PREFACE
C'est, il faut l'avouer, un plaisir rare que de préfacer un volume de Mélanges offert à Jacques Heurgon. Seules la communauté de nos intérêts et l'étroitesse de nos relations expliquent que ce privilège puisse me revenir. Comment ne pas en profiter et ne pas prendre, pour un temps, la liberté d'analyser les sentiments de tous ceux qui se sentent aujourd'hui réunis pour célébrer les mérites de l'ami et du savant? On se plaît, à présent, à insister sur les rapports qui doivent unir l'enseignement et la science. Où trouver, de cette liaison, en effet i ndispensable, un exemple plus éclatant que dans la carrière de Jacques Heurgon? Professeur et savant, il l'a été à titre égal et le bonheur de sa vie résulte, à n'en pas douter, d'une réussite semblable en deux domaines qui s'enrichissent l'un l'autre. Jacques Heurgon a eu une haute idée de son métier d'enseignant. Il est de cette lignée de grands professeurs qui, par la qualité de leur esprit, l'ouverture de leur caractère, la richesse et la rigueur de leurs leçons, ont suscité de nombreuses vocations et, loin d'abandonner après leur éveil leurs jeunes étudiants, les ont suivis avec sollicitude jusqu'à ce qu'ils deviennent des maîtres à leur tour. Heureux ceux qui, comme lui, peuvent en regardant autour de soi, voir à l'œuvre toute une pléiade de jeunes chercheurs, recon naissants pour les services reçus et soucieux de ne pas décevoir celui qui leur a accordé sa confiance et ses soins! Pour susciter de semblables vocations, une condition est naturel lement indispensable, être soi-même un authentique savant. Nul ne con testera à Jacques Heurgon cette qualité qui s'est exprimée tout au long de son œuvre. L'historien de l'Antiquité doit recourir, on le sait, à tous les registres d'information dont il dispose, textes littéraires, inscriptions, documents figurés, puis, s'il le peut, s'élever de l'analyse à la découverte. Tâche délicate, mais exaltante, quand sur la route en apparence barrée, s'ouvre
XII
PREFACE
enfin un passage et qu'au terme d'efforts patients et répétés la pénombre se dissipe, laissant se dessiner l'image des hommes et des institutions du passé. Jacques Heurgon, chercheur heureux, a souvent connu ces moments exquis, récompense d'un long labeur, et d'une plume élégante il a su rendre, trait par trait, tous les détails du tableau qui s'était imposé à lui. Ainsi sont nés des livres, vite devenus classiques, et l'aisance du conteur qui s'efface par discrétion derrière le cours de son récit ne doit pas faire oublier les longues heures de réflexion, d'hésitation et de doute qui ont précédé ces découvertes. La curiosité de l'érudit ne se calme jamais et, aux différentes époques de la vie, elle se dirige tour à tour vers les problèmes nouveaux que les lieux eux-mêmes semblent lui présenter. En poste à Alger, Jacques Heurgon s'est passionn ément intéressé à cette Afrique romaine dont ses maîtres l'avaient souvent entretenu; en poste à Lille, aux Antiquités Nationales, il a entrepris de fécondes recherches dans le domaine de l'archéologie gallo-romaine. Mais, Romain de cœur, il n'a jamais perdu de vue le destin, compartimenté et complexe, de l'Italie des premiers siècles ni la lente montée d'une Rome, située au carrefour des routes et des influences. De la Campanie à l'Etrurie, de Capoue à Cerveteri et Tarquinia, la marche était naturelle et la voie toute tracée. Cette direction principale d'intérêt explique le choix qu'il a fallu faire, à la naissance du projet qui arrive aujourd'hui à son terme. Pour éviter que ces Mélanges ne présentent des dimensions trop vastes et peu conciliables avec les nécessités de l'édition actuelle, décision a dû être prise de centrer ce volume sur ce qui est aussi le centre de la vie scientifique de Jacques Heurgon, l'Italie, l'Etrurie, la Rome des premiers siècles. En écartant, dans leur ensemble, les grands thèmes auxquels j'ai fait allusion, l'Afrique et la Gaule romaines, on n'oubliait pas l'importance qu'il leur avait accordée. Mais on donnait à l'ouvrage une unité souhaitable, on en faisait comme une étape dans ce qui avait été son champ de recherche préféré. Beaucoup de reconnaissance est due à Georges Vallet qui, à la tête de l'Ecole française de Rome, a considéré comme un titre d'honneur pour elle d'accueillir cet hommage à l'un de ses plus glorieux membres; à Pierre Gros et Michel Gras qui auront été des maîtres d'œuvre attentifs et sans reproche. Grâce à eux, les collections de l'Ecole s'enrichissent d'un beau livre, portant le nom d'un savant, aussi connu en Italie et en d'autres pays qu'en France même, et auquel une vague d'amitiés à tenu à offrir le plus durable des présents. Raymond BLOCH
BIBLIOGRAPHIE DES TRAVAUXDE JACQUES HEURGON 1929-1974 (Les titres pourvus d'un astérisque sont des livres)
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XIV
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La Rome archaïque:
- L. Cincius et la loi du « clauus annalis », Athenaeum, XLII, 1964, p. 432-437. - La guerre romaine aux 4e/3e siècles et la « Fides Romana », dans « blèmes de la guerre à Rome », 1969, p. 23-32. *- Rome et la Méditerranée occidentale jusqu'aux guerres puniques, 1 vol. in-16 de 411p. La traduction italienne, // Mediterraneo occidentale dalla preistoria a Roma arcaica, Bari, 1972, est revue et corrigée.
BIBLIOGRAPHIE Β)
XV
Capoue et le monde osque:
- Les «magistri» des collèges et le relèvement de Capoue de 111 à 71, Mélanges de l'Ecole francaise.de Rome, LVI, 1939, p. 5-27. *- Recherches sur l'histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine, des origines à la deuxième guerre punique, Paris, 1942, 1 vol. in-8° de xiv + 483 p., 8 pi., 2 cartes. Thèse principale soutenue en 1945. 2e éd. 1970. *- Etude sur les inscriptions osques de Capoue dites « iuvilas », Paris, 1942, 1 vol. in-8° de 96 p., 3 pi. Thèse complémentaire. - D'Apollon Smintheus à P. Decius Mus: la survivance du dieu au rat, « Sminth- », dans le monde étrusco-italique, Atti del I Congresso inte rnazionale di Preistoria e Protostoria mediterranea, 1950, p. 483-488. - Note sur Capoue et les villes campaniennes au IIe siècle de notre ère, Studies D. M. Robinson, Saint-Louis, 1953, p. 931-937. - Le « Ver sacrum » romain de 217, Latomus, XV, 1956, p. 137-158. - Apollon chez les Mamertins, Mélanges de l'Ecole française de Rome, LXVIII, 1956, p. 63-81. *- Trois études sur le « Ver sacrum », Collection Latomus, 1956, 1 vol. in-8° de 52 p. C)
Le monde ombrien:
- L'Ombrie à l'époque des Gracques et de Sylla, Atti del I Convegno di Studi Umbri, Gubbio, 1963, p. 113-131. D)
Le monde étrusque:
- Le satyre et la mènade étrusques, Mélanges de l'Ecole française de Rome, XLVI, 1929, p. 96-114. - «Voltur», Revue des Etudes Latines, XIV, 1936, p. 109-118. - L'« Elogium » d'un magistrat étrusque découvert à Tarquinia, Mélanges de l'Ecole française de Rome, LXIII, 1951, p. 119-137. Texte d'une communication présentée à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, cf. Comptes-rendus, 1950, p. 212-215. - La vocation étruscologique de l'empereur Claude, Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1953,p. 92-97, - Tarquitius Priscus et l'organisation de l'ordre des haruspices sous pereur Claude, Latomus, XII, 1953, p. 402-417. - Tite-Live et les Tarquins, L'Information Littéraire, VII, 1955, p. 56-64. - Le lemme de Festus sur Orcus (p. 222 L.), Hommages M. Niedermann, 1956, p. 168-173.
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DU NORD
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VI - COMPTES RENDUS Dans diverses revues françaises et étrangères, entre autres: - La Grande-Grèce d'après quelques travaux récents (J. Bérard, J. Penet, P. Wuilleumier), Revue du Nord, 1946, p. 19-35. - S. Mazzarino, Dalla Monarchia allo Stato repubblicano, 1946, Revue des Etudes Latines, XXVI, 1943, p. 404-408. - M. Pallottino, L'Arco degli Argentan, 1946, Revue Archéologique, XXVIII, 1947, 2, p. 52-53. - G. Devoto, Le Tavole di Gubbio, 1948, Revue des Etudes Anciennes, LIV, 1952, p. 170-173. - K. Schefold, Pompeianische Malerei, 1952, Journal des Savants, 1952, p. 181-188. - Les Antiquités du Musée de Mariemont, Revue des Etudes Latines, 1952, p. 516-518. - F. Altheim, Römische Geschichte, I, 1951, Latomus, XII, 1953, p. 226-230. - F. Altheim, Römische Geschichte, Π, 1953, Latomus, XIII, 1954, p. 262-265. - J. Gagé, Apollon Romain, 1956, Journal des Savants, 1956, p. 97-106. - G. Vallet, Rhégion et Zancle, 1958, ibid., 1958, p. 154-168. - P. de Francisci, Primordia Ciuitatis, 1959, Revue des Etudes Latines, XXXVII, 1959, p. 363-366.
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VII - NOTICES ET VARIA Notice sur la vie et les travaux de M. André Piganiol, Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1970, p. 573-586. Une lettre inédite de Théodore Mommsen, Studi in onore di G. Grosso, VI, 1972, p. 1-11. Notice sur la vie et les travaux de M. Alfred Ernout, Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1975, p. 77-93.
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La matière de ce petit article, que nous aimerions offrir à Monsieur Jacques Heurgon comme un hommage de gratitude et d'affection, déborde en partie le cadre chronologique et géographique assigné aux contributions de ce volume: nous tentons d'y confronter le texte d'une inscription africaine d'époque impériale et trois vers de Catulle (carmen 64, 16-18). E. Albertini publiait en 1928 1 le texte d'une inscription gravée sur une stèle à fronton triangulaire découverte à Aquae Flavianae près de Kenchela, au fond de la vallée de l'oued Rissane 2, dans une piscine thermale 3. Un ancien primipile y dénombre en une sorte d'épigramme de cinq lignes
* Nous remercions de l'aide qu'ils nous ont apportée dans la conception ou la préparat ion de cet article: M. le Doyen Durry, qui nous a signalé il y a quelques années l'intérêt de l'inscription d'Aquae Flavianae, et que nous avons récemment consulté sur les études aux quelles elle avait pu donner lieu; nos amis L. Maurin et P. Petitmengin; enfin et surtout M. J. Perret, qui a bien voulu lire une première version de cet article, et qui nous a com muniqué de nombreuses et substantielles annotations, que nous avons en plusieurs endroits incorporées textuellement à la nouvelle rédaction que nous publions; nous lui devons non seulement la rectification d'inexactitudes ou d'erreurs (ainsi sur le métrique du texte d'Aquae Flavianae), nombre de rapprochements et de références, mais aussi d'importants remanie mentsdans la composition et l'argumentation; nous le prions de bien vouloir trouver ici l'expression de notre profonde gratitude. 1 BAC, 1928, p. 94; cf. RA, 1928 (2), p. 361, n° 37. Depuis lors, le texte n'a pas fait, autant que nous sachions, l'objet de rééditions ou de commentaires; il est toutefois évoqué par P. Petitmengin, Inscriptions de la région de Milev, MEFR, 79, 1967, 1, p. 202, qui note la forte position des Nymphes en Numidie, spécialement à Aquae Flavianae « où un primipile audacieux a la chance de les voir nues», et renvoie aux autres dédicaces aux Nymphes du site. 2 (Henchir Hammam; Fontaine Chaude). V. Atlas Arch, de l'Algérie, f. 28, n° 137; S. Gsell et H. Graillot, Ruines Romaines au Nord de l'Aurès, MEFR, 13, 1893, p. 516-517 et carte de la pi. V; cf. également l'ouvrage de J. Birebent mentionné à la n. suiv. 3 Sur les installations de l'établissement d'Aquae Flavianae, voir J. Birebent, Aquae Romanae. Recherches d'hydraulique romaine dans l'Est algérien, 1962, p. 237-243, avec plan p. 239. Il comportait deux piscines, l'une circulaire, l'autre rectangulaire; la notice de E. Albertini ne précise pas de laquelle a été retirée l'inscription qui nous occupe.
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assez fermement dessinées au point de vue syntaxique, et où l'on croit recon naître l'intention de quasi-vers4 les vœux qu'il a formés au cours de son existence, et qui ont été exaucés: Optaui Dacos tenere caesos, tenui; [optjaui in sella pacis residere (?)5, sedi; optaui claros sequi triumphos, factum; optaui primi commoda piena pili6, habfui]; optaui nudas uidere Nymphas, uidi. 4 On hésitera à parler, avec E. Albertini, de sénaires trochaïques, cette forme de vers n'étant attestée semble-t-il que dans les répertoires des métriciens, cf. Marius Victorinus (GLK 6, 84, 4), Atilius Fortunatianus (ibid., 288, 1). «Trochaicos trimetros neque tragoedia neque comoedia unquam agnouit» écrit Bentley (cité par W. Christ, Metrik der Griechen und Römer, Leipzig, 1874, p. 325). 5 E. Albertini précisait qu'il n'était pas sûr des mots sella pacis residere (lus sur estampage); la formule, selon lui, ferait allusion à une magistrature municipale occupée par l'aneien primipile (hypothèse en soi très plausible: voir l'étude de B. Dobson, The centurionate and social mobility during the Principate, dans Recherches sur les structures sociales dans l'antiquité classique, Caen 25-26 avril 1969, Paris, 1970, p. 111, sur la place du primipilaris dans les municipalités: « it was very common for a primipilaris to hold the senior magistracy, often in his home town, frequently twice or as quinquennalis »...); mais dans ce cas, ainsi qu'il le remarquait lui-même, on s'attendrait à trouver ce vers après le vers 4. - Ne pourrait-on plutôt envisager que le vers 2 fasse allusion à quelque fonction d'administration ou de juridiction confiée au primipile après l'écrasement de l'ennemi Dace et avant la célébration du triomphe auquel il a dû participer? 6 Commoda est d'usage courant pour désigner les émoluments des militaires de tous rangs (cf. CLE 986,8: commoda militiae, et les nombreux exemples donnés par le TLL, III, col. 1928-1929, § 2): son acception peut donc être large, et recouvrir à la fois stipendia et proemia; mais il se spécialise volontiers dans le sens de proemia, en s'opposant à stipendia: cf. Suétone, Ner., 32: stipendia... militum et commoda ueteranorum; Id., Aug., 24: alias (se. legiones) immoderate missionem postulantes citra commoda emeritorum praemiorum exauctorauit; surtout peut-être Id., Gaius 44, à propos précisément des primipiles: ceterorum (se. primipilarium) increpita cupiditate commoda emeritae militiae ad sescentorum milium summam recidit; sur ce texte essentiel mais discuté, cf. A. V. Domazewski, Die Rangordnung des römischen Heeres, 2e éd. revue par B. Dobson, 1967, p. 117 sq. (et les compléments de Dobson p. xxxv); P. A. Brunt, Pay and Superannuation in the Roman Army, PBSR, XVIII, 1950, p. 68, av. n. 15, très réservé sur la somme de 600.000 sesterces; contra B. Dobson, Legionary centurion or equestrian officer? A comparison of pay and prospects, dans Ancient Society, III, 1972 (p. 193-207), p. 198. - Dans notre épigramme, commoda peut désigner la forte solde du primipile (25.000 deniers / 100.000 sesterces, précisément à partir du règne de Domitien: cf. P. A. Brunt, o.e., tableau p. 71; B. Dobson, o.e., p. 198), mais fait sans doute plus encore allusion aux riches praemia que reçoit le primipilaire: 125.000 deniers / 600.000 ses terces, à titre de commoda emeritae militiae: notre homme a sans doute utilisé la pre mière des trois possibilités qui s'offrent au primipile après un an de service (cf. B. Dobson, Social mobility, p. 105), à savoir le départ à la retraite avec un très substantiel capital. Comment enfin comprendre exactement plena? Par opposition aux soldes et praemia des autres
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Dans cette litanie des béatitudes assez matérielles d'un ancien officier satisfait d'avoir fait la carrière qu'il ambitionnait - sous Trajan, sans doute 7, ou sous Domitien, à en juger par la mention des Daces au vers 1 -, la dernière rend un son un peu étrange, qui a provoqué l'étonnement de l'éditeur. De fait, l'affirmation est surprenante - et calculée sans doute pour surprendre; car, ainsi qu'il le relève, la nudité de Nymphes - comme celle d'autres divinités - est traditionnellement un de ces spectacles redoutables qui aveuglent le regard et la raison des hommes8. Il n'y a là d'ailleurs qu'une expression particulière d'un interdit plus général9: Callimaque, dans son Hymne Pour le Bain de Pallas, plaçait dans la bouche d'Athéna s'adressant à Chariclô, mère de Tirésias, ce rappel de la «loi de Cronos»: «mais c'est la loi antique, la loi de Cronos: qui verra quelqu'un des immortels contre son vouloir paiera cette vue d'un prix lourd » 10. L'indiscret ou l'imprudent qui aura surpris les Nymphes nues sera durement châtié: il deviendra νυμφοληπτός Π. Sans doute les récits mythologiques laissent-ils souvent percevoir l'ambivalence du « châtiment » 12: la cécité ou le délire
autres centurions légionnaires, ou même à ceux de tous les militaires d'une légion (cf. Juvénal, XVI, 8: commoda communia militiae: mais là, l'expression est métaphorique)? Nous pensons qu'il faut plutôt donner à piena une valeur active («qui remplit», «qui enrichit»), en songeant à l'emploi que fait le même Juvénal, XIV, 197 de l'adjectif locuples pour qualifier précisément le primipilat: ut locupletem aquilani tibi sexagimus annus adferat (on sait que le primipile est responsable de l'aigle de la légion). 7 C'est la datation proposée par E. Albertini; mais le primipile a pu participer à la guerre dacique de Domitien (cf. E. Köstlin, Die Donaukriege Domitians, Diss. Tübingen, 1910); Domitien a célébré un triomphe en 86 à la suite des opérations de Mésie. 8 Cf. par exemple Roscher, Lexicon, s.v. Nymphen, col. 514 (Bloch). Folie et cécité (ou seulement ophtalmie) demeureront traditionnellement, dans la mentalité populaire, des châtiments divins: voir, exempli gratia, en Asie Mineure (particulièrement en Méonie) les « stèles de confession et d'expiation » dressées après que la divinité les a châtiés, par des dévots repentants: L. Robert, Nouvelles Inscriptions de Sardes, fase. 1er, Paris, 1964, p. 2ό sq 9 Tirésias perdit la vue pour avoir surpris le Bain de Pallas (Callimaque, Pour le Bain de Pallas, v. 75 sq.); dans cet hymne, le poète invite les assistants à ne pas regarder la statue de la déesse au moment où on la baigne (v. 51-52: ος κεν ΐδη γυμνάν...); sur le rapport qui paraît exister entre les mythes du châtiment de mortels avant surpris le bain d'une divinité et des rituels de bain de statues cultuelles, v. R. Ginouvès, Balaneutikè. Recherches sur le bain dans l'antiquité grecque, Paris, 1962, p. 293-294. 10 Vers 100-102. Trad. E. Cahen. 11 Cf. M. Ninck, Die Bedeutung des Wassers im Kult und Leben der Alten. Ein Symbolgeschichtliche Untersuchung, Philologus, Suppltbd XIV, Heft 2, Leipsig 1921, p. 48-49. 12 L'adjectif νυμφοληπτός peut être pris en deux sens fort différents: saisi de folie - ou inpiré par les Nymphes; cf. P. Decharme, Les Muses. Etude de mythologie grecque, Paris, 1869, p. 44 av. n. 1.
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ne sont parfois, lorsque le coupable n'a pas eu de responsabilité dans sa faute 13, que l'envers humain de la possession divine et du don de vue prophétique: la vision de l'interdit obscurcit à jamais les yeux du corps mais, lorsqu'elle fut innocente, peut ouvrir ceux de l'esprit à la connaissance des choses futures. Néanmoins, quiconque tient à conserver ses yeux de chair et sa raison d'homme fuira de tels spectacles: aussi Ovide, qui racontait dans ses Métamorphoses le châtiment d'Actéon coupable d'avoir aperçu Diane et ses Nymphes nues u souhaite dans les Fastes, à l'inverse du primipilaire d'Aquae Flavianae, de ne jamais voir les Dryades, le Bain de Diane, ni Faunus, à l'heure, dangereuse entre toutes, de midi 15: Nec Dryadas nec nos uideamus labra Dianae nec Faunum, media cum premii arua die16. Et la tradition se poursuivra jusqu'à la fin de l'antiquité païenne: Ausone, après avoir évoqué dans sa Moselle les ébats aquatiques des Nymphes et des Satyres, poursuit ainsi: Sed non haec spedata ulli nec cognita uisu fas mïhi sit pro parte loqui: secreta tegatur et commissa suis lateat reuerentia riuis17. Ainsi l'existence d'une tradition antique et constante, dont nous avons seulement relevé les traits les plus saillants et les expressions littéraires les plus célèbres, confère-t-elle au dernier vers de l'inscription d'Aquae Flavianae un caractère paradoxal et provocant: comment peut-on souhaiter de voir les Nymphes nues, quand ce spectacle entraîne de si redoutables conséquences? et, les ayant vues, comment peut-on encore s'en féliciter? A vrai dire, il se pourrait bien - nous y reviendrons - que ce souhait paradoxal soit imaginé rétrospectivement afin de donner plus de piquant à l'affirmation: « je les ai vues (et je m'en félicite) », et contrairement à
13 Tel Tirésias: ούκ έϋέλων δ' είδε τα μή υεμιτά (Callimaque, I.e., v. 78). 14 Metam. Ill, ν. 177 sq.: qui simul intrauit rorantia fontibus antra /sicut erant nudae uiso sua pectora Nvmphae / percussere uiro subitisque ululatibus omne / inpleuere nemus... 15 C'est l'heure qui rend la nature aux dieux, et donc celle où les rencontres sont le plus à redouter: c'est à midi que Tirésias aperçut Athéna (Call., I.e., ν. Ίο: μεσαμθριναί δ'εσαν ώραι), à midi qu'Actéon pénétra dans la grotte où Diane et ses Nymphes se baignaient: iamque dies médius rerum contraxerat umbras..., Ovide, Metam. III, v. 144; c'est à midi que les Muses aiment à visiter les hommes: P. Decharme, ο e , p. 149 16 Fastes IV, ν. 761-762. 17 Ausone, Moselle, ν. 186 sq.
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ce qu'on pourrait croire, il est sans doute moins malaisé de comprendre où et comment notre homme a vu les Nymphes nues que de concevoir comment il a pu nourrir longtemps (s'il l'a vraiment fait) un tel désir; de sorte qu'une hypothèse sur les circonstances de cette vision doit pré céder la discussion relative à la nature du souhait dont témoignerait optaui. E. Alberimi a supposé que la vision en question aurait pu être celle d'un songe: « serait-ce dans un rêve, annonciateur d'une guérison, que le dédicant a vu les Nymphes d'Aquae Flavianae? ». L'idée est assurément ingénieuse; mais nous n'avons pas de document prouvant que ces Nymphes aient été guérisseuses, et surtout l'auteur de l'inscription n'aurait-il pas été plus explicite, si c'était bien d'une vision de cette sorte qu'il avait été gratifié? Nous nous sommes pour notre part demandé un temps s'il ne serait pas possible qu'on eût affaire ici à une sorte de jeu de mots et si les Nymphes en question n'auraient pas été tout humaines: l'inscription provient de la piscine d'un établissement thermal 18. Mais, en dépit du caractère franchement erotique que prennent parfois les Nymphes à l'époque romaine 19, et qui pouvait faciliter des équivoques de cette sorte, un tel calembour serait tout à fait déplacé dans un établissement où ces divinités recevaient un culte, ainsi que l'attestent plusieurs inscriptions20. La solu tion est sans doute ailleurs. L'ensemble du texte révèle que son auteur, cet ancien officier si satisfait de son sort, avait l'esprit positif et attaché aux réalités concrètes; s'il dit avoir vu les Nymphes nues, c'est qu'il les a vues, de ses yeux vues; et comme il n'a certainement pas conçu son inscription comme une matière à exégèse savante et subtile, le sens de son dernier vers, pour nous énigmatique, devait être immédiatement saisissable pour qui lisait l'inscription dans son contexte antique, à la place qu'elle était faite pour occuper. Tout s'éclaire, nous semble-t-il, si l'on admet que l'établissement d'Aquae Flavienae comportait, en évidence et dans la pièce même où fut placée l'inscription, une représentation quel18 Outre son sens classique de «jeune mariée», nympha peut signifier simplement «jeune femme»: cf. Ovide, Her., IX, 103. 19 Cf. PW, RE, XVII (2), 1937, col. 1547 (qui cite à ce sujet l'inscription d'Aquae Flavianae); les Nymphes sont dites salaces dans un fragment d'Ovide cité par Festus (p. 437 Lindsav: «Salariant» dicebant deam aquae, quant putabant salum ciere (hoc est mare mouere. Onde Ovidius « Nymphaeque salaces »)), improbae dans Sénèque {Phaedra, 780). 20 CIL Vili, supplì 2, n° 17722 et 17723 (dédicace du légat C. Prastina Messalinus); L. Leschi, Etudes d'Epigraphie, d'Archéologie et d'Histoire africaines, Paris, 1958, p. 277-278. L'établissement d'Aquae Flavianae comportait même apparemment un « temple » des Nymphes: E. Albertini, dans BAC, 1928-1929, p. 9j; cf. L. Leschi, o.e., p. 278, n. 1; P. Petitmengin, o.e., p. 202.
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conque (mosaïque, relief, groupe statuaire) de Nymphes21 - qui auraient pu être celles du lieu. L'interdit religieux qui frappe la contemplation de la nudité des Nymphes n'avait nullement empêché qu'elles fussent très tôt représentées nues ou demi-nues22 et les figurations de ce genre sont, dans tous les domaines des arts plastiques, très fréquentes dès la fin de l'époque classique, en particulier pour des décors de fontaines. Si l'on admet cette explication, l'inscription du primipilaire ne comporte plus de mystère: il a bien vu, d'une certaine façon, les Nymphes nues, et ne s'en est pas plus mal porté 23. Nous donnerions donc - provisoirement - à ce uidi une tonalité de gaillardise et d'humour un peu vulgaire, qui en tout état de cause ne nous semble pas devoir être radicalement exclue, d'autant qu'elle est assez dans l'esprit du genre de l'épigramme; uidi pourrait donc être expliqué relativement à peu de frais; reste à savoir si nous sommes tout à fait quitte à l'égard du optaui uidere. On peut, nous l'avons dit, supposer que ce souhait n'est qu'un souhait prétendu, destiné à aiguiser le dernier trait de l'épigramme (uidi); mais peut-on assurer qu'il ne soit que cela, et l'exégèse ne risque-t-elle pas d'être courte, qui réduirait ce dernier vers à la satisfaction un peu épaisse 21 Cf. l'épigramme AP IX, 616 qui suppose l'existence d'un groupe des Charités r eprésentées nues dans un établissement de bains: L. Robert, Hellenica IV, p. 79-80. 22 Cf. R. Etienne, La mosaïque du «Bain des Nymphes» à Volubilis (Maroc), dans Actas I. Congr. Arqueol. del Marruecos Esp. (Tetuan 1953), Tetuan, 1955, p. 345-357, qui étudie une série de monuments représentant la surprise de Diane au bain par Actéon, devenue sujet fréquent à l'époque impériale. 2j II y avait d'ailleurs, pour les contemporains de notre primipilaire, d'autres occasions de contempler confortablement, et sans risque aucun, la nudité des Nymphes: à savoir les spectacles aquatiques où figuraient en particulier des ballets de Néréides. Martial, Spect. XXVI, évoque l'un d'eux, qui dut se dérouler à l'amphithéâtre flavien, peut-être en « lever de rideau » d'une naumachie; le répertoire de ces spectales aquatiques paraît avoir été varié et comportait d'autres sujets mythologiques, comme la légende de Léandre et Héro, également mentionnée par Martial, Spect. XXV et XXVI; cf., pour quelques décenies plus tard, l'allusion de Fronton, Epist. III, 13. Ce type de divertissement gagna le théâtre et y constitua une catégorie parti culière de mimes; sa vogue entraîne, à partir de la fin du Ier siècle (et à commencer par la partie orientale de l'empire), une singulière innovation dans l'architecture théâtrale: l'orchestra se transforma en une piscine - la κολυμβήυρα qu'évoque Jean Chrysostome dans l'homélie où il vitupère l'indécence de ces spectacles: texte cité et étudié par G. Traversari, Tetimimo e Colimbètra, dans Dioniso XIII, 1950, pp. 18-35; sur ces faits et les textes antiques qui les concernent, voir la série des articles de cet auteur (et particulièrement, pour la nudité des actrices, «Foggia di vestire delle tetimime nella colimbètra teatrale», dans Mem. Ace. Patav. SS.LL.AA LXIX, 1956-57, p. 5-17) repris et complétés dans Gli spettacoli in acqua nel teatro tardo-antico, Rome, «L'Erma», 1960.
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d'un retraité qui, après une vie laborieuse, jouit des agréments de la civilisa tion urbaine qui lui dispense, et sans péril, les plus rares félicités des temps héroïques? Ne peut-on admettre que dans une civilisation comme celle du Haut-Empire, nourrie de mythologie, de rêves d'âge d'or ranimés, entretenus par les poètes et par les représentations figurées qu'ils inspirent, les nostalgies permanentes de l'humanité puissent éveiller, dans des âmes simples et dans des milieux peu cultivés, l'écho de formules et de formes qu'après vingt siècles nous avons pris l'habitude de considérer comme le bien propre des lettrés? Il est peut-être moins surprenant qu'il ne semble de prime abord de constater qu'en chacun de ses mots le souhait singulier de notre primipile répond matériellement au texte célèbre où Catulle évoque la familiarité des dieux et des hommes au cours de l'âge d'or24: alors que pour la première fois un navire fend les eaux de la mer, les Néréides stupéfaites émergent du gouffre blanchissant pour contempler le prodige:
Ma atque alia uiderunt luce marinas25
24 Cf. L. Ferrerò, Interpretazione di Catullo, Turin, 1955, p. J89 sq. 25 La tradition mss., qui presque unanimement donne Ma atque alia (ilia alia Ο) est fautive; nous adoptons la correction de Lenchantin de Gubernatis, de préférence à celle de Vahlen (Ma, atque alia: Op. Acad., II, Leipzig, 1908; inspirée de c. 68, 152) que C. J. Fordyce (Catullus, Oxford, 1961, p. 280) juge - trop sévèrement - «pointless and obscure», et de préférence à celle de G. Lafaye (, Ma atque alia). La correction de Bergk, Ma, atque alia, adoptée par la majorité des éditeurs et commentateurs du texte de Catulle (ainsi par Schuster, Mynors, Bardon, Quinn) n'est pas, pour le sens, parfait ement satisfaisante, comme le relèvent dans leurs commentaires C. J. Fordyce et Q. Quinn, et il est un peu gênant d'attribuer à Catulle, surtout dans l'un de ses carmina docta, une ex pres ion qui est bien près de contredire la donnée mythologique (cf. K. Quinn, Catullus. The poems, Glasgow, 1970, p. 304). La correction de G. Friedrich, Ma, alia (Catulli Veronensis Liber, erklärt von Gustav Friedrich, Leipzig-Berlin, 1908, p. 326 sq.) satisfait sans doute pleinement aux exigences de la logique et s'autorise d'un rapprochement avec Virgile En. II, 589-590; mais ce sont là ses seuls mérites, qui ne suffisent pas à emporter la conviction. Nous ne retenons pas non plus l'hypothèse de P. Oksala (Adnotationes Criticae ad Catulli Carmina, Helsinki, 1965, p. 66-67) qui propose de lire illa atque alia, Mac et alia étant à prendre advervialement («d'un côté et de l'autre», «à droite et à gauche»); la difficulté, à nos yeux, est dans luce (qui vaudrait alors luci): ainsi employé seul, il nous paraît pouvoir difficilement signifier « en pleine lumière » - comme un équivalent du traditionnel luci claw. Ceci doit suffire à écarter une hypothèse au demeurant séduisante: car l'association entre œil et lumière est si constante et traditionnelle (cf. sur cette liaison R. Bultmann, Zur Geschichte der Lichtsvmbolik im Altertum, Philologus 97, 1948, p. 13 sq.) qu'il était de fait tentant de donner à luce, rapproché comme il l'est de oculis, le sens de «lumière» plutôt que celui - à vrai dire très catullien! - de «jour». - L'apparition d'une divinité aux yeux des mortels est régulièrement baignée de lumière; émanant d'elle et la révélant, elle est également perceptible dans les apparitions diurnes et chez Catulle même elle illumine l'épiphanie de la bien-aimée
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ANDRE BALLAND mortales oculis nudato corpore Nymphas nutricum tenus exstantes e gurgite cano26.
Tout y est: uiderunt nudato corpore Nymphas, et cinq vers plus loin YOptaui du primipile s'annonce dans Ο nimis optato saeclorum tempore nati / Heroes . . . La légère incertitude qui pèse sur la littéralité du texte de Catulle au vers 16 n'obère heureusement pas gravement l'interprétation que l'on peut donner de son tableau. Les commentateurs du carmen 64 ont souligné à l'envi27 le nombre des souvenirs littéraires grecs qu'il met en œuvre28; il est certain que cette «marine» témoigne d'abord de la culture du poète latin et de sa sensibilité picturale et plastique29; mais elle révèle aussi une pointe de sensualité très humaine dans le trait ement mythique30 et elle n'est pas sans toucher même les fibres les plus intimes de sa sensibilité affective et morale. Le génie de Catulle dans ce passage est sans doute avant tout dans l'échange des regards émerveillés, dans la découverte simultanée et mutuellement éblouie que font les uns
du c. 68, v. 70-72: quo mea se molli candida diua pede / intulit et trito fulgentem in limine plantam I innixa arguta constitua solea; cf. G. Lieberg, Puella Divina, Amsterdam, 1962, p. 187 sq. av. n. 106 sur la valeur de candida. 26 Carmen 64, v. 16-18. 27 Nous avons consulté les commentaires ou éditions commentées de Munro, Ellis, Baehrens, Friedrich, Kroll, Lenchantin de Gubernatis, Fordyce et Quinn. 28 L'emploi de nutricum au vers 18 est particulièrement révélateur à cet égard: cf. A. L. Wheeler, Catullus and the Tradition of Ancient Poetry; Sather Classical Lectures, vol. 9, 1964, p. 138. 29 Voir sur ce point E. de Saint-Denis, Le rôle de la mer dans la poésie latine, Lyon, 1935, p. 140-141. 30 L. Ferrerò, o.e., p. 390 et 392: cf. carmen 61, v. 101 sq.: Non tuus... uir... / a tuis teneris uolet / secubare papillis; 66, v. 81: tradite nudantes reiecta ueste papillas. - J. Soubiran a étudié de manière fort intéressante {Délie et Thétis: motifs erotiques dans la poésie latine, Pallas, VII, 1971, p. 59-78) l'utilisation par les poètes latins de figures féminines mythologiques - au premier rang desquelles celle de Thétis découverte par Pelée - dans l'évocation que font les élégiaques du corps de leur maîtresse, selon le procédé du «portrait indirect», qui « consiste à mentionner les seules parties du corps offertes à la vue de chacun, et, pour le reste, à suggérer au moyen d'une comparaison» {o.e., p. 66); l'auteur commente, p. 71, les vers de Catulle qui nous occupent (à propos de la comparaison qu'établit Tibulle entre Délie et Thétis); v. p. 69 sq. sur les représentations figurées de Thétis et des Néréides; et p. 74 sq. sur les échos qu'a eus dans la littérature de l'époque flavienne la légende de Thétis (que com mence à concurrencer, avant de la supplanter, Vénus Anadyomène; pour le développement de ce dernier motif en mosaïque, voir J. Lassus, Vénus marine, dans La mosaïque grécoromaine, Paris, 1965, p. 175-191): elle y apparaît intégrée à la thématique érotico-surnaturelle décrite dans la Divina Puella de G. Lieberg.
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des autres héros et Néréides31; cette découverte réciproque, d'où naît instantanément, de part et d'autre, la passion, doit s'interpréter en fonc tion de l'ensemble du poème, et en particulier en fonction de l'épilogue32, tout animé du sens de la chute, du sentiment d'une coupure irrémédiable entre l'humanité pervertie et la divinité désormais lointaine et inaccessible; la méditation de l'épilogue rejaillit sur la narration épique et lui confère a posteriori la plénitude de son sens: Vepyllion était - pour une part une évasion dans le monde mythique où la rencontre était possible entre l'homme héroïque et la divinité dévoilée, à la fois univers d'avant la chute et monde réconcilié, où l'amour était médiateur33. Ces Nymphes marines émergeant nues des flots - corps féminins dévoilés et divinités révélées34 - en exprimaient déjà, dès les premiers vers du poème, l'innocence et l'unité. Il nous paraît significatif que Catulle se soit servi, pour qualifier ici les Néréides, d'une périphrase qui leur donnait ce nom de Nymphes qu'elles méritaient assurément, mais qui n'est pas, dans leur cas, banal: en mettant face à face des hommes et des Nymphes nues - ces Nymphes dont la vue allait devenir si périlleuse -, et en faisant assister à la naissance immédiate d'un amour innocent qu'allait consacrer une union autorisée par les dieux, Catulle pouvait-il mieux opposer le monde de l'epos et celui où vivent les hommes d'aujourd'hui, et mieux faire sentir qu'une pareille rencontre est l'expression de la parfaite béatitude? Dépassons, pour finir, cette simple confrontation de deux textes entre lesquels des concordances verbales très précises établissent un rap port difficilement contestable, et tentons de préciser la nature de ce rap port. C'est à dire vrai une enquête hasardeuse, où nous n'aurons guère
31 Voir L. C. Curran, Catullus 64 and the Heroic Age, dans YCS, Cambridge, 1969, p. 176. J. Granarolo, L'œuvre de Catulle, Paris, 1967, p. 140 sq. précise fort bien les correspondances entre donnée mythique et réalité intérieure. 32 Cf. R. Waltz, Caractère, sens et composition du poème LXIV de Catulle, dans REL XXIII, 1945, p. 102 sq., et surtout F. Klingner, Catulls' Peleus-Epos, Munich, 1956; Römische Geisteswelt, Munich, 1956, p. 219. Voir également Ch. S. Floratos, Über das 64. Gedicht Catulls, Athènes, 1957, p. 55-56. 33 C'est sans doute le sens de la présence de Prométhée, aux plaies cicatrisées, aux Noces de Thétis et de Pelée. 34 Au vers 17 du c. 64, nudato n'est pas équivalent à nudo: la divinité se dévoile. F. Klingner, Römische Geisteswelt, p. 219, mettant en regard la rencontre des Argonautes et des Néréides et la conclusion du poème, et renvoyant à deux passages de Pindare (IIIe Pythique, v. 165-168; IVe Néméenne, v. 105-111) où Pelée est donné comme celui qui a vu les dieux, dégage ainsi le sens symbolique de la vision béatifique du poème catullien: «der Liebesblick des Menschen, dem sich göttliche Schönheit unverhüllt offenbart»; cf. J. Granarolo, o.e., p. 150.
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le choix qu'entre des hypothèses. Et d'abord il y aurait celle qui, arguant de la différence des époques et des genres, et surtout de la distance con sidérable, en matière de sensibilité et de spiritualité, qui sépare la vision prosaïque du primipilaire d'Aquae Flavianae de la rencontre idyllique des Argonautes et des Néréides de Catulle (même si l'on résiste à donner à cette dernière un sens trop franchement symbolique), refuserait d'ac cepter qu'une relation directe puisse exister entre les deux textes; les con cordances verbales qu'ils présentent pouvant difficilement être mises sur le compte d'une rencontre fortuite, il faudrait alors supposer que les vers du poète et l'épigramme d'Aquae Flavianae renvoient, mais indépendamment, à une conception commune, peut-être véhiculée par une formule de caractère proverbial, qui aurait fait de la vue des Nymphes nues l'expression allégo rique de la parfaite félicité; la difficulté est que nous n'avons aucun indice qu'un tel proverbe ait réellement existé, du moins en latin35. A l'opposé, sans enfermer pour autant notre primipile dans des souvenirs exclusivement catulliens et argonautiques - tant son désir de voir les Nymphes nues36, qu'il ait été réel ou supposé, éveille de souvenirs di vers37 - on envisagera que le dernier vers de l'épigramme puisse être un écho direct de ceux de Catulle; des «citations» de ce genre sont assez fréquentes, on le sait, pour ce qui est de Virgile - et précisément parfois à propos de Nymphes38. Sans doute l'œuvre de Catulle n'était-elle pas, 35 Nous n'en trouvons aucune trace dans A. Otto, Die Sprichwörter und sprichwörtlichen Redensarten der Römer, Leipzig, 1890, ni dans les Nachträge zu A. Otto, Sprichwörter..., Hildesheim, 1968. 36 Quelle est d'ailleurs, dans son épigramme, le sens de cette nudité? Chez Catulle, elle se comprend parfaitement, puisque l'on a affaire à des nageuses, dont l'une doit d'ailleurs enflammer le désir de Pelée, et elle exprime en même temps le paroxysme de la confiance innocente et marque, au plan symbolique, le sommet de la rencontre; dans l'épigramme, elle ne peut avoir la même signification que si l'auteur imite directement et consciemment Catulle; et même dans cette hypothèse, il est vraisemblable que le (nudas) uidi - en rapport avec la décoration de la pièce - a retenti sur le contenu du optaui uidere. 37 Depuis la rencontre du poète et des Muses nues dans le prologue des Αίτια de Callimaque, jusqu'aux faciles Nymphae du monde idyllique de la 3e Bucolique (v. 9) et aux danses printanières qu'évoque Horace (Odes, IV, 7, v. 5-6). 38 L'évocation «homérique» (cf. Od. XIII, v. 10j-104) de la grotte des Nymphes dans l'Enéide, I, 166-168 est textuellement copiée (mais tronquée) par une inscription africaine (CIL VIII, 23 673: Intus aque dulces biboque sedilia saxo Numfarum), sans doute relative à un nymphée-grotte; cf., à Cherchel, la description métrique d'une fontaine, d'inspiration également virgilienne: CIL VIII, 21 081 (cf. P. Aupert, Le nymphée de Tipasa et les nymphées et «septizonia» nord-africains, dans Coll. EFR, 16, 1974, p. 71-72); ou encore l'inscription, évidem mentempruntée au passage de l'Enéide mentionné supra, que porte le bassin semi-circulaire d'une maison de Nabeul fouillée et étudiée par J. P. Darmon (Neapolis, dans Africa II,
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comme la sienne, de nature à avoir une riche postérité populaire39; mais doit-on pour autant tenir pour impossible que l'auteur de l'épigramme, qui n'était tout de même pas le premier venu40, qui vivait à une époque où le mythe des Argonautes venait de retrouver, grâce à Valerius Flaccus, le lustre de l'actualité, et que sa carrière d'officier a conduit à voyager et à guerroyer au loin dans le voisinage des contrées où s'était déroulée la quête de la Toison d'or ait pu, sinon se prendre pour un nouveau Pelée (il le dirait clairement!), du moins vouloir suggérer un rapprochement entre le mythe et sa propre existence, et en tous cas citer les vers de Catulle, qu'il devait connaître41. Notre préférence, après avoir hésité, se porterait en définitive vers une explication de ce genre, parce qu'elle rend mieux compte du rapprochement textuel que nous avons cru pouvoir relever, et parce qu'elle sauvegarde, entre l'officier d'Afrique et le poète des Noces, en dépit de toutes les différences qu'il n'est pas question de nier ni de minimiser, la possibilité d'une continuité de culture (ou de lecture) qu'il y aurait sans doute trop de pessimisme et de scepticisme à vouloir écarter. 1967-1968, p. 271-283; nous avons pu lire en outre, grâce à L. Maurin, le mss. dactylographié de la thèse de IIIe cycle consacrée par J. P. Darmon aux mosaïques de cette Nymfarum dornus). 39 Particulièrement évidente dans l'influence qu'elle a exercée sur les Carmina latina epigraphica (cf. R. P. Hoogma, Der Einfluss Vergils auf die Carmina Latina Epigraphica, Amsterdam, 1959) et même sur l'onomastique (cf. L. Vidman, Héros virgiliens et inscriptions latines, dans Ancient Society, 2, 1971, p. 162-173). 40 Un primipile est par définition chevalier romain: voir les articles de B. Dobson mentionnés ci-dessus. 41 Serait-ce aller trop loin dans cette voie que d'envisager que la représentation des Nymphes à laquelle fait, selon nous, allusion le dernier vers de l'épigramme ait pu être précis émentun cortège de Néréides (motif banal de pavements de thermes), entourant peut-être la nef Argo? Nous songeons à un tapis de mosaïque du genre de celui qui décorait la grande rotonde centrale du frigidarium des thermes d'Henchir Thina (découvert en 1904; au musée de Sfax): M. P. Gauckler, Inventaire des mosaïques de la Gaule et de l'Afrique, II, Paris, 1910, p. 11 sq. et pi. 18; R. Massigli, Musées de l'Algérie et de la Tunisie, Musée de Sfax, Paris, 1912, pi. 1, IV et V, 1: on y voit apparaître, à côté de scènes familières, des sujets mythologiques: Vénus Anadyomène, Léandre et Héro, le navire d'Ulysse, et des Tritons et Néréides chevauchant des monstres marins. - Le motif des «Noces de Thétis et de Pelée» apparaît sur une importante mosaïque de Cherchell (plus tardive que notre épigramme): voir. J. Lapsus, Cherchel. La mosaïque de Thétis et de Pelée, B. Arch. Alg., I, 1962-1965, p. 75-105, qui la compare à la mosaïque de Ziama-Mansouriah (A. Ballu, dans BAC 1913, p. 346-348, pi. XXXI). - Rappelons cependant que nous avons dit plus haut (p. 5) que les Nymphes qu'a vues le primipile pouvaient bien être celles d'Aquae Flavianae; il faut sans doute choisir entre les deux hypothèses.
JEAN BEAUJEU
LES DERNIÈRES ANNÉES DU CALENDRIER PRÉ-JULIEN
Les problèmes mineurs de l'histoire ne sont pas toujours ceux qui suscitent les controverses les moins ardentes et les moins durables; celui du décalage entre le calendrier romain officiel et le calendrier astronomique, dans les vingt années qui ont précédé la réforme de César, en offre un exemple bien connu: qu'importe, au fond, que les événements de cette période aient eu lieu une vingtaine de jours plus tôt ou plus tard et que César ait eu à corriger, en 708/46, un écart de 67 ou de 90 jours? Mais le débat con cerne une période cruciale de l'histoire, il a mis aux prises et continue de diviser les savants qui se sont donné pour tâche de l'étudier ou d'éditer les textes qui permettent de la connaître, il intéresse également historiens, philo logues, astronomes et spécialistes de la chronologie antique; à ce titre, on nous pardonnera de dire notre mot sur ce problème agaçant et, par là-même, excitant, sans oser prétendre que ce mot soit le dernier. Les nombreux travaux qui, au siècle dernier, ont contribué à éclaircir - parfois à obscurcir - la question, ont abouti à deux systèmes cohérents, contradictoires et irréductibles l'un à l'autre: celui de l'astronome français U. Le Verrier \ et celui de L. Holzapfel, vulgarisé par Groebe 2; depuis lors, les érudits adoptent soit l'un soit l'autre, sans remettre en question les méthodes de calcul3, et apportent occasionnellement un argument nouveau à l'appui de l'un ou de l'autre; parmi les partisans du système Groebe, citons
1 Publié dans l'Histoire de Jules César, Guerre des Gaules, par Napoléon III (II, Paris 1866, p. 521-552) et dans l'Histoire de Jules César, Guerre civile, par C. Stoffel (II, Paris 1887, p. 385-418). 2 L. Holzapfel, Römische Chronologie, Leipzig 1885; clairement présenté par P. Groebe dans la Geschichte Roms in seinem Uebergang von der republikanischen zur monarchischen Verfassung de W. Drumann (2e edit., Ill, Berlin 1906, p. 757-827). 3 Ces méthodes sont résolument balayées par un jeune professeur de l'Université d'Ottawa, Pierre Brind'Amour, qui a eu la grande obligeance de nous communiquer, au moment où le présent article allait être envoyé à l'impression, le manuscrit d'un ouvrage, à paraître pro-
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T. Rice Holmes, St. Gsell, L. A. Constans, les auteurs de la Cambridge ancient History, plus récemment E. J. Bickermann4 et A. E. Samuel5; entre autres tenants du système Le Verrier, il faut mentionner C. Jullian, J. Carcopino, dont le rayonnement lui a valu un regain de faveur en France, A. Piganiol, converti par les raisons de J. Carcopino, J. Bayet, P. Fabre (in edit. Caes. B.C., Paris 1947), J. Andrieu (in edit. Bell. Alex., Paris 1954), A. Bouvet (in edit. Bell. Afr., Paris 1949), plus récemment P. Grimai, etc. On peut admettre que les deux systèmes reposent sur des bases mathé matiques solides et sont logiquement et minutieusement construits; en tout cas, nous l'admettrons ici. Il n'y a pas d'autre raison de choisir entre l'un et l'autre que leur aptitude à rendre compte de certaines données chronolo giques concernant la période en question; ces données résultent de l'analyse critique et de la confrontation judicieuse des textes que la sagacité des chercheurs parvient à déceler et à exploiter. Mais il ne sera pas superflu de rappeler d'abord les principales divergences entre les deux systèmes; les tables de concordance dressées, pour chaque jour des années 691/63 à 709/45, par Le Verrier et par Groebe, font bien ressortir ces . . . discordances 6: selon Le Verrier, Intercalation du Mercedonius eut lieu régulièrement, les années paires, de 63 à 52 (+ 22 jours en 62, 58, 54; + 23 jours en 60, 56, 52); suivant Groebe, il y eut un mois intercalaire régulier, les années
chainement, sur Le Calendrier romain, des origines de la Ville à la rectification d'Auguste; dans ce livre aux vues hardies, qui soulèvera sans doute de vigoureuses contestations, l'auteur n'aborde pas de front la question traitée ici. 4 Chronology of the ancient World, Londres 1968, p. 47. 5 Greek and Roman Chronology. Calendars and years in classical Antiquity, in Handbuch der klassischen Altertumswissenschaft fondé par I. von Mueller, I, 72, Munich 1972, p. 157. 6 Le Verrier, o.e. p. 524-552 (= 390-418); Drumann-Groebe, o.e. p. 780-825. On sait que l'année du calendrier pré-julien comptait 355 jours: 7 mois de 29 jours + 4 mois de 31 jours (mars, mai, juillet, octobre) + 1 mois de 28 jours (février) = 203 + 124 + 28; au bout de quatre ans, le calendrier officiel prenait donc .10 1/4x4 = 41 jours d'avance sur le calendrier astrono mique; comme dans la plupart des pays d'Orient et des cités grecques, les Romains recouraient à l'intercalation périodique d'un mois supplémentaire: un an sur deux, en principe, on substituait un mois, dit Mercedonius, aux quatre ou aux cinq derniers jours de février; ce mois de 27 jours succédant, en principe, alternativement au 23 et au 24 février, cela revenait à ajouter, tous les quatre ans, 22 + 23 = 45 jours aux 48 mois «réguliers»; c'était quatre jours de trop! En réalité, l'intercalation n'obéissait pas à une règle stricte, et le collège des pontifes, qui en avait la responsabilité, la maniait avec une certaine fantaisie, où les calculs intéressés et les jeux d'influence jouaient un rôle non négligeable (cf. A. K. Michels, The Calendar of the Roman Republic, Princeton 1967, p. 16 sq.; 147-172). - Pour simplifier, nous emploierons l'expression «date réelle» pour désigner un jour donné de l'année astronomique, converti en termes du calendrier julien.
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impaires, de 63 à 58 (+ 23 jours en 63 et 59; + 22 jours en 61) 7, mais l'intercalation fut omise en 57 et ne reprit qu'en 54 et 52 7 bls. Ensuite, il est certain que les années 51 à 47 ne comportèrent pas d'intercalation et que l'année 46 fut celle de la remise en ordre. En conséquence: 1) pendant la période de 63 à 58, l'intercalation tomba sur les années paires pour Le Verrier, sur les années impaires pour Groebe; 2) si l'année 57 fut une année courte pour l'un et pour l'autre (à un jour près, l'avance du calendrier officiel sur le calendrier astronomique en 697/57 apparaît identique chez Le Verrier - Kai. Apr. = 17 mars astron. - et chez Groebe - Kai. Apr. =18 mars -), l'année 698/56 com porta une intercalation de 23 jours à en croire Le Verrier et en fut exempte suivant Groebe; d'où une différence de 23-1 = 22 jours, à partir du XVI Kal. Mart, qui équivaut au 12 févr. « réel » chez Le Verrier, au 21 janvier chez Groebe; 3) comme les deux savants sont d'accord sur la longueur des années 699/55 à 707/47, la discordance de 22 jours entre les deux systèmes
7 Groebe (o. c. p. 774) avoue cependant un doute pour les années 59 et 58: il admet que l'intercalation a pu être omise en 59 et avoir lieu en 58. P. Grimai estime, non sans raison, que l'insertion d'un mois intercalaire en 58 rend plus vraisemblable la suite des événements des premiers mois, tout en reconnaissant que ce n'est pas nécessaire (Etudes de chronologie cicéronienne, Paris 1967; en particulier, p. 24; 100 sq.; 138; 147). Dans ses recherches sur la chronologie de l'année 59 (On the chronology of Caesar's first consulship, dans Amer. ]. of Philol. LXXII, 1951, p. 254-268), L. R. Taylor n'a pas abordé le problème de l'intercalation; ses conclusions n'infirment pas plus qu'elles ne recommandent l'insertion d'un mois supplé mentaire cette année-là. De toute façon, le choix entre 59 et 58 n'engage pas l'adoption d'un système plutôt que l'autre pour les années suivantes. 7bls Dans une communication présentée devant la Société des Etudes Latines, le 14 février 1976, alors que notre article était en cours d'impression, et destinée à être publiée dans la REL, t. LIV, a. 1976, Michel Rambaud propose, contrairement à l'opinion communément admise, d'avancer de 54 à 55 l'insertion d'un mois intercalaire; seules des considérations de vraisemblance, manquant de solidité, avaient conduit Le Verrier aussi bien que Holzapfel et Groebe à opter en faveur de 54, plutôt que 55; or M. Rambaud met en avant un passage de la Correspondance de Cicéron qui exclut la possibilité d'une intercalation en février 54: Q. fr. II 11,3 Comitialibus diebus qui Quirinalia sequuntur Appius interpretatur non impediri se lege Pupia quo minus habeat senatum et, quod Gabinia sanctum sit, etiam cogi ex K. Febr. usque ad Κ. Martias legatis senatum cotidie dare. Ita putantur detrudi contitia in mensem Martium; en revanche, les consuls de 55, Crassus et Pompée, dont l'élection avait été retardée jusqu'à la fin de janvier, avaient un bon argument à faire valoir en faveur de l'insertion d'un mois supplémentaire. Cette hypothèse excellente porte un coup de plus au système de Le Verrier, qui repose sur une intercalation de 23 jours en 56, car il est fort peu vraisemblable que les pontifes aient pratiqué l'intercalation deux ans de suite.
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persiste tout au long de ces neuf ans: d'après Le Verrier, l'avance du calendrier officiel sur le calendrier astronomique a été inférieure de 22 jours à ce qu'elle a été suivant Groebe; 4) au bout du compte, en fin 46, cette avance allait atteindre 67 jours selon Le Verrier, 89 jours à en croire Groebe, et la remise en ordre opérée cette année-là par César porta sur 67 ou sur 90 jours, selon qu'on adopte le premier ou le second système; 5) l'année 45 - la première du calendrier julien - commença le 2 janvier réel et fut normale suivant Groebe (févr. = 28 jours), tandis que, pour Le Verrier, elle commença le 1er janvier et fut bissextile (févr. = 29 j.). Tout le monde admet qu'en 44 la concordance entre calendrier officiel et calendrier astronomique était rigoureuse; les Ides de mars coïncidèrent exactement, cette année-là, avec le 15 mars « réel », comme l'avait voulu César . . . Nous ne nous proposons pas de départager Le Verrier et Groebe quant au premier point (mois intercalaire en années paires ou en années impaires de 63 à 58); et la dernière discordance (± 24 heures pour les deux pre miers mois de 45) est insignifiante aux yeux de l'historien. En revanche, il nous paraît possible de prouver que c'est Le Verrier qui a tort et le système Holzapfel-Groebe qui est juste pour les années 56 à 46, où se sont déroulées la Conquête des Gaules et la Guerre civile. De quelles clefs disposons-nous pour déchiffrer l'énigme? En premier lieu, plusieurs textes nous renseignent sur la mise en place du calendrier julien, notamment sur la remise en ordre opérée en 46; si l'on pouvait en tirer la certitude que le nombre de jours excédentaires résorbé cette année-là fut soit de 67, soit de 90, la question serait tranchée; nous verrons que, malheureusement, les divergences de nos documents n'autorisent que des présomptions. Deuxième ressource: des témoignages directs, comme on en possède pour l'intercalation de 52 (Asconius, In Milon. 30, 31) et pour l'absence d'intercalation en 50 (Cass. D. XL 61 sq.); nous pensons en avoir découvert un autre, d'une importance capitale, pour l'année 56. En troisième lieu, les recoupements entre données du calendrier officiel et données du calendrier astronomique ou de calendriers étrangers, quand cela est possible; ces cas existent, mais ils sont rares et doivent être serrés de très pour valoir preuve. Enfin les arguments de vraisemblance: tel système semble convenir mieux à la datation ou à la durée de certains événements; ces arguments - les plus faibles - sont aussi ceux qui ont été le plus fréquem ment avancés, non sans quelque légèreté: car il est souvent facile de les retourner et, de toute façon, qui ne sait que « le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable » ?
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C'est précisément à écarter une série d'arguments de cette nature et quelques autres, non moins fragiles, que nous nous attacherons d'abord, pour déblayer le terrain avant d'aborder l'examen des points essentiels. La plupart sont dus à l'ingéniosité inventive de J. Carcopino, qui a déployé son talent d'avocat, dans son beau livre sur César, pour confirmer le système de Le Verrier et affaiblir celui de Groebe, mais n'a pas contrôlé d'assez près le détail de ses démonstrations8. P. 227 (= 736), a (cf. p. 291, n. 2 = 798, n. 159): le rapprochement de Plut. Crass. 17,1 et de Cic. AU. IV 13,2 montrerait que «la mauvaise saison du mare clausum était déjà survenue» (elle commençait le 11 nov.), lorsque Crassus s'embarqua pour l'Orient, d'où il ne devait pas revenir; par consé quent, le début de décembre pré-julien 55 coïncida avec le 13-16 nov. julien (Le Verrier), non avec le 22-25 oct. (Groebe). Mais Cicéron, dans cette lettre, écrite entre le 14 et le 17 nov., évoque le prochain départ de Crassus de Rome, non son embarquement; en fait, Cicéron dîna en compagnie de Crassus chez Crassipès après le 17 nov.; non seulement le triumvir n'est pas parti tout de suite, mais il semble bien qu'il ne se soit embarqué, à Brindes, qu'en janvier «réel», à la fin de la mauvaise saison, «quand la mer était encore agitée»9. Ibid. b: en 55, César aurait rembarqué son corps expéditionnaire de Bretagne juste avant l'équinoxe (= 26 sept.; B.G. V 23,5); la Pleine lune précédant l'équinoxe, qui illumina une tempête où César perdit une partie de ses troupes (B.G. IV 29,1), eut lieu le 31 août réel; en conséquence, la lettre de César à Cicéron, mentionnée en AU. IV 17,3 (sic, Carcopino; en réalité 18,5) et datée du VI Kal. Oct. (= 25 sept.), dans laquelle il lui annonçait le rembarquement en cours, aurait été écrite le 9 sept. « réel » (Le Verrier) et non le 18 août (Groebe). Toute la construction repose sur une confusion singulière entre les faits de 55 - pleine lune et tempête de B.G. IV 29,1 - et ceux de 54 - le rembarquement raconté en B.G. V 23,5 et la lettre de César à Cicéron du 25 septembre. Ibid. c: au cours de l'hiver 52-51, César quitta Bibracte le dernier jour de 52 (B.G. VIII 2,1), pour mener une dure campagne contre les Bituriges brumalibus diebus, et regagna Bibracte 40 jours plus tard (29/12 et 10/2 officiel - non «8/2»); cela conviendrait moins bien à la période du 3/12 au 11/1 - non «9/1» - «réel» (Groebe) qu'à celle du 25/12 au 2/2 - et non pas 31/1 (sic, Carcopino) -, suivant Le Verrier. C'est évidemment l'inverse qui est vrai, le solstice d'hiver (bruma, 25/12) marquant le milieu des 40 jours en question selon le système Groebe. Ibid. d (cf. p. 403, n. 1 = 897, n. 125): la traversée de César, de Brindes à Palaeste, eut lieu les 4 et 5 janv. 48 (B.C. 3, 6, 2-3); or, selon Dion Cassius (XLI 44,2) et Florus (II 13, 36), c'était le milieu de l'hiver;
8 Nous citerons son Jules César dans la 5e édition, revue et augmentée avec la collabo ration de P. Grimai (Paris 1968), en indiquant chaque fois entre parenthèses la référence correspondante de la 4e édition (Hist. Générale fondée par G. Glotz, Hist. rom. II 2, Paris 1950). 9 Plut. Crass. 17,1 ετι δ'άστατούσης χειμώσι της θαλάσσης, ού περιέμεινεν; cf. L. Α. Constans in edit. Cic. Ep., T. Ill, p. 19, n. 3.
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JEAN BEAUJEU l'hiver des Romains allant du 11 nov. au 7 févr., «cette indication cadre non avec la concordance de Groebe (6-7 nov.) mais avec celle de Le Verrier-Stoffel (28-29 nov.) »; c'est oublier que Dion Cassius et Florus ne tiennent pas compte de la discordance entre calendrier officiel et calendrier astronomique10. P. 305, n. 2 (= 912, n. 200): avec C. Jullian11, J. Carcopino suppose que l'assemblée qui s'est tenue chez les Carnutes au cours de l'hiver 53-52 et qui a préludé au soulèvement général des Gaules (B.G. VII 2,1) n'est autre que l'assemblée qui réunissait chaque année les délégués des peuples gaulois, à l'occasion de la grande fête de la cueillette du gui (cf. Plin. N.H. XVI 249 sq.). J. Carcopino va plus loin: cette fête avait lieu le 6e jour de la lune (Plin. l. c); comme la célébration du gui est liée au solstice d'hiver, qui tombait alors le 26 décembre (cf. Plin. XVIII 221: celui-ci parle en réalité du 25), la lunaison en question «ne saurait être que la première après le solstice d'hiver»; en cet hiver 53-52, la première nouvelle lune après le solstice tomba le 18 janv. «réel», le 6e jour - où se serait tenue l'assemblée chez les Carnutes - le 23. Or le soulèvement gaulois fut déclenché par le bruit du meurtre de Clodius - 18 janv. officiel - et des émeutes qui ensanglantèrent Rome le lendemain (B.G. VII .1,2); le 18 janv. officiel = le 8 décembre 53 «réel» selon Groebe, le 30 décembre (et non le 28, comme le dit J. Carcopino) d'après Le Verrier; le délai de 23 jours entre l'émeute romaine et la décision des Gaulois, tel qu'il ressort du système Le Verrier, répond bien au temps nécessaire pour l'acheminement des nouvelles venues de Rome et le développement de l'agitation, alors que l'intervalle de 46 jours donné par le comput de Groebe serait nettement excessif. Cette argumentat ion est aussi vulnérable qu'ingénieuse: d'une part, à supposer, ce qui n'est qu'une hypothèse, que l'assemblée des Carnutes ait été liée à la fête annuelle de la cueillette du gui, nous n'avons aucune preuve que cette fête ait été célébrée le 6e jour de la première lunaison qui suit le solstice d'hiver; Pline écrit seulement ceci: est autem id (= le gui de rouvre) rarum admodum inuentu et repertum magna religione petitur et ante omnia sexta luna, quae principia mensum annorumque his jacit et saeculi post tricesimum annum (N.H. XVI 250) 12; d'autre part, si J. Carcopino a raison de situer vers le 6 du mois intercalaire de 52 le départ de César de Ravenne, cette date, dans le système adopté par lui, ne serait séparée de la réunion chez les
10 Cf. Cass. D. XLI 39,1; XLII 56,1; même constatation pour Lucain (VIII 467, etc.), Plutarque (Caes. 37,3; 52,1; Pomp. 65,4), Appien (B.C. II 7, 48); cf. Groebe, o.e., p. 812 sq. n. 3; 813, n. 4 extr.; 815, n. 3. 11 C. Jullian, Hist, de la Gaule, II4 (Paris 1921), p. 412-417. 12 E. Linckenheld a confirmé, par des survivances constatées dans plusieurs régions ancien nement celtiques, la valeur de l'information plinienne sur la fonction du 6e jour et rappelé que le calendrier celtique pré-julien était un calendrier lunaire de 12 lunaisons (29,5 x 12 = 354 jours), avec intercalation d'un mois supplémentaire de 30 jours, le ciallos, tous les 30 mois (d'après le fameux calendrier de Coligny; Pline et le calendrier gaulois, dans Rev. celt. XLVIII, 1931, p. 137-144; cf. P. M. Duval, La vie quotidienne en Gaule pendant la paix romaine, Paris 1952, p. 82 sq.).
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Carnutes (13 févr. officiel, d'après Le Verrier) que par une quinzaine de jours: ce délai est notoirement insuffisant pour l'action difficile et les multiples déplacements de Vercingétorix et pour que leurs résultats soient portés à la connaissance de César, à Ravenne (B.G. VII 3-5). On peut imaginer, en s'en tenant à l'hypothèse plausible de C. Jullian sur la coïncidence de l'assemblée chez les Carnutes avec la fête de la cueillette du gui13, une variante chronologique plus vraisemblable que celle de J. Carcopino, et qui donne raison à Groebe: l'exaltation du gui étant associée au solstice d'hiver (cf. Virg. Aen. VI 205 brumali frigore... uirere), il est très probable que la fête en question avait lieu la première sexta luna suivant le solstice, même quand le jour de la nouvelle lune le précédait; or, à la fin de 53, le solstice vrai tomba le 23 décembre «réel», la nouvelle lune venait d'avoir lieu, le 19; le 6e jour de cette lunaison est donc survenu le 24 décembre, lendemain du solstice. Si, comme nous le suggérons, la fête du gui eut lieu ce jour-là, en pleine période de bruma (et non pas un mois plus tard, quand la durée de la nuit avait déjà diminué d'une heure), le système de concordance de Groebe fournit des données chronologiques cohérentes: délai de 15 jours entre l'émeute romaine du 9 décembre (= 19 janv. officiel) et l'assemblée chez les Carnutes du 24 déc. (= 5 févr. officiel), suffisant pour la diffusion de l'information en Gaule et la campagne d'agitation, et intervalle de 25 jours entre cette réunion et le départ de César de Ravenne (vers le 6 du mois intercalaire, dont le premier jour succédait au 24 févr., = vers le 18 janvier «réel»), intervalle rempli par les démarches de Vercing étorix, les débuts du soulèvement et la transmission des nouvelles à César. Bien entendu, toute cette construction est des plus fragiles; il nous suffit d'avoir montré qu'on ne peut tirer argument de l'assemblée chez les Carnutes de cet hiver-là en faveur du système Le Verrier. P. 361, n. 5 (= 858, n. 341): le passage du Rubicon eut lieu le 12 janv. 49 officiel; à en croire Lucain (I 217 sq. - non «277-278» -), turn uires praebebat hiems atque auxerat undas / tertia iam grauido pluuialis Cynthia cornu; or il y avait eu nouvelle lune le 17 décembre («le 16», dit Carcopino...) et le 17 novembre «réels»; donc le texte ne peut désigner «la troisième lunaison» de l'hiver, qui commençait le 11 nov., que si le 12 janv. officiel correspond au 17 décembre julien (Le Verrier) et non pas au 25 nov. (Groebe). Mais, en réalité, tertia Cynthia désigne certainement «le 3e jour de la lune», comme toujours l'expression tertia, quarta etc.. luna: c'était un des jours de la lunaison qui donnaient des présages significatifs (cf. Plin. N.H. XVIII 350); Lucain l'aura choisi pour cette raison, sans nullement se soucier de la date exacte, officielle ou astronomique, de l'épisode ni de la phase de la lune à cette date. A supposer que tertia... Cynthia signifiât ici «le troisième mois», comme Lucain ne tenait pas compte du décalage entre calendrier officiel et calendrier astronomique, il voudrait dire simplement
13 Linckenheld (Le), ne doute pas qu'après l'introduction du calendrier julien en Gaule, la fête du gui ait été célébrée chaque année le 6 janvier, mais ne fait aucune référence à l'assemblée de l'hiver 53-52.
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JEAN BEAUJEU qu'on était au troisième mois de l'hiver suivant le calendrier officiel, sans qu'on pût en tirer argument dans un sens ou dans l'autre14. P. 378, n. 2 (= 873, n. 50): pour l'embarquement de Pompée à Brindes (17 mars officiel), la concordance de Le Verrier, 17 févr. julien, serait plus vraisemblable que celle de Groebe, 26 janv., parce qu'elle donnerait une date plus proche de la fin du mare clausum; l'argument est sans portée, étant donné que Pompée n'a pas choisi librement la date de son départ, mais qu'elle lui a été imposée par les circonstances. P. 414, n. 1 (= 906, n. 150): la bataille de Pharsale a été livrée le 9 août officiel = 29 (non «28») juin pour Le Verrier, = 7 juin selon Groebe; l'équivalence Le Verrier serait préférable, parce qu'au dire de César (B.C. 3, 85, 2) la moisson était déjà terminée; en réalité, elle vient juste de se faire: à l'arrivée de César dans la plaine de Pharsale, 6-7 jours avant
14 Cf. supra, n. 10: il est possible que Lucain imaginât le passage du Rubicon plus tard même qu'en janvier, car au vers 219 il fait intervenir et madidis euri resolutae flatibus Alpes (sid). - S'il n'était pas établi que Lucain prenait de grandes libertés avec la chronologie, on pourrait être tenté de puiser dans un autre passage du poème une confirmation éclatante en faveur du système Groebe: en IV 56-57, le moment où se préparent les pluies diluviennes, qui vont mettre en péril l'armée de César devant Ilerda, est défini avec précision: postquam... Titana recepii... portitor Helles ( pour les Anciens, le soleil séjournait dans le signe du Bélier du 23 mars au 23 avril); un peu plus loin, il est dit que l'équinoxe vient juste d'être dépassé (v. 58 sq.: aequatis... temporibus uicere dies); on est donc à la fin de mars ou au début d'avril «réel»; or la crue du Sicoris se produisit vers le 20 juin officiel, 42 jours avant la capitulation d'Afranius, qui date du 2 août officiel (cf. Fasti et B.C. 1, 41,1; 2, 32,5); suivant Le Verrier, le 20 juin officiel 49 correspond au 21 mai julien, ce qui cadre mal avec le texte de Lucain, tandis que, d'après Groebe, cette date fictive représente le 29 avril, ce qui convient beaucoup mieux; et puisque, à en croire Lucain (IV 59 sq.), c'est au début d'une lunaison que les vents humides auraient commencé à entrer en action {tune sole relicto / Cynthia, quo primutn cornu dubitanda refulsit, / exclusit borean flammasque accepit in euro), les tables astronomiques, qui nous enseignent que la lune était nouvelle le 13 avril, nous fourniraient un repère précis et concordant. Mais il est très probable que Lucain a voulu seulement évoquer le printemps, qui est la saison de l'équinoxe, et n'a fait mention des pre miers jours de la lune que parce qu'ils passaient pour jouer un rôle déterminant dans les pluies du mois, comme on l'a vu dans l'épisode du franchissement du Rubicon. On mesurera mieux la part du flou et de la fantaisie dans les données chronologiques de Lucain, qui a fait œuvre non d'historien, mais de poète brodant sur un canevas historique, si l'on se reporte aux vers 691 sq. du 1. II: iam coeperat ultima Virgo / Phoebum laturas ortu praecedere Chelas = «déjà l'extrémité du signe de la Vierge avait commencé de précéder, au lever, le signe des Pinces (alias la Balance) qui allait bientôt porter Phoebus»; formulation quelque peu pédantesque, pour dire que le soleil est sur le point de passer du signe de la Vierge dans celui de la Balance et qu'on est, par conséquent, tout près de l'équinoxe d'automne. Or l'événement ainsi daté n'est autre que la fuite de Pompée et de sa flotte hors du port de Brindes, où César avait essayé de le bloquer; il eut lieu le 17 mars officiel 49 (Cic. AU. IX 15,6). Non seulement le poète négligeait le décalage entre dates légales et réalités astronomiques, mais, en l'occurrence, il a pris l'équinoxe d'automne pour celui de printemps!
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la bataille, les blés étaient presque mûrs (B.C. 3, 81, 3); après 3-4 jours de repos et d'escarmouches, César peut se ravitailler en blé (B.C. 3, 84, 1 et 85, 2), avant de livrer bataille. Or, dans la région de Pharsale, la moisson se fait d'ordinaire dans les premiers jours de juin: ceci ressort de l'étude remarquablement documentée de Drumann-Groebe (o. c, III, p. 743 sq. et 748; J. Carcopino s'y réfère d'ailleurs p. 412, n. 4...), confirmée par des enquêtes plus récentes15. Quant à l'argument tiré de la Vie de Brutus, où il est dit que la bataille eut lieu «au fort de l'été» (4,3), il suffit, pour l'écarter, de se rappeler que Plutarque ne considérait que les dates du calendrier officiel (supra, n. 10). P. 442, n. 2 (= 932, n. 224): la bataille où Curion a été tué, en Afrique du Nord, s'est déroulée aux environs du 20 août 49 officiel (Curion a appris quelques jours plus tôt la capitulation d'Afranius, qui avait eu lieu le 2 août officiel; cf. B.C. 2, 37, 2); la concordance Le Verrier (20 juillet) serait « vérifiée ici par la mention concomitante des blés bons à moissonner » (B.C. 2, 37, 4); d'après Groebe, la mort de Curion est survenue vers le 28 juin: or, précisément, en Afrique du Nord, au voisinage des côtes, la moisson se fait à la fin de mai ou en juin16. Enfin, p. 449, n. 5 (= 939, n. 246): l'insertion d'un mois intercalaire, à la fin de février 46 (sic, Groebe), rendrait invraisemblable la durée du «jeu de cache-cache» de César dans la région d'Uzitta; de fait, quand on confronte les textes du Bellum Africum (37, 1; 41, 1; 42, 2; 75, 1), on s'aperçoit que ce jeu a duré du 27 janv. officiel jusqu'à une date comprise entre le 1er et le 10 mars officiel; sans mois intercalaire (sic, Le Verrier), l'intervalle est de 30 à 40 jours; avec un mois intercalaire, il atteint 53 à 63 jours. Mais, nous verrons que l'intercalation d'un mois en février 46 s'impose de façon incontestable; l'argument tiré de l'épisode d'Uzitta est un exemple typique de ces raisons de vraisemblance, qui doivent s'effacer devant les preuves que dégage l'analyse critique des textes. Dans un brillant article de 1940 17, Jean Bayet s'est employé à chercher dans un passage célèbre de Lucain une confirmation du système Le Verrier: au chant VIII, v. 708-725, le poète nous montre le cadavre décapité du Grand Pompée, ballotté par les vagues blanchissantes, tandis que le fidèle Cordus s'efforce de le remener sur le rivage égyptien, afin de lui rendre les derniers devoirs; pendant tout ce temps, lucis maestà parum per densas Cynthia nubes / praebebat (v. 721 sq.). La date officielle du meurtre de Pompée est bien attestée: 28 sept. 48; la nuit suivante, la lune brilla dans son plein, si l'on admet, avec Le Verrier, la concordance du 16 au 17 août julien, tandis que, si l'on suit Groebe, seul le dernier croissant monta cette nuit-là (= 25 au 26 juillet) dans le ciel, après 2 heures du matin; comme,
15 Cf. G. Azzi, Le climat du blé dans le monde, Rome, 1927, p. 123. 16 Cf. G. Azzi, o.e., p. 921; 933; c'est seulement sur les Hauts Plateaux de l'intérieur que la récolte est retardée jusqu'en juillet. 17 J. Bayet, 16 août 48, la date de la mort de Pompée d'après Lucain, dans Mélanges A. Ernout, Paris, 1940, p. 5-10.
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JEAN BEAUJEU à en croire J. Bayet, la lumière de la lune, toute voilée, ne joue aucun rôle dans l'éclairage de la scène, Lucain n'a mentionné la présence de l'astre que parce qu'elle était attestée dans la documentation historique dont il disposait. Mais, s'il est vrai que le poète n'a pas tiré d'effet pictural de la clarté de la lune, les nuages qui la masquent sont là pour exprimer l'horreur et le deuil de la nature devant cette scène atroce et lugubre, pour composer un décor cosmique accordé au pathétique humain: même «la lune s'at tristait».. - maestà... Cynthia -; on en trouve la confirmation dans la suite du passage, lorsque Cordus s'adresse aux puissances célestes pour implorer leur indulgence: ad superos obscuraque sidéra fatur (v. 728). La reprise du motif souligne l'intention du poète; il n'avait pas besoin de l'autorité de ses sources pour ajouter ce trait au tableau sinistre des funérailles de son héros. Ne savons-nous pas d'ailleurs qu'il ne s'embarrassait guère de tels scrupules (cf. supra, p. 20)?
Le problème reste donc entier; il nous faut maintenant reprendre, ab integro, l'examen des textes relatifs à la remise en ordre effectuée par César en 46. Les voici: 1. Suet. Caes. 40, 2: quo autem magis in posterum ex Kalendis lanuariis nouis (nobis codd.) temporum ratio congrueret, inter nouembrem ac decembrem mensem interiecit duos alios; fuitque is annus, quo haec constituebantur, quindecim mensium cum intercalano qui ex consuetudine in eum annum incider at.
Pour qu'à l'avenir, à partir des Calendes de janvier suivantes, le ca lendrier fût accordé, il intercala entre novembre et décembre deux au tres mois; et ainsi l'année où ces mesures étaient appliquées fut de quinze mois, y compris le mois inter calaire qui, conformément à l'usage, était tombé cette année-là.
2. Censor. De die nat. 20, 8: ... adeo aberratum est ut G. Caesar, pontifex maximus, suo III et M. Aemilii Lepidi consulatu (= a. 46), quo retro delictum corrigeret, duos menses intercalarios dierum LXVII (LXIIII DV) in mensem nouembrem et brem interponeret, cum iam mense februario dies III et XX intercalasset, faceretque eum annum dierum CCCCXLV. . .
Le décalage devint tel que Caius César, grand pontife, l'année où il fut consul pour la troisième fois avec Marcus Aemilius Lèpide, voulut cor riger les errements antérieurs et inséra deux mois intercalaires, soit 67 jours, entre les mois de novembre et de décembre, alors qu'il avait déjà inter calé 23 jours en février; et ainsi il fit de cette année-là une année de 445 jours.
3. Cass. D. XLIH 26, 1-2: Ταυτά τε ενομοϋετησε, καίτας ημέρας των ετών ού πάντη όμολογούσας σφίσι
Après avoir pris ces mesures légis latives, comme les jours de l'année étaient quelque peu en désordre (en
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(προς γαρ τας της σελήνης περιόδους ετι και τότε τους μήνας ήγον) κατεστήσατο ες τον νυν τρόπον, επτά και εξήκοντα ήμέρας εμβαλών, οσαιπερ ες την άπαρτιλογίαν παρεφερον ■ ήδη μεν yap τίνες και πλείους εφασαν εμβληϋήναι, το δ' άληύες ούτως έχει.
effet, à cette époque encore on alignait les mois sur les révolutions de la lune), il les fixa dans leur disposition actuelle, en intercalant 67 jours, le nombre voulu pour que Pajustement fût exact. De fait, certains ont prétendu qu'on en avait intercalé da vantage, mais la vérité est bien celle-là.
4. Macrob. Sat. I 14, 3: ergo C. Caesar exordium nouae ordinationis initurus, dies omnes qui adhuc confusionem poterant facer e consumpsiteaquerefactumestutannus confusionis ultimus in quadringentos quadraginta très dies protenderetur.
En conséquence, Caius César, avant d'inaugurer le nouveau système, résorba tous les jours qui pouvaient encore être cause de désordre et c'est ce qui fit que la dernière année du désordre se prolongea jusqu'à 443 jours.
Résumons les données fournies par chaque auteur 18: 1. Suétone: - 2 mois supplémentaires entre le 29 nov. et le 1er déc, - 1 mois intercalaire traditionnel en févr., - 15 mois en tout. 2. Censorinus: - 2 mois supplém. entre le 29/11 et le 1/12 - 1 mois intercalaire en févr. [année ordinaire] - total de l'année
= 67 jours, = 23 j. + 355 j. = 445 j.
3. Dion Cassius: - intercalation de 67 jours supplémentaires. 4. Macrobe: - total de l'année = 443 jours [= 355 + 88].
18 II n'y a pas à tenir compte de l'information aberrante qu'on trouve chez Solin, Coll. rer. memor. I 45: dies uiginti unum et quadrantem simul intercalauit... Hie ergo annus solus trecentos quadraginta quattuor dies habuit (trecentos par erreur pour quadringentos - CCCXLIV pour CCCCXLIV -? les 21 jours en question représenteraient la seule intercalation tradition nelle de février? On ne peut rien tirer d'un tel texte).
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Mise à part la menue divergence numérique de Macrobe, qui s'explique sans doute par une faute matérielle de transcription dans le texte des Saturnales ou dans celui de sa source, on se trouve en présence de deux versions: celle de Suétone, Censorinus et Macrobe d'une part (90 jours ajoutés à l'année ordinaire de 355 jours, soit 1 mois intercalaire de 23 jours en février, 2 mois supplémentaires faisant ensemble 67 jours, entre le 29 nov. et le 1er déc), celle de Dion Cassius d'autre part (67 jours supplémentaires en tout). L'accord entre les trois érudits a d'autant plus de poids qu'ils étaient tous trois spécialistes de l'histoire du calendrier: le premier d'entre eux, Suétone, a écrit un traité De anno populi Romani; il est à peu près certain que Censorinus s'en est inspiré dans le passage précédemment cité, car il mentionne l'auteur en tête de son chapitre sur le calendrier romain, après Junius Gracchianus, Fulvius Nobilior et Varron (20, 2), et il donne des précisions numériques qui ne figurent pas dans la Vie de César. Or, Suétone, directeur du Secrétariat impérial {ab epistulis), était un bon érudit; on a peine à croire qu'il ait inventé de toutes pièces l'intercalation traditionnelle d'un mois en février 46 et que Censorinus et Macrobe lui aient emboîté le pas sans broncher. Le témoignage de Dion Cassius inspire moins de con fiance; certes, ce sénateur bithynien, deux fois consul et familier des Sévères, avait accès aux Acta senatus et autres « sources authentiques » 19; mais les fonctions de Suétone lui donnaient, sur ce point, au moins autant de droits et le décret de César portant réforme du calendrier n'était certainement pas classé dans un dossier ultra-secret, puisqu'il avait près soin de le divulguer largement, edicto palam posito (Macr. Sat. I 14, 13)! D'autre part, l'historien ne donne aucun détail sur cette remise en ordre et, ce qui est plus grave, dans la suite de son texte, après avoir présenté le calendrier julien, avec son jour intercalaire tous les quatre ans, il ajoute qu'en réalité l'année astronomique dépasse légèrement 365 jours 1/4 et que cet excédent obligera à intercaler un jour supplémentaire au bout de ... 1461 ans: en fait, c'est l'année julienne qui est trop longue, de 11 minutes 13 secondes, soit un jour en 128 ans - d'où la réforme de Grégoire XIII en 1582 -; quant au cycle de 1461 ans (= 365 1/4 x 4), il correspond au temps qu'il fallait à l'année légale égyptienne de 365 jours, qui avançait d'un jour tous les quatre ans, pour coïncider de nouveau avec l'année astronomique; Censorinus ex plique ceci fort clairement (D.N. 21; sans tenir compte, toutefois, des
19 Sic, Le Verrier, o.e., p. 523, n. 1 (= 389, n. 1); cette note contient une critique des sources plutôt sommaire. En fait, les sénateurs n'avaient pas accès es qualités aux archives du Palais, comme Junius Mauricus en fit l'humiliante expérience sous Domitien (Tac. Hist. IV 49,9).
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11 minutes 13 secondes), tandis que Dion Cassius, empêtré dans ses docu ments égyptisants, a confondu excédent de l'année julienne et déficit de l'année égyptienne. N'oublions pas, d'ailleurs, qu'au fil de sa narration Dion Cassius ne tient jamais compte du décalage entre calendrier officiel et calendrier astronomique (supra, n. 10). Pour en revenir à l'année 46, les 67 jours de Dion Cassius pourraient se répartir de deux façons: a) un mois intercalaire de 22 ou 23 j. en févr., deux mois intercalaires (22 + 22 ou 23 j.) entre nov. et déc; b) les 67 jours entre nov. et déc, sans intercalation en février. C'est la deuxième solution qui a été retenue par Le Verrier et ses partisans20; mais elle est en contradiction formelle avec les textes concordants de Suétone et de Censorinus, qui affirment avec la plus grande netteté que l'année 46 comporta 15 mois, dont 2 entre nov. et déc. et 1 en février21. Ainsi, seule la première solution est théoriquement possible; elle a pour elle l'affirmation péremptoire de Dion Cassius: « certains ont prétendu qu'on avait intercalé davantage de jours, mais la vérité est bien celle-là» (= 67 j. en tout); il connaissait donc la version des 90 jours, mais ses documents et ses réflexions, à défaut de sa compétence, l'ont amené à la condamner. Qui s'est trompé, Suétone ou Dion Cassius? Si l'erreur est chez Suétone, elle tient à la confusion entre deux données: d'une part 67 jours supplémentaires, d'autre part un mois intercalaire « normal » + deux mois supplémentaires exceptionnels; il en aurait conclu à tort que les 67 jours représentaient la somme des deux mois exceptionnels seulement. Si l'erreur est le fait de Dion Cassius, elle provient de la confusion inverse: il a cru que les 67 jours constituaient l'intercalation totale de l'année, sans voir qu'ils s'étaient ajoutés aux 23 jours de l'intercalation de février. A y regarder de plus près, on s'aperçoit que l'erreur s'explique beaucoup mieux de la part de Dion Cassius, et non pas seulement en raison de sa moindre compétence. Il est remarquable que, dans l'exposé de Suétone
20 Le Verrier divise ces 67 jours en deux mois intercalaires de 29 + 38 j. (o. c, p. 551 = 417), J. Carcopino en trois mois de 22 + 23 + 22 j., parce que c'est la durée des mois intercalaires traditionnels et que Suétone parle d'une année de 15 mois (o. c, p. 547, n. 3 = 1.030, n. 346; sic, A. Le Boeuffle-H. Le Bonniec, in edit. Plin. N.H. XVIII, Paris, 1972, p. 262, n. 1 ad § 211). Il est certain qu'il n'y a eu que deux mois supplémentaires entre nov. et déc, puisque le premier de ces mois s'est appelé Intercalaris prior (Cic. Fam. VI 14,2: Kalendas Intercalares priores - ou prions -). 21 Quoiqu'en dise J. Carcopino, l. c, le texte de Suétone exclut que les trois mois supplé mentaires se soient succédé entre le 29/11 et le 1/12; en outre, cf. la note précédente.
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comme dans celui de Censorinus, mention est faite d'abord de l'insertion des deux mois supplémentaires à la fin de l'année: l'anomalie exceptionnelle destinée à la remise en ordre du calendrier a consisté dans cette mesure-là; l'intercalation de février est signalée après coup, parce qu'elle ressortissait à la tradition, à l'activité habituelle des pontifes; les deux auteurs en font état, pour présenter au lecteur un bilan d'ensemble du calendrier de 46; mais il apparaît clairement que l'opération de remise en ordre a été réalisée en deux étapes, qui ont fait l'objet de deux mesures distinctes: la première prescrivait une intercalation en février ex consuetudine, la deuxième décrétait l'insertion extraordinaire de deux mois supplémentaires entre novembre et décembre. César ayant quitté Rome au début de décembre (officiel) 47, pour faire campagne en Afrique, et n'ayant regagné la capitale que le 25 juillet (officiel) 46, la première mesure a dû être prise avant son départ, la deuxième rendue publique après son retour22. S'il en est bien ainsi, on ne s'étonne plus de la relation de Dion Cassius, ni de son insistance: racon tantles événements au fil des jours, il rapporte la promulgation du texte législatif limitant la durée du mandat des proconsuls (XLIII 25, 3), contem poraine du quadruple triomphe d'août-septembre23, puis celle du décret sur l'intercalation exceptionnelle de nov.-déc. 46, qui contenait sans doute aussi les prescriptions relatives au nouveau calendrier «julien»; il ignorait qu'un mois eût déjà été intercalé en février et si, comme il est probable, rencont rantchez certains auteurs aussi peu explicites que Macrobe la mention de 90 jours intercalés cette année-là, il s'est reporté au texte du décret d'août-septembre 46, il n'y a trouvé que la mention des 67 jours supplé mentaires à insérer entre novembre et décembre24. De notre analyse se dégage donc une forte présemption en faveur du témoignage de Suétone et du système de Groebe; reste à la transformer en
22 On comprend, dans ces conditions, l'exclamation ironique de Cicéron, écrivant à Atticus en mai-juin 46 (XII 3, 2): quando iste Metonis annusi (l'année dite «de Méton» comptait 19 années ordinaires); à moins que cette lettre ne date de 45 et que l'interrogation ne se réfère à un proverbe grec, sans allusion à la réforme du calendrier, comme le croit D. R. Shackleton-Bailey (in edit. Ep. ad AU. T. V, Cambridge 1966, p. 300 sq.). J. Carcopino (o. c, p. 547, n. 3 = 1.030, n. 346) conclut de cette lettre que la remise en ordre de l'année n'avait pas encore commencé en juin (il précise même «le 11 juin» -? -) et qu'il n'y avait donc pas eu d'intercalation en février. 23 Cf. Cass. D. XLIII 25, 1 ταϋτά τε (= le triomphe) άμα έπράττετο καί ένομοοετεϊτο πολλά. 24 A ceux qui estimeraient invraisemblable qu'on ait laissé le calendrier officiel prendre 90 jours d'avance sur le calendrier astronomique, rappelons que le décalage atteignit 2 mois 1/2 en 586/168 (l'éclipsé de lune du 21 juin «réel», avant la bataille de Pydna, eut lieu le
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certitude, si nous le pouvons, par des preuves tirées des faits de la période 56-46 et des textes qui s'y rapportent. La première, découverte depuis longtemps, nous est fournie par l'entrée de César à Antioche, en 47, au cours du long voyage qui le mena d'Egypte jusqu'au Pont, à la rencontre de Pharnace; une lettre de Cicéron (AU. XI 20, 1) contient une allusion au bref séjour que fit César dans cette ville: XVII K. Sept, uenerat die XXVIII (= « après 27 jours de voyage ») Seleucia Pieria (port situé à proximité d'Antioche) C. Treboni libertus, qui se Antiochaeae diceret apud Caesarem uidisse Q. f ilium cum Hirtio; arrivé le 14 août officiel à Brindes, l'affranchi a quitté Séleucie le 18 juillet; sa rencontre avec le neveu de Cicéron, apud Caesarem, ne remonte certain ement pas au-delà de quelques jours; autrement, Cicéron l'aurait précisé, comme il l'a fait pour les dates de départ et d'arrivée. D'après Le Verrier, le 18 juillet correspond au 28 mai « réel », selon Groebe au 6 mai. Or nous savons par le chroniqueur byzantin Jean Malalas que César fit son entrée à Antioche le 23 du mois Artémisios 25; l'enquête minutieuse de W. Judeich, au siècle dernier, confirmée récemment par les travaux des spécialistes de la chronologie antique, a montré que cette date est donnée d'après le calendrier séleucide, en vigueur à Antioche jusqu'à l'introduction du calendrier julien, et qu'elle correspond au 16 avril astronomique26; César
3 sept, officiel) et près de 4 mois en 564/190 (l'éclipsé de lune du 14 mars astronomique tomba le 11 juill. légal); cf. E. J. Bickermann, Chronol. of the anc. World, Londres 1968, p. 163 sq. 25 Malal. IX (p. 216, 1. 17, éd. Dindorf, Corp. Script. Hist. Byz., Bonn 1831): Και είσήλυεν ό αυτός 'Ιούλιος Καίσαρ ό δικτάτωρ έν Αντιόχεια τη κγ' τοΰ Αρτεμισίου μηνός (même donnée dans le Chronicon Paschale, qui dépend de Malalas, p. 354 sq. Bonn); le chroniqueur croit que le mois Artémisios coïncidait alors exactement avec le mois de mai romain, ce qui ne s'est produit qu'après l'introduction à Antioche du calendrier julien (cf. note suivante). 26 W. Judeich, Caesar in Orient, Leipzig 1885, p. 106-110; sic, A. Schenk von Stauffenberg, Die röm. Kaisergesch. bei Malalas, griech. Text der Bücher IX-XII und Untersuchgn, Stuttgart 1931, p. 107-112; G. Downey, A history of Antioch in Syria, from Seleucus to the Arab conquest, Princeton 1961, p. 152; etc. Le calendrier séleucide, en vigueur depuis 245 av. J.-C. au plus tard et très probablement avant la mort d'Alexandre (323), n'était autre que le calendrier babylonien, dans lequel les noms des mois avaient été remplacés par les noms utilisés en Macédoine; c'était un calendrier lunaire, où chaque mois correspondait à une lunaison (29 jours 1/2). Le mois Artémisios était le même que le mois babylonien Nisanu, qui coïncidait avec la première lunaison suivant l'équinoxe de printemps; ce mois commençait avec la première appari tiondu croissant, après la nouvelle lune (cf. A. E. Samuel, Greek and Roman Chronology, Munich 1972, p. 140-144). Les Tables de la lune nous apprennent qu'en 47 av. J.-C. la nouvelle lune se produisit le matin du 23 mars «réel» (cf., par ex., E. J. Bickermann, Chronol. of the anc. Worl, Londres 1968, p. 130); le premier croissant devint visible pour la première fois le matin du 25, qui fut le 1er Artémisios; donc le 23 Artémisios coïncida, cette année-là, avec le 16 avril
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a donc séjourné à Antioche du 16 au 25 avril environ. La concordance de Groebe, fixant au 6 mai l'embarquement de l'affranchi de Trébonius, ménage un délai d'une dizaine de jours depuis sa rencontre avec le jeune Quintus, la concordance de Le Verrier un intervalle d'au moins 33 jours, beaucoup trop long27. Quelques mois plus tard, César est en Afrique du Nord, où il mène une campagne difficile contre les Pompéiens commandés par Quintus Métellus Scipion. Dans la nuit du 25 {VI Kai. Febr.) au 26 janv. 46, il lève le camp qu'il occupait depuis le 2 dans la presqu'île de Ruspina (B. Afr. 37); le 26 et le 27, il laisse sa cavalerie affronter, celle de Scipion devant Uzitta (B. Afr. 38-42), mais refuse d'engager ses légions; c'est le début du « jeu de cache-cache » qui devait se prolonger jusqu'en mars (cf. supra, p. 2.1). Les chapitres suivants du Bellum Africum racontent deux épisodes contemp orains, mais indépendants du précédent: l'abandon du siège d'Acylla par le pompéien Considius (c. 43) et l'exécution par Scipion d'un groupe de vétérans, qui faisait partie de renforts envoyés récemment de Sicile à César, mais dont la trière, déportée par une tempête, était tombée entre les mains des Pompéiens (c. 44 à 46). « A peu près à cette époque » - per id fere tempus -, l'armée de César fut victime d'un phénomène météorologique exceptionnel: une averse de grêle d'une violence inouïe (c. 47,1); l'adverbe fere et la mention, dans la phrase suivante (47,2), des déplacements de camp auxquels César pro cédait tous les deux ou trois jours depuis le départ de Ruspina suggèrent
julien (c'est bien l'équivalence indiquée par R. A. Parker-W. H. Dubberstein dans les tables de leur Babylonian Chronology, Brown Univ. St. XIX, Providence 1956, p. 44). Groebe a bien vu la portée de cette démonstration (o.e., p. 497, n. 4 et 777, n. 2; mais, p. 816, n. 1, une malencontreuse erreur a tranformé Antiochia en Alexandria). J. Carcopino a cru pouvoir s'appuyer sur les données d'un calendrier d'Antioche, reproduites par Bischoff (RE X, s. u. Kalender, 1595), pour affirmer, contrairement à Judeich et à Groebe, que le 23 Artémisios correspondait au 23 mai - donnant ainsi raison à Le Verrier - (Ces., p. ·430, η. 1 = 919, n. 190); mais il lui a échappé que ce calendrier d'Antioche était postérieur à l'introduction du calendrier julien, dont il reproduit exactement les données, en affectant les mois des noms employés dans les calendriers macédonien et séleucide. 27 Cette donné s'accorde avec un autre renseignement fourni par la Correspondance de Cicéron: le 19 juin 47 officiel, à Brindes, les informations les plus récentes en provenance d'Alexandrie n'apportent aucun écho d'un embarquement de César (AU. XI 18,1); mais, 15 jours plus tard, le 5 juillet officiel, la nouvelle de son départ est arrivée et a reçu ample confirmat ion (AU. XI 25,2); compte tenu de la durée de la traversée Alexandrie-Brindes (une vingtaine de jours en moyenne, exceptionnellement 8; cf. JR£ 2. R. II, s. u. Schiffarht, 411 Kroll), l'emba rquement de César pour la Syrie se placerait entre le 10 et le 20 juin officiel (= 30 mars et 9 avril Groebe); 7 à 17 jours plus tard, César faisait son entrée à Antioche, cf. DrumannGroebe, o. c, p. 496, n. 3. On sait que la date du départ de César d'Egypte est controversée.
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une période comprise entre le 28 janvier et le 3 ou 4 février, c'est-à-dire, d'après Le Verrier, entre le 2 et le 6 ou 7 décembre, suivant Groebe entre le 10 et le 14 ou 15 novembre. Or l'auteur du Bellum Africum précise le moment de cet incident, au moyen d'une donnée astronomique familière: la constellation des Pléiades vient d'effectuer son premier coucher héliaque du matin 28, et l'on sait que les Anciens attachaient une grande importance à cet événement, qui marquait le début de l'hiver et s'accompagnait souvent, selon eux, de graves intempéries29. Il est évident que cette conjoncture astrale n'aurait pas été consignée dans le journal de marche de l'Etat-major, si elle n'avait pas accompagné ou immédiatement précédé le phénomène météologique qu'elle avait provoqué. Les astronomes ont établi qu'au Ier siècle av. J.-C, sous la latitude d'Uzitta (+ 36°), le coucher matinal des Pléiades avait lieu le 8 nov. « réel » 30, juste avant la fourchette chronologique définie à l'aide du comput de Groebe. Au printemps 49, Cicéron, torturé par l'angoisse et l'hésitation, attend de s'embarquer pour rejoindre Pompée en Grèce; il écrit lettre sur lettre à Atticus; le 16 mai, de sa propriété de Cumes, il lui affirme que « seul l'équinoxe, qui a été extrêmement agité, me retient à l'heure qu'il est » - nunc quidem aequino ctium nos moratur quod ualde perturbatimi erat {AU. X 17,3) -. Le Verrier, pour qui cette date correspond au 16 avril « réel », justifie cette . . . inexactitude par la gêne de Cicéron, désireux de trouver une excuse, même mauvaise, à ses atermoiements31; mais comment admettre que, dans une lettre confidentielle à son ami le plus intime, qu'il tenait informé presque quotidiennement de sa perplexité et de ses tergirversations, le malheureux ait eu recours à une ficelle aussi grosse? La con cordance de Groebe fournit, ici encore, la date « réelle », qui cadre parfait ement avec le texte et avec la situation: 25 mars 49 32. 28 Vergiliarum signo confecto (47,1); A. Bouvet traduit à tort «bien qu'on eût passé l'époque du coucher des Pléiades» (in edit., Paris 1949, p. 44; avec une remarque savoureuse en note 72: «l'orage eût été moins étonnant en janvier 46 = novembre 47»: oui, certes; et pour cause...), tandis que Groebe, mal informé, croit qu'il s'agit de la «Kulmination» des étoiles (o. c, p. 816 sq. n. 3). Sur le sens du terme confici, dans cette acception, cf. A. Le Boeuffle, Le vocabulaire latin de l'astronomie, Serv. de reprod. des thèses, Univ. de Lille III, 1973, II, p. 805, n. 455. 29 Références innombrables; cf. RE XXI 2, s. u. Pleiades, H. Gundel, 2.512 sq. 30 Cf. H. Gundel, o. c, tableau col. 2.503 sq. D'après le calendrier de César et selon Pline l'Ancien, qui en a transmis les données (XVIII 225; etc.), ce coucher avait lieu le 11 nov., date qui vaut pour la latitude de Rome, au IIP s. av. J.-C. 31 Le Verrier, o. c, p. 523 (= 389). 32 L'équinoxe de printemps tombait le 26 mars selon Ovide (F. III 877 sq.), les 24 et 25 d'après Columelle (XI 2, 31), le 25 suivant Pline l'Ancien (XVIII 246).
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La supériorité du système de Groebe sur celui de Le Verrier implique, nous l'avons vu, qu'il n'y ait pas eu de mois intercalaire en 698/56. La chronique des trois premiers mois officiels de cette année ne révèle aucun indice donnant à penser qu'une telle intercalation ait été réalisée: qu'on relise la Correspondance de Cicéron ou une histoire détaillée de cette période, remplie par les conflits et les bagarres politiques, par les procès de Milon, de Bestia et de Sestius, par la fronde de Cicéron et du Sénat contre les triumvirs, qui aboutira aux accords de Lucques, les événements se suivent sans rupture ni entassement, des Ides de février aux Ides de mars. Bien plus, une lettre de Cicéron nous fournit une preuve quasi décisive qu'il n'y a pas eu d'intercalation: au milieu de février, Cicéron envoie à son frère Quintus, légat de Pompée en Sardaigne, une gazette de l'actualité romaine depuis le début du mois (Q. jr. II 3); au bout de quatre pages, 11 s'arrête sur ces mots: pridie Idus Febr. haec scripsi ante lucem. Eo die apud Pomponium in eius nuptiis eram cenaturus (§ 7) - ce jour-là, le 12 févr., Atticus épousait Pilia -. Mais la lettre reprend: cetera sunt in rebus nostris huiusmodi, ut tu mihi fere diffidenti praedicabas, plena dignitatis et gratiae, et c'est l'occasion de remercier son frère pour son dévouement; puis il lui parle de ses maisons, lui réclame des nouvelles et le met en garde contre le climat de la Sardaigne, quanquam est hiems; pour finir, la date: XV K. Martias (= 15 févr.). Ainsi, comme cela lui arrive plus d'une fois, (cf. AU. III 22; Q. jr. Ill 1; etc.), Cicéron n'a pas envoyé sa lettre du 12 au matin aussitôt après l'avoir rédigée, sans doute parce qu'il n'avait pas de messager à sa disposition; trois jours après, il en a trouvé un et ajoute un post-scriptum avant de lui confier le pli. Dans l'intervalle est tombé le jour des Ides; quel est le prochain terminus ante quern? Les Calendes de mars; s'il devait y avoir intercalation le lendemain du 24 févr., Cicéron le saurait, depuis les Nones au plus tard, et daterait son postscriptum ante Kai. Intercalares, comme il allait le faire quelques années plus tard, le 26 nov. 46 (Fam. VI 14,2: V Kalendas Intercalares priores), ou, à la rigueur, ante Terminalia (cf. AU. VI 1, 1). L'argument paraît sans réplique; il ne l'est pas tout à fait, si L. A. Constans a raison lorsqu'il suggère, dans une note de son édition33, que les dernières lignes pourraient ne pas être un post-scriptum de la lettre du 12 févr., mais la fin d'une autre lettre écrite le XV Kal. Mart, dont le
33 T. II, Paris 1941, p. 186 sq.; Constans reprend une hypothèse lancée par A. A. Koerner, De epistulis a Cicerone post reditum usque ad finem anni A.V.C. 700 datis Quaestiones chronologicae, Leipzig 1885, p. 15.
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début aurait disparu, et avoir été réunies à tort par les copistes à la lettre du 12 - accident dont la Correspondance offre maints exemples (cf. en particulier Q. fr. II 4 et 4 a, de mars 56) -. Du coup, il ne serait pas impossible que cette fin de lettre eût été écrite le XV Kal. Mart, dans le mois intercalaire, exactement le 14 de ce mois, qui aurait compté 27 jours; ce serait même l'hypothèse la plus probable, les courriers entre Rome et la Sardaigne étant trop rares pour que Cicéron ait expédié à son frère deux lettres à trois jours d'intervalle. Mais la suggestion de Koerner et Constans mérite-t-elle d'être retenue? Aucun des deux arguments avancés par Koerner n'est solide: rupture entre le § 6 et le § 7 {cetera sunt . . .)? Elle s'explique aisément par l'intervalle de trois jours; d'ailleurs, le mot cetera constitue un « raccord » satisfaisant. Cicéron ne parle pas de la séance du Sénat tenue le 15? Il a fort bien pu écrire son post-scriptum le matin, avant la séance, comme il l'avait fait le 12 pour les §§ 1-6; au reste, l'ordre du jour - audience des ambassadeurs étrangers - ne présentait sans doute pas d'intérêt parti culier pour Quintus34. Inversement il serait très surprenant que Cicéron eût terminé sa lettre du 12 sans exprimer à son frère, par une formule finale, son affection et sa sollicitude, comme il l'a fait dans les autres lettres qu'il lui a adressées en Sicile (II 1; 2; 4 a; 5; 6); c'est qu'il se réservait d'ajouter quelques lignes au moment de l'expédition 35. Ainsi, pour la période qui va de 698/56 à 708/46 inclus, le système élaboré par Holzapfel, répandu par Groebe sort indemne des attaques qu'il a subies et renforcé par des preuves convergentes et, nous l'espérons, con-
34 On peut en dire autant du mariage d'Atticus: Cicéron n'avait guère l'habitude de raconter, dans ses lettres, des scènes de la vie privée. 35 Dans une autre lettre à Quintus, postérieure de quelques semaines à celle du 12-15 févr. 56 (II 4 a, 5 Constans = 4, 7), Cicéron écrit cette phrase: atque adhuc clausum mare fuisse scio; le passage a été rédigé soit à la fin de mars, comme le pense Constans (o.e., p. 187; après W. Sternkopf, dans Hermes, XXXIX, 1904, p. 405 sqq.), soit dans la deuxième quinzaine de ce mois, comme le veulent R. Y. Tyrrell-L. C. Purser (in edit, comment., II2, Dublin 1906, p. 48; à la suite de Th. Mommsen, in Ges. Schriften, VII, p. 19); dans les deux cas, l'affirmation paraît difficilement compatible avec le système de Le Verrier, qui identifie le 25 mars officiel au 23 mars «réel» et le 20 mars officiel au 18 mars «réel»; sans mois intercalaire, les dates correspondantes proposées par Groebe sont le 1er mars et le 24 février. Or on sait que la période théorique du mare clausum, à laquelle Cicéron se réfère ici, prenait fin dans les premiers jours de mars; le terme ultime, indiqué par Végèce (IV 39), est le 10 mars. Mais E. de Saint-Denis a montré que les limites du mare clausum étaient élastiques, d'autant plus qu'elles n'avaient pas reçu de consécration officielle et que, dans la pratique, l'activité maritime était ralentie, mais non pas interrompue (Mare clausum, dans REL, XXV, 1947, 196-214);
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vaincantes 36; inversement, les arguments mis en avant, depuis un demi-siècle, par d'éminents savants français pour réhabiliter le système de Le Verrier ne résistent pas à une critique attentive et les difficultés qu'il soulève nous ont paru insurmontables. En prenant parti, nous nous exposons au risque d'être, à notre tour, pris à partie; sur de tels sujets plus encore que sur d'autres, la controverse est souvent génératrice de progrès; puisse la vérité historique y trouver son compte!
ajoutons qu'avant la réforme de -45, le flottement du calendrier officiel rendait impossible la détermination de dates légales fixes, pour les activités saisonnières. 36 Dans sa reconstitution du calendrier des années 63 à 45, Groebe a intégré la succession régulière des Nundinae, qui revenaient tous les huit jours, et l'a consignée dans ses tableaux de concordance: scrupule remarquable, dont Le Verrier ne s'est pas encombré. Pour établir cette grille, il est parti des deux seules données sûres que nous possédions: Nundinae du 21 nov. (X Kal. Dec.) 697/57 et des Kalendae Ianuariae de 702/52; pour les périodes antérieure au 21 nov. 57 et postérieure au 1er janv. 52, il a procédé à une simple extrapolation, invéri fiable; mais, entre ces deux dates, il fallait nécessairement que le compte fût rigoureusement exact; or il l'est, sans mois intercalaire en 698/56 (la démonstration de Groebe a été résumée et confirmée par A. W. Lintott, Nundinae and the chronology of the late Roman Republic, dans Class. Quart. XVIII, 1968, p. 192 sq.). Si l'on faisait entrer en ligne de compte l'intercalation de 23 jours admise par Le Verrier, il y aurait une discordance d'1 jour (23 = [8x3] - 1). Sans doute a-t-il pu arriver, comme l'a indiqué A. K. Michels (The Calendar of the Rom. Rep., Princeton 1967, p. 78), que des Nundinae fussent reportées ou annulées: on sait que certaines superstitions faisaient redouter la coïncidence entre Nundinae et Calendes de janvier ou Nones de n'importe quel mois (Macr. Sat. I, 13, 16); mais, alors qu'en fait ces coïncidences étaient fréquentes, le jeu des nombres veut qu'entre 696/58 et le 1er janvier 702/52 la périodicité des Nundinae ne les ait pas fait tomber un 1er janvier. D'autre part, rien ne suggère qu'en cas de report d'un jour de marché, le décalage se soit répercuté sur toute la suite des Nundinae; le plus probable est que, dès le marché suivant, on revenait à l'échelonnement antérieur. L'argument conserve donc toute sa valeur.
RAYMOND BLOCH
RELIGION ROMAINE ET RELIGION PUNIQUE À L'ÉPOQUE D'HANNIBAL « MINIME ROMANO SACRO »
II peut paraître ambitieux de vouloir apporter du nouveau sur les rapports religieux entre Rome et Carthage aux différents siècles et, en parti culier, à l'époque cruciale de la deuxième guerre punique. La voie a cependant été ouverte par les découvertes fécondes de Pyrgi. Par l'intermédiaire étrusque, nous le constatons aujourd'hui, la religion romaine et la religion punique ont été en étroit contact sur le sol italien dès l'époque archaïque. Nos der nières recherches semblent l'avoir mis en lumière, ces rapports subsisteront plus ou moins consciemment par la suite et la crise de la deuxième guerre punique les fait resurgir à nos yeux. A Jacques Heurgon, au savant et à l'ami, sont dédiées les réflexions qui suivent et dont je l'ai souvent entretenu. Il n'est pas facile pour nous, modernes, d'analyser en profondeur les caractères du sentiment religieux chez les Anciens et en particulier, pour ce qui nous intéresse aujourd'hui, chez les Romains. Peuple d'organisateurs, de soldats, de conquérants, voilà comment ceux-ci nous apparaissent, mais les données intimes de leur conscience religieuse sont moins aisées à saisir. Pourtant, en quelques pages de son beau manuel, Jean Bayet parvient à les définir et, s'attachant à deux expressions spécifiquement latines Pax deorum et Religio, il écrit: « Les Romains désirent, à chaque instant de leur vie publique, la " paix des dieux ", c'est-à-dire l'assurance qu'au-delà de leur nature et de leur activité humaine, ils ne rencontrent pas, s'opposant à leur vouloir, la réaction hostile des dieux, y compris (ceci est important) ceux de l'adversaire et ceux dont la cause est douteuse » l. Dieux de l'étranger, dieux de l'ennemi: il est vrai que tout au long de son histoire, Rome n'a pas hésité à introduire sur son sol des divinités étrangères, latines, italiques, grecques ou orientales, dont l'appui lui semblait
1 J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Paris, Payot, 2e éd., 1969, p. 58 sq.
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hautement souhaitable et nulle civilisation ne s'est montrée plus ouverte aux cultes du dehors, pourvu que ceux-ci soient reconnus officiellement et adoptés par les plus hautes autorités religieuses de la cité. Pour les dieux de l'ennemi, un tel accueil ne pouvait se faire qu'au terme de campagnes victo rieuses, et juste avant que l'assaut final ne fût donné aux villes vaincues. Nous connaissons quelques cas historiquement attestés du vieux rituel de Yevocatio. Véies au début du IVe siècle av. J.-C, Carthage au milieu du second siècle av. J.-C. se virent ainsi privées, au moment décisif, de l'appui et de la présence de leur déesse poliade2. La première vint à Rome sous le nom de Juno Regina, la seconde sous celui de Juno Caelestis. La personnalité de Junon, la déesse de loin la plus importante de Rome avait toujours été riche et multiforme, le nombre des épithètes qu'elle portait et des fonctions qui étaient les siennes le prouve suffisamment3. Comme Regina et comme Caelestis, elle vient à Rome représenter les déesses poliades de ses plus farouches ennemis, les Etrusques et les Puniques. Mais une telle identification ne date-t-elle, comme on le pense le plus souvent, que du moment des assauts terminant des guerres inexpiables? A la réflexion, la chose aurait été peu vraisemblable. Comment, au dernier moment, juste avant de lancer ses soldats vers l'assaut, le pillage et la destruction, le génér al romain aurait-il pu s'adresser à une divinité qui lui aurait été absolument étrangère et à laquelle il aurait, arbitrairement et pour la première fois, donné le nom de la Junon romaine4? En fait, le processus a été bien diffé rent et il a fallu attendre les découvertes de Pyrgi pour que nous compre nionscomment ces transferts de divinités ont pu réellement avoir lieu. Déjà, vers 500 avant notre ère, tout près d'une Rome encore étrusquisée, le Roi étrusque de Caere honorait sa grande déesse, Uni, sous ce nom qui était le sien et aussi sous le nom d'Astarté, la grande déesse sémitique5.
.
