Premières leçons sur Critique .
de la ralson pure de Kant Comprenant le texte intégral de la Préface à la seconde édit...
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Premières leçons sur Critique .
de la ralson pure de Kant Comprenant le texte intégral de la Préface à la seconde édition
PAR
Paul Clavier Ancien élève de l'ENS· Ulm Agrégé de philosophie Maitre de conférences à l'Université de Strasbourg II
Presses Universitaires de France
MAJOR
BAC
DIRIGée PAR PASCAL GAUCHON CODIRIGéE PAR FRéDéRIC LAUPIES
ISBN
2 13 048161
Dépôt 11!ga1-
2
1R édition: 1996, décembre
Cl Presses Universitaires de France, 1996
108, boulevard Saint-Germain,
75006 Paris
Sommaire
Avant-propos
1
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L'histoire d'une œuvre: l'Ancien Régime et la Révolution . 1.
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1. 2.
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L'intervention divine dans la connaissance et les tendances idéalistes avant Kant . . . . . . • . . . . . . . . . . .
17
4.
La fin d'un règne
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Le socle cartésien
6.
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10
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10
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5. La filière empiriste: Locke .
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. . . . . . . . . . . . . . . et Scylla . , . . . . . . . . .
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40
L'attraction exercée par Newton .
7. Hume et Wolff ou: Charybde
Il.
9
L'État des lieux de la métaphysique
3. Le motif«critique»
Le mystère de la métaphysique selon Kant 1. Mission impossible
2
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2. Le tournant de la Dissertation et la clé du mystére
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3.
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p ri ori
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Les jugements synthétiques a
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Vue d'ensemble.
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L'œuvre d'un mot: une entreprise de refondation 1.
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. . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . • . . . • 3. Où les difficultés commencent... . . . . • . . . • . . . . . . 4. Où l'<> entre en scène . . . . . . . . . . . 5 . Un problème de juridiction . • . . . • . . . , . . . . . . . . 6. La Critique,«espoir suprême et suprême pensée» . 7. Kant revendique l'héritage de la méthode scolastique 2. Déroulement
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IV
3
1 -
Premières leçons sur Les thèmes
à
Critique de la raison pure
l'œuvre: la paix aux frontières
1. La révolution dite «copernicienne»
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Une révolution
à
deux vitesses
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Double bénéfice de cette doctrine
Il. Espoirs de paix en métaphysique 7. 2.
Au dessus de la mêlée
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a priori
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7 . L a juste utilisation des connaissances
2. 3.
de Kant
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La paix par le chemin le plus long
3. La géographie, c'est la guerre; la géométrie, c'est la paix
4.
L'explorateur adepte du repli et l'architecte à coun de matériaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Il 1. la q uesti? � des frontières: métaphysique, théologie, morale, rehglon . . .
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7. Raison et foi: la Lumière et les Lumières
2. 3. 4.
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Kant entre en scène
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6. La théologie, aiguillon de la moralité.
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L'œuvre
Du savoir
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Critique de la raison pure .
74
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3. La prospérité épistémologique de Kant
.,
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73
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religion résorbée
La postérité philosophique
Texte: Préface
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71
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l'épreuve d u temps: d u kantisme sans Kant
morale
2.
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la «foi»: la relève
7. L'héritage «éthique»:
Lexique
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Le piétisme débordé par s a gauche rationnelle
5 . La«fo i morale»
4
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69 69
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Avant-propos
Ces Premières leçons voudraient pennettre à l'élève, ainsi qu'à l'étudiant, d'aborder un monument plus célèbre que réel lement visité : la Critique de la raison pure. Les proportions écrasantes de l'édifice, sa complexité inextricable en l'absence de guide compétent, et l'austérité de ses bâtiments expliquent la baisse de fréquentation dont il fait aujourd'hui l'objet. Per sonne n'ose plus dire - et pour cause: « Relisez la Critique de la raison pure!». Au lieu d'en méditer le plan sans y mettre les pieds, au lieu d'en survoler les bâtiments ou de les traverser au pas de charge, il peut être judicieux, au moins provisoirement, de limiter leur découverte à l'un des vestibules aménagés par l'architecte. C'est pourquoi, à défaut de tout embrasser, nous proposons au lec teur de ressaisir l'entreprise critique de Kant telle qu'elle est fonnulée dans la Préface qu'il rédige pour la seconde édition (1787) de la Critique de la raison pure.
Les
« sent i ers
épineux» de la Critique
Autant le reconnaître d'emblée, cette seconde Préface n'est pas l'exposé le plus clair ni le plus complet de la philosophie de Kant. D'un abord engageant, le texte conduit bien vite le lec teur sur « les sentiers épineux de la critique», selon l'expression
2
1
Premières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
de Kant lui-même. Certaines formules, généreusement plaquées sur le texte (comme la fameuse « révolution copernicienne »), risquent même d'égarer le lecteur trop pressé. En effet, c'est le monde des phénomènes qui doit se mettre à tourner autour de l'observateur, et non l'inverse ... Même surprise à propos de la déclaration fracassante sur le savoir remplacé par la croyance. Alors que la « querelle du panthéisme » (l'accusation d'athéisme faite aux adeptes du rationalisme de Spinoza) bat son plein (malgré la mort de Mendelssohn, son protagoniste), Kant laisse tomber une petite phrase, en apparence expéditive : « Je dus abolir le savoir afin d'obtenir une place pour la croyance . » Porte ouverte à l'irrationnel ? On verra qu'il n'en est rien. Ne soyons pas trop difficiles : la seconde Préface ne résout pas tous les problèmes. Ni ceux que Kant se pose, ni ceux que nous pose la philosophie de Kant. Au moins ce texte permet-il d'en formuler les principaux. Il offre une base de discussion à la fois précise et radicale. Au demeurant, dans un espace relative ment restreint (une trentaine de pages dans l'édition originale), Kant parvient à nouer la trame de quelques-uns des fils direc teurs de sa philosophie.
L'objet de la seçonde Préfaçe
L'objet de cette Préface est clair. Kant entend fournir l'expli cation des motifs qui l'ont poussé à inaugurer un changement de méthode sans précédent dans le genre de connaissances appelé métaphysique. En révolutionnant la méthode de la métaphysique, Kant prétend combler le retard bi-millénaire qu'elle a pris, selon lui, sur la Logique et les Mathématiques, l'écart étant moins creusé en ce qui concerne la Physique. C'est d'ailleurs du côté des découvertes de Newton que Kant puise une partie de son inspira tion réformatrice. Aucune de ces sciences ne constitue à proprement parler un modèle pour la métaphysique. Elles offrent cependant un
Avant-propos
1
3
exemple probant des conditions dans lesquelles la raison théo rique peut produire des connaissances anticipant ou dépassant l'expérience sensible. Il faudra donc s'inspirer de leur succès. Mais d'abord établir le constat d'échec de la métaphysique, et en donner les raisons. C'est pourquoi Kant commence par incriminer les procé dures jusqu'alors en vigueur dans la métaphysique. Son réqui sitoire n'épargne personne. Les accusations lancées contre une certaine philosophie « scolastique» se retournent également contre la « philosophie populaire» de l'époque. L'une et l'autre n'ont produit que d'interminables controverses ou des profes sions de foi sans fondement. Leur défaut commun réside dans un grave vice de procédure. Elles n'ont ni voulu ni su délimiter l'étendue du pouvoir de la raison.
Un transfert de compétence
Le verdict de la Critique est sévère pour la raison théo rique (la faculté qui s'occupe de la connaissance de la nature, mais qui peut aussi se perdre en spéculations métaphysiques). Kant lui retire toute compétence en matière de métaphysique. Les objets de la métaphysique (l'âme, le monde, la liberté, Dieu ) ne relèvent plus de la question théorique «Que puis-je savoir?», mais de la question pratique «Que dois-je faire?». Du coup, la raison pratique (la faculté qui s'occupe des prin cipes déterminants de la volonté) va reprendre seule le flam beau de la métaphysique. Comment se déroule ce transfert de compétence, cette passation de pouvoirs entre raison théo rique et raison pratique? Kant récuse les prétentions de la raison théorique à détermi ner ce que les choses sont en soi. Il lui interdit de viser l'absolu, que ce soit sous la forme d'un premier commencement du monde ou d'un ttre nécessaire. La raison théorique, en effet, n'a affaire qu'à ce qui peut nous être donné dans le cadre de l'expérience sensible. Elle en fait la synthèse selon une activité propre, irréductible à l'expérience. Mais son seul champ d'ap•••
4
1
Premières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
plication légitime reste la possibilité de l'expérience. Elle est donc restreinte à ce que Kant appelle son usage empirique. Mais Kant prétend favoriser du même coup l'extension de la rai son, cette fois-ci dans son usage moral, au-delà des limites de la sensibilité. C' est en renonçant à l'absolu et au supra-sensible que la raison peut à nouveau y prétendre. Retournement de situation plutôt surprenant.
Comme Fabrice à Waterloo
Aussi, en abordant la lecture de cette seconde Préface à la Cri tique de la raison pure, le lecteur est assuré de se retrouver aux premières loges du théâtre d'opérations kantiennes. Comme Fabrice à Waterloo , il éprouvera peut-être quelque difficulté à identifier les lignes ennemies, à reconnaître les alliés, à discerner les obstacles naturels du terrain, à suivre la manœuvre, à com prendre l'ordre de bataille et les retournements d'alliance. C'est à quoi nous nous engageons à l'aider. Comment? Nos indications ne visent en aucun cas à résumer les idées de Kant sur la connaissance, la morale, la religion, la métaphy sique ... On a souhaité tout simplement déblayer le terrain, afin de faciliter et d'encourager la lecture de cette seconde Préface. Il s'agit de la replacer dans le contexte d'une problématique, et non de remplacer le texte par une sorte de « digest ». De faire revivre les problèmes qu'elle affronte, au lieu 4'en faire un cime tière des hypothèses métaphysiques révolues. De la situer dans une généalogie intellectuelle, plutôt que de l'enfermer dans une galerie d'ancêtres. Soit dit en passant, la pensée de Kant ne se prête guère au résumé. Et pour cause : dans bon nombre de cas, les thèses de Kant n'ont rien de très original. C'est la façon dont elles sont déduites qui est proprement révolutionnaire. C'est pourquoi la Critique de la raison pure se donne comme un « traité de la méthode, et non un système de la science » (cf. l3 a et b). Kant admet en efet les thèses classiques de la métaphysique scolastique: « La permanence de notre âme après la mort. . . la
Avant-propos
1
5
liberté de la volonté face au mécanisme universel de la nature, l'existence de Dieu . _ » C'est le mode de preuve de ces thèses qu'il attaque, et le monopole exorbitant qu'une métaphysique dog matique croyait détenir sur elles_ Pour autant, Kant ne se rallie pas à la « philosophie popu laire » de son temps, qu'il accuse de « stérilité verbeuse » (cf. 16 c), et il assume l'impopularité d'une métaphysique sco lastique, au moins pour ce qui touche à son genre d'exposition, lequel doit être systématique et partir de principes rigoureux (16 a et d). .
Nature et eomposition de eet ouvrage
Au lieu d'un commentaire perpétuel qui suivrait le texte ligne à ligne, on a préféré cadrer cette Préface par plans succes sifs_ On s'est proposé de reconstituer la trajectoire de ce texte, en n'empruntant à l'histoire de la philosophie que les éléments propres à éclairer le traitement que Kant administre à la méta physique. Or, on ne peut actualiser le questionnement de cette seconde Préface sans retracer, au moins dans ses grandes lignes, la façon dont se transmet, de Descartes à Kant, le problème de la connaissance (c'est-à-dire la question de savoir comment nos représentations et les lois de notre esprit peuvent correspondre avec des objets et des lois de la nature). C'est justement parce que Kant inaugure un nouveau régime en métaphysique qu'il importe de repérer ses prédéces seurs et les précédents de sa doctrine. Il est aussi absurde d'ignorer les uns et les autres que d'analyser la Révolution fran çaise sans étudier les structures de l'Ancien Régime. En guise de préparation à la lecture du texte de Kant, le lec teur trouvera, sous la rubrique 1 L'bistoire d'une œuvre: 1. Un état des lieux de la métapbysique et des sciences au moment où Kant prend pied sur le territoire de la philosophie. Ce long état des lieux sera suivi d'une exposition de la genèse du problème -
6
1
Prem ières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
de la connaissance métaphysique chez Kant: ll. Le mystère de (cf. Sommaire ci-avant). La deuxième partie: 2 L'œuvre d'un mot, tentera de reconstituer le scénario ou la trajectoire de cette seconde Pré face, en soulignant ses articulations, en suggérant comparai sons et rapprochements internes au texte, et en proposant quel ques éclaircissements sur l'argumentation suivie par Kant. La partie suivante: 3 Les thèmes à l'œuvre proposera une récapitulation de l'entreprise critique sous les titres: I. La révolu tion dite «copernicienne» et II. Espoirs de paix en métaphysique, où l'on définira la manière proprement kantienne de philoso pher. On évoquera enfin: m. La question des frontières entre métaphysique et morale, théologie et religion, non sans commen ter la relève du savoir par une croyance ou une«foi» qui, ne nous y trompons pas, doit rester pour Kant parfaitement rationnelle. La partie conclusive: 4 L'œuvre à l'épreuve du temps, vou drait interroger l'actualité de cette seconde Préface. Non pour lui décerner quelque brevet de longévité. Pas davantage pour évoquer la postérité de Kant ou ses querelles d'héritage. Mais bien pour éprouver la fécondité de sa problématique, tant en direction de ce qu'on appelle aujourd'hui l'éthique, que relati vement à la connaissance de la nature. Il s'agit de nous demander ingénument en quoi le geste révo lutionnaire de Kant peut encore intéresser la philosophie de la connaissance. « La chose la plus incompréhensible à propos du monde est précisément, selon Einstein, que le monde soit com préhensible. » L'effort de Kant pour nous arracher à cette incompréhension est-il demeuré vain? Par ailleurs, quel fondement la métaphysique peut-elle encore offrir à la morale ? Quelle autorité peut décider des droits et des devoirs des hommes? On ose espérer que l'en semble de ces indications - et de ces interrogations - facilitera au lecteur l'appropriation rigoureuse et personnelle d'un texte fondateur de notre modernité, et lui permettra d'interroger à son tour le mode sur lequel Kant nous convie à philosopher. A la différence du texte original, aucun commentaire n'est irremplaçable. Le nôtre a pour seule vocation de préparer à la métaphysique selon Kant
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Avant-propos
1
7
une lecture avertie, non de dispenser de lire. Il serait navrant qu'un auteur qui exhorte ses lecteurs à l'autonomie intellec tuelle (<< Aie le courage de te servir de ton propre entende ment! », proclame Kant dans sa réponse à la question Qu 'est ce que les Lumières ?) ne fût connu des élèves et des étudiants que de seconde ou de troisième main. C'est pourquoi nous donnons, à la fin de ce petit ouvrage, le texte intégral de la seconde Préface de la Critique de la raison pure, sans négliger la difficile note où Kant indique une modification souhaitable dans la rédaction d'un argument, qui doit le justifier du soup çon d'idéalisme qu'avait fait naître la première édition de la Critique ( 1 78 1 ). La traduction reproduite est celle, parfois retouchée, de A. Tremesaygues et B. Pacaud, éditée aux Presses Universi taires de France, et actuellement disponible dans la collection « Quadrige ». Tout en respectant la division du texte souhaitée par Kant, nous avons indexé chaque alinéa au moyen d'un numéro et, à l'intérieur de chaque alinéa, balisé les articulatioDS élémentaires du texte au moyen d'un repère alphabétique (placé entre parenthèses). De cette façon, nos renvois au texte de Kant seront aussi précis que possible.
1 L 'histoire d'une œuvre: l'Ancien Régime et la Révolution
Pas question, dans cette longue partie, de reconstituer l'em ploi du temps de Kant dans les années qui précèdent la seconde édition de la Critique de la raison pure. Inutile aussi de rappeler que Kant est né d'un père sellier et d'un mère piétiste : l'huître n'explique pas la perle.
A la place de ces palpitants détails biographiques, on trou vera dans les pages qui suivent une généalogie intellectuelle de cette seconde Préface. Il s'agit de déterminer le cadre et les enjeux de la révolution philosophique dont Kant revendique la paternité. Généalogie intellectuelle, ou plutôt archéologie: la seconde Préface repose sur des strates auxquelles elle emprunte ses matériaux. Certains sont repris tels quels, d'autres ont été remaniés, certains restent enfouis profondément sous le texte, d'autres affleurent à la surface. Kant a produit lui-même un glissement de terrain assez spectaculaire pour que certaines couches sédimentaires soient littéralement retournées. La « révolution copernicienne » pro posée par Kant prend des allures de bouleversement géolo gique. Les fondations traditionnelles de la métaphysique y sont révisées de fond en comble. Aussi l'état des lieux que nous pro posons maintenant ressemblera-t-il davantage à l'inspection d'un champ de fouilles archéologiques qu'à la visite d'une gale rie d'ancêtres.
10
1 Premières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
l L'état des lieux de la métaphysique
La Critique de la raison pure n'est pas née tout armée du cer veau de Kant un beau jour de 1 78 1 , contrairement au premier acte de l'Enlèvement au sérail, la même année, du cerveau de Mozart. La Critique de la raison pure représente un tournant, ou un retournement, dans l'histoire de la pensée métaphysique. Mais tout porte à croire que ce changement de méthode, cette révo lution dans la manière de penser ont été préparés de longue main. Toute révolution suppose un point fixe (autour duquel on évolue) et un régime à abattre (qui doit être révolu). Kant pro pose une nouvelle constitution des pouvoirs de la raison. Pour apprécier cette révolution, il est indispensable d'exposer les théories régnantes, de fouler le sol qui va être retourné, de reconstituer les bastilles ou les bastions de la Métaphysique qui vont être pris d'assaut, ou qui, déjà, tombent en ruines ou sont sur le point de se rendre.
1. La fin d'un règne
Kant commente amSI, dans la première Préface, la déchéance de la Métaphysique, reine désormais exilée de son royaume: Au début, sous le règne des dogmatiques, son pouvoir était des potique. Mais, comme sa législation portait encore l'empreinte de l'antique barbarie, cette métaphysique tomba peu à peu, par suite de guerres intestines, dans une complète anarchie, et les sceptiques, espèce de nomades qui ont horreur de s'établir définitivement sur une terre, rompaient de temps en temps le lien social (p. 5-6).
Comment dresser l'état des lieux d'un royaume livré à l'anarchie ? Envisageons quelques-unes de ses provinces. En philosophie naturelle, c'est-à-dire en physique, l'événement
L'histoire d'une oeuvre: l'Ancien Régime et la Révolution
1
11
marquant de l'aube du XVIe siècle est le déclin du cartésia nisme face à la montée en puissance de la science newtonienne. On voit s'effondrer un système de connaissance entièrement déductif, fondé sur l'évidence intellectuelle et les idées innées. A sa place surgit une connaissance inductive, construite à partir d'observations et d'expériences prudemment généralisées. Mais Descartes n'est pas de ceux qui disparaissent sans lais ser de traces. Si sa physique fait bientôt piètre figure devant celle de Newton, les questions qu'il a soulevées touchant l'ori gine de nos certitudes, la correspondance entre les lois de la nature et les opérations de notre intellect, vont continuer d'agi ter les esprits chez ses successeurs comme chez ses critiques : Locke, Leibniz, Spinoza, Malebranche, Berkeley. Elles mettent à l'ordre du jour une question chère à Kant, celle de l'idéa lisme : « vrai scandale de la philosophie » selon ses propres termes (17f). Par suite, le face à face de la métaphysique dogmatique (Descartes, Leibniz, Malebranche ... ) avec l'empirisme (Locke, Newton ... ) va conduire à un durcissement des positions. Avec Wolff et Hume ne s'opposent plus seulement des thèses philo sophiques, mais deux conceptions antagonistes de la philoso phie elle-même. Pour Wolff, elle est une science a priori de Dieu, de l'âme et du monde, développée à partir de l'analyse de leurs simples concepts. Pour Hume, en dehors des raisonnements abstraits sur la quantité et sur le nombre (géométrie et mathématiques), ou des raisonnements expérimentaux sur des questions de fait et d'exis tence, il n'y a que sophismes et illusions: la métaphysique, conclut l'Enquête sur [ 'entendement humain, est à jeter au feu!
2. Le soele cartésien
Kant n'affirme jamais la ruine du cartésianisme. Au contraire, la réfutation qu'il propose de l'idéalisme cartésien (on va voir ce que l'on peut entendre par ces mots) reconnaît
12
1
Premières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
à Descartes une manière de penser solide et philosophique. Mais Kant proclame volontiers le triomphe de la science new tonienne. Le philosophe doit désormais s'aider « du compas des mathématiques et du flambeau de l'expérience et de la physique ». Posons donc la question : que reste-t-il du savoir cartésien ? �
Une science déductive du monde.
Dans l'investigation de la nature, Descartes semble reléguer l'expérience au second plan. La sixième partie du Discours de la méthode expose un procédé strictement déductif qui va du géné rai au particulier : Premièrement, j'ai tâché de trouver en général les principes ou premières causes de tout ce qui est ou qui peut être dans le monde, sans rien considérer pour cet effet que Dieu seul qui l'a créé, ni les tirer d'ailleurs que de certaines semences de vérité qui sont naturel lement en nos âmes. Après cela, j'ai examiné quels étaient les premiers et plus ordi naires effets qu'on pouvait déduire de ces causes; et il me semble que par là j'ai trouvé des cieux, des astres, une terre, et même sur la terre de l'eau, de l'air, du feu, des minéraux et quelques autres telles choses qui sont les plus communes de toutes et les plus simples, et par conséquent les plus aisées à connaître.
Pour Descartes, les expériences ne servent qu'à départager les différentes manièr�s dont nous pouvons déduire, à partir de principes généraux innés (ils sont naturellement en nos âmes) les effets particuliers de la nature. Quand nous voulons « des cendre aux choses qui s ont plus particulières », dit Descartes, nous devons « aller au devant des causes par les effets », c'est-à dire soumettre notre modèle géométrique et mécanique de la nature à l'arbitrage de plusieurs expériences particulières, « qui soient telles que leur événement <= leur résultat> ne soit pas le même si c'est en l'une de ces façons qu'on doit l'expliquer que si c'est en l'autre ». Le projet de Descartes reste donc, depuis son traité du Monde, « d'avoir des démonstrations a priori de tout ce qui peut être dans le monde ».
L'histoire d'une œuvre : l'Ancien Régi me et la Révolution
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Maintenant, quels sont ces principes simples et généraux qui sont si naturellement en nos âmes ? « Toute la 9iversité qui est en la matière, proclame Descartes dans les Principes de la philosophie (II, 23), dépend de la grandeur, de la figure et du mouvement des parties. » C'est pourquoi, comme il le confiera à Mersenne, toute sa physique «n'est autre chose que géométrie», mais une « géométrie concrète qui s'attache à expliquer les phénomènes de la nature ». Descartes peut affumer « qu'il ne reçoit point de principes en physique, qui ne soient aussi reçus en mathématiques, afin de pouvoir prou ver par démonstration tout ce qu'il en déduira » (Prin� cipes, II, 64). Impérialisme de la raison déductive? Provisoirement, Des� cartes prend bien soin de distinguer l'ordre déductif des raisons (l'enchaînement des connaissances à partir des principes et des vérités évidentes pour nous) et l'ordre des matières (tout ce qui appartient, de soi, à la nature de chaque chose). La conclusion des Principes ( IV, 203-204) avoue : que Dieu a une infmité de divers moyens, par chacun desquels il peut avoir fait que toutes les choses de ce monde paraissent telles que maintenant elles paraissent, sans qu'il soit possible à l'esprit
humain de connaître lequel de tous ces moyens il a voulu employer
à les faire.
Et il suffit au physicien que les causes qu'il imagine puissent produire les effets sensibles observés dans le monde. Mais Des cartes n'en reste pas à un simple «comme si». La puissance de son modèle déductif l'encourage à considérer que les principes de sa physique sont ceux de la nature elle-même. Si on considère combien de diverses propriétés de l'air et du feu, et de toutes les autres choses qui sont au monde, ont été très évi demment déduites d'un fort petit nombre de causes que j'ai propo
sées au commencement de ce traité < ... > on ne laissera pas d'avoir
pour le moins autant de raison de juger qu'elles sont les vraies causes de tout ce que j'en ai déduit (Principes, IV, 205).
Le déchiffrage de la nature au moyen des principes innés d'une physique toute géométrique (grandeur figure et mouve-
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Critique de la raison pure
de Kant
ment des parties) confère à cette clé de lecture une certitude d'autant plus élevée que les effets naturels déchiffrés sont divers et complexes. De toutes les façons, s'il restait quelque doute, le Dieu de Descartes est là pour les apaiser : Dieu étant souverainement bon et la source de toute vérité, puisque c'est lui qui nous a créés, il est certain que la puissance ou faculté qu'il nous a donnée pour distinguer la vrai d'avec le faux, ne se trompe point, lorsque nous en usons bien et qu'elle nous montre évidemment qu'une chose est vraie.
Ainsi, l'existence des corps dans le monde et leurs princi pales propriétés, « au moins les plus générales qui concernent la fabrique du ciel et de la terre » sont certaines. Descartes a donc remanié l'ordre traditionnel de la connaissance. Ce n'est pas mon esprit qui doit se modeler sur le monde et enregistrer passi vement ses états. Mais la clarté et l'évidence en moi des principes doivent me permettre de déduire l'ordre du monde. « L'intelli
gence humaine, affirment les Règles pour la direction de l'esprit, a je ne sais quoi de divin où les premières semences des vérités utiles ont été jetées. » L'utilisation de ces idées innées me per met de défricher et de déchiffrer a priori la nature. Le rôle des expériences se limite, on l'a vu, à départager des explications concurrentes. Dans ces conditions, la connaissance n'est plus une simple accumulation de sensations ni une sédimentation d'impres sions qui laisseraient une empreinte moyenne dans notre esprit. En conduisant l'esprit loin des sens (abducere mentem a sensibus), Descartes rompt avec le modèle de l'assimilation ou de la ressemblance. Notre connaissance n'est pas l'assimi lation du monde par l'esprit. Il n'y a pas de ressemblance immédiate entre nos idées et le monde. La connaissance doit s'appuyer sur le primat de la pensée et sur la garantie divine que nos idées claires et distinctes ne nous trompent pas. Descartes écrit à Gibieuf ( 1 9 janvier 1 642) : Je ne puis avoir aucune connaissance de ce qui est hors de moi, que par l'entremise des idées que j'en ai eues en moi.
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Certes, je me garde bien de rapporter mes jugements immédiatement aux choses et de leur rien attribuer de positif, que je ne l'aperçoive aupa ravant en leurs idées, MAIS je crois aussi que tout ce qui se trouve en ces idées est nécessairement dans les choses < ... > car autrement Dieu serait trompeur et nous n'aurions aucune règle pour nous assurer de la vérité.
C'est encore ce que soutiennent plus radicalement les Prin cipes (l, 1 3) : « Si on ignore Dieu, on ne peut avoir de connais sance certaine d'aucune autre chose. » La véracité divine est pour Descartes l'indispensable médiation entre mes idées et la vérité des choses. En effet: - notre pensée trouve en soi les idées de plusieurs choses ; - elle n'assure pas (et aussi elle ne nie pas) qu'il y ait rien hors de soi qui soit semblable à ces idées; - l'auteur de son être aurait pu la créer de telle nature qu'elle se méprit en tout ce qui lui semble être très évident; - elle ne saurait donc avoir de science certaine jusqu'à ce qu'elle ait connu celui qui l'a créée. Or, affirme Descartes, « il n'est pas possible que Dieu nous trompe par la faculté de connaître qu'il nous a donnée et que nous appelons lumière naturelle < par conséquent> tout ce que nous concevons clairement et distinctement est vrai » (Principes, l, 29-30). Aux objections de l'empiriste Gassendi, Descartes peut donc rétorquer, sous la garantie d'un Dieu non trompeur, que « la pensée d'un chacun, c'est-à-dire la perception qu'il a d'une chose, doit être pour lui la règle de la vérité de cette chose ». ...
3. Le m otif
cc eritique »
Le « rationalisme » de Descartes repose d onc sur deux fon dements: une capacité innée de principes a priori (les idées d'étendue, de nombre, de figure, de mouvement) et un Dieu vérace, qui garantit l'application de ces principes au monde.
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Critique de la raison pure
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Malgré la fascination qu'exercera sur Kant la méthode des empiristes, et notamment la philosophie expérimentale de New ton, l'idée d'un pouvoir a priori de l'entendement ne sera jamais étrangère à Kant. Ce que Kant veut réduire, c'est l'ex tension de ce pouvoir, et la dette qui le lie à la véracité divine. C'est pourquoi Kant insistera sur la différence entre l'entende ment divin (déterminant immédiatement ce que les choses sont en elles-mêmes) et l'entendement humain (déterminant successive ment des relations entre les différentes manières dont ces choses nous apparaissent). La diférence entre l'infini et le fini produit selon Kant un changement complet de régime de la connais sance: Dieu ne soutient plus la relation de mon esprit au monde extérieur. Dans tous les cas, il reste bien chez Kant quelque chose de l'inspiration cartésienne. Le motif critique, c'est-à-dire l'obsession d'une détermina tion précise du pouvoir de l'entendement et de ses conditions légitimes d'exercice, constitue aussi un lieu cartésien, que Kant n'est pas prêt de désaffecter. Dans les Règles pour la direction de l'esprit, Descartes ordonnait « le recensement de tous les actes de notre entende ment qui nous permettent de parvenir à la connaissance des choses sans aucune crainte de nous tromper ». Ou encore : « Pour ne pas rester toujours dans l'incertitude sur ce que peut l'intelligence et pour qu'elle ne travaille pas maI à propos et au hasard, avant de nous proposer à connaître les choses en parti culier, il faut avoir une fois en sa vie cherché soigneusement de queles connaissances la raison humaine est capable. » Énumé rant les « instruments de connaissance » dont nous disposons (l'entendement, l'imagination et les sens), Descartes remarquait que la méthode est contrainte « de fournir elle-même le moyen de fabriquer ses propres instruments » et « qu'il n'y a rien de plus utile que de chercher ce que c'est que la connaissance humaine et jusqu'où elle s'étend » (règle VIII). On ne dira donc pas que la critique de l'instrument de connaissance et la détermination des limites du pouvoir de l'en tendement sont des idées neuves (on en trouve déjà la trace
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dans le Charmide de Platon). « La question capitale, écrit Kant dans la première Préface, reste toujours de savoir: que peuvent et jusqu'où (was und wieviel) peuvent connaître l'entendement et la raison, indépendament de l'expérience ? », à quoi l'on peut rajouter: et indépendamment de toute garantie d'un Dieu non trompeur . . . Pour Kant comme déjà pour Descartes, la rai son doit bel et bien « entreprendre à nouveau la plus difficile de toutes ses tâches, celle de la connaissance de soi-même ». Pour Descartes, cette raison se connaissait triomphante. Avec Kant, elle découvre que son pouvoir, non suffisamment critiqué, l'empêtre dans des contradictions sans fin. Néan moins, on verra plus loin en quoi la prétendue révolution copernicienne que Kant fait subir à la relation connais sance/objets demeure proche de Descartes.
