Photonique des Morphos
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Serge Berthier
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Photonique des Morphos
Springer Paris Berlin Heidelberg New York Hong Kong Londres Milan Tokyo
Serge Berthier
Photonique des Morphos
Serge Berthier Institut des NanoSciences de Paris UMR CNRS - Université Pierre et Marie Curie n° 7588 Université Diderot et IUT Paris-Jussieu 5, rue Thomas Mann 75013 Paris
ISBN-13 : 978-2-287-09407-1 6SULQJHU3DULV%HUOLQ+HLGHOEHUJ1HZ
© Springer-Verlag France, Paris, 2010 Imprimé en France Springer-Verlag France est membre du groupe Springer Science + Business Media
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Maquette de couverture : Jean-François Montmarché Mise en page : S-PAO Service, Caroline Trabouyer – Saint-Galmier (42) 4
À mes parents, À Valérian et Juliette, À Annie
Ô, Grand Esprit Dont j’entends la voix dans le vent Et dont le souffle donne vie à l’univers entier… Permets-moi d’apprendre les Leçons cachées sous les feuilles et les pierres. (Prière amérindienne – Guyane française)
Ciel de case – Guyane française (Collection J.-P. Vigneron)
Sommaire Remerciements ........................................................................................................................................... Préface .......................................................................................................................................................... Avant-propos............................................................................................................................................... Taxonomie ...................................................................................................................................................
9 13 15 23
PARTIE I : STRUCTURES ET PROPRIÉTÉS Introduction ................................................................................................................................................ 1. Structure des ailes des Morphidae : présentation générale ............................................................... 2. Propriétés optiques................................................................................................................................. 3. Couleur : mesure et caractérisation ..................................................................................................... 4. Thermorégulation, propriétés radiatives ............................................................................................. 5. Vers une approche dynamique des propriétés optiques ....................................................................
37 41 65 85 103 117
PARTIE II : CARACTÉRISATION Introduction ................................................................................................................................................ 6. Imagerie .................................................................................................................................................. 7. Topographie et nervation des ailes. Méthodes de moiré et radiographie ....................................... 8. Désordre structural ................................................................................................................................ 9. Spectrophotométrie................................................................................................................................
123 125 135 143 151
PARTIE III : VISUALISATION ET MODÉLISATION Introduction ................................................................................................................................................ 10. Visualisation.......................................................................................................................................... 11. Modélisation multi-échelle .................................................................................................................
167 169 175
PARTIE IV : BASE DE DONNÉES Introduction ................................................................................................................................................ Sous-genre Iphixibia ................................................................................................................................... Sous-genre Laurschwartzia ....................................................................................................................... Sous-genre Iphimedeia ............................................................................................................................... Sous-genre Megamede................................................................................................................................ Sous-genre Balachowskyna........................................................................................................................ Sous-genre Grasseia ................................................................................................................................... Sous-genre Morpho .................................................................................................................................... Sous-genre Pessonia.................................................................................................................................... Sous-genre Cytheritis .................................................................................................................................
191 193 197 201 205 211 215 221 225 229
CONCLUSION .................................................................................................................................................
235
ANNEXE Détermination de l’indice de la chitine ................................................................................................... Index des espèces citées .............................................................................................................................
239 247
Remerciements Comme on a pu le constater dans cet ouvrage, une étude exhaustive d’une structure photonique aussi complexe que celle d’un papillon est une tâche ardue, qui nécessite un grand nombre de techniques expérimentales ou théoriques. Pas moins de dix-huit techniques expérimentales différentes et cinq approches théoriques ou numériques. Personne, je pense, ne doit être en mesure de les dominer toutes, et certes pas moi ! C’est le prix d’une étude multi-physique et c’est aussi son avantage de vous obliger à la coopération et de vous amener à rencontrer et fréquenter des femmes et des hommes remarquables. Je voudrais tout d’abord commencer par remercier les jeunes, étudiants et doctorants qui, depuis plusieurs années ont eu le courage, ou l’inconscience, de se lancer dans l’étude des structures photoniques naturelles, ou au contraire la très grande perspicacité d’en voir l’intérêt et les développements futurs. Les tous premiers furent, je crois, Jean-Philippe Schweitzer, centralien et Stéphane Mansaut, étudiant de l’IUT Paris-Jussieu. Stéphane a commencé l’étude systématique d’une quinzaine de Morphos, il y a déjà 6 ans et initialisé la base de donnée présentée aujourd’hui. Il rêvait d’aller travailler au Japon. J’espère qu’il a réalisé ce rêve et que ces remerciements tardifs lui parviendront par quelques chemins détournés. Jean-Philippe est lui parti travailler en Chine où il fait une brillante carrière. Mais je sais que je le reverrai. Plus tard, Emmanuel Maguet, de l’IUT Paris-Jussieu également, s’est attelé au fastidieux travail de détermination de l’entropie de configuration sur les écailles des Morphos. Je lui dois un des chapitres, le plus original de ce livre. Enfin, pour en finir avec la jeune classe, je remercie et voudrais assurer de ma plus grande affection « mes » deux derniers et brillants doctorants, Julie Boulenguez, et Vincent Reillon. Julie a travaillé très directement sur les Morphos, Vincent sur des structures artificielles mais soulevant des problèmes très identiques : les céramiques lustrées. J’espère qu’ils auront apprécié autant que moi ces quatre années, riches et intenses. Chacun le sait, ce sont les doctorants les vrais travailleurs de la science. Je n’aurais rien pu faire sans eux. Leurs chemins vont diverger mais je sais qu’ils les mèneront loin. On ne vous oubliera pas ! Ces deux là sont des physiciens, j’ai eu la chance de travailler avec une biologiste du la-
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boratoire d’entomologie du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, Catherine Cassildé. Catherine travaille sur la phylogénie des Morphos et a pallié avec patience et gentillesse à mes incommensurables lacunes dans ce domaine et plus généralement en biologie. Les pistes qu’elle a ouvertes en introduisant les structures photoniques dans les critères phylogénétiques sont innovantes et riches d’enseignement. Je lui souhaite de tout cœur la réussite qu’elle mérite. La rédaction de ce livre a coïncidé avec le déroulement du projet européen Biophot. Tous ses acteurs ont pu suivre, au cours de nos rencontres à Paris, Namur, Budapest ou Londres, son évolution. Ils m’ont prodigué conseils et encouragements, et je les remercie du fond du cœur, à commencer par son coordinateur, Jean-Pol Vigneron qui m’a fait l’honneur de préfacer ce livre. La moindre de ses qualités n’est pas d’avoir mené ce projet de la plus remarquable manière qui soit, mais aussi d’avoir tissé et fait tisser entre nous de véritables liens d’amitié qui perdureront bien après son expiration. Nos biologistes, Andrew Parker, du Natural History Museum de Londres, et Zsolt Balint, du Hungarian Natural History Museum de Budapest nous ont ouvert leurs prestigieuses collections. Zsolt, mon ami, mes pensées t’accompagnent. Merci également à Laszlo Biro de l’Académie des sciences de Hongrie, qui malgré les grandes difficultés économiques de son pays, arrive à mener à bien des travaux exemplaires. /DSOXSDUWGHVSKRWRJUDSKLHVGHPLFURVFRSLHpOHFWURQLTXHjEDOD\DJHRQW pWp UpDOLVpHV DX ODERUDWRLUH GH SK\VLTXH GHV OLTXLGHV HW pOHFWURFKLPLH GH O¶XQLYHUVLWp3LHUUHHW0DULH&XULHSDU6WHSKDQ%RUHQV]WHLQ2QP¶DVRX YHQW IpOLFLWp SRXU OD TXDOLWp GH FHV LPDJHV -H Q¶\ VXLV SRXU ULHQ WRXW OH PpULWHOXLUHYLHQW/DUpDOLVDWLRQGHVFRXSHVG¶pFDLOOHVRXGHPHPEUDQHV DODLUHVSRXUODPLFURVFRSLHSKRWRQLTXHRXpOHFWURQLTXHHQWUDQVPLVVLRQHVW O¶°XYUHGXODERUDWRLUHGHELRORJLHPDULQHGHFHWWHPrPHXQLYHUVLWp0HUFL j-HDQ3LHUUH/HFKDLUHW*KLVODLQH)UpERXUJSRXUOHXUDFFXHLOHWFHWUqV EHDXWUDYDLO 'H QRPEUHXVHV SHUVRQQHV GH GLYHUV ODERUDWRLUHV RQW PLV OHXUV VDYRLUV OHXUVFRPSpWHQFHVHWOHXUPDWpULHOjQRWUHGLVSRVLWLRQ+DELWXpVjWUDLWHU GHVXMHWVFRPELHQSOXVFRPSOH[HVHWIRQGDPHQWDX[M¶DLDSSUpFLpTX¶LOVOHV DEDQGRQQHQWXQWHPSVSRXUVHSHQFKHUVXUPHVSDSLOORQV0HUFLj-HDQ &KULVWRSKH'XSUpHW)DEULFH%UHPDQGGXODERUDWRLUHGHPpFDQLTXHGHV VROLGHV GH O¶XQLYHUVLWp GH 3RLWLHUV$SUqV FHOOHV GH OD -RFRQGD LOV QRXV RQW GpYRLOpV JUkFH j OHXU WHFKQLTXH GH PRLUp OHV IRUPHV GH FHV DXWUHV FKHIG¶°XYUHVTXHVRQW(XJpQLDHW5KHWHQRU8QJUDQGPHUFLpJDOHPHQWj /DXUHQW6DXTXHHWVRQpTXLSHGHOD'*$±$UFXHLOTXLRQWHIIHFWXpOHV GpOLFDWHVPHVXUHVGHUpÀHFWLYLWpLQIUDURXJH0HUFLHQ¿QDX[PHPEUHVGX ODERUDWRLUHGHUHFKHUFKHHWGHUHVWDXUDWLRQGHVPXVpHVGH)UDQFH&50) HX[ DXVVL SOXV KDELWXpV j O¶pWXGH G¶DXWUHV FKHIVG¶°XYUH TXH FHX[ GH OD QDWXUHHWTXLRQWUpDOLVpTXHOTXHV©SUHPLqUHVªFRPPHODUDGLRJUDSKLH; GHVDLOHVVRXVÀX[G¶KpOLXP0HUFLj7KLHUU\%RUHOSRXUVDJHQWLOOHVVHHW VDGLVSRQLELOLWp(WPHUFLjPRQDPL0LFKHO0HQXGLUHFWHXUVFLHQWL¿TXH GX&50)HWJUDQGHQWUHPHWWHXUSRXUVRQVRXWLHQHWVRQDIIHFWLRQ J’ai eu la chance, avant d’entamer ce travail, de rencontrer un extraordinaire photo-reporter à qui je dois quelques photos de cet ouvrage : Pascal 10
Remerciements
Goetgheluck. Sans doute grâce à lui arriverons-nous enfin, dans un avenir proche je l’espère, à voir le vol du Morpho. Merci à toi Pascal. Ces recherches ont été effectuées au sein de l’équipe Propagation en milieu inhomogène : application (PROPAG), de l’Institut des nanosciences de Paris (INSP). Je remercie chaleureusement mes collègues et amis, Christine Andraud, avec qui je vais avoir enfin le plaisir de travailler plus directement et Jacques Lafait, qui fut il y a longtemps mon directeur de thèse, puis mon directeur tout court, mais est toujours resté mon meilleur et plus constant soutien durant toute ma carrière. En septembre 2008, Jean-Pol Vigneron organisait, avec cinq de ses étudiants de l’université Notre-Dame-de-la-Paix, à Namur, une expédition en Guyane française à laquelle il a bien voulu m’associer. Tout le monde sait que de tous les gaulois, les Belges sont les plus braves. Ce sont aussi les plus chaleureux et les plus ouverts. Eloise Van Hoojdonk va venir travailler avec moi pour sa thèse, et rien ne pouvait me faire plus plaisir. Annick Bay persévère dans la bio-inspiration et je sais que fort heureusement, nos routes se croiseront souvent. Benjamin Bera, Anne-Catherine Heuskin, Ivan Ducarme partent explorer d’autres voies. Ce sont tous de très bons physiciens. Ils iront loin et j’envie leurs futurs collègues et promoteurs. Marie Rassart enfin poursuit sa jeune carrière au laboratoire de physique des solides de Namur. C’est une amie chère, et maintenant une collègue douée. Ce livre leur est dédié, mais je voudrais le clore en adressant une fois de plus mes plus profonds remerciements à mes enfants, Juliette et Valérian, et à ma tendre compagne Annie Fontaine, tendre mais intraitable sur l’orthographe… Leur indéfectible soutien, la tendresse et l’amour dont ils m’ont entouré sont pour beaucoup dans la réalisation de ce livre.
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Préface « Morpho ! » Cette exclamation, poussée dans la forêt guyanaise, nous mettait en alerte lorsque surgissait de nulle part l’éclair bleu intermittent de ce papillon extraordinaire. Serge Berthier connaît comme personne ces grands insectes et les découvrir en sa compagnie est un privilège que quelques-uns de mes étudiants et moi n’oublierons pas. Il y a quelque chose dans l’apparence de ces papillons qui force à penser, en les rencontrant, que nous sommes survolés par des esprits et nos vieilles références au surnaturel remontent à notre insu. Pourtant, ce que nous voyons, le bleu profond, l’éclat métallique intermittent, notre incapacité à prévoir son mouvement dans l’espace alors que nous le percevons si bien, ne sont – j’allais dire « simplement » – que des perfectionnements qui, depuis des dizaines de millions d’années, ont permis la survie et le développement de l’espèce. Le nouveau livre de Serge Berthier nous fait découvrir les mécanismes physiques à la base de ces effets visuels, en nous exposant les principes et les détails de ces mécanismes pour plus de trente espèces de ces papillons d’Amérique tropicale. S’embarquer sur une pirogue pour pénétrer l’habitat de ce seigneur des clairières est certainement une expérience inoubliable. Se mettre aux commandes d’un microscope électronique à balayage et prendre un départ vers l’ultra-structure de l’aile du Morpho, c’est commencer une odyssée vers des mondes plus étonnants encore que la forêt amazonienne. Explorateur infatigable de ces cathédrales miniatures que sont les ailes de papillons, Serge Berthier est notre guide dans ces contrées souvent difficiles d’accès. En suivant la trajectoire plus ou moins bleue des morphos, nous voyons prendre forme de nombreuses questions fondamentales que le physicien ne se lasse pas de rendre plus larges et plus précises, parce que le progrès vers la maîtrise de la complexité nous sera toujours plus nécessaire. Qu’est-ce que la lumière ? Qu’est-ce que la couleur ? Par quels mécanismes peut-on contrôler l’apparence des objets ? Les leçons portées par ces connaissances sont d’une très grande actualité. Étudier la propagation de la lumière à travers le labyrinthe des écailles de Morpho, c’est aussi se donner une chance de maîtriser l’optique des milieux inhomogènes. Dans le siècle où nous sommes engagés, on tentera d’utiliser la lumière pour bien d’autres fonctions que l’éclairage. L’information est déjà largement véhiculée, sur de grandes distances, par des grains de lumière, qui circulent dans les fibres optiques pour
Photonique des Morphos
l’internet ou le téléphone portable. Mais ce n’est pas fini : on attend maintenant que la manipulation de ce que nous appelons les « photons » permette aussi le traitement logique de ces informations. Il est de plus en plus clair que les matériaux homogènes ne suffiront pas et il est temps pour nous de savoir comment les structures denses en interfaces pourront remplir les fonctions de propagation commutées que nous allons bientôt exiger. La « photonique » trouvée sur les organismes vivants n’intéresse pas seulement le biologiste. Elle fournit un chapitre de science en amont de l’ingénierie et c’est en partie cette science qui fournira la nouvelle inspiration de nos ingénieurs. Emprunter des idées et des recettes à la nature n’est pas une nouveauté : en fait, il est rare qu’une invention ne soit pas la transposition d’une observation. L’industrie pourrait être intéressée de savoir qu’il n’est pas nécessaire de disposer de colorants pour colorer et que la clé pour cette performance est librement accessible, sur les ailes de papillons, les élytres de coléoptères ou sur les plumes d’oiseaux. Les organismes vivants n’ont pas besoin d’une grande variété de matériaux pour nous fournir une grande variété d’effets visuels, du plus spectaculaire au plus discret. Les secrets de conception résident dans l’inhomogénéité et la complexité géométrique des matériaux. Les morphos étudiés par Serge Berthier dans ce livre font partie d’une même famille biologique : ce sont tous des parents proches dans la généalogie de l’évolution et on pourrait de ce fait s’attendre à une répétition ennuyeuse des mêmes structures et des mêmes effets visuels. Il n’en est rien. Cette famille de papillon présente des variations d’effets visuels remarquables, qui expliquent en grande partie qu’ils aient été choisis pour cette étude systématique. Les processus qui sous-tendent l’évolution et la sélection naturelle sont des mécanismes extrêmement puissants, capables de pousser à la production d’organes d’une complexité et d’une efficacité étonnantes. De ce fait, la nature vivante peut nous apparaître comme une réserve de « solutions » fossiles de problèmes de physique, de chimie et d’ingénierie des systèmes quasi inépuisable. Il nous faudra des décennies pour arriver à mettre en évidence les mécanismes qui pourraient inspirer nos inventeurs. Entre-temps, encore faut-il éviter l’extinction de ces solutions, en même temps que celle des espèces qui les détiennent. Professeur J.-P. Vigneron
Pr. Jean-Pol Vigneron Chutes de Fourgassier, Guyane française, septembre 2008
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Avant-propos Les Morphos : d’extraordinaires cristaux photoniques naturels ? Cette phrase illustre tout à la fois le contenu et la philosophie de cet ouvrage réalisé par un physicien : présenter les Morphos, magnifiques animaux s’il en est, sous leur aspect cristallin ! Quels sont les enjeux de cette approche pour le moins curieuse ? La manipulation de la lumière est un des défis de ce début de siècle. Appeler à remplacer l’électron dans de nombreux domaines, le photon doit pouvoir être distingué, manipulé et dirigé sur de très petites distances, de l’ordre de quelques dizaines de nanomètres : c’est le domaine des nanotechnologies. Des matériaux capables d’une telle gestion de la lumière existent : ce sont les cristaux photoniques. De quoi s’agit-il ? Un cristal minéral, comme le cristal de roche, le diamant… est caractérisé par une organisation périodique des atomes à la fois à courte et à grande distance. En quelque endroit que nous observions le cristal, nous retrouvons toujours la même disposition des atomes les uns par rapport aux autres. Cette stricte périodicité a des conséquences surprenantes pour des particules qui chercheraient à se déplacer dans le cristal. Pour résoudre un tel problème, la mécanique quantique commence par schématiser drastiquement la forme du potentiel auquel est soumise la particule – généralement un électron – lorsqu’elle passe au voisinage des atomes. Cette démarche simplifie considérablement les calculs, sans ôter de sens physique au problème, et nous rapproche encore plus du phénomène optique qui nous intéresse ici. Il faut ensuite résoudre la célèbre équation de Schrödinger (fig. 1a), où s est la fonction d’onde de la particule et E son énergie. Nous ne nous lancerons pas dans la résolution de cette équation qui, dans ce cas précis, n’est d’ailleurs pas évidente. Nous retiendrons simplement que ses solutions sont discontinues : la propagation ne peut se faire avec n’importe quelle énergie. Les énergies permises sont groupées en bandes, entre lesquelles s’intercalent des zones d’énergie – les bandes interdites – qui ne correspondent pas
Photonique des Morphos
à un déplacement de la particule : la périodicité du potentiel entraîne une quantification partielle des énergies. Mais revenons à l’optique, et plus précisément aux structures des papillons. La particule est maintenant un photon, son onde associée : l’onde électromagnétique. Que se passe-t-il lorsque cette particule cherche à se propager dans un milieu présentant une alternance périodique d’indice, l’équivalent du potentiel électrique de l’électron ? Et bien, strictement la même chose ! L’équation à résoudre est maintenant l’équation d’Helmholtz (fig. 1b) qui se présente exactement sous la même forme que l’équation de Schrödinger (la fréquence ω remplaçant l’énergie E) et conduit au même type de solutions : une succession de bandes de fréquences permises alternant avec des bandes de fréquences interdites. La périodicité de l’indice entraîne une quantification partielle du domaine fréquentiel. Cette analogie entre phénomènes électriques dans un cristal et les phénomènes optiques – on dit aussi photoniques – dans un milieu structuré est à l’origine du terme « cristal photonique ».
Fig. 1 Cristal et cristal photonique unidimensionnel, et les équations de Schrodinguer et de Helmoltz qui permettent de déterminer l’énergie (ou la fréquence) des particules qui les traversent.
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C’est dans ce contexte que nous décrirons les structures des ailes et les phénomènes qui y sont rattachés. Du point de vue géométrique, en effet, on peut classer les cristaux photoniques selon le nombre de dimensions dans lesquelles se développe la périodicité. Les cristaux à une dimension (1D) présentent un indice périodique selon une direction, uniforme selon les deux autres. C’est le cas, par exemple, d’un empilement de couches minces alternativement de haut et bas indice. On sait que de telles structures produisent des interférences, et sont très largement – et depuis longtemps – utilisées comme miroirs diélectriques, filtres, etc. De la même manière, les cristaux bi- (2D) et tridimensionnels (3D) présentent des périodicités dans deux et trois dimensions respectivement, rejoignant dans ce dernier cas la géométrie traditionnelle des cristaux minéraux. Ces réseaux sont le siège de phénomènes qualifiés historiquement de diffractifs mais qui ne sont en réalité qu’une généralisation des phénomènes interférentiels rencontrés dans la couche mince.
Avant-propos
L’élaboration de tels objets tridimensionnels est délicate et aujourd’hui extrêmement coûteuse. Or, de tels cristaux existent en abondance dans la nature, et particulièrement chez les insectes. Aussi est-il tentant, à défaut de savoir les réaliser, d’utiliser directement ceux mis à notre disposition par la nature. Des techniques de chimie douce permettent en effet d’en réaliser des moules en divers matériaux et d’en exacerber les propriétés, limitées chez l’insecte par la relative pauvreté du choix proposé : chitine, air ou eau, tous matériaux de faible contraste d’indice optique ! Avant toute exploitation, il est nécessaire d’explorer ce monde pratiquement inconnu, de découvrir les nouvelles structures, de les classer, les caractériser et les modéliser. En un mot, refaire à l’échelle nanoscopique le travail effectué par nos grands naturalistes à l’échelle macroscopique de l’organisme animal ou végétal. C’est le but que se sont proposé quelques grands projets, comme le projet « Biophot » en Europe, et c’est celui de ce livre que de présenter une telle étude, en s’appuyant pour cela sur l’une des plus belles familles de papillons : celle des Morphos. Les Morphos sont donc ici le prétexte à une présentation aussi exhaustive que possible de l’immense diversité des structures photoniques que l’on peut découvrir dans une famille pourtant relativement restreinte, et des techniques de caractérisation et de modélisation de ces structures naturelles. C’est donc, je le redis, ouvrage de physicien que ce livre et non d’entomologiste. On trouvera par ailleurs le point de vue de ce dernier, en particulier dans les très beaux recueils de P. Blandin : « The genus Morpho » qui présentent une étude exhaustive de la famille. On ne saurait cependant débuter un ouvrage dont les Morphos sont les héros sans les présenter et les situer succinctement.
La famille des Morphidae Les membres de la famille des Morphidae, communément appelés « Morphos », du nom du principal genre Morpho fabricius, 1807, vivent strictement dans la région néotropicale du nouveau monde, du Mexique au nord jusqu’au sud du bassin amazonien, avec un très grand nombre d’espèces dans ce dernier. Ils présentent un certain nombre de caractéristiques communes qui les rendent facilement identifiables. Ce sont de grands, voire de très grands papillons (une vingtaine de centimètres pour M. hecuba par exemple), avec quelques espèces seulement relativement petites, comme M. portis, d’une envergure moyenne de 7 cm (fig. 6). Thorax et abdomen sont relativement petits pour de tels voiliers, ce qui conduit souvent à des vols planés et une utilisation importante des courants. Les femelles sont généralement plus grandes que les mâles, et ce dimorphisme sexuel affecte très souvent la couleur, mais pas systématiquement. Beaucoup d’espèces présentent en effet cette couleur bleue métallique, dont l’étude est le sujet de ce livre, et ce sont en général les mâles qui l’exhibent, sur la face dorsale, les femelles présentant alors des couleurs cryptiques pigmentaires (brun, jaune, noir) (fig. 2). La face ventrale est généralement totalement pigmentée et présente, particulièrement sur les ailes postérieures, une rangée d’ocelles caractéristiques. Il n’est pas rare de rencontrer à ce niveau, dans les anneaux des ocelles, quelques écailles structurales. 17
Photonique des Morphos
D Fig. 2 - Morpho cypris femelle (a) et mâle (b). La femelle (12 à 13 cm) est plus grande que le mâle (10 à 11 cm). (Photo : P. Blandin et C. Cassildé – MNHN.)
Fig. 3 - Morpho aega mâle (a) et les trois morphes femelles (b, c, d)
E Tout en conservant un dimorphisme sexuel relativement marqué, un Cytheritis, M. aega, présente plusieurs morphes femelles, une classique, cryptique jaune et noir, l’autre bleu iridescente, une troisième enfin iridescente sur les antérieurs, cryptique sur les postérieurs, avec donc une grande disparité de structures des écailles, comme on peut le voir dans la base de donnée (fig. 3).
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Chez d’autres cependant, les différences sont beaucoup moins marquées, comme chez la plupart des espèces du sous-genre Morpho (fig. 4). Les cas de gynandromorphisme, c’est-à-dire d’insectes présentant à la fois des caractéristiques mâles et femelles, sont relativement fréquents, et particulièrement évidents dans le premier cas. Pratiquement toutes les configurations possibles ont été rencontrées. Cette aberration peut en effet affecter indifféremment les ailes situées d’un même côté (gauche/droite ou anté18
Avant-propos
D
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rieur/postérieur) mais parfois, comme chez ce M. rhetenor, les ailes situées en diagonale ! À notre connaissance, tous ces individus semblent stériles (fig. 5).
Fig. 4 - Femelles (a) et mâles (b) pratiquement identiques par la taille comme par la couleur chez M. helenor anakreon. (Photo : P. Blandin et C. Cassildé – MNHN.)
Fig. 5 - Un cas particulièrement curieux de gynandromorphisme chez M. rhetenor : l’aile antérieure gauche est totalement mâle, la postérieure droite partiellement. Les deux autres sont entièrement femelles. (Photo : P. Blandin et C. Cassildé – MNHN.)
Nous en resterons là de cet aperçu de la famille. On trouvera en fin de cette introduction des planches présentant les mâles des différentes espèces de Morpho. Ces planches apparaissent en début d’ouvrage pour qu’il soit plus aisé de s’y reporter à chaque instant, lorsqu’au cours de la lecture, on désire se remémorer l’aspect du papillon étudié. Les détails de sa structure et de ses propriétés optiques sont en revanche rassemblés dans la systématique en fin d’ouvrage. Ces planches ont été réalisées par Catherine Cassildé et Patrick Blandin à partir de la collection du Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Elles ne représentent évidemment pas l’ensemble des espèces et sous-espèces décrites des Morphidae mais, à quelque rares exceptions près, toutes les espèces citées et étudiées dans cet ouvrage. 19
Photonique des Morphos
Fig. 6 - Du plus grand au plus petit. En haut, M. portis (6,5 cm), en bas M. hecuba (16,5 cm). La femelle de ce dernier est encore légèrement plus grande (18 cm).
À propos de cet ouvrage Le livre est divisé en quatre grandes parties. La première présente les propriétés structurales, optiques et colorimétriques des ailes des Morphos. Le cours de la présentation est fragmenté par des encarts qui développent un point particulier, permettent quelques rappels théoriques ou mathématiques, créent un lien avec des sujets connexes, mais ne relevant pas directement de l’exposé… Leur lecture, en ce point précis du déroulement de l’ouvrage, n’est absolument pas nécessaire. On peut les oublier, ou y revenir à tout instant, sans nuire à la compréhension de l’ensemble. La seconde partie concerne les techniques de caractérisation d’une structure photonique. Certaines sont très classiques et ne sont qu’évoquées. D’autres, au contraire, le sont beaucoup moins et ont été développées spécifiquement pour cette étude, ou appliquées pour la première fois à des échantillons naturels. Les protocoles expérimentaux ont parfois été présentés de manière assez détaillée. Cela n’a pas semblé inutile, au moment où ces études se développent un peu partout dans le monde. La troisième partie s’adresse plus spécifiquement aux physiciens : Elle est dédiée à la modélisation et la visualisation de ces structures photoniques, sans lesquelles il ne saurait y avoir une réelle compréhension des phénomènes ni de transferts technologiques pos20
Avant-propos
sibles. Enfin, l’ouvrage se termine par la présentation d’une base de données iconographique. On y trouvera l’ensemble des données structurales et optiques obtenues sur les Morphos durant cette étude. Données non exhaustives bien sûr, mais qui couvrent avec plusieurs exemples, l’ensemble des neuf sous-genres composant la famille. Chaque chapitre se clôt par un résumé extrêmement succinct, sous forme de quelques phrases très courtes, qui reprennent les idées-force développées dans le cours du texte, et selon la même chronologie. Ce résumé peut donc également être vu comme une table des matières détaillée du chapitre. Il est suivi d’une bibliographie également non exhaustive qui permet à tout lecteur désireux d’en savoir plus de retrouver les textes fondamentaux et incontournables à partir desquels il pourra accéder à l’ensemble des publications concernant le sujet traité (fig. 7). Fig. 7 - L’auteur, au microscope photonique – Institut des NanoSciences de Paris, CNRS – Université Pierre et Marie Curie, 2008. (Photo : Pascal Goetgheluck.)
Pour en savoir plus Les articles historiques : Berthier S (2006) Structure and optical properties of the wings of Morphidae. Insect Sciences 145-157 L’ouvrage de référence (on y trouvera une bibliographie quasi-exhaustive sur le genre Morpho) est sans conteste : Blandin P Part 1 (1988), part 2 (1993), part 3 (2007) The genus Morpho. Canterbury, Hillside Books Plus accessibles, les très beaux livres de : D’Abrera B Part 2 (1984), part 3 (1995) Butterflies of the Neotropical region. Victoria, Australia, Hill House
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Photonique des Morphos
Forcément moins exhaustif, donne quelques précieuses indications sur l’habitat, la chasse, etc. : DeVries PJ J (1987) The Butterflies of the Costa Rica and their natural history. Princetown University Press Pour apprécier l’évolution de la phylogénie du genre Morpho : Le Moult E, Real P (1962) Les Morphos d’Amérique du sud et centrale. Paris, Édition du cabinet d’entomologie E. Le Moult Spécifiquement centrés sur la phylogénie du genre : Cassildé C, Blandin P, Pierre J, Bourgoin T (in press) Morphological phylogeny of Morpho Fabricius (Lepidoptera, Nymphalidae). Penz C, DeVries PJ (2002) Phylogenetic analysis of Morpho Butterflies (Nymphalidae, Morphinae): Implication for Classification and Natural History. AMNH Novitates
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Taxonomie
L
es Morphos, du moins ceux présentant ce bleu iridescent si caractéristique, comptent parmi les papillons les plus populaires qui soient auprès du grand public et des collectionneurs. Peut-être à cause de cela, et aussi sans doute de la personnalité controversée d’un de leur premier systématicien – Le Moult – leur étude taxonomique a été négligée jusqu’à fort récemment. La première étude phylogénétique complète du genre a été proposée par Carla Penz et Philip J. DeVrie en 2002, et reprise ces dernières années par Catherine Cassildé et Patrick Blandin, au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. C’est cette dernière classification qui est présentée ici, car elle intègre dans ses données les éléments microstructuraux des écailles, et la couleur qu’ils génèrent, objet de cet ouvrage. On trouvera par la suite une représentation des deux faces des mâles de 31 espèces réparties dans les neuf sous-genres reconnus aujourd’hui. Ces planches ont été réalisées au Muséum national d’histoire naturelle par Catherine Cassildé, à partir des collections du Muséum et de la collection personnelle de Patrick Blandin. Dans un souci de présentation et de place, les tailles réelles n’ont pas pu être conservées.
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Sous-genre Cytheritis 25
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Sous-genre Cytheritis 26
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Sous-genre Grasseia
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Sous-genre Schwartzia
Sous-genre Iphimedeia
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Sous-genre Schwartzia
Sous-genre Iphimedeia
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Sous-genre Iphixibia
Sous-genre Megamede
Sous-genre Megamede
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Sous-genre Iphixibia
Sous-genre Megamede
Sous-genre Megamede
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Sous-genre Morpho
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Sous-genre Morpho
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Sous-genre Pessonia
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Sous-genre Pessonia
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T
out organisme vivant est une construction complexe dont chaque élément est à la fois partie d’une structure plus grande et support d’une plus petite. S’il y a hiérarchie des tailles, il n’y a pas systématiquement hiérarchie des rôles. Chaque échelle participe à un effet donné, et toute modification à un niveau peut influer sur le résultat final. Les papillons, et en particulier les Morphos, sont un très bel exemple de ce type de structure produisant un effet visuel coloré. Ce premier chapitre est consacré à la description de la structure « multiéchelle » des Morphidae.
De la molécule au papillon : une structure multi-échelle Les points de vue que nous allons adopter pour décrire d’un côté l’aile du papillon, et de l’autre ses propriétés optiques, sont parallèles, mais de sens contraire. Comme nous allons le voir, on peut en effet distinguer cinq niveaux d’observation, ou cinq grossissements, allant de l’échelle macroscopique, l’aile dans son entier, mesurée en cm, jusqu’à l’échelle moléculaire, mesurée en nanomètre (nm). Entre les deux se situent, par ordre de tailles décroissantes, l’échelle des écailles – grossièrement la centaine de micromètres (μm) – puis celle des stries, de l’ordre du micromètre, enfin celle des structures des stries ou des espaces inter-stries, de 50 à 100 nanomètres environ. À chaque échelle, ses moyens d’observation et de mesure, et aussi son rôle dans les propriétés optiques ! La logique pour la description anatomique de l’aile commande le zoom avant, du macroscopique au microscopique, chaque élément caractéristique d’une échelle étant le support de ses constituants plus petits. Pour les propriétés optiques, si l’échelle est la même, nous la parcourons en sens inverse. Zoom arrière : la couleur est créée au plus bas niveau de l’échelle, puis modifiée à chaque échelon, jusqu’à obtention de l’effet macroscopique final (fig. 1.1).
Photonique des Morphos
Fig. 1.1 – Les différentes échelles d’observations des ailes des Morphidae et leurs unités de mesure. L’aile dans son entier (entre 4 et 10 cm environ), les écailles (100 ⫻ 50 μm) les stries (10-1 μm) et les structures fines des stries (100 nm).
Niveau 1 : les ailes L’aile est constituée d’une double membrane, chacune s’étant développée indépendamment, et accolée au moment de la formation finale de l’aile. Motifs et implantation des écailles sont complètement indépendants et présentent un fort contraste. Cette double membrane, visible sur la figure 1.2, est parcourue de trachées. Au cours du développement, en même temps qu’elles s’accolent l’une à l’autre, les membranes se sclérifient le long des trachées, formant le réseau de nervures caractéristique de chaque espèce et dont une cartographie précise peut être obtenue par radiographie de rayons X mous. C’est une technique délicate à mettre en œuvre, vu la très faible épaisseur de la membrane alaire (qui sera présentée avec plus de détails dans le chapitre 5). Un réseau secondaire de trachéoles parcours chaque membrane le long desquelles s’alignent les écailles. 42
Structure des ailes des Morphidae : présentation générale
Très schématiquement, on peut se représenter les ailes d’un lépidoptère « idéal » comme deux triangles aux angles plus ou moins arrondis. Angles et côtés portent des noms qui nous permettront de nous situer aisément sur l’aile (fig. 1.3), de même que ses principales zones, plus ou moins concentriques en partant de la base. Nous ne représentons ici que les plus grandes divisions, amplement suffisantes pour illustrer notre propos. Le réseau de nervures est caractéristique d’une espèce. Plusieurs systèmes de dénomination et de numérotation ont été proposés. Uniquement pour situer plus précisément l’endroit de nos mesures, et sans a priori sur sa pertinence, nous avons retenu le système de Tillard, plus en accord avec les dénominations des triangles que la numérotation anglo-saxonne. La plupart des nervures secondaires sont en effet issues de deux grandes nervures principales, appelées radiale et cubitale. Leurs subdivisions sont numérotées d’avant en arrière. Celles qui les précédent sont les subcostales, celles comprises entre les deux les médiales, et celles qui les suivent, les abdominales. Les nervures principales sont toutes orientées de la base vers la périphérie de l’aile, à l’exception d’une nervure transversale, la seule reliant radiale et cubitale, et d’où sont issues les médiales : la discoïdale. Plus importantes pour nous sont les aires délimitées par ce réseau de nervures et les bords des ailes : les cellules alaires. Elles portent le nom de leur nervure inférieure, à l’exception encore de l’aire triangulaire enclose par la radiale, la cubitale et la discoïdale : l’aire discale. C’est sur les plus grandes de ces aires, Cu1, Cu2, 1B et la discale, relativement plates et homogènes, que sont effectuées la plupart des mesures optiques. La coloration et les dessins Les Morphos sont connus pour leur couleur bleue caractéristique. La situation est en fait légèrement plus complexe. Dans leur révision du genre Morpho, P. Blandin et C. Cassildé du Muséum national d’histoire naturelle (voir l’arbre phylogénétique en introduction) distinguent quatre types de colorations : les Morphos « blancs » (Pessonia), les Morphos bleu pâle et bleu profond, et les Morphos bruns ou ternes : Schartzia et Iphimedeia, ces deux derniers sous-groupes comptant sept espèces sur les 36 répertoriées. Par ailleurs, et d’une manière générale, seuls les mâles présentent cette particularité. Les femelles, souvent plus grandes, présentent le plus souvent
Fig. 1.2 – Membrane alaire de Morpho menelaus (gauche) et les deux réseaux de trachéoles avec les rangées de pédicelles des écailles (droite). Ces réseaux sont indépendants, et généralement non parallèles.
Fig. 1.3 – Nervation standard d’un Morpho et nomenclature des bords, des angles et des principales aires des ailes (d’après Catherine Cassildé.)
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Photonique des Morphos
des couleurs pigmentaires, principalement mélaniques. Si les mâles de plusieurs sous-genres présentent en effet une face dorsale uniformément bleue – parfois frangée d’une fine bande noire – le sous-genre Pessonia est assez uniformément blanc et dans le sous-genre Morpho, la couleur bleue peut être réduite à une étroite bande au centre des ailes. La face ventrale présente, quant à elle, une configuration plus classique de rangées d’ocelles plus ou moins conformes aux plans de bases établis pour certains groupes, comme par exemple les Nymphalidae, une des très grandes familles de Rhopalocères, par Schannitsal en 1924 et Siiffert en 1925. Voici les traits les plus caractéristiques de ce plan (fig. 1.4) : - sur le bord de l’aile, une rangée d’ocelles, ensemble de cercles concentriques, centrés sur l’axe médian de chaque cellule ; - des symétries par rapport aux lignes médianes des ailes antérieures et postérieures. Cette ligne médiane coupe sensiblement en leur milieu plusieurs ensembles de bandes colorées, dont le plus important se situe au centre de l’aile : c’est le système central de symétrie, avec en son centre une bande très fortement colorée, la tache discale. On trouve également deux systèmes de symétries excentriques, à la base et à la périphérie de l’aile. Fig. 1.4 – Le plan de base nymphalide et les différents systèmes de symétrie (d’après Siffert, 1925).
La formation des motifs chromatiques Les motifs chromatiques des ailes de papillons sont souvent très complexes, étendus sur plusieurs cellules, parfois sur l’aile entière et il devient donc difficile d’en déterminer expérimentalement l’origine biogénétique. Ce n’est pas le cas des ocelles qui sont des motifs toujours très précisément localisés et de relativement faible étendue. 44
Structure des ailes des Morphidae : présentation générale
Un ocelle se caractérise à la fois par une pigmentation spécifique et par une disposition des écailles qui tranche sur celle du milieu environnant. L’ocelle lui-même présente généralement plusieurs couleurs, sans pour autant que les écailles concernées soient morphologiquement différentes (fig. 1.5). Il est bien établi maintenant que la position des ocelles, toujours précisément situés sur l’axe médian des cellules alaires, est conditionnée par une propriété spécifique des cellules occupant le centre du motif. Ce groupe de cellules, appelé foyer, a pu être expérimentalement déplacé, provoquant la formation d’un ocelle sur le lieu de transplantation, ou retiré, entraînant la disparition totale de l’ocelle. Ces manipulations permettent également d’établir une chronologie assez précise du développement de l’ocelle et montrent que le motif est déterminé trois jours environ avant la pigmentation complète de l’aile qui se produit dans les 24 heures précédant l’éclosion de l’imago. Le foyer est donc une source d’information positionnelle indiquant l’endroit où peut se développer l’ocelle. Sans que les substances chimiques présidant à sa formation soient précisément déterminées, la géométrie de ces motifs peut être simplement expliquée par un processus à deux composés du type activateur-inhibiteur : c’est la théorie des deux gradients. Le foyer diffuse une substance, un activateur (c’est le premier gradient), conduisant à la synthèse d’une mélanine sombre dès que sa concentration dépasse un seuil critique. En-deçà de ce seuil, les écailles synthétisent un autre pigment, un papillochrome jaune par exemple. Il est probable que ce seuil soit en fait fixé par la présence d’une seconde substance, un inhibiteur, qui n’autorise la synthèse de la mélanine que si la concentration en activateur est supérieure à la sienne. Le fait que les ocelles non sphériques ou composés soient toujours symétriques par rapport à la ligne médiane de la cellule alaire laisse à penser que les (ou le) foyers de cette seconde substance se situeraient à la base des ailes et que l’inhibiteur diffuserait très largement vers la périphérie (c’est le second gradient). Les formes respectives de ces deux gradients permettent de reproduire la plupart des motifs observés en ne faisant intervenir qu’un petit nombre de paramètres. Une diffusion isotrope à partir des foyers conduira par exemple à des motifs circulaires si le second gradient est nul (concentration uniforme sur toute la surface de l’ocelle) mais elliptiques s’il est fort, avec le grand axe dans sa direction. Il est tout à fait envisageable, bien que non encore établi, que les motifs des systèmes de symétrie soient eux aussi liés à des rangées de foyers traversant les ailes des côtes aux bords internes et abdominaux. De même qu’une onde plane peut être décomposée en une superposition d’ondes sphériques, les lignes droites pourraient résulter de la fusion d’anneaux périphériques de grands ocelles. Les gradients de concentration d’activateur et d’inhibiteur semblent bien être la clé du système de coordonnées spatiales des motifs colorés des ailes de papillons. La réalité est cependant de toute évidence plus complexe, faisant peut-être intervenir plus de deux composés (inhibiteur d’inhibiteur), des phénomènes de saturation d’un des composés avec apparition de seuil. Enfin, la chronologie très précise des réactions chimiques conduisant de la tyrosine aux mélanines ou aux papillochromes constitue certainement un repère temporel qui pourrait expliquer nombre de détails de la polychromie d’un motif donné. Un chapitre sera dédié à ces pigments et à leurs caractéristiques chromatiques. 45
Photonique des Morphos
D Fig. 1.5 – Ocelles sphériques (a) et déformés (b) sur la face ventrales des ailes postérieures de Morpho cypris.
E La topographie de l’aile Même lorsque l’insecte est au repos, l’aile n’est pas strictement plane, ce qui, dans le cas de colorations structurales très sensibles à l’orientation, influe fortement sur l’aspect du papillon et sa couleur. D’une manière générale, l’aile garde un souvenir du stade nymphal où elle était étroitement repliée, ce qui se caractérise par des plis particulièrement visibles dans l’axe des grandes aires alaires (fig. 1.6). Le chapitre 6 est consacré à la caractérisation de ce phénomène.
Fig. 1.6 – Les déformations caractéristiques des ailes des Morphos (ailes postérieures de Morpho cypris, éclairage rasant). Plis en forme de V vers l’apex et grands plis longitudinaux dans l’axe des cellules. On retrouve sensiblement la même disposition sur les ailes postérieures.
Niveau 2 : les écailles Les ébauches embryonnaires des ailes sont déjà présentes sous forme de minuscules bourgeons chez la jeune chenille. Les disques imaginaux se divisent au cours des mues successives et se transforment en vésicules. Au cours de la mue nymphale enfin, ces dernières se dévaginent pour former les ptérothèques. Sur les plis de ces futures ailes, pliées en accordéon dans la chrysalide, des cellules se différencient qui donneront des cellules trichogènes d’une part, tormogènes de l’autre. Les premières donneront naissance à un poil modifié et aplati : l’écaille ; les secondes au pédicelle de l’écaille (fig. 1-7). 46
Structure des ailes des Morphidae : présentation générale
Fig. 1.7 – Représentation schématique d’une écaille de Lépidoptère. (a) Disposition des deux couches d’écailles. Les écailles prennent naissance le long de fines trachéoles. Les écailles de recouvrement masquent en partie les écailles de fond, généralement source de la coloration chez les Morphos, ce qui modifie l’aspect général de l’insecte (b).