2 Cf. Tite-Live, V, 21, pour l'evocatio par Camille de l'Uni de Véies et Macrobe, III, 9, pour l'evocatio par Scipion Emilien de l'ensemble des dieux de Carthage et particulièrement de sa déesse tutélaire. On peut toujours se référer à V. Basanoff, Etude d'un rituel militaire romain, dans Bibl. de l'Ecole des Hautes Etudes, Sciences religieuses, LXI, 1947. Cf. aujourd'hui, et dans le présent volume, p. 521, à propos de l'inscription concernant la prise, en Cilicie, de la ville d'Isaura vêtus, par le proconsul P. Servilius Vatia (en 75 av. J.-C), l'article de J. Le Gall, Evocatio. 3 G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, Payot, 2e éd., 1974, p. 290 sq. 4 Car il s'agit ici d'un appel bien précis à une divinité connue, en face de l'invocation générale si deus si dea est. . (Macrobe, III, 9). 5 Voir la publication initiale de M. Pallottino et coll. Scavi nel santuario etrusco di Pyrgi, dans Archeologia Classica, XVI, 1964, p. 84. Sur le problème, on se référera à mes communi-
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Pour Rome toute voisine il ne pouvait déjà s'agir, dans l'un et l'autre cas, que de Junon elle-même dont le nom était tout voisin de celui de Uni. Une telle interpretatio, reliant entre elles, de la façon la plus étroite, trois divi nités qui, sous des appellations diverses, n'en faisaient en réalité qu'une, dut rester bien vivante au cours des siècles suivants dans le cœur des Romains. Sur le Capitole, Junon, prenant sa place aux côtés de Jupiter et de Minerve dans le grand temple étrusque construit par les Tarquins, ne pouvait complètement effacer le souvenir de l'Uni toscane. Ainsi, Junon, Uni, Astarté, puis, certainement à la place de cette der nière, Tanit, tous ces noms ne pouvaient manquer de désigner à Rome, une même déesse, exerçant sa puissance redoutable sur trois peuples différents, amis tout d'abord et alliés entre eux et devenus, bien plus tard seulement, adversaires et ennemis mortels. Uevocatio romaine s'est ainsi exercée, en quelque sorte, en terrain familier et les généraux qui ont fait tour à tour entrer à Rome Junon Reine et Junon Caelestis, les grandes déesses d'Etrurie et de Carthage, n'ont pas adressé leurs prières à des divinités qui leur étaient étrangères. Ils avaient en face d'eux, sous des vocables différents, la Junon protectrice de Rome et les exemples célèbres du rituel de Vevocatio romaine se sont adressés aux puissances bien familières qu'avait honor éesdans sa double dédicace, gravée sur feuilles d'or, le souverain de Caere, Thefarie Velianas. Voici que se trouvent singulièrement enrichis le champ et la durée d'une interpretatio jusqu'ici considérée en quelque sorte comme ponctuelle, comme née au moment même de la disparition de la Véies étrusque et de la Carthage punique ou bien peu auparavant. On comprend à présent pour quoi, au moment où Hannibal faisait trembler Rome, tous les esprits se tournèrent vers Junon, honorée par eux sous diverses épithètes, et surtout vers Juno Regina, la vieille déesse étrusque venue de Véies sur l'Aventin6. Une autre Junon, celle de Lanuvium, qui gardait tous les traits d'une divinité guerrière et poliade étrusque, avec sa lance, son bouclier à double échancrure et ses chaussures à la poulaine, ses calcei repandi7, reçut en 217 des honneurs exceptionnels qu'exigeaient des prodiges survenus en son propre temple et traduisant son trouble et sans doute sa colère8. En même
cations Ilithye, Leucothée et Thesan, CRAI, 1968, p. 366-375 et Héra, Uni, Junon en Italie centrale, Ibid., 1972, p. 384-396 6 Voir ma communication Hannibal et les dieux de Rome, CRAI, 1975, p. 14-25. 7 Cicéron, De natura deorum, I, 82. 8 Liv., XXI, 62.
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temps, sans que l'annalistique signale aucun prodige la concernant, la Junon Reine de l'Aventin se vit offrir par les matrones romaines une statue de bronze, signum aeneum 9. A l'approche du printemps, Hannibal ayant franchi l'Apennin, les craintes s'avivèrent et les deux déesses reçoivent de nouveaux témoignages d'une craintive dévotion 10. Dix ans après, lors de l'expédition d'Hasdrubal en Italie et des craintes qui renaissent, c'est à nouveau la Junon Reine de l'Aventin qui manifeste sa colère et dont le courroux, de toute urgence, doit être apaisé. La foudre tombe au Mont Aventin sur son sanctuaire. Un bassin d'or lui est offert alors par les matrones romaines qui lui sacrifient et une procession est organisée dans laquelle lui sont apportées deux statues en bois de cyprès qui certainement la représentent: « Duo signa cupressea Junoni Reginae portabantur » n. Statue de bronze en 217 et statues de cyprès dix ans après: en vérité ces offrandes exceptionnelles d'images de culte ne peuvent pas ne pas évo quer à nos yeux le rôle joué à Véies par la statue de la poliade Uni, que seul, selon le rite étrusque, un prêtre d'une certaine famille pouvait toucher 12 et sur laquelle au moment de Yevocatio Camille osa porter la main, απτό μεν ο ν της Θεοϋ 13. Par la suite, les Romains ne cessèrent pas de ressentir, en quelque sorte, la présence physique de la déesse dans son image de culte dont le transfert à Rome restait dans leur mémoire et, s'il la redoutèrent tant au moment du succès des armées de Carthage, c'est que depuis l'époque archaïque, depuis trois siècles, les textes de Pyrgi en témoignent, cette présence se doublait en quelque sorte de celle de la grande déesse des Puniques. Ainsi s'expliquent le nombre et la gravité des prodiges survenus alors dans le temple de Junon Reine et dans celui de Junon Lanuvienne. Tout se passe comme si la vieille divinité étrusque, toute romanisée qu'elle fût depuis plus d'un siècle et demi, était soulevée par la colère qui ne pouvait manquer de s'emparer de son homologue sémitique contre les adversaires de son armée et de son peuple. Tout devait être mis en œuvre par Rome pour apaiser un tel courroux et, pour fléchir la déesse, présente en son signum, on multiplia l'offrande de statues nouvelles. La statue de l'Uni de Véies
9 Ibidem. 10 Liv., XXII, I, 19. 11 Liv., XXVII, 37. 12 Liv., V, 22. 13 Plutarque, Camille VI, 2.
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avait, par un signe manifeste, cédé à la prière de Camille u et était venue de son plein gré dans son nouveau temple tibérin. Sans doute, en y transpor tant avec solennité de nouveaux signa, cherchait-on à répéter en quelque sorte, à plusieurs reprises, le geste initial et voulait-on installer plus solid ement encore la déesse dans un sanctuaire où elle avait bien accepté de venir mais où elle se sentait à présent comme mal à l'aise et qu'elle paraissait toute prête à quitter pour rallier le camp de son homologue carthaginois. Bien plus tard, Octave, lors du siège de Pérouse, fit transporter à Rome, à la suite d'un rêve qui l'avait agité dans son sommeil, la statue de Junon qui se trouvait encore dans la ville et qu'un hasard providentiel (mais était-ce bien un hasard?), avait sauvée de la destruction. Nul doute qu'il ne se soit agi, une fois encore, de l'ancienne Uni étrusque devenue Juno Regina dans la Pérouse romanisée 15. Ainsi la religion romaine avait beau évoluer avec les siècles, les vieux souvenirs, les anciennes craintes ne disparaissaient pas des cœurs et c'est toujours l'obstination aux mêmes gestes qui permet de calmer les inquiétudes en restaurant les vieilles alliances. Le conservatisme rituel de Rome a été souligné à plusieurs reprises 16. Les exemples que nous venons de rappeler en présentent un aspect original et saisissant. Il est rare qu'un processus religieux aussi original et complexe se double d'un parallèle manifeste et probant. Le cas de Saturne offre pourtant, à l'époque de la deuxième guerre punique, le second exemple du recours de Rome à la protection d'un dieu romain, cachant derrière lui, depuis l'époque étrusque, son homologue carthaginois. Ici aussi même dévotion déguisée à une des grandes divinités protectrices de Carthage, même recours, plus ou moins conscient, à une interpretatio etrusca d'époque ancienne. Dans le court espace de temps séparant la défaite de la Trébie et le désastre de Trasimène, figurent, à côté d'actes religieux divers et des honneurs excep tionnels rendus aux Junons d'ascendance étrusque, des cérémonies tout aussi rares offertes au principal dieu du mois de décembre, à Saturne. Le culte de celui-ci est réorganisé et prend des dimensions imprévues. Au mois de décembre, écrit Tite-Live 17, on fit un sacrifice à Rome dans le temple
14 Plutarque, loc. cit. 15 Dion Cassius, XLIII, 14, 5-6. Sur ces problèmes on se référera à Y. Roé d'Albert, Recherches sur la prise de Véies et sur Juno Regina, Annuaire 1975-1976 de 1Έ.Ρ.Η.Ε., IVe section, sous presse. 16 J. Bayet, Ouvrage cité, p. 42 sq. 17 Liv. XXII, I, 19: Postremo decembri jam mense ad aedem Saturni Romae immolatum est lectisterniumque imperatum et eum lectum Senatores straveruni et convivium publicum*
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de Saturne, un lectisterne fut commandé dans lequel ce furent les sénateurs eux-mêmes qui dressèrent le lit du dieu et un repas public fut offert. Enfin toute la ville répéta pendant un jour et une nuit le cri des Saturnales et il fut décidé que le peuple conserverait à jamais ce jour parmi les jours de fête. C'est là une véritable révolution dans le culte d'un dieu agraire, d'origine lointaine et d'ascendance complexe 18. Au-delà de toutes les hypothèses que la nature de Saturne a suscitées, l'histoire de son culte comprend, à nos yeux, trois moments décisifs qui nous sont bien connus par les données transmises par les Anciens. Le premier est la construction de son temple par les Tarquins et sa dédicace, en 497 av. J.-C, par le dictateur P. Larcius 19. La popularité de Saturne chez les Etrusques ne fait ainsi aucun doute: il se voit honoré par eux d'un temple important, situé en bonne place, au pied du Capitole, et c'est là le témoignage certain d'une dévotion attentive. Deuxième temps fort dans le destin de Saturne, celui-là même que nous avons évoqué pour l'année 217 av. J.-C, lors de l'approche d'Hannibal. Les Saturnales, vieilles réjouissances paysannes parmi d'autres, prennent place subitement parmi les plus grandes fêtes du calendrier romain et elles ne perdront jamais plus cette nouvelle importance. Troisième moment décisif: la prise de Carthage, au milieu du second siècle. Tandis que Tanit vient alors à Rome sous le nom de Junon Caelestis, par un mouvement inverse mais dont l'explication est semblable, Saturne va s'installer, sans attendre, dans l'Afrique tout récemment conquise et il va remplacer, recouvrir, le dieu mâle qui, avec Tanit, forme le couple majeur du panthéon carthaginois, Ba'al Hammon20. Un tel processus, à la lumière de ce que nous avons pu constater pour Junon, semble clair. Aux alentours de 500 av. J.-C. et peut-être même aupara vant,Rome, qui était l'alliée des Puniques et devait le demeurer pendant plus de deux siècles encore, avait dû interpréter le dieu majeur de la nation amie, Ba'al Hammon, comme un Saturne, avide lui aussi de sang humain. Les Grecs ne s'y trompèrent pas qui reconnurent à la fois dans le dieu sémitique et dans le dieu romain, leur propre Cronos. Qui sait si cette
ac per Urbem Saturnalia diem ac noctem clamatum populusque eum dient festum habere ac servare in perpetuum jussus. 18 Sur l'ensemble du problème cf. Ch. Guittard, Recherches sur la nature de Saturne, des origines à la réforme de 217 avant J.-C. dans R. Bloch et coll., Recherches sur les religions de l'Italie ancienne, Droz, Genève, sous presse. 19 G. Lugli, Roma antica. Il centro monumentale, Rome, 1946, p. 149 sq. 20 M. Le Glay, Saturne africain, Histoire, dans BEFAR, 255, Paris, 1966.
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interprétation étrusco-punique ne fut pas, en partie, à l'origine de la construction du temple de Saturne par les Tarquins? La crise de la deuxième guerre punique remet Saturne au premier plan des préoccupations. Le souvenir du parallélisme étrusco-punique est toujours bien vivant et il faut apaiser à tout prix celui derrière lequel se profile l'ombre menaçante de Ba'al Hammon. Rien n'est donc négligé pour écarter les menaces que faisaient placer sur Rome le vieux Saturne et son homologue carthaginois. De là l'instauration d'une fête à laquelle prend part le peuple tout entier: ac per Urbem Saturnalia diem atque noctem clamatum. Les textes classiques, peut-être parce qu'ils nous sont trop familiers finissent parfois par perdre à nos yeux de leur force originelle. Ces cris, répétés tout un jour et toute une nuit par la multitude, est le signe d'un désordre intérieur profond. Ils ne pouvaient guère exprimer l'allégresse au cœur de cette année terrible. Ils montaient, implorants, vers celui qui semb lait guider le bras d'Hannibal et ils avaient pour but de lui faire oublier ses terribles desseins. Etrusques et Puniques, combattant côte à côte contre les Grecs, à l'époque archaïque, sur les côtes de la mer Tyrrhénienne, avaient donc réuni la force de leurs dieux. Il se trouve que les rituels des deux nations com prenaient le sacrifice majeur, le sacrifice humain, familier à Ba'al Hammon et à Saturne. Les récits des Anciens ne manquent pas qui en témoignent. Nous savons aussi que très vite, à l'aube de son histoire, Rome s'en détourna et recourut aux sacrifices de substitution, plus conformes au tempérament latin. Déjà Numa avait réussi, par sa ruse, à convaincre Jupiter de renoncer à ses exigences initiales. Et voici qu'en 216 av. J.-C, après la bataille de Cannes, Rome semble faire machine arrière. Tandis qu'à la suite de son crime d'impureté et du suicide d'une de ses compagnes, on enterre vivante près de la porte Colline la malheureuse vestale Opimia, un couple de Grecs et un couple de Gaulois sont murés dans une crypte souterraine sur le Forum boarium 21. N'est-ce pas là, sur le plan des rituels, un processus religieux analogue à celui que nous avons déjà observé? Tout se passe comme si les autorités de Rome étaient allées chercher dans leur passé étrusque l'équivalent, non plus des dieux, mais des sacrifices des Puniques. Le ver sacrum 22, rituel de substitution d'origine italique, n'avait pas suffi, l'année précédente à restaurer la Pax Deum. Il fallait donc rivaliser avec Carthage en offrant aux dieux, au centre même de Rome, sur un
21 Liv. XXII, 57. 22 J. Heurgon, Trois études sur le ver sacrum, coll. Latomus, volume XXVI, 1957.
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espace tout chargé de traditions et de souvenirs, des vies humaines23. Ici encore le triangle se referme et la vieille religion toscane, si efficace aux mains de techniciens éprouvés, offre à l'inquiétude toujours grandissante de Rome, les moyens de sacrifier efficacement à des dieux qui pour la première fois semblent l'abandonner. Et qui sait s'il ne faut pas comprendre le choix du lieu du terrible sacrifice, bien autrement qu'ils n'a été fait jusqu'ici, mais en raison de souvenirs réels remontant aux origines mêmes du culte d'Hercule? Le héros était, on le sait, vénéré depuis une date haute sur le Forum boarium, et ses antiques lieux de culte y ont été clairement définis24. Suivant une hypothèse séduisante qu'ont proposée simultanément deux érudits, A. Piganiol et D. Van Berchem25, son premier autel aurait été, en réalité, dédié à un Melqart-Hercule par des marchands phéniciens venus commercer dans le premier port de Rome. R. Rebuffat a très finement étudié les modal itésprobables de cette présence phénicienne sur les bords du Tibre26. Comme semble devenir claire, dans ces conditions, la phrase livienne qui a fait couler tant d'encre . . . Gallus et Galla, Graecus et Graeca in Foro boario sub terra vivi demissi sunt, in locum saxo consaeptum jam ante hostiis humanis, minime romano sacro, imbutum! Le sacrifice de 216 qui voulait rivaliser avec les sombres exigences du culte carthaginois paraît à nos yeux prendre tout naturellement la suite, au même lieu et par-delà les siècles, des offrandes de vies humaines qui étaient conformes au rituel sémitique (minime romano sacro) et que demandait le dieu phénicien, installé pour un temps et avec le plein accord des Etrusques, sur les bords du Tibre. La part de la tradition étrusque réside ici dans le choix même des victimes. Les Gaulois et les Grecs représentent en effet, selon toute probab ilité, les deux nations qui, l'une au Nord, l'autre au Sud, ont menacé longue mentle destin de l'Etrurie indépendante.
23 On trouvera, dans le présent volume, p. 65 sq. les réflexions originales de D. Briquel sur «Les enterrés vivants de Brindes». 24 J. Bayet, Les Origines de l'Hercule romain, Paris, 1926 et Herclé. Etude critique des principaux monuments relatifs à l'Hercule étrusque, Paris, 1926. 25 A. Piganiol, Les origines d'Hercule, dans Hommages à A. Grenier, coll. Latomus, LVIII, Bruxelles-Berchem, 1962, p. 1261-1264, et D. Van Berchem, Hercule-Melqart à l'Ara Maxima, dans RPAA, XXXII, 1959-1960, p. 61-68 et Sanctuaires d'Hercule Melqart. Contribution à l'étude de l'expansion phénicienne en Méditerranée, dans Syria, XLV, 1967, p. 74-109 et 307-338. 26 R. Rebuffat, Les Phéniciens à Rome, dans MEFR, 78, 1966, p. 7-48. La royauté étrusque a dû accueillir favorablement leur présence.
MARIA BONGHI JOVINO
BREVE NOTA IN MARGINE AL PROBLEMA DELL'ELLENISMO ITALICO: TIPI ELLENISTICI NELLA COROPLASTICA CAPUANA
II problema dell'ellenismo italico considerato nei suoi varii aspetti cultur ali, cronologici e sociologici, è stato argomento assai dibattuto in questi ultimi tempi e svariate, quando non contrastanti, sono apparse le opinioni degli studiosi \ Tuttavia resta da osservare come, al momento attuale degli studi, urtino contro l'esigenza di una più approfondita definizione di tale problematica la indiscutibile discontinuità e le consistenti lacune del mat eriale edito. Per questa ragione mi è parso di qualche utilità presentare in questa sede alcuni tipi ellenistici delle botteghe di Capua con raffigurazioni di bambini oppure di eroti su animale. Tale soggetto risulta essere, com'è largamente noto, uno dei temi più cari alla coroplastica di età ellenistica ed uno dei più diffusi nel bacino del Mediterraneo. Generalmente l'animale è un canarino2, un pavone3, un 1 Per una valutazione recente dell'ellenismo in Magna Grecia: La Magna Grecia nel mondo ellenistico, IX Convegno di Studi sulla Magna Grecia, Taranto 1969, Napoli 1970 con relativa bibliografia. Sul rapporto dialettico tra cultura romana ed espressioni dell'ellenismo italico: Incontro di studi su «Roma e l'Italia fra i Gracchi e Siila», Pontignano 1969, in Dialoghi di Archeologia, IV-V, 1970-71. 2 In Beozia è attestato un esemplare con bambino su canarino; il bambino reca una clamide sulle spalle ed appare databile alla seconda metà del III sec. a.C. (S. Besques, Cata logue raisonné des figurines et reliefs en terre-cuite grecs, étrusques et romains, III, Paris 1972, abbr. Besques III; tav. 41 s., pp. 7 e 34 ss.). Altri esemplari sono presenti a Tarso. Uno abbastanza frammentario mostra un erote assiso su un animale ormai scomparso; è coronato di edera e reca la clamide. La sua cronologia è da fissare nell'ambito del I sec. a.C. (Besques III, tav. 347 g, p. 278). Il secondo esemplare anch'esso assai frammentario mostra un bambino a cavalcioni di un uccello (Besques III, tav. 348 e, pp. 278 e 269 ss.) con una cronologia all'età ellenistica recente. La Besques (loc. cit.) fa rilevare come a suo tempo Heuzey avesse pensato per questo esemplare che l'uccello potesse essere in realtà un'aquila per il tipo del piumaggio; in tal caso si tratterebbe di Ganimede con l'aquila. 3 Un erote trainato da due pavoni è presente in Attica con una cronologia al III sec. a.C. (J. Chesterman, Classical Terracotta Figures, London 1974, pp. 57-58, fig. 55).
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gallo 4, un cigno, un'oca 5, un delfino, un maialetto 6, un ariete 7, un caprone 8, un toro, un cavallo. Nonostante la relativa assonanza dei temi, però, ogni centro produttore compare sul mercato con alcuni tratti peculiari e caratteristici che consentono di tracciarne un profilo. Tra il materiale votivo venuto a luce nei santuarii dell'antica Capua, nella maggior parte raccolto nel Museo Campano9, sono presenti cinque pezzi tutti realizzati mediante stampi particolarmente consunti 10 e di fattura abbastanza corrente tanto da far supporre una considerevole diffusione dei tipi, anch'essa non priva di significato. Il primo esemplare (Fig. 1) rappresenta un erote, con le ali aperte, assiso di prospetto su un cigno n, con il braccio destro allungato lungo il corpo ed il sinistro mosso a circondare il capo dell'animale, ignudo e con i capelli ricadenti sulle spalle; il cigno ha il capo ritratto ed il piumaggio
4 N. Breitenstein, Danish National Museum, Catalogue of Terracottas Cypriote, Greek, Etrusco -Italian, Copenhagen 1941 (abbr. Breitenstein) tav. 85, 701, p. 74, provenienza sconos ciuta. M. M. Kobylina, Terrakotovye statuetki Panticapeja i Panagorii, Moskva 1961, tav. XV, 1. 5 II tipo è attestato a Myrina: un esemplare proveniente da Smyrne ma di fabbricazione di Myrina è conservato al Louvre (Besques III, tav. 216, 4, p. 158); l'erote, di età ellenistica recente, presenta la capigliatura con treccia centrale ed un piccolo " chignon ". Ma il tipo compar e anche a Tarso; un esemplare è presente nelle collezioni del Louvre (Besques III, tav. 348 b, p. 278) ove l'erote mostra la pettinatura di Arpocrate e regge con la mano destra una face. Un bambino (o un erote?) su oca (o anitra) di provenienza sconosciuta e molto frammentario, si trova a Copenhagen (Breitenstein, tav. 85, 700, p. 74). Altra terracotta con erote con ma schera bacchica trainato su un carro da due oche è prodotto a Myrina (E. Pottier S. Reinach, La nécropole de Myrina, Paris 1887, tav. XXXIII, n. 2, p. 415) e risulta analogo nell'impostazione ah" erote trainato dai due pavoni (V. nota 3). 6 Un esemplare di provenienza sconosciuta è al Louvre (Besques III, tav. 197 b, p. 359) e mostra un bambino con clamide. Tre esemplari con bambino disteso su maialetto sono a Copenhagen ma la loro provenienza è sfortunatamente ignota (Breitenstein, tav. 85, 696, p. 73, 697-698, p. 74). Un gruppetto con putto su maialetto è attestato a Egnazia (A. Levi, Le terrecotte figurate del Museo Nazionale di Napoli, Firenze 1926, p. 87, n. 372, fig. 71). 7 S. Mollard-Besques, Catalogue raisonné des figurines et reliefs en terre-cuite, II, Myrina, Paris 1963 (abbr. Mollard-Besques II), tav. 164 d, p. 135. 8 Mollard-Besques II, tav. 164 a, p. 135. 9 M. Bonghi Jovino, Capua preromana, Terrecotte votive I, Firenze 1965, pp. 13 ss. (abbr. CPTV I). 10 Ogni esemplare è stato ricavato da una sola matrice e poi completato a mano con la sua base di appoggio. L'argilla è quella tipica delle botteghe capuane, di colore grigiastro tendente talora al rosato con varie impurità. Sull'argilla impiegata nelle botteghe capuane: CPTV I, pp. 13 ss. 11 N. inv. 4975; alt. mass, cm 10 ν. inv. 854.
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reso piuttosto sommariamente. La parte inferiore è semplicemente indicata da uno zoccolo che assolve alla sua funzione di stabilità. I confronti con materiale analogo risultano alquanto generici. Un belli ssimo esemplare, di fattura assai fine ed accurata, presente nella collezione Loeb 12, mostra un cigno dal collo elegantemente proteso, cavalcato da un erote visto di prospetto, con il capo rivolto verso destra ed il braccio corr ispondente sollevato; un tipo dunque notevolmente diverso da quello capuano nella sua pratica realizzazione. Più prossimi non risultano né una terrecotta del Museo di Belgrado rinvenuta nel villaggio di Néhori (Amphipolis) 13 ove l'erote accusa un forte movimento di torsione, né un esemplare di Myrina con l'erote addirittura inginocchiato sull'animale mentre la base di appoggio ha assunto forma tronco-conica 14. Completamente diverso appare poi l'esem plare della collezione de Clercq di produzione tanagrina con bambino vestito di clamide e di alto berretto conico 15. II secondo esemplare capuano (Fig. 2) 16 raffigura un erote con le ali dischiuse, con la clamide che ricade sulle spalle, assiso a cavalcioni di un delfino, intento a suonare la cetra; la coda dell'animale chiude sulla sinistra la scena che a destra risulta inquadrata dalla cetra. La tipologia dell'erote su delfino, ricorrente anche in altre classi di materiale 17, nella coroplastica è attestata a Tarso 18, a Phanagoria 19 e, nell'accezione specifica dell'erote ο del bambino intento a suonare la cetra, almeno sulla base degli esemplari
12 J. Sieveking, Bronzen, Terrekotten, Vasen der Sammlung Loeb, München 1930. 13 M. Velickovic, Catalogue des terres cuites grecques et romaines, Beograd 1957, p. 101, tav. XVIII, 48. 14 Mollard-Besques II, tav. 75 b, p. 60 F. Winter, Die Typen der Figürlichen Terrakotten II, Berlin-Stuttgart 1903, p. 314, 9. 15 A. de Ridder, Collection de Clercq, VI, Les terres cuites et les verres, Paris 1909, n. 7, tav. I. 16 N. inv. 4979; G. Patroni, Catalogo dei vasi e delle terrecotte del Museo Campano a Capua, Caserta 1897-1899, n. 4755 (v. inv. 4061), p. 599; alt. mass, cm 8. Conservazione sca dente; mancano la testa e la parte inferiore del delfino. 17 V. ad esempio, tra le gemme in pasta vitrea (E. Schmidt, Antike Gemmen in Deut schen Sammlungen I, München 1970, η. 1181, pp. 102-3, tav. 126; inoltre G.M.A. Richter, Catalogue of engraved Gems, Greek, Etruscan and Roman, Roma 1956, nn. 312-314, p. 317, tav. XLII. 18 Tre esemplari al Louvre (Besques III, tav. 348 d, p. 279; tav. 348 c, p. 279; tav. 348 f, p. 279; v. ancora: Winter, op. cit., p. 310, 4). 19 Kobylina, op. cit., tav. XIII, 4. G. Kleiner, Tanagrafiguren, Untersuchungen zur Helle nistischen Kunst und Geschichte, Berlin 1942, p. 300.
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finora editi, in modo prevalente a Myrina20. I tre esemplari del Louvre mostrano l'erote assiso sul delfino in una posizione che ricorda abbastanza da vicino l'esemplare capuano. In essi la testa dell'erote è volta verso l'osser vatore, il braccio sinistro sorregge lo strumento musicale, il destro è ripiegato a suonarlo. La fattura di questi esemplari di Myrina è molto fine, il ritocco accurato, l'insieme di una certa eleganza e scioltezza formale. Secondo la Besques21 proverrebbero addirittura dalla stessa matrice; talune differenze, tuttavia, che non sembrerebbero dovute a solo ritocco, mi pare facciano piuttosto pensare a varianti da un unico prototipo22. Comunque sia, l'el emento più importante che emerge è che senza dubbio alcuno la produzione capuana fu influenzata dal modello di Myrina. Alquanto isolata a livello di confronti appare invece una terrecotta (Fig. 3) con un bambino con cornucopia nella mano sinistra seduto di pro spetto su un cane23. Non sono riuscita a trovare comparanda pertinenti in ambiente italico e confronti specifici in ambiente mediterraneo talché direi che si tratti di una elaborazione indigena su modelli ellenistici. Il quarto esemplare (Fig. 4) 24 mostra un bambino assiso di prospetto su un toro; reca una face nella mano sinistra e presenta la capigliatura con treccia centrale e boccoli laterali ricadenti sulle spalle, indossa una clamide che ricopre il braccio destro e le ginocchia. Il pelame della bestia, ben salda al suolo, è appena indicato ed in modo rozzo e superficiale. Il tipo è attestato a Myrina con un esemplare tardo e firmato25 ma sostanzialmente differente. Ancora a Myrina riporta l'ultimo pezzo (Fig. 5) 26 che mostra un bam bino assiso a cavalcioni su un cavallo mentre tira le redini con entrambe le mani; indossa un mantello che ricade sul dorso della bestia. La testa equina è resa sommariamente, la criniera accennata nei tratti salienti, la
20 Mollard-Besques II, tav. 76 d-f, p. 60. Pottier-Reinach, op. cit., tav. XVII, 5, pp. 339-340. 21 Mollard-Besques II, p. 60. 22 Le differenze consistono principalmente nei seguenti dati: il braccio destro del primo esemplare (tav. 76 d) risulta più accosto alla testa rispetto agli altri due (tav. 76, e, f), la clamide che compare tra le gambe dell'erote negli esemplari a tav. 76 d, e, non appare nel terzo (tav. 76 f), le code dei delfini sono completamente diverse in due esemplari (tav. 76 d, f), la stessa cetra nei tre pezzi mostra alcune sottili differenze. 23 N. inv. 4978; Patroni, op. cit., η. 4753 (ν. inv. 4056), p. 598; alt. mass, cm 9. L'esemplare si presenta alquanto danneggiato; manca la zampa anteriore sinistra della bestia. 24 N. inv. 4877; alt. mass, cm 11. 25 Mollard-Besques II, tav. 158 e, p. 131. 26 N. inv. 4976; Patroni, op. cit., η. 4747 (ν. inv. 4059), p. 597; alt. mass, cm 10.
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coda piegata ad angolo, le zampe risultano basse e tozze. Un esemplare di Myrina, dalla fattura piuttosto delicata 27, mostra un erote assiso di prospetto, con clamide, ed un cavallo agile ed elegante. Un altro dalla stessa località28 rappresenta un bambino assiso di prospetto con la gamba sinistra ripiegata e vestito di tunica. L'animale ha orecchie puntute e folta criniera ottenuta con piccoli tratti di stecca. Le zampe accuratamente rese appaiono in movi mento. Va rilevato tuttavia che l'erote su cavallo è un tema che ebbe molta fortuna anche in ambiente apulo. Un esemplare attribuito a botteghe taran tineè presente nel Museo di Legnano29; differisce da quello capuano, oltre che per il diverso impianto dell'erote e per il differente modo di rendere l'animale, soprattutto per la maggiore finezza della esecuzione. Un altro esemplare viene da Ruvo30; in questo si osserva il bambino, con mantello, seduto sulla bestia che alza la zampa anteriore sinistra. Il braccio destro è allungato, la capigliatura ricade abbondante sulle spalle, acconciata con la treccia centrale. Benché diverso dall'esemplare capuano, ha alcuni elementi di dettaglio analoghi, come, ad esempio, il rendimento della coda del cavallo. Altri due pezzi provengono assai probabilmente dalle stesse botteghe31. Il primo mostra il bambino adorno di corona sul capo e sostan zialmente diverso, il secondo più affine nell'inquadramento generale. Alcuni schemi ed alcuni temi, dunque, come l'erote su cavallo, cont inuano a legare il centro di Capua, come già è stato documentato per le epoche precedenti, alla produzione di ambiente apulo e, più specificamente tarantino32, per quel che concerne l'erote su delfino si può parlare invece di un più stretto legame tra Capua e Myrina, gli altri due esemplari, l'erote su cigno ed il bambino su toro ripetono in forma modesta soggetti generici di età ellenistica, l'ultimo, il bambino su cagnolino appare un prodotto abba-
27 Mollard-Besques II, tav. 76 e, p. 60. 28 Nell'esemplare precedente come in questo il bambino è seduto su cavallo che avanza verso destra (Mollard-Besques II, tav. 157 a, p. 131); altri tre esemplari più ο meno analoghi sono conservati al Louvre, come quelli di cui è stato fatto cenno (Mollard-Besques II, tav. 157 e, tav. 158 a, d, p. 131). 29 M. Bonghi Jovino, Documenti di coroplastica italiota, siceliota ed etrusco-laziale nel Museo Civico di Legnano, Firenze 1972, tav. XXXIII, 121, p. 66. 30 Breitenstein, tav. 81, 664, p. 70. 31 Breitenstein, tav. 81, 665-666, p. 70. 32 M. Bonghi Jovino, Una tabella capuana con ratto di Ganimede ed i suoi rapporti con l'arte tarantina, in Hommages à M. Renard, IH, Bruxelles 1969, pp. 66-78. M. Bedello, Capua preromana, Terrecotte votive IH, Testine e Busti, Firenze 1975, p. 22 ss.
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stanza peculiare delle botteghe indigene come documenta la scarsezza dei confronti. Riportando queste poche annotazioni specifiche su un piano più gene rale può dirsi che tutti e cinque i pezzi rientrino nell'ambito della prima corrente stilistica capuana che vede una locale adesione ai prototipi del l'el enismo mediterraneo 33. Affiora quindi l'ipotesi che i committenti capuani abbiano voluto esprimersi mediante questo linguaggio che peraltro ben si innestava sulla situazione culturale precedente. Per concludere dirò infine che, come sovente accade, modesti dati fanno riflettere su fenomeni di più ampio respiro. Vorrei pertanto, sulla scia del dibattito di Pontignano 34, fare qualche scarna osservazione sul problema del l'el enismo in Roma alla luce appunto di quel che viene lentamente emer gendo dallo studio di Capua preromana. Ciò perché viene fatto di chiedersi se il fenomeno dell'impegno « classicistico » di Roma non possa essere stato determinato da molteplici elementi convergenti e non soltanto da un ben preciso calcolo politico nell'ambito di una dialettica interna. Tali elementi, a mio avviso, già fin d'ora possono essere indicati nella esigenza di sfuggire alla morsa della koinè dell'ellenismo italico potenziato da una città ancora viva all'epoca, come, ad esempio, Capua35, nel desiderio di affermare una scelta culturale che si contrapponesse nello stesso tempo a quella elaborata nelle grandi sedi dinastiche e terzo, ma non ultimo punto, nella adesione ad un tipo di produzione come quella classicistica, dichiarat amente sofisticata, perché congeniale ad alcuni settori dell'aristocrazia nel rispetto e nell'ammirazione dell'arte attica che così attivamente aveva agito nella formazione del gusto romano36. Ma su questa problematica mi riprometto di ritornare molto più approfonditamente in altra occasione.
33 M. Bonghi Jovino, Capua Preromana, Terrecotte votive II, Le statue, Firenze 1971, p. 28 ss.; id., in XI Convegno di Studi sulla Magna Grecia, Taranto 1971, Napoli 1972, (Le genti non greche della Magna Grecia), pp. 337 ss. 34 Dialoghi di Archeologia, R. Bianchi Bandinelli, pp. 173, 212 ss, le conclusioni di F. Coarelli, pp. 264-265, le osservazioni di M. Torelli, pp. 271 ss. 35 Dialoghi di Archeologia (v. a nota 1), W. Johannowsky, pp. 187 ss. 36 G. Becatti, Arte e gusto degli scrittori latini, Firenze 1951, pp. 22 ss.
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Fig. 2.
Fig. 1.
Fig· 3.
Fig. 4.
Fig. 5.
BERNARD BOULOUMIE
UN VASE ÉTRUSCO-CORINTHIENi?) TROUVÉ EN ALSACE?
Le Musée de Saint-Rémy, à Reims, possède un vase encore inédit, et qui, à bien des égards, mérite l'attention des spécialistes 1. Il s'agit d'une olpè de type étrusco-corinthien (inv. n. 948-10-2), à décor d'écaillés, en parfait état, ou presque2, provenant d'une collection privée de Nancy (coll. Payard). Sous la base, une étiquette collée porte la mention suivante: « Trouvé à Haguenau. Bas-Rhin». On manque, bien entendu, de précisions sur les circonstances de la découverte, de même que sur l'époque où cette pièce est entrée dans la collection Payard. Et pourtant, il est bien étrange que pareille trouvaille n'ait été connue et remarquée en son temps3. L'excellent état de conserva tion du vase, son caractère extraordinaire - insolite, même - sont autant de points d'interrogation. S'agit-il d'un faux? L'étiquette provient-elle d'un autre objet de la même collection, intentionnellement ou non? Faute d'él éments de réponse, il convient d'examiner Volpè pour elle-même, avant de la replacer dans son éventuel contexte de découverte.
1 J'ai plaisir à remercier ici Monsieur F. Pomarède, Conservateur des Musées de Reims, qui m'a fourni, avec beaucoup d'amabilité, les renseignements nécessaires sur ce vase. Madame Mollard-Besques (Louvre) m'en avait signalé l'existence, il y a quelques années. 2 Hauteur, anse comprise: 0,212 m. Hauteur sans l'anse: 0,197 m. Diamètre maximum: 0,135 m. Epaisseur moyenne de la paroi: 0,006 m. L'anse et une partie de l'ouverture ont été recollées. Sur le flanc, on distingue une fente et un petit trou. Quelques éclats, en surface, et l'usure de la panse, pourraient témoigner d'un nettoyage hâtif et négligent au moment de la découverte. 3 Toutefois, issue du même territoire de Haguenau, une Schnabelkanne en bronze a eu un sort identique (cf. B. Bouloumié, Les œnochoés en bronze du type Schnabelkanne en France et en Belgique, dans Gallia 31, 1973, fase. 1, p. 3): le vase, retrouvé en fragments dans le musée de Haguenau, a été restauré en 1952. Il portait, lui aussi, une étiquette: « Forêt de Haguenau», et appartenait primitivement à la Collection Nessel. F. A. Schaeffer (Les tertres funéraires préhistoriques de la Forêt de Haguenau, Haguenau 1930) ne fait aucune allusion ni à l'œnochoé de bronze, ni à Volpe.
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Bien qu'elle figure au Musée de Reims sous cette dénomination, il ne s'agit pas d'une olpè en bucchero. D'un point de vue typologique, il est aisé de marquer les distinctions: notre vase n'a pas le profil biconique caractéristique, comporte des appendices latéraux de part et d'autre de l'anse, présente un cordon situé exactement à la séparation du col et de la panse (et non plus bas), repose sur une base presque inexistante, enfin est orné d'un décor différent 4. Tout invite à éliminer, donc, cette attribution, d'autant que la couleur et la qualité de la pâte (brun chamois) nous en éloignent d'une façon imperative5. Or, presque tous les critères qui nous ont fait refuser l'hypothèse du bucchero - décor d'écaillés, appendices à la naissance de l'anse, cordon à la base du col, pâte claire, forme pansue - nous orientent vers un autre secteur des productions étrusques: les olpai étrusco-corinthiennes. Les écailles apparaissent sur de nombreux vases, qu'on ne saurait énumérer ici. J'en citerai quelques représentants, à titre de jalons chronologi ques, ou pour marquer des ateliers de production. On a considéré à tort6 comme corinthienne, du style de transition, une olpè découverte au cours de sondages à la périphérie de Syracuse, au-dessus de la tombe A7. Ici, les écailles, incisées selon la tradition, sont rehaussées de petits points jaunes, et, sans parler des bandes peintes sur la panse, et de la partie inférieure à motif rayonnant, on note que l'anse
4 Pour les olpai en bucchero, je renvoie à N. H. Ramage, Studies in Early Etruscan Bucchero, dans PBSR XXXVIII, 1970, p. 31-32 et fig. 11 (2, 4, 5), fig. 21 (1, 2, 3). Pour la décor, voir note 41. 5 II existe, à vrai dire, quelques exemplaires de bucchero dont la forme est très voisine. Ainsi, dans la tombe VI du secteur Casalaccio, à Véies (cf. R. Vighi, Veio. Scavi nella necrop oli, degli alunni dell'anno 1927-28 del Corso di Topografia dell'Italia Antica della R. Univers ità di Roma, dans NSA 1935, p. 39-68), avec des dimensions comparables (H. = 0, 200 m sans l'anse). Mais l'épaule est décorée d'éventails, et la panse, de lignes horizontales (pas d'écaillés). L'anse ne remonte pas au-dessus du niveau de l'ouverture, et la petite base a une plus grande autonomie (p. 56, fig. 6, et p. 57, s.n. 12), VIIe, VIe siècle av. J.-C. De toute façon, cette olpè dérive en droite ligne du prototype corinthien. Elle en est même une reproduction très fidèle. 6 G. Colonna (II ciclo etrusco-corinzio dei Rosoni, dans SE XXIX, 1961, p. 66-67) l'attribue aux ateliers étrusco-corinthiens. 7 G. V. Gentili, Siracusa. Saggio di scavo a sud del Viale Paolo Orsi, in predio Salerno Aletta, dans NSA 1954, p. 304-305, fig. 3, 1.
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- flanquée de deux appendices plus développés que sur le vase de Reims ne remonte pas au-dessus du niveau de l'anse. Dans le même esprit, une « œnochoé » trouvée à Véies (Quattro Fontan ili)présente des écailles, également incisées, mais qui sont peintes en alternance en clair et en foncé8. Avec ses bandes peintes, son anse bifide et sa partie inférieure à décor rayonnant (dents de loup), elle se rapproche beaucoup de la précédente. J. Ward-Perkins en fait, d'ailleurs, un produit étrusco-corinthien. De ces productions étrusco-corinthiennes, on rencontre souvent des olpai à corps orné de zones d'animaux de style orientalisant, caractéristique de ces séries 9. On en retiendra surtout, comme point commun avec les deux exemplaires qu'on vient d'examiner, la forme générale et le fond à motif rayonnant. Ces frises d'animaux sont parfois associées à des motifs incisés sur le fond noir de Volpè, dans sa partie supérieure, héritage de techniques qui remontent au protocorinthien, et dont on trouve d'intéressants documents à Véies même 10. Or, c'est précisément à Véies qu'on situe le plus grand nombre de décors en écailles. La Tombe Campana, en particulier n, contenait une olpè caractérisée par des appendices de petites dimensions 12. L'épaule présente quatre étages d'écaillés. Au-dessous, on distinguait des bandes peintes hori zontales, jusqu'à la base 13. Il s'agirait d'un des plus anciens groupes de vases
8 J. Ward-Perkins, Veil The Historical Topography of the Ancient City, dans PBSR XXIX 1961, p. 114 et pi. XXX. 9 J. Gy. Szilâgyi, Remarques sur les vases étrusco-corinthiens de l'Exposition Etrusque de Vienne, dans AC XX, fase. 1, 1968, p. 1-23, et pi. I, 1; H, 2; V à IX; XIV, 2. 10 F. Zevi, Nuovi vasi del Pittore della Sfinge Barbuta, dans SE XXXVII, 1969, p. 43-44, pi. XVI. Le rôle de l'incision sur ce type de vases, et l'influence des productions de bucchero ou de bronze avaient déjà été bien mis en évidence par J. Gy. Szilâgyi, Italo-Corinthiaca, dans SE XXVI, 1958, p. 277-278. 11 M. Cristofani, F. Zevi, La Tomba Campana di Veio. Il corredo, dans AC XVII, fase. 1, 1965, p. 31. 12 Ce qui serait un signe d'antiquité, ces appendices étant plus développés dans les productions italo-corinthiennes tardives. Cf. M. Cristofani - F. Zevi, op. cit., p. 31, note 105. 13 En réalité, on ne connaît ce vase que par le dessin d'ensemble de Canina. M. Cristofani et F. Zevi ont l'air de penser qu'en fait, les écailles n'étaient pas peintes: « Le squame sono rese come fossero dipinte in chiaro su fondo scuro; ma, anche se esiste una classe di olpai squamate di questo tipo, è molto probabile si tratti di un espediente del disegnatore per rendere evidente la decorazione incisa». Je ne comprends pas bien, à dire vrai, sur quoi ce raisonnement s'appuie, car cette catégorie d'olpai à écailles peintes en alternance est attestée à Véies même, aux Quattro Fontanili. Cf. le vase cité plus haut, qui est, d'ailleurs, mentionné à la note 108 de la même page 31 (M. Cristofani - F. Zevi).
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étrusco-corinthiens. Une autre tombe, celle des Quaranta Rubbie 14, en a fourni huit, associées à des olpai protocorinthiennes. « II est probable, donc, qu'il a existé à Véies un atelier à'olpai à écailles, et qu'il faille placer le début de son activité à une époque assez ancienne; du reste, il est tout à fait compréhensible que les premières imitations italo-corinthiennes se soient rabattues sur ces types qui, en raison de la simplicité de la décoration et du répertoire purement ornemental, ne comportaient pas la nécessité d'une tradition figurative locale » 15. Tout cela explique aussi que les olpai à écailles aient conservé la forme typique de Volpe protocorinthienne, même beaucoup plus tard, dans les premières décennies du VIe siècle, où l'on rencontre des olpai à écailles incisées (graffite) associées, comme à Vulci, par exemple, à d'autres olpai plus récentes en principe, dont les écailles sont peintes en clair, et même plus tard encore, en foncé 16.
Reste à présent à trouver des éléments de comparaison tels qu'ils nous permettent d'affirmer que Volpè du Musée de Reims correspond bien aux olpai a squame graffite datées à Véies du dernier quart du VIIe siècle. Or, c'est là que les difficultés apparaissent. Faut-il parler de l'anse, dont le profil n'a pas un caractère typiquement étrusco-corinthien, loin de là? Conten tons-nous de juger du décor. Il est limité, ici, aux seules incisions, très maladroites et inégales. S'il y a eu des traces de peinture, elles ont toutes disparu, rien n'en subsiste, pas plus sur les écailles que sur le reste du vase. Tous ces détails 17 nous contraignent à un certain scepticisme devant notre olpè. L'absence totale de pièces comparables, le style bâtard du vase pourraient, à la rigueur, indiquer une production marginale (mais pas nécessairement tardive), une imitation plutôt, réalisée quelque part en Etrurie 18.
14 A. Adriani, Veto. Scavi nella necropoli degli alunni dell'anno 1926-27 del Corso di Topografia dell'Italia antica della R. Università di Roma, dans NSA 1930, fase. 1-3, p. 57-66, fig. 10 et pi. II. 15 Ibid., p. 32. 16 Ce paragraphe s'inspire directement de l'étude déjà citée de M. Cristofani - F. Zevi, p. 32-33. 17 Cf. également ce que j'ai dit à la note 5. 18 Je n'ai pas l'impression que nous ayons affaire à un faux, bien que l'hypothèse ne soit pas à exclure. Quand j'emploie le terme de «bâtard», je veux dire qu'il s'agit d'un mélange
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Le problème que pose la présence de cet objet en Alsace n'en est pas pour autant résolu. Si l'on admet que Volpe a été réellement trouvée à Haguenau 19, elle devra figurer parmi les plus prestigieuses des importations méditerranéennes au voisinage du Rhin. Les importations, on le sait, ne manquent pas dans cette région. C'est même là qu'on rencontre la plus grande concentration de Schnabelkannen. Sur la rive gauche du fleuve, on trouve un exemplaire à Hatten, un autre à Haguenau, et, toujours pour le département du Bas-Rhin, les deux exemp laires de Sesenheim et de Sufflenheim. J'y ajouterai deux autres vases pro venant l'un de la Collection Morin-Jean, l'autre de la Collection Hunt20. Dans le même secteur géographique, on doit leur associer la Schnabelkanne du Luxembourg (Wasserbilig) et toutes celles qui ont été découvertes entre Karlsruhe et Cologne, avec un groupement très marqué en Sarre21. Les autres vases en bronze, d'origine méditerranéenne, découverts dans l'Est de la France, sont tout aussi remarquables. Je citerai les deux stamnoi 22 de Basse-Yutz (Moselle), la pyxide23 et les deux coupes d'Appenwihr (HautRhin). On considère encore comme importation un rasoir en bronze24 provenant de la Forêt de la Hardt, près de Colmar (Haut-Rhin). Enfin, une
de styles (étrusco-corinthien, protocorinthien et bucchero) auxquels il faut ajouter l'étonnant amalgame d'une anse qui reproduit un modèle métallique. 19 Qu'on ne voie pas là un excès de scepticisme, mais un simple souci de prudence. Puisque nous ne savons rien sur les conditions de découverte du vase, nous sommes en droit d'émettre des réserves - comme hypothèse de travail - sur sa provenance. Ce ne serait pas la première fois qu'un objet acheté en Italie ou sur le marché de l'antiquariat, se retrouverait muni d'une étiquette erronée, l'associant à des pièces de provenance locale. 20 B. Bouloumié, op. cit., cf. note 3. 21 Je les ai recensées dans Les œnochoés en bronze du type Schnabelkanne en Italie, Collection de l'Ecole Française de Rome, 15, Rome 1973, Répertoire complémentaire, p. 166 et suiv. 22 Une place de choix leur est réservée dans l'étude que j'ai consacrée aux situles et stamnoi trouvés en Gaule. A paraître prochainement dans Gallia. 23 J. J. Hatt, Appenwihr, dans Gallia 14, 1956, p. 294-297. 24 H. Zumstein, L'Age du Bronze dans le département du Haut-Rhin, II, dans RAE XVI, 1965, 1-2-3, p. 11, fig. 44, η. 285. L'indication «tumulus de la Hardt» paraît peu sûre, l'objet étant issu d'une collection privée, achetée en 1869 par le Musée de Colmar. De toute façon, il me semble inutile de baptiser villanovien ce rasoir qui peut fort bien avoir été fabriqué au nord des Alpes.
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pointe de flèche « en feuille de saule », à soie nervée, a été signalée à Xermaménil (Meurthe-et-Moselle): elle aurait une origine grecque25. On admettra, je pense, qu'on puisse citer dans le même courant d'importations une pièce aussi extraordinaire que l'hydrie de Graechwil26, qui constitue, par ailleurs, un chaînon capital dans la chronologie des rapports entre le monde celtique et l'Italie. La datation de tous ces objets a, en effet, une importance considérable, eu égard au problème que nous pose Volpe de Reims. Cette dernière, on l'a vu, devrait se placer à la fin du VIIe siècle ou au début du VIe siècle av. J.-C. Or, les Schnabelkannen ont été datées du Ve siècle, sauf pour Hatten, dont le mobilier peut être situé aux alentours de 500 av. J.-C.27. Les stamnoi de Basse-Yutz sont aussi du Ve siècle. Seul le matériel d'Appenwihr présente un aspect archaïque, qui nous entraîne au début du VF siècle, et en fait, par conséquent, une importation - si importation il y a28 originaire d'Etrurie. Et, à la même époque, début VIe siècle, nous trouvons donc aussi l'hydrie de Graechwil29. Du côté allemand, les deux œnochoés fragmentaires de Vilsingen et de Kappel am Rhein30 viennent, à leur tour, s'insérer dans le répertoire des pièces les plus anciennes. Je ne crois guère qu'il s'agisse de vases grecs,
25 O. Kleeman, Notices sur le commerce grec. Pointes de flèches helléniques trouvées en France, dans RAE VI, 2, 1955, p. 149. 26 H. -A. Cahn, Le vase de bronze de Graechwil, dans Actes du Colloque sur les influences helléniques en Gaule. Dijon 1957, Dijon 1958, p. 21-29. 27 O. H. Frey, Die Zeitstellung des Fürstengrabes von Hatten im Eisass, dans Germania 35, 1957, t. 3-4, p. 229-249. 28 Ce qui n'a pas été prouvé encore. J. J. Hatt rapproche très justement la pyxide des « incensieri » de Vetulonia, au Musée de Florence. Mais il en souligne lui-même les singularités (motif végétal de la poignée, par exemple). L'inspiration vient en droite ligne d'Etrurie, peut-être pas la mise en œuvre. Mais on manque, en réalité, d'éléments de comparaison plus précis (J. J. Hatt, op. cit., note 21). En tout cas, je serais, pour ma part, assez favorable à la thèse de G. Camporeale (/ commerci di Vetulonia in età orientalizzante, Florence, 1969, p. 33) pour qui « la pyxide de Colmar pourrait avoir été fabriquée dans quelque atelier d'Europe Centrale, en utilisant comme modèle un encensoir de Vetulonia». Pour les vases en bronze réputés d'origine étrusque, mais provenant, en fait, du centre de l'Europe, je renvoie à mon étude sur Les cistes à cordons trouvées en Gaule (Belgique, France, Suisse), dans Gallia 34, 1976, 1, p. 1-30. 29 La datation de H.A. Cahn - fin VIIe siècle - (op. cit., p. 24) me paraît trop haute. Pour les pays au nord des Alpes, un vase ne se date pas selon des critères esthétiques, mais en fonction des autres importations dans la région envisagée. 30 P. Jacobsthal, Rhodische Bronzekannen aus Hallstattgräbern, dans JDAI XLIV, 1929, p. 198-223; O. H. Frey, Zu den «rhodischen» Bronzekannen aus Hallstattgräbern, dans Mar burger Winckelmann-Programm, 1963, p. 18-46.
UN VASE ÉTRUSCO-CORINTHIENi?) TROUVÉ EN ALSACE?
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encore moins rhodiens, et incline au contraire pour une fabrication en Etrurie31. Leur datation ne remonte pas au-delà du VIe siècle, malgré ce qu'on a pu en dire32. Ils se placent, en effet, dans le premier quart de ce siècle. Si, à présent, nous examinons les trouvailles de céramiques dans l'Est, notre embarras ne fait qu'augmenter. En Alsace, à ma connaissance, un seul site a fourni de l'attique à figures noires, Illfurth, dans le Haut-Rhin 33. Pour la région orientale de la Gaule, je ne vois, par ailleurs, que Vix (Côte-d'Or), nettement plus au sud, et le Camp de Château, à ChâteauSalins (Jura), encore plus méridional34. C'est tout pour la France, mais, à la même latitude, on n'hésitera pas à inclure le fragment de l'Uetliberg, à Zurich35, et les deux de Würzburg36, les uns et les autres à figures noires, mais de la fin du VIe siècle. Il est inutile, ici, d'entrer dans le détail des importations de toute espèce qui, justement à partir de la fin du VIe siècle, apparaissent en tant
31 L'œnochoé similaire, trouvée à Pertuis (Vaucluse) et conservée au Musée Borély, à Marseille, vient d'être restaurée. J'en ai profité pour faire nettoyer aussi le matériel métallique qu'elle contenait (Laboratoire du Centre de Documentation Archéologique de Draguignan, Var). A cette occasion, je vais publier à nouveau l'ensemble du mobilier découvert dans le tumulus, et je m'expliquerai alors sur les raisons qui me font considérer (à la suite de O. H. Frey) ces trois œnochoés comme étrusques. 32 Fr. Villard (Vases de bronze grecs dans une tombe étrusque du VIIe siècle, dans Mon. Piot, 48-11, 1956, p. 25-53) les situe plutôt dans la seconde moitié du VIIe siècle, en raison du mobilier d'une tombe de Tarquinia, dans laquelle un bassin à rebord perlé se trouve associé à des œnochoés de bucchero et à d'autres récipients de bronze. Sur les problèmes que posent la chronologie et l'origine de ces bassins, v. mon article: Les bassins à rebord perlé de Provence, à paraître à la suite de la communication que je présenterai au IVe Colloque Interna tionalsur les Bronzes Antiques. Lyon, 17-20 Mai 1976. 33 Le Britzgvberg, dans Gallia 30, 2, 1972, p. 379, fig. 4 (1 à 5). Sur cet oppidum, ont été trouvés « d'abondants fragments de céramique attique à figures noires - coupes de Droop, vers 510-500 - », dans un niveau du Hallstatt Final. 34 Si les vases attiques de Vix, et les nombreux fragments du Mont-Lassois sont bien connus, il me semble qu'on oublie trop volontiers l'étonnante quantité de tessons d'attique à figures noires exhumés de ce haut-lieu celtique par M. Piroutet (La Citadelle hallstattienne, à poteries helléniques, de Château sur Salins (Jura), dans 5e Congrès International d'Archéolog ie. Alger [14-16 avril 1930, Alger 1933, p. 47-86]). Ce Camp de Château constitue, sans doute, le plus riche gisement du Hallstatt Final en France, pour les bronzes comme pour les céramiques. Or Piroutet, à le lire, n'en a fouillé qu'une infime partie. 35 P. Jacobsthal, Bodenfunde griechisches Vasen nördlich der Alpen, dans Germania 18, 1934, p. 17, pi. 3, fig. 2. 36 G. Mildenberger, Griechische Scherben vom Marienburg in Würzburg, dans Germania 41, 1, 1963, p. 103-104.
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d'endroits, en France comme en Rhénanie ou en Suisse. Notre propos est de nous limiter aux pièces qui, du point de vue chronologique, se rappro chent de Volpe de Reims. On a vu qu'il y en a peu: Appenwihr, Vilsingen, Kappen am Rhein et Graechwil. Aucun document céramique n'est parvenu dans ce secteur avant la fin du VIe siècle, sauf notre olpè . . . Il est bien entendu que tous ces bronzes n'ont pas transité par Mars eille et la vallée du Rhône, pour des raisons bien simples de date. D'autre part, tous ayant une origine très certainement étrusque, on admettra sans difficulté que le trajet suivi ne fait qu'anticiper sur celui que prendront plus tard les Schnabelkannen, c'est-à-dire Etrurie - Italie du Nord passage à travers les Alpes37 - plateau suisse - vallée du Rhin. On a déjà fait remarquer que, même plus tard, la céramique fabriquée en Etrurie reste cantonnée dans la Midi de la Gaule, et les autres pays du bassin méditerranéen occidental. Le bucchero nero, par exemple, a été largement diffusé sur les oppida qui bordent le Golfe du Lion, sans pénét rer bien avant dans la vallée du Rhône38. Et pourtant, les fouilles se sont multipliées, ces dernières années, le long de l'axe Rhône-Saône. Quant aux productions étrusco-corinthiennes, même dans le Midi, elles se rencontrent en très peu d'endroits, et dans des proportions infimes39. Ailleurs, je n'en connais pas40. Aussi, me semble-t-il prudent d'accueillir avec la plus grande circonspection l'éventualité qui nous est proposée ici, de la découverte d'un vase - intact, de surcroît - au cœur de l'Alsace41.
37 C'est un point qui reste à préciser. Les cols possibles n'abondent pas, et on devrait parvenir à identifier la voie préférentielle grâce aux catalogues systématiques et exhaustifs des vases trouvés en Gaule, en Allemagne et en Suisse. Dans l'état actuel de nos connaissances, je crois que le passage n'a pas été forcément le même au début et à la fin du VIe siècle. 38 Le point le plus septentrional où du bucchero ait été découvert se situe à la hauteur de Valence (cf. Actes de la Table-Ronde sur le Bucchero étrusque et sa diffusion en Gaule Méridionale, Aix-en-Provence, 21-23 Mai 1975, Collection Latomus, Bruxelles 1976). On a parfois cru en avoir trouvé plus au Nord, mais, à ma connaissance, il s'agit de céramique noire de La Tène tardive (la qualité de la pâte et la forme des vases restent des critères indiscutables). J'en ai eu récemment la preuve, avec des tessons provenant de la Haute-Marne. 39 J'en dresserai la liste, en publiant, sous peu, les tessons provenant de Saint-Biaise. 40 P. Jacobsthal, Bodenfunde..., op. cit., p. 15, a fait, depuis longtemps, justice de la prétendue découverte en Suisse (Musée de Baden) d'un aryballe italo-corinthien. 41 Le texte de cette note était déjà sous presse quand m'est parvenue l'excellente monog raphie de M. Bonamici, / buccheri con figurazioni graffite, Florence 1974. Les seuls décors en écailles (parfaitement régulières) apparaissent sur des œnochoés considérées par l'auteur comme des faux.
UN VASE ÉTRUSCO-CORINTHIENi?) TROUVÉ EN ALSACE?
Fig. I - Volpe, inv. 948-10-2. (Photo Musées de Reims)
Fig. 2 - Détail de l'ouverture. (Photo Musées de Reims)
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Fig. 3 - Volpe. (Dessin Musées de Reims)
Fig. 4 - Détail de l'anse. (Dessin Musées de Reims)
JEAN-PAUL BOUCHER
SUR L'INFLUENCE DES GRANDS TRAGIQUES LATINS
Les tragédies de l'époque républicaine nous sont connues, en dehors des exemples retenus par les grammairiens, par des vers que Cicéron a incorporés à sa prose, essentiellement à ses œuvres rhétoriques et philoso phiques. Ces citations fournissent des exempta nécessaires à la démonstrat ion et relèvent ainsi de la méthode que l'auteur revendique au livre I des Tusculanes: auctoribus . . . uti optimis . . . , quod in omnibus causis et débet et solet ualere plurimum (I, XII, 26). L'importance de cette culture tragique de Cicéron qui le pousse à traduire des passages de poètes grecs en même temps qu'à citer Ennius, Pacuvius et Accius, est à la fois un trait personnel et un fait qui relève du milieu où vit l'orateur. Lorsqu'il nous dit: nec quisquam est eorum qui, si iam sit ediscendum sibi aliquid, non Teucrum Pacuui malit quant Manilianas uenalium uendendorum leges ediscere (De Or., I, 246), il est probable qu'il généralise trop en nous montrant tous les orateurs disposés à apprendre par cœur une tragédie, mais, outre le fait que la culture de la mémoire et la connaissance des poètes sont caractéristi ques de la civilisation gréco-latine, cette affirmation correspond à trop de traits contemporains pour ne pas être véridique dans son fond. Un premier point est que cette influence des tragédies s'est exercée aussi bien sur le public populaire que sur les classes dirigeantes. De ce fait, les preuves sont nombreuses, et d'abord la diffusion de la mythologie dans d'innombrables secteurs: ainsi les plaisanteries dans la comédie, celles des avocats, celles des satiriques. Pour se borner à quelques exemples typiques, on rappellera que pour faire rire juges et public, Cicéron traite Clodia de Medea Palatina (Pro Cael. 8,16) et Célius de Clytemnestra quadrantaria (in Quint, 1.0. , VIII, 6, 53) que Plaute amuse ses spectateurs en traitant un Grec de Calchas (Mere. 945), que Juvénal termine la satire VI en exploi tantle répertoire tragique, mêlant l'indignation au sarcasme: Credamus tragicis / Quidquid de Colchide torua dicitur et Procne... (643-644). Le satirique évoque ensuite Alceste, les Danaïdes, Eriphyle (653 s.) avant
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d'affirmer: Clytemnestram nullus non uicus habebit, « Clytemnestre, il n'est pas de quartier qui n'en aura une! » (656). A côté de cette utilisation du monde tragique pour constituer un lan gage de la plaisanterie, on rappellera cette fusion de la culture tragique et de la réflexion philosophique dont témoigne l'œuvre de Cicéron, et qui apparaît encore chez Lucrèce. La tragédie occupe d'ailleurs dans la vie romaine une place notable non seulement par les représentations lors des jeux publics, mais encore par des utilisations secondaires qui sont la consé quence de son succès. Ainsi, lors des funérailles de César, on fit chanter des vers de Pacuvius (Armorum iudicium) et d'Atilius (Electra) qui mettaient en relief l'odieux du meurtre 1. Plus avant encore, les vers tragiques constituent un répertoire de maxi mes où l'on puise pour définir une attitude, une politique: c'est VOderint dum metuant, tiré de VAtrée d'Accius et prêté par Suétone à Tibère (LIX, 4) et à Caligula (XXX, 3). On notera parallèlement que lors des dernières générations de la république, écrire des tragédies est devenu une occupation d'hommes politiques, de sénateurs: parmi les poètes tragiques de ce temps apparaissent un César Strabon, un Quintus Cicéron, écrivant quatre tragé diesen seize jours pendant le débarquement de Bretagne en 54, un Asinius Pollion qui composa son œuvre tragique au plus fort de son activité poli tique (cf. Verg., B. VIII, 10, Hor., Sat, I, 10, 42); César écrivit un Œdipe (Suet, lui. LVI, 7) et Auguste (Suet., Aug. LXXXV, 2) un Ajax qu'il détruisit. D'autres preuves de cette influence des tragiques sur la culture et l'esprit de Róme au second siècle peuvent se déduire des jugements portés sur la tragédie latine, et notamment de celui d'Horace. Quand il esquisse une histoire de la poésie latine (Ep. Il, I, 164-166), il en tire une idée du génie romain: Temptauit quoque rem si digne uertere posset, Et placuit sibi, natura sublimis et acer, Nam spirai tragicum satis et féliciter audet. Horace établit un lien entre le succès de la tragédie latine et une forme de tempérament. La réussite est le fait des tout premiers poètes, et ce fut un fait durable: leur renommée, et ce qui est plus important, la connaissance
1 Inter ludos cantata sunt quaedam ad miserationem et inuidiam caedis eius accpmmodata, ex Pacuui Armorum iudicio: «Men seruasse ut essent qui me perderent? » et ex Electra Atili ad similem sententiam (Suet., lui, LXXXIV, 3).
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de leurs œuvres sont toujours grandes à l'époque augustéenne, comme en témoigne encore Horace: Naeuius in manibus non est et mentibus haeret / paene recens? (Ep. II, 1, 53-54). Les conséquences de ce succès initial comme de la permanence de la représentation et de la lecture de ces œuvres ont été considérables: la mythol ogietragique est devenue un moyen d'expression normal, un langage propre non seulement à traduire des idées, à forger des plaisanteries, comme nous l'avons vu, mais encore à exprimer des sentiments. C'est du succès des tragé dies que dérive toute une part de l'expansion de la peinture romaine, celle qui traite des sujets mythologiques. C'est toujours de lui que relève l'inco rporation des exempla mythologiques dans la poésie latine, tout autant que de l'influence des maîtres alexandrins. Dialogues et cantica tragiques four nissent en effet un moyen d'expression des sentiments personnels tout en les haussant à un ton plus général, en les incorporant au cadre de l'aven ture, au monde sacré, esthétique, sublime, des personnages mythologiques. On peut d'ailleurs trouver l'écho de quelques-unes des plus grandes tragédies latines dans la poésie personnelle. Ainsi, le Teucer de Pacuvius, dont Cicéron faisait une sorte de modèle de la tragédie latine et qu'il a souvent cité, a fourni à Horace la fin de l'Ode à Plancus (C. I, 7 Laudabunt alii claram Rhodon . . .), le discours de Teucer à ses hommes, quand, chassé par Télamon, il doit repartir sur la mer: on voit bien comment le texte lyrique peut reprendre et résumer un canticum tragique. Un lien unit le mythe au sujet de l'Ode: Horace fait l'éloge de sa petite patrie d'adoption, Tibur où il souhaite vivre dans le domaine donné par Mécène, - c'est un des sujets des Odes -, mais le dedicatarie du poème, Munatius Plancus, pour des raisons politiques certainement, a dû songer à l'exil; c'est pourquoi Horace lui rappelle la maxime philosophique que le sage est chez lui partout dans le monde. C'est un vers du même canticum du Teucer de Pacuvius que Cicéron semble avoir cité dans les Tusculanes (V, XXXVII, 108): Patria est ubicumque est bene. Texte célèbre auquel Horace renvoie sans le citer, en évoquant son contexte, puisqu'il se contente de rappeler l'exil de Teucer, et ses encouragements à ses compagnons2. Il est probable qu'il faut analyser de la même façon, comme une expression de l'idée par un emprunt à la mythologie tragique, Yexemplum
2 O. Ribbeck: Die Römische Tragödie im Zeitalter der Republik, Leipzig 1875 p. 230 n. 1 rapproche le passage d'Horace de la citation de Cicéron; sur l'attribution à Pacuvius cf. p. 289.
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de Nestor et d'Antiloque que Properce a incorporé à une méditation sur la mort (II, 13 b, 46 s). Nestoris est uisus post tria saecla cinis: Cui si tarn longae minuisset fata seneetae + Gallicus + Iliacis miles in aggeribus, Non ille Antilochi uidisset corpus humari, Diceret aut: « Ο mors, cur mihi sera uenis? » Le ton tragique de ce développement est évident: on imagine volontiers un canticum de Nestor face au cadavre d'Antiloque sur son bûcher. Mais, si l'on a la trace d'un Memnon d'Eschyle (Nauck p. 41) et d'un Memnon J Aithiopes de Sophocle (Nauck p. 136), on ne connaît pas de tragédie latine qui traite de ce sujet. On serait donc tenté de renvoyer ces vers à un modèle épique, - une Ethiopide par exemple -, si un autre texte ne venait corro borer l'interprétation et imposer l'idée d'une évocation tragique: ... Oro parumper Attendas quantum de legibus ipse queratur Fatorum et nimio de staminé, cum uidet acris Antilochi barbam ardentem, cum quaerit ab omni Quisquis adest socius, cur haec in tempora duret, Quod facinus dignum tam longo admiserit aeuo. (Juu. X, 250 s.) Juvénal 3 continue en évoquant les déplorations de Pelée sur la mort d'Achille, de Laerte sur Ulysse, puis celle de Priam. Entre ce texte et celui de Pelégiaque, on peut noter l'équivalence de certaines formules: fata / fatorum, Antilochi uidisset corpus humari / uidet... Antilochi barbam ardentem. Juvénal, avec son réalisme satirique, cherche le détail grinçant, accusé, qui fait de l'évocation une caricature tragique: barbam pour corpus. Mais il décrit avec précision le jeu de l'acteur: quaerit ab omni quisquis adest socius cur . . . , il nous fait voir le tragédien parcourant la scène, interpellant les soldats figurants, et le rythme des interrogations au style indirect: « cur . . . duret, quod facinus... admiserit» suggère le rythme des plaintes qui se multiplient et s'amplifient. Juvénal a certainement vu jouer une tragédie de Memnon où Nestor dans un canticum exprimait sa douleur. Etait-ce la
3 Aux vers 246-247, Juvénal a fait référence à Homère: Rex Pylius, magno si quicquam credis Homero, exemplum uitae fuit a comice secundaa, c'est au personnage de l'Iliade et de l'Odyssée, symbole de longévité et de sagesse, que le satirique oppose une autre version, celle de l'Ethiopide et des poètes tragiques.
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même œuvre que celle à laquelle se réfère l'élégie de Properce? Dans l'ignorance où nous sommes, il est bien difficile de répondre: les mêmes sujets ont été traités par d'innombrables poètes. Mais il est évident que dans les deux cas la référence n'a de valeur que si l'allusion est claire pour le lecteur de Properce comme pour celui de Juvénal, c'est-à-dire que le modèle tragique est très connu. Il est probable qu'une étude systématique de tous les exempta mythol ogiques, aussi bien chez les prosateurs que chez les poètes, permettrait d'allonger un peu la liste des tragédies célèbres que l'on a faite à partir des documents traditionnellement exploités, et de se faire une idée un peu plus précise des pièces les plus représentées, de celles qui ont exercé l'i nfluence la plus profonde. Aussi, faut-il reposer ici la question des mythes dans les Odes d'Horace? L'exemplum de Teucer nous avertit, s'il en était besoin, que le poète des Odes a une profonde connaissance de la tragédie, égale à l'intérêt qu'il lui porte dans VEpître aux Pisons. Il faut donc comparer ces mythes avec les sujets tragiques: ainsi le discours de Nérée à Paris (C. I, 15) offre une parenté évidente avec le rêve d'Hécube au début de YAlexander d'Ennius. Mais il s'agit de la prédiction d'un dieu4; pour la forme, il se rattache à une tradition lyrique ancienne (Bacchylide, Pindare), mais aussi tragique: ce discours de Nérée ressemble non pas à un canticum, mais à un prologue ou à un épilogue: on songera au discours de Cypris au début de YHippolyte porte-couronne d'Euripide, ou à celui de Thétis qui conclut VAndromaque du même poète. Mais, comme l'a déclaré Horace, (A.P., 285), les Romains ont osé renouveler les sujets tragiques et porter à la scène des sujets nationaux. Aussi d'autres développements des Odes méritent-ils une semblable analyse. Dans l'Ode III, 3: ... gratum elocuta consiliantibus Iunone diuis . . . , le discours de Junon peut difficilement être sans modèle: l'esthétique d'Horace est fondée sur l'imitation. Comme source de la création horatienne, on peut songer à un texte épique, par exemple aux Annales d'Ennius5, mais il faut se garder d'oublier ce Romulus, tragédie prétexte de Naevius: dans une
4 Ce discours de Nérée conviendrait particulièrement à un «Enlèvement d'Hélène»; ce sujet avait été traité par Sophocle (Nauck p. 171). Aucune des prophéties faites à Paris (cf. Nisbet - Hubbard), Oxford 1970 ad loc.) n'est attribuée à Nérée par les poètes épiques et lyriques. 5 Cf. les fragments d'un discours de Junon Enn. Poes. Rei. (Vahlen 1928-1967) XXXVIIIXXXIX; E. H. Warmington, Remains of old Latin (Londres 1967) t. I, frg 62 et 63-64.
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pièce de ce genre6, dans un prologue par exemple, on voit bien comment Junon aurait pu dire: inuisum nepotem Troica quem peperit sacerdos Marti redonabo. De la même façon, l'Ode III, 5 qui se termine sur ce discours patriotique de Régulus partant pour la mort, pourrait bien être le dernier vestige d'une tragédie prétexte qui aurait présenté l'histoire du malheureux général - transformée et embellie -. Ici encore, la tragédie aurait été l'expression de la pensée et de la sensibilité romaines, cette fois dans le registre patriotique.
6 Le très petit nombre des titres conservés (9 d'après Ribbeck o.l. p. 685-686) est en contradiction avec le témoignage d'Horace et la célébrité du genre. On est contraint d'admettre que de nombreuses œuvres ont disparu sans laisser de traces, au moins directes.
DOMINIQUE BRIQUEL
LES ENTERRES VIVANTS DE BRINDES
La légende de Diomède en Apulie, telle que nous la font connaître Lycophron et, plus clairement, ses scholiastes, se termine sur un épisode dramatique, que rapporte également Justin 1. Après la disparition du héros grec 2, ses compatriotes Etoliens seraient venus dans cette région d'Italie afin d'y recueillir l'héritage de leur chef. Mais les indigènes, se saisissant d'eux, les auraient enterrés vivants. Il s'agit donc, on le voit, d'une de ces histoires où apparaît la fourberie et la cruauté des barbares, justement dans une zone où les rapports entre colons et autochtones n'ont pas été de tout reposé Mais s'il ne s'agissait que de cela, d'une simple anecdote librement imaginée à des fins de propagande, elle ne présenterait qu'un intérêt assez limité. Cependant il faut bien avouer que cette histoire est étrange, et qu'un détail comme celui de l'ensevelissement de Grecs vivants apparaîtrait bien inutile s'il s'agissait, sans plus, de tracer un portrait peu flatteur des barbares apuliens. Pourquoi avoir été chercher un mode de mise à mort aussi sur prenant, aussi exceptionnel? Depuis longtemps les commentateurs ont attiré l'attention sur ce point, et ont supposé qu'il y avait une réalité locale à
1 Lyc, v. 1056 sq.; schol. ad Lyc, in Alex., 602, 1056; Just., XII, 2. 2 Diverses explications ont été données à cette disparition. Selon les uns Diomède aurait été tué par le roi des Dauniens Daunos (schol. ad Lyc, in Alex. 592, 610 - d'après Mimnerme -, 630). Selon d'autres il serait mort dans les îles diomédiennes, où on montrait son tombeau (Strab., 283-4, 3, 9; schol. in Iliad., IV, 412). Selon d'autres encore il serait mort de vieillesse en Daunie (Anton. Liberalis, XXXVII, suivant sans doute Nicandre). Et Strabon (Le.) rapporte encore deux autres versions suivant lesquelles il serait retourné en Grèce ou parti chez les Vénètes où il aurait connu une apothéose. 3 Déjà l'oracle envoyant les Parthénies coloniser Tarente les présentait comme le fléau des Iapyges (Antioch., apud Str., 278-9, 3, 2) et on connaît les appels successifs de la cité à toute une série de chefs étrangers, justement pour la défendre contre l'attaque des indigènes de l'arrière-pays.
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chercher derrière cette peu réjouissante histoire4. Quelle que soit la mise en forme légendaire donnée par les Grecs à cette effrayante coutume, il y aurait eu des enterrés vivants bien réels. Une telle démarche visant à retrouver derrière la fable hellénique une réalité autochtone nous paraît en l'occurence parfaitement justifiée. On ne voit guère comment une histoire quelconque sur la perversité des barbares aurait pu prendre une forme aussi précise si l'enterrement d'hommes vivants n'avait été justifié par l'existence d'une telle coutume en Apulie. Là comme bien souvent la légende grecque doit recouvrir des realia locaux.
Mais, une fois cette idée admise, le travail ne fait que commencer. Il importe de voir si nos textes permettent de donner une idée plus précise de ce qu'il faut bien considérer comme un ensevelissement volontaire d'êtres vivants. Et ici les choses se compliquent. Car il faut tenir compte de la part de l'affabulation grecque: il n'est nullement certain que tel détail du texte par lequel on penserait pouvoir expliquer cette coutume corresponde à quoi que ce soit de réel au niveau du substrat indigène. Et surtout les passages sur lesquels on peut se fonder présentent des divergences particulièr ement sensibles quant à la justification de cet ensevelissement, dont il serait dangereux de ne pas tenir compte. On peut en effet distinguer deux versions sensiblement différentes de la légende, chez Justin et les scholiastes de Lycophron, entre lesquelles le texte de Lycophron lui-même semble occuper une position intermédiaire. Dans le texte de Justin tout d'abord, la scène est bien située géographiquement. Il s'agit de Brindes, ville qui aurait été fondée par Diomède et ses compagnons étoliens 5. L'auteur ne dit rien sur le sort ultérieur du héros, mais précise que les Etoliens ont été par la suite chassés de la ville par les indigènes. Cependant ces Grecs reçoivent bientôt d'un oracle l'assurance de la possession perpétuelle du sol: en conséquence de quoi ils dépêchent une ambassade pour faire connaître l'arrêt du destin aux Apuliens. Mais
4 L. R. Farnell, Greek hero cults and ideas of immortality, Oxford, 1921, p. 290, O. Terrosi-Zanco, dans RAL, VIII, XV, 1960, p. 273, U. Fantasia, dans ASNP, III, II, 1972, p. 116 sq. 5 Just., I.e.: Urbs Apulis Brundisium, quam Aetoli, secuti turn fama rerum in Troia gestarum clarissimum ducem Diomedem condiderunt. Cf. aussi Isid., XIV, 4, 23.
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ces derniers, tout comme les Grecs ont su le faire en d'autres circonstances, trouvent le moyen de tourner l'oracle6. Ils enterrent les ambassadeurs dans le sol de leur territoire, leur donnant ainsi effectivement en partage leur terre 7. Dans les scholies à Lycophron la scène est déplacée dans l'espace. La mésaventure des Etoliens se déroule en Daunie, donc dans une région dont Brindes ne fait pas partie8. Et cet épisode s'inscrit dans la légende, connue depuis Mimnerme au VIIe s. 9, mettant en rapport Diomède et le souverain local Daunos et aboutissant - autre exemple de perfidie barbare - au meurtre du premier par le second. Le héros aurait en effet voué à la stérilité cette terre tant qu'elle ne serait pas cultivée par des Etoliens de sa race. Et c'est pour tourner cette malédiction qu'intervient dans cette version l'e nterrement des Grecs: les Dauniens auraient été proposer l'héritage de leur chef aux Etoliens, mais ceux d'entre eux qui se seraient laissé tenter par ces promesses fallacieuses auraient été, une fois sur place, enterrés vivants 10.
6 II est fréquent que les oracles, par exemple ceux concernant la fondation d'une ville, soient l'objet d'une interprétation inattendue, et souvent qu'un contenu apparemment effrayant se révèle passible d'une interprétation anodine. La prédiction de la manducation des tables faite à Enée se rattache ainsi à de nombreux précédents helléniques (voir p. ex. H. W. Parke, A history of the Delphic oracle, Oxford, 1939, p. 59 sq.). 7 Just., I.e.: Aetoli... pulsi ab Apulis consulentes oraculum responsum acceperant, locum qui repetissent perpetuo possessuros. Hoc igitur ex causa per legates cum belli comminatione restituì sibi ab Apulis urbem postulaverant; sed ubi Apulis oraculum innotuit, interfectos legates in urbe sepelierant, perpetuam ibi sedem habituros. Atque ita defuncti responso dei urbem possederunt. On remarquera qu'ici la mise à mort semble précéder l'enseve lissement. Mais l'accord des autres sources sur la précision de l'enterrement de Grecs vivants incite à voir là, sans plus, une modification apportée par Trogue-Pompée ou Justin lui-même au récit. Il n'est guère pensable que cette spécification, exceptionnelle et qui au fond constitue toute l'originalité de l'histoire, ait pu manquer au point de départ. 8 En dépit des variations dans l'emploi des termes grecs de Dauniens, Peucétiens, Iapyges, Messapiens ou latins de Apuli, Poediculi, Sallentini, Calabri on peut dire que Brindes ne fait nullement partie de la Daunie proprement dite. Sur ces termes géographiques, voir p. ex. P. Wuilleumier, Tarente, Paris, 1940, p. 12 sq. 9 Ap. schol. in Alex., 610. 10 Schol. ad Lyc, in Alex., 1056: Διομήδης καταρασάμενος την των Δαυνίων χώραν μη καταφορησαί ποτέ, ει μη παρ' Αιτωλών έργάζοιτο, οι Δαυνίοι παραγενόμενοι εις Αίτωλίαν έκήρυξαν τους βουλομένους έλοεϊν καί άπολαβεΐν το Διομήδους μέρος της γης · έλθόντωυ δε των Αιτωλών εις την των Δαυνίων χώραν καί απαιτούντων την γήν οι Δαυνιοι λαβόντες κατέχωσαν αυτούς ζώντας λέγοντες · άπειλήφατε τον κλήρον της υμών öv αιτείτε παρ ' ημών, ού μόνον δε, άλλα καί του Διομήδους. (cf. aussi schol. in 602).
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Quant à Lycophron lui-même, on a l'impression que son récit, ou plutôt les allusions obscures qu'il fait, en deux passages distincts de V Alexandra, à cette histoire, se rattachent alternativement à l'une et à l'autre version. Lorsqu'il parle des aventures de Diomède en Daunie, il mentionne effectiv ement sa malédiction, qui est l'introduction directe du thème de l'enseveli ssement dans les scholies n. Mais si ces dernières rapportent bien à ce propos l'épisode, le poète lui-même n'en dit rien dans ce passage. Inversement il est question en un tout autre endroit de Grecs enterrés vivants 12. Mais ce sont des ambassadeurs venus réclamer cette terre apparemment sur leur propre initiative et non des colons partis cultiver le sol sur l'invitation des indigènes: on est donc ici plus proche du texte de Justin que de celui des scholies. Devant une telle situation deux types d'explication sont théoriquement possibles. Ou le poète a puisé à deux sources distinctes le thème de la malédiction et celui de l'ensevelissement, qui se serait présenté d'une manière analogue à ce que l'on a chez Justin, et la version des scholies représenterait une confusion secondaire de deux épisodes originellement séparés 13. Ou il faudrait, en dépit des réserves de C. von Holzinger, maintenir le lien entre les deux passages de VAlexandra, et accepter l'existence d'une troisième version de la légende dans laquelle Diomède aurait bien voué à la stérilité la terre et où cette malédiction aurait bien été levée par l'ensevelissement des Etoliens, mais où ces derniers se seraient manifestés d'eux-mêmes auprès des indigènes, envoyant des ambassadeurs réclamer l'héritage du héros. En fait cette seconde interprétation nous paraît préférable. Il faut déjà noter des divergences sensibles entre la manière dont se manifeste l'ambas sade chez Lycophron et chez Justin. Chez le poète il n'est nulle part question d'un oracle, mais simplement de part d'héritage, comme dans les scholies. Dans Y Alexandra, aux vers 1056 sq., on retrouve le même climat agricole14, également sensible dans la version des scholiastes mais absent chez Justin. Par ailleurs on peut dire que sans l'allusion à la mise à mort d'Etoliens la
11 V. 602 sq. 12 V. 1056 sq. 13 C'est l'opinion de C. von Holzinger, Lykophrons Alexandra, Leipzig, 1885, p. 263 sq., qui récuse l'existence de tout lien entre les deux passages. 14 Malheureusement l'obscurité des précisions géographiques du vers 1058 (Σαλάγγων γαίαν Αγγαίσων ΰ'εδη), déjà incompréhensibles pour les scholiastes, ne permet pas de dire si pour le poète la scène se passe en Daunie, comme dans les scholies, ou à Brindes, comme chez Justin.
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malédiction de Diomède ne se justifie aucunement. Elle apparaît comme un récit étiologique privé de sa conclusion, pourtant indispensable puisqu'il est bien évident que les Dauniens, que les Grecs connaissaient, cultivaient leur terre, que donc la malédiction du héros ne jouait plus et que les indigènes avaient trouvé le moyen d'y échapper. Certes on peut toujours imaginer comme le fait. C. von Holzinger une conclusion différente, qu'un souverain indigène, se prétendant descendant du Tydide, aurait ainsi rendu leur fertilité aux champs des Dauniens. Mais à quoi bon inventer une autre explication sans le moindre appui textuel, alors que le thème de l'enseveli ssement fournit une conclusion chez les scholiastes et apparaît chez Lycophron lui-même? Certes il reste une certaine incohérence puisqu'il paraît impliqué par la malédiction que des Etoliens cultivent effectivement le sol, et que les ambassadeurs dont il est question en 1056 sq. ne jouent évidemment pas ce rôle Mais l'incohérence est, notons Je, du même ordre dans le récit des scholies, car les colons n'arrivent en Italie que pour ν subir le sort qui les attend et nulle part il n'est précisé qu'ils accomplissent effectiv ement ce rôle d'agriculteurs exigé par les paroles de Diomède. On doit recon naître qu'au fond seule la version de Justin est à peu près cohérente, et l'illogisme supposé chez Lycophron ne doit pas nous gêner davantage que l'illogisme effectivement attesté dans le récit des scholies.
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Ces distorsions entre les diverses sources ont leur importance, en ce qui concerne l'analyse de la réalité locale sous-jacente, cet ensevelissement dont auraient été victimes en Apulie des Grecs. Ainsi on peut tout d'abord noter que la relation de cette mise à mort au personnage de Diomède est plus ou moins proche selon les versions. Dans le récit de Justin le rapport est assez lointain. Le héros ne joue aucun rôle dans l'épisode lui-même. Seuls interviennent ses compatriotes etoliens. Et l'oracle qui leur est rendu est totalement indépendant de Diomède. Ailleurs en revanche tout tourne autour de la malédiction prononcée par le chef étolien. C'est elle que les indigènes doivent éviter. C'est elle qui finalement justifie le retour d'Etoliens en Italie, qu'il soit donné pour spontané ou provoqué. Dans le premier cas donc, seul le fait d'être Etoliens lie ces Grecs à la légende de Diomède, alors que dans le second l'épisode s'insère directement dans les aventures du héros en Daunie. Le lien avec Diomède est beaucoup plus lâche dans le premier cas que dans le second, et il faut d'autant plus tenir compte
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de cette distinction qu'on a généralement considéré cet enterrement de Grecs comme le souvenir de sacrifices humains offerts à un Diomède local 15 Par ailleurs la signification que le contexte invite à donner à cette pratique varie également d'une fois à l'autre. Chez Lycophron et dans les scholies ce contexte est nettement agraire. Dans les scholies en particulier la mise à mort est clairement mise en rapport avec la fertilité du sol, qu'il s'agit de promouvoir par ce moyen. On pourrait donc songer à un meurtre rituel appartenant à un type connu dans l'histoire des religions, où la mise à mort d'un être humain vise à régénérer les forces vives de la terre, à renforcer la fertilité du sol par un apport nouveau 16. Dans un tel cadre le recours à la forme de l'ensevelissement s'expliquerait au reste assez bien: la victime serait par ce moyen vouée aux puissances infernales, maîtresses des forces que recèle la terre. Mais dans la version de Justin une explication de ce type n'est guère pensable. Il s'agirait de quelque chose de tout à fait différent. Non pas un véritable sacrifice humain, pouvant être éventuel lementrépété périodiquement, mais un événement exceptionnel, à signif ication exclusivement militaire, dans le contexte général d'une menace grecque sur Brindes, et visant à éviter un sort défavorable qui paraît inéluctable en donnant au destin le moyen de s'accomplir sans danger pour la cité 17. On se trouve donc, à travers ces récits, en présence de deux possibilités d'interprétation totalement divergentes du phénomène sous-jacent. Phénomène lié à Diomède, et éventuellement à un Diomède d'ordre agraire dans un cas 18, événement probablement indépendant à l'origine et inséré secondairement dans la tradition relative au héros dans l'autre. Sacrifice rituel à caractère agricole dans un cas, mise à mort exceptionnelle pour prévenir un danger 15 Voir L. R. Farnell, /. c, O. Terrosi-Zanco, l. c. L'existence de Diomède comme héros local en Daunie comme en Thrace, indépendamment de toute influence hellénique, paraît probable (voir surtout O. Terrosi-Zanco, I.e.; contra p. ex. L. Braccesi, Grecita adriatica, Bologne, 1972, p. 4 sq.). Mais de cette existence il est dangereux de conclure que les mises à mort que l'on devine ici concernent obligatoirement le culte de ce héros. Le caractère sanguinaire du Diomède thrace, l'attestation de sacrifices humains en l'honneur du héros à Chypre ne peuvent pas avoir valeur démonstrative ici. 16 Voir p. ex. Mircea Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, 1970, p. 289 sq. 17 Bien sûr la manière dont se manifestent ces conceptions à travers le récit légendaire, avec des détails tels que la référence à un oracle pour exprimer ce destin ou l'envoi d'ambas sadeurs par les Grecs, risque fort de résulter du travail de mise en forme qu'aura subi la réalité sous-jacente. Mais nous n'avons d'autre moyen d'appréhender cette réalité que de partir de sa transcription légendaire, donc de la manière dont elle était encore perçue, comme nous le verrons, par les indigènes vers 330. 18 Pour une interprétation éventuellement agraire de Diomède, cf. U. Fantasia, art. cité, p. 126.
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d'invasion menaçant dans l'autre. On voit que les sources se rangent dans deux catégories irréductibles - Justin d'une part, Lycophron et ses scholies de l'autre - où la réalité locale dont on entrevoit l'existence peut avoir des sens très différents. Existe-t-il moyen de trancher la question et de savoir quelle est la version la plus ancienne, celle donc qui a le plus de chances de présenter la variante la plus conforme à la réalité locale? Le mieux serait assurément de pouvoir juger des sources respectives de Justin et de Lycophron et ses scholiastes. Mais malheureusement nous entrons par là dans un domaine où on ne peut jusqu'à présent rien affirmer de précis. On sait combien reste controversée la question des sources et même des dates du poète grec, et une position prudente sur le problème paraît nécessaire. Au niveau des scholies la question n'est pas plus claire, d'autant plus qu'il faut tenir compte ici des divergences entre l'auteur lui-même et ses commentateurs. Il n'est nullement certain que la référence à Timée et à Lycos donnée par le scholiaste au vers 695 19 puisse s'appliquer à l'ensemble du récit des scholies, ni à plus forte raison à tout ce que dit le poète, et non pas au seul épisode dont il est explicitement question à se moment, l'histoire des statues faites avec les pierres rapportées de Troie20. Certes, on peut toujours admettre l'hypothèse traditionnelle que Lycophron ait composé son œuvre vers le milieu du IIIe s., en puisant sa documentation dans les ouvrages de Timée, rédigés vers le premier quart du siècle, mais on ne saurait en faire une certitude, et tout rapporter de ce que l'on a chez le poète alexandrin à l'historien de Tauroménion 21. Quant à Justin, si sa dépendance à l'égard de Trogue-Pompée ne pose bien sûr aucun problème, la question se complique dès que l'on veut remonter plus loin et dépasser l'époque augustéenne. D'après l'étude la plus récente sur la question, celle de G. Forni22, il semblerait que Trogue-Pompée ait utilisé des sources grecques du IVe s.,
19 Schol. in Alex., 695: ιστορεί δε τοΰτο Τίμαιος και Λύκος. 20 Voir à ce sujet les remarques prudentes de F. Jacoby, F. Gr. Hist, III B, 566, F 53. 21 Tout ce que l'on peut dire c'est que, si la mention du scholiaste s'applique bien au contenu de l'ensemble de la scholie en question, Lycos et Timée mêlaient déjà les aspects spécifiquement dauniens de la légende de Diomède, connue dès Mimnerme (ainsi l'allusion aux statues que Daunos fait jeter à la mer) à des éléments d'origine différente (ainsi le combat contre le dragon, motif lié à Corcyre et qui chez Héraclide Lembos, F. H. G., II, p. 220, précède une attaque contre Br indes). Ce pourrait être une indication que Timée mêlait également à la trame traditionnelle des aventures de Diomède en Daunie le thème des Grecs ensevelis vivants, lui aussi, comme nous le verrons, plus lié à Brindes qu'à la Daunie au départ. Mais il serait dangereux de prétendre dépasser le stade des hypothèses. 22 G. Forni, Valore storico e fonti di Pompeo Trogo, Urbino, 1958, en particulier p. 213 sq.
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comme Ephore et Théopompe. Mais là encore il ne peut pas s'agir d'une certitude absolue. Si bien que c'est finalement en se fondant principalement sur une étude interne des versions en présence que l'on peut espérer trouver une solution au problème. Or sur ce point il faut bien avouer que la version de Justin semble, en dépit de la date tardive de l'abréviateur latin, plus conforme au schéma initial de la légende. Nous avons souligné les incohérences que révèlent tant la version de Lycophron que celle des scholies, et vu que le récit de Justin apparaît beaucoup plus satisfaisant sur ce plan. La justification par l'oracle est bien meilleure que celle par la malédiction; et puisque la malédiction renvoie à tout le contexte des aventures de Diomède en Daunie, on a l'impression d'une tentative, pas parfaitement réussie, de liaison entre des traditions originellement indépendantes. Car il faut tenir compte aussi de la distorsion géographique. Chez Justin l'épisode est centré sur Brindes. Mais ailleurs il se passe en Daunie, centre traditionnel de la geste de Diomède dans cette région. Tout se passe comme si on avait voule rattacher à une tradition bien connue un élément hétérogène. Un tel souci harmonisant au niveau des sources de Lycophron et de ses scholies n'aurait rien d'étonnant si on compare la manière dont l'histoire apparaît chez eux et chez Justin. Car chez l'abréviateur latin l'épisode occupe une place tout à fait marginale, lors du récit de l'expédition d'Alexandre le Molosse, et on ne voit pas très bien ce qui aurait pu le pousser à modifier volontairement un récit qui ne l'intéresse pas directement. Dans les autres textes au contraire, l'intention est de raconter la geste du héros grec. Par conséquent il est possible que l'on ait voulu regrouper tout ce que l'on savait sur Diomède, sans nécessairement tenir bien compte des distorsions géographiques. On a pu vouloir enrichir la trame, principalement daunienne, de ses aventures par des éléments d'autres provenances. C'est au reste ce que l'on voit à propos du thème, d'origine corcyréenne, du combat contre le dragon. Il a pu fort bien en aller de même en ce qui concerne l'épisode qui nous intéresse. Et par surcroît la sécheresse du récit de Justin inspire beaucoup plus confiance que la mise en forme très littéraire que l'on a dans les autres sources, où le motif de la malédiction, cher à la tragédie, .et le thème de la mauvaise foi du barbare, encore plus sensible dans les scholies que chez Lycophron lui-même23, semblent témoigner d'un travail d'enrichissement progressif du schéma originel.
23 Dans les scholies les barbares poussent la perfidie jusqu'à provoquer la venue des Grecs, en les attirant par des promesses trompeuses. Chez l'auteur de Y Alexandra il semblerait
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Et surtout il faut tenir compte de ce que, grâce au texte de Justin, nous pouvons nous faire une idée assez exacte de la manière dont cette histoire a été connue dans le monde grec. Bien sûr, nous l'avons dit, nous ne sommes pas en mesure de savoir à quelle source précise Trogue-Pompée a puisé. Mais on doit tenir compte du contexte dans lequel cette tradition apparaît chez Justin: or ce contexte renvoie clairement au IVe s., à l'époque de l'équipée italienne d'Alexandre le Molosse24 soit à une période bien antérieure à celle à laquelle nous renvoient Lycophron et ses sources. Car le récit de Justin permet de se représenter la façon dont les Grecs ont pris connaissance de cette tradition indigène. L'abréviateur nous apprend en effet que le roi d'Epire, appelé au secours de Tarente menacée par les populations italiennes, avait commencé par conquérir plusieurs cités dauniennes, puis s'était attaqué à Brindes. Mais en fait il devait conclure un traité avec cette cité lorsque ses habitants lui eurent fait connaître l'histoire des Etoliens enterrés afin d'accomplir, sans danger pour la ville, les prédictions de l'oracle, et qu'il eut ainsi compris que l'arrêt du destin, tourné à leur profit par les gens de Brindes, voulait que la cité restât aux mains des indigènes25. C'est donc selon toute vraisemblance dans ces circonstances que cette histoire, dont on n'a nulle trace auparavant, est venue à la connaissance des Grecs. Ainsi Justin nous révèle fort vraisemblablement la voie par laquelle cette tradition locale d'enterrés vivants s'est répandue dans le monde helléni que: il ne peut y avoir de meilleur argument en faveur de l'ancienneté de sa version. Il est vrai que E. Pais qui faisait lui aussi remonter à l'expédition d'Alexandre le relatif succès de cette légende dans la littérature grecque y voyait, à la différence de l'interprétation par des realia locaux que nous en avons proposée, une création artificielle du souverain épirote, désireux de se justifier devant les Hellènes de sa politique d'alliance avec des indi gènes - politique en réalité dictée par des considérations stratégiques, Brindes lui permettant de garder des liaisons faciles avec son pays26. Mais il est certainement préférable de penser, avec U. Fantasia, à une tradition locale de Brindes bien réelle auquel on aurait eu recours dans cette circonstance
plutôt que les Etoliens envoient spontanément une ambassade. Un renchérissement sur le thème de la mauvaise foi barbare est probable (se serait-il produit entre Timée et Lycos?). 24 Sur cette question voir E. Pais, Ricerche storiche e geografiche sull'Italia antica, Turin, 1908, p. 190 sq., P. Wuilleumier, ο. α, ρ. 81 sq. 25 Just., I.e.: Primurn Uli bellum cum Apulis fuit, quorum, cognito urbis fato, brevi post tempore pacem et amicitiam cum rege eorum fecit. 26 Ο. c, p. 119.
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pour justifier historiquement le traité avec la cité barbare, en présentant Brindes comme une fondation grecque et une ville protégée par les divinités reconnues par les Grecs. Car malgré tout l'aspect hellénique de cette tradi tion ne doit pas faire oublier ce qu'elle avait de profondément déplaisant pour les Grecs - qui y voient des compatriotes jouer un rôle fort peu reluisant - et tout aussi bien, au moment où ils étaient en train de s'allier aux Grecs, pour les barbares - dont la perfidie et la cruauté sont ample mentmises en valeur aux yeux de leurs partenaires. Aussi l'idée d'une création ad hoc nous paraît-elle absolument exclue; cela aurait été une bien singulière manière de célébrer le traité que de le justifier par une semblable invention! Il est beaucoup plus indiqué de penser à une tradition locale préexistante dont on se serait alors servi. Ainsi, à l'origine, cette histoire d'enterrés vivants apparaît nettement liée à Brindes et c'est selon toute probabilité la version de Justin qui peut le mieux nous faire appréhender ce qu'ont pu être les événements réels qui ont ou lui donner naissance. Etant donné ce que nous avons déjà dit à ce sujet, on peut donc se représenter l'ensevelissement réel de Grecs qui aurait pu avoir lieu non pas comme un sacrifice humain proprement dit, mais comme un sorte de meurtre rituel, justifié par des circonstances précises - menace militaire de la part de Grecs - et destiné à prévenir une invasion qui apparaissait imminente, en permettant en quelque sorte au destin de s'accomplir, mais sans qu'il en coûte rien à la cité. Bien entendu le fait qu'il se soit agi, d'après Justin, d'Etoliens, donc de compatriotes de celui qui passait pour le fondateur de la ville, tout comme la référence à un oracle peuvent tenir, sans plus, à la mise en forme légendaire et témoigner de la mise en rapport secondaire d'une pratique réelle dont des Grecs auraient été effectivement victimes avec le cycle de Diomède, qui présente par ailleurs des aspects indigènes indéniables - mise en rapport qui a très bien pu s'effectuer dans le contexte d'une cité indigène touchée par les influences helléniques.
Mais la mise à mort effective de Grecs par les Apuliens semble ne plus être qu'un souvenir, et cette effrayante pratique ne plus corres pondre dans cette zone à rien de réel lorsque nous pouvons en avoir pour la première fois une indication, vers 330. Il n'en va malheureusement pas de même pour d'autres histoires d'enterrés vivants beaucoup plus célèbres,
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celles de Rome27. Ce qui était légende dans la Pouille vers 330 apparaît sous les traits d'une triste réalité au Forum Boarium en 228 28, en 216 29 et peut-être en 114 30. A en croire Pline la coutume d'enterrer vivants des êtres humains se serait même prolongée beaucoup plus tard, jusqu'à son époque 31. Mais la comparaison entre la pratique romaine bien connue et ce qu'il nous a paru possible de supposer à partir de la tradition sur Dîjpmède en Apulie n'est pas seulement d'ordre rhétorique. On ne peut manquer d'être frappé par les analogies entre ce que l'on sait des faits romains, au moins tels que les présentent certaines sources, et ce qui nous a semblé devoir être la forme originale de la tradition apulienne. Les gens de Brindes, d'après Justin, auraient enterré des Grecs afin de respecter la lettre d'un oracle qui promettait à ces Hellènes la possession perpétuelle du sol de leur cité. Or les événements de Rome de 228 sont justifiés d'une manière tout à fait analogue dans le passage de Dion Cassius et dans le texte de Zonaras, qui s'en inspire certainement directement32. Là également un oracle aurait
27 En nous limitant volontairement à quelques titres dans la vaste bibliographie consacrée au sujet, nous pouvons citer: G. Wissowa, Religion und Kultus der Römer2, Leipzig, 1912, p. 60 et 241; Boehm, dans RE, s.v. Gallus et Galla, VII, 1912, col. 683 sq.; F. Schwenn, Menschenopfer bei den Griechen und den Römern, dans Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten, XV, 1916, p. 152 sq.; C. Cichorius, Römische Studien, Leipzig, 1922, p. 7 sq.; V. Groh, dans Athenaeum, XI, 1933, p. 210 sq.; F. Fabre, dans REA, XLII, 1940, p. 419 sq.; R. Bloch, dans Mélanges A. Ernout, Paris, 1940, p. 20 sq.; J. Gagé, Apollon romain, Paris, 1955, p. 249 sq.; P. Arnould, dans Ogam, IX, 1957, p. 27 sq.; H. Le Bonniec, Le culte de Cérès à Rome, Paris, 1958, p. 394 sq.; C. Bémont, dans MEFR, LXXII, 1960, p. 133 sq.; G. Dumézil, Religion romaine archaïque, Paris, 1964, p. 436 sq. 28 Pour ce premier meurtre rituel, attesté par Plut., Marc, III, 4, Cass. Dio, fr. 47, Zonar., VIII, 19, on hésite entre la date de 226 (cf. encore J. Gagé, le.) et celle de 228, proposée par C. Cichorius. En fait cette question de dates n'importe guère à notre propos. Qu'il nous suffise de noter que, même si on prend la date haute de 228 - qui nous paraîtrait effectivement préférable - il ne semble pas y avoir de rapport direct avec le stuprum de la Vestale Tuccia, qui remonte selon toute probabilité à 230 (voir E. Münzer, dans Philologus, XCII, 1937, p. 207). 29 C'est aux événements de 216 que fait allusion le fameux texte de Tite-Live XXII, 57. 30 L'existence d'un ensevelissement en 114 est affirmée par le seul Plutarque (Q. R., 83); elle est rendue douteuse par le silence des autres sources à son sujet: Julius Obsequens (35) et Valére Maxime (XIV, 12) mentionnent bien une consultation des Livres sibyllins pour cette date, mais lui donnent pour seule conclusion l'érection d'une statue de Vénus Verticordia. 31 PL, XXVIII, 12: Boario vero in foro Graecum Graecamque defossos aut aliarum gentium cum quibus turn res esset etiamnunc nostra aetas vidit. Voir à ce propos F. Fabre, art. cité. 32 Dio Cass., fr. 47 (dans Tzetzès, schol. in Alex., 603): έπί Φαβίου γαρ Μαξίμου Βεροκόσσου ήτοι άκροχορδονώδους 'Ρωμαίοι τοΰτο εποίησαν, Έλληνικον και Γαλατικον άνδρόγυνον κρύψαντες
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affirmé que la ville devait être prise par des ennemis, Grecs et Gaulois en l'occurence, et ce serait, à en croire les deux historiens grecs, afin de trouver une interprétation tout à leur avantage de cet arrêt du destin que les Romains auraient procédé aux ensevelissements du Forum Boarium. Il paraît bien difficile de considérer comme fortuite une telle coïncidence . . . Certes, il ne suffit pas de souligner cette ressemblance. Car le rappro chement pose d'emblée, en ce qui concerne les faits romains, de graves problèmes. La version de Dion Cassius n'est en effet pas la seule sur laquelle on puisse se fonder. Et d'autres sources présentent les choses d'une manière sensiblement différente. Ainsi cet oracle dont il est question chez Dion et Zonaras et qui a un correspondant si net dans la tradition apulienne n'apparaît pas dans les autres sources. Plutarque pour 228 et aussi pour 114, Tite-Live pour 216 font intervenir les Livres sibyllins33. Par ailleurs parfois le rite romain paraît bien lié à un but de défense contre l'ennemi extérieur, tout comme l'a certainement été le parallèle apulien. Mais si telle est l'explication que Plutarque aussi bien que Dion et Zonaras donnent pour les faits de 228, si cela est affirmé expressément chez Pline et d'une manière moins nette chez Orose34, les événements (dont l'existence n'est pas certaine) de 114 sont
έν μέση τη αγορά έκ χρησμού τινός δειματωυέντες, λέγοντος "Ελληνα και Γαλάτην καταλήψεσθαι το άστυ. Sans aucun doute la mention d'androgynes au lieu de couples résulte d'une confusion très tardive, peut-être opérée par Tzetzès lui-même (cf. Boehm, I.e.). Chez Orose aussi on trouve une erreur manifeste sur l'identité des victimes (IV, 13, 3, 228): Decemviri... Gallum virum et Gallam feminam cum muliere simul Graeca in Foro Boario vivos defoderunt. On peut penser que la leçon exacte chez Dion lui-même est celle qui apparaît chez Zonaras (VIII, 19): λογίου δε ποτέ τοις 'Ρωμαίοις έλοόντος και "Ελληνας και Γαλατάς το άστυ καταλήψεσυαι, Γαλάται δύο και Έλληνες έτεροι έκ τε του άρρενος και του ΰήλεος γένους ζώντας έν τη άγορφ ϊν' κατωρύγησαν, οϋτως επιτελές το πεπρωμένον γενέσθαι δοκή, καί τι κατέχειν της πόλεως κατορωρυγμένοι νομίζωνται. La désignation exacte des victimes ne fait aucun doute; elle est assurée par les témoignages concordants de Tite Live, Pline, Plutarque (I.e.) et Minucius Felix (Oct., XXX, 4). 33 Cf. respectivement Plut., Marc, III, 4: τότε του πολέμου συμπεσόντος ήναγκάσ&ησαν ειξαι λογίοις τισίν έκ των Σιβυλλείων καί δύο μεν Έλληνας, άνδρα καί γυναίκα, δύο δε Γαλατάς ομοίως έν τη καλούμενη βοών αγορά κατορύξαι ζώντας; pour 114, après la découverte du stuprum des Vestales, Q. R. 83: της δε πράξεως δεινής φανείσης εδοξεν άνεμ Jouai τα Σιβύλλεια τους ιερείς · εύρηοήναι δέ φασι χρησμούς ταΰτά τε τάττοντας ώς έπί κακφ γενησόμενα καί προστάττοντας άλλοκότοις τισί δαίμοσι καί ξένοις αποτροπής ένεκα τοϋ έπιόντος προέσοαι δύο μεν Έλληνας, δύο δε Γαλατάς ζώντας αυτόθι κατορυγέντας; pour 216, après la faute des Vestales Opimia et Floronia, Liv. XXII, 57: hoc nefas cum inter tot clades in prodigium versum esset, decemviri libros adire jussi sunt sciscitatum quibus precibus suppliciisque deos possent placare et quaenam futura finis tantis cladibus foret. Interim ex fatalibus libris sacrificia aliquot extraordinaria, inter quae Gallus et Galla, Graecus et Graeca in Foro Boario sub terra vivi demissi sunt in locum saxo consaeptum, jam ante hostiis humanis, minime romano sacro, imbutum. 34 Orose parie d'un obligamentum magicum.
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dépourvus de tout contexte guerrier. Ce qui justifie le recours à ce rite est le stuprum des trois vestales, et cette interprétation de l'ensevelissement des Grecs et des Gaulois comme expiation d'un tel crime a permis à C. Cichorius d'orienter la signification du rite dans de tout autres directions. Au reste ce n'est pas la seule distorsion que l'on puisse noter entre le passage de Plutarque et les autres témoignages: il présente nettement la chose comme un sacrifice humain, dédié à des divinités précises même si elles sont qualifiées d'étrangères et de peu connues, ce qui ne se retrouve nulle part ailleurs et est en contradiction avec l'idée d'un simple moyen de tourner un destin impersonnel ou de procurer un prodige. Ainsi donc le parallèle avec les faits de Brindes, s'il est justifié, amène en fait à remettre en question toute l'interprétation de la coutume romaine et oblige à faire un choix entre les interprétations proposées, déjà par les auteurs anciens. Il ne peut s'agir à Rome, si le rapprochement est exact, que d'un rite à signification militaire, au moins à l'origine, destiné à prévenir une menace de prise de la ville, et s'adressant plus à un fatum général qu'à telle ou telle divinité nommément désignée.
Mais c'est, semble-t-il, justement vers des conclusions de cet ordre que nous paraît devoir s'orienter l'étude des faits romains. En ce qui, concerne le lien entre le faute des vestales et la mise à mort des Gaulois et des Grecs, il n'est clair qu'à propos des événements de 114, dont l'existence même est sujette à caution. Il paraît dangereux de partir de là pour tirer une explication valable aussi bien pour les événe ments de 228 et 216. Car si en 216 on recourt à ce rite après la découverte du stuprum des vestales, c'est, il faut le souligner avec C. Bémont35, à l'occasion d'une « crise prodigiale » qui dépasse de beaucoup cette faute, dont cette dernière ne constitue que l'un des aspects même si c'est le plus marquant36. Le stuprum n'est finalement que l'occasion de la consultation
35 Voir C. Bémont, art. cité, MEFR, surtout p. 143, dont nous partageons entièrement les conclusions quant au caractère occasionnel et secondaire de la relation de ce type de meurtre rituel et de la faute des Vestales. 36 On sera sensible à la formulation de Tite-Live qui insiste sur les désastres militaires et laisse entendre que, sans eux, le crime des Vestales n'aurait pas été considéré comme un prodige.
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des Livres, occasion préparée par toute la série des défaites et des phéno mènes alarmants. C'est en dernier ressort ce contexte, essentiellement mili taire, qui fait, exceptionnellement, considérer ce stuprum comme un prodigium; ce qu'il n'a jamais été auparavant, puisque jamais, jusque là, faute de Vestale n'avait provoqué le recours aux Libri. Quant aux événements de 228, la liaison avec le crime de Tuccia, vraisemblablement antérieur de deux ans, est bien douteux. Il est de bien meilleure méthode de s'en tenir au témoignage des textes, tous concordant sur ce point, et de penser que c'est l'imminence du péril gaulois (qu'il soit exprimé ou non par P« oracle » dont parlent Dion et Zonaras) et uniquement cela qui a provoqué l'enseveli ssement (par le biais, chez Plutarque, de la consultation des Livres37). Nulle part il n'est fait allusion à la faute de Tuccia. Il vaut mieux ne pas l'i ntroduire dans l'affaire et lui garder son aspect exclusivement militaire38. Nous ne serions donc pas porté à penser qu'on puisse lier systémat iquement stuprum de Vestales, consultation des Livres et ensevelissement de Grecs et de Gaulois. Et même, plus généralement, nous ne penserions pas qu'il faille nécessairement mettre en rapport le recours aux Libri, décidé par le Sénat, et tel ou tel prodige particulier. Les causes de la consultation peuvent être multiples et n'impliquent pas obligatoirement, on le voit pour 217 par exemple, l'annonce de taetra prodigia. Un danger extérieur peut fort bien avoir été jugé suffisant, et au reste comme le note justement R. Bloch, en période de crise, tout peut être considéré comme signe divin 39. Bien sûr, une fois institué à l'occasion d'un danger militaire précis, ce rite pouvait vivre de sa vie propre et se voir employé - comme cela a pu être le cas en 114 - même en dehors de ce cadre, surtout si en 216 le rapport, au fond occasionnel et fortuit, entre la faute des Vestales et ce mode de meutre rituel avait établi une liaison entre les deux phénomènes 39 bls. Mais au point de départ, et c'est cela seul qui nous importe ici, c'est uniquement la menace d'invasion qui justifiait le rite. De même c'est probablement par une évolution des idées concernant ces mises à mort dont le souvenir devait d'autant plus rester présent à
37 On sait que les causes de la consultation des Livres peuvent être multiples et ne nécessitent pas l'observation d'un prodige proprement dit. Ainsi en 217 (Liv., XIX, 8) il est bien spécifié qu'il n'y a pas eu de taetra prodigia. Voir aussi, plus généralement, D.H., IV, 62, 1. 38 Pour la présence de Grecs à côté des Gaulois, voir infra. 39 Voir R. Bloch, Les prodiges, Paris, 1953. 39bls La mise en relation était en outre favorisée par le recours dans les deux cas à la même forme, exceptionnelle, de mise à mort par ensevelissement.
