres d'ailleurs ; son avant-propos le lui permettait : « Comme dans ce livre, je ne parle pas de moi-même et que ma parole a pour substratum à peu près tout ce qui a été pensé et écrit dans le monde entier, je remercie ici tous les auteurs vivants que j'ai consultés, et je tiens à rendre hommage aux morts. » Cependant, c o m m e le note Cellier, il fut dans sa réponse du 16 juillet d'une singulière maladresse. Il utilisa un argument qu'il reprend d'ailleurs dans « MISSION DE L'INDE » :
6 . U n e malchance persistante, mais que je me garderai bien d'attribuer, sur le mode occultiste, à quelques forces obscures, car la chose arrive dans toute recherche, m'a empêché de consulter intégralement ces numéros du « RAPPEL ». En tout état de cause, l'ouvrage de Léon Cellier, op. cit., pp. 3 8 5 sq demeure un guide sûr dans cette affaire. Je précise que Victor Meunier qui dirigeait aussi « LE COSMOS » est l'auteur de très nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique dont voici quelques titres en vrac : « LES ANCÊTRES D'ADAM, HISTOIRE DE L'HOMME FOSSILE », « LES ANIMAUX À MÉTAMORPHOSES», «AVENIR DES ESPÈCES», «LES EXENTRICITÉS PHYSIOLOGIQUES », « HISTOIRE PHILOSOPHIQUE DES PROGRÈS DE LA ZOOLOGIE GÉNÉRALE DEPUIS L'ANTIQUITÉ JUSQU'À NOS JOURS... » et de nombreux autres.
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SAINT-YVES
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« Si j'avais cité Fabre d'Olivet, que de nombreux contemporains ont tenu pour un "homme insensé, ridicule et mis à l'index" on m'aurait reproché de me référer à une telle source ; les mêmes détracteurs de mon œuvre n'eussent point manqué de me jeter à la tête les biographies et les bibliographies dans lesquelles les contemporains de Fabre d'Olivet l'ont tué sous le dédain et le ridicule . » 7
Victor Meunier avait beau jeu pour répliquer de manière cinglante : « Le Maître de M. de Saint Yves a été méconnu, ridiculisé, persécuté, diffamé, calommié : son élève ne peut donc reconnaître ce qu'il lui doit. » L'ironie était facile, du point de vue polémique, et fit mouche assurément ; d'un point de vue historique, l'argument de Saint Yves demeurait cependant vrai : les mêmes eussent probablement ironisé sur toute référence à Fabre d'Olivet. Mais les choses n'en restèrent même pas au stade de la discussion méthodique des sources. Claire Vautier, que nous quitterons définitivement après cette ultime perfidie — son roman est daté du 25 avril 1886 — fait allusion à plusieurs reprises à cette affaire du plagiat, et il est probable qu'elle lui donna plus d'écho que n'en avaient eu la chronique du «RAPPEL». D'abord elle met en scène de manière habile, Saint Yves et son amie Marthe (en fait elle-même). L'amie rend visite à Saint Yves et se propose de l'aider c o m m e secrétaire, tout en parcourant des yeux la table surchargée de papiers. «Oh la curieuse écriture,s'écria-t-elle soudain! Tout d'abord Saint-Emme voulut lui reprendre le manuscrit, mais comme il ne se méfiait pas de Marthe, il se contenta de dire : 7. «MISSION DE L'INDE», p. 5.
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— Oui, c'est l'écriture de Fabre d'Olivet. Ces pages, les dernières qu'il ait écrites et qu'il n'a pas eu le temps de publier, ont été laissées par lui à une vieille amie que j'ai rencontrée à Jersey où elle me les a confiées. Et il ajouta : — C'était une âme d'élite qui m'avait reconnu sans que je me fusse révélé. — Ces manuscrits, vous les publierez en votre nom? demanda Marthe. Il la trouva niaise. — Non, répondit-il, ils apporteront leur rayon à ma lumière. "L'œuvre de d'Olivet peut tenir dans la mienne." Cet homme de mérite, méconnu pendant sa vie, ressuscitera dans mon génie, et il en sera ainsi pour tous ceux qui auront servi mon œuvre . » 8
Ainsi disposé, bien avant la polémique, l'épisode donne une crédibilité beaucoup plus grande aux accusations ultérieures. Celles-ci viennent à la fin du livre avec une méchanceté violente dont je donne ici quelques exemples; il s'agit d'un dialogue entre Marthe et le vieux docteur qu'elle a épousé. Ce dernier se m o q u e d'abord de la « MISSION DES OUVRIERS » et ajoute : « Ses conseils, par exemple, il ne les donne pas. Il les vend même deux francs cinquante, ce qui taxe sa philanthropie à un prix vraiment exagéré. Cette petite tentative corruptrice m'avait fort diverti, continua le docteur, mais comme, en somme, elle n'était pas dangereuse, j'en avais ri et je n'y pensais plus quand, il y a quelquesjours, en ouvrant monjournal, j ' y vis, plusieurs fois répété, le nom du marquis d'Alberti. Je lus attentivement. C'était un article, fort bien écrit ma foi, par l'un de nos meilleurs critiques, un savant, un réfléchi, un honnête celui-là. Il était question d'un livre dû à la plume de M. le Marquis, sinon à sa pensée, et ceci était démontré d'une façon très nette, très précise, dans un style sévère et piquant en 8. Claire Vautier. op. cit.. p. 135.
SAINT-YVES D'ALVEYDRE m ê m e t e m p s , o ù le mépris de l ' h o m m e et du plagiaire se manifestait si clairement q u e j e v o u l u s , à m o n tour, être édifié sur la grande oeuvre de n o t r e p r o p h è t e . J'ai acheté cela v i n g t francs, M a r t h e ; c'est u n e folie sans d o u t e , car j'avais déjà t o u s les auteurs anciens et m o d e r n e s dans lesquels ce m o n s i e u r a pillé. Je p o s s è d e en o u t r e Fabre d ' O l i v e t qui lui a fourni la plus g r o s s e part de butin ; m a i s j e ne le regrette pas car, s'il faut en croire l'auteur, n o u s a v o n s là, m a chère, le n o u v e a u Sépher, la G e n è s e des âges futurs, et les g é n é r a t i o n s à venir d e v r o n t à M . le M a r q u i s u n e fière chandelle, en la très l u m i n e u s e p e r s o n n e de m a d a m e la Synarchie, qui s'est expatriée avec lui des sphères supérieures o ù elle avait élu d o m i c i l e , p o u r venir régénérer n o t r e pauvre h u m a n i t é . — Il y a l o n g t e m p s que ce livre est publié ? d e m a n d a Marthe, que la v e r v e railleuse de s o n mari amusait et énervait pourtant. — Q u e l q u e c h o s e c o m m e u n an ; et les e x e m p l a i r e s en s o n t d e v e n u s fort rares car, après l'apparition de l'article d o n t j e v o u s parlais t o u t à l'heure, M . le M a r q u i s retira « s o n œ u v r e ! » de chez t o u s les libraires. La peur du ridicule l'avait pris sans d o u t e et, dans t o u s les cas, il redoutait une p o l é m i q u e qui étalait au grand j o u r et a u x y e u x de t o u s , l ' i m m e n s e plagiat d o n t il s'était rendu c o u p a b l e . Lisez ce livre, Marthe, il achèvera v o t r e g u é r i s o n si q u e l q u e illusion v o u s est restée sur le triste héros du d r a m e de v o t r e vie. Q u a n t à m o i , j ' y ai r e t r o u v é m o n S a i n t - E m m e tout entier. L ' h o m m e en qui l'intelligence et le savoir s o n t a n n i h i lés, réduits à rien, grâce à l'effroyable orgueil qui le d é v o r e . S'il se fut c o n t e n t é d'être historien, s o n œ u v r e , ainsi présentée, p o u v a i t avoir q u e l q u e intérêt d'utilité; mais, quoiqu'il se déclare « h u m b l e et d o u x c o m m e u n petit enfant », le p r o p h è t e et l ' H i é r o p h a n t e éclatent à chaque p a g e , i m p u i s s a n t s à m a s q u e r l ' a m b i t i e u x , m e n d i a n t à la porte des g o u v e r n e m e n t s u n e situation p o l i t i q u e q u e l c o n q u e . Il est écrasé de ce n o n - ê t r e qui est s o n c h â t i m e n t ; il se débat f u r i e u s e m e n t dans s o n i m p u i s s a n c e et se j o u e , à l u i - m ê m e , u n e petite c o m é d i e qui ne t r o m p e q u e lui et q u e l q u e s naïfs peut-être.
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Q u e l plus m o n s t r u e u x m e n s o n g e peut-il exister, que cette soi-disant initiation qu'il doit à un fantastique vieillard, v e n u de la l u m i è r e tout e x p r è s p o u r la léguer à lui, SaintE m m e , choisi parmi t o u s les autres h o m m e s ? Etrange aberration d'une c l a i r v o y a n c e parfaite ! C e fus qui hait s o n père, ce c i t o y e n qui déserte sa patrie, ce traître à l ' a m o u r , ce larron d ' h o n n e u r , seul, d e b o u t , au sein d u m e n s o n g e et de l'erreur, p o r t e en lui le secret m y s t é r i e u x et d i v i n de la Vérité ! Si cela n'était g r o t e s q u e , ce serait horrible ! Le d o c t e u r s'animait en parlant ainsi. S o n grand c a l m e s'était é v a n o u i , et t o u t e s ses colères de savant et d ' é p o u x , éclataient maintenant, très v i o l e n t e s , p o u r avoir été trop longtemps contenues. — Et c e p e n d a n t , c o n t i n u a - t - i l , ce n'est pas t o u t e n c o r e ! M . le M a r q u i s se préparait à c o m p l é t e r s o n œ u v r e qu'il avait déclarée « finie » pourtant ; m a i s il paraît qu'il s'était t r o m p é et qu'il restait e n c o r e q u e l q u e c h o s e à y ajouter. Et v o i c i qu'au m o m e n t de publier ce q u e l q u e c h o s e , M . le M a r q u i s se ravise. U n scrupule le saisit ! et il o s e écrire ceci, q u ' u n i m b é c i l e o u u n f o u a reproduit dans s o n journal. "J'ai brûlé le fruit de m e s i m m e n s e s travaux, c o n v a i n c u q u e j e suis de faire plus de mal que de bien, en d i v u l g u a n t des secrets que l ' h u m a n i t é n'a pas e n c o r e la force de porter!» — Si j e n'étais u n vieillard, M a r t h e , o u p l u t ô t si j e n'étais pas v o t r e é p o u x , j e v o u d r a i s d é m a s q u e r cet h o m m e . — Je le ferai m o i , dit M a r t h e . J'ai à lui d e m a n d e r c o m p t e d u désastre de m a v i e . » 9
O n remarquera au passage que Claire Vautier se donne le beau rôle : ce n'est pas le désir de vengeance personnelle qui l'anime ; elle demande certes des comptes c o m m e « victime », mais elle prétend surtout faire œuvre de salubrité publique en démasquant un «imposteur intellectuel». Le coup est donc parfaitement joué. Je signale au passage que le passage de Saint Yves « reproduit par un fou ou un imbécile » avait paru dans 9. Claire Vautier. pp. 288-291.
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D'ALVEYDRE
», revue éditée en Avignon de 1 8 8 4 à par René Caillié; elle se disait 1'« ORGANE DU MOUVE-
« L'ANTIMATÉRIALISTE 1886
MENT DE LA LIBRE PENSÉE RELIGIEUSE ET DU MODERNE»,
avant de devenir en
HAUTES ETUDES —
1886-87
SPIRITUALISME
« L A REVUE DES
ORGANE DE LA SYNTHÈSE
SCIENTIFIQUE
,N
SOCIALE ET RELIGIEUSE » .
J'ai limité les citations de cette ultime agression de Claire Vautier — et de ses amis inconnus — dans la mesure où, sur le plan des faits, elles n'apportent pas grand-chose ; pourtant ce qui en est dit est tout à fait significatif de la violence délibérée mise en œuvre pour discréditer Saint Yves aux yeux de l'opinion publique, et pour le ridiculiser. «Vengeance de femme amoureuse»... «Pauvre Viola que Zanoni terrifiait... » c o m m e disent les disciples troublés : Pourquoi pas ? Bien sûr, mais Flammarion, mais le C a m i nade dont on a déjà parlé, mais Victor Meunier? Sans doute ceux-là pourraient-ils avoir des motivations de caractère scientifique — et il est vrai que dans cette époque plagiat et dénonciation du plagiat alimentent la chronique... y compris lorsque le dénonciateur du plagiat se retrouve plagiaire à son tour, c o m m e il arriva à D r u m o n t . Il me semble pourtant que cette « démolition » m é t h o dique de Saint Yves ne peut être détachée du contexte général de son action publique, politique et syndicale ; c'est-à-dire que m ê m e si la manœuvre n'est pas uniquement d'origine politicienne, le fait qu'il ait entrepris cette carrière publique a été pour beaucoup dans la cristallisation d'autres animosi10. Caillié sera par la suite le directeur de «L'ETOILE», revue mensuelle de « Kabbale messianique, Socialisme Chrétien, spiritualisme expérimental ». Tous les dirigeants de cette revue ont bien connu Saint Yves : Fondateur, Albert Jhouney ; Rédacteur en chef, l'Abbé Roca, Secrétaire de Rédaction, Jules Bois. Parmi les collaborateurs, on rencontre Ernest Bosc, Hippolyte Destrem, et aussi Henri de Régnier, Jean Moréas, Maurice Bouchor et Albert Samain... Caillié écrira aussi dans « L'INITIATION » : par exemple en janvier 1889, il consacre une étude à «LA SYNARCHIE».
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tés latentes, qui sans cela ne se fussent peut-être pas exprimées. Il est certain en tout cas que la polémique porta un coup sévère à Saint Yves — et que beaucoup en furent et en demeurèrent troublés, y compris parmi ses amis. J'en retiendrai un unique témoignage, celui d'Oswald Wirth, dans ses souvenirs de secrétaire de Stanislas de Guaïta. Il rappelle tout le bien que Guaïta dit de Saint Yves dans son « P R O BLÈME DU MAL», puis ajoute : « Ces appréciations ne trahissent rien du cruel désenchantement de Guaïta lorsque l'auteur de la " Mission des Juifs " fut démasqué en tant que plagiaire de Fabre d'Olivet. Ne voulant pas faire chorus avec les adversaires de Saint Yves, Guaïta se tut, mais il ne put s'empêcher de me confier qu'en fin de compte tout ce qui est bon dans Saint Yves est de Fabre d'Olivet, le reste est du Saint Yves original". » Et pour tous ceux qui auront lu Wirth, l'autorité de Guaïta l'emportera sur toutes autres considérations. Les choses sont-elles si simples ? Saint Yves n'est-il que le plagiaire médiocre de Fabre d'Olivet ? O u , pour reprendre l'expression de Léon Cellier, a-t-il « gagné son procès » ? Pour ma part, j e le crois, mais ce n'est pas pour les deux premières raisons énoncées par Cellier : « soit que par la suite il fût associé par les occultistes à son Maître, dans une c o m m u n e admiration » et là Cellier se réfère à la brochure que Papus consacra avec « DISCIPLES DE LA SCIENCE OCCULTE. » Soit que, dit-il encore, les critiques formulées par lui contre Fabre aient été reprises par des admirateurs. A vrai dire, une troisième hypothèse doit être retenue : celle d'une différence importante entre les doctrines des deux philosophes. 12
11. Oswald Wirth : « STANISLAS DE GUAÏTA — SOUVENIRS DE SON SECRÉTAIRE», Paris, 1935 (Aux Editions
12. Léon Cellier, p. 387.
du Symbolisme)
p. 202.
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Dans « LA FRANCE VRAIE », Saint Yves qui rend, enfin, ouvertement h o m m a g e à son prédécesseur (« U n e véritable vocation intellectuelle, une érudition exceptionnelle, toujours mise en œuvre avec une intelligence rare, souvent avec un génie de la plus haute volée » — que ne l'a-t-il dit trois ans auparavant !) s'est attaché à mettre en évidence ce qui les sépare. Et l'attachement au judéo-christianisme n'est pas la moindre de ces différences. Saint Yves critique l'attachement de Fabre à la théocratie, ainsi que sa théorie pontifico-impériale ; par ailleurs, il affirme que ses « aveuglements » ont quatre causes principales. La première est qu'il fut exclusivement métaphysicien, alors que la métaphysique n'est, dit-il, qu'un reliquat d'une synthèse primitive — La mathèse synarchique en science universelle, que lui, Saint Yves, restitue dans sa totalité. La seconde est qu'il méconnaît le caractère positif que seule la fonction de Jésus-Christ posséderait dans l'Histoire. La troisième est « la méconnaissance de l'ensemble social au profit exclusif des individualités gouvernementales». La quatrième est sa foi au régime des Castes. Par la suite, Barlet devait revenir longuement sur la différence des deux doctrines, et je crois que sa démonstration mérite l'attention, c o m m e le montre le développement suivant : D'Olivet n'avait en vue que les efforts de l'Humanité vers l'exaltation de son propre état, ou l'Evolution humaine ; Saint Yves nous montre en une synthèse autrement large et vivante l'Homme coopérant avec la Divinité à la Perfection harmonieuse du Cosmos, au bonheur de la Vie universelle. L'interprétation historique n'est pas moins différente entre ces deux rivaux : D'abord chacun d'eux cherchant dans l'histoire une thèse différente l'a présentée en conséquence : Pour d'Olivet il s'agissait de montrer la lutte des trois Puissances cosmiques établies dans son système philosophique; Saint Yves voulait
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prouver l'existence et les effets de la Synarchie ou de sa violation à travers les temps. Ces deux tendances, d'ailleurs fort légitimes, donnent aux deux oeuvres historiques un plan tout à fait différent; Saint Yves n'admet pas le jeu des trois Puissances défendues par d'Olivet et d'Olivet ne soupçonne pas la Synarchie. Au contraire, quand Saint Yves arrive à connaître son prédécesseur, il l'aborde avec la notion de la Synarchie
déjà
Metz,
et
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d'Olivet
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ce sera les
depuis
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d'avoir
su
bases
sur
trouver lesquelles
longtemps une dans
de
marque l'exposé
la Synarchie
son
initiateur,
particulière si
singulier
pouvait
de
de
son de
s'établir
: l'Empire de Ram et la mission de Moïse. Comment cst-il donc possible de voir un misérable plagiat dans les emprunts, si larges qu'ils soient, d'éléments rendus si féconds, par des conséquences dont l'auteur n'avait pas eu la moindre notion ? Ce n'est pas seulement la synarchie qui échappe à d'Olivet ; il ne voit pas davantage la vie de la société humaine. Il aperçoit bien que les peuples naissent, vivent et meurent, et il leur attribue les quatre périodes de la vie universelle, dont les saisons nous donnent l'image la plus nette. Mais cette foi est celle de leur mort surtout, la fatalité qui les domine ; dans ce cadre, il les voit abandonnés à toutes les fluctuations désordonnées de la lutte qu'il a imaginée entre ses trois puissances ; il ne soupçonne pas le cours normal de la vie des peuples dans l'intervalle de leurs âges nécessaires ; il ne voit pas comment ils peuvent collaborer avec la Providence en qui doit être, selon lui, toute leur force. Or ce cours normal, cette loi vivante, c'est la Synarchie, dira Saint Yves, et la Synarchie, tradition fondamentale du genre humain, avait été rétablie par Ram d'abord, par Moïse ensuite ; par Jésus-Christ plus largement encore. Et cela à des temps, dans des circonstances qui marquaient des étapes principales dans les âges de l'Humanité, tandis que d'Olivet, pour qui tout culte est radicalement vicieux, passe pour ainsi dire auprès de Moïse, auprès du Christ, en se contentant de les saluer, confondus dans le nombre des envoyés de la Providence : L'ère chrétienne ne compte pas même pour lui ; sa naissance passe inaperçue dans le milieu de solidement
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sa onzième révolution qui est celle de la dégénérescence des cultes et du déclin de l'empire universel. » 13
Il s'agit ici d'un seul des développements que Barlet consacre à la comparaison méthodique des deux systèmes. Il est vrai que tous les analystes n'ont pas été convaincus : ainsi Marcel Clavelle et René Guenon devaient-ils affirmer que la théorie des trois puissances de Fabre est bien à l'origine de l'idée synarchique... Mais hors toute polémique et en reconnaissant que le mérite de Saint Yves demeure immense, ce qui nous change de Victor Meunier et de Claire Vautier . Mais au-delà des discussions sur les sources livresques de Saint Yves, se pose le problème — à certains égards plus sérieux — des sources « initiatiques » auxquelles il aurait pu se référer. D'abord parce que m ê m e s'il a réutilisé des éléments puisés chez Fabre d'Olivet — et chez d'autres — il l'a fait pour les intégrer dans un système original, on vient de le voir. Ensuite parce que cette question est directement liée au point de savoir s'il a agi ainsi dans le but de divulguer l'enseignement de quelque cénacle occulte auquel il aurait adhéré à un m o m e n t ou à un autre. Enfin parce que cette question concerne son rôle à l'égard des groupements occultistes existant à cette époque, ou qui allaient apparaître et se développer à peu de temps de là, en s'inspirant plus ou moins de ses œuvres. Q u e Saint Yves se réfère à des concepts occultes, initiatiques ou ésotériques est assez évident, quelque définition que l'on donne de ces types de connaissance et quelque idée qu'on en ait. Et en tout cas, ses disciples ne se sont pas privés de mettre l'accent sur cet aspect de la « MISSION DES JUIFS » ; qu'on se rappelle Barlet : u
1 3 . Barlet, op. cit., pp. 1 5 1 - 1 5 3 . 1 4 . Marcel Clavelle : « E N FEUILLETANT LA MISSION DES JUIFS », « LE VOILE D'ISIS », mars 1 9 2 9 , pp. 2 0 7 - 2 1 5 . René Guenon : « LA GRANDE TRIADE», Paris, 1 9 5 7 (Gallimard), p. 1 7 2 .
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« Ce n'est plus Saint Yves qui parle, c'est la Tradition même. Nous avons devant nous la Révélation suprême déposée^ pour ainsi dire par la Divinité dans le berceau de l'humanité naissante comme un trésor, comme un talisman auquel elle devra toujours revenir... » Et Barlet ne craint pas de comparer « JUIFS » à l'Apocalypse de Saint Jean :
MISSION DES
« C'est le livre aux sept sceaux qu'il veut entr'ouvrir sous nos yeux pour nous appeler au Salut social . » 15
Rien moins ! C o m m e n t Saint Yves a-t-il pu devenir dépositaire de cette tradition réputée la plus antique et la plus sacrée ? Dès le début de « MISSION DES JUIFS », il affirme que s'il en est le dépositaire, il n'en doit pas communication à une école quelconque : «J'ai non seulement le droit mais surtout, comme les initiés antiques, le devoir de témoigner ainsi de la Vérité qui a été confiée à la garde de ma constance et de ma fidélité depuis ma dix-neuvième année. Cette vérité, que je ne dois à aucun centre d'initiation actuellement existant, mais seulement à un mort possédant la Tradition et auquel je rendrai hommage en temps et lieu, c'est elle qui a voulu parler par ma bouche, en souveraine chez les rois, en initiatrice chez les prêtres, en sœur de charité chez les humbles, en amie parmi tous les hommes, à travers toutes les nations et au fond de tous les cultes "\ » Ainsi Saint Yves nous ramène-t-il au problème non résolu jusqu'ici, de savoir quel enseignement a pu lui léguer Frédéric-Auguste Demetz. 15. Barlet, op. cit., p. 64. 16. « MISSION DES JUIFS », p. 4.
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Toutefois il ne prétend pas moins, à la fin du m ê m e livre, avoir percé à j o u r « les plus secrets mystères » de toutes les initiations : «J'ai plongé à corps perdu dans l'océan du temps écoulé et j'en remonte avec la coupe des promesses sacrées, resplendissant de tous les rayons de la sagesse et de la science divines de ceux qui nous en ont faits légataires (...) De vérifications en vérifications, de clarté en clarté, j'ai éclairé jusqu'au fond de l'âme tous les temples de toutes les sociétés, j'ai voulu soulever tous les voiles, j'ai osé braver la folie ou la mort en sondant tous les mystères, et plus que jamais, j'adore avec une invincible certitude le même Esprit, la même vie, la même loi de leur Union sur la terre comme aux cieux, dans l'Etat social comme dans l'univers . » 17
N o u s aurons à revenir dans un prochain chapitre sur les « techniques » mises en œuvre par Saint Yves pour pénétrer les « Mystères du temps », et qui, à vrai dire, demeurent bien énigmatiques, du moins à mes yeux. Mais c o m m e dans cette étrange «MISSION DE L'INDE», il fait également allusion à l'origine de son système, il me paraît utile d'en citer ici un passage, qui a, au moins, la mérite d'être afiirmatif. «Initié spontané, je n'ai jamais fait à_aucun corps enseignant nîlîlïïïcun individu, à quelque époque que ce soit de ma vie, un serment quelconque de ne pas révéler ce que je pourrais apprendre ou pénétrer pour faire du bien à mes semblables (...) je ne dois_me^lumjèœs^yjiar^jq_ues sur le passé et sur le présent à la volonté d'aucun initié asiatique actuellement existant, mais à quelques indications d'un mort auguste dont j'ai parlé dans la Mission des Juifs . » 18
En recherchant par ailleurs, toutes les indications que Saint Yves donne dans d'autres livres, on n'en obtient pas davantage. 1 7 . « MISSION DES JUIFS », p. 9 2 3 . 18. « MISSION DE L'INDE», pp. 2 4 - 2 5 .
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Et à vrai dire, cette « initiation spontanée » qui permet à Saint Yves de découvrir, seul, « la coupe des promesses sacrées » donne à penser que la prétention de ce « Pythagore de l'occident » n'a peut-être pas été tellement caricaturée par les témoins qu'on a cités ! / Cela ne nous empêche pourtant pas de rechercher quels furent ses rapports avec les groupements qui, dans les années postérieures à la mort d'Eliphas Levi, Maître incontesté du genre, en 1875, prétendirent divulguer des initiations occidentales ou orientales. C'est à ce point qu'il faudrait pouvoir retracer un tableau général de ces différents groupements, ce que j e ne puis faire ici. Toujours est-il que « MISSION DES JUIFS » fournit une première indication intéressante. Ayant longuement cité un texte du Mahatma Koot Hoomi Lai Sing — prétendu « inspirateur » de différents dirigeants de la Société théosophique, et dont le texte est extrait du livre de Sinnett, « THE OCCULT WORLD», Saint Yves ajoute : « Aujourd'hui 3 janvier 1884, j'achève de dicter, d'après mes notes ce chapitre : la Science dans l'antiquité. Or il y a quelques semaines je fus prié d'entrer comme correspondant dans la Société tliéosophique de Madras ; je déclinai cet honneur, le cTiapeaiTiritene^nîêi que je porte depuis plus de vingt'~ans et que je lève depuis deux ans, m'interdisant d'engager mon universalisme et sa signification sociale dans aucun particularisme que ce soit . » i 19
Saint Yves avait donc été sollicité d'entrer dans cette organisation qui cherchait alors à s'implanter en Europe occidentale ; j ' a i mentionné ailleurs, d'après Charles Blech, qu'en mai 1884, la Société théosophique ne comportait guère que 53 français ou personnes résidant en France, ou relevant de la juridiction française, dont Louis Dramard, Benoît 19. « MISSION DES JUIFS », p. 120.
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Malon et Félix G a b o r i a u Saint Yves refusa tout net de se joindre à cette cohorte, et cela ne fut d'ailleurs pas du goût d'rlelena Pctrowna Blavatsky. Vraiment pas. Polémiquant avec l'Abbé Roca dans la revue « LE LOTUS » en juin 1888, elle répond, à son contradicteur qui invoquàrt^àutorité dé Saint Yves : «J'ai bien peur que la thèse de M. (le Marquis de) Saint Yves ne sorte pas plus victorieuse de mes mains que les rêves couleur de rose et l'optimisme de mon honoré correspondant. Les sources qu'on y trouve ne remontent pas plus haut que les visions ^personnelles du_sayant auteur. Je n'ai jamais lu l'ouvrage en entier, mais il m'a suffi d'en lire les premières pages et les comptes rendus manuscrits d'un de ses fervents admirateurs pour m'assurer que ni les données ésotériques de la littérature sacrée des Brahmes, ni les recherches ésotériques des sanskritistes, ni les fragments de l'histoire des Aryas de Bhâratavarsha, rien, absolument rien de connu aux plus grands Pandits du pays ou même aux Orientalistes européens ne supportait cette Thèse que m'oppose l'abbé Roca . C'est un livre fait pour éclipser en fiction savante les œuvres deJules Verne et l'abbé pourrait tout aussi bien opposer à mes contradictions, les œuvres d'Edgard Poë, le Jules Verne du Mysticisme américain. Cet ouvrage est enti^emeritdénué de toute base historique ou même traditionnelle. La « biographie » de Rama y est aussi fictive que l'idée que le Kali Youga est l'âge d'or. L'auteur est certes un homme de grand talent, mais son imagination fantaisiste est plus remarquable que son érudition. Les Théosophes Indous sont prêts à relever le gant s'il leur est jeté. Que M. l'abbé Roca ou quelqu'autre parmi les admirateurs de la « Mission » prenne la peine de transcrire tous les passages qui mentionnent Rama et les autres héros de l'ancienne Aryavarta. Qu'ils appuient leurs affirmations "par des preuves historiques, théologiques, philologiques et surtout logiques. Rama n'a rien eu à faire avec 2
20. Charles Blech : « CONTRIBUTION À L'HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ THÉOSOPHIQUE DE FRANCE». Paris, 1933 (Adyar).
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les Py-Ramides (!!), rien du tout avec Ramsès, pas même avec Brahmâ ou les Brahmanes, dans le sens voulu ; encore moins avec les « Ab-Ramides » (!!!). Pourquoi pas avec les Ram-bouillet, dans ce cas, ou « le Dimanche des Rameaux » ? La « MISSION DES JUIFS » est un fort beau roman, une fantaisie admirable ; seulement le Rama qu'on y trouve n'est pas plus le Rama des Indous, que la baleine qui a avalé Jonas n'est la baleine zoologique qui se promène dans les mers du Nord et du Sud. Je ne m'oppose pas du tout à ce que les Chrétiens avalent baleine et Jonas, si l'appétit leur en dit, mais je me refuse absolument à avaler le Rama de la « MISSION DES JUIFS ». L'idée fondamentale de cette œuvre pourrait sourire à ces Anglais qui tiennent à l'honneur de prouver que la nation Britannique descend en ligne directe des dix tribus d'Israël : de ces tribus perdues avant d'être nées, car les Juifs n'ont jamais eu que deux tribus dont une n'était qu'une caste, la tribu de Juda est celle de Lévi, la caste sacerdotale. Les autres n'étaient que les signes du Zodiaque personnifiés. Que peut avoir Rama à faire avec tout cela? H.P.BLAVATSKY
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».
Autant dire que l'heure n'était vraiment à pas à « l'entente cordiale » entre théosophistes et synarchistes. Il est vrai que d'autres, parmi les occultistes français, commençaient à se brouiller avec H . P . B , et ses méthodes. Mais tout n'allait pas aussi mal partout pour Saint Yves. Ainsi, le milieu maçonnique — ou du moins certains de ses membres — paraît avoir réservé, dans cette m ê m e période, un bien meilleur accueil aux idées de Saint Yves. En particulier la revue « LE M O N D E MAÇONNIQUE » dirigée par un certain Stéphane Rocher, désigné par ailleurs c o m m e professeur agrégé, et dirigeant une « Institution Stéphane Rocher » sise 32, rue Perronnet à Neuilly. 21. «LE LOTUS, Revue des Hautes études théosophiques », n° 15 (juin 1888), p. 135, note 10 — Ernest Bosc, que j'ai déjà cité, reproduit très complaisamment ces attaques.
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En mars 1885, donc peu après la publication de la « M I S S I O N DES JUIFS», il écrit : /
^
« Quant à nous, maçons, dont la vie est consacrée à la recherche du vrai nous reconnaissons sans hésiter dans l'auteur des Missions, un grand Initié dépositaire du Secret transmis de génération en génération par une série non interrompue de Maîtres inconnus et dont la tradition est restée dans la conscience maçonnique comme une ineffable promesse de bonheur et de paix . » 21
D'ailleurs, pour concrétiser cette affirmation, Stéphane Rocher annonçait la création dans la revue d'une rubrique spéciale consacrée aux « MISSIONS » déjà parues qui devaient donner lieu à des citations et des études. Ainsi trouve-t-on cité dans le m ê m e n°, le chapitre X X de la « MISSION DES JUIFS ». Dans le n" d'avril 1885, ce sera le chapitre XII de la « MISSION DES SOUVERAINS » et la citation se termine sur la mention «à suivre». Rien ne suivra. Pourtant ce même n^d'avril comporte une autre indication du plus vif intérêt, et que j e reproduis c o m m e telle :
r
« Nous apprenons la prochaine fondation à l'orient de Paris d'une nouvelle^ Loge sous le titre drstinctif^cje^jj^a Synarchie ». Uncertain nombre de Francs-Maçons profondément frappés du haut enseignement social renfermé dans les livres des Missions de M. de Saint Yves dont nous avons dit quelques mots dans notre dernier numéro, ont résolu de dormer un corps,au sein-de_ la rjiacorinerie^ à la doctrine professée par l'illustre penseur. Ces frères se sont réunis une première fois dans un banquet fraternel à la suite duquel ils ont élaboré le plan général du nouvel atelier. Au dessert notre cher frère et collaborateur Fa^e^j_EssajiS4 synarchiste très convaincu, a improvisé les belles stances que voici... »
22. « LE MONDE MAÇONNIQUE», T o m e
XXVI,
p. 450.
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301 er
Le poème du disciple — daté du 1 mars 1885 — comporte cinq pages de strophes ampoulées. J'en retiens deux à titre d'exemple : « C'est peu d'être titan, soit apôtre. Publie La vérité. Répands sur ce siècle en folie Ta puissante raison ; Que par toi le mensonge et l'erreur et la honte Soient comme ces brouillards qu'on voit, quand l'aube monte Se fondre à l'horizon. Sur la France sauvée et l'Europe affranchie Fais de nos lois de Fer surgir la Synarchie, Comme le Fils d'Amram Fit soudain du rocher jaillir la source vive; Et que l'homme soit bon et qu'à jamais revive le Règne du vieux Ram . » 23
Ce Fabre des Essarts (Léonce Eugène Joseph) est également le fondateur d'une « PETITE BIBLIOTHÈQUE SYNARCHISTE » dans laquelle il publie cette m ê m e année une b r o chure de propagande « LA FORCE, LE DROIT ET LES TROIS CHAMBRES ». Par la suite, il sera une des personnalités marquantes de prétendues résurgences du « gnosticisme » auxquelles René Guenon fut largement mêlé dans sa jeunesse . 24
23. L'annonce de la Fondation de la Loge « la Synarchie » figure p. 481 du T o m e X X V I . Le poème suit pp. 482 à 486. Il a par ailleurs été publiéàpartàCosne, 1885 (Imprimerie de F. Cotais) un 8° 8 p. ( B N :8° ye pièce 1023). A ma connaissance, un seul auteur a signalé précédemment ces textes ; il s'agit de l'anonyme (peut-être Jean Marques Rivière ?) auteur de « SAINT YVES D'ALVEYDRE ANCÊTRE DE LA SYNARCHIE » dans les « DOCUMENTS MAÇONNIQUES », n° 5, février 1 9 4 4 . 24. C'est une longue histoire qui a été bien traitée par Jean-Pierre Laurant dans « LE SENS CACHÉ DANS L'ŒUVRE DE RENÉ GUENON », Lausanne, 1975 (L'âge d'hotnme-Delphica) ; autrement, par Jean Robin : « RENÉ GUÉNON TÉMOIN DE LA TRADITION ». Paris 1978 (Guy Trédaniel — Editions de la Maisnie).
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Je nlzijryaj^troxix^Xiice^de lz fondation de cette Loge dans les Archives actuellement détenues_parje G r a n d O r i e n t . 11 est certain "que les Frères en question ont pu envisager de se rattacher à une autre obédience que le Grand Orient. Mais un épisode curieux, permet de penser que c'est à ce dernier qu'ils songeaient à se rallier, s'ils ne lui appartenaient pas déjà. O n se rappelle que Saint Yyes tenait la maçonnerie en haute estime £ t lui .rexojmais^ait une véntapTe dimension spirituelle. « MISSION DES JUIFS » lui consacre de longs développements historiques, pas toujours exempts d'erreurs au demeurant, mais qui faisaient une large place à l'ordre du Temple et aux « Sages inconnus » \ Il est certain que, pour lui, la Franc-maçonnerie était appelée à jouer un rôle important dans le nouvel ordre spirituel qui verrait sa réconciliation avec l'Eglise. O r Saint Yves avait m ê m e rencontré dans l'abbé Roca un protagoniste de cette réconciliation. C e très curieux personnage, quelque peu exalté, ami de la duchesse de Pomar entre autres, publie lui aussi en 1885 une brochure bizarre intitulée « LA CRISE FATALE ET LE SALUT a
2
DE L'EUROPE,
ÉTUDE CRITIQUE SUR LES MISSIONS DE M . DE 2 6
SAINT YVES » .
25. Ces vues sont exposées dans le dernier chapitre de « MISSION DES JUIFS ». Les erreurs ont été relevées par M . Clavelle dans l'article précité. 26. Paris 1885, Garnier Frères. O n reviendra sur ce curieux abbé — qui mériterait bien une biographie. En vue d'allécher quelque vocation, il me paraît utile de reproduire les titres que lui attribue le tome 153 du catalogue de la B N (1938), colonnes 711 et 712. ROCA (Abbé). — L'Abbé Roca et les principes de la science et de la civilisation modernes devant les congrégations romaines. [Signé : l'ab. Roca.]
—
(Perpignan),
typogr.
de l'Indépendant
(1889).
In-4", 2 p.
2
[D .
40066). — LE CHRIST, LE PAPE ET LA DÉMOCRATIE, par l'abbé Roca, ... — Paris,
Gantier
frères,
2
1884. In-18, 304 p. [D .
14907].
— LA CRISE FATALE ET LE SALUT DE L'EUROPE, ÉTUDE CRITIQUE SUR LES
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O r ce texte va lui servir de justification à une étonnante démarche : s'adresser aux Francs-maçons pour leur proposer une alliance synarchiste. Le 25 octobre 1885, il écrit solennellement à « Monsieur le Président et Messieurs les membres de l'Assemblée Générale du Grand Orient de France ». Le texte, étonnant, de cette adresse nous a été conservé par Oswald Wirth, et c'est d'après lui que je le reproduis « Monsieur le Président, Messieurs, Je m'occupe, dans mes études, des rapports de la question sociale avec la question religieuse. Quinze années de voyages et de recherches sur tous les points de la Chrétienté, en Europe comme en Amérique, m'ont permis d'arriver aux conclusions suivantes, que je crois rigoureusement scientifiques. 1" Les doctrines sociologiques de la Franc-Maçonnerie sont pleinement d'accord avec l'idée ésotérique des paraboles évangéliques et des dogmes fondamentaux du Christianisme, dont les finalités sociales ne sont pas encore comprises. 2° L'arche que vous portez découverte devant les peuples, à travers les âges, depuis les origines mêmes de l'humanité (comme l'attestent les monuments les plus antiques) est l'arche sainte des destinées de la famille humaine et votre mission me semble providentielle. MISSIONS DE M . DE SAINT YVES, par l'abbé Roca, ... — Paris, Gamier frères, 1885. In-16, 124 p. [8°. 967]. — 1885, 4' éd. — Ibid. In-8", 124 p. [8°. 2083]. — LA FIN DE L'ANCIEN MONDE, LES NOUVEAUX CIEUX ET LA NOUVELLE TERRE, par l'abbé Roca, ... — Paris, J. Lévy, 1886. In-8", VI-415 p. 2 ex. |8" H. 5085 et Z. Renan. 6387]. — GLORIEUX CENTENAIRE, 1889. MONDE NOUVEAU, NOUVEAUX CIEUX, NOUVELLE TERRE, par l'auteur de «LA FIN DE L'ANCIEN MONDE», l'abbé Roca, ... Paris, A. Ghio, 1889. In-8", 575 p. [8" H. 5668]. — NOUVELLE SOLUTION DE LA QUESTION SOCIALE (par l'abbé Roca). — Paris, impr. de H. Jouve (s. d.). In-8", 8 p. [8" R. Pièce. 13432]. (Extrait du Bulletin publié par la Société d'études philosophiques et morales.) — Ed. LE SOCIALISTE CHRÉTIEN, 1" année. — Paris, 1891-1892. In-4". [D. 11384]. c
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3° Cette arche bénie qui est la vôtre, Messieurs, est aussi celle que l'Eglise porte de son côté, avec la seule différence qu'elle est restée voilée, sous des formes religieuses et mystiques, entre les mains des sacerdoces, tandis qu'entre vos mains elle est ouverte depuis longtemps. J'enseigne dans un livre que je viens de mettre sous presse et qui a pour titre : « LA FIN DE L'ANCIEN MONDE » que l'heure est venue pour nous, prêtres, de découvrir enfin, à la lumière de la Science, le mystère social de la Rédemption universelle et de la délivrance sociale. A mes yeux, le Christianisme, qui jusqu'ici n'a présenté au monde que sa face religieuse, évolue présentement sur son axe éternel pour montrer SA face sociale aux peuples devenus majeurs et clairvoyants. Le Catholicisme traditionnel, pour plus orthodoxe et canonique qu'il ait toujours été, n'était pas unefin; il était un moyen. Il fut une voie prudente par laquelle devaient passer les sociétés mineures ; mais il ne fut jamais un terme définitif. Présentement cette forme enfantine et primaire a perdu sa raison d'être ; elle est épuisée et son rôle est fini. Le Christianisme a fourni tout entière sa première étape ; pour fournir la seconde, il faut qu'il passe de l'état mystique et religieux à l'état rationnel et social. En se transfigurant ainsi, il s'adaptera de tout point aux aspirations et aux besoins des sociétés viriles. Rome le sent bien et l'épiscopat aussi : dans la dernière conférence tenue par les évêques réunis à Fulda, cette question, qui est une question de vie ou de mort pour la Chrétienté, a été nettement posée et l'on a décidé de mettre les études sociologiques à l'ordre du jour des programmes d'enseignement dans les séminaires et instituts catholiques. C'est un pas immense! Nous allons en finir, j'espère, avec les malentendus et les routines qui nous tuent. A l'anarchie, qui nous divise en rely3Jori^ornme_er^politique, sutcéolexa i l e a i t , ^ ! ^ c'est-à-dire le règne impersonnel de la Science^Ac la Justice _et_ .de-XExgwowie sociales, par des institutions impersonnelles où les principes seront tout et où les princes de toute robe et de toute couleur ne seront plus rien. Des temps nouveaux se lèvent. Une ère s'ouvre qui
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nous conduira rapidement, non seulement à la Sainte Tolérance, mais encore à l'apaisement des consciences et à la pacification des esprits. Votre institution, Messieurs, si noblement humanitaire, et l'institution chrétienne, si charitable dans son essence, finiront par se rencontrer sur le terrain commun de la Bienfaisance et par s'y embrasser, comme au temps de Fénelon, pour le plus grand bonheur de l'humanité. Je traite ex professo, à grand renfort de textes sacrés et profanes, cette question capitale dans l'ouvrage dont j'ai l'honneur, Messieurs, de vous annoncer la prochaine publication sous le titre : La fin de l'Ancien Monde. Je vous envoie un ballot de brochures et je prie chacun des honorables membres de votre Assemblée générale de vouloir bien en accepter un exemplaire. Cet opuscule vous initiera aux idées qui seront développées dans l'ouvrage en question. Rome est informée du dessein que j'ai formé de publier ces doctrines. Aucune position ne m'a été signifiée de la part de la Curie romaine et aucun de mes livres n'a été mis à l'index. Voilà des signes des temps. On peut donc être comme moi, prêtre chrétien, libéral et même républicain, sans cesser d'être canonique et sans verser dans les excès de l'ultramontanisme et du cléricalisme. J'ai l'honneur, Monsieur le Président, etc.. L'abbé ROCA, Chanoine honoraire O n conviendra que le texte est assez ébouriffant pour l'époque... Les délégués au Couvent, tout à leurs querelles de scrutin d'arrondissement, en restèrent sans voix ; peut-être le seul effet fut-il que, grâce à cette démarche, Wirth rencontra Stanislas de Guaïta. C'est appréciable, mais bien peu, au regard du destin spirituel de l'occident qui, paraît-il était en cause ! Il est vrai que ni Roca ni Saint Yves n'étaient aidés par l'histoire pour engager pareille entreprise. En 1884, le Pape
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Léon XIII renouvelle et amplifie les condamnations contre la maçonnerie dans l'Encyclique « H U M A N U M G E N U S » . En 1885, l'escroc Léo Taxil entreprend, grâce à une conversion spectaculaire au catholicisme (le Pape le recevra en 1886), une carrière d'antimaçonnisme spectaculaire, qui durera jusqu'en 1897, ridiculisant avec un égal succès Eglise et Franc-Maçonnerie. T o u t cela n'arrivait pas par hasard, mais sur un terrain favorable ; autant dire que Saint Yves était une nouvelle fois tout à fait à contretemps. Toujours est-il, qu'il s'agisse de la Société de T h é o s o phie ou de la Franc-maçonnerie, que Saint Yves s'est toujours voulu totalement indépendant de toute école ésotérique ou initiatique ; c'est d'ailleurs ce qu'il affirme à la fin de « MISSION DES JUIFS » :
« En ce qui me regarde, je ne fais ni ne veux faire partie d'aucune société secrète ni d'aucune petite église que ce soit, car j'en crois le temps absolument passé et la synarchie en elle-même est une œuvre de plein soleil et d'intégralité cyclique. » Cela nous fournit l'occasion d'une précision sur les rapports de Saint Yves avec un mouvement qui, à vrai dire n'est pas encore apparue en 1884-1885 (cela sera tôt fait) : le Martinisme ; la proximité de la question posée nous impose erTèftet~cIéTraiter le sujet dès à présent . C'est que l'inimitable Abbé Emmanuel Barbier, qu'on a déjà rencontré dans une de ses fantaisies, a construit un roman qui a été reproduit par de très n o m b r e u x auteurs (y 28
27. Oswald Wirth, op. cit., pp. 87-91. 28. Cf. mon étude sur « SAINT YVES D'ALVEYDRE ET L'ORDRE MARTINISTE » in «L'INITIATION», Boulogne sur Seine, 1980, ( N ° 1), p. 37. On trouvera aux pages 43, 44, 45 la reproduction photographique des différents diplômes et celle de la lettre de Saint Yves, dont il est fait état ci-après.
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compris dans les querelles postérieures liées à la s y n a r c h i e après 1941). Dans son très stupide ouvrage sur les « INFILTRATIONS MAÇONNIQUES DANS L'EGLISE », il écrit : «Cette année 1885 s'ouvre l'histoire du Martinisme. Dans cette seconde période, il eut tout d'abord pour grand Maître le Marquis de Saint Yves d'Alveydre que nous avons déjà rencontré comme grand représentant de la Kabbale. Il était en même temps chef de l'occultisme français. Saint Yves d'Alveydre, élève d'un soit disant Parsi de l'Inde, qui lui avait enseigné l'hébreu et la Kabbale, avait épousé la veuve morganatique d'Alexandre II (sic!), il publia successivement la Mission des Souverains par l'un d'eux puis la Mission des Juifs. Ce fut en 1887 que le Grand Maître du Martinisme rencontra Gérard Encausse, bien connu dans le Monde de l'occultisme sous le nom de Dr Papus. Papus, déjà affilié à la théosophie devient l'élève de Saint Yves d'Alveydre, et dès l'année suivante, il réorganise le Martinisme auquel il donna une vigoureuse impulsion. Il en est devenu l'âme puisqu'en 1891, il en a été nommé Grand Maître à vie . » 29
Tout cela est entièrement faux ; on a vu dans un autre chapitre quels étaient les sentiments de Saint Yves à l'égard des jeunes gens qui se lançaient alors dans les sciences occultes ; il est par ailleurs regrettable que certains auteurs proches du Martinisme, tel Serge Hutin, aient repris à leur compte les assertions de Barbier. U n e chose est sûre en tout cas : Saint Yves ne devait jamais appartenir à l'ordre martiniste, quelque sympathie qu'il ait éprouvé pour ses fondateurs. 29. Emmanuel Barbier : « LES INFILTRATIONS MAÇONNIQUES DANS L'EGLISE», Lille et Paris, 1910 (Desclée de Brouwer), p. 135. Beaucoup d'assertions de Barbier, y compris celles que je reproduis sont inexactes. La seule vraie en l'occurrence est que le jeune Gérard Encausse (alors 22 ans) a rencontré Saint Yves ( 2°£L_45_ans) yer^QÇlahie^iaSZJriilippe Encausse : « SCIENCES OCCULTES », Paris, 1949 (Ocia, page 356.) a
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Dans l'article précité (de «L'INITIATION»), j ' e n ai publié la preuve ; Papus lui ayant envoyé plusieurs diplômes : — Membre honoraire de la Loge « le Sphinx » de l'Ordre Martiniste, — Docteur en Hermétisme, de l'Ecole supérieure Libre des Sciences hermétiques, — M e m b r e d'Honneur du Suprême Conseil de l'ordre Martiniste, tous d'ailleurs attribués au « Marquis de Saint Yves d'Alveydres »(avec un S), ce dernier répondit dans une lettre platée du 29 avril 1903 (et dont la photo est également reproduite dans « L'INITIATION ») : « Tous mes remerciements aussi pour l'envoi de vos Statuts et des diplômes qui les accompagnent. Permettez-moi de ne pas accepter ces derniers qui m'enlèveraient ma véritable signification dont vous aurez peut être besoin de vous référer (sic) un jour, soit de mon vivant, soit après moi. Je n'en suis pas moins très touché et ému de votre bonne pensée, mais je ne veux faire partie d'aucune association secrète. La mission qui m'incombe se borne à laisser aux Hautes Etudes modernes, religieuses, scientifiques et artistiques la synthèse et les instruments de synthèse qui sont comme le sceau dernier de mes missions. Vous êtes au premier rang parmi ceux qui ont le mieux compris et apprécié mes œuvres... »
O u t r e que cette lettre fait déjà allusion à l'œuvre suivante, « L'ARCHÉOMÈTRE », elle a ceci de remarquable qu'en 1903, Saint Yves reprend à peu près les mêmes considérations qu'en 1 8 8 4 , quant à la « véritable signification » de la mission, dont l'universalité ne peut être compromise par une appartenance particulière. La constance de ce point de vue —jusqu'à ce témoignage de 1903 — montre que Saint Yves, dans son expression
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publique ou privée a toujours pris soin de se démarquer de toute école ou groupement de caractère « initiatique ». Cela me paraît répondre pour une large part à la question posée, quant aux sources autres que livresques de l'œuvre de Saint Yves, en particulier de la « MISSION DES JUIFS ».