À la surface de cette écaille, un squelette épicuticulaire va être sécrété, qui produira les différents systèmes structuraux générateurs de couleurs physiques. Dans le même temps, des pigments seront déposés dans le système épiculaire, ou à l’extérieur sous forme de granules ovoïdes. La morphologie générale des écailles est à l’image de leur rôle, d’une fascinante diversité. On peut, là encore, en faire une représentation schématique, en dresser un plan – jamais complètement réalisé – mais qui permet d’en fixer la nomenclature. Les écailles classiques des Lépidoptères sont formées de deux feuillets chitineux formant le limbe. La face inférieure, celle faisant face à la membrane alaire, est généralement lisse ou légèrement ondulée, alors que la face supérieure, tournée vers l’extérieur, est plus épaisse et montre une grande diversité de structures. On observe sur pratiquement toutes les écailles, un réseau régulier de stries longitudinales plus ou moins espacées, bien visible au microscope optique, puis sur certaines, un réseau secondaire de stries transversales. Et souvent, plus petites encore, d’autres structures apparaissent, enserrées dans ces mailles. Les lamelles constituant les deux faces de l’écaille sont reliées intérieurement par des trabécules verticaux. Les écailles marginales sont généralement très allongées, parfois piliformes, mais on rencontre également ce type d’écailles dispersées aléatoirement parmi les écailles classiques en tout point de l’aile. L’extrémité du limbe peut prendre des formes extrêmement variées, arrondies, dentelées voire filamenteuses. Les mâles d’une part importante des espèces de Morphidae présentent, nous l’avons dit, une couleur bleu vif et iridescente sur leur face dorsale, alors que les femelles, à quelques exceptions remarquables près, sont cryptiques, de même que la face ventrale des deux sexes. Dans tous les cas, on retrouve cependant une organisation des écailles commune à toutes les espèces : une double couche d’écailles, généralement assez différentes par leur forme, leur structure et leurs propriétés optiques chez les espèces iridescentes, beaucoup moins chez les autres où les distinctions ne s’observent pas à cette échelle. Les écailles les plus extérieures sont appelées écailles de recouvrement et celles disposées en dessous, directement en contact avec la membrane les écailles de fond, ou écailles basales (fig. 1.8). 47
Photonique des Morphos
Fig. 1.8 – Écailles de recouvrement et basales sont très différentes chez les espèces iridescentes (M. godartii), beaucoup moins chez les espèces brunes ou ternes (M. hecuba).
Fig. 1.9 – Divers aspects des écailles de recouvrement observées au microscope électronique à balayage (MEB). À gauche, les grandes écailles ondulées de M. marcus, à droites les petites écailles étroites de M. aega.
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Les écailles de recouvrement La couche extérieure, composée des écailles de recouvrement, prend des allures très diverses selon les espèces, mais également au sein d’une même espèce selon la position sur l’aile. Leur taille et leurs formes sont extrêmement variables, depuis les écailles géantes de M. marcus, plus larges que longues et ondulées jusqu’aux écailles atrophiées des Megamedes (M. cypris, M. rhetenor), en passant par toutes les tailles intermédiaires (fig. 1.9). Chez la plupart des espèces, les écailles de recouvrement sont relativement longues et étroites, traversées de strie longitudinales espacées de 2 μm environ. Elles sont toujours dépigmentées pour laisser la lumière atteindre la couche inférieure et deviennent complètement transparentes sous liquide d’indice de 1,5-1,6.
Le taux de recouvrement des écailles de la seconde couche par celles de la première est un paramètre important. Ce taux, noté CR (pour « cover ratio ») varie de 0 à 100 % selon les espèces. Les écailles de recouvrement forment en effet, comme nous le verrons, une couche diffusive ou diffractive au-dessus des secondes qui génèrent la couleur, et en modifient largement l’aspect (fig. 1.10).
Structure des ailes des Morphidae : présentation générale
Selon leur taille et leur structure, parfois assez différentes de celles des écailles basales, elles participent à la coloration générale de l’aile, mais souvent dans une moindre mesure. Certaines peuvent même présenter une certaine iridescence, souvent atténuée par l’absence de pigment (fig. 1.11). Les écailles de fond ou écailles basales Les écailles de fond de toutes les espèces étudiées (à l’exception des espèces du sous-genre Pessonia, et plus surprenant de M. sulkowskyi [Cytheritis]) sont à la fois pigmentées et structurées. Iridescentes, elles sont à l’origine de la coloration bleue caractéristique (fig. 1.12). D’une manière générale, les écailles basales ne se recouvrent pas, ou très légèrement à leur extrémité. Chez la plupart des espèces, les écailles basales, comme d’ailleurs celles de recouvrement, sont plates et pas (ou très peu) inclinées sur le plan de l’aile. Il existe cependant quelques exceptions remarquables comme M. anaxibia chez qui les deux types d’écailles sont assez fortement convexes. Plus couramment, seules les écailles de recouvrement présentent une légère convexité (M. godartii, M. didius, M. violaceus, etc.). Les déformations des écailles sont encore plus prononcées chez M. cisseis cabrera, une sous-espèce d’Iphimedeia à l’aspect argenté, chez qui les écailles se présentent dans le plus grand désordre et sont
Fig. 1.10 – Le taux de recouvrement des écailles de fond par les écailles de recouvrement varie de 100 % chez M. marcus (en haut à gauche) à 0 % chez M. rhetenor par atrophie des écailles de recouvrement (en bas à droite) ou M. zephyritis par juxtaposition des écailles (en haut à droite). Chez la plupart des espèces, il varie de 50 à 80 % comme chez M. anaxibia (en bas à gauche). (Microscope photonique.)
Fig. 1.11 – Écailles isolées de M. menelaus observées en réflexion au microscope photonique. Sous certaines orientations bien précises, elles peuvent présenter une légère iridescence.
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Photonique des Morphos
Fig. 1.12 – Écaille basale de M. menelaus isolée, observée en réflexion au microscope photonique. L’écaille présente une forme très géométrique mais n’est pas parfaitement plane. On peut y observer les mêmes effets d’iridescence (du bleu au pourpre) que sur l’aile entière. Les effets colorés sont également multi-échelle (gauche). Écailles de M. cisseis cabrera au microscope électronique à balaye. Les deux types d’écailles sont systématiquement pliés et présentent en partie leur face inférieure (droite).
toutes extrêmement déformées, voire retournées sur leur axe (fig. 1.12). C’est, à notre connaissance, le seul cas connu chez les Morphos ! D’un point de vue optique, cela peut avoir une forte influence sur l’aspect du papillon. La lumière réfléchie est en effet dispersée dans un large angle solide et les reflets cassés. M. anaxibia, bien que d’un bleu très profond, apparaît ainsi extrêmement mat. Un chapitre est consacré à la détermination de la répartition spatiale de la lumière réfléchie ou « bidirectionnal reflectivity distribution function » (BRDF), qui est la clé du message coloré délivré par le papillon. La transition structurale - pigmentaire Les espèces du sous-genre Morpho, communément appelées « barrées » sont en effet caractérisées, sur la face dorsale, par une large bande longitudinale bleue iridescente, qui traverse continûment les ailes antérieures et postérieures. Cette bande est plus ou moins large, allant d’un mince filet chez M. achilles, jusqu’à couvrir pratiquement l’intégralité de l’aile chez M. granadensis ou chez certains M. helenor. La transition du bleu au noir est assez progressive. Elle se fait sans modification des écailles de fond, mais par substitution des écailles de recouvrement non pigmentaires par des écailles pigmentaires, sans grande modification de la structure, et qui deviennent ainsi très semblables aux écailles de fond (fig. 1.13).
Fig. 1.13 – La transition structurale - pigmentaire sur l’aile postérieure de M. deidamia. Noter en bord de zone la substitution progressive des écailles structurales bleues par des écailles pigmentaires.
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Structure des ailes des Morphidae : présentation générale
Niveaux 3 et 4 : les stries et leurs structures fines Les structures naturelles produisant des effets colorés sont d’une immense diversité, mais relèvent toutes, à y regarder de près, d’un nombre relativement restreint de phénomènes fondamentaux. Aussi devint-il rapidement impératif de les classer, de les ranger par grandes catégories de forme ou de phénomène. Concernant les écailles structurales des Lépidoptères, Masson, en 1923, dans ses remarquables articles sur les couleurs structurales des insectes, fut probablement le premier à proposer une ébauche de classification morphologique des structures en distinguant les « Urania type scales » (écailles de type Urania) des « Morpho type scales » (écailles de type Morpho). En 1998, Ghiradella et Wiley-Liss conservèrent cette classification quelque peu réductrice en l’augmentant d’une troisième catégorie pour les écailles ne relevant d’aucune des précédentes. Les Morphos apparaissent donc comme porteurs d’un type de structures caractéristiques, qu’ils sont d’ailleurs pratiquement les seuls à posséder. Les physiciens préfèrent une classification plus phénoménologique inspirée de celle des cristaux photoniques (cf. fig. 2.6 dans Optique), qui recouvre assez largement la précédente, et basée sur la dimension de périodicité. Selon cette classification, les Morphos ont une structure photonique à deux dimensions (2D) que nous allons définir (cf. Encadré 1.1).
Aperçu historique L’étude des structures photoniques, quand bien même on ne les appelait pas ainsi, n’est pas nouvelle. Et comme c’est généralement le cas, elle est parsemée d’erreurs et de fausses pistes, et de personnages hauts en couleur. Parcourant la table des matières de « The genus Morpho » (P. Blandin, Part 3), on peut constater que les premières classifications systématiques des papillons néotropicaux, dont les Morphos, remontent au milieu du XVIIIe siècle, avec C. Linnée (1758), P. Cramer (1775) ou
Couleurs pigmentaires
Couleurs structurales
J.C Fabricius (1807), pour ne citer que les plus célèbres. Il n’est pas douteux que ces grands naturalistes, et extraordinaires observateurs, se soient interrogés sur l’origine de l’iridescence des Morphos. Ce n’est pourtant qu’un siècle plus tard, avec les travaux de Walter en 1895, que l’on commence à trouver des études systématiques sur les structures des écailles. Le tableau suivant présente une chronologie très succincte des grands noms attachés à cette quête.
B. Walter
1895
A.A. Michelson
1911
R.W. Wood
1919
O.M. Lord Rayleigh
1919
H. Onslow
1921
C.W. Masson
1923
F. Süffert
1924 1932
T.F. Anderson et A.G. Richards
Invention du microscope électronique en transmission
1942
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Photonique des Morphos
Les premières observations sont évidemment faites au microscope photonique, les coupes réalisées à l’aide de microtomes à main ou mécaniques. Les dessins sont effectués à la chambre claire, bien que ce ne soit pas toujours précisé. Les plus belles observations et illustrations qui nous soient parvenues sont probablement celles de H. Onslow, publiées dans les « Philosophical Transactions » en 1921 sous le titre : « On a Periodic Structure in Many Insect Scales, and the Cause of their Iridescent Colours ». Outre de très précieuses indications sur les méthodes de préparation des échantillons et de réalisation des coupes, y sont adjointes trois extraordinaires lithographies (en couleur dans l’édition originale). Nous en avons extrait les figures concernant les Morphos (fig. E.1.1.1)
ainsi que les légendes originales, fort instructives. Si les stries sont très fidèlement représentées, les lamelles qui les composent sont bien sûr en dessous du pouvoir de résolution du microscope (fig. E.1.1.2) et Onslow attribue la couleur et l’iridescence des Morphos à un phénomène de diffraction type réseau et interférences entre le sommet des stries et la membrane basale ! Il est cependant difficile, avec un tel modèle, d’expliquer l’intensité de la couleur réfléchie (souvent de l’ordre de 70 %), mais il est vrai qu’Onslow ne semble pas avoir effectué de mesures spectrales. On y découvre également, dans les remerciements, l’intérêt porté aux structures photoniques par Lord Rayleigh, 4e Baron, mais également par le père de ce dernier, célèbre pour ses travaux sur la diffusion.
Fig. E.1.1.1 – All figures where drawn with a Zeiss oil immersion apochromat 2 mm. A sligt reduction was made in reproducing, so that the magnification is about 2000. i.e to the scale of μ = 2 mm. Where not otherwise stated, the section were mounted in Canada balsam. (Légendes originales.) Fig. 1 – Morpho menelaus, Linn . 1a. Upper scale, stained with carbol-gentian violet; a, striae, b, basal membrane wich isprobably double. 1b. Dark blue under scale, stained with carbol-gentian violet; a, chitine plates, between which may be seen the air –films, b, striae wich are heavily pigmented; d, bands of pigmented chitin (the Brüche of Spuler) attaching the upper membrane to the lower; b, basal membrane. 1c. Longitudinal section of the above scale stained with carbol-gentian violet… a, single plate of chitin seen from the side; d, bands of chitin running at right angle to those in the last figure; b, basal membrane. Fig. 2 – Morpho sulkowskyi, Koll . Unstained section in aqueous glycerol. Fig. 12 - Morpho achilles, Linn . 12a Section of the upper scale which appears pale blue both by transmitted and reflected light, stained with carbol-fuchsin; a, striae which are double; b, basal membrane, which is also double, and has here become separated. 12b Plane of the last scale, stained with carbol-gentian violet, obtained by the section having turned over upon its face. The double structure of the striae, a, is well seen. 12c Section of dark blue under-scale, stained with carbol-gentian violet; a, heavily pigmented striae, c, transparent surface layer of chitin, wich has here become separated from the scale.
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Structure des ailes des Morphidae : présentation générale
Fig. E1.1.2 – Modèle de stries de M. menelaus, proposé par Onslow. Les tries sont homogènes, ce qui est faux, et pigmentées à la base, ce qui est exact. Il est surprenant de voir qu’Onslow ait pu distinguer les trabécules qui supportent les stries.
Très peu de temps après, en 1924, donc toujours grâce à des observations au microscope photonique, le biologiste allemand F. Süffert approchait de très près la vérité (fig. E1.1.3) en subodorant même l’inclinaison des lamelles sur le plan de l’écaille.
l’origine de ces couleurs est structurale. Mais quelle structure ? L’histoire de J.F. Anderson et A.G. Richards montre parfaitement à quel point une image peut être trompeuse, et difficile à interpréter. La microscopie électronique à transmission est une technique délicate, plus encore sans doute à l’époque qu’aujourd’hui, qui ne permet l’observation que d’objets extrêmement minces, ou de coupes minces réalisées à l’ultramicrotome. En 1942, Anderson et Richards effectuent la – probablement – première observation d’écaille structurale de M. cypris au microscope électronique pour, disent-ils, « développer des méthodes de préparation appropriées, et approfondir leur expérience d’analyse et d’interprétation des images ». Il s’agit d’une observation directe d’une écaille coupée par pliage, qui montre pour la première fois des stries vues par la tranche (fig. E.1.1.3). Mais comment ces stries sont disposées dans l’espace, les images, même en stéréoscopie, ne permettent pas de le savoir ! À la suite de nombreuses observations, les auteurs finissent par proposer un modèle de strie compatible avec les-dites observations. Il s’agit d’une strie épaisse, constituée d’une juxtaposition de 5 à 6 lamelles, chacune composée d’un empilement d’une dizaine de couches. Ce n’est que grâce au microscope électronique à balayage, 28 années plus tard, que l’arrangement réel put être observé, et que l’on s’aperçut qu’une unique lamelle d’Anderson et Richards constituait une strie entière.
Fig. E1.1.3 – D’après F. Süffert : «Reconstitution d’un morceau d’une écaille irisée de type Morpho. P : plaques perpendiculaires avec lamelles ; R : stries longitudinales ; Tr : trabécules.
Nous avons raconté par ailleurs la gentille polémique qui opposa Michelson et Rayleigh sur l’origine de la couleur de M. rhetenor. Des expériences macroscopiques sur le papillon lui-même ont permis de trancher en faveur du second, mais c’est l’apparition du microscope électronique en transmission, en 1932 qui en apporta la preuve éclatante :
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Photonique des Morphos
Les écailles structurales Le système de stries apparaissant sur la surface supérieure des écailles est une caractéristique quasi générale des écailles de Lépidoptères. Hormis quelques rares écailles spécialisées, toutes présentent des stries longitudinales, dans la plupart des cas parallèles à leur grand axe (plus rarement obliques ou en spirale), plus ou moins épaisses et espacées et aisément observables au microscope optique. Sur la plus grande surface de l’écaille, les stries sont généralement parallèles les unes aux autres, continues d’un bout à l’autre de l’écaille et régulièrement espacées. À l’inverse, elles peuvent se présenter de façon très désordonnée sur certaines écailles spécialisées comme les androconies. Toutes les stries des écailles structurales des Morphos présentent une structure commune relativement simple mais que chaque espèce va moduler à loisir en développant plus ou moins, parfois jusqu’à l’excès, certains éléments (fig. 1.14).
Fig. 1.14 – Représentation schématique latérale et transversale des stries des écailles de Morpho.
Fig. 1.15 – Les lamelles se retrouvent en nombre égal en tout point de la strie.
Fig. 1.16 – Coupe d’une écaille basale de M. menelaus observée au microscope électronique à balayage montrant, à gauche, l’évolution des largeurs des lamelles et, à droite, leur inclinaison.
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La structure longitudinale Les stries sont composées d’un certain nombre de lamelles plus ou moins longues, prenant naissance à intervalles réguliers sur la membrane supérieure de l’écaille, et se superposant, comme des tuiles. Les lamelles se retrouvent donc toutes légèrement inclinées sur le plan de l’écaille d’une dizaine de degrés environ. Le nombre p de lamelles est un paramètre important pour les propriétés optiques de l’aile, puisqu’il est directement relié à l’intensité réfléchie (cf. Encadré 1.2). Plus les lamelles sont longues, plus elles sont nombreuses à se superposer. On observe ainsi des empilements allant jusqu’à 12 lamelles les unes au-dessus des autres. Il est remarquable que leurs longueurs soient elles aussi très régulières et sensiblement égales à un multiple entier de l’intervalle entre leur racine, de sorte qu’en tout point de la strie, l’empilement comporte un nombre constant de couches (fig. 1.15). L’angle d’inclinaison moyen θ des lamelles sur la membrane de l’écaille peut être déterminé expérimentalement par des mesures optiques et sera ainsi déterminé pour toutes les espèces étudiées (cf. Encadré 1.2). Deux lamelles successives sont séparées par un fin réseau de trabécules. Ces trabécules sont très régulièrement espacées le long de la strie, d’un pas noté R‘ dans la suite de l’étude (fig. 1.16).
Structure des ailes des Morphidae : présentation générale
Détermination optique de l’inclinaison des lamelles Si on appelle e l’épaisseur équivalente d’une structure multicouche et ne son indice de réfraction effectif, le minimum de réflectivité se produira pour une longueur d’onde hmin donnée par la relation : , où r est l’angle de réfraction dans la couche et k un entier. L’angle r est a priori inconnu, mais est relié à l’angle d’incidence i qui, lui, est une donnée expérimentale, par les relations de Descartes. Si on remplace r par son expression en fonction de i dans l’équation précédente, nous obtenons :
. Si on suppose que l’indice ne ne varie pas sur tout le domaine spectral considéré, nous devons observer une variation linéaire de h2min en fonction de sin2i. Les mesures effectuées sur la très grande majorité des Morphos montrent que ce n’est jamais le cas, à moins d’introduire une correction de l’angle d’incidence, correction qui correspond à l’inclinaison de la structure sur le plan de l’aile, pris comme référence des angles d’incidence. La pente de la droite donne une estimation de l’épaisseur de la couche et l’abscisse à l’origine de l’indice effectif.
Fig. E.1.2.1 – Réflectivité hémisphérique de M. menelaus pour différents angles d’incidence. Les traits indiquent la position des minimums de réflectivité hmin (a). Variation expérimentale de sin2i en fonction de h2min (----). La variation linéaire est obtenue en augmentant ou diminuant la valeur de l’angle d’incidence de 11°, ce qui correspond à l’inclinaison des lamelles sur le plan de l’aile.
Structure transversale La distance R entre deux stries successives est étonnamment uniforme chez la plus part des Morphos, hormis vers la base de l’écaille où elles prennent naissance et sont légèrement divergentes. Une coupe transversale de l’écaille observée au microscope électronique en transmission permet une détermination précise de l’arrangement et de l’épaisseur des lamelles. Cette épaisseur e est relativement uniforme. La valeur moyenne observée chez M. menelaus est eh ~ 80 nm, alors que celle de la couche d’air intermédiaire est légèrement plus petite (el ~ 50 nm). Cela conduit à une périodicité dans le plan verticale e d’environ 130 nm (cf. Encadré 1.3). 55
Photonique des Morphos
Réflectivité d’une multicouche Le coefficient de réflexion R d’un empilement de couches minces d’indices alternés na et nb, aussi appelées multicouches, et donc l’intensité réfléchie croît avec le nombre d’alternance et le contraste d’indice des couches. Quant à elle, la largeur spectrale du pic principal de réflectivité décroît avec ce même nombre. Ce qui augmente la pureté de la couleur réfléchie. Pour une multicouche idéale, sans dispersion dans les indices et les épaisseurs des couches, la réflectance du système est donnée par l’expression suivante, où p est le nombre de périodes du système. Dans le cas d’une multicouche chitine/air telle que rencontrée chez les Lépidoptères, la réflectance approche 100 % pour moins de 10 périodes.
Dans les systèmes biologiques réels, qui sont loin de satisfaire ces conditions idéales, la réflexion est toujours moins importante. On observe par ailleurs que les lamelles sont plus larges vers la base de la strie qu’à son sommet, ce qui indique qu’elles croissent en se rétrécissant. On remarque également qu’elles ne sont pas horizontales mais inclinées latéralement d’un angle θ’ de 20° environ chez M. menelaus. Comme nous le verrons par la suite, cette inclinaison de la structure est à l’origine d’un effet de polarisation partiel des ordres diffractés par l’écaille.
Nous avons vu dans cette description des écailles structurales, aussi bien basales que de recouvrement, apparaître un certain nombre de grandeurs (longueurs et angles) qui caractérisent la structure photonique de l’écaille. Ces différentes grandeurs sont rassemblées dans le tableau I ainsi que leur définition. Elles permettent de définir la maille élémentaire du cristal photonique équivalent qui, d’une manière générale, est triclinique, et serviront de base à la modélisation des propriétés optiques de l’aile (fig. 1.17). Tableau 1.1 – Les grandeurs caractéristiques des structures photoniques des écailles.
Symbole p eh el e R R‘ e e’ Fig. 1.17 – Maille élémentaire triclinique synthétisant les caractéristiques morphologiques de la structure de M. menelaus. R est la distance interstrie, e la période verticale et R’ la distance entre trabécules.
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Définition Nombre de lamelles d’une strie. Épaisseur d’une lamelle. Épaisseur d’une couche d’air entre deux lamelles. Période spatiale de la structure (e = eh + el) Distance inter-stries Distance entre trabécules Angle d’inclinaison longitudinale des lamelles Angle d’inclinaison transversale des lamelles
Face ventrale et écailles pigmentaires À la périphérie des ailes, sur la face dorsale, et sur l’intégralité de la face ventrale, hormis quelques écailles isolées au centre des ocelles, les écailles des Morphos sont pigmentaires, et présentent une structure assez différente. Les Morphos adoptent une position de repos ailes fermées, et les couleurs cryptiques de la face ventrale constituent un camouflage très efficace. Elles participent aussi, comme nous le verrons plus loin, au bi-
Structure des ailes des Morphidae : présentation générale
lan thermique de l’animal, et sont particulièrement bien adaptées à cette fonction. Disposition Là encore, on retrouve la disposition classique en deux couches (basale et recouvrement). Les formes des écailles de fond et de recouvrement sont généralement assez différentes, lancéolées pour les premières, évasées et à bord lisse pour les secondes (fig. 1.18 et 1.19).
D
Fig. 1.18 – Écailles ventrales de M. menelaus. Écaille de fond, au microscope électronique à balayage (a) Écailles basales (b). Écaille de recouvrement (c). (Microscope photonique.)
E
F
Fig. 1.19 – (a) Naissance et pédicelle d’une écaille pigmentaire de la face ventrale de M. menelaus. (b) Structure des stries et inter-stries (MEB)
D
E
Leurs structures fines sont en revanche identiques, et optimisées pour capter l’énergie solaire. Les lamelles sont courtes et ne se superposent plus, ce qui limite le coefficient de réflexion. Un réseau de contre-stries s’est développé, ce 57
Photonique des Morphos
qui forme entre les stries des alvéoles de diamètres inférieurs au micromètre qui laisse pénétrer jusqu’à la membrane les longueurs d’onde inférieures à cette taille, c’est-à-dire l’ensemble du visible, mais pas les plus grandes – l’infrarouge – ce qui nuirait, comme nous le verrons à l’efficacité du capteur.
L’échelle moléculaire À la plus petite échelle, nous arrivons maintenant au niveau des constituants de la matière organique des ailes, principalement de la chitine pour le matériau de base de l’édifice, et des pigments pour sa coloration. La chitine La molécule de chitine est un polysaccharide analogue par sa structure à la cellulose végétale. Elle se présente sous la forme d’une longue chaîne composée d’une succession de monomères de N-acétylglucosamine. Ces molécules, au nombre d’une vingtaine environ, s’assemblent les unes aux autres sur deux ou trois rangées pour former des baguettes quasi cristallines : les microfibrilles. Ces microfibrilles, enrobées dans une matrice protéique, confèrent à l’ensemble un indice optique anisotrope, dont la détermination est présentée en annexe (fig. 1.20).
Fig. 1.20 – (a) Deux monomères de la molécule de chitine. (b) Les arrangements en microfibrilles de groupes de molécules.
D
E
Les pigments S’il est vrai que les Morphos sont principalement connus pour leur vive coloration bleue d’origine physique, les pigments constituent cependant un élément fondamental de leur caractéristique chromatique. Toujours à l’exception des Pessonia, pratiquement dépigmentés, les couleurs de toutes les faces ventrales, d’une plus ou moins grande partie des faces dorsales et de l’ensemble du papillon chez les Schwartzia et les Iphimedia, sont d’origine pigmentaire. Le pigment de base des Morphos, comme de l’ensemble du monde animal, est la mélanine. C’est cette famille de pigments que l’on retrouve – à l’exception notable de M. sulkowskyi – dans toutes les écailles basales, qu’elles soient structurales ou non, et dans les écailles de recouvrement de toutes les zones pigmentées (face ventrale et zones noires de la face dorsale). Un autre pigment, très probablement un ommochrome, se trouve exclusivement, chez les Morphos, dans les ocelles de la face ventrale (fig. 1.21). La présence de pigments fluorescents a été mise en évidence plus récemment chez M. sulkowskyi. Il s’agit d’un mélange de ptéridines (bioptérine, ptérine et isoxanthoptérine), pigments plus couramment rencontrés chez les pieridae. Excitée dans l’ultraviolet aux environs de h = 325 nm, l’émission se produit dans le vert, avec un maximum pour h = 510 nm. Comme nous le verrons au chapitre 3, il semble que chez M. sulkowskyi, ces ptéridines se soient substituées aux mélanines et se trouvent à la fois dans les écailles de fond et de recouvrement. 58
Structure des ailes des Morphidae : présentation générale
Fig. 1.21 – Les ocelles de la face ventrale de M. menelaus occidentalis. Les cercles rouges des ocelles sont dus à un ommochrome. On trouve au centre des ocelles quelques écailles structurales de même qu’à leur périphérie.
Localisation des pigments Lorsqu’elles coexistent, les couleurs d’origine pigmentaires sont souvent masquées par les couleurs structurales. On peut très aisément localiser les premières en faisant disparaître les secondes. Deux méthodes pour cela : soit faire disparaître le pigment par immersion des ailes dans divers solvants, soit faire disparaître la structure – d’un point de vue optique s’entend – en l’immergeant dans un liquide d’indice optique exactement égal à celui du matériau la constituant. Lors de la dissolution des pigments, la couleur disparaît de manière irréversible, mais il faut vérifier également que la structure de l’écaille n’a pas été altérée par ce traitement relativement violent. Dans le cas d’une origine structurale, le processus est réversible : quand le fluide se retire (par évaporation), l’aile retrouve sa couleur originelle. Et il peut être partiel. Si le fluide a un indice différent de celui de la structure, la couleur est modifiée. Ceci suppose que la structure est ouverte et laisse, d’une manière ou d’une autre, le fluide pénétrer en son sein, puis s’en échapper. La structure photonique bidimensionnelle des Morphos, très ouverte, se prête particulièrement bien à ce type d’expérience. Nous verrons dans le chapitre consacré aux phénomènes interférentiels que pour une configuration
donnée, il y a minimum de réflexion, donc extinction de la couleur correspondante, pour chaque longueur d’onde telle que :
où n est l’indice de la couche, e sont épaisseur, k un entier et er l’angle de réfraction. Sous une incidence donnée, la longueur d’onde réfléchie – donc la couleur observée – dépend du produit de l’épaisseur de la couche et de son indice, et peut donc être modulée en jouant sur l’un ou l’autre de ces paramètres. Commençons par les variations d’indice. Une augmentation de l’indice de l’un des constituants de la multicouche obtenue en plongeant l’insecte dans un liquide d’indice de plus en plus élevé conduit d’une part à un décalage de la teinte dominante vers les grandes longueurs d’onde (bleu vert jaune rouge) mais, d’autre part, à une diminution de la réflectivité (ou augmentation de la transmittivité) avec comme conséquence qu’on ne peut observer les couleurs rouges. Lorsqu’il y a accord d’indice le phénomène interférentiel – et donc la couleur – disparaît, et l’aile est transparente. Si une telle structure est déposée sur un fond ou un motif pigmentaire, celuici finira par apparaître seul (fig. E.1.4.1). 59
Photonique des Morphos
Fig. E.1.4.1 – Morpho menelaus à l’air et sous liquide d’indice (acétone n = 1 362, trichlorobenzen n = 1 478). Lorsque les indices du liquide et de la structure sont identiques, les couleurs structurales disparaissent et seules persistent les couleurs pigmentaires (ici dans les écailles de fond et sur la face ventrale).
Un autre problème, qui a son importance lors de la modélisation des propriétés optiques, est la localisation des pigments dans la structure des écailles de fond. On peut en avoir une idée qualitative grâce aux clichés de microscopie électronique en transmission. Les mélanines ne sont pas diffuses dans la structure mais forment des agrégats plus opaques aux électrons que la chitine. On peut donc avoir une estimation de leur répartition en mesurant la densité des clichés le long d’une strie (fig. E.1.4.3). Ces mesures montrent que les pigments sont localisés à la base des stries, c’est-à-dire également à la naissance des lamelles. Cette distribution implique une évolution de la partie imaginaire de l’indice k du matériau, et donc de son coefficient d’absorption lorsque l’on pénètre dans la structure, avec une forte influence sur les propriétés optiques, comme le montrent les modélisations.
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Fig. E.1.4.2 – Localisation des pigments de M. marcus. En haut, les écailles à l’air, en bas, les mêmes écailles immergées dans l’acétone. Les écailles de recouvrement, dépigmentées, ont totalement disparu.
Fig. E.1.4.3 – Analyses densitométriques le long des stries de M. menelaus. Les courbes bleues représentent la luminosité en fonction de la profondeur, elle est inversement proportionnelle à l’absorption, et donc à la concentration pigmentaire.
Structure des ailes des Morphidae : présentation générale
Les mélanines Les mélanines forment une vaste famille de pigments très divers, largement répandus dans les deux règnes, végétal et animal. Elles comptent certainement parmi les pigments les plus communs mais aussi les plus complexes. Ce sont des polymères dont le précurseur biologique est la tyrosine. Leur couleur varie du jaune au brun et au noir. On distingue dans le règne animal les phaeomélanines (jaune à roux) et les eumélanines (brun à noir), phaeomélanines et eumélanines coexistent souvent et donnent lieu à une très grande variété de pigmentations. Toutes les réactions qui aboutissent aux mélanines sont catalysées par une seule et même enzyme : la phénoloxydase, mais elles sont extrêmement sensibles aux conditions environnementales, comme la température, l’humidité ou la teneur en CO2. Des variations de ces paramètres peuvent conduire à des cas de mélanisme ou d’albinisme avec leurs conséquences directes sur la survie des individus ou de l’espèce. Éléments essentiels de la pigmentation humaine, les propriétés optiques des solutions d’eumélanine et de phaeomélanine sont bien connues, mais la structure exacte du polymère ne peut jamais être déterminée avec précision. Le coefficient d’extinction du monomère présente toujours un maximum dans l’ultraviolet et décroît rapidement dans le visible, d’où les couleurs jaune-brun généralement observées. On sait cependant que l’élongation du polymère et la présence d’auxochromes augmentent l’absorption dans le visible, pouvant conduire à un noir profond. Outre la paterne alaire, les mélanines jouent chez les Morphos le rôle d’écran opaque sous et dans les écailles structurales. À quelques exceptions près (comme Morpho godartii, Morpho polyphemus, etc.), on observe systématiquement une couche d’écailles pigmentaires très absorbantes et des écailles structurales contenant elles-mêmes des pigments et formant un écran sombre, empêchant toute réflexion parasite qui altérerait la pureté de la teinte réfléchie (fig. 1.22).
Fig. 1.22 – Monomères dihydroxy-5,6 indole, formant une portion du squelette d’une eumélanine.
Les ommochromes Bien que non encore complètement analysés, il semble que les pigments responsables de la couleur rouge des ocelles de la face ventrale soient des ommochromes. Il s’agit de molécules assez complexes, dérivées par polymérisation d’acides aminés cycliques – essentiellement le tryptophane – que l’on trouve dans les yeux de la plupart des insectes et plus largement sur les ailes de nombreux nymphalides. Les composés les plus simples sont solubles dans l’eau. Il en est ainsi du composé de départ de la chaîne de biosynthèse des ommochromes, la 3-hydroxycynurénine, jaune et fluorescente. On l’observe en particulier sur les ailes de certains Heliconius. Chez les mêmes papillons, la xanthommatine est orangée et la dihydroxanthommatine rouge. Les Vanesses présentent ces deux derniers pigments, de l’ommatine D (brun-rouge) et de la rhodommatine (rouge foncé). Ces composés ne diffèrent que par une chaîne latérale. Mais on ne sait pas vraiment quel pigment donne le rouge vif de Melitaea didyma et de certains Cymothoe ou Callicore. Les ommines, plutôt localisées dans les yeux, sont très peu solubles et d’une étude chimique difficile. D’autres pigments, rouges et très insolubles, observés chez les nymphalides (Precis 61
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coenia), se sont révélés être de la même famille chimique, car issus du tryptophane ; l’élégante démonstration en a été faite par incorporation de tryptophane-14C.
Conclusion L’organisation structurale des Morphos apparaît au premier abord relativement homogène, et très caractéristique, du moins en ce qui concerne celle des faces dorsales iridescentes. Cette organisation et le rôle des différentes écailles sont, si ce n’est unique, en tout cas très peu répandus. Généralement – et on pourrait dire assez logiquement – les couleurs sont produites par la couche extérieure de l’édifice, celle qui est directement exposée à la lumière et à la vue : les écailles de recouvrement, qui peuvent être indifféremment pigmentaires et/ou structurales. Les écailles basales jouent alors un rôle d’écran absorbant qui augmente le contraste coloré et le rendement de conversion héliothermique. Elles sont systématiquement pigmentaires. La disposition est inverse chez les Morphos, ce qui impose pour arriver au même but une organisation assez complexe. Les couleurs et les effets colorés sont produits majoritairement par la couche basale, ce qui impose à la couche de recouvrement d’être soit atrophiée (exemple : Megamede) soit translucide, donc dépigmentée (tous les autres genres). La couche basale doit donc assumer à elle seule la double tâche de générer la couleur, par sa structure, et d’absorber les autres radiations par ses pigments. Cette organisation très particulière fait de la structure des écailles un critère de Q classification important.
Résumé 1 Les ailes des Morphos sont structurées sur cinq niveaux (structure multi-échelle). Chaque niveau apporte sa participation à l’aspect visuel de l’ensemble. 2 Dans toutes les zones iridescentes, les écailles de fond sont structurales et pigmentaires. Elles assurent la coloration et la majorité des effets optiques. 3 Les écailles de recouvrement sont dépigmentées, structurales, parfois atrophiées (Megamedes). 4 Il existe quelques exceptions aux règles précédentes : les Pessonia sont totalement dépigmentés. M. sulkowskyi (Cytheritis) également. 5 Les stries se composent d’un empilement dissymétrique de lamelles (de 1 à 12), d’une centaine de nanomètres d’épaisseur. Cet empilement multicouche génère la couleur par effet interférentiel. 6 L’ensemble des stries, distantes d’un micromètre environ, se comporte comme un réseau sélectif qui diffracte latéralement la lumière réfléchie (et colorée par interférence). La structure globale de l’écaille est celle d’un cristal photonique à deux dimensions. 7 Les couleurs pigmentaires des Morphos sont essentiellement dues à des mélanines et plus localement, au niveau des ocelles, à des homochromes. 62
Structure des ailes des Morphidae : présentation générale
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Propriétés optiques
U
ne structure multi-échelle aussi complexe que celle rencontrée chez les Morphos produit un grand nombre d’effets optiques ou électromagnétiques, dont la couleur, traitée au chapitre suivant, n’est qu’un des aspects. S’il est entendu que les couleurs des papillons et les autres composantes optiques constituent un élément important de communication inter- et intraspécifique, il est fondamental de pouvoir quantifier ce message dans toutes ces composantes, spectrales, spatiales, etc., pour en comprendre la portée et la signification. Ceci peut être fait grâce à une fonction complexe : la fonction de distribution de la réflectivité bidirectionnelle (BRDF pour bidirectional reflectivity distribution function), qui caractérise complètement les propriétés optiques d’un objet opaque, indépendamment de la source d’éclairement et de l’observateur. Sa connaissance permettrait également in fine de modéliser l’aspect visuel du papillon dans toutes les conditions, donc à terme en mouvement. Hormis quelques cas simples présentés plus loin, la détermination analytique complète de la BRDF structure complexe reste une chimère. Aussi, après une présentation générale et de principe de la fonction et de quelques exemples de BRDF d’ailes de Morpho, procèderons nous de manière plus classique à l’exposé des grands types de phénomènes optiques dont elles sont le siège. Nous nous intéresserons tout d’abord aux effets interférentiels et diffractifs générés par ce cristal photonique bidimentionnel que constituent les écailles, puis aux autres composantes du signal optique au sens large, principalement aux effets liés à la polarisation de l’onde réfléchie. Les techniques de mesure de la BRDF utilisées au laboratoire ne seront ici qu’évoquées. Une présentation plus détaillée en étant faites dans la troisième partie de même que pour les techniques d’imagerie polarimétrique.
La fonction de distribution de la réflectivité bidirectionnelle (BRDF) : définition Généralement notée l, elle est définie comme le rapport de la luminance spectrale directionnelle réfléchie par l’objet, à l’éclairement spectrale directionnel incident E par unité d’angle solide. C’est une fonction complexe
Photonique des Morphos
dépendante de très nombreux paramètres caractérisant l’onde incidente d’une part (longueur d’onde, intensité, polarisation, etc.) et les propriétés physiques de l’objet d’autre part (indice de réfraction, état de surface, etc.) pour une configuration donnée (angle d’incidence ei, angles d’observation zénithal er et azimutal r). Pour un azimut fixé, elle peut s’écrire sous la forme suivante : (2-1) Les détecteurs optiques ne mesurant pas directement les luminances ou les éclairements, la BRDF mesurée peut s’exprimer en fonction des flux incident φi(θi) et réfléchi φr(θr) mesuré dans un angle solide dΩr = sin θrdθrdϕr, soit : (2-2) On lui préfère parfois l’expression plus simple, dite « corrigée du cosinus » : (2-3) Cette grandeur mesurée constitue donc toujours une approximation de la BRDF théorique. Hormis quelques cas simples, comme le miroir parfait, la couche mince ou le réseau, on ne sait pas établir l’expression analytique de cette fonction, et elle doit être déterminée expérimentalement (fig. 2.1).
Fig. 2.1 Géométrie d’une configuration bidirectionnelle
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Propriétés optiques
Il existe plusieurs types de représentation de la BRDF, la plus complète – mais pas forcément la plus pratique – étant le lobe de réflexion tridimensionnelle. On lui préfère souvent des cartes en coordonnées angulaires [θr, ϕr]. Chaque point de la carte correspond à l’intensité réfléchie dans la direction (θr, ϕr) pour une longueur d’onde donnée. L’intensité est généralement graduée en fausses couleurs. Ces cartes monochromatiques sont établies pour des conditions d’éclairement données (incidence, polarisation, etc.). On peut également les représenter plus précisément sous forme de courbes, chaque courbe représentant une coupe dans une direction donnée du lobe de réflexion (fig. 2.2).
Fig. 2.2 4XHOTXHV %5') SDU RUGUH GH FRP SOH[LWp'HKDXWHQEDV/DUpÁH[LRQVSpFXODLUH VXU XQ PLURLU SUDWLTXHPHQW LQGpSHQGDQWH GH la longueur d’onde. La même sur une système multicouche : seule une gamme très restreinte de longueur d’onde est réfléchie. La BRDF d’un réseau : la position des points sur la carte dépend de la longueur d’onde. La BRDF d’une surface rugueuse. Les trois premières peuvent être déterminées analytiquement, la troisième approximée seulement.
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Photonique des Morphos
Les BRDF des Morphos Comme nous l’avons évoqué, les BRDF les plus simples sont celles des miroirs et des couches minces, où la réflexion est spéculaire et donc représentée par un point sur la carte [θr, ϕr], symétrique par rapport au centre du point d’incidence (θi, ϕi). La BRDF du diffuseur lambertien est également simple, puisqu’elle correspond à un cercle centré sur l’angle d’émergence du faisceau spéculaire. La dernière BRDF analytiquement déterminable est celle du réseau, qui correspond très schématiquement à celle des Morphos. On sait que lorsqu’un réseau comportant n traits par unité de longueur est éclairé en lumière blanche sous une incidence i, chaque longueur d’onde λ est diffractée en configuration classique selon des directions i’ telles que : (2-4)
Fig. 2.3 /HV GHX[ GLVSRVLWLRQV G·pFODLUHPHQW G·XQ UpVHDX D /D GLVSRVLWLRQ FODVVLTXH SODQ G·LQFLGHQFH SHUSHQGLFXODLUH DX[ WUDLWV OHV RUGUHVGHGLIIUDFWLRQHWOHVVSHFWUHVGDQVFKDTXH RUGUH VRQW DOLJQpV E /D GLVSRVLWLRQ FRQLTXH SODQG·LQFLGHQFHSDUDOOqOHDX[WUDLWV RUGUHHW VSHFWUHVVHUpSDUWLVVHQWVXUOHVLQGLFDWULFHVG·XQ F{QH
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où k est un entier correspondant aux ordres de diffraction. La BRDF d’un réseau, pour une longueur d’onde donnée, est donc représentée par une succession de points, chaque point correspondant à un ordre de diffraction. Il y a cependant deux façons d’éclairer un réseau : la disposition classique où le plan d’incidence est perpendiculaire aux traits du réseau (fig. 2.3a). Dans ce cas, les ordres diffractés émergent également dans ce plan et la BRDF a l’aspect d’une succession de points alignés dont l’espacement suit la loi (2-4). On peut également se placer en diffraction conique, avec le plan d’incidence parallèle aux traits du réseau, ainsi appelée car la diffraction se fait selon les indicatrices d’un cône La BRDF se présente alors sous la forme d’un arc de points (fig. 2.3b). Cette disposition plus complexe peut être préférée car elle ne présente pas d’angles morts dans des directions a priori intéressantes, contrairement à la précédente où les angles voisins de l’angle d’incidence sont expérimentalement inaccessibles pour des raisons d’encombrement. Il faut alors avoir recours aux mesures en rétrodiffusion, présentées plus loin. Deux dispositifs expérimentaux ont étés utilisés pour déterminer la BRDF des Morphos : un gonio-spectro-photomètre expérimental mis au point au Laboratoire d’optique des solides de l’Université Pierre et Marie Curie, et un diffusomètre du commerce développé par la société ELDIM.