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l'esprit des Romains que, à en croire Plutarque, des cérémonies annuelles venaient le leur rappeler qu'il convient d'expliquer la mention des génies étrangers de l'écrivain grec et sa présentation du rite comme un véritable sacrifice humain. Comme le souligne justement G. Dumézil 40, rien ne permet de penser en dehors de cet unique témoignage (et pas même le passage de Plutarque relatif aux événements de 228) qu'il se soit agi de sacrifices humains à proprement parler, offerts à des divinités précises. Certes, par cette pratique, les Romains devaient avoir le sentiment qu'il se conciliaient les faveurs des dieux, et tout spécialement, vu la forme de l'ensevelissement, celle des dieux infernaux. Mais à l'origine rien ne permet de penser à une liaison avec des divinités spécifiques, et non pas plutôt à un fatum im personnel et très général. Au total c'est l'interprétation de type militaire et non celle comme expiation du crime des Vestales, l'interprétation comme meurtre rituel et non celle comme sacrifice humain qui nous paraît la plus probable Cependant il reste encore un dernier problème qui doit nous arrêter Car il subsiste une divergence importante entre les versions de Dion et de Zonaras dont nous sommes parti et la manière dont Plutarque présente les mêmes événe ments de 228. Il y aurait eu, selon les deux historiens grecs, un oracle qui aurait appris aux Romains le danger d'invasion que courait leur cité et ils auraient d'eux-mêmes imaginé le moyen de tourner cette prédiction. En revanche Plutarque ne parle pas d'oracle, mais dit seulement que la menace gauloise a proqué le recours aux Livres, où les Romains ont trouvé le rite d'ensevelissement à appliquer en la circonstance. En fait les deux leçons sont probablement moins contradictoires qu'il ne le semblerait, et il n'est nullement exclu que le terme d'oracle utilisé par Dion et Zonaras recouvre en réalité ces Livres dont parlent Plutarque pour 228 et Tite-Live pour 216. Boehm avait déjà noté que Dion utilise générale ment le terme d'oracle à propos de ces Libri qui se présentent de toutes manières comme un recueil d'oracles sibyllins41. Et on peut ajouter que Plutarque lui-même emploie ce terme pour désigner l'indication trouvée dans les Livres sibyllins lors de la consultation de 114. Il est donc parfaitement possible que les deux présentations, celle, plus conforme à la tradition grecque, d'un oracle et celle, plus conforme à la tradition romaine, d'une consultation des Livres expriment en l'occurence la même démarche.
40 II est fort possible que, comme le dit cet auteur (l. c), les démons étrangers soient :une invention du savant Plutarque». 41 Cf. p. ex. fr. 49: χρησμός τις της Σιβύλλης.
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A vrai dire tout n'est pas expliqué pour autant. En effet les textes qui parlent d'un oracle parlent d'une réponse concernant des événements à venir - Rome risque d'être prise par les Grecs et les Gaulois - et ne précisent pas que l'ensevelissement au Forum Boarium ait été prescrit par l'oracle lui-même. Et, au contraire, les textes qui parlent d'une consultation des Livres indiquent que les Romains y ont trouvé le moyen de se concilier les dieux, mais non la spécification d'un danger de prise de leur cité. Mais, là non plus, la contradiction n'est pas insurmontable. Il ne faut pas, en effet, limiter les Livres à n'être qu'un recueil de prescriptions à accomplir dans tel ou tel cas nommément désigné. Comme le souligne à juste titre J. Gagé, à côté de cette forme simple de l'oracle, il peut en exister une plus complexe qui, « partant de l'interprétation d'un prodige » (ou de ce qui est reçu comme tel) « déroule en quelque sorte les événements qu'il contient » 42. Il peut y avoir une explicitation du danger qui menace la cité et qui reste encore indistinct, surtout s'il n'est exprimé que très confusément, par un prodigium, l'annonce du remedium à appliquer n'intervenant ainsi que dans un second temps. Par ce biais les Livres peuvent, bien que ce ne soit évidemment pas là leur fonction propre, énoncer des prophéties quant à l'avenir. En ce sens ils peuvent - et il n'y a aucune raison de limiter ce rôle à une période postérieure à la seconde guerre punique - avoir une certaine fonction prophétique. Mais on voit qu'on ne peut pas parler d'une annonce gratuite de l'avenir. La consultation doit être provoquée, ne serait-ce que par le danger extérieur et la prophétie reste étroitement liée à ce contexte. Ce serait bien entendu à ce second type qu'appartiendrait P« oracle » qui nous intéresse. La menace gauloise de 228 aurait justifié une consultation du recueil. Dans cette consultation les Romains auraient trouvé à la fois Ρ « oracle » de Dion et Zonaras, soit la précision concernant le risque couru, la prise de la ville, et la prescription donnée selon Plutarque par les Livres, soit les moyens de faire face à ce danger par l'ensevelissement. On trouverait au demeurant une confirmation de ce processus en deux temps dans le texte de Plutarque relatif aux événe ments de 114. Le contenu de l'oracle aurait en effet compris, selon cet auteur, deux éléments distincts: tout d'abord une annonce de ce que la cité est en danger (même si le danger n'est pas explicité ici) et en second lieu la prescription du remède à appliquer43. 42 Apollon romain, p. 204. 43 Le contenu du χρησμός comporte tout d'abord l'énoncé d'un danger (ταΰτά τε τάττοντας ώς έπί κακω γενησόμενα) et en second lieu seulement la prescription à suivre (και προστάττοντας άλλοκότοις τισί δαιμόσι και ξενοις αποτροπής ένεκα...).
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Dans ces conditions la parallélisme entre le récit relatif aux événements apuliens et le déroulement des faits à Rome en 228 est net. Il ν a dans les deux cas une menace militaire, des Grecs dans un cas, des Gaulois dans l'autre, auxquels la volonté des dieux, exprimée dans l'oracle reçu par les Etoliens dans un cas, celui qui a été lu dans les Livres sibyllins dans l'autre, semble promettre la prise de la ville. Mais dans les deux cas le destin menaçant est détourné par le même stratagème, cette prise de possession sans danger aucun pour la cité que représente l'ensevelissement d'ennemis vivants. *
*
Serait-il possible de rendre compte de la similitude des faits apuliens et romains par une ressemblance purement extérieure, tenant à l'existence de conceptions analogues sur le destin et les possibilités qu'il laisse à l'homme dans les deux cas? Un tel mode d'explication paraît, il faut bien le dire, fort peu probable. L'ensevelissement d'hommes vivants reste une pratique tout à fait exceptionnelle44. D'autre part il faudrait admettre que le paral lélisme s'étende jusqu'aux détails, risque spécifiquement militaire, danger bien précisé et donné pour inéluctable de voir les ennemis s'emparer de la ville. Et surtout à Rome le rite apparaît avec un certain nombre de caractères remarquables, tous convergents. Le premier exemple remonte à 228 seulement; il a été établi après consultation des Livres sibyllins; on en a toujours senti le lien avec le collège des decemviri; et il a constamment été présenté par les auteurs comme d'origine étrangère45. Ainsi il est hors de doute qu'il ne s'agit pas d'une pratique remontant au fond national le plus ancien. Elle a été introduite à Rome, par ce puissant facteur de renouvellement religieux qu'ont été les Livres. En fait le caractère non-romain à l'origine de ce rite n'a jamais été mis en doute. Mais pour rendre compte de son apparition on est générale ment parti du fait qu'à Rome les victimes étaient grecques et gauloises. Or si on cherche quel peuple a pu avoir pour ennemis à la fois les Grecs et les Gaulois se présente naturellement à l'esprit46. Et il paraît d'autant
44 Le cas de l'ensevelissement des Vestales coupables, qui n'est au fond qu'un mode d'exécution particulier, doit être tenu à part. 45 Cf. les expressions de Plutarque άλλοκότοις τισί δαίμογι και ξένοις et de Tite Live minime romano sacro (mais voir sur ce dernier point F. Fabre, art. cité). 46 Voir C. Cichorius, art. cité, R. Bloch, art. cité.
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plus indiqué d'invoquer un précédent étrusque dans la circonstance que cette hypothèse s'inscrit dans toute le problématique des Livres sibyllins, pour lesquels une origine au moins partiellement étrusque paraît difficilement niable47. Cependant C. Bémont a justement souligné les difficultés auxquell es se heurte cette explication48. On ne peut affirmer qu'il existe en Etrurie des parallèles exacts d'un rite qui se présente avec des traits très spécifiques - contexte guerrier au point de départ et surtout forme tout à fait parti culière de mise à mort, par ensevelissement, et non par égorgement comme dans la scène des funérailles de Patrocle représentée sur les parois de la tombe François ou par lapidation comme dans le cas des prisonniers phocéens d'Alalia49. L'hypothèse étrusque n'a donc pas, dans ce cas particulier, le caractère de certitude qu'on a parfois été tenté de lui attribuer. Il est vrai que si on recherche l'origine de cette pratique du côté de l'autre source d'Inspiration des Livres sibyllins, la grecque50, on se heurte immédiatement à la difficulté, mise en avant par tous les commentateurs et apparemment insurmontable, de la mise à mort de Grecs, et non seul ement de Gaulois, les ennemis du moment en 228 et encore, dans une certaine mesure, en 216. Néanmoins on doit noter que les sources grecques n'ont pas introduit dans le recueil seulement des rites d'origine hellénique. Ainsi on sait qu'après Trasimène les libri ont prescrit l'accomplissement d'une pratique qui n'appart ient ni à l'Etrurie, ni à la Grèce, mais au monde italique: celle du ver sacrum. Et J. Heurgon nous paraît avoir eu parfaitement raison de sup poser que cette' coutume s'était introduite dans les oracles sibyllins par
47 Voir sur le sujet en particulier W. Hoffmann, Wandel und Herkunft der Sibyllinischen Bücher, Leipzig, 1933, R. Bloch, art. cité, J. Gagé, ο. c. 48 Cf. C. Bémont, art. cité, MEFR, p. 139 sq. 49 Même le type de mise à mort particulier attribué à Mézence, consistant à laisser mourir des vivants ligotés avec des morts (lequel a toutes chance de représenter la transposition légendaire d'un événement réel, sorte de supplice infligé par des pirates étrusques à une époque antérieure à Aristote, cf. Cic, fr. 40 Daiter) ne présente que de lointaines analogies avec notre cas. Il n'est pas question d'ensevelissement à proprement parler dans le cas du tyran. Et le trait essentiel de la liaison entre morts et vivants fait inversement défaut dans le rite du Forum Boarium. 50 Même s'il convient sans aucun doute de faire une part importante, voire essentielle à l'origine, aux influences étrusques, il est évident qu'on ne saurait réduire à néant l'influence grecque dans ces Livres dont l'utilisation s'est traduite par l'introduction à Rome de tant de divinités d'origine hellénique. Sans vouloir entrer ici dans une discussion de cette difficile question, disons simplement que la thèse traditionnelle de l'origine grecque, au moins d'une part des éléments du recueil et à partir d'une certaine époque, nous apparaît toujours admissible.
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l'intermédiaire des Grecs51. L'exemple du ver sacrum des Mamertins prouve que cette pratique typiquement italique avait elle-même subi une hellénisation au cours du IIIe s.: le grec Apollon se subsitue au Mamers osque comme dieu de référence dès les troisième quart du IIIe s., ainsi que le montre la numismatique. Mais l'influence n'a certainement été à sens unique. Les Grecs qui avaient eu à subir tant de fois ces printemps sacrés s'étaient intéressé à cette coutume, comme le prouve le fait que Myrsile de Lesbos, au cours du IIIe s., explique par ce qui est, en fait, un ver sacrum le départ des Pélasges d'Italie52. Dans ces conditions son apparition à Rome en 217 à partir des prescriptions d'un recueil où l'influence hellénique est certaine peut très bien s'être faite par l'intermédiaire des Grecs. En l'occurence les libri auraient servi de véhicule à une coutume italique; mais cela n'a dû se faire que dans la mesure où elle avait intéressé les Grecs. Avec la pratique qui nous concerne il n'est pas impossible que nous ayons affaire à un phénomène analogue. Il est absolument exclu, naturel lement, qu'elle soit hellénique au point de départ. Mais il nous est apparu qu'elle a dû exister dans le monde indigène d'Italie du Sud, à Brindes, au sein de populations avec lesquelles les Grecs étaient directement en contact. Ces derniers ont pu servir d'intermédiaires, même pour une coutume qui leur était si manifestement hostile (ce qu'au reste avait été également pour eux le ver sacrum), en ce sens que ce serait eux qui l'auraient fait con naître aux Romains. Il convient en effet de se représenter bien concrètement ce qu'étaient les fameux livres consultés par les decemviri en 228. Il s'agissait d'un recueil d'oracles attribués, au moins à partir d'une certaine époque, à la Sibylle de Cumes53. Ce recueil, qu'on peut imaginer d'après les listes oraculaires qui nous sont effectivement parvenues, contenait certainement des éléments d'origines très diverses. Pour rendre compte du ver sacrum de 217 on peut songer qu'y était passée une histoire du genre de celle qu'Alfius a narré à propos des origines des Mamertins de Messine54. Et dans le cas de l'ensevelissement de 228 il est fort possible que le point de départ n'ait été rien d'autre que l'histoire d'enterrés vivants que nous avons rencontrée en Apulie.
51 Voir Trois études sur le ver sacrum, Bruxelles, 1956, p. 37; voir également Apollon romain, p. 239 sq. 52 Cf. D.H., I, 17 sq.; voir à ce sujet P. M. Martin, dans Latomus, XXXII, 1972, Sur les Mamertins, cf. J. Heurgon, o. c, p. 20 sq. 53 Cf. Varr., ap. Lact, Div. Inst, I, 6, D.H., IV, 62, Gell., I, 19, Serv., ad Verg., VI, 72, etc.. 54 Apud Fest., 50 L; voir à ce sujet J. Heurgon, Trois études sur le ver sacrum,
J. Gagé, p. 28 sq. in Aen., p. 20 sq.
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Ainsi donc notre hypothèse serait que les livres auraient contenu une notice analogue au récit des mésaventures des Etoliens consultant l'oracle au sujet de leur établissement à Brindes et périssant victimes de son interprétation littérale par les indigènes que nous a conservé l'abrégé de Justin. Le contexte dans lequel cette histoire a été connue chez les Grecs d'Italie, lors d'un événement tel que l'expédition d'Alexandre le Molosse, le nombre des auteurs qui semblent s'être intéressé à elle, l'élaboration même, dont témoignent {'Alexandra et ses scholies, qu'elle a subie dans le monde grec, tout prouve que cette tradition, bien faite pour frapper les imaginations, était largement connue dans le monde grec, et principalement dans le monde grec d'Italie, lequel intéresse directement la question des Livres sibyllins. Que de là elle soit passée dans les oracles rassemblés à Rome sous le nom de la Sibylle de Cumes, cela nous paraît parfaitement concevable55. D'autant plus qu'il faut tenir compte, comme le fait remarquer à juste titre H. Le Bonniec56, du cadre dans lequel s'inscrit la première apparition de ce rituel à Rome. Vers 228 les influences qui se manifestent dans le domaine religieux sont principalement grecques et orientent tout spécialement vers Tarente, cette cité justement qui avait jadis appelle à son aide le roi d'Epire et où le souvenir de cette histoire avait dû se maintenir particulièrement vivant. Pour nous en tenir au plan des faits religieux - qui n'est de toutes manières qu'un des domaines dans lesquels la grande cité grecque exerce son influence sur Rome qui découvre son théâtre, reçoit de sa région ses premiers écrivains et importe sa céramique de qualité - c'est à Tarente que sont dus, intro duits après consultation des Livres en 249, les ludi Tarentini avec l'appari tion officielle de Proserpine et de Dis Pater, ainsi que les sacra graeca de Cérès, peut-être, selon l'hypothèse de H. Le Bonniec, en cette même année qui a vu le premier ensevelissement du Forum Boarium 57. Disons même que, si on admet la transmission par l'intermédiaire des Grecs d'Italie, le rite qui nous intéresse cesse de constituer l'exception aberrante qu'il
55 L'hypothèse d'une influence directe des indigènes de la Perniile sur le contenu des Livres nous paraît avoir beaucoup moins de probabilité (même si on note que l'armée réunie pour faire au danger gaulois et dont les effectifs ont été détaillés par Poybe, II, 22, comprenait des contingents de cette région). Tout comme dans le cas du ver sacrum de 217 il semble plutôt s'agir de faits isolés ne justifiant pas l'idée d'une source d'inspiration italique autonome sur les Livres sibyllins, mais explicables par l'intermédiaire hellénique. 36 Voir Le culte de Cérès à Rome, p. 390 sq. 57 Sur l'influence multiforme de Tarente sur Rome à cette époque, voir par exemple l'exposé de P. Wuilleumier dans Atti del decimo convegno di Studi sulla Magna Grecia, Tarente, 1970, p. 17 sq.
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constituait jusqu'à présent, au milieu de toutes les innovations de cette période, si clairement helléniques58. Nous penserions donc que le stratagème utilisé, selon la légende, par les habitants de Brindes à l'encontre des compatriotes de Diomède, serait passé par l'intermédiaire des Grecs dans le recueil des Livres sibyllins, et aurait donné lieu à Rome, dans un moment où tout semblait effectivement perdu et où les Romains pouvaient croire que les dieux s'étaient mis du côté de leurs ennemis, leur promettant à brève échéance la possession du sol de la cité, à une application littérale. Dans la consultation des Livres les decemviri, y trouvant cette histoire, pouvaient voir à la fois une confirmation de leur crainte - le destin exigeant en effet que les ennemis deviennent maîtres du sol de Rome - et le moyen d'échapper à ce sort fatal. Comme jadis les Apuliens, il suffisait qu'ils donnent bien une parcelle de leur sol à leurs ennemis, mais, suivant un thème connu de tous les folklores, dans des conditions telles que l'accomplissement de ce don se retourne contre ceux à qui il aurait été fait. Dans ces conditions la mise à mort de 228 ne serait pas foncièrement différente de la plupart des nouveautés religieuses prescrites par les Livres sibyllins, qui, elles aussi, répondaient à un besoin ressenti dans des circons tances données de trouver un moyen inédit de se concilier les dieux à un moment où les procédés traditionnels apparaissaient insuffisants. A cette occasion les decemviri, devant l'imminence du péril gaulois, auront pu trouver dans leur recueil (voire y introduire pour la circonstance) la description d'une situation analogue, avec la menace des Grecs à l'encontre de Brindes, et le procédé voulu pour y remédier. Et c'est ainsi que nous serions tenté d'expliquer la juxtaposition de Grecs et de Gaulois. Les Gaulois étaient, tous les commentateurs l'ont souligné avec raison, parfaitement justifiés par la situation présente59. Mais comme le note J. Gagé il est peu probable qu'ils aient été désignés en tant que tels dans le texte des libri. L'application aux Gaulois résulte certainement de la prise en considération des circons tances, de la nation qui représentait effectivement un danger d'invasion pour Rome. Mais nous ne croyons pas pour autant que, si les Romains ont trouvé dans leur recueil l'histoire des enterrés vivants de Brindes (et à plus forte raison s'ils l'ont introduite à ce moment), l'allusion à l'approche
58 Ce côté aberrant du rite avait été noté par J. Gagé, Apollon romain, l. c, et J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Paris, 1957, p. 148. 59 En 216 il en allait encore de même dans une certaine mesure, Hannibal ayant incorporé nombre de Gaulois dans son armée.
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d'un envahisseur ait été anonyme. Il devait nécessairement être question, comme chez Justin ou Lycophron, de Grecs. C'était donc, selon l'exemple apulien, par l'ensevelissement de Grecs que le danger pouvait être évité. Ainsi, si on admet notre hypothèse, le fait de joindre un couple de Grecs au couple de Gaulois viendrait d'une fidélité littérale aux prescriptions du texte, bien qu'à Rome le danger vînt des seconds, et nullement des premiers comme à Brindes60.
On devrait donc considérer les ensevelissements romains du Forum Boarium, s'ils sont la transposition à Rome de ceux qui avaient dû avoir lieu, à une époque antérieure, à Brindes, comme étant au point de départ un simple stratagème destiné à prémunir la ville d'un envahissement jugé inéluctable, en 228 comme en 390. Mais cette signification originelle ne préjuge nullement de la valeur qu'ils ont pu assumer par la suite. Les mises à mort de Rome ne sont pas simplement, et cela dès 228, une copie conforme de celles de Brindes (et pas seulement parce qu'elles asso ciaient des Gaulois aux Grecs). Rien ne laisse supposer en effet que l'idée d'enterrer vivant un couple et non un individu isolé ait eu un précédent apulien. Or ce détail, dont F. Schwenn a bien mis en valeur la signification61,
60 Si on se refuse à admettre que les Romains aient pu d'eux-mêmes introduire des Gaulois dans un contexte faisant référence aux seuls Grecs, on notera que l'hypothèse apulienne permet aussi bien que l'étrusque, de rendre compte d'une éventuelle liaison originelle entre Grecs et Gaulois. Les Gaulois ont joué le rôle de mercenaires au service de Syracuse en Apulie. C'est en Iapygie qu'ils se rendent après la prise de Rome (Diod., XIV, 117,6), au moment où débute la politique adriatique de Denys (Diod., XV, 13, 1) et où le tyran va conclure, en Italie du Sud, une alliance formelle avec eux (Just, XX, 5, 4). On retrouve en 350/49 la liaison entre PApulie et les Gaulois au service de la politique syracusaine (Liv., VII, 26,9). Y aurait-il alors eu, dans cette région, une pratique du genre de celle qui sera attestée plus tard à Rome, et associant les deux ennemis des Apuliens, le Grec et le Gaulois son allié? Cela pose le problème, sur lequel nous n'avons aucune prise, du fondement historique de ce qui nous est perceptible uniquement sous une transposition légendaire. La réponse des gens de Brindes au souverain épirote garderait-elle le souvenir d'une coutume effectivement pratiquée dans la première moitié du siècle? C'est possible. Il faudrait alors supposer que le souvenir des formes réelles de la mise à mort (associant les Gaulois aux Grecs) se soit maintenu vivant, à côté de sa transposition légendaire, et que les Romains en aient eu directement connaissance. 61 Voir Menschenopfer bei der Griechen und der Römern, p. 151 sq. Un couple représente, par transposition magique, la totalité du peuple auquel il appartient, cette extension valant aussi bien dans l'espace que dans le temps (le peuple étant touché dans sa descendance).
LES ENTERRÉS VIVANTS DE BRINDES
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semble conférer à un rite qui, en Apulie, a une portée strictement défensive, une signification déjà plus vaste, une valeur déjà offensive. Cette pratique, qui sera définie par Orose comme un obligamentum magicum et dont Pline souligne le caractère militaire, indépendamment de tout danger couru par la ville de Rome, devait être ressentie dès l'origine comme vouant le peuple ennemi aux puissances infernales62. Car on ne peut guère penser que la signification de défense devant un danger d'invasion ait épuisé, dans la mentalité des Romains, et cela dès le début, la valeur du rite. Au fond ils devaient déjà être aussi sensibles que le seront les auteurs postérieurs à la gravité, à la cruauté de ce geste. Les Romains de 228 étaient déjà bien frottés de culture grecque! Mais ce rituel devait justement valoir à leur yeux du fait de son caractère inouï. Il devait leur apparaître comme un recours ultime, effrayant et mystérieux, particulièrement propre à agir, du fait de l'offrande souterraine d'êtres vivants, sur les puissances infernales. Et c'est pourquoi on peut fort bien admettre que la signification en était déjà altérée en 216, et qu'on se serait borné à répéter cette année là un rite qui avait prouvé son efficacité quelques années plus tôt, quand bien même l'effort d'adéquation à la réalité présente qui aurait introduit les Gaulois à côté des Grecs en 228 aurait très bien pu se poursuivre, et justifier cette fois l'adjonction d'un couple carthaginois63. Et surtout en 114, si un ensevelissement a bien eu lieu cette année, il faut admettre qu'il ait pu être senti comme une simple propitiation des puissances infernales, ind épendamment de toute signification d'ordre militaire. Mais ces « déviations » ne sont pas étonnantes si on admet que, finalement, déjà en 228, cette pratique représentait pour les Romains un recours à un moyen insolite et barbare, jugé comme tel, mais senti comme seul efficace dans une période où, devant le danger de voir les Gaulois s'emparer de la Ville comme ils l'avaient fait au siècle précédent, tout semblait perdu. Quand son existence même est en jeu - et c'était bien de cela qu'il s'agissait lorsque la menace
62 De toutes manières le rite a pu fort bien avoir ce sens déjà dans ses lointaines origines apuliennes. mais nous avons déjà souligné que nous ne pouvions le saisir, au IVe s., qu'à travers la transposition légendaire qui en avait été faite, laquelle peut en limiter la portée réelle. 63 Bien sûr on peut trouver des justifications à la mise à mort de Gaulois et même de Grecs, à un moment où la fidélité des Grecs d'Italie était chancelante (et encore, était-ce alors de bonne politique que de les rejeter, par ce rite, dans le camp des ennemis?). Mais comme le dit J. Gagé (o. c, p. 257) « la répétition du sacrifice des Gaulois et des Grecs n'est plus qu'un expédient rapidement calculé et déjà presque routinier».
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DOMINIQUE BRIQUEL
venait des Gaulois, ainsi que le ressentait encore Salluste près de deux siècles après ces événements64 - qui cherche autre chose que l'efficacité? Qui s'embarrasse de définitions religieuses précises?
TABLEAU DE COMPARAISON Β RIND E S légende des Etoliens
ROME meurtre rituel de 228
Just.: Aetoli pulsi ab Apulis consulentes oraculum responsum acceperant, locum qui repetissent perpetuo possessuros.
Dio: έκ χρησμού τινός δειματωΟέντες λέγοντος Έλληνα καί Γαλάτην καταλήψεσ&αι το άστυ . . . Zon.: λογίου δε ποτέ τοις 'Ρωμαίοις έλοόντος καί "Ελληνας καί Γαλατάς το άστυ καταλήψεσυαι . . .
hac igitur de causa per legatos cum belli comminatione restituì sibi ab Apulis urbem postulaverunt.
danger gaulois
sed ubi Apulis oraculum innotuit inter fectos legatos in urbe sepelieverunt. Schol. 1056: oi Δαΰνιοι λαβόντες κατέχωσαν αυτούς ζώντας.
Plut.: ήναγκάσοησαν είξαι λογίοις τισίν έκ των Σιβυλλείων καί δύο μεν Έλληνας, άνδρα καί γυναίκα, δυο δε Γαλατάς ομοίως έν τη καλούμενη βοών άγορςί κατορύξαι ζώντας.
λέγοντες · άπειλήφατε τον κλήρον της γης υμών öv αιτείτε παρ' ημών.
Zon.: ïv' οϋτως επιτελές το πεπρωμένον γενέσυαι δοκη καί τι κατέχειν της πόλεως κατορωρυγμένοι νομίζωνται.
64 Voir Jug., CXIV: Inde ad nostram memoriam Romani sic habuere: alia omnia virtuti suae prona esse; cum Gallis pro salute, non pro gloria certare.
JEAN-PIERRE CALLU
ELEPHANTS ET COCHONS: SUR UNE REPRÉSENTATION MONÉTAIRE D'ÉPOQUE RÉPUBLICAINE
Le très riche médaillier de la Banque de France vient d'acquérir un de ces rares spécimens de lingots qui à Rome ont précédé la frappe de monnaies proprement dites: il s'agit d'un poids rectangulaire de 1, 535 kg. où alternent sur les deux faces un éléphant et une truie \ On a déjà beaucoup écrit sur ces images insolites, si bien que nous aurions eu scrupule à y revenir si, d'une part, deux livres récents n'avaient repris le problème2, si, d'autre part, nous n'avions pas une pièce à joindre au dossier. Les numismates 3 s'accordent à placer « peu avant 289 » l'apparition de Vues signatum, sa disparition « vers le milieu du IIIe siècle ». De leur côté, les spécialistes de l'iconographie animale n'hésitent pas à reconnaître l'origine indienne de l'éléphant. Cela étant, une référence à Pyrrhus qui le premier en 280 introduisit le pachyderme oriental en Italie ne pouvait être esquivée. Alors le cochon? Là encore consensus presque unanime pour rendre compte de sa présence par un texte d'Elien, dans VHistoire des Animaux. Voici le passage: Όρρωδεΐ ό έλέφας κεράστην κριον και χοίρου βοήν · ούτω τοι, φασί, και 'Ρωμαίοι τους συν Πύρρω τω Ηπειρώτη έτρεψαντο ελέφαντας και ή νίκη συν τοις 'Ρωμαίοις λαμπρώς έγένετο4.
1 Ch. Gastineau, Quelques représentations animales dans la numismatique grecque et romaine, dans Le bestiaire des monnaies, des sceaux et des médailles, Paris, 1974, p. 35-61, en particulier, p. 43, n. 2 et p. 46-47: «sanglier» sic, (fig. 1). 2 H. Zehnacker, Moneta, Recherches sur l'organisation et l'art des émissions monét aires de la république romaine (289-31 av. J.-C), Rome, 1973, p. 204-222; H. H. Scullard, The Elephant in the Greek and Roman World, Cambridge, 1974, p. 101-119, 270-272 et pi. XIV. 3 H. Zehnacker, op. cit., p. 207, qui s'appuie sur R. Thomsen, Early Roman Coinage, Copenhague, III, 1969, p. 146, où est donnée la bibliographie antérieure. 4 Ael, Nat. anim., I. 38.
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Ainsi l'éléphant redouterait le cri du porc et c'est parce qu'usant de ce stratagème les Romains l'avaient emporté sur Pyrrhus qu'ils auraient voulu sur un outil monétaire rappeler les protagonistes de l'événement. A priori les traditions numismatiques romaines ne s'opposent pas à une telle interprétation. Il suffit de songer, par exemple, aux deniers portant au revers les rois vaincus d'Afrique ou de Narbonnaise 5; par ailleurs, qu'il y ait une liaison entre les deux faces du lingot est prouvé par d'autres éléments de la même série: pour prendre le moins contestable, épée et four reau sont couplés sur un de ces aes signata6. Les historiens7, néanmoins, se montreront plus réservés. Etudiant les trois affrontements de Pyrhus avec les Romains, Héraclée en 280, Ausculum en 279, Bénévent en 275, ils remarqueront que les sources antiques: Denys d'Halicarnasse, Zonaras et - ce qui est plus important encore, car il se fonde sur des documents peut-être contemporains - Plutarque, ne disent mot de l'épisode. Ce qu'ils notent, est que tant à Héraclée qu'à Ausculum les charges des éléphants de l'Epirote emportent la décision8; à Bénévent, au contraire, Pyrrhus perdit plusieurs bêtes qui, faites prisonnières, figurèrent, selon une tradition attestée par Pline, Sénèque, Florus, Eutrope, dans le triomphe de Manius Curius9. Muette par conséquent sur l'intervention des cochons, l'histoire fournissait toutefois avec la troisième bataille une base sur laquelle asseoir, le cas échéant, une anecdote avantageuse. Dans quel contexte, celle-ci s'élabore-t-elle chez Elien, auteur d'époque sévérienne 10? Pour le savoir, il convient de se référer à un autre passage (XVI, 36) de la Nature des Animaux:
8765 V.g. Syd.H.P. H. Plut., 519-524 Scullard, Pyrrhus, Leveque, (Bituitus); op. 16-17, Pyrrhus, cit., 21, p.879-881 115. Paris, 25 - Dion., (Jugurtha). 1957, XIX, p. 371-373. 12; XX, 1-3 et 11-12; Zonar., VIII, 2; 3; 5, 1-7 et 6,6. Voir encore Plin., NH, VIII, 16; Elephantos Italia primum uidit Pyrrhi régis bello et boues Lucas appellami in Lucanis uisos anno urbis CCCCLXXII, Roma autem in triumpho VU annis ad superiorem numerum additis; Flor., I, 18: elephanti... quorum cum magnitudine turn deformitate et nouo odore simul ac stridore consternati equi; lustin., XVIII, 1: sed Romanos uincentes iam inuisatata elephantorum forma stupere primo, mox cedere proelio (Pyrrhus) coegit; déjà Lucrèce, V, 1301, emploie l'expression boues Lucas. 9 Supra, n. 8; Senec, Breu. uit, 10, 13, 3; Flor., I, 13, 13 et 28; Eutrop., II, 14, 3. Sur la foi de Pline, VII, 139, on a parfois affirmé qu'un triomphe avec des éléphants n'eut pas lieu à Rome avant la Première Guerre Punique, mais le texte est controversé. 10 Ëlien, Italien de Préneste, a dû vivre entre 170 et 230 cf. P.W. 1, 1894, col. 486-487 (M. Wellmann).
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"Οτι δεδοικεν ΰν έλέφας ανωτέρω εΐπον11· το δε έν Μεγάροις γενόμενον, Μεγαρέων ύπ' Αντιπάτρου πολιού ρκου μένων, έυέλω ειπείν, και μέντοι το είρησόμενον τοϋτό έστι. Των Μακεδόνων βιαίως έγκειμένων, ΰς πίττη χρίσαντες ύγρφ και ύποπρήσαντες αύτάς, άφήκαν εις τους πολεμίους. Έμπεσοΰσαι δε άρα έκεΐναι οίστρημέναι ταΐς των ελεφάντων ΐλαις και βοώσαι, άτε έμπιμπράμεναι, έξέμαινον τους ΰήρας και έτάραττον δεινώς. Οϋτε γοϋν εμενον έν τάξει, οϋτε ήσαν ετι πράοι καίτοι και έκ νηπίων πεπωλευμένοι, είτε φύσει τινί oi ελέφαντες ιδία μισοΰντες τας ύς και μυσαττόμενοι, εϊτε και της φωνής αυτών το όξύ και άπηχές πεφρικότες εκείνοι. Συνιδόντες ούν έκ τούτου οι πωλοτρόφοι των ελεφάντων ύς παρατρέφουσιν αύτοΐς, ως φασιν, ϊνα γε έκ της συνήθειας ήττον όρρωδώσιν αύτάς. On le voit: les gens de Mégare repoussent les Macédoniens selon un procédé analogue à celui que, d'après le même Elien, les Romains auraient utilisé contre Pyrrhus: des truies enflammées jettent la panique parmi les éléphants bouleversés par leurs cris. Cette page mérite de retenir l'attention. N'est-il pas curieux, en effet, qu'Elien raconte deux fois une aventure quasiment identique et cela - on ne l'avait pas assez remarqué avant Scullard - à propos de faits contemporains? Mais si ce synchronisme ne s'imposait pas toujours, la raison en était que, se fondant sur l'assertion d'Elien, on faisait d'un Antipater, l'Ancien ou le Jeune, l'adversaire des Mégariens 12. Pourtant, dès le milieu du XIXe s., Ph. Le Bas 13 avait observé que la bonne lecture était Antigonos. Démonstration assurée par deux auteurs antiques: d'abord Elien lui-même qui, en un autre chapitre du De Natura Animalium, évoquait devant la cité de l'Isthme les éléphants de Gonatas. Cadre et personnages y étaient rapidement esquissés, avant que ne fût contée la fable de Victoire, le pachyderme femelle qui, avec l'affection d'une nourr ice, berçait un petit enfant orphelin 14. Plus décisivement, Polyen dont les Stratagèmes sont dédiés à Lucius Verus 15, associe, sans aucune ambiguïté, Antigone Gonatas, le siège de Mégare et le lancer des truies contre les éléphants, à la manière dont quelques décennies plus tard, Elien devait composer son récit 16. 11 Autant qu'au texte indiqué supra n. 4, Elien pouvait se rapporter à Nat. anim., VIII, 28; φύσεως δε απόρρητα έλεγχειν ούκ έμόν, και είκώτος · έπει καί άλεκτρυόνα δέδοικε λέων, και τον αυτόν βασιλίσκος καί μέντοι καί ΰν ό έλέφας. 12 Ainsi encore Ρ. Leveque, H. Zehnacker; antérieurement, Ο. Keller, Die antike Tierwelt, Leipzig, 1909, p. 379. 13 Ph. Lebas dans P. Armandi, Histoire militaire des éléphants, Paris, 1843, p. 531-539. 14 Nat. anim. XI, 14. Le texte commence ainsi: "Οτε γοϋν Αντίγονος έπολιόρκει Μεγαρέας, ένί των ελεφάντων τών πολεμικών συνετρέφετο καί ΰήλυς όνομα Νίκαια... 15 P.W. 21, 2, 1952, col. 1432-1436 (F. Lamment). 16 Polyaen., IV, 6, 3: Αντίγονος Μέγαρα πολιορκών τους ελέφαντας έπήγαγεν. Οι Μεγαρείς συάς καταλείφοντες ύγρφ πίσση καί ύφάπτοντες ήφίεσαν · αϊ δε, ύπο του πυρός καιόμεναι, κεκραγυΐαι
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Reste à dater l'épisode grec. L'enquête n'a guère été faite ou du moins elle n'a abouti qu'à des résultats approximatifs. Quelquefois on se contente de poser des terminus: après 279 17, avant la guerre chrémonidienne 18. Au siècle passé, Droysen, suivi par Melber 19, s'arrêtait à l'année 266. Depuis Tarn20, il était proposé de reculer jusqu'aux environs de 270, mais voici peu, P. Goukowsky a placé l'incident encore plus haut en 276, lors de la première mainmise d'Antigone sur la Grèce21. Admettons maintenant qu'à Bénévent comme à Mégare des cochons aient couru sur des éléphants22. Scullard qui se ralliait à l'hypothèse de Tarn, imagine qu'en l'occurrence le stratagème, inventé par les Romains, fut vite connu et imité au delà de l'Adriatique. Mais si le rapport chronologique peut être inversé, si priorité est envisageable pour la ruse des Mégariens, n'est-on pas amené à reconsidérer la valeur probante de Yaes signatum romain? Elucider les images du lingot par un événement ponctuel, Elien nous y invite, mais lui seul. A la vérité pourtant, mais en reprenant l'explication circonstancielle sous un angle assez différent, les propositions du Prénestin
πολλφ δρόμω εις τους ελέφαντας έωέπιπτον · οι δε οίστρώντες και ταρασσόμενοι, άλλος άλλη διέφευγον · Αντίγονος του λόιποΰ προσέταξε τοις Ινδοΐς τρέφειν ύς μετά των ελεφάντων, ϊνα τήν όψιν αυτών και την κραυγήν τα οηρία φερειν έοιζοιτο. 17 U. V. Wilamowitz-Moellendorf, Antigonus von Karystros, Berlin, 1881, p. 226, n. 50 E. Meyer, s.w. Megara, PW, 29, 1931, col. 195, écrit simplement: «Die Freiheit dauerte nicht lange, denn im Zusammenhang mit der allgemeinen Wiederherstellung des griechischen Reiches eroberte Antigonos auch Megara zurück ».L'affaire de Mégare n'a pas trouvé place dans L'Histoire politique du monde hellénistique d'E. Will, Nancy, 1966. 18 FGH, II C, 81, p. 138, § 36 (F. Jacoby). 19 J. G. Droysen, Histoire de l'hellénisme, Paris, 1885, III, 1 p. 229; J. Melber, Ueber die Quellen und den Wert der Strategemsammlung Polyäns, Jahrb. f. class. Phil., XIV, suppl. 1885, p. 627; Ph. Lebas cf. supra n. 13. «vers 265». 20 W. W. Tarn, Antigonus Gonatas, Oxford, 1913, p. 286, n. 29: «but in 270 he recovered Euboea and again placed it under Krateros. It was perhaps at this time that he occupied Megara, though this is uncertain» (date adoptée par A. F. Scholfield dans son édition d'Elien, Loeb, II, 1959). - En fait, Antigonus disposait d'éléphants soit entre 277 et 274, soit après la mort de Pyrrhus, en 272. 21 P. Goukowsky, Le roi Poros, son éléphant et quelques autres (en marge de Diodore, XVII, 88, 6), BCH, 96, 1972, p. 473-502, p. 483, n. 36; cf. Trog. Prol. 26,1: quibus in urbibus Graeciae dominationem Antigonus Gonatas constituent. 22 Historiquement la décennie 280-270 est singulièrement riche pour qui s'intéresse aux pachydermes: outre Mégare (276 ?) et Bénévent (275), en 275 Antiochus triomphe grâce à eux des Galates et dans les années 270 Ptolemée II organise à Alexandrie une colossale procession de 24 chars tirés par des éléphants.
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pourraient, à en croire G. Nenci23, recevoir l'appui d'un second témoignage tiré de la littérature: pour le savant italien, des cochons ont bien mis les éléphants en déroute, mais par l'effet d'un prodige, car ce sont les quadru pèdesreprésentés sur les signa de la 5e légion qui brusquement auraient été animés de cris effrayants. Un vers d'Ennius conserverait le souvenir de cette intervention extraordinaire24. Il est tout à fait exact qu'avant Marius25, le porc «bête sacrificielle des origines romaines » 26 comptait au nombre des cinq signa militarla 27. Mais dans cette bataille d'Ausculum, prise à tort par Nenci pour l'occasion du stratagème quatre et non cinq légions prirent part au combat: la descrip tion minutieuse de Denys d'Halicarnasse ne peut là dessus laisser le moindre doute28. Dès lors, il devient difficile d'extrapoler à partir d'un vers isolé, au demeurant d'une lecture ambiguë29.
23 G. Nenci, Un prodigio dei signa nella battaglia di Ausculum e le origini di un topos fisiologico. Riv. di Filol. Istruz. Class., 34, 1956, p. 391-404; Id., Un leggendario episodio della guerra di Pirro in un frammento enniano incerti loci (A.v. 459 Vahlen2), St. Class, e Or., 5, 1956, p. 117-125. 24 Varrò, De L.L. edd. G. Goetz-F. Schoell, Leipzig, 1910, VII, 46: Apud Ennium: «Iam caia signa fere sonitum dare uoce parabant» Cata acuta: hoc enim uerbo dicunt Sauini; quare «catus (A)elius sextus», non, ut aiunt, sapiens, sed acutus, et quod est «tunc c(o)epit memorare simul cata dieta », accipienda acuta dieta. Nenci modifie fere en ferae et il a raison, puisque l'archétype Laur. LI, 10, XIe s. l'y autorise. En deuxième lieu, comme dans la seconde et troisième citation d'Ennius faites par Varron, catus est pris dans un sens figuré, il se croit obligé de choisir la même acception dans le premier cas. Il traduira donc «Già i sagaci signa si apprestavano ad emettere con la loro voce di animale un suono». - Par ailleurs, il est assuré qu'Ennius a introduit dans ses Annales des éléphants indiens qui doivent être ceux de Pyrrhus, A 607 Vahlen2: tetros elephantos, cf. Serv. ad Aen. IV, 404: hemistichium Ennii, de elephantis dictum, quo Accius usus est de Indis. 25 Plin., NH, X, 5: Romanis earn (aquilam) legionibus C. Marius in secundo consulatu suo proprie dedicauit. Erat et antea prima cum quattuor aliis: lupi, minotauri, equi aprique singulos ordines anteibant. Paucis ante annis sola in aciem portari coepta erat, reliqua in castris relinquebantur. Marius in totum ea abdicauit. 26 Varrò, R.R., II, 4, 9: At suillo genere pecoris immolandi initium primum sumptum uidetur: cuius uestigia, quod initiis Cereris porci immolantur, et quod initiis pacis foedus cum feritur, porcus occiditur; J. Carcopino, Virgile et les origines d'Ostie, Paris, 1919, p. 692. 27 P. Fest. p. 267, 5, Lindsay: Porci effigies inter signa militaria quintum locum obtinebat, quia confecto bello inter quos populos pax fiebat, caesa porca foedus firmari solebat. 28 L'ordre de bataille met en place seulement 4 légions; l'allusion d'Orose, IV, 3, à une octava legio n'est pas recevable, le nombre de 6 n'étant attesté par Tite Live, XXI, 17, 3 qu'en 218. 29 Grammaticalement signa peut être nominatif ou accusatif, ferae génitif ou nominatif; quant au sens, l'étude des parallèles ne sert à rien, puisque, comme le remarque Nenci, « in
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Aussi bien A. Alföldi et après lui H. Zehnacker30 ont-ils raison de se demander si une interprétation plus générale ne serait pas préférable ou à tout le moins aussi acceptable. De fait - et il faut y insister, car on l'a parfois nié31 - l'éléphant est le totem des Epirotes. Autrement, on ne com prendrait pas pourquoi, dans une émission monétaire, les Tarentins, alliés de Pyrrhus, l'ont placé sous la figure de Taras, le héros de leur ville32. Parallèlement, la truie peut être tenue pour l'emblème des Latins. L'Enéide a popularisé la rencontre miraculeuse de la femelle aux trente gorets, mais déjà le groupe huius suis ac porcorum se dressait sur l'antique forum de Lavinium et depuis la fin du IIIe s., Fabius Pictór, par la suite Caton et Lycophron en reconnaissaient la valeur symbolique33. La signification donnée ainsi au lingot est à nos yeux beaucoup plus satisfaisante, puisqu'elle se fonde sur des symboles dont l'un est sûrement contemporain et l'autre déjà bien vivant quelque soixante ans plus tard. L'objection par laquelle Scullard croit démolir cette thèse d'une lutte entre deux puissances figurées par leur animal représentatif, la fortifie au contraire à notre sens. La truie, dit-il, vaut pour les Latins, non pour Rome; au reste, celle-ci durant la guerre sociale adoptera la louve. Mais, en réalité, face à Pyrrhus et à ses alliés italiens, les Romains avaient tout intérêt à réaffirmer
Ennio non ricorre altrove signum, né col significato di segnale di tromba, né con quello di insegna». La première acception n'est donc pas à écarter et qu'on retienne ferae ou fere, rien n'empêche de traduire avec F. M. Brignoli, Gli Annali di Ennio, Rome, 1937, p. 161: «Già le trombe squillanti a dare il segno / con la tremenda voce erano pronte» (cf. Α., 140: At tuba terribili sonitu taratantara dixit). - On remarquera comme une coïncidence bizarre mais sans signification que si dans les années antérieures au 2e consulat de Marius une 5e légion arborait un sanglier comme signum, la legïo V depuis Thapsus portait l'éléphant de Juba sur ses étendards (Appian., Bell, ciuil., II, 96). 30 Supra, n. 2; A. Alföldi, Timaios' Bericht über die Anfänge der Geldprägung in Rom, MDAI(R), 68, 1961, p. 72. 31 G. Hafner, Schild oder Rad? Beobachtungen zum Bildschmuck des aes signatum, JRGZ, 10, 1963, p. 34-43. 32 H. H. Scullard, op. cit., pi. XIV a; E. Ravel, Descriptive Catalogue of the Collection of Tarentine Coins formed by M. P. Vlasto, Londres, 1947, pi. XXIII, n° 710-712 et XXIV, n° 732-738; NC, 6, 10, 1950, p. 280. - Les monnaies étrusques avec éléphant à sonnette, crues un temps contemporaines de Pyrrhus par E. Babelon, La grande encyclopédie, s.v. Eléphant, t. 15, p. 814, datent, comme l'ont montré R. Pedani et J. Heurgon, des campagnes d'Hannibal. 33 Verg., Aen., VIII, 41 sqq.; Lycophron, Alex., 1253-1256 (c. 196); Orig. gentis Rom., XII, 5; Varrò, R. R., II, 4, 18; J. Perret, Les origines de la légende troyenne de Rome, Paris, 1942, p. 281, 324-333, 350, 491-493.
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leur vieille alliance avec les cités latines. Ils agirent de même à l'époque d'Hannibal. Contre les envahisseurs du dehors, Rome se veut le champion d'une unité qui justement ne sera remise en cause que lorsque le taureau samnite tentera de terrasser la lupa romaine34. Inversement, nous croyons que l'affaire des cochons de Mégare a toutes les apparences d'être authentique. Nos raisons tiennent à la fois à l'histoire des sources et à la vraisemblance. Nous évoquions naguère l'anecdote de l'éléphant Victoire. Elle nous est parvenue par un autre canal que le De natura animalium. Athénée, il est vrai sans préciser le contexte événementiel, la narre à son tour, en se référant à Phylarque, dont le floruit correspond au second tiers du IIIe s. avant notre ère35. Sans doute, le patronage de cet historien proche des faits - il appartient à la génération suivante mais utilise vraisemblablement Hieronymos de Cardia - n'est-il valable, en toute rigueur, que pour le conte de l'éléphant berceur; cependant Melber qui a étudié l'origine de la documentation traitée par Polyen36, admet que l'ensemble des récits extraordinaires liés au siège de Mégare pouvait déjà être rapporté par Phylarque dans son livre XX. Présomption d'ancienneté, mais aussi plus grande normalité de l'incident. Quitte à introduire des cochons dans un combat, il y a moins d'étrangeté à le faire dans une cité assiégée que lors d'une bataille en rase campagne. Certes des convois de porcs sur pieds ont pu accompagner l'armée romaine en marche contre Pyrrhus: Hannibal, ultérieurement, lancera contre ses adversaires des bœufs porteurs de torches 37. Toutefois, lorsqu'à l'autre extrémité des Annales de Rome, en 544, on aura à nouveau recours au stratagème mégarien, ce sera dans Edesse investie par les Sassanides, l'animal étant suspendu du haut d'une tour38. Argument supplémentaire: il était fort aisé
.
34 H. H. Scullard, op. cit., p. 107-272; H. Zehnacker, op. cit., p. 314 et 562; L. Cracco Ruggini et G. Cracco, L'eredità di Roma, in Storia d'Italia, V, / documenti, Turin, 1973, p. 1-45. 35 Supra, η. 18; Athen., Deipnos., XIII, 606: Ό δε αυτός ιστορεί Φυλαρχος δια της εικοστής οσην έλέφας το ζωον φιλοστοργίαν εσχεν εις παιδιόν ■ γράφει δ' οϋτως · τόυτω δε τω έλέφαντι συνετρέφετο Οήλεια έλεφας ήν Νίκαιαν έκάλουν . . . >6 Supra η. 19 - En schématisant, on a les enchaînements suivants: 1) Eléphant Victoire: Phylarque, Athénée, Elien (XI, 14); 2) Eléphant Victoire - Antigone - siège de Mégare: Elien (XI, 14); 3) Antigone - siège de Mégare - éléphants et cochons: Polyen; 4) Siège de Mégare - éléphants et cochons - Antipater: Elien (XVI, 36). 37 Rapprochement institué par H. H. Scullard, op. cit., p. 114; Liv., XXII, 16: boum quos domitos indomitosque multos inter ceteram agrestem praedam agebat. 38 Procop., Bell, goth., IV, 14, Β 533: άλλα 'Ρωμαίοι χοΐρον έκ του πύργου έπικρεμάσαντες τον κίνδυνον τούτον διεφυγον ■ κραυγμον γαρ τίνα, ων ώς το εικός ήρτημενρς, ό χοίρος ένοένδε ήφίει,
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de trouver des porcs à l'intérieur de la ville grecque, car on y en faisait trafic et depuis les Achéens d'Aristophane le marchand de cochons de Mégare était personnage de comédie39. La ruse a donc, semble-t-il, été inventée en 276 à Mégare. Les habitants ont voulu arrêter les éléphants par une masse mouvante de feu, en se servant des troupeaux qu'ils avaient à leur disposition. Il s'est trouvé que le cri40, plus que le feu, effraya les pachydermes. Tous en furent surpris, aussi bien les Mégariens qui n'avaient été instruits par aucun précédent qu'Antigone qui dut prendre des mesures pour le dressage de ses bêtes. Né alors, le topos éléphants - cochons entre dans la littérature. Aristote avait longuement parlé des éléphants, sans rien dire, pourtant, d'une phobie, qui, si elle s'était déjà manifestée, ne lui aurait certainement pas échappé. Par contre, à la fin de la période hellénistique, par des relais qui nous sont inconnus, il se pourrait que le thème ait été recueilli par le roi Juba II dont l'œuvre sera lue par ceux qui à l'époque impériale s'intéressaient à la zoologie41. De là, soit par tradition indépendante, soit par le biais d'excerpta, dériveraient les remarques faites par Sénèque42, Pline43, Plutarque 44 et bien sûr Elien 45. Ce dernier, à son tour, devait donner un second souffle à ce développement entretenu par plusieurs auteurs jusqu'aux pre miers siècles de l'ère byzantine46.
ονπερ ό έλέφας άχυόμενος άνεχαίτιξε καί κατά βραχύ άναποδίζων οπίσω έχώρει. Récit transcrit à peu près complètement par la Souda, s.u. κεκραγμόν. 39 Citons simplement ces quelques lignes où, Aristophane jouant sur le sens obscène du terme χοίρος (cf. F. Chamoux, Mélanges P. Boyancé, Rome, 1975, p. 153-162), le Mégarien métamorphose un instant de jeunes femmes en truies: «Vous aurez bien soin de grogner et de faire coï et d'imiter la voix des cochons qu'on immole dans les mystères», éd. V. Coulon et H. van Daele, Belles Lettres, 1934, v. 521, 739-741 et p. 43, n. 3. 40 Exemple postérieur d'éléphants terrifiés par le son des trompettes: Flor., II, 13, 67 (engagement contre Juba I). 41 M. Wellmann, Alexander von Myndos, Hermes, 26, 1891, p. 481-566; Id., Juba, Eine Quelle des Aelian, ibid., 27, 1892, p. 389-406. 42 Senec, De ira, II, 11,5: elephantos porcina uox terrei. 43 Plin., NH, VIII, 27: iidem (elephanti) minimo suis stridore terrentur. 44 Plut., De soll. anim. 32: ή δ" αιτία δυσλόγιστος, εϊτε φεύγει τα οηρία τον άνυιάν, ώς συν ελέφαντες, άλεκτρυονα δε λέοντες {cf. supra n. 11). 45 Avant Elien, au second siècle de notre ère, écrivent sur les éléphants Amyntianus et le médicin Aretaeus cf. H. H. Scullard, op. cit., p. 219. 46 G. Nenci a révélé un texte des Hieroglyphica, § 86 d'Horapollon, datable du règne de Zenon et qui procède d'Èlien: Βασιλέα φευγοντα φλυαρον ανορωπον βουλόμενοι σημήναι, ελέφαντα ζωγραφδυσι μετά χοίρου · εκείνος γαρ, άκοΰων φωνής χοίρου, φεύγει. Il cite aussi un con-
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A quel moment a-t-on rétrojeté sur Vaes signatum l'anecdote du strat agème? Peut-on en créditer Elien, de culture grecque mais de souche italienne? Doit-on remonter vers le Haut-Empire, voire vers des temps plus anciens où aux textes précités s'ajouteront deux témoignages supposant une diffusion hors des milieu érudits, nous voulons parler d'une fable47 et d'une pierre gravée48? Il est peu aisé de trancher49. En tout cas, le mécanisme était toujours prêt à fonctionner. Nous souhaiterions en donner la preuve, en produisant une pièce qui, à ce jour, ne l'a été que d'une manière indirecte. En 1843, P. Armandi, dans son Histoire militaire des éléphants, renvoyait à une étude parue peu d'années auparavant où J. Berger de Xivrey avait
temporain d'Héraclius, Georges Pisidès, Hexaemer., v. 975-976: και των ελεφάντων έκφοβοΰσι το κράτος / τα μικρά γρυλλίζοντα τών χοίρων βρέφη. - Pour Procope et la Souda cf. supra n. 38. - Enfin, mais à des siècles de distance, Man. Phil., Expos, de eleph., v. 178-180: Πΰρ δε πτοείται και κριον κερασφόρον / και τών μονιών την βοήν την άοροάν; le roi des Hieroglyphica identifié avec Pyrrhus par Nenci serait donc Antigone Gonatas. 47 B. E. Perry, Aesopica, Urbana, 1952, p. 407, n° 220: Κάμηλος, έλεφας και πίοηκος. Τών αλόγων ζώων βουλομένων βασιλέα έλέσυαι, κάμηλος και έλεφας καταστάντες έφιλονείκουν, και δια το μέγε&ος τοΰ σώματος και ôià τήν ίσχύν έλπίζοντες πάντων προκρίνεσυαι · πίθηκος δε αμφότερους άνεπιτηδείους εφη είναι τήν μεν κάμηλον διότι χολήν ούκ έχει κατά τών άδικουντων, τον δε ελέφαντα ότι δέος εστί μη αϋτοΰ βασιλεύοντος χοιρίδιον, <ö> δέδοικεν, ήμϊν έπιυήται. Selon Perry (éd. Babrius and Phaedrius, Loeb. 1965, p. xvi), « the original compilation was probably made in the second century, if not in the latter part of the first». Scullard qui connaît ce texte, fait état d'un passage du Talmud, Baba Mezia, fol. 38b, où en Babylonie l'éléphant remplace le chameau dans un proverbe juif, op. cit., p. 272. 48 F. Imhoof-Blumer et O. Keller, Tier und Pflanzenbilder auf Münzen und Gemmen des klassischen Altertums, Leipzig, 1889, pl. XIX, 40: cochon aurige dans un char tiré par un éléphant (fig. 2). Commentaire de cette sardoine du milieu du Ier s. av. J.-C. par Scullard, op. cit., p. 271: «Such humourous little scenes seem to have been popular: another gem shows an elephant emerging from a snail-shell and a third an elephant coming out of a conch-shell and ridden by a rabbit. See H. B. Walters, Catalogue of the Engraved Gems and Cameos, Greek, Etruscan and Roman in the British Museum, 1926, n° 2339, 2340, 2341»; S. Reinach, DA, s.u. Eléphant, p. 536-544. 49 Secondairement, se développait une deuxième antinomie, cette fois entre l'éléphant et le bélier. Attestée par Plutarque, Quaest. conu., II, 7, 3, elle l'est ensuite par Sextus Empiricus, Pyrrh. hypot, I, 68, puis par Elien en I, 38, c'est-à-dire là où, à propos des cochons, référence est faite à la victoire sur Pyrrhus. Là encore, au Ve s., les Hieroglyphica d'Horapollon repren nentla tradition élienne; on en retrouvera la trace par la suite dans les Géoponiques, XV, 1, 3 (Xe s.) et chez Manuel Philes cf. supra, n. 46. Nenci ignore l'origine de cette deuxième phobie. A titre d'hypothèse, on rappellera qu'Alexandre, vainqueur des éléphants de Porus, fut affublé des deux cornes de la puissance. Voir encore le casque à cornes de bélier des souverains sassanides.
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publié quelques fragments d'une Histoire d'Alexandre50. Au chapitre XXXI de cette œuvre écrite avant 1448 51, Jean Wauquelin imaginait la harangue du Conquérant devant une attaque de pachydermes; « Faites tos venir tous les pors de l'ost, et les faites battre, si que ils s'escrient, et si faittes declicqnier trompettes et clarons, et aveucq gettez chacun ung cry au plus hault que faire se potrà, et j 'espoir que vous les verrez tantos tourner en fuyes, si me sieuwez et faittes comme vous me verez faire ». Nenci a recopié, sans commentaire, le renseignement donné par Armandi. Il nous a semblé intéressant d'en savoir un peu plus long. Au reste, une recherche récente nous ayant familiarisé avec la geste du Macédonien à la fin de l'Antiquité, nous sommes, sans trop de peine, remonté de Jean Wauquelin à VEpistula Alexandri ad Aristotelem de itinere suo et de situ Indiae. Incorporée en grec sous une rédaction courte dans l'état sévérien du roman du Pseudo-Callisthène, cette lettre a été l'objet, à la charnière des IVe et Ve s., d'une version latine séparée et amplifiée 52. C'est là qu'il fallait chercher. Et de fait, aux pages 205-106 de l'édition Kiibler on lit ce qui suit: iuxta amnem Buebar coeperamus uelle soporari sub pura node hora diei undecima, cum subito pabulatores lignatoresque exanimati omnes aduenerunt, simul nuntiantes, ut celerius arma caperemus, uenire e siluis elephantorum immensos grèges ad expugnenda castra. Imperaui ego Thessalicis equitibus, ut ascenderent equos secumque tollerent sues, quorum grunnitus timere bestias noueram, et occurrere quam primum elephantis iussi. Deinde alios cum hastis armatosque sequi équités et tubicines omnes in prima adesse ade et equis insidentes praecedere; pedites omnes remanere in castris iussi. Ipse cum Poro rege et equitatu praecedens uidi examina bestiarum erectis in nos promuscidibus tendentia. Quorum terga et nigra et candida et rubri coloris et uaria quaedam erant. Hos Porus capabiles mihi in usum bellorum affirmabat facillimeque auerti posse, si ab equitibus uerberari sues non désistèrent. Qui nihilominus + nec mora trépidantes elephanti conuersi tam plures quam pugnae priores, saltus petiere; cessere bucinus hominum et grunnionibus suum attoniti. Un texte de plus dans une série? Oui, sans doute. Mais en même temps un critère nouveau d'appréciation. Il est tout à fait certain que dans
50 P. Armandi, op. cit., p. 282; J. Berger de Xivrey, Traditions tératologiques, Paris, 1836, p. 407 sq. 51 P. Meyer, Alexandre le Grand dans la littérature française du Moyen Age, Paris, 2, 1886, p. 313-329. 52 Athenaeum, 48, 1965, p. 17-18; texte en appendice aux Res Gestae Alexandri de Julius Valere, Leipzig, 1888.
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VEpistula l'histoire, située au milieu des « merveilles » de l'Inde, est total ement inventée. On a seulement voulu, par une sorte de logique, qu'Alexandre, ayant été le premier à triompher des éléphants - ceux de Porus - fût aussi le premier à avoir utilisé un stratagème devenu classique. Mais dès lors, quand on considère que sur quatre batailles: Mégare, Bénévent, Edesse, le Buebar, deux sont des sièges ayant de fortes chances d'avoir bien donné lieu à la ruse, que la quatrième, au contraire, livrée en pleine nature, relève de l'imagination avec ses cochons portés à cheval - secumque tollerent -, n'est-il pas plus prudent de tenir pour aussi peu véridique le schéma parallèle, c'est-à-dire, la charge salvatrice des porcins contre Pyrrhus? L'aes signatum de Rome n'a donc rien à voir avec l'expédient employé en Mégaride quelques années plus tôt. Les érudits, disons des temps de l'Empire, aimaient mieux expliquer ses figures par une anecdote que par un appel à la symbolique politique. Mais cette erreur, à elle-même, est signi ficative. L'image de la truie, emblème de l'unité romano-latine, avait perdu ses vertus. Une notion périmée ne se prêtait plus à de nouvelles illustra tions,tandis que l'éléphant, l'animal des Epirotes, devenu serviteur des Dieux et gage d'éternité 53, prenait une éclatante revanche dans le bestiaire romain.
53 J. Guey, Les éléphants de Caracolla, REA, 49, 1947, p. 248-273. Le dépérissement des anciens partenaires de la confédération latine est patent dès 54 av. J.-C. cf. Cicer., Pro Plancio, 23. Pour l'aide qu'ils ont bien voulu m'apporter, j'exprime ma reconnaissance à Mmc Ch. Gastincau, Mlle M. L. Vollenweider, M. P. Goukowsky et M. J. B. Giard.
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(Banque de France) Fig. la - Lingot monétaire, l'éléphant.
(Banque de France) Fig. 1 b - Lingot monétaire, la truie.
Fig. 2 - Sardoine du British Museum. (Milieu du Ier s. av. J.-C).
GIOVANNANGELO CAMPOREALE
SU ALCUNE FORME VASCOLARI DEL
BUCCHERO CERETANO
Le forme vascolari note nella produzione ceretana di bucchero del periodo orientalizzante sono varie e di varia origine. Alcune si rifanno a modelli ceramici: protocorinzi e corinzi (kotyle, skyphos, aryballos ovoide e piriforme, oinochoe, olpe ecc), ο ionici (coppa a uccelli e a labbro distinto), ο locali (calice); altre si rifanno a modelli metallici: allotri (oinochoe di tipo fenicio-cipriota), ο locali (kyathos). Per talune invece la questione dell'ori gine è ancora aperta: si tratta per lo più di forme la cui attestazione è limitata a pochissimi esemplari. A tre forme di quest'ultima categoria sono dedicate le tre note seguenti. Dalla discussione relativa affioreranno per il periodo in questione, da una parte, elementi che confermano l'alta qualità della produzione ceretana di bucchero e, dall'altra, indizi su possibili aper ture dell'ambiente ceretano verso altri ambienti culturali.
1 - Situla Villa Giulia 59473 (Fig. I). In un recente studio sulle « situle orientalizzanti del VII secolo in Etruria » 1 l'interesse è stato concent rato su un gruppo di esemplari di bucchero fine di fabbricazione ceretana, i quali presentano corpo grosso modo cilindrico, pareti dall'andamento piutto sto rigido, ansa mobile (mai conservata) probabilmente di materiale diverso 2, decorazione a rilievo ο graffita con motivi del repertorio orientalizzante.
* N.B. Le fotografie che corredano l'articolo sono degli archivi fotografici delle Soprin tendenze alle Antichità d'Etruria (Firenze), delPEtruria meridionale (Roma), alla Preistoria e Etnografia (Roma), dei Musei Vaticani e dell'Archäologisches Institut di Tübingen: ai soprin tendenti e ai direttori di questi enti esprimo il mio ringraziamento. Un grazie particolare ai colleghi Otto-Wilhelm von Vacano e Francesco Roncalli, che mi hanno fornito molte notizie sui pezzi di Tübingen e dei Musei Vaticani. 1 J.M.J. Gran Aymerich, in MEFRA LXXXIV, 1, 1972, p. 7 sgg. 2 In un solo esemplare (Monaco, Antikensammlungen 1582) l'ansa è di bucchero, fissa e conservata.
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La forma ritorna anche in esemplari metallici3, che forse hanno rappresent ato il modello per quelli di bucchero. Alle situle di questo gruppo è stata accostata una di impasto buccheroide (Fig. 1), conservata al Museo di Villa Giulia e proveniente dalla tomba 2 del tumulo ceretano di Montetosto. Essa in verità si distingue dalle altre, sia di bucchero che di metallo, per le pareti dall'andamento dolce e curvilineo, per il fondo decisamente più stretto dell'imboccatura, per l'ansa fissa e dello stesso materiale del vaso, per la decorazione con motivi del repertorio geometrico: aspetti, questi, tutt'altro che irrilevanti ai fini di un possibile accostamento. A Caere nella produzione di impasto dell'VIII secolo4 e nella ceramica geometrica del VII secolo5 si hanno vasi sulla cui imboccatura è stata impostata un'ansa semicircolare fissa, i quali possono aver avuto la stessa funzione delle situle. Ma la forma vascolare di partenza è normalmente un'oinochoe. Ciò porta ad escludere un rapporto di forma con la situla Villa Giulia 59473. Per questa il confronto più vicino mi sembra quello con alcune situle di impasto con copertura bianca e decorazione geometrica dipinta in rosso che provengono dall'agro falisco-capenate 6. La sagoma nei tratti generali è simile, tranne in qualche particolare secondario (leggera rientranza delle pareti verso l'alto, presenza di un labbro estroflesso). Un esemplare della serie (Fig. 2), rinvenuto a Orvieto ma probabilmente importato dall'agro falisco7, ha la stessa forma dell'esemplare ceretano della tomba di Montetosto. Le situle dell'agro falisco-capenate appartengono a contesti della prima metà del VII secolo8. La situla di impasto buccheroide da Caere fa parte di un corredo tuttora inedito, di cui fanno anche parte alcuni oggetti signi-
3 J.M.J. Gran Aymerich, in art. cit., p. 24 sgg. 4 I. Pohl, The Iron Age Necropolis of Sorbo at Cerveteri, Stockholm 1972, p. 161 sg., fig. 140,2. 5 Ad esempio necropoli di Bufolareccia: Materiali di Antichità Varia V, 1966, p. 35, n. 4, tav. 33, tomba 182; necropoli di Laghetto: ibidem, p. 97, n. 1, tav. 14, tomba 73; p. 107, n. 1, tav. 23, tomba 138; p. 210, n. 2, tav. 35, tomba 274; p. 223, n. 1, tav. 53, tomba 360. 6 Monumenti Antichi... dei Lincei IV, 1894, e. 269, fig. 128; ibidem, tav. VII, 22; E. Hall Dohan, Italie Tomb-Groups in the University Museum, Philadelphia 1942, p. 64, η. 4, tav. XXXIV. Su questa classe monumentale cfr. ultimamente G. Colonna, in Studi Etruschi XLI, 1973, p. 65; G. Camporeale, in Atti del X convegno di studi etruschi e italici, Firenze 1977 (in corso di stampa). 7 G. Camporeale, in art. cit. (in corso di stampa). 8 L. Adams Holland, The Faliscans in Prehistoric Times, Rome 1925, pp. 77 e 80; E. Hall Dohan, op. cit., p. 108.
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ficativi per la datazione: un'oinochoe subgeometrica di tipo cumano, data bile alla prima metà del VII secolo; un aryballos ovoide protocorinzio a fasce di sagoma evoluta, databile al secondo quarto del VII secolo; una kotyle di bucchero con decorazione a graffito e a rilievo, che recentemente è stata inquadrata nell'orientalizzante maturo9: il limite cronologico infe riore per il complesso dovrebbe aggirarsi negli anni intorno alla metà del VII secolo. Viene così confermata la datazione agli stessi anni, proposta per la situla 10. Ne consegue che la forma vascolare ha in ambiente falisco-capenate una documentazione, oltre che più larga, anche più antica che in ambiente ceretano. 2 - Ampolla con collo a doppia protome equina (Figg. 3-4). Il vaso, rinvenuto nella necropoli ceretàna del Sorbo durante gli scavi Regolini-Galassi e assegnato al corredo della tomba Calabresi n, è decisamente un pezzo di alta qualità, in cui il ceramista ha dato prova di estro creativo e senso decorativo 12. L'inquadramento nella produzione ceretàna è basato, oltre che sul tipo di bucchero fine e a superficie lucente, su altri elementi: i tappi a fiore sbocciato trovano confronto in esemplari consimili da Caere 13; la cr iniera dei cavalli resa con linee a zig-zag trasversali si ritrova nel leone eseguito a rilievo su una pisside di bucchero da Caere 14; l'ansa a nastro segnata da striature longitudinali e al centro da un motivo a treccia è ana loga a quelle di kyathoi di bucchero di provenienza ο di fabbricazione ceretana 15; il piede a tromba e con decorazione a listelli, se è pertinente 16, è lo
9 M. Bonamici, in Studi Etruschi XL, 1972, p. 96 sgg. (η. 11). 10 J.M.J. Gran Aymerich, in art. cit., p. 57. 11 L. Pareti, La tomba Regolini-Galassi, Città del Vaticano 1947, p. 367 sg., n. 400, tav. LIV. 12 Mostra dell'arte e della civiltà etrusca (a cura di M. Pallottino), Milano 1955, p. 19, n. 58; L. Banti, II mondo degli Etruschi, Roma 19692, p. 291. 13 L. Pareti, op. cit., p. 376 sg., nn. 427-430, tav. LVIII. 14 Studi Etruschi XL, 1972, tav. XV b (M. Bonamici). 15 M. Bonamici, in art. cit., p. 95 sgg. 16 Da documenti di archivio sembra di poter dedurre che il nostro vaso, al momento della scoperta, fosse privo di piede. Nella « nota degli oggetti dissotterrati in Cervetri, negli anni 1836, e 1837 », firmata dall'arciprete Regolini e datata 30 agosto 1838, al n. 347 si parla di «frammento di un vasetto senza piede, con due teste di cavallo, e suoi Turacci» (L. Pareti, op. cit., p. 162, Doc. 38). Inoltre nella nota relativa al «restauro di vasi già appartenuti al Sig. Generale Galassi, eseguito da Carlo Ruspi li 29 agosto 1838» al n. 3 si segnala «un Gutto singolare, coperto di due teste di Cavalli ed un Orno che li frena» (L. Pareti, op. cit., p. 159, Doc. 36). In seguito ad autopsia ho potuto accertare che il piede è sicuramente attaccato nel secolo scorso e, inoltre,
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stesso che si ritrova in pissidi di bucchero ceretane 17. I vasi citati a con fronto appartengono tutti all'orientalizzante maturo 18. Negli scavi Regolini-Galassi sono stati ricuperati alcuni frammenti di bucchero - teste di cavallo (Figg. 5-6) e di ariete (Fig. 7), anse (Figg. 8-9) -, quasi certamente appartenenti a vasi simili al nostro 19: da ciò si deduce che la forma vascolare ha avuto una certa diffusione nell'ambiente ceretano. Al di fuori della produzione ceretana un confronto istruttivo è rappresent ato da un vaso di impasto rinvenuto a Colle Paglietta nelle vicinanze di Civita Castellana e conservato all'Archäologisches Institut di Tübingen20, vaso ricomposto da frammenti e integrato in diverse parti (Figg. 10-11). In questo e in quelli ceretani di bucchero la forma base è l'oinochoe, il collo è sostituito con due protomi animalesche generalmente equine, le fauci fungono da bocca del vaso, la decorazione graffita sui colli equini si trova solo sulla parte esterna. Nell'esemplare di Caere meglio conservato (Figg. 3-4) è possibile cogliere taluni sviluppi peculiari: il corpo del vaso è trasformato nel corpo di due cigni, nell'ansa è stata inserita la figura di un auriga suggerita dalla presenza dei cavalli, il cordone a rilievo all'inizio del collo ha assunto la forma di un giogo, i tappi sono diventati fiori sbocciati con evidente allusione ai pennacchi, « la linea di contorno scorre facile, armoniosa, ininterrotta » 21. Tali particolari possono anche attribuirsi all'abilità del ceramista, ma nel contempo indicano uno stadio tipologico più evoluto rispetto a quello del l'esemplare falisco. Oinochoai con la bocca foggiata a testa animalesca sono frequenti nell'orientalizzante: nell'impasto falisco (Fig. 12) 22, nel bucchero ceretano 23,
che l'attacco, specialmente nella parte posteriore del vaso, copre per un buon tratto la decora zione a listelli del corpo e diverse rosette stampate che delimitano in basso i listelli: il fatto non deporrebbe a favore del ceramista che per altro verso ha dato un prodotto di notevole eleganza, per cui la verifica della pertinenza del piede attuale in sede di restauro diventa utile e necessaria. 17 Studi Etruschi XL, 1972, tav. XVI a (M. Bonamici). 18 M. Bonamici, in art. cit., p. 95 sgg. 19 L. Pareti, op. cit., p. 373 sg., nn. 414-418. 20 C. Watzinger, Griechische Vasen in Tübingen, Reutlingen 1924, p. 12 sg., Β 20; Ο. W. ν. Vacano, Italische Antiken, Tübingen 1971, p. 13, η. 9. 21 L. Ban ti, op. cit., p. 291. 22 Già a Monaco, Antikensammlungen 1102 (nuovo numero 6073), distrutta durante l'ultima guerra. 23 M. Bonamici, / buccheri con figurazioni graffite, Firenze 1974, p. 45, n. 55, tav. XXVI; p. 122 sgg.
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nella ceramica cipriota della serie « black-on-red II » 24, nella ceramica paria 25, nella bronzistica iberica26. Ma normalmente si tratta di vasi che hanno l'imboccatura a testa animalesca; anche quando - raramente - lo sviluppo animalesco comprende il collo, l'imboccatura del vaso resta unica. Pertanto l'esemplare di Colle Paglietta e quelli di Caere (Figg. 3-6, 10-11) costitu isconoun sottogruppo omogeneo nell'ambito della serie. Caso mai non sarà da trascurare il fatto che fra gli impasti dell'agro falisco-capenate si cono scono altri esempi di accoppiamento di protomi equine, anche se in fun zione diversa da quella dei nostri vasi27. L'esemplare di Colle Paglietta è sporadico. La decorazione, graffita sul corpo, a festoni di palmette è comunissima negli impasti dell'agro faliscocapenate dell'orientalizzante maturo. La forma, stando almeno alle parti autentiche (il fondo è moderno), sembrerebbe rifarsi alPoinochoe di tipo protocorinzio28, che in Italia ha avuto molta fortuna nella produzione sub geometrica cumana e etrusca e nel bucchero fine dell'Etruria meridionale. Anche questa precisazione di ordine formale porterebbe a ritenere il vaso di Colle Paglietta anteriore alle repliche ceretane. 3 - Coppa per succhiare (Figg. 13-14). Recentemente è stato preso in esame un gruppo di coppe di bucchero, che presentano alcune peculiarità struttive e funzionali: la vaschetta è divisa in due scomparti da un di aframma, in ciascuno scomparto è un cannello - a volte conformato a pro tome animalesca - che serviva per attingere il liquido che, passando attra verso due condotti disposti lungo l'orlo, doveva essere succhiato per mezzo di un beccuccio. Le coppe sono state attribuite a Caere e datate tra « gli ultimi decenni del VII e gl'inizi del VI sec. a.C. » 29. A complemento di questo discorso non sarà superfluo aggiungere che si conoscono esemplari
24 The Swedish Cyprus Expedition IV, 2, Stockholm 1948, Fig. XXXIX, 19 e 22 (E. Gjerstad). 25 P. Bocci, Ricerche sulla ceramica cicladica, Roma 1962, pp. 8 e 18 sgg., tav. XI, 1. 26 J. M. Blâzquez, Tartessos. y los origenes de la colonizacion fenicia en Occidente, Salamanca 19752, p. 173 sgg. 27 CVA, Italia XXI, Museo Pigorini I, tav. 1002, 6. 28 Meno puntuale mi sembra il richiamo all'oinochoe di tipo fenicio-cipriota, proposto da O. W. v. Vacano, Italische Antiken, p. 13. In questa il collo è sempre tronco-conico con ampia svasatura nella parte inferiore, la spalla ο manca ο è molto ridotta, il profilo del corpo è piuttosto dolce. Invece nell'esemplare di Tübingen il collo delle due bocche è cilindrico, la spalla è alquanto ampia, il profilo del corpo - stando alla parte originale superstite - è teso. 29 M. Cristofani Martelli, in Archaeologica. Scrìtti in onore di Aldo Neppi Modona, Firenze 1975, p. 205 sgg. (con bibliografia precedente).
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analoghi nella produzione di impasto del periodo orientalizzante: uno (Fig. 15) dalla tomba a fossa V della necropoli di Vaccareccia di Veio30, un secondo (Fig. 16) dalla tomba a camera LIV della necropoli di S. Martino di Capena 31, un terzo dalla tomba a circolo III della necropoli di Tolentino 32. Il richiamo si riferisce, oltre che all'aspetto generale, anche a qualche el emento particolare: ad esempio la conformazione animalesca del cannello con cui si attingeva il liquido all'interno della vaschetta33. Gli esemplari ceretani, a loro volta, non solo si adeguano ai canoni della produzione locale (fabbricazione in bucchero fine, sagoma della coppa analoga a quella delle coppe ioniche largamente riprodotta nel bucchero fine), ma con la divisione della vaschetta in due scomparti e il conseguente raddoppiamento del condotto lungo l'orlo risultano tipologicamente più evoluti rispetto agli esemplari di impasto. La coppa di Veio appartiene a un contesto che è stato assegnato alla fase locale III A, cioè all'orientalizzante iniziale34. Quella di Capena è stata rinvenuta in un gruppo di oggetti35, che possono classificarsi tra l'orienta lizzante iniziale e l'orientalizzante maturo. Quella di Tolentino proviene da una tomba di bambino la cui suppellettile, piuttosto modesta e scarsa, non offre orientamenti probanti per una datazione precisa: ad ogni modo la presenza della coppa, per cui fra l'altro è stato supposto uno smistamento dall'agro f alisco-capenate 36, consente una classificazione della tomba nello
30 J. Palm, in Opuscula Archaeologica VII, 1952, pp. 62 e 78; CVA, Italia XXI, Museo Pigorini I, tav. 1017, 7. 31 R. Paribeni, in Monumenti Antichi... dei Lincei XVI, 1906, cc. 331 sg. e 442 sg., fig. 51; CVA, Italia XXI, Museo Pigorini I, tav. 1002, 7. 32 A. Gentiloni-Silveri, in Notizie degli Scavi 1883, p. 333; V. Dumitrescu, L'età del ferro nel Piceno, Bucarest 1929, p. 96, fig. 12, 12 (con diverso inquadramento cronologico). 33 Questo elemento è stato messo in rapporto con una figurina animale che si trova all'interno di alcune tazze provenienti da diverse aree culturali del bacino orientale del Medi terraneo e risalenti al II millennio a.C. e da aree centro-europee di cultura hallstattiana (R. Paribeni, in Bullettino di Paletnologia Italiana XXXII, 1906, p. 105 sgg.). Oggi forse si potrebbero aggiungere alcune tazze di bucchero, provenienti da Castro Farnese, con all'interno un volatile ο un quadrupede (Roma, Villa Giulia 64574: Μ. Τ. Falconi Amorelli, in Studi Etruschi XXXVI, 1968, p. 172, n. 13, tav. XXIX c-d; Grosseto, Museo Archeologico 1663, 2399, 2501). 34 J. Close-Brooks, in Notizie degli Scavi 1965, p. 56. 35 R. Paribeni, in Monumenti Antichi... dei Lincei XVI, 1906, e. 329 sgg. Molti sono riprodotti in CVA, Italia XXI, Museo Pigorini I, tav. 999 sgg. 36 G. Colonna, in Archeologia Classica X, 1958, p. 77.
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stesso orizzonte culturale delle due tombe di Veio e di Capena. In definitiva l'argomentazione cronologica conferma il risultato dell'analisi tipologica. * L'esame delle tre forme vascolari in questione ha permesso di ipotizzare un rapporto tra la produzione ceretana di bucchero e quella falisco-capenate di impasto. È stato anche dedotto che gli esemplari di impasto prece dono quelli di bucchero. Se debba trattarsi di influssi dei primi sui secondi ο di semplici consonanze culturali è un fatto piuttosto difficile a definirsi, anche se sostanzialmente il problema non cambia molto. Quelli delle tre forme vascolari suddette non sono i soli casi di rapporto tra bucchero cere tano e impasto falisco-capenate, in cui quest'ultima produzione rappresenta il momento anteriore: ad esempio per alcuni animali eseguiti a rilievo ο a graffito su vasi di bucchero ceretano sono stati proposti confronti con quelli del repertorio decorativo degli impasti falisco-capenati 37. Anche per la cera mica policroma del ciclo di Monte Abatone, una produzione peculiare dell'ambiente ceretano, sono state prospettate aperture al repertorio degli impasti falisco-capenati 38. Questo movimento dall'area falisco-capenate verso Caere è bilanciato da uno in senso opposto: si pensi ai buccheri ceretarìi arrivati nell'agro falisco-capenate39. E, almeno secondo le ultime proposte, anche l'affermazione dell'anfora a spirale nell'agro falisco-capenate dovrebbe considerarsi un apporto culturale dell'ambiente ceretano40. L'irradiazione della cultura figurativa e materiale dell'area falisco-cape nate in una molteplicità di direzioni durante l'orientalizzante è un fatto su cui si è tornato spesso negli ultimi anni e che tuttavia ha ancora bisogno di essere approfondito e studiato sistematicamente. Tanto per limitarsi ai casi più significativi, si possono ricordare i rapporti con l'area salernitana41,
37 M. Bbnamici, in Studi Etruschi XL, 1972, p. 103; Ead., / buccheri con figurazioni graffite, p. 134 sg. 38 J. G. Szilagyi, in Wissenschaftliche Zeitschrift der Universität Rostock XVI, 1967, p. 546. 39 M. Bonamici, / buccheri con figurazioni graffite, pp. 124 sg., 135. 40 T. Dohrn, in Studi in onore di Luìsa Banti, Roma 1965, p. 143 sgg.; G. Colonna, in Mélanges d'Archéologie et d'Histoire LXXXII, 2, 1970, p. 641 sgg.; M. Verzâr, in Antike Kunst XVI, 1, 1973, p. 45 sgg. 41 Β. D'Agostino, in Studi Etruschi XXXIII, 1965, p. 679 sg. (coppe a cavallini, coppe ad alto bordo con fasce orizzontali rilevate).
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con il Piceno42, con la Sabina43, con l'area abruzzese44, con la valle del Fiora45, con il territorio volsiniese 46, con Roma47, forse anche con il Salento48. Il rapporto con Caere, come si è avuto occasione di accennare, era stato già individuato: gli esempi discussi nelle presenti note lo allargano e lo puntualizzano ulteriormente. Dal canto suo la produzione ceretana di bucchero fine, con la segnalazione di aperture verso altre produzioni anche se di livello qualitativo inferiore, acquista una connotazione più precisa e storicamente più valida49.
42 G. Colonna, in Aspetti e problemi dell'Etruria interna (Atti dell'VIII convegno di studi etruschi ed italici), Firenze 1974, p. 193 sgg. (dischi-corazza). Vanno tenuti presenti anche i kantharoi di impasto di tipo falisco, di cui qualcuno con anse ornate da corna di ariete (San Severino Marche. Nuove scoperte di antichità picene, San Severino Marche 1972, p. 15). 43 A. M. Sgubirìi Moretti, in Civiltà arcaica dei Sabini nella valle del Tevere I, Roma 1973, p. 104 sgg.; G. Colonnare altri), in Civiltà arcaica dei Sabini nella valle del Tevere II, Roma 1974, p. 91 sgg. 44 G. Colonna, in Archeologia Classica X, 1958, p. 69 sgg. (placche di cinturone). 45 G. Colonna, in Studi Etruschi XLI, 1973, p. 64 sgg. (kantharoi di impasto di tipo falisco, vasi di impasto con anse sormontate da coppette, situle dal corpo cilindrico ecc). 46 G. Colonna, in Studi Etruschi XLI, 1973, p. 53 sgg. 47 Mi riferisco in particolare ai tripodi bronzei: ad esempio un tipo con zampe a bastonc elloa sezione circolare piegate in alto ad angolo retto, segnalato nell'agro falisco (A. Pasqui, in Monumenti Antichi... dei Lincei IV, 1894, e. 511 sg., n. 22, tav. Vili, 15, da Narce, necro polidi Monte Cerreto, tomba a camera 73; inoltre Roma, Villa Giulia 29190, da Capena, necro polidi S. Martino, tomba a camera 21) e a Roma, Esquilino, sporadico (G. Pinza, in Monumenti Antichi... dei Lincei XV, 1905, e. 229 d, fig. 96); ο a un altro tipo con zampe di lamina larga piegate in alto ad angolo retto e leggermente curvate verso l'esterno in basso, segnalato anch'esso nell'agro falisco (M. Cristofani, in Studi Etruschi XXXIX, 1971, p. 316, n. 22, fig. 4; p. 323) e a Roma, Esquilino, tomba 99 (G. Pinza, in Monumenti Antichi... dei Lincei XV, 1905, e. 158, fig. 66). 48 F. G. Lo Porto, in La Magna Grecia e Roma nell'età arcaica (Atti dell'VIII con vegno di studi sulla Magna Grecia, Taranto 1968), Napoli 1969 [1971], p. 183 (olla di impasto). 49 Quando il presente articolo era già in corso di stampa, ho preso visione della recen tissima pubblicazione di alcuni complessi tombali dell'area falisco-capenate da parte di H. Salskov Roberts, in Acta Archaeologica XLV, 1974 [1975], p. 49 sgg., in cui si ritorna spesso sulle aperture dell'area falisco-capenate verso altri centri e aree culturali dell'Italia antica.
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Dans son compte-rendu du livre de R. E. A. Palmer, The king and the comitium, a study of Rome's oldest public document (Wiesbaden, 1969), J. Heurgon (REL, 48, 1970, p. 605) reproche à l'auteur plusieurs « détails aventureux »; il signale notamment que « le plus étonnant de ces paradoxes (p. 1 1 sq.) est que taurus en latin signifierait le bœuf châtré » et il cite une phrase caractéristique de l'ouvrage en question (p. 12): « The Latin taurus / a and Umbrian turu- seem to describe animals incapable of reproduction because they are eitheir sterile, castrated or perhaps, too young (lactentes) ». Pour réfuter cette opinion, J. Heurgon « invite M. Palmer à relire, outre Festus, 372 L, Solitaurilia \ le paragraphe des Res Rusticae de Varron (2, 5, 12 sq.) 2 sur Yadmissura des bovins ». En face d'affirmations aussi contradictoires et aussi péremptoirement soutenues, on peut trouver assez étonnant que l'accord ne soit pas encore fait sur des mots apparemment bien simples et concernant des réalités si courantes pour un peuple de campagnards et de dévots comme l'étaient les Romains, élevage et religion étant également intéressés à la qualification sexuelle des animaux. Certes, les textes invoqués par J. Heurgon semblent nets quant au sens de taurus: ainsi le mot est utilisé trois fois par Varron, à l'exclusion de tout autre, pour désigner le mâle reproducteur, et on ne comprendrait guère comment il pourrait dans un pareil contexte, s'appli querà un animal châtré. Mais, après tout, rien n'empêcherait vraiment que le mot désigne simplement un mâle, sans précision sur son intégrité: c'est 1 Solitaurilia hostiarum trium diuersi generis immolationem significant, tauri, arietis, uerris; quod eae solidi integrique sint corporis. 2 Contra tauros duobus mensibus ante admissuram herba et palea ac faeno fado pleniores et a feminis secerno. Habeo tauros totidem, quod Atticus, ad matrices LXX duo, unum anniculum, alterum bimum. Haec secundum astri exortum facio, quod Graeci uocant lyran, fidem nostri. 13. Turn denique tauros in gregem redigo.
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l'opinion à laquelle s'arrête par exemple, après une longue analyse, K. Krause dans son article Hostia de la Real-Encyclopädie (Sup. V, 1931, e. 236-282, spécialement e. 259-261) 3.
En fait, la détermination du sens de taurus ne peut se faire indépe ndamment de celui de l'expression bos mas qui, au moins dans la langue religieuse, semble être en relation d'opposition avec lui. C'est ainsi que, par exemple, les Actes des Frères Arvales attribuent systématiquement un bos mas à Jupiter comme victime sacrificielle, alors que le taurus est réservé à Mars et Janus. Et cela paraît coïncider avec la prescription rituelle que nous a transmise Macrobe (Sat, 3, 10, 3 et 7) d'après Ateius Capito (fg. 14 Huschke) 4: Ioui tauro uerre ariete immolari non licet. Si quis forte tauro loui fecerit, piaculum dato5. Tout cela semble donc bien indiquer une différence entre les deux termes. Mais quelle est-elle? Pour R. E. A. Palmer, on l'a vu, le taurus est l'animal châtré, et, par conséquent, le bos mas l'animal non châtré: « In early Latin the Romans distinguished the sex of generic bos by mas or femina » (p. 11); mais on a déjà noté qu'il se trompe certainement en ce qui concerne le taurus6. Pour la plupart des autres exégètes, notamment G. Wissowa
3 L'auteur avait précédemment soutenu, dans sa dissertation De Romanorum hostiis quaestiones selectae, Marbourg, 1894, p. 9-10, l'opinion que l'on retrouve chez R. E. A. Palmer: le taurus serait châtré, le bos mas non châtré. 4 Ce texte est invoqué par l'un des interlocuteurs des Saturnales. Evangelus, pour repro cher à Virgile (Aen., 3, 19-48) d'avoir représenté Enée sacrifiant un taureau à Jupiter lors de son arrivée en Thrace. Un autre interlocuteur, Pretextatus, répond que la faute rituelle est intentionnelle, puisqu'il s'agit de justifier par avance le prodige qui va suivre - les larmes de sang qui coulent des arbrisseaux qu'essaye d'arracher le héros - et que l'on peut interpréter comme un signe de mécontentement du dieu: Ergo respiciens ad futura hostiam contrariam fecit (cf. cependant infra, p. 122 et n. 24). 5 Des échos de cette règle se trouvent notamment chez Servius (Aen., 9, 624: Ioui de tauro non immolabatur, 12, 120; cf. Breu. exp. in Verg. G., 1, 45) et Isidore (Or., 12, 1, 28). 6 On ne peut suivre R. E. A. Palmer lorsque, pour appuyer son interprétation, il évoque taura, dont le sens de «vache stérile» ne fait aucun doute: quae sterilis est uacca, taura appellata, indique par exemple Varron (R.R., 2, 5t 6); lorsque Festus (480 L) - que nous citerons dans le texte de Paul (481 L), mieux conservé - enseigne: Ί auras uaccas steriles dici existimatur hoc de causa, quod non magis pariant quam tauri, on ne doit pas comprendre que, pour lui, les tauri sont stériles; ce qui, simplement, leur est nié, c'est la fonction propre à la femelle dans la reproduction, exprimée par le verbe technique pariant.
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(Religion und Kultus der Römer2, p. 413), Κ. Latte (Römische Religions geschichte, p. 381) et G. Dumézil (Jovi tauro verre ariete immolari non licet, dans REL, 39, 1961, 242-250), c'est l'inverse, le taurus étant non châtré - comme le confirme son association, dans la formule d'Ateius Capito et chez Festus, avec le verrat (uerres) et le bélier (aries) -, le bos mas étant donc, par opposition, châtré. Mais, comme l'a remarqué Κ. Krause (op. cit., c. 260), il serait bien étrange que l'on eût précisément appelé mas un animal à qui on aurait enlevé sa virilité, surtout alors qu'il existe dans la langue le mot semimas7; de même, la présence de ce qualificatif empêche de voir dans bos mas un terme générique pour tout bovin mâle, châtré ou non, le taurus étant spé cialement l'animal entier. Faut-il alors admettre, avec ce dernier auteur, que c'est taurus qui est le terme générique, bos mas s'appliquant à l'animal non châtré? Mais comment concilier alors l'interdiction d'offrir à Jupiter un taurus et la possibilité de lui offrir un bos mas, si l'extension du premier terme englobe le second8? * * Aucune des interprétations reposant sur l'opposition châtré / non châtré n'est donc exempte de difficultés. Il faut par conséquent essayer d'élargir notre enquête en étudiant l'emploi de ces mots dans la littérature. Les auteurs de traités d'élevage nous sont, malheureusement, d'un bien faible secours. Ainsi, lorsque Varron (R.R., 2, 7, 15), à propos de la castra tiondes chevaux, donne le nom des mâles châtrés de plusieurs espèces, il ne mentionne pas les bovins: H (se. equi castrati) cantherii appellati, ut in
7 La terme semble couramment utilisé, aussi bien dans les traités d'élevage (Varron, R.R., 3, 9, 3; Columelle, Rust., 8, 2, 3), que dans la littérature religieuse (Ovide, F., 1, 588). Considérer comme équivalentes, en ce qui concerne la castration, les expressions bos mas et seminas ouis, ainsi que le fait notamment G. Dumézil (op. cit., p. 249), nous semble totalement injustifié, lorsqu'on lit par exemple chez Varron (Le): ex quis tribus generibus proprio nomine uoeantur feminae quae sunt uillaticae gallinae, mares galli, capi semimares, qui sunt castrati. 8 Notons au passage que, malgré l'opinion de K. Krause {op. cit., c. 260), il n'y aurait en soi rien d'étrange à ce que l'on sacrifiât des animaux châtrés à Jupiter, dieu nourricier et fécondateur par excellence; G. Dumézil (op. cit.) a montré, en invoquant des faits indiens, que la stérilité de la victime pouvait correspondre à une sorte de fécondité supérieure, qui appartient en propre au dieu souverain - et l'on retrouve par exemple cette même conception, dans un contexte tout différent, chez Clément d'Alexandrie (Protr., 1, 9, 2-5) paraphrasant Isaïe (54, 1). Mais cette absence d'invraisemblance ne saurait tenir lieu d'indication positive.
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subus maiales, gallis gallinaceis capi 9; les bovins manquent de même dans la liste analogue de Paul (40 L), qui ajoute les ovins aux espèces précé dentes: Cantherius hoc distai ab equo, quo maialis a uene, capo a gallo, berbix ab ariete. Est enim cantherius equus, cui testiculi amputantur. On est donc en droit de penser qu'aucun terme particulier n'existe pour désigner le bovin châtré 10. De fait, lorsqu'un auteur a besoin d'opposer expressément l'animal châtré à l'animal entier, il n'a d'autre ressource que d'utiliser l'adjectif castratus; ainsi fait Columelle (Rust, 6, 20): neque enim alio distai bonus taurus a castrato n, nisi quod huic torua faciès est. . . 12. En dehors de la littérature spécialisée, on remarque que taurus a ten dance à perdre de sa spécificité, notamment chez les poètes, où il apparaît bien souvent comme un simple doublet « noble » de bos au sens général, permettant à l'écrivain des variations d'expression et lui donnant plus de liberté dans la confection de son vers. L'usage de Virgile est très révélateur à cet égard, et cet auteur pourrait fournir une foule d'exemples; on se limi tera ici à en examiner deux particulièrement nets.
9 De même, lorsqu'il traite de la castration des diverses espèces, Varron indique chaque fois le nom de l'animal châtré: (L.L., 5, 98, 4) si cui oui mari testiculi dempti et ideo ui natura uersa, uerbex declinatur; (R.R., 2, 4, 21) castrantur uerres commodissime anni culi ... quo facto nomen mutant atque e uerribus dicuntur maiales; (R.R., 3, 9, 3) gallos castrant, ut sint capi; il n'y a que pour les bovins (R.R., 2, 5, 17) qu'aucun nom n'est précisé. 10 Trio est un terme rare, que l'on ne trouve guère, en dehors d'un vers de Naevius (p. 200, fg. 10 Marmorale2) cité par Isidore (Or., 12, 1, 30) que chez des grammairiens et des lexicographes: Varron (L.L., 7, 74), Aulu-Gelle (N.A., 2, 21, 8), Festus (454 L), toujours à propos de la constellation Septentriones; il est donné comme un mot de « bouvier », désignant le bœuf de labour; ainsi chez Varron: triones enim et boues appellantur a bubulcis etiam nunc, maxime cum arant terram; même si le trait spécifique semble surtout destiné à justifier l'étymologie proposée - omnes qui terram arabant a terra terriones, unde triones ut dicerentur E detrito - on peut noter que rien n'est dit sur l'état de leur virilité. 11 Nous ne pensons pas qu'il faille comprendre a castrato , en sous-entendant le substantif qui précède, comme le veut K. Krause (op. cit., c. 261), qui en fait un argument en faveur de l'ambivalence de taurus; Columelle veut simplement opposer le «castrat» au « bon taureau », au taureau de bonne race. 12 C'est ce même terme, au pluriel castrati, que, pour notre part, nous rétablirions volont iers,éventuellement accompagné de boues, dans la troisième phrase du texte de Festus (372, 26 L) sur les Solitaurilia, qui énumère, en opposition aux noms des animaux entiers (cf. supra, p. 115, n. 1), les noms des animaux châtrés, phrase corrompue dans le manuscrit et que Lindsay écrit: contra t ad... t uerbices maialesque, en indiquant en apparat la correction proposée par Müller - dans son apparat seulement -: contrari boues; nous lirions donc: contra castrati (boues?) uerbices maialesque.
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Dans les Géorgiques, l'utilisation de taurus pour désigner l'animal laboureur est fréquente 13; ainsi dans la description des premiers travaux au début du printemps (1, 45-46): depresso incipiat iam turn taurus aratro ingemere, et sulco adtritus splendescere uomer et Servius commente cet emploi comme il convient: et taurum bouem fortissimum accipimus; nam tauri difficile ad aratra iunguntur14. On voit donc qu'il n'est guère possible de savoir si un animal que Virgile appelle taurus est entier ou non; on ne s'étonnera donc pas que, dans notre second exemple, le même animal soit désigné alternativement par iuuencus, taurus et bos; il s'agit, au cinquième chant de l'Enéide, du prix qu'Enée offre au vainqueur du combat de ceste et qui est ainsi évoqué au fil du récit: v. 367 uictori uelatum auro uittisque iuuencum v. 382 turn laeua taurum cornu tenet... ν. 472 . . . palmam Entello taurumque relinquont v. 473 hic uictor superans animis tauroque superbus v. 477 dixit, et aduersi contra stetit ora iuuenci v. 481 sternitur exanimisque tremens procumbit humi bos Servius, là encore, justifie très bien cette variation, dans son commentaire au dernier vers, par des motifs uniquement stylistiques: Cur cum de uno loquatur, hic bouem, alibi iuuencum, alibi taurum appellai? sed uidetur pro tempore ac diuersitate usus ideoque iuuencum ait. * * Ces usages poétiques, sans remettre en cause le sens précis de taurus, confirment donc ce que suggèrent les textes techniques, à savoir que le mot n'a en face de lui aucun terme contraire qui s'appliquerait directement à l'animal châtré 15. Et comme, de toute façon, bos mas ne peut pas, comme
13 Outre le passage cité, mentionnons: 1, 65; 1, 210; 3, 515; cf. aussi B., 4, 41; Aen., 8, 316. 14 En d'autres passages, il est frappant que Servius, sans se donner, comme il est comp réhensible, la peine de relever chaque fois l'emploi anormal du mot par Virgile, répugne à l'employer pour son propre compte dans son commentaire; ainsi, à propos de la description de l'épizootie du Norique, l'expression de Virgile (G., 3, 515-516): Ecce autetn duro fumans sub uomere taurus / concidit est ainsi expliquée: per hoc ostendit etiam fortes tauros repente morbo concidere; nemo enim pestilentem ad aratra ducit iuuencum (cf. G., 3, 517). 15 C'est pourquoi les auteurs éprouvent toujours une certaine difficulté à le désigner. Il semble que le plus souvent ils utilisent bos seul (et non bos mas), le terme général pouvant,
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nous l'avons dit plus haut, avoir ce sens, il faut bien chercher ailleurs que dans une telle opposition la différence entre ces deux désignations que postule l'usage liturgique. La solution nous semble devoir être dans la distinction que E. Benvéniste (Le vocabulaire des institutions indo-européennes, I, Paris, 1969, p. 21-25) a établie, au niveau du vocabulaire indo^ropéen, entre « mâle » et «reproducteur», notions auxquelles correspondent respectivement les thèmes *ers- et *wers- qui, à l'origine, ne concernent pas une race particulière: « l'un désigne " le mâle " opposé à la femelle; l'autre désigne une fonction, celle de reproducteur du troupeau et non une espèce comme le premier » (p. 24). Certes, la distinction n'a pas toujours été conservée, et les termes primit ifsont souvent fini par désigner le « mâle reproducteur » d'une espèce particulière: c'est ainsi que l'ancien nom du « mâle » aboutit en latin à aries, « bélier », tandis que l'ancien nom du « reproducteur » devient uenes, « verrat ». Mais des traces de l'ancien état subsistent ou se recréent, très nettes par exemple pour les caprins où le mâle est appelé caper, en parfaite structure d'opposition morphologique avec le féminin capra, alors que le reproducteur est appelé hircus 16. On peut donc admettre pour les bovins un système analogue de désignat ion, enrichi même d'un terme supplémentaire pour la «reproductrice»: du
faute de mieux, représenter le seul type qui n'ait pas de nom spécifique: ainsi, lorsqu'après avoir évoqué les bœufs de labour, Columelle {Rust, 6, 20) passe aux animaux destinés à la reproduction, il écrit: Quoniam de bubus satis praecepimus, opportune de tauris uaccisque dicemus. On rencontre aussi iuuencus, comme dans le texte de Servius cité à la note précé dente ou chez Columelle (Rust, 2, 2, 26); pourtant le mot signifie proprement «jeune bovin», sans idée de castration, puisque dans la liste que donne Varron (R.R., 2, 5, 6, cité p. 121, n. 18) des termes qui désignent les bovins selon l'âge, iuuencus précède taurus. 16 C'est certainement parce qu'il ne comprenait plus la distinction entre « mâle » et « repro ducteur», bien faible en regard de l'opposition «non châtré» / «châtré», que Varron (ap. Gell., Ν. Α., 9, 9, 10), ne sachant comment différencier caper de hircus, attribue au premier le sens de «caprin mâle châtré»: is demum latine caper dicitur, qui excastratus est; mais, à part un vers de Martial (3, 24, 14: dum iugulas hircum, factus es ipse caper), qui devait se souvenir de l'opinion de Varron, tous les emplois du mot contredisent cette affirmation, à commencer par le vers de Virgile (B., 9, 25) qu'Aulu-Gelle croit précisément pouvoir critiquer sous l'autorité du grammairien (cf. les exemples du Thesaurus). Plutôt qu'une «différence de sens... d'origine dialectale » que suggère bien gratuitement le Dictionnaire étymologique d'A. Ernout et A. Meillet (s.u. caper, p. 94), il est préférable de voir dans l'erreur de Varron la marque de l'effacement d'une opposition affaiblie en face d'une opposition plus forte.
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point de vue de la simple définition sexuelle, bos mas et bos femina 17, du point de vue de la fonction de reproduction, taurus et uacca18. Mais, dira-t-on, sur le plan pratique, à quoi correspond cette distinction? Un même animal peut sans doute être appelé bos mas ou taurus selon qu'on envisage sa nature ou sa fonction, mais ce sera toujours le même animal; comment dès lors pourrait-il être licite de le sacrifier à Jupiter sous un nom et interdit sous l'autre? En fait, puisque taurus désigne une fonction et non un genre, c'est uniquement par rapport à l'accomplissement de cette fonction que peut s'appliquer l'interdit fixé par la loi religieuse; le bos mas qu'agrée le dieu souverain doit être un animal pleinement adulte, et pleinement mâle, mas, mais qui n'est pas taurus parce qu'il n'a jamais été utilisé pour la repro duction. On peut penser qu'il s'agit d'animaux spécialement sélectionnés et élevés pour les autels 19 ou encore de jeunes mâles sacrifiés juste avant l'époque des saillies 20. N'est-ce pas là, justement, ce que veulent nous expli quer, avec un vocabulaire approximatif, Servius (Aen., 3, 21) 21 et Isidore (Or., 12, 1, 28) 22, dans deux textes voisins, où ils affirment qu'on ne sacri-
17 Le thème bos, comme ouis, ne se prêtant pas à la distinction morphologique d'un masculin et d'un féminin, comme caper / capra ou equus / equa, il a fallu recourir aux adjectifs mas et femina; mais dans chacun des quatre couples le rapport entre les termes est le même, et le bos mas n'est pas plus châtré que le caper. 18 Cf. Varron (R.R., 2, 5, 6): Primum in bubulo genere aetatis gradus dicuntur quattuor, prima uitulorum, secunda iuuencorum, tertia boum nouellorum, quarta uetulorum. Discernuntur in prima uitulus et uitula, in secunda iuuencus et iuuenca, in tertia et quarta taurus et uacca. Dans les deux premiers âges de la vie, antérieurs à la période de reproduction, les termes ne désignent que la nature des animaux et s'opposent simplement comme «masculins» et «féminins»; dans les deux âges suivants, où les animaux sont aptes à la reproduction, leurs noms les désignent spécifiquement comme reproducteurs et relèvent de formations différentes (taura, féminin morphologique de taurus, est en dehors du système). 19 Selon Virgile (G., 3, 159-161), on doit répartir les veaux en trois catégories, reproducteurs, victimes de sacrifice, laboureurs: et quos aut pecari malint submittere habendo / aut aris servare sacros aut scindere terram / et campum horrentem fractis inuertere glaebis. 20 Varron (R.R., 2, 5, 17) et Columelle (Rust, 6, 26, 2) indiquent que les bovins sont châtrés ordinairement à deux ans; le premier indique que les taureaux sont aptes à la repro duction à partir d'un an, le second conseille d'attendre qu'ils aient quatre ans, afin qu'ils soient plus robustes. Il y a donc normalement une période d'environ un an où tous les animaux sont adultes et non encore châtrés: c'est parmi eux que l'on peut choisir les victimes pour Jupiter en les écartant de la reproduction. 21 Vbique enim Ioui iuuencum legimus immolatum... Ν am in uictimis etiam aetas est consideranda. 22 Iuuencus dictus... quia apud gentiles Ioui semper ubique iuuencus immolabatur, numquam taurus. Nam in uictimis etiam aetas consider ab atur.
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fie pas de tauri à Jupiter, mais seulement des irnienti, « car dans les victimes l'âge aussi doit être pris en considération »?
L'interprétation que nous proposons nous paraît susceptible de résoudre plusieurs difficultés qui résistent aux explications traditionnelles. Elle permet tout d'abord de mieux comprendre le deuxième élément du règlement con servé par Macrobe (Sat, 3, 10, 7): Si quis forte tauro Ioui fecerit, piaculum dato. Bien sûr, nous n'oublions pas que le juridisme étroit des Romains a toujours pris plaisir à prévoir toutes les situations possibles, même les plus invraisemblables, et il est assez normal qu'à l'énoncé d'une interdiction s'ajoute la mention de la conduite à observer en cas de transgression; il reste que cette transgression est plus facile à envisager si le critère n'était pas immédiatement visible - comme le serait la castration de l'animal et ce, même si la règle était connue du moindre gardien de temple23. En outre, s'exprimant en un vocabulaire mal adapté et reposant sur une distinction que la langue avait du mal à conserver, la prescription rituelle qui interdisait un taurus à Jupiter mais autorisait un bos mas, pouvait peut-être garder toute sa valeur pour des théologiens érudits comme les interlocuteurs des Saturnales ou les prêtres et leurs acolytes, mais ri squait bien de n'être plus perçue par les fidèles: c'est sans doute attribuer à Virgile - dont on a noté plus haut la liberté avec laquelle il choisissait ses mots en la matière - une subtilité imméritée, que de croire, avec le Pretextatus de Macrobe, qu'il n'a fait sacrifier par Enée un taureau à Jupiter que pour justifier par avance le prodige qui s'ensuit24. Et ne lit-on pas chez Juvénal (12, 5-16), fêtant le retour d'un ami, le regret de n'être pas assez riche pour offrir en cette occasion un taurus à Jupiter Tarpéien25? 23 Critiquant l'ignorance supposée de Virgile en la matière, Evangelus, l'un des interlocu teurs des Saturnales de Macrobe (3, 10, 4), s'écrie: Ecce pontifex tuus quid apud quas aras mactetur ignorât, cum uel aedituis haec nota sint et ueterum non tacuerit industria. 24 D'autant que ce prodige des larmes de sang s'explique indépendamment du sacrifice, par le fait que les tiges qu'Enée cherche à arracher sont en fait les traits qui percent le cadavre enseveli de Polydore. 25 II n'y a pas lieu non plus de supposer, comme on le fait parfois, que Jupiter Latiaris, sur le mont Albain, fût le seul Jupiter à qui l'on sacrifiât des tauri, d'après un unique témoignage d'Arnobe (Nat., 2, 68): In Albano antiquitus monte nullus alios licebat quam niuei tauros immolare candoris: nonne istum morem religionemque mutastis atque, ut rufulos liceret dari, senatus constitutum sanctiöne? Lorsqu'on lit ailleurs chez le même auteur (Nat., 7, 21), sans référence à un culte particulier de Jupiter: quid adplicitum Iuppiter ad tauri habeat sanguinem, ut ei debeat immolari, on se rend bien compte qu'on ne peut pas demander au polémiste
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II nous semble enfin que l'on peut faire disparaître une contradiction qu'ont relevée tous les auteurs qui ont abordé ce problème. Tout ce que nous avons dit pour les bovins vaut certainement pour les autres espèces, et la règle d'Ateius Capito mentionne d'ailleurs expressément le bélier et le verrat; or l'ingénieux Pretextatus qui la cite, indique plus haut (Macr., Sat, 1, 16, 30), sans gêne apparente, que, selon Granius Licinianus, la flaminica sacrifie un bélier, aries, à Jupiter, le jour des nundines26: faut-il, avec par exemple G. Dumézil (op. cit., p. 244), « admettre deux écoles de ritualistes »? Ce serait bien étrange, la règle générale aussi bien que le sacrifice des nun dines ayant tout l'air d'appartenir également au plus ancien fond de la rel igion nationale. N'est-il pas plus simple de considérer que, évoquant le sacri ficede la flaminica non pour lui-même mais simplement comme critère pour savoir si les nundines sont ou non un véritable jour de fête, Granius Lici nianus emploie le langage courant qui ne sait pas plus distinguer entre ouis mas et aries qu'entre bos mas et taurus27? *
*
Le précepte bien connu concernant les victimes de Jupiter nous paraît donc devoir être compris à partir d'une opposition différente de celle que l'on admet couramment, opposition correspondant à un état archaïque de la langue et des conceptions en matière d'élevage. Conservée, comme il est naturel, dans l'enseignement religieux traditionnel par le biais d'une régl ementation rituelle, cette opposition, non soutenue par une structure li nguistique claire, a fini par échapper aux usagers et par ne plus se révéler, en somme, que par quelques incohérences. Ce sont elles qui, par la résistance qu'elles opposent aux exégèses habituelles, nous semblent légitimer une hypothèse qui essaye de les surmonter. chrétien d'être plus précis en la matière que ses devanciers païens; au reste, dans le premier texte, c'est la couleur des animaux qui l'intéresse et non leur détermination sexuelle; dans le second, c'est l'espèce. 26 Causant uero huius uarietatis [sur le caractère de fête des nundines] apud Granium Licinianum libro secundo diligens lector inueniet. Ait enim nundinas louis ferias esse, siquidem flaminica omnibus nundinis in regia Ioui arietem soleat immolare, sed lege Hortensia effectum ut fastae essent, uti rustici, qui nundinandi causa in urbem ueniebant, Utes componerent. 27 Selon Columelle (Rust, 7, 4, 4), les agneaux sont châtrés à deux ans, avant qu'ils soient propres à la reproduction: Prius quam feminas inire possint, mares castrati, cum bimatum expleuerunt; on ne trouvait donc guère d'ovin mâle adulte non châtré en dehors de ceux qui étaient réservés à la reproduction, au contraire de ce qui se passait pour les bovins (cf. supra, p. 121, n. 20); c'est peut-être ce qui explique que l'on ne pouvait guère sacrifier à Jupiter comme adultes non reproducteurs que des animaux châtrés, ainsi que l'indique Ovide (F., 1, 587-588) à propos du sacrifice des Ides de janvier: Idibus in magni castus louis aede sacerdos / semimaris flammis uiscera libat ouis.
ANDRÉ CHASTAGNOL
CONFECTURARII»
La sympathique corporation des charcutiers de Rome nous est connue pour l'essentiel par une inscription qui fut découverte au Célius en 1561 dans les jardins du monastère de San Stefano Rotondo, à proximité de l'ancienne église de San Erasmo. Il s'agit d'une base de statue dédiée - selon la lecture retenue par W. Henzen et ses collaborateurs (au CIL, VI 1690) * par le corpus suariorum et confectuariorum, en l'an 340 de notre ère ou peu après, en l'honneur d'un grand aristocrate de la Ville, L. Aradius Valerius Proculus signo Populonius, qui, après avoir géré la préfecture de Rome en 337-338, fut précisément consul ordinaire en 340 2. On a reconnu depuis longtemps que le lieu de la trouvaille s'identifie, de manière assurée, à la domus familiale de ce personnage, l'opulente maison des Valerli, celle même qui fut mise en vente sans succès dans la première décennie du Ve siècle par ceux qui la possédaient alors, Valerius Pinianus et son épouse Valeria Melania (sainte Melanie la jeune), et fut finalement en partie brûlée lors du passage des Wisigoths d'Alaric en 410, puis cédée à un acheteur « pour moins que rien » 3. Le terrain, appelé « vigna di san Spirito », et ce qui restait de la domus Valeriorum furent transformés et devinrent le monastère et l'oratoire de San Erasmo dans le cours du VIe siècle4.
1 L'inscription est reproduite dans Dessau, ILS, 1240. 2 Sur le personnage, A. Chastagnol, Les Fastes de la Préfecture de Rome au Bas-Empire, Paris, 1962, pp. 96-102; PLRE, I, pp. 747-748, Proculus 11. 3 Gerontius, Vie de sainte Melanie, 14 (Ed. D. Gorge, coll. «Sources chrétiennes», n. 90, Paris, 1962, pp. 154-157). 4 Cf. G.-B. De Rossi, dans Bullettino di Archeologia Cristiana, VI, 1868, p. 34; du même auteur, La casa dei Valerti e il monastero di San Erasmo, dans Studi e documenti di storia e diritto, VII, 1886, pp. 235-243; G. Gatti, La casa caelimontana dei Valerli, dans Bullettino Comunale, 1902, pp. 145-163.