Mais s'agissant de ce livre, un autre point me paraît mériter attention : celui de ses rapports avec l'antisémitisme qui est en voie de développement rapide et violent dans les années 1880. D'ailleurs, la question a été posée dans le curieux ouvrage d'Ernest Bosc : « LA DOCTRINE ESOTÉRIQUE À TRAVERS LES ÂGES » déjà cité ". Les assertions de cet auteur sont à de n o m b r e u x égards bien surprenantes, et pour certaines scandaleuses... je les reproduis parce qu'elles posent question, et en particulier rendent la « MISSION DES JUIFS » responsable de l'apparition de l'antisémitisme. Le lecteur en pensera ce qu'il voudra — au vu du dossier, qui décidément est bien surprenant. Voici donc ce que Bosc écrit (une nouvelle fois j e cite car cela est peu connu) : 3
« Le précurseur, le saint Jean-Baptiste des écrivains Sémites, Philosémites, pouvons-nous dire, a été M. Saint Yves d'Alveydre qui a eu soin de nous dire "qu'il n'avait pas une goutte de sang juif dans les veines". Cette observation était bien nécessaire, car dans le volume dont nous allons bientôt parler, il a tout l'air de plaider pro domo suâ! Nous voulons bien croire cependant M. Saint Yves sur parole, mais il n'est pas moins vrai que son énorme volume n'est qu'une apologie parfois maladroite, en faveur des Juifs qui ont, d'après l'auteur, une mission à remplir. Or, rien n'est moins prouvé, pas plus du reste que de nombreux faits allégués par l'auteur, et cela sans aucune espèce de preuves. 30. Ernest Bosc : « LA DOCTRINE ESOTÉRIQUE À TRAVERS LES ÂGES », s.d. (Chamuel), tome II, p. 284.
SAINT-YVES D'ALVEYDRE La m i s s i o n q u e les Juifs paraissent s'être d o n n é e , c'est l ' e x p l o i t a t i o n du c o m m e r c e , de l'industrie et surtout de la finance ! C e s o n t , en effet, les Juifs qui o n t i n a u g u r é c h e z n o u s cette spéculation effrénée qui a p r i n c i p a l e m e n t caractérisé le s e c o n d e m p i r e et qui a tant fait de ravages dans l'Epargne française. M a i s p o u r rendre h o m m a g e à la vérité, n o u s d e v o n s ajouter c e p e n d a n t que les Juifs n'ont pas, tant s'en faut, le m o n o p o l e de la s p é c u l a t i o n , de l'accaparement et des c o u p s de B o u r s e . Ils o n t p o u r é m u l e s , s i n o n p o u r collaborateurs, u n très grand n o m b r e de chrétiens. N o u s n'insisterons pas ici sur cette q u e s t i o n ; é v i d e m m e n t les Israélites o n t créé u n courant de s p é c u l a t i o n é n o r m e , c'est là u n fait très certain, i n c o n t e s t a b l e ; mais ce courant a-t-il été préjudiciable à la fortune p u b l i q u e française ? N o u s ne le p e n s o n s pas, et c'est là u n e t o u t autre q u e s t i o n que n o u s ne saurions étudier ici, car n o u s ne faisons pas de l ' é c o n o m i e financière. D e m ê m e , n o u s n'écrirons pas p o u r réfuter o u a p p r o u v e r quantité de v o l u m e s glorifiant plus o u m o i n i les Enfants d'Israël, v o l u m e s écrits é v i d e m m e n t p o u r p r o u v e r l'utilité a b s o l u e des Israélites dans le m o n d e . A la tête de cette littérature se place le v o l u m e de Saint Y v e s d ' A l v e y d r e : La mission des Juifs, qui a été certainem e n t l'étincelle qui a m i s le feu aux p o u d r e s a n t i s é m i t i q u e s . D a n s la préface de s o n livre, M . Saint Y v e s n o u s dit : "dans LA MISSION DES JUIFS, j e m'adresse a u x savants T a l m u d i s t e s , aux Kabbalistes, aux E s s é n i e n s , a u x N a s i s , n o n c o m m e u n étranger, m a i s aussi c o m m e l'un d'entre e u x p o s s é d a n t la science orale laissée par M o ï s e m ê m e . "Et j ' a g i s ainsi, parce q u e j e leur d é m o n t r e , a p p u y é sur l'Histoire d u m o n d e et sur la leur, q u e la Synarchie, le g o u v e r n e m e n t arbitral, trinitaire, tiré des p r o f o n d e u r s de l'initiation de M o ï s e et de Jésus, est la p r o m e s s e m ê m e des Israélites, c o m m e la n ô t r e est le t r i o m p h e m ê m e d'Israël par la C h r é t i e n t é . " T e l l e est la thèse q u e va soutenir dans s o n livre, l'auteur. D è s ce début, o n v o i t qu'il ne v e u t pas séparer les Israélites
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des C h r é t i e n s , qu'il va traiter en u n m o t d e J u d é o - C h r i s t i a n i s m e , qu'il c o n s i d è r e c o m m e u n e seule et m ê m e c h o s e , celle-ci c o n t i n u a n t celle-là ; le C h r i s t i a n i s m e étant le s u c c e s seur o u m i e u x la suite d u J u d a ï s m e . N o u s p e n s o n s q u e l'auteur fait ici fausse route, l ' A n t i s é m i t i s m e le p r o u v e s u r a b o n d a m m e n t , n o u s n ' a v o n s pas b e s o i n d'insister p o u r faire admettre cette idée à n o s lecteurs et cependant M . Saint Y v e s prétend suivre la T r a d i t i o n , être g u i d é p o u r ainsi dire par elle. E t q u e faut-il p o u r c o m p r e n d r e la T r a d i t i o n ? "Il faut être h u m b l e et d o u x de c œ u r et se sentir pauvre d'esprit c o m m e le dernier d e s petits enfants, p o u r recevoir a v e c a m o u r la T r a d i t i o n et la Vérité ; et c'est ainsi q u e j e les ai reçues, il y a plus d e v i n g t a n s . " L'auteur est-il h u m b l e de c œ u r (sa d o u c e u r ne n o u s regarde pas), n o u s n e le c r o y o n s guère, car q u e l q u e s l i g n e s a u - d e s s u s de n o t r e dernière citation, il n o u s dit : "à t o u s enfin, depuis les plus o r g u e i l l e u x , j u s q u ' a u x plus h u m b l e s , d e p u i s les plus grands et les plus adulés j u s q u ' a u x plus d é d a i g n é s , j'ai n o n s e u l e m e n t le droit, mais surtout c o m m e les Initiés A n t i q u e s , le d e v o i r de t é m o i g n e r ainsi de la Vérité, qui a é t é confiée à la garde d e m a c o n s t a n c e et d e m a fidélité d e p u i s m a d i x - n e u v i è m e année. " C e t t e vérité, que j e n e d o i s à aucun centre d'initiation a c t u e l l e m e n t existant, m a i s s e u l e m e n t à u n m o r t p o s s é d a n t la T r a d i t i o n , et auquel j e rendrai h o m m a g e e n t e m p s et lieu, c'est Elle qui a v o u l u parler par m a b o u c h e , e n S o u v e r a i n e c h e z les R o i s ; en Initiatrice chez les Prêtres ; e n s œ u r d e charité, chez les h u m b l e s ; e n a m i e parmi t o u s les h o m m e s , à travers toutes les N a t i o n s et d u f o n d d e t o u s les c u l t e s . " C e s lignes n e s o n t peut-être pas d'un esprit m o d e s t e , m a i s enfin n o u s ne chicanerons pas M . Saint Y v e s il a u n e grande valeur en tant qu'écrivain et il a le droit, d'après l'adage Socratique, de se connaître : "Connais-toi
toi-même."
N o u s a d m e t t r o n s d o n c q u e M . Saint Y v e s est h u m b l e et d o u x de c œ u r , q u o i qu'en ait dit u n charmant auteur et qu'il avait Vérité.
droit
ainsi
de recevoir
avec
amour
la
Tradition
et
la
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Mais qu'est-ce que la Tradition et la Vérité ; et quelles preuves peut-on donner de celles-ci ? Et le modeste auteur nous répond : "De telles choses ne s'inventent pas ; elles se trouvent là, où elles sont, et on les prouve, quand et comment il le faut. "J'en témoigne dans les deux œuvres précédentes et dans celle-ci. "Le reste en mains sûres, dans plusieurs pays et à l'abri des coups qui peuvent partir de différents centres de pouvoir qui, pourtant, n'empêcheront rien de ce qui doit s'accomplir. "Ce que je réserve comme Esotérisme dans mes œuvres, ne sera livré qu'à la première Chambre indiquée dans mes œuvres précédentes." Si quelqu'un a regretté que depuis si longtemps M. Saint Yves ne nous ait pas livré tout l'Esotérisme qu'il dit posséder, c'est bien nous, car nous aurions fait profiter nos lecteurs de ce que nous aurait appris à ce sujet notre auteur ; d'autant que l'Esotérisme qu'il nous aurait révélé ou dévoilé, n'aurait pas été certainement à la portée du premier venu, et qu'il aurait fallu positivement un intermédiaire entre M. Saint Yves et le public ordinaire, aussi nous nous serions fait l'interprète de notre auteur distingué. Ce qui prouve bien ce qui précède et qui montre que nous ne commettons pas une erreur d'appréciation, ce sont les lignes suivantes : "Je tiens à dire une fois pour toutes, que je n'écris nullement pour ceux auxquels suffit la forme d'enseignement primaire, qu'a revêtue le Judéo-Christianisme, grâce aux Talmudistes et aux Théologiens Chrétiens." "Je respecte cette catégorie nombreuse, comme étant la moins responsable dans la direction des destinées d'Israël et de la Chrétienté." Comme on voit, notre auteur maintient toujours étroitement unis et solidaires les Israélites et les Chrétiens, deux catégories d'individualités qui ne s'aiment guère pourtant. » Là ne s'arrête pas la charge contre Saint Yves. Encore convient-il d'en retenir ce qui est significatif des courants de pensée de l'époque dans laquelle il se situe. A cet égard j e n'ai cité aussi longuement E. Bosc, dont
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au demeurant l'œuvre ne mérite pas beaucoup de considération, que pour montrer que spiritualistes, occultistes ou hermétistes tinrent aussi leur rôle dans le concert de l'antisémitisme fin de siècle ; mais c'est aussi à cause de cet étrange grief fait à Saint Yves, d'avoir été, par « philo-sémitisme » un des responsables, voire le Responsable principal de l'apparition de l'antisémitisme de masse qui, effectivement, va déferler dans les années qui suivent la publication de la « MISSION
DES JUIFS ».
C'est pourtant lui faire beaucoup d'honneur — si tant est que l'antisémitisme puisse être jamais tenu pour honorable — sur tel point ; à vrai dire c'est plutôt une nouvelle manifestation de la myopie intellectuelle des occultistes qui surestiment l'importance de leurs écrits, ou ceux des leurs, fussent-ils des adversaires, sur l'opinion publique et dans l'histoire. Ce qui est vrai, et a pu faire illusion à qui avait le nez sur l'événement — d'où le terme de myopie —, c'est qu'un des temps forts de l'émergence du courant antisémite fut la publication, en 1885, de « L A F R A N C E J U I V E » par D r u m o n t ; il est de fait que l'œuvre de ce dernier constitue une synthèse qui sera le principal point d'appui des campagnes massives. Ainsi que l'écrit Zeev Sternhell, elle servira m ê m e « De cadre conceptuel à toute la campagne antisémite menée depuis la fondation, en 1888 de la Ligne antisémitique jusqu'à la création, à la veille de la Guerre du Cercle Proudhon. Et son influence a été décisive sur bon nombre de contemporains, tant sur Barrés, Bourget ou Maurras, que sur Guérin, Mores ou Biétry. C'est que la "LA FRANCE JUIVE" s'adresse en même temps à 1'« Ouvrier révolutionnaire » et au «Chrétien conservateur». Dans ses ouvrages postérieurs, Drumont accentuera encore la marque plébéienne qui caractérisait son premier livre ; on y trouve même plus d'un aspect véritablement socialiste national . » 31
31. Zeev Sternhell : « LA DROITE RÉVOLUTIONNAIRE », Paris, 1978 (Le Seuil).
P.
197.
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SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
Ironiserai-je sur le caractère « synarchiste » — s'adresser tant au Révolutionnaire qu'au Conservateur — de cet antisémitisme qui dénonce un bouc émissaire de manière à créer une véritable unité nationale ? A vrai dire, ses manifestations de l'époque justifient amplement la phrase souvent attribuée à Lénine pour qui l'antisémitisme n'est jamais que «le socialisme des imbéciles ». Et il est vrai qu'alors cet antisémitisme est souvent « de gauche», le sémitisme étant assimilé au capitalisme. Pourtant D r u m o n t , si éclatant soit son succès de librairie, n'est ni sans contemporains ni sans devanciers. Des premiers, je ne retiendrai que Toussenel et Malon ; « L E S J U I F S R O I S D E L'ÉPOQUE
—
HISTOIRE
DE
LA
FÉODALITÉ
FINANCIÈRE »
de
Toussenel paraît en 1886 — chez Marpon et Flammarion, m ê m e date et m ê m e éditeur que le livre de Claire Vautier... je ne sais si la coïncidence relève ou non du hasard, je la note pourtant au passage. Quant à Benoît Malon, socialiste utopique s'il en fut, passionné d'occultisme et qui ne pouvait pas ne pas connaître Saint Yves — mais aussi fondateur de la C G T —, il sera dans ces années-là un des théoriciens les plus en vue et les plus dangereux de « l'antisémitisme de gauche », à qui il donnera jusqu'à un fondement théologique. C o m m e ces faits et ces h o m m e s sont aujourd'hui peu connus, je rappellerai ce qu'en dit Zeev Sternhell : « C'est Benoît Malon qui, dans les années quatre-vingts, contribue plus que personne à établir la légitimité de l'antisémitisme. Dans un long compte rendu consacré (nota : en juin 1886) à la France juive, le Directeur de la "Revue Socialiste" accepte les principales thèses de Drumont (...) Il attaque le Christianisme pour avoir adopté le sémitisme, pour avoir repoussé l'Aryanisme : "Oui la noble race aryenne a été traitée à son passé, à ses traditions, à ses admirables acquis religieux, philosophiques et moraux, quand elle a livré son âme au dieu sémitique, à l'étroit et implacable Jehovah" et Sternhell cite un autre passage révélateur : « Mais qui est le
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grand coupable, sinon le christianisme ? C'est le Christianisme qui a écarté le védisme, le bouddhisme, le mazdéisme, l'hermétisme égyptien, l'ésotérisme européen oriental, ces plus nobles conceptions religieuses de l'ancienne humanité — pour leur substituer la légende chauvinique d'un petit peuple égoïste et dur . » 32
Il est vrai que par ailleurs Malon reprochera à D r u m o n t un certain « cléricalisme étroit » et surtout d'oublier que les Juifs ne sont pas seuls responsables de l'exploitation capitaliste ; mais il est curieux que ce responsable de la « R E V U E S O C I A L I S T E » aille chercher dans une demi-science philosophique, de m ê m e nature que la « M I S S I O N D E S J U I F S » , ses arguments fondamentaux. En ce sens il est possible qu'il ait voulu répondre à l'œuvre de Saint Yves. Néanmoins, et à supposer m ê m e que la « M I S S I O N D E S J U I F S » ait été l'une des cibles de l'antisémitisme — ce qui n'a pas été démontré jusqu'ici — l'assertion de Bosc ne peut être retenue, pour la bonne raison que l'antisémitisme doctrinal est antérieur à D r u m o n t ; et ce dernier a, lui aussi, été accusé de plagiat au moins à deux reprises. Le premier cas a été fort bien analysé par Henri Rollin, à propos de « L A F R A N C E J U I V E » . « Ce copieux ouvrage, dit-il, était composé pour les deux tiers ou même les trois quarts d'anecdotes et de potins dont certains lui valurent de cinglants démentis, mais dont presque tous ont perdu aujourd'hui tout intérêt. Pour le reste, Drumont avait utilisé un certain nombre d'ouvrages qu'il citait le plus discrètement possible et seulement lorsqu'il en reproduisait textuellement quelque extrait, ceux de Toussenel, de Cerf Berr, de l'abbé Chabauty, par exemple. Cependant sa principale source était le Juif, le Judaïsme et la judaïsation des peuples chrétiens, de Gougenot des Mousseaux. Cet 32.
Zeev Sternhell, op. cit., p. 195.
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ouvrage, publié en 1869, est resté jusqu'ici l'ouvrage fondamental de l'antisémitisme moderne et il n'est guère d'écrivain antisémite qui ait omis de l'utiliser. Drumont, toutefois, n'avait pas jugé opportun de le citer une seule fois au cours de 1 180 pages de « L A FRANCE JUIVE ». Malheureusement le succès de celle-ci provoqua la réédition de l'ouvrage de Gougenot des Mousseaux dont la vente avait été si difficile, en son temps, que l'éditeur avait dû solder le stock qui lui restait pour compte. Drumont ne pouvait plus paraître l'ignorer, aussi lui tira-t-il un bref coup de chapeau dans la France Juive devant l'Opinion, en se félicitant de voir réimprimé ce "volume introuvable", cette "rareté bibliographique" qui avait été "retirée peu à peu de la circulation comme tout ce qui gêne les juifs". Il n'en fut pas quitte à si bon compte. En 1902, il se trouva quelqu'un pour se donner la peine de comparer « LA FRANCE JUIVE » et l'ouvrage de Gougenot des Mousseaux en juxtaposant les textes suivant la méthode que Drumont avait employée dans la Libre Parole pour confondre Césare Lombroso. De cette comparaison, M. Stéphane Arnoulin concluait : "C'est à ce devancier que M. Drumont d'avoir doit pu écrire « L A FRANCE JUIVE » dans le court espace de temps que nous avons dit, et ne pas l'avoir cité, c'est de sa part ingratitude pure." Ce l'était d'autant plus que Gougenot était l'auteur que Drumont avait "le plus effrontément pillé", mais "en journaliste habitué aux besognes hâtives, en expert faiseur de copie", l'auteur de « L A FRANCE JUIVE » l'avait démarqué avec une adresse et un talent de pamphlétaire qu'il serait puéril de ne pas reconnaître, encore qu'il lui fût arrivé de ne pas se contenter de s'approprier des citations que Gougenot avait faites d'autres auteurs, mais aussi de fondre dans son propre texte quelques-unes d'entre elles en oubliant les guillemets traditionnels . » 33
Gougenot des Mousseaux, donc, ne pouvait avoir écrit en 1869 pour confondre Saint Yves. 33. mard),
p.
Henri Rollin : 282.
«L'APOCALYPSE DE NOTRE TEMPS». Paris,(Galli-
\
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INITIATIONS
O n peut en dire autant de plusieurs autres, dont l'Abbé Chabauty chanoine d'Angoulême et de Poitiers, qui publie en 1880 sous un pseudonyme (de Saint André) un livre consacré aux « F R A N C S - M A Ç O N S E T J U I F S » puis en 1882 : « L E S JUIFS
NOS
MAÎTRES ! D O C U M E N T S
ET
DÉVELOPPEMENT
N O U -
le tout sous l'égide de la «Société générale de la Librairie Catholique». D e m ê m e avant la parution de la « M I S S I O N D E S J U I F S » , on signale l'existence dans la Somme, à Montdidier et pendant l'année 1883, d'une revue hebdomadaire, dirigée par un certain Vrécourt, « L ' A N T I S É M I T I Q U E ». Sternhell qui a eu le mérite d'analyser cette publication reconnaît en elle la première vague de l'Antisémitisme populaire et moderne qui va se développer dans les années suivantes ; les caractéristiques principales en sont selon lui : VEAUX
SUR
LA
QUESTION
JUIVE»,
« Radicalisme social allié à certaines formes de darwinisme social, le tout additionné de cette forme d'antisémitisme la plus ancienne et la plus enracinée, l'antisémitisme chrétien, essentiellement catholique . » 34
C'est bien la m ê m e thèse que chez l'Abbé Chabauty qui dénonce « Le grand complot ourdi par la maçonnerie judaïque contre l'occident chrétien. » Quelques auteurs peuvent encore être mentionnés dans la période : Auguste Chirac qui s'était attaqué en 1876 à la Haute Banque et qui publie « L E S R O I S D E L A R É P U B L I Q U E . H I S T O I R E S D E J U I V E R I E » (lui aussi accusera vivement D r u mont de l'avoir honteusement plagié — et ses plaintes paraîtront en 1887 dans la « R E V U E S O C I A L I S T E » ! ) Il me paraît aussi intéressant de signaler Gustave Tridon, ami et collaborateur de Blanqui le révolutionnaire, c o m m u n a r d convaincu, 34. Zeev Sternhell, o p . cit., p. 181.
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D'ALVEYDRE
et qui publie à Bruxelles en 1884 un ouvrage qu'il aurait écrit dès 1865 et dont le titre est évocateur : « D u M O L O C H I S M E JUIF,
ETUDES
CRITIQUES
ET
PHILOSOPHIQUES».
Dès lors on le voit, sans trop multiplier les exemples : l'antisémitisme doctrinal se porte fort bien, avant D r u m o n t , Vacher de La Pouge, Barrés et quelques autres. Et aussi avant la « M I S S I O N D E S J U I F S » . Ainsi il paraît aventureux d'affirmer que le philosémitisme au demeurant très relatif de Saint Yves serait à l'origine de la vague d'antisémitisme qui va déferler sur la France dans les années qui suivent. T o u t au plus, Saint Yves, une nouvelle fois, a-t-il peut-être « senti » à temps ou à contre-temps, des tendances qui étaient en quelque sorte dans l'air du temps, avec ce qu'il faut de compréhension, et d'incompréhension. C o m m e une sorte de dialectique approximative. Bien mauvaise explication qui n'explique rien, sauf à avouer qu'on peut pressentir, et j e le dis sans aucune preuve, qu'il existe un étrange parallélisme entre cette « M I S S I O N D E S J U I F S » et ce que seront les « P R O T O C O L E S D E S S A G E S D E S I Ö N » , faux avéré, élaboré dans les milieux russes de Paris, à peu de temps de là, et longuement utilisés par fascistes et nazis, et m ê m e . . . intégristes catholiques de notre temps. Je ne reprendrai pas ici tous les indices accumulés par l'enquête de Rollin, et qui concernent aussi le rôle exact du D r Papus, ni ce que j ' a i dit plus haut de la Princesse Radziwill, craignant de tirer argument d'une simple présomption. Et pourtant ! Mais si loin que nous ait entraînés cette étonnante «MISSION DES JUIFS», il faut dire que nous ne sommes toujours pas au bout de nos surprises avec Saint Yves qui, dans ces mêmes années, se livre à d'étonnantes recherches sur « les plus secrètes initiations orientales », et envisage de livrer à l'occident médusé la clef des grands mystères.
CHAPITRE
VI
L e plus g r a n d secret
En 1886, Saint Yves écrit un ouvrage étrange, qu'il ne livrera pas au public ; c'est Papus qui l^pujDlier^en^l^O Le texte qui avait été retrouvé par le C o m t e Keller dans les papiers de Saint Yves était entièrement composé ; le D r Philippe Encausse possède aujourd'hui cet exemplaire qui a longtemps été considéré c o m m e unique. Toutefois un autre exemplaire détenu joar l'éditeur D o r b o n a été retrouvé et / publié en 1981 par les éditions Bélisane. Il paraît néanmoins intéressant de reproduire la mention manuscrite de Papus sur l'exemplaire qu'il détenait. « Saint Y v e s d ' A l v e y d r e . " L A M I S S I O N D E L ' I N D E E N E U R O P E . " Seul e x e m p l a i r e de cet o u v r a g é qui a é c h a p p é à la destruction totale de l'édition, destruction d é c i d é e par l'auteur à la suite de m e n a c e s v e n u e s de l'Inde. C e t e x e m p l a i r e appartenait à feu le M a r q u i s de Saint Y v e s et a été d o n n é au D r E n c a u s s e par le C o m t e Keller.
1 . La première édition Dorbon est souvent datée de 1 9 1 0 ce que paraît confirmer la note de Papus elle-même datée d'octobre 1 9 1 0 . Toujours est-il que la Bibliothèque Nationale la recense en 1 9 1 1 sous la cote 8" G 8 9 0 6 . Le même éditeur a publié en 1 9 4 9 une « réimpression photomécanique » de la pemière édition sans toutefois reproduire la photo du Prince Hadjij Scharipf.
'
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
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C'est d'après cet exemplaire que l'ouvrage a été publié chez Dorbon. Octobre 1910 : Signé : Papus
2
J'aurai l'occasion de revenir sur le problème de cette destruction et sur ces étranges « menaces venues de l'Inde ». Mais une dernière question doit être posée : cornment être sûr, dans ces conditions, que ce livre a effectivement été écrit en 1886? Ce point ne concerne pas seulement la datation d'un texte qui, si intéressante qu'elle soit, n'est pas nécessairement fondamentale pour sa compréhension. En fait, ce qui est significatif ici, c'est que Saint Yves qui, à ce moment-là est pleinement engagé dans son action politique et syndicale (le syndicat, je le rappelle, est déclaré en juin 1886), montre la profonde diversité des préoccupations qui sont les siennes en un m ê m e moment. Certains parleraient de l'universalité de son génie, peut-être serait-ce excessif, mais je noterai néanmoins que cela donne à tout le moins une idée de son ouverture d'esprit. Moins de dix ans après la tentative d'exploitation industrielle des algues marines ! En fait plusieurs indices permettent de retenir la date de 1886 c o m m e exacte ; à commencer par le début du chapitre I : er
«A l'heure où j'écris ces lignes, tous les corps enseignants du monde signent leur âge de la manière suivante : ceux de Mahomet : 1264 ceux de Jésus-Christ : 1886 ceux de Moïse : 5 647 ceux de Manou : 55 647. » t
2. Le texte de cette note a déjà été publié par Philippe Encausse in «SCIENCES OCCULTES», Paris, 1949 (Ocia), p. 328.
LE
PLUS
GRAND
SECRET
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Par ailleurs il est à noter que dans l'ensemble du texte, Saint Yves ne se réfère guère qu'à sa « M I S S I O N D E S S O U V E R A I N S » et à sa « M I S S I O N D E S J U I F S » . Or, jusqu'au bout (je pense au texte intitulé « L A S A G E S S E V R A I E » qui fera partie de l ' A r c h é o m è t r e ) , Saint Yves a eu coutume de renvoyer à ses écrits antérieurs. Ici il ne renvoie qu'à des textes dont le plus avancé en date est « M I S S I O N D E S J U I F S » de 1884. Ces éléments de critique interne sont largement confirmés par le fait que la préface est en grande partie consacrée à répondre à l'accusation d'avoir plagié Fabre d'Olivet. J'en ai cité quelques extraits au chapitre précédent, puisque l'écrit correspond exactement à l'époque des plus grandes accusations contre Saint Yves. Mais l'indice principal qu'on peut retenir est fourni par un passage de Ja jjréface que Papus n'a pas rjer^odjnt_en 1910, probablement parce qu'il lui paraissait historiquement dépassé et peu significatif pour le lecteur, et dans lequel Saint Yves se félicitait de l'accueil que son idée s y n a r c h i q u e avait reçu auprès d'un certain n o m b r e de personnalités de l'Europe. Ce document est entièrement inédit, et il me paraît utile de le reproduire tel quel.
« Dans cette formule constitutionnelle (celle de la synarchie), M. Ernest Desmaret, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, et M. Hippolyte Destrem, auteur de « P E R T E ou S A L U T D E L A F R A N C E », ont vu la réorganisation méthodique des rapports internationaux : Comptes rendus du Congrès de Bruxelles, Petit Républicain, la Presse. M. le comte Charles de Montblanc y a reconnu la loi scientifique de l'Histoire et celle du Self-Government des Sociétés : le Figaro. M. le baron Théodore de Cambourg y a particulièrement relevé la représentation nationale par voie de spécialités, ainsi que ce que je nomme la Troisième Chambre; et il
SAINT-YVES D'ALVEYDRE s'est fait l'apôtre de la création d'une C h a m b r e d e l ' E c o n o m i e nationale destinée à équilibrer par le p o i d s de t o u s les intérêts la p o l i t i q u e p a s s i o n n e l l e des partis : Gazette de France. D a n s la f o r m u l e s y n a r c h i q u e , M . le c h a n o i n e Roca, ancien lauréat de l'école des hautes é t u d e s des C a r m e s , a c o n s t a t é la possibilité d'une conciliation o r g a n i q u e entre la Foi et la Science, les C o r p s e n s e i g n a n t s ecclésiaux et les U n i v e r s i t é s , les C u l t e s et la S o c i é t é civile : la Crise fatale et le salut de l ' E u r o p e , la Fin de l'ancien m o n d e . Le R é v é r e n d Père C u r c i y a v u u n g o u v e r n e m e n t intellectuel et social, désirable, d o n t il n'a pas craint de préconiser l'essai : Il S o c i a l i s m o cristiano. M . le Pasteur de la Fresnaye y a retrouvé la c o n c l u s i o n j u d é o - c h r é t i e n n e de l'Histoire, en m ê m e t e m p s que la loi p o s i t i v e de la solidarité : Courrier de la G i r o n d e . M . Isaac L é v y , grand Rabbin de V e s o u l , y a particulièrement relevé la réconciliation de la raison a v e c la foi, le s o u c i d'un g o u v e r n e m e n t capable d'assurer le b o n h e u r de l ' H u m a n i t é et la paix m u t u e l l e des cultes et des e n s e i g n e m e n t s : Famille de J a c o b . M . Louis Pauliat a c o n c l u à sa c r o y a n c e au retour de la Synarchie universelle : N o u v e l l e R e v u e . M . Charles L i m o u s i n n'a pas craint d'affirmer l ' i m p r e s s i o n p r o f o n d e q u e la lecture des M i s s i o n s avait faite dans s o n esprit : R e v u e du m o u v e m e n t social. M M . R e n é Caillé, i n g é n i e u r , et Barlet, licencié en droit, ont relevé dans ces œ u v r e s tout ce qui tend à faire revivre l'esprit des anciens t e m p l e s universitaires, o ù la Science et la Foi ne faisaient qu'un : Anti-matérialiste. M . de S a i n t - A l b a n o v o i t dans la Synarchie la réalisation d e s p r o m e s s e s de M o ï s e et d u Christ, dans lesquelles rentrent celles de la r é v o l u t i o n de 1789 : le H i g h - L i f e . M . le prince de Z . c o n s i d è r e la Synarchie e u r o p é e n n e c o m m e la c o n c l u s i o n nécessaire de la c o n s t i t u t i o n i n t e r g o u v e r n e m e n t a l e i n a u g u r é e en 1648 par le C o n g r è s de W e s t p h a l i e : R e v u e internationale de Florence. M . Fabre des Essarts, se plaçant au point de v u e p u r e m e n t républicain et français, inaugure u n e série de
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p u b l i c a t i o n s populaires intitulées : B i b l i o t h è q u e s y n a r chique. D a n s sa p r e m i è r e b r o c h u r e : La Force, le D r o i t et les trois C h a m b r e s s y n a r c h i q u e s , il s'attache à faire ressortir la nécessité d'armer le suffrage universel d'une triple représentation par v o i e de spécialités et de c o m p é t e n c e s . Je regrette p r o f o n d é m e n t de ne p o u v o i r citer t o u s les autres t é m o i g n a g e s publiés d o n t m e s M i s s i o n s ont été l'objet. Je ne saurais passer s o u s silence c e u x de la R e v u e m o d e r n e et du M o n i t e u r universel : ce dernier é m a n e d'un e m i n e n t professeur de l ' U n i v e r s i t é , que j e ne v e u x pas n o m m e r à cause de sa situation officielle. Enfin M M . le baron T h é o d o r e de C a m b o u r g , D e s t r e m , Garreau, c o m m i s s a i r e général de la marine, M a r t y , l'un des présidents des c h a m b r e s syndicales o u v r i è r e s , le c o m t e C h . de M o n t b l a n c , se s o n t m i s au travail, p o u r étudier la possibilité de créer u n e des trois c h a m b r e s s y n a r c h i q u e s , celle de l ' E c o n o m i e nationale : Projet d'une U n i o n é c o n o m i q u e française. Grâce à ces g é n é r e u x t é m o i g n a g e s , plus h e u r e u x que Kepler, j e ne m o u r r a i pas en disant : U n lecteur dans cent ans ! N o n s e u l e m e n t j'ai été lu par une élite d'esprits attentifs au bien que j e v o u l a i s faire, mais j'ai eu le rare b o n h e u r de v o i r m a p e n s é e v i v r e en e u x , et passer en acte s o u s l ' i m p u l s i o n de leur a m o u r éclairé p o u r n o t r e patrie et p o u r l'humanité. Q u ' i l m e soit d o n c p e r m i s de leur e x p r i m e r t o u t e m o n affectueuse gratitude. U n g e r m e de salut social, p o u s s é en aussi b o n n e terre, ne peut plus périr d é s o r m a i s . E n d e h o r s de ces t é m o i g n a g e s publics, j e tiens à remercier e n c o r e t o u s c e u x qui dans leurs lettres o u de v i v e v o i x m ' o n t d o n n é de puissants e n c o u r a g e m e n t s , et si j e n'en n o m m e p o i n t des plus chers et des plus flatteurs, c'est par u n s e n t i m e n t de réserve, qu'ils apprécieront. »
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Il faut ajouter que ce passage de la préface n'est pas la seule chose que Papus ait supprimée dans son édition de « MISSION
DE L'INDE
».
Aussi la dédicace très solennelle : « Au souverain pontife qui porte la tiare aux sept couronnes, au Bralrajmah actuel de l'antique Paradésa métropolitaine du cycle de l'Agneau et du Bélier » était-elle précédée par un tableau composé de signes étranges relevant de la langue universelle que Saint Yves appelle le « Vattan » et dont il fera largement état dans ses travaux ultérieurs sur l ' A r c h é o m è t r e . Je reproduis ces signes dont j ' a v o u e n'avoir pas retrouvé la clef. m
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Quelques autres détails différencient l'édition de 1910 de celle de 1886; c o m m e , par exemple, l'existence d ' u n sommaire analytique que Papus transformera en notes marginales qui d'ailleurs facilitent la lecture. Mais pour l'essentiel le texte est conforme à celui de Saint Yves. T o u t cela me permet d'affirmer que le texte a bien été rédigé en 1886; et d'ailleurs même si Te^Tvfé" n^Tpas été effectivement publié à ce moment, Saint Yves a lui-même mis dans le domaine public u n certains n o m b r e d'indications sur le contenu de la « M I S S I O N D E L ' I N D E » et en particulier l'existence d'un « Centre initiatique » supérieur appelé l ' A g a r t h a ; et il a, dé son vivant, laissé dire un certain nombre de choses sur ses rapports avec l'Inde et l'Orient. Sur le premier point, j e retiendrai bien évidemment un passage et une note du poème intitiol^_«jjANNE D ' A R C VICTORIEUSE» et dont j ' a i déjà faltT état dans un article consacré à Saint Yves p o è t e . Saint Yves décrit le triomphe céleste de Jeanne d'Arc parvenue au Paradis. 3
« Derrière Elle, le Monde Invisible ondoyait : L'Eglise triomphante, Ici-bas, envoyait Pour quelque mystère sublime, Une et Triple, Trois Chefs, Trois Chœurs dans l'Inouï, L'Un de l'Hymalaya, l'Autre du Sinaï, Et le troisième de Solyme. Le plus ancien portait les Védas : c'était Ram, Héritier de Noé, Testateur d'Abraham. Sa Tiarejrvait sept Couronnes. Sept Richis, comme Lui voilés de diamants, L'accompagnaient, traînant du Ciel les flamboiements Des principautés et des Trônes. Crosse en mains, aux côtés de leur blanc Brahatma, Le Mahanga planait avec le Mahatma 3 . « SAINT YVES D'ALVEYDRE POÈTE », Nice, 1 9 8 0 (Bélisane). Il s'agit du chant XXV" du poème et de la note visée ci-après.
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Sous la Tiare vatanique, Orientant les Sept Etoiles des Védas, Puis, Mitre au Front, Trois Cent Soixante Bagwandas, Zodiac du Ciel brahamique. Et de l'Himalaya, qui dans le Ciel chanta La Synarchie Antique et sa sainte Agartha, Irradiaient toutes ces Arches, Fixant Jeanne à travers tous leurs Saints éblouis, La priant de renaître un jour pour les Pays, De l'Eglise des Patriarches. Ram embrassaJjAutel. Un autre flamboiement Vola du Sinaï. Levant le Testament De la Synarchie Hébraïque, Moïse aux Cornes d'or illuminait les siens ; Triple Conseil de Dieu, des Anges, des Anciens, Toute l'Eglise Mosaïque. » O n peut ne pas aimer ces vers... Toujours est-il qu'en 1890, Saint Yves affirme publiquement sa croyance en une hiérarchie initiatique supérieure dirigée par trois personnages : Brahatma, Mahatma, Mahanga. Et d'ailleurs pour qu'on ne se méprenne pas, il prend soin d'exposer ses vues dans une note — souvent inaperçue — la dernière du livre; j e la reproduis puisque l'épopée ne sera probablement pas rééditée de sitôt.
« L'Eglise-mère du Brahmanisme non sectaire est encore constituée telle qu'elle est présentée ici pour la première fois aux Européens. La Trinité synarchique y est représentée par le Souverain Pontife ou Brahatma, CEéTcTe TOrdre Enseignant, et ses deux Assesseurs, le Mahatma, Chef de l'Ordre juridique, et le Mahanga, Chef de l'Ordre éconormçjue. Les sept Rishis et lés trois cent soixante Bagwandas ou Cardinaux forment tout le grand Collège sacerdotal universitaire, qui reproduit dans son organisation toute l'ancienne Synthèse antédiluvienne, basée sur le Système de la Parole, dont parle Saint Jean. Par
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suite des révolutions qui ont brisé l'ancienne organisation synarchique révélée dans La Mission des Juifs, cette Université-mère a de plus en plus fermé ses Mystères. Son nom mystique Agarttha, Insaisissable à la Violence, dit assez clairement qu'elle dérobe à la curiosité le lieu de sa résidence. Jeanne d'Arc victorieuse y sera lue comme la Mission des Juifs. Puisse-t-elle unir l'Eglise patriarcale à la Mosaïque et à l'Evangélique dans une même glorification de la Fille de Dieu et de son Etendard synarchique ! » 4
Il est de fait que cette publication qui résume en quelque sorte les principales propositions de la « M I S S I O N D E L ' I N D E » (alors inédite) explique que de n o m b r e u x occultistes aient été informés de cet aspect de la pensée de Saint Yves, bien avant la publication de la « M I S S I O N D E L ' I N D E » . Et ce point aura son intérêt par la suite, c'est pourquoi j e souhaite que le lecteur le garde en mémoire. D'ailleurs Saint Yves a laissé dire de son vivant un certain nombre de choses, en particulier par Papus. Ainsi dans la revue « L ' I N I T I A T I O N » d'octobre 1 8 9 7 , ce dernier publie-t-il ses « P R E M I E R S E L É M E N T S D E L E C T U R E D E L A L A N G U E S A N S C R I T E » sous l'égide de « l'Université libre des hautes Etudes Faculté des Sciences hermétiques ». Il écrit : « Le brahmanisme a conservé intact depuis plus de 105 siècles sa vitalité qui est passé par des phases de grandeur et de décadence. Cela tient à la constitution, au sommet de l'édifice sacré, d'un triangle dominé lui-même par les trois chefs des trois centres vivants : le Souverain Pontife ou Brahatma, chef de l'ordre enseignant, le chef de l'ordre juridique, ou Mahatma, et le chef de l'ordre économique ou Mahanga. » D'ailleurs Papus renvoie explicitement à la note de V I C T O R I E U S E » que j ' a i citée.
«JEANNE D'ARC
4 . «JEANNE D'ARC VICTORIELsi ». page 3 ( ) 2 .
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Mais ce qui est intéressant, c'est qu'en note il ironise violemment sur l'usage fait par les théosophistes du terme Mahatma : « Le titre de Mahatma, dit-il, appartient à l'Eglise Brahmanique et est réservé à un seul dignitaire, depuis des siècles. Ainsi la multiplication subite de ce nom, appliqué à plusieurs hommes renfermés dans des antres bouddhiques (!) a-t-elle du amuser autant les Brahmines que l'annonce d'un Conseil de Czars protestants siégeant à Rome amuserait les cardinaux. » A vrai dire, Papus montre bien qu'il s'agit de polémiquer avec la Société de Théosophie qui est alors parfaitement engluée dans une théorie où apparaissent des « Mahatmas », érigés en «Maîtres spirituels». L'époque est aux pires des rêveries pseudo-orientales (au fait, nous n'en sommes pas sortis) d'un occident doutant de son propre destin et prêt à tout pour être rassuré. Ce disant je ne prends parti ni dans la querelle, ni dans le fonds des choses, mais j e me borne à constater les termes historiques de la querelle et des rêves. Il est vrai que la Société de Théosophie proposait alors un schéma très fantastique d'explication du réel, où intervenaient les hiérarchies de prétendus Mahatma. Papus, interprète de Saint Yves, récuse ces visions, et affirme que le terme j e Mahatma doit être réservé à une signification précise, relativeJ r u n s e u l centre spirituel, celui de l ' A g a r t t h a . Il y reviendra souvent_dansla j ^ é n o r i ^ E t bien que cela anticipe de quelques années, il me paraît utile de mettre sous les yeux du lecteur, un texte de Papus, publié dans l'édition de
1898
OCCULTES
de
son
« TRAITÉ
ÉLÉMENTAIRE
DE
SCIENCES
». Il veut répondre à la question :
« Existe-t-il en Europe des_maîtres véritables, à côté, en dehors' ou dedans des centres iniatiques ? »
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A cette question il répond nettement par l'affirmative, et il se met à décrire « le maître intellectuel » qui visiblement est Saint Yves. " " " « Le Maître intellectuel est un homme à cheveux blancs dont la figure respire la bonté et dont l'être entier rayonne le calme et la paix de l'âme. Sa voie d'initiation fut toujours la voie de la douleur et du sacrifice. Il fut initié à la tradition occidentale par les rentres les, plus élevés ; il fut initié à la tradition d'Orient par deux des plus grands dignitaires ~3ei l'Eglise b r a h m a n i q u e (sic) d o n t l'un fut le B r a h m a t m a
des
centres Saints de l'Inde. C o m m e tous les élèves de la véritable initiation orientale, il possède tous les cahiers d'enseignement dont chaque page est contresignée par le brahmine responsable de la transmission de la parole sainte. La lecture de ces cahiers nécessite la connaissance approfondie non seulement du sanscrit et de l'hébreu (que ces brahmines pourvus de hauts grades initiatiques connaissent à fond) mais encore des langues primitives dont les hiéroglyphes et le chinois sont des adaptations . » 5
O r tout cela est publié du vivant de Saint Yves qui, à ma connaissance, n'a jamais démenti. Et cela revient à dire que Saint Yves est un « réintégré » au sens oriental, dépositaire des plus secrètes initiations de l'Inde. S'il n'est pas alors question du livre « L A M I S S I O N D E L ' I N D E », il est très évident, ou du moins on laisse entendre, que le « maître intellectuel » en question est dépositaire des plus secrets mystères de l'Orient. Cela nous conduit très directement à regarder le contenu du livre. Son titre m ê m e confirme qu'il s'agit pour Saint Yves de rétablir une vérité déformée à l'époque : « M I S S I O N D E L'INDE
EN
QUESTION
EUROPE, D U
(et
non
MISSION des)
DE
L'EUROPE
MAHATMA
5. Philippe Encausse, op. cit.. page 359.
EN
ASIE.
ET SA S O L U T I O N .
»
LA
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L'objet est d'ailleurs double : — décrire ce « centre initiatique », où jamais occidental ne serait parvenu, et d'ailleurs il se défend de tout esprit de profonation dans la révélation qu'il fait ; — confirmer la théorie s y n a r c h i q u e , et en tirer les conclusions quant à la politique des grands Etats, Russie, Angleterre, France... Le livre de 360 pages dans sa composition de 1886 comporte trois chapitres et une conclusion. Le premier chapitre, qui s'ouvre sur le symbole astrologique du soleil est consacré à affirmer qu'il existe une université spirituelle mondiale appelée « A g a r t t h a », ce que Saint Yves traduit du sanscrit c o m m e « L'insaisissable à la violence ». "Sur le point de savoir où est situé cette « paradesa », Saint Yves répond : « A cette question, que ne manqueront pas de se poser les diplomates et les gens de guerre, il ne me convient pas de répondre plus que je vais le faire, tant que l'entente synarchique n'est pas faite ou tout au moins signée. Mais comme je sais que dans leurs compétitions mutuelles à travers toute l'Asie, certaines puissances frôlent sans s'en douter ce territoire sacrée comme je sais qu'au moment d'un conflit possible, leurs armées devraient V forcément soit y passer, soit le côtoyer, c'est par humanité pour ces peuples européens comme pour l'Agarttha elle-même que je ne crains pas de prescrire la divulgation que j'ai commencée . » 6
Il est certain que Saint les impérialismes russe particulièrement aux Indes sera confirmé plus loin Souverains de ces états.
Yves vise les affrontements entre et britannique, qui ont lieu et en Afghanistan. D'ailleurs ceci par des lettres adressées aux
6 . « MISSION DE L'INDE », page 49. (Je cite l'édition 1 8 8 6 reproduite en 1 9 8 1 par Bélisane.)
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C'est d'ailleurs à ce point qu'il convient de rappeler ses relations avec Lord Lyttonjqui avait été vice roi des Indes de janvier 1876 à mars 1880. Tous les témoignages concordent pour affirmer que Lytton porta une attention toute particulière à la question de l'Afghanistan sur le plan politique, c o m m e sur le plan militaire. L ' A g a r t t h a se situe, d'après Saint Yves, à la surface de la terre mais aussi dans ses profondeurs et ses grottes ; elle est protégée par un secret inviolable, et à supposer m ê m e qu'elle soit envahie par un million d ' h o m m e s , « Même vaincus les templiers et les confédérés de l'Agarttha pourraient au besoin faire sauter une partie de la planète, et broyer (TurT cataclysme etTeT profanateurs armés et leur patrie originelle. » Avant Ram, la métropole de l'Initiation avait pour centre Ayodhya, la ville solaire. Par la suite, l'Agarttha a déplacé plusieurs fois son siège, qui correspond à une population de vingt millions d'habitants, mais autour de ce centre s'étend « une confédération synarchique des peuples » correspondant à plus dé quarante millions d'âmes. Saint Yves décrit les institutions de ce m o n d e qui ne connaît aucune plaie sociale, ainsi que la hiérarchie sociale. D'abord des milliers de « "Dwijas" (ou deux fois nés) et de Yoghis (unis en Dieu) habitent des villes souterraines disposées en cercle autour de~l'Agaxttha. » Ensuite au-dessus et marchant vers le centre, on trouve 5 000 « p u n d i t s , pandavan » (ou savants) puis les « circonscriptions solaires » des 365 Bagwandas ou cardinaux, puis les 22 Rishis noirs et blancs, enfin le dernier cercle proche du centre se compose de douze membres Les comparaisons zodiacales sont très évidentes, mais Saint Yves recherche des correspondances plus complexes ;
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ainsi le nombre des cinq mille pundits correspond-il à celui des racines hermétiques de la langue védique. Enfin, au sommet de la hiérarchie — ou au centre du cercle — car tout cela préfigure l ' A r c h é o m è t r e , se trouve « le triangle formé par le Souverain Pontife, le Brahatmah, support des âmes dans l'empire de Dieu, et par ses deux assesseurs » le Mahatma représentant l'âme universelle, et le Mahanga, symbole de toute l'organisation matérielle du cosmos. Dans la crypte souterraine où réside le corps du dernier Pontife attendant pendant toute la vie de son successeur l'incinération sacrée, se trouve l'Archis qui forme le zéro des Arcanes représentés par ses vingt et un collègues. Son n o m Mârshi signifie le Prince de la Mort et exprime qu'il n'appartient pas au monde des vivants. T o u s ces différents cercles de grades correspondent à autant de parties circonférencielles ou centrales de la Cité sainte, invisibles à ceux qui marchent sur la terre . N o u s sommes ainsi entrés dans un récit véritablement fantastique, et qui, à de n o m b r e u x égards ne laisse pas d'être étonnant. René Guenon qui, dans « L E R O I D U M O N D E » en reprendra T"ëssenfiel à son compte, et dans des conditions qu'on retracera plus loin, ne dissimule pas un certain trouble : 7
« Beaucoup de lecteurs de ce livre « MISSION DE L'INDE » durent d'ailleurs supposer que ce n'était là qu'un récit purement imaginaire, ne reposant sur rien de réel. En effet, il y a là-dedans, si on veut y prendre tout à la lettre, des invraisemblances qui pourraient, au moins pour qui s'en tient aux apparences extérieures, justifier une telle appréciation ; et sans doute Saint Yves avait-il eu de bonnes 7. « MISSION DE L'INDE », page 76.
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raisons de ne pas faire paraître lui-même cet ouvrage, écrit depuis fort longtemps et qui n'était vraiment pas mis au point . » 8
Guenon pourtant, confirmera, pour ce qui le concerne, l'essentiel des assertions de Saint Yves. En tout cas la description de ce centre spirituel demeure très fantastique ; qu'on en j u g e : « Des milliers et des millions d'étudiants n'ont jamais pénétré au-delà des premiers cercles suburbains ; peu arrivent à franchir les degrés de la formidable échelle de Jacob qui, à travers les épreuves et les examens initiatiques, conduisent jusqu'à la coupole centrale. Cette dernière, œuvre d'architecture magique comme toute l'Agarttha, est éclairée d'en haut par des registres catoptriques qui ne laissent arriver la lumière qu'à travers toute la gamme enharmonique des couleurs, dont le spectre solaire de nos traités de physique ne constitue que la diatonique. C'est là que la hiérarchie centrale des Cardinaux et des Archis, rangée en hémicycle devant le Souverain Pontife, apparaît irisée comme une vue d'outre-Terre, confondant les formes et les apparences corporelles des deux Mondes, et noyant sous des rayonnements célestes toute distinction visible de race dans une même chromatique de lumière et de son, où les notions connues de la perspective et de l'acoustique se trouvent singulièrement distancées . » 9
Et ce n'est pas tout. Saint, Yyes_affirme encore l'existence d'archives_et_de bibliothèques souterraines, qui « renferment le véritable corps de tous les arts et de toutes les sciences antiques depuis cinq cent soixante-six siècles... » 8. René Guenon : «LE Roi DU MONDE», Paris, 1958 (Gallimard), page 7. 9. « MISSION DE L'INDE », pages 77-78.