4. L'intervention divine dans la eonnaissanee et les tendanees idéa listes avant Kant
Poursuivons notre généalogie succincte des théories de la connaissance dont il a bien fallu que Kant assume la lourde hérédité. Séduit par le principe d'une médiation divine entre notre esprit et le monde, Malebranche élabore une doctrine selon laquelle toute notre connaissance n'est que « vision en Dieu ». L'homme, écrit Malebranche dans ses Entretiens sur la métaphysique, n'est point à lui-même sa propre lumière. Il ne connaît rien que par la lumière de la raison universelle qui éclaire tous les esprits. Cette raison universelle n'est autre, selon lui, que le Verbe divin, qui renferme dans sa substance les idées primordiales de tous les êtres créés et possibles. De cette manière, Malebranche radicalise la théorie carté sienne des idées innées, dont il généralise l'application à toutes les sortes de perceptions que nous pouvons avoir : « Nous voyons le Soleil, les étoiles, et une infinité d'objets hors de nous ; et il n'est pas vraisemblable que l'âme sorte du corps, et
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qu'elle aille, pour ainsi dire, se promener dans les cieux, pour y contempler tous ces objets. Elle ne les voit donc point par eux mêmes, et l'objet immédiat de notre esprit, lorsqu'il voit le Soleil par exemple, n'est pas le Soleil, mais quelque chose qui est intimement unie à notre âme ; et c'est ce que j'appelle idée » (Recherche de la vérité, liv. III, sec. partie, chap. 1). Cette idée, nous ne la tirons pas de notre propre fonds. Nous ne pouvons la produire, ni produire sa conformité avec l'objet extérieur dont eUe est l'idée. Elle est produite en nous par Dieu à l'occasion de la présence des corps. L'étendue du monde sen sible ne nous est donc pas immédiatement connue. Elle ne ren ferme pour nous qu'obscurité et indistinction. Malebranche en appelle à « une étendue intelligible qui devient visible à notre égard, lorsqu'elle cause en nous la perception de couleur ou tel autre sentiment plus vif». Pourquoi cette construction détournée du processus de la connaissance en apparence la plus imédiate, comme la simple perception d'une couleur ? Parce que, pour Malebranche et pour toute la pensée rationaliste de son temps, il est incompré hensible qu'un corps puisse agir directement sur un esprit. La séparation radicale des substances (substance pensante et substance étendue) restaurée par Descartes interdit toute communication directe entre le monde des idées et celui des corps. Pour Leibniz également, la perception d'un corps par notre esprit « est inexplicable par des raisons mécaniques, c'est-à-dire par les figures et par les mouvements de la machine » (Monado logie, § 1 7). Leibniz achoppe donc lui aussi sur le problème de la perception, et de la correspondance de nos idées ou représen tations avec la réalité externe. Il va résoudre (ou plutôt rebap tiser) cette difficulté en parlant d'une harmonie préétablie entre les mouvements des corps et les perceptions de l'âme. C'est sans influence réelle que la série des uns et celle des autres se correspondent, s'expriment mutuellement. Leibniz prétend ainsi expliquer « l'union, ou bien la conformité de l'âme et du corps organique. L'âme suit ses propres lois, et le corps aussi les siennes, et ils se rencontrent en vertu de l'harmonie prééta-
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blie entre toutes les substances, puisqu'elles sont toutes les représentations d'un même univers » (§ 78). Là encore, c'est quelque chose comme une médiation divine qui rend possible et pensable la communication des substances entre elles. Ces doctrines, issues de la probléma tique cartésienne de la connaissance déductive a priori du monde et des idées innées, constituent l'un des noyaux de la métaphysique dogmatique. Elles se rapprochent, avec Male branche et Leibniz, d'une solution idéaliste. Que faut-il entendre par ce terme ? Sous le nom d'idéaliste, explique Kant, il ne faut pas entendre celui qui nie l'existence des objets extérieurs des sens, mais seule ment celui qui n'admet pas qu'elle puisse' être connue par une per ception immédiate et qui en conclut qu'aucune expérience ne peut jamais nous rendre entièrement certains de la réalité de ces objets (Critique du 4< paralogisme... ) .
L'idéalisme semble culminer avec Berkeley (1685-1753), que Kant croit pouvoir expédier en trois lignes dans la Critique de la raison pure. Pour Berkeley: « 11 est impossible qu'une cou leur, une étendue, ou toute autre qualité sensible, existent dans un sujet non pensant, hors de l'esprit ou, à vrai dire, il- est impossible qu'il existe quelque chose comme un objet exté rieur » (Traité des principes de la connaissance humaine, § 15). Énoncé provocateur, par lequel Berkeley entend récuser la distinction entre un monde matériel et un monde spirituel. Quel sens y a-t-il à parler d'un monde matériel distinct de nous alors que nous ne le connaissons que selon nos propres percep tions? C'est pourquoi Berkeley conteste également la diférence entre les idées de la pensée et les idées de la sensation : « Je vous le demande, en quoi peut consister la différence entre la percep tion de blanc et le blanc ? » Ce que je dis de l'une, ne le dis-je pas de l'autre? De quel blanc pourrais-je bien parler, sinon du blanc tel que je le perçois ? Porté à la limite, le raisonnement conduit à l'immatéria lisme : « Rien n'existe proprement que des personnes, c'est-à dire des choses conscientes ; toutes les autres choses sont moins des existences que des modes d'existence des personnes ». D'où
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le fameux principe : « exister, c'est percevoir ou être perçu » (esse est percipere aut percipi). Mais attention, cet énoncé qui semble réduire l'être au connaître, enfermer l'existence dans la représentation, pourrait bien être un argument dialectique plu tôt qu'une thèse définitive, un moment d'analyse plutôt qu'un résultat doctrinal. Pourtant, Kant a baptisé idéalisme matériel dogmatique cette façon d'aborder le problème de la connaissance. L'idéalisme dogmatique de Berkeley regarde l'espace avec toutes les choses dont il est inséparable comme quelque chose d'impossible en soi, et, par suite, aussi les choses dans l'espace comme de simples fictions. < . .. > Mais nous avons démoli le principe de cet idéalisme ...
En effet, la réduction des corps à une simple apparence repose pour Kant sur un malentendu. Nous ne connaissons des objets que la manière dont ils nous apparaissent. Mais cela ne veut pas dire qu'ils ne soient, en eux-mêmes, qu'apparence. En effet, dans le phénomène, les objets et les manières d'être que nous leur attribuons sont toujours considérés comme quelque chose de réellement donné ; seulement , en tant que cette manière d'être ne dépend que du mode d'intuition du sujet, dans son rapport à l'objet donné, cet objet est distinct comme phénomène de ce qu' il est comme objet en soi (Critique, § 8, III).
Pour sa part, Kant entend professer un idéalisme formel (relatif aux formes de notre connaissance). Sans mettre en doute, comme l'idéalisme matériel, l'existence des choses hors de nous, il en limite la connaissance à l'aspect simplement phé noménal : Tout ce qui est intuitionné dans l'espace ou dans le temps, c'est à-dire tous les objets d'une expérience possible pour nous, ne sont pas autre chose que des phénomènes, c'est-à-dire de simples repré sentations: en tant que nous nous les représentons comme des êtres étendus, ou des séries de changements, ils n'ont pas d'existence fon dée en soi en dehors de nos pensées (Antinomie, 6° section).
Idéalisme formel, et non matériel : les formes de notre sensibilité et de notre entendement sont les conditions d'une connaissance propre à l'esprit humain en général : ne les pre-
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nons pas à tort pour les formes de ce que sont les choses en elles-mêmes, indépendamment de notre pouvoir de connaître. Quant à la matière du phénomène, et à ce qui est donné à nos sens dans l'expérience, cela existe bel et bien en dehors de notre pensée.
5. La filière empiriste: Locke
Les tendances idéalistes de la philosophie issue du cartésia nisme ont à l'évidence pesé sur le développement de la théorie kantienne des éléments de la connaissance. Mais il faut noter que ces tendances ne règnent pas sans partage sur la métaphy sique occidentale à l'aube du siècle des Lumières. Et avant même que le succès de la science newtonienne n'impose la démarche inductive fondée sur les expériences, Locke entre prend de contester le primat de la représentation sur la donnée du monde sensible. A sa manière, Locke propose lui aussi « d'examiner notre propre capacité et de voir quels objets sont à notre portée ou au-dessus de notre compréhension ». L'Essai sur l'entendement humain va renverser la vapeur, et inverser à nouveau le sens de la relation entre l'esprit et les choses. « Pour avoir une juste idée des choses, il faut amener l'esprit à la nature inflexible et à leurs relations inaltérables, et non pas s'efforcer d'amener les choses à nos préjugés. » Pour ce faire, il faut battre en brèche la doctrine de l'innéisme : nous ne sommes pas, comme le voulait Descartes, en possession immédiate des semences de vérité utiles à toute connaissance. En revanche « les hommes peuvent acquérir toutes les connaissances qu'ils ont par le simple usage de leurs facultés naturelles sans le secours d'aucune impression innée ». Pour un peu, Locke reprendrait à son compte l'axiome sen sualiste, selon lequel « il n'y a rien dans l'intellect, qui n'ait auparavant été dans les sens (nihil est in intellectu, quod prius nonfuerit in sensu) ». Mais il admet que nous disposons, à côté des idées de sensations imprimées dans nos âmes par le contact
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des choses matérielles, des idées de réflexion. Certaines de nos intuitions sont donc intellectuelles (ainsi des idées d'identité, de diversité, de relation, de coexistence) ; elles ne sont pas innées pour autant. La seule chose qui soit innée selon Locke, c'est la capacité à nous servir de notre entendement. Mais nous avons à faire l'apprentissage de cet usage sur le tas de l'expérience. Nous ne disposons pas d'une autre source pour mettre en œuvre notre pouvoir de connaître. Toutes nos idées ont donc leur origine dans l'expérience., même si certaines peuvent être abstraites ou composées par un travail sui generis de l'entendement. Malgré ce parti pris radicalement empiriste, et ce dénigrement de toute forme de connaissance a priori, Locke s'est attaché à faire de la spéculation philosophique un instrument de paix et de tolérance. C'est principalement par la place que lui accorda Leibniz, lui aussi savant promoteur de la paix, que Locke a pu exercer une influence sur la philosophie allemande. Les Nouveaux essais sur l'entendement humain proposent un dialogue philoso phique à partir du texte même de Locke. Leur parution tardive ( 1 765) ri'a pas empêché l'Europe continentale de porter un vif intérêt à la philosophie du « sage Locke ». Voltaire chante ses louanges dans ses Lettres philosophiques : Tant de raisonneurs ayant fait le roman de l'âme,
un
sage est
venu qui en a fait modestement l'histoire. Locke a développé <:: montré les 'développements> à l'homme de la raison humaine, comme un excellent anatomiste explique les res du corps humain.
Kant n'est pas aussi enthousiaste. Locke n'aura été pour lui qu'un feu de paille. Dans la Préface de la première édition de la Critique, Kant s'arrête à cette physiologie de la raison. Locke, en disséquant nos connaissances, a essayé de remonter à l'ori gine des productions de la raison dans la métaphysique, et il a trouvé que cette origine était la seule expérience. « Dans les temps modernes, il est vrai, il sembla un moment qu'une cer taine physiologie de l'entendement humain (celle du célèbre Locke) dût mettre fin à ces querelles et décider entièrement de
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la légitimité de ces prétentions <de la métaphysique>. Mais bien que la naissance de cette prétendue reine ait été dérivée (par Locke) de la vulgaire expérience commune et qu'on eût dû pour cela, à bon droit, mépriser son usurpation, il arriva cepen dant parce que cette généalogie qu'on lui avait fabriquée était fausse en réalité, qu'elle continua à affIrmer ses prétentions. C'est pourquoi, de nouveau, tout retomba dans le vieux dog matisme vermoulu et, par suite, dans le mépris auquel on avait voulu soustraire cette science. » L'épisode de Locke est pour Kant une occasion manquée de démasquer l'usurpation dogmatique, et de limiter les pou voirs despotiques de la raison en métaphysique. Si Locke a échoué, c'est pour avoir voulu humilier à l'excès la connais sance métaphysique en prétendant que cette reine avait été Trop absurde pour être dangereux », tirée du ruisseau. comme dira plus tard la censure prussienne à propos d'un livre de Max Stirner. A cette dérivation physiologique erronée, à cette généalogie frelatée, Kant voudra substituer une déduction juridique. Qu'est-ce à dire ? Kant veut produire une preuve de droit, qui légitime, ou invalide les prétentions de la raison à s'aventurer au-delà des limites de l'expérience sensible. Dans le chapitre de la Critique intitulé Déduction des concepts purs de l 'entendement, le « célèbre Locke » est pris à partie (§ 1 3, p. 101). Déduction, c'est-à-dire ici explication de la manière dont ces concepts a priori (les catégories de la quantité - universel, singulier, particulier - de la qualité réalité, négation limitation - de la relation - substance et ac cident, cause et effet, action et réaction - et de la modalité nécessaire, contingent, possible -) se rapportent aux objets de l'expérience: Locke, confondant déduction avec dériy:ation, a recherché comment notre faculté de connaissance s'élève des simples perceptions sensibles jusqu'aux concepts généraux. Il n'a pas vu que cette origine expérimentale rendait impossible leur application universelle et nécessaire à toute expérience possible. Pour pouvoir s'appliquer à, il faut précéder, ou du moins être indépendant de.
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Kant admet que notre connaissance débute avec l'expé rience, mais il refuse d'admettre qu'elle puisse en dériver com plètement (ce sont précisément les premiers mots de l'Introduc tion de la Critique). Certes nos concepts ne peuvent légitimement déterminer d'objets qu'à l'occasion d'une intui tion sensible. Mais l'occasion n'est pas la cause, et encore moins la règle. Les concepts de l'entendement opèrent bien à même l'expé rience. C'est justement l'un des mots d'ordre de Kant qu'il faut limiter leur usage à la sphère de l'expérience possible. Mais ils ne sont pas eux-mêmes des objets d'intuition sensible, ni des pro duits dérivés, par abstraction ou par habitude, de ce qui est donné aux sens. Faute d'avoir distingué entre l'application et l'origine, entre la fonction et la nature, Locke a selon Kant (§ 1 4) « ouvert toutes les portes à l'extravagance de la raison » en mélangeant concepts purs et concepts tirés de l'expérience. Locke ne va-t-il pas jusqu'à démontrer l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme sur la base de concepts simplement empiriques ? Comme le répète Kant au chapitre De la distinction de tous les objets en général en phénomènes et en noumènes, ni Locke ni Leibniz n'ont suffisamment distingué les sources de la connais sance. D'un côté, Leibniz a « intellectualisé les phénomènes », en bâtissant un système intellectuel du monde qui croyait connaître la nature intime des choses. Locke, lui, a sensibilisé les concepts de l'entendement, puisqu'il a présenté les idéès de réflexion (identité, diversité, etc.) comme empiriques ou abstraites de l'expérience. Au lieu de chercher dans l'entendement et dans la sensibilité deux sources tout à fait différentes de représentations, < . . . > chacun de ces grands hommes s'attacha uniquement à une de ces deux sources, à celle qui, d'après son opinion, se rapportait imédiate ment aux choses elles-mêmes, tandis que l'autre source ne faisait qu'ordonner ou confondre les représentations de la première.
Au total, on peut retenir que Kant n'est pas hostile par prin cipe à la méthode des recherches empiriques. Elle aurait pu offrir une alternative viable au « vieux dogmatisme vermoulu ».
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Mais la confusion des sources de la connaissance, qu'elle se fasse dans un sens ou dans l'autre (intellectualiser les phéno mènes, ou sensibiliser les concepts de l'entendement) cause autant de ravages et produit le même résultat : « la mort de la saine philosophie ».
6. L'attraction exercée par Newton
Tandis que la métaphysique s'enlise dans la controverse, la physique réalise avec Newton une avancée spectaculaire. Sa méthode semble plus proche de celle des empiristes, mais elle ne mélange pas, au moins officiellement, les torchons de l'expé rience avec les serviettes de la métaphysique. L'enthousiasme de Kant pour les découvertes et la méthode newtonienne, aux quelles l'initie son maître Martin Knutzen, justifie qu'on s'at tache maintenant à en décrire les principaux aspects. Newton donne l'exemple vivant d'une démarche scienti fique des plus fécondes. Par sa force de gravitation et par la loi mathématique décrivant son action (proportionnelle au produit des masses et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare), Newton parvient à unifier des phé nomènes aussi divers que la chute des corps, le mouvement des planètes et des comètes, celui des marées, ou encore l'aplatissement de la Terre au pôle et son renflement à l'équa teur. Cette dernière conséquence de son système du monde est vérifiée au cours des expéditions géodésiques de 1 735- 1 737, où Maupertuis supervise la mesure d'un méridien à l'équateur et en Laponie. La méthode et les découvertes de Newton le placent aux anti podes des démonstrations a priori de la physique géométrique de Descartes. Certes, Newton accorde une part remarquable à l'élaboration proprement mathématique des concepts mis en œuvre dans sa Physique. Cependant les Principes mathémati ques de la philosophie naturelle ( 1 687) ne désignent pas ce que les choses sont en elles-mêmes, mais seulement la manière dont nous devons nous les représenter mathématiquement pour
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relier tous leurs phénomènes en une expérience cohérente. L'entendement devient ainsi, selon l'expression de Kant, l'au teur de l'expérience quant à sa forme. Quant à la matière de l'expérience, elle est donnée à nos sens : et nous ne pourrons jamais synthétiser que la manière dont celle-ci nous apparaît, non ce qu'elle est en son fond. La philosophie expérimentale de Newton ne constitue pas un modèle à transposer tel quel en métaphysique, mais un exemple, éclatant certes, des progrès que peut accomplir dans les sciences une raison autodisciplinée. Jugeons plutôt sur pièces : « Toute la difculté de la philosophie, écrit Newton dans la Préface des Principes mathématiques de la philosophie naturelle (mai 1 687), semble consister à rechercher les forces de la nature à partir des phénomènes des mouvements qu'elles produisent et à démontrer ensuite d'autres phénomènes à partir de ces forces. »1 Ce va-et-vient des phénomènes des mouvements aux forces de la nature est essentiel à la méthode newtonienne. Qu'on y prenne garde cependant : ces forces, causes ou principes méca niques, comme dit encore Newton, ne sont pas comme chez Descartes les « vraies raisons des choses ». Ce sont seulement des points de vue mathématiques, des façons d'exposer ces phé nomènes selon la grandeur, le nombre et la variation. A propos des forces accélératrices ou motrices, Newton préviendra : « Il faut considérer ces forces d'un point de vue seulement mathé matique et non pas physique. » Newton se garde de bien de définir « la forme, le mode ou encore la cause ou raison phy sique d'une action » (Définition VIII). « C'est, poursuit Newton, à partir des phénomènes célestes et par des propositions mathématiquement démontrées que nous dérivons les forces de pesanteur qui font tendre les corps vers le Soleil et vers chaque planète. C'est ensuite de ces forces que nous déduisons, par des propositions également 1 . On se réfère à l'édition de poche des Principia mathemalica philosophiae nalu ralis traduite par Marie-Françoise Biamais, Christian Bourgois éditeur, 1 985, p. 2 1 .
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mathématiques, le mouvement des planètes, des comètes, de la Lune et de la mer. Puisse-t-on réussir à dériver de principes mécaniques les autres phénomènes de la nature par le même genre de raisonnement. » Le travail déductif à partir de principes mécaniques et la dérivation des phénomènes au moyen de propositions mathé matiques n'ont plus grand chose à voir avec l'ambition carté sienne d'une « démonstration a priori de tout ce qui peut être dans le monde ». La méthode de Newton demeure inductive. Les mathématiques permettent de donner une expression régu lière du comportement des corps, mais n'ont pas à fournir l'expli cation de leurs propriétés. Le point de départ reste l'observation et la mesure des phénomènes. Au début du livre III des Principes mathématiques. Newton récapitule les règles de la philosophie naturelle : « Les qualités des corps ne sont connues que par des expériences et ainsi on doit les poser toutes comme générales, lorsqu'elles se rappor tent parfaitement aux expériences d'une manière générale < . . >. Assurément, on ne doit pas forger de rêveries à l'encontre des expériences, et l'on ne doit pas s'écarter de l'analogie de la nature, puisqu'elle a coutume d'être simple et toujours conso nante avec elle-même. » Le rôle dévolu à l'expérience sensible est capital : « L'étendue des corps ne se connaît que par les sens < . . >. Nous expérimentons la dureté de la plupart des corps. Que tous les corps soient impénétrables, nous l'inférons non par la raison mais par la sensation. Ceux que nous touchons, nous les trouvons impénétrables et nous en concluons que l'impé nétrabilité est une propriété de tous les corps en général. Que tous les corps sont mobiles et persévèrent dans le mouvement ou le repos sous l'effet de certaines forces (que nous appelons forces d'inertie), nous l'inférons de ce que nous voyons ces propriétés en des corps. < . > Et ceci est le fondement de toute la philosophie. » De la même façon, la loi de pesanteur universelle est établie par les expériences et les observations astronomiques, que l'on généralise jusqu'à ce qu'une épreuve contraire se présente. .
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« En philosophie expérimentale, conclut Newton, les proposi tions que l'on réunit par induction à partir des phénomènes doi vent être tenues pour vraies, puisque des hypothèses contraires ne leur font pas obstacle < > jusqu'à ce que se présentent d'autres phénomènes par lesquels elles soient rendues plus exactes ou bien sujettes à des exceptions . . » Le Scholie général qui clôt la seconde édition des Principia ( 1 7 1 3) est éloquent : « Tout ce qui n'est pas déduit des phéno mènes doit être appelé hypothèse et les hypothèses, qu'elles soient métaphysiques, physiques, se rapportant aux qualités occultes ou mécaniques, n'ont pas de place en philosophie expé rimentale. En cette philosophie, les propositions sont déduites des phénomènes et rendues générales par induction. » Newton remplaçant Descartes, cela signifie que la démarche inductive prend le pas sur une méthode déductive. Newton n'a-t-il pas tenu la balance égale entre les principes mathématiques, qui concernent la forme de la liaison des phé nomènes, et non leur essence, et l'observation de ces phéno mènes dans les expériences ? Ernst Cassirer a fort bien récapi tulé, dans son livre sur La philosophie de l'Auflarung <= des Lumières> la signification de la méthode newtonienne : « Qu'on ne cherche donc pas l'ordre, la légalité, la "raison", COmme une règle "antérieure" aux phénomènes, concevable et exprimable a priori : qu'on démontre la raison dans les phéno mènes eux-mêmes comme la forme de leur liaison interne et de leur enchaînement immanent. »1 Ainsi donc, la physique ne se réduit pas a priori aux idées géométriques. Dès son preuùer écrit, Kant prendra soin de départager Descartes et Leibniz Sur la véritable estimation des forces vives ( 1 747). Il en profite pour opposer l'approche carté sienne, toute géométrique, par la quantité de mouvement, et l'approche leibnitienne, dynauùque, qui prend en compte les forces de résistance des corps. Cette opposition traversera tout l'œuvre de Kant. ...
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1 . La philosophie des lumières, trad. franç. Fayard, 1966, coll.
« AGORA »,
p. 47.
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7 . H u m e e t Wolff o u : Charybde e t Scylla
Faisons le point dans notre évaluation de l'héritage intellec tuel que Kant doit assumer. Jusqu'ici, nous avons exhumé : - une tradition métaphysique déductive, refondée par Des cartes, Spinoza, Leibniz, Malebranche et traversée de ten dances idéalistes ; - une tradition empiriste, réveillée par Gassendi, Locke, et à laquelle l'œuvre de Newton semble, dans une certaine mesure, apporter sa caution. Ce double héritage se concentre en quelque sorte dans la double filiation de Hume et de Wolff. Kant reconnaît à Wolff, « le plus grand de tous les philosophes dogmatiques », le mérite d'avoir instauré un esprit d'approfondissement pas encore éteint en Allemagne (cf. 16 e). Car toute science, dans sa partie pure, c'est-à-dire indépendante de l'expérience, doit pouvoir procéder par démonstration rigoureuse, en s'appuyant sur des principes certains a priori (cf. 16 a). Et Wolff a tenté de donner à la méta physique les lettres de noblesse d'une science rigoureuse. Mais en négligeant la distinction de tout objet comme ce qu'il est en lui même, d'une part, et ce qu'il est pour notre pouvoir de connais sance d'autre part, il a, comme Leibniz, « assigné à toutes les recherches sur la nature et sur l'origine de nos connaissances un point de vue tout à fait faux » (Critique, § 8, 1). Nous avons rap pelé plus haut que ce point de vue conduisait Leibniz à intellec tualiser subrepticement les phénomènes. Sur l'autre bord, Kant reconnaît à Hume le mérite d'avoir arraché la métaphysique à son sommeil dogmatique. Les atta ques que la métaphysique a subies de la part de Hume consti tuent aux yeux de Kant les événements les plus décisifs qu'elle ait jamais eus à connaître. C'est seulement en répondant à ces attaques que la métaphysique pourra enfin se présenter comme une science. Ainsi, la double filiation de Wolff et de Hume va donner lieu à un double parricide. Kant conclut la Critique de la raison
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Critique de la raison pure
de Kant
pure en renvoyant dos à dos le dogmatisme intempérant de Wolff et le scepticisme exacerbé de Hume. Ces deux pères, ou repères de la révolution kantienne de la métaphysique, n'en sont pas les phares, mais les écueils, entre lesquels il faudra faire route. « Seule la voie critique reste ouverte », conclura Kant au terme de l'ouvrage. La confrontation avec Wolff et Hume ne représente pas pour lui une véritable alternative. C'est plutôt un dileme dont' les deux branches (le dogmatisme et l'empirisme) s'éliminent mutuellement. �
Hume et la science de l'homme.
Comme le note Kant au début de la Critique de la raison pratique : « Hume a commencé toutes les attaques contre les droits d'une raison pure, lesquels rendaient nécessaire un exa men complet de cette dernière. » C'est pourquoi nous voulons d'abord évoquer les déceptions et les attentes de Hume par rap port à l'entreprise philosophique. Le Traité de la nature humaine ( 1 739)1 se présente comme « un essai pour introduire la méthode expérimentale dans les sujets moraux ». Comme si Hume voulait être le Newton de la métaphysique et de la morale. Les accents de l'Introduction du Traité détonnent au milieu d'un siècle réputé pour son progrès et ses lumières (improve ment and enlightenment) . Hume fait une véritable crise de déses poir sceptique. La succession des systèmes et des modes a selon lui discrédité la philosophie et les sciences. Hume déplore sévè rement « l'ignorance où nous sommes encore plongés sur les plus importantes questions qui peuvent se présenter devant le tribunal de la raison humaine. » Hume semble même convenir du bien-fondé de ces plaintes. Il dépeint l'état des sciences de son temps sous les couleurs les plus sombres. 1 . Il ne sera traduit en allemand qu'en 1 790. Mais Kant le connait à partir de la discussion qu'en fait cn 1 770 un certain Beattic, traduite deux ans plus tard. L'Enquête sur l'entendement humain. elle, est traduite dès 1755 par Sulzer.
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I l n'est pas besoin d e posséder un savoir bien profond pour découvrir l'imperfection présente des sciences, la multitude elle même, à l'extérieur des portes, peut juger, au tapage et à la clameur qu'elle entend, que tout ne va pas bien à l'intérieur. Il n'y a rien qui ne soit le sujet d'une discussion, rien sur quoi les hommes de savoir ne soient d'opinions contraires. La question la plus banale n'échappe pas à nos controverses, et aux plus. importantes nous sommes incapables de donner une conclusion certaine.
On retrouvera ce reproche d'anarchie sous la plume de Kant, mais seulement à propos de la métaphysique. Ballottés entre des raisons contradictoires, les hommes accordent plus facilement leur sufrage aux belles paroles qu'aux bonnes raisons. Dans toute cette agitation, poursuit Hume, ce n'est pas la raison qui remporte le prix, c'est l'éloquence ; et nul ne doit jamais déses pérer de gagner des prosélytes à l'hypothèse la plus extravagante, s'il est assez habile pour la peindre sous des couleurs favorables. La victoire n'est pas gagnée par les soldats en armes, qui manient la pique et l'épée, elle l'est par les trompettes, les tambours et les musi ciens de l'armée.
Semblablement, Kant présentera les controverses métaphy siques comme des combats de parade (cf. 9 d), futiles et sans issue. Et comme s'il voulait échapper au grief humien, Kant s'excusera de ne pas avoir visé l'élégance dans l'exposition de sa Critique (cf. 1 7). De son côté, Hume pense avoir justifié le préjugé commun d'hostilité à toute espèce de métaphysique. Mais, au moment de s'abandonner « au scepticisme le plus achevé joint à un grand degré d'indolence », Hume tente un effort ultime pour découvrir la vérité, si toutefois elle se trouve quelque part à portée des facultés humaines. Il Ia cherche dans un dénomina teur commun à toutes les sciences. Évidemment, toutes les sciences ont une relation, plus ou moins grande, à la nature humaine ; aussi loin que l'une d'entre elles semble s'en écarter, elle y revient cependant d'une manière ou d'une autre. Les mathématiques, la philosophie naturelle, la religion natu relle elles-mêmes dépendent en quelque mesure de la science de l'HOMME ; car elles tombent sous la connaissance humaine et nous
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en jugeons avec nos pouvoirs et nos facultés. On ne peut dire quels changements ni quelles améliorations nous pourrions réaliser dans ces sciences, si nous avions une parfaite connaissance de l'étendue et de la force de l'entendement humain et si nous pouvions expliquer la nature des idées que nous employons et des opérations que nous accomplissons quand nous raisonnons.
Voici donc Hume parti à la conquête d'une nouvelle science, qui est la clé de toutes les autres : la science de l'homme. Comme l'affirme Pope, l'auteur de l'Essai sur l 'Homme : the proper study of mankind is man. Cette nouvelle croisade semble la dernière chance d'en finir avec les atermoiements et les dis putes de la métaphysique. Hume prône une méthode résolument empirique : « La seule base solide que nous puissions donner à cette science doit se trouver dans l'expérience et dans l'observation. » C'est bien un esprit de croisade qui semble animer Hume, qui s'enrôle sous la bannière « de Lord Bacon et de quelques philoso phes récents d'Angleterre < > les progrès de la raison et de la philosophie ne peuvent être dus qu'à une terre de tolérance et de liberté. Et nous ne devons pas penser que ce dernier progrès dans la science de l'homme fasse moins d'honneur à notre pays. natal que le précédent progrès en philosophie naturelle ». Justement, la méthode expérimentale sera de rigueur dans la science de l'homme. Comme Newton, il faudra dans un premier temps partir des phénomènes avant d'arriver aux principes. ...
Car il me semble évident que, puisque l'essence de l'esprit nous est aussi inconnue que celle des corps extérieurs, il doit être égaie ment impossible de former une notion de ses pouvoirs et qualités autrement que par de soigneuses et de rigoureuses expériences et par l'observation des effets particuliers qui résultent des différentes circonstances et situations où il se trouve.
Le procédé kantien d'analyse du pouvoir de l'entendement sera tout à fait analogue à la démarche ici proposée par Hume (cf. les notes 1 1j et 12 i de la seconde Préface). Hume poursuit : Et bien que nous devions tenter de rendre tous nos principes aussi universels que possible, en poursuivant jusqu au bout nos expériences et en expliquant tous les effets par les causes les plus '
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simples et les moins nombreuses, il reste toujours certain que nous ne devons pas outrepasser l'expérience ; toute hypothèse, qui prétend révéler les qualités originales dernières de la nature humaine, doit dès l'abord être rejetée comme présomptueuse et chimérique.
Voilà qui sonne kantien, et pourtant . . . Kant prescrit à la rai son de ne pas s'aventurer au-delà des limites de l'expérience. Mais l'évaluation de notre pouvoir de connaître, et la détenni nation des conditions d'application de l'entendement se font bel et bien a priori selon Kant, qui en appelle, dans la première Préface « aux lois éternelles et immuables de l'esprit humain ». Pour Hume au contraire, les principes généraux de la science de l'homme sont justiciables de la seule expérience : Aucun d'eux ne dépasse l'expérience, aucun n'établit de prin cipes qui ne soient fondés sur cette autorité.