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A la suite des noms et du cursus honorum de Valerius Proculus, la dédicace de l'inscription se présente sur trois lignes, tout à fait à la fin du texte, dans la forme suivante selon la transcription du Corpus: Huic corpus suariorum et confectuariorum auctoribus patronis ex affectu eidem jure debito statuant patrono digno ponendam censuit. A partir de là, le nom de cette corporation, sous la forme confectuarii, est passé dans les dictionnaires courants, en dernier lieu le « Gaffiot », dans le Thesaurus Linguae Latinae et, plus généralement, dans tous les ouvrages qui se sont intéressés aux collèges professionnels romains, à commencer par celui de Jean-Pierre Waltzing5, qui demeure l'étude fondamentale, jusques et y compris . . . ma propre thèse sur la Préfecture urbaine 6. Or la pierre est conservée. Elle est en effet exposée, à peu de distance du lieu de la trouvaille, au fond du jardin public de la Villa Caelimontana. C'est un calcaire blanc très dur sur lequel les lettres sont fort bien gravées, et la lecture en est d'autant plus aisée qu'elles ont été soulignées par un enduit peint au minium à date ancienne. La photographie de détail ci-jointe, prise par moi-même, garantit sans la moindre hésitation qu'il faut lire le nom de la corporation sous la forme confecturariorum et non pas confec tuariorum. Cette erreur, portant sur une seule lettre (un R oublié), est à mettre au passif du seul Corpus et paraît être due à une inattention excusable de Henzen. Car toutes les publications antérieures à 1876 avaient donné la bonne lecture. J'ai pu le vérifier en particulier pour les textes fournis par Juste-Lipse (en fait Martin De Smet, dit Smetius) en 1588 7, par Marquard Gude (Gudius), qui précise: Nunc extat in hortis Caelimontanis Matthaeorum ad portant, vidi et contuli, puis par Janus Gruter en 1707 8 et, en dernier lieu, par le recueil de C. Orelli en 1828 9.
5 J.-P. Waltzing, Etude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains depuis les origines jusqu'à la chute de l'Empire d'Occident, t. II, Louvain, 1896, pp. 94 et 370. 6 A. Chastagnol, La Préfecture urbaine à Rome sous le Bas-Empire, Paris, 1960, p. 462. 7 Juste-Lipse, Inscriptionum antiquarum quae passim per Europam liber, Leyde, 1588, fol. 69, 9. 8 I. Gruter, Corpus inscriptionum, t. I, 2e partie, Amsterdam, 1707, p. 361, 1, avec les notes de Gudius. 9 C. Orelli, Inscriptionum Latinarum Selectarum Amplissima Collectio, t. II, Turin, 1828, n. 3672, p. 145.
« CONFECTURARII »
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II est vrai que Gudius, dans une adnotatio reproduite par Gruter, avait soupçonné une erreur de transcription et proposé de corriger le texte: Confecturarii sive potius confectuarii videntur qui carnes suillas aliasque sive muria condiebant sive fumo indurabant. Cette emendation se fondait sur la pensée que le nom de la corporation était forgé sur le verbe conficere et son supin confectum: Id enim conficere Latini auctores appellant; sont alors invoqués des témoignages, incontestables pour ce qui est du verbe conficere en ce sens: notamment Columelle (XII, 53, 1), Pline l'Ancien (N.H., II, 9, 19; XI, 38; XII, 4, 5; 18, 4; 52, 1; XVIII, 32) et surtout Palladius, qui l'emploie, au Ve siècle, pour le jambon et le lard (XIII, 6: pernas et lardum conficimus) . Il se peut que Henzen ait été influencé par cette observation. Toutefois, le lemme et le commentaire dans le Corpus ne s'y réfèrent pas expressément, et l'éditeur n'a signalé nulle part que le texte qu'il fournissait n'était pas conforme à celui qu'on lisait sur la pierre; rien n'indique qu'il ait sciemment corrigé l'orthographe du mot qui était effectivement gravé. Il vaut donc la peine de se demander si la correction proposée par Gudius et implicitement ou inconsciemment acceptée par Henzen est justifiée. Il est hors de doute, à mon avis, qu'elle ne l'est pas, et cela pour deux raisons. D'abord, le nom de la corporation est fourni par une seconde inscription qui est l'épitaphe très simple placée sur un loculus du cimetière de Cyriaque, pour marquer la tombe du charcutier Fortunatus: Locus Fortinati confectorari {CIL VI 9278) 10. L'orthographe populaire confectorari au lieu de confecturari, comme d'ailleurs Fortinati pour Fortunati, est ici inspirée de la prononciat ion vulgaire de l'époque, mais ne doit pas nous faire douter que la forme correcte était bien confecturari(i) et non pas confectuari(i). Le premier R du mot se prononçait bel et bien et figurait incontestablement dans le nom de la corporation. La seconde inscription confirme donc pleinement la première sur ce point précis. En second lieu, les noms de métiers, très nombreux, qui se terminaient par la désinence -arius étaient presque tous formés sur un substantif, non sur un verbe et son supin. Prenons quelques exemples.
10 O. Marucchi, / monumenti del Museo Cristiano Pio-Lateranense, Milan, 1910, 21; Diehl, ILCV, 625. L. A. Muratori, Novus thesaurus veterum inscriptionum, t. II, 1740, p. 954, 5, et Orelli, 4167, donnent à tort la leçon Fortunati. C'est en se fondant texte que le nouvel Oxford Latin Dictionary, fase. II (1969), p. 397, présente son Confectorarius.
pi. 55, Milan, sur ce article
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- D'abord pour des substantifs féminins de la première déclinaison: bastagarius (sur bastaga, un type de transport), coronarius (sur corona, couronne), navicularius (sur navicula, petit bateau), serrarius (sur serra, scie), tabernarius (sur taberna, auberge), vecturarius (sur vectura, transport, voiture). - Puis pour des substantifs masculins de la seconde déclinaison: anularius (sur anulus, anneau), lupinarius (sur lupinus, lupin), nummularius (sur nummulus, petite pièce de monnaie), pastillarius (sur pastillus, petit gâteau). - Pour des substantifs neutres de la seconde déclinaison: argentarius (sur argentum, argent), carpentarius (sur carpentum, char), coriarius (sur corium, cuir), dulciarius (sur dulcium, gâteau), ferrarius (sur ferrum, fer), frumentarius (sur frumentum, blé), pavimentarius (sur pavimentum, dalle), sagarius (sur sagum, saie), sandaliarius (sur sandalium, sandale), specularius (sur speculum, miroir). - Enfin pour des substantifs de la troisième déclinaison: aromatarius (sur aroma, parfum), centonarius (sur cento, édredon), eburarius (sur eòwr, ivoire), marmorarius (sur marmor, marbre), suarius (sur sws, porc). Seuls font exception, à ma connaissance, un nom formé sur un adjectif: magnarius, marchand en gros (sur magnus), - et un sur un verbe: collectarius, changeur (sur le supin collectum de colligere). Par suite - et surtout si l'on se réfère aux vecturarii, voituriers de la chaux, étant donné que leur nom se termine aussi en -urarii et qu'ils n'apparaissent également qu'au IVe siècle n - on ne peut échapper à la conclusion que nos charcutiers du IVe siècle, les conjecturarii, tiraient leur nom, non pas - au moins de façon directe - du verbe conficere et de son supin confectum, mais bien plutôt du substantif féminin de la première déclinaison, conjectura. Les conjecturarii sont ceux qui fabriquent et qui vendent la conjectura. Le mot conjectura n'est nullement un inconnu en latin. Il est employé à maintes reprises par Columelle et Pline l'Ancien pour désigner la « confec tion » ou la « fabrication » du sel, du miel, du nitre, du bleu et du papier 12. Ce terme vague, qui peut s'appliquer à n'importe quel produit faisant l'objet d'une préparation ou d'un travail créateur, devait donc se référer au
11 C. Theod., XIV, 6, 1 en 359, et 3 en 365; Nov. Valent, 5, § 4 en 440, Sur tous ces noms en -arius, M. Leumann, Lateinische Laut- und Formenlehre, Munich, 1963, pp. 211212, qui suggère d'ailleurs que magnarius pourrait dériver d'un magnalïarius. 12 Colum., IX, 4, 5 pour le miel; Pline, H.N., I, 31, 39 («Budé», I, p. 143) pour le sel; I, 31, 46 (même page) pour le nitre; XIII, 23 (12), 75 (XIII, p. 42) pour le papier; XXXIII, 57, 161 pour le bleu.
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IVe siècle, de manière plus particulière, aux « cochonnailles » diverses, aux préparations de charcuterie. Par ailleurs, un glossaire nous affirme qu'on appelait confectorum le χοιροσφαγεΐον 13, c'est-à-dire l'abattoir des porcs; aussi pouvons-nous admettre que le confecturarius abattait les bêtes, puis fabriquait les produits de charcuterie, abattoir, salle de préparation et lieu de vente étant sans doute réunis, normalement, dans un même local ou en des locaux voisins. Non sélectif au départ, le mot conjectura en est venu à désigner un ensemble de produits très précis, tels que saucisses, boudin, jambon, lard, ... La même évolution sémantique s'est appliquée au fond à des mots français de même origine: la « confection » n'est plus que celle des vêtements, et la « confiture » (dérivé exact de conjectura, mais par l'intermédiaire du verbe français « confire ») la préparation des seuls fruits. A tout prendre, les conjecturarii sont très proches étymologiquement de nos « confituriers ». Ils sont donc spécialisés dans la préparation et l'aménagement de la viande de porc et des produits qui en viennent; très logiquement, ils procèdent auparavant eux-mêmes à l'abattage, la mise à mort des cochons. L'inscription du Célius insiste à bon droit sur le lien qui unit les conjecturarii aux suarii. Elle établit même, dans la pratique, que les uns et les autres constituent une seule et unique corporation. Les suarii sont plus particulièrement les acheteurs, importateurs et marchands de porcs, et, parmi eux, les conjecturarii sont les abatteurs, les préparateurs de la charcut erie et les détaillants. Le corps des suarii et conjecturarii a non seulement les mêmes patrons protecteurs choisis dans l'aristocratie, ici Valerius Proculus, qualifié de patronus dignus, mais aussi les mêmes chefs élus parmi eux, les premiers membres de la corporation, également appelés patroni, qui ont présidé, en tant qu'auctores, à la mise en place de la statue dans la domus Valeriorum, exécutant ainsi la décision prise par l'ensemble du collège. La pierre de Valerius Proculus est remarquable en outre par plusieurs de ses caractères externes, notamment par son ordinatio. En dehors du signum Populonius, bien isolé au-dessus du champ épigraphique, les noms du personnage occupent toute la première ligne, puis chaque fonction, quelle que soit la longueur de sa dénomination, se voit réservée une ligne, sauf le grand complexe africain qui occupe les lignes 15-20 14. Ensuite, le cursus 13 Corporus Glossariorum Latinorum, II, 477, 48 (Ed. G. Goetz, Thesaurus Glossarum emendatarum, t. I, 1, Leipzig, 1899, p. 253). 14 Sur ce complexe administratif africain, A. Chastagnol, dans Revue des Etudes Anciennes, LXX, 1968, pp. 344-345.
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honorum une fois achevé, un grand espace blanc est réservé avant qu'aient été gravées les trois dernières lignes qui constituent la dédicace propre mentdite. Or, dans cet espace libre, la photographie de détail jointe à cet article montre qu'on a beaucoup plus tard légèrement gravé ou plutôt dessiné et peint une autre inscription qui a été ensuite grattée et effacée avec soin. Le texte en apparaît avec netteté sur le cliché que je fournis; on lit sans aucun doute: PORCO DEO. Cette ligne rajoutée ne se voit pratiquement pas à l'œil nu, et c'est pourquoi elle a échappé jusqu'ici à tous les éditeurs. Il s'agit, semble-t-il, d'un juron en latin ou plutôt déjà en italien médiéval qui n'a certes rien à voir avec l'inscription antérieure, mais est adapté à son texte dans la mesure où cette dernière concerne les marchands de porcs et charcutiers, signalés immédiatement en-dessous de ce quasi-graffito. Les lettres de la ligne ainsi rajoutée sont plus grandes et plus irrégulières que les autres; elles vont en diminuant progressivement de hauteur et en des cendant un peu vers la droite. M. Jean Mallon, que j'ai consulté sur ce point, inclinerait à dater ce juron du VIe ou du VIIe siècle, d'après la forme des lettres, surtout le C et le E, mais il n'est pas impossible que sa mise en place ait été encore plus tardive; il ne croit cependant pas qu'il soit postérieur à la redécouverte de la pierre au XVIe siècle encore que l'éventualité n'en soit pas entièrement exclue 15. Quoi qu'il en soit, la perplexité et la prudence s'imposent pour interpréter cette ligne qui s'est révélée à nous d'une façon aussi inattendue. C'est avec une très amicale déférence que je dédie ce modeste essai à M. Jacques Heurgon. Il me pardonnera d'avoir porté mon attention vers une époque plus tardive que celle à laquelle il a voué toute son énergie. La présente contribution a du moins le mérite de mettre en jeu à la fois l'histoire économique, l'épigraphie et la philologie latine, trois disciplines que ce grand savant a si bien illustrées dans toute son œuvre, consacrée avec tant de talent à l'évolution et à la civilisation des peuples italiques. Après tout, j'ose croire que les charcutiers de Rome, même s'il s'agit seul ement de la forme où ils sont attestés au IVe siècle de l'ère chrétienne, ne sont pas tellement étrangers à ses goûts et ses préoccupations. 15 Mon collègue italianisant Cl. Margueron m'assure que ce type de juron est fréquent en italien médiéval. En italien, deo alterne avec dio aux XHP-XVr siècles. Une inscription de San Clemente de Rome porte, sur une fresque, au XIe siècle: Fili de le pute. Le juron Porca la madonna existe encore de nos jours.
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CONFECTURARII
Fig. 1 - L'inscription de Valerius Proculus, CIL VI 1690.
CONSVU-ORDINAMO ·
Fig. 2 - La même inscription (détail).
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JEAN-PIERRE CHAUSSERIE-LAPRÉE
STRUCTURES PHONIQUES DOMINANTES DANS LES «ARATEA» DE CICÉRON
On doit à J. Soubiran, dans sa belle édition des Aratea, une évaluation précise des mérites de Cicéron poète \ Si la puissance du génie poétique fut refusée au maître de la prose latine, comme versificateur, en revanche, il manifeste, au prix d'automatismes d'écriture le conduisant à abuser des répétitions et des schémas stéréotypés, une maîtrise, des exigences et une rigueur techniques qui annoncent déjà Virgile. Ses fins d'hexamètre paraissent, à cet égard, remarquables. Les combi naisons étrangères aux trois types condere gentem, conde sepulcro, gente tot annos sont reléguées, dès les Aratea, à un rôle mineur et constituent moins de 8% de ses clausules2. Mais la présence, au dactyle cinquième, de 48 exemples de lumine (-na, -nis), auxquels il faut ajouter un contingent analogue de 42 corpore {-ra, -ris), est l'un des mécanismes d'écriture qui permettent à Cicéron d'atteindre ce résultat. Que deux mots interviennent, à eux seuls, dans 90 clausules des quelque 550 vers des Phaenomena ne saurait néanmoins, croyons-nous, s'expliquer entièrement par la seule raideur d'un poète puriste, incapable de varier les formules compatibles avec le cadre structurel sévère qu'il s'impose. Une autre raison, plus profonde, peut aussi avoir joué. Ne serait-ce pas que Cicéron a voulu faire de ces deux termes, situés en plein éclairage à ce repère essentiel du vers, la source de correspondances phoniques insistantes qui donneraient sa coloration majeure au poème? Telle est, du moins, l'hypothèse que l'on voudrait examiner ici.
1 J. Soubiran, Cicéron. Aratea, Fragments poétiques, coll. des Universités de France, 1972. Voir p. 69 à 105 et, plus particulièrement, les dix dernières. 2 Voir J. Soubiran, o. c, p. 103.
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Rappelons, tout d'abord, qu'en règle générale des répétitions de sons ne forment une dominante phonique du vers qu'à trois conditions3. Elles doivent: 1) Mettre en jeu un groupement d'au moins deux phonèmes: CV (Ph. 81 corpore condit), VC (Ph. jr. XV, 2 corpore torto), CC (Ph. 265 corpore cursus) qui soient la reproduction totale (Ph. 220 corpore Coruus) ou par tielle (cf. les trois premiers exemples) de la structure d'une séquence mono ou plurisyllabique donnée. 2) Prendre place à une articulation structurale du mètre considéré (temps fort; début d'hémistiche; clausule, etc.). 3) Dessiner une figure phonique précise4 ou être l'élément d'une construction d'ensemble systématique et concertée. Quant au niveau d'agencement auquel interviennent les figures phoniques, il dépend de l'ambition du poète 5 et de la forme d'organisation qui a, actuellement, sa préférence.
3 Cf. mon article Pour une étude de la structure phonique du vers: la clausule de l'hexamètre, REA, LXXVI, 1974, p. 5-28 et, plus spécialement, p. 6-7. 4 Cf. ma « typologie » de la clausule {art. cité, p. 7-8), où j'ai dégagé, en suivant la ligne du schéma métrique, deux jeux complémentaires de figures phoniques: 1) Figures dissyllabiques: Deux phonèmes CV, VC ou CC reviennent ensemble d'une longue à une autre longue. Rythmique k.r k.r cornua cerui Encadrante .os .os poscere uentos Conclusive ki. ki laude pacisci 2) Figures trisyllabiques: Deux consonnes, chacune à l'attaque d'une syllabe brève différente, forment ensemble l'armature consonantique d'une syllabe longue. t. r. t.r peciore faiur Fermante m. η fragrarne raootis Liante m. n. Structurante t.k t. k. tecta columnis 5 Parmi les «modernes», Mallarmé et Valéry ont conçu et réalisé dans ce domaine des constructions d'un raffinement inouï. Elles représentent un essai de transposition à la poésie des savants agencements et des principales exigences de l'écriture musicale (voir à ce sujet mes deux articles: L'architecture secrète de Γ «Ouverture ancienne» et Equilibres mallarméens, dans Europe, Avril-Mai 1976). Mais on trouve déjà, chez Virgile, des organisations phoniques très élaborées, assurant l'unité de tout un passage (cf. mon étude Echos et résonances au début de la dixième bucolique, Mélanges P. Boyancé, Coll. Ecole Fr. de Rome, 22, 1974, p. 173-180).
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Les unes, de portée limitée, ne sortent pas du cadre d'un vers unique et peuvent même n'affecter qu'une partie de ce vers, par exemple, le deuxième hémistiche, voire la seule clausule: I - V Ph. 54 Fortis Equi propter pinnati corporis alam III - V 441 Nam retinent Arctoe /wstrantes Zwmine summo V - VI 37 Hae tenues paruo labentes lumine lucent D'autres, au contraire, se donnant du champ, se distribuent sur deux vers différents: Ph. fr. VIII, 2-3 Toruu' Draco serpit supter superaque reuoluens Sese, conficiensque sinus e corpore flexos Parfois enfin, c'est sur une suite de trois ou quatre vers (et même davantage: v. infra, p. 11-14) que se développe une même figure phonique: Ph. 455-457 Iam caput et summum flexo de corpore lumen. Hic ille exoritur conuerso corpore Nixus, Aluum, crura, umeros simul et praecordia lustrans. Ces points de méthode ainsi posés, il reste à établir qu'un nombre appréciable des 90 occurrences au dactyle V des deux mots corpore et lumine trouvent dans leur voisinage proche ou immédiat, aux divers niveaux de mise en œuvre que nous venons de distinguer, un ou plusieurs autres termes qui leur fassent écho et dessinent avec eux une figure ou un ensemble phonique construit. Or, c'est effectivement le cas pour 34 emplois de corpore (-ra, -ris) sur 42 et 25 exemples de lumine {-na, -nis) sur 48, soit une proportion globale de près de 66% 6.
6 Le nombre moins élevé de lumine (-na, -nis) intégrés à une figure phonique tient à la structure même de la première syllabe de ce mot. Réduite à deux phonèmes (lu), elle ne pouvait entretenir de relations phoniques qu'avec une seule série de mots, ceux qui, aux temps forts du vers, présentaient eux-mêmes ce couple CV (iwcent, colZucens, Zwcibus, il/wstria, luna, fi/Zgens, Zwstrans, etc.). A l'inverse, corpore {-ra, -ris) devait aux trois phonèmes de sa syllabe initiale d'entrer dans trois séries de correspondances possibles, selon la forme de r eproduction partielle (CV.; .VC; C.C) dont cette syllabe était l'objet. Latitude que Cicéron ne s'est pas fait faute d'exploiter: CV Ph. 81 corpore condii VC Ph. fr. XV, 2 corpore torto CC Ph. 265 corpore cursus Mais s'ils sont moins nombreux, les partenaires de lumine, dans la mesure où ils regrou pent,pour la plupart, des mots exprimant eux-mêmes l'idée d'éclat, de lumière et de rayon-
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JEAN-PIERRE CHAUSSERIE-LAPRÉE FIGURES RÉALISÉES SUR UN SEUL VERS
Sur les 66 figures phoniques 7 auxquelles participent lumine et corpore, 43, soit environ les deux tiers, se réalisent dans les limites d'un vers unique. 1. V-VI: 23 ex. Des quatre groupements de pieds (I-V; III-V; IV-V; V-VI) qu'opère la distribution des récurrences (les phonèmes constitutifs de la figure apparaissant dans un pied pour revenir dans un autre), l'un d'eux reven dique à lui seul plus de la moitié des exemples (23 ex.). Il s'agit du couple final de l'hexamètre. Ainsi l'usage de Cicéron confirme-t-il que la clausule est bien, pour la mise en place de structures sonores, ce lieu privilégié que son statut laissait attendre 8. Il n'est pas moins significatif qu'une fois sur deux (dans 12 ex. sur 23) se soit imposée au poète, parmi toutes les figures possibles à la clausule (cf. supra, p. 2, n. 4), celle qui, attribuant le même groupe de sons aux deux temps forts (les longums V et VI), donnait au rythme final du vers une insistance et un relief particuliers9: Type rythmique: 12 ex. Ph. 220 Extremam nitens piumato corpore Coruus 247 Nec pieno Stellas super ardet Zwmine luna (autres ex.: Ph. fr. XV, 2 corpore torto; Ph. 81 corpore condit; 265 corpore
nement, forment avec lui dans le poème des figures organiquement plus riches, où paraîtra se réaliser, par la vertu d'une double affinité sémantique et phonique, cet accord parfait du son et du sens qui est la visée permanente de tout poète (v. là-dessus mon article de la REA, p. 21-23). 7 Si le nombre des figures phoniques (66) est supérieur à celui des occurrences des deux mots dont elles procèdent (59), c'est parce qu'un même emploi de l'un ou l'autre terme est susceptible d'entrer simultanément dans deux figures de même niveau ou de niveau différent. Au vers 332, par ex., lumine a deux partenaires phoniques, l'un au pied final du même vers (/«strans), l'autre au dactyle V du vers précédent (/ucibus). Il appartient donc à deux figures distinctes, la première réalisée dans la clausule, au niveau d'un vers unique, la seconde, asso ciant deux vers différents, les v. 331 et 332: Ph. 331-332 Et Gemini darum iactantes /wcibus ignem. Haec sol aeterno conuestit Zumine /«strans 8 Cf. mon article de la REA, p. 5-6. 9 C'est, par exemple, de la présence finale d'une figure rythmique - s'ajoutant à l'écho cedant-concedat - que le célèbre Cédant arma togae, concédât laurea laudi tire l'essentiel de son éclat.
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cursus; 365 corpore noctem; 87 corpore portât - 37 Zwmine Zwcent; 137 Zwmine fwZgens; 155 Zwmine mwZtae; 175 lumina fwZgent; 332 Zwmine Zwstrans) Type encadrant: 5 ex. Ph. 261 Austrum consequitur deuitans corpore Virgo 10 (autres ex.: Ph. fr. XVI, 6; Ph. 322; 391 - Ph. 135 Zwmine maZwm) Type liant: 6 ex. Ph. 21 Quos umeris retinet defixo corpore Perseus (autres ex.: Ph. jr. XXXI corpore propter; Ph. 91 corpora propter; 87 corpore portât; 237 et 306 lumi«e muwdum) 2. III-V: 12 ex. Loin derrière le couple de la clausule, un second groupement, qui associe les pieds III et V, se détache nettement, avec ses 12 exemples, des deux dernières combinaisons attestées: I-V (3 ex.), IV-V (5 ex.). Détail remarquable: à la seule exception de Ph. 137, c'est toujours le début du second hémistiche - et non le temps fort précédant la coupe - que Cicéron met en rapport phonique avec l'attaque de la clausule. L'intention du poète est claire: il veut marquer fortement, en soulignant, par la distribu tion des récurrences, les deux articulations majeures du second hémistiche, l'unité propre de la seconde partie du vers. Interprétation que confirme l'ouverture de l'hémistiche par un mot molosse excluant toute coupe hephtémimère. Enfin, comme 9 des 11 exemples mettent en jeu le mot corpore faisant écho au préverbe con- d'un verbe composé, nous tenons là un véritable cliché (ou stéréotype), à la fois structurel et phonique, que son ascendant rythmique autant que sa commodité métrique dut imposer à Cicéron. Après lui, on le retrouvera sous une forme plus souple chez Lucrèce en 15 des quelque 320 passages où le mot corpore (-ra, -ris) - aussi fréquent dans son œuvre que dans les Aratea - intervient au dactyle V11:
10 A l'intérieur d'un «ordre» donné (labial, dental, palatal, etc.), la sonore est perçue comme un écho de la sourde correspondante. De là, une équivalence globale, au niveau des retours, entre ρ et b, t et d, k et g, etc. 11 N. I, 861, commixto corpore dicent; 384 concursu corpora lata; 678 conuertunt corpora sese; 196 communia corpora rebus; II, 742 cognoscant corpora tactu; 906 consistere corpore creta; autres ex.: Ill, 483; IV, 1056; 1065; 1193; V, 60; 65; 495; VI, 44; 102.
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Ph. 433 Ille graui moriens constrauit corpora terram 435 Orion fugiens commendai corpora terris 441 Nam retinent Arctoe /«strantes /«mine summo (autres ex.: Ph. fr. XXVII conixus corpore Taurus; Ph. 356 contectus corpore cedit; 373 considens corpore Nixus; 437 conuerso corpore Cepheus; 438 contingens corpore terras; 456 conuerso corpore Nixus; 322 conlucens corpore Virgo; 237 /«strantes /«mine mundum). 3. IV-V: 5 ex. A l'inverse du groupement précédent, où se manifestait surtout corpore, la solidarité phonique qui unit 5 fois les deux pieds IV et V est essen tiellement le fait de lumine, dont la syllabe initiale reprend tout ou partie de celle du mot qui tombe au longum IV. Figure rythmique suggestive que renforce encore, à quatre reprises, la coïncidence, au longum IV, de l'accent de mot et du temps fort: Ph. 263 Magnu' Leo et claro con/« cens /«mine Cancer 380 Exoritur pandens in/«stria /«mina Virgo (autres ex.: Ph. 374 depw/sus /«mine cedit; 452 sim«/ cum /«mine pandit; 91 Capricorni corpora propter). 4. I-V: 3 ex. Soulignant les deux repères rythmiques majeurs du vers, la dernière combinaison, qui fait revenir, en figure rythmique, à l'attaque de la clausule deux sons apparus à l'ouverture du vers, n'a été ici que peu exploitée par Cicéron, qui en présente seulement 3 exemples, tous liés au mot corpore. Mais l'un d'eux, par l'insistance du rappel, est, dans un vers pittoresque et descriptif, d'une réalisation fort heureuse: Ph. fr. XXVII Co rniger est ualido conixus corpore Taurus Ph. 125 Curriculum numquam defesso corpore sedans (autre ex.: Ph. 54: ν. supra, p. 135) Quant au mot lumine, un vers du De consulatu suo réparera Γ« oubli » dont il a été victime dans les Aratea: Cons. s. 23-24 Aut cum terribili perculsus fulmine ciuis L«ce serenanti uitalia /«mina liquit 12?
12 Au parfait équilibre interne du vers qu'assure la relation dominante luce... lumina (partenaires phoniques et lexicaux), que préparait, dès le vers précédent, la figure rythmique IV-V (percuZsus fulmine), s'ajoute l'étroite solidarité phonique des deux vers, dont les deux
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Par souci de clarté dans l'exposé, on n'a pas fait état jusqu'ici de la distribution sur un même vers de deux ou trois figures distinctes. Cette mise en œuvre, dont la forme la plus insistante et la plus simple consiste dans la présence d'un même groupe de sons à trois articulations différentes du vers, intervient dans 7 passages que nous avons étudiés. Elle convient aux évocations les plus suggestives et donne au vers qu'elle affecte une efficacité rythmique accrue: a) Ph. jr. XXVII Corniger est ualido conixus corpore Taurus 13 Ph. 322 Quem rutilo conlucens corpore Virgo 14 137 Inde gubernac/wm disperso /«mine fi/Zgens 15 b) Ph. 237 91 87 306
Quattuor aeterno lustrantes lumine munàum 16 Turn magni cursus Capricorni corpora propter 17 At propter se Aquila ardenti cum corpore portât 18 Terram cingentes ornantes hrniine munàum 19
dactyles V font entendre le même «chant» (fulmine I lumina). Bel exemple de la façon dont peuvent composer, dans un couple de vers, des organisations sonores de deux niveaux. 13 Affecté à trois moments importants de l'hexamètre (le longum I, le début du deuxième hémistische, l'attaque de la clausule), le couple ko dessine, dans le vers, trois figures phoniques différentes: 1) I-III corniger... conixus (figure ouvrante d'hémistiche) 2) I-V corniger... corpore (figure rythmique, avec renfort d'un r) 3) III-V conixus... corpore (figure ouvrante de fin de vers). 14 Ici, le groupe récurrent ko est attribué au deuxième hémistiche dont il distingue les trois articulations dominantes: début et fin d'hémistiche, ouverture de la clausule. En résultent trois figures: 1) III-V conlucens corpore (figure ouvrante de fin de vers) 2) III-VI conlucens... Virgo (figure encadrante d'hémistiche) 3) V-VI corpore Virgo (figure encadrante de clausule). 15 En dotant le longum des pieds III, V et VI d'un même couple lu, Cicéron renforçait tout ensemble la solidarité des deux hémistiches et le rythme propre de la clausule. 16 Une figure ouvrante de deuxième hémistiche (III-V), dessinée par le couple lu (lustrantes lumine), se prolonge immédiatement de deux autres figures. La première, liante (lumine mxxnàum), resserre l'unité de la clausule; la seconde, conclusive (munàum), souligne le spondée final et termine ce deuxième hémistiche, phoniquement très construit, sur une manière d'accord parfait. Illustration insistante du rythme, qui s'imposera une nouvelle fois à Cicéron dans son De consulatu suo: Cons. s. 2 Vertitur et totum conlustrat lumine munàum. 17 Deux figures successives: figure rythmique aux pieds IV-V (Capricorni corpora); figure liante à la clausule (corpora propter).» 18 Superposition partielle, à la clausule, d'une figure rythmique (corpore portât) et d'une figure liante (corpora portât). 19 Sur les deux figures de cette clausule, v. supra, n. 16.
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JEAN-PIERRE CHAUSSERIE-LAPRÉE Conclusion:
Entre le lumine {-na, -nis) et le corpore {-ra, -ris) d'un dactyle V et les termes situés aux articulations majeures du même vers, c'est donc, en définitive, un jeu varié de relations phoniques que Cicéron s'est attaché à mettre en place. De là, dans son hexamètre, une dominante sonore per ceptible que la diversité des structures lui servant de support (couples V-VI; III-V; IV- VI; I-V) préservait d'une excessive monotonie. Mais un poète soucieux d'organisation - comme l'était naturellement un futur technicien de la phrase oratoire - se devait d'avoir des visées plus hautes et d'étendre parfois les constructions dont lumine et corpore étaient le centre à un niveau d'agencement supérieur. Le développement d'une figure phonique sur deux vers, trois vers ou même davantage, offrait à notre auteur un champ de manœuvre plus vaste où son goût de la période le mettait parfaitement à l'aise. Aussi ne doit-on pas s'étonner de trouver ici, dans les Aratea, quelques réalisations remarquables qu'il faut maintenant étudier.
FIGURES SE DÉVELOPPANT SUR DEUX VERS ET DAVANTAGE I. Sur deux vers: Treize des vingt-trois structures qui se distribuent sur plusieurs hexa mètres mettent en jeu deux vers successifs. 1. V/V: 8 ex. Par le nombre de ses exemples (8 ex.), l'une des quatre combinaisons représentées à ce niveau dans les Aratea (V/V; I/V; V/I; V/III) tranche sur toutes les autres. C'est la figure qui fait du dactyle V du deuxième vers la réplique phonique totale (3 ex.) ou partielle (5 ex.) de celui du vers précédent. Doubler l'identité (rythmique et fonctionnelle) fondamentale des deux dactyles V de liens phoniques (et sémantiques) insistants, c'était créer entre les deux vers - ainsi associés en celui de leurs pieds où se manifeste dans sa pureté le rythme dactylique - une solidarité privilégiée, plus étroite et plus forte encore que celle des deux vers français unis par la rime. Cicéron trouvait là, pour l'illustration sonore du rythme, l'équivalent, au niveau d'un couple de vers, de ce qu'était, au sein d'un vers unique, la correspondance phonique des deux pieds immuables de la clausule. Il
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était donc naturel qu'il accordât aux deux combinaisons, à leur niveau respectif, une extension comparable 20; chacune d'elles recouvre, à elle seule, plus de la moitié des exemples considérés (V-VI: 23 ex. sur 43; V/V: 8 ex. sur 13): Ph. 321-322 Hune subter fulgens cedit uis toma Leonis, Quem rutilo sequitur conlucens corpore Virgo Ph. 389-390 Et post ipse trahit claro cum lumine Puppim: Insequitur labens per caeli lumina Nauis (autres ex.: Ph. 143-144 corpore Pisces / corpore ripas; 328-329 ludere Pisces / lumine labens; 331-332 Zwcibus ignem / lumine lustrans; 437-438 corpore Cepheus / corpore terras; 77-78 Scorpios alte / corporis Arcum; 49-50 /i/minis expers / /wcibus ardet) 2. V/I ou I/V: 3 ex. Les cinq autres figures (on avait annoncé treize exemples) se parta gent en deux groupes. L'un associe phoniquement le dactyle V d'un vers au longum I du vers qui le précède ou qui le suit. Disposition adoptée trois fois par le jeune poète: Ph. 276-277 FwZgentem Leporem, inde pedes Canis, et simul amplam Argolicam retinet claro cum /«mine Nauem (autre ex.: Ph. fr. VIII: ν. supra, p. 3) Ph. 429-430 E quibus ingenti existit ui corpori' prae se Scorpios infesta praeportans flebile acumen 3. V/III: 2 ex. Dans le second groupe (de deux exemples), attaque de la clausule du premier vers et début du deuxième hémistiche du second sont mis en rapport: Ph. 399-400 Iam dextrum genus et decoratam lumine suram Erigit ille uacans uwZgato nomine Nixus (autre ex.: Ph. 365-366 corpore noctem / conuestit sidéra tellus) II. Sur trois vers: Au niveau immédiatement supérieur, les agencements développés sur trois vers sont le fait de mots ou de séquences phoniques répétés deux
20 Elles sont, du reste, associées en deux passages des Phaenomena: 321-322 et 331-332, cités supra.
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fois. D'un point de vue structurel, ils constituent, en organisation verticale, la réplique de la distribution horizontale, au sein d'un vers unique, d'un même groupe de sons à trois articulations différentes du vers21. Là encore, dans la moitié des exemples (deux fois sur quatre) la séquence récurrente affectera le seul dactyle cinquième: Ph. 305-307 Quam sunt in caelo diuino numine flexi, Terram cingentes, ornantes \umine mundum, Culmine transuerso retinentes sidéra fulta22 102-104 Exinde Orion obliquo corpore nitens (déb. de mouv.) Inferiora tenet truculenti corpora Tauri. Quem qui suspiciens in caelum nocte serena (autres ex.: Ph. 455-457: ν. supra, p. 3; 259-261 corpore tergum / conititur; ilia recedens / corpore Virgo; v. aussi Ph. 135-137) III. Sur quatre vers: Montons encore d'un degré. Une suite de quatre vers offre, pour la mise en œuvre d'un ensemble construit de récurrences phoniques, d'inté ressantes possibilités d'agencement dont les principales réalisent les trois dispositions suivie {a ab b), croisée {ab ab) et embrassée (abb a) 23 qui définissent en français le groupement des rimes. Or, deux des trois exemples de Cicéron répondent précisément à une organisation de ce type. Ils mettent en place, au dactyle cinquième, en distribution suivie ou croisée, un double jeu de correspondances phoniques qui apporte le renfort d'une véritable rime à ce repère, invariable et dominant, du rythme dactylique:
21 Sur une utilisation combinée (chez Virgile) des deux techniques en un même passage - à l'intérieur d'une composition d'ensemble très élaborée - comme illustration sonore de l'écho et jeu savant sur le nom de Gallus, v. Echos et résonances..., p. 177-178 et n. 1. 22 Mise en œuvre qui peut avoir inspiré l'arrangement comparable d'un des passages les plus puissamment descriptifs de Aen. VI: Ae. VI, 298-300 Portitor has horrendus aquas et ilumina seruat Terribili squalore Charon, cui plurima mento Canities inculta iacet, stani lumina flammae. 23 Les trois combinaisons se rencontrent au dactyle V de plusieurs hexamètres de Virgile. Notamment en Aen. VII, 38-41 (invocation à Erato) a a b b; 601-604 (pour ouvrir un mouve ment) a b a b: protinus urbes / maxima rerum / proelia Martern / lacrimabile bellow; et V, 734-737 (apparition d'Anchise à Enée) α b b a: amoena priorum / casta Sibylla / sanguine ducet / moenia disces. Lucrèce connaît lui-même les deux types suivi (v. en particulier N. I,
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Ph. 107-110 Namque pedes subter rutilo cum lumine claret (déb. de mouv.) Feruidus ille Canis stellarum luce refulgens. Hunc tegit obscurus subter praecordia uepres, Nee uero toto spirans de corpore flammam
a a b b
432-435 Mortiferum in uenas figens per uulnera uirus: Ille graui moriens constrauit corpore terram. Quare cum magnis sese Nepa lucibus effert, Orion fugiens commendai corpora terris.24
a b a b
De conception autre, le dernier passage, qui réunit des figures de trois niveaux différents25, dote chaque vers, en quatre articulations distinctes, d'une même constante phonique et lexicale, les quatre termes en jeu (fulgens, conZi/cens, lumine, lucens) exprimant tous l'idée de lumière et d'éclat (v. supra, n. 6): Ph. 321-324 Hunc subter fulgens cedit uis torua Leonis, Quem rutilo sequitur conlucens corpore Virgo; Exin proieetae claro cum lumine Chelae, Ipsaque consequitur lucens uis magna Nepai; IV. Sur cinq vers et davantage: La présence, en quatre vers successifs, d'un même groupe de sons fait régner un leit-motiv sonore sensible. Mais à l'intensité d'une telle concent ration, le poète peut préférer l'effet, plus souple et rythmiquement supérieur, du retour régulier, à intervalles moins proches, d'un mot occupant à chacune de ses apparitions la même place essentielle du vers, par exemple, le dactyle cinquième, lieu d'élection des agencements phoniques les plus insistants.
287-290) et croisé, dont un exemple, peut-être suggéré par Cicéron, a une netteté et une insistance remarquables: N. IV, 1020-1023 Multi mortem obeunt. Multi, de montibus altis Vt qui praecipitent ad terram corpore toto, Exterrentur, et ex somno quasi mentibu' capti Vix ad se redeunt permoti corporis aestu. 24 La présence, aux vers «b », d'une même architecture sonore interne (constrauit corpore / commendai corpora) et de deux clausules quasi identiques accentue encore le dessin de la structure. 25 Sur un vers: 322 conlucens corpore Virgo (ν. supra, p. 139, n. 14). Sur deux vers: 321-322 torua Leonis / corpore Virgo (ν. supra, p. 141). Sur quatre vers: 321-324 fulgens / conlucens / lumine / lucens.
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Trois architectures cicéroniennes procèdent de ce principe. Elles mé nagent l'intervalle d'un vers ou de deux vers entre les trois emplois de lumine ou de corpore qui les constituent. De là, une structure qui se déploie sur cinq ou sept vers: Intervalle d'un vers: Ph. 391-395 Et cum iam toto processit corpore Virgo, Haec medium ostendit radiato stipite malum. At cum procedunt obscuro corpore Chelae, Existit pariter larga cum luce Boetes, Cuius in aduerso est Arcturus corpore fixus 26 Intervalle de deux vers: Ph. 295-301 Propter Equus capite et ceruicum lumine tangit. Hosce aequo spatio deuinctos sustinet axis, Per medios summo caeli de uertice tranans. Ille autem claro quartus cum lumine circus Partibus extremis extremos continet orbis Et simula medio media de parte secatur, Atque obliquus in his nitens cum lumine fertur; Le dernier agencement se combine à d'autres organisations pour être le « temps fort » et comme l'armature d'une construction d'ensemble dont les diverses composantes (v. infra, n. 28), source d'une heureuse variatio, forment dans une description pathétique, un mouvement rythmé d'un grand effet: Ph. 432-438 Mortiferum in uenas figens per uw/nera uirus: Ille graui moriens constrauit corpore terram. Quare cum magnis sese Nepa /i/cibus effert, Orion fugiens commendai corpora terris.
26 La même technique se retrouve ensuite chez Lucrèce dont, au livre II, les trois formes corpore, corpore, corporis interviennent successivement au dactyle V des v. 436, 438 et 440, soit un vers sur deux.
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Turn uero 27 fugit Andromeda et Nepiwnia Pistrix Tota latet; cedit conuerso corpore Cepheus, Extremas medio contingens corpore terras 28.
* *
Parti d'une observation statistique - la présence de 48 lumine et de 42 corpore au dactyle cinquième des 550 vers des Phaenomena -, on s'est demandé si l'extrême fréquence de ces mots n'était interprétable qu'en termes de commodité métrique. Les pages qui précèdent nous assurent que la structure prosodique de lumine et corpore n'a pas été le seul facteur du choix cicéronien ou, qu'en tout cas, notre poète a su faire de nécessité vertu. Eminemment sensible au rythme et à son illustration par des sonorités récurrentes, il fondit les mots élus - les mettant au centre d'un jeu de reflets phoniques et sémantiques29 incessants, véritable leit-motiv du poème - dans une trame sonore construite qui soutient, à divers niveaux d'agencement (un vers; deux vers; trois vers; quatre vers; cinq vers et davantage), un lot varié de structures dominantes, distribuées aux articu lations principales de l'hexamètre. Excellent technicien du vers, Cicéron avait donc aussi une bonne maîtrise de son organisation sonore. Les types majeurs (figures à la clausule et prépondérance du type rythmique; solidar itéphonique des dactyles cinquièmes et, notamment, agencements suivi a a b b ou croisé a b a b sur quatre vers, etc.) sont en place dès les Aratea
27 Brillant moyen de présentation et de mise en scène (sur quoi, v. L'expression nar rative chez les historiens latins, Paris, 1969, p. 520-521), turn uero, intégré du reste à une figure phonique remarquable (cf. infra, n. 28), confirme la tonalité pathétique de tout le passage. 28 L'ensemble se construit autour du couple III-V con-... corpore (-ra), distribué, d'abord, un vers sur deux (v. 433, 435, 437), puis, lorsque le mouvement s'achève et en manière d'accord final, sur deux vers successifs (v. 437-438). L'agencement a b a b (v. 432-435: sur quoi, v. supra, p. 144), auquel s'intègre les deux premiers corpore (-ra), forme une brillante ouverture. Il est immédiatement suivi, au v. 436, d'une figure rythmique I-V (Turn... Nepiunia, dont la voyelle u fait écho à celle des deux partenaires de corpore {-ra): 432 uulnera, 434 lwcibus, - de sorte que se prolonge, au niveau vocalique, l'alternance a b a b des vers précédents). Structure de transition, elle prélude au «finale» (v. 437-438), décrit ci-dessus. Au total, une belle unité de conception et une réussite rythmique indéniable. 29 Cf. les liens étroits de lumine avec ses partenaires lexicaux; v. supra, n. 6.
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et certaines de ces réalisations peuvent avoir inspiré directement Lucrèce et Virgile (v. supra, n. 22, 23 et 26). L'antiquité, décidément, se montra bien sévère pour PArpinate30. Seule l'originalité d'inspiration aura manqué à notre poète pour égaler les plus grands. Il le sentait sans doute confusément, mais ne renonça jamais à l'art des vers qu'il pratiqua, jusqu'à l'âge mûr, avec prédilection31, car - se disait-il peut-être - « neque illud ipsum quod est optimum desperandum est et in praestantibus rebus magna sunt ea quae sunt optimis proxima32 ».
30 Cf. J. Soubiran, o. c, p. 69-72. 31 Id., ibid., p. 1-4. 32 Or. II, 6.
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Ce n'est pas seulement en vue de l'exploitation de l'arrière-pays padan que Grecs et Etrusques se sont installés en Italie du Nord, de façon concur renteou, plutôt, coordonnée. Ils visaient l'immense marché de l'Europe Centrale, comme le prouvent les trouvailles méditerranéennes faites au-delà des Alpes. Ici se pose le problème tant débattu de l'utilisation des cols au cours de la protohistoire. Ce n'est d'ailleurs qu'un aspect d'une question plus vaste: le rôle de la montagne dans la transmission ou le développement des cultures, et cela depuis la plus lointaine préhistoire. Avant l'époque histo rique, les documents à disposition sont de nature archéologique2 et donc muets par eux-mêmes. Or, les hypothèses concernant les voies commerciales ont été souvent commandées par des préférences subjectives3: pour un Français la route de l'Italie passe par la Provence s'il travaille lui-même dans le Midi, par les Cols des Alpes Occidentales s'il vit à Paris; pour un Allemand,
1 Cf. la bibliographie générale donnée dans Actes du colloque international sur les cols des Alpes, Bourg (1969) (Orléans, 1971), 243-257. Sur les conditions de circulation dans les Alpes, cf. la contribution de B. Janin, Ib., 7-24. 2 On trouvera de nouvelles données dans les Actes du Congrès de Varenna-Gargnano (1974) Atti VII CESDIR, 1975-76, La comunità alpina nell'antichità. 3 U. Kahrstedt, naguère, n'envisageait que les cols alpins, à l'exclusion de la vallée du Rhône, mise à son tour en vedette par les publications concernant Marseille et Vix. P. Jacobsthal et R. Joffroy ont « découvert » les cols des Alpes Occidentales, W. Dehn et W. Kimmig ceux des Alpes Orientales. Mais ce dernier savant lui-même a fait son auto-critique, à la suite d'O. H. Frey, qui admet un très large éventail de possibilités et estime que même les cruches rhodiennes ont pu transiter par les cols et non par Marseille. Il n'est pas inutile de rappeler la juste sentence d'un savant suisse, D. Van Berchem (M. H., XIII, 1956, 199): «A qui envisage le mouvement commercial dans son ensemble, chacune des deux thèses en présence apparaîtra contestable dans la mesure où leurs tenants, pour faire accepter la voie de leur choix, refusent toute importance à l'autre».
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le « Zug nach Süden » emprunte les Cols des Alpes Centrales, pour un Autri chien ceux des Alpes Orientales. N'est-ce pas céder au prestige de Marseille que de supposer que les influences méditerranéennes perçues à la Heuneburg sont arrivées par là, au prix d'un tel détour4? Et les savants d'Europe Occidentale ont tendance à oublier la voie du Danube5. En fait, une trouvaille isolée considérée en elle-même ne peut donner d'indication sûre6; c'est le jalonnement d'un ensemble de découvertes qui seul indique une direction 7, à condition que les cartes de répartition tiennent le plus grand compte de la chronologie et en particulier des décalages entre séries d'objets qui peuvent se trouver réunies dans une même tombe et des très longs délais de transmission pour certains objets8. La recherche ne pourra progresser dans ce domaine fertile en hypothès es que par la publication de nombreux mobiliers, de fouilles anciennes, de réserves de musées, classés en séries génétiques et avec des analyses de laboratoire. Mais les cartes de répartition, dont la valeur heuristique est
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4 Cl W. Dehn, Actes du colloque sur les influences Helléniques en Gaule, Dijon, 1958: « Auf welchem Wege die Kenntnis griech. Wehrbaues an die obere Donau gelangt sein kann Mir scheint, dass die von der Natur vorgezeichnete Route von Massilia das Tal der Rhône und der Saône aufwärts nach wie vor grosse Wahrscheinlichkeit für sich hat». Il est vrai que la Heuneburg connaît la poterie grise de Marseille. 5 Cf. O. Klindt-Jensen, Influences italiennes et celtiques sur l'art scandinave, dans Actes du Congrès intern, d'archéol, Paris, 1963(65) 217-220. 6 Cf. L. Lerat, L'amphore de bronze de Conîiège (Jura), dans Actes du Colloque de Dijon, oc 98: «(ces trouvailles) attestent des relations commerciales, à la fin du IVe s., entre la région salifere du Jura et le monde méditerranéen. A Salins convergeaient à l'époque romaine une voie venue de Lyon et une autre venue des régions alpestres. Les sites jurassiens où ont été faites ces trouvailles grecques ou étrusques ne donnent donc par eux-mêmes aucune indica tionsur la voie suivie par ces importations». 7 La preuve décisive d'une fréquentation n'est fournie qu'en apparence par une décou vertearchéologique datée au col lui-même (cf. les monnaies massaliotes et gauloises du GrandSt-Bernard), qui peut être sporadique. L'identification d'une fosse votive est plus intéressante, cf. C. F. Cappello, Una stipe votiva di età romana sul Monte Genevris (Alpi Cozie), dans Riv. Ingauna VII, 1941, 96 (époque romaine, mais prolonge un culte précédent). L'existence du sanctuaire du dieu celtique Poeninus est corroborée par la vénération d'I.O.M. en deux autres points de la route qui prolonge le col: Tarnaiae-Massongex (Jupiter Taranis), Minnodunum-Moudon. Une trouvaille faite au pied d'un col est non moins significative: cf. J. Prieur, Un habitat au pied du col du Mont-Cenis, Lanslevillard, du néolithique à la fin de l'époque romaine, dans les Actes du Congrès de Varenna-Gargnano, 1974 (o. c, 521-533). 8 Cf. O. Klindt-Jensen, o. c, et F. J. Keller, Zur Datierung des keltischen Fürstengrabes von Reinheim (Saarland), VIIe Congrès Pré-Protoh. Prague, 1966, 796-798: fibules des environs de 400: anneau de verre de 300; certains objets sont conservés pendant 2 ou 3 générations avant d'être ensevelis.
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bien connue9, doivent être complétées par l'étude topographique minutieuse des cheminements possibles: chaque col, même peu utilisé aujourd'hui, chaque vallée mérite sa monographie 10, qui doit être couplée avec celle de la vallée opposée sur l'autre versant: tel passage, inutilisable par la route moderne ou la voie ferrée, pouvait être commode jadis pour des bêtes de somme ou des porteurs s'il raccourcissait les distances. Certaines vraisemblances paraissent s'imposer: les objets étrusques et grecs parvenus à Salzburg et en Bohême ont dû transiter par les cols des Alpes Orientales. Mais en ce domaine des échanges commerciaux, nous savons bien (cas de Suez . . .) que la logique ne règne pas n: tel obstacle politique a pu imposer de longs détours, dont les négociants habiles savent, un jour ou l'autre, tirer le meilleur parti. Et, bien sûr, pour définir une route commerciale, il faut tenir compte des caractéristiques stylistiques comparées des centres de production et de consommation 12. Mais ces considérations esthétiques qui sont, dans la plupart des publications, prépondérantes, ne devraient, à notre avis, intervenir que dans la phase ultime des études. En ce sens, des programmes de recherches internationaux coordonnant les travaux de part et d'autre des Alpes sont hautement souhaitables 13. 9 Cf. H. A. Cahn, Actes... Dijon, o.e., 21-29: «Ce n'est pas par hasard que les lieux de trouvaille (des importations préromaines en Suisse) se répartissent dans les deux vallées par lesquelles, jusqu'à la fin du Moyen Age, passaient les routes principales conduisant le voyageur vers le Sud, soit le Valais et les Grisons, d'autre part dans le «Mittelland», autour des lacs de Bienne et de Neuchâtel, là où se trouvaient les grands habitats gaulois, jusqu'à la vallée de la Limmat ». 10 Attentive aux données physiques (pentes, possibilités de ravitaillement en eau, pâturage pour les bêtes de somme, abris pour les hommes). La paléogéographie doit aussi dire son mot: une variation d'un ou deux degrés dans les moyennes thermiques peut bloquer ou ouvrir un col de haute altitude. 11 A propos du bucchero trouvé en Provence, on pense a priori à des relations maritimes, mais l'association avec des fibules du type Certosa indique que des rapports terrestres ne sont pas exclus, cf. M. Renard, Les fragments de bucchero découverts en Gaule méridionale et leur signification, dans Latomus, VI, 1947, 309-316. 12 Cf. O. Klindt-Jensen, o.e., qui souligne la place de l'Italie du Nord dans cette transmission, en raison de la tradition archaïsante des motifs nordiques. E. Benoit (Mél Renard, Bruxelles, 1969, III, 16-18), à propos du casque de St-Laurent, définit ainsi les caractéristiques de la série: « La décoration au burin, exécutée de façon rapide et parfois maladroite, sans symétrie rigoureuse des motifs, est caractéristique d'ateliers travaillant pour l'exportation, toute différente de la déco ration de tresses, de torsades, d'S, de triscèles et d'appliques émaillées des ateliers celtiques, qui ont parfois enrichi les casques importés... cette importation s'inscrit dans l'ambiance Nord-italique». 13 C'est ce qu'a esquissé le Congrès de Varenna-Gargnano (mai 1974).
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II faut de plus distinguer: - producteurs et transporteurs, qui ne sont pas forcément les mêmes: les sphinx du tumulus d'Aspern, peut-être la plus ancienne importation de Tarente, ont dû être transmis par des marchands étrusques 14; - typologies originales et réélaborations: certains ivoires orientalisants - c'est le cas encore de ceux d'Aspern - sont venus à l'origine de Syrie, mais ont été réélaborés et imités par les Etrusques. On a pu hésiter sur la provenance de telle série 15 et la chronologie de telle autre est encore mouvante 16. Il peut être en tout cas dangereux, dans un ensemble qui a pu se constituer progressivement au sein d'une même famille ou dont les divers éléments ont pu connaître des cheminements divers plus ou moins longs, de déduire de la présence d'une œuvre grecque ou étrusque, bien datée dans un contexte méditerranéen, la date d'un élément indigène. Enfin les savants transalpins se chargent de rappeler à leurs collègues méditerranéens qu'une voie commerciale est rarement à sens unique et que les influences ont été réciproques: O. Klindt-Jensen 17 insiste sur les importat ions en Italie, H. Zürn parle d'un « lebhafter Austausch von Handelsgütern » 48.
14 Cf. H. Zürn, H. V. Hermann, Germania, XLIV, 1966, 74-102; W. Kimmig (Actes du colloque de Dijon, oc, 81) pense à juste titre que «Transporteure dürften weitgehend die einheimischen Alpenvölker gewesen sein». Les producteurs méditerranéens eux-mêmes pouvaient avoir accès à certains marchés, La Tène p. ex. (cf. C. Jullian, H. G., I, 171, n. 7, 224, n. 5, à propos de la navigation des Argonautes: « Supposons à la Tène un grand marché celtique et supposons que les Grecs aient eu le droit ou l'occasion d'y traverser, mais qu'il leur ait été interdit d'aller au-delà, l'arrêt des Argonautes s'explique à merveille et Junon n'a fait que leur rappeler les conventions imposées par les indigènes»). Mais d'ordinaire les objets devaient transi ter de main en main; un même itinéraire, dont les deux extrémités s'ignoraient, était fractionné par des points de rupture de charge (passage de la navigation au portage et inversement), ce qui explique qu'on ait pu confondre point de départ - lieux de production - et point d'arrivée (marché). 15 O. H. Frey, Zu den « rhodischen » Bronzekannen aus Hallstattgräbern, dans Marburger Winckelmann Programm, 1963, 18, a montré qu'il s'agit en fait de produits étrusques. 16 Cas des coupes de Droop, cf. O. H. Frey, Germania, XXXV, 1957, 229-242, qui rend vraisemblable l'existence de rapports entre la haute Italie et la Suisse - Est de la France à la fin de Hallstatt. Il faudrait mieux distinguer mobilier d'usage courant (trouvés dans les habitats, généralement mal connus), et pièces de luxe, souvent à signification religieuse, découvertes dans les tombes. 17 Influences italiennes et celtiques sur l'art scandinave, Actes VIIIe congrès intern, archéol, Paris, 1965, 217. 18 Germania, XLII, 1964, 30. Expression équivalente chez W. Kimmig, Actes..., Paris, o.e., 98: «Handelsgut aller Art (hat) durch Vermittlung der Alpenvölker in beiden Richtungen das Gebirge überquert».
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L'apport nordique concerne aussi bien la typologie que le décor: G. von Merhart a mis l'accent sur la direction Hallstatt-Italie, montrant en parti culier que les casques italiques dérivaient d'un type nordique, que certaines situles sont des imitations locales de modèles hallstattiens, tandis que G. Camporeale 19 admet, dans le motif - un oiseau stylisé - qui orne l'anse ajourée de coupes de bronze fabriquées à Vetulonia, un écho d'Europe Centrale. A vrai dire, les auteurs raisonnent trop à partir d'exemples singuliers. Des statistiques, quand elles sont possibles, sont plus convaincantes que des impressions ou des hypothèses 20. Un trésor prestigieux comme celui de Vix 21 qui, dans la nécropole même du Mont-Lassois, n'est certainement pas uni que22, ne doit pas faire oublier qu'il existe d'autres ensembles d'autant plus significatifs sur le plan historique qu'ils entrent dans des séries plus nomb reuses. Or les découvertes et les publications vont se multipliant.
Les relations espace-temps et les cols des Alpes Que l'utilisation des diverses voies commerciales, fluviales (RhôneDanube) ou terrestres (cols des Alpes Occidentales, Centrales, Orientales) ou mixtes le plus souvent (Pô-Tessin-col) ait été concurrente ou coordonnée selon les époques, il semble que l'on puisse admettre l'existence de courants majeurs23 qui se sont déplacés au gré des mouvements ethniques, des hégé monies et des rivalités commerciales: - la voie du Rhône semble importante dès la fondation de Mars eille (VIe s.); - le rôle des cols (avec peut-être une répartition selon la nationalité des marchands et la nature des trafics) grandit avec l'installation des comp-
19 / commerci di Vetulonia, Florence, 1969. 20 Excellent exemple fourni par M. Primas, Zum eisenzeitlichen Depotfund von Arbedo (Kt. Tessin), Germania, L, 1972, 76-93: à côté de fragments de vases étrusques, qui ont une signification précise pour la chronologie et les relations culturelles, quelques fibules de Hallstatt tardives sont venues par les cols, mais le matériel arrivé d'au-delà des Alpes ne représente qu'1% du total, le mobilier étrusque 2%. 21 Cf. les travaux bien connus de R. Joffroy p. ex. le trésor de Vix, Paris, 1962. 22 Cf. R. Goguey, De l'avion à l'archéologie, Recherches aériennes sur les sites archéologi ques de Bourgogne, Paris, 1968, et Revue de Photo-interprétation, 69, 2/2/. 23 Les cartes de répartition d'objets isolés ne suffisent pas à les définir. Il y faut, dans la mesure du possible, des éléments statistiques, cf. le graphique comparé des trouvailles de Mars eille, Adria et Spina procuré par J.H.F. Bloemers, Zur Henkelplatte eines attischen Kolonettenkraters vom Vetliberg (Zurich), dans Germania, XLVI,, 1968, 282.
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toirs d'Adria et de Spina et le « protectorat » étrusque sur la plaine du Pô 24 et, plus encore peut-être, avec l'occupation celtique, mais l'utilisation des passages alpins est bien antérieure 25.
24 Cf. F. Benoit, Observations sur les routes du commerce gréco-étrusque, dans les Actes du collo que de Dijon, 1957 (58), 15-20, à compléter par W. Kimmig, Ib., 75-87, plus nuancé, qui semble admettre l'existence de deux courants rivaux: « einen griechischen über Massilia und einen etruskischen mit Schwergewicht über die Ostalpen. Dabei habe der etruskische den weiten Umweg zum Mittelrhein in Bogen um den nordwestalpinen Hallstattraum herum deshalb unte rnehmen müssen, weil ihm der Zugang über Massilia verwehrt gewesen seie. Dies gehe klar aus dem weitgehenden Fehlen etruskischen Handelsgute im Hallstattraum hervor und beweise ausserdem, dass der Massalia-Handel noch in Aktion gewesen sein müsse, als der im ganzen jüngere Etruskerhandel bereits begonnen hatte». L'auteur laisse finalement la problématique ouverte (Ib., 81): «Es leuchtet ohne weiteres ein, dass diese, von den Einheimischen längst erschlossenen Handelswege über praktisch alle Alpenpässe in dem Augenblick auch von den Etruskern ausgenutzt worden sind, als diese die Po-Ebene in Besitz nahmen. Die im Norden auftauchenden Südimporte haben also in breiter Front von Massalia im Westen bis hinüber zum caput Adriae die Alpen überquert. Nutzniesser dieses Handels sind so wohl phokäische Griechen wie Etrusker, vermutlich auch Veneto-Illyrer ». Les produits grecs du VIe s. «können sehr wohl über Massilia gekommen sein, müssen es aber nicht» (p. 82), mais pour le pesant cratère de Vix, l'auteur préfère la route fluviale. Germania, XLVI, 1968, o.e., 279, admet la voie Rhône-Saône-Doubs pour la plus grande partie de la céramique à figures noires: « Die Verbreitung der Weinamphoren, die echte Import oder zumindest massaliotische Nachbildungen darstellen, bestätigt diesen Weg. Nimmt man hierzu noch die Verbreitung der grauen « phokäischen » Ware, so wird dieser Eindruck noch verstärkt». Mais avec la fondation d'Adria, puis de Spina, il faut admettre, dès la fin du VIe s. et le début du Ve s., une utilisation des Alpes centrales. L'auteur la dit possible pour l'hydrie de Grächwill et le cratère de Vix, mais à la fin du VIe s., l'essentiel des commerces passe par Marseille, puis, avec Adria et Spina (début du Ve s.), les vases à figures rouges et les oenochoés à bec trilobé, «alle Alpenpässe in Frage kommen ». Il est probable que cette problématique, que nous saisissons vers 600-500 a.C, reproduit des situations plus anciennes renvoyant peut-être à la préhistoire et au trafic de l'ambre, cf. la mention d'ambre ligure (chez Théophraste p. ex. ou chez le Ps. Ar., Mir. 81), parallèle à celle de l'ambre padan, cf. ma contribution Les mythes ou le temps de la protohistoire, l'exemple de l'Italie du Nord au volume collectif sur le temps à Rome (Paris, 1976). 25 Cf. W. Kimmig, Ber. R.G.K. 1962-63, 73: «Dass dieser Handel in beiden Richtungen längst im Gange war hat Frey eindrucksvoll gezeigt. Auch die ersten etruskischen Güter, die noch aus einer Zeit stammen, als die Etrusker die Po-Ebene nicht erreicht hatten, können nur auf diesen Wegen nach Norden gelangt sein (exemple de la pyxide de Colmar, du VIIe s. a.C., accompagnée de céramique du Hallstatt C) ». L'auteur souligne le rôle du Tessin et de la culture de Golasecca; n. 74: « es hat also sicher schon etwa ab 600 einen Etruskerhandel über die mittleren und westlichen Alpenpässe gegeben »; n. 75: «enge Verbindungen seit der Frühbronzez eit; rôle des cols de Bernhardnf-Splügen-Maloja». Des objets nord-alpins se trouvent dans les terramares du Bronze tardif. Cf. aussi L. Pauli, Die Golasecca-Kultur . . . , Hamburg, 1971; F. Fischer, Germania, 1973, 436. Nous n'avons pu utiliser Kimmig, Hamburger Beitr. z. Arch. IV, 1974, 33.
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Typologie des mobiliers exportés Quels sont les objets qui transitaient par les cols? Ceux d'abord dont nous avons la trace archéologique: - céramiques de divers types; - métal: armes étrusques défensives, comme les casques26, vaisselle de luxe, miroirs, chandeliers. Mais ces séries attestées ne sont, elles mêmes, que le reflet27 d'un trafic plus considérable. Il faut en effet y ajouter les marchandises périssables et ici nous devons reprendre une enumeration proposée à propos du commerce spinétique: - produits alimentaires: sel28; vin et huile qui, s'ils empruntaient les cols, ont dû voyager dans des outres plutôt que dans des amphores et n'ont pu laisser aucun souvenir; - bétail sur pied, viande salée ou fumée, peaux et fourrures; - peut-être certains minerais (étain) 29, précieux même sous un faible volume, ou des saumons de métal déjà fondu; - esclaves (prisonniers que se faisaient entre elles les tribus en guerre) ; - et, plus encore, des influences culturelles que nous ne saisissons qu'indirectement. Nous y reviendrons. Les relations entretenues par les deux versants des Alpes ont-elles supposé des déplacements importants de personnes? Nous ne le saurons sans doute jamais, mais cela paraît peu vraisemblable30. On peut penser que certains marchands méditerranéens pouvaient pénétrer jusqu'à des marchés bénéficiant de droits de franchise31 et il y a eu de tout temps des ambass ades32.
26 Références dans F. Benoit, Mél. Renard, o.e.; M. Louis, Un casque du 2e âge du Fer à Montpellier, Gallia XI, 1953, 306-307: la provenance est inconnue, mais le décor italique (IVc-Iir s. a.C); St. Gabrovec, Die hallstättischen Helme des südostalpinen Kreises, dans Archeoloski Vestnik, Ljubljana XIII-XIV, 1962-63, 293. 27 «Beifracht», fret complémentaire dit W. Kimmig. 28 Faut-il rappeler l'importance de centres comme Hallstatt et Salins dans le Jura? 29 Cf. le lien qui unit l'ambre et l'étain dans l'esprit d'Hérodote, IV, 33. 30 G. von Merhart, Hallstatt und Italien, Mayence, 1969, 105, envisage la migration de groupes peu nombreux. 31 Cf. supra, p. 150, n. 14. Considérable dut être ici le rôle des sanctuaires, cf. la découverte de monnaies grecques à Allmendingen près de Thun, B. Kapossy, Schw. Münz. XVII, 1967, 37-40. 32 Comme celles qu'échangent Romains et Gaulois Transalpins au moment de l'affaire d'Aquilée, cf. Liv., XXXIX, 54, 11; 55, 4; Ep. LX.
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Des techniciens aussi ont voyagé: maîtrises itinérantes33 de métallurg istes34, orfèvres35. Des indigènes sont venus se former au contact des Méditerranéens36, des princes barbares ont engagé des spécialistes étrangers: c'est un artiste venu du Midi qui, apparemment, a monté à Vix le fameux cratère 37. Certains cas cependant sont ambigus: - les maçons et l'architecte qui ont construit la fortification de la Heunebourg s'inspirent de l'art des places de Grande-Grèce, mais semblent n'en pas comprendre l'esprit38; - le moule d'une applique pour vase de bronze découvert sur le même site pose un problème comparable dans le domaine des arts mineurs: a-t-il été importé ou imité sur place 39? Il suppose en tout cas la connaissance de l'art du bronze de Vulci aux alentours de 480-460. Même si peu nombreux étaient les voyageurs qui franchissaient alors les Alpes, ces relations ont exercé des influences culturelles considérables. Elles ont concerné plusieurs domaines: - les usages et les mœurs: utilisation de tel type de vaisselle, céra mique ou métallique, modes de construire40; 33 Sur le rôle de ces migrations limitées, mais hautement spécialisés dans l'évolution et le maintien de la communauté alpine, cf. la communication d'E. Bertolina, Ruolo delle migrazioni di maestranze montanare specializzate dentro e fuori le Alpi, nell'evoluzione e nella conserva zione della comunità alpina: osservazioni su una ricerca in corso, dans Convegno VarennaGargnano (1974), non publié dans les Actes. 34 Cf. l'interprétation des dépôts de fondeur d'Arbedo, Parre, Obervintl, Dercolo, Romallo, en des points névralgiques de la circulation alpine: M. Primas, Zum eisenzeitlichen Depotfund von Arbedo (Kt. Tessin), dans Germania, L, 1972, 76-93. 35 Cf. l'hypothèse d'O. Klindt-Jensen, Actes VIIIe Congrès archéol, Paris, 1965, 217. 36 Cf. la version plinienne (XII, 5) de l'épisode d'Arruns de Clusium, devenu le forgeron helvète Helicon, séjournant à Rome. 37 Cf. l'utilisation comme signes de repères de lettres grecques. 38 Cf. W. Dehn, Die Befestigung der Heuneburg (Per. IV) und die griechische Mittelmeerw elt, Actes Colloque Dijon, 61: «Dass griechische Handwerker in fremdem Diensten gearbeitet haben, ist bekannt. Dürfen wir Aehnliches für die barbarischen Heuneburgfürsten annehmen? Mir scheint darauf ist keine eindeutige Antwort zu geben; man wird sich mit der Feststellung begnügen müssen, dass dem Baumeister der Heuneburg IV griechischer Wehrbau nicht unbe kannt war, mag er nun selbst im griechischen Einflussbereich gelernt oder einen Griechem am Bau beteiligt haben. Cf. W. Kimmig, Ib., qui parle de «groteske Missverstehen des Bauplans». 39 Cf. W. Kimmig, V. Vacano, Zu einem Gussformfragment einer etruskischen Bronze kanne von der Heuneburg an der oberen Donau, dans Germania, LI, 1973, 1, 72-85. 40 Exemple de la Heuneburg cité plus haut. Cf. Actes colloque de Dijon, o.e., 55: «Es steht ausser Zweifel, dass neben dem erhaltenen Handelsgut, auch andere für uns nicht mehr fassbare Dinge, vermutlich auch bestimmte Formen der Lebens - und vielleicht sogar der Denkw eise eingedrungen sind, die nicht ohne, Einfluss auf die bodenständigen Kulturen bleiben konnten ».
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- les représentations religieuses41: croyance au banquet funéraire, qui faisait vendre aux princes barbares de luxueux « services à boire »; - l'art, par la diffusion de certains motifs 42 qui, réinterprétés, passent dans le patrimoine décoratif indigène et, de façon plus remarquable encore, par l'imitation et l'élaboration d'œuvres autochtones43: W. Kimmig insiste44 sur la capacité des Celtes à accueillir les suggestions étrangères, à les imiter, puis à les transformer. Dans l'ensemble, les auteurs ont insuffisamment distingué importations proprement dites et influences techniques ou artist iquesdiffuses. En conclusion, il y eut découverte réciproque à travers les cols des Alpes et, à certains moments, réalisation, au moins à un certain niveau social, d'une véritable Koinè, à la formation de laquelle ont concouru plu sieurs filons45. Bien que sa chronologie soit trop haute, G. von Merhart retrouve en Hongrie46 (dès le XIIP s.?) les traces d'une active métallurgie, dont les productions et les formes culturelles se seraient diffusées aussi bien vers l'Italie prévillanovienne que vers la Grèce mycénienne. Retenons au moins la notion de patrimoine commun47 et une conclusion de W. Kimmig: « Rome, dans sa poussée vers le Rhône, le Rhin et le Danube, suivit d'une certaine façon des sentiers préparés: le mérite en revient, sans réserve, aux anciens Celtes » 48. 41 H. Zurn, Germania, 1964, o.e., évoque le culte des morts. 42 Sur la provenance de certains de ces motifs, cf. O. H. Frey, Der Ostalpenraum und die antike Welt in der frühen Eisenzeit, dans Germania, XLIV, 1966, 48-66. 43 Cf. H. Zurn, o.e., à propos du guerrier de Hirschlanden: «Anregungen aus den griech. Kolonien und aus zweiter Hand wohl auch aus Etrurien scheinen nun da und dort bei den angrenzenden barbarischen Völkern bereits im 6. vorchristlichen Jahrhundert zu ersten Ansätzen vollplastischen Schaffens geführt zu haben», W. Kimmig (Actes, Dijon, o.e.) parlait de «ein heimische Umdeutung». 44 Actes... Paris, o.e., 99. 45 Une meilleure connaissance de l'économie et de l'esprit de la « civilisation des princes » pourrait expliquer la nature de certains trafics. W. Kimmig (Colloque de Dijon, o.e.) parle de «folie des grandeurs» chez les Barbares, à propos des dimensions du cratère de Vix. Il est certain que les astucieux négociants méditerranéens ont flatté les goûts de leur clientèle (ou les ont suscités?). Il fallait du moins, conclut l'auteur, une certaine ouverture d'esprit de la part des barbares. 46 Cf. Studien über einige Gattung von Bronzegefässen, Festschrift d. R.G.Z.M., Mainz, 1952, 1-71. 47 Cf. G. Kossack, Studien zum Symbolgut der Urnenfelder und der Hallstattzeit Mittel europas, Berlin, 1954. 48 O.e., p. 87. Ce savant allemand recommande à juste titre une recherche coordonnée: «Eine umfassende Bearbeitung der mit den Passwegen in Zusammenhang stehenden inneral pinenFunde, die viel zahlreicher sind, als gemeinhin angenommen wird, gehört zu den grossen Desideraten der Forschung».
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UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA AL MUSEO DI CREMONA* Nell'esperienza si trova ciò di cui si ha bisogno solo se si sa in anticipo che cosa cercare (I. Kant).
L'impostazione idealistica che ha dominato gli studi di archeologia classica in Italia (ma non solo in Italia) nel periodo tra le due guerre mondiali, pr ivilegiando la ricerca storico-artistica, ha portato a trascurare interi settori di studio, che possiamo sommariamente qualificare con l'etichetta di « cultura materiale » \ Certamente giustificata era la reazione contro l'erudizione fine a se stessa, e il rifiuto di ogni impostazione teorica generale, che avevano caratteriz zato certa cultura positivistica italiana, specialmente nel campo degli studi di antichità2. Tuttavia, come spesso avviene, insieme con l'acqua sporca si gettò via anche il bambino, con risultati che sono davanti agli occhi di tutti. Si sono così dovuti riconquistare, partendo da zero, metodi di ricerca perfettamente elaborati e maturati fin dalla seconda metà del secolo scorso: e basti qui ricordare la triste vicenda della tecnica dello scavo stratigrafico in Italia che, utilizzata dal Boni in forme altamente perfezionate negli scavi del Foro, solo di recente è tornata ad essere applicata in modo rigoroso (e non senza oppos izioni) nell'ambito dell'archeologia classica3.
* Questa nota, con le altre che, nelle intenzioni dell'autore, dovrebbero seguire costi tuisce il seguito ideale del catalogo della mostra Roma medio repubblicana (Roma 1973). La scelta si orienterà in modo particolare suli'instrumentum iscritto, che è da annoverare tra gli argomenti più fruttuosi, ma anche tra i più trascurati. Le abbreviazioni utilizzate sono quelle de L'Année Philologique. 1 Cfr. A. Carandini, Archeologia e cultura materiale, Bari 1975. 2 B. Croce, Storia della storiografìa italiana nel secolo decimonono, 3a ed., Bari 1947, II, pp. 35 ss., 107 ss. Ma si veda ad esempio, sull'ambiente dell'Università fiorentina, E. Garin, La cultura italiana tra '800 e '900, Bari 1962, pp. 55 ss., 77 ss. 3 Per farsi un'idea del livello (invero piuttosto basso) della discussione in proposito, in anni ancora vicini, si veda l'incredibile polemica di G. Lugli contro il Lamboglia in RAL Vili, XIV, 1959, pp. 321-330, specialm. 326-328.
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È per questo che chiunque si accinga a trattare classi di materiali del periodo greco-romano, non appartenenti all'ambito della cultura figurativa aulica, deve spesso rassegnarsi a constatare che gli ultimi studi di buon livello su tali argomenti risalgono alla fine del secolo scorso e agli inizi del presente: mancano per lo più anche strumenti di lavoro elementari, come ca taloghi, raccolte tipologiche ecc, largamente disponibili invece in ambiti di studio ancora considerati « marginali » dalla presunzione di alcuni classi cisti in ritardo, come la preistoria ο le antichità provinciali. È merito di Jacques Heurgon l'aver recentemente riportato l'attenzione su una categoria di materiali, gli elmi a calotta, noti nella letteratura tedesca come « Jockeykappen », e che una errata tradizione di studi definisce come « gallici » 4. Vorremmo qui riprendere l'argomento a partire da un nuovo esemp lare, reso noto solo di recente, e che permette di chiarire un particolare di un certo interesse per la ricerca storica, e cioè l'aspetto dell'elmo utilizzato dall'esercito romano nel periodo compreso tra le guerre sannitiche e le guerre puniche. Si tratta di un elmo, proveniente da Pizzighettone e conservato nel Museo di Cremona5, costituito da una robusta calotta di bronzo fuso e poi battuto, di forma notevolmente allungata, fino ad assumere nella parte su periore un andamento conico (Fig. 1) (alt. cm. 25; diam. infer, max. 26; min. 22), concluso da un bottone di forma approssimativamente tronco conica, decorato da due file sovrapposte di semicerchi rilevati, sottolineati da un orlo anch'esso in rilievo (quasi un doppio kyma ionico rovesciato). Un doppio cordoncino rilevato limita il bottone in alto e in basso. Sulla superficie superiore, piana, è inciso un cerchietto. Intorno alla base di questa appendice è fissato un cordone di ferro, che scende per un breve tratto sui due lati dell'elmo, e che in origine doveva essere più lungo6. La calotta si conclude, posteriormente, con un brevissimo paranuca, ed è
4 J. Heurgon-Chr. Peyre, Un casque inscrit de Bologne: l'alliance des Ombriens et des Gaulois contre Rome au début du IIP siècle, in REL L, 1972, pp. 6-8 (si veda qui la fig. 10). Sull'attribuzione dell'elmo a fabbrica etrusca, si veda già E. Brizio, II sepolcreto gallico di Montefortino, in Mon. Lincei IX, 1899, cc. 748 ss. Le descrizioni più complete del tipo sono quelle di P. Couissin, Les armes romaines, Paris 1926, pp. 260-263 e di H. R. Robinson, The Armour of Imperial Rome, London 1975, pp. 13-14. 5 Pubblicato per la prima volta in G. Pontiroli, Catalogo della sezione archeologica del Museo Civico «Ala Ponzone» di Cremona, Milano 1974, p. 212, n. 317 (332), tav. CLXI. Ringrazio il prof. C. Saletti per le informazioni fornitemi al riguardo, e la Direzione del Museo di Cremona per le fotografie qui pubblicate. 6 Questa appendice, che appare in molti altri esemplari (ad esempio in quello, identico, del Museo di Taranto) serviva evidentemente a reggere il cimiero, costituito in genere da tre
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limitata inferiormente da un cordolo in rilievo, segnato da una serie di linee oblique incise, tranne che nella parte frontale, dove le incisioni vengono sostituite da larghe scanalature verticali: i brevi tratti in rilievo così deter minati presentano tre cerchietti incisi sovrapposti, con un punto centrale. Nelle due scanalature estreme è incisa una croce di Sant'Andrea, che de termina quattro spazi, in ognuno dei quali è segnato un puntino. Al di sopra del cordolo è un sottile listello, sul quale è incisa una teoria di cerchietti, privi del punto centrale. Il tratto di raccordo tra l'orlo e la ca lotta, piano sulla fronte, va assumendo un andamento concavo sui lati, che si accentua progressivamente nella parte posteriore: qui lo spazio, più ampio, è diviso in due da un breve risalto centrale. Seguono, al di sopra, quattro solchi paralleli, che sottolineano tutta la circonferenza della calotta. Le paragnatidi erano collegate a cerniere, ognuna delle quali è fissata alla calotta con due grossi chiodi ribattuti. Di esse resta solo quella di sinistra, ruotante intorno alla cerniera a mezzo di un tubulo, costituito dalla ribat titura dell'orlo superiore, fissata con cinque chiodini. La paragnatide è costituita da due grosse lamine sovrapposte, forse con un'anima centrale di altro materiale; la lamina interna è fissata a quella esterna mediante la ripiegatura dell'orlo, ribattuto tutt'intorno ai margini. Essa è piuttosto grande (cm. 16x14); il lato posteriore ed inferiore descri vono un'unica curva, mentre quello anteriore è sinuoso, costituito da due piccoli incavi, più accentuati del semicerchio (specie quello inferiore); una forma questa particolarmente adatta a proteggere le varie parti del volto (zigomi, mento). Un chiodo a larga capocchia, fissato all'estremità inferiore, serviva ovviamente a collegare e a fissare, a mezzo di una correggia passante sotto il mento, le due paragnatidi. Al centro del paranuca è un piccolo foro, destinato, come in altri esemplari simili, a fissare un anello semplice ο doppio, al quale si collegava forse la correggia che fissava le paragnatidi, oppure utilizzato per il trasporto dell'elmo. Sul bordo interno del paranuca, a destra del foro, è incisa l'iscrizione seguente (Fig. 2): M(arco) Patolcio Ar. l. p. Vili. La Ρ è costituita da tre tratti disposti ad angolo retto (più breve quello di destra, come la corrispondente lettera greca) ; la A ha la traversa disar-
lunghe penne, come sappiamo da Polibio (VI 23, 12), e come appare nella pittura da una tomba dell'Esquilino (cfr. Roma medio repubblicana, Catalogo, Roma 1973, p. 203, fig. 15, tav. XLVII: qui Fig. II).
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ticolata; la Ο è aperta inferiormente; la L ha una forma ad uncino abba stanza accentuata; la C è a segmento di cerchio poco accentuato; la R ha l'occhiello aperto in basso e la barra obliqua più breve di quella verticale. Con la grafia, evidentemente arcaica, concordano gli elementi morfologici, quali il nominativo in -o. Se ne possono dedurre indicazioni cronologiche abbastanza precise: la forma delle lettere (in particolare quella della L, della Ο e della jR) non può scendere oltre i primi decenni del II secolo a.C. 7, mentre il no minativo in -o precisa ulteriormente la data: prima della fine del III secolo 8. Una datazione nell'ambito di questo secolo, probabilmente nella seconda metà di esso, sembra la più probabile. Il nome è evidentemente quello del proprietario dell'elmo, come si può dedurre da altri casi simili9. La seconda parte dell'iscrizione dovrebbe, a mio avviso, essere sciolta così: Ar(untis) l(iberto) p(ondo) (odo), anche se non si può escludere una lettura quale a(e)r(is) l(ibrae) ρ (ondo) (odo) 10.
7 Importante soprattutto la forma della L. Si veda l'importante discussione di H. Solin, Analecta Epigraphica II, in Arctos VII, 1972, pp. 185-186. Il Solin è per una cronologia non posteriore al 150 a.C, e rifiuta giustamente alcune pretese eccezioni proposte dal Kolbe, che non sono vere eccezioni (H. G. Kolbe, Epigraphische Studien 5, Düsseldorf 1968, pp. 173-174). Lo stesso Solin tuttavia cita alcune iscrizioni in cui appare la L ad uncino, e che egli ritiene più tarde. A ben guardare, nel caso di CIL I2 1581 = X, 3807 = ILLRP 165 = Imagines 82 si può escludere la data proposta, successiva al 133 a.C, che non posa in realtà su alcun serio elemento. Il cippo miliario della via Caecilia (CIL I2 661 = IX 5953 = ILLRP 459), attribuito al cos. del 117, L. Caecilius Metellus Diadematus, è a mio avviso da connettere piuttosto con il cos. del 284, L. Caecilius Metellus Denter (su questo argomento, e sulla da tazione conseguente della via Caecilia al 284, immediatamente successiva all'annessione della Sabina del 290 - già proposta da T. P. Wiseman, in PBSR XXXVIII (n. s. XXV), 1970, p. 136 tornerò in altra occasione). Tutto il problema andrebbe riconsiderato su basi statistiche serie, prendendo in esame tutta la documentazione. Cfr. per ora Roma medio repubblicana, op. cit., passim; inoltre, F. Coarelli, II sepolcro degli Scipioni, in DdA VI, 1972, pp. 36-106. Fonda mentale G. Cencetti, Ricerche sulla scrittura latina di età arcaica, I, in BAPI, n. s. 2-3, 1956-57, pp. 175-205. 8 Cfr., oltre alla bibl. cit. alla nota prec, H. Solin, in Arctos VII, 1972, p. 186; F. StolzA. Debrunner-W. P. Schmid, Storia della lingua latina (trad, it.)3, Bologna 1973, p. 88. 9 Una serie di esempi, per lo più di età imperiale, sono raccolti in R. MacMullen, Inscrip tionson Armor and the Supply of Arms in the Roman Empire, in A] A LXIV, 1960, pp. 23 ss. Per esempi più antichi, si veda infra. 10 Lettura suggeritami da M. Torelli. Tuttavia, l'uso di indicare lo stato libertino con l'abbreviazione del prenome del patrono, seguita da l(ibertus) è già diffuso a partire dal IV se colo a.C. (si vedano gli esempi da Praeneste: Roma medio repubblicana, op. cit., pp. 261, 298 s.). Quanto al peso, che in libbre romane di gr. 327,45 corrisponderebbe a kg. 2,620 circa, esso
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Avremmo perciò a che fare con un liberto, cosa non priva di un certo interesse, dal momento che l'elmo, come vedremo, appartenne a un legionario romano, oppure a un soldato delle coorti ausiliarie. Per quanto riguarda l'aspetto onomastico, è da notare che il gentilizio Patulcius non è particolarmente diffuso. Lo si ritrova, oltre che a Roma n, in Campania (a Neapolis, Puteolis e Misenum), a Tarracina, a Caralis 12. Dalla Campania provengono probabilmente i Patulcii presenti in Asia Minore, a Magnesia e a Priene 13. Anche in Etruria il gentilizio è testimoniato: a Sutrium 14 e a Caere 15. In quest'ultimo caso si tratta di una testimonianza particolarmente antica, della fine del II secolo a.C. 16. Non si può escludere quindi che la gens sia di origine etrusca, come riteneva lo Schulze, che collegava Patulcius con i patilna, patini, testimoniati a Tarquinia e a Perugia17. Ciò potrebbe confermare Yorigo del nostro M. Patulcius, quale sembra risultare dal prenome probabile del patrono, Arruns. L'uso di indicare il nome sull'elmo da parte del proprietario appare in Italia già in epoca notevolmente antica, almeno dalla fine del VI secolo a.C. 18, e permane fino all'età imperiale 19. Sugli elmi del tipo che qui si esamina appaiono iscrizioni in etrusco, messapico, osco-umbro e latino, sempre apparente-
sembra corrispondere a quello reale. L'elmo pesa attualmente kg. 1,350, la paragnatide kg. 0,425: il peso complessivo - con le due paragnatidi - doveva essere di kg. 2,200 circa. La differenza di peso (circa 420 gr.) è dovuta probabilmente alla scomparsa di gran parte dell'elemento di ferro destinato a sostenere il cimiero, dell'anello fissato sul paranuca, e del rivestimento di cuoio (ringrazio per queste informazioni il dott. G. Pontiroli e la signorina Anita Farina). 11 CIL VI 23856-23859. Cfr. W. Schulze, Zur Geschichte lateinischen Eigennamen, Berlin 1904, p. 142 (cfr. pp. 86 e 188). 12 CIL X 1757, 1886, 2634, 2826 ss., 3334 (Neapolis, Puteolis - cfr. anche VI 2379b Misenum); 8397 (Tarracina - cfr. anche VI 2920 -); 7683 (Caralis). 13 O. Kern, Inschr. von Magnesia am M., Berlin 1900, 111; Η. ν. Gaertringen, Inschr. von Priene, Berlin 1906, 313, 715; RE, Patulcius, c. 2307 s. 14 CIL XI 3261. 15 CIL I2 2765 = ILLRP 1148; NSA 1937, p. 400; MAL XLII, 1955, ce. 818-820; J. Heurgon, in Latomus XIX, 1960, pp. 221-229. È interessante che in questa, che era finora la più antica iscrizione in cui apparisse il gentilizio, esso sia espresso nella forma Patolcia, che ritorna anche nell'elmo da Pizzighettone. 16 J. Heurgon, art. cit. alla nota precedente. 17 Schulze, op. cit., p. 142. L'etruscità del nome è accettata da Heurgon, art. cit., p. 223 e nota 7. 18 S. M. Goldstein, An Etruscan Helmet in the McDaniel Collection, in HSPh LXXII, 1967, pp. 383-390. 19 Cfr. nota 9.
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mente con l'indicazione del nome del proprietario. Particolarmente interessante è un esemplare scoperto nel secolo scorso a Forum Novum in Sabina (ora al Museo di Monaco), di un tipo simile a quello da Pizzighettone, sul quale è incisa l'iscrizione latina Q. Cossi Q. (f.) 20 (figg. 3-4). Si dovrebbe trattare, anche in questo caso, di un legionario romano, ο appartenente alle coorti ausiliarie latine: preziosa conferma che questo tipo di elmo era in dotazione all'esercito romano nella seconda metà del III e nel II secolo a.C. La presenza di un liberto nelle file dell'esercito romano nel corso del III secolo non pone a mio avviso alcuna difficoltà. Già nel 296 Livio (X 21, 4) ricorda che nec ingenui modo aut iuniores sacramento adacti sunt, sed seniorum etìam cohortes factae libertinique centuriati. L'uso dovette poi generalizzarsi nel corso delle guerre puniche: ricordiamo i celebri volones, schiavi liberati e arruolati in una legione nel corso della guerra annibalica 2\ Non esiste ancora una trattazione approfondita su questo tipo di elmo, così importante e diffuso. Per gli esemplari scoperti nel secolo scorso ο nei primi decenni di questo disponiamo talvolta almeno di qualche relazione ο nota di scavo, mentre quelli scoperti di recente sono spesso per lo più inediti. Uno spoglio della bibliografia, e il sopraluogo in alcuni musei mi hanno rapidamente convinto dell'imponenza del materiale, e dell'utilità che avrebbe uno studio sistematico di esso. Si riportano qui di seguito i risultati di questa prima ricognizione, senza pretesa di esaurire la materia, ma con una documentazione già sufficiente per fissare con una certa sicurezza alcuni caposaldi tipologici e cronologici.
20 CIL I2 2389 = IX 6090, 9 = ILLRP 1254. L'elmo è ricordato per la prima volta, con l'indicazione della provenienza, in Notice sur le Musée Dodwell, Rome 1837, pp. 23 s., η. 36. Si veda inoltre: J. v. Hefner, Das römische Bayern3, München 1852, p. 268, η. CCCLXXXVI; Das Κ. Antiquarium zu München, München 1914, p. 45; P. Couissin, in RA XXXI, 1930, fig. 1 a p. 94; P. Reinecke, in Germania XXIX, 1951, p. 42. (Non ho potuto vedere F. von Lipperheide, Antike Helme, 1896, p. 252, η. 38, dal quale probabilmente è tratta l'illustrazione del Couissin, l'unica finora disponibile, a mia conoscenza, di questo importante oggetto). Sul gentilizio Cossius cfr. Schulze, op. cit., pp. 158 s. Testimonianze del nome a Lambaesis (CIL Vili 3555) e a Catania (Χ 804522). L'uso del raddoppiamento delle consonanti farebbe pensare in questo caso ad una data più tarda di quella dell'esemplare da Pizzighettone, c omunque compresa entro la prima metà del II secolo, che conviene anche alla forma dell'elmo (si veda la discussione infra. Ringrazio per le fotografie la Direzione del Museo di Monaco). 21 Sul problema si veda la voce libertus, in Diz. Ep. IV, 1949, p. 928 (G. Vitucci); P. A. Brunt, Italian Manpower, Oxford 1971, p. 29, n. 5; p. 64; 395; S. Treggiari, Roman Freedmen during the Late Republic, Oxford 1969, pp. 51, 67-68, con bibl. prec. È anche poss ibile, come si è accennato, che il nostro M. Patulcius fosse arruolato tra gli alleati latini.
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II luogo di fabbricazione, almeno nelle fasi più antiche, è da identificare nell'Italia centrale, e in particolare nell'Etruria e nel Lazio (come conferma il carattere delle iscrizioni incise su molti esemplari, etrusche, latine, oscoumbre). L'adozione dell'elmo da parte dei Galli deriva dal commercio ο dalle prede di guerra22. Più tardi si ebbe una fabbricazione anche in ter ritorio celtico, che si prolungò fino al I secolo a.C, con forme derivate dai modelli italici, ma da questi chiaramente distinguibili (anche se non sempre distinte dagli editori del materiale) 23. Di questi ultimi tipi non ci occuperemo, limitando la nostra ricerca a quelli più antichi, certamente di produzione italica, come si è detto. Per quanto riguarda la tipologia (e la cronologia) regna una notevole confusione, poiché nessuno si è finora curato di collegare i vari esemplari conosciuti con contesti databili (scarsi, ma pure esistenti). Le varie fasi di sviluppo del tipo si possono seguire dall'inizio del IV secolo alla fine del III con una certa sicurezza. Non è possibile, nell'ambito di un breve articolo, entrare nel dettaglio di una dimostrazione minuta, che esigerebbe uno spazio assai più ampio. Schematizzando, diremo che si possono distinguere quattro sottotipi cronologicamente successivi (Fig. I). Il più antico di essi (A) è caratterizzato da una forma piuttosto rastr emata verso l'alto, con un puntale ricco e complesso, e paragnatidi formate da tre elementi circolari, disposti a triangolo con il vertice in basso (schema
22 Prede di guerra sono probabilmente i due elmi da Berceto e da Todi (erroneamente detto da Canne): sempreché le appendici a forma di corna fissate dai restauratori a quest'ultimo gli appartengano (cfr. nota 34). Un importante commercio etrusco si dirigeva verso i paesi celtici (cfr. la bibliogr. in A. Piganiol, Le conquiste dei romani, trad, ital., Milano 1967, pp. 570 e 586). È noto l'episodio di Arruns, il mercante etrusco di vino che guidò i Galli nell'invasione che si concluse con la presa di Roma (Liv. V 33, 3-5. Ringrazio il prof. G. Colonna per questa indicazione). 23 Cfr., ad es., P. Coulon, Note sur un casque gaulois trouvé dans une tombe à char, près Prunay (Marne), in Bull. Soc. Préhist. Franc. 1930, pp. 183-184; M. Louis, Le casque gaulois de Montpellier, in Atti del I Congr. di Studi Liguri, 1950 (1952), pp. 132 ss.; Id., in Gallia XI, 1953, pp. 306-307; R. Lantier, Note sur un casque italo-celtique, in CRAI 1955, pp. 363-365; H. Hinz, Ein Bronzehelm der Latène-Zeit vom Niederrhein, in BJ CLX, 1960, pp. 1-8; L. Armand-Calliat, Un casque antique en bronze au Musée de Chalon-sur-Saône, in Gallia XXIII, 1965, pp. 261-266; G. Barruol-G. Sauzade, Une tombe de guerrier à SaintLaurent-des-Arbres (Gard), RSL XXXV, 1969, pp. 15 ss. Cfr. anche l'elmo raffigurato accanto alla scultura del Gallo caduto, da Delo (recentemente ricomposto con la testa di Myconos: J. Marcadé, in RA 1975, 1, fig. 3 a p. 153). Non ci occuperemo qui dello sviluppo dell'elmo nel periodo successivo ai primi decenni del II secolo: una buona illustrazione se ne potrà trovare nel volume cit. del Robinson, che tratta invece piuttosto affrettatamente i tipi più antichi.
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Fig. I probabilmente derivato dalle tipiche corazze sannitiche). Sui lati della calotta, nella parte inferiore, è spesso fissato un elemento circolare, delle stesse dimensioni di quelli che ornano le paragnatidi. Questi elmi, talvolta di ferro, presentano spesso una ricca decorazione incisa, costituita in genere da trecce sovrap poste(sulla calotta), e da scanalature verticali parallele nella parte superiore, rastremata. Anche le paragnatidi sono in genere riccamente decorate con palmette, globetti, ecc. Questo tipo di elmo, diffuso specialmente in Italia centrale, ma conosciuto anche al di là delle Alpi 24, si può datare con relativa sicurezza nella prima metà del IV secolo a.C. 25.
24 Come quello da Weisskirchen: J. Dechelette, Montefortino e Ornavasso, in RA 1902, 1, p. 261, fig. 2; M. Much, Kunsthist. Atlas, tav. XC, fig. 1 (non vidi); Deschmann, in Mitth. d. antrop. Gesellsch. in Wien XIII, 1883, p. 210 (non vidi). Cfr. l'esemplare da Giubiasco: R. Ulrich, Die Gräberfelder in der Umgebung von Bellinzona, Zürich 1914, pp. 342, 618, tav. LXXXI, figg. 2 e 2a. 25 Diamo qui di seguito un elenco (provvisorio, e certamente incompleto) degli esemplari appartenenti a questo tipo (non sono citati, anche in seguito, gli esemplari ricordati nella biblio grafia, dei quali non è stato possibile riconoscere il tipo). Italia Settentrionale: Monteremo (esempi, in ferro): Museo di Bologna (NS 1882, p. 432) (qui Fig. 5). Italia Centrale: Montefortino (6 esemplari, più numerose varianti): Museo di Ancona (E. Brizio, in Mon. Lincei IX, 1899, passim, tav. VI); Filottrano (due esemplari): Museo di Ancona (L. Coutil, in Bull. Soc. Préhist. Franc. 1913, pp. 380-387; I. Dall'Osso, Guida illustrata del Mus. Naz. di Ancona, Ancona 1915, p. 271, fig. a p. 268; E. Bäumgärtel, in Journal of the Royal Anthrop. Inst. 1937 {non vidi); P. Jacobsthal, Early Celtic Art, Oxford 1944, p. 147);
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Più recente è il tipo B, che è in pratica una semplificazione del pre cedente: una calotta emisferica, terminata in alto da un bottone anch'esso emisferico, decorato spesso con una rosetta dai petali in rilievo. L'orlo c ilindrico è decorato con linee oblique incise, e altre incisioni orizzontali parallele sottolineano lo spazio compreso tra l'orlo e l'inizio della calotta. La breve tesa del paranuca ha talvolta un aspetto rigonfio, con una serie di elementi rilevati sovrapposti, e l'orlo assume in genere un andamento sinuoso. Al centro del paranuca, nella parte inferiore, è quasi invariabilmente fissata, con un chiodo ribattuto entro un foro, una linguetta metallica terminante ai lati con due cannoncini, entro i quali sono inseriti due anelimi di forma ovale26. Come nel tipo più antico, le paragnatidi sono costituite da tre el ementi circolari disposti a triangolo, ma quasi sempre privi di ogni elemento orna mentale. Questo tipo di elmo è diffuso soprattutto in Etruria27, che ne dovette
Provincia di Roma: Berlino, Antiquarium (L. Coutil, Casques, Le Mans 1915, p. 207, fig. 64 a p. 206; 'F. von Lipperheide'sche Sammlung, s.l. e s.a., tav. XII; AA 1905, p. 29 tav. 19 L 78). Altre zone: Weisskirchen (un esemplare); Giubiasco (un esemplare: per questi, cfr. nota 24). Una paragnatide è conservata a Londra (B. M. Read, A Guide to the Early Iron Age in the Dep. of Brit, and med. Antiq., London 1905, p. 22, fig. 14 a p. 21). I dati cronologici che si possono ricavare dai contesti non sono troppo numerosi. Tra gli esemplari di Montefortino, l'elmo di ferro a fig. VI, 4 (tomba II: Brizio, cc. 661 s.) fu rinvenuto con un guttus a figure rosse sovradipinte e altra ceramica a vernice nera, ancora del IV sec. a.C. L'elmo a fig. VI, 1 (tomba IV: Brizio cc. 663 s.) era insieme ad un cratere a campana della metà circa del IV sec. L'elmo a tav. VI, 2 (tomba XVIII: Brizio, cc. 676 s.) era insieme ad una kylix a figure rosse, di fabbrica italica. Da ricordare è anche un altro elmo da Montefortino, identico al precedente, scoperto casualmente e poi venduto, che reca un'iscrizione etrusca con il nome del proprietario, mi spudal (Brizio, e. 643; Fabretti, Primo supplemento al CIE, p. 17, n. 106). 26 Cfr. F. Magi, La raccolta B. Guglielmi nel Museo Gregoriano Etrusco, II, Città del Vaticano 1941, fig. Ill; Robinson, op. cit., fig. a p. 15, 7. 27 Elenco degli esemplari a me noti: Italia Centrale: Talamone (scop. 1877) (figg. 7-8): Museo di Firenze, inv. 70840 (Lipperheide, op. cit., p. 233, η. 17; R. Paribeni, in Ausonia II, 1907, p. 282, l'iscrizione etrusca aisiu himiu è in M. Pallottino, Testimonia linguae etruscae2, Firenze 1968, n. 360 a p. 59); tra Acquaviva e Montepulciano: Berlino, Antiquarium (A. Ancona, Le armi, Milano 1886, tav. I, 10, p. 7; F. von Lipperheide'sche Sammlung, tav. XI, 70; F. von Lipperheide, Antike Helme, p. 235, η. 226 e p. 548; AA 1905, p. 28, tav. 18, L. 72); Orvieto: Museo di Firenze (G. Conestabile, Pitture murali, Firenze 1865, pp. 120 ss., tav. XII; L. A. Milani, Museo Topografico dell'Etruria, Firenze 1898, p. 48; A. Solari, Vita pubblica e privata degli Etruschi, Firenze 1931, tav. X; U. Tarchi, L'arte nell'Umbria e nella Sabina, Milano 1936, tav. 25); Perugia: Museo di Perugia (F. Messerschmidt, in SE VI, 1932, pp. 517-518, tav. 28, II, 1); -S. Gìnesìo: Mus. Civico di Tolentino (NSA 1886, p. 44, tav. I, fig. 2); Norcia: Museo di Perugia (NSA 1880. p. 15, tav. II, 6 - solo una paragnatide -); Perugia, Tomba del Frontone: Museo di Perugia (MDA(R) I, 1886,
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essere uno dei principali luoghi di fabbricazione 28. La datazione tra la metà e il terzo quarto del IV secolo a.C. è confermata da alcune associazioni29. Il tipo C è, almeno all'inizio del suo sviluppo, praticamente iden tico al precedente, con la variante fondamentale delle paragnatidi di forma « anatomica », con la parte anteriore ad andamento sinuoso. Gli esemplari di questo tipo, che costituisce ovviamente il precedente diretto dell'elmo di Cremona, sono piuttosto numerosi. All'interno di esso possiamo distinguere varie fasi, cronologicamente successive. La calotta emisferica si va progres sivamente allungando e assottigliando verso l'alto. Il bottone terminale, al-
pp. 225-226); Perugia, da una tomba a camera: Museo di Perugia (F. Messerschmidt, in SE VI, 1932, pp. 517-518, tav. XXVIII, II, 1). Un esemplare da Cerveteri, privo delle paragnatidi, potrebbe appartenere anche al seguente tipo C: Collezione Castellani. (Lipperheide, Antike Helme, p. 234, η. 92; G. Q. Giglioli, L'arte etrusco, Milano 1935, p. 305, tav. CCCV, 5 - con errata indicazione «Museo Gregoriano», derivata da una didascalia della foto Moscioni 11097, ivi pubblicata). Italia Meridionale: Apulia (loc. imprecisata): già Coli. Pasinati (attuale luogo di conservazione ignoto) (Bull. Paletti. It. XI, 1885, p. 32); Pietì abbondante: Napoli, Museo Na zionale (G. Fiorelli, Catalogo Mus. Napoli, Armi, Napoli 1869, n. 64; A. Ruesch, Guida del Museo Nazionale di Napoli, Napoli 1908, p. 417, n. 5744); località imprecisata: New York, Metropolitan Museum (G. M. A. Richter, The Metrop. Mus., Greek, Etr. and Rom. Bronzes, New York 1915, n. 1550, p. 417). Provenienza ignota: Milano, Museo Poldi Pezzoli (11 Museo Poldi Pezzoli, Milano 1972, fig. 151); Roma, Museo Artistico industriale (due paragnatidi) (E. von Mercklin, in MDAI (R) XXXVIII-XXXIX, 1923-24, pp. 129-131, fig. 21); Roma, Museo di Villa Giulia, inv. 51240 (Heibig, Führer4, III, 1969, n. 2674); Bruxelles, Musée du Cinquantenaire, η. inv. A 2782 (inedito. Ringrazio la dottoressa F. De Ruyt per questa informazione). 28 Come mostra, oltre alla concentrazione degli esemplari in Etruria, l'iscrizione etrusca sull'esemplare da Talamone. 29 Esemplare da S. Ginesio (Piceno), in una tomba con bronzi non posteriori alla prima metà del IV sec. a.C. Esemplare dalla tomba del Frontone, a Perugia, scoperto insieme a falere di bronzo non posteriori alla prima metà del IV sec. L'armatura di Orvieto viene in genere attribuita alla tomba dipinta Golini II (ad es., EAA V, p. 778, voce Orvieto - M. Bizzarri), insieme ad un gruppo di vasi dipinti - Milani, op. cit., pp. 48 s.). Tuttavia il Conestabile (p. 120 s.), confermato esplicitamente dal Brunn, che potè assistere allo scavo (Bull. Inst. 1863, p. 53) afferma che l'armatura venne trovata «in uno dei minori sepolcri» dei 15 circa scavati dal Golini. Anche i vasi dipinti, tranne uno, non provengono dalle tombe dipinte. La datazione dell'armatura è tuttavia determinabile sulla base dei bronzi trovati insieme ad essa (Conestabile, tav. XIII), non posteriori al IV secolo, e soprattutto per il fatto che si tratta di una panoplia oplitica, con schinieri e scudo circolare (cfr. Roma medio repubblicana, p. 295; P. Fraccaro, Opuscula IV, Pavia 1975, pp. 41-42; 59-60). È interessante notare che la riforma manipolare, che coincide con l'introduzione dell'elmo metallico e dello scudo allungato, è attribuita dalle fonti letterarie a Camillo. Essa comunque ebbe luogo non dopo la metà del IV secolo a.C.
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l'inizio emisferico e decorato da una rosetta, si va anch'esso allungando, fino ad assumere una forma tronco-conica, ornata da due serie di archetti incisi sovrapposti. Il paranuca, inizialmente corposo e rigonfio, tende ad assumere forme più rigide e semplificate. Caratteristica soprattutto è l'evoluzione della paragnatide, da una forma molto semplice, con la parte anteriore art icolata da due leggeri archi di cerchio, verso una progressiva accentuazione di queste sinuosità, e conseguentemente delle parti sporgenti a protezione del viso. Contemporaneamente aumenta anche la sua larghezza. Queste carat teristiche si sviluppano contemporaneamente, in modo omogeneo e continuo, e possono fornire una base notevolmente sicura per la cronologia relativa degli esemplari. Per quanto riguarda la cronologia assoluta, basterà ricordare che il tipo, nella sua forma più antica, è rappresentato nella Tomba dei Rilievi a Cerveteri (Fig. 6), databile all'ultimo quarto del IV secolo a.C. 30. Un tipo più recente è quello rappresentato nel frammento di pittura storica dalPEsquilino, dei primi decenni del III secolo31 (Fig. II). Tra gli esemplari
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Fig. II
30 Sulla Tomba dei Rilievi, sostanzialmente tuttora inedita, cfr. G. Ricci, in Mon. Lincei XLII, 1955, cc. 894 ss. Per la datazione, M. Cristofani, La Tomba delle iscrizioni a Cerveteri, Roma 1965, p. 64. 31 Roma medio repubblicana, op. cit., p. 203, fig. 15, tav. XLVIII, 283.
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databili sulla base del contesto archeologico, citiamo un esemplare da Todi, conservato nel Museo di Villa Giulia, di un tipo già abbastanza evoluto, che la ceramica trovata nel corredo della stessa tomba permette di attribuire alla metà circa del IH secolo ο poco dopo 32. Lo sviluppo si può seguire ininterro ttamentefino alla metà-terzo quarto del secolo, quando appare il tipo più avanzato, al quale appartiene l'elmo da Pizzighettone. Il luogo di fabbricazione è pro babilmente l'Italia centrale, e in particolare l'Etruria, anche se in questo caso almeno una iscrizione non è etnisca33. La diffusione è però più ampia che per il tipo precedente: ne troviamo per la prima volta esemplari in Magna Grecia (Paestum, Locri), ciò che sembra da porre in rapporto con l'espan sioneromana nel periodo che va dalle guerre sannitiche a Pirro34. Il tipo D, come si è visto, non è altro che l'estrema propaggine del precedente, le cui caratteristiche risultano ora particolarmente accentuate.
32 La ceramica a vernice nera (una coppa e una coppetta notevolmente carenate) appar tengono alla seconda metà del III secolo (come mi conferma l'amico Jean-Paul Morel: cfr. G. Bendinelli, iri Mon. Lincei XXIII, 1917, e. 656). L'elmo può essere naturalmente di qualche decennio più antico. 33 Firenze, Museo Archeologico, sala V, piano II. N. inv. 1237 (figg. 11-12). Detto proveniente da Canne, ma in realtà da Canosa (A. F. Gori, Museo Etrusco II, Firenze 1737, tav. CLXXVII; cfr. L. Lanzi, Saggio di lingua etrusco, II, Firenze 1825, p. 424; A. Fabretti, GII, Torino 1867, n. 2925; M. Gervasio; in Iapigia IX, 1938, p. 13). L'iscrizione in questo caso non è etrusca, ma probabilmente italicoorientale (debbo queste informazioni, come altre relative agli esemplari al Museo di Firenze, al prof. M. Cristofani, che qui ringrazio). Etrusca è invece l'iscrizione di un elmo al Museo di Bologna, dalla necropoli Benacci (NSA 1889, p. 295). Per l'altro elmo della stessa necropoli (fig. 9) si veda E. Brizio, Atti e mem. Deputaz. Romagna V, 1887, p. 474; Mostra dell'Etruria Padana2, Bologna 1961, n. 716, p. 209; Peyre, in St. Romagnoli 1965, cit., pp. 81 ss. (Ringrazio la dottoressa C. Morigi Govi per le informazioni e le fotografie relative agli esemplari del Museo di Bologna). 34 Elenco degli esemplari a me noti: Italia Settentrionale: Bologna, Necropoli Benacci (2 esemplari): Mus. di Bologna (cfr. nota prec); Berceto: Mus. di Parma {FA XIII, 1958, n. 2255 (Mansuelli); Peyre, in Studi Romagnoli 1965, p. 85, fig. 3; A. Frova-R. Scarani, Parma, Museo Naz. di Antichità, Parma 1965, pp. 120 s., tav. LXXI; Robinson, op. cit., tav. 4); La Spezia (A. Frova, in RSL XXXIV, 1968, pp. 289-304, tav. II, fig. 6); Istria (F. von Lipperheide'sche Sammlung, tav. X, 73). Italia Centrale: Volterra: Museo Guarnacci, n. inv. 756; Talamone: Mus. di Firenze, inv. 70841 (scoperto nel 1877; inedito); Orvieto (Ancona, Le armi, pp. 7 s., η. 13 a tav. II); Potassa (Grosseto) (Ancona, Le armi, p. 8, n. 15 a tav. II); Montefiascone, 2 esempi. (NSA 1879, p. 135; Messerschmidt, SE VI, 1932, p. 521, tav. XXIX, v. 1): Cerveteri (almeno 3 esemplari; già coli. Campana): Parigi, Louvre (A. De Ridder, Les bronzes antiques du Louvre, II, Paris 1915, nn. 1120-1121, 1123, p. 4); Vulci: Museo Gregoriano (Mus. Gregoriano I, tav. XXI, 1; Heibig, Fuhrer4 1, η. 817); Vulci: Museo di Villa Giulia, inv. 63205; Todi (3 esemplari, uno dei quali al Museo di Villa Giulia, un altro al Museo di Firenze) (NSA 1891, pp. 332 s.; G. Bendinelli, Mon. Lincei
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Ad esso possiamo attribuire anche l'esemplare da Casa Pallotti, al Museo di Bologna, recentemente studiato da Jacques Heurgon, che, per la decorazione delle paragnatidi e per la calotta ancora non troppo allungata, va datato all'inizio della diffusione del tipo, intorno alla metà del III secolo (Fig. 10). Appartengono a questa fase, oltre a questo e all'altro da Pizzighettone, gli esemplari seguenti: ITALIA SETTENTRIONALE Lodi (Museo di Lodi); Castelnuovo Bocca d'Adda (Museo di Cremona); Sanzeno (Museo di Trento) 35. ITALIA CENTRALE Montefortino (Museo di Ancona); Bplsena (Museo dell'Ermitage, Lenin grado); Forum Novum (Museo di Monaco) (figg. 3-4) 36.