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(...) Les bibliothèques des cycles antérieurs se retrouvent jusque sous les mers... » Par ailleurs, il décrit l'existence d'une langiaejjrriverselle qu'il appelle le Vattan, et qui sert de fondement à une scienceTantâstique et ignorée du reste du monde. Car, dans l'Agarttha : « Tout a été approfondi, depuis les entrailles ignées du Globe jusqu'à ses fleuves souterrains de gaz et d'eau douces ou salines, jusqu'aux êtres vivants qui habitent ces flammes, ces gaz ou ces eaux. Tout a été approfondi à travers l'étendue et les abîmes des mers, jusqu'au rôle des courants magnétiques qui s'interférencient d'un pôle à l'autre en longitude et d'un tropique à l'autre en latitude. Tout a été approfondi dans les airs, tout, jusqu'aux essences invisibles qui y demeurent, tout jusqu'à l'électricité qui s'y développe en échos, après s'être formée dans les entrailles du globe pour y revenir. Des flottes aériennes de ballons dirigeables ont poussé les observations jusqu'à un degré impénétrable à nos méthodes actuelles. Tout a été révélé, jusqu'aux harmonies universelles qui produisent les saisons terrestres, jusqu'aux migrations ascendantes des âmes par le Pôle Nord, cet introuvable Mont Mérou, et cet indéchiffrable Alborj des livres védiques et pehlevis. Des chemins électriques, non de fer, mais de verre trempé et malléable, ont sillonné l'antique Empire du Bélier, sans appauvrir imprudemment la Planète de ses réserves carbonées comme on le fait aujourd'hui, ni sans l'accabler d'une armature de fer non moins imprévoyante et non moins propice à la propagation de certains fléaux cosmiques. Et ces sciences, et ces arts, et bien d'autres, continuent à être sans cesse professés, démontrés, pratiqués dans les ateliers, dans les laboratoires et dans les observations de l'Agarttha.
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La chimie et la physique ont été poussées à un tel degré, qu'on ne voudrait même pas l'admettre, si je l'exposais ici. Nous ne connaissons que les forces de la Planète, et encore. Mais outre ces dernières, les Puissances attractives du Ciel ont été saintement observées, et continuent à être sans cesse expérimentées. Que de travaux immenses jusque dans l'infiniment petit ! Il n'est pas un insecte, pas une plante, pas un minéral, pas même une goutte de rosée, dont les propriétés dynamiques n'aient été inventoriées, et n'aient fait l'objet d'une multitude incroyable d'observations et d'expériences. Mais que d'ceuvres plus gigantesques encore dans l'infiniment grand, non seulement sur la physique du Ciel que nous ne possédons même pas, mais sur la physiologie et sur la sociologie de l'Univers tout entier ! » 10
Et Saint Yves décrit les expériences et les recherches qui auraient été conduites par ces sages de l ' A g a r t t h a . Il est un dernier point que je voudrais souligner : Papous, dans l'avertissement signé des « Amis de Saint Yves^> affirme que « M I S S I O N D E L ' A S I E » résulte d'une double série de recherches, intellectuelles d'abord, astrales ensuite : « C'est le premier ouvrage de Saint Yves où les expériences pratiques de dédoublement aient permis à l'auteur de pénétrer dans les sanctuaires les plus secrets de la Terre pour vérifier les erisxifiiièjjaéj^'^aTjir"T » En fait Saint Yves affirme nettement l'existence de tels « voyages en astral » sârisqu^rTsacrie^tTopTce que cela signifie au juste :
10. «MISSION DE L'INDE», pages 89-92. 11. «MISSION DE L'INDE», page 1 de l'édition de 1910.
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« Et si, me trouvant trop bien informé des plus secrets de leurs arts, et de leur science et de leurs mystères, ces savants initiés cherchent mon nom dans leur registre et ma statue dans leurs villes souterraines, ils n'y trouveront que mon esprit, qui y est apparu il y a près de dix ans assez distinctement pour que mon portrait y ait été dessiné . » 12
f
Près de dix ans, c'est-à-dire pas tout à fait... Soit huit ou neuf, et par ailleurs Saint Yves fait allusion ailleurs à « un signe sacré gui s'est mamfesj^en_Lj$77_». (...) Ce qui nous ramène à l'année de sonjmarjage jtvec Marie-Victoire. C e qui est sûr enfin, c'est qu'à plusieurs reprises il revient à la science des âmes, cette psychurgie déjà évoquée dans les «CLEFS D E L'ORIENT», et à la comrnunication avec les morts. Il commente m ê m e les expériences des Charcot, Voisin, Dumarquay, Liégeois et autres ancêtres de l'hypnotisme c o m m e de la psychanalyse. Et c'est pour affirmer que l ' A g a r t t h a a depuis longtemps fait beaucoup plus dans ce domaine. Le chapitre II, qui s'ouvre par un signe de quatre points disposés en losange, comporte la citation, elle-même curieuse, d'un récit de Diodore de Sicile (né vers 90 avant Jésus-Christ) qui décrit un m o n d e fantastique ; Saint Yves y voir la preuve que « l'antique inconnue ».
Science des Agarthiens
n'était
point
Le chapitre ne marque pas une progression mais continue de décrire d'autres aspects des « connaissances supérieures » de cette étrange université qui, seule, n'aurait pas dégénéré. O n trouve néanmoins quelques notations intéressantes. Ainsi l'affirmation selon laquelle les Bohémiens seraient la 12.
«MISSION DE L'INDE», page 4 4 de l'édition
1886-1981.
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PLUS
GRAND
SECRET
337
survivance d'un peuple chassé de l'Agarttha et qui aurait conservé dans ses sciences occultes un vague souvenir de ses connaissances anciennes. Q u a n t à « la Science des Morts », Saint Yves, une nouvelle fois la décrit longuement : « Dans leurs enseignements, en effet, l'immortalité de l'âme n'est pas seulement une foi du sentiment, mais une certitude absolue de la Connaissance. De toute antiquité, tout initié, une fois mort, est interrogé, dans les délais voulus par les prêtres savants" Les portes sont closes, le cadavre est gisant sur les dalles, et l'âme envolée est appelée en communication par les moyens indiqués dans nos saints Testaments et développés tout au long dans le véritable texte~des Vèdes. Elle dit. dans laJangue universelle toutes ses imprc^ssions à partir du moment où l'Ange de la Mort l'a ravie, toutes ses sensations dans l'Océan fluidique qui l'a engloutie, et sur lequel le Soleil pendant le jour, la Lune pendant la nuit, exercent, concurremment avec les Etoiles, leurs mystérieuses influences. Elle dit les régions attractives auxquelles ses chefs spirituels la préparent suivant ses mérites, soit en haut, soit en bas, quand l'heure des grandes migrations des Essences humaines aura paru au cadran sidéral des Mondes. Elle dit ces voyages d'âmes, ces pèlerinages innombrables vers le Pôle nord et ces enlèvements, ces envolemcnts infinis, montant par millions dans certains courants fluidiques vers un Astre voisin. Puis elle bénit ceux qui restent, et s'envole, sans néanmoins les abandonner . » {i
C o m m e dans « M I S S I O N D E S J U I F S » , il insiste l o n g u e ment sur les initiations réservées aux femmes et leurs enseignements. Il convient aussi de retracer le portrait qu'il fait du Brâhatmah qui aurait été en fonction à l'époque où il écrit : 13.
«MISSION DE L'INDE»,
pages
159-161.
338
SAINT-YVES D'ALVEYDRE « Le c o s t u m e c é r é m o n i a l d u B r â h a t m a h r é s u m e t o u s les s y m b o l e s de l'organisation agartthienne et la S y n t h è s e m a g i q u e , f o n d é e sur le V e r b e éternel, d o n t elle est la v i v a n t e image. C'est ainsi q u e ses v ê t e m e n t s successifs, j u s q u ' à sa ceinture, p o r t e n t les g r o u p e s de toutes les lettres m a g i q u e s qui s o n t les é l é m e n t s de la grande science de l ' A u m . Sur sa poitrine le rational flamboie de t o u s les feux des pierres s y m b o l i q u e s , consacrées aux célestes Intelligences zodiacales, et le P o n t i f e peut à v o l o n t é r e n o u v e l e r le p r o d i g e d'allumer s p o n t a n é m e n t la flamme sacrée sur l'autel, c o m m e A a r o n et ses successeurs. Sa tiare aux sept c o u r o n n e s s u r m o n t é e de saints h i é r o g l y p h e s e x p r i m e les sept degrés de la descente et de la réascension des â m e s à travers ces Splendeurs d i v i n e s que les Kabbalistes n o m m e n t les S é p h y r o t h s . M a i s ce haut Sacerdote m'apparaît plus grand e n c o r e l o r s q u e , dépouillant ses i n s i g n e s , et entrant seul dans la c r y p t e sacrée o ù gît le t o m b e a u de s o n prédécesseur, il écarte d e lui t o u t e p o m p e c é r é m o n i e l l e , t o u t o r n e m e n t , tout métal, t o u t j o y a u , et s'offre à l ' A n g e de la M o r t dans s o n h u m i l i t é absolue. Terrible et bien étrange M y s t è r e t h é u r g i q u e ! Le t o m b e a u d u B r â h a t m a h précédent est là, s u r m o n t é d'un catafalque d o n t les franges indiquent le n o m b r e des siècles et des Pontifes passés. C'est sur ce dais funèbre o ù r e p o s e n t certains appareils de la M a g i e sacrée, q u e m o n t e l e n t e m e n t le B r â h a t m a h avec les prières et les gestes de s o n antique rituel. C'est u n vieillard issu de cette belle race é t h i o p i e n n e , à t y p e caucasique, qui, après la R o u g e et avant la B l a n c h e , tint jadis le sceptre d u G o u v e r n e m e n t général de la Terre et tailla dans toutes les m o n t a g n e s ces villes et ces édifices p r o d i g i e u x q u ' o n r e t r o u v e partout, d e p u i s l ' E t h i o p i e j u s q u ' à l ' E g y p t e , d e p u i s les Indes j u s q u ' a u Caucase. La figure c o m p l è t e m e n t rasée, le B r â h a t m a h , dans cette c r y p t e funèbre o ù p e r s o n n e que lui ne pénètre, est n u de la tête à la ceinture ; et cette h u m b l e n u d i t é est le s y m b o l e m a g i q u e de la M o r t .
LE PLUS GRAND SECRET
339
A s c é t i q u e , s o n corps aux attaches élégantes est pourtant solidement musclé. A u haut de s o n bras se détachent trois m i n c e s bandelettes s y m b o l i q u e s . Et au-dessus du chapelet et de l'écharpe blanche, qui tranche sur le brillant noir de s o n corps et r e t o m b e de ses épaules sur ses g e n o u x , se dessine u n e tête des plus r e m a r q u a b l e m e n t caractéristiques. Les traits s o n t d'une e x t r ê m e finesse. Q u o i q u e serrée a u x dents par l'habitude d'une grande c o n c e n t r a t i o n d'intelligence et de v o l o n t é , la b o u c h e m o n t r e des lèvres bienveillantes, o ù flotte le r a y o n n e m e n t intérieur d'une inaltérable charité. Le m e n t o n est petit, m a i s assez saillant p o u r indiquer l'énergie, que c o n f i r m e le nez aquilin. D e s lunettes laissent e n t r e v o i r des y e u x bien dessinés, fixes et p r o f o n d s , autant q u e b o n s . M a i s ces dernières, qui durcissent g é n é r a l e m e n t t o u t e p h y s i o n o m i e , laissent à celle-ci le caractère d'une grande d o u c e u r alliée à u n e véritable puissance. Le front est é n o r m e , le crâne en partie dégarni. D e tout l ' e n s e m b l e de ce M a g e - P o n t i f e se d é g a g e u n t y p e a b s o l u m e n t hors ligne. C'est bien là le v i v a n t e m b l è m e du s o m m e t d'une hiérarchie à la fois sacerdotale et universitaire, unissant i n d i v i s i b l e m e n t en elle la Science et la R e l i g i o n . P e n d a n t q u e c o n c e n t r é dans la sainteté de s o n acte intérieur et de sa v o l o n t é absolue, le P o n t i f e j o i n t ses m a i n s remarquables par leur petitesse, voilà qu'au bas d u catafalque, le cercueil de s o n prédécesseur a glissé dans u n e rainure et est sorti de l u i - m ê m e . A m e s u r e que le B r â h a t m a h poursuit ses prières m a g i q u e s , l'âme qu'il i n v o q u e agit du haut des C i e u x à travers sept l a m e s , o u plutôt sept c o n d u i t s métalliques qui, partant du cadavre e m b a u m é , se réunissent d e v a n t le P o n t i f e des M a g e s en d e u x tubes verticaux. L'un est d'or, l'autre est d'argent, et ils c o r r e s p o n d e n t , le p r e m i e r au Soleil, au Christ et à l ' A r c h a n g e M i c h a e l , le s e c o n d à la Lune, à M a h o m e t et à l ' A n g e Gabriel.
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE U n p e u plus loin du S o u v e r a i n Pontife s o n t placés d e v a n t lui ses b a g u e t t e s sacrées, puis d e u x o b j e t s s y m b o l i q u e s : l'un est u n e p o m m e de g r e n a d e en or, e m b l è m e du J u d é o - C h r i s t i a n i s m e , l'autre, un croissant d'argent, s y m b o l e de l ' I s l a m i s m e . C a r la prière dans l'Agarttha unit dans un m ê m e a m o u r et dans u n e m ê m e sagesse t o u s les C u l t e s qui préparent dans l ' H u m a n i t é les c o n d i t i o n s de s o n retour c y c l i q u e à la Loi d i v i n e de s o n o r g a n i s a t i o n . L o r s q u e le B r â h a t m a h fait cette prière p o u r l ' U n i o n , il p o s e la P o m m e de g r e n a d e sur le C r o i s s a n t , et i n v o q u e à la fois l ' A n g e solaire M i c h a e l et l ' A n g e lunaire Gabriel. A m e s u r e q u e l ' i n v o c a t i o n m y s t é r i e u s e du B r â h a t m a h se poursuit, les Puissances paraissent à sa v u e . Il sent et il e n t e n d l'âme qu'il appelle, attirée qu'elle est s p i r i t u e l l e m e n t par ses i n v o c a t i o n s , m a g i q u e m e n t par le c o r p s qu'elle a quitté et par s o n armature m é t a l l i q u e qui c o r r e s p o n d à l'échelle d i a t o n i q u e des sept C i e u x . A l o r s , dans la l a n g u e universelle d o n t j'ai parlé, s'établit u n c o l l o q u e t h é u r g i q u e entre le S o u v e r a i n Pontife é v o c a t e u r et les A n g e s qui portent j u s q u ' à lui, du haut des C i e u x , les r é p o n s e s faites à ses d e m a n d e s . Les s i g n e s sacrés d e s s i n e n t dans l'air les lettres a b s o l u e s du Verbe. Pendant q u e ces M y s t è r e s s ' a c c o m p l i s s e n t , p e n d a n t q u e la M u s i q u e des Sphères célestes se fait e n t e n d r e , u n p h é n o m è n e n o n m o i n s étrange, q u o i q u e s e m i - p h y s i q u e , s'élève du t o m b e a u . D u c o r p s e m b a u m é m o n t e l e n t e m e n t vers le B r â h a t m a h en prière u n e sorte de lave p a r f u m é e , p o u s s a n t d ' i n n o m b r a b l e s filaments et des arborescences étranges, semi-fluidiques, semi-tangibles. C'est le s i g n e q u e du sein de l'astre é l o i g n é qu'elle habite, l'âme du P o n t i f e p r é c é d e n t darde en plein, à travers la hiérarchie des C i e u x et de leurs Puissances célestes, les r a y o n s c o n c e n t r é s de t o u s ses s o u v e n i r s sur la c r y p t e sacrée o ù repose s o n c o r p s . » 14
14. «MISSION DE L'INDE», pages 171-180.
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Il est enfin un dernier point de ce chapitre que j e souhaite citer car il comporte des données étonnantes sur les rapports entre Orient et Occident, qui, près d'un siècle après, apparaissent animés d'un prophétisme pour le moins troublant. Saint Yves s'adresse aux européens pour les inviter à faire une alliance intellectueUe _aveç cette Asie qu'il vient de décrire ; ses « M I S S I O N S » étant bien entendu, « le moyen organique et pratique de cette Alliance ». Et il s'écrie : « Si vous ne faites pas la Synarchie, je vois, à un siècle d'échéance, votre civilisation judéo-chrétienne pour toujours éclipsée, votre suprématie brutale pour toujours matée par une renaissance incroyable de l'Asie tout entière, ressuscitée, debout, croyante, savante, armée de pied en cap, et accomplissant sans vous, à votre encontre, les Promesses sociales des Abramides, de Moïse, de JésusChrist et de tous les Kabbalistes judéo-chrétiens ' \ » Le chapitre III est, à certains égards, beaucoup plus politique au sens immédiat du terme. Saint Yves y commente l'affrontement en Asie des puissances Russe et Britannique. Il_s'adresse à l'Empereur de Russie : « Sire, soyez prudent en touchant à l'Afghanistan, ne vous avancez pas~sur le territoire de ces amphictyons sans prononcer l'antique mot d'ordre du règne de Dieu. » Il s'adresse aussi à la Reine d'Angleterre dans des termes comparables : « Une entente intellectuelle loyale avec le temple universitaire de l'Agartha est l'unique mesure qui puisse maintenir sous votre Sceptre les immenses populations de 15. «MISSION DE L'INDE», page 191.
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/ votre empire colonial indien (...) Osez Madame, amener votre entente entre votre Gouvernement et celui de la Russie. Osez, Madame, avec l'Empereur de ce grand pays, appeler à témoins de vos pacifiques efforts la civilisation européenne tout entière, et demandez ensemble au temple de l'Agarttha de s'ouvrir loyalement à vous en lui garantissant son indépendance . » 16
C'est donc bien à un équilibre synarchiste mondial que fait appel Saint Yves. Adressa-t-il effectivement ces lettres aux Souverains concernés ? Je ne sais, toujours est-il qu'à quelques années de là, en 1889, il leur adressera des poèmes très emphatiques dont l'un au moins fut connu de la Reine Victoria dans la traduction qu'en fit Lord Lytton ; nous y reviendrons. Saint Yves retrace une nouvelle fois ses vues sur l'autorité., spirituelle (franc-maçonnerie comprise) ; et il s'adresse aussi au Pape pour lui dédier les quatre « M I S S I O N S » déjà parues et pour protester de sa foi catholique. Il souhaite un renouveau dans le rôle du Souverain Pontificat dans la ligne de ce que disait déjà « MISSION
DES SOUVERAINS
»
:
« Ainsi la Synarchie peut s'accomplir ex cathedra, sous l'égide du Souverain Pontificat européen, redevenu accessible à tous les judéo-chrétiens sans exclusion de cultes, d'universités ou de peuples . » 17
Les 24 pages de conclusions ne sont qu'un nouveau commentaire sur les nécessaires convergences de toutes les autorités confessionnelles, intellectuelles et spirituelles. Le seul fait notable est un h o m m a g e à l'abbé Roca, qui d'après Saint Yves est alors en voie de constituer un ordre synarchiste parmi les prêtres. 16. «MISSION DE L'INDE», pages 233 et 237-238. 17. «MISSION DE L'INDE», page 281.
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J e l e c i t e car c e l a d o n n e la m e s u r e d e s e s i l l u s i o n s «Je connais de saints prêtres, qui m a r c h e n t dans cette v o i e du C h r i s t i a n i s m e synarchiste, d u C a t h o l i c i s m e u n i v e r saliste. Parmi e u x , j ' e n n o m m e r a i u n aussi r e m a r q u a b l e par sa Foi v i v a n t e q u e par sa c o n n a i s s a n c e de l'Esprit social de l ' E v a n g i l e et des Pères de l'Eglise. M i e u x inspiré q u e L a m e n n a i s , il reste prêtre c a t h o l i q u e r o m a i n ; et l'esprit i n d o m p t a b l e de Liberté, d'Egalité et de Fraternité des n a t i o n s qu'il p u i s e à pleins p o u m o n s dans les Ecritures saintes, ne le lance n é a n m o i n s dans a u c u n e a v e n t u r e p o l i t i q u e , ni dans aucun écart p e r s o n n e l . C ' e s t dans s o n p r o p r e culte et en s o n n o m q u e M . le c h a n o i n e R o c a , licencié ès-lettres, fondateur de l'école de S a i n t - L o u i s , de P e r p i g n a n , d e m a n d e l ' e x é c u t i o n synarchiste d e s P r o m e s s e s sociales du C h r i s t i a n i s m e . C e t t e t e n u e sacerdotale, à la limite des libertés civiles et d e la discipline hiérarchique de l'Eglise, est aussi savante q u e difficile; m a i s c'est u n fait décisif, et il faut dire à l ' h o n n e u r d e la papauté q u e , j u s q u ' à présent, nul i n d e x , nul b l â m e n'est v e n u arrêter dans sa m i s s i o n v o l o n t a i r e le saint et vaillant prêtre auquel j e rends h o m m a g e ici. Q u e ce dernier m e p e r m e t t e de f o r m u l e r u n v œ u . Q u ' i l tâche de réunir u n g r o u p e de sacerdotes de s o n é g l i s e et qu'ils aillent d e m a n d e r e n s e m b l e au Pape l u i - m ê m e l'autorisation et u n droit d ' e x i s t e n c e c o m m e O r d r e dans ce c o u r a n t d'idées s y n a r c h i q u e . U n pas i m m e n s e aura été fait vers le salut social, n o n s e u l e m e n t de n o t r e patrie, m a i s de la C h r é t i e n t é tout entière, d è s q u ' u n e pareille c o n s é c r a t i o n aura été accordée. A m a c o n n a i s s a n c e , M . l'abbé R o c a a r e p o u s s é , à d e u x reprises différentes, la m i t r e qui s'offrait à lui, c r o y a n t servir plus u t i l e m e n t par la liberté sa foi, s o n s a c e r d o c e et sa patrie . » , s
18. «MISSION DE L'INDE», pages 309-311.
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De ses illusions, ai-je dit, car à ce m o m e n t tout « marche très fort » apparemment pour Saint Yves : le Syndicat dans l'ordre économique; les démarches que j ' a i décrites dans l'ordre politique. Et voilà donc cet ordre de Sacerdotes. C e dernier, c o m m e le reste, échoua, et d'ailleurs Roca devait avoir les pires difficultés avec la hiérarchie ecclésiastique jusqu'à sa mort.
*
** Demeure donc l'épilogue de ce livre étrange : « Sarcasmes sur Sarcasmes, insultes sur insultes, calomnies sur calomnies. Je sais d'avance qui parlera et surtout qui fera parler. Pourquoi s'en étonner? Quel est l'homme qui a jamais apporté à l'Humanité une poignée de vérités quelconques sans en être récompensé par bien d'autres persécutions que celles qui ont atteint la Mission des Juifs et continueront de plus leur sarabande contre la Mission de l'Inde . » 19
Cela, au moins était lucide. Et pour tout dire, désabusé. C o m m e n t ne pas être déconcerté par un tel livre ? L'idée fixe de Saint Yves sur la S y n a r c h i e se manifeste avec acuité ; certaines tendances paranoïaques aussi ; il dit révéler les hauts secrets intiatiques, mais lui seul « initié spontané » les a découverts sans l'aide de quiconque. Et son livre, c o m m e il n'hésite pas à l'affirmer « Constitue en lui-même un coup d'Etat autrement important que tous ceux qu'aient jamais accomplis les hommes politiques, depuis que les destinées de l'Humanité leur sont livrées . » 20
19. «MISSION DE L'INDE», page 342. 20. «MISSION DE L'INDE», page 15.
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Folie pure ? ou alors quoi ? A vrai dire tout cela doit être situé par rapport aux différents fantasmes que les occidentaux, en particulier dans la période, ont élaboré à propos de la « Sagesse orientale ». C'est qu'à côté de l'orientalisme scientifique et souvent philologique, qui depuis 1822 caractérise la « Société Asiatique » fondée par Antoine Silvestre de Sacy s'est développé un autre orientalisme, de type blawatskien, et qui projette sur l'Orient, le désir d'une maîtrise spirituelle. Guenon dans son « T H É O S O P H I S M E » en a bien décrit quelques perversions ; mais dans son « Roi D U M O N D E » il affirme aussi et très précisément le fait qu'existe un « Centre initiatique suprême » qui est l ' A g a r t t h a ; et l'autre fait que l'Occident a r o m p u tout lien avec ce Centre. Et c'était bien ce lien que Saint Yves prétendait rétablir. Je cite Guenon car son propos est fondamental : « En Europe, tout lien établi consciemment avec le centre par le moyen d'organisations régulières est actuelle^, ment rompu, et il en est ainsi depuis déjà plusieurs siècles ; d'ailleurs, cette rupture ne s'est pas accomplie d^rï~sèul coup, mais en plusieurs phases successives. La première de ces phases remonte au début du_xiv' siècle; ce que nous avons déjà dit ailleurs des Ordres de chevalerie peut faire comprendre qu'un de leurs rôles principaux était d'assurer une communication entre l'Orient et l'Occident, communication dont il est possible de saisir la véritable portée si l'on remarque que le centre dont nous parlons ici a toujours été décrit, au moins en ce qui concerne les temps « historiques », comme situé du côté de l'Orient. Cependant, après la destruction de l'Ordre du Temple, le Rosicrucianisme, ou ce à quoi l'on devait donner ce nom par la suite, continua à assurer^ la même liaison, quoique d'une façon plus dissimulée. La Renaissance et la Réforme marquèrent une nouvelle phase critique, et enfin, d'après ce que semble indiquer Saint Yves, la rupture complète aurait coïncidé avec les traités de Westphaliè qui, en 1648, terminèrent la guerre de Trente Ans. Or il est remarquable que plusieurs auteurs
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aient affirmé précisément que, peu après la guerre de Trente Ans, les vrais Rose-Croix ont quitté l'Europe pour se retirer en Asie ; et nous rappellerons, à ce propos, que les Adeptes rosicruciens étaient au nombre de douze, comme les membres du cercle le plus intérieur de l'Agarttha, et conformément à la constitution commune à tant de centres spirituels formés à l'image de ce centre suprême. A partir de cette dernière époque, le dépôt de la connaissance initiatique effective n'est plus gardé réellement par aucune organisation occidentale ; aussi Swedenborg déclare-t-il que c'est désormais parmi les Sages du Thibet et de la Tartarie qu'il faut chercher la « Parole perdue » ; et, de son côté, Anne-Catherine Emmerich a la vision d'un lieu mystérieux qu'elle appelle la « Montagne des Prophètes », et qu'elle situe dans les mêmes régions. Ajoutons que c'est des informations fragmentaires que M"" Blavatsky put recueillir sur ce sujet, sans d'ailleurs en comprendre vraiment la signification, que naquit chez elle l'idée de la « GrandjLLoge Blanche », que nous pourrions appeler, non plus une image, mais tout simplement une caricature ou une parodie imaginaire de l'Agarttha . » 21
Il est évident que cette référence à la doctrine guénonienne n'est pas de nature, à elle seule, à clarifier de manière définitive la question de l ' A g a r t t h a , d'autant que Guenon se réfère implicitement à d'autres sources que celles de Saint Yves. Ainsi Guenon est-il pour une part tributaire des « révélations » de Saint Yves mais, d'un autre côté, il les récuse pour affirmer une doctrine plus rigoureuse, bien qu'allant dans le m ê m e sens. Toujours est-il que cela pose très directement la question de savoir ce que furent les sources de Saint Yves lorsqu'il écrivit la « M I S S I O N D E L ' I N D E » . C'est une question particulièrement complexe ; on a déjà évoqué les soi-disant « voyages en astral » mentionnés
21. René Guenon : « LE ROI nu MONDE », pp. 70-71.
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par Papus. Mais la question de savoir d'où Saint Yves a sorti son récit étonnant est plus complexe : — a-t-il été influencé par Louis Jacolliot (1837-1890), compilateur orientalisant et qui eut son heure de succès populaire ? — a-t-il reçu des visites d'orientaux qui lui ont révélé les étranges secrets, et qui étaient-ils ? — quels ont été les rapports de Saint Yves avec Lord Lytton, et sont-ils pour quelque chose dans ce récit ? Après quoi on examinera quelques prolongements de cette affaire à travers les assertions de Ferdinand Ossendowsky, René Guenon, Marco Pallis et quelques autres... Mais une première incidente s'impose. Il faut savoir en effet que ces différentes questions sont liées entre-elles, et qu'en particulier les différents pseudo-historiens, qui ces dernières années ont prétendu décrypter les arrière-plans du nazisme, n'hésitant pas à fabriquer ce que j ' a i appelé un « nazisme de rêve » ont absolument tout mélangé de manière quasi inextricable. Ainsi André Brissaud fait-il une large place à une prétendue « Société du Vril » inspirée de Jacolliot, et proche de la « Golden D a w n » elle-même dissidente de la « Societas Rosicruciana in Anglia »... mais par là liée à Bulwer Lytton, lui-même ami d'Eliphas Lévi ! Et cette « S O C I É T É D U V R I L » qui aurait inspiré aussi bien Saint Yves que Rudyard Kipling, Baden Powell, Drieu La Rochelle, aurait influencé aussi des nazis bien connus tels Karl Haushofer, et se trouverait plus ou moins à l'origine des travaux de la prétendue « Société T h u l é » . Brissaud, qui par ailleurs résume très cavalièrement certaines vues de Guenon, fait état du rôle que la légende d ' A g a r t t h a aurait j o u é chez les nazis, tout en ignorant « MISSION
DE
L'INDE
»
2
2
.
2 2 . André Brissaud: «HITLER ET L'ORDRE NOIR», Paris, 1 9 6 9 (Librairie Académique Perrin).
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O n retrouve c o m m e par hasard des assertions du m ê m e type chez Trevor Ravenscroft, auteur de « L A L A N C E D U D E S T I N » ouvrage particulièrement confus . Enfin, la palme de la confusion dans ce domaine où les candidats sont nombreux (et on ne peut les citer tous) peut être accordée à François Ribadeau Dumas, qui compile si maladroitement qu'Agharti devient chez lui un d é m o n ! Je pourrais allonger la liste de ces ouvrages prétendus ésotériques qui ont pour objet de décrire de prétendus arrière-plans de l'histoire, en faisant intervenir de prétendus « supérieurs inconnus » inspirés de doctrines diverses, astrologiques, turques, cathares, etc. La plupart sont de mauvaises compilations sans intérêt, mais faites pour allécher les gogos, et le reste est le fait de maniaques dont la folie, pour être douce, n'est pas moins perverse. En l'occurrence, j e ne mentionne ces productions que pour observer qu'elles empêchent, elles aussi, une saine appréciation de la question des sources de Saint Yves. S'il est vrai, par exemple, que ce dernier a puisé chez Jacolliot, le lecteur qui aura lu les élucubrations précitées sur ce dernier, risque de penser que Saint Yves est à sa manière un ancêtre d'Hitler ! O r beaucoup de choses sont discutables chez Saint Yves, sans doute, mais du moins n'a-t-il pas mérité pareil opprobre... Saint Yves a-t-il donc puisé chez Jacolliot ? Et qui était ce dernier ? ^ N é à Charolles en 1837, mort en 1890, il fut magistrat à Chandernagor et occupa diverses fonctions consulaires aux Indes. Revenu en France, il fut un auteur prolixe qui publia sous le titre d'« E T U D E S I N D I A N I S T E S » de très n o m b r e u x ouvrages de vulgarisation populaire sur l'Inde. Je renonce à 23
24
2 3 . Travor Ravenscroft: «LA LANCE DU DESTIN», Paris, 1 9 7 3 (Albin Michel). 2 4 . François Ribadeau Dumas : « HITLER ET LA SORCELLERIE », Paris, 1975 (Pion), p. 9 9 .
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les citer tous, mais autant donner quelques titres : « L A BIBLE D A N S L'INDE » LE
CHRIST»,
L'HUMANITÉ,
(1875),
(1868), «
«HISTOIRE FÉTICHISME,
«LE
SPIRITISME
LES FILS D E D I E U ,
DES
VIERGES»,
POLYTHÉISME
DANS
LE
L'INDE»...
«ROIS,
CASTES
ET PRÊTRES...
GENÈSE
MONOTHÉISME
M O N D E »
TRADITIONS EUROPÉENNES ET AFRICAINES »...
CHRESTNA
«LA
(1875),
« LA
FEMME
ET DE »
«LES DANS
»
Ayant sous les yeux divers catalogues, ceux de Marpon et Flammarion, c o m m e celui de la Bibliothèque Nationale, j e renonce à tout citer. Pourquoi ? Parce que je suis mal à l'aise devant un auteur que je ne parviens pas à prendre au sérieux (ce n'est pas le seul dans ce livre !) et parce que je n'ai ni le temps ni l'espace pour étudier son cas. Si je dis que son orientalisme est entièrement truqué, ce sera vrai mais il demeure que si « faisandé » soit-il, il aura été, sur le plan qu'on dit culturel, et pendant de longues années, une référence pour beaucoup, m ê m e lorsqu'il écrivit de nombreuses sottises. Le Christ, c o m m e Chrestna Krishna... bien, pourquoi pas ? L'anticléricalisme est parfois sympathique mais tout de m ê m e . . . Jacolliot ne l'avait vraiment pas scientifique. Guenon dit de lui, qu'il était « un écrivain fort peu sérieux... dont il n'est pas possible d'invoquer l'autorité», tout en ajoutant qu'il avait réellement entendu parler de ces choses au cours de son séjour dans l'Inde, « mais il les a arrangées, c o m m e tout le reste à sa manière éminemment fantaisiste » . Il avait d'ailleurs été précédé sur ce point par Paul Vulliaud qui n'hésitait pas à écrire que 25
« L'œuvre tout entière de cet écrivain est égale à zéro. Louis Jacolliot fut un sinistre plaisant . » 26
2 5 . René Guenon : « LE ROI DU MONDE ». page 7 . 2 6 . Paul Vulliaud : « SUR LE SYMBOLISME PHILOSOPHIQUE RELIGIEUX ET MAÇONNIQUE» in «LES ENTRETIENS IDÉALISTES», 2 5 janvier 1 9 1 1 ,
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A supposer donc que Saint Yves ait puisé chez Jacolliot, on peut se demander ce que valent ses sources... et de ce point de vue il me paraît indispensable de faire le lecteur j u g e du dossier. D e fait on trouve chez Jacolliot deux mots qui préfigurent la « M I S S I O N D E L ' I N D E » , en particulier dans « L E S F I L S D E D I E U » ; ces mots sont : — Brahmatma, mais employé isolement sans référence à la trilogie mise par Saint Yves au sommet de la hiérarchie spirituelle, — et Asgarttha, proche d'Agartha et qui désigne une cité. C o m m e l'ouvrage est peu accessible, je crois indispensable de mettre sous les yeux du lecteur les pages où ils apparaissent le plus complètement : « Le brahmatma (en samscrit, la grande âme), dont nous avons déjà eu l'occasion de parler, fut le chef religieux placé par les brahmes à leur tête, comme une manifestation visible et permanente de Dieu sur la terre. Selon la légende, le brahmatma sortit du cerveau de Brahma, et reçut de lui le pouvoir de créer les prêtres. Suivant des annales authentiques, basées sur la chronologie astronomique, on pourrait remonter de brahmatma en brahmatma jusqu'à vingt-cinq mille ans environ, au-delà de notre ère. Sans qu'il nous soit possible de rien affirmer à cet égard, — on conçoit que nous ne puissions à nous seuls, traduire toute l'histoire brahmanique, — nous pouvons dire qu'une pareille antiquité nous paraît d'autant moins invraisemblable, que nous avons pu nous-mêmes fixer, et cela d'une manière certaine l'élection de Yati-Richi à ce poste suprême, à l'année treize mille trois cents avant Jésus-Christ. Autorité sans bornes, sans contrôle au spirituel comme au temporel
T o m e IX, N" L II, page 39. Il s'agit d'un compte rendu très complet du livre de Marc Saunier : « LA LÉCENDE DES SYMBOLES. »
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pendant toute la période qui nous occupe, ce souverain religieux, ne perdit plus tard, à l'avènement des rois, son pouvoir temporel, que pour voir croître encore, si cela eut été possible son prestige spirituel. On peut dire que, s'il n'exerça plus la souveraineté directement, il n'en fut pas moins le maître le plus absolu en toutes matières, puisque les rois ne furent que des esclaves, qu'il avait le droit de déposséder suivant son bon plaisir. Il était impossible de résister aux manifestations même les plus insensées de son autorité, du moment où il ne pouvait faire un geste ou prononcer une parole qui ne fussent immédiatement attribués à Dieu lui-même. L'histoire des temps primitifs de l'Inde, est pleine de récits curieux sur les mortifications, austérités et punitions, imposées par les brahmatmas aux rois qui avaient eu quelques velléités de reconquérir leur indépendance. Et cependant, comme nous le verrons par la suite, ce fut par des révoltes d'aryas contre l'autorité brahmanique, que la royauté s'établit dans l'Inde... Mais, comme il arrive toujours en ces circonstances, prêtres et rois ne se tinrent pas rancune longtemps, et le peuple paya la réconciliation par un surcroît de corvées et d'impôts somptuaires... et le prestige religieux aidant, les rois ne tardèrent pas à retomber sous le joug qu'ils avaient secoué... les prêtres n'en furent que plus puissants, n'ayant plus à prendre aux yeux du peuple, la responsabilité des mesures arbitraires qu'ils faisaient endosser par leurs esclaves couronnés. Le brahmatma vivait invisible, au milieu de ses femmes et de ses favoris dans son immense palais ; ses ordres aux prêtres, aux gouverneurs de province, aux brahmes et aux aryas de tous ordres, étaient portés par des messagers qui avaient aux bras des bracelets d'argent ciselés à ses armes, et qui lui rendaient compte de l'exécution. Lorsque ces officiers du brahmatma passaient dans les villes, dans les aidées, et dans les campagnes, montés sur leurs monstrueux éléphants blancs, couverts de tentures de soie et carapaçonnés d'or, précédés de nombreux coureurs qui annonçaient leur présence par le cri sacré : ahovata ! ahovata!... les populations s'agenouillaient sur le bord des
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routes et des rizières, ne relevant la tête que quand le cortège avait disparu. Les brahmes avaient le droit de rester debout, ils devaient seulement, lorsque passait devant eux l'éléphant consacré, qui portait au front les armes du brahmatma sculptées en or, porter la main sur leur tête et sur les lèvres en signe de respect. Lorsque le brahmatma lui-même sortait, il ne pouvait le faire que dans un haoudah fermé à tous les regards par des rideaux tissés de cachemire, de soie et d'or, porté par l'éléphant blanc consacré à sa personne, que nul autre que lui n'avait monté, et qui ployait littéralement sous l'or massif, les tapis du Nepaul, les pierreries et les perles fines. La trompe de l'animal était ornée de plusieurs bracelets, merveille de patience et d'orfèvrerie, à ses grosses oreilles pendaient d'énormes diamants d'une valeur inappréciable, et quant au haoudah, il était en bois de santal incrusté d'or. Le service du palais de ce représentant de Dieu sur la terre dépassait tout ce qu'il serait possible à l'imagination la plus féconde de rêver, et les descriptions que les brahmes ont laissées du palais d'Asgartha laissent bien loin derrière elles les merveilles de Thèbes, de Memphis, de Ninive et de Babylone, qui n'étaient du reste qu'un écho affaibli de celles de leurs ancêtres Indous. Une fois par an le brahmatma se laissait voir au peuple, il faisait à pied le tour de la pagode de la ville d'Asgartha où il résidait, suivant l'arche colossale sur laquelle étaient gravés les principaux signes mystérieux du culte, accompagné par les danses des devadassi, vierges chargées de la garde du feu sacré dans le temple. A sa mort, son corps était brûlé sur un trépied d'or, ses cendres jetées dans le fleuve sacré, c'est-à-dire dans le Gange, et les prêtres accréditaient dans le menu peuple le bruit qu'il avait disparu au milieu de la fumée des sacrifices pour aller s'absorber dans le sein de Brahma. Avant de mourir, le brahmatma désignait aux prêtres celui d'entre eux qui lui paraissait le plus digne de lui succéder.
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Telle est, à grands traits, la figure de ce chef religieux, sur la tête duquel les brahmes avaient fait reposer tout leur système, et que, dans notre désir de donner un ensemble de cette société sacerdotale, que toutes les autres ont copiée à l'envi, nous prenons à peine le temps d'esquisser. Chacun de nos chapitres donnerait aisément plusieurs volumes de recherches et d'études, le lecteur nous saura gré des efforts que nous faisons pour condenser la matière et lui donner en un seul, une idée générale, une vue rapide, mais juste, de cette vieille société et des emprunts qui lui ont été faits. Ainsi le brahmatma, dans la religion brahmanique, était la clef de voûte religieuse et civile de l'édifice. Représentant de Dieu sur la terre, chef visible et infaillible de l'Eglise, tout droit émanait de lui, toute solution de sa part était sans appel, chaque brahme était son délégué, et les princes du temporel ses serviteurs... N'est-ce point cette situation que l'Eglise romaine a tentée au Moyen Age de conquérir pour son pape ? » 27
O n le voit, tout cela n'est pas sans confusion, et s'il y a un petit air de proximité avec Saint Yves, on ne peut dire que ce soit la source de ce dernier. Toutefois il est vrai que les deux mots reviennent souvent dans l'œuvre de Jacolliot, ainsi que l'atteste encore l'exemple suivant où ils sont employés conjointement avec celui de Ram. « Rama, artaxehatria d'Asgartha, prince jeune et énergique, qui ne demandait qu'à s'illustrer dans la guerre, et ne supportait qu'avec impatience le joug des brahmes, saisit avec empressement l'occasion qui lui était offerte, et partit avec tous les aryas à la conquête de Ceylan. Cette guerre lointaine dura près de vingt années; lorsque Rama revint à Asgartha, après avoir soumis la grande île, et tué Ravana de sa propre main, vieilli par les 27. Louis Jacolliot : « LES FILS DE DIEU », pages 263-266.
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combats et les fatigues sans nombre qu'il avait supportées, il n'aspirait plus qu'au repos ; il fut jusqu'à la fin de sa vie l'esclave docile des brahmes, qui naguère redoutaient son audace ; sous aucun règne les brahmatmas ne furent plus puissants. » Encore une fois, il y a bien une vague parenté entre ces textes de Jacolliot et ceux de Saint Yves, mais pourtant on ne saurait affirmer que c'est là que ce dernier a trouvé les éléments de sa « M I S S I O N D E L ' I N D E » qui comporte beaucoup d'autres choses sans équivalent chez l'auteur des « FILS D E D I E U
».
A ce point il nous faut examiner une éventuelle troisième source de la « M I S S I O N D E L ' I N D E » ; je rappelle que la première consistait en « Voyages en astral » ; la seconde consiste dans les emprunts à Jacolliot ; la troisième serait venue de relations avec des « orientaux » qui auraient visité Saint Yves après la publication de « M I S S I O N D E S J U I F S » . Sur ce point aussi on est en pleine énigme. O n a déjà cité le témoignage de Papus, publié et non démenti du vivant de Saint Yves. Après la mort de son «maître», Barlet ne sera pas moins affirmatif : « En 1 8 9 4 , la lecture de « MISSION DES JUIFS » parvenue jusqu'aux retraites ies plus cacT^esj e JMrj de lui valnr la vjgite ' spontanée d'un Guru Pandit_qui demeura auprès de lui plusieurs mois et compléta ses connaissances déjà si vastes par la révélation des mystères initiatiques de l'Inde . » 28
Et c'est à cette visite que Barlet attribue l'écriture de « MISSION
DE L'INDE
».
Cela est intéressant, mais parfaitement contradictoire avec le fait certain que « M I S S I O N D E L ' I N D E » ait été écrit en 1886. 28. Barlet. p. 31. Il réitère ces assertions p. 85.
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O r , à ce point, je voudrai rappeler que le témoignage de Papus fait état d'une initiation de Saint Yves par « deux des plus grands dignitaires de l'Eglise Brahmanique », ce qui permet de supposer que deux rencontres aient eu lieu, l'une avant 1886, l'autre en 1894. U n autre témoignage, paru du vivant de Saint Yves, apporte quelques éléments supplémentaires ; il s'agit de celui, ironique, de Jules Bois : « Quoique se prétendant bon chrétien, M. Saint Yves I s'est créé la meilleure partie de son prestige grâce à la prétendue initiation qu'il aurait reçue d'un brahmane. Celui-ci, que la révolte des Cipayes avait chassé de son pays, s'était fait au Havre marchand d'oiseaux et professeur de langues orientales ; il donna en effet quelques leçons d'hébreu à l'excellent marquis. Mais il fut bientôt dégoûté des interprétations spiritiques et fantastiques que ce cerveau gracieux mais fêlé donnait à ses leçons. J'ai vu des lettre_S-du professeur où il appelle j o j i chsciple^^rop imaginatif « le Charlatan ». Ce brahmane, qui était un érudit et un philosophe, répudiait le mysticisme enfantin de Saint Yves, et avait sur l'âme et le monde la conception panthéistique et moniste qui fait le fond de l'Hindouisme et n'est en quelque sorte que la métaphysique de notre matérialisme européen. Saint Yves raconte que le brahmane le menaça du poignard des initiés et des foudres occultes s'il laissait paraître unlivre imprimé déjà et où les enseignements secrets étaient révélés. La vérité est moins extraordinaire. Le brahmane était Jxmt simplement décidé à intenter un procès contre SaintJYyes, car il ne voulait point qu'on pût attribuer à la sagesse orientale, qui a pourtant bon dos, les billevesées que l'occultiste mettait sur son compte. La peur du papier timbré réduisit, dit-on, Saint Yves au silence, et le volume, sous presse déjà, fut décomposé . » 29
29. Jules Bois : « LE MONDE INVISIBLE », Paris s.d. (Ernest Flammarion) (la préface de Sully Prudhomme est datée du 2 avril 1902).
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Le témoignage est évidemment méchant ; mais il concerne bien la « M I S S I O N D E L ' I N D E » . La difficulté est maintenant d'identifier ces orientaux. L'édition de la « M I S S I O N D E L ' I N D E » par les amis de Saint Yves en 1910 a apporté quelques éléments, difficilement exploitables il est vrai, sous forme de documents annexes : 1) U n e lettre d'un certain Général de Division, F. D u m o n t , en date du 8 janvier 1886, est adressée à « M o n seigneur Hardjij Scharipf, Brahm Gourou Pandit», dans laquelle le Général se félicite d'avoir mis l'intéressé en relation avec « notre cher Marquis de Saint Yves et l'Ange qui sait si bien l'inspirer et le soutenir » ; la lettre étant du 8 janvier 1886, on peut déduire que la rencontre était intervenue en 1885. 2) U n portrait du même Hardjij Scharipf, non reproduit dans la réédition D o r b o n de 1949. 3) Le fac similé d'une lettre de vœux adressée à Saint Yves par le m ê m e Hardjij Scharipf le 24 décembre 1887 (Il signe Hardjij Scharipf Bagwandan — se dit né à B o m b a y le 25 décembre 1838 et est alors domicilié au 108, rue Pierre Corneille à Levallois Perret). Ce personnage est-il celui dont parle Jules Bois? C'est bien probable, mais il faut dire que le ton de la lettre de décembre 1887 à Saint Yves ne correspond nullement à celui d'un h o m m e qui aurait eu un grave litige avec son correspondant. Dans « L E R O I D U M O N D E » paru en 1927 (mais qui doit être comparé avec une autre étude de Guenon à propos de « B Ê T E S , H O M M E S E T D I E U X » d'Ossendowsky que publièrent en 1925 « L E S C A H I E R S D U M O I S » sous le titre « L E S A P P E L S D E L ' O R I E N T » car la comparaison est surprenante!), René Guénon affirme « novjs_sayons que celui-ci [Saint Yves] fut en relations jiyeciiiejix hindous au mojrisj» ; quelques articles 30
3 0 . « LES CAHIERS DU MOIS 9/10 — LES APPELS DE L'ORIENT», Paris, 1 9 2 5 (Emile Paul Frères, éditeurs).
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de la revue « L E V O I L E D ' I S I S — L T U D E S L R A D I I I O N N L L L L S » revinrent par la suite sur cette question (en 1935 et 1936 notamment). L'essentiel en a été synthétisé dans la Préface non signée de l'Edition 1948 de la « M I S S I O N D E S S O U V E R A I N S » par celui qui sous le n o m de «Jean Reyor » apparaissait comme un commentateur autorisé de la pensée de René Guenon. « Il semble bien, dit-il, que Saint Yves soit entré en relation dès 1885, avec non pas un Hindou mais un Afghan, le « prince » Hardjij Scharipf qui fut sans doute pour une bonne part dansTa~comp~ösitiöh de cet ouvrage [la « MISSION DE L'INDE»]. Plus tara\_à_une date que nous ne saurions d'ailleurs jrrécjser, Sajrit^Yyes Tuf en contact avec un Hindou, beaucoup plus «sérieux», croyons nous, que Hardjij Scharipf et qui était onginairë~3e l'Inde du Nord. Ce sont probablement les informations, d'ailleurs fragmentaires, reçues de cette source, qui sont à l'origine des travaux de Saint Yves sur l'Archéomètre, travaux qui, demeures a l'état embryonnaire ont été publiés en volume portant ce titre, après la mort de l'auteur. » Rendant compte de la réédition de la « M I S S I O N D E S en juillet août 1949, René Guenon approuva entièrement cette préface et la chose vaut d'être notée. Il faut souligner enfin, pour être complet, un dernier témoignage, celui de Paul Chacornac qui évoque dans sa « V I E S I M P L E D E R E N É G U E N O N » le cas de deux occidentaux avec qui des hindous étaient entrés en contact : 3aiht Yves d'Alveydre et Y von le Loujp^ (« SédiF»). ~~~ A propos du premier il écrit SOUVERAINS»,
« Il semble que ses informateurs hindous (et nous ne pensons pas à l'Afghan Hardjij Scharipf) furent découragés par ses préoccupations sociales et par son obstination à considérer les enseignements qu'on lui transmettait non pas comme un enseignement traditionnel qu'on doit recevoir et
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s'assimiler mais comme des éléments destinés à s'intégrer dans un système personnel . » 31
Tel est, à quelques détails près, l'état actuel de la question considérée du point de vue des choses déjà rendues publiques ; l'insatisfaction du chercheur est aisée à concevoir, mais cette question des relations hindous de Saint Yves est assurément le cas d'application le plus caractéristique de la remarque de Guenon, que j ' a i citée à dessein précédemment, relative aux « dessous politico religieux de l'occultisme contemporain». Peut-être sera-t-il possible, un j o u r prochain, d'en dire davantage sur ce point. Mais, c o m m e disait Kipling... « that's another story ».
Après avoir étudié ce livre, ses sources, et aussi mentionné quelques usages abusifs auxquels il a donné lieu, il est encore indispensable d'évoquer quelques-uns de ses prolongements parmi les ésotéristes. La question de l ' A g a r t h a devait en effet rebondir publiquement avec l'édition française en 1 9 2 4 , de « B Ê T E S H O M M E S E T D I E U X » par Ferdinand O s s e n d o w s k i . Ingénieur et journaliste russo-polonais (qui avait aussi étudié à la Sorbonne vers 1 8 9 9 - 1 9 0 0 ) , président du gouvernement révolutionnaire et séparatiste de Sibérie en 1 9 0 5 , puis opposé aux Soviets, Ossendowski faisait le récit de sa fuite à travers la Mongolie. Véritable roman d'aventures qui 32
31. P. Chacornac : « LA VIE SIMPLE DE RENÉ GUENON », Paris, 1958 (les éditions traditionnelles), p. 40. 3 2 . Ferdinand Ossendowski : «BÊTES HOMMES ET DIEUX». Introduction par Lewis Stanton Palen. Traduit par Robert Renard, Paris, 1 9 2 4 (Librairie Pion).