Kant pourra s'accorder avec Hume pour limiter l'applica tion de la raison humaine au champ de l'expérience, mais non pour faire de ce champ le sol d'origine du pouvoir de la raison. L'exemple du concept de causalité est propre à éclairer cet accord et cette divergence. Hume estime « qu'il n'y a pas d'idées plus obscures et plus incertaines, panni celles qui se présentent en métaphysique, que celles de pouvoir, de force, d'énergie et de connexion néces saire ». L'idée de connexion nécessaire, entre la cause et l'effet par exemple, relève de l'illusion. Dans l'expérience, on ne sau rait trouver que des faits. Aucune idée de nécessité ne peut naître de l'expérience. La connexion entre la cause et l'effet est par conséquent inconcevable, si toutes nos idées doivent être des copies de nos impressions. « Tous les événements, écrit Hume dans l'Enquête sur l'en tendement humain (VII, 2), paraissent entièrement détachés et séparés les uns des autres. Un événement en suit un autre ; mais nous ne pouvons jamais observer aucun lien entre eux. Ils sem blent être en conjonction, et non en connexion. » Ce qui ne nous empêche pas de supposer une telle connexion, lorsque se pro duit « une pluralité de cas semblables où se présente la conjonc-
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tion constante de ces événements < . . > ; par habitude, l'esprit est porté, à l'apparition d'un événement, à attendre celui qui l'accompagne habituellement et à croire qu'il existera ». Il n'y a donc rien de plus dans l'idée de connexion que le souvenir d'une conjonction constamment répétée, et le senti ment d'une transition coutumière de notre imagination, qui passe naturellement d'un objet à celui qui l'accompagne habi tuellement. Kant accorde sans peine à Hume que l'idée de connexion nécessaire ne peut être légitimement dérivée de l'expérience. Dans l'expérience, il n'y a que des faits. « L'expérience nous dit bien ce qui est, mais elle ne dit pas qu'il faut que cela soit, d'une manière nécessaire, ainsi et pas autrement. Elle ne nous donne, par cela même, aucune véritable universalité » (Critique, Introd. l, 1 rc éd.). L'expérience ne peut donner à nos jugements qu'une universalité « supposée et relative (par induction), qui n'a pas d'autre sens que celui-ci : nos observations, pour nom breuses qu'elles aient été jusqu'ici, n'ont jamais trouvé d'excep tion à telle ou telle règle » (ibid. , 2· éd.). Hume, qui dérive toutes nos connaissances de la source de l'expérience, en concluait au caractère illusoire des connais sances universelles et nécessaires. Kant au contraire assure que la mathématique, la physique, et même l'usage le plus ordinaire de l'entendement (comme dans la proposition : tout changement doit avoir sa cause) mettent continuellement en œuvre de telles connaissances a priori (c'est-à-dire, entière ment indépendantes de toute expérience). Mieux encore : « Ces principes sont indispensables pour que l'expérience même soit possible. » Si nous ne disposions pas, a priori, des concepts de cause et d'effet, l'expérience resterait un chaos de perceptions indéchiffrable, une succession d'impressions sans conséquence . . . On comprend donc pourquoi, dès l a première Préface de la Critique, Kant prend le contre-pied de la stratégie de Hume. Au lieu de s'affiger d'un mauvais état général des sciences, il se prévaut au contraire de leur bonne santé pour encourager la métaphysique à entrer dans leur voie. .
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On entend çà et là des plaintes sur la pauvreté de la façon de penser de notre époque et sur la décadence de la science basée sur ces principes Mais je ne vois pas que les sciences dont le fondement est bien établi, comme la mathématique, la physique, etc. , méritent le moins du monde ce reproche. Elles soutiennent, au contraire, leur ancienne réputation de sciences bien établies et même la dépassent encore dans ces derniers temps. Or, le même esprit se montrerait tout aussi efficace en d'autres genres de connaissances, si on avait seulement tout d'abord pris soin de rectifier les principes de ces sciences. Tant que cette rectification reste à faire, l'indifférence, le doute et enfin une sévère critique sont plutôt des preuves d'une manière de penser profonde. Notre siècle est particulièrement le siècle de la critique à laquelle il faut que tout se soumette... .
On a vu que Hume se souvenait, juste à temps, du succès de la science newtonienne. Mais il en tirait argument en faveur d'une méthode expérimentale. Kant ne le conteste nullement, mais il réclame également la part d'une connaissance par prin cipes. La méthode empirique n'explique pour Kant qu'une par tie du succès de Newton. Car enfin si nous connaissons la dureté et la pesanteur des corps par les sens, ce ne sont pas eux qui nous livrent telle quelle la loi de la gravitation universelle. Il doit donc y avoir une partie pure, même dans la physique, où les principes a priori d'une relation entre les phénomènes per mettent d'anticiper la forme de l'expérience. La réalité d'un pouvoir a priori de l'entendement, applicable à l'expérience, n'est pas pour Kant une simple supposition. Ce pouvoir est attesté par le succès des sciences mathématiques et physiques. C'est l'argument définitif que Kant brandit contre l'empirisme. Locke et Hume ont confondu, selon Kant, l'illus tration des concepts purs de l'entendement (les catégories, comme la cause et l'effet, qui n'ont d'application légitime que dans l'expérience) avec leur origine. Hume, selon Kant, prétend « dériver ces concepts de l'expé rience, (à savoir d'une nécessité subjective qui résulte d'une association répétée dans l'expérience, c'est-à-dire de l'habitude, et qu'on arrive finalement à prendre faussement pour objec tive) >> (Critique, § 14).
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S'il en était ainsi, nos prévisions n'auraient aucun fonde ment rationnel. Elles reposeraient simplement sur des habi tudes jusque-là non démenties. Aucune régularité ne serait exi gible de la nature : il suffirait d'attendre que l'avenir ressemble à notre souvenir. On comprend pourquoi Kant invoque avec tant d'insistance l'autorité des sciences : elles seules plaident en faveur d'un pou voir a priori de l'entendement. « La dérivation empirique, à laquelle ils eurent tous les deux recours, ne peut se concilier avec la réalité effective des connaissances scientifiques que nous avons, la mathématique pure et la physique générale : elle est donc réfu tée par le fait (Faktum) . » Tout le début de la seconde Préface reprend, comme une antienne, le succès de ces sciences pures, ultime recours contre les conséquences sceptiques de l'empirisme. Kant vante les exploits de Thalès (6 d), Bacon (7 a) , Galilée et Torri celli (8 a), et ne mentionne le nom de Newton qu'en note (cf. 13 l). Arrêtons-nous un instant à la figure de Bacon, puisque Kant fait figurer en exergue de la seconde édition de la Critique, un extrait de la Préface de l'Instauratio magna. Bacon représente en effet une conception de la philosophie expérimentale, dans laquelle le pouvoir a priori de l'entende ment ne perd pas ses droits. Qu'on en juge plutôt d'après l'aphorisme suivant, tiré du Novum organon ( 1 620) : Les philosophes qui se sont mêlés de traiter des sciences se par tageaient en deux classes, savoir : les empiriques et les dogmatiques. L'empirique, semblable à la fourmi, se contente d'amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, tel que l'arai gnée, ourdit des toiles dont la matière est extraite de sa propre substance. L'abeille garde le milieu ; elle tire la matière première des fleurs des champs et des jardins ; puis, par un art qui lui est propre, elle la travaile et la digère
(l, 95).
De même, selon Bacon, la vraie philosophie doit consom mer le mariage de l'esprit et de l'univers, favoriser une « étroite alliance de ces deux facultés : l'expérimentale et la rationnelle ».
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On mesure à ces mots l'intérêt que Kant pouvait porter à la philosophie de Bacon. En voilà assez au sujet des fourmis empiriques Locke et Hume. Venons-en au spécimen d'araignée dogmatique dont Kant a dû défaire la toile, malgré l'admiration qu'il porte à son patient savoir-faire : Wolff. Wolf, cet « excellent analyste ». Si Hume représente la défiance sceptique envers les éléments a priori de la connaissance, Wolff (1 679- 1 754) représente la confiance dogmatique accordée, sans examen ou presque, au pouvoir a priori de l'entendement humain. Wolf défmit la philosophie : « Une science de toutes les choses possibles, montrant comment et pourquoi elles sont possibles. » C'est la possibilité des choses, non leur réalité qui est l'objet de la recherche philosophique. L'existence réelle, fac tuelle est traitée comme une sorte de résidu, un « complément de possibilité ». C'est pourquoi la méthode de Wolff est fondée sur l'analyse des concepts. L'instrument principal de cette analyse, c'est le principe de non-contradiction, qui permet de « démontrer la réalité (c'est à-dire pour Wolff la non-contradiction) des concepts ». Pour prouver l'existence de Dieu, je dois d'abord montrer que sa défmition est celle d'un être possible, qu'elle n'enferme aucune contradiction, et ensuite que l'existence est nécessairement comprise dans son concept. Un second principe de notre connaissance, auquel Leibniz accordait une importance toute particulière, est le principe de raison suffisante. Wolff prétend le réduire au principe de non contradiction. Voyons ce qu'il en est de ces principes. Le principe de non-contradiction est présenté comme une loi de notre pensée, avant d'être une loi des choses : « La nature de notre esprit est telle que lorsqu'il juge que quelque chose est, il (Onto ne peut juger en même temps que cette chose n'est logie, § 27). Quant au principe de raison suffisante, il est lui aussi for mulé en termes d'opérations de notre connaissance : « Lorsque �
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nous posons quelque chose comme étant, il faut que soit égale ment posé autre chose en vertu de quoi devient concevable pourquoi ce quelque chose est plutôt que n'est pas » (ibid. , § 70). La formulation de ces deux principes par Wolff peut évo quer ce que Kant appelle le point de vue transcendantal :
Par la simple analyse des concepts, on peut démontrer, selon Wolff, qu'il n'existe que des choses entièrement détermi nées, que la matière est étendue, qu'elle est un agrégat composé de substances simples ou éléments, qui ont en eux le principe de leur changement et de leur connexion avec tout le reste de l'uni vers . . . Kant qualifie Wolff d ' « excellent analyste ». L'édifice wolf fien de la connaissance se présente comme une chaîne ininter rompue de définitions et de démonstrations purement analyti ques : je n'affirme d'une chose que ce qui est expressément contenu dans son concept. Le critère de vérité, dans la philoso phie wolffienne, est donc un critère de logique formelle. Kant, quant à lui, réclame une logique transcendantale, c'est-à-dire une science de l'entendement pur et de la connaissance ration nelle, qui puisse déterminer l'origine, l'extension et la validité objective de ses connaissances. Le problème d'une logique trans
cendantale est donc de déterminer comment l'entendement par-
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vient à ses connaissances a priori, et non comme le fait Wolff, de les utiliser toutes faites. « Notre critique, remarque encore Kant, doit mettre absolu ment sous les yeux un dénombrement complet de tous les concepts souches qui constituent cette connaissance pure. Seu lement, elle s'abstient avec raison de l'analyse détaillée des concepts mêmes ainsi que du recensement complet de ceux qui en dérivent » (ibid. ) . Wolff a plutôt travaillé en aval, sans remonter à l a source de la légitimité des connaissances a priori (cf. 16 b et 16f). Kant reproche donc à la métaphysique dogmatique de ne pas avoir « fait la critique du pouvoir ou du défaut de pouvoir de la raison», dans les recherches importantes qui la conduisent au delà des limites de l'expérience : Dieu, l'âme, le monde. Ce sont précisément les objets que Wolff prétend déterminer a priori dans sa Théologie naturelle (première partie), dans sa Psycholo gie rationnelle, dans sa Cosmologie générale. A Leibniz 'comme à Wolff, Kant reproche d'avoir négligé la différence essentielle entre phénomènes et noumènes, entre monde sensible et monde intelligible. La philosophie de Leibniz et de Wolff a donc assigné à toutes les recherches sur la nature et sur l'origine de notre connaissance un point de vue tout à fait faux, en ne considérant la différence qu'il y a entre le sensible et l'intellectuel que comme une diférence logique, alors qu'elle est manifestement transcendantale et qu'elle ne porte pas seulement sur leur clarté ou leur obscurité, mais sur l'origine et le contenu de cette clarté et de cette obscurité, de sorte que, <par le sensible> notre connaissance de la nature des choses en eUes-mêmes n'est pas seulement obscure, mais nulle, et dès que nous faisons abstraction de notre constitution subjective, l'objet représenté avec les propriétés que lui attribuait l'intuition sensible, ne se trouve plus ni ne peut plus se trouver nulle part, puisque c'est précisément cette même condition subjective qui détermine la forme de cet objet comme phénomène (Critique, § 8).
Faute d'avoir considéré cette diférence, Wolff, à la suite de Leibniz, ne pouvait qu'intellectualiser les phénomènes, et confondre ce que les choses sont en elles-mêmes avec la
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manière dont elles nous apparaissent (la manière dont elles nous sont données dans l'intuition sensible), ou encore avec la manière dont nous devons nous les représenter pour pouvoir les synthétiser dans un système de l'expérience. Quoi qu'il en soit, l'entreprise métaphysique de Wolff n'aura pas été menée en pure perte. Wolff a liquidé la doctrine leibni tienne de l'harmonie préétablie. Son disciple Martin Knutzen, maître de Kant, en a profité pour rétablir un système des causes efficientes et de l'influence réelle des substances (âmes et corps) les unes sur les autres. Wolf et Knutzen ont ainsi débar rassé la métaphysique allemande de toute intervention divine dans le processus de la connaisance. Kant affirmera, dans la
lettre à Marcus Berz du 21 février 1 772, que « le deus ex machina est, dans la détermination de l'origine et de la validité de nos connaissances, ce qu'on peut choisir de plus extravagant et il comporte, outre un cercle vicieux dans la série logique de nos connaissances, l'inconvénient de favoriser tout capÏice, toute pieuse ou creuse chimère ». A la suite de Wolff et Knutzen, on peut dire que Kant embrasse la « seule foi » dans l'autonomie épistémologique et morale de la raison humaine. Plus prudent que son maître Knutzen, Kant ne s'aventurera pas à expliquer l'accord entre l'entendement et la sensibilité, facultés totalement hétérogènes qui collaborent pourtant si bien dans l'expérience, sinon en affirmant qu'elles ont « une racine commune, mais inconnue de nous » (Critique. Introd. in [me). Moyennant quoi, Kant allait pouvoir tirer enfin au clair le mystère de la métaphysique . . .
Il. Le mystère
de l a métaphysique selon Kant
1 . Mission impossible
D'après tout ce qui précède, on pouvait s'attendre à voir Kant rayer d'un trait de plume toutes les tentatives jusqu'alors effectuées en métaphysique.
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« L a métaphysique, écrit Kant en 1 763, est sans doute la plus difficile de toutes les connaissances humaines, mais on n'en a jamais encore écrit une » (Recherches sur l 'évidence des principes de la théologie naturelle et de la morale, Irc considéra tion, § 4). Kant reprend à son compte l'idée que « rien n'est plus préju diciable à la philosophie que les mathématiques, c'est-à-dire l'imitation qu'elle en fait dans la méthode de penser » (ibid. , IIc considération). De même, l'Essai pour introduire en philoso phie le concept des .grandeurs négatives condamnera, dès son avant-propos, « l'imitation jalouse » de la méthode géométrique dans les propositions philosophiques. S'il est bon de procéder d'une manière strictement systéma tique (cf. 16 d), ce ne doit pas être pour confondre connais sance mathématique et connaissance métaphysique. En mathématique, remarque Kant, on commence toujours par la définition. Nous construisons nos concepts (de droite, de triangle, de cercle, d'ordre, de proportion, de mesure) au moyen d'une définition, qui détermine entièrement le concept en question. Car nous n'avons pas affaire à des objets sensi bles particuliers, mais à des intuitions pures de l'espace (figure, position . . . ) et du temps (mouvement, succession, nombre. . . ) (cf. 6 d). En métaphysique, au contraire, le point de départ est vague et indéterminé. Les concepts de cause, de monde, de nécessaire, de contingent doivent être élucidés à force de comparaisons, d'analyses de nos connaissances, et d'expériences. C'est du moins la position de Kant en 1 763. La connaissance mathéma tique est synthétique : elle compose des éléments de définition (côté, nombre, angle, distance, égalité . . . ) pour produire ses théorèmes et développer les propriétés des choses définies. La connaissance métaphysique doit être analytique. Elle consiste à décomposer une connaissance vague et à la résoudre en ses élé ments constitutifs (ibid. , III< considération, § 1). A ce stade de sa réflexion sur la réforme à entreprendre dans la métaphysique, Kant place tous ses espoirs dans l'imitation de la méthode newtonienne.
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« La vraie méthode de la métaphysique est au fond identique à celle que Newton a introduite en physique. On doit rechercher,
au moyen d'expériences sûres, le cas échéant avec l'aide de la géométrie, les règles d'après lesquelles se produisent certains phénomènes de la nature » (Ibid. , Ile considération). Toutefois, on l'a vu avec Locke et Hume, la transposition des opérations de l'entendement dans le domaine de l'expé rience n'est pas vraiment probante. C'est ce dont Kant prend conscience au moment de la Dissertation de 1 770, qui réélabore la distinction entre la synthèse et l'analyse, et surtout remet à l'honneur la distinction entre le monde intelligible et le monde sensible, qui prépare, sans coïncider avec elle, la distinction de tous les objets en général comme phénomènes (objets des sens) et comme choses en soi (c'est-à-dire dans la mesure où ils ne sont pas objets de notre intuition sensible).
2. Le tournant de l a Dissertation et la clé du mystère
La Dissertation de 1 770 souligne le désaccord, voire la dis cordance qui se produit entre notre faculté sensible et notre faculté intellectuelle. Ainsi, le concept intellectuel de monde (objet de prédilection de la métaphysique wolffienne) est celui d'une totalité ultime de choses existantes, formant un tout qui ne soit plus à son tour une partie d'un ensemble plus vaste. Notre intuition sensible, elle, ne nous donne à connaître que des parties dont nous ten tons d'opérer la synthèse, de manière successive (tous les phé nomènes ne nous sont pas donnés en même temps) et incom plète (ils ne nous sont pas tous donnés). Nos facultés de connaissance nous proposent donc d'un côté la forme abstraite d'une unité de tous les éléments et de toutes les parties du monde, et de l'autre, l'ébauche d'un monde sen sible, dont nous découvrons successivement les parties, la cohé rence et l'unité effective. Les principes de notre connaissance par rapport au monde doivent donc être radicalement séparés, si l'on ne veut pas,
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comme Leibniz et Wolf, se contenter d'un système intellectuel du monde qui intellectualise les phénomènes.
Kant se trouve contraint de distinguer : - d'une part le principe de la forme du monde sensible, qui contient la raison du lien universel de toutes choses consi dérées comme phénomènes, c'est-à-dire relativement à la sensibilité propre à l'esprit humain ; - et d'autre part le principe de la forme du monde intelligible, par lequel sont liées toutes les choses, telles qu'elles existent en soi, et non telles qu'elles se présentent à nous. Les principes de la forme du monde sensible sont pour nous l'espace et le temps. Il faut entendre par là les conditions sous lesquelles des parties du monde nous sont données successive ment comme objets des sens et peuvent être coordonnées dans notre intuition. Ces conditions de la sensibilité humaine esquis sent donc l'unité du monde sensible. Selon ces conditions de l'espace et du temps, atrrrme Kant, « il est nécessaire que toutes les choses qui peuvent être objet des sens paraissent se ratta cher nécessairement au même tout ». Mais cette nécessité reste une condition subjective de notre façon de connaître les choses ; elle n'indique en rien leur manière d'être. Quant au principe formel du monde intelligible, il est discuté avec soin. Plusieurs substances contingentes étant données, le principe de leur coordination ne peut être dérivé de leur seule existence. Seule une dépendance métaphysique par rapport à un fondement commun rend possible le commerce des subs tances entre elles, leur action réciproque, leur mutuelle influence physique dans la constitution d'un tout réel. Or, la conciliation de ces deux points de vue est, d'après Kant, un véritable supplice pour le philosophe. Dans la lettre qu'il adresse à Marcus Herz le 21 février 1 772, Kant s'avise qu'il a manqué à ses recherches quelque chose d'essentiel, « qui constitue la clé de tout le mystère, celui de la métaphysique jusqu'ici encore cachée à elle-même ». C'est le pro blème du lien entre nos représentations (ce que nous avons à l'es prit) et les objets auxquels elles se rapportent.
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1 Premières leçons sur Critique de �
la raison pure
de Kant
Le mystère de la représentation en nous des objets sensibles.
Par quel mystère une simple représentation (la conscience d'une impression sensible . . . ) peut-elle donc représenter quelque chose, correspondre à un objet extérieur à moi ? La réponse de Kant consiste à souligner, comme la Dissertation le laissait déjà entendre, que « la représentation ne contient que la façon dont le sujet est affecté par l'objet ». C'est ainsi seulement que nos représentations sensibles peuvent être conformes aux objets : il faut alors entendre par objets non pas ce que les choses sont en elles-mêmes, mais la manière même dont notre facuIté sensible est affectée par elles. Spectaculaire déplacement de sens dont la Critique tirera toutes les conséquences. L'objet sur lequel por tent nos connaissances n'est plus la chose en soi, mais « l'objet de l'intuition sensible » ou « phénomène ». Et la façon dont se présente le phénomène n'est pas indépendante de la structure de notre sensibilité. Car le phénomène n'est pas ce qui nous apparaît, mais la façon dont nous apparaît ce quelque chose qui nous apparaît, même si nous ne pouvons rien savoir, faute d'un mode d'intuition non sensible, de ce quelque chose. Mais . . . « les exemples vivants sont d'un autre pouvoir ». Exemple : Vous avez sous les yeux, entre les mains, un livre sur la couverture duquel on peut lire « Premières leçons sur la Critique de la raison pure. ». Qu'est-ce qui vous garantit que la représentation que vous vous faites de ce livre correspond à une réalité absolue ? Car enfin, que connaissez-vous de ce livre, sinon une suite d'impressions produites sur vous - au toucher (texture de la jaquette, épaisseur des pages, dimension), à la vue (couleur, contour, volume, caractères imprimés), à l'odo rat, au goût (si vous le « dévorez »), à l'ouïe (si vous le déchirez) - c'est-à-dire des modifications de votre sensibilité. Si donc vos représentations peuvent correspondre à quelque chose d'extérieur à votre esprit, ce ne sera pas à ce que « cette chose » peut être indépendament de votre faculté sensible (en l'occurrence, le livre en soi), mais bien à la manière dont elle vous apparaît. Pour autant, « ce livre » n'est pas une fiction. Il possède une réalité indépendante de vos impressions. « Car autrement, dit Kant, on arriverait à cette proposition absurde ..
L'histoi re d ' une œuvre : l'Ancien Régime et la Révol ution
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qu'il y aurait apparition <en allemand Erscheinung, plus sou vent traduit par phénomène>, sans qu'il y ait rien qui appa raisse (ohne etwas < . . . > was da erscheint) ) (14j) . Mais cette réalité, cette chose-là qui apparaît, ne vous est donnée que selon la forme de votre intuition sensible. Il y a bien (< un livre » qui vous est donné à connaître, mais ce n'est pas le livre que vous connaissez. De ce livre en soi, vous ne sauriez connaître que la manière dont il vous apparaît, et cette manière est propre à l'organisation de vos facultés sensorielles. .. Le problème de l'application de nos représentations intellec tuelles aux représentations sensibles.
Voilà donc « réglée » la question de la conformité entre mes représentations sensibles et les objets qui leur correspondent. Je dois toujours distinguer deux sens du mot objet : l'objet tel
Mes représentations sensibles ne me donnent accès qu'au premier. Comme le répé tera la Critique, les objets ne nous sont donnés que « dans le phénomène », c'est-à-dire comme objets de l'intuition sensible. Le problème devient alors de savoir comment nos représen tations intellectuelles (nos concepts a priori, indépendants de toute expérience), qui ne sont donc pas des modifications de notre esprit par des objets extérieurs, peuvent encore concerner ces objets. Comment les catégories (quantité, qualité, relation - substance, cause et effet... - modalité) peuvent-elles s'appli quer aux intuitions sensibles ? Quelle validité ces concepts purs peuvent-ils avoir par rapport à des objets sensibles ? C'est tout l'objet d'une page de la seconde Préface que d'indiquer l'issue donnée à cette difficulté (cf. 1 1 , et notament 11 e,f, g). Kant explique ainsi à Marcus Herz le dilemme où se trou vait enfermée la relation entre nos représentations et les objets : « Notre entendement n'est pas, par ses représentations, la cause de l'objet (à l'exception des fins bonnes en morale, pré cise Kant). » En effet, quand je veux le bien, cette représenta tion du bien produit une détermination réelle de ma volonté, alors que ma représentation d'une relation de cause à effet ne saurait produire aucun enchaînement de phénomènes. qu'il m'apparaît et tel qu'il est en lui-même.
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Premières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
Pas davantage, l'objet n'est la cause (au sens d'une produc tion réelle) des représentations de l'entendement, même si c'est à l'occasion de telle séquence de phénomènes que je mets en œuvre le concept de causalité. Les concepts purs de l'entendement ne peuvent donc ni être abstraits des impressions des sens, ni en résulter passivement.
« Ils doivent avoir leur source, dit Kant, dans la nature de l'âme sans pour autant être causés par l'objet ni produire eux mêmes l'objet. » « Dans la Dissertation, reconnait Kant, je m'étais contenté d'exprimer la nature des représentations intellectuelles de façon purement négative, en disant qu'elles n'étaient point des modifi cations de l'âme par l'objet. Mais comment donc était possible autrement une représentation qui se rapporte à un objet sans être d'aucune façon affectée par lui, voilà ce que j'avais passé sous silence. J'avais dit : Les représentations sensibles représen tent les choses comme elles nous apparaissent, et les représenta tions intellectuelles <nous représentent les choses> comme elles sont. Mais par quel moyen ces choses nous sont-elles donc données, si ce n'est par la façon dont elles nous affectent ? Et si de telles représentations intellectuelles reposent sur notre acti vité interne, d'où vient la concordance qu'elles doivent avoir avec des objets qui ne sont pourtant pas produits par elles ? » Kant; on l'a vu , refuse la solution d'une influence surnatu relle : Il récuse toute médiation d'un entendement divin qui aurait établi à l'avance un accord entre nos représentations intellectuelles et les objets sensibles. Le problème que posait Leibniz, touchant la capacité représentative de notre âme « ( tout lui naît de son propre fonds, par une parfaite spontanéité à l'égard d'elle-même, et pourtant avec une parfaite conformité aux choses du dehors » ), Kant veut le résoudre, non par une harmonie pré établie, mais par l'incessante collaboration de l'entendement et de la sensibilité. « Notre connaissance par expérience, dira l'Introduction de la Critique, est un composé de ce que nous recevons des impres sions sensibles et de ce que notre propre pouvoir de connaître
L'histoire d'une œuvre : l 'Ancien Régime et la Révo l ution
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(simplement à l'occasion des impressions sensibles) produit de lui-même. » En effet, « d'une part, les objets qui frappent nos sens pro duisent par eux-mêmes des représentations et d'autre part, ils mettent en mouvement notre faculté intellectuelle, afin qu'elle compare, lie ou sépare ces représentations, et travaille ainsi la matière brute des impressions sensibles pour en tirer une connaissance des objets, qu'on nomme expérience ». Mais cette activité intellectuelle, si elle s'exerce sur une matière sensible, reste un pouvoir de connaître indépendant de l'intuition sensible. Elle est capable de produire des connais sances a priori, toute la question étant de défInir les conditions légitimes de l'application de ces connaissances a priori aux objets de la sensibilité.
3. Les jugements synthétiques
a
priori
Entre la réceptivité passive de l'intuition sensible, et l'acti vité spontanée de l'entendement, il faudra bien qu'il y ait un accord, et cet accord a lieu, comme le prouvent les progrès accomplis dans le cadre de nos connaissances scientifiques. C'est pourquoi Kant va s'employer à montrer comment le succès des sciences repose sur l'utilisation des jugements synthéti ques a priori. De quoi s'agit-il ?
Kant appelle
la proposition qui ne fait Par exemple, le concept de corps contient les caractères d'étendue, d'impéné trabilité, de figure. Je puis donc affirmer, sans avoir besoin de sortir du concept de corps, que tous les corps sont étendus, impénétrables, ont une figure. . . Les jugements analytiques n'étendent donc nullement nos connaissances, ils développent seulement les concepts que nous avons déjà. Il en va autrement pour les jugements synthétiques. Ils ajou tent au concept un caractère ou une propriété qui n'étaient pas compris dans la définition. C'est le cas, selon Kant, de la pesan teur, laquelle ne m'est connue que par l'expérience. Que tous jugement analytique
qu'expliciter les caractères d'un concept.
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Premières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
les corps sont pesants, je ne puis le savoir que par expérience. Encore l'expérience ne me donne-t-elle jamais la certitude pour tous les corps. La question que pose Kant est alors de savoir comment est possible d'étendre nos connaissances a priori, c'est-à-dire de sor
tir de nos concepts de matière, de changement, de quantité, pour leur ajouter de nouvelles déterminations, et cela sans le secours de l'expérience. Jusque-là, nos jugements synthétiques sont a posteriori, dans la mesure où ils empruntent à l'expé rience des informations qui nous permettent d'enrichir nos concepts (comme on vient de le voir à propos du concept de corps). Pouvons-nous envisager des jugements synthétiques a priori ; a priori, c'est-à-dire universels et nécessaires, indépendants de l'expérience, puisque l'expérience ne nous donne jamais que du particulier et du contingent, si régulier et constant fût-il, et qui cependant puissent s'appliquer à elle ? Oui, répond Kant sans hésiter. Les mathématiques sont pleines de tels jugements, et l'entendement commun lui-même n'en est pas dépourvu, comme c'est le cas dans la proposition tacitement admise : tout changement doit avoir une cause. Cette proposition est selon Kant impossible à dériver de l'expé rience, contrairement à ce que prétendait Hume, et cependant elle est un principe pur indispensable pour que l'expérience même soit possible, c'est-à-dire pour que nous puissions lier en une trame cohérente les représentations qui nous viennent des sens. « Tout ce que notre entendement tire de lui-même, récapi tulera Kant, sans l'emprunter à l'expérience, n'a pourtant d'autre destination que le seul usage de l'expérience. » Le progrès des sciences mathématiques et physiques repose, avons-nous dit, sur la mise en œuvre de connaissances synthéti ques a priori. Procédant par construction a priori d'après de simples concepts, ou anticipant la forme générale de l'expérience, le mathématicien ou le physicien parviennent à étendre la sphère des connaissances a priori, au moyen de jugements qui ne se contentent pas de décomposer des concepts en leurs caractères,
L'histoire d'une œuvre : l 'Ancien Rég ime et la Révolution
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mais qui proposent une synthèse du concept avec d'autres caractères ou d'autres concepts. On chercherait en vain, dans les concepts de figure, de côté, et de nombre trois, qui sont les caractères du concept de triangle, la propriété selon laquelle la somme des angles inté rieurs du triangle vaut deux angles droits. Et pourtant, cette propriété est démontrable a priori, elle ne dépend pas de l'expé rience. Nul besoin de procéder à des mesures vérificatoires sur des triangles réels (des figures dessinées), aucune « confirmation expérimentale » n'ayant de validité universelle et nécessaire (cf. 6 d). De même, toujours selon Kant, une proposition arithmé tique comme « 7 + 5 = 1 2 » ne résulte pas d'une simple analyse de concept. Le nombre 1 2 n'est ni un caractère de 7, de 5, de + ou de = . Il est produit par une opération synthétique de cons truction progressive. De même encore, en physique, les propositions : « Dans tous les changements du monde corporel, la quantité de matière reste inchangée », et « dans toute communication du mouve ment, l'action et la réaction doivent être toujours égales l'une à l'autre ». Ainsi, les jugements synthétiques a priori constituent la clé du succès de ces sciences. Mais tout jugement synthétique a priori n'est pas le vecteur d'une connaissance rigoureuse. L'usage imprudent que la raison humaine a fait des jugements synthétiques a priori au cours de ses tentatives métaphysiques, par exemple dans la proposition : « Le monde doit avoir un premier commencement », n'est pas à son honneur. Faute d'avoir établi les conditions dans lesquelles elle pouvait faire usage de ces connaissances a priori, la raison métaphysique s'est livrée à des contradictions sans fin. Ces contradictions, Kant les expose dans la Dialectique transcendantale. Il y montre comment la raison s'épuise dans sa quête de l' absolu ou inconditionné (l'âme, le monde ou Dieu), alors que nous n'avons affaire qu'à des phénomènes, et qu'au cune chose absolument simple, aucune totalité absolue, aucun être absolument nécessaire ne nous sont jamais donnés dans
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1 Premières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
l'expérience. La seconde Préface fait plusieurs allusions appuyées à l'échec d'une raison aventureuse qui cherche l In conditionné là où il ne peut pas être : dans les phénomènes (cf. I l l, m et 12 e,f, g, h, i,J). Il faut donc surveiller la raison dans ses prétentieuses tenta tives de dépasser les limites de l'expérience sensible, la seule à laquelle, selon Kant, nous ayons accès. C'est pourquoi le pro blème spécifique de la raison pure tient désormais, selon Kant, dans cette question : Comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? Comment ? et non : Sont-ils possibles ? Car les sciences et même l'entendement commun ont montré que ces jugements étaient indispensables à notre connaissance d'expérience elle même. La fameuse question des « conditions de possibilité » de la connaissance a priori porte sur des conditions d'exercice, non sur des conditions d'existence. Le problème est donc bien de montrer la légitimité de ces jugements a priori, contre lesquels le scepticisme de Hume a fait appel, puis d'examiner sous quelles conditions la métaphysique peut, elle aussi, y avoir recours, afin de pouvoir enfin prétendre au titre de science. '
2 L 'œuvre d'un mot : une entreprise de refondation
Le schéma que nous présentons maintenant suit le déroule ment de la seconde Préface. Encore une fois, il ne s'agit pas de remplacer le texte par une paraphrase simplificatrice, mais seu lement de reconstituer sa trajectoire, en signalant les virages dangereux , les passages glissants ou les tunnels obscurs. D'ail leurs, Kant s'excuse lui-même à plusieurs reprises du défaut d'élégance et de clarté auquel l'a contraint l entreprise de refon dation de la métaphysique comme science. Le texte de la seconde Préface n'en possède pas moins la vigueur d'un manifeste et la radicalité d'un discours de la méthode, la chaleur d'un plaidoyer en même temps que la sévé rité d'un réquisitoire. . . '
1 . Vue d'ensemble
Dix-sept alinéas d'inégale importance composent le texte de la seconde Préface. Les neufs premiers déplorent les tâtonne ments de la métaphysique, comparés au progrès ou à la stabilité des sciences (1 à 9). Tout le début de la seconde Préface est scandé par l'opposition entre ce constat d'échec et l'explication du succès des sciences. Jusqu'à ce que Kant entreprenne d expli quer l'échec de la métaphysique, et de lui appliquer un remède analogue à celui qui s'est révélé si profitable dans les sciences. '
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Premières leçons sur Critique de la raison pure de Kant
Les cinq alinéas suivants étudient la possibilité d'un change ment de méthode en métaphysique, à l'exemple de celui qui a permis le succès de la Géométrie et de la Physique (JO à 14). Rappelons qu'il s'agit seulement d'imiter un exemple, et non de suivre un modèle. La métaphysique n'a pas affaire aux mêmes objets que la Logique, les Mathématiques ou la Physique. Même si c'est bien une même raison pure dont le pouvoir est en jeu, ce pouvoir s'exerce différemment suivant qu'il s'agit de déterminer des phénomènes, de construire des rapports mathé matiques ou de penser Dieu, l'âme, la liberté . . . Les trois derniers alinéas situent l'entreprise critique par rapport à la philosophie scolastique et à la « philosophie popu laire ». Il s'agit d'éviter tout malentendu : la critique kantienne se présente comme une refondation scientifique de l'ancienne métaphysique, et non comme sa liquidation pure et simple. 2. Déroulement
1 a énonce un critère simple pour comparer le travail de la raison à « la voie sûre des sciences » : le résultat. 1 b ,' une mauvaise démarche se signale par des rebrousse ments fréquents et un embarras final. 1 c ajoute le désaccord des collaborateurs sur la marche à suivre. 1 d: il faut, en pareil cas, passer du rebroussement perma nent au renoncement et redéfinir le but à atteindre. 2 a, b présente la Logique comme une science achevée. 2 c récuse tous les ajouts dont on a voulu affubler cette discipline. 2 d signale le défaut général qui consiste à étendre et confondre les limites des sciences : l'objet de la Logique doit se limiter aux règles formelles de toute pensée. 3 a explique le succès de la Logique par sa limitation même à la forme de l'entendement. 3 b : en dehors de son déploiement dans la Logique, la rai son n'a pas ce privilège : elle ne peut faire abstraction des objets auxquels elle s'applique.
