L’OUTRE-MER A L’EPREUVE DE LA DECENTRALISATION :
NOUVEAUX CADRES INSTITUTIONNELS ET DIFFICULTES D’ADAPTATION
© L'HARMATTAN, 2007 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-02814-2 EAN : 9782296028142
Sous la direction de
Justin DANIEL
L’OUTRE-MER A L’EPREUVE DE LA DECENTRALISATION : NOUVEAUX CADRES INSTITUTIONNELS ET DIFFICULTES D’ADAPTATION
L'Harmattan
REMERCIEMENTS
Cet ouvrage est issu de la journée d’étude organisée par le Centre de recherche sur les pouvoirs locaux dans la Caraïbe (CRPLC - UMR CNRS 8053) le 12 novembre 2005 sur « Les nouveaux cadres institutionnels de l’action publique outre mer ». Cette manifestation qui s’est déroulée sur le campus universitaire de Schœlcher (Martinique) ainsi que la publication qui en a été tirée s’inscrivent dans le cadre du programme de recherche « Suivi et Evaluation de la réforme de décentralisation » piloté par le GIS-GRALE. Le CRPLC tient à exprimer ses plus vifs remerciements aux partenaires institutionnels qui ont permis l’organisation de la journée d’étude : GIS-GRALE Département de la Martinique Centre d’analyse géopolitique et internationale de l’Université des Antilles et de la Guyane (CAGI) Il n’est pas possible, autrement que de manière globale et anonyme, de remercier tous ceux qui, par leur participation active et leur recommandation chaleureuse, nous ont encouragé à éditer les actes de cette manifestation. Enfin nous tenons à saluer, à travers le présent ouvrage, la mémoire de notre collègue et ami Michel Louis. Sa participation remarquée à cette journée d’étude aura été, hélas, l’une de ses dernières contributions aux activités du CRPLC.
ONT COLLABORE A CET OUVRAGE :
Roger CANTACUZENE
Docteur en Droit public Université des Antilles et de la Guyane Membre associé du CRPLC
Pierre-Yves CHICOT
Docteur en Droit public Chargé d’enseignement Université des Antilles et de la Guyane
Justin DANIEL
Professeur de Science politique Université des Antilles et de la Guyane Directeur du CRPLC
Bertrand FRANÇOIS-LUBIN
Doctorant en Droit public Membre du CRPLC Université des Antilles et de la Guyane
Emmanuel JOS
Professeur de Droit public Membre du CRPLC Université des Antilles et de la Guyane
Alain LAGUERRE
Professeur de Droit public Membre du CRPLC Université des Antilles et de la Guyane
Patrick LINGIBE
Avocat au Barreau de Cayenne Membre associé du CRPLC Chargé d’enseignement Institut d’Etudes Supérieures de la Guyane
Lauriane MOUNIER
Doctorante et ATER Membre du CRPLC Université des Antilles et de la Guyane
Danielle PERROT
Chaire Jean Monnet Maître de conférences de Droit Public Membre CRPLC Université des Antilles et de la Guyane
Fred RENO
Professeur de Science Politique Directeur du CAGI Université des Antilles et de la Guyane
Isabelle VESTRIS
Doctorante en Droit public Membre du CRPLC Université des Antilles et de la Guyane
Jacqueline BRUANT-QUERBEL
Administrateur territorial
SOMMAIRE
Introduction
Justin DANIEL
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PREMIERE PARTIE Les statuts constitutionnels en questions : Potentialités et limites des réformes Quelques réflexions sur le statut constitutionnel des DOM/ROM après la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 Emmanuel JOS 31 Souplesse du cadre institutionnel : de l’article 73 à l’article 74. L’exemple de la transformation statutaire des îles du Nord de la Guadeloupe Bernard CASTAGNEDE 55 Les usages politiques des notions d’ « intérêts « spécificités » : Les cas de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy Fred RENO
propres »
et
de 73
La question juridique des transferts de compétence et le singulier cas guyanais Patrick LINGIBE 91
DEUXIEME PARTIE Le statut communautaire en débat : Fluidité ou rigidité ? L’incidence des choix statutaires internes de l’outre-mer français sur le droit communautaire Isabelle VESTRIS 111
Les implications divergentes des statuts de RUP et de PTOM au sein de la Communauté européenne Laurianne MOUNIER 125 Statuts communautaires et ultrapériphériques françaises Emmanuel JOS
développement
durable
des
régions
« RUP » ou « PTOM » ? Quelle fluidité ? Quelle alternative ? Danielle PERROT
141 181
TROISIEME PARTIE La décentralisation au risque du pluralisme institutionnel : Entre concurrence inéluctable et velléités de coopération La coopération institutionnelle en Martinique à l’heure de la nouvelle phase de décentralisation Bertrand FRANÇOIS-LUBIN 191 Superposition des collectivités territoriales et démultiplication des niveaux d’intervention. L’expérience des communautés d’agglomération de la Martinique Jacqueline BRUANT-QUERBEL 211 Pluralisme institutionnel et transfert de la gestion des routes « nationales » aux départements/régions d’outre-mer Roger CANTACUZENE et Justin DANIEL 223 Le schéma régional de développement économique Alain LAGUERRE
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La décentralisation des politiques sanitaires et sociales Pierre-Yves CHICOT
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INTRODUCTION Justin DANIEL
C’est une banalité que de rappeler que la problématique de la décentralisation outre-mer est indissociable d’une série d’enjeux connexes qui parfois la surdéterminent. Largement tributaire d’interrogations récurrentes sur la nature des liens unissant la « France et ses outre-mers » et sur leur formalisation d’un point de vue juridique et institutionnel, elle peut difficilement faire l’impasse sur un certain nombre de questionnements qui transcendent son objet initial, tel que, par exemple, celui relatif au développement. Ces questionnements vont bien au-delà des préoccupations dominantes en France métropolitaine et tendent parfois à saturer les espaces politiques ultramarins. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la révision de la Constitution de la Ve République du 28 mars 2003 accorde une place privilégiée à l’outre-mer : il s’agit, d’une part, de désamorcer des revendications multiformes et parfois difficiles à traiter qui se font jour localement, en tentant d’établir un nouveau cadre juridique pour les collectivités concernées ; et, d’autre part, de prendre en compte la diversité de leurs situations tout en leur permettant de déployer, moyennant les adaptations nécessaires, leur action dans ce cadre ainsi renouvelé. Toutefois, cette révision constitutionnelle n’intervient pas en terrain vierge, tant il est vrai que les réformes de décentralisation, précédées ou accompagnées de modifications d’ordre institutionnel, suivent outre-mer un rythme qui leur est propre et obéissent à une temporalité singulière. En réalité, non seulement les dispositifs nationaux en la matière font l’objet d’adaptations mineures pour tenir compte des spécificités locales, mais ils viennent souvent s’emboîter, avec plus ou moins de bonheur, dans des dispositifs de politiques publiques spécifiquement conçus pour l’outre-mer et modifiant régulièrement le droit existant ainsi que les édifices institutionnels. Pour des raisons faciles à comprendre, l’outre-mer a d’ailleurs parfois été un terrain d’expérimentation. Ainsi, les conseils généraux des départements d’outre-mer (DOM) ont obtenu par l’intermédiaire d’un décret publié en avril 1960 le droit d’émettre un avis sur les projets de loi ou de décret tendant à l’adaptation de la législation et de l’organisation administrative métropolitaine à la situation particulière de ces départements et celui de proposer au gouvernement des mesures d’adaptation en matière législative
ou réglementaire1. Les réformes de décentralisation des années quatre-vingt ont également fait l’objet d’adaptations dans les DOM, sous l’œil vigilant il est vrai, du Conseil constitutionnel (RFAP, 1984)2. Plus récemment, la loi d’orientation pour l’outre mer (LOOM) du 13 décembre 2000 a transféré, entre autres exemples, des compétences aux conseils généraux et aux conseils régionaux dans les domaines de l’action internationale et de la gestion des routes nationales, anticipant dans ce deuxième cas le transfert opéré plus tard en métropole au profit des départements par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. L’emboîtement des différents dispositifs mis en place depuis plusieurs décennies et la persistance d’enjeux spécifiques dépassant celui de la décentralisation dans son sens strict se combinent pour conférer à ce dernier une signification particulière outre-mer. Ils contribuent également à dessiner « les nouveaux cadres de l’action publique outre-mer3 » et permettent de mieux préciser le contexte dans lequel prend place la nouvelle phase de décentralisation amorcée à partir de 2003. De ce point de vue, trois séries d’éléments tirés de ce contexte et servant de trame au présent volume méritent plus particulièrement l’attention : 1) la question non encore résolue de l’évolution institutionnelle et/ou statutaire des DOM et des régions d’outre-mer (ROM). En dépit des perspectives dégagées en la matière par la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, cette question reste au cœur des préoccupations plus ou moins avouées des acteurs politiques. Corrélativement, les questionnements relatifs au statut communautaire de ces collectivités ainsi que les éventuelles translations entre celui de régions ultrapériphériques (RUP) et celui de pays et territoires d’outre mer (PTOM) continuent à nourrir les débats ; 2) la mise en œuvre de la loi du 13 août 2004 dans un cadre caractérisé par une nette tendance à la prolifération institutionnelle et par une complexité croissante, en l’absence de la simplification attendue du paysage institutionnel des DOM/ROM ; 3) enfin, l’élévation du développement, enjeu devenu obsessionnel au fil du temps, au premier rang des finalités de la décentralisation. 1
Décret n° 60-406 du 26 avril 1960 relatif à l’adaptation du régime législatif et de l’organisation administrative des départements de la Guadeloupe, de la Guyane de la Martinique et de La Réunion. J.O. du 29 avril 1960, p. 3944. 2 Les références entre parenthèses renvoient à la bibliographie placée à la fin de cette contribution lorsqu’elles indiquent l’année de publication et éventuellement les pages concernées. Lorsqu’elles comportent uniquement le nom de l’auteur, elles renvoient aux différents chapitres de ce volume. 3 C’est le thème général de la journée d’étude organisée le 12 novembre 2005 sur le campus universitaire de Schœlcher et dont cet ouvrage constitue la publication des actes.
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UNE QUESTION RESTEE EN SUSPENS : LE STATUT DES DOM/ROM La révision constitutionnelle de 2003 répartit les collectivités territoriales situées outre-mer en deux catégories plus ou moins rigides : les DOM/ROM soumis au régime de l’identité législative défini par l’article 73 et les collectivités d’outre-mer (COM) régies par l’article 74. Certes, le cadre juridique de ces différentes collectivités est désormais mieux connu, la refonte des articles qui définissent leur statut ayant donné lieu à de multiples analyses et commentaires (Faberon, 2004). Néanmoins, les consultations du 7 décembre 2003 aux Antilles, l’échec de la procédure entamée en Guyane et le processus de transformation de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin en COM contribuent à alimenter, voire à renouveler la réflexion (Henry, Verpeaux : 2006). Ils témoignent en outre de quelques uns des obstacles qui pèsent sur un hypothétique changement statutaire ou sur une éventuelle évolution institutionnelle, préalables pourtant nécessaires à une mise en œuvre efficace de la nouvelle phase de décentralisation. D’un point de vue juridique, la révision constitutionnelle de 2003 permet des évolutions différenciées des DOM/ROM et ouvre considérablement le champ des possibles, qu’il s’agisse du passage du régime des DOM/ROM à celui des COM (ou inversement), ou des changements au sein de la catégorie DOM/ROM. Il ne lève pas pour autant toutes les ambiguïtés et n’efface pas toutes les interrogations, dont certaines ont une dimension purement symbolique. Un débat s’est ainsi cristallisé autour de la notion de « populations d’outre mer » introduite à l’occasion de ladite réforme et servant de support aux consultations nécessaires pour enclencher la procédure des évolutions susmentionnées. Cette expression a été adoptée à la suite d’un amendement introduit par un député de La Réunion au moment de l’examen à l’Assemblée nationale du projet de révision de la Constitution. Elle apparaît aux yeux de certains comme une régression : de nature à rassurer dans ce DOM de l’Océan indien où s’exprime, par ailleurs, une certaine volonté de pérennisation de l’actuel statut, cette modification nierait la possibilité de fonder l’exercice d’un droit spécifique aux populations des anciens territoires coloniaux désormais intégrés à la République (Jos, 1ère partie). Derrière ce constat se profile en réalité une interrogation4 – qui n’est pas 4 Interrogation qui rend compte du triomphe d’une forme de « souverainisme identitaire » servant de substitut à la souveraineté politique largement inaccessible dans le contexte actuel (Daniel, 2002).
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abordée dans ce volume5 – relative aux éventuelles implications de la distinction peuple/population sur la constitution du corps électoral appelé à se prononcer sur les réformes institutionnelles et statutaires dans les DOM/ROM. Que faut-il entendre par « peuple d’outre mer », sinon un être collectif, chargé d’histoire, source de la légitimité et censé préexister à l’organisation juridique de la société ? Dans ce cas, faudrait-il envisager de procéder à un découpage du corps électoral sur le modèle calédonien, au risque de favoriser une discrimination peu compatible avec la tradition dominante dans les DOM ? Ou faut-il assigner une portée purement symbolique à la notion de « peuple d’outre-mer », sans chercher à en tirer une quelconque conséquence sur les plan juridique et politique ? Plus largement, la procédure même de la consultation, pourtant fondée sur la volonté affichée d’encadrer démocratiquement les changements institutionnels éventuels, est parfois perçue comme un obstacle dirimant, ou à tout le moins, comme débouchant sur une véritable impasse : les populations concernées sont plus ou moins paralysées par la contradiction qui oppose leurs rêves d’émancipation et leur crainte de celleci, alors que la République elle-même se lie les mains en s’interdisant de trancher cette contradiction (Michalon, 2006a : 178-179 ; Michalon, 2006b). Pourtant, comme le rappelle Louis Boulouis, le succès de la consultation à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy montre que l’obstacle n’est pas insurmontable. En outre, « quelle serait la légitimité d’une révision de statut qui ne correspondrait pas aux vœux de la majorité de la population ? (Boulouis, 2006). Est-il pertinent de demander au législateur, incarnation d’une volonté générale réputée infaillible et omnisciente, d’imposer par le haut une solution impérative à des situations vécues sur le mode de l’ambivalence par des populations partagées entre des aspirations éminemment contradictoires et qui peinent à formuler leurs propres souhaits ? Au demeurant, la cohérence d’ensemble du cadre juridique à partir duquel ces solutions doivent être pensées et articulées est loin d’être clairement établie. Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que l’échec de la consultation organisée le 7 décembre 2003 en Guadeloupe et Martinique continue à nourrir des interrogations et à alimenter des débats juridiques. En particulier, l’utilisation alternative des expressions « changement de statut » et « évolution institutionnelle », y compris de la
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Emmanuel Jos se démarque de cette option en récusant d’emblée toute conception ethniciste des notions de peuple et de population.
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part du Conseil d’Etat6 pour qualifier le processus de création d’une collectivité territoriale se substituant à la région et au département est de nature à entretenir la confusion dans les esprits. D’autant que dans l’imaginaire collectif des Antillais, des Guyanais et des Réunionnais, les avantages inhérents à la citoyenneté française restent étroitement associés au « statut » départemental – notion sur laquelle il n’existe pas d’ailleurs d’accord ou de définition unanime des juristes – et non au régime législatif lui même. Surtout, les modalités de la consultation telles qu’elles sont prévues par la Constitution conduisent à concilier trois impératifs plus ou moins contradictoires : le maintien de la cohérence avec les principes énoncés à l’article 3 de la Constitution, le respect des compétences du Parlement et la volonté de rassurer les électeurs d’outre-mer en leur donnant un pouvoir de blocage vis-à-vis des changements statutaires qui ne correspondraient pas aux souhaits de la majorité d’entre eux, volonté qui peut s’analyser comme un pouvoir d’autodétermination négative. Ce qui, dans le cas des Antilles, a conduit à organiser la consultation sur le principe de la substitution d’une collectivité nouvelle au département et à la région et non sur les orientations qui présideraient à l’élaboration du statut de la collectivité (Jos, 2006). D’où la fortune du slogan « nous pas Ka acheté chat dan sak7 » puissamment relayé durant la campagne électorale à la Martinique par les partisans du « non ». Une telle situation pousse nombre de spécialistes ou responsables politiques à réclamer d’ores et déjà une nouvelle réforme de la Constitution, au risque de nourrir un débat sans fin sur l’avenir institutionnel des départements français d’Amérique. Tout se passe comme si l’enjeu institutionnel contribuait à occulter celui de la nouvelle phase de décentralisation, dont on sait par ailleurs qu’elle a suscité, en France hexagonale comme outre-mer, fort peu d’enthousiasme, voire une certaine forme de dépit chez les élus couplé à une relative indifférence de la population. Par ailleurs, le processus de transformation engagé dans les îles du nord de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, confirme plusieurs observations : en premier lieu, il convient de nuancer la distinction traditionnelle opérée entre les collectivités relevant de l’article 73 et celles qui sont régies par l’article 74 de la Constitution, s’agissant de l’application des normes ; en second lieu, le projet de loi organique définissant le statut de 6
Arrêt du Conseil d’Etat du 4 décembre 2003, M. Feler, req. n° 262009, concl. Mitjaville, rapp. Mlle Henry. 7 Littéralement « Nous n’achetons pas de chat dans un sac », autrement dit, « il faut éviter de traiter sans garantie sérieuse ».
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ces deux COM procède moins par la redéfinition des compétences entre ces dernières et l’Etat que par la reprise du droit commun de l’organisation des compétences entre collectivités territoriales. Ce droit commun est complété par les mesures particulières concernant les DM/ROM et certaines attributions spécifiques ajoutées aux dispositifs d’habilitation prévus pour les collectivités relevant de l’article 73. Autrement dit, à l’indifférenciation croissante des régimes législatifs applicables dans les DOM/ROM et dans les COM tels qu’ils ont été scellés par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, répond en écho, dans la phase de mise en œuvre des réformes, un réflexe d’uniformité qui paraît éloigné des solutions adaptées au particularisme des contextes (Castagnède). En outre, le traitement différencié des deux COM concernées prévu par le projet de loi organique, SaintBarthélemy étant plus richement dotée que Saint-Martin, a d’ores et déjà entraîné dans ce dernier territoire des tensions entre le gouvernement et les autorités locales (Réno). Source potentielle de surenchère statutaire, ce choix est loin d’avoir pour autant contribuer à clarifier la notion d’autonomie, objet pourtant d’un fort investissement politique et affectif dans tout l’outre-mer. Le débat sur le statut et l’évolution institutionnelle des collectivités territoriales situées outre-mer trouve inévitablement son prolongement au niveau européen. D’une part, la campagne électorale précédant les consultations du 7 décembre 2003 a servi de révélateur à l’emprise du droit communautaire sur les éventuels choix statutaires et à une crainte sousjacente : la remise en cause du statut de région ultrapériphérique (RUP) et de l’éligibilité aux fonds structurels en cas de création d’une collectivité territoriale régie par l’article 74 de la Constitution (Vestris). D’autre part, elle a démontré à quel point les questions institutionnelles et, par extension, la problématique de la décentralisation étaient dans le contexte des DOM indissociables d’une interrogation plus générale sur le type de développement susceptible d’être mis en œuvre et sur les marges de manœuvre que recèlent les différents statuts (Mounier). Il en résulte de nombreux échanges et discussions sur les caractéristiques respectives et les avantages comparatifs du statut de RUP et celui de Pays et Territoire d’Outre mer (PTOM). Pourtant, en dépit des inquiétudes – fortement instrumentalisées – qui ont dominé les campagnes précédant les consultations du 7 décembre 2003 et le referendum sur le Traité établissant une constitution pour l’Union européenne (UE), force est d’admettre, malgré quelques hésitations doctrinales, qu’il existe un découplage juridique entre l’évolution statutaire interne et l’évolution statutaire européenne (Ziller, 2006 ; Castagnède, Mounier, Vestris). Pas plus qu’il ne saurait suffire pour gommer les spécificités des régions ultrapériphériques reconnues par l’UE, le simple
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passage de l’article 73 de la Constitution à celui de l’article 74 ne remet nullement en cause l’appartenance à la catégorie des RUP, dès lors que le droit commun, français et communautaire, continue à être applicable. D’autant que la mise en œuvre du droit communautaire primaire peut, dans certains cas, se révéler d’une relative souplesse en « laissant suffisamment de marge de manœuvre à l’exercice de la compétence discrétionnaire des Institutions communautaires pour adapter des dispositions a priori d’application uniforme aux caractéristiques de certaines régions, aux besoins des populations correspondantes, et pour les modifier au cours du temps, si cela paraît approprié » (Perrot). Encore faut-il, lorsque les rigidités procédurales rendent difficile toute modification des dispositions communautaires, que se manifeste dans les régions concernées une volonté clairement exprimée et efficacement relayée par les détenteurs de la parole politique afin de surmonter les obstacles. Au-delà de ces questionnements et incertitude d’ordre statutaire susceptibles de peser sur la mise en œuvre de la décentralisation dans les départements et régions d’outre-mer, se pose le problème plus général du cadre institutionnel d’application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Dans le contexte antillo-guyanais caractérisé par le rejet de toute évolution et le maintien du dédoublement territorial de structures départementales et régionales faisant souvent double emploi8, ce cadre ne semble pas en mesure de conjurer les risques d’une prolifération institutionnelle conjuguant la polysynodie et la polyphonie. PROLIFERATION INSTITUTIONNELLE ET POLYSYNODIE La loi du 13 août 2004 procède à une redistribution verticale des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales et à un redécoupage horizontal des compétences entre ces dernières. Accompagnée d’un recentrage de l’action de l’Etat sur ses compétences régaliennes, ses fonctions de conception et de réglementation, la volonté de clarification ainsi affichée ne va pas sans susciter des interrogations. Celles-ci sont exacerbées outre mer par la démultiplication des niveaux d’administration. Non seulement la réforme intervient dans un contexte de restriction budgétaire 8
Sur la consultation du 7 décembre 2003, voir Pouvoirs dans la Caraïbe (PDLC), 15 (thème du numéro : « Les élections de tous les paradoxes ») et pour une analyse des raisons politiques ayant conduit à l’échec en Guadeloupe et Martinique, voir en particulier nos contributions dans cette revue (Daniel, 2006b) et dans un ouvrage récent (Daniel, 2006a). Sur les conditions du succès à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, voire la contribution de Fred Réno dans ce volume.
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tout en engendrant des dépenses supplémentaires, mais elle est loin de mettre un terme à l’enchevêtrement des compétences et aux débats qui en découlent dans les départements français d’Amérique (DFA), du fait de l’empilement des échelons décentralisés, de la persistance de la question institutionnelle et de la montée en puissance de l’intercommunalité. Dans ces conditions, la crise de gouvernance, si souvent évoquée, à laquelle la nouvelle phase de décentralisation prétend apporter un début de réponse, trouve dans les DFA une illustration particulière. Elle se traduit dans le cas de la Martinique, pour s’en tenir à ce seul exemple qui pourrait être facilement étendu à la Guadeloupe9, par l’interférence de six niveaux d’intervention : les communes, les structures intercommunales, le département, la région, l’Etat et l’UE. Il en résulte, au-delà de cette démultiplication des niveaux d’intervention, un enchevêtrement et un empilement de compétences gérées par un réseau d’acteurs soumis à des rationalités parfois contradictoires et portés par des logiques institutionnelles peu compatibles avec la coproduction d’une action publique efficace. Significatif est à cet égard l’exemple du transport. En effet, la loi du 13 août 2004 et la réglementation en vigueur n’ayant prévu aucune procédure pour la désignation d’une autorité organisatrice du transport maritime, la quasitotalité des collectivités se sentent concernées et cherchent à occuper le terrain. De manière plus générale, les compétences dans le domaine du transport se répartissent entre tous les niveaux d’intervention. La région est ainsi impliquée à travers le syndicat mixte en charge du transport collectif en site propre (TCSP) et mène parallèlement des études sur le transport maritime. Autorité organisatrice en matière de transport interurbain, le département est également concerné par le TCSP tout en conduisant des expérimentations en matière de transport maritime. Enfin, les établissements publics de coopération intercommunale, (EPCI), dont en particulier la Communauté d’agglomération des communes du centre de la Martinique (CACEM) et la Communauté d’agglomération de l’espace sud de la Martinique (CAESM) ont été élevées au rang d’autorités organisatrices du transport urbain et s’apprêtent, en outre, à organiser le transport « transrade ». Ces phénomènes de concurrence institutionnelle sont d’autant plus difficile à conjurer qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’une lutte pour le leadership et que les présidents des structures en cause cherchent à capitaliser leur action afin d’asseoir leur assise politique. 9
Le cas de la Guyane se pose en des termes un peu différents. En dehors du dédoublement des structures départementales et régionales, la Guyane souffre d’un problème chronique de sous-administration, compte tenu de l’étendue de son territoire, d’une départementalisation longtemps « en trompe-l’œil » et encore inachevée aujourd’hui, et de l’inadaptation des structures administratives et du droit dans bien des domaines (Lingibé).
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Ainsi s’expliquent les tensions entre les collectivités territoriales et les EPCI et entre ces dernières et les communes (Bruant-Querbel). De surcroît, le nouvel article 72 de la Constitution autorise les groupements de communes à être désignés comme « chefs de file », au même titre que les collectivités territoriales. La loi du 13 août 2004, quant à elle, autorise les EPCI, qui en font la demande, à exercer certaines compétences attribuées aux régions et aux départements, sous réserve d’approbation par ces derniers. Autant de dispositions, sources potentielles de tensions entre niveaux d’administration, tendant à modifier le périmètre d’intervention des collectivités territoriales et des structures intercommunales et à bouleverser le jeu traditionnel du pouvoir. Sans doute, la solution à cette prolifération institutionnelle réside-t-elle dans le développement de la coopération entre les différentes structures et dans la mise en place de partenariats. Mais aucune de ses deux options ne va de soi : la coopération n’échappe pas à une forme de circularité dans la mesure où elle génère de la densité institutionnelle qui appelle à son tour de la…coopération (François-Lubin). Quant au partenariat qui fait partie du « trousseau » renouvelé des politiques publiques, au même titre que la contractualisation ou la coordination à travers les collectivités érigées en « chef de file », il ne saurait être considéré comme une solution miracle, sauf à en avoir une vision purement irénique : nécessaire pour instiller de la cohérence dans l’action publique et lui donner sens, il n’est en aucune façon suffisant. Il doit, en effet, s’accommoder le plus souvent de la polysynodie, c’est-à-dire de l’allongement du processus décisionnel du fait de la multiplication des espaces de discussion, et de la polyphonie, c'est-à-dire d’une série de variations autour d’un thème unique, n’excluant pas d’ailleurs des voix et des sonorités discordantes, comme en témoigne l’exemple emblématique du développement économique à la Martinique (cf. infra). Toutefois, tout est loin d’être négatif dans ce tableau : certes la région Martinique, conformément à une revendication exprimée de longue date, a opté pour la gestion des routes nationales versées dans son patrimoine dès 2002 sur le fondement de la LOOM. Il paraît difficile, dans ces conditions, d’écarter le risque d’une situation caractérisée par le dédoublement avec le département en charge des routes départementales et par des tensions et de la surenchère avec la CACEM (Cantacuzène et Daniel). A l’inverse, en Guadeloupe on semble s’orienter vers une mutualisation des moyens et des politiques entre les collectivités régionale et départementale. Il est vrai que ce choix a sans doute été facilité par une
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certaine convergence politique entre le conseil régional et le conseil général, ce qui n’est pas le cas dans l’île sœur10. Un autre exemple illustre tout à la fois les modalités différenciées d’exercice des compétences dans les collectivités territoriales situées outremer, la persistance de phénomènes d’enchevêtrement de compétences et les effets de la superposition de champs d’intervention des acteurs impliqués dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques territoriales : l’élaboration du schéma régional de développement économique (SRDE) prévu par la loi du 13 août 2004 et, au-delà, l’exercice des compétences dans le domaine du développement économique. En effet, alors que la Guadeloupe fait partie des douze régions qui ont manifesté très tôt leur souhait de procéder à une expérimentation en matière de SRDE11, la Martinique, avec la Bretagne et La Réunion, pourrait appartenir au groupe des trois régions n’ayant toujours pas adopté leur schéma en 2007. Quant à la région Guyane, elle a voté son SRDE le 15 septembre 2006. Celui-ci est présenté comme le fruit d’une large concertation avec les élus locaux et l’ensemble des socioprofessionnels réunis au sein d’un comité de pilotage, d’ateliers de travail ou en ateliers territoriaux12. En Guadeloupe, la démarche d’élaboration du SRDE s’est déroulée en deux phases permettant d’établir un 10 De même, l’expérience réunionnaise révèle, au-delà du cas particulier du transport, une « harmonisation élaborée, ancienne et actualisée des interventions de la Région et du Département en réponse aux difficultés inhérentes à la situation de région monodépartementale » ; … une capacité active de coordination et de co-direction par le couple Région et Département, des dossiers qui exigent la mise en commun de leurs moyens techniques, humains et financiers ou de leurs poids, pouvoirs et influences ; …un processus de concertation et de coopération entre les trois pointes du triangle Etat, Région, Département, ce qui permet de mobiliser la gamme très étendue des compétences et de capacités d’action sur des thèmes variés d’intervention publique » (Squarzoni, 2006 : 316) 11 Ces douze régions sont, dans l'ordre de leur signature : Bourgogne, Haute-Normandie, PoitouCharentes, Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais, Centre, Limousin, Basse-Normandie, LanguedocRoussillon, Pays-de-la-Loire, Guadeloupe et Champagne-Ardenne (source : Gest, 2006). 12 Son élaboration s’est déroulée en trois phases : 1. concertation-diagnostic (de novembre 2005 à janvier 2006) ; 2. détermination des domaines stratégiques (janvier-février 2006) ; 3. élaboration du programme (de mars à juin 2006) Ces travaux ont abouti au choix de cinq projets phares pour la Guyane : 1. Créer un pôle régional de développement, de valorisation et de promotion des ressources naturelles ; 2. Inscrire Cayenne, ville capitale, au patrimoine mondial de l’UNESCO et construire un pôle commercial et touristique au cœur de la ville ; 3. Créer un World Trade Center ; 4. Ouvrir un parc éco-touristique « Terre d’Amazonie » ; 5. Intégrer la Guyane au sein du pôle de compétitivité aéronautique et spatial Aquitaine / Midi-Pyrénées (source : http://www.cr-guyane.fr).
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état des lieux à partir des travaux des instances de concertation (juin à septembre 2005) et de définir des propositions de suivi et d’évaluation (à partir d’octobre 2005). Elle a été présentée, au delà des obligations légales de concertation, comme l’occasion de mobiliser l’ensemble des acteurs économiques, politiques et sociaux au sein des instances de la conférence régionale des acteurs de la vie économique et sociale13. Le SRDE de Guadeloupe a, entre autres projets, débouché sur la création de l’agence de développement économique, dénommée Guadeloupe Expansion, qui aura notamment pour mission de suivre et d’instruire les dossiers relevant des différents dispositifs d’aide régionale aux entreprises comme l’Aide au Démarrage d’Activité (ARDA). Tout autre est la démarche retenue par le conseil régional de la Martinique. Ce dernier a lancé officiellement, le 24 mars 2006, les travaux portant sur l’élaboration d’un Schéma martiniquais de développement économique (SMDE) à horizon 2025, dont les résultats sont attendus d’ici fin 2006. Cette démarche prend ses distances avec les dispositions de loi du 13 août 2004, en substituant symboliquement au qualificatif de régional celui de martiniquais et en se projetant largement au delà des cinq ans prévus par l’expérimentation pour envisager des perspectives d’un développement – qui se veut durable – pour les vingt prochaines années. En outre, elle reste totalement asservie à la volonté maintes fois réitérée par le Président de l’institution régionale, à l’instar de son homologue du département, d’établir un lien entre le projet de développement contenu en filigrane dans le SMDE et la réforme institutionnelle. Mieux : le SMDE pourrait servir d’argumentaire à une relance du débat sur l’évolution institutionnelle de la Martinique. Il est néanmoins significatif que la période d’élaboration du SMDE, l’année 2006, a coïncidé avec une recrudescence des initiatives et une intensification de la réflexion sur l’avenir économique et social de l’île. Avec des horizons variés et des objectifs plus ou moins spécifiques, les travaux reposent sur une large concertation des décideurs institutionnels et privés, mais restent fondamentalement cloisonnés. 13 . Celle-ci s’est réunie aux moments clés de l’élaboration du SRDE (lancement et clôture) pour être informée de l’avancée des travaux. Elle a rassemblé l’Etat, la Région, le Département, les communes et communautés de communes, l’association des maires, les chambres consulaires, le Conseil Economique et Social Régional (CESR), le Conseil de la Culture de l’Education et de l’Environnement (CCEE), l’INSEE, l’IEDOM, l’Agence française de Développement, l’APRIGA, l’université des Antilles et de la Guyane, les organismes professionnels patronaux et syndicaux représentatifs ainsi que des organismes financiers bancaires ou non bancaires (source : http://www.cr-guadeloupe.fr/).
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Ainsi, la Préfecture a engagé une réflexion ex-ante sur les programmes opérationnels européens pour la période 2007-2013. Les principaux objectifs demeurent la convergence (ancien objectif 1) et la prise en compte des orientations stratégiques en faveur de l’innovation, de la compétitivité et du développement. De son côté, le département a poursuivi la démarche, lancée le 4 juin 2005, d’élaboration d’un Agenda 21 sur les stratégies possibles de développement durable dans le département. Ce chantier s’organise autour d’une dizaine d’ateliers dont les conclusions devraient être connues à peu près en même temps que les propositions du SMDE. Pourtant, ces différents travaux qui concourent au même objectif de développement économique et social de la Martinique ne font guère l’objet de mise en commun et ne participent nullement à l’élaboration d’un projet collectif territorialisé, chaque instance travaillant isolément sur des thèmes redondants dans le but à peine voilé de valoriser sa propre activité et de renforcer sa légitimité. Doublé d’un polycentrisme concurrentiel, cet éclatement de l’action publique dans le domaine du développement économique annonce probablement des difficultés de mise en œuvre des SRDE et du SMDE. Certes, au terme de la loi du 13 août 2004, le SRDE a vocation à coordonner l’ensemble des schémas sectoriels existants. Le plan régional de la formation professionnelle, le schéma d'aménagement touristique, le schéma régional des transports, le schéma d'aménagement régional devront être en cohérence avec le SRDE, sans oublier dans les régions d’outre-mer le schéma d’aménagement régional. Il doit également rechercher la cohésion avec les orientations stratégiques découlant des conventions entre la région, les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que les acteurs économiques et sociaux du territoire. Mais comment réaliser la synchronisation dans le temps de toutes ces orientations, des priorités et donc des sélectivités, lorsqu’on sait que ces différents schémas n’ont pas la même durée ? Quelle est la portée de la coordination des actions assurée par la région alors que la concurrence avec les autres échelons territoriaux, y compris avec les structures intercommunales au fur et à mesure de leur montée en puissance, a toutes les chances de persister, le législateur ayant préféré mettre en œuvre une agrégation des compétences plutôt que de procéder à une véritable répartition (Laguerre) ? Cette situation est d’autant plus paradoxale que la décentralisation et les réformes institutionnelles sont souvent présentées outre-mer comme les préalables au développement économique constitué depuis longtemps un enjeu décisif par l’ensemble des acteurs.
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LE DEVELOPPEMENT COMME FINALITE Si l’approfondissement de la décentralisation et les réformes institutionnelles de ces dernières années visent, entre autres objectifs, à renforcer l’autonomie locale et à clarifier la répartition des compétences, il est clair que dans les départements et régions d’outre-mer elles sont fréquemment associées à l’objectif plus général du développement économique et social. Ce constat ne saurait surprendre : l’exigence de pleine égalité avec les populations de métropole s’inscrit dans une longue tradition dont les origines sont antérieures à la départementalisation intervenue en 1946. Cette tradition est constamment réactivée par les conditions de mise en œuvre de cette dernière et complétée aujourd’hui par une double aspiration au respect de l’identité propre des citoyens d’outre-mer et à une meilleure efficacité dans la gouvernance (Daniel, 2006a). En outre, la question du développement se pose avec d’autant plus d’acuité, que les DOM, malgré les progrès réalisés depuis 1946, connaissent une situation structurellement difficile. Assurément, les niveaux de vie ont fortement augmenté, aussi bien aux Antilles et en Guyane qu’à La Réunion, sous l’impulsion de taux de croissance en moyenne supérieurs à ceux observés en France hexagonale. En dépit de cette évolution de long terme, les PIB par habitant des DOM restent toutefois bien en dessous de la moyenne nationale : en 2001, ils se situent entre 50 % et 63 % du PIB français. Plusieurs facteurs expliquent cet écart, en particulier la structuration du tissu économique dans les quatre DOM autour d’activités moins génératrices de valeur ajoutée qu’en métropole (ONPES, 2006 : 132-133). On comprend, dans ces conditions, que le développement, désormais qualifié de durable, soit présenté comme la finalité première de l’action publique et des réformes institutionnelles (Jos, 1ère et 2ème partie, Mounier). Ainsi posée, pareille équation est sans nul doute légitime. Mais elle ne doit pas conduire à verser dans le travers qui consiste à conférer des vertus démiurgiques, totalisantes et globalisantes aux institutions en esquivant une question pourtant essentielle : dans quelle mesure et sous quelles conditions peuvent-elles contribuer au développement (durable) ? L’on sait en effet qu’il n’existe pas de lien mécanique entre les institutions et le développement lui même. Une chose est néanmoins sûre : dans les DOM/ROM, tout comme dans la France hexagonale, c’est-à-dire dans un système économique relativement décentralisé, le développement ne peut être institutionnalisé dans la mesure où il résulte avant tout de l’activité globale de tous les agents, publics ou privés (Bourrinet, 2006). De même, la profusion d’institutions et de dispositifs en charge du développement et la recherche d’une articulation des politiques publiques en
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la matière ne suffisent pas nécessairement à garantir le résultat escompté : elles ne permettent pas toujours de créer de véritables espaces de solidarité politique et économique et posent le problème récurrent de la cohésion et de la cohérence de l’action publique. A cet égard, si légitime que soit l’objectif de développement durable, il ne contribue pas moins à amplifier dans les DOM les risques de fragmentation institutionnelle, de chevauchement des actions et de confusion des légitimités du fait de la superposition des compétences et des territoires. Chaque échelon se montre jaloux de ses prérogatives tout en revendiquant le droit d’intervenir dans des champs de compétence connexes bornés par la seule contrainte budgétaire pesant sur son intervention. Ainsi, l’accent mis par un nombre croissant de collectivités sur le développement durable joue incontestablement en ce sens14 ; la définition désormais classique qui en est donnée – « un type de développement qui permet de satisfaire les besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire les leurs »15 – ouvre la voie à toutes les politiques publiques et permet aux différentes collectivités et à leurs groupements d’investir quasiment tous les champs de l’action publique (Piron, 2006 : 361). C’est dire à quel point, encore une fois, les différents enjeux – simplification du paysage institutionnel, renforcement de l’autonomie locale et politiques de développement – restent fondamentalement liés dans les DOM/ROM. Un constat qui ne saurait être nié au moment où la nouvelle phase de décentralisation monte progressivement en puissance.
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Comme le révèle, par exemple, la préparation du SMDE analysée ci-dessous. C’est la définition la plus couramment donnée du développement durable, même si elle peut être complétée par les qualificatifs de social et/ou solidaire (Cascalès, 2001). 15
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PREMIERE PARTIE
Les statuts constitutionnels en questions : Potentialités et limites des réformes
QUELQUES REFLEXIONS SUR LE STATUT CONSTITUTIONNEL DES DOM/ROM APRES LA REVISION DU 28 MARS 2003 Emmanuel JOS
Le développement de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion dépend, notamment, de la capacité de leurs habitants à se mobiliser autour d’un projet collectif. Afin de mener à bien l’élaboration, l’adoption et la réalisation de ce projet il s’avère nécessaire de disposer des outils institutionnels adéquats. En 1946, il apparaissait que le régime de l’application de plein droit des textes nationaux, avec les adaptations nécessaires, et le classement dans la catégorie des collectivités départementales étaient susceptibles de mettre fin aux discriminations coloniales et d’impulser une dynamique de progrès économique et social. Des améliorations sont intervenues dans les conditions de vie et des infrastructures modernes ont été mises en place (routes, port, aéroport, réseaux électriques, adduction d’eau, télécommunications). En revanche l’égalité sociale a du être arrachée par étapes, l’appareil productif s’est effondré, le chômage a atteint des taux particulièrement importants, la crise identitaire est devenue manifeste. Ces facteurs négatifs ont alimenté de façon récurrente un débat statutaire, cristallisé autour des options d’assimilation, de décentralisation, d’autonomie et d’indépendance. Sur le plan institutionnel, la création avec les régions d’un niveau d’administration locale supplémentaire et les transferts de compétences liés à la décentralisation du début des années 80 ont entraîné, en raison de la superposition des collectivités un déficit de cohésion dans l’action publique. Compte tenu de l’existence de compétences concurrentes, du morcellement du pouvoir de décision et de l’insuffisance des transferts de compétences de droit commun pour faire face aux besoins spécifiques d’action locale, la nécessité de réformes se fit sentir. Les tentatives de rationalisation de l’organisation administrative des territoires classés dans les catégories départementale et régionale se sont
heurtées aux interprétations restrictives du Conseil Constitutionnel de la notion d’adaptation contenue dans l’ancien article 73 de la Constitution1. A la fin des années 90, et notamment avec la loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 20002, Monsieur Lionel Jospin, alors premier ministre, décida d’entreprendre une démarche de réforme institutionnelle qui pouvait déboucher sur des statuts sur mesure des territoires de la République situés outre-mer afin de donner plus de responsabilités aux populations locales et à leurs élus dans le pilotage de leurs sociétés. Le changement de majorité en 2002 eu pour conséquence l’abandon de cette perspective. La révision constitutionnelle du 28 mars 20033 s’est inscrite pour les outre-mers dans une démarche de statut à la carte. Les opportunités offertes sont certes plus variées que précédemment (I) mais la réforme de 2003 présente des inconvénients majeurs qui appellent des modifications propres à favoriser une meilleure trajectoire de développement pour les territoires concernés (II).
I - LA VARIETE CATEGORIES ET DES FRANÇAIS
CONSTITUTIONNELLE DES STATUTS DE L’OUTRE-MER
La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 classe les territoires français situés outre-mer dans plusieurs catégories, avec des variantes statutaires à l’intérieur de certaines d’entre elles. Elle offre également, dans certains cas, la possibilité, selon des procédures prévues, de changer de catégorie ou simplement de statut tout en demeurant dans la même catégorie. 1 - La classification constitutionnelle des territoires situés outre-mer L’article 72-3 de la constitution procède à la distribution des territoires situés outre-mer en trois catégories de collectivités territoriales : la catégorie des collectivités régies par l’article 73, celle des collectivités régies par l’article 74 et la collectivité de Nouvelle-Calédonie régie par le titre XIII, unique dans sa catégorie. Les Terres australes et antarctiques françaises, qui ne sont pas des collectivités territoriales, disposent d’un statut administratif 1 Décision n° 82-147 DC du 2 décembre 1982, J.O. 4 décembre 1982, p. 3666, et Décision n° 84-174 DC du 25 juillet 1984, J.O. 28 juillet 1984, p. 2493. 2 Loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000, J.O. du 14 décembre 2000, p. 19760. 3 Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, J.O. 29 mars 2003, p. 5568.
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spécifique : leur régime législatif et leur organisation particulière sont déterminés par une loi. La lecture des articles 73 et 74 permet d’envisager plusieurs statuts possibles à l’intérieur de ces deux catégories.
a - La catégorie de l’article 73 Dans la catégorie de l’article 73, l’article 72-3 de la Constitution classe les départements et les régions d’outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion. Font partie aussi de cette catégorie, les collectivités territoriales nouvelles susceptibles de se substituer à un département et à une région d’outre-mer en vertu de l’alinéa 7 de l’article 73. Au sein de la catégorie de l’article 73 il y a lieu d’identifier quatre variantes statutaires : a) le statut type de département et de région d’outre-mer, b)
le statut de département et de région d’outre-mer propre à La Réunion,
c)
le statut de département et de région d’outre-mer disposant d’une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités et,
d) le statut de collectivité se substituant à un département et une région d’outre-mer. Le statut type de département et de région d’outre-mer se caractérise par les éléments suivants : a) les lois et règlements y sont applicables de plein droit, b) le parlement et le gouvernement, chacun pour ce qui le concerne, peuvent procéder à des « adaptations » des règles applicables afin de tenir compte des « caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités », c) « dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » et « à leur demande », les collectivités départementales et régionales d’outre-mer « peuvent être habilitées par la loi », sauf si « sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté ou d’un droit constitutionnellement garanti », à procéder à des adaptations
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tenant à leurs caractéristiques et contraintes particulières, « dans les matières où s’exercent leurs compétences », d) dans les mêmes conditions et réserves, mais aussi en exceptant une série de domaines énoncés à l’alinéa 4, par dérogation au principe de l’application de plein droit des règles nationales, les collectivités régies par l’article 73 peuvent être habilitées par la loi à « fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi » afin de « tenir compte de leurs spécificités ». Le département et la région de La Réunion se différencient des autres collectivités classées dans la catégorie de l’article 73 sur deux points. Le premier est la consolidation constitutionnelle du classement du territoire de La Réunion dans le statut de collectivité départementale et de collectivité régionale d’outre-mer. Le second est la non applicabilité à ces collectivités des dispositions relatives à l’habilitation possible d’adopter des règles pouvant relever du domaine de la loi. Le statut de département et de région d’outre-mer dotés d’une assemblée délibérante unique se singularise, par rapport au statut type, par son organisation administrative particulière. Le même groupe d’élus exerce tour à tour les compétences dévolues au Conseil général (assemblée délibérante de la collectivité départementale) et au Conseil régional (assemblée délibérante de la collectivité régionale). La question du mode d’élection de l’assemblée délibérante commune reste posée (scrutin uninominal majoritaire à deux tours comme pour les conseillers généraux ou scrutin proportionnel comme pour les conseillers régionaux ?), de même que la structure de l’exécutif. La collectivité territoriale nouvelle, que nous appellerons ci-après « collectivité de substitution », n’est plus ni collectivité départementale ni collectivité régionale, mais elle a vocation à regrouper au sein d’une collectivité unique les pouvoirs et domaines de compétences des deux collectivités qu’elle remplace.
b - La catégorie de l’article 74 Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis-et-Futuna et la Polynésie française sont classés dans la catégorie des collectivités d’outremer régie par l’article 74. Chacun de ces territoires, auxquels il faut désormais ajouter Saint-Barthélemy et Saint-Martin, dispose d’un statut qui lui est propre, défini par une loi organique, adoptée après avis de son assemblée délibérante.
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Cette loi organique propre à chaque collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 fixe « les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ». Ainsi certaines collectivités auront un régime à dominante de spécialité, d’autres à identité législative prépondérante. Cette loi organique fixe également dans certaines limites les compétences de la collectivité, ses règles d’organisation, le fonctionnement de ses institutions, le régime électoral de son assemblée délibérante et les conditions dans lesquelles elle est consultée sur les dispositions législatives ou règlementaires « comportant des dispositions particulières » la concernant de même que sur « les engagements internationaux conclus dans les matières relevant de sa compétence ». Au sein de cette catégorie, il convient d’identifier une souscatégorie, celle de collectivités d’outre-mer dotée de l’autonomie. Dans cette sous-catégorie de collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 et dotée de l’autonomie, il y a d’ores et déjà la Polynésie française et peut être y aura-t-il aussi Saint-Barthélemy lorsque la loi organique relative à son statut sera adoptée par le Parlement. Les caractéristiques constitutionnelles de cette autonomie sont précisées par la seconde partie de l’article 74. Il s’agit : de l’existence d’un « contrôle spécifique du Conseil d’Etat sur certaines catégories d’actes de l’assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu’elle exerce dans le domaine de la loi » ; du pouvoir de modifier les lois promulguées pour autant que le Conseil Constitutionnel aura constaté la compétence de l’assemblée délibérante dans ce domaine ; de la possibilité pour la collectivité d’adopter des mesures particulières en faveur de sa population « en matière d’emploi, de droit d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier » lorsqu’elles sont justifiées par les nécessités locales ; des modalités de participation de la collectivité aux compétences conservées par l’Etat « dans le respect des garanties accordées sur l’ensemble du territoire national pour l’exercice des libertés publiques ».
c - La catégorie unique du titre XIII Il convient de noter d’emblée qu’il s’agit de dispositions transitoires qui renvoient à l’accord conclu à Nouméa le 5 mai 1998. Provisoire, car en 2014 les électeurs résidant sur le territoire depuis au moins 20 ans auront à se prononcer sur l’accession ou pas à la pleine souveraineté, autrement dit à l’indépendance. L’accord de Nouméa intervenu après une période de tensions et de violences constitue le compromis ayant permis de rétablir la
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paix sociale. Le titre XIII est destiné à rendre son application compatible avec la Constitution. L’article 77 de la Constitution prévoit l’adoption d’une loi organique après avis de l’assemblée délibérante de Nouvelle-Calédonie, précisant : les compétences, transférées de façon définitive, les règles d’organisation et de fonctionnement, les conditions de contrôle du Conseil Constitutionnel sur certaines catégories d’actes de l’assemblée, les règles relatives à la citoyenneté calédonienne, au régime électoral, à l’emploi, au statut civil coutumier, les conditions dans lesquelles les populations intéressées se prononceront sur l’accession à la pleine souveraineté. Une loi ordinaire précise les autres conditions d’application de l’accord de Nouméa.
2 - Des procédures de changement subordonnées consentement des électeurs de la collectivité concernée
au
Le texte de la Constitution révisée met l’accent sur la nécessité de recueillir le consentement des électeurs de la collectivité concernée dans un certain nombre de cas qui sont par le fait même rendus constitutionnellement possibles explicitement. Il s’agit d’une part de la possibilité de passer de la catégorie de l’article 73 à celle de l’article 74 et vice versa et, d’autre part, pour les départements et les régions d’outre-mer, de la possibilité de modification de leur statut, à l’intérieur de la catégorie de l’article 73, en mettant en place une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ou de leur substituer une collectivité unique récupérant leurs compétences. La procédure de changement est précisée par l’article 72-4 second alinéa de la Constitution. Cet alinéa s’inspire en partie de la rédaction de l’article 11 de la Constitution relatif au referendum législatif. Le Président de la République joue un rôle de premier plan puisque c’est à lui qu’est attribué le pouvoir de décider de la tenue ou pas de la consultation des électeurs de la collectivité concernée. La proposition peut lui être faite soit par le Gouvernement pendant la durée des sessions parlementaires, soit conjointement par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat au sein de chacune de ces assemblées parlementaires est prévue lorsque c’est lui qui fait au Président la proposition. Outre l’hypothèse d’un changement de catégorie ou de mise en place d’uns assemblée délibérante commune au département et à la région ou encore de la substitution à ces deux collectivités d’une collectivité unique, l’alinéa deux de l’article 72-4 donne au Président la possibilité d’organiser
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une consultation des « électeurs d’une collectivité située outre-mer sur une question relative à son organisation, à ses compétences ou à son régime législatif ». Comment apprécier cette nouvelle carte constitutionnelle de l’outremer français, issue de la révision du 28 mars 2003 ? Sans doute y a-t-il quelques clarifications et opportunités nouvelles, mais les ambigüités et les contradictions qui peuvent être relevées rendent souhaitables de nouvelles modifications.
II - DES AMBIGUÏTES A LEVER, DES CONTRADICTIONS A DENOUER L’examen des nouvelles dispositions constitutionnelles relatives à l’outre-mer amène à s’interroger principalement d’une part, sur le bien fondé de la consécration de la notion de « populations d’outre-mer » de préférence à celle de « peuples d’outre-mer » et d’autre part, sur la finalité et le processus d’élaboration des statuts des collectivités mises en place.
1 - « Peuple français », « peuples d’outre-mer », « populations intéressées », « populations d’outre-mer » : les ambigüités et les contradictions résultant du choix des Constituants du 28 mars 2003 Pour apprécier le choix effectué par les auteurs de la révision du 28 mars 2003 en affirmant que « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. », il convient de resituer cette affirmation par rapport à la terminologie utilisée par les textes constitutionnels précédents ainsi que l’interprétation qui en a été donnée par le Conseil Constitutionnel.
a - Les énoncés utilisés avant la révision de 2003 et leur interprétation jurisprudentielle : Les anciennes constitutions françaises Antérieurement à la Constitution de 1946, les textes constitutionnels français successifs n’utilisent pas l’expression de peuples d’outre-mer. Ces textes s’inscrivent dans une double problématique. D’une part la problématique territoriale qui distingue le territoire de la métropole de celui
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des colonies. D’autre part celle de la citoyenneté qui conduit à reconnaître ou pas la qualité de citoyens aux ressortissants des colonies, ou de telle ou telle colonie, avec pour conséquence l’exercice des droits afférents à la qualité de citoyen, notamment celui de pouvoir participer à l’expression de la volonté générale souveraine. L’expression « peuples d’outre-mer » est utilisée dans les textes constitutionnels à partir de 1946. On peut lire dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 les énoncés suivants : Alinéa 14 « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit international public…. » Alinéa 16 « La France forme avec les peuples d’outre-mer4 une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs sans distinction de race ni de religion ». Alinéa 17 « L’Union française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité » Alinéa 18 « Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ; écartant tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire, elle garantit à tous l’égal accès aux fonctions publiques et l’exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamées ou confirmées ci-dessus ». Le titre VIII de cette constitution est consacré à l’Union française. Il ne se réfère pas à la notion de peuples d’outre-mer. Sa problématique est avant tout territoriale. Toutefois, en son sein, l’article 80 précise « tous les ressortissants des territoires d’outre-mer ont la qualité de citoyen, au même titre que les nationaux français de la métropole ou des territoires d’outremer. Des lois particulières établiront les conditions dans lesquelles ils exercent leurs droits de citoyens. ». Dans son titre IV relatif aux traités diplomatiques, la constitution de 1946 comporte un article 27 dont l’alinéa deux dispose : « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées. » Des textes qui précédent on peut observer d’abord que la Constitution du 27 octobre 1946 innove en consacrant la notion de « peuples 4
C’est nous qui soulignons.
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d’outre-mer ». En effet, cette référence aux peuples d’outre-mer est absente du projet de constitution du 19 avril 1946. Ainsi de façon remarquable, alors que l’article 41 du projet d’avril dispose que « La France forme avec les territoires d’outre-mer, d’une part, et avec les Etats associés, d’autre part, une Union librement consentie », l’alinéa 16 de la constitution du 27 octobre énonce « La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité… ». Il y a donc une volonté explicite dans cet alinéa de consacrer la reconnaissance par la France de peuples d’outre-mer. L’expression « populations intéressées » apparaît dans l’article 27 à propos de la nécessité de recueillir leur consentement en cas de cession, échange ou adjonction de territoire. On notera également que si l’alinéa 18 affirme nettement une défaveur envers « tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire », il présente la colonisation française de façon édulcorée comme la « prise en charge » par la France des peuples d’outre-mer. Enfin, que, s’agissant de la citoyenneté, l’égalité entre tous [ressortissants de l’outre-mer comme de la métropole] est reconnue mais « des lois particulières établiront les conditions dans lesquelles ils [les ressortissants des territoires d’outre-mer] exercent leurs droits de citoyens » (article 80). : Le texte originel de la Constitution de 1958 La Constitution de 1958, dans son préambule, se réfère à la déclaration de 1789 et au préambule de 1946. Son préambule énonce par ailleurs, dans son alinéa deux, que : « En vertu de ces principes et de celui de libre détermination des peuples, la république offre aux territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer, des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique ». L’article premier du texte adopté en 1958 indique pour sa part : « La République et les peuples des territoires d’outre-mer qui, par un acte de libre détermination, adoptent la présente Constitution, instituent une Communauté. La Communauté est fondée sur l’égalité et la solidarité des peuples qui la composent. » Le titre XI de la Constitution de 1958 traite des Collectivités territoriales, l’expression peuples d’outre-mer n’y est pas utilisée. L’exercice du principe de libre détermination est tout de même prévu au bénéfice des
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« territoires d’outre-mer » qui « s’ils en manifestent la volonté par délibération de leur assemblée territoriale, prise dans le délai prévu au premier alinéa de l’article 91 (4 mois), ils deviennent soit départements d’outre-mer de la République, soit, groupés ou non entre eux, Etats membres de la Communauté. » La Communauté fait l’objet du titre XII, il n’y est pas question de peuples mais d’Etats qui jouissent de l’autonomie en s’administrant euxmêmes et gérant démocratiquement et librement leurs propres affaires (article 77). Il est institué une seule citoyenneté dans la Communauté. Tous sont égaux en droit. Il convient de noter, qu’à l’instar de la Constitution de 1946, dont elle reprend ainsi les termes, celle de 1958 dans son titre VI relatif aux traités et accords internationaux comporte dans son article 53 un alinéa trois ainsi rédigé : « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées ». Il se dégage de la lecture des dispositions originelles de la Constitution de 1958 qu’un accent particulier est mis sur le principe de libre détermination des peuples. C’est en vertu de ce principe que des procédures de choix sont prévues et qu’est conçue l’organisation de la Communauté. A noter aussi l’assomption par la Constitution de 1958 de l’héritage du préambule de la Constitution de 1946 et de l’article 27 de cette constitution dans l’article 53. : Les révisions constitutionnelles antérieures à 2003 La loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995, parmi les modifications apportées au texte de 1958, a abrogé d’une part l’article premier, remplacé par le premier alinéa de l’article 2, et d’autre part les dispositions relatives à la Communauté (qui se trouvaient au titre XIII, compte tenu de la modification de la numérotation du fait de l’introduction en 1993 d’un nouveau titre X), et, en conséquence, les références contenues dans ces passages à la notion de peuple, cette notion demeurant toutefois dans les autres passages de la Constitution où elle est mentionnée. La loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 a réintroduit dans la Constitution un titre XIII, intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ». Il y est question des « populations de la Nouvelle-Calédonie » et non de peuple calédonien, ni même de populations calédoniennes. Il s’agit de populations résidant dans un lieu, à savoir la Nouvelle-Calédonie et non qualifiée de calédoniennes. Ces populations de la
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Nouvelle-Calédonie, remplissant certains critères de résidence, sont appelées à se prononcer sur l’accord de Nouméa du 5 mai 1998. Une loi organique précisera également « les conditions et les délais dans lesquelles les populations intéressées de Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l’accession à la pleine souveraineté ». L’accord de Nouméa, pour sa part, auquel la Constitution se réfère, reconnaît l’existence d’un « peuple Kanak » avec son identité propre, liée à ses coutumes, à sa culture, son rapport à la terre….Son préambule (point 3) énonce que : « La colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu'elle a privé de son identité. Des hommes et des femmes ont perdu dans cette confrontation leur vie ou leurs raisons de vivre. De grandes souffrances en sont résultées. Il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître les fautes, de restituer au peuple kanak son identité confisquée, ce qui équivaut pour lui à une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la fondation d’une nouvelle souveraineté, partagée dans un destin commun. » L’Accord utilise, toutefois, les termes « d’habitants » et de « populations intéressées » lorsqu’il s’agit d’exprimer une volonté politique relative à l’avenir du territoire. Il y est dit, en effet : « Au terme d’une période de vingt années, le transfert à la NouvelleCalédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité seront proposées au vote des populations intéressées. Leur approbation équivaudrait à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. » Il consacre donc l’existence d’une citoyenneté et non d’une nationalité de la Nouvelle-Calédonie et précise : « Celle-ci traduit la communauté de destin choisie et s’organiserait, après la fin de la période d’application de l’accord, en nationalité, s’il en était décidé ainsi. Pour cette période, la notion de citoyenneté fonde les restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux institutions du pays et pour la consultation finale. Elle sera aussi une référence pour la mise au point des dispositions qui seront définies pour préserver l’emploi local ». : La jurisprudence du Conseil Constitutionnel Dans sa Décision (n° 75-59 DC) du 30 décembre 1975 relative aux conséquences de l’autodétermination des îles des Comores, le Conseil
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Constitutionnel a donné les interprétations suivantes de l’article 53, dernier alinéa, et de son application au cas de Mayotte : « Considérant que les dispositions de cet article doivent être interprétées comme étant applicables, non seulement dans l'hypothèse où la France céderait à un Etat étranger ou bien acquerrait de celui-ci un territoire, mais aussi dans l'hypothèse où un territoire cesserait d'appartenir à la République pour constituer un Etat indépendant ou y être rattaché ; Considérant que l'île de Mayotte est un territoire au sens de l'article 53, dernier alinéa, de la Constitution, ce terme n'ayant pas dans cet article la même signification juridique que dans l'expression territoire d'outre-mer, telle qu'elle est employée dans la Constitution ; Considérant, en conséquence, que cette île ne saurait sortir de la République française sans le consentement de sa propre population ; que, dès lors, les articles premier et 2 de la loi déférée au Conseil constitutionnel font une exacte application de l'article 53, dernier alinéa, de la Constitution ; » La Décision (n° 87-226) du 2 juin 1987 relative à la loi organisant la consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, donne au Conseil l’occasion d’apporter une précision importante sur la signification de l’article 53, dernier alinéa. Il considère, en effet, que : « Ces dispositions font application aux traités et accords internationaux relevant du titre VI de la Constitution des principes de libre détermination des peuples et de libre manifestation de leur volonté, spécifiquement prévus pour les territoires d'outre-mer par l'alinéa 2 du préambule ; » L’article 53 alinéa trois s’inscrit donc, selon le Conseil, dans la logique de la libre détermination des peuples. Il ajoute que : « La mise en œuvre de ces principes doit permettre, dans le cadre de la Constitution, aux populations consultées par les autorités compétentes de la République de manifester leur volonté ; » La Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 relative au statut de la Corse est bien connue pour avoir affirmé clairement le principe de l’unicité du peuple français dans les termes suivants : « Considérant que la France est, ainsi que le proclame l'article 2 de la Constitution de 1958, une République indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine ; que dès lors la mention faite par le législateur du "peuple corse, composante du peuple français" est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion ; (...) »
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Cette même précédent que :
décision
affirme
aussi
dans
le
considérant
« La Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d'outremer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination ».
Le principe constitutionnel d’unicité du peuple français est affirmé à nouveau à l’occasion de la Décision du Conseil sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (n° 99-412 DC) du 15 juin 1999. Dans la Décision (n° 2000-428 DC) du 4 mai 2000 relative à la loi organisant une consultation de la population de Mayotte, le Conseil confirme et précise sa jurisprudence précédente en disant : « Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa du Préambule de la Constitution de 1958 : " En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique " ; que, pour la mise en œuvre de ces dispositions, les autorités compétentes de la République sont, dans le cadre de la Constitution, habilitées à consulter les populations d'outre-mer intéressées, non seulement sur leur volonté de se maintenir au sein de la République française ou d'accéder à l'indépendance, mais également sur l'évolution statutaire de leur collectivité territoriale à l'intérieur de la République ; que, toutefois, dans cette dernière éventualité, lesdites autorités ne sauraient être liées, en vertu de l'article 72 de la Constitution, par le résultat de cette consultation ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la consultation organisée par la loi déférée en vue de recueillir l'avis de la population de Mayotte sur l'accord précité du 27 janvier 2000 trouve un fondement dans le deuxième alinéa du Préambule de la Constitution de 1958 ; (...) ».
Enfin dans sa Décision (n° 2000-435) du 7 décembre 2000 relative à la loi d’orientation pour l’outre-mer, le Conseil réaffirme que : « Pour la mise en œuvre des dispositions du deuxième alinéa du Préambule de la Constitution de 1958, les autorités compétentes de la République sont, dans le cadre de la Constitution, habilitées à consulter les populations d'outre-mer intéressées notamment sur l'évolution statutaire de leur collectivité à l'intérieur de la République ; ». Selon cette jurisprudence, la consultation des populations intéressées, y compris des départements d’outre-mer, trouve son fondement dans les principes énoncés dans le deuxième alinéa du préambule, c'est-àdire dans celui de « libre détermination des peuples ». Le peuple est l’entité détentrice du droit de libre détermination et l’exercice de ce droit, sous forme d’un vote, se fait par les populations intéressées.
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b - La révision du 28 mars 2003 : l’adoption d’un amendement controversé Le texte de l’alinéa premier de l’article 72-3 de la Constitution révisée ne figurait pas dans le projet initial présenté par le Gouvernement. C’est au cours de la deuxième séance du mercredi 27 novembre 20025 qu’a été présenté et discuté un amendement émanant d’un député de La Réunion6 et de plusieurs de ses collègues7 tendant à inscrire dans la Constitution que « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer ». Le but de cet amendement était de contrecarrer la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui, dans sa décision du 9 mai 1991 relative au statut de la collectivité territoriale de Corse, considérait que « la Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d’outremer auxquels est reconnu le droit de libre détermination ». Selon les auteurs, cette distinction constitue un danger pour l’unité de la République. Les habitants de La Réunion, par exemple, font tout autant partie du peuple français que ceux de la Corse, de la Corrèze ou de la Loire. Ainsi, estime le porte-parole de la proposition, « il est temps de mettre fin à cette discrimination constitutionnelle entre citoyens français ». Il ajoute que « l’adoption de cet amendement marquera la fin d’une époque liée à la colonisation, et notre ancrage dans la République ». L’amendement a été soutenu par le président et rapporteur de la commission des lois8 qui l’a qualifié de « très bel amendement » car « il n’est pas superflu de mentionner la reconnaissance par la République de l’identité propre des populations d’outre-mer, au sein du peuple français qui doit dans le même temps conserver sa pleine unicité ». La ministre de l’outre-mer9 a émis un avis très favorable à cet amendement considéré comme « sans doute historique ». En revanche, de vives critiques et protestations ont été émises par des membres de l’opposition issus de l’outre-mer, non seulement sur la façon dont l’amendement a été amené en séance mais surtout sur le fond. Il est reproché à l’amendement10 de vouloir donner « des gages à La Réunion parce que La Réunion a peur ». L’amendement est qualifié de « coupable et liberticide » et de dissoudre « la notion de peuple guadeloupéen, martiniquais, guyanais, réunionnais ». « La meilleure preuve, estime l’intervenant, de notre appartenance à la nation française, c’est l’affection, le 5
Débats, session ordinaire de 2002-2003, JO, 28 novembre 2002. M. René-Paul victoria, député de La Réunion. 7 Les députés Audifax, Thien Ah Koon, Quentin et Grignon. 8 M. Pascal Clément. 9 Mme Brigitte Girardin. 10 M. Victorin Lurel, député de la Guadeloupe. 6
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vouloir vivre ensemble, le plébiscite de 350 ans d’histoire, qu’on est en train de supprimer pour donner des gages à des réactionnaires ». Il est dit aussi11 pour expliquer le refus de cet amendement que « Nous n’avons pas le droit, face à l’histoire, face à nos enfants, de laisser inscrire “ les populations d’outre-mer ” alors que nous savons que sur nos territoires, il y a des peuples qui ont construit leur histoire, qui ont forgé leur légitimité et se sont inscrits dans l’humanité et qui vivent le pacte républicain sans que celui-ci soit jamais formulé et soumis à leur consentement ! ». Dans sa réponse aux objections, on peut noter que la ministre de l’outre-mer, faisant allusion aux déclarations du Président de la République au Caire, a voulu préciser que « le fondement de cette déclaration est le deuxième alinéa du préambule, qui reste en vigueur, et qui fait référence au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et « l’article 53 de la constitution est toujours là pour répondre aux préoccupations qu’il a exprimées ». c - La nécessité d’une formulation international public et à l’histoire
conforme
au
droit
En dépit d’un vocabulaire constitutionnel varié, il nous semble possible de déduire des textes et de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, d’avant la révision de 2003, les conclusions suivantes : Il existe un peuple français. Le peuple français est composé de tous ceux qui sont reconnus comme citoyens français. Il n’y a pas de peuples « composantes du peuple français », mais des citoyens français qui composent le peuple français. Les ressortissants de l’outre-mer dans la mesure où ils sont citoyens français font partie du peuple français et bénéficient des mêmes droits que tous les citoyens français. Il n’y a donc pas de discrimination entre citoyens français. Ces ressortissants font également partie de peuples d’outre-mer. Ces peuples d’outre-mer sont constitués des populations des territoires qui ont connu la colonisation. La notion de peuple ne renvoie pas à une identité ethnique mais à un sujet de droit, né de l’histoire, titulaire du droit de libre détermination. Ces territoires constituent depuis 1946 des collectivités territoriales de la République française. 11
Mme Christiane Taubira, député de la Guyane.
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Les peuples d’outre-mer ont le droit de libre détermination. L’expression des choix de libre détermination se fait par les populations d’outre-mer intéressées. Les populations intéressées sont donc le groupe humain concret qui sera chargé d’exprimer par le vote un choix statutaire. Ces populations peuvent être consultées sur la base du deuxième alinéa du préambule « non seulement sur leur volonté de se maintenir au sein de la République française ou d’accéder à l’indépendance, mais également sur l’évolution statutaire de leur collectivité territoriale à l’intérieur de la République ». Lorsqu’il s’agit de sortir de la République, en vertu de l’article 53, dernier alinéa, il faut qu’il y ait consentement des populations intéressées. Les populations des territoires ayant connu la colonisation sont donc à la fois membres du peuple français, parce que citoyens français, et membres de peuples d’outre-mer et disposent à ce titre d’une prérogative spécifique qui est de participer aux choix de libre détermination concernant le statut de leur territoire. La colonisation a fait émerger des sujets juridiques spécifiques, dénommés « peuples d’outre-mer » par le droit français, « peuples coloniaux » par le droit des Nations Unies. Et conformément à ce droit des Nations Unies, ces sujets bénéficient du principe de libre détermination affirmé par la Charte et intégré par le préambule de 1946, puis celui de 1958, dans le droit constitutionnel français. Cette libre détermination consiste à choisir entre l’indépendance, l’association à un Etat existant ou l’intégration à un Etat existant, comme l’indiquent les résolutions 1541 (XV) du 15 décembre 1960 et 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Le choix de l’intégration ne signifie pas la dissolution par le peuple colonial concerné de son moi, en tant que peuple. Compte tenu de ces analyses, le texte de l’alinéa premier de l’article 72-3 apparaît éminemment regrettable. Ses auteurs ont considéré, à tort, qu’il était contradictoire, voire dangereux d’affirmer l’existence du « peuple français » et de « peuples d’outre-mer » alors qu’il ne s’agit que d’une distinction, et non d’une opposition, permettant de fonder l’exercice d’un droit spécifique aux populations des territoires ex-coloniaux. Le choix des auteurs du texte de ne vouloir reconnaître que des « populations d’outremer », rejetant ainsi explicitement la reconnaissance de « peuples d’outremer » a pour conséquence de nier l’existence de sujets de droit spécifiques, nés de l’histoire coloniale, que sont les peuples d’outre-mer. De plus, le résultat recherché par les auteurs du texte n’est pas atteint puisqu’ils n’ont pas obtenu, comme ils le souhaitaient, la suppression du deuxième alinéa du préambule. Celui-ci continue donc à avoir ses effets juridiques.
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L’alinéa premier de l’article 72-3 a été mal inspiré, car il contredit, dans son intention, l’histoire et le droit international public relatif aux peuples coloniaux. Il n’a pas les effets escomptés vu la permanence des autres dispositions constitutionnelles. Ces remarques critiques appellent à une reformulation du texte plus en conformité avec l’histoire et le droit international public. Des reformulations apparaissent également souhaitables s’agissant des dispositions institutionnelles.
2 - Des statuts sur mesure, répondant au défi du développement durable et conformes aux vœux des électeurs concernés A Madiana, en Martinique, le 11 mars 2001, le Président de la République M. Jacques Chirac déclarait : « Les statuts uniformes ont vécu et chaque collectivité d’outre-mer doit pouvoir désormais, si elle le souhaite, évoluer vers un statut différencié, en quelque sorte un statut sur mesure ». Cette affirmation du Président de la République est venue confirmer solennellement l’orientation qui avait été prise précédemment par le gouvernement de M. Lionel Jospin dans la loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000 qui reconnaissait « à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à La Réunion la possibilité de disposer dans l’avenir d’une organisation institutionnelle qui leur soit propre » et qui posait « le principe de la consultation des populations sur les évolutions qui seraient envisagées ». Les deux principes fondamentaux de différenciation sur mesure et de consultation des populations appellent un certain nombre de réflexions quant à la façon dont ils ont été mis en œuvre dans le texte de la révision du 28 mars 2003. En effet, la première question qui se pose est celle de savoir ce qui sert de mesure, autrement dit quelle est la finalité de la différenciation. Elle ne saurait être selon nous que celle de favoriser le développement durable. La seconde question qui se pose est de savoir sur quoi doit porter la consultation et quelle doit être la portée de la réponse. Le texte de la Constitution révisée le 28 mars 2003 n’apporte pas selon nous des réponses pleinement satisfaisantes à ces deux questions.