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Propriétés optiques
Ces appareils seront présentés en détail dans la troisième partie, consacrée aux techniques expérimentales. Mesures au gonio-spectro-photomètre bidirectionnel Comme nous le verrons, différents types de mesures peuvent être faits à l’aide de cet appareil : soit des cartes monochromatiques de l’espace [θr, ϕr], soit des trajectoires programmées dans cet espace, soit encore des spectres dans une configuration donnée, c’est-à-dire en un point de la carte. Selon la résolution souhaitée et l’espace couvert, l’établissement d’une carte peut prendre plusieurs heures. Les BRDF de différents Morphos en lumière non polarisée sont présentées sur la figure 2.4. Les mesures ont été effectuées en disposition conique pour une incidence de 20°. La première carte (M. aurora) est caractéristique d’un réseau blazé d’une cinq centaine de traits par millimètre environ. L’ordre R0 au centre est de très faible intensité alors que les deux premiers ordres R1 et R-1sont bien marqués et, comme nous le verrons plus loin, partiellement polarisés. L’élargissement des lobes est dû au désordre de la structure, analysé au chapitre 6. Il en est de même pour la seconde (M. aega), avec la présence d’une surprenante sous-structure à forte incidence, suggérant la présence d’une seconde structure diffractante. La troisième est la BRDF d’un Schwartzia très peu iridescent : M. cisseis (zone bleue), ne présentant pratiquement aucune diffraction latérale, mais une assez forte réflexion spéculaire. La dernière enfin est celle de M. amathonte, qui diffracte légèrement à cette longueur d’onde, mais où l’essentiel de la lumière réfléchie se trouve concentrée dans l’ordre 0.
Fig. 2.4 - BRDF de différents Morpho à h = 450 nm pour une incidence de θi = 20° (échelle de couleur arbitraire). De haut en bas et de gauche à droite : M. aurora, M. aega, M. cisseis et M. amathonte.
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Photonique des Morphos
Fig. 2.5 - Exemple de mesure de BRDF en intensité sur une aile de Morpho menelaus occidentalis, en lumière non polarisée, pour une incidence de 20°.
Mesure en optique de Fourier : le diffusomètre Le principal inconvénient du dispositif précédent est la durée de la mesure. Une étude relativement complète, dans un domaine spectral assez large (4 à 5 longueurs d’onde) et en polarisation, peut en effet prendre plusieurs jours. Ce problème peut être résolu par l’utilisation d’une optique de Fourier qui convertit directement un angle d’émergence en coordonnées spatiales dans le plan [θ - ϕ] et permet donc l’établissement instantané d’une carte (l’enregistrement d’une carte est réalisée en moins de 3 secondes, avec une résolution angulaire de 0,2° sur toute la zone angulaire accessible). Un exemple de mesure sur une aile de M. menelaus est représenté sur la figure 2.5. Les résultats sont très proches de ceux obtenus sur M. zephyritis, et nous allons maintenant en procéder à une analyse plus phénoménologique.
Les Morphos : des cristaux photoniques bidimensionnels Les cristaux photoniques monodimensionnels présentent un indice périodique selon une direction, et uniforme selon les deux autres. C’est le cas d’un empilement de couches minces alternativement de haut et de bas indice de réfraction. De telles structures, très communes chez les insectes, produisent des effets interférentiels, générant des couleurs iridescentes ou conduisant à des réflexions totales (miroirs de Bragg). Nous avons vu au chapitre précédent que les écailles des Morphos présentent des périodicités dans deux directions perpendiculaires. Ce sont des cristaux bidimensionnels. Il existe également des structures présentant des périodicités dans trois directions, en tout point similaires, mais à une autre échelle, aux cristaux minéraux traditionnels (fig. 2.6). Dans le cas le plus général, de telles structures doivent être traitées de manière globale, à l’aide de théories générales présentées dans la troisième partie. Dans le cas des Morphos cependant, les pas des deux structures périodiques – le pas du réseau constitué par les stries, de l’ordre de 1 à 2 μm, et l’épaisseur des lamelles, de 100 à 200 nm – sont si différents qu’il est possible, en première approximation de les traiter indépendamment. Les lamelles sont le siège de phénomènes interférentiels de type couche mince. Ce sont eux qui donnent à l’aile sa couleur bleue iridescente caractéristique. Les bases théoriques des interférences de couche mince sont résumées dans l’encadré 2.1. Les stries, quant à elles, vont se comporter comme un réseau de diffraction sélectif – elles ne diffractent que les ondes qui interfèrent positivement – qui va disperser latéralement la lumière réfléchie, principalement bleue, dans différents ordres. Les équations fondamentales des réseaux sont également présentées dans l’encadré suivant.
Fig. 2.6 - Trois exemples de structures périodiques photoniques à 1, 2 et 3 dimensions. Les écailles de Morphos peuvent être schématisées comme un cristal bidimentionnel (2D).
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Propriétés optiques
Interférence Les interférences se produisant dans les films minces sont courantes, mais donnent généralement des couleurs peu intenses (bulles de savon, nappes d’huile ou d’essence, etc.). Cette intensité peut être sensiblement augmentée en empilant de nombreuses couches : ce sont les systèmes multicouches, couramment utilisés dans l’industrie mais aussi dans la nature. Un milieu optiquement homogène est caractérisé par son indice complexe ñ = n-ik, où k est nul dans le cas de matériaux non absorbants, ce que nous considèrerons par la suite. Considérons une onde électromagnétique tombant sur une couche mince d’épaisseur et sous une incidence quelconque θi. Une partie de cette onde traverse le premier dioptre, c’est l’onde transmise, alors qu’une autre, l’onde réfléchie, repart dans le milieu incident. L’onde réfléchie sur la première face ne sera évidemment pas affectée par la présence de la seconde, mais l’onde transmise se retrouve maintenant en position d’onde incidente, sous un angle différent et. Elle s’y décompose selon les mêmes lois que sur la face supérieure en une onde transmise de forte amplitude et une onde réfléchie de faible amplitude. Cette dernière, revenue sur la face supérieure, est de nouveau décomposée en une onde transmise et une onde réfléchie. Bien que ce jeu d’allers-retours entre les deux faces de la lame se poursuive à l’infini, et donne lieu à une infinité de rayons réfléchis et une infinité de rayons transmis, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin que nous ne venons de le faire. En suivant point par point le trajet de la première onde transmise et l’évolution de son amplitude, on s’apercevra aisément que les deux premiers rayons réfléchis sont d’intensités voisines (et faibles) et que celles des rayons réfléchis suivants sont négligeables. De même, seule l’intensité du premier rayon transmis est importante : les phénomènes d’interférence par réflexion des lames minces peuvent être considérés comme des phénomènes à deux ondes d’intensités voisines, et donc de contraste maximum. Ces deux rayons, issus d’un même rayon incident, sont cohérents et interfèrent. Dans une direction donnée, ces interférences ne seront constructives que pour une longueur d’onde donnée ce qui, dans
le visible, donne bien l’effet d’iridescence recherché. La différence de marche entre les deux premiers rayons réfléchis est : (E2-1) Ceux-ci se trouvent donc en opposition de phase (interférences destructives) si b est égal à un nombre impair de demi-longueurs d’onde, soit : (E2-2) Pour une configuration donnée, il y aura donc un minimum de réflexion pour chaque longueur d’onde telle que : (E2-3) avec k entier, et un maximum pour : (E2-4) soit, en incidence normale, pour des épaisseurs optiques des couches égales à un quart de longueur d’onde.
Fig. E.2.1.1 ²Chemins optiques des premiers rayons réfléchis et transmis par une couche mince (a). Les premiers rayons réfléchis par les différentes couches d’un empilement. Lorsque les épaisseurs optiques des différentes couches sont égales à h/4, ils se retrouvent en phase (b).
La multicouche Comme nous l’avons vu, le facteur de réflexion reste généralement faible. Les indices de réfraction couramment rencontrés dans la nature s’échelonnent d’environ 1,34 pour les cytoplasmes à 1,83
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pour les cristaux de guanine. En incidence normale et pour une épaisseur optimale de λ/4, une telle couche ne réfléchira guère plus de 8 à 9 % de l’énergie incidente à cette longueur d’onde. On peut cependant augmenter très sensiblement ce facteur de réflexion en multipliant le nombre de couches d’épaisseur optimale, c’est-à-dire en empilant un certain nombre de couches de haut et bas
indice d’épaisseurs optiques sensiblement égales à λ/4. Toute la physique est contenue dans le traitement de la couche unique. Les empilements de couches minces sont généralement traités de manière matricielle, chaque couche étant représentée par une matrice liant les champs à l'entrée et à la sortie, l’effet du multicouche étant alors obtenu en multipliant les matrices.
Optique cohérente ou incohérente ? Comme nous venons de le voir, une seule couche suffit en principe à générer une couleur interférentielle (cf. Encadré 2.2). Compte tenu des indices optiques mis en jeux, toujours de l’ordre de 1,5, son intensité resterait faible, de l’ordre de 4 % par face, soit environ 8 % pour une couche de chitine, bien loin des 70-80 % atteints par certaines ailes des Morphos. Il faut, pour atteindre ces valeurs, multiplier le nombre de couches. C’est effectivement ce que l’on rencontre chez toutes les espèces iridescentes, où chaque strie est constituée par un empilement de lamelles de chitine régulièrement espacées de couches d’air d’épaisseur sensiblement identique. Elles forment ainsi un système multicouche où les ondes réfléchies à chaque interface se retrouvent toujours en phase, augmentant ainsi progressivement la réflectivité. Il s’agit bien là d’un phénomène d’optique cohérente, où la phase des ondes jouent un rôle prépondérant. Deux espèces du sous-genre Cytheritis, pourtant considéré comme monophylétique, Morpho marcus et Morpho eugenia, ont développé un système bien différent, et unique chez les Morphidae. Ces deux papillons d’un bleu éclatant, dont les ailes réfléchissent plus de 60 % de la lumière incidente en incidence normale à 400 nm, ont développé des stries ne comportant qu’une seule lamelle, que ce soit sur les écailles basales, petites et pigmentaires, ou de recouvrement, beaucoup plus larges et dépourvues de pigments (fig. 2.7).
Fig. 2.7 - Morpho marcus (a), vues au microscope photonique et électronique des écailles de la face dorsale (b). Vues au microscope électronique à balayage de la surface et de la tranche d’une écaille de recouvrement (c et d).
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Diffraction par un réseau Un réseau plan est un système constitué d’un grand nombre d’objets diffractants appelés traits, régulièrement espacés. Les traits peuvent être des fentes séparées par des zones opaques dans les réseaux par transmission, ou des miroirs dans les réseaux par réflexion. Les ailes de Morphos étant presque toujours observées en réflexion, nous illustrerons nos propos par ces derniers dont la physique ne diffère en rien des premiers. Lorsqu’une onde électromagnétique tombe sur un tel réseau, elle est diffractée dans toutes les directions, par chaque trait agissant comme une source secondaire, de sorte que les ondes sortantes ± ici les ondes réfléchies ± vont interférer. Pour une longueur d’onde donnée, ces ondes seront en phase et les interférences constructives dans certaines directions, en opposition de phase et destructives dans d’autres. Ces directions ne dépendent alors que du pas du réseau et de l’angle d’incidence. En lumière blanche, chaque longueur d’onde interférera de manière constructive dans une direction différente : on retrouve bien là les deux caractéristiques de l’iridescence. Si nous considérons une onde monochromatique incidente selon un angle i sur deux traits distants de a, la différence de marche entre deux ondes diffractées dans une direction i’ est : (E2-5) L’interférence entre les deux ondes est constructive lorsqu’elles sont en phase, c’est-à-dire chaque fois que la différence de marche b est un multiple entier de la longueur d’onde : (E2-6) ou encore : (E2-7)
où n est le nombre de traits par unité de longueur. Si le réseau est éclairé en lumière blanche, on constate que pour k = 0, toutes les longueurs d’onde interfèrent de manière constructive dans la même direction (la direction de la réflexion spéculaire i = i’) et donnent donc une lumière blanche, mais qu’elles sont séparées, et forment donc des spectres, pour tous les autres ordres (k = ( 1, ( 2...) Pour un réseau de 1 000 traits par mm tel que celui formé par les stries des écailles, et une longueur d’onde bleue h = 400 nm en incidence normale (i = 0), la relation (E2-7) nous montre que k ne peut prendre que les valeurs 0, ( 1 et ( 2 et que les angles de déviation sont de l’ordre de 0, 23°30’ et 53° 6’. Dans le rouge à l’autre extrémité du spectre (h = 700 nm), k ne peut plus prendre que les valeurs 0 et ( 1 et l’angle de déviation est de 44°30’ environ. La dispersion est d’autant plus grande que k est élevé et que la longueur d’onde est grande : à l’inverse du prisme, et dans chaque ordre, le rouge est plus dévié que le bleu.
Fig. E.2.2.1 – La différence de marche entre deux rayons diffractés dans la même direction par deux traits consécutifs d’un réseau dépend de l’angle d’incidence, de l’angle de diffraction et du pas du réseau (a). Les différents ordres de diffraction. Dans l’ordre 1, deux ondes issues de deux traits voisins sont déphasées d’une longueur d’onde, de trois dans l’ordre 3…
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Photonique des Morphos
La polarisation de la lumière
Fig. 2.8 - Variation chromatique des ailes de M. zephyritis (a) M. aega (b) et M. marcus (c) pour deux lumières incidentes polarisées perpendiculairement. À gauche, le champ électrique E est parallèle à l’axe des écailles (mode TM), alors qu’il est perpendiculaire à droite (mode TE). Le phénomène, très lié à la structure multicouche de la strie, disparaît pratiquement chez M. marcus chez qui une strie n’est composée que d’une seule lamelle.
La couleur constitue indéniablement un élément fondamental de la communication inter- et intraspécifique des Morphos. Il ne faut pas cependant négliger d’autres composantes de ce message, invisibles à nos yeux mais importants chez les insectes en général, comme la polarisation de la lumière réfléchie, à laquelle on sait la plupart d’entre eux sensibles, contrairement à un grand nombre d’animaux, dont les primates (fig. 2.8). Il ne faut pas oublier non plus que la lumière naturelle éclairant les ailes d’un Morpho dans son environnement naturel peut, elle aussi, être assez fortement polarisée, et ainsi modifier sensiblement l’aspect perçu, comme on peut le voir sur les photos de microscopie photonique suivantes (fig. 2.8). On trouvera, dans l’encadré 2.3, quelques principes de base de la polarisation de la lumière, sous ses aspects les plus généraux, ainsi que les approches matricielles de sa représentation.
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Polarisation de l’onde électromagnétique Sous son aspect ondulatoire, un rayon lumineux est constitué de deux champs, Un champ électrique E et un champ magnétique H, perpendiculaires à la fois l’un à l’autre et à la direction de propagation : l’onde électromagnétique est une onde transverse. Les dépendances spatio-temporelles de ces champs ont été déterminées dans le courant du XIXe siècle
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et synthétisées par J.C. Maxwell dans ses célèbres équations auxquelles il a laissé son nom. Toutes les démonstrations suivantes manipulent des ondes planes monochromatiques. Ceci n’est en rien restrictif : on peut montrer en effet que tout champ électromagnétique peut se décomposer en une infinité de champs monochromatiques de pulsation ω,
Propriétés optiques
et chacun d’entre eux en une infinité d’ondes planes de vecteur k. Les équations de Maxwell, pour des champs macroscopiques dans un espace dépourvu de charges libres peuvent s’écrire sous la forme suivante : (E2-8 et 9)
E et B représentent le champ électrique (V/m) et l’induction magnétique (T) respectivement, qui sont reliés au déplacement électrique D (V) et au champ magnétique H (A/m) par les relations linéaires suivantes : (E2-10)
où P et M représentent l’ensemble des phénomènes de polarisation électriques et magnétiques induits dans la matière par l’onde. ¢ symbolise l’opérateur vectoriel « nabla » et = le produit vectoriel. Les rotationnels nous indiquent que E et B sont perpendiculaires entre eux. Si nous cherchons des solutions en ondes planes, on peut représenter ces champs de la manière suivante (fig. E.2.3.1) :
Fig. E.2.3.1 – Le champ électrique et l’induction magnétique d’une onde plane sont perpendiculaires entre eux et à la direction de propagation.
Sans entrer dans le détail du calcul qui est long mais simple et classique, et si on cherche de plus des solutions monochromatiques, ces équations nous conduisent aux couples de solutions suivants :
(E2-11)
et
(E2-12)
où Ex, Ey, Bx et By représentent les composantes suivant Ox et Oy des champs E et B respectivement. Ces équations nous montrent que certaines de ces composantes sont intimement liées : Ey et Bx d’une part, Ex et By d’autre part forment des ondes planes totalement indépendantes l’une de l’autre, que l’on va pouvoir séparer spatialement, créant ainsi la lumière polarisée. Dans la lumière naturelle, telle celle issue du soleil, il n’y a pas de direction de vibration imposée : on dit que l’onde n’est pas polarisée. Les champs E et H, toujours perpendiculaires entre eux, peuvent vibrer dans n’importe quelle direction du plan d’onde. Il est cependant possible d’imposer aux champs une direction de vibration déterminée ou de modifier une direction préexistante, en faisant interagir l’onde avec divers dispositifs : ce sont les polariseurs, dont les films polaroïdes constituent un exemple des plus commun. Polarisation linéaire Remarquons tout d’abord que lorsqu’une onde – même non polarisée – tombe sur une surface, des directions particulières apparaissent ipso facto. Si on appelle plan d’incidence le plan déterminé par les rayons incident et émergent, quelle que soit la direction du champ incident, on peut toujours le décomposer en deux vecteurs, l’un Es perpendiculaire au plan d’incidence (de l’allemand senkrecht) et l’autre Ep parallèle à ce plan (parallel en allemand). Remarquons que d’autres décompositions de l’onde sont possibles, comme en mode transverse électrique (TE) et transverse magnétique (TM), adapté à l’étude des réseaux et qui sera présentée dans la partie modélisation.
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Photonique des Morphos
Ces deux champs définissent deux ondes polarisées perpendiculairement qui, si elles suivent les lois de Descartes quant à leurs directions de propagation, peuvent interagir différemment avec la matière. Une des conséquences la plus remarquable, et que nous rencontrerons souvent chez les papillons, est la dépendance angulaire de leur intensité réfléchie. Alors que celle de l’onde s, avec son champ électrique toujours dans le plan de la couche, quelle que soit l’incidence, dépend fort peu de cette dernière, celle de la seconde, l’onde p, présente une variation angulaire tout à fait surprenante. Il existe une incidence – appelée incidence de Brewster – pour laquelle le facteur de réflexion de l’onde p est égal à 0 ! Si on éclaire un dioptre sous l’incidence de
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Brewster eB, la lumière réfléchie est strictement polarisée s. Une conséquence pratique, et bien connue des photographes, est que sous cette incidence il est possible de supprimer les reflets d’une surface. Une autre qui nous concerne plus directement est que, dans les mêmes conditions, la lumière réfléchie par certains papillons peut être très fortement polarisée. L’angle de Brewster ne dépend que des indices des matériaux qui constituent le dioptre : (E2-13) Pour des matériaux biologiques dont l’indice est de l’ordre de n = 1,5, en contact avec l’air d’indice n0 = 1, cela conduit à des angles de Brewster compris entre 50 et 60°.
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Fig. E.2.3.2 – (a) Le champ électrique d’une onde non polarisée tombant sur un dioptre peut se décomposer en deux vecteurs perpendiculaires Es et Ep qui se réfléchissent différemment selon l’angle d’incidence (b).
Les effets de polarisation Dans l’environnement naturel des Morphos, les effets de polarisation induits par réflexion se font sentir aussi bien sur la lumière réfléchie par les ailes que sur la lumière incidente qui, bien souvent, a subi de nombreuses réflexions avant d’atteindre l’insecte et se trouve ainsi fortement polarisée. Les effets générés par une structure aussi complexe que celle des écailles de Morphos sont multiples et, s’il vont peut être au-delà de ce que l’insecte peut lui même percevoir, ils nécessitent cependant une étude aussi complète que possible. La décomposition des champs dans le repère formé par une surface plane et le plan d’incidence (Es et Ep) n’est pas toujours, et c’est particulièrement vrai dans le cas des Morphos, la mieux adaptée. En effet, la structure photonique des écailles ressemble en première approximation à celle d’un réseau de diffraction où la direction privilégiée est donnée par les traits du réseau, ici la direction des stries. On préférera donc, pour une incidence donnée, se référer à cette direction en distinguant deux modes de propagation : le mode transverse électrique TE et le mode transverse magnétique TM où les 76
Propriétés optiques
champs électriques et magnétiques sont respectivement perpendiculaires aux stries (cf. Encadré 2.4). La polarisation linéaire, dont il sera fortement question ici, ne constitue qu’un des états les plus simples de la lumière, mais elle est généralement beaucoup plus complexe, et a donné lieu à un grand nombre de représentations mathématiques. La plus simple, particulièrement adaptée à l’étude de la lumière totalement polarisée, a été proposée par R.C. Jones, où l’effet d’un objet optique quelconque sur la polarisation est décrit par une matrice de transfert 2 ⫻ 2, reliant les états de polarisation de la lumière en amont et en aval dudit objet. Dans le cas plus général de lumière partiellement polarisée, où peuvent apparaître d’éventuels déphasages entre les divers états de polarisation, la lumière peut être décrite par un ensemble de paramètres : les paramètres de Stokes. Ces paramètres regroupant à la fois l’intensité et la phase des différents modes, peuvent être représentés sous forme vectoriel – le vecteur de Stokes à quatre composantes – l’entrée et la sortie du dispositif optique étant alors reliées par une matrice 4 ⫻ 4 : la matrice de Mueller.
Représentation matricielle de la polarisation La représentation de Jones Dans le repère orthonormé défini par le dioptre et le plan d’incidence, illustré sur la figure E1.2, un champ électrique périodique peut se mettre, d’une manière générale, sous la forme suivante :
(E2-17)
(E2-14) Où Ф représente le déphasage entre les deux composantes. La direction de polarisation étant complètement déterminée par ces deux équations, elles définissent un état de polarisation que l’on peut représenter sous forme complexe par un vecteur colonne : (E2-15) À la traversée d’un système optique S, cet état est modifié en phase comme en amplitude et ressort sous la forme d’un autre vecteur V’ : (E2-16) Les matrices de Jones [M] définissent les relations entre l’état de polarisation de l’onde avant et après sa traversée du système optique :
Vecteur de Stokes et représentation matricielle de Mueller La représentation de Jones présentée dans l’encadré précédent ne fait appel qu’aux amplitudes des composantes des champs, qui ne sont jamais des grandeurs directement mesurables, contrairement aux intensités, ou à toutes grandeurs et combinaisons qui leur seraient associées. On peut montrer que l’état de polarisation le plus général peut être complètement déterminé par une série de paramètres ne faisant intervenir que des grandeurs mesurables, puisque définies à partir des intensités des différentes composantes : les paramètres de Stokes, que l’on regroupe en une grandeur vectorielle à quatre composantes : le vecteur de Stokes S. La lumière naturelle ne présente en général aucun état de polarisation particulier, ou 77
Photonique des Morphos
plutôt superposition de tous les états possibles, linéaires, circulaires…. Nous pouvons donc décomposer l’onde sur ces différentes bases et définir les intensités de ces différents éléments. On appelle Ix et Iy les intensités des composantes rectilignes du vecteur électrique selon les directions Ox et Oy, I+45 et I-45 celles à ( 45° de ces mêmes directions, et enfin IG et ID les intensités des composantes polarisées circulairement à gauche et à droite respectivement. Les paramètres de Stokes sont alors définis par :
(E2-18)
Tout dispositif optique modifiant l’état de polarisation du rayonnement incident, le vecteur de Stokes émergent S’ est différent de l’incident S. La matrice 4 ⫻ 4 liant ces deux vecteurs est appelée matrice de Mueller [M]. Elle caractérise complètement l’effet optique du dispositif (tableau E2.4.I). Les 16 éléments de cette matrice, reliant linéairement des grandeurs mesurables, peuvent être déterminés expérimentalement, et représentés par des cartes. Chaque élément de la matrice est obtenu par un certain nombre de mesures d’intensité
Tableau E.2.4.I – Matrice de Mueller.
(OO)
(HO-VO)/2
(PO-MO)/2
(LO-RO)/2
(OH-OV)/2
(HH+VV)/4(HV+VH)/4
(PH+MV)/4(PV+MH)/4
(LH+RV)/4(LV+RH)/4
(OP-OM)/2
(HP+VM)/4(HM+VP)/4
(PP+MM)/4(PM+MP)/4
(LP+RM)/4(LM+RP)/4
(OL-OR)/2
(HL+VR)/4(HR+VL)/4
(PL+MR)/4(PR+ML)/4
(LL+RR)/4(RL+LR)/4
Les 16 éléments de la matrice de Mueller. 49 mesures sont nécessaires pour les déterminer. Chaque lettre correspond à une intensité de l’onde : O : non polarisée ; H et V : polarisées horizontalement et verticalement ; P et M polarisées à +45° et -45° ; enfin L et R : polarisées circulairement à gauche et à droite respectivement.
linéairement combinées. VH, par exemple, correspond à une mesure où l’onde incidente est polarisée verticalement (V) et l’onde détectée horizontalement. Certains éléments de cette matrice ont une signification évidente, en particulier le terme M11 qui correspond à l’intensité totale rétrodiffusée lorsque l’échantillon est éclairé en lumière non polarisée. Il est utilisé comme élément de normalisation pour les 15 autres. De même, une symétrie des éléments Mmn et Mnm, obtenus simplement en intervertissant les optiques de polarisation incidente ou émergente, est la signature d’un milieu isotrope.
Analyse polarimétrique Si la figure 2.8, présentant une même aile éclairée sous des modes de polarisation linéaires perpendiculaire, nous montre un fort effet coloré, il en existe d’autres qui, sans être aussi spectaculaires, n’en sont pas moins instructifs. Il faut, pour les apprécier tous, analyser tous les éléments de la matrice de Mueller. Cette dernière, en effet, ne faisant intervenir que des grandeurs directement mesurables (l’intensité des composantes polarisées de la lumière), il est possible d’imager les différents termes de cette matrice, en mesurant la lumière rétrodiffusée pour les différents états de polarisation des vecteurs de Stokes incidents et émergents. Un dispositif expérimental a été mis au point au Laboratoire de physique des interfaces et couches minces (LPICM) de l’École polytechnique et appliqué pour la première fois sur des structures photoniques naturelles, dont des Morphos. Son principe de fonctionnement est présenté en seconde partie de l’ouvrage. Deux modes de mesure peuvent être employés : le mode image permet de visualiser l’objet selon les différents modes de polarisation. On peut ainsi observer directement quelle zone de l’objet agit sur tel ou tel état de polarisation, mais on perd toute information sur la direction d’émergence de la lumière réfléchie. 78
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Il faut pour cela imager dans l’espace de Fourrier, ce qui constitue le second mode d’utilisation et permet de savoir dans quelles directions se propage la lumière, mais pas d’où elle provient. Les figures suivantes représentent la matrice de Mueller dans l’espace de Fourrier de M. rhetenor. On observe dans certains éléments de la matrice une structure allongée caractéristique de la diffraction par un réseau imparfait (fig. 2.10). L’effet le plus évident est la valeur élevée, et opposée, des éléments M42 et M24, qui sont le signe d’une biréfringence linéaire orientée à 45° des axes horizontal et vertical utilisés dans la définition des vecteurs de Stokes, c’està-dire selon l’axe des stries de l’écaille. Une telle biréfringence avait d’ores et déjà été déduite par le calcul lors de la détermination des indices de la structure (cf. Annexe en fin d’ouvrage). Une analyse plus fine de certains éléments de cette matrice montre des comportements inattendus et encore inexpliqués de cette structure. L’imagerie polarimétrique est une technique d’une grande richesse, encore très peu appliquée aux structures photoniques naturelles. Son développement, en parallèle avec une meilleure connaissance de la perception de la polarisation de la lumière par les insectes, augure encore d’intéressantes découvertes.
Fig. 2.9 – Les deux modes d’analyse en imagerie polarimétrique. (a) Une écaille de M. rhetenor en mode image (objectif 100 x, λ = 450 nm). La même dans l’espace de Fourier, pour une incidence normale. Dans les images de Fourier, l’échelle radiale est en sinus de l’angle d’incidence, qui est limité à 60° environ (b). On reconnaît les deux lobes de diffraction des ordres R1 et R-1, s’étalant dans une direction perpendiculaire aux stries.
Analyse spectrale À notre œil, insensible à l’état de polarisation de la lumière, les effets induits par la polarisation de la lumière sur les ailes des Morphos sont avant tout colorimétriques. Les spectres de réflexion sont décalés selon que l’onde incidente est polarisée transverse électrique ou magnétique. Ceci peut s’observer aisément au microscope photonique, ou même sur l’insecte entier, et l’effet semble systématique, mais variable en intensité selon les espèces (fig. 2.8). Un papillon éclairé par une onde polarisée transverse électrique 79
Photonique des Morphos
D Fig. 2.10 – (a) Matrice de Muller dans l’espace de Fourier, mesurée sur une écaille de M. rhetenor (incidence normale, h = 450 nm). (b) Matrice de Mueller de la même zone en mode imagerie.
Fig. 2.11 – Coefficient de réflexion de l’aile de M. menelaus pour les deux états de polarisation TE et TM. En mode TM, le spectre, composé de deux pics, est décalé vers le vert.
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E (TE) apparaît toujours plus bleu que le même éclairé par une onde transverse magnétique (TM), qui tend vers le vert (fig. 2.11). Cette observation est conforme aux prédictions théoriques, mais celles-ci nous en disent beaucoup plus : cette structure diffractante polarise légèrement la lumière, même (et surtout) en incidence quasi normale, ce qui n’est pas banal ! Autrement dit, les ordres de diffraction sont assez différemment polarisés lorsque la structure est éclairée en lumière naturelle non polarisée. Comme nous le verrons dans la troisième partie, ceci apparaît clairement sur les spectres calculés. L’ordre R1 est majoritairement polarisé en transverse magnétique, alors que l’ordre opposé R-1 l’est en transverse électrique. L’ordre spéculaire R0 est, quant à lui, non seulement peu polarisé, mais encore de très faible intensité. Les calculs et les cartes des champs diffractés nous en donnent une autre vision. Éclairée en lumière polarisée TE, l’onde est diffractée d’un côté, et de l’autre en lumière polarisée TM. Bien qu’il soit admis que les Morphos distinguent les deux états de polarisation, l’intérêt de ce phénomène pour eux n’est pas évident. Les modélisations
Propriétés optiques
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de ce phénomène, présentées dans la troisième partie, nous éclaireront sur son origine. Bien que très atténué, cet effet peut être vérifié expérimentalement. Une coupe selon l’axe Ф, et une hauteur de 45° environ, montre très clairement ce déséquilibre des états de polarisation entre les deux ordres (fig. 2.12).
Fig. 2.12 – Coupe dans la BRDF de M. menelaus en q = 45 ° et h = 450 nm (a). L’ordre R1 est majoritairement polarisé en TE, l’ordre R-1 et TM. La BRDF en intensité, et l’axe de coupe (b).
Conclusion L’étude exhaustive des propriétés optiques des Morphidae est encore loin d’être achevée, et les techniques nouvelles présentées ici, comme l’imagerie polarimétrique, et appliquées pour la première fois à des structures photoniques naturelles, demanderaient à l’être plus systématiquement à l’ensemble des espèces, tant elles laissent augurer de surprenantes découvertes. Les mesures actuelles, trop partielles et en cours d’analyse, ne sont pas présentées dans la base de données. On y trouvera en revanche l’ensemble des résultats de mesures plus classiques effectuées : spectrométrie, ellipsométrie, etc., sous forme de courbes et de cartes. Cette première étude des propriétés optiques des structures fines des écailles d’un genre complet, si elle n’est exhaustive, couvre cependant un assez grand nombre d’espèces pour pouvoir apprécier la richesse de ce type d’approche. Comme l’a suggéré le Professeur Jean Pol Vigneron, responsable du projet européen « Biophot » d’où sont issus ces travaux, ces découvertes sont un argument supplémentaire pour la sauvegarde de la biodiversité, en autre dans le bassin amazonien, berceau des Morphos, pour le potentiel d’idées physiques qu’elle recèle. Les structures photoniques, qui permettent la manipulation de la lumière, ouvrent une nouvelle ère dans notre société et, de même que la molécule qui guérira un jour une maladie existe déjà naturellement dans une plante ou un insecte, la structure ou le modèle de structure qui permettra de faire sauter un verrou technologique volette déjà quelque part dans la forêt amazonienne. En l’état actuel des recherches qui ne font que commencer, et qui se sont focalisées sur les espèces les plus vivement colorées et iridescentes – principalement les sous-genres Megamedes et Graceia – ce sont surtout des stratégies éprouvées, mises en place au cours des millénaires qui nous ont le plus appris, comme l’influence du désordre structurel sur la robustesse des effets colorés, ou celui de structures multifonctions, structures non optimales pour une fonction donnée, mais optimisées en moyenne, qui permet 81
Photonique des Morphos
à l’insecte, avec une grande économie de moyen, de résoudre différents problèmes vitaux, comme la communication et l’hydrophobie par exemple (cf. Encadré 2.5). Ce que nous, opticiens des solides, appelons structures photoniques, par ailleurs hydrophobes, et que d’autres appelleront structures hydrophobes colorées, tant on ne saurait leur attribuer une fonction précise prioritaire en est un excellent exemple. Et des travaux sont actuellement en cours pour transférer ces structures sur des verres pour leur conférer à la Q fois des effets colorés et hydrophobes.
Structures hydrophobes Penser que les structures des écailles n’ont pour but que de générer de brillantes couleurs, comme ce livre le laisserait accroire, serait une erreur. C’est là une leçon fondamentale de la nature : les structures naturelles sont (presque) toujours multi-fonctions. Et l’une de ces fonctions – dans le cas présent des structures des écailles – est l’hydrophobie. Il est en effet tout aussi important pour les Lépidoptères, et particulièrement pour ceux qui, comme les Morphos, vivent en milieu tropical humide, de maintenir leurs ailes au sec et de les débarrasser de leurs impuretés que d’échanger des signaux colorés. Il n’est pas dans nos intentions d’exposer la théorie de l’hydrophobie d’une surface, mais d’illustrer la perfection des ailes des Morphos dans ce domaine. Lorsqu’un fluide est déposé sur une surface, il se crée entre ses molécules et celles du support des liaisons qui font adhérer plus ou moins fortement la goutte à cette surface. La nature dipolaire de la molécule d’eau rend ces liaisons particulièrement fortes et l’empêche de s’écouler le long de la surface. On conçoit aisément que plus ces liaisons sont fortes, plus la goutte est plaquée sur la surface, et va s’aplatir sur celle-ci. Une mesure de l’angle de contact entre goutte et surface est donc un bon indicateur de l’hydrophobie d’un matériau vis-à-vis d’un fluide donné.
Fig. E.2.5.1 – Goutte d’eau à la surface d’un verre (a) et d’un verre recouvert de MTEOS (b). Les angles de contact sont respectivement de 39° et 86°.
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Pour vaincre cette adhérence, il faut minimiser les forces de contact, soit en déposant sur la surface des molécules qui n’engagent pas de liaisons avec le fluide, voire qui exercent des forces répulsives, soit en minimisant la surface de contacte en structurant le matériau (effet Lotus). C’est bien évidemment cette dernière solution qui a été adoptée par les papillons. Dans les deux cas, la goutte adopte la forme qui minimise son énergie de surface, c’est-à-dire, si on néglige la pesanteur, celle d’une sphère. Cela lui permet de plus de rouler sur la surface, entraînant dans son mouvement les poussières et impuretés qui s’y trouvent. La figure E2.5.2 représente une vue par la tranche au microscope photonique d’une goutte d’eau à la surface d’une aile de M. menelaus.
Fig. E.2.5.2 – Une goutte d’eau à la surface de l’aile de M. menelaus. L’angle de contact, légèrement masqué par un pli de l’aile, peut être estimé à e = 125° ± 3°, nettement dans le régime superhydrophobe.
Propriétés optiques
Résumé 1 La totalité des propriétés optiques d’un objet opaque est contenue dans une fonction complexe : la fonction de distribution de réflectivité bidirectionnelle (BRDF). Selon les paramètres fixés, on peut en représenter des éléments dans l’espace, sous forme de lobes de réflexion, sur un plan sous forme de cartes, ou encore sous forme spectrale. 2 Les BRDF des espèces iridescentes peuvent être assimilées à celles de réseaux interférentiels imparfaits. 3 Les propriétés hémisphériques de toutes les espèces iridescentes peuvent être considérées et traitées comme celles d’un système multicouche où la lumière interfère dans les lamelles des stries (phénomène cohérent). M. marcus et M. eugenia constituent de très rares exceptions où la forte réflectivité dans le bleu est obtenue de manière incohérente par superposition d’écailles. 4 Les phénomènes liés à la polarisation et à la dépolarisation de la lumière sont nombreux et complexes. En polarisation linéaire, les spectres de réflectivité en mode TM sont systématiquement décalés vers les grandes longueurs d’onde, et les ailes apparaissent plus vertes. Le phénomène disparaît presque complètement chez les deux espèces privilégiant les processus incohérents. 5 L’imagerie polarimétrique met clairement en évidence le dichroïsme des écailles selon leur axe, ainsi que les états de polarisation différents des ordres de diffraction. 6 Les structures fines des écailles sont « multifonction ». Elles génèrent des effets colorés, éléments indispensables à la communication à longue distance, et confèrent à l’aile des propriétés hydrophobes, voire super hydrophobes, qui empêchent le mouillage des ailes et assurent leur autonettoyage.
Pour en savoir plus Berthier S (2003) Iridescence, les couleurs physiques des insectes. Paris, Springer Verlag Berthier S (2006) Structure and optical properties of the wings of Morphidae. Insect Sciences 13: 3-12 Catala R (1949) Contribution à l’étude des effets optiques sur les ailes de papillons. Encyclopédie entomologique, Paul Chevalier, Paris, 25 Douglas JM, Cronion TW, Chiou TH, Doming NJ (2007) Light habitats and the role of the polarized iridescence in the sensory ecology of the neotropical nymphalid butterflies, J. Exp. Biology 210: 788-799 Kinoshita S, Yoshioka S, Kawagoe K (2002) Mechanisms of structural colours in the Morpho butterfly: cooperation of regularity ans irregularity in an iridescent scale. Proc R Soc B 269: 1417-21 Malloock A (1911) Note on the iridescent colours of the birds and insects. Roy Soc Proc A 85: 598 Merrit E (1925) A spectroscopic study of certain cases of structural color. JOSA 11: 93 83
Photonique des Morphos
Lord Rayleigh OM (1919) On the otical character of some brilliant animal colours. Phil Mag 37: 98 Vukusic P, Samble JR, Lawrence CR, Wootton J (1999) Quantified interferences and diffraction in a single Morpho butterfly scale. Proc R Soc Lond B 266: 1403-11 Welch VL (2005) Photonic crystals in biology. In: Structural colors in biological systems – principles and applications, eds. S Kinoshita & S. Yoshiota, Osaka University Press: 53-71
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Couleur : mesure et caractérisation
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es Morphos sont universellement connus pour leur couleur bleue, métallique et iridescente. Ce « bleu Morpho » étonnamment subtil et complexe est cependant loin d’être une caractéristique du genre : sur les neuf sous-genres, cinq seulement présentent une couleur bleue relativement uniforme, et dans la plupart des cas, les mâles seulement. Les autres ne sont que très partiellement bleus, ou blancs, ou d’une autre couleur encore. Ce chapitre est consacré à la présentation, la mesure et la caractérisation de ce bleu si particulier, ou plutôt de ces bleus, tant les nuances de teintes sont infinies, ainsi que des autres couleurs déclinées par les Morphos. Les principes généraux de la colorimétrie et des techniques de mesures seront également rappelés succinctement (fig. 3.1).
Perception colorée La perception colorée d’un objet est un phénomène complexe et éminemment subjectif, faisant intervenir de nombreuses composantes, tant physico-chimiques que psychologiques. Nous connaissons toute l’ingéniosité déployée par les papillons pour s’afficher ou se cacher. Nous allons maintenant nous placer du point de vue du congénère, du prédateur ou plus généralement de l’observateur. Nous présenterons de manière très succincte la physiologie de l’œil humain pour nous focaliser sur les techniques de caractérisation d’une couleur, sur le stimulus, le message nerveux et la représentation que le cerveau en donne. La couleur perçue d’un objet est difficile à définir avec précision car elle fait intervenir fondamentalement trois composantes, dont l’une – l’œil et l’interprétation de son message par le cerveau – est physiologique et psychologique, et donc variable d’un observateur à l’autre. Le signal spectral P(λ) parvenant au cerveau de l’observateur peut se représenter comme la convolution spectrale de la source lumineuse E(λ), de la réflectance de l’objet R(λ) – les papillons sont presque toujours observés en réflexion mais la démarche serait la même pour des objets transparents observés en transmission – et du spectre de sensibilité de l’œil aux différentes couleurs qui composent le signal V(λ).
Photonique des Morphos
Fig. 3.1 – Ailes de différents Morphos.
Soit :
P(h)=E(h)=R(h)=V(h)
(3-1)
Ces différents facteurs et principalement les deux premiers sont aisément quantifiables. Nous rappellerons brièvement les caractéristiques du spectre solaire qui est la source lumineuse usuelle dans l’observation in vivo des papillons diurnes. Nous ne tenterons ici qu’une présentation sommaire des principes de base de la colorimétrie. La colorimétrie permettant la définition d’une couleur d’une façon non ambiguë, et son éventuelle reproduction fidèle, on admettra comme un préalable indispensable la « standardisation » de tous les paramètres physiques et physiologiques intervenant dans la perception visuelle, autrement dit la définition d’une source standard et d’un observateur moyen : l’observateur de référence CIE 1931 (Commission internationale de l’éclairage, 1931). Cette définition repose sur une étude statistique de la vision humaine normale, fort éloignée de celle du lézard ou du papillon (fig. 3.2). On peut caractériser la couleur perçue par un observateur comme le résultat d’une mesure effectuée par l’œil – en fait par ses différents capteurs – et interprétée par le cerveau. Le résultat de ce processus est la perception, par ordre d’évidence décroissante, d’une couleur dominante ou teinte – en physique nous dirons plutôt une longueur d’onde dominante ou longueur d’onde d’espèce – (bleu, vert, jaune, etc.), d’une intensité (lumière forte, intense ou faible, etc.) qui est définie par la quantité d’énergie du spectre de la 86
Couleur : mesure et caractérisation
Fig. 3.2 – La couleur perçue dépend du spectre de la lumière réfléchie par l’insecte et atteignant les photorécepteurs rétiniens, c’est-à-dire à la fois de la source et du coefficient de réflexion des ailes. Elle peut également dépendre de l’environnement et de l’état d’adaptation, voire de l’expérience de l’observateur.
couleur. Plus l’intensité est grande, plus la couleur est claire. On peut ainsi définir une échelle des intensités allant de 0 (le noir) à 1 (le blanc). Et enfin d’une pureté qui définit la proportion d’énergie émise à la longueur d’onde dominante par rapport à l’ensemble de l’énergie émise par la source. Une raie d’émission atomique quasi monochromatique aura une pureté de 1 et le blanc une pureté nulle. Tout ceci peut d’ailleurs être plus ou moins indépendant de la composition spectrale de l’onde reçue, l’œil n’en effectuant pas une spectroscopie mais une traduction non univoque (fig. 3.3).
Fig. 3.3 – Les composantes physiques d’un stimulus visuel (unités arbitraires). La perception colorée dépend du spectre de la source (a), de la réflectance de l’objet observé (b) et de la sensibilité des différents récepteurs de l’œil aux différentes longueurs d’onde (c).
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Sources et illuminants Dans la nature, la source universelle de lumière est le soleil, dont le rayonnement est perçu directement ou de manière diffuse le jour, éventuellement après réflexion sur la lune la nuit. La distribution monochromatique du rayonnement solaire est complexe, combinant spectre d’émission et spectre de raie. Hors atmosphère, l’enveloppe du spectre a sensiblement l’allure de celui d’un corps noir à 5 800°K, mais il arrive très modifié au sol après un trajet plus ou moins long – selon l’heure et la latitude – dans l’atmosphère terrestre (on parle de « masse d’air » traversée) où une part non négligeable de l’énergie sera absorbée par l’ozone (dans le bleu principalement) et la vapeur d’eau (dans l’infrarouge) et diffusée (dans le bleu encore). Quelles que soient les conditions atmosphériques, le spectre solaire arrive toujours au niveau du sol avec un déficit en bleu (fig. 3.4). 87
Photonique des Morphos
Fig. 3.4 – Éclairement solaire monochromatique en fonction de la longueur d’onde. Hors atmosphère, le spectre solaire peut être modélisé comme le spectre d’émission d’un corps noir à 5 800 K. Au niveau du sol, et en fonction de la masse d’air traversée, il est sensiblement décalé vers le rouge, et présente de nombreuses raies d’absorption par les constituants de l’atmosphère.
Les illuminants sont des rayonnements théoriques définis par leur répartition spectrale d’énergie et utilisés comme références pour les sources réelles. Dans nos calculs de colorimétrie, nous utiliserons l’illuminant D65 dont la répartition spectrale dans le visible et l’ultraviolet correspond à une phase de la lumière du jour dont la température de couleur est 6504K.