XXIII, 1914, cc. 674 ss.; Firenze - erroneamente detto da Canne -: inv. 74699 - Coutil, Bull. Soc. Préhist. Franc., cit., fig. 10: G. Becatti, in SE IX, 1935, p. 289); Ancona: Parigi, Louvre (De Ridder II, p. 4, η. 1122, tav. 66). Italia Meridionale: Pietrabbondante: Museo Nazionale di Napoli (Fiorelli, Catalogo, nn. 64, 65 a p. 7); Benevento: Museo - privo di paragnatidi -; Paestum - privo di paragnatidi (J. Dechelette, Manuel IV, 3, p. 1158, fig. 486, 2); Gerace Marina (Locri) (NSA 1927, p. 359)); Canosa: Museo di Firenze (cfr. nota prec); Apulia: Mus. di Karlsruhe (K. Schumacher, Beschreibung der Sammlung antiker Bronzen, Karlsruhe 1890, pp. 132 s., η. 696, tav. XIII, 5, 5a: privo di paragnatidi); Apulia: Mus. di Karlsruhe (Schumacher, op. cit., pp. 133 s., n. 698, tav. XIII, 6: reca incisa una A); Sciacca?: New York, Metrop. Museum (Richter, op. cit., pp. 417 s., n. 1551); Sicilia?: New York, Metrop. Museum (Richter, pp. 416 s., n. 1549). Provenienza ignota: Roma, Museo di Villa Giulia, Antiquarium, sala XIII (Heibig, Führer4, III, n. 2674); Firenze, Museo Archeologico, inv. 1629 (inedito); Firenze, Museo Stibbert (paragnatide) (A. Lensi, II Museo Stibbert, Firenze 1918, II, p. 651, n. 3879; Robinson, op. cit., fig. 19); Milano, Museo Poldi Pezzoli, 3 esemplari (II Museo Poldi Pezzoli, Milano 1972, nn. 2416, 2421, 2423, p. 97, fig. 150); Parigi, Cabinet des Médailles (E. Babelon-J. A. Blanchet, Catal. des bronzes antiques de la Bibliothèque nat, Paris 1895, p. 660, η. 2019; Ε. Sprokhoff, Reallex. d. Vorg. V, 1926, pp. 294 ss.); Parigi, Musée de l'armée (J.-P. Mohen, in RA 1970, p. 224, fig. 12); Parigi, Musée de l'armée (J.-P. Mohen, ibid., p. 224, fig. 12); Strasburgo, Museo (dall'Italia) (Ancona, Le armi, SuppL, Milano 1889, p. 6, η. 16); Londra, British Museum (5 esemplari) (Walters, p. 342, nn. 2725-2728; p. 349, 2840; Robinson, figg. 2 ss., taw. 2-3). 35 Lodi: Bull. Paletn. Ital. IX, 1883, pp. 196-201, tav. VIII, fig. 16; Castelnuovo Bocca d'Adda: NSA 1909, pp. 274-276, fig. lap. 275; Pontiroli, Catal. Museo di Cremona, op. cit., p. 212, n. 320, tav. CLXII (dove per errore è indicato come η. 322); Sanzeno: NSA 1931, p. 427, fig. 25; G. Gerola, II Castello del Buonconsiglio e il Museo Nazionale di Trento, Roma 1934, p. 143. 36 Montefortino: E. Brizio, in Mem. Lincei IX, 1899, e. 687, tomba 25, tav. VI, 22; Bolsena: A. I. Kharsekin, in SE XXVII, 1959, pp. 151-153 (con l'iscrizione etrusca suûina
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Taranto (Museo di Taranto) 37. Fuori dall'Italia, va citato il gruppo importante scoperto in Spagna38. Altri tre esemplari, varianti (più tarde?) dello stesso tipo, sono al Museo di Villa Giulia, nella Collezione Sangiorgi e nel Museo di Castel S. Angelo, a Roma. Una paragnatide è al Museo Stibbert di Firenze39. Il tipo va attribuito agli ultimi decenni del III secolo, data che coin cide con quella che si è potuta stabilire, sulla base dell'iscrizione, per l'elmo da Pizzighettone. Questo, come molti degli altri (con l'eccezione di quello da Bolsena, che reca un'iscrizione etrusca), appartenne probabilmente a un legionario romano. Non è senza importanza, a questo proposito, anche la provenienza di due esemplari del tipo precedente (C) da Talamone (Fig. 7 e 8) e da Locri40. Bisognerà tener conto anche della possibilità che qualche esemplare abbia servito per più di una generazione (ciò che può spostare leggermente i termini cronologici) 41: tanto più che alcuni elmi, certamente
(= appartenente alla tomba). Questo elmo è probabilmente posteriore alla fondazione di Volsinii Novi, del 264 a.C; Forum Novum: cfr. nota 20 (primi decenni del II secolo). 37 Esposto nella sala d'ingresso del Museo. Scoperto insieme ad una piccola anfora in Contrada Lupoli, Γ1 1-5-1907 (probabilmente inedito). 38 Maiorca: J. Colominas Roca, in Ampurias XI, 1949, pp. 196 ss.; G. Lilliu, in SS XVIII, 1962-63, p. 36, tav. Vili, 1; G. Barruel-G. Sauzade, in RSL XXXV, 1969, cit., pp. 31-33; Ampurias: Ibid., pp. 30-31; M. Almagro, Las necropolis de Ampurias, Barcelona 1955, p. 279, fig. 227, 5; 299 s., fig. 253, 1; 354, fig. 336, 1; altre località della Spagna: H. Sandars, The Weapons of the Iberians, Oxford 1913, pp. 72 s., figg. 47 e 48; Robinson, op. cit., p. 13. 39 Villa Giulia, Antiquarium, sala XIII, vetrina 3 (inedito? Cfr. Heibig, Führer* III, η. 2674). Esemplare di tipo molto allungato: paranuca decorato con incisioni a semicerchi - assai simile a quelli da Forum Novum e della Coli. Sangiorgi (inizio del II secolo a.C.?). Per quest'ultimo, cfr. L. Pollak, Collezione P. Sarti, Roma 1906, tav. IX, 78; A. v. Gerkan-F. Messerschmidt, in RM LVII, 1942, fig. 14 a p. 183. Elmo al Museo di Castel S. Angelo: Robinson, op. cit., tav. 5. Paragnatide al Museo Stibbert di Firenze: Lensi, op. cit. a nota 34, p. 651, n. 3878. Elmi di questo tipo (D) indossano i guerrieri rappresentati su alcune stele di Castiglioncello, del III secolo a.C. (E. Galli, in NSA 1927 ', pp. 166 ss.). Si veda quello su una kelebe volterrana della prima metà del III sec. a.C. (M. Montagna Pasquinucci, Le kelebai volterrane, Firenze 1968, p. 59, n. 39, fig. 52). 40 Cfr. nota 34. L'esemplare da Talamone tuttavia si può con più probabilità attribuire ad una tomba precedente alla data della battaglia. 41 Per un'epoca più tarda, si veda l'elmo trovato presso Trieste, nella Grotta delle Mosche, sul quale sono incisi i nomi di due soldati, evidentemente possessori successivi dell'oggetto (Inscr. Hai X, 4, n. 338 = ILLRP 1255; P. Couissin, in RA 1930, 1, p. 93).
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sottratti a soldati etruschi ο romani, furono riutilizzati da guerrieri galli. È questo il caso, ad esempio, dell'elmo proveniente da Todi, al Museo di Firenze, al quale furono forse aggiunte in un secondo tempo due appendici a forma di corna rivolte verso il basso, in lamina di bronzo. Simile il caso di un elmo, leggermente più antico (tipo C, fase finale) rinve nuto recentemente a Berceto, e conservato al Museo di Parma42. Troviamo qui la dimostrazione evidente che il tipo non è di origine celtica: i Galli lo importarono dall'Italia, e poi lo imitarono ed utilizzarono fino ad epoca assai più tarda43. Se ci volgiamo ad esaminare con maggiore attenzione i luoghi di trovamento degli elmi del tipo D, risulterà ancora più evidente la cronologia proposta ed il rapporto con l'esercito romano. La presenza di un esemplare a Taranto, ad esempio, può essere spiegata con le varie vicende che si svolsero intorno alla città, fino alla definitiva conquista romana del 209 a.C. Assai più significativa, però, è la concentrazione di un numero notevole di elmi di questo tipo nella zona compresa tra l'Adda e il Po. Siamo informati, ad esempio, del ritrovamento di un secondo esemplare a Pizzighettone, in riva all'Adda, del quale è ignoto l'attuale luogo di conservazione44. Oltre ai due da Pizzighettone, va ricordato l'elmo scoperto non lungi dalla confluenza dell'Adda col Po, presso Castelnuovo Bocca d'Adda45, e l'altro simile prove niente da S. Martino in Strada, presso l'Adda, a sud di Lodi46. In uno spazio abbastanza ristretto sono stati rinvenuti ben quattro esemplari del nostro elmo, ciò che difficilmente potrà essere casuale. Trattandosi, come mostrano gli elmi da Pizzighettone e da Castrum Novum, di un tipo in dotazione all'esercito romano tra l'ultimo quarto del IH e il primo quarto del II secolo a.C, dovremo ricollegare questa eccezionale frequenza con una campagna avvenuta nella zona in questo periodo. È noto che l'esercito romano passò il Po per la prima volta nel corso della guerra contro gli Insubri del 223-221 a.C, che si svolse
42 Cfr. nota 34. 43 Cfr. nota 22. 44 NSA 1908, pp. 306-307. Qui esso è confrontato con quello di Montefortino (Brizio, Mon. Lincei 1899, tav. VI, 22): si dovrebbe quindi trattare di un esemplare identico a quello col nome di M. Patulcius. 45 NSA 1909, pp. 274-276; Pontiroli, Museo di Cremona, op. cit., p. 212, η. 320, tav. CLXII (qui indicato, per errore, con il η. 322). 46 Cfr. nota 35. Per la posizione di queste località, si veda la carta archeologica pub blicata in G. Pontiroli, Cremona e il suo territorio in età romana, s. 1. e s. a. (ma 1970), tav. 3.
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principalmente nella zona compresa tra Acerrae, Clastidium e Melpum 47. In particolare le operazioni si concentrarono intorno ad Acerrae, che domi nava il passaggio dell'Adda 48. L'importanza attribuita dai Galli a questo centro risulta dal tentativo di diversione da essi portato su Clastidium, che fu causa della battaglia decisiva. Mentre Marcello combatteva a Clastidium, Cn. Cornelio Scipione, l'altro console, conquistata Acerrae, si dirigeva su Milano, ma qui subì probabilmente uno scacco, e dovette battere in ritirata. Milano fu presa solo grazie all'intervento di Marcello. La posizione di Acerrae è nota dalla Tabula Peutingeriana: a 22 miglia da Laus Pompeia (Lodi Vecchio) e a 13 da Cremona, cioè in corrispon denza con Pizzighettone, con cui in genere viene identificata49. S. Martino in Strada, a sud di Lodi, si colloca sul percorso tra Pizzighettone e Milano, lungo il quale dovettero aver luogo vari scontri tra i Galli e Scipione. Gli elmi trovati in queste località appartennero dunque a soldati romani che parteciparono alla campagna del 221: a questo periodo dovremo dunque attribuire questi esemplari, e in particolare quello di M. Patulcius da Piz zighettone, la data del quale può essere di conseguenza fissata intorno al 225 a.C. Altre conforme in questa direzione ci vengono da esemplari, come quello scoperto a Forum Novum, in Sabina, con l'iscrizione di un Q. Cossius, e quello da Sanzeno, nel Trentino, che si può forse collegare (almeno nel senso di un terminus post quern) con la prima alleanza tra Veneti e Romani del 225 a.C.50. Ricordiamo infine, come particolarmente significativa, la presenza di un nutrito gruppo di q uesti elmi a Maiorca e in Spagna, che mi sembra da ricollegare con le campagne della fine del III e del II se colo a.C. 51. Questa breve ricerca, i cui temi andrebbero approfonditi e ampliati, contribuirà spero a mostrare l'importanza di tanti materiali che giacciono
47 G. De Sanctis, Storia dei Romani III, 1, Torino 1916, pp. 318-321; L. Pareti, Storia di Roma II, Torino 1952, p. 256; F. Cassola, / gruppi politici romani nel HI secolo a.C, Trieste 1962, pp. 224-225. 48 Fonti principali sono Polyb. II 34, 4; 10 (cfr. W. Walbanck, A Historical Commentary on Polybius I, Oxford 1957, p. 210); Plut., Marc. 6, 4; 7, 5. 49 H. Nissen, Italische Landeskunde II, Berlin 1902, p. 192. 50 Si potrebbe anche pensare alle campagne degli anni 221-220 contro gli Istri, che si spinsero «fino alle Alpi»: De Sanctis, op. cit., Ili, 1, pp. 319-320. 51 Cfr. nota 38. Sbarchi e tentativi di sbarco romani nelle Baleari dovettero aver luogo nel corso della seconda guerra punica: cfr. Liv. XXII 20, 9; De Sanctis, op. cit., Ili, 2, p. 242. Anche il Robinson (op. cit., p. 13) ricollega gli elmi trovati in Spagna con le campagne romane del III e II secolo.
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trascurati e inediti, nel limbo dove li ha relegati il duplice disprezzo degli storici (intesi nel senso tradizionale di specialisti della storia politico-militare fatta esclusivamente sulla base delle fonti letterarie) e degli archeologi (intesi nel senso, altrettanto tradizionale, di storici dell'arte antica). È forse giunto il momento di riprendere tante ricerche di antiquaria, bruscamente interrotte all'inizio del secolo, ο lasciate alle cure meschine dei soliti « mi serabili antiquariorum » di winckelmanniana memoria, inserendole in un'ampia e articolata problematica storica. Sempreché si riesca a far cadere certi storici steccati, che ormai giovano solo al piccolo cabotaggio accademico 52.
52 Non ho potuto tener conto del lavoro di M. Princ (Helme der jüngeren Hallstattzeit und der- Latènezeit in Mitteleuropa, in Pamätky Archeologické LXVI, 1975, pp. 344-375, con riassunto in tedesco, pp. 375-382) che ho potuto vedere solo quando il presente articolo era già in stampa.
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FILIPPO COARELLI
μ 1 ■ Kliiioda Pi/ziiihettonc (museo di Cremona). l'ufo \lincu.
Fig. 2 - Particolare della fig. 1 con l'iscrizione. Foto Museo.
UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA
Fig. 3 - Elmo da Forum Ν ovum (Sabina). Monaco di Baviera. Foto Museo.
Fig. 4 - Particolare delia fig. 3. L'iscrizione. Foto Museo.
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FILIPPO COARELLI
Fig. 5 - Elmo da Monterenzo. Museo di Bologna. Foto Museo.
Fig. 6 - Cerveteri. Tomba dei rilievi. Particolare.
UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA
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Fig. 7 - Elmo da Talamone con iscrizione etnisca. Firenze. Museo archeologico. Foto Museo.
Fig. 8 - Particolare della figura precedente. Foto Museo.
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FILIPPO COARELLI
Fig.
Fig. 10 - Elmo da casa Pallotti. Museo di Bologna. Foto Museo.
9 - Elmo dalla necropoli Benacci. Museo di Bologna. Foto Museo.
UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA
Fig. 11 - Elmo da Canosa con iscrizione messapica. Firenze. Museo archeologico. Foto Museo.
Fig. 12 - Particolare della figura precedente. Foto Museo.
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JEAN COLLART
QUELQUES OBSERVATIONS STATISTIQUES SUR LE LIVRE I DE TITE-LIVE
Dans sa belle édition du Livre I de Tite-Live, J. Heurgon a consacré tout un développement de son introduction au style de l'auteur. Ce développe ment commence ainsi: « Ce premier livre est admirablement écrit, mais dans un style qui, lui aussi, a ses caractère propres . . . Quintilien en a heureuse ment vanté la lactea ubertas, l'abondance laiteuse » 1. Dans la courte étude qui va suivre, on n'a pas cherché à présenter un exposé, même très général, sur le style de Tite-Live. L'entreprise aurait été beaucoup trop ambitieuse. On s'est simplement efforcé de grouper quelques remarques statistiques sur l'emploi des parties du discours. Ces remarques suggèrent souvent des rapprochements et des comparaisons. Voici, dans leur brutalité arithmétique, les pourcentages établis sur les cinq cents pre mières lignes du Livre 1 2. Ces pourcentages s'entendent par rapport à la totalité des mots employés. Substantifs
36,5%
Eléments qualifiants (adjectifs qualificatifs, adverbes de manière)
9,8%
Eléments pronominaux
8,6%
Verbes
21,1%
Invariables
24,0%
1 J. Heurgon, Tite-Live, Ab urbe condita, Liber primus, Paris, Presses Universitaires de France, 1963, p. 12. 2 Pour faciliter les comparaisons, tous les calculs présentés ici ont été établis sur les édi tions parues dans la «Collection des Universités de France», Paris, Belles Lettres.
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JEAN COLLART
Ce qui frappe d'abord, en face de calculs identiques établis sur d'autres livres et d'autres auteurs3, c'est la proportion imposante des noms. Il y a ici 36,5% de substantifs, nettement plus d'un mot sur trois, et voici un tableau comparatif:
PL
Lucr.
Caes.
Cic.
Virg.
Hor.
Tac.
18,7
27,7
32,0
26,3
34,1
27,3
35,2
Substantifs
Les substantifs sont la matière première d'un récit ou d'un exposé. Ils représentent des images ou des concepts, et ce sont eux qui font la richesse et la précision du discours. Il est, à cet égard, curieux de constater que Tite-Live, au moins dans son Livre I, dépasse en moyenne les moyennes respectives des sept auteurs sur lesquels porte l'expérience; curieux aussi, de constater que l'écrivain dont il se rapproche le plus est son confrère historien Tacite. Ne dit-on pas que Tacite est l'homme de la brachylogie, l'auteur qui, dans ses écrits, «enferme moins de mots que de sens»? Certains passages privilégiés de ce Livre I offrent d'ailleurs une densité de substantifs nettement supérieure à la moyenne constatée. Le fait est sensi bledans ces fabulae poeticae sur lesquelles J. Heurgon attire l'attention du lecteur4. La consultation des auspices par Romulus et Rémus, par exemple, (6,4-7,3), compte 39,8% de substantifs. De même, ou à peu près, le passage correspondant chez Ennius en comporte 38,0% 5. Chez l'un comme chez l'autre écrivain, le procédé épique des mots-refrains est également remarquab le. Chez Tite-Live, sur cent dix-huit mots, il y a trente éléments de répétition; chez Ennius sur cent trente-trois mots, il y en a trente et un. Les mots Romulus, Remus, auspicium, Imperium, regnum, entre autres, se font écho.
3 A titre de comparaison avec Tite-Live, I, on mettra ici en parallèle les cinq cents pre mières lignes des textes suivants: Plaute, Mil; Lucrèce, I; César, Bell. Gali, VII; Cicéron, Pro Mil; Virgile, En., II; Tacite, Ann., XIV et Horace, Sat., I, 5, 8, 9, 10 et II, 4 et 8. Cf. J. Collari, Quelques observations statistiques sur les parties du discours, dans REL, 37 (1959), p. 215-229. 4 Op. cit., p. 12. 5 Cf. A. Ernout, Recueil des textes latins archaïques, Paris, Klincksieck, 1957, p. 149-150, v. 43-62, et J. Heurgon, Ennius, «Les Cours de Sorbonne», Paris, CDU, 1958, p. 38-44.
LE LIVRE I DE TITE-LIVE
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De même, l'intervention des Sabines entre les combattants (13, 1-5) présente 37,8% de substantifs. Plus particulièrement, la harangue qu'elles adressent à leurs pères et à leurs maris, harangue qui se veut intensément persuasive, en comporte 41%. Il y a là un pourcentage exceptionnel. Cette abondance des noms suppose que Tite-Live économise sur d'autres catégories de mots. Il semble utiliser assez peu la catégorie des qualifiants (adjectifs qualificatifs et adverbes de manière). On n'en trouve chez lui que 9,8%. Et en voici un tableau comparatif:
PL
Lucr.
Caes.
Cic.
Virg.
Hor.
Tac.
7,9
13,2
10,0
10,2
15,0
16,8
10,9
Qualifiants
Le qualifiant n'est jamais indispensable: il s'attarde, il engage le juge ment de l'auteur; il peut séduire, mais il n'est pas, en principe, un gage d'objectivité. Les historiens l'emploient modérément, même à travers leurs récits pittoresques. De fait, dans les récits d'actions particulièrement graves et qui engagent l'avenir de Rome, Tite-Live en présente un pourcentage très faible: 7,6% dans la consultation des auspices par Romulus et Rémus, 6,7% dans l'intervention des Sabines. Par contre, dans l'apothéose de Romulus (16, 1-3) où il s'agit d'idéaliser un personnage et de créer un climat de merveilleux, la proportion des adjectifs atteint 16,2%. Ni les pronoms personnels, indispensables dans le dialogue, ni les pro noms indéfinis, pronoms de généralisation, ne sont d'un grand usage chez les historiens. Dans l'ensemble même, le pronom leur est peu utile. En face de Plaute (21, 3%), Tite-Live, avec sa proportion de 8,6% en est encore plus économe que César (10,7%) et, à une unité près, il rejoint Tacite (7,6%). Le pronom le plus fréquent chez lui est le démonstratif, élément commode d'annonce ou de reprise, il atteint 3,2% (Cicéron: 5,5%; César: 4,0%; Tacite: 2,5%). Toutefois, par contraste, dans la harangue des Sabines, un effet saisissant est tiré du pronom personnel, qui, à lui seul, par une habile oppos ition de uos et de nos atteint la proportion de 15,6%. De toutes les parties du discours, le verbe est celle pour laquelle les écrivains semblent présenter entre eux le moins d'écart dans les statistiques. Cela tient sans doute à ce que le verbe est l'élément moteur à peu près indispensable à toute phrase.
JEAN COLLART
184 Tite-Live
PI.
Lucr.
Caes.
Cic.
Virg.
Hor.
Tac.
Verbes au total .
21,1
26,4
24,1
24,3
21,5
21,0
23,5
21,5
Verbes simples .
12,7
19,1
15,3
9,2
14,1
13,3
15,6
9,6
Verbes composés
8,4
7,3
8,8
15,1
7,4
7,7
7,9
11,9
Là où les différences apparaissent, c'est dans l'emploi, non pas du verbe en général, mais dans l'emploi des verbes simples et des verbes composés. Le verbe à préverbe est un gage de précision, le verbe simple est plus flou sans sa signification et ses contours. Les rapports de César, concernant des faits contemporains vécus par lui-même, sont destinés à des lecteurs qui n'en ont pas été les témoins. Il convient de leur en donner une image très nette. Le verbe composé est alors d'un grand secours. Chez César un mot sur sept est verbe à préverbe. Tite-Live, dans son Livre I, n'a pas besoin des mêmes ressources. Il doit plutôt, dans une certaine mesure, observer une sorte de flou artistique: chez lui, un mot sur douze seulement est verbe composé. Et c'est ainsi que dans l'intervention des Sabines, la proportion des verbes à préverbe tombe même à 7,4% et dans l'apothéose de Romulus à 7,6% (même pas un mot sur treize). Reste maintenant la catégories des mots invariables: Tite-Live
PL
Lucr.
Caes.
Cic.
Virg.
Hor.
Tac.
24,0
25,5
24,7
22,7
27,0
21,6
21,1
24,5
Invariables
Mais il y a lieu, ici, d'établir des distinctions:
Prépositions Tite-Live 6,2
Conjonctions Coordonnantes subordonnantes banales - que 3,8
2,3
3,3
Adverbes non qualifiants 8,4
LE LIVRE I DE TITE-LIVE
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La préposition dont un des rôles les plus importants est la localisation précise dans le temps et dans l'espace, est relativement fréquente chez les historiens: César: 8,0%; Tacite: 5,0%. Tite-Live se place en moyenne entre ses deux confrères. Mais il peut être intéressant de constater que, dans les fabulae, pour le récit des auspices pris par Romulus et Rémus, ce pourcent age tombe à 4,2%, et pour le combat des Horaces et des Curiaces (25, 3-12) à 3,3%. Les conjonctions, elles, offrent des possibilités diverses. En face des énoncés affectifs obtenus par asyndète, les conjonctions subordonnantes sont les pivots d'une phrase chargée, mais sans mystère. Chose étrange, parmi les auteurs mis en concurrence, c'est chez Tacite qu'elles atteignent leur pourcentage maximum: 7,3%. La brachylogie de Tacite s'éclaire au moyen de ces jalons lumineux. La phrase charpentée de Cicéron a également besoin de pareilles étapes logiques; la proportion y est de 5,9%. Le Livre I de Tite- Live fait nettement moins appel à la raison; il se contente d'une proportion de 3,3%. Les conjonctions coordonnantes, par contre, sont nettement plus nomb reuses, les copulatives surtout, qui enchaînent sans imposer un type de raisonnement, qui laissent le chemin ouvert à l'imagination du lecteur. Leur pourcentage chez Tite-Live est de 6,1%. Parmi elles, l'enclitique - que, qui répond à un type archaïque de formation bien propre à orner des fabulae, atteint la proportion de 2,3%, un mot sur quarante-trois. Chez Virgile, qui semble l'avoir remise à la mode, elle atteint 4,8%; mais c'est là une propor tion tout à fait exceptionnelle. Elle ne se rencontre chez Cicéron (Pro Milone) et chez Plaute (Miles) que dans la proportion de 0,6%. Elle semble avoir pour effet de donner au style une sorte de caractère vieillot, de recul dans le temps. Aussi son emploi a-t-il sans doute paru efficace dans l'épopée et dans le récit des vieilles histoires. La petite étude à laquelle on vient de se livrer est évidemment très limitée. Néanmoins peut-être permet-elle d'entrevoir, sous un aspect particul ier, ce style dont Quintilien vantait Vubertas.
GIOVANNI COLONNA
« SCRIBA CUM REGE SEDENS » *
Nel racconto liviano dell'impresa di Muzio Scevola un ruolo essenziale compete allo scriba che, insediato sul tribunal accanto al re, sovrintende al pagamento degli stipendia ai soldati che gli sì affollano davanti (II, 12, 7). Muzio, penetrato nel campo di Porsenna, lo scambia per il re, anche perché era abbigliato quasi con lo stesso decoro, pari fere ornatu. Pertanto lo uccide e viene preso. Dionisio di Alicarnasso narra il fatto al solito con più parole, ma con poche varianti: il grammateus è solo sul palco ma indossa la toga purpurea, il che facilita l'equivoco del romano (V, 28,2). Tutto l'episodio si impernia evidentemente sulla somiglianzà esteriore tra lo scriba ed il re: questo punto capitale è apparso sospetto ai moderni, che hanno pensato in proposito alla contaminazione di un motivo non romano, ma greco \ anzi ellenistico2, credendo così di trovare una conferma alla convinzione che si tratti di una favola etiologica (dai prata Muda d'oltre Tevere e dal cognome Scaevola dei Mucii), da allineare alle storie di Orazio Coelite, Clelia, ecc. 3. Nulla da obiettare se non esistesse un monumento figurato etrusco di poco più recente dell'età di Porsenna, noto da oltre un secolo, che si può dire la fotografia della situazione quale si sarebbe presentata, secondo gli storici antichi, agli occhi di Muzio avventuratosi nel campo reale. Mi riferi-
* Sono lieto e onorato di poter partecipare all'omaggio, che il mondo scientifico interna zionale tributa al Professor Jacques Heurgon, maestro di tutta una generazione di studiosi dell'Italia antica. 1 Così J. Bayet nella sua edizione di Livio, II, p. 19, nota 1. 2 «The presence and dignity of the secretary in attendance on Porsenna is purely hellenistic» (R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy 1-5, Oxford, 1965, p. 262). Accetta invece il racconto E. Peruzzi, in La parola del passato, XXIV, 1969, p. 184. 3 Per es. F. Münzer, in RE, s.v. Mucius, 10 (1933); R. Werner, Der Beginn der römische Republik, München 1963, p. 378 sgg.; H. Tränkle, in Hermes 93, 1965, p. 330 sgg.; D. Musti, in Quaderni urbinati, 10, 1970, p. 110 sgg.
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GIOVANNI COLONNA
sco ad un cippo funerario da Chiusi, del secondo venticinquennio del V sec. 4, sul quale è raffigurata a bassorilievo la cerimonia della premiazione dei vincitori di ludi ginnici e musicali (Fig. 1). Domina la scena il tribunal, alla cui base 5 sono addossati sei otri di vino destinati ai premiati. All'estre mità destra del palco siede lo scriba, al quale si presentano in fila un pirrichista, una crotalista, una flautista, un atleta con disco e giavellotto, seguito da un allenatore6. A fianco dello scriba siedono sul palco due personaggi intenti a conversare familiarmente tra loro, abbigliati come lo scriba ma forniti entrambi di un attributo, un lungo bastone ricurvo al sommo, sul quale si appoggiano con la mano sinistra (uno tenendo il bastone in posi zione diagonale, quasi in atto di alzarsi). Siano ο no dei semplici giudici di gara, la loro formale equiparazione a magistrati cittadini è assicurata, oltre ogni ragionevole dubbio, dalla presenza, alla sinistra del palco, di un lictor che con la sinistra impugna alla base una coppia di verghe, mentre con la destra addita, servendosi di un lungo ed appuntito bastone, gli otri evidentemente affidati alla sua custodia. Il fascio è privo di scure ma questo non ne inficia il riconoscimento, poiché i littori dei cortei magistratuali di età ellenistica innalzano di norma fasci senza scure, pur essendo certamente littori7. Se questo è un fascio, come non vi è ragione di dubitare, il sorve gliante di cui si parla è un littore; se i due personaggi insediati sul palco e forniti di attributo sono assistiti da un littore, come in realtà si verifica, sono due magistrati ο comunque ne hanno temporaneamente le funzioni.
4 Al museo di Palermo. W. Heibig, in Ann. Inst. 1864, pp. 50-54; L. Malten, in RM 38-39, 1923-24, p. 321; E. Gabrici, in St. Etr. II, 1928, p. 72 sgg.; G. Q. Giglioli, Arte etrusco, Milano 1935, tav. CXLIX; E. Paribeni, in St. Etr. XII, 1938, p. 110, n. 118; Mostra dell'arte e della civiltà etrusca, Milano, 1955, p. 72, n. 275, tav. 48; J. Heurgon, in Historia VI, 1957, p. 67, nota 4; La vie quotidienne chez les Étrusques, Paris 1961, p. 260. 5 Strutturata a larghi elementi verticali, esattamente come la fascia di base di molti fregi dipinti ceretani su lastre fittili: F. Roncalli, Le lastre dipinte da Cerveteri, Firenze 1965, p. 76 sg. Cfr. anche la faccia interna del recinto dell'Ara Pacis, imitante anch'essa un modello ligneo: G. Moretti, Ara Pacis Augustae, Roma 1948, p. 170 sgg. Del tutto diverso, invece, il tipo di tribuna effigiato nella tomba delle Bighe a Tarquinia, in cui il piano inferiore è agibile. 6 Le due ultime figure, scolpite su un frammento separato, non sono riprodotte nella Fig. 1. 7 R. Lambrechts, Essai sur les magistratures des républiques étrusques, Bruxelles 1959, p. 191 sg. La tomba della Bipenne, recentemente scoperta a Tarquinia e databile al II sec. a.C. (M. Moretti, Pittura etrusca in Tarquinia, Milano 1974, p. 144, fig. 98 sgg.) prova che anche in epoca recente sono possibili fasci con scure, smentendo l'ipotesi di una presunta ingerenza romana in questo settore delle istituzioni delle città etrusche: di conseguenza non sono giustificati i dubbi sull'esistenza di littori senza scure nel V sec. (o.e., p. 197, nota 1).
«SCRIBA CUM REGE SEDENS »
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Non si tratta di ipotesi, ma di dati di fatto. Ipotetica rimane invece, per l'assenza del littore e del tribunal, l'identificazione come magistrati dei per sonaggi seduti nei fregi fittili del tipo Velletri e in un altro cippo chiusino del museo di Palermo, secondo la nota proposta di S. Mazzarino, che trenta anni fa ha avuto il grande merito di riaprire il problema dell'apporto delle fonti figurate alla conoscenza delle istituzioni arcaiche dell'Italia tirrenica8. Si è portati a pensare che i ludi, di cui assistiamo alla conclusione sul cippo chiusino, siano di carattere gentilizio e non cittadino. La pres idenza affidatane a magistrati non risulta incompatibile con questa opinione, ove si tratti di defunti appartenenti alle « grandi famiglie », come è stato sottolineato dal Mazzarino9 e da J. Heurgon, che ha ricordato in proposito il ruolo dei meddices in simili cerimonie a Capua10. A Roma il dominus funeris assumeva per l'occasione la veste di delegato del magistrato, avendo diritto alla toga pretesta (di colore scuro), ai littori e allo scriba (!) n. Ma non va trascurata nemmeno la possibilità che su monumenti come i cippi chiusini, nella maggioranza almeno approntati in serie anziché su ordina zione, si siano infiltrate figurazioni ispirate alle maggiori cerimonie cittadine (penso ai ludi istituiti dalla comunità dei ceretani, su ordine dell'oracolo delfico, ad espiazione della lapidazione dei focei) 12. Per tornare al nostro argomento, se alla coppia di magistrati - ο dei loro facenti funzione - sostituiamo il re, eccoci davanti il quadro tracciato da Livio: lo scriba a fianco del re, vestito come lui e seduto su un seggio uguale al suo, vero protagonista del momento con la piccola folla che gli si assiepa davanti. La raffigurazione ritorna, con qualche variante, su un altro cippo chiusino, purtroppo assai mutilo, ora al Louvre (Fig. 2) 13: il che docu-
8 Dalla monarchia allo stato repubblicano, Roma 1945. 9 O.e., p. 71. 10 A.c. a nota 3, Le. (lo scettro del personaggio di sinistra è in realtà un bastone ricurvo, la cui estremità rimane seminascosta dalla mano). 11 Festo p. 272; CIC. de leg. II, 24, 61. Cfr. T. Mommsen, Le droit public romain, II, Paris 1892, p. 24, nota 2; E. Cuq, in Daremberg et Saglio, s.v. Funus, p. 1400 sg.; B. Gladikow, in ANRW I, 2, 1972, p. 301. Per la toga: L. Bonfante Warren, in Anrw I, 4, Berlin - New York 1973, p. 591, nota 23. Che i magistrati etruschi avessero diritto allo scriba è testimoniato dalle tarde figurazioni di cortei (Lambrechts, o.e., p. 193 sg.). 12 Hérod. I, 167. Cfr. G. Colonna, in St. Etr. XXXI, 1963, p. 146 sg. 13 M. F. Briguet, in Mélanges P. Boyancé (Coll. de l'Ecole Fr. de Rome, 22), Rome 1974, p. 133 sgg., fig. 19. La Briguet data sia il cippo del Louvre che quello di Palermo al 480-460 a.C. (p. 138). Un terzo cippo, frammentario, al museo di Chiusi (inv. 2289) (Fig. 3), mostra, seduti in primo piano, un magistrato che detta allo scriba, avente le tabulae aperte a leggìo sulle
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GIOVANNI COLONNA
menta lo stabile ingresso del tema nel repertorio dei decoratori di cippi, confermando che a Chiusi la premiazione dei ludi avveniva nel V sec. con una cerimonia di questo tipo. I due cippi chiusini passati in esame non esauriscono il loro apporto conoscitivo nella conferma della attendibilità, ovviamente teorica, della gesta di Muzio, quale è narrata dagli antichi w. Quello che in fondo è il loro tema centrale - l'uomo che scrive - consacra in termini figurativi l'ingresso dell'Etruria nel novero dei paesi di cultura superiore, dei paesi « letterati ». Certo si scriveva in Etruria e nel Lazio da oltre due secoli, ma la rappre sentazione dell'attività scrittoria denota una consapevolezza del significato distintivo della scrittura, del suo apporto qualificante allo stile di vita citta dino, che è degno della massima attenzione. Sui vasi attici del V sec. sono frequenti i giovani che scrivono ο leggono ma, quando non sono figure mitologiche, sono personaggi anonimi, presi dalla vita di ogni giorno 15. In Etruria la rappresentazione assume, direi, un contenuto simbolico, puntualizza un momento e una funzione caratteristica dell'attività del magistrato. Non a caso in quello che si ritiene il più antico sarcofago etrusco di pietra a noi giunto, il sarcofago ceretano del Vaticano, le tabulae accompagnano sul cuscino l'ultimo sonno del magnate disteso sul letto funebre 16. I due cippi chiusini non soltanto esaltano la dignità sociale dello scriba - assai maggiore che non a Roma, a giudicare dall'episodio di Muzio - ma forn iscono una prova dell'estensione allora raggiunta dagli usi giuridico-amministrativi della scrittura. Lo scriba è infatti intento a registrare i nomi dei
ginocchia: alle spalle sono due personaggi stanti, il destro con fascio. Il cippo, mal compreso da D. Levi, II museo civico di Chiusi, Roma 1935, p. 20, è stato ritenuto falso da E. Paribeni, in St.Etr. XI, 1938, p. 138, tav. XXXVII, 1. Tuttavia la rarità del tema e la peculiarità del l'iconografia fanno nascere qualche dubbio al riguardo: se falso, il cippo postula comunque una fonte d'ispirazione diversa dal cippo di Palermo, confermando l'esistenza di una seconda redazione del tema. 14 II gent. Mucius è indirettamente attestato nel V sec. a Chiusi attraverso la forma etrusca muki (TLE 484: mi mukis papanaia), usata con valore di prenome, evidentemente in luogo di muki (e): cfr. a Chiusi stessa uepri da Tiberius (C. De Simone, in St. Etr. XLIII, 1975, p. 123 sgg.). 15 Da ultimo H. Widmann in Archiv für Geschichte des Buchwesens, LV, 1967, p. 64 sgg.; H. R. Immerwahr, in Antike Kunst, 16, 1973, pp. 143-147. 16 Secondo l'ipotesi avanzata dubitativamente da R. Herbig, Die jiingeretruskischen Steinsarkophage, Berlin 1952, p. 47 e sviluppata da F. Roncalli in una conferenza tenuta nella primavera del 1975 presso la Pontificia accademia romana di archeologia. Il particolare è visibile in Giglioli, o.e., tav. CCXLII, 3. Il sarcofago si data probabilmente nella prima metà del IV sec. (sulla cronologia della tomba G. Colonna, in St. Etr. XLI, 1973, p. 335 sg.).
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premiati su un piccolo codice di tabulae, squadernato a dittico sulle ginocchia con la costola di traverso: tabulae destinate evidentemente ad essere conser vate in archivio. Ne consegue che esistevano con assoluta certezza nella prima metà del V sec. atti pubblici con i nomi dei vincitori dei ludi gestiti dalla città ο comunque da essa patrocinati. I ludi ceretani già ricordati, che Erodoto afferma essere stati ripetuti annualmente fino ai suoi tempi, avranno avuto certamente le loro liste di vincitori e, forse, la loro « era ». Ciò rende ozioso discutere ancora sulla esistenza in età tardo-arcaica, per lo meno in Etruria, di liste di re, magistrati, sacerdoti, ecc, con tutte le conseguenze per i computi cronologici degli antichi che se ne possono trarre. Piuttosto è da rilevare che i monumenti figurati permettono di comp iere un altro passo in questa prospettiva di ricerca. Il gruppo funerario di Chianciano (Fig. 4), databile nell'ultimo trentennio del secolo 17, mostra la dea Vanth assisa al banchetto del defunto, nell'atto di esibire un liber par zialmente srotolato 18. Non si tratta di un fatto puramente esteriore, come potrebbe essere l'imitazione di un modello greco, poiché l'iconografia rel igiosa dei greci non conosce il tema della divinità con il rotolo 19. Qualunque sia stato il contenuto specifico attribuito in questa figurazione al liber di Vanth20, esso non può non richiamare alla mente la vasta letteratura rel igiosa degli etruschi, di cui una parte rilevante sappiamo essere stata di argomento funerario (libri Acherontici). Una testimonianza epigrafica indi retta di questa letteratura, risalente ad un'età assai vicina a quella del gruppo di Chianciano, è fornita, com'è noto, dalla tegola di Capua21, che
17 Secondo la cronologia proposta recentemente da M. Cristofani, Statue-cinerario chiu sine di età classica, Roma 1975, p. 65 sgg. (n. 12). 18 T. Birt, Die Buchrolle in der Kunst, Leipzig 1907, p. 84 sg., seguito da G. Herbig, in CIE, Suppl. I, 1921, p. 11, n. 15, ritiene che la dea porga il rotolo al defunto. Ma la forzatura del gesto gli fa ipotizzare un errore nella ricomposizione del gruppo, che il recente restauro per mette di escludere nel modo più assoluto (Cristofani, o.e., p. 34). Preferibile è l'esegesi proposta da R. Herbig - E. Simon, Götter und Dämonen der Etrusker, Wiesbaden, 1965, p. 43. 19 Birt, o.e., pp. 69, 158. 20 Non credo infatti che esso sia assimilabile ad un semplice cartiglio, ο ad un epitaffio sepolcrale del genere di quello esibito da Laris Pulena (così F. Messerschmidt, in Archiv für Religionswissenschaft, XXIX, 1931, p. 60 sgg., in particolare p. 65, dove è avanzato il confronto con la Vittoria romana che scrive sullo scudo). Questa estensione di significato al servizio del defunto, indubbiamente c'è stata, ma in partenza il significato del rotolo, in quanto attributo divino (monumenti in A. Rallo, Lasa, Firenze 1974, p. 51, nn. 3-5, cui è da aggiungere il bel bronzetto da Orbetello in EAA V, fig. 864), non potè non essere diverso. 21 F. Ribezzo, in La parola del passato, I, 1946, p. 286 sgg.; M. Pallottino, in Si. Etr. XX, 1948, p. 194. Per la cronologia della Tegola: Id., in Arch. Class. XXV, 1973, p. 474, nota 10.
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pure va ricordata per la sottoscrizione finale da parte dello scriba, avente quasi il valore di una firma. Il liber di Vanth accerta, se non erro, che simili testi avevano già assunto in quell'epoca una forma letteraria, circo lavano come libri, dando credito alla tradizione sui libri Sibyllini, che erano custoditi in Roma nel tempio capitolino fin dai tempi della sua fondazione 22. E vorrei aggiungere, tornando al gruppo di Chianciano, che l'attribuzione del liber alla dea sul piano psicologico e culturale in genere significa, di nuovo, una esaltazione del valore e del potere della scrittura, considerata questa volta nelle sue implicazioni sacrali: segno della partecipazione della classe sacerdotale alla utilizzazione e alla propagazione delle litterae.
K. Latte, Römische Religionsgeschichte, München 1960, p. 160 sg.
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Fig- 2.
Fig. 3.
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SCRIBA CUM RKGH SÜDENS
Fig. 4.
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THE EARLY ROMAN ECONOMY,
753-280
B.C.
My terminal date of 280 B.C. is the date at which, for all practical purposes, Rome acquired a coinage *. At some time after the occupation of Neapolis in 326 B.C., perhaps on that very occasion, a small issue of bronzes was produced, with the legend ΡΩΜΑΙΩΝ and Neapolitan types2; there is also an isolated example of an issue with the legend ROMANO which perhaps precedes the main body of Republican coinage. But neither issue seriously weakens the general proposition that down to 280 Rome is a state without a coinage3. What is more, there is no evidence that Romans made much use of the coinage of other states. The archaelogical record of the city of Rome is virtually devoid of evidence of coin finds before the third century B.C.; in this respect Rome can now be seen to diverge from Etruria, whose own coinage is also for the most part of relatively late date, but where coinage of other states appears at any rate in some places from the fifth century onwards 4. The absence of coinage from Rome before the third century B.C. is of course only one aspect of the general isolation of Rome, amply attested by the rest of the archaeological record and to a lesser extent by the literary record 5. Absence of coinage, however, does not mean absence of money and much of what I have to say relates to the functions of money in the early
1 See my Roman Republican coinage [RRC], Cambridge, 1974, pp. 35-46. 2 RRC no. 1. 3 RRC no. 2. For the bullion from which the issues of 280 B.C. were produced note the booty from Samnium and Etruria in 293 B.C., Livy x, 46, 5 and 14. 4 Inventory of Greek coin hoards, 1875 and 1905. 5 It will not in any case do to argue with E. S. Staveley, Historia 1959, 420, that the adoption of coinage in the late fourth century increased the incidence of debt.
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Republic. But any attempt to discuss this subject must face the problem of the sources. Relentlessly modernising, they persistently discuss the early Republic in terms of the monetary conventions of their own times, including, of course, the use of coinage, and in terms of the economic thought, if that is not too grand a name, of the late Republic and early Empire, heavily influenced by Greek experience. It is not simply that an obsession with etymology on the one hand and a desire to make Rome as advanced as possible as early as possible on the other hand combined to attribute coinage to the kings. As appears in a number of ways, the whole apparatus of writing about the early Republic presupposed the use of coinage in the same way as in the lifetime of the writers. To consider first the invention of coinage, Pliny reported Timaeus as attributing bronze coinage to Servius Tullius6, while Varrò thought that Servius Tullius produced a silver coinage 7. An alternative tradition, starting from the similarity between Numa and nummus, attributed coinage to Numa Pompilius, the second king of Rome8. A third tradition took the invention of coinage back to Saturn 9. None of this need detain us very long. More serious is the effect on our sources of the assumption that coined money circulated in early Rome. In 502 B.C., according to Livy, captives were auctioned; Livy clearly assumes the monetary conventions of the late Republic 10. In 476 B.C., according to the tradition, T. Menenius was fined 2,000 asses, with Dionysius of Halicarnassus carefully explaining that an as was at that date a bronze coin weighing a pound n. For 456 B.C., a corn-distribution is recorded by Pliny, at a price of one as per modius, with a coin, not a weight of metal, clearly in Pliny's mind 12. Our sources also present us for the early and middle Republic
6 Pliny, NH xxxiii, 42-4; cf. xviii, 12; also Cassiodorus, Variae vii, 32, 4. See below, p. 202. 7 In Charisius, Inst. i, p. 105 Keil; so also Volusius Maecianus (F. Hultsch, MSR ii, 66). 8 Isidore xvi, 18, 10; Epiphanius (MSR ii, 105); John Lydus, de mens, i, 17; Suidas, s.v. άσσάρια. 9 Tertullian, Apol. χ, 8; Isidore xvi, 18, 3; Plutarch, aR274e; Macrobius, Sat. i, 7, 21. 10 Livy ii, 17, 6; for a collection of the evidence for booty in the early Republic see T. Frank, ESAR i, 24 and 43. 11 Livy ii, 52, 5; Dion. Hal. ix, 27, 3; for other evidence of anachronism see R. M. Ogilvie ad loc. 12 Pliny, NH xviii, 15.
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with a picture of an elaborate machinery of state loans to cope with indebtedn ess; in doing so they are surely guilty of anachronism 13. If the re-writing of Roman history to make it follow later patterns may be suspected in the case of measures to deal with indebtedness, it is virtually certain in the case of an extraordinary procedure attributed to Servius Tullius by Dionysius of Halicarnassus. In order to count his population, Servius Tullius compelled men, women and children to dedicate at a festival a different kind of coin 14. An alternative version was taken over by Dionysius from L. Piso Frugi, according to which births, deaths and comings of age of male members of the population had to be registered by the dedication of a coin at a different temple in each case 15. The latter version is redolent of the concern with Roman military manpower of the Gracchan age 16, the former, with its unparalleled attribution of an interest in women and children to a Regal or Republican census, is perhaps the product of the Augustan age, when the basis of the Roman census was changed to count the entire population, not just adult males. After this cautionary introduction, what I should like to do is to try and trace the development of money in early Rome, then look very briefly at what can be said of the early economy of Rome and finally consider the developing use specifically of money by the Roman state. It is as true for the Roman world as for the Greek that the most important stage in the early history of money is the designation by the state of a fixed metallic unit or scale of units, not the invention of coinage; the expression of the unit or units in the form of coinage is relatively unimport ant17. When did Rome reach the stage of designating a fixed metallic monetary unit? I mentioned earlier that Pliny reported Timaeus as attributing bronze coinage to Servius Tullius; the passage is much discussed, without agreement
13 State loans are suggested at Dion. Hal. v, 69, put into effect at Livy vii, 21, 4-8; note also the speeches at Livy xxii, 60, 4; Appian, BC iii, 64 and 73. State loans occur sporadically under the Empire, see my article in Annales 1971, 1230 η. 5 and discussion in text. 14 Dion. Hal. iv, 15,4. 15 Dion. Hal. iv, 15, 5 = L. Piso Frugi fr. 14 Peter. 16 For empire-wide registration of all births see SHA, Marcus 9, 7-8. In view of the registration of deaths and births by the dedication of, inter alia, a coin, attributed to Hippias by [Aristotle], Oec. ii, 1347a 14-17, it is perhaps legitimate to suppose that Piso was filling out his narrative with activities imported from Greek sources. 17 See in general the discussion in J. M. Keynes, A treatise on money, London, 1930, i, 11.
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being reached. But it seems to me that Timaeus, a contemporary of the first Roman coinage and an acute and diligent student of Roman affairs, cannot have attributed bronze coinage to Servius Tullius. I believe on balance that Timaeus attributed the designation of a metallic unit, the bronze as, to Servius Tullius 18. For what it is worth, that is what the author of the de vins illustrious attributes to Servius Tullius. Certainly the ' Servian ' census, which appears to be Timaeus' main concern, is perfectly compreh ensible in terms of metallic units, weighed out without being produced in coined form. The problem is to decide whether Timaeus as thus understood (also the author of the de vins illustribus) was right. I shall argue later that the ' Servian ' census, at any rate in the form described by Timaeus and later writers, is an institution dating from the fourth century, though the possible existence of a structured organisation of the population in some form under Servius Tullius makes the attribution of the developed form to him an intelligible mistake. As far as the designation of a fixed metallic monetary unit is concerned, there is an alternative tradition, at first sight of considerable plausibility. Romans of the late Republic and after believed that wealth in Rome in early times consisted largely of cattle, whence the word pecunia. (The fact that they went on falsely to assert that the earliest coinage commemorated this fact by using a cow as its type is neither here nor there.) As a corollary, it was believed that fines in early times were in cattle and sheep and that two laws in the course of the fifth century provided for their conversion into fines in bronze. But the tradition is in some respects incoherent and self-contradictory. There is no agreement about the content of the suprema multa - two cows and thirty sheep according to Dionysius of Halicarnassus x, 50, 2, two sheep and thirty cows according to Gellius xi, 1, 2; Festus 129L and 268-270L, thirty cows only according to Festus 220 L. Furthermore, according to Dionysius x, 50, 2 and (by implication) Cicero, de re publica ii, 60, the Lex Aternia Tarpeia of 454 B.C. simply laid down what the multa suprema was to be in cattle and sheep, while Gellius xi, 1, 2 and Festus 268-270 L regard the Lex Aternia Tarpeia as laying down equivalents in bronze for sheep and cattle 19. When we move on from the Lex Aternia Tarpeia, the situation
18 See the discussion in RRC i, pp. 35-7. 19 There is nothing of economic significance to be gleaned from the equivalences of 1 cow = 100 asses, 1 sheep = 10 asses (associated with 509 B.C. by Plutarch, Pob. 11!).
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gets no better. Festus 268-270 L attributes the establishment of the suprema multa to the year 452 B.C. The step from fines in kind to fines in bronze seems to be attributed by some sources to the Lex Iulia Papiria of 430 B.C. 20. Quite apart from all the incoherences, I find it incredible that fines were ever levied in Rome in cattle and sheep. Just as in the Homeric world the fact that wealth was thought of as consisting in part of cattle and evaluated in terms of cattle does not mean that cattle were ever used as money for purposes of payment, so for Rome it does not follow from the existence of wealth in the form of cattle that cattle were levied as fines. I regard the whole apparatus of fines in kind recorded by the sources as so much learned speculation, starting from the etymology of the word pecunia 21. A metallic unit is clearly implied by the Twelve Tables of 450 B.C., with a penalty of 25 units of bronze for iniuria22; there is also the fact mentioned earlier, that fines in asses (thought of by the sources as coins, to be taken by us as weights of bronze) are mentioned by Livy and Dionysius of Halicarnassus for 476 B.C.23. To return to Servius Tullius, it seems to me reasonable to regard him as the originator of a metallic unit designated as a certain weight of bronze, though the positive evidence for this belief is not strong. But I hope to have eliminated the evidence that points in the opposite direction and find it difficult to imagine Regal Rome without such a unit thoughout. The metallic unit in question was of course a pound of bronze, an as; it remained the Roman monetary unit, despite successive reductions in weight after its appearance in the form of coin, down to c. 141 B.C.; in practice, it was made up before its appearance in the form of coin in 280 B.C. of odd pieces of aes rude, a practice vestigially perpetuated in the practice of manum ission per aes et libram throughout the Republic; the placing of a piece of bronze - any piece of bronze - in a pair of scales marked a notional act of sale of the slave being manumitted. One may argue that sale as a formal procedure and the extension of a purely symbolic version of the act of sale to the procedure of manumission post-dated the designation by the state of a fixed metallic monetary unit.
20 Cicero, de re pub. ii, 60; Festus 220 L; Livy iv, 30, 3 (the notes of R. M. Ogilvie there and on iii, 31, 5 are confused). 21 E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, 1969, i, 47, regards the derivation of pecunia from pecus as mistaken; but compare the word adgregare. 22 Gellius xvi, 10, 8 and xx, 1, 12 with Festus 508 L and Gaius iii, 223 = XII Tab. 8, 3-4. 23 See also the list of passages in note of R. M. Ogilvie on Livy ii, 52, 5.
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If then we can accept that a state-designated metallic monetary unit existed at Rome from soon after the emergence of Rome as an organised community, what of the development of the early Roman economy? Here much is inevitably supposition. The spectacular evidence of tomb-finds, however, suggests a very striking concentration of wealth in mobile form from the beginning of Period III in Latium onwards, say from about 750 B.C.24; this concentration of wealth seems much more striking than that attested by hoards of aes rude in earlier periods. I take it that what was happening was that certain dominant groups, whose dominance was expressed in terms of control over extensive land-holdings, were stimulated by the availability of status-defining and status-enhancing luxury imports to demand from the lower orders an agricultural surplus which could be exchanged for these imports; in other words the origin of the wealth of the upper orders in early Latium - locupletes - was derived from the land25. It is also clear for early Rome, late Regal or early Republican, that a surplus was available to the community as well as to individuals and that this surplus could be deployed for communal purposes in quite complex ways. I see no reason to doubt the substantial accuracy of literary records of building in Rome, confirmed by archaeological finds, nor to doubt that in their construction more was involved than mere distraining on goods or services. In other words, both materials and skills had to be bought for the state and in some cases bought from abroad. I shall argue later that taxation in Rome belongs with the introduction of pay for the army and suspect that for an earlier period some form of liturgy system existed. I see no way of deciding to what extent economic differentiation corresponded to the various schémas of social differentiation that have been proposed. Accepting provisionally Professor Momigliano's schema, whereby an aristocracy of birth consisting of patres and conscripti formed with their
24 See C. Ampolo, Dial. d'Arch. 1970-71, 37, 'Su alcuni mutamenti sociali nel Lazio tra l'VIII e il V secolo', esp. 46-9 for the tomb-finds, also the rather introverted discussion following A.'s paper; D. R. Ridgway, JRS 1976, forthcoming, for the date of 750 B.C. 25 I am not persuaded by F. Tamburini, Ath 1930, 299 and 452, 'La vita economica nella Roma degli ultimi re', that Etruscan influence made Rome a mercantile and manufacturing centre in the sixth century B.C., in which trade guilds played their part. The new archaeological evidence for the destruction of Castel di Decima as a result of expansion by Ancus Marcius toward Ostia does nothing to encourage belief in commerce as a source of wealth in Regal Rome. The first two treaties between Carthage and Rome are revealing only for the commerce of Carthage.
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clientes the classis and the sex suffragia, the populus or adsidui over against the plèbes or proletarii2^, one may surmise that wealthy plebeians were in no way more remarkable in the early Republic than wealthy aristocrats 27; one may also gladey accept that clientes were not the same as dependent peasants, an equation unsupported by any ancient text, not even Dionysius of Halicarnassus ii, 9, 1-3 (one can hardly argue that depen dentpeasants were by virtue of their dependence clientes); and one need not argue with Beloch that since the patricians owned all the land, the new plebeian nobility of the fourth century was necessarily rich from trade or industry 28. At all events, the record of temple-building and the archaeological evidence of imports to Rome show that both individuals and the community became poorer between the early fifth century and the fourth century, no doubt largely as a result of continuous and not conspicuously successful warfare. The indebtedness of some of the plèbes, presumably a result of loans in kind, and the political ambitions of others combined and the resulting confrontation now split the patricians from everyone else. The ultimately peaceful resolution of the conflict clearly owed much to the availability of land to all elements of Roman society as a result of the increasingly successful wars of the fourth century and the consequent enrichment of everyone relative to what each had possessed before29. Meanwhile, over the fifth and fourth centuries, in the interests of deploying the whole community to aid the process of conquest, there gradually evolved the complex articulation of the entire citizen-body which characterised Rome of the middle and late Republic. As mentioned above, ancient authors from Timaeus onwards believed that a division of the people into property classes defined in monetary
26 A. D. Momigliano, in C. S. Singleton, ed., Interpretation, 1. 27 I do not in any case share the touching faith of Tenney Frank, ES AR i, 23, in 'the traditional stories of nobles like Cincinnatus . . . who farmed their own few acres between magistracies'. 28 J. Beloch, Römische Geschichte, 337-8; I should perhaps add that I regard the Lex Claudia of 220 B.C. simply as an attempt by the community as a whole to define its aristocracy as a landed aristocracy, untained by worldly cares, an at tempt resisted by that aristocracy as lèse-majesté. 29 The centrality of the land-problem in the political struggles of the early Republic emerges clearly from the sequence of leges agrariae, culminating in the Lex Licinia Sextia of 367 B.C. (on which see Ci? 1971, 253).
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terms formed the basis of army recruitment and political organisation from Servius Tullius onwards 30. I find this implausible, mainly because a division of the Roman people in terms of wealth seems to me incompatible with the existence of a rigid division between an aristocracy of birth and the rest; at Athens the introduction of property qualifications within the citizen body marked the end of the monopolisation of political power by a class defined by birth. If this is right, one must ask when property qualifications within the citizen body emerged at Rome. The question is bound up with the problem of the emergence of money taxation. The institution of tributum clearly supposes a knowledge of the property held by the citizens of Rome; the imposition of tributum must in turn clearly have come into existence no later than the adoption of pay for the army; tributum and Stipendium are intimately linked in all our sources. According to Roman tradition, the adoption of pay for the army took place in connection with the siege of Veii in 406 B.C. The fact that the information is preserved by Diodorus xiv, 16, 5 is perhaps encouraging, since he probably used sources writing earlier than the large-scale invention of Roman history between 500 and 300 B.C. that took place from the late second century B.C. onwards31. It is in any case certain that the adoption of pay antedates the adoption of coinage and also that the levels of pay were a great deal lower than the three asses a day attested for the second century B.C. 32. The first point emerges from the word Stipendium, implying, as Roman antiquarians saw, that pay was originally weighed out, not counted out33. The second point emerges from a consideration of the early history of the
30 The classic texts are Livy i, 42-3; Dion. Hal. iv, 15-17. The Indian parallel to Servius Tullius and the census alleged by G. Dumézil, Idées romaines, 103, seems to me neither con vincing nor illuminating. 31 See also Livy iv, 59-60; Stipendium triplex for the cavalry appears in Livy vii, 41, 8 (342 B.C.); H. Hill, CP 1943, 132, argues plausibly that the cavalry got aes equestre and aes hordeariutn before pay for the infantry was instituted, that they then got Stipendium triplex as well and that aes hordearium was abolished in 342 B.C. 32 There is no way of telling whether the system of deductions from pay to cover food and so on provided by the state goes back to the beginning or evolved later. For three asses a day in the second century B.C. see RRC ii, pp. 622-4. 33 Pliny, NH xxxiii, 42-3; Isidore xvi, 18, 8; see also Varrò in Nonius 853 L, Stipendium appellabatur quod aes militi semenstre aut annuum dabatur; for aes in military pay see also Festus 2L, 61 L, 358-9 L and the word aerarius.
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Roman coinage. Roman bronze coinage from 214 B.C. onwards had as by far its commonest denomination the as, in multiples of which soldiers were presumably by then paid. This was not true before 214 B.C., when the as was relatively uncommon and fractions of the as far commoner. What happened was this. Rome initially in reducing the weight of the as from 217 B.C. onwards aimed to make the reduced asses the notional equivalent of the full-weight ones; this proved impossible and Rome was forced to raise army pay in order to compensate for the declining real value of the as; in 214 B.C. the as was only a quarter of a pound in weight, not a pound. In consequence, fractions of the as - something between a semis and a quadrans was perhaps the daily pay of a soldier before 214 B.C. - became less useful denominations34. If pay for the army was adopted in 406 B.C., we may expect the institution of tributum, doubtless facilitated by the existence of the censor shipfrom 443 B.C., to belong to the same period. Certainly the Livian tradition on tributum and on indemnities levied on foreign peoples, clearly to help fund Stipendium, is remarkably consistent with the date of 406 B.C. for the adoption of pay35. Stipendium, to be financed from rent on public land, is proposed in 424 B.C. (Livy iv, 36, 2), shortly before its actual institution. The repercussions cf that act echo through the succeeding pages of Livy, with Stipendium regularly linked with tributum 36. Tributum is mentioned, in my view anachronistically, in 508 and 495 B.C. 3V, then in 378, 377 and 347 B.C. 38. Indemnities levied on foreign peoples are mentioned once, in my view anachronistically, in 475 B.C. (Livy ii, 54, 1), then regularly from 394 B.C. onwards39. One may assume that the developed Roman census system with five separate classes evolved gradually after 406 B.C., in order to graduate the burden of contributing tributum according to the different levels of wealth
34 See RRC ii, pp. 626-8. 35 Livy casually assumes pay for Etruscan soldiers in 508 B.C. (ii, 12, 7), as he does for Hernican in 362 B.C. (vii, 7, 5) and for Samnite in 296 B.C. (x, 16, 8). 36 iv, 60, 4-5; v, 4, 5-7; 5, 4; 10, 3-10; 11, 5; 12, 3-13; 20, 5-8; cf. x, 46, 6. 37 ii, 9, 6 (see R. M. Ogilvie ad loc); 23, 5. 38 vi, 31, 4; 32, 1; vii, 27, 4. 39 ν, 27, 15 (Falisci); 32, 5 (Volsinii); viii, 2, 4 (Samnites); 36, 12 (Samnites); ix, 41, 7 (Etruscans); 43, 6 (Hernici); x, 5, 12 (Etruscans); 46, 12 (Falisci). The levyng of indemnities never displaced the mulcting of foreign peoples of some of their land (on which see E. Gabba on Appian, EC i, 26).
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in Roman society40. There is no way of telling just how the different levels came to be fixed, but it is worth at least asking how the qualifying level for the lowest classis came to be fixed. This involves the problem of the heredium. Two iugera were regarded by Varrò, RR i, 10, 2, as forming the standard heredium of early Rome41 and the likelihood that the figure is not simply imagined is enhanced by the fact that colonial allotments were sometimes of two iugera down to relatively recent times. Now two iugera are quite inadequate to support a family and one must therefore suppose that a Roman peasant with two iugera had access to other land. In the late Republic there was a category of common land and it is reasonable to suppose that a farmer might supplement an income from his freehold by grazing on such common land; nothing grand, one must emphasise, perhaps a few sheep, goats or pigs; it is also possible that a peasantry dependent on rich aristocrats or plebeians was dependent precisely because it paid (in kind) for the right to use some of their land, in addition to its own42. If, however, recruitment of peasants to the legions was to be based, as it was, on the possession of the property qualification of the lowest classis, it was necessary for this to be set at a level which included the holders of two iugera allotments in colonies and elsewhere. I feel in need of a great deal of persuasion that at this level the adoption of a qualifying figure and the assessment of property was not a largely arbitrary process and wonder how much the property qualification for serving in the legions ever really meant. As for the heredium, it seems to me also a rather arbitrary entity. I suspect, though I cannot prove, that at some date before the adoption of a system of five classes and perhaps during the reign of Servius Tullius, freehold tenure of land, some land, was accepted as a necessary qualification for service in the legions and the figure was arbitraruly fixed at two iugera, the amount of land a man and an ox could plough in a day.
40 Note also the tax on orphans attributed to Camillus and 403 B.C. (Plutarch, Cam. 2) and the vicesima libertatis, first attested for 357 B.C. (Livy vii, 16, 7). 41 For the word heredium note XII Tab. 7, 3. 42 I note in passing that the relative emancipation of the Roman peasantry during the fifth and fourth centuries B.C. presumably led to the need for alternative dependent labour and suspect that slavery is already more important in third century Rome than is normally suspected.
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When Rome adopted coined money, she moved with relative rapidity to a use of it that was for the ancient world not unsophisticated. Although we can only see very dimly what is happening in the period before the adoption of coinage, we can see enough, I think, to be aware, of the importance of it all. Building on the state enterprises of the Regal period and the early Republic, Rome created a taxation system based on assessments of property that at the top levels must have borne some relationship to reality and went on to use that system to fund an army that eventually conquered the Mediterranean.
MAURO CRISTOFANI
LA LEGGENDA DI UN TIPO MONETALE ETRUSCO
II convegno sulla monetazione etrusca svoltosi a Napoli nell'aprile del 1975 ha avuto la funzione non indifferente di riprendere ex novo una serie di problemi caduti nel dimenticatoio sondandone le basi, filologicamente assai fragili, per le quali appare ora ancor più necessaria un'attenta verifica. Esemplare, a questo proposito, è il caso di quei sestanti populoniesi nei quali è impressa la leggenda fufluna (o 'pufluna), vetalu e χα nella quale si è riconosciuta in modo unanime un'alleanza monetaria fra le città di Populonia, Vetulonia e Camars (Chiusi). L'ipotesi, formulata per la prima volta dal Garrucci 1, seguita dal Sambon2, è entrata nella letteratura senza ulteriori discussioni3, se si eccettua l'ipotesi, a suo tempo adombrata dal Pallottino4, di riconoscere nella sigla χα l'abbreviazione del nome di Caere (*Xaire), ipotesi che r iprendeva un'idea espressa a suo tempo dal Deecke a proposito dell'analoga sigla presente nella V serie della Ruota dell'aes grave5. Il problema può essere ripreso verificando nuovamente il materiale sul quale si è fondata finora la discussione, non senza avvertire che le monete in questione sono solo parzialmente controllabili. Anzitutto il tipo: sul dritto compare la testa di Vulcano dietro la quale si intravede la prua di una nave (spesso confusa con il segno di valore Χ ο addirittura sottaciuta nelle descrizioni del Sambon), con il segno del valore; sul rovescio, gli attributi di Vulcano (tenaglie e martello) fra i quali è il segno di valore e la leggenda: a destra pufluna, a sinistra vetalu. 1 R. Garrucci, Le monete dell'Italia antica, II, Roma 1885, p. 56, n. 10. 2 A. Sambon, Les monnaies antiques de l'Italie, Paris 1903, pp. 32, 73 η. 120. 3 Cfr. CIE II, I, 2 (Leipzig 1923), pp. 105, 116 con letteratura precedente. Si vedano anche G. Buonamici, Epigrafia etrusca, Firenze 1932, p. 404 e A. Minto, Populonia, Firenze 1943, p. 224. 4 M. Pallottino, Nomi etruschi di città, in Scritti in onore di B. Nogara, Città del Vaticano 1937, p. 350. Si veda pure J. Heurgon, L'état étrusque, in Historia VI, 1957, p. 87. 5 W. Deecke, Etruskische Forschungen II, Stuttgart 1876, p. 133 ss.
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MAURO CRISTO FANI
II numero degli esemplari attualmente identificabili nella letteratura è il seguente6: 1. Già nella Collezione Strozzi. R/ Tenaglie e martello entro i quali il segno di valore. A d. la leggenda pufluna ο puflfuna]. Gr. 14,53. Cfr. G. F. Gamurrini, Appendice al Corpus Inscriptionum Italicarum, Firenze 1880, n. 55 con lett. precedente; Collection Strozzi, Médailles grecques et romaines, Vente aux enchères publiques, Rome 1907, p. 45 n. 639; Head, Historia numorum2, Oxford 1911, p. 16. 2. Firenze, Museo Archeologico. Collezione Mazzolini, η. Populonia. R/ Del tutto corroso. Gr. 14,30. pulonia.
160.
Da
3. Firenze, Museo Archeologico. Collezione Mazzolini, n. 158. Da Po R/ Del tutto corroso. A s. è visibile la leggenda vetalu. Gr. 14,18.
4. Firenze, Museo Archeologico. Acquisto Mannelli, inv. 80054. R/ Tenaglie e martello entro i quali segno di valore. A d. pufluna, a s. vetalu. Gr. 14,10. Cfr. M. Buffa, Nuova raccolta di iscrizioni etrusche, Milano 1935, n. 570 (lettura errata). 5. Copenhagen, Museo Nazionale. Già Collezione Rollin. R/ Tenaglie e martello entro i quali il segno di valore. A s. vetalu. Gr. 13,46. Cfr. SyllNumGraec, Danemark, Ι, ρ. Ι, η. 8, tav. I, 8. 6. Firenze, Museo Archeologico. Collezione Strozzi, inv. 83104. R/ Tenaglie e martello entro i quali è il segno di valore. A d. [pjufluna, a s. ve[t]alu. Gr. 13,34. Cfr. Gamurrini, op. cit., η. 56; Collection Strozzi, cit., p. 46 η. 655; Buffa, op. cit., η. 569 (lettura errata); TLE 378. 7. Firenze, Museo Archeologico. Collezione Mazzolini n. 159. Da Popul onia. R/ Del tutto corroso. Gr. 12,95. 8. Già nella Collezione Maddalena. La scheda non riporta chiara mente la leggenda, riferendosi solo al tipo del Sambon. Gr. 11,82. Cfr. Collezione Maddalena, Catalogo di vendita, Roma 1903, p. 3 n. 35.
6 De visu ho potuto controllare solo le monete del Museo Archeologico di Firenze; la dott. M. Calvani Marini, direttore del Museo Archeologico di Parma, mi comunica che la moneta edita da Garrucci non è attualmente reperibile (manca infatti anche nello schedario depositato presso il Centro Internazionale di Studi Numismatici di Napoli).
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9. Museo di Parma (non rintracciata). R/ Tenaglie e martello entro le quali è il segno di valore. A d. fufluna, a s. vetalu, in alto χα. Ribat tuta (?). Manca il peso. Cfr. Garrucci, op. cit., l. cit.; Sambon, op. cit., p. 73 η. 120; TLE 794. 10. Collezione Viczay (non rintracciata). Da Populonia (?). R/ Fuori conio, a d. vetalu. Manca il peso. Cfr. A. Fabretti, Corpus Inscriptionum Italicarum, Torino 1865, n. 293 tav. XXIV; Garrucci, op. cit., l. cit. La serie in questione adotta immagini presenti sui trienti populoniesi con la semplice leggenda pupluna, assai diversi, comunque, nel conio sia per quanto concerne la posizione degli attributi sul rovescio, sia per quanto concerne la realizzazione stilistica della testa di Vulcano al diritto, assai più corsiva7. Mi pare possibile, infatti, distinguere nei tipi della monetaz ionebronzea di Populonia una serie stilisticamente vicina ai prototipi elle nistici 8 e una seconda che sembra collegata, come alcuni esemplari vetuloniesi, a una tradizione di stile con caratteri più marcatamente italici9. Il peso delle monete in questione, trovando un punto medio in gr. 13,58, può ricondurre la serie alla riduzione sestantaria, permettendo di collocarla nella seconda metà del III secolo a.C. L'esame del materiale che abbiamo condotto nuovamente ci permette di affermare con certezza che la redazione pufluna supera largamente l'unica attestazione di fufluna10. Il passaggio interno pl>fl è stato più recentemente studiato dal de Simone: si tratta di un caso abbastanza dif fuso nell'etrusco recente di neutralizzazione fra non aspirata e aspirata (o spirante) a contatto di una liquida11. Il passaggio p>f in sede iniziale può essere spiegato come successivo fenomeno di assimilazione 12. Per quanto concerne vetalu, nome attestato solo in questa leggenda, l'identificazione con il nome di Vetulonia appare tutta da dimostrare: il cospicuo numero di monete vetuloniesi indica infatti che il nome etrusco
7 Sambon, op. cit., p. 72 η. 119; Minto, op. cit., tav. 67, 2a-b. 8 Cfr. ad es. Sambon, op. cit., p. 63 ss. nn. 114, 115, 116, 117. 9 Cfr. Sambon, p. 72 nn. 118, 119. 10 Dopo l'esame del materiale sembra da escludere che nell'esemplare n. 6 possa leggersi fufluna, anche se integrando l'iniziale, come si suppone nel CIE II, I, 2, p. 105 nota 1 (O. A. Danielsson). 11 C. De Simone, Die griechischen Entlehungen im Etruskischen, II, Wiesbaden 1970, p. 178 s. 12 De Simone, op. cit., p. 184 ss.
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della città era vati e la nota ipotesi di una ricostituzione *vatl(una), formalmente possibile, non poggia su alcuna base concreta13. Il confronto con il nome latino (Vetulonia/Vetulonii) si limita infatti alla sequenza delle consonanti, mentre la sola attestazione latina Vetlo (CIL VI, 2832 al 6) ha qualche possibilità di confronto con un ipotetico *vatlu, ma il mutamento a > e in sede iniziale interessa il nome quando passa dall'etrusco al latino (fenomeno che andrebbe analizzato al pari di quello che accade in altri nomi propri del tipo velùur: Voltur, velimna: Volumnius; velaùri: Volaterrae; velzna: Volsinii etc.); un passaggio a> e in etrusco è giustificabile in sillaba interna, non in sede tonica, e in periodi più antichi, come ha dimostrato de Simone: cadono pertanto gli sforzi dei redattori del CIE che per identificare in vetalu il nome di Vetulonia si basavano su una documentazione di confronto non più utilizzabile. La ricerca può essere diretta invece verso un'altra area dell'onomastica, quella personale. Il suffisso -alu, notoriamente diffuso nell'onomastica etrusca della Padania, trova una sua attestazione anche nell'Etruria propria (Arezzo, Chiusi, Vulci) u. Questo suffisso viene per solito congiunto a nomi propri, come è possibile vedere dalla documentazione che segue 15: ceistalu velcialu kraikalu sekstalu tetialu titalu titlalu trepalu
(StEtr 33, 1966, 469) (CIE 1668, 2092) (StEtr 23, 1956, 399) (TLE 713) (StEtr 26, 1958, 165) (StEtr 26, 1958, 141) (TLE 700) (CIE 1892)
velcie (CIE 560) creice *sekste (Sextus) tette tite titele trepi (da trepe)
Ne consegue che è possibile trovare fra vetalu e vete (gentilizio atte stato assai frequentemente, del tipo « Vornamengen tilicium ») lo stesso rap porto individuato nei nomi precedenti. C'è forse di più: il gentilizio recente vetlna (CIE 1959, 3788) dovrebbe derivare da *vetalu-na, al pari forse di titlni (CIE 432, 876, 2930) che discende da *titalu-na, essendo titulni (CIE 315) una forma secondaria. Ne consegue che l'ipotesi più verosimile è che vetalu sia un nome personale. 13 Sul problema cfr. CIE II, I, 2, p. 114. 14 H. Rix, Das etruskische Cognomen, Wiesbaden 1963, p. 182; de Simone, op. cit., p. 222 s. 15 Per i nomi più noti non si fornisce la documentazione.
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Rimane per ultima la sigla χα, sicuramente leggibile solo nell'esemplare di Parma, confrontabile con quelle analoghe impresse nella V serie della Ruota 16 dove compaiono anche altre lettere il cui riferimento a iniziali di poleonimi è solo ipotetico 17. L'identificazione con Camars, il nome più antico di Clusium restituitoci da Livio, ο con quello di Caere ci sembra estremamente improbabile 18. Supponendo infatti l'etrusco ^amars ci do vremmo attendere, per la nota realizzazione delle aspirate etrusche in sonore latine, la redazione *Gamars (cfr. lautniùa: lautnìda; larùia: Lardia, Larthia, ma anche Lartia; saùnal: Sadnal ο ti kh, data la nota
16 E. J. Häberlin, Aes grave, Frankfurt a. M., 1910, p. 253. 17 Pallottino, art. cit., p. 349 s. 18 La discussione è svolta in CI E II, I, 2, p. 106, soprattutto nota 2, dove è contenuta la documentazione: la redazione Chamars, che appare talvolta nella letteratura, è inventata. 19 De Simone, p. 181 s. Si veda ora anche CIE II, 1, 4 (Firenze 1970), Indices, p. 15 con altri esempi. 20 La letteratura in CIE II, I, 4, p. 398 (M. Cristofani). Si aggiunga ora anche G. Bonfante, in Studi linguistici in onore di V. Pisani, Brescia 1969, p. 161 ss. 21 Cfr. CIE 1075-1076. Cfr. per la forma etrusco-latina Cezartle, Caezirtli; B. Liou, in Studi Etruschi XXXVI, 1968, p. 257 s. 22 In op. cit., pp. 212, 234. 23 Pallottino, art. cit., p. 355; CIE II, I, 4, p. 398. 24 La documentazione è raccolta in CIE II, I, 4, p. 398.
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opposizione fra sorda e aspirata in etrusco, a meno di non supporre un passaggio dal greco Χαίρε (forma comunque secondaria) all'etrusco *xaire, fatto che stupisce comunque per un nome di città che in etrusco doveva avere una sua stabile tradizione. Il breve esame che abbiamo fin qui condotto porta dunque ai seguenti risultati: a) la leggenda maggiormente attestata in questa serie di monete comporta esclusivamente pufluna e vetalu; b) la redazione fufluna occorre solo in un esemplare, ribattuto, nel quale compare anche la sigla χα; e) Non esistono elementi per individuare in vetalu il nome di Vetulonia; d) la sigla χα, inspiegabile, non indica il nome di Camars ο di Caere. Ne consegue quindi che l'ipotesi di una lega monetaria ο navale fra tre città etrusche è frutto di mere congetture che affondano le loro radici nelPerudizione ottocentesca. Alle osservazioni di natura strettamente lingui stica aggiungiamo qui una considerazione di carattere storico: appare del tutto improbabile, alla luce delle più recenti ricerche sulla romanizzazione dell'Etruria, che Caere possa aver partecipato nella seconda metà del III secolo a.C. a una lega monetaria etrusca, quando si trovava ormai ampia mente nella sfera romana; meno improbabile appare un tale inserimento da parte di Chiusi, per la quale permangono, però, oggettive difficoltà di ordine epigrafico e linguistico. Assume maggior consistenza l'ipotesi che si possa riconoscere in vetalu un nome personale. A questo proposito la monetazione greca e romana ci offre due possibilità di interpretazione: la prima, più labile, che si tratti del nome di un autore di conio25; la seconda, più probabile, poiché inserita nel quadro della monetazione romana di età repubblicana dove il monetiere appone il proprio nome accanto a quello di Roma, che si tratti del nome di un magistrato. Questa seconda ipotesi trova una conferma anche nella monetazione etrusca se si accetta, come proposi al Convegno di Napoli, che le leggende vercnas e peiùesa indichino nomi personali: rimane da spie gare la posizione giuridica ο la funzione di questi personaggi che, nel caso di Populonia, dove la monetazione ha uno sviluppo maggiore che in altre città etrusche, può essere identificata con quella di magistrati addetti alla monetazione.
M. Guarducci, Epigrafia greca III, Roma 1975, p. 530 ss.
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NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA
Nell'appena istituito Museo Archeologico « Ranuccio Bianchi Bandinelli » di Colle Val d'Elsa 1, che è per massima parte formato dai materiali, già appartenenti alla collezione Terrosi, provenienti dalla necropoli del Casone presso Monteriggioni (Siena), sono esposte tre delle kelebai volterrane rinvenute nella celebre tomba dei Calisna Sepu. Di esse, due sono affatto inedite, ove si eccettui la descrizione fornitane a suo tempo dal Bianchi Bandinelli2, mentre della terza3, che pure è il vaso eponimo del Pittore del Pigmeo Trombettiere, era sin qui noto esclusivamente un lato (Fig. 1). È con autentico piacere che presento nella miscellanea in onore del prof. Heurgon, dotto e penetrante indagatore delle antichità e della storia dell'Italia preromana, questi pezzi, i quali nondimeno offrono lo spunto ad alcune brevi osservazioni relative all'articolazione interna del gruppo Volaterrae e alla produttività fittile dell'antica Velathri. Nel lato finora mai riprodotto (Fig. 2; Figg. 3-4) del cratere su cui il Dohrn4 impostò la sua individuazione del Pittore del Pigmeo Trombettiere è raffigurato un « pigmeo », nudo e a capo scoperto, che regge in ciascuna mano una tenia. Se il soggetto rientra compiutamente nel repertorio di questa classe vascolare, della quale costituisce anzi un tema fra i più comuni,
1 Sui reperti che vi sono raccolti rimando alla presentazione che ne ho fatto nel Corpus delle urne etnische di età ellenistica 1. Urne volterrane 1. I complessi tombali, Firenze 1975, pp. 162 ss., 166 e in Prospettiva, 5, 1976, pp. 70-73. 2 Si tratta, rispettivamente, di R. Bianchi Bandinelli, La tomba dei Calini Sepus' presso Monteriggioni, in SE, 2, 1928, pp. 150, η. 46 e 151 s., n. 73. 3 Ibidem, p. 149, η. 41, tav. XXIX (disegno); R. Bianchi Bandinelli, Un «pocolom» ane pigrafe del Museo dì Tarquinia, in Scritti in onore di Bartolomeo Nogara, Città del Vaticano 1937, p. 17, nota 1, tav. II, 6 (fotografia); per altra bibl. ν. Μ. Montagna Pasquinucci, Le kelebai volterrane (poi abbreviato Kelebai), Firenze 1968, p. 75 s., LIX. 4 T. Dohrn, Zur Geschichte des italisch-etruskischen Porträts (poi abbreviato Dohrn), in Römische Mitteilungen, 52, 1937, pp. 121, η. 10, 129 s.
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connesso evidentemente alla simbologia funeraria, per quanto concerne lo l'unica" stile il confronto con altra opera la cui attribuzione a questa mano è stata generalmente accettata, ossia il cratere Berlino 3991 5, ne fa ravvisare talune, pur se non capillarmente perspicue, affinità nell'impianto generale del corpo delle figure, nell'anatomia notata attraverso molteplici e minuti segni a vernice diluita, nel tipo di capigliatura a contorno risparmiato. Quest'ultimo particolare non è comunque esclusivo del pittore, dal momento che inizia già nel Pittore di Hesione, anche nelle rappresentazioni con pigmei6, e occorre pure in opere più tarde7. Esaminando da vicino l'esiguo elenco di opere riunite dal Dohrn e includente, oltre alle due di cui si è discusso, soltanto il cratere 3987 di Berlino 8 come « verwandt » e quello 28 del Museo Guarnacci 9 come « unsicher », io ho l'impressione che la base su cui è fondato questo sparuto gruppo non sia sufficientemente salda e documentata e che non si ravvisino tra i pezzi coincidenze puntuali e connotazioni salienti tali da consentire l'enucleazione di una personalità ben precisa, con una fisionomia stilistica nettamente definibile. Mentre il Guarnacci 28 va decisamente espunto, come già aveva sugger itoJ. D. Beazley 10, dalla lista di Dohrn e collocato invece nella produzione del Pittore della Colonna Tuscanica, come dimostrerò più oltre, privo di elementi caratteristici che permettano di accostarlo specificamente al cra tere ora a Colle ο al Berlino 3991 risulta infatti il Berlino 3987, che a mio avviso resta lavoro anonimo. Si potrà, se mai, segnalare che tutte le kelabai con rappresentazione di pigmei armati, in corsa ο in lotta contro le gru n, abbastanza antiche nella produzione volterrana, legate comunque alla bottega del Pittore di Hesione ο alla sua influenza, paiono dipendere da un unico modello, probabilmente più articolato e complesso, che è stato poi sezionato nell'esecuzione pratica dei vasi.
5 Su di esso da ultimo v. Kelebai, p. 63, XLIII, figg. 61-62. 6 Cfr., ad es., ibidem, LXX, figg. 93-94 e LXXI, figg. 95-96. 7 Cfr., ad es., ibidem, III, figg. 5-6, LXXII, figg. 97-98, LXXX, fig. 108. 8 Dohrn, p. 122, n. 13; altra lett. è citata in Kelebai, p. 59, XXXIX, fig. 52. 9 Dohrn, p. 122, n. 12; per altra lett. v. Kelebai, p. 34, II, figg. 3-4. 10 Etruscan Vase-Painting (poi citato EVP), Oxford 1947, p. 128 («It is not clear to me that the Volterra krater is connected with the Pigmy Trumpeter»). 11 Cfr. Kelebai, XXIX, XXX, XXXIX, LV, LXX, LXXI, LXXXIII; J. et L. Jehasse, La nécro polepréromaine d'Aléna, Paris 1973, tav. 83, 843, p. 285 s.
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II secondo cratere (Figg. 5-8) è decorato sul piano della bocca, come di norma, da una sequenza di triangoli con tratteggi interni, alternatamente eretti e capovolti, e, sulle placchette delle anse, da una palmetta; sul labbro presenta una teoria di punti e sul collo, dall'alto, una fila di segmenti verti cali, la consueta ampia zona a reticolato di losanghe con punto centrale e infine una serie di rosette a margine dentallato e cerchi concentrici interni sia punteggiati sia a linea continua, alternate a segni a Τ contrapposti. Nel lato A è una figura giovanile nuda recante sulla spalla destra un tirso dal quale pende un ramo 12 e nella mano sinistra un oggetto non precisabile; in Β è dipinta una testa di profilo a sinistra. Curiosamente, la realizzazione della decorazione accessoria risulta più corsiva e frettolosa di quella figurata: si osservino le palmette sotto le anse e il reticolato sul collo, che presenta un tracciato piuttosto disordinato e addirittura una correzione. A pieno titolo quest'opera può essere assegnata al Pittore della Colonna Tuscanica. Un confronto assai stringente per la testa del lato Β è offerto infatti dall'esem plare 3990 di Berlino e da uno di Arezzo 13: oltre al rendimento dei capelli a ciocche curvilinee formanti bande ondulate sulla fronte e le tempie, ident ici risultano il ductus del sopracciglio, alquanto allungato, e dell'occhio, con il peculiare segno virgolato all'estremità esterna, il taglio della bocca, la linea del mento e del collo e infine il profilo del naso, di lato al quale si nota un altro caratteristico contrassegno del pittore, un minuscolo trattino virgolato che indica la pinna. Forti analogie si riscontrano inoltre nella trattazione delle palmette, con petali delineati irregolarmente, piuttosto rigidi, fra i quali quello posto alla sommità è bipartito, e perfino nella tettonica dei due vasi, in particolare nel piede, che non è dei più frequenti in questa serie di fittili. Non v'è dubbio che nel novero delle opere riferite al nostro pittore queste due siano da ritenersi della stessa fase e che in esse, pur trattandosi di prodotti di quello che Beazley ha definito « the poorest artist » fra i quattro decoratori di crateri a colonnette operanti a Volterra allora individuati, il disegno risulta più organico e sorvegliato che in altre. Negli altri crateri che gli sono stati
12 Così lo definisce Bianchi Bandinelli, art. cit. a nota 2, p. 150, ma potrebbe anche trattarsi di un volatile. 13 Cfr., rispettivamente, Kelebai, p. 62, XLII, fig. 59, con bibl. prec. e P. Bocci, Crateri volterrani inediti del Museo di Arezzo, in SE, 32, 1964, tav. XXII, fig. 1.
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assegnati infatti, pur ritornando i caratteristici motivi « morelliani » che abbiamo indicato, la capigliatura è realizzata in maniera più sciatta: da una fase nella quale ha eseguito il cratere Würzburg 804 e uno, forse disperso, dalla tomba Sepu 14, si passa a un momento che direi successivo, document ato da un novero di opere quantitativamente più cospicuo, in cui si possono inserire un esemplare a Firenze 15, uno a Philadelphia 16 e gli esemplari 4000, 4002 e 4003 di Berlino 17. In questi i profili sono aguzzi e spigolosi, la capi gliatura risulta semplificata, la decorazione accessoria muta, presentando anche motivi nuovi, quali gli angoli contrapposti e le foglie bicolori con ramoscelli. Per la figura del lato A i termini di riferimento più puntuali sono forniti dal cratere Berlino 3999 18 e dal già citato 3990: si tratta di figurette atticciate, a contorno sommariamente delineato e con indicazioni anatomiche essenzialissime, caratterizzate fondamentalmente dalla distinzione dello sterno, dal quale si diparte una linea che distingue il pettorale sinistro, e da pochi, minuti trattini orizzontali ad esso affiancati. Il cratere 3999 esibisce un tipo di capigliatura simile a quello delle teste di profilo che abbiamo rivendicato alla prima fase del pittore, che ritorna, unitamente alle altre notazioni anatomiche testé descritte, nella kelebe 28 del Museo di Volterra, la quale è a mio parere da connettere direttamente con l'attività del Pittore in esame. In essa infatti, la figura femminile del lato A presenta quello stesso modo di indicare il torace che abbiamo sopra descritto, analogie nel profilo del viso e nell'occhio, nel trofeo di palmette e quella medesima fascia con « patere » e rosette dentellate che compare anche nell'esemplare di Colle, nonché, in B, il raro tema delle kelebe con la colonna, ossia con l'elemento dal quale il ceramografo deriva la sua denominazione convenzion ale. Conclusivamente, può essere proposta nell'attività del nostro pittore una seriazione così distinta, che prende in esame i vasi qui richiamati: Berlino 3999, Volterra 28, Arezzo 15462, Colle Val d'Elsa, Berlino 3990; Würzburg 804, Kelebai LXI; Berlino 4000, 4002, 4003, Philadelphia L 29.58, Kelebai LXXXVI.
14 Kelebai, p. 107, CXIV, fig. 141 e Bianchi Bandinelli, art. cit. a nota 2, tav. XXX, 57 (= Kelebai, p. 76, LXI, ove è infondatamente indicato come conservato nella collezione Terrosi al Casone). 15 Ibidem, p. 91, LXXXVI, fig. 114. 16 Ibidem, p. 92, LXIX, fig. 92. 17 Ibidem, p. 70, LI, figg. 77-78, p. 71, LUI, figg. 79-80 e p. 72, LIX, figg. 81-82, con bibl. prec. 18 Ibidem, p. 69, L, figg. 75-76.
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II terzo pezzo che mi accingo ad illustrare (Figg. 9-12) è un documento di considerevole interesse, giacché è, a quanto mi consta, l'unico cratere a colonnette di tipo volterrano decorato nella tecnica a suddipintura (h. cm. 42,5). Già sulla scorta della descrizione che ne dette Bianchi Bandinelli, il quale non potè trovarlo e lo indicò come disperso, il Beazley 19 ne rilevò Γ« unusual technique ». Anche in questo caso, sul piano della bocca si snoda la solita catena di triangoli alternati, con bisettrici interne, mentre sulle placchette delle anse è una palmetta; sul labbro corre una fila di punti e sul collo si suss eguono una serie di listelli e un reticolato di losanghe con croci interne; sul corpo, in A, una figura maschile (Beazley: Dioniso), nuda, con collana a due giri e calzari con lacci ritoccati in bianco ai piedi, solleva con la destra una corona da cui pendono due nastri e nella sinistra, posata al fianco, regge un tirso; sul braccio s. è piegato un mantello con il bordo listato in nero; sul lato opposto, un demone femminile alato, nudo, con capelli cinti da sottile tenia, adorno pure di collana a doppio giro e slmilmente atteggiato, protende nella destra una lunga tenia svolazzante, avendo la sinistra appoggiata al fianco; sotto le anse si sviluppa il canonico trofeo di tre palmette, di cui la mediana ogivale, insistenti su doppie volute e i nframmez ate da ramoscelli a fitte foglie oblique. L'oggetto in sé rappresenta un unicum e si configura come l'esito di una combinazione di tre diversi aspetti e filoni della produzione ceramistica di Volterra. La sua morfologia richiama direttamente infatti la ceramica a vernice nera, specificamente la forma 136 20: il confronto con essa appare assai più stringente di quello che si potrebbe eventualmente proporre con i crateri a figure rosse. Da questi deriva invece la sintassi decorativa e la tradizione figurata, estesa non solo ai personaggi sui due lati, ma anche alla parte accessoria. La tecnica a colori sovrapposti si inserisce infine, per parte sua, in una tradizione locale cui faremo cenno in seguito. Il tirsoforo del lato A e il demone femminile alato del lato Β rientrano fra i soggetti spesso trattati nella ceramica etrusca a figure rosse. In un vaso
19 EVP, p. 132. 20 Cfr. M. Montagna Pasquinucci, La ceramica a vernice nera del Museo Guarnacci di Volterra, in MEFRA, 84, 1972, p. 419, fig. 9, η. 289: segnalo che, oltre all'unico es. ivi in dicato, uno è conservato nel Museo di Chiusi (inv. 1929).
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con funzione di cinerario, come questo, tali figure esprimono evidente menteun nesso, sia pure tenue, fra l'essere ultraterreno e il defunto, che assai probabilmente partecipava a culti dionisiaci: combinazione questa che, se pure non molto frequente nei vasi a f.r. di Volterra21, ritorna, con eguale pregnanza semantica, ad esempio, in un cratere del Funnel Group, ove sono rappresentati, in un lato, Charun e nell'altro una tirsofora22. Dal punto di vista stilistico il vaso di Colle si inserisce pienamente nell'ambito delle esperienze del gruppo « Clusium-Volaterrae »; lo schema iconografico delle due figure deriva abbastanza chiaramente da quel reper torio iterato che ricorre sui lati minori delle kylikes del Tondo Group23 e che nei crateri volterrani viene assunto come protagonista della scena: si noti in particolare come la rappresentazione dipinta nel lato Β dei crateri 43 e 49 24 del Museo Guarnacci ripeta un tema praticamente fisso nelle figura zioni dei lati delle coppe del Tondo Group, nelle quali varia esclusivamente il personaggio nudo (maschile ο femminile) che compare assieme a una figura che indossa una veste particolarmente ricca e variegata, della quale sfugge il significato25. Non del tutto agevole, almeno per ora, è un riconoscimento puntuale del ceramografo che ha dipinto il nostro cratere. Pur nella peculiarità della tecnica, il pezzo si può stilisticamente accostare ad alcune kelebai riunite dalla Pasquinucci 26 e riferite ad un'unica personalità, che risulta prossima al Pittore di Hesione e da esso influenzata, ossia i crateri 34 del Museo Guarnacci, 189 del Museo di Asciano (dalla tomba 3 di Poggio Pinci), L. 29.57 dell'University Museum di Philadelphia e uno da Toiano nel Museo Archeolog ico di Firenze27. A questa lista di opere va a mio avviso aggiunto un esem plare dalla tomba 64/10 della necropoli volterrana di Badia (Figg. 13-14), edito recentemente senza attribuzioni di sorta28, il quale appare estrema-
21 In genere sulle scene dionisiache cfr., per i crateri, Kelebai, p. 15, note 87-88 e per altri tipi di vasi SE, 26, 1958, pp. 253 ss., figg. 10-11. 22 M. A. Del Chiaro, The Etruscan Funnel Group (A Tarquinian Red-Figured Fabric), Firenze 1974, p. 17, η. 1, taw. I-III. 23 Cfr., ad es., SE, 26, 1958, p. 246, fig. 4 (= EVP, p. 113, n. 2). 24 Kelebai, p. 45, XVI, fig. 29 e p. 49, XXII, fig. 39. 25 Per una proposta di interpretaziune v. E. Fiumi, art. cit. a nota 23, p. 245 e le fondate riserve espresse da A. Stenico, Nuove pitture vascolari del gruppo « Clusium », in Studi in onore di Luisa Banti, Roma 1965, p. 294, nota 4. 26 Kelebai, p. 9. 27 V. rispettivamente ibidem, p. 38, VII, figg. 13-14; p. 56, XXXV, fig. 46; p. 78, LXVIII, figg. 90-91; p. 92, LXXXIX, figg. 116-117. 28 E. Fiumi, in NS, 1972, p. 118, figg. 84 a-b.
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mente vicino a quello di Philadelphia dianzi richiamato: i parallelismi nel l'impostazione e nelle proporzioni delle figure, nel profilo dei volti, nel rend imento dell'occhio e dei dettagli anatomici sono così palmari e rispondenti che l'assegnazione alla stessa mano mi sembra sicura. Tornando al pezzo di Colle, credo che si possa connetterlo al gruppo di prodotti di questo pittore, che chiameremo convenzionalmente di Asciano, e specialmente agli esemplari appunto di Asciano (Figg. 15-16) e di Badia, in base soprattutto alle nutazioni del torace e dell'addome (si osservi in particolare il pettorale s. con il relativo capezzolo decentrato), alle pettina ture, all'organizzazione dello spazio metopale in cui sono collocate le figure. Le quali peraltro, nel nostro cratere, presentano forme più ampie e dilatate, soprattutto in corrispondenza del bacino, che sono forse in parte imputabili alla diversa tecnica impiegata e che tuttavia trovano pure riscontro, ad esempio, nelle figure maschili del cratere di Asciano. E se quest'ultimo è anche il più simile al nostro nella morfologia, vorrei d'altro canto rilevare che nell'esemplare di Badia il personaggio recante due tenie esibisce quella stessa ombreggiatura a tratteggio minuto che compare anche in quello della Sepu: particolare questo che, analogamente all'uso di bordare con bande nere gli orli delle vesti, riscontrabile nel Guarnacci 34, in quello di Asciano e in quello di Toiano, suggerisce e conferma come queste opere gravitino nell'orbita del Pittore di Hesione. Sarei quindi propensa ad iscrive-re ad un ceramografo operante nell'ambito della bottega del Pittore di Hesione, forse un suo collaboratore meno dotato od un suo giovane allievo, il vaso « risco perto » del Museo di Colle, nel quale il disegno dell'anatomia mostra un'inci piente tendenza alla corsività e le forme, mancando loro il sostegno della linea di contorno, risultano quasi sfatte. La tecnica di questo decoratore segue comunque alcuni suggerimenti proposti in questa classe ceramica pro prio dal Pittore di Hesione, che non ritornano univocamente nei prodotti di altre personalità distinte nel gruppo Volaterrae: mi riferisco in particolare all'impiego del tratteggio29. Nell'ambito delle esperienze di ceramica suddipinta dell'Italia preromana è stato già indicato 30 come i decoratori che adottavano la tecnica del colore aggiunto lavorassero altresì in quella tradizionale a f.r. ο si applicassero anche in attività pittoriche di maggior impegno.
29 Kelebai, nn. XV, XXIX, XXXVIII, LXX, LXXI, LXXVIII. 30 Da ultimo v. J. G. Szilägyi, A propos des vases à figures rouges en couleurs super posées de l'Italie méridionale, in Bulletin du Musée Hongrois des Beaux-Arts, 44, 1975, pp. 24 ss., con rifer.
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Non mi soffermerò quindi su questo aspetto da altri indagato. Desidero invece appuntare la mia attenzione sul fatto che il nostro cratere, che, come si è visto, si inserisce agevolmente nella classe volterrana, si ricollega, da un punto di vista strettamente tecnico, ad un gruppo distinto dal Beazley31 sotto l'etichetta Ferrara Τ 585, sulla cui appartenenza alle officine volterrane non mi pare possano sussistere dubbi. Accertato da scavi recenti il congruo numero di esemplari scoperti nelle necropoli di Badia32 e del Portone33, va notato che gli skyphoi con figura suddipinta in rosso di uccello fra girali, come quelli a decorazione interamente fitomorfa, hanno una distribuzione piuttosto ampia, che investe, da un lato, l'Italia oltreappenninica (Bologna, Spina, Este, Rimini, Rocca s. Casciano) 34, dall'altro, Asciano35 (Figg. 17-18), Casole d'Elsa36, Roselle37, Populonia38, Aleria39 e che questa area di diffu sione è la medesima toccata da altri prodotti volterrani, quali i vasi a f.r. ο la ceramica a vernice nera del tipo Malacena. Alla produzione degli skyphoi con cigno ο con palmette e girali si ricollega anche un askos a forma di anatra ο di più generico volatile, ricoperto da vernice nera ma ravvivato da diffusi ritocchi in colore aggiunto di rosette e altri ornati vegetali, venuto in luce ad Aleria 40, che non è peraltro isolato, riscontrandosene un esemplare identico (framm.) nella tomba G della necropoli del Portone41, uno in col-
31 EVP, p. 208. 32 Fiumi, art. cit. a nota 28, pp. 84 s., fig. 38, 95, 112 (tombe 61/3, 61/5, 64/2). 33 M. Cristofani, in NS, 1973, Supplemento, p. 256, 1, fig. 166 (tomba B). 34 Per Bologna (tombe 18 e 41 Benacci - Caprara) e Spina (tombe 156, 369, 409), oltre a EVP, I.e., v. i rifer. addotti da G. Riccioni, Antefatti della colonizzazione di Ariminum alla luce delle nuove scoperte, in Studi sulla città antica. Atti del Convegno di studi sulla città etrusca e italica preromana, Bologna 1970, p. 271, nota 3 e T. Poggio, Ceramica a vernice nera di Spina. Le oinochoai trilobate, Milano 1974, p. 21 s. Per Este v. SE 33, 1965, tav. 65 a, p. 292 (tomba Boldù-Dolfin 52-53); per Rimini (area del nuovo mercato coperto) e Rocca s. Casciano (rinvenimento fortuito in tombe dette «galliche», ora nel Museo di Forlì, inv. 49 e 59) v. Riccioni, art. cit., p. 264, 1-4, fig. 2, tav. 45 e p. 271, nota 3. 35 Nel locale Museo, inv. 231; proviene dalla tomba IV di Poggio Pinci. H. cm. 15,5; diam. cm. 17. 36 Esemplare inedito nel Museo di Siena. 37 P. Bocci, in SÉ, 33, 1965, p. 127, inv. 1386, tav. 32. 38 NS, 1934, p. 417, 1. 39Jehasse, op. cit., tav. 106, nn. 290, 775, pp. 180, 273 (tombe 31, 53); nn. 824, 882, pp. 282, 292 (t. 53); η. 2247, p. 533 s. (t. 104). Per exx. con palmette v. nn. 80, 133, 163, 291. 40 Ibidem, tav. 109, n. 1116, p. 331 (tomba 63): si noti che la vernice è indicata come «bleuté ». 41 Cristofani, op. cit., p. 259, 18.
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lezione privata olandese42 e due altri, inediti, rispettivamente nel Museo Archeologico di Firenze43 (Figg. 19-20) e nel Museo di Volterra44 (Fig. 21). Si può quindi concludere che il cratere sovradipinto della tomba Sepu documenta come nell'ambito delle officine ceramistiche volterrane venisse praticata la contaminazione e l'interferenza delle diverse tradizioni tecniche. Se le esperienze di ceramica suddipinta risultano necessariamente comple mentari alla fabbricazione dei vasi a vernice nera, anche la tradizione dei crateri funerari sembra ora integrarsi, sia pure episodicamente, nella produ zione di ceramica a vernice nera.
42 Riprodotto in Klassieke Kunst uit particulier Bezit, Leiden 1975, fig. 234, cat. 563: la provenienza non è indicata. 43 Inv. 4234: la provenienza fornita dall'inventario è Cortona. 44 Sala XXII, vetrina 3, n. 455. Le sovradipinture sono totalmente evanidi.
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Fig. 21.
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Capisaldi per la conoscenza dell'architettura arcaica in Pompei sono senza dubbio il tempio dorico del Foro Triangolare e la « colonna etrusca », l'uno e l'altra argomenti di studi e ricerche portanti finora a conclusioni diverse e di diverso peso, l'uno e l'altra meritevoli ancora di attento esame. Ma, nell'attesa di poter riprendere questi due temi così impegnativi, trattan donesia sulla base degli elementi già noti, sia alla luce di quelli ancora inediti che sono forniti da vecchie e nuove indagini sul terreno, sia lecito portare qui un modesto contributo a quello che è tra i più oscuri ma anche più interessanti capitoli della cultura artistica nell'antica Pompei. Abbastanza noto agli studiosi è già, per esempio, un elemento archi tettonico in tufo giallo trovato come reimpiego nelle strutture del podio del tempio di Apollo, e certo appartenente a quell'area sacra nel suo periodo arcaico. Esso è stato interpretato come capitello di una colonna che serviva da sostegno di un donario *, ma bisogna ritenere, e con maggiore convinzione di quanto non mostri la Shoe2, che della giustamente ipotizzata colonna di donario sia questo invece la base, ed in tale funzione è stato da noi recentemente esposto nelPAntiquarium pompeiano e qui ne diamo una fotografia. Escludendo poi i raffronti che sono stati recati con modelli orientali, una sua ambientazione etrusca è, d'accordo con il Polacco, da accogliere (Tav. 1 e Fig. 1). Interessante è anche un rocchio di colonna, trovato dal Maiuri nei saggi stratigrafici da lui condotti nella «Casa del gallo» (Vili, 5, 2 e 5):
1 A. Sogliano, Pompei nel suo sviluppo storico, Roma 1937, nota a p. 92; G. Spano, La Campania Felice nelle età remote, Napoli 1941, 189 s.; L. Polacco, Tuscanicae dispositiones, Padova 1952, 53 s.; G. Colonna, Elementi architettonici in pietra dal santuario di Pyrgi, in Archeol. class., XVIII, 1966, 275 nota 21; cfr. A. Maiuri, Greci ed Etruschi a Pompei, in Mem. Lincei, 1943, 121 ss. (= Alla ricerca di Pompei preromana, Napoli 1973, 135 ss.). 2 L. T. Shoe, Etruscan and Republican Roman Mouldings, in Mem. Americ. Acad. Rome, XXVIII 1965, 128.
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0.19
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Fig. 1 - Blocco cilindrico. Esposto nell'antiquario. eseguito in cruma di lava, materiale che si trova in abbondanza nella zona il frammento è a fusto liscio ed a sezione ellittica. Secondo quello studioso3 si tratta del relitto « più arcaico dell'architettura pompeiana, anteriore cioè all'uso delle colonne in pietra di Sarno ». Anche se oggi siamo meno inclini a credere in una rigida sequenza cronologica dei vari materiali da costruzione
3 A. Maiuri, Saggi nella casa della Fontana grande e in altre case pompeiane, in Not. scavi, 1944-45, 151 (= Alla ricerca di Pompei preromana, Napoli 1973, 176).
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Fig. 2 - Pompei scavi. Reg. Vili INS V. Casa del Gallo n° 2. Tronco di colonna.
adoperati a Pompei, il giudizio autorevole del Maiuri sembra ancora valido. Cogliamo quest'occasione per presentarne una documentazione grafica (Tav. 2 e Fig. 2). A questi si può ora aggiungere un pezzo, recentemente individuato nelle strutture del Teatro grande come elemento di reimpiego. I complessi e numerosi problemi che si sono di tempo in tempo pre sentati nello studio del teatro di Pompei, in particolare delle sue fasi co struttive, non hanno lasciato e non potevano lasciare grande spazio a l 'esame di un suo elemento di dettaglio, la rampa cioè che dall'area sita
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dietro il teatro 4 e tra questo e la « Caserma dei gladiatori » permette l'accesso all'interno dell'edificio scenico attraverso un ingresso che si apre al centro del muro posteriore dell'edificio stesso. Comunque la rampa è conosciuta sin dal tempo della scoperta del teatro, è delineata nella pianta, se ne riconosce la funzione e se ne fa cenno più ο meno breve negli scritti che si sono occupati dell'argomento5. Ora, nell'estate del 1972, nel corso di saggi in profondità condotti per l'appunto lungo il muro posteriore del teatro6 si sono messi a nudo anche i due muretti in opera incerta che fanno da contenimento alla terra di cui è costituito il piano inclinato della rampa. Si è così trovato che nel muretto occidentale il suo punto più basso, cioè alla estremità sud, era inserito come elemento di spigolo un frammento di pietra lavorato, evidentemente di reimpiego, che ha attratto la nostra attenzione (Fig. 3). Il frammento che è di lava basaltica piuttosto compatta, salvo una piccola zona a grossa porosità, rappresenta circa la quarta parte di un manufatto circolare spesso cm. 13 ed in origine del diametro di cm. 50. Esso è accuratamente lavorato su una faccia e nello spessore che è a profilo ricurvo, meno accuratamente sull'altra faccia; un foro a sezione quadrata ed in posizione non perfett amentecentrale lo passa da parte a parte restringendosi però leggermente a mezza strada (Tav. 3 e 4). La prima impressione che da un manufatto simile è che si tratti della parte superstite di una delle tante macine 7 che si incontrano in tutte le zone di scavo, ma un esame più accurato porta ad escludere una tale ipotesi, con la quale contrasta sia la materia adoperata, sia lo stato di conservazione della sua superficie, sia il profilo del suo spessore che mal si adatta a fun zioni molitorie.
4 È in quest'area, a mio avviso, che deve localizzarsi l'originaria «porticus post scaenam», ma di ciò converrà parlare in altra sede. 5 Questa parte del teatro venne scavata nel 1792, cfr. Fiorelli, P.A.H. ad loc; piante e menzioni utili della rampa tra l'altro in F. Mazois, Ruines de Pompei, Paris 1838, IV 62 e tav. 31; E. Bréton, Pompeia, Paris 1855, 177 e 181; J. Overbeck-A. Mau, Pompeji, Leipzig 1884, 157 e 162; A. Mau-F. W. Kelsey, Pompeji, its life, and art, New York 1899, 137 e 140; E. Paribeni in Not. scavi, 1902, 513 sg.; A. Sogliano, in Not. scavi, 1906, 103; Α. Mau, Das grosse Theater in Pompeji, in Rom. Mitt., 1906, 15; O. Puchstein, Das grosse Theater in Pompeji, in «Arch. Anz. » 1906, 301 ss.; M. Bieber, Die Denkmäler zum Theaterwesen im Altertum, Berlin 1920, 52 ss.; A. W. Byvanck, Das grosse Theater in Pompeji, in Rom. Mitt, 1925, 119. 6 All'esecuzione di questi saggi ha collaborato la dott. Assunta Ciaramella, cui ho affidato la pubblicazione dei risultati ottenuti. 7 Sull'argomento cfr. L. A. Moritz, Grain-mills and flour in classical antiquity, Oxford 1958.
PARTICOLARE PIETRA TERMINALE DEL MUß 0 S GALA 1 : 5
Fig. 3 - Pompei. Teatro lato posteriore alla scena schizzo prospettico.
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Ma, prima di proporre una diversa interpretazione ed allo scopo di eliminare ogni dubbio, pregai il dott. Josef Roder, che è oggi la massima autorità in materia di antiche macine da mulino, di esaminare la pietra e di darne un giudizio. Il dott. Roder, con la sua consueta cortesia e com petenza8, dopo un esame diretto del frammento, mi scrisse il 23 novemb re 1972 concludendo in tal modo: « Das Material, die Form, das exzentrische viereckige Loch, sowie die Art der Glättung sprechen eindeutig gegen eine Verwendung als Mühlstein. Auch als Kollerstein kann der Stein nicht gedient haben, da Kollersteine mit halbrunden Laufflächen nicht vorkommen ». Escluso dunque che si tratti di una macina, bisogna cercare confronti altrove. Ora, un manufatto che presenta analogie molte strette, stavo per dire sorprendenti, con questo di Pompei è un frammento in pietra arenaria, spes sore cm. 11, diametro originario cm. 44, eguale profilo ricurvo, eguale foro centrale, che il Wotschitzky notò ad Olimpia, giacente tra i ruderi del « portico di Eco » e che pubblicò nel corso di una sua ricerca intorno alla genesi del capitello dorico9. Accogliendo l'ipotesi di un tipo primitivo di colonna dorica che fosse in legno, ma con l'echino in pietra, lo studioso propone che il frammento di Olimpia sia da considerarsi per l'appunto un echino di tal genere, il quale nella sua metà superiore era inserito nel l'abaco ligneo e d'altra parte era fissato al fusto anche esso ligneo: nel foro centrale passava il perno di legno che collegava tra di loro i diversi elementi. Il Wotschitzky, con l'onestà e l'obbiettività degna dello studioso, non vuole sopravalutare la sua ipotesi, anzi non esclude l'eventualità che il manufatto di Olimpia possa essere semplicemente un pezzo di macina. Ma, con il frammento pompeiano, per il quale, come si è detto, è da escludere questa seconda ipotesi, la supposizione che manufatti di tale tipo debbano ritenersi elementi architettonici, in particolare echini, acquista a nostro avviso maggiore credibilità, nel quadro di una più ampia problematica che concerne sia il riconoscimento di un'architettura lignea che presenti parti lapidee, sia l'identificazione di un tipo particolare di capitello dorico a cuscino 10.
8 NelPesprimere la mia più viva gratitudine al dott. Roder, desidero ringraziare anche il prof. F. Rakob, con il quale ho avuto preziosi scambi di idee sull'argomento. 9 A. Wotschitzky, Zur Urform des dorischen Kapitells, in Jahreshefte, XL 1953, 51 ss.; per un pezzo simile a Delfi, ibid. 59 nota 28. 10 Si veda p. es. F. Matz, Geschichte der griechischen Kunst, Frankfurt a. M. 1950, I, 349; H. Koch, Von ionischer Baukunst, Köln-Graz 1956, 6; A. K. Orlandos, Τα υλικά δομής των αρχαίων 'Ελλήνων, Athenai 1958, Ι 7 ss.; R. Martin, Manuel d'architecture grecque, Paris 1965,
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Tutt'al più si può avanzare qualche riserva sui dettagli della ricostru zionedel Wotschitzky, e, nel caso particolare di Pompei, non ritenere i ndispensabile una derivazione tipologica dalla Grecia. Direi anzi che una recezione dall'Etruria appare per Pompei e per questo periodo, come vedremo, arcaico, una cosa molto probabile. Una cronologia, per il frammento pompeiano, che sia qualcosa di meglio di una generica collocazione nell'arcaismo, non sembra possibile. Come è ovvio, la posizione periferica di Pompei rispetto al mondo greco (ed in un certo senso anche rispetto al mondo etrusco), ed il fatto che Pompei rece pisce spesso da fuori, sono circostanze che non rendono indispensabile un'alta arcaicità per un simile elemento architettonico, tuttavia occorre tener presente che l'impiego di un materiale a portata di mano e facilmente utilizzabile come è la pietra lavica può dar ragione di una datazione alta. Invece il termine cronologico dato dal reimpiego non ha alcuna utilità poiché con esso siamo già nella Pompei romana. In quanto alla originaria provenienza e destinazione, noi ci troviamo, con lo spiazzo dietro il teatro, ai piedi del Foro Triangolare, cioè di un'area sacra la cui frequentazione e funzione è attestata almeno dalla fine del VII sec. av. Cr. n. A qualche costruzione, ο meglio ancora a qualche colonna innalzata ex voto, può benissimo essere appartenuto il nostro frammento.
I, 11 ss.; Id. in Atti Taranto, 1968, 124 sg., ove questo tipo di capitello è segnalato dal l'arcaismo all'età ellenistica. 11 Per una cronologia del primo impianto di Pompei nella seconda metà del VII secolo a.C. e per una presenza di un'area sacra al Foro Triangolare anche prima del VI secolo si veda di recente H. Eschebach, Die städtbauliche Entwicklung des antiken Pompeji, Heidelberg 1970, 22; H. Riemann, Das vorsamnitische Pompeji, in Neue Forschungen in Pompeji, Recklinghausen 1975, 225 ss.
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Tav. 1 - Elemento architettonico in tufo giallo proveniente dal podio del tempio di Apollo. Antiquarium pompeiano.
Tav. 2 - Rocchio di colonna proveniente dai saggi nella « Casa del gallo».
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Tav. 3 a, b - Frammento di pietra lavorato (zona del muro posteriore del teatro).
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Tav. 4a,b - Frammento di pietra lavorato (zona del muro posteriore del teatro).