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a - La nécessité d’une prise en compte de la finalité du développement durable La loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000 (LOOM) s’inscrit d’emblée et explicitement dans la perspective du développement durable. En effet, son article premier est ainsi rédigé : « Le développement économique, l’aménagement du territoire et l’emploi dans les départements d’outre-mer constituent, en raison de leur situation économique et sociale structurelle reconnue notamment par l’article 299, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne, des priorités pour la nation. Ces priorités sont mises en œuvre par la présente loi qui vise également à promouvoir le développement durable de ces départements, à valoriser leurs atouts régionaux, à compenser leurs retards d’équipement, à assurer l’égalité sociale et l’accès de tous à l’éducation, la formation et la culture ainsi que l’égalité entre les hommes et les femmes. Elles impliquent l’accroissement des responsabilités locales ainsi que le renforcement de la décentralisation et de la coopération régionale ».
On peut noter que cet article se réfère à l’article 299§2 du traité instituant la Communauté européenne qui sert de base juridique à l’adoption par le Conseil « des mesures spécifiques visant en particulier à fixer les conditions de l’application du traité » aux Régions ultrapériphériques afin de pallier les « facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement »12. C’est après avoir posé le préalable de leur développement durable qu’est envisagée, par la LOOM, l’opportunité de mettre en place une organisation institutionnelle propre à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à La Réunion. Le nouvel article 73 de la Constitution s’inspire en partie de cette orientation. Il reprend d’ailleurs mot pour mot un passage de l’article 299§2 du traité CE lorsqu’il se réfère aux « caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités » pour justifier les adaptations. Il eut été souhaitable de franchir le pas et d’indiquer explicitement le lien entre les adaptations, mais aussi les dérogations, avec la promotion du développement durable de l’outre-mer. Cette inscription de l’objectif du développement durable dans les dispositions relatives à l’outre-mer se trouve facilitée par l’intégration dans la Constitution de la Charte de l’environnement. On objectera que cet objectif vaut pour toutes les régions françaises. Certes ! La particularité de l’outre-mer français n’est pas dans la promotion du développement durable mais bien dans la problématique spécifique que 12 Traité instituant la Communauté européenne (version consolidée) J.O.C.E. n° C 325 du 24 décembre 2002, p. 117.
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connaît le développement durable dans ces territoires. Quelle est cette problématique spécifique ? Elle a été explicitée pour les Régions ultrapériphériques de l’Union européenne. Il s’agit de contraintes permanentes qui, cumulées, « nuisent gravement à leur développement », à savoir l’éloignement, l’insularité, le relief et le climat difficiles ainsi que la dépendance par rapport à un petit nombre de produits13. La Constitution espagnole de 197814 prend en compte explicitement l’insularité comme facteur de différenciation. Son article 138 §1 dispose : « L’Etat garantit l’application effective du principe de solidarité consacré à l’article 2 de la Constitution, en veillant à l’établissement d’un équilibre économique approprié et juste entre les différentes parties du territoire espagnol, compte tenu tout particulièrement des circonstances propres à l’insularité ». La Constitution portugaise de 197615 et les modifications qui lui ont été apportées vont plus loin à plusieurs égards. L’article 225 fonde le régime politique et administratif propre des archipels des Açores et de Madère sur « les caractéristiques géographiques, économiques, sociales et culturelles de ces régions et sur les immémoriales aspirations à l’autonomie des populations insulaires ». Intégrant explicitement la problématique communautaire des régions ultrapériphériques l’article 9 de la Constitution portugaise énonce parmi les « tâches fondamentales de l’Etat » la nécessité d’« encourager le développement harmonieux de tout le territoire national, en tenant compte notamment du caractère ultra périphérique des archipels des Açores et de Madère ». Le concept d’ultrapériphéricité se trouve donc constitutionnalisé. La problématique spécifique de l’exiguïté insulaire, en rapport avec le développement durable a été aussi en grande partie analysée à l’occasion des conférences sur les petits Etats en développement insulaires (SIDS). Le Programme d’action de Barbade en 199416, relayé par la Stratégie de Maurice en 200517, indique des lignes d’action qui présentent un intérêt évident pour l’outre-mer français constitué, à quelques exceptions près, de petits territoires insulaires confrontés aux mêmes problèmes de développement. Cette problématique spécifique réside également dans les 13
Ibidem. www.mjp.univ-perp.fr/constit/es1978.htm. 15 www.mjp.univ-perp.fr/constit/pt1976.htm. 16 www.un.org/french/events/sidsprog.htm. 17 www.un.org/french/smallislands2005/. 14
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séquelles d’une histoire singulière, celle de la colonisation et de l’esclavage. La constitutionnalisation de l’objectif du développement durable peut donc permettre aussi de rompre clairement avec le passé colonial caractérisé par l’exploitation des terres conquises et non leur développement.
b - La nécessité d’une amélioration des modalités de choix statutaires On ne peut qu’approuver la volonté du constituant de 2003 de donner un poids décisif aux électeurs des collectivités intéressées pour certains changements de catégorie statutaires ou de statuts à l’intérieur d’une même catégorie. Toutefois, certaines modalités de mise en œuvre de ces processus de consultation, qu’il faut bien reconnaître comme des formes d’autodéterminations internes, alors que s’affiche, dans l’article 72-3 alinéa premier, la volonté de transformer les peuples d’outre-mer en populations d’outre-mer, sont très discutables. Ils le sont s’agissant de l’initiative du projet sur lequel les électeurs sont consultés, du contenu de la consultation et des conséquences de la réponse donnée par les électeurs à la question posée. Pour ce qui concerne l’initiative des évolutions statutaires, aucune place n’est faite par le texte de l’article 72-4 à l’initiative locale. Celle-ci est réservée au gouvernement ou à une proposition conjointe des deux assemblées. Rien ne les oblige à respecter le processus tel qu’il avait été conçu par la loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000, consistant à partir de l’initiative locale formulée dans le cadre d’un congrès des élus départementaux et régionaux. Cette procédure qui n’a qu’un fondement légal peut être remise en cause à tout moment. Dans le cas des régions autonomes des Açores et de Madère, la constitution portugaise organise par son article 226, relatif à leurs statuts et lois électorales, la procédure suivante : « 1. Les projets de statuts politique et administratif et les lois relatives à l'élection des députés aux assemblées législatives des régions autonomes sont élaborés par celles-ci et adressés pour discussion et approbation à l'Assemblée de la République. 2. Si l'Assemblée de la République rejette le projet ou y introduit des modifications, elle le remet à l'assemblée législative concernée pour qu'elle l'examine et émette un avis. 3. Une fois l'avis émis, l'Assemblée de la République procède à la discussion et à la délibération finale.
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4. Le régime prévu aux paragraphes précédents s'applique aux modifications des statuts politiques et administratifs et aux lois relatives à l'élection des députés aux assemblées législatives des régions autonomes. ».
Une large place est donc faite ici à l’initiative locale. On observe, toutefois, que dans cette procédure de l’article 226, il n’est pas prévu de consultation populaire. La reconnaissance explicite par le texte constitutionnel français de la possibilité de propositions émanant de l’échelon local apparaît souhaitable et irait, de toute évidence, dans le sens d’une gouvernance plus démocratique. S’agissant du contenu de la consultation, autrement dit de la question posée, il s’est avéré, du fait de l’interprétation du Conseil d’Etat18, que, vu la rédaction actuelle de la Constitution, la consultation des électeurs concernés ne pouvait porter que sur le principe d’un changement de catégorie (73 vers 74 et vice versa) ou de changement d’organisation institutionnelle à l’intérieur du même régime législatif (substitution d’une nouvelle collectivité à un département et à une région d’outre-mer ou mise en place d’une assemblée commune à ces deux collectivités). Les électeurs d’outre-mer se voient ainsi privés non seulement du pouvoir d’exprimer leur consentement à un dispositif statutaire détaillé, mais aussi de donner un simple avis sur les orientations précises de la réforme envisagée comme cela a été fait pour les électeurs de la collectivité territoriale de Corse sur la base de l’article 72-119. Dans le cas de l’outre-mer, la prise en compte de la proposition de consultation est attribuée au Président de la République. Dans le cas des collectivités visées par l’article 72-1 c’est le législateur qui décide de la consultation. A noter que les électeurs des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 n’ont pas plus la possibilité de se prononcer sur leur statut. La loi organique les régissant n’est soumise pour avis qu’à leur assemblée délibérante. Il n’est pas prévu non plus de consultation des électeurs lorsqu’une collectivité de l’article 74 passe d’un statut sans autonomie à un statut avec autonomie. Cette dissymétrie entre les collectivités situées outremer et celles qui sont éligibles à la procédure de l’article 72-1 n’est pas à l’avantage des collectivités situées outre-mer dans la mesure où elles sont condamnées à ne pas pouvoir se prononcer sur le contenu précis de leur statut. Rendre possible la consultation des électeurs d’outre-mer sur des projets détaillés de statuts nous semble donc nécessaire.
18 Avis du Conseil d’Etat en 2003, Section de l’intérieur – Avis n° 369.561 – 23 octobre 2003, Rapport public du Conseil d’Etat pour 2004, pp 225-228 et arrêt du Conseil d’Etat du 4 décembre 2003, M. Feler, req. N° 262009, concl. Mitjavile, rapp. Melle Herry. 19 Loi n° 2003-486 du 10 juin 2003 organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de l’organisation institutionnelle de la Corse, JO du 11 juin 2003, p. 09815.
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S’agissant des conséquences de la réponse donnée à la question posée, sans doute les électeurs d’outre-mer ont-ils la possibilité, dans certains cas évoqués supra, de s’opposer à un changement statutaire, le Gouvernement et le Parlement ne pouvant pas passer outre, mais, à l’inverse, leur adhésion à un projet n’est pas obligatoirement suivie d’effets, le Gouvernement et le Parlement demeurant libres de donner suite ou pas au consentement exprimé. Ce compromis ne satisfait ni les partisans du respect scrupuleux de l’article 3 de la Constitution, ceux-ci contestant la subordination du Parlement à la volonté d’un groupe restreint d’électeurs en cas de réponse négative, ni les tenants de la reconnaissance d’un véritable pouvoir d’autodétermination interne des peuples d’outre-mer, pour qui il convient de tenir compte de la volonté des électeurs concernés aussi bien dans leur refus que dans leur adhésion. Il faut reconnaître qu’il y a sur cette question des exigences contradictoires. Nous serions porté à envisager la question de la façon suivante : Le peuple français à travers ses représentants ou par référendum est pleinement maître de sa constitution. Dans cette constitution, il serait bon de reconnaître explicitement qu’il accepte que des peuples d’outre-mer passent contrat avec lui en vue d’une association ou d’une intégration dans la République française, ce qui aurait pour conséquence d’accorder à leurs ressortissants la qualité de citoyens français, mais aussi de leur donner la possibilité de choisir les composantes de leur statut au sein de la république après négociation avec les autorités centrales de l’Etat, en exceptant les matières régaliennes pour lesquelles l’Etat resterait en tout état de cause seul compétent. En s’inspirant de la procédure prévue par l’article 226 de la Constitution portugaise, il pourrait être envisagé la procédure suivante : 1. L’assemblée locale représentative du territoire concerné (ou les assemblées concernées après réunion d’un congrès) fait (font) une proposition détaillée de statut au Parlement. 2. Le Parlement délibère sur la proposition et entame si nécessaire une concertation avec l’assemblée locale (ou les assemblées locales dans le cas des départements et régions d’outre-mer). 3. Le Parlement arrête un texte, après modification de la Constitution si cela s’impose. 4. Le texte arrêté par le Parlement est soumis au consentement des électeurs concernés. 5. En cas de réponse positive le texte est promulgué. En cas de réponse négative, le texte est abandonné.
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Au total, il nous semble que la situation juridique de l’outre-mer au sein de la République française gagnerait à être clarifiée sur la base de quelques orientations essentielles : 1. La cohérence avec le droit international public relatif au principe de libre détermination des peuples coloniaux20. 2. La prise en compte des facteurs divers (caractéristiques géographiques et géostratégiques, héritages historiques, données économiques, sociales et culturelles particulières) justifiant une différenciation positive en vue d’un développement humain, solidaire et durable.
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Dans l’arrêt Timor oriental du 30 juin 1995, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a reconnu le caractère opposable à tous (droit erga omnes) du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à précisé qu’il s’agit là d’un des principes essentiels du droit international contemporain (CIJ, Timor oriental, 30 juin 1995, Rec. 1995, p. 102.
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SOUPLESSE DU CADRE INSTITUTIONNEL : DE L’ARTICLE 73 A L’ARTICLE 74 L’EXEMPLE DE LA TRANSFORMATION STATUTAIRE DES ILES DU NORD DE LA GUADELOUPE Bernard CASTAGNEDE
1. A la différence des électeurs guadeloupéens ou martiniquais, ceux de Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont, le 7 décembre 2003, répondu favorablement aux perspectives de changement institutionnel qui leur étaient offertes. La transformation statutaire des îles du nord de la Guadeloupe, précisée avec quelque retard dans le cadre du projet de loi organique portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer déposé au Sénat le 17 mai 2006, vient ainsi offrir la première illustration significative de la souplesse du cadre institutionnel de l’outre-mer assurée par les dispositions du titre XII de la Constitution, telles qu’issues de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. S’ils n’affectent pas des collectivités aux dimensions considérables, les changements statutaires intéressant Saint-Martin et Saint-Barthélemy ne sont pas de portée juridique anodine. Dans l’un et l’autre cas, ils emportent en effet, non seulement le passage du régime défini à l’article 73 de la Constitution vers celui prévu par l’article 74, mais encore le détachement de deux communes du département et de la région auxquels elles appartenaient jusqu’alors, en vue de leur transformation en deux collectivités nouvelles, à la physionomie assurément originale. Ces évolutions ont été rendues possibles par les dispositions du nouvel article 72-4 de la Constitution, admettant le changement, « pour tout ou partie de l'une des collectivités mentionnées au deuxième alinéa de l'article 72-3 », de l'un vers l'autre des régimes prévus par les articles 73 et 74, à la condition que « le consentement des électeurs de la collectivité ou de la partie de collectivité intéressée ait été préalablement recueilli ». 2. La transformation statutaire des îles du nord de la Guadeloupe répond à d’évidentes nécessités. Longtemps délaissées par l’administration centrale, ces îles aux particularismes culturels accusés, ont éprouvé, lorsqu’elles ont fait l’objet d’une attention plus soutenue, les difficultés d’une excessive distanciation administrative. Collectivités communales rattachées à la Guadeloupe, elles se trouvent éloignées de quelque 250
kilomètres des centres de décision et de gestion des services publics départementaux et régionaux. Alors même que réside à Saint-Martin un sous-préfet qui leur est commun, les îles du nord n’entretiennent guère de rapports directs avec les administrations centrales, le passage par la préfecture de Basse-Terre étant un détour obligé. La « maladministration » souvent dénoncée outre-mer offrait à Saint-Martin et Saint-Barthélemy des aspects caricaturaux ; la poussée démographique, largement liée à une immigration mal contrôlée, le développement touristique favorisé par l’incitation fiscale, la montée des déséquilibres économiques et sociaux, ne la rendaient plus tolérable. Dans le cas de Saint-Martin, le statut communal jusqu’ici applicable n’a par ailleurs permis l’engagement d’aucune coopération sérieuse avec la partie de l’île relevant de la souveraineté politique hollandaise, excluant dès lors le règlement commun de problèmes aussi importants pour la vie de tous les jours que ceux du contrôle de l’immigration, de la sécurité, du transport, de l’équipement routier, portuaire ou aéroportuaire, de la formation, de la santé, du traitement des déchets ou, plus généralement, d’un développement économique cohérent. Une réforme du statut des îles du nord, permettant de rapprocher l’administration des usagers, de prendre en compte les particularismes, notamment culturels, et, pour le cas de Saint-Martin, d’organiser la nécessaire coopération avec la partie hollandaise, pouvait, préalablement à la réforme constitutionnelle de 2003, s’envisager hors d’une complète rupture administrative avec la Guadeloupe. A la fin des années 80 avait été ainsi envisagé un dispositif dans lequel la commune de Saint-Martin, transformée en collectivité à statut particulier, était détachée du département de la Guadeloupe, tout en demeurant dans la région de même dénomination. Le contexte constitutionnel actuel oblige à des choix plus tranchés, le statut de collectivité de l’article 74 ne permettant pas d’appartenir, simultanément, à une collectivité de l’article 73. 3. Telle que dessinée par les documents d’orientation préalables aux consultations de décembre 2003, et désormais précisée par le projet de loi organique, la transformation statutaire des îles du nord de la Guadeloupe sera envisagée, ici, moins en elle-même qu’au regard des enseignements qu’elle permet de retirer en ce qui concerne le nouveau cadre institutionnel de l’outre-mer et les perspectives qu’il offre pour l’ensemble des collectivités relevant, aujourd’hui, soit de l’article 73, soit de l’article 74 de la Charte fondamentale. Sans s’arrêter, ici, à l’agencement des organes des nouvelles collectivités, sauf pour signaler qu’il apporte la démonstration de la
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souplesse qu’autorise le cadre général de l’article 74, on s’intéressera aux enseignements que le projet de transformation statutaire des îles du nord de la Guadeloupe permet de retirer, en ce qui concerne la portée de la distinction établie par les articles 73 et 74 de la Constitution, la notion de collectivité dotée de l’autonomie évoquée par ce dernier article, le lien, enfin, entre le statut constitutionnel des collectivités d’outre-mer et leur statut européen.
I - IDENTITE ET SPECIALITE : UNE DISTINCTION TRANCHEE ? 4. Alors que les articles 73 et 74 de la Constitution fondaient, dans le texte élaboré en 1958, la distinction entre départements d’outre-mer et territoires d’outre-mer, les travaux préparatoires à la révision intervenue en 2003 ont conduit à retenir que, réserve faite des cas particuliers de la Nouvelle Calédonie et des Terres Australes et Antarctiques, les collectivités territoriales d’outre-mer devaient être désormais rangées en deux grandes catégories en fonction du principe y gouvernant le droit applicable : relèveraient de l’article 73 les collectivités régies par le principe d’identité législative, et de l’article 74 celles où le droit applicable procède du principe de spécialité. Une telle présentation de la distinction nouvelle entre collectivités de l’article 73 et collectivités de l’article 74 n’est pas pleinement convaincante, ou du moins n’apparaît pas recouvrir une séparation tranchée entre les deux catégories de collectivités au regard de la consistance du droit susceptible d’y être appliqué. L’article 73 désigne en fait différentes collectivités caractérisées par leur rattachement au statut de département, ou au statut de région, ou à un statut mixte ou composite empruntant à l’un et à l’autre, et prévoit, après l’énoncé du principe d’une application de plein droit des lois et règlements aux départements et régions d’outre-mer, une possibilité d’adaptation de ce droit commun « tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités », suivant une formule que l’on sait inspirée du Traité instituant la Communauté Européenne (Traité CE). L’article 74 règle le sort des autres collectivités d’outre-mer, en précisant qu’il « tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République » et doit être défini par une loi organique. S’agissant du droit effectivement applicable dans une collectivité relevant de l’article 74, c’est-à-dire n’ayant pas ou plus de lien avec l’institution départementale, ou
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régionale, il dépend en réalité des énonciations de la loi organique, qui doit notamment préciser les compétences de la collectivité, ainsi que les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables, pouvant, selon le cas, puiser au principe de spécialité législative, ou au principe d’identité. Au-delà des facultés d’adaptation du droit applicable dans les collectivités de l’article 73 appartenant au législateur ou au pouvoir règlementaire national, ou, conformément aux prescriptions de l’alinéa 2 de l’article 73, aux collectivités territoriales elles-mêmes, celles-ci peuvent être habilitées par la loi, « pour tenir compte de leurs spécificités », à fixer ellesmêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi. Les conditions dans lesquelles sont décidées de telles habilitations doivent être précisées par une loi organique, dont le projet, déposé au Sénat en mai 2006, est d’ailleurs celui-là même qui contient simultanément les nouvelles dispositions statutaires intéressant les îles du nord de la Guadeloupe. La compétence normative ainsi accordée à des collectivités de l’article 73, exception faite de La Réunion, qui n’a pas souhaité en disposer, ne peut certes porter sur certaines matières, énoncées au quatrième alinéa de l’article 73, et qui ressortissent au traditionnel « domaine régalien ». Son domaine potentiel reste néanmoins considérable, pouvant intéresser, par exemple, la fiscalité, l’urbanisme, le logement, l’éducation, la formation, etc... Rien n’exclut, autrement dit, qu’au terme des procédures d’habilitation prévues par la Constitution et précisées par le projet de loi organique en discussion, que le droit effectivement applicable dans une collectivité relevant de l’article 73 s’avère en définitive sensiblement éloigné de celui qui résulterait de l’application de plein droit des lois et règlements nationaux. Les compétences d’une collectivité de l’article 74 peuvent être, pour leur part, définies de façon plus ou moins généreuse. Une fois fixées par la loi organique portant statut de la collectivité, elles peuvent être, certes, librement exercées, sans qu’il soit besoin d’habilitations particulières. Elles ne sauraient toutefois porter sur les matières « régaliennes » visées au quatrième alinéa de l’article 73. Dans ces conditions, peut parfaitement se concevoir la situation d’une collectivité relevant de l’article 74 disposant de compétences propres réduites, non nécessairement supérieures à celles qui, suite à une procédure d’habilitation, pourraient être en définitive reconnues à une collectivité de l’article 73. Au total, le droit matériel effectivement applicable dans une collectivité de l’article 74 pourrait ne pas refléter davantage la marque d’un principe de spécialité que celui applicable dans une collectivité de l’article 73.
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La distinction entre les catégories de collectivités d’outre-mer respectivement visées aux articles 73 et 74 de la Constitution ne repose ainsi sur le critère du principe fondant le droit applicable, identité législative ou spécialité législative, que si l’on entend privilégier des aspects de forme et de procédure. S’agissant des normes susceptibles d’être effectivement appliquées dans ces différentes collectivités, il serait plus exact d’évoquer une gradation des situations, entre identité et spécialité, plutôt qu’une séparation tranchée. 5. Les projets de statut de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin confirment une telle approche. Lorsqu’il s’est agi, postérieurement à la révision constitutionnelle de 2003, de mettre en œuvre les perspectives de transformation statutaire qu’elle offrait, leur application à Saint-Barthélemy apparaissait urgente, et devaient autoriser, pour cette petite île aux traditions de franchise fiscale bien affirmées, la définition d’un statut comportant un transfert substantiel de compétences à la nouvelle collectivité. La situation de la commune de Saint-Martin, à la situation budgétaire difficile, suscitait davantage de réserves. Les élus saint-martinois devaient finalement convaincre l’autorité gouvernementale d’inclure leur collectivité dans l’offre d’adaptations statutaires en mettant l’accent sur un projet où les transferts de compétence ne répondraient qu’à un critère de stricte nécessité, Saint-Martin entendant demeurer au plus près du droit républicain. L’écart entre les projets de réforme statutaire intéressant respectivement Saint-Barthélemy et Saint-Martin devait ultérieurement se réduire, les opinions publiques locales ayant quelque difficulté à admettre un traitement statutaire sensiblement différent pour le règlement de situations assez largement semblables. Le projet de loi organique présenté au Sénat conserve néanmoins la trace des différences d’approche initiales, et prévoit une attribution de compétences nettement plus substantielle en faveur de la collectivité de Saint-Barthélemy. Suivant ce projet, les deux collectivités exercent d’abord les compétences qui sont dévolues par les lois et règlements à la fois aux communes, aux départements et aux régions d’outre-mer (au cas particulier, à la Guadeloupe). La nouvelle collectivité de Saint-Martin reçoit par ailleurs une compétence normative en matière d’impôts, de droit domanial et des biens de la collectivité, d’accès au travail des étrangers, de tourisme, et de création et organisation des services et des établissements publics de la collectivité. Saint-Barthélemy est beaucoup plus richement dotée, puisqu’aux mêmes compétences s’ajoutent celles relatives à l’urbanisme, la construction, l’habitation et le logement, la circulation routière et les
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transports routiers, la desserte maritime d’intérêt territorial, l’immatriculation des navires, la création, l’aménagement et l’exploitation des ports maritimes, la voirie, l’environnement, l’énergie et, dans le cas où la collectivité rejoindrait la catégorie des Pays et Territoires d’Outre-Mer (PTOM), la douane. Les compétences fiscales des deux collectivités sont toutefois bornées par différentes dispositions, réservant à l’Etat la compétence en matière d’impositions sociales, et apportant, de manière techniquement et juridiquement discutable, une altération aux effets de la domiciliation fiscale par l’exigence d’une condition particulière de durée de résidence pour la reconnaissance de la qualité de résident fiscal de l’une ou de l’autre des collectivités. La mesure des compétences de chaque collectivité doit cependant prendre en compte l’énoncé des compétences reconnues au conseil général, qui est, dans chacune d’elles, l’assemblée délibérante. Le Conseil Général de Saint-Martin, ainsi, est directement habilité par la loi organique en projet à « adapter aux caractéristiques et aux contraintes particulières de la collectivité », suivant une formule clairement empruntée à l’article 73 de la Constitution, « les lois et règlements en matière d’urbanisme et d’environnement ». Le conseil général de chacune des deux nouvelles collectivités peut en outre, selon le projet de loi organique, « lorsqu’il y a été habilité à sa demande par la loi ou par le décret », selon la nature législative ou règlementaire de la matière en cause, « adapter aux caractéristiques et aux contraintes particulières de la collectivité, les dispositions législatives et règlementaires en vigueur » (cf. les projets d’articles LO 6351-4 et suivants du code général des collectivités territoriales). Les adaptations ne peuvent pas porter sur les matières qui demeurent de la compétence de l’Etat en application du quatrième alinéa de l’article 74 de la Constitution, lequel renvoie, comme on sait, au quatrième alinéa de l’article 73. Ces dispositions confortent l’idée d’une gradation de la « spécialité législative » entre collectivités relevant de l’article 73 et collectivités de l’article 74, ces dernières disposant des compétences d’adaptation prévues par l’article 73 pour qu’il soit tenu compte de « caractéristiques et contraintes particulières », leur statut comportant en outre les mesures permettant la prise en compte de leurs « intérêts propres ». 6. L’idée d’un passage graduel de l’identité à la spécialité est encore vérifiée, dans les projets de transformation statutaire des îles du nord de la Guadeloupe, par la persistance, tant pour Saint-Barthélemy que pour Saint-
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Martin, d’une forte empreinte du droit commun de l’organisation territoriale. Avant que de recueillir, de façon plus ou moins substantielle, des compétences appartenant ailleurs à l’Etat, les deux collectivités sont d’abord attributaires, comme indiqué, des compétences reconnues aux communes, aux départements et aux régions, dans ces derniers cas telles qu’elles s’entendent pour le département et la région de Guadeloupe. Le statut des nouvelles collectivités, autrement dit, ne prévoit nullement une distribution originale de compétences entre elles-mêmes et l’Etat, qui sanctionnerait le particularisme de leur situation. Il prend appui sur le droit commun de l’organisation des compétences entre collectivités, sous la réserve des mesures particulières concernant départements et régions d’outremer, et le complète par certaines attributions spécifiques, ajoutées aux dispositifs d’habilitation prévus pour les collectivités relevant de l’article 73. Il n’est pas sûr qu’une telle démarche soit la réponse la plus appropriée aux problèmes qui ont justifié le changement statutaire. De larges transferts de compétence, hors les contraintes d’une mise en œuvre de l’ensemble des compétences d’ores et déjà transférées aux communes, aux départements et aux régions, eussent donné aux collectivités concernées la liberté de donner à leur pouvoir normatif des effets adaptés à leurs besoins, la capacité d’ajuster leurs interventions à leurs moyens. A prendre le cas de Saint-Martin, où les transferts de compétence normative d’Etat sont limités, on constate au contraire que le recueil de toutes les compétences reconnues aux collectivités locales, qui sont bien souvent de simples compétences de mise en œuvre, va placer la nouvelle collectivité face à un ensemble impressionnant d’obligations, obligeant à une marche forcée vers un considérable renforcement des services. L’exercice ne sera pas sans risques, alors qu’un transfert plus significatif de compétences normatives, dans des matières où la compétence de mise en œuvre des dispositions législatives et règlementaires nationales appartient aux collectivités locales, eût permis un allègement sensible des obligations, et des coûts, attachés à celle-ci. Une compétence, aussi bien, peut, sinon n’être pas mise en œuvre, du moins l’être à des conditions moins contraignantes que celles prévues par la législation ou la réglementation nationales. Une fois encore, autrement dit, le réflexe d’uniformité a prévalu sur l’effort de recherche de solutions adaptées au particularisme des contextes.
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II - PORTEE DE L’AUTONOMIE 7. Des travaux préparatoires à la réforme du titre XII de la Constitution a pu être retenu le sentiment que l’évocation, au nouvel article 74 du texte fondamental, de collectivités « dotées de l’autonomie », visait le cas particulier de la Polynésie française, les dispositions spécifiques prévues pour ces collectivités correspondant, de fait, à des préoccupations propres à cet ancien territoire d’outre-mer. L’article 74 de la Constitution, pour autant, n’apporte pas de précision particulière sur l’identité, ou les caractéristiques, de celles des collectivités qui, régies par un statut relevant de ce texte, pourraient être dotées de l’autonomie. La reconnaissance de cette qualité particulière, autorisant l’identification au sein des collectivités relevant de l’article 74 de la souscatégorie des collectivités d’outre-mer autonomes, n’emporte d’ailleurs par elle-même aucune autre conséquence que celles énoncées audit article 74. Selon ce texte, la loi organique peut simplement déterminer, en ce qui concerne celles des collectivités qui, régies par ses dispositions, sont dotées de l’autonomie, les conditions dans lesquelles : - le Conseil d'Etat exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu'elle exerce dans le domaine de la loi ; - l'assemblée délibérante peut modifier une loi promulguée postérieurement à l'entrée en vigueur du statut de la collectivité, lorsque le Conseil constitutionnel, saisi notamment par les autorités de la collectivité, a constaté que la loi était intervenue dans le domaine de compétence de cette collectivité ; - des mesures justifiées par les nécessités locales peuvent être prises par la collectivité en faveur de sa population, en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier ; - la collectivité peut participer, sous le contrôle de l'Etat, à l'exercice des compétences qu'il conserve, dans le respect des garanties accordées sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques.
8. Le projet de transformation statutaire des îles du nord de la Guadeloupe confirme d’abord l’indétermination a-priori du champ d’application du régime d’autonomie évoqué à l’article 74. Il est clair que ses éléments ne répondent pas seulement aux problèmes propres à la Polynésie française, puisque le projet de loi organique déposé au Sénat en mai 2006 prévoit l’application de ce régime à la nouvelle collectivité de
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Saint-Barthélemy, « dont l’autonomie, est-il indiqué, est régie par l’article 74 de la Constitution ». Le projet de loi ajoute que « La république garantit l’autonomie de Saint-Barthélemy, et le respect de ses intérêts propres, en tenant compte de ses spécificités géographiques et historiques ». En application des prescriptions de l’article 74 relatives aux collectivités dotées de l’autonomie, le projet de statut de la nouvelle collectivité comporte, de fait, des dispositions lui permettant de prendre des mesures en faveur de sa population, en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier. La collectivité dispose ainsi de la compétence en matière « d’accès au travail des étrangers ». Le projet d’article LO 6214-7 organise surtout un contrôle de la collectivité sur les mutations de propriété foncière sur son territoire, comportant la possibilité d’exercice d’un droit de préemption, en vue, notamment, « de préserver la cohésion sociale de Saint-Barthélemy ». Le projet d’article LO 6213-5 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) prévoit également que lorsque le Conseil Constitutionnel a constaté qu’une loi promulguée postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi organique portant statut de la collectivité est intervenue dans les matières ressortissant à la compétence de cette dernière, en tant qu’elle s’applique à celle-ci, cette loi peut être modifiée ou abrogée par l’autorité délibérante de la collectivité. S’agissant de Saint-Martin, le projet de loi organique ne reconnaît pas immédiatement à la nouvelle collectivité le statut de collectivité dotée de l’autonomie, mais en évoque clairement la perspective, en disposant (cf. projet d’article LO 6311-1 du CGCT) que « A compter de la première réunion qui suivra son renouvellement postérieurement au 1 janvier 2012, le conseil général de Saint-Martin peut, à la majorité absolue de ses membres, adopter une résolution portant sur la modification du statut de la collectivité en lui conférant l’autonomie prévue à l’article 74 de la Constitution. ». La collectivité ne recueille pas de compétence particulière qui lui permettrait d’exercer un contrôle sur les mutations foncières. Comme pour Saint-Barthélemy, lui est toutefois reconnue celle relative à l’accès au travail des étrangers. 9. La différence de traitement entre les deux nouvelles collectivités pose immanquablement la question des critères fondant la reconnaissance du statut d’autonomie. Celui-ci ne recouvrant que les compétences spécifiques, ci-dessus rappelées, énoncées à l’article 74, il pourrait en être déduit que
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l’attribution de l’autonomie devrait être la simple réponse à des préoccupations spécifiques, essentiellement en matière de protection de l’identité locale au regard des effets que pourrait exercer une complète liberté de circulation des personnes, ou d’exercice sans bornes de la liberté d’entreprendre et d’acquérir. Au regard de tels objectifs, cependant, la différence de situation entre les deux îles du nord de la Guadeloupe n’est pas telle qu’elle justifie une différence de traitement statutaire. Les problèmes d’immigration, et le déséquilibre social en résultant, sont même, probablement, plus aigus à Saint-Martin qu’à Saint-Barthélemy. Un élément d’explication à l’attribution, ou non, du statut d’autonomie, pourrait être alors recherché dans les implications d’un tel statut, ou plus exactement des dispositions pouvant en résulter en matière de liberté d’établissement et de circulation des capitaux, au regard du droit communautaire et partant, dans la situation de la collectivité à l’égard de l’Union européenne. Il est clair, toutefois, que l’attribution immédiate d’un statut d’autonomie à la collectivité de Saint-Barthélemy ne saurait avoir par elle-même d’incidence sur son appartenance au territoire communautaire, les questions à venir étant plus exactement celles de l’éventuelle compatibilité avec le droit communautaire de mesures prises dans le cadre de l’exercice de compétences découlant du statut d’autonomie. La circonstance qu’en l’état perceptible des opinions dans les deux îles, Saint-Barthélemy ne verrait pas d’obstacle à quitter le statut de région ultrapériphérique de l’Union, cependant que Saint-Martin préfèrerait le conserver, n’est pas par elle-même une justification à l’octroi d’un statut d’autonomie à la première, et non à la seconde. Il faut plutôt voir dans la différence de traitement statutaire prévue par le projet de loi organique l’effet d’une approche politique, d’une conviction suivant laquelle l’autonomie sanctionne à la fois un transfert important de compétences d’Etat, et une capacité démontrée à en assurer l’exercice, notamment du point de vue financier. Une telle approche ne trouve toutefois aucune justification dans le texte constitutionnel lui-même, cependant que les dispositions budgétaires et financières prévues pour les deux collectivités sont très voisines. La circonstance qu’en l’état du texte du projet de loi organique, Saint-Martin dispose d’un transfert de compétences normatives d’Etat moindre que celui prévu pour Saint-Barthélemy, situation toujours susceptible d’être rectifiée, représente d’ailleurs, on l’a dit, plutôt un handicap financier qu’un avantage. La collectivité se trouverait, en effet, dans l’obligation d’exercer, dans les conditions prévues par la loi, des compétences normatives dont le législateur peut avoir transféré la compétence de mise en œuvre aux communes, aux départements ou aux régions, et par voie de conséquence à la nouvelle
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collectivité saint-martinoise, attributaire des droits et obligations de l’ensemble de ces collectivités locales.
III - STATUT CONSTITUTIONNEL ET STATUT EUROPEEN DES COLLECTIVITES D’OUTRE-MER 10. Actuellement parties du département d’outre-mer de la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin (partie française) appartiennent à ce titre au territoire communautaire, et se trouvent assujetties au droit communautaire dans les conditions particulières applicables aux régions ultrapériphériques selon les dispositions de l’article 299 §2 du Traité CE. Outre certains aménagements au droit communautaire, ou mesures spécifiques susceptibles de s’y appliquer comme dans l’ensemble du département d’outre-mer de la Guadeloupe, les îles du nord de la Guadeloupe ont pu bénéficier de dérogations spéciales prenant en compte les « pratiques coutumières » qui peuvent y être constatées. Le code des douanes communautaires adopté par le règlement CEE du 12 octobre 1992 admet ainsi la non perception des droits de douane à Saint-Barthélemy et à SaintMartin en tant que pratique coutumière d’une portée géographique et économique limitée. La perspective de transformation statutaire de ces îles a conduit cependant à se poser la question de savoir si, en accédant au statut de collectivité d’outre-mer régie par l’article 74, elles cesseraient d’appartenir au territoire communautaire, pour basculer, par exemple, dans la catégorie des PTOM. 11. Les opinions doctrinales exprimées à cet égard ont reflété une certaine hésitation. Pour certains, l’expression de « départements d’outre-mer » visée à l’article 299-2 du Traité CE, dans le cadre de la délimitation du champ d’application dudit Traité, s’entend d’une classification juridique interne, d’une « sous-catégorie constitutionnelle », à la différence de la classification géographique employée pour la désignation des régions ultra périphériques du Portugal et de l’Espagne (les Açores, Madère, les Canaries). Il en résulterait que « la porte de sortie devrait être ouverte préalablement à l’unanimité des Etats membres pour tout élément qui voudrait se dégager de
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son statut de DOM sans vouloir quitter, pour autant, le territoire communautaire. »1 Pour d’autres, les « départements français d’outre-mer » tels que mentionnés à l’article 299 §2 du Traité CE sont une « catégorie du droit communautaire », au même titre que les PTOM, et non une catégorie du droit français, l’absence d’énumération de ces départements n’ayant pas de conséquence automatique en droit communautaire. Il en résulterait que la liste de ces départements pourrait s’allonger, par simple notification de la France aux institutions communautaires, les dispositions du droit dérivé visant nommément chacun des DOM (fonds structurels, par exemple) devant être toutefois modifiées. En sens inverse, en cas de changement de statut en droit français de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique ou de La Réunion, « pour que les avantages et contraintes du droit communautaire cessent de leur être applicables, il faudrait une modification du traité… »2. Il y aurait autrement dit « découplage juridique » entre évolution statutaire interne et évolution statutaire européenne. 12. Ces différentes analyses doivent être complétées et précisées, tant à la lumière des dispositions du traité CE qu’au regard du nouveau dispositif constitutionnel intéressant l’outre-mer français. Le champ d’application territorial du traité CE est délimité en son article 299, qui dispose en son paragraphe 1 que le traité est applicable, notamment, à la République française. Le paragraphe 2 du même article précise que les dispositions du traité sont applicables aux départements français d’outre-mer, aux Açores, à Madère et aux îles Canaries, avant de prévoir que, « compte tenu de la situation économique et sociale structurelle des départements français d’outre-mer, des Açores, de Madère et des îles Canaries, qui est aggravée par leur éloignement, l’insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement », des mesures spécifiques peuvent être arrêtées, « visant, en 1
O. Gohin, Les catégories institutionnelles du droit d’outre-mer, in La loi d’orientation pour l’outre-mer, Presses Universitaires d’Aix-Marseille 2001, p. 34. Plus récemment, Olivier Gohin exprimait toutefois une opinion différente. Lors de son audition devant la commission des lois du Sénat, il estimait que le critère d’éligibilité aux fonds structurels européens était le respect par la collectivité du droit communautaire, non son statut constitutionnel. Cf. Rapport de M. René Garrec sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République et diverses propositions de loi, annexe au p-v de la séance du 23 octobre 2002, p. 238. 2 J. Ziller, Les possibilités et les limites constitutionnelles et internationales d’évolutions statutaires, in La loi d’orientation pour l’outre-mer, Presses Universitaires d’Aix-Marseille 2001, p. 74.
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particulier, à fixer les conditions de l’application du présent traité à ces régions, y compris les politiques communes ».
Le dernier alinéa du 2 de l’article 299 du Traité CE ajoute que « le Conseil arrête les mesures visées au deuxième alinéa en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières des régions ultrapériphériques sans nuire à l’intégrité et à la cohérence de l’ordre juridique communautaire, y compris le marché intérieur et les politiques communes. » Pour les départements français d’outre-mer, les Açores, Madère et les Canaries, le traité CE est donc applicable, mais peut faire l’objet de mesures spécifiques tenant compte des handicaps propres aux régions ultrapériphériques. L’expression « départements français d’outre-mer », conservée dans l’actuelle rédaction du traité CE, applicable en l’absence de ratification du projet de constitution pour l’Europe, et qui a été jadis préférée par la France à la désignation géographique adoptée pour les régions ultrapériphériques du Portugal et de l’Espagne, correspondait assurément à une catégorie du droit constitutionnel français, clairement identifiée par la Constitution (art. 73) jusqu’à la révision intervenue en 2003. Pour autant, et nonobstant l’ancienne situation des départements d’Algérie, ou l’expérience temporaire de départementalisation appliquée à Saint-Pierre-et-Miquelon, les « départements français d’outre-mer » visés à l’article 299-2 du Traité CE recouvrent à l’heure actuelle, au regard du droit communautaire, un groupe de « régions » (l’article 299-2 utilise à deux reprises cette formule) aux caractéristiques géographiques, économiques et sociales bien identifiées, et dont les handicaps communs justifient le statut dérogatoire prévu aux deuxième, troisième et quatrième alinéas du 2 de l’article 299 du Traité CE. Les départements français d’outre-mer visés par ce texte s’entendent, physiquement, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion. Dès lors que ces « régions » ont été jusqu’ici caractérisées, au plan du droit interne, par un statut de département d’outre-mer, quelle serait cependant l’incidence d’une évolution statutaire qui conduirait à la transformation d’un département d’outre-mer, ou, tel est le cas pour les îles du nord de la Guadeloupe, d’une partie d’un département d’outre-mer en collectivités d’outre-mer de la République française relevant d’un statut constitutionnel différent ? 13. La situation de telles collectivités au regard du droit communautaire doit s’apprécier compte tenu de l’ensemble des prescriptions réunies sous l’article 299 du traité CE, et pas seulement de celles prévues au 2 de celui-ci. C’est la considération de l’entier article 299 qui permet d’avoir
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un éclairage complet sur la situation des territoires non européens des Etats membres de la Communauté par rapport à celle-ci. Certains d’entre eux, déjà cités – les départements français d’outremer, les Açores, Madère et les Canaries – sont soumis au droit communautaire mais peuvent bénéficier du régime spécifique défini au paragraphe 2 de l’article 299. D’autres font l’objet du régime spécial d’association défini dans la quatrième partie du traité (articles 182 à 188). Il s’agit, selon le paragraphe 3, premier alinéa, de l’article 299, des « pays et territoires d’outre-mer dont la liste figure à l’annexe II » du traité. Un régime particulier pourrait être, le cas échéant, défini pour un pays ou territoire associé (cas du Groenland, visé à l’article 188 du Traité CE). Le second alinéa dudit paragraphe 3 précise que le traité « ne s’applique pas aux pays et territoires d’outre-mer entretenant des relations particulières avec le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord qui ne sont pas mentionnés dans la liste précitée », cette formule exprimant la possibilité, pour un territoire non européen dépendant d’un Etat membre, de se trouver dans une situation de complète extranéité par rapport à la Communauté. Le paragraphe 4 de l’article 299 ajoute que « Les dispositions du présent traité s’appliquent aux territoires européens dont un Etat membre assume les relations extérieures » (exemple de Gibraltar), formule signifiant, a contrario que le traité ne s’applique pas aux territoires non européens d’un Etat membre à l’égard desquels celui-ci exerce une compétence limitée à l’exercice des relations extérieures. En l’absence d’autres prescriptions utiles, la situation d’un territoire non européen d’un Etat membre au regard de la Communauté apparaît ainsi relativement simple. On doit d’abord réserver le cas des territoires qui ont été, ou se sont, expressément placés en situation de tiers par rapport à la Communauté (Hong-Kong jadis, les Bermudes, les îles Féroé), auquel peut être assimilé celui des territoires non européens dont un Etat membre assume (seulement) les relations extérieures. Cette dernière situation ne saurait caractériser l’une des collectivités territoriales d’outre-mer de la République française. Pour celles-ci, selon les prescriptions pertinentes du Traité CE, et sauf négociation d’un régime particulier, trois positions statutaires au regard de la Communauté apparaissent alors concevables :
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Ou bien la collectivité concernée figure dans la liste des pays et territoires d’outre-mer figurant à l’annexe II du traité ; elle est alors soumise au régime d’association des PTOM (cas de la NouvelleCalédonie, de la Polynésie française, des Terres australes et antarctiques françaises, des îles Wallis-et-Futuna, de Mayotte, de Saint-Pierre-et-Miquelon, et, pour les Antilles néerlandaises, notamment, de Sint Maarten) ;
-
Ou bien cette collectivité est un département d’outre-mer (ou une partie d’un département d’outre-mer) et se trouve à ce titre soumise au droit communautaire, dans les conditions particulières prévues au paragraphe 2 de l’article 299 ;
-
Ou bien cette collectivité ne relève pas du statut de département français d’outre-mer et ne figure pas non plus sur la liste des pays et territoires d’outre-mer figurant à l’annexe II du traité : dès lors qu’elle forme une collectivité territoriale de la République, elle devrait être néanmoins assujettie au traité CE sur le fondement du paragraphe 1 de l’article 299, posant que le traité s’applique, notamment, « à la République française ».
14. Cette première approche doit être complétée par plusieurs observations. Il faut d’abord souligner que l’application du droit communautaire à tel territoire d’un Etat membre, comme l’application du droit communautaire dans les conditions particulières prévues au deuxième paragraphe de l’article 299 du Traité CE pour certaines régions ultrapériphériques, ne dépendent en rien du statut administratif interne de ce territoire ou de ces régions, en particulier de la nature et de l’importance des compétences qui leur sont dévolues. Certaines composantes territoriales, européennes ou non, d’Etats membres, soumises au droit communautaire, disposent de compétences étendues, pouvant aller très au delà de celles susceptibles d’être reconnues à une collectivité non départementale de la République française. On ne saurait soutenir, autrement dit, que l’application du droit communautaire, dans les conditions particulières prévues à l’article 299-2 du traité CE, suppose le degré limité de décentralisation qu’implique le statut départemental. Il est clair, ensuite, que chaque Etat membre de l’Union européenne conserve une complète autonomie institutionnelle et peut en conséquence adapter comme il l’entend le statut de ses collectivités territoriales, ou des catégories qui les rassemblent. Il en ressort que l’application aux
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« départements français d’outre-mer » du régime défini à l’article 299-2 du Traité CE ne détermine aucune sorte d’immuabilité du statut de département d’outre-mer. Celui-ci, précisément est appelé à se diversifier. Désormais, on le sait, le contenu du régime de droit applicable pourra varier d’un département d’outre-mer à l’autre ; département et région d’outre-mer pourront être fusionnés en une collectivité territoriale nouvelle dont la dénomination ne sera peut-être pas celle de « département ». On assiste autrement dit à une déperdition de la signification juridique attachée à l’ancienne « souscatégorie » constitutionnelle des départements d’outre-mer. La portée de la désignation conservée à l’article 299-2 du traité CE s’en trouve inévitablement affectée. Parallèlement, depuis le Traité d’Amsterdam, une attention particulière est clairement portée aux caractéristiques géographiques, économiques et sociales des « régions » ultrapériphériques, plus volontiers considérées, autrement dit, dans leur identité naturelle qu’au regard de leur statut juridique. Cette approche caractérise également la pratique des institutions communautaires à l’égard des régions concernées. Ces observations conduisent à relativiser le lien établi, en ce qui concerne les régions ultrapériphériques françaises, entre l’application du régime particulier défini à l’article 299-2 du traité CE et le statut constitutionnel, désormais incertain, de département d’outre-mer. Le Gouvernement français, pour sa part, considère que le fait que les départements d’outre-mer français, au moment de la signature du Traité d’Amsterdam en 1997, aient été la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion, suffit à garantir qu’ils demeureront des régions ultra périphériques même s’ils cessent de relever en droit interne de la catégorie des départements d’outre-mer3. 15. La transformation de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin en collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution n’auraient pas, dès lors, l’effet automatique de soustraire ces collectivités à l’application du droit communautaire et, notamment, d’en déterminer l’assujettissement au statut de P.T.O.M. Devenant collectivités territoriales d’outre-mer au statut régi par l’article 74 de la Constitution, Saint-Barthélemy et Saint-Martin (partie française) ne cesseront pas d’être assujetties au droit communautaire, dès lors qu’elles ne cesseront pas d’être des collectivités territoriales de la République française, et qu’elles n’auront pas accédé, suite à une révision du 3
Cf. Rapport Garrec, préc. note 6, page 144.
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Traité, au statut de P.T.O.M., ou à un statut particulier, ou encore, le cas échéant, à une situation de complète extranéité par rapport à la Communauté européenne. L’assujettissement au statut de P.T.O.M., envisagée pour SaintBarthélemy, nécessiterait au contraire une modification du Traité, conduisant à l’inscription de la collectivité concernée sur la liste figurant à l’annexe II, les allègements procéduraux prévus dans le projet de constitution pour l’Europe ne pouvant désormais s’envisager à une échéance rapprochée. 16. Pourrait cependant se poser la question de savoir si le droit communautaire serait applicable aux nouvelles collectivités dans les conditions prévues à l’article 299-2 du traité CE, notamment pour les « départements français d’outre-mer », et qui permettent des adaptations telles que l’exclusion du champ d’application de la 6° directive TVA, la mise en œuvre de l’octroi de mer, le bénéfice des mesures prévues par le P.O.S.E.I.D.O.M., etc., ou dans les conditions du droit commun. Pour les raisons précédemment exposées, en particulier la prise en compte des spécificités naturelles et des handicaps propres à l’ultrapériphéricité, il est peu probable que les Etats membres autres que la France, ou les institutions communautaires, émettent des objections sérieuses à une application pérenne du régime particulier prévu à l’article 299-2 du Traité CE aux collectivités territoriales qui seraient issues de la transformation de départements d’outre-mer, dès lors, bien entendu, que les transformations institutionnelles ne s’accompagneraient pas d’un changement des conditions d’application du droit communautaire. Sans doute la France devra-t-elle notifier les transformations intervenues aux institutions communautaires, notamment en vue d’une adaptation, par celles-ci, des programmes et actions communautaires à la situation nouvelle. Pour autant, une révision du traité CE préalable à la transformation statutaire ne serait pas indispensable à la pérennité d’application du régime prévu à l’article 299-2 à des collectivités territoriales qui, demeurant dans la République française, et entendant appliquer le droit communautaire dans des conditions inchangées, resteraient évidemment exposées aux mêmes caractéristiques et contraintes d’ultrapériphéricité que les départements d’outre-mer dont elle seraient issues. 17. Le maintien dans la Communauté détermine pour les collectivités concernées des avantages, notamment au regard du bénéfice des soutiens financiers mis en œuvre dans le cadre de la politique régionale de l’Union, mais aussi des contraintes particulières.
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L’assujettissement au droit communautaire assigne ainsi des limites aux mesures susceptibles d’être arrêtées par les collectivités concernées pour contrôler l’installation professionnelle sur leur territoire de non-résidents, ou contrôler les transferts de propriété foncière. Les facultés d’adaptation du droit communautaire offertes par l’article 299-2 du Traité ne peuvent conduire à la complète ignorance des principes de libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux à l’intérieur de l’Union. C’est à raison de ces contraintes qu’est envisagée, dans le cas de Saint-Barthélemy, un changement de statut communautaire, auquel fait allusion le projet de loi organique, en disposant (cf. projet d’article LO 62143, II du CGCT) que : « En cas d’accession de la collectivité de Saint-Barthélemy au statut de « pays et territoire d’outre-mer » de l’Union et des Communautés européennes et à compter de cette date, la collectivité est compétente en matière douanière… ». Le statut de PTOM confèrerait de fait à la collectivité, en matière de contrôle de l’installation professionnelle, des possibilités de contrôle plus étendues, sans qu’elles soient toutefois illimitées, compte tenu des contraintes constitutionnelles. La nouvelle collectivité saint-martinoise, aux besoins financiers supérieurs, et qui pourrait utilement bénéficier des concours communautaires visant notamment à favoriser la coopération entre les régions ultrapériphériques de l’Union et leur environnement régional (pays ACP ou PTOM), soit, au cas particulier, entre les parties française et hollandaise de la même île, devrait au contraire opter pour son maintien dans le territoire communautaire. Elle serait de ce fait, en contrepartie, davantage limitée dans l’exercice de ses compétences, en matière d’accès au travail des étrangers ou en matière de politique fiscale, étant toutefois observé qu’au regard de ce dernier domaine, la sortie du territoire de l’Union n’est pas le gage d’une complète liberté, dès lors qu’est conservé le lien de rattachement à un Etat membre de l’Union. Les Antilles néerlandaises ne sont plus libres de mettre en œuvre des mesures fiscales d’attraction des activités « off shore », typiques des politiques de « paradis fiscaux ». Ni Saint-Martin (partie française), demeurant au sein de l’Union, ni Saint-Barthélemy, qui deviendrait, sous réserve de la procédure à diligenter, PTOM, n’auront cette faculté.
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LES USAGES POLITIQUES DES NOTIONS D’ « INTERETS PROPRES » ET DE « SPECIFICITES »: LES CAS DE SAINT-MARTIN ET DE SAINT-BARTHELEMY Fred RENO
Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont cessé d’être des dépendances de la Guadeloupe le 7 décembre 2003. A l’occasion de la consultation organisée à cette date, les populations de ces deux collectivités se sont prononcées massivement contre leur rattachement à l’archipel guadeloupéen et pour l’application du régime de spécialité de l’article 74 qui leur offre le statut de collectivité d’outre-mer (COM) et leur permet désormais d’établir une relation directe avec Paris. Ce double effet de la consultation du 7 décembre résulte d’une démarche rationnelle de construction d’un référentiel du changement statutaire, notamment autour des notions d’intérêts propres et de spécificité1. Si cette démarche initiée par les élites locales influence la vision globale que l’on a de l’évolution de l’outre-mer au sommet de l’Etat, elle bénéficie d’un contexte favorable à l’expression de la diversité et des identités2. La nouvelle rédaction de la constitution française en est une illustration. 1
La notion de référentiel est définie Pierre Muller, « Entre le local et l'Europe. La crise du modèle français de politiques publiques », Revue française de science politique, Année 1992, Volume 42, Numéro 2, p. 275-297. Ce référentiel du changement outre-mer est présenté, dans les termes qui suivent, par le chef de l’Etat dans un discours prononcé à Madiana dans la ville de Schœlcher à la Martinique en 2001 : « La situation actuelle et l'évolution du monde moderne exigent à l'évidence que soient bien davantage reconnues et respectées la personnalité, la sensibilité et la culture de l'outre-mer dans toute sa diversité. Il faut donc inventer un modèle original de développement comportant à la fois un transfert accru de responsabilités vers vos sociétés et vers leurs élus tout en maintenant les solidarités française et européenne… Parce que vos départements sont géographiquement très éloignés des centres de décisions nationaux, parce que les problèmes que vous rencontrez sont très spécifiques par rapport à ceux du reste du pays, parce que vous évoluez dans un environnement international particulier, tout cela justifie une politique très ambitieuse de transfert de responsabilités… L'institution départementale, fondée sur l'assimilation, et qui a longtemps été synonyme de progrès et de dignité, a, probablement, atteint ses limites... Ma conviction est que les statuts uniformes ont vécu et que chaque collectivité d'outre-mer doit pouvoir désormais, si elle le souhaite, évoluer vers un statut différencié, en quelque sorte, un statut sur mesure.» 2 Voir par exemple Evelyne Ritaine, « Territoire et politique en Europe du sud », Revue française de science politique, 1994 vol. 44 n°1 p. 75-99.
Le texte révisé est d’une souplesse telle que la frontière entre les articles 73 et 74 est aujourd’hui quasi artificielle. L’article 74 qui consacre le statut de collectivité d’outre-mer permet à la Polynésie d’avoir un président et un gouvernement autonomes et au futur conseil général de Saint-Martin d’avoir des compétences qui pour l’essentiel renvoie au principe d’identité législative. Même s’ils se déroulent, en même temps, les processus d’adoption du statut de COM par les îles de Saint-Barthélemy et de SaintMartin ne sont pas identiques. Certes, ils se manifestent dans les deux cas par le souhait d’accéder directement au centre, par la rupture de la médiation des conseils général et régional de la Guadeloupe et donc par la volonté de sortir de l’espace politico-administratif guadeloupéen. Mais cette volonté commune s’est traduite sur le terrain par une mobilisation de forme et d’intensité différentes. Autrement dit, si la souplesse de la notion d’ « intérêts propres » contenue dans le texte de la constitution autorise des usages variables, seule la capacité de mobilisation des élites locales semble expliquer les différences dans la gestion étatique du dossier statutaire. L’offre institutionnelle n’a pas reçu le même accueil dans les deux îles. Les autorités locales de Saint-Barthélemy se réjouissent du résultat, celles de Saint-Martin sont amères et crient à l’injustice. En réalité pour l’observateur cette inégalité de l’offre reflète deux approches du consensus politique dont le gouvernement a fait la condition première du changement. D’un point de vue heuristique, le cas de ces deux îles est particulièrement intéressant. Il illustre un processus d’émergence, par le bas, d’une politique étatique. En effet, la comparaison des deux expériences permet d’évaluer le poids des stratégies identitaires et plus généralement de la mobilisation politique locale dans la formulation et la mise en œuvre de la réponse gouvernementale. Contrairement aux idées reçues, la périphérie est loin d’être un simple instrument manipulé par le centre. Dans ces territoires, les élites locales ont influencé la mise sur agenda, par les autorités centrales, de la question statutaire en détachant celle-ci du débat institutionnel guadeloupéen. Elles ont réussi ainsi à en faire une affaire spécifique.
I - « SEPARATE STATUS WITHIN FRANCE » OU LE CHOIX D’UNE RELATION DIRECTE AVEC LE CENTRE En accédant au statut de Collectivité d’Outre-Mer, les îles du nord sortent de l’espace guadeloupéen et sont rattachées directement à Paris. Le nouveau statut dote les deux îles de la même configuration institutionnelle mais de compétences sensiblement différentes.
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I - Une architecture institutionnelle commune, des compétences inégales Les dispositions législatives transformant les communes de SaintMartin et de Saint-Barthélemy en collectivités d’outremer résultent directement d’un choix populaire et d’un projet politique élaboré par deux îles que tout semble séparer. Situées au nord de la Guadeloupe, elles sont différentes à plus d’un titre. Par sa taille et sa démographie, Saint-Martin (56 km2 et environ 35 000 habitants) devance largement sa « consoeur » (24 km2, 7 000 habitants). En revanche, si l’on retient comme critère du niveau de vie, le revenu moyen des foyers et le taux de chômage, la comparaison est largement favorable à Saint-Barthélemy3. Distinctes l’une de l’autre sur les plans démographique et économique, elles le sont aussi sur le plan ethnique. Si les Saint-Martinois forment aujourd’hui une population cosmopolite, Saint-Barthélemy constitue un des rares territoires de la région peuplé d’habitants en quasi-totalité d’origine européenne. L’immigration en provenance des pays anglophones voisins, de République dominicaine et d’Haïti est vraisemblablement à l’origine de la croissance démographique spectaculaire de Saint-Martin qui, en vingt ans, est passé de 8 000 à 35 000 habitants. Cette augmentation génère des contraintes autrement plus complexes que dans l’autre territoire. Comme on le verra, le nouveau statut politique proposé par le gouvernement prend en compte ces réalités socio-économiques. Les nouvelles institutions s’inspirent du modèle départemental et de la commune pour l’élection des membres de l’assemblée délibérante. Celle-ci prend le nom de conseil général et hérite des attributions de l’ex-commune, des compétences du département et de la Région de Guadeloupe. Elle dispose aussi des nouvelles prérogatives accordées aux collectivités après la révision de la constitution. Le nouveau Conseil général est élu pour cinq ans. L’élection de ses membres se déroule au scrutin de liste à deux tours à la représentation proportionnelle. Une « prime majoritaire » est attribuée à la liste ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés, l’objectif étant que l’éventuel multiplicité de listes ne soit pas dommageable à la stabilité politique du territoire.
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A Saint-Barthélemy en 2001 le revenu moyen était de 19 720 euros contre 8 839 à Saint-Martin. A titre de comparaison, il était de 15 551 euros en France. Au 30 avril 2004 le taux de chômage atteignait le chiffre de 14,4 % à Saint-Martin alors qu’il n’était que de 4,2 % à Saint-Barthélemy. En Guadeloupe, pour la même année on comptait 23,5% de chômeurs, en France, 10,1%.
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Ce dernier dispositif pourrait avoir des effets positifs à Saint-Martin où la lutte pour la succession est ouverte. Le maire est confronté à plusieurs oppositions y compris au sein de sa propre majorité. L’évolution statutaire est devenue au fil du temps le thème majeur de la vie politique. Objet nécessairement consensuel, il est aussi un enjeu de la compétition politique locale. La prise de parole et le positionnement sur ce thème sont comme des passages obligés pour tous ceux qui envisagent de remplacer Albert Fleming qui, à plusieurs reprises, a manifesté sa volonté de se retirer de la vie politique. A la différence de ce qui se passe dans l’autre île, le risque d’émiettement de l’échiquier politique y est réel. Le débat statutaire est à la fois le révélateur de ce risque et le moyen de le différer. Il met en scène les partisans et les opposants au maire tout en les rassemblant dans un consensus ambigu. A Saint-Barthélemy, le fauteuil de maire n’est pas à prendre. Bruno Magra bénéficie d’une grande popularité et d’un charisme qui rendent l’opposition résiduelle. Certains n’hésitent pas à considérer cette situation comme étant une forme d’autoritarisme et soupçonne même le maire de vouloir occuper le siège de premier président du conseil général de SaintBarthélemy après l’adoption du projet de loi organique. Dans ce projet, le président est désigné par l’assemblée qui élit également un conseil exécutif. Le président est responsable devant le conseil général qui peut le renverser par une « motion de défiance constructive ». Autrement dit le renversement du président n’est effectif qu’après l'élection simultanée de son successeur. Un conseil économique, social et culturel est mis en place avec des compétences consultatives. Les deux îles partagent ce schéma institutionnel qui s’inspire fortement du modèle départemental. Il faut toutefois observer un découpage singulier de Saint-Martin en trois conseils de quartier. Le conseil général détermine la composition, les règles de fonctionnement et les prérogatives de ces structures infra-territoriales qui seront consultatives. Il s’agit là d’une originalité qui n’a pas d’équivalent dans l’autre île. Mais ce n’est qu’une maigre consolation, comparée au pouvoir local et à l’autonomie que confère le nouveau statut à Saint-Barthélemy. En effet, si la République garantit l’autonomie de l’ancienne colonie suédoise, pour des raisons qui tiennent à ses spécificités géographiques et historiques et à ses intérêts propres, elle refuse son application immédiate à Saint-Martin en raison de la fragilité financière de la collectivité. Concernant les attributions de la nouvelle collectivité, la décision gouvernementale était principalement attendue dans deux domaines, l’immigration et la fiscalité.
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En matière d’immigration, le texte semble particulièrement favorable aux autorités locales des deux îles et viser principalement SaintMartin. Il prévoit que « les lois et règlements relatifs à l'entrée et au séjour des étrangers ainsi qu'au droit d'asile ne sont applicables… que sur mention expresse ». Autrement dit, le droit commun qui consacre le pouvoir régalien dans ce domaine peut ne pas s’appliquer. En outre, toute autre question relative à l’immigration (autre que l’entrée et le séjour) relèverait des attributions locales. Cette formulation augure des évolutions conformes à la volonté du ministre de l’outre-mer de doter les collectivités d’outre-mer des moyens juridiques de faire face à l’afflux d’immigrants clandestins4. Sur le plan fiscal, Saint-Barthélemy, à la différence de Saint-Martin, obtient des dérogations importantes et notamment la possibilité d’octroyer aux résidents de l’île un statut particulier qui conforte les avantages actuels5. En réalité, les arguments du ministre reprennent une revendication des élus de l’île. Ce nouveau statut est avant tout l’instauration d’un rapport privilégié avec L’Etat et la fin de la dépendance administrative des îles du nord vis-à-vis du « continent guadeloupéen ». Les nouvelles relations avec Paris peuvent désormais s’apprécier à un double niveau. Au plan local, si l’on observe une domiciliation plus forte du pouvoir, les autorités étatiques gardent le monopole de l’expertise et pourraient influencer ainsi les affaires locales. Ceci vaut notamment pour Saint-Martin qui n’a pas, pour l’heure, les moyens de mettre en place des services techniques qui se substitueraient à ceux du département et de la région de Guadeloupe.
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Avant François Barouin, Brigitte Girardin qui l’a précédé au poste de ministre de l’outremer s’exprimait dans les termes suivants à l’occasion d’un discours prononcé à Saint-Martin : « La souplesse offerte par l’article 74 permettra une meilleure adaptation des politiques publiques aux réalités locales. Ainsi, dans un domaine éminemment sensible ici, celui de l’immigration, le « décrochage » d’avec le droit commun, d’ailleurs partiellement engagé, pourrait être plus important. Le Gouvernement n’est pas hostile à la détermination d’un régime juridique adapté à vos spécificités ». 5 « Le transfert à la nouvelle collectivité d'outre-mer de la compétence fiscale permettra aux futures institutions de l'île d'instaurer une fiscalité adaptée à la situation particulière de l'île et admise par tous. Afin d'éviter l'évasion fiscale et la fraude à l'impôt, et eu égard au caractère attractif de l'île, qui pourrait inciter de nombreux contribuables métropolitains à s'y installer, et à sa superficie exiguë, qui interdit tout afflux important de population nouvelle, sauf à compromettre le cadre de vie qui fonde son activité touristique, une convention fiscale entre l'État et la nouvelle collectivité précisera les modalités selon lesquelles les personnes qui ne peuvent justifier d'une durée de résidence sur l'île, au moins égale à cinq ans, seront soumises à la fiscalité directe édictée par l'État ; en revanche, les personnes qui justifieront de cette durée de résidence seront soumises, à Saint-Barthélemy, à la seule fiscalité locale ».
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Des conventions entre l'État et la collectivité d’outre-mer fixeront les modalités selon lesquelles des agents et des services de l'État seront mis à la disposition, en tant que de besoin, des deux îles. Ces conventions prévoient notamment la mise à disposition du président du conseil général de la nouvelle collectivité des services déconcentrés de l'État pour la préparation et l'exécution des délibérations de l’assemblée ainsi que les conditions dans lesquelles des organismes et établissements publics métropolitains concouront aux services publics locaux. Quant à la représentation nationale des populations locales, le texte envisage une représentation de chaque île au parlement et au Conseil économique et social dans les conditions définies par des lois organiques. La différence majeure entre les deux territoires concerne le principe d’autonomie. Son application sera effective à Saint-Barthélemy et différée à Saint-Martin. Dans ce dernier cas, le futur conseil général a la faculté de demander au premier ministre le bénéfice du principe d’autonomie en 20126, après une période transitoire de « tutelle étatique ». De manière provisoire, la présence du centre sera donc plus affirmée à Saint-Martin. L’autonomie réclamée par les autorités locales a été refusée par le gouvernement. L’exposé des motifs contenu dans le projet de loi organique est de ce point de vue sans équivoque : « La situation financière délicate dont la nouvelle collectivité d'outre-mer héritera de l'actuelle commune de Saint-Martin conduit à prévoir des dispositions transitoires en matière de contrôle de légalité et d'information du représentant de l'État ; ces dispositions cesseront d'avoir effet au terme d'un délai de cinq ans à compter de la première élection du conseil général »7. A l’évidence, les difficultés de gestion de la municipalité ont été prises en compte dans l’offre institutionnelle faite par Paris. Les relations des deux collectivités d’outre-mer avec l’Union européenne montre, une nouvelle fois, la différenciation de la réponse étatique. Cette fois, la différenciation porte sur les perspectives offertes aux îles. Le texte va jusqu’à envisager la sortie des Saint-Barths de l’espace européen8. Il s’agit là d’une revendication des autorités actuelles du territoire 6
« A compter de la première réunion qui suivra son renouvellement postérieurement au 1er janvier 2012, le conseil général de Saint-Martin peut, à la majorité absolue de ses membres, adopter une résolution portant sur la modification du statut de la collectivité en vue de lui conférer l'autonomie prévue à l'article 74 de la Constitution. Cette résolution est transmise au Premier ministre ». 7 Projet de loi organique portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer. 8 « En cas d'accession de la collectivité de Saint-Barthélemy au statut de “pays et territoire d'outre-mer” de l'Union et des Communautés européennes et à compter de cette accession, la collectivité est compétente en matière douanière, à l'exception des mesures de prohibition à
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qui souhaitent sortir de l’espace européen pour se préserver d’une législation communautaire jugée trop contraignante. Elles préfèreraient perdre ainsi le bénéfice des fonds structurels et garder une plus grande autonomie dans leur relation commerciale avec l’extérieur et les Etats-Unis en particulier. Le silence du texte gouvernemental sur les relations entre la collectivité saint-martinoise et l’Union européenne traduit la volonté locale de rester dans le cadre communautaire pour continuer à percevoir les fonds structurels. L’alignement de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy sur le régime de spécialité législative est d’abord la victoire des îles du nord contre le « continent guadeloupéen » comme il est coutume de désigner la Guadeloupe. 2 - Paris contre Basse-Terre ou le transfert stratégique de la dépendance Outre les deux îles du nord, trois îles dites du sud participent à la formation de l’archipel guadeloupéen. Il s’agit de : Marie-Galante, la Désirade, Les Saintes. Avant la consultation du 7 décembre 2003 l’archipel guadeloupéen comptait donc un « continent » et cinq dépendances. La revendication du statut de collectivité d’outre-mer prise en compte dans la constitution révisée du 28 mars 2003 s’est construite par un processus de différenciation de l’identité continentale des identités périphériques. Cette démarche est symboliquement contenue dans le slogan de la mobilisation saint-martinoise Separate status within France. Ce slogan en anglais lancé pendant la campagne qui a précédé la consultation du 7 décembre 2003 est chargé de sens. Il exprime par la forme et sur le fond les dimensions identitaire et politique de la revendication statutaire. Cette démarche à double détente n’est pas nouvelle et se vérifie aussi pour l’île de Saint-Barthélemy. D’après le maire, la communauté saint-barth ne doit pas être troublée dans son équilibre social par l’inadéquation d’un système qui a prouvé ses dysfonctionnements et ses limites. Les mesures législatives et administratives applicables pour le département de la Guadeloupe peuvent se révéler en totale contradiction avec les spécificités locales. Seul un statut adapté aux particularismes de Saint-Barthélemy hérités de l’époque suédoise peut d’après lui permettre de préparer l’avenir économique et social de l’île. L’élu parle
l'importation et à l'exportation qui relèvent de l'ordre public et des engagements internationaux de la France, des règles relatives aux pouvoirs de recherche, de constatation des infractions pénales et des procédures contentieuses en matière douanière ».
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généralement de communauté, de particularismes historiques et de fiscalité pour illustrer l’inadaptation du rattachement à la Guadeloupe. Officiellement, la séparation envisagée par les deux îles n’est pas une rupture avec le reste de l’archipel guadeloupéen. Dans un discours prononcé devant le conseil général de Guadeloupe, le maire s’empresse de le préciser dans des termes qui se veulent rassurants : « Certes, notre histoire, nos cultures sont différentes mais les liens que nous avons tissés depuis maintenant 118 ans sont forts et méritent d’être resserrés dans un ensemble caribéen en pleine expansion ». Les rapports entre l’ancienne commune et le département changent de nature et de cadre. La dépendance est révolue, l’espace guadeloupéen fait place à l’espace caribéen. La sortie des îles de l’espace guadeloupéen, consécutive à la consultation du 7 décembre 2003, peut s’interpréter comme la volonté de voir reconnaître les identités infrainsulaires. L’établissement d’une relation directe avec la métropole coïncide avec une prise en compte des intérêts de chaque collectivité. Les élus et les socioprofessionnels locaux veulent l’application de l’article 74 parce qu’ils estiment que les habitants ont des intérêts propres à protéger. Le maintien dans les limites du territoire guadeloupéen empêcherait la prise en compte des spécificités et surtout la protection d’un certain nombre de caractéristiques héritées de l’histoire. Le régime choisi par la Guadeloupe est celui de l’identité législative. Les îles du nord ont plébiscité le régime de spécialité législative. Ce plébiscite résulte d’une construction de l’identité infra-insulaire face à une Guadeloupe dont on se distingue sur les plans historique et culturel. La notion d’intérêts propres est la reconnaissance juridique de cette identité construite. Cependant c’est moins l’identité locale que la santé économique des îles qui semble prévaloir dans la réponse étatique. Sans exclure cette hypothèse, il nous semble qu’il faut la replacer dans la dynamique globale de mobilisation qui s’est développée aux Antilles à l’occasion du débat sur le changement institutionnel et statutaire. En réalité le nouveau statut traduit en droit une inégalité de mobilisation entre les deux îles.