Vision des couleurs chez l’Homme 9HQRQVHQPDLQWHQDQWjO·DVSHFWFHUWDLQHPHQWOHSOXVFRPSOH[HGHFHSUR FHVVXVGHSHUFHSWLRQGHVFRXOHXUVODUpSRQVHGHO·±LO9h HWO·LQWHUSUpWD WLRQTX·HQIHUDOHFHUYHDX L’œil humain comporte deux types de capteurs aux propriétés fort différentes. Les cônes, au pouvoir de résolution élevé mais de relativement faible sensibilité, sont majoritairement rassemblés dans la zone centrale de la rétine, la fovea centralis. Ce sont des capteurs à la fois photométriques et chromatiques qui assurent la vision photopique et permettent la vision colorée diurne. En s’éloignant du centre de la rétine, ils laissent progressivement place aux bâtonnets, très denses à la périphérie. Les bâtonnets assurent la vision scotopique nocturne. Ce sont des détecteurs photométriques très sensibles mais qui ne distinguent pas les couleurs et donnent une image en niveaux de gris. Les sensibilités des deux types de capteurs diffèrent de plus de trois ordres de grandeur et sont spectralement décalés, les cônes ayant une sensibilité maximale vers 550 nm (jaune-vert), alors que celle des bâtonnets culmine à 500 nm environ, à la limite vert-bleu. Ces derniers ne participant pas à la perception des couleurs, seules les courbes de réponse des différents cônes interviennent dans la définition de l’observateur de référence. 88
Couleur : mesure et caractérisation
Il existe trois types de cônes contenant chacun un pigment présentant un maximum de sensibilité dans une partie spécifique du spectre, les longues (L), moyennes (M) ou courtes longueurs d’onde (S). Les maxima de sensibilité se situant respectivement à 560 nm (dans le rouge), à 540 nm (à la limite jaune-vert) et à 420 nm dans le bleu, ces cônes sont parfois nommés par leur couleur dominante : rouges (R), verts (V) et bleus (B). Ces différents types de cônes ne sont pas répartis uniformément sur la rétine, en particulier les cônes bleus ne représentent pas plus de 2 % des cônes de la fovéa cf. Encadré 3.1).
Bases de la colorimétrie. Trichromie On sait qu’il est pratiquement possible de reproduire toutes les couleurs du spectre en superposant en judicieuse proportion trois rayonnements monochromatiques : c’est le principe de la trichromie additive. Les couleurs préconisées par la CIE sont le rouge (à 700 nm), le vert (à 546,1 nm) et le bleu (à 455,8 nm). Elles constituent la base du système « RVB » mais ne sont pas la seule combinaison possible. Une fois la base définie, et un système convenable d’unités adopté, un rayonnement électromagnétique visible, défini en physique par l’intégralité de son spectre, peut être, pour son rendu coloré (Q), défini à l’aide de trois variables seulement (R), (V) et (B) par une équation du type : (E3-1) où R, V et B désignent les quantités de primaires introduites dans le mélange et définissent à la fois la chromaticité du stimulus et son intensité, deux quantités qu’il est courant de séparer en normalisant les composantes trichromatiques, c’est-à-dire en définissant maintenant les proportions de chaque primaire entrant dans le mélange :
(E3-4) ² ² ² R U Y HW E VRQW OHV FRHIÀFLHQWV FRORULPpWULTXHV GRQW O·HQVHPEOH GHV YDOHXUV SRXU OHV GLIIpUHQWHV ORQJXHXUV G·RQGH YLVLEOHV FRQVWLWXH OHV IRQFWLRQV FRORULPpWULTXHVGXV\VWqPH59%,OV·DYqUHFHSHQ GDQW TXH FHUWDLQHV FRXOHXUV WUqV SXUHV QH SHXYHQW rWUHUHSURGXLWHVSDUFRPELQDLVRQVDGGLWLYHVGHFHV WURLVFRXOHXUVGHEDVH$XVVLOD&,(SURSRVDWHOOH HQXQHQRXYHOOHEDVHOHV\VWqPH;<= &,( GRQWOHVIRQFWLRQVFRORULPpWULTXHV[h \h HW]h VRQWFHWWHIRLVWRXMRXUVSRVLWLYHVHWWHOOHVTXH ODFRXUEH\h V·LGHQWLÀHH[DFWHPHQWjODFRXUEHGH YLVLELOLWpGHO·±LOKXPDLQ'HODPrPHPDQLqUHTXH GDQV OH V\VWqPH 59% OHV FRRUGRQQpHV UpGXLWHV [ ;;<= HW\ <;<= FDUDFWpULVHQWOD FKURPDWLFLWp GH OD FRXOHXU GDQV XQ SODQ [\ DS SHOp SODQ GH FKURPDWLFLWp DORUV TXH OD YDOHXU < GLUHFWHPHQW SURSRUWLRQQHOOH j O·LQWHQVLWp YLVXHOOH SHUoXH FDUDFWpULVH VRQ LQWHQVLWp 3RXU XQH VRXUFH GRQQpHFDUDFWpULVpHSDUVRQVSHFWUH(h XQREMHW GHUpÁHFWDQFH5h DXUDSRXUFRRUGRQQpHVFKURPD WLTXHV
(E3-2) (E3-5) . (E3-3) avec Les rapports r, v et b sont les coordonnées trichromatiques de la couleur. Ces coordonnées n’étant pas indépendantes, une couleur est parfaitement définie par deux d’entre elles et la luminance ou intensité. &HWWHPrPHGpPDUFKHDSSOLTXpHFHWWHIRLVjO·pQHU JLHPRQRFKURPDWLTXHGXUD\RQQHPHQW(h FRQGXLW jO·pTXDWLRQFKURPDWLTXH
Dans un plan d’égale intensité, le lieu des couleurs monochromatiques (pureté égale à 1) comprises entre 380 et 780 nm, les limites théoriques de la vision humaine, décrit une courbe en forme de fer à
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Photonique des Morphos
cheval, le spectrum locus, fermé par une droite, la ligne des pourpres, caractérisant les mélanges des deux couleurs extrêmes du spectre visible. Le blanc parfait (point O) a pour coordonnées x = y = 1/3.
SURORQJHPHQWGDQVODGLUHFWLRQRSSRVpHGpÀQLWOD WHLQWHGHODFRXOHXUFRPSOpPHQWDLUHVLO·LQWHUVHF WLRQVHVLWXHVXUODOLJQHGHVSRXUSUHVODWHLQWHHVW FDUDFWpULVpHSDUODORQJXHXUG·RQGHGRPLQDQWHhH SUpFpGpHG·XQVLJQH /DSXUHWpHVWGpÀQLHSDUOHUDSSRUW2&2hH
Fig. E.3.1.1 – Les coordonnées X, Y et Z du système CIE 1931. La courbe Y est égale à la courbe moyenne de sensibilité de l’œil humain.
Une couleur quelconque non monochromatique est donc caractérisée par sa position C dans le diagramme de chromaticité. /D WHLQWH HVW GpWHUPLQpH SDU OD ORQJXHXU G·RQGH GRPLQDQWHRXORQJXHXUG·RQGHG·HVSqFHhHGRQW OD YDOHXU HVW REWHQXH HQ SURORQJHDQW MXVTX·DX VSHFWUXPORFXVODGURLWHSDUWDQWGXEODQFHWSDV VDQWSDUOHVFRRUGRQQpHV[\ GHODFRXOHXU/H
Fig. E.3.1.2 – Diagramme de chromaticité. La couleur correspondant au point C est définie par la longueur d’onde d’espèce (λ = 565 nm), sa pureté (75 %) et un couleur complémentaire (ici située dans les pourpres : x = – 565 nm). La courbe tri-stimulus Y correspondant exactement à la courbe de sensibilité de l’œil, la valeur Y est directement proportionnelle à l’intensité.
La couleur : un critère phylogénique ? Comme nous l’avons annoncé dans l’introduction, si le bleu est considéré comme la couleur caractéristique des Morphos, cela ne concerne finalement qu’une grande moitié des groupes (5/9) et la moitié des espèces ou sousespèces, beaucoup moins même si l’on exclut le sous-genre Morpho où les zones bleues peuvent être très réduites. Si toutes les colorations bleues sont d’origine structurale, ces structures sont extrêmement diverses, comme on peut le constater en parcourant la base de données iconographique rassemblée en fin d’ouvrage, et les effets produits tout aussi variés (cf. Encadré 3.2). On peut distinguer schématiquement quatre grands types de couleurs dans l’ensemble des Morphidae (fig. 3.5) : les Morphos bleu profond (Grasseia et Cypritis), les Morphos blancs (Pessonia) les Morphos bleu pâle (Cytheritis) et enfin ceux d’une autre couleur (Iphimedeia et Schwartzia). À quelques exceptions près, l’analyse colorimétrique situe en effet ces groupes dans des zones relativement distinctes du diagramme. À l’exception des Pessonia, ces groupes ne sont à l’évidence pas monophylétiques – c’est-à-dire issus d’un 90
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ancêtre commun – et il faut donc rechercher quand ces caractéristiques sont apparues ou ont au contraire disparu. La même question se pose d’ailleurs pour les pigments. À l’exception des Pessonia, entièrement dépigmentés, tous les groupes présentent des couleurs pigmentaires sur la face ventrale. Sur la face dorsale, tous les groupes ont des écailles basales pigmentées et des écailles de recouvrement dépigmentées, à l’exception notable de M. sulkowskyi (Cytheritis) (fig. 3.5), seule espèce à posséder des écailles basales dépigmentées. Des études dans ce sens ont été menées au Muséum national d’histoire naturelle de Paris (Catherine Cassildé) et au Canergie Museum of Natural History par Carla Penz (fig. 3.6 et fig. 3.7).
Fig. 3.5 – Face dorsale de M. sulkowskyi à l’air (a) et plongée dans l’acétone (n = 1,56) (b). Toutes les écailles deviennent pratiquement invisibles, indiquant l’absence de pigment dans les deux types d’écailles. Chez M. zephyritis, seules les écailles de recouvrement disparaissent sous liquide d’indice (c).
Couleurs structurales – couleurs pigmentaires Les Morphos sont connus pour leur couleur bleue iridescente mais, comme nous l’avons vu, les pigments jouent également un rôle fondamental, soit en formant un écran opaque qui renforce le contraste coloré, soit en créant les motifs de la face ventrale de l’aile. Il y a donc coexistence des deux sources de couleur : les couleurs structurales et les couleurs pigmentaires. Elles diffèrent à la fois par les processus fondamentaux qui les génèrent et par leur aspect. Les couleurs pigmentaires relèvent d’un processus soustractif. Une partie du spectre de la lumière incidente est absorbée et on observe la partie complémentaire. Les structures, quant à elles, dispersent spatialement les différentes couleurs, sans qu’aucune ne soit absorbée, au sens premier du terme, ce qui explique les phénomènes d’iridescence générés par certaines d’entre elles. Les structures photoniques des Morphos ayant déjà été présentées par ailleurs, nous nous focaliserons ici
sur les principes fondamentaux de l’absorption sélective par les pigments, et les effets colorés produits en réflexion ou en transmission par ces substances. Les phénomènes d’absorption peuvent être schématisés par une transition à deux niveaux d’énergie, mais il fait généralement intervenir de nombreux niveaux dans le cas des grosses molécules que sont les pigments. L’absorption est un transfert d’énergie entre l’onde incidente (ou les photons incidents) et les atomes ou molécules de la matière illuminée. Si cette énergie n’est pas restituée de manière radiative par la molécule, la lumière émergente s’en trouvera privée, et si elle correspond à des longueurs d’onde visibles du spectre, une couleur apparaîtra par soustraction d’une composante de la lumière blanche : c’est un phénomène soustractif. L’énergie ainsi soustraite à l’onde incidente est souvent restituée sous forme de chaleur, et participe ainsi, dans le cas d’un organisme vivant, à son bilan énergétique.
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Photonique des Morphos
Fig. E.3.2.1 – Absorption d’un photon dans une transition à deux niveaux, suivie d’une désexcitation radiative (en haut) ou non radiative (en bas). Dans le premier cas, le photon émis est identique à celui absorbé : il n’y a pas modification de la couleur. Dans le second, l’onde émergente est privée de la composante absorbée : une couleur apparaît par soustraction de cette composante.
choses sont plus complexes en réflexion. Le coefficient de réflexion d’un matériau est directement relié à son indice de réfraction, selon les célèbres formules de Snell-Descartes. Or, on peut montrer, à l’aide des relations de causalité de Kramers-Kronig que cet indice de réfraction est obligatoirement plus élevé du côté « rouge » d’un pic d’absorption que du côté « bleu ». Ainsi, les couleurs métamères ainsi perçues sont-elles systématiquement plus rouges que la complémentaire de la couleur absorbée. Ce même phénomène est également à l’origine du seul effet d’iridescence généré par un pigment, mais uniquement en lumière polarisée. N’ayant qu’un intérêt historique concernant les Morphos – c’est ainsi que Michelson expliquait leur iridescence – nous ne développerons pas ce point plus avant.
Pour observer un effet coloré, la différence d’énergie entre les niveaux de transition doit correspondre – pour la vision humaine – à des longueurs d’onde comprises entre 380 nm et 680 nm (soit des énergies comprises entre 3,26 eV et 1,82 eV). Ce n’est généralement pas le cas pour des atomes liés par des liaisons covalentes où elles se situent plutôt dans le domaine ultraviolet. Pour obtenir un pigment, il faut ramener cette bande d’absorption dans le visible en augmentant la taille des molécules, absorbant ainsi des longueurs d’onde de plus en plus grandes. Ceci explique la difficulté de réaliser des pigments bleus, et leur rareté dans le monde animal : il faut en effet traverser tout le spectre visible pour n’aller absorber que son extrémité rouge, ce qui impose de très grandes et complexes molécules. Perception des couleurs pigmentaires En transmission, la couleur perçue est sensiblement la couleur complémentaire de celle absorbée. Les
Fig. E.3.2.2 – Parties réelle et imaginaire de l’indice d’un pigment présentant une forte absorption dans le jaune. La partie réelle n, principal acteur de la réflexion, est plus grande du côté rouge du pic d’absorption que du côté bleu. Le matériau apparaît rouge plutôt que bleu, qui est pourtant la complémentaire de la couleur absorbée
Iridescence À l’exception des espèces à forte dominance pigmentaire (sous-genre Iphimedia et Schwartzia), les Morphos sont caractérisés par une forte variation de la couleur avec l’angle d’incidence de la lumière ou d’observation, y compris chez les espèces blanches (Pessonia). Cette variation de couleur, ou « iridescence », peut être déterminée par des mesures spectrométriques en incidence variable. Les coordonnées chromatiques pour chaque angle sont alors déterminées à l’aide des équations 3-5 et reportées sur un diagramme CIE. Le changement de teinte correspond très clairement à un phénomène 92
Couleur : mesure et caractérisation
Fig. 3.6 – Classification proposée par Catherine Cassildé, du Muséum national d’histoire naturelle (Paris), avec l’apparition des différentes teintes. La couleur bleue intense serait un caractère ancien.
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Photonique des Morphos
Fig. 3.7 – Coordonnées chromatiques des différentes espèces de couleur bleu profond (cercle rouge et noir), bleu pâle (+) et blancs (). Ces groupes sont très distinctement séparés sur le diagramme. Pessonia : (1) iphitus, (2) polyphemus, (3) epistrophus. Cythertis : (4) marcus, (5) portis, (6) rhodopteron, (7) eugenia, (8) aega, (9) sulkowskyi. Grasseia : (10) amathonte, (11) menelaus, (12) godartii. Megamede : (13) rhetenor, (14) cypris, (15) helena.
interférentiel, les spectres se déplaçant vers le bleu lorsque l’incidence augmente (fig. 3.8). Fig. 3.8 – Mesure expérimentale du facteur de réflexion de M. menelaus pour différentes incidences et courbe d’iridescence calculée dans un diagramme chromatique CIE à l’aide des équations 3-6, de l’incidence normale à l’incidence rasante. (Incidences négatives : de la base vers l’apex.)
Les couleurs déterminées à partir de spectres sont parfois trompeuses car elles dépendent de l’angle d’ouverture de l’observateur, et donc du spectrophotomètre utilisé pour effectuer cette mesure. Les mesures faites à la sphère intégrante ou au spectrophotomètre constituent de ce point de vue deux situations extrêmes. Dans le cas de structures diffractantes, comme les ailes de Morphos, on enregistre dans le premier cas l’ensemble des différents spectres réfléchis dans les différents ordres de diffraction, alors qu’on analyse un ordre particulier dans le second, ce qui conduit systématiquement à des couleurs perçues plus saturées. Les deux photos de la figure 3.9 montrent les courbes d’iridescence déterminées à l’aide des deux spectrophotomètres pour M. rhetenor, où l’on peut constater la perte de saturation des couleurs mesurées à la sphère intégrante. On peut estimer qu’à une distance raisonnable de l’insecte, un observateur, partenaire ou prédateur, est dans une configuration qui se rapproche plus de celle du goniophotomètre, et perçoit donc des couleurs très saturées (fig. 3.10). 94
Couleur : mesure et caractérisation
Fig. 3.9 – Iridescence de M. rhetenor déterminées à partir de mesures à la sphère intégrante (a) ou au spectro-goniophotomètre (b). Dans le premier cas, les mesures ont étés effectuées pour les deux états de polarisation TE et TM, et on retrouve le décalage systématique de teinte entre les deux états.
D
E
Variations individuelles L’une des remarquables propriétés de ces structures photoniques naturelles – et l’un de leur intérêt « biomimétique » – est la constance des effets produits, ce que l’on nomme la robustesse des effets. D’une manière très générale, l’évolution a souvent privilégié des dispositifs multifonctionnels, susceptibles d’assumer au mieux plusieurs tâches différentes sans en privilégier une en particulier, plutôt que des dispositif monofonctionnels, optimisés pour une tâche bien particulière. Le désordre structurel est, concernant les propriétés optiques, un acteur fondamental de cette stratégie. Ce désordre multi-échelle, probablement inévitable, limite les performances de tel ou tel système (interférentiel, diffractif, etc.) mais, en lissant les fluctuations locales, rend finalement l’ensemble du système insensible à ces mêmes fluctuations. En moyenne, tous les M. menelaus ont la même couleur, ce qui leur permet de se distinguer d’un M. rhetenor, par exemple. Connaissant l’importance de la composante visuelle de la communication inter- et intraspécifique des insectes, cette robustesse des effets colorés est certainement un atout important pour le développement et la survie des espèces. Il n’est cependant pas rare de rencontrer d’impressionnantes fluctuations de teinte individuelles, qui relativisent quelque peu ce constat, mais qui ne sont finalement que les exceptions qui confirment la règle. Leur diversité est infinie, mais ne concerne chaque fois qu’une très petite minorité d’individus. Les modifications les plus courantes sont dues à une présence (ou une abscence) anormale de pigments ou d’écailles pigmentaires, dans des zones de l’aile généralement occupées par des écailles structurales. C’est le cas par exemple du M. deidamia présenté dans la figure 3.11, où des écailles structurales bleues ont été remplacées par des écailles pigmentaires noires, normalement cantonnées dans la couche basale. L’effet global est un ternissement important de la zone, avec une forte diminution de la saturation. 95
Photonique des Morphos
D
Fig. 3.10 – Effet d’iridescence sur M. godartii (a) et M. menelaus (b) sous éclairage collimatée. Les chiffres entre parenthèses indiquent les angles d’incidence de haut en bas et de gauche à droite respectivement. (Le signe – indique une incidence du bas et de la droite). On observe une très forte disparité des teintes selon que l’aile est éclairée de la base vers l’apex ou inversement.
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Couleur : mesure et caractérisation
E
97
Photonique des Morphos
Fig. 3.11 – À droite, M. deidamia deidamia. La zone bleue est totalement dépourvue d’écailles pigmentaires. Elle en est parsemée sur l’exemplaire de gauche.
Conclusion Nous avons présenté dans ce chapitre l’étude d’une des caractéristiques la plus remarquable de ces papillons, et à laquelle ils doivent d’être si populaires et universellement connus : leur couleur bleue iridescente. Rappelons que nous avons ici adopté un point de vue anthropocentrique en basant cette étude sur la perception visuelle humaine, très différente de celle des Lépidoptères. Ceux-ci ont une sensibilité plus étendue du côté des ultraviolets, et on les sait par ailleurs sensibles à d’autres composantes, comme la polarisation linéaire de la lumière. L’interprétation réelle du message coloré adressé à un partenaire sexuel ou à un prédateur doit donc être faite avec prudence, en intégrant ces différences. Les couleurs bleues du monde animal sont, à quelques exceptions remarquables près, d’origine physique. Hormis celles produites par diffusion, elles sont iridescentes, c’est-à-dire dépendantes de l’environnement. Dans des conditions standardisées d’éclairement et d’observation, on peut cependant définir de larges domaines non connexes de teintes dans un diagramme chromatique, caractéristiques des différents sous-genres monophylétiques : bleu très pâle à blanc pour Pessonia, bleu profond brillant pour Megamede, moins soutenu pour Grasseia. La couleur, et donc la structure sous-jacente qui la génère, apparaissent clairement comme un critère phylogénique pertinent. Comme souvent dans la nature cependant, on observe une grande diversité individuelle au sein de chaque espèce. Elle ne doit pas faire oublier la grande robustesse des effets colorés générée par le désordre structural multi-échelle : la constance du désordre génère celle des teintes. Le rôle des pigments dans ce phénomène de coloration dominé par les effets structuraux est lui aussi fondamental. Situés sur la face ventrale de l’aile et 98
Couleur : mesure et caractérisation
dans les écailles basales de la face dorsale, ils absorbent les longueurs d’onde non diffractées par les structures photoniques, ce qui augmente le contraste et la pureté des couleurs. La symbiose pigments/structures est là encore optimisée pour augmenter la portée et la spécificité du message chromatique. N’oublions pas enfin que ces couleurs étant changeantes avec les conditions environnementales, il ne peut être compris que sous son aspect dynamique. Cette approche sera présentée dans un chapitre spécifique. ■
Résumé 1 Le signal coloré issu d’un objet donné et parvenant au cerveau est la convolution spectrale de l’éclairement de la source, du facteur de réflexion de l’objet et de la sensibilité de l’œil. Toute modification de l’une de ces composantes entraîne une modification du message coloré perçu. 2 La réponse de l’œil humain est trichromatique. Sa sensibilité s’étend de λ = 380 nm (violet) à 680 nm (rouge). Il n’est pas sensible à la polarisation de la lumière. 3 La sensibilité visuelle des insectes est en moyenne plus étendue vers les ultraviolets, légèrement moins dans les rouges. Ils distinguent les états de polarisation linéaires et sans doute les circulaires. 4 Concernant les Morphinae, les structures photoniques générant les couleurs semblent constituer un critère phylogénique pertinent, et donc indirectement les couleurs elles-mêmes. Ces structures constitueraient un caractère ancestral qui a disparu chez certains genres plus récents. 5 La face ventrale des ailes est systématiquement pigmentée. Chez les espèces à face dorsale iridescente, cet effet est produit majoritairement par les écailles basales. C’est chez elles que se trouvent également des pigments, lorsqu’il y en a, jamais dans les écailles de recouvrement. 6 Les couleurs structurales dépendent fortement des angles d’incidence de la lumière et de l’angle d’observation. Ces conditions changent durant le vol, et les ailes se déforment. Le signal perçu est donc complexe et ne peut être déterminé à partir d’un insecte immobile.
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102
Thermorégulation, propriétés radiatives
L
es insectes sont des organismes hétérothermes qui doivent puiser une part importante de leur énergie du milieu extérieur, principalement de l’énergie héliothermique. Le système dynamique assurant le vol du papillon est complexe et étonnement peu rentable du seul point de vue du vol. Il dégage en revanche une importante quantité d’énergie thermique, servant entre autre à maintenir l’organisme dans sa fourchette vitale de température, approximativement entre 35 et 40°. Toute excursion en dehors de cette plage restreinte, dans un sens ou dans l’autre, est potentiellement dangereuse pour l’insecte, ce qui impose une gestion rigoureuse des échanges thermiques. Une partie non négligeable de ces échanges se fait par rayonnement infrarouge vers le milieu ambiant plus froid. Après avoir brièvement rappelé les principes fondamentaux qui régissent les échanges thermiques entre un capteur et son milieu environnant, nous nous intéresserons aux propriétés radiatives de certains Morphos « types », choisis pour leur fort contraste de couleur dans le visible, puis aux stratégies développées pour atteindre cet équilibre vital dans les différentes circonstances de la vie de l’insecte. Les techniques de mesure infrarouges utilisées sont présentées dans la seconde partie de cet ouvrage.
Impératifs Comme dans l’ensemble du monde animal, la température du corps – ou de certaines parties du corps des insectes – est un des paramètres prépondérant de leur équilibre vital. Elle est en effet en relation directe avec la mobilité et influe donc, chez les papillons, sur la nutrition, la reproduction et la réaction aux agressions, etc. Lors du vol, ce sont essentiellement les six paires de muscles tergo-sternaux, situés dans le mésothorax, qui assurent le battement des ailes antérieures, les postérieures y étant, chez la majeure partie des Lépidoptères, couplées mécaniquement par un frein. Ces muscles ne sont pas directement reliés aux ailes, mais assurent une contraction longitudinale du thorax, et ce n’est que par une réaction mécanique que le battement est assuré. Le rendement d’un tel processus est étonnamment faible. On estime que plus de 80 % de
Photonique des Morphos
l’énergie dépensée en moyenne durant le vol d’un papillon sont transformés en chaleur. Une haute température musculaire n’est pas uniquement le résultat – néfaste – de l’activité musculaire, c’est aussi un pré-requis au vol. Dans la phase de décollage, où les muscles abducteurs et inducteurs des ailes doivent se contracter rapidement et en opposition de phase pour ne pas se contrarier, leur température optimale approche des 40°C. Voici donc un animal hétérotherme qui pour décoller doit atteindre une température thoracique de 36 à 38°C, doté d’un mécanisme de vol énergétiquement peu rentable et qui ne résisterait pas à une surchauffe légère de 42°C environ. Une fois le vol engagé cependant, et en situation normale, un équilibre dynamique s’instaure à une température plus basse, de l’ordre de 30 à 35°C. Les papillons doivent donc pouvoir assurer un échauffement rapide des muscles lorsqu’ils sont au repos, et une évacuation efficace de l’énergie calorifique lorsqu’ils sont en vol. Dans chacun de ces processus, les propriétés optiques et infrarouges des ailes interviennent de manière plus ou moins importante. Considérons tout d’abord la phase d’échauffement. Tous les papillons diurnes disposent en proportion variable de deux techniques pour porter leurs muscles thoraciques à la température critique nécessaire au décollage. Le premier processus est endothermique : ce sont les muscles eux-mêmes qui assurent leur maintien à la température optimale par la stimulation de leur métabolisme. Cette situation s’observe principalement lorsque l’insecte est posé à l’ombre, et se manifeste par de rapides frémissements des ailes assez proches dans leur principe de nos frissonnements. Muscles inducteurs et abducteurs se contractent rapidement et en phase, de manière antagoniste donc, ce qui empêche tout battement et permet de consacrer l’intégralité de l’énergie dépensée à l’échauffement thoracique. Le second processus qui nous concerne plus directement est dit exothermique. Il consiste à capter l’énergie solaire et fait donc intervenir les propriétés optiques des ailes mais aussi celles du corps de l’insecte. La membrane alaire est assez mauvaise conductrice de chaleur et la circulation lymphatique peu rapide, et on estime que l’énergie captée l’est essentiellement par le corps ou par l’aire basale de l’aile, soit guère plus d’un tiers de la surface totale des ailes. La disposition de ces dernières par rapport au flux solaire dépend de leurs propriétés optiques et varie selon les espèces. Celles présentant des couleurs sombres sur l’une ou l’autre de leurs faces captent directement l’énergie solaire en adoptant une posture, ailes étalées face au soleil, ou une posture latérale, ailes plaquées verticalement l’une contre l’autre au-dessus du corps. C’est la posture adoptée par les papillons à couleur cryptique qui peut assurer à la fois le camouflage et la régulation thermique. Les espèces blanches ou à dominante claire se réchauffent de manière indirecte en concentrant le flux solaire sur la face dorsale du corps qui est alors sombre. Les ailes sont maintenues plus ou moins ouvertes au-dessus du corps, l’ouverture tournée vers le soleil. L’angle formé par les ailes détermine alors la quantité d’énergie concentrée sur le corps. Quant au refroidissement, n’étant nécessaire qu’en vol, la plus grande partie en est assurée par convection et conduction par l’air environnant, et par échange trachéal entre le thorax et l’abdomen. Une autre part, plus faible, 104
Thermorégulation, propriétés radiatives
se fait par rayonnement thermique du corps et des ailes. Si on retient la température moyenne de 40°C, ce rayonnement se produit dans le moyen infrarouge, avec un maximum vers 9,5 μm. Avant d’examiner plus en détail les propriétés thermo-optiques du « capteur papillon », nous allons présenter succinctement les quelques concepts qui y président.
Bilan énergétique d’un capteur En mettant de côté les sources endothermiques de chaleur, le bilan énergétique Q d’un capteur solaire compte en crédit l’énergie solaire incidente sur toute la surface du capteur, et en débit les pertes optiques (flux réfléchi ou transmis), les pertes convectives, et enfin les pertes radiatives, soit: Q = Sc_Ei – Op – A0(Ta – T0) – Sa¡m(Ta4 – T04),
(4-1)
R6DHW6FUHSUpVHQWHQWUHVSHFWLYHPHQWODVXUIDFHGHO·DEVRUEHXUHWFHOOH HIIHFWLYHPHQWH[SRVpHDXUD\RQQHPHQWTXLVRQWpJDOHVVLRQQHFRQVLGqUH TXHOHVDLOHVGHO·LQVHFWH 2SO·HQVHPEOHGHVSHUWHVRSWLTXHV(LO·pFODLUH PHQWLQFLGHQW7HW7DOHVWHPSpUDWXUHVGHO·HQYLURQQHPHQWHWGXFDSWHXU HWHQÀQ_HW¡O·DEVRUSWLYLWpHWO·pPLVVLYLWpGHO·DEVRUEHXUÀJ
Fig. 4.1 – Les pertes d’un capteur photothermique : les pertes optiques sont dues à la réflexion de la lumière sur l’aile. Les pertes par convexionconduction sont faibles au repos, mais peuvent être importantes et utiles en vol pour évacuer un surcroît de chaleur. Les pertes par rayonnement sont majoritaires.
Les écailles constituent en fait un excellent revêtement isolant, aussi peuton, en première approximation, négliger les pertes par convection et conduction pour un animal au repos (A0 = 0). On peut alors définir un rendement radiatif permettant d’étudier l’influence des propriétés optiques des ailes ou du corps du papillon par : (4-2) On constate donc que ce rendement, dans un environnement donné, sera d’autant plus grand que l’absorptivité sera grande et l’émissivité – pour une température du corps donnée – faible. Examinons ces deux grandeurs. L’ab105
Photonique des Morphos
sorptivité d’un matériau, dans une configuration donnée, est la proportion de l’énergie incidente qu’il va absorber. On distingue l’absorptivité directionnelle _’(e) lorsque le rayonnement tombe sur l’aile de manière spéculaire sous un angle e (ciel clair) et l’absorptivité hémisphérique _ lorsque le rayonnement incident est diffus (ciel couvert), la seconde étant l’intégrale sur tout l’espace irradiant de la première. En première approximation, ces deux grandeurs sont indépendantes de la température. Quant à l’émissivité, on la définit comme le rapport entre les énergies rayonnées par le matériau et le corps noir à la même température, toutes choses égales par ailleurs. Dans une direction donnée, on mesure l’émissivité directionnelle ¡T(e) qui, intégrée sur tout l’espace ouvert, donne l’émissivité totale ¡T. Ainsi définies, ¡T et _ sont des grandeurs énergétiques globales où le détail des spectres absorbés et émis n’apparaît pas. Elles peuvent cependant se déduire des quantités monochromatiques ¡T,h(e) et _’h(e) par intégration sur les longueurs d’onde, rapportées au spectre incident et au spectre d’émission du corps noir de référence :
(4-3)
et
(4-4)
où Lh est la luminance monochromatique du flux incident (pour nous le spectre solaire) et Mh(T) l’émittance monochromatique du corps noir à la température T. Ces relations sont généralement complexes mais non indépendantes. En effet, si le corps est en équilibre thermique, une loi – de conservation, la seconde loi de Kirchhoff – nous dit que dans une direction et pour une longueur d’onde donnée : _·he ¡·he (4-5) L’absorptivité étant par ailleurs directement reliée à la transmittivité o’h(e) et à la réflectivité l’h(e) par la loi de conservation de l’énergie : l’h(e) + o’h(e) + _·he
(4-6)
on voit finalement que les grandeurs énergétiques intervenant dans le bilan radiatif sont accessibles par des mesures spectrométriques optiques de réflexion et de transmission. 106
Thermorégulation, propriétés radiatives
Thermorégulation Les deux exemples présentés dans l’encadré 4.1 – le capteur sélectif (opaque) et le vitrage sélectif (transparent) – ne constituent que des cas extrêmes. La condition nécessaire et suffisante pour réduire les pertes radiatives, dictée par la seconde loi de Kirchhoff, n’impose en effet aucune de ces solutions. Les papillons qui privilégient l’absorption directe de l’énergie solaire par les ailes ont en effet développé une voie intermédiaire, basée sur la semi-transparence des ailes dans l’infrarouge.
Le capteur sélectif idéal Si l’objectif est d’augmenter le rendement du capteur à l’équilibre thermodynamique, la solution optimale est donc d’avoir une absorptivité _ maximale sur l’étendue du spectre solaire, et une émissivité ¡ minimale dans le domaine spectral d’émission correspondant à la température atteinte. Pour un objet opaque (o = 0), ceci revient de manière idéale à avoir un coefficient de réflexion nul dans le visible et égal à 1 dans l’infrarouge. Les équations 4-5 et 4-6 nous montrent bien alors que dans ces conditions _ est maximum dans le visible et ¡ minimal dans l’infrarouge. La transition visible/infrarouge se produit pour une longueur d’onde – dite de coupure hc – qui dépend de la température atteinte par le corps et qui se situe dans notre cas (Tc ~50°C) aux environs de 4 +m. C’est ainsi que sont actuellement réalisés la plupart des capteurs solaires plans, qualifiés de
sélectifs, c’est-à-dire à transitions marquées entre leurs propriétés optiques visibles et infrarouges. Selon le même principe, nous nous devons d’évoquer, on comprendra plus loin pourquoi, les revêtements transparents, ou vitrages, sélectifs. Cette fois-ci, c’est la réflexion visible qui est nulle (l = 0) et la transmission égale à 1 jusqu’à hc. Au-delà, o devient nul et l égal à 1. Les équations 4-5 et 4-6 donnent alors : _·he ¡·he ²>l’h(e) + o’h(e)] ,
(E4-1)
et un vitrage sélectif idéal est caractérisé par : (E4-2)
Fig. E.4.1.1 – Courbe de réflexion et de transmission d’un capteur sélectif et d’un vitrage sélectif idéaux. Dans le premier cas, l’absorption est maximale jusqu’à la longueur d’onde de coupure λc et l’émission nulle au-delà. Dans le second, c’est la transmission nulle au-delà de λc qui empêche les pertes radiatives.
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Photonique des Morphos
Absorption solaire Dans la partie visible du spectre, les réponses optiques des ailes sont évidemment très diverses et spécifiques. Chez les espèces du sous-genre Morpho, l’absorption des zones sombres situées à la base des ailes, et qui fournissent au corps la majeur partie de l’énergie captée, est très élevée sur l’ensemble du spectre solaire – l’absorptivité y est supérieure à 0,9. Dans les zones bleues, et chez toutes les autres espèces iridescentes où le coefficient de réflexion dans le bleu peut dépasser 70 %, l’absorption est moindre, sans être négligeable, et elle est pratiquement nulle chez les espèces blanches ou très claires du sous-genre Pessonia. L’absorption directe par les zones sombres est d’origine à la fois structurale et pigmentaire. Plongées dans un liquide d’indice, les zones noires deviennent brunes, ce qui montre que les pigments, des mélanines dans ce cas, ne sont pas seuls responsables de l’absorption visible. Des structures, dont on a fait disparaître l’effet dans l’opération, jouent également un rôle important. Absorption pigmentaire Les coefficients d’extinction des monomères de mélanine présentent toujours un maximum dans l’ultraviolet et décroissent rapidement dans le visible. Cette faible absorption vers l’extrémité rouge du spectre visible explique la couleur brune des ailes observée sous liquide d’indice. Rappelons qu’à l’exception des espèces du sous-genre Pessonia, on trouve des mélanines sur la face ventrale de tous les Morphos, de même que dans les écailles de fond de la face dorsale, même lorsqu’elles sont structurales. C’est donc la totalité de l’aile qui peut capter, plus ou moins efficacement en fonction de sa couleur, l’énergie solaire incidente (fig. 4.2).
Fig. 4.2 – Coefficient d’extinction des deux monomères de mélanine animale. Ils couvrent largement le domaine ultraviolet et se font sentir dans le visible jusque dans le vert jaune, d’où les couleurs brunes à noires observées.
Absorption structurale C’est un des moyens classiques dans les capteurs solaires d’utiliser une rugosité de surface pour augmenter l’absorption visible, et parfois même réaliser une plus forte sélectivité spectrale. Le principe consiste à réaliser sur la 108
Thermorégulation, propriétés radiatives
surface de l’absorbeur des rugosités de dimensions telles que les plus petites longueurs d’onde (l’ensemble du spectre visible) y soient piégées et que les plus grandes, correspondant au spectre d’émission thermique du capteur, soient réfléchies. Il n’y a plus alors d’absorption dans ce domaine, donc pas d’émission non plus (cf. Encadré 4.2).
Paramètres de l’absorption structurale Dans les capteurs solaires industriels, l’absorption peut être obtenue par des structures dendritiques réalisées sur des surfaces métalliques, donc à fort coefficient de réflexion infrarouge intrinsèque. Les procédés de fabrication, chimiques dans la plupart des cas, font que ces rugosités présentent des formes et des dimensions aléatoires qui se prêtent mal à une modélisation rigoureuse. Elles sont définies par la distribution statistique des hauteurs par rapport au niveau moyen, et par une fonction d’auto-corrélation traduisant la distribution des rugosités dans le plan de l’absorbeur (espacement des rugosités). Cet aspect statistique du système s’oppose donc au calcul exact des propriétés optiques de la surface rugueuse et les nombreux modèles développés pour les déterminer n’y parviennent qu’au prix de drastiques hypothèses simplificatrices. Nous ne présenterons pas le formalisme de ces modèles, assez proches dans leurs principes des modèles de diffusion, mais uniquement leurs prédictions qualitatives qui nous permettrons d’apprécier – faute de calculs rigoureux réalisés sur les papillons – le rôle des structures dans leur bilan thermique.
Les modèles les plus simples permettent de comparer pour une longueur d’onde h donnée, la réflexion R d’une surface rugueuse, caractérisée par une hauteur moyenne des aspérités m et un pas moyen T, à la réflexion R0 d’une surface lisse du même matériau. Ce rapport R/R0 n’est fonction que des trois paramètres h, m et T. En première approximation, on peut distinguer dans cette réflexion une composante spéculaire, ou cohérente Rc et une composante diffuse incohérente Rd. Sans grande surprise, les modèles s’accordent à montrer que la partie cohérente n’aura un poids significatif que dans le domaine des longueurs d’onde grandes devant la hauteur des rugosités (h > 5m) qu’elles ne « voient » plus et qui modifient peu leur réflexion. La partie diffuse au contraire deviendra prépondérante pour les faibles et moyennes longueurs d’onde (h ≤ m), et son intensité dépend alors fortement du rapport T/m : plus T/m est faible, c’està-dire plus les rugosités sont profondes et serrées, et plus grande est l’absorption. Enfin, une augmentation de la hauteur moyenne m déplace la longueur d’onde de coupure hc vers l’infrarouge.
Les écailles pigmentaires des Morphos présentent une très grande diversité de formes et de tailles. On peut cependant en dresser un schéma structural type assez représentatif des diverses espèces. Les stries sont généralement très régulièrement espacées, avec un pas de 1 à 1,5 μm, et de 300 nm en moyenne pour les contre-stries, avec une plus grande dispersion. Stries et contre-stries forment ainsi des rangées d’alvéoles, sensiblement elliptiques, ouvertes par le fond sur la membrane de l’écaille, et d’une profondeur supérieure à 1 μm Si on retient une valeur moyenne de pas T = 1,3 μm et une hauteur moyenne m de 1 μm, cette structure conduit à un rapport Rc/R0, donc à une composante spéculaire, importante dans l’infrarouge au-delà de 7 μm et à une réflexion globale, (essentiellement diffuse) inférieure à 30 % dans le visible. Une partie non négligeable de l’énergie incidente est donc piégée dans cette structure alvéolaire (qui contient, rappelons-le, d’efficaces pigments dans ce domaine spectral), alors qu’elle ne participe pas à l’émission infrarouge du fait de sa faible absorption dans ce domaine. Les deux éléments – structures et pigments – conjuguent leurs efforts pour absorber finalement plus de 95 % de la lumière incidente sur l’ensemble du spectre visible, pour atteindre même 98 % à 550 nm, maximum du spectre solaire (fig. 4.3). 109
Photonique des Morphos
Fig. 4.3 – Écaille basale pigmentaire de M. achilles phokylides (base des ailes antérieures) montrant les alvéoles ouvertes sur le fond de l’écaille.
/DÀJXUHGRQQHO·DEVRUSWLYLWpYLVLEOHHWO·pPLVVLYLWpSRXUGHX[WHPSp UDWXUHV&HW& GHV]RQHVDODLUHVGHWURLV0RUSKRVGHFRXOHXUVWUqV GLIIpUHQWHVXQH]RQHEDVDOHQRLUHGHVDLOHVGH0DFKLOOHVXQH]RQHEOHXH GH0UKHWHQRUHWXQH]RQHFODLUHGH0SRO\SKHPXVOXQD2QSHXWFRQVWD WHUTXHODIRUWHUpÁHFWLYLWpGDQVOHEOHXGHVDLOHVGH0UKHWHQRUQHGLPLQXH TX·DVVH]SHXO·DEVRUSWLYLWpGHVDLOHVHWTX·jO·H[FHSWLRQQRWDEOHGHV3HV VRQLDOHVDLOHVGHV0RUSKRVFRQVWLWXHQWJOREDOHPHQWGHERQVDEVRUEHXUV KpOLRWKHUPLTXHV2QSHXWpJDOHPHQWUHPDUTXHUODEUXWDOHDXJPHQWDWLRQGH O·pPLVVLYLWpORUVTXHODWHPSpUDWXUHGpSDVVHOHV&ÀJ
Absorptivité _ = 0,85 0,62 0,70 0,23 Émissivité 40°C ¡40 = 0,4 0,42 0,39 0,34 Émissivité 50°C ¡50 = 0,55 0,56 0,54 0,5 Fig. 4.4 – Absorptivités et émissivités à deux températures calculées de M. achilles (zones noire et bleue), de M. rhetenor et de M. polyphemus luna.
Propriétés infrarouges Les propriétés optiques des ailes dans la partie visible du spectre, dues en proportions variables aux pigments et aux structures photoniques, influent directement sur l’absorption solaire. Elles sont très fortement spécifiques, chaque espèce présentant, comme nous l’avons vu, des structures et des patterns pig110
Thermorégulation, propriétés radiatives
Fig. 4.5 – Absorption de la zone noire de M. helenor entre 0,3 et 25 μm. Spectres d’émission du corps noir à 40°C et 50°C. Le second spectre d’absorption empiète sur le spectre d’émission à 50°C mais pas sur celui à 40°C, entraînant un rapide changement de l’émissivité avec la température.
mentaires différentes. Chacune absorbe donc différemment l’énergie solaire, ce qui influe sur leur comportement. Il n’y a en effet pas de structures de taille telle qu’elles puissent générer des effets dans l’infrarouge, et les propriétés optiques dans ce domaine sont dictées par la nature intrinsèque des matériaux constituant l’aile, qui sont sensiblement les mêmes pour toutes les espèces : la chitine, des protéines et des mélanines. La figure 4.6 présente les propriétés optiques des trois morphinae, M. achilles (zone noir), M. rhetenor et M. luna mesurées dans l’infrarouge de 2,5 μm à 25 μm. On constate que l’absorption en particulier est sensiblement la même chez chacune des espèces, et également identique à celle mesurée par ailleurs sur des espèces d’autres groupes (Prepona meander). Des mesures effectuées sur les deux faces de M. rhetenor montrent une absorption rigoureusement identique, ce qui confirme que seuls interviennent les constituants de l’aile dans ce domaine spectral. L’absorption présente deux forts pics situés respectivement à 3 μm et 6 μm, puis reste à peu près constante, à une valeur relativement faible, mais non négligeable, de l’ordre de 0,1 à 0,2, jusqu’à h = 25 μm, limite de nos mesures. Du strict point de vue du rendement, cette situation n’est pas optimale, cette valeur relativement élevée de l’absorptivité (donc de l’émissivité), couvrant l’ensemble du spectre d’émission thermique impliquant quelques pertes par rayonnement. C’est oublier la double contrainte s’exerçant sur l’insecte, qui est de se chauffer, mais pas trop. De ce point de vue, cette situation frise la perfection, et contient l’amorce d’un étonnant phénomène d’autorégulation du bilan radiatif conduisant à une stabilisation de la température dans la zone de survie du papillon. Le premier pic d’absorption, centré sur 3 μm, c’est-à-dire entre les spectres de rayonnement solaire et d’émission thermique n’intervient pas dans le bilan radiatif à ces températures. Le second en revanche, situé au bord du spectre d’émission, joue un rôle fondamental de régulateur thermique. Cette position marginale est en effet telle que, selon la température de l’aile, elle se superpose ou pas avec le spectre d’émission, modulant ainsi le rendement du capteur, et donc sa température. 111
Photonique des Morphos
D
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Fig. 4.6 – Réflexion, transmission et absorption infrarouge d’une zone noire de M. achliles, (a), de M. rhetenor (b) et de M. luna (c). Bien que très différentes dans le visible, les propriétés optiques sont extrêmement proches dans l’infrarouges, car elles ne dépendent pratiquement que des constituants de l’aile, qui sont les mêmes, et pas des structures.