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VIRGILE, MÉZENCE ET LES « VINALIA »
Quel qu'en fût l'âge, le « mythe des Vinalia » appartenait au répertoire officiel de Rome avant le siècle d'Auguste 1. Des variantes coexistaient, mais concordaient sur l'essentiel et, comme d'autres éléments du dossier de ces deux fêtes - Vinalia priora d'avril, Vinalia rustica d'août - elles laissaient volontiers dans l'indécision l'appartenance du mythe à l'une ou à l'autre. Tel que nous le connaissons, le récit qui justifie la consécration des prémices du vin à Jupiter se présente comme un morceau de la légende latine d'Enée. Abstraction faite de toute autre cause, il explique pourquoi Jupiter a donné au héros troyen la victoire décisive sur son plus redoutable adversaire, l'Etrusque Mézence, lui assurant ainsi, près de l'embouchure du Tibre, installation et royauté2. La version la plus anciennement attestée - ce qui ne veut pas dire qu'elle soit la plus ancienne -, celle des Origines de Caton (dans Macrobe, Sat. 3, 5, 1), ne met pas en scène les Troyens et donne l'initiative à « tous les Latins », compris certainement comme les alliés d'Enée contre Turnus; en outre, elle ne spécifie pas le vin: Mézence commande aux Rutules de Turnus de lui offrir « les prémices qu'ils offraient aux dieux » {imperasse ut sibi offerrent quas dis primitias offerebant) 3; les Latins ripostent en demandant à Jupiter de sauver son privilège divin en leur donnant la
1 Sur les Vinalia, v. R. Schilling, La religion romaine de Vénus depuis les origines jusqu'au temps d'Auguste, 1954, ch. II, p. 91-155, La signification du culte des Vinalia. Sur les rapports du vin et de la Souveraineté, v. aussi F. Borner, Juppiter und die römischen Weinfeste, Rhein. Museum, N. F. 90, 1941, p. 30-58, et mes Fêtes romaines d'été et d'automne, 1975, p. 87-97, 105-107. 2 Les variantes sont réunies dans Schilling, op. cit., p. 98-107. 3 II ne faut pas tirer de grandes conséquences de la généralité de cette expression: 1) il est usuel, dans la littérature, que dii remplace le nom d'un dieu particulier (v. Idées romaines, 1969, p. 270-271, Les fêtes romaines, p. 92, n. 3); 2) de toutes façons la légende est attachée aux fêtes du vin, non des produits de la terre en général.
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victoire. Varron (dans Pline, Nat. Hist. 14, 88) n'oppose aussi que « les Latins » à Mézence appelé en renfort par les Rutules, mais précise que Mézence a demandé pour paiement « le vin qui se trouvait alors sur le territoire latin». Festus (322 L; à propos des Vinalia d'été), une notice du calendrier de Préneste {CIL I2, 236; à propos des Vinalia de printemps) se réfèrent au même récit, avec un Mézence plus exigeant: il revendique omnis uini oblationem, omnium annorum uini fructum. L'autre version oppose directement Enée et Mézence. Elle est représentée notamment par une vingtaine de vers du quatrième livre des Fastes (879900): pour prix de son concours, Mézence demande au roi Ru tuie Turnus de lacubus proxima musta tuis. Enée riposte: « Le roi tyrrhénien s'est fait attribuer la vendange; Jupiter, reçois le jus de la vigne latine! » Jupiter n'hésite pas, uota ualent meliora. Parallèlement les rites des Vinalia de printemps étaient certainement constitués avant le siècle d'Auguste. Outre l'offrande du premier vin à Jupiter, il s'agit de la scène décrite par la 45e Question Romaine où Plutarque ne parle d'ailleurs pas de « Vinalia », mais, par un de ces glissements qu'il se permet parfois, de « Veneralia » 4: Pourquoi, à la fête des Veneralia, verse-t-on, du temple de Vénus, une grande quantité de vin, πολύν οΐνον? Est-ce, comme disent la plupart des auteurs, parce que Mézence, roi des Etrusques, fit offrir la paix à Enée à condition de recevoir le vin de l'année; que, sur le refus d'Enée, il promit aux Etrusques de leur abandon ner ce vin, s'il était vainqueur; que, informé de cette promesse, Enée consacra le vin aux dieux et que, après sa victoire, il rassembla tout le produit de la vigne et le répandit devant le temple de Vénus? Ou bien est-ce une façon figurée de signifier qu'il faut célébrer les fêtes avec sobriété au lieu de s'enivrer, dans la pensée que les dieux pré fèrent un grand gaspillage à une consommation excessive de vin pur? En fait, cette effusion rituelle, équilibrant les prémices offertes à Jupiter, se réfère à l'aspect mauvais du vin: bue raisonnablement, la liqueur rend l'homme heureux et lui donne des forces; bue à l'excès, elle le dégrade et le désarme. Le fait que cette condamnation symbolique de l'ivresse ait lieu devant le temple de Vénus peut se comprendre, partiellement, par la légende troyenne: une fois en possession du rite positif des Vinalia, Enée aura introduit sa mère dans l'exécution du rite négatif, et l'entente générale
Schilling, op. cit., p. 108.
VIRGILE, MÉZENCE ET LES «VINALIA»
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de Jupiter et de Vénus dans la protection de la troupe troyenne aura facilité leur condomninium sur la fête. Mais à ces convenances épiques a dû s'ajouter, plus ancien sans doute - des raisons comparatives orientent en ce sens - le sentiment d'une solidarité entre l'ivresse du vin et les autres formes d'ivresse, celle de l'amour physique en particulier: le parvis où se faisait l'effusion était très probablement celui du premier temple de Vénus Erycine, élevé sur le Capitole et dédié en 215, le jour des Vinalia priora, et l'on sait comme le culte de cette Erycine capitoline avait été soigneusement nettoyé, amputé des éléments les plus sensuels de l'original sicilien 5. Tel est le double tableau, cultuel et légendaire, dont disposait Virgile quand il entreprit de peindre, dans la seconde partie de l'Enéide, la bataille qu'Enée avait à soutenir contre la coalition des Latins de Latinus et d'Amata, du Rutule Turnus et de l'Etrusque Mézence, et qui devait aboutir à la bonne entente, à l'union même des Troyens et des Latins. Qu'a-t-il fait de cette matière? Il l'a, pour l'essentiel, éliminée: Enée ne consacre pas à Jupiter un vin que Mézence n'a pas réclamé de ses alliés et la victoire des Troyens ne résulte pas de la défaite de Mézence, toute spectaculaire qu'elle est, mais de celle de Turnus, à la fin du poème. * *
Si le poète a ainsi renoncé à une donnée traditionnelle qui lui eût permis d'annoncer dans son récit, comme il aime à le faire, un rite, une fête de la religion publique, il avait certainement une grave raison qu'il ne semble pas impossible de reconnaître. La victoire des Troyens et ses suites heureuses sont, pour Virgile, l'accomplissement d'un plan providentiel qu'il a imaginé d'après celui que Pannalistique avait construit, quelques siècles plus tôt, pour les origines de Rome 6. Trois fata convergents le soutiennent, concernant trois chefs et trois
5 REL. 39, 1961, p. 267-270; sur l'association - littéraire - des deux ivresses à Rome, v. Schilling, op. cit., p. 135. L'autre culte de l'Erycine, fondé quelques décades plus tard à la porte Colline, devait restaurer les éléments voluptuaires du culte sicilien, Schilling, p. 254-262. 6 Mythe et épopée I2 1973, p. 337-422.
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peuples chargés de rôles ajustés, porteurs de caractères complémentaires: le pieux Enée, sauveur des Pénates, a la promesse que Troie se perpétuera en Italie; l'opulent Latinus a l'ordre de garder sa fille pour un époux qui ne soit pas italien; les guerriers étrusques rassemblés autour de Tarchon sont immobilisés dans l'attente d'un commandant étranger. Ces fata s'imposent aux dieux mènes: Junon pourra en retarder la confluence, non en renverser le cours, et s'il arrive à Jupiter, au début du dixième chant (96-117), par la pesanteur du Zeus homérique qui parfois l'habite, de se déclarer neutre, il en est pourtant le dépositaire et, dans sa sagesse de Souverain, un dé positaire décidé à les prendre à son compte: dès l'ouverture du poème (I, 254-296), ne les a-t-il pas révélés à sa fille Vénus avec un enthousiasme sensible, et, dans le moment même où il se place au dessus de la mêlée, ne leur fait-il pas confiance, s'abstenant seulement d'intervenir dans le détail (X, 112-113: rex Juppiter omnibus idem, fata uiam inuenient)? Dans cette perspective grandiose, qui donne à Rome, à travers Albe, Lavinium et Troie, une valeur et une mission presque universelles, il n'y avait évidemment plus de place pour un marchandage de dernière heure, pour le uota ualent meliora d'Ovide. Nécessaire au monde, la victoire finale de l'ancêtre des Romains était acquise d'avance et l'administrateur des prédestinations n'avait pas à se laisser convaincre, encore moins acheter aux enchères par le fils de Vénus. De même que l'élévation que Virgile entendait donner à l'intrigue rendait le vœu d'Enée inutile, voire déplacé, de même la provocation de Mézence y perdait sa raison d'être: le débat sanglant auquel Jupiter préside sans avoir à l'arbitrer n'est pas entre Enée et un Mézence toujours terrible, certes, mais déchu, exilé, réduit à sa propre aventure; il est entre Enée et Turnus, entre les deux prétendants à la main de Lavinie, entre les deux avenirs possibles du Latium: sans Rome, avec Rome.
Et pourtant, comme l'a brièvement remarqué Richard Heinze dans son étude si attentive Virgils epische Technik (3e éd. 1914 = 1928 = 1957), p. 213, Virgile a trouvé le moyen, dans le rôle secondaire auquel il limitait Mézence, de conserver l'opposition de deux uota, l'un detenus, l'autre melius, qui était le ressort du récit traditionnel. Simplement, puisqu'elle ne pouvait plus engager « l'histoire romaine », il l'a transportée sur les intérêts personnels des deux adversaires, sur l'issue de leur combat singulier et les conséquences qu'il devait avoir pour le survivant et pour le mort. L'enjeu n'est plus la victoire collective d'une armée, la promotion d'un peuple, mais,
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matériellement, les dépouilles d'un individu vaincu: si Enée succombe, à qui Mézence destine-t-il son armure? Si le vaincu est Mézence, à qui Enée dédiera-t-il le trophée? D'autre part les uota ne précèdent plus le combat; ils se conforment à l'usage romain qui les fait prononcer dans le combat même, au moment décisif. Mais l'ordre des uota reste dans l'Enéide ce qu'il était dans la légende d'origine des Vinalia. Celui de Mézence d'abord, quand Enée s'avance contre lui pour le premier duel (X, 773-777): «Dextra mihi deus et telum quod missile libro nunc adsint! Voueo praedonis corpore raptis indutum spoliis ipsum te, Lause, tropaeum Aeneae!» Dixit stridentemque eminus hastam iecit... Celui d'Enée ensuite, et symétriquement, - mais la formulation du vœu n'a pas été écrite, ou du moins conservée: seul un hexamètre incomplet avertit du lieu où Virgile se réservait de le placer7. Lorsque, blessé, avide de venger son fils Lausus, Mézence se précipite sur Enée pour un second duel, le Troyen s'écrie, plein de joie (875-876): « Sic pater Me deum faciat, sic altus Apollo, incipias conferre manum!» Tantum effatus, et infesta subit obuius hasta... Mais nous sommes assurés qu'il devait bien y avoir, à cet endroit précis, un uotum et que la matière en aurait été les spolia de l'adversaire, éléments d'un tropaeus, puisque, Mézence ayant succombé à la fin du dixième chant, le onzième s'ouvre par l'exécution immédiate de ce vœu mentionné comme tel (2-11): Enée uota deum primo uictor soluebat Eoo. Ingentem quercum, decisis undique ramis constitua tumulo, fulgentiaque induit arma, Mezenti ducis exuuias tibi, magne, tropaeum bellipotens; aptat rorantes sanguine cristas, telaque trunca uiri et bis sex thoraca petitum perfossumque locis; clipeumque ex aere sinistrae subligat, atque ensem collo supendit eburnum. 7 La Cerda (1617, vol. III, p. 541) n'a pas tenu compte de ce «blanc» quand il a com menté le v. 876: «Tantum effatus: ideo pauca, ut qui cupidus rei gerendae. Ο quoties in hac re Homerus άτοπος et εύήυης! non vereor ita loqui. Plena Ilias his ante certamen inutilibus iactantiis. Non haec certe natura irae, praesertim in bello». Les paroles d'Enée, complétées, auraient sans doute été brèves, mais auraient contenu le uotum.
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Est-il besoin de souligner l'évidence? Le récit traditionnel se lit sous ce diptyque des consécrations: en trois vers, Mézence, contemptor deum, réunit une parodie d'invocation et une caricature de vœu, attribuant d'avance à son fils, à un destinataire dérisoirement mortel, ce qui revient aux dieux. Et c'est aux dieux8 qu'Enée, dans sa riposte, voue la totalité des dépouilles minutieusement énumérées, celles que les coups ont épargnées, celles qui sont hors d'usage9. A la lumière de cette intention reconnue, la harangue qu'Enée prononce aussitôt après l'érection de l'énorme monument prend tout son sens. Certes Mézence mourant n'a pas rendu le jugement des armes, Turnus demeure, et Camille, qui vont renouveler dangereusement la bataille. Mais Enée affirme que la décision est virtuellement acquise (14-16): «Maxima res effecta, uiri; timor omnis abesto quod superest: haec sunt spolia et de rege superbo primitiae ...» Par un retournement que souligne un puissant rejet, les prémices du vin que la légende traditionnelle faisait offrir à Jupiter par Enée ont suggéré au poète ces prémices inattendues, cette dégustation du triomphe offerte à Enée par les dieux.
Le talent de Virgile a fait davantage. Dans ce discrimen sublimé par ses soins, le vin que, suivant la vulgate, Mézence avait l'imprudence d'exiger des Rutules et qui causaient leur défaite commune, le vin dont la profusion rituelle du 23 avril, sur le parvis de Vénus, dénonçait le péril au moment
8 Le bellipotens qu'Enée choisit pour bénificiaire de ces spolia opima avant la lettre (le mot n'est pas prononcé) est probablement Mars, encore que bellipotens ne soit pas «armipotens»: si Mars seul préside au maniement des arma, la conduite générale d'un bellum est plutôt l'affaire de Jupiter. En tout cas Virgile préfigure ici l'acte de Romulus fondant le culte de Jupiter Feretrius par l'offrande des premiers spolia opima, de l'histoire romaine, ceux qu'il a conquis sur le roi Acron, - dont le nom vient d'être utilisé par Virgile dans le même ensemble, X, 719-731. 9 On a noté l'ampleur du trophée dont Enée revêt un chêne lui-même énorme; au cont raire, le trophée que Mézence se flattait d'élever n'aurait eu que les dimensions de son sup port, le jeune Lausus. La Cerda, ad p. 645: Quercus, cui undìque rami amputati, constituitur in tumulo, et ea ingens, nam arma ingentia. Il y a sans doute ici une autre Umformung du uota ualent meliora.
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même où les prémices réservées à Jupiter en déclaraient la puissance, ce vin n'a pas complètement disparu de l'affrontement des Troyens et des Rutules. Il a simplement reçu, lui aussi, et dans le même ensemble, une affectation épisodique. Tandis qu'Enée est occupé à demander sur le Palatin le renfort des Arcadiens d'Evandre, puis en un autre point de la vallée, celui de la troupe de Tarchon, son camp des bouches du Tibre est assiégé. Deux courageux garçons, Nisus et Euryale, s'offrent à traverser les lignes rutules: ils iront, disent-ils, en amont, informer Enée du péril de l'armée ... Ils réussissent presque. Avant de périr par une gaminerie de Vimmemor Euryale, ils font un grand massacre dans le camp ennemi (IX, 176-449). Virgile s'est inspiré ici, on le sait, de la Dolonie, de l'épisode du dixième chant de l'Iliade où Ulysse et Diomède, sous les murs de Troie, font une incursion hardie dans les lignes troyennes. En 1825, au tome III, p. 137-148, de ses Etudes grecques sur Virgile, F. G. Eichhoff a développé minutieusement la comparaison des deux textes. Mais cette comparaison fait aussi ressortir quelques grandes différences, dont voici l'une: le coup de main d'Ulysse et de Diomède prend bien au dépourvu les Troyens, leurs alliés du moins, mais même les plus négligents de ceux-ci ne se trouvent pas dans un de ces états d'ivresse qui, de nos jours, conduiraient les survivants en cour martiale; Nisus et Euryale au contraire égorgent une armée rutule paralysée par l'ivresse. Dans les derniers vers du huitième chant de l'Iliade, la harangue d'Hector a mis fin à une rude journée. Victorieuse, l'armée troyenne ne rentre pas dans la ville, mais allume ses feux et campe dans la plaine. Les vieillards s'installent en observateurs sur les murs. En bas, les guerriers détachent les chevaux, chacun gardant près de lui son char et son attelage. Le ravitaillement afflue, viande de bœuf et de mouton, avec du pain et du vin (545-547): έκ πολίος δ' αξοντο βόας και ϊφια μήλα καρπαλίμως, οΐνον δε μελίφρονα οίνίζοντο σιτόν τ' έκ μεγάρων . . . L'armée passe ainsi la nuit « sur les ponts de la guerre ». Mille bûchers brûlent, avec cinquante hommes près de chacun. Les chevaux mâchent leur orge et leur avoine, - debout près des chars, répète le poète - en attendant l'aurore. Telle est encore la situation au début du dixième chant. Tandis que l'armée grecque épuisée se repose, Agammemnon ne dort pas. Il observe
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les feux ennemis en grand nombre sous les murs d'Ilion et réunit le conseil des chefs. C'est alors que Diomède s'offre à partir avec Ulysse en recon naissance. Ils interceptent l'espion adverse, Dolon, et le font parler avant de le tuer. Ils apprennent ainsi que tout est bien gardé sur la ligne des Troyens, moins bien chez leurs alliés. Dolon ne tarde pas à leur « donner » le point faible du front: c'est chez les Thraces qu'ils doivent pénétrer, - et il vante, comme un tentateur, le magnifique équipement du roi Rhésos. Débarrassés de Dolon, les deux Grecs marchent droit vers le secteur tenu par les Thraces, qu'ils trouvent endormis, mais avec leurs armes et leurs chevaux près d'eux. Rhésos dort aussi et son char est attelé. En conséquence Diomède massacre librement tandis qu'Ulysse, au fur et à mesure des meurtres, jette les cadavres de côté, dégageant un chemin. Les deux compagnons s'enfuient non moins librement sur les chevaux de Rhésos, ce qui ne laisse pas de surprendre et qui a souvent été censuré comme une somnolence du bonus Homerus: encore que, en matière de prouesses épiques, les frontières du plausible soient évanescentes, comment des soldats normaux, simplement endormis, ont-ils pu ne rien percevoir d'une telle performance - treize tués, dont le roi - inévitablement accompagnée de hennissements et de ruades? Il en est tout autrement dans Virgile. Sur le soir, Turnus a bien dit à ses guerriers rutules (IX, 156-158): nunc adeo, melior quoniatn pars acta diei, quod superest, laeti bene gestis corpora rebus procurate, uiri, et pugnam sperate parari. L'ordre est sage. Il est d'ailleurs bien exécuté, selon l'usage de toute infanterie en campagne: les feux sont allumés, les sentinelles, le détachement de garde mis en place (160-162). Voici pourtant qui nous alerte quant à la conscience professionnelle de cette custodia10 (164-165): discurrunt uariantque uices fusique per herbam indulgent uino et uertunt crateras aeneos .··. . Indulgent uino?... Après tout, cette «faiblesse» pour le vin peut être raisonnée: pris modérément, le vin excite le soldat, l'aide à veiller avant d'attaquer. Mais nous comprenons vite qu'il ne s'agit pas de cela. Quand, plus tard dans la nuit, le petit Nisus, qui est de garde près d'une porte de « Troie », communique d'abord à Euryale, puis, s'étant fait relever, aux chefs
10 II n'y a rien que de normal dans le vers 164: dans l'intervalle des gardes, les sentinelles se reposent sur l'herbe. Mais indulgent uino!
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de l'armée son projet d'établir une liaison avec Enée à travers le camp rutule, voici comment il décrit l'ennemi. A son camarade (188-189): Cernis quae Rutulos habeat fiducia rerum: lumina rara micant, somno uinoque soluti procubuere, silent late loca... A l'Etat-Major (236-240): ... Rutuli somno uinoque soluti conticuere, locum insidiis conspeximus ipsi... interrupti ignés aterque ad sidéra fumus erigitur. . . Défaillance grave pour ces quatorze chefs « choisis » et leurs quatorze centaines d'hommes expressément chargés de surveiller les portes et de maint enir dans la lumière les remparts du camp ennemi (159-163): ils laissent dépérir les feux qui, au début de la nuit, avaient inquiété les Troyens (169). De fait, Nisus et Euryale ont affaire à des hommes imbibés de boisson n. Virgile insiste sur cette circonstance, propre pourtant à diminuer leur mérite (315-320): Egressi superant fossas noctisque per umbram castra inimica petunt, multis tarnen ante futuri exitìo. Passim somno uinoque per herbam corpora fusa uident, arrectos littore currus, inter lora rotasque uiros, simul arma iacere uina simul. Après Ramnès et Rémus, égorgés par Nisus (334-337): ... Nec non Lamyrumque Lamumque et immensem Serranum, Ma qui plurima nocte luserat, insigni facie, multoque iacebat membra deo uictus, felix si protinus illum aequasset noeti ludum in lucemque tulisset! Parmi les victimes d'Euryale, un éveillé, futaille vivante, qui ne résiste pas mieux que ses camarades endormis (345-350): Rhoetum uigilantem et cuncta uidentem sed magnum metuens se post cratera12 tegebat
portions
11 V. A. Cartault, L'art de Virgile dans l'Enéide, 1926, p. 672. 12 Cartault, op. cit., p. 698: «Les dimensions du cratère sont en rapport avec les pro de l'ivresse .décrite. » La Cerda, ad /oc: se post cratera tegebat; quippe ebrius.
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GEORGES DUMÉZIL pectore in aduerso totum cui comminus ensem condidit adsurgenti et multa morte recepii: purpuream uomit Me animam et cum sanguine mixta uina refert moriens.
Deo uictus ... La victoire du « dieu » du vin sera fatale à ses vaincus, comme elle l'a été deux fois déjà dans l'Enéide: au second chant (265), quand les premiers Grecs sont sortis des flancs du Cheval: inuadunt urbem somno uinoque sepultam: au troisième (630), quand le Cyclope a abandonné son œil à l'ingéniosité d'Ulysse, expletus dapibus uinoque sepultus. Cette faute des Rutules, militairement parlant, est sans excuse: ils n'ont pas cédé à une extrême fatigue; c'est dans une folle fiducia rerum qu'ils ont donné aux observateurs troyens le spectacle de leur orgie. Comme ils se conduisent partout ailleurs, hommes et chefs, en bons guerriers, l'exception de cette seule nuit est étonnante. Elle n'a pourtant guère étonné les commentateurs. Richard Heinze, dans Virgils epische Technik, p. 218; cf. p. 248, n. 2), est le seul, à ma connais sance,qui ait cherché à expliquer cette différence entre Homère et Virgile. Il l'a fait, comme toujours, ad maiorem Maronis gloriam. Dans Homère, dit-il, la fuite des deux Grecs après le massacre des Thraces passe les pos sibilités humaines; il y faudrait des dieux, et Homère ne dit pas que les dieux soient intervenus, sinon Athéna par un conseil. Au contraire, la fuite de Nisus et d'Euryale, qui les sauverait si Euryale n'avait la fâcheuse idée de coiffer le casque trop brillant d'une de ses victimes, est admissible, na turelle même, puisque leurs adversaires ne dorment pas d'un sommeil ordinaire, mais ont livré leurs têtes et leurs membres au dérèglement du vin 13. Si l'on accepte cette justification, Virgile n'a esquivé une invraisem blance que pour s'exposer à une autre, au moins aussi grande, puisqu'il montre, je le répète, les meilleurs guerriers rutules oublieux des règles
13 Heinze termine ce développement par une remarque contestable: « In der Dolonie hat der Dichter grosse Not, einen plausiblen Grund für den Auszug der beiden zu erfinden, und zieht sich übel genug aus der Sache: Virgil hat auch hier nicht gedankenlos nachgeahmt. Dass während des Blutbades von den Thrakern des Rhesos keiner erwacht, kann verwundern: Virgil beugt dem vor durch die Fiktion des wüsten Zechgelags 316. 335. 360 (vgl. 165), und dies wieder ist vorbereitet durch Turnus' Worte 157 laeti bene gestis corpora rebus procurate uiril » Par ce vers 157, Turnus n'incite évidemment pas ses troupes à s'enivrer.
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élémentaires de leur art. En réalité, Virgile n'était pas réduit à choisir entre deux invraisemblances. Outre qu'il avait assez d'invention pour susciter, s'il l'avait voulu, une circonstance différente - brume soudaine, orage, con fusion ... - qui favorisât Nisus et Euryale sans avilir les Rutules, on peut faire valoir que, même si le sommeil de ceux-ci n'était pas d'intoxication, la fuite des deux Troyens ne ferait pas autant de difficulté que, dans Homère, la fuite des deux Grecs: Nisus et Euryale ne montent pas des chevaux pris à l'ennemi, encore « craintifs » et « inaccoutumés aux cadavres » (II. X, 493), mais, étant à pied, pénètrent bientôt dans un paysage boisé (silua fuit . . . nigra, horrido) où ils disparaissent et qui, sans la puérile coquetterie de l'un deux, les eût peut-être même abrités des trois cents hommes, bien éveil léset sobrii, que conduit Volcens et qu'ils ont la malchance de rencontrer. Bref l'invraisemblance n'est ni dans l'aisance avec laquelle les deux jeunes gens attaquent et se retirent, ni dans le sommeil des Rutules qui pouvaient, tout compte fait, se sachant maîtres de la situation, avoir mal résisté à l'heure et à l'herbe tendre. Elle est dans la nature et dans la cause itérativement déclarées de ce sommeil: somno uinoque soluti. Or cette singul arité que n'imposait pas la matière a été délibérément introduite dans une imitation homérique qui ne la suggérait pas. Pourquoi? Etant donné le goût de Virgile pour de tels jeux14, ne devons-nous pas reconnaître ici une allusion au second aspect des Vinalia? Empêché par les fata d'Enee, de Tarchon et de Latinus de conserver, au moment où le récit l'appelait, le mythe de fondation de la fête, le poète n'a-t-il pas transposé, dans une action épisodique, et toujours au grand dam des Rutules, la leçon que l'effusion du vin donnait chaque année, le même jour, sur le parvis de la Sicilienne assagie, — ώς των ΰεών μάλλον τοις έκχεουσι χαιρόντων τον πολύν ακρατον ή τοις πίνουσι?
14 Pour m'en tenir aux rites: le coup de javelot dans le Cheval de Troie (Aen. II, 50-53) conforme au mode de mise à mort du Cheval d'Octobre [Latomus 114, 1970, p. 196-206]; le primum omen, quand Enée touche l'Italie (III, 537-538; cf. ouanies 544), annonçant les quatre chevaux blancs du triomphe; le carrousel chez Aceste (V, 545-595) préfigurant le lusus Troiae; le groupement de personnages dans l'incendie des vaisseaux (IX, 76, 108-117; X, 220, 229, 231, 234) reproduisant celui des dieux servis aux Volcanalia [Les fêtes romaines, p. 64-65]; l'appel de Cymodocée à Enée (X, 228) identique au Rex uigila! des Vestales . . .
PAUL-MARIE DUVAL
OBSERVATIONS SUR LE STYLE DES MONNAIES GAULOISES EN OR ATTRIBUÉES AUX « SALASSI » OU AUX « UBERI »
Le double intérêt de cette petite série de pièces originaires des Alpes centrales est connu depuis longtemps: des légendes en caractères dérivés de l'alphabet étrusque et dits aujourd'hui lettres «de Lugano»; la déformation complète des deux types du droit et du revers à partir d'une imitation d'un prototype macédonien identifiable et la composition d'images nouvelles, de caractère en partie géométrique, entièrement différentes des deux modèles 1. Ces monnaies ont parfois été présentées, dans diverses publications, dans une position inexacte: en fait, comme l'a montré J.-B. Colbert de Beaulieu, la tête, même transformée en décor géométrique, est toujours orientée de la même façon, tandis que le revers, rendu méconnaissable, est déplacé de 90° par rapport au modèle sur les pièces épigraphes, ce qui rend la légende lisible horizontalement2. C'est la disposition de ces divers éléments et la possibilité de distinguer une évolution stylistique et peut-être chronologique qui font l'objet des pages qui suivent, offertes amicalement à un historien de l'Antiquité qui, parmi toutes ses compétences, compte celle du numismate.
1 Publiées avec illustrations notamment par: A. de Longpérier, Monnaies des Salasses, dans Revue numismatique, n.s., VI, 1861, p. 333-347, pi. XV, nos 1-10 (abrégé ici: RN); - H. de La Tour, Atlas de monnaies gauloises, 1892, pi. XXXVII, nos XV, 1 à 8 (dessins refaits d'après RN), 9270 et 9271 (abrégé ici: LT); - A. Pautasso, Le monete preromane dell'Italia settentrio nale, Varese, 1966, p. 137-153, pi. CVII-CXII (Fig. 536-544) et un Corrigendum à la pi. CXII, meilleure photo de la Fig. 543 (abrégé ici: Pautasso); - pour les légendes: J.-B. Colbert de Beaulieu, Remarques sur des inscriptions monétaires nord-italiques, en Gaule cisalpine et en Gaule transalpine, dans Congresso internazionale di Numismatica, Roma, settembre 1961, II, 1965, p. 180; Notes d'épigraphie monétaire gauloise (IV), dans Etudes celtiques, XI, 1964-1965, p. 59-64, pi. II-III; rétablit la position exacte des monnaies; - M. Lejeune, Lepontica, Paris, 1971, p. 128-130, n° 51 (alphabet dit de Lugano, légendes du groupe B). 2 J.-B. Colbert de Beaulieu (dans Etudes celtiques, o.e.), que je remercie de m'avoir ren seigné sur la diversité intégrale des coins représentés par ces pièces.
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Quinze pièces sont connues, dont neuf portent des légendes diverses; de plus, deux autres apparemment anépigraphes ont été signalées, dessinées (l'une seulement au droit), puis perdues. Tous les exemplaires connus, dessi nésou photographiés, sont de coins différents, de droit et de revers. Neuf proviennent de Suisse, quatre d'Italie, une de France. Les poids varient de 6,59 g à 7,55 g. Il ne paraît pas s'imposer que deux pièces, aujourd'hui per dues, dont l'histoire et les poids sont inconnus, aient été confondues avec deux autres et que le nombre total doive être ainsi réduit à quinze, celui des monnaies dessinées à treize3. Les dessins que nous possédons des pièces en question et les provenances indiquées sont assez différents pour que l'idée d'une confusion ne soit pas retenue. Le droit et le revers, l'un convexe et l'autre concave, sont imités euxmêmes d'imitations connues en or (chez les Rètes?) d'une monnaie d'or d'Alexandre le Grand, un demi-statère, dont il existe d'autres imitations en argent. Au droit, une tête d'Athéna casquée, de profil à gauche; au revers, une Victoire de face, avec, à droite, une légende inscrite sur une ligne verti cale, à gauche, un différent (Fig. 1) 4. C'est, particulièrement, le revers qui suggère cette dérivation: les lignes maîtresses du décor, si on les place vert icalement, rappellent, malgré le manque de détails, les proportions de la Victoire sur les exemplaires les moins déformés géométriquement (ce sont, malheureusement, les plus frustes, par suite d'une frappe imparfaite: Fig. 1, nos 9, 10, 11). Enfin, droit et revers sont, sur certaines pièces, entourés d'un cercle périphérique: le droit, seulement dans la série épigraphe (Fig. 2, nos 3, 4, 15; Fig. 3, nos 1), le revers, dans les deux (Fig. 1, nos 9, 11, 12; Fig. 2, nos 13, 14, 4, 15?). Il est possible que les exemplaires qui ne présentent pas ce cercle n'offrent qu'une image incomplète par suite d'un flan trop petit et que, d'autre part, certains dessinateurs n'aient pas tenu compte du dit cercle. La série anépigraphe est la plus lourde: de 7,55 g (Fig. 1, n° 11) à 7,10 g (Fig. 2, n° 13) mais le poids du n° 9 est inconnu; dans la série épigraphe, sauf le n° 4 (Fig. 2), de 7,10 g, toutes les pièces pèsent moins de 7 g (extrêmes: n° 3, Fig. 2: 6,94; n° 9, Fig. 1: 6,65 mais les poids des nos 6 et 8, 2, 5 et 7, Fig. 3, sont inconnus). Il convient donc de considérer la première série comme étant la plus ancienne. L'examen des variantes du type confirme cette vue.
3 Ce seraient les nos 5 et 6, confondus respectivement avec 7 et 8: Pautasso, p. 142 et n. 391. Voir les provenances sur le tableau, p. 268.. 4 Pautasso, p. 399 et pi. CVII, n° 535, agrandi en 535 A: l'imitation en argent.
OBSERVATIONS SUR LE STYLE DES MONNAIES GAULOISES
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Dans cette première série, en effet, la tête du droit extrêmement schémat isée,profil à gauche (n° 14, Fig. 2), reste reconnaissable à la ligne qui sépare le visage de la partie crânienne, à l'oeil globulaire, aux trois petits traits parallèles obliques qui représentent les trois boucles pendantes du visage du prototype (nos 11, 10, 9, 12, Fig. 1; 14, 13, Fig. 2, dans l'ordre descendant des poids). On a pris les lignes maîtresses de la tête: l'axe des boucles de cheveux, le cimier rayonnant du casque, la forme curviligne de la calotte, donnée par le bord de la monnaie. Un trait commun à tous les droits est la stylisation du casque à cimier par des lignes entrecroisées obliques, formant des triangles, des losanges, des rectangles. Le revers, lui, devient vite méconnaissable: peut-être sur les trois premiers exemplaires (11, 10, 9, Fig. 1) reconnaissait-on encore la Victoire, bras gauche plié, bras droit tendu, du prototype, tout au moins sur les pièces bien frappées; sur celles qui nous sont parvenues, le sens vertical est difficile à déterminer, au moins pour 9 et 10, bien qu'il s'agisse sans aucun doute de la Victoire. Sur les trois autres (13, Fig. 2; 12, Fig. 1; 14, Fig. 2), le sujet n'a plus forme humaine: de la ligne verticale de droite se détache comme une pointe triangulaire ou linéaire (c'était le bras droit); du côté gauche, les plis verticaux de l'aile se résolvent peu à peu en une sorte de trident, hampe en haut. Sur le n° 14 (Fig. 2), entre ses deux éléments verticaux s'intercale, un peu au-dessus du milieu de la pièce, un cercle pointé pourvu d'un pédoncule en bas: l'ancienne Victoire désarticulée recommence à prendre une autre forme, non figurative; la déformation devient positive. La série épigraphe est très différente, sauf pour le droit de la première pièce (n° 3, Fig. 2) qui est du même type, quant à la « chevelure » à losanges, que dans la première série. Sur toutes les autres pièces, le visage du droit est devenu un profil géométrique formé d'un globule, d'une sorte de grille triangulaire à compartiments quadrangulaires, de trois petits traits obliques parallèles à la base de ce «triangle»: ce sont les éléments de la tête, dans la même disposition que précédemment, mais elle n'est plus reconnaissable, notamment parce que le casque ou la chevelure a pris la forme d'un triangle. Dans la dernière pièce (n° 7, Fig. 3), l'œil et les trois traits obliques ont même disparu. Le revers subit deux modifications par rapport à celui de la série anépigraphe: 1) l'image est soumise à une rotation de 90° vers le haut par la droite, si bien que le motif dérivé du bras gauche de la Victoire se trouve en haut, les grandes lignes verticales devenant horizontales et le « trident » se trouvant désormais couché en bas, la hampe vers la gauche; 2) entre les deux grandes lignes horizontales, qui forment une sorte de cartouche, est inscrite une légende, en caractères lépontiques dits « de Lugano ». En allant
7* Fig. 3 8* Fig. 3
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Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. Fig.
9 10
9 10 11 12 13 14 15* 16 17
1 1 1 1 2 2 2 1 2
* Avec légende.
RN XV. 7 RN XV. 8 BN 9270 BN 9271
536 537 538 539 540 544
•ρ ?
? ?
? 7.30 7.55 7.12 7.10 7.159 6.85
?
6.59
Paris, BN Lausanne Paris, BN Zurich Zurich Aoste ? ?
Vétroz, Valais, Suisse Glacier de Sierre, Clarey, Valais, Suisse près Aoste, Italie Lugrin, Haute-Savoie, France St-Prex, canton de Vaud, Suisse ? Luchefin, lac de Neuchâtel, Suisse ? près Verres, val d'Aoste, Italie canton de Fribourg, Suisse Ibid., Suisse
OBSERVATIONS SUR LE STYLE DES MONNAIES GAULOISES
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des poids les plus lourds aux plus légers, du simple au complexe dans le décor et du moins déformé au plus déformé, on peut distinguer les variantes suivantes de l'image, sans pour cela affirmer une stricte succession de pièce en pièce entre les deux extrémités de cette liste: 3 et 4 (6,94 et 7,11 g): pointe en haut, le trident souligne la légende centrale (Fig. 2); 15 et 1 (6,85 et 6,65 g): la pointe supérieure est remplacée par un cercle à pédoncule du genre de celui qui se trouve, dans une autre position, sur le revers anépigraphe de 14 (Fig. 2); le trident, qui sert toujours de base à la légende, a une hampe plus forte et une sorte de crochet en S (incomplet en bas) à la base des dents (Fig. 2 et 3); 2 (poids inconnu): le cercle du haut est pointé; le crochet du trident (qui n'a plus que deux dents) n'est qu'une sorte de virgule (Fig. 3); 6 et 8 (poids inconnus): le cercle supérieur est pointé, le pédoncule est plus développé en 6 qu'en 8 (Fig. 3); la légende est dans un cartouche complet en haut et en bas, le trident est au-dessous; en 6, il y a un ovale à la base des dents avec un léger appendice vers le bas et le trident est plus long qu'en 8; 5 et 7 (poids inconnus): c'est le terme de l'évolution stylistique (Fig. 3); la légende a toujours son cartouche complet, le trident est au-dessous, le cercle supérieur est remplacé par un grand triangle. Au droit, la «grille» est devenue un grand triangle compartimenté, qui constitue en 7 la seule image. Trois points me paraissent certains: 1) La série anépigraphe est plus ancienne que la série épigraphe5; 2) La pièce n° 3 (Fig. 2) est la charnière des deux séries, avec le droit encore à casque losange et le revers déjà à disposition horizontale et à légende; donc pour une raison stylistique et non pas, comme on l'a dit, parce que la légende rétrograde et mal écrite est une marque d'archaïsme épigraphique 6; en tout cas, les deux critères concordent; 3) les légendes à cartouche complet doivent marquer un progrès sur les autres et, parmi elles, les nos 5 et 7 (Fig. 3) sont au terme de l'évolution stylistique de l'ensemble de ces monnaies, anépigraphes et épigraphes. L'étude et le redressement des images ici proposés ne sont pas indifférents à la lecture des légendes. Si l'on admet que l'image du revers se présente toujours dans
5 Déjà vu par A. Pautasso, p. 146-147, 152. 6 Pautasso, p. 152, d'après Forrer, Keltische Numismatik der Rhein - und Donaulande, 1908, p. 278 et suivantes.
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le même sens, le trident horizontal en bas et sa hampe à gauche, toutes les légendes sont en graphie dextroverse sauf une (3 b) et l'on lira cela même qu'a lu M. Lejeune pour des raisons purement linguistiques et épigraphiques: 3 (Fig. 2). a) TIKOU, en graphie dextroverse, avec U renversé; b) en dessous, avec graphie à la fois renversée et sinistroverse (retourner la pièce de haut en bas et lire de droite à gauche): ANA, mot vraisemblablement ajouté, d'une écriture moins régulière, en dehors du cartouche ménagé pour la légende médiane. Si l'on veut lire, comme il avait été fait: ANA/TIKOU, en un ou deux mots, il faut admettre que l'image est renversée de haut en bas par rapport à celle de tous les autres revers épigraphes. La première lecture a pour elle le sens correct de l'image; le U renversé n'est pas sans exemples. 4 (Fig. 2). ΚΑΤ (non sinistroverse, comme il a été dit). 15 (Fig. 2) et 1 (Fig. 3). PRIKOU. 6 et 8 (Fig. 3) ULKOS, avec S sinistroverse en 6. 2 (Fig. 3). KASILOI (non -OS, comme il a été lu parfois). 5 et 7 (Fig. 3). ASES", avec S de deux formes différentes. Au point de vue stylistique enfin, il est remarquable que la déformation géométrisante outrancière du droit, unique dans tout le monnayage celtique, appartienne à une région périphérique de la Gaule, et limitrophe de l'Italie de peuplement celtique: le Haut-Valais, peut-être le territoire des Uberi, branche des Lepontii, région du Rhône supérieur voisine des Rètes 7. Les schématisations déformantes les plus fortes et les recompositions les plus originales par rapport au modèle proviennent, en effet, des peuples frontières: les Belges (Nervii, Treviri etc. et les monnaies des Belges émigrés en Bretagne), les Aquitains (Sotiates et Elusates, notamment) et l'ensemble des « monnaies à la croix » des Volcae. La raison de cette localisation géographique des styles les plus linéaires, « abstraits » et originaux, reste à trouver. S'il s'agit, comme il est vraisemblable, de peuples culturellement moins évolués que ceux de l'intérieur et des côtes, la stylisation déformante à outrance et refo rmante de façon non figurative, la tendance géométrisante en un mot, pourrait être considérée plus certainement comme une marque de moindre développe ment de la sensibilité esthétique. Pourtant, le monnayage ci-dessus décrit appartient, d'après une opinion acceptée par le dernier numismate qui l'a
7 Pautasso, p. 151, à cause de la répartition des trouvailles, en majorité sur le territoire helvétique, préfère cette région lépontique au Val d'Aoste, riche en or, des Salassi, proposé par Mommsen. L'emploi de l'écriture lépontique des légendes confirme cette vue.
OBSERVATIONS SUR LE STYLE DES MONNAIES GAULOISES
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étudié 8, à la période la plus tardive du monnayage celtique: entre 100 (ce qui parait une date encore bien haute) et 25 avant notre ère, semble-t-il. Géométrisme outrancier et date tardive ne sont, au reste, nullement contradictoires: après le grand style libre de l'art laténien, la symétrie géomét rique a repris ses droits, favorisée aussi par l'emprise croissante de l'art romain sur un monde celtique au déclin. On retrouve le même phénomène dans l'art monétaire: le décor des monnaies bretonnes, par exemple, est de plus en plus géométrisé et régulier dans la dernière période, et l'on abaisse aujourd'hui jusqu'à la fin du IIe siècle le début du monnayage « à la croix » des Volques du Languedoc. Région montagneuse périphérique d'une part, basse époque gauloise d'autre part, rendent compte de façon satisfaisante de la composition puissamment géométrique finalement créée par les auteurs des monnaies ci-dessus étudiées. J'ai pris soin, pour les illustrer, de faire dessi ner, soit les pièces conservées ou leur photographies, soit les dessins les plus anciens, qui avaient parfois été légèrement déformés dans des publica tions ultérieures.
Pautasso, p. 152, qui suit Forrer (o.e., p. 278 et suiv.).
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Fig 1 - D'après Pautasso, Fig. 535 A (photo), prototype vraisemblable (imitation en argent d'un statère «rétique» en or imité lui-même d'un statère d'Alexandre le Grand). 11 D'après Pautasso, Fig. 537 (photo). 9 D'après Longpérier 9 (dessin, d'après X). 16 D'après H. Meyer, « Munzfunde », dans Anzeiger für Schweizerische AltertumsKunde, 1866, pi. I, 4 (dessin, du droit seulement, d'après X). 10 D'après la monnaie, BN 9270. 12 D'après la monnaie, BN 9271. N.B. - Les dessins des Fig. 1, 2 et 3, dûs à André Marguet, sont un peu plus grands que nature: le diamètre moyen des monnaies est de 2 cm., celui des dessins, de 2,5 cm.
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Fig. 2-17 D'après H. Meyer, Goldmünze der Salasser, dans Anzeiger für Schweizerische Altertumskunde, 1870, pi. XIII, 14 (dessin, d'après X). 13 D'après Pautasso, Fig. 539 (photo). 14 D'après Pautasso, Fig. 540 (photo). 3 D'après Pautasso, Fig. 541 (photo). 4 D'après Pautasso, Fig. 542 (photo). 15 D'après Pautasso, Fig. 544 (photo).
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V /Κ Ο 2)
Fig. 3 -
2861 D'après negli la de dans monnaie). Gai). Mitteilungen ultimi Pautasso, Th. F. Caronni, Longpérier Mommsen, viaggi Fig.der 8da Ragguaglio 543 (dessin, Die un Antiquarischer (photo). dilettante, nordetruskischen d'après di alcuni II, unGesellschaft Milan manuscrit monumenti Alphabete 1806,anonyme in pi.auf diZürich, VI, antichità Inschriften n.ou46VII, d'après (croquis, ed1853, und artiun Münzen, raccolti pi. d'après dessin I, 2
(dessin, d'après un calque vu à la Société des antiquaires de Zurich). 5 D'après F. Caronni, o.e., pi. VI, 45 (croquis, d'après la monnaie). 7 D'après Longpérier 7 (dessin, d'après un manuscrit anonyme ou d'après un dessin de Gai).
GERMAINE FAIDER-FEYTMANS
POIGNÉES DIONYSIAQUES DÉCOUVERTES AUX ENVIRONS DE COURTRAI (BELGIQUE)
A Lauwe, agglomération de Flandre occidentale, située sur la rive droite de la Lys, au sud-est de Courtrai et à proximité de la frontière française (Carte 1), a été découverte, en 1936, une paire de somptueuses poignées en bronze (Fig. 1). Ces objets furent recueillis dans un puits, situé dans la S.A. parc. 639; son cuvelage, qui affectait une forme quadrangulaire, s'était effondré jusqu'à 3 m de profondeur et avait recouvert les poignées. Au même niveau gisaient deux minces lingots d'étain. C'est à l'architecte Jacques Vierin, que nous devons de connaître les circonstances de la trouvaille \ Les deux poignées, identiques, en bronze coulé, à revers creux, présent ent,en leur centre, un buste dénudé de Mènade, flanqué de cornes d'abon dance à trois déclivités. Un épais godron, bordé de listels, les prolonge en un large crochet recourbé se terminant par deux glands. Les crochets jouent librement dans l'œillet d'épais tenons de fixation, quadrangulaires, perforés à leur extrémité. Le buste se dresse sur la base d'une feuille de vigne inversée, à sept palmes et nervures indiquées; les palmes inférieures, en un mouve mentajouré, se rattachent aux cornes d'abondance. Les bustes de Mènade sont juvéniles et potelés, leurs visages aux joues pleines, au nez droit, se prolongeant par les arcades sourcilières, se dressent sur un cou court et fort; les yeux levés et écartés, aux longues paupières ourlées, ont la pupille per forée; la bouche est étroite, les lèvres légèrement entrouvertes sont charnues; la chevelure épaisse, séparée par une raie centrale, est reprise en coques sur les tempes et garnie de grappes de raisin; une chaîne ou cordelette tressée barre le front large et bas: elle était peut-être destinée à soutenir les grappes de raisin; au sommet de la tête figure un disque incisé d'une croix.
1 J. Viérin, Poignées de bronze gallo-romaines découvertes à Lauwe dans Mémoires du Cercle royal historique et archéologique de Courtrai, t. XXXVII, 1970, pp. 243 à 248; Archéol ogie,1971, 2, p. 135.
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Les bustes laissent une impression de force et de majesté. Les poignées mesurent 16,5 cm en largeur, 14 cm en hauteur et leur poids respectif, considérable, est de 470 grs. Une patine verte homogène recouvre ces objets, dont le revers, creux, est oxydé. Seuls les tenons, les glands et les feuilles de vigne, rapportés, sont en fonte pleine. La feuille d'une des poignées, très oxydée, est brisée au niveau de sa fixation; la même poignée a souffert dune forte déchirure à la corne droite, peut-être à la suite d'un choc récent. Le disque figurant sur la tête des Ménades peut paraître, à première vue, aberrant, mais il se retrouve, rarement il est vrai, sur la tête de cer tains personnages bacchiques. Il en va ainsi de la coiffure d'un buste de silène, conservé au Musée du Centenaire, à Mons et provenant probablement du nord-ouest de l'actuelle province de Hainaut (Belgique), de bustes con servés au Museum Kam, à Nijmegen, d'un buste de Bacchus découvert à Xanten (Rhénanie) et d'un buste bacchique transformé en poids curseur découvert en 1834 à Poulseur (prov. de Liège). Ce disque à incision cruci fère est en fait l'extrême stylisation du fleuron sommant le front de certains personnages bacchiques 2. Il nous paraît difficile de dater, même approximativement, les poignées de Lauwe, étant donné les circonstances de la trouvaille. Lauwe était situé en région très romanisée au centre du triangle routier formé par les voies de Tongres-Courtrai-Boulogne, de Bavai-Tournai-Courtrai et du diverticule qui unissait ces deux routes, en passant par Wervicq3. Comme il en va des sites voisins, Wervicq et environs de Courtrai, Lauwe semble avoir été occupé partiellement du milieu du Ier au début du troisième tiers du IIIe siècle4. A Courtrai même ont été décelées des traces de fossés de la première moitié du Ier siècle. La ville semble avoir rempli le rôle d'un centre militaire jusqu'au
2 Mons, Musée du Centenaire, Inv. n° 28; Heinz Günter Horn, Eine Bacchusbüste aus Xanten, Kreis Moers dans Bonner Jahrbücher, t. 172, 1972, pp. 164 à 174, fig. 18 à 21, p. 165; A.-N. Zadoks-Josephus Jitta, W.-J.-T. Peters, Antoinette M. Witteveen, Description of the Collec tionsin the Rijksmuseum Kam at Nijmegen, VII. The Figurai Bronzes, 1973, nos 109 à 112. G. Faider-Feytmans, Poids curseurs d'époque romaine découverts en Belgique dans Feestbundel Zadoks-Josephus Jitta, Amersfoort, 1976. 3 J. Mertens et A. Despy-Meyer, Cartes archéologiques de la Belgique, 1-2, Belgique à l'époque romaine, 1968. 4 Wervicq: J. Carpentier, Wervicq, bourgade gallo-romaine dans Fédération historique et archéologique de Belgique, Courtrai 1953, pp. 48 à 58; H. Goeminne, Opgravingen in de romeinse vicus te Wervik, Archaeologia belgica, η. 117, 1970; Harelbeke-Stacegem: Archéologie, 1967, pp. 65-66; 1968, pp. 17-18; 1969, p. 16; 1970, p. 15.
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début du Ve siècle5. Le style raffiné des poignées de Lauwe a pu inciter leur inventeur à en fixer la création à l'époque flavienne - ce qui n'est pas exclu - mais d'autres objets, tout aussi soignés, ont été recueillis dans des niveaux nettement postérieurs6. Les poignées dont le motif central est constitué par un buste dressé, dont la base s'appuie sur des cornes d'abondance, ont été recueillies en nombreux exemplaires, à Bavai même, dans le nord de la France et dans la partie méridionale de la Belgique. Les plus répandues sont celles au buste de Cybèle, flanqué de lions émergeant de cornes d'abondance aux extré mités desquelles figure un crochet, terminé par un buste d'Attis enté sur des pétales, fixés à une pomme de pin; le crochet, ainsi fermé formait l'œillet permettant le glissement des tenons de fixation (Fig. 2). A Bavai même deux exemplaires furent recueillis, l'un avant 1756, l'autre, au centre de la ville romaine, en 1951, ainsi que deux fragments de plaques métroaques. Une paire de même type fut mise au jour à Bousies, agglomération voisine de Bavai (département du Nord) 7. En Belgique même, Gouy et Liberchies, le long de la voie Bavai-Tongres-Cologne, Roisin et Elouges, près de la route Bavai-Blicquy, livrèrent des poignées et des fragments de poignées métroaques 8. Sur toutes celles-ci, le buste de la déesse est accosté de deux lions, dont les pattes postérieures reposent sur ses épaules, alors que l'avant-train s'appuie sur l'extrémité des cornes d'abondance, évoquant ainsi, semble-t-il, l'attitude des fauves qui, traditionnellement, traînaient le char de Cybèle. Or dans l'important établissement d'Anthée (prov. de Namur), situé à proximité de la voie romaine Bavai -Dinant-Arlon, fut découverte en 1863, ou peu après, une paire de poignées métroaques, dont les lions, inversés, par rapport aux décors précédents, étaient tournés vers Cybèle9. Une paire présentant les mêmes caractères typologiques gisait dans l'importante cachette du bron-
5 Ch. Leva, L'importance des récentes découvertes romaines de Courtrai dans Fédération historique et archéologique de Belgique, Arlon, 1960, pp. 269-270; J. Viérin, Trouvailles galloromaines à Courtrai (Cortoriacum), dans Id., Courtrai, 1953, fase. Ill, pp. 84 à 96. 6 On pourrait citer une des poignées delphiniformes de Waudrez (Prov. de Hainaut) vicus situé sur la voie Bavai-Tongres, encore inédite; elle pourrait remonter à la fin du IIe ou même au début du IIIe siècle. 7 G. Faider-Feytmans, Recueil des bronzes de Bavai, VIIIe supplément à « Gallia », 1957, nos 195 et 196; 181 et 197, pi. XXXV et XXXIV. 8 F. Cumont, Poignées de bronze décorées de bustes de Cybèle et d'Attis dans Annales de la Société archéologique de Bruxelles, XXII, 1908, pp. 219 à 228. 9 E. del Marmol, Villa d'Anthée (suite) dans Annales de la Société archéologique de Namur, XV, 1881, pp. 7 à 9, pi. VI, fig. 1.
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zier dont l'enfouissement semble dater du troisième quart du IIIe siècle, découverte au centre romain de Bavai, en juillet 1969 10. Cette méconnaissance du sens traditionnel du décor métroaque pourrait être considérée comme une dégénérescence du type initial et dès lors être postérieur à ce dernier. Il est à remarquer que toutes ces poignées ont été découvertes soit à Bavai même, soit dans des sites reliés par un réseau routier au chef -lieu de la civitas Newiorum, qui tous ont été fortement bouleversés au début du der nier tiers du IIP siècle (Carte 2). Parallèlement aux poignées métroaques, dont la conception locale et originale a été soulignée plus d'une fois n, en figurent d'autres moins répan dues peut-être, mais dont le principe décoratif est identique. Elles semblent également provenir soit de Bavai, soit de sites en relation routière directe avec cette ville. Il s'agit de poignées dionysiaques ou qui. à tout le moins, illustrent des thèmes issus du thiase bacchique. C'est à cette série et non, comme on a pu le suggérer, à la série métroaque que se rattachent les belles poignées de Lauwe qui, elles aussi, ont été recueillies près d'un diverticule se détachant d'une voie romaine, celle de Bavai-Tournai-Courtrai. La poignée dionysiaque de type bavaisien la plus anciennement connue est celle conservée au dépôt de fouilles de Bavai, Inv. 2291. Découverte en mars 1924, à Bavai même, entre les chaussées antiques de Cambrai et du Quesnoy, elle se rapproche étonnamment, par la disposition décorative de ces thèmes, de celle des poignées métroaques 12: y figure, au centre, un buste de Silène émergeant de cornes d'abondance se terminant en un griffon adossé à un protomé d'oiseau, qui peut être un canard. Aucun élément formant œillet n'y est décelable. Dès lors, il pourrait s'agir d'une simple applique, mais la pièce est en très mauvais état. Toutefois, toujours dans la cachette du bronzier découverte en 1969, à Bavai, figurent trois poignées très apparentées à la pièce conservée au Musée de cette ville. Elles aussi portent en leur centre une tête de Silène couronnée de pampres et l'extrémité des cornes d'abondance s'y termine en tête de griffon adossé à un protomé
10 H. Biévelet, Bronzes de Bavai, Supplément au Catalogue Y Art de Rome et des provinces, Lille, 1970; Id., La cachette du bronzier de Bavai (à paraître) nos 332-333. Nous remercions M. le Chanoine Biévelet de nous avoir permis d'examiner ces poignées, dont plusieurs sont inédites et font partie du dépôt dont il prépare la publication. 11 A. Graillot, Le culte de Cybèle à Rome et dans l'Empire romain, 1912, pp. 450 et 465; F. Cumont, Comment la Belgique fut romanisée dans Annales de la Société archéologique de Bruxelles, XXVIII, 1914, p. 147 [75]. 12 Recueil des bronzes de Bavai, n° 199, p. 94, pi. XXXVI.
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de canard, au col formant œillet et dont le bec, ouvert, tient une baie 13. Enfin une poignée, de même provenance, présente en son centre, moins proéminant il est vrai, une tête de Méduse, ailée, aux extrémités identiques aux pièces précédentes, mais c'est un gland que maintient le bec de chacun, des canards 14. Il y a connexion évidente entre le masque conjurateur de Méduse et les décors prophylactiques dionysiaques. Toutes ces poignées présentent un caractère identique: figure centrale plus ou moins proéminante unie par des cornes d'abondance à un décor figuré fixé au crochet de fixation ou formant œillet: Attis, d'une part, groupes tête de griffon et protomé de canard ou glands de l'autre. Certes, la divergence des poignées dionysiaques de Lauwe d'avec les précédentes saute aux yeux: Mènade dont la base s'appuie sur une feuille de vigne inversée et crochets terminés par un simple gland. Mais d'autres poignées, à thème dionysiaque, plus simples, ont été recueillies à Bavai: il s'agit de celles à buste de Silène, enté sur deux cornes d'abondance et se terminant par un simple crochet, uni à chaque corne par un large godron cerné de deux listels: l'un des deux, le plus complet, fut recueilli en 1969 dans la cachette du bronzier de Bavai (n° 335), l'autre dont une extrémité est brisée, fut découverte à Bavai antérieurement à 1856 15. Une troisième poignée, de même type, mais dont le centre est à ce point épaufré qu'il paraît difficile de considérer le buste central comme un Silène (peut-être peut-il s'agir d'un Attis), à été découverte à Ormeignies, près de Blicquy (Hainaut occidental) à proximité d'une voie romaine 16. Déjà, dans de précédents travaux, ont été soulignés l'importance et le nombre de bustes de Silène ou d'images bacchiques décorant des plaques de serrure 17. Une de ces plaques, sur laquelle étaient fixés deux bustes de Silène a été découverte à Bavai avant 1860 (Fig. 3). Une applique circulaire mobile, probablement de même décor, à moins qu'il ne s'agisse d'un médaillon au masque de Méduse, recouvrait l'entrée de la serrure. Nombre de ces
13 H. Biévelet, Bronzes de Bavai, n° 293; Id., La cachette du bronzier de Bavai, n° 35. 14 Id., Bronzes de Bavai, n° 292; Id., La cachette du bronzier de Bavai, n° 334. 15 Recueil des bronzes de Bavai, n° 214, pi. XXXVII. 16 Musée gallo-romain de Blicquy, Inv. OR 69; Archéologie, 1968, p. 13, pi. XIV. 17 Recueil des bronzes de Bavai, n° 213, pi. XXXVII; G. Faider-Feystmans, Sur quelques bronzes figurés provenant des ateliers de la région de Bavai (Bagacum) dans Revue archéolog ique, 1964, t. I, pp. 119 à 128.
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bustes ont été découverts à Bavai même 18 et en Belgique, dans des sites reliés par route à Bavai 19. Les poignées à buste de Mènade de Lauwe pourraient s'inscrire dans le même contexte. Leurs dimensions tant en largeur qu'en hauteur sont très supérieures à celles des objets apparentés, qu'ils soient métroaques ou dionysiaques; d'autre part leur poids est considérable. Elles ne peuvent dès lors avoir servi à ouvrir des coffrets ou de simples armoires. Il s'agit plutôt, semble-t-il, de poignées de portes: le diamètre des crochets, celui des tenons et la longueur de ces derniers peut faire supposer que ces poignées étaient fixées à des ais ayant à tout le moins quatre cm d'épaisseur. Le fait est à mettre en corrélation avec la plaque de serrure citée plus haut. En résumé, il peut paraître très vraisemblable d'avancer qu'un ou plusieurs ateliers bavaisiens se soient spécialisés dans la production de poignées et d'éléments de portes à caractère dionysiaque ou métroaque. Il nous plaît de rappeler ici que M. Jacques Heurgon, alors professeur à l'Université de Lille et directeur de la première circonscription archéolo gique de France, nous incita, à l'époque, à poursuivre l'étude des bronzes d'origine bavaisienne et de leur aire de dispersion.
18 Recueil des bronzes de Bavai, nos 205 à 210, pi. XXXVII. 19 Tongres: A. de Loë, Belgique ancienne III, La période romaine, 1937, p. 166; Roisin: ibid., p. 169, fig. 75; Blicquy: inédit; A. Matthys, La villa gallo-romaine de Jette dans Archaeologia belgica, 152, 1973, pp. 20 et 22, fig. 9.
(Cliché Vercheval, échelle: 2/3) Fig. 1 - Collection Vierin - Provenance: Lauwe.
(Cliché Vercheval, échelle: 2/3) Fig. 2 - Musée royal de Mariemont - Provenance: Gouy.
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(échelle: 2/3) Fig. Ò - Musée de Lille - Provenance: Bavai.
POIGNÉES DIONYSIAQUES DE COURTRAI
Carte 1 - Localisation de Lauwe.
Carte 2 - Aire de dispersion des poignées dionysiaques et métroaques.
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JEAN-LOUIS FERRARY
«A ROMAN NON-ENTITY»: AURELIUS COTTA, TRIBUN DE LA PLÈBE EN 49 AV. J.-C.
Lorsque, passant par Rome en avril 49 après avoir chassé Pompée d'Italie, César voulut disposer des fonds de Vaerarium sanctius pour financer ses futures campagnes, il se heurta à l'opposition du tribun Lucius Metellus, et cette résistance inattendue l'irrita au point qu'il s'en fallut de peu qu'il le fît massacrer. Ce n'est pas la peur cependant qui fait céder Metellus dans la Guerre Civile de Lucain, mais l'intervention, non mentionnée par les autres sources, d'un nommé Cotta: turn Cotta Metellum compulit audaci nimium desistere coepto (III, 143-144). Se fondant sur ce texte, E. Pais \ G. Niccolini 2 et T. R. S. Broughton 3 se sont crus en droit de compter un Aurelius Cotta au nombre des tribuns de la plèbe de l'année 49; seul, à notre connaissance, E. S. Gruen s'est montré plus réservé, sans proposer cependant une identification satisfaisante du personnage mis en scène par Lucain4. Nous voudrions montrer que
1 E. Pais, / Fasti dei tribuni della plebe e lo svolgersi della tribunicia potestà sino all'età dei Gracchi, Rome, 1918, p. 41. 2 G. Niccolini, / Fasti dei tribuni della plebe, Milan, 1934, p. 330. 3 T. R. S. Broughton, The Magistrates of the Roman Republic (cité désormais MRR), New York, 1951-1952, t. 2, p. 258. Suivi par D. R. Shackleton-Bailey, The Roman Nobility and the Second Civil War, dans Cl. Quart, 1960, p. 257. 4 E. S. Gruen, The Last Generation of the Roman Republic, Univ. of California Press, 1974, p. 183, note 74: «possibly he was a tribune like L. Metellus, but no more than possibly»; mais ensuite, partant du principe (erroné selon nous) que «no Aurelius Cotta is ready at hand with whom to identify him», E. S. Gruen s'engage dans une direction manifestement fausse: «note Aurelius as an officer, perhaps a legate, in the Caesarian forces in 45; Cic, ad Att, 14, 9, 3 ». Cet Aurelius servant sous Hirtius en Transalpine n'a bien évidemment rien à voir avec le Cotta de Lucain.
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l'hypothèse d'un Cotta tribun en 49 n'est pas fondée, et que le Cotta de la Pharsale n'est autre que le consul de 65. Il est vrai que les scholies les plus anciennes, les Commenta Bernensia comme les Adnotationes super Lucanum, s'accordent à présenter Cotta comme un collègue de Metellus5; mais elles ne sauraient avoir une autorité décisive que lorsqu'elles se réfèrent expressément à une source digne de foi, par exemple aux livres perdus de Tite-Live. Ce n'est pas le cas ici, et rien ne permet de supposer que les scholiastes aient disposé, pour identifier Cotta, d'informations autres que le texte même de Lucain: ils n'apportent en effet aucun renseignement qui remonte manifestement à une autre source que le poème, et ne précisent pas, par exemple, le prénom de ce prétendu tribun. L'interprétation de Pais, Niccolini et Broughton était déjà celle d'un ou plusieurs grammairiens de l'antiquité6: il ne s'ensuit pas nécessairement qu'elle soit la bonne. Ces historiens se sont en fait persuadés que Metellus n'avait pu céder qu'à l'intercession d'un collègue7. Encore aurait-il fallu que la conduite du tribun donnât matière à une intercession; or il nous semble que ce ne fut pas le cas. La plupart des auteurs anciens (dont Plutarque et Lucain) ne connaissent de l'opposition de Metellus à César que la scène dramatique qui les mit aux prises devant Vaerarium 8. Plus complet, Dion Cassius nous
5 Commenta Bernensia (éd. Usener, p. 97): Cotta collega Metellum; Adnotationes super Lucanum (éd. Endt, p. 88): et hic tribunus plebis fuit. Sur ces scholia vetera, voir V. Ussani, II Testo Lucaneo e gli scolli Bernensi, dans SIFC 11, 1903, p. 29-83; M. Schanz, Gesch. Rom. Lit., II, 2, (1913), p. 116-117; Β. M. Marti, Vacca in Lucanum, dans Speculum 25, 1950, p. 198-214. Les Commenta Bernensia remonteraient au 4e siècle; les Adnotationes seraient une compilation sensiblement plus tardive (bien qu'antérieure au 10e siècle), mais dérivant largement du commentaire de Vacca, lui même plus ancien que les scholies de Berne qui l'utilisent sans le nommer. 6 On pourrait peut-être penser à Vacca comme source commune des deux gloses. 7 E. Pais, I.e.: «stando a Lucano III, 143, un Aurelio Cotta intercedette contro L. Cecilio Metello, suo collega, il quale si oppose acche, scoppiatta la guerra civile, Cesare si valesse dell'erario». G. Niccolini, I.e.: Cotta «non può essere che un collega il quale, valendosi della intercessio, distoglie Metello della impresa temeraria». T. R. S. Broughton se contente de ren voyer à l'argumentation de Niccolini. 8 Nos deux sources principales sur l'action de Metellus en avril 49 sont, outre Lucain, Plutarque (Caes., 35) et Dion Cassius (41, 17), dont les récits comportent d'assez nombreuses divergences. Appien (BC, 2, 41, 164), très bref, est proche de Plutarque; tous deux remontent à une même source, qui est vraisemblablement Asinius Pollion (cf. pour Plutarque les remar quesde A. Garzetti dans son introduction à son édition de la Vie de César, Florence, 1954, p. xxii-xxxiii, et pour Appien, E. Gabba, Appiano e la storia delle guerre civili, Florence, 1958,
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précise que « le tribun L. Metellus s'opposa au projet de loi concernant l'argent, et que, comme ses efforts étaient vains, il se rendit au trésor et en garda les portes » 9. Metellus s'était donc manifesté déjà au moment où l'on se préparait à autoriser César à s'emparer du trésor, et de cela nous avons confirmation: dans une lettre à Cicéron, Caelius parle d'« intercessions » qui avaient irrité César, et qui ne peuvent être attribuées qu'à Metellus 10. Si, comme il aurait été normal n et comme semble bien le suggérer Lucain 12, c'est par un sénatus-consulte que César reçut le droit de disposer de Vaerarium sanctius 13, on peut penser que Metellus fit intercession et que
notamment p. 207-249). Deux autres textes de Plutarque {Pomp., 62 et Apopht. Caes., 8) sont moins complets que celui de la Vie de César, encore utilisé par Zonaras (10, 8), avec quelques coupures et quelques différences de détail dans l'expression. Florus (2, 13, 21) et Orose (6, 15, 5) ne donnent aucun détail et ne permettent pas de préciser dans quelle mesure Dion Cassius a pu nous transmettre la version livienne des faits. En revanche, de précieux renseignements nous sont fournis par deux documents contemporains de l'événement: une lettre de Cicéron à Atticus (10, 4 - du 4 avril 49) rapportant des propos de Curion, et une lettre de Caelius à Cicéron (F am., 8, 16 - d'avril 49). Curion et Caelius étaient tous deux à Rome, dans l'entourage de César; leur version des faits est sans doute quelque peu dramat isée,destinée qu'elle était à effrayer Cicéron et à l'empêcher de s'engager ouvertement du côté de Pompée, mais elle ne peut être foncièrement inexacte: ils savaient bien que Cicéron disposait d'autres informateurs, dont Atticus resté à Rome. Quant à César lui-même, il a tu dans sa Guerre Civile l'épisode de Vaerarium, dont il ne pouvait guère se flatter. 9 Dion Cassius, 41, 17, 2: άντείπε μεν οΰν προς την περί των χρημάτων έσήγησιν Λούκιός τις Μέτελλος δήμαρχος, καί επειδή μηδέν έπέρανε προς τε τους ΰησαυρούς ήλθε καί τας θύρας αύτων έν τηρήσει έποιήσατο. 10 Cael. αρ. Cic, Farn., 8, 16, 1: nihil nisi atrox et saeuum cogitât atque etiam loquitur (se. César); iratus senatui exiit; his inter cessionibus plane incitatus est; non mehercules erit deprecationi locus. Que l'auteur de ces intercessions soit Metellus apparaît clairement si l'on rapproche le témoignage de Caelius de ce que dit César (BC, I, 33, 3): subicitur etiam L. Metellus tribunus plebis ab inimicis Caesaris, qui hanc rem (se. le projet d'envoyer une ambassade de conciliation auprès de Pompée) distrahat reliquasque res quascumque agere instituent impediat. César a seulement « oublié » de préciser que dans un cas au moins (la prise de possession du trésor, vitale pour son plan de campagne en Espagne) il passa outre à l'opposition du tribun. 11 Cf. Th. Mommsen, Droit public romaiji, VII, p. 346-351. 12 Dans le récit de Lucain, César ne s'adresse qu'au sénat, et c'est de lui qu'il obtient tout ce qu'il demande (III, 109-112). Il convient cependant d'être méfiant: le séjour de César à Rome représente, dans l'économie du poème de Lucain, une préfiguration du régime impérial, du regnum désormais inévitable; le poète était donc amené, de toute façon, à négliger le rôle des comices et à privilégier les rapports entre le « tyran » et le sénat. 13 En ce sens, T. Rice Holmes, The Roman Republic and the Founder of the Empire, Oxford, 1923, p. 43; F. E. Adcock, dans CAH IX (1932), p. 644; G. Niccolini, FTP, p. 333; M. Gelzer, Caesar, der Politiker und Staatsmann, Wiesbaden, 1960, p. 192, note 81.
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César n'en tint aucun compte. Dion Cassius cependant parle d'une rogatio (έσήγησις), et, faute d'indication précise chez Plutarque et Appien, on ne saurait a priori le taxer d'inexactitude: la lex Gabinia de 67 offrait d'ailleurs le précédent d'un plébiscite disposant des deniers publics 14. On peut imaginer dans ce cas que Metellus parla contre la rogatio, et annonça son intention d'y opposer son veto. Une intercession ne pouvant être annulée par celle d'un collègue, les tribuns césariens, Antoine et Cassius, n'auraient eu d'autre solution juridique que de faire voter par le peuple la déposition de Metellus, selon la procédure utilisée par Ti. Gracchus contre Opimius en 133, et encore par Gabinius contre Trebellius en 67. Mais César, qui s'affichait en défenseur de l'intercession tribunitienne 15, ne pouvait guère recourir à ce moyen d'action: en dépit des précédents populäres dont il aurait pu se réclamer, il risquait de compromettre son crédit auprès du peuple et n'était peut-être pas sûr de réussir dans son entreprise. Il était plus simple, par exemple, d'empêcher Metellus d'assister au vote ou de se faire entendre 16. Quoi qu'il en soit, que le tribun ait été empêché d'user de son droit de veto ou qu'il ait pu le faire sans que César en tînt compte, c'est à lui que revenait l'initiative d'une nouvelle action. Recourir à la coercition en faisant arrêter César ou ses agents l'aurait exposé, cette fois, à une interces sion d'Antoine ou de Cassius, et n'avait aucun sens dans le rapport de forces existant. Metellus ne s'y risqua pas, et se rendit devant le trésor pour y renouveler sa protestation. Si l'on en croit Plutarque, dont le récit sur ce point paraît plus exact, il affronta César en personne devant une foule nombreuse 17. Il dénonça à nouveau l'illégalité de la mesure qui avait été
14 Plut, Pomp., 25; App., Mithr., 94. V. Mommsen, Droit Public, VII, p. 360-361. Dion Cassius a été suivi par J. Carcopino, César, Paris, 1936, p. 836, et R. Paribeni, L'Età di Cesare e di Augusto, Bologne, 1950, p. 150. 15 Cf. Caes., BC, I, 7, 2 (discours à ses soldats): nouum in re publica introductum exemplum, ut tribunicia intercessio armis notaretur atque opprimer etur; 32, 6 (discours au sénat): praedicat crudelitatem et insolentiam in circumscribendis tribunis plebis. 16 Cela pourrait expliquer pourquoi Dion Cassius ne dit pas vraiment que Metellus fit intercession, mais seulement qu'il « parla contre » le projet de loi (άντειπεΐν). 17 Selon Dion (41, 17, 2), Metellus n'aurait eu en face de lui que des soldats indifférents à sa présence. Mais on est tenté de croire que Dion exclut la présence de César devant Yaerarium parce que selon· lui le général n'aurait pas franchi le pomerium: ne vient-il pas de souligner que César s'est adressé au sénat et au peuple εξω τοΰ πωμηρίου (41, 15, 2 et 16, 1)? Or nous savons que César reçut Atticus dans la regia, donc à l'intérieur du pomerium (cf. AU., 10, 3 a, du 7 avril 49). Il est probable que les difficultés qu'il rencontra, tant auprès du sénat que du fait de Metellus, l'amenèrent assez vite à se débarrasser de ses scrupules
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votée 18, et affirma peut-être qu'on ne pourrait ouvrir le trésor sans porter la main sur lui, tribun inviolable 19. Il n'y avait toujours rien là qui pût être l'objet d'une intercession de la part d'un collègue. Tant que Metellus ne recourait pas à un acte positif comme la coercition, les autres tribuns ne pouvaient rien contre lui: de même en 55 les collègues d'Ateius Capito (dont Metellus se réclame dans le discours que lui prête Lucain: III, 125-127) avaient-ils pu l'empêcher d'arrêter Crassus, mais non de se poster sur son passage et de le couvrir de malédictions20. Comment imaginer, d'ailleurs, si l'action de Metellus était tombée sous le coup de l'intercession d'un collègue, que César n'eût pas aussitôt fait appel à Antoine ou Cassius, avant de menacer de mort le tribun, et de compromettre une réputation de modération et de clémence à laquelle il tenait d'autant plus qu'il la savait populaire21? Comment croire aussi que le
constitutionnels. Le récit de Plutarque paraît confirmé par l'entretien de Curion avec Cicéron: il y eut affrontement direct entre Metellus et César, qui faillit faire massacrer le tribun, en présence d'une foule assez favorable à ce dernier (cf. AU., 10, 4, 8: plane iracundia elatum uoluisse Caesarem occidi Metellum tribunum plebis, quod si esset factum caedem magnam futuram fuisse. Permultos hortatores esse caedis, ipsum autem non uoluntate aut natura non esse crudelem, sed quod populärem esse clementiam. Quodsi populi Studium amisisset, crudelem fore, eumque perturbatum quod intellegeret se apud ipsam plebem offendisse de aerano. Itaque ei cum certissimum fuisset antequam proficisceretur contionem habere, ausum non esse uehementerque animo perturbato profectum). 18 Plut., Caes., 35, 3: του δε δημάρχου Μετεκκου κωλΰοντος αυτόν έκ των άποϋέτων χρήματα λαμβάνειν και νόμους τινας προφεροντος ... (4) Αύοις δε ένισταμένου του Μετελλου καί τίνων έπαινούντων. C'est par ses paroles que Metellus voulait empêcher César de s'emparer du trésor: le général lui reproche sa παρρησία (§ 3); quant aux lois invoquées par le tribun, elles interdisaient de toucher à Vaerarium sanctius sauf en cas de guerre contre les Gaulois (cf. App., BC, 2, 6, 41), ce qui n'avait sans doute pas empêché Sylla de le faire (cf. T. Frank, The Sacred Treasure and the Rate of Manumission, dans AJP, 1932, p. 360-363). 19 Lucain, 3, 123-125: non nisi per nostrum uobis percussa patebunt I templa latus, nullasque feres nisi sanguine sacro I sparsas, raptor, opes. Rien de tel chez Plutarque, mais Dion Cassius souligne que Metellus «montait la garde» devant les portes (41, 17, 2: τας ΰΰρας αυτών - se. των οησαυρών - έν τηρήσει έποιήσατο · σμικρόν δε δη καί της φυλακής αύτοΰ ώσπερ που καί της παρρησίας οι στρατιώται φροντίσαντες...), ce qui semble indiquer que les vers de Lucain ne sont pas pure invention: en se plaçant devant les portes, Metellus obligeait les auteurs de l'effraction à doubler leur crime d'un attentat sur la personne sacrosainte d'un tribun. Mais quelle intercession pouvait le contraindre à se retirer? 20 Sur Ateius Capito, cf. l'étude de J. Bayet, Les Malédictions du tribun Ateius Capito, dans Mélanges G. Dumézil, coll. Latomus 45, Bruxelles 1960, p. 31-45. Même si, comme le pense J. Bayet, l'épisode de la tentative d'arrestation de Crassus est inventé, le faussaire a respecté les mécanismes de la « constitution » romaine. 21 Cf. Cic, Ait., 10, 4, 8, cité supra note 16; Att, 10, 8, 6: (Caesar) qui duarum rerum simulationem tam cito amiserit, mansuetudinis in Metello... César n'a certainement ainsi
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tribun qui, par son intercession, aurait contraint Metellus à se retirer, n'aurait pas fait une brillante carrière dans les années de la dictature césarienne? Or nous ne savons rien de ce que serait devenu le prétendu Cotta tribun de la plèbe en 49. A cela s'ajoute encore un argument de poids: le discours prêté par Lucain à Cotta n'est nullement celui d'un tribun opposant son intercession à l'initiative d'un collègue. Il n'interdit rien à Metellus, mais le dissuade seulement de persister dans son entêtement22. Surtout, nous devons noter qu'il parle au nom des sénateurs qui, selon Lucain, viennent d'accorder à César tout ce qu'il demandait. Il est dans le poème le représent ant, le porte-parole d'un sénat déjà prêt à renoncer à la libertas pour que reviennent la pax et Votium 23, et c'est ce qui nous permet de l'identifier, dès lors que l'on renonce à l'hypothèse d'un tribun de la plèbe, que rien, croyons-nous, ne justifie24. Nous connaissons trois Aureli Cottae vivant en 49 av. J.-C. Un Marcus Aurelius Cotta était cette année là gouverneur de la Sardaigne; partisan de Pompée, il fut chassé de sa province et se réfugia en Afrique: sa présence à Rome en avril 49 est exclue 25. Un second Marcus Cotta avait, pour venger
sacrifié la réputation de dementia et de mansuetudo acquise à Corfinium par son attitude envers L. Domitius Ahenobarbus que faute de pouvoir agir autrement. Il en voudra assez à Metellus pour lui interdire de rentrer en Italie après Pharsale (Cic, Ait, 11, 7, 8). 22 Compellere, au vers 144, doit être pris au sens de «amener à», «décider à» (comme en VII, 799-801: non ilium - se. César - Poenus humator / consults et Libyca succensae lampade Cannae / conpellunt hominum ritus ut seruet in hoste), et non de «contraindre». La teneur du discours qui suit le montre bien, et pour une fois J. D. Duff (ed. Loeb: «Metellus was forced by Cotta to renounce his too bold design») a été moins exact que A. Bourgery (ed. CUF: «Cotta pousse Metellus à abandonner son entreprise téméraire») ou Arnulf d'Orléans (Glosule super Lucanum, éd. B. M. Marti, p. 168: compulit: persuasit). 23 Luc, III, 147-150: tot rebus iniquìs / paruimus uicti; uenìa est haec sola pudoris / degenerisque metus, nullam potuisse negari. / Ocius auertat diri mala semina belli. Si l'on rapproche ces paroles des vers 109-112 {sedere patres censere parati / si regnum, si templa sibi iugulumque senatus / exiliumque petat. Melius quod plura iubere / erubuit quam Roma pati), il apparaît clairement que Cotta est l'un de ces sénateurs qui n'ont rien su refuser à César (dans la version des faits, inexacte, de Lucain: cf. en réalité Caes., BC, 1, 33 et Cael. ap. Cic, Fam., 8, 16). 24 Rappelons nos objections à cette interprétation: a) ce tribun serait par ailleurs inconnu b) Metellus n'a pu être contraint à renoncer à son opposition par l'intercession d'un collègue e) Cotta ne parle pas dans le poème de Lucain comme un tribun de la plèbe, mais comme l'un des leaders du sénat. 25 Cf. Cic, AU., 10, 6, 3; Caes., BC, I, 30, 2-3. E. Klebs, dans RE, II (1896), s.v. Aurelius nu 109, col. 2489.
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son père, et le jour même où il revêtit la toge virile, accusé de concussion C. Papirius Carbo. La propréture de Carbo étant datée de 61-59, le procès ne peut être antérieur à 59; Marcus Cotta est donc né au plus tôt en 75: âgé en 49 de vingt-six ans au plus, il n'avait pu encore exercer aucune magistrature qui lui ouvrît l'accès au sénat26. Reste Lucius Aurelius Cotta27: consul en 65, censeur en 64, il était en 49 l'un des sénateurs les plus respectables, l'un des premiers dont le président de séance dût recueillir l'avis sur une motion28, et pouvait donc se faire le porte-parole de la haute assemblée auprès de Metellus. Nous ignorons s'il était à Rome en avril 49, et à plus forte raison s'il y joua le rôle que lui prête Lucain. Sa présence du moins n'aurait rien d'invraisemblable: les Pompéiens le suspectaient, en raison de ses liens de parenté avec César29. Metellus céda-t-il devant les menaces de César, ou devant les instances des sénateurs? Il est difficile de se prononcer, mais nous inclinerions à croire que Lucain a travesti la réalité, pour ennoblir la figure du tribun indomptable (pugnaxque Metellus - III, 114) 30. Qui allait-il choisir pour faire pression sur Metellus? Lucius Cotta s'imposait pour une autre raison encore que son auctoritas de censorius: le bruit courut en 44 qu'il allait proposer, en tant qu'interprète des livres
26 Cf. Val. Max., 5, 4, 4; Dion Cassius, 36, 40. E. Klebs, dans RE, s. v. Aurelius n° 108, col. 2489 (mais on ne saurait le suivre quand il n'exclut pas que les nos 108 et 109 aient été une seule et même personne). Pour la date de la propréture de Carbo, v. T. R. S. Broughton, MRR, II, p. 181 et 191. 27 Cf. E. Klebs, dans RE, s.v. Aurelius n° 102, col. 2485-2487. 28 L. Cotta devait être en 49 le plus ancien censorius survivant, après M. Perpenna (cos. 92, cens. 86) qui mourut cette année-là âgé d'environ 98 ans. Déjà nous le voyons, le 1er janvier 57, être appelé le premier par le consul P. Lentulus Spinther à donner son avis sur le rappel d'exil de Cicéron (Pro Sestio, 73). 29 Caes., BC, 1, 6, 5: prouinciae priuatis decernuntur, duae consulares, reliquae praetoriae... Philippus et Cotta priuato consilio praetereuntur neque eorum sortes deiciuntur. 30 Le récit de Plutarque n'est pas lui non plus au-dessus de tout soupçon, si la source en est bien le césarien Pollion. Toutefois il nous paraît plus vraisemblable que celui de Lucain. Une intervention d'un sénateur auprès de Metellus n'aurait de sens que si César avait été autorisé à vider le trésor par un senatus-consulte, ce qui n'est pas certain, et nous savons que les sénateurs présents à Rome en avril 49 ne furent pas aussi dociles que le prétend Lucain. A cela s'ajoute le silence de Caelius et de Curion, et plus encore de Cicéron lui-même, sur une intervention de Cotta. On ne saurait s'étonner que Lucain l'ait inventée, quand on remarque qu'il n'a pas hésité à faire parler Cicéron au conseil de guerre précédant Pharsale, alors qu'en réalité il n'y participa pas (VII, 62-85).
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sibyllins, le rétablissement de la monarchie en faveur de César31. Le poète pouvait-il trouver meilleur représentant d'un sénat déjà prêt selon lui à tout concéder au tyran?
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31 Suet, diu. lui., 79, 4: fama percrebuit proximo autem senatu L. Cottam quindecimuirum sententiam dicturum ut quoniam fatalibus libris contineretur Parthus nisi a rege non posse uinci, Caesar rex appellaretur. Cic. (diu., 2, 110) confirme ce que rapporte Suétone sans nommer le quindecimuir en question; on comprend qu'il ait été gêné de s'en prendre nommément à un homme qui l'avait beaucoup aidé lors de son retour d'exil, et dont il restait l'ami (cf. Fam., 12, 2, 3 et Phil, 2, 13). Notons que le discours que Lucain prête à Cotta convient bien à un homme politique qui semble avoir été désireux avant tout de préserver la paix civile, s'illustrant en 70 par une loi judiciaire qui renforçait la concordia ordinum, et accueillant l'assassinat de César comme l'amère promesse de nouveaux conflits (cf. Cic, Fam., 12, 2, 3). Le Cotta de Lucain parle en nobilis sans illusion: il sait bien que la victoire de César signifie une tyrannie (regnum) qui préservera tout au plus l'apparence de la liberté; que du moins cet asservissement soit compensé par la paix: ocius auertat diri mala semina belli (III, 150). L. Cotta n'aurait peut-être pas désavoué ce discours.
ROBERT FLACELIERE
CATON D'UTIQUE ET LES FEMMES
Voici une traduction des chapitres 24 et 25 de la Vie de Caton le Jeune que nous a laissée Plutarque1: 24. 1 S'il convient de ne pas négliger les moindres traits de mœurs quand on peint, pour ainsi dire, le portrait d'une âme2, disons qu'au plus fort de la polémique et de la lutte entre Caton et César, au moment où le Sénat tenait les yeux fixés sur eux3, on apporta du dehors un petit billet à César. 2 Caton, trouvant cela suspect et prétendant que certaines gens communiquaient ainsi avec lui, somma César de lire le contenu de ce bil let4. 3 Alors César le passa à Caton, qui était placé auprès de lui, et Caton lut un message d'amour adressé par sa sœur Servilia à César, qui l'avait séduite et qu'elle aimait. Il le jeta à César en disant: « Garde-le, ivrogne » 5. 4 // apparaît que Caton eut vraiment beaucoup de malchance avec les femmes de sa maison 6. Cette Servilia était décriée pour ses rela-
1 Cette étude voudrait être un hommage de reconnaissance envers mon ami, collègue et confrère Jacques Heurgon, qui souvent, à l'occasion des problèmes d'histoire romaine que me posent les Vies de Plutarque, m'a apporté une aide généreuse et efficace. 2 Comparer ce qu'a écrit Plutarque dans la préface de la Vie d'Alexandre, 1, 2-3. 3 Cf. Cat. min., chap. 22-23, et Brut, 5, 3: il s'agit de la séance du Sénat où s'affron tèrentCaton et César, lors du consulat de Cicéron, en décembre 63 avant notre ère, à propos du sort à réserver aux complices de Catilina arrêtés à Rome; César opinait pour la clémence, et Caton pour la rigueur. 4 Cf. Brut, 5, 3: «Caton s'écria que César se comportait de façon scandaleuse en recevant des communications et des lettres des ennemis de l'Etat». 5 Servilia, mariée d'abord à M. Junius Brutus, dont elle avait eu Brutus, le futur meurtrier de César, devenue veuve, s'était remariée avec un ami de son frère Caton, Julius Silanus, à qui elle donna trois filles. Voir par exemple J. Carcopino, Profils de conquérants, 291-293. 6 Φαίνεται δ' όλως ατύχημα γενέσθαι τοϋ Κάτωνος ή γυναικωνΐτις.
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tions avec César, et l'autre Servilia, également sœur de Caton, ne se conduisit pas mieux: 5 mariée à Lucullus, un des Romains les premiers en renommée, et mère d'un fils, elle fut renvoyée de chez lui pour impudicité7. 6 Le plus honteux, c'est que la femme même de Caton, Atilia, ne fut pas exempte non plus de tels écarts, et qu'après avoir eu d'elle deux enfants, il fut contraint de la chasser pour inconduite8. 25. 1 II épousa ensuite Marcia, fille de Philippus, qui passait pour une honnête femme9. On parle beaucoup d'elle, car cette partie de la vie de Caton comporte, comme dans un drame, un point embarrassant et qui prête à la controverse 10. 2 Voici le fait, tel que le rapporte Thrasea, sur la foi de Munatius, ami et familier de Caton n. 3 Parmi les nombreux admirateurs fanatiques de Caton, certains étaient plus en vue et plus marquants que d'autres; c'était le cas de Quintus Hortensius, homme d'une réputation brillante et d'un noble caractère 12. 4 Désireux de n'être pas seulement l'ami et l'intime de Caton, mais de mêler en quelque sorte et d'unir par une alliance leur sang et toute leur famille 13, il entreprit de le
7 Cf. Luc, 38, 1, où Plutarque dit aussi que Lucullus avait épousé la sœur de Caton. Mais, en réalité, Servilia, femme de Lucullus, était la nièce de Caton, fille de Q. Servilius Caepio, lui-même demi-frère de Caton: voir J. van Ooteghem, Lucullus, 168. 8 Voir Cat. min., 7, 1-3: Caton, encore très jeune, avait projeté d'épouser Lepida, mais Metellus Scipion, après avoir rompu ses fiançailles avec elle, l'avait reprise, et Caton, furieux, « exhala son dépit dans des iambes où il accablait d'injures Scipion avec l'amertume d'Archiloque, sans aller toutefois jusqu'à l'obscénité et à la puérilité». - Atilia était la fille de Sextus Atilius Serranus Gavianus. Elle donna à Caton les deux enfants dont il est question, Cat. min., 73, 2-3: Marcus Porcius Cato, et Porcia. 9 Ce mariage dut avoir lieu vers l'année 62 ou 61. Le père de Marcia était L. Marcius Philippus, consul en 56, à qui J. van Ooteghem a consacré une monographie: voir à cet endroit, p. 183-185. Cf. ci-dessous la note 23. 10 Καυάπερ έν δράματι τφ βίφ τούτο το μέρος προβληματώδες γεγονε και απορον. 11 Le stoïcien P. Clodius Thrasea Paetus, que Néron fit mourir en l'an 66 de l'ère chrétienne, avait écrit une biographie de Caton le Jeune dans laquelle il se référait à un livre de souvenirs écrit par Munatius Rufus; cette biographie de Thrasea est sans doute la source principale de celle de Plutarque, qui, d'ailleurs, quoi qu'on en ait dit, a consulté aussi beaucoup d'autres ouvrages. 12 Q. Hortensius Hortalus (114-50), fut longtemps l'émule de Cicéron, qui fit l'éloge de ce grand orateur, notamment Brut, 301-303. 13 Michel Humbert, Le remariage à Rome, 98, note 25, a rapproché de ces mots un passage de la Laudatio uxoris, dite Laudatio Turiae (M. Durry, Eloge funèbre d'une matrone romaine, C.U.F.), II, 35-36: ac futures liberos te communes proque tuis habituram adfirmares. On sait que «Turia», ne pouvant pas avoir d'enfants, proposa à son mari de divorcer pour la remplacer par une femme jeune et féconde.
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persuader de lui accorder à lui-même sa fille Porcia, mariée à Bibulus 14 à qui elle avait donné deux enfants, comme un champ fertile pour y semer à nouveau une descendance. 5 Dans l'opinion des hommes, c'était là, disait-il, une proposition étrange, mais, suivant la nature, elle était belle et politique 15: une femme dans la fleur et la vigueur de l'âge ne devait pas rester inutile et laisser éteindre sa fécondité ni procurer plus d'enfants qu'il ne convenait à une maison qui n'en avait plus besoin et s'en trouverait gênée et appauvrie, 6 mais, en se donnant successivement à des hommes méritants, elle rendrait la vertu abondante, la propagerait dans les familles et fondrait la ville elle-même en un seul corps par ces unions. 7 Que si Bibulus tenait absolument à sa femme, il la lui rendrait quand elle aurait enfanté, et lui-même se trouverait plus étroitement lié à Bibulus et à Caton par la communauté des enfants. 8 Caton répondit qu'il aimait Hortensius et appréciait son alliance, mais qu'il trouvait étrange de l'entendre parler d'épouser une femme mariée à un autre homme. 9 Alors Hortensius, changeant de projet, n'hésita pas à dévoiler toute sa pensée et à demander la femme de Caton lui-même, qui était encore assez jeune pour enfanter, alléguant que la succession de Caton était assurée16. 10 Et l'on ne peut dire qu'il présentait cette demande parce qu'il pensait que Caton négligeait sa femme, 11 car on affirme qu'elle se trouvait alors enceinte. Caton, voyant le désir et la passion d'Hortensius, n'y fit point d'opposition, mais déclara qu'il fallait avoir l'approbation de Philippus, père de Marcia. 12 Philippus, consulté, consentit au mariage et fiança Marcia en présence de Caton lui-même, qui donna aussi son accord. 13 Au reste, cela n'arriva que plus tard, mais, comme je parlais des femmes de Caton, j'ai cru pouvoir anticiper. Plutarque anticipe en effet, puisqu'il fait cette digression à propos de l'incident survenu entre Caton et César lors d'une séance du Sénat en décembre 63, et que la « cession » de Marcia à Hortensius doit dater environ de l'année 56: Hortensius était alors âgé de cinquante-huit ans et Marcia avait sans doute une trentaine d'années de moins. Hortensius mourut en l'année 50, après avoir eu, comme il le souhaitait, un fils de Marcia, à laquelle il légua de grands biens. Lorsqu'éclata la guerre
14 M. Calpurnius Bibulus, consul en 59 avec César. 15 L'opposition entre δόξα et φύσις est un thème constant de la doctrine stoïcienne: ou bien Hortensius était lui-même stoïcien, ou (ce qui semble plus probable) il choisissait des arguments propres à convaincre Caton, dont il connaissait les convictions stoïciennes. 16 Outre les deux enfants que Caton avait eus d'Atilia (voir ci-dessus la note 8), Marcia lui en donna trois autres (cf. Lucain, Pharsale, 2, 329-331) avant d'aller habiter chez Hortensius.
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civile entre César et Pompée en janvier 49, Caton voulut suivre Pompée, qui abandonnait Rome. Alors, « comme sa maison et ses filles avaient besoin d'une tutelle, il reprit Marcia»17. César, dans son Anti-Caton, pamphlet écrit après le suicide de Caton à Utique, osa insinuer que Caton avait aimé l'argent au point de vendre sa femme, « car, dit-il, s'il avait besoin d'elle, pourquoi la cédait-il, et, s'il n'en avait pas besoin, pourquoi la re prenait-il, à moins que cette malheureuse n'eût été dès l'abord qu'un appât offert à Hortensius, à qui il la prêta jeune pour la reprendre riche? » 18 Mais Plutarque s'élève avec indignation contre une telle calomnie, allant jusqu'à citer les vers 174 sq. de V Héraclès d'Euripide, pour conclure: « C'est tout un de reprocher à Héraclès d'être lâche et d'accuser Caton d'être cupide. » 19 En une autre circonstance, qui doit se placer vers l'année 60 20, Caton avait refusé pour des jeunes filles de sa maison une alliance plus presti gieuse que celle d'Hortensius. Pompée le Grand fit demander en mariage par l'intermédiaire de Munatius Rufus deux nièces de Caton alors nubiles, la plus âgée pour lui-même, la plus jeune pour son propre fils21. Mais Caton, à cette date, suspectait l'honnêteté de Pompée et considérait son ambition comme dangereuse pour la république. Il refusa donc, au grand désappointement des femmes de sa maison, éblouies par la perspective d'alliances si flatteuses, et Plutarque nous fait presque assister aux discus sions qui eurent lieu alors au sein de la famille. Mais Caton demeura inflexible et dit à Munatius: « Va répondre à Pompée que l'on ne peut prendre Caton par les femmes ». Toutes les femmes de la maison furent fâchées de ce refus, et les amis de Caton blâmèrent une attitude « si dure
17 Cat. min., 52, 5. 18 Ibid., 52, 6-7. 19 Ibid., 52, 8. Pourtant J. Carcopino, dont l'admiration pour César paraît s'étendre jusqu'à Y Anti-Caton, n'a pas craint d'écrire, Hist. Rom., 2, 594: «Le vertueux Caton le Jeune, après avoir divorcé d'avec Marcia, ne rougit point de la reprendre lorsque, à la fortune qu'elle pos sédait en propre, s'ajouta celle d'Hortensius qu'elle avait épousé et perdu dans l'intervalle; et nous verrons de reste que la probité de sa gestion financière à Chypre éveilla plus d'un soupçon ». 20 Cette date se déduit approximativement de celle du mariage de Pompée avec Julie, fille de César, en 59, puisque Pompée contracta cette alliance après avoir été repoussé par Caton. 21 Cat. min., 30, 3, où Plutarque ajoute: «Certains prétendent qu'il ne s'agissait pas de nièces, mais de filles de Caton». Cf. Pomp., 44, 2-3, et voir M. Gelzer, Pompeius, 130 sq., selon qui ces deux jeunes personnes étaient filles de D. Junius Silanus et de Servilia, demisœur de Caton.
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et si hautaine. » 22 La demande de Pompée était pourtant plus naturelle que celle d'Hortensius, et Pompée avait assurément plus de prestige et de pouvoir que l'orateur, mais Caton était ainsi fait.
Pourquoi Caton, capable de refuser si sèchement de fiancer ses nièces à Pompée et au fils de celui-ci, accepta-t-il, trois ou quatre ans plus tard, de céder à Hortensius sa propre femme? C'est la seule question que nous poserons. Plutarque remarque, nous l'avons vu, que cette affaire fit beaucoup parler de Marcia et, effectivement, de nombreux auteurs attestent la célébrité de l'héroïne de ce « transfert » 23. Une question préalable se pose: Hortensius et Caton se conformaientils à un usage en vigueur à Rome ? C'est du moins ce que prétend Strabon, qui écrit en 11, 9, 515: «Les historiens nous donnent sur les Tapyres24 un renseignement curieux: il existe chez eux un usage (νόμιμον) qui autorise le mari à céder à autrui sa femme, après qu'elle lui a donné deux ou trois enfants, tout comme on a vu de nos jours Caton, sur les instances d'Hortensius, lui céder son épouse Marcia, en vertu d'une antique coutume des Romains (κατά παλαιον 'Ρωμαίων εϋος) ». Cette « antique coutume romaine » est mal attestée, en ce sens que l'on ne connaît aucun cas précis qui soit analogue à celui de Caton cédant sa femme à Hortensius. Mais ce silence de nos sources ne permet pas de conclure trop vite que l'indication de Strabon est inexacte ou forgée de toute pièce25. A Rome, à époque ancienne, un mari ne pouvait répudier sa femme que si elle avait commis une des trois fautes graves énumérées par Plutarque, Rom., 22, 1 26. Mais, vers 230 avant notre ère, Carvilius Spurius Ruga fut
22 Cat min., 30, 4-6. Toute la suite (30, 7-10) serait aussi à citer. 23 J. van Ooteghem, Lucius Marcius Philippus et sa famille, 185, note 1 donne une liste de références, qui n'est sans doute pas exhaustive: Lucain, Pharsale, 2, 326-391; Quintilien, Inst. oral, 3, 5, 11, 10, 5, 13; Appien, B. Civ. 2, 99; Strabon, 11, p. 515; Tertullien, Apolog., 39, 12. 24 Peuple d'Hyrcanie, près de la côte sud-est de la mer Caspienne. 25 Enrica Malcovati, Quaderni di Studi Romani, Donne di Roma antica, 1 (1945), p. 5, suggère que cette assertion de Strabon pourrait provenir de Stoïciens qui, voulant justifier la conduite de Caton dans cette affaire, auraient eu recours à des «parallèles ethnographiques». 26 Voir P. Noailles, Fas et Jus, 7 sqq.
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le premier à renvoyer sa femme pour cause de stérilité 27. « II fut ainsi l'auteur, non pas du premier divorce, mais de la première répudiation, non sanctionnée, d'une épouse innocente. » 28 En tout cas, à partir de cette date, divorces et remariages se multiplièrent. L'assertion de Strabon me paraît confirmée par un texte capital de Plutarque: « A Rome, un mari qui avait assez d'enfants pouvait céder aux prières d'un homme désireux d'en avoir et se séparer de sa femme, mais il restait maître de la laisser à ce second mari ou de la reprendre.»29 On doit convenir que ces lignes s'appliquent assez bien au cas de Caton et d'Hortensius. A Sparte aussi, dans la législation attribuée à Lycurgue, et orientée entièrement vers l'eugénisme, « il était permis à un homme de mérite, s'il admirait une femme féconde et sage mariée à un autre homme, de la lui demander pour y semer comme dans un terrain fertile et avoir d'elle de bons enfants, nés d'un bon sang et d'une bonne race. » 30 Cependant Plutarque signale à cet égard une différence entre Sparte et Rome: à Lacedèmone le principe de la communauté des femmes était très largement répandu, « tandis qu'à Rome, par une sorte de retenue, on se couvrait pudiquement du contrat (την έγγύην) comme d'un voile, reconnaissant ainsi ce que cette communauté avait de difficilement supportable. » 31 Effectivement, nous lisons dans la Vie de Caton d'Utique, 25, 12: ένεγγύησε . . . συνεγγυώντος. Notons enfin qu'Hortensius, en présentant sa proposition comme « belle et politique » 32, c'est-à-dire conforme au bien commun de l'Etat, se trouvait en parfait accord avec les intentions de Numa et aussi de Lycurgue, lorsqu'ils légiféraient (ou étaient censés légiférer) sur le mariage. * * * Nous croyons donc que la « vieille coutume des Romains » dont parle Strabon existait réellement, en dépit du manque d'exemples concrets autres
27 Sur la date erronée que donne Plutarque, Rom., 35, 4, voir ce que j'ai écrit Rev. Et. Gr., 61, 1948, 102 sq. 28 Michel Humbert, Le remariage à Rome, 132 sq. 29 Plut., Numa, 25, 2 (Compar. de Lyc. et de Numa, 3). Ce passage de Plutarque est lui-même confirmé par quelques lignes de Saint Augustin (De bono conjug., 15 = P. L. 40, 385) que cite M. Humbert, Le remariage à Rome, 98 sq., note 26. 30 Plut, Lyc, 15, 13; comparer l'histoire racontée par Hérodote, 6, 61-63. 31 Plut., Numa, 25 (Συγκρ., 3), 4. 32 Plut., Cat. min., 25, 5.
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que celui de Marcia33. Pourtant cette coutume n'était pas contraignante, et l'on doit naturellement chercher les motifs de l'acceptation de Caton à la requête d'Hortensius dans ses idées et son caractère. Le poète Lucain, neveu de Sénèque le Philosophe, élève de Cornutus, fut un adepte fervent du stoïcisme; par là il était apte à bien comprendre les mobiles de Caton, qu'il admirait d'ailleurs éperdument. Or il s'est longue mentétendu au chant II de la Pharsale, v. 326-391, sur l'histoire de Marcia. Il nous montre la veuve d'Hortensius revenant en costume de deuil du bûcher funèbre, et allant trouver Caton pour lui dire: «J'ai accompli tes ordres, Caton, et j'ai donné une postérité à deux maris. Epuisée par l'e nfantement, je reviens pour n'être plus livrée à aucun homme. Accorde-moi, sans cesser d'être chaste, de renouveler les engagements d'autrefois, donnemoi seulement le titre sans les liens de l'épouse. Que je puisse faire inscrire sur mon tombeau: « Marcia, femme de Caton », et que l'avenir n'agite pas longuement cette question: a-t-elle quitté les premiers flambeaux expulsée ou livrée? » Puis Marcia propose à Caton de le suivre au camp dans la guerre civile; Caton consent à la reprendre, et ils renouvellent leurs premiers engagements sans aucune pompe, sans autres témoins que les dieux. Et Lucain enfin ajoute: « II ne tenta pas de resserrer les liens de l'ancienne union; sa force d'âme résista à un amour même légitime. C'étaient là les mœurs et la doctrine de l'austère Caton: garder la mesure, observer les limites, suivre la nature, sacrifier sa vie à la patrie, se croire né non pour soi, mais pour tout l'univers. Pour lui, la vraie fin de Vénus, c'est une postérité; c'est pour Rome qu'il est père, pour Rome qu'il est époux; ado rateur de la justice, observateur d'une honnêteté rigide, vertueux dans l'intérêt de tous, jamais dans ses actes ne s'est insinuée et fait place une égoïste volupté. » 34 Ce récit et ce portrait de Caton sont parfaitement conformes à ceux que présente Plutarque. On ne relève qu'une divergence minime dans le récit: chez Plutarque, c'est Caton qui semble avoir lui-même sollicité Marcia de reprendre place à son foyer, parce que « sa maison et ses filles avaient besoin d'une tutelle»; chez Lucain, c'est Marcia qui, fidèle à son premier amour et à son admiration pour le grand homme, prend l'initiative du retour, version qui donnait au poète l'occasion de plus beaux accents que ne l'aurait fait cette histoire de tutelle et de ménage.
33 Je ne puis donc souscrire à ces lignes de Pierre Grimai, L'amour à Rome, 263: «Que Caton ait été séduit par la bizarrerie, le caractère unique de l'aventure, n'en doutons pas». 34 Traduction de A. Bourgery dans la C.U.F.
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Les principes de Caton, énumérés par Lucain, en ce qui concerne le mariage, sont assurément conformes à la vieille mentalité romaine, bien avant la fondation du Portique: l'union conjugale a pour but essentiel la procréation des enfants dans l'intérêt de la famille et, surtout, de l'Etat. Comme on l'a écrit, « les convictions stoïciennes de Caton s'accordaient ici avec ses maximes de vieux Romain. Le serment prêté au censeur lui imposait seul ement de se marier « pour avoir des enfants ». Ce but atteint, il était libre de renoncer à une union qui avait été féconde. » 35 Caton n'avait-il pas d'affection et d'amour pour Marcia, qui semble en avoir eu tant pour lui? Aux yeux d'un Stoïcien, c'est là, quand il s'agit de prendre une décision, une considération tout-à-fait secondaire, et même, à la limite, inexistante, en raison de la fameuse règle de 1'άπάϋεια. Pourtant Caton était capable de sentiments tendres: il avait beaucoup aimé son demifrère Caepio, et, à la mort de celui-ci, sa douleur fut immense. Plutarque, pour sa part, est loin de l'en blâmer: « II se comporta, écrit-il, avec plus de sensibilité que de philosophie. » 36 Cela signifie en clair, je crois, que Caton, pour une fois, ne réussit pas à pratiquer cette rigide impassibilité stoïcienne, que Plutarque sans doute admire, mais juge certainement inhumaine. En ce qui concerne la séparation d'avec Marcia, on comprend donc que Caton, même s'il l'aimait, ait sacrifié ce sentiment à une fin supérieure. En accédant à la demande d'Hortensius, devait-il craindre de choquer l'opinion publique? Ce n'est pas sûr, et, de toute manière, la δόξα était méprisée par les Stoïciens: le sage doit obéir à la nature (φύσις) sans tenir aucun compte des préjugés ou des murmures de la foule. Caton prenait d'ailleurs ostensiblement le contre-pied des habitudes et des modes courantes, par exemple dans sa manière de s'habiller37. Le sage stoïcien agit selon des principes immuables, et l'on ne doit pas le juger d'après les conséquences de ses actes (προς τα συμβάντα κρίνειν), ' conséquences qui ne dépendent pas de sa volonté (τα ούκ έφ ήμΐν) 38. Que 35 Ρ. Grimal, L'amour à Rome, 263. P. Grimal observe aussi avec raison que la cession de Marcia à Hortensius était bien différente des nombreux divorces que les mœurs admettaient et constituait pour Caton «un sacrifice délibéré au bien de la cité». 36 Plut., Cat. min., 3, 8-9, et 1.1, 3. 37 Voir notamment Cat. min., 6, 5-6, où Plutarque affirme cependant que Caton «ne désirait pas se faire remarquer par ses singularités et bizarreries, mais seulement s'accoutumer à n'avoir honte que de ce qui est vraiment honteux et à mépriser le reste de ce que condamne l'opinion ». 38 Voir D. Babut, Plut, et le Stoïcisme, 174, et les références données dans la note 6 de cette page.
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Marcia dût souffrir, chez Hortensius, de sa séparation d'avec Caton, c'était secondaire, du moment que cette séparation était accomplie en vue d'un intérêt supérieur. Plutarque ne semble pas avoir été de cet avis, puisqu'il pense que la conduite de Caton fut peut-être blâmable ou que, du moins, l'on en peut discuter39. De même, après avoir rapporté la demande matrimoniale de Pompée et le refus qu'y opposa Caton, Plutarque opine que, de cette manière, Caton rejeta Pompée vers César, dont il épousa bientôt la fille, « mariage qui, en réunissant la puissance de Pompée à celle de César, faillit renverser l'empire romain et perdit la république; rien de tout cela peut-être ne serait arrivé si Caton, par crainte des fautes légères de Pompée, ne l'eût laissé commettre la plus grave. » 40 En somme, Plutarque reproche ici à Caton d'avoir obéi à deux points de la doctrine stoïcienne qu'il est loin d'admettre lui-même: l'indifférence pour les conséquences désastreuses d'un acte vertueux, et l'égalité de toutes les fautes, graves ou légères. D. Babut a écrit: « Le raisonnement sur lequel Hortensius fonde son étrange demande sans s'attirer d'objection de la part de Caton, est évidemment rejeté par Plutarque. Or ce raisonnement, fondé sur l'idée que seule l'opinion (δόξα), c'est-à-dire les préjugés des hommes, s'oppose à un acte que la nature (φύσις) autorise parfaitement, est pratiquement identique à celui par lequel les maîtres du stoïcisme justifiaient l'inceste ou d'autres actes interdits par les traditions morales et religieuses, ou préconisaient, tout aussi bien, la mise en commun des femmes et des enfants. Il est donc clair qu'à travers la conduite de son personnage, ce sont les fameux precepts « cyniques » de l'éthique stoïcienne que Plutarque blâme ici discrètement, mais fermement. » 41 Caton eut-il finalement autant de « malchance avec les femmes » que le dit Plutarque? Avec sa première épouse, Atilia, assurément, mais il attira et conserva l'amour de Marcia, qu'il mit pourtant à rude épreuve. L'applica tion stricte des principes de la morale stoïcienne, telle que la pratiquait Caton, n'était pas faite pour favoriser les rapports entre les sexes dans une société évoluée comme l'était celle de Rome au Ier siècle avant notre ère, et Plutarque, en dépit de sa vive admiration pour Caton, en était bien persuadé. Il avait lu d'ailleurs le Pro Murena de Cicéron42, qui mêle à la sympathie 39 Cat. min., 25, 1 et 52, 8. 40 Cat. min., 30, 9-10. 41 D. Babut, Plut, et le Stoïc, 173 sq., avec les références données dans les notes 2 et 3 de la p. 174. Particulièrement significatif est le passage de Plutarque, De Stoïc. repugnantiis, 22, 1044 F (= H. von Arnim, Stoic. Vet. Frag., 3, n° 753). 42 Cela apparaît nettement par exemple Cat. min., 21, 7.
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élogieuse une ironie assez cruelle à l'égard de Caton. Or les convictions philosophiques de Plutarque étaient certainement beaucoup plus proches de celles de Cicéron que de celles de Caton. Mais ce qui suscite les réserves de Plutarque en ce qui concerne la conduite de Caton à l'égard de Marcia, ce n'est pas seulement la divergence des opinions éthiques entre l'Académie et le Portique; c'est aussi et, peutêtre, surtout l'idéal du mariage et de l'amour conjugal que le Chéronéen professe dans YAmatorius et qui transparaît même dans un passage de la Vie de Caton d'Utique43. Or cet idéal, qui fait la plus grande place, non pas à la procréation des enfants ni à l'intérêt de l'Etat, mais à la bonne entente et à l'amour fidèle des époux, est fort éloigné de celui des vieux Romains et aussi de celui de l'ancien Stoïcisme44.
43 C'est en 7, 3, où Plutarque regrette que Caton n'ait pas eu le bonheur de Laelius, l'ami de Scipion, « qui, au cours de sa longue vie, n'approcha qu'une seule femme, sa première et son unique épouse». Un traducteur des Vies, Bernard Latzarus, juge que c'est là «une digression absolument inutile»; il n'a pas vu que Plutarque prépare ainsi ce qu'il dira plus loin de la répudiation d'Atilia, et qu'il manifeste là, de façon très spontanée, l'attachement qu'il éprouve pour la fidélité du mariage et de l'amour conjugal. 44 «Autres temps, autres mœurs», et aussi autres idées: un philosophe comme Antipatros de Tarse, qui appartient au moyen Stoïcisme, professera sur le mariage des théories bien di fférentes de celles des anciens stoïciens et qui semblent avoir été admises par Plutarque: voir mon édition du Dialogue sur l'amour (Annales de l'Université de Lyon, lettres, 1952), Intro duction, 23-24.
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CAMILLE ET GANYMEDE
La phonétique de l'étrusque offre aux etymologies - on ne le sait que trop - de dangereuses facilités, tout en posant par elle-même de redoutables problèmes. Ainsi, personne (ou presque, cf. note 23) ne doute de l'équivalence de Γανυμήδης et de Catmite, qui se lit sur un miroir de Tarquinia de la fin du IVe siècle, conservé aujourd'hui au Musée de la Villa Giulia: même si l'on n'avait pas le latin Catamitus, la scène représentée enlèverait toute hésitation. Ce qui est difficile, c'est le détail des correspon dances1; en particulier, pourquoi ce début Cat-? On a imaginé bien des hypothèses. E. Fiesel2 cite une explication de Herbig: le groupe insolite -nm- consécutif à la syncope de -u- aurait été assimilé en -mm- puis, pour mieux marquer la frontière syllabique, dissimile en -tm- sous l'influence de la dentale suivante. Pour d'autres, au contraire, l'étrusque, loin d'avoir innové, a préservé l'original grec: *ΓαΟυμήδης pour Jordan3, Ταδυμήδης pour Benveniste 4 qui voit dans la forme usuelle le produit d'une dissimilation (δ>ν), favorisée par l'étymologie populaire: γάνυμαι «être joyeux», γάνος « éclat, aspect pimpant ». Il est certes indéniable que nous avons affaire à l'arrangement grec, attesté depuis l'Iliade, d'un nom étranger; au demeurant, la présence d'une forme verbale infixée est exclue dans le premier terme d'un composé nominal; mais faute de connaître la langue asianique d'origine (phrygien?), on ne peut rien affirmer de certain sur la forme authentique et rappelons-nous que d'ordinaire l'étrusque ne pèche pas par excès de fidélité... Le mieux est donc de nous en tenir, faute de mieux (cf. note 23),
1 Comparer, pour prendre un exemple voisin, Alumento qui, chez Accius, Trag. 6534, désigne Laomédon (cf. Paul-Fest. 16, 28); le mot a dû passer par le canal étrusque. 2 Namen des griechischen Mythos im Etruskischen, KZ. Ergänzungsheft 5, 1928, p. 68. 3 Ibid., p. 67. 4 RPh. 1930, 73 (dans sa critique du livre de E. Fiesel).