II - L’AFFIRMATION IDENTITAIRE AU SERVICE DE LA MOBILISATION POLITIQUE L’histoire dans les deux cas et la langue à Saint-Martin sont les principaux marqueurs identitaires de la revendication politique. Cette
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revendication s’accompagne d’un travail opiniâtre de mise au jour d’une identité qui accorde une large part aux engagements de la France avec la Suède pour les Saint Barth et avec la Hollande pour les Saint-Martinois. 1 - La mémoire collective et l’identité locale comme ressources politiques Tout est fait pour reconstruire la mémoire commune et favoriser le développement d’un sentiment d’appartenance collective. Cette stratégie rencontre une certaine efficacité. On peut penser qu’elle contribue avec plus ou moins de succès, selon les îles, à influencer l’offre institutionnelle9. A Saint-Barthélemy c’est le fait d’avoir été une colonie suédoise rétrocédée à la France par un traité qui contient des clauses avantageuses pour l’île, et qui fonde dans une large mesure la revendication identitaire. Les acteurs politiques et économiques justifient ainsi un changement politique garant d’un statut fiscal et d’un modèle de développement incompatibles avec un maintien au sein de la Guadeloupe. Possession française en 1648, l’île est cédée à la Suède en 1784. Elle redevient française en 1878 à la suite d’un traité signé entre les deux pays le 10 août 1877 après un référendum. Ce traité est le fondement d’une revendication de spécificités fiscales de Saint-Barthélemy. A l’origine, le territoire est dépourvu de ressources. Pour compenser ses faiblesses, la Suède l’exonère de toute taxe douanière et fiscale. La rétrocession de l’île à la France se fait sur la base du respect de cet engagement. Elément historique, éléments constitutifs de l’identité des Saint-Barths, puisque c’est une des rares terres françaises à bénéficier de ces avantages. Un des objectifs du nouveau statut est donc la consolidation de droits historiquement acquis. Sur le plan économique l’île a réussi à transformer ses handicaps structurels en atouts touristiques. Aujourd’hui elle est prospère. Pour comprendre cette évolution, il suffit d’observer les choix qui ont été faits sur le plan touristique et la richesse de ce territoire comparée aux ressources des autres communes où îles de la Guadeloupe. 9
Le commentaire suivant contenu dans un Rapport récent du sénat est de ce point de vue éloquent. « Les résultats des consultations de décembre 2003 ont confirmé l’aspiration ancienne des îles du Nord de la Guadeloupe à des réformes leur permettant de trouver un équilibre institutionnel et juridique plus adapté à leur identité particulière ». Rapport d’information fait au nom de la Commission des lois à la suite d’une mission effectuée en Guadeloupe, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin du 9 au 14 décembre 2004, Sénat procèsverbal de la séance du 10 mai 2005, p. 1.
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Les recettes de Saint-Barthélemy et la part d'autofinancement de la collectivité feraient pâlir d'envie bon nombre de communes de France. En 2003, Saint-Barthélemy a financé 80 % de son budget par des recettes collectées sur la commune, les ressources complémentaires provenant de la région (11 %), de l’Etat (8 %) et du département (1 %)10. Ce qui fait dire au maire que « par des choix judicieux portant sur des investissements structurants, les élus qui dirigent notre île et ceux qui ont eu en charge sa destinée, ont su préserver l’intégralité de ses capacités de financement, tout en mettant en place les fondations d’un développement durable », et lui permet d’ajouter : « Plus des trois quarts du budget de fonctionnement de la commune sont alimentés par ses ressources propres, l’octroi de mer en provenance de la région, les transferts étatiques représentant respectivement 14,5% et 8% du total des recettes de fonctionnement »11. On comprend dès lors le refus des Saint Barth d’être une dépendance de la Guadeloupe et leur choix de trouver une organisation juridique qui garantisse le maintien de ces avantages. Le recours à l’histoire a la même finalité à Saint-Martin. Mais à la différence de Saint-Barthélemy, on privilégie la culture et notamment la langue pour singulariser la collectivité et donner un fondement à la revendication statutaire. A Saint-Martin, un traité du 23 mars 1648 entre la France et la Hollande partage l’île en deux, tout en garantissant une liberté de circulation entre ces deux parties. La volonté de singulariser les Saint-Martinois est ancienne. En 1862, le gouverneur de la Guadeloupe, le général Frébault reconnaît à sa manière leur différence. « Déjà elle prend très peu à la Guadeloupe, se revêt de vêtements anglais et s’approvisionne à SaintBarthélemy, le port étant franc, elle restera presque sans rapport avec nous…Le chef de la colonie exprime l’avis que la métropole prenne totalement à son compte la dépendance de Saint-Martin et qu’à la Guadeloupe n’incombe pas le soin de l’entretenir même partiellement… »12 Les remarques du gouverneur se traduisent aujourd’hui par une revendication locale de reconnaissance de l’anglais, comme langue maternelle …et comme langue principale de communication et d’échange. La proposition suivante des élus au ministre situe bien l’enjeu de la 10 Rapport d’information du Sénat op. cit. p. 27. « Dégageant une capacité d’autofinancement, la commune peut rembourser sa dette en capital et réduire fortement ses charges financières, qui sont passées de 0,02 % des charges totales en 1999 à 0,01% en 2003, soit 17,44 euros par habitant », Rapport p. 28. 11 Entretien avec Bruno Magra. 12 Rapport Seners remis à monsieur le Secrétaire d’Etat à l’outre-mer, Saint-Martin, SaintBarthélemy, Quel avenir pour les îles du nord de la Guadeloupe ? Décembre 1999 p. 4.
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revendication linguistique. « L’anglais est un élément fondamental de l’identité culturelle : ciment de cohésion sociale, moyen de communication quotidien entre les deux parties de l’île et les îles environnantes. C’est une spécificité de l’île et elle fait sa richesse (culturelle et linguistique). Elle est reconnue et doit être soutenue eu égard à l’enjeu majeur qu’elle représente pour le développement de la mono-activité touristique de l’île. Les personnes physiques et morales de droit privé en usent librement dans leurs actes et conventions. Ceux-ci n’encourent aucune nullité au motif qu’ils ne sont pas rédigés dans la langue officielle »13. La revendication est directe et pourrait paraître quelque peu provocatrice dans un Etat de tradition centralisatrice. Elle a pris plus récemment la forme d’une critique du projet de loi organique qui viderait l’identité de son contenu en occultant la question linguistique. Comparé à d’autres collectivités d’outre-mer, Saint-Martin serait victime d’une injustice comme semble le dire le conseil municipal qui propose d’amender le texte gouvernemental. « Le projet de loi organique prévoit le respect de l'identité SaintMartinoise mais ne reconnaît pas la langue de Saint-Martin (l'anglais de Saint-Martin) contrairement au statut de la Polynésie française qui reconnaît la langue tahitienne qui fait l'objet de dispositions particulières en matière d'enseignement. Le document d’orientation prévoyait une habilitation à adapter la loi en matière d’enseignement. Cette mesure est également absente de la loi organique. Le Conseil municipal dans son avis rendu sur les projets de loi le 13 décembre 2005 demandait la reconnaissance de la « langue de communication régionale de Saint-Martin. Il est intéressant de comparer les différentes langues régionales reconnues en France. Or il apparaît que la première des langues régionales françaises est une langue étrangère, l’allemand, reconnue dans deux départements métropolitains : l’Alsace et la Moselle. »14 Cette revendication s’est précisée et renforcée après la réforme de la constitution et notamment la nouvelle rédaction de l’article 73 permettant à une partie d’une collectivité de constituer une entité autonome. On peut alors penser que le changement constitutionnel a exercé une certaine influence sur la formulation des revendications locales La modification de la constitution a été perçue par les élites politiques comme une chance de mise en œuvre de leur revendication. Ce qui explique le regain de mobilisation observé après ce changement mais aussi la déception suscitée par la rédaction du projet de loi organique. 13 14
Propositions des élus de Saint-Martin sur l’avant-projet de loi organique novembre 2005. Extrait des délibérations du conseil municipal 11 juillet 2006.
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2 - Une Offre institutionnelle influencée par la mobilisation politique locale L’offre institutionnelle étatique dans les deux îles n’est pas la même. C’est comme si Paris avait opté pour un traitement différencié et inégal de la question statutaire dans ces collectivités favorables à l’application du principe de spécialité législative. En réalité, ce traitement résulte moins d’un choix délibéré des autorités étatiques que de la qualité du consensus local. L’offre institutionnelle étatique est fortement influencée par la mobilisation des acteurs locaux. Les discours, les documents de travail, les projets de loi organique produits par les autorités centrales tiennent compte du niveau de mobilisation sur le terrain. On peut même considérer que cette mobilisation explique la différenciation de l’offre étatique. Le lien est sans équivoque. L’exposé des motifs de la loi organique en est une belle illustration. La rédaction du texte révèle les différences d’appréciation de la mobilisation dans les deux îles. Si les dispositions sont rédigées conformément au « document d'orientation » adopté à l'unanimité par le conseil municipal de Saint-Barthélemy, pour Saint-Martin, elles sont « rédigées dans le respect du document d'orientation approuvé par le Conseil municipal ». L’approbation ne mentionne pas l’unanimité. Et pour cause, les élus saint-martinois étaient divisés sur des aspects essentiels du texte. Il n’y a pas eu d’opposition déclarée au sein du conseil municipal dirigé par Bruno Magra au moment de l’adoption du document d’orientation. Albert Fleming lui, a obtenu une forte majorité. Sur trente deux conseillers, deux se sont abstenus. Unanimité des Saint-Barths, consensus des SaintMartinois. L’offre politique n’est pas insensible à la nuance. Pour se convaincre de la différence de traitement, on peut, en effet, se reporter aux documents d’orientation élaborés par le ministère de l’outremer avant la consultation et aux textes proposés par le gouvernement après cette consultation en application du principe de spécialité législative de l’article 74. L’offre ministérielle varie d’une île à l’autre à la fois sur le plan quantitatif et sur le plan qualitatif. Le document consacré à Saint-Barthélemy comprend un préambule. Les référents identitaires mobilisés par les SaintBarths à l’appui de leur revendication politique sont repris pour justifier l’offre gouvernementale. « Dans le cadre de la constitution révisée par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, et pour tenir compte de la situation et de l’histoire particulière de Saint-Barthélemy, telles qu’elles résultent notamment du traité franco-
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suédois du 10 août 1877, les orientations suivantes en matière d’évolution institutionnelle sont soumises aux électeurs de Saint-Barthélemy… »15. Suivent des paragraphes déclinant le contenu de la réforme statutaire. En réalité les documents reflètent l’argumentaire politique des entrepreneurs du changement institutionnel. Par exemple, la fin du premier paragraphe consacré à l’île anglophone précise son statut communautaire : « Saint-Martin demeurera soumise au statut de Région ultra-périphérique de l’Union européenne ». L’absence d’une telle précision dans l’autre document reflète la volonté exprimée par les élites locales de sortir de l’espace communautaire. Une autre différence mérite d’être soulignée. Pour Saint-Barthélemy, une liste quasi exhaustive de nouvelles compétences délimite implicitement les champs respectifs de l’Etat et de la collectivité. Concernant Saint-Martin le texte est beaucoup plus vague. Ces différences se vérifient dans les dispositions du projet de loi organique sur les compétences des deux nouvelles collectivités d’outre-mer. Bien qu’il s’agisse de documents de travail, on peut considérer qu’ils traduisaient l’état de la mobilisation locale et ont influencé la rédaction de la réponse étatique. La mobilisation s’est traduite avant tout dans les urnes. Sur les 34 communes de l’archipel guadeloupéen, Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont les seules à avoir voté massivement pour le changement statutaire. Le « oui » l’a emporté à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, avec respectivement 76,17% et 95,51% des suffrages. La Guadeloupe (à 72,98%), s’est prononcée contre l'évolution proposée dans le cadre de la consultation. Les taux de participation à ces consultations sont des indicateurs intéressants de la volonté politique des populations. Ils ont été les suivants : SaintBarthélemy : 78,71%, Saint-Martin : 44,18%. La détermination politique se vérifie aussi à partir des ressources mobilisées localement et des relations que les représentants des îles établissent avec les autorités du département région de Guadeloupe et avec les sommets de l'Etat. A Saint-Barthélemy le maire et son conseil municipal sont très actifs et donnent l’image d’un groupe uni autour d’un leader incontesté. A SaintMartin le consensus est de circonstance et fragile. Comme nous l’avons signalé plus haut, le maire ne fait pas l’unanimité. Mais l’opposition éclatée ne constitue pas pour autant une alternative. L’inégalité de la mobilisation explique l’aptitude plus ou moins grande des élus de chaque île à influencer la 15
Voir par exemple Déclaration du gouvernement sur la consultation des électeurs de Guadeloupe, de Martinique, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy vendredi, 7 novembre 2003.
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décision du centre. Face au gouvernement, les chances de Saint-Barthélemy d’obtenir une extension du champ des compétences locales ont été d’autant plus fortes que la mobilisation, toutes ressources confondues, a été importante. Si on accepte l’idée que le consensus est un accord très large entre des partenaires sur ce qui les unit et sur les divergences acceptables16, à SaintMartin le consensus n’a pas été un moteur déterminant de la mobilisation ; preuve s’il en est besoin de l’ambiguïté des situations consensuelles17. Un indicateur de cette inégalité entre les deux îles nous est donné aussi par le nombre et la qualité des experts qui sont intervenus dans chaque collectivité à l’invitation des élus et des socioprofessionnels. Une illustration encore plus frappante de cette inégalité est le poids du lobbying des Saint-Barths comparé aux efforts des Saint-Martinois pour rencontrer les officiels. Par exemple, en mars 2006 le maire de l’île anglophone s’est rendu en Guadeloupe mais n’a pu rencontrer le ministre de l’intérieur de passage dans la région. « Je ne peux pas considérer avoir eu une réelle entrevue avec le ministre de l'Intérieur. J'ai rencontré ses techniciens à qui j'ai remis deux documents : un premier sur la situation de l'immigration à Saint-Martin, et un second sur l'état de l'évolution statutaire »18. Preuve, à l’inverse, de l’efficacité des interventions de SaintBarthélemy : la lettre que le maire adresse au chef de l'Etat et la réponse par laquelle ce dernier affirme son soutien à la revendication d'évolution de l'île. Si la mobilisation des îles du nord explique dans une large mesure le changement politique, l’attitude des élus de la Guadeloupe quant à la revendication statutaire des dépendances a été plutôt timorée et souvent plus explicite pour Saint-Barthélemy, preuve supplémentaire d’une mobilisation plus forte dans cette île. Le rapport du conseil général (rapport Malo) sur l’évolution statutaire de la Guadeloupe comprend une annexe dans laquelle on apprend qu'au « cours de sa séance du 28 octobre 1996, le Conseil général de la Guadeloupe a adopté une délibération par laquelle il se prononce favorablement sur le principe de l'érection de la commune de Saint-Barthélemy en collectivité à
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Fred Réno, « Consensus politique et société dissensuelle » in J.Y. Faberon (sous la direction), L’outre-mer français la nouvelle donne institutionnelle, Paris, La Documentation Française 2004, pp. 155-168. 17 François Bourricaud, « Ambiguités du consensus », Revue de l’enseignement supérieur, n°4 1965. 18 Saint Martin’s Week, édition du 15 mars 2006.
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statut particulier… »19. Le projet guadeloupéen rédigé en juin 2001 est muet sur le sujet. Cela est d’autant plus surprenant que ce document réunissait toutes les tendances politiques locales et était présenté comme un programme de développement de la Guadeloupe. C’est comme si la classe politique locale par son silence ignorait collectivement une revendication pourtant audible ou avait implicitement entériné le principe de sécession des deux îles. Au cours de la même année, le congrès des élus départementaux et régionaux réuni le 17 décembre va conforter cette hypothèse. En effet, il « donne acte de la volonté exprimée par les élus de Saint-Martin de voir émerger un statut spécifique pour leur collectivité …Soutient et approuve le Projet d’évolution institutionnelle et statutaire présenté par les autorités municipales de Saint-Barthélemy »20. A l’évidence l’offre étatique divise. Le projet de loi organique satisfait les habitants de l’ex-colonie suédoise et déçoit ceux de Saint-Martin. La mobilisation qui se développe aujourd’hui dans chaque île en témoigne. D’un côté on se prépare à appliquer le nouveau statut, de l’autre on souhaite une révision du texte. A l’occasion du passage du ministre dans l’île anglophone, les élus locaux manifestent leurs désaccords et font part de leurs interrogations21. L’autonomie, l’accès à l’emploi, l’immigration ont fait l’objet d’amendements du conseil municipal dans l’île anglophone. La suppression de l’article 5 du projet de loi organique, qui n’envisage l’autonomie qu’après le 1er janvier 2012 et de celui qui fixe à cinq ans le nombre d’années nécessaires pour justifier d’une domiciliation fiscale à Saint-Martin, est réclamée. L’ajout d’un article sur l’accès aux emplois est proposé. S’inspirant des dispositions du statut de la Polynésie française, le conseil 19
Rapport de la commission ad hoc du conseil général sur l’évolution statutaire de la Guadeloupe, présenté par Jean-Claude Malo, 1999. 20 Voir Fred Reno, Julien Mérion et Fred Deshayes, Petit Dictionnaire du débat politique, Guadeloupe, Guyane, Martinique, Ibis Rouge éditions 2004, p. 147. 21 Le maire, Albert Fleming débute son allocution, et dès les premières phrases, le ton est donné : le premier magistrat de l'île se dit très déçu par le texte définitif de la loi organique, se scandalise que Saint-Martin soit négligée, s'offusque du manque de disponibilité du ministre, et déclare d'un ton énervé, « On n'est pas des bâtards ». Autre illustration de la déception, « Dans le cadre des dispositions transitoires, il est écrit que le représentant de l'Etat siège aux réunions du Conseil exécutif ; or, cela constitue une atteinte au principe de la libre administration, avec un Etat qui est amené à exercer un contrôle trop absolu sur la nouvelle collectivité. Je défends toutefois l'idée d'un partenariat entre l'Etat et la nouvelle collectivité, mais j'estime que nous sommes suffisamment adultes pour ne pas subir une nouvelle forme de tutelle de la part de l'Etat » déclare un conseiller régional » in Le Pélican, 30 mai 2006.
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municipal souhaite que la future collectivité puisse prendre des mesures favorisant l’accès à l’emploi dans les secteurs privés et publics22. Une participation de la future collectivité à l’exercice de la compétence de l’Etat en matière d’entrée et de séjour des étrangers est également envisagée et constituerait aux yeux des élus un facteur d’efficacité de la politique de contrôle des flux migratoires. La mise en œuvre de ce statut amendé devrait bénéficier d’un programme exceptionnel d’investissement d’une durée de quinze ans pour « aider Saint-Martin à surmonter les handicaps structurels, résorber son déficit en équipements et services collectifs »23. Concernant l’organisation administrative du territoire, le conseil municipal alterne des propositions relevant respectivement de la spécialité législative et de l’identité législative. Les élus locaux proposent le remplacement de l’appellation « conseil général » par celle d’ « assemblée de Saint-Martin » ou « conseil territorial », car ni les compétences, ni le fonctionnement de la future assemblée ne correspondraient à ceux d’un conseil général. En revanche, ils souhaitent que l’on réécrive l’article relatif au représentant de l’Etat. Dans le projet de loi organique, il est précisé que celui-ci a rang de préfet. Ils proposent une rédaction mentionnant explicitement que « le Préfet de Saint-Martin est le représentant de l’Etat ». En réalité, c’est moins le contenu de la proposition que ses justifications qui nous paraissent intéressantes. Critiquant la disposition prévue dans la loi organique, le conseil municipal considère qu’elle « laisse à penser que la représentation de l’Etat à Saint-Martin sera assurée, en droit, par le préfet du département et de la région de Guadeloupe, qui déléguera ses attributions à un délégué pour Saint-Martin, sans doute résidant sur l’île. Une telle organisation ne serait pas très éloignée de celle prévalant à l’heure actuelle, et dont on a rappelé les inconvénients. Souhaitant une implication locale de l’Etat dans la prise en charge des problèmes de la collectivité, le Conseil municipal de Saint-Martin ne trouve pas l’assurance d’un tel engagement dans les dispositions des projets de lois concernant le représentant de l’Etat »24.
22 « La collectivité peut prendre des mesures favorisant l’accès aux emplois salariés du secteur privé des personnes justifiant d’une durée suffisante de résidence sur son territoire ou des personnes justifiant d’une durée suffisante de mariage, de concubinage ou de pacte civil de solidarité avec ces dernières. A égalité de mérites, de telles mesures sont appliquées dans les mêmes conditions pour l’accès aux emplois de la fonction publique de la collectivité… » 23 Extrait des délibérations du conseil municipal, op. cit. 24 Extrait des délibérations du conseil municipal.
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Cette dernière remarque du conseil municipal tend à conforter l’idée selon laquelle l’évolution statutaire des îles du nord est avant tout un processus de sortie de l’espace politique guadeloupéen.
CONCLUSION La question statutaire dans les îles du nord est riche d’enseignements. C’est la première fois que des communes d’un département sont érigées en collectivité d’outre-mer. C’est aussi la confirmation que la relation centre/périphérie est caractérisée par l’interdépendance et que dans certaines circonstances, la périphérie voire l’infra-périphérie peut déterminer la position centrale. Nous retiendrons de l’expérience de ces deux îles que le changement a d’autant plus de chance d’être effectif que le territoire concerné est fortement mobilisé autour de l’objet du changement. A Saint-Martin et Saint-Barthélemy, il s’agissait avant tout de sortir de l’espace guadeloupéen pour une pérennisation des spécificités notamment fiscales et identitaires des deux anciennes communes. Leur accession au statut de COM le permet. Si la mobilisation autour de l’objet est une condition nécessaire, elle n’est pas suffisante. Pour être efficace, la mobilisation s’est déroulée dans une double perspective, horizontale et verticale. Elle s’est caractérisée au plan horizontal par une forte volonté des populations de se distinguer du « continent ». Au plan vertical, les élites ont été consensuelles voire unanimes. A Saint-Barthélemy, les délibérations du conseil municipal autour du maire ont été de ce point de vue sans faille. Dans le schéma idéal que nous fournit l’expérience des Saint-Barths les dimensions horizontale et verticale se rejoignent pour légitimer la revendication et renforcer ses chances de succès. Pour de nombreux observateurs, il s’agit de deux laboratoires du changement qui pourraient inspirer d’autres territoires, notamment la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique qui ont choisi de maintenir le régime d’identité législative. A court terme, il est peu probable, cependant, que l’on suive le même processus dans ces trois régions monodépartementales. Les populations n’ont pas des raisons comparables de revendiquer avec force le changement, les classes politiques sont loin d’être consensuelles.
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L’échec de la consultation du 7 décembre 2003 aux Antilles et ses conséquences sur les dernières élections régionales ont vraisemblablement accentué les clivages au sein du personnel politique et par conséquent fragilisé le consensus.
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LA QUESTION JURIDIQUE DES TRANSFERTS DE COMPETENCES ET LE SINGULIER CAS GUYANAIS Patrick LINGIBE
La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales fait suite à plusieurs textes applicables aussi bien dans l’Hexagone que dans les départements-régions d’outre-mer, dont il convient de rappeler la teneur : -
la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 sur l’organisation décentralisée de la République ;
-
la loi organique du 1er août 2003 sur le référendum local ;
-
la loi organique du 1er août 2003 sur l’expérimentation ;
-
la loi organique du 29 juillet 2004 sur l’autonomie financière des collectivités territoriales.
Cependant, la décentralisation mise en œuvre en Guyane n’a pas eu la même portée que dans les autres régions-départements d’outre-mer. Dès lors, comparée aux Antilles, la question des transferts de compétence et celle afférente à l’évolution institutionnelle ne se posent pas dans les mêmes termes. En effet, le vécu administratif guyanais reste fortement marqué par un processus de départementalisation historiquement problématique (I). Cette situation a contribué à singulariser l’approche guyanaise de la libre administration des collectivités territoriales (II), et soulève aujourd’hui, avec une particulière acuité, la question de leur autonomie financière et in fine de la décentralisation réellement appliquée et applicable (III).
I – LA GUYANE : UNE TRAJECTOIRE HISTORIQUE ET JURIDIQUE SINGULIERE 1 - Une départementalisation en trompe-l’œil Parmi les quatre départements d’outre-mer, la Guyane est le plus grand département de France avec officiellement ses 83 534 kilomètres carrés, soit l’équivalent de plus de 15 % du territoire métropolitain. Elle
constitue ainsi un territoire de la dimension d’un Etat européen puisque sa superficie est équivalente à celle de l’Autriche (83 860 kilomètres carrés). Or, la situation de la Guyane entre indubitablement en contradiction avec la notion même de département. En effet, le département est comme toute collectivité territoriale la réunion de trois éléments : un territoire, une population et des pouvoirs confiés à des organes décentralisés, à savoir le conseil général et l’exécutif. Au-delà de cette définition traditionnelle, le département suppose, en outre, un certain degré de développement, notamment sur le plan administratif, juridique, social, économique et du point de vue des moyens de communication. Or, bien des constats attestent, dès l’origine, d’une départementalisation inachevée ou imparfaite du territoire guyanais. Il convient de rappeler qu’un décret en date du 6 juin 1930 a divisé le territoire guyanais en deux parties : -
d’un côté, la Guyane française constituée d’une bande de terre s’étendant de la zone côtière à l’intérieur des terres sur une profondeur variant de 60 kilomètres à l’Est et 30 kilomètres à l’Ouest ;
-
de l’autre côté, le territoire de l’Inini, soit le reste du territoire guyanais, c’est-à-dire environ 72 000 kilomètres carrés, ce qui équivaut à la surface cumulée des deux Etats européens que sont les Pays-Bas et la Belgique.
Le territoire de l’Inini disposait de la personnalité civile et relevait directement du Gouverneur de la Guyane. Sur ce point, force est d’admettre que la loi du 19 mars 1946 sur la départementalisation n’a nullement modifié cette organisation particulière de la Guyane. Bien au contraire et contre la logique même de la départementalisation, une loi du 14 septembre 1951 portant sur l’organisation du département de la Guyane a maintenu ce territoire de l’Inini dans un statut spécial pour dix ans et établi dans l’arrondissement un régime municipal spécial. Ainsi, sur le plan organisationnel et administratif, ce n’est qu’avec le décret du 17 mars 1969 que le territoire guyanais a été réorganisé avec la suppression du territoire de l’Inini, survivance de l’époque coloniale que la loi de départementalisation avait pour ambition de gommer. Il est clair que le maintien d’une bipartition coloniale en Guyane a vidé de son sens, pour une bonne partie du territoire, le système de départementalisation. Il convient de noter qu’il existera jusque dans les années 1970 au sein de la préfecture de la Guyane un service des populations indigènes, ce qui va à l’encontre de l’esprit égalitariste de 1946.
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La Guyane rencontre d’autres problèmes inimaginables pour une structure formellement départementalisée. Ainsi que le notait, en 2000, une mission sénatoriale, « en l’absence de routes ou de voies ferrées, les fleuves [c’est-à-dire pour l’essentiel le Maroni à l’Ouest et l’Oyapock à l’Est] constituent la seule voie de pénétration dans l’intérieur. Les communes de l’intérieur se trouvent de ce fait particulièrement isolées. Hormis l’avion, la pirogue y est le plus souvent le seul moyen de transport disponible, à la fois lent et coûteux ; elle doit être notamment utilisée pour assurer les transports scolaires »1. Cette distorsion va se révéler dans le mode de gestion de la collectivité guyanaise, la persistance d’un modèle administratif de type colonial ayant inévitablement pesé sur la conception et l’application in concreto de la départementalisation dans ce territoire. Au formalisme de la départementalisation et de la décentralisation, correspond dans les faits leur caractère inabouti. 2 - Une départementalisation et une décentralisation inachevées Il est clair que la départementalisation du territoire guyanais aurait dû conduire à la mise en place de moyens financiers conséquents au niveau des communes et de cellules administratives de base gérant les problèmes quotidiens des habitants. L’organisation administrative territoriale n’a pas été, semble-t-il, la préoccupation majeure dans le cadre de l’application des principes de 1946, comme en témoigne le maintien du territoire de l’Inini. Le corpus juridique a été modifié en 1946 puisque l’article 73 de la Constitution du 27 octobre 1946 a posé le principe de l’applicabilité de jure des textes métropolitains en Guyane, sauf dispositions contraires, en affirmant très clairement que « Le régime législatif des départements d'outre-mer est le même que celui des départements métropolitains, sauf exceptions déterminées par la loi. » Il convient de rappeler qu’avant cette modification constitutionnelle (réformant ipso facto au demeurant l’article 3 de la loi de départementalisation de 1946)2, l’application du droit dans la colonie se 1
Sénat, Rapport d’information n° 366 fait à la suite des missions effectuées en Guyane Française, Martinique et Guadeloupe du 12 au 23 septembre 1999 et à La Réunion du 12 au 15 janvier 2000, p. 20. 2 L’article 3 de la loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française dispose « Dés la promulgation de la présente loi, les lois nouvelles applicables à la métropole le seront dans ces départements, sur mention expresse insérée aux textes. »
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faisait dans des conditions pour le moins singulières. En effet, Napoléon III, par un sénatus-consulte du 3 mai 1854 a notamment soumis les colonies à un régime constitutionnel particulier. La colonie guyanaise, qui a échappé à ce régime de droit commun, est restée soumise au régime particulier institué par l’ordonnance royale du 27 août 1828 (modifiée en 1833) et au principe dit des décrets (l’exception coloniale). Ainsi, contrairement aux dispositions du sénatus consulte de 1854, aucune intervention du législateur ou du Conseil d’Etat n’était nécessaire pour rendre applicable un texte en Guyane. En principe, un décret simple suffisait. Toutefois, les lois et règlements métropolitains n’étaient pas applicables pour autant de jure en Guyane. L’application dans la colonie d’un texte législatif ou réglementaire de la France continentale était préalablement soumise à une double formalité obligatoire : - en premier lieu, le texte législatif ou réglementaire devait faire l’objet d’une promulgation par décret du Président de la République ; - en deuxième lieu, le Gouverneur devait à son tour, après cette promulgation présidentielle, le promulguer au sein de la colonie3. Il est évident que le bouleversement législatif et constitutionnel survenu en 1946 a conduit à une modification de l’organisation des collectivités territoriales de la Guyane. Car la gestion d’une commune dans une colonie ne peut être la même dans un département où les habitants n’ont pas les mêmes droits. En outre, des collectivités issues de la colonie ne peuvent continuer à fonctionner sur des modes de financement identiques dans un cadre départemental. La création de dotations particulières visant la mise à niveau était et reste encore une nécessité pour hisser les collectivités territoriales concernées au niveau de leurs homologues de la métropole. Ce problème a été aggravé en Guyane par le fait que la disparition du territoire de l’Inini va entraîner ex abrupto le basculement d’une grande 3
« La simple insertion de la loi ou du décret au Journal officiel de la colonie ne saurait en tenir lieu. Il faut un acte de promulgation manifestant d’une façon indiscutable la volonté du gouverneur de rendre la loi ou le décret applicable à la colonie. Or cette volonté ne résulte pas nécessairement de la simple insertion au Journal officiel de la colonie qui a pu être faite en dehors de lui ou dans un autre but. La loi ou le décret, à défaut de cette seconde promulgation, n’est pas applicable dans la colonie, et comme le gouverneur a, à cet effet, une très grande latitude, aucun délai ne lui étant imparti, il en résulte qu’il peut retarder indéfiniment la mise en vigueur de la loi ou du décret. Le remède consiste dans le droit qui appartient au ministre de donner au gouverneur un ordre devant lequel ce dernier doit s’incliner …/… », Girault Arthur, Principes de Colonisation et de Législation Coloniale, 3ème édition, Tome 1, Paris, Editions Sirey 1907, pp. 388-389.
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partie du territoire dans le droit commun avec la création de communes en remplacement des anciens cercles municipaux dirigés par des chefs de brigade de gendarmerie. Une unification formelle, conforme à l’esprit départemental, sera donc réalisée en 1969, soit plus de 30 années après la loi de départementalisation de 1946. Aucun projet d’accompagnement n’a été établi sur le long terme pour la création de ces nouvelles collectivités communales, s’agissant notamment de leurs ressources propres. La décentralisation de 1982 et ses lois subséquentes n’ont fait qu’amplifier le malaise des collectivités guyanaises. Le constat est accablant : il en résulte l’existence en Guyane de collectivités territoriales où se posent avec acuité de problème de l’application des principes inhérents à leur statut et régime juridique.
II – LE PRINCIPE DE LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITES TERRITORIALES RAPPORTE AU CAS GUYANAIS 1 - Rappel du principe et de ses effets Le principe de libre administration des collectivités territoriales a été affirmé par plusieurs textes et décisions jurisprudentielles. En premier lieu, l’article 87 de la Constitution du 27 octobre 1946 disposait : « Les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus au suffrage universel. L'exécution des décisions de ces conseils est assurée par leur maire ou leur président. » En deuxième lieu, l’article 72 originel de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose dans son second alinéa que les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi. »4 4
A la suite de la réforme opérée par la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, c’est l’alinéa 3 de l’article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui vise le principe de la libre administration des collectivités territoriales : « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. »
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En troisième lieu, il convient de préciser que la jurisprudence a eu l’occasion de poser des principes directement issus de cette règle constitutionnelle affirmant la libre administration des collectivités territoriales. Ainsi, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 79-104 DC du 23 mai 1979 relative à la loi modifiant les modes d'élection de l'assemblée territoriale et du conseil de gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et définissant les règles générales de l'aide technique et financière contractuelle de l'Etat, se réfère aux « dispositions constitutionnelles …/… qui consacrent la libre administration des collectivités territoriales » pour juger du respect par le législateur du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Dans une décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002 concernant la loi relative à la Corse, le Juge constitutionnel va énoncer le principe accessoire à celui découlant de la libre administration des collectivités territoriales en rappelant l’interdiction constitutionnelle d’une tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre. S’appuyant sur l’article 72 de la Constitution, le Juge Administratif est également intervenu sur ce point. Ainsi, dans un arrêt rendu le 18 janvier 2001, Commune de Venelles, le Conseil d’Etat a jugé que le principe de libre administration des collectivités territoriales est « au nombre des principes fondamentaux auxquels le législateur a ainsi entendu accorder une protection juridictionnelle » et que pour cette raison l’exécution d’une mesure qui porte « une atteinte grave et manifestement illégale » doit pouvoir être suspendue sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative relatif au référé-liberté. En quatrième lieu, plusieurs dispositions législatives du Code général des collectivités territoriales sont venues consacrer ce principe5. Trois articles seront cités parmi les sept que comporte ce chapitre. L’article L. 11111 dispose que « Les communes, les départements et les régions s'administrent librement par des conseils élus. ». L’article L1111-3 énonce très clairement que « La répartition de compétences entre les communes, les départements et les régions ne peut autoriser l'une de ces collectivités à établir ou exercer une tutelle, sous quelque forme que ce soit, sur une autre d'entre elles. » Enfin, l’article L. 1111-4 précise dans son second alinéa que « Les communes, les départements et les régions financent par priorité les projets relevant des domaines de compétences qui leur ont été dévolus par la loi. Les décisions prises par les collectivités locales d'accorder ou de refuser une aide financière à une autre collectivité locale ne peuvent avoir pour effet l'établissement ou l'exercice d'une tutelle, sous quelque forme que ce soit, sur celle-ci. Ces dispositions s'appliquent aux décisions prises après le 1er avril 1991. » 5 Sous le Livre Ier,Principes Généraux de la Décentralisation, Titre Unique, Libre administration des collectivités territoriales, Chapitre Ier, Principe de libre administration.
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Enfin, le nouvel article 72, issu de la loi constitutionnelle n° 2003276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, dispose au début de son cinquième alinéa : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. » Au regard de ce qui vient d’être exposé, on peut légitimement se poser la question de la pertinence de ce principe de libre administration appliqué à la réalité guyanaise. 2 – Les difficultés d’application du principe en Guyane La libre administration des collectivités territoriales est un principe à valeur constitutionnelle, maintes fois consacré soit dans notre Droit Positif soit par les Juges constitutionnel et administratif. Plus que tout autre, le statut départemental de 1946 postulait l’application ipso jure de certains principes juridiques primordiaux, dont le premier au niveau des collectivités territoriales est celui de la libre administration. La libre administration d’une collectivité territoriale ne saurait rester un principe sans contenu concret et efficient. Or, la problématique de l’organisation territoriale guyanaise, faussée dès l’origine par une gestion bipartite du territoire, ne pouvait aboutir à une émancipation réelle et effective des collectivités territoriales, principalement communales. Peut-on réellement parler de libre administration lorsque la collectivité territoriale ne peut pas faire face structurellement à ses dépenses par l’apport de ressources propres ? Une collectivité territoriale qui ne possède aucune fiscalité propre peut-elle être qualifiée réellement de collectivité territoriale ? Dans une décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 relative à la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains, le Conseil Constitutionnel procède à une analyse in concreto afin de vérifier que les collectivités territoriales bénéficient de moyens matériels pour assurer les missions d’intérêt général qui leur ont été confiées par la loi. Il convient de rappeler à ce niveau que les collectivités communales de la Guyane disposent en général de superficies phénoménales rapportées au cadre métropolitain. Or, l’exercice de compétences originelles ou transférées s’accompagne nécessairement d’une responsabilité des organes qui en sont chargés. Exercer une compétence devient dès lors un exercice difficile, voire périlleux, lorsque les moyens matériels et financiers pour sa mise en œuvre font défaut.
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Deux exemples sont révélateurs à ce niveau. En premier lieu, le transport scolaire sur le fleuve : le président du conseil général exerce une compétence alors que le cadre dans lequel intervient cette compétence s’oppose à ce qu’elle soit exercée (fleuve non navigable stricto sensu, impossibilité de souscrire une assurance obligatoire non litigieuse, etc.). En deuxième lieu, l’exercice des pouvoirs de police générale ou spéciale par le maire peut s’avérer également difficile en Guyane au regard de l’étendue du territoire à administrer. Il convient de rappeler que ce pouvoir s’exerce sur l’ensemble du territoire communal (relativement exigu en France hexagonale) comme l’a précisé la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation dans un arrêt rendu le 29 mars 1884 ainsi que beaucoup plus tard le Conseil d’Etat dans une décision Dacquin en date du 5 mai 1950. Ainsi, en matière de police des baignades, la responsabilité administrative d’une commune a été retenue pour défaut d’apposition d’un panneau signalant des dangers autres que ceux que l’on rencontre normalement dans les cours d’eau utilisés pour la baignade (Conseil d’Etat, 10 mai 1989, Madame Rince). L’exercice des compétences au niveau des collectivités territoriales guyanaises amène à se poser la question de leur adéquation réelle au regard du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Ce bref rappel historique et juridique révèle la complexité de la situation guyanaise et les difficultés que pose la mise en place d’une organisation administrative pertinente, permettant d’exercer pleinement les compétences dévolues par la loi aux collectivités territoriales, lesquelles s’apparentent, à bien des égards, à des coquilles vides. Peut-on exercer réellement une compétence ou même fonctionner quotidiennement sans avoir les moyens financiers de son avenir et de son développement ? Cette question renvoie à la problématique de l’autonomie financière, autre principe réitéré mais dont la mise en œuvre s’avère problématique en Guyane.
III - L’AUTONOMIE FINANCIERE DES COLLECTIVITES TERRITORIALES GUYANAISES : DE L’AFFIRMATION DU PRINCIPE A SA NON-APPLICATION 1 – De l’affirmation du principe … Sans moyens financiers propres, l’application du principe de libre administration des collectivités territoriales est condamnée à rester lettre morte. Or, les collectivités territoriales guyanaises sont dans une situation
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qui ne permet pas de rendre effectif ce principe. Et la réforme opérée par la loi sur les responsabilités locales de 2004 ne fera qu’aggraver, à terme, une telle situation. Si, historiquement la loi de départementalisation n’a pas mis en place une mécanique spécifique à la dimension des problèmes guyanais, notamment en prenant en compte l’étendue territoriale, les lois de décentralisation appliquées à partir de 1982 ont contribué à amplifier les difficultés initiales. Il convient de rappeler que trois grands principes présidaient à la politique de transfert des compétences, s’agissant de la compensation financière de ces dernières. Le premier principe, est celui de la compensation intégrale des charges transférées. Les charges résultant pour chaque collectivité des transferts de compétences font l’objet d’une attribution par l’Etat de ressources d’un montant équivalent aux dépenses effectuées par l’Etat à la date du transfert au titre des compétences transférées. Le deuxième principe est celui de la simultanéité des transferts de compétences et des ressources nécessaires à leur exercice. Enfin, le troisième principe est celui du transfert pour une part majoritaire de ressources provenant d’impôts d’Etat, le solde devant être assuré par des crédits budgétaires évoluant chaque année au même rythme que la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF). Dans son rapport6 sur le projet de loi organique relatif à l’autonomie financière des collectivités territoriales, le député Guy Geoffroy précise : « En dépit des principes clairs posés par les lois de décentralisation en matière de compensation des transferts de compétences, force est de constater que l’Etat a souvent cherché, par le biais de la décentralisation, à réduire son déficit en transférant des charges croissantes aux collectivités locales. Un rapport du Conseil économique et social7 analyse ainsi, compétence par compétence, le poids des transferts à la charge des collectivités territoriales ; il montre, en premier lieu, que les collectivités locales ont dû faire face à des retards d’investissement importants, notamment en matière de lycées et de collèges, sans que les dotations afférentes ne tiennent compte de ces besoins. Les régions et départements ont ainsi dû mobiliser, pour remédier à l’état déplorable des établissements, des montants qui vont au-delà des compensations attribuées. A titre d’exemple, pour les régions, les dépenses réelles d’équipement des lycées sont passées de 130 millions d’euros en 1986 à 1 245 millions d’euros en 1993 ; sur cette 6
Rapport n° 1541, Guy Geoffroy fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi organique pris en application de l’article 72-2 de la Constitution relatif à l’autonomie financière des collectivités territoriales, avril 2004, p. 14. 7 Jean-Pierre Brunel, L’avenir de l’autonomie financière des collectivités locales, rapport présenté au nom du Conseil économique et social, 2001.
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même période, les compensations par l’Etat au titre de la dotation régionale d’équipement ont progressé de 57,5 millions à 203 millions d’euros. Les collectivités territoriales ont également été confrontées à un alourdissement de leurs charges, sans que celles-ci ne soient compensées ; l’exemple de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) est à cet égard emblématique du désengagement de l’Etat.(…) Enfin, les collectivités locales ont dû faire face à des charges nouvelles, issues non pas de nouveaux transferts, ou, comme dans le cas de l’APA, d’une extension de compétences, mais induites par des réglementations toujours plus contraignantes. Le respect de normes, notamment techniques, implique des charges toujours plus lourdes ; ainsi que le souligne le Conseil économique et social précité, “le poids financier considérable de ces contraintes nouvelles ne tient pas seulement aux équipements nouveaux induits ou aux surcoûts pour les autres équipements projetés, mais aussi à la mise aux normes du stock des équipements existants. Il est aggravé par la nécessité de respecter des délais souvent très courts pour cette mise aux normes”. »
Dans sa rédaction résultant de l’article 7 de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, le troisième alinéa de l’article 72-2 de la Constitution affirme le principe de l’autonomie financière des collectivités territoriales en disposant que : « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre. » La loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales, prise en application de l’article 72-2 de la Constitution, est venue préciser les modalités et définir le contenu de chacun des paramètres utilisés pour déterminer la notion d’autonomie financière. Elle met l’accent sur quatre notions essentielles : - les catégories de collectivités territoriales ; - les ressources propres ; - l’ensemble des ressources prises en compte ; - la part déterminante. S’agissant de la notion de catégorie de collectivités territoriales concernées, il est retenu une définition simple qui s’appuie sur les trois grandes catégories de droit commun de collectivités existantes, à savoir les communes, les départements et les régions.
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Toute collectivité est assimilée à l’une de ces trois catégories. Par exemple, la collectivité départementale de Mayotte est assimilée à un département, les provinces de Nouvelle-Calédonie étant assimilées à des régions. En ce qui concerne la définition de la notion de ressources propres, l’article 2 du projet de loi prévoit que « les ressources propres des collectivités territoriales, autres que le produit des impositions de toutes natures, sont constituées des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d’urbanisme, des produits financiers et des dons et legs. » Concernant la définition de la notion d’ « ensemble des ressources pris en compte » et de « part déterminante », l’article 3 du texte précise que « la part des ressources propres est calculée en rapportant le montant de ces dernières à celui de la totalité de leurs ressources, à l’exclusion des emprunts, des ressources correspondant au financement par l’Etat des compétences transférées à titre expérimental ou mises en œuvre par délégation de l’Etat et des transferts financiers entre collectivités d’une même catégorie. » La « part des ressources propres est déterminante …/… lorsqu’elle garantit la libre administration des collectivités territoriales relevant de cette catégorie, compte tenu des compétences qui leur sont confiées. Elle ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l’année 2003. » On constatera que cette loi organique ne réserve aucun traitement spécifique à l’outre-mer prévu par une autre loi. 2 - …à son ineffectivité en Guyane L’article 47 de la loi de programme n° 2003-660 du 21 juillet 2003 pour l’outre-mer dispose : « Les dotations de l’Etat aux collectivités territoriales d’outre-mer font l’objet de dispositions particulières qui tiennent compte de leurs caractères spécifiques. Dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport examinant la situation des collectivités territoriales d’outre-mer et les conséquences de leur situation spécifique sur la détermination du montant des dotations de l’Etat. » La présence de cet article a été critiquée tant par le rapporteur de l’Assemblée Nationale8 que celui du Sénat9. 8
Philippe Auberger, Rapport n° 891 au nom de la Commission des finances, de l’économie générale et du plan sur le projet de loi de programme pour l’outre-mer, juin 2003 : « Le
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Lors des débats devant le Sénat du 22 mai 2003, Madame Brigitte Girardin, ministre de l’outre-mer, motivera l’existence de cet article contesté par les raisons suivantes : « …/… les collectivités d’outre-mer doivent faire face à plusieurs défis, dont celui de l’évolution démographique, qui est sans conteste le plus important et sans commune mesure avec ce que l’on constate en métropole. L’augmentation rapide et régulière de la population outre-mer est une richesse pour la France, mais elle entraîne aussi d’importants besoins de financement, principalement en matière en matière de construction scolaire et d’investissements résultant de l’urbanisation. Les collectivités d’outre-mer sont donc confrontées à des besoins particuliers qui n’ont pas leur équivalent en métropole. Leur prise en compte est rendue plus difficile en raison de leur caractère insulaire, de l’éloignement géographique, des aléas climatiques et d’un retard de développement des infrastructures lourdes en matière d’assainissement de réseau de voirie et de transport. Certes, le code général des collectivités territoriales contient déjà un certain nombre de dispositions particulières pour les collectivités d’outre-mer, mais celles-ci sont définies sur la base de critères conçus pour les collectivités métropolitaines avec des adaptations qui prennent mal en compte la diversité des situations locales. De même, les mécanismes de péréquation en vigueur ne permettent pas de répondre efficacement à la disparité des collectivités. Aussi, plutôt que de rechercher l’adaptation marginale à l’outre-mer des critères métropolitains, le Gouvernement souhaite que soit posé le principe de règles particulières mieux adaptées à l’outre-mer. J’ai d’ailleurs présenté cette disposition au comité des finances locales le 27 mai 2003, et je remercie le président Fourcade de son soutien à cette occasion. L’article 36 (article 47 de la loi) repose donc sur la conviction que la recherche de l’égalité économique de l’outre-mer passe par la reconnaissance de la diversité de situations de ces collectivités et par la nécessité de mettre en œuvre des dispositions spécifiques qui tiennent compte de leur caractère propre.
présent article vise à affirmer que les dotations de l’Etat aux collectivités locales d’outre-mer font l’objet “ de dispositions particulières ” qui tiennent compte de “ leurs caractères spécifiques ”, selon des modalités précisées par un rapport. Cet article est un objet juridique non identifié : son premier alinéa, dépourvu de valeur normative, empiète sur le champ d’une future loi organique ». 9 Séance du 22 mai 2003, compte-rendu intégral des débats du Sénat, M. Roland du Luart, rapporteur : « La commission propose la suppression de cet article non pour des raisons de fond, mais pour des raisons pratiques. …/… Sur le plan pratique, le premier alinéa de l’article 36 est inutile puisqu’il décrit la situation actuelle. Le deuxième alinéa de cet article ne se justifie pas plus puisqu’il prévoit la remise d’un rapport dans les deux ans, alors qu’à cette date la réforme des finances locales devrait être achevée.
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Cet article 36 inscrit clairement dans le droit positif le principe de règles de calcul et de répartition définies pour tenir compte des spécificités bien connues de l’outre-mer. »
Toutefois, le rapport du Gouvernement prévu à l’alinéa 2 de l’article 47 de la loi de programme pour l’outre-mer n’a pas été déposé au Parlement. Pourtant, l’expérience de la Guyane semble justifier un traitement singulier : la situation particulièrement atypique de ce département d’outremer qui a conduit parfois à l’assimiler hier sur certains points à un territoire d’outre-mer (TOM) et pousse aujourd’hui à l’assimiler à une collectivité d’outre-mer (COM) est un indice qui, de ce point de vue, ne trompe pas. Par ailleurs, les clés de répartition de l’octroi de mer – une recette douanière issue d’un prélèvement sur la consommation et spécifique aux départements d’outre-mer – est révélatrice de la singularité guyanaise. En effet, « l’article 47 de la loi du 2 juillet 2004 (loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer) prévoit que le produit de l’octroi de mer fait l’objet, après prélèvement pour frais d’assiette et de recouvrement, d’une affectation annuelle à une dotation globale de garantie répartie entre les communes et, en Guyane, entre le département et les communes. Cette dotation de garantie est donc intégralement répartie pour les communes martiniquaises, guadeloupéennes et réunionnaises. Par contre, seuls 65 % de cette dotation bénéficient aux communes, 35 % profitant à la collectivité départementale »10. Cette singularité guyanaise a pour effet de limiter l’autonomie financière des communes dans la mesure où celles-ci ne reçoivent pas la totalité de l’octroi de mer que leurs homologues antillaises et réunionnaises perçoivent. L’origine de cette différence de traitement est elle-même révélatrice d’une entorse au principe constitutionnel de libre administration territoriale. En effet, « c’est le II de l’article 9 de la loi de finances n° 73-1150 pour 1974 qui a institué ce régime discriminatoire pour la Guyane. Cette disposition préjudiciable aux communes a été mise en place à l’époque pour pallier les graves difficultés financières de la collectivité départementale. Elle a toujours été maintenue nonobstant le fait que ce système pénalise lourdement sur le plan financier les communes guyanaises. »11 A la suite d’un amendement adopté par le parlement, l’alinéa deux de l’article 48 de la loi du 2 juillet 2004 a mis en place un mécanisme de limitation qui « devrait permettre, sans compromettre le budget du département, de dégager au fil du temps des ressources pour les communes 10
Patrick Lingibé, « L’octroi de mer : du droit de poids à l’adaptation au droit communautaire, la loi du 2 juillet 2004 », JCP A, n° 39 – septembre 2004, p. 1207. 11 Idem.
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de Guyane, qui bénéficieront de facto du surplus ainsi dégagé »12. Dans ce dispositif, la dotation de 35 % affectée au département de la Guyane est plafonnée à 27 millions d’euros. Ce n’est donc qu’à long terme, et seulement sur le surplus d’octroi de mer généré, que les collectivités communales guyanaises recevront la dotation d’octroi de mer qui aurait dû leur revenir. Nous avons donc ici une application inversée et négative du principe de l’autonomie financière et donc de la libre administration des collectivités territoriales : le législateur a décidé de retirer des ressources à une catégorie de collectivités (communes) pour l’affecter, sans compensation, à une autre catégorie, en l’espèce le département. Indépendamment des interrogations sur la constitutionnalité et la légalité d’un tel procédé, l’effet négatif de cette mesure n’est pas négligeable, compte tenu des problèmes structurels auxquels se trouvent confrontées les communes guyanaises. En particulier, le développement local de proximité, dont les communes sont en quelque sorte le siège, se trouve ainsi lourdement pénalisé. Dans son rapport 2003, l’Observatoire des finances locales indique : « dans la fiscalité des quatre taxes directes locales, la prise en charge par l’Etat est passée d’environ 22 % au milieu des années 1990 à près de 33,6 % en 2002 et probablement 34,6 % en 2003. » En d’autres termes, l’Etat est progressivement devenu le premier contributeur des collectivités territoriales. Le problème est particulièrement alarmant en Guyane puisqu’il aboutit à faire de l’Etat le seul financeur de certaines collectivités communales. Le principe de libre administration des collectivités territoriales est ainsi vidé de son sens. Une collectivité communale qui tire ses seules ressources de dotations étatiques ne peut prétendre être une collectivité territoriale de plein exercice. Dans son rapport établi en Mai 200413 sur la réforme des dotations de l’Etat aux collectivités locales, le Comité des Finances Locales indique : « Une séance de travail spécifique, associant 12 élus des collectivités d’outre-mer, a été consacrée aux dotations attribuées à ces collectivités. Le groupe de travail a pris connaissance d’un certain nombre de handicaps structurels des collectivités d’outre-mer, qui peuvent se traduire par la notion d’ultra-périphéricité. En premier lieu, il faut souligner que les difficultés liées à l’éloignement géographique peuvent se trouver aggravées par la dispersion géographique. En outre le contexte économique et social outre-mer apparaît sensiblement plus défavorable qu’en métropole, que ce soit en termes de taux de 12
R. du Luart, Rapp., op.cit. Comité des finances locales, Rapport sur la réforme des dotations de l’Etat aux collectivités locales, Mai 2004, pp. 56 à 58. 13
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chômage ou de niveau de PIB. A cet égard, il faut relever que le PIB par habitant outre-mer est compris entre 44% (Guyane) et 70% (Nouvelle-Calédonie) du PIB de métropole. Avec environ 14 000 euros par habitants, le PIB moyen outre-mer ne représente que 58 % du PIB par habitant en métropole14. Enfin, il faut souligner que les collectivités ultra-marines connaissent un dynamisme démographique important, et parfois une pression migratoire élevée. Le groupe de travail a examiné en premier lieu l’impact pour les collectivités d’outre-mer de la réforme proposée concernant la dotation forfaitaire. A cet égard, il faut relever en effet que la population des 4 départements d’outre-mer, par exemple, a augmenté de + 17,65 % entre 1990 et 199915, contre + 3,6 % en moyenne pour l’ensemble de la France. Le groupe de travail a souligné que la nouvelle architecture de la dotation forfaitaire proposée serait en conséquence particulièrement favorable aux collectivités d’outre-mer, puisque les variations de population seront désormais intégralement prises en compte pour le calcul de cette dotation. En outre, la croissance démographique outre-mer devrait conduire plus rapidement encore qu’en métropole à un renforcement, au sein de la dotation forfaitaire, du poids de la part « population », ce qui n’est pas neutre financièrement puisque cette part bénéficieraient d’une indexation plus favorable que le complément de garantie. S’agissant de la part “superficie” de la dotation forfaitaire, le groupe de travail s’est déclaré favorable à l’idée selon laquelle les attributions allouées à ce titre soient attribuées en intégrant un mécanisme de plafonnement ou de dégressivité afin de ne pas concentrer des sommes extrêmement importantes sur un nombre très restreint de collectivités. En second lieu, le groupe de travail s’est attaché à examiner différentes pistes de travail concernant un renforcement de la péréquation au profit des collectivités d’outre-mer. Il est apparu important de bien distinguer les questions portant sur le supplément de dotations qu’il conviendrait de consacrer à ces collectivités dans le cadre de la DGF, d’une part, et celles relatives aux critères de répartition de ces dotations, d’autre part. S’agissant des masses de dotations de péréquation réservées aux communes d’outre-mer, il faut rappeler que le mécanisme actuel consiste à leur allouer une quote-part de la dotation d’aménagement. Cette quote-part correspond à un ratio démographique soit, la population outre constatée à l’issue du recensement général de 1999 et affectée d’un coefficient de majoration de 10 %, rapportée à la population de l’ensemble de la France constatée lors de ce même recensement. Le même mécanisme s’applique pour le calcul de la quote-part de DNP attribuée aux communes des DOM et de Mayotte. 14
En 2000. Cette augmentation moyenne recouvre une certaine hétérogénéité des variations : Guyane : + 37,1 %, Réunion : + 18,2 %, Guadeloupe : + 9,2 %, Martinique : + 6,1 %. 15
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Le groupe de travail s’est déclaré favorable à ce que cette quote-part soit augmentée. Le coefficient de majoration pourrait ainsi être porté de 10 % à 15 %, conduisant à un gain supplémentaire de 2,8 M€, voire à 18%, le gain pour les communes d’outre-mer s’établissant alors à 4,5 M€. …/… Au total, il apparaît que l’ensemble de la réforme (dotation forfaitaire et dotation de péréquation) pourrait conduire à un supplément de 30 M€ pour les collectivités ultra-marines. S’agissant des critères de répartition, le groupe de travail a souligné que l’introduction des critères de répartition spécifiques pourrait le cas échéant intervenir au sein de ces enveloppes dédiées aux collectivités d’outre-mer. En revanche, il ne paraît pas envisageable de complexifier la répartition de l’ensemble de la DGF en retenant des critères particuliers pour le calcul de l’enveloppe globale outre-mer elle-même. Enfin, le groupe de travail a pris acte avec intérêt de la proposition du ministre de l’outre-mer de créer une “dotation spécifique outre-mer” (DSOM) en dehors du cadre de la DGF, et qui permettrait de mieux prendre en compte certaines particularités de la situation outre-mer. Les critères de cette dotation doivent permettre la prise en compte des handicaps structurels, pérennes et cumulatifs de l’outre-mer liés à l’éloignement géographique de la métropole, l’insularité, voire la double insularité. La prise en compte plus approfondie de certaines situations très spécifiques paraît en effet devoir passer par des instruments dédiés à cet objectif. »
En réalité, la réforme globale des dotations pour les collectivités d’outre-mer ne peut suffire pour la Guyane qui doit faire face à un handicap structurel, conséquence d’une départementalisation imparfaite et problématique. Il conviendrait que soit attribuée aux collectivités territoriales guyanaises, particulièrement les communes, une dotation de mise à niveau.
CONCLUSION La Guyane présente un visage qui, dans certains endroits reculés de son territoire, ne semble guère en affinité avec le statut départemental adopté formellement en 1946 et appliqué de manière imparfaite. Cohabitant longtemps avec la survivance coloniale du territoire de l’Inini, ce statut est loin d’avoir créé la dynamique nécessaire à la départementalisation et à une décentralisation réussie. D’autant que ce vaste territoire est confronté à des handicaps structurels qui tendent à disqualifier la notion même de département. Ce n’est nullement un hasard si la question institutionnelle
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occupe une place aussi importante dans les échanges politiques. En même temps qu’elle attire l’attention sur un certain nombre de difficultés propres à paralyser la gestion quotidienne des collectivités, elle contribue parfois à occulter d’autres enjeux non moins importants. Le débat récurrent sur la question institutionnelle cache en réalité un malaise profond provenant d’une part, d’une certaine appétence de la population pour un niveau de bien-être et de confort proche des standards métropolitains et, d’autre part, d’une insuffisance manifeste et chronique des politiques de développement capables de permettre d’atteindre cet objectif. Dès lors, le débat sur l’article 73 et 74 de la Constitution est faussé. La mise en place d’un statut ne peut résoudre à lui-seul les problèmes persistants de la Guyane, lesquels ne sont pas uniquement d’ordre administratif et juridique. Au-delà du débat juridique, le modèle guyanais renvoie à d’autres réalités. Au demeurant, tout projet de réforme institutionnelle doit pour réussir être partagé et accepté par le plus grand nombre. Sur ce point, l’échec des consultations antillaises du 7 décembre 2003 doit amener les décideurs guyanais à tirer certaines leçons dont trois nous paraissent essentielles. En premier lieu, il importe de tenir compte des implications de la question institutionnelle dans la vie quotidienne du citoyen. Ce dernier ne doit pas avoir l’impression que le débat institutionnel se limite à un simple enjeu de lutte pour l’accès au pouvoir local ou pour son partage. En second lieu, il convient de garder présent à l’esprit qu’en dépit de son caractère inachevé et inadapté, le statut départemental reste pour la grande majorité de la population (à tort ou à raison !) un socle de protection et de confort que chacun entend préserver. La Guyane, composée de populations aux aspirations souvent différentes, voire même divergentes, estelle prête à franchir le pas d’une réforme institutionnelle d’envergure et à perdre ainsi une identité départementale, sur certains aspects illusoires, mais qui imprègne fortement, quoiqu’on en dise, l’inconscient collectif ? Enfin, tout projet d’évolution institutionnelle guyanais doit rencontrer l’adhésion des peuples de Guyane pour avoir des chances de réussir et servir en même temps de tremplin pour un projet de développement commun. En effet, la spécificité sociologique de la Guyane impose que tout projet d’évolution institutionnelle soit partagé par l’ensemble des peuples de Guyane. Car il n’existe pas une Guyane mais des Guyanes : une Guyane du Littoral, une Guyane de l’Intérieur, une Guyane du Fleuve avec ses dures réalités etc. Chaque communauté constitutive de cette mosaïque a donc ses propres aspirations.
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D’où ce difficile défi à relever : comment élaborer un projet commun permettant de transcender les communautés et les phénomènes de repli communautaire, tout en respectant les particularismes de chaque groupe de population ou de chaque peuple ? C’est là le véritable enjeu de toute évolution institutionnelle en Guyane et de toute décentralisation réussie.
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DEUXIEME PARTIE Le statut communautaire en débat : Fluidité ou rigidité ?
L’INCIDENCE DES CHOIX STATUTAIRES INTERNES DE L’OUTRE-MER FRANÇAIS SUR LE DROIT COMMUNAUTAIRE Isabelle VESTRIS
Les articles 72-3, 72-4 et 73 de la Constitution de la V° République1, classent les collectivités d’outre-mer en quatre catégories constitutionnelles et offrent plusieurs possibilités d’évolutions statutaires à certaines d’entre elles. En effet, selon l’article 72-3 de la Constitution française2, l’outre-mer français se compose des départements et régions d’outre-mer (DROM) ainsi que des collectivités territoriales créées en application de l’alinéa 7 de l’article 73 qui sont régis par l’article 73 de la Constitution, des collectivités d’outre-mer (COM) régies par l’article 74, de la Nouvelle-Calédonie régie par le titre XIII et des terres australes et antarctiques françaises dont le régime législatif et l’organisation particulière sont déterminés par la loi. De plus, la Constitution française permet désormais de modifier le statut des DROM et des COM3. En effet, si on retient la définition d’un statut comme étant la conjugaison d’un régime juridique, de compétences et d’une organisation institutionnelle, et que modifier un élément revient à changer le statut luimême4, l’article 73 nouveau permet de modifier au moins deux des 1
Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, relative à l’organisation décentralisée de la République, JORF du 29/03/2003, p. 5568. 2 Issu de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, relative à l’organisation décentralisée de la République, op.cit. 3 Ce que la jurisprudence du Conseil constitutionnel interdisait jusque-là, voir infra note de bas de page n°4. 4 La jurisprudence du Conseil constitutionnel tend à prouver que l’organisation institutionnelle et les compétences sont deux composantes du statut, à côté du régime législatif, et que modifier une revient à changer de statut, puisque c’est au nom de l’identité statutaire entre départements de l’Hexagone et d’outre-mer qu’il censure un changement institutionnel, la mise en place d’une assemblée unique élue à la représentation proportionnelle (Décision du Conseil constitutionnel n°82-147 DC du 2/12/1982, loi portant adaptation de la loi 22-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et liberté des communes, des départements et des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à La Réunion, Rec.p.70 ; RJC, p.I-135 ; JORF du 4/12/1982, p.3666), puis une modification dans la répartition des compétences entre conseils général et régional (Décision du Conseil Constitutionnel, n°84-174 DC du 25/07/1984, loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, Guyane, de Martinique et de La Réunion, Rec. p.48, RJC p. I-188, JORF du 28/07/1984, p.2493). Cependant, toute modification institutionnelle des DOM n’est visiblement pas un changement de statut puisque le Conseil autorise les DOM à disposer d’une organisation
composantes du statut des DROM. S’agissant des compétences tout d’abord, les DROM ont la possibilité de demander à être habilités par la loi, à décider de l’adaptation de lois et règlements dans les domaines où s’exercent leurs compétences (article 73 alinéas 1 et 2). Leur dispositif institutionnel peut également être modifié en vertu de l’alinéa 7 de l’article 73 nouveau qui permet la création d’une collectivité se substituant à un DROM5 ou l’institution d’une assemblée unique, après accord des électeurs. Enfin, si leur régime juridique demeure celui de l’identité législative, d’aucuns considèrent qu’il est fortement altéré par l’alinéa 36 qui prévoit que les DROM peuvent être habilités par la loi à déterminer eux-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans certaines matières pouvant relever du domaine législatif7. De plus, selon le nouvel article 72-4 de la Constitution, les collectivités mentionnées à l’article 72-3 alinéa 2, à savoir la Guadeloupe (entièrement ou en partie), la Martinique, la Guyane, La Réunion, Mayotte, Saint-Pierre-etMiquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française peuvent passer de l’un à l’autre des régimes prévus par les articles 73 et 74, à condition que le consentement des électeurs de la collectivité intéressée soit recueilli8. C’est ainsi que, suite au processus initié par le rapport Lise-Tamaya9, poursuivi avec la loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 200010 et les propositions des Congrès des élus régionaux et départementaux de la institutionnelle propre qui ne doit pas être particulière afin de ne pas nuire à l’identité statutaire entre les DOM et les autres départements français, et qui, dans ce cas, ne constitue pas un changement de statut (Décision du Conseil Constitutionnel n° 2000-435 DC du 7/12/2000 relative à la loi d’orientation pour l’outre-mer, Rec.p.164, JORF du 14/12/2000, p.19830). 5 La création d’une collectivité se substituant au département et à la région de La Réunion ne semble pas possible, l’alinéa 5 de la Constitution faisant explicitement référence au département et à la région de La Réunion 6 Gohin (O), « Rapport de synthèse », in Faberon (J-Y), (sous la direction de), L’outre-mer français, la nouvelle donne institutionnelle, Coll. Etudes de la documentation française, Paris, La Documentation française, 2004, pp. 200 et 201. 7 Cette disposition n’est pas applicable au DROM de La Réunion conformément à l’alinéa 5 de la Constitution française. 8 Cf. alinéas 1 et 2 de l’article 72-4 de la Constitution française. S’agissant de La Réunion, il semble cependant que la référence explicite au département et à la région de la Réunion à l’alinéa 5 de l’article 73 constitutionnalise l’existence d’un département et d’une région à La Réunion et verrouille, de ce fait, le passage de l’article 73 à l’article 74 de la Constitution. La doctrine est cependant circonspecte, il appartiendra donc éventuellement au Conseil Constitutionnel de trancher cette question. Cf. Gohin (O), « Rapport de synthèse », op.cit. et Blériot (L), « Les départements et régions d’outre-mer : un statut à la carte », Pouvoirs, n°113, 2005, p.62 et 63. 9 Lise (C), Tamaya (M), Les départements d’outre-mer aujourd’hui, la voie de la responsabilité : rapport au premier Ministre, Paris, La documentation française, Coll. Rapports officiels, 1999, 214 p. 10 J.O.R.F n° 289 du 14 décembre 2000 page 19760
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Martinique et de la Guadeloupe11, et conformément à la procédure prévue à l’alinéa 2 de l’article 72-4, le Président de la République française, M.Chirac a décidé de consulter12, le 7 décembre 2003, les électeurs martiniquais, guadeloupéens, saint-martinois, et saint-barths sur leur avenir institutionnel13. Les électeurs guadeloupéens et martiniquais avaient à répondre par « oui » ou par « non » à la question suivante : « approuvez-vous le projet de création en Guadeloupe/en Martinique d’une collectivité territoriale demeurant régie par l’article 73 de la Constitution, et donc par le principe de l’identité législative avec possibilités d’adaptations, et se substituant au département et à la région dans les conditions prévues par cet article ? » Les électeurs saint-martinois et saint-barths avaient pour leur part à répondre par « oui » ou par « non » à la question : « approuvez-vous le projet de création à Saint-Barthélemy/à Saint-Martin d’une collectivité d’outremer régie par l’article 74 de la Constitution, se substituant à la commune, au département et à la région, et dont le statut sera défini par une loi organique qui déterminera notamment les compétences de la collectivité et les conditions dans lesquelles les loi et règlements y sont applicables ? » La campagne électorale ayant précédé les consultations du 7 décembre 2003 a permis de prendre la mesure de l’emprise du droit communautaire sur les éventuels choix statutaires internes de l’outre mer français. En effet, la question de savoir si le changement proposé aux électeurs guadeloupéens et martiniquais était un changement statutaire ou institutionnel a été au cœur de la campagne électorale. L’intérêt de cette question dépassait les 11
Pour de plus amples développements sur le processus ayant abouti à la consultation du 7 décembre 2003, voir JOS (E), « La Martinique à la recherche d’une meilleure gouvernance : quelle réforme statutaire au service du développement ? », Migrations santé, Guadeloupéens, Martiniquais, Antillais de France, n° 115/116, 2003, p.79 à 83. Jos (E), « La consultation du 7 décembre 2003 à la Martinique : instrumentalisation politique et ambiguïtés conceptuelles », Pouvoirs dans la Caraïbe, n°15, L’Harmattan, 2006, à paraître .Voir également, Elfort (M), Faberon (J-Y), Goesel Le Bihan (V), Michalon (T), Réno (F), sous la direction de, La loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000, PUAM, Coll. Collectivités locales, 2001, p. 619. 12 Décret du 29 octobre décidant de consulter les électeurs de la Guadeloupe en application de l’article 73 de la Constitution, JORF, n°252 du 30 octobre 2003, p.18535 ; Décret du 29 octobre décidant de consulter les électeurs de la Martinique en application de l’article 73 de la Constitution, JORF, n°252 du 30 octobre 2003, p.18535 ; Décret du 29 octobre décidant de consulter les électeurs de Saint-Barthélemy (Guadeloupe) en application de l’article 72-4 de la Constitution, JORF, n°252 du 30 octobre 2003, p.18536 ; Décret du 29 octobre décidant de consulter les électeurs de l’île de Saint-Martin (Guadeloupe) en application de l’article 72-4 de la Constitution, JORF, n°252 du 30 octobre 2003, p.18536. 13 Sur la clarté et la loyauté de la consultation voir Capitolin (J-L), « La clarté et la loyauté d’une consultation préalable à l’évolution institutionnelle au sein de la République », Revue française de droit constitutionnel, 2005, pp.781-804.