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évoque longuement l'étrange baron Ungern Sternberg ; son livre décrit aussi «le Mystère des Mystères», le Roi du Monde. Le Royaume d'Agharti, le Brahytma, le Mahytma, le Mahynga sont décrits dans des termes proches de ceux de Saint Yves, ainsi qu'est mentionné le « Vatannan », langage de l'Etat souterrain du « Roi du M o n d e ». D'ailleurs plusieurs passages paraissent directement issus des descriptions de Saint Yves, tels que les suivants : C'est pendant mon voyage en Asie centrale que je connus pour la première fois le mystère des mystères, que je ne puis appeler autrement. Au début je n'y attachais pas beaucoup d'attention, mais je m'aperçus par la suite de son importance quand j'eus analysé et comparé certains témoignages sporadiques et souvent sujets à controverse. Les vieillards des rives de l'Amyl me racontèrent une ancienne légende selon laquelle une tribu mongole, en cherchant à échapper aux exigences de Gengis-Khan, se cacha dans une contrée souterraine. Plus tard un Soyote des environs du lac de N o g a n Kul me montra, dégageant un nuage de fumée, la porte qui sert d'entrée au royaume d'Agharti. C'est par cette porte qu'un chasseur, autrefois, pénétra dans le royaume et, après son retour, commença à raconter ce qu'il y avait vu. Les lamas lui coupèrent la langue pour l'empêcher de parler du mystère des mystères. Dans sa vieillesse il revint à l'entrée de la caverne et disparut dans le royaume souterrain, dont le souvenir avait orné et réjoui son cœur de nomade. J'obtins des renseignements plus détaillés de la bouche du houtouktou Jelyl-Djamsrap de Narabanchi Kure. Il me raconta l'histoire de l'arrivée du puissant Roi du monde à sa sortie du royaume souterrain son apparition, ses miracles et ses prophéties ; c'est alors seulement que je commançai à comprendre que dans cette légende, cette hypnose, cette vision collective, de quelque façon qu'on l'interprète, se cachait non seulement un mystère mais une force réelle et souveraine, capable d'influer sur le cours de la
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v i e p o l i t i q u e de l'Asie. A partir de ce m o m e n t , j e c o m m e n ç a i m e s recherches. Le lama G e l o n g , favori d u prince C h o u l t o u n - B e y l i , et le prince l u i - m ê m e , m e firent la description d u r o y a u m e souterrain. — D a n s le m o n d e , dit le G e l o n g , tout est c o n s t a m m e n t en état de transition et de c h a n g e m e n t , les peuples, les religions, les lois et les c o u t u m e s . C o m b i e n de grands e m p i r e s et de brillantes cultures o n t p é r i ! Et cela seul qui reste i n c h a n g é , c'est le mal, l'instrument des m a u v a i s esprits. Il y a plus de six mille ans, un saint h o m m e disparut avec t o u t e u n e tribu dans l'intérieur d u sol et n'a j a m a i s reparu sur la surface de la terre. B e a u c o u p de g e n s c e p e n d a n t o n t depuis visité ce r o y a u m e , Ç a k y a M o u n i , U n d u r G e g h e n , Paspa, Baber et d'autres. N u l ne sait o ù se t r o u v e cet endroit. L'un dit l'Afghanistan, d'autres disent l'Inde. T o u s les h o m m e s de cette religion s o n t p r o t é g é s contre le mal et le c r i m e n'existe pas à l'intérieur de ses frontières. La science s'y est d é v e l o p p é e dans la tranquillité, rien n'y est m e n a c é de destruction. Le peupje souterrain a atteint Je^pJjasJiaujLsAYJ^- M a i n t e n a n t c'est u n grand r o y a u m e , c o m p t a n t des m i l l i o n s de sujets sur lesquels r è g n e le R o i d u M o n d e . Il connaît toutes les forces de la nature, lit dans toutes les â m e s h u m a i n e s et dans le grand livre de la destinée. Invisible, il r è g n e sur huit cent m i l l i o n s d ' h o m m e s , qui s o n t prêts à e x é c u t e r t o u s ses ordres.
Le prince Choultoun Beyli ajouta : c e royaume est Agharti. Il s'étend à travers tous les passages souterrains du M o n d e entier. J'ai entendu un savant l^rnâ crïïfïois dire au Bogdo-Khan que toutes les cavernes souterraines de l'Amérique sont habitées p a r le peuple ancien qui disparut sous terre. O n retrouve encore d e leurs traces à la surface d u pays. Ces peuples et ces espaces souterrains sont gouvernés par des chefs qui reconnaissent la souveraineté du Roi du M o n d e . Il n'y a pas en cela grand'chose d e merveilleux. Vous savez que dans les deux plus grands océans d e l'Est et de l'Ouest se trouvaient autrefois deux continents. Ils disparurent sous les eaux, mais leurs habitants passèrent dans le royaume souterrain. Les cavernes r^rofondes sont éclairées d ' u n e lumière particulière qui permet la croissance
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des céréales et des végétaux et donne au peuple une longue vie sans maladie. Là existent de n o m b r e u x peuples, de nombreuses tribus. U n vieux brahmane bouddhiste du Népal accomplissait la volonté des dieux en faisant une visite à l'ancien royaume de Gengis, le Siam, quand il rencontra un pêcheur qui lui ordonna de prendre place dans sa barque et de voguer avec lui sur la mer. Le troisième j o u r ils atteignirent une île où vivait une race d ' h o m m e s ayant deux langues qui pouvaient parler séparément des langages différents. Ils lui montrèrent des animaux curieux, des tortues ayant seize pattes et un seul œil, d'énormes serpents dont la chair était savoureuse, des oiseaux ayant des dents qui attrapaient du poisson pour leurs maîtres en mer. Ces gens lui dirent qu'ils étaient venus du royaume souterrain et lui en décrivirent certaines régions. (...) Les saints panditas étudient le monde et ses forces. Quelquefois les plus savants d'entre eux se rassemblent et envoient des délégués à l'endroit où les yeux humains n'ont jamais pénétré. Ceci est décrit par le Tashi-Lama qui vivait il y a huit cent cinquante ans. Les plus hauts panditas, une main sur les yeux et l'autre à la base du cerveau de prêtres plus jeunes, les endorment profondément, lavent leurs corps avec une infusion de plantes, les immunisent contre la douleur, les rendent aussi durs que la pierre, les enveloppent dans des bandelettes magiques, puis se mettent à prier le Dieu-puissant. Les jeunes hommes pétrifiés, couchés, les yeux ouverts et les oreilles attentives, voient, entendent et se rappellent tout. Ensuite un Goro s'approche et fixe sur eux un long regard. Lentement les corps se soulèvent de terre et disparaissent. Le Goro reste assis, les yeux fixés sur l'endroit où il les a envoyés. Des fils invisibles les retiennent à sa volonté, quelques-uns d'entre eux voyagent parmi les étoiles, en observent les événements, les peuples inconnus, la vie et les lois. Ils y écoutent les conversations, lisent les livres, connaissent les fortunes et les misères, la sainteté et les péchés, la piété et le vice. Beaucoup de détails paraissent directement inspirés de », c o m m e le passage suivant, le dernier que j e citerai : «
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« — E h bien ! é c o u t e z , ajouta-t-il , toute l'année le R o i d u M o n d e guida la tâche des panditas et des g o r o s d'Agharti. S e u l e m e n t , par m o m e n t s , il se rend dans la c a v e r n e du t e m p l e o ù repose le corps e m b a u m é de s o n prédécesseur dans un cercueil de pierre noire. C e t t e caverne est toujours s o m b r e , m a i s quand le R o i du M o n d e y pénètre, les m u r s s o n t rayés de feu et du c o u v e r c l e du cercueil m o n t e n t des l a n g u e s de flammes. Le d o y e n des g o r o s se tient d e v a n t lui, la tête et le v i s a g e r e c o u v e r t s , les m a i n s j o i n t e s sur la poitrine. Le g o r o n'enlève j a m a i s le v o i l e d e s o n v i s a g e , car sa tête est u n crâne n u , avec des y e u x v i v a n t s et u n e l a n g u e qui parle. Il c o m m u n i e avec les â m e s de c e u x qui s'en s o n t allés. Le R o i du M o n d e parle l o n g t e m p s , puis s'approche du cercueil, en étendant la m a i n . Les flammes brillent plus éclatantes ; les raies de feu sur les m u r s s'éteignent et reparaissent, s'entrelaçant, f o r m a n t des s i g n e s m y s t é r i e u x de l'alphabet vatarinan. D u cercueil c o m m e n c e n t à sortir des banderoles transparentes de l u m i è r e à peine visibles. C e s o n t les pensées de s o n prédécesseur. B i e n t ô t le R o i du M o n d e est e n t o u r é d'une auréole de cette l u m i è r e et les lettres de feu é c r i v e n t , écrivent sans cesse sur les parois les désirs et les ordres de D i e u . A ce m o m e n t le R o i du M o n d e est en rapport avec les p e n s é e s de tous c e u x qui dirigent la destinée d e l ' h u m a n i t é : les rois, les tsars, les khans, les chefs guerriers, les grands-prêtres, les savants, les h o m m e s puissants. Il connaît leurs i n t e n t i o n s et leurs idées. Si elles plaisent à D i e u , le R o i d u M o n d e les favorisera de s o n aide invisible ; si elles déplaisent à D i e u , le R o i p r o v o q u e r a leur é c h e c . C e p o u v o i r est d o n n é à A g h a r t i par la science m y s t é r i e u s e d ' O m , m o t par lequel n o u s c o m m e n ç o n s t o u t e s n o s prières. « O m » est le n o m d'un ancien saint, le p r e m i e r des G o r o s , qui v é c u t il y a trois cent m i l l e ans. Il fut le p r e m i e r h o m m e à connaître D i e u , le premier qui e n s e i g n a à l ' h u m a n i t é à croire, à espérer, à lutter avec le mal. A l o r s D i e u lui d o n n a tout p o u v o i r sur les forces qui g o u v e r n e n t le m o n d e visible. A p r è s sa c o n v e r s a t i o n avec s o n prédécesseur, le R o i d u M o n d e a s s e m b l e le grand C o n s e i l de D i e u , j u g e les actions
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et les pensées des grands h o m m e s , les aide o u les abat. M a h y t m a et M a h y n g a t r o u v e n t la place de ces actions et de ces pensées parmi les causes qui g o u v e r n e n t le m o n d e . E n s u i t e le R o i du M o n d e entre dans le grand t e m p l e et prie dans la solitude. Le feu apparaît sur l'autel, s'étendant petit à petit à t o u s les autels p r o c h e s , et à travers la flamme ardente apparaît p e u à p e u le v i s a g e de D i e u . Le R o i d u M o n d e a n n o n c e r e s p e c t u e u s e m e n t à D i e u les d é c i s i o n s du C o n s e i l et reçoit en é c h a n g e les ordres divins d u Tout-Puissant. Quand il sort du t e m p l e , le R o i du M o n d e r a y o n n e de la l u m i è r e divine. »
En fait, il y a bien quelques variantes souvent orthographiques, mais pour l'essentiel, les ressemblances sont frappantes. D'où une question simple : Ossendowski a-t-il plagié Saint Yves ? ou bien a-t-il recueilli d'une autre source des informations identiques ? Sur le premier terme de l'alternative on peut aligner les présomptions : Ossendowski a vécu en France, il a pu rencontrer des occultistes à Paris, mais aussi en Russie et en Pologne ; ne parle-t-il pas de l'occultisme qui faisait rage à Saint-Pétersbourg ? Polonais lui-même, il a pu connaître m ê m e des proches de Saint Yves, ainsi que « L A M I S S I O N D E L ' I N D E » parue en 1910. T o u t cela est assurément bien possible, mais rien n'est absolument établi. D'ailleurs de n o m b r e u x articles furent consacrés à cette affaire notamment par Georges Le Cardonnel, Sven Hedin, Georges Montandon, Paul le Cour, Guenon, Jacques Maritain, René Grousset e t c . . . . 33
33. Cf. « LES NOUVELLES LITTÉRAIRES », 26 juillet 1924 — « LE SALUT QUI VIENT DE L'ORIENT ? UNE HEURE AVEC FERDINAND OSSENDOWSKI, GUENON, MARITAIN, GROUSSET, RENARD». Guenon y affirma que « L'idée du Roi du Monde remonte en Asie à un haute antiquité et elle a toujours eu un rôle important dans la tradition hindoue et Shivaïte qui forme le fond du bouddhisme thibétain » LE JOURNAL, 29 septembre 1924, Georges le Cardonnel : « LA DÉFENSE DE L'OCCIDENT. »
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Les « C A H I E R S D U M O I S » qui en février/mars 1925 consacrèrent à cette question un fort et passionnant volume de 396 pages ne contiennent pas moins de cinq articles faisant référence au récit d ' O s s e n d o w s k i . Dans l'un de ceux-ci, Guenon, qui le reprendra par la suite dans son « Roi D U M O N D E », écrit une phrase qu'on ne retrouvera pas dans son livre, et c'est pourquoi j'appelle l'attention sur elle. Ayant rappelé tous les rapprochements faits entre Saint Yves et Ossendowski, il écrit : 34
« On peut évidemment discuter sur la portée qu'il convient d'attribuer à tous ces rapprochements ; mais nous ne pensons pas qu'ils soient suffisants pour permettre une conclusion défavorable à M. Ossendowski. En tout cas, celui-ci nous_a affirmé à nous-mêmes qu'il 'ayjj^jj.r iii l Saint Yves dont le nom même lui était inconnu avant la n
n
s
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« LE JOURNAL LITTÉRAIRE », 22 novembre 1924, article de Sven Hedin et Georges Montandon. « MERCURE DE FRANCE », 1" décembre 1924. Paul le Cour : « LE ROI DU MONDE ET LES MYSTÈRES DE L'AGHARTI», e t c . . Les organes anti occultistes et en particulier « LA REVUE INTERNATIONALE DES SOCIÉTÉS SECRÈTES » revinrent fréquemment sur la question plus tard, en vue de démontrer que le « Roi du Monde » n'est que le « Prince de ce Monde», c'est-à-dire Satan. Par exemple «RISS» Partie occultiste, 1" juin 1931, sous la signature de G. Mariani. Mais cela est une autre et curieuse histoire. 34. «LES CAHIERS DU MOIS», cf. note 30 Voir en particulier — p. 200 article de François Berge : « TRADITIONALISTES ET SYMBOLISTES » — p. 206 René Guenon : « L E ROI DU MONDE» (novembre 1924) — p. 277 Réponse de René Guenon à l'enquête — p. 357 Robert Renard : « FERDINAND OSSENDOWSKY ET LE PÉRIL ORIENTAL » — p. 360 Paul Le Cour : « LE PROBLÈME DE L'ORIENT ET DE L'OCCIDENT ENVISAGÉ PAR SAINT YVES D'ALVEYDRE. »
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traduction française de son livre ; et nous n'avons quant à nous~auciinë~Taison déTiîêttre en~3oute sa sincérité . » 35
Ce qui revient à dire que Guenon ne croit absolument pas qu'Ossendowski ait plagié Saint Yves ; en particulier il explique la variante orthographique (Agharti au lieu d'Agartta par exemple) par le fait que Saint Yves aurait obtenu de source hindoue — et il affirme lui aussi qu'il fut en relation avec deux hindous au moins — des informations qu'Ossendowski a obtenues de source mongole. Les choses auraient pu en rester là... sur un plan littéraire en quelque sorte : Ossendowski a-t-il plagié Saint Yves qui lui aurait plagié Jacolliot, qui lui...? Sauf que l'intervention de Guenon, avec son maître livre, « L E R O I D U M O N D E » a donné une autre dimension à la question. U n rebondissement intéressant — encore que limité à quelques spécialistes, il est vrai — intervint avec certains écrits de Marco Pallis, spécialiste du Thibet, qui dans un article paru en 1 9 7 6 dans une revue iranienne apporta des éléments curieux sur « L E S S O U R C E S D ' O S S E N D O W S K I » . M . Pallis raconte dans quelles circonstances il rencontra un lama mongol très vénéré, Tilopa Hutukhtu, qui avait séjourné au Monastère de Narobanchin à l'époque où Ossendowsky y avait été reçu. Pallis rapporte l'avis de plusieurs sanscritistes pour qui les termes d'Agarttha, de Vattan et quelques autres e m ployés par Ossendowski et Saint Yves sont entièrement 3 6
3 5 . René Guenon : « LES CAHIERS DU MOIS », page 2 1 0 . Cette phrase est remplacée dans l'Edition Gallimard 1 9 5 8 , p. 9 par la phrase du § 2 commençant par « N o u s avons tenu à signaler «jusqu'à « D'un autre côté, si M. Ossendowski », la suite sans changement. 3 6 . Marco Pallis : « LES SOURCES D'OSSENDOWSKY » in SOPHIA PÉRENNIS. The bulletin of the Impérial Iranian Academy of Philosophy. Vol. II, N" 2 , automne 7 6 . Teheran (diffusé par Kraus-Thomson. Liechtenstein), pages 7 2 - 8 9 . En fait, cet aricle avait été longtemps auparavant refusé par plusieurs revues « ésotéristes » françaises.
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imaginaires ; surtout il soulève un grand n o m b r e d'inexactitudes terminologiques chez Ossendowski qui, au demeurant, ne parlait pas le M o n g o l et n'a probablement pas pu avoir des conversations philosophiques très nuancées... En conclusion, M . Pallis observe qu' « A la lumière de l'évidence accumulée touchant Ferdinand Ossendowsky et ses sources d'information, il ne saurait plus être question d'une corroboration de Saint Yves par voie de la Mongolie ; mais si le « Roi du Monde » tel que nous l'avions connu, vient à manquer, que devient alors le livre qui porte son nom et qui sans Ossendowski et son énoncé problématique, aurait forcément revêtu une forme autre que celle qui nous est familière, si tant est que ce livre aurait vu le jour ? » O n constate que la question change ici de sens et met en définitive en cause les affirmations de Guenon, et par là son autorité. D'où les réactions vives d'un auteur c o m m e Jean Robin, admirateur inconditionnel, et parfois sans discernement du Sheikh Abdel Wahed ; ainsi se contente-t-il d'une prise à parti ad hominem de Marco Pallis, ce qui manque pour le moins de... sérénité . Ayant pour ma part consulté d'anciens collaborateurs de Guenon sur l'ensemble du dossier, j ' a i obtenu des réponses nuancées et prudentes ; l'une d'entre elles me paraît mériter d'être citée : « A lire son article de 1976 (de Marco Pallis) et malgré les contradictions qu'il renferme, on a forcément l'impression que tout ce qu'a écrit René Guenon sur l ' A g a r t t h a et les trois fonctions suprêmes procède uniquement de Saint Yves et d'Ossendowski. O r Guenon déclare expressément : « N o u s savons, par de toutes autres sources, que les récits du genre 37
37. Jean Robin : « RENÉ GUENON TÉMOIN DE LA TRADITION », Paris, 1978 (Guy Trédaniel. Edition de la Maisnie), en particulier page 316.
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dont il s'agit sont chose courante en Mongolie et dans toute l'Asie centrale. » Alors on se trouve devant cette alternative : — ou bien Guenon, avec une crédulité assez sotte, s'est laissé conter par des orientaux les mêmes « blagues » déjà propagées par Jacolliot, Saint Yves et Ossendowski, et on peut se demander assez légitimement alors ce que valent les enseignements orientaux qu'il a reçus sur d'autres sujets que M. Pallis ne met pas en cause ici ; — ou bien Guenon a menti délibérément en inventant d'autres sources imaginaires, et il aurait poussé le raffinement dans le mensonge jusqu'à laisser entendre que ses informateurs orientaux étaient opposés à la divulgation que constitue son livre. O n laissera à ceux qui ont connu Guenon si peu que ce soit le soin de décider si l'une ou l'autre de ces hypothèses présente le moindre degré de vraisemblance. La clef de l'énigme se trouve sans doute dans les lignes finales du R o i d u M o n d e . Il se trouve qu'il existe des personnes qui se sont trouvées en situation de savoir que Guenon en publiant cejiyre_et ayant passé outre aux avis qui lui avaient été donnés, il en est résulté une rupture entre lui et certains de ses informateurs hindous. Il résulte clairement de ce qui précède que, parmi les orientaux en situation de savoir à quoi s'en tenir, les avis différaient en 1927 relativement à l'opportunité d'une divulgation relative au « r o y a u m e secret». Pourquoi n'en serait-il pas de m ê m e aujourd'hui ? Il serait normal — sans que cela témoigne d'une méfiance quelconque à l'égard de M. Pallis — que les orientaux interrogés par celui-ci ne se sentent pas tenus de c o n f i r m e r une divulgation qui n'a pas été unanimement a p p r o u v é e ». 38
38. Il ne m'est pas permis de donner le nom d e T a 1 1 r e i î r de.cesJignes. Je le déplore vivement. Ce fut l'un des plus proches collaborateurs de Guenon.
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O n le voit : la question fondamentale que pose ce livre étrange de Saint Yves a pris une dimension qui le dépasse... et que j ' a v o u e être pour l'heure dans l'incapacité de traiter totalement et au fond. Ce n'est pas non plus par hasard dans la mesure où aucun de ceux qui en ont traité n'a laissé de documents probants... ou du moins aisément accessibles. Et dans les sujets de cette sorte, vraiment, les questions ne sont jamais indiscrètes ; seules peuvent l'être les réponses. C'est donc ici que nous allons quitter ce livre étrange qu'est la « M I S S I O N D E L ' I N D E » , souhaitant sincèrement bonne chance à qui reprendra l'enquête là où elle est, et saura la poursuivre.
Au point où nous sommes rendus dans cette tentative d'élucidation de la vie et l'œuvre de Joseph Alexandre Saint Yves, il faut encore faire place à quelques œuvres poétiques, dont l'une au moins concerne directement ses rapports avec Lord Lytton, vice Roi des Indes. Dirai-je que dans toute cette période, marquée de préoccupations aussi diverses — du syndicat à la « M I S S I O N D E L ' I N D E » — Saint Yves s'avère décidément incorrigible sur le plan poétique? Oui. Pendant que le peuple de Paris enterre Victor H u g o , Saint Yves écrit et date du 1" juin 1885 un poème « LES F U N É R A I L L E S D E V I C T O R H U G O ». N o u s serons généreux d'en retenir deux strophes : « Victor Hugo ! Quel vide hélas ! Quel deuil nous laisse Ton départ, ô géant propice à la faiblesse, Radieux Aveuglant appelant toutes les tyrannies Et sous lequel je vois ces foules infinies, Graves se rallier
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Ah ! Parmi les soleils, chante encore ! Que ta lyre Sur la France, à jamais, conjure le délire Des Révolutions ! Sois son David céleste, et que ta voix bénie Verse dans ses destins la force et l'harmonie Des Constellations ! »
Q u e tout cela soit un touchant tribut affectif, venu de Jersey, se comprend. Passons. Mais le souci de retracer aussi exactement que possible ce qui nous reste de Saint Yves oblige encore à mentionner quelques ouvrages_poétiques jxraduk en 1889/1890, dont l'intérêt ne réside pas en eux-mêmes, mais dans ce qu'ils révèlent d'une recherche qui anticipe sur ce que sera, à peu de temps de là, « l ' A r c h é o m è t r e ». Il s'agit de trois poèmes adressés à des souverains européens : le « P O È M E D E LA_PvEINE D É D I É À S A M A J E S T É L A REINE D'ANGLETERRE I M P É R A T R I C E D E S I N D E S » , daté à la fin Paris 14 mars 1889, 27 rue Vernet, C h a m p s Elysées, et qui comporte quelques 400 vers. —
« MATERNITÉ MARK,
SUÈDE,
ROYALE
ET
MARIAGES
ANGLETERRE
GRÈCE
ROYAUX, RUSSIE
DANE-
HANOVRE
», portant à la fin une mention comparable et la date du 1" juin 1889. — « L'EMPEREUR A L E X A N D R E III E P O P É E RUSSE», daté du 7 aoûTÏ889~ ~ Ce dernier poème comporte une préface au lecteur datée j i u 27 août de la m ê m e année (qui a été publiée séparément dans « L ' I N I T I A T I O N » de novembre 1889, intégrée dans un article de Papus intitulé « A R B I T R A I R E O U A R B I T R A L ») ; Saint Yves définit ce qu'on peut appeler son art poétique et s'explique sur les raisons qui l'ont poussé à écrire ces adresses royales. C'est pourquoi il paraît intéressant de le FRANCE
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reproduire, car elle est beaucoup plus claire que ces poèmes au demeurant fastidieux. « Parmi les lecteurs de m e s Missions, d é j e u n e s poètes, appartenant à différents cultes et à divers p a y s , m ' o n t prié de d o n n e r à leur talent u n but n o u v e a u dans le sens de m e s conclusions. Je ne d e m a n d e r a i s pas m i e u x ; mais, si, cinq cents ans avant M a h o m e t , u n p o è t e arabe a pu dire : « T o u t a été chanté ; il n'y a plus rien de n o u v e a u s o u s le soleil ! » à plus forte raison p e u t - o n le répéter aujourd'hui. A u fond, la seule n o u v e a u t é , c'est ce qui est éternel : et e n Art c o m m e en Science, le Vrai seul remplit cette c o n d i t i o n , p u i s q u e le B e a u n'en est que la splendeur. E n ce qui regarde la P o é s i e , j e ne v o i s , en d e h o r s des anciennes U n i v e r s i t é s Patriarcales, q u e les écrivains hébraïques des d e u x T e s t a m e n t s qui aient m i s leur art au service direct du Vrai. J'ai e x p o s é ailleurs u n e partie de ce que j e savais de leurs E c o l e s p r i m i t i v e s , f o n d é e s par M o ï s e , relevées par Elie ; et j e m e suis efforcé de d é m o n t r e r q u e leur n o t i o n sociale du Vrai tendait à rénover, sur la Terre m ê m e , lejtÈGNE D E DiEU^et^sa Loi sociale, la S Y N A R C H I E . E n Art c o m m e en Science, la n o u v e a u t é d'aujourd'hui me semblerait consister dans ce s o u v e n i r et dans cette espérance. La phase p r o p h é t i q u e , puis é v a n g é l i q u e , rend u n m o u v e m e n t de ce genre aussi facile q u ' o b l i g a t o i r e . Il n'est pas nécessaire d'être p r o p h è t e ni apôtre p o u r cela, m a i s s e u l e m e n t assez instruit p o u r être croyant, assez civilisé p o u r être b o n . Je ne crois d o n c pas que, p o u r faire ce bien, il faille sortir de s o n propre culte, ni se mettre en c o m m u n a u t é q u e l c o n q u e , ni se singulariser autrement que par une vie studieuse, sainte et utile. Grâce à n o s Testateurs, n o u s a v o n s t o u s un f o n d s c o m m u n de Vérité et une S y m b o l i q u e c o m p l è t e dans toutes n o s Eglises. Le c o m m e n t a i r e s'en fait dans t o u t e s n o s Universités. M e s œ u v r e s de p r o s e n'ont eu d'autre but que
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d'indiquer la synthèse rationnelle et pratique de ces doubles sources d'informations. Peut-il en naître, ou plutôt en renaître la Poésie susdite, sans parler d'autres Arts ? J'ai des raisons de le croire. Pour le démontrer, j'ai mis ma bonne volonté à l'œuvre. Je me suis imposé de faire tout d'abord une série de poèmes d'actualité. J'ai commencé ces publications par trois des souverains et des peuples européens qui me semblaient vouloir à ma patrie, soit le moins de mal, soit le plus de bien. Une épigraphe au sujet des Lettres Sacrées que j'emploie dans ces poèmes, opère leur rattache pieuse aux Ecoles antiques. Le reste n'a pour singularité que d'être respectueux du souverain et de la nation que je célèbre, ainsi que de son culte, de sa loi et de ses mœurs, quelles que soient mes convictions, en ce qui regarde ma Patrie et le Catholicisme. Ce respect et cette sympathie sont du Christianisme et de la Civilisation en vers : voilà tout. Dans nos grands et saints Guides du Premier et du Second Testament, cet esprit de paix future est magnifiquement proféré, quoique le plus souvent d'une manière hiérographique, dans l'Apocalypse surtout. Quant aux poètes prophétiques d'Israël, entourés de rois et de peuples idolâtres et hostiles, ils devaient nécessairement entrer avec eux dans un conflit intellectuel et moral, qui semblerait déplacé aujourd'hui, que la Foi ou ses fruits positifs sont les mêmes partout. Pourtant, dans Isaïe lui-même, les souverains et les peuples étrangers ne sont pas toujours maltraités. En ce qui concerne l'Egypte et même l'Assyrie, on peut voir le chapitre xix, versets 19-25 ; en ce qui regarde la Perse, le chapitre X L I V , verset 28. Isaïe va même jusqu'à traiter Cyrus de M E S S I E , ce qui est un peu raide à mon humble avis, et malgré toute ma vénération pour ce prophète : chapitre X L V , verset 1. Après cette citation, je ne crois pas qu'on puisse trouver mes poèmes trop flatteurs, puisqu'ils s'adressent à des souverains chrétiens, amis de ma nation. Il est évident que saint Paul, l'apôtre de la Liberté, est le
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guide spirituel de l'Angleterre. Celui de la Russie est saint Jean, F apôtre de la Fraternité ; celui de la France et du groupe ïàtin est saint Pierre, l'apôtre de l'Egalité devant la loi sociale évangéliquè. Ces^ois_agôlres _Jrès_vrriis au Ciel, voudraient sans doute que leurs fidèles ne s'exécrasseriT~pas mutuellement sur la terre, et que le Turc, cimeterre au clair, n'eût plus à leur prêcher la paix sociale, à Jérusalem même, près du I Tombeau de Jésus. Mes poèmes développeront cette pensée I évangéJUgue, sans grand espoir de réalisation rapide; mais «point n'est besoin d'espérer pour entreprendre», disait Guillaume le Taciturne. Aux jeunes poètes qui marcheraient dans cette voie, je tiens à dire qu'elle est difficile et ingrate ; car, en semant le bien pour autrui, on est à peu près sûr de ne récolter que le mal pour soi-même, dans la plupart des cas. Ce chemin étroit réclame une réelle indépendance d'idées, et, malheureusement aussi, de situation et de fortune, avec autant de religion stricte dans le fond des pensées et du caractère, que de courtoisie dans la forme. De plus, il ne faut pas croire que la Poésie, même religieuse, ait souvent droit de cité ou de chapelle, chez les rois et dans les cours, malgré les vers charmants et chevaleresques d'un roi de France à un poète : Tous deux également nous portons des couronnes. Mais, Roi, je la reçus ; Poète, tu la donnes. Ces considérations, que je signale aux jeunes gens, n'ont point effrayé mes cheveux gris, et voilà trois poèmes livrés au public : le Poème de la Reine, Maternité royale, J
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Alexandre
III.
Je serais très surpris qu'ils plussent au goût du jour, car ils ne manquent de respect à rien de respectable, ce qui constitue un courage comme un autre, à l'heure qu'il est. Les amateurs de succès faciles sont sûrs de leur affaire avec des pamphlets, des satires, des calomnies et des indécences. Quant à moi, je traiterai toujours mes œuvres comme si Dieu même devait les juger. Comment sont nés ces poèmes ?
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J'en ai dit la cause p r e m i è r e ; en v o i c i les causes occasionnelles. Etudiant l ' E u r o p e qui n o u s tient en quarantaine, j'ai o b s e r v é a t t e n t i v e m e n t ses familles s o u v e r a i n e s sans naïveté c o m m e sans préjugé d'aucune sorte. Elles o n t leurs _om_bres c o m m e toutes les autres ; m a i s elles o n t aussi des r a y o n s ; et c'est par e u x q u e les nations p e u v e n t être m e n é e s à la paix d u Christ. J'ai v u sur les trônes plus de vertus qu'il en faudrait p o u r arracher l'Europe à l'infernale et sanglante ornière qui d e v i e n d r a s o n a b î m e et le leur. M e t t r e ces vertus à leur p o i n t de p e r s p e c t i v e et de p o é t i q u e l u m i è r e , en faisant r e s p e c t u e u s e m e n t entendre u n v œ u de paix et u n e possibilité pratique dans ce sens, tel a été le but de ces p o è m e s isolés. l'ai commencé„par_la R e i n e d'Angleterre et j e m e suis laissé aller s c i e m m e n t et artistement à u n e sincère a d m i r a tion p o u r cette D o y e n n e des s o u v e r a i n s d ' E u r o p e , p o u r ses vertus austères, p o u r s o n puissant caractère, p o u r la haute signification de la présence d'une telle f e m m e à la tête d'un tel peuple, p e n d a n t u n d e m i - s i è c l e . La R e i n e de D a n e m a r k a été m o n s e c o n d sujet de p o é t i q u e description. Là aussi, j e m e suis a b a n d o n n é à u n e a d m i r a t i o n qui n'a rien de factice ; car quel t r i o m p h e et quel e n s e i g n e m e n t q u ' u n e pareille maternité ! Plût à D i e u q u ' u n s o u v e r a i n o u q u ' u n pontife eût su faire p o u r la c o n c o r d e des Etats ce que cette reine a a c c o m p l i p o u r l'union des familles régnantes. Enfin j e t e r m i n e cette p r e m i è r e trilogie par A l e x a n d r e
III.
""""
Là, l ' e n t h o u s i a s m e m'a été d'autant plus facile que j ' e x p r i m a i s les s y m p a t h i e s de ma nation et q u e j'avais à décrire é g a l e m e n t des vertus familiales, un rôle s o u v e r a i n de p r e m i e r ordre, u n destin national extraordinaire, un p e u p l e et u n e race qui m e s o n t p r o f o n d é m e n t chers à tous égards. C o m m e Français, j'ai cru faire u n e œ u v r e patriotique en exaltant ainsi u n s o u v e r a i n et un Etat qui s o n t , en ce m o m e n t m ê m e , l'objet d'attaques aussi injustes que p a s s i o n n é e s de la part des j o u r n a u x du prince de B i s m a r c k .
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D'ALVEYDRE
Avant de passer au cycle contemporain de saint Pierre, que j'ouvrirai par un Poème sur la France, j'ai désiré que le lecteur sût d'avance où je vais, c'est-à-dire pourquoi ces poèmes ont été écrits et dans quel but. » SAINT YVES
D'ALVEYDRE.
Paris, 27 août 1889. U n point doit être précisé, concernant l'allusion aux «lettres sacrées que j ' e m p l o i e dans ces p o è m e s » ; de fait chacun s'ouvre par une épigraphe que je reproduis : « P O È M E D E L A R E I N E » : « les X X I I lettres bibliques qui rythment la pensée du poème de la Reine sont aussi les X X I I Anges du verbe, les X X I I arcanes de la Parole, les X X I I mystères des nombres. » « M A T E R N I T É R O Y A L E » : « les X V I Rimes qui rythment la pensée du Poème de la Maternité Royale représentent aussi X V I Anges du verbe, X V I arcanes de la Parole, X V I mystères des nombres. » « L ' É P O P É E R U S S E » : « les X X V I I I lettres glagolitiques qui rythment la pensée du poème de l'Empereur représentent aussi X X V I I I Anges du verbe, X X V I I I arcanes de la Parole, X X V I I I Mystères des nombres. » Cela se traduit par le fait que les groupes de strophes (ces dernières en n o m b r e variable) s'ouvrent chacun par une lettre d'un alphabet d'une langue ancienne : l'alphabet hébreu pour le « P O È M E D E L A R E I N E ». Puis Talphabet rûnique, pal-ticuTîèrement connu dans Tes pays scajidinaves, et dont ôlô^à^corcTé~a'^ënser qu'il y fut diffusé par des Phéniciens qui avaient atteint la Baltique. Quant au dernier, il porte le n o m de la lettre G (glagol) dans un ancien alphabet slavon qui, d'ailleurs, est encore connu dans les provinces de l'Adriatique. L'intérêt de cette notation est de montrer que dès ce
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m o m e n t Saint Yves a entrepris des recherches approfondies sur la signification des « Alphabets sacrés ». Barlet a fort bien décrit la signification de ces recherches et leur place dans l'œuvre de Saint Yves. « C'est en travaillant les langues sacrées pour en éclairer les Mystères que Saint Yves entrevit la disposition zodiacale de leur Alphabet qui constitue l'Archéomètre, sorte de dictionnaire pour la traduction des mystères. Tout le monde sait (sic) que les langues sacrées sont construites de façon à offrir un triple sens : positif (ou vulgaire), comparatif (ou symbolique et philosophique) et superlatif (ou spirituel, esotérique). On sait aussi que le secret de cette construction, le moyen de cet enveloppement sacré est dans les Alphabets des langues primitives parce qu'ils sont construits de telle sorte que chaque lettre est un hiéroglyphe qui correspond à un principe cosmique ou psychique. Ces alphabets sont comme le clavier du Verbe humain, un reflet du verbe divin s'adressant à nos divers sens : par la Forme, par la couleur, par le son et même à notre faculté intellectuelle la plus élevée, celle de l'abstraction, par le nombre. Chaque lettre a dans cette dernière sphère de l'esprit humain, son nombre qui en dit l'Essence ; sa forme, qui donne par le symbole et l'analogie un sens plus positif; le son et la couleur achèvent de la rendre sur un mode plus sensible encore . » 39
O n ne saurait mieux caractériser la haute ambition de déchiffrer tout un ensemble de correspondances, au demeurant fort en accord avec certaines recherches des poètes symbolistes. Dès ce m o m e n t donc, Saint Yves montre cette ambition qui débouchera, Barlet le signale, sur l ' A r c h é o mètre. 39. Barlet, o p . cit., pp. 115-116.
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
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Avant d'en venir au dernier poème de la période, il me paraît indispensable de publier quelques documents peu connus relatifs à lajraduction en Anglais du « POÈME DE LA REINE » par Lord Lytton ; la publication de l'œuvre interviendra un peu plus tard en 1892, mais elle trouve bien son origine dans la période, et les informations que donne Saint Yves me paraissent intéressantes quant à son amitié avec l'Ambassadeur à Paris, dont j ' a i déjà parlé. O n ne peut tirer de conclusions définitives de cette correspondance, mais il_est probable que chaque fois que Saint Yves. est_entré en relations avec des orientaux, il~a~pu consulter son ami Lytton. U n e fois encore, et en raison de l'extrême rareté de ces pièces, il me paraît indispensable de les reproduire quasi intégralement de telle manière que le lecteur puisse se faire une opinion par lui-même et non en fonction d'une paraphrase forcément orientée. Je reproduis donc les explications données par Saint Yves en tête de la traduction anglaise du « POÈME DE LA REINE » :
•
1
« Quelques mots seulement pour expliquer quand, comment et pourquoi le Poème de la Reine a été composé en français, puis a donné lieu à une traduction en vers anglais par un poète de génie, Lord Lytton. C'était en 1889 : l'Exposition universelle allait s'ouvrir, et son succès parmi les peuples dépasser toute attente. Un ostracisme des monarchies avait frappé, non cette fête en elle-même, mais le Centenaire de la Révolution française. Les nations allaient se réunir sans que la politique des Etats vînt donner à cette apothéose du travail universel la sanction que pouvait comporter un pareil fait social. Aussi, pour tout penseur, la grande tristesse des guerres futures se mêlait aux approches de cette grande joie planétaire, de cette fête passagère de la paix.
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Sur ces entrefaites, la Reine d'Angleterre débarqua en France, simple coïncidence, maïs quT^embTaft suspendre au-dessus du Champ de Mars un rameau d'olivier, précurseur des bienvenues de Cronstadt et de Porstmouth. Elle devait venir, fût-ce par hasard, attirée comme par une harmonie mystérieuse des faits, cette doyenne des souverains, qui avait préparé et présidé la première Exposition universelle qu'ait vue la terre. Elle vint donc, et traversa dans toute sa longueur le sol de France, presque incognito, majesté voilée, mais levant de fait la quarantaine dont ma patrie était encore frappée par les sceptres européens. Cet acte de présence, volontaire ou non, excitait en moi une profonde gratitude intellectuelle; mais comment l'exprimer, quand la politique en sentinelle commandait le silence? La poésie a des ailes ; elle passe là où la prose s'arrête, et une sorte de droit divin l'accompagne quand elle prête son essor et sa voix à l'humanité. Tremblant d'être indigne de mon sujet, mais enlevé par lui, j'écrivis, en un jour, le Poème de la Reine, et l'envoyai à l'Ambassadeur d'Angleterre, alors à Biarritz auprès de Sa Majesté. Une profonde amitié m'unissait à Lord Lytton. Quelques jours après, une lettre de lui m'annonçait que mon hommage était agréé par la Reine, et que Sa royale autorisation m'était donnée de le lui dédier. En septembre suivant, je recevais du château de Knebworth la lettre du comte de Lytton que l'on trouvera plus loin, et, avec elle, sa magistrale traduction en vers anglais écrite tout entière de sa main, et que je me fais un pieux devoir et un honneur de publier. Lord Lytton ! A cette chère et glorieuse mémoire entrée désormais dans l'immortalité terrestre de l'histoire, comme dans celle du Ciel où remontent de telles âmes, je consacrerai ailleurs les pages personnelles que lui doit mon inconsolable amitié. Ici, en tête de ces strophes dédiées à la Reine Victoria, je ne puis me permettre d'invoquer plus longtemps aucun autre
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SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
nom, fût-ce celui de l'ex-Vice-Roi des Indes et Ambassadeur d'Angleterre à Paris. D'ailleurs, c'est à lui seul, poète immortel, de parler, rendant à sa Souveraine un suprême hommage dans ce chant d'outre-tombe. Saint Yves. » Pans, 21 janvier 1892. Saint Yves reproduit ensuite une lettre de Lord Lytton, et j e crois qùlTcertaTns détails sont à retenir. M O N CHER AMI,
J'étais anxieux de vous donner la traduction de votre poème, si possible, avant de quitter la France. Mais je n'ai pu la terminer à temps, bien que, je vous l'assure, c'ait été ma constante occupation depuis la dernière fois que je vous ai vu. Un voyage en chemin de fer, bien que court, est, si on le fait seul, une très bonne occasion partem solida demere de die. Et, grâce au temps gagné sur la route de Paris à Londres, je puis vous envoyer, ce matin, avec l'encre à peine sèche dessus, la traduction que je viens d'achever ici, hier soir. Elle va à vous, comme, dans le Richard III de Shakespeare, Clarence s'en va rendre ses grands comptes, avec toutes ses imperfections sur la tête. Aussi, quand vous l'imprimerez, il vaudrait mieux que j'en corrigeasse les épreuves. Comme le manuscrit que je vous envoie a été écrit à la hâte, outre qu'il est moins lisible que je ne l'eusse désiré, il peut très probablement contenir des erreurs ou des lapsus de plume qui auraient échappé à mes yeux. J'ai péniblement conscience de son insuffisance. Il est possible que quelques semaines se passent avant que j'apprenne le résultat j e majjémarche an Dépqrj^ment de l'Inde*. Mais, dès que je le saurai, je vous le communiquerai. *. Allusion à une démarche de Lord_Lytton, et dont il doit rester des traces à Londres dans le Département des Indes Orientales. Cette démarche, dont je ne me suis plus enquis, avait pour but de rendre
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SECRET
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Dites, je vous prie, mes chaleureuses amitiés à votre chère femme, et croyez-moi toujours Votre plus affectionné, Lytton. Knebworth, 9 septembre 1889. Il précise enfin : « Dans cette lettre, Lord Lytton m'autorisait à faire paraître immédiatement sa superbe traduction en vers jointe à jnon poème; mais nous convînmes un jour ensemble que, vu sa situation officielle, je ne le ferais qu'au moment de sa retraite. Il ajouta ensuite gravement : « Mais, si je venais à mourir avant, faites paraître aussitôt que possible, et ne prenez alors conseil que de cette prière. » Je demande donc ici à Lady Lytton et à ses enfants de m'excuser affectueusement si j'ai cru de mon devoir de n'engager d'autre responsabilité que la mienne, en faisant de cette publication une pieuse surprise, pour eux comme pour tous. » Q u o i qu'il en soit, il nous reste à dire quelques mots de la dernière rguvre.poétique d é j à période, ce « POÈME SUR LA FRANCE », annoncé dans la préface de l ' é p o p é ^ r u s s e j il s'agit de «JEANNE D ' A R C VICTORIEUSE. EPOPÉE NATIONALE DÉDIÉE À L'ARMÉE FRANÇAISE » parue chez L. Sauvaitre en 1890. J'ai eu l'occasion de citer les principaux passages de la préface de ce livre ainsi que quelques strophes qui donnent une idée suffisante du style poétique de cette œuvre. M ê m e Barlet, admirateur quasi inconditionnel de Saint Yves, hésite à porter un j u g e m e n t : « Nous pourrions peut être nous sentir influencés dans l'appréciation littéraire comme plusieurs autres admirateurs de ce cher maître, par le souvenir glacialement classique de classique, dans les écoles mixtes de l'Hindoustan, LE POÈME DE LA REINE en anglais et en français.
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE la H e n r i a d e , m a l g r é les plus b e a u x vers o ù se s o u v e n t l'inspiration de V i c t o r H u g o . »
retrouve
4 0
Il ne me paraît pas indispensable de citer ou de commenter longuement cette œuvre ; il faut signaler pourtant que chacun de ses vingt-cinq chants (le livre comporte 310 pages !) est aussi « rythmé » par X X V lettres qui selon la formule déjà rencontrée sont aussi « X X V Anges du Verbes, X X V arcanes de la Parole, X X V mystères des n o m b r e s » . Mais j ' a v o u e n'avoir pas su découvrir la Clef de cet Alphabet ; aussi vais-je le reproduire, accompagné du titre de chacun des chants, souhaitant au lecteur plus érudit une meilleure compréhension. « ARIEL BARIEL CARIEL DARIEL ERIEL FARIEL GARIEL HARIEL IRIEL J ARIEL KARIEL LARIEL
L'invocation angélique La La La La Le
signification de J e a n n e d ' A r c naissance de J e a n n e d ' A r c v e n g e a n c e des templiers v o c a t i o n de Jeanne d ' A r c g é n i e féodal anglais
Le g é n i e populaire français L'initiation de Jeanne d ' A r c La v o i x de Jeanne d ' A r c La t e n t a t i o n de Jeanne d ' A r c La fuite e n E g y p t e Le Sabbat de Satan
MARIEL
O r l é a n s sans Jeanne d ' A r c
NARIEL ORIEL
Les ordres de l ' A r c h a n g e Jeanne d ' A r c à Fierbois Satan chez le D a u p h i n
PARIEL QUARIEL RARIEL
J e a n n e d'Arc à la C o u r La s a g e s s e m o n d a i n e
SARIEL
J e a n n e au C o n c i l e
TARIEL
J e a n n e entrant à O r l é a n s
40. Barlet, op. cit., p. 110.
LE PLUS GRAND SECRET
URIEL VARIEL XARIEL YARIEL ZARIEL
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Jeanne au Conseil de Guerre Jeanne au Fort Saint-Augustin Jeanne délivre Orléans Dieu et Satan à Reims Bénédiction des Trois Eglises du verbe. »
Au-delà de la longue description des épisodes de la croisade de Jeanne d'Arc, Saint Yves, bien évidemment, met en évidence les lignes principales de sa vision « s y n a r c h i s t e » de l'histoire ; par ailleurs on a déjà vu que sa doctrine de P A g g a r t h a est énoncée publiquement. A ce titre on peut dire que ces années 1886-1890 sont bien pour Saint Yves celles de l'approche des plus grands secrets de initiations occidentales et orientales.
CHAPITRE
VII
L A M O R T E QUI PARLE
Dans la préface à «JEANNE D'ARC VICTORIEUSE », on l'a vu, Saint Yves manifestait son intention d'abandonner toute vie publique, voire toute expression écrite. D e fait, a£rès_1890, J l j i ^ j ^ b H e r a . j j r e ^ ç ^ Mais p e u t - ê t r e ne s ' a g i t - i î pas s e u l e m e n t d ' u n c h o i x philosophique ; Saint Yves paraît avoir rencontré des difficultés de toute nature. Barlet caractérise de manière dramatique la période qui s'ouvre dans la vie de son « Maître ». « Tous les bonheurslui seront retirés comme ils étaient venus, "Brusquement : fortune, relations, succès^ j u s q u j i j a femme aimeë, îTpeFdra tout et sera replongé dans la retraite douloureuse où ses œuvres doctrinales se formeront sans pouvoir aboutir . » 1
Il est certain que Saint Yves connut alors de graves difficultés qui bouleversèrent profondément sa vie. U n bon témoignage en est fourni par une lettre qu'il adressa à Papus le 9 décembre 1894 et que je reproduis intégralement puisqu'elle servira de point de départ à un exposé des faits tels qu'on peut les reconstituer. 1. Barlet, op. cit., page 25.
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
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« Mon cher ami, Tous mes remerciements pour votre lettre et vos livres et leur aimable dédicace. Votre physiologie de l'orchestre m'a beaucoup intéressé mais je me permets de vous signaler une erreur quant à la tradition de la science antique dont la musique cosmique ou synthétique montait là où notre système empirique descend. Elle procédait de l'aigu au grave assimilant l'aigu à la matière physique, la grave à l'universel et par suite à la divinité. J'ai lu aussi avec le plus grand plaisir votre brochure sur le système Encausse ; veuillez dire à votre excellent père notre regret de ne l'avoir f pas vu. Ma femme est tellement souffrante et faible qu'elle ne reçoit plus que ses enfants, pour peu de temps. Moi-même, je suis alité depuis près de trois mois grâce à des phlébites à chaque jambe. Je me suis seulement levé ces trois derniers jours pour soigner une pauvre angélique malade prise d'une crise sans gravité de spasmes gastralgiques et hors de danger maintenant grâce à Dieu. Nous sommes vous le voyez bien éprouvés sans doute pour n'avoir cherché que le bien ce que la terre pardonne rarement. Des voleurs nous ont_pris-ia _s_écuxiti^_matérielle ; des daimôns nous prennent la santé. Dans ces épreuves notre force spirituelle se retrouve entière en Dieu par la solitude soyez moi donc indulgent si les coups du sort me remettent à l'état invisible et croyez-moi mon cher ami votre dévoué Saint Yves . » 2
La marquise était malade depuis assez longtemps sans doute, puisque déjà, en 1888, Eugène de Masquard mentionnait qu'elle souffrait depuis de nombreuses années d'une « névrose cruelle que les médecins les plus célèbres du monde n'ont pas réussi à soulager». Il ajoute : 2. Bibliothèque de Lyon Ms 5493. Cette lettre est entièrement manuscrite.