L'œuvre d'un mot : une entreprise de refondation
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3 c : elle doit donc mettre au point dans les sciences un mode d'acquisition des connaissances qui ne soit pas purement formel. 4 a : Kant distingue la connaissance théorique de la raison (celle qui détermine des objets au moyen de concepts) et la connaissance pratique (morale) qui réalise des fins. 4 b : chacune de ces connaissances, comme chaque science, possède une partie pure, dont les connaissances sont a priori (antérieures à toute expérience). 4 c : il importe de savoir quelles sont les ressources dont dis pose le pouvoir a priori de la raison dans ses différents usages. 5 a : Kant lance l'enquête sur l'exercice de ce pouvoir a priori dans la Mathématique et la Physique. 6 a : après bien des tâtonnements, la Mathématique s'est tracé elle-même une voie sûre. 6 b : ce tracé résulte d'une révolution dans la méthode. 6 c : l'invention des Éléments d'Euclide inaugure le règne d'une géométrie a priori. 6 d : par exemple, la démonstration des propriétés d'une figure repose sur une construction a priori à partir de concepts purs, et non sur une simple analyse de concepts, pas plus que sur l'observation de figures tracées. 7 a rappelle la lenteur de l'avènement de la Physique, plus récent. 8 a : les expérimentations de Galilée (loi de la chute des corps), de Torricelli (découverte de la pression atmosphé rique) consistent à provoquer et à anticiper le déroulement des phénomènes. 8 b : ils ont ainsi rattaché leurs observations et leurs mesures à une exigence rationnelle de liaison nécessaire et régulière entre les phénomènes attendus. 8 c : c'est la raison qui détient les principes généraux d'une synthèse des expériences. Elle propose des lois a priori de l'en chaînement des phénomènes et interroge la nature en fonction de ces lois. 8 d: ainsi, la raison physicienne apprend des phénomènes de quelle manière ils se soumettent à son exigence de légalité a priori.
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Premières
leçons sur Critique de la raison pure
de Kant
9 a : la métaphysique est à la fois la plus fondamentale et la plus retardée des sciences. 9 b : elle est encore incapable de justifier les connaissances a priori les plus élémentaires (comme par exemple le principe : tout changement doit avoir sa cause). 9 c. d. e : elle n'est qu'égarement ( = 1 b), c'est une arène de combats futiles et sans issue (= 1 c) , elle demeure au stade des tâtonnements abstraits (= 1 c) . 10 a : le penchant métaphysique, profondément ancré en l'homme, est source de connaissances illusoires. 10 b : ce n'est pas la raison qui nous trompe, mais nous qui ignorons le mode d'emploi de la raison en métaphysique.
3. Où les difficultés commencent . . .
I l a : la Métaphysique peut-elle imiter le changement de méthode si profitable à la Mathématique et à la Physique ? I l b : l'hypothèse que nos connaissances se règleraient sur leurs objets ne pennet pas d'expliquer que des connaissances soient possibles a priori (i.e. avant que ces objets nous soient donnés). I l c : supposons au contraire que ces objets doivent se régler sur notre mode de connaissance. Il d : cette inversion des places ressemble 'au passage coper nicien du géocentrisme à l'héliocentrisme. Il e : la métaphysique doit tenter une révolution de ce genre. D'a:bord, les ebjets des sens se règleraient sur la nature de notre intuition (ce qui veut dire que nous disposerions en nous mêmes de formes a priori des objets sensibles en général). Il/, g : les, objets intuitionnés se règleraient à leur tour sur les formes a priori de notre entendement, les concepts purs ou catégories (ce qui signifie que nous disposerions en nous-mêmes de la forme de l'expérience en général). Il h : ainsi s'expliquerait l'accord entre les objets qui nous sont donnés dans l'expérience et les formes a priori de notre connaissance (sensible et intellectuelle).
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I l i souligne que les objets, dans la mesure où ils ne nous sont pas donnés dans l'expérience, mais sont sewement pensés par la raison, ne contiennent rien que ce que nous y mettons nous-mêmes. La note 1 1j, k, l, m précise cette proposition énigmatique. Certaines connaissances a priori de la raison pure (les proposi tions métaphysiques sur Dieu, le commencement du monde, l'immortalité de l'âme, la liberté, etc.) échappent au verdict de l'expérimentation. Kant constate que, quand elle se risque, sans y prendre garde, au-delà des limites de toute expérience possible, la rai son pure spéculative tombe inévitablement en conflit avec elle� même (11 m). (Kant en réserve la démonstration dans la Dia lectique transcendantale, notamment dans le chapitre sur l'Antinomie de la raison pure où s'opposent sans issue thèses et antithèses : le monde a un commencement / le monde n'a pas de commencement ; il y a une causalité par liberté / tout arrive selon les lois de la nature ; il Y a un être nécessaire, cause du monde / il n'y a pas d'être nécessaire . . . ). Mais dès que l'on prend soin de distinguer les objets purement rationnels (Dieu, la totalité absolue des choses existantes, l'âme, etc.) et les objets tels qu'ils sont donnés à nos sens et soumis à notre entende ment pour la synthèse de l'expérience, alors la contradiction disparaît. Les aventures de la raison pure, tantôt heureuses, tantôt malheureuses, permettent en ce sens d'expérimenter le caractère indispensable du « double point de vue sur les objets, d'une part comme objets des sens et de l'entendement pour l'expérience, et d'autre part comme objets que l'on ne fait que penser . . . » (11 1) .
4. Où l' « i nconditionné » entre en scène
12 a annonce le succès de la tentative effectuée (11 c et e) La métaphysique ne doit s'occuper que de concepts a priori auxquels des objets correspondants peuvent être donnés dans l'expérience. •
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1 Premières leçons sur Critique de la 12 b : les connaissances a
raison pure
priori,
de Kant
quoique non dérivées de
l'expérience, seront alors néanmoins applicables à l'expérience. 12 c : la métaphysique n'a donc pas le droit de dépasser les
limites de l'expérience possible. 12 d : notre connaissance d'expérience
n'atteint que des phé
nomènes. 12 e : la raison métaphysique, elle, recherche un absolu ou inconditionné dans les choses en soi (Dieu, l'âme, la totalité des choses existantes). 12/, g : tant que nous admettons que notre connaissance d'expérience a accès à ce que les choses sont en soi, nous croyons pouvoir y chercher l'inconditionné (Dieu, l'âme, le monde) alors qu'en fait, limités à l'expérience, nous le cher chons dans la série des phénomènes. Cette quête, comme le montrera toute l a partie « dialectique » de la Critique, génère des contradictions sans fin (cf. llj, k, 1). C'est pourquoi (l2g) est nécessaire la distinction des objets comme choses en soi (indépendants de notre connaissance) et comme phénomènes (qui se règlent sur notre mode de représentation) (cf. 11 m) . 12 h : cette distinction permet d'échapper à la contradiction, en réservant la quête métaphysique de l'inconditionné aux choses en soi, qu'on se garde bien désormais de confondre avec les phénomènes. La note 12 i compare ces opérations à une manipulation chi mique. On commence par séparer les produits (acides et bases : choses en soi et phénomènes). On tente leur synthèse pour obtenir l'inconditionné et on s'aperçoit que la réaction produite n'est pas confusion des éléments : la neutralisation ou la réduc tion de l'acide par base (de la chose en soi par le phénomène) suppose leur distinction . . . 12}: k entrevoit l a possibilité de déterminer l e concept rationnel de l'inconditionné autrement que par la raison pure spéculative (théorique) : les données de la raison pratique, i.e. les fins morales de l'homme qui répondent à la question Que dois-je faire ? et non plus Que puis-je savoir ? 12 / est la note qui rétablit le vrai sens de la révolution copernicienne (cf. notre remarque au début de 3 - Les thèmes à
L'œuvre d'un mot : une entreprise de refondation
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l'œuvre). L'insistance de Kant à présenter sa révolution dans la méthode comme simple hypothèse (alors qu'il l'estime complè tement vérifiée : 12 a, h, z) peut être une allusion à la condamna tion de Galilée, interdit d'enseigner le mouvement de la Terre, « même à titre d'hypothèse ». 13 a, b, c affirme le caractère exhaustif et systématique du changement de méthode proposé.
13 d: la raison est entièrement maitresse de ses connais sances a priori. 13 e : elle possède l'autonomie d'un corps organique. 13f: une fois rétablie, par la Critique, sur la voie sûre d'une science, la raison peut assumer elle-même la délimitation des principes de la connaissance a priori et fixer les limites de son usage.
5. Un problème de j u ridiction
14 a : l'utilité de la Critique est d'abord négative : contenir la raison dans les limites de l'expérience. Du même coup (l4 b) se révèle son utilité positive. L'extension hasar deuse de la raison pure théorique se fait au nom de principes (rechercher la cause et remonter la série des conditions pour chaque objet donné dans l'expérience) qui ne s'appliquent en fait qu'aux phénomènes. 14 c : en appliquant ces principes au-delà des limites de l'ex périence, on risque de réduire subrepticement les objets de la raison pratique (Dieu, l'immortalité de l'âme, la liberté) à de simples phénomènes (cf. plus loin 14 k et 14 t). 14 d : la restriction de la raison spéculative à la sphère des phénomènes délivre l'usage moral de la raison pratique des contradictions que la raison théorique produit dans le domaine du suprasensible quand elle applique à des choses en soi ses principes réservés aux phénomènes. 14 e : la Critique est une police de la raison : elle protège la sécurité de son usage moral contre la violence des conflits théoriques.
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Premières leçons sur
Critique
de la
raison pure
de Kant
14fet g rappellent en quoi consiste la restriction de la raison théorique : ses concepts doivent s'appliquer aux objets de l'ex périence qui lui sont donnés, non tels qu'ils sont en eux-mêmes, mais comme ils nous apparaissent, selon les formes de notre intuition sensible, c'est-à-dire conune phénomènes. 14 h : la restriction de la raison théorique aux seuls objets de l'expérience laisse intact notre pouvoir de penser a priori des objets qui ne sont pas connus dans l'expérience. La note 14 i indique que cette pensée d'un objet a priori pourrait bien avoir une valeur objective, dans les sources prati ques de la raison (son usage moral). 14j justifie la perspective d'une pensée d'un objet non connu dans l'expérience : le monde des phénomènes est adossé à un monde de choses en soi. Les phénomènes sont les apparitions pour notre faculté sensible de quelque chose qui est en soi. 14 k : sans la distinction de la chose en soi et du phénomène, les choses en soi se trouveraient elles aussi soumises au méca nisme universel de la nature. 14 / : l'âme humaine, unilatéralement soumise à la nécessité physique, ne pourrait être considérée comme libre. 14 m : la double signification de l'objet comme objet des sens et de l'entendement, et conune chose en soi me permet d'envisa ger la volonté : d'une part dans l'ordre des phénomènes, soumis aux lois de la nature, et d'autre part dans l'ordre des choses en soi, comme libre, échappant aux conditions des objets sensibles. 14 n : ainsi la liberté de l'âme n'est pas une connaissance déterminée par la raison théorique (comme l'ont cru Leibniz et Wolfl). Elle peut néanmoins être pensée, comme donnée de la rai son pratique.
14 o, p : la distinction critique rend possible la supposition de la liberté, ainsi délivrée des contradictions où les théories de Descartes, Leibniz et Wolff sur la nécessité et le libre-arbitre l'avaient enfermée. 14 q souligne la disjonction entre monde des choses en soi et monde de nos connaissances théoriques. 14 r : le même raisonnement vaut pour les objets de la psy chologie et la théologie rationnelles O'âme et Dieu) : ce ne sont
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pas de vraies connaissances théoriques. Mais on doit pouvoir les penser sans contradiction. 14 s : il faut donc que la raison spéculative soit dessaisie de la cause de Dieu, de la liberté, de l'immortalité de l'âme, puisqu'elle les rend contradictoires. Sans quoi la raison pratique ne pourra les penser.
14 t : il y a un vice de forme dans la procédure de la raison théorique à l'égard des affaires de la théologie, de la psycholo gie, de la cosmologie rationnelles. Ces domaines ne dépendent pas de sa juridiction, par conséquent elle n'y est pas compé tente. Son erreur consiste à traiter Dieu, l'âme et le monde comme de simples phénomènes. 14 u : c'est pourquoi il faut relever la raison théorique des fonctions qu'elle exerce dans le domaine des choses en soi, où elle applique à tort la loi des phénomènes. Cette confusion porte un grave préjudice à la moralité. 14 v, w : si l'on respecte les limites de ces domaines de juridic tion, la métaphysique peut entrer, après vingt-quatre siècles de tâtonnements, dans la voie sûre d'une science. 14 x déplore le gâchis que le dogmatisme en métaphysique a produit dans la formation intellectuelle. 14 y souligne le bénéfice « socratique » de la Critique : elle nous a rendus conscients de notre ignorance (cf. 14 q). 14 z : la métaphysique, comme disposition humaine, ne dis paraîtra jamais : il est donc urgent de tarir la source de ses erreurs, en neutralisant ses conflits dialectiques.
6. La Critique.
cc espoir
suprême et suprême pensée »
15 a atténue la portée de la révolution dans la manière de penser. Kant se veut rassurant : l'intérêt général de l'humanité est sauf, seules les écoles philosophiques se voient dépouillées de leurs possessions, d'ailleurs illégitimes. 15 b dénie aux preuves 1 / de la théologie rationnelle (exis tence de Dieu), 2 / de la cosmologie rationnelle (liberté de la volonté par rapport au mécanisme universel), et 3 / de la psy-
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Premières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
chologie rationnelle (pennanence de l'âme) toute influence en dehors de chaires de l'enseignement scolastique. 15 c : l'espérance d'une vie future, la représentation des devoirs qui fait naître, selon Kant, la conscience de la liberté ( « Tu dois, donc tu peux » ) la croyance en un sage auteur du monde inspirée de l'ordre et de la finalité de la nature, ne repo sent pas (15 d) sur de subtiles spéculations, mais elles restent accessibles à l'intelligence ordinaire, ce qui, au point de vue moral, est sufsant. Kant courtise ici l'homme de la rue. 15 e : ainsi, la réfonne de la métaphysique ne s'en prend qu'aux professionnels et à leur savoir inepte. 15J: toutefois Kant prend au sérieux les exigences du philo sophe spéculatif. La Critique ne sera pas plus populaire que le dogmatisme métaphysique qu'elle déboute. 15 g : elle seule nous épargne le scandale des disputes inter minables sur les questions essentielles de l'homme. 15 h : elle demeure le seul rempart contre le matérialisme, le fatalisme, l'athéisme, l'incroyance, le fanatisme, la superstition. 15 i : c'est donc l'entreprise critique, et non le despotisme des écoles, que les gouvernements doivent protéger. ,
7. Kant revendique l'héritage de la méthode scolastique
16 a, b : opposée au dogmatisme (qui prétend progresser sans critique préalable de la raison), la critique ne récuse pas la démarche dogmatique (fondée sur des démonstrations rigou reuses à partir de principes a priori) . 16 c : la philosophie dite « populaire »l n'est donc pas une alternative viable au dogmatisme, pas plus que le scepticisme. 16 d: l'exigence de présentation systématique et scolastique demeure indispensable en métaphysique. 1 . La Popularphilosophie. développée par Thomasius à Halle, et suivie dans les Universités prussiennes au début du siècle. Critique vi rulente de la philosophie scolas tique, elle définit la véritable érudition comme ayant une utilité perceptible dans la vie humaine, et conduisant à la félicité. Elle demande que soient bien distinguées lumière naturelle et surnature11e, philosophie humaine et savoir divin.
L'œuvre d'un mot : une entreprise de refondation
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16 e : l exemple de Wolff non sa doctrine reste donc à suivre. 16f: il ne lui a manqué, pour présenter la métaphy sique comme science, que la critique de l'instrument de la connaissance. 16 g : Kant méprise donc ceux qui, hurlant avec les loups, rejettent la méthode de Wolf. 1 7 a aborde la liste des modifications propres à la deuxième édition de la Critique. 1 7 b rappelle la solidarité organique des parties de la Cri tique (cf. 13 e), ce qui justifie le petit nombre de modifications apportées. 17 c : « l'invariable fixité du système » tient à ce qu'il engage « toute la raison humaine en général » 1 7 d, e signale les principales façades de la Critique qui ont subi un ravalement. La note 1 7f, dont nous ne donnons que les premières lignes rappelle que les corrections ne portent que sur le mode de dém ons tration, non sur la doctrine de la Critique, et sou ligne à quel point l'idéàlisme (qui ramène l'existence des choses extérieures à une simple croyance) est pour Kant un scandale. Il y a bien hors de nous une matière, des objets phy siques, mais nous ne connaissons d'eux que la manière dont ils nous apparaissent, et celle dont ils doivent se prêter à nos concepts a priori pour que nous puissions les lier en une expé rience. La matière de l'expérience existe en soi, nous ne la connaissons que selon certaines formes. L'idéalisme de Kant est pour cette raison un idéalisme formel, opposé à tout idéa lisme matériel, qu'il soit dogmatique (Berkeley) ou probléma tique (Descartes). 1 7 h ne désespère pas de voir de bons esprits s'engager sur les « épineux sentiers de la critique » 1 7 i s'en remet à eux pour améliorer l'exposition du détail de la Critique, qui n'est qu'une propédeutique (13 b disait : Un traité de la méthode et non un système de la science »). 17j annonce, en même temps qu'un proche anniversaire, le plan des travaux à venir : une Métaphysique de la Natu re , sui vie d'une Métaphysique des Mœurs. '
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Premières leçons sur Critique
de
la raison pure de Kant
1 7 k, l, m justifie encore l'unité indestructible du système, trop nouvelle pour être appréciée à sa juste valeur. Pourtant, seul le point de vue de l'ensemble peut résoudre toutes les contradictions apparentes. Les aspérités de l'œuvre doivent se polir mutuellement et produire - pourquoi pas ? - « toute l'élé gance désirable ». On croit rêver. . . L e lecteur est maintenant e n possession d'un itinéraire balisé qui, on l'espère, lui facilitera la traversée de certains passages de cette seconde Préface.
3 Les thèmes à l'œu vre : la paix aux frontières
Les thèmes à l'œuvre dans la Seconde Préface de la Critique de la raison pure sont orchestrés autour d'un motif central : comment faire entrer la métaphysique dans la voie sûre d'une science ? Pour satisfaire cette demande, il faut d'abord détermi ner ce qui fait qu'une science est une science. Toute science digne de ce nom repose, dans sa partie pure, c'est-à-dire indé pendante de l'expérience, sur la mise en œuvre de connais sances a priori. Dans quelles conditions ce genre de connais sances peut-il intervenir ? La mise en œuvre de ces connaissances a priori exige une révolution dans la manière de penser, qui ressemble, nous dit Kant, à la première idée de Copernic. Ce sera le premier thème souligné : I. La révolution dite « copernicienne ». EUe ne consiste pas, comme le laisse d'abord entendre Kant (11 d) , à déloger le sujet de la connaissance qui croyait occuper une position centrale, pour le reléguer à la périphérie. Cette présentation modeste est sans doute destinée à rassurer le lecteur, grâce à la prestigieuse caution de Copernic. Mais la vraie révolution consiste, comme Kant l'avoue plus loin, à « chercher l'explication des mouve ments observés, non dans les objets du ciel, mais dans leur spec tateur » (i2 /) . Assuré du succès d e cette révolution, malgré les sacrifices qu'elle coûte et les restrictions qu'elle impose au pouvoir de connaître, Kant entreprend de ramener la paix dans les terri-
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1 Premières leçons sur
Critique de la raison pure
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toires occupés par l'ancienne métaphysique et la théologie. C'est pourquoi, dans un deuxième temps, on propose de définir la stratégie kantienne d'apaisement des conflits métaphysiques, sous le titre : II. Espoirs de paix en métaphysique. On y expo sera la manière propre à Kant de philosopher, en évoquant sa conception de l'explorateur, du géographe, de l'architecte et du géomètre en métaphysique. La distinction entre chose en soi et phénomène, qui est la loi suprême du tribunal de la raison pure, n'est pas seulement pro fitable à la métaphysique comme science, elle l'est aussi et sur tout à la morale, qu'elle contribue à émanciper du dogmatisme métaphysique et de l'autorité théologique (cf. la remarque assassine de 15 g). C'est le thème de l'arbitrage entre savoir et croyance, que nous développerons : III. La question des frontières : métaphy sique, théologie, morale et religion.
I. La révolution dite
«
copernicienne »
Pourquoi la révolution ? Parce que la métaphysique est res tée à un Ancien régime despotique et anarchique, alors que les sciences ont déjà élaboré une constitution qui leur a assuré la croissance et la prospérité. Cette constitution prévoit une limi tation précise du pouvoir de la raison, et une juste utilisation de ses connaissances a priori. Qu'est-ce à dire ?
1 . La juste utilisation des connaissances
B
priori
Nous sommes en possession de connaissances a priori (indé pendantes de l'expérience). Ces connaissances forment l'arma ture, la partie pure des sciences (comme par exemple, en phy sique, la proposition : « Dans tous les changements du monde corporel, la quantité de matière reste inchangée »). La méta-
Les thèmes à l'œuvre : la paix aux frontières
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physique entrera dans la voie sûre d'une science, dès lors qu'elle comprendra le rôle de ces connaissances a priori et qu'elle saura les utiliser à bon escient, c'est-à-dire seulement par rapport à l'expérience. « Tout ce que l'entendement tire de lui-même, sans l'em prunter à l'expérience, n'a pourtant d'autre destination que le seul usage de l'expérience », rappelle Kant au début du chapitre qui traite Du principe de la distinction de tous les objets en géné ral en phénomènes et noumènes. Mais comment est possible ce pouvoir de connaissance a priori. bel et bien réel ? D'où proviennent ces connaissances a priori? Par définition, elles ne viennent pas de l'expérience. Nous devons donc supposer que ces coDDaÏssaoces ne se règlent pas sur les objets qui nous sont dODDés dans l'expérience (11 c), mais qu'au contraire ce sont eux qui se règlent sur elles, puis qu'elles leur sont applicables. Comment cette supposition va-t elle être émise ?
2. U ne révolution à deux vitesses
Cette révolution s'accomplit en deux temps. D'abord, les objets des sens ne peuvent nous apparaître que d'une manière propre aux formes a priori de notre sensibi lité (11 e) . Ensuite, ces intuitions sensibles que nous recevons selon les formes de notre sensibilité, qui sont pour Kant l'espace et le temps, doivent se prêter à l'élaboration, par nos concepts a priori, d'une synthèse de l'expérience (l1f). Kant, on l'a longuement rappelé, affirme contre Locke et Hume que les concepts purs (de substance et d'accident, de cause et d'effet, etc.) ne sont ni dérivés ni abstraits de l'expé rience, à laquelle pourtant ils s'appliquent, mais bien des formes a priori de notre entendement. Mais pour que l'objet des sens ou phénomène se prête à un travail a priori de nos facultés de connaissance, il faut bien que la façon dont il nous est connu rencontre un élément a priori
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1 Premières leçons sur
Critique de la raison pure de Kant
dans ces facultés. C'est pourquoi, même dans la passive récep tion d'une impression sensible, la nature de mes facultés inter vient. Un peu comme un récipient donne une forme au liquide qu'il reçoit. La faculté sensible, par laquelle les objets me sont donnés (simplement comme phénomènes), contient déjà en elle même des représentations a priori, des formes pures de la sensi bilité : l'espace et le temps, sous lesquelles viennent s'ordonner toutes nos impressions sensibles. Ainsi la diversité sensible qui m'est donnée ne peut m'appa raître que selon certains rapports de coexistence spatiale et de succession temporelle. Le donné sensible se subordonne aux formes a priori de la sensibilité, propres à la nature de mon espfoit;' constitutives de mon pouvoir de connaître. Tous les phénomènes externes sont ainsi déterminés a priori « dims » l'espace et « dans » le temps. Mais attention, espace et temps ne sont pas ici des cadres objectifs. Ce sont les conditions subjectives de nos représentations sensibles. Us forment la trame des rapports dans laquelle doit s'insérer, pour nous, toute intui tion sensible. Je ne peux, étant donné l'organisation de mes facultés de connaissance, me représenter un objet autrement que selon des rapports spatiaux (figure, position, juxtaposition). De même, toutes les choses, en tant qu'objets de l'intuition sensible, sont pour nous « dans » le temps. Je ne peux me les représenter autrement que selon des rapports de permanence, de succession, de simultanéité. Espace et temps ne sont pas les propriétés des choses en elles-mêmes, mais les formes a priori de tous les phénomènes pour nous, c'est-à-dire la manière générale dont, nécessaire ment, ils nous apparaissent. C'est la doctrine que Kant appelle idéalité de l'espace et du temps. L'espace et le temps ne sont rien indépendamment des formes de notre connaissance. Ce sont des éléments a priori de notre connaissance sensible, non de la réalité.
Les thèmes à l'œuvre : la paix aux frontières
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3. Double bénéfice de cette doctrine
Cette doctrine a donc pour première fonction d'expliquer comment sont possibles des connaissances a priori. Dans la géométrie pure par exemple, nous disposons de ces intuitions a priori que sont l'espace et le temps, et nous pouvons raisonner sur leurs rapports, sans avoir à dépendre essentiellement de la réalisation de figures géométriques ou de courbes, lesquelles ne seront jamais aussi exactes et rigoureuses que ces connaissances a priori (6 d) . Mais Kant ne tarde pas à découvrir l'immense bénéfice, pour l'usage moral et non plus seulement théorique, de cette révolution dans la manière de poser le problème des relations entre nos connaissances et leurs objets. Si l'espace et le temps ne sont que les formes a priori de notre intuition sensible, propres à notre mode de représenta tion des choses, et non les cadres objectifs des choses elles mêmes, alors le mécanisme universel de la nature, c'est-à-dire la détermination spatio-temporelle de tous les événements, ne règne plus sans partage. Ce déterminisme de la nature est l'œuvre de notre entende ment qui synthétise l'expérience. Mais à côté de ce savoir théo rique, il reste une place pour la croyance morale en la liberté des actions. Nous avons le droit, sans risque de nous contre dire, d'envisager l'action morale comme quelque chose qui n'est pas déterminée par le temps qui la précède ou les circons tances qui l'entourent. Dans cette mesure, l'action morale sort du champ des phénomènes. Inversement note Kant : « Si les phénomènes sont des choses en soi, alors il n'y a plus rien à faire pour sauver la liberté » (Critique, p. 396). La distinction des choses en soi et des phéno mènes permet donc d'accorder l'idée de causes libres en morale avec la loi universelle de la nécessité de la nature. Ainsi, la distinction de la chose en soi et du phénomène s'avère capitale pour la morale. Elle permet « d'envisager la causalité d'un être <son pouvoir de causer des événements>
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Premières leçons sur Critique de la raison pure de Kant
sous deux points de vue : comme intelligible, quant à son action, considérée comme celle d'une chose en soi, et comme sensible, quant aux effets de cette action, considérée comme un phénomène dans le monde sensible » (cf. 14 m et n). Selon cette distinction, qui repose sur la double signification de l'ob jet, comme objet des sens et comme chose en soi, l'homme agit bel et bien dans le monde même si, comme être moral, il n'est pas du monde. Deux alinéas entiers de la Seconde Préface (cf. 12 et 14) sont consacrés à ce redéploiement de la métaphysique en direction de la morale. Dans son usage pratique, la raison peut enfin dépasser les limites de l'expérience possible (12 c) . La quête métaphysique de l'Inconditionné (12 e). c'est-à-dire d'une connaissance qui transcende toutes les conditions de la connaissance, et nous découvre une totalité absolue, un être absolument nécessaire, ou une substance absolument simple (l'âme), n'aboutit qu'à un échec retentissant. Tant que nous cherchons cet Inconditionné dans les phénomènes, nous ne récoltons que du vide ou des contradictions (12f) : l'âme, le monde et Dieu ne nous sont pas donnés comme objets, et nous risquons d'en dire n'importe quoi, lorsque nous nous aventu rons ainsi dans le champ du supra-sensible (12j) . C'est l'échec du dogmatisme en métaphysique. Mais si l'Inconditionné ne peut être cherché parmi les phénomènes, il peut et doit l'être dans le domaine de la connaissance pratique, qui est pour Kant celui de la morale, fondée, on l'a dit, sur le pouvoir causal d'un être considéré comme chose en soi. La place de l'Inconditionné, à laquelle prétendait la méta physique de la nature, et qu'elle doit laisser vide si elle ne veut pas succomber à ses contradictions, est désormais libre pour un usage pratique de la raison (12 k) . Il aura fallu barrer la route à l'extension supra-sensible de la raison pure théorique, pour rendre possible son extension pratique (14 q et t). Est-ce assez pour comprendre que Kant ait parlé « d'obtenir une place pour la croyance », le terme allemand (Glauben) désignant d'ailleurs la foi religieuse ? Suffit-il d'en appeler aux « bons sentiments » de Kant pour sa religion maternelle ? Ce serait oublier cette
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note de la Première Préface où Kant proclame : « Notre siècle est particulièrement le siècle de la critique à laquelle il faut que tout se soumette. La religion, alléguant sa sainteté < . > veut d'ordinaire y échapper ; mais alors elle excite contre elle de justes soupçons » (p. 6). C'est ce que nous examinerons à la fin de cette partie, dans la section III intitulée : La question des frontières : métaphysique, théologie morale et religion. Aupara vant, évoquons la croisade de paix que Kant entreprend en métaphysique. ..