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frontières constitutionnelles car il s’agissait en fait de savoir si un éventuel changement du statut de la Guadeloupe et de la Martinique en droit constitutionnel français entraînait un changement de la situation de ces territoires par rapport à l’Union européenne, en clair si ces territoires pouvaient demeurer des régions ultrapériphériques de l’Union européenne, alors qu’ils n’étaient plus des DOM en droit constitutionnel et que l’article 299 §2 du traité instituant la Communauté européenne (CE) fait référence aux « départements français d’outre-mer ». Il était d’autant plus difficile d’exposer la question à la population et d’y répondre que les juristes demeurent divisés sur les conséquences juridiques en droit communautaire d’un changement de statut en droit constitutionnel14. On comprend, dès lors, l’intérêt qu’il y avait pour certains hommes politiques à qualifier le changement proposé de changement de statut, auquel cas la question de l’influence du changement sur le droit communautaire restait ouverte ou pour d’autres de changement institutionnel, ce qui réglait, du moins l’espéraient-ils, la question. La campagne s’est cristallisée autour d’une querelle de mots, éclipsant les véritables enjeux du changement, c’est-à-dire les possibilités offertes par ce changement et ses implications pratiques15. De plus, l’issue de la consultation du 7 décembre 2003 en Martinique et en Guadeloupe16 a différé le débat sur un projet de développement pour ces collectivités. La référence aux « départements français d’outre-mer » dans l’article 299 §2 CE qui définit le statut communautaire des RUP a donc été source d’interrogations. On constate, en effet, que la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion qui sont des départements et régions d’outre-mer relevant de l’article 73 de la Constitution française, sont dans la catégorie des régions ultrapériphériques17 (RUP) en droit communautaire ; alors que Mayotte, Saint-Pierre et Miquelon, la Polynésie française, les îles Wallis et Futuna, qui sont des Collectivités d’Outre-Mer (COM), relevant de l’article 74 de la Constitution française, sont des Pays et Territoires d’Outre-Mer18 (PTOM) en droit communautaire. Ce qui est également le cas de la Nouvelle-Calédonie qui est régi par le titre XIII de la Constitution française19. Cette correspondance peut légitimement amener à s’interroger 14
Voir infra note de bas de page n° 20. Voir journées d’Etudes sur la démocratie locale et les territoires périphériques organisées par le Centre de Recherche sur les Pouvoirs Locaux dans la Caraïbe (CRPLC) les 4 et 5 novembre 2004 au Campus de Schoelcher. 16 Les électeurs guadeloupéens ont répondu « non » à 72,98% (taux de participation de 50,34%) et les électeurs martiniquais ont répondu « non » à 50,48% (taux de participation de 43,94%). Source : www.vie-publique.fr. 17 Article 299 §2 du traité instituant la Communauté européenne. 18 Quatrième partie du traité instituant la Communauté européenne. 19 Pour de plus amples développements sur les statuts communautaires de RUP et de PTOM, voir dans le présent ouvrage, Jos (E), « Statuts communautaires et développement durable des Régions ultrapériphériques françaises », et Mounier (L), « Les implications divergentes des 15
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sur les liens juridiques existant entre les statuts constitutionnels et communautaires de l’outre-mer français. Cependant, il n’existe pas, a priori, de lien juridique entre le statut constitutionnel d’un territoire et son statut communautaire20. En effet, admettre le contraire serait reconnaître à un Etat le droit de modifier unilatéralement le traité communautaire, ratifié par l’ensemble des Etats membres, en changeant le statut constitutionnel de l’un de ses territoires. La correspondance entre les statuts constitutionnels et communautaires de ces collectivités s’explique par le fait que lors de la rédaction du traité instituant la Communauté économique européenne, quand il a fallu décider de leur statut communautaire, le fait pour un territoire d’être un Département d’Outre-Mer (DOM) ou un Territoire d’Outre-Mer (TOM) en droit interne a eu des incidences. En effet, la Constitution française de la IV° République adoptée en 1946 établissait une distinction entre les départements d’outre-mer (DOM) et les territoires d’outre-mer (TOM), dans ses articles 73 et 74. Cette distinction fut reprise à la fois dans la Constitution de la V° République de 1958, dans ses articles 73 et 74 anciens, et dans le traité de Rome signé le 25 mars 1957 et entré en vigueur le 1er janvier 195821.
statuts de RUP et de PTOM au sein de la Communauté européenne ». Voir également, Dormoy (D), « Association des pays et territoires d’outre-mer (PTOM) à la Communauté », JCE, fascicule n° 473, 25 p ; Ziller (J), « Champ d’application du droit communautaire, application territoriale, application personnelle, application temporelle », JCE, fasc. 470, 24 p ; Ziller (J) « Les possibilités et les limites constitutionnelles et internationales d’évolutions statutaires », dans Faberon (J-Y), (sous la direction de), La loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000, Coll. Collectivités locales, PUAM, 2001 ; Ziller (J) « L’union européenne et l’Outre-mer », Pouvoirs, n°113. 20 Voir en ce sens l’intervention de F. Luchaire lors du colloque l’Outre-Mer et l’Europe communautaire : quelle insertion ? Pour quel développement ? débat sous la présidence de J-C Gautron, dans Jos (E) et Perrot (D), (sous la direction( de, L’Outre-Mer et l’Europe communautaire :quellle insertion ? Pour quel développement ? Economica, 1994, p.351 ; Luchaire (F), Le statut constitutionnel de la France d’Outre-Mer,Paris, Economica, 1992, p.179 et 180 ; Ziller (J), « Les possibilités et les limites constitutionnelles et internationales d’évolutions statutaires », op.cit., p. 74 . Pour une position contraire voir Custos (D), « Champ d’application territorial du droit communautaire », JCE, 2000, n° 24 ; Coussirat-Coustere (V) « commentaire de l’article 227 », dans Constantinesco (V) et autres, (sous la direction de), Traité instituant la CEE : commentaire article par article, Paris, Economica, 1992, p. 1425 ; Michalon (T), « Une nouvelle étape vers la diversification des régimes des collectivités territoriales : le nouveau statut de SaintPierre-et-Miquelon », RFDA, n°2, mars-avril 1986, p.196. 21 Jacques Ziller écrit d’ailleurs à ce propos que « le statut de DOM préexistait donc tant au traité instituant la Communauté européenne qu’à la Constitution de la V° République » et que « chacun de ces deux textes allait en tirer des conséquences assez semblables ». Cf. Ziller (J), Les DOM-TOM, Paris, LGDJ, 2° édition, 1996, p.24.
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C’est ainsi qu’au moment de la rédaction et de la ratification du traité de Rome, établissant la Communauté économique européenne, une différence entre les DOM et les TOM est établie dans l’article 227, définissant le champ d’application du traité, qui, dans son paragraphe 2, détermine les conditions d’application du traité « aux départements français d’outre-mer22 » et à l’Algérie, et, dans son paragraphe 3 prévoit un régime d’association pour les pays et territoires d’outre-mer (PTOM) dont font partie les TOM français. Les DOM ont eu un statut d’intégration à la Communauté avec des possibilités d’adaptation23 et appartiennent aujourd’hui à la catégorie des RUP, soumises au droit commun communautaire avec des possibilités de mesures spécifiques et régies par l’actuel article 299 §2 du traité24. A l’inverse, les TOM ont eu un statut d’association et ont fait partie, dès lors, de la liste des PTOM de l’Union européenne (UE) annexée au traité. Associés et non intégrés à l’UE, ils ne sont donc pas soumis à l’intégralité du droit commun communautaire. Le traité établissant une Constitution pour l’Europe (TECE), dans son l’article III-42425 appelé à remplacer l’article 299§2 CE26, et la Constitution française, depuis la révision de mars 2003, ne font d’ailleurs plus référence au terme générique de départements d’outre-mer comme une catégorie mais mentionnent nominativement la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion. Cette énumération s’imposait dans la Constitution, eu égard aux possibilités d’évolution de ces territoires, et parce que depuis 1982 ils n’étaient plus seulement DOM mais départements et régions d’outre-mer (DROM)27. L’article III-424 pouvait donc difficilement 22 La Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique et La Réunion furent cités sous le terme générique de « départements français d’outre-mer » dans l’article 227 §2, alors que les TOM français furent cités nominativement à l’annexe IV du Traité instituant la Communauté économique européenne. 23 Cf. CJCE, 10/10/1978, H.Hansen jun. & O.C Balle GmbH& Co. contre Hauptzollamt de Flensburg, aff 148/77, Rec 1978, p 1787. Voir notamment Custos (D), « Champ d’application territorial du droit communautaire », Juris-Classeur Europe, fasc 471, 15 p et fasc 472, 21 p ; JOS (E), « L’insertion des DOM dans la Communauté européenne : la recherche d’un statut différencié », dans Réno (F), Identités et espaces politique européen, Economica, 1995, p. 218. 24 L’article 227 §2 du traité ayant été modifié et numéroté 299 §2 CE lors de la révision du Traité instituant la Communauté européenne par le traité d’Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999. 25 Cf. version consolidée du traité établissant une Constitution pour l’Europe, JOUE C 310 du 16 décembre 2004, p.182. 26 qui a remplacé l’article 227 §2 du traité CE. 27 Ce que la loi constitutionnelle de 2003 a entériné, cf. article 73 alinéa 1 de la Constitution de la V° République après la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 ; loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, relative à l’organisation décentralisée de la République, op.cit.
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continuer à citer un terme dont le sens avait évolué en droit constitutionnel, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion n’étant plus seulement DOM mais départements et régions d’outre-mer. Cependant, le TECE ayant peu de chances d’être ratifié, suite au résultat négatif du référendum français notamment, l’argument basé sur la référence aux « départements français d’outre-mer » à l’article 299 §2 du traité CE est toujours opérant et la question de la relation entre les statuts constitutionnels et communautaires des collectivités territoriales d’outre-mer28 n’est donc pas totalement évacuée. Les nouvelles possibilités d’évolutions statutaires des collectivités d’outre-mer soulignent donc l’acuité des interrogations relatives aux conséquences en droit communautaire des choix statutaires constitutionnels internes. Si les évolutions statutaires internes de l’outre-mer français sont, a priori, sans conséquence sur le droit communautaire (I), elles ne doivent cependant pas s’accompagner de transferts de compétences incompatibles avec le droit communautaire (II).
I - LES EVOLUTIONS STATUTAIRES DE L’OUTREMER FRANÇAIS : L’ABSENCE D’IMPLICATION EN DROIT COMMUNAUTAIRE Un changement de statut en droit interne n’a pas de conséquences automatiques sur le statut communautaire d’un territoire29. Les institutions, le régime législatif et les compétences des collectivités territoriales d’outre-mer peuvent évoluer conformément aux dispositions de l’article 73 (1) et de l’article 72-4 (2) de la Constitution française sans que leur statut communautaire n’en soit affecté. 1 – L’absence d’effet des modifications statutaires des DROM autorisées par l’article 73 de la Constitution sur leur statut communautaire Un département-région d’outre-mer régi par l’article 73 de la Constitution française peut devenir une collectivité unique, ou avoir une assemblée unique30 sans que son appartenance à la catégorie de région 28
Ce terme englobe à la fois les DROM et les COM. Voir supra. 30 Ce que prévoit l’article 73 alinéa 7 de la Constitution française.
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ultrapériphérique de l’Union européenne ne soit remise en cause, sous le seul prétexte qu’il ne s’agit plus d’un département d’outre-mer, et que l’article 299 §2 CE régissant le statut des RUP cite « les départements français d’outre-mer ». En effet, admettre le contraire signifierait, par exemple, qu’une nouvelle collectivité créée en application de l’article 73 alinéa 7 ne serait plus une RUP de l’Union européenne, ne serait pas plus un PTOM, car elle ne figurerait pas sur la liste annexée au traité CE. Elle serait donc soumise au droit commun communautaire comme tous les autres départements et régions de France, alors que les caractéristiques et contraintes particulières justifiant son statut de RUP selon l’article 299 §2 CE n’auraient pas disparu par le seul effet d’une modification institutionnelle ! Si on peut déplorer que les départements et régions d’outremer ne soient pas cités nominativement à l’article 299 §2 CE, on ne doit pas pour autant en déduire l’existence d’un lien systématique entre le statut constitutionnel et le statut communautaire de ces territoires. La référence historique31 aux « départements français d’outre-mer » dans l’article 299 §2 CE a perduré dans le TCE, de même que la référence à l’Algérie à côté des départements français d’outre-mer n’a disparu de l’article 227 §2 qu’en 1992, lors de la révision du traité CEE par le traité de Maastricht32, alors que l’Algérie était indépendante depuis 1962. Il serait cependant opportun de nommer les territoires auxquels s’applique l’article 299 §2 CE à l’occasion d’une révision du traité CE. Cette énumération est d’ailleurs prévue dans le TECE et règlerait définitivement la question. Les départements et régions d’outre-mer de l’article 73 de la Constitution peuvent également demander à adapter les lois et règlements, conformément aux alinéas 1 et 2 de l’article 73 de la Constitution française, ou à fixer eux-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières, selon l’article 73 al.3, dans les limites prévues par les alinéas 4 et 6 du même article, sans que cela n’affecte automatiquement leur appartenance à la catégorie communautaire de RUP. Autrement dit, les évolutions institutionnelles et les adaptations et extensions de compétences prévues dans l’article 73 de la Constitution française pour les DROM33 n’ont pas, a priori d’incidences sur leur statut communautaire de RUP. 31
Voir supra. JOUE, n° C 325 du 24 décembre 2002. 33 On doit préciser qu’à La Réunion il ne peut y avoir de collectivité unique ni d’habilitation législative autorisant le département et la région à fixer des règles applicables sur le territoire en vertu de l’alinéa 5 de l’article 73. 32
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La Constitution envisage également dans son article 72-4 de la Constitution un possible passage de la catégorie constitutionnelle de DROM à celle de COM et inversement. Ce passage s’apparente à un changement de statut qui touche bien entendu les institutions et potentiellement les compétences et le régime législatif34. 2 - les effets d’un changement de catégorie statutaire constitutionnel sur l’appartenance aux catégories communautaires de RUP et de PTOM On peut tout à fait concevoir qu’un DROM de l’article 73 de la Constitution française devienne une Collectivité d’Outre-Mer (COM) de l’article 7435, conformément aux dispositions de l’article 72-4 de la Constitution, et demeure une RUP de l’Union européenne, à condition que le droit français commun et, par conséquent, le droit communautaire commun continue de lui être applicable, même s’il peut faire l’objet d’adaptations. C’est ainsi que Saint-Martin et Saint-Barthélemy, dont les populations ont souhaité qu’ils deviennent des COM relevant de l’article 74 de la Constitution lors de la consultation du 7 décembre 200336, pourraient rester des RUP, s’ils ne souhaitent pas exercer des compétences incompatibles avec le droit communautaire. Ils pourraient également devenir PTOM, si au contraire ils désirent exercer de telles compétences. Dans cette dernière hypothèse, il faudrait réviser le traité communautaire afin de les ajouter à la liste des Pays et Territoires d’Outre-Mer (PTOM) de l’UE annexée au traité CE37.
34 En effet, si le passage de l’article 74 à l’article 73 implique nécessairement une modification du régime législatif des COM dans la mesure où l’article 73 impose le régime d’assimilation, le passage de l’article 73 à l’article 74 n’entraîne pas nécessairement de modification du régime législatif, car l’article 74 n’assujettit pas obligatoirement les COM au régime de spécialité législative. 35 Ce qui est constitutionnellement possible en vertu de l’article 72-4 al.1après avoir recueilli le consentement de la population. 36 Le « oui » l’a emporté à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, avec respectivement 95,51% et 76,17% des suffrages. Taux de participation de 44,18% à Saint-Martin et de 78,71% à SaintBarthélemy. Source www.vie-publique.fr. 37 Selon le Pr Gohin, Saint-Martin et Saint-Barthélemy resteraient toutes deux en régime d’assimilation adaptée mais Saint-Martin resterait une RUP alors que Saint-Barthélemy deviendrait un PTOM, sous réserve que la France fasse procéder aux ajustements de l’article 299 §2 CE et de l’annexe II du traité CE, nécessaires. Voir Gohin (O), « Les consultations locales de 2003 en Corse et aux Antilles », Petites affiches, 6 août 2004, n°157, p.16. Voir également dans le présent ouvrage Castagnède (B), « Souplesse du cadre institutionnel : de l’article 73 à l’article 74. L’exemple de la transformation statutaire des îles du nord de la Guadeloupe ».
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Il est également envisageable qu’une COM de l’article 74 de la Constitution, actuellement PTOM, devienne une RUP, à condition que le droit français commun et par conséquent le droit communautaire commun lui soit applicable, même s’il est adapté. Il en est question s’agissant de la collectivité départementale de Mayotte, en effet, une déclaration jointe au traité constitutionnel38, précisant qu’une décision sera prise par le Conseil autorisant le passage de Mayotte du statut de PTOM à celui de RUP « lorsque les autorités françaises notifieront au Conseil européen et à la Commission que l’évolution en cours du statut interne de l’île le permet ». Les ajustements nécessaires sont relatifs à la mise en conformité des compétences de Mayotte afin que celles-ci ne se révèlent pas incompatibles avec le droit communautaire commun qui s’applique aux RUP. Cependant, si la référence aux départements d’outre-mer dans l’article 299 §2 CE fait débat, les limites les plus contraignantes aux évolutions statutaires internes des RUP françaises se situent ailleurs. Elles ont trait à une possible incompatibilité entre les compétences éventuellement revendiquées et le droit communautaire.
II - L’EVENTUELLE INCOMPATIBILITE ENTRE LES COMPETENCES REVENDIQUEES PAR L’OUTRE-MER FRANÇAIS ET LE DROIT COMMUNAUTAIRE Le choix d’un statut dépend généralement de sa capacité, réelle ou supposée, à favoriser le développement économique, social et culturel et à créer des institutions adaptées à un territoire donné. Les revendications statutaires pouvant s’accompagner de demandes de nouvelles compétences, l’appartenance à la catégorie communautaire de RUP impose des limites (1). Si les collectivités sollicitent et obtiennent l’exercice de compétences incompatibles avec leur statut communautaire, l’octroi de ces nouvelles compétences devra s’accompagner d’une modification de leur statut communautaire (2).
38
Déclaration n°28, cf. version consolidée du traité établissant une Constitution pour l’Europe, op.cit., p.463
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1 - Les exigences du statut communautaire de RUP Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne39 sont régies par l’article 299 §2 du traité CE en vertu duquel le droit communautaire leur est applicable. Cependant, selon le même article, le Conseil de l’UE peut adopter des mesures spécifiques visant à fixer les conditions d’application du traité à ces régions, compte tenu de leur situation économique et sociale et de facteurs structurels, à condition de ne pas nuire à l’intégrité et à la cohérence de l’ordre juridique communautaire40. C’est ainsi que sur la base de l’article 299 §2 CE, le Conseil a adopté une décision41 autorisant les autorités françaises à déroger au principe communautaire de libre circulation des marchandises42 pour une durée de 10 ans, en maintenant la taxe « octroi de mer » pour les produits importés dans les RUP françaises, tout en prévoyant des exonérations ou des réductions pour une liste de produits fabriqués dans les RUP françaises43.
39
Il s’agit de 7 régions : les Canaries (région espagnole), Madère et les Açores (régions portugaises) et la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique et La Réunion (régions françaises). 40 Pour de plus amples développements sur la portée de cet article voir notamment Perrot (D), « Le nouvel article 299 §2 du traité instituant la Communauté européenne- Vers un approfondissement de la différenciation juridique en faveur des régions ultrapériphériques », Pouvoirs dans la Caraïbe, n°12, , pp. 107-148 et Omarjee (I), « Le traité d’Amsterdam et l’avenir de la politique de différenciation en faveur des départements d’outre-mer », RTDE 1998, pp.515-533. 41 Décision 2004/162/CE du 11 février 2004, relative au régime de l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer et prorogeant la décision 89/688/CEE, JOUE n° L 52, pp.64-69. 42 Plus précisément aux articles 23, 25 et 90 du traité CE. 43 Sur l’octroi de mer voir, notamment, Clemente (C), « Défendre des droits particuliers ? Réflexions sur une arme économique contestée : l’octroi de mer » in Fortier (J-C), dir. Questions sur l’administration des DOM, Paris, Economica/Presses Universitaires d’AixMarseille, 1989, pp. 353-364 ; Raulin de (A), « L’octroi de mer », RFFP, 1991, n° 33, pp. 6385 ; Vitalien (C), « La réforme de l’octroi de mer », AJDA, 1992, pp. 609-614 ; Simon (D) et Masselot (J-F), « La réforme de l’octroi de mer : côté cour, côté chambres », Europe, février 1993, pp. 1-4 ; SAINT-CYR (PH), « L’octroi de mer », dans Jos (E) et Perrot (D), (sous la direction de), L’outre-mer et l’Europe communautaire : quelle insertion ? Pour quel développement ? Economica, 1994, pp 397-414 ; Slotboom (MM), « L’application du traité CE au commerce inter étatique. Le cas de l’octroi de mer », CDE 1996, n° 1-2 pp. 9-29 ; RAULIN de (A), « La réforme de l’octroi de mer : réglementation communautaire et législation nationale », dans Grard (L) et de Raulin (A), (sous la direction de), Le développement des DOM et la Communauté européenne, Paris, La documentation française, 1998, pp. 69-91 ; Simon (D), « Le nouvel octroi de mer : serpent de mer apprivoisé ou laboratoire de l’ultrapériphéricité », Europe, juin 2004, pp.6-9 ; Crestor (R), Octroi de mer 2004-2014, de la protection à la compensation, Sainte-Anne, Martinique, RC Editions, 2005.
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Cependant, si des adaptations et dérogations peuvent être accordées, le principe demeure celui de l’application intégrale du traité communautaire aux RUP, alors que s’agissant des PTOM cette application est « partielle »44. En effet, les PTOM ne sont pas intégrés mais associés à l’UE, les modalités de cette association étant déterminées dans la quatrième partie du traité CE45. L’article 184 CE prévoit par exemple, l’interdiction des droits de douane dans les relations commerciales entre les Etats membres et les PTOM, mais autorise toutefois ces derniers à percevoir des droits de douane qui répondent, notamment, aux nécessités de leur développement. Autrement dit, ce qui pour les RUP relève d’une dérogation, dans le cas précis de l’octroi de mer, est autorisé par le traité pour les PTOM. Cependant, si l’appartenance à la catégorie de RUP peut sembler un inconvénient, car elle impose de renégocier périodiquement le maintien de cette taxe, les RUP en tant que parties intégrantes de l’UE sont éligibles à certaines aides financières46, contrairement aux PTOM. Les statuts communautaires de RUP et de PTOM comportent donc chacun des avantages et des inconvénients47 et induisent des conséquences en droit interne. En effet, une RUP de l’UE ne peut exercer des compétences qui se révèleraient incompatibles avec les règles du droit communautaire, et ce, qu’elle soit un DROM relevant de l’article 73 de la Constitution ou une COM relevant de l’article 74. Les compétences que pourraient obtenir les RUP françaises en droit interne doivent donc être compatibles avec le droit communautaire. En effet, le Législateur français ne peut, par exemple, autoriser les DROM à établir ou modifier des règles dans des matières qu’il a transférées à l’UE. En revanche, un PTOM n’étant pas intégré mais associé à l’UE peut exercer un certain nombre de compétences qui seraient incompatibles avec le droit communautaire, dans le cas contraire.
44
Terme utilisé par le Pr Ziller, voir Ziller (J), « champ d’application du droit communautaire », op.cit., n° 38 à 63. 45 La quatrième partie du traité CE (articles 182 à 188 CE) définit les modalités du régime d’association qui sont précisées par une décision d’association. Il s’agit actuellement de la décision 2001/822/CE du Conseil du 27/11/2001, relative à l’association des pays et territoires d’outre-mer à la Communauté économique européenne, JOUE n° L 314, du 30 novembre 2001, p.1. Voir Gonidec (P-F), « L’association des pays d’outre-mer au Marché commun », AFDI, 1958, pp. 593-621. 46 Fonds structurels. 47 Voir dans le présent ouvrage Mounier (L), «Les implications divergentes des statuts de RUP et de PTOM au sein de la Communauté européenne », op.cit.
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Par exemple, en matière de pêche et d’exploitation des ressources halieutiques, alors que les PTOM disposent d’une compétence très étendue, une éventuelle compétence des RUP se limiterait au contrôle de l’application de règles décidées par l’UE, celle-ci étant seule compétente dans ce domaine48. La question n’est donc pas tant de relever de l’article 73 ou de l’article 74 de la Constitution française, mais de solliciter et d’obtenir des compétences compatibles ou non avec le statut communautaire de RUP. Les DROM ne sont pourtant pas condamnés à renoncer à l’exercice de compétences qu’ils estimeraient indispensables à leur développement. 2 - L’exercice de compétences incompatibles avec le droit communautaire subordonné au changement de catégorie statutaire communautaire Un DROM désireux d’exercer de nouvelles compétences, doit procéder avec méthode, il s’agira, en effet : -
de définir un projet de développement pour la collectivité en déterminant précisément les compétences souhaitées,
-
puis, de vérifier l’éventuelle compatibilité de ces compétences avec le droit communautaire,
-
s’il existe des incompatibilités, de les évaluer au regard des avantages et inconvénients des statuts de RUP et de PTOM49,
-
et enfin de choisir entre le statut actuel de RUP sans l’exercice des compétences incompatibles ou celui de PTOM avec l’exercice de ces compétences.
Cependant cette démarche suscite plusieurs réserves et observations. Elle exige une parfaite connaissance de la répartition des compétences entre l’Union européenne et les Etats membres. En l’absence de liste50 des domaines de compétences exclusivement dévolus à l’Union, des domaines partagés entre l’Union et les Etats membres, et des domaines retenus par les
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Ziller (J), « L’union européenne et l’Outre-mer », op.cit., p.151. Voir dans le présent ouvrage Mounier (L), «Les implications divergentes des statuts de RUP et de PTOM au sein de la Communauté européenne », op.cit. 50 Il existe un essai de classification des différentes catégories de compétences dans le traité établissant une Constitution pour l’Europe, cf. articles I-11 à I-18 du traité établissant une Constitution pour l’Europe, loc.cit. Voir Sauron (J-L), La Constitution européenne expliquée, Paris, Gualino éditeur, 2004, p.82 à 95. 49
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Etats membres51, il peut se révéler très difficile d’établir avec certitude l’éventuelle compatibilité entre les compétences demandées par les collectivités et leur statut communautaire. Le passage du statut de RUP à celui de PTOM afin d’exercer certaines compétences incompatibles avec le statut de RUP requiert, de surcroît, une révision du traité communautaire52. Il faudrait, en effet, ajouter le nom du territoire concerné à la liste des PTOM annexée au traité CE et ce pourrait être également enfin l’occasion de citer nominativement les RUP françaises à l’article 299 §2 CE. Il est à noter que l’article IV-440 §7 du traité établissant une Constitution pour l’Europe rend plus aisé ce changement de statut communautaire en prévoyant un passage du statut de RUP au statut de PTOM et inversement selon une procédure de révision spécifique53. Au total, les possibilités d’évolution statutaire offertes aux DROM dans le cadre de l’article 73 de la Constitution française, tout comme le passage de la catégorie de DROM de l’article 73 à celle de COM de l’article 74 et inversement, n’ont donc pas de conséquences automatiques sur le statut de ces territoires par rapport à l’Union européenne. Cependant, les RUP ne peuvent pas, en tant que régions intégrées à l’UE, exercer des compétences incompatibles avec les règles communautaires, contrairement aux PTOM qui, en tant qu’associés, ne sont pas tenus de respecter toutes les règles du droit communautaire54. Le véritable enjeu demeure, cependant, de choisir les statuts constitutionnel et communautaire les mieux adaptés au développement de chacune de ces régions. 51 Blanquet (M) et Isaac (G), Droit communautaire général, Paris, LGDJ, 8° édition, 2001, p.32 à 48. 52 Sur les procédures de révision du traité CE voir, Blanquet (M) et Isaac (G), Droit communautaire général, Paris, LGDJ, 8° édition 2001, p.140 et 141. 53 Il s’agit d’une procédure de révision spécifique, différente et plus simple que la procédure de révision ordinaire prévue à l’article IV-443, et que les procédures simplifiées prévue aux articles IV-444 et IV-445, applicables respectivement, pour la partie III et pour le titre III de la partie III du traité constitutionnel. Voir Ziller (J), « L’Union européenne et l’outre-mer », Pouvoirs, n°113 du 11 février 2005, p.152 et 153 ; Ziller (J), « Les PTOM dans la Constitution pour l’Europe », dans Traité établissant une Constitution pour l’Europe : Continuités et changements, Actes de la journée d’Etudes organisée par le CRPLC le 15 janvier 2005, CRDP Martinique, p.135 et 136. Sur les procédures de révision prévues par le traité constitutionnel, voir Perrot (D), « Les actes juridiques de l’Union européenne – nomenclatures et procédures » dans Traité établissant une Constitution pour l’Europe : Continuités et changements, op.cit., p. 71 à 79. 54 Leur statut d’association étant défini par les stipulations de la partie IV du traité CE et les dispositions de la décision d’association.
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LES IMPLICATIONS DIVERGENTES DES STATUTS DE RUP ET DE PTOM AU SEIN DE LA COMMUNAUTE EUROPEENNE Lauriane MOUNIER
Parallèlement à la distinction établie en 1958 par la Constitution française entre les Départements d’Outre-Mer (DOM) et les Territoires d’Outre-Mer (TOM) 1 , le traité de Rome organisait, dès 1957 2 , l’appartenance différenciée des DOM et des Pays et Territoires d’Outremer (PTOM) à la Communauté économique européenne3. Mais tandis que le droit interne établissait deux catégories juridiques bien distinctes de territoires4, le droit communautaire primaire se montrait initialement plus ambigu. Entre l’intégration totale et le régime spécial d’association
1 V. les articles 72, 73 et 74 de la Constitution de la Vème République. Ces articles ont subi plusieurs modifications, suite à la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 : v. Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, JORF du 29/03/2003, p. 5568. 2 Traité entré en vigueur le 1er janvier 1958. 3 V. l’article 227 §2, en ce qui concerne les DOM et l’article 227 §3 en ce qui concerne les PTOM. A noter que sous la mention « DOM », étaient en réalité concernés les départements et régions de Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion. Quant aux PTOM, la liste qui en était dressée à l’Annexe IV du traité CEE reflétait la situation coloniale de la France, de l’Italie, de la Belgique et des Pays-Bas au moment de la conclusion du traité CEE : v. Gonidec (P.-F.), « L’association des pays d’outre-mer au Marché commun », Annuaire Français de Droit international, 1958, pp. 598-600. Sont aujourd’hui visés, s’agissant de la France, la Nouvelle Calédonie, la Polynésie française, les Terres Australes et Antarctiques françaises, les îles Wallis et Futuna, ainsi que St Pierre et Miquelon et Mayotte. 4 La Constitution de 1958 distinguait en effet d’un côté les DOM, assimilés à des départements français et régis par le principe d’identité législative (art. 72) – toutefois nuancé par la possibilité d’autoriser à leur égard des mesures d’adaptation nécessitées par leur situation particulière (art. 73) –, et de l’autre, les TOM, à qui devaient s’appliquer la spécialité législative (art. 74), les lois et règlements nationaux n’étant applicables dans ces territoires que sur mention expresse. Sur ces points, v. notamment Ziller (Jacques), Les DOM-TOM, Paris, LGDJ, 2ème édition, 1996 ; Diemert (Stéphane), « Le droit de l’outre-mer », Pouvoirs, n° 113, Avril 2005, pp. 109-130, spéc. pp. 111-118. La révision constitutionnelle de mars 2003 a toutefois brouillé l’opposition traditionnelle entre DOM et TOM. Au-delà du fait qu’il n’est désormais plus question, aux articles 73 et 74, de DOM et de TOM, mais de départements et régions d’Outre-mer (DROM) et de collectivités d’Outre-mer (COM), la distinction entre ces deux articles apparaît désormais quelque peu artificielle. Entre l’identité et la spécialité législative, toute une gamme de régimes semble désormais possible.
des PTOM à l’ensemble communautaire5, l’article 227 §2 du traité de Rome posait les bases d’un régime d’intégration partielle et sélective des DOM au territoire communautaire6. Si le premier alinéa de l’article 227 §2 du traité CEE prévoyait en effet l’application immédiate des règles essentielles du marché intérieur aux DOM 7 , l’alinéa 2 posait quant à lui le principe d’une application différée des règles communautaires à ces territoires, conditionnée par l’adoption d’une décision du Conseil dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur du traité. C’est ainsi que la Commission et le Conseil considérèrent que l’application du droit communautaire aux DOM, dans les domaines non cités à l’alinéa 1er, restait subordonnée à l’adoption par le Conseil d’une décision d’application, prise à l’unanimité et sur proposition de la Commission 8 , y compris au-delà du délai de deux ans pourtant mentionné à l’alinéa 2 9 . Agissant par voie d’énumération et n’appliquant le droit communautaire que de façon sélective et « au 5
TCEE, art. 227 §3, renvoyant à la Partie IV du traité CEE. Une Convention d’application signée le 25 mars 1957 était par ailleurs annexée au traité de Rome, complétant les dispositions énoncées dans la Partie IV du traité. Elle sera remplacée, à partir de 1964 par diverses décisions d’association du Conseil : v. Infra, note 36. 6 L’Algérie était également initialement concernée par l’article 227 §2 du traité CEE. 7 L’alinéa 1 dressait explicitement la liste des matières soumises à l’application immédiate et de plein droit du droit communautaire aux DOM. Il s’agissait alors de la libre circulation des marchandises, de l’agriculture (à l’exception de l’ex-article 40 §4), de la libération des services, des règles de concurrence, des mesures de sauvegarde prévues aux anciens articles 108, 109 et 226, ainsi que des dispositions relatives aux institutions. 8 De nombreuses décisions sont adoptées par le Conseil dans les années 1960 et 1970 portant application aux DOM de certaines dispositions du traité CEE. V. par exemple : Décision du Conseil du 11/05/1960 portant application à l’Algérie et aux départements français d’outremer des dispositions du traité relatives aux mouvements de capitaux, JOCE n° B 43 du 12/07/1960, pp. 919-920 ; Décision du Conseil 64/350/CEE du 25/02/1964, concernant l’application aux DOM de certaines dispositions du traité relatives au droit d’établissement et aux paiements, JOCE n° 93 du 11/06/1964, p. 1484 ; Décision du Conseil 68/359/CEE du 15/10/1968 portant application aux départements français d’outre-mer des articles 48 et 49 du traité, JOCE n° L 257 du 19/10/1968, p. 1. 9 Cet alinéa précisait en effet que les conditions d’application des dispositions non citées à l’alinéa 1er devaient être déterminées au plus tard deux ans après l’entrée en vigueur du traité de Rome, soit en 1960. Une application différée des dispositions communautaires était donc prévue pour les matières non citées à l’alinéa 1er, tout a moins jusqu’en 1960. Passé ce délai, l’ensemble du droit communautaire était supposé être devenu applicable aux DOM. La Commission et le Conseil continueront cependant, au-delà de 1960, à considérer que des décisions d’application étaient nécessaires pour rendre le droit communautaire applicable à ces territoires. Une position qui sera contredite quelques années plus tard par la Cour de justice, qui considère que tout le droit communautaire s’applique aux DOM depuis 1960 : v. CJCE, 10 octobre 1978, H. Hansen jun. & O.C. Balle GmbH & Co contre Hauptzollamt de Flaenburg, Aff. 148/77 ; Rec. 1978, p. 1787, point 10-2.
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coup par coup »10 , les dispositions adoptées ne prévoyant d’ailleurs généralement pas de dispositions différenciées à l’égard des DOM11, le Conseil semblait ainsi assimiler partiellement le régime des DOM à celui des PTOM 12 . Une position d’ailleurs confirmée par le choix initial de l’application aux DOM de certaines dispositions du régime d’association prévu pour les Pays et Territoires d’Outre Mer 13 . Encouragée par les revendications exprimées par les responsables des DOM en faveur d’une meilleure insertion dans la Communauté, la situation des DOM au sein de la Communauté évoluera progressivement tout en prenant en compte, toutefois, les spécificités de leurs territoires 14 . De nouveaux pans du droit communautaire deviendront en effet applicables à ces régions, qui pourront bénéficier par exemple, à partir des années 70, des aides du fonds social européen (FSE) 15 , du fonds européen de développement régional
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On peut également parler d’ « actes d’extension du droit commun » aux DOM : v. JOS (Emmanuel), Perrot (Danielle), Les départements d’outre-mer et le droit de l’Union européenne – Les grands textes, Paris, La Documentation française, 2000, pp. 136 et s.. 11 Il convient en effet de mentionner la possibilité de prévoir des mesures spécifiques pour les DOM, dans le cadre des matières non citées à l’alinéa 1, mentionnée à l’alinéa 2 du paragraphe 2 de l’article 227 à travers la référence aux « conditions d’application des autres dispositions du traité ». La différenciation territoriale est ainsi sous-jacente, justifiée par le souci de veiller « à permettre le développement économique et social de ces régions », dont il est question à l’alinéa 3 de ce même article 227 §2. 12 V. Infra, I- B/ en ce qui concerne le régime applicable aux PTOM et la thèse de la lex specialis. 13 Ainsi, par exemple, l’article 16 de la Convention d’application relative à l’association des PTOM à la Communauté, annexée au traité de Rome de 1957 et venue à expiration en 1962, précise-t-il que « les dispositions prévues aux articles 1 à 8 inclus de la présente convention sont applicables à l’Algérie et aux départements français d'outre-mer ». Les DOM et l’Algérie bénéficient de ce fait des aides du Fonds européen de développement (FED), créé pour les PTOM et destiné à promouvoir le développement économique et social de ces pays ou territoires. Quant au droit d’établissement, il est progressivement étendu dans les DOM aux ressortissants et sociétés des États membres autres que la République française, conformément à l’article de la Convention précitée et aux Directives du 23/11/1959 fixant les modalités d’application progressive du droit d’établissement dans les pays et territoires d’outre-mer et les départements français d’outre-mer, JOCE n° P 7 du 10/02/1960, p. 147 : V. Jos (Emmanuel), Perrot (Danielle), Les départements d’outre-mer et le droit de l’Union européenne – Les grands textes, op. cit., pp. 24-26, pp.136-139 et pp. 176-179. 14 V. le Mémorandum du gouvernement français relatif à la situation des départements d’outre-mer dans la Communauté européenne du 8 janvier 1975, in JOS (Emmanuel) et PERROT (Danielle), Les départements d’outre-mer et le droit de l’Union européenne – Les grands textes, op. cit., pp. 417-422. 15 Décision du Conseil 71/364/CEE du 8/11/1971 portant application aux départements français d’outre-mer des articles 123 à 127 inclus du traité, JOCE n° L 249 du 10/11/1971, p. 73.
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(FEDER)16 ou encore du fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA)-Orientation17. Le principe de l’application de plein droit dans les DOM de l’ensemble des dispositions du traité et du droit dérivé sera par ailleurs admis peu de temps après par la Cour de justice des Communautés, dans le cadre de l’arrêt Hansen du 10 octobre 1978 18 . Un principe tempéré à cette même occasion par la Cour par la possibilité de prévoir, à l’égard des DOM, des « mesures spécifiques »19 et des « dispositions particulières » pour « faire droit à la situation géographique, économique et sociale particulière de ces départements » et répondre « aux exigences spécifiques de ces parties du territoire français »20. A côté du principe de l’intégration totale des DOM à la Communauté, la différenciation territoriale est ainsi explicitement admise par la Cour21. Sur ce dernier point cependant, toutes les ambiguïtés ne sont pas levées par la jurisprudence Hansen. Si un droit dérivé différencié et « adapté » aux DOM émerge dans différents domaines, notamment en matière d’agriculture et de pêche22, ou encore en matière douanière et fiscale23, la contestation devant la 16
Décision du Conseil 75/186/CEE du 18/03/1975 portant application aux départements français d’outre-mer du règlement (CEE) 724/75 du 18/03/1975 portant création d’un Fonds européen de développement régional, JOCE n° L 73 du 21/03/1975, p. 49. 17 Règlement CEE 1795/76 du Conseil du 20/07/1976 relatif aux conditions d’application de l’article 40 paragraphe 4 du traité aux départements français d’outre-mer, JOCE n° L 201 du 17/07/1076, p. 5. 18 CJCE, 10 octobre 1978, Hansen, préc., Aff. 148/77, points 9-1 et 10-2. La Cour précise que le statut des DOM est défini en première ligne « par référence à la Constitution française, aux termes de laquelle, ainsi qu’il a été exposé par le gouvernement français, les DOM font partie intégrante de la République ». Ainsi, depuis l’expiration du délai de deux ans, mentionné à l’alinéa 2 du paragraphe 2 de l’article 227, l’ensemble des dispositions de droit communautaire est applicable aux DOM. 19 La Cour parle effectivement de « mesures spécifiques » : CJCE, 10 octobre 1978, Hansen, préc., Aff. 148/77, point 10-2. 20 CJCE, 10 octobre 1978, Hansen, préc., Aff. 148/77, point 9-2. 21 Les incertitudes de 1957 quant à la portée de l’expression de « condition d’application » sont donc en partie levées par la jurisprudence Hansen. 22 Pour un aperçu détaillé des différentes mesures spécifiques adoptées à l’égard des DOM dans le domaine agricole : v. Dintimille (Marie-Catherine), Le régime juridique communautaire de soutien de l’agriculture des départements français d’outre-mer, Thèse de doctorat, Université des Antilles et de la Guyane, 2004 ; JOS (Emmanuel), Perrot (Danielle), Les départements d’outre-mer et le droit de l’Union européenne – Les grands textes, op. cit., pp. 52-136. 23 Les DOM sont notamment exclus du champ d’application du régime commun d’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaire, mais également du processus communautaire visant à l’harmonisation des taux et de la structure des droits d’accises : Onzième directive 80/368/CEE du Conseil du 26/03/1980, JOCE n° L 90 du 3/04/1980, p. 41 ; Directive 80/369/CEE du Conseil du 26/03/1980 autorisant la République française à ne
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Cour de certaines mesures d’adaptation prises pour les DOM révèle à
nouveau l’insuffisance et l’imprécision de l’article 227 §2 du traité CEE quant à l’étendue de la différenciation juridique admise par les institutions24.
Ce n’est qu’avec le traité d’Amsterdam, modifiant l’article 227 paragraphe 2 TCEE, devenu l’article 299 paragraphe 2 TCE, que les doutes seront levés25, et que le statut des DOM, mais également celui des Canaries, des Açores et de Madère26, désormais regroupés sous l’appellation de « régions ultrapériphériques » (RUP) 27 , dévoilera
pas appliquer dans les DOM les directives 72/464/CEE et 72/32/CEE concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffres d’affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés, JOCE n° L 90 du 3/04/1980, p. 42 ; Directive 92/12/CEE du Conseil du 25/02/1992 relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, JOCE n° L 76 du 23/03/1992, art. 2 §3 ; Directive 92/83 du Conseil du 19/10/1992 concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques, JOCE n° L 316 du 31/10/1992, p. 21. On peut également signaler le régime spécial de l’octroi de mer applicable aux DOM : v. infra, note 31. 24 Une conception stricte et restrictive de la différenciation est en effet affirmée à plusieurs reprises par la Cour de Justice, cette dernière limitant son champ d’intervention, s’agissant du droit primaire, aux dispositions non énumérées à l’alinéa 1er du paragraphe 2 de l’article 227 du traité CEE (le droit dérivé restant adaptable, y compris dans les domaines cités à l’alinéa 1er) : v. notamment CJCE, 26 mars 1987, Coopérative agricole d’approvisionnement des Avirons (île de la Réunion) contre Receveur des douanes de Saint-Denis et Directeur régional des douanes de la Réunion, Aff. 58/86, Rec. p. 1525, point 13, 14 et 17 ; CJCE, 16 juillet 1992, Legros, préc., Aff. C 163/90 ; CJCE, 9 août 1994, Lancry, préc., Aff. Jointes C-363/93, C-407/93, C-408/93, C-409/93, C-411/93 ; CJCE, 19 février 1998, Paul Chevassus-Marche contre Conseil général de la Réunion, Aff. C-212/96, Rec. p. I-743. 25 Il reste toutefois certaines incertitudes, notamment s’agissant des limites posées à la différenciation juridique. Si conformément à l’article 299 §2 TCE, les mesures spécifiques prises à l’égard des RUP ne doivent en effet pas nuire à « l’intégrité et à la cohérence de l’ordre juridique communautaire, y compris le marché intérieur et les politiques communes », cette disposition reste encore floue. Jusqu’où peut-on aller ? Une question à laquelle seule la jurisprudence, saisie de la question, pourra apporter des éléments de réponse. 26 Jusqu’alors, le régime de ces trois entités territoriales sub-étatiques sous souveraineté espagnole (Canaries) et portugaise (Madère et Açores) était défini par l’Acte d’adhésion de l’Espagne et du Portugal à la Communauté, et notamment son Protocole n° 2: v. JOCE n° L 302 du 15/11/1985, pp. 1-472, spéc. p. 400. 27 La construction d’une démarche cohérente à l’égard de ces diverses entités territoriales est le fruit d’une évolution entamée dans les années 1980 et 1990, notamment à travers l’adoption, sur des fondements juridiques différents, de programmes globaux d’action applicables à ces dernières : le POSEIDOM pour les DOM en 1989, ainsi que le POSEICAN pour les Canaries et le POSEIMA pour les Açores et Madère en 1991 : Décision 89/687/CEE du Conseil du 22/12/1989 instituant un programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité des départements d’Outre-Mer (POSEIDOM), JOCE n° L 399 du 30/12/1989, pp. 39-45 ; Décision 91/314/CEE du Conseil du 26/06/1991 instituant un programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité des îles Canaries (POSEICAN), JOCE n° L 171 du 29/06/1991, pp. 5-9 ; Décision 91/315/CEE du 26/06/1991 instituant un programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité de Madère et des Açores (POSEIMA), JOCE n° L 171 du 29/06/1991, pp. 10-16. V. également la Déclaration n° 26 relative aux
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toute sa portée. La distinction entre le statut de RUP et celui de PTOM étant plus clairement établie par le traité d’Amsterdam (I), la question de l’intérêt d’opter pour un statut plutôt que pour un autre peut dès lors être posée (II). I - DEUX CATEGORIES JURIDIQUES DE TERRITOIRES AUX STATUTS COMMUNAUTAIRES BIEN DISTINCTS : RUP ET PTOM Depuis la révision du traité CE par le traité d’Amsterdam, deux catégories juridiques territoriales bien distinctes sont définies par le traité CE, dans le cadre des paragraphes 2 et 3 de l’article 29928. D’un côté, les régions ultrapériphériques, pleinement intégrées à la Communauté au regard du paragraphe 2 de l’article 299 §2 du traité, sous réserve de la prise en compte de leurs caractéristiques territoriales particulières (1), de l’autre, les pays et territoires d’Outre-mer, faisant l’objet d’un régime spécial d’association, conformément à l’article 299 §3 du traité CE (2). 1 - L’intégration différenciée des régions ultrapériphériques au territoire communautaire A travers l’alinéa 1 de l’article 299 §2 du traité CE, selon lequel « Les dispositions du présent traité sont applicables aux départements français d’outre-mer, aux Açores, à Madère et aux îles Canaries », l’appartenance pleine et entière des RUP à la Communauté est clairement affirmée, et l’applicabilité de plein droit à ces régions de l’ensemble des règles communautaires ne fait plus de doute. Tel est le cas notamment des règles communes relatives à la libre circulation des biens, des personnes, des services et capitaux, ainsi que des règles communes sur la concurrence (interdiction des aides d’Etats). Intégrées au territoire douanier – sur lequel
régions ultrapériphériques de la Communauté, annexée à l’Acte final du traité de Maastricht du 7 février 1992. 28 V. également les paragraphes 5 et 6 qui posent également les fondements de l’appartenance différenciée à la Communauté des îles Åland (§5), des îles anglo-normandes et de l’île de Man (§6 c)) et des zones de souveraineté du Royaume-Uni à Chypre (§6 b)). Pour une analyse détaillée de la différenciation de l’appartenance à la Communauté : v. Rigaux (Anne), « Territoire communautaire », in Kovar (Robert) et Poillot-Peruzzetto (Sylviane) (Dir.), Répertoire de Droit Communautaire, Paris, Dalloz, Octobre 2002, Tome III, pp. 20-25.
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doit se réaliser l’Union douanière 29 – les RUP doivent par ailleurs se conformer à l’ensemble de la réglementation douanière communautaire. Ainsi, par exemple, l’interdiction des droits de douanes et autres taxes d’effet équivalent à un droit de douane doit-elle être respectée30. Les RUP participent en outre en principe à l’ensemble des politiques communes, qu’il soit question de bénéficier des aides octroyées dans le cadre de la politique régionale ou de la Politique Agricole Commune (PAC), mais également de se plier aux exigences communautaires dans plusieurs domaines, tel l’environnement ou la santé publique. Le principe d’intégration est toutefois tempéré par la reconnaissance explicite, au sein de l’article 299 §2 TCE, de la possibilité pour ces régions d’adapter le droit communautaire, pour faire face à leur situation et contraintes spécifiques et répondre à leurs besoins particuliers de développement. Ainsi les RUP bénéficient-elles de règles différenciées en matière fiscale 31 , douanière ou encore agricole 32 , justifiées par la situation économique, et sociale structurelle de ces territoires, « aggravée par leur éloignement, l’insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement »33. Intégrées à la Communauté, sous réserve de la prise en compte de leurs spécificités territoriales, les RUP se distinguent des PTOM, exclus de la Communauté européenne.
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L’Union douanière implique la libre circulation des marchandises à l’intérieur de la Communauté (élimination des droits de douanes et des restrictions quantitatives à l’importation et à l’exportation, ainsi que des taxes d’effet équivalent ou mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives), mais également, contrairement à la zone de libre échange, l’abandon par les Etats membres de l’essentiel de leur souveraineté douanière, qui se traduit par la mise en place d’un tarif extérieur commun : v. Dubouis (Louis), Blumann (Claude), Droit matériel de l’Union européenne, Paris, Montchrestien, 3ème édition, 2004, pp. 199-213. 30 TCE, art. 25. 31 Au regard de l’importance des handicaps pesant sur les DOM, par exemple, les institutions communautaires ont accepté la prorogation du régime spécial de l’octroi de mer dans ces régions pour une période s’étendant du 1er juillet 2004 au 1er juillet 2014, avec la nécessité toutefois de procéder à une évaluation du système à mi-parcours (31/07/2008) : v. Décision 2004/162/CE du Conseil du 10/02/2001 relative au régime de l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer et prorogeant la décision 89/688/CEE, JOCE n° L 52 du 21/02/2004, pp. 64-69. 32 Au-delà de ces quelques exemples, il convient de préciser que tous les domaines peuvent faire l’objet de règles différenciées. 33 TCE, art. 299 §2, al. 2.
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2 - Le régime spécial d’association des PTOM à la Communauté européenne Bien que relevant a priori des paragraphes 1 et 4 de l’article 299 TCE , les PTOM sont considérés comme des territoires et pays tiers ne faisant pas partie du territoire communautaire35. Un régime spécial d’association a en effet été prévu pour ces derniers, conformément au paragraphe 3 de l’article 29936. S’inspirant largement du régime de l’association externe37, un régime particulier d’échanges a tout d’abord été mis en place entre la Communauté et les PTOM. Il est fondé sur « la promotion du développement économique et social des pays et territoires, et l’établissement de relations économiques étroites entre eux et la Communauté dans son ensemble »38. Ainsi les produits originaires des PTOM sont-ils admis au sein de la Communauté en exemption de droits de douanes et de taxes d’effet équivalent, l’inverse jouant également 39 . Les PTOM pouvant néanmoins maintenir ou établir, à l’importation de produits originaires de la Communauté ou des autres PTOM, les droits de douanes ou restrictions quantitatives qu’ils estiment nécessaires, 34
34 Conformément à ces paragraphes, tout territoire faisant partie intégrante d’un Etat membre (§1) ou dont un Etat membre assume les relations extérieures (§4) est considéré comme compris dans la Communauté européenne. Les PTOM constituant tous des entités infra-étatiques, faisant partie intégrante d’un Etat membre comme dans le cas des PTOM français, danois et néerlandais, ou dont les relations extérieures restent du ressort de l’Etat dont ils relèvent, comme dans le cas des PTOM du Royaume-Uni, ils devraient normalement être considérés comme inclus dans le territoire communautaire. Pour plus de précisions, v. Dormoy (Daniel), « Association des pays et territoires d’Outre-mer (PTOM) à la Communauté européenne », Juris-Classeur Europe, Fascicule 473, mai 1995, pp. 1-25 ; Ziller (Jacques), « Les pays et territoires d’outre-mer (PTOM) associés à la Communauté économique européenne : une alternative statutaire pour les « régions ultra.périphériques » ? », in Jos (Emmanuel) et Perrot (Danielle) (Dir.), L’Outre-mer et l’Europe communautaire – Quelle insertion ? Pour quel développement ?, Paris, Economica, 1994, pp. 173-192, spéc. pp. 181-184. 35 La liste des PTOM figure au sein de l’Annexe II du traité instituant la Communauté européenne (ex-Annexe IV TCEE), JOCE n° C 325 du 24/12/2002, p. 159. 36 Article renvoyant à la Partie IV du traité CE (articles 182 à 188). Les dispositions du traité sont en outre précisées par des décisions d’application prises par le Conseil statuant à l’unanimité, conformément à l’article 187 du traité CE : v. la décision d’association actuellement en vigueur n° 2001/882 du 27 novembre 2001 relative à l’association des PTOM à la Communauté, JOCE n° L 314 du 30/11/2001, p. 1. Sur cette décision, v. notamment Gautier (Yves), « Le statut des PTOM au sein de la Communauté : glissements progressifs vers le droit commun ? », Juris-Classeur Europe, n°1, janvier 2002, pp. 10-11. 37 Il s’agit du régime d’association liant 78 Etats indépendants d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (pays ACP) à la Communauté, conformément à l’actuelle Convention de Cotonou signée le 23 juin 2000 (JOCE n° L 317 du 15/12/2000, p. 3), qui succède aux Conventions de Lomé adoptées entre 1975 et 1989. Nombreux sont d’ailleurs les territoires, initialement PTOM, étant passé ACP au moment de leur accession à l’indépendance. 38 TCE, art. 182, al.2. 39 TCE, art. 184 §1 et 2.
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la réciprocité n’est pas totale40. Aucune discrimination entre les importations en provenance des différents Etats membres de la Communauté ne peut cependant être exercée41. Bien que s’apparentant aux relations liant les pays ACP à la Communauté 42 , le régime d’association des PTOM présente certaines spécificités 43 . Des extensions partielles du droit intra-communautaire aux PTOM sont en effet admises 44 , sur mention expresse et dans la mesure prévue par la Partie IV du traité 45 . Ainsi les PTOM bénéficient-ils de la citoyenneté européenne et de tous les droits attachés à cette citoyenneté, telle la liberté de circulation des travailleurs et la liberté d’établissement46. Les grandes lignes du régime applicable aux RUP et aux PTOM étant posées, la question de l’intérêt d’opter pour un statut plutôt que pour un autre peut dès lors être envisagée.
II - LA QUESTION DE L’OPPORTUNITE DU CHOIX DU STATUT DE RUP OU DE PTOM S’interroger sur l’intérêt que revêt le statut de RUP ou celui de PTOM revient à envisager la question de l’aptitude de ces deux statuts à répondre aux besoins de développement des territoires. Du point de vue des RUP par exemple, et notamment des DOM, l’intégration à la Communauté et l’obligation de se soumettre aux règles communautaires constituent-t-elles un 40
TCE, art. 184 §3. TCE, art. 184 §5. 42 V. supra, note 37. 43 On parle d’association interne, pour la distinguer de l’association externe, citée précédemment. 44 L’association des PTOM à la Communauté est considérée par certains auteurs comme une modalité particulière de l’extension territoriale des traités : v. ISAAC (Guy), BLANQUET (Marc), Droit communautaire général, Paris, Armand Colin, 8ème édition, 2001, p. 26. 45 S’applique ainsi en grande partie aux PTOM la thèse de la lex specialis : v. en ce sens Ziller (Jacques), « Champ d’application du droit communautaire – Application territoriale, Application personnelle, Application temporelle », Juris-Classeur Europe, Fascicule 470, novembre 1991, points 44 à 49. Un parallèle peut également être établi avec le régime de spécialité législative, applicable en droit interne français aux Territoires d’Outre-mer (TOM) : v. Perrot (Danielle), « Marché intérieur des DOM et marché communautaire », AJDA, 20/09/1992, p. 586. 46 V. toutefois le fait que les ressortissants des PTOM ne peuvent se prévaloir du droit d’entrée et de séjour pour exercer une activité salariée, mais seulement pour exercer une activité indépendante. Cette situation résulte de l’application faite des dispositions des articles 183 et 186 TCE : v. CJCE, 12 décembre 1990, Kaefer et Procacci, Aff. C-100/89 et C101/89, Rec. p. I-4647. 41
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vecteur de progrès et de développement pour ces territoires ? Au contraire, l’application du droit communautaire dans son intégralité aux RUP représentet-elle un obstacle à la mise en place d’une politique de développement efficace dans ses territoires ? Si l’argument financier reste en ce sens celui le plus couramment évoqué (1), bien d’autres aspects de l’intégration et de l’association à la Communauté doivent être pris en compte (2). 1 - Le soutien financier différencié de la Communauté au développement des RUP et des PTOM, un argument déterminant Contrairement aux PTOM, les RUP sont concernées par l’ensemble des politiques communes. Eligibles de ce fait aux aides de la PAC, les RUP bénéficient également largement des aides de la politique de cohésion économique et sociale (fonds structurels européens)47, au titre de l’objectif 1 concernant les régions en retard de développement48. Ayant contribué sans nul doute au développement de nombreux secteurs locaux, les financements communautaires transférés aux RUP ont porté essentiellement sur l’amélioration des infrastructures 49 , la promotion des secteurs productifs générateurs d’emplois 50 , tels que le tourisme, mais également sur la formation professionnelle et le développement durable51. En tant que RUP, la garantie juridique d’un traitement spécifique leur est par ailleurs conférée, notamment dans le cadre de la politique régionale. Ainsi, si l’élargissement de la Communauté à dix nouveaux Etats membres en 2004 ne sera pas sans conséquence sur le montant des aides 47
V. TCE, art. 158 à 162. Pour la période 2000-2006, les RUP ont bénéficié d’aides d’un montant de 7,671 Mds d’euros dans le cadre des Fonds structurels. 48 Les RUP font en effet partie des régions dont le PIB est inférieur à 75 % de la moyenne communautaire, répondant de ce fait au critère d’éligibilité à l’objectif 1. Au-delà de générer un PIB très inférieur à la moyenne communautaire, les RUP, et notamment les DOM, ont par ailleurs généralement un taux de chômage élevé, et une économie s’appuyant sur un nombre limité de secteurs. 49 V. par exemple le soutien communautaire apporté à la modernisation de l’aéroport du Lamentin de La Martinique, entre 1989 et 1995 (un tiers de la somme ayant été apportée par le Feder) : v. Commission europenne, Tour de France des régions – 27 projets soutenus par les Fonds structurels européens, Luxembourg, Office des Publications officielles des Communautés Européennes (OPOCE), 1999, p. 127. 50 V. notamment Bonnard (Maryvonne) (Coord.), Les collectivités territoriales en France, Paris, La Documentation Française, Les Notices, 2005, p. 49. 51 V. par exemple le système de couplage d’énergies éolienne et diesel, mis en place avec le soutien du Feder sur l’île de La Désirade (Guadeloupe), ou encore l’aménagement d’une réserve naturelle en Guyane, inaugurée en 1998 grâce notamment à la contribution du Feder : v. Commission Europeenne, Tour de France des régions – 27 projets soutenus par les Fonds structurels européens, op. cit., pp. 120-121.
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financières accordées aux RUP pour la période 2007-2013 en préparation52, il n’aura toutefois qu’un effet limité sur ces régions, assurées, de par leur caractéristiques territoriales particulières, de continuer à pouvoir jouir des aides communautaires53. Les PTOM ne peuvent quant à eux pas recevoir le soutien des Fonds structurels européens. Si le Fonds Européen de développement (FED) apparaît comme l’instrument privilégié d’intervention en faveur de ces territoires, ses dotations sont toutefois beaucoup moins importantes que celles des Fonds structurels. Ils peuvent en outre bénéficier, comme les pays ACP, d’une compensation financière additionnelle visant à stabiliser leurs recettes d’exportation de certains produits54, ainsi que des financements de la Banque européenne d’investissement (BEI). Enfin, des aides particulières peuvent également être octroyées aux moins développés d’entre eux. Mais l’analyse de l’intérêt d’opter pour un statut plutôt qu’un autre dépasse la logique simplement économique et financière. Il convient en effet de se pencher sur l’intérêt que représente, pour les territoires concernés, le principe d’une application intégrale et de plein droit du droit communautaire ou celui d’une association à la Communauté, ainsi que d’examiner, à l’inverse, les inconvénients qui peuvent en découler.
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La réduction du montant des aides accordées aux RUP est inévitable dans une Europe à 25 Etats. 53 V. en ce sens la proposition de règlement du 17 juillet 2004 portant dispositions générales sur les fonds structurels européens, qui précise qu’une « politique de cohésion efficace doit prendre en compte les besoins et les caractéristiques des territoires tels que les régions ultrapériphériques de l’Union, les îles, les zones de montagne, les zones à faible densité de population du nord de l’Union et certaines zones frontalières de la Communauté » : COM (2004) 492 final du 14/07/2004, Proposition de règlement du Conseil portant dispositions générales sur le Fonds Européen et développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, exposé des motifs, §3. V. également les considérants 10 et 11 et l’article 3 §3 de cette proposition. Pour plus de détails, v. notamment Charles Le Bihan (Danielle), « Les RUP : vers une stratégie de « prise en compte des caractéristiques territoriales spécifiques », in Traité établissant une Constitution pour l’Europe : Continuités et changements, Journée d’Etudes organisée par le CRPL le 15 janvier 2005, CRDP Martinique, pp. 139-152. 54 L’idée d’une compensation financière, imaginée par la Convention de Cotonou du 23 juin 2000, succède au STABEX et au SYSMIN, qui constituaient des systèmes de stabilisation des recettes d’exportation des PTOM (et des ACP essentiellement), établis en 1975 par la 1ère Convention de Lomé pour palier aux inconvénients liés à l’instabilité des recettes d’exportation des produits agricoles pouvant être affectés de fluctuations de prix ou de quantités (STABEX) et pour contribuer au financement de la « viabilité » des exploitations minières des ces pays (SYSMIN).
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2 - Un élément déterminant mais non essentiel : la nécessaire prise en compte des multiples facettes de l’appartenance ou non à la Communauté Comparer le statut de RUP et celui de PTOM, au terme d’une analyse des avantages et inconvénients éventuels de chacun des deux statuts, constitue une opération délicate 55 . Au-delà de considérations purement financières, il apparaît en effet nécessaire d’envisager les diverses implications de l’appartenance ou de l’association spéciale à l’Europe communautaire et un débat, au caractère pour le moins complexe, sur le type de développement souhaité par ces différents territoires est incontournable. Sans prétendre dresser une analyse exhaustive des conséquences d’un statut ou de l’autre sur un territoire donné, il convient d’avancer quelques pistes de réflexion en ce sens. : La liberté d’action des responsables des RUP et des PTOM Imposant le respect d’un certain nombre d’obligations, le droit communautaire peut parfois être vécu comme une contrainte et un obstacle à la liberté d’action des responsables des RUP, notamment sur le plan fiscal et douanier56, ou encore en matière d’aides d’Etat57. Les inconvénients pouvant découler de l’application du droit communautaire sont toutefois largement atténués, en ce qui concerne les RUP, par la possibilité donnée à ces régions de déroger aux règles communautaires, notamment dans les domaines précédemment cités58.
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V. en ce sens Ziller (Jacques), « L’Union européenne et l’Outre-mer », Pouvoirs, n° 113, Avril 2005, p. 113, selon qui « la question de savoir si l’intégration est préférable à l’association dépend très étroitement de la structure du marché, mais aussi de la démographie et de l’environnement régional de chaque territoire concerné, indépendamment de son statut en droit interne, mais aussi des possibilités de financement disponibles pour la politique de cohésion économique et sociale (fonds structurels) comparés à ceux du FED. Beaucoup de ces éléments peuvent varier dans le temps ». 56 L’octroi de mer des DOM a notamment dû faire l’objet de réaménagements pour le rendre conforme au droit communautaire, après avoir été qualifié de taxe d’effet équivalent à un droit de douane. Il en a été de même de l’arbitrio insular des Canaries, devenu l’arbitrio insular sur la production et les importations (APIM), réformé pour tenir compte des obligations découlant de l’appartenance des ces îles au territoire douanier. 57 Les aides d’Etat sont en principe incompatibles avec le marché commun : v. TCE, art. 87. 58 D’où la possibilité du maintien, bien que réformés, de l’octroi de mer dans les DOM et de l’APIM dans les Canaries, dont les ressources constituent un moyen non négligeable de développement économique et social.
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Exclus du champ d’application des règles communautaires 59 , les PTOM bénéficient quant à eux d’une plus large autonomie d’action60. La question des compétences existantes dans le domaine de la pêche est en ce sens particulièrement révélatrice. De nombreux territoires ont, en effet, souhaité rester en dehors de l’Union pour échapper aux obligations de la politique commune de la pêche (PCP) et conserver des compétences étendues en matière d’exploitation des ressources halieutiques et de négociations avec des Etats tiers voisins61. Ceci représente un avantage incontestable pour les PTOM. Il en va de même de l’exclusion des PTOM du territoire douanier communautaire, l’inapplicabilité de l’ensemble des règles communautaires douanières leur permettant en effet de conserver une importante marge de manœuvre dans ce domaine. Ainsi peuvent-ils percevoir des droits à caractère douanier et protéger leurs productions locales par des prélèvements à l’importation, possibilité d’ailleurs explicitement prévue par le droit communautaire primaire62. S’il est vrai que le statut de PTOM offre plus de liberté, il ne soustrait cependant pas ces différents territoires aux règles internationales, et notamment aux règles du commerce mondial, édictées par les autorités de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Ce qui n’est pas interdit par le droit communautaire, inapplicable aux PTOM, peut en effet l’être par les règles du commerce mondial63. Il ne faut pas non plus occulter le rôle du droit interne, qui peut également poser certaines limites aux capacités 59
Sauf exceptions expressément mentionnée : v. supra, I-, B/. Liberté pouvant néanmoins connaître certaines limites du fait du droit interne. Des différences existent en effet entre les différents PTOM, y compris entre les PTOM français, qui ne disposent pas tous de compétences réglementaires et législatives, ni du même degré d’autonomie juridique. Pour une présentation des statuts (internes) des différents PTOM, v. Dormoy (Daniel), « Association des pays et territoires d’Outre-mer (PTOM) à la Communauté européenne », op. cit., spéc. pp. 6-7. 61 C’est notamment pour cette raison que le Groenland, initialement inclus dans la Communauté sous réserve de dispositions spécifiques prévues par le Protocole 4 annexé à l’Acte d’adhésion du Royaume-Uni, du Danemark et de l’Irlande de 1972, a décidé en 1985 de se retirer de la Communauté en devenant PTOM : v. Traité de Bruxelles signé entre la Communauté économique européenne et le Danemark le 13/03/1984. A noter que ce dernier bénéficie toutefois d’un régime différencié à l’intérieur même du régime spécial d’association des PTOM, conformément au Protocole sur le régime particulier applicable au Groenland, annexé au traité CE : v. TCE, art. 188. 62 TCE, art. 184, §3, qui dispose que les PTOM « peuvent percevoir des droits de douane qui répondent aux nécessités de leur développement et aux besoins de leur industrialisation ou qui, de caractère fiscal, ont pour but d’alimenter leur budget ». Une possibilité d’ailleurs confirmée par la Cour au cours d’une affaire datant de 1992: v. CJCE, 12 février 1992, Bernard Leplat c/ Territoire de la Polynésie française, Aff. C-260/90, Rec. p. I-643. 63 Ziller (Jacques), « L’Union européenne et l’Outre-mer », Pouvoirs, n° 113, Avril 2005, pp. 145-169, spéc. p. 149. 60
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d’action des responsables locaux 64 . Bien plus, quoique n’étant pas directement applicables aux PTOM, les règles communautaires peuvent le devenir du fait de l’extension de la législation et des réglementations nationales à ces territoires 65 . Ainsi, la liberté d’action et notamment les possibilités d’interventionnisme économique des PTOM doivent-elles être relativisées. : L’adhésion au mode de développement promu par la Communauté : entre économie de marché et développement humain, solidaire et durable Avec pour objectif de « promouvoir dans l’ensemble de la Communauté un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques, un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, l’égalité entre les hommes et les femmes, une croissance durable et non inflationniste, un haut degré de compétitivité et de convergence des performances économiques, un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement, le relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les Etats membres »66, la Communauté implique l’adhésion à un tout autre mode de développement. Si la compétitivité, le libre échange et la libre concurrence apparaissent comme des objectifs fondamentaux de l’Union 67 , d’ailleurs parfois contestés, le développement humain, solidaire et durable figure également au rang des priorités européennes. C’est ainsi que plusieurs politiques et actions communautaires ont été mises en place, dans le domaine de l’environnement 68 , la recherche et le développement technologique, l’énergie, la protection des consommateurs, la santé publique, la cohésion économique et sociale, le domaine social, etc.69.
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V. supra, note 60. V. par exemple le cas des règles relatives à l’harmonisation technique et sanitaire : Ibidem. 66 TCE, art. 2. 67 V. en ce sens TCE, art. 4 §1 qui prescrit l’établissement d’une politique économique fondée sur le principe d’ « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». 68 L’environnement fait d’ailleurs l’objet, à l’article 6 du traité CE, d’une clause transversale, disposant ainsi : « Les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de la Communauté visées à l’article 3, en particulier afin de promouvoir le développement durable ». 69 V. TCE, art. 3. 65
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: L’appartenance à la Communauté européenne, vecteur d’une plus grande ouverture sur l’extérieur ? Soumis aux règles concernant la libre circulation des personnes et la liberté d’établissement, les habitants des régions ultrapériphériques, mais également ceux des PTOM70, peuvent se déplacer au sein de la Communauté en toute liberté. Quant à la possibilité de bénéficier des programmes d’échanges européens (ERASMUS) 71 , ainsi que de la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat) 72 , contribuant à harmoniser l’architecture du système européen d’enseignement supérieur, elle profite tout autant aux étudiants des RUP qu’à ceux des PTOM, dont la mobilité sur le plan communautaire et international se voit facilitée et favorisée. Mais qu’en est-il de l’insertion des RUP dans leur environnement régional ? L’appartenance à l’Europe communautaire ne se fait-elle pas au détriment des relations des RUP avec leur voisinage ? La coopération régionale étant fortement encouragée par l’Europe communautaire, on serait tenté de répondre par la négative. Favorables à la libéralisation des énergies locales, les institutions communautaires ont en effet contribué au développement, sur tout le territoire de la Communauté, de nombreuses actions de coopération transfrontalière et interrégionale, dans le cadre du programme Interreg III. Contenant un volet B applicable aux RUP 73 , ce programme est amené à être remplacé pour la période 2007-2013 par le futur objectif de « coopération territoriale européenne », dont les RUP sont assurées de pouvoir bénéficier74. Si des obstacles et insuffisances demeurent 70
Avec toutefois quelques aménagements : v. supra, I-, B/ et note 46. Il s’agit d’un programme de mobilité pour les étudiants entre les universités européennes initié par la Commission européenne en 1987. ERASMUS relève désormais de SOCRATES, programme européen en matière d’éducation auquel participent 31 pays européens, dont les 25 Etats membres de l’Union européenne. Pour de plus amples informations : www.ec.europa.eu/education/programmes/socrates/erasmus/erasmus_fr.html 72 Cette réforme a été initiée en mai 1998 par les ministres en charge de l’enseignement supérieur de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de l’Italie. Elle dépasse toutefois le cadre communautaire puisqu’une quarantaine de pays européens se sont pour le moment engagés dans cette réforme. 73 Sur la base de l’initiative communautaire Interreg III B (2000-2006), mettant à la disposition des RUP des instruments financiers additionnels destinés à la coopération régionale, trois programmes ont été approuvés : v. Communication de la Commission aux Etats membres du 28 avril 2000, définissant des orientations pour une initiative communautaire concernant la coopération transeuropéenne et destinée à favoriser le développement harmonieux et équilibré du territoire européen – Interreg III, JOCE n° C 143 du 23/05/2000. 74 V. Communication de la Commission : Un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques, COM (2004) 343 final du 26/05/2004, pp. 8-9. Dans le cadre de la politique de cohésion réformée, un plan d’action pour le grand voisinage devrait être intégré au titre des programmes d’action de « coopération territoriale européenne », visant à faciliter le 71
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en termes de coopération régionale, ces derniers ne semblent donc pas être imputables à la Communauté. La question de l’intérêt du statut communautaire de RUP ou de celui de PTOM est particulièrement délicate et complexe. Présentant des avantages pour les uns, le statut de RUP ou de PTOM peut se révéler un obstacle pour d’autres. Une analyse approfondie, pour chacun des territoires concernés, des conséquences découlant de l’intégration ou de l’association à la Communauté apparaît dès lors particulièrement nécessaire pour y répondre de façon la plus pertinente possible. Alors que peu de revendications en faveur d’un changement de statut communautaire se sont exprimées au sein des RUP et des PTOM75, il reste à savoir si une telle possibilité est prévue par le droit communautaire. Si le traité établissant une Constitution pour l’Europe mentionnait la possibilité pour les PTOM et les RUP de passer d’un statut à l’autre, sous réserve du respect d’une procédure spécifique, ce projet est resté lettre morte76, laissant le soin au traité CE d’organiser, à travers sa révision, une telle transformation.
renforcement des liens économiques, sociaux et culturels des RUP avec les pays voisins, ACP et PTOM. Il est notamment proposé qu’une partie des montants alloués au titre de la coopération transfrontalière dans les RUP pourrait être allouée à des projets mis en œuvre dans les pays tiers voisins (dérogation aux règles d’éligibilité fondée sur l’article 299 §2 TCE). 75 V. toutefois le cas de Mayotte, PTOM souhaitant, en accord avec les évolutions progressives de son régime interne, obtenir le statut de RUP. V. également le cas de St Martin, souhaitant à l’inverse devenir PTOM, pour des raisons essentiellement fiscales. 76 TECE, art. IV-440 §7. La possibilité de passage du statut de RUP à PTOM et inversement ne concernait que les RUP et PTOM français, néerlandais et danois. Sur ces points, v. VESTRIS (Isabelle), « Les RUP dans le traité constitutionnel » et ZILLER (Jacques), « Les PTOM dans la Constitution pour l’Europe », in Traité établissant une Constitution pour l’Europe : Continuités et changements, op. cit., respectivement pp. 121-129 (spéc. pp. 128129) et pp. 131-137 (spéc. pp. 135-137).