LA MORTE QUI PARLE
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« Voué tout entier à elle, le marquis partage ses soins entre sa chère malade dont il prolonge la vie et ses travaux qu'il écrit près d'elle. C'est un des intérieurs les plus saintement unis et recueillis qu'on puisse voir dans notre bruyant Paris, une sorte de thébaïde qui explique la sécurité des vues et les énormes travaux de l'auteur des Missions . » 3
O u t r e ces graves problèmes de santé qui avaient conduit la marcniise.à.jédiger son testament dès le 9 janvier 1894, Saint Yves évoque des difficultés financières sérieuses. Il est difficile de savoir ce qu'elles furent : toute la période est marquée par de très n o m b r e u x krachs financiers depuis celui de l'Union générale en 1882, celui du cuivre et du comptoir d'Escompte en 1888-1889 jusqu'à la chute de la maison Baring lié à la crise argentine, l'affaire de Panama et les Emprunts russes . Il est bien possible que Saint Yves et son épouse se soient livrés à des spéculations malheureuses ; le seul indice très précis dont font état certains documents notariaux, concerne un procès qui était en cours, en août 1896 devant les tribunaux belges à l'encontre d'une société Cail. 4
A quel m o m e n t survinrent ces difficultés ? En 1889, Saint Yves se félicite encore d'avoir pu subventionner certaines publications du syndicat, pourtant la m ê m e année l'immeuble de la rue Vernet est hypothéqué. C'est probablement en 1893 que les époux le quitteront pour s'installer à Versailles. En effet, lorsque Saint Yves est fait chevalier de la Légion d'honneur par décret du 25 juin 1893, il est indiqué qu'il est « publiciste à Paris » . Mais par ailleurs, il est établi 5
3. Eugène de Masquart, op. cit. 4 . D e nombreux ouvrages évoquent ces affaires. Pour une première approche on peut lire — agréablement — celui de Gilbert Guilleminault et Yvonne Saiger-Lecoq : « LA FRANCE DES GOGOS », Paris, 1 9 7 5 (Fayard). 5 . Encore une petite énigme : par lettre du 4 septembre 1 9 7 0 , la Secrétaire du Musée National de la Légion d'Honneur m'a fait connaître
386
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
que le 11 octobre de la m ê m e année, Saint Yves habite bien 9, rue Colbert à Versailles ; le docteur Philippe Encausse a d'ailleurs publié une note manuscrite et confidentielle adressée à « Monsieur Riche, m e m b r e de l'Académie des Sciences, Directeur des essais à la Monnaie ». Ce texte, dont j'ai fait état à propos de l'intérêt de Saint Yves pour l'Alchimie, concerne la « Production artificielle de l'or et de l'argent par voie sèche et par sulfuration des métaux inférieurs » ; j e la reproduis en note . 6
que les Archives de l'ordre ne détiennent aucun dossier concernant Saint Y v e s ; par contre un annuaire de 1930 comporte bien son nom, ainsi que la date du décret dont les revues de l'époque faisaient mention. Aussi, en 1903, Charles Gougy précisera que Saint Yves a été parrainé par le Général Février. Ce dossier a-t-il lui aussi été prélevé pendant l'occupation par quelque service antimaçonnique ? 6. Philippe Encausse : « SCIENCES OCCULTES OU 25 ANNÉES D'OCCULTISME OCCIDENTAL », Paris, 1949 (Editions Ocia), page 365. Ce document n'a pas été repris dans le « PAPUS » du même auteur, Paris, 1979 (Belfond) qui est une réédition « diminuée » du précédent. C'est la raison pour laquelle je la reproduis avec l'aimable autorisation de Philippe Encausse : « Production artificielle de l'or et de l'argent par voie sèche et par sulfuration de métaux inférieurs. 1) l'argent
Production
d'or donnant
un rendement
minimum
de 0,0019
par rapport
à
traité.
Traitement : Amalgame de plomb (50/50) 200 g Sulfate de cuivre en poudre 100 g Sulfate de soude ou mieux soufre en fleur 100 g Broyer en poudre et, de ce mélange intime stratifier dans un creuset ou mieux encore dans une cornue. Argent vierge en poudre : 100 grammes. L'opération est de 6 heures, à feu gradué de 100" à 450°, puis à 500° ou au rouge naissant. Alors si, pour récupérer les matières volatiles, on a opéré à la cornue, on arrête et on remet les matières fixes dans un creuset qu'on porte et qu'on maintient au rouge blanc assez longtemps pour obtenir un culot d'argent aurifère surmonté d'une scorie sulfureuse, de plomb et d'ox. de cuivre. Le culot coupelle donne la plus grande partie de l'or. La scorie réduite c o m m e à l'ordinaire et coupellée donne le reste de l'argent aurifère.
LA MORTE QUI PARLE
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Saint Yves espérait-il améliorer sa situation financière en monnayant sa technique ? C'est bien probable, et en tout cas conforme à son goût pour les applications pratiques des spéculations intellectuelles. D'après les documents notariés que j ' a i déjà cités, le marquis et la marquise ne pensaient séjourner que momentanément à Versaillles ; d'ailleurs l'hôtel de la rue Vernet n'est pas vendu mais donné en location. Il ne sera vendu au Baron Oppenheim qu'en 1896 après le décès de la marquise. Est-ce à direjque Saint Yves fut entièrement ruiné. La citation de Barlet que j ' a i reproduite au début du chapitre pourrait le laisser croire ; pourtant les témoignages^d^autres contemporains sont assez différents. Jollivet - Castelot dont j e citerai un peu plus loin les souvenirs à propos du style de vie de Saint Yves parle d'un « luxueux appartement », et
Le mercure récupéré s'enrichit et produit de plus en plus. Enfin, tous les produits employés peuvent être industriellement récupérés sans frais supplémentaires, ou à peu près. 2) rendement
Production
d'argent
minimum
Traitement
de
sans
0,0015
or, par par
le plomb
rapport
et le soufre
au plomb
seuls,
donnant
un
traité.
:
Plomb en limaille fine 1 Kg. Soufre en fleur 1 Kg. Les deux substances mêlées intimement sont introduites dans une cornue. Le traitement est de 6 heures, la température est élevée progressivement de 110° à 450". Cette galène artificielle est pulvérisée, pesée, broyée avec la même quantité de soufre et traitée à la cornue comme précédemment. O n réitère ainsi cinq ou six fois, puis on précipite c o m m e à l'ordinaire le plomb. Ce plomb réduit et coupelle donne la teneur mimimum ci-dessus. La
première
rendement
moyen
mines
les plus
opération
donne
des meilleures
économiques
à traiter.
et de nouveau utilisables. »
un
mines
rendement d'or.
Les
d'or frais
sont
dix
fois
inférieurs
supérieur à ceux
au des
Les matières employées sont récupérées
388
SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
Victor Emile Michelet, « d'une j o r t e de petit palais tout proche de la majestueuse place d ' A r m e s » . De fait l'immeuble en question n'était pas une résidence ordinaire ; sous Louis XIV il était déjà connu c o m m e l'Hôtel de Mademoiselle. Mais, par la suite, on l'appellera « Hôtel Gabriel» du n o m de Jacques Ange Gabriel (1698-1782), le plus célèbre architecte français du xvni siècle, qui ordonnança la place de la Concorde et les immeubles qui la bordent, agrandit le Palais de Versailles, acheva la C o u r du Louvre avant de construire le Petit Trianon. Par la suite l'immeuble fut vendu c o m m e bien national le 28 primaire an III et acheté pour 105 000 livres par Noël Daru ; ce dernier était le père de Martial Daru qui fut Baron d'Empire et de Pierre Daru, Intendant Général de la Grande Armée. Parmi les occupants de l'immeuble on compte encore Jean-François Lambinet qui fut maire de Versailles en 1848 . Les Saint Yves occupaient le rez-de-chaussée de cette maison, à titre de locataires. En fait on peut penser que m ê m e s'ils avaient dû restreindre peut-être dans de fortes proportions, leur train de vie, ils continuaient à vivre dans l'aisance, bien qu'avec une domesticité réduite. Mais il est vrai que la notion de « ruine » est très relative c o m m e le montre l'exemple de certains aristocrates russes qui s'estimaient « ruinés » par la révolution dès lors qu'ils furent contraints de vivre avec quatre ou cinq domestiques seulement. e
1
7. Sur l'histoire de cet immeuble, j'ai publié antérieurement dans « L'INITIATION » de Juillet-Août-Septembre 1972, quelques données dont je suis redevable à M m e Jeanne Hillairet de Boisferond Ray, actuelle propriétaire qui a bien voulu consulter les cahiers des charges et faire des recherches approfondies dont j e la remercie respectueusement. O n peut également consulter la «REVUE DE L'HISTOIRE DE VERSAILLES» de 1921 (pp. 67 à 70) 1922 (pp. 270 à 289), le Bulletin municipal officiel de Versailles n" 4 (avril 1920) et « LES RUES DE VERSAILLES » de M M . Leroy et Cadoret (page 21) en notant que ces derniers ont commis une légère erreur : Saint Yves n'est pas décédé dans cet immeuble.
LA MORTE QUI PARLE
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Certains indices permettent de penser que le cas de Saint Yves fut assez comparable ; et c'est en particulier ce qui ressort du témoignage de Jollivet-Castelot ; dans un « roman ésotérique » paru en 1 9 2 0 « LE DESTIN OU LES FILS D'HERMÈS », il se met en scène sous le n o m du C o m t e Gaston de Lambert, qui recherche la vérité dans différentes écoles et groupements initiatiques. L'ensemble du roman se situe après 1 8 9 2 , mais les passages que je vais citer sont plus tardifs puisqu'ils comportent une allusion au veuvage de Saint Yves. L'ensemble constitue d'ailleurs un témoignage intéressant sur le mode de vie de Saint Yves à cette époque, c o m m e sur une certaine affectation de ses attitudes. « U n autre a p r è s - m i d i , Lambert se rendit à Versailles p o u r se présenter chez le m a r q u i s de S a i n t - Y v e s d ' A l v e y d r e , l ' E m i n e n c e Grise de l ' H e r m é t i s m e , l ' é n i g m a t i q u e E r m i t e , qui vivait plus retiré e n c o r e q u e Guaita, en s o n l u x u e u x a p p a r t e m e n t de la rue C o l b e r t , au r e z - d e - c h a u s s é e aussi. O n ne l'approchait q u e très difficilement, après avoir passé par l'intermédiaire d'amis et p o s é u n e o u plusieurs d e m a n d e s d'audience. Il craignait les curieux en général et les i m p o r t u n s , se méfiait, à j u s t e titre, de la turba stulta de l ' O c c u l t i s m e , des aliénés qui pullulent dans les b a s - f o n d s de ce m i l i e u hétérogène. La délicatesse m o r a l e , la haute intellectualité de Saint Y v e s lui faisaient redouter le contact, m ê m e passager, des i m b é c i l e s o u des fous. C e n'est p o i n t lui qui eût su affronter la m a s s e d i v e r s e des g e n s singuliers que Papus c o u d o y a i t sans cesse p o u r les b e s o i n s de la cause ! N ' e s t pas d o m p t e u r qui veut. Il faut u n e grande r o b u s t e s s e , u n e absence presque c o m p l è t e de nerfs, u n s a n g - f r o i d particulier p o u r tenir ce rôle. Le relent des bêtes fauves o u des bêtes t o u t court, la c o n t a g i o n de leur a t m o s p h è r e , s u f f o q u e n t c e u x qui n'ont p o i n t d'insouciance. S e m b l a b l e aux légendaires m a h a t m a s de la t h é o s o p h i e
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE m o d e r n e , le m a r q u i s de Saint Y v e s d ' A l v e y d r e se dérobait a u x regards profanes o u indiscrets, restait e n v e l o p p é de brouillard protecteur. Les sages o n t horreur de la foule qui leur cause u n i n s u p p o r t a b l e malaise p o u v a n t aller j u s q u ' à la souffrance intolérable. Les A d e p t e s écartent de leur a m b i a n c e a r o m a l e les esprits et les â m e s m é d i o c r e s . Ils laissent à d'autres, m o i n s raffinés o u plus h é r o ï q u e s peut-être, l'ingrat labeur et les gloires bruyantes de l'apostolat et de la popularité. E u x n e v e u l e n t , ne cherchent, ne d e m a n d e n t q u ' u n e seule c h o s e : la paix intérieure, la s o l i t u d e . Ils passent i n c o n n u s . Les diverses pièces de l'appartement, é l e v é e s , aux boiseries blanches a g r é m e n t é e s de sculptures Louis X V que l'on r e t r o u v e dans t o u s les v i e u x h ô t e l s confortables de Versailles, ville du R o i , offraient une e x t r ê m e é l é g a n c e , laissaient v o i r u n e richesse qui ne s'affichait point, m a i s ne se dissimulait pas. Le marquis, v e u f d'une c o u s i n e é l o i g n é e de N a p o l é o n III, possédait depuis s o n mariage u n e c o n s i d é rable fortune. Les tapis étaient feutrés s o u s les pas, les tentures étaient lourdes, les fauteuils p r o f o n d s , les p o u f s r e b o n d i s , de soie fine. C h a q u e m e u b l e , t o u t objet indiquait un l u x e raffiné et de grand ton. Le silence régnait ; un c a l m e m y s t i q u e et e x t r a - h u m a i n , léger, d é l i c i e u x et o d o r a n t e n v e l o p p a i t , dès qu'il avait franchi la porte d'entrée d u vestibule, le visiteur, qu'à v o i x basse interrogeait u n e g o u v e r n a n t e a m è n e , m û r e et distinguée. Saint Y v e s d ' A l v e y d r e fit avancer le c o m t e de Lambert dans s o n petit salon particulier attenant au grand s a l o n o ù il avait patienté u n b o n m o m e n t . O n n'avait p o i n t accès dans le cabinet de travail que le maître tenait p o u r le sanctuaire i n v i o l a b l e de sa p e n s é e i n t i m e et qui, disait Saint Y v e s , c o m m u n i q u a i t a v e c u n oratoire. Il s'assit à c o n t r e - j o u r et suivant s o n h a b i t u d e pria G a s t o n de prendre place en face de lui, le v i s a g e en pleine lumière. A i n s i d o m i n a i t - i l sans tarder ses h ô t e s qu'il c o n s e r v a i t s o u s s o n regard. La c o n v e r s a t i o n fut plutôt un m o n o l o g u e .
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Saint Y v e s causait a d m i r a b l e m e n t , parlait u n e l a n g u e châtiée, maniait les m o t s avec u n art c o n s o m m é qui produisait des effets de m u s i q u e e x q u i s e — et il aimait q u ' o n l'écoutât a v e c recueillement. L'interruption le coupait à c o n t r e - t e m p s , la c o n t r a d i c tion lui était désagréable, car il espérait c o n v a i n c r e tout interlocuteur par la supériorité de s o n d i s c o u r s , à la rhétorique argumentée. Il c o n v e n a i t de le laisser é m e t t r e , dans t o u t e l'ampleur des tirades, ses idées c o u t u m i è r e s qui, belles, h a r m o n i e u s e s , se drapaient d'une m é t a p h y s i q u e aux p r o f o n d e u r s si m é l o d i e u s e s et si d i v i n e m e n t cadencées qu'à peine l'esprit parvenait à les fixer au milieu d u c h a t o i e m e n t des phrases, d e l'abondance des adjectifs, de la p l é n i t u d e des f o r m e s étincelantes. La d o c t r i n e g n o s t i q u e de Saint Y v e s , vaste et f é c o n d e c o m m e la nature universelle qu'elle prétendait traduire, ne p o u v a i t s'épancher d'un seul trait. Le Maître, orateur d'une s u a v e é l o q u e n c e , à la d i c t i o n parfaite, c o n d u i t e en s o u r d i n e , parfois c h u c h o t a n t e et qui s'éteignait aux m o m e n t s v o u l u s , m o u r a i t a u x e n d r o i t s p r o p i c e s — a v e c des g e s t e s o n c t u e u x de prédicateur e m i n e n t , amenait sans hâte, les diverses périodes, a r r o n d i s sait, sculptait, polissait les s u c c e s s i v e s parties de la c o n f é r e n c e , s'aidant de ses m a i n s fines, blanches et s o i g n é e s d e prélat, d u m o u v e m e n t varié de ses m a g n i f i q u e s y e u x d o u x et l o n g s , expressifs autant q u e c e u x d'une f e m m e qui est belle, séduisante, et ne l'ignore point. Le corps serré dans s o n haut fauteuil droit, episcopal, d e v e l o u r s violet, la poitrine un p e u b o m b é e s o u s la r e d i n g o t e très chic, à la b o u t o n n i è r e de laquelle le m i n c e ruban de la L é g i o n d ' H o n n e u r tranchait c o m m e le pétale sanglant d'une rose r o u g e , une perpétuelle cigarette à b o u t a m b r é f u m a n t entre les d o i g t s b a g u e t é s plus q u ' a u x lèvres o c c u p é e s à dire, les j a m b e s croisées qui laisaient e n t r e v o i r des chaussettes de s o i e v i o l e t foncé entre le bas du p a n t a l o n à d a m i e r s blancs et noirs et l'échancrure de légers souliers vernis lacés d'un large ruban, le m a r q u i s de Saint Y v e s d ' A l v e y d r e , captivant par tout s o n être de c h a r m e
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE seigneurial, vieillard de cour, si l'on o s e d o n n e r ce n o m de vieillard à une figure de n o b l e prélat r o m a i n o u de d i p l o m a t e i m p e c c a b l e qui frise à peine la soixantaine, mais d o n t la c h e v e l u r e b o u c l é e , la j o l i e m o u s t a c h e s o y e u s e et retroussée s o n t d'une blancheur de lait, le marquis n e s'arrêtait de c o m m e n t e r la théorie du V e r b e Incarné, la réalité universelle i m m a n e n t e et transcendante de la R é d e m p t i o n christique, l'unité f o n d a m e n t a l e des religions qui dérivent t o u t e s d'un c a t h o l i c i s m e originel d o n t le christianisme c o n s t i t u e la s y n t h è s e absolue, l'origine des langues et du s y m b o l i s m e à triple sens de leurs alphabets, h i é r o g l y p h e s des cultes, des p h i l o s o p h i e s , des s o ciét és , des sciences et des arts, d o n t lui Saint Y v e s avait réussi à reconstituer la racine au m o y e n de cet i n s t r u m e n t de G r a n d A r t : Ars Magna : L ' A r c h é o m è t r e , auquel il mettait la dernière m a i n après v i n g t années d'études et les révélations secrètes d'un b r a h m a n e initié aux u l t i m e s M y s t è r e s d i v i n s , A r c h é o m è t r e grâce auquel les chercheurs posséderaient enfin la clé s o u v e r a i n e de t o u t e la N a t u r e , de t o u t e s les religions, de t o u t savoir, A r c h é o m è t r e qu i livrerait sans a m b a g e s les arcanes s u p r ê m e s de la G n o s e , d e l ' H e r m é t i s m e , de l ' A l c h i m i e c o m m e de l ' A s t r o l o g i e et de la M a g i e -— le m a r q u i s ne s'arrêtait que pour rallumer u n e autre cigarette en affirmant qu'il avait réalisé à m e r v e i l l e la t r a n s m u t a t i o n des m é t a u x , o u p o u r tremper ses lèvres infatigables dans u n e c o u p e de c h a m p a g n e de m a r q u e , en invitant le j e u n e h o m m e à l'imiter, a v e c u n e sollicitude tout à la fois paternelle et m o n d a i n e . Il versait le c h a m p a g n e qui était excellent, assez sec, offrait une cigarette, passait les biscuits roses et reprenait la parole. A six heures d u soir, L a m b e r t était e n c o r e là. Il revint le s u r l e n d e m a i n et resta aussi l o n g e m e n t s o u s le c h a r m e p r e s t i g i e u x , s o u s l'influence annoblissante de la dialectique chaude, m o e l l e u s e , prenante de cet i n c o m p a r a b l e m y s t i q u e intellectuel qui émerveillait par la grâce et l'habileté de ses c o n s t r u c t i o n s m é t a p h y s i q u e s , qui ne concluait en s o m m e p o i n t , m o n t r a i t des h o r i z o n s i m m e n s e s , esquissait u n e critique générale des divers s y s t è m e s m o d e r n e s , puis u n e s y n t h è s e f o r m i d a b l e c o m m e le C o s m o s , prêtait l'éclat de
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son art, de son intelligence, de sa conviction ardente aux splendides et impalpables Idées, vraies fantasmagories alexandrines, qu'il déroulait sans lassitude apparente, qu'il combinait en un amalgame irradiant, mais qui s'étalerait, telle une mer chantante aux flots azurés sur des rivages invisibles et des plages enchanteresses. Lambert constata, au cours de ses entretiens avec celui que les chefs de l'Hermétisme considéraient comme un être presque sur-humain, un thaumaturge et un inspiré dont on recueillait avec dévotion les avis, que Saint Yves prisait fort peu la propagande occultiste et le mouvement ésotérique et que ses idées sur l'initiation, les sociétés secrètes, la magie, différaient sensiblement des opinions qu'avaient sur ces points, Papus, Guaita et d'autres. Saint Yves faisait peu de cas des systèmes occultistes, de même que de la plupart des occultistes. Il estimait arbitraires leurs classifications extra-terrestres, dangereuses leurs pratiques et il identifiait la Magie avec la Religion pure, avec le Savoir absolu que seul l'homme uni au Christ atteint car il vit alors en Dieu. Lambert, quelque vif que fut son désir de s'imprégner des effluves bénéfiques et de la force morale puissante qui émanaient de Saint Yves — de qui les ouvrages, se disait-il, la Mission des Juifs, par exemple, son chef-d'œuvre, ne donnaient pas la véritable caractéristique : il fallait, non lire, mais entendre et voir Saint Yves d'Alveydre — Lambert prit congé du marquis sur l'invitation cordiale de ce dernier à venir le revoir car il éprouvait de son côté une immédiate estime et de l'affection pour le jeune homme loyal, sincère, chercheur sans intérêts matériels qui lui avait soumis sa mentalité et son âme nues, demandant en échange les conseils éclairés du Grand A m i . » 8
C e témoignage donne bien à penser que Saint Yves n'était pas entièrement ruiné, et vivait à Versailles, dans
8. Jollivet-Castelot, pp. 205-211.
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l'élégance et une certaine opulence, m ê m e si c'était dans la discrétion. Mais l'événement le plus important et le plus grave de toute cette période fut le décès de Marie Victoire, dont l'acte conservé par la mairie de Versailles (n° 712) est le suivant : « D u v e n d r e d i sept j u i n 1895, trois heures d u soir, acte d e décès de M a r i e V i c t o i r e , C o m t e s s e de R i z n i t c h R z e w u s k a , sans p r o f e s s i o n , née à O d e s s a (Russie) le 2 4 d é c e m b r e 1827, d é c é d é e aujourd'hui à 1 heure u n quart du soir en sa d e m e u r e à Versailles, 9, rue C o l b e r t , é p o u s e de A l e x a n d r e J o s e p h m a r q u i s de Saint Y v e s d ' A l v e y d r e , propriétaire, m ê m e d e m e u r e . Les t é m o i n s s o n t C o n s t a n t François D u c h o n , maître d ' H ô t e l âgé de c i n q u a n t e - q u a t r e ans, d e m e u r a n t dite rue C o l b e r t 9 n o n parent de la défunte et Baptiste Fertelle, maître d'hôtel âgé de s o i x a n t e - d o u z e ans d e m e u r a n t à Versailles, a v e n u e de Sceaux 4, à défaut de parent o u de v o i s i n ; lesquels après lecture faite et le décès c o n s t a t é o n t s i g n é avec n o u s , Isidore Lenoir, adjoint au M a i r e , remplissant par d é l é g a t i o n les f o n c t i o n s d'officier public de l'Etat civil »
(Suivent les signatures.) Marie Victoire avait donc 67 ans et demi ; Saint Yves venait d'avoir 53 ans. Cet événement devait avoir une influence considérable sur sa vie mais aussi sur l'évolution de sa pensée. D'abord parce qu'il avait élaboré, on l'a déjà vu, toute une théorie sur le rôle initiatique de la femme, dont j ' a i parlé n o t a m m e n t à propos de « RETOUR DU CHRIST » et de la « MISSION DES JUIFS», et qu'à partir de là il avait donné une signification providentielle à sa rencontre avec Marie Victoire et à son m a r i a g e : «Date divinement mémorable dans ma vie». Peut-être un partisan des théories psychanalytiques en tirerait-il argument... C'était ainsi pour lui, et donc la rupture par la mort ne pouvait logiquement qu'emporter des conséquences dou-
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loureuses. Mais aussi, la doctrine que Saint Yves professait au sujet de la mort, et qu'on a évoqué à propos des « CLEFS DE L'ORIENT », devait en l'occurence trouver une application concrète dans une recherche de la communication avec l'âme de la morte. Ici on entre une nouvelle fois dans l'étrange et cela exige rigueur de la part du biographe, surtout lorsqu'il n'admet aucunement la réalité de quelque communication que ce soit avec les morts. A vrai dire, ce n'est pas la première fois ni la dernière que Saint Yves déconcerte ! Ce deuil, donc, emporte des conséquences sur deux points principaux : il broie littéralement Saint Yves et le détourne largement de toute vie publique ; mais aussi il devient source d'une inspiration nouvelle. Il arrivera d'ailleurs, sur le premier point, que des disciples, Papus, Barlet, Dupin, fassent assez peu discrètement allusion à ce deuil — ce qui donnera d'ailleurs à Paul Vuillaud l'occasion d'une de ces charges méchantes dont il avait le secret : « Depuis ce trépas, le mage en douleur étale son chagrin dans tous ses ouvrages, en leur attribuant une céleste inspiration, ce qui était fort compromettre la science angélique. Quoi qu'il en soit les productions Alveydriennes ont pris une physionomie de littérature de veuf inconsolable. Ses disciples veillent fidèlement à leur conserver cette allure. Au ridicule de publications insensées s'est jointe la révoltante impudeur d'exposer sur la place publique des sentiments qui devraient, lorsque le chagrin qu'on éprouve à ce point de formes théâtrales, rester dans l'intimité du cœur. Je touche à un sujet que je sais autant que personne délicat et respectable lorsque l'affliction est supporté avec dignité, mais quand on promène son deuil sur l'agora, il devient naturel de trouver suspects des gémissements criards et sans harmonie, un crêpe d'une largeur trop ostentatoire. Lorsqu'on se targue que le Saint Père vous a fait bénéficier
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d'un induit pour organiser chez soi un oratoire mortuaire, on ne va pas, comme un jocrisse, larmoyer en plein vent . » 9
Ce texte — méchant et hargneux c o m m e souvent chez Vulliaud — n'est évidemment pas révélateur d'un sentiment c o m m u n , puisqu'il est inédit; je l'ai cité néanmoins parce qu'il pose tout de m ê m e la question de savoir si le deuil de Saint Yves fut aussi ostentatoire. Pour avoir eu en main les mêmes archives qu'étudiait, assez mal, Vulliaud, je pense que le j u g e m e n t est injuste. Certes quelques disciples — j ' a i noté Papus et Dupin — ont bien fait allusion publiquement aux souffrances de Saint Yves , mais c'est brièvement et sans qu'à m o n avis on puisse en tirer argument. Saint Yves lui-même, dans « L A SAGESSE VRAIE», principal texte doctrinal de « L'ARCHÉOMÈTRE », les mentionne aussi dans sa préface : « C'est cette même charité qui malgré le plus cruel des deuils, malgré l'âge, malgré la maladie, nous fait terminer l'œuvre que nous avions promise au divin Maître d'entreprendre, et avec son aide d'accomplir. La gloire n'en doit revenir qu'à Jésus Christ seul, et en lui, à l'âme angélique à laquelle il nous a uni et dont- il a voulu que la mort elle-même ne pût nous séparer '". » Il faut se rappeler toutefois que ce texte ne fut m ê m e pas publié du vivant de Saint Yves.
9 . Paul Vulliaud: «HISTOIRES ET PORTRAITS DES ROSE-CROIX». Manuscrit inédit conservé par le fonds Vulliaud de la Bibliothèque de l'Alliance Israélite Universelle. J'ai pu avoir connaissance de ce document grâce à M . François Secret, chercheur érudit à la méthode impeccable, que je remercie. Sur ce document et son histoire, voir l'étude indispensable de Robert Amadou : « LES ARCHIVES DE PAPUS À LA BIBLIOTHÈQUE MUNICIPALE DE LYON » dans « L'INITIATION » avril-maijuin 1 9 6 7 , page 7 5 . 10. «L'ARCHÉOMÈTRE», p. 9 .
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Dans ces conditions, le procès fait par Vulliaud est assez mal venu, et est surtout l'expression d'une humeur acariâtre. Peut-être d'ailleurs, Vulliaud eût-il dû lire plus attentivement les correspondances de Saint Yves. De ce point de vue il faut verser au dossier des éléments d'une lettre à Papus, écrite de Londres sur papier à entête du « Savoy Hotel, Victoria E m b a n k m e n t » et non datée (mais Saint Yves la situe vingt mois après son veuvage, donc en février 1897). J'en transcris quelques phrases : « Pas un mot de votre cœur au mien n'est perdu, depuis ce terrible 6 juin 1895, et bien que je me sente plus broyé que jamais et que la sorte de pudeur d'une douleur indicible et sans autre guérison possible que la mort m'ensevelisse dans la solitude et dans le silence du tombeau, j ' y suis d'autant plus sensible à une affection aussi lumineuse et comprehensive que la vôtre — je ne sépare pas de vous ce bon et cher Faucheux que j'aime aussi de tout mon cœur. Ayez la bonté cher ami de le lui dire à l'occasion, en attendant queje le fasse moi-même, quand je pourrai proférer autre chose que des sanglots et moins contrister mes amis. Hélas oui, je pourrai peut-être faire ce que votre affection présume de moi et écrire sur N.S.J.C. le livre émotionnel qu'une suprême douleur imprime depuis vingt mois dans ma vie, en l'écrasant. Mais il faut pour cela que le cerveau qui n'est qu'instrumental du cœur, comme la Science l'est de la vie, change en idées extériorisables la gnose directe de l'âme vitale, transpenssée (sic) en moi dans son essence même, dans une sphère de vie cardiaque si intense qu'elle est presque invivable à toute chair, et si voisine du verbe divin (qui n'est qu'Amour) qu'elle est ineffable, ou à peu près à notre entendement et à notre langage inversés. » Toute la lettre — j e n'ai reproduit que 4 feuillets sur 20 — mériterait d'être citée. Pour l'heure, j ' e n retiens les points suivants : — assurément Saint Yves se montre sentencieux,
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mais ni plus ni moins qu'avant et ni plus ni moins que la moyenne de ses contemporains. Mais s'agissant d'une lettre privée, je la trouve assez pudique quant à l'expression de ses sentiments. De plus, deux points d'histoire sont à retenir : il manifeste beaucoup d'amitié à Papus, mais tout autant à Barlet (de son vrai n o m Albert Faucheux) ; cela est à noter puisqu'on verra dans quelques années les deux h o m m e s s'affronter, ou du moins être mêlés à des affrontements, à propos de l'héritage spirituel de Saint Yves. L'autre point, c'est qu'en dépit de sa peine, Saint Yves songe à écrire un livre sur « N o t r e Seigneur Jésus Christ » et qui sera : « LA SAGESSE VRAIE » que j ' a i déjà citée. Et cela nous amène très directement à essayer de comprendre l'histoire, posthume en quelque sorte, de Marie Victoire, « l'Ange » de Saint Yves. Pour cela, on peut recourir à quelques témoins dont j ' a i cité les noms. C'est Papus qui écrit dans l'édition 1898 de son
« TRAITÉ ÉLÉMENTAIRE DE SCIENCE OCCULTE » :
« Dire aux prix de quelles souffrances atroces le Maître intellectuel est parmi nous, alors que déjà la moitié de son âme est réintégrée... » Et le m ê m e écrira plus tard dans la dédidace de l'édition p o s t h u m e à « L'ARCHÉOMÈTRE » :
« Si vous aviez vécu, pour assister à cette naissance de votre œuvre actuelle, la dédicace de cette œuvre eût été faite par vous à l'Ange, qui a présidé, de l'autre côté, à son édification. C'est à votre chère femme, c'est à cet esprit angélique descendu sur terre pour illuminer de tout le rayonnement de sa beauté, de sa spiritualité, notre pauvre enfer d'ici-bas, c'est à elle que votre œuvre aurait rendu hommage. Aussi est-ce un devoir pour nous d'évoquer en tête de cette publication qui vient d'un autre plan la mémoire de
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celle qui en a été l'inspiratrice, dans le Monde de la parole vivante . » 11
Il y a bien là une affirmation précise et qui ne souffre pas d'équivoque. D'ailleurs Barlet sera lui aussi très affirmatif : « Saint Yves obtint de transformer en chapelle ardente la chambre où sa femme était morte et, grâce à sa science sur le culte des morts, il eut bientôt la consolation de pouvoir communiquer avec l'âme de l'absente (...) Il plongea plus que jamais dans les profondeurs de la méditation silencieuse son esprit mûri maintenant par les épreuves autant que par l'étude. Il ne tarda pas à y retrouver les secours providentiels : un jour de grande fête religieuse, à la suite d'une cérémonie sacrée, il reçut une inspiration subite qu'il a toujours attribuée à l'âme de sa femme : c'était la clef de l'Archéomètre . » 12
O n pourrait ici reproduire encore d'autres témoignages, mais l'essentiel est maintenant dit ; il appelle cependant quelques compléments. Jollivet Castelot, on l'a vu, faisait allusion à l'existence d'un oratoire dans l'appartement de Versailles ; et il est possible de préciser que la chambre mortuaire avait été « érigée en lieu Saint » par un induit du Pape Léon XIII du 4 août 1895, c'est-à-dire peu de temps après le décès de Marie Victoire. Toutefois je dois dire une nouvelle fois que mes demandes de renseignements — bien innocentes ou qui me paraissent telles — auprès des Archives secrètes du Vatican se sont heurtées à une fin de non recevoir comparable à celle que j ' a i signalée pour le titre nobiliaire. Raison d'Etat, hélas, 11. «L'ARCHÉOMÈTRE», p. 3. 12. Barlet, op. cit., pp. 32-33.
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qui montre bien ce qu'est la bureaucratie vaticane et justifie les jugements de Saint Yves sur le caractère temporel de cette «puissance». A moins qu'il y ait d'autres raisons «supérieures». Lesquelles? U n e seconde précision doit être relevée chez Barlet dans une note relative au texte que je viens de reproduire : « Il est essentiel d'ajouter à ce propos que ce genre de communication n'avait absolument rien de commun avec le spiritisme ; on verra à propos de sa doctrine qu'il en a toujours condamné énergiquement les pratiques. Il n'avait jamais eu aucune faculté médianimique, et ne se servait d'aucun médium. Ses cérémonies, beaucoup plus sacrées, étaient d'un tout autre ordre; il ne se serait jamais permis une évocation qu'il n'a cessé de flétrir comme une profanation condamnable et pernicieuse. » 13
Il est assurément intéressant que Barlet prenne soin de distinguer les pratiques de Saint Yves, de celles assez bien connues des diverses chapelles spirites ; (il est vrai aussi qu'en l'espèce il prend soin de récuser toute pratique «médianimique», ce qui répond aux accusations portées contre Saint Yves à propos de ses jeunes années). Mais il ne définit pas pour autant la nature exacte des rites plus ou moins religieux — et probablement religieux — auxquels Saint Yves a pu s'adonner à cette occasion. En tout cas, il me paraît opportun de prier le lecteur de se reporter aux différentes citations d'oeuvres de Saint Yves et en particulier de « CLEFS DE L'ORIENT » qui ont été données précédemment, en vue de favoriser la compréhension de cet aspect de sa vie. De plus, je puis livrer une pièce supplémentaire qui se trouve dans les Archives de Papus à la Bibliothèque de la
13. d" p. 32.
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Sorbonne, elle se trouve dans le MS 1823, au feuillet 166 et n'a rigoureusement aucun rapport avec les textes qui l'entourent. Saint Yves écrit — de sa main — ce qui explique aisément que des mots soient illisibles : « Anniversaire 6 juin 1896. Messe à 7 h dite par l'Abbé Simonin. Il a apporté des vêtements sacerdotaux blancs et or, croyant avec moi que ma bien-aimée femme est une Sainte en Paradis — Communion — Coïncidence miraculeuse même jour à la chapelle du Palais de Malte. Lettre de Nina. Charités au nom de mon ange à l'évêque, au curé, à la Supérieure des orphelines — Réponses. A 5 h arrivée des orphelines et de la Sœur. Prières et chapelet — Emotion entre mon Ange et moi. Elle me dit « Oh que je suis heureuse ! » (Suivent trois mots illisibles — puis trois autres qui me paraissent être « Béni ! Béni ! Béni!») 7-8-9 juin. Sensation grandissante de sa paix en moi. — 1 0 — A son autel, dans sa chambre, elle guérit mon cœur. Sensation d'une opération d'extraction d'aiguilles puis plénitude de sa présence rayonnante et chaude dans ma poitrine et mon côté gauche. Lecture de la messe ensemble. Bénédiction par elle de ses chères reliques. Trois oracles (?) à Elle par l'Evangile : 1) veuvage (?) 2) Saint Esprit 3) Ange. » T o u t n'est évidemment pas compréhensible dans une telle note ; et sans doute d'autres documents de cette nature, voire plus précis demeurent-ils à découvrir. Toujours est-il que celui-là confirme bien que la « communication » (ou son illusion) entre Saint Yves et Marie Victoire intervint rapidement après le décès de cette dernière, et à l'occasion de rites religieux. Par ailleurs, il n'est pas douteux que ce type de — faut-il dire relation ? — demeure important jusqu'au bout pour Saint Yves. En témoignent les poèmes qu'il publiera
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dans une petite plaquette intitulée « SOUVENIR DU JEUDI SEPTEMBRE
IQOO ET VŒUX DE
IQOO-IQOI »
N O Ë L
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2 0 C E S
poèmes curieux, d'une facture radicalement différente de ceux qu'on a cités jusqu'à présent sont remplis d'allusions incompréhensibles, si l'on n'a pas à l'esprit ce que je viens de retracer. En particulier le premier, dont le titre est «AMRITA». Pour les hindous, ce dernier mot désigne un « breuvage d'immortalité » dont Guenon a souligné qu'il est identique à l'Ambroisie des grecs ou au H o m a Mazdéen, et que comme la myrrhe des Rois mages (dans lesquels il voit les trois chefs de l'Aggartha), il symbolise un baume d'incorruptibilité. En reproduisant ce poème peu connu, je pense qu'il fait effectivement allusion à ces étranges apparitions de Marie Victoire dont Saint Yves prétendit avoir été le bénéficiaire. AMRITA
Mes yeux se sont fermés : ... on m'éblouissait l'âme! Interdit, frémissant, je priais : Ange et Femme ! Lumière de Beauté du dedans au dehors, Immortelle!... Est-ce Toi, translucide en un corps? Toi, mon Ciel dans les Cieux,... Grâce, Bonté, Génie, Sensitive du Verbe émouvante,... Harmonie Attractive et vibrante à Ses plus doux Accords ? Dieu seul entend ces Voix sans Paroles physiques ; Et l'Admiration, Muette aux saints accents, Me L'évoquant aux sons d'angéliques Musiques, Ouvrait ses Ailes d'or sur des Gloires d'encens ! Nous Vous chantions.
14. Cette plaquette rarissime a été reproduite intégralement dans la «BÉLISANE 1978», Nice, 1979, à la suite de l'article de Gilbert Tappa : « S A I N T Y V E S D ' A L V E Y D R E . A P R O P O S D ' U N E R É C E N T E BIBLIOGRAPHIE». Dans le n" suivant (Nice, 1980), M M . Tappa et Boumendil m'ont permis de publier la partition musicale d ' A M R I T A .
Revue
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Sœur ! Quand mon œuvre accomplie Te sentira jouir du Dieu qui la dicta, Elle, mon Ange, et moi, prenant le Char d'Elie, Nous viendrons Te verser la céleste Amrita ; Et, dans le Paradis rapproché de la Terre, Glorifiant Ta Foi, Colombe du Mystère, Ravis, nous Te dirons... ou les Splendeurs du Ciel, Ou les Chants infinis de l'Amour Eternel ! Il serait intéressant de disposer d'assez d'éléments pour étudier la nature exacte de ce type d'évocations, en relation n o t a m m e n t avec les écrits d'Eliphas Levi, en particulier en ce qui concerne l'évocation d'Appollonius de Thyane chez Bulwer Lytton, mais aussi quelques autres. La question demeurera posée... Au point où nous en sommes, au m o m e n t ou Saint Yves va se consacrer principalement à son « grand œuvre archéométrique » on constate une convergence d'aspirations et de recherches qui vont expliquer l'émergence de cette entreprise. Je ne reviendrai pas sur l'ancienneté du rêve chez Saint Yves ; qu'on se rappelle la phrase de « CLEFS DE L'ORIENT » relative à « La nécessité d'un ultimum Organum, instrument de précisions nécessaire pour dresser une hiérarchie vraie des sciences naturelles et des arts... » Par ailleurs, on a signalé que l'origine de ces travaux a été attribuée aux orientaux avec qui Saint Yves a été en relations dans les conditions décrites au chapitre précédent. Enfin, on vient de voir que l'inspiration « angélique » de Marie Victoire serait intervenue dans l'affaire. O n ne doit pourtant pas perdre de vue, et cela importe à proportion m ê m e des immenses lectures de Saint Yves, qu'il avait eu de n o m b r e u x prédécesseurs dans ce type de recherches... ou de rêves
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Il serait inutile et pédant de les recenser tous. J'en citerai néanmoins quelques-uns, signalés par des esprits proches de Saint Yves, et qui avaient bien compris la signification de ses travaux. Ainsi Victor Emile Michelet rappelle-t-il les œuvres d'un Raymond Lulle, dans son « ARS MAGNA » — appelé aussi «ARS COMBINATORIA ». Il rappelle aussi les efforts de Guillaume de Carpentras qui avait construit pour Charles VIII « des sphères astrologiques au moyen desquelles on pouvait dresser des horoscopes ». 15
Sédir, autre esprit attentif et digne de considération, signale pour sa part les travaux d'un Francisco Sanchez qui, vers la fin du x v r siècle, inventa (ou reçut de la Providence ?) plusieurs « interprétations subtiles des Ecritures». Il signale que ses méthodes « Dépassent en ingéniosité tout ce que Tritheme et Porta ont écrit sur le sujet. Il a découvert la racine de toutes les langues et a construit à cet effet un « speculum archetypum » qui donne le sens de tous les mots imaginables, puis la clef de tous les systèmes musicaux». Sédir signale à juste titre la parenté de ces recherches avec celle de Saint Yves . O n pourrait certes trouver bien d'autres exemples, dans le passé le plus lointain, de telles obsessions. Elles ne sont ni méprisables ni négligeables, m ê m e si elles relèvent souvent de « l'idée fixe », et certaines témoignent profondé16
1 5 . V i c t o r E m i l e M i c h e l e t : « LES COMPAGNONS DE LA HIÉROPHANIE », Paris s.d. (Dorbon) réédité par Bélisane, p. 1 1 9 . 1 6 . Sédir : « LES ROSE-CROIX », Paris, 1 9 5 3 (Les amitiés spirituelles), page 1 4 3 .
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ment de l'aspiration à l'intelligence et à l'unité de l'esprit humain. Saint Yves en a probablement étudié un certain n o m b r e au cours de ses lectures. Mais parmi les auteurs proches de lui dans le temps, il en est deux qui ont pu l'inspirer très directement. Ils sont tout deux signalés par Victor Emile Michelet qui a bien connu Saint Yves et a été admis à voir fonctionner l'archéomètre à Versailles ; il s'agit d'Adolphe Bertet, « le Paysan de Saint Pierre », et d'Hoene Wronski, inventeur du « prognomètre »... entre beaucoup d'autres choses. Rien ne prouve que Saint Yves ait connu l'œuvre du premier, pourtant sur un point il existe une bien singulière parenté. Adolphe Bertet (1812-1875), notaire et avocat savoyard, a publié deux ouvrages curieux ; le premier à Paris en 1861
: « L'APOCALYPSE DU BIENHEUREUX JEAN RÉVÉLÉE OU
dans lequel il établit un parallélisme entre les XXII Arcanes du Tarot et les chapitres de l'Apocalypse. DIVULGATION SECRÈTE DU CHRISTIANISME»,
L'autre ouvrage parut à C h a m b é r y en 1870 est signé « le Paysan de Saint Pierre » (il faut savoir que Bertet naquit et mourut à Saint Pierre d'Albigny en Savoie) et s'appelle «LE PAPISME ET LA CIVILISATION AU TRIBUNAL DE L'EVANGILE ÉTERNEL »...
Or, entre autres choses curieuses, l'un des deux tomes s'ouvre sur une sorte de tableau astrologique établissant des concordances entre notes de musique, signes du zodiaque, métaux, animaux, tribus d'Israël e t c . . Je reproduis ici ce tableau. O n ne peut qu'être frappé, c o m m e l'avait été Victor Emile Michelet par la ressemblance entre cette figure et celle de l ' A r c h é o m è t r e . Toutefois il est bien difficile de porter un jugement sur la valeur de l'œuvre. Eliphas Lévi en avait un sévère ; il comparait d'ailleurs Bertet à Vaillant que nous
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avons déjà rencontré c o m m e inspirateur possible de Saint Yves : « Nous pouvons placer Bertet à côté de Vaillant — Vaillant a fabriqué une fausse clef; Bertet a dérobé la vraie et s'en sert pour déranger la serrure au lieu d'ouvrir. Ce dernier n'en a pas moins deviné mille choses que j'explique de vive voix à mes disciples et qui ne sont pas dans mes livres . » l?
Autant il est difficile d'établir si Saint Yves a connu les travaux de Bertet, autant il est probable qu'il a été informé de l'existence du « prognomètre »de Wronski. C'est là une histoire étrange d'ailleurs qui fait intervenir le milieu balzacien de la famille de Marie Victoire... Wronski (1778-1853) d'origine polonaise et longtemps officier, mathématicien, astronome et aussi philosophe p r o lixe influença considérablement Eliphas Lévi. Ce dernier rapporte dans sa correspondance les conditions dans lesquelles fut construite cette étrange machine. Je cite d'après Chacornac : « Il s'essayait, dit A. Constant, à des inventions, faisait construire des machines mathématiques, des roues à mouvement perpétuel admirablement combinées, car c'était un mathématicien transcendant ; seulement les diables de machines ne fonctionnaient jamais ; parce que le cuivre et l'acier, n'entendant rien à l'algèbre, ne se rendaient pas à l'évidence de ses démonstrations. Une de ses recherches les plus fiévreuses et les plus dissimulées consistait à trouver une machine à deviner, ou un prognoscope calculant les probabilités et posant les équations des faits passés, présents et à venir, pour en venir à déterminer la valeur de tous les X imaginables. 17. Eliphas Lévi cité par Paul Chacornac in « ELIPHAS LEVIRENOVATEUR DE L'OCCULTISME EN FRANCE», Paris, 1926 (Librairie générale des Sciences occultes — Charcornac Frères), pp. 208-209.
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Enfin, un jour, il s'écria, comme Archimède, Eureka ! et il fit venir des ouvriers auxquels il recommanda le plus grand secret ; il ne donna le plan de sa machine à personne, mais il la fit exécuter pièce par pièce, se réservant le soin de l'ajuster (il était lui-même un peu mécanicien). C'était énormément compliqué, mais harmonieux dans son ensemble comme l'univers. La machine à prédire fut confectionnée à grands frais. Ce sont deux globes de métal, enclavés l'un dans l'autre, et roulant sur deux axes cruciformes dans un grand cercle immobile, plein de petites cases qui s'ouvrent et se ferment, et contiennent les principes de toutes les sciences ; la synthèse des mêmes sciences, classées suivant leurs analogies, est gravée sur le double globe qui gravite autour des deux axes. La machine entière ressemble à un grand globe céleste, recouvert de bismuth poli, et monté sur une armature de cuivre doré. Il y a un polarisateur garni de flèches et de compas ciselés. D'un côté est un globe surmonté d'un triangle, et de l'autre, l'étoile flamboyante des mages. C'est un merveilleux instrument et qui a dû coûter des sommes folles. Sur le globe intérieur, qui est mi-parti clair et obscur, sont écrites de la main même de Wronski, les équations des sciences comparées, et sur le grand cercle immobile les principes fondamentaux des mêmes sciences sont écrits de la même main. Wronski n'avait confié le secret de son prognomètre (ou prognoscope) qu'au marquis Sarrazin de Montferrier, son beau-frère, qui était le dernier grand prêtre des prétendus Templiers. J'avais entendu parler à mots couverts de cette merveille du monde, dont Wronski était jaloux comme Ménélas de la belle Hélène. Mais je doutais un peu de son existence. Je sus d'ailleurs que Wronski avant de mourir avait démonté toutes ses machines, et en avait fait vendre le cuivre aux auvergnats. » Lévi devait pourtant l'avoir en main quelque temps après. Vers 1873, en effet, à ce que raconte Chacornac, il devait la trouver chez un brocanteur qui procédait à la vente des biens d'un certain Valette, fusillé par les Versaillais
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c o m m e « c o m m u n a r d » et qui avait été collectionneur d'autographes et de curiosités. Ce qui nous vaut la description de cette curieuse machine, que je reproduis : « C'était, un grand globe resplendissant couvert d'écriture mystérieuse ; je lis sur une des colures : TOUTES LES SCIENCES SONT LES DEGRÉS D'UN CERCLE QUI ROULE SUR LE MÊME AXE.
Sur un autre : L'AVENIR EST DANS LE PASSÉ, MAIS IL N'EST PAS CONTENU TOUT ENTIER DANS LE PRÉSENT. LES CONNAISSANCES ASSOCIÉES SONT LES RAYONS DU PROGNOMÈTRE.
Je touche un ressort, le globe de bismuth s'ouvre et me laisse voir un autre globe intérieur, couvert d'équations mathématiques que je reconnais pour être de l'écriture de Wronski... J'avais sous la main le chef-d'œuvre de ce pauvre grand savant qui, en mourant, m'avait désigné pour être l'héritier de son idée religieuse : le messianisme, mais qui n'eût jamais consenti de son vivant à me laisser voir et toucher son fameux prognomètre. La machine est véritablement admirable... En voici à peu près la forme.
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Sa figure est celle de la lettre Schin ßf- La double branche qui part du pied de la machine, se termine par deux boules de cuivre surmontées de deux pyramides triangulaires ; l'une est le savoir divin, l'autre le savoir humain, partant de la même base et fonctionnant ensemble mais toujours opposés l'un à l'autre afin que l'harmonie résulte de l'analogie des contraires. L'homme peut faire le tour de la sphère des sciences ; jamais il ne rencontrera Dieu qui semble fuir devant ses recherches et qui lui est toujours caché par le globe c'est-à-dire par l'épaisseur des choses. Cependant Dieu le polarise et lui fait équilibre même dans ses plus grandes erreurs. Le globe qui symbolise la divinité se démonte et on y ht : TOUT CE QUI DOIT ÊTRE A ÉTÉ, EST ET SERA
Autour du globe sont fixées quatre lettres découpées et mobiles A. B.X. Z, équivalent de n V V signes algébriques, et qui ont la valeur de Dt^*J3N< l^ globe sortent deux branches articulées et munies de petits compas donnant la proportion de ce qui est en haut avec ce qui est en bas et du globe qui tourne avec son Zodiaque immobile. Le globe du savoir humain porte une pyramide sur la pointe de laquelle le signe de Salomon se présente de tous côtés et la flèche tournée vers le globe est terminée par le pentagramme, signe de l'initiative et de l'autonomie humaine. Le globe, qui se compose de deux sphères l'une dans l'autre, a un double mouvement de rotation, l'un autour de son axe vertical, l'autre autour de son axe horizontal. Pour déterminer l'axe dont on veut se servir il suffit de déplacer une vis. Cette machine philosophique est toute une encyclopédie et le globe intérieur est chargé de longues équations que les plus forts mathématiciens de l'Académie des Sciences auraient sans doute de la peine à déchiffrer. Sur la roue, qui dans les sphères célestes ordinaires porte les signes du Zodiaque, sont établies des portes qui s'ouvrent et se referment à volonté. Sur les portes sont écrits e n e
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le nom des Sciences ; sous les portes sont écrits à la main les axiomes fondamentaux de chacunes d'elles. Il y a trentedeux portes et sur chaque porte le nom de trois sciences. Les axiomes sont d'une grande précision et tracés d'une manière très nette mais d'une écriture si fine qu'avec une loupe je lis encore assez difficilement . » 18
Voilà à peu près tout ce qu'on sait de cette curieuse machine, sorte « d'ordinateur spirituel » avant la lettre, si l'on veut. Saint Yves en a-t-il eu connaissance? Pour répondre à cette question, on doit rappeler qu'Eliphas Lévi, mort le 1 juin 1 8 7 5 , avait légué plus de 3 0 0 livres, une dizaine de manuscrits et le « prognomètre » au C o m t e Georges de Mniszech ( 1 8 2 2 - 1 8 8 1 ) , qui n'était autre que le gendre de Madame Hanska, pour avoir épousé sa fille unique Anna ( 1 8 2 8 - 1 9 1 5 ) , qui était elle-même la cousine germaine de Marie Victoire. Saint Yves connaissait assurément bien ce couple et on a vu, en consultant le sommaire de « TESTAMENT LYRIQUE » qu'il lui avait dédicacé des poèmes : « LA SŒUR » à M la Comtesse Georges de Mnizsech (page 8 3 ) , « L'EPOUSE DE DIEU » au C o m t e lui-même (page 4 8 7 ) . O n remarquera qu'il avait aussi dédicacé un poème à Jean Gigoux, peintre franc-comtois qui, de 1 8 5 2 à 1 8 8 2 , fut uni à M""-' V de Balzac par « un lien presque conjugal » selon André Maurois. O r toute cette famille se retrouvait au château de ER
rac
vc
18. d° pp. 136-139.