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au grec et à l'étrusque; l'hypothèse de Herbig, un peu simplifiée, reste plausible: après la syncope, le groupe difficile -nm- a été dénasalisé 5 en -tm-, puisque l'étrusque ne possède pas d'occlusive dentale sonore; le deuxième -t-, qui a pu d'ailleurs favoriser la production du premier, est donc parfait ement normal (cf. Atmite< Άδμητος et lat. cotôneum, sporta)6; quant au -i-, produit de -η-, il doit être long, si l'on en croit le latin. Il est remarquable en effet que Ganymède se présente normalement en latin sous la forme Catamitus, visiblement d'origine étrusque, sans avoir été refait sur le grec 7. Deux particularités sont à noter: l'anaptyxe de -a-, entre t et m 8, et la flexion thématique. Outre le nom propre, attesté depuis Plaute, Men. 144 et Accius, Trag. 6532 (c'est aussi le titre d'une Ménippée de Varron) jusqu'aux Chrétiens: Arnobe, Lactance, Jérôme, Prudence, etc., il existe un nom commun, issu d'une métonymie: « giton, mignon », appliqué notamment par Cicéron à Antoine9. Le beau Ganymède, favori de Zeus et échanson des Olympiens, est donc devenu le type méprisable du garçon équivoque . . . Aucune nuance défavorable au contraire pour camillus « enfant de naissance libre », puer ingenuus (Paul. -Fest. 38, 8), « de père et de mère vivants », patrimes et matrimes (sic; ibid. 82, 16-17), « servant », minister (1. 18), du flamine de Jupiter, mais aussi employé, à l'occasion, au sens général de « garçon » (1. 19) 10. Mot technique, religieux, vieillot, qui se prête complaisamment aux commentaires des grammairiens et des antiquaires: Varron, Festus, Quintilien, Servius, Macrobe, entre autres. Un seul emploi
5 Cf. en latin hibernus en face de hiems. 6 Cf. C. De Simone, Die Griechischen Entlehnungen im Etruskischen, Wiesbaden, Harrassowitz, 1968-1970: II 278. De même à Préneste Casenta (-tra?) (CIL, I2 566), nom de Cassandre; etc. La relation avec le grec est reconnue par les grammairiens: Paul-Fest. 7, 8-9; 16, 29-jO, Servius, etc. La transcription grecque existe aussi, naturellement: Ganymëdës, depuis Cicéron et Virgile; citons aussi Canumede sur une coupe à figures rouges de Faléries, CIL, I2 454. Catamitus est archaïque et méprisant à cause de son emploi métonymique. 8 C. De Simone, le. 72, cite des faits étrusques: El%sntre> Elaxsntre; on peut aussi penser à un phénomène de type osque: aragetud «argento», etc. 9 Phil 2, 77; à dire vrai le sens de «bellâtre, godelureau, séducteur», conviendrait mieux à la situation: le retour précipité d'Antoine à Rome pour se réconcilier avec sa femme, Fulvia, après sa rupture avec Cytheris. Second exemple, hors contexte: Or at. fragm. Β 20 (Puccioni). Plus tard: Servius, qui le glose, .4c? Ecl. 8, 29, par meritorius puer, Ps.-Aurelius Victor, Augustin. 10 Ainsi le proverbe: hiberna puluere, uerno luto, grandia farra, Camille, metës « pouss ière d'hiver, boue de printemps, tu feras une grosse moisson de blé (littér. «amidonnier »), mon garçon»; Paul-Fest. 82, 21-22."
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littéraire, au féminin, dans le style noble de la tragédie, chez Pacuvius, Trag. 232: caelitum Camilla, expectâta aduenls, salué hospita « servante des habitants du ciel, tu es la bienvenue, salut, étrangère ». Le sens fonda mental est donc « jeune desservant » d'un culte divin mis au service d'un prêtre n. L'origine étrusque de camillus, admise dès l'antiquité (cf. Denys d'Halicarnasse, ci-dessous), a été développée par W. Schulze 12. Etrusque, mais aussi pélasgique: Dion.-Hal. Antiq. 2, 22, 2, à cause d'une parenté ethnique et linguistique généralement reconnue. Varron, renvoyant à Callimaque (Fgt. 723 Pfeiffer), va plus loin et y voit un mot grec, LL 7, 34: uerbum esse Graecum arbitror. En effet on mentionne dans les mystères de Samothrace un dieu Καδμΐλος (ou Κασμΐλος; le mot est aussi proparoxyton) qui passe soit pour le père des Cabires 13, soit, plus communément, pour l'un d'eux14; c'est à lui que, pour des raisons formelles, Varron rattache camillus. Mais étant donné que Samothrace, comme Lemnos, autre lieu de célébration, baigne dans une ambiance pélasgique (le témoignage d'Hérodote est formel) 15, il est facile de passer à volonté des Grecs aux Tyrrhenes. Ce quatrième Cabire est identifié, à cause de sa fonction subalterne, soit à Hermès16 (Juba, GRF. p. 453; Dion.-Halic. Antiq. 2, 22, 2), soit au Mercure étrusque (Schol. Lycophron 162; Macr. Sat. 3, 8, 6; Serv. Ad Aen. 11, 558); voilà un argument étymologique supplémentaire: le servant du flamine est assimilé au dieu messager, d'un rang inférieur. Cette comparaison, bien entendu, ne va pas de soi. Le Cadmilos étrusque doit être le fruit d'une équivalence génétique avec les Pélasges et il ne semble pas épigraphiquement attesté sur place; du coup la relation de camillus avec Samothrace ne repose que sur de vagues analogies et se heurte dès l'abord à un obstacle géographique, peut-être même chronologique, car la diffusion des mystères ne semble pas très ancienne. La phonétique apporte
11 Cf. les gloses par minister (Paul.-Fest. I.e.), avec les variantes administer (Varron), praeminister (Servius) et famulus (Virgile). 12 Zur Geschichte lateinischer Eigennamen, Berlin, Weidmann, 1904 (reprod. 1966): p. 290 (anthroponymes Camellus, Camillius en territoire étrusque), 322 (ton initial de camillus d'après Quintilien, 1, 5, 23). 13 Acousilaos ap. Strab. 10, 3, 21 (= C 472). 14 Varron, LL. 5, 58, fait déjà une allusion précise aux dieux de Samothrace. Sur le nombre exact des Cabires et leurs noms, question très emmêlée, voir la récente mise au point de F. Vian, Les origines de Thèbes, Klincksieck 1963, p. 154-157 (avec la bibliographie). 15 2, 51. 16 Cf. déjà Hérodote, ibid.
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de nouveaux embarras. Quelle est au juste la forme exacte du prétendu étymon: Καδμϊλος ou Κασμΐλος? On suppose en général, sur la foi des formes attiques observables sur des vases que le -σ- est secondaire comme dans Κασσμος pour Κάδμος 17; en tout cas les grammairiens anciens ou modernes partent, en principe, de la seconde forme. Si Varron n'y voit pas malice, Virgile, Aen. 11, 539-560, dans un curieux morceau de philologie a bien senti la difficulté et se montre plus scrupuleux que son maître en antiquités italiques. Racontant la fuite de Metabus, chassé par ses sujets, en compagnie de Camilla encore bébé, il explique ce nom par celui de sa mère, Casmilla, au prix d'un changement partiel: mutata parte (pratique inouïe!). Voilà pour la forme. Le sens, quant à lui, est justifié, mais après coup, puisque l'enfant doit déjà porter ce nom! Arrêté par l'Amasenus en crue, le père attache sa fille à un javelot, puis la vouant à Diane, il lance le tout sur l'autre rive; Virgile, par la bouche de Diane qui narre la scène, glose soigneusement le nom par famula « servante » (ipse pater famulam uoueô) et par tua « ta créature » (accipe tuam). Les modernes ne font guère mieux et se débarrassent tant bien que mal du -s- du modèle supposé (hélas, le -aest bref!): on imagine la production d'une géminée -mm-, par le biais d'une problématique assimilation, qu'il est ensuite facile de simplifier soit par dissimilation de géminées (cf. mamilla 18) soit par sa position devant une syllabe intonée (cf. curülis) 19. Quant au -II- personne n'en parle; il est vrai que l'on ne fait jamais appel en vain à la gemination expressive . . . Le recours au Cabire de Samothrace n'apporte pas au problème étymologique le moindre début de solution; il ne se justifie ni dans l'espace ni dans le temps, et repose sur de grossières analogies phonétique ou fonctionnelles: les noms n'arrivent pas à coïncider sans violence et un dieu, même subal terne, même jeune (il est surnommé παις à Thèbes), ne s'identifie pas facil ement à un enfant de chœur. Laissons notre Cabire aux prises avec ses propres problèmes20!
17 Sur une amphore attique à figures noires du Louvre, cf. F. Vian, l. c, p. 36, n° 2; pour la phonétique, voir Schwyzer, Griechische Grammatik, I 208, München, Beck, 1934. Le cas de οσμή n'est pas comparable, car le suffixe peut aussi comporter une sifflante initiale (originale ou analogique). 18 Ainsi Ph. Berger, MSL. 6, 1889, 144 dans son étude sur camillus, p. 140-149; la suggestion vient d'ailleurs de Saussure, l. c, p. 144. 19 Walde/Hofmann, Lat. etym. Wörterb., I 147, Heidelberg, Winter, 1937. 20 Le rattachement à Κάδμος lui-même peu susceptible de dépendre de κέκασμαι « briller » n'explique rien, et en particulier le suffixe. Il reste bien sûr le recours à d'autres langues, le sémitique par exemple; on l'a fait: après Gesenius, Ph. Berger, MSL. 6, 1889, 144, propose
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Si le mot est étrusque, autant chercher sur place. Un nom propre apporte alors un précieux chaînon: Marce Camitlnas21. Le -t- permet en effet de joindre Catamitus et camillus sans trop malmener la phonétique. On posera donc devant le suffixe -nas22: *Catmit-l-, avec dissimilation du premier -t- dont il restait d'ailleurs peut-être des traces, sinon les gram mairiens romains n'auraient sans doute pas imaginé ces fantastiques rela tions étymologiques avec le Cabire. L'avantage du groupe -tl- consiste à rendre compte de la géminée latine; certes -*tl- aboutit normalement à -cl- en latin, avec production d'une voyelle d'anaptyxe: *pôtlo-m > pdculu-m. Mais sans évoquer un trait de phonétique non-latin (ce qui simplifierait tout) ou le traitement initial: *tl->l- (peut-être long au départ): *tläto-s> latus, on peut au moins tirer parti du traitement de la sonore correspondante (qui manque justement en étrusque): ainsi Pollux remonte à Πολυδεύκης (on connaît la curieuse forme de datif Podlouquei sur l'inscription de Lanuvium, Degrassi 1271 a) et l'assimilation est de règle en latin {sella, grallae et, dans l'ordre inverse, pellô, etc.). Or, c'est le moment de se souvenir du -δ- de Ganymède: notre forme n'est donc que parallèle à Catamitus, mais n'en provient pas directement, du moins en latin. Quant au suffixe il marque une relation de dépendance, soit assimilation, soit diminutif (cf. -l- dans les anthroponymes: Marcellus, Quintilius, etc.); le camillus serait donc un « petit » Ganymède, une « sorte de » Ganymède 23.
un modèle phénicien: qadm El «celui qui se tient devant Dieu», «serviteur de Dieu»; cer tains se sont laissé tenter (v. Walde/Hofmann, I.e.), mais comment prouver la moindre influence sémitique, voire phénicienne, sur les cultes de Samothrace? Aucune étymologie ne s'impose. 21 Cité par Thurneysen dans le Thesaurus, sous camillus. Marce Camitlnas est peint sur une fresque de Vulci (Tombe François) auprès d'un personnage qui égorge son adversaire nommé Cneve Tarchu(nies) Rumach; cette scène, si importante pour l'histoire de Rome archaïque (un Camille tuant un Tarquin?), a été abondamment commentée; voir l'exposé très riche de A. Alföldi, Early Rome and the Latins, Ann Arbor, 1963, p. 212-231 et planche XII. Il faut renoncer (ne serait-ce que pour des raisons phonétiques) à l'interprétation séduisante proposée par J. Heurgon, Recherches sur... Capoue Préromaine, De Boccard, 1942, p. 68-69: Marcus de Camars (Clusium); v. A. Hus, Vulci étrusque et étrusco-romaine, Klincksieck, 1971, p. 103, n. 4 (cf. aussi notre note 22). 22 Le suffixe -nas est abondamment représenté sur ces fresques: Laris Papathnas (de Volsinii), Pesna Arcmsnas (de Sovana); on voit qu'il ne sert pas à constituer des ethniques, à la différence de -ach, mais bien plutôt des gentilices. 23 Signalons, pour être honnête, que le rattachement de camillus à Catamitus (ou plutôt Catmite) n'est pas entièrement inédit. En effet M. Mayer, cité par P. Kretschmer, KZ. 55, 1928, p. 85 n. 1, a eu l'idée de tout tirer du Καδμΐλος de Samothrace. Dans cette perspective, Catmite ne dérive plus de « Ganymède », mais en constitue seulement un Ersatzname. Au fond, cette hypothèse fait penser à celle, plus récente et moins explicite, de Benveniste (cf. notre
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Le beau Ganymède, transporté dans l'Olympe après son enlèvement, y était devenu l'échanson des dieux. Quoi de plus naturel que d'appliquer son nom à l'enfant qui aide le flamine de Jupiter dans les cérémonies du culte? Âge et fonction sont les mêmes: un jeune servant des dieux. Il était en outre très facile - sans la moindre allusion aux mœurs du modèle, pouvonsnous croire -, de donner à camillus un féminin Camilla, apte à devenir lui aussi un nom propre, illustré par l'imagination de Virgile et, beaucoup plus tard, par celle de Corneille; il est piquant que chaque fois (le premier nom commande le second) nous ayons affaire à une jeune fille particulièr ement virile, bref, à un « garçon manqué » (on pense, malgré soi, à la transposition d'Albert en Albertine chez Proust) . . . note 4). En dehors de toute considération de vraisemblance phonétique, ce rayonnement précoce des Cabires, que son contexte soit égéen ou étrusque, semble gratuit. On pourrait, à force d'imagination, tout concilier, en supposant que Καδμϊλος, dieu subalterne identifié plus tard à Hermès, aurait été d'abord hellénisé en Γανυμήδης et ce dernier aurait à son tour donné le Catmite étrusque responsable de Catamitus et de camillus... Il paraît en tout cas indi spensable de faire appel à l'intermédiaire grec; mais les partisans de l'origine orientale des Étrusques seront toujours trop contents de dériver la forme étrusque directement d'un proto type égéen ou asianique!
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LES AUTELS DE TITUS TATIUS UNE VARIANTE SABINE DES RITES D'INTÉGRATION DANS LES CURIES?
Ces autels n'étaient point des temples. Visiblement dressés en plein air comme des cippes, dans un espace assez limité entre l'esplanade du futur sanctuaire capitolin et les abords du Forum, les Romains de l'époque classique n'arrivaient guère à les identifier matériellement, sauf peut-être pour la déesse (Vénus) Cloacina, parce que, là, une tradition insistante avait fixé un moment décisif de l'accord entre les Sabins de Titus Tatius et les compagnons de Romulus. Dans ses récentes Recherches sur la légende sabine des origines de Rome, M. J. Poucet a noté les diverses incertitudes qui pèsent sur ce sujet; car, sur le fond d'une tradition commune, qui traitait ces arae Tatiae comme un ensemble et croyait en posséder une liste, les Anciens ne pouvaient sans embarras expliquer l'origine: ils se rendaient compte, d'une part que ces fondations d'autels ne ressemblaient pas aux dédicaces officielles du culte romain (T. Tatius n'en aurait conçu que le votum), d'autre part que les divinités invoquées - sabines, pensait-on - l'avaient été en pleine action guerrière, et par une sorte de « recours » religieux adressé sur place. Exacte réplique, en ce sens, à la fondation du culte et du temple de Jupiter Stator, que la même tradition attribuait à une suprême prière de Romulus durant la même mêlée. Pour ce culte, M.-J. Poucet a donné l'exemple d'une enquête systéma tique qui l'a conduit à cette conclusion: le sanctuaire de Jupiter Stator, au sens du dieu qui avait, par sa brusque intervention, « stabilisé » une armée menacée de déroute, ne remonte qu'à un épisode religieux de la bataille de Luceria, en 294 av. J.-C.1. Sans prétendre arriver pour les autels de Titus Tatius à un résultat aussi précis, ni même à un abaissement de
1 Poucet, op. cit., surtout p. 205 ss.
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leur « date », nous croyons possible d'établir leur authenticité de fond, en les identifiant, sur le plan de l'archéologie religieuse, comme des cippes d'une forme particulière, connus chez les peuples sabelliques, et sur le plan propre mentrituel, comme en étroite relation avec des opérations relatives à l'entrée des jeunes gens dans les curiae primitives.
1 - Du « votum » à /'« exauguratio »; les rites purificateurs et la présence probable de Lua dans la liste de saint Augustin. Dans Yaition accepté par la Rome classique de la chapelle de Cloacina, dans les rites qu'on y pratiquait, où était notoirement employé le myrte, est manifestement présente l'idée d'une purification. Celle-ci est inhérente au vocabulaire lui-même, duo, cluilia (fossa), etc., lequel hésite entre la phonétique latine et des formes sabines - ou volsques. Cette notion se vulgarise, d'une façon presque surprenante pour les modernes, dans le sens édilitaire qu'a pris le mot cloaca: canal destiné à drainer des impuretés, égoût; mais l'unité initiale du concept est incontestable. (Vénus) Cloacina est censée avoir purifié les Romains (et les Sabins) des violences perpétrées entre 1'« enlèvement » des Sabinae et la mêlée fratricide à laquelle ces jeunes femmes auraient mis fin par leur intervent ion. Et nous avons pu nous demander, dans une recherche antérieure, si le sacellum voisin du Forum n'avait point abrité, à l'origine, un « rite de nubilité », de toute façon de tendance plus sabine que latine 2. L'on ne peut faire directement la preuve de ce caractère « lustratoire » pour les autres divinités auxquelles étaient voués les autels dits de Tatius. Mais l'on aurait un indice équivalent si l'on rétablissait dans la liste une déesse qui, à notre avis, était nommée dans un passage que la Cité de Dieu nous a conservé altéré. Il s'agit de l'allusion sarcastique de saint Augustin à l'absence, en cette liste, de Félicitas: puisque cette déesse, aux yeux des païens, a été si essentielle à la grandeur de l'Etat romain, que n'a-t-elle eu sa place dans cette liste des autels voués par Tatius, et où du moins figurait Cloacina3! Dans ce passage figurent les mêmes noms que dans celle de Varron et de
2 Cf. nos Matronalia (vol. LX de la collection «Latomus»), p. 91-92. 3 Aug., Civ. Dei, IV, 23 (cf. Poucet, p. 321): Ut quid Tatius addidit Saturnum, Opem, Soient, Lunam, Vulcanum, Lucent et quoscunque alios addidit, inter quos etiam deam Cloacinam, Felicitate neglecta?
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Denys d'Halicarnasse, ou des équivalents4; l'un toutefois reste à part, géné ralement non expliqué: le texte des manuscrits de la Civ. Dei place Lucem entre Vulcanus et les « quelques autres divinités » incertaines. Ce passage semble avoir été neutralisé, plutôt que critiqué, par les érudits récents5. Une lecture Luam (à la rigueur Luem) serait, à notre avis, la correction vraisemblable. Sur le plan paléographique, le passage à Lucem s'expliquerait aisément. Sur le plan religieux, ce que nous savons des formes primitives par lesquelles on avait adoré cette redoutable Lua Mater s'accor deraitparfaitement avec la nature des autres dieux mentionnés: Lua, associée dans les plus anciennes formules à Saturnus, comme sa puissance spécifique ou - en termes semi-mythologiques - sa compagne (sur l'exemple d'une Nerio Martis), était proche aussi de Volkanus par les attributions: ne brûlait-on pas en son honneur les armes prises aux vaincus dans la bataille 6? Comme l'a remarqué M. Poucet, Tite-Live, omettant le détail dans son récit du conflit, puis du pacte entre Romulus et Titus Tatius, a évoqué ceux de ces autels qui se trouvaient au Capitole même à propos des travaux entrepris là par Tarquin le Superbe pour la construction du grand temple de Jupiter (et de ses parèdres): il est remarquable qu'il se les représente comme seulement «voués» par Titus Tatius, et consacrés* en forme dans la suite, « postea » 7. Aussi bien ces monuments religieux étaient-ils supposés avoir eu forte valeur superstitieuse, puisque leur exauguratio en règle, dirigée par Tarquin, avait donné lieu à un incident de la plus grande gravité: l'un de ces autels avait, à coup de signes (on avait naturellement interrogé les auspices), à ce point refusé de céder la place (entendons par là un refus du dieu) qu'il avait fallu le conserver à l'intérieur de la cella bientôt construite; les Romains expliquaient volontiers par là la particularité archi tecturale respectée en ce sanctuaire: son toit en partie ouvert8.
4 Chez Varron, L. L, V, 74 (avec le commentaire de J. Collari dans son édition du 1. V); Denys d'Haï., II, 50; cf. Poucet, loc. cit. 5 P. ex. Poucet, op. cit., p. 321, qui note la «correspondance... fort étroite» entre les deux listes (de Denys et de saint Augustin, - «si on laisse de côté la question apparemment insoluble«de Lux...» - Rappelons que le nom de Luae (au lieu de la leçon du ms., Lunae, a été depuis longtemps rétabli par Preller dans la scholie de Serv., ad Aen., III, 139. 6 Sur ce culte obscur, voir les notices de Wissowa dans le Röscher Lexikon (II, col. 2146), de Kock dans la jR£, s.v. Lua, col. 1534; cf. les remarques de S. Reinach dans son étude sur Tarpéia: Cultes, mythes et relig., III, p. 229-231. 7 I, 55, 2: ... exaugurare fana sacellaque statuii, quae aliquot ibi, a Tatio rege primum in ipso discrimine adversus Romulum pugnae vota, consecrata inaugurataque postea fuerant. 8 I, 55, 3-4.
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II est vrai que l'autel en cause était celui de Terminus, et que 1'« autel » de ce dieu, borne magique plutôt que table d'offrandes, avait dû être soumis à des interdits spéciaux. Terminus avait-il été amené au Capitole par les « Sabins » de Titus Tatius? On aurait le droit d'en douter; mais le récit romain de cet essai d'exauguratio nous paraît s'accorder avec la valeur qui avait été donnée primitivement à toutes les arae Tatiae: cippes fichés direct ementdans le sol et restant « à ciel ouvert » - sub divo, non pas seulement par règle de sobriété, comme dans les cultes attribués à Numa, mais en vertu d'une relation superstitieuse établie entre eux et les régions célestes.
2 - Autels de T. Tatius et rites d'« armilustrium »; le sens de la querelle avec les Lavinates? Nous avons lieu de croire que, parmi les autels de culte romain, un petit nombre seulement pouvaient être touchés par des armes de guerre, approchés - en vue d'une opération de culte, sacrifice ou autre - par des guerriers en armes! Il se trouve qu'un rite au calendrier officiel, inscrit au 19 octobre, V armilustrium, impliquait ce contact exceptionnel, et il se trouvait aussi que, pour les Romains, ce rite voisinait avec le souvenir du roi Titus Tatius; il se pratiquait dans un portique (à ciel ouvert) sur l'Aventin, quartier just ement dit vicus Armilustri, à peu de distance du lieu, le lauretum, où l'on situait la tombe du même chef sabin 9. Ces faits pourraient être quasi-fortuits; et ce quartier de l'Aventin est de toute façon éloigné de la région CapitoleForum où l'on situait les arae Tatiae! Ce qui nous oblige à les considérer avec un minimum de curiosité, c'est la nature de l'incident qui avait provo quéla mort de Titus Tatius et inspiré des controverses sur sa sépulture: le roi sabin, racontait-on, avait eu des démêlés avec les Laurentes de Lavinium, dont les legati (ambassadeurs, ou peut-être oratores du type des fetiales?) se plaignaient d'avoir été insultés, non exactement par Titus Tatius, mais par certains Titinii latrones rapprochés de lui. Tatius, n'ayant pas cru devoir offrir les réparations demandées, les Laurentes en cause l'avaient
9 Textes principaux de Varron, L.I., V, 153 et VII, 22, pour V armilustrium; du même, L.I., V, 152, et Festus, p. 496 Lindsay, sur le lauretum et la sépulture de T. Tatius. - Remarques utiles de W.' Crous, dans les Rom. Mitteil, 48, 1933, p. 1-73, sur le local de l'Aventin appelé Armilustrium, à propos de piliers ornés d'armes conservés aux «Uffizi» de Florence, et qui paraissent provenir de là.
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guetté: alors que les deux rois devenus collègues étaient allés à Lavinium faire un sacrifice solennel (visiblement archétype de celui que les magistrats romains célébraient régulièrement à partir de 338 av. J.-C), Tatius aurait été brusquement égorgé: près des autels, et - détail frappant - avec les « broches sacrificielles » d'ordinaire employées en ce lieu . . . 10. Peu de récits romains sur l'époque royale présentent, à première vue, autant d'invraisemblances ou d'extravagances; en particulier, le rôle interméd iaireattribué aux Titinii latrones a de quoi lasser tout enquêteur11. Et pourtant! N'avons-nous pas affaire à une querelle rituelle, entre deux façons opposées d'approcher d'un autel? Entre deux conceptions même de la valeur de l'autel et de sa forme? Si l'image des arae Tatiae plantées à Rome nous reste encore indécise, du moins pouvons-nous aujourd'hui nous repré senter mieux qu'autrefois les autels de Lavinium près desquels ce drame était censé s'être produit. De belles découvertes des archéologues italiens ont mis au jour, on le sait, hors de l'enceinte de l'antique capitale des Laurentes (auj. Pratica di mare), une rangée de 12 autels alignés, plus un 13e qui a dû être construit séparément 12. Culte de ces « Pénates » qui peu à peu allaient passer là pour apportés par Enée? Culte de Castor et Pollux, tel que des découvertes antérieures l'avaient garanti? Aucune inscription n'est venue aider à une identification; mais les monuments paraissant remonter au Ve, voire au VIe siècle, nous avons le droit de les tenir pour lieux du culte que l'ensemble des Latins célébraient - avant toute mainmise romaine aux portes de la quasi-métropole de Lavinium. Que ces autels aient, dès le début, porté des symboles « troyens », nous en doutons, malgré la séduction des suggestions faites à ce propos par A. Alföldi; et nous ne croyons pas sûr non plus que, à quelque distance de là, un monument apparemment du IVe siècle ait été Vhéroon d'Enée lui-même, comme le voudrait un des archéologues responsables des fouilles 13.
10 Récit principal chez Denys, II, 52; court résumé chez Liv., I, 14, 3: nam Lavini, cum ad sotterrine sacrificium eo venisset, concursu facto interficitur (sic). - Denys, loc. cit., signale la version différente (de Licinius Macer): T. Tatius aurait été mis à mort par «lapidation». 11 Dans une étude sur « les Tarquins au Capitole et l'élimination des rituels sabins du cycle «pétronien», à paraître dans YAntiq. Classique en 1976, nous suggérons qu'il a pu s'agir d'une catégorie de danseurs rituels comparés à des chiens aboyant à la lune. 12 Ces découvertes ont été exploitées et interprétées par A. Alföldi dans son ouvrage Early Rome and the Latins, p. 265 ss. Ajoutons qu'une étude sur le même sujet est annoncée dans les Mélanges J. Carcopino préparés par la Société archéologique de l'Aube, du savant que nous honorons dans le présent recueil. 13 L'attribution à un culte d'Enée comme « héros » a été défendue par Sommella, dans Archeol. Class., XXI, 1969, p. 18 ss., cf. F. Castagnoli, dans la même revue, XIX, 1967, p. 235 ss.
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II reste des recherches à faire pour replacer cette catégorie de grands autels (construits sur soubassement) dans l'ensemble varié des formes employées dans l'Italie antique: à Lavinium, l'influence des cultes grecs est sans doute déjà perceptible au Ve siècle. A travers les prescriptions rituelles des Tables Eugubines, un archéologue comme F. Castagnoli a pu comparer un autre type d'autel, plus indigène, et soumis à des prescriptions superstitieuses14; l'incertitude du vocabulaire ombrien limite aujourd'hui encore les possibilités d'une comparaison, que nous essaierons bientôt d'étendre aux cippes de Bantia, découverts il y a quelques années. Le détail archéologique qui nous paraît digne d'une réflexion appro fondie, voire capable de conduire à une relative historicisation de ces vieux récits, c'est l'existence, dans la Lavinium du IVe siècle, d'objets « en fer et en bronze », que Timée de Tauroménion appelle des « caducées » (grec: κηρύκεια): ils étaient conservés - avec un vase de céramique dit « troyen » - κεραμον Τρωϊκόν - justement dans le temple des «grands Dieux», ou Pénates. L'historien sicilien assure tenir ses renseignements des Lavinates eux-mêmes. Laissons le κεραμον, sur lequel l'érudition archéologique de A. Alfoldi a travaillé avec une grande ingéniosité. A quoi avaient servi ces « caducées »? N'étaient-ils pas identiques, au point de départ, à ces βούποροι όβελοί, ces « broches à transpercer les bœufs », dont, aux dires de Denys d'Halicarnasse, les ennemis de Tatius (des Laurentes) auraient égorgé le roi sabin, par représailles, ainsi qu'avec de simples couteaux de boucherie! L'image est atroce, mais d'une atrocité volontaire: les meurtriers prétendaient venger une insulte (nous ne savons laquelle) que Tatius avait laissé commettre contre leurs « ambassadeurs ». Une querelle de « droit public » est donc jointe à celle du sacrifice proprement dit. Rien ne ressemble plus à une « broche » - lame longue entourée ou terminée de spirales - que le symbole du « caducée », tel que, à partir du culte d'Hermès-Mercure, l'ont porté les « hérauts », les praecones romains comme les κήρυκες du monde grec. Insigne d'autorité (à l'origine, sans doute de l'action magique d'une présence divine), il garantissait une loyale négociation de paix; plus généralement, sous l'Empire romain, il allait signifier une attente de bonheur, de félicitas 15.
14 Voir les remarques de ce savant (F. Castagnoli) sur la « tipologia » des autels de Lavi dans le Bull. Corn, de 1959 (t. 77), p. 189 ss. 15 Noter la ressemblance de forme avec les objets de fer connus dans l'archéologie celtique comme des «broches» utilisées en certaines pesées (cf. le Manuel Déchelette, II, 2, p. 797), et dont nous paraissent avoir été proches les symboles, d'abord fulguratoires, appelés primitive ment manubiae dans une tradition capitoline. nium,
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Nous doutons que les objets très anciens ainsi montrés à Timée aient eu la forme de ces caducées classiques; mais cette équivalence devait corre spondre et à leur apparence, et au rôle qu'ils avaient joué dans des usages cultuels archaïques: rappelons que la querelle entre les Laurentes et les Sabins de Titus Tatius avait commencé, apparemment, sur les formes d'une négociation entre « légats » (refus par les Sabins de quelque règle de protoc ole); de cette rencontre de mots, d'ailleurs - que Tatius, victime de cette querelle avec des Laurentes, ait eu sa tombe, à Rome, dans le quartier de l'Aventin appelé le lauretum - la plupart des critiques modernes ont conclu à un malentendu 16; cependant, l'opposition rituelle entre ces groupes sur les formes d'une « lustration », des manières peut-être différentes d'employer le laurier à cet usage, n'ont rien non plus d'invraisemblable. Le caractère sauvage de l'assassinat, près des autels où Titus Tatius allait « sacrifier », et avec des instruments de sacrifice pris au même endroit, ce récit affabule nécessairement, à notre avis, une querelle rituelle portant part iculièrement sur la façon de sacrifier, de s'approcher des autels, éventuelle ment d'y faire couler ou non le sang des victimes animales. Par-dessus tout, les autels lavinates ont dû chercher à se défendre de la prétention de les aborder « en armes »; or, toutes les images que la tradi tion romaine nous a laissées du roi Titus Tatius et de ses compagnons évoque comme le cliquetis d'un armilustrium permanent. Dans le culte romain officiel, cette opération n'est marquée que pour un ou deux jours au calendrier; alors seuls les danseurs spécialisés que sont les « Saliens » procèdent à cette lustration des armes. Que le lieu d'une de ces purifications, sur l'Aventin, ait été tout proche de ce qu'on appelait la tombe du roi sabin, c'est là le résultat d'une contamination de thèmes comme inévitable. En fait, dans l'épisode même de Tarpéia, il y a les éléments d'un armilustrium, de type rare et violent 17. Le mélange de clans sabins avec le rameau latin des Laurentes, sur la rive gauche du Tibre et près de son embouchure, pour une époque ancienne (VIIe au Ve siècle?), n'est pas impossible à concevoir, sans aller, comme quelques érudits, jusqu'à supposer qu'une catégorie exista chez les Laurentes,
16 P. ex. J. Poucet, op. cit., p. 287-288: «La raison du choix de l'endroit semble claire: c'est vraisemblablement parce que Tatius avait été tué par les Laurentes que l'on imagina de placer sa tombe in Laureto». 17 Nous avons été amené à souligner les affinités avec V armilustrium dans le récit sur Tarpéia, par une interprétation un peu différente de celle de Mme S. Gansinieö (culte «hoplolatrique»?), en l'étude ci-dessus annoncée de L'Antiq. Classique.
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qui aurait correspondu, par exemple, à celle des Titienses. Mais le plus probable est que la population de Lavinium resta hostile aux modes « sabins » de l'organisation militaire et religieuse. La distance qui, sans doute pour une même époque, sépare le style des autels solennels de Lavinium des arae sommaires attribuées à Titus Tatius donne, croyons-nous, une signification presque historique au récit de leur conflit violent avec le légendaire roi sabin. Un peu partout dans le Latium, les traditions « troyennes » se sont développées autour d'usages précis auxquels les Latins étaient attachés, et que leurs voisins moins évolués - le plus souvent les Rutules - méprisaient ou menaçaient. Ce sont les armes trop bruyantes de quelques groupes sabins, leur approche indiscrète des lieux réservés aux rites, qui ont transformé sans doute en reliques d'Enée, dans un sanctuaire de Lavinium, ces curieux objets archaïques, pareils à des caducées, que les Laurentes avaient dû brandir, en les croyant inviolables, et dans les négociations de trêve, et dans les préparatifs sacrificiels.
3 - Des autels de Tatius aux cippes de Bantia: leur rapport probable avec V intégration dans les curies; les rites possibles de « Caenina »? Ces autels votifs que l'on supposait fondés par Titus Tatius à Rome, il va de soi qu'ils ne se confondent pas directement avec les tables d'offrande intérieures aux curies, et que Festus appelle mensae curiales 18. Mais un rapport indirect est vraisemblable de principe: il nous est dit que l'on voyait en chacun de ces locaux consacrés une table-autel que justement Tatius y avait fait dresser en l'honneur d'une Junon Curitis 19. Le nom donné à cette sorte d'Héra ne peut être séparé du vocabulaire des curiae elles-mêmes; toutes les tentatives faites par des modernes pour les dissocier sont aujour d'huicaduques ou inefficaces; et le plus probable est qu'un vocable concret, sabin ou non, tel que *quiri(s), *quiru, avait réellement désigné une lance sacrée, celle qui peut-être avait donné le nom initial à cette unité primitive que les Romains appelaient une curia20.
18 Festus (d'après Paul), p. 56 L.; cf. les remarques de Robert E. A. Palmer, The archaic community of the Romans, 1970, p. 102 et 120. 19 Denys, II, 50; cf. R. Palmer, op. cit. p. 168 ss.; Poucet, op. cit., p. 322. 20 Information très « à jour » dans l'article Quiris-Curis, par W. Eisenhut, publié dans la RE, 47° Hbd, en 1963, col. 1324-1333. L'A. rappelle la suggestion faite en 1901 par Reitzenstein, de lire le nom de la même lance, curi, à la place de curru, dans la prière à la Iuno Curitis de Tibur, conservée par Serv., ad Aen., I, 17. Voir aussi infra, à propos des vernulae.
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Enlèvement des Sabines, motif de la guerre entre Romulus et Titus Tatius; puis, le jour de la réconciliation venue, désignation des 30 curiae régulières par le nom des principales « Sabines » enlevées! Le motif est insis tant, et celui qui enquête sur le sujet a le droit, assurément, de raisonner de cette façon: le thème de l'enlèvement des Sabines, la figure même du roi sabin venu d'abord les venger, toutes ces versions, qui devaient constituer un jour la « légende sabine des origines de Rome », se sont développées à partir de quelques détails que l'on observait dans le fonctionnement des anciennes curies et dans leurs symboles religieux. Le vocabulaire même de 1'« enlèvement » a dû s'encourager de vieux noms ainsi conservés: l'on sait, par exemple, qu'une des curiae veteres s'était appelée Rapta; si l'on prenait Vaition à la lettre, pourquoi cette curie aurait-elle porté cette qualification générique, alors que la plupart des autres passaient pour avoir eu pour éponyme une Sabine personnalisée? Et le problème se compliquerait encore si nous admettions -, comme nous serions tenté de le faire après avoir lu M. R. Palmer21, - que la curia Hostilia, destinée à se détacher des autres comme lieu de réunion du Sénat, et long temps réservée aux négociations de guerre, ne s'était pas distinguée, à l'ori gine, d'une curia Hersilia, c'est-à-dire de celle qui semblait porter le nom de la Sabine ambiguë, comme complice du rapt, par ailleurs hypostase pro bable de la Nerio Martis22. Tout ce que nous savons de l'ancienne organisation des curies suppose que, sur le fond d'une institution essentielle et en quelque sorte donnée d'avance au classement des citoyens romains, il y avait eu des variantes en ce qui concerne le mode d'inscription en ces unités, et les rites exacts à y accomplir. Dans une recherche récente, il nous semblait justement que le récit du conflit entre le « roi » Tullus Hostilius et le dictateur albain appelé Mettius Fufétius, plus particulièrement le rapport que ce récit suppose entre ce Fufétius et les trois champions appelés Curiata, affabulaient une ancienne concurrence entre un type d'intégration curiate considéré comme « albain », et un autre, plus violent, représenté par Hostilius23. Si celui-ci n'est pas
21 Cf. Palmer, op. cit., p. 76 ss. 22 Cf. Palmer, op. cit., p. 77. Nous avions déjà suggéré le rapprochement dans une note sur «Hersilia et les Hostilii», dans L'Antiq. Class., 28, 1959, p. 255-272; voir aussi les remarques de J. Poucet, op. cit., passim. 23 Présentée en communication à l'Institut de Droit romain de l'Université de Paris, en février 1973, cette étude a paru dans la Rh. droit franc, et étr., 1975, 2, sous le titre «Mettius Fufétius: un nom ou un double titre? Remarques sur les structures de l'ancienne société albaine».
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donné comme un « Sabin », du moins est-il proche de Titus Tatius, au point que, dans les curies romaines, ces deux influences ont été presque confondues. Notons surtout ce détail au passage: le rôle du tigillum sororium dans l'épisode d'Horace, surtout le nom de Ianus Curiatius donné à un des autels où s'était effectuée cette « purification », nous font remonter à un état primit if en lequel l'intégration de jeunes gens dans les curies se faisait à travers des « épreuves » de type guerrier, et moyennant l'accomplissement de rites précis, sur des autels déterminés, spécialisés, et cependant extérieurs aux curiae proprement dites24. C'est la destination que nous supposons la plus probable pour les autels romains de Titus Tatius. En trouverions-nous des équivalents en dehors de Rome? Des enclos réunissant plusieurs autels à ciel ouvert, nous en connaissons plusieurs, notamment celui qui a été depuis longtemps retrouvé à Pisaurum: les divinités honorées sont des déesses, et elles le sont par des matronae25. Les autels de Tatius ne forment pas un enclos comparable; mais l'on peut dire qu'ils forment cycle. Il se trouve qu'une découverte a été faite récemment dans le sud de l'Italie, sur le territoire de l'antique Bantia, qui, à plusieurs égards, offre les points de comparaison les plus suggestifs: six cippes retrouvés (il devait y en avoir neuf), en un espace quasi-carré de 7,50 m de côté. Les cippes, fichés dans le sol, ont une hauteur de 0,40 m à 0,44 m, leur sommet a la forme arrondie, et porte quelques lettres gravées. M. Torelli, en publiant ces cippes26, les a définis comme les vestiges d'un templum augurale, c'est-à-dire comme marquant, par leur orientation, les limites précises d'un templum in terra, à partir duquel devait se faire l'observation des signes auguraux dans le templum céleste. Et M. A. Magdelain a comparé cet espace consacré (secondairement un enclos semblable retrouvé à Cosa, en Toscane) à ce qu'avait dû représenter, dans la Rome ancienne, Vauguraculum de Varx capitoline: lieu où Numa, d'après la tradi tion, avait été l'objet d'une exemplaire inauguratio comme rex 21 . Des usages analogues ont pu être appliqués en d'autres régions d'Italie; il semble y en avoir des traces dans le vocabulaire des Tables Eugubines.
24 Voir la note de K. Latte, dans sa Rom. Religionsgesch., p. 133, qui signale la probable ressemblance avec l'entrée des jeunes gens grecs dans les «phratries». 25 Voir nos Matronalia, p. 202. 26 Dans les Rendiconti dell'Accad. dei Lincei (classe Se. mor.), XXI, 1966, p. 293-315. 27 « L'auguraculum » de l'«arx» à Rome et en d'autres villes», dans la REL, XLVII, 1969, p. 253-269.
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Les cippes de Bantia datent apparemment des derniers siècles av. J.-C. La forme des noms est presque latine, avec des restes de dialecte osque (ainsi Flus.). Plusieurs de ces noms sont divins, et le datif, à ce qu'il semble, implique une consécration de chacun de ces cippes-autels à une divinité: Solei, Ioui . . . L'éditeur a cependant dû admettre des abréviations, et chercher à les développer: pour SINAV, avec raison sans doute, il propose le déve loppement sin(istrae) au(es), qui correspond très bien à une définition augurale. Nous excusera-t-on de mettre en doute la lecture qu'il propose pour un autre cippe (le 1er de la série): les lettres CAEN lui ont paru être l'abréviation de Cge(lus) n(octurnus)? Certes, on ne peut s'attendre à rencontrer directement en cette région de l'Italie, très éloignée de Rome, le nom de la bourgade avec laquelle Romul us avait eu démêlés et guerre: Caenina. Mais nous chercherions une divi nité - pour le moins un « génie » - capable d'être invoqué, dont le nom serait apparenté avec ce toponyme, pour nous obscur. Point de raison de mettre en doute l'existence de la localité, et sa rela tive importance à une époque ancienne (VIIe siècle environ?), si difficile qu'il reste pour nous d'identifier son emplacement sur une carte du Latium. Un fait atteste l'importance qu'elle avait eue, la situation d'héritière où Rome se trouvait à son égard: des cultes provenant de Caenina étaient assumés au nom de Rome en pleine époque impériale, par des sacerdotes Caeninenses (p. ê. qualifiés de maximi, ou summï) 28, de la même façon qu'étaient servis les cultes des anciens Cabenses, sans parler des sacerdotes Laurentes Lavinates, de plus haut prestige. Tite-Live ne connaît que les conflits entre Romulus et le chef des Caeninenses: ce roi Acro(n), dont les dépouilles allaient finalement assurer au fondateur de Rome les premières spolia opima à offrir à Jupiter Feretrius. La personne de ce roi paraît peu consistante, et absente de la tradition la plus ancienne29. Mais Denys d'Halicarnasse a conservé un détail curieux: Romulus, alors qu'il allait fonder VUrbs, aurait voulu se rendre à Caenina « pour y célébrer un sacrifice » 30. Lequel? - C'est en cette circonstance que 28 Cf. Palmer, op. cit., p. 134-135 et notes; nous pensons comme l'auteur que la réunion du titre de sac. Cabensis et de curio dans la carrière de Nonius Iustinus (Dessau, ILS 5009) a de la signification: il devait y avoir particulière affinité entre ces anciens cultes et les primitives structures des curiae de Rome. 29 Voir la notice Acron de la RE. Le nom n'évoque rien d'original; tout au plus pourrait-on penser, à partir des vocabulaires grecs, à une désignation de la «pointe de lance», ce qu'exprime en général le mot cuspis. 30 Denys, I, 79: Romulus serait allé là « pour accomplir les rites indigèmes (Πάτρια) au nom de la communauté».
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des bergers rivaux auraient fait prisonnier son frère Rémus . . . Comme l'ont noté quelques critiques, cette version vaut sans doute comme aition pour les opérations cultuelles dont les sacerdotes Caeninenses avaient la charge en pleine époque historique. Sur ce plan religieux, nous ne disposons d'aucune donnée précise. Mais Caenina joue surtout un rôle - d'une certaine manière le premier dans les violences des compagnons de Romulus: les jeunes filles de cette ville sont parmi les premières « Sabinae » du rapt. Il s'ensuit, pour toute la tradition antique, que, le jour de la fusion entre la troupe de Romulus et celle de Titus Tatius, des « Sabins » (?) de Caenina, comme d'Antemnae et de Crustumerium, entrèrent dans la cité romaine, doublant presque ses effectifs. Un auteur, rappelant la création de nouveaux Patres à cette occas ion, les fait choisir « par les curies ». Et comment aurait-on nommé ces unités avant de disposer des noms des Sabines31? Il reste peu de choses à dire, après les minutieuses analyses de M. J. Poucet, sur les mécanismes qui, à un moment donné, ont dû faire entrer dans le récit, élaboré pour l'essentiel, du combat entre Romulus et Titus Tatius, l'appel à quelques bizarres divinités, censées capables d'imméd iate intervention. Ainsi le votum adressé par Romulus à Jupiter Stator... Nous aimerions pouvoir appeler un tel culte « momentiel ». Rappelons d'ailleurs que, si le recours à une divinité pendant une bataille, avec pro messe en cas de victoire, a fait partie des usages courants des magistrats chefs d'armée romains dans les derniers siècles encore de la République, l'invocation de Romulus s'apparente surtout à la brusque initiative que Tullus Hostilius avait prise, d'après la tradition, durant la dure bataille devant Fidènes; avec la création d'un culte - disons au moins d'un « rite » en l'honneur de Pavor et Pallor, la victoire avait été retrouvée de justesse. Mais ce culte, avec ses « Saliens » spéciaux (?), n'a laissé pour nous aucune trace, alors que nous voyons naître, à une date historique (294 av. J.-C), le culte de Jupiter Stator, que nous savons que son temple fut construit ensuite, sur un emplacement connu, et que le seul problème, en ce cas, est de savoir comment ce vœu verifiable fut attribué par la tradition ultérieure à Romulus (on se tirait d'affaire, semble-t-il, en supposant un fanum réservé par le Conditor, le templum ou aedes ne datant que des lendemains de Lucérie) 32.
31 Ce problème se posait déjà pour Varron, qui n'admettait pas que les curies fondées par Romulus aient pu porter dès le début les noms de femmes sabines: cf. Poucet, op. cit., p. 100. 32 Sur tous ces problèmes, voir Poucet, op. cit., surtout p. 318 ss.
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Dans ces conditions, l'épisode du guerrier sabin Mettius Curtius, tombé un moment dans un endroit marécageux (la future Cloaca), ne laisse pas de mériter autant de réflexion. M. Poucet a bien montré que, dans l'agenc ement général du récit du combat entre les deux groupes, l'épisode est arti culé de moins près que les autres, plus « librement » 33. Il est évident, par ailleurs, que l'accident du Sabin n'était pas pour les Romains une explica tion suffisante du nom du lacus Curtius, puisqu'un Romain de ce nom, au IVe siècle, passait pour s'y être engouffré héroïquement, sur son cheval; et que le vocable correspondait à un mot superstitieux étrusque, curce, curieuse ment retranscrit par les Fabii sous la forme Gurges34. Nous retiendrons la superstition quasi-tellurique du péril d'une « fon drière », et d'un génie régnant là, auquel il fallait parfois payer tribut. Mais ne sommes-nous pas proches, ici, justement d'une superstition de Caenina? M. Robert Palmer35, récemment, ayant à évoquer le rôle de cette bourgade, supposait que son nom était dérivé de celui qui, en latin, désigné la boue, le limon: caenum. La superstition du lacus Curtius ne venait-elle pas de là? Et le génie qui y présidait, comme Lua mater, n'exgeait-il pas des « armes » comme tribut (le chevalier Curtius, nous dit-on, s'était précipité dans le gouffre «tout armé»)? Qu'on nous pardonne, pour finir, de proposer un nom religieux de cette sorte comme développement du CAEN gravé sur un des cippes de Bantia. Dans le cas de Mettius Curtius comme de quelques autres, l'aspect « sabin » était assez conventionnel. De même de plusieurs des divinités auxquelles Tatius passait pour avoir voué ses autels, et dont Varron, avec trop de confiance peut-être, croyait sentir la saveur sabine. De toute façon, nous avons affaire à des notions religieuses italiques, probablement connues en d'autres régions de la péninsule que les environs de Rome. Il est devenu facile aux critiques modernes de reconnaître en des récits comme ceux-là le schéma d'un aition: un épisode précis a été supposé, avec des acteurs humains, souvent fictifs, pour expliquer la continuation ou la survivance d'un usage; parce que, à l'époque classique, la plupart des tem-
33 Cf. Poucet, op. cit., p. 241-260 (analyse particulièrement méthodique des versions). 34 Cette équivalence a justement été montrée par J. Heurgon (à la suite de W. Schulze): voir sa Vie quotid. chez les Etrusques, p. 311-312: «Le surnom que (ce Fabius) portait, et dans lequel les Latins se plurent à reconnaître le nom qui signifie chez eux "gouffre ou abîme", n'était en réalité que la transcription d'un nom propre, Curce(s), deux fois attesté à Chiusi». 35 Op. cit., p. 106, n. 3. Un fondateur, Caenis ou Caenites, était supposé: nom certaine ment fabriqué.
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pies avaient une date de fondation, un personnage historique pour fondateur. S'attendrait-on à ce que les usages romains de recrutement et de classement des citoyens dans les « curies », le peu que la Rome classique en conservait (p. ex. la fête des Fornacalia, un jour par an) aient eu réellement des fonda teurs historiques, dont les noms aient eu chance d'être authentiquement conservés? Ce qui nous frappe dans l'étude des arae Tatiae, après avoir relu les analyses de M. Poucet, c'est le rapport qu'elles ont, moins avec des exploits guerriers d'un chef sabin plutôt que latin, qu'avec d'anciennes opéra tions cultuelles relatives à l'intégration des jeunes gens dans les curies. Aussi sommes-nous tenté de définir ces récits, évidemment fabriqués, moins comme de simples « légendes », élaborées progressivement, ingénieusement mais arbitrairement par des « mythographes », que comme les « affabulations » singulièrement exactes de très anciennes structures. A aucun moment, en aucun siècle, si haut qu'on remonte, l'espace assez étroit allant du Capitole au Forum n'a assisté à un combat réel entre un groupe de Romains déjà installés, dont le chef serait Romulus, et un groupe de Sabins prétendant venger une injure, exiger une place sur le même site. Mais longtemps sans doute, l'entrée des jeunes Romains dans les curies respectives, avec les privi lèges qui s'ensuivaient (le droit à une « lance » sacrée), avait donné lieu, une ou plusieurs fois au calendrier de l'année, à des épreuves guerrières au moins simulées. De la même façon que ni les divertissements des femmes aux Nones Caprotines, ni les mouvements des Poplifugia, en juillet, ne pouvaient plus être compris des Romains des derniers siècles de la République que comme les « commémorations » d'un épisode de guerre, de siège, alors qu'ils étaient le résidu de très anciens usages rythmant les rapports entre la société des Quirites et l'élan d'une pubes entraînée hors du pomerium 36, le détail des combats entre la troupe de Romulus et celle de Titus Tatius traduisait, à notre avis, le souvenir précis de courtes violences par lesquelles, jadis, vernulae (nous employons à dessein une expression, gardée dans une prière tiburtine37) et candidats du dehors, se disputaient l'entrée dans les respectives curiae *
36 Voir nos remarques, dans la Rh. droit franc, étr. de 1970, p. 4, à propos de la «ligne pomériale», et dans L'Antiq. Class de 1972, p. 49, 77, au sujet de la disparition de Romulus dans la nuit des Nones Caprotines. 37 Voir sur le mot les remarques de R. Palmer, op. cit., p. 61-62. * Le lecteur voudra bien rectifier l'indication bibliographique donnée dans les notes 11 et 17: l'étude à laquelle il est renvoyé est en fait le premier chapitre d'un ouvrage sur La chute des Tarquins et les débuts de la République romaine, Paris, edit. Payot, 1976.
ANTONIO GIULIANO
UNA ANFORA ETRUSCA POLICROMA
Si trova in una collezione privata di Torino: alta cm. 35,5; dipinta in nero, rosso e bianco; graffita; presenta nel punto di massima espansione un fregio di figure mostruose (Fig. 1-4). Nella testa, frontale, di un felino si innestano, araldici, i corpi di due animali; dai posteriori di uno di essi si distacca il corpo di una sfinge. Riempitivi animali e vegetali invadono il campo. La tensione delle figure, costrette in un campo troppo basso, si conclude nella testa del mostro, centro della composizione. La sicurezza e la perentorietà dell'impianto dei mostri e dei riempitivi, l'uso di una intensa policromia, fanno dell'anfora uno degli esemplari più notevoli di un gruppo che J. G. Szilâgyi ha definitivamente articolato \ Si tratta dei vasi apparte nenti al cosiddetto Gruppo Policromo, ricco di più di 60 esemplari. In esso risaltano in particolare le anfore del Ciclo di Monte Abbatone, dipinte con ogni probabilità a Cerveteri sullo scorcio del VII secolo, da cinque pittori, alcuni dei quali strettamente interdipendenti. Una di esse [6], già sul mercato antiquario a Roma, è identica per forma e campitura decorativa all'esemplare di Torino: attribuita al Gruppo di Monte Abbatone e, nell'ambito di quello, al Maestro di Marsiliana. Il motivo della testa sulla quale si innestano i corpi araldici di due felini compare identico in un'anfora da Tarquinia [17] presso la Fondazione Lerici, ora nel Museo di Villa Giulia, del Ciclo di Monte Abbatone opera del Maestro dei Cappi (dal motivo che compare sul muso dell'animale). A quest'ultimo, il più dotato, può, con ogni probabilità, essere attribuita l'anfora di Torino. 1 Circonferenza cm. 86,6; alt. collo 10; diam. bocca 18,5; diam. pancia 28. Photostudio 2. Sul Gruppo Policromo, da ultimo, con bibl. prec: J. G. Szilâgyi, Etrusko-korinthische polychrome Vasen, Wissenschaftliche Zeitschrift der Universität Rostock, 16. Jahrgang, 1967. Gesellschaftsuns Sprachwissenschaftliche Reihe, Heft 7/8, p. 543 ss.; H. Hoffmann, Ten Centuries that shaped the West-Greek and Roman Art in Texas Collections, Mainz 1970, p. 320, n. 154 (Dallas Museum of Fine Arts); G. Bartoloni, he tombe da Poggio Buco nel Museo Archeologico di Firenze Firenze 1972, p. 108, n. ò, fig. 51, tav. LXIII a, e; Nuove scoperte e acquisizioni nell'Etruria meridionale (presentazione di Mario Moretti), Roma 1975, p. 55, n. 1-2: anfore della Fonda zioneLerici (A. Emiliozzi Morandi) - p. 203 s., n. 13-14, tav. 50: olpe e anfora della collezione Pesciotti (G. Bartoloni); A. C. Brown, Recent Acquisitions by the Ashmolean Museum, Oxford, Archaeological Reports for 1974-75, p. 37, n. 69, fig. 18; sul Gruppo, ora: J. G. Szilâgyi, Etrusko-Korinthosi Vazafestészet, Budapest 1975.
ANTONIO GIULIANO
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Fig. 1.
Fig. 3.
Fig. 2.
Fig. 4.
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SUR UN MOT DE CICÉRON OU AVIGNON ET LE DOMAINE DE MARSEILLE
Dans son ouvrage Rome et la Méditerranée Occidentale, J. Heurgon dressait un tableau de P« expansion massaliète » depuis la fondation de la cité phocéenne jusqu'aux guerres puniques *. S'appuyant sur les travaux antérieurs de F. Benoît, Fr. Villard, H. Gallet de Santerre, et sur l'excellente mise au point de J.-P.Morel 2, il nous a donné quelques pages dont, six ou sept années après leur rédaction, aucun mot ne demande à être changé. Tous s'accordent aujourd'hui pour penser avec lui que, du VIe au IVe siècle, abstraction faite des comptoirs et « colonies », le territoire de Marseille « était réduit à une mince bande de terre qui, au Sud de l'étang de Berre, aboutissait à Saint-Biaise, et à l'Est ne dépassait guère une quinzaine de kilomètres le long de la vallée de l'Huveaune ». Aussi bien n'est-ce pas dans ce cadre chronologique que va se situer notre étude, mais à une époque pour laquelle le consensus n'est pas réalisé - tant s'en faut: la période hellénistique. Encore une fois!, pourrait s'exclamer le spécialiste d'histoire et d'archéol ogie provençales, qui sait bien qu'une très longue bibliographie a présenté depuis un siècle les documents, à vrai dire peu nombreux, de la tradition littéraire3, et qui, d'autre part, n'ignore pas l'ambiguïté fondamentale des données archéologiques. On nous permettra cependant de récapituler très
1 Paris, 1969, p. 186-191. 2 F. Benoît, Recherches sur l'hellénisation du Midi de la Gaule, Aix-en-Provence, 1965; Fr. Villard, La céramique grecque de Marseille, Paris, 1960; H. Gallet de Santerre, A propos de la céramique grecque de Marseille, questions d'archéologie languedocienne, dans REA, 1962, p. 378-403; J.-P. Morel, Les Phocéens en Occident: certitudes et hypothèses, dans La Parola del Passato, 1966, p. 378-420. 3 On en trouvera les références dans G. Barruol, Les peuples préromains du Sud-Est de la Gaule, Paris, 1969, p. xxi-xxn (bibliographie: Domaine de Marseille) et p. 221-230.
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brièvement celles-ci comme ceux-là, ne serait-ce que pour tenter de cerner le nœud du problème - trop souvent méconnu -, en nous limitant à la zone géographique définie par le delta et la basse vallée du Rhône, d'Avignon à la mer. La datation controversée du Περί Θαυμάσιων ακουσμάτων du PseudoAristote nous invite à demeurer réservé à l'égard de la mention d'une χώρα των Μασσαλιωτών, au voisinage de la Ligurie, où se serait trouvé un certain étang - forcément, à l'Ouest4. En revanche, outre d'autres localités encore non identifiées5, Etienne de Byzance, se référant aux Géographiques d'Artémidore, cite Cavaillon comme πόλις Μασσαλίας 6; la même qualification, attribuée à Avignon, laisse supposer la même source, généralement datée de l'extrême fin du IIe siècle avant J.-C. 7. Quant au sens de l'expression πόλεις Μασσαλίας, l'étude philologique poussée de J. Brunei 8 suggère de voir en elle non pas une simple localisation géographique (« en Massalie, dans la région de Marseille ») mais le signe d'une appartenance politique 9. Par malheur, Strabon ne confirme pas, malgré l'ancienneté de sa documentation, une présence massaliote excédant, vers le Nord, la région du delta 10, pas plus qu'il n'éclaire la phrase si controversée de César attestant l'attribution à Marseille de territoires confisqués aux Volques Arécomiques et aux Helviens n, à moins qu'on n'accepte le passage signalant qu'au IIe siècle
4 Le traité est daté de la seconde moitié du ΙΓ siècle avant J.-C. par P. Moraux, Les listes anciennes des ouvrages d'Aristote, Louvain, 1951, p. 261 (cité par G. Barruol, ibid., p. 63), mais du ΙΓ siècle après J.-C. par son éditeur le plus récent A. Giannini, Paradoxographorum graecorum reliquiae, Milan, 1966 et Studi sulla paradossografia greca da Callimaco all'età imperiale, dans Acme, 1964, p. 133-135. 5 Alônis, généralement considérée comme identique à l'espagnole Allo de Pomponius Mela (II, 93) et de Ptolémée (II, 6, 14) mais revendiquée par F. Benoît {Recherches..., p. 105) pour la Gaule: ce serait Port d'Alon, dans le Var; Mastramélè, identifiée à Saint-Biaise par H. Rolland, Un problème de topographie antique: les fouilles de Saint-Biaise et la toponymie antique, dans Latomus, 1948, p. 169-183; et d'autres, de localisation encore plus conjecturale. 6 Etienne de Byzance, Ethniques, s. v. 7 Cf. références dans P.-M. Duval, La Gaule jusqu'au milieu du Ve siècle, Sources de l'Histoire de France, Paris, 1971, 1, p. 239. Et J. Brunei, Etienne de Byzance et le domaine marseillais, dans REA, 1945, p. 130-131. 8 Ibid., p. 122-133. 9 Ibid., p. 124: «l'emploi de ce substantif Μασσαλία pour désigner la région, non la ville, n'est pas conforme à la valeur première du mot». 10 IV, 1, 8, confirme, en revanche, l'appartenance du delta. 11 César, BC, I, 35, 4. Sur les difficultés du texte, F. Pomponi, Rome et les Volques, 38e Congrès de la Fédération du Languedoc-Roussillon, 1966, p. 109-116. En dernier lieu,
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avant J.-C. l'empire averne s'étendait jusqu'à Narbonne et jusqu'aux fron tières de la « Massaliotide » comme l'indice d'une expansion massaliote, dès cette époque, sur la rive droite du Rhône, expansion que Rome eût par la suite renforcée - hypothèse à tout le moins risquée 12. On le voit donc, c'est sur Etienne de Byzance et, à travers lui, sur Artémidore - pour Cavaillon - et sur une conjecture (vraisemblable) - pour Avignon - que se fonde la conception d'un domaine massaliote « atteignant la Durance » et comportant même « deux têtes de pont de l'autre côté de cette rivière: Avignon et Cavaillon » 13. L'unicité du témoignage incitait M. Clerc à le rejeter et à refuser de voir en ces deux villes, de même qu'en celles (non localisées) mentionnées par Etienne, des parties constituantes de l'Etat massaliote 14. Reconnaissons que, si certains auteurs modernes prennent franchement parti en sens inverse 15, la plupart préfèrent utiliser des formules prudentes 16, voire considérer le problème comme désespéré 17. De fait, l'archéologie n'apporte pas les lumières qu'en pareille circons tance, un peu naïvement, on espère d'elle. Si le cas de Glanum-Glanon
l'hypothèse ingénieuse mais peu vraisemblable de J.-J. Hatt, Le commerce de Marseille pendant la guerre des Gaules, dans Hommages F. Benoît, 1972, III, p. 149-151. 12 IV, 2, 3. Cette interprétation, qui est celle de G. Barruol {op. cit., p. 227) et que J. Brunei (loc. cit., p. 133) proposait également avec prudence, semble devoir être accueillie avec réserve: quelque traduction que l'on donne du texte de César, les confiscations de terri toires volques et helviens ne sauraient remonter à une époque antérieure aux campagnes de Pompée contre Sertorius. Quant aux limites de l'empire arverne selon Strabon, elles sont présentées en termes très vagues («jusqu'à l'Océan, jusqu'au Rhin»): la source, quelle qu'elle fût, cherchait à donner l'impression d'une puissance contrôlant l'ensemble de la Gaule de l'Est (le Rhin) à l'Ouest (l'Océan), du Nord au Sud (Narbonne) et menaçant même Marseille, l'alliée de Rome; les développements concernant les rois arvernes, Luern et Bituit, ces barbares fastueux aux armées impressionnantes, allaient dans le même sens. 13 J. Brunei, ibid., p. 129. 14 M. Clerc, Massalia, Marseille, 1927, I, p. 242: «le lexicographe a compté parmi les "villes" marseillaises des villes simplement fréquentées par les marchands marseillais, qui y avaient sans doute des établissements plus ou moins permanents, des factoreries». 15 Fr. Villard, op. cit., p. 109; G. Barruol, p. 228. 16 F. Benoît, Recherches..., p. 133: «sans doute» à propos d'Avignon; S. Gagnière, J. Granier, Avignon de la Préhistoire à la Papauté, Avignon, 1970, p. 67, emploient le terme vague de «domination de Marseille»; Fr. Salviat, dans Histoire de Marseille, Toulouse, 1973, p. 26, écrit que Marseille « s'efforce de tenir les terres proches du delta du Rhône, jusqu'à Avignon». 17 J.-P. Morel, loc. cit., p. 411: «étant donné l'insuffisance de la tradition antique (...) il est pratiquement impossible d'arriver sur ce point à quelque certitude».
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paraît relativement net 18 malgré bien des incertitudes chronologiques 19, les fouilles de Cavaillon et d'Avignon n'ont mis au jour aucun de ces monu ments hellénistiques qui amèneraient à voir en ces « villes » plus que des habitats indigènes. Ce n'est pas à l'abondance du matériel céramique importé ou des monnaies de Marseille dans les niveaux archéologiques que l'on se fiera: l'intensité des courants commerciaux ne prouve en rien, évidemment, une appartenance politique20. Les inscriptions gallo-grecques, dont la publication d'ensemble est attendue avec impatience21, peuvent attester une influence culturelle profonde quoique circonscrite22 mais non établir à elles seules la réalité d'un lien administratif. En définitive, c'est la numismatique qui fournit les arguments les plus forts: « alors que, dans les oppida celto-ligures, circulaient d'affreuses imitations des bronzes massaliotes, seuls Avignon et Cavaillon, Glanon et le chef -lieu non encore localisé des Καινικητών (...) frappaient des monnaies d'argent et de bronze de bon style, d'un type autonome et à légen-
18 Des maisons à la grecque, des monuments publics de style hellénistique - un portique, un nymphée, un bouleuterion -, une porte fortifiée évoquant celles de Marseille, de SaintBiaise et, au-delà, de Sicile, voilà qui ne laisse guère de doute. La présence des « héros accroupis » ou la taille" d'une alvéole céphaliforme dans un des blocs de couronnement de ce qu'on appelle improprement le rempart ne témoignent pas forcément d'un épisode de reconquête celto-ligure mais attesteraient aussi bien l'existence (normale) d'une population mixte. 19 Les datations fournies par H. Rolland paraissent de plus en plus sujettes à caution. Signalons une des rares données nouvelles qui ne soient pas inédites: A. Barbet, étudiant les peintures murales de Glanum (Recueil général des peintures murales de la Gaule, I, dans XXVIIe Suppl. à Gallia, 1974), a montré l'identité stylistique des fresques (attribuées à la même main) recouvrant certains murs de la « Maison aux deux alcôves » et de celles qui ornent le portique dorique XXXIII; H. Rolland attribuait ces deux édifices à deux périodes différentes, la seconde étant précisément caractérisée par la destruction des monuments de la précédente. A quand remontent les monuments «grecs», notamment portique et maisons? Nul ne le sait aujourd'hui, et une date postérieure à la conquête romaine n'a rien d'impossible, comme l'a prouvé la controverse autour du fameux graffito de Teucer: H. Rolland, Fouilles de Glanum, dans ΧΓ Suppl. à Gallia, 1958, p. 123-124. 20 Sur les fouilles d'Avignon correspondant à la période hellénistique, S. Gagnière, J. Granier, op. cit., p. 65-68. Aucune bonne synthèse n'existe concernant Cavaillon: on se reportera aux Informations archéologiques de Gallia. Pour la « sur-interprétation » du matériel céramique, cf. J. de Wever, La χώρα massaliote d'après les fouilles récentes, dans L'Antiquité Classique, 1966, p. 71-117. 21 L'étude la plus récente demeure la communication de P.-M. Duval dans les Actes du Colloque sur les influences helléniques en Gaule, Dijon, 1958, p. 63-69. 22 Cf. G. Barruol, op. cit., p. 226.
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des grecques correctes » 23. La coïncidence entre ces données et le texte d'Etienne de Byzance ne laisse guère, apparemment, de justification au scepticisme. Il n'en demeure pas moins une question fondamentale: quels liens précis unissaient Avignon et Cavaillon (pour nous en tenir à la rive gauche du Rhône) à Marseille? Des rapports de sujétion, comme le laisserait entendre un passage équivoque de Strabon 24? Mais alors pourquoi ces monn aies « de type autonome »? Une simple alliance entre Cavares et Massaliotes? Alors pourquoi parler de πόλεις Μασσαλίας? Une réelle «intégration»? Tel est le nœud du problème: non pas l'extension géographique d'un « domaine » dont la réalité, selon nous, n'est pas douteuse et qui englobait, au Nord, Avignon, mais la nature du lien qui en faisait l'unité.
En juillet ou en août 56 avant J.-C, se tient à Rome un étrange procès. Un chevalier romain, L. Cornelius Balbus, voit sa citoyenneté mise en cause par un accusateur inconnu, dont nous savons seulement qu'il a perdu naguère ses droits civils et qu'il espère sa réhabilitation du gain de l'action qu'il a introduite25. L'accusation tient en ceci: en conférant la cité à Balbus, lors des campagnes contre Sertorius, et malgré la caution de la lex Gelila Cornelia, Pompée a violé les droits de Gadès, cité fédérée, dont Balbus était originaire: pour que cet acte fût valide, l'acquiescement du populus gaditain était nécessaire; Balbus n'est donc pas citoyen romain, sa naturalisation n'ayant pas respecté le fœdus passé entre Rome et sa patrie d'origine. En faveur du défendeur, Crassus, Pompée et Cicéron prennent la parole. De la plaidoirie de ce dernier, le Pro Ealbo, un seul point nous intéresse. Recherchant des précédents, il énumère une liste d'hommes d'Etat romains ayant accordé la citoyenneté en récompense de services exceptionnels: Marius, Cn. Pompée (le père), P. Crassus, Sylla, Q. Metellus Pius, et il ajoute: hic qui adest (...), M. Crassus, non Avenniensem fœderatum civitate donavit26? Laissons Balbus écouter la suite des débats, dont il sait déjà qu'il n'a rien à craindre, et occupons-nous de cet Avignonnais.
23 H. Rolland. A propos des fouilles de Saint-Biaise, dans REA, 1949, p. 97, avec références. 24 IV, 1, 5: υπήκοοι. 25 Cf. l'édition, avec une longue introduction, du plaidoyer de Cicéron par J. Cousin, Les Belles Lettres, 1962 (Cicéron, Discours, t. XV), p. 213-282. 26 § 50.
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Qu'il s'agissse d'un homme d'Avignon ne se peut, en effet, contester27. Voilà donc Avignon placée sur le même pied que d'illustres cités, rangées par Cicéron, explicitement ou implicitement, parmi les civitates fœderatae2*: Camerinum, Ravenne, Héraclée, Marseille, Gadès, Sagonte, etc. Il n'est pas sûr pourtant que le tribunal et l'assistance aient été bien au courant de ce fœdus puisque l'orateur s'est senti tenu de préciser: « Crassus n'a-t-il pas fait don de la citoyenneté romaine à un Avignonnais - un fédéré? ». A quelle occasion Crassus accorda-t-il cette cité? Si, comme le dit Cicéron, Pompée a suivi son exemple, l'acte est antérieur à la fin de la guerre contre Sertorius (hiver 72 - printemps 71). Si, d'autre part, la liste des généraux respecte, comme c'est probable, l'ordre chronologique (le secrétariat de Cicéron a sans doute constitué des fiches d'après les documents officiels), la citation de Q. Metellus Pius se réfère sûrement à son gouvernement d'Espagne en 79-78. En conséquence, pour Crassus, la seule occasion possible, entre 78 et 71, c'est la guerre de Spartacus. L'antérior ité par rapport à Pompée est donc faible, voire nulle29, mais qui irait vérifier dans les archives les dires de Cicéron? Au demeurant, nous ne som mes pas à un mois près. Le contexte est donc clair: en 72 ou 71, Crassus accorde, virtutis causa, la citoyenneté à un soldat Avignonnais enrôlé sous ses ordres30. Et cet Avignonnais est fœderatus. Or, en Gaule Transalpine - la future Narbonnaise -, deux peuples seulement ont bénéficié du statut de civitas fœderata: Marseille et les Voconces31. En 72-71, ces derniers viennent à peine de déposer les armes après une révolte que Fontéius a réprimée avec une cruauté qui constituera,
27 L'ethnique Avenniensis est bien attesté: CIL, XII, 3169 et 3275: Q. Soilio T. fil. Vol. Valeriano (...) curatori Cabell. Avenniens. Foroiuliens. Aptenses patrono. Cf. aussi Grégoire de Tours, Franc, 6, 9: Avenniensis civitatis pontifice. La leçon des manuscrits du Pro Ealbo est Avennensem (PGEH) ou Avenniensem (HV). On ne voit d'ailleurs pas ce que pourrait être une éventuelle correction. 28 Notons que le Pro Balbo est notre seule source pour attester un fœdus passé entre Rome et Ravenne. 29 Au point que J. Carcopino, Histoire romaine, César, Paris, 1950, suppose p. 553, note 121, que la lex Gellia Cornelia valait tant pour Pompée que pour Crassus «et les soldats qu'il avait levés contre Spartacus». 30 Le cas n'est pas unique, de Transalpin enrôlé dans les armées romaines. Le grand-père de Trogue-Pompée, un Voconce, reçut la citoyenneté de Pompée durant la guerre contre Sertorius - vraisemblablement en même temps que Balbus (Justin, XLIII, 5, 11). 31 Concernant Marseille, toute référence est inutile. Pour les Voconces, Pline, N. H., III, 4, 37: Vocontiorum civitatis fœderatae.
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trois ans plus tard, l'un des chefs de l'accusation portée contre lui par une délégation gauloise. Au moment des faits relatés par Cicéron32, la seule cité fédérée de Gaule, c'est Marseille. Celle-ci, à lire Strabon, a reçu de Rome en 122 un accroissement territorial consistant en une bande côtière peu profonde qui la relie à Monaco33, et Marius lui a remis l'e xploitation des fossae qui portent son nom34. En revanche, aucun texte ne signale une quelconque attribution de terres dans la vallée du Rhône: les confiscations opérées au détriment des Volques Arécomiques et des Helviens, auxquelles nous avons fait allusion, sont (au plus tôt) contem poraines des événements qui nous intéressent - les campagnes contre Sertorius et Spartacus. En conséquence, dans la vallée du Rhône, la situation demeure celle de la fin du IIe siècle, à ceci près que Rome l'a reconnue et sans doute fortifiée. Notre Avignonnais ne peut donc être « fédéré » que par son apparte nanceà la civitas fœderata de Marseille. En ce sens, la mention (fugitive, au point d'être passée inaperçue) de Cicéron confirmerait de manière décisive, s'il en était besoin, les dires d'Etienne de Byzance et les données de la numismatique. Mais on peut sans doute en tirer davantage. De même que Balbus était citoyen à part entière de Gadès, de même, au regard du droit international consacré par le fœdus, notre inconnu est citoyen de la civitas fœderata à laquelle il appartient, c'est-à-dire qu'il possède (aux yeux de Rome) le rang et la qualité d'un homme libre de Massalia. On précise cependant qu'il est Avignonnais, au lieu de dire simplement massaliote comme pour cet Ariston qui, toujours d'après le Pro Ealbo, reçut la cité romaine de Sylla35. Accordons assez de confiance au sens juridique de l'adminis trationromaine pour penser que cette distinction recouvre une situation de droit bien précise. Laquelle? Il n'est qu'une possibilité: celle d'un Etat fédéral regroupant autour de Marseille un certain nombre de cités (Avignon, Cavaillon, Glanon, les Kainikétai) conservant leur individualité propre, leur corps de citoyens (dont les représentants se réunissent dans le bouleuterion local, comme à Glanum), frappant selon les normes massaliotes leur propre numé-
32 exstant 33 34 35
Mais non au moment où il prononce le Pro Ealbo: cf. § 61: etenim quaedam fœdera (...) ex Gallia barbarorum. IV, 1, 5. Strabon, IV, 1, 8. Ibidem, § 50: Massiliensem Aristonem L. Sulla (civitate nonne donavit)?
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raire - à moins que la Monnaie de Marseille ne s'en charge -, mais unies à la cité phocéenne par un lien assez fort pour que l'ensemble constitue un tout, jouissant, dans le cadre d'un fœdus avec une puissance extérieure, des mêmes clauses et des mêmes droits. Il ne s'agit donc pas d'un simple traité d'alliance - sinon un Avignonnais ne bénéficierait pas d'un fœdus passé entre Rome et Marseille -, il ne s'agit pas non plus d'un domaine dont les Mars eillais seraient les maîtres et les populations indigènes les sujets36, mais bel et bien d'une « Massalie » au sein de laquelle, au moins dans certains cas, se sont instaurés des rapports d'égalité dont le détail nous échappe mais dont l'esprit - loué soit Cicéron! - nous a sans doute été conservé par un mot: fœderatum.
36 Strabon, IV, 1, 5 (υπήκοοι) peut s'expliquer soit par la méconnaissance de rapports juridiques complexes, dépassés de son temps, soit - c'est notre sentiment - par le fait qu'à l'intérieur du domaine marseillais se distinguent des «sujets» (peut-être à proximité même de Marseille) et les cités fédérées.
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CATULLE LU: SIMPLE FRONDE OU PESSIMISME SANS MERCI?
Si connu que nous puissions le supposer du lecteur, rappelons le texte de cet impitoyable quatrain iambique de Catulle, en y joignant une traduc tion personnelle que nous nous efforcerons de justifier: Quid est, Catulle? quid moraris emori? Sella in curulei * struma Nonius sedet, per consulatum perierat2 Vatinius: quid est, Catulle? quid moraris emori? « Où as-tu donc la tête 3, Catulle? pourquoi diffères-tu de quitter cette vie? Sur une chaise curule trône Nonius la strume, cependant que Vatinius se parjure par son consulat: où as-tu donc la tête, Catulle? pourquoi dif fères-tu de quitter cette vie? ». « A brief, sardonic comment on the contemporary political scene. One suspects that Pompey and Caesar, the supporters of these worthless, gro tesque creatures4, are the real objectives of C's abuse (cf. Poems 29 and
1 Curulu O: curuli cett. La leçon, évidemment erronée, de YOxoniensis, a suggéré curulei à Ellis, imité par Lafaye, Dolç et Bardon. Cf. V. Cremona, Problemi di ortografia catulliana in Aevum 32, 1958, 401-443. 2 C'est la leçon de G, Ο et R, adoptée par Ellis, Riese, Schwabe, Lafaye, Dolç, Pöschl et plus récemment par G. A. Cornacchia, in Boll, di St. hat. Ill, 1973, 90, qui se réfère à V. Cremona (voir η. 1, supra) et qui écrit à juste titre: «i codici recentiores hanno peierat, ma l'arcaismo testimoniato da V si confa alla "gravita ironica" del contesto». 3 Quid est? n'est point l'équivalent d'un simple Quid? Il ne faut pas le traduire par «Quoi donc?» (Lafaye) ni par «Eh bien» (Bardon). G. Mazzoni, Catullo - Poesie, Bologne, 1945, l'a mieux saisi: «Che fai Catullo?». Ce Quid est?, qui precède toujours une autre inter rogation plus explicite, et qui, le plus souvent, marque un mouvement d'incrédulité (e.g. PL, Amph. 566, Capt. 578, Rud. 676), signifie littéralement: «Qu'est-ce qui arrive?». Il a pour équivalents, dans la langue française, les tours familiers: «Tu n'y es plus!», «Où as-tu la tête?». 4 Pour les actes de favoritisme éhonté auxquels fait allusion Catulle, contentons-nous de renvoyer le lecteur aux abondants éclaircissements des édition commentées d'Ellis, Kroll,
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54). », écrit l'auteur de la plus recente édition commentée de Catulle, Kenneth Quinn, Catullus - The Poems, Londres, 1970, p. 246. On ne saurait mieux définir « this outburst of disgust at the good fortune of the triumvirs' protégés », pour reprendre les mots de C. J. Fordyce, Catullus - A Commentary, Oxford, 1961, p. 221. Nous-même avions eu l'occasion jadis d'écrire que dans ces iambes « le désespoir le dispute à la rosserie, l'indignation au pessimisme » 5, en souscrivant sans réserve à ce jugement de M. Lenchantin de Gubernatis: « Catullo sembra quasi conscio che, davanti alla malvagità trionfante, la opposizione di un uomo non sia sufficiente» (// Libro di Catullo, Turin, 19332, p. XL). A coup sûr, toujours comme Lenchantin, nous voulons bien admettre qu'à l'origine tout au moins des diatribes catulliennes contre les césariens et pompéiens, des rancunes d'ordre personnel ou des motifs de basse jalousie aient pu jouer un certain rôle; et qu'on s'égarerait à vouloir tenter un rapprochement avec les mobiles, d'une toute autre noblesse, qui dictèrent à un Caton d'Utique ses courageuses prises de position publiques contre la démagogie et les abus de pouvoir des triumvirs. Mais comment, aussi, ne pas donner raison à C. Deroux d'avoir écrit qu'après tout, Catulle aurait pu profiter lui-même, pour peu qu'il l'eût voulu, de la sinistra lïberalitas (Cat. XXIX, 15) de César6? ce César, hôte attitré à Vérone du père du poète! ce César qui ne cessa de faire montre de tant de mansuétude à l'égard de son détracteur! (Suétone, Diu. lui, LXXIII, 4). Non! Catulle n'avait pas une âme vénale.
L'ASPECT FRONDEUR Cet aspect est indéniable et serait seul en cause si Catulle s'était con tenté d'écrire les vers 2 et 3, seil, un distique ne prenant pour cibles que Nonius et Vatinius et ne comportant pas d'apostrophe adressée par le poète
Fordyce, ainsi qu'à F. Della Corte, Due Studi Catulliani, Gênes, 1951, pp. 193-195. On trouvera une biographie précise de Vatinius pp. 225-233 de l'éd.-trad. de Vin Vatinium aux Belles Lettres, 1965, par J. Cousin, qui ne dissimule point sa dette à l'ébard de H. Gundel, RE VIII A 1, 495-520, mais a le mérite d'avoir fait un effort d'équité dans ses jugements sur le protégé de César. 5 J. Granarolo, L'Œuvre de Catulle - Aspects religieux, éthiques et stylistiques, Paris, Belles Lettres, 1967, p. 180. 6 C. Deroux, A propos de l'attitude politique de Catulle, dans Latomus, XXIX, 1970,608-631.
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à lui-même. Auquel cas, il est vrai, Catulle aurait sans doute fait choix non point du trimeter iambicus Archilochius (voir éd. Schuster, Leipzig, 19583, p. 110), mais du distichon elegiacum (cf. ce. LXXXV, XCIII, XCIV, CV, CVI, CXII, excellemment étudiés par O. Weinreich, Die Distichen des Catull, Tübingen, 1926), puisqu'il n'a écrit que dans ce dernier mètre - disons plutôt: couple de mètres - les épigrammes qu'il a expressément voulu réduire à deux vers. Ce faisant, Catulle aurait eu, au surplus, l'avantage de disposer, pour évoquer ses deux personnages, d'une forme métrique un peu moins condensée et contraignante. Il faut précisément le reconnaître, Catulle a accompli un tour de force artistique, utilisant avec une rare maîtrise les ressources combinées de la poésie populaire (pour la phraséologie notamment: voir plus loin) et de l'alexandrinisme épigrammatique. Et sous ce rapport, Giuseppe Antonio Cornacchia, {Bollettino di Studi Latini III, 1973, 89-91), a dit tout ce qu'il fallait dire, et avec autant d'élégante concision que de goût pénétrant. Il serait oiseaux d'y revenir. Observons simplement qu'il serait difficile de faire tenir en moins de mots un énoncé satirique aussi cinglant, lequel pourrait s'expliciter de la sorte: « un monstre hideux et ridicule a été choisi pour Pédilité et s'y pavane, ce qui est déjà lamentable! Mais il y a bien pis: un arriviste se sait tellement sûr, grâce au patronage des triumvirs, d'accéder prochainement au consulat qu'il ose faire déjà des serments par ce consulat: inconscience? ou cynisme? ». Et si Catulle a su faire coup double, c'est évidemment qu'il s'est empressé de tirer parti d'une aubaine. Chacun sait que Vatinius était scrofuleux (on disait autrefois « strumeux »). Or le hasard a voulu que Nonius7, comme nous l'apprend Pline l'Ancien, N.H. XXXVII, 81, appartenait à une famille qui portait elle-même le surnom de Struma: le vocable même que Cicéron avait
7 Pour pouvoir apprécier à sa juste valeur cet art de la caricature où Catulle est passé maître, il importe assez peu de déterminer l'identité exacte de ce Nonius. H. Bardon, Catulli Carmina, coll. Latomus, vol. 112, Bruxelles, 1970, note à juste titre, p. 96: «Pour Nonius, on hésite entre L. Nonius Asprenas, légat de César en Espagne et en Afrique, proconsul d'Afrique en 46, et le partisan de Pompée M. Nonius Sufenas (cf. C. L. Neudling, A Prosopography to Catullus, Oxford, 1955, p. 133-134) ». Mais Bardon s'aventure en ajoutant (et en citant, à l'appui de ce dire, le texte de Pline l'Ancien): «II faut cependant opter pour ce dernier». Comme l'observe avec raison C. J. Fordyce, op. laud., p. 222, « unfortunately Pliny gives non cognomen». G. Β. Pighi, Prolegomeni al Catullo Veronese, Vérone, 1961, p. 12, opte au con traire pour « L. Nonio Aspenate» (sic). Voir Fordyce pour les arguments qui semblent faire pencher légèrement la balance en faveur de M. Nonius Sufenas.
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employé en 59 d'abord, dans une lettre à Atticus, II, ix, 28, puis en 56, dans le Pro Sestio, 135 9, pour désigner le goitre horrible de Vatinius. D'où l'idée d'apparier les deux personnages! et par le plus simple et drasti quedes procédés: faire du sobriquet de Nonius un nom commun apposé: « cette strume de Nonius », ou « Nonius la strume ». Une sorte d'expressif raccourci (de ton délibérément populaire et trivial) qui, en fait, étend métonymiquement, par jeu, au corps entier de Nonius la prétendue tumeur, laquelle, en principe, ne devrait déformer et rendre hideux que son cou!
L'ENIGME O'EMORl Ce quatrain LU ne présente de trimètres iambiques archilochéens" à proprement parler, c'est-à-dire de vers admettant la substitution de spondées aux iambes aux 1er et 3e pieds, que dans son distique central (Sella in . . . -lëi strü/ Per con- . . . -turn per . . .). Le refrain d'encadrement (vv. 1 et 4) est un trimètre iambique pur. Est-ce donc seulement pour obéir à des scrupules métriques, est-ce uniquement pour éviter un spondée au 5e pied que Catulle n'a pas voulu utiliser la formule plus usuelle quid morì cessas? (qu'Horace par exemple mettra dans la bouche de son Europe désespérée, Carm. III, xxvii, 58)? Pour ne rien dire du fait que deux syllabes eussent manqué à son trimètre - il eût pu suppléer, à vrai dire, quelque iam nunc ou iam turn -, observons effectivement que le pourcentage des iambiques catulliens dont la clausule est formée par un mot crétique (c'est le cas dimori) est considérable: 36%, selon le relevé de Julia W. Loomis, Studies in Catullan Verse, Mnemosyne Suppl. XXIV, 1972, p. 101: c'est même, com parativement, le pourcentage le plus élevé pour l'ensemble des trimètres iambiques qui subsistent de Catulle (33% de clausules étant formées de dissyllabes iambiques, 20% de quadrisyllabes, et 7% seulement de mots de 5 syllabes, toujours selon le même relevé).
8 Etiam Vatini strumam sacerdotii διβάφφ uestiant, « qu'ils aillent jusqu'à habiller le goitre de Vatinius du dibaphe (seil, une robe plongée dans deux bains colorants de pourpre) de l'augurât». 9 li medentur rei publicae, qui exsecant pestent aliquant tanquam strumam ciuitatis, «Ceux-là guérissent l'Etat, qui le désinfectent comme on fait l'ablation d'une tumeur». Cf. l'emploi du mot au pluriel dans In Vatinium, 39: si... strumae denique ab ore improbo demigrarunt et aliis iam se locis conlocarunt, «si... les scrofules ont enfin déguerpi de ta sale figure et se sont dorénavant installées en d'autres endroits de ton corps ».
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Néanmoins, ce serait, à n'en pas douter, esquiver la difficulté que de nous en tenir à une explication en quelque sorte purement mécanique pour rendre compte du choix d'emori. G. A. Cornacchia, art. laud, (voir supra, n. 2), croit discerner un oxymoron: « un contrasto tra la lentezza espressa da moror e la velocità che a morior e conferita dal preverbio espletivo: qualcosa come: "cos'è che vai così piano a sparire dalla terra?"». Analyse sans conteste ingénieuse, mais qui n'emporterait la convic tion que si l'on pouvait acquérir la certitude que le verbe composé emorior a bien ici le sens de « mourir brusquement ». Au reste, qu'a voulu dire au juste G. A. Cornacchia en parlant de « velocità conferita dal preverbio espletivo » ? Si ce préverbe est réellement explétif, il faudrait voir dans ëmorï un équivalent pur et simple de morì, sans compter qu'à l'oreille un mot crétique ne saurait apparaître plus rapide qu'un mot iambique (ou qu'un mot amphibraque comme morarïs). Loin d'être explétif, le préverbe e- efface dans une certaine mesure la réalité désagréable suggérée par le verbe simple morì, en concentrant l'attention à la fois sur l'idée d'éloignement (de toutes ces turpitudes dont le spectacle est devenu intolérable à Catulle) et sur celle d'heureuse conséquence de l'action décisive marquée par le verbe simple: une délivrance. La démonstration en a été récemment apportée par J.-F. Maisonobe, Le Vocabulaire de la mort dans la poésie latine au ΙΓ siècle avant J.-C. (Thèse de Doctorat de troisième Cycle soutenue le 18-1-74 devant l'Uni versité de Nice), pp. 130-139. Procédant à un examen complet des occurrences d'emori chez Plaute et Térence, l'auteur commence par prouver qu'on ne peut retenir pour ce verbe composé le sens de « mourir complètement », « achever de mourir », que lui confère le Dictionnaire d'Ernout-Meillet et, ajouterons-nous, que semble bien lui avoir donné ce même A. Ernout dans sa traduction de Catulle, Belles Lettres, 1964, quand il écrit, p. 173: « Cette invective serait proche de la mort de Catulle, et le verbe emori a toute sa force ». Dans bien des cas, montre J.-F. Maisonobe, les deux verbes emori et mori sont pratiquement interchangeables. Mais, poursuivant son travail de vérification, notre collègue est amené à mettre en valeur, mieux qu'on ne l'avait fait avant lui 10, le passage des Tusculanes, I, 8, 15, où Cicéron se donne comme le traducteur d'Epicharme: Emorì nolo, sed me esse mortuum nihil aestimo.
10 J.-F. Maisonobe a passé au crible avec le plus grand soin les recherches antérieures de L. Döderlein, Lateinische Synonyme und Etymologieen, Leipzig, 1826-1838, p. 183, et de D. Barbelenet, De l'aspect verbal en latin ancien et particulièrement dans Térence, Paris, 1913, p. 293 sq. Il rappelle que les vues de Döderlein avaient déjà été combattues par J. H. Schmidt,
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« Cicéron, estime-t-il à juste titre, distingue avec vigueur ce que nous appellerions « le passage » (comme dans notre verbe français « trépasser ») de l'état post mortem. Là où le français se contente de l'opposition du présent et du passé, un préfixe discret permet à l'auteur latin d'insister sur le changement d'état (...) Ainsi Salluste en Catilina, 20, 8 nonne emori per uirtutem praestat quam uitam miseram atque inhonestam . . . per dedecus amittere? « Ne vaut-il pas mieux quitter héroïquement l'existence que de perdre ignominieusement (...) une vie misérable et sans honneur? ». En fugurtha, 14, 24, le mot « trépas », qui convient au style soutenu de la péroraison rend parfaitement l'idée indiquée par le préverbe latin. La question pressante que Catulle, écœuré par la dégradation de la vie politique romaine, s'adresse à lui-même dans la pièce LU pourrait s'entendre de même: « qu'attends-tu pour quitter cette vie? ». De même encore les vers 242-243 des Ménechmes: « Aussi veux-je trouver un homme qui puisse m'affirmer d'une façon certaine qu'il (seil. Ménechme I) n'est plus de ce monde »(...) Il faudrait admettre qu'emori est plus euphémique que mori, parce qu'il réduit la durée, et donc la dureté de la mort, tant pour celui qui envisage de se la donner à lui-même que pour celui qui considère celle des autres. » En définitive, il nous apparaît impossible de voir dans Catulle LU l'expression d'une simple fronde contre de détestables parvenus, et nous som mes enclin à faire entièrement nôtre - tout au moins en qui concerne le moment où Catulle a écrit ce quatrain n - le judicieux rapprochement établi par H. Bardon, Propositions sur Catulle, coll. Latomus, vol. 118, Bruxelles,
Handbuch der Lateinischen und Griechischen Synonymik, Leipzig, 1889, pp. 335-337, qui rap proche emori du grec άπουνήσκω et de l'allemand absterben, mais non de έκυνήσκω, «s'évanouir». Enfin, Maisonobe souligne, op. laud., n. 150, p. 150, que trois des occurrences attestées chez Térence - qui en compte, en tout, quatre - expriment le désir de mourir, et que, dans deux cas, il s'agit de jeunes gens. Pour notre part, celle de VHeautontimoroumenos, 971, où le fils de Chrêmes, Clitiphon, désespéré de se voir déshérité, s'écrie emori cupio, nous semble part iculièrement révélatrice, et nous la traduirions volontiers par: «j'en ai assez de la vie!»: même soif d'évasion que chez Catulle. 11 Rappelons qu'une incertitude continue à planer sur la date exacte de la mort de Catulle. H. Bardon a tendance à la situer en 52 plutôt qu'en 54 (il semble même tenté par la datation basse de 47: Propos, sur Cat, Introd., pp. 5-6). Nul donc, à notre avis, ne saurait, sans faire preuve d'une certaine témérité, se porter garant que le poète ne se soit plus dé parti, jusqu'à sa mort, de ce pessimisme sans merci. Il faut dire que, dans l'optique de H. Bardon, Catulle aurait toujours souffert d'une anxiété presque morbide et d'une hantise constante de son irrémédiable solitude. Comment l'affirmer, alors que nous ne disposons pas d'autre témoignage sur la psychologie de Catulle, en définitive, que celui de son œuvre poétique, si contrastée, si élaborée pour complaire au goût du jour?
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1970, p. 125 sq., entre ce refrain désespéré de LU et la non moins pessimiste strophe finale de LI: Otium, Catulle, tibi molestum est; otio exultas nimiumque gestis. Otium et reges prius et beatas perdidit urbes. pour laquelle nous proposons la traduction suivante: « L'oisiveté, Catulle, ne te vaut rien; l'oisiveté te jette dans trop de transports et d'exaltations! L'oisiveté n'a-t-elle pas, avant toi, perdu jusqu'à des rois? jusqu'à de florissantes cités? ». Comme l'a finement perçu H. Bardon, la leçon du forum a rejoint celle de la vie sentimentale: le negotium ne vaut pas mieux que Votium. Nous irons même, en un sens, plus loin que Bardon quand il déclare: « Entre l'avilissement par la vie active et la douleur personnelle, Catulle a choisi la douleur, c'est-à-dire l'emmurement » (op. laud., p. 126). Nous croyons que, du moins quand il écrivit le c. LU, Catulle ne choisit plus et qu'il était alors - cela dura-t-il? nul ne saurait le dire - doublement déçu par son expérience de l'amour et par le spectacle d'une vie politique à laquelle il ne fut, semble-t-il, jamais tenté de participer d'une autre manière que par un engagement - lui-même si décevant! - dans la cohors bithynienne de Memmius. Il n'apercevait plus d'autre solution que de quitter cette vie, et le destin ne devait point trop tarder à l'exaucer.
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LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE: MYTHE OU RÉALITÉ?*
Devant le dossier de la question des Tyrrhéniens de l'Egée, on a un peu l'impression de se trouver devant la boîte de Pandore. C'est dire que l'on hésite à l'ouvrir de crainte d'en faire sortir de vieux démons mal exorcisés. Disons-le tout net: le thème a été « empoisonné » par toute une série de préoccupations qui ont eu les faveurs de la recherche pendant longtemps. Lorsqu'on parlait du problème tyrrhénien, c'était pour l'utiliser dans une démonstration relative à l'origine des Etrusques. Non pas que les deux domaines soient complètement étrangers l'un à l'autre: mais les mêler syst ématiquement c'était dénier à la question tyrrhénienne son importance histori que propre et, par là même, se condamner à ne pas la saisir dans toute son ampleur. L'ambition de cette étude est pourtant limitée: il ne s'agit pas de tenter d'appréhender le phénomène dans toutes ses dimensions; en particulier, le problème de la tradition pélasgique ne sera pratiquement pas abordé. Le lecteur sera de même déçu s'il cherche, au terme de ce travail, conclusions et certitudes car il n'y trouvera qu'hypothèses et suggestions. Mais il a semblé utile de tenter de donner un éclairage nouveau à de vieilles questions et de poser de nouvelles interrogations. La démarche est fort simple: refaire d'abord le bilan de ce que l'archéologie et les textes nous apprennent sur la question, avant d'essayer d'analyser les problèmes qui en surgissent. Mais ceci suppose une intention délibérée dès le départ: étudier ensemble des sources archéologiques relatives aux Etrusques et des témoignages littéraires parlant des « Tyrrhéniens ». Non pas que, a priori, nous considérions qu'il s'agit là d'une seule et même réalité historique. Mais, en refusant d'étudier ensemble ces deux types de sources on a, selon nous, établi un a priori en sens inverse.
* Les abréviations sont celles de l'Année Philologique.
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Je voudrais d'abord revenir, après beaucoup d'autres, sur deux épisodes qui mettent en scène les pirates tyrrhéniens de l'Egée. Commençons par le récit de l'enlèvement de Dionysos: les principaux renseignements proviennent de trois textes: une allusion d'Euripide et deux longs passages de l'Hymne homérique à Dionysos et d'Ovide1. La scène se passe à proximité de Chios et le dieu désire se rendre à Naxos. On connaît la suite: enlevé par les pirates, le dieu manifeste sa puissance en se déliant de ses entraves et en enveloppant le mât et les rames du navire de pampres et de lierres; finalement, pour échapper à la colère de Dionysos qui s'est transformé en lion, les Tyrrhéniens se jettent à la mer où ils sont changés en dauphins. Le thème était célèbre dès l'Antiquité: il était représenté souvent sur des monuments, des bijoux ou des vases 2. Il devait également être à l'origine de la cérémonie qui se déroulait à Smyrne en l'honneur du dieu: on pro menait une trirème pour commémorer une victoire navale sur les gens de Chios remportée grâce à l'aide de Dionysos3. La seconde scène se situe à Samos et concerne la statue d'Héra: c'est l'histoire bien connue que rapporte Athénée4: les pirates tyrrhéniens sont soudoyés par les Argiens pour enlever le βρέτας d'Héra. Mais la déesse empêche le navire de repartir jusqu'à ce que sa statue soit déposée sur le
1 Euripide, Le Cyclope, v. 11-14; Hymne à Dionysos, v. 1-59; Ovide, Métamorphoses, v. 564-691, cf. aussi Apollod, III, 5, 3; Hyg. Fab., 134; Servius ad Aen., I, 67; Nonnus, Dionys., XLV, 105 sq. Sur l'Hymne cf. G. Patroni, L'inno omerico VI a Dioniso, Athenaeum, η. s. 26, 1-2, 1948, p. 65-75 et L. Pareti, Le origini etnische, 1926, p. 41-46. Je ne développerai pas ici la question de la localisation du rapt au cap Malée, ayant l'intention d'y consacrer une étude particulière. 2 Sur la frise du monument de Lysicrate à Athènes, cf. Lenormant, s.v. Bacchus in Daremberg-Saglio, p. 611; sur une plaque d'or: cf. J. de Witte, Dionysus et Silène, Gazette archéologique, 1875, p. 5-13; sur un lécythe attique: cf. C. H. E. Haspels, Attic Black Figured Lekythoi, p. 173 et pi. 150 pour ne citer que ces trois exemples. Sur la métamorphose en dauphins, cf. J. Dumont, Les dauphins d'Apollon, dans Quaderni di storia, I, 1, 1975, p. 57-86: le dauphin est ami de l'homme car c'est un pirate repenti. On sait par ailleurs que les écrivains qualifient parfois le dauphin de tyrrhenus piscus: Senèque, Agam., 449; Stace, Achilléide, I, 56; Val. Flacc, Argon., 130. 3 Lenormant, op. cit., p. 612. 4 Athénée, Deipn. XV, 672, b-e, d'après la tradition recueillie par Ménodotos de Samos (IIIe siècle av. J.-C). Sur cet épisode, cf. R. Bloch, Héra, Uni, Junon en Italie centrale, dans CRAI, avril-juin 1972, part. p. 386-389 (et les observations de J. Heurgon, ibid., p. 395-396).
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rivage où elle sera retrouvée et fêtée par les barbares cariens puis par la prêtresse du sanctuaire. Avant d'aller plus loin, il semble nécessaire de faire un certain nombre de remarques sur ces deux épisodes: - à l'arrière-plan du récit d'Athénée se profile une rivalité de sanctuaires: Argos et Samos étaient les deux principaux endroits où se célébrait le culte d'Héra. Ce sont les Argiens qui organisent le rapt de la statue de Samos et les Tyrrhéniens ne sont que des mercenaires; mais, selon Pausanias5, PHéraion de Samos avait été fondé par les Argonautes qui y avaient amené la statue d'Argos: il s'agit là, manifestement, d'une version argienne des rapports entre les deux sanctuaires qui s'oppose à la version samienne de Ménodotos, laquelle rappelait en outre qu'Admète s'était enfuie d'Argos pour se réfugier à Samos6; - entre le thème de l'enlèvement de Dionysos et celui du rapt de la statue d'Héra, il y a des imbrications évidentes. Les deux divinités con cernées sont traditionnellement opposées dans le panthéon grec et Euripide dit nettement que c'est Héra qui pousse les Tyrrhéniens à enlever Dionysos 7. A Chios comme à Samos, les pirates tyrrhéniens apparaissent donc comme étant à la solde de PHéra argienne; - par ailleurs, la structure des deux récits est très voisine: une déesse suscite un enlèvement qui échoue; l'échec se traduit dans les deux cas par la victoire de l'immobilisme sur le mouvement: le navire qui emmène Dionysos ne peut plus avancer, de même que celui qui emporte la statue d'Héra: les rames sont, ici et là, neutralisées. Enfin, la victoire de la divinité se marque par la prolifération de liens: liens autour du mât et des rames (lierres et pampres) pour Dionysos, liens autour du βρέτας délivré par les Cariens (branches de gattilier) et célébration des Toneia. Faire à présent le bilan des témoignages archéologiques étrusques en Méditerranée orientale et, plus particulièrement, en mer Egée, n'est apparem ment pas chose nouvelle. Jacobsthal et Neuffer en 1933, P. Courbin en 1953, Shefton puis F. Villard en 1962 ont déjà dressé des listes des tessons de céramique étrusque 8. Il est ici question, non seulement de faire un aggiorna-
5 Pausanias, VII, 4-4. 6 M. P. Nilsson, Griechische feste, Leipzig, 1906, p. 30, signale que la mention d'Argos est surtout le fait du plus grand renom du culte argien d'Héra. 7 Euripide, op. cit. 8 P. Jacobsthal-J. Neuffer, Gallia Graeca. Recherches sur l'hellénisation de la Provence, Préhistoire, II, 1, 1933, p. 44-48; B. B. Shefton, Perachora, The Sanctuaries of Hera Akraia
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mento de ces listes mais de ne pas se limiter à la céramique et d'envisager très rapidement la question des bronzes et des ivoires, tout en se cantonnant strictement dans la période archaïque 9. Par ailleurs, il paraît nécessaire de s'attarder sur le commentaire de ce bilan étant donné que les études antérieures étaient conçues comme des excursus par leurs auteurs. La céramique De l'Ouest vers l'Est, les régions et les sites où l'on a recueilli du bucchero étrusque sont les suivants: Dalmatie: un canthare provient de Vis (Lissa) où il est conservé dans la collection municipale. H = 9 cm (14 avec les anses), diamètre (bord) = 15,6 cm. Il est en bucchero déjà « pesante », d'un type classique, sans décor, avec un ressaut à dentelures. La datation doit se situer vers 550 avant J.-C. 10. Corfou: un canthare de type classique avec un ressaut à dentelures et sans décor n. Ithaque: quatre fragments d'anses d'un canthare 12. Tocra: une anse de canthare du début VIe 13.
and Limenia. Excavations of the British School at Athens 1930-1933, II. Pottery, ivories, scarabs and other objects from the votive deposit of Hera Limenia, Oxford, 1962, p. 386, note 1; F. Villard, Les canthares de bucchero et la chronologie du commerce étrusque d'exportation, dans Hommages A. Grenier, III, 1962, p. 1626 note 1; P. Courbin, Les origines du canthare attique archaïque, dans BCH, 1953, p. 342. Dans notre article comme dans les études précédentes, les listes sont établies d'après les publications en attendant un contrôle direct du matériel que nous espérons pouvoir faire prochainement. 9 On n'envisagera absolument pas, par exemple, la question des trouvailles de bronzes étrusques en mer Noire, aux Ve et IVe siècles, car le contexte historique est alors tout autre. Sur ce fait, on renverra surtout à l'étude de St. Boucher, Trajets terrestres du commerce étrusque aux Ve et IVe siècles av. J.-C, dans RA, 1973/1, p. 79-96. 10 M. Nikolanci, Importations archaïques (grecques) en Dalmatie, Vjesnik... (Bulletin d'archéologie et d'histoire dalmates), 68, 1966, p. 117, n° 12 (et pi. XVIII-3). 11 AD, Chronika, 23, 1968, p. 314 (et pi. 255). 12 V. A. Heurtley-M. Robertson, Excavations in Ithaca, V: The geometric and later finds from Aetos, dans ABSA, 43, 1948, p. 103, n° 601 (et pi. 45). 13 J. Boardman-J. Hayes, Excavations at Tocra, 1963-1965, The archaic deposits II and later deposits, Oxford, 1973, n° 2246 (et pi. 31).
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Corinthe: une trentaine de fragments, dont vingt-huit appartenant à des canthares 14. Deux tessons posent des problèmes en raison de leur forme (bol? plat?), de leur technique (impasto ou bucchero?) et de leur datation (VIIe siècle?). L'ensemble des trouvailles est à situer entre 600 et 560/550. Certains tessons portent des graffiti 15. Pérachora: environ vingt fragments d'anses de canthares, neuf fra gments de pied. A signaler un bord fragmentaire de canthare (en deux morceaux) avec deux lignes incisées sous le bord et portant une inscription rétrograde: Νέαρ[χος άν]έΰεκε (η° 4126). Un autre fragment présente quatre lignes incisées sous le bord et une frise d'éventails horizontaux à demi fermés (il s'agit peut-être d'un calice) (n° 4122). Le n° 4123 est semblable mais de plus petite taille et avec seulement deux lignes incisées. Le n° 4127 est un bord de kylix avec un éventail horizontal et fermé. Le n° 4129 est un pied d'œnochoè et le n° 4130 un col d'œnochoè ou d'olpè 16. Athènes: peu de choses, certaines confusions avec le bucchero gris d'Asie Mineure ayant été démasquées. En plus d'un tesson à décor d'éventail provenant de l'Acropole et d'un fragment de canthare de l'Agora 17, on signalera une identification douteuse dans une publication récente: les nos 97 et 98 publiés par Sparkes-Talcott dans Agora XII ressem blentfort, au premier coup d'œil, à des œnochoès étrusques du VIe siècle en bucchero pesante. Mais il faudrait une vérification précise. Les indications données dans le texte confirment les doutes 18.
14 L'ensemble a été récemment publié: J. Macintosh, Etruscan Bucchero Pottery Imports in Corinth, Hesperia, 43, 1974, 34-45 avec référence aux anciennes études de C. G. Boulter, AJ A, 41, 1937, p. 235, nos 54-55 (et fig. 38) et de S. S. Weinberg, Corinth VII, 1, 1943, p. 71, nos 310 et 311 (et pi. 37) et Hesperia, 17, 1948, p. 227, n° D 68 (et pi. 83). 15 J. Macintosh, op. cit., p. 42. 16 B. B. Shefton, op. cit., p. 385-6 (nos 4118 à 4130) et pi. 150, 160, 161. Pour les commentaires et les comparaisons, cf. infra.; cf. aussi H. G. G. Payne, JHS, 1931, p. 191 et 1932, p. 242. 17 Pour le tesson de l'Acropole, cf. Boehlau, JDAI, XV, 1900, p. 183 note 74 - E. Pfuhl, Malerei und Zeichnung der Griechen, 1923, I, p. 154 - J. Jacobsthal-E. Neuffer, op. cit., p. 45 B. B. Shefton, op. cit., p. 386 note I. Pour le tesson de l'Agora (P23454), cf. Β. Β. Shefton, op. cit. et E. T. H. Brann, The Athenian Agora Vili: Late Geometrie and Protoattic Pottery, 1962, n° 659, p. 106 et pi. 41 (carène fragmentaire d'un canthare avec ressaut à encoches). 18 B. A. Sparkes et L. Talcott, The Athenian Agora XII, Black and plain pottery of the 6th, 5th and 4th centuries BC, 1970, p. 59 nos 97 et 98 (et pi. 5). Les deux œnochoès pro-
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Naxos: un seul tesson déjà signalé par Shefton d'après la publication de Buschor19. Il s'agit d'un fragment de panse de calice (ou de canthare) avec deux éventails verticaux et à demi fermés. Comme l'a fait remarquer Shefton, il est publié à l'envers. Ce même tesson a été récemment associé à des tessons mycéniens, sans indication particulière, par F. Schachermeyr 20. Délos: un canthare de type classique. Trois lignes incisées près du bord. Ressaut à dentelures. On ne tiendra pas compte du pied qui provient d'une restauration mal faite (le pied originel devait être plus bas). Il y a également d'autres fragments de canthares identiques21. Rhénée(?): canthares (renseignement de Kunze transmis par Jacobsthal et Neuffer) 22. Chios: un canthare dont les anses manquent. H = 8,8 cm, diamètre = 14 cm. Boardman l'indique comme datant de la période IV du site (630600 av. J.-C). Mais il signale aussi une imitation de canthare de bucchero étrusque dont il définit ainsi les caractéristiques techniques: « poorer foreign ware », « brown paint over slip, inside and outside »; cela ne l'étonné pas car « it appears that the bucchero kantharos shape was imitated in others parts of the Greek world also in the sixth century » 23. La photographie ne permet pas de discuter ce jugement: néanmoins, il semble que nous soyons en présence d'un type de céramique proche de celle que F. Villard a appelé « bucchero ionien », que l'on retrouve à Rhodes et à Mégara Hyblaea en particulier; la forme du canthare y est très représentée 24.
viennent du même dépôt et « may share a single non-Attic origin . . . the glaze is firm, but thick and dull by comparison with Attic». Les auteurs avancent prudemment une possible origine laconienne. On notera que le n° 98 a le pied et le bas de la panse gris et non noir. S'agit-il d'une négligence comme le disent Sparkes et Talcott? Est-on sûr que le vernis est antique? (ne serait-ce pas un repeint récent sur l'épiderme gris de certaines œnochoés de bucchero?). 19 E. Buschor, Kykladisches, dans MDAI (A), 54, 1929, p. 155-156 (et fig. 8 au milieu à droite). 20 F. Schachermeyr, Forschungsbericht zur ägäischen Frühzeit, AA, 1974-1, p. 27-28 (et fig. 47). 21 Ch. Dugas, Délos XVII, Les vases orientalisants de style non mélien, 1935, p. 75 (et pi. L n° 1). 22 P. Jacobsthal-J. Neuffer, op. cit., p. 48. Objets se trouvant à Mykonos. Mais ne s'agit-il pas d'une confusion avec les canthares de Délos cités supra? (cf. F. Villard, op. cit.). 23 J. Boardman, Excavations in Chios 1952-1955. Greek Emporio, Oxford, 1967, p. 119, n° 216, pi. 32 et p. 137, n° 480, pi. 43. 24 Sur cette question, je renvoie aux observations que j'ai faites ailleurs: MEFRA, 1974, 1, p. 94-96. Je me propose de revenir prochainement sur ce problème.
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Samos: les fouilles anciennes avaient permis de recueillir la partie inférieure d'un canthare (pied « en trompette » et ressaut décoré de dente lures) 25. Mais les recherches de 1963-1964 ont fourni un matériel plus abondant: vingt trois fragments publiés par H. P. Isler 26: il y a des canthares surtout, parfois à anses bilobées, mais aussi des kyathoi et des ky likes; le décor existe: lignes incisées, droites ou brisées, frises d'éventails. Rhodes (?): il faut être ici particulièrement prudent dans l'attente d'un contrôle direct du matériel. On trouvera de nombreuses références dans Shefton: mais les confusions avec le bucchero ionien à pâte rougeâtre sont toujours possibles. On prendra un seul exemple: le canthare publié par Jacopi en 1929 27 est-il de fabrication étrusque (sa couleur rougeâtre est-elle due à l'action d'un feu secondaire?)? Il semble toutefois que Rhodes ait fourni du bucchero étrusque28. Naucratis(?): la situation est encore plus confuse que pour Rhodes et la forme du canthare ne semble pas représentée29.
25 W. Technau, Griechische Keramik im Samischen Heraion, dans MDAI (A), 54, 1929, p. 26-27 (fig. 20, n° 2). Il semble qu'il y ait eu d'autres fragments de bucchero étrusque, difficiles à identifier. Mais je ne suis pas totalement la critique de Jacobsthal et Neuffer {op. cit. p. 48) sur les confusions de Technau (cf. la pi. 28 de son article par exemple). 26 H. P. Isler, Etruskischer Bucchero aus dem Heraion von Samos, dans MDAI (A), 82, 1967, p. 77-88 et pl. 39-42, avec le compte-rendu de H. Metzger, REG, 1970-1, p. 127 n° 95. Le n° 1 de Isler est republié par G. Kopeke, Heraion von Samos. Die Kampagne 1961-1965 im Südtemenos (8-6 fahr.), dans MDAI (A), 83, 1968, p. 281, n° 91 (et pl. 110-1). 27 Pour l'ensemble des références sur Rhodes, cf. Β. Β. Shefton, op. eit, p. 386, note 1. Pour le canthare, cf. G. Jacopi, Clara Rhodos III. Scavi nella necropoli di Ialisso, 1929, p. 24, n° 6 (et fig. 6). Shefton (op. cit.) exprime des réserves sur le matériel du British Museum signalé par Chr. Blinkenberg, Lindos, Fouilles de l'acropole, 1931, p. 276 (note). Les confusions avec le bucchero grec sont certainement très fréquentes: ainsi K. F. Kinch, Vroulia, 1914, p. 152, donne des détails techniques qui pourraient convenir aux canthares étrusques (surface mate sous les anses). 28 En tout cas, on ne retiendra pas le calice signalé par Ed. Pottier, Vases antiques du Louvre, 1897, A 396 (1) pl. 13. La provenance n'est pas sûre et l'origine étrusque encore moins. Les poteries que signale encore Ed. Pottier, Les vases archaïques à reliefs dans les pays grecs, dans BCH, 1888, p. 501, restent à identifier avec précision et certitude. 29 H. Prinz, Funde aus Naukratis. Beiträge zur Archäologie und Wirtschaftsgeschichte des VII und VI Jahrunderts v. Chr. Geb., Leipzig, 1908, p. 57-63, fait uniquement allusion à un bucchero de type grec. Cf. aussi E. A. Gardner, Naukratis, II, The Egypt Exploration Fund VI, Londres, 1888, p. 38-53 passim.