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STATUTS COMMUNAUTAIRES ET DEVELOPPEMENT DURABLE DES REGIONS ULTRAPERIPHERIQUES FRANÇAISES Emmanuel JOS
Les statuts juridiques ne valent que par leur capacité à favoriser le développement. Lorsqu’un statut s’avère inadapté aux exigences du développement, il convient de pouvoir le réformer ou en changer, d’où l’utilité de procédures suffisamment souples ou fluides d’évolution. L’impératif démocratique suppose néanmoins que les évolutions correspondent aux vœux des intéressés. La préoccupation du développement des territoires français classés actuellement parmi les Régions ultrapériphériques (RUP), à savoir la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion a été présente dans les textes juridiques communautaires dès leur incorporation dans le marché commun européen, ce qui justifiait l’application d’un traitement différencié1. L’article 227 §2 alinéa 3 du traité de Rome instituant la Communauté économique européenne stipulait en effet que « Les institutions de la Communauté veilleront, dans le cadre des procédures prévues par le présent traité et notamment l’article 226, à permettre le développement économique et social de ces régions ». Chemin faisant, il est apparu que ce traitement différencié originel prévu par les textes n’était pas appliqué de façon satisfaisante, ou ne répondait plus de façon suffisamment utile aux défis auxquels ces territoires étaient confrontés. D’où la réalisation de réformes, notamment celle qui a permis la mise en place d’abord d’une approche spécifique à travers les Programmes d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI), puis d’un véritable statut communautaire de régions ultrapériphériques2 1
Voir Jos ( E) et Perrot (D), « Les départements d'Outre-mer et la Communauté européenne à l'horizon 1993 : évolution d'un statut ? » Revue du Marché Commun n° 38, juin juillet 1990, pp. 448-453 ; Daniel (J) et Jos ( E ), « Les régions ultrapériphériques face à l'Union européenne : les difficultés de l'harmonisation dans la différence », Annuaire des Collectivités Locales, Litec, 1995, pp. 23-50 ; Perrot (D), « Les départements français d’Amérique dans l’Union européenne », in ( E ) et Perrot (D) (sous la direction de Jos), La Caraïbe face au défi de la mondialisation, Paris, Montchrestien, 1999, pp. 267-283. 2 Sur le statut des RUP, voir entre autres Ziller (J), « Champ d’application du droit communautaire, application territoriale », Jurisclasseur Europe 3, fascicule 470, 1998, n° 79, p.24 ; Grard (L), « Les départements d’outre-mer après les traités de Maastricht et
(article 299 §2 du traité CE), partagé avec des territoires portugais (Les Açores et Madère) et espagnols (Iles Canaries). Ce statut, bien que comportant un certain nombre de dispositions favorables au développement des RUP françaises, révèle toutefois ses limites dans le contexte actuel de compétition économique exacerbé. Il en résulte des interrogations relatives aux avantages et inconvénients pour le développement de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion du statut de RUP. Faut-il le réformer ou faut-il en changer en optant par exemple pour le statut de Pays et Territoire d’outre-mer (PTOM) ? Selon quelle procédure ? Force est de constater que la procédure de réforme ou de changement de statut communautaire est actuellement éminemment rigide. Ce qui amène à poser la question d’une plus grande fluidité statutaire au sein de l’Union européenne. Après avoir exposé les données statutaires actuelles des régions ultrapériphériques françaises et analysé les éléments qui constituent, selon nous, des progrès mais aussi, en revanche, des insuffisances (I), nous tenterons de montrer que l’option la meilleure, dans le contexte international actuel, pour la plupart des territoires classés dans cette catégorie, eu égard à la problématique de leur développement, ne se trouve pas dans le transit vers le statut de PTOM, mais dans l’amélioration du statut de RUP. Cette amélioration avait été esquissée, mais de façon nous semble-t-il insuffisante, par le Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TECE), ce qui explique qu’il puisse être souhaitable d’aller plus loin. Quant à la procédure de réforme ou de changement statutaire, le TECE proposait aussi des avancées qui auraient dû s’accompagner néanmoins de certaines garanties démocratiques au plan interne (II).
d’Amsterdam », in Loïc Brard et Arnaud de Raulin (dr.), Le développement des DOM et la Communauté européenne, Paris, La documentation française, collection « Les études », 1998 ; Brial (F), La place des régions ultrapériphériques au sein de la Communauté européenne, Cah. Dr. Eur. N° 5-6, 1998 ; Omarjee (I), « Le traité d’Amsterdam et l’avenir de la politique de différenciation en faveur des départements français d’outre-mer », Revue trimestrielle de droit européen, octobre-décembre 1998 ; Vitalien (C), « Les régions ultrapériphériques entre assimilation et différenciation », Revue française d’administration publique, n° 101, janvier-février 2002, pp. 115-126.
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I - LES DONNEES STATUTAIRES ACTUELLES, PROGRES CONQUIS ET INSUFFISANCES L’adoption par le Traité d’Amsterdam du texte devenu l’article 299 §2 du traité CE a représenté un progrès incontestable dans la reconnaissance conventionnelle du droit des régions ultrapériphériques à des « mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions particulières d’application du traité à ces régions ». Cette conquête reste toutefois insuffisante compte tenu de quelques ambigüités liées au texte et aux risques de pratiques réductrices. 1 - L’article 299 §2 du traité CE : une avancée conquise a - La demande d’un statut communautaire adapté aux problématiques de développement des RUP La succession des memoranda et des résolutions du Parlement européen réclamant des dispositions particulières aptes à permettre le développement des DOM français, puis plus largement des régions ultrapériphériques après l’adjonction à ceux-ci des Açores, Madères et Canaries, indique clairement la situation préoccupante de ces territoires éminemment vulnérables. Le 8 janvier 1975 le gouvernement français relayant les revendications des milieux socioprofessionnels des DOM adresse aux instances communautaires un mémorandum relatif à la situation des départements d’outre-mer dans la Communauté européenne3. Le contexte est alors celui de l’adoption de la première convention de Lomé. La crainte est celle d’une concurrence inégale avec les Etats ACP, compte tenu des avantages qui leur sont concédés. La solution préconisée est de tirer les conséquences du principe de la pleine appartenance des DOM à la CEE tel qu’il résulte de l’article 227 du Traité de Rome. Ceci suppose notamment l’application intégrale des dispositions du FEOGA Garantie et Orientation et le respect à leur profit de la préférence communautaire. L’arrêt Hansen du 10 octobre 19784 vient ensuite confirmer le principe de l’application de plein droit des dispositions du traité et du droit 3
Jos ( E ) et Perrot (D), Les départements d’outre-mer et le droit de l’Union européenne, les grands textes, travaux de la CEDECE, série textes et documents, Paris, La documentation française, 2000, pp.417-422. Ci-après cité : Recueil de textes. 4 CJCE, 10 octobre 1978, H. Hansen jun. & O.C. Balle GmbH & Co. contre Hauptzollamt de Flensburg, affaire 148/77, Recueil de textes pp. 267-269.
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dérivé aux DOM. L’arrêt ajoute qu’« il reste toujours possible de prévoir ultérieurement des mesures spécifiques en vue de répondre aux besoins de ces territoires ». C’est dans cette perspective que s’inscrit le mémorandum du 20 décembre 19785 dans la mesure où s’il réclame à nouveau l’application intégrale de l’ensemble des politiques communautaires, il met toutefois l’accent sur la nécessité de mesures liées à la spécificité des DOM. Les quelques mesures sectorielles et ponctuelles prises tant à l’échelon interne que communautaire ne donnent pas de résultats significatifs sur la situation économique et sociale des DOM. Dans la deuxième moitié des années 80, l’élargissement de la Communauté à l’Espagne et au Portugal, la programmation d’une intégration communautaire accrue contenue dans l’Acte Unique Européen, ajoutés aux négociations relatives au renouvellement de la Convention de Lomé, accroissent l’inquiétude dans les DOM. La mobilisation des acteurs politiques locaux ainsi que des socioprofessionnels permet de sensibiliser fortement diverses instances susceptibles de relayer les demandes ou de prendre les décisions nécessaires. L’inclusion, sous l’impulsion de M. Jacques Delors, de la politique de cohésion économique et sociale dans l’Acte Unique, ouvre sans doute des opportunités de réponses aux problèmes des DOM en tant que régions de la Communauté en retard de développement, mais les caractéristiques propres des territoires ultramarins français mais aussi espagnols et portugais appellent de la part de la Commission une approche plus adéquate en cohérence avec la logique de différenciation positive sous-jacente à l’article 227§2, notamment alinéa 3, du traité CE et aux dispositions particulières relatives aux Canaries, aux Açores et à Madère dans les actes d’adhésion de l’Espagne et du Portugal6. Un groupe interservices est ainsi créé dès 1986 au sein de la Commission destiné à porter une attention particulière aux problèmes de développement des DOM, PTOM, Canaries, Açores, Madère, Ceuta et Melilla. Le gouvernement français relaie à nouveau les attentes des acteurs politiques, économiques et sociaux des DOM dans son mémorandum du 10 avril 19877. Alors que le mémorandum précédent mettait l’accent sur la nécessité d’une meilleure intégration afin de bénéficier des politiques communes, la nécessité de compenser les handicaps et d’adapter les politiques communautaires aux particularités des DOM est mise en avant par ce texte. 5
Recueil de textes pp. 422-430. Acte relatif aux conditions d’adhésion du royaume d’Espagne et de la république du Portugal, JOCE , 15 novembre 1985. 7 Recueil de textes pp. 430-440. 6
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Il en résulte l’adoption par le Parlement européen notamment de la résolution du 11 mai 1987 sur les problèmes régionaux des départements d’outre-mer8. Après avoir diagnostiqué la situation excentrée des DOM par rapport au centre communautaire, leur structure économique particulièrement fragile, leurs faiblesses structurelles, et mis en évidence leurs déséquilibres économiques et sociaux, la résolution recommande l’adoption par les instances communautaires d’une série de mesures concrètes relatives à différents secteurs et préconise « la mise en œuvre, après consultation des élus locaux et des responsables professionnels, de programmes intégrés spécifiques aux DOM (PIDOM) ». La session de septembre 1987 de la Commission des Iles de la Conférence des Régions Périphériques Maritimes (CRPM) fait écho aux préoccupations des territoires ultramarins français, espagnols et portugais en considérant que ces régions ne sont pas seulement périphériques mais ultrapériphériques, autrement dit caractérisées par leur grand éloignement du centre communautaire mais aussi par une plus grande intensité des problèmes de développement. L’expression est lancée et connaît la fortune que l’on sait9. L’idée de programme spécifique est reprise par la Commission. Après quelques péripéties le Programme spécifique à l’éloignement et à l’insularité des départements d’outre-mer (POSEIDOM) est adopté par Décision du Conseil le 22 décembre 198910. Il fait école puisque sont adoptés à la suite un POSEIMA pour Madère et un POSEICAN pour les Canaries. Le 22 décembre 1989 est adoptée, également, par le Conseil une Décision relative à l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer11. La décision, reconnaissant l’utilité de l’octroi de mer pour le développement économique et social des départements d’outre-mer, invite le gouvernement français à introduire les réformes susceptibles de rendre son régime compatible avec les exigences du droit communautaire, mais elle autorise la République française à maintenir 8
Ibidem. pp. 362-370. M. Abel Matutes relate l’origine de l’expression ultrapériphérique de la façon suivante « le terme " ultrapériphérie " a été cité pour la première fois durant la conférence de la commission des îles de la CRPM à Saint-Denis, dans l'île de La Réunion, en septembre 1987. A cette occasion, João Bautista Mota Amaral, alors président de la région autonome des Açores, parla de " la périphérie de la périphérie ou ultrapériphérie ", en faisant référence aux archipels français, portugais et espagnols qui constituent aujourd'hui les régions ultrapériphériques de l'UE qui, conformément aux traités, sont les départements français d'outre-mer (DOM) de Martinique et de Guadeloupe dans les Caraïbes, la Guyane française et l'île de La Réunion au sud de l'océan indien, les archipels portugais des Açores et de Madère, ainsi que les îles Canaries » cf. Matutes (A), Les îles et régions ultrapériphériques au sein de l’Union européenne, www.euriles.org/Textes/ultraperi/fr/II.html. 10 Décision 98/687/CEE, JOCE L 399, 31 décembre 1989, p. 39, Recueil de textes pp. 33-43. 11 Décision 98/688/CEE, JOCE L 399, 31 décembre 1989, p. 46, Recueil de textes pp. 160-163. 9
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jusqu’au 31 décembre 1992 au plus tard le régime alors en vigueur, ce qui sera contesté avec succès devant la CJCE12. En dépit du fait que l’article 227 §2 du traité de Rome apparaissait de plus en plus clairement comme une base juridique insuffisante pour fonder les dispositions particulières de caractère dérogatoire au profit des DOM, l’occasion a été manquée d’y porter remède dans le Traité de Maastricht en 1992. En effet, il n’a été inséré qu’une déclaration annexée (Déclaration n° 26) reprenant deux considérants du POSEIDOM, sans véritable portée juridique et ne donnant pas aux instances communautaires les pouvoirs d’action nécessaires à l’adoption des dispositions et mesures spécifiques utiles13. Au milieu des années 1990, les DOM et plus largement les régions ultrapériphériques sont confrontées non seulement à leurs problèmes internes de développement mais aussi à l’impact négatif des contraintes extérieures engendrées par le surcroît de libéralisation, et donc de mise en concurrence, résultant de la mise en place du marché intérieur, des avantages consentis aux Etats ACP du fait des conventions de Lomé et des implications des accords commerciaux de Marrakech. Dans ce contexte, la nécessité d’un statut communautaire permettant aux instances communautaires de prendre les dispositions nécessaires au développement des RUP se fait sentir et il est réclamé de façon pressante par les intéressées directement ou par des intermédiaires tels que le Parlement européen. Ainsi les présidents des régions ultrapériphériques se mobilisent et constituent un front commun au cours de leurs réunions de Strasbourg, le 16 mars 1995, et de Pointe-à-Pitre, le 29 mars de la même année. Dans leurs déclarations, ils affirment la nécessité de prendre en compte les réalités et les spécificités de leurs régions à travers le concept de l’ultrapériphéricité et de consolider leur statut juridique dans le Traité de l’Union en cours d’élaboration. Le 14 mars de l’année suivante, réunis à Funchal, dans la perspective de la Conférence intergouvernementale de Turin, ils proposent d’introduire dans le nouveau traité un article reconnaissant notamment l’application du Traité instituant la Communauté européenne et du droit dérivé aux régions ultrapériphériques (Açores, Canaries, Guadeloupe, 12
CJCE (Cour plénière), 9 août 1994, René Lancry SA e.a. contre Direction générale des douanes e.a. affaires jointes C-363/93, C-407/93, C-408/93, C-409/93, C-410/93 et C-411/93, Recueil de textes, pp. 293-300, notamment paragraphes 38 et 39. Voir Rigaux (A) et Simon (D), Marché intérieur : note sous l’arrêt Lancry de la CJCE du 9 août 1994, Revue Europe, octobre 1994, n° 161, pp. 10-11. 13 Voir Jos ( E ), La déclaration du Traité de Maastricht sur les régions ultrapériphériques, in Les Antilles-Guyane au rendez-vous de l'Europe : le grand tournant ?, Fred Réno et Richard Burton (dir.), Paris, Economica 1994, pp. 255-269.
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Guyane, Madère, Martinique, Réunion) et la possibilité pour le Conseil, « pour tenir compte des spécificités de ces régions », d’adopter « des mesures particulières en leur faveur » et de déterminer « les conditions spéciales de mise en œuvre des politiques communes selon la procédure de l’article 189 B, après consultation du Conseil Economique et Social et du Comité des Régions, dans la mesure et aussi longtemps qu’il existe un besoin objectif de prendre de telles dispositions… »14. Pour sa part le Parlement européen adopte le 29 juin 1995 une résolution demandant l’instauration d’un statut spécifique pour les régions ultrapériphériques de l’Union. Dans sa résolution du 13 mars 1996, énonçant ses priorités politiques vis-à-vis de la conférence intergouvernementale (CIG), il prend position pour l’incorporation au traité de dispositions prévoyant un traitement différencié et spécifique en faveur des régions ultrapériphériques. La résolution du 24 avril 1997 relative aux problèmes de développement des régions ultrapériphériques de l’Union européenne15, outre la recommandation d’une série de mesures, comporte, à destination de la CIG, la proposition d’un article à incorporer dans le traité (voir en annexe le texte ainsi que le protocole qui l’accompagne). Quant aux Etats membres de la Communauté auxquels sont rattachés les régions ultrapériphériques, à savoir la France, l’Espagne et le Portugal, ils se sont engagés dans la négociation dans le sens souhaité par ces régions et ont obtenu l’incorporation au traité d’Amsterdam de l’article souhaité, devenu l’article 299 §2 du traité CE. b - La réponse : l’article 299 §2 du Traité CE Le texte de l’article adopté par le Traité d’Amsterdam est assez conforme aux propositions qui avaient émergé des discussions préparatoires. La version consolidée figurant dans le Traité CE sous le numéro 299 §2 stipule : « 2. Les dispositions du présent traité sont applicables aux départements français d'outre-mer, aux Açores, à Madère et aux îles Canaries. Toutefois, compte tenu de la situation économique et sociale structurelle des départements français d'outre-mer, des Açores, de Madère et des îles Canaries, qui est aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de 14 Voir le texte complet dans Pouvoirs dans la Caraïbe, Revue du CRPLC, n° 8-9, 19961997, pp. 203-204 ainsi qu’en annexe à l’ouvrage Le développement des DOM et la Communauté européenne, sous la direction de Loïc Brard et Arnaud de Raulin, Paris, La Documentation française, collection les études, 1998, pp. 173 et s.. 15 Recueil de textes, pp. 376-381.
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produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l'application du présent traité à ces régions, y compris les politiques communes. Le Conseil, en arrêtant les mesures visées au deuxième alinéa, tient compte des domaines tels que les politiques douanières et commerciales, la politique fiscale, les zones franches, les politiques dans les domaines de l'agriculture et de la pêche, les conditions d'approvisionnement en matières premières et en biens de consommation de première nécessité, les aides d'État, et les conditions d'accès aux fonds structurels et aux programmes horizontaux de la Communauté. Le Conseil arrête les mesures visées au deuxième alinéa en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières des régions ultrapériphériques sans nuire à l'intégrité et à la cohérence de l'ordre juridique communautaire, y compris le 16 marché intérieur et les politiques communes. » .
Cet article affirme le principe de l’application des dispositions du Traité aux régions ultrapériphériques (alinéa 1), souligne les raisons qui légitiment un traitement différencié (alinéa 2 premier membre de phrase), attribue un pouvoir d’action au Conseil selon des modalités précisées (alinéa 2 deuxième membre de phrase), indique les domaines dont il convient de tenir particulièrement compte (alinéa 3) et indique les limites fixées au Conseil dans l’exercice des compétences particulières qui lui sont conférées (alinéa 4). Il convient de souligner que les apports principaux de cet article sont, d’une part, l’ouverture de la possibilité d’adopter des conditions d’application (sous-entendu particulières) du traité dans tous les domaines, ce qui rompt avec la segmentation figurant dans l’article 227 §2 et, d’autre part, la substitution de la décision à la majorité qualifiée à la décision à l’unanimité prévue dans l’article précédent17. Un certain nombre de demandes ont été formulées à destination des instances communautaires en vue de donner plein effet aux stipulations de l’article 299 §2. Avant l’entrée en vigueur du nouvel article (mai 1999) issu du traité d’Amsterdam, les Etats concernés ont présenté à la Commission, le 5 mars 1999, un mémorandum commun (dit de Cayenne) qui proposait une stratégie globale d’action en faveur des RUP. Le Conseil européen de Cologne des 3 et 4 juin 1999 a invité la Commission à présenter au Conseil, avant la fin de 1999, un rapport énumérant un ensemble de mesures 16
Recueil de textes, pp. 20-21. Voir, entre autres, Perrot (D), « Le nouvel article 299 §2 du traité instituant la Communauté européenne, vers un approfondissement de la différenciation juridique en faveur des régions ultrapériphériques ? », Pouvoirs dans la Caraïbe, n° 12, 2000, pp. 111-151 ; Custos (D), « Champ d’application territorial du droit communautaire », Jurisclasseur Europe, 2000, fascicule n° 472. 17
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destinées à mettre en œuvre les dispositions de l'article 299 §2. Le 10 décembre 1999, le gouvernement français a adressé un mémorandum « pour la mise en œuvre de l’article 299 §2 du traité d’Amsterdam »18. L’Espagne (le 7 novembre 1999) et le Portugal (le 10 décembre 1999) en ont fait autant. Conformément à la demande du Conseil européen de Cologne, la Commission a répondu en définissant sa stratégie globale d’action en faveur du développement des RUP fondée sur le nouvel article dans son rapport du 14 mars 200019. Au sommet de Santa Maria de Feira des 19 et 20 juin 2000 le Conseil a pris note du programme de travail présenté par la Commission et l’a invitée à lui soumettre au plus vite les mesures qui devront être adoptée dans les meilleurs délais. Un certain nombre de textes sont venus concrétiser les orientations prises concernant la fiscalité du rhum, l’octroi de mer, les conditions d’approvisionnement spécifiques, les aides d’Etat, l’organisation communautaire du marché de la banane (OCM banane), la coopération régionale (INTERREG III B), la programmation de l’allocation des fonds structurels pour la période 2000-2006 déclinée dans les documents Uniques de Programmation (DOCUP)20. Face aux nouveaux défis représentés par l’élargissement de 2004, la négociation d’un nouveau traité relatif à l’établissement d’une constitution pour l’Europe, la programmation des actions prévues dans le cadre de la politique de cohésion pendant la période 2007-2013, la mise en conformité du droit communautaire avec les engagements pris au sein de l’OMC, la France, l’Espagne et le Portugal ont estimé opportun de se regrouper en présentant un mémorandum commun le 2 juin 2003. Ce mémorandum a été en partie alimenté par une « Contribution des régions ultrapériphériques au Mémorandum conjoint des Etats sur le développement de l’article 299 §2 TCE ». La réponse de la Commission est venue dans sa communication du 26 mai 2004, intitulée « Un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques »21. Dans cette communication, la Commission considère que « la reconnaissance dans l’article 299 §2 du traité, d’un statut spécifique à l’ultrapériphérie, trouve son fondement dans les principes d’égalité et de proportionnalité permettant de traiter de façon différente la situation distincte 18
Recueil de textes, pp., 440-444. COM (2000) 147 final. Ce rapport a fait l’objet d’une résolution du Parlement européen le 25 octobre 2000 (JOCE C 197 du 12.07.02p. 197), d’un avis du Comité des régions le 13 décembre 2000 (JOCE C 144 du 16.05.01, p.11) et du Comité économique et social des 29 et 30 mai 2002 (CES 682/2002). 20 Cf. Rapport de la Commission du 19 décembre 2002, COM (2002) 723 final du 19.12.2002 concernant la mise en œuvre de l’article 299 §2 du traité CE, relatif aux mesures applicables aux régions ultrapériphériques. Il s’agit par exemple des règlements adoptés en 2001 relatifs au volet agricole des POSEI, des décisions relatives à l’AIEM des Canaries ou encore de la réduction du taux d’accises pour des alcools au bénéfice de Madère, des Açores et des DOM. 21 COM (2004) 343 final. 19
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de ces régions. Grâce à ce statut, l’Union européenne permet aux citoyens originaires des régions ultrapériphériques de bénéficier des mêmes opportunités que celles prévalant dans l’ensemble de l’Union en modulant l’action communautaire ». Sur la base des propositions de la Commission en date du 14 juillet 200422les nouveaux règlements relatifs à la programmation 2007-2013 pour les fonds structurels23 prennent en compte les problèmes spécifiques de RUP. En effet, le règlement portant dispositions générales sur le FEDER, le FSE et le Fonds de Cohésion en date du11 juillet 2006 indique que : « Les régions ultrapériphériques devraient bénéficier de mesures spécifiques et d'un financement supplémentaire pour compenser les handicaps résultant des facteurs mentionnés à l'article 299, paragraphe 2, du traité » et que « Il convient d'intégrer aux programmes opérationnels financés par le FEDER dans les régions ultrapériphériques la dotation supplémentaire destinée à compenser les frais supplémentaires auxquels font face ces régions. » dit :
En conséquence, au point 20 de l’Annexe II de ce règlement, il est
« Compte tenu des contraintes particulières qu'elles connaissent, les régions ultrapériphériques visées à l'article 299 du traité et (autres régions citées) … bénéficieront d'un financement supplémentaire du FEDER. Ce financement s'élèvera à 35 EUR par habitant et par an et viendra s'ajouter à tout financement auquel ces régions ont droit par ailleurs ». En ce qui concerne les plafonds applicables aux taux de cofinancement, l’annexe III précise : « Régions ultrapériphériques visées à l'article 299, paragraphe 2, du traité bénéficiant du financement supplémentaire pour ces régions prévu au point 20 de l'annexe II Espagne, France et Portugal 50 % — Régions ultrapériphériques visées à l'article 299, paragraphe 2, du traité Espagne, France et Portugal 85 % au titre des objectifs convergence et compétitivité régionale et emploi ». Le Règlement relatif au FEDER en date du 5 juillet 2006, qui a comme base juridique non seulement l’article 162 §1 mais aussi l’article 299
22
COM (2004) 492 final et COM (2004) 495 final. Règlement relatif au FEDER n° 1080/2006 du 5 juillet 2006, JOCE L 210/1 du 31.7.2006 et Règlement portant dispositions générales sur le FEDER, le FSE et le Fonds de Cohésion du11 juillet 2006, JOCE L 210/25 du 31.7.2006. 23
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§2 deuxième alinéa, compte tenu des dispositions spécifiques aux RUP qu’il comporte, énonce d’abord que : « Une attention particulière devrait être réservée aux régions ultrapériphériques, notamment en étendant, à titre exceptionnel, le champ d'intervention du FEDER pour y englober le financement des aides au fonctionnement visant à compenser les surcoûts dus à leur situation particulière du point de vue économique et social, situation aggravée par l'isolement, l'insularité, la faible superficie, la topographie et le climat défavorables de ces régions, ainsi que par leur dépendance économique à l'égard d'un nombre réduit de produits, caractéristiques permanentes et combinées qui entravent sévèrement le développement de ces régions. De telles mesures spécifiques requièrent l'utilisation comme base juridique de l'article 299, paragraphe 2, du traité ».
Puis, il consacre son article 11 aux RUP, dans les termes suivants : « 1. L'allocation additionnelle spécifique visée au paragraphe 20 de l'annexe II du règlement (CE) n° 1083/2006 est utilisée, dans les régions ultrapériphériques, pour compenser les surcoûts liés aux handicaps visés à l'article 299, paragraphe 2, du traité et induits par le soutien: a) aux priorités visées à l'article 4 et/ou, le cas échéant, à l'article 5; (l’article 4 concerne l’objectif convergence et l’article 5 l’objectif compétitivité et emploi) b) au transport de marchandises et à l'aide au démarrage de services de transport; c) aux opérations liées aux contraintes de stockage, au surdimensionnement et à l'entretien des outils de production ainsi qu'au manque de capital humain sur le marché local. 2. Dans le champ d'application de l'article 3, l'allocation additionnelle spécifique peut financer des coûts d'investissement (l’article 3 précise la nature des investissements). En outre, l'allocation additionnelle spécifique est utilisée, pour un minimum de 50 %, pour contribuer au financement des aides au fonctionnement et des dépenses couvrant des obligations et des contrats de service public dans les régions ultrapériphériques. 3. Le montant auquel s'applique le taux de cofinancement est proportionnel aux surcoûts visés au paragraphe 1 supportés par le bénéficiaire dans le cas des aides au fonctionnement et des dépenses couvrant des obligations et des contrats de service public uniquement et il peut couvrir le total des coûts éligibles dans le cas des dépenses pour investissement. 4. Le financement au titre du présent article ne peut être utilisé en faveur: a) d'opérations liées aux produits relevant de l'annexe I du traité;
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b) d'aides au transport de personnes autorisées en vertu de l'article 87, paragraphe 2, point a), du traité; (concerne les aides d’Etat aux consommateurs individuels) c) d'exonérations fiscales et de charges sociales. »
S’agissant des RUP qui ont dépassé le seuil de 75 % du PIB moyen de l’UE un soutien transitoire, qui ne vise pas spécifiquement les RUP, est prévu par le règlement général. Celui-ci dispose que : « 1. Les régions de niveau NUTS 224 qui auraient été éligibles au titre de l'objectif convergence en vertu de l'article 5, paragraphe 1 si le seuil d'éligibilité était resté à 75 % du PIB moyen de l'UE à 15, mais qui perdent leur éligibilité parce que le niveau de leur PIB nominal par habitant dépassera 75 % du PIB moyen de l'UE à 25, mesuré et calculé conformément à l'article 5, paragraphe 1, sont éligibles, sur une base transitoire et spécifique, à un financement par les Fonds structurels au titre de l'objectif convergence. 2. Les régions de niveau NUTS 2 couvertes en totalité par l'objectif no 1 en 2006 au titre de l'article 3 du règlement (CE) no 1260/1999, dont le PIB nominal par habitant, mesuré et calculé conformément à l'article 5, paragraphe 1, dépassera 75 % du PIB moyen de l'UE à 15 sont éligibles, sur une base transitoire et spécifique, à un financement par les Fonds structurels au titre de l'objectif compétitivité régionale et emploi. Étant donné que, sur la base des chiffres révisés pour la période 1997-1999, Chypre aurait dû être éligible à l'objectif no 1 pour la période 2004-2006, Chypre bénéficiera pendant la période 2007-2013 du financement transitoire applicable aux régions visées au premier alinéa. ».
Parmi les RUP, sont concernées Madère et les Canaries. S’agissant de Madère, il est dit : « Les régions de niveau NUTS 2 d’Itä-Suomi et Madère, tout en conservant le statut de régions en phase d'instauration progressive de l'aide, bénéficieront du régime financier transitoire prévu au point 6, sous a). » S’agissant des Canaries, il est prévu : « La région de niveau NUTS 2 des Canaries bénéficiera d'une enveloppe financière supplémentaire de 100 millions EUR pour la période 2007-2013 au titre du soutien transitoire visé à l'article 8, paragraphe 2. ». En dépit des avancées incontestables qu’il favorise l’article 299 §2 fait l’objet d’un certain nombre de réflexions critiques qui peuvent conduire à se poser la question de savoir si une évolution statutaire ne serait pas 24
NUTS signifie unités territoriales statistiques. Il s’agit d’une nomenclature utilisée depuis 1988 par l’Office européen des statistiques EUROSTAT. Elle permet de disposer d’une base de répartition territoriale pour les Fonds structurels. Il y a trois niveaux : NUTS de niveau 1, de niveau 2 et de niveau 3. Au cours de la programmation 2000-2006, l’éligibilité à l’objectif 1 a été définie principalement par référence au NUTS niveau 2.
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nécessaire pour faire face de façon plus optimale aux défis actuels du développement des territoires concernés. 2 - Des insuffisances textuelles et des risques de pratiques réductrices Les critiques généralement adressées au régime juridique instauré par l’article 299 §2 tiennent aussi bien au texte qu’aux applications qui en sont faites. a - Les insuffisances textuelles L’analyse critique du texte de l’article 299 §2 permet de déceler un certain nombre d’ambiguïtés rédactionnelles et de regretter certaines absences dans l’énumération des domaines prioritaires d’action et la disparition de certains énoncés qui figuraient dans l’article 227 §2 alinéa 3. La première des ambiguïtés contenues dans le texte réside dans l’utilisation de la formulation « départements français d’outre-mer » s’agissant des territoires rattachés à la France, alors que les territoires rattachés à l’Espagne et au Portugal sont désignés nominativement. Cette formulation, qui reprend celle figurant dans l’ancien article 227 §2, entretient l’ambiguïté sur le fait de savoir s’il y a ou pas un lien entre le statut constitutionnel interne des territoires français situés outre-mer et leur statut communautaire. Autrement dit, le classement au sein des collectivités départementales entraînerait automatiquement celui de RUP et aurait pour conséquence un classement automatique parmi les PTOM des autres statuts internes des collectivités territoriales de la République française situées outre-mer. Il est probable que la distribution originelle entre les deux statuts communautaires, celui de l’article 227 §2 et celui de l’association prévue par la Partie IV (articles 131 à 136) et la convention d’application relative à l’association des pays et territoires d’outre-mer à la Communauté, effectuée à la demande du gouvernement français en 1957 s’est inspirée de la distinction en droit interne entre les territoires classés parmi les DOM et ceux relevant du statut de TOM. Les premiers ont vocation, sauf exception déterminée par les autorités compétentes (législateur ou pouvoir réglementaire), à être régies par les mêmes règles que les départements situés sur le territoire métropolitain. Les seconds sont régis par le principe de la spécialité législative, autrement dit de l’application des lois sur mention
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expresse (sauf certaines catégories de textes applicables de plein droit, lois dites de « souveraineté »25). Les analyses doctrinales ont montré toutefois que ce qui prime, conformément aux principes du droit international général et que reconnaît explicitement le Conseil constitutionnel26, ce sont les dispositions du traité et donc la volonté des parties à attribuer tel ou tel statut à tel ou tel territoire27. Que la volonté des parties soit influencée par certaines considérations inspirées par le droit interne est une chose, l’influence des évolutions du droit interne sur les dispositions conventionnelles en est une autre. Pour tenir compte de ces évolutions, il convient de suivre les procédures de modifications prévues par les traités concernés. Mais encore faut-il que les dispositions du traité soient dénuées de toute ambiguïté s’agissant de l’identification des territoires en cause. Ce n’est pas le cas dans l’article 299 §2. En effet, s’il est vrai que les collectivités territoriales françaises situées outre-mer relevant du statut de PTOM sont identifiées clairement par la déclinaison de leurs noms au sein de l’annexe II du traité CE, c’est par déduction que l’on parvient à identifier sous le terme générique de départements français d’outre-mer la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion. Cette déduction résulte non seulement de la tradition historique mais encore des textes de droit dérivé qui se réfèrent habituellement à ces quatre territoires lorsqu’il est question des départements français d’outre-mer. Il y a lieu de se demander pourquoi, alors que certaines propositions de texte, notamment celle des présidents de régions ultrapériphériques adoptée à Funchal le 14 mars 1996, prévoyaient la désignation par leurs noms des régions ultrapériphériques françaises, le texte final qui pourtant désigne par leurs noms les territoires espagnols et portugais, ne le fait pas pour les territoires français. L’ambiguïté a-t-elle été maintenue volontairement afin de dissuader les velléités d’abandon du classement parmi les collectivités départementales au motif qu’il entraînerait la perte des avantages liés au statut communautaire de région ultrapériphérique ?
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Voir Luchaire (F), Le statut constitutionnel de la France d’outre-mer, Paris, Economica, 1992, pp. 65-82. 26 Décision n) 91-294 DC du 29 juillet 1991, JO du 27 juillet 1991 p. 10001 relative à la convention du 19 juin 1990 concernant l’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985, où il est dit : « le champ d’application territorial d’une convention internationale est déterminé par ses stipulations ». 27 Voir Ziller (J), « Les possibilités et les limites constitutionnelles et internationales d’évolutions statutaires », in Maud Elfort et alii (dir.), La loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000, pp. 67-91.
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La seconde ambiguïté, de portée bien moindre que la précédente, est celle qui résulte de la rédaction de l’alinéa 3 où il est dit que le Conseil « tient compte des domaines tels que ». On peut penser qu’il s’agit de domaines à considérer comme prioritaires mais la formulation aurait pu être plus claire. S’agissant des domaines à considérer comme prioritaires, une analyse de la problématique du développement des RUP permet de penser que l’énumération pertinente faite par l’alinéa 3 et qui retient celle qui figurait dans les propositions du Parlement européen, aurait pu être utilement complétée par l’adjonction des domaines de la coopération régionale, de la culture et des services d’intérêt économique général. En effet, compte tenu du fait que les institutions communautaires ont admis l’importance primordiale de l’insertion des RUP dans leur environnement régional avec les programmes REGIS, POSEIDOM, INTERREG B, certaines dispositions des conventions de Lomé et maintenant de l’accord de Cotonou28 ainsi que le plan d’action « Grand voisinage » prévu dans le cadre de la politique de cohésion (programmation 2007-2013), cette dimension aurait pu figurer à l’article 299 §2. Quant à la dimension culturelle du développement, les organisations internationales mettent fortement l’accent sur la nécessité de l’intégrer dans les priorités. On peut d’ailleurs observer que la résolution du Parlement européen du 11 mai 1987 invite les diverses autorités concernées par leur développement à « tenir compte de la spécificité ethnique et culturelle des départements d’outre-mer »29. On peut regretter, enfin, que l’article 299 §2 ne reprenne pas la disposition qui figurait dans l’alinéa 3 de l’article 227 §2, à savoir que « les institutions de la communauté veilleront dans le cadre des procédures prévues par le présent traité… à permettre le développement économique et social [il aurait fallu dire aussi culturel] de ces régions ». Certes l’obligation des instances communautaires de promouvoir le développement des régions ultrapériphérique est sous-jacent dans l’article 299 §2, puisque l’indicatif présent, utilisé dans la formule « le Conseil arrête », vaut en droit obligation de faire et se distingue par là de la formule « peut arrêter ». Mais l’énoncé figurant dans l’article 227 §2 alinéa 3 est plus explicite et sa reprise aurait établi une continuité historique dans la tâche assignée aux instances communautaires. Il convient de noter que la proposition de rédaction du Parlement européen citée supra retenait cette formulation. Plus préoccupants sont les risques de pratiques réductrices pouvant découler d’une interprétation restrictive de l’article 299 §2 du traité CE. 28
Voir Jos ( E ), Le devenir des relations entre les départements français d'Amérique et les Etats ACP et PTOM environnants, communication au colloque CRPLC/CEDRE de janvier 2001 sur Les relations ACP/UE après le modèle de Lomé, 19 pages, à paraître. 29 Recueil de textes, p. 369, paragraphe 45.
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b - Les risques de pratiques réductrices Les décisions POSEIDOM et octroi de mer du 22 décembre 1989, tout en mettant l’accent sur les mesures propres à favoriser le développement des DOM, soulignent déjà la nécessité « d’intégrer les départements d’outremer pleinement dans le processus d’achèvement du marché intérieur » et plus largement de respecter les règles du traité. La décision relative au régime de l’octroi de mer admet des exonérations de la taxe en faveur des productions locales à condition qu’elles contribuent à la promotion ou au maintien d’une activité économique et s’insèrent dans la stratégie de développement économique et social de chaque DOM « sans être pour autant de nature à altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun ». Le respect des règles du traité a eu pour conséquence, notamment, sur le terrain du droit matériel, l’obligation de réformer l’octroi de mer et sur celui du droit procédural de recourir à l’article 235 afin de pallier l’absence de pouvoir d’action contenu dans l’article 227 §2. Pour sa part, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), dans son arrêt Chevassus-Marche du 19 février 199830, formule, elle aussi, des conditions limitatives s’agissant des possibilités de déroger aux règles du traité, puisque, interprétant l’article 227 §2, et notamment sa référence à l’article 22631, elle estime que les institutions communautaires « ne peuvent autoriser que les dérogations strictement nécessaires et limitées dans le temps, choisissant prioritairement les mesures qui apportent le moins de perturbations au fonctionnement du marché commun »32. Pour la CJCE « la décision n’autorise donc que les exonérations nécessaires, proportionnelles et précisément déterminées »33. Le dernier alinéa de l’article 299 §2 formule, à son tour, des limites à l’adoption par le Conseil « des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l’application du traité » aux RUP. Il le fait toutefois de façon ambiguë, de telle sorte qu’il ouvre la voie aux interprétations restrictives. Il stipule, en effet que, « le Conseil arrête les mesures visées au deuxième alinéa en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières des régions ultrapériphériques sans nuire à l'intégrité et à la cohérence de l'ordre juridique communautaire, y compris le marché intérieur et les politiques communes ». Quelle est la portée exacte des expressions telles que « nuire », « intégrité », « cohérence », « ordre juridique communautaire » ? Au nom de l’intégrité et de la cohérence de l’ordre juridique communautaire, il 30 CJCE (Cour plénière), 19 février 1998, Paul Chevassus-Marche contre Conseil général de La Réunion, affaire C-212/96, Recueil de textes pp. 339347. 31 L’article 299 §2 n’étant pas encore en vigueur. 32 Paragraphe 41. 33 Paragraphe 49.
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y a un risque évident de restriction du champ ouvert pour les propositions de la Commission et pour les décisions du Conseil en matière d’adaptation et surtout de dérogation. A partir de quel degré de différenciation y a-t-il nuisance ? L’ordre juridique communautaire réside-t-il uniquement dans des principes relatifs au droit matériel ou bien inclut-il aussi le respect de principes procéduraux ? L’interprétation restrictive de l’alinéa 3 peut conduire les instances communautaires à n’utiliser que très exceptionnellement les pouvoirs d’action contenus dans l’article 299 §2 et à considérer que les problèmes de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion peuvent trouver de façon suffisante leurs solutions grâce à d’autres dispositions du traité. Ces dispositions sont celles relatives notamment à la cohésion économique et sociale, aux aides d’Etat, à la politique agricole commune, en particulier aux organisations communes de marché. Elles sont loin d’être sans intérêt pour les RUP françaises, en tant que parties intégrantes de la Communauté et il est logique que les RUP puissent bénéficier des dispositifs de droit commun. Ces dispositifs ont toutefois révélé, en pratique, leurs insuffisances eu égard aux problématiques de développement propres aux RUP, d’où la nécessité des « mesures spécifiques » aux RUP adoptées sur le fondement de l’article 299 §2. Ces mesures spécifiques peuvent être incluses dans des textes de portée générale ou dans des textes spécifiques aux RUP. Lorsqu’il s’agit de mesures spécifiques incluses dans des textes non spécifiques aux RUP, il est logique que la base juridique de l’adoption de l’ensemble du texte soit une base juridique de droit commun et que l’article 299 §2 soit évoqué pour justifier les dispositions spécifiques incluses dans le texte. S’agissant de la politique de cohésion économique et sociale, on observe que le règlement général est fondé sur l’article 161 du traité, conformément à la proposition de règlement du Conseil portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion du 14 juillet 200434. Il prévoit une mesure spécifique qui, sans viser exclusivement les RUP puisque d’autres régions de la Communauté sont concernées, peut bénéficier à certaines d’entre elles, à savoir que les régions affectées par l’effet statistique découlant de la diminution de la moyenne communautaire en matière de PIB par habitant suite à l’élargissement pourront bénéficier d’une aide transitoire substantielle dans le cadre de l’objectif convergence. A noter que cette concession est faite de façon restrictive puisque la proposition précise que « cette aide prendra fin en 2013 et ne sera suivie d’aucune autre période de transition. 34
COM (2004)492 final.
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L’article 299 §2 n’est pas évoqué sur ce point, ce qui se conçoit. En revanche, cet article est évoqué lorsque le règlement général prévoit que « les régions ultrapériphériques doivent bénéficier de mesures spécifiques et d’une allocation additionnelle pour compenser les handicaps résultant des facteurs mentionnés à l’article 299 §2 du traité ». La proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au FEDER met en œuvre la préconisation du règlement général dans un chapitre II, comportant des dispositions particulières concernant le traitement des spécificités territoriales. Dans son article 11, il prévoit une aide additionnelle, en dérogation à l’article 3 paragraphe 2 de ce règlement, afin de contribuer au financement des aides au fonctionnement liées à la compensation des surcoûts dans une série de domaines mentionnés à l’article 4 auxquels sont ajoutés l’appui au transport des marchandises et au démarrage des services de transport, les appuis liés aux contraintes de stockage, au surdimensionnement, à l’entretien des outils de production et à l’insuffisance de disponibilité de capital humain sur le marché du travail local. Compte tenu de cette dérogation, le règlement a pour bases juridiques les articles 162 §1 et 299 §2, deuxième alinéa. On observe dans les textes qui viennent d’être évoqués la volonté politique de la Commission d’inclure le plus possible les RUP dans les perspectives de droit commun et de moduler, à la marge, les dispositifs prévus afin de tenir compte des handicaps propres aux RUP. Outre les dispositions spécifiques aux RUP contenues dans les textes de portée générale, certains textes sont eux-mêmes spécifiques aux RUP, autrement dit, ils ne concernent que cette catégorie de régions. Il apparaît logique qu’ils soient adoptés sur la seule base juridique de l’article 299 §2, ce qui est le cas pour un certain nombre de textes35. En revanche, d’autres textes qui pourtant sont spécifiques aux RUP, sont adoptés, par un choix délibéré de la Commission, sur une double base juridique, ce qui fait l’objet d’une controverse. C’est le cas notamment du règlement du Conseil du 30 janvier 2006 portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union36. Ce règlement est fondé sur les articles 36, 37 et 299 §2. Ce choix a été contesté à juste titre, lors de leur consultation, par le Comité des 35
Par exemple : Décision du Conseil du 18 février 2002 autorisant la France à proroger l’application d’un taux d’accise réduit sur le rhum « traditionnel » produits dans ses départements d’outre-mer (2002/166/CE), JOCE 26.2.2002, L 55/33 et Décision du Conseil du 10 février 2004 relative au régime de l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer et prorogeant la décision 89/688/CEE (2004/162/CE), JOCE L52/64, 21.2.2004. 36 Règlement (CE) n° 247/2006 du Conseil du 30 janvier 2006, JOCE n° L 42 du 14 février 2006, p. 1.
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régions et par la commission du développement régional du Parlement européen. Lors de sa session des 13 et 14 avril 2005, le Comité des Régions a estimé que le futur règlement devait être fondé sur le seul article 299 §2 qui constitue la base juridique permettant d’adopter des mesures spécifiques en faveur des régions ultrapériphériques y compris dans le cadre de la politique agricole commune37. Quant à la commission du développement régionale du Parlement européen, elle a, elle aussi, demandé la suppression de la mention des articles 36 et 37 comme bases juridiques au motif que le seul article 299 §2 est la base juridique adéquate et suffisante pour ce règlement sur des mesures spécifiques en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union européenne, dans le domaine de l’agriculture38. Saisi, en 2001, sur les projets de la Commission relatifs aux mesures destinées aux régions ultrapériphériques, un rapport sénatorial déplorait déjà dans les termes suivants l’utilisation minimaliste de l’article 299 §2 : « S'il convient de se féliciter de la présentation, par la Commission européenne, de ce premier ensemble de mesures destinées à mettre en œuvre l'article 299 §2 du traité, ces propositions soulèvent, cependant, certaines difficultés. Tout d'abord, on ne peut que déplorer le fait que ces propositions ne soient pas fondées de manière plus explicite sur l'article 299 §2. En effet, les propositions de la Commission concernant le volet agricole ont une triple base juridique (les articles 36 et 37 s'ajoutant à l'article 299 §2). De plus, celles relatives aux fonds structurels ne citent l'article 299 §2 que dans le cadre de l'exposé des motifs et se fondent soit sur l'article 37, relatif à la PAC, soit sur l'article 161, relatif à la cohésion économique et sociale. Or, cela revient à relativiser la portée de ce nouvel article introduit par le traité d'Amsterdam, qui permet justement d'introduire des dérogations concernant l'ensemble des principes communautaires. Il semble, d'ailleurs, que la Commission ait volontairement écarté cet article, en se fondant sur l'argument peu convaincant, avancé par son service juridique, selon lequel l'article 299 §2 n'aurait pas la portée qu'on lui prête habituellement. Cela constitue donc un précédent préoccupant au regard des potentialités offertes par cet article. En outre, la nature de la base juridique retenue conditionne la procédure d'adoption de l'acte en question, or, si l'article 299 §2 permet au Conseil de se prononcer à la majorité qualifiée, l'article 161 requiert, lui, une adoption à l'unanimité qui nécessite donc un consensus parmi les Etats membres, ainsi que l'avis conforme du Parlement européen. Il serait, par conséquent, souhaitable de ne retenir que l'article 299 §2 comme base juridique de cet ensemble de mesures. »39 37
JOCE 20 septembre 2005, C231/75. Juin 2005. 39 Textes E 1631 et E 1647 COM (2000) 774 final et COM (2000) 791 final.
38
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La Commission ne semble pas disposée à remettre en cause sa pratique de la double base juridique. Ainsi, au cours du « Forum partenarial RUP/Etats/Commission européenne », qui s’est tenu à l’île de La Réunion le 4 septembre 2005, la Commissaire, responsable de la politique régionale au sein de la Commission européenne, a déclaré « je veux souligner que le recours à la double base juridique pour l’adoption des mesures spécifiques au bénéfice de vos régions n’a, à ce jour, jamais empêché la Commission de formuler des propositions et le Conseil de les adopter »40. La commissaire a bien dit « à ce jour », ce qui n’exclut pas le risque accru que représente la nécessité dans certains cas de la décision à l’unanimité dans le cadre de la Communauté élargie. Par ailleurs la pratique de la double base juridique pose problème au regard de la jurisprudence de la CJCE. En effet, le choix de la seule base juridique de l’article 299 §2 répondrait aux exigences posées par la Cour de justice, qui se montre défavorable à l’utilisation de plusieurs bases juridiques. Pour la Cour les « éléments objectifs » permettant de déterminer le choix de la base juridique sont notamment « le but et le contenu de l’acte »41. Le but des mesures spécifiques prévues par l’article 299 §2 est de répondre à une nécessité de développement des RUP et le contenu de l’acte qui les fixe est soit un financement additionnel, soit une adaptation ou encore une dérogation par rapport au droit commun. Tant en ce qui concerne le but que le contenu du règlement du 30 janvier 2006, l’utilisation de la seule base juridique de l’article 299 §2 s’imposait. L’une des divergences possibles d’interprétation vient de la question de savoir quelle signification donner à « mesures spécifiques ». Selon nous, la différenciation positive à l’égard des RUP, justifiant l’existence de cet article et découlant de sa lettre elle-même, conduit à considérer que par « mesures spécifiques » il faut entendre aussi bien la possibilité de 40
Danita Hübner, membre de la Commission européenne, responsable de la politique régionale, Les régions ultrapériphériques, une chance pour l’Europe, discours prononcé le 4 septembre 2005, à l’occasion du Forum partenarial RUP/Etats/Commission européenne qui s’est tenu à l’île de La Réunion. Il convient de noter qu’à cette occasion la commissaire a souligné que « les régions ultrapériphériques représentent d’abord une chance pour l’Europe » car elles permettent à l’Union européenne de détenir un territoire maritime très étendu, source de richesses halieutiques, environnementales et atout stratégique ». « Vous permettez- dit-elle à l’Europe d’établir des relations privilégiées avec les pays qui sont vos voisins, et donc nos voisins. Vous savez rester attractifs pour certaines activités de recherche et de haute technologie, à l’image de l’institut d’Astrophysique des îles Canaries, de l’Agence spatiale européenne de Guyane ou du Département d’Océanographie et de la Pêche de l’Université des Açores…enfin, vos cultures vivantes et votre ouverture au monde sont des éléments valorisants de la diversité qui fait la force de l’Europe ». 41 Arrêt de la CJCE du 29 avril 2004, affaire C-338/01, Directive 2001/44/CE – Choix de la base juridique.
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spécificité des actes adoptés (règlements, décisions), la spécificité des destinataires, à savoir les RUP, et la spécificité des mesures quant au contenu de celles-ci. En clair, toute mesure dont l’objet est de favoriser le développement des RUP visées explicitement devrait se référer entre autres à l’article 299 §2, mais tout acte spécifique visant les RUP et prévoyant des dispositions particulières à leur bénéfice devrait avoir l’article 299 §2 comme seule base juridique. Les insuffisances réelles ou consécutives à des interprétations réductrices de l’article 299 §2, qui viennent d’être évoquées, justifient une interrogation sur les perspectives souhaitables d’amélioration des dispositions du droit primaire.
II - PERSPECTIVES D’EVOLUTIONS STATUTAIRES ET DEVELOPPEMENT Compte tenu des problèmes de développement rencontrés par les RUP rattachés à la République française (1), sans préjuger de ce que souhaitent les territoires liés à l’Espagne et au Portugal, le choix ne saurait résider, selon nous, entre les statuts actuels de RUP et de PTOM, selon les procédures actuellement en vigueur. La question doit être posée de l’évolution de ces statuts eux-mêmes et de la démocratisation des procédures de choix entre eux (2). 1 - La problématique du développement des RUP a - Un diagnostic récurrent De rapports en rapports, de mémorandum en mémorandum, de résolutions en résolutions, le diagnostic de la situation économique et sociale des RUP françaises soulignent les mêmes problèmes essentiels. Ceux-ci sont très semblables à ceux que rencontrent la plupart des petits Etats insulaires en développement qui font depuis une décennie l’objet d’une attention plus grande de la part de la communauté internationale42. Les principales difficultés rencontrées par les RUP dans leur trajectoire de développement sont recensées notamment dans la résolution du 42
Voir Laurent (E ) et Guero-Marester (V), « Le traitement spécial et différencié dans les négociations commerciales internationales », in Dévoué (E ) et Jos (E) (dir.), Accords commerciaux dans la Caraïbe et échanges entre collectivités territoriales françaises d’Amérique et pays ACP de la Caraïbe, Paris, Publibook, 2004, pp. 33-60.
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Parlement européen du 24 avril 1997 relative aux problèmes de développement des régions ultrapériphériques de l’Union européenne (voir annexe II) : Cette recension comparée aux analyses faites généralement concernant les petits Etats insulaires en développement (SIDS) permet de constater la grande similitude des situations, ce qui incite à inclure les RUP (petits territoires insulaires à l’exception de la Guyane française) et les PTOM (tous de petits territoires insulaires en développement) dans la réflexion amorcée quant aux solutions qui seraient adaptées à leur problématique spécifique de développement. En effet, le Programme d’action de Barbade43, puis la Stratégie de Maurice44 relative au développement durable des petits Etats insulaires en développement mettent en relief des contraintes à bien des égards identiques à celles rencontrées par les RUP et les PTOM. Il y a lieu de constater la même vulnérabilité et la nécessité tout aussi impérieuse d’adopter des mesures d’urgence. b - La nécessité d’un projet de développement légitimé démocratiquement Le choix d’un statut interne ou communautaire dépend, il convient de le souligner à nouveau, de son aptitude à promouvoir le développement, mais de quel développement s’agit-il ? Avant de décliner un projet concret de développement, des options préalables s’imposent sur le type de développement qu’il convient de promouvoir. Les réflexions du Système des Nations Unies sur le développement sont susceptibles d’apporter des éclairages utiles en la matière. On retiendra que parler de développement humain, tel que le préconise le PNUD, permet de souligner, comme le fait l’UNESCO, que « l’homme est à l’origine du développement ; il en est aussi la fin »45. Il s’agit de donner à la dimension humaine, sociale et culturelle toute sa place à côté de la dimension économique. Donner toute sa place à la dimension humaine, c’est subordonner la rentabilité, la compétitivité, la concurrence au respect des personnes. C’est aussi rechercher le bien être de chacun non par des 43
Nations Unies, Conférence mondiale sur le développement durable des petits Etats insulaires en développement, Bridgetown, Barbade, 26 avril-6 mai 1994. 44 Nations Unies, Réunion internationale d’examen de la mise en œuvre du Programme d’action pour le développement durable des petits Etats insulaires en développement, PortLouis, Maurice, 10-14 janvier 2005. 45 Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, UNESCO, Mondiacult, 1982.
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processus d’assistance mais par le renforcement de la responsabilité individuelle et collective. Le terme solidaire ajouté au développement humain permet de souligner le nécessaire dépassement de l’individualisme catégoriel ou national. La dimension communautaire a toute sa valeur et ne se confond pas avec le communautarisme qui en constitue une déviation. Enfin, le concept de développement durable permet d’indiquer la nécessaire conciliation de la croissance économique avec l’équité sociale et le respect de l’environnement, dans la perspective d’une satisfaction des besoins des générations actuelles en préservant les intérêts de générations futures. L’enjeu du développement durable réside plus fondamentalement encore dans la préservation des conditions mêmes de la vie. L’expression développement humain, solidaire et durable nous semble donc synthétiser particulièrement bien le type de développement et finalement le type de société qu’il convient de promouvoir46. Concrètement, cette option implique des politiques publiques à la fois interventionnistes et incitatrices de l’initiative privée. Vu la situation économique et sociale des RUP françaises, héritée du passé et liée à des facteurs structurels, tels que l’insularité et l’exiguïté, des politiques publiques de compensation des handicaps et de réduction des inégalités, voire de réparation des séquelles actuelles des traumatismes historiques, demeurent indispensables. L’existence de services publics efficaces en matière d’éducation et de culture, de santé, de transports, de sécurité, d’environnement, de prévention, de secours et de reconstruction en matière de risques et de catastrophes naturelles constituent des priorités hautes que les pouvoirs publics, chacun en fonction de leurs compétences et en complémentarité, doivent assumer. La réalisation d’équipements et d’infrastructures propices à l’activité productive, les incitations fiscales à l’investissement, des politiques douanières et d’immigration, sachant doser de façon pertinente les ouvertures nécessaires et les protections indispensables, sont également des aspects incontournables de la responsabilité publique. En revanche, il appartient à l’initiative privée individuelle et collective de formuler et de réaliser, dans le cadre ainsi favorisé, des projets concrets de développement économique, social, culturel et durable.
46
Sur la question du type de développement, voir Jos (E), « Demande d’assimilation, demande d’émancipation et demande de développement », in Entre assimilation et émancipation, Rennes, édition Les Perséides, 2006, pp. 141-158.
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Un projet de développement a d’autant plus de chance de réussir qu’il résulte d’un processus lui conférant un haut degré de légitimité. Autrement dit, s’il provient d’un processus participatif et officialisé par une institution politique représentative et dotée des compétences pertinentes. Ainsi est-on renvoyé à la question de la gouvernance et de l’ingénierie institutionnelle. Est ainsi posée la question de l’optimisation statutaire aussi bien en droit interne que vis-à-vis de la Communauté et plus largement de l’Union européenne. Cette contribution limitera la réflexion au statut communautaire. 2 - L’opportunité de nouvelles avancées statutaires Les difficultés et les insuffisances du statut communautaire actuel des RUP peuvent conduire à imaginer, un peu rapidement, que la solution serait d’opter pour le régime d’association des PTOM, en sortant ainsi du marché commun. Cette option ne nous semble pas pertinente pour la plupart des RUP françaises. Il semble plus opportun d’opter pour une amélioration du statut des RUP au sein de la Communauté, ce qu’avait, en partie, amorcé le projet de traité établissant une constitution pour l’Europe et qu’il conviendrait de prolonger. a - La non pertinence de l’évolution vers un statut de PTOM pour la plupart des RUP La raison souvent avancée pour justifier l’éventuelle mutation de RUP en PTOM est la possibilité offerte par ce régime de disposer de protections douanières ou de dispositions fiscales particulières, ceci d’autant plus que, par ailleurs, le niveau de PIB atteint par le territoire concerné dépasserait les 75 % de la moyenne communautaire, puisque le franchissement de cette barre serait censé entraîner la diminution puis la disparition de l’allocation des fonds structurels. Il ne nous semble pas pertinent pour la plupart des RUP françaises d’opter pour un statut de PTOM au motif qu’il offrirait la possibilité de protections douanières ou de dispositions fiscales favorisant l’activité productive et l’obtention de ressources budgétaires accrues47. Il ne nous semble pas prouvé tout d’abord, dans l’hypothèse où l’octroi de mer serait pérennisé en tant qu’instrument s’inscrivant dans la stratégie de 47
Sur le statut des PTOM voir Dormoy (D), « Association des Pays et Territoires d’outre-mer (PTOM) à la Communauté européenne », éditions du Jurisclasseur, 1995, fascicule 473, 235 p ; Ziller (J), « L’association des pays et territoires d’outre-mer à la Communauté européenne », Revue française d’administration publique n° 101, 2002, pp. 127-136.
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développement des RUP françaises, que la valeur ajoutée d’éventuelles protections douanières, qui doivent être justifiées elles aussi par les nécessité du développement et des besoins de l’industrialisation des PTOM concernés (article 184 §3 CE), serait suffisamment significative pour justifier un changement de statut. De plus, compte tenu du fait que, sous la pression de l’OMC, la tendance est à l’ouverture des marchés, on voit mal comment une évolution vers davantage de protectionnisme pourrait être organisée de façon réaliste dans le contexte actuel. S’agissant du bénéfice des fonds structurels, il s’avère que, y compris dans l’hypothèse d’une diminution des financements alloués aux RUP dans le cadre des fonds structurels, les allocations destinées à soutenir leurs projets de développement demeurent beaucoup plus substantielles que celles qui leur seraient consenties dans le cadre des financements du FED réservé aux PTOM. Enfin, l’application des politiques communes aux RUP, si elle entraîne un certain nombre de contraintes, présente de multiples avantages. On citera en exemple le haut niveau de protection en matière d’environnement dont l’importance est avérée s’agissant des écosystèmes fragiles des petits territoires insulaires. La solution nous semble donc à rechercher plutôt dans une amélioration du statut des RUP que dans la migration vers celui des PTOM. Le traité établissant une Constitution pour l’Europe amorçait quelques réformes dont certaines pouvaient être considérées comme des avancées. Il est toutefois souhaitable d’aller plus loin. b - Les réformes envisagées par le Traité établissant une Constitution pour l’Europe Trois articles du Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TICE) visent explicitement les régions ultrapériphériques (RUP), il s’agit des articles IV-440, III-424, et III-167. L’article IV- 440 précise le champ d’application territorial du traité, l’article III- 424 indique les modalités particulières d’application du traité aux RUP alors que l’article III-167 qui prévoit des dérogations possibles en matière d’aides accordées par les Etats membres ou au moyen de ressources d’Etat susceptibles de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. S’agissant du champ d’application territorial du traité, on observe que le paragraphe 2 de l’article IV-440 du TICE innove en précisant que le traité « s’applique à la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique et La Réunion », alors que l’article 299 §2 du Traité instituant la Communauté
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européenne (TCE) utilise le terme générique de « départements français d’outre-mer ». On note par ailleurs que le paragraphe 7 de l’article IV- 440 stipule que « Le conseil européen, sur l’initiative de l’Etat membre concerné, peut adopter une décision européenne modifiant le statut à l’égard de l’Union d’un pays ou territoire français, néerlandais ou danois visé aux paragraphes 2 et 3. Le Conseil européen statue à l’unanimité après consultation de la Commission ». Pour sa part, l’article III-424 apporte les modifications suivantes à l’article 299 §2 actuel du TCE : - A l’instar de l’article IV-440, il n’utilise plus la formule « département français d’outre-mer » mais désigne nominativement les territoires concernés à savoir : « la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique et La Réunion », - il remplace la rédaction actuelle qui stipule que « le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant en particulier, à fixer les conditions de l’application du présent traité à ces régions, y compris les politiques communes » par la rédaction selon laquelle « le Conseil, sur proposition de la Commission, adopte des lois, lois-cadres, règlements et décisions européens visant, en particulier, à fixer les conditions d’application de la constitution à ces régions, y compris les politiques communes. Il statue après consultation du Parlement européen ». - il substitue à la formulation « Le Conseil, en arrêtant les mesures visées au deuxième alinéa, tient compte des domaines tels que… », un énoncé qui dit que « Les actes visés au premier alinéa portent notamment sur… » - il indique enfin que « Le Conseil adopte les actes visés au premier alinéa en tenant compte… » au lieu de « Le conseil arrête les mesures visées au deuxième alinéa en tenant compte… ». Quant à l’article III-167, il complète l’énoncé de l’actuel article 87 du TCE qui dispose que « peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous emploi » en ajoutant le membre de phrase suivant : « ainsi que celui des régions visées à l’article II 424
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[autrement dit les RU], compte tenu de leur situation structurelle, économique et sociale »48. Comment apprécier ces modifications ? Sont-elles notamment porteuses d’avancées ou de régressions quant à la situation juridique actuelle des RUP ? : La désignation nominative de la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique et La Réunion : une rédaction attendue et une clarification nécessaire La désignation nominative des territoires français éligibles au statut de RUP était souhaitée depuis plusieurs années par des élus et une partie de la doctrine juridique. Au moment où s’élaborait le traité d’Amsterdam, les Présidents des régions ultrapériphériques réunis à Funchal le 14 mars 1996 avaient proposé une rédaction dont le premier paragraphe était le suivant : « Les dispositions du traité instituant la Communauté européenne et du droit dérivé s’appliquent aux Régions ultrapériphériques (Açores, Canaries, Guadeloupe, Guyane, Madère, Martinique, Réunion) ». Dans une étude relative à la réforme en cours en 1996, l’équipe de recherche du Centre de recherche sur les pouvoirs locaux dans la Caraïbe (CRPLC) proposait, elle aussi, de nommer les régions auxquelles s’appliquent les dispositions de l’article49. La désignation nominative de la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique et La Réunion correspond à une triple nécessité : s’inscrire dans la logique rédactionnelle du traité, remplacer un vocabulaire devenu archaïque et ambigu et se prémunir contre les manipulations de l’opinion publique. - S’inscrire dans la logique juridique et rédactionnelle du traité En effet, en général, lorsque, dans le traité, il est question d’un régime particulier applicable à un ou plusieurs territoires, le traité prend soin de désigner nominativement les territoires concernés. C’est le cas pour les îles Féroé, les îles Åland, les îles Anglo-Normandes, l’île de Man et les Pays et territoires d’outre-mer dont la liste nominative est donnée en annexe. Actuellement, la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique et La Réunion n’apparaissent nominativement nulle part dans le droit primaire. Il y a de plus une dissymétrie avec les autres territoires classés parmi les RUP, à 48 Voir Vestris (I), « Les RUP dans le traité constitutionnel », in Jos (E) (dir.), Traité établissant une constitution pour l’Europe, continuités et changements, journées d’études du CRPLC, 15 janvier 2005, CRPLC et CRDP, Fort de France, 2005, pp. 119-127 ; Ziller (J), L’union européenne et l’outre-mer, Pouvoirs, n° 113, 11 février 2005, p. 151. 49 Revue Pouvoirs dans la Caraïbe, n° 8-9, 1996-97, p. 209.
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savoir les Açores, Madère et les îles Canaries, qui sont eux désignés nominativement. - Remplacer un vocabulaire devenu archaïque et ambigu La rigueur juridique et le devoir de clarté vis-à-vis des citoyens nécessite que désormais l’expression « département d’outre-mer » ne soit plus utilisée comme un terme générique désignant l’ensemble du territoire de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique ou de La Réunion. Il convient désormais, notamment depuis la superposition des collectivités départementales et régionales sur un même territoire, d’utiliser l’expression « département d’outre-mer » lorsqu’il s’agit précisément de la collectivité départementale et de ses compétences, ce qui n’est pas le cas du droit communautaire. En effet, en droit communautaire l’expression « départements français d’outre-mer » ne renvoie pas à une catégorie de collectivité territoriale du droit interne français. Il n’a jamais été question pour la Communauté en adoptant des actes juridiques sur la base de l’article 227 §2 puis de l’article 299 §2 de viser les collectivités départementales en tant que personne morale du droit public français, disposant de pouvoirs et de domaines de compétence précis, à l’exclusion par exemple des collectivités régionales. L’interprétation donnée par l’arrêt Hansen (paragraphe 9), en se référant à la constitution française, est de voir dans l’expression département français d’outre-mer non pas la référence à une catégorie de collectivité territoriale du droit interne français mais l’indication d’une intégration dans la République française d’où découle logiquement l’intégration dans la CEE50. Ce qui est clair pour la plupart des juristes ne l’est pas forcément pour le grand public, il convient donc de dénouer l’ambiguïté. - Se prémunir contre les manipulations de l’opinion Lors de la consultation du 7 décembre 2003 relative à la substitution d’une collectivité unique à la collectivité départementale et régionale en Martinique, il s’est avéré, comme on pouvait s’y attendre, que les partisans du « non » ont tiré argument de la rédaction de l’article 299 §2 du traité instituant la Communauté européenne pour faire croire aux électeurs que la création d’une collectivité territoriale nouvelle qui ne s’intitulerait pas département mettrait ipso facto celle-ci hors du champ juridique des régions ultrapériphériques. Les tenants de cette « thèse » ne précisaient d’ailleurs pas dans quelle catégorie juridique du droit communautaire la nouvelle 50
Arrêt Hansen paragraphe 9 : « Attendu qu’il résulte de l’article 227 paragraphe 1 que le statut des DOM dans la Communauté est défini en première ligne, par référence à la constitution française, aux termes de laquelle…les DOM font partie intégrante de la République », cf. Recueil de textes p. 268.
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collectivité se retrouverait en sortant du groupe des RUP. En réalité, l’argument consistait à attiser la peur de la perte des avantages liés à l’éligibilité aux fonds structurels. Cette thèse a eu d’autant plus de chance d’obtenir l’adhésion des non spécialistes qu’il s’avérait difficile d’expliquer à tout un chacun que l’expression « département français d’outre-mer » n’avait pas la même portée juridique en droit communautaire qu’en droit interne et que l’important pour que la nouvelle collectivité demeure éligible au statut de RUP n’était pas son appellation mais la nature des compétences qui lui étaient dévolues. En effet, il importait de ne pas doter la collectivité de compétences incompatibles avec celles qui sont attribuées à la Communauté et qui puissent s’avérer contradictoires, notamment avec l’appartenance à l’union douanière. La disparition de l’expression départements français d’outre-mer et l’énoncé des territoires par leur nom sont de nature à permettre de se prémunir contre les manipulations de l’opinion sur ce point, sans préjuger des choix que les électeurs peuvent être amenés à faire en toute liberté et en toute clarté. : La consolidation du statut communautaire particulier des RUP : le maintien d’une base juridique autonome permettant au Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, de prendre, à la majorité qualifiée, des actes juridiques fixant les conditions d’application du traité aux RUP. Il n’était pas a priori évident de voir reconduire dans le texte luimême du Traité établissant une Constitution pour l’Europe des dispositions particulières relatives aux RUP. Il n’était pas évident non plus d’obtenir que l’article pertinent soit placé dans la partie du traité lui permettant de constituer une base juridique horizontale applicable à toutes les politiques de l’Union. La négociation du traité pouvait déboucher sur la suppression pure et simple du statut particulier des RUP ou encore l’intégration des RUP dans la catégorie générale des régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents telles que les régions les plus septentrionales à très faible densité de population et les régions insulaires, transfrontalières et de montagne (article III -220 du TECE). On ne peut que se féliciter du maintien de l’acquis communautaire d’un statut spécifique pour les RUP, compte tenu du fait que les raisons qui ont conduit à l’adopter n’ont pas disparu et ne risquent pas de disparaître vu leur caractère structurel : éloignement, insularité, faible superficie, relief et climat difficiles, dépendance par rapport à un petit nombre de produits. Il est clair que ces facteurs séparément constituent des handicaps et que leur cumul ou combinaison constitue un facteur aggravant. Ceci explique que le traité
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doit pouvoir s’appliquer dans un certain nombre de cas avec des modalités particulières à ces régions. Le statut spécifique étant préservé a-t-il été révisé à la baisse ? En dépit d’une modification rédactionnelle qui peut être mal interprétée, l’article III -424 ne remet pas en cause l’adoption à la majorité qualifiée (plus facile à obtenir que l’unanimité notamment dans une Communauté élargie à 25) des actes juridiques nécessaires à la fixation des conditions particulières de l’application du traité aux RUP. En effet, l’article I-23 stipule que « Le Conseil statue à la majorité qualifiée, sauf dans les cas où la Constitution en dispose autrement ». L’article III-424 n’indique pas que le Conseil décide à l’unanimité, en conséquence, toutes les lois, loiscadres, règlements et décisions européens adoptés sur la base juridique de l’article III-424 sont adoptés par le Conseil à la majorité qualifiée. Il convient d’observer également que le fait que l’article III - 424 précise que le Conseil adopte les actes concernés après consultation du Parlement européen inclut ce processus décisionnel dans la catégorie des procédures législatives spéciales (article I-34 §2). En effet, la procédure législative ordinaire décrite à l’article III-396 prévoit une adoption conjointe du Parlement et du Conseil. On peut noter, par ailleurs, que, à la demande des Présidents des régions ultrapériphériques51, la rédaction finale a intégré les actes législatifs (lois et lois-cadres européennes) parmi les actes pouvant réaliser les conditions d’application. On observe également que dans ce Mémorandum ces Présidents n’ont pas exprimé d’inquiétude quant à un recul relatif à la décision à la majorité qualifiée parce qu’il n’y avait pas lieu d’en avoir. L’article III-424 ne mentionne pas, comme le fait l’article 299 §2 alinéa 2, que le Conseil « arrête des mesures spécifiques ». Le terme de mesure étant trop vague dans le contexte d’un changement de nomenclature des actes juridiques de droit dérivé prévu par le TECE, il paraissait opportun de préciser la nature des actes qui peuvent être adoptés en faveur des RUP sur la base de l’article III-424. La disparition du mot spécifique peut être considéré, en revanche, comme regrettable même si il n’y a pas lieu, selon nous, d’y voir une régression sur le plan juridique. En effet, la possibilité d’adoption de mesures spécifiques découle du pouvoir conféré par cet article au Conseil de « fixer les conditions d’application de la Constitution » aux RUP. C’est d’ailleurs le raisonnement opéré déjà par la CJCE dans l’arrêt Hansen. En effet, l’article 227 §2 alinéa 2 n’évoquait pas explicitement la possibilité pour le Conseil d’adopter des mesures spécifiques mais de 51
Contribution des Régions ultrapériphériques au Mémorandum conjoint des Etats sur le développement de l’article 299 §2 TCE, du 2 juin 2003, p. 18.