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Beauregard à Villeneuve-Saint-Georges, (devenu la Mairie) que fréquentaient aussi Eliphas Lévi, les Comtes Branicki, et où Georges de Mniszech avait entreposé une extraordinaire collection d'insectes rassemblée par l'entomologiste passionné qu'il était. Le château comportait aussi un laboratoire d'alchimie . Le C o m t e m o u r u t dément en 1881, peu de temps avant sa belle-mère; Anna vendit le château en juillet 1882 et se retira au couvent des Dames de la Croix, rue de Vaugirard. Les collections de toutes sortes furent dispersées. Mais que devint le « prognomètre » ? Paul Chacornac qui écrit en 1926 se borne à dire : ,v
« La machine de Wronski devint la propriété du Comte Mniszech ; aujourd'hui elle est entre les mains d'un occultiste connu. » QUI?
Toujours est-il qu'on imagine mal que Saint Yves, s'il était averti de son existence, ait pu négliger de regarder de très près cette réalisation si conforme à ses propres rêves. C o m m e n t en savoir davantage ? Il me semble pourtant qu'à travers ces quelques exemples, le lecteur peut déjà se former une certaine idée de ce que voudra être l ' A r c h é o m è t r e , tout en étant fondé à reprocher au biographe de « tourner autour du pot ». C e qui, au demeurant, est tout à fait exact. Mais c'est que les points de repère font terriblement défaut dans cette période de la vie de Saint Yves. L'idéal serait en effet de pouvoir retracer dans le détail l'émergence de l'idée de l ' A r c h é o m è t r e et les étapes de sa réalisation. O r ce n'est pas possible : nous nous trouvons en présence, d'une part du recueil qui porte ce n o m , et de
19. d' p. 193.
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q u e l q u e s a u t r e s r é a l i s a t i o n s ( « L A THÉOGONIE DES PATRIARCHES», les œuvres musicales), et d'autre part, de masses d'archives assez désordonnées (celles de Lyon et celles de la Sorbonne) quand il s'agit de dater les pièces conservées. Et brochant le tout, la disparition des Archives personnelles de Saint Yves... Sans compter celles qu'il avait «réservées» et paraît-il placées «en lieu sûr», et qui sont actuellement inaccessibles. En l'état actuel de la recherche je dois avouer qu'une présentation réellement méthodique de ce sujet me paraît difficile, pour des raisons qui tiennent aux méthodes de travail de Saint Yves lui-même, c o m m e au comportement de ceux qui se disaient ses disciples. Car à vrai dire, si les archives qui ont servi à la publication posthume de l ' A r c h é o m è t r e nous sont parvenues dans un tel état de désordre, ce n'est pas seulement affaire de conservation, mais bien parce que l'œuvre m ê m e demeura inachevée. Au chapitre suivant, nous tenterons de proposer quelques pistes pour une remise en ordre. Mais cela nous impose, dès maintenant, de poursuivre l'analyse strictement historique des conditions dans lesquelles Saint Yves poursuivit ses travaux. De ce point de vue, on ne peut négliger l'isolement relatif dans lequel il vécut de 1895 à sa mort en 1909 ; encore convient-il d'en prendre une juste mesure. U n auteur c o m m e M. Boisset qui affirme que Saint Yves n'a interrompu sa retraite qu'une fois dans la période a évidemment confondu claustration et discrétion. Saint Yves voyage et reçoit normalement, ou presque, mais il évite les fâcheux. U n témoignage en est fourni par Charles Limousin qui, par ailleurs, trace un portrait physique (tardif) de Saint Yves non dépourvu d'intérêt : « Nous avons déjeuné une fois ensemble [avec Papus] chez le Marquis de Saint Yves. Il y avait là aussi le Sar Péladan, un autre mage et Louis Janvier, le nègre bien connu
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dans la presse d'alors, qui est maintenant, je crois, Ministre d'Haïti à Londres. C'était une bien étrange et bien attachante figure que celle d'Alexandre Saint Yves, devenu Marquis d'Alveydra au Portugal (sic) pour épouser à Paris une princesse Radziwill. Sa figure était marquée de petite vérole, ce qui l'enlaidissait, mais sa laideur disparaissait dans le rayonnement de la physionomie (sic). Il possédait des yeux superbes ; une chevelure bouclée, noire ainsi que sa moustache, et légèrement grisonnante, faisait ressortir son front mat et plein de pensée, la voix était musicale et chaude, l'éloquence entraînante. Ses manières étaient d'une grande distinction : on aurait pu croire qu'il avait toujours vécu dans le milieu luxueux où il évoluait. Il devait avoir une forte prise sur les femmes et fit vraisemblablement de nombreuses conquêtes. Je parle de lui au passé, quoi qu'il ne soit point mort : mais il a disparu et s'est dit-on, fait ermite ". » 2
Ermite peut-être, mais à l'érémitisme bien singulier ! Trois ans avant Limousin, Charles Gougy, architecte qui collabore avec Saint Yves témoigne : «J'ai été présenté encore par mon vénéré Maître, à une nouvelle élite de la pensée et du monde. J'ai vu jusqu'à des personnalités impériales et royales rester du matin au soir chez le Marquis avec leurs aides de camp, tous inlassables, émerveillés de ce grandiose ensemble scientifique et artistique, y compris la musique des lettres et nombres sacrés joués en sons sur les orgues, en rayons lumineux sur les gyroscopes, en forme de beauté sur les graphiques sans nombre. Que serait-ce si M. de Saint Yves, à cause de sa santé, de son âge et de ses travaux, ainsi que de ses goûts, ne fuyait
2 0 . Ch. M . Limousin : « PAPUS "L'ACACIA" » , 1 9 0 6 , T o m e 2 , page 2 1 2 .
ET LA
FRANC MAÇONNERIE
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et le monde et la publicité, même celle de cette revue si recueillie où sur son désir, cet article sera le dernier . » 21
C'est toujours de l ' A r c h é o m è t r e et de sa présentation qu'il s'agit, mais l'allusion aux « altesses impériales et royales » nous oblige à un bref détour par une question qui m é r i t e r a i t un l i v r e à elle seule, et qui concerne l'institutionnalisation de l'irrationnel à la C o u r de Russie avant et après Raspoutine. Beaucoup de choses ont été écrites sur cette question, et généralement de façon bien peu scientifique ; aussi n'ayant pas le loisir de donner ici un récit rigoureux et détaillé, me bornerai-je à livrer quelques pistes, à partir du rôle du seul Saint Yves, dans la période qui nous occupe. Lors de la première venue en France du Tsar Nicolas II et de l'Impératrice, le docteur Gérard Encausse leur adressa un message rédigé « au n o m des spiritualistes français » ; ce texte se référait explicitement à l'œuvre de Saint Yves : « La grande loi secrète de l'Histoire a été révélée par un de nos Maîtres Fabre d'Olivet dans son "HISTOIRE PHILOSOPHIQUE DU GENRE HUMAIN" et développée par un autre de nos Maîtres, Saint Yves d'Alveydre, dans ses "MISSIONS". »
Le m ê m e texte se référait également à la Mission de Jeanne d'Arc dans des termes comparables à ceux de l'épopée qu'on a déjà citée . 22
2 1 . Charles Gougy : « L E SYSTÈME VERBAL ET MUSICAL DE M. LE MARQUIS DE SAINT YVES » in « L'INITIATION » n° 8 de mai 1 9 0 3 , pp. 1 6 4 - 1 6 5 . La revue « si recueillie » dont il s'agit s'appelait « L'ART SACRÉ » et avait publié le même article le 1 5 février 1 9 0 3 . J'en ai cherché la collection dans diverses bibliothèques (Nationale, bien sûr, mais aussi Forney, et Ecole des Beaux Arts), sans succès jusqu'ici. 2 2 . Cf. Philippe Encausse: «SCIENCES OCCULTES», pp. 2 8 0 - 2 8 1 .
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Papus n'a alors que 31 ans ; il est en relation avec Saint Yves depuis 1887, et on peut se demander si la démarche ne lui a pas été indiquée par son vieil ami ou quelqu'un de l'entourage russo-polonais de Saint Yves. Toujours est-il qu'elle va réussir. Introduit à la C o u r de Russie, Papus y fera entrer aussi son «Maître Spirituel», Nizier Anthelme Philippe dit «le Maître Philippe» (18491905), qui d'ailleurs acquerra un ascendant considérable sur l'Impératrice elle-même. Lorsqu'en janvier 1901, Papus le rejoindra à la C o u r de Russie, pour être présenté à la famille impériale (non sans être muni d'une recommandation officielle de la République...), il demandera conseil à Saint Yves, dans une lettre qui nous a été conservée : « Mon cher Maître, Je pars définitivement pour Petersbourg, le 27 janvier. On m'organise trois semaines de conférences, dont plusieurs à la Cour devant les Grands-Ducs. Or je voudrais bien en faire quelques-unes sur « l'Archéomètre » et sur votre œuvre. C'est une occasion que je n'aurai pas de longtemps et je suis à votre disposition si vous voulez m'armer à cet effet. S.M. le Tzar s'intéresse énormément à l'ésotérisme chrétien et je crois que « l'Archéomètre » peut l'illuminer. Si vous croyez pouvoir me documenter, je consacrerai un ou deux jeudis à cela, car je vais faire des démarches pour obtenir une mission de gouvernement . » 23
Toute cette affaire fut entourée de nombreuses luttes d'influences entre clans, à la C o u r de Russie, et en particulier par des manœuvres policières dues à Ratchkowski ; — et
Reproduit également dans Philippe Encausse : « LE MAÎTRE PHILIPPE DE LYON», Paris, 1 9 7 3 , pp. 6 8 - 7 0 . 2 3 . Philippe Encausse : « SCIENCES OCCULTES », p. 3 1 9 .
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cela ne fut pas sans lien avec l'apparition des trop fameux « PROTOCOLES DES SAGES D E SION », mis en circulation entre 1901 et 1903 et mis sous les yeux du Tsar en 1905, l'année de la naissance du Tsarévitch Alexis, de la convocation de la Première D o u m a et du décès de Philippe. Les documents manquent pour savoir c o m m e n t Saint Yves suivit et apprécia tous ces faits. Il avait pourtant beaucoup de raisons de s'intéresser à la politique russe ; et lui qui avait multiplié adresses et poèmes aux monarques russes peu de temps auparavant, rêva probablement à exercer une influence par l'intermédiaire de Philippe et de Papus. D u moins est-ce ma conviction ; encore faudrait-il pouvoir l'étayer sur des documents irréfutables, dont je ne dispose pas pour l'heure. Il est sûr en tout cas que la question de l ' A r c h é o m è t r e est largement — et publiquement — évoquée par Papus dans l'année 1903. Et ceci nous pose directement la question de savoir à partir de quelle date Saint Yves s'est consacré à la mise au point de sa réalisation. Sans doute ai-je mentionné à de multiples reprises, ce qui dès sa jeunesse anticipe, au moins au plan des rêves, sur ces travaux ; mais cela ne démontre pas l'existence d'un projet précis. Papus, à deux reprises dans des articles nécrologiques affirme que 24
« Saint Yves s'était voué depuis bientôt vingt ans à ce qu'il a nommé l'Archéomètre, c'est-à-dire l'instrument de la mesure de principe. » Vingt ans, soit à partir de 1889, après donc la visite d'Hadjidj Scharipf, avant le décès de Marie Victoire. Pourtant, s'il est vrai que Saint Yves était très épris de 24. Papus in « L'INITIATION », février 1909, pp. 7 et 8 et « LE VOILE D'ISIS», avril 1909, pp. 45-46.
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correspondances dans ces années-là, on l'a vu à propos des poèmes royaux (qu'il composa à ce moment), j e ne suis pas tout à fait sûr qu'il ait déjà envisagé de fabriquer un instrument. Ce n'est guère que dans une lettre à Papus des 9-10 mai 1897, écrite sur papier à en-tête de « The C o b u r g Hotel — Grosvenor Square» que j ' a i trouvé mention de l'aspect technique de cette réalisation. Saint Yves, qui a « demandé le secret sur ce divin mystère du processus génétique du verbe par l'Alphabet des XXII » ajoute : «Je devrai aussi faire construire par un mécanicien un instrument composé de plusieurs sphères diaphanes qu'on puisse faire tourner isolément sur un même axe pour les mettre au point de concordance. Tout cela sera la préface de " N . S . JÉSUS-CHRIST" —je n'ai donc pas de secret pour vous mon cher ami, puisque je vous dis le tout réponse à votre religieux appel de janvier dernier. Mais excepté à Madame Encausse, je vous demande de ne livrer le secret à personne . » 25
A ce m o m e n t du moins, le projet a-t-il certainement pris t o u r n u r e ; une lettre à Papus du 29 mai 1898 conservée dans le m ê m e fond le confirme : « La science et l'art archéométriques que je crée avec mon Ange se développent merveilleusement et se prouvent expérimentalement... » Si l'on veut croire que « l'inspiration posthume » de Marie Victoire a été déterminante pour Saint Yves (et on a établi qu'il l'a «perçue» (?) dès 1896), il faut admettre que
25. Bibliothèque de Lyon Ms 5493.
LA MORTE QUI PARLE
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cette dernière date s'impose c o m m e point de départ de ses travaux concrets. O r , dans l'article précité, Charles Gougy est très clair : «Voilà bientôt sept ans que jour pour jour, j'ai vu naître d'un coup et se développer successivement, dans une inspiration indiscontinue, d'abord l'ensemble, ensuite l'instrumentation et les applications si nombreuses de cette merveilleuse découverte — j'en suis donc le témoin et le fidèle secrétaire, le crayon, le pinceau, la règle et le compas à la main. » O r l'article de Gougy paraît le 15 février 1903 — sept ans auparavant nous ramènent à 1896 (ou fin 1895), ce qui correspond aux divers indices déjà réunis. Mais en 1898 encore, Saint Yves a demandé à Papus le secret sur son projet. La question est donc de savoir quand il en sera fait état publiquement. U n témoignage, celui de Jules Bois situe cette publication à 1900; il écrit dans «LE M O N D E INVISIBLE » :
« En assistant à l'ouverture du congrès spiritualiste qui en 1900 rassembla dans le même local 8 rue d'Athènes, les occultistes, les spirites, les théosophes, les magnétiseurs, toute ma jeunesse m'est remontée à la mémoire... » Il décrit longuement ce qu'il a remarqué à ce congrès, d'ailleurs en vrac, je cite : « une dame est venue nous raconter que dix jours avant l'assassinat du président Carnot elle ne cessait de le voir en rêve... On nous a montré un instrument, qui, paraît-il doit apporter la synthèse universelle et qui est baptisé "l'Archéomètre". Ce sont, sur un carton, des triangles jaunes, rouges et bleus, avec des insignes et des numéros. On le remonte avec une clef, comme une montre. Ce papier se met en mouvement, mais mal attaché tombe à chaque instant. Là-dedans se trouvent paraît-il, la clef de toutes les sagesses, la facilité d'apprendre en six mois la langue chinoise, l'anagramme de Jésus, Bouddha, Maria que
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
sais-je encore?... Personne au congrès n'y a rien compris, pas même sans doute son inventeur ... » 26
Description amusante qui fait de l ' A r c h é o m è t r e une sorte de loterie foraine. D o m m a g e que la description soit superficielle... Jules Bois, il est vrai fut, un personnage bien singulier ! Du moins retiendra-t-on de ce récit que l ' A r c h é o m è t r e fut rendu public en 1900. Cela est confirmé, en tout cas, par une lettre de Saint Yves à Papus datée du 10 janvier 1901, et qui sous le n o m de « NOTES SUR LA TRADITION CABALISTIQUE » fut publiée d'abord dans la Revue « L'INITIATION » puis dans divers livres. Saint Yves, dans ce texte, vise directement son entreprise : « Reste à savoir dans quel ordre ces XXII équivalents doivent être fonctionnellement rangés sur le planisphère du Kosmos. Vous en avez sous les yeux cher ami, le modèle conforme à celui qui a été légalement déposé sous le nom d'archéomètre. Vous savez que les clefs de cet instrument de précision, à l'usage des Hautes études, m'ont été données par l'Evangile, par certaines paroles très précises de Jésus à rapprocher de celles de saint Paul et saint Jean (...) La Cabale des Juifs est donc motivée par toute la constitution antérieure de l'esprit humain ; mais elle a besoin d'être archéométrée, c'est-à-dire, mesurée par son principe régulateur, contrôlée sur l'instrument de précision du verbe et de sa synthèse primordiale . » 11
2 6 . Jules Bois : « LE MONDE INVISIBLE », Paris (Ed. Flammarion) (l'ouvrage est par ailleurs daté de 1 9 0 2 ) . 27.
Cf. « L'ARCHÉOMÈTRE », pp.
129-130.
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LA MORTE QUI PARLE
Parmi les détails, on retiendra une affirmation qui montre que Saint Yves, esprit concret, désirait se conserver l'exclusivité de sa « découverte », puisqu'il évoque le « dépôt légal» de son a r c h é o m è t r e dès avant janvier 1901. O r la première mention d'un dépôt à l'office national de la propriété industrielle, dont on peut retrouver trace en France, est du 26 juin 1903 (et en Angleterre du 25 juin 1904). Mais il est vrai qu'à cette époque, le dépôt pouvait produire des effets légaux s'il intervenait auprès d'un notaire qui assurait l'antériorité, sinon la publicité, du dépôt. U n e chose est sûre en tout cas : à l'orée du x x siècle, Saint Yves travaille d'arrache-pied à « la grande rénovation des arts et des sciences » que doit être l ' A r c h é o m è t r e . Et le moindre des paradoxes n'est pas que cet h o m m e qu'on a tout au long de ce livre décrit c o m m e solitaire, orgueilleux et foncièrement individualiste, a, dans ces années-là, réuni, une véritable équipe. Paradoxe sans doute, auquel sa puissance de séduction ne fut pas étrangère : et il faut dire qu'elle était bien efficace puisque longtemps après ceux qui la connurent en demeurèrent marqués. Ce qui nous conduit à rechercher à quoi travaillèrent ces collaborateurs, et de quoi ils furent témoins. Saint Yves entasse d'innombrables cahiers dont des dizaines sont conservés à la Bibliothèque de la Sorbonne ; son secrétaire recopie des citations sur les sujets les plus variés ; la traduction des caractères sanscrits, l'astronomie, la Bible, les lumières, les couleurs... à quoi bon poursuivre l'énumération de ces manuscrits, puisque tout doit converger à la synthèse universelle. De tout cela, il ne publiera pas grand chose de son vivant, sauf la permission donnée à Gougy relative à l'article de 1903. Néanmoins, il n'est pas sans intérêt de décrire ces pièces. J'ai cité déjà la plaquette intitulée « SOUVENIR DU JEUDI c
2 0 SEPTEMBRE
1900
ET VŒUX
DE N O Ë L
1900-1901 »
qui
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
comporte quatre poèmes dont « AMRITA » reproduit précédemment. De m ê m e les « NOTES SUR LA TRADITION CATALISTIQUE » furent publiées en 1901. En 1903, il dépose le brevet français de l ' A r c h é o m è t r e , et en 1904, le brevet britannique amélioré dans la description ainsi que j e le montrerai au chapitre suivant. Il semble qu'un autre dépôt de marque ou de brevet soit intervenu en 1907 puisque plusieurs des planches en couleurs de l ' A r c h é o m è t r e portent la mention « Copyright by Saint Yves d'Alveydre, 1907 brevet déposé. Reproduction interdite » mais je n'en ai retrouvé aucune trace à l'Institut national de la propriété industrielle : peut-être ce dépôt est-il intervenu chez un notaire. S'agissant des publications, il faut surtout mentionner pour cette période les huit pièces musicales que je décris dans la bibliographie, et qui toutes ont été déposées à la Bibliothèque Nationale (département de la Musique). De 1890 à 1909, cela est peu. Mais il y a tout le reste : «L'ARCHÉOMÈTRE», œuvre c o n s i d é r a b l e et ses applications, « L'ARCHÉOMÈTRE MUSICAL»,
«LA
THÉOGONIE DES PATRIARCHES»,
que
les
disciples publieront à titre posthume. Le chapitre suivant sera consacré à ces œuvres ; mais notre objet immédiat concerne les disciples, et il est d'autant plus indispensable d'en parler que leurs accords et leurs désaccords ont influé considérablement sur la manière dont nous sont parvenues les œuvres ultimes de Saint Yves. Ayant axé mes recherches sur ce dernier, je reconnais n'avoir que peu d'éléments inédits à livrer sur ces h o m m e s souvent modestes, bien qu'érudits pour certains. Il est vrai que la recherche de leurs œuvres ou de leurs descendants n'est pas chose aisée, m ê m e si elle m'a réservé parfois de grandes satisfactions personnelles. Il faut dans un premier temps mentionner ceux qui appartiennent ultérieurement à l'Association des Amis de Saint Yves créée par Papus.
423
LA MORTE QUI PARLE
De Lebreton, je ne sais rien d'autre que ce que dit ce dernier : « M. Lebreton, le dévoué secrétaire de Saint Yves fit un premier classement des documents et il reste le lien sensible entre le Maître Mort et les élèves vivants . » 28
D e j e m a i n (Jean Joseph), le musicien qui se chargea de toutes les adaptations musicales de Saint Yves, on peut consulter de nombreuses pièces du département de la musique de la Bibliothèque Nationale — toutes sont « profanes » par rapport à l ' A r c h é o m è t r e ; mais il y a peu encore sa belle-fille, M Adine Jemain, a bien voulu me dire l'importance que Saint Yves avait tenu dans sa vie. Au demeurant, ainsi que je l'ai mentionné dans l'introduction à M C
une
29
réédition de la « THÉOGONIE DES PATRIARCHES » ,
il
t r a v a i l l a i t e n c o r e en 1939 à u n e r é é d i t i o n de 1'« ARCHÉOMÈTRE MUSICAL » en compagnie d'un certain Gilbert de Tur. Charles Gougy, l'architecte que j ' a i déjà cité, est relativement mieux connu : né en 1867 à Versailles, il appartint à la promotion 1886 de l'Ecole des Beaux Arts et suivit les cours de Guicestre A n d r é ; diplômé en 1895, il construisit des maisons de rapport et des villas à Versailles et dans la Seine-et-Oise mais la source s'arrête en 1907. J'aurai lieu au chapitre suivant de faire état d'une publication beaucoup plus tardive (1925) qui montre qu'il continua ses travaux sur l ' A r c h é o m è t r e , plusieurs années après la mort de Saint Yves. Le docteur Chauvet (1863-1946) est, lui-même, un personnage particulièrement intéressant et qui mériterait beaucoup plus que la brève mention que je lui consacre. 30
28. Cf. «L'ARCHÉOMÈTRE», p. 131 sq. pour ce que dit Papus des différents « disciples ». 29. Editions Bélisane, Nice, 1980. 30. E . Delaire : « LES ARCHITECTES ÉLÈVES DE L'ECOLE DES BEAUX ARTS », 1793-1907. Paris, 1907 (Librairie de la Construction Moderne).
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
Auteur peu prolixe mais rigoureux, il publiera en 1 9 1 2 chez Lessard à Nantes un bref résumé de la doctrine synarchiste sous le titre « L ' E T A T SOCIAL V R A I » ' . Mais le meilleur témoignage sur sa collaboration avec Saint Yves, et surtout les prolongements qu'elle eut dans ses propres recherches se trouve dans son grand œuvre personnel « L'ESOTÉRISME DE LA GENÈSE». Dans le tome 1 de cette véritable somme, il s'explique de manière intéressante sur ce point ; c'est pourquoi je le cite longuement : 3
ER
« Pour le moment, qu'il nous suffise de postuler la réalité de l'ésotérisme biblique, puisque le travail qui suit, est la démonstration de son existence : démonstration établie sur l'étude analytique des termes et des signes littéraux servant à composer ces dix chapitres entièrement écrits sous le double mode éso-exotérique. Nous ne prétendons pas (qu'on l'entende bien) être le premier à avoir tenté cette démonstration. Trois hommes, au moins, rien que dans notre pays nous ont précédé dans cette voie : Fabre d'Olivet, Lacour et Saint Yves d'Alveydre. Tous ont eu l'intuition que, sous le sens ouvert de la Genèse, se voilait un autre sens traditionnel. Et si notre méthode de recherche, différente de celles employées par eux, nous a conduit à des résultats très différents, aussi, de ceux auxquels ils sont eux-mêmes parvenus ce n'est que stricte justice, de notre part, de reconnaître que leurs travaux — du moins en ce qui concerne le premier et le dernier — nous ont souvent été utiles.
31. Je dois remercier ici M m e Villard Chauvet, fille du Dr Chauvet et M. Franck Villard, son petit-fils, d'avoir bien voulu répondre à mes questions. Il faut dire aussi que la Bibliothèque de Lyon conserve des lettres très intéressantes qui, à elles seules, mériteraient une étude. La brochure queje viens de citer était parue en 1912, et signé seulement « un synarchiste ». U n e autre édition interviendra chez Chacornac en 1922, signée cette fois du nom de « Saïr».
LA MORTE QUI PARLE
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Cela est hors de doute au sujet de Saint Yves d'Alveydre, ce très grand chrétien qui voulut bien être pour nous, non seulement un maître, mais un ami ; car c'est lui qui nous ouvrit la voie et qui y guida nos premiers pas. Nous sommes heureux de rendre à sa vénérée mémoire l'hommage respectueux que nous lui devons (...) » A propos de Saint Yves, il ajoute : « Profondément chrétien, donc profondément convaincu de la vérité de la tradition qu'il nommait judéo-chrétienne, il consacra sa vie et sa haute intelligence à l'adaptation de l'Etat social humain à cette tradition ; ce dont font foi ses diverses "MISSIONS".
Néanmoins, et bien qu'il s'en défendît énergiquement, bien même que, peut-être, il se persuadât y être parvenu, il avait trop fortement subi dans sa jeunesse l'empreinte des idées de Fabre d'Olivet, pour pouvoir l'effacer complètement. De plus, et si paradoxal que cela puisse paraître, esprit doué d'une prodigieuse puissance d'intuition, il se défia toujours de ce qui, précisément, faisait sa force et, en prétendant soumettre sa faculté intuitive au sévère contrôle de la raison, souvent il en troubla et affaiblit les visions révélatrices. Car, poète et musicien, mais plus musicien que poète, le sentiment impérieux du nombre le domina toujours et le poussa à la recherche du sens esotérique des Livres sacrés, par l'intermédiaire de la valeur numérique des lettres : procédé emprunté à la Qabbale, à cette Qabbale que sa raison lui faisait rejeter et combattre et dont cependant (par une de ces curieuses contradictions qui se relèvent dans les plus hautes intelligences), il acceptait un des moyens d'investigation les plus illusoires. Aussi, les quelques fragments de traduction de l'Ecriture qu'il nous a laissés — écrits en vers dont la formule est due à Fabre d'Olivet qui les nommait "eumolpiques" — ne sont-ils, pour dire le vrai, que des paraphrases poétiques et non une version esotérique réelle de la Bible. Ces fragments colligés et édités après sa mort
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE
par les soins de ses disciples, sont contenus dans le recueil intitulé " L A THÉOGONIE DES PATRIARCHES" et comprennent une traduction du premier chapitre de l'Evangile de Saint Jean ; celle du premier chapitre de la Genèse ; une, enfin, de la Tentation et de la Chute de l'Homme, au troisième chapitre de ce même Livre. Est-ce à dire que son œuvre soit sans valeur ? Loin de nous cette pensée ! Nous nous assurons, au contraire, que cette œuvre surtout en ce qui concerne sa partie sociale (pour méconnue et même inconnue qu'elle soit), peut et doit être classée au rang de celles qui font le plus d'honneur à l'esprit humain. Sa seule erreur (quel est le génie qui n'en a commis ?) fut de tenter de soutenir par des moyens mal appropriés, les révélations de sa puissance intuitive, puissance qui se suffisait largement à elle-même, lui permettant de prédire — plus de dix ans avant 1914 — dans une véritable vision prophétique, la mainmise de l'Amérique sur l'Europe, comme une conséquence inévitable de la politique antichrétienne, génératrice de haines intestines et extérieures, qui a fait et fait encore (malgré les terribles leçons de la guerre mondiale) se déchirer entre eux les peuples de notre malheureux continent. Si nous citons ce fait entre tant d'autres dont son œuvre abonde, c'est pour justifier ce que nous disions tout à l'heure de sa faculté d'intuition qui avait suffi à l'amener à la Révélation sacrée, véritable boussole surnaturelle, seule directrice de l'Humanité, pendant son pèlerinage terrestre ; seule capable de la ramener à l'état suréminent dans lequel elle avait été créée ; seule capable aussi, de la conduire à l'union intime avec son Principe créateur, sans perte de sa personnalité propre, sans confusion avec ce Principe . » 32
Parmi les collaborateurs immédiats de Saint Yves se trouve encore un certain Batilliat présenté c o m m e « un
3 2 . Dr A . E . Chauvet : « L'ESOTÉRISME DE LA GENÈSE», Limoges, 1946 (Société des journaux et publications du Centre), pp. 15 et 17-18.
LA MORTE QUI
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PARLE
littérateur de grand talent », je suppose qu'il s'agit de Marcel Batilliat, auteur de divers ouvrages sur l'histoire de Versailles et de romans, mais apparemment rien dans son œuvre ne paraît concerner directement les recherches ésotériques. A vrai dire, je n'ai pas tout l u " . Parmi les promoteurs de la Société « Les Amis de Saint Yves », société civile de publications et de conférences, on compte encore M . Duvigneau de Lanneau, qui aurait été « u n des plus chers amis du Marquis», mais de ce personnage, je ne sais rien. Et bien sûr, le docteur Gérard Encausse (Papus) qu'on a déjà rencontré à de multiples reprises et qui, pendant toute la période, a consacré dans ses multiples revues « L'INITIATION », « LE VOILE D'ISIS », « MYSTÉRIA » de n o m breux articles et études à Saint Yves. Je me bornerai à signaler le texte d é n o m m é « ANARCHIE, INSOLENCE ET SYNARCHIE. LES LOIS
PHYSIOLOGIQUES
D'ORGANISATION
SOCIALE
ET
34
» paru en 1894 mais il y en a quantité d'autres, aujourd'hui d'intérêt très variable et qui ont été recensés dans la monographie du docteur Philippe Encausse. Pourtant cette enumeration de quelques-uns des principaux collaborateurs de Saint Yves n'épuise pas la question. En effet, il s'agit ici de ceux qui se réunissent pour former une association après la m o r t de Saint Yves ; mais L'ESOTÉRISME
3 3 . De Marcel Batilliat, j'ai noté quelques titres : « VERSAILLES AUX FANTÔMES », roman, Paris, 1 9 0 2 (Mercure de France). U n « PAUL ADAM » en 1 9 0 3 et « DEUX SÉJOURS DE RENAN À VERSAILLES » en 1 9 2 7 ainsi qu'un « EMILE ZOLA » en 1 9 3 1 (chez Rieder). Des romans « LA JOIE » en 1 9 0 5 , « L A LIBERTÉ» en 1 9 1 2 , « L A LOI D'AMOUR» en 1 9 2 1 , « L A FLAMME DE L'AUTOMNE » en 1 9 3 0 etc... Je n'ai pas trouvé de biographie complète de ce personnage et ne sais quand il est décédé. 3 4 . Chez Chamuel. U n e brochure de 2 8 pages : Ce texte a été publié à nouveau dans la revue « L'INITIATION » Boulogne s/Seine n"4 octobre-novembre-décembre 1 9 6 9 , pp. 1 8 8 - 2 1 4 .
428
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
c o m m e j e l'expliquerai d'ici peu, d'autres amis de Saint Yves n'en furent pas membres ou peut-être même en furent exclus. Dans la présentation des Amis, Papus mentionne brièvement le C o m t e de Larmandie, Sédir et Barlet. Pourtant ce dernier a fait, lui aussi, beaucoup pour la diffusion des idées de Saint Yves. Par exemple, en 1902, il publie « L'INSTRUCTION INTÉGRALE — PROGRAMME RAISONNÉ 3 5
» visiblement inspiré de Saint Yves ; et en 1910, peu après la mort du « Maître », ce seront coup sur coup la biographie, que j ' a i souvent citée et D'INSTRUCTION À TOUS LES DEGRÉS
« L'EVOLUTION SOCIALE — ETUDE HISTORIQUE ET PHILOSO-
PHIQUE ET SOCIOLOGIE SYNTHÉTIQUE »
3 6
qui enrichit et clarifie
notablement l'exposé de la théorie synarchique. Papus n'en souffle mot, mais du moins mentionne-t-il l'auteur. O r certains collaborateurs importants de Saint Yves ne sont m ê m e pas n o m m é s ! C'est le cas, par exemple, de Louis Le Leu. L'étude des archives de la Bibliothèque de Lyon montre qu'il fut très lié avec Saint Yves, à qui il transmit de très nombreuses notes sur des sujets très divers (et souvent en liaison avec l'étude des Pères de l'Eglise). Je ne les énumère pas toutes, mais il faut mentionner quelques titres : —
« LA FOI ET LA RAISON »
— « Du
VERBE
». D u verbe créateur Le verbe manifesté dans tous les âges La doctrine du verbe L ' h o m m e image du verbe
« LA FOI ET LA RAISON »
35. Paris, 1902 (Librairie générale des Sciences occultes, Bibliothèque Chacornac). 36. Paris, 1910 (Librairie Hermétique).
429
LA MORTE QUI PARLE « L E EGLISE »
BAIN
RITUEL
DANS
LA
PRIMITIVE
« THÉOPHANIES INITIATIQUES DANS LA PRIMITIVE
EGLISE... » « SUR
LA
DISCIPLINE
DU
SECRET
DANS
LA
PRIMITIVE
EGLISE... »
etc. car il en est des dizaines d'autres, souvent très complètes et comportant de nombreuses références, quelquefois utilisées par Saint Yves. Louis Le Leu ne cache pas une immense admiration pour Saint Yves et pour son A r c h é o m è t r e . Ainsi dans une lettre datée du 7 octobre 1904 il écrit : « Il (l'Archéomètre) est l'instrument impeccable de la démonstration du "dixit et facta sunt" selon le poids, le nombre et la mesure du verbe en action dans le vaste champ de ses œuvres vivres. Non seulement chacune de ses démonstrations apparaît juste mais si on les considère dans l'ordre de leur procession logique ou qu'on renverse même cet ordre on les voit s'authentiquer (sic) mutuellement dans leur ensemble qui ne peut s'appeler que du nom divin d'unité. La loi de votre archéomètre apparaît donc comme celle de la Parole et du Verbe (...) l'Archéomètre me paraît vrai dans son principe et dans sa loi puisqu'il donne à tout ce qu'il touche une formule d'être et de sa vie transcendante et marquée au coin de l'unité. » Le Leu, lui aussi, demeurera profondément marqué par l'enseignement de Saint Y v e s ; en 1931, il dédiera à sa mémoire et à celle de Barlet un livre qui explicite la doctrine synarchiste : « L'ORGANISATION SOCIALE. LE PROBLÈME POLITICO-SOCIAL ET SA SOLUTION ». Bien que je n'aie pas à recenser 37
37. Paris, 1931 (Editions Vallot). La dédicace exacte du livre est « A l'Ame française et à la grande Mémoire de mes vieux amis le Marquis de Saint Yves d'Alveydre et F. Ch. Barlet». Il a aussi publié une petite brochure sur « LA NOTION PHILOSOPHIQUE ET ÉSOTÉRIQUE DE L'UNITÉ » qui est le texte d'une conférence faite à la « Société Unitive » le 12 mai 1922.
430
SAINT-YVES
D'ALVEYDRE
ici tout ceux qui, après la mort de Saint Yves, se référeront à son enseignement de manière discrète mais constante , il me paraît nécessaire de mentionner tous ces exemples dispersés dans le temps, parce qu'ils montrent que les dernières années de Saint Yves ne furent pas aussi solitaires et abandonnées qu'on l'a dit parfois. Saint Yves écrit alors de la musique et se consacre aux réalisations pratiques : mise au point et dépôt des différents brevets mais aussi création d'une société à but lucratif destinée à commercialiser ses inventions. Par ailleurs il se présente dans certains textes de 1904 c o m m e « Fondateur et Directeur de l'Institut international des Hautes Etudes ». Pourtant, au milieu de ses rêves et de ses projets, il va s'approcher de « la vallée des ombres de la mort » dont il avait prétendu avoir pénétré les secrets, tel le Maître Hiram de la Maçonnerie. Sa santé étant défaillante, il se soigne dans le sud de la France, à la recherche, semble-t-il, d'eaux thermales. La mort le surprendra, dans des conditions que je n'ai pu déterminer exactement, à Pau. Je reproduis son acte de décès : 38
« L'an mil neuf cent neuf, et le six février, à onze heures du matin, devant Nous, Adjoint délégué, Officier de l'état civil de la ville de Pau, département des Basses-Pyrénées,
38. Je signalerai au moins, parmi quelques textes curieux, celui de Jean Brosset (?) : « SYNARCHIE ET PAIX UNIVERSELLE » dans « LE VOILE D'ISIS » n" 28 1922 et surtout la brochure signée « F. Jollivet Castelot, membre du Parti socialiste SFIC » : «L'IDÉE COMMUNISTE». Préface de Han Ryner, Douai, 1922 (Edition de la Rose-croix). Ainsi que je l'ai signalé dans une autre étude la page de couverture de cette plaquette comporte de la publicité pour « LA ROSE-CROIX », revue mensuelle des sciences occultes » et pour « LE PROLÉTAIRE DU NORD ET DU PAS-DECALAIS », Hebdomadaire communiste » ! Et bien sûr Jollivet Castelot fait l'éloge de la S y n a r c h i e .
LA MORTE QUI PARLE
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sont comparus les sieurs Charles Saint-Jean, âgé de trente-quatre ans, Directeur des Pompes Funèbres, et Léon Cazaban âgé de quarante ans, garde municipal, domiciliés à Pau, lesquels nous ont déclaré que Joseph Alexandre de Saint Yves, Marquis d'Alveydre, âgé de soixante-six ans, né à Paris (Seine), domicilié à Versailles (Seine-et-Oise), veuf de Marie de Risnitch, est décédé hier, à midi, en cette ville, Maison de Seeger, place Gramont 3, et ont les déclarants signé avec Nous, le présent acte après qu'il leur en a été fait lecture. » Q u e dire de plus ? La « Maison de Seeger » est aujourd'hui « l'Hôtel de Gramont » et la place qui porte ce n o m a conservé le charme discret de la vieille ville qu'elle devait avoir déjà. Quelques rares détails peuvent être cités à propos de ce décès. Aussi, le 14 février suivant, un certain Georges Lajus, architecte à Bordeaux, écrit-il à Papus : « Si cette terrible nouvelle m'a peiné, elle ne m'a pas surpris ; l'état de santé dans lequel était notre vénéré Maître en quittant Bordeaux pour Pau, il y a deux mois, ne me laissait pas d'espoir (...) Le bon Maître est mort à l'hôtel, chose qu'il redoutait, me disait-il dernièrement car il craignait qu'on le mette en boîte et expédie trop rapidement sa dépouille devenue gênante pour le tenancier de l'établissement. Son œuvre, m'avait-il dit, était à peu près terminée, sauf quelques détails. Il est à craindre, hélas, que ces détails auxquels il ne semblait pas attacher une grande importance n'aient pu être terminés... » Je ne sais ce que Papus répondit à son correspondant, toujours est-il que ce dernier lui écrit à nouveau le 27 février. «J'ai été vraiment stupéfait en lisant votre lettre du 16 courant et j'ose espérer encore que le testament trouvé n'est pas le dernier, qu'à l'heure présente on en a trouvé un
432
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
autre. Dans une des dernières conversations que j'eus avec notre cher et regretté Maître, je lui demandai où en étaient ses travaux, et de ce qu'il me répondit je pus conclure que son œuvre, quasiment terminée était à l'abri de toute aventure en cas d'une catrastrophe qu'il savait pouvoir arriver d'un moment à l'autre. Il me semble invraisemblable que tout n'ait pas été prévu. Son secrétaire et l'architecte qui l'aidait ne savent-ils donc rien à ce sujet ? Je vous communique une lettre d'un ami de Pau que j'avais prié de s'enquérir de temps à autre de la santé de Saint Yves. Vous y trouverez des détails sur les derniers instants de notre bon Maître qui ne vous laisseront point indifférent, j'en suis sûr. Je vous serais obligé de me retourner cette lettre à l'occasion. » Sans doute Papus a-t-il agi selon le souhait de Lajus en retournant la lettre, et il est difficile de savoir ce qu'est devenu ce témoignage. Par ailleurs, on sent bien dans cette correspondance le souhait de savoir ce qu'ont pu être les dispositions testamentaires de Saint Yves, car une lutte d'influences va rapidement se développer parmi les disciples pour s'assurer l'exclusivité des papiers de l ' A r c h é o m è t r e . Entre temps Saint Yves avait été inhumé au cimetière N o t r e - D a m e à Versailles ; Barlet a fait un bref récit de cette cérémonie, qui ouvre d'ailleurs sa biographie : «Le 7 février 1909, quelques rares amis suivaient à travers les rues paisibles de Versailles, au milieu de l'indifférence publique, un convoi funéraire très simple (...) La tombe refermée au pied de sa croix cubique septénaire, ils se séparaient en silence, comme ils étaient venus, sans le moindre apparat, sans le plus petit mot d'adieu à celui dont l'absence leur allait être si pénible . » 39
39. Barlet : «SAINT YVES D'ALVEYDRE», p. 1. Ainsi que je l'ai signalé dans la revue « L'INITIATION » (n° 3 juilletaoût-septembre 1972), p. 148, la famille de Saint Yves était titulaire des
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Il faut signaler que les archives de la ville de Versailles contiennent un document qui indique que Saint Yves aurait été inhumé le 11 février soit plus tard que ce qu'indique Barlet, mais de manière plus compatible avec le fait qu'il était décédé à Pau le 5 février à midi, ce qui supposait un long transport. Par ailleurs Barlet indique que ce tombeau, qui est aussi une chapelle avait été construit d'après l ' A r c h é o m è t r e . Les mêmes archives de Versailles ont conservé la demande d'autorisation de faire construire, par M. Bouteille fils, marbrier, une chapelle. La demande est datée du 11 juin 1895, mais je n'ai retrouvé ni la date, ni les plans de cet édifice, aujourd'hui en assez mauvais état. S'agissant de la dévolution des biens de toute nature, donc y compris intellectuels, Saint Yves, qui n'avait ni ascendant ni descendant, a laissé à son décès deux légataires universels, la Comtesse Jeanne Sophie (de) Keller, désignée c o m m e « grande Maîtresse de la C o u r de son Altesse Impériale la Grande Duchesse Alexandra Jossifowna », et le C o m t e Alexandre (de) Keller, « Chambellan de sa majesté l'Empereur de Russie ». C'est donc à eux qu'il revenait de décider ce que seraient les publications posthumes des œuvres de leur beau-père. O n a vu que les plus proches disciples étaient quelque peu affolés de n'avoir pas trouvé de dispositions testamentaires plus précises et craignaient m ê m e assez ouvertement que tout soit perdu. Aussi Papus écrit-il dans le « VOILE D'ISIS » d'avril 1909 :
concessions à perpétuité n° 24 464 et 24 472 canton H. 8' rang à gauche de l'allée HG, 2' rang entre Moreau et Vignal. Le caveau où reposent Saint Yves et son épouse occupe une concession ; dans l'autre se trouvent les corps de la Comtesse Marie Kleinmichel ((1846-1938) et du Comte Alexandre Keller (1859-1938), deux des enfants de Marie Victoire.
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« Nous espérons que les efforts considérables en travail et en dépense matérielle faits pour l'Archéomètre par son auteur ne seront pas perdus et nous appelons de tous nos vœux la réalisation de cette œuvre admirable et féconde. » Il entreprit des négociations avec le C o m t e Keller, qui aboutirent à la lettre suivante conservée à Lyon mais malheureusement non datée. Je la reproduis car elle conduit des détails et des engagements très précis. « Mon cher Comte, J'ai l'honneur par la présente de vous accuser réception de votre lettre par laquelle vous me faites l'honneur de me choisir pour recevoir, conserver et mettre en publication l'œuvre de notre regretté maître, le Marquis de Saint Yves d'Alveydre, sur l'Archéomètre. J'adhère intégralement aux termes contenus dans votre lettre et je m'engage à en exécuter scrupuleusement les conditions. A cet effet j'organiserai un musée de l'œuvre de Saint Yves d'Alveydre où seront renfermés les volumes de sa bibliothèque qui porteront chacun la firme du Marquis et qui seront mis à la disposition des chercheurs venant travailler dans le musée. De plus j'organiserai un dépôt central des œuvres déjà publiées du Marquis et je commencerai à étendre la publicité de ces œuvres de manière à les faire mieux connaître et à en augmenter le rayon d'action. Je prendrai à ma charge le dépôt de Clichy et j'en supporterai toutes les responsabilités à dater de l'expiration du bail. Je pourrai du reste joindre à ce moment les ouvrages contenus dans ce dépôt au magasin central que j'organiserai à mes frais d'ici là. Par contre et suivant les termes de votre lettre les droits d'auteurs à percevoir seront utilisés pour le musée et l'extension de la publicité. Pour les œuvres encore inédites et surtout pour l'Archéomètre, je me charge des publications à entreprendre, des conférences à organiser et des groupements à former en suivant les indications orales données à nous tous
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par le Marquis et en tenant compte des conseils éclairés que vous voudrez bien nous donner d'après vos conversations avec votre cher parent. Enfin je prends l'engagement spécial de toujours publier sous le nom du Marquis de Saint Yves, tout ce qui dépendra de son œuvre. Je ferai spécialement tous les efforts voulus pour que toute préface ou toute introduction à ces publications soit signée du nom « Les Amis de Saint Yves » pour bien laisser à l'œuvre de notre cher Maître son caractère personnel. A cet effet je groupe dès maintenant les amis que Saint Yves avait chargés de la musique, de l'architecture et des applications annexes de son œuvre. Je pense ainsi répondre au désir exprimé par notre cher Maître de son vivant ainsi qu'à votre généreuse initiative. Aussi je me permets de vous adresser, mon cher Comte, en mon nom et au nom de tous les vrais amis du Marquis de Saint Yves, nos respectueux et vifs remerciements, puisque votre décision permet la conservation et la propagation de l'œuvre à laquelle notre maître avait consacré plus de vingt ans d'effort et de travail. » D o m m a g e vraiment que Papus ait eu généralement la très fâcheuse habitude de ne pas dater ses correspondances ! L'allusion « aux vrais amis du Marquis de Saint Yves » donne à penser qu'il y en avait des faux, du moins aux yeux de Papus qui souhaitait s'assurer une certaine exclusivité sur les travaux de Saint Yves. Peu de mois après le décès de ce dernier, et en tout cas en 1 9 1 0 au plus tard, était paru le livre de Barlet — la conclusion en avait été publiée en « bonnes feuilles » dans « L'INITIATION » datée d'octobre 1 9 1 0 . Dans le numéro de novembre de la même revue, Papus se livra à des commentaires mi-figue mi-raisin sur le degré des connaissances de Barlet à propos de l ' A r c h é o m è t r e : « Nous n'avons qu'une critique à faire à cet ouvrage c'est d'avoir voulu parler de l'archéomètre sans posséder les
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SAINT-YVES D'ALVEYDRE d o c u m e n t s nécessaires, ce qui a a m e n é Barlet à c o m m e t t r e u n e g r o s s e erreur de fait. Saint Y v e s n'a pas v u assez f r é q u e m m e n t Barlet dans les dernières années de sa vie. Par suite, l'auteur de la b i o g r a p h i e n'a pu r e c e v o i r de la b o u c h e du maître les r e n s e i g n e m e n t s et les e n s e i g n e n e n t s que celui-ci a d o n n é à M . Saïr, à j e m a i n , à D u v i g n e a u de Lanneau, à M . L e b r e t o n , à s o n architecte et au signataire de cette critique. Si Barlet avait causé de l'archéomètre avec Saint Y v e s , il n'aurait pas écrit, p a g e 122 de s o n é t u d e : "Il m a n q u e trois lettres : A ( A l e p h , Alpha) qui est article et s'ajoutera à c h a c u n e des autres et d e u x lettres d o u b l e s (le GIRAIM HÉBREU et le T h , sorte d'aspiration)." O r , le G i r a ï m ne m a n q u e pas dans l ' é n u m é r a t i o n des planétaires c'est l'S d o u x (Sainech) f o r m a n t le m o t A - S o T h et constituant t o u t e la charpente de l ' a r c h é o m è t r e , avec les n o m b r e s c o r r e s p o n d a n t s , qui t r o u v e ici sa place. C e t t e erreur capitale aurait d û être i n d i q u é e à Barlet par la m y s t é r i e u s e relation invisible qu'il laisse entrevoir, car cela fausse t o u t e s les études ultérieures des adaptations a r c h é o m é t r i q u e s . D e m ê m e les tableaux de c o r r e s p o n d a n c e des lettres de l ' a r c h é o m è t r e publiés par Barlet s o n t faux. La vérité est b e a u c o u p plus s i m p l e . O n ne connaît a c t u e l l e m e n t que les planches se référant au b r e v e t de Saint Yves. O r l ' e x p o s é de l ' a r c h é o m è t r e c o m p r e n d cinq planches en c o u l e u r s et e n v i r o n cent s o i x a n t e planches en noir. U n e société, les Amis de Saint Yves, que feint d'ignorer Barlet, est propriétaire de ces planches et poursuit avec calme la p u b l i c a t i o n des véritables adaptations de l'archéomètre. Q u e des g e n s pressés aient la p r é t e n t i o n d'aller plus vite q u e la société p o s s é d a n t les d o c u m e n t s utiles, c'est leur affaire. M a i s , sans v o u l o i r user de s o n droit de propriété des m a r q u e s de fabrique et d u titre m ê m e de l ' a r c h é o m è t r e , la s o c i é t é les Amis de Saint Yves est o b l i g é e de relever les erreurs grossières se rapportant à u n e diffusion trop hâtive de l'archéomètre. »
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Peu s'en faut que Papus ne menace Barlet de poursuites judiciaires... Mais il faut savoir que dès cette époque la revue « LA GNOSE », fondée en novembre 1 9 0 9 , et à laquelle collaborent Palingénius (René Guenon), Marnes (Albéric Thomas) et aussi Synesius (qui signa aussi « le chevalier à la rose croissante ») (Fabre des Essarts), avait entrepris de livrer au public des données précises sur l ' A r c h é o m è t r e . Il n'est pas douteux, ainsi que l'écrit Jean-Pierre Laurant, que Barlet avait fourni de nombreux documents aux auteurs de cette série d'articles ". D'ailleurs le n u m é r o 11 de « L A GNOSE», daté également de novembre 1910, explicite très nettement l'hostilité entre les deux groupes occultistes. La recension du m ê m e livre par Marnes (Albéric Thomas) est sans réserve à l'égard de Barlet : 4
« Nul mieux que Barlet n'était autorisé à parler de Saint Yves qu'il affectionnait tant et avec lequel il eut le bonheur d'avoir souvent d'intimes conversations. Cette amitié était d'ailleurs bien partagée, ainsi qu'en témoignent les lignes suivantes extraites d'une lettre autographe de Saint Yves reproduite en tête du volume : "toutes les manifestations de la pensée humaine sont un régal pour moi quand elles me viennent de vous." » Mais au-delà de l'approbation de Barlet, le compte rendu de Marnés est révélateur par la « petite remarque pénible » qu'il fait, in fine : « Le nom de Barlet ne figure pas sur la liste des Amis de Saint Yves ! Faut-il ne voir là qu'une involontaire omission, ou un acte d'hostilité marqué? 4 0 . Jean Pierre Laurant : « LE SENS CACHÉ DANS L'ŒUVRE DE RENÉ GUENON », Lausanne, 1 9 7 5 (l'Age d'Homme), p. 3 9 . De nombreuses autres précisions utiles sont à rechercher dans ce livre quant au milieu occultiste de l'époque.