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Thermorégulation, propriétés radiatives
Lorsque après une exposition au soleil la température augmente, le spectre d’émission se déplace vers les basses longueurs d’onde, et vient se superposer avec le pic d’absorption. D’après la seconde loi de Kirchhoff, cela entraîne une augmentation de l’émissivité, donc une baisse du rendement radiatif et une diminution de la température. À l’opposé, qu’en absence de soleil la température baisse et on verra le spectre d’émission s’éloigner dans l’infrarouge vers les grandes longueurs d’onde et le pic d’absorption sortir de son domaine. Il y a donc cette fois diminution de l’émissivité, augmentation du rendement radiatif et donc de la température. L’efficacité réelle de ce cycle de stabilisation n’est pas facile à déterminer avec précision si on ne connaît pas les températures atteintes par les ailes lors de leurs expositions au soleil. On peut cependant estimer les émissivités pour des cas extrêmes de température de l’aile, par exemple 50° et 30°. Dans le premier cas, le pic est intégralement superposé au spectre d’émission, et il en est totalement absent dans le second. L’énergie rayonnée est alors proportionnelle à la surface commune du pic d’absorption et du spectre d’émission. À 30°, lorsque ce pic ne participe pas du tout à l’émission thermique, les pertes radiatives s’élèvent à 275 W.m-2 mais deviennent supérieures à 500 W.m-2 à 50° (fig. 4.7). La température d’un papillon se chauffant au soleil reste bien éloignée de ces valeurs extrêmes, mais ces calculs approximatifs montrent cependant que ce système autostabilisateur peut jouer un rôle important dans la thermodynamique de l’insecte.
Fig. 4.7 – Cycle de stabilisation en température des ailes absorbantes des Morphos. Quand la température augmente, le rendement du capteur diminue car les pertes par émission augmentent, et inversement lorsque la température baisse.
Conclusion L’étude des propriétés infrarouges des Morphos demande l’utilisation de spectrophotomètres peu communs, aussi celle présentée ici est-elle loin d’être exhaustive. Les mesures effectuées à la DGA sur des espèces très éloignées et très différente dans le visible, l’une dans une zone à couleur totalement pigmentaire (M. achilles), une autre structurale (M. rhetenor) et la dernière totalement dépigmentée (M. luna), montrent cependant une remarquable similitude dans l’infrarouge, ce qui permet sans trop de risques d’en tirer quelques conclusions générales. Des propriétés optiques différentes dans le visible conduisent à des efficacités d’absorption différentes, et donc à des comportements différents durant cette phase. Dans l’infrarouge au contraire, l’absorption est pratiquement identique pour toutes les espèces. Elle est relativement faible sur l’ensemble du spectre, de l’ordre de 10 %, mais présente deux forts pics centrés approximativement à 3 μm et 6 μm. Quelle que soit la température (réaliste) atteinte par l’aile, le premier pic est sans influence sur le rendement, puisqu’en dehors du domaine spectrale d’émission thermique. Le second en revanche, de par sa situation en bordure de ce domaine, joue un rôle de stabilisateur ou de régulateur de température en augmentant ou diminuant l’émissivité, donc les pertes radiatives, lorsque la température augmente ou diminue. Ce processus d’autorégulation de la température est assuré par la structure de l’aile et par ses composants. Nous avons ici un très bel exemple de structure multi-fonction intelligente puisque, en plus du vol, qui est sa fonction première, l’aile participe à la fois à la gestion thermique de l’organisme de 113
Photonique des Morphos
manière active, et assure par ailleurs de manière passive son autonettoyage grâce à ses propriétés hydrophobes. ■
Résumé 1 Les papillons sont des organismes poidkilothermiques hétérothermes qui doivent maintenir leur corps, dans une étroite fourchette de température par des processus endothermiques (musculaires) et exothermiques (absorption solaire, émission thermique). 2 L’absorption solaire est réalisée à la fois par des pigments (des mélanines dans le cas des Morphos) et des structures, à l’exception des espèces du sous-genre Pessonia, dépigmentées, et dont l’absorption visible est très faible. Les Morphos adoptent d’une manière générale une position de repos « ailes fermées », l’absorption solaire se faisant principalement par la face ventrale, pigmentée et assez peu différente d’une espèce à l’autre. Les mesures montrent cependant que la face dorsale constitue également un bon absorbeur, et que la forte réflectivité dans le bleu, composante minoritaire du spectre solaire, ne diminue qu’assez peu l’absorptivité. 3 L’émissivité infrarouge est assez faible et modulée en fonction de la température. Le pic d’absorption vibrationnel de la chitine à 6 μm augmente l’émissivité, donc baisse le rendement et la température lorsque cette dernière augmente, et inversement lorsqu’elle baisse.
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Thermorégulation, propriétés radiatives
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Vers une approche dynamique des propriétés optiques
T
outes les mesures et illustrations présentées dans cet ouvrage ont été réalisées à partir d’insectes de collection, donc morts et immobilisés dans une « position entomologique » classique, bord interne des ailes antérieures perpendiculaires au corps, finalement fort peu naturelle. Si l’on pourrait à la rigueur se contenter de cette situation pour l’étude des papillons pigmentaires, il n’en est rien pour ceux présentant des couleurs d’origine structurale comme les Morphos, très sensibles à l’incidence de la lumière. Si on veut appréhender le message coloré délivré par un Morpho en vol, il faut tenir compte de tous les effets induits par le mouvement. Ce travail reste à faire, à commencer par l’enregistrement du vol des Morphos sur la pellicule, et cette annexe n’a pour but que de présenter quelques concepts de base et d’ouvrir quelques pistes de réflexion (fig. 5.1).
Fig. 5.1 – L’environnement des Morphos : la Guyane française.
Photonique des Morphos
Problématique Le vol d’un Morpho dans la forêt, ce flash insaisissable, visible de très loin mais que l’on perd de vue à chaque instant, reste toujours un spectacle inoubliable, mais problématique ! Comment un insecte si peu camouflé, et parfaitement comestible, échappe-t-il à ses prédateurs ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord savoir ce que ces derniers en voient. Deux aspects très différents doivent être considérés lorsqu’on s’intéresse à l’aspect et à la couleur d’un papillon en vol. Il s’agit de la dynamique du vol d’une part, la fréquence des battements, leur régularité et leur amplitude, la trajectoire, etc., et la dynamique de l’aile, sa position au cours du battement et ses déformations, particulièrement importantes chez les grands voiliers que sont les Morphos, et dont l’influence sur la couleur peut être considérable chez les espèces iridescentes. Ce sont ces deux aspects, encore fort peu étudiés, que nous allons présenter dans cette annexe, avec toutes les précautions d’usage, ne disposant que de très peu de mesures ou d’observations écrites.
Déformations d’une structure hiérarchisée Structure multi-échelle, il faut envisager l’effet du mouvement de l’aile sur chacune de ses échelles (fig. 5.2) Celui-ci n’affecte très probablement pas les deux plus petits éléments, stries et lamelles, dans leur structure, mais commence à se faire sentir au niveau des écailles, non dans leur forme mais dans leur orientation. À plus grande échelle enfin, les déformations des ailes sont importantes, et dépendent de la phase du vol. Les effets générés sont directement observables, et peuvent être quantifiés.
Fig. 5.2 – Effets géométriques observés ou supposés du battement sur les différentes échelles de l’aile.
Déformation des ailes Bien que les Morphos n’aient pas été spécifiquement étudiés de ce point de vue, il est probable que les déformations des ailes durant les différentes phases du battement soient très proches de celles étudiées et enregistrées par ailleurs. Ces déformations sont complexes, et elles aussi multi-échelles. 118
Vers une approche dynamique des propriétés optiques
Le battement des ailes n’est pas uniquement unidimensionnel (de haut en bas) mais comporte des phases critiques où l’aile effectue une rotation et subit des torsions. Cela se produit lors des changements de phase ascendante – descendante. De courte durée, nous négligerons ici ces phénomènes pour ne considérer que les plus longues. D’une manière générale, lorsque les ailes s’abaissent au cours d’un vol régulier, la pression lymphatique augmente dans les nervures, ce qui rigidifie la membrane. L’aile reste pratiquement plane durant cette phase du battement, ce qui augmente la portance de l’insecte. Durant la phase ascendante au contraire, les ailes s’assouplissent et s’incurvent, permettant un meilleur écoulement de l’air, ce qui permet à l’insecte de ne pas être trop fortement poussé vers le bas (fig. 5.3).
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Fig. 5.3 – Déformation des ailes durant les deux phases du battement d’un vol régulier. (a) Phase descendante. (b) Phase ascendante. M. menelaus.
Orientation des écailles C’est la plus petite modification liée au mouvement envisageable, et son effet sur la couleur perçue est minimal. Les écailles ne sont pas fixées à la membrane de manière rigide, mais leur pédicelle est articulé dans le pédoncule, agissant comme une rotule. Durant la phase ascendante du battement, les écailles sont plaquées sur la membrane, alors qu’elles s’en écartent dans la phase descendante. Durant cette dernière, l’angle d’incidence sur la structure photonique se trouve donc augmentée et la couleur légèrement décalée vers le bleu. Bien que jamais mesurée avec précision, cette variation angulaire, variable durant une phase donnée, peut être estimée à plusieurs degrés (fig. 5.4).
Fig. 5.4 – Déformation des ailes et mouvement des écailles durant les deux phases ascendantes et descendantes du battement.
119
Photonique des Morphos
Effets optiques générés Nous nous placerons dans un premier temps dans la situation d’un observateur virtuel situé au-dessus de l’insecte, voyant donc évoluer la face dorsale et iridescente d’un Morpho. Durant la phase descendante, toutes les incidences de la lumière sur l’aile, considérée comme plane, sont balayées. Un observateur qui resterait en position spéculaire, verrait ce battement accompagné d’un changement de teinte suivant la loi des interférences présentée chapitre 2, où l’angle θ est l’angle d’incidence sur les écailles, c’est-àdire l’angle sur l’aile augmenté de l’inclinaison des écailles (fig. 5.5).
Fig. 5.5 – Aspect de l’aile de M. menelaus durant la phase descendante du battement. Le changement d’inclinaison des écailles a été négligé ici.
On peut constater que durant la première partie du mouvement, tant que l’aile est en position subspinale, il n’y a pratiquement aucune lumière réfléchie vers le haut, et que l’insecte resterait pratiquement invisible sur un fond sombre. La situation est beaucoup plus complexe durant la phase ascendante du battement puisqu’à l’orientation moyenne de l’aile va se rajouter sa déformation (fig. 5.6).
Fig. 5.6 – Aspect de l’aile de M. menelaus durant la phase ascendante du battement.
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Vers une approche dynamique des propriétés optiques
La fonction de distribution bidirectionnelle de l’aile de M. rhetenor a été mesurée à l’aide du diffusomètre à transformée de Fourier Eldim dans les différentes configurations correspondantes à la phase descendante de l’aile (aile considérée comme plane) et une source lumineuse située à la verticale de l’insecte. On peut ainsi en déduire ce que peut en voir un observateur quelle que soit sa position. Il faut noter également que dans la première phase du battement, lorsque les ailes sont au-dessus du corps, une partie de la lumière réfléchie est interceptée par l’aile opposée et de nouveau réfléchie. On peut considérer dans un premier temps que cette réflexion secondaire est faible, et que l’on peut la négliger. L’aile opposée constitue dans ces conditions une ligne d’horizon que l’on peut faire apparaître sur les cartes, et qui réduit encore la zone de visibilité de l’insecte (fig. 5.7). Q
Fig. 5.7 – Évolution de la BRDF de M. rhetenor durant un battement descendant (aile plane) pour un éclairage spéculaire venant du dessus. Dans la première partie du battement, lorsque l’aile est au-dessus du corps, une partie de la lumière réfléchie peut être interceptée par l’aile opposée.
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Photonique des Morphos
Résumé 1 /HV0RUSKRVVRQWGHVLQVHFWHVFRPHVWLEOHVHW²GXPRLQVSRXUOHVHV SqFHVEOHXHVLULGHVFHQWHV²YLVLEOHVGHWUqVORLQ&·HVWSDUODG\QDPLTXH TX·LOVpFKDSSHQWDX[SUpGDWHXUV 2 Seules les plus grandes structures – ailes et écailles – sont affectées par le vol. Les écailles de la face dorsale sont plaquées à la membrane durant la phase ascendante du battement, elles s’en écartent durant la phase descendante. En vol régulier, l’aile est plate durant cette dernière et se courbe durant la première. 3 La BRDF de l’aile reste très étroite durant le battement et peut être tronquée par l’aile opposée lorsqu’elles sont en position subspinale. Pour un observateur fixe, on n’observe qu’une succession de flashes très courts qui, associés à un vol erratique, empêchent de visualiser une trajectoire.
Pour en savoir plus Balint Z, Berthier S, Boulenguez J, Welch V (2009) Morpholike butterfly Mercedes atnius (Herrich – Schäffer, 1853), Atalanta 40: 203-14 Betts CR, Wootten RJ (1998) Wing shape and flight behavior in butterflies (Lepidoptera: Papilionidaea and Hesperioidea): a preliminary analysis. Journal of Experimental Biology 138: 271-88 Dudley R (1991) Biomecanics of flight in neotropical butterflies: aerodynamics and mechanical power requirements. Journal of Experimental biology 159: 335-57 Srygley RB (1999)Locomotor mimicry in Heliconius butterflies: contrast analysis of flight morphology and kinematics. Philisophical Transaction of the Royal Society, London B354: 203-14 Srygley RB (2004) The aerodynamic cost of wining signals in palatable mimetic butterflies and their distasteful models. Proc. R. Soc. London B271: 589-94 Srygley RB, Ellington CP (1999) Discrimination of flying mimetic passionwine butterflies (Heliconius). Proc. R. Soc. London B266: 2137-40 Vukusic P, Sambles JR, Laurence CR, RJ Wootton(2001) Structural colour: now you see it, now you don’t. Nature 410: 36 Wheeler CH (1989) Mobilisation and transport of fuels to the flight muscles. In: Insect flight, Eds. Goldworthy GT, Wheeler CH, CRC press 273-303 Wootton RJ (1981) Support and deformity in insect wings. Journal of Zoology, London 193: 447-68 Wootton RJ (1993)Leading edge section and asymmetric twisting in the wings of flying butterflies (Insecta, Papilionidea). Journal of Experimental Biology 180: 105-17
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Imagerie
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’observation est la base incontournable et extrêmement plaisante et excitante de toute étude de structure. Les techniques modernes offrent une vaste panoplie de dispositifs, depuis la loupe binoculaire, jusqu’aux microscopes environnementaux. Ces appareils sont bien connus et la description qui en est faite ici est succincte et parcellaire. Elle n’a pour but que d’expliquer l’origine des illustrations de cet ouvrage, et de livrer dans quelques cas nos recettes personnelles qui ont permis leur réalisation. L’appareil photographique, et plus encore le numérique, a remplacé le dessin à la chambre claire dans l’observation microscopique, et on peut, par certains côtés, le regretter. On apprend infiniment moins en étudiant un tirage, parfois retouché, qu’en peinant à reproduire l’image à la main. La chambre claire, qui n’a pas été utilisée ici, mais dont je recommande l’usage à tout étudiant désirant se lancer dans l’étude des structures, a été inventé par le minéralogiste W.H. Wollaston en 1807, et a fort peu évolué depuis. Elle est schématiquement composée d’un jeu de miroirs ou de prismes capable d’envoyer l’image de l’objet observé sur une surface plane. En regardant simultanément la structure et son image sur le papier, on peut dessiner cette structure sans avoir à quitter l’oculaire (fig. 6.1). Cette méthode, longue à mettre en œuvre, qui obligeait à traiter un objet tridimensionnel plan à plan, permettait, tout en nous « apprenant » la structure d’en obtenir une représentation 3D. Ce résultat est obtenu aujourd’hui beaucoup plus rapidement à l’aide de logiciels de traitement d’image tels que celui présenté ici. On y gagne un temps considérable, mais le temps d’observation n’est jamais perdu… Les techniques de microscopie électronique à balayage (MEB) et en transmission (MET) sont classiques et ne seront qu’évoquées. En revanche, nous détaillerons plus notre technique de préparation des coupes ultraminces d’écailles pour le MET, qui est plus longue et délicate.
Microscopie photonique La base du microscope photonique utilisé ici est un microscope de recherche classique Olympus B x 51. Doté de deux sources halogènes réglables
Fig. 6.1 – Schéma d’une des premières chambres claires par le procédé des deux miroirs (selon Zeiss).
Photonique des Morphos
de 0 à de 100 Watts, il peut fonctionner en réflexion comme en transmission. Il est équipé de cinq objectifs pour la réflexion (x 5, x 10, x 20, x 40, x 100) et d’un objectif à immersion x 100 pour la transmission. Sur cette base, plusieurs séparateurs permettent d’effectuer de la microphotographie d’une part, de la microspectrographie de l’autre. Enfin, l’ensemble est monté sur un support en acier permettant d’effectuer des observations en position horizontale, indispensable par exemple pour les mesures précises d’hydrophobie des ailes. Une source annexe à fibre permet par ailleurs des éclairements sous incidence variable. Les lames de microscopie sont déposées sur une double platine à translation et rotation (fig. 6.2).
Fig. 6.2 – Vue d’ensemble du microscope photonique équipé de l’appareil de prise de vue et du microspectrophotomètre. Les deux appareils sont pilotés par ordinateur. Une source halogène à fibre annexe permet des éclairages en incidences variables.
L’appareil photographique est un appareil numérique de 3,3 millions de pixels, piloté par ordinateur. Les prises de vue sont gérées à l’aide du logiciel Imagin d’Olympus permettant entre autre, la reconstruction d’images nettes par partie. Toutes les images de microscopie photonique présentées dans cet ouvrage sont des images reconstituées selon ce principe (fig. 6.3).
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Imagerie
Fig. 6.3 – Reconstitution d’une image nette (d) à partir d’une série d’images nettes par partie. Le procédé, manuel pour ce travail, peut être automatisé (M. didius, x 20).
Pour l’observation d’exemplaires uniques ou rares qui ne peuvent être détruits, il est possible de procéder à un examen non destructif sur l’ensemble du papillon. L’insecte est fixé sur une platine annexe à deux ou trois degrés de liberté et glissé sous la colonne optique qui a été rehaussée àl’aide d’une cale d’épaisseur. La mise au point se fait alors à l’aide de cette platine et non plus par celle, généralement beaucoup plus fine, du microscope. Il faut noter que l’échantillon est désolidarisé de la platine d’entraînement piézo-électrique du spectroscope et qu’il n’est plus possible, dans ces conditions, de n’effectuer de spectre que d’une seule ligne sur l’aile (fig. 6.4).
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Photonique des Morphos
Fig. 6.4 – Adaptation du microscope à l’examen d’insectes entiers. Plusieurs rehausses de ce type peuvent être superposées. La platine annexe présentée ici n’a que deux degrés de liberté (X,Z) (M. rhetenor cacica).
Microscopie confocale La microscopie confocale – on pourrait dire « monofocale » – est une technique récente qui permet de s’affranchir de la perte de résolution axiale des microscopes photoniques traditionnels, due à la superposition d’informations issues de plusieurs strates, et de conserver uniquement celles provenant du plan focal. L’éclairage est évidemment monochromatique pour éviter toute aberration chromatique (laser) et la surface ou l’interface analysée point par point est parcourue de manière séquentielle à l’aide de miroirs de balayage. Un diaphragme variable extrêmement petit (trou d’aiguille ou « pinhole ») est disposé devant les détecteurs. Il élimine tous les rayons issus de plans autres que le plan focal. La profondeur du plan focal est modifiée à l’aide d’un dispositif piézo-électrique. Le pas d’ajustement est typiquement de l’ordre de 0,1 μm. La résolution axiale reste bien sûr celle du microscope optique classique. Une représentation tridimensionnelle de l’interface est enfin obtenue par reconstruction d’une pile de coupes sériées 2D (fig. 6.5). 128
Imagerie
Fig. 6.5 – Principe général de la microscopie confocale. Seuls les rayons issus du plan focal passent à travers le diaphragme et atteignent le détecteur. Il est ainsi possible, pour des objets transparents, de faire une topographie d’interfaces cachées.
Cette technique et sa résolution axiale sont idéales pour la détermination de la topographie des écailles. Il est également possible de visualiser n’importe quelle interface en volume, donc par exemple d’aller analyser la surface d’écailles de fond, ou de la membrane alaire elle-même, masquée par une couche continue d’écailles de recouvrement. La figure 6.6 est une représentation 3D de la surface supérieure des écailles de fond de M. rhetenor. On peut observer, bien qu’elles apparaissent très planes, une déformation relativement permanente et un chevauchement latéral qu’il est possible de quantifier. L’écaille se présente sous forme d’une vallée très évasée, orientée selon l’axe de l’écaille, de 1 μm de profondeur en moyenne, ce qui correspond à une déclivité inférieure à 1 degré, ce qui dans ce cas n’a qu’une influence modeste sur l’aspect visuel de l’écaille, mais dont il faudrait tenir compte dans d’autres cas (fig. 6.7 et fig. 6.8). Le chevauchement latéral, qui ne se produit qu’en certains endroits de l’aile, incline quant à lui les écailles de 4 à 5 degrés, ce qui a une bien plus grande incidence sur ses propriétés optiques.
D
E
Fig. 6.6 – Représentation tridimensionnelle d’écailles de fond de M. rhetenor (a). Représentation en fausses couleurs de la topographie d’une écaille de fond (b).
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Photonique des Morphos
Fig. 6.7 – Topographie de surface d’une écaille de fond de M. rhetenor. Toutes sont légèrement incurvées le long de leur axe longitudinal, et présentent une vallée de 0,6 μm à 1 μm de profondeur environ.
Fig. 6.8 – Topographie d’une ligne d’écailles de M. rhetenor. Les écailles se recouvrent légèrement par un bord, ce qui les incline latéralement d’un angle de 4° environ (a). Vue au microscope confocal (b).
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Imagerie polarimétrique Invasive : non monochromatique
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La lumière, issue de différents lasers, traverse un polariseur linéaire tournant, ou un polariseur suivi d’une lame quart d’onde (λ/4) générant une onde polarisée circulairement à droite ou à gauche. Le même dispositif sera traversé par la lumière rétrodiffusée par l’objet étudié, avant d’atteindre une caméra CCD mesurant l’intensité. Ainsi, n’importe quel état de polarisation peut être envoyé sur l’objet, et n’importe quel état mesuré après réflexion, indépendamment de l’état incident. On peut donc mesurer non seulement les facteurs de réflexion de la structure pour une polarisation donnée, mais, également les changements de polarisation et la dépolarisation. La caméra est inclinée de 15° sur l’axe optique afin de s’affranchir des réflexions spéculaires. Les 16 éléments de la matrice de Mueller (fig. 6.9) sont obtenus par 49 mesures d’intensité. L’élément de matrice M11 correspond à la lumière totale rétrodiffusée lorsque le faisceau incident est non polarisé. Il est utilisé comme référence pour tous les autres éléments de la matrice.
Imagerie
Nous avons déjà évoqué au chapitre 2 les deux modes d’imagerie possibles, dans l’espace réel et dans l’espace réciproque, ainsi qu’un exemple de matrice obtenue dans chacun de ces modes. Chacun des éléments de la matrice porte un certain nombre d’information d’interprétation plus ou moins évidente. Outre les éléments symétriques M42 et M24 déjà évoqués, on peut citer, dans le cas de M. rhetenor, l’élément M13 faisant apparaître le comportement du dichroïsme et son orientation (fig. 6.10). Ce phénomène nouveau et son origine n’ont pas encore été clairement explicités.
Fig. 6.9 – Vue générale de l’installation du laboratoire LPICM de l’École Polytechnique (Palaiseau) et schéma de principe de la mesure polarimétrique.
Fig. 6.10 – Élément M13 sur une échelle de – 0,3 à 0,3. Orientation du dichroïsme (origine des angles : horizontale).
Microscopie électronique Microscopie électronique à balayage (MEB) Les images de MEB de cet ouvrage ont, dans leur très grande majorité, été réalisées au Laboratoire d’interfaces et systèmes électrochimiques (LISE), UPR, CNRS, Université Pierre et Marie Curie n° 15 sur deux microscopes : un Leo 440 et un FEG Zein ultra 55 plus récent. Les échantillons sont recouverts, par pulvérisation cathodique, d’une couche d’or d’une vingtaine d’Angstroem. Cette épaisseur, relativement grande, est nécessaire pour éviter que l’échantillon ne se charge durant l’observation. Les structures très aériennes des écailles et le nombre très restreint de points de contact avec le substrat (les pédicelles) ne permettent cependant pas toujours, même avec une telle épaisseur de conducteur, une bonne évacuation des charges. La plupart des images sont obtenues à partir des électrons secondaires. Dans certains cas cependant, en particulier avec les échantillons ayant tendance à se charger, les électrons rétrodiffusés ont donné de meilleurs résultats (fig. 6.11). 131
Photonique des Morphos
Fig. 6.11 – Microscopie électronique à balayage (FEG) d’un ocelle de la face ventrale de M. achilles. En électrons secondaires à gauche, en électrons rétrodiffusés à droite.
Fig. 6.12 – Vue au MET d’une coupe d’écaille entière de M. menelaus (gauche). Détail d’une strie et de ses lamelles disposées en quinconce de part et d’autre de l’axe (droite).
132
Microscopie électronique en transmission (MET) La microscopie électronique en transmission est une technique plus lourde à mettre en œuvre car elle exige la réalisation de coupes ultraminces qui sont longues et délicates (fig. 6.12). Elle est donc moins souvent utilisée, même si elle permet des observations et des mesures beaucoup plus précises que ne le fait le MEB où les mesures de dimensions sont souvent biaisées par la perspective. Elle permet également de localiser les pigments dans la structure, ce qui est impossible au MEB. Notre technique de préparation des inclusions d’écaille pour la microtomie est Q présentée en détail dans l’encadré 6.1.
Imagerie
Technique d’inclusion des écailles La technique présentée ici est celle pratiquée par le Laboratoire systématique, adaptation, évolution UMR CNRS, Université Pierre et Marie Curie n° 7138 pour l’inclusion d’écailles isolées en vue des coupes à l’ultramicrotome ayant donné les meilleurs résultats. Ce n’est donc pas la seule, et elle est donnée à titre indicatif. En quatre étapes successives, elle permet une parfaite imprégnation de la structure par la résine. 1 – Déshydratation Même pour des échantillons de collection, et a fortiori pour des échantillons frais, les écailles doivent être déshydratées soigneusement. Toutes les manipulations à l’oxyde de propylène sont effectuées sous hôte à température ambiante. %Premier bain : Alcool 100°/oxyde de propylène (50/50) (10 min). %Second bain : Oxyde de propylène (10 min). 2 – Préparation de la résine (Epon) pour imprégnation et lits d’inclusion Epikote 812 DDSA (durcisseur) MNA (plastifiant)
4,5 mL 3 mL 2,5 mL 10 mL
Agitation magnétique 15 min sous hôte.
3 – Imprégnation L’imprégnation se fait par étapes successives dans une salière avec des résines de moins en moins fluides pour permettre une parfaite diffusion du fluide dans la structure. L’Epon préparée précédemment est diluée en proportions variables dans de l’oxyde de propylène (OP). Les durées d’imprégnation, longues, sont données à titre indicatif. Les échantillons imprégnés doivent être placées au réfrigérateur dans une boîte de Pétri scellée entre chaque étape. OP
Epon
Temps
3/4
1/4
12 h
1/2
1/2
7h
1/4
3/4
36 h
0
1
4 – Inclusion C’est l’étape la plus délicate. Les lits d’inclusion emplis d’Epon pure sont étuvés à 60°, les salières d’imprégnation à 50° dans une étuve à vide pur les faire dégazer pendant 1 h. Les écailles imprégnées sont disposées sur le lit d’inclusion en veillant à sa parfaite orientation. L’ensemble est recouvert d’une couche d’Epon complète, et l’ensemble placé dans une étuve à 60° pour 48 h environ.
Résumé 1 Toutes les techniques d’imagerie traditionnelles, photonique ou électronique, ont été utilisées. Elles fournissent des informations différentes à une échelle donnée, et les recoupements sont souvent délicats. 2 Les techniques donnant accès à la topographie de l’aile montrent que celle-ci est elle aussi multi-échelle. Des inclinaisons systématiques des structures photoniques apparaissent à toutes les échelles qui peuvent influer sur l’aspect coloré de l’ensemble. 3 Ces inclinaisons dépendent de l’échelle d’observation. À l’échelle de la strie, l’inclinaison des lamelles sur le plan de l’écaille, qui peut dépasser les 15°, est axiale. L’écaille peut elle-même être inclinée latéralement, et parfois pliée le long de son axe. Les angles sont généralement assez faibles, de l’ordre de quelques degrés. Enfin, certaines écailles sont courbes, avec des rayons de courbures assez faibles, de l’ordre de quelques dizaines de μm. 133
Photonique des Morphos
4 Les techniques de microscopie électronique à balayage sont, dans le cas des Morphos, d’une mise en œuvre délicate. Les structures très aériennes des écailles minimisent les contactes avec le substrat conducteur, conduisant à des effets de charges parfois important. Il faut préférer le dépôt de couches conductrices par évaporation cathodique, qui enrobe plus les structures que les techniques par canon.
Pour en savoir plus Sur l’imagerie polarimétrique Brisset F, Repoux M, Ruste J, Grillon F (2008) Microscopie électronique à balayage et microanalyses, EDP Sciences, 2009 Goldstein JL, Newbury DE, Echelin P et al. (2003) Electron guns, Scanning electron microscopy and X-ray microanalysis, Plenum Press, New York Hielsher AH, Eick AA, Mourant JR (1997) Diffuse backscattering Mueller matrices of highly scattering media. Optics express 1: 441 Sur les matrices de Mueller Huard S (1994) Polarization de la lumière. Paris, Masson Sur la polarisation de la lumière diffractée Schulz FM, Stammes K, Weng F (1999) VIDISORT: an improved and generalized discrete ordinate methode for polarized radiative vector. J Quant Spectrosc Radiat Transfer 61: 1005 Kusceri I, Rubaric M (1959) Matrix formalism in the theory of diffusion of light. Optica Acta 6: 42 Siewert CE (1981) On the equation of transfer relevant to the scattering of polarized light. The Astrophys J 245: 1080 Siewert CE (1982) On the phase matrix relevant to the scattering of polarized light. Astrophys J 109: 195 Gel’fand IM, Shapiro ZY (1956) Representation of the group of rotations of 3-dimensional space and their application. Am Math Soc Translation 2: 207 Hovienier JW, Van Der Mee CVM (1983) Fundamental relationships relevant to the transfer of polarized light in the scattering atmosphere. Astron Astrophys 128: 1
134
Topographie et nervation des ailes Méthodes de moiré et radiographie
L
a détermination de la topographie macroscopique de l’aile n’est pas la tâche la plus aisée. L’aile est en effet un organe fragile et souple et sa surface doit donc être analysée par des techniques non destructives et sans contact. Cette détermination est par ailleurs fondamentale si on veut apprécier le message coloré délivré par les Morphos qui est dû à des couleurs physiques, très sensibles à l’incidence lumineuse, donc à la topographie de l’aile, éventuellement à ses déformations. Les ailes sont sous-tendues par un réseau de nervures caractéristique de chaque espèce et qui est bien plus qu’un simple squelette. D’une rigidité variable selon les phases du battement, les nervures, tout en assurant leur rôle circulatoire, donnent à l’aile sa forme générale et sont le pilier de sa topographie. Les méthodes retenues ici sont celles qui ont été développées pour l’étude des déformations des œuvres d’art et de leurs structures cachées, ce qui, pour les chefs-d’œuvre que sont les Morphos, est bien la moindre de choses (fig. 7.1).
Fig. 7.1 – Les plis caractéristiques et permanents de l’apex des ailes antérieurs des Morphos (ici M. cypris).
Photonique des Morphos
Surface alaire Dernier et plus grand élément de la structure multi-échelle, l’aile – même au repos – n’est pas une surface plane. Cette caractéristique qui, chez un insecte pigmentaire, ne modifierait que fort peu son aspect, prend une importance non négligeable dans le cas de couleurs structurales, très sensibles à l’orientation des faisceaux lumineux, et participe de façon importante au message coloré délivré. Comme nous le verrons dans le chapitre consacré à la dynamique de l’aile, celle-ci se déforme au cours du vol, ce qui modifie encore son aspect. Mais nous nous intéresserons tout d’abord aux déformations permanentes de l’aile, stigmates de sa croissance dans la chrysalide. Ces déformations sont de relativement faible amplitude, typiquement la demie cellule alaire, comparées aux déformations de l’aile en mouvement, et elles confèrent à l’animal un motif iridescent permanent, assez proche de ceux produits chez d’autres espèces, ou sur eux-mêmes, sur la face ventrale, par les pigments (fig. 7.2a et b).
Fig. 7.2 – Motifs colorés iridescents sur la face dorsale de Morpho augustina (a) et motifs pigmentaires sur la face ventrale (b).
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E
Compte tenu de la nature de cette surface, la topographie ne peut être déterminée que par des méthodes non destructives sans contact, telles celles développées pour l’analyse des œuvres d’art. Les méthodes optiques, basées sur le phénomène de moiré, sont particulièrement bien adaptées. Elles permettent en effet de déterminer la topographie de grandes surfaces, avec une résolution pouvant atteindre le micromètre. Dans un premier temps, nous rappellerons le principe du moiré et établirons les équations fondamentales permettant de remonter à la topographie d’une surface, puis nous présenterons les deux techniques utilisées, appliquées à deux Morphos du sousgenre Megamede : le moiré projeté et le moiré d’ombre.
Théorie : moiré de motifs parallèles Le principe du moiré est identique à celui d’un Vernier. Lorsque deux motifs périodiques, de périodes spatiales légèrement différentes, sont superposés, un nouveau motif périodique apparaît directement relié à cette différence de périodicité : c’est le moiré. Considérons deux motifs périodiques formés de lignes parallèles de périodicité spatiales p et p + bp. Lorsqu’on superpose ces deux grilles, une ligne de la seconde se retrouve périodiquement couverte par une ligne de la première, faisant apparaître une zone claire par opposition aux zones sombres où les deux lignes sont juxtaposées (fig. 7.3). 136
Topographie et nervation des ailes. Méthodes de moiré et radiographie
Une telle bande sombre apparaît lorsque le décalage est égal à p/2. Sachant que la ne ligne de la seconde grille est décalée de nbp par rapport à la ne ligne de la première, cette bande sombre apparaît lorsque : (7-1) Fig. 7.3 – Formation d’un moiré par deux réseaux de pas différents.
(7-2)
soit : La distance entre une zone sombre et une zone claire est donc :
(7-3) ce qui conduit à une périodicité du moiré de : (7-4) Nous constatons donc tout d’abord que plus le pas du réseau p est grand, et plus le pas du moiré 6 est grand. Et également que plus la différence des périodicités spatiales bp est grande et plus 6 est petit. Ces résultats, importants lorsque l’on utilise le moiré comme instrument de mesure, se retrouvent tout aussi simplement à partir de deux motifs continûment variables suivant des lois sinusoïdales, de périodes spatiales différentes : (7-5) de pas respectivement égaux à p1 = 1/k1 et p2 = 1/k2. Lorsqu’on superpose ces deux motifs, l’intensité résultante est donc de la forme : I(x) = I0[sin 2/k1x + sin 2/k2x] soit :
(7-6)
où la loi sinusoïdale de basse fréquence spatiale correspond à l’enveloppe de la première, de haute fréquence spatiale. La longueur d’onde de cette enveloppe, constituant le moiré, est donc donnée par :
soit :
.
(7-7)
Si bp = p1 – p2 << pi (i = 1, 2). On retrouve ainsi l’expression de la périodicité apparente du moiré (la distance entre deux zones sombres successives) (équation 4) établie avec des motifs discrets :
137
Photonique des Morphos
(7-8)
Détermination de la topographie Le moiré est couramment utilisé pour déterminer les déformations d’un objet. Il suffit pour cela de créer un moiré entre un réseau de référence et l’image de ce réseau projeté sur l’objet. Sur une surface parfaitement plane, ces deux réseaux ont la même périodicité spatiale et il n’y a pas formation de moiré. Si l’objet est déformé dans une direction quelconque de l’espace, la grille projetée voit son pas varier localement et un moiré apparaît dont la période permet de remonter à la déformation. Considérons une surface plane et horizontale sur laquelle on projette un réseau de pas p1. Si nous inclinons cette surface d’un angle α, le pas du réseau sur la surface augmente et devient p2 = p1(1 + ¡), soit un écart bp = p1¡. Un moiré apparaît alors dont le pas, d’après l’équation (7-4) est : (7-9) où ¡, comme on peut le voir sur la figure 7.4 est relié à l’angle α par : (7-10) ou encore
Fig. 7.4 – Déformation d’un réseau liée à l’inclinaison d’une surface. La grille est éclairée en incidence normale ; grille et ombre projetée sont observées en oblique (flèche rouge). Si la surface est parallèle à la grille, les pas des deux réseaux sont égaux : il n’y a pas formation de moiré. Si elle fait un angle, un moiré apparaît dont le pas dépend de cet angle.
138
cos α 5 (1 – ¡) pour de faibles déformations.
Dispositif expérimental Deux techniques différentes ont été utilisées pour déterminer les déformations permanentes des ailes de deux Morphos du sous-genre Megamede : Morpho cypris et Morpho augustina.
Topographie et nervation des ailes. Méthodes de moiré et radiographie
Le moiré projeté C’est la technique la plus simple à mettre en œuvre : des images de grilles de pas différents sont successivement projetées sur le papillon à l’aide d’un vidéo-projecteur, et leurs déformations, dues à la topographie de la surface, analysées (fig. 7.5).
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Fig. 7.5 – Le dispositif expérimental du laboratoire de mécanique de Poitiers. La caméra digitale est installée dans l’axe du papillon, le vidéo-projecteur est situé derrière, légèrement désaxé sur la droite. L’ensemble est piloté par ordinateur (a). La grille projetée sur Morpho cypris (b).
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Des vues de Morpho cypris et de sa topographie en fausses couleurs sont présentées sur les photos de la figure 7.6. On constate que les ailes sont fortement déformées à leur périphérie. On retrouve en particulier les plis triangulaires formant des motifs colorés en bordures des ailes antérieures et postérieures présentés précédemment, alors que le reste des ailes est moins déformé. Une reconstitution 3D de ces plis est présentée sur la figure 7.6d.
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Fig. 7.6 – Une grille projetée sur Morpho cypris (a). La topographie en niveaux de gris (c) et en échelle de couleurs (b). L’ensemble de la barre colorée représente une hauteur de 3 mm. Une reconstitution 3D des plis triangulaires des cellules cubitales supérieures droites Cu1 et Cu2 (d).
Le moiré d’ombre Cette technique, plus délicate à mettre en œuvre, consiste à créer un moiré entre une grille de référence placée juste devant l’objet, et l’ombre de cette même grille projetée sur la surface étudiée (fig. 7.7a). Les déformations de cette sur139
Photonique des Morphos
face modifient le pas du réseau « ombre » créant ainsi le moiré. Une mesure du pas de ce moiré permet, à l’aide des équations précédentes, de remonter aux déformations locales et de dresser la carte des hauteurs. L’avantage de cette technique est que ce moiré représente directement les courbes de niveau de l’objet. Elle nécessite cependant l’usage d’une grille très serrée si on veut obtenir un nombre raisonnable de lignes de niveau, et donc une bonne résolution.
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Fig. 7.7 – Technique du moiré d’ombre. (a) Dispositif expérimental. (b) Topographie 3D de l’apex de l’aile antérieure de M. eugenia. (c) Vue générale de la topographie en fausse couleur.
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Radiographie : étude des nervures Les rayons X, découverts par Roëntgen en 1896, ont depuis longtemps été utilisés pour ausculter des structures invisibles à l’œil nu, enfouies, cachées par d’autres éléments. Le principe bien connu repose sur le grand pouvoir de pénétration de ces ondes et sur leur différence d’absorption par les matériaux, en fonction de leur nature (certains éléments absorbent plus que d’autres) ou de leur épaisseur (plus la structure est épaisse et plus elle absorbe). C’est le cas en particulier des nervures des ailes des lépidoptères, de composition très voisine de celle de la membrane alaire, mais beaucoup plus épaisse que cette dernière. Selon les espèces, la membrane ne mesure que de 10 à 25 μm d’épaisseur, alors que les nervures, constituées à l’origine d’un bourrelet sclé140
Topographie et nervation des ailes. Méthodes de moiré et radiographie
rifié de membrane, peuvent atteindre plus d’1 mm de diamètre à la base des ailes. La radiographie permet une analyse fine du réseau de nervures, qui est une caractéristique de chaque espèce. Compte tenu des épaisseurs très fines mises en jeu, on ne peut utiliser que des rayons X peu énergétiques, l’objet devant être alors placé sous atmosphère d’hélium pour éviter leur diffusion par les molécules de l’air, ce qui nuirait à la résolution de l’image. Un tel dispositif a été mis au point au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) au Louvre pour l’étude des œuvres d’art. Deux techniques différentes ont été employées. La première, plus classique, utilise un faisceau parallèle de rayons X issus d’une source large. Le papillon est disposé pratiquement au contact du film photographique, sous un flux continu d’hélium. La tension d’accélération des électrons est relativement faible (5 kV), ce qui génère des rayons X de faible énergie, de l’ordre de 3,5 eV (fig. 7.8 et fig. 7.9). La résolution optimale est de l’ordre de 60 μm.
Fig. 7.8 – Radiographie de M. rhetenor.
Fig. 7.9 – Les deux techniques de radiographie utilisées au laboratoire de recherche et de restauration des musées de France. (a) Source large. (b) Source ponctuelle en sortie de l’accélérateur Aglae.
141
Photonique des Morphos
La seconde technique consiste à utiliser une source ponctuelle de rayons X. Le faisceau est alors largement divergent. En plaçant le film à différentes distances derrière le papillon, on modifie en proportion le grandissement de l’image (fig. 7.9b) On peut ainsi atteindre des résolutions très importantes, de l’ordre du micromètre, ce qui permet l’étude des structures fines ■ des écailles.
Résumé 1 La détermination de la topographie macroscopique d’une aile de papillon est probablement la plus délicate. Les ailes sont souples et fragiles : on ne peut utiliser que des méthodes non invasives et sans contact. 2 Dernière échelle de la structure, et support de toutes les plus petites, les ailes présentent des déformations permanentes, mais également des temporaires, en particulier lors du battement, ce qui affecte fortement l’aspect visuel de l’insecte. Étudiées ici en statique, les déformations permanentes évoluent probablement durant le vol, mais aucune étude n’a encore été engagée dans cette direction. 3 Les techniques de moiré d’ombre et de moiré projeté permettent une détermination précise des déformations permanentes de l’aile. Selon la taille de la maille utilisée, la résolution peut atteindre la centaine de microns, c’est-à-dire la taille d’une écaille. 4 La radiographie de rayon X permet une détermination extrêmement précise du réseau de nervures des ailes. L’extrême finesse des ailes rend cette opération délicate, veine et membrane ne se distinguant que par leur épaisseur. On doit utiliser des rayons X de très faible énergie, ce qui impose de prendre les clichés sous un flux permanent d’hélium pour éviter la diffusion des rayons par les particules de l’air.