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déterminer « les conditions d’application des autres dispositions du présent traité ». La Cour a interprété ce texte en considérant qu’il signifiait que « l’application du traité se ferait par étapes en ménageant, au surplus, les plus larges possibilités de prévoir des dispositions particulières, adaptées aux exigences spécifiques de ces parties du territoire français ». Elle reprécise un peu plus loin « qu’il reste toujours possible de prévoir ultérieurement des mesures spécifiques en vue de répondre aux besoins de ces territoires »52. Déterminer des conditions d’application inclut donc le pouvoir d’adopter des mesures spécifiques. La même logique conduit à considérer que la possibilité de dispositions particulières ou de mesures spécifiques est incluse dans le pouvoir conféré au Conseil par l’article III-424 de « fixer les conditions d’application de la Constitution à ces régions ». S’il ne s’agissait pas de conditions particulières d’application on ne voit pas l’utilité qu’aurait cette mention. Ceci étant, pour couper court à tout doute, il pouvait être précisé que les lois, lois-cadres, règlements et décisions européens seraient particuliers ou spécifiques. La substitution de l’adverbe « notamment » à l’expression « tient compte » indique plus clairement que les domaines énumérés, de façon non exhaustive, par l’alinéa 2 de l’article III-424 sont ceux qui feront prioritairement l’objet des actes particuliers du Conseil. Le dernier alinéa de l’article III-424 reproduit à l’identique celui de l’article 299 §2. S’agit-il dès lors des mêmes restrictions ? La question est de savoir si, avec le TECE, la cohérence de l’ordre juridique communautaire se trouve modifiée. Ceci fait l’objet d’une vive controverse. Notre analyse est que cette cohérence n’est pas bouleversée mais infléchie dans deux directions qui peuvent être favorables à une interprétation moins restrictive de l’utilisation de la base juridique propre aux RUP. Le premier élément à prendre en compte est que le vote à la majorité qualifiée devient la règle et le vote à l’unanimité l’exception. Ceci devrait concourir à légitimer davantage l’utilisation de la majorité qualifiée dans le cadre de l’article III-424. Le second élément est que la combinaison de l’ensemble des objectifs de l’Union, définis à l’article I-3, tel que le préconise l’article III-115, devrait conduire à relativiser l’exigence de la mise en concurrence au profit d’une politique mettant davantage l’accent sur le développement durable, le progrès social ou encore la cohésion territoriale. Toutefois, à défaut d’une lecture novatrice, le risque demeure dans cette rédaction d’interprétations restrictives.
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Arrêt cité, paragraphes 10, Recueil de textes, p. 269.
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: La possibilité de passage du statut de RUP au statut de PTOM et vice versa : une fluidité accrue. Le Traité prévoit sur la base de l’article IV-440 §7 une possibilité de changement de régime juridique en droit communautaire selon une procédure plus simple que celle d’une révision nécessitant, entre autres, la ratification par chacun des Etats membres. L’initiative est réservée à l’Etat membre concerné. La décision est adoptée à l’unanimité des membres du Conseil, ce qui compense la suppression de la ratification par tous les Etats membres. La possibilité de modifier le statut d’un pays ou d’un territoire à l’égard de l’Union est réservé à ceux qui son rattachés au Danemark, à la France et aux Pays-Bas visés aux paragraphes 2 et 3 de l’article IV-440. Dans le paragraphe 2 ne sont concernées parmi les RUP que la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion en totalité ou certaines de leurs anciennes composantes comme Saint-Barthélemy, qui peuvent éventuellement être intéressées par le changement de statut à l’égard de l’Union. L’Espagne et le Portugal n’ont pas manifesté d’intérêt pour une éventualité ne correspondant pas apparemment aux aspirations des Canaries, des Açores et de Madère. Le paragraphe 3 est relatif aux PTOM dont la liste figure à l’annexe II du traité. Les territoires mentionnés dans cette annexe rattachés au Danemark, à la France et aux Pays-Bas sont le Groenland, La Nouvelle-Calédonie et ses dépendances, la Polynésie française, les îles Wallis-Et-Futuna, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Aruba et les Antilles néerlandaises (Bonaire, Curaçao, Saba, Saint-Eustache, Sin Marteen). Le Groenland étant le seul territoire néerlandais mentionné, on peut déduire que les Pays-Bas n’excluent pas que ce territoire puisse un jour souhaiter avoir un autre type de statut vis-à-vis de l’Union. S’agissant des territoires français, la demande existe d’ores et déjà du côté de Mayotte d’intégrer le groupe des RUP, ce qui explique l’existence de la Déclaration n° 28 prévoyant que « le Conseil, prendra une décision européenne aboutissant à la modification du statut de Mayotte à l’égard de l’Union, de manière à ce que ce territoire devienne une région ultrapériphérique…lorsque les autorités françaises, notifieront au Conseil européen et à la commission que l’évolution en cours du statut interne de l’île le permet ». Les Pays-Bas ne semblent pas exclure non plus qu’Aruba ou les Antilles Néerlandaises puissent être un jour intéressées par un autre statut à l’égard de l’Union y compris celui de RUP. En revanche, l’absence de la Grande Bretagne, parmi les Etats membres mentionnés par l’article IV-440 §7, exclut cette évolution pour les divers PTOM britanniques.
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: La possibilité de bénéficier d’une dérogation en matière d’aides d’Etat indépendamment du niveau de PIB : une compensation légitime des contraintes structurelles permanentes. Le service des Affaires européennes du Sénat commentait cette disposition de la façon suivante53 : « Les régions ultrapériphériques bénéficient actuellement d'un traitement dérogatoire en matière d'aides d'État en vertu de l'article 87 §3 point a) du TCE qui dispose que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun “les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous emploi”. Toutefois, la dérogation prévue à cet article a fait l'objet d'une interprétation stricte par la Cour de Justice des Communautés européennes (arrêt du 14 octobre 1987, Allemagne c/ Commission, aff. 248/84, Rec. p 4013). Comme la Commission européenne a eu l'occasion de le préciser dans ses lignes directrices concernant les aides à finalité régionale du 10 mars 1998, c'est seulement en vertu de leur niveau de PIB par habitant, qui est inférieur à 75 % de la moyenne communautaire, que les régions ultrapériphériques bénéficient d'un traitement dérogatoire en matière d'aides d'État. Or, du fait de l'élargissement, certaines régions ultrapériphériques pourraient être touchées par un effet statistique, dans la mesure où leur niveau de PIB par habitant, qui aurait été inférieur à 75 % de la moyenne communautaire des quinze, pourrait être supérieur à la moyenne de l'Union élargie à vingt-cinq. La mention des régions ultrapériphériques à l'article III-167 vise donc à corriger cet effet statistique en accordant une dérogation permanente à ces régions en raison de leur spécificité indépendamment de leur situation socio-économique. »
Cette rédaction constitue donc un incontestable progrès par rapport au texte actuel. Au total, il ressort de cette analyse que les dispositions relatives aux RUP contenues dans le Traité établissant une Constitution pour l’Europe ne traduisent pas un recul par rapport aux dispositions actuelles. Ces modifications peuvent toutefois faire aussi l’objet d’un certain nombre d’améliorations.
RUP
3 - L’optimisation souhaitable du statut communautaire des
Les améliorations souhaitables du statut des RUP sont diverses et concernent aussi bien les justifications du traitement différencié positif, le champ possible de celui-ci et les processus décisionnels conduisant à l’adoption des dispositions particulières. 53
Service des Affaires européennes du Sénat, Constitution européenne, comparaison avec les traités en vigueur, www.senat.fr/rapport_constitution/rapport_constitution18.html.
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L’affirmation contenue dans le premier alinéa de l’article 299 §2, selon laquelle le traité s’applique aux RUP constitue une redondance compte tenu du fait que ces territoires font partie intégrante d’Etats membres auxquels le traité s’applique et sont mentionnés par ailleurs au paragraphe premier de l’article 299. L’importance de l’insertion dans le traité d’une base juridique spécifique et autonome est d’affirmer d’emblée que le traité s’applique dans des conditions particulières à une liste de territoires. Il est utile de préciser nominativement les territoires concernés par ces conditions particulières d’application afin d’éviter les ambiguïtés évoquées plus haut. La justification de cette application particulière est ensuite nécessaire. Il s’agit pour les institutions de l’Union du devoir de pallier les impacts négatifs que peuvent avoir certains actes communautaires sur ces territoires vulnérables aux chocs extérieurs et plus positivement de veiller à favoriser le développement durable de ces territoires en prenant en compte leurs caractéristiques et contraintes ainsi que leurs atouts dans les domaines économiques, social, culturel et environnemental. Ainsi seraient mentionnés dans l’article le devoir de promouvoir le développement durable des RUP en compensant les handicaps explicités, en réduisant l’impact des chocs extérieurs et en valorisant leurs atouts. Parmi les caractéristiques et contraintes, certes le climat difficile est mentionné dans l’article actuellement en vigueur, mais il semble, toutefois, utile de mentionner plus explicitement la grande vulnérabilité aux catastrophes naturelles. En effet, ces catastrophes ne sont pas toutes liées au climat, tels que les cyclones ou la sécheresse. Il y a aussi malheureusement les tremblements de terre et les éruptions volcaniques dont on connaît les effets dévastateurs sur le plan humain et économique. Une énumération, non exhaustive, a vocation à indiquer les domaines prioritaires dans lesquels des mesures supplémentaires spécifiques ou bien d’adaptation de mesures de droit commun, mais aussi de dérogation y compris au droit primaire, peuvent favoriser le développement durable de ces territoires. Outre les domaines actuellement mentionnés par l’article 299 §2 alinéa 3, il serait logique de mentionner la culture et la coopération régionale dans l’optique d’une valorisation des atouts et non plus seulement de compensation des handicaps. Le peu de soutien apporté au développement culturel dans les programmes destinés aux RUP s’explique en grande partie par le fait que la culture n’apparaît pas comme un domaine prioritaire de l’action communautaire en leur faveur. La mention du domaine culturel dans les priorités serait susceptible de justifier davantage les soutiens apportés à la
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culture non seulement comme secteur de développement mais aussi en tant que facteur de développement. Le secteur culturel (musique, danse, théâtre, arts plastiques, audiovisuel, TIC, etc.) constitue un atout indiscutable de valorisation dans les RUP, compte tenu de la créativité résultant du processus de créolisation. En tant que facteur de développement durable, l’action dans le domaine de la culture apporte d’une part, des plus-values indiscutables à la croissance économique, notamment dans le secteur du tourisme et, d’autre part, le renforcement des valeurs culturelles indispensables à la construction du développement durable. Certes la compétence principale appartient dans le domaine culturel aux Etats membres, mais un soutien communautaire aux actions programmées et entreprises localement, dans l’optique d’une action intégrée de développement des RUP, a toute son importance. Le POSEIDOM soulignait avec raison qu’il fallait développer une meilleure insertion des régions ultrapériphériques dans leur environnement régional. Le programme INTERREG III B y concourt ainsi que certaines dispositions de l’accord de Cotonou. Vu l’importance accordée par le droit dérivé et les accords avec les Etats ACP à cette dimension, sa mention dans le droit primaire apparaît tout à fait justifiée. Ceci devrait, par ailleurs, faciliter l’association des RUP à la négociation des accords de pêche avec leurs voisins, cette compétence étant dévolue à la Communauté. S’agissant du processus décisionnel, il convient d’éviter toute ambiguïté en stipulant explicitement la possibilité d’adoption des mesures supplémentaires et des dispositions d’adaptation ou dérogatoires à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission après consultation du Parlement européen. La stipulation se doit d’être suffisamment claire pour que l’article apparaisse comme la base juridique nécessaire et suffisante pour l’adoption des actes spécifiques relatifs aux RUP. Ces dispositions, comme le prévoit le projet de TECE, sur le plan normatif doivent être des actes de tous niveaux. Se pose alors la question du champ possible des mesures supplémentaires, des adaptations et des dérogations. La détermination de ce champ doit éviter l’énoncé de limites qui videraient l’article de sa substance et lui enlèverait ainsi tout effet utile. Il s’agit de parvenir à une conciliation entre le choix de l’intégration et l’impératif de différenciation positive en vue du développement durable des RUP. En s’inspirant de la jurisprudence Chevassus-Marche, le Conseil, en adoptant les dispositions particulières aux RUP, aurait à s’assurer que celles-ci s’intègrent dans la stratégie de développement durable de chaque RUP et adopterait les actes de niveau normatif approprié en adoptant les financements additionnels, les adaptations ou les dérogations « nécessaires » de façon « proportionnelle et précisément
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déterminée ». La question de leur nécessité ne devrait pas être livrée à la seule appréciation de la Commission. Quant à la place de cet article dans le traité, la solution retenue par le TECE mérite d’être reconduite afin de lui donner une portée transversale. Pour ce qui concerne les aides d’Etat favorisant certaines entreprises ou certaines productions, dans la logique de l’article spécifique aux RUP, dans l’article les concernant, leur compatibilité avec le marché commun devrait être admise comme pour « certaines régions de la République fédérale d’Allemagne » et, s’inspirant du texte relatif à ces régions, en les justifiant « dans la mesure où elles sont nécessaires pour compenser les désavantages économiques » liés à l’ultrapériphéricité. S’agissant des changements de statuts communautaires, dans l’article qui leur serait consacré, il conviendrait, là aussi, de suivre l’orientation prise par le TECE, avec toutefois une exigence et une clarification relatives au droit interne. L’exigence est celle d’une subordination de la demande de l’Etat membre d’un changement de statut à l’égard de l’Union de l’un des territoires qui lui sont rattachés à la consultation et au consentement des électeurs concernés. La clarification consiste à admettre qu’il n’y a pas de lien automatique entre tel ou tel statut de droit interne et tel ou tel statut communautaire. L’incompatibilité éventuelle avec le statut communautaire de RUP, il convient de le rappeler, est celle de certaines compétences qui pourraient être dévolues à l’entité territoriale avec l’intégration dans le marché commun.
CONCLUSION En somme, la question de la fluidité statutaire renvoie à la question de l’adéquation du statut juridique au développement. Cette problématique conduit à constater que les dispositions du droit primaire qui leur sont applicables, bien qu’ayant connues d’incontestables améliorations, sont encore perfectibles afin d’optimiser les chances de développement durable des RUP françaises. Cette optimisation se justifie, on l’a vu, en raison de critères objectifs constitutifs de l’ultrapériphéricité et de l’exigence d’un traitement équitable de ces territoires communautaires. Territoires qui, comme le reconnaît madame la commissaire Danuta Hübner, dans son discours prononcé à La Réunion le 4 septembre 2005, constituent « une chance pour l’Europe ».
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ANNEXE I Extrait de la Résolution du 24 avril 1997 relative aux problèmes de développement des régions ultrapériphériques « a. les dispositions du traité instituant la Communauté européenne et celles du droit dérivé s'appliquent aux régions ultrapériphériques (DOM français, Açores, Madère, Canaries), b. toutefois, pour tenir compte du retard économique et social structurel de ces régions, aggravé par des phénomènes (grand éloignement, insularité, faible superficie, relief et climat difficiles, dépendance économique vis-à-vis de quelques produits) dont la persistance et le cumul nuisent gravement à leur développement, le Conseil et le Parlement européen, sur proposition de la Commission, déterminent les conditions d'application des dispositions du traité, ainsi que les conditions spécifiques de mise en œuvre des politiques communes et d'autres mesures particulières en faveur de ces régions, c. les institutions de la Communauté veilleront, dans le cadre des procédures prévues par le présent traité, à permettre le développement économique et social de ces régions; »
La résolution propose également l’adjonction en annexe du protocole suivant : « a. confirme que le nouvel article du traité devra établir la base juridique pour déterminer les conditions spéciales de son application dans les régions ultrapériphériques (Départements français d'Outre-mer, Açores, Madère, Îles Canaries) et pour l'adoption de mesures particulières de droit dérivé, b. toutefois, pour tenir compte du retard économique et social structurel de ces régions, aggravé par des phénomènes (grand éloignement, insularité, faible superficie, relief et climat difficiles, dépendance économique vis-à-vis de quelques produits) dont la persistance et le cumul nuisent gravement à leur développement, le Conseil et le Parlement européen, sur proposition de la Commission, déterminent les conditions d'application des dispositions du traité, ainsi que les conditions spécifiques de mise en œuvre des politiques communes et d'autres mesures particulières en faveur de ces régions, c. établit qu'outre les interventions des fonds structurels et d'autres instruments financiers, cet appui doit se traduire par une adaptation des politiques communes à la réalité régionale, d. fait sien l'accord des États membres dans le sens de l'intensification et du renforcement des actions déjà entreprises dans le cadre des programmes POSEI,
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e. précise que les dispositions du nouvel article du traité se réfèrent en particulier aux domaines suivants, décisifs pour le développement économique des dites régions: - les politiques douanière et commerciale, en particulier dans le cadre des zones franches, - la politique fiscale, dans le but de garantir les moyens d'un développement harmonieux et homogène fondé sur les productions locales et la promotion des investissements dans ces régions, - la politique de défense de l'environnement, notamment la préservation, la restauration et la réhabilitation du littoral, le traitement des eaux usées, la mise en œuvre d'une politique de traitement des déchets et d'encouragement à l'utilisation des énergies renouvelables, - les politiques agricoles et de pêche, afin de soutenir leur production et de promouvoir les efforts de modernisation et de diversification dans le cadre d'un développement durable et d'éviter les politiques agricoles et de pêche, afin de soutenir leur production, de promouvoir les efforts de modernisation et de diversification dans le cadre d'un développement durable et d'éviter la déstabilisation des petites productions résultant des pressions exercées par les multinationales, - l'approvisionnement en matières premières et en biens de consommation essentiels, tenant compte du grand éloignement, f. reconnaît la nécessité de prendre en compte les particularités de chacune de ces régions en ce qui concerne le régime d'aides d'État, notamment pour permettre de compenser les surcoûts qu'entraînent le transport des personnes et des biens et la promotion des activités des entreprises, g. fait sien l'accord prévoyant des conditions d'accès appropriées, tenant compte des caractéristiques de ces régions, à tous les programmes horizontaux de la Communauté, notamment dans les domaines de la société de l'information, de l'énergie, de l'environnement, de la formation professionnelle, du tourisme, des actions de politique d'entreprise, en particulier en ce qui concerne l'accès au financement et de la recherche-développement ; »
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Annexe II Extrait de la Résolution du 24 avril 1997 relative aux problèmes de développement des régions ultrapériphériques «… I. considérant que du point de vue géographique, les régions ultrapériphériques sont caractérisées par un éloignement extrême par rapport à l'Europe continentale, un relief accidenté et une exposition aux risques naturels que sont l'activité volcanique et les cyclones, et qu'elles doivent par ailleurs faire face à des problèmes environnementaux très spécifiques découlant essentiellement du caractère insulaire de la plupart de ces régions et de la singularité de leurs écosystèmes, qui ne fait qu'accroître la difficulté d'appliquer des mesures de protection de l'environnement élaborées pour des espaces continentaux, J. considérant que du point de vue économique, ces régions éloignées et isolées ont en commun un PIB largement inférieur à la moyenne communautaire, un taux de chômage très élevé - jusqu'à 30% de la population active pour l'ensemble des sept régions -, outre de graves carences aux niveaux de la formation et de la qualification de la main-d’œuvre, K. considérant que l'éloignement du continent européen ainsi que la carence en sources d'approvisionnement locales ou proches entraînent pour les produits, de base notamment, des coûts exorbitants imputables aux transports, ce qui compromet gravement leur intégration au marché intérieur, dans les mêmes conditions que les autres régions européennes, L. considérant que l'exiguïté de ces territoires autorise rarement la mise en œuvre de projets économiques d'envergure et rend difficile la réalisation d'économies d'échelle, et que, dans certains cas, cette situation est aggravée par la dispersion caractéristique des archipels et, dans d'autres, par l'implantation dans des contextes géographiques, économiques et culturels très différents des cadres national et européen, M. … N. considérant que du point de vue agricole, les régions ultrapériphériques sont parfois tributaires d'un ou de plusieurs produits placés dans une situation concurrentielle défavorable par rapport au reste de l'Union européenne et à des pays tiers, O. considérant que les producteurs communautaires de bananes des régions ultrapériphériques se trouvent dans une situation d'insécurité juridique et de précarité du fait de la récente décision du panel de l'Organisation mondiale du commerce concernant l'organisation commune du marché de la banane,
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« RUP » OU « PTOM » ? QUELLE FLUIDITE ? QUELLE ALTERNATIVE ? Danielle PERROT
L’intitulé de ce thème [« RUP » ou « PTOM ? »] suggère que le choix entre les « cadres institutionnels outre-mer », au regard du Droit de la Communauté et de l’Union européennes, se pose exclusivement en termes d’alternative. Cela laisse entendre qu’y prédomine la rigidité – et non la fluidité – y compris quant aux statuts particuliers. L’on peut toutefois, en préalable, indiquer que l’ensemble des clauses des Traités – ou « Droit primaire » – ne comporte pas que les exemples ultramarins : Régions ultrapériphériques (RUP) ou Pays et territoire d’outre-mer (PTOM). Il est bien connu que les Etats membres n’ont pas tous le même degré d’intégration dans la Communauté ou l’Union. Il en est ainsi, à propos du passage à la troisième phase de l’Union monétaire, symbolisée par l’utilisation de l’Euro comme monnaie unique ; parmi d’autres illustrations, l’on peut citer les territoires du Royaume-Uni et de la République d’Irlande, dans leur intégralité, qui sont toujours demeurés à l’écart de l’ensemble des accord et convention ayant donné naissance au dispositif dit de « Schengen ». Concernant le cas de portions du territoire d’un même Etat membre, par exemple, toutes les entités ultramarines de la France sont exclues de cet espace « Schengen »1 ; elles sont donc également restées à l’écart du processus d’« intégration de l’acquis de Schengen » organisé par le Traité d’Amsterdam, quel que soit leur statut au regard du Droit public interne ou du Droit de la Communauté européenne. Plus généralement, quant aux subdivisions ou régions des Etats, on peut trouver en Europe géographique même, toute une gamme de situations 1
Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des Etats de l'Union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990, art. 138 : « Les dispositions de la présente Convention ne s’appliqueront, pour la République française, qu’au territoire européen de la République française. Les dispositions de la présente Convention ne s’appliqueront, pour le Royaume des PaysBas, qu’au territoire du royaume situé en Europe. » Voir Décret n° 95-304 du 21 mars 1995 portant publication, JORF n° 69 du 22 mars 1995.
juridiques particulières, depuis l’exclusion totale – c’est le cas des îles Féroé2 – jusqu’à des formes diverses de l’application partielle du droit communautaire commun. A ce titre, l’on connaît, depuis l’adhésion du Royaume-Uni (en 1973), l’exemple des Iles anglo-normandes3 ; ou encore, depuis la reconnaissance du principe du droit de vote aux élections municipales, le Traité CE modifié a prévu la possibilité de clauses particulières « lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient »4. Donc, l’uniformité d’application du Droit communautaire commun qui est le principe, n’est pas totale : c’est dire que lorsque les Etats membres en ont été d’accord, les Traités initiaux, d’adhésion ou de révision (cet ensemble composant le « Droit primaire ») ont déjà pu prévoir toute une gamme de cas particuliers. Ainsi, au regard des ruptures d’uniformité du droit applicable dans l’ensemble communautaire, il apparaît que le Droit communautaire peut s’accommoder de diversité, sinon de souplesse : à condition que les formalités prescrites soient respectées, il est possible de chercher à changer de statut, que ce soit pour être rangé dans l’un de ceux qui existent déjà – par exemple des Régions classées comme ultrapériphériques voulant devenir PTOM ou cherchant à obtenir un autre statut – ou d’en faire façonner un autre encore inédit. A supposer que la comparaison entre les avantages découlant de l’existant et ceux attendus d’une autre situation juridique conduise à préférer le changement, surgissent alors des rigidités procédurales. Car, ce qui est juridiquement fixé par les Traités en vigueur ne peut être modifié que par une révision de ceux-ci, selon les clauses qu’ils comportent. A ce propos, l’actuel article 48 du Traité sur l’Union européenne se révèle exigeant, même si ses contraintes ne sont pas nouvelles, puisque l’essentiel de sa rédaction figurait à l’article 226 du Traité CEE initial. Il est notoire qu’un obstacle majeur réside dans la nécessité de ratification unanime
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Traité CE, art. 299 §6 point a). Traité CE, art. 299 §6 point c) : « les dispositions du présent traité ne sont applicables aux îles Anglo-Normandes et à l'île de Man que dans la mesure nécessaire pour assurer l'application du régime prévu pour ces îles par le traité relatif à l'adhésion de nouveaux États membres à la Communauté économique européenne et à la Communauté européenne de l'énergie atomique, signé le 22 janvier 1972 » ; » ; v. CJCE, arrêt du 16 juill. 1998, aff. C171/96, Rui Alberto Pereira Roque, Rec. 1998, p. I-4607. 4 Ce qui fut fait concernant certaines communes de Belgique et au Luxembourg : Directive 94/80/CE du Conseil, du 19 décembre 1994, fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils n'ont pas la nationalité, art. 12, JOCE L 368, 31 déc. 1994, p. 38. 3
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par tous les Etats membres, avant l’entrée en vigueur d’un acte de révision négocié et signé. Cela n’est pas totalement impossible, surtout si les enjeux apparaissent mineurs pour la plupart des Européens ; cela s’est produit, dans le sens de l’intégration vers l’association, pour le Groenland (dans la Communauté à Dix) ; de région totalement intégrée du Danemark depuis l’adhésion de cet Etat en 1973, il devient PTOM, lorsqu’il est ajouté à la liste figurant alors à l’annexe IV (devenue aujourd’hui annexe II, selon la numérotation issue du traité d’Amsterdam, depuis 1999) : il fallait alors recourir à un Traité, ce qui fut réalisé5. Quant aux rigidités dans l’Union à Vingt-cinq Etats ou davantage, l’on peut noter que les auteurs du Traité constitutionnel signé le 29 octobre 20046 avaient envisagé de les atténuer, spécialement pour des régions non européennes ; mais il faut insister immédiatement sur ce que la procédure simplifiée qui y est prévue ne peut être appliquée avant ratification par tous les Etats membres de ce texte ou d’un autre qui reprendrait la même formulation, au-delà de 2008. L’article IV-440 §7 du Traité du 29 octobre 2004, concerne le passage du statut d’une région ultramarine danoise, française ou néerlandaise [c'est-àdire, ni espagnole, ni portugaise, ni britannique] et visée soit au paragraphe 2 (RUP) soit au paragraphe 3 (PTOM) du même article, à un « autre statut » du même article. L’on songe donc que l’une des actuelles régions dites ultrapériphériques françaises – ou l’une de ses portions (par exemple, la partie française de Saint-Martin ou Saint-Barthélemy, éléments de la Région Guadeloupe) – pourrait devenir PTOM ; ou que l’un des actuels PTOM danois (le Groenland), néerlandais (la partie néerlandaise de Saint-Martin) ou français deviendrait RUP. D’ailleurs, l’hypothèse de la transformation de Mayotte en région ultrapériphérique a été expressément envisagée dans la Déclaration 28 jointe à l’Acte final du Traité du 29 octobre 20047. Mais, de façon plus générale, l’article IV-440 §7 parle de « décision européenne modifiant le statut à l’égard de l’Union… » et non strictement du passage à celui de RUP pour un PTOM, ou l’inverse ; l’hypothèse d’un statut encore inédit serait donc juridiquement possible, du moment que la procédure prescrite serait observée. L’on peut, à ce propos, parler de procédure simplifiée, puisque l’exigence de la ratification par l’unanimité des Etats membres est, dans ce cas, supprimée. Il faudrait une initiative de l’Etat membre concerné, une consultation de la 5
JOCE L 29, 1er février 1985. Traité établissant une Constitution pour l’Europe (ci-après TéCE) ; JOUE C 310, 16 déc. 2004. 7 JOUE C 310, 16 déc. 2004, p. 463. 6
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Commission, l’exigence procédurale maximale étant alors l’unanimité du Conseil européen8. Pour l’instant, la voie de l’exploitation de cette procédure allégée demeurant fermée, jusqu’à remise en chantier d’un éventuel Traité qui reprendrait peut-être ce passage du Traité du 29 octobre 2004, il ne reste que la procédure solennelle de révision, qui se révèle bien rigide. Y a-t-il alors des palliatifs ? L’on peut tout d’abord souligner que le corpus de règles juridiques applicables ne se résume pas à ce qui figure dans les Traités ou « Droit primaire » : par exemple, beaucoup de dispositions qui ont un impact sur la vie économique de tel territoire ultramarin relèvent des actes de mise en œuvre ou « Droit dérivé ». Dans cette catégorie d’actes juridiques, l’on a depuis longtemps pu remarquer que des fondements libellés différemment en droit primaire peuvent donner lieu à des actes de mise en œuvre au contenu similaire ou, du moins, ressemblant. Ainsi, depuis que le régime juridique appliqué aux PTOM relève d’une décision unanime du Conseil, à partir de 1964, il a été pour l’essentiel un décalque de ce qui avait été convenu avec des Etats principalement africains, selon les Conventions de Yaoundé, puis de Lomé – même si depuis 1991, y ont figuré des nuances relatives aux règles d’origine des marchandises9. Mais la lecture du Droit primaire relatif aux PTOM – à savoir la IVe Partie du Traité CE – ne permet pas à elle seule de préjuger que chaque décision d’application, sera soit empreinte d’une très grande similarité avec le droit appliqué dans les relations avec les Etats ACP, soit foncièrement différente. Quant aux régions aujourd’hui dénommées « ultrapériphériques », initialement rien dans le Traité et l’Acte d’adhésion de l’Espagne et du Portugal ne laissait présager un tel regroupement sous le même label : les stipulations primitives à propos des Canaries, de Madère et des Açores étaient dissemblables entre elles et très différentes de l’article 227 §2 du Traité CEE
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C'est-à-dire les Chefs d’Etats ou de Gouvernement, le président du Conseil européen et le Président de la Commission (TéCE préc., art. I-21, §2). 9 Voir particulièrement Décision du Conseil du 25 juill. 1991 relative à l’association des pays et territoires d’outre-mer à la Communauté économique européenne (91/482/CEE), annexe II [notamment art. 3 §3 point b), et art. 30 §7 point b)], JOCE L 263, 19 sept. 1991, p. 1. L’assouplissement des règles d’origine a d’ailleurs conduit à une situation justifiant des limitations quantitatives d’importation, à titre de sauvegarde.
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alors en vigueur10. Les divergences de rédaction du Droit primaire, constatées à la fin des années 80, n’ont pas empêché, d’abord la prise de conscience d’une opportunité de la constitution d’un front revendicatif commun entre les trois groupes de régions, puis l’adoption d’actes juridiques dont les contenus se ressemblent ; si les plus connus sont les décisions instituant des « programmes d’options spécifiques à l’éloignement et l’insularité » (POSEI)11, la similitude concerne également des règlements et décisions subséquents. D’ailleurs ce mimétisme des actes de mise en œuvre, en dépit de fondements juridiques différents, peut concerner bien d’autres régions de l’espace communautaire : puisque les dispositifs du droit commun s’appliquent d’emblée dans les RUP françaises, soit en vertu de l’ex-article 227 §2 CEE, soit en conséquence de l’article 299 §2 CE, il serait erroné de croire que toutes les normes juridiques communautaires qui s’y appliquent sont originales ; par exemple, avant même l’adoption du POSEIDOM, les « Départements français d’outre-mer » étaient classés parmi de nombreuses régions européennes où les financements structurels communautaires devaient atteindre le niveau de concentration le plus élevé12. Bien plus, lorsque les Institutions communautaires ont pu forger des instruments juridiques spécialement destinés à des régions ultramarines – ceux que l’on pourrait qualifier de « spécifiques » au sens étroit, imaginés en considération d’un « irréductible ultramarin » –, l’on a pu constater que des dispositions juridiques apparemment originales, se trouvaient ensuite (ou simultanément) décalquées pour des régions de l’Europe géographique : cela se remarque dès
10 L’on rappelle ici que les « départements français d’outre-mer » s’étaient vus soumis au même statut que l’Algérie, au moment de l’élaboration du Traité CEE primitif, dans la deuxième moitié des années 50 ; il n’y avait, semble-t-il, aucune raison de s’en inspirer lors des négociations d’adhésion de l’Espagne et du Portugal débutées dans la deuxième moitié des années 70. 11 Décision du Conseil du 22 décembre 1989, instituant un programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité des départements français d'outre-mer (POSEIDOM), (89/687/CEE), JOCE L 399, 30 déc. 1989, p. 39. Décision du Conseil, du 26 juin 1991, instituant un programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité des îles Canaries (POSEICAN), (91/314/CEE), JOCE L 171, 29 juin 1991, p. 5. Décision du Conseil, du 26 juin 1991, instituant un programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité de Madère et des Açores (POSEIMA), (91/315/CEE), JOCE L 171, 29 juin 1991, p. 10. 12 Règlement (CEE) n° 2052/88 du Conseil du 24 juin 1988 concernant les missions des Fonds à finalité structurelle, leur efficacité ainsi que la coordination de leurs interventions entre elles et celles de la Banque européenne d'investissement et des autres instruments financiers existants, Annexe (liste des régions dites « classées en objectif n° 1 »), JOCE L 185, 15 juil. 1988, p. 9.
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les années 90 et se poursuit dans la période récente, à propos notamment de droits d’accises sur les alcools ou de dispositifs en matière agricole13. Ainsi, des fondements juridiques différents – des rédactions dissemblables du Traité communautaire relatives à telles ou telles régions relevant des Etats membres – permettent souvent une souplesse dans la mise en œuvre ; c’est fréquemment le cas lorsque le libellé du Droit primaire laisse suffisamment de marges à l’exercice de la compétence discrétionnaire des Institutions communautaires pour adapter des dispositions a priori d’application uniforme aux caractéristiques de certaines régions, aux besoins des populations correspondantes, et pour les modifier au cours du temps, si cela paraît approprié. N’est-il pas habituel de qualifier le Traité CE de traitécadre plus que de traité-loi ? En revanche, certaines dispositions du Droit primaire commun n’offrent pas toujours de telles marges : l’on songe à l’exemple classique de l’interdiction des taxes d’effet équivalent. La voie ultime consiste alors à tenter d’obtenir une révision du Traité ; selon le cas, l’effort visera à faire modifier le statut en vigueur, ne serait-ce que pour en faire modifier les contraintes les plus gênantes14, ou la revendication portera sur le classement dans une autre catégorie statutaire, soit préexistante, soit encore inédite.
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A propos de la fiscalité des alcools, voir les directives 92/83/CEE (art. 23) et 92/84/CEE (art. 7) du Conseil [l’autorisation donnée à la France de taxer moins lourdement le rhum des « DOM » n’exclut pas une autorisation similaire pour la Grèce concernant une « boisson spiritueuse anisée » ; des avantages fiscaux concernant Madère et les Açores se trouvent accordés de façon simultanée avec des allègements relatifs à la consommation dans des régions italiennes et grecques (JOCE L 316, 31 oct. 1992 p. 21 et p. 29)]. Plus récemment, la refonte et la révision de règlements antérieurs portant sur des régimes de soutien dans le cadre de la politique agricole commune mettent en évidence les rapprochements déjà perceptibles entre des dispositifs destinés à s’appliquer à des régions ultrapériphériques et à des régions d’Europe [Règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) n° 2019/93, (CE) n° 1452/2001, (CE) n° 1453/2001, (CE) n° 1454/2001, (CE) n° 1868/94, (CE) n° 1251/1999, (CE) n° 1254/1999, (CE) n° 1673/2000, (CEE) n° 2358/71 et (CE) n° 2529/2001, JOCE L 270, 21 oct. 2003, p. 1 ; ce règlement est encore modifié notamment sur les « régimes spécifiques d’approvisionnement » des régions ultramarines en intrants agricoles : Règlement (CE) n° 247/2006 du Conseil du 30 janvier 2006 portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union, JOCE L 42, 14 févr. 2006, p. 1]. 14 A l’image de ce que les sept Présidents de RUP ont fait dès 1995, en vue de préparer la Conférence intergouvernementale de 1996 : ainsi, l’ex-article 227 §2 CE a été révisé, et par exemple les taxes d’effet équivalent a priori interdites sont à présent tolérables, sous condition.
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Dans l’hypothèse où, malgré le souhait de faire modifier le Droit primaire dans le sens estimé favorable, la tentative rencontre notamment l’écueil procédural de l’exigence d’unanimité pour y parvenir, il est envisageable de chercher à contourner l’obstacle en explorant des possibilités d’interprétation du Droit primaire inchangé, allant dans le sens du mimétisme juridique présenté ci-dessus. Bien sûr, le succès de l’entreprise dépend non seulement de la malléabilité du Droit primaire, mais aussi de l’aptitude des promoteurs de cette démarche à convaincre les institutions dûment investies de la compétence de statuer, d’agir dans le sens souhaité. Comme par le passé, le plus souvent, il faut persuader la Commission de présenter une proposition en amont. Mais, pour la suite de l’élaboration du Droit dérivé, les modifications successives des règles institutionnelles ont accru les difficultés procédurales, même si elles demeurent moindres que celles exigées pour la révision du Traité lui-même. Les procédures sont devenues plus solennelles et complexes : d’une part, nombre d’actes communautaires nécessitent l’accord explicite du Parlement européen et du Conseil15 ; d’autre part, au sein de cette dernière institution – qui statue parfois seule16– siègent des délégués d’Etats membres plus nombreux qu’antérieurement et ils se prononcent selon des règles de votation devenues plus complexes, selon les prescriptions du Traité de Nice du 26 février 2001 et du Traité d’Athènes du 16 avril 200317. Depuis le 1er novembre 2004, dans la Communauté à Vingt-cinq (ou éventuellement à Vingt-sept, à compter de 2007 ?), un vote à la majorité qualifiée exige toujours une double majorité : il est prioritairement acquis par un nombre de voix pondérées (232 / 321, en 2005 et 2006) ; il faut aussi une majorité d’Etats membres, parfois les deux tiers d’entre eux ; enfin, un membre du Conseil peut demander qu’il soit vérifié que les votes majoritaires positifs émanent bien d’Etats qui, ensemble, regroupent 62 % de la population de l’Union18. C’est dire qu’il faut, en amont des phases institutionnelles et au cours de leur déroulement, que se manifeste dans les régions concernées une volonté 15 Il en est ainsi lorsque est exigé le respect de la procédure de décision conjointe prévue à l’article 251 CE, mais également lorsque le Parlement doit donner un avis conforme ; en outre, pour l’adoption du budget, s’établit un partage de compétences au sein de l’Autorité budgétaire (Conseil et Parlement). 16 C’est le cas pour la mise en œuvre de l’article 299 §2 CE. 17 Le Traité signé le 29 octobre 2004 envisageait de simplifier à terme le mode de détermination d’un vote à la majorité qualifiée (TéCE préc. art. I-25). 18 Traité CE, article 205, tel que modifié par l’Acte d’adhésion de la République tchèque, de la République d'Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République Slovaque (art. 12), JOUE L 236, 23 septembre 2003, pp. 36 et s.
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politique forte, voire la plus homogène possible, et que ceux qui s’en font les porte-parole sachent créer au sein des instances décisionnelles un consensus suffisant pour obtenir les actes juridiques souhaités et, si possible, pour éviter des recours juridictionnels ultérieurs.
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TROISIEME PARTIE
La décentralisation au risque du pluralisme institutionnel : Entre concurrence inéluctable et velléités de coopération
LA COOPERATION INSTITUTIONNELLE EN MARTINIQUE A L’HEUREDE LA NOUVELLE PHASE DE DECENTRALISATION Bertrand FRANÇOIS-LUBIN
La logique verticale qui a longtemps caractérisé, et qui caractérise encore, l’action publique ne constituerait plus le modèle d’administration adapté à l’époque moderne marquée du sceau du libéralisme. Celui-ci requiert une autre logique, celle d’une administration empreinte d’horizontalité. C’est désormais l’ère de la co-administration, du partenariat1, de la coopération. Le phénomène n’est pas nouveau car, dès le début du siècle dernier, Maurice Hauriou écrivait qu’ « il devient difficile de ne pas reconnaître que la gestion, c'est-à-dire l’exécution des services publics, est essentiellement coopérative, comme d’ailleurs tout travail est coopératif ; après celle des administrés, après celle des fonctionnaires, voici que nous constatons la coopération des administrations elles-mêmes »2. Ces propos pourraient être aisément repris pour caractériser la situation actuelle. Leur actualité est encore plus avérée depuis les lois de décentralisation de sorte qu’il est manifeste que la coopération constitue la pente « naturelle » de l’action publique. Pour Gérard Marcou « ….il existe une corrélation entre la fragmentation du système territorial et le développement de la coopération contractuelle. La France est en effet caractérisée, plus de quinze ans après la réforme de la décentralisation, par une extrême fragmentation, accentuée par l’institution de la région collectivité territoriale, l’augmentation des compétences et de l’autonomie des collectivités territoriales…. »3. L’invitation à coopérer fait, au demeurant, partie des principes ayant présidé à la répartition des compétences en 1983. Elle est informée par l’article L 1111-2 du Code général des collectivités territoriales qui, après avoir posé dans son alinéa 1 que les communes, les départements et les régions règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence, ajoute à l’alinéa 2 « qu’ils concourent avec l’Etat à l’administration et à l’aménagement du territoire dans leur dimension économique, sociale, sanitaire, culturelle et scientifique, ainsi qu’au développement durable ». A cet effet, une large 1
Voir H. Hemery, « Le partenariat, une notion juridique en formation », RFDA, Mars-Avril, 1998, p. 347 et ss. 2 M. Hauriou, La gestion administrative, Paris, Larose, 1900. 3 « Introduction » in La coopération contractuelle et le gouvernement des villes, G. Marcou, F. Rangeon, J.L. Thiebault (dir.), Paris, L’Harmattan, 1997, p. 19.
place doit être faite à la coopération contractuelle car « l’utilité de la procédure contractuelle est incontestable pour l’adaptation de l’action administrative à la vie moderne »4. Ce plaidoyer en faveur de la coopération contractuelle, voire d’une administration contractuelle5, est topique de la généralisation de la coopération comme technique de gestion des affaires publiques. La Martinique n’échappe pas à cette tendance lourde. Si la coopération contractuelle a, comme dans le reste de la France, droit de cité, c’est la coopération institutionnelle qui est la forme privilégiée dans ce territoire en raison de la diversité des structures de coopération existantes. L’observation révèle un véritable déploiement territorial de toute la panoplie juridique des structures de coopération institutionnelle (I). Il illustre la « focalisation institutionnelle » qui imprègne le débat public dans ce territoire. En effet, les réponses aux problèmes vécus par la population sont généralement abordées sous l’angle institutionnel. Cette focalisation n’est pas, néanmoins, exempte de toute ambiguïté. La coopération institutionnelle n’est, conséquemment, pas épargnée : elle est source de paradoxes (II).
I - LE DEPLOIEMENT TERRITORIAL DE LA PANOPLIE JURIDIQUE DE COOPERATION INSTITUTIONNELLE De ce point de vue, la Martinique fait figure de bonne élève. La création de ces institutions relevant, juridiquement, de l’ordre de la faculté6, ce déploiement contribue à donner une effectivité aux règles établies dans ce domaine par les pouvoirs publics. S’agissant de l’intercommunalité, le territoire est couvert intégralement par des structures de coopération intercommunale (1). C’est aussi un territoire où les différentes formes de syndicats mixtes sont représentées (2). 1 - Un territoire couvert intégralement par des structures de coopération intercommunale Comparativement au continent où on recensait, au 1er janvier 2006, 2573 EPCI à fiscalité propre regroupant près de 90% des communes et 85% 4 Rapport Vivre ensemble, Commission de développement des responsabilités locales, Paris, La documentation française, 1976, p. 118. 5 Voir dossier, l’administration contractuelle, AJDA, mai 2003, p. 970 et ss. 6 L’article L 5111-1 du Code général des collectivités territoriales dispose, en effet, que « les collectivités territoriales peuvent s’associer pour l’exercice de leurs compétences en créant des organismes publics de coopération dans les formes et conditions prévues par la législation en vigueur ».
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de la population française7, la Martinique est aujourd’hui totalement couverte par des structures de coopération intercommunale. Les 34 communes sont membres d’une institution intercommunale, soit 100% de la population. Sa situation tranche aussi avec celle des autres départements et régions d’outre-mer (DROM) où toutes les communes ne sont pas membres d’une institution intercommunale8. Toutes les formes de coopération intercommunale sont représentées en Martinique. Elles seront envisagées à partir de la distinction opérée par la doctrine, à savoir l’intercommunalité de service ou de gestion qu’illustrent les syndicats intercommunaux (a) et l’intercommunalité de projet, symbolisée par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre (b). a - Les syndicats intercommunaux, intercommunalité de service ou de gestion
illustration
d’une
L’intercommunalité de service ou de gestion postule « que les communes s’associent pour gérer des services en commun dans une recherche d’optimisation des équipements »9. Cette notion dépeint parfaitement la situation des trois syndicats intercommunaux encore en exercice qui assurent essentiellement, pour le compte de leurs communes membres, des missions liées à la distribution de l’eau potable et à l’assainissement. A l’instar de l’ensemble des syndicats intercommunaux, ce sont des institutions instrumentalisées. Le syndicat intercommunal est, théoriquement, « une création d’une volonté qui lui est extérieure pour la réalisation d’une mission donnée : il n’existe que par cette volonté extérieure et pour cette mission qu’elle détermine »10. Cette analyse théorique est confirmée par le droit positif puisque l’article L 5212-1 du Code général des collectivités territoriales dispose que « le syndicat des communes est un établissement public de coopération intercommunale associant des communes en vue d’œuvres ou de services d’intérêt intercommunal ». Le syndicat intercommunal du centre et du sud de la Martinique (SICSM) est le plus ancien des structures de coopération intercommunale en Martinique. Il a été créé par arrêté préfectoral du 16 Avril 1948. Il assure pour le compte des 14 communes membres (Les Anses d’Arlet, le Diamant, 7
www.dgcl.interieur.gouv.fr/ Publications. Au 1er Avril, on a recensé 13649 syndicats de communes. 8 Ibid. 9 P. Demaye, Le renouveau du droit de l’intercommunalité en France. Un enjeu de la réforme territoriale ? Thèse de doctorat, Université de Picardie- Jules Verne, 2000, p.7. 10 J.A. Mazères, « Préface » in J.P. Théron, Recherches sur la notion d'établissement public, Paris, LGDJ, Coll. Bibliothèque de droit public, 1976, p. III.
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Ducos, le Saint-Esprit, les Trois-Ilets, le Vauclin, Sainte-Anne, le Robert, le François, Sainte-Luce, le Marin, Rivière-Salée, Trinité, Rivière-Pilote)11 des missions telles que l’exploitation et la gestion des réseaux de production et de distribution d’eau potable d’une part, et, d’autre part, le traitement des eaux usées et leur assainissement. Il a aussi en charge la gestion des services de distribution d’eau potable et d’assainissement des communes du Lamentin et de Saint-Joseph pour une durée de cinq ans12. Ce sont quasiment les mêmes missions que le syndicat des communes de la Côte caraïbe Nord Ouest (SCCCNO) remplit pour le compte des sept communes qui en sont membres (Bellefontaine, Carbet, Case-Pilote, Fonds Saint-Denis, Morne-Vert, Prêcheur et Saint-Pierre), ce qui représente 21 023 habitants et 15 625 hectares. Créé par arrêté préfectoral n° 60487 du 18 Mai 1960, il assure la distribution de l’eau potable, l’irrigation et l’assainissement pour des communes qui sont, par ailleurs, membres de la communauté des communes du Nord de la Martinique. Les autres communes de ladite communauté sont prises en charge par le syndicat des Communes du Nord Atlantique (SCNA). Créé par arrêté préfectoral n° 65819 du 25 Mai 1965, il assure les missions de distribution d’eau potable, d’assainissement collectif et de contrôle de l’assainissement autonome pour le compte de 10 communes membres à savoir Ajoupa-Bouillon, Basse-Pointe, Grand-Rivière, Gros-Morne, Lorrain, Macouba, Marigot, Robert, Sainte-Marie et Trinité, soit une population de 77 358 habitants et une surface de 32 705 hectares. b - Les EPCI à fiscalité propre, symbole de l’intercommunalité de projet13 A la différence de l’intercommunalité de service qui met en scène des institutions au service de leurs membres, donc hétéronomes, l’intercommunalité de projet caractérise la situation où les communes se regroupent pour élaborer des politiques publiques locales communes14. Elle renvoie l’image d’institutions intercommunales autonomes à l’égard des communes qui en sont membres. Cette autonomie est, notamment, financière d’où leur dénomination d’Etablissement Public de Coopération Intercommunale 11
La population regroupée est de 139 899 habitants et une surface de 49 611 hectares. Pour de plus amples explications, voir infra. 13 Il n’existe pas de communauté urbaine en Martinique qui ne remplit pas les conditions requises. La communauté urbaine regroupe des communes formant un ensemble de 500 000 habitants. 14 P. Demaye, op cit, p. 7. 12
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(EPCI) à fiscalité propre. Elle est utilisée pour évoquer le cas des structures de coopération intercommunale qui ont la faculté de percevoir une fiscalité qui leur est propre. Il peut s’agir d’une fiscalité additionnelle se superposant aux taux des quatre taxes votés par les communes membres (à savoir la taxe d’habitation, la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties ainsi que la taxe professionnelle) ou de la taxe professionnelle unique (TPU) qui permet à l’institution de percevoir au lieu et place des communes membres la dite taxe. Ce mécanisme est obligatoire pour les communautés d’agglomération et les communautés urbaines. La fiscalité propre permet à cette catégorie d’institutions intercommunales de ne pas être en situation de sujétion financière15 par rapport à leurs communes membres, à la différence des syndicats intercommunaux qui dépendent pour beaucoup des cotisations qui doivent être versées par les communes. Ces structures exercent, en vertu de la loi d’orientation n° 92-125 du 6 Février 1992 relative à l'administration territoriale de la République16 et celle n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale17 qui ont façonné le droit de l’intercommunalité, des compétences obligatoires, des compétences optionnelles et des compétences facultatives. Leur situation diffère alors de celle des syndicats intercommunaux qui n’exercent que des compétences facultatives, c’est à dire des compétences qui leur sont librement transférées par les communes. Il existe trois EPCI à fiscalité propre en Martinique : deux communautés d’agglomération et une communauté de communes. La Communauté des communes du Nord de la Martinique (CCNM) est la plus ancienne de cette catégorie. Elle a été créée par arrêté préfectoral n° 95-3151 du 29 décembre 1995 portant création de la Communauté des Communes du Nord de la Martinique. Elle regroupe consécutivement à l’arrêté n° 97-1096 du 2 Juin 1997 portant adhésion à la Communauté de Communes du Nord de la Martinique des communes de Fonds Saint-Denis, Morne-Rouge et Morne-Vert, 18 communes18 soit une population de 112 916 habitants et une surface de 52 099 hectares. Elle a pris le relais de l’ancien Syndicat intercommunal à vocation multiple d’aménagement du Nord de la Martinique (SIVMANO) qui avait été créé 15 A preuve, le cas de l’ancien Syndicat intercommunal à vocation multiple d’aménagement du Nord de la Martinique (SIVMANO) devenu, depuis, la communauté des communes du Nord de la Martinique (CCNM) qui avait connu de sérieuses difficultés financières dues, pour partie, au non versement par ses membres de leurs cotisations. 16 J.O, 8 Février 1992, p. 2064 et s. 17 J.O, 13 Juillet 1999, p. 10361 et s. 18 Elle regroupe l’ensemble des communes qui sont membres de la SCCCNO et du SCNA.
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par l’arrêté préfectoral n° 75- 4064 du 24 Octobre 1975 portant création du SIVMANO. Sa dissolution a été prononcée le 25 juillet 1997. La CCNM exerce des compétences obligatoires dont l’aménagement de l’espace, le développement économique, et au titre des compétences optionnelles, la protection de l’environnement ainsi que des compétences facultatives dans le domaine culturel et l’informatisation des communes. Chronologiquement, le second EPCI à fiscalité propre créé en Martinique est la Communauté d’agglomération du Centre de la Martinique (CACEM) créé par arrêté préfectoral n° 003197 du 27 Décembre 2000 et qui regroupe les quatre communes que sont, Fort-deFrance, le Lamentin, Saint-Joseph et Schoelcher, soit une population de 176 000 habitants et une surface de 1 709 hectares. Elle a remplacé l’ancien Syndicat intercommunal du Centre de la Martinique (SICEM) qui avait en charge le traitement des déchets sur le territoire des quatre communes membres et la construction d’une unité de traitement et de valorisation des déchets ménagers. Elle exerce en vertu de la loi du 12 Juillet 1999 des compétences obligatoires telles que le développement économique, l’aménagement de l’espace communautaire dont l’organisation des services de transports urbains, l’équilibre social de l’habitat et la politique de la ville. Elle a choisi d’exercer cinq compétences optionnelles à savoir l’assainissement (gestion des eaux usées et pluviales), la distribution de l’eau potable, la protection du cadre de vie et de l’environnement, la construction, l’aménagement, l’entretien et la gestion d’équipements culturels et sportifs d’intérêt communautaire et la gestion des voies d’intérêt communautaire. Les communes membres lui ont transféré à titre facultatif les quatre compétences suivantes : la conduite d’une étude sur la restauration scolaire sur le territoire communautaire, l’élaboration d’un schéma intercommunal d’assainissement, l’étude sur l’exploitation des eaux souterraines du Lamentin et le nettoiement de la voierie. La seconde communauté d’agglomération est la Communauté d’agglomération de l’espace Sud de la Martinique (CAESM) créée par arrêté préfectoral n° 04 3932 du 29 Décembre 2004. Elle a pris le relais de l’ancienne communauté des communes de l’espace sud de la Martinique (CCESM) créée par arrêté préfectoral n° 00 3225 du 29 Décembre 2000 qui avait elle-même remplacé l’ancien syndicat intercommunal à vocation multiple Sud (SIVOM-SUD). La CAESM regroupe 12 communes situées au Sud, soit une population de 107 270 habitants et une surface de 39 916 hectares. Son territoire est, à l’exclusion du Robert et de Trinité, identique à celui du SICSM. Elle exerce, en vertu de la loi du 12 Juillet 1999, les mêmes compétences obligatoires que la CACEM. Au titre des compétences optionnelles, elle a choisi d’exercer des compétences dans les domaines de la
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création ou l’aménagement et l’entretien de voierie d’intérêt communautaire, la création ou l’aménagement et gestion de parcs de stationnement d’intérêt communautaire, de la protection et la mise en valeur de l’environnement (lutte contre la pollution de l’air, contre les nuisances sonores, élimination et valorisation des déchets des ménages et déchets assimilés), la construction, l’aménagement, l’entretien, la gestion d’équipements culturels et sportifs d’intérêt communautaire. Facultativement, elle exerce des compétences en matière de développement social, de coordination des actions des offices de tourismes, de restauration scolaire, de fourrières et d’informatisation des services municipaux et des écoles. 2 - La représentation des différentes formes de syndicats mixtes Institué par un décret du 20 Mai 1955, un syndicat mixte peut, selon l’article L5721-1 du Code général des collectivités territoriales, « ….être constitué par accord entre des institutions d’utilité commune interrégionale, des régions, des ententes ou des institutions interdépartementales, des départements, des établissements publics de coopération intercommunale, des communes, des chambres de commerce et d’industrie, d’agriculture, de métiers et d’autres établissements publics, en vue d’œuvres ou de services présentant une utilité pour chacune de ces personnes morales ». L’alinéa 2 du même article précise que « le syndicat mixte doit comprendre au moins une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités ». Cet article n’est pas, à vrai dire, signifiant quant à la réalité de cette catégorie de personnes publiques caractérisée par une certaine dualité : il existe deux catégories de syndicat mixte. Le syndicat mixte dit ouvert auquel fait référence l’article précité et le syndicat mixte fermé qui, aux termes de l’article L5711-1 du Code général des collectivités territoriales, est constitué exclusivement de communes et d’établissements publics de coopération intercommunale ou uniquement d’EPCI. Le syndicat mixte fermé diffère, à la fois dans sa composition et dans son régime juridique, de la catégorie du syndicat mixte dit ouvert. Comme le souligne Jean-Pierre Lebreton, en l’état actuel du droit positif, « le vocable syndical mixte fait figure de simple désignation commune, d’union nominale pour deux institutions substantiellement différentes »19. Parmi les cinq syndicats mixtes présents en Martinique, trois sont des syndicats mixtes ouverts alors que les deux autres sont des syndicats mixtes fermés.
19
J.P. Lebreton, « Syndicats mixtes et politiques intercommunales », AJDA, 3 Mai 2004, p. 912.
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Dans le premier groupe, on trouve le syndicat mixte du Parc Naturel Régional de la Martinique (PNRM) créé par arrêté ministériel du 24 Août 1976 portant agrément de la charte constitutive du parc régional. Il regroupe 37 personnes publiques membres que sont la région, le département, la CAESM, La CCNM ainsi que 33 communes20. Il assure la gestion du parc naturel. Dans ce même groupe, il convient d’y adjoindre le syndicat mixte de transport collectif en site propre (TCSP) créé le 14 décembre 2000 et qui regroupe la région, le département et la CACEM. Il assure la maîtrise d’ouvrage du TCSP (Fort-de-France, Lamentin et Schoelcher). En dernier lieu, on retrouve le syndicat Mixte d’Electricité da la Martinique (SMEM) créé par arrêté préfectoral du 22 janvier 2003 modifié le 21 Mars 2003. Il exerce, selon ses statuts, en lieu et place des communes membres, la compétence d’autorité organisatrice des missions de service public afférentes au développement et à l’exploitation des réseaux publics d’électricité ainsi qu’à la fourniture d’électricité. Il peut exercer, sur demande des communes membres, des compétences à caractère optionnel telles que l’éclairage public ou encore la maîtrise d’ouvrage des investissements de génie civil de télécommunication réalisés dans le cadre de travaux souterrains. Parmi les syndicats mixtes fermés, on retrouve le syndicat mixte pour le traitement des ordures ménagères (SMITOM) composé de deux EPCI à fiscalité propre, La CCNM et la CAESM. Crée par arrêté préfectoral n° 982658 du 17 Août 1998, il assure le traitement, le recyclage et la valorisation des déchets ménagers et assimilés (compostage). Le dernier en date est le syndicat mixte eau Lamentin et SaintJoseph créé par arrêté préfectoral n°040989 du 22 Avril 2004 pour une durée de cinq ans. Il a pour objet d’exercer la compétence eau en lieu et place de la CACEM sur le territoire des deux communes concernées. Il regroupe le SICSM et la CACEM. Cet exemple est significatif des paradoxes induits par l’intercommunalité et au delà par la coopération institutionnelle.
II - LES PARADOXES INSTITUTIONNELLE
DE
LA
COOPERATION
La question de la coopération est, en France, indissociable de celle de l’organisation administrative. L’exemple de la coopération intercommunale est, de ce point de vue, éclairant. Il y a un lien ombilical 20
Pour des raisons qui demeurent obscures, la commune de Sainte-Marie n’en est pas membre.
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entre les structures de coopération intercommunale et la question de la rationalisation de la carte administrative. Les regroupements ne reposent pas sur une idée abstraite : ils sont corrélés à une expérience. Leur émergence est intimement liée à la question de l’émiettement communal. C’est donc une donnée structurante de la coopération. Elle est en soi emblématique des paradoxes de la coopération institutionnelle. Pour remédier à un problème de nature institutionnelle, on crée de nouvelles institutions. Dans le cas de la Martinique, ce déploiement territorial de la panoplie juridique des structures de coopération génère, à la fois, une sur-institutionnalisation (1) et de la coopération (2). 1 - La sur-institutionnalisation générée par la coopération institutionnelle La couverture intégrale de l’ensemble du territoire par des structures de coopération intercommunale à fiscalité propre vaut à la Martinique des satisfecit de la part des pouvoirs publics. Cette performance est d’autant plus remarquable qu’il n’ y a pas en Martinique, à l’instar des autres départements et régions d’outre-mer (DROM), d’émiettement communal. Seules sept communes ont moins de 2000 habitants et leur surface moyenne représente le double de celle des communes continentales, soit 33 km² contre 15 km²21. Il faut, donc, convenir avec le Conseil économique et social que « la problématique de l’intercommunalité en outre-mer n’est pas celle de l’émiettement communal. Elle est regardée comme un outil de réalisation de projets et de pilotages de politiques locales »22. Les six institutions intercommunales ont été instituées en contrepoint de l’incapacité des communes à assumer certaines de leurs fonctions car elles requièrent des moyens, notamment financiers, et des cadres territoriaux plus étendus. Elles ont vocation à suppléer les communes. Le fait que certaines communautés aient choisi, en l’occurrence La CCNM et La CAESM, d’assurer, certes à titre facultatif, l’informatisation de leurs communes membres confirme cette hypothèse. De telles pratiques sont éloignées de l’idée de l’intercommunalité de projet. Elles renvoient plutôt à la logique de l’intercommunalité de service. Il s’agit d’assurer, à un autre échelon, des services que la collectivité communale n’est plus à même d’exercer à son niveau. Elle ne remet pas en cause leur existence. Dans cette quête d’économie d’échelle, il est assez singulier qu’on n’ait pas, alors, envisagé d’opter pour la solution de la fusion 21
Voir le rapport du Conseil économique et social, Communes, intercommunalités, quels devenirs ? présenté par Pierre- Jean Rozet, Gazette des communes, Cahier détaché n°2- 29/ 1799- 25 Juillet 2005, p. 263. 22 Rapport du CES, op. cit, p. 263.
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aménagée par l’article L 211361 du Code général des collectivités territoriales. Une telle option aurait permis de réduire le nombre de communes et d’avoir des communes plus vastes donc plus pertinentes du point de vue économique. Cette hypothèse est loin d’être dénuée de fondement. En effet, la configuration actuelle des communes est relativement récente. Elle remonte à la fin du XIXe siècle et au milieu du siècle dernier. Certaines communes ont été créées ex nihilo23. C’est bien la preuve que la commune n’est pas un donné mais un construit. Cet engouement pour l’intercommunalité est la traduction d’une conception fonctionnelle de la coopération intercommunale. Elle signifie, insidieusement, que les communes constituent un horizon indépassable. Intrinsèquement, il génère de la sur-institutionnalisation car ces 6 institutions intercommunales viennent s’ajouter aux 34 communes, à la région, au département et aux autres organismes de coopération institutionnelle. Une telle densité institutionnelle donne lieu à des pratiques qui alimentent la sur-institutionnalisation. Pour remédier à des situations de concurrence institutionnelle, la solution consiste alors à créer un organisme de coopération. L’institution idoine, dans un tel cas de figure, est le syndicat mixte. Selon Jean-Pierre Lebreton, celui-ci « …tend à devenir un cadre particulièrement indiqué pour l’exercice de la gouvernance, là où, dans cet imbroglio institutionnel et politique que sont devenues les principales agglomérations, l’un des principaux enjeux de toute politique publique est de stabiliser des scènes d’échanges entre des institutions qui ont toutes prétention à détenir légitimement une partie de l’intérêt général et qui disposent d’une partie des ressources politiques (….) indispensables à toute action publique »24. Il y aurait un lien entre son succès et le développement de l’intercommunalité.25 Ce propos général sied parfaitement pour expliquer la création du syndicat mixte eau Lamentin et Saint-Joseph composé de la CACEM et du SICSM cité ci-dessus. Suite aux arrêtés préfectoraux n° 02 3989 du 31 décembre 2002 et n° 03 3215 du 30 Septembre 2003 portant respectivement 23
C’est le cas de Bellefontaine qui a été détachée de Schoelcher le 17 Mai 1950, du Morne-Vert (détaché du Carbet en 1949. Le lien perdure encore puisque ces deux communes forment aujourd’hui un canton), de Grand-Rivière (détaché de Macouba en 1888), du Diamant qui a été détaché des Anses-d’Arlet le 19 Mars 1862, de Sainte-Luce qui a été détachée des Anses d’Arlet le 15 Juin 1848, du Prêcheur, détaché de Saint-Pierre en 1839. 24 J.P. Lebreton, op. cit, p. 912. 25 En effet, en 1999, on dénombrait 1454. Leur nombre a quasiment doublé en 2005 : on en a recensé 3029 syndicats mixtes. Voir Rapport de la cour des comptes, l’intercommunalité en France, rapport au président de la République suivi des réponses des administrations et des organismes intéressés, Novembre 2005, p. 80.
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extension des compétences de la CACEM à l’assainissement et à l’eau26, les deux présidents des structures concernées ont convenu, le 2 Février 2004, dans le cadre d’un protocole d’accord définissant les modalités d’exercice de la compétence eau sur le territoire du Lamentin et de Saint-Joseph, de la création d’un syndicat mixte. Celui-ci a été officiellement créé par arrêté préfectoral n° 040989 du 22 Avril 2004. Nonobstant le caractère transitoire de ce syndicat et le fait que sa création n’ait pas donné lieu à la mise en place d’un nouvel appareil administratif27, ce choix n’en est pas moins discutable car une autre option aurait pu être envisagée. Il s’agit du mécanisme de la représentation-substitution. Il trouve à s’appliquer en cas de chevauchement entre les compétences et le périmètre d’un syndicat intercommunal et d’une communauté. Il a été institué par l’article 11 de la loi n° 66-1069 du 31 décembre 1966 relative aux « communautés urbaines ». Il a ensuite été repris par celle du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République au profit des communautés de villes et des communautés de communes puis étendu ultérieurement aux districts par la loi n° 97-303 du 4 avril 1997 d’harmonisation des règles applicables aux districts et communautés de communes pour la représentation au sein des syndicats de communes. Il a été maintenu par la loi du 12 juillet 1999 relative à la simplification et au renforcement de la coopération intercommunale qui en redéfinit les contours. Il est désormais applicable aux trois communautés. Il est destiné à éviter un double transfert d’une même compétence à deux EPCI distincts. Une telle situation est impossible juridiquement à raison du principe d’exclusivité qui proscrit qu’une même compétence puisse être transférée à deux EPCI28. Le mécanisme de « représentation-substitution » fait l’objet d’une application différenciée. En premier lieu, cette application diffère en fonction de la nature des compétences exercées. Le mécanisme est applicable à l’ensemble des compétences de la communauté des communes, qu’elles soient obligatoires, optionnelles ou facultatives. Pour les communautés d’agglomération ou urbaines, il ne s’applique que pour les seules compétences facultatives. 26
Cette extension de compétence a eu pour principale conséquence de réduire le périmètre du SICSM qui, de ce fait, n’était plus habilité à assurer la distribution sur le territoire de ces deux communes membres de la CACEM. Celle-ci, pour bien marquer sa volonté d’investir sa nouvelle attribution a créé par délibération n° CC 10-2003 du 07 Novembre 2003 une régie personnalisée, nommée ODYSSI, chargée d’appliquer sur le territoire de la communauté la politique de gestion de l’eau et de l’assainissement définie par le conseil communautaire. 27 Il a été convenu que le suivi administratif de ce syndicat sera assuré par les agents du SICSM qui recevront, pour ce faire, une rétribution pour charges supplémentaires 28 CE, Ass, 16 Octobre 1970, Commune de Saint-Vallier, RA 1970, p.530.
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En second lieu, son application est envisagée, au profit des trois types de communautés, au sein des syndicats de communes. Par contre, dans le cas d’un syndicat mixte préexistant, les règles s’avèrent différentes. Dans le cas des communautés de communes, il n’existe pas de dispositions légales prévoyant la substitution de celles-ci aux communes membres au sein d’un tel syndicat. Ceci a, d’ailleurs, été expressément rappelé par le Ministère de l’Intérieur29. Dans ce cas, la solution envisageable est celle d’un retrait des communes du syndicat préexistant ou la réduction du champ de compétences de ce dernier. Pour les deux autres communautés, la loi prévoit de manière explicite l’applicabilité du mécanisme au sein d’un syndicat mixte préexistant fermé, c'est-à-dire celui qui associe conformément à l’article L 5711-1 du Code général des collectivités territoriales, exclusivement des communes et des EPCI. Son application diffère, en troisième lieu, en fonction du fait générateur du chevauchement de compétences et de périmètres. Dans le cas des communautés d’agglomérations et urbaines, la représentation substitution trouve à s’appliquer, que la situation d’interférence de compétences et de périmètres entre la communauté et le syndicat résulte de la création ex nihilo, d’une transformation de la communauté ou de l’extension du périmètre ou des compétences. A l’opposé, pour les communautés de communes, le Conseil d’Etat a jugé que le mécanisme de représentation-substitution ne pouvait s’appliquer en cas d’extension du périmètre de la communauté à une nouvelle commune30, et cela, en dépit d’une rédaction très générale de l’article L 5214-21 al. 3 du Code général des collectivités territoriales qui peut être analysé comme visant non seulement, le cas de la création de la communauté de communes, mais aussi celui de l’extension des compétences du périmètre de celui-ci. Ce mécanisme comporte deux conséquences majeures. En premier lieu, l’EPCI à fiscalité propre est, pour les compétences qui lui sont transférées, substitué aux communes membres au sein du syndicat. Il en devient membre sans qu’il soit nécessaire d’engager une procédure d’adhésion proprement dite de la communauté au syndicat. L’admission est automatique. L’accord du comité syndical et des communes pour les syndicats intercommunaux ou de l’organe délibérant et de ses membres pour les syndicats mixtes n’est nullement requis. La substitution prend effet dès la date 29 30
Voir Rép. Min, Q n° 39001, JOAN, 20 mars 2000, p. 1867. CE, 9 avril 1998, Communauté de Communes d’Issoudun, req n° 185858.