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Nous penchons vers la deuxième hypothèse, qui est même pour nous une certitude; mais le lecteur impartial, saura discerner l'ami, le disciple véritable, de certains autres, qui (hormis, bien entendu, quelques honorables exceptions) sous prétexte de répandre une idée pour le bien universel, l'accaparent et l'exploitent indignement. Mais le temps fera son œuvre, et malgré les efforts de ceux qui se posent en pontifes d'une doctrine qui n'en saurait supporter, la vérité une et sacrée, aura toujours des partisans sincères, désintéressés et profondément dévoués, comme le fut notre maître aimé, le Marquis de Saint Yves d'Alveydre dont nous sommes les fidèles disciples . » 41
La citation, longue mais nécessaire, de ces textes peu connus, montre assez que la concurrence était vive entre les groupements occultistes. Cela nous donne aussi l'occasion de mentionner sans doute trop brièvement, l'importance que les théories de Saint Yves tinrent dans les recherches de René Guenon à l'époque où il tenta de créer un curieux « O r d r e du T e m p l e » , sur lequel on possède aujourd'hui quelques renseignements qui, pour insuffisants qu'ils soient, donnent un certain éclairage à l'affaire. Les « communications » (?) plus ou moins spirites (?) qui furent à l'origine de cette tentative eurent d'ailleurs lieu du vivant de Saint Y v e s . 42
4 1 . « LA GNOSE », Revue mensuelle consacrée à l'étude des sciences ésotériques, n° 1 1 , novembre, 1 9 1 0 , pp. 2 5 9 - 2 6 0 . 4 2 . Sur ce point précis, on peut consulter, et surtout confronter, l'intéressant ouvrage de Jean Pierre Laurant précité, celui de Jean Robin (« RENÉ GUENON TÉMOIN DE LA TRADITION », paru chez Guy Trédaniel en 1 9 7 8 ) et surtout la curieuse étude de Robert Amadou : « L'ERREUR SPIRITE DE RENÉ GUENON» in «LE SPHINX», revue publiée à Beaugency n° 3 / 4 (automne 1 9 7 8 et n° suivant non daté). Deux photos de pièces visées par Robert Amadou ont été publiés dans «LES CAHIERS DE L'HOMME ESPRIT», n" 3 , 1 9 7 4 , Spécial René Guenon, pp. 2 0 - 2 1 .
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Les renseignements fournis par Robert Amadou dans les documents cités à la note précédente sont de toute première importance. Q u o i qu'il en soit, auprès de la famille de Saint Yves, c'est bien Papus qui l'emportera et se verra confier les monceaux de documents d'où sortiront le recueil de « L'ARCHÉOMÈTRE » et
« LA THÉOGONIE DES PATRIARCHES »
du moins l'une des versions de cet essai de traduction. Dans une lettre du 22 janvier 1912 (cette fois la date y est) conservée à Lyon, il annonce au C o m t e Keller l'achèvement de l'œuvre. Je le cite intégralement : « Mon cher Comte, Voilà enfin le grand jour arrivé. Après plusieurs années d'efforts et de travail, nous avons pu mettre sur pied ce volume consacré à l'Archéomètre de Saint Yves. Nous ne pouvons oublier que s'il nous a été permis de rendre à notre Maître l'hommage qui lui était dû, c'est grâce à vous et à votre chère sœur, la comtesse Keller. Vous avez su résister à toutes les passions déchaînées après la mort si brusque de notre Maître ; vous avez su empêcher l'annihilation de tout son travail de vingt ans et vous nous avez mis à même de rassembler les bribes éparses pour établir un monument présentable. Il nous a, certes, fallu plusieurs années d'un labeur acharné pour nous reconnaître dans ces notes, non classées, et dans cette masse de figures diverses. Mais aucun de nous ne regrette son travail, qui reste désintéressé, car nous ne pensons pas tirer un profit matériel de cette publication. Il a fallu toute l'assistance invisible du Maître et de son ange pour trouver l'éditeur capable de risquer plusieurs milliers de francs dans la publication de l'Archéomètre. Quoi qu'il en soit, les efforts de Saint Yves sont synthétisés, publiés et chacun est maintenant mis à même d'en juger l'importance et la valeur. Nous tenons, comme amis de Saint Yves, à vous remercier encore de votre confiance, et je tiens tout spécialement, moi-même, choisi par vous malgré les hostilités sourdes et les calomnies, à
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vous exprimer, au nom du cher disparu, toute ma reconnaissance bien profonde pour votre amitié et le crédit que vous avez bien voulu attacher à mes efforts. Je vous prie d'agréer, mon cher Comte, « l'assurance de mes meilleurs sentiments et de transmettre à la Comtesse Keller l'expression de mes plus respectueux hommages. » Maintenant, Saint Yves est bien mort. C'est-à-dire que l'ordonnancement de son œuvre lui échappe. O n décrira au chapitre suivant ce qu'ont fait du rêve de l ' A r c h é o m è t r e ceux qui prirent la responsabilité de sélectionner dans ces monceaux de papier ce qui leur parut digne de survivre. A tort ou à raison. Je noterai pourtant à l'instant de prendre congé de l'homme Saint Yves, ce dernier échec, ajouté à beaucoup, de la dispersion de ceux qui se disaient les disciples d'un h o m m e épris d'unité. Et on permettra au biographe, qui par définition n'est pas innocent (il y a probablement quelque chose de pathologique dans l'application inexplicable à retracer la vie d'un autre), de marquer un instant de commisération, de compréhension et peut-être de tendresse, pour l ' h o m m e certainement « insupportable » que fut Joseph Alexandre Saint Yves, et pour qui le destin fut cruel. Moins sans doute qu'au plus grand n o m b r e de ses contemporains durement exploités quand ce n'est pas massacrés, c o m m e ceux de la C o m m u n e . Il ne dédaigna d'ailleurs pas de bénéficier de privilèges sociaux scandaleux. Du moins rêva-t-il à sa manière à plus de justice à moins d'inégalités. Sans doute n'est-ce pas assez de rêver... Avouerai-je pourtant une certaine sympathie pour la manière dont il rêva ?
CHAPITRE
VIII
U n rêve inachevé
Il n'est assurément pas facile de résumer le projet que voulut réaliser Saint Yves sous le n o m d ' A r c h é o m è t r e : le recueil qui porte ce n o m ne compte pas moins de 328 grandes pages qui, je l'ai signalé, devraient être confrontées avec les documents que les Amis de Saint Yves n'ont pas retenus. Mais surtout les prétentions philosophiques du projet — rappelons qu'il veut être une « Réforme synthétique de tous les arts contemporains » — supposent, pour étayer une analyse critique, des connaissances extrêmement diverses ; il est d'ailleurs significatif que peu d'auteurs, m ê m e parmi les disciples, aient tenté de consacrer un livre à cette étude, à l'exception de Shoral . Mais il est vrai que connaître les lois 1
2
1. La dernière en date des éditions de « L'ARCHÉOMÈTRE » augmentée de 1'« ARCHÉOMÈTRE MUSICAL » et de la « THÉOGONIE DES PATRIARCHES »... et à laquelle j'ai donné une préface est celle de «Gutenberg Reprints» publiée à Paris, début 1980. 2. Schoral (en fait le peintre Eugène Bâillon) : « LES FORCES MAGIQUES. ETUDES ARCHÉOMÉTRIQUES», Paris, s.d., Henry Durville. O n ne peut considérer comme une étude sérieuse le livre de M. Boisset : « LES CLÉS TRADITIONNELLES ET SYNARCHIQUES DE L'ARCHÉOMÈTRE DE SAINT YVES D'ALVEYDRE », Paris, 1977 (Edition JBG) ; ce livre est en effet une compilation non critique d'extraits de « L'ARCHÉOMÈTRE » mis bout à
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fondamentales de la musique, de l'architecture, de l'astrologie, des langues orientales et quantité d'autres sciences ou techniques, au point de vérifier chaque assertion de Saint Yves, est au-dessus de bien des forces. En tout cas, j e n'exprimerai pas cette prétention. Et pourtant ce qui est sûr, une nouvelle fois, c'est qu'il veut donner à son entreprise le caractère le plus sérieux : « Nous espérons que nos lecteurs verront suffisamment et à n'en pas douter, qu'il ne s'agit ni d'imagination ni de vaine magie, mais d'une pure et simple vérité scientifique appliquée aux arts . » 3
Cette prétention à une science plus haute que les sciences ordinaires doit être rapprochée des recherches conduites à l'époque par les poètes symbolistes ; on a vu au chapitre précédent que le dessein de Saint Yves n'était pas sans devanciers chez les occultistes. Mais il paraît également nécessaire, au plan des généralités où nous sommes, de le comparer avec les recherches de certains poètes c o n t e m p o -
bout, si bien que le lecteur ne peut s'y retrouver. D e plus des négligences graves rendent certains passages incompréhensibles ; par exemple, on trouve page 120 : « C'est pourquoi on lit sur la série verbale de l'Etalon : Sol — 240 x 6 0 0 — 144 000 La — 216 X 600 — 129 000 U t — 180 x 6 0 0 — 108 000 Ré — 160 X 600 — 96 000 En se référant à « L'ARCHÉOMÈTRE», page 286, on retrouve le texte original : « Sol = 240 X 600 = 144 000 La = 216 X 600 x 129 600 U t = 180 x 600 = 108 000 Ré = 160 X 600 = 96 (XX) Or à peu près toutes les opérations reproduites par M. Boisset sont ainsi incompréhensibles. 3. «L'ARCHÉOMÈTRE», p. 267.
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rains et on relèvera en premier lieu une certaine convergence avec Rimbaud, Mallarmé ou Valéry. Du premier, je ne retiendrai que la citation, jeu bien littéraire, du fameux sonnet des voyelles (qui d'ailleurs fait allusion à l'alchimie) et qui n'est pas sans intérêt : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, Ü bleu : voyelles Je dirai quelque jour vos naissances latentes. » Au
demeurant,
dans
un c h a p i t r e i n t i t u l é », les Amis de Saint Yves ont eux-mêmes noté le rapprochement : « ECLAIRCISSEMENTS PRÉLIMINAIRES
« L'architecte trouve dans l'Archéomètre la clef d'un canon universel, permettant la construction des formes d'après un nom, une idée ou une couleur déterminée; on établit ainsi des rapports étroits entre la hauteur et la largeur d'un édifice d'une part, et entre son adaptation industrielle, religieuse, ou esthétique d'autre part. Mais ce qui étonnera le plus les artistes contemporains, c'est l'adaptation de l'Archéomètre à la littérature. Les rapports des lettres et des couleurs, entrevus intuitivement par Rimbaut (sic) et ses imitateurs sont déterminés scientifiquement par l'Archéomètre; de plus cet instrument détermine les rapports entre les mots, les idées, les couleurs et formes . » 4
La comparaison du projet de Saint Yves avec celui de Mallarmé peut surprendre ; il est vrai qu'elle concerne surtout une œuvre inachevée et difficile à comprendre, publiée en 1 9 5 7 par Jacques Scherer qui l'a appelée «LE 5
LIVRE ».
4. «L'ARCHÉOMÈTRE», p. 134. 5. Jacques Schércr : « LE LIVRE DE MALLARMÉ, Premières recherches sur des documents inédits. » Préface d'Henri Mondor, Paris, 1957, (Gallimard).
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Il s'agit encore d'un rêve : celui d'un livre total destiné à traduire concrètement ce que Mallarmé affirmait avoir compris : « La corrélation intime de la Poésie avec l'Univers, et pour qu'elle fût pure [il avait] conçu le dessein de la sortir du Rêve et du Hasard et de la juxtaposer à la conception de l'Univers. » (Lettre à Villiers de l'Isle Adam du 29 septembre 1866.) Dans la pratique, si l'on ose dire, devant un tel projet, le Grand Œuvre est la traduction du fait que « tout au Monde existe pour aboutir à un livre ». Jacques Scherer en définit les principaux caractères de la manière suivante : « Les livres ordinaires sont personnels : le livre sera objectif. Les livres ordinaires sont circonstanciels : le livre ne s'attachera à aucun objet particulier et traitera de la totalité des choses existantes. Les livres ordinaires ne sont que des albums : le livre sera ordonné selon une structure. Triple caractère inhérent à la notion de Livre total et que Mallarmé a saisie d'emblée . » 6
Sans doute est-il malaisé d'apprécier l'œuvre de Mallarmé — encore plus inachevée que l ' A r c h é o m è t r e . Mais il est certain que les deux projets procèdent d'une même ambition... qu'on peut juger démente (comme faisait Mallarmé lui-même), mais dont la cohérence poussée à l'extrême traduit la recherche forcenée — et jusqu'à la folie — d'une « Sagesse vraie ». Chez Paul Valéry aussi, on retrouve une même méditation sur les rapports entre les Arts et en particulier entre la musique et l'Architecture ; c'est particulièrement riet à propos d'« AMPHION », lé mélodrame qu'il avait composé, avec une musique d'Honegger. Il en résume le sujet : 6. Schérer, o p . cit., pp. 21-22.
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« Amphion homme tout primitif et barbare reçoit d'Apollon la lyre — la musique naît entre ses doigts. Aux sons de la musique naissante les pierres se meuvent, s'unissent : l'Architecture est créée . » 7
En fait, c'est bien la loi unique de ces rapports entre la musique, l'architecture et les autres arts et techniques que l ' A r c h é o m è t r e prétend restituer, non pas en termes mythiques mais de manière pratique. Et cette recherche vient de loin dans l'œuvre de Saint Yves puisque, on l'a déjà vu, dès 1 8 7 4 , il écrivait dans « LE RETOUR DU CHRIST » : «Jadis aux chants magiques des orgues, comme autrefois aux sons de la lyre d'Amphion, les pierres se levaient vers le ciel en silencieuses harmonies. Musique des yeux, architecture, qu'es-tu devenue? Et vous, génies évocateurs où est caché le sceptre de l'art Sacerdotal et royal ? »
Cette première approche, en quelque sorte analogique, de l'œuvre de Saint Yves permet de situer le champ des préoccupations auxquelles elle répond. Il faut aller plus loin et caractériser plus précisément ses objectifs. Plusieurs disciples et Saint Yves s'y sont essayés ; je passerai donc brièvement en revue quelques-unes de ces tentatives parmi les plus significatives de la difficulté d'être clair en pareil domaine. Ainsi Victor Emile Michelet :
7. « L'HISTOIRE D'AMPHION » et le texte du mélodrame qui porte ce titre ont été publiés dans « VARIÉTÉ III », Paris, 1 9 3 6 , Gallimard.
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« Qu'est-ce que l'Archéomètre, soit la mesure de l'Archée dont parlent à mots couverts les hermétistes ? C'est un procédé permettant d'appliquer aux sciences et aux arts une pénétration quasi mécanique des arcanes du Verbe ; c'est un instrument de mesure des premiers principes. J'ai vu pivoter sous les mains de Saint Yves, les cercles de carton couverts des secrets du zodiaque, et leurs secteurs répondre à mes questions . » 8
En 1910, un groupe d'autres disciples de Saint Yves, parmi lesquels figurait le jeune René Guenon, s'était référé à l'étymologie grecque du mot : « L'archéomètre, du grec ctQxrfç [iexcpov, mesure du principe (de acx !* principe, et (XETJTOU, mesure) est le monument le plus admirable, dans le domaine de l'ésotérisme, qui ait jamais été élevé à la gloire du Verbe universel. C'est un instrument synthétique applicable à toutes les manifestations verbales, permettant de les ramener toutes à leur principe commun et de se rendre compte de la place qu'elles occupent dans l'Univers (...) Disons ici une fois pour toutes que rien dans l'Archéomètre n'est arbitraire; les éléments divers s'y trouvent placés d'une façon rigoureusement mathématique, et cet instrument plus qu'humain, n'a pas été créé pour servir à faire prédominer un système sur un autre, ni à inventer un système nouveau ; la synthèse qu'il comporte ne peut pas être exprimée dans un système quelconque qui serait nécessairement une formule fermée. C'est une clef synthétique permettant de déterminer la valeur intrinsèque de chaque système philosophique, scientifique, ou religieux, et de la rattacher à l'Arbre universel de la Science ou de la Tradition . » 1
9
8. VE Michelet, op. cit., p. 118. 9. « LA GNOSE. REVUE MENSUELLE CONSACRÉE À L'ÉTUDE DES SCIENCES ÉSOTÉRIQUES », n" 9, juillet août 1910, p. 179. On a vu que cette série d'articles n'améliora pas les rapports de Papus avec le groupe Thomas-Guénon-Barlet.
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Je citerai encore Papus, non pour le vain plaisir de multiplier les citations, mais pour montrer que ceux-là m ê m e qui furent les plus proches de Saint Yves peinent à définir l'œuvre qu'ils admirent : « L'archéomètre, c'est l'instrument utilisé par les Anciens pour la constitution de tous les mythes ésotériques des religions. C'est le canon de l'Art antique dans ses diverses manifestations architecturales, musicales, poétiques ou théogomques. C'est le ciel qui parle : chaque étoile, chaque constellation deviennent une lettre ou une phrase, ou un nom divin éclairant d'un jour nouveau les anciennes traditions de tous les peuples. Ce sont les clefs archéométriques que Saint Yves a appliquées à une nouvelle traduction de la genèse de Moïse, dans un ouvrage trop peu connu : « Théogonie des Patriarches. » O n voit que V.E. Michelet, A. Thomas, Papus insistent tous sur le caractère instrumental mais aussi mathématique et rigoureux, pour ne pas dire automatique, de l ' A r c h é o m è t r e et de ses applications. Mais cet effort de « rationalisation » si l'on ose dire, n'est pas à la hauteur de l'ambition de Saint Yves. Pour lui A r c h é o m è t r e vient de deux mots, védique et sanscrit : « Arka - Matra. Arka signifie le soleil, emblème central des mystères du Fils par la Parole ; en tant que verbe créateur. C'est la Parole elle-même, incarnant avec nombre et rythme. C'est l'Hymne des hymnes, la Poésie du verbe... Matra, mesure mère est vivante dans le verbe. Dieu comme toutes ses pensées créatrices. C'est elle qui manifeste en toutes choses l'Unité par l'Universalité de ses proportions internes, la substance en fonction d'équivalences organiques distributives à tous les degrés "'. »
10. «L'ARCHÉOMÈTRE», pp. 104-105.
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Cette étymologie au demeurant douteuse renseigne-telle mieux sur la nature exacte de l'œuvre ? Ce qui est sûr en tout cas, c'est qu'elle donne au projet sa dimension « orientalisante » qui est confirmée par une note inédite conservée à Lyon, sous le titre « PATRIMOINE DE L'ORDRE DES ARYAS ». O n peut y lire 11
« Vedas — Kings — A vesta : Leurs ressemblances révèlent une commune origine dont l'Archéomètre montre la source. Leurs différences portent la marque de la rupture de l'alliance, patriarcale au temps de l'ouverture du Kali Youga et de la division des langues. La tradition archéométrique a été relevée par Moïse avec une précision qu'on rechercherait en vain ailleurs. » Pourtant, si intéressantes que soient ces approches, elles ne suffisent encore pas à définir très concrètement la « Science et l'art archéométriques ». Pour aller de l'avant, il est indispensable de procéder à une description des divers éléments de l'œuvre. L ' A r c h é o m è t r e en effet, désigne tout d'abord le recueil de textes qui porte ce n o m ; on verra ensuite que le mot s'applique à un ensemble d'instruments techniques — dont l'archéomètre stricto sensu, mais aussi d'autres appareils. Il conviendra enfin d'analyser un certain n o m b r e de réalisations et de productions littéraires ou autres qui procèdent de lui. Le Recueil, je l'ai dit, est un fort volume, qui s'ouvre sur un texte de 120 pages, intitulée « LA SAGESSE VRAIE » et qui est le testament intellectuel de Saint Yves. Dès l'avant-propos, Saint Yves affirme une conception élitiste de l'histoire :
11. Il s'agit des textes sacrés de l'Inde, de la Chine et de l'Iran.
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« 11 y a des hiérarchies parmi les peuples ; surtout parmi leurs guides. Selon leur essence originelle et la griffe que ces peuples peuvent porter. » En contrepoint et de manière non moins élitaire, il réaffirme le sens de sa propre mission... qu'on se rappelle l'extrait que j ' a i déjà cité : « Dès notre vingtième année, nous avions résolu d'être le Pythagorc du christianisme... ! » La première partie est consacrée à « LA SAGESSE DE et comporte trois chapitres : — « La régression mentale : de la synthèse verbale universelle à la philosophie individuelle. L'Instruction païenne et l'Education chrétienne. » — « Lutte de Pythagore contre la mentalité païenne. Ses efforts pour la reconstitution de la protosynthèse. » — « La mort spirituelle : la Renaissance et le triomphe du Paganisme par l'Humanisme moderne. » L'ensemble constitue une synthèse beaucoup plus philosophique que ses œuvres précédentes, à partir de données historiques. La seconde partie, intitulée « LA SAGESSE DE DIEU ET LE CHRISTIANISME » comporte trois chapitres : — Le premier intitulé « La Voie » s'ouvre sur une première série de considérations sur « La mathèse chrétienne». Evoquant les différents livres sacrés et la Cabbale, Saint Yves exalte les fondements traditionnels de son A r c h é o m è t r e dans les différentes traditions ; il définit ensuite ce qu'il appelle les « critères constitutifs de la mathèse » dans l'ordre de la philosophie, de la Science et de la vie. — Le second chapitre est intitulé « La vérité » ; il comporte un long développement sur l'identité du christianisme considéré « avant et après l'incarnation » puis affirme L'HOMME ET LE PAGANISME»,
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l'existence d'un christianisme esotérique, et il s'agit de développements fondés sur l'analyse archéométrique des termes hébraïques. — Le troisième chapitre, bien évidemment intitulé « La vie » revient longuement sur la s y n a r c h i e considérée c o m m e « le canon organique de la vie de l'Humanité et sa révélation » ; Saint Yves, dans « La Vie divine et la Révélation des mystères » analyse une nouvelle fois l'importance de l'Agarttha, et développe sa théorie de « l ' h o m m e réintégré dans la biologie divine». La conclusion, brève, réaffirme les ultimes certitudes de Saint Yves désireux d'opposer au «paganisme», un Christianisme rénové. A ses yeux, ce dernier se caractérisera par : 1) La loi sociale dont il est seul détenteur et que seul il peut réaliser ; 2) L'application de cette loi, d'abord à une seule nation c o m m e la France, ensuite à l'Europe entière avec accession des représentants de tous les cultes, c o m m e nous l'avons indiqué dans notre « Centenaire de 89 » ; 3) La maîtrise universitaire chrétienne, pouvant s'étendre à toutes les universités de la terre... Dans les pages ultimes, Saint Yves se décerne un satisfecit intellectuel, en revenant sur ses diverses « Missions » (à l'exception de celle de l'Inde), pour démontrer aux juifs qu'il leur a annoncé l'antisémitisme avec dix ans d'avance : il se vante aussi d'avoir annoncé aux humanistes français, avec vingt ans d'avance « La maîtrise des Juifs sur eux, non en tant que chrétiens, mais au contraire en tant que lettrés païens, goïm. » Il se targue d'avoir annoncé aux français « la banqueroute de la Maison enseignante païenne » et de « la raison
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d'Etat antisociale». Il a prévenu enfin les puissances de l'Europe entière de « Leur d é c o m p o s i t i o n , leur d é c h é a n c e et leur ruine, grâce au m ê m e esprit d'initiation et de m o r t , l'esprit païen. »
Testament qui ne manque ni de souffle ni de grandeur. Mais à vrai dire, nous savons depuis longtemps, à lire Saint Yves, que « Saint Yves a toujours e u raison » ! Le recueil de « L'ARCHÉOMÈTRE » comporte ensuite un bref texte que j ' a i déjà mentionné, intitulé « NOTES SUR LA TRADITION CABALISTIQUE » et qui synthétise fort bien les rapports entre les alphabets et le zodiaque, tels que les envisage Saint Yves : « Les b r a h i m e s , dit-il, cabalisent avec les q u a t r e - v i n g t s s i g n e s v é d i q u e s , avec les q u a r a n t e - n e u f lettres du sanscrit devanagari, avec les d i x - n e u f v o y e l l e s , s e m i - v o y e l l e s et d i p h t o n g u e s , c'est-à-dire t o u t e la m a s s u e de Krishna surajoutée par lui à l'alphabet Vattan o u a d a m i q u e . Les arabes, les persans, les S o u b b a s cabalisent a v e c leurs alphabets lunaires de v i n g t - h u i t lettres, et les m a r o c a i n s a v e c le leur en K o r e ï s h . Les tartares m a n d c h o u s cabalisent avec leur alphabet m e n s u e l de trente lettres — m ê m e s o b s e r v a t i o n s à faire chez les T h i b é t a i n s , chez les C h i n o i s , e t c . , m ê m e s réserves quant aux altérations de la Science A n t i q u e des é q u i v a l e n t s C o s m o l o g i q u e s de la Parole. R e s t e à savoir dans quel ordre ces X X I I é q u i v a l e n t s d o i v e n t être f o n c t i o n n e l l e m e n t rangés sur le planisphère du K o s m o s . V o u s en avez s o u s les y e u x . C h e r ami, le m o d è l e c o n f o r m e à celui qui a été l é g a l e m e n t d é p o s é s o u s le n o m d'Archéomètre. V o u s savez q u e la clef de cet i n s t r u m e n t de précision à l'usage des hautes é t u d e s , m ' o n t été d o n n é e s par l ' E v a n g i l e , par certaines paroles très précises de Jésus, à rapprocher de celles de Saint Paul et Saint Jean . » 12
12.
« L'ARCHÉOMÈTRE », p. 129.
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Ce texte, j e l'ai dit, est daté du 10 janvier 1901. Il clôt le livre I du recueil. Le livre II est intitulé « DESCRIPTION ET ÉTUDE DE L'ARCHÉOMÈTRE», et comporte quelques 130 pages. Son chapitre I" est une brève présentation des différents « Amis de Saint Yves » dont j ' a i déjà dit l'essentiel. Le second chapitre, également bref et dû, semble-t-il, à Papus, comporte des généralités essayant de définir les traits caractéristiques de l'œuvre; j ' e n retiendrai un passage significatif : er
«... Il faut ici bien insister sur ce double caractère de l'Archéomètre. C'est un outil qui doit rénover tout l'art moderne entre les mains d'artistes de génie d'une part, mais c'est aussi le témoin et la clé de toute la science de l'Antiquité, dont les sciences occultes sont un reste déformé. Les occultistes ne considèrent généralement l'Archéomètre que sous ce dernier point de vue, et les commentaires, généralement enfantins qui ont été faits jusqu'à présent, [et toc ! est-ce pour « LA GNOSE » ?] sur cet admirable instrument d'adaptation, portent presque exclusivement sur ce dernier aspect. Or l'astrologie donne bien la clé de la Science antique et ce sera un des mérites de saint Yves d'Alveydre d'avoir rétabli les rapports des lettres des couleurs et des planètes, mais cet instrument resterait un évocateur des cimetières intellectuels, si son auteur n'en avait pas fait le moyen de synthèse et de régénération de toute l'intellectualité future . » 13
Avec le chapitre III commence l'exposé « technique » d e l ' i n s t r u m e n t c o n c r e t q u ' e s t « le p l a n i s p h è r e archéométrique». Pourtant il me semble que l'analyse manque de rigueur ; c'est pourquoi et afin que le lecteur se fasse une idée plus précise, je propose ici une autre description que j'extrais du Brevet déposé en Grande13.
«L'ARCHÉOMÈTRE», p. 135.
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Bretagne le 26 juin 1906. Il convient également de se référer aux dessins descriptifs du planisphère déposés en annexe aux différents brevets. Ces dessins sont complémentaires et ne se différencient que par l'indication des couleurs. Ce brevet britannique donne donc les indications suivantes :
« L ' A r c h é o m è t r e est un i n s t r u m e n t de précision, u n rapporteur c y c l i q u e et e n c y c l o p é d i q u e , u n c o d e s y n t h é t i q u e des hautes é t u d e s religieuses, scientifiques et artistiques. Sa c o n s t r u c t i o n (voir figure 2), c o m p r e n d les séries s u i v a n t e s , e n allant de la périphérie vers le centre. 1) U n d o u b l e rapporteur circulaire et différentiel d i v i s é e n 360°, s u b d i v i s é en m i n u t e s , s e c o n d e s et s o i x a n t i è m e s de s e c o n d e s . C h a q u e c o u p l e de n o m b r e s différentiels a d d i t i o n nés e n s e m b l e d o n n e le n o m b r e m u s i c a l 3 6 0 à chaque degré. 2) Le z o d i a q u e du l a n g a g e c o s m o l o g i q u e , z o n e de 12 lettres m o r p h o l o g i q u e s , appelées Vattan, d i s p o s é e s dans 12 é c u s s o n s placés à 30° les u n s des autres, r e s p e c t i v e m e n t à 30, 60, 90, 120, 150, 180 e t c . . en accord a v e c les aspects c o s m o l o g i q u e s . T o u s ces n o m b r e s s o n t m u s i c a u x . La lettre m o r p h o l o g i q u e c o n t e n u e dans chaque é c u s s o n est a c c o m p a g n é e par s o n é q u i v a l e n t r o m a i n o u d'un autre caractère, et par le n o m b r e l o g i q u e qui l ' e x p r i m e s e l o n l'ancienne m é t h o d e des patriarches dans leur alphabet s c h é m a t i q u e des 22 lettres numérales. Les 12 lettres que n o u s a p p e l o n s zodiacales s o n t : Y (10), L (30), M (40), W (70), P h (80), K (100), R (200), E (5), O (6), Z (7), H (8), T (9). E n v u e de m o n t r e r que la c o n s t r u c t i o n de la z o n e des lettres n'est pas arbitraire, n o u s ajouterons les n o m b r e s littéraux précédents. Leur total est d e 5 6 5 , en lettres d é c i m a l e s 5, 6, 5 : E O E (selon la p r o n o n c i a t i o n : E . V . E , E u O E , H O H , e t c . . ) dans t o u s les l a n g a g e s s c h é m a t i q u e s , ce t r i g r a m m e e x p r i m e la vie d i v i n e éternelle, qui c o m p r e n d t o u t ce qui existe dans le m o n d e planétaire, o ù les é v o l u t i o n s que n o u s m e n t i o n n e r o n s plus tard. Suivant cette application aux hautes études religieuses, le n o m b r e 5 6 5 n o u s fournit sa c o r r e s p o n d a n c e scientifique,
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qui ici, est le rapport de la circonférence au diamètre. E n fait e n divisant 5 6 5 par 3 , 1 4 n o u s o b t e n o n s 180, le d i a m è t r e f o r m u l é par u n arc de cercle sur le rapporteur des d e g r é s . L'exactitude du l a n g a g e a r c h é o m é t r i q u e est ainsi vérifiée par les é q u i v a l e n t s c o r r e s p o n d a n t s . Il y a à ce d e g r é plus q u e des a n a l o g i e s subjectives. E n outre, ce fait révèle par là l'origine d u z o d i a q u e astral, le m o t et la c h o s e , et b e a u c o u p d'autres lois qu'il serait trop l o n g d ' e x p o s e r dans cette b r è v e description. 3) Le planétarisme du l a n g a g e , u n e z o n e é v o l u t i v e de 6 lettres m o r p h o l o g i q u e s , dans 2 p o s i t i o n s , total 1 2 ; c'est q u a n d la lettre solaire N est au centre de l ' é v o l u t i o n et de l ' i n v o l u t i o n ; alors la lettre lunaire B prend sa place et a d e u x m a i s o n s c o s m o l o g i q u e s , c o m m e les 5 autres lettres p l a n é taires. Les lettres et leurs n o m b r e s l o g i q u e s dans les angles sécants de quatre triangles équilatéraux inscrits f o r m a n t l'étoile d o d é c a g o n a l e ces m ê m e s angles s o n t aussi à 3 0 , 6 0 , 9 0 , 150, 180° etc. à distance les uns des autres s e l o n les aspects c o s m o l o g i q u e s . C e s lettres et n o m b r e s s o n t Sh (300) D (4) C (20) le n o m b r e solaire N (50) G (3) T s (90) et finalement le lunaire B (2) le total de ces n o m b r e s est 4 6 9 qui lu en d é c i m a l e s (4, 6, 9) d o n n e n t le t r i g r a m m e D E V A T A . Il signifie dans les V e d a s et en sanscrit la c o n s t i t u t i o n d i v i n e , présidant au s y s t è m e é v o l u t i f dans toutes ses phases. P o u r la b r i è v e t é du p r o p o s n o u s d o n n o n s s i m p l e m e n t l ' e x p r e s s i o n s y n t h é t i q u e de ces n o m b r e s . 4) U n e z o n e m u s i c a l e de n o t e s d i a t o n i q u e s , a v e c leurs intermédiaires c h r o m a t i q u e s et e n h a r m o n i q u e s , i n d i q u é e s sur l'échelle. C e s n o t e s s o n t au n o m b r e de 6, elles é v o l u e n t a u t o u r d'une n o t e solaire centrale. C e s six n o t e s o n t 2 p o s i t i o n s , total 12. La n o t e centrale, m i , d i v i s e é g a l e m e n t et unit t o u s ces c o u p l e s h o m o l o g u e s , soit situés s e l o n les angles o p p o s é s de l'étoile d o d é c a g o n a l e , soit à 180°, si u n e m a r q u e est faite sur le rapporteur différentiel. A u s s i n o u s a v o n s les intervalles m u s i c a u x , le s e p t i è m e uni en d e u x quartes, si (mi) La, la quinte, unie en d e u x tierces, l'une majeure et l'autre m i n e u r e D o (mi), Sol, la tierce m i n e u r e u n i e en d e u x s e c o n d e s , R é (mi) Fa. Les p o s i t i o n s c o s m o l o g i q u e s vérifient celles de l ' é g y p t i e n P t o l é m é e m a i s placent la n o t e solaire et
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centrale mi au milieu des 6 autres notes, au centre archéométrique. 5) Le zodiaque astral, dérivé du verbal. 6) Le système planétaire astral, dérivé lui aussi du verbal. Ce système planétaire diatonique place le signe du soleil au centre des 6 autres, quand c'est nécessaire, selon le sujet et en cela aussi il y a une correspondance avec les séries précédentes, celles des notes et lettres évolutives. 7) Une étoile hexagonale régulatrice, appelée étoile des solstices cosmologiques. 8) Un petit cercle avec 6 diamètres et 12 rayons blancs pour l'étude des rayons lumineux dont on fera mention plus tard, avec leurs correspondances archéométriques. 9) Un segment de cercles formant une pause sur une petite portée musicale de cinq lignes mélangée avec les rayons blancs. Quand elle est jointe au point central, c'est la lettre morphologique N, le nombre 50, le signe solaire et la lettre mi, étant donné qu'il est impossible d'inscrire tous ces équivalents en même temps, d'une manière suffisamment lisible dans un aussi petit espace. 10) Le point central. Quand il est doublé en vue d'exprimer l'équation des centres, il s'accorde morphologiquement avec la lettre S et le nombre 60 (ce dernier mentionné appartient au groupe des trois constructives). Les 2 autres sont les rayons blancs sur une ligne droite, qui dans l'alphabet morphologique Vattan sont la lettre A et le nombre 1, et d'autre part le cercle formé par deux semi-cercles, qui exprime dans la même écriture la lettre Th et le nombre 400. Le zodiaque et le système planétaire du langage, son involution archéométrique et son involution emploient aussi 19 lettres ou puissances verbales, 12 involutions, 6 évolutions, 1 autre selon les séries étudiées. Les trois lettres constructives, A, S, Th, coïncident avec le centre, le rayon géométrique et la circonférence. Leur nombre total est 461, en décimales 4, 6, 1. De V.A. Dieu dans les védas et en sanscrit. 11) A ces séries d'équivalences et de correspondances, la construction archéométrique ajoute celles de polygones réguliers et irréguliers formés par la coupure linéaire des
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quatre trigones équilatéraux, décrits ci-dessus comme formant l'étoile dodécagonale. La même construction donne aussi les relations de ces polygones avec les rayons sécants les arcs de cercles et les différents degrés du rapporteur. 12) Les systèmes chromatiques. Cette construction (voir figure 1) marque le système analytique, mais dans le système ondulatoire synthétique. C'est pourquoi sa course suit l'étoile dodécagonale, triangle par triangle selon les générations suivantes. Les trois premières couleurs couvrent les surfaces des trois angles du premier trigone, celles du solstice nordique, le bleu, l'angle qui marque la lettre zodiacale Y, lejaune celle qui marque la lettre zodiacale Ph, le rouge celle qui marque la lettre zodiacale O. Ces angles étant séparés par 120°. Ce nombre est le rapport chronique, numéral de chaque couleur et par ses différences, il indiquera la composition de toutes les couleurs générées. Ainsi 60/60 exprimera les 3 couleurs générées du second trigone pour son vert (bleu/jaune) pour son orange (jaune/rouge) pour son violet (rouge/bleu). Le troisième trigone chronique (ou le 1" des equinoxes) procède selon la même construction à partir du second solstice. Son expression arithmologique est la suivante : 90/30, 90 bleu, 30 jaune pour le vert de cette qualité, 90 jaune/30 rouge pour l'orange du même trigone, et 90 rouge/30 bleu pour le violet. Dans le 4 triangle, la proportion est inversement proportionnelle : 30 bleu/90 jaune, 30 jaune/90 rouge, 30 rouge/90 bleu. Ces couleurs, diatoniques dans l'étoile solsticiale, chromatique dans l'équinoxiale forment leurs enharmoniques en enveloppant les polygones interférentiels. La relation aux degrés qui donne le rapport de leur mélange est lu selon leur zone, et indiqué par le rayon bissectant. En multipliant les couples de triangles équilatéraux inscrits, c'est-à-dire en donnant à l'archéomètre 24 angles, comme un horaire enharmonique, 36 comme un endecanique (?) la génération chromique est accrue d'autant le type régulateur de la génération demeurant à l'intérieur des limites, de l'échelle enharmonique comprenant les chromatiques et les diatoniques. Le rapporteur chromique des 120° (fig. 3). Le secteur de 120° fait d'une matière transparente, permet aisément d'ape
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pliquer la chromologic de l'archéomètre, à l'étude des verts, du bleu au jaune, des couleurs oranges, du jaune au rouge, et finalement des couleurs violettes, du rouge au bleu. Il comprend trois zones graduées, selon leur sujet, fourni par les nombres différentiels indiqués ci-dessus et (les rayons coupant en deux les polygones interférentiels. (La vérification de ce système synthétique est effectuée en tournant l'archéomètre sur son centre. Sa relation avec le système analytique se lit par l'intermédiaire des rayons blancs du petit cercle décrit ci-dessus. Chaque couple de couleurs séparé de 180° correspond à deux rayons continus ou au diamètre blanc). »
J'arrête ici la citation du brevet britannique qui, c o m m e le brevet français, commente ensuite d'autres applications. Mais cela suffit pour donner une vue d'ensemble de l'instrument lui-même. A partir de là, le recueil rassemble et commente les données décrites ici brièvement. Je ne puis que renvoyer le lecteur à ces développements d'où tout risque d'arbitraire n'est évidemment pas exclu. Mais il est certain aussi que ces longues pages commentant les différents alphabets sanscrit, hébreux, celtique, égyptien, éthiopien, arabe constituent une « somme philosophique » des plus étonnantes. Mais cela ne se résume pas.
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Avouerai-je que cet aveu d'impuissance dans le commentaire est bien significatif? Est-ce un aveu ou simplement un constat ? Et à ce point, à l'orée du livre III consacré aux «Adaptations de l'Archéomètre», m o n interrogation, celle aussi de beaucoup de lecteurs de ce livre étonnant, rejoint celle des collaborateurs de Saint Yves. J'ai dit que longtemps après sa mort, ces « Happy Few » continuèrent à s'interroger et à travailler sur la lancée. C'est aussi que tout n'était pas évident. Ce livre III, dû pour une large part à Charles Gougy, explique le mécanisme de la mise en œuvre de l ' A r c h é o m è t r e . Il est à cet égard très « instrumental » et ajoute les détails indispensables à une bonne compréhension de l'œuvre; j ' a i décrit le planisphère dans son ensemble et le « rapporteur des degrés ». Gougy décrit en plus l'Etalon archéométrique et tente d'expliquer sa mise en œuvre : cette règle musicale permet de transposer des proportions dans l'architecture. Exemple simple, si l'on veut. Soit un n o m : celui de Marie... pris au hasard. C'est aussi celui de Marie Victoire. L'exégèse archéométrique aura permis de dégager beaucoup de significations de ses racines. Mais ce n'est pas assez : « Le nom de Marie nous amène à appliquer l'Archéomètre à la Science des religions, à leurs positions exactes dans la Genèse et dans la synthèse du verbe, à leur symbolique, à la signification logique de toutes les expressions de la pensée créatrice, lettres, nombres, notes, formes, couleurs, fonctionnalités angéliques ou cosmologiques, équivalences ou correspondances de tous ces signes du verbe, harmonies correspondantes de l'année liturgique, des mois, des jours, des heures, etc.. » Saint Yves — ou Gougy — expose ensuite sa méthode pour trouver la correspondance musicale de ce n o m — je 14
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passe sur les détails, au demeurant intéressants pour donner le résultat : M : Ré R : Ut E : La
(J et A ayant également une valeur musicale.) Et, ainsi de suite, les proportions musicales — rapports proportionnels en fonction de l'étalon musical — deviennent proportions mathématiques et aussi architecturales. Je ne saurais discuter la valeur scientifique et mathématique de la méthode qui, dans le détail, paraît évidemment stupéfiante. Il se trouve simplement que les objets qu'elle permet de produire — ou qu'elle permettait — chapelles, vases, mobilier sont très férocement dans le « style 1900 ». Eut-elle produit, en 1980, des objets harmonieux selon le goût du temps ? Je pense que, sur la fin, le recueil de 1'« ARCHÉOMÈTRE » paraît disparate et bâclé. Par exemple, l'équerre Archéométrique figurée à la page 301, n'est à aucun m o m e n t expliquée. Il est certain qu'elle permet de calculer les proportions qui transposent les rapports musicaux à l'Architecture, mais n'est-il pas étrange que cela ne soit dit nulle part ? Il en va de m ê m e pour de nombreux dessins et graphiques reproduits dans le recueil, sans beaucoup d'explications. Et ce n'est sans doute pas par hasard que les disciples se trouvèrent quelque peu démunis pour les commenter. Ils eurent par ailleurs le mérite de travailler à exhumer des multiples cartons entassés par Saint Yves, et outre les œuvres musicales, les essais de restitution de l'Evangile selon Saint Jean et du «Bereschit», inspirés aussi des
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travaux de Fabre d'Olivet Et sans doute conviendrait-il de commenter ces œuvres posthumes aussi longuement que je l'ai fait à propos des œuvres de jeunesse. Et pourtant... pour avoir étudié longuement, et probablement trop, les brouillons et les versions entassées par Saint Yves, je me trouve incapable de reconnaître la version qu'il eût voulue définitive. Ce qui a été publié sous le n o m de « THÉOGONIE DES PATRIARCHES » est certes de Saint Yves... Mais trois autres versions conservées à Lyon ou à la Sorbonne étaient aussi définitives et aussi intéressantes. Et seule une édition critique comparative permettrait une approche satisfaisante. Ce qui ne signifie pas que la publication posthume des « Amis de Saint Yves » soit négligeable. Tout au contraire : elle témoigne d'un état de l'œuvre lorsque cette dernière a échappé à son auteur. Et tel est bien le drame de toute œuvre publiée à titre posthume, qui annule le commentaire. De fait, il ne s'agit plus de Saint Yves, mais de l'idée que se firent de lui certains amis incontestablement dévoués. Sans plus — car qui peut dire ce qu'un h o m m e a voulu, mieux que cet h o m m e ? Et c'est en cela que le rêve de l ' A r c h é o m è t r e est inachevé, et dramatiquement, puisque m ê m e le zèle des « amis » n'a pas permis d'en restituer les lignes maîtresses. Sans doute disposons-nous avec le recueil qu'ils publièrent, avec « LA THÉOGONIE DES PATRIARCHES » avec « L'ARCHÉOMÈTRE MUSICAL » et autres pièces, de données importantes... ; manque simplement l'essentiel, le souffle du vivant que rien ne peut restituer jamais. Aussi paraît-il dérisoire de rechercher indéfiniment de quelles spéculations commerciales rêvait Saint Yves en fondant une société commerciale pour s'assurer l'exclusivité de la vente de meubles, ou de vases conformes au modèle archéométrique. 15. Cf. la réédition de «LA THÉOGONIE DES PATRIARCHES». Nice, 1980 (Editions Bélisane).
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Jean Reyor le soulignait à juste titre en 1935, et probablement était-il de ceux qui avaient le mieux compris la démarche profonde : « Saint Yves entendait livrer de l'Archéomètre des applications multiples, parti de l'idée très juste que la tradition n'est pas affaire de pure spéculation, mais doit imprégner tous les actes des individus même ceux de l'ordre le plus inférieur, l'auteur des missions voulait fournir aux hommes un instrument qui leur permettrait d'établir entre eux et l'ensemble du macrocosme une harmonie aussi complète que possible afin qu'ils puissent réaliser dans sa plénitude le développement de leurs possibilités individuelles, en prenant pour support les réalités du monde sensible qui sont trop souvent un obstacle. Dans son esprit, il devenait possible avec l'"Archéomètre" de s'entourer de formes, de couleurs, de résonances, de parfums adéquats à sa propre personne ou à toute idée que l'on veut choisir. » Saint Yves avait songé à rénover la musique selon les sept modes antiques : « Il pensait aussi livrer au public tous les objets usuels sur les constructions architecturales conformes à une pensée donnée ; il comptait prouver à tous, par cette harmonie de la vie quotidienne, la présence du verbe en tout ce qui nous entoure. Il s'agissait en somme de "ritualiser" le décor et les moindres actes de l'existence. C'est l'idée même qui préside à l'organisation des sociétés traditionnelles et nous ne pouvons que l'approuver entièrement . » lf>
Cela, me semble-t-il, restitue bien le sens général de la recherche. Mais il n'en demeure pas moins qu'elle est restée inachevée et totalement incomprise. A tort ou à raison, et à vrai dire, qu'importe ? 1 6 . Jean Reyor : « SAINT YVES D'ALVEYDRE ET L'ARCHÉOMÈTRE » in « LE VOILE D'ISIS », 1 9 3 5 , pp. 2 9 0 - 2 9 1 .
UN RÊVE INACHEVÉ
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P o u r finir... U n e biographie ne se conclut pas, sauf pour le biographe qui ne peut que faire la s o m m e de ses ignorances, de ses questions mal posées ou des réponses mal comprises. Q u a n t à l ' h o m m e ou la femme dont on a parlé, et qui par définition ne sont plus là pour se défendre, on peut être sûr qu'ils ne se reconnaîtraient pas dans l'enchevêtrement des mots, la tonalité, l'odeur, la ferveur de ce que fut leur recherche de la vérité, disaient-ils, du bonheur tout simplement. Et du simple bonheur dissimulé sous tant de mots. U n destin c o m m e celui de Saint Yves ne se conclut donc pas plus qu'un autre; avouerai-je au lecteur que j ' a i souvent eu le désir d'appeler Jacques Lacan à la rescousse afin d ' é l u c i d e r les aspects p a r a n o ï a q u e s de cette personnalité . Je l'ai d'ailleurs fait : les descriptions de Lacan, et quelques autres, étaient parfaitement justes, et d'une correspondance (encore une) troublante. Saint Yves n'en est pas moins demeuré de marbre, sous mes yeux, sans que je puisse trouver à ce marbre funéraire d'autre sens que celui de l'inachevé de toute vie quand elle est achevée, inexorablement. A quoi bon dès lors chercher autre chose ? Aussi ayant, souvent à grand peine, retracé ce destin, ne puis-je conclure que sur ce qui lui a échappé, à commencer par cette fameuse S y n a r c h i e qui est devenue après lui, et sans doute contre ce qu'il voulait, synonyme de complot et d'oppression occulte. Et là au moins les choses sont claires : le principal théoricien connu de la s y n a r c h i e ne complota jamais et, tout au contraire, rêva, et bien naïvement j e l'ai montré, d'une 17
17. Jacques Lacan : « LA PSYCHOSE PARANOÏAQUE DANS SES RAPPORTS AVEC LA PERSONNALITÉ», Paris, 1980 (Le Seuil).
464
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
reconnaissance la plus officielle qui soit de sa doctrine. Quiconque parle de lui ne peut plus l'ignorer. Ses rêves divers, sï occultistes qu'ils aient été, s'achevèrent, bien dérisoirement sur les marches du Palais de l'Elysée. Etrange, et humble complot au grand j o u r ! Si donc le mot synarchie sert aujourd'hui à désigner de lourdes énigmes, ce n'est vraiment pas dans l'œuvre de Saint Yves qu'il faut en chercher les «supérieurs inconnus». Autant son destin fut parfois tortueux, complexe et tourmenté, autant il est permis d'affirmer que ses rêves synarchiques sont sans énigmes. U n curieux destin posthume a fait que m ê m e son œuvre ou sa théorie maîtresse lui ont donc échappé pour devenir tout à fait autre chose que ce qu'il avait voulu : c'est m ê m e une suprême dérision qu'un Marcel Déat, qui n'avait que faire d'exactitude historique, ait chaussé les bottes de M g r Jouin pour pourfendre de prétendus synarques, afin de voler au secours de Pierre Laval... puis que d'incontestables résistants aient repris à leur compte le m ê m e terme pour stigmatiser d'incontestables fascistes ou nazis. Le pauvre Saint Yves n'en pouvait mais, devant une histoire qui le dépassait. C o m m e à vrai dire, elle l'avait toujours dépassé.