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Désordre structural
N
ous avons déjà largement évoqué et illustré le fait que la structure d’une aile de papillon est une structure multi-échelle. Un certain nombre de phénomènes s’y produisent qui collaborent à la production d’un effet unique, et qui s’analysent ou se traitent à des échelles de taille caractéristiques différentes. Dans le meilleur des cas, ces échelles sont bien séparées, mais il peut arriver parfois qu’elles se recouvrent partiellement. Du point de vue de la simulation numérique, et donc de la compréhension de ces phénomènes, cette situation est d’un énorme complexité, et demande l’utilisation de méthodes d’homogénéisation, dont nous donnerons quelques exemples dans la troisième partie de cet ouvrage. Elle procure au contraire à l’insecte un grand avantage : la stabilité, également appelée « robustesse » du phénomène. C’est le cas en particulier de la couleur des Morphos qui est d’une remarquable constance au sein d’une espèce donnée. Chaque niveau de cette structure est caractérisé par un certain degré de désordre qui participe à la robustesse de l’ensemble, contrairement à une structure mono-échelle ou trop parfaite, très sensible à la moindre modification d’un paramètre. Ce chapitre est consacré à la quantification du désordre caractéristique de chaque échelle.
Entropie de configuration Le désordre est à la fois une notion très intuitive et difficile à quantifier (cf. Encadré 8.1). Les figures 8.1a et 8.1b en sont une parfaite illustration. Il s’agit d’une vue au microscope électronique à balayage de deux écailles de M. marcus. Les stries de la première sont d’une étonnante régularité et forment un réseau quasi parfait, alors que celles de la seconde sont visiblement plus désordonnées. Les mesures sur cette dernière montrent cependant que la distance moyenne entre stries, qui est le paramètre fondamental d’un réseau, est strictement identique à celle de la première. La structure est ordonnée à l’échelle de la strie, mais présente des fluctuations à une échelle inférieure. La notion de taille d’analyse est ainsi indissociable de celle de désordre : telle structure ordonnée à une échelle donnée ne le sera pas à une échelle plus grande ou plus petite, et les propriétés optiques liées à cette taille en seront différemment affectées.
Photonique des Morphos
Fig. 8.1 – Vues au microscope électronique à balayage de deux écailles de M. marcus. La première est d’une étonnante régularité, alors que la seconde semble plus désordonnée. La distance inter-strie moyenne est cependant rigoureusement la même.
La notion d’entropie de configuration a été introduite par Brillouin en 1959 pour caractériser la probabilité de réalisation d’un état statistique, ou encore la quantité d’informations contenue dans un arrangement donné. Comme l’a illustré la figure précédente, il existe une taille optimale de la cellule d’observation de la structure. Dans le cas présent de structures multi-échelles, il conviendra de définir cette taille optimale pour chacune des échelles. La taille la plus souvent retenue est celle pour laquelle l’entropie est maximale. Dans une cellule d’observation de taille donnée, on appelle N le nombre de configurations possibles et pk la probabilité de rencontrer une configuration k. On peut alors définir, par analogie avec la thermodynamique statistique, l’entropie de configuration par :
.
(8-1)
Cette entropie normalisée est bien une fonction bornée entre 0 et 1. Dans le cas d’un désordre parfait, toutes les configurations sont équiprobables, soit : pk = 1/N,
(8-2)
G·R 6 Dans le cas au contraire d’un ordre parfait, nous n’avons qu’une configuration possible de probabilité : (8-3) pk = 1, 6RLW
6
Désordre multi-échelle Toute structure biologique est profondément polyvalente dans ses fonctions et la production d’un effet visuel n’est certainement pas le but prioritaire d’une aile. Aussi, nous nous sommes focalisés sur les paramètres ayant une incidence directe sur les propriétés optiques, en négligeant d’autres grandeurs, comme la taille des écailles par exemple, pouvant influer sur 144
Désordre structural
Milieu désordonné ou mal ordonné ? Une difficulté de cette approche est que, contrairement à la thermodynamique classique où toute configuration est a priori possible, les milieux étudiés ici – les structures photoniques naturelles – restent relativement ordonnés. Le désordre de ces structures ne constitue, dans bien des cas, qu’une faible perturbation d’un parfait agencement. Il est donc nécessaire, pour que les valeurs d’entropie déterminées aient un sens pratique de définir, pour chaque type de mesure, une fourchette de valeurs réalistes et de ne calculer les probabilités d’occurrence d’une grandeur que dans cette fourchette. Ainsi par exemple, l’épaisseur des lamelles de M. menelaus ne varie qu’entre 150 et 180 nm. On définit alors un pas de mesure p (par exemple, p = 5 nm) permettant d’échantillonner les épaisseurs et de calculer les probabilités. On peut montrer que le pas optimum est celui pour lequel l’entropie est maximum. La figure ci-dessous montre
que, dans le cas de M. menelaus, ce pas optimum est de 8 nm.
Fig. E.8.1.1 – Évolution de l’entropie moyenne des épaisseurs de lamelles (M. menelaus) en fonction de la taille du pas d’échantillonnage.
d’autres propriétés, mécaniques ou thermiques. Les grandeurs analysées, ou pouvant éventuellement l’être, sont présentées dans le tableau I, ainsi que leur effet principal sur les propriétés optiques. L’entropie de chaque grandeur est ensuite analysée et illustrée, de la plus petite vers la plus grande. Tableau I – Grandeurs analysées et effets sur les propriétés optiques.
Grandeur
Phénomène et effet optique
Épaisseur des lamelles
Interférence, teinte
Distance inter-stries
Diffraction, dispersion angulaire
Rectitude des stries
Diffraction, élargissement des ordres
Orientation des écailles
Diffraction, dispersion et élargissement
Épaisseur des couches Nous avons vu que la teinte, ou la couleur dominante de l’aile, est directement reliée à l’épaisseur des lamelles composant les stries, de même que l’amplitude de l’iridescence. Il est en principe possible, avec une couche interférentielle judicieusement choisie, de balayer l’intégralité du spectre visible en faisant varier l’angle d’incidence de la lumière sur cette couche. Or, la couleur d’une espèce donnée de Morpho est d’une part d’une étonnante stabilité d’un individu à l’autre et, d’autre part, ne présente qu’une relativement faible iridescence, essentiellement dans le bleu, avec une excursion dans les pourpres à forte incidence. C’est là une première illustration de la 145
Photonique des Morphos
robustesse de cet effet optique, qu’on peut directement attribuer à l’entropie d’épaisseur des lamelles. Les mesures les plus précises sont effectuées sur des clichés de microscopie électronique en transmission (MET), mais des clichés de microscope à balayage, plus simple de réalisation, peuvent également convenir dans certain cas, mais peuvent parfois poser des problèmes de parallaxe qui faussent les mesures (fig. 8.2).
D
Fig. 8.2 – Mesure de l’entropie de l’épaisseur des lamelles (a) et de la distance entre lamelles (b) d’une écaille basale de M. menelaus à partir d’un cliché de TEM. Épaisseurs des lamelles de M. aega à partir d’un cliché MEB (c).
E
F
Pas du réseau de stries et orientation des écailles À ce niveau, l’effet optique produit est la diffraction par un réseau, qui peut être représenté, dans le cas le plus simple de diffraction classique par l’équation (2-4). L’angle de diffraction i’ dépend à la fois des caractéristiques géométriques du réseau (pas, nombre de traits par unité de longueur, etc.), mais également de l’angle d’incidence i. Toute variation de l’un de ces paramètres entraîne une variation de l’angle de diffraction 146
Désordre structural
ou, pour un angle donné, de la longueur d’onde observée, et donc à terme, dans notre cas, un élargissement de la BRDF ou de la directivité du message coloré. Pas du réseau Comme le montrent les deux vues de microscopie à balayage (fig. 8.1), deux types de mesures s’imposent. On peut en effet observer des variations plus ou moins importantes dans le pas des stries par ailleurs parfaitement rectilignes, mais également le long des stries qui, chez le même individu, peuvent en certains endroits, devenir sinueuses, quand bien même le pas moyen resterait-il très régulier. Dans les deux cas, ces variations de pas, qui se produisent à des échelles différentes, conduisent au même effet : un élargissement de chaque ordre de diffraction autour de la valeur moyenne. Dans le premier cas, les statistiques sont effectuées sur les pas moyens, mesurés sur divers endroits de l’ensemble de stries (fig. 8.3). Dans le second, les mesures s’effectuent le long de deux stries, sur toute leur longueur.
Fig. 8.3 – Les deux types de mesure de distance inter-strie. Dans la première, les statistiques s’effectuent sur l’ensemble de toutes les distances mesurées entre toutes les stries disponibles. Dans la seconde, les mesures sont effectuées entre deux stries tout le long de celles-ci. Les mesures montrent que le système n’est pas strictement stochastique et que les résultats sont légèrement différents (M. marcus).
Rectitude des stries Cette notion est plus complexe à quantifier. Une méthode consiste à mesurer les angles que font de petits tronçons de strie par rapport à une direction de référence. Une grille est superposée sur le réseau, afin d’avoir un pas régulier. L’opération – en trois étapes – consiste alors à mesurer l’angle entre deux tronçons consécutifs (fig. 8.4).
Fig. 8.4 – Les trois étapes de détermination des angles. Le résultat dépend fortement de la taille d’analyse (le pas du réseau projeté). Ce pas est ici de 1 μm et conduit à l’entropie maximale (M. marcus).
147
Photonique des Morphos
Orientation des écailles Les variations dans l’orientation axiale des écailles, c’est-à-dire d’un point de vue optique, des microréseaux de diffraction sont certainement l’une des causes majeures d’élargissement latéral de la bidirectionnal reflectivity distribution function (BRDF). Les angles de diffraction dépendent en effet, comme l’indique la formule de base des réseaux, de l’angle d’incidence et toute variation de ce dernier entraîne une variation de la même amplitude du second. Chez certaines espèces, l’alignement des écailles est rigoureux sur des distances non négligeables. Chez d’autres au contraire, on observe une bien plus grande entropie, aussi bien latéralement que verticalement (fig. 8.5).
Fig. 8.5 – Déformation et orientation des écailles. À gauche, M. cabrera : les écailles sont relativement bien orientées mais déformées verticalement. À droite, M. zephyritis : les écailles sont plates mais on observe une plus grande disparité des angles axiaux.
Dans le cas d’écailles plates, l’entropie d’orientation est obtenue, comme pour la rectitude des stries, en mesurant l’angle entre l’axe de l’écaille (la direction moyenne des stries) et une direction de référence : une droite horizontale sur la photo par exemple). Le cas des déformations verticales ne peut être traité à partir d’un document photographique par ce type de technique. Il conduit cependant à de forts effets optiques en dispersant les rayons réfléchis dans un très grand angle solide et en créant localement d’importants effets d’ombrage (fig. 8.6).
Fig. 8.6 – Mesure d’angle sur une écaille basale de M. rhetenor.
Déformation des ailes Plus grande échelle de déformation enfin : celle de l’aile elle-même. Support de toutes les échelles inférieures, l’aile, même au repos, n’est pas plane. Ces variations peuvent être déterminées, dans le cas statique, par les méthodes de moiré présentées au chapitre 7. Elles concernent des zones relativement restreintes, sensiblement de la taille des cellules, c’est-à-dire inférieures au centimètre. À cela viennent se superposer des déformations de plus grande amplitude induites par le battement des ailes durant le vol, et qui peuvent concerner l’aile entière, soit plusieurs centimètres. Cet aspect dynamique est encore très peu exploré, et sera évoqué dans un chapitre particulier.
Influence du désordre sur l’effet coloré Il est difficile, peut-être même impossible, de rendre compte entièrement d’un « effet coloré », tant la notion est complexe et subjective. D’un strict point de vue scientifique cependant, la BRDF en donne certainement la meilleure représentation. C’est elle qui peut permettre d’évaluer au mieux l’influence du désordre multi-échelle d’une structure. (La figure 11-1 du 148
Désordre structural
chapitre Modélisation multi-échelle donne une idée de l’évolution d’une BRDF avec la complexité de la structure, dans sa représentation spatiale.) Les structures des Morphos sont finalement relativement simples, mais la complexité vient ici du désordre. Si nous passons en revue les différentes échelles, il est possible de déterminer l’influence de leur désordre propre sur deux paramètres au moins, qui sont la direction de réflexion ou de diffraction, et la longueur d’onde diffractée dans une direction donnée.
Conclusion Le désordre topologique d’une structure photonique naturelle est une notion difficile à quantifier et à mesurer. Il est pourtant à l’origine de quelques-unes de leurs caractéristiques les plus fondamentales : la robustesse des effets et la multifonctionnalité. Il réduit la sensibilité des effets aux variations extérieures d’éclairement, et assure l’optimisation « en moyenne » de la structure qui est une des grandes leçons de cette étude. La notion d’entropie de configuration développée par Brillouin permet de quantifier, ou plutôt d’estimer, ce désordre. Les structures photoniques naturelles n’étant pas désordonnées au sens thermodynamique, il est nécessaire avant tout calcul de réduire le spectre des possibles, ce qui reste subjectif. Le désordre est lui aussi multi-échelle, et ses effets s’accumulent : les déformations de l’aile entraînent celles de l’arrangement des écailles, ce qui a son tour modifie l’orientation des stries… Selon les espèces, le désordre est très diversement réparti dans les échelles. Certaines, comme M. marcus, sont remarquablement ordonnées à la plus petite (les stries), mais très désordonnées au niveau de l’organisation des écailles. Ce sera plutôt le contraire chez d’autres, comme les Megamedes par exemple. Les rendus colorés cependant ne sont pas très différents, ce qui semble indiquer une certaine additivité des effets du désordre indépendamment de la taille de l’objet ou il s’applique. C’est, à notre connaissance, la première application de l’entropie de configuration à des structures photoniques naturelles. Le concept est riche d’information, et demande certainement à être appliqué plus systématiquement.
Résumé 1 Comme en thermodynamique, on peut déterminer une grandeur caractéristique du désordre topologique d’une structure : l’entropie de configuration. 2 Le désordre topologique assure la robustesse du phénomène optique considéré en limitant les fluctuations autours d’une valeur moyenne. 3 Les structures photoniques des insectes sont généralement mal ordonnées plutôt que désordonnées. Ceci impose de réduire le spectre des valeurs possibles avant tout calcul. 4 Les fluctuations sur les épaisseurs des couches influent sur la pureté de la couleur générée par interférence. 5 Les fluctuations sur le pas des réseaux et leur orientation jouent à la fois sur la couleur observée dans une direction donnée et sur cette direction. 149
Photonique des Morphos
Pour en savoir plus Andraud C (1996) Analyse entropique de la morphologie de matériaux hétérogènes: application à la modélisation des propriétés électromagnétiques. Thèse, Université Pierre et Marie Curie, Paris Brillouin L (1956) Science and information theory. New York, Academic Press Boger F, Feder J, Jossang T, Hilfer R (1992) Microstructural sensitivity of local porosity distribution. Physica A 187: 55 Kinoshita S, Yoshioka S (2005) Structural colors in nature: the role of regularity and irregularity in the structure. Chem. Phys. Chem. 6: 1-19 Kinoshita S, Yoshioka S, Kawagoe K (2002) Mechanisms of structural colour in the Morpho butterfly: cooperation of regularity and irregularity in an iridescent scale. Proc. R. Soc. B269: 1417-21 Shannon C (1948) A mathematical theory of distribution. Bell Syst Techn 27: 623 Szilard, L (1929) Zeitschrift für Physik. 53: 840–856. Trad. Wheeler JA, Zurek WH, eds, (1983) Quantum Theory and Measurement, Princeton University Press, Princeton, New Jersey
150
Spectrophotométrie
L
ors de la présentation des propriétés optiques des ailes des Morphidae, de nombreux spectres ont étés présentés, obtenus au moyen d’appareils variés. Les ailes sont des objets complexes et la compréhension de leurs propriétés nécessite des approches multiples. Cette partie est donc consacrée à la présentation des différents spectrophotomètres utilisés pour mener à bien cette étude. Aucun ne mesure la même chose, et certains sont complémentaires. D’autres sont simplement plus performants, ou plus rapides, ou nécessitent des mises en forme de l’échantillon différentes. Les protocoles de mesure sont présentés en détail, au-delà de la simple présentation de principe. Ils peuvent être ainsi aisément reproduits, critiqués et perfectionnés. On distinguera schématiquement deux types de mesure : les mesures spectrales d’une part, diffuses ou spéculaires, qui couvrent un domaine de longueur d’onde plus ou moins large mais qui, hormis cette distinction, elles ne fournissent aucune indication sur la distribution spatiale de la lumière réfléchie et les cartes de distribution spatiale, d’autre part, obtenues pour l’instant soit en monochromatique, soit en luminosité.
Mesures de réflectivité directionnelle hémisphérique Bon nombre de Morphos présentent des ailes d’une couleur éclatante, avec de très vifs reflets, indiquant par cela une très forte composante spéculaire de la réflectivité. Chez d’autres, au contraire, aucun éclat : la réflexion est très largement diffuse. Et même dans des cas extrêmes comme M. rhetenor, qui produit les reflets les plus intenses et les plus directifs qui soient, la composante diffuse n’est pas négligeable, et sa détermination nécessite l’usage d’une sphère d’intégration. C’est le cas du spectrophotomètre Cary V utilisé pour l’obtention de la plupart des spectres visibles présentés ici et du spectrophotomètre développé par la DGA pour les mesures dans l’infrarouge moyen, dont les résultats ont été présentés chapitre 4.
Photonique des Morphos
Invasive : oui 200 nm/2,5 μm θi variable : oui
Ultraviolet - visible - proche infrarouge : le Cary V Varian Cet appareil permet la détermination de la réflectivité directionnelle hémisphérique (HDR), ainsi appelée car la lumière arrive sur l’objet sous une incidence donnée (directionnelle) et on mesure l’intégralité de la lumière réfléchie dans le demi-espace supérieur. La gamme de fréquence couverte est de 200 à 2 500 nm, soit le visible et les proches ultraviolet et infrarouge. Sur la plupart des appareils commerciaux, il existe deux modes de mesure de la HDR : le mode spéculaire inclus (specular component included ou SCI) et le mode spéculaire exclu (specular component excluded ou SCE). Par différence de ces deux mesures, il est donc possible de mesurer la composante spéculaire seule. Dans le spectrophotomètre utilisé dans cette étude, les deux modes de mesure sont disponibles. Le schéma de principe est présenté sur la figure 9.1. L’aile est éclairée en lumière monochromatique et en incidence quasi normale (θi = 8°). La lumière, réfléchie (spéculaire et diffuse) dans le demi-espace supérieur, est homogénéisée après de multiples réflexions sur la paroi intérieure de la sphère, avant d’être mesurée par un capteur (mode SCI) (fig. 9.1a). Le mode SCE consiste à faire ressortir le faisceau spéculaire par un orifice symétrique de celui d’entrée par rapport à l’axe du système. Seule la lumière diffusée hors spéculaire est donc homogénéisée et mesurée. Pour cela, l’aile est montée sur un porte-échantillon que l’on peut faire pivoter de l’angle exacte pour que le rayon spéculaire ressorte par la trappe (fig. 9.1b).
Fig. 9.1 – Les deux modes de mesure de réflectivité directionnelle hémisphérique à l’aide de la sphère intégrante.
Comme toujours dans ce type de mesure, une référence est déterminée en mesurant la réflexion d’un blanc de référence lambertien. Si, dans ce type de mesure, l’intégralité de la lumière réfléchie est mesurée (en mode SCI), toute information sur la répartition angulaire de cette lumière est perdue (hormis le faisceau spéculaire). Il est cependant possible d’effectuer de telles mesures pour différentes incidences de la lumière sur l’aile, et donc de caractériser son iridescence (cf. Encadré 9.1). 152
Spectrophotométrie
Iridescence La notion d’iridescence, qui est une caractéristique des couleurs d’origine physique, est assez vague et mérite d’être précisée. Notons tout d’abord que ce terme est un anglicisme, et n’est utilisé ici qu’à défaut, ce dont nous nous excusons. Il s’agit littéralement du changement de couleur d’un objet lorsque l’on modifie l’angle d’incidence θi de la lumière ou l’angle d’observation θe. Les phénomènes observés sont variés, et dépendent de la configuration. Dans le cas simple d’une couche interférentielle éclairée en lumière collimatée, toute variation de l’un des angles entraîne celle symétrique de l’autre. Dans le cas d’un éclairage diffus, un simple déplacement de l’observateur permet d’apprécier le phénomène. Comme nous aurons l’occasion de le voir à plusieurs reprises, les variations de teintes suivent une loi en : kλ = 2ne cos θr
Fig. E.9.1.1 – Évolution des couleurs interférentielles avec l’angle d’observation θe. C’est la configuration la plus classique pour observer un objet iridescent.
(9-1)
où θr est l’angle de réfraction de la lumière dans la couche, indiquant que pus l’angle d’observation est grand, plus la longueur d’onde est petite, c’est-à-dire tendant vers le bleu. La situation est plus complexe dans le cas d’un réseau, mais le phénomène reste symétrique, comme l’indique l’équation des réseaux, donnant l’expression de la longueur d’onde qui interfère, donc de la couleur observée, en fonction des angles d’incidence et d’observation : sin θi + sin θe = nkλ
(9-2)
où n est le nombre de traits par unité de longueur et k le numéro de l’ordre de diffraction. On peut aisément vérifier que les changements de couleur seront identiques si c’est la position de l’observateur qui varie avec une incidence fixe, ou l’angle d’incidence qui varie pour un observateur fixe.
Fig. E.9.1.2 – Évolution des couleurs en diffraction. Dans chaque ordre, c’est le rouge qui est plus dévié.
Notons que dans le cas d’un réseau, et au sein d’un même ordre de diffraction, la variation de teinte se fait en sens inverse de la précédente (plus l’angle d’observation est grand, plus la longueur d’onde est grande, donc rouge). En revanche, lors d’un changement d’ordre, on peut passer du rouge au bleu en augmentant l’angle d’observation.
Pour ce faire, les échantillons d’aile sont montés sur des cales d’angles fixés à 30°, 45° et 60°. Dans ce cas, et vu la structure très dissymétrique des ailes de Morpho, deux dispositions peuvent être retenues, notées respectivement « incidence positive » et « incidence négative », selon que la lumière arrive de la base ou de l’apex de l’aile (fig. 9.2). Un exemple de telles mesures est présenté sur la figure 9.3. L’importante dissymétrie des spectres est confirmée par l’observation du papillon éclairé sous différentes incidences (fig. 9.4). 153
Photonique des Morphos
Fig. 9.2 – Mesures en incidences variables. Incidence positive (a) et négative (b).
D
E
Fig. 9.3 – Réflectivité directionnelle hémisphérique de l’aile de Morpho menelaus. Incidence positive (a) et négative (b). Les barres verticales indiquent la position des minima de réflectivité.
D
Fig. 9.4 – Schéma de principe des mesures de réflectivité directionnelles hémisphérique (HDR) sur le Nicolet Magnar 860 (CREA – DGA) (S : échantillon, CN : corps noir, C : chopper).
Invasive : oui 2,5 μm-25 μm θi variable : non
154
E
Ces mesures sont importantes car on peut en tirer un grand nombre d’informations. Comme nous l’avons vu dans le chapitre consacré à la chromaticité (cf. chapitre 3), ces spectres permettent de déterminer les coordonnées chromatiques de la couleur de l’aile pour les différentes incidences de la lumière, et par exemple de suivre l’évolution de cette iridescence durant un battement d’aile. Ils donnent également des indications sur la structure de l’aile, et les indices optiques de ses composants, comme cela a déjà été exposé dans l’encadré 1.2 (cf. chapitre 1). Cette méthode graphique, exposée la première fois Merrit en 1925, donne une valeur moyenne de l’inclinaison des structures réfléchissantes de l’aile (écaille + lamelle). Dans la plupart des cas, les écailles de fond sont plaquées sur la membrane, et donc horizontales dans notre repaire. Cette mesure donne alors accès à l’inclinaison des lamelles sur l’écaille. Elle sera systématiquement employée pour déterminer l’angle moyen d’inclinaison des lamelles θl de toutes les espèces étudiées. Le moyen infrarouge : le Nicolet Magnar IR 860 Comme nous l’avons vu au chapitre 4 consacré au bilan thermique des Morphos, un papillon à sa température optimale (35-36°) rayonne dans un domaine spectral allant sensiblement de h = 5 à 50 μm. Pour déterminer son bilan radiatif, il faut effectuer des mesures de réflexion et transmission hémisphériques dans ce même domaine. De tels spectrophotomètres sont plus rares. Nos mesures ont été effectuées sur l’appareil du CREA (Centre de recherche et d’étude d’Arcueil) de la DGA (Direction générale de l’armement). Ce spectrophotomètre à trans-
Spectrophotométrie
formée de Fourier est équipé de l’extension SOC 100 permettant des mesures de réflectivité et de transmittivité hémisphérique directionnelles. Ce module fonctionne en mode « réciproque », c'est-à-dire que l’échantillon est éclairé de façon isotrope selon toutes les directions de l’espace, alors que la mesure est effectuée dans une direction donnée déterminée seulement. Le principe de réciprocité de Helmotlz nous indique en effet que le facteur de réflexion ainsi mesuré est égal, sous certaines conditions, à celui mesuré en situation inverse, avec l’échantillon éclairé selon une direction et la mesure effectuée dans tout le demiespace supérieur. Dans le système utilisé, la source, un corps noir chauffé pour nos mesures à 550°C, est placée à l’un des foyers d’un miroir hémi-ellipsoïdal doré, alors que l’échantillon est disposé au second foyer. L’énergie incidente est modulée, ce qui permet de séparer l’énergie réfléchie (ou transmise) par l’aile, elle-même modulée, de son rayonnement thermique infrarouge qui ne l’est pas. Une mesure de référence est effectuée préalablement sur une surface d’or diffusante lambertienne. Selon le même principe, on peut également obtenir des spectres de transmission hémisphérique directionnelle (HDT), la référence se faisant alors en trace directe sur porte-échantillon vide. Il faut noter que dans un tel dispositif, l’ensemble de l’énergie rayonnée par le corps noir est focalisé sur l’échantillon, ce qui peut provoquer un échauffement destructeur des matériaux absorbants, et oblige à baisser la température de la source. Aucune dégradation n’a été observée sur les ailes pour des températures ne dépassant pas 550°C. La figure 9.5 montre les facteurs de réflexion et transmission directionnelles hémisphériques de M. rhetenor dans le proche et moyen infrarouge. Les facteurs de réflexion ont été mesurés sur les deux faces de l’aile, très différentes dans le visible et pourtant strictement identiques dans l’infrarouge.
Fig. 9.5 – Facteurs de réflexion et de transmission directionnelles hémisphériques de M. rhetenor dans le proche et moyen infrarouge. Réflexion face dorsale (±) et face ventrale (---).
155
Photonique des Morphos
Invasive : non 380 nm/880 nm θi variable : oui
D Fig. 9.6 – Mesure sur M. rhetenor au goniospectro-colorimètre à fibres optiques en rétrodiffusion (a) et schéma de principe de l’appareil (b).
156
Mesures de réflectivité en rétrodiffusion La lumière rétrodiffusée, c’est-à-dire réfléchie dans la direction d’incidence, est souvent, pour des raisons d’encombrement, d’un accès difficile. L’appareil décrit ici a été développé au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) pour l’analyse sans contact des couleurs des œuvres d’art. Il permet un suivi de la variation angulaire de la lumière rétrodiffusée. Le dispositif, représenté sur la figure 9.6, est un appareil de faible encombrement, portable et, monté sur un pied photographique équipé d’une rotule de rotation et d’une table de translation, il permet des mesures dans des configurations et sous des angles inaccessibles avec d’autres équipements.
E La source est une lampe allogène de 100 W dont la lumière est guidée jusqu’à l’objet par un faisceau de 100 fibres optiques. La surface étudiée est de l’ordre de 6 mm de diamètre. La lumière diffusée par l’échantillon est recueillie par un second faisceau de fibres optiques aléatoirement mélangées aux fibres d’illumination. La mesure s’effectue donc selon la même direction que l’incidence, d’où le nom de rétrodiffusion donnée à cette technique. Les deux faisceaux traversent le même système optique de focalisation, qui peut être équipé de polariseurs linéaires. La lumière rétrodiffusée est dispersée par un réseau en réflexion sur une barrette CCD. Un goniomètre permet de régler l’angle de mesure à ± 0,5°. La précision sur la réflexion est de l’ordre de 1 %. Dans le cas particulier des structures diffractantes comme les réseaux et les écailles de Morpho, la rétrodiffusion permet d’aller analyser un ordre de diffraction individuellement en se plaçant dans la situation particulière où les angles de diffraction θr et d’incidence θi sont confondus (fig. 9.6a). D’après l’équation (9-1), cela correspond pour l’ordre R-1 à un angle tel que : 2sinθ = -nh,
Spectrophotométrie
Pour M. rhetenor par exemple, avec un pas moyen de 500 nm, soit 2 106 traits par unité de longueur, et une longueur d’onde 450 nm correspondant au maximum de réflexion, nous obtenons un angle θ voisin de 27°. La figure 9.7 montre l’évolution de la réflexion en rétrodiffusion d’une aile de M. rhetenor en fonction de l’angle d’analyse. On remarque un déplacement des pics avec l’incidence vers les grandes longueurs d’onde, conformément à l’équation précédente, mais inverse de celui observé en réflectivité hémisphérique. Ce comportement inattendu ne peut être attribué aussi simplement à un phénomène interférentiel puisque, hormis en incidence normale, les mesures en rétrodiffusion n’analysent pas le faisceau réfléchi spéculairement, qui est le cadre normal de la théorie interférentielle. Il peut donc s’agir de phénomènes interférentiels hors spéculaire ou diffractifs générés par la structure photonique particulière de l’aile et son désordre.
Microspectrométrie Le principe de la microspectrophotométrie est de coupler un spectromètre à un microscope photonique de manière à acquérir un spectre de l’objet ou d’une partie de l’objet observé. Il s’agit donc a priori de l’appareil idéal pour l’étude d’objets multi-échelle, puisqu’on peut acquérir un spectre d’une aile de Morpho par exemple, sous divers grandissements et donc explorer toutes les structures de tailles différentes et apprécier leur influence sur le rendu macroscopique. L’appareil présenté sur la figure 9.8 a été développé par la société Optical Insight LLC. Il est monté sur un microscope Olympus Bx51 et peut fonctionner aussi bien en réflexion qu’en transmission. Principe Le principe de mesure est schématisé sur la figure 9.9. En réflexion, la lumière réfléchie par l’objet, sous un grandissement donné, passe à travers une fente étroite, dont on peut choisir la largeur et qui sélectionne une étroite bande de l’objet. La lumière réfléchie par cette bande est diffractée par un réseau par transmission avant d’être envoyée sur une bande de capteurs CCD qui mesure l’intensité réfléchie par chaque point de la bande à une longueur d’onde donnée. L’échantillon, placé sur une platine à translation commandée par piézo, est alors translaté d’une largeur de bande, et le processus recommence avec cette nouvelle zone, jusqu’à ce que tout le domaine sélectionné soit couvert. Pour un grandissement donné, la mesure en transmission est particulièrement simple et précise. L’objet étudié, une écaille par exemple, est déposé sur une lame de microscopie. Une première mesure est effectuée sur cette lame à coté de l’objet, ce qui constitue le 100 % de référence, la seconde sur l’objet lui-même. Le coefficient de transmission est alors défini comme le rapport de ces deux mesures. Le faisceau incident est collimaté pour obtenir une incidence normale en tout point de l’objet. Les mesures en réflexion sont plus complexes et moins précises. Elles se font en trois étapes :
Fig. 9.7 – Évolution des spectres de rétrodiffusion de M. rhetenor en fonction de l’angle d’incidence.
Invasive : oui 450 nm/600 nm θi variable : non Polarisation : oui
Fig. 9.8 – Le microspectrophotomètre Spectral DV sur le microscope Olympus Bx51.
157
Photonique des Morphos
D
E
Fig. 9.9 – Les spectres de chaque point d’une ligne de l’échantillon, délimitée par une fente, sont obtenus à l’aide d’un réseau en transmission, et enregistrés par un réseau 2D de capteur (a). L’échantillon est ensuite translaté d’une largeur de fente, et un nouvel ensemble de spectres enregistré (b). L’ensemble des spectres de chaque point de l’échantillon est finalement stocké sous forme d’une image spectrale tridimensionnelle (c).
F • après stabilisation, on effectue une mesure spectrale de la source, une lampe allogène de puissance variable ; • on effectue ensuite une mesure, dans les mêmes conditions, sur un échantillon de référence de réflectivité parfaitement connue, en général un wafer de silicium ainsi qu’une mesure dans le noir ; • on procède enfin à la mesure sur l’échantillon. La principale difficulté de ce type de mesure réside dans le choix de la référence. En raison de l’ouverture numérique des objectifs de microscope qui est importante à fort grandissement, les faisceaux incidents et réfléchis ne sont pas collimatés, ce qui a deux conséquences négatives : d’une part, les faisceaux incidents tombent sur l’objet sous des angles d’incidence variés ce qui, dans le cas d’échantillons générant des phénomènes interférentiels comme les ailes de la plupart des Morphos, a tendance à étaler les pics et les minima de réflexion. Il est d’autre part très difficile d’effectuer une mesure absolue car, dans le cas de matériaux relativement diffusant, on ne sait pas avec précision quelle est la proportion de lumière réfléchie effectivement recueillie par l’objectif et mesurée. Ce n’est a priori pas la même que lors des étalonnages. Si on utilise un wafer de silicium, réflecteur spéculaire, la réflexion est sous-estimée puisque l’intégralité de la lumière réfléchie par ce dernier est prise en compte, mais pas celle de l’échantillon. Si à l’opposé on utilise un blanc de référence lambertien, c’est l’inverse puisqu’une faible partie de la lumière réfléchie seulement est recueillie. La référence retenue doit avoir une répartition spatiale en réflexion aussi proche que possible de 158
Spectrophotométrie
celle de l’échantillon ce qui, dans le cas de structures multi-échelles comme les ailes, est pratiquement impossible à réaliser, celle-ci évoluant avec le grandissement (fig. 9.10). On peut remédier partiellement à ces inconvénients en utilisant des diaphragmes de champ disposés juste au dessus de l’échantillon, ce qui est délicat et entraîne une forte perte de signal. Les figures 9.11a et 9.11b montrent l’évolution de la transmittivité et de la réflectivité de la face dorsale des ailes de M. rhetenor. À faible grandissement, la surface analysée est de l’ordre du mm2 (une centaine d’écailles). Elle n’est plus que de quelques μm2 à fort grandissement (quelques stries).
D
Fig. 9.10 – Les différentes configurations de mesure en microspectroscopie et leurs conséquences sur la valeur absolue de la réflectivité. Mesure sur l’aile (a). Mesure de référence sur une surface lisse : la réflexion est surestimée (b), ou sur une surface diffusante : elle est sous-estimée (c).
Fig. 9.11 – Transmittivité (a) et réflectivité (b) de M. rhetenor pour différents grandissements et surfaces analysées.
E
Mesures gonio-spectro-photométriques Le dispositif expérimental présenté sur la figure 9.12 a été développé au Laboratoire d’optique des solides, aujourd’hui rattaché à l’Institut des NanoSciences de Paris (INSP). Il est composé de trois parties modulables : 1. Un bloc source composé de plusieurs lampes permettant de couvrir l’ensemble du visible ainsi que le proche ultraviolet et infrarouge. L’une des sources utilisées est une lampe au deutérium, l’autre une lampe allogène. Selon la source utilisée, la lumière est acheminée jusqu’à l’échantillon par diverses fibres optiques équipées en leur extrémité d’une lentille collimatrice. Le diamètre de la surface éclairée est alors de l’ordre de 4 mm.
Invasive : non 390 nm/990 nm θi variable : oui θr variable : oui Polarisation : oui
159
Photonique des Morphos
2. Un porte-échantillon à 3 degrés de liberté permettant de régler l’assiette et l’orientation de l’aile. 3. Enfin, la lumière réfléchie est acheminée jusqu’au spectro-photomètre via la fibre de mesure. Des polariseurs peuvent être disposés en sortie de fibre d’éclairage et en entrée de fibre de mesure pour effectuer les caractérisations en lumière polarisée. Les angles d’incidence θi, i sont réglés individuellement et manuellement, θi, en jouant sur la fibre, i en réglant l’orientation de l’échantillon dans le plan horizontal. Les angles de mesure sont pilotés par ordinateur et l’ensemble du demi-espace supérieur est balayé par la fibre de mesure, exception faite de la zone voisine de l’angle d’incidence occupée par le bras d’éclairement et inaccessible pour raison d’encombrement. La lumière réfléchie est dispersée par un réseau en réflexion, puis convertie par une barrette de CCD. Le signal électrique est alors numérisé puis enregistré dans l’ordinateur.
Fig. 9.12 – Vue et schéma de principe du goniospectro-photomètre bidirectionnel à fibre optique.
Fig. 9.13 – BRDF de Morpho aega à h = 500 nm pour une incidence de θi = 20°
160
Différents types de mesures peuvent ainsi être faits : soit des cartes monochromatiques de l’espace [θr, r], soit des trajectoires programmées dans cet espace, soit encore des spectres dans une configuration donnée, c’est-à-dire en un point de la carte. Selon la résolution souhaitée et l’espace couvert, l’établissement d’une carte peut prendre plusieurs heures. Une mesure absolue de la réflectivité nécessite bien sûr une référence. Deux méthodes sont utilisées selon la nature de l’échantillon : soit une mesure dans les mêmes conditions de la réflectivité d’un blanc de référence lambertien, soit une mesure en trace directe, où les fibres sont placées face à face. Une BRDF de Morpho aega, en lumière non polarisée, est présentée sur la figure 9.13. Les mesures ont été effectuées en disposition conique pour une incidence de 20°. Cette carte est caractéristique d’un réseau « blaze » de 1 000 traits par millimètre environ. L’ordre R0 au centre est de très faible intensité alors que les deux premiers ordres R1 et R-1 sont bien marqués, et comme nous l’avons déjà évoqué, partiellement polarisés. L’élargissement des lobes est dû au désordre de la structure, analysé au chapitre 8. On remarque également la trace, à une incidence plus élevée, d’un second lobe de diffraction de faible intensité. Il ne peut provenir que d’écailles différemment inclinées sur le plan de l’aile, peut-être les écailles de recouvrement.
Spectrophotométrie
Optique de Fourier : le diffusomètre Le principal inconvénient du dispositif précédent est la durée de la mesure. Une étude relativement complète, dans un domaine spectral assez large (4 à 5 longueurs d’onde) et en polarisation, peut en effet prendre plusieurs jours. Ce problème peut être résolu par l’utilisation d’une optique de Fourier qui convertit directement un angle d’émergence en coordonnées spatiales dans le plan [θ- ] et permet donc l’établissement instantané d’une carte.
Invasive : non Spectral : non Polarisation : non .
Objectif de Fourier Son principe est relativement simple, mais sa réalisation complexe. Le dispositif retenu est équivalent à celui d’une source ponctuelle placée au foyer d’une lentille (figure 9.14). Le faisceau image est donc un faisceau parallèle dont chaque rayon correspond à un angle d’émergence donné. Chaque point du plan de Fourier correspond ainsi à un angle d’émergence de la lumière de l’objet observé.
Fig. 9.14 – Principe d’une optique de Fourier. À chaque angle d’émergence (θ, φ) correspond un point (x, y) dans le plan de Fourier.
Dans le cas de surfaces non émissives, comme les ailes de Morpho, la lumière est envoyée sur l’objet à travers la même optique au moyen d’un cube séparateur (fig. 9.15). Selon le point d’entrée de la lumière dans le plan de Fourier, on peut alors modifier l’angle d’incidence de la lumière sur l’objet. L’appareil utilisé est EZContrast XL88 développé par la société ELDIM. Il est capable de mesurer jusqu’à ( 88° d’incidence. Les mesures sont effectuées à l’aide d’une caméra CCD haute résolution refroidie par effet Peltier à -25°C. Le système permet d’intégrer sur le trajet lumineux des polariseurs ou des filtres permettant une étude spectrale en lumière polarisée. Le protocole de mesure est sensiblement identique à celui du gonio-spectrophotomètre. Les réflexions parasites internes sont mesurées en remplaçant l’échantillon par un piège à lumière. Une mesure de BRDF est réalisée en moins de 3 secondes, avec une résolution angulaire de 0,2° sur toute la zone angulaire accessible. Des exemples de mesure sont représentés sur la figure 9.16. 161
Photonique des Morphos
Fig. 9.15 – Vue d’ensemble de l’appareil ELDIM EZContrast (a). Schéma de principe des mesures en réflectivité (b).
D D
E E
Fig. 9.16 – Deux exemples de mesure de BRDF (a) sur une aile de Morpho anaxibia, en lumière non polarisée, pour une incidence de 20° et (b) Morpho rhetenor, en incidence normale. La diffraction latérale est forte sur ce dernier, et a pratiquement disparu sur le premier, qui est mat, et peu iridescent, en raison de la forme convexe des écailles.
Des filtres colorés permettent enfin de déterminer les coordonnées chromatiques, dans n’importe quel système (CIE ou laboratoire) de l’aile, dans les conditions d’éclairement utilisées.
Invasive : oui 250 nm/1 000 nm
Mesures ellipsométriques L’ellipsométrie a une longue tradition en science et en technologie. Ce n’est qu’assez récemment – à une remarquable exception près, sur laquelle nous reviendrons – qu’elle a été utilisée pour caractériser des structures photoniques naturelles. Extrêmement sensibles aux états de surface de l’échantillon, les spectres de ces derniers sont complexes et difficiles à interpréter. Principe Le principe de la mesure consiste à déterminer le changement d’état de polarisation d’une onde réfléchie par la surface d’un échantillon. Cette modification peut être directement reliée aux caractéristiques optiques et géométriques de ce dernier, ce qui fait de l’ellipsométrie un puissant outil d’analyse optique des surfaces. Nous avons vu (cf. Encadré 9.2) que les coefficients de réflexion rp et rs d’une onde polarisée linéairement dépendent de manière différente de l’angle d’incidence de la lumière : rs est une fonction monotone croissante, alors
162
Spectrophotométrie
que rp présente un minimum pour un angle d’incidence particulier (l’angle de Brewster). Mais ces deux ondes peuvent également être déphasées, de sorte que le rapport de leurs amplitudes peut se mettre sous la forme complexe suivante : .
(9-1)
Ce sont ces angles ^ et 6, ou plus couramment tg^ et cos6 qui sont directement mesurés. La polarisation la plus générale d’une onde monochromatique est elliptique, c’est-à- dire que le lieu de l’extrémité du vecteur champ électrique E dans le plan d’onde est une ellipse. Ce champ peut donc s’écrire sous forme matricielle : .
(9-2)
L’état de polarisation est donc totalement et de façon univoque déterminé par son vecteur de Jones qui prend alors la forme : ,
(9-3)
et donc par les deux grandeurs ^ et 6. Dans le cas d’un milieu semi infini, les coefficients de réflexion rp et rs s’expriment en fonction des indices de réfraction complexe des deux milieux et des angles d’incidence et de réfraction. Une mesure de ces deux angles permet alors, par inversion des équations, de remonter à ces valeurs. La méthode peut, selon le même principe, être appliquée à une couche mince déposée sur un substrat et, ce qui nous concerne beaucoup plus, à un système multicouche. Les calculs sont alors beaucoup plus complexes. La multicouche est considérée comme un milieu composite stratifié, et ce sont les caractéristiques de la couche équivalente qui sont déterminées. On peut remonter à celles des composants en faisant appel à des modèles de milieux effectifs, tel que celui de Maxwell Garnett, utilisé pour déterminer l’indice de la chitine, succinctement présenté en annexe. Il existe différents types d’ellipsomètres, tous basés sur le même principe schématisé sur la figure 9.17.
Fig. 9.17 – Schéma de principe d’un ellipsomètre (Sa : échantillon, S : source, D : détecteur, P : polariseur, A : analyseur).
163
Photonique des Morphos
Les mesures de Michelson
Fig. E.9.2.1 – Mesure de Michelson sur un Morpho (M. aega).
L’article de Michelson, On Metallic Colouring in Birds and Insects, publié en 1911 dans le Philosophical Magazine est à la fois exemplaire, et étonnant de bien des points de vue ! Le microscope électronique ne sera inventé que vingt ans plus tard, et le Morpho est une boîte noire dont il faut percer le secret non par l’observation directe, mais par celle des phénomènes
qu’elle génère. Michelson propose ici la probable première analyse éllipsométrique – même si le terme n’est pas encore employé – d’une structure biologique, et tente d’expliquer les phénomènes optiques, en fait l’iridescence, par analogie avec d’autres observations du même type sur un autre matériaux : les cristaux de cianine. La démarche est ingénieuse, mais une corrélation n’a jamais fait preuve, et Michelson s’est trompé ! Intéressant également dans sa forme, qui laisse deviner le caractère autoritaire et intransigeant du tout récent prix Nobel : « It is somewhat surprising to find that the contrary view is still held by eminent naturalists… » (mais aussi par d’éminents physiciens, dont Lord Raileigh, à Londres). Et, enfin, par cette charmante erreur, probablement de transcription, l’étude portant sur un mystérieux Morpho alga, en fait, mais peut-on en être sûr, un Morpho aega. Les mesures sont présentées sous une forme aujourd’hui abandonnée : rapports d’amplitudes et de phases sont exprimés en fonction de l’angle d’incidence dans trois domaines spectraux (rouge, vert et bleu).