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d’entrée en vigueur de l’arrêté préfectoral portant création ou transformation du groupement, extension de son périmètre ou de ses compétences. Dans les communautés d’agglomération et urbaines, pour les compétences d’intérêt communautaire, la substitution vaut dès que devient exécutoire la délibération de l’organe délibérant se prononçant sur l’intérêt communautaire. Les modifications dans la composition du syndicat donnent lieu à une délibération du comité syndical et des communes membres pour qu’il en soit pris acte. Les statuts du syndicat sont alors revus. Les modifications sont, en outre, constatées par arrêté préfectoral. Le groupement siège au comité syndical au lieu et place des communes membres. Le groupement est aussi substitué à ses communes membres dans les obligations financières qu’elles avaient envers les syndicats. Il assurera, notamment, par sa fiscalité, les charges liées à sa participation au syndicat. Cette charge n’a donc pas à être financée par les seules communes concernées par la substitution mais par le groupement. Le groupement bénéficie de toutes les prérogatives et a toutes les obligations attachées au statut de membre du syndicat. La représentation-substitution implique, en second lieu, la transformation du syndicat intercommunal. Celui-ci devient, en effet, un syndicat mixte relevant désormais des dispositions de l’article L 5711-1 du Code général des collectivités territoriales. Ces règles étant celles applicables aux syndicats intercommunaux, le fonctionnement du syndicat n’est pas affecté par ce changement de statut. Le syndicat continue d’exercer dans son ancien périmètre les compétences dont il avait la responsabilité. L’EPCI à fiscalité propre étant toutefois substitué à ses communes membres pour les seules compétences qu’il détient, il en résulte que si le syndicat est titulaire d’autres compétences, les communes pourront continuer de siéger, aux côtés du L’EPCI à fiscalité propre, pour les compétences qu’elles ont conservées. Le syndicat deviendra alors un syndicat mixte à la carte fonctionnant suivant les règles définies pour ce type de syndicat par l’article L 5212-16 du Code général des collectivités territoriales. Compte tenu de tous ses éléments, il apparaît évident que ce mécanisme aurait pu être appliqué dans le cas d’espèce. Sur cette base, force est de constater que certains paramètres, certainement légitimes, ont présidé lors de la décision prise par les acteurs concernés mais ce choix demeure emblématique d’une tendance consistant à créer des institutions de coopération pour résoudre des problèmes d’ordre institutionnel. Elle interpelle d’autant que
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la coopération institutionnelle est, par ailleurs, source de coopération. Elle présente une dimension circulaire. 2 - La dimension circulaire de la coopération institutionnelle Le déploiement territorial de la coopération institutionnelle génère de la concurrence institutionnelle qui requiert, à son tour, la collaboration des institutions concernées. Deux cas de figure peuvent être évoqués à l’appui de cette proposition. Le premier met en scène les organismes de coopération qui sont amenés à entrenir des relations de coopération entre eux. Cette situation semble inéluctable au regard de la configuration actuelle où certaines communes sont membres de deux, voire de trois institutions de coopération. Elle induit des chevauchements de périmètres qui ne peuvent être dénoués que par la voie de la collaboration et de la coopération. L’exemple précité est symptomatique de cet état de fait. Dans le cas d’espèce, le chevauchement est consécutif à la volonté politique des élus de la CACEM d’étendre leur compétence à la gestion de l’eau et de l’assainissement sur l’ensemble du territoire communautaire donc au Lamentin et à Saint-Joseph qui étaient, par ailleurs, membres du SICSM. Dans d’autres cas, la nécessité de coopérer s’impose ou risque de s’imposer en raison de l’option prise par certains EPCI à fiscalité propre de ne pas exercer certaines compétences. C’est le cas de la CCNM et de la CAESM qui n’ont pas choisi d’exercer la compétence eau et assainissement. Cette option a pour première conséquence de favoriser le maintien des syndicats qui ont en charge cette question, c'est-à-dire le SCCCNO et le SCNA pour le Nord et Le SICSM pour le Sud, et par conséquent une interférence de périmètres entre ces syndicats et ces EPCI à fiscalité propre. Pour dénouer cette situation, le législateur a prévu, en fonction des configurations et de la nature des EPCI à fiscalité propre des conséquences différentes quant à l’existence ou le maintien de ces syndicats. Une des solutions envisagées est la dissolution de ces derniers. Dans le cas d’espèce, ce n’est pas la solution juridique qui s’impose. Le maintien du SCCCNO et du SCNA résulte de la non rétroactivité de la loi du 12 Juillet 1999. La CCNM est une communauté de communes créée sous le couvert de la loi du 6 Février 1992. Or, l’article L 5214-21du Code général des collectivités territoriales qui régit le cas des communautés de communes n’envisage la dissolution des syndicats qui ont un périmètre identique avec celui de la communauté de communes31 qu’en cas de création, à partir de son entrée en vigueur, d’une communauté de communes. S’agissant du SICSM, 31
C’est le cas de la SCCNO et de la SCNA qui ont un périmètre identique à celui de la CCNM.
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son maintien s’explique à raison du fait que son périmètre n’est pas complètement identique à celui de la CAESM. Son périmètre interfère, certes à 98%, avec celui de la CAESM mais il n’est pas identique32. Dans ce cas, le législateur a prévu que la communauté d’agglomération est substituée au syndicat inclus dans son périmètre pour les compétences qui sont celles de la communauté. La CAESM n’ayant pas opté pour cette compétence, le scénario imaginé par le législateur ne s’applique pas en la circonstance. Ce choix, certes légal, n’est pas néanmoins en adéquation avec l’esprit de la loi du 12 Juillet 1999 qui a entendu simplifier la coopération intercommunale. Dans l’intention des promoteurs de la loi, il s’est agi, de favoriser, à terme, la disparition des syndicats au profit des seuls EPCI à fiscalité propre. Dans le contexte martiniquais, il favorise la surinstitutionnalisation. S’agissant de la problématique traitée ici, c’est un truisme de dire que ces différents organismes seront amenés à coopérer33. La question de l’eau et de l’assainissement ne peut être envisagée de manière isolée. Elle est une partie intégrante du développement économique et de l’aménagement de l’espace qui sont deux domaines de compétences relevant des EPCI à fiscalité propre. Cette coopération entre organismes de coopération peut prendre une forme institutionnelle ou contractuelle. Le procédé contractuel constitue, en dehors d’une solution contentieuse, l’hypothèse à envisager pour dénouer la confusion qui règne entre le Syndicat mixte d’électricité de la Martinique (SMEM) et la CACEM à propos de la question du développement des énergies renouvelables et la maîtrise de l’énergie sur le territoire communautaire34. Le second cas de figure met en relation les organismes de coopération et les collectivités territoriales. Il peut d’abord s’agir de relations entre les EPCI et les communes qui en sont membres. Ce scénario a été conçu directement par le législateur. 32
Le périmètre du SICSM s’étend au Robert et à Trinité, deux communes qui sont, au surplus, membres de la CCNM. 33 L’hypothèse envisagée est celle de relations de coopération entre la CCNM et le SCCCNO ainsi qu’avec la SCNA et entre la CAESM et le SICSM. 34 Le problème se pose depuis la délibération du conseil communautaire de la CACEM approuvant le transfert du développement des énergies renouvelables des communes membres vers la communauté d’agglomération. Celle-ci a signé, à cet effet, en décembre 2004 un contrat d’Action Territoriales pour l’Environnement et l’Efficacité Energétique (ATEnEE) avec l’ADEME. Or les quatre communes membres font aussi partie du SMEM qui s’est aussi engagé dans une démarche de développement des énergies renouvelables grâce à son projet Energie et Croissance de l’autonomie au travers des sources renouvelables (ECLAT) et qui a initié des actions dans ce sens sur certaines communes de la communauté.
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Celui-ci prévoit la faculté pour les EPCI et les communes membres de passer des conventions de prestations de services. S’il n’est pas contestable sur le plan juridique, il n’en demeure pas moins vrai qu’un tel scénario interpelle. Il est source d’ambiguïtés. Celles-ci sont d’abord juridiques car il donne lieu à des pratiques dont la validité juridique est plus que douteuse35. Cette pratique entre en contradiction avec le principe d’exclusivité qui implique le dessaisissement de la collectivité dès lors que la compétence a été transférée en vertu de la loi ou de la décision institutive dans un domaine qui ne relève plus de son ressort. Ces conventions ne sont possibles que dans les cas où la loi le permet. A ce titre, la convention par laquelle la CAESM confie36 à ses communes membres la gestion de sa compétence en matière de transports urbains sur l’ensemble de son périmètre mérite une attention particulière car elle pourrait être assimilée à une convention de transfert de compétences. Si tel était le cas, elle serait illégale car cette pratique témoignerait des risques contentieux qu’induisent les relations contractuelles entre les structures de coopération intercommunale et leurs communes membres37. Au-delà, ce scénario est ambigu car il est lié à la conception fonctionnelle de l’intercommunalité qui fait du groupement de communes un prestataire de services où chacun peut venir faire son marché. Il y a une coïncidence entre la dimension inter-individuelle des relations contractuelles et la logique inter-communale qui caractérise la perception des élus locaux, en France, de l’intercommunalité. La contractualisation des rapports entre ces groupements et leurs membres interpelle en raison de son ampleur. Aucun aspect de leurs relations ne semble épargné par le phénomène. L’idée de « conventionnement » apparaît toute indiquée pour caractériser la situation au point que la question se pose de savoir s’il s’agit de relation de coopération ou de relation de subordination38. La dimension acquise par les EPCI à fiscalité propre, en raison notamment de l’étendue de leurs compétences, fait de ces derniers de sérieux concurrents des autres collectivités singulièrement de la collectivité
35
Voir sur ce point, M. Degoffe et J-D. Dreyfus, « Transfert de compétences et conventions dans le droit de l’intercommunalité », AJDA, 20 octobre 2001, p. 807-840, particulièrement p.818. 36 Il s’est agi, pour la Communauté, de prévoir, sur le plan organisationnel, un échéancier de prise en charge effective da la compétence transport urbain et de lancer le plan de développement urbain devant assurer une cohérence du transport sur l’ensemble du territoire communautaire. 37 Voir B. Poujade, « Le risque contentieux de la délégation de compétence en matière de coopération intercommunale », LPA, n° 36, 25 Mars 1994, p.4 -10. 38 Dans ce cas, c’est, bien évidemment, L’EPCI qui est placé en situation de subordination, de sujétion.
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départementale39. Le domaine du transport scolaire et de, voyageurs est significatif de cet état de fait. Les deux communautés d’agglomération40 sont investies, à titre obligatoire, aux termes de l’article L 5216-5 du Code général des collectivités territoriales, d’une compétence pour l’organisation des transports urbains au sens de la loi n° 82-1153 du 30 Décembre 1982 modifiée d’orientation sur les transports intérieurs (LOTI). Celles-ci sont désormais les seules autorités organisatrices du transport urbain des voyageurs et scolaire à l’intérieur de leur périmètre qui vaut aussi périmètre de transports urbains selon l’article 74 de la loi du 12 Juillet 1999. Parallèlement, la collectivité départementale est, en application de l’article 29 de la loi n°83-663 du 22 Juillet 1983 modifiée, l’autorité organisatrice du transport de voyageurs et scolaire à l’extérieur des périmètres de transports urbains c’est à dire sur le territoire de la communauté des communes du Nord de la Martinique (CCNM). Or, en cas de création ou de modification d’un périmètre de transports urbains postérieurement à la date d’entée en vigueur de la loi du 22 Juillet 1983, son article 29 prévoit qu’une convention doit être passée entre l'autorité organisatrice des transports urbains et le département afin de fixer les conditions de financement des services de transports scolaires dans le nouveau périmètre. Il appartient donc à ces deux communautés d'agglomération de conclure une convention avec le département fixant les modalités du financement de la compétence « transports scolaires » concernant les communes membres de ces deux structures. Au-delà de cette obligation légale, la « balkanisation » institutionnelle dans ce domaine implique qu’une collaboration s’instaure entre les différentes autorités compétentes afin d’harmoniser leurs politiques. Elle s’impose notamment entre le département et la CACEM, compte tenu de l’attractivité de l’agglomération du centre. L’exemple du transport est assez évocateur des menaces que font peser ces structures sur le département. Celui-ci voit ainsi son champ d’action territorial réduit à une zone géographique représentant 1/3 du territoire. Ces menaces sont d’autant plus avérées que l’article L 5211-4-3 du Code général des collectivités territoriales permet la fusion des EPCI à fiscalité propre. Qu’adviendra-t-il alors de la compétence du département en matière de transport si la CACEM et la CCNM décident de fusionner ? Dans un tel cas de figure, sa compétence serait fictive car le législateur a prévu que la fusion donne automatiquement naissance à une communauté
39
Ils sont, de plus en plus, assimilés à des collectivités territoriales en dépit de leur qualification juridique d’établissement public, voir notamment J-F. Joye, « Les EPCI à fiscalité propre : des collectivités territoriales mal nommées ? », LPA, 16 Mai 2003, n° 98, p. 4-13. 40 Elle est facultative pour la CCNM qui est, à toutes fins utiles, une communauté de communes.
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d’agglomération. Conséquemment, le département n’aurait plus compétence pour organiser le transport sur l’ensemble du territoire. La confrontation risque, par ailleurs, de se généraliser au regard des nouvelles possibilités de transfert conventionnel des départements et régions vers les EPCI à fiscalité propre aménagées par la loi n° 2004-809 du 13 Août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales41. Certes, il s’agit d’une faculté pour les collectivité départementale et régionale. Elles peuvent donc, de jure, refuser de le faire mais «…politiquement le pourront-elles lorsque la demande provient d’un EPCI puissant ? »42. La situation est encore plus problématique pour le département eu égard aux dispositions de cette même loi qui prévoit la possibilité pour l’Etat de transférer certaines de ses compétences à ces EPCI. Ainsi, l’EPCI doté d’un programme local de l’habitat (ce qui constitue une compétence obligatoire pour les communautés d’agglomération) pourra être chargé, dans le cadre d’une convention avec l’Etat, de la répartition des aides publiques en faveur de la construction, de l’acquisition, de la réhabilitation et de la démolition des logements locatifs sociaux et de la rénovation de l’habitat. Il en résulte que « subrepticement, l’EPCI devient, …l’égal du département »43. La région n’est pas épargnée par ce risque de confrontation. Leur implication dans le domaine économique fait de ces structures des acteurs avec lesquels la région devra nécessairement composer.
41
JO, 17 Août 2004, p.14545. Les dispositions qui traitent de cet aspect ont été codifiées à l’article L 5210-4 du Code général des collectivités territoriales. 42 M. Degoffe, « L’intercommunalité après la loi du 13 Août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales », AJDA, 24 Janvier 2005, p.136. 43 Ibid.
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CONCLUSION La coopération, singulièrement la coopération institutionnelle, est, souvent, présentée comme une exigence moderne. Elle n’est pas, toutefois, exempte d’ambiguïtés. La coopération génère de la densité institutionnelle qui nécessite, à son tour, la coopération de l’ensemble des acteurs concernés, y compris entre ceux qui ont noué des relations de coopération en créant un organisme de coopération. Le propos familier consistant à considérer que l’excès en tout nuit pourrait aisément trouver à s’appliquer dans le cas présent. Ce surplus de coopération est nuisible à la coopération que symbolisent ces groupements car il demeure problématique à plusieurs niveaux. Ce foisonnement de coopération présente l’inconvénient de ralentir le processus décisionnel car il suggère de la concertation, des discussions préalables dans un contexte politique, pour le moins, conflictuel. Ce n’est pas le moindre des paradoxes à une époque où les citoyens exigent, de plus en plus, des réponses immédiates de la part de ceux qui les administrent.
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SUPERPOSITION DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DEMULTIPLICATION DES NIVEAUX D’INTERVENTION L’EXPERIENCE DES COMMUNAUTES D’AGGLOMERATION DE LA MARTINIQUE Jacqueline BRUANT-QUERBEL
Siècle de l’urbanisation par excellence, le 20ème siècle s’est achevé en France par l’irruption d’un nouveau mot, l’agglomération. La connotation technique de ce dernier, (puisque emprunté aux ingénieurs routiers et aux statisticiens, une agglomération étant un espace représentant une certaine densité de population) n’en fait pas encore un concurrent sérieux du mot commune dans la vie de tous les jours. Toutefois, il s’est vite adjoint le terme de communauté qui se rapproche singulièrement de celui de commune. Aussi, la réalité que recouvrent ces deux vocables, à savoir communauté et agglomération, semblait promettre un bel avenir à cette nouvelle structure politico-administrative – la communauté d’agglomération – qui s’apparente de plus en plus à une collectivité territoriale, même si formellement elle n’a pas (encore ?) reçu cette qualification juridique. Ces quelques lignes visent à présenter la réflexion d’un technicien territorial sur les incidences de la montée en puissance des communautés d’agglomération sur le paysage institutionnel de la Martinique, dans un contexte caractérisé par la mise en œuvre de la nouvelle phase de décentralisation. Réflexion précédée d’un rappel du cadre législatif s’appliquant à ces structures intercommunales.
I - LA COMMUNAUTE D’AGGLOMERATION S’APPUIE SUR UN BATI LEGAL DE QUATRE LOIS COMPLEMENTAIRES 1 - La loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire du 25 juin 1999 (« loi Voynet ») Cette loi propose une nouvelle organisation pour mettre en place les conditions d’un développement durable des territoires.
Elle définit la taille des agglomérations comme « une aire urbaine d’au moins 50 000 habitants et dont une ou plusieurs communes centre comptent plus de 15 000 habitants » et en organise l’existence autour d’un projet d’agglomération. Elle met en place les contrats d’agglomération. Il s’agit d’un contrat signé en application du volet territorial d’un contrat de plan Etat-Région. Ce contrat est l’aboutissement d’un processus qui passe par l’élaboration d’un projet d’agglomération soumis pour avis à un conseil de développement avant son approbation par un établissement de coopération intercommunale à taxe professionnelle unique, et ce dans le cadre d’une politique de requalification ou de développement solidaire. Ce conseil de développement, obligatoire au niveau de chaque communauté d’agglomération, est composé d’élus, de représentants du monde économique, syndical et associatif. Les deux communautés d’agglomération de la Martinique n’ont pas dérogé à la règle et ont mis en place un conseil de développement. La Communauté d’Agglomération du Centre de la Martinique (CACEM) est aujourd’hui la structure la plus avancée dans le fonctionnement de cet outil. Son Conseil de développement est composé de personnalités qualifiées, de socioprofessionnels, d’élus des collectivités territoriales, de membres des associations et organismes parapublics. Ces vingt membres devront, autant que de besoin, faire appel aux réflexions d'autres experts, mais également de la population, au travers de moyens de communication et d'échanges à inventer. Ce large esprit d’ouverture devra également permettre à toute association ou organisme représentatif de participer aux réunions et débats qui peuvent les concerner. L’objectif des Conseillers communautaires était de disposer d'un outil efficace, capable de faire émerger dans des délais raisonnables des idées novatrices pour l'avenir de l'Agglomération et de la Martinique. En effet, cette instance consultative de la CACEM a été constituée dans un premier temps pour accompagner et nourrir les travaux d'élaboration du Projet d'Agglomération. Désormais, il est amené à se pencher sur l'ensemble des problématiques auxquelles l'agglomération devra faire face dans les 1015 ans à venir (aménagement et transports, développement, cohésion sociale, environnement…), y compris celles que ne couvrent pas, ou pas encore, les compétences actuelles de la Communauté (culture et patrimoine…).
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2 - La loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale (loiChevènement) Cette loi marque un tournant important dans l’évolution de l’organisation institutionnelle. Elle place les communes au cœur des enjeux sociaux et économiques. Elle centralise les compétences à des niveaux plus pertinents que les limites communales, notamment celui de l’agglomération. La communauté d’agglomération est un établissement de coopération intercommunale formant un ensemble urbanisé regroupant plus de 50 000 habitants avec une ville centre d’au moins 15 000 habitants (on retrouve ici les dispositions de la loi Voynet). Elle est administrée par un conseil communautaire constitué par des délégués des communes membres. Elle met en œuvre la taxe professionnelle unique, dispose d’une dotation globale de fonctionnement pour les communautés nouvellement créées et ont la faculté d’adopter une fiscalité mixte. La communauté d’agglomération a pour objet d’associer des communes au sein d’un espace de solidarité, en vue de bâtir un projet commun de développement urbain. Elle exerce obligatoirement des responsabilités d’intérêt communautaire dans les quatre domaines suivants : -
développement économique, aménagement de l’espace, équilibre social et habitat politique de la ville.
Elles doivent en outre exercer au moins trois des cinq compétences suivantes : -
voirie, eau, assainissement, environnement, équipements culturels ou sportifs, et depuis la loi de cohésion sociale, l’action sociale.
Le renforcement annoncé dans le libellé de la loi repose essentiellement sur la création de ces communautés d’agglomération.
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La simplification de l’intercommunalité passe désormais par la suppression des communautés de villes et des districts, et par l’évolution des statuts des communautés de communes, des syndicats de communes mais aussi et surtout par des dispositions financières et fiscales. Comme nous l’avons vu, cette loi a changé la structure des relations institutionnelles. En effet le vif succès qu’elle a rencontré s’explique par la prime légalement offerte sous forme de dotation globale de fonctionnement (250F/ habitants et par an), mais également par la pression des acteurs économiques qui réclamaient depuis longtemps une taxe professionnelle unique. En ce qui concerne la Martinique, la prime a certes joué un rôle mais ces créations semblent davantage avoir été motivées par la nécessité de faire évoluer des établissements préexistant aux réformes institutionnelles sous la forme de syndicats ou de communauté de communes, afin d’élargir leurs compétences et de permettre le développement cohérent d’espaces géographiques tels que le Centre avec la CACEM et le Sud avec la Communauté d’Agglomération de l’Espace Sud (CAESM). De ce point de vue, la création de la CACEM apparaît comme l’aboutissement d’une volonté politique exprimée depuis plusieurs années. En effet, le 24 janvier 1992, les Maires de Fort-de-France, Lamentin et Schœlcher ont signé un accord de coopération qui prévoit la création d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de type « communauté urbaine ». Leur but était d'associer des villes pour mettre en commun des moyens et des équipements, assurer un meilleur service et de meilleures prestations aux administrés et faciliter l'implantation de nouvelles activités économiques. Ce rapprochement s’est concrétise cinq ans plus tard, en avril 1997. Rejoints par le maire de Saint-Joseph, ils créent le Syndicat Intercommunal du Centre de la Martinique (SICEM) pour gérer le traitement des déchets sur le territoire des quatre communes et initier la construction de l’Unité de Traitement et de Valorisation des Déchets Ménagers. En juillet 1999, la création des communautés d’agglomération par la Loi Chevènement offre l’opportunité de donner une autre dimension à cette coopération intercommunale. Le SICEM est dissout et cède la place à la CACEM.
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3 - La loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU) Cette loi affirme la nécessité d’articuler fortement au niveau local les politiques de développement des territoires avec celles du logement et celles des déplacements. Ces dispositions se traduisent par la mise en place des schémas de cohérence territoriale (SCOT), les plans de déplacement urbain (PDU) et le respect d’un équilibre social du logement dans les agglomérations.
4 - La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales A côté du transfert de compétences de l’Etat vers les régions et les départements, la loi du 13 août 2004 apporte un certain nombre de précisions concernant le périmètre, le fonctionnement et les conditions d’exercice des compétences intercommunales. Cette loi vient renforcer les compétences des communautés d’agglomération. Actuellement, une communauté d’agglomération peut exercer certains pouvoirs de police spéciale du maire en matière de réglementation de la circulation, de stationnement, de l’assainissement non collectif, des ordures ménagères, des manifestations culturelles et sportives. Les arrêtés seront pris conjointement entre le maire et le Président de la communauté d’agglomération. Par ailleurs, les communautés d’agglomération ont la faculté de demander à la région et au département d’exercer en leur nom tout ou partie de leurs compétences dans des conditions prévues par convention. Leur rôle s’est également renforcé en matière de politique de l’habitat avec la possibilité de gérer, par délégation de l’Etat, les aides à la pierre. Prenant acte de la couverture quasi intégrale du territoire, la loi a également posé les bases d’une nouvelle phase, plus qualitative, destinée à faciliter l’évolution des structures de coopération, qu’il s’agisse de leur transformation ou de leur fusion. Cette disposition devrait permettre d’insuffler une nouvelle dynamique à l’intérieur de périmètres plus pertinents. Pour le législateur, toutes ces dispositions avaient pour vocation de se compléter. Elles tentaient d’exprimer une nouvelle approche des territoires. Approche qui visait à instaurer une transversalité, une globalité, une cohérence et une durabilité dans l’administration et la gestion des espaces.
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Pourtant, la réalité est quelque peu différente et les incidences sur le paysage institutionnel, passablement compliqué, de la Martinique sont loin d’être négligeables.
II - TROIS SERIES DE CONSEQUENCES… En effet, dans la pratique ces dispositions se sont révélés porteuses d’un certain nombre de dysfonctionnements affectant aussi bien les finances communales que la représentativité démocratique, ou encore la mise en œuvre des politiques publiques.
1 - L’apparition d’un déficit budgétaire et l’augmentation de la pression fiscale Il a été constaté que cette super institution, la communauté d’agglomération, a aussi parfois créé des difficultés budgétaires pour les communes martiniquaises qui en sont membres. En effet, les transferts de charges effectués par ces dernières n’ont toujours correspondu aux transferts de recettes à la communauté d’agglomération. En d’autres termes, les communes ont transféré la compétence avec les recettes mais conservaient souvent leur charge de personnel et quelquefois les coûts de fonctionnement, la communauté n’exerçant pas immédiatement la compétence. Les modalités de transfert de compétence ont occasionné des déficits budgétaires des communes durant les premières années de fonctionnement de la communauté d’agglomération. Ainsi, dans son rapport d’observations transmis en décembre 2003 à l’une des communes membre de la CACEM, le Lamentin, la chambre régionale des comptes de Guadeloupe-Guyane-Martinique souligne qu’à compter de 2001, le résultat de fonctionnement de la commune est négatif « alors qu’auparavant il avait toujours garanti une capacité d’autofinancement significative…… ». Une tendance confirmée en 2002. La chambre constate, alors, que « cette dégradation apparaît globalement comme le résultat d’un “effet ciseau”.. En effet, de 1996 à 2001, les charges de fonctionnement ont augmenté de 49% alors que les ressources n’ont progressé que de 20%. Le décalage est particulièrement patent entre 2000 et 2001 : +24% de charges et +0,005% de produits. » L’adhésion à la CACEM explique en grande partie la stagnation des produits et celle-ci sera durable.
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L’institution de la fiscalité mixte, à savoir la possibilité pour les communautés d’agglomération de percevoir en sus les taxes d’habitation et foncières, engendre un accroissement de la pression fiscale sur les ménages (habitation, foncier bâti et non bâti). Cet accroissement de la fiscalité se ressent encore plus lorsque, comme le suggère la chambre régionale des comptes à propos du Lamentin, « La commune doit réexaminer profondément ses dépenses courantes et adapter ses charges au nouveau contexte sauf à augmenter les taux de fiscalité communale ». La chambre précise également qu’avec l’instauration de la taxe professionnelle unique, la commune du Lamentin « perd de manière définitive un levier important de maîtrise de ses recettes fiscales, et sa seule marge de manœuvre repose essentiellement sur les trois taxes restantes. ». Au-delà des difficultés financières occasionnées aux communes, les populations ont le sentiment de ne plus maîtriser directement les actions menées sur leur territoire, même si les communes sont amenées à se prononcer sur les outils de cohérence territoriale tel que le PDU (plan de déplacements urbains), le SCOT-PLH-CLS (schéma de cohérence territoriale, programme local de l’habitat, contrat local de sécurité), le contrat d’agglomération.
2 - L’aggravation du déficit de démocratie représentative Si la démocratie participative a été relativement bien distillée dans la nouvelle approche de l’intercommunalité, notamment dans la loi dite « Chevènement », la démocratie représentative semble avoir disparu des préoccupations. En effet, les citoyens sont consultés, ou peuvent demander à l’être sur les projets les concernant. Mais il n’est pas d’actualité de leur demander de choisir des élus intercommunaux, en même temps que les élus communaux. Nous devrions donc nous interroger sur ce déficit de démocratie représentative, et sur ses conséquences puisque nous avons vu qu’au delà de leur qualification juridique d’établissement publics, les communautés d’agglomération sont largement assimilables à de véritables collectivités au même titre que les communes en terme de compétence, de moyens et de fiscalité. Si l’enjeu des communautés d’agglomération était de permettre une meilleure cohérence dans la gestion des fonds publics, il n’en est pas moins vrai qu’elles créent ou créeront une nouvelle forme de concentration des
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pouvoirs alors même que les élus membres de cette nouvelle collectivité n’ont pas été et ne seront pas directement désignés par les citoyens contribuables du périmètre de « l’inter-agglomération ». Ce sont, à notre sens, les fondements même de la démocratie telle que nous l’avons toujours connue qui sont en train d’être remis en cause avec tout ce que cela peut laisser augurer. Ces effets se constatent également en Martinique puisque les communautés d’agglomération sont devenues de réels acteurs économiques et viennent ainsi ajouter une nouvelle couche à ce millefeuille institutionnel dont les effets pervers se font ressentir dans la gestion au quotidien des projets et peuvent aller jusqu’à provoquer une certaine inertie des politiques publiques. Et, actuellement en Martinique force est d’admettre que nous sommes loin des objectifs du législateur qui voyait en la communauté d’agglomération le moyen d’induire un effet de synergie dans la gestion administrative, technique et pratique des projets. Il faut bien reconnaître que dans les faits la mise en place des communautés d’agglomération a engendré bien plus d’inertie que de réelle synergie.
3 - Inertie des politiques publiques Le ralentissement dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques s’explique par des procédures contractuelles (PDU notamment) qui sont venues complexifier les montages de projets suscitant souvent des querelles de clochers, et rendant difficile la prise en compte de l’intérêt communautaire qui devrait être défini par le conseil communautaire. En effet, dans les premières années de fonctionnement des communautés d’agglomération, la définition de l’intérêt communautaire a été très difficile. En fait, on assistait simplement à l’établissement d’une liste de projets et à des luttes de pouvoirs entre les élus pour l’acceptation de leur dossier. La loi du 13 août 2004 est venue préciser cette notion introduite par la « loi Chevènement » et impose de définir l’intérêt communautaire au plus tard deux ans après l’entrée en vigueur de l’arrêté prononçant le transfert de compétences. A défaut, la communauté d’agglomération exercera l’intégralité de la compétence.
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Tous ces faits ont entraîné une déperdition d’énergie dans l’action publique et un sentiment d’insatisfaction chez le citoyen contribuable persuadé de payer plus pour un service moindre. Et pourtant, malgré ces difficultés cette nouvelle « collectivité », semblait être à l’origine un outil prometteur de développement économique et social pour notre territoire. Mais c’était oublier nos particularités institutionnelles, l’espace réduit qu’est la Martinique, à la fois région et département. Ce qui génère d’emblée des phénomènes de chevauchement de compétence. Avec l’arrivée des communautés d’agglomération, cet espace se révèle de plus en plus saturé, au point d’engendrer une forme de promiscuité dans l’exercice des pouvoirs ; pouvoirs qui se cherchent, s’opposent et se superposent sur fond de réforme institutionnelle, ou plus exactement de tentatives avortées, de discours autonomiste et de volonté indépendantiste plus ou moins affirmée, au risque d’engendrer une certaine paralysie dans la gestion des dossiers. Ce qu’il faut comprendre à travers nos propos, c’est que l’ensemble des acteurs politiques impliqués dans le débat institutionnel semblait avoir pris la mesure du fort pouvoir concentrateur des communautés d’agglomération sans pour autant en évaluer les dérives. Aujourd’hui, la totalité du territoire de la Martinique est couverte par des structures intercommunales de forme juridiques différentes En effet, depuis longtemps, les communes travaillent dans le sens de l’intercommunalité et ont su pour des raisons d’économie d’échelle unir leurs moyens pour gérer ensemble des services publics nécessitant des infrastructures coûteuses (eau, ramassage des ordures ménagères…). Cette forme souple de l’intercommunalité, dite intercommunalité de gestion, exerçait des compétences somme toute très ciblées qui ne remettaient en cause ni la représentativité des élus, ni ne concurrençaient les champs de compétences dévolues aux autres collectivités majeures. Par son effet concentrateur, (finances, moyens humains, compétences) la communauté d’agglomération est entrée directement en concurrence avec la région et le département. En prenant forme, elle a contribué à gripper le fonctionnement administratif territorial, ce qui a abouti à un enchevêtrement des compétences et conduit à une inefficacité de l’action des collectivités. Dès lors, le renforcement des procédures contractuelles faisant appel à ces trois collectivités région, département, communautés d’agglomération a provoqué des conflits, des divergences, des arbitrages et donc du retard et une perte d’efficacité dans la mise en place des projets. Or, compte tenu du
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sous-développement économique, de la rareté des fonds publics et des enjeux à venir on peut se demander s’il est raisonnable et réaliste de maintenir cette situation concurrentielle entre les différentes collectivités. Actuellement la quasi-totalité des compétences exercées par la communauté d’agglomération le sont également par la Région et le Département, comme en témoigne le récapitulatif présenté ci-dessous. DES COMPETENCES ENCHEVETREES REGION
DEPARTEMENT
COMMUNAUTE D’AGGLOMERATION
Développement économique
Développement économique
1 Développement économique d’intérêt communautaire
Aménagement de l’espace
Aménagement de l’espace
2 Aménagement de l’espace communautaire
Habitat
3 Equilibre social de l’habitat 4 Politique de la ville
Voirie
Voirie et parc de stationnement d’intérêt communautaire Assainissement (impact dgf)
Eau
Eau
Protection et mise en valeur de l’environnement et du cadre de vie
Protection et mise en valeur de l’environnement et du cadre de vie
Protection et mise en valeur de l’environnement et du cadre de vie (collecte et traitement des déchets ménagers)
Equipements culturels et sportifs
Equipements culturels et sportifs
Equipements culturels et sportifs
Education (lycée)
Education (collège)
Formation professionnelle
social
Voirie
Action sociale
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Le projet de transport collectif en site propre (TCSP) de la Martinique est une parfaite illustration de l’effet ralentisseur de cet enchevêtrement de compétences. Ainsi, pour un même projet, nous trouvons quatre niveaux de décisions (Département, Région, CACEM, Syndicat mixte du TCSP), ce qui entraîne de nombreuses discussions, débats et désaccords, rallongeant considérablement les délais de prise de décision, et donc de réalisation du projet. Certains élus réclament, au demeurant, la mise en place d’une autorité organisatrice unique pour les transports. En attendant, le projet piétine et la victime de ce millefeuille institutionnel est la population martiniquaise. Compte tenu de cet imbroglio institutionnel ne sommes nous pas en droit de nous demander si la communauté d’agglomération constitue un modèle d’institution adapté à notre territoire. Et au delà du simple questionnement ne pourrions nous pas envisager un autre modèle institutionnel chargé des mêmes notions de transversalité, de globalité, de cohérence et de durabilité pour permettre enfin un véritable développement économique de la Martinique ?
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PLURALISME INSTITUTIONNEL ET TRANSFERT DE LA GESTION DES ROUTES « NATIONALES » AUX DEPARTEMENTS/REGIONS D’OUTRE-MER1 Roger CANTACUZENE Justin DANIEL La Guadeloupe, la Guyane et la Martinique sont des régions monodépartementales dont la vie politique s’est, de longue date, structurée autour de l’enjeu institutionnel et de la quête effrénée de modèles statutaires, institutionnels et normatifs prétendant répondre aux aspirations qui se font jour localement. Les derniers exemples en date illustrant ce débat récurrent sont l’échec des consultations populaires organisées en décembre 2003 en Guadeloupe et Martinique, ainsi que le blocage du projet guyanais d’évolution institutionnelle. La démultiplication des niveaux d’administration ou d’intervention publique constitue une réelle source de préoccupations, au regard de l’efficacité de l’action publique. Ils sont au nombre de six pour s’en tenir aux exemples de la Guadeloupe et de la Martinique (la commune, les structures intercommunales qui couvrent la totalité des territoires, le département, la région, l’Etat et l’Union européenne). En Guyane, la sous-administration se combine avec une départementalisation restée largement inachevée et qui se heurte aux aspérités du terrain2. Elle se complique, par surcroît, d’une inadaptation du droit dans bien des domaines. Dans tous les cas, il s’avère compliqué de concilier dans un cadre juridico-institutionnel rénové des attentes ambivalentes et souvent contradictoires, comme le confirment les tentatives avortées de réforme institutionnelle en 2003 aux Antilles comme en Guyane. Il en résulte une persistance de la crise de gouvernance. Certes, le phénomène n’est pas propre aux Collectivités Françaises d’Amérique (CFA). Mais ses effets sont ici amplifiés sous la forme : - d’une complexification croissante du paysage institutionnel doublée d’une crise de l’imputation des décisions, 1
Cette contribution porte sur les collectivités françaises d’Amérique (CFA) c’est-à-dire, les Antilles (Guadeloupe et Martinique), et la Guyane française. 2 Voir la contribution de Patrick Lingibé dans cet ouvrage : « La question juridique des transferts de compétence et le singulier cas guyanais ».
- d’une inadaptation de ce paysage aux cadres formels de la représentation politique et d’une addition de politiques publiques s’articulant d’autant plus difficilement entre elles, que chaque niveau d’intervention reste jaloux de ses prérogatives et compétences. Il en résulte un pluralisme institutionnel accompagné de phénomènes de concurrence et de surenchère3. Les récentes réformes visant à approfondir la décentralisation en modifiant l’organisation territoriale française (révision constitutionnelle du 28 mars 2003, mise en œuvre de l’acte II de la décentralisation avec la promulgation, notamment, de la loi du 13 février 20044) n’ont pas remis en cause l’empilement des niveaux d’administration. Cette nouvelle vague de décentralisation semble, cependant, s’orienter vers des dispositifs de gestion des compétences au niveau local extrêmement différenciés d’un territoire à l’autre. Le transfert des routes nationales, dans les CFA, est peut-être à cet égard un sujet d’observation révélateur. Les CFA ont, en effet, anticipé la décentralisation opérée en la matière en métropole, de par la rénovation du cadre juridique spécifique régissant depuis longtemps la gestion des routes nationales de leurs territoires respectifs (I). La mise en œuvre des transferts de compétence, qui se traduit en pratique par une différenciation croissante, entre les territoires, des modalités locales de gestion, consacre une sorte de « décentralisation à la carte » aux contours imprécis (II).
I – LA RENOVATION DU CADRE JURIDIQUE DE GESTION DES ROUTES NATIONALES DANS LES DEPARTEMENTS-REGIONS D’OUTRE-MER Dès 1984, les régions d’outre-mer ont été impliquées dans la gestion du réseau routier national relevant de leurs territoires respectifs. Cependant, les conditions dans lesquelles elles exerçaient leurs responsabilités comportaient une certaine dose d’ambiguïté et étaient juridiquement insatisfaisantes. De nouvelles dispositions législatives ont, en 2000 puis 2004, modifié ce cadre juridique, permettant ainsi une adaptation du droit à la pratique de la gestion de ces réseaux. 3
Voir R. Cantacuzene, La coordination des politiques publiques dans les départements-régions d’outre-mer, thèse pour le doctorat de droit public, Université des Antilles et de la Guyane, décembre 2000. 4 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
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1 - Une situation initiale ambiguë et juridiquement insatisfaisante Bien plus tôt que les collectivités de métropole, les collectivités locales ultramarines ont été amenées à intervenir sur le réseau routier national. Une telle possibilité était ouverte par la loi n° 84-747 du 2 août 1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion5, en son article 41 – dispositions ensuite codifiées aux articles L.4434-2 à L.4434-4 du Code Général des Collectivités territoriales (CGCT) – qui, en régionalisant le Fonds d’Investissement pour les Routes et les Transports (FIRT), donnait aux régions d’outre-mer (ROM) la responsabilité d’assurer le financement des aménagements de la voirie nationale. Le rôle de proposition des opérations d’aménagement qui était confié au représentant de l’Etat, pour le réseau des routes nationales, disparaît de la nouvelle mouture de l’article 41 de la loi du 2 août 1984, modifié en 1994 par la loi Perben6. Cependant les préfets ont continué d’assurer cette fonction. Le poids des financements consacrés par les régions d’outre-mer à l’entretien du réseau routier national, sur les ressources du FIRT, s’est révélé très élevé : - En 1997, pour la Martinique, 80 MF de crédits FIRT, contre 15,1 MF provenant des crédits du Ministère de l’Equipement - Pour la Guadeloupe, les apports en crédits FIRT sont de 40 MF, pour 17,5 MF du Ministère de l’Equipement. Le cadre juridique était cependant insatisfaisant et induisait des incertitudes en matière de responsabilité. L’importance des interventions financières des régions d’outre-mer a très tôt conduit ces collectivités à agir comme les titulaires de la maîtrise d’ouvrage, alors même que cette qualité ne leur était pas conférée par la loi du 2 août 1984. Dans la pratique, et hormis pour la Guyane – où l’Etat maintenait des taux de financement à hauteur de 40% – les régions, qui apportaient des crédits équivalents à 90% des dépenses sur le réseau routier national, s’étaient arrogées la fonction de décideurs. Les interventions régionales ont cependant été réalisées dans un certain flou juridique, notamment en matière de passation de marchés7. 5
Loi n° 84-747 du 2 août 1984, JORF, 3 août 1984, p. 2559 et s. Loi n°94-638 du 25 juillet 1994 tendant à favoriser l’emploi, l’insertion et les activités économiques dans les DOM, à Saint-Pierre-et-Miquelon, et à Mayotte, JORF, 27 juillet 1994, p.10824 et s. 7 Les pratiques de gestion locale des ROM n’étaient cependant pas de simples épiphénomènes tropicaux, quand on sait qu’en métropole se développaient dans les années 1980 et 1990 des « pratiques protéiformes » qui faisaient éclater les classifications traditionnelles en matière de
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La loi MOP du 12 juillet 19858, dans l’objectif de prendre en compte les spécificités du mode de financement dans les D/ROM, indiquait en son article 19 qu’un décret en Conseil d’Etat viendrait déterminer « les conditions d’organisation de la maîtrise d’ouvrage et de répartition des attributions correspondantes en ce qui concerne les opérations d’aménagement du réseau routier national » financées par des crédits provenant du FIRT. Ce décret était censé mettre en place le cadre juridique permettant de déroger à des dispositions de la loi MOP sur les points suivants : -
les responsabilités que le maître d’ouvrage peut confier à un mandataire (art. 3 de la loi MOP)
-
la liste des personnes pouvant être mandataires (art. 4)
-
la conclusion d’une convention de mandat entre le maître d’ouvrage et un mandataire (art.5).
Toutefois, ce n’est qu’en 2002 qu’a été publié le décret concerné9. Deux tentatives antérieures, en 1988 et 1996, ont abouti à un échec, car elles remettaient en cause les prérogatives que les ROM s’étaient, de facto, octroyées. En effet, elles confirmaient bien la qualité de mandataire applicable aux régions, et non point celle de maître d’ouvrage. Or cette distinction emportait des conséquences juridiques s’agissant des passations de marché. La collectivité territoriale maître d’ouvrage devait recourir, pour la passation des ses marchés, au livre III du Code des marchés publics des collectivités locales, tandis que c’est le livre II relatif aux marchés de l’Etat mandant qui était applicable à la collectivité mandataire10. De fait, aucune convention de mandat, telle que prévue à l’article 5 de la loi MOP, n’a été conclue dans la période antérieure à la loi marchés publics et de délégation de service public, et qui appelaient une rénovation du droit afin d’en permettre une application plus cohérente et plus sécurisante ; voir sur ce point O. Raymundié, « Le service public face à la gestion déléguée : évolutions, imperfections du régime juridique et enjeux d’avenir », in Institut de la Décentralisation (ouvrage collectif), La gestion locale face à l’insécurité juridique, Paris, L’Harmattan, 1997, p.129-146 ; M. Bazex, « Les incertitudes du droit des marchés publics », idem, p.147-159. 8 Loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’oeuvre privée, JORF du 13 juillet 1985, page 7914 et s. 9 Décret n° 2002-381 du 19 mars 2002 portant application de l’article 19 de la loi n°85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, JORF 22 mars 2002 10 Les marchés évoqués ici sont ceux passés avant la réforme du droit des marchés publics, donc sur le fondement de l’ancien code des marchés publics, mais ces marchés encourent la nullité en cas de contentieux dès lors qu’ils peuvent être considérés comme illégaux. La prescription étant trentenaire, l’annulation peut en être demandée pendant 30 ans à compter de la date de leur signature.
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d’orientation pour l’outre-mer (LOOM) du 13 décembre 2000. Il convient d’ajouter que les services préfectoraux chargés du contrôle de légalité ont, pour des raisons d’opportunité compréhensibles, choisi de laisser faire, même si les directeurs départementaux de l’Equipement, pour leur part, réclamaient la passation des conventions de mandat. Les marchés passés sur le fondement du Livre III de l’ancien Code des marchés publics sont cependant teintés d’incertitude juridique, et un jugement du Tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion, en date du 7 mai 1997, indique qu’un marché ainsi passé aurait dû l’être par l’Etat, la région ne pouvant être regardée comme maître d’ouvrage délégué en l’absence de convention de mandat. Cette situation a cependant été clarifiée par la LOOM, dont les dispositions préfiguraient les transferts prévus par l’acte II de la décentralisation 2 - La clarification du droit applicable au réseau national transféré Deux nouvelles étapes peuvent être distinguées dans la gestion du réseau routier national des départements-régions d’outre-mer : celle de la LOOM, qui crée un nouveau cadre permettant de dissiper l’insécurité juridique en la matière, puis celle de la loi du 13 août 2004, qui crée pour le droit commun des possibilités de transfert qui avaient déjà été initiées outremer. a - La LOOM : la levée de l’insécurité juridique La loi d’orientation pour l’outre-mer a fait œuvre utile en venant dissiper les zones d’insécurité juridique liées à la gestion du réseau routier national dans les régions d’outre-mer11. Mais elle préfigure en même temps les réformes ultérieures qui s’appliqueront à l’ensemble du territoire de la République. Bien avant l’acte II de la décentralisation, la LOOM, par son article 46, a ouvert la possibilité pour les collectivités régionales de bénéficier du transfert du domaine routier national relevant de leur territoire. En son temps, la Corse avait déjà été le laboratoire d’une telle expérience12. Le 11
Elle répond ainsi aux vœux du rapport Lise-Tamaya, en en reprenant les propositions ; cf C. Lise, M. Tamaya, Les départements d’outre-mer aujourd’hui : la voie de la responsabilité, Rapport au Premier ministre, Paris, La Documentation française, 1999. 12 Loi n° 91-428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse, JORF, 14 mai 1991, p.6318 et s.
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transfert était alors imposé, tandis que la LOOM, empreinte d’une philosophie générale qui « tend à ouvrir la porte à des évolutions possibles et différenciées d’un DOM à l’autre »13, rend ce choix optionnel. Une disposition de cette loi, codifiée à l’article L. 4433-24-1 du CGCT, indique que l'ensemble de la voirie classée en route nationale est transféré dans le patrimoine des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion si celles-ci en font la demande à l’Etat. Seule la région de Martinique, sous la houlette de son président indépendantiste, avait demandé ce transfert. La LOOM clarifie également la situation des collectivités régionales qui ne font pas la demande du transfert, puisqu’elle précise que dans ce cas de figure « les marchés relatifs aux études et aux travaux sur routes nationales peuvent être passés par les régions d'outre-mer en application du livre III du code des marchés publics ». Cette clarification a permis de lever l’insécurité juridique liée aux passations de marché faites par les collectivités régionales pour les opérations portant sur le domaine routier national. Un décret en date du 19 mars 2002 est également venu finaliser le dispositif de la loi MOP, permettant ainsi aux régions non bénéficiaires du transfert d’assurer la maîtrise d’ouvrage sur les routes nationales14. Ces textes entérinent donc les pratiques en vigueur, et permettent la validation des marchés antérieurement contractés15. b - La loi du 13 août 2004 : harmonisation du droit et « décentralisation à la carte » La loi du 13 août 2004 ouvre une nouvelle étape dans la structuration politico-administrative de la gestion des réseaux routiers dans la mesure où elle conduit à une harmonisation du droit ultramarin et du droit commun. Mais son dispositif est, en partie plus restrictif, en partie plus large que celui de la LOOM. La loi du 13 août 2004 n’apporte pas de véritable bouleversement pour l’outre-mer, puisque les régions d’outre-mer avaient été les précurseurs d’un droit optionnel au transfert de la gestion du réseau national et du versement de ce dernier dans leur patrimoine. Ses dispositions recherchent 13
O. Henry, « Le transfert des routes nationales aux collectivités régionales d’outre-mer », in M. Elfort et al. (dir.), La loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000, Aix-enProvence, PUAM, , 2001. 14 Décret n° 2002-381 du 19 mars 2002 portant application de l’article 19 de la loi n°85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, JORF, 22 mars 2002 15 Sauf en cas de « force jugée » , s’agissant des marchés ayant fait l’objet d’une décision juridictionnelle.
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une certaine harmonisation entre le droit applicable outre-mer et le droit applicable sur le territoire métropolitain. Prenant en compte le fait que l’acte II de la décentralisation opère, en métropole, un vaste transfert du réseau routier national vers le domaine public départemental – mais aussi communal – (art. 18 de la loi), elle crée, pour l’outre-mer, cette possibilité au profit des départements (art.19). Les régions conservent cependant également ce droit à un transfert, une concertation étant organisée par le Préfet de région avec la région et le département pour déterminer laquelle de ces collectivités sera, in fine, bénéficiaire du transfert. Elle est, en principe, plus contraignante, puisque le transfert devient obligatoire. La loi n’envisage pas de cas de « non-transfert », alors que cette possibilité existait dans la LOOM, qui permettait la coexistence d’une propriété de la domanialité par l’Etat, et d’une gestion par la région exerçant la maîtrise d’ouvrage. Cependant, elle crée un dispositif de transfert plus ouvert, s’agissant des destinataires, que celui prévu par la LOOM. En ouvrant la possibilité de transferts non plus seulement vers les régions, mais également vers les départements, elle admet un cadre de « décentralisation à la carte », qui favorise implicitement – à moins qu’elle ne cherche qu’à s’y adapter – des pratiques de différenciation des processus de gestion administrative en œuvre dans les départements-régions d’outre-mer.
II – LA DIFFERENCIATION DES MODALITES DE GESTION DU RESEAU ROUTIER « NATIONAL »: UNE « DECENTRALISATION A LA CARTE » ? Les choix opérés localement révèlent une tendance à la différenciation entre les collectivités françaises d’Amérique au regard des modalités de gestion des routes transférées. Trois cas de figure, allant de la mutualisation entre département et région, à la re-nationalisation en passant par la gestion exclusive peuvent être repérés. 1 - Guadeloupe : la mutualisation des moyens du département et de la région Le système de gestion des routes nationales en Guadeloupe repose sur une mutualisation des moyens du département et de la région, qui
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préfigure la mise en place d’une structure mixte émanant de ces deux collectivités. Les routes nationales sont désormais de la compétence de la région16, 340 kilomètres (voire 400, si l’on prend en compte les bretelles d’autoroutes et voies doubles) lui étant transférées. Aussi, conformément à la loi, sont progressivement transférés au profit de la région le matériel, l'immobilier, les moyens financiers et le personnel jusqu'ici en charge des routes nationales à la direction départementale de l'équipement (DDE). Le personnel émanant de la DDE est, pour l’instant, mis à disposition, en application d’une convention en date du 30 mars 2006. Cette mise à disposition permet une pré-affectation des personnels ayant vocation à être transférés. Le transfert effectif interviendra au 1er janvier 2007, pour des moyens humains représentant 276 personnes équivalents temps plein17. Cependant, comme en Martinique, la collectivité départementale de Guadeloupe dispose déjà d’importants services techniques, permettant l’entretien et l’exploitation du réseau routier départemental. De ce fait, les collectivités départementale et régionale se sont orientées vers une mise en commun de leurs moyens respectifs Parallèlement au choix initial de la région comme bénéficiaire du transfert, un protocole d'accord a été conclu entre la région et le département dès le 26 septembre 2005. Cet accord prévoit que les deux collectivités vont, ensemble, étudier les conditions de mise en place d'un organisme public de coopération pour l'exercice mutualisé de la gestion des routes nationales nouvellement transférées, et des routes départementales. A la suite des propositions émises dans le rapport réalisé par un bureau d’étude, cette structure devrait prendre la forme d’un syndicat mixte. Chargé d’assurer la rationalisation des moyens matériels, humains, financiers de la gestion de l’ensemble du réseau, incluant la gestion de crise (période cyclonique notamment), le syndicat mixte sera, en principe, officialisé au 1er janvier 2007.
16 Signature le 26 septembre 2005 en préfecture par la première vice-présidente de la région Guadeloupe des documents relatifs à la désignation de la collectivité bénéficiaire du transfert des routes nationales ; publication du décret n° 2005-1690 du 26 décembre 2005 pris en l'application de l'article L. 4433-24-1 du code général des collectivités territoriales et relatif au transfert des routes nationales dans les départements d'outre-mer, désignant la région Guadeloupe comme collectivité bénéficiaire du transfert , JORF n°302, 29 décembre 2005, p.20407. 17 Le calcul des postes budgétaires « équivalents temps plein » permet le transfert de ces postes même si ceux-ci ne sont pas pourvus au moment du transfert, la collectivité bénéficiaire ayant alors la liberté de recruter elle-même le personnel.
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2 - Guyane : décentralisation contestée et re-nationalisation En Guyane, le processus en cours en matière de gestion des routes dessine une tendance à la re-nationalisation. La Guyane compte 1 300 kilomètres de routes dont 397 de routes nationales, essentiellement situées sur la bande littorale. D’emblée, le transfert des routes nationales a fait l’objet d’un rejet de la part des deux collectivités au même titre d’ailleurs que le transfert des techniciens et ouvriers de services (TOS). Ce dossier suscite, en outre, une lutte symbolique pour que l’Etat reconnaisse un caractère international aux RN1 et RN2 – puisque l’une mène au Surinam et l’autre au Brésil – et pour qu’il procède à leur mise aux normes (réfection et réparation des buses défaillantes). Au terme de négociations âpres et tendues avec l’Etat et les collectivités territoriales, il semble que le département ait accepté de prendre à sa charge les 22 kilomètres que font la RN3 et la RN4. De ce fait, seulement 5 postes budgétaires équivalents temps plein devraient être transférés (alors que les effectifs de la DDE représentent environ 440 personnes). L’accord intervenu n’a, pour l’instant, pas été formellement signé afin d’éviter qu’il ne déclenche des réactions identiques dans certains départements métropolitains. Cependant, la reconnaissance du caractère international des RN1 et RN2 semble en bonne voie, leur statut juridique se calquant alors sur celui des routes à vocation européenne qui, dans les départements métropolitains, demeurent de la compétence de l’Etat. Une modification de la loi de 2004 devrait intervenir afin d’entériner cette solution. Une chose est sûre : ces négociations alimentent en Guyane les débats sur l’évolution institutionnelle et la nécessité, aux yeux des élus, d’élaborer des dispositifs plus conformes aux réalités du terrain. 3 - Martinique : gestion régionale et concurrence institutionnelle La situation à la Martinique est celle d’une gestion exclusive du réseau routier national par la région. Ce cadre de gestion n’exclut cependant pas des tensions larvées avec les services de l’Etat et la Communauté des Agglomérations des Communes du Centre de la Martinique (CACEM). Dès la promulgation de la loi du 13 décembre 2000 (LOOM), la région Martinique avait opté pour le versement dans son patrimoine des routes classées nationales, contrairement à ses homologues de la Guadeloupe
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et de la Guyane. Le processus sera parachevé avec le transfert à la fin de l’année 2007 de l’ensemble du personnel d’ingénierie et de celui de l’entretien des routes, soit environ 200 agents représentant quatre des six subdivisions de la DDE. Pour le moment, ce personnel a été mis à la disposition de l’Exécutif régional, grâce à la passation de deux conventions entrées en application le 1er janvier 2003, la première concernant la mise à disposition des services de la DDE, la deuxième la gestion du parc de la DDE. La région reçoit également, en vertu de la loi du 13 août 2004, la responsabilité de la police de la nouvelle voirie régionale (délivrance des autorisations d’occupation temporaire, arrêtés de limitation de vitesse, etc…). Ce transfert a été opéré par voie d’avenant aux conventions, en date de novembre 2003. Le transfert effectif des personnels interviendra au 1er janvier 2007, pour 222 postes équivalents temps plein. Afin d’éviter les tensions connues dans un passé encore récent, deux modalités de fonctionnement ont été retenues : - tout d’abord, une procédure plus ou moins formalisée de prise de décision a été mise en place ; elle s’appuie sur un programme pluriannuel d’investissements adopté par la région, en prélude à l’adoption d’un schéma directeur prévu en 2008. Chaque opération fait l’objet d’une validation politique et passe par trois étapes : dossier de prise en considération, élaboration d’un avant-projet, et adoption de ce dernier. - en second lieu, à l’initiative de la région, il existe une répartition plus ou moins implicite en matière d’intervention sur le réseau routier entre la DDE et les maîtres d’œuvre privés choisis par la collectivité régionale. Cette procédure vise à augmenter le volume de travaux confiés aux maîtres d’œuvre privés de façon que la relation avec la DDE ne soit pas exclusive et de façon que cette dernière en revienne au cœur de son métier, c'est-à-dire la réalisation et l’entretien des routes. Cette évolution a d’ailleurs été facilitée par le fait que bien avant 2003, la collectivité régionale avait annexé des champs de compétence qui relevaient de la DDE (élagage, peinture et signalisations routières…). Ce dispositif n’exclut pas des tensions ou des surenchères, notamment avec les communes lorsque celles-ci sont affectées par les travaux concernant les routes nationales. Il arrive que les maires soient tentés de faire des propositions de modifications ou d’extensions des travaux allant bien au-delà de ce que prévoit le projet initial de la région. C’est le cas, par exemple, d’un maire qui, informé d’un projet de la région affectant le territoire de sa commune grâce à des relations privilégiées avec le subdivisionnaire de la DDE, a tout simplement court-circuité la collectivité
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régionale pour réaliser à sa place les travaux qu’elle envisageait… De même, on assiste à des tensions et à des phénomènes de concurrence pour la valorisation des réalisations avec la CACEM. Aux yeux de région, cette dernière fait de la surenchère en matière de communication institutionnelle sur le réseau routier et multiplie des demandes considérées comme exagérées, alors qu’elle ne disposerait pas des moyens de son ambition18. Aussi, afin d’aplanir ces problèmes, la région a adopté quelques règles concernant, d’une part, la construction de trottoirs accompagnant les routes traversant les bourgs dont le financement est assuré à hauteur de 30 % par la collectivité régionale et à hauteur de 70 % par la commune concernée, et d’autre part, l’éclairage des routes pour lequel la région s’engage à réaliser l’infrastructure nécessaire – cela peut aller jusqu’à la pose des candélabres – alors que la commune prend en charge la consommation.
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Les phénomènes de concurrence sont exacerbés par la lutte pour le leadership local qui oppose le président de région et le président de la CACEM, sans oublier leurs homologues du département.
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CONCLUSION Sans aucun doute, c’est à la Martinique que l’on est allé le plus loin en matière de transfert de la gestion des routes nationales, compte tenu des choix arrêtés dès la promulgation de la loi du 13 décembre 2000. Mais la création en cours, en Guadeloupe, d’un syndicat mixte se présente déjà comme un intéressant exemple de gestion partagée des ressources, sur fond de débat sur la rationalisation des compétences. Il reste qu’on assiste désormais à trois expériences de nature différente dans les collectivités françaises d’Amérique : la région Guyane ne gère aucun réseau routier, contrairement à ses homologues de Guadeloupe et de Martinique, et dans ces deux derniers cas, les choix diffèrent s’agissant notamment des relations entre les collectivités départementales et régionales. Cette expérience semble confirmer une évolution contenue en filigrane dans les réformes intervenues depuis 2003 : à l’indifférenciation croissante des régimes législatifs applicables dans les DOM et dans les collectivités d’outre mer (art.73/74 de la Constitution)19 semblent correspondre des différences de plus en plus marquées entre des collectivités d’une même catégorie comme le révèle l’exemple des DOM. Ce pluralisme normatif et institutionnel est synonyme de différenciation dans l’application du droit dans de nombreux domaines. Les réformes récentes encouragent, non seulement la multiplication de variantes dans l’exercice des compétences, mais aussi une forme de diversification territoriale ainsi que des combinaisons multiples, voire des régimes hybrides comme cela transparaît à travers la catégorie fort disparate de COM et, dans une moindre mesure, à travers l’article 73-3 de la constitution qui ouvre aux DOM/ROM des possibilités inédites d’incursion dans le champ législatif applicable à leurs territoires respectifs.
19 Malgré la persistance d’une grande diversification statutaire, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a mis fin à l’éparpillement juridique des catégories de collectivités, en réintroduisant une double catégorisation pour l’outre-mer, autour d’un pôle d’identité de régime législatif (article 73) et d’un pôle de spécialité législative (article 74). Mais ces deux catégories, loin d’être étanches, permettent de multiples hybridations du droit applicable. Cf J.-Y. Faberon (dir.), L’outre-mer français, la nouvelle donne institutionnelle, La Documentation française, Paris, 2004.
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LE SCHEMA REGIONAL DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE Alain LAGUERRE La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales déclare en son article 1er II : « à titre expérimental, et pour une durée de cinq ans, aux fins de coordination des actions de développement économique définies à l’article L. 1511-1 du code général des collectivités locales, l’Etat peut confier à la région le soin d’élaborer un schéma régional de développement économique ». Le législateur a donc créé un nouveau schéma. Un schéma, encore ! Que de schémas, en effet, des schémas de services collectifs, des schémas de cohérence territoriale, des schémas d’aménagement et de développement du territoire, des schémas d’aménagement régional pour les régions d’outre-mer, des schémas de développement commercial, des schémas régionaux de formation professionnelle, des schémas régionaux d’organisation sanitaire et quelques autres encore ! Pourquoi pas un schéma de développement économique, puisque les schémas sont à la mode et que le mode du schéma gagne tous les secteurs, au point d’apparaître aujourd’hui comme « le procédé prévisionnel – de droit commun – de l’Administration »1. Documents à contenu souvent imprécis, car devant être souples et adaptables à des situations évolutives, documents à portée juridique généralement faible, car de nature plus prospective que prescriptive, ils contribuent au développement de la planification mise en œuvre dans les différents secteurs de l’action publique. Le modèle de planification nationale et générale ayant échoué et devant être abandonné, d’autres formes de planification se développent à l’échelon local comme technique de prévision et d’action sectorielle. Certes, les contrats de plan Etat-régions continuent au
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J.-M. Pontier, « Les instruments prévisionnels non décisionnels de l’action administrative », D 1997, chronique, p. 380.
moins pour la période en cours 2000-2006 à faire illusion, mais, pour combien de temps encore2, l’Etat ayant de plus en plus de mal à les honorer. S’il est un domaine où depuis les premières lois de décentralisation le bât de la dispersion des compétences a beaucoup blessé la cohésion de l’action publique, c’est bien celui de l’action économique. Le constat est accablant et de nombreux rapports en rendent compte. Le Commissariat général au plan fait état d’un dispositif d’aide aux entreprises « à bout de souffle »3. Le rapport du conseil d’analyse économique sur la compétitivité de la France met en doute l’efficacité des aides publiques aux entreprises4. Tout récemment, le Gouvernement vient de demander au conseil d’orientation pour l’emploi (COE) un diagnostic et une évaluation des aides économiques aux entreprises5. La doctrine n’est pas en reste, ni avare de critiques sur les défauts et les lacunes du dispositif d’aides économiques6. Elle fait état de la défaillance7 ou de l’obsolescence8 du régime d’intervention économique des collectivités locales. Conscient qu’il fallait apporter des solutions nouvelles pour assurer davantage de cohérence en matière de développement économique, le Premier ministre a donné mission au député Marc Laffineur de procéder à « une comparaison des dispositifs existants dans les principaux pays européens »9. Le « rapport Laffineur » entre autres propositions, dix au total, préconisait d’« adapter, simplifier, rénover le cadre juridique des interventions économiques des collectivités locales en France » (quatrième proposition) et, surtout, au regard des expériences dans les autres pays européens de « faire de la région le chef de file d’une coopération associant départements et structures intercommunales au service du développement 2
C. Guettier, « Quel avenir pour les contrats de plan Etat-régions ? », Lamy collectivités territoriales, n° 1 avril 2005, p. 43. 3 Rapport du Commissariat général au plan, Les aides publiques aux entreprises : une gouvernance, une stratégie. 2003. Conclusion sévère : « Au total, la gouvernance du dispositif d’aides publiques ne paraît à la hauteur ni des enjeux économiques du pays, ni des montants financiers distribués », A.Faujas, « La gestion des aides publiques aux entreprises à bout de souffle », Le Monde de l’économie, 4 octobre 2003. 4 Rapport du Conseil d’analyse économique sur la compétitivité de la France, Sur la compétitivité en France, 2003. Pour le Conseil, « les aides publiques aux entreprises ont un impact non significatif, voire négatif sur le développement économique ». www.cae.guv.fr 5 Le COE a remis son rapport le 20 février 2006. www.ladocumentationfrancaise.fr 6 J.B. Auby, rapport de synthèse du colloque organisé par la faculté de droit d’Orléans le 29 mai 1997. L’encadrement juridique des aides des collectivités territoriales aux entreprises. 7 C. Pourre, « Le cumul d’aides », AJDA,, 20 juin 1993, p. 444. 8 S. Caudal, « Avant propos », Les collectivités locales et l’entreprise, in S. Caudal, J.F.Sestier (dir), Paris, LGDJ, 2002. Dans le même sens, cf, J.C.Douence, « L’intervention par les aides directes », p.73. 9 Lettre de mission du premier ministre en date du 29 août 1997.
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économique et de l’emploi »10, pour mettre un terme à « une concurrence débridée entre collectivités », rendue possible par la décentralisation « à la française », créant divers niveaux de collectivités locales indépendants les uns des autres11. La loi 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a apporté une réponse positive à la quatrième proposition en réformant le régime des aides directes aux entreprises12. Par contre, le législateur a été beaucoup plus réservé concernant les solutions préconisées par la cinquième proposition. Le nouvel article L. 1511-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) permet certes au conseil régional de fixer le régime des aides directes aux entreprises13, mais le législateur n’a pas retenu la création d’un « schéma régional et départemental de développement économique ». Il aura donc fallu attendre la loi 2004-09 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales pour que la possibilité soit enfin donnée aux collectivités territoriales d’élaborer des schémas régionaux de développement économique (SRDE) Un schéma enfin ! Cette possibilité nouvelle, que certaines régions d’outre-mer se sont empressées de saisir14, permet d’élaborer un schéma « régional » et non comme le proposait le rapport Laffineur, « un schéma régional et départemental ». Il est vrai que les régions entre-temps « constitutionnalisées » 10
Rapport Laffineur, Les interventions économiques des collectivités locales dans l’Union européenne, septembre 1996-février 1997, Assemblée nationale (Quatrième proposition p. 68 et cinquième proposition, p. 72). 11 La décentralisation « à la française » n’est certainement pas la seule explication, puisque quel que soit le mode d’organisation administrative et la répartition des compétences dans les Etats européens en matière d’aides économiques, on constate la même nécessité de clarifier et de mieux associer les compétences des administrations locales pour contribuer à l’effort de développement économique. En ce sens, voir le panorama européen dressé par Le Moniteur, sur le droit des aides publiques aux entreprises (Danemark, Grande-Bretagne, Italie, Allemane, Espagne, Suède), Le Moniteu, du 25 août 2000 et les numéros suivants. 12 M. Sousse, « Les aides des collectivités locales aux entreprises dans la loi relative à la démocratie de proximité », Petites affiches, 28 mai 2002, p.4. U. Menigoz, « Aides des collectivités locales aux entreprises, Collectivités territoriales 2002, chr n° 15. 13 Circulaire du 16 janvier 2003, Ministère de l’intérieur, sur la mise en œuvre des dispositions de l’article 102 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, Le Moniteur, 4 avril 2003, TO, p. 398. 14 Le conseil régional de la Guadeloupe a voté le schéma en janvier 2006. La Guadeloupe figure dans les douze premières régions ayant adopté un SRDE. Le conseil régional de la Guyane a introduit une demande en mai 2005 et a approuvé son schéma en septembre 2006.
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par la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 (article 72) ont largement bénéficié des transferts de compétences opérés par la loi du 13 août 2004 en faveur des collectivités territoriales. Elles avaient du reste déjà compétence « pour promouvoir le développement économique ». Mais, si le développement économique demeure le domaine de prédilection des compétences régionales, la région est cantonnée en la matière à une mission, qui consiste à coordonner sur son territoire « les actions de développement économique des collectivités territoriales et de leurs groupements, sous réserve des missions incombant à l’Etat » (nouvel article L.1511-1 du CGCT). En outre, le schéma de développement économique n’est qu’un instrument facultatif et de surcroît expérimental. Quand bien même l’expérimentation serait devenue en matière de décentralisation une des nouvelles figures de la réforme administrative, elle n’est pas, à la lecture de l’article 37-1 de la Constitution – « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à titre expérimental » – un passage obligé. Et, l’intention première du législateur n’était pas d’expérimenter, mais bien dans le projet de loi de transférer de façon définitive aux régions une compétence pleine et entière en matière de développement économique. Faut-il voir là une simple régression15, une reculade16 ou bien, ainsi que nous allons l’analyser, une illustration de l’incapacité à trancher « le nœud gordien de l’enchevêtrement des compétences »17 en matière de décentralisation ? LES COMPETENCES EN MATIERE DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE, UNE ONFUSION JURIDIQUEMENT MAINTENUE Les questions essentielles touchant à la répartition des compétences entre collectivités publiques en matière de développement économique ne
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J.M Pontier, « Le schéma régional de développement économique », Lamy Collectivités locales, septembre 2005, n° 5, p. 50. 16 H. Groud. Réflexions sur le nouveau droit de l’interventionnisme économique local et régional, RRP, n° 5, 2005, p. 1256. 17 C’est à dessein que nous employons l’expression utilisée par le rapporteur du projet de loi devant le Sénat, avant que celui-ci ne modifie fondamentalement la répartition des compétences en matière de développement économique et ne contribue à restaurer en ce domaine l’enchevêtrement des compétences préexistant. J.P.Schosteck, Rapport n° 31 sur le projet relatif aux responsabilités locales, 22 octobre 2003, p. 32.
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trouvent pas de réponses satisfaisantes dans la loi du 13 août 2004. Certaines n’ont pas été posées, celles qui l’ont été ont reçu des réponses embrouillées. L’articulation des schémas Le développement économique s’inscrit pour les régions d’outre-mer dans un document de planification spécifique, le schéma d’aménagement régional (SAR), depuis la loi du 2 août 1984 relative aux compétences des régions ultra-marines (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion). Le SAR fixe les orientations fondamentales en matière de développement, de mise en valeur du territoire et de protection de l’environnement (article L.4433-7 du CGCT). La question de la conciliation des schémas régionaux de développement économique et des schémas d’aménagement régionaux n’a pas été posée, elle devra être cependant résolue. Comme du reste, dans les autres régions, celle des schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire (SRADT). Le droit des interventions économiques des personnes publiques et le droit de l’aménagement du territoire sont nécessairement connectés. Les régions sont les acteurs principaux du développement économique et de l’aménagement du territoire. Les schémas de développement économique ne pourront ignorer les orientations économiques préalablement fixées par les SAR et les SRADT. Leurs champs d’application se recoupent pour partie. Devront-ils être compatibles, complémentaires, coordonnés ? L’expérimentation apportera vraisemblablement des éléments de réponse à une telle question, à défaut de précision de la part du législateur. Le SAR de la Martinique, comme tous les SAR dans des proportions toutefois variables18, comporte des orientations économiques majeures fixées au moment de son élaboration et approuvées en 1998. Sont-elles toujours d’actualité ? Le « défi économique » consistait à moderniser l’appareil de production et à développer les secteurs porteurs et à développer les activités économiques sur la côte atlantique, notamment en y créant un nouveau port.
18 Sur le SAR de la Réunion, P.Soler-Couteaux, « Le schéma d’aménagement régional de La Réunion : une expérience et un modèle pour les documents d’aménagement », Mélanges Jean Mas. Droit et anthropologie de la complexité, Université de la Réunion, Paris, Economica. 1996. p. 347. Sur le SAR de la Martinique, P. Hocretiere, « Le schéma d’aménagement de la Martinique », Etudes foncières n° 83.
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S’il est vrai que le SAR est avant tout un document d’urbanisme19, il ne faut pas perdre de vue, surtout sur des territoires insulaires où l’espace est limité20, combien d’une façon générale la destination générale des sols est déterminante pour la localisation des activités économiques21, de façon particulière s’agissant des activités industrielles, artisanales ou touristiques, pour lesquelles la localisation préférentielle est fixée par le SAR (article L. 4433-7). Les SAR ont de surcroît une portée juridique étendue, précisée par le juge à propos du SAR de la Martinique22. Les plans locaux d’urbanismes doivent être compatibles avec les SAR23. Les aménagements dans les espaces proches du rivage doivent être prévus par le SAR24. Autant d’éléments contraignants, qui devront être pris en compte par les schémas de développement économique. Enfin, une autre interrogation viendra rapidement à se poser, comment synchroniser dans le temps des orientations, des priorités et donc des sélectivités en matière de développement économique à travers des schémas qui n’ont pas la même durée ? La loi du 13 août 2004 a prévu une durée de cinq ans pour les SRDE, alors que la loi d’orientation pour l’outremer du 13 décembre 2000 a prévu une durée de dix ans pour les SAR, en imposant aux conseils régionaux de délibérer sur le maintien ou la révision du schéma et en précisant qu’à défaut de délibération le SAR devient caduc. La coordination des actions Alors qu’elle apparaissait comme chef de file dans le projet initial, la région a été rétrogradée au rôle de coordinatrice par le législateur. Et ce, paradoxalement, au moment où la notion de chef de file ne posait plus de difficulté, sa constitutionnalité25 au regard du principe de libre administration 19
K.diot, F.R.Dulcina, « Un document d’urbanisme original : le schéma d’aménagement régional », Le Moniteur, 12 août 2005, p. 44. 20 A.Laguerre, « L’entreprise insulaire face aux contraintes environnementales », L’entreprise insulaire. Moyens et contraintes in G.Virassamy (dir), Travaux du CERJDA, Faculté de droit et d’économie de la Martinique, Paris, L’Harmattan 2004. 21 Ph. Billet, « L’intervention – économique des collectivités locales – par le droit de l’urbanisme », Les collectivités locales et l’entreprise, op cit., p. 127. 22 CE, 25 juin 2003, Société Usine du Marin, BJDU 4/2003, p. 240. Conclusions du commissaire du gouvernement S. Austry. 23 TA de Saint-Denis de la Réunion, 24 avril 2002, BANOU, LLURENS c/ Commune de Saint-Paul 24 CAA de Bordeaux, 4 mars 1999, Commune de Saint-Leu. 25 Le Conseil constitutionnel avait censuré une disposition de la loi du 4 février 1995 d’orientation et de développement du territoire qui imposait un mode de coopération entre collectivités qui avait pour effet d’emporter la désignation de l’une d’entre elles comme chef de file chargée d’exercer des compétences relevant des autres collectivités.