Bibliographie générale de Saint Yves d ' A l v e y d r e
« Si parfois nous avons suspendu d'une main un livre sur ce siècle sombre, ça n'a été qu'une tentation passagère, et de l'autre main le livre a été jeté dans l'oubli. » « D E L'UTILITÉ DES ALGUES MARINES », p. 54.
Cette bibliographie a une histoire que je dois rappeler brièvement afin que le lecteur ne soit pas surpris par des variations qu'il peut constater entre les divers auteurs, c o m m e entre les états que j ' a i déjà rendus publics. J'avais publié en 1 9 7 1 , en préface à l'édition de « MISSION DES JUIFS » par les Editions traditionnelles une « ESQUISSE D'UNE BIBLIOGRAPHIE DE SAINT YVES ». Ce texte comportait, bien qu'il fût déjà le plus complet à ce m o m e n t , de nombreuses approximations. Il fut repris et amélioré dans la Revue « L'INITIATION » sous le titre « POUR UNE BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE DE SAINT YVES D'ALVEYDRE » et parut dans 3 numéros ( 4 trimestre E
E
1 9 7 8 - 1" et 2 trimestre 1 9 7 9 ) .
U n article de Gilbert Tappa, paru dans « BÉLISANE 1978 » ( N i c e , 1 9 7 9 ) « A PROPOS D ' U N E RÉCENTE BIBLIOGRAPHIE » a apporté des compléments intéressants, dont j ' a i évidemment fait m o n profit. De plus, la confrontation systématique des données de la bibliothèque Nationale (Départements des Imprimés et de
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
466
la musique) a permis d'apporter de nouvelles précisions, qui ont, pour la plupart, été commentées dans le cours du présent livre. Enfin on trouvera en plus des notations habituelles permettant d'identifier l'ouvrage, les cotes de la Bibliothèque Nationale. Dire que cette bibliographie est définitive serait sans aucun doute prématuré, notamment en ce qui concerne les articles de presse et les archives de Saint Yves. Toutefois, il semble qu'elle donne aujourd'hui une vue d'ensemble assez complète de son œuvre, autant qu'il est possible de le faire en l'état actuel de la recherche. — « LA DIANE DES AMES,
—
— —
ouverture
de la trilogie
1C
2
— —
e
—
de
Prométhée » Toulouse s.d. (Imp. de Caillot et Baylac). Le texte est signé et daté à la fin « Alexandre Saint Yves. Ile de Jersey. Noël 1868». ( B . N . : Ye 51 767.) « L ' A G E DE PLÂTRE» — par Celtil — Paris, 1873 (E. Dentu) avec une dédicace à M . A. Dumas Fils. Daté du 15 avril 1873. ( B . N . : Ye 17 365.) Celtil, « FRANCE, R O Y OU PEUPLE», Poème, Paris, 1873; (Lachaud). ( B . N . : Ye 17 366.) « LE RETOUR DU CHRIST — APPEL AUX FEMMES », avec une lettre de M . Alexandre Dumas fils. Paris, 1874. (Librairie Moderne Jules Lecuir et C ). Le texte comporte également une lettre du père Didon. ( B . N . : D 13 805.) «TESTAMENT LYRIQUE», Paris, 1877. (Librairie Académique Didier et C"). ( B . N . : Res. p. Ye 1 211.) « CLEFS DE L'ORIENT », Paris, 1877 (Librairie académique Didier et C ) . ( B . N . : 8 J 146.) U n e édition incomplète ne comportant que les trois chapitres principaux (également publiés dans « TESTAMENT LYRIQUE ») a été publiée s.d. (en 1910) par les « Amis de Saint Yves » sous le titre « LES CLEFS DE L'ORIENT. Les Mystères de la naissance. Les sexes et
467
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
l'Amour. Les Mystères et la Mort d'après les clefs de la cabbale orientale». Avec sept dessins de Richard Burgsthal. Paris (A la librairie Hermétique). ( B . N . : 8 R. 23 519.) Cette édition incomplète a donné lieu à (au moins) deux reproductions non datées, vers 1978 par : «Les Rouyat » à Ventabren (13) (couverture brune) Les «Editions de l'Ascèse», Saint Clément des Levées. 49350 - Gennes (couverture verte). « U n e édition intégrale (la seule) du texte de 1877 a été réalisée en 1980 par Bélisane (Nice) avec un avertissement de Gilbert Tappa, une introduction par Jean Saunier, le texte complet de « CLEFS DE L'ORIENT » et la reproduction en annexe des différents éléments de l'édition 1910. « LE MYSTÈRE DU PROGRÈS, tragédie héroïque en cinq actes avec chœurs et ballets », Paris, 1878 (Librairie académique Didier et C'°). ( B . N . : Z Renan 6 583.) «DE L'UTILITÉ DES ALGUES MARINES», Paris, 1879 (Librairie médicale Louis Leclerc, O Berthier successeur). (8 S. 1 568.) e
e
« FABRICATION
DE DIVERS
PRODUITS,
EXTRAIT DES ALGUES MARINES »,
À L'AIDE D ' U N
brevet déposé le 27 mars
1879. « TRAITEMENT
DES ZOOSTÈRES
OU plantes
marines
monocotylées », donc en vue d'en obtenir de la pâte à papier. Brevet déposé le 20 avril 1881. «MISSION ACTUELLE DES SOUVERAINS», Paris, 1882
(E.
e
Dentu). ( B . N . : 8 E 220.) « MISSION DES SOUVERAINS PAR L'UN D'EUX e
», Paris, 1884
(Calmann Levy, 4 édition). « MISSION DES SOUVERAINS », Paris, 1948 (Ed. N o r d Sud). ( B . N . : 8 G 4664), avec introduction signée X X X . « L A SYNARCHIE», discours prononcé au Congrès International d'arbitrage et de fédération de la Paix (Bruxelles, octobre 1882). SI. s.d. (Imprimerie Lahure). e
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
D'importants extraits de ce texte ont été publiés dans », janvier-mars 1971, pp. 19-25. «MISSION ACTUELLE DES OUVRIERS» — Paris 1882 (E. Den tu). « L'INITIATION
e
«MISSION DES OUVRIERS», 3 édition, Paris, 1884, Cale
mann Levy. (B.N. : 8 R 9 998.) « MISSION ACTUELLE DES OUVRIERS », réédition de l'imprimerie E. Dentu de 1882. Nice, 1979 (Bélisane). « MISSION DES JUIFS PAR L'AUTEUR DE LA MISSION DES e
SOUVERAINS », Paris, 1884 (Calmann Levy). ( B . N . : 8 H . 870.) Nouvelle édition augmentée d'une table alphabétique Paris, 1928 (Dorbon Aimé) en 2 volumes. ( B . N . : A 23 980.) Paris, 1956 (Niclaus) avec préface de Jacques Weiss. (B.N. : 8 A. 471.) Paris, 1971 (Editions traditionnelles) avec préface de Philippe Encausse et Fred-Yves Boisset, introduction et bibliographie par Jean Saunier. (B.N. : 8 A 2 867.) Paris, 1977 (Editions traditionnelles) reprise de l'édition Niclaus de 1956. «LES FUNÉRAILLES DE VICTOR H U G O » , si, Paris, 1885. Imprimerie Lahure. ( B . N . : 4' Ye Pièce 140.) « L A FRANCE VRAIE» (mission des Français), Paris, 1887 (Calmann Levy). ( B . N . : L b 57 9 403.) « V Œ U X DU SYNDICAT DE L PRESSE ECONOMIQUE » (1887). (Pétition diffusée à 10 000 exemplaire). (B.N. : ?.) e
e
« LES ETATS GÉNÉRAUX DU SUFFRAGE UNIVERSEL » (Adresse
et lue et remise à M . le Président de la République et à M . le Président du Conseil en mai 1888...). Paris, 1888 (Lahure). ( B . N . : 8 Lb 57 16 655.) «LES ETATS GÉNÉRAUX DU SUFFRAGE UNIVERSEL», Discours prononcé au banquet du syndicat de la Presse économique et professionnelle le 29 juillet 1888 par le mis de Saint Yves. Paris, 1888 (Lahure). ( B . N . : 8 Lb 57 16 654.) e
e
469
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE « MATERNITÉ ROYALE ET MARIAGES ROYAUX
», Paris, 1889
(Lahure). ( B . N . : 8' Ye P 2 167.) « L'EMPEREUR ALEXANDRE III ÉPOPÉE RUSSE »,
Paris, 1889
e
(Lahure). ( B . N . : 8 Ye 2267.) « LE POÈME DE LA REINE », Paris, 1889 (Lahure). ( B . N . : l
8 Ye pièce 2 070.) (The Earl of Lytton) « T H E POEM OF THE QUEEN VICTORIA » translated into english verses etc... Paris, 1892 (Lahure). ( B . N . : 8 Ye 23 056.) C
« L E CENTENAIRE DE 1789 — SA CONCLUSION», Paris,
1889 (Lahure). ( B . N . : ?.) « L'ORDRE
ÉCONOMIQUE DANS
L'ELECTORAT ET DANS
L'ETAT», Paris, 1889 (Lahure). ( B . N . : ?.) « SOUVENIR DU JEUDI 20 SEPTEMBRE 1900 ET VŒUX DE
1900-1901 ». Sans lieu ni date. ( B . N . : ?.) Cette plaquette a été reproduite dans « BÉLISANE 1978 », Nice, 1979. « N O T E S SUR LA TRADITION CABALISTIQUE», Paris, 1901 NOËL
(L'INITIATION). ( B . N .
: A 21
505.)
Ce texte a été publié par Papus dans « LA CABALE » (1903) puis dans les diverses éditions de «L'ARCHÉOMÈTRE». « SALUTATION ANGÉLIQUE » : langue Slavonne, Paris, 1900 (Delanchy), 1 voix et piano ou orgue. Cotes Saint Yves SYP 5672-1 (ténor) SYP 5672-2 (Basse) (Cotes B . N . : V m 7 99 208 et 99 209 K 62 388 1 et 2.) « SALUTATION ANGÉLIQUE » : langue latine, Paris, 1900 et 1901 (Delanchy), 1 voix, cloches ou harpe et orgue ou piano. Saint Yves : SYP 5674-1 (Baryton) SYP 5674-2 (Basse) (BN = V m 7 99 206 et 99 207 K 62 387-1 et 2) (Partition reproduite dans «L'ARCHÉOMÈTRE».) TRADITION SECRÈTE DE L'OCCIDENT
470
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
« SALUTATION ANGÉLIGUE » : langue Syro-chaldaïque, Paris, 1900 (Delanchy), 1 voix et orgue ou piano. Saint Yves : SYP 56.75 ( B . N . V m 7 99 205 K 62 382.) — « KYRIE ELEISON » : langue grecque, Paris, 1900 (Delanchy), 1 voix et orgue ou piano. Saint Yves SYP 56.73-1 (Ténor) SYP 56.73-2 (Baryton) ( B . N . V m 7 99 202 et 99 203 K 62 385-1 et 2.) — « PATER NOSTER », Paris 1900-1901 (Delanchy), 1 voix et orgue ou piano. Saint Yves : SYP 56.97-1 (Ténor) SYP 56.97-2 (Baryton grave) ( B . N . V m 7 99 204 et 99 204 bis K 62 386-1 et 2.) — « AMRITA», Paris, 1901 (Delanchy) pour piano seul. SYP 5 734 ( B . N . : V m 12 25 427 K 56 039.) Mélodie à 1 voix et piano SYP 5 735 (K 56 040) (Cette partition a été reproduite dans Bélisane 1979, Nice, 1980). — «ETOILE DES MAGES», Paris, 1901 (Delanchy), pour piano. SYP 5 742 ( B . N . : V m 12 25428 K 62 383.) —
—
« MOYEN D'APPLIQUER LA RÈGLE MUSICALE À L'ARCHITECTURE, AUX BEAUX ARTS MÉTIERS ET INDUSTRIES D'ART GRAPHIQUES OU PLASTIQUES. MOYEN DIT ÉTALON ARCHÉOMÉTRIQUE.
Déposé à Paris le 26 juin 1903. N" 333. 393 XII-3. Déposé à Londres le 25 juin 1904. N " 14.377. — « DIATONIE ARCHÉOMÉTRIQUE », les Heptacordes. Conju-
gaisons. s.d. (1907*) (Imprimerie Dupré). (* L'exemplaire que j e détiens porte la date de 1906).
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
471
Cote Saint Yves Sya 8. ( B . N . : V m 8 1608 L 8 197.) «L'ARCHÉOMÈTRE MUSICAL», modes mélodiques et harmoniques sld. SYA : 9 ( B . N . Fol V m 2 2.)
(Fol C 232.) Réédition avec « L'ARCHÉOMÈTRE » par Gutenberg R e prints. Paris, 1979. « LA THÉOGONIE DES PATRIARCHES. » Jésus (nouveau Testament) Moïse (Ancien Testament). Adaptations de l'Archéomètre à une nouvelle traduction de l'Evangile de Saint Jean et du Sepher de Moïse, Paris, 1909 (La librairie Hermétique). ( B . N . : A 15 263.) Réédition : « LA THÉOGONIE DES PATRIARCHES. » T r a d u c -
tion archéométrique des Saintes Ecritures. Préface d'Yves Fred Boisset, Paris, 1977. (Edition J.B.G.) (incomplet et erroné). Reproduction avec « L'ARCHÉOMÈTRE » par Gutenberg Reprints, 1979. Reproduction de la première Edition, Nice, 1980 (Bélisane). Présentation par Jean Saunier. « MISSION DE L'INDE EN EUROPE — MISSION DE L'EUROPE EN ASIE LA QUESTION DU MAHATMA ET SA SOLUTION», e
Paris, 1910 (Dorbon). ( B . N . : 8 6 8 906.) Réédition, Paris, 1949 (Dorbon). « MISSION DE L'INDE EN EUROPE — MISSION DE L'EUROPE
EN ASIE », Première édition intégrale sur le texte de 1886. Présentation Jean Saunier, Nice, 1981 (Bélisane). « L'ARCHÉOMÈTRE — CLEF DE TOUTES LES RELIGIONS ET DE TOUTES LES SCIENCES DE L'ANTIQUITÉ
RÉFORME SYNTHÉ-
TIQUE DE TOUS LES ARTS CONTEMPORAINS», Paris, S.d.,
1911 (Dorbon). ( B . N . : 8° R 23 519 et Fol R 557.) Seconde édition précédée d'une étude de Papus et d'une
472
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
note de Philippe Encausse. Paris, s.d., 1934 (Dorbon). (B.N. : Fol R 745.) — Paris, s.d., 1977, La T o u r des Dragons. — Villeneuve Saint Georges s.d., 1977 (Les éditions Rosicruciennes). Cette édition reproduit celle de 1910, mais ne comporte pas les planches en couleur. — Paris, 1979 (Gutenberg Reprints) «L'ARCHÉOMÈTRE» suivi de « L'ARCHÉOMÈTRE MUSICAL » et de « LA THÉOGONIE DES PATRIARCHES». Introduction de Jean Saunier.
N o t e s u r les A r c h i v e s d e S a i n t Y v e s
d'Alveydre
Cette question a été traitée en détail dans l'étude parue dans «L'INITIATION». O n peut la résumer brièvement en trois points : — les archives connues et conservées dans des bibliothèques publiques proviennent toutes de Papus ; elles sont réparties en deux fonds : celui de la Sorbonne où elles appartiennent au « Nouveau fond de manuscrits » sous les cotes suivantes : ms
1820:
«ARCHÉOMÈTRE DU SEPHER BERAESHITH DE M O Ï S E » , 121
ff.
ms 1821 : Notes diverses (août-décembre 1903) (analyse de divers ouvrages), 195 ff. ms 1822 : Notes diverses — (analyse de divers ouvrages), 119 ff. ms 1823-1826 : Cahier de notes. I à IV. ms 1895 : Heures d'insomnie, 128 ff. Il existe par ailleurs un certain n o m b r e de papiers non classés conservés dans les cartons du cabinet des manuscrits n 42 et 43. U n inventaire précis de ces documents a été établi par Robert Amadou sous le titre « Le Fonds Saint-Yves d'Alveydre à la Bibliothèque de la Sorbonne » dans L'INIos
TIATION,
n
os
2 et
3 de
1981.
La Bibliothèque de Lyon conserve une masse impor-
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
473
tante de documents répertoriés sous la cote unique ms 5 493 mais non catalogués — j ' a i cité les plus intéressants d'entre eux dans ce livre. Sur l'histoire de ces deux fonds voir les analyses m i n u t i e u s e s de R o b e r t A m a d o u p a r u e s dans « L'INITIATION ».
Mais ces documents concernent principalement les dernières années de la vie de Saint Yves et l ' A r c h é o m è t r e . Restent à retrouver deux autres types d'archives : les documents familiaux, les correspondances probablement importantes reçues ou envoyées par Saint Yves, la trace de ses démarches e t c . . Si ces pièces existent encore, elles sont à rechercher du côté d'éventuels descendants de la famille Keller. Enfin : les dépôts « réservés » que Saint Yves affirme à plusieurs reprises avoir constitués « en lieu sûr », mais dont personne ne semble jamais avoir fait état. Peut-être un chercheur heureux aura-t-il la chance de les découvrir un j o u r ; c'est ce que je souhaite à qui aura été intéressé par ce bien curieux personnage.
Saint Yves d'Alveydre à la fin de sa vie
Marie Victoire de Riznitch qui épousa Saint Yves en 1877
Claire Vautier, auteur de « Monsieur le Marquis »
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L'écriture singulière de Saint Yves. (Lettre à PapHs. BibliothèqHe de Lyon)
L'Hôtel de la Rue Vernet (état
eJ/
1840)
Index
ABEL 1 7 4 ABELLIO R a y m o n d 3 7 ABDEL WAHED SHEIKH 3 6 6 ABIM ELECH 2 7 4 ABRAM 2 7 2 , 3 2 5 ADAM 1 7 0 , 1 8 3 , 2 6 9 ADAM Juliette 1 1 9 , 1 6 2 ADAM Paul 4 2 7 ALBERTI (Marquis d') 1 3 5 , 2 8 7
ARAGO D7 ARGENSON (Marquis d') 2 5 2 ARISTOTE 2 4 3 , 2 4 5 , 2 4 6 , 2 4 8 ARMENGAUD 1 4 0 ARNOULIN S t é p h a n e 3 1 6 AUBE (Amiral) 2 3 2 , 2 3 4 , 2 5 8 AVICENNE 1 1 0 AZEAU Henri 3 8 , 2 3 8
(Marquise d') 1 3 5 , 1 4 9 ALEMBERT (d') 2 5 2 ALEXANDRA JOSSIFOWNA (Grande D u c h e s s e ) 1 2 1 , 4 3 3 ALEXANDRE 2 7 7 ALEXANDRE II (Tsar) 1 2 3 , 3 0 7 ALEXANDRE III (Tsar) 1 2 4 , 3 6 9 ALEXIS T s a r é v i t c h 4 1 7 A L FARABY 1 1 0 ALTON-SHEE ( C o m t e s s e d') 1 7 8 AMADOU R o b e r t 2 9 , 1 3 0 , 3 9 6 ,
BARBER 3 6 0 BACON R o g e r 1 1 0 , 2 4 8 BACQUOY-GUÉDON (M ) 4 9 ,
438,
439,
472,
473
AMOUROUX A n t o i n e J o s e p h 4 8 AMOUROUX Marie-Joséphine
131
BADEN-POWELL 3 4 7 BÂILLON E u g è n e 4 4 1 BAILLY 2 5 2 BALZAC H o n o r é (de) 1 0 7 , 1 1 7 BALZAC M m e H . (de) 1 1 5 , 1 1 8 BARATIER Aristide 2 3 2 BARBIER E m m a n u e l 1 2 3 , 3 0 6 BARING 3 8 5 BARLET 2 5 , 4 6 , 5 1 , 7 3 , 7 4 , 7 5 , 76, 165,
48
AMPHION 1 7 3 , 1 7 4 , 4 4 5 ANDRÉ Francis 1 6 4 APPOLLONIUS DE THYANE 9 2 , 211,
1
277,
278,
403
103,
133,
156,
215, 229, 236, 242,
106,
124,
265, 375,
266,
292, 294, 295, 354,
379,
380, 383, 387, 395,
398,
399,
400, 428, 429, 432,
433,
435,
436,
4 4 6
476
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
BARRES 3 1 3 , 3 1 8 BARRUEL 1 2 3 BATILLIAT 4 2 6 , 4 2 7 BAUDELAIRE 8 3 BAYLE 2 5 2 BEACONSFIELD (Lord) 9 0 BEAUDEVILLE ( A b b é ) 5 8 BÉGUIN Albert 2 9 BENAERTS Pierre 1 9 1 BENOIST R o b e r t 4 9 N 1 3 1 BERGE François 3 6 4 BERGIER Jacques 3 2 BERTET A d o l p h e 4 0 5 BERTHELOT 2 3 4 , 2 5 8 BERTHOLLET 1 9 6 BIBIKOFF (G") 1 1 9 BIETRY 3 1 3
BOUMENOIL 4 1 ) 2 BOURGEOIS 2 3 7 BOURGET 3 1 3 BOURNAT V i c t o r 5 6 BOUTEILLE (Fils) 4 3 3 BRANICKI 4 1 2 BRETIGNIES DE COURTEILLES 5 7 , 60
BRISSAUD A n d r é 3 4 7 BROGLIE A. (de) 2 4 7 BROGLIE ( D u c de) 1 9 1 BROSSET Jean 4 3 0 BUGEAUD 1 6 3 BUISSON Ferdinand 2 3 2 BULWER LYTTON (Sir) 4 2 , 8 9 , 91,
BILGRAMI A g g h a r H . 9 1 BISMARCK 1 5 3 , 3 7 3 BLANCHARD 6 2 BLANQUI 3 1 7 BLAWATSKY U . P . 2 9 8 , 2 9 9 , 3 4 6 BLECH Charles 2 9 7 , 2 9 8 BLOCH Jean-Jacques 1 9 4 BLUCHER 1 6 8 BOBROWSKY T a d e u s z 1 1 5 , 1 1 8 BOIS Jules 2 5 , 3 1 , 1 3 4 , 1 5 3 , 290,
355,
356,
419,
BOISSET Y v e s - F r e d 442,
468,
4 2 0
413,
93,
347,
403
BUNNEL 2 4 0 BURG STHAL 4 6 7
CABET 8 2 CABROL D r 1 4 4 CADORET 3 8 8 CAGLIOSTRO 1 1 0 CAILLE R e n é 2 9 0 , 3 2 2 CAILLET CAIN 1 7 4 ÇAKYAMOUNI 3 6 0 CALMEIL 5 0 4 4 1 , CALVIN 2 4 8 CAMBOURG T h é o d o r e (de) 2 3 2 ,
471
BONALD (de) 7 0 , 7 1 BONHOMME Jacques 1 6 8 BONIFACE VIII 2 4 3 BONNEVILLE DE MARSANGUY
234,
237,
239,
321,
3 2 3
CAMBYSE 2 7 7 CAMINADE 2 4 , 1 4 6 , 2 9 0 CANUDO Jeanne 4 1 58, 59 CARNOT Sadi (Pdt) 1 8 , 2 3 7 , 4 1 9 BORCH ( C o m t e s s e de) 1 1 8 CARTER (Pdt) 3 4 B o s c Ernest 2 8 1 , 2 9 0 , 2 9 9 , CATHERINE II 1 1 8 309, 312, 3 1 5 CAVOUR 7 2 BOUCHARD L. 1 7 9 CAZABAN L é o n 4 3 1 BOUCHOR M a u r i c e 2 9 0 CELLIER L é o n 2 9 , 8 4 , 8 5 , 8 6 , BOULAINVILLIERS 2 4 7 88, 285, 291 BOULANGER ( G ) 1 8 , 1 9 3 , 2 3 1 , CELTIL 1 6 1 , 1 6 2 , 1 6 3 , 1 6 5 , 1 6 7 , 1
234,
235,
238,
239, 240,
258
168,
169,
466
INDEX CERFBEER 31 D CÉSAR Jules 248, 279 CHABAUTY (Abbé) 315, CHACORNAC 164, 198,
317 357,
358, 407, 408, 412 CHALAIS PERIGORD (Prince de) 57 CHAM 174 CHAMBORD 168 CHAPPE 252 CHARLEMAGNE 212 CHARLES VIII 404 CHÂTELAIN Louis 232 CHAUDORDY (Comte de)
(Dr)
423,
424,
CHAUVET Franck 424 CHERBULIEZ 256 CHESTERFIELD (Lord) 252 CHEVALLIER Michel 195 CHEVREUL Michel Eugène 232 CHIRAC Auguste 317 CHOULTOUN-BEYLI (Prince)36() CHRIST 160 CHRISTIAN J. (Dr) 50 CHRISTNA 271 CIECHANOWIEKI 118 ClECHANOWIEKA (Comtesse)
127
89, 407 CONSTANTIN 251, CONSTANTIN
271
(Grande Duchesse) 121
38, 39, 194,
235, 237, 239
426
CLAES Pepita 149 CLAIRAUT 252 CLAVELLE Marcel 186, 294, COLBERT 251 COMTE Auguste 263 CONDILLAC 252 CONFUCIUS 276 CONSTANT Alphonse Louis
COPPÉE François 45 COTTIN (Me) 119 CROMWELL 72 CROS Charles 45 CURCI R.P. 322 CYRILLE (Saint) 189 CYRUS 371 DANIEL 181 DANSETTE Adrien
106, 179, 180, 187, 191, 192, 193, 194, 202
CHAUVET A.E.
477
302
26,
DANTE 85 DARESTE 247 DARIUS 277 DARLAN (Amiral) 37 DARU Charles (Baron) 56, 57 DARU Martial 388 DARU Noël 388 DARU Pierre 388 DATYS 277 DAUMIER 117 DAUPHIN Albert 234, 258 DAUTRY 36 DAVID 274, 275 DEAT Marcel 464 DECAZES (Duc) 57, 179, 192 DECLE 233 DECROIX Mme 23 DELAIRE 423 DELESSERT
François 230, 234,
236 DELORT Marianne 194, 195 DELUMEAU Jean 41 DEMAHY François 230, 234, 236 DEMETZ Frédéric Auguste 54,
55, 56, 57, 58, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 69, 70, 71, 72, 73, 75, 96, 103, 108, 177, 241, 295 DERMENGHEM Emile 29 DERRIEN Georges 162, 179 DESAGES Etienne Luc 82, 84 DESCARTES
96
478
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
DESCHANEL Emile 2 3 1 DESCHANEL Paul 2 3 1 DESMARET 3 2 1 DESMOULINS 8 2 , 8 4 DESTREM Hippolyte 2 3 2 , 290,
321,
319,
27, 234,
415,
DEUSY Ernest 2 3 1 DEVILLE Constant 2 3 3 , 2 5 7 DIDON R.P. 1 0 6 , 1 7 1 , 1 7 2 , 1 7 5 , 466
DILLON (Comte) 1 8 , 2 3 8 , 2 3 9 DIODORE DE SICILE 3 3 6 DISRAELI 9 0 , 9 1 DOLGOROUKA (Princesse) 1 2 3 DOUAILLES Stéphane 5 6 DRAMARD Louis 2 9 7 DRIEU LA ROCHELLE 3 4 7 DRUMONT 2 3 5 , 2 9 0 , 3 1 3 , 3 1 4 , 315,
316,
317,
161,
162,
163,
221,
3 1 8
164,
251
170,
106, 180,
DUMAS Charles 3 8 DUMÉZIL Georges 1 6 , 2 0 , 2 5 9 DUMONT (Général) 3 5 6 DUPANLOUP 1 6 8 DUPIN 3 9 5 , 3 9 6 DUPONT 8 5 DUPUY (Abbé) 2 0 1 DUREAU 2 3 3 DURIEUX Marthe 9 5 DUVIGNAU DE LANNEAU 4 2 7 ,
Philippe (Dr)
33,
40,
307,
307,
122,
319,
416,
320,
427,
25,
26,
125,
153,
329,
386,
472
468,
ENEL 1 3 ESCHYLE 1 8 5 ESDRAS 2 7 6 ESTRÉES Marie (d') 1 0 6 EVANS David Owens 8 3 EVOLA Julius 1 6 5 FABRE DES ESSARTS 2 4 , 8 4 , 1 3 6 , 137,
264,
300,
301,
322
FABRE D'OLIVET 7 0 , 7 1 , 7 8 , 8 4 , 85,
89,
105,
179,
208,
263, 281, 284,
285,
286,
287,
288,
293,
294,
415,
86,
87,
88,
291, 292,
424,
425,
437,
FAIVRE Antoine 2 9 FAUCHEUX Albert 3 9 7 , FAURE 2 4 0 FAURE Philippe 8 4 , 8 5 , FAURE Virginie 7 8 , 8 5 , 88,
466
(Dr)
427
415,
ENCAUSSE
3 2 3
DUBOIS (Cardinal) 1 0 6 , DUBY Georges 2 5 9 DUCHON Constant 3 9 4 DUMARQUAY 3 3 6 DUMAS Fils Alexandre
Gérard
ENCAUSSE
94,
178,
165,
398
86
86,
87,
264
FAVA (Mgr) 2 3 0 FAVRE Henri (Dr) 164,
461
106,
163,
179
FAY Bernard 1 2 5 FAYE Philippe (de)
178
FEDELE CAMPERTICO 2 5 6 FERRUS 5 8 FERRY Jules 2 3 2 , 2 4 0 FERY D'ESCLANDES 2 4 0 FERTELLE Baptiste 3 9 4 FÉVRIER (G ) 3 8 6 FEZENSAC (DUC de) 5 7 FLAMMARION Camille 2 4 , 1
4 3 6
EDOUARD VII 1 2 4 ELIADE Mircea 2 9 ELIZABETH (Reine) 2 1 5 EMELIANOV 3 4 EMMERICH Anne Catherine
290
FLOQUET Charles 2 3 7 FLOURENS 2 3 4 , 2 5 8 346
Fo-Hi 2 7 1
45,
INDEX FORSANZ Renée (de) 1 2 7 FOURIER Charles 8 4 , 2 6 3 FRÉDÉRIC LE GRAND 1 1 8 FRÉDÉRIC II 7 2 FROISSART 2 5 5
GODEFRAY (Vicomte) 1 7 8 GOLOVINSKI 1 2 8 GOUGENOT DE MOUSSEAUX 316
315,
419,
Charles 421,
386,
414,
291,
Stanislas (de)
39,
24,
237
146,
305
GUENON
René
332,
333, 345,
346,
347,
356,
358,
363, 364,
365,
366,
15,
26,
186,
27, 190,
28, 208,
437,
438,
446
GUICESTRE André 4 2 3 GUILLAUME DE CARPENTRAS 4 0 4 GUILLAUME LE TACITURNE 3 7 2 GUILLEMINAULT Gilbert 3 8 5 GUILLON Alfred 1 0 0 GUMERSINDO DE AZCARATE 2 5 6 HADJIJ SCHARIPF 3 1 9 , 3 5 6 ,
357,
417
HAINE Henry HANSKA Anna HANSKA Mme
256 104,
411
107, 115,
129,
411
HANSKI Venaslas 1 2 7 HAUSSER Henri 1 9 1 HAUSHOFER Karl 3 4 7 HEDIN Sven 3 6 3 , 3 6 4 HELLEN (Comtesse) 2 3 , 109,
110,
111,
114,
108,
132
HELM FLOYD Juanita 1 2 9 HELVETIUS 2 5 2 HENRI III 2 4 8 HENRY IV 2 1 3 , 2 1 5 , 2 1 7 HENRY Mme 8 8 HEREDIA José Maria (de) 1 2 4 HERMES 2 6 , 1 0 5 HERVÉ Pierre 3 8 HESSE (Princesse de) 1 2 4 HILLAIRET DE BOIS FEROND 388
HIPPEAU Edmond HITLER 3 4 8 HOAR 2 5 5 HOMÈRE 8 5 , 1 0 4 HONEGGER Arthur HORACE 1 5 7 HUGO 178,
91, 92, 93.
402,
Mme
GREEN-SKARIATINE 1 3 0 GRÉGOIRE VII 2 1 3 GREVY Jules 1 8 , 2 3 5 , 2 3 6 , GROUCHY 1 6 8 GROUSSET René 3 6 3 GRUGER 2 4 0 GUAÏTA
415,
454
423,
294,
367,
G . RENÉ 9 2 GABORIAU Félix 2 9 7 GABRIEL Jacques Ange 3 8 8 GAILLAC Henri 5 6 GAMBETTA 1 6 8 , 1 9 3 GARGANTUA GARREAU 3 2 3 GASPARIN (Comte de) 5 7 GAVARNI 1 1 7 GEBER 1 1 0 , 1 4 8 GELONG Lama 3 6 0 GENGIS KHAN 3 5 9 GEOFFROY 1 4 8 GIGOUX Jean 1 7 8 , 4 1 1 GILBERT (Capitaine) 1 7 9 GIRARDIN Emile (de) 5 7 , 1 6 3 GIRODIAS Maurice 4 2 GIUSTI Martino (Mgr) 1 3 9 GLADSTONE 5 7 GLADWYN Cynthia 9 1 GOBLET 2 3 4
GOUGY
4 7 9
Victor
192
4 4 4
76, 77, 78, 79,
368
HUMPHREY HUSAR 2 4 0
Davy
148
88,
480
SAINT-YVES
Serge 32, 307
D'ALVEYDRE
ISIS 271
(Comtesse) 22, 108, 119, 179 KELLER Edouard Féodorovitch 118, 119, 123 KELLER Jeanne Sophie Edouardovna 121, 433 KELLER Théodore Edouardovitch 121, 130
JACOB Le JACOLLIOT
KEPLER 323 KIPLING Rudyard 347, 358 KLEINMICHEL Nicolas (Comte)
HUTIN
IDEVILLE (Comte IGNACE 248 IRSHOU 240, 270, ISAAC (Sénateur) ISAÏE
181,
KELLER
d') 163 271
240
371
Bibliophile 106 Louis 347, 348, 349, 350, 353, 354, 365, 393 JANVIER Louis 413 JAPHET 174,
175,
182,
184
JEAN Saint 295, 451, 460 JEANCLAUDE G. 167, 265 JEAN-PAUL I I 166 JEANNE D'ARC 106, 176,
185,
259, 260, 325 JEHOVAH 174, 184 JELYL DJAMSRAP 359 JEMAIN Jean Joseph 423, 436 JEMAIN Mme Adine 423 JEROBONON 272, 275 JÉSUS-CHRIST 170, 175, 248,
268, 278, 280, 282, 283, 284, 292, 320 JHOUNEY Albert 290 JOLLIVET-CASTELOT 25, 26, 387,
389, 399, 430 JOLY Alice 29 JONAS JOUIN JUDAH JUDAS JULIUS
299 (Mgr) 33, 254 212 (Dr) 56
129,
464
JULLIARD Jacques 31 JUPITER 184,
185
Alexandre Edouardovitch 122, 433 KELLER Alexandre Féodorovitch 130, 433 KELLER
119 (Comtesse) 119, 120, 121, 122, 127, 433 KOLLER Eugène 100 KORFF Modeste Nicolaievitch (Comte) 119 KORFF Olga (de) 119 KORWIN-PIOTROWSKA Sophie (de) 115, 116, 117, 126, 127 KLEINMICHEL
KRISHNA 23, 451 KRÜDENER Mme (de)
127
LABORDERIE 256 LA BRUYÈRE 117 LACAILLE 252 LACAN Jacques 463 LACOUR 424 LACROIX Caroline 117 LACROIX Jules 107 LACROIX Mme 23 LACROIX Paul 106, 107 LA FONTAINE 95 LA FRESNAYE (Pasteur de) 322 LAGRANGE 252 LADUS Georges 431, 432 LAMARTINE A. (de) 57 LAMBERT Gaston (de) 389 LAMBINET Jean-François 388 LAO TSEU 275 LAPLACE 252 LARMANDIE (Comte de) 428 LA TOUR DU P I N 237
481
INDEX
Jean Pierre 29, 301, 437, 438 LAVAL Pierre 37, 464
LAURANT
LA VELAYE 256 LAVISSE Ernest 45 LAVOISIER 148 LAW 251
MACHIAVEL 248 MAHOMET 320, 339 MAISTRE Joseph (de) 70, 71 MALLARMÉ Stéphane 19, 43, 45,
LEBRETON 423, 436 LE CARDONNEZ Georges 363 LE COUR Paul 165, 363, 364 LEDRU-ROLLIN 57, 256 LEFEBVRE (Mgr) 33, 34 LE FORESTIER René, 29 LEHIDEUX François 36 LEIBNITZ 111, 148
LE LEU Louis 428, 429 LE LOUP Yvon 357 LENOIR Isidore 394 LÉON XIII 139, 306, 399 LE PLAY Frédéric Auguste 106, 180, 195, 196, 197, 202, 237 LEROUX Pierre 78,
82,
83,
84,
88 LEROY Maxime LESUR 72 LEVI Eliphas 26,
331, 342, 347, 368, 376, 377, 378, 379, 468
29, 83, 194
27, 28, 29, 90, 92, 164, 198, 211, 297, 347, 403, 405, 407, 408, 411, 412 LEVY Isaac 322 LiBAVius 148 LIEGODIS 336 LIMOUSIN Charles 322, 413, LINFORD 23, 141 LOMBROSO LESABE 316 LOUIS XIV 251
414
Louis XVI 251 LOUVAROIF (Prince) 118 LOWENTHAL (Baronne de) 157, 179 Luc (Saint) 254 LULLE Raymond 111, 148. 404 LUPOVICI Catherine 49 LYTTON (Lord) 90, 91, 92, 93,
83, 443, 444 Benoit 30, 229, 297, 314
MALON
MANOUILOV 128 MARCEL Etienne 102, 247 MARCGRAFF 148 MARIA FÉODOROVNA 130 MARIANI G. 364 MARIEL Pierre 32 MARITAIN Jacques 363 MARNES 437 MAROLLES Cte de 238 MARQUES RIVIÈRE 125 MARTENS Nina 221 MARTINES DE PASQUALLY 174 MARTY 323 MARX 224
M A S Vivian (du) 41 MASQUARD Eugène (de) 24, 53, 103, 240, 384 MATTHIEU (Saint) 254 MAUGNY (Comtesse de) 179 MAUROIS André 118, 128, 130, 411 MAURRAIN J. 191 MAURRAS 166, 313 MAXIMILIEN DU MEXIQUE MAZARIN 215, 251 MELCHISEDEC 272 MELINE 240 MENNEVEE Roger 38 MERCIER Alain 29 MERMEIX 239 METZ (de) voir DEMETZ MEUNIER Victor 285, 286,
294
127
290,
482
SAINT-YVES D'ALVEYDRE
MEYER 239 MEYER Jean 41 MICHEL (Baron) 240 MICHELET Victor Emile
ORLÉANS 168, 2a2 ORPHÉE 69, 157, 159,
25, 156, 163, 164, 388, 404, 405, 445
MICKIEWICZ 116, 117 MIGNET 247, 255 MILHET FONTARABIE 231 MINERVE 185 MNISZECH (Comtesse de)
104,
178, 411 George (de) 104, 180, 411, 412 254,
267, 268, 272, 273, 279, 283, 284, 293, 320, 326, 370, 447 MOLIÈRE 117 MONDOR Henri 443 MONGE 196, 252 MONTALIVET (Comte de) 56 MONTANDON Georges 363 MONTBLANC Ch. (de) 321, 323 MONTESQUIEU 243, 348 MOREAU 433 MORES 313
M U N Albert (de) 237 MURÂT Caroline 115 MURRACIOLE (Capitaine) 74 MUZET
231
NABUCHODONDSOR 275 NANTES (Abbé de) 33 NAPOLÉON I 72, 115, 256 NAPOLÉON III 77, 195, 390 NELIDOW Mme 120 NICOLAS II 33, 415
NoÉ 174, 325 NOËL Carlos M. 164 NONUS
210
OPPENHEIM
Ferdinand 347, 356, 358, 360, 364, 365, 366, 367 124
PALÉOLOGUE (Princesse) 178 PALINGENIUS 437 PALLAIN Georges 178 PALLIS Marco 347, 365, 366,
367 PAPUS 25, 26, 27, 156, 188,
243,
(Baron) 387
182,
OSIRIS 271 OSSENDOWSKY
OTHON DE GRÊLE
MNISZECH
MOHAMMED 282 MOÏSE 182, 183, 240,
181,
183, 273
307, 327, 383, 414, 422, 435, 471
318, 328, 395, 416, 427, 437,
319, 347, 396, 417, 428, 439,
201,
320, 321, 324, 354, 355, 369, 397, 398, 413, 418, 419, 420, 431, 432, 433, 447, 452, 469,
PARACELSE 110, 148 PASPA 360 PATRAUT R.P. 256 PAUL Saint 166, 451 PAULIAT Louis 322 PAUWELS Louis 32 PELADAN 413
Adolphe 77, 78, 79, 80, 84, 85, 88, 178 PELLOUTIER Fernand 30, 31 PESSARD Hector 179 PÉTAIN Philippe 37, 38 PELLEPORT
PHILIPPE II 248 PHILIPPE LE BEL 245, 254 PHILIPPE Nizier 33, 416 PICOT Georges 247 PIE IX 163 PIE XI 166 PIERRE LE GRAND 71 PIERRE (Saint) 212 PINGRET 252
483
INDEX
127, 128, 130, 140, 180, 336, 394, 417
William 217 POE Edgar 298 POLI Annarosa 162, 163 PITT
POMAR Duchesse 302 PONIATOWSKY
Stanislas
Au
guste 116 PORTA 404 POULAT Emile PRINS 256 PROMÉTHÉE 159,
123 160,
305, 322, 342, 343 181,
184,
185 PYTHAGORE 68,
69,
159,
273,
179
Guillaume 128 (Princesse) 127, 128, 129, 130, 318 RAM 210, 269, 270, 284, 293, 325, 326, 353 RAMBUTEAU (Comte) 57
RADRIWILL RADZIWILL
RASPOUTINE 415 RATCHKOWSKY 128, 416 RATHERY 247 RAVENSCROFT Trener 348 RÉGNIER Henri (de) 290 RENAN Ernest 178 RENARD Henri 56 RENARD Robert 358, 364 REYOR Jean 187, 357, 462 RHODES Cecil 128 RIBADEAU DUMAS François 348 RICHE 386 RICHELIEU 215, 248, 251 RICHER Jean 29 RICHTER 29 RIMBAUD 443 RITTI Antoine 50 RIZNITCH Jean 114, 118 RIZNITCH Marie Victoire
107, 114, 115, 118, 122, 124, 125,
S
ROCHEFORT 239 ROCHER Stéphane 299, 300 ROEDERER 247 ROLLIN Henri 72, 118, 119,
120, 128, 129, 315, 316
449 QUARANTE (Dr)
ROBERT ROBERVAL 34 ROBIN Jean 301, 366, 438 ROBOAM 272, 275 ROCA (Abbé) 290, 298, 302,
ROMAN D'AMAT 171 ROSALES Tomas 41 ROSNY Léon (de) 30 ROUSSEAU Jean-Jacques
96, 155, 252, 255 ROUSSEAU Pierre Calixte 61, 62, 73 RÜTTE (Comte de) 179 RZEWUSKA Aline 117 RZEWUSKA Caroline 107, 117, 127 RZEWUSKA Catherine 127, 129, 130 RZEWUSKA Eveline 115 RZEWUSKA Pauline 115, 118, 127, 128 RZEWUSKA Rosalie 126 RZEWUSKI Adam Laurent 115, 116, 126, 129 RZEWUSKI R.P. Alex Ceslas 116, 126 RZEWUSKI Emir 126 RZEWUSKI Henri 116 RZEWUSKI Paul 116 SABY Edouard 32 SAIGER LECOQ Yvonne 385 SAINT ALBANO 322 SAINT-AMANT (Baron de) 179 SAINT-ANDRÉ (de) 317
484
SAINT-YVES
SAINTE-BEUVE 1 1 7 , 1 9 6 SAINT-EMME 2 3 , 5 1 , 5 2 , 6 3 , 6 4 , 66,
67, 68, 94,
113,
114,
153,
286,
109, 110,
135, 148, 288,
149,
111, 150,
2 8 9
SAINT-JEAN Charles 4 3 1 SAINT MARTIN Louis Claude
(de) SAINT SAINT SAINT SAINT SAINT
40,
Alexandre 4 8 , 5 0 , 1 7 9 , SAÏR 4 2 4 , 4 3 6 SALMANAZAR 2 7 5 SALOMON 2 7 4 , 4 1 0 SAMAIN Albert 2 9 0 SAMUEL 2 7 4 , 2 7 5 SANCHEZ Francisco 4
195
164
SARGIN 2 7 5 SAUL 2 7 4
Jean
188,
467,
166,
468,
472
SAUNIER Marc 3 4 9 SAUVY Alfred 3 6 SCHEELLE 1 4 8 SCHNAEBELE 2 3 5 SCHERER Jacques 4 4 3 , SCHORAL 4 4 1 SCHURE
Edouard 167,
vna
130
264,
25,
4 4 4
45,
156,
SHAHOSKOY (Princesse) 1 2 2 SHAKESPEARE William 8 5 , 1 0 7 , 179
315,
Lewis
126
358 313,
3 1 7
Gilbert 465,
2
235, 240,
STRETTON Clément SULLY 2 5 1 SWEDENBORG 1 2 7 SYNESIUS 4 3 7
402,
SCOTT Walter 1 1 7 SECRET François 2 9 , 3 9 6 SÉDIR 3 5 7 , 4 0 4 , 4 2 8 SEMELAIGNE René 5 0 SETH 1 7 4
SHASHER Charles SIEGFRIED 2 4 0
314,
TAPPA
265
378
Michel Wladimirovitch 1 3 0 SOBANSKA Mme 1 1 7 SOKOLNICKI Michel 7 SOLON 2 7 5 SOPLICA Severin 1 1 7 , SOREL Albert 4 5 SPINOZA 1 1 1 SPULLER 2 5 6 STAHL 1 4 8 STANFORD 2 3 STANTON PALEN STERNHELL Zeev
0 4
S AND Georges 1 6 2 , 1 6 3 ,
471,
SIEYES 2 5 3 , 2 5 5 SILVESTRE DE SACY Antoine 3 4 5 SIMONIN (Abbé) 4 0 1 SINNETT 2 9 7 SIROUN 1 0 3 SKARIATINE Irène WladimiroSKARIATINE
8 4
PIERRE (Abbé de) 2 5 2 SIMON 2 6 3 YVES Cécile Agathe 4 8 YVES Gaston 5 1 , 1 7 9 YVES Guillaume
SAUNIER
D'ALVEYDRE
157,
9 3
209,
223,
467
TARQUIN 2 7 5 TAXIL Léo 3 3 , 3 0 6 TCHIRKOVITCH 1 1 7 THEAKSTON Serge 1 2 2 THIERRY AUGUSTIN 2 4 7 THIERS 1 0 2 , 1 0 3 , 1 9 1 , 2 5 5 , 2 5 6 THOMAS Albéric 4 3 7 , 4 4 6 THOMAS D'AQUIN 1 1 1 , 2 4 5 THOMAS M C 1 1 9 TILOPA HUTUKHTU 3 6 5 TIRARD 2 3 0 TOCQUEVILLE Alexis (de) 5 7 TOURNIAC Jean 9 2 , 9 3 , 1 6 5 TOUSSENEL 3 1 4 , 3 1 5 TURGOT 2 5 1
485
INDEX TRIDON Gustave TRISMESGISTE 148 TRITHEME 404
VIGNEAU Marie Claire VILLARD CHAVET Mme VILLELE 230
317
TUR Gilbert (de)423 ULMANN André 38, 238 UNDUR-GEGHEN 360 UNGERN-STERNBERG 358 UZES (Duchesse d') 239 VACHER DE LAPOUGE 318 VAILLANT Isafe 237 VAILLANT J.A. 197, 198, 199,
200, 201, 202, 284, 405, 407 148 12, 174, 443. 444 VALLERY-RADOT Robert 125 VALENTIN Basile VALÉRY Paul 11,
VALLETTE 408 VALOIS Georges 38 V A N HELMONT 148 VARENNES (de) 62 VARROC Pauline (de) VASSILI Paul (Comte) VAUGEOIS Henri 231
22 120, 121
arieVAUTiER Claire 22, 23, 24, 49, 51, 63, 68, 69, 88, 94, 95, 103, 105, 108, 114, 122, 126, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 145, 146, 148, 151, 153, 157, 159, 286, 287, 289, 290, 294, 314 VERMEREN Patrice 56 VERNAY Alain 36 VERNE Jules 298 VERNET Daniel 33, 34 VICTOR EMMANUEL 163 VIATTE Auguste 29, 79 VICTORIA (Reine) 91, 342 VIDAL PORTMANN Maurice VIGNALXS 4 3 3
91
22, 23 424
VILLENEUVE Armand (de) 148 VILLERME (Dr) 57 VILLIERS DE L'ISLE-ADAM 444 VILLIERS DU TERRAGE 180 VINCI Léonard (de) 11 VIRGILE 157 VOISIN Marcel 56 VOLTAIRE 96, 252 VIRECOURT 317 VRIES DE HEEKELINGEN H. (de)
129 VULLIAUD
Paul 25, 349, 395,
396, 397 WALDECK-ROUSSEAU 257 WALMIKI 210 WASYLEWSTI S . 117 WEISS Jacques 280, 468 WEYGAND Jacques 127 WEYGAND Maxime 127, 130 WILSON Woödroow 255, 256 WIRTH Oswald 291, 303, 305,
306 WISHNOU 184 WITTEMANS 89, 90 WORMS Jules 100 WRONSKY Hoene 405,
407, 408,
409, 412 XERXES
277
YAKOUB Khan 91 YARKER John 92 YOUREWSKA (Princesse) ZEVAES 239 ZOLA Emile 427 ZOROASTRE 271, 276,
123
277
SOMMAIRE
INTRODUCTION CHAPITRE I. Orages, errances CHAPITRE II. Désespoir, bonheur C H A P I T R E III. Premiers vers, première doctrine . . C H A P I T R E IV. Souverains, ouvriers, Français, unissez-vous CHAPITRE V. Initiations C H A P I T R E VI. Le plus grand secret C H A P I T R E VII. La morte qui parle C H A P I T R E VIII. U n rêve inachevé Bibliographie générale de Saint Yves d'Alveydre Index
11 45 99 155 207 263 319 383 441 465 475
Achevé d'imprimer en décembre 1981 sur les presses de l'imprimerie Laballery et C" 58500 Clamecy Dépôt légal : 4< trimestre 1981 Numéro d'imprimeur : 20103