...
II. Espoirs de p aix en métaphysique
L'entreprise de la Critique de la raison pure se présente comme l'avènement de la paix en métaphysique. En 1 796, au terme de quarante années d'enseignement à l'Université de Koenigsberg, Kant publiera un opuscule intitulé : Annonce d'un traité de paix perpétuelle en philosophie. Quels en sont les préliminaires ?
1 . Au-dessus de la mêlée
Kant prend acte du succès florissant des sciences mathéma tiques et physiques de son temps. Il le compare au triste état dans lequel se traîne la métaphysique, « champ de bataille de contestations sans fin », dit la Première Préface, ou encore « tombée, par suite de guerres intestines, dans la plus grande anarchie ». « Quant à l'accord de ses partisans dans leurs assertions, elle en est tellement éloignée qu'elle semble plutôt une arène particulière ment destinée à exercer les forces des lutteurs en des combats de parade et où jamais aucun champion n'a pu se rendre maitre de la plus petite place et fonder sur sa victoire une possession durable » (9 d) .
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1 Premières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
Au milieu des batailles que se livrent les écoles philosophi ques, Kant préfère le rôle d'observateur à celui de protago niste : pas question d'intervenir dans la mêlée. « Au lieu de frapper à coups d'épée, [conseiIle Kant], contentez vous plutôt de regarder tranquillement, placé sur le terrain sûr de la critique, ce combat qui doit être pénible pour les champions, mais qui pour vous est un passe-temps agréable dont l'issue à coup sûr, ne sera pas sanglante, mais fort avantageuse à vos connaissances » (Discipline de la raison pure, 2° section, p. 5 1 2) .
Plutôt que l'uniforme de forces d'interposition, Kant endos sera l'habit du juge : « On peut regarder la Critique de la raison pure comme le vrai tribunal de toutes les controverses de cette faculté ; car elle n'a pas à s'immiscer dans ces disputes qui portent immédiatement sur des objets, mais eUe est établie pour déterminer et juger les droits de la raison en général suivant les principes de son institution première. « Sans cette Critique, la raison demeure, en quelque sorte, à l'état de nature et, pour rendre valables et pour garantir ses affirma tions et ses prétentions, elle ne peut recourir qu'à la
guerre. La Cri
tique, au contraire, tirant toutes ses décisions des règles fondamen tales de sa propre institution, et dont l'autorité doit être reconnue par tout le monde, nous procure la tranquillité d'un état légal où il ne nous est pas permis de traiter notre différend autrement que par voie de procès. Dans le premier état, ce qui met fm aux désaccords, c'est une victoire dont les deux partis se vantent et que suit, ordinai rement, une paix mal assurée, établie par l'intervention d'une auto rité supérieure ; dans le second cas, c'est, au contraire, une sentence qui, remontant à la source des discùssions, doit assurer une paix éternelle. Les disputes interminables d'une raison simplement dog matique nous obligent elles-mêmes à chercher enfin le repos dans une critique de cette raison même et dans une législation qui s'y fonde »
(ibid. , p. 5 1 4) .
Kant veut donc terminer, devant un tribunal compétent, les conflits de la raison avec elle-même, mettre fin aux déchi rements entre thèses « rationalistes » et antithèses « empi ristes » sur le commencement du monde et ses limites, sur l'atomisme et le continuisme, la liberté ou le mécanisme de
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la nature, l'existence ou non d'un être nécessaire. Kant sou ligne, à la manière des sceptiques, la vanité de ces joutes sans vainqueur, où la fanfaronnade tient lieu d'argument (ibid. , p. 5 1 0). Il ridiculise la mythologie fantastique des polémiques sempiternelles : « Les deux partis frappent des coups en l'air et se battent contre leur ombre, car ils sortent des limites de la nature pour aller dans une région où il n'y a rien que leurs serresl dogmatiques puissent saisir et retenir. Ils ont bien combattu ; les ombres qu'ils pourfen dent se rassemblent en un clin d'œil, comme les héros du Walhalla, et ils peuvent toujours se donner le plaisir de combats aussi peu sanglants » (ibid., p. 5 1 7).
2. La paix parle chemin le plus long
Mais Kant ne veut pas se contenter de la dérision Il réclame une décision critique.
sceptique.
« On ne saurait admettre, non plus, un usage sceptique de la rai son pure, usage qu'on pourrait appeler le principe de la neutralité dans toutes les controverses. Exciter la raison contre elle-même, lui donner des armes des deux côtés et regarder alors tranquilement et d'un air raileur cette lutte ardente, cela ne fait pas bon effet au point de vue dogmatique, mais semble dénoter un esprit malin et méchant »
(ibid. ) .
Certes, « la manière sceptique de s e tirer d'un mauvaise affaire pour la raison semble être le plus court chemin pour arriver à une paix philosophique durable ». Mais Kant préfere prolonger la route jusqu'à une critique précise du pouvoir de la raison. Il s'agit de dépasser le simple constat d'échec, sans retomber dans une confiance aveugle. La simple neutralisation des combattants (au demeurant inoffensifs) ne peut produire qu'une indifférence blasée ou un mépris affiché contre toute 1 . Le terme allemand que traduit « serres » est Grife. Il consonne évidemment Degriffe (concepts), mais ici, aucune intuition ne donne prise aux concepts, qui
avec
demeurent vides.
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Premières leçons sur Critique de la raison pure de Kant
affirmation en métaphysique. Il s'agit de dépasser les différends et l'indifférence qu'ils ont fmi par engendrer. C'est pourquoi, dès la Première Préface, Kant invite la raison « à entreprendre à nouveau la plus difcile de toutes ses tâches, celle de la connaissance de soi-même, et d'instituer un tribunal qui la garantis dans ses prétentions légitimes et puisse en retour condamner toutes ses usurpations sans fondements, non pas d'une manière arbitraire, mais au nom de ses lois éternelles et immuables. Or ce tribunal n'est autre que la Critique de la raison pure elle même » (p. 7).
Notons-le : Kant n'ignore pas que l'entreprise critique a des antécédents (on a rappelé plus haut les Règles pour la direction de l'esprit de Descartes). On remarquera en outre que la raison ne reçoit ses lois de personne (aucun Dieu créa teur des vérités éternelles ou garant de la vérité de mes idées claires et distinctes). La Crztique de la raison pure doit décou vrir par elle-même ses propres lois. Elle est à la fois législa teur, juge et partie. Pourtant, au lieu de s'auto-amnistier, elle s'autocensure. « Je suis donc, écrit Kant, entré dans cette voie, la seule issue qui restait à suivre, et je me flatte d'être arrivé à la suppression de toutes les erreurs qui, jusqu'ici, avaient divisé la raison avec elle même dans son usage en dehors de l'expérience. Je n'ai pas évité ses questions en donnant pour excuse l'impuissance de la raison humaine ; je les ai au contraire complètement spécifiées suivant des principes, et, après avoir découvert le point précis du malen tendu de la raison avec elle-même, je les ai résolues à sa complète satisfaction. »
Le point précis du malentendu de la raison consiste, on l'a vu, à appliquer à la sphère du supra-sensible (l'âme, Dieu, la
liberté . . . ), des principes qui sont en réalité destinés au seul usage de l'expérience (cf. 14 t). Les espoirs de paix en métaphysique sont fondés sur la dissi pation de ce malentendu, et par conséquent sur la distinction, négligée tant par l'empirisme que par le dogmatisme, entre l'objet d'une part, comme objet des sens et de l'entendement, et
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d'autre part comme chose en soi. Cette distinction cardinale et si féconde selon Kant aurait permis à Hume de dépasser le stade sceptique d'une censure de la raison.
3. La géographie, c'est la guerre ; la géométrie, c'est la paix
Traitant De l'impossibilité où est la raison pure en désaccord avec elle-même de trouver la paix dans le scepticisme, Kant pré sente Hume comme « uo des célèbres géographes de la raisoo humaine » (p. 5 1 9). Mais Hume s'est contenté de reléguer les tentatives de la métaphysique touchant Dieu, l'âme, et l'uni vers, au-delà de l'horizon de nos connaissances, sans expliquer pourquoi ni comment ces objets de la raison se trouvaient hors de notre portée théorique. Dans l Enquête sur l'entendement humain, Hume proposait en effet « d'enquêter sérieusement sur la nature de l'entende ment humain et de montrer, par une analyse exacte de ses pouvoirs et capacités, qu'il n'est apte en aucune manière à s'engager en de tels sujets lointains et abstrus » (section 1). Et Hume déclare expressément « o'aller pas plus loin que cette '
géographie mentale, que cette délimitation des parties et pou voirs distincts de l'esprit » .
A cette géographie du renoncement sceptique, Kant veut substituer une détermination exacte et a priori des limites du pouvoir de notre raison. Ces limites seront juridiquement éta blies, et non simplement conjecturées comme les bornes que rencontre la raison sceptique à son exploration du monde des connaissances humaines. « A quoi sert la géographie ? A faire la guerre, a-t-on pu répondre. » La géographie mentale de Hume, en tous cas, lui sert à faire la guerre contre toute expédition métaphysique. La géométrie et le cadastre institués par Kant se proposent de ramener la paix. Une paix incompatible avec les rêves de l'explorateur imprudent ou les ambitions pharaoniques de l'architecte.
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III rllison pure
de Kant
4. L'explorateur adepte du repli et l'architecte à court de matériaux
Les biographes de Kant ne se sont pas privés de commen taires, ironiques ou attendris, sur le régime de vie monotone du philosophe de Kœnigsberg, sa cérémonieuse ponctualité, sa promenade quotidienne à peine modifiée le jour où il apprend la prise de la Bastillel. Si en métaphysique, Kant propose une révolution, il faut bien reconnaître que c'est une révolution des juges, et non des conquistadors. Kant suit de loin les expéditions de la méta physique, pour recommander aux explorateurs la prudence. Il préfère la géométrie du cadastre à la géographie des terres inconnues : « Nous avons maintenant parcouru le pays de l'entendement pur, en examinant soigneusement chacune de ses parties ; nous l'avoDS ainsi mesuré et nous y avons fIXé à chaque chose sa place. Mais ce pays est une ne que la nature enferme dans des limites immuables. C'est le pays de la vérité (nom séduisant) entouré d'un océan vaste et tempétueux, véritable empire de l'apparence, où maints bancs de brouillard, mainte banquise sur le point de fondre font croire à de nouveaux pays, ne cessent d'abuser par de vaines espérances le navigateur qui rêve de découvertes et l'empê trent dans des aventures auxquelles il ne peut renoncer mais qu'il ne peut jamais conduire à bonne fm. Avant de nous risquer sur cette mer pour l'explorer dans toutes ses étendues et nous assurer s'il y a quelque chose
à espérer, il sera utile auparavant de jeter la carte du pays que nous allons quitter et de nous demander si, par hasard, nous ne pourrions pas nous contenter de ce qu'il contient, ou même s'il ne nous faut point, par
encore
un
coup d'œil
sur
force, nous en contenter, dans le cas, par exemple, où il n'y aurait pas ailleurs un autre sol sur lequel nous pourons nous fixer ; et ensuite
à quel titre nous-mêmes nous · posODS ce pays, et com-
1 . Depuis Heinrich Heine, il est de bon ton d'en rajouter sur son formalisme fri leux, sa pensée sans corps, casanière et purement cérébrale. Ou bien de conspuer, avec
Péguy, « la morale kantienne a les mains propres, mais qui n'a pas de main s » . L a lecture d e l'Anthropologie du point de vue pragmatique devrait sufre à dissiper ces fantasmes d'affabulation. On y découvre un Kant sociable, rafmé mais débonnaire, chexchant par tous les moyens à réconcilier le bien-vivre avec la vertu.
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ment nous pouvons nous y maintenir en nous assurant contre toutes les prétentions ennemies » (Critique. Du principe de la dis tinction. . . . début, p. 2 1 6).
Kant n'a rien d'un aventurier de la métaphysique. Il se montre plutôt soucieux de garder le pré carré que d'aller conquérir de nouvelles terres, où l'on n'est jamais sûr de pou voir se maintenir. De même, en architecture, il propose de pro portionner la construction, non seulement à nos besoins, mais également à nos ressources : « Si je considère l'ensemble constitué par toute la connaissance de la raison pure et spéculative comme un édifice dont nous avons en nous au moins l'idée, je puis dire que, dans la théorie transcen dantale des éléments, nous avons évalué nos matériaux et déter miné quel édifice, de quelle hauteur et de quelle solidité, ils suffi sent à élever. Sans doute, bien que nous eussions l'intention de construire une tour qui devait s'élever jusqu'au ciel, il s'est trouvé que notre provision de matériaux sufsait à peine à bâtir une mai
son d'habitation qui fOt tout juste as spacieuse pour convenir aux travaux auxquels nous vaquons sur la plaine de l'expérience et assez haute pour que nous puissions tout voir d'un coup d'œil, et que notre audacieuse entreprise échouerait ainsi nécessairement faute de matériaux, sans même que l'on etH besoin de faire entrer en compte la confusion des langues qui devait immanquablement diviser les travailleurs sur le plan à suivre et les faire se disperser par tout le monde, pour y bâtir chacun pour soi et à sa guise. < . . . > avertis de ne pas nous aventurer sur un projet arbitraire et aveugle, qui pourrait bien dépasser toutes nos ressources < . . . > il nous faut faire le devis d'un édifice qui soit en rapport avec les matériaux dont nous disposons et qui sont appropriés à nos besoins » (Critique. Théorie transcendantale de la méthode. début, p. 489).
Ni conquistador ni architecte mégalomane : Kant a horreur des châteaux en Espagne. La Critique est une censure de Babel et de Christophe Colomb : Kant n'aime dépasser ni les devis ni les frontières. Il veut savoir quelle langue il faut parler, et quel pays il a vraiment découvert.
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1 Premières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
III. La question des frontières : métaphysique; théolo gie, morale et religion
1 . Raison et foi : la Lumière et les Lumières
Le siècle des Lumières est marqué par un fort mouvement de sécularisation (de laïcisation) de la pensée. C'est particulière ment le cas en Allemagne et en Prusse où l'émancipation de la philosophie par rapport à la théologie atteint son paroxysme. D'une manière paradoxale, c'est Luther qui aura été l'un des principaux artisans de cette émancipation. En prenant soin d'humilier, avec saint Paul, la sagesse du monde devant la folie de la croix, la raison devant la grâce, la philosophie devant les Saintes Écritures, Luther a considérablement réduit le rôle de la raison dans l'exposé de la foi. Autrefois servante de la théo logie, la raison se voit traitée, à cause de ses infidélités, de pros tituée (Luther est moins poli). La branche rationnelle du courant piétiste (fondé en 1 670 à Francfort par le pasteur alsacien Spener) tente de réconcilier l'héritage de la foi avec les progrès de la raison. Ce piétisme met sa confiance dans la piété personnelle ou, comme dira Kant, dans la « métamorphose morale de l'homme ». La morale va devenir un pont (mais aussi une pomme de discorde) entre la théologie et la philosophie, qui prend le titre officiel de sagesse ou connaissance du monde ( Weltweisheit) : tout un pro gramme de laïcisation. L'Université de Halle deviendra, au début des Lumières, un bastion où piétistes et rationalistes forment un front commun contre l'orthodoxie luthérienne. Mais l'union sacrée connaît des tiraillements, et conduit, en 1 723, à la rupture. Wolff sera ainsi expulsé sur l'ordre de Frédéric 1 (le « roi-ser gent »), pour avoir prêché une foi trop vive dans le mécanisme de la nature et prôné l'autonomie morale de l'homme. Selon Wolff en effet, il n'y a pas d'autre autorité en morale que la connaissance rationnelle de la nature humaine. « L'homme rai-
Les thèmes à l'œuvre : la paix aux frontières
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sonnable, disent les Pensées rationnelles sur les actions et pas sions des hommes (§ 38), n'a besoin d'aucune autre loi - par sa raison il est à soi-même la loi. » Cette idée d'une autolégislation morale se retrouve au cœur de l'entreprise kantienne. Elle s'inscrit dans le mouvement d'émancipation de la philosophie par rapport à toute tutelle théologique. Meier, un disciple de Wolf dont Kant commen tera la Logique dans ses cours, définit la philosophie : « Science des propriétés générales des choses, dans la mesure où elles sont connues sans la foi. » Wolff déploie beaucoup d'ingéniosité pour se disculper. Il entend montrer que sa philosophie s'accorde particulièrement bien avec les Saintes Écritures. Il lui arrive aussi de dire que les vérités de raison, soumises au seul principe de non-contradic tion, s'étendent à la possibilité des choses, domaine de la philo sophie, et que la théologie, elle, atteint davantage la réalité effective, soumise au principe de raison suffisante (la volonté de Dieu étant la raison suffisante de toutes choses). Mais si, comme on l'a vu, la raison suffisante se ramène à la non-contradiction, alors la philosophie risque de ne s'accorder avec la théologie qu'en l'absorbant. La question d'un tel accord devient l'objet de vives contro verses qui culminent dans les années 1 710- 1 780 avec la « que relle du panthéisme ». 2. L e piétisme débordé p a r s a gauche rationnelle
Commençons par poser le problème en termes généraux. L'accord de la Révélation et de la raison peut se faire d'au moins deux manières. Dans une première manière, la raison reste soumise à la Révélation, qui la dépasse et la porte à un accomplissement dont elle est incapable par elle seule. La Révélation est alors supérieure, mais non pas contraire à la raison, tout comme, chez Thomas d'Aquin, la grâce ne supprime pas la nature, mais la parachève (gratia non tollit naturam, sed eam perficit) . Cette perspective sera encore en grande partie celle de Leibniz.
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Premières leçons sur Critique de la raison pure de Kant
Une autre façon consiste à réduire le contenu dogmatique de la théologie à la religion naturelle ou religion selon la raison. Cette tentative de rationaliser le contenu de la religion (chré tienne en l'occurrence) est illustrée par Lessing (1 729- 1 78 1 ) dans son Christianisme de la raison. Y sont démontrés, sur le mode géométrique, l'existence de Dieu, la Trinité, la Création. L'inspiration est évidemment celle de Spinoza, dont l'Éthique ( 1 675), dont la première partie traite de Dieu, est démontrée suivant l'ordre géométrique. Spinoza n'avait pas craint non plus de proposer une exégèse rationnelle de la religion juive, mais aussi de l'enseignement du Christ. De la même façon, Reimarus ( 1 694- 1 768) conteste l'idée d'une Révélation qui échapperait à la raison universelle dont tout homme est dépositaire. De son Apologie ou défense des adorateurs raisonnables de Dieu, Lessing publiera des fragments (posthwnes) au milieu des années 1 770. Aux attaques dont il fait alors l'objet Lessing répondra, entre autres, par sa Réplique de 1 777, en faveur d'une conception morale dyna mique (et non pas statique) de la vérité. « Ce n'est pas la vérité en elle-même - chacun est, ou croit être, en sa possession - mais l'effort droit et franc (aufrichtig) qu'il a appliqué, pour aller au bout de la vérité (hinter die Wahrheit zu kommen) qui fait la valeur de l'homme. » Mendelssohn (1 729- 1 786), qui collaborera avec Lessing en lui apportant sa science talmudique, développe l'idée de « foi rationnelle », et réduit toute religion à un effort d'édification morale. Il soutient que « le spinozisme, bien compris, peut s'ac corder avec la vraie philosophie de la religion ». C'en est trop pour le pasteur Jacobi (1 743- 1 8 1 9) qui affirme, dans ses Lettres à Mendelssohn sur la doctrine de Spinoza : ,
- que le spinozisme est la forme achevée du rationalisme, et, à ce titre, est un athéisme ; - que l'entendement, privé de la lumière de la Révélation, est incapable de fonder une véritable éthique. Mendelssohn retournera à Jacobi son accusation d'athéisme : l'athée est celui qui n'admet pas de démonstration
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de l'existence de Dieu. Quant à la moralité, elle peut être fon dée, non pas certes sur une philosophie érudite, mais sur une philosophie populaire, alliée au sens commun.
3. Kant entre en scène
Sans la connaissance de ce contexte intellectuel, il est bien difficile de comprendre la petite phrase : « Je dus donc enlever le savoir afin d'ob tenir une place pour la croyance >> (14 u) .
De quelle croyance va-t-il s'agir ? De celle des piétistes ? Ce n'est pas certain. De celle de Jacobi ? Encore moins. Comme on l'a déjà vu faire en philosophie théorique, Kant va renvoyer dos à dos tous ses prédécesseurs. Contre Jacobi, Kant affirme les prérogatives de la raison. Il ira jusqu'à proclamer, dans une Conclusion de paix qui clôt la première section du Conflit des Facultés <de théologie et de philosophie> (1 798) : « La religion est purement une afaire de la raison ».
Contre Mendelssohn, pourtant rationaliste, Kant défend les garanties de rigueur systématique qu'offre la philosophie sco lastique (cf. 16 a et d). Kant reprend de Mendelssohn l'idée d'une « foi rationnelle », fondée sur les dispositions morales de l'homme, et non sur une connaissance spéculative. Mais il lui donne une tout autre signification. Laquelle ? Dans Qu 'est-ce que s 'orienter dans la pensée ? (l'écrit de 1 786, oû Kant intervient, un an avant la seconde Préface, dans la querelle du panthéisme), Kant définit cette croyance rationnelle comme : « Le guide ou le compas grâce auquel le penseur spéculatif peut s'orienter dans ses incursions rationnelles dans le champ des objets supra-sensibles.
»
En effet, la pensée spéculative n'est pas en état de détermi ner, par elle-même, des « objets » tels que Dieu, l'âme . . . C'est pourquoi, dans un premier temps, la Critique de la raison pure
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Premières leçons sur Critique de la raison pure de Kant
nous découvre notre inévitable ignorance à leur égard (14 q) . C'est là son « utilité négative » (14 a) . En prévenant la raison contre toute extension illégitime, elle l'empêche de compro mettre l'extension de son usage moral (14 b, c, d) . Bref, les res trictions imposées à la raison théorique et à la métaphysique de la nature (J4f, g) permettent de sauver la doctrine des mœurs. La liberté de la volonté, donnée pratique (morale), est comprise comme chose en soi : elle échappe ainsi au mécanisme de la nature, connaissance théorique limitée, elle, aux phéno mènes (14 k, l, ln, n, o, p). En prétendant traiter Dieu, l'âme, la liberté, avec ses prin cipes a priori, qui ne s'étendent en fait qu'aux objets de l'expé rience, la raison théorique, dans la métaphysique dogmatique, les a subrepticement considérés comme des phéno mènes (14 s, t) . Elle a par là discrédité l'usage de ces notions. Et c'est ainsi que « le dogmatisme de la métaphysique, c'est-à-dire le préjugé d'avancer dans cette science sans critique de la raison », se retrouve sur le ban des accusés : « Elle est la vraie source de toute l'incrédulité qui s'attaque à la (14 u) . Mais alors quelle croyance ou quelle foi peut relever la raison théorique de cet échec ? Ne faut-il pas relever la raison théorique elle-même de ses fonctions dans le supra-sensible ? Au profit de quelle faculté de connaissance ? 4. Du savoir à la " foi )) : la relève
Dans une section de la Critique traitant De l'impossibilité d'une preuve de l'existence de Dieu, Kant réfute, comme il l'avait déjà fait dans l' Unique fondement possible d'une preuve de l'existence de Dieu (1 763), la démonstration selon laquelle l'existence est un caractère nécessairement compris dans le concept d'un être nécessaire et parfait. On peut dire que Kant abolit le savoir de l'argument dit « ontologique », que Des cartes, Leibniz et Wolff ont repris d'Anselme de Cantorbéry (XI" siècle), non sans l'avoir remanié. Argument complètement inepte, selon Kant : l'existence n'est en aucun cas un prédicat réel (un attribut) qu'on puisse
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tirer d'aucun concept, mt-ce l e concept de Dieu. Dieu demeure donc une simple Idée, c'est-à-dire, au sens de Kant, « un concept de la raison auquel aucun objet correspondant ne peut être donné dans l'expérience ». Kant enlève ainsi à l a raison spéculative ses prétentions à des points de vue exorbitants ou à des intuitions transcendantes (14 s : überschwengliche Einsichten, dit le texte original qui, par cette expression non technique, vise les débordements illuminés des sectes). Seulement voilà : la foi ou croyance qui vient relever ce savoir n'est ni grâce, ni illumination transcendante. Kant a déclaré incompétente la raison spéculative dans les matières théologi ques (comme d'ailleurs dans les matières cosmologiques ou psychologiques). Il a forcé le savoir à la démission. C'est pour proclamer en même temps « l'admission de Dieu, de la liberté, de l'immortalité de l'âme en faveur du nécessaire usage pratique de la raison » (ibid ) .
Le savoir de l a théologie rationnelle
est donc aboli, mais il est
relevé, remplacé par une théologie morale au service de la seule
mais cette fois dans son usage pratique. Il y a bien un transfert de compétences, mais toujours sous juridiction de la raison.
raison,
« Ce qui est ici en litige, ce n'est pas la chose, mais le ton. Vous avez toujours le moyen, explique Kant, de parler le langage d'une foi solide justifiée par la raison la plus sévère, quand même il vous faudrait abandonner celui du savoir » (Discipline de la raison pure,
2· section, p. 5 1 1 ) .
La théologie échappe pOur toujours à la raison spéculative, mais pas à la raison pratique. Dans l'usage spéculatif de la rai son (dans l'étude théorique de la nature et de ses lois par exemple), l'idée de Dieu n'a pas immédiatement sa place : « Je suis obligé, dira Kant, de me servir de la raison comme si tout n'était que nature. » L'existence ou même seulement la pensée de Dieu n'interviennent pas comme conditions d'explication des phénomènes. Toutefois « la supposition d'un sage auteur du monde peut < . > nous donner un fil conducteur dans l'investigation .
.
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Premières leçons sur Critique de la raison pure
de Kant
de la nature » (p. 555). Cette confiance dans une sagesse divine est un principe purement régulateur : un principe qui ne nous renseigne pas sur la manière dont les choses ont été constituées, mais qui nous suggère une direction de recherche. Il nous encourage à étudier la nature comme s'il devait toujours s'y rencontrer partout l'unité, la continuité, l'homogénéité dans la diversité. Pour autant, l'existence de Dieu n'est pas requise comme condition nécessaire des phénomènes de la nature. En revanche, dans l'usage pratique (moral) de la raison, l'existence de Dieu constitue, avec la liberté et l'immortalité de l'âme, un postulat nécessaire. Décidément, rien n'est perdu pour la raison : « C'est toujours à la raison pure, mais seulement dans son usage pratique < . . . > de faire de l'existence de Dieu une supposition abso lument nécessaire pour ses fms essentielles, alors que la spéculation théorique ne peut que l'imaginer, sans la rendre valable » (Canon de
la raison pure, 2" section, p. 550). En quoi la supposition de l'exis tence de Dieu (ou encore d'une vie future) est-elle absolument nécessaire ? « Dieu et une vie future sont, suivant les principes de la raison pure , deux suppositions insépa rables de l'obligation que nous impose cette même raison » (ibid., p. 546). Ce sont bien les données morales qui imposent ici un méta physique religieuse.
A la place de la théologie naturelle, rationnelle, ou des preuves de Dieu par l'ordre de la nature et les causes finales, Kant pro pose une théologie morale. Cette théologie morale ne soumet pas la raison à une obli gation morale d'origine divine : elle n'est pas une morale théo logique. « Nous ne tiendrons pas nos actes pour obligatoires, parce qu'ils sont des commandements de Dieu, mais nous les considérerons
comme des commandements divins, parce que nous y sommes rieurement obligés »
inté
(ibid., p. 5 5 1 ) .
Voilà une théologie morale dépourvue de toute trans cendance.
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5. La « foi morale »
Récapitulons ces indications en suivant l'importante 3e sec tion du Canon de la raison pure : De l 'opinion, du savoir et de la foi, où Kant justifie l'emploi de ces termes. Dans l'opinion, ma conviction personnelle est insuffisante, et la certitude universelle fait totalement défaut. L'opinion est donc insufsante subjectivement et objectivement. Dans la foi (ou croyance), ma conviction et mon adhésion intimes sont données, mais la certitude objective et universelle manque. C'est seulement dans le savoir que sont réunies conviction et certitude. Or, selon Kant, l'existence morale ne peut pas plus se contenter d'opinion que les Mathématiques. « Il est absurde d'émettre des opinions en Mathématiques < . . . > Il en est de même dans les principes de la moralité, car on n'a pas le droit de risquer une action sur la simple opinion que quelque chose
est permis, mais il faut le savoir » (p.
553).
A défaut de savoir, il faudra bien se contenter d'une foi morale. Kant semble même réserver le terme de foi (Glauben) au domaine pratique : «
Ce n'est jamais qu'au point de vue pratique que la croyance
sans justification théorique suffisante peut être appelée foi » (ibid ) .
Pourquoi réserver un terme si fort à l'usage pratique (moral) de la raison ? Parce que, sans l'existence de Dieu et la vie future, nos principes moraux seraient, selon Kant, renversés. « Personne ne peut se vanter de savoir qu'il y a un Dieu et une vie future », car c'est justement là « le dessein ambitieux d'une raison qui s'égare au-delà des limites de toute expé rience ». Tout autre est la conviction morale de l'existence de Dieu et d'un autre monde. Elle ne fait qu'un avec ma disposi tion morale : « Cette foi rationnelle se fonde sur la supposition de sentiments moraux. » Ce qui pose un problème : et si venait à
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Critique de la raison pure
de Kant .
manquer cette disposition à la moralité ? Kant bute ici sur le problème du mal radical, et la possibilité d'une volonté résolu ment opposée au bien moral de l'homme. Quel mobile sera assez fort pour décourager toute volonté malfaisante ? La figure d'un Dieu justicier, dispensateur de récompenses ou de châti ments éternels viendrait-elle au secours d'une foi rationnelle mais peu convaincante ? Faudra-t-il revenir à la religion de Voltaire, qui voulait que son procureur, sa femme et ses valets croient en Dieu, imaginant qu'il en serait moins trompé et moins volé ? C'est bien la solution que Kant donne, provisoirement, dans la Critique : les lois morales sont regardées comme des com mandements qui portent en eux des promesses et des menaces (p. 547). Quand bien même un homme serait, « faute de bons sentiments, étranger à tout intérêt moral, il ne pourrait s'empê cher de craindre un Ê tre divin et un avenir » (p. 556). Et Kant avoue fièrement cette généreuse concession à la « philosophie populaire » . Mais alors, les mobiles d'une action moralement bonne seraient ils étrangers à la moralité ? Kant ne le croit pas, et le grand texte de 1 793, La religion dans les limites de la simple rai son, confirme que l'appel à la religion est interne à la morale : « La morale se suffit à elle-même, mais eUe conduit immanquable ment à la reUgion, s'élargist ainsi jusqu'à l'idée d'un législateur moral et tout-puissant » (Préface) . C'est ce que la Critique de la rai son pure appelait déjà l'usage immanent de la théologie morale.