Un polariseur et un compensateur, situés sur l’un des bras de l’ellipsomètre, déterminent un état de polarisation défini de la lumière incidente. Un analyseur et un détecteur, situés sur le bras symétrique, détectent le changement de polarisation produit par la réflexion sur la surface de l’échantillon. Des procédures plus complexes, appelées « ellipsométrie généralisée » (GE) permettent d’étudier des matériaux anisotropes, telles les ailes des Morphos. De telles mesures ont été effectuées sur un ellipsomètre du Laboratoire d’optique appliquée de l’Université de Linköping en Suède, sur trois Morphos : M. menelaus, M. rhetenor et M. sulkowskyi. Ces spectres très chahutés et très différents les uns des autres confirment, s’il en était besoin, la véritable signature spécifique, plus encore que la couleur elle-même, que constitue l’état de polarisation de la lumière réfléchie par les ailes (fig. 9.18 ■ et fig. 9.19).
Fig. 9.18 – Variations des angles ^ et 6 dans l’ultraviolet, le visible et le proche infrarouge, pour trois Morphos appartenant à trois sous-genres différents.
164
Spectrophotométrie
Fig. 9.19 – L’ellipsomètre généralisé du laboratoire d’optique appliquée, à l’Université de Linkoping (Suède).
Résumé Méthode Caractéristique Invasive
Cary V Nicolet Microspectro. Ellipso. Rétrodif. Gonio. Diffuso. oui
oui
oui
Spectrale (μm)
0,2–2,5 2,5–25
Taille d’analyse
25 mm2 25 mm2 5 mm2 – 1 μm2
Incidence variable
oui
non
0,4–0,6
non
oui
non
non
0,25–1 0,38–0,88 0,3–0,8
non Non
1 mm2
50 mm2
25 mm2
25 mm2
oui
oui
oui
oui
Pour en savoir plus Argos A, Manos S, Large MCJ et al. (2002) Electron tomography and computer visualisation of a thee-dimensional “photonic” crystal in a butterfly wingscale. Micron 33: 483-7 Plattner L (2004) Optical properties of the scales of Morpho rhetenor butterflies: theoretical and experimental investigation of the back-scattering of light in the visible spectrum. J.R.Soc. Interface 1: 49-59 Smentkowski VS, Ostrowski S, Olson E et al. (2006) Exploration of a butterfly wing using a diverse suite of characterization techniques. Micros. Microanal. 12: 1228 165
Photonique des Morphos
Shawkey MD, Saranathan V, Palsdattir H et al. (2009) Electron tomography, thee-dimensional Fourier analysis and colour prediction of a three-dimensional amorphous biophotonic nanostructurse. J.R.Soc. Interface 6 : S213S220 Stavenga DG, Leertouwer HL, Pirich P, Wehling MF (2009) Imaging scatterometry of buttefly wing scale. Opt. Express 17: 193-202. Vukusic P, Stavenga DG (2009) Physical methods for investigating structural colours in biological systems. J. R. Soc. Interface 6: S133-S148. Yoshioka S, Kinoshita S (2006)Single scale spectroscopy of structurally colored butterflies: measurements of quantified reflectance and transmittance. J.Opt. Soc. Am. A23: 134-41 Wilts BD, Leertouwer HL, Stavenga DG (2009) Imaging scatterometry and microsdpectrophotometry of lycaenid butterfly wing-scale with perforated multilayers. J.R.Soc. Interface 6: S185-S192
166
Visualisation
D
’un point de vue éthologique, si on s’intéresse au rendu coloré, au message délivré par ces effets colorés, il est indispensable de les visualiser. Si la BRDF contient toutes les informations spatiales et spectrales sur le message optique, sa modélisation ne suffit pas à nous le faire apprécier réellement. Nous allons donc commencer par présenter le principe de la représentation virtuelle d’objets complexes, et ce que cette représentation nécessite comme calculs préalables dans le cas d’objets multiéchelles iridescents.
Visualisation versus modélisation Comment apprécier fidèlement le rendu coloré, et donc le message optique délivré par un Morpho en vol ? Quiconque a eu la chance de voir apparaître l’étincelle bleue d’un Morpho dans les cathédrales de verdure de la forêt amazonienne en reste ébloui et frustré. L’instant est fugitif, le Morpho aperçu en pointillé et l’enregistrement d’un film qui, seul, permettrait une étude fine du vol, bien aléatoire. Nous sommes tout à fait dans la situation où la visualisation peut, non pas remplacer, mais apporter un complément fructueux à l’observation directe. Nous avons vu au chapitre 5 que le rendu coloré d’un Morpho en vol était bien éloigné de celui de l’insecte figé dont nous avons fait l’étude. Les déformations des ailes durant le battement sont complexes, mais on peut dans un premier temps se restreindre aux plus importantes : la courbure des ailes dans la phase ascendante du battement, et sa relative planéité dans la phase descendante. Nous avons entrepris, en collaboration avec l’École centrale de Paris, de visualiser les différentes phases d’un battement d’aile de Morpho rhetenor. L’expérience n’en est qu’à ses débuts, et nous n’en présenterons que les principes et les premiers résultats. La représentation virtuelle d’un objet fixe dans un environnement et sous un éclairage déterminé est un processus maintenant bien maîtrisé, faisant appel à la technique du « lancer de rayons ». Dans les logiciels courants, la nature de l’objet n’est pas décrite, mais seulement sa réponse chromatique. Cette approche est donc peu adaptée aux
Photonique des Morphos
cas d’objets iridescents, par définition de couleurs changeantes. Le Laboratoire de mathématiques appliquées aux systèmes de l’École centrale de Paris a développé un logiciel adapté à ce cas, où l’objet est décrit par sa nature physique, dans notre cas par son indice de réfraction, et par sa structure photonique. La réponse d’un point de l’objet à l’arrivée du rayon lumineux doit donc être soit calculée en temps réel soit, dans des cas plus complexes, puisée dans une base de données annexe. C’est ce cas de figure qui est envisagé ici, seul actuellement à notre portée pour traiter des structures multiéchelles complexes. Il faut dans un premier temps caractériser la géométrie du système, c’està-dire du papillon et de son environnement dans les différentes phases du battement. La méthode du moiré projeté présentée chapitre 7 peut être appliquée à une aile artificiellement courbée censée représenter sa géométrie, supposée constante, durant la phase ascendante (fig. 10.1).
Fig. 10.1 – Courbure des ailes de M. menelaus durant la phase ascendante du battement. Les ailes ont été courbées artificiellement sur un insecte étalé pour permettre l’enregistrement de sa topographie.
Principe de la visualisation Une fois déterminée la BRDF de la surface de l’aile à la taille pertinente et sa topographie, une représentation de l’aspect de l’animal à un instant donné peut être élaborée. Le calcul de la lumière atteignant un observateur virtuel est effectué par le logiciel de lancer de rayons « Virtuelium ». Il s’agit d’un lancer spectral de rayons parallélisés en lumière polarisée. Il peut inclure l’éclairement global par le jeu du calcul de cartes d’éclairement. Le désordre topologique des interfaces contribue à la polarisation et à la dépolarisation du rayonnement diffusé par les structures organisées rencontrées. Aussi « Virtuelium » inclut-il le calcul du changement de polarisation. L’objet, en la circonstance l’aile du Morpho, est tout d’abord segmenté en un grand nombre de cellules élémentaires. Chacune de ces cellules est caractérisée par sa réponse optique, censée être indépendante de celle de sa voisine. Dans le cas de structures multi-échelles, où la réponse d’un point de l’objet dépend de son environnement et influe sur celle de ses voisins, la cellule élémentaire doit déjà avoir atteint une taille telle que tout phénomène cohérent y soit banni. Si on regarde l’évolution des phénomènes optiques avec la taille de la structure multi-échelle (fig. 10.2), cela revient à une cellule d’une centaine de micromètres, pouvant contenir plusieurs dizaines d’écailles. La modélisation devra donc être poussée au moins jusqu’à cette taille. 170
Visualisation
Fig. 10.2 – Maillage de la base des ailes de M. rhetenor. La topographie de l’aile a été déterminée au laboratoire de mathématique appliquée de l’École centrale de Paris, par une méthode de type moiré projeté.
On définit ensuite un environnement et un éclairage. Celui-ci peut être spéculaire ou diffus, ou les deux à la fois, et représenter divers types de source, comme des éclairages artificiels ou la lumière naturelle à différentes heures de la journée. L’environnement, par les effets de polarisation ou de dépolarisation qu’il peut créer sur la lumière réfléchie, par les ombres portées, etc., participe grandement à la scène et doit être également considéré. Lui aussi est caractérisé par sa nature physique et sa structure. De la source sont alors lancés les rayons lumineux, dont certains, après de nombreuses interactions avec l’objet et son environnement, parviendront jusqu’à l’œil de l’observateur (fig. 10.3). Seuls ces derniers sont d’ailleurs considérés : le processus de calcul part de l’œil et remonte jusqu’à la source. Lorsqu’un tel rayon tombe sur une cellule on peut, selon la nature de celleci, effectuer les calculs en temps réel. Cela peut être le cas par exemple d’un objet simple de l’environnement, comme une feuille, une vitre, etc. Il faut pour cela connaître les paramètres structuraux (taille, épaisseurs, etc.) et physiques (indices) de l’objet en question. Dans les cas plus complexes, on doit faire appel à une base de données où seront stockées les BRDF pré-calculées des cellules élémentaires. La figure 10.4 représente une visualisation de M. rhetenor pour différents ponts de vue de l’observateur. La topographie de l’insecte a été déterminée par moiré projeté, aile plane (phase descendante du battement) et sa structure très sensiblement simplifiée. N’ayant pu, à l’heure actuelle, déterminer précisément la BRDF des ailes, celles-ci ont été assimilées ici à celles de simples multicouches air (diélectrique déduite des observations microscopiques). Les différentes séries correspondent à différentes épaisseurs de couches, la série centrale étant la plus proche de la réalité. Dans cet exemple, l’éclairage est diffus, ce qui se rapproche le plus de la situation d’un insecte évoluant dans un sous-bois. 171
Photonique des Morphos
Fig. 10.3 – Représentation schématique d’un lancé de rayons dans un matériau complexe contenant des pigments, des structures interférentielles, des charges et un substrat diffusant.
Fig. 10.4 – Différents aspects d’un Morpho rhetenor observé sous différents angles d’incidence. La structure a été simplifiée en une multicouche. Les différentes séries correspondent à différentes épaisseurs de couches.
Conclusion Les résultats présentés ici ne sont que l’amorce de la visualisation d’un insecte iridescent en vol. Le chapitre 5 nous a montré à quel point nous ignorions encore beaucoup de choses sur la dynamique d’une structure multiéchelle. Nous sommes ici confrontés à des problèmes plus pratiques que fondamentaux. Les calculateurs actuels ne permettent pas de déterminer en temps réel la BRDF d’une structure aussi complexe que celle de l’aile d’un Morpho. À n’en pas douter, cela viendra. Le modèle multi-échelle présenté ici, qui n’est d’ailleurs pas le seul envisageable, permet en principe de calculer une réponse réaliste de la structure dans un environnement radiatif donné. Mais ces calculs sont actuellement trop longs pour être intégrés dans un processus de réalité virtuelle. Nous devons donc passer par une 172
Visualisation
étape intermédiaire : l’utilisation d’une base de données où seront enregistrées les BRDF pré-calculées de l’aile dans ses différentes configurations. C’est une tâche ardue et peu excitante, mais c’est le prix à payer aujourd’hui pour « voir » voler un Morpho et comprendre un peu mieux son système de communication optique. Cela n’empêchera nullement, qu’on se rassure, l’observation directe des Morphos dans leur forêt, simplement, cela pallie quelque peu les insuffisances de notre œil. Il s’agit là encore d’un problème multi-échelle, ramené ici à celle de l’insecte. Il faudra également intégrer la dynamique du vol, les déplacements de l’insecte dans l’espace, mais ce sont des données plus facilement accessibles par l’observation directe. ■
Résumé 1 La visualisation est une approche de réalité virtuelle qui permet de visualiser un objet dans un environnement lumineux donné et d’en fournir une image numérique réaliste. 2 L’objet est défini par sa forme et ses caractéristiques physiques. On établit tout d’abord sa topographie par une technique optique (moiré, profilométrie laser…). Il est ensuite maillé. Selon la résolution souhaitée, les mailles ont une surface variable, pouvant aller jusqu’à quelques centaines de μm2. 3 Les matériaux constituant l’objet sont définis par leur structure éventuelle et par leur indice. Selon les cas, les propriétés du rayon émergent sont calculées directement en temps réel au moment de « l’impact » ou, pour des structures et des états de surface complexes, en faisant appel à une base de données de BRDF pré-calculées.
Pour en savoir plus Callet P (1998) Couleur-lumière, couleur-matière. Paris, Diderot multimédia Callet P, Sève R (2001) From mean diffuse external reflectance to colo rand visual appearance représentation. Abstracts Book AIC’01, SPIE Rochester, USA Dutre P, Bekaert P, Bala K (2003) Advanced Global Illumination. AK Peters Ltd Halton JH (1970) A retrospective and prospective of the Monte Carlo method. SIAM Review 12: 1 Kalos MH, Whitlock P (1976) The Monte Carlo method, Volume 1: basics. New York, John Willey and Sons Elias M, Lafait J (2006) La couleur. Lumière, vision et matériaux. Paris, Belin
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Modélisation multi-échelle
L
a modélisation d’objets complexes comme l’aile d’un Morpho demande de simuler une large gamme d’échelles spatiales, voire temporelles, si on s’intéresse à l’insecte en mouvement. De nombreuses tailles caractéristiques, ou échelles de taille, sont en effet à considérer dans ce type de problème, allant de l’échelle moléculaire avec les pigments, mesurée en angström (10-10m), jusqu’à l’échelle macroscopique, l’insecte lui-même dans son environnement, mesurant une dizaine de centimètres (10-1m). Entre les deux, se situent successivement l’échelle des lamelles des stries, d’une centaine de nanomètres (10–7m), le pas des stries, d’un micromètre environ (10-6m), de l’écaille (100 μm–10–4m) des plis de l’aile, de quelques millimètres (10-3m) et des déformations de l’aile enfin, de l’ordre du centimètre (10-2m). La simulation numérique de l’ensemble du système multi-échelle est actuellement hors de notre portée. Une stratégie consiste alors à connecter les résultats obtenus indépendamment à chaque échelle pour obtenir l’effet macroscopique qui les inclut tous. De tels concepts unificateurs ont été développés depuis plusieurs décennies dans différents domaines de la physique, en particulier ceux traitant des transitions de phases, où on rencontre couramment ce type d’architecture multi-échelle. C’est le cas de la renormalisation dans l’espace réel (real space renormalization ou RSR), que nous avons adaptée aux changement d’échelles en optique (fig. 11.1 et fig. 11.2).
Modélisation Comme nous l’avons évoqué, la simulation directe d’un système multiéchelle est généralement hors de notre portée, même si ce système peut être correctement décrit à l’échelle macroscopique. Il faut utiliser une méthode d’homogénéisation permettant de simuler une échelle donnée en intégrant les effets des échelles inférieures. Plusieurs approches ont été développées dans différents domaines de la physique, en particulier ceux traitant des transitions de phases. Les milieux présentant ces transitions sont en effet caractérisés par la présence
Photonique des Morphos
Fig. 11.1 – Évolution parallèle de la taille de l’objet multi-échelle (aile de Morpho cypris) et de sa BRDF. La dernière a été mesurée, les précédentes doivent être calculées. Il s’agit également d’un problème multi-physique : Les théories utilisées pour effectuer ces calculs évoluent avec la taille de l’objet.
Fig. 11.2 – Principe de visualisation d’une structure multi-échelle. Le maillage de l’objet ne peut se faire qu’assez tardivement, la cellule devant avoir atteint sa propriété moyenne. Plus le maillage est tardif, plus la modélisation doit être poussée loin.
d’une échelle de tailles très étendue au voisinage de cette transition, tendant même vers l’infini à la transition même, ce qui s’est longtemps opposé à leur modélisation. En 1966, Léon Kadanoff a proposé une approche très originale permettant de traiter ces problèmes en balayant successivement les différentes échelles de taille : la renormalisation dans l’espace réelle ou par blocs (théorie des blocs de Kadanoff). 176
Modélisation multi-échelle
Blocs de Kadanoff Dans un milieu présentant une transition de phase, l’état d’un objet en un point quelconque de ce milieu est le fruit des interactions de cet objet avec tous les autres, ce qui rend la détermination de cet état généralement impossible. L’idée de Kadanoff est de diviser le problème et de hiérarchiser les calculs. L’objet est divisé en petits blocs – les blocs de Kadanoff – d’une taille « a » telle qu’un calcul d’homogénéisation rigoureux puisse y être conduit. Le milieu est ainsi complètement analysé à l’échelle « a ». Cette étape constitue la première itération. Ces blocs primaires sont de nouveau assemblés, par exemple quatre par quatre, pour former des « supers blocs » analysés, dans notre exemple, à l’échelle « 2a », ce qui constitue la seconde itération. Le processus est ainsi poursuivi jusqu’à ce que, doublant la taille d’analyse à chaque itération et analysant successivement toutes les échelles de taille, prenant ainsi en compte leur influence sur le résultat final, l’objet entier forme le dernier bloc (fig. 11.3).
Fig. 11.3 – La méthode des blocs de Kadanoff. Transformation « R2 » où la taille d’analyse est multipliée par deux à chaque itération.
Cette approche très puissante a permis de modéliser avec succès les transitions de phases magnétiques à deux et trois dimensions, par exemple, ce qui est sans contexte très différent de la modélisation optique où de telles transitions ne se produisent a priori pas. Nous ne garderons ici que cette idée de balayage systématique des échelles de la structure photonique. Autre différence importante : on peut être amené, en optique, à changer de théorie en 177
Photonique des Morphos
même temps que d’échelle spatiale, ce qui n’est généralement pas le cas lors de l’étude des transitions de phase où seules les longueurs d’interaction évoluent au cours du processus et doivent être réévaluées à chaque étape (on dit « renormalisées », d’où le nom de cette théorie). En optique, la structure multi-échelle impose une approche « multi-physique » ! Nous allons dans un premier temps présenter les modèles permettant de traiter les différentes échelles rencontrées au cours des itérations en précisant chaque fois la dimension traitée, l’échelle spatiale concernée par l’approche et la possibilité de prendre en compte le désordre spécifique à cette échelle.
Modélisation des propriétés hémisphériques. Modèle multicouche et ajustement
Désordre : oui Dimension : 1D Non déterministe
Comme nous l’avons vu au chapitre 9, une mesure de réflectivité directionnelle hémisphérique, réalisée par exemple avec le Carry V, permet d’enregistrer un spectre de l’intégralité de la lumière réfléchie, dans un domaine spectral donné, mais toute information sur la répartition spatiale de cette lumière est perdue. Dans le cas des Morphos, cela signifie que l’information sur la dispersion de la lumière diffractée par les stries reste inconnue, et qu’on ne peut caractériser que l’effet interférentiel créé par les lamelles. Cette information est très précieuse, puisqu’elle permet de traiter la structure comme une simple multicouche dont il est possible de déterminer, à partir des spectres obtenus, les différentes épaisseurs et indices. Nous avons déjà évoqué (cf. chapitre 2, Encadré 2.1) le principe de calcul des propriétés optiques d’un empilement de couches minces. Plusieurs logiciels commerciaux permettent d’effectuer rapidement ces calculs, à la fois en mode déterministe (on impose une structure et le code calcule ses propriétés optiques) ou en mode ajustement : on donne un spectre et un schéma de base de la structure, et on ajuste un certain nombre de paramètres (épaisseur, indice, etc.) pour reproduire au mieux ce spectre. Tous utilisent le principe des matrices de transfert, connues dans ce cas précis comme « matrices d’Abeles » (cf. Encadré 11.1). C’est ce mode que nous avons appliqué à la structure des écailles de fond de M. menelaus, qui a permis une détermination de l’indice de la chitine (cf. Annexe).
Les matrices d’Abeles Appelons E(z) et H(z) les amplitudes des champs électrique et magnétique en un point d’abscisse z de la structure correspondant à une interface entre deux couches. Ces deux amplitudes constituent une matrice de champ [A(z)]. Après avoir traversé une couche mince d’un matériau de fonction diélectrique ¡n et d’épaisseur dn, ces amplitudes sont modifiées, et sont alors représentées par une nouvelle matrice de champ [A(z+dn)]. Ces deux matrices de champ sont reliées par une matrice 4 x 4 appelée « matrice d’Abeles » et qui, en incidence normale, prend la forme suivante : 178
Fig. E.11.1.1 – Géométrie des modèles matriciels.
Modélisation multi-échelle
(E11-1)
avec
Représente la matrice équivalente de l’empilement. Dans le cas où le milieu d’incidence est l’air, d’indice n0, les amplitudes réfléchie et transmise se mettent alors sous la forme :
(E11-2)
(E11-4)
où +n est la permittivité du matériau considéré, égale à 1 pour des matériaux non magnétiques comme ceux considérés ici. Dans ce cas, gn est égale à l’indice de la couche n et k, le vecteur d’onde dans cette même couche. Les amplitudes d’entrée et de sortie d’un empilement d’épaisseur totale D, composé de n couches différentes, sont alors reliées par le produit des matrices équivalentes de chacune des couches : [A(0)] . = [M(z1)] · [M(z2)] ·…. · [M(z3)] · [A(D)]. = [M(D)] · [A(D)],
En incidence oblique, r et t sont toujours définis par les équations précédentes, mais il faut remplacer g par g.cosq pour la polarisation s et par g/ cosq pour la polarisation p. L’angle complexe q est défini par :
où
Où q0 est l’angle d’incidence dans le premier milieu d’indice n0 et ¡ la constante diélectrique de chacune des couches.
(E11-3)
(E11-5)
Au vu des coupes et observations MEB des écailles de fond, la structure a été modélisée, pour sa réflectivité hémisphérique, comme un empilement de 14 couches hétérogènes, composées d’air et de chitine en proportions alternées (fig. 11.4).
Fig. 11.4 – Modélisation de la structure réelle pour le calcul de la réflectivité hémisphérique et la détermination de l’indice de la chitine.
/HV UpVXOWDWV GH O·DMXVWHPHQW GH OD UpÁHFWLYLWp HQ SRODULVDWLRQ7( HW70 ÀJ VRQWWUqVVDWLVIDLVDQWVHWRQWFRQGXLWjGHVpSDLVVHXUVGHFRXFKHHQ ERQDFFRUGDYHFOHVREVHUYDWLRQV,OIDXWQRWHUTXHOHVpSDLVVHXUVREWHQXHV DLQVL FRUUHVSRQGHQW j GHV PR\HQQHV VXU OD WRWDOLWp GHV pFDLOOHV pFODLUpHV SRXUODPHVXUHDORUVTXHFHOOHVPHVXUpHVDX0(%RXDX0(7DIIHFWpHV G·XQHHUUHXUGXHjO·LQFHUWLWXGHVXUO·DQJOHGHFRXSHRXG·REVHUYDWLRQVRQW pYLGHPPHQWORFDOHVWDEOHDX, 179
Photonique des Morphos
Fig. 11.5 – Résultats des ajustements effectués sur la réflectivité des ailes de M. menelaus en incidence normale (et en négligeant l’influence des écailles de recouvrement), pour les deux modes de polarisation TE et TM. Tableau 11.I – Épaisseurs optimales obtenues lors de l’ajustement en mode TE et TM, comparées aux épaisseurs déduites des observations en microscopie électronique à transmission (TEM).
Bas indice
1
3
5
7
9
11
13
Valeur moyenne
TEM (nm)
40
36
40
32
56
60
72
48
TE (nm)
48
43
32
26
67
72
86
53
TM (nm)
37
33
33
29
66
64
81
49
Haut indice
2
4
6
8
10
12
14
TEM (nm)
104
112
104
88
80
72
96
94
TE (nm)
88
89
83
70
88
63
88
81
TM (nm)
86
90
83
91
89
73
108
89
Diffraction par le réseau. Méthode RCWA La méthode RCWA (rigourous coupling wave analysis) est une des méthodes les plus employées depuis une dizaine d’années pour la modélisation de la diffraction des ondes électromagnétiques par des structures périodiques à une, deux ou trois dimensions. Il s’agit d’une méthode déterministe, non itérative, dont la précision ne dépend que du nombre d’harmoniques retenues dans les développements en série de Fourier décrivant les champs et les structures périodiques.
Désordre : non Dimension : 3D
Principe Le principe de la méthode est illustré sur la figure 11.6. Une onde électromagnétique polarisée linéairement tombe sous une incidence quelconque (θ, q) sur un réseau complexe de période R. On peut alors distinguer trois zones distinctes dans ce problème : deux domaines continus semi-infinis d’indice n0 et ns, représentant les espaces d’incidence de l’onde et le support du réseau, enserrant un domaine borné, d’épaisseur d, formé par la structure diffractante. Dans ce domaine, la fonction diélectrique, ou permittivité, périodique est développée en série de Fourier de la forme :
,
(11-6)
où x est la direction de la périodicité et ¡h la he composante de Fourier de ¡. Des développements identiques peuvent être effectués selon les deux autres directions dans le cas de structures périodiques à deux ou trois dimen180
Modélisation multi-échelle
sions. Et de la même manière, les champs électriques et magnétiques dans ce domaine seront eux aussi décomposés en séries de Fourier. Il ne reste plus qu’à déterminer, pour chaque harmonique, les solutions qui satisfont aux équations de Maxwell et aux conditions de continuité aux frontières, problème classique mais non trivial que nous ne développerons pas ici. Le mode transverse électrique (TE) et le mode transverse magnétique (TM) sont traités indépendamment en diffraction classique (plan d’incidence perpendiculaire aux traits du réseau), mais les composantes sont couplées en diffraction conique (plan d’incidence parallèle aux traits) et doivent être déterminées simultanément, ce qui complique singulièrement les calculs. La méthode RCWA, que nous ne décrirons pas plus en détail, satisfait aux critères de conservation de l’énergie ainsi que de convergence vers la solution exacte lorsqu’on augmente le nombre d’harmoniques dans les développements en série de Fourier. De par son principe même, elle ne peut traiter que des structures rigoureusement périodiques, et ne peut donc prendre en compte l’influence du désordre topologique (cf. Encadré 11.2).
Fig. 11.6 – Géométrie du modèle RCWA pour un réseau binaire rectangulaire.
Modes transverse électrique (TE) et transverse magnétique (TM) Nous avons vu (chapitre 2, Encadré 2.1) que l’état de polarisation d’une onde polarisée linéairement pouvait être définie dans un repère cartésien basé sur le plan du dioptre, le plan d’incidence et la direction du champ électrique E. L’onde s est, dans ce repère, la composante dont le champ électrique est perpendiculaire au plan d’incidence, et l’onde p celle dont ce champ est parallèle. Parfaitement univoque dans le cas d’un dioptre uniforme et isotrope, un tel repère n’est plus pertinent dans le cas d’une surface structurée, tel un réseau. Les paramètres fondamentaux étant les orientations
des champs par rapport à la structure, on préfère définir les ondes dans un repère constitué par l’axe des traits et les directions des champs électrique et magnétique de l’onde incidente. Le mode TE (transverse électrique) représente ainsi l’onde dont le champ électrique E est perpendiculaire aux traits du réseau, le mode TM (transverse magnétique) celle dont c’est le champ magnétique H. Ces deux modes de représentation ne sont pas compatibles, une onde s par exemple pouvant être indifféremment TE ou TM selon l’orientation du réseau par rapport au plan d’incidence. Ceci est parfois à la
181
Photonique des Morphos
source de quelques confusions, et seule la convention TE/TM permet de définir sans ambiguïté l’état
de polarisation d’une onde diffractée par un réseau unidimensionnel.
Fig. E.11.2.1 – Les modes transverse électrique et transverse magnétique sur un réseau binaire. En configuration conique, les modes TE et TM correspondent aux modes s et p respectivement, mais pas en configuration classique.
Cette méthode a été appliquée à la structure schématique d’une écaille de fond de Morpho menelaus. (fig. 11.7). Les dimensions sont tirées de l’image MEB (cf. chapitre 1, fig. 1.16). L’indice a été considéré comme constant sur toute la gamme de longueur d’onde. Deux types de calculs peuvent être menés. On peut d’une part déterminer les spectres de réflexion hémisphérique, composante par composante et ordre par ordre (cf. chapitre 10, fig. 10.7). On peut également, pour une longueur d’onde donnée, établir des cartes d’intensité des champs dans l’espace (fig. 11.8). Ces calculs sont qualitativement conformes aux mesures présentées dans le chapitre 2. On retrouve bien, en effet, le décalage chromatique entre les deux modes, le mode TM systématiquement décalé vers les grandes longueurs d’onde. Spectres et cartes nous confirment d’autre part la polarisation distincte des deux ordres de diffraction. D’un point de vue quantitatif cependant, si les amplitudes des spectres sont très correctes, l’état de polarisation des ordres est exacerbé. Ceci est attribué à la non-prise en compte des effets du désordre par la méthode RCWA. Il faut avoir recours pour cela à des calculs locaux permettant de traiter a priori n’importe quel type de structures, même mal ordonnées ou non périodiques : la méthode des éléments finis.
182
Modélisation multi-échelle
Fig. 11.7 – Spectres calculés des différents ordres de réflexion d’une structure schématique de l’aile de M. menelaus. L’ordre central R0, de faible amplitude, est très faiblement polarisé. L’ordre R1, centré sur λ = 500 nm (bleu-vert) est fortement polarisé TM alors que l’ordre R-1, plus bleu, l’est majoritairement en TE.
Fig. 11.8 – Champs diffractés calculés pour une incidence normale (non représentée) à 450 nm en mode TM et TE. Le mode TM est majoritairement diffracté sur la gauche (ordre R1) et le mode TE sur la droite (ordre R-1).
183
Photonique des Morphos
Méthode des éléments finis (FE)
Désordre : oui Dimension : 3D
Fig. 11.9 – Exemple de maillage triangulaire d’une structure simple bidimensionnelle. Le maillage est resserré et adapté autour de la structure en demi-cercle, plus lâche et régulière plus loin. D’après A. Mejdoubi (thèse, 2007).
La méthode des éléments finis est une méthode numérique qui a pris toute son importance avec la croissance exponentielle de la puissance et de la rapidité des moyens de calcul. Elle permet a priori de traiter n’importe quel type de structures, si complexes soient-elles, et pourrait à terme rendre caduques les approches fractionnées des problèmes multi-échelles, tels que ceux présentés ici. Ce n’est pas encore le cas, mais les puissances actuelles des ordinateurs permettent de traiter rigoureusement des structures désordonnées à petite échelle – en ce qui nous concerne : une dizaine de stries – dans leur configuration réelle, à deux ou trois dimensions. Il s’agit plus d’un concept que d’une théorie, aujourd’hui utilisé dans de très nombreux domaines de la physique, en électromagnétisme bien sûr, mais également en mécanique des structures, mécanique des fluides, etc., tout domaine nécessitant la résolution d’équations aux dérivées partielles, comme les équations de Maxwell. La méthode est fondée sur la technique d’approximation par éléments finis, permettant d’approximer une fonction polynomiale inconnue dans un espace donné ne connaissant que les valeurs prises par cette fonction en certains points de cet espace. Le domaine d’étude, par exemple une strie d’une écaille de Morpho et le demi-espace supérieur, où l’on souhaite calculer l’amplitude de l’onde diffractée, est divisé en sous-domaines élémentaires appelés « éléments ». Selon la structure étudiée, ces éléments sont bi- ou tri-dimensionnels, et n’importe quelles formes peuvent être utilisées dans la mesure où les éléments emplissent l’espace (triangles, quadrilatères à 2D, tétraèdres à 3D, etc.), permettant ainsi le maillage de géométries complexes. La maille peut être irrégulière et de taille variable dans le domaine, ce qui permet d’affiner les calculs dans les zones sensibles – au prix d’une augmentation du temps de calcul – et de le diminuer ailleurs (fig. 11.9). Les équations aux dérivées partielles sont transformées à l’aide d’une formulation intégrale, puis discrétisées, pour aboutir à un système d’équations algébriques. C’est une méthode robuste qui nécessite encore des moyens de calculs importants. Dans le cas qui nous concerne ici – déterminer les propriétés optiques d’une aile ou d’une portion d’aile de Morpho – la méthode des éléments finis permet tout d’abord de calculer l’amplitude des champs électromagnétiques en tout point du domaine, y compris dans la structure elle-même, pour une configuration optique du système donnée : polarisation, fréquence, angle d’incidence, etc. Ceci permet, entre autres, de visualiser les points d’accumulation de l’énergie électromagnétique dans l’espace, et de rechercher leur éventuelle concordance avec des domaines à forte concentration pigmentaire, comme à la base des stries par exemple. Connaissant ces champs, il est alors possible, dans un deuxième temps, de déterminer les coefficients de réflexion ou de transmission de la structure pour une longueur d’onde donnée. Principe du calcul Le problème consiste à résoudre une équation aux dérivées partielles, dans notre cas l’équation de Laplace régissant les variations du potentiel V en tout point de l’espace. On commence donc par définir un domaine d’étude, la structure et son environnement, limité par une frontière où la valeur du potentiel est supposée connue. Cette définition est le fruit d’un compro-
184
Modélisation multi-échelle
a
b
c
d
mis entre sa richesse en informations et le prix en temps de calcul. Il serait en effet possible de calculer directement le coefficient de réflexion d’une écaille composée de 1 000 stries mal ordonnées par exemple. Les analyses entropiques nous montrent cependant que ce colossal travail serait inutile et que le maximum d’informations est contenu, fort heureusement, dans un domaine bien plus petit. Une approche plus réaliste consiste donc à mailler un domaine plus restreint – par exemple deux stries – mais plus finement résolu, et d’imposer au système des conditions périodiques. Deux faces opposées de l’espace sont alors reliées par des expressions du type : (11-7) EA = eqEB,
Fig. 11.10 – Calcul des champs dans une structure schématique, en mode TE pour un nombre croissant de cellules de deux stries.
185
Photonique des Morphos
indiquant que les champs sur les faces A et B du domaine sont déphasés de q. On analyse ainsi le désordre de cette structure à l’échelle de cet espace, mais le système devient ordonné à longue distance, par répétition de la cellule unité. La figure 11.10 représente les cartes de champ calculées en mode TE pour un nombre croissant de stries. On peut y voir apparaître les zones d’accumulation de champ, en particulier une bande pratiquement continue à la base des stries, endroit de forte concentration pigmentaire.
Fig. 11.11 – Maillage de deux stries de M. rhetenor. Schéma déduit d’une photo de microscopie électronique à balayage.
La détermination des champs se fait en deux étapes. Le maillage L’espace d’étude est divisé en éléments plus ou moins fins permettant une résolution optimale dans les différentes zones du domaine. À chaque élément est associé une fonction diélectrique correspondant à sa nature (ici de la chitine ou de l’air). Ces fonctions diélectriques peuvent dépendre de la longueur d’onde incidente, c’est le cas de la chitine (annexe A.5). Le maillage est effectué de manière automatique par des codes de calcul commerciaux. Le calcul de la distribution des potentiels en chaque nœud du réseau C’est évidemment l’étape la plus complexe du processus, que nous ne décrirons pas ici. Dans son principe, notons simplement qu’on ne cherche pas à résoudre directement l’équation de Laplace en chacun de ces points, mais à trouver, par extrapolation, des solutions qui minimisent l’énergie dans chaque domaine. On remonte alors par le calcul du potentiel à l’amplitude des champs, puis à leur intensité (fig. 11.12). Ce type de cartes est extrêmement riche en informations. Elles permettent en particulier de localiser les zones d’accumulation des
186
Modélisation multi-échelle
champs dans la structure, et de les mettre en parallèle avec celles d’accumulation des pigments, et estimer ainsi l’optimisation de l’absorption solaire.
D
F
E
Fig. 11.12 – Cartes des champs dans et autour de la structure pour deux longueurs d’ondes incidentes correspondantes au maximum de réflexion hmax = 475 nm (a et b) et au minimum de réflexion hmin = 750 nm (c et d) et les deux modes de polarisation TE (a et c) et TM (b et d).
G
Une fois que les champs ont été déterminés en tout point de l’espace, on peut déduire les coefficients de réflexion et de transmission de la structure. Dans le cas de la réflexion, par exemple, ils sont définis comme les rapports des intensités incidentes et réfléchies sur la frontière supérieure S du domaine :
(11.8)
avec (11.9) 187
Photonique des Morphos
Les figures 11.13 montrent les spectres de réflectivité calculés pour les modes TE et TM sur une structure périodique simplifiée non désordonnée, que l’on peut comparer aux mesures effectuées sur M. menelaus (cf. chapitre 2, fig. 2.11), et constater leur excellente adéquation.
Fig. 11.13 – Réflexion et transmission en mode TE et TM de M. rhetenor calculée par élément finis, à partir d’une structure simplifiée et adaptée. Les résultats sont très proches des mesures expérimentales mais la structure assez éloignée de la réalité.
Cette méthode de calcul est extrêmement riche et puissante, et c’est actuellement une des rares à pouvoir traiter la structure réelle, avec ses inhomogénéités et ses désordres. La contrepartie est très grande sensibilité à ces paramètres dont la caractérisation doit être beaucoup plus poussée et précise que pour les autres méthodes. C’est ainsi que paradoxalement, les résultats très satisfaisants présentés figure 11.13 n’ont pas été obtenus à partir d’une structure réelle, mais d’une structure schématisée qui en est assez éloignée. Ceci est dû au manque de précision non pas dans la forme mais dans la valeur de l’indice de la structure. Si nous avons pu déterminer avec une certaine précision la partie réelle de l’indice de la chitine (cf. Annexe), celui-ci est fortement modifié par la présence de pigments, généralement amassés à la base des stries, et qui augmente sensiblement la partie imaginaire. L’étude densitométrique, présentée dans le chapitre 1 (cf. Encadré 1.4), a permis une estimation de leur concentration, et de leur coefficient d’absorption. Cette prise en compte permet alors d’améliorer sensiblement l’allure des spectres (fig. 11.14).
Conclusion Fig. 11.14 – Structure schématisée utilisée pour le calcul de spectres précédents. Il a fallu artificiellement augmenter l’épaisseur des couches d’air.
188
La modélisation des propriétés optiques de structures photoniques naturelles – telles les ailes des Morphos – consiste idéalement à calculer les différentes composantes de la BRDF. Nous sommes confrontés là à des difficultés à la fois théoriques et calculatoires. Une aile de Morpho se présente sous la forme d’une structure hiérarchisée, ou multi-échelle, allant typiquement
Modélisation multi-échelle
de la centaine de nanomètres, ou un peu moins, à la dizaine de centimètres. D’un point de vue optique, cela signifie que l’on débute l’analyse à une échelle plus petite que les longueurs d’onde du visible pour finir à des tailles nettement plus grande. Il faudra donc changer de représentation de la lumière au fur et à mesure que l’on gravit les échelons. Les structures les plus fines sont le siège de phénomènes cohérents – interférence et diffraction – alors qu’ils seront incohérents dans les tailles intermédiaires. À l’échelle macroscopique enfin apparaîtrons des phénomènes purement géométriques : effets d’ombrage, de masquage, etc. Sur ce schéma viennent se greffer d’autres problèmes théoriques. Les structures présentent un désordre topologique, ou entropie de configuration, très différent d’une échelle à l’autre. Ce désordre est à l’origine de propriétés importantes et un modèle réaliste ne peut faire l’économie de sa prise en compte. De nombreux modèmes existent dans différents domaines de la physique pour traiter ce type de problème. Nous avons choisi ici une approche de type renormalisation dans l’espace réel : la méthode des blocs de Kadanoff. Elle permet en effet de balayer les différentes échelles en adaptant si besoin la physique locale à chaque itération et au type de phénomène considéré. Nous avons vu en effet que les mesures hémisphériques, qui correspondent sensiblement dans la nature à un éclairage diffus, gomment les phénomènes diffractifs pour ne faire apparaître que les phénomènes interférentiels. Les rendus colorés seront différents dans les deux cas, de même que les approches théoriques : modèle de couche mince dans un cas, méthode RCWA dans l’autre. La renormalisation par bloc permet cette prise en compte. Des méthodes de calculs extrêmement riches ont fait leur apparition recemment : les calculs par éléments finis (FE) ou par la méthode des différences finis dans le domaine temporel (FDTD : finite difference time domains). En principe, ces approches ne sont pas limitées en taille et sont capables de prendre en compte la morphologie exacte de la structure. C’est le temps de calcul et la prose des données topologiques qui limitent actuellement la taille du domaine d’étude, mais à n’en pas douter, elle grandira rapidement ! ■
Résumé 1 Les structures photoniques naturelles présentent, du point de vue de la modélisation des propriétés optiques, trois caractéristiques fondamentales : (1) Elles sont multi-échelles… (2) Ce qui implique que les modèles soient souvent multi-physiques. (3) Elles sont plus ou moins bien ordonnées, et le désordre dépend de l’échelle d’observation. 2 Il faut donc, pour établir un modèle global, un cadre unificateur permettant d’intégrer toutes les échelles : la renormalisation et des théories locales permettant de traiter le problème à une échelle donnée. 3 Parmi ces dernières, certaines permettent de traiter un milieu désordonné, d’autres pas. Certaines sont déterministes (FE, RCWA), d’autres permettent des ajustements de paramètres physiques (indice) ou structuraux (théories des couches minces). 189
Photonique des Morphos
4 Les théories locales ou globales sont adaptées à une dimension spatiale. En symétrie cubique par exemple, les blocs de Kadanoff peuvent être des carrés (2D) ou des cubes (3D). Les théories RCWA peuvent être bi- ou tridimensionnelles, de même que les calculs par éléments finis. Les approches multi-couches sont strictement unidimensionnelles. 5 Les limites des différentes théories peuvent être théoriques, pour la plupart liées à la longueur de cohérence de l’onde lumineuse, ou « économiques » : temps de calcul ou temps de mise en forme. Les approches par élément finis sont théoriquement adaptées à l’étude de domaines non bornés et désordonnés mais, dans ce dernier cas, la structure doit être déterminée point par point et généralement manuellement, ce qui limite de fait son extension.
Pour en savoir plus Sur la renormalisation De Gennes PG (1974) La Recherche 51: 1022 Kadanoff LP (1966) Physics 2: 263 Kadanoff LP (1975) Variational principle and approximate renormalization group calculation. Phys Rev Lett 34: 1005 Pfeuty P, Toulouse G (1977) Introduction au groupe de renormalisation et à ses applications. Presse Universitaire de Grenoble, Grenoble Wilson KG (1979) Les phénomènes de physique et les échelles de longueur. Pour la Science 24: 16 Sur les éléments finis Hunter P, Pullan A (2001) FEM/BEM Notes, The University of Auckland – Department of Engineering Sciences, New Zealand Orlowska S (2003) Thèse de doctorat de l’École centrale de Lyon Silverster P (1996) Finite element for electrical engineers. Cambridge University Press, Cambridge Zou L, Davis LE (1996) IEEE Trans On MIT 44, n° 6 Sur les méthodes RCWA Moharame MG, Grann EB, Pommet DA (1995) Formulation for stable and efficient implementation of the rigourous coupled-xave analysis of binary gratings. J Opt Soc Am 12: 1068 Moharame MG, Gaylord TK (1981) Rigourous coupled-wave analysis of planar gratting diffraction. J Opt Soc Am 71: 811 Moharame MG, Gaylord TK (1982) Diffraction analysis of dielectric surfacerelief gratings. J Opt Soc Am 72: 1385 Sur les matrices d’Abeles Abeles F (1967) Optics of thin films. In: Advanced optical techniques, Van Heel ACS, Ed. North-Holland Publ. Co., Amsterdam
190
Sous-genre Iphixibia
Espèce : M. anaxibia anaxibia
Le sous-genre Iphixibia ne comporte qu’une espèce, M. anaxibia anaxibia, caractérisée par un bleu intense mais mat, ce qui constitue une exception. Ceci est dû à la forme particulière des écailles de fond comme de recouvrement qui sont assez fortement convexes, ce qui étale la BRDF et casse les reflets.