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des collectivités territoriales et de son corollaire, l’absence de tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre, étant enfin admise. La réforme constitutionnelle de 2003 reconnaît la possibilité de confier à une collectivité la fonction de chef de file : « lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ». Il suffisait donc, s’agissant des compétences en matière de développement, que le législateur veuille confier cette fonction à la région, il l’a peut être voulu, mais il ne l’a pas pu. Certes, le principe d’absence de tutelle demeure, il est désormais inscrit dans la Constitution à l’article 72 : « aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ». Et, lors des débats parlementaires, la crainte de voir s’instaurer une tutelle de la région sur les autres collectivités locales a été de nombreuses fois évoquée. Les sénateurs représentants des collectivités locales, en l’espèce surtout des collectivités infrarégionales, se sont évertués à circonscrire les compétences de la région dans un domaine où pourtant elle dispose depuis toujours d’une responsabilité, celle de « conduire le développement économique régional », que l’on peut qualifier de naturelle, au même titre que les responsabilités qui lui incombent en matière d’aménagement du territoire et de planification. Partant, la collectivité régionale semblait avoir vocation dans ce domaine « à prendre les décisions relatives à l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à – son – échelon », en application de la nouvelle règle de répartition des compétences établie par la réforme de la Constitution de 2003 à l’article 72 alinéa 2. Le nouveau schéma de répartition des compétences, inspiré26 du principe de subsidiarité sur lequel repose la répartition des compétences communautaires et étatiques, la Communauté n’intervenant que lorsque les objectifs « peuvent être mieux réalisés » à son niveau qu’à celui des Etats27, jouant dans ce cas non pas de façon ascendante mais de façon descendante, aurait dû reconnaître pleinement à la région une fonction de chef de file, s’agissant de
26 En ce sens, J.F. Brisson, « Les nouvelles clefs de répartition matérielle des compétences entre l’Etat et les collectivités locales », AJDA, 24 mars 2003, p. 529, cf. en particulier p. 531. 27 C. Blumann, L. Dubouis, Droit institutionnel de l’Union européenne, Paris, Litec. 2004. cf. p. 233. P.A. Feral, « Le principe de subsidiarité après la signature du traité établissant une Constitution pour l’Europe », AJDA, novembre 2004, p. 2085.
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développement économique local28. D’autant que la Charte européenne de l’autonomie locale, qui a été prise en compte pour la révision de la Constitution de 2003 et pour la loi de décentralisation de 200429, spécifie que « l’exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence aux autorités les plus proches des citoyens ». La pertinence de l’échelon régional en matière de développement économique est depuis longtemps reconnue. Les économistes ont identifié la région comme l’unité administrative la plus apte à mettre en œuvre une politique locale d’intervention économique, parce qu’elle constitue une économie moins ouverte que les autres collectivités, parce qu’elle présente un seuil dimensionnel démographique et financier suffisant pour réaliser des économies d’échelle, parce qu’elle constitue un optimum fonctionnel et un cadre pour assurer la production et l’adéquation des fonctions majeures (recherche, logistique, transfert de technologie), parce qu’elle a la dimension pour développer des systèmes d’intervention mieux adaptés que le cadre national aux entreprises de taille moyenne30. Au lieu de procéder à une répartition des compétences, au regard de ces réalités économiques, le législateur a préféré mettre en œuvre une agrégation des compétences à l’échelon régional. L’agrégation de compétences L’article 72, alinéa 2, de la Constitution « suggère » bien que les compétences doivent constituer des ensembles homogènes. Simple rappel du principe posé par la loi du 7 janvier 1983 en son article 3, qui prévoyait que les compétences devaient être transférées en bloc à une collectivité locale, théorie des blocs de compétences démentie par la pratique de l’éparpillement des compétences à laquelle le législateur s’est le plus souvent livré. Il est vrai que le législateur avait pris soin de prévoir que les transferts devaient être faits en bloc « dans la mesure du possible ». Il avait initialement imaginé des principes simples, mais il a rapidement été inspiré, surtout en matière de 28 J.M. Lemoyne de forges, « Subsidiarité et chef de file : une nouvelle répartition des compétences ? » in La République décentralisée. Y. Gaudemet, O. Gohin (dir.), Paris, Ed Panthéon-Assas, 2004, p.47. 29 J. Moreau, « La charte européenne de l’autonomie locale », Collectivités-intercommunalité, février 2004, p. 33. Une charte européenne de l’autonomie régionale fait l’objet d’un projet au Conseil de l’Europe. Elle pourrait apporter des éclairages nouveaux sur le rôle des régions en matière de développement économique et plus généralement sur le développement de l’Europe des régions. 30 Ph. Derycke, G. Gilbert, Economie publique locale, Paris, Economica, 1988 ; Y. Morvan, M.J. Marchand, L’intervention économique des régions Paris, Montchrestien, 1994.
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transfert de compétences, davantage par « le génie de la complication »31 que par celui de la simplification. Le domaine des interventions économiques en constitue une remarquable et tout autant regrettable illustration32. Toutes les collectivités ayant des responsabilités économiques, non seulement la région, mais aussi le département33, ainsi que les communes34, chacune veut conserver le pouvoir d’agir sur le tissu économique local en octroyant des aides aux entreprises. La loi du 13 août 2004 n’a pas à cet égard remis en cause les compétences des uns et des autres. En ce sens, l’Association des Régions de France a fait observer que la loi « n’avait pas clarifié les rôles des acteurs en matière de développement économique»35. Mais, au-delà de ce constat, il faut reconnaître quelques mérites au législateur. Il a introduit une approche nouvelle dans l’action économique locale. Le changement d’intitulé du titre 1er du Livre V du CGCT, qui traitait hier des « aides aux entreprises » aujourd’hui du « développement économique » traduit une évolution profonde. D’une approche matérielle de l’intervention économique, les aides, on passe à une approche conceptuelle, le projet de développement. D’une offre d’aides économiques aux entreprises faites par les collectivités publiques, on devrait passer à une demande de développement économique formulée par les collectivités à l’adresse des entreprises. La logique du schéma est plus novatrice qu’il n’y parait à première vue. Dès la fin des années soixante-dix, la DATAR avait initié une telle démarche en matière de « développement local » et préconisait un modèle de développement endogène fondé sur l’initiative locale et reposant sur une démarche de projet36.
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R.Chapus, Droit administratif général, Tome 1, Paris, Montchrestien. 15e édition ; 2001. J.M . Pontier, « Le droit administratif et la complexité », AJDA, 20 mars 2000. p. 187. 33 J.C.Helin, « Le département et le droit de l’intervention économique », RFDA, 1 (5) septoct 1985, p. 719. L’auteur montre combien les départements, qui interviennent en matière économique depuis 1955, sont peu enclins à respecter le cadre législatif qui restreint leur champ d’intervention. 34 « Le maire est devenu aux yeux de la population qu’il administre, le comptable de l’activité économique et de l’emploi dans sa commune », selon le commissaire du gouvernement A. Cazin d’Honincthun. CE, 10 mai 1985, Société anonyme Boussac Saint-Frères, AJDA, 20 juillet / 20 août 1985. p. 435. 35 Avis de l’AMF du 7 juillet 2005. 36 J. Chevallier, « Administration et développement local en France », RFAP, n° 34. 1985. p. 333. 32
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On retrouve dans la loi du 13 août 2004, un quart de siècle plus tard, la même préoccupation s’agissant du développement économique : la possibilité donnée aux collectivités locales de décider en commun de leur développement, la nécessité de coordonner les différentes politiques locales, l’utilité du contrat pour associer diverses compétences. C’est dans le cadre d’un projet, même si le terme de schéma a été préféré, que les aspirations, les priorités et la stratégie régionale de développement économique devront être désormais définies et traduites en terme d’actions.
LES MOYENS DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE, UNE DIVISION POLITIQUEMENT ENTRETENUE Le législateur a pris grand soin d’impliquer tous les acteurs publics : la région coordonne les actions des collectivités territoriales et de leurs groupements, sous réserve des missions incombant à l’Etat. Ce faisant, il entretient la division. Et, en ce sens, la circulaire du 25 mars 2005 du ministère de l’intérieur37 relative au schéma régional de développement économique n’a pas manqué de rappeler aux préfets qu’un schéma régional de développement économique « ne peut en aucun cas avoir pour effet de modifier les équilibres prévus par le législateur qui autorise les départements et les communes ou leurs groupements à décider des interventions définies à l’article 1511-3 du CGCT, ainsi qu’à intervenir conjointement avec l’Etat par voie de convention et, le cas échéant, sans participation de la région »38. Le développement économique suppose donc un consensus politique. Concertation, contractualisation, négociation sont les moyens prévus pour y parvenir, y suffiront-ils ? Une concertation renforcée Le contenu des schémas est fixé par la loi39. Il est souhaitable qu’ils aient un contenu comparable, puisqu’ils devront faire l’objet d’une 37
Le Moniteur, du 29 avril 2005, TO, p. 460. Dernier paragraphe de la première partie de la circulaire « La procédure d’adoption du schéma régional de développement économique ». 39 Le SRDE « définit les orientations stratégiques de la région en matière économique. Il vise à promouvoir un développement économique équitable de la région, à développer l’attractivité de son territoire et à prévenir les risques d’atteinte à l’équilibre économique de tout ou partie de la région ». 38
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évaluation à partir d’une même grille d’évaluation à l’issue de la période d’expérimentation. Le maître mot concernant le contenu des schémas semble être « l’équilibre économique » sur l’ensemble du territoire de la région. Le législateur insiste particulièrement sur ce point. Ce n’est pas une préoccupation nouvelle en matière de planification. A titre d’exemple, le SAR de la Martinique a fortement pris en compte cette préoccupation et prévu un rééquilibrage des activités économiques entre la côte atlantique et la côte caraïbe. On peut constater que celui-ci n’a pas été réellement mis en œuvre. Si le SRDE ne fait pas de cet équilibre un élément du développement économique, il ne devrait pas pouvoir être approuvé. Le législateur demande en outre aux présidents des conseils régionaux de prendre des initiatives en concertation avec les collectivités locales lorsqu’ils constatent un fort déséquilibre dans certaines parties du territoire régional. Est-ce à dire que les schémas qui ne corrigeraient pas de tels déséquilibres pourraient faire l’objet d’observations au titre du contrôle de légalité ? Certainement, car l’équilibre économique régional constitue assurément une condition de fond, que les régions devront respecter scrupuleusement. Le rôle du représentant de l’Etat est à bien des égards prépondérant au stade de l’élaboration des SRDE. C’est pourquoi, l’Association des Régions de France a fait valoir que l’Etat devait exercer ses missions de contrôle de légalité en toute impartialité et « ne procède à ce titre à aucun contrôle de l’opportunité sur le contenu des schémas »40. Les orientations de la région doivent être compatibles avec les orientations de l’Etat. Ce qui signifie qu’elle doit s’aligner sur les orientations générales déterminées par l’Etat et pour ce faire se référer au projet d’action stratégique de l’Etat en région (PASER)41. Il s’agit certes d’une relation de compatibilité et non de conformité, ce qui laisse une certaine latitude pour définir des orientations stratégiques en matière de développement économique. Au cas où elles s’en écarteraient trop, la circulaire est explicite, la menace de ne pouvoir obtenir la signature d’une convention avec l’Etat leur déléguant l’attribution des aides nationales est à peine voilée : la compatibilité conditionne la signature d’une convention avec l’Etat pour la délégation des aides. 40
Avis de l’ARF du 7 juillet 2005. A cet égard aussi, nous l’avons ci-dessus évoqué à propos des SAR, la synchronisation des SRDE et des PASE (projets d’action stratégique de l’Etat) sera difficile, voire impossible. Les SRDE seront mis en place en 2006 dans la meilleure des hypothèses, or, les orientations des PASE valent pour la période 2004-2006. 41
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En outre, l’Etat doit s’assurer de l’effectivité de la concertation entre la région et les collectivités locales. La région n’ayant pas obtenu une compétence générale lui permettant de définir la politique économique régionale, elle doit se concerter avec les autres collectivités locales et leurs groupements, afin de définir une stratégie régionale commune en matière de développement économique. La concertation n’est pas une simple recommandation, elle constitue une condition de forme, qui conditionne la légalité du schéma. Elle garantit le caractère partenarial du schéma42. La région est libre de fixer les modalités, de déterminer l’étendue de la concertation. Encore faut-il, que celles-ci aient concrètement permis aux collectivités de s’exprimer, les aient « mis en capacité d’émettre un avis ». Ces avis devront accompagner la transmission de la délibération du conseil général portant adoption du SRDE au titre du contrôle de légalité, afin que le représentant de l’Etat soit en mesure d’apprécier « le caractère effectif de la concertation ». La circulaire du 25 mars 2005 est particulièrement exhaustive sur la concertation. La région peut se conformer à l’obligation de concertation, faire en sorte que celle-ci soit effective en organisant de nombreuses réunions, plusieurs consultations. Elle ne doit pas pour autant imposer « de façon autoritaire » aux autres collectivités territoriales ses propres orientations. La circulaire insiste sur l’aspect qualitatif de la concertation : le processus de concertation « doit permettre de constater la qualité du consensus qui s’est développé et le respect du principe de non-tutelle d’une collectivité sur une autre ». Le préfet doit s’assurer du caractère consensuel, partenarial des SRDE. Cet aspect des schémas revêt une importance particulière dans les régions d’outre-mer, qui sont monodépartementales et dans lesquelles les conseils généraux ont un degré d’implication traditionnellement très fort dans le domaine économique, parfois supérieur à celui des régions. Ainsi, les départements d’outre-mer partagent-ils de fait le pouvoir d’intervention économique avec les régions. Leur rôle dans la détermination de la stratégie régionale en matière de développement économique devrait être de ce fait plus important.
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Le guide pour l’élaboration des SRDE élaboré par le Conseil national des économies régionales (CNRE) met particulièrement en évidence la nécessité d’un véritable partenariat entre la région et les autres collectivités locales. Le Conseil régional doit inviter les collectivités locales à « co-construire » la stratégie régionale. Elaboration et mise en œuvre des schémas régionaux de développement économique, p. 27. Document consultable sur le site du CNR, www.cnr-france.com.
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A défaut d’accord, pouvant résulter de divergences politiques, le département, mais aussi les communes et leurs groupements peuvent toujours s’affranchir de la région. Il est remarquable de constater que, c’est la loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000, qui a initié cette possibilité en disposant que « des actions de politique économique, notamment en faveur de l’emploi, peuvent être entreprises par les collectivités territoriales ou leurs groupements dans le cadre de conventions conclues par eux avec l’Etat et fixant les modalités des aides qu’ils peuvent consentir ». Dans les régions monodépartementales, le département peut souhaiter s’affranchir de la région. La loi du 13 août 2004 donne aux collectivités infrarégionales la possibilité de conclure une convention avec l’Etat pour compléter les aides, toutes les aides au développement économique (article L. 1511-5 du CGCT). L’Etat devient désormais le partenaire incontournable de toutes les collectivités territoriales, il peut être directement celui des départements et des communes, lorsque ceux-ci ne parviennent pas à s’accorder avec la région sur les aides à mettre en œuvre pour favoriser le développement économique. Une contractualisation encadrée L’adoption d’un schéma compatible avec les orientations de l’Etat, respectueux des engagements pris par les collectivités territoriales, aboutissement d’un consensus de qualité, « emporte » normalement la compétence de la région pour attribuer les aides économiques de l’Etat par délégation. Cette délégation suppose toutefois la signature d’une convention. La convention constitue l’instrument le mieux adapté pour assurer la complémentarité des compétences et des moyens des personnes publiques qui concourent à un même objectif, ce qui est souvent le cas lorsque les compétences sont imbriquées comme en matière de développement économique, qu’il s’agisse des relations entre la région et les autres collectivités territoriales43 ou des relations entre l’Etat et la région. La contractualisation est devenue d’un usage courant en matière de décentralisation. Mais, il ne faut pas s’y tromper, en l’espèce, le recours à la convention a une portée plus politique que juridique. Le contrat est un moyen de résoudre les difficultés résultant de l’enchevêtrement des 43
L’article 59 de la loi de décentralisation du 2 mars 1982 ouvrait à la région la possibilité de passer des conventions avec l’Etat ou avec d’autres collectivités locales ou leurs groupements « pour mener à bien des actions de leur compétence ».
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compétences44. Il apporte provisoirement une réponse à l’enchevêtrement des compétences en matière de développement économique, ce qui permet à l’Etat de ne pas trancher la question du transfert des compétences. La convention peut être analysée comme un moyen de maintenir un équilibre politique entre l’Etat et les collectivités locales dans un Etat décentralisé. Si l’Etat a toujours la possibilité, de façon générale, d’avoir recours au procédé contractuel, il ne manque pas de l’utiliser surtout dans ses relations avec les collectivités locales45. Le caractère inopérant de la théorie des blocs de compétences imaginée en 1982 a fait du contrat le procédé rituel de gestion, de régulation46 de l’action publique. Dès lors, rien d’étonnant à ce qu’il soit utilisé comme instrument de la délégation pour l’attribution des aides économiques de l’Etat par la région. Pour l’heure, à la Martinique, c’est la chambre de commerce et d’industrie de la Martinique (CCIM) qui attribue les aides économiques de l’Etat aux entreprises. La CCIM a obtenu délégation du préfet de région à cet effet. L’élaboration d’un SRDE, auquel la chambre consulaire doit être associée, aura pour effet de lui retirer cette délégation au profit de la région. Ce qui peut paraître quelque peu paradoxal au moment où la loi du 13 août 2004 légalise la participation des chambres de commerce aux décisions des collectivités territoriales dans le domaine du développement économique, comme elles en exprimaient le souhait depuis longtemps, souhait relayé par le Conseil économique et social47, dont l’aboutissement a été souligné par la presse comme un événement48. Si la convention entre l’Etat et la région s’analyse véritablement comme un accord de volonté, il est improbable que celle-ci soit réellement 44
Il ne provoque pas des enchevêtrements de compétences (C.Guettier, Institutions administratives, Paris, Dalloz cours. 2002. n° 285), il permet de faire fonctionner un système de répartition des compétences de façon plus ou moins satisfaisante. 45 Conseil constitutionnel, 83-160 DC, 19 juillet 1983, Convention fiscale avec la NouvelleCalédonie. AJDA, 984, note J.P. Jarnevic, p. 28. 46 F. Rangeon, « Contrat et décentralisation : de nouvelles formes de régulation au plan local », in J. Clam, G. Martin (dir), Les transformations de la régulation juridique, Paris, LGDJ, 1998, p. 313. 47 A. Sappa, « L’avenir des chambres de commerce et d’industrie. Rapport du Conseil économique et social 2002 », Le Moniteur, du 20 décembre 2002. Cahier détachable n° 3. Le rapport exprime la crainte de voir le rôle des chambres de commerce amoindri « au bénéfice de la région et du politique ». Aussi, le CES a-t-il émis le souhait que « l’Etat tire les conséquences des lois de décentralisation et détermine la participation légale des chambres à l’élaboration des décisions des collectivités territoriales dans le domaine du développement économique, de l’aide directe ou indirecte aux entreprises … ». p. 27. 48 Chirot, « Elus régionaux et chambres de commerce vont pouvoir travailler ensemble. Depuis la loi du 13 août 2004, les régions sont autorisées à élaborer un schéma de développement économique en y associant les CCI … », Le Monde du 26 octobre 2004.
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génératrice d’obligations, si on considère la place et le rôle que la circulaire du 25 mars 2005 entend réserver à l’Etat. Certes, la convention donnera lieu à négociation. Le préfet « devra engager les négociations visant à la conclusion de la convention par laquelle il délègue à la région l’attribution des aides dont la mise en œuvre relève de sa compétence ». Mais, la négociation est inscrite dans un cadre limité : d’une part la liste des aides concernées est limitée49, d’autre part le préfet peut « proposer une modulation des aides déléguées », plus encore l’Etat peut conserver « une réserve » destinée à intervenir en cas de difficultés économiques importantes. Il y a pour ces raisons, « une certaine dose d’illusion »50 à croire qu’il s’agit là d’une véritable négociation contractuelle. Le terme de négociation au sens où on l’emploie comme discussion des éléments du contrat paraît en l’espèce quelque peu usurpé. Enfin, il peut se faire que l’Etat ne soit pas en mesure d’assurer les moyens financiers correspondants à ses engagements contractuels. La circulaire rappelle aux préfets que si ces conventions ont bien un caractère pluriannuel, valent pour une durée de cinq ans, les moyens financiers alloués par l’Etat demeurent fixés tous les ans par la loi de finances. Les conventions de délégations doivent tenir compte d’un éventuel risque de défaillance de l’Etat. Les effets de l’engagement contractuel s’étendent sur la durée de la convention, le volet financier qui en conditionne l’exécution est conditionné par l’ouverture annuelle des crédits. Il faut bien prendre en compte que le risque juridique et financier, la précarité et l’incertitude caractérisent les conventions de délégation des aides économiques, comme bon nombre de contrats passés entre les collectivités locales et l’Etat51, avec les conséquences néfastes que cela peut représenter sur le plan politique pour les collectivités locales. En cas de défaillance de l’Etat, la responsabilité du non respect des orientations prévues par le schéma régional de développement économique sera perçue comme étant celle de la région et non celle de l’Etat.
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Annexe 2 de la circulaire. Le caractère limité est justifié par le fait que l’Etat a souhaité « expérimenter la délégation de certains des outils que l’Etat met en œuvre au profit des entreprises ». L’expérimentation est donc voulue comme une expérimentation limitée. Faudra-t-il procéder à de nouvelles expérimentations pour la délégation des autres aides ? 50 A propos de ces conventions, comme bien souvent de façon générale dans les contrats entre personnes publiques concernant la répartition des compétences. En ce sens, voir Poulet-Gibot Leclrec, « La contractualisation des relations entre personnes publiques », RFDA, 15(3), maijuin 1999, p. 565. 51 L. Lalliot, La notion de contrat de plan Etat-région et les responsabilités encourues par les parties. Colloque « Décentralisation et contractualisation, clarifier les règles du jeu ». Institut de la décentralisation et région Nord-Pas-de-Calais. Colloque du 13 septembre 1999.
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Une occasion manquée Les conventions Etat-régions en matière d’action économique illustrent la véritable nature des relations contractuelles entre collectivités publiques, un système « davantage placé sous le signe des rapports de force et d’une certaine opacité que sous celui du droit et de la transparence », selon le Conseil d’Etat52. Méfiance et concurrence marquent encore profondément les relations entre l’Etat et les régions, entre la région et les autres collectivités locales dans un domaine, le développement économique, qui nécessite plus que tout autre concertation et cohésion. Les conventions de délégation qui seront signées suite à l’élaboration des SRDE pour cinq ans à titre expérimental ne seront-elles jamais au mieux que des « traités de paix, consacrant un équilibre provisoire »53 ? Les départements, singulièrement dans les régions d’outre-mer monodépartementales, du fait de leur place dans l’organisation administrative, accepteront mal qu’une seule collectivité soit investie de compétences en matière de développement économique. L’Etat qui est en charge de « conduire la politique économique » ne peut abandonner totalement ses compétences et laisser les régions mettre en oeuvre des politiques économiques avec l’Union Européenne, si encline à réaliser une Europe des régions54. « L’Europe » leur apporte des contributions financières, surtout pour les régions ultra-marines, souvent supérieures à celles de l’Etat. On pourrait imaginer que des schémas de développement économiques soient un jour signés directement entre la Commission européenne et les régions55. On n’en est pas encore là. Mais, ceci pourrait expliquer certaines craintes de l’Etat à transférer des compétences dans un domaine où il souhaite préserver l’existence d’une politique nationale.
52
EDCE, rapport 1993, n° 45, p. 97. L. Richer, « La contractualisation comme technique de gestion des affaires économiques », AJA, 19 mai 2003, p. 975. 54 Le livre blanc de la Commission sur la gouvernance européenne laisse envisager la possibilité de conforter les relations entre l’Union et les régions sur une base contractuelle. COM 2001 -428. C 287, 12 octobre 2001. 55 Concernant l’aménagement du territoire, dont certaines aides économiques sont dépendantes, il est prévu que l’Etat s’aligne pour la période 2007-2013 sur le budget programmé par l’Union européenne. 53
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CONCLUSION Depuis la loi du 7 juillet 1983 « communes-départements-régions concourent avec l’Etat au développement économique ». La loi du 13 août 2004 a crée un nouvel instrument, le schéma de développement économique, sans remettre en cause l’enchevêtrement des compétences et la complexité qui en résulte. R. Chapus ne s’y était pas trompé, en pronostiquant qu’en matière de transfert de compétences, la complexité paraissait avoir « encore de beaux jours devant elle »56. On est en droit de se demander jusqu’à quand. Il faudra bien trouver un jour le moyen de sortir de la logique institutionnelle de la répartition des compétences et de l’organisation de l’action publique, qui constitue un véritable obstacle au développement économique. Alors que l’organisation des systèmes économiques se conçoit aujourd’hui à l’échelle régionale, voire interrégionale ou à l’échelle des métropoles, le législateur n’a pas saisi l’opportunité en 2004 de faire du développement économique régional le véritable levier du développement des territoires. L’organisation administrative française pourra-t-elle s’opposer encore longtemps aux exigences économiques, qui supposent un acteur territorial fort pour promouvoir le développement économique ? La mondialisation de l’économie pousse à renforcer la décentralisation. Mondialisation et décentralisation se renforcent mutuellement, dialectiquement57. La Banque mondiale58 au niveau international, la Caisse des dépôts et consignations59 au niveau national, des études60, des rapports61, bref, on s’accorde très largement sur la nécessité de confier aux régions la fonction de développement économique et on s’entend pour reconnaître que cette fonction ne peut être partagée, au risque d’être dévaluée. Des propositions en ce sens ont été faites au gouvernement, au moment même où la réforme de la décentralisation de 2002 était engagée, 56
Comme le remarque, de façon toujours si perspicace, R. Chapus, à propos des compétences des collectivités locales. op cit., n° 421. 57 J.B.Auby, La globalisation, le droit et l’Etat, Paris, Montchrestien, 2003, p. 106. 58 I. Shilata, “The Changing Role of the State and Some Related Governance Issues”, Revue européenne de droit public, 1999, n° 4, p. 1459. 59 Caisse des Dépôts et Consignations, Comment améliorer la performance économique des territoires, 2000. 60 P. Veltz, Mondialisation, économie et territoire, l’économie d’archipel, Paris, PUF, 2000. Du même auteur, « Le développement local face à la mondialisation », in « Comment améliorer la performance économique des territoires », op cit. Voir aussi en ce sens, l’étude Cner-katalyse, Le soutien des collectivités locales aux réseaux d’entreprises, présentée au congrès 2004 du Conseil national des économies régionales. 61 Le rapport au premier ministre du député C.Blanc, Pour un écosystème de la croissance. Assemblée nationale. 2004.
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consistant à « confier aux conseils régionaux la totalité des fonctions de développement économique de l’Etat ». Des propositions allant jusqu’à proposer de transférer aux régions les services de développement économiques du ministère de l’industrie62. Les réformes que l’on sait nécessaires, parce que imposées par les exigences économiques, ne sont pas mises en œuvre en matière de décentralisation. Le prisme institutionnel, du fait des équilibres politiques qu’il impose, occulte le discours économique des débats sur la décentralisation et empêche une réelle décentralisation du développement économique. Néanmoins, les régions d’outre-mer, plus que toutes autres, du fait de leurs handicaps économiques, ont tout intérêt à contribuer activement à l’expérimentation des schémas régionaux, afin qu’à l’issue de celle-ci, dans cinq ans, le législateur donne enfin aux acteurs locaux les compétence et les moyens pour assurer le développement économique de leurs territoires.
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Rapport C Blanc, op cit. , I.1.1 « Tisser les pôles autour d’acteurs locaux forts et responsables ».
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LA DECENTRALISATION DES POLITIQUES SANITAIRES ET SOCIALES : VERS UNE DEPARTEMENTALISATIONREGIONALISATION DE L’ETAT-PROVIDENCE Pierre-Yves CHICOT
La santé publique et les politiques sociales ont été pendant très longtemps l’apanage quasi exclusif de l’Etat, devenant même une des caractéristiques saillantes de l’Etat-providence. En France, la nature encore mixte de l’économie ainsi que la générosité des politiques sociales indiquent qu’on est bien en présence d’un Etat-providence. Toutefois, depuis quelques années, à la faveur de la construction communautaire, de la déréglementation et de l’internationalisation des économies, il se délite, s’éloignant du modèle rhénan pour se rapprocher bon gré mal gré du modèle anglo-saxon. Sur le plan juridique, toute ambiguïté est levée quant au choix du constituant de 1958 puisque l’article 1er de la Constitution du 4 Octobre 1958 affirme avec force que la République française est une République démocratique, laïque et sociale1. Avec la décentralisation de 19822, la République sociale va davantage se décliner à l’échelle des collectivités territoriales3. En faisant reposer la répartition des compétences entre les trois niveaux de décision locale (commune, département et région) sur le mode de la logique de « blocs de compétences », la collectivité départementale est désignée comme le niveau pertinent de décision dans le domaine des politiques sanitaires et sociales. La doctrine conclut à la nécessité d’évoquer la notion de « départementprovidence, à côté ou en marge du vieil et classique Etat providence »4. L’autonomie locale5, expression partielle de la clause générale de compétence, mise en mouvement dans les collectivités décentralisées 1
Voir M-P Deswarte, Essai sur la nature juridique de la République, Paris, L’Harmattan, p. 341. A. Chatriot, La démocratie sociale à la française, Paris, La Découverte, 2003, p. 419. 2 Loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux libertés des communes, des départements et des régions, JORF, 3 mars 1982. 3 Voir sur ce point l’analyse de M-J Marchand, L’économie de la décentralisation : un enjeu financier pour les collectivités locales, Presses Universitaires de Rennes, 1999, pp. 107-108. 4 M. Borgetto, « La décentralisation en matière sociale », RDSS, n° 1/2005, janvier-février, p. 4. 5 Il s’agit de permettre à chaque collectivité de décider en toute autonomie de la quantité et de la qualité des services à offrir.
« introduit un facteur de souplesse et de dynamisme dans un système administratif trop rigide pour s’accommoder des perturbations »6. Le Conseil d’Etat a admis qu’une attribution légale de compétence peut donner lieu à des initiatives d’autres collectivités territoriales, intervenant de manière complémentaire ou concurremment7. Une telle vision de la Haute juridiction administrative facilite sur le terrain de l’action publique locale le décloisonnement des politiques publiques sanitaires et sociales quand bien même l’octroi des compétences résulte d’une mention légale expresse ou d’une logique de bloc. L’inclusion de la région dans la mise en œuvre de politiques sanitaires et sociales continue à donner de la consistance à la démocratie sociale et à l’Etatprovidence. C’est d’une certaine manière la quintessence de l’esprit de la régionalisation des politiques sanitaires et sociales. Le libéralisme économique, figure aujourd’hui quasiment incontestée du développement économique, provoque la désuétude du modèle de l’Etat-providence. L’Etat minimal est celui qui est plébiscité. Mais le recul de l’Etat-providence en France ne signifie pas pour autant une vacuité de l’espace occupé par les pouvoirs publics dans le domaine des politiques sanitaires et sociales. Bien au contraire, on peut parler de déclinaison locale de l’Etat-providence, composante de la démocratie sociale. Le développement local qui incombe en grande partie à la région inclut la promotion de l’action sanitaire et sociale. Il convient de s’intéresser successivement à l’esprit (I) ainsi qu’au contenu de la régionalisation des politiques sanitaires et sociales (II).
I - L’ESPRIT DE LA REGIONALISATION POLITIQUES SANITAIRES SOCIALES
DES
Il est cohérent qu’une démocratie sociale choisisse comme modèle économique étatique celui de l’interventionnisme qui caractérise l’Etatprovidence. A ce titre, la France pourrait être comparée à une médaille. La face de la médaille constituant l’adhésion à un modèle juridico-politique qui
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J-C Douence, op. cit. p. 47. Les dispositions législatives relatives au RMI « ne font pas obstacle à ce qu’une commune puisse instituer, de sa propre initiative une aide municipale… » C.E. 29 juin 2001, Commune de Mons-enBareul, Rec. des décisions du Conseil d’Etat, p. 298 ; AJDA, 2002, p. 42, note Y. Jegouzo, p. 386. 7
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correspond à la démocratie sociale. Le revers de la médaille étant représenté par l’Etat-providence8. Dès lors que l’Etat s’éloigne dans les faits de son modèle économique sans renier son modèle juridico-politique, les collectivités infra-étatiques entrent alors en scène. La décentralisation des politiques sanitaires et sociales désigne le département dans une large mesure comme le meneur de jeu. Toutefois, la commune et la région n’en sont pas exclues. L’acte I de la décentralisation peut être décrit comme une immixtion graduelle de la région dans les politiques sanitaires et sociales, d’où l’introduction d’une certaine logique économique (1). L’acte II de la décentralisation confirme la tendance et consacre une véritable immersion de la région dans ces politiques publiques. La logique économique est alors confirmée (2). 1 - Une immixtion graduelle de la région dans la mise en œuvre de la décentralisation sanitaire et sociale S’interrogeant sur « les fonctions des collectivités locales », les professeurs Auby en distinguent deux grandes qu’ils livrent en guise de réponse : « les fonctions de régulation et les fonctions d’allocation »9. Parmi les fonctions de régulation, on dénombre « la régulation des rapports sociaux » mise en œuvre entre autre par l’action et l’aide sociale et « la régulation des rapports économiques » qui prend la forme de mesures générales et sectorielles. L’intérêt d’une telle appréciation est au moins double. Premièrement, c’est la reconnaissance appréciable du rôle majeur joué par les collectivités secondaires dans l’équilibre économique et social de la communauté nationale. C’est par ailleurs, l’indistinction des collectivités territoriales à laquelle il est procédé, dès lors qu’on aborde l’importante question de la régulation économique et sociale. Qu’il s’agisse de la régulation des rapports sociaux ou de la régulation des rapports économiques, c’est l’ensemble des collectivités territoriales : communes, départements, régions qui suppléent ou supplantent 8
« L’Etat-providence, au sens large, intervient dans la redistribution des richesses, des revenus et des patrimoines. Il est responsable des politiques d’assistance vis-à-vis des plus nécessiteux, dans une logique de solidarité où le bien être général peut être assimilé à un bien public. Il est acteur et partenaire des politiques d’assurance sociale qui, jusqu’ici, échappent en grande partie au marché ». M-J Marchand, L’économie de la décentralisation : un enjeu financier pour les collectivités locales, Presses p. 21 9 J-B Auby & J-F Auby, Droit des collectivités locales, 2ème édition mise à jour, Paris, PUF, Collection Themis, 1990, pp. 123-149. Voir également, J-M Lemoyne De Forges, « Collectivités locales et protection de la santé publique », Les collectivités locales, Mélanges en l’honneur de Jacques Moreau, Paris, Economica, 2002, pp. 253-261.
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l’Etat avec son consentement10. La qualification de « collectivité tournée vers l’avenir »11 pour désigner la région n’est pas dépourvue de sens. Ceci dit, les formes d’intervention communales, départementales ou régionales ne seront pas de même nature soit pour des raisons de droit (mention légale expresse), soit pour des raisons de fait (choix politiques et moyens financiers). C’est ainsi que l’acte I de la décentralisation, en attribuant en droit, l’essentiel des compétences au département pour ce qui concerne le champ sanitaire et social invite timidement la région à investir ledit champ. D’autres considérations qui vont au-delà de la justification ou de la légitimité juridique vont incliner les régions à ne pas méconnaître les réalités sanitaires et sociales quand bien même le législateur leur conférait un rôle éminent en matière de préservation des grands équilibres économiques régionaux. Lorsque dans certaines parties du territoire national les sinistres sociaux succèdent en nombre aux sinistres économiques, les autorités publiques régionales, produits du suffrage universel n’ont plus grand peine à comprendre qu’on ne peut pas totalement soustraire le risque social de l’action régionale. On pourrait même penser qu’il existerait dans le cas contraire, un soupçon de violation de la loi dans la mesure où celle-ci (article 59 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982) inclut dans la liste des attributions générales de la région le développement sanitaire et social. Il apparaît que le patrimoine normatif français, singulièrement en matière de décentralisation, accorde du prix au concours effectif de toutes les collectivités infra-étatiques en vue de consolider la démocratie sociale et le modèle de l’Etat-providence. Conformément à cette ligne qu’on peut qualifier de directrice, les régions vont devenir de « nouveaux acteurs dans le secteur social et de la santé »12. L’immixtion graduelle des régions dans le champ sanitaire et social est concurremment l’œuvre de la loi et des choix opérés par les exécutifs locaux et les organes délibérants. Le professeur Ligneau constate que « la décentralisation sociale est sans doute celle ou l’élu aura le plus la possibilité
10
Pour « les fonctions d’allocation », ce sont « les départements qui assurent les missions essentielles », mais « les communes apportent une contribution », les régions intervenant de plus en plus pour leur part dans le développement de « liens avec les établissements publics hospitaliers ». J-B Auby & J-F Auby, op. cit. p. 138. 11 J. Moreau, Administration régionale, départementale et municipale, Dalloz, 13ème édition, 2002, p. 40. 12 P. Ligneau, « Les régions, nouveaux acteurs dans le secteur social et la santé », RDSS, 1996, p. 485.
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et la tentation de connaître les besoins du citoyen et décider pour lui »13. En définitive, le panorama des principales compétences attribuées aux différents niveaux demeure somme toute un leurre. Les collectivités territoriales ont toujours développé de leur propre chef des actions non prévues par la loi sous l’œil vigilant ou bienveillant des préfectures, ou de manière plus contraignante sous le contrôle du juge administratif qui apprécie en dernière instance. Rapportée au domaine sanitaire et social, la pratique qui s’est développée à la faveur de la décentralisation a conduit le législateur à confirmer le rôle joué par la région. 2 - Une immersion de la région dans la mise en œuvre de la décentralisation sanitaire et sociale Formalisée sous l’angle du modèle économique par l’Etatprovidence, l’une des principales vertus de la démocratie sociale a toujours résidé dans son haut niveau de protection sociale. L’action publique sanitaire, sociale et médico-sociale des collectivités publiques procède de la mise en place de garanties juridiques et financières contre le risque social. L’offre publique en matière sanitaire et sociale repose désormais de manière très claire à la fois sur la collectivité étatique et sur les collectivités infraétatiques dont la contribution est plus importante. L’expression locale de la démocratie sociale et la déclinaison locale de l’Etat-providence illustrent parfaitement cette tendance. La confirmation de la région dans son rôle de développeur dans la sphère sanitaire et sociale indique qu’on s’oriente vers un modèle de protection sociale à double niveau (Etat-collectivités territoriales). La cohérence n’est pas absente de cette démarche dont le fondement est au moins double. L’un que nous avons déjà souligné qui tient aux coûts générés par l’Etat-providence et qui ne peuvent plus être supportés par un seul niveau de décision public. L’autre qui s’explique par la volonté d’apporter des réponses économiques aux problèmes sociaux. On tente ainsi de rompre progressivement avec la société d’assistance14. Dans cette optique, c’est la région, coutumière des bassins de vie et d’emploi et mieux articulée aux logiques économiques qui s’affirme comme le niveau pertinent de décision. On observe que la place réservée aux compétences de la région dans les tableaux synoptiques dédiés à la présentation des attributions des trois 13 P. Ligneau, « Le rôle reconnu au citoyen dans la loi du 13 août 2004 : l’exemple du secteur social », RDSS, 2005, p. 17. 14 La formation professionnelle qui relève des régions représente un mode d’insertion sociale par l’économie. La formation professionnelle devient un moyen de prévenir les risques sociaux et d’accroissement de la compétitivité des actifs.
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niveaux de collectivité n’est plus aussi éparse en terme d’action sanitaire et sociale. Grâce au titre III de la loi « libertés et responsabilités locales » portant sur « la solidarité et la santé », les citations de la région dans les dispositions du code d’action sociale et des familles sont pour le moins ostentatoires. On peut même se demander si la déclinaison locale de l’Etatprovidence n’influe pas sur un changement de sens de la protection sociale. Se prémunir contre le risque social dans le fond, relèverait à terme moins de l’allocation de prestations que du souci plus prégnant des collectivités publiques décentralisées de développer des activités productives sources de rémunération pour les actifs15. Dans les deux cas, protection sociale classique ou évoluée, la poursuite de l’intérêt général reste sauve. En effet, bien que menacée par le secteur concurrentiel symbolisé par la notion de marché, la sécurité sociale préserve le modèle solidariste inhérent au système social français. La place de plus en plus prépondérante accordée à l’insertion est emblématique d’une telle évolution introduite par la décentralisation. La politique d’insertion sociale qui va reposer forcément sur l’activité, qu’elle soit mise en œuvre par les agences départementales d’insertion ou par la région16 procède davantage d’une logique économique que de la création d’un « espace assitanciel local »17. On ne peut pas toutefois nier l’existence de cet espace local assistanciel dans la mesure où il constitue le prolongement de l’Etatprovidence classique.
II - LE CONTENU DE LA REGIONALISATION DES POLITIQUES SANITAIRES ET SOCIALES La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République et la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales sont deux normes qui accentuent de manière significative la responsabilité locale. La France demeure un Etat unitaire au sein duquel le pouvoir local s’affirme de plus en plus comme un décideur public de premier rang dans nombre de domaines. Si on considère les compétences régaliennes, seule la défense nationale et la monnaie échappent
15 Cette hypothèse pourrait être corroborée par la mise en place du revenu minimum d’activité qui témoigne du primat de l’activité, du travail au détriment de la dépendance sociale. 16 Par une politique de formation professionnelle adaptée ou d’attraction de l’investissement sur le territoire par exemple. 17 R. Lafore, RDSS, n°1/2005, p. 16.
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totalement à l’emprise du local18. C’est le fait du constituant et de la loi, qui à l’implication sociale qui caractérise l’Etat-providence, y substituent des politiques publiques dont la charge incombe aux collectivités infraétatiques. On passe d’une « offre centralisée à une offre décentralisée de biens publics »19. Répondant vraisemblablement à un besoin politique, économique et financier20, la nouvelle organisation de l’Etat fait une large part à une décentralisation renforcée. Les enchevêtrements de compétences réputés inextricables ne trouvent pas de répit. Aussi, la vocation spécialisée des collectivités territoriales semble désormais révolue au grand regret de certains auteurs qui évoquent la timidité de la logique de blocs dans l’acte II de la décentralisation21. La régionalisation des politiques sanitaires et sociales témoigne du destin généraliste des collectivités territoriales symbolisé par la liberté d’aller et venir dans la sphère publique dès lors que l’intérêt local en est le fondement. L’action publique sociale est entendue de manière large et n’est plus strictement confinée à la fonction de redistribution en interne, de l’aide publique. La formation professionnelle étendue dans la loi « libertés et responsabilités locales » aux métiers du social se présente comme un instrument d’insertion sociale par l’économie. Les compétences partagées des communes, des départements et des régions témoignent également de l’affirmation de la démocratie de proximité consacrée dans la loi du 27 février 2002 qui fut adoptée deux ans avant la loi « libertés et responsabilités locales ». Le législateur entend continuer à rapprocher la responsabilité et la mise en œuvre des politiques sanitaires et sociales de leurs bénéficiaires. Le logement social et la politique sanitaire en 18
« Le contexte de crise économique et financière dans lequel se débat la France depuis le début des années soixante-dix invite à reconsidérer la logique de l’Etat-providence et à mobiliser tous les niveaux de gouvernement et tous les acteurs contre la crise. Le gouvernement apparaît inefficace pour relancer seul la croissance économique, sauvegarder et créer des emplois ». C’est ainsi que toutes les collectivités territoriales sont invitées à participer davantage que naguère aux politiques publiques locales parmi lesquelles l’action sanitaire et sociale. Voir M-J Marchand, L’économie de la décentralisation : un enjeu financier pour les collectivités locales, Presses Universitaires de Rennes, 1999, p. 61. 19 M-J. Marchand, op. cit. p. 23. 20 Le besoin politique aurait été la forte conviction du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin quant à la décentralisation. Il s’agissait de réaliser une réforme majeure de législature. Le besoin économique résulte de l’idée d’un pouvoir central comme seul centre d’impulsion de la croissance économique. Le développement local est perçu comme un moyen supplémentaire de créer des dynamiques économiques territoriales (les pôles de compétitivité peuvent être cités en exemple). Le besoin financier s’explique par le fait qu’on dit généralement que l’Etat est impécunieux d’où une incapacité désormais à générer seul l’offre de politiques publiques à destination des citoyens. 21 M. Borgetto, « Le transfert de compétences en matière d’aides et d’action sociales : entre changement et continuité », Annuaire 2004 des collectivités locales, Paris, CNRS Editions, 2004, pp. 109-118.
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attestent. Que ce soit sur le plan du développement social (1) ou du développement sanitaire (2), le processus de régionalisation n’est pas infirmé. 1 - Le développement social Dans la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, ces dernières sont citées pour promouvoir le développement sanitaire et social. Elles sont, depuis cette date, susceptibles d’exercer diverses compétences en matière sociale. Cette diversité de compétences est la traduction juridique d’une « fonction générale d’administration »22 dont disposent les collectivités décentralisées pour prendre toute décision dans l’intérêt de la population locale23. Il faut rappeler qu’il n’existe pas d’affaires communales, départementales ou régionales « par nature »24. Les contours de la régionalisation des politiques sanitaires et sociales sont toutefois précisés avec la loi du 13 août 2004. Le législateur est davantage loquace quant aux responsabilités qui incombent désormais à la collectivité régionale pour garantir le développement sanitaire et social. a - La formation professionnelle En restant toujours très éloignés de la fonction de redistribution, les régions sont chargées de déterminer la politique de formation des travailleurs sociaux à travers l’élaboration du schéma régional des formations sociales. La compétence n’est pas nouvelle25. Ce sont les secteurs d’activité qui le sont26. On préférera insister sur les secteurs d’activité qui doivent faire 22
B. Faure, « La compétence générale des collectivités territoriales » : consécration et vicissitudes historiques, Pouvoirs Locaux, n° 68 I/2006, p. 43. 23 Le juge administratif manifeste un grand libéralisme dans l’appréciation de l’intérêt public local justifiant l’intervention locale. Le juge fait de plus en plus appel à l’objectif de développement local. La première mention est à rechercher dans C.E. 26 juin 1974, Société La maison des Isolants-France, Rec. p. 365. Voir également, C.E. 4 avril 2005, Commune d’Argentan, Droit administratif, 2005, n° 80. 24 J-M Pontier, « Considérations générales sur la clause générale de compétence », Pouvoirs Locaux, n° 68, I/2006, p. 55. 25 Voir J-C Douence, « Les transferts de compétences en matière de formation professionnelle », Annuaire 2004 des collectivités locales, Paris, CNRS Editions, 2004, pp. 119-124. 26 La compétence régionale de la formation des travailleurs sociaux : assistants sociaux ; éducateurs spécialisés ; éducateurs de jeunes enfants ; conseillers en économie sociale et familiale ; animateurs ; médiateurs familiaux ; moniteurs-éducateurs ; technicien de l’intervention sociale et familiale ; auxiliaire de vie ; aides médico-psychologique.
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l’objet d’une prise en compte par la région que la plus grande consistance gagnée par la compétence relative à la formation professionnelle. Quelle lecture peut-on en avoir au-delà de l’indubitable régionalisation des politiques sanitaires et sociales qui indique le renforcement de la déclinaison locale de l’Etat-providence ? Tout d’abord, conformément à l’objectif de l’Etat de rapprocher les concepteurs des politiques publiques locales de leurs destinataires, l’administration régionale devra se livrer à un diagnostic le plus complet de la situation sociale du territoire régional. On imagine aisément des collaborations mises en place avec la collectivité experte dans ce domaine, à savoir le département. La méthode voulue par l’Etat dans la nouvelle administration du territoire est moins l’affectation du pouvoir de décision à un niveau unique qui confine au cloisonnement que l’invitation à la coopération inter-locale27. Certains auteurs soulignent que toute idée de répartition des compétences par blocs est assez vaine « parce que le système organise structurellement leur contournement, en encourageant les initiatives locales et par conséquent toutes les formes de coopération qu’elles soient contractuelles ou institutionnelles »28. Par ailleurs, la détermination de la politique de formation des travailleurs sociaux29 pourra répondre au moins à une double préoccupation. Premièrement, mettre à la disposition des publics réellement ou potentiellement nécessiteux une ressource humaine capable de les écouter, de les conseiller et de les orienter. Deuxièmement et au final, c’est la garantie du maintien du lien social que devra rechercher également la région à travers ce qui relevait jusque là du département. Dans le même ordre d’idée, la stabilisation ou la confection du lien social par la région sont La compétence régionale dans le domaine des professions paramédicales : autorisation et agrément pour la création des écoles et des instituts de formation aux professions para-médicales et de sages-femmes ; instituts de formations aux professions paramédicales pour agréer leurs directeurs ; la prise en charge par la région du fonctionnement et de l’équipement des écoles et instituts publics de formation ainsi que l’attribution d’aides aux étudiants ; équipement des centres de formation de préparateurs en pharmacie hospitalière. Voir S. Hennion-Moreau, « La formation des travailleurs sociaux », RDDS, n°1/2005, pp. 38-47. 27 Dans les collectivités territoriales de droit commun de la France d’Amérique, en dépit du rejet de l’évolution institutionnelle aux Antilles lors de la consultation du 7 décembre 2003, les leaders politiques locaux préconisent l’institution d’une assemblée unique comme la contribution décisive à une plus grande efficacité de l’action publique locale. 28 Voir De Briant, « La décentralisation coopérative et ses limites », Pouvoirs Locaux, n° 68, I/2006, p. 65. 29 Article 53 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 indique que « la région définit et met en œuvre la politique de formation des travailleurs sociaux ». La région a en charge désormais le schéma régional des formations sociales, la délivrance des agréments aux établissements chargés de dispenser des formations sociales, le financement des formations sociales, l’attribution de bourse aux étudiants. Ce sont respectivement les articles 451-2 alinéa 1 à 3 et 451-3 du code de l’action sociale et des familles.
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entre autre révélées par le fait que les « les frontières entre les champs de la formation professionnelle et de l’emploi sont de plus en plus perméables, d’autant que la formation professionnelle devient pour le conseil régional un outil au service de l’aménagement du territoire et du développement économique » et social30. Il y a ainsi une parfaite coïncidence entre le développement social souligné par l’article 59 de la loi du 2 mars 1982 et la formation professionnelle qui devient la composante ressources humaines du projet de développement global du territoire31. b - Le logement social La recrudescence de la précarité économique et sociale liée essentiellement à la raréfaction de la demande de travail tant par le secteur public que par le secteur concurrentiel a entraîné l’utilisation d’un néologisme sous forme de sigles, devenu si courant qu’il a été validé par l’académie française. Il s’agit des « SDF »32. Dans ce contexte, l’Etatprovidence polycentrique se met en mouvement33. Autrement dit, les deux principaux centres de pouvoir politique de la République, sur la base du droit, vont réorganiser la solidarité nationale34. 30 B. Lajudie, « La région, échelon régulateur de la complexité locale », Pouvoirs Locaux, n° 68, I/2006, p. 90-91. 31 L’article 51 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales modifie l’article L. 451 alinéa 1 du code de l’action sociale et des familles qui définit l’objet des formations sociales : « les formations sociales contribuent à la qualification et à la promotion des professionnels et des personnels salariés et non salariés engagés dans la lutte contre les exclusions et contre la maltraitance, dans la prévention et la compensation de la perte d’autonomie, des handicaps ou des inadaptations et dans la promotion de la cohésion sociale et du développement social ». 32 S.D.F. : n. (Abréviation de sans domicile fixe). Personne sans travail et sans logement qui vit dans la rue. L’impossibilité de se loger décemment provient également d’une nouvelle situation sociale que connaît les « poor workers » (les travailleurs pauvres). Voir Accès au logement, droit et réalités, Avis du Conseil économique et social sur le rapport présenté par Madame N. Prud’homme, JO Avis et rapports du CES, 21 janvier 2004. Le dossier « Politiques publiques » sur « le logement social », Pouvoirs Locaux, n° 68 I/2006, pp. 15-38. 33 L’idée de polycentrisme est exprimée par la volonté d’abandonner la classique politique centralisée du logement. Voici ce que déclare l’exposé des motifs du projet de loi relatif aux responsabilités locales : « La politique du logement menée par l’Etat apparaît aujourd’hui comme excessivement centralisée dans sa mise en œuvre et particulièrement complexe dans ses procédures. Afin de mieux tenir compte de la diversité des besoins en logement sur le territoire national, il convient de donner aux collectivités territoriales les plus proches des bassins d’habilitation la possibilité d’exercer dans un cadre conventionnel la responsabilité de la conduite des politiques de l’habitat ». Projet de loi relatif aux responsabilités locales, Doc. Parl. Sénat, 1er octobre 2003, n° 4, p. 45. 34 Le professeur Pontier rappelle dans une étude que « la politique du logement est d’abord historiquement, une compétence de l’Etat ». J-M Pontier, « Le logement social et la construction », Revue administrative, mars 2005, n° 344, p. 177.
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Du point de vue des pouvoirs locaux, le logement social illustre la nouvelle tendance qui se dessine, celle de la région qui répond aux besoins sociaux sans pour autant mimer l’Etat ou le département dans leur fonction commune de redistribution. Par contre, la tendance à assimiler logement social à indigence sociale et désordres urbains dénote une immersion des régions dans la lutte contre l’exclusion traditionnellement dévolue au département ainsi qu’à la commune, et dans une moindre mesure aujourd’hui à l’Etat. Les compétences octroyées aux collectivités territoriales dans le domaine du logement social expriment moins une insertion par l’économie que la nécessité de préserver le caractère proéminent de la solidarité prôné par l’Etat-providence35. La haute importance de la solidarité nationale se manifeste sur le plan juridique par le « droit de disposer d’un logement décent », constitutif d’un objectif à valeur constitutionnelle trouvant son fondement dans le préambule de la Constitution de 194636. C’est ainsi que les régions cautionnent depuis la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat la construction de logements sociaux par des opérateurs spécialisés37. En vertu de l’article 312-2-1 nouveau du code de la construction et de l’habitation, la collectivité régionale peut en complément ou de son propre chef, contribuer par le truchement d’aides à la réhabilitation des logements sociaux, à la démolition de logements locatifs ainsi que de places d’hébergements. Sont aussi inclues les opérations de rénovation urbaine.
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Dans le même sens, Voir l’article de L. Jegouzo, « Les nouvelles compétences des collectivités territoriales dans le domaine du logement social », RDSS, n° 1/2005, pp. 23-28. 36 Cons. Const. Décis. n° 94-359 DC du 19 janvier 1995, Rec. p. 176. L’opposition parlementaire avait saisi le juge constitutionnel au motif que la loi « libertés et responsabilités locales », en décentralisant les attributions relatives au logement social portait atteinte « au droit de disposer d’un logement social décent ». Le Conseil constitutionnel a rejeté cette analyse en soulignant que « le législateur avait pris des précautions suffisantes pour prévenir des ruptures caractérisées d’égalité dans les possibilités d’accès des personnes défavorisées à un logement décent ». Cons. Const. Décis. n° 2004-503 du 29 juillet 2004, Les petites affiches, n° 174, 2004, note J-E Schoettl ; M. Verpeaux, « La loi du 13 août 2004 : le demi-succès de l’acte II de la décentralisation », AJDA, 2004, p. 1962. 37 L’article 77 de cette loi dit que la région « définit des priorités en matière d’habitat », qu’elle peut « compléter l’aide de l’Etat par des subventions, des prêts, des bonifications d’intérêts ou des garanties d’emprunt. Elle peut également, pour faciliter la réalisation des opérations d’habitat à caractère essentiellement social proposées par les collectivités territoriales, accorder des subventions à l’acquisition et à l’aménagement de terrains à bâtir ». Enfin, la région « peut engager, seule ou par voie contractuelle, notamment avec l’Etat, un programme d’aides destiné à favoriser la qualité de l’habitat, l’amélioration des quartiers et des logements existants, l’équipement de terrain à bâtir, l’innovation, les économies d’énergie et l’utilisation des énergies renouvelables ».
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L’article L. 301-3 nouveau du code de la construction et de l’habitation permet à l’Etat de déléguer aux collectivités territoriales et, à leur demande, l’attribution des aides publiques à la réalisation de logements sociaux et leur notification aux bénéficiaires. La délégation du financement des aides à la construction des logements sociaux, ira en priorité à certains établissements publics de coopération intercommunale, aux termes de l’article 301-3 alinéa du même code. Ce sont les communautés urbaines, les communautés d’agglomération, les communautés de communes ainsi que les syndicats d’agglomération nouvelle. La possibilité étant ouverte à l’ensemble des collectivités territoriales, sur certaines parties du territoire national, notamment outre-mer, en raison de la situation financière critique des communes, la région voit par ces dispositions son rôle conforté dans la politique d’accès aux logements sociaux pour les plus démunis38. Il convient également de mentionner la particularité que représente la région d’Ile de France suite à la nouvelle rédaction de l’article 822-1 du code de l’éducation. Alors que pour toutes les autres collectivités territoriales de droit commun, c’est la commune et la structure intercommunale qui sont compétentes en matière de logement étudiant, celle-ci est désignée par la loi « libertés et responsabilités locales » comme pouvant en lieu et place de l’Etat assurer la politique de logement (construction, reconstruction, extension, grosses réparations et équipements) des étudiants si la commune et l’établissement de coopération intercommunale y renoncent. Cette exception symbolisée par la région d’Ile-de-France peut préfigurer une autorisation législative à terme des régions, à agir dans le cadre de la politique du logement social des étudiants dans le cas ou les résultats attendus des communes et de leurs groupements ne seraient pas obtenus. Ce serait là une prolongation logique de l’intérêt manifesté par les régions pour la politique universitaire en général du point de vue des infrastructures. En attendant que le parallélisme des formes fasse œuvre utile, le développement sanitaire repose largement sur les épaules des collectivités régionales. 2 - Le développement sanitaire A l’instar de bien des Etats-membres de l’Europe communautaire, la propension de la région à intégrer différentes politiques publiques a conduit le législateur à lui confier dès 1982 le soin de se préoccuper du 38
Si la situation financière des communes d’outre-mer est globalement difficile, l’ensemble n’en est pas moins contrasté avec une mention particulière pour la Guyane dont certaines communes sont totalement dépourvues de produits fiscaux.
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développement sanitaire. L’essentiel des compétences en matière sanitaire est finalement confié aux régions. Du reste, le logement social et la politique sanitaire sont deux éléments d’un même attelage, facteurs d’attractivité du territoire local39. Une circulaire ayant pour objet l’entrée en application de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales comporte un titre consacré à « la solidarité et à la santé »40, à l’intérieur duquel on trouve la région comme actrice de premier plan, notamment pour ce qui concerne la politique publique afférente à la santé. a - La « déconcentralisation » de la santé publique Les collectivités territoriales se sont longtemps présentées comme des agences locales d’exécution des politiques nationales. Progressivement, la décentralisation des politiques de santé dénote un partenariat41 puis l’émergence d’une certaine autonomie traduite par les responsabilités confiées à la région en matière de détermination de la politique de santé réservée traditionnellement à la Nation42. La création des observatoires régionaux de la santé prouve l’intérêt marqué de la collectivité régionale pour la protection de la santé publique. En outre, la création de structures dotées de la personnalité juridique43, chargées de mettre en œuvre dans le cadre territorial de la région une politique sanitaire définie par l’Etat, indique que la décentralisation de la santé publique relève autant de la décentralisation fonctionnelle que de la décentralisation territoriale. On peut difficilement traiter de la régionalisation du système français de santé sans citer la loi n° 2002-203 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé44, considérée comme l’acte normatif fondateur faisant entrer officiellement la région dans le champ des politiques sanitaires. Un point de vue plus nuancé estime que la loi du 4 mars 2002 inscrit la régionalisation du système de santé dans la 39
Voir E. Vigneron, Santé et aménagement du territoire, Groupe Prospective santé de la DATAR, octobre 2000. 40 Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité Intérieure, Direction Générale des Collectivités Locales, 10 septembre 2004, p. 11 et s. 41 Par exemple la participation d’établissements de santé, d’établissements sociaux et médicosociaux, de groupements sanitaire au capital des sociétés d’économies. Voir les articles L. 1521-1, L. 1522-6 du Code général des collectivités territoriales. Les articles L. 6133-1, L. 6145-7 du Code de la santé publique. 42 Article L. 1411-1 du Code de la santé publique. 43 Les agences régionales d’hospitalisation sont composées d’un directeur, placé sous l’autorité directe du ministre de la Santé et agissant « au nom de l’Etat », ainsi que d’une commission exécutive dont certaines délibérations peuvent faire l’objet d’un « recours hiérarchique » devant le ministre. Articles 6115-3 et 6122-10 du Code de la santé publique. 44 JORF, 5 mars 2002, p. 4118.
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durée et s’organise ainsi sans la région45. Ceci étant, la loi incline les représentants de la population de la région à analyser les besoins de santé propres à la région et de proposer des priorités de santé publique au niveau régional. L’institution d’un conseil régional de la santé46 comprenant des représentants des collectivités régionales permet à ces derniers de participer à la politique de santé publique47. La loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la protection de la santé publique abroge les articles L. 1411-3-1 à L. 1411-3-3 du Code de la santé publique qui touche au processus de régionalisation de la santé publique. Néanmoins, il n’y a ni discontinuité ni recul puisque la régionalisation de la santé publique se poursuit avec une préférence nettement marquée pour la déconcentration, mais c’est le territoire régional qui constitue le périmètre spatial de référence, ce qui implique de fait une impossible indifférence de la collectivité régionale. La loi du 9 août 2004 crée dans chaque région un groupement régional ou territorial de santé publique auquel participe la collectivité régionale si elle le souhaite48. La participation régionale est aussi prévue au sein de la conférence régionale de la santé dont l’une des missions principales consiste à définir et à évaluer les objectifs régionaux de santé publique49. Sa responsabilité n’est pas pour autant amoindrie. Au même titre que l’Etat, que les autres collectivités territoriales ou les organismes d’assurance-maladie, il est prévu qu’elle mettra en œuvre des programmes afférents à la santé publique qui prennent en compte les difficultés particulières des personnes les plus nécessiteuses50. Est ainsi vérifiée, s’il en était encore besoin, la véracité de la déclinaison locale de l’Etat-providence. Par ailleurs, la région est investie d’un rôle de veille sanitaire devenant ainsi un relais obligé de l’Institut de veille sanitaire institué par la loi51. En cas de menace imminente pour la santé de la population dans la région, elle est tenue d’en informer le représentant de l’Etat. Dorénavant, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent attribuer des aides destinées à
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M-L Mocquet-Anger, « La régionalisation du système de santé », Les collectivités locales, Mélanges en l’honneur de Jacques Moreau, op cit p. 316 et 319. 46 Article L. 1411-3 du Code de la santé publique. 47 Aux termes de l’article L. 1411-3-1 du Code de la santé publique, le conseil régional de la santé est notamment chargé d’analyser les données relatives à la situation sanitaire et sociale de la population « propres à la région », de proposer des priorités de santé publique susceptibles de faire l’objet de programmes régionaux de santé, de faire le bilan, chaque année, de l’application de la politique de santé dans la région, et même d’organiser des débats publics sur des problèmes de politique de santé et d’éthique médicale. 48 Article L. 1411-14 du Code de la santé publique. 49 Article L. 1411-13 du Code de la santé publique. 50 Article L. 1411-18 du Code de la santé publique. 51 Article L. 1413-2 du Code de la santé publique.
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favoriser l’installation ou le maintien de professionnels de santé dans les zones ou l’offre de soins est déficitaire52. Dans le « rapport d’objectifs de santé publique » annexé à la loi du 9 août 2004, il est mentionné deux niveaux à distinguer dans l’approche de la santé publique : celui des personnes prises individuellement et celui de la population. Le législateur recommande de « mettre en œuvre des stratégies d’action qui sont les plus susceptibles d’être efficaces ». De plus « l’environnement physique, social, économique et culturel » emporte pour conséquence que « les objectifs et plans stratégiques définis au niveau national soient déclinés à un niveau régional ou à un niveau territorial approprié en fonction des caractéristiques spécifiques du problème de santé concerné ». b - La décentralisation de la santé publique Il fut un temps pas si lointain qu’en constatant une régionalisation du système de santé, on a pu regretter qu’elle s’organise sans la région. Pourrait-on en dire autant après l’adoption de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales ? Cette loi entièrement dédiée aux collectivités territoriales et aux relations qu’elles entretiennent avec l’Etat confirme la responsabilité des régions dans le domaine de la santé. C’est sur le terrain de l’offre publique de soins que la collectivité régionale joue un rôle de premier choix tant en qualité de financeurs qu’en qualité de concepteur de la politique de santé publique grâce à la participation d’élus régionaux au sein de l’agence régionale d’hospitalisation avec voix consultative. Les élus régionaux siègent au sein de l’agence régionale d’hospitalisation avec voix délibérative et à parité avec les autres institutions dès lors que la collectivité accepte de participer aux financements d’équipements sanitaires. On peut valablement penser que les régions n’hésiteront pas à opter pour ce deuxième choix53. Même si ce n’était pas le cas, il n’y a pas de raison que la pratique qui s’était développée en dehors de la loi ne se poursuive pas dans un cadre légalisé54. L’expérience démontre que les 52
Article L. 1511-8-I du Code général des collectivités territoriales. Dans une étude la question suivante est posée : « les collectivités sont-elles demandeuses de compétences » en matière sanitaire ? Il est mentionné le grief formulé par des élus locaux quant à leur sort au sein des conseils d’administration des hôpitaux publics. « On parle de chambre d’enregistrement ». Voir D. Maillard Desgrees Du Lou, « La santé publique, les établissements de santé et les collectivités territoriales : derniers développements », AJDA, 27 février 2006, p. 406. 54 Si on en croit l’appréciation qui suit, le doute qui pourrait teinter cette vision prospective peut être levé : « La région tend à devenir l’acteur pivot du développement du territoire dans 53
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exécutifs locaux et les assemblées délibérantes sont méfiants à l’égard des cadres contractuels Etat-collectivités territoriales. Leur propension à financer les politiques publiques n’en est pas pour autant moins visible55. De plus, les décideurs publics seront enclins à montrer aux citoyens de la région leur capacité à garantir une offre de soins dont la qualité a tendance à se dégrader. Ils démontreront à cette occasion leur faculté à relever le défi de l’obligation de résultat qui pèse sur leurs actions. L’opportunité de démontrer l’habileté à poursuivre l’œuvre de l’Etat-providence sur le terrain sanitaire leur garantira vraisemblablement la légitimité durable du suffrage universel sempiternellement recherchée. On imagine que la même attitude sera certainement adoptée pour ce qui concerne la lutte contre les grandes maladies (cancer, immunodéficience etc.)56. L’implication des collectivités territoriales en général et de la collectivité régionale en particulier est réelle dans le domaine de la santé publique. Elle est aussi visible dans le rapport que celles-ci entretiennent avec les établissements santé57. Les sociétés d’économie mixte locales peuvent « réaliser des opérations de conception, réalisation, entretien ou maintenance ainsi que le cas échéant, de financement d’équipements hospitaliers ou médico-sociaux pour les besoins d’un établissement de santé, d’un établissement social ou médico-social ou d’un groupement de coopération sanitaire »58. Les collectivités territoriales sont autorisées ainsi que leurs établissements publics et groupements à donner bail emphytéotique un bien immobilier même appartenant à leur domaine public, « en vue de la réalisation d’une opération liée aux besoins d’un établissement public de santé ou d’une
son ensemble sur la base de sa propension à articuler, voire intégrer les différentes politiques publiques, parce que l’intérêt du territoire le nécessite. Elle devient le chef de file du développement non à partir de l’attribution d’une compétence, mais des nécessités de l’action. L’essentiel de son influence se construit à partir de ce savoir faire gouvernanciel ». B. Lajudie, op. cit. p. 91. 55 On peut citer l’exemple de la coopération décentralisée. Voir P-Y Chicot, La compétence internationale des collectivités territoriales : l’exemple de l’action extérieure des départements-régions des Antilles et de la Guyane, Paris, L’Harmattan, 2005, 373 p. 56 Suite à l’épidémie de chikungunia sur l’île de La Réunion les premiers mois de l’année 2006, le conseil régional de La Réunion, en association avec le département ont pris l’initiative d’échanger des informations, d’analyser la situation et de formuler des propositions concrètes. Il s’agissait de mettre en œuvre une approche de santé publique qui repose sur la pluridisciplinarité. Témoignages, samedi 4 février 2006, p. 3. http://www.temoignages.re/article.php3?id_article=13246 Les épidémies de dengue hémorragique en Guadeloupe et en Martinique, la maladie de chagas en Guyane ne pourront pas laisser indifférentes les régions sous peine d’être perçues comme des adeptes de l’incurie par leurs administrés. 57 D. Maillard Desgrees Du Lou, op. cit. pp. 406-410. 58 Ord. Du 4 septembre 2003 ; art. L. 1521-1 du Code général des collectivités territoriales.
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structure de coopération sanitaire dotée de la personnalité morale publique »59. Même si, toutes ces opérations sont possibles jusqu’au 31 décembre 2007, elles ouvrent la voie d’une immersion complète de la région dans la conception et la réalisation de politiques publiques relatives à la santé. Il n’y a pas en revanche de date butoir pour ce qui concerne la possibilité offerte aux collectivités territoriales et aux structures intercommunales de construire, d’acquérir ou rénover des bâtiments destinés à être mis à la disposition d’un établissement public de santé ou d’une structure de coopération sanitaire dotée de la personnalité morale publique60. Enfin, la loi du n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux donne l’occasion aux collectivités territoriales, singulièrement à la région, de favoriser la construction d’équipements hospitaliers dans les zones montagneuses. Concrètement, la région qui dispose des compétences les plus étendues en matière d’aménagement du territoire peut construire des équipements sanitaires dans ces zones ou les subventionner. L’objectif consiste à maintenir le service public de l’offre de soins. L’Etat-providence décliné à l’échelon local reste bel et bien vivant et conserve sa noble attitude de main tendue aux plus nécessiteux, aux plus démunis, aux plus isolés.
CONCLUSION La décentralisation transforme de manière décisive les politiques publiques qui doivent désormais s’inscrire dans un cadre de gestion territorial au sein duquel l’Etat n’a plus le monopole. Le contexte économique et financier a également subi des évolutions notables consacrant précisément un recul du pouvoir central dans le rôle primordial de mise en œuvre de l’Etat-providence. En conservant néanmoins le pouvoir de définir des contours de l’intérêt national grâce à l’œuvre normative, la loi, il va étendre le champ du possible offert aux collectivités territoriales. Tacite ou explicite, cette extension permet d’apprécier de manière plus large la notion d’intérêt public local. De ce fait, l’idée d’une spécialisation locale tant pour la commune, le département que la région vole en éclat. Les collectivités territoriales deviennent généralistes. La 59
Articles L. 1311-2 et L. 1311-4 du Code général des collectivités territoriales. Voir aussi, articles L. 6148-3 à 5 du Code de la santé publique. 60 Article L. 1311-4-1 du Code général des collectivités territoriales.
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primauté est donnée à l’intérêt public local qui dans le cas du développement social et sanitaire met en évidence l’intervention des trois catégories de collectivité territoriale de droit commun, même si le département est désigné chef de file. La fonction de redistribution de L’Etat-providence ainsi que la protection contre le risque social qui le caractérise obtient le concours substantiel des collectivités secondaires qui occupent dorénavant une place de choix. La déclinaison locale de l’Etat-providence est le produit du droit qui évolue avec le temps. En l’espèce le droit de la décentralisation n’y échappe pas. Le droit ne procède que d’une évolution historique et d’un déterminisme matériel, résultat de la volonté et de l’activité humaine61. C’est ainsi que la collectivité régionale par l’entremise de la norme législative et réglementaire participe davantage à « l’ordre social » kelsénien qui considère que la fonction de tout ordre social est d’accomplir des actes qui sont tenus pour socialement utiles. L’avenir de l’Etat-providence en France n’est pas certain mais demeure largement prometteur s’il est nourri et renouvelé. La survivance de notre démocratie sociale en dépend.
61 M. Virally, La pensée juridique, Paris, LGDJ, 1960, cité par J-L Bergel, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 4ème édition, 2004, p. 20.
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