6. La théologie. aiguillon de la moralité
Dans la théologie morale proposée par Kant, c'est la morale rationnelle qui s'élargit aux idées de la religion, et leur donne pour ainsi dire droit de cité en métaphysique. L'accord entre morale et théologie se fait à partir de la morale, et reste inté rieur à la morale : « Nous ne nous croirons d'accord avec la volonté divine que dans la mesure où nous tiendrons la loi morale pour sainte » (Critique, p. 5 5 1 ). Il faut d'abord et avant
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tout suivre « le fil conducteur d'une raison qui dicte les lois morales pour la bonne conduite de la vie » (ibid. ) . La dimension religieuse (ou plutôt théologique) de la mora lité vient après. Elle est seconde. Mais pas seulement secon daire. Elle vient seconder, renforcer, galvaniser la conduite de la vie vertueuse. « Sans un Dieu et sans un monde actuellement invisible pour nous, mais que nous espérons, les magnifiques idées de la morale pourraient bien être des objets d'assentiment et d'adhésion, mais ce ne sont pas des mobiles d'intention et d'exécution . . . » (ibid. , p. 547). L'idéal du souverain bien, c'est que le bonheur soit exacte ment proportionné à la moralité des actions (p. 546). Certes, on n'est pas vertueux, si l'on n'agit qu'en vue d'une récompense ou du bien-être qui doit résulter de notre action. Le mobile de l'ac tion moralement bonne doit être le respect pour la loi morale, et non quelque intérêt égoïste. Mais l'accomplissement du devoir se déroule dans l'espérance qu'il y a un lien entre la moralité et le bonheur. Et cette espérance que la vertu est récompensée sup pose qu'une raison suprême gouverne le monde des fins morales selon une proportion exacte entre la moralité et le bonheur. « La raison se voit forcée d'admettre un tel être , ainsi que la vie dans un monde que nous devons considérer comme un monde futur, ou bien de regarder les lois morales comme de vaines chimères, puisque la conséquence nécessaire qu'elle-même attache à ces lois devrait s'évanouir sans cette supposition » (p. 547). Kant prétend donc dépasser le conflit entre les tenants de l'autonomie morale et les adeptes de la « seule foi ». Plutôt qu'un dépassement par le haut, Kant opère un dépla cement à la racine. Il conçoit « la pure religion de la raison comme révélation divine (bien que non empirique) s'effectuant de manière constante pour tous les hommes ». Kant renoue ainsi avec la conception de Lessing dans L 'Éducation du genre humain (§ 4) : « La révélation n'enseigne rien au genre humain que la raison humaine laissée à elle-même n'aurait pu trouver. »
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Ainsi, pour Kant, la religion sera, comme l'afe déjà la Critique de la raison pratique, « la reconnaissance de tous les devoirs comme des commandements divins < > non comme des commandements arbitraires et en eux-mêmes contigents d'une volonté étrangère, mais comme des lois essentielles de toute volonté libre en elle-même » (livre II, chap. 2, V, L 'existence de Dieu comme postulat de la raison pure pratique). Le Conflit des facultés, plus radical encore, affIrmera que la religion ne se distingue de la morale en aucun point quant à son objet (les devoirs en général) mais qu'elle est « une législation de la raison destinée, grâce à l'idée de Dieu qu'elle a elle-même pro duite, à doter la morale d'une influence sur la volonté humaine pour qu'elle remplisse tous ses devoirs »1 . ...
1 . Dès l' Introduction des Leçons sur la doctrine philosophique de la religion, Kant rappelait le primat absolu de l'obligation morale, dont les lois nécessaires ont leur fon dement dans la nature de notre être. Pas question de dériver la morale d'un principe théologique. Il faut au contraire « déduire la théologie de la moralité, non pas à c:ause d'une é9idenœ spéculative, mais d'une é"ridenœ pratique, c'est-à.œre non par le savoir mais par la croyance ». Ainsi, « la moralité ne doit pas être fondée sur la théologie, mais doit avoir son propre principe en eUe. La théologie peut, alors, être liée à la moralité, qui gagne ainsi plus de motivation et une puissance moralement active ».
4 L 'œuvre à l 'épreuve du temps: du kantisme sans Kant
Deux siècles nous séparent de la Critique de la raison pure, et des accents « révolutionnaires » de la Seconde Préface. Bien des circonstances nous en éloignent. N'essayons donc pas de placer à toute force notre époque sous le patronage de Kant. Les phi losophes, quoi qu'en dise une mode récente du « retour de la philo », ne sont pas faits pour trôner, ni pour patroner. Il font bien mal leur métier, s'ils dispensent leurs contemporains de réfléchir, et pensent à leur place au lieu de penser avec eux (ce qui ne veut certes pas dire comme eux). La continuelle exhortation de Kant à l'autonomie intelec tuelle ( << Aie le courage de te servir de ton propre entende ment ! » ) rend plaisante, pour ne pas dire ridicule, l'utilisation de prétendus résultats de sa philosophie. L'actualité d'une philosophie ne consiste pas dans sa pure et simple remise en service ou dans son utilisation dogmatique, comme s'il suffisait de décongeler l'impératif catégorique, ou d'afer : « Kant nous a appris que nous ne connaissons pas les choses en soi... Depuis Kant, on sait qu'en morale, le savoir est remplacé par la croyance. . . , etc. » Malgré ses apparences péremptoires, une philosophie comme celle de Kant n'est pas faite pour résoudre les problèmes (ce dont Kant lui-même n'a jamais eu la prétention, comme il l'avoue dans sa réponse à Eberhard de 1 790). Mais pour les aggraver, c'est-à-dire leur donner du poids, de la consistance, en donnant toute son
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Premières leçons sur
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de Kant
importance à la façon de poser le problème, plutôt qu'à la solu tion toute faite : « La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne », suggère le Menteur de Corneille. C'est dans cette perspective de la fécondité de la position kantienne des problèmes (morale et religion, limitation de la métaphysique, explication du succès des sciences) que nous voudrions maintenant évaluer 1. L'héritage éthique, 2. La POSM térité philosophique, et 3. La prospérité épistémologique de Kant.
1 . L'héritage « éthique » : la religion résorbée dans la morale
Comme on vient de le voir, la religion telle que l'entend Kant apporte à la moralité le secours d'une puissance incita tive. Elle traduit l'espérance légitime de l'être moral. Elle favo rise, par ses dogmes et ses préceptes, l'expression des disposi tions de l'homme au bien moral ( « Tu ne tueras point, tu ne voleras point, etc. » ). Elle explicite et illustre les conditions de l'action morale, comme sont l'idée (mais l'idée seulement) d'un sage législateur qui rétribue la vertu par le bonheur. Toutefois, bien loin que la religion donne un fondement à la morale, c'est la morale seule qui donne sa raison d'être à la reliM gion. La théologie morale (ou éthico-théologie) développée par Kant restreint la dimension religieuse à un usage publicitaire. Ce qui est absolument premier, c'est l'autonomie de la raison pratique : eUe se donne eU�même ses commandements, détermine
qu'elle accepte tout au plus d'habiller de couleurs religieuses, pour raison d'efficacité per suasive (on dirait aujourd'hui d'image, ou de communication). Pour le reste, les dogmes et les rites en vigueur dans les reli gions statutaires relèvent, selon Kant, de la superstition. Toute communication avec Dieu doit.se réduire à la voix du Devoir et à l'exigence inconditionnelle de l'action moralement bonne. Loin de rétablir les droits de la religion à côté de ceux de la rai son théorique et de la raison pratique, Kant veut contenir, comme le souligne le titre de l'ouvrage de 1 793, la religion dans les limites de la simple raison. seule la loi des actions morales,
L'œuvre à l'épreuve du temps : du kantisme sans Kant
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Ou, si l'on préfère, Kant élargit la compétence de la raison pratique aux questions métaphysiques de l'existence de Dieu, de la vie future, du bien et du mal, qui échappent par là au monopole de l'autorité religieuse fondée sur la Révélation et sur la Tradition. L'autonomie de la raison pratique est telle que la définition du bien et du mal mêmes ne lui préexiste pas. Elle apparaît comme créatrice de ces valeurs. Option décisive, radi cale, et assez caractéristique de notre modernité. La forme oui verselle de la loi morale suft à garantir et à définir ce qu'est le bien moral de l'homme. Nouvelle révolution copernicienne : Kant opère ainsi l'inver sion (revanche ou reconversion ?) des rapports de la théologie et de la philosophie morale. La théologie est devenue la ser vante de la morale, comme jadis la philosophie était la servante de la théologie. Tel semble être le fm mot de Kant, en ce qui concerne les rapports du savoir et de la croyance. Et telle est peut-être l'in terrogation la plus forte qu'il lègue à notre xxr siècle, si tant est que celui-ci doive, comme le prophétisait André Malraux, être religieux, ou ne pas être du tout. La fin d'un rêve ? A l'heure où les éthiques se collent et se décollent au gré des intérêts immédiats, sans autre légitimité qu'un vague consensus obtenu par voie de sondage d'opinion, on peut se demander ce qu'il reste du beau rêve d'une humanité fondée sur l'autolégis lation de la raison pratique. Et d'ailleurs, le mode d'expression politique de cette autodé termination des fins bonnes, l'arbitrage du sufrage universel, est-il aussi infaillible qu'on veut le croire ? Le droit des homines à disposer d'eux-mêmes peut dégénérer en permis collectif de tuer. Une voix de majorité peut décider du rétablissement de la peine de mort. Comme elle avait décidé de la mort d'un roi, dont Kant, pourtant admirateur de la Révolution française, s'était ému. Le siècle qui s'achève ne l'a que trop montré : l'appropria tion fanatique du religieux, comme son expropriation violente �
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Premières leçons sur Critique de la raison pure de Kant
ont animé et animent encore les destructions progranunées de l'homme, sacrifié à l'idole du pouvoir (le Führer, dépositaire d'un salut - Heil ! - fondé sur l'extermination d'une race pré tendue inférieure), ou d'un savoir totalitaire (le marxisme-léni nisme, régénération rationnelle de l'homme). Mais il ne suffit pas de se voiler la face devant les horreurs de ce siècle. Quelle communauté humaine peut se prétendre au-dessus des dérapages non contrôlés, des hystéries collectives, des complicités de meurtre biologique ou économique ? L'autolé gislation des communautés humaines suppose une compétence
Si l'éthique est la science des devoirs et des fins de l'homme, peut-elle se passer d'une vérité sur l'homme qui ne varie pas au gré des changements de majorité politique, au hasard des conjonc tures économiques et sociales et des intérêts immédiats ou particuliers ?
individuelle dont l'éducation est toujours difficile.
Comment s'assurer en effet que l'exigence d'universalité contenue dans la loi morale fonctionne effectivement pour le bien de tous les hommes ? Et que notre universalisme n'est pas un
ethnocentrisme qui s'ignore ? Notre humanité est comme prise entre deux feux : le culte de l'égalité morale et celui de la diffé rence historique et culturelle. D'un côté, l'obligation de tous les hommes envers une vérité morale universelle (qui tombe du ciel ?). De l'autre, le respect des cultures - ou des barbaries par ticulières. A l'heure où l'on brandit comme une arme absolue la notion de « devoir d'ingérence humanitaire », il semble urgent de s'entendre sur les critères de ce qui est conforme ou contraire à la dignité humaine . •
Un critère universel de la moralité ?
Où trouver la bonne mesure entre relativisme et dogma tisme ? D'où l'humanité dans son ensemble pourrait-elle bien prendre ses ordres ? A quelle source puiser un critère universel du bien et du mal ? Habitués à penser et à vivre par-delà le bien et le mal, nos contemporains imaginent mal de redécouvrir, dans la nature humaine (il est d'ailleurs de bon ton de dire qu'il n'y a pas de nature humaine), une vérité sur l'homme qu'il n'ait
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pas définie par ses propres moyens (c'est-à-dire, le plus sou vent, en fonction de ses propres intérêts). Ainsi Kant a inauguré, ou en tout cas formulé le premier avec autant de force, un droit de la raison humaine à disposer de la valeur des actions humaines. Redoutant la tentation de la rai son du plus fort, il a assorti cette souveraineté de la raison pra tique d'une condition formelle : l'universalité. « ( Agis d'après une maxime telle que tu puisses vouloir en même temps qu'elle ) Mais ce critère de l'universalité devienne une loi n'est pas toujours aisé à mettre en œuvre. Quelques interdits fondamentaux comme : « Tu ne tueras point » ne pourraient-ils être amis comme valables en dehors de toute discussion ? Com ment ? Le courage de l'humanité ne consiste-t-il pas à affronter (seule ?) les conséquences de cette autonomie morale tant dési rée par le siècle de Kant ? Avons-nous besoin, par exemple, de représentants des communautés religieuses au sein d'instances comme le Comité Consultatif national d' Éthique, ou bien ne sont-ils que les figurants, les vestiges d'une ère révolue, où l'homme croyait devoir apprendre de plus grand que lui la nature de sa destinée et de ses obligations ? L'homme peut-il disposer comme il l'entend de l'homme ? L'humanité peut-elle atteindre, par ses propres forces, sa majo rité ? Il est convenu de répéter aujourd'hui que Dieu est mort, et qu'il ne saurait par conséquent répondre. Que c'est aux hommes de répondre, seuls, d'eux-mêmes. Il est certes plus facile d'alléguer le silence de Dieu que d'envisager notre propre surdité volontaire. Il est pourtant remarquable que les grandes tentatives histo riques de définir une législation fondamentale universelle se réclament, fût-ce à mots couverts, d'une inspiration transcen dante. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1 789 est faite « en présence et sous les auspices de l' Être suprême ». Le Préambule de la Constitution de 1 848 déclare franchement : « en présence de Dieu et du peuple français ». Et les déclarations ultérieures maintiennent le qualificatif de « droits inaliénables et sacrés ». Peut-être s'agit-il d'une méta phore archaïsante. Ou bien est-ce l'indice que toute déclaration
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universelle sur la dignité et les obligations humaines doit rester en quête d'une garantie transcendante ? Et non de quelque figure idolâtrique du pouvoir. Car quelle assemblée, quelle fédération peuvent parler, non seulement au nom des hommes qu'elles représentent juridiquement ou politiquement, mais au nom de l'homme ? Dans l'hypothèse où la nature et l'homme sont les produits d'une volonté créatrice (c'est encore le cas dans la Déclaration d'Indépendance américaine de 1 776 : ail men are created equal), on peut comprendre que les droits et les devoirs fondamentaux de l'homme se réfèrent à une norme divine du bien et du mal, du juste et de l'injuste. A moins que l'humanité ne se soit faite elle-même, et ne puisse s'appuyer que sur elle-même, pour se construire comme pour se déchirer. C'est la grandeur tragique d'une humanité souveraine, diront les uns, abandonnée à elle même, diront les autres, que Kant a choisi d'assumer. .. Traiter la persoone humaine comme fin, et pas seulement comme moyen. Ainsi, pour Kant, « le concept du bien et du mal ne doit pas être déterminé antérieurement à la loi morale, < . . > mais seule ment après cette loi et par cette loi ». Mais cette loi n'est pas la loi du plus fort, ni l'expression d'une majorité d'intérêts. Elle doit être universelle. Et parmi les critères qui permettent de la reconnaître, on trouve celui-ci : « Agis de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans la per soone de tout autre, jamais seulement comme un moyen, mais toujours également comme une fin » (Fondation de la métaphy sique des mœurs. Ile section). Le droit de la raison humaine à disposer de la valeur même des actions humaines est donc assorti d'une réserve capitale : il s'interdit toute utilisation de la personne en vue d'une fin autre qu'elle-même. Il est devenu banal de souligner à quel point nombre d'hommes, de femmes et d'enfants sont traités comme de sim ples instruments de pouvoir ou de jouissance. Comme une vul gaire matière économique, biologique, érotique : rentable, sinon interchangeable, et jetable. Nous vivons à l'ère de la ges.
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tion des ressources humaines. C'est tout dire. Ou encore du prétendu « droit à Comme si on pouvait avoir droit à quelqu'un ! ! ! Contre ce simulacre de droit qui ravale la per sonne au rang d'un objet ou d'une propriété, Kant nous a, semble-t-il, mis en garde. Massacres de masses et purifications ethniques en tous genres ne l'ont que trop montré : dès qu'on traite les hommes en objets, rien ne s'oppose plus à ce qu'on les supprime comme de simples obstacles. L'humanité toujours également comme fm, et jamais seulement comme moyen Vœu pieux, pourrait-on objecter. Et Marx nous ...
rappelle que « le chemin de l'enfer est pavé de bonnes inten tions ». Il nous faut bien compter (mais non pas composer) avec le mal radical, la pulsion homicide, le délire de la destruction. Inutile de gémir. En attendant que les institutions politiques, économiques, fmancières et sociales obligent à respecter en chaque homme une fin (et nous devons, en tant que citoyens, contribuer à rendre cette obligation effective), chaque homme peut témoigner, par son comportement, de l'inaliénable dignité de la condition humaine. Par son refus catégorique de voir la personne, née, mourante ou à naître, traitée comme un simple moyen. Un témoignage qui peut être coûteux. Les droits de l'homme aussi ont leurs martyrs . . . 2 . l a postérité philosophique
Il serait absurde de vouloir évoquer en quelques pages l'im mense postérité de la Critique, et notamment l'écho de sa Seconde Préface, qui retentit encore, après plus de deux siècles. Il faudrait d'abord montrer comment les post-kantiens ne viennent pas seulement après Kant, mais viennent de Kant, ou en sortent. Le genre de philosophie qu'ils ont développée a été étiqueté sous le nom d'idéalisme : idéalisme « subjectif» chez Fichte, « objectif» chez Schelling, « absolu » chez Hegel. Mais n'oublions jamais que l'idéalisme concerne toujours chez Kant la forme de notre connaissance, et jamais la matière de l'expé rience, la réalité empirique. L'idéalisme est pour Kant une
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méthode pennettant d'analyser nos connaissances a priori, et de légiférer sur leurs conditions d'application. Chez les post-kantiens, l'idéalisme semble glisser vers une doctrine de ce que les choses sont en soi. Leur dette envers Kant est néanmoins patente.
(1 800), de Fichte, prétend nous � La destination de élever, elle aussi, du savoir à la croyance. Elle (re)découvre dans l'action humaine un véritable pouvoir de création irréduc tible aux lois du mécanisme universel de la nature. Fichte se débat notamment avec le problème de l'accord entre le déter minisme, auquel sont soumis les phénomènes, et l'autodétermi nation de l'action libre. Sa solution ne consiste pas dans la dis tinction kantienne des objets comme choses en soi et comme phénomènes. Fichte préfère déplacer le point de vue de l'idéa lisme fonnel de Kant. Il intègre davantage encore la nature à l'activité intellectuelle du Moi. « La nature dans laquelle j'ai à agir, écrit Fichte, n'est pas un être étranger et produit sans rap port avec moi < . . . > elle est fonnée par les lois de ma propre pensée et elle doit s'accorder avec elle < . . . > elle n'exprime rien que des rapports de moi-même à moi-même . . . » C'est ce qu'on appelle, un peu sommairement, l'idéalisme subjectif de Fichte. Les Idées pour une philosophie de la Nature de Schelling ( I 797) prolongent également une réflexion kantienne : « Nous ne voulons pas que la nature coïncide par hasard avec les lois de notre esprit (par exemple grâce à la médiation d'un tiers) , nous voulons non seulement qu'elle exprime elle-même de façon nécessaire et originelle les lois de notre esprit, mais encore les réalise elle-même . .. » L'accent est mis sur un processus de la nature, et non sur la seule activité du moi. Schelling passe alors à un idéalisme objectif: « C'est par l'identité absolue de l'esprit en nous et de la nature hors de nous, que doit se résoudre le problème de la possibilité d'une nature hors de nous. » Avec Hegel s'élabore « le point de vue de l'idéalisme absolu », qui reconnaît dans le concept « le principe de toute vie < . . . > la fonne infmie, créatrice, qui renfenne en elle-même et en même temps laisse aller hors d'elle-même la plénitude de tout contenu »
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(Science de la Logique, 1 827 e t 1 830, add. § 1 30). Contradiction ? Justement, Hegel reproche à Kant de n'avoir pas vu que « la connaissance et plus précisément la conception d'un objet ne signifient rien de plus que d'être conscient de lui comme d'une unité concrète de déterminations opposées » (ibid., add. § 48). Là où Kant croyait déceler des contradictions, Hegel afTrrme une unité supérieure. Au chapitre de l'Antinomie de la Raison pure, Kant s'est demandé « si le monde est à penser ou non comme limité dans l'espace et dans le temps < . . > si la matière est à considérer comme divisible à l'infini ou comme composée d'atomes < . . > si tout, dans le monde, doit être regardé comme conditionné < . . > ou si, dans le monde, on doit admettre aussi des êtres libres, c'est-à-dire des points de départ absolus de l'ac tion < . . > si le monde en général a une cause ou non » (ibîd. ) . Par ce jeu dialectique de thèses et d'antithèses, Kant pensait ruiner, sur le plan théorique, toute conception de l'absolu (la totalité des phénomènes, la liberté, l'existence d'un être absolu ment nécessaire). Hegel considère ces oppositions comme les moments constitutifs de la vérité. L'ambition de Hegel est donc de réunir ce que Kant a séparé. A l'aube du siècle demier (le XX"), Kant allait trouver des sup porters enthousiastes, dans l' Ecole de Marbourg (Cohen, Cassi rer), qui prône, à la suite de Vaihinger, le « retour à Kant » ; mais aussi des adversaires irréductibles comme Nietzsche, Bergson. Il serait ridicule de brosser en quelques lignes le tableau de ces affi nités ou de ces allergies. Disons simplement que la tonalité juri dique de la philosophie de Kant se prête difficilement à une philo sophie du dépassement de l'homme ou de l'élan vital. .
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3. La prospérité épistémologique de Kant
La prospérité épistémologique de Kant mériterait, elle aussi, un examen au cas par cas. AfTrrmer que nous ne connaissons pas les choses en soi, mais seulement leurs phénomènes, c'est-à dire la manière dont elles nous apparaissent, c'est ce dont beau coup de philosophes ou de savants après Kant (pas tous) sont
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tombés d'accord. Certes, Kant va plus loin : « C'est nous mêmes qui introduisons l'ordre et la régularité dans les phéno mènes < . > les lois des phénomènes dans la nature s'accordent nécessairement avec l'entendement et sa forme a priori. » Pas si loin cependant, car de même que les phénomènes n'existent que relativement au sujet, en tant qu'il est doué de sens, les lois n'existent que relativement au sujet, en tant qu'il est doué d'un pouvoir de liaison synthétique, l'entendement (Critique, § 26). Par conséquent, Kant n'affirme pas que l'accord de la nature avec notre faculté de connaître est, en soi, nécessaire. Pour mener à bien son travail de synthèse de l'expérience, notre entendement exige un tel accord. C'est une condition indispensable sans laquelle nos catégories et nos principes ne pourraient s'appliquer à l'expérience. Mais il ne faut pas faire Kant plus présomptueux qu'il n'est. Cette condition pour nous indispensable aurait pu ne pas être remplie en fait. Kant ne prend pas notre désir de savoir pour un ordre qu'exécuteraient les choses en soi. L'Introduction (V) de la Critique de la faculté dejuger est formelle : « L'accord de la nature avec notre faculté de connaître est présupposé a priori par notre faculté de juger en vue de sa réflexion sur la nature selon ses lois empiriques ; or l'entendement reconnaît en même temps cet accord comme objectivement contingent. » Il n'y a donc pas de diktat de l'esprit humain. L'argument de Kant n'est pas que l'esprit humain impose ses lois à la nature des choses en soi. Mais, étant donné le succès des sciences (mathématiques, mécanique newtonienne), il a bien fallu que la façon dont les objets nous sont donnés dans l'expérience (et non les choses en soi) puisse s'accorder avec l'utilisation des catégo ries de notre entendement (quantité, qualité, relation - cause et effet, etc.). Selon une formule de la Critique de la raison pure, « l'idéa lisme transcendantal est un réalisme dans sa signification absolue ». Il y a bien une réalité en soi qui ne dépend pas de nous, et qui affecte nos sens. Mais nous n'avons affaire qu'à la manière dont elle nous affecte. C'est pourquoi nos exigences rationnelles portent sur les phénomènes seuls, et non sur ce ..
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dont ils sont les phénomènes. En attendant, rien ne contraint absolument la diversité des phénomènes à s'intégrer d'office dans une trame continue de l'expérience. Demandons à présent : que reste-t-il de l'impulsion donnée par Kant au problème de la connaissance ? Peut-on toujours expliquer le succès des sciences par les éléments a priori de la connaissance, antérieurs à toute expérience et pouvant néan moins s'appliquer à elle ? Les catégories de l'entendement et les formes pures de l'intuition sensible (l'espace et le temps) per mettent-elles d'anticiper systématiquement la forme générale de l'expérience ? Plutôt que d'instruire la question en général, attachons-nous à deux exemples : un épisode remarquable de l'histoire de la physique, et le cas du raisonnement mathématique dit « par récurence » . �
Les quanta sont-Us kantiens ?
Avec les développements de la physique atomique (dans les années 1 920- 1 930), le « problème de la connaissance » allait revenir au premier plan. En 1 924, Niels Bohr propose une interprétation statistique du principe de conservation de l'éner gie et de l'impulsion. L'existence d'un quantum minimum d'ac tion interdit de faire, à certains niveaux d'énergie, « une sépara tion nette entre le comportement des objets atomiques et leur
servant à définir les conditions sous lesquelles le phénomène se manifeste ». Une telle remarque semble d'abord confirmer l'approche kantienne de la connaissance physique (des Sciences de la nature). La réalité expérimentale ne nous est pas donnée immé diatement, en soi, mais à travers le prisme de nos conditions technologiques d'observation, et en fonction d'une attente théorique (modèle d'explication ou loi prédictive). Nous restons dans le cadre de l'explication kantienne du suc cès des sciences (Il e,j, g, h et 8 b, c) . Mais il y a plus : l'interfé rence entre les phénomènes et les instruments va mettre en défaut (provisoirement comme le souhaitait de Broglie, ou fondamenta lement ?) la représentation déterministe des phénomènes. interaction avec nos instruments de mesure
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En 1 926, l'expérience du microscope de Heisenberg confIrme qu'il n'est pas possible de déterminer simultanément, avec une précision arbitrairement grande, la position et la vitesse d'une particule élémentaire. Ces relations d'incertitude indiquent qu'une contrainte absolue pèse sur l'observation même des processus quantiques : l'opération de mesure introduit une modifIcation irréversible et imprévisible de l'état du système observé. On ne peut plus garantir l'indépendance de l'objet quantique par rapport à l'observateur. Toutefois, l'interaction entre le phénomène et l'appareil de mesure ne réduit nullement l'objet quantique à une simple manière dont ma sensibilité (prolongée par un microscope) est affectée. C'est le comportement des particules par rapport aux conditions de l'observation qui est en cause, et non les formes a priori de mon entendement et de ma sensibilité, lesquelles ne sont pas responsables du caractère discontinu et statistique des phénomènes quantiques. L'existence des quanta d'énergie est d'ailleurs tout à fait recevable dans le cadre d'une théorie réa liste de la connaissance - où nous connaîtrions les choses en soi. Bref, les quanta ne sont pas nécessairement kantiens. Sur certains points même, la physique quantique malmène les Principes métaphysiques de la science de la nature, tels que Kant les conçoit en 1 786 (un an avant la seconde Préface). Selon Niels Bohr, la théorie des quanta oblige à « considérer la présentation dans l'espace et le temps et le principe de causa lité, dont la combinaison est caractéristique des théories classi ques, comme des traits complémentaires, mais exclusifs l'un de l'autre, de la description du contenu de l'expérience ». L'appli cation de nos principes et de nos catégories (succession de la cause et de l'effet, permanence de la substance) aux objets dans l'espace et dans le temps se trouve par là compromise. En un mot, Bohr enterre « l'adéquation de la coordination spatio-temporelle et de la corrélation causale de l'expérience ». De même, pour Heisenberg, la distinction kantienne entre les formes subjectives de la connaissance et la matière propre aux phénomènes doit être révisée. Dans l'observation nous créons
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divers degrés d'interférence avec la nature, et il devient difficile de fIxer systématiquement ce qui relève des éléments a priori et ce qui appartient au contenu de l'expérience. D'ailleurs, la physique contemporaine, embarrassée par la complexité de ses instruments théoriques et observationnels, n'adopte pas l'idéalisme formel de Kant. Elle professe un réa lisme de principe, appelé « réalisme lointain » : nous avons bien affaire à une réalité physique distincte de nos méthodes et de nos observations, mais pour cette raison même, elle nous échappe en grande partie. Le mystère de l'accord entre les structures intimes de la matière et les formes mathématiques permettant d'expliquer ou de prédire son comportement reste entier. La perplexité qu'exprimait Einstein à ce sujet nous laisse démunis quant à l'explication du succès des sciences physiques : « La chose la plus incompréhensible à propos du monde, c'est qu'il soit compréhensible. » Poincaré au secours des jugements synthétiques a priori. La doctrine kantienne des jugements synthétiques a priori, qui formeraient la partie pure de nos connaissances scientifIques peut encore être assumée, dans une certaine conception des mathématiques. C'est ce que suggère l'enquête menée en 1 902 par Henri Poincaré, au début de La science et l 'hypothèse, dans son chapitre Sur la nature du raisonnement mathématique. Dans le raisonnement dit « par récurrence », quand on veut démontrer qu'un théorème est vrai pour tout entier naturel n, on montre qu'il est valable pour n = l , et que s'il est vrai de n, il est également vrai de n + 1 . Cette sorte d'induction mathéma tique revient à étendre, à l'ensemble des entiers naturels, une propriété vérifIée pour 1 et pour deux entiers successifs quel conques. La propriété que le théorème affmne de tous les entiers naturels est donc construite en suivant la loi de formation de l'en semble des entiers naturels. Ce procédé, « inaccessible, selon Poincaré, à la démonstration analytique et à l'expérience, est le véritable type du jugement synthétique a priori ». Notons-le pour fInir : Poincaré a également repris à son compte cette profession de foi assez kantienne (que l'on trouve �
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déjà chez Laplace ou Comte) : « Ce que la science peut atteindre, ce ne sont pas les choses elles-mêmes, conune le pen sent les dogmatistes naïfs, ce sont seulement les rapports entre les choses ; en dehors de ces rapports, il n'y pas de réalité connaissable » (cf. Critique, p. 245). Oui, la place est laissée vacante pour une donnée non pas théorique, mais morale. Mais cette place est-elle vraiment libre, ou seulement vide ? Avons-nous su la remplir en remplissant notre devoir d'honune, ou l'avons-nous abandonnée en tolé rant que puisse être défigurée la ressemblance qui est entre tous les honunes ?
Texte Critique de la raison pure : Préface à la seconde édition
(1 787)
1 (a)' S i , dans le trava i l que l 'on fa it s u r des con n a issances q u i sont proprement l 'affa i re de l a raison , on s u i t ou n o n l a marche sûre d ' u n e science, vo i l à ce dont on peut b i e ntôt j u ger d'après le rés u l tat. (b) Quand, après avo i r fa it bea u c o u p de d isposition s et d e préparatifs, on tom be d a n s l ' em b a rras, aussitôt q u ' o n en vient a u but, ou que, pou r l 'atte i n d re, o n d oit, p l u s i eu rs foi s, retou rner e n arrière e t p ren d re u n e a utre rou te i (c) q u a n d , d e même, i l n 'est pas poss i b l e de mettre d ' acco rd les d i vers co l l a bo rate u rs sur la m a n i ère dont i l fa ut pou rsu i vre le but com m u n , a l o rs on peut to u j o u rs être conva i n c u q u ' u ne tel le étude est encore bien l o i n d ' avo i r s u i v i la marche s O re d ' u n e science et q u ' e l l e est u n s i m p l e tâto n n ement i (d) et c'est déjà u n mérite pou r la raison de déco u v r i r, autant qu'el le peut, ce c h em i n , d O t-el le même ren o n cer, comme à des choses va i n es, à p l u s i e u rs vues q u i éta ient conte n u es dans l e but pri m itif qu'on s'éta it proposé sans réflexion . 2 (a) Que l a Logique a i t s u i v i cette marche s O re déjà depu i s les temps les plus anciens, c'est év ident pu isque, depu is Ari stote, e l l e n'a été obl igée d e fai re a u c u n p a s e n a rrière : je su ppose en effet que l ' o n ne vou d ra pas l u i com pter pour des amél i orations la m ise au rancart de q u e l q ues s u bt i l ités s u perfl ues o u u n e déter m i nation pl us c l a i re de son exposé, c hoses qui touchent p l u tôt à l ' é l égance 1 . Comme indiqué dans notre avant-propos, les numéros e t les lettres entre parenthèses sont destinés à baliser les articulations élémentaires du texte et à faciliter nos renvois
à celui-ci.