Photonique des Morphos
Microscopie optique
Microscopie électronique à balayage
194
Sous-genre Iphixibia
Microscopie électronique à balayage : stries
Données générales Écailles de fond Pas : R = 1 μm Nombre de lamelles : n = 7
Écailles de recouvrement R = 2 μm n=7
Propriétés optiques
Carte de diffusion de M. anaxibia pour une incidence de 20°. Le lobe de diffusion est large, les effets diffractifs pratiquement inexistants, ce qui est caractéristique d’une surface mate. 195
Sous-genre Laurschwartzia
Espèce : M. hecuba hecuba, M. hecuba obidona, M. cisseis cisseis, M. cisseis phanodemus, M. cisseis cissestrica.
Le sous-genre Laurschwartzia ne comporte qu’un petit nombre d’espèces : 5, toutes de très grande taille. Jusqu’à 18 cm pour M. hecuba hecuba, , légèrement plus pour la femelle. Toutes les espèces sont à forte dominante pigmentaire, brune ou noire, avec de larges zones bleues légèrement iridescentes sur les deux ailes.
Photonique des Morphos
Les espèces étudiées
Microscopie optique
Le sous-genre est très homogène d’un point de vue structural. Les écailles de fond et de recouvrement sont identiques en forme. Dans les zones iridescentes, seules les écailles de fond sont structurées (M. cisseis).
198
Sous-genre Laurschwartzia
Microscopie électronique à balayage
M. cisseis cisseis (zone iridescente, base de l’aile postérieure)
Microscopie électronique à balayage : stries Données générales Écailles de fond : Pas des stries : Lamelles :
50 μm ⫻ 80 μm, R = 2 μm n=1
Écailles de recouvrement : 150 μm x 60 μm Pas des stries : R = 2,2 μm Lamelles : n=1 199
Photonique des Morphos
Propriétés optiques
Réflectivité hémisphérique directionnelle de M. cisseis (zone bleue) en incidence variable. Les spectres varient peu avec l’incidence, les effets d’iridescence sont faibles.
M. cisseis cisseis
M. hecuba hecuba
Carte de diffusion spectrale de M. cisseis et M. hecuba pour une incidence de 20° et une longueur d’onde h = 450 nm. On ne distingue pratiquement aucun effet diffractif, mais une importante tache secondaire aux grands angles chez (80°) les deux espèces. On remarque également un fort lobe de réflexion autour du faisceau spéculaire chez M. cisseis, et son absence chez M. hecuba.
200
Sous-genre Iphimedeia
Espèces : M. telemachus telemachus, M. telemachus fruhstoferi, M. telemachus martini, M. telemachus exusarion, M. telemachus lilmiane, M. theseus theseus, M. theseus pacificus, M. theseus oaxasensis, M. hercules hercules, M. niepetlti, M. amphitryon amphitryon.
Le sous-genre Iphimedeia est composé de onze espèces, toutes de grande taille (≈ 13 cm) de couleur assez sombre, à très forte dominante pigmentaire. On y distingue cependant quelques espèces présentant de larges zones légèrement irisées, sur lesquelles ont porté nos études.
Photonique des Morphos
Les espèces étudiées
Microscopie optique
D
E
M. hercules hercules
202
Écaille de fond (a) Écaille de recouvrement (b)
Sous-genre Iphimedia
Toutes les espèces ont de grandes écailles, systématiquement très dentelées. Les écailles de recouvrement, souvent plus étroites, sont parfois simplement bifides (M. amphytrion). Écailles de fond :
150 μm ⫻ 80 μm
Écailles de fond :
120 μm ⫻ 100 μm
Microscopie électronique à balayage
Morpho theseus theseus
Morpho amphytrion
Microscopie électronique à balayage : stries
Morpho theseus : écaille de recouvrement
Morpho hercules : écaille de recouvrement
La structure est très ouverte, avec un réseau de contre-stries très régulier. Les lamelles sont courtes, et ne se superposent pas. Le pas des stries est grand. Données générales Écailles de fond
Écailles de recouvrement
R = 1,8 μm
R = 1,9 μm
203
Photonique des Morphos
Propriétés optiques
Carte de réflectivité de M. hercules à 450 nm et 650 nm. Les cartes sont sensiblement indépendantes de la longueur d’onde, et pratiquement aucun effet diffractif n’est visible. La réflectivité est légèrement plus élevée vers les grandes longueurs d’onde, conformément à la couleur générale du genre.
Spectre de réflectivité directionnelle hémisphérique en incidence variable, de M. hercules.
204
Sous-genre Megamede
Espèces : M. rhetenor rhetenor, M. rhetenor augustinae, M. rhetenor helena, M. rhetenor cacica, M. cypris cypris.
Le genre Megamede très homogène, comprend 5 espèces caractérisées par un bleu très vif, extrêmement directif. Ceci est dû à la nature particulière des écailles de recouvrement qui sont atrophiées et ne modifient en rien l’effet produit par les écailles de fond. Ces dernières possèdent en outre le plus grand nombre de lamelle de tous les Morphidae, ce qui augmente fortement le coefficient de réflexion.
Photonique des Morphos
Les espèces
Microscopie optique
M. rhetenor rhetenor
M. cypris
L’arrangement des écailles est identique chez toutes les espèces. Les écailles de recouvrement sont atrophiées, les écailles de fond sensiblement rectangulaires, avec un très faible recouvrement latéral. Dimension moyenne : 130 μm x 60 μm. L’apex des écailles de fond de M. rhetenor est lisse, légèrement arrondi. Ceux de M. cacica et M. cypris présentent quelques dentelures assez larges. Les écailles de M. cacica sont plus pointues. 206
Sous-genre Megamede
Microscopie électronique à balayage Écaille atrophiée de recouvrement de M. rhetenor rhetenor. Forme identique chez toutes les espèces, légèrement plus arrondie chez M. cypris. Dimension moyenne : 20 μm x 10 μm. Nombre de stries : 10-12
Écailles de fond de M. rhetenor cacica, légèrement dentelées et plus en pointe que chez les autres Megamedes.
207
Photonique des Morphos
Microscopie électronique à balayage : stries
Morpho rhetenor rhetenor
Morpho rhetenor cacica
Données générales Pas des stries : R = 450 nm Lamelles : n = 11 à 12 Lamelles longues et très peu inclinées (θ < 3°) Morpho rhetenor cacica
Propriétés optiques
Spectres de réflectivité hémisphérique directionnelle en incidence variable de M. rhetenor rhetenor. 208
Sous-genre Megamede
Longueur d’onde des minima de réflexion en fonction de l’incidence (M. rhetenor rhetenor). Aucune correction d’incidence : les lamelles sont pratiquement horizontales.
BRDF de M. rhetenor rhetenor. Les deux premiers ordres sont bien marqués, et légèrement dissymétriques.
209
Sous-genre Balachowskyna
Espèces : M. aurora aurora, M. aurora aureola, M. absoloni absoloni.
Le sous-genre Balachowskyna ne comporte que trois espèces de taille moyenne, assez différentes en couleur mais homogène quant à l’organisation générale des écailles.
Photonique des Morphos
Les espèces étudiées
Microscopie optique
La forme et la disposition des écailles des Balachowskyna sont assez proches de celles des Cytheritis, avec des écailles de recouvrement étroites et juxtaposées aux écailles de fond. À gauche : M. aurora aureola, à droite : M. absoloni. Écaille de fond, rectangulaire, 100 μm ⫻ 50 μm Écaille de recouvrement : 100 μm ⫻ 10 μm
212
Sous-genre Balachowskyna
Microscopie électronique à balayage
M. absoloni absoloni
Microscopie électronique à balayage : stries
M. absoloni : écaille de fond
M. absoloni : écaille de recouvrement
La structure fine des deux types d’écaille est identique. Elle comporte 6 à 7 lamelles, plus courtes et plus inclinées dans les écailles de recouvrement. Données générales Écailles de fond
Écailles de recouvrement
Pas :
R = 1 μm
R = 1,5 μm
Lamelles :
n = 6 à 10
n=5 213
Photonique des Morphos
Propriétés optiques
D
E
Carte de diffusion spectrale de M. aurora pour une incidence de 20° et une longueur d’onde h = 450 nm (a) et 520 nm (b). L’effet diffractif est important, les ordres R1 et R-1 très marqués, ce qui dénote un ordre général de la structure assez important. La réflectivité reste cependant assez faible – M. aurora est un papillon relativement sombre – sans doute en raison de la forte concentration en pigment des écailles de fond.
214
Sous-genre Grasseia
Espèces : M. menelaus menelaus, M. menelaus coreuleus, M. menelaus eberti, M. menelaus occidentalis, M. godartii, M. godartii julanthiscus, M. amathonte amathonte.
Le sous-genre Grasseia compte sept espèces très homogènes quant à leurs structures fines et mésoscopiques. Toutes sont d’un bleu très vif, à l’exception notable de M. godartii godartii, très dépigmenté et d’un aspect presque blanc. Ce sont pour la plupart des espèces très communes et sont, à ce titre, très étudiées d’un point de vue structurel.
Photonique des Morphos
Les espèces étudiées
Microscopie optique
Disposition et écailles isolées de M. godartii (ci-dessus) et M. godartii asarpaï (page suivante). Formes et tailles sont très proches, mais les écailles de fond de M. godartii sont très peu pigmentées, ce qui lui donne un aspect général très clair, et un bleu peu intense. 216
Sous-genre Grasseia
Microscopie électronique à balayage
Les écailles sont plates chez la plupart des espèces (menelaus et amathonte, ici à gauche), légèrement convexe chez godartii (droite) ou M. didius, ce qui diminue l’intensité des reflets. Les écailles de recouvrement sont systématiquement plus longues (150 μm ⫻ 50 μm en moyenne) que les écailles de fond (120 μm ⫻ 40 μm).
217
Photonique des Morphos
Microscopie électronique à balayage : stries
Les stries des écailles de toutes les espèces étudiées ont une structure très homogène. Celles des écailles de fond sont serrées et comptent un nombre de lamelles assez élevé et constant : 7 à 8 (à gauche : M. godartii). Les stries des écailles de recouvrement sont plus espacées et comportent moins de stries, en général 4 ou 5 (à droite M. amathonte).
Microscopie électronique en transmission
Disposition générale et détail d’une strie d’une écaille de fond de M. menelaus. Les zones noires, plus opaques aux électrons, dénotent la présence des mélanines. On peut distinguer à gauche la membrane qui entoure l’ensemble de l’écaille. Données générales Écailles de fond Pas de stries :
600 à 700 nm
Nombre de lamelles : 7 à 8
218
Écailles de recouvrement 1,5 μm 5
Sous-genre Grasseia
Propriétés optiques
Là encore, on retrouve une grande homogénéité des propriétés optiques, avec un pic interférentiel centré sur 450 nm en incidence normale et un déplacement important vers l’ultraviolet lorsque l’angle d’incidence augmente, impliquant une forte iridescence. Le déplacement du minimum à 600 nm avec l’incidence indique une inclinaison moyenne des lamelles d’une dizaine de degrés.
BRDF de M. menelaus occidentalis pour une incidence de – 20°.
219
Sous-genre Morpho
Espèces : M. helenor helenor, M. helenor hachillanena, M. hellenor coelestis, M. helenor peleides, M. helenor macrophtalmus, M. helenor theodorus, M. helenor montezuma, M. helenor anakreon, M. helenor maculate, M. helenor peleus, M. achilles achilles, M. achilles pokylides, M. achilles vitrea, M. deidamia deidamia, M. deidamia electra, M. granadensis grandensis, M. grandensis lycanor.
Le sous-genre Morpho, qui a donné son nom à la famille, est le plus vaste, avec 17 espèces recensées. Toutes sont caractérisées par la présence d’une bande bleue iridescente plus ou moins large traversant les deux ailes par leur milieu. Elle peut être très étroite comme chez M. helenor helenor ou M. achilles achilles, ou au contraire envahir toute l’aile, comme chez M. helenor peleides et M. helenor maculata, ne laissant qu’une mince frange pigmentaire sur l’apex des ailes.
Photonique des Morphos
Les espèces étudiées
Microscopie optique
Morpho helenor (zone de transition) et écailles isolées.
222
Sous-genre Morpho
Microscopie électronique à balayage
Chez toutes les espèces : les écailles de fond, plates relativement petites, sont recouvertes par plusieurs couches de grandes écailles de recouvrement, ondulées et légèrement convexes.
Microscopie électronique à balayage : stries Zone bleue
M. helenor Écaille de fond
Écaille de recouvrement
Données générales Écailles de fond 90 μm ⫻ 55 μm Pas des stries : Contre-stries : Lamelles : Inclinaison : 12°
R = 700 nm R’ = 1 μm n=5
Écailles de recouvrement 140 μm ⫻ 100 μm R = 2 nm R’ = 3 μm n=2à3
223
Photonique des Morphos
Propriétés optiques
224
Sous-genre Pessonia
Espèces : M. epistrophus epistrophus, M. epistrophus nikolajevna, M. epistrophus titei, M. epistrophus catenaria, M. polyphemus polyphemus, M. polyphemus luna, M. iphitus iphitus.
Le sous-genre Pessonia est très homogène. Il comporte sept espèces de moyenne à grande taille, toutes caractérisées par une absence totale de pigment dans les écailles comme dans la membrane alaire, excepté sur le bord costal et l’apex des ailes antérieures, et une bande plus ou moins continue au niveau des ocelles. L’aspect est blanc, avec des reflets très subtils allant du rose au vert.
Photonique des Morphos
Les espèces étudiées
Microscopie optique
M. iphitus iphitus
M. epistrophus epistrophus
L’arrangement des écailles est identique chez toutes les espèces. Les écailles de fond sont dentelées, celles de recouvrement, plus étroites pas ou peu dentelées cher iphitus, beaucoup plus chez les autres espèces où elles se distinguent peu des écailles de fond. Présence systématique d’écailles pilliformes. Dimension moyenne : 160 μm ⫻ 100 μm. La disposition générale est assez irrégulière. Les deux faces sont pratiquement identiques.
Microscopie électronique à balayage
M. polyphemus 226
M. iphitus iphitus
Sous-genre Pessonia
Microscopie électronique à balayage : stries
M. polyphemus luna
Morpho polyphemus
Morpho epistrophus catenaria Données générales Pas des stries : R = 2 μm Nombre de lamelles : n = 1 Lamelles courtes et très peu inclinées (θ < 3°) Membrane supérieure de l’écaille plus ou moins ouverte. Presque totalement chez M. luna, quelques fenêtres seulement chez M. polyphemus. Réseau dense de contre-stries et de trabécules désordonnées entre les membranes.
Propriétés optiques
227
Photonique des Morphos
Cartes de diffusion de M. polyphemus luna pour une incidence de + et – 20°. Le lobe de diffusion, comme chez tous les Pessonia, est large. On peut cependant remarquer la trace des lobes de diffraction, peu intenses mais suffisant pour créer de faibles effets colorés ainsi qu’une dissymétrie des deux cartes due à l’inclinaison des lamelles.
228
Sous-genre Cytheritis
Espèces : M. aega, M. rhodopteron, M. zephyritis, M. marcus, M. eugenia, M. eugenia uraneis, M. portis, M. portis thamyris, M. sulkowskyi calderoni, M. sulkowskyi sulkowskyi, M. sulkowskyi eros, M. sulkowskyi lympharis.
Le sous-genre Cytheritis est très homogène. Il comporte sept espèces de moyenne à grande taille, toutes caractérisées par une absence totale de pigment dans les écailles comme dans la membrane alaire, excepté sur le bord costal et l’apex des ailes antérieures, et une bande plus ou moins continue au niveau des ocelles. L’aspect est blanc, avec des reflets très subtils allant du rose au vert.
Photonique des Morphos
Les espèces étudiées
Microscopie optique
M. eugenia 230
M. marcus
Sous-genre Cytheritis
M. zephyritis
M. sulkowskyi
Le sous-genre Cytheritis comporte douze espèces de taille moyenne, voire petite, d’aspect très homogène. On peut cependant distinguer de très fortes disparités dans l’arrangement des écailles, les structures fines et la répartition des pigments. Toutes les espèces, à l’exception de deux (M. marcus et M. eugenia), présentent une répartition d’écailles très caractéristique. Les écailles de recouvrement sont étroites, et très régulièrement juxtaposées entre les écailles de fond. Au contraire, dans les deux autres espèces, les écailles de recouvrement sont hypertrophiées et recouvrent de plusieurs couches (quatre à cinq) les écailles de fond.
M. marcus
M. zephyritis
Autre particularité dans la répartition des pigments : alors que toutes les autres espèces ont classiquement des pigments dans les écailles de fond et que celles de recouvrement en sont dépourvues, M. marcus et M. eugenia en sont totalement dépourvues, comme on peut le voir sur l’image précédente, prise sous liquide d’indice.
231
Photonique des Morphos
Microscopie électronique à balayage
M. marcus
M. aega
Les deux dispositions caractéristiques des Cytheritis. À gauche, les petites écailles de fond de M. marcus recouvertes par plusieurs couches d’écailles de recouvrement très développées. À droite, les étroites écailles de recouvrement de M. aega.
232
Morpho marcus
Morpho aega
Morpho zephyritis
Morpho sulkowskyi
Sous-genre Cytheritis
Microscopie électronique à balayage : stries
Vue par la tranche (à gauche) et de la surface (à droite) d’une écaille de fond de M. marcus. La structure des écailles de recouvrement est identique. Il n’y a qu’une seule lamelle, très rectiligne, qui court sur toute la longueur de l’écaille.
M. portis
M. aega
Chez toutes les autres espèces, les lamelles sont longues, et se superposent largement (entre cinq et sept). Là encore, la disposition est très semblable dans les deux types d’écaille. Données générales M. marcus – M. eugenia Pas des stries :
R = 300 nm (fond) R = 600 nm (recouvrement)
Nombre de lamelles : n = 1
Autres R = 200 à 300 nm n=7–8
Lamelles horizontales
233
Photonique des Morphos
Propriétés optiques
Spectres de réflectivité hémisphérique directionnelle en incidence variable de M. marcus (gauche) et M. zephyritis (droite). Les spectres de réflexion de M. marcus et M. eugenia dont l’origine est différente (phénomènes incohérents) sont beaucoup moins étroits que ceux de toutes les autres espèces.
Cartes de diffusion spectrale de M. zephyritis (à gauche) et en luminance de M. eugenia (à droite) pour une incidence de -20°. Les effets diffractifs sont marqués chez M. zephyritis, les ordres de diffraction sont intenses. Chez M. eugenia, on ne distingue pas d’ordre de diffraction.
234
CONCLUSION
E
n 2004, à l’instigation du Professeur Jean Pol Vigneron, de l’Université Notre-Dame de la Paix de Namur, l’Union européenne finançait le projet « Biophot » : « Complexity and evolution of photonic nanostructures in bioorganisms : templates for material sciences ». Biophot fut le projet dont chaque chercheur rêve sa carrière durant, puisqu’il donnait carte blanche pour traquer dans la nature les structures photoniques, les décrire, les comprendre et les modéliser, sans – dans cette première phase – en chercher systématiquement le transfert industriel, mais en gardant cependant l’idée en tête. À une autre échelle, c’était repartir à la découverte d’un monde pratiquement vierge, et comme tous nos grands navigateurs, nous pouvons affirmer, après ces quatre années d’exploration, que nous n’avons fait que quelques timides incursions à l’intérieur de ces terres inconnues. La force du programme est d’avoir associé et fait collaborer de manière réelle et équilibrée les communautés des physiciens et ingénieurs d’une part, les biologistes, évolutionnistes et entomologistes d’autre part. Ce rapprochement profond est certainement l’une des plus belles réussites du projet qui, par la découverte et la compréhension de nouvelles structures, a autant apporté aux seconds qu’aux premiers. Les leçons de la nature que nous ont amenées à découvrir et à recevoir nos collègues et amis Andrew Parker du Natural History Museum de Londres, et Zsolt Balint du Hungarian Natural History Museum de Budapest, constituent – pour nous physiciens – une petite révolution conceptuelle : la perfection « en moyenne », la force du désordre et la multifonctionnalité. La perfection en moyenne, ou l’optimisation multifonctionnelle, est une caractéristique universelle des « constructions » naturelles, mais auxquelles nous, ingénieurs, sommes peu habitués. On peut y voir un autre aspect de l’économie de la nature qui réalise beaucoup avec peu de matériaux et doit assurer avec peu de moyens l’ensemble des fonctions assurant la survie et le développement des espèces. L’équilibre est atteint lorsque l’ensemble des taches est assuré au mieux à l’aide du minimum de dispositifs, sans qu’aucun ne soit individuellement optimisé. À quoi servent les structures décrites dans cet ouvrage ? À créer des couleurs permettant la reconnaissance et la communication inter- et intraspécifique ? C’est en effet un élément vital pour la sauvegarde et le développement de l’espèce,
Photonique des Morphos
mais pas plus que l’hydrophobie qu’elles génèrent, ou l’isolation thermique qu’elles procurent. Nous pourrions, quant à nous, optimiser chacune de ces fonctions indépendamment, pour un usage spécifique, mais à un prix prohibitif pour un organisme vivant, et l’avenir est très nettement à la multifonctionnalité. Autre concept peu familier aux ingénieurs, et qui est un des piliers de cette multifonctionnalité : le désordre structurel. Ce désordre qui permet au Morpho de rester sensiblement bleu là où, avec une structure parfaite, la même variation d’incidence nous laisserait voir toute la palette des couleurs : c’est la robustesse des effets, vitale pour tout organisme vivant, mais bien délicate à obtenir. Des théories développées dans d’autres contextes, comme l’entropie de configuration, nous ont permis d’appréhender, de caractériser ce désordre et d’en mieux comprendre l’influence sur les propriétés optiques de ces structures mal ordonnées. Une de leurs propriétés fondamentales est d’y trouver des grandeurs caractéristiques de toutes tailles : les structures photoniques naturelles sont des structures multi-échelles, et cela contribue, avec le désordre attaché à chacune de ces échelles, à la robustesse et à la multifonctionnalité de l’ensemble. De nouvelles approches théoriques ont dû être développées ou adaptées pour traiter ces problèmes, et ce n’est pas un des moindres intérêts de ce programme de nous avoir montré qu’aucun organisme n’est insignifiant et peut constituer à lui seul un concentré des physiques les plus actuelles. Des moyens de calculs considérables ont été nécessaires à l’équipe du Professeur Vigneron à Namur pour expliquer le pâle reflet d’une aile de papillon ou d’une plume d’oiseau, et ce savoir et cette expérience accumulée nous ouvrent les portes d’une seconde phase : le transfert industriel biomimétique. Des transpositions basiques d’effets optiques générés par des ailes de papillons ont déjà été présentées dans un ouvrage précédent, comme la conception et la modélisation de tissus iridescent. Il s’agissait déjà là d’un problème multi-échelle et multiphysique, et on peut d’ailleurs constater, en relisant ces travaux, les progrès effectués en quelques années dans la compréhension et la modélisation de ces phénomènes. Dans un tout autre domaine, nous avions également proposé une structure anti-falsification basée sur des effets colorés et polarisés, directement inspirée des écailles d’un petit Lycaenide. L’équipe du Professeur Lázló Biró, du Research Institute for Technical Physics an Materials Sciences, de Budapest, a développé et testé avec succès un détecteur de vapeur en aile de Morpho. Le principe est celui illustré plusieurs fois dans cet ouvrage du changement de couleur de l’aile en présence d’un fluide d’indice différent de celui du milieu ambiant. En effectuant un spectre de l’aile immergée dans différents bains de vapeur, le procédé s’est montré à la fois sélectif dans la reconnaissance du gaz, mais capable aussi de donner des indications quantitatives précises (fig. 1). Plus récemment, nous avons, en collaboration avec Saint-Gobain Recherche, reporté sur un verre l’empreinte d’une aile de Papilio ulysses qui possède une structure de surface plus simple que celles des Morphos et transféré ainsi sur le vitrage l’extraordinaire pouvoir hydrophobe de l’aile (fig. 2).
236
Conclusion
Fig. 1 – Spectre de réflectivité différentielle vapeur/air d’une aile de Morpho aega D’après LP Lazlo et al. (2008).
D
E
Et maintenant ? Nous l’avons déjà évoqué à plusieurs occasions dans cet ouvrage, la photonique va remplacer progressivement l’électronique. Il faudra pour cela savoir faire avec le photon tout ce que nous faisons actuellement avec l’électron, dans un volume au moins aussi faible. Or, la lumière ne se laisse pas manipuler aussi facilement ! Il est difficile par exemple de lui faire changer de direction sur quelques nanomètres. La chose est cependant possible dans des matériaux nanostructurés : les cristaux photoniques. Les pas caractéristiques de ces structures, de l’ordre de quelques dizaines ou centaines de nanomètres, ne sont pas inaccessibles à nos techniques actuelles : on sait déposer des couches minces de quelques dizaines de nanomètres d’épaisseur, on sait également structurer ces surfaces, mais comment atteindre la troisièmes dimension ? Le cristal photonique tridimensionnel fait l’objet d’intenses recherches de par le monde, car il est la clé de la photonique future. Divers cristaux ont d’ores et déjà été réalisés mais les techniques sont lourdes et peu aptes, à l’heure actuelle, à être appliquées à l’échelle industrielle. D’où la tentation, devant les magnifiques structures que nous montre et nous offre la nature, dont certaines, comme celles des écailles des Curculionidae, sont d’une remarquable régularité, de les utiliser directement, de les reproduire dans des matériaux plus adaptés à nos besoins. Faute d’être capable de construire directement ces structures ex nihilo, il est tout à fait possible aujourd’hui d’en effectuer des moules tridimensionnels par des méthodes d’imprégnation. De telles réalisations sont en cours d’expérimentation dans différents laboratoires de chimie, à Paris, et Namur entre autres. Les méthodes sol-gel de chimie douce commencent à donner de forts prometteurs résultats et il est très probable qu’à court terme nous saurons réaliser des copies d’écailles en divers matériaux inorganiques, y implanter les luminophores et y faire circuler la lumière (fig. 3).
F
Fig. 2 – Empreinte d’écailles de Papilio ulysses sur un verre (a, b) et hydrophobie du verre structuré (c). La structure des Papilio est plus simple que celle des Morphos et se prête mieux à ce type de transfert.
237
Photonique des Morphos
Fig. 3 – La structure tridimensionnelle des écailles de Cyphus ancoki (Curculionidae). La structure est identique à celle d’une opale inverse extrêmement régulière.
À n’en pas douter, les structures photoniques naturelles tiennent en réserve bien des trésors d’ingéniosité et de solutions technologiques innovantes. À nous d’aller les chercher et de laisser à nos étudiants et futurs chercheurs l’opportunité de les découvrir. Les limites de notre imagination sont une nouvelle raison de sauvegarder la biodiversité.
Pour en savoir plus Lazlo LP, Kertész K, Vértesy Z, Bálint Zs (2008) Photonic nanoarchitectures occuring in butterfly scales as gas/vapor sensors. Proc Spie 7957: 705-6 Potyrailo RA, Ghiradella H, Vertiatchikh A, Dovidenko K, Cournoyer JR, Olson E (2007) Morpho butterfly wing scales demonstrate highly selective vapour response. Nature Photonic 1: 123
238
ANNEXE
Détermination de l’indice de la chitine
D
ans tous les modèles, la valeur de l’indice de réfraction à attribuer à la structure reste un des problèmes les plus délicats à résoudre. Une structure optique est déterminée par une géométrie et des indices, complexes en général et s’il existe, nous l’avons vu, de nombreuses techniques d’imagerie permettant de déterminer la géométrie avec une relativement grande précision, il n’en est pas de même des indices. Cette indexe présente une méthode d’estimation de l’indice moyen d’une structure photonique naturelle par ajustement de la réflectivité hémisphérique directionnelle.
Problématique La détermination de l’indice optique d’un matériau biologique est un problème très complexe de plusieurs points de vue, et pourtant d’une importance primordiale dans tout processus de modélisation et de visualisation. D’un point de vue chimique tout d’abord car la composition de la cuticule elle-même est complexe, et variable d’une espèce à l’autre. Comme nous l’avons vu dans la première partie, l’élément structurant en est la chitine, un long polymère fort bien connu, qui s’agrège pour former des baguettes parallèles les unes aux autres et enrobées dans une matrice protéique de composition variable, avec éventuellement des inclusions de pigments, ce qui modifie bien sûr la partie imaginaire de l’indice, mais également sa partie réelle. L’autre problème est plus d’ordre optique. La cuticule est un milieu inhomogène d’indice variable d’une espèce à l’autre mais également en son sein même, dépendant par exemple de la distribution des pigments qui n’est pas homogènes. Ainsi, ne peut-on déterminer qu’un indice moyen, dont celui de la chitine n’est qu’un des éléments.
Photonique des Morphos
Méthode historique : l’immersion Les structures photoniques des Morphos générant des effets colorés, une méthode simple de détermination de l’indice est particulièrement adaptée, et largement utilisée : la méthode d’immersion dans un liquide d’indice. Lorsqu’une couleur est en effet générée par une structure d’indice uniforme n, toute modification de la géométrie ou de l’indice d cette structure entraîne une modification de la couleur. Dans le cas de structures ouvertes comme celles des Morphos, cette modification peut se faire en plongeant la plongeant dans un liquide d’indice connu, dont on dispose d’une large gamme en laboratoire. Lorsque l’indice du liquide est exactement égal à celui de la structure, tout se passe d’un point de vue optique, comme si cette dernière disparaissait, entraînant la disparition de la couleur (fig A.1). L’indice de la structure est donc égal à celui du fluide qui fait disparaître la couleur. La méthode, par ailleurs utilisée pour déterminer la localisation des pigments dans les écailles, peut être appliquée à un Morpho entier ou sous microscope à quelques écailles. Elle conduit à une valeur d’indice légèrement supérieure à 1,5.
Fig. A.1 – Méthode du liquide d’immersion appliquée à un Morpho peu pigmenté (M. godartii). Toute couleur a pratiquement disparu dans le trichloréthylène d’indice 1,48.
Outre son manque de précision dû à la faible sensibilité de l’œil aux faibles intensités lumineuses (plus le contraste d’indice entre la structure et le liquide diminue, plus l’intensité réfléchie est faible), cette méthode présente deux inconvénients majeurs. Basée sur la disparition d’une couleur, elle ne donne un indice que pour la longueur d’onde correspondante à cette teinte : le bleu pour les Morphos iridescents. Or, en raison même de sa nature inhomogène, le milieu est a priori dispersif. Et, d’autre part, de par la structure même de la chitine en longues fibrilles parallèles les unes aux autres, cet indice est très probablement anisotrope, ce que cette méthode de détermination moyenne ne peut mettre en évidence. Pour pallier ces deux 240
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inconvénients, il est nécessaire d’avoir recours à des méthodes d’ajustement des propriétés optiques, ce qui impose une connaissance rigoureuse de la géométrie, et l’utilisation d’un modèle.
Méthode d’ajustement Il s’agit d’une technique classique en laboratoire qui consiste, après détermination précise de la structure et du choix d’un modèle, de faire évoluer un ou plusieurs de ses paramètres jusqu’à faire coïncider une mesure d’une part, et les prédictions du modèle d’autre part (fig. A.2). L’approche est d’autant plus pertinente que le modèle est simple, la théorie rigoureuse et le nombre de paramètres libres réduit. Force est de constater que la structure d’une écaille de Morpho est telle que pratiquement aucune de ces conditions n’est remplie de manière optimale. Le résultat de l’ajustement ne doit donc être considéré que comme une approximation réaliste indiquant des tendances, non comme une valeur rigoureuse.
Structure réelle de M. menelaus
Fig. A.2 – Les quatre étapes de la modélisation du milieu complexe.
Mesure La mesure retenue est celle de la réflectivité directionnelle hémisphérique de M. menelaus présentée dans le chapitre 2. Cette mesure intègre la lumière réfléchie dans tout le demi-espace supérieur et les effets de diffraction par les stries sont moyennés dans cette opération. Les courbes représentent la réflectivité équivalente d’une structure moyenne plane qu’il faut tout d’abord établir. Géométrie Nous avons vu que, moyennant une correction due à l’inclinaison des stries sur le plan de l’écaille, la réflectivité de l’aile pour divers angles d’incidence de la lumière suit rigoureusement la loi des interférences des couches minces ou d’une multicouche (cf. Encadré A.1). Nous retiendrons donc comme structure un empilement de couches minces que nous devons caractériser par leur indice et leurs épaisseurs, et relier à la structure réelle de l’écaille. Modèle Cette structure a été déterminée par observation au MEB et au MET. La première approximation consiste à négliger la structure dissymétrique axiale de la strie, ce qui revient à modifier légèrement l’angle d’incidence de la lumière sur la structure équivalente. Dans de telles conditions, l’ensemble 241
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Indice moyen et théorie de Maxwell Garnett Tout milieu réel présente des hétérogénéités dont les tailles caractéristiques peuvent varier de l’échelle atomique (alliages, défauts, etc.) à l’échelle macroscopique (composites, bétons, etc.). Cette classification n’est pas aussi évidente qu’il y paraît, tel milieu inhomogène diffusif dans le visible ou l’ultraviolet ne le sera pas à plus basse fréquence, présentant donc un comportement homogène. Aussi, les domaines seront-ils définis non pas de manière absolue mais par rapport à la longueur d’onde.
de tailles très inférieures à la longueur d’onde, de sorte qu’à chaque instant, le champ électrique est – en première approximation – uniforme sur toute l’inclusion (on parle alors de régime quasi statique). La démarche classique consiste alors à déterminer le champ moyen Ee et le déplacement électrique moyen De régnant dans le composite comme la moyenne volumique des champs et déplacements régnant dans les inclusions en concentration volumique p d’une part, la matrice de l’autre. (A1.1) soit pour cette seconde équation : (A1.2)
Fig. E.A.1 – Définition d’un milieu effectif par champ moyen. Le champ régnant dans le milieu fictif homogène est la moyenne volumique des champs régnant dans chacun des matériaux.
Un milieu homogène est en effet caractérisé par une propagation rectiligne de la lumière en son sein. Si tel n’est pas le cas, lorsque la lumière rencontre des inclusions de taille sensiblement égale à la longueur d’onde, nous nous trouvons en régime diffusif, régime courant chez les papillons et que nous traiterons en détail un peu plus loin. Si au contraire les inclusions sont de petite taille comparée à la longueur d’onde, la diffusion est quasi inexistante et le milieu se comporte comme un milieu homogène. On peut donc chercher à calculer la fonction diélectrique moyenne ou effective ¡e, de ces matériaux composites homogénéisables. Dans ceux que nous rencontrerons chez les papillons, les inclusions sont généralement de très petite taille et en faible concentration, de sorte que le milieu est fortement dissymétrique et qu’on peut définir sans ambiguïté une matrice, de fonction diélectrique ¡m englobant les inclusions isolées et sans interaction, de fonction diélectrique ¡i. Nous serons toujours éloignés du régime de percolation où les inclusions, en plus grand nombre, tendent à se rejoindre, à former des agrégats, et que nous ne traiterons pas ici. Nous nous en tiendrons donc au cas plus simple d’inclusions
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Un calcul électrostatique classique permet alors de relier les champs Ei et Em et de définir ainsi ¡e en fonction de p, ¡i et ¡m. Pour des inclusions sphériques, on trouve alors : (A1.3) expression établie en 1904 par Maxwell Garnett et qui porte son nom. Ce milieu moyen présente d’intéressantes propriétés, particulièrement lorsque les inclusions sont métalliques. Dans ce cas, en effet, la partie réelle du dénominateur peut s’annuler dans une certaine gamme de fréquences, généralement située dans le visible, y conduisant à une forte absorption génératrice de couleurs. C’est ainsi que sont produites celles des vitraux, mais cet effet ne se produisant pas chez les papillons, nous ne nous y attarderons pas. Chez eux, au contraire, les matériaux constituant le mélange sont souvent de même type – des diélectriques – et d’indices voisins. On montre alors que la moyenne volumique des fonctions diélectriques constitue une bonne approximation de l’expression (6-8). C’est la théorie linéaire des mélanges, que nous pourrons appliquer dans la plupart des cas pour les papillons : (A1.4)
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Les recherches de Maxwell Garnett portaient sur les propriétés optiques des suspensions colloïdales de métaux et sur la coloration des vitraux par des inclusions métalliques dans des verres. C’est à ce phénomène que l’on doit, entre autre, les extraordinaires bleus des verriers du Moyen Âge qui illuminent nos cathédrales. Les quantités de métaux introduites sont dans ce cas précis extrêmement faibles et les atomes métalliques, perdus dans un océan diélectrique, se regroupent pour former des petits agrégats de quelques dizaines de nanomètres qui, à ce stade, sont de forme à peu près sphérique. Vouloir utiliser cette approche hors de son cadre initial, comme c’est le cas dans les structures qui nous intéressent, oblige à prendre en compte des formes d’inclusion non sphériques. La chose a été entreprise plus d’un demi-siècle plus tard. Lorsqu’une inclusion est soumise à un champ électrique, il y a, comme toujours, déplacement de charges. Cela se manifeste par une accumulation de charges à la périphérie de l’inclusion, qui se comporte alors, en première approximation, comme un dipôle oscillant si le champ est périodique, ce qui est le cas en optique. On comprendra intuitivement que la répartition des charges à la surface de l’inclusion – et donc la « valeur » du dipôle – dépende fortement de la géométrie de cette dernière. On introduit donc un facteur de forme, appelé coefficient géométrique de dépolarisation A, qui module en fait l’intensité du dipôle induit par le champ. Son calcul dans le cas général n’est pas simple. Il conduit à des expressions intégrales sans solutions analytiques et qui doivent être déterminées numériquement à l’aide d’abaques. Dans le cas, fort heureusement plus courant d’ellipsoïdes de révolution et d’autres géométries simples, ces intégrales elliptiques s’expriment au moyen de fonctions élémentaires différentes selon l’excentricité de l’inclusion. Seules leurs représentations graphiques nous intéressent ici, et en particulier les formes extrêmes d’inclusions infiniment longues (comme un baguette de chitine) ou au contraire extrêmement planes (comme les lamelles d’une strie) qui sont celles qui se rapprochent le plus de celles rencontrées dans nos structures. Ce
coefficient varie de la valeur A = 1 pour une inclusion aplatie à A = 0 pour une inclusion très allongée, quand le champ est dirigé dans le sens de l’axe de révolution. Dans la direction perpendiculaire, il vaut la moitié de (1-A), c’est-à-dire 0 dans le premier cas et ½ dans le second. Voila les seules valeurs dont nous avons besoin pour modéliser les structures optiques des insectes. Un calcul de champ moyen « à la Maxwell Garnett » conduit alors à l’expression de la fonction diélectrique tensorielle suivante, établie par Cohen et al. en 1973 : (A1.5) Cette expression tensorielle se réduit à celle – scalaire – de Maxwell Garnett si A = 1/3, qui est le coefficient de dépolarisation de la sphère. L’important pour nous est de remarquer que pour une structure donnée, ¡e n’aura pas la même valeur pour deux orientations différentes du champ électrique, en particulier lorsque la structure sera éclairée en transverse électrique ou en transverse magnétique, comme nous le verrons par exemple sur les Morphos. Cet indice anisotrope du matériau inhomogène conduit à la fois aux effets colorimétriques et aux effets de polarisation observés chez ces papillons.
Fig. E.A.2 – Coefficient de dépolarisation A en fonction du rapport d’axe d’un ellipsoïde de révolution, du cylindre infini et du plan.
des stries peut être représenté comme un empilement de couches composites d’air et de chitine, composées alternativement de beaucoup de chitine et peu d’air lorsque deux lamelles voisines se font face, et inversement au niveau des espaces d’air entre deux lamelles. L’étape suivante consiste main243
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tenant à attribuer un indice moyen à chacune de ces couches, par le biais d’une théorie de milieu effectif. Théorie Le modèle précédent ramène la structure à un empilement de couches homogènes dont on peut maintenant déterminer tout d’abord l’indice moyen par ajustement des propriétés optiques, puis celui de leurs composants – l’air et la chitine – par le calcul. Ces couches étant initialement bâties à partir des stries de l’écaille, elles-mêmes composées de fibrilles de chitine orientées parallèlement à l’axe, leurs indices moyens seront supposés anisotropes uniaxes, c’est-à-dire prenant des valeurs différentes selon que le champ électrique appliqué est parallèle (mode TM) ou perpendiculaire (mode TE) à l’axe des stries en incidence normale. Un paramètre important des théories de milieu effectif est la composition volumique du milieu. Celle-ci sera considérée uniforme dans les différentes couches de même type et estimée à partir des observations microscopiques. (Dans le cas de M. menelaus, on obtient ainsi p = 0,8 dans les couches de haut indice et p = 0,2 dans celles de bas indice). Les deux constituants, air et chitine, étant des diélectriques d’indice relativement proche, une théorie de milieu effectif simple, comme celle de Maxwelle Garnett (cf. Encadré A.1), est particulièrement bien adaptée au problème. L’anisotropie des milieux est introduite via le coefficient de dépolarisation A qui est relié à la géométrie des inclusions. On lui donnera ici les valeurs correspondantes à un cylindre infini, représentant les longues baguettes de chitine dans les films de bas indice (fig. A.3a) : A = 0 selon l’axe (mode TM) et ½ perpendiculairement à l’axe (mode TE). La situation est symétrique dans les films de haut indice, où ce sont les inclusions d’air qui forment les cylindres infinis, et la cuticule la matrice anisotrope (fig. A.3b). D
E
Fig. A.3 – Valeurs des coefficients de dépolarisation dans les couches de bas (a) et haut (b) indice moyen.
Dans ces conditions, la fonction diélectrique moyenne dans chacun des types de couche est donnée, pour les deux modes par :
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Ajustement Les courbes de réflectivité hémisphériques présentées dans le chapitre 2 (fig. 2.13) sont alors ajustées à l’aide du logiciel de régression FimWizard, avec comme paramètres libres les épaisseurs des différentes couches et leur indice moyen. Les résultats de cet ajustement ont été présentés dans le chapitre 10. On peut remarquer la bonne adéquation des épaisseurs calculées et déterminées expérimentalement d’une part, et l’excellente correspondance des spectres, aussi bien en mode Te que TM, d’autre part. Les indices moyens des deux types de couche conduisant aux meilleurs ajustements sont présentés dans la figure A.4. Ces valeurs sont alors injectées dans les équations précédente pour en déduire la fonction diélectrique ¡cut de la cuticule dont les variations sont présentées figure A.5.
Fig. A.4 – Indices moyen des deux types de couche pour les deux modes TE et TM obtenus par ajustement des courbes de réflectivité hémisphérique de M. menelaus.
Fig. A.5 – Indice de réfraction anisotrope de la cuticule de M. menelaus obtenu par ajustement de la réflectivité hémisphérique.
Ces résultats, entachés d’une assez grande incertitude, confirment cependant que l’anisotropie de l’indice moyen est due en priorité à celle de ses constituants. On remarque par ailleurs que ces courbes se coupent entre 450 et 500 nm, c’est-à-dire dans la partie bleue du spectre visible et que, par conséquent, l’indice est isotrope dans ce domaine spectral. Sa valeur en ce point est de l’ordre de 1,7, c’est-à-dire très proche de celle obtenue par la méthode du liquide d’indice, qui est pertinente dans ce cas. ■ 245
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Index des espèces citées Morphidae M. achilles, 50, 110, 111, 113, 132 M. aega, 18, 69, 74, 94, 160 M. amathonte , 69, 94 M. anaxibia, 49, 50, 162 M. augustina, 136, 138 M. aurora, 69 M. cabrera, 148 M. cisseis, 69 M. cypris, 18, 46, 48, 94, 135, 138, 139 M. deidamia, 50, 95, 98 M. Didius, 49, 127 M. epistrophus, 94 M. eugenia, 72, 94, 140 M. godartii, 48, 49, 61, 94, 96 M. granadensis, 50 M. hecuba, 17, 20, 48 M. helena, 94 M. helenor, 50 M. helenor anakreon, 19 M. iphitus, 94 M. marcus, 48, 49, 72, 74, 94, 144, 147 M. menelaus, 43, 49, 50, 55, 56, 57, 60, 70, 81, 82, 94-97, 120, 132, 145, 146, 154, 164, 170, 178, 180, 183
Photonique des Morphos
M. menelaus occidentalis, 59 M. polyphemus luna, 61, 94, 110-113 M. portis, 17, 20, 94 M. rhetenor, 19,48, 49, 79, 80, 94, 95, 110-113, 121, 130, 131, 141, 148, 155-157, 159, 162, 164, 171, 172, 188 M. rhodopteron, 94 M. sulkowskyi, 49, 62, 91, 94, 164 M. violaceus, 49 M. zephyritis, 49, 70, 74, 91, 148
Autres familles Cyphus ancoki, 238 Papilio ulysses, 237 Prepona meander, 111 Precis coenia, 61, 62 Melitaea didyma, 61
Achevé d’imprimer en avril 2010 par : Imprimerie Vasti-Dumas - 42000 Saint-Etienne N° d’imprimeur : V004309/00 Dépôt légal : avril 2010 248