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q u ' à la certitude de la science. (b) Ce q u ' i l faut encore ad m i rer e n el le, c'est q u e , j u squ'à présent, e l l e n'a pu fa i re, non p l u s, a u c u n pas en avant et que, par con séq uent, selon toute apparence, e l l e sem b l e c l ose e t achevée. (e) E n effet, s i q u e l q u es modernes ont cru l ' éten d re en y ajoutant des c h a p itres so it de Psychologie, sur les d iverses fac u l tés de la co'n n a i ssance ( l ' i magi nation, l'esprit), soit de Métaphysique, s u r l'origine de l a con n a i ssance ou s u r les d iverses espèces de certitude s u i vant la d i versité des objets (sur l ' Idéal isme, le Sceptici sme, etc .), soit d'Anthropologie, sur les préj ugés ( l e u rs cau ses et l e u rs remèdes), cela prouve l e u r méco n n a i ssance de l a n a t u r e propre de cette s c i e n c e . (d) O n n ' éten d p a s , m a i s on défi g u re les scien ces, q u a n d o n en fa it se pénétrer les l i m ites ; or, la dél i m itati on de la logique est rigoureusement détermi née par cela seu l q u ' e l l e est u n e science qui expose d a n s le déta i l et prouve de man ière stri cte, u n i quement les règ l es formel l es de toute pen sée (que cette pen sée soit a priori ou empi rique, q u ' e l l e ait tel le ou te l le o r i g i n e ou tel ou tel obj et, q u ' e l l e tro uve d a n s n otre esp rit des obstac l es acc i d ente l s ou natu rel s ) . 3 (a) Si la Logique a s i bien réussi, e l l e ne doit cet avantage q u ' à sa l i m itation q u i l 'autorise e t m ê m e l 'obl ige à fa i re abstraction de tou s l es objets de l a con n a i ssance et de tou tes l e u rs d i fférences, par s u ite d e q u o i l 'entendement n'a à s'y occuper abso l u ment q u e de l u i - m ême et de sa forme. (b) I l deva it être natu re l l ement p l u s d if fi c i le pour la ra ison d 'entrer dans la vo ie sO re de la science, quand e l l e n'a p l u s affa i re s i m plement à e l l e-même, m a i s aussi à des obj ets ; (e) c' est pou rq u o i l a logique même, en ta nt que propédeu tiq ue, ne constitue, pou r ainsi d i re, que l e vest i b u le des sciences, et q u a n d i l est questi o n des con nai ssances, on su ppose, i l est vra i , u n e l o g i q u e pou r les appréc i er, mais l'acq u i sition de ces c o n n a i ssances est à chercher d a n s les scie nces proprement et objectivement appe lées de ce n o m . 4 (a) En tant q u ' i l d o i t y avo i r de l a raison d a n s l e s sci ences, i l faut qu'on y con n a i sse q u e l q u e c h ose a priori et l a c o n n a issance de la rai son peut se rapporter à son objet de deux man i ères, soit s i m p lement po u r déterm iner cet objet et son con cept (q u i d o i t être donné d ' a u tre part), soit aussi pou r le réa liser. L ' u n e est la connaissance théorique et l 'autre la conna issance pratique de la raiso n . (b) I l fa ut que la partie ,
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pure de c h ac u ne, si éte n d u ou si restrei nt q u e pu i sse être son conte n u , à savo i r, cel l e dans laquel l e la ra ison déterm i n e son objet entièrement a priori, soit exposée tout d' abord seu l e et sa ns a u c u n mél ange de ce q u i v i e n t d ' autres sou rces ; (c) car c'est de la mauvaise économ i e q u e de dépenser ave ugl é men t tou tes ses ren trées, sans pouvo i r d isti nguer plus tard, q u a n d l es reve n u s v i e n n e n t à manq uer, quel l e part i e d e ces reve n u s peut supporter la dépense et sur q u e l l e partie i l fau t la restre i n d re. 5 (a) La Ma thématique et la Physique sont les deux con n a i s sances théo r i q u es de la ra i so n q u i doivent déterm i ner l e u rs obj ets a priori, la p rem ière d ' u n e façon entièrement pu re, la seco nde a u moi n s e n partie, m a i s a l ors en ten a n t com pte d ' a utres sou rces de con n a i ssance q u e de ce l l es d e la raiso n . 6 (a) L a Mathématique, depu i s l e s temps l e s p l u s rec u lés o ù s'étend l ' h i sto i re de la ra ison h u m a i ne, est entrée, chez l ' ad m i ra b l e peuple grec, dans la voi e s û re d ' u n e science. Mais i l ne fa ut pas croi re q u ' i l l u i ait été plus fac i l e qu'à la Logique, où la raison n'a affa i re q u ' à e l l e-même, de trouver cette vo i e roya le,. ou p l u tôt de se la tracer à e l l e-même. (b) Je cro i s p l utôt q u e (pri n c i pa l ement c h ez les É gyptiens) e l l e est restée l o n gtemps à tâto n ner et q u e ce c h a n gement défi n itif d o i t être att r i b u é à u n e révolution q u 'opéra l ' heu reuse idée d ' u n seu l hom me, d a n s une tentative à part i r de laque l l e la voie q u e l ' o n deva i t su ivre ne pouvait p l u s reste r cachée et par laquel l e éta it ouverte et tracée, pou r tous les temps et à des d i s tances i n fi n ies, la marche s û re d ' u n e science. (c) L ' h i sto i re de cette révo l ution d a n s la méthode, q u i fut p l u s i m porta nte q u e la décou verte de l a route du fa meux cap, et cel l e de l ' h eu reux mortel q u i l'acco m p l it, ne n o u s sont po i n t parven ues. Cependant la trad ition que n o u s rapporte D i ogè n e Laêrce, qui n o m m e le p réte n d u i n ven teu r des plus pet i ts é l éments des démonstrat i o n s géo mét r i q u es, de ceux qui, de l 'avis généra l , n'ont jamais beso i n de démonstrat i o n , prouve q u e le souve n i r de la révo l ution q u i fut opérée par le pre mier pas fa it d a n s cette vo i e réce m m e n t découverte a dû pa raître extraord i n a i rement i m po rta nt aux mathémat i c i e n s et est deven u par là même i n o u b l iable. (d) Le prem ier q u i démontra le triangle isocèle (qu ' i l s'appelât Thalès ou comme l ' o n vo u d ra) eut u n e révé lation ; car il trouva q u ' i l ne deva it pas su ivre pas à pas ce q u ' i l
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voya it d a n s la fi gu re, n i s' attac her au s i m p l e concept de cette figure comme si cela deva it l u i en apprend re les propriétés, m a i s q u ' i l l u i fal l ait réal iser (ou con stru i re) cette figu re, au moyen de c e q u' i l y pensa it et s'y représe nta it l u i -même a priori par concepts (c'est-à d i re par constructi on), et que, pour savo i r sû rement q u o i que ce soit a priori, il ne deva it attribuer aux c hoses que ce q u i rés u ltera it n écessa i rement de ce que l u i-même y ava it m i s, co nformément à son con cept. 7 (a) La Physique arriva bien p l u s l entement à trouver l a grande vo ie de la science ; i l n'y a guère plus d ' u n siècle et demi en effet que l 'essai magistral de l ' i ngén ieux Bacon de Veru lam en partie pro voq u a et en partie, car on éta it déj à s u r sa trace, ne fit q u e sti m u ler cette découverte q u i , tout comme la précéd ente, ne peut s'ex p l i q uer q u e par u n e révol ution s u b ite d a n s la man ière de penser. Je ne veux considérer ici la Physique qu'en tant q u ' e l le est fo ndée s u r d e s pri n c i pes empi riques. 8 (a) Quand Gal i lée fit rou ler ses sphères sur u n plan i nc l i n é avec u n degré d 'accélération d O à l a pesante u r déterm i n é se l o n sa vo lonté, quand Torrice l l i fit supporter à l ' a i r un po ids qu' i l sava it l u i même d 'avance être égal à cel u i d ' u ne colonne d'eau à l u i conn ue, ou q u a n d , plus tard, 5ta h l transforma les métaux en chaux et la chaux e n méta l , e n l e u r ôta nt ou en l u i restituant q u e l q u e c hose 1 , ce f u t u n e révé l ation l u m i neuse pou r tou s l e s physi c i e n s . (b) Ils compri rent que l a ra ison ne vo it que ce q u ' e l l e prod u it el le-même d'après ses propres p l a n s et q u ' e l l e doit pren d re les d evants avec les pri n c i pes q u i d éterm i nent ses j u gements, s u i vant des l o i s i m m u a b l es, q u ' e l l e doit o b l i ger l a nature à répon d re à s e s questions et n e pas se l a i sser cond u i re pou r ainsi d i re en l a i sse par el le ; car autrement, fa ites a u hasa rd et sans a u c u n p l a n tracé d ' avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessai re, c h ose que l a raison demande et dont e l l e a beso i n . (c) Il faut donc que la ra i so n se présente à la n ature tenant, d ' u n e m a i n , ses pri n c i pes q u i seu l s peuvent don ner a u x phén omènes concordant entre e u x l ' a u torité de l o i s, e t de l'autre, l 'expéri mentation qu'elle a i magi née 1 . Je ne suis pas ici, d'une manière précise, le fil de l'histoire de la méthode expé rimentale, dont les premiers débuts, d'ailleurs, ne sont pas bien connus.
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d'après ces p r i n c i pes, pou r être i n stru ite par e l le, i l est vra i , m a i s n o n pas c o m m e u n éco l i e r q u i s e l a i sse d i re tout ce q u ' i l pl aît a u maître, m a i s , au contrai re, c o m m e u n j u ge en fonctions q u i force les tém o i n s à répon d re aux q u estions q u ' i l l e u r pose. (d) La Phy sique est donc a i n s i redevab l e de la révo l ution si profitable opérée dans sa méthode u n i q u ement à cette i d ée q u ' e l l e doit chercher dans la n atu re - et non pas fa u ssement imaginer en e l l e - confor mément à ce q u e la raison y transporte el le-même, ce q u ' i l fa ut qu'e l l e en appre n n e et dont elle ne pourra i t rien connaître par e l l e même. C'est par l à seu l ement q u e la Phys i q u e a trouvé to ut d'abord l a marche sûre d ' u n e sc ience, a l o rs q u e depu i s tant de s i è cles e l l e en éta it restée à de s i m p l es tâto n n ements. 9 (a) La Métaphysique, co n n a i ssance spéc u l ative de l a ra i son tout à fa it iso lée et qui s'élève complètement a u -dessus des ensei gnements de l 'expérience par de s i m p l es concepts (et n o n pas, comme l a Mathématique, en app l i q u a n t ses con cepts à l ' i ntuition), et où , par conséquent, l a ra i son doit être son propre él ève, n ' a pas encore eu j u s q u ' i c i l ' h e u reuse desti née de pouvo i r s'engager d a n s la démarche s û re d ' u n e science ; e l l e est cependant p l u s a n c i e n n e que tou tes l es autres e t e l l e s u b s isterait q u a n d b i e n même tou tes les autres ensem b l e seraient englouties dans l e gou ffre d ' u n e barba rie entièrement d évastatrice. (b) Car la ra i so n s'y trouve conti n u e l lement d a n s l ' e m barras, même q u a n d e l l e veut apercevo i r a priori des lois que l'expérience la p l u s vulgaire confi rme ou, du moi ns, a l a prétention de confirmer. (e) En el le, i l faut s a n s cesse rebrousser chem i n , parce q u 'on tro uve q u e la ro ute q u ' o n a s u i v i e ne mèn e pas où l'on veut arriver. (d) Quant à l ' accord de ses partisans d a n s leurs assertions, e l l e en est tel l ement élo ignée q u ' e l l e semb l e être p l u tôt u n e arène to u t parti c u l ièrement dest i n ée à exercer les fo rces des l utte u rs en des com bats d e parade et où j a m a i s u n c h a m p i o n n'a pu s e ren d re maître de l a p l u s petite p l ace e t fonder s u r s a vic to i re une possess ion d u rable. (e) O n n e peut pas hésiter à d i re que sa méthode n ' a i t été j u sq u ' i c i q u ' u n simple tâto n n ement et, ce q u ' i l y a de p l u s fâcheux, u n tâto n n e ment parmi de s i m p les con cepts. 1 0 (a) Or, d'où vient q u ' o n n'a pas pu tro.u ver encore ici la s û re voie de la science ? Cela sera it- i l par hasard i m poss i b l e ? Pou rq u o i donc l a n atu re a-t-e l l e m i s d a n s notre r a i s o n cette tendance i nfati-
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gable q u i l u i fa it en rechercher la trace, comme si c'éta it un de ses i ntérêts les p l u s considérables ? B ien pl us, com b ien peu de motifs nous avo n s de nous fier à notre ra ison, s i , non seu lement e l l e nous abandonne d a n s u n des sujets les plus i m portants de n otre c u r i o s ité, mais si encore e l l e nous amorce par des i l l usions d'abord, pour nous tromper ensu ite ? (b) Peut-être j usqu' i c i n e s'est-on que trompé d e route : quels i n d ices pouvons-nous uti l iser pour espérer q u 'en renouve l a n t nos rec herches nous serons p l u s heu reux q u ' o n n e l ' a été avant n o u s ? 1 1 (a) Je deva i s penser que l ' exem p l e de la Mathématique et d e l a Phys i q u e q u i , p a r l'effet d ' u n e révo lution sub ite, sont devenues ce que nous les voyons, éta it assez remarq u a b l e pou r fa i re réfléc h i r s u r l e ca ractère essen tiel de ce c h a n gement de méth ode q u i l e u r a été s i avantageux et pou r porter à l ' i m iter ici - d u m o i n s à ti tre d 'essa i autant q u e le permet l e u r a n a l og ie, en tant que co n n a i s sances ration nel l es, avec l a métaphysique. (b) J u sq u ' i c i on ad met ta it q ue toute n otre c o n n a issance deva it se régler sur l es obj ets (sich nach den Gegenstanden richten) ; m a i s, d a n s cette hypothèse, tou s l es efforts te ntés po u r éta b l i r s u r eux q u e l q u e j ugement a priori par concepts, ce q u i a u ra i t accru n otre con n a i ssance, n ' a boutissaient à rien. (c) Que l'on essa ie donc enfi n de vo i r si nous ne serons pas p l u s h e u reux dans l es problèmes de la métaphys i q u e en su pposan t q u e les objets d o i vent se régler s u r n otre con n a i s sance, ce q u i s'accorde déjà m ieux avec la poss i b i l ité dési rée d ' u ne con n a i ssance a priori de ces obj ets q u i éta b l i sse q u e l q u e c hose à l e u r égard avant q u ' i l s n o u s soient don nés. (d) I l en est préc i sément i c i comme de la pre m ière i d ée de Copern i c ; voya nt q u ' i l ne pou vait pas réu s s i r à expl iquer l es mouvements du c i e l , en admetta nt que toute l ' armée des éto i les évo l ua i t auto u r d u spectate u r, il c her cha s' i l n ' a u ra i t pas p l u s de succès en fa isant tou rner l'observate u r l u i -même auto u r des astres i m mobi les. (e) O r , en Métaphysique, o n peut fai re u n pare i l essai , pour c e q u i est de l ' i ntuition d e s objets. S i l ' i ntuition d eva it s e régler s u r l a nature des objets, j e n e vois pas comment on en pou rra it con n aître q u e l q u e chose a priori ; si l'ob jet, au contra i re (en tant qu'objet des sens), se règ l e sur l a nature de n otre pouvo i r d ' i ntu ition, j e puis me représenter à merve i l l e cette poss i b i l ité. (f) M a i s, comme je ne peux pas m'en ten i r à ces intu i-
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tions, s i e l les d o i vent deven i r des con na issances ; et comme i l faut que je les rapporte, en tant q u e rep résen tations, à q u e l q u e c h ose q u i en soit l ' o bj et et que je l e d éterm i ne par l e u r moyen, je p u i s admettre l ' u ne de c e s d e u x hypoth èses : (g) ou l e s concepts p a r l es quels j'opère cette déterm i nation se règlent aussi s u r l 'o bj et, et alors je me trouve d a n s la même d iffi cu lté sur la q u esti o n de savo i r com ment je p e u x en c o n n aître q u e l q u e c h ose a priori, ou bien les objets, ou, ce q u i rev ient au même, l 'expérience dans laq u e l l e seu l e i l s s o n t con n u s (en t a n t q u ' objets d o n n és) se règle s u r c e s concepts - et je vo i s aussitôt . u n moyen p l u s fac i l e de sortir d'embarras. (h) E n effet, l ' expérience e l l e-même est u n mode d e con n a i ssance qui exige l e concours d e l ' entendement dont il me faut présupposer la règ l e en moi-même ava nt que les o bj ets me soient d o n nés par conséq u e n t a priori, et cette règ l e s'exp r i m e en des con cepts a priori su r lesq u e l s tou s les objets de l 'expérience d oivent nécessai rement se régler et avec lesq u e l s i l s d o i vent s' accorder. (i) Q u a n t a u x objets, d a n s la mesu re o ù i l s s o n t s i mplement pensés, e t sont pensés avec nécess ité par l a raison, mais sans pouvo i r être d o n n és (d u m o i n s tel s que la ra ison les pense) d a n s l ' expé r ience toutes l es tentatives de le penser (car i l fa it pourtant bien qu'on p u i sse les penser) doivent, par conséquent , fou rn i r u n e excel lente pierre de tou c h e de ce q u e n o u s regardo n s c o m m e un c h a n gement de méthode dans la façon d e pen ser, à savo i r q u e n o u s n e con n a is so n s a priori des c hoses q u e ce que nous y metto n s n o u s-mêmes' .
1 . (j) Cette méthode empruntée aux physiciens consiste donc à rechercher les élé ments de la raison pure dans ce qu'on peut confirmer ou rejeter au moyen de l'expéri mentation. (k) Or, il n'y a pas d'expérience possible (comme il y en a en physique) qui permette d'examiner quant à leurs objets les propositions de la raison pure, surtout lorsqu'elles se risquent en dehors des limites de toute expérience possible. (1) On ne pourra donc faire cet examen que sur des concepts et des principes admis a priori, en les envisageant de telle sorte que ces mêmes objets puissent être considérés sous deux points de vue différents, d'une part comme objets des sens et de l'entendement dans l'expérience (for die Erfahrung), et d'autre part comme objets que l'on ne fait que pen ser, c'est-à-dire come des objets de la raison pure isolée et s'efforçant de s'élever au
dessus des limites de l'expérience. (m) Or, s'i! se trouve qu'en envisageant les choses sous ce double point de vue, on tombe d'accord avec le principe de la raison pure, et que, les considérant sous un seul point de vue, la raison tombe inévitablement en conflit avec elle-même alors l'expérimentation décide en faveur distinction.
de l'exactitude de cette
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12 (a) Cet essa i réu ssit à so u h a i t et p romet à la Métaphys i q u e, d a n s sa pre m i ère partie, où e l l e ne s'occupe que des con cepts a priori dont l es obj ets co rrespon d a nts peuvent être d o n nés d a n s l 'expérience conformémen t à c e s con cepts, la marc h e asssu rée d ' u n e science. (b) On peut, en effet, très b i en expl i q u er, à l ' a ide de ce c h a n gement de méthode, la poss i b i l ité d ' u ne con n a i ssance a priori et, ce q u i est encore pl us, doter les lois, q u i servent a priori de fo ndement à la n atu re, c o n s i dérée comme l 'ensem b l e des objets d e l 'expérience, de leurs p reuves suffi santes deux c hoses q u i éta ient i m possi b l es avec l a méth ode j u sq u ' i c i adoptée. (c) Mais cette déduction d e notre pouvo i r d e c o n n aître a priori c o n d u it, dans la pre m ière partie de l a Métaphysique, à u n rés u l tat étrange et q u i , en apparence, est très préj u d i c i a b l e au but q u ' e l l e pou rsu it dans sa seconde parti e : c'est q u ' avec ce pouvo i r n o u s n e pouvo n s p a s dépasser l e s l i m ites de l 'expérience possi ble, ce q u i pourtant est l 'affa i re la p l u s essentiel le de cette science. (d) Mais la vérité d u résu l tat a u q u e l n o u s arrivons d a n s cette p rem ière appl i cation d e n otre c o n n a i ssance rati o n n e l le a priori nous est fou rn ie par l a contre-épreuve de l 'expéri mentat i o n , en cela m ê m e q u e cette fac u lté n ' atte i n t que des phéno mènes et non les choses en so i q u i , bien q u e réel les p a r e l l es-mêmes, restent i n con n ues de n o u s . (e) Car ce q u i nous po rte à sort i r nécessa i rement d e s l i m ites de l ' ex périence et de to u s les phénomènes, c'est l 'Inconditionné que la ra ison exige dans les choses en so i , nécessa i rement et à bon d roit, pou r tout ce q u i est con d iti onné, afi n d'achever a i n s i la série des cond itions. (f) Or, en admetta nt que n otre con n a i ssance expéri menta l e se règ le s u r les objets en tant q u e choses en so i , on trouve que l ' I ncond itionné ne peut pas €tre pensé sans contrad iction ; (g) au contra i re, s i l ' on ad met q u e n otre représentati o n des choses tel les q u ' e l les nous sont données n e se règl e pas su r les choses mêmes considérées comme c h oses en so i , m a i s que c' est pl utôt ces objets, com me phénomènes q u i se règ lent s u r notre mode de représen tation, la contradiction disparaît, (h) et s i , par con séq ue nt, l ' I ncond it i o n n é ne do it pas se trouver dans les c h oses en tant q u e nous l e s con n a i ssons (qu'el les nous sont données), mais bien d a n s les choses en ta nt q u e n o u s n e les c o n n a issons p a s , en ta nt q u e c h oses en soi, c'est u ne preuve q u e ce que nous avo n s ad m i s tout
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d'abord à titre d'essa i est fon d é ' . (j) Or, i l nous reste encore à cher cher, après avo i r refusé à l a raison spéc u l ative tout progrès d a n s le champ du s u p ra-se n s i b le, s' i l ne se trouve pas, d a n s le domaine de sa con n a issance p ratique, des d o n n ées q u i l u i permettent de d éter m i ner ce concept rat i o n n e l transce ndant de l ' I ncond i t i o n n é et d e dépasser, d e cette m a n ière, conformément au d é s i r de l a Métap h y sique, les l i m ites de toute expérience poss i b l e avec notre co n na i s sance a priori, m a i s u n i quement poss i b l e au po i nt de vue prat i q u e (k) En su ivant cette méthode, la ra ison spéc u l at ive nous a d u m o i n s procu ré u n champ l i bre pou r u n e parei l l e extension, b i e n q u ' e l l e ait d û le l a i sser vide. Il nous est donc encore perm is, e l l e-même nous y invite, de le remp l i r, si nous pouvons, par des don nées pratiq u es2• 13 (a) C ' est d a n s cette tentative de c h a n ger la m éth ode s u i v i e jusq u ' i c i en Métaphysiqu e e t d'opérer a i n s i en e l l e u n e révo l ution tota le, s u i vant l 'exe m p l e des géomètres et des phys i c iens, que consiste l'œuvre d e cette Crit i q u e d e l a raison p u re spéc u l a t ive (b) E l l e est u n tra ité de l a méth ode et non u n système de l a sc ience e l l e - m ê me (c) M a i s el le e n décrit tout de même l a c i r conscription tota l e, tant par rapport à ses l i m ites q u e par rapport à sa s t ruc t u re i nterne i c'est q u e la ra ison pure spéc u l ative a cec i .
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1 . (i) Cette expérimen tation de la raison pure a beaucoup d ' analogie avec celle que les chimistes appellent souvent essai de réduction, mais généralement procédé syn thétique. L 'analyse du métaphysicien sépare la connaissance a priori en deux éléments très différents, à savoir : celui des choses comme phénomènes et celui des choses en soi.
La dialectique les réunit de nouveau pour faire l'accord avec l'idée rationnelle néces saire de l 'inconditionné et elle trouve que cet accord n'est jamais produit que par cette distinction, laquelle est par conséquent vraie. 2 . (1) C'est ainsi que les lois centrales des mouvements des corps célestes conver tirent en certitude absolue la théorie que Copernic n'avait admise tout d'abord que comme une hypothèse , et qu'elles prouvèrent en même temps la force invisible qui lie le système du monde (l 'attraction de Newton) et qui n'aurait jamais été démontrée si Copernic n'avait pas osé rechercher, d'une manière contraire au témoignage des sens, mais pourtant vraie, l'explication des mouvements observés, non dans les objets du ciel, mais dans leur spectateur. (m) Dans cette préface, je ne présente que comme une hypothèse le changement de méthode que j'expose dans la Critique et qui est analogue à cette hypothèse de Copernic. Ce changement sera toutefois établi, dans le traité même, par la nature de nos représentations de l'espace et du temps et par les concepts élémentaires de l'entendement : il sera donc prouvé non plus hypothétiquement mais bien apodictiquement. Je le présente ici comme hypothèse uniquement pour faire res sortir le caractère toujours hypothétique des premiers essais d'une réforme de ce genre.
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de partic u l ier en e l l e-même, q u ' e l l e peut et doit mes u rer exacte ment son propre pouvo i r su ivant les d iverses man ières dont e l l e c h o i s i t l es obj ets d e s a pen sée e t fa i re a u s s i u n dénombrement comp let de to utes les faço n s d ifférentes de se poser l es pro b l è mes, en même temps que se tracer, de cette m a n i ère, tout le p l a n d ' u n système de métaphys i q u e . (d) E n effet, pou r ce q u i rega rde le prem ier poi nt, d a n s la con n a i ssance a priori rien n e peut être attr i b u é a u x obj ets q u e c e q u e l e s u j et pensant t i re d e l u i-même et, (e) pou r c e q u i est d u secon d poi nt, p a r rapport a u x pri n c i pes de l a co n n a i ssan ce, l a ra ison p u re est u n e u n ité tout à fa it à part et q u i se suffit à el l e-même, d a n s laquel l e chaque membre, comme d a n s un corps organ i sé, existe pour l es a utres et tous pou r c h a c u n et où n u l p ri n c i pe ne peut être p r i s avec certi t u d e so u s un point d e vue sans avo i r été exa m i n é d a n s l 'en semble de ses rapports av.ec tout l ' u sage pur de la ra iso n . (f) Mais, pou r cela, la Métaphys i q u e a aussi le rare bo n h e u r, qui n e sa u rait être le partage d ' a u c u n e autre science rati o n n e l l e ayant affa i re à des obj ets (car la logique ne s'occ upe q u e de la forme de la pen sée en généra l), q u ' u n e fo i s engagée par cette Critique dans la démarche sûre d'une scien ce, e l l e peut embrasser p l e i n ement tout l e champ des con n a i ssan ces qui l u i appartien nent, achever a i ns i son œuvre et la tra n smettre à l a posté rité comme u ne pos sess ion uti l i sable, m a i s q u ' i l est i m poss i b l e de jamais augmenter, pa rce q u ' o n a u ra s i m p l ement à s'occ u per des pri n c i pes et des l i m ites de l e u r usage, l i m ites que la Critique déterm i n era el le même. E l l e est donc ten u e à cette perfection en ta nt que science fondamentale et c'est d ' e l l e q u ' i l faut pouvo i r d i re : n i ! actum reputans si quid superesset agendum (el le considère que rien n 'est accompl i , tant q u ' i l reste que lque chose à fa i re) . 14 (a) M a i s q u e l est donc, demandera t-on, ce trésor q u e nous pensons léguer à la postérité avec u ne Métaphys i q u e ainsi épu rée par la Critique et pl acée aussi par e l l e dans u n e position fixe. On sera amené, par un coup d'œ i l rap ide jeté s u r cette œu vre, à penser q u e l ' uti l ité n'en est q u e négative, c'est à-d i re q u e nous ne pou rrons jama is, avec l a ra ison spéc u l ative, nous risquer au -delà des l i m ites de l ' expérience, et c'est là, dans le fa it, sa première uti l ité. (b) Mais cette uti l ité deviendra positive, dès q u 'on s'a percevra -
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que les p r i n c i pes s u r l esquels l a ra ison spéc u l ative s'appu i e pour se hasarder au-delà de ses l i m ites ont en réa l i té pou r con sé quence i név ita b l e non pas u n e extension, m a i s bien, à y regarder de p l u s près, u n rétrécissement de l ' usage de n otre ra i so n . (e) En effet, ces pri n c i pes menacent d'étend re rée l lement à to ut l es l i m ites de la sen s i b i l ité d'où i ls relèvent proprement et d'a n n i h i ler entièrement l ' u sage p u r de l a ra ison (prati que). (d) C' est pou rq u o i une critique q u i l i m ite la raison spéc u l ative est négative e n tant que te l le ; m a i s s u p p r i m a n t d u même c o u p u n obsta c l e qui en menace l ' u sage pratique, ou q u i menace même de l ' a n éantir, el l e est en réa l ité d ' u n e uti l i té positive e t très i m portante, d è s q u ' o n est conva i ncu qu ' i l y a u n u sage prat i q u e a bso l u ment nécessa i re de la ra ison p u re ( l ' u sage moral), dans lequel e l l e s'étend i névita blement au-delà des l i m ites de la sens i b i l ité - en q uoi, en vérité, e l l e n'a beso i n d'aucu n secou rs de l a ra i son spéc u l ative mais da n s lequel a u s s i i l faut q u ' e l l e soit assu rée contre toute opposi tion de la ra i son spécu l ati ve, pour ne pas tom ber en co ntrad ic tion avec e l l e-même. (e) Dénier ceUe u t i l ité positive à ce service que nous rend la Critique éq u i va u d ra i t à d i re que l a po l i ce n'a pas d ' u t i l ité positive, parce q u e sa fonction p r i n c i pale n 'est que de fermer l a po rte à la v i o lence que l es c i toyens peuvent cra i n d re les u n s des autres, pou r q u e chacu n p u i sse fa i re ses affa i res en toute tranq u i l l ité et sécu rité. (f) Que l ' espace et l e tem ps n e so ient q u e d e s formes d e l ' i ntuition sen s i b l e et, par conséquent, que des c o n d i t i o n s de l ' e x i stence des c hoses comme phéno mènes, qu'en outre no u s n 'ayo ns pas d'autres con cepts de l 'en tendement n i , par su ite, des él éments p o u r la con n a i ssance des choses, à m o i n s q u ' u n e i nt u i t i o n corresponda nte à ces con cepts ne p u i sse être don n ée, q ue, par conséquent, nous ne pu issions con n altre aucu n objet comme c h ose en soi, m a i s seu lement en ta nt q u 'objet d ' i ntuition se n s i b le, c'est-à-d i re en ta nt q u e phéno mène, cela se ra prouvé dans la partie a n a l ytique de la Critique. (g) Il en rés u l tera évidemment q u e la seu l e c o n n a i ssance spécu la tive poss i b l e de la ra ison sera l i m itée aux s i m p l es obj ets de l 'expé rience. (h) Toutefois, i l fa ut bien remarqu er, i l y a toujou rs i c i cette réserve à fa i re, q u e nous pouvo n s au m o i n s penser ces mêmes obj ets comme choses en soi, q u o i q u e nous ne p u i s s i o n s
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pas les c o n n altre (en tant que tel s)' . (j) Car autrement on arrive rait à cette proposition absu rde q u ' u n phénomène (ou apparence) existerait sans q u ' i l y ait rien q u i apparaisse (dass Erscheinung ohne etwas ware, was da erscheint). (k) Or, su pposo n s m a i ntenant q u e cette d i sti nction n écess a i rement fa ite par n otre Critique entre l es c h oses comme objets d 'expérience et ces mêmes choses comme c hoses en soi ne fût pas d u tout fa ite, a l o rs, l e p r i n c i pe de causa l ité, et, par conséq uent, le mécan isme natu rel dans la d éterm i n ation des c h oses, d evra it s'étend re abso l u ment à toutes les c hoses en général considérées com me cau ses effic ientes. (1) D u même être, par conséq uent, par exem ple de l ' â m e h u m a i ne, j e ne pourra i s p a s d i re q u e sa vo lonté est l i bre et q u ' e l l e est en même tem ps sou m i se à la nécess ité physique, c'est à-d i re q u ' e l l e n'est pas l i b re, sa ns tom ber d a n s u n e contra d i ction manifeste, p u i sque, dans ces deux propositions, j'ai pris l'âme d a n s le même sens, c' est-à-d i re comme u ne ch ose en général (co mme u n e chose en soi), et q u e, sans une critique préa l able, je n e peux pas l a pre n d re d a n s un a utre sen s. (m) Mais si la Critique n e s'est pas tro m pée en nous apprenant à p ren d re l ' o bj et dans deux sens, c' est-à-d i re comm e phénomène et c o m m e c h ose en so i ; si sa déd uction des concepts de l 'entendement est exacte, s i , p a r conséquent a u s s i l e pri n c i pe de causal ité ne s'app l i q u e q u ' a u x c hoses prises dans l e pre m i er sen s, c'est-à-d i re en t a n t q u 'e l les sont des objets d 'expérience, tan d i s que, dans l e second sens, ces c h oses ne l u i sont pas sou m i ses ; a l o rs l a même vo l onté d a n s l 'ord re d e s phénomènes ( d e s actions v i s i b les) p e u t être pensée comme nécessa i rement sou m i se aux l o i s de l a natu re, et, sous ce rapport, comme n ' étant pas libre et pou rta nt, d ' a u tre part, en tant q u 'a pparte n a n t à u ne c h ose en so i , comme échappant à -
1 . (i) Pour conître un objet, il faut pouvoir en prouver la possibilité (soit par le témoignage de l'expérience de sa réalité, soit a priori par la raison). Mais je pllÏs penser ce que je veux, pourvu que je ne tombe pas en contradiction avec moi-même, c'est-à dire pourvu que mon concept soit une pensée possible, quoique je ne pllÏsse pas répondre que, dans l'ensemble de toutes les possibilités, un objet corresponde ou non à ce concept, pour attribuer à un tel concept une valeur objective (une réelle possibi lité, car la première n'était que logique), il faudrait quelque chose de plus. Mais, ce quelque chose de plus, on n'a pas besoin de le chercher dans les sources théo riques de la connaissance, il peut également se trouver dans les sources pratiques.
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cette l o i n atu rel le, et par conséquent comme libre, sans q u ' i l y ait ici contrad iction. (n) Or, qu o i q u e je ne pu i sse connaÎtre mon â m e , envisagée s o u s ce dern ier point de v u e , p a r l a ra ison spéc u l ative (encore m o i n s par une observation empi rique), n i , par con sé quent, la l i berté comme la prop riété d u n être auquel j ' attr ibue des effets d a n s l e monde sen s i b le, parce qu'il me fau d rait conn aître, d'une man i ère d éterm i n ée, u n tel être dans son ex i s tence et n o n cepen dant d a n s le temps (ce q u i est i m poss i b le, parce q u e je n e p u i s étayer mon con cept sur a u c u n e i n tu ition), je puis po u rta nt penser la l i berté, c'est-à-d i re que l a représentation de cette l i berté ne renferme d u mo i n s en m o i aucune contrad ic tion, s i l ' o n ad met notre d isti nction critique des deux modes d e représentation ( m o d e sen s i b l e e t m o d e i n te l l ectu e l ) e t l a l i m itation qui en déco u l e relativement a u x concepts p u rs de l ' entendeme nt, par conséquent aussi re lativement aux pri n c i pes q u i dérivent de ces con cepts. (0) O r, su pposé q u e l a mora l e i m p l i q u e n écessa i re ment l a l i berté (au sens le p l u s strict), comme u n e propriété de notre vo lonté, p u i sq u ' e l l e pose a priori c o m m e des données de la ra i son des p r i n c i pes p rat i q u es qui ont leur o r i g i n e dans cette même ra ison et qui sera i ent abso l u ment i m poss i b l es sans la su ppos ition de la l i berté ; mais q u e la ra ison spéc u l ati ve a i t démontré que cette l i berté ne se l a i sse n u l lement concevo i r, i l fa ut nécessa i rement que la prem ière de ces s u ppos itions l a supposition morale - ne fasse p l ace à cel l e dont le contrai re renferme u n e contrad iction man i feste ; par conséquent, la liberté et, avec el le, la moral ité (dont le contra i re n e renferme a u c u n e contrad iction , q u a n d o n n e s u p pose pas au préa l a b l e la l i berté) doivent céder l a p l ace au mécan isme de la nature. (p) Mais, comme, au po i n t de vue de l a morale, j'ai seu l e ment beso i n q u e la l i be rté ne soit pas contrad icto i re en e l l e-même, et q u ' a i n s i , d u m o i n s, elle se la isse con cevo i r sans q u ' i l soit néces sa i re de l 'exa m i n er p l u s à fond, que, par su ite, e l l e ne mette a u c u n obstac le a u méca n isme naturel d u m ê m e acte (envi sagé s o u s u n autre rapport) , a i n s i l a doctr i n e de la moral ité garde s a position e t l a physique aussi la s i e n n e . (q) Or, c e l a n'aurait pas l ieu, si la Critique ne nous ava it pas i n stru its auparavant d e notre i név ita b l e i gno rance par rapport a u x c hoses en soi et s i elle n ' avait pas l i m ité à de s i m p l es p h é n o mènes to ut ce que nous pouvons conna1tre théori'
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q u e ment. (r) La même i l l ustration de l'util ité positive des p r i n c i pes critiques de la ra ison p u re se montrera it s i nous envisagions le c o n c ept d e Dieu et cel u i d e l a nature simple d e notre âme, m a i s je n'y i n s i ste pas pou r être c o u rt. (5) Je ne peux donc j a m a i s admettre Dieu, la liberté, l'immortalité en faveu r d u nécessa i re u sage prat i q ue de ma raison, sa n s e n l ever en même temps à la ra i son spéc u l ative ses prétentions à des vues tra n scenda ntes. (t) Car, pou r arriver à ces vues, i l faut q u ' e l l e emploie des pri n c i pes q u i ne s'étendent en fa it qu'aux objets de l 'expérience possi ble, mais q u i , dès qu'on les app l i q u e à ce q u i ne peut pas être un obj et d ' expérience, tra n sfor ment rée l l ement aussitôt cette c h ose en p h é n o m è n e et déc l a rent i m poss i b l e toute extension pratique de la ra i son pure. (u) Je dus donc re lever le savoir afi n d 'obten i r u n e p l ace pou r l a croyance. Du reste, le d ogmatisme d e la Métaphys i q u e, c'est-à-d i re le p réj ugé d ' avancer d a n s cette science sans u n e Critique de l a ra ison pu re, est la vra ie sou rce de toute l ' i ncrédu l ité q u i s' attaq ue à la mora l ité - i n créd u l ité toujours très dogmatique, e l l e auss i . (v) S' i l n'est donc pas i m poss i b l e d e l a i sser à la postérité une Métaphysique systéma tique constru ite s u r le plan de la Critiq ue d e l a ra ison p u re, ce legs ne sera pas un présent de peu de valeu r : (w) soit q u e l'on consi dère s i m p lement la cu ltu re q u e d o i t acq uérir la ra ison en su ivant l a voie s a re d ' u n e sci ence, au l ieu d e procéder p a r l es tâto n n ements aveugles ·et l es d i vagations va i n es qu'el l e fa it sans la critique ; (x) soit qu'on regarde a u ss i l e m e i l leur emploi du temps pou r u ne j e u n esse avide de savo i r q u i trouve dans le dogmatisme h a b ituel u n encou ragement, s i précoce et s i fort, à ra i so n ner fac i l ement sur des c h oses auxq u e l l es el le ne comprend rien et auxq u e l l es, pas p l u s q u e person n e au monde, e l le n 'ente n d ra j a m a i s r i e n , o u à cou r i r à la rec herche de pensées et d ' op i n i o n s nouve l l es et à nég l i ger a i n s i l ' étude des sciences so l i des ; (y) s o i t su rto ut q u e l ' o n fasse entrer e n com pte l ' i n appréc i a b l e avantage d ' e n fi n i r u n e bon ne fo i s avec toutes les obj ections co ntre la mora l i té et la rel i gion, à la man ière de Socrate, c'est-à-d i re par la preuve la p l u s c l a i re de l ' i gnorance de l'adversai re. (z) Car il y a tou j o u rs eu et il y a u ra to ujou rs dans le monde une métaphysique, mais touj o u rs a u s s i on trou vera à côté une d i a l ectique de la raison p u re qui l u i est n atu rel le. La prem ière et la p l us i m portante affa i re de la p h i l osoph ie est donc d'en l ever,
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une fo i s pou r toutes, à cette d i a lect i q u e toute i n fl uence pern i cieuse, en tarissant l a sou rce des erre u rs. 1 5 (a) M a l gré ce c h a n gement i m porta n t d a n s l e c h a m p des scien ces et le préjudice q u e l a ra ison spécu l ative doit en éprouver dans les possess ions qu'el le s'éta it attri b u ées j u s q u ' i c i , tout reste cependant d a n s le même état avantageux q u ' a u paravant, en ce q u i concerne l ' i n térêt généra l de l ' h u man ité et le profit que le monde t i rait j usqu ' i c i des doctri nes d e la ra ison p u re ; le préjud ice n ' affecte que le monopole des écoles, m a i s e n a u c u n e façon /'in térét des hommes. (b) Je demande au dogmat i q u e le p l u s i nflex i b le, s i l a preuve d e la permanence de notre â m e après l a mort, ti rée de l a s i m p l ic ité de s a substance, si cel le de l a l i berté du vou l o i r en face de l ' u n iversel méc a n i sme, fondée s u r de sub ti les, m a i s i mp u i ssantes d i sti nctions de l a n écessité p ratique sub jective et objective, s i cel le de l'existence d e D i eu par le concept d ' u n Ê tre souvera i nement rée l (par la co n t i n gence des objets changeants et la n écess ité d ' u n pre m i e r moteu r), je l u i demande si, après être sorties des éco les, ces p reuves ont jamais pu arriver au p u b l i c et avo i r l a mo i n d re i nfluence s u r sa conviction ? (c) O r, si cela n'est pas arrivé et si l'on ne peut jamais l'attendre, à cause de l ' i n capacité de l ' i nte l l igence ord i n a i re des hommes pou r d ' aussi subti les spéc u l ations ; s i , bien pl us, pour ce qu i concerne le pre m i e r poi nt, cette d i sposition remarq u a b l e n atu re l l e à tout homme de n e pouvo i r j a m a i s être sati sfa i t par rien de tempore l , en tant qu ' i n suffisant au beso i n de son entière desti nation, peut fa i re na1tre l 'espéra nce d ' u n e vie future ; s i , par rapport au secon d po i nt, l a c l a i re rep résentation d e s devo i rs, en opposition avec toutes l es exigences de nos tendances, suffit seu le à fa i re n altre l a co nscience de l a liberté ; s i , enfi n , p a r rapport au tro i sième poi nt, l 'ord re magn ifique, l a beauté, l a prévoyance q u i écl atent de toutes parts dans l a n atu re, sont suffi santes to u tes seules à fa i re naltre la c roya nce en u n sage et gra n d a u teur du monde, co nvic tion qui se propage dans le p u b l ic, en tant q u ' e l l e repose sur des fondements ration n e l s ; (d) a lo rs, non seu lement ce doma i n e reste i n tact, m a i s encore i l gagne p l us de considération, par cela seu l que les éco les a u ront appris d ésorm a i s à ne p l u s é l ever d es pré tentions à u n e vue p l u s haute et p l u s éte n d u e q u e ce l l e à
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laquel le peut arriver aussi fac i l ement la grande fou le (q u i est d igne de notre esti me) et à se l i m iter a i n s i u n iq uement à l a c u l t u re de ces preuves, qui sont à l a portée d e tout l e monde et qui suffi sent au p o i n t de vue mora l . (e) Cette réfo rme ne porte d o n c q u e sur les a rroga ntes prétentions des éco les q u i , i c i (comme, à bon d roit d 'a i l leurs, sur beaucoup d'autres poi nts) , voud ra i ent passer pou r être seu les à c o n n aître et à garder des vérités dont e l l es c o m m u n i q uent au pu b l i c l ' u sage, mais dont el les gardent la c l ef pour e l l es (quod mecum nescit, salus vult scire videri= ce q ue, de lui à moi, i l ne sait pas, i l veut qu'on croie qu'il est le seu l à le savoi r) . (f) N o u s avo n s p o u rtant ten u compte des prétent i o n s p l u s j ustes du ph i losophe spéc u l atif. " demeu re toujours l e déposita i re excl usif d ' u n e science utile au publ ic, q u i ne s'en doute pas, je veux parler de la Critique de l a raison ; jamais el le ne peut, en effet, deven i r pop u l a i re, mais il n'est pas nécessa i re q u ' e l l e le so it ; car si les argu ments fi nement ti ssés à l 'appu i de vérités uti les entrent peu d a n s l a tête du peu p l e, son esprit n ' est pas m o i n s rebe l l e aux objections éga lement subti l es q u e l 'on pou rra it y fa i re. (g) Au contrai re, parce que l ' É cole, ainsi que tout homme q u i s'élève à la spéc u l ation, tombe i n évitablement dans ces deux défauts, l a Critique est o b l igée de préven i r u n e fo is pou r toutes, par l 'examen approfo n d i des d roits de la rai son spéc u l ative, le sca n d a l e que d o i vent causer tôt o u tard , même pou r le peu p l e , l es d isputes où s'en gagent i név ita b l ement l es métaphysic iens (et, en tant que te ls, enfi n , beaucou p de théologiens) sans critique et q u i fi n issent par fausser leurs doctrines . (h) La critique peut seu le cou per dans leurs rac i n es le matérialisme, le fatalisme, l'a théisme, l'incrédulité des l i b res penseu rs le fanatisme, la superstition, fléaux q u i peuvent deve n i r n u is i b l es à tout le monde, enfi n l 'idéalisme et le scepticisme q u i sont d a n gereu x pl utôt po u r les éco les et ne peuvent que d i ffi c i lement passer dans le p u b l i c . (i) S i les gouver nements trouvent bon de se m ê l e r des affa i res des savants, i l sera i t p l u s conforme à l e u r sage souc i pou r les sciences aussi bien q u e pou r les hom mes de favoriser la l i berté d ' u n e tel l e critique q u i seu le est capa ble d'éta b l i r s u r u n e base sol ide les travau x de la ra ison, q ue de souten i r le ri d i c u l e despotisme des écoles q u i jettent les hauts c r i s s u r u n danger p u b l i c q u a n d o n d éc h i re leu rs
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to i les d'ara ignées dont le p u b l i c n ' a jamais eu con n a i ssance et dont par conséq uent i l n e peut pas sen t i r l a perte . 16 (a) La Critique n ' est pas opposée à u n procédé dogma tique de la ra ison d a n s sa c o n n a i ssance p u re en tant q u e science (car l a sc ience d o i t tou j o u rs être dogmat i q u e, c' est-à-d i re stri ctement démon strative, en s'appuyant sur de s a rs p r i n c i pes a priorI), mais e l l e est opposée au dogmatisme, c'est-à-d i re à la prétention d'al ler de l 'avant avec une con n a i ssance pure ( l a con n a i ssance p h i loso ph i q u e) ti rée de concepts d'après des p r i n c i pes te ls que ceux dont la ra ison fa it u sage d ep u i s longtemps sans se demander comment n i de quel d roit elle y est arrivée. (b) Le dogmati sme est d o n c la marche dogmat i q u e q u e suit la raison p u re sans avoir fait une cri tique préa lable de son pouvoir propre. (e) Cette opposition de la Critique au dogmatisme ne doit pas consister, par su ite, à p l a ider l a cause d e cette sté r i l ité verbeuse q u i prend m a l à p ropos le nom de popu l a rité, n i encore m o i n s cel le d u scepticisme qui fa it pro m pte j ustice de toute la méta p h ys i q u e ; (d) la Critique est p l u tôt la p répa rat i o n n écessa i re au dével oppement d ' u n e métaphys i q u e bien éta b l i e en tant q ue science q u i doit être nécessa i rement tra itée d ' u n e m a n i ère dogmat i q u e e t strictement systématique, d o n c sco l a st i q u e (et non popu l a i re) ; c'est l à u n e exigence i névita b l e en métaphy s i q u e, p u i sq u e cette science s'en gage à acco m p l i r son œuvre tout à fa it a priori et, par su ite, à l ' entière satisfaction de la ra i son spécu lative. (e) Dans l ' exécution du plan q ue trace la Critiq ue, c'est-à d i re d a n s la constru ction d ' u n système futu r de métaphys i q u e, nous devro ns s u ivre la méthode sévère de l ' i l l u stre Wolff, le p l u s gra n d d e t o u s l es p h i l osophes dogmatiques. Wolff montra l e p re m ier par son exemple (et il c réa par l à cet esprit de profondeur, q u i n 'est pas encore éte i n t en Al l emagne) com ment o n peut, p a r l ' éta b l i ssement régu l ier des p r i n c i pes, la c l a i re déterm i natio n des concepts, la rigueur vou l u e d es démonstrations, la façon d'empê cher les sauts téméra i res d a n s le développement des consé q uences, adopter la démarc h e s a re d ' u n e science. (f) Pl u s q u e tout autre, il éta it fa it pou r donner à la métap h ys i q u e ce caractère d ' u n e sc i ence, s i l ' i dée l u i éta it venue de préparer d'abord le terra i n p a r la critique de l ' i n stru ment, c'est-à-d i re de la raison pure el l e-même : c' est là u n e l a c u n e q u ' o n doit attri buer p l utôt à la façon dogma-
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tique de penser de son temps q u ' à l u i -même et s u r l a q u e l l e l es p h i l osoph es, aussi b i e n ceux de son époq ue q u e ceux des temps pas sés, n'ont rien à se reproc her les uns aux autres. (g) Ceux q u i rejet tent sa méthode, et, du même coup, le p rocédé de l a Critique de la raison pu re, n e peuvent pas avo i r d'autre i n tention que de briser les l iens de la science et de convert i r l e trava i l en jeu, l a certitude en opin ion, la p h i l osop h i e en p h i lodox ie. 17 (a) Pour ce qui est de cette seconde édition, je n'ai pas vou l u , comme de j u ste, l a i sser passer l'occasion q u ' e l l e m'offra it d ' e n l ever, autant que poss i b l e, les d i ffi c u l tés et les obscu rités d'où peuve nt être nées p l u s i e u rs fau sses i n terprétati o n s où sont tom bés, peut-être p a r m a faute, des hom mes persp i caces, en appré c i ant ce l i vre. (b) D a n s l es propositions mêmes et d a n s l e u rs preuves, non p l u s que dans la forme et q u e d a n s l'ensemble d u plan, je n'ai r i e n trouvé à c h anger, ce q u i s'ex p l ique, en partie, par l e long examen auquel j 'ava is sou m i s mon œuvre, avant de la l i vrer au p u b l ic, en partie, par l a natu re même d u sujet, à savo i r par la n atu re d ' u n e ra ison p u re spéc u l ative q u i renferme u n e véri tab l e o rga n i sation où tout est o rga ne, où tout ex i ste po u r c h a q u e m e m b re e t c h a q u e m e m b re pou r tou s les a u tres, et o ù tout défaut, s i petit q u ' i l soit, q u e ce so it u n e faute (une erreu r) ou u n e o m i s s i o n , doit i m m a n q u a b l ement s e m a n i fester d a n s l ' u sage. (c) L' i nvariable fix i té de ce système s'affi rmera, je l ' espère, encore p l u s dans l ' aven i r. Ce q u i me d o n n e cette confiance, ce n ' est pas u n e va i n e p résomption, m a i s u n i q u ement l 'évidence q u e prod u i t l ' expérience d u résu ltat identique auquel on arrive soit e n al lant des plus petits éléments j usq u ' a u tout d e l a ra i son p u re, soit en redescen d a n t d u tout à chaque part i e (car ce to ut est a u s s i donné en l u i-même par l e but f i n a l de l a ra ison dans la prati q u e), tan d i s q u e s i on essa ie d e c h a nger seu l ement l a plus petite partie, o n est amené aussitôt à des contrad ictions q u i portent non seu le ment s u r le système, m a i s s u r toute l a ra ison h u ma i n e en généra l . (d) Seu l ement, dans l'expos ition, i l y a encore beaucoup à fa i re, et, dans cette éd ition, j ' a i essayé des corrections q u i doivent reméd ier soit au m a l entendu d e l ' esth éti q u e, su rtout d a n s le con cept d u temps, soit à l 'obscurité de l a déduction des con cepts d e l 'entendement, soit au p réte n d u d éfaut d 'év idence suffisante
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dans les preu ves des pri n c i pes de l 'entendement p u r, soit enfi n à la fau sse i n terprétation des para l ogismes de la psyc h o l ogie ration nelle. (e) J usq ue- l à (à savo i r, jusqu'à la fin du premier chap itre de l a d i a l ectique tra nscend a n ta l e) s'étendent seu lement les c h a n ge ments que j ' a i fa its dans la rédaction ' : car l e temps m'a fa it défaut ; et d ' a i l leurs, pou r ce q u i su iva i t, aucun malente n d u com-
1 . (f) L a seule addition véritable que j e pourrais citer mais l à encore n e s'agit-il que du mode de démonstration - est celle par laquelle j'ai (p. 275, .
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Premières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
m i s par un l ecteur i nformé et i m partial ne m'ava it été s i g n a l é i je n ' a i pas beso i n de nom mer, avec les louanges q u ' i ls méritent, l es j u ges dont j'ai pris l es avis en consi dération, i ls trouveront bien d'eux-mêmes les end ro its q u e j ' a i retouchés d'après leur conse i l . (g) Ces corrections entrainent po u r l e l ecte u r u n l éger d o m mage q u 'on ne pouvait pas éviter sans ren d re ce l ivre trop vo l u m i n eux, en effet, plus d'un l ecte u r pou rrait regretter d i vers passages q u i , sans être, i l est vrai, essentiels à l ' i ntégrité de l 'ensemble, pou rra ient être uti les à u n autre point de vue, et q u ' i l � fa l l u supprimer o u rac courc i r pou r fa i re p l ace à une expos ition q u i , je l ' espère, est ma i n tenant p l u s c l a i re . Cette nouve l l e expos ition n e cha nge d u reste abso l u ment rien au fon d , pou r ce q u i est des propos itions et de l e u rs p reuves mêmes ; m a i s cependant, elle s'écarte tel l ement, par endroits, de l ' a n c i e n n e, d a n s la m a n i ère de présenter les c h oses, qu' i l n ' éta it pas poss i b l e de l'y interca l er. Ce l éger dommage, q u e chacun p e u t d 'a i l l eu rs, à s o n gré, réparer p a r la compara i son avec la p rem ière éd ition, sera bien compensé, je l ' espère, par u n e p l u s g r a n d e c l a rté. (h) J'ai remarqué, dans d i vers écrits p u b l i és (soit à l 'occas ion de l 'examen de certa i n s l ivres, soit dans des tra ités spé c i aux), j'ai remarqué, avec un plaisir recon n a i ssant, que l'esprit de profondeur n ' est pas mort en A l lemagne, q u ' i l n'y a été étouffé seu l e m e n t q u e pour p e u de temps pa r l a m o d e d ' u n e l i berté de penser affecta nt l e gén ie, et q u e les épi neux sentiers de la Critique q u i con d u i sent à u n e science de l a ra ison p u re sco lastique mais, e n tant q u e tel le, seu l e d u ra b l e e t p a r l à abso l u ment nécessai re, n 'ont pas décou ragé l es esprits va i l la nts et c l a i rs qui les ont su ivis. (i) A ces hom mes d isti n gués, q u i , à la sû reté de vue, a l l ient si heureu se ment encore le ta lent d ' u ne c l a i re exposition (dont je ne me sens pas capable), je l a i sse le so i n de mettre la dern ière main à mon œuvre pou r corriger ce q u ' e l l e peut enco re avo i r par e n d ro its de défectueux. Je ne cou rs pas, en effet, dans ce cas, l e danger d'être contred it, mais b i en cel u i de n ' être pas compris. De mon côté, je ne p u i s pas, dès m a i n tenant, m'engager d a n s toutes les d i scuss i o n s q u e pou rra so u lever mon l ivre, m a i s je fera i so igneusement atten tion à to,us les s i gnes q u e pou rront me fa i re des amis o u des adver sa i res, pou r les uti l i ser dans l'exécution futu re du système q u e je constru i ra i s u r cette p ropédeutique. (j) M a i s pendant ces trava ux,
Texte
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je s u i s arrivé à u n âge assez avancé (j 'entre, ce mois-ci, dans ma so ixante-q uatrième a n n ée) : aussi je d o i s être éco nome de mon tem ps, s i j e veux exécuter mon p l a n qui est de p u b l ier l a Métaphy sique de l a n atu re aussi b i e n q u e cel le des mœu rs, comme confi r mation de l ' exactitude de la Critique de la ra ison aussi bien spéc u lative que pratique. J 'atte n d ra i donc l ' éc l a i rc issement des obscurités, q u ' i l éta it d i ffic i l e d ' év iter dans cette œuvre, au début, a i n si que l a défense de l ' ensemble, des hom mes de mérite q u i en ont fa it l e u r propre affa i re . (k) " y a tou j o u rs certa i n s côtés par où est vu l n érable u n tra ité p h i losoph i q u e (car il ne peut pas s'avancer aussi bien c u i rassé q u ' u n tra ité de mathématiq u es), bien qu e la structu re du système consi déré au point de vue d e l ' u n ité n e c o u re pas le m o i n d re danger. En effet, q u a n d i l est nouveau , peu de per son n es ont l 'esprit assez h a b i l e pou r l e vo i r d'ensem ble et un p l u s petit nombre enco re s o n t capa b l es d'y prendre p l a i s i r, parce q u e toutes les nouveautés l e u r s o n t i m portu nes. (1) D e s contrad ictions apparentes peuvent être trou vées dans tout éc rit, su rtout dans u n écrit à la démarche l i bre, s i l'on met e n regard les u n s des a utres des passages particu l i ers a rrac hés de l e u r p lace, et ces contrad ic t i o n s peuvent j ete r s u r cet ouvrage un jour défavo ra b l e aux yeux de ceux qui se fient au j ugement d ' a utru i i mais e l l es sont faci l es à résou d re pou r cel u i q u i s'est élevé à l ' i dée de l 'ensem ble. (m) Tou tefois, quand u n e théorie renferme qu e lqu e so l i d ité, l 'action et la réacti o n qu i sem b l a ient tout d 'abord la men acer d'un grand d a n ger, ne servent, avec l e temps, q u ' à fa i re d i spa raitre c e s i n égal ités, et, s i des hom mes i m pa rti aux, perspi caces et a m i s de la vraie popu larité s'en occu pent, qu'à lui procu rer en peu de tem ps toute l 'élé gance dés i rable. Kônigsberg, avril 1 787.
Lexique
On n'apprend pas à penser dans un dictionnaire. Pas davantage une doctrine philosophique ne se digère à coup de définitions. I l ne suffit pas de fréquenter un index pour avoi r ses entrées chez Kant. I l est plus prudent et plus efficace de voir fonctionner quelques termes clés en situation. On se contentera ci-dessous de relever quelques termes qui risqueraient de prêter à confusion ( s priOrl� raison pra tique, phénomène ... ) et de renvoyer leur explication aux pages de notre ouvrage où l'on observe leur mise en œuvre. s
priori : désigne des connaissances ou des principes indépendants de l'expé rience, et pouvant néanmoins s'appliquer à elle, par exemple, le principe selon
lequel tout changement doit avoir sa cause. j ugements synthétiques B
priori,
47
à
50.
catégories, 47, 48, 49, 9 9 , 1 00 .
priori (quantité, qualité, substance, cause et effet, nécessité, exis tence, possibilité ... ), au moyen desquels l'entendement lie le divers de l'intui tion sensible et constitue l'objet de l'expérience possible, 23, 44.
concepts B
distinction centrale de la philosophie de Kant. Choses en soi et phénomènes ne renvoient pas à deux espèces de réalité, mais à deux significations du mot « objet Un même objet (cet exemplaire d'un l ivre) peut être considéré com me chose en soi et com me phénomène, 4, 20, 4 4 , 4 5 , 1 1 2 , 1 1 9 ( n ote) .
chose en soi / phénomène :
».
croire/savoir, 7 9 8 6 . dogmatisme/procédé dogmatique, 60, 6 1 .
c'est notre pouvoir de comparer, de réunir ou de séparer nos représentations sensibles (impressions des sens), d'anticiper la forme générale de l'expérience ou de mettre les données en un ordre cohérent, suivant des règles valables pour toute expérience possible. Le travail de l'entendement consiste à unifier le divers de l'intuition sensible au moyen des catégories, 47 .
entendement :
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Premières leçons sur
Critique de la raison pure
de Kant
sont pour Kant des formes a priori de notre sensibilité, repré sentent la manière dont les objets sont donnés à nos sens (sous un rapport de succession ou dans un ordre de juxtaposition), et non des attributs des choses en soi, 66, 67. expérience : grâce aux catégories, l'entendement fait la synthèse des perceptions sensibles, les relie en une trame cohérente. Cette liaison synthétique des per ceptions est précisément ce que Kant appelle l'expérience. Elle est donc « u n composé de c e q u e nous recevons des impressions sensibles e t de c e que notre propre pouvoir de connaitre (simplement à l'occasion des impressions sensi bles) produit de lui-même » ( Critique, Introduction, 1), 46, 47. idéalisme (formel/matériel), 20, 6 1 , 1 1 9 , 1 2 0 . idée, concept de la raison auquel aucun objet ne correspond dans l'expérience sensible (la seule à laquelle nous ayons affaire selon Kant). es pace et temps :
inconditionné, 5 5 , 68.
ce terme subit un changement de signification décisif dans la Critique. Au fondement de nos impression sensibles, il y a bien des objets ou des choses en soi. Mais nous n'avons aucun moyen de savoir comment ces objets sont cons titués en eux-mêmes. Seule la manière dont ils affectent notre sensibilité nous est connue. Les objets ne sont donc donnés que comme objets de l'intuition sensible ou phénomènes. Nous n'avons affaire aux objets qu'en tant qu'ils nous apparaissent. De son côté, l'entendement élabore, au moyen de ses caté gories, l'objet de l'expérience : il rassemble et ordonne le matériau des impres sions sensibles sous la rubrique d'un objet en général. Ce travail sur la signifi cation de « l'objet » est une tentative de l'intégrer le plus possible à la structure de notre con naissance, de façon à expliquer comment sont possibles des connaissances a priori, c'est-à-dire des connaissances qui soient applicables aux objets de l'expérience, avant que ceux-ci ne soient donnés dans l'intuition sensible. Ainsi la philosophie critique de Kant n'est pas une conn aissance des objets eux-mêmes, mais une science de la possibi l ité de l'expérience, 70, 84,
objet :
86, 87.
raison p rati q ue/ raison théori q ue ou sp éculative, 3, 53, 58, 8 3 , 1 02 1 0 3 . révolution co pernicienne, 1 , 2 , 5 4 , 57, 63, 64, 89, 1 03 1 08, 1 09 n ote 2. transcenda ntal, 3 8 . tribunal de la raison, 30, 7 0 , 7 2 .
Imprimé e n France Imprimerie des Presses Universitaires de France 73, avenue Ronsard, 4 1 100 Vendôme Décembre 1 996 N° 43 5 1 0