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Tarse (?): cette mention est également douteuse. H. Goldman a publié huit tessons de bucchero (qu'il ne qualifie pas d'étrusque), appartenant à une olpè ou à une œnochoè, et dont il se demande s'ils sont locaux ou non. Tous ces fragments portent des lignes incisées verticales. On sera prudent dans l'attente d'une vérification directe31. Ras-el-Bassit (Syrie): en 1972, P. Courbin a recueilli le premier canthare étrusque du Proche-Orient. Il était associé à une coupe rhodienne de la fin du VIIe et à des fragments d'amphores rhodienne et laconienne. Il s'agit du type classique, sans décor et à ressaut portant des encoches32. Smyrne: selon un renseignement de Cook transmis par Shefton, un canthare de bucchero étrusque a été recueilli à Vieille-Smyrne dans un contexte du milieu du VIe33. Le Prof. Akurgal m'a récemment confirmé la présence de deux canthares étrusques à Smyrne, ce dont je le remercie vivement. Daskyleion: sur ce site, près de Cyzique et au SE du lac de Manyas, le Prof. Akurgal me signale quatre tessons d'une œnochoè étrusque (anse bifide, embouchure trilobée, décor de lignes incisées sur le bas du col et sur l'épaule). Histria: Lambrino relève « un très beau fragment de bucchero noir étrusque » et des « fragments de vases en bucchero grossier » provenant du dépôt a situé « dans l'enceinte du temple Β à quelque distance d'une chapelle votive ». Dans ce dépôt se trouvaient des amphores à la brosse, des coupes ioniennes (à filets rouges et à bandes), des aryballes corinthiens et des coupes de Droop34. On demeurera sceptique devant la faiblesse des trouvailles de céramique étrusque en Mer Noire, en songeant que les diff icultés d'approche de la bibliographie expliquent en partie, peut-être, cette situation.
31 H. Goldman, Excavations at Gözlü Kule, Tarsus, III, the Iron Age, Princeton, 1963, •p. 270 (n° 1269) et pi. 89; mention également de bucchero ρ 222, η° 757. 32 Ρ. Courbin, Ras-el-Bassit. Rapport sur la campagne de 1972, dans Les Annales Archéologi ques Arabes Syriennes. Revue d'archéologie et d'histoire, 23, 1-2, 1973, p. 27 (et p. 32, fig. 7). La fouille de 1974 a permis de recueillir un autre fragment de canthare (aimable renseignement P. Courbin). 33 B. B. Shefton, op. cit., p. 386, note 1. 34 S. Lambrino, Les vases archaïques d'Histria, p. 360.
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Les ivoires Rhodes: trois petites plaques provenant de la tombe LXVIII de la nécropole de Ialissos; elles devaient servir de revêtement pour un coffret de bois. Elles sont décorées de motifs d'animaux: oiseaux, daim au repos et Sirène 35. Chypre: trois plaques également, proches des précédentes et de dimensions comparables: 6,2 cm x 2,5 cm - 7,4 cm x 2,2 cm - 8,2 cm x 2,2 cm. La première porte au revers un graffito (A) ainsi que la troisième (U )· Motifs animaliers comme à Rhodes (quadrupèdes: lièvres et chiens). Elles appartiennent peut-être toutes trois au même coffret. Y. Huis reconnaît que le prototype des coffrets en ivoire polychrome est originaire de Chypre mais elle n'hésite pas, néanmoins, à faire de ces trois plaquettes des importations d'Etrurie 36. Les bronzes Le problème est ici particulièrement complexe dans la mesure où les questions d'attribution et de datation sont encore confuses. A. Hus vient de rappeler à quel point il était parfois difficile, pour l'archaïsme, de ne pas confrondre certaines pièces étrusques avec des objets grecs37, ce qui l'a amené à écrire: «On pourra refuser le qualificatif d'étrusque à tout bronze
35 L'attribution à l'Etrurie de ces plaquettes est confirmée par Y. Huis, Ivoires d'Etrurie, 1957, p. 193. Leur publication est due à A. Maiuri, Ialissos, dans ASAA, 6-7, 1926, p. 322-323, n° 9 (et fig. 216a,b,c). Mesures maximales du coffret: 6,3 cm x 2,3 cm. 36 Y. Huis, op. cit. d'après la publication (sans photographies malheureusement) de L. Pollak, Archaische Elfenbeinreliefs, dans MUAI (R), 21, 1906, p. 318 (n05 XII, XIII, XIV). On commence également à prendre conscience de l'importance de la diffusion d'objets étrusques en os ou ivoire dans l'Occident méditerranéen: ainsi à Ruvo di Puglia (Y. Huis, op. cit., p. 193), à Carthage (fameuse plaquette avec inscription: cf. surtout E. Benveniste, SE, VII, 1933, p. 245-249), à Ibiza, Baléares (cf. M. E. Aubet, Rivista di Studi Fenici, I, 1973, p. 59-68), à Tharros (cf. M. L. Uberti et S. Moscati in Anecdota Tharrica, Rome, 1975, p. 102 n° D6, pi. XXXV et p. 132), à Nora (cf. G. Patroni, Mon. Ant, XIV, 1904, col. 202-204, fig. 19 et M. E. Aubet, Studi Sardi, XXIII, 1974, p. 3-8 du tiré à part). Il ressort que cette exportation se place aux VIe et Ve siècles (fin VIe pour l'objet de Carthage, début Ve pour celui d'Ibiza et seconde moitié du Ve pour ceux de Nora). Il s'agit donc d'une phase commerciale postérieure à celle représentée par le bucchero. 37 A. Hus, Les bronzes étrusques, 1975, part. p. 150.
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trouvé en Yougoslavie, en Grèce ou en Orient » 38. Renvoyant pour l'ensemble de la question à l'étude de Karo39 je me contenterai de signaler deux objets dignes d'attirer l'attention. Athènes: un fragment de trépied. Il s'agit de la partie supérieure à l'endroit où les contreforts partis de deux pieds différents s'unissent par une courbe. Le décor est constitué par quatre personnages dont l'identification pose des problèmes: Hermès et une joueuse de flûte avec Dionysos et Héphaïstos selon Savignoni, Héraclès et Iole selon De Ridder. M. Guarducci penche pour la seconde hypothèse. S'agit-il d'une œuvre grecque ou étrusque? Savignoni et Ducati étaient pour l'origine grecque, ce dernier considérant même qu'il s'agissait d'une œuvre ionienne, inspiratrice des artistes de Vulci. Pourtant l'attribution à l'Etrurie semble admise depuis Furtwängler ainsi qu'une datation vers la fin du VIe siècle 40. A ce fragment est parfois rattaché un autre, plus petit, représentant un Silène 41. Delphes: j'attire à présent l'attention sur un petit bronze publié naguère par Cl. Rolley. Il s'agit d'une femme debout, la tête recouverte d'un polos proche du type rhodo-ionien. Le personnage, très rigide, est vêtu d'une longue robe qui moule entièrement le corps. Les bras sont en position horizontale et forment un demi-cercle ouvert vers l'avant; les mains sont tendues. A juste
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38 A. Hus, op. cit., p. 152. Il reconnaît lui-même que «quelques bronzes étrusques ont été exportés dans ces régions». Mais «ils se comptent sur les doigts de la main et une telle rencontre serait exceptionnelle». 39 G. Karo, Etruskisches in Griechenland, dans AE, 1937, p. 316-320. 40 Ce bronze a été souvent étudié ou signalé: A. Furtwängler, Olympia, IV, 1890, p. 127; A. De Ridder, Catalogue de bronzes trouvés sur l'Acropole d'Athènes, dans BEFAR, n° 74, 1896, n° 760; Id., Un bronze chalcidien sur l'Acropole, dans BCH, 1896, p. 401-422; L. Savignoni, Di un bronzetto arcaico dell'Acropoli di Atene e di una classe di triposi di tipo greco-orientali, dans Monumenti Antichi, VII, 1897, p. 277-376 (part. 278-279); S. Reinach, Répertoire de la statuaire grecque et romaine II, 1, 1897, p. 518, 7 (qui, à tort, le dit recueilli à Olympie); K. A. Neugebauer, Die Bronzeindustrie von Vulci, dans JDA1 (AA), 38-39, 1923-1924, p. 302 et p. 310; P. Ducati, Matrice per placchetta metallica di Vulci, dans Historia. Studi storici per l'antichità classica (Milano), 1930, p. 466; G. Q. Giglioli, L'Arte Etrusco, 1935, p. 21-22 (pi. CII-2); M. Guarducci, I bronzi di Vulci, dans SE, X, 1936, p. 16, p. 24-25, p. 49 note 5 et pi. VII-3; K. A. Neugebauer, Archaische Vulcenter Bronzen, dans JO AI, 58, 1943, p. 231 (et fig. 20); G. Fischetti, / tripodi di Vulci, dans SE, 18, 1944, p. 20, p. 24, p. 26 et pi. 1 (2); F. G. Lo Porto, VIIIe Convegno Toronto (1968), 1969, p. 189; A. Hus, Vulci étrusque et étrusco-romaine, 1971, p. 80. 41 Le rapprochement est dû à G. Fischetti, op. cit., p. 20-21. C'est le n° 763 de A. de Ridder, Catalogue. Outre les études de Savignoni et Neugebauer (1923-24) cités supra, cf. P. J. Riis, Acta Archeologia, X, 1939, p. 22, n° 2; A. G. Bather, The Bronze fragments of the Acropolis, dans JHS, 1892, p. 239-240, le rattachait à Egine.
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titre, Rolley a remarqué l'étrangeté de cet objet dans la production de l'archaïsme grec. Il le date « objectivement » de la première moitié du VIIe siècle 42. Or, ce petit bronze me semble avoir quelque rapport avec le type des « porteuses d'offrandes » défini et étudié par Balty 43. Le groupe se caractérise par une rigidité et un immobilisme qui ne sont pas sans rappeler la tradition de la statue-pilier. Quant à la position des bras, elle est proche de celle qui invite à la prière funéraire. Par contre, le polos n'est pas représenté dans les statuettes de ce groupe44. Il ne serait pas étonnant de retrouver un de ces objets à Delphes car leur diffusion a été importante, si l'on en juge par la découverte de deux « porteuses d'offrandes » en Gaule 45. La datation proposée par Balty est assez conciliable avec celle de Rolley et ferait songer à assigner à cette statue une fabrication vers le milieu ou le troisième quart du VIIe siècle. Pourtant, on ne perdra pas de vue que certains détails donnent à la statuette de Delphes une originalité certaine par rapport au groupe de Balty (polos, élargissement des hanches au niveau du bassin) 46.
42 Cl. Rolley, Fouilles de Delphes V, 1969, n° 174 (= Perdrizet n° 5) à qui je renvoie pour une description précise de l'objet. Je remercie Cl. Rolley d'avoir lui-même attiré mon attention sur cette figurine. 43 J.-Ch. Balty, Un centre de production de bronzes figurés de l'Etrurie septentrionale (deuxième moitié du VIF - première moitié du VIe av. J.-C). Volterra ou Arezzo? dans BIBR, 33, 1961, p. 5 sq.; Id., Un centre de production de bronzes figurés de l'Etrurie septentrionale Note additionnelle, dans BIBR, 37, 1965, p. 5-16. 44 Sur le geste de la prière funéraire en Grèce, et en Etrurie, cf. Ch. Picard, RHR, 1936, p. 137-157; sur le polos, cf. les remarques de P. Demargne, Terres-cuites archaïques de Lato, dans BCH, 1929, p. 390, note 2 et de S. Mollard Besques, Musée national du Louvre. Catalogue raisonné des figurines et reliefs en terre-cuite grecs, étrusques et romains, Ι, Β 202, 203, 204. 45 A Thorigné-en-Charnie (Mayenne): cf. P. Terouanne-R. Boissel, Annales de Bretagne, 1, 1966, p. 187-190 et St. Boucher, Une aire de culture italo-celtique aux VIF-VF siècles av. J.-C, dans MEFR, 1969, p. 38. Pour un objet de Volterra, cf. ead., Bronzes grecs, hellénistiques et étrusques des Musées de Lyon, 1970, p. 71, n° 49. 46 Dans ce rappel du problème des bronzes étrusques en Grèce, je me limite aux deux objets d'Athènes et de Delphes; je rappelle pourtant que l'on a parlé de fabrication étrusque à propos d'une petite agrafe de Dodone représentant un dieu marin (Achéloos? Achéron? Triton?); cf. C. Carapanos, Dodone et ses ruines, 1878, p. 32, n° 12 (et pi 13-2); T. J. Dunbabin, The Western Greeks, 1948, p. 253, note 6; F. G. Lo Porto, op. cit., p. 189. Sur les petites appliques représentant Achéloos, cf. M. Guarducci, op. cit., p. 25-26. L'origine étrusque ne me semble pourtant pas décisive, non plus que celle du satyre ithyphallique dansant, également de Dodone; J. de Witte, Satyre, bronze trouvé à Dodone, dans Gazette archéologique, 1877, p. 124-127 et pi. XX; C. Carapanos, p. 31, n° 1 et pi. 9). Sur le type du satyre dans les bronzes étrusques,
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Au terme de cette raccolta de renseignements sur les Tyrrhéniens et les Etrusques de l'Egée, arrêtons-nous sur le cas de Lemnos, qui est comme le noyau de toutes les traditions relatives aux Tyrrhéniens. Dans le cadre de cet article, il est bien entendu interdit de faire un état de la question: la bibliographie est imposante et alourdirait inutilement le propos. On s'efforcera également de ne pas déborder sur les questions des origines étrus ques et des Pélasges, à l'inverse de la plupart de nos prédécesseurs: ce faisant, on ne pense pas mutiler le sujet mais plutôt rendre le débat plus clair et l'argumentation plus incisive. D'ailleurs, l'étude d'ensemble des tradi tions sur les Tyrrhenes de Lemnos et des problèmes qui s'y rattachent a permis la publication de travaux qui font date, tels ceux de Myres, Brandenstein, Bérard, Pallottino, Hencken et Heurgon pour ne citer que les principaux et les plus récents47. Les remarques qui vont suivre - et qui sont, dans
cf. A. Hus, Les bronzes étrusques, 1975, p. Ili et pi. 48. De toute façon cet objet n'est pas antérieur au IVe siècle. Egalement tardif est, à coup sûr, le miroir étrusque qui semble provenir du Pélo ponnèse, cf. K. D. Mylonas, AE, 1833, p. 249-254 et pi. 13 avec la classique scène de groupe à quatre personnages (deux jeunes gens en tunique - les Dioscures? - encadrant une femme habillée et une femme nue); cf. D. Rebuffat-Emmanuel, Le miroir étrusque, 1973, n° 35 et autres. On remarquera que la place des bronzes n'est pas proportionnelle à la réputation dont les bronzes étrusques jouissaient dans la Grèce classique, cf. Athénée, Deipn., XV, p. 700 et I, 28b; Sophocle, Ajax, 17. Le trône d'Arimnestos offert au Zeus d'Olympie était également célèbre (Pausanias, V, 12, 5). Pour Olympie, on rappellera simplement l'existence de quelques boucliers en bronze (et d'un diadème d'argent) considérés comme étrusques: cf. en dernier lieu I. Strom, Problems concerning the origin and early development of the Etruscan Orien talizing Style, 1971, p. 40-41 (n° 81-84) et p. 75 et 202 avec bibliographie antérieure (remontant à A. Furtwängler). Par ailleurs, H. Hencken, Syracuse, Etruria and the North: some comparisons, AJA, 62, 1958, p. 266 rapproche deux plats publiés par A. Furtwängler (Olympia, IV, p. 94) du type à rebord perlé dont l'origine est parfois étrusque (très nombreux exemplaires en Etrurie). Un autre objet semblable est noté au Musée de Corfou. On verra infra dans quel esprit je privilégie ici l'étude de la céramique par rapport à celle des bronzes. 47 J. L. Myres, A history of the Pelasgian theory, dans JHS, XXVII, 1907, p. 170-225 (et en part. p. 214 sq.); W. Brandenstein, s.v. Tyrrhener, dans RE VII A 2, 1909-1920 et VII A 3, 1921-1938; J. Bérard, La question des origines étrusques, dans REA, LI, 1949, p. 201-245 (en part, l'appendice II: Tyrrhenes de Lemnos, Tyrrhenes d'Etrurie et l'expédition de Miltiade, p. 224-245); id., Le mur pélasgique de V Acropole et la date de la descente dorienne, Studies presented to D. M. Robinson, 1951, p. 135-159 (développement de CRAI, 1950, p. 117-121); Id., Philistins et Préhellènes, dans RA, 37, 1951, p. 129-142; M. Pallottino, Nuovi studi sul problema delle origini etrusche (Bilancio critico), dans SE, XXIX, 1961, p. 3-30 et Etruscologia, 6e édit. amplifiée, 1975, passim; H. Hencken, The ancient traditions in Tarquinia, Villanovans and Early Etruscans, 1968,
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un premier temps, surtout archéologiques - sont faites par rapport à ces travaux qui seront supposés connus, ainsi que les sources qu'ils utilisent. On sait que les Tyrrhenes ont été assimilés, dès l'Antiquité, avec les Pélasges et que ces peuples ont, en particulier, occupé Lemnos jusqu'à l'époque de la conquête de l'île par Miltiade à la fin du VIe siècle av. J.-C. Ces Tyrrhènes-Pélasges ont eu, pendant plusieurs siècles, une existence mouvementée, faisant des séjours, plus ou moins brefs, à Athènes (cons truction du mur de l'Acropole, rapt des femmes de Brauron) et dans l'Italie centrale (problème des relations avec les Aborigènes et question de la fondation de Cortone). Mais leur domaine de prédilection est le bassin septentrional de l'Egée (Lemnos, Imbros, Samothrace) ainsi que les terres voisines de la Thessalie et enfin de la Thrace où ils se réfugient après l'expédition de Miltiade. Dès l'Antiquité, on s'est posé des questions sur l'origine et la nature de ce peuple, sur les rapports Pélasges-Tyrrhéniens, sur l'existence et la datation des migrations en Occident. On verra bientôt ce que l'on peut penser de l'origine de la tradition littéraire relative à ces populations. Mais on voudrait sans plus tarder émettre une série d'observations archéologiques sur l'île de Lemnos. Cette île, si souvent citée par les sources littéraires, se devait d'attirer les archéologues qui pouvaient espérer retrouver ainsi l'explication de toutes ses obscures traditions. Et ceci d'autant plus qu'en 1885, deux chercheurs avaient découvert près du village de Kaminia une stèle représentant un guerrier et portant deux inscriptions qui furent rapidement qualifiés d'« étruscoïdes » 48. Au début du siècle l'allemand Fredrich réalisait une série de sondages49; mais les recherches les plus importantes devaient être conduites à partir de 1926 par l'Ecole Archéologique Italienne d'Athènes50.
II, p. 603-618; J. Heurgon, Le problème de l'origine des Etrusques in Rome et la Méditer ranéeOccidentale jusqu'aux guerres puniques, 1969, p. 363-371. Récemment, synthèse de L. Aigner Foresti, Tesi, ipotesi e considerazioni sull'origine degli Etruschi, Vienne. 1974. 48 G. Cousin-F. Durrbach, Bas-relief de Lemnos avec inscriptions, dans BCH, 1886, p. 1-6. 49 C. Fredrich, Lemnos, dans MDAI (A), 31, 1906, p. 60-86 et p. 241-255. Ce chercheur est en outre l'auteur de l'article Lemnos dans RE XII, (1925), 1928-1930. 50 L. Bernabò Brea, s.v. Lemno, Enciclopedia dell'Arte Antica, p. 542-545. Sur les fouilles italiennes, cf. les rapports dans JDAI (AA), 1927, p. 393-396; 1935, p. 234; 1936, p. 154; 1937, p. 167; 1940, p. 288 et surtout le volume spécial de VASAA, 15-16, 1932-1933 rédigé par D. Mustilli, G. Caputo et M. Segre. Cf. aussi D. Mustilli, La necropoli dei «PelasgiTirreni» di Ef estia (Lemno), dans BPI, 43, 1933, p. 132-139; Id., L'occupazione ateniese di Lemno e gli scavi di Hephaistia, Studi Ciaceri, 1940, p. ;149-159; Id., s.v. Efestia, dans EAA, p. 230-231; A. Della Seta, Arte tirrenica di Lemno, dans AE,\ 1937, p. 629-654.
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Evidemment, le problème qui se posait était de savoir si l'on allait trouver à Lemnos du matériel comparable à celui connu en Etrurie, ce qui permett rait de résoudre, pensaient certains, à la fois le problème de la stèle et celui des origines étrusques. Sur ce point, la déception fut grande mais la riche moisson d'objets recueillis révélait une civilisation et un art originaux où l'on retrouvait à la fois la tradition du géométrique grec et de l'art créto-mycénien 51. En utilisant les comptes-rendus de fouilles on se rend bien compte que l'attention des fouilleurs était en éveil dès qu'un élément présentait des affinités techniques ou typologiques avec le matériel de l'Italie centrale. Mais cette attention a été souvent mal utilisée dans la mesure où les chercheurs n'ont pas échappé au piège qui s'offrait à eux: celui de se borner à distinguer le bucchero étrusque du bucchero grec (éolien, lesbien, etc.). Ils ont effectivement bien réussi à éviter la confusion et plusieurs pages de Mustilli sont pleines de remarques fines et précises à ce sujet. Mais ce faisant, Mustilli, comme Pettazzoni avant lui, oubliait l'essentiel, à savoir le cadre chronologique. Certes, il n'y avait pas de bucchero étrusque dans la nécropole d'Efestia. mais il ne pouvait pas y en avoir pour la bonne raison que la nécropole était datable des VIIIe et VIIe siècles et que le bucchero n'a jamais été diffusé avant le dernier tiers (et encore) du VIIe siècle. Dans les recherches allemandes puis italiennes, le VIe siècle n'était absolument pas représenté (mais la stèle de Kaminia précédemment trouvée, était, elle, du VIe siècle, nous y reviendrons) sinon dans son extrême fin, au moment de la conquête athénienne52. Pourtant, dira-t-on, il y avait dans cette nécropole du bucchero grec qui, en Occident, est toujours re cueilli dans des niveaux du VIe siècle avec parfois, en contexte, du bucchero étrusque: on se souviendra que l'on est à Lemnos, donc à proximité des centres de fabrication de cette céramique grise qui n'a été exportée qu'au VIe siècle dans le cadre de la colonisation « phocéenne » mais qui semble bien être en usage pendant tout le VIIe siècle à Lesbos53 (pour ne citer qu'un exemple). 51 R. Pettazzoni, Zerona. Contributo alla questione degli Etruschi, dans RAL, 17, 1908, p. 658, avait déjà exprimé sa déception après les fouilles de Fredrich: ni inscriptions ni céramiques étrusques! 52 On objectera que les fouilles italiennes ont permis de recueillir d'autres inscriptions fragmentaires proches de celle de Lemnos, cf. A. Della Seta, Iscrizioni tirreniche di Lemno, dans Scritti in onore di B.- Nogara, 1937, p. 119-145. Mais elles ont été retrouvées non dans la nécropole, mais dans une des rares structures d'habitat fouillées à Efestia. 53 W. Lamb, Grey wares from Lesbos, dans JHS, 52, 1932, p. 1-12. Cette céramique a même une longue tradition derrière elle, depuis l'âge du bronze (cf. les fouilles américaines à Troie).
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D'ailleurs, l'étude du matériel importé aurait dû mettre les fouilleurs sur la voie: il n'y a que des vases protocorinthiens subgéométriques (entre autres des aryballes pirif ormes) et de type corinthien ancien: rien, à lire les publications, qui descende au-delà de 620-600 54. Or, il est aujourd'hui bien connu qu'en Occident le bucchero étrusque se retrouve le plus souvent avec du corinthien moyen (voire récent), du laconien, des coupes ioniennes, toutes catégories qui sont absolument absentes, et pour cause, de la nécropole d'Efestia. Il ne faut donc pas dire ni écrire comme on l'a fait parfois, que Lemnos est à l'écart du monde grec au VIIe siècle: la présence de la céramique de Corinthe est là pour infirmer une semblable thèse. Mieux, il se peut même que l'on ait retrouvé une imitation locale d'aryballe corinthien ancien (forme 66 de Mustilli). C'est dans ces conditions qu'il faut, à notre avis, reposer le problème de la stèle de Lemnos. Notre ambition, dans ce domaine, sera extrêmement modeste. Il n'est pas question d'étudier l'écriture et la langue de ces inscrip tionsmais de faire simplement quelques observations d'ordre externe sur cette stèle pour laquelle a déjà coulé beaucoup d'encre55. Rappelons tout d'abord deux faits aujourd'hui bien établis: - les inscriptions de la stèle de Kaminia ont été gravées sur place. Les découvreurs ont tout de suite fait remarquer que le lieu de la découverte « est situé à une heure et demie du rivage le plus proche; cet éloignement et le poids de la pierre empêchent de supposer qu'elle ait été transportée d'un autre point en cet endroit » 56; - certaines des inscriptions sur vase retrouvées en 1928 à Ef estia ont été gravées avant cuisson ce qui confirme que la langue de ces inscrip tionsétait celle qui était parlée dans l'île au VIe siècle. Ceci dit, l'élément essentiel nous semble être le suivant: on connaît mal, pour l'instant, le contexte archéologique de la stèle de Kaminia.
54 Cf. D. Mustilli, ASAA, 15-16, 1932-1933, tombes CXIV, CCII, B/XLVI nos 12, 28, 31, 32, 33; tombe B/XLVII, nos 45, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53. Cependant il n'y a pas non plus de céramique étrusque à Troie où les importations grecques du VIe existent: cf. Troy IV, 1958 (settlement VIII). 55 Sans revenir sur les travaux de A. Trombetti (1928), G. Buonamici (1932), P. Ducati (1938) et U. Coli (1947), je renvoie aux deux titres les plus récents: H. Rix, Eine morphosyntaktische Übereinstimmung zwischen Etruskisch und Lemnisch: die Datierungsformel, dans Gedenkschrift für W. Brandenstein, Innsbruck 1968, p. 213-222, et M. Cristofani, Introduzione allo studio dell'etrusco, 1973, p. 103-106. 56 BCH, 1886, p. 2.
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Par ailleurs, en liant de façon trop exclusive la question de la stèle à celle des origines étrusques, on se condamne à ne pas pouvoir comprendre par qui cette inscription a été gravée au cours du VIe siècle; la parenté linguisti que entre le lemnien et l'étrusque, même si elle existe, n'enrichit pas notre connaissance de la Lemnos archaïque (qui, seule, nous concerne dans le cadre de ce travail). Délaissant à présent le problème du VIe siècle à Lemnos, essayons de poser pour le matériel du VIIIe et du VIIe siècle les questions que Mustilli posait pour le bucchero étrusque. En d'autres termes, est-ce que la céramique recueillie dans la nécropole d'Efestia a quelque chose à faire avec les pro ductions contemporaines de l'Italie centrale? Disons tout de suite que les résultats de notre recherche sont minces mais quelques éléments doivent être soulignés: 1. Les formes 68 et 69 de Mustilli, c'est-à-dire les vases doubles ou triples, parfois vulgairement appelés «salières», sont, comme l'avait noté l'archéologue italien, « molto frequenti in Italia » 57. Ceux de Lemnos sont en argile grossière grise ou rouge. Mais comme ce type de vase a eu une très grande diffusion, il serait imprudent d'attacher trop d'importance à ce qui n'est peut-être qu'une coïncidence. 2. Le problème du canthare: deux types de canthares sont publiés par Mustilli. Quelques exemples: - tombe B/XXXVI n° 1 et tombe B/XXXIX n° 1; fond plat ou annulaire semble-t-il; ressaut sensible entre le haut et le bas de la vasque; décoration de tradition géométrique; - tombe B/X n° 27: pied intermédiaire entre le type « à tige » et le type «en trompette»; vasque régulièrement convexe; décor de points et de méandres. Si nous mentionnons ces canthares c'est afin de montrer clairement qu'il ne saurait y avoir une dérivation quelconque entre ces types de canthares et le canthare étrusque. Nous avons, à Lemnos, d'une part le type mycénien ou de tradition mycénienne (B/X n° 27 est dérivé du type 262 de Furumark) 58 et d'autre part le type géométrique grec qui n'a jamais de pied évasé. Or P. Courbin a bien montré comment le canthare géométrique
57 ASAA, 15-16, 1932-1933, p. 169 et pi. XI. 58 A. Furumark, The Mycenaean Pottery. Analysis 1941 (1972).
and
classification,
Stockolm,
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et le canthare étrusque étaient deux formes totalement indépendantes l'une de l'autre, la « révolution » causée par l'apparition du canthare attique archaïque s'expliquant par la substitution de l'influence étrusque à une tradi tion géométrique qui aurait semblé plus logique 59. Mais deux autres points apportent une contribution plus positive à notre enquête: 3. Les urnes biconiques: la forme 4 de Mustilli est extrêmement fr équente dans la nécropole d'Efestia. Evidemment, on songe spontanément aux urnes villanoviennes. Cependant Mustilli a souligné qu'il s'agit ici de vases faits au tour et que donc l'aspect biconique est beaucoup plus volontaire que pour les premiers vases villanoviens. L'argile des vases de Lemnos est fine et de couleur rouge. 4. La forme 14 de Mustilli ne laisse, par contre, aucun doute: il s'agit d'un calice sur un pied en trompette légèrement surélevé. Je me sépare nettement sur ce point des explications fournies par Mustilli. L'Orient et les coupes ioniennes n'ont que peu de choses à faire avec ce calice. Bien sûr, Mustilli a évoqué la parenté avec les calices de bucchero étrusque mais il a cherché à l'expliquer par des intermédiaires orientaux en métal ou en ivoire (et leurs dérivés étrusques). En ce qui concerne cette forme 14, il me semble beaucoup plus probant de faire un rapprochement avec les calides Rimpasto du monde italique et particulièrement du Latium, forme qui appartient à la période IV de Gierow et qui peut donc remonter au troisième quart du VIIe siècle au moins60. Par conséquent, bien que le géométrique phrygien et lydien et la céramique caractéristique de la Lemnos archaïque n'aient rien à voir avec les productions italiques, on ne peut pas dire qu'il n'y ait rien à Lemnos qui ne rappelle l'Occident et, plus particulièrement, le monde villanovien.
59 P. Courbin, Les origines du canthare attique archaïque, dans BCH, 1953, p. 322-345. On rapprochera les deux canthares de tradition géométrique cités des exemplaires étudiés par J. N. Coldstream, Greek geometric pottery, Londres, 1968, pi. 15/0 (Kerameikos 320) et pi. 61/h (Oxford), celui-ci rhodien, celui-là attique et tous deux datables autour de 700. Sur l'importance de la tradition mycénienne dans la céramique de Lemnos, cf. les études citées supra. Le même phénomène a récemment été observé à Samos, cf. H. Walter, Santos V. Frühe samische Gefässe, Bonn, 1968. 60 P. G. Gierow, The iron age culture of Latium, Lund, 1966, II 1, p. 175, fig. 102, n° 2. Type également fréquent à Rome: E. Gerstadt, Early Rome, III, p. 152, fig. 97, etc. Un calice de forme voisine provient de Lesbos où il est, également, totalement isolé: W. Lamb, Excavations at Thermi in Lesbos, 1936, pi. XVIII.
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Mais dans la mesure où de rares objets d'influence, de tradition ou, plutôt, de type villanovien sont présents à Lemnos, c'est en terme d'influences commerciales et non d'origine commune que se pose le problème. Une telle idée, naguère, aurait pu faire sourire: mais on commence aujourd'hui à ne plus considérer le monde villanovien comme un milieu fermé, vivant en autarcie et absolument étranger au commerce maritime. Ce fut le mérite de M. Pallottino que d'insister sur le dynamisme de l'Italie villanovienne et les recherches les plus récentes, notamment en Sicile, semblent vouloir lui donner raison 61. En sens contraire, on a parfois tenté de montrer que les influences orientales ne sont pas complètement absentes du répertoire villanovien, en particulier dans le domaine de la sculpture des stèles62. Or, on sait maintenant que des contacts ont eu lieu au VIIIe siècle entre le monde égéen et l'Occident. D'abord, bien sûr, au moment des premiers arrivages de colons grecs à Pithécusses, mais aussi auparavant: c'est tout le problème de la « précolonisation » que les recherches récentes remettent à l'ordre du jour63. Surtout, on n'a jamais suffisamment souligné que le « choc en retour » existait: il y a en Eubée un bouclier villanovien du VIIIe siècle et aussi une tasse d'origine italique qui remonte au
61 Par exemple M. Pallottino, Etruscologia, op. cit., p. 124-125 ou Vili" Convegno Taranto (1968), 1969, p. 43. Mais le contraste entre le troc villanovien et le commerce étrusque est encore souligné par A. Hus, Les bronzes étrusques, 1975, p. 65. 62 L. Polacco, Rapporti artistici di tre sculture villanoviane di Bologna, dans SE, 21, 19501951, p. 59-105 est particulièrement sensible aux «confronti che tutte le tre pietre bolognesi trovano in monumenti dell'arte siro-ittita» (p. 95). 63 Depuis la position sceptique de G. Vallet, Rhégion et Zancle, 1958, part. p. 44 (et p. 15-46), nouvelles trouvailles en Etrurie (Veies), Campanie (Cumes, Capoue); cf. les remarques de J. N. Coldstream, Greek geometric pottery, p. 355 et p. 371 sq. et les études de W. Johannowsky, Dialoghi di Archeologìa, I, 1967, p. 159-185 et D. Ridgway, SE, 35, 1967, p. 311-321 et le n° III, 1969 des Dialoghi. Récemment, découvertes en Sicile (Marcellino) : G. Voza, Villasmundo in Archeologia nella Sicilia Sud-Orientale, Centre Jean-Bérard, Napoli, 1973, p. 57-63 et SE, 42, 1974, p. 544; à Rome (Esquilin), E. La Rocca, Dialoghi di Archeologia, Vili, 1, 1974-75, p. 86-103 réexamine d'anciennes trouvailles (cf. aussi Civiltà del Lazio primitivo, Roma, 1976, p. 126). Par ailleurs, les témoignages de contacts entre le monde mycénien et l'Occident se multiplient dans toutes les régions de la péninsule italienne (mais nous n'entrerons pas dans le débat sur l'existence d'une éventuelle continuité, en Occident, entre l'époque des contacts avec le monde mycénien et celle de la «précolonisation»). A côté de la céramique, il y a les bronzes, tel le trépied de Piediluco en Sabine, cf. Cl. Rolley, Bull, de la Soc. Franc. d'Archéo. Class., 8, 1973-1974, p. 158, note 1, ainsi que les remarques de J. P. Morel, ibid., p. 155 et de L. Vagnetti, MEFRA, 1974, 2, p. 558 note 3 avec bibliographie.
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XIIe siècle64. Dans ce contexte, cette observation du fouilleur d'Ef estia, bon connaisseur par ailleurs du monde italique, ne manque pas d'intérêt: « l'aspetto generale della necropoli di Lemno ricorda quello delle necropoli italiche dette " villanoviane " » 65. Ainsi se dégage un « facies » de Lemnos sur lequel les recherches insistent généralement assez peu. Lemnos est, bien entendu, l'île des « crimes lemniens » et de Philoctète, la « fumeuse » qui a parfois été appelée Aethalia en raison de son activité métallurgique. Une île à part, terre de la mauvaise odeur, des plantes fétides et des eaux contaminées. Mais cette île, si riche en légendes et en mythes, dotée d'une si forte personnalité dans la tradi tion littéraire grecque, n'était pas pour cela un monde replié sur luimême 66. On a trop souvent considéré qu'avant l'arrivée de Miltiade, Lemnos et ses « Pélasges-Tyrrhéniens » sont une enclave dans une Egée hellénisée, un monde barbare farouchement attaché à ses traditions. L'archéologie permet de nuancer ce jugement: les importations grecques existent durant le VIIe siècle. On a souvent remarqué qu'au moment de la conquête athé nienne l'inhumation est seule représentée dans les nécropoles et on en déduit que la population non-grecque a disparu. Peut-être. Mais comme la nécropole du VIe reste à découvrir il est imprudent d'être aussi catégorique: on ne peut pour le moment exclure l'hypothèse d'une ouverture progressive de l'île des « Pélasges-Tyrrhéniens » à l'hellénisme et au reste du monde méditerranéen, ce qui expliquerait que, à la fin du VIe, les tombes à incinération caractéristi ques des νΐΐΓ-νΐΓ, ne soient plus représentées. ■*
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Si l'on veut passer de l'analyse à l'explication, les difficultés surgissent de tous côtés. En d'autres termes, tenter de rattacher le phénomène tyrrhénien à un moment et un contexte historiques donnés n'est pas chose facile. Pour
64 J. Close-Brooks, A Villanovan Belt from Euboea, dans BICS, 14, 1967, p. 22-24; L. H. SackettM. R. Popham, Lefkandi. A Euboean town of the Bronze Age and the early Iron Age (2100700 B.C.), Archaeology, 25, 1972, p. 15; A. H. S. Megaw, Archaeology in Greece 1965-1966, dans AR, 1966, p. 11-12 (fig. 17) et les remarques de J. de La Genière, Bull, de la Soc. Franc. d'Archéo. Class., 1973-74, p. 155. 65 D. Mustilli, ASAA, 15-16, 1932-1933, p. 277. Par ailleurs, à propos de la forme 13, il soulignait la parenté avec les céramiques énéolithiques italiennes (p. 145). 66 Sur les confusions Lemnos-Aethalia, cf. E. Pais, Storia della Sicilia e della Magna Grecia, 1894, p. 472-473, note 3. Cf. Polybe, XXXIV, 11, 4 (apud Steph. Byz.) et Tite-Live, XXXII, 13. Ephore appelait Aethalia l'île de Chios (cf. Pline, N.H., V, 38, 1). Cet aspect de «monde à
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rendre le débat plus clair, il importe tout d'abord d'être nettement renseigné sur le rôle que peuvent jouer les inscriptions étruscoïdes de Lemnos dans une telle tentative. Soyons bref: il nous semble important de ne pas oublier que ces inscrip tionssont du VIe siècle mais nous devons reconnaître que rien, pour le moment, ne permet d'utiliser ces textes dans le cadre des relations com merciales qui ont pu unir Lemnos à la Toscane durant l'époque archaïque. Naguère quelques tentatives d'explication ont été ébauchées dans ce sens; mais elles ont toujours été présentées comme conjecturales. Aucun élément ne permet de dire de façon décisive que la parenté linguistique entre le lemnien et l'étrusque est le résultat d'un essaimage de Toscane en Egée, ou inversement, à l'époque historique67. En aucune façon donc, l'inscription étruscoïde de Lemnos ne peut, pour le moment, être présentée comme un témoignage d'un commerce étrusque à Lemnos au VIe siècle. Ceci dit, les textes littéraires et les témoignages archéologiques relatifs aux Tyrrhéniens et aux Etrusques demeurent. Pour tenter d'en tirer parti nous allons nous placer successivement sur des plans différents: celui de la chronologie et celui des espaces géographiques. Pour ce qui est du premier point, la question se pose de la façon suivante: de quand date la tradition sur la piraterie tyrrhénienne en Egée et d'où provient-elle? Le débat est important pour qui veut savoir si ces Tyrrhéniens sont des Pélasges ou des Etrusques. Mais la réponse n'est pas aisée; on sait pourtant que le récit de l'enlèvement de Dionysos était connu dès le Ve siècle av. J.-C. à Athènes puisque nous avons l'allusion d'Euripide dans le Cyclope. La datation de l'Hymne homérique à Dionysos est plus délicate à fixer: pour Jeanmaire si une haute époque est à exclure, on ne peut y voir une création de l'époque alexandrine. Bref, il semble que le
part » que les textes donnent à Lemnos n'est pas sans rappeler celui qui est assigné à la Sardaigne (cf. M. Gras, Les «Montes Insani» de la Sardaigne, dans Hommages à R. Dion, 1974, part. p. 364-366). 67 R. Bloch avait nettement posé la question et répondu de façon négative (Etrusques et Romains. Problèmes et histoire de l'écriture dans L'Ecriture et la Psychologie des Peuples, XXIIe Semaine de Synthèse, 1963, p. 187); M. Lejeune, Observations sur l'alphabet étrusque, dans Tyrrhenica, 1957, p. 158-169, considérait alors qu'il était «vraisemblable» qu'un alphabet de type étrusque ait été apporté de Toscane et remanié à Lemnos. Dix ans plus tard, il était beaucoup plus sceptique sur un rôle éventuel de « contacts récents entre scribes lemniens et scribes étrusques vers le milieu du VIe siècle» (A propos du problème des Pélasges, dans Atti del Primo Simposio internazionale di Protostoria italiana (Orvieto 1967), Roma, 1969, p. 214). Il l'est encore plus aujourd'hui. Je dois vivement remercier le Professeur Lejeune pour les conseils qu'il m'a donnés.
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récit soit à situer à l'époque classique68. L'histoire de la statue de l'Héra samienne ne saurait être antérieure puisque Ménodotos de Samos est du IIIe siècle av. J.-C. Quant aux Tyrrhéniens de Lemnos, comment dater l'apparition de la tradition les concernant? C'est par rapport à Athènes que le problème se pose: on a vu les imbrications entre l'histoire des Pélasges-Tyrrhéniens et celle d'Athènes: les grandes étapes des rapports entre les deux populations étant la construction du mur de l'Acropole, le rapt des femmes de Brauron et la conquête de l'île par Miltiade. Dans ces rapports, l'antagonisme éclate clairement et il est tentant de songer que toute la tradition littéraire relative à Lemnos a été influencée par le désir des Athéniens de légitimer la conquête brutale de l'île. J. Bérard s'est opposé à une telle vision des choses en montrant que la tradition n'avait jamais été contestée par les Lemniens et, qu'au demeurant, Hécatée la connaissait déjà. Le vocable « Tyrrhenes » était donc déjà utilisé au VIe siècle pour désigner les Lemniens. C'est donc au VIe siècle, on le soupçonne, que tout s'est mis en place: l'identification des Tyrrhéniens avec les Pélasges, leur localisation à Lemnos sont des thèmes probablement dus à l'élaboration erudite des historiens de l'Ionie69. Il se peut, écrit en outre J. Heurgon 70 « que la fable par laquelle la Lydie revendiquait des liens de parenté avec les Etrusques est née à l'époque de l'apogée de ceux-ci », c'est-à-dire au VIe siècle. Il y aurait donc coïncidence chronologique entre la naissance de la tradition relative aux Tyrrhenes de Lemnos et la période de dynamisme commercial des Etrusques. Mais a-t-on seulement un indice qui permette de songer que le lien entre Etrusques et Tyrrhenes n'est pas seulement chronologique? Rien de décisif n'a jusqu'ici été avancé; c'est pourquoi je voudrais m'appuyer sur un exemple qui a été peu utilisé pour le moment dans ce débat. D'après une inscription grecque retrouvée au Pirée 71 les Athéniens pour protéger leur commerce et leurs commerçants contre les Etrusques décident
68 H. Jeanmaire, Dionysos, 1951, p. 227. 69 Sur ces problèmes, cf. J. Bérard, Studies Robinson, op. cit., p. 151, et M. Pallottino, Etniscologia, op. cit., p. 94; J. Bérard, REA, LI, 1949, p. 227, rappelle que l'un des frères de Pythagore, dont le père était venu de Lemnos s'installer à Samos, s'appelait Tyrsenos. 70 J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale, p. 370. 71 Dittenberger, Sylloge3 305; IG2 II 1629 (Kirchner); Tod, II, p. 200. Les plus récents commentaires sont ceux de G. Vallet, Athènes et l'Adriatique, dans MEFR, 1950, p. 39-40; de A. G itti,. La colonia ateniese in Adriatico del 325-324 a. C, dans PP, IX, 1954, p. 16-24 et de L. Braccesi, Grecita adriatica, 197.1, p. 170-188. L'inscription est en marbre du Pentélique;
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d'envoyer des colons dans l'Adriatique en 325-324 av. J.-C. 72. Jusqu'à présent, rien que de très normal: les périls de l'Adriatique étaient bien connus si l'on en croit Lysias73 et les Athéniens de l'époque savaient à quoi s'en tenir sur la piraterie étrusque puisque ce thème venait d'inspirer deux discours, l'un d'Hypéride 74, l'autre de Dinarque; de plus, contrairement à ce que l'on a dit parfois, le qualificatif d'« étrusque » n'était pas gratuit et l'expression « piraterie étrusque » n'avait pas un caractère pléonastique: une inscription de la première moitié du IIIe siècle fait la distinction entre « pirates » et « pirates étrusques » 75. En outre, en 299 av. J.-C. les Déliens se font prêter par le Temple plusieurs milliers de drachmes pour organiser la défense contre les pirates étrusques 76. Il semble clair qu'il n'y a à ce moment-là aucune équivoque possible: l'expression « pirates tyrrhéniens » est totalement synonyme de « pirates étrusques » 77. Or, que voyons-nous mentionner dans l'inscription du Pirée? Les Athéniens disent explicitement qu'ils souhaitent mettre à la tête du groupe de colons un œciste appartenant à la famille des Miltiade. Pourquoi ce désir? Pais a bien vu qu'il y avait là un lien, non pas avec le vainqueur de Marathon, mais avec l'homme qui avait chassé les « Pélasges - Tyrrhenes » de Lemnos et avait ainsi permis l'installation athénienne à la fin du VIe siècle. Il a insisté sur le fait qu'il n'y avait pas là qu'un motif religieux comme on l'avait dit avant lui mais que les Athéniens du IVe siècle considé raientque Tyrrhenes d'Italie et Tyrrhenes de Lemnos étaient des rameaux d'un même peuple 78.
trouvée au Pirée elle est aujourd'hui au Musée national d'Athènes. Le texte est disposé sur quatre colonnes sur la face antérieure, une cinquième étant gravée sur le côté droit. Le passage étudié se trouve au bas de la première colonne. 72 εις Αδρίαν: il s'agit de la mer (ό Αδρίας) et non de la colonie d'Adria (ή Αδρία). Sur ce point A. Gitti, op. cit., p. 22 et L. Braccesi, op. cit., p. 181, ont rectifié l'interprétation de G. Vallet, op. cit., p. 39. 73 Lysias, Fragments. Contre Eschine le Socratique, 4, 5. 74 Hypéride meurt en 322 av. J.-C. 75 Sylloge3 1225. Cf., H. H. Schmitt, Rom und Rhodes, 1957, p. 43 sq.; L. Braccesi, op. cit., p. 173. Il s'agit d'une inscription funéraire de Rhodes, cf. en dernier lieu G. Manganaro, Kokalos, XVIII-XIX, 1972-1973, p. 75. 76 εις την φυλακήν των Τυρρήνων. IG XI, 2, 148, 73. Cf. le commentaire de Th. Homolle, Les archives de l'intendance sacrée à Délos (315-166 av. J.-C), dans BEFAR, n° 49, 1887, p. 68. 77 II se peut même que nous ayons, dans les années 330-310 av. J.-C. un Etrusque installé à Athènes: cf. D. M. Lewis, Hesperia, 1959, p. 229 (et compte-rendu de J. et L. Robert, Bull, épigr., 1960, n° 137). 78 E. Pais, Storia della Sicilia e della Magna Grecia, 1894, p. 472.
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Ne peut-on préciser et approfondir le débat? Si les Athéniens admett aient qu'un parallèle était évident entre l'expédition de la fin du VIe et celle de 325-324 av. J.-C, ne serait-ce pas parce que le but des deux interventions était identique? Est-il invraisemblable de penser, pour parler clairement, que la conquête de Lemnos était, au départ, une opération pour réprimer la piraterie des « Pélasges-Tyrrhéniens » de l'île? 79. Les pirates tyrrhéniens qui enlèvent Dionysos près de Chios et la statue d'Héra à Samos ne pourraient-ils pas être tout simplement les Tyrrhéniens installés à Lemnos? 79 bls Pour me résumer, l'inscription du Pirée nous fait comprendre que les Athéniens du IVe siècle avaient, deux siècles après l'événement, le souvenir d'un des hauts faits de l'histoire athénienne: pour eux, Miltiade, à la fin du VIe, avait entrepris la conquête de Lemnos pour réprimer la piraterie « tyrrhénienne » et, toujours pour les Athéniens du IVe siècle, ces Tyrrhénienslà étaient des Etrusques. A ce point du raisonnement, revenons aux données archéologiques en examinant la carte de répartition des trouvailles d'objets étrusques en Méditerranée orientale. Elle est particulièrement instructive et l'on peut rassembler les remarques qu'elle inspire autour des points suivants: - continuité totale entre la péninsule italienne et le monde égéen: les trouvailles de Dalmatie, Corfou et Ithaque sont autant de jalons à cet égard; - mis à part le cas de Tocra, un peu excentrique par rapport à nos préoccupations, les témoignages respectent une distribution géographique qui s'organise suivant deux axes et délimite deux aires (cf. carte en fin d'article).
79 Hérodote VI, 136 dit nettement que Miltiade après la prise de l'île châtia les Pélasges (και τεισάμενος τους Πελασγούς). S'agit-il d'une référence aux « crimes lemniens » ou plus simple mentà une concurrence économique qui aurait provoqué l'expédition? De plus les «crimes lemniens » ne seraient-ils pas la traduction littéraire de cette concurrence? Le rapt des femmes de Brauron peut également être interprété comme l'habillage littéraire de la razzia, laquelle n'est qu'un aspect de la piraterie. Mentionnons enfin que Denys d'Halicarnasse (I, 25) signale que le fait de vivre avec les Tyrrhéniens permit aux Pélasges de parvenir à une très grande habileté dans l'art de la navigation (της κατά τα ναντικα επιστήμης δια την μετά Τυρρηνών οϊκησιν έπί πλείστον έληλακότες). 79bis On remarquera d'ailleurs que, pour Philochore d'Athènes (IVe siècle av. J.-C), les Tyrrhéniens installés à Lemnos et attaquant les femmes de Brauron étaient des pirates (frag. 5 in C. Müller, FHG, I, p. 384-385). Cette tradition se retrouve dans Eustathe (Comment. 591 in C. Müller, GGM, II, p. 331).
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D'abord la zone du Sud de l'Egée et des rivages de l'Asie Mineure méridionale: une « traînée » de matériel recueilli de Corinthe à la Syrie en passant par les Cyclades (Naxos-Délos), Rhodes et Chypre (?). Ensuite une aire vraiment égéenne matérialisée par les découvertes de l'Egée centrale d'une part (Samos, Chios, Smyrne) de la Propontide (Daskyleion) et de la Mer Noire (Histria) d'autre part. Il me semble que de telles remarques permettent d'aboutir aux con clusions suivantes: 1. La « traînée » méridionale conduit vers les côtes de Cilicie et de Syrie septentrionale, c'est-à-dire vers la région qui était, à l'époque orientalisante, la porte maritime de l'Ourartou à la suite des défaites subies par les souve rains assyriens. C'est là que passait le principal courant économique qui fut à la base du phénomène orientalisant 80. 2. Les découvertes de céramique étrusque à Samos ont précisément eu lieu dans l'île qui semble avoir été un relais essentiel dans la diffusion des bronzes de l'Ourartou81. Plus de deux cent cinquante chaudrons à pro tomes de griffon y ont été recueillis. Or, au cours du VIIe siècle, ce type de chaudron a été diffusé jusqu'en Etrurie où on le retrouve dans les grandes tombes orientalisantes de Préneste, Cerveteri et Vetulonia82. Certes, on s'est posé de nombreuses questions - qui demeurent encore en suspens pour la plupart - sur l'origine et la diffusion de ces chaudrons. Quoiqu'il en soit, il n'est pas sans intérêt de noter une certaine reprise, à l'époque de la diffusion du bucchero, des routes maritimes utilisées à l'époque des chaudrons.
80 M. Pallottino, Etruscologia, op. cit., p. 96. On pourrait aussi noter l'importance des rapports entre Pithécusses et cette région (en raison de la présence d'une autre colonie eubéenne, c'est-à-dire Al Mina). On sait que de nombreux sceaux retrouvés à Pithécusses proviennent de la zone côtière située entre la Cilicie et la Syrie (cf. G. Büchner -J. Boardman, Seals from Ischia and the Lyre-Player Group, dans JDAI, LXXXI, 1966, p. 1 sq.). Beaucoup de ces objets appartiennent au troisième quart du VIIIe siècle, cf. D. Ridgway, Rapporti dell'Etruria meridionale con la Campania, dans Vili" Convegno Nazionale di Studi Etruschi ed Italici, (1972), 1974, p. 289: « con Pithecusa in mezzo, la strada che porta dall'Oriente all'Etruria, già aperta, è più che mai battuta». 81 Sur l'exportation des bronzes de l'Ourartou, le point de départ est l'ouvrage de U. Jantzen, Griechische Greifenkessel, 1955 auquel ont succédé de nombreuses études, notam mentde P. Amandry, (cf. par exemple, Syria, 1958, p. 73-109). 82 Sur les chaudrons orientalisants en Etrurie, cf. surtout les travaux de M. Pallottino (Arch. Class., 1955, p. 109-123 et 9, 1957, p. 88-96) et de A. Hus (MEFR, 1959, p. 7-42 et Les bronzes étrusques, 1975, p. 33-37). Notations récentes et précises de I. Strém, Problems concerning the origin and early development on the Etruscan Orientalizing Style, 1971, p. 131-134.
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3. Une « traînée » septentrionale existe aussi, qui, par l'Egée centrale et les Détroits, atteint la Mer Noire. Les repères de Daskyleion et d'Histria sont de toute première importance bien qu'il soit prématuré peut-être de parler de route étrusque vers la Mer Noire. Mais, en tout cas, Lemnos n'est plus isolée dans le Nord de l'Egée bien que le bucchero étrusque n'y soit pas encore attesté. 4. Car c'est un problème de routes et de circuits qui se dégage de l'observation de la carte. On a trop souvent dit que le bucchero étrusque se trouvait un peu partout, comme si la diffusion, totalement anarchique ne respectait aucune règle. On a aussi prétendu qu'il se trouvait uniquement dans les sanctuaires grecs: cela n'est pas vrai. Les grands sanctuaires de Grèce continentale, par exemple, Olympie, Delphes, Dodone n'ont jamais fourni du bucchero malgré l'intensité des recherches. Certes, ils ont des bronzes: ici doit être rappelé la différence fondamentale entre ces deux types d'objets: le bronze ne jalonne pas toujours une route économique mais suggère des contacts privilégiés sous forme de cadeaux ou d'offrandes. Les modestes tessons indiquent souvent un circuit économique. Rien d'éton nant, dans ces conditions, que Delphes et Olympie aient reçu des bronzes étrusques. Mais le bucchero ne se trouve dans un sanctuaire qu'à condition que celui-ci soit situé sur une route économique, sur un axe d'échanges. Tel est le cas de Délos et de Samos. 5. De ce fait, il est difficile de soutenir que ce sont les marins grecs qui ont apporté en Méditerranée orientale la céramique étrusque que l'on y a recueilli83. Le bucchero n'a pas été une pacotille jouant le rôle de souvenir mais plutôt, osons-le dire, un « gadget » accompagnant la diffusion de produits étrusques. Le mythe de l'intermédiaire grec est dur à extirper: il y a un quart de siècle il bloquait tout le problème des contacts entre PEtrurie d'une part, la Gaule méridionale et la Sicile de l'autre. Depuis la découverte de l'épave étrusque du cap d'Antibes, personne ne songe plus à nier la présence et l'action de commerçants étrusques sur les rivages de la Provence. Par ailleurs, pourrait-on expliquer pourquoi on retrouve exacte mentles mêmes vases de bucchero en Egée et en Provence? Mais, objectera-t-on, deux fragments de Pérachora portent un graffite en grec, attestant que le vase a été dédié par un Grec dans le sanctuaire. Je rappellerai simplement que le même argument a jadis poussé les archéolo gues siciliens à s'interroger sur l'origine étrusque - ou grecque (!) - du
83 Cf. H. P. Isler, MAAI (A), 82, 1967, p. 88, et REG, 1, 1970, p. 127 (compte-rendu par H. Metzger). Je n'aborde pas ici, volontairement, la question des cités étrusques exportat rices;ce serait d'ailleurs trop hypothétique étant donné la minceur de notre documentation.
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bucchero nero. Pourquoi vouloir que celui qui a fait la dédicace ait été celui qui avait apporté le vase d'Etrurie? Ce serait comme vouloir que ce fut le fabricant84. En réalité, n'est-il pas plus vraisemblable de penser que c'est l'acheteur et non le marchand qui a offert ce vase au dieu? Ainsi apparaît en filigrane la réalité d'un commerce étrusque comparable à celui qui s'est développé en Méditerranée Occidentale. Il y a autant de raison de penser à une « présence » économique étrusque à Samos qu'à Syracuse. Dès lors peut-on établir un lien entre la piraterie « tyrrhénienne » et ce commerce étrusque? On a vu comment nos témoignages littéraires permettaient de localiser dans l'Egée centrale (Chios, Samos) les « exploits » des pirates tyrrhéniens. Nous avons aussi tenté de montrer comment la conquête athénienne de Lemnos n'était finalement qu'une opération destinée à mater les Tyrrhéniens de l'île. Avant de conclure, nous voudrions avancer un dernier argument en faveur d'une identification Tyrrhéniens-Etrusques. Il nous est en grande partie inspiré par une excellente étude de J. Brunschwig, trop négligée par les historiens85. L'auteur a rapproché l'épisode de l'enlèvement de Dionysos de toute la tradition relative au tyran de Cerveteri, Mézence 86, qui appliquait à ses prisonniers le supplice préféré des pirates étrusques: les lier étroit ementà des cadavres jusqu'à ce que mort s'ensuive. Brunschwig a remar quablement montré comment ce thème de Yentrave se trouve également chez les pirates opérant dans l'Egée. Or, nous avons déjà signalé comment on peut établir un parallèle entre les enlèvements de Dionysos et de la statue d'Héra, parallèle dont un des éléments essentiels est le thème du lien: Dionysos lié se délie avant de lier les rames et le mât du navire, le βρέτας d'Héra est lié par les Cariens puis délié par la prêtresse. Pirates tyrrhéniens et pirates étrusques sont des Heurs. Dionysos est un dieu dénoueur, délieur, l'anti-pirate par excellence 87.
84 Sur le graffite de Pérachora,. cf. supra. Pour les hésitations des archéologues sur l'origine grecque ou étrusque du bucchero portant des graffites en grec, cf. NSA, 1893, p. 456; BPI, 1900, p. 281. Sur les buccheri inscrits de Sélinonte, cf. Kokalos, 1966, p. 241 note 3. 85 J. Brunschwig, Aristote et les pirates tyrrhéniens, dans Revue Philosophique de là France et de l'étranger, 152, 1963, p. 171-190. Malheureusement l'auteur ne tient pas compte de l'enlèvement de la statue d'Héra à Samos. 86 Pourtant Cerveteri ne faisait pas de piraterie (cf. Strabon, V, 2, 3). C'est du moins le souvenir que la tradition a conservé, peut-être en raison des bons rapports avec Rome. Mais Mézence est toujours présenté comme une parenthèse dans l'histoire de Cerveteri et comme un tyran haï. 87 On pourrait aussi mettre en avant le thème de la putréfaction, commun aux crimes de Mézence et à ceux des Lemniens. Cf. J. Gagé, Recherches sur quelques problèmes de l'Italie préromaine (1), dans BFS, 27, 5, 1949, p. 160-173.
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Le pirate tyrrhénien est donc l'équivalent du pirate étrusque, Lemnos porte des Détroits peut facilement être considérée comme une « Lipari égéenne » 88, toute la tradition sur l'assimilation des Tyrrhenes aux Pélasges de Lemnos pouvant s'expliquer par l'installation dans l'île, à l'époque du dynamisme commercial étrusque, d'un groupe d'étrangers faisant de la pira terie. Un vers d'Ovide fait la synthèse de toutes ces explications en évoquant, lors de l'enlèvement de Dionysos, l'activité d'un certain Lycabas « qui, chassé d'une ville toscane, expiait par l'exil un meurtre abominable » 89. Mais surtout, et c'est, à notre sens, la conclusion historiquement la plus importante, piraterie tyrrhénienne et commerce étrusque se superposent et se confondent. On ne trouvera pas cela étonnant si l'on songe que les deux activités sont inséparables dans l'Antiquité. La piraterie est née avec l'histoire de la Méditerranée; dans une société où les structures étatiques ne sont pas très développées elle profite d'une situation permanente d'anarchie larvée et de guerre endémique. Que les commerçants étrusques soient devenus, dans la tradition li ttéraire, des pirates s'explique donc facilement. La géographie de la mer Egée n'est-elle pas un facteur favorable? Criques, côtes découpées, passes et détroits facilitent les coups de main et les embuscades. Car un pirate est avait tout un marin expérimenté et quelqu'un qui travaille vite90. C'est aussi un homme attiré par les sanctuaires, en raison de leur richesse et de leur isolement: Samos et Délos en sont des exemples. On voit donc s'esquisser un chapitre de l'histoire économique étrusque. Le manque de sources nous empêche d'avoir de ces marins-pirates une image socialement précise, comme pour leurs compères grecs 91. Mais les « pirates » étrusques installés dans l'Egée devaient aussi être des gens « sans feu ni lieu », des exilés comme Lycabas, des marginaux et des déclassés à la recherche
88 Sur les pirates étrusques et leur activité en mer Tyrrhénienne méridionale, cf. J. Heurgon, L'«elogium» d'un magistrat étrusque découvert à Tarquinia, dans MEFR, 1951, p. 119-137. Zancle, sur le Détroit de Messine, avait été fondée par des pirates (Thucydide, VI, 4, 5). 89 Ovide, Métamorphoses, III, v. 624-625: qui Tusca pulsus ab urbe I exilium dira poenam pro caede luebat: s'agirait-il d'un de ces pirates étrusques inspirateurs des crimes de Mézence? 90 Le rôle des conditions naturelles dans la conquête de Lemnos, cf. Hérodote, VI, 139, donne à cet événement un côté d'opération stratégique, liée à la domination de la Chersonese de Thrace qui renforce ce que nous avons dit précédemment à ce sujet. 91 F. Bourriot, La considération accordée aux marins dans l'Antiquité grecque. Epoques archaïque et classique, dans Revue d'histoire économique et sociale, 50, 1972, p. 7-41.
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d'aventures lucratives, offrant leurs services aux Argiens pour enlever une statue de culte à Samos, percevant des doits de péage et d'octroi comme le fit plus tard Polycrate de Samos. Pourquoi ont-ils fait de la piraterie? Par manque de terre et de richesse, comme les colons grecs partant vers l'Occident. Travaillaient-ils seuls? Plutôt par petits groupes: ils sont vingt à assaillir Dionysos93. On est loin de la guerre de course organisée et des grands convois de corsaires94. La piraterie tyrrhénienne apparaît donc comme l'habillage littéraire d'une réalité économique, celle du commerce étrusque. Il est révélateur de constater que toute la tradition littéraire sur les assimilations TyrrhènesPélasges, sur leur retour dans le monde grec après la migration en Italie ait été élaborée au VIe siècle, c'est-à-dire à une époque où l'essor com mercial étrusque vient d'avoir lieu. La confusion quasi permanente entre la réalité du VIe siècle et les traditions sur l'origine des Etrusques a fini d'embrouiller la situation95. Les données archéologiques permettent au jourd'hui de ne plus confondre les différentes phases de la question tyrrhénien ne et d'individualier la plus récente: après la reprise des contacts au VIIIe siècle entre le monde italique (villanovien en particulier) et le monde grec, l'expansion commerciale étrusque se développe, de 620 à 550 av. J.-C. environ dans tout le monde méditerranéen, d'Ampurias à Histria et à la Syrie septentrionale. Que les échanges aient été plus intenses avec les régions les plus proches comme la Sicile ou le Languedoc, cela n'étonnera personne. Mais les contacts noués à la période orientalisante grâce aux échanges dans un sens Est-Ouest véhiculés par les colons grecs ont rendu possible un « choc en retour » beaucoup plus tard (à la fin du VIIe siècle) qui a utilisé les routes économiques de l'époque précédente.
92 Les raisons du tyrrhénien Acétès sont clairement exposées: Ovide, Métamorphoses, III, v. 582-586: absence de patrimoine et désir d'aventure. 93 Ovide, op. cit., v. 687. Un passage fort intéressant de Strabon (XI, 2, 12) décrivant l'activité des pirates sur la côte orientale de la Mer Noire indique que les embarcations pouvaient accueillir au maximum vingt-cinq à trente hommes. 94 Sur la distinction course-piraterie, difficile à faire pour l'époque archaïque, cf. récemment M. Mollai, Nuova rivista storica, 58, 1974, p. 182-186 et MEFRM, 1, 1975, p. 7-25. La -distinction est possible à partir du XIVe siècle et de la naissance des grands Etats. Sur la piraterie dans l'Antiquité, analyses générales de Sestier (1880), H. A. Ormerod (1924) et Ziebarth (1929). Notions précises de terminologie dans P. Ducrey, Le traitement des prisonniers de guerre dans la Grèce antique, des origines à la conquête romaine, 1968, p. 171-193. 95 La situation se clarifie à partir du VIe siècle: pour l'activité des pirates étrusques en Egée à partir du IVe siècle, je renvoie à l'étude détaillée et nuancée de M. R. Torelli, TYPPANOÌ,
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ADDENDUM
Une publication récente (M. Chollot, Perspectives d'archéologie sousmarine au Liban, Cahiers d'archéologie subaquatique, II, 1973, p. 152) signale un dépotoir d'amphores près de Tripoli. Le lot n'est pas homogène et contient des amphores tardives, mais une amphore (n° 8, photo 18) retient notre attention: «la panse est épanouie, un fond rond, un col très court rehaussé d'une saillie. Les anses, haut placées, s'élèvent au niveau de l'embou chure.La pâte, de couleur rouge brun, est bien cuite. La confection est assez grossière et l'on note de légères stries, à peine marquées, sur la panse ». Sans entrer ici dans des remarques de détail sur la typologie et l'origine des amphores dites « étrusques », on notera simplement qu'il y a de fortes présomptions pour que l'amphore de Tripoli en fasse partie. Dans le contexte de cet article, on ne s'étonnera pas de rencontrer une amphore étrusque sur les côtes libanaises. Mais on sera plutôt surpris que ce soit la première à avoir été identifiée dans le bassin oriental de la Méditerranée. La surprise sera moindre si l'on se souvient qu'il est encore plus difficile de repérer une amphore qu'un vase de bucchero et que la « découverte » des amphores étrusques dans l'Occident méditerranéen (où pourtant elles sont nombreuses) est un phénomène récent. Tout ceci nous conforte donc dans les idées exprimées au cours de l'article (idées qui ne sont encore que des hypothèses de travail et non des certitudes). Que l'on ne s'y trompe point: en parlant de « commerce » étrusque dans le monde égéen, nous ne présumons ens rien de la nature et de l'importance d'un tel commerce. Peut-être ne s'agit-il que d'infiltrations commerciales. L'essentiel pour nous était de tenter de démontrer que le matériel étrusque recueilli dans le bassin oriental a eu une fonction écono mique et n'a pas été simplement transporté dans les bagages des marins grecs96. M. G. dans PP, 165, 1975, p. 417-433; je n'ai pris connaissance de ce travail qu'après la rédaction de l'article; il sera intéressant de confronter nos résultats dans la mesure où la perspective des deux recherches est très différente. 96 Ceci ne veut pas dire que le bucchero ait eu, par lui-même, une valeur économique: nous admettons volontiers, avec Ed. Will (XII0 Convegno di Studi sulla Magna Grecia, Taranto (1972) 1975, p. 34 note 25) que les vases étrusques aient été «des curiosités rapportées en plus de marchandises disparues».
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LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME ...le palais ducal qui considérait la mer avec la pensée que lui avait confiée son architecte, et qu'il gardait fidèlement dans la muette attente des doges disparus. Marcel Proust, A la recherche du temps perdu. La fugitive. La belle monographie de F. Rakob et W.-D. Heilmeyer sur la tholos du Forum Boarium est venue à point nommé enrichir le dossier de l'architecture présyllanienne ': à un moment où historiens et archéologues semblent prêter une attention renouvelée à la période qui va de la prise de Corinthe à la Guerre Sociale2, il est important de disposer d'une étude aussi précise sur celui des temples de marbre d'époque républicaine qui demeure le mieux conservé. La richesse des données qu'elle apporte, mais aussi l'acuité des problèmes qu'elle aborde, du point de vue de la chronologie 1 F. Rakob, W.-D. Heilmeyer, Der Rundtempel am Tiber in Rom, DAI, Sonderschriften 2, Mainz am Rhein, 1973. 2 Rappelons, sans prétendre être exhaustif, les travaux de D. C. Earl, Tiberius Gracchus. A Study in Politics, Collect. Latomus, 56, 1963; de F. W. Walbank, A Historical Commentary on Polybius, 1, Oxford, 1953; Political Morality and the Friends of Scipio, dans JRS, 55, 1965, p. 1 seq.; de Α. Ε. Astin, Scipio Aemilianus, Oxford, 1967; de G. Garbarino, Roma e la filosofia greca dalle origini alla fine del II secolo A. C. (I, Introduzione e testi; II, Commento e indici), Turin, 1973. Plus directement orientées vers l'activité artistique et les problèmes liés à l'hellénisation, les études fondamentales de F. Coarelli, L'ara di Domizio Enobarbo e la cultura artistica in Roma nel II sec. av. C, dans Dialoghi di Archeologia, 1968, p. 302 seq.; celles, de divers auteurs, réunies dans Dialoghi di Archeologia, 1971, sur le thème: Roma e l'Italia fra i Gracchi e Siila, et celle de L. Crema, L'architettura romana nell'età della repubblica, dans Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, Berlin - New- York, 1973, I, 4, p. 633 seq., et partie, p. 636-639 (i templi). Une place importante doit être faite également aux recherches de M. Gwyn Morgan, The Portico of Metellus, a Reconsideration, dans Hermes, 99, 1971, p. 480 seq.; Lucius Cotta and Metellus, dans Athenaeum, 49, 1971, p. 271 seq.; Villa Publica and Magna Mater, dans Klio, 55, 1973, p. 23 seq. (The Metelli and the Magna Mater). On consultera enfin la synthèse de L. Castiglione, Die Bedeutung des 2. Jahrhunderts v.u.Z. in der Geschichte der römischen Kunst, dans Mitt. Arch. Inst. Ungar. Akadem. Wissensch. 4, 1973, p. 38 seq.
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particulièrement, incitent à un nouvel examen de la première architecture « grecque » à Rome. Le dialogue avec l'hellénisme, instauré avec éclat par les vainqueurs de Pydna et de Corinthe, connaît dans la seconde moitié du IIe s. des éclipses et des reprises, dont les raisons n'apparaissent pas toutes clairement. Le tableau ci-contre regroupe les édifices de cette période - en majorité d'ailleurs des temples - pour lesquels nous possédons autre chose qu'une simple mention, et dont il est possible d'imaginer, au moins de façon hypot hétique, soit à partir des textes, soit à partir des vestiges, l'aspect et l'ordonnance générale. La date portée dans la colonne de gauche indique seulement un terminus post quern, c'est-à-dire l'année du triomphe ou du consulat à la suite duquel la construction, souvent « vouée » lorsqu'il s'agit d'un temple au cours d'une guerre précédente, a été entreprise. Quand cette donnée historique fait défaut, nous nous bornons à indiquer la fourchette chronologique la plus vraisemblable. Il ressort d'une première lecture de ce tableau que l'élan donné par la génération des imperatores des deuxième et troisième quarts du siècle aux constructions de type grec semble un moment brisé par la génération qui suit immédiatement la crise des Gracques, pour retrouver quelque force, mais selon des modalités différentes, à la charnière du IIe et du Ier siècle. Qu'en est-il plus précisément? Dès 167 av. J.-C, Cn. Octavius avait donc fait construire, non loin de l'endroit où s'élèverait plus tard le théâtre de Pompée 3, avec les manubiae de son triomphe sur Persée, une porticus définie comme duplex par Pline l'Ancien, qui nous apprend en outre qu'on la disait corinthienne parce que ses colonnes portaient des chapiteaux en bronze 4. Ces deux particularités, réexaminées récemment par B. Olinder5, ne se situent pas sur un même
3 Festus, 188 L: Octaviae porticus duae appellantur, quorum altérant, theatro Marcelli propiorem, Octavia soror Augusti fecit; alteram theatro Pompei proximam Cn. Octavius Cn. filius, qui fuit aedilis curulis, praetor, consul, decemvirum sacris faciendis, triumphavitque de rege Perseo navali triumpho. Il est clair que Festus reproduit, pour le second portique, une source qui donnait une lecture complète de l'inscription dédicatoire, sans doute conservée, ou du moins restituée lors de la réfection augustéenne. 4 Pline, HN, 34, 13: invento et a Cn. Octavio, qui de Perseo rege navalem triumphum egit, factam porticum duplicem ad circum Flaminium, quae Corinthia sit appellata a capitulis aereis columnarum. 5 B. Olinder, Porticus Octavia in circo Flaminio, topographical Studies in the Campus Region of Rome, AIRRS, sér. in 8°, 11, Stockholm, 1974, p. 83 seq. On ne saurait retenir la thèse de cet auteur qui, en dépit de données textuelles aussi précises que celles de Festus, 188 et de Velleius Paterculus, II, 1, 1-2, tient pour une identité entre la porticus Octavia
110-100
101 101 100-90 100-90
Temple d'Hercules Victor ou Invictus ad Portam Trigeminam (tholos du rum Boarium) Temple d'Honos et Virtus Temple de la Fortuna huiusce diei (B du Largo Argentina) Temple sous S. vatore in Campo (= Temple de Neptune in circo flaminio) Temple de Janus (?) (Nord du Forum Holitorium)
M. Octavius Hersennus
Construction. Vœu.
C. Marius, cos. 107 Q. Lutatius Catulus, cos. 106
Construction. Manubiae des Cimbres et des Teutons. Construction. Manubiae des Cimbres.
M. Antonius?
Restauration. Restauration.
?
tholos périptère à crépis
C. Mucius
périptère sans posticum tholos périptère à podium Hermodoros périptère de Salamine? à crépis périptère sans posticum à podium
marbre du Pentélique
corinthien
tuf -travertin
ionique
tuf-travertin
corinthien
marbre du Pentélique
ionique ?
pépérin et travertin
ionique
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plan: la première, qui concerne l'ordonnance du portique, semble le désigner comme une œuvre directement dérivée des grandes compositions contem poraines de l'Asie hellénistique, telle la ιερά στοά de Priène, qui comportait aussi deux travées séparées par une colonnade interne6. L'expression latine ne peut être en effet que la transcription pure et simple de l'expression technique grecque διπλή στοά, qui désigne, dans la majorité de ses emplois littéraires ou épigraphiques, un portique dont l'auvent, deux fois plus large que celui des portiques simples, est soutenu par deux files de colonnes7. Vitruve donne d'ailleurs de ce genre d'édifice une description précise, dont la base théorique ne remonte certainement pas au-delà du début du IIe s.8. Nous serions donc en présence d'une transposition, au cœur du quartier dit in circo flaminio, qui offrait alors un champ libre aux constructions monumentales9, de ce qui se faisait de plus récent en matière d'architecture urbaine à Priène, à Pergame, à Halicarnasse 10. Sans postuler la présence à Rome d'un praticien originaire de ces régions, dont le nom nous aurait peut-être été conservé par la tradition, relativement prolixe sur ce singulier édifice, on peut au moins supposer que le plan, Vichnographia n, en avait été rapporté dans les bagages d'Octavius, dont on connaît le long voyage de propagande en 170-169, aux côtés de G. Popilius Laenas, dans le Péloponnèse et en Epire 12. La mise en place de cette double rangée de colonnes aux rythmes et aux dimensions différents impliquait en tout cas une sérieuse familiarité avec les constructions hypostyles à grande portée,
et la porticus Octaviae, la porticus Metelli n'étant selon lui qu'une étape transitoire du même édifice, due à l'action du Macédonique. 6 Cf. en dernier lieu M. Schede, Die Ruinen von Priène, Berlin, 1964, p. 49 seq. 7 J. J. Coulton, dans sa note Διπλή στοά (AJA, 75, 1971, p. 183-184) a repris l'ensemble des données épigraphiques et archéologiques. Des trois possibilités théoriquement impliquées dans l'expression (portique à deux étages, à deux façades, à deux travées), seule la dernière est normalement utilisée, sauf indication explicite différente. 8 Vitruve, V, 9, 2. Voir aussi V, 11, 1, et V, 11, 2, où l'expression porticus duplex désigne toujours un portique à deux travées. Cf. B. Olinder, op. cit., p. 89 seq. Sur l'origine du schéma, voir A. Birnbaum, Vitruvius und die griechische Architektur, Denkschrift Kais. Akadem. der Wissenschaften in Wien, 57, 4, 1914, p. 36 seq. 9 Cf. F. Coarelli, loc. cit., dans Dialoghi di Archeologia, 1968, p. 305 seq. 10 Cf. J. J. Coulton, loc. cit. 11 Vitruve, I, 2, 2: ichnographia est circini regulaeque modice continens usus, e qua capiuntur formarum in solis arearum descriptiones (texte de Fensterbusch). 12 Polybe, 28, 2-5; Tite-Live, 43, 17, 2-10. Cf. P. Charneux, Rome et la confédération achéenne, dans BCH, 81, 1957, p. 181 seq. Octavius effectua aussi en 163-162, un voyage en Orient, au cours duquel il devait être assassiné.
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et constituait pour la Rome de l'époque une manière de prouesse, qui valut sans doute au portique de conserver, fait rarissime, une dénomination dictée par son plan 13. Les chapiteaux de bronze - entendons les feuilles de métal, qui r ecouvraient les chapiteaux de pierre laissés en épannelage 14 - devaient être corinthiens. Certes l'épithète corinthia, appliquée au portique tout entier, semble se référer, dans la notice de Pline, à l'origine géographique du bronze, mais il s'agit sans doute d'un adjectif d'excellence, comme pour les candé labres du paragraphe précédent15, et le mot latin ne désigne pas davantage une provenance que le mot grec κορίνθιου ργεΐς employé au IIe s. av. J.-C. par Callixénos de Rhodes pour désigner les chapiteaux du palais flottant de Ptolémée IV 16. Pline, ne l'oublions pas, parle ici de ce qu'il n'a jamais vu (invenio . . .) et F. Münzer a bien montré quelles difficultés il rencontrait, dans ce passage précisément, pour illustrer avec des exemples romains le canevas qu'il trouve dans sa source 17. De fait ce type de décor semble avoir été plaqué essentiellement sur les chapiteaux à feuilles d'acanthes, et son aire d'extension paraît être l'Orient hellénistique, où les métaux précieux ou semi-précieux jouent dans l'architecture un rôle beaucoup plus important qu'en Grèce propre 18. Si l'on songe que, selon Pline encore, l'usage des meubles en bronze ne se répandit à Rome qu'après la victoire sur l'Asie et le triomphe, en 187, de
13 II est remarquable qu'aucun des autres portiques ou quadriportiques de Rome ne soit défini dans les textes par une de ses caractéristiques architecturales. Sur la signification du singulier et du pluriel dans les emplois de porticus, cf. B. Olinder, op. cit., p. 91. En fait, il est impossible de déterminer, dans l'état actuel de la documentation, si la porticus Octavia était composée d'une seule aile, ou s'il s'agissait d'un quadriportique, comparable en cela à la porticus Metelli. On peut envisager aussi, à titre d'hypothèse, que le portique à double travée n'était qu'une partie - la plus importante par sa largeur - de ces peristylia quadrata dont Vitruve rappelle que seule l'aile méridionale doit être duplex. Cf. V, 11, 1: peristylia quadrata... ex quibus très porticus simplices disponantur, quarta, quae ad meridianas regiones est conversa, duplex. Cette structure, présentée par le théoricien comme caractéristique des palestres, pouvait très bien être transposée dans un contexte urbain. 14 Cf. R. Vallois, L'architecture hellénique et hellénistique à Délos I, Paris, 1944, p. 307 seq.; Ph. W. Lehmann, Roman Wall Paintings from Boscoreale, 1953, p. 85-86. 15 Pline, HN, 34, 12: sed cum esse nulla Corinthia candelabra constet, nomen id praecipue in his celebratur. 16 Cf. G. Roux, L'architecture de l'Argolide aux IVe et IIIe s. av. J.-C, Paris, 1961, p. 360 seq. 17 F. Münzer, dans Hermes, 30, 1895, p. 501. 18 Cf. H. Drerup, Zum Austattungsluxus in der römischen Architektur, Münster, 1957, p. 15 seq. et R. Vallois, op. cit., ibid.
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Cn. Manlius19, que, selon Vitruve, les vasa aerea saisis par L. Mummius dans le théâtre de Corinthe constituaient encore une telle curiosité qu'on les dédia comme des objets votifs dans le temple de Luna20, l'industrie locale ne devait être guère en mesure, en cette première moitié du IIe s., d'élaborer dans ce métal des éléments aussi complexes que des revêtements architectoniques: tout laisse à penser que les lames « corinthiennes » étaient des spolia dont les Romains s'étaient saisis à Pydna ou à Samothrace, parmi l'immense butin du roi Persée, et qu'elles constituaient à ce titre la curiosité majeure du nouveau portique. On ne comprendrait pas, autrement, que l'édifice entier fût désigné par un détail décoratif qui, si l'on s'en tient aux données vitruviennes sur la porticus duplex, concernait seulement la colon nade interne, peu visible de l'extérieur puisqu'elle s'élevait plus haut que la colonnade de façade, laquelle, dorique, aurait dû, en bonne logique, donner son nom à l'ensemble21. Il s'agit donc d'une composition hybride, où l'utilisation intelligente d'un schéma gréco-oriental n'excluait pas la pratique des spolia, cette dernière s'expliquant sans doute par le triomphalisme du commanditaire, et la difficulté pour les lapidarii disponibles à Rome de ciseler jusque dans ses détails un type de chapiteau qu'ils pratiquaient encore peu. Il est clair qu'Octavius voulut introduire ainsi un élément nouveau dans la trame urbaine, qui tranchât résolument, par sa « modernité », avec ce qui avait pu jusqu'alors être construit dans le même genre. La tentative réussit, semble-t-il, puisque Velleius Paterculus, se faisant l'écho d'une tradition sans doute ancienne, désigne son portique comme le plus agréable (amoenissima) de tous ceux qui, au IIe s., furent édifiés par des imper atores22.
19 HN, 34, 14. 20 Vitruve, V, 5, 8: etiamque auctorem habemus Lucium Mummium, qui diruto theatro Corinthiorum, ea aenea Romam deportava et de manubiis ad aedem Lunae dedicava. 21 Vitruve, V, 9, 2: quae videntur ita oportere conlocari, uti duplices sint habeantque exteriores columnas doricas... Medianae autem columnae quinta parte altiores sint quant exteriores, sed aut ionico aut corinthio genere deformentur. Sur ce genre d'ordonnance, voir par exemple R. Tölle-Kastenbein, Das Kastro Tigani, Samos XIV, Bonn, 1974, p. 40 seq. et croquis n° 59; S. Stucchi, Architettura Cirenaica, Rome, 1975 (= Monografie di archeologia libica, IX), p. 118 seq. et fig. 103, p. 122 (portiques O2 et B5 de l'agora de Cyrène. Fin IIIe, début IIe s. av. J.-C). 22 Velleius Paterculus, II, 1, 2. G. Marchetti Longhi considère que l'adjectif s'applique à la situation du portique (Capitolium, 31, 1956, p. 136). En fait il semble bien que le plan et les chapiteaux de bronze aient joué le même rôle, dans l'agrément de cette construction, que les colonnes en marbre phrygien (c'est-à-dire à veines colorées) utilisées à la basilica Aemilia, peut-être lors de. sa restauration de 78 av. J.-C. (cf. Pline, HN, 36, 102).
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Les textes concernant le portique de Metellus et le temple de Juppiter Stator ont connu un destin curieux: ils ont fréquemment été l'objet, soit d'analyses réductrices tendant à leur refuser toute authenticité ou à les vider de leur substance, soit d'interprétations qui en gauchissent la teneur23. C'est qu'ils font état du recours à un architecte et de l'emploi d'un matériau grecs, ce qui, à date aussi haute, heurte un certain nombre de théories admises sur l'hellénisation relativement tardive de l'architecture publique à Rome24. Le précédent du portique d'Octavius devrait pourtant en réduire la singularité, et un simple regard sur le contexte historique suffit à leur rendre cette vraisemblance qu'on leur dénie si souvent: l'usage du marbre du Pentélique après la prise de Corinthe et la réduction de la Grèce en province est en soi aussi naturel que l'afflux à Rome des minerais d'Espagne au début du IIe s., ou de ceux de la Macédoine, dont les ressources furent remises en coupe réglée dès 158 av. J.-C. 25. Il n'y a là qu'un signe parmi d'autres de la conquête, le plus spectaculaire peut-être, sinon le plus import ant.S'il est difficile de dire ce qui fut premier dans l'intention des comm anditaires, de l'exploitation des prestigieuses carrières ou de l'appel aux maîtres d'œuvre grecs, on conviendra que, en toute hypothèse, ceci était le corollaire inévitable de cela, car dans une Rome encore vouée au tuf et
23 C'est évidemment le texte de Velleius Pater culus (I, 11, 3-5), et dans ce texte le passage concernant Yaedem ex marmore, qui a suscité les commentaires les plus nombreux, et parfois les plus inattendus. Plusieurs archéologues, dans la lignée de H. Drerup, op. cit., n. 66, lui opposent volontiers le texte de Pline (HN, 17, 6; voir aussi 36, 7) concernant l'atrium de L. Licinius Crassus (censeur en 92): cum in publico nondum essent ullae marmoreae (se. columnae). Cf. en dernier lieu F. Rakob, W.-D. Heilmeyer, op. cit., p. 27, et p. 38 seq. D'autres exégètes se sont efforcés de donner du mot aedem une interprétation différente de celle qu'on attend: M. J. Boyd dans PBSR, 21, 1953, p. 152 seq., le considère comme un équivalent de porticus, et M. Gwyn Morgan, dans Hermes, 99, 1971, p. 486 seq., lui fait désigner les deux temples contenus dans le portique, et non la seule aedes Jovis Statoris. Pour l'examen de cette question, cf. MEFRA, 85, 1973, p. 138 seq. Β. Olinder, op. cit., p. 94 seq., reprend la discussion sous un angle qui n'en accroît pas la clarté, tout le problème étant pour lui de savoir quand et comment la porticus Metelli fut substituée à la porticus Octavia. Cf. notre compte-rendu, à paraître dans RA, et la mise au point, claire, de T. P. Wiseman, dans PBSR, 42, 1974, p. 18-19 et p. 20. 24 L'idée fondamentale est qu'avant 100 av. J.-C. le marbre ne saurait être employé à Rome, et qu'avant la période « syllanienne » (désignation qui recouvre souvent, étrangement, le deuxième quart du Ier s.) l'influence grecque n'est pas décelable. Cf. H. Drerup, op. cit. et W.-D. Heilmeyer, Korintische Normalkapitelle, Heidelberg, 1970, p. 33 seq. 25 Cf. sur ces questions en dernier lieu I. Shatzman, Senatorial Wealth and Roman Politics, Coll. Latomus, 142, 1975, p. 167 seq. et p. 197 seq.
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au bois, il était exclu que les équipes locales pussent résoudre seules les problèmes posés par le nouveau matériau. Sans reprendre le détail du débat qui opposa entre autres M. Gwyn Morgan à M. J. Boyd26, on peut retenir des notices succinctes mais précises de Vitruve, Velleius Paterculus et Pline l'Ancien, en en suivant fidèlement la lettre, que Metellus Macedonicus construisit un quadriportique ou un portique en Π, qui devait porter son nom, dans la même zone in circo que celui d'Octavius, réservée apparemment aux tentatives les plus novatrices de l'oligarchie sénatoriale27. A l'intérieur de ce portique, qui englobait le temple préexistant de Junon Regina, il édifia celui de Juppiter Stator, « voué » probablement au moment où la situation en Macédoine était critique, c'est-à-dire en 148 28. C'est ce dernier temple, Yaedes Metelli de Pline qui, bâti en marbre - en crustae marmoris comme, après lui, la tholos du Forum Boarium, plutôt qu'en marmor solidus - est l'œuvre d'Hermodoros, architecte dont Cornelius Nepos citant Priscien nous apprend qu'il était originaire de Salamine - sans doute Salamine de Chypre29. La date de la construction du temple reste difficile à préciser, mais les analyses de Gwyn Morgan sur la situation politique et juridique de Metellus ont établi de façon convaincante qu'il avait dû attendre, pour en décider la locatio, son consulat de 143, ce qui entraîne, sans mettre en cause l'unité du projet d'ensemble, un léger décalage dans sa réalisation30: dès son retour à Rome en 146, Metellus avait sans doute passé les contrats nécessaires à la construction du portique, considéré peut-être comme un complexe privé; il lui fallait en effet offrir le plus rapidement possible un
26 Supra, n. 21. 27 Cf. F. Coarelli, loc. cit., p. 307 seq. 28 Cf. M. Gwyn Morgan, loc. cit., p. 499. 29 Priscien, Inst, 8, 4, 17: aedis Martis est in circo Flaminio architectata ab Hermodoro Salaminio. Cf. F. W. Schlikker, Hellenistische Vorstellungen von der Schönheit des Bauwerks nach Vitruv, Berlin, 1940, p. 29 seq; P. Gros, loc. cit., p. 150 seq. On constate en fait que la Salamine du golfe Saronique disparaît à partir du début du IIe s. des listes olympioniques, sans doute parce qu'on considère qu'elle fait un tout avec Athènes. Du même coup la mention de Salamine sans spécification ne peut s'appliquer qu'à la cité chypriote, cf. L. Moretti, Olympionicai, dans Mem. Accad. Naz. dei Lincei, Rome, 1957, p. 144, n° 611. 30 M. Gwyn Morgan, loc. cit., p. 500 seq., montre que Metellus avait toutes les raisons, électorales et administratives, pour prendre les mesures nécessaires à la réalisation de son «voeu» dans les premiers mois de 143. Seul en effet un magistrat pourvu de Yintperium peut s'acquitter de ces opérations, et les exemples antérieurs attestent que les imperatores ont toujours su remarquablement situer aux points forts de leur carrière le votum, la locatio et la dedicatio des temples qu'ils faisaient construire.
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abri et un cadre aux œuvres splendides qu'il avait rapportées, parmi le squelles la célèbre turma Alexandri51. Qu'il ait en revanche laissé passer quelques années avant la mise en chantier du temple, cela paraît d'autant plus probable que, indépendamment des arguments présentés par Gwyn Morgan, il convient d'admettre un certain délai entre la chute de Corinthe et l'exploitation, au profit des imperatores, des carrières du Pentélique, dont Metellus aurait été le premier à user pour un édifice romain. On comprend d'autant mieux dans ces conditions que l'architecte Hermodoros n'ait été responsable, selon les textes, que de Vaedes: il peut avoir été recruté nett ement après le commencement, voire l'achèvement de la porticus, et il n'est pas interdit de poser, à titre d'hypothèse, qu'il vint à Rome à la suite de l'ambassade de 140 en Méditerranée orientale, à laquelle L. Caecilius Metellus Calvus, le jeune frère du Macédonique, avait pris part32. On devine en tout cas le soin apporté par Metellus à la construction de ce temple: outre l'importance attachée par le commanditaire à la réussite de l'opération, essentielle pour la suite de sa carrière33, il faut mesurer les difficultés impliquées dans l'élaboration de ce qui allait devenir à Rome le premier téménos grec. Il est permis de s'interroger sur l'opportunité d'implanter dans un site de vallée comme la dépression du circus Flaminius une structure mise au point par les Attalides pour les architectures en ter rasses où les perspectives ascendantes jouent le rôle essentiel34; mais dans la mesure où ces projets participaient moins d'une visée urbanistique cohérente que du souci de présenter, dans ce nouveau quartier, un échantillonage aussi luxueux que possible des diverses formules qui faisaient, aux yeux des Romains, le prestige des cités hellénistiques, peu importait au fond que l'adaptation en fût plus ou moins heureuse, pourvu que l'allusion, pour les connaisseurs, fût sans ambiguïté. En cela, la présence d'un périptère ionique, construit selon les normes les plus nouvelles, avec le matériau le plus éclatant, ne pouvait être que positive. Ce n'est sans doute pas le fait du hasard, si, parmi les quelques temples périptères que comptait Rome à la fin de la République, Vitruve choisit
31 Elle était, d'après Velleius Paterculus, I, 11, 3, placée de telle sorte que les cavaliers de Lysippe fissent face aux temples, frontem aedium spectant. Cf. Pline, HN, 34, 64. 32 A. E. Astin, op. cit., p. 127. Voir aussi, id., daas Class. Phil., 54, 1959, p. 221 seq. 33 M. Gwyn Morgan a bien mis en évidence le lien étroit qui existe entre l'exécution d'un « manubial building » et la progression de la carrière pour les principaux membres de la nobilitas de la fin du ΙΙΓ et du IIe s. avant J.-C. Cf. loc. cit., dans Klio, 55, 1973, p. 223 seq. 34 Cf. R. Martin, L'urbanisme dans la Grèce antique, 2e edit, Paris, 1974, p. 145 seq. et p. 218 seq.
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celui de Juppiter Stator pour illustrer sa définition35: il devait apparaître aux yeux du théoricien comme l'un des rares édifices de VUrbs relevant de la stricte orthodoxie ionique. Formé au cours des années 170-150, c'est-à-dire, si l'on s'en tient à la chronologie traditionnelle, pratiquement contemporain d'Hermogénès d'Alabanda36, Hermodoros venait de cette île de Chypre où la présence des Lagides entretenait depuis plus d'un siècle un goût persistant pour les modèles architecturaux élaborés dans l'Asie hellénistique 37. En cette première moitié du IIe s., sous le règne de Ptolémée VI Philomètor, Chypre semblait, d'ailleurs, malgré les luttes incessantes dont elle restait l'enjeu38, s'ouvrir encore plus largement qu'auparavant aux influences grecques39. Nul doute qu'Hermodoros n'ait été en son temps l'un des représentants les plus autorisés de la tradition qui, de Pythéos et Satyros jusqu'à Hermogénès, avait conduit l'ordre ionique à sa perfection; dépositaire de cet esthétisme un peu sec récemment étudié par W. Hoepfner, dont Vitruve sera, sur le plan théorique, le dernier héritier40, il dut élever à Rome, sans
35 Dans 36 Vitruve,une III, remarquable 2, 5. Sur les problèmes synthèse, posés E. Akurgal par ce reprend texte, cf. MEFRA les opinions 85, 1973, les p. plus137com seq. munément admises sur la période d'activité d'Hermogénès: 2e et 3e quarts du IIe s. {Ancient Civilizations and Ruins of Turkey, 2e edit., Istanbul, 1970, p. 21-25. Voir aussi G. Gruben, Die Tempel der Griechen, Munich, 1966, p. 368). Cependant les partisans de la chronologie haute (par ex. W. Hahland, dans JÖAI 38, 1950, p. 91 seq.) ont retrouvé des arguments depuis la découverte de la fameuse inscription de Téos, qui semble prouver que la construction du temple de Dionysos était achevée en 204-203 av. J.-C. (cf. P. Hermann, dans Anatolia, 9, 1965, p. 33 seq.). Le dernier état du problème est donné par W. Alzinger, Augsteische Architektur in Ephesos, Vienne, 1974, p. 95 seq., n. 333. 37 Cf. W. Hoepfner, Zwei Ptlolemaierbauten, AM, Beiheft 1, Berlin, 1971, p. 87 seq. (sur la diffusion de l'ionisme oriental par les architectes ptolémaïques). 38 M. Hofmann, dans RE, 23, 2, 1959, col. 1702-1720 (sur le règne de Ptolémée VI, Philomètor). 39 Notons par exemple la construction d'un gymnase à Salamine, dès la fin du IIIe s. (J. Delorme, Gymnasium, Paris, 1960, p. 198; J. Pouilloux, dans RA, 1966, p. 337 seq. et RA, 1971, p. 291 seq.). D'autre part la présence de Salaminiens de Chypre, commerçants ou banquiers à Délos, à Athènes et en Italie méridionale, la facilité avec laquelle ces Grecs d'Orient échangent, au IIe s., leur nationalité d'origine contre la citoyenneté de villes de Grande Grèce sont autant d'indices d'une véritable «marche vers l'Ouest» dont J. Pouilloux a récem ment souligné l'importance {Salaminiens de Chypre à Délos, dans Etudes déliennes, Supplé mentI au BCH, Paris, 1973, p. 399 seq.). Il est possible que la venue d'Hermodoros à Rome s'inscrive dans cette dynamique, où les hommes d'affaires n'étaient pas seuls à être impliqués, même s'ils en étaient les éléments moteurs. 40 W. Hoepfner, Zum ionischen Kapitell bei Hermogenes und Vitruv, dans AM, 83, 1968, p. 213 seq.
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doute avec l'aide d'une équipe gréco-orientale de marmorarii 41, un sanctuaire impeccable, qui était appelé à constituer le centre monumental et religieux de l'aire circonscrite par les portiques. Il n'est pas inutile de rappeler qu'à l'époque de Varron certains érudits définissaient comme le type même du delubrum Vaedes Jovis et l'espace qui l'entourait: delubrum . . . alios existimare, in quo praeter aedem sit area assumta deum causa ut est in circo Flaminio Jovis Statoris42. C'est là semble-t-il la preuve de la prédo minance du temple grec, qui avait transformé en une simple annexe cultuelle le portique métellien tout entier. Bien qu'on ne dispose sur le temple de Mars d'aucune donnée parti culière, il est légitime d'admettre que Hermodoros avait construit pour D. Junius Brutus Callaicus un édifice du même type43; l'opération s'avéra peut-être d'autant plus digne d'intérêt que le matériau n'était plus le marbre, mais les tufs et le travertin locaux: elle impliquait alors de la part de l'architecte et de son équipe un effort de transcription, dont les bâtisseurs romains pouvaient ensuite faire leur profit. Mais ce n'est qu'une hypothèse invérifiable, et rien ne prouve que Vaedes Martis n'était pas, elle aussi, construite en marbre du Pentélique 44. Ce qui reste important, et doit être noté, c'est la liberté d'action de cet Hermodoros qui, apparemment, n'était pas lié à une « clientèle » ou à un « cercle » déterminés 45; il pouvait accueillir et sans doute aussi librement
41 Le déplacement d'équipes de tailleurs de pierres accompagnant un architecte est attesté pour le monument votif d'Olympie et pour la restauration du colosse des Rhodiens à Delphes. Cf. W. Hoepfner Zwei Ptolemaierbauten, op. cit., p. 50 seq. On sait d'autre part que les chapiteaux du temple rond du Forum Boariutn furent taillés sur place par des marmorarii grecs. Cf. F. Rakob, W.-D. Heilmeyer, op. cit., p. 9 et p. 20 seq. 42 D'après Macrobe, Saturn., Ill, 4, 2. Voir aussi Servius, Ad. Aen. II, 225 (cf. B. Olinder, op. cit., p. 40). 43 Nous reprenons, pour le début de la construction de ce temple, la date de 132, qui s'accorde avec celle du triomphe sur la Lusitanie, telle que A. Degrassi l'a définie (133). Cf. Inscriptiones Italiae, XII, Fasti et Elogia, 1, Rome, 1947, p. 558; F. Coarelli, loc. cit., p. 313; B. Olinder, op. cit., p. 96, n. 50; I. Shatzman, op. cit., p. 253. 44 II nous paraît difficile de suivre F. Coarelli lorsqu'il propose d'attribuer les éléments de fronton en terre cuite retrouvés dans la via San Gregorio, à ce temple construit par un architecte gréco-oriental, dont on sait par ailleurs qu'il était orné d'œuvres d'art helléniques (cf. Polycles, Studi Miscellanei, 15, 1970, p. 85 seq.). 45 Quelles que soient les réserves qu'on puisse faire sur cette notion de « cercle » (cf. A. E. Astin, op. cit., p. 294 seq.; G. Garbarino, op. cit., I, p. 13 seq. et p. 47 seq.; et M. A. Momigliano, Polibio, Posidonio e l'imperialismo romano dans Actes du Congrès de l'Ass. G. Budé, Paris, 1975, p. 190 seq.), on conviendra que Hermodoros n'était pas intégré au personnel technique ou artistique attaché à la personne d'un grand personnage, à la façon
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solliciter les commandes des représentants les plus brillants de la nobilitas. On imagine le praticien proposant plans et maquettes aux riches com manditaires: ceteri . . . ambiunt ut architectent, comme dira plus tard Vitruve, non sans amertume46. Il est possible en outre, comme nous l'avons rappelé ailleurs, qu'Hermodoros ait laissé des écrits théoriques, cédant à ce goût de la codification qui est propre aux bâtisseurs de l'hellénisme tardif. Le problème qu'on ne peut manquer de se poser à ce point de notre réflexion est celui de l'influence réellement exercée par ces essais de trans plantation directe d'une architecture gréco-orientale sur les rives du Tibre. Les équipes qui sont venues travailler à Rome à cette occasion ont-elles formé école, et leurs travaux ont-ils servi de modèles? A en juger par les édifices bâtis par la génération du dernier quart du siècle, il est permis d'en douter. Pour la période qui suit immédiatement la crise des Gracques, les textes ne font état d'aucune tentative comparable, et les vestiges des trois temples majeurs construits ou reconstruits par les Optimates - aedes Concordiae, aedes Castoris et aedes Magnae Matris ne semblent pas, pour autant qu'on puisse les déchiffrer, avoir présenté beaucoup d'éléments ioniques47. Pour le matériau d'abord, on constate l'abandon du marbre: on pouvait cependant attendre des nouveaux maîtres de Rome, et particulièrement de ces Metelli qui s'assurent alors un quasi monopole du consulat et de la censure, qu'ils veuillent suivre sur ce point l'exemple de leurs père et oncle48; les ressources tirées de leurs manubiae
par exemple de ces spécialistes dont Aemilius Paulus avait peuplé sa maison (Plutarque, Aem., IV, 9). Sur l'hostilité politique qui sépara longtemps les Metelli du «cercle» des Scipions, cf. R. Syme, dans JRS, 34, 1944, p. 105 seq. (critique de W. Schur, Das Zeitalter des Marius und Sylla, Klio, Beiheft 46, Leipzig, 1942). Sur le cercle de Brutus Callaicus, patron d'Accius, cf. A. La Penna, dans Dialoghi di Archeologia, 1971, p. 205 seq. et A. E. Astin, op. cit., p. 296. 46 VI, praef. 5. 47 Pour les phases pré-augustéennes de ces temples, cf. H. F. Rebert, H. Marceau, The Temple of Concord in the Roman Forum, dans MAAR, 5, 1925, p. 53 seq.; Tenney Frank, The First and Second Temples of Castor at Rome, ibid., p. 79 seq.; P. Romanelli, dans Mon. Ant, 46, 1963, p. 201 seq. (pour le temple de la Magna Mater; les résultats de la fouille du site ont été résumés dans Hommages à Jean Bayet, Bruxelles, 1964, p. 619 seq.). 48 Le pouvoir des Metelli atteint en effet son apogée entre 120 et 115. Cf. M. Gwyn Morgan, loc. cit., dans Athenaeum, 49, 1971, p. 298. Sur L. Metellus Dalmaticus, fils aîné du Calvus, neveu du Macédonique, consul en 119, triomphateur de la Dalmatie en 118, cf. J. van Ooteghem, Les Caecilii Metelli de la République, Bruxelles, 1967, p. 106 seq. et M. Gwyn Morgan, ibid., p. 289 seq. Sur l'auteur de la restauration de la Magna Mater, identifié en dernier lieu à C. Metellus Caprarius, consul en 113, triomphateur de la Thrace en 111, cf. M. Gwyn Morgan, loc. cit., dans Klio 55, 1973, p. 235 seq. Les vers d'Ovide (Fastes, IV, 247-48: templi non perstitit auctorl Augustus nunc est, ante Metellus erat) laissent en fait le champ libre à plusieurs hypothèses. Cf. Van Ooteghem, op. cit., p. 104.
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devaient leur assurer des possibilités comparables à celles du Macédonique, et l'insécurité de la mer, parfois invoquée pour expliquer ce reflux, ne se fera sentir que plus tard: c'est seulement en 102 que M. Antonius sera dépêché, comme préteur, contre les pirates de Cilicie49, et les luttes navales, qui se poursuivront jusqu'au milieu du Ier s. av. J.-C, n'empêcheront d'ailleurs pas le recours au marbre du Pentélique, comme le prouvent la tholos du Forum Boarium et le temple de S. Salvatore in Campo 50. En l'occurrence l'impor tancepolitique et religieuse des édifices restaurés sur le Forum et le Palatin pouvait justifier une dépense du même genre, d'autant plus qu'Hermodoros était toujours présent à Rome, si l'on admet qu'il devait, à l'extrême fin du siècle, construire les navalia51. Pour le plan, il faut noter en premier lieu le retour en force du podium, qui cependant ne devait pas exister dans les périptères « grecs » construits au cours des années 140, pourvus seulement d'une crépis, comme plus tard la tholos du Forum Boarium 52. Le podium des Dioscures du Forum était même exceptionnellement élevé, par rapport aux dimensions d'ensemble de l'édifice, puisqu'il dépassait 6 mètres53. L'état des vestiges de ces temples, qui allaient tous trois être reconstruits à l'époque augustéenne, ne permet pas de savoir quelles étaient à la fin du IIe s. les moulures de base et de couronnement de leurs puissants massifs d'opws caementicium, sans doute revêtus de travertin. Et c'est dommage car ils nous eussent permis de mesurer, à cette date, le degré de pénétration des modénatures ioniques dans l'archi tecture romaine. Un passage de Vitruve, sans permettre de restituer des moulures précises, garde cependant la trace du travail de transposition effectué, selon toute vraisemblance par les architectes locaux, au cours de cette période où l'on commençait à tirer les leçons d'un premier contact avec les profils gréco-orientaux: s/w autem circa aedem ex tribus lateribus podium faciendum erit, [ad] id constituatur, uti quadrae, spirae, trunci, coronae, lysis ad ipsum stylobatum, qui erit sub columnarum spiris, conveniant54. 49 Cf. F. Tannen Hinrichs, Die lateinische Tafel von Bantia und die «lex de Piratis», dans Hermes, 98, 1970, p. 494 seq. Sur la réduction du commerce en Méditerranée orientale au début du ΓΓ s. av. J.-C, voir par ex. P. Baldacci, dans Recherches sur les amphores romaines, Collection de l'Ecole Française, 10, Rome, 1972, p. 18. 50 Sur le temple de S. Salvatore in Campo, construit en marbre du Pentélique, cf. MEFRA, 85, 1973, p. 150 seq. 51 Cicéron, De Oratore, I, 62; cf. F. Coarelli, loc. cit., p. 340. 52 Pour la tholos du Forum Boarium, cf. F. Rakob, op. cit., p. 2 seq., planches 5 seq. et Beilage 6. Pour le temple de S. Salvatore in Campo, cf. MEFRA, 85, 1973, p. 151. 53 Tenney Frank, loc. cit., p. 100. 54 Vitruve III, 4, 5 (texte de Fensterbusch).
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Si le théoricien recourt ici, au prix d'impropriétés qui rendent presque in traduisible son texte, au vocabulaire des ordres grecs pour nommer les dif férentes parties du podium, c'est qu'il suit fidèlement la démarche de ceux qui les premiers ont voulu « habiller » selon les nouvelles normes un élément dont l'architecture hellénistique n'offrait que peu d'exemples, et qui en étaient réduits à reprendre sur un registre mineur les diverses composantes des colonnes et des entablements. La tradition ionique les y invitait d'ailleurs, puisque la mouluration de la base des murs - assise convexe sous baguette au pied des orthostates, couronnement d'arasés ou καταλοβεύς taillé comme une petite corniche -, maintenue pour les grands temples d'Asie Mineure, tendait elle aussi à reproduire certains profils des ordres55. Il est clair qu'ici quadrae est l'équivalent de plinthe, et désigne en fait l'assise quadrangulaire sur laquelle reposent les plaques de revêtement du noyau de caementicium 56; le mot spira qui, dans la terminologie vitruvienne, désigne la partie ondée de la base attique (tores et scotie) 57, s'applique aux moulures inférieures du podium, qui, dans leurs premières versions hellénisées, offraient effective ment, sous la doucine, un tore imité de l'élément inférieur de l'ordre ionique, à savoir la base des colonnes58; truncus, que l'on trouve plus souvent avec le sens de fût59, évoque maladroitement la partie verticale des orthostates et équivaut ici au mot français «dé»; quant à corona, il comporte une allusion claire au larmier des corniches d'entablement, dont on retrouve le souvenir sur les couronnements de podium dès la fin du IIe s. 60; l'emploi de lysis semble seul indiquer une certaine réticence à assimiler ces modénatures secondaires à celles des corniches: le mot ne peut désigner ici qu'un
55 Cf. R. Martin, Manuel d'architecture grecque, I, Paris, 1965, p. 361 seq. 56 Le mot désigne en fait, dans les autres passages du livre III où il apparaît, une baguette quadrangulaire (baguettes d'encadrement de la scotie de la base attique, en III, 5, 2: altera pars cum suis quadris scotia; bordure de l'abaque du chapiteau ionique en III, 5, 5 et III, 5, 7: abaci quadrarti). 57 La spira est la base praeter plinthum. Voir pas ex. III, 5, 3-4. 58 Cf. L. T. Shoe, Etruscan and Republican Roman Mouldings, MAAR, 25, 1965, p. 24 et p. 182 seq., pi. 58 (un bon exemple est fourni par le temple d'Hercule à Ostie). 59 Cf. IV, 1, 7. 60 III, 5, 11: corona cum suo cymatio, praeter simam, quantum media fascia epistylii. Corona désigne chez Vitruve la partie antérieure du larmier ionique. Sur l'introduction des éléments de corniche dans la modénature des couronnements de podium, cf. L. T. Shoe, op. cit., p. 173 seq. La présence de la doucine droite, moulure de cimaise par excellence, a entraîné, dans beaucoup de couronnements complexes, une référence plus ou moins explicite à la corona.
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équivalent non monumental de la sima, moulure en doucine ou en congé, qui permet le passage d'un plan vertical à un plan horizontal61. Il est instructif de constater que l'une des meilleures transcriptions plastiques du texte vitruvien est offerte par la modénature du socle des murs de la tholos du Forum Boarium 62: nul doute qu'elle n'ait joué, comme avant elle les temples d'Hermodoros, un rôle décisif dans la mise au point de l'ornementation des podiums; aussi bien les architectes romains n'avaient qu'à transposer, à un niveau inférieur, des profils dont le rôle à la base du τοίχος des temples à crépis, comme sur le podium des temples à escalier frontal, consistait à amorcer et à clore une plate-forme distincte du reste de l'édifice. Cependant, quelle qu'ait pu être la « modernité » de ses profils, le podium enlevait une partie de sa raison d'être au plan périptère en excluant toute possibilité réelle â'ambulatio63. Aussi, pour les trois temples de cette fin du IIe s., ne semble-t-il pas avoir été retenu: si l'on ne peut restituer avec sûreté le plan du temple opimien de la Concorde, dans l'ignorance où nous sommes de ses rapports exacts avec la basilique qui le jouxtait64, il est sûr en revanche que les deux autres sanctuaires, Dioscures du Forum et Magna Mater du Palatin, étaient prostyles hexastyles, ce qui permettait de conserver à la cella l'importance relative qu'elle avait toujours eue dans les édifices religieux italiques. Quant à l'ordre, il est difficile d'affirmer avec assurance qu'il était, pour ces trois temples, corinthien. Les chapiteaux
61 Cf. V, 7, 6: description du couronnement du podium des colonnes du mur de scène dans le théâtre. 62 F. Rakob, W.-D. Heilmeyer, op. cit., Beilage 13. 63 Dans la seconde moitié du Ier s. av. J.-C. et à l'époque augustéenne le plan périptère trouvera, en dépit du podium, une significcation plus plastique que structurelle, quand les temples deviendront les points forts d'une architecture processionnelle. Cf. P. Gros, Aurea Templa, Recherches sur l'architecture religieuse de Rome à l'époque d'Auguste, Thèse lettres, Paris, 1974, p. 201 seq. (exempl. dactylographié). 64 Les deux édifices sont réunis par Cicéron dans la même locution (Pro Sestio, 140): celeberrimum monumentum Opimii. Les tentatives de reconstruction de A. von Gerkan restent en ce domaine hypothétiques (cf. Il sito del Sacello di Giano Gemino a Roma, dans Rendic. della Reale Accad. di Archeologia, Naples, 21, 1944, repris dans Von antiker Architektur und Topographie, p. 57 seq.). J'avoue ne pas saisir ce que veut dire A. M. Colini, dans BC, 1940, p. 53-54, n. 55, quand il parle, pour le temple pré-augustéen de la Concorde, d'un «plan normal allongé avec dix colonnes de façade». H. F. Rebert, dans MAAR, 5, 1925, p. 62 seq., évoque seulement des superstructures en tuf, pépérin et travertin. Des doutes ont été émis sur la présence d'un temple antérieur (celui de Camille) au même endroit, cf. A. Momigliano, dans Cl. Qu. 36, 1942, p. 115 seq.
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actuels de la Magna Mater n'ont pas seulement été restuqués lors de la restauration d'Auguste: leur forme et leurs proportions les désignent comme des créations influencées par l'exemple prestigieux de ceux du temple de Mars Ultor65. Pour les deux autres temples, peu de traces ont été retrouvées de leur colonnade et de leur entablement, dans leur version de la fin du IIe s. Un indice seulement pour Vaedes Castoris: l'architrave de travertin ne présentait que deux fasciae, selon les habitudes héritées de la « Tuffarchitektur » 66. La description que Cicéron donne de cet édifice dans les Verrines confirme ce que nous pouvions tirer de l'examen des vestiges, à savoir que ses colonnes étaient en pépérin stuqué, mais n'apporte aucun indice sur la nature des chapiteaux 67. Pour le temple opimien de la Concorde, G. Lugli mentionne les restes d'une base de colonne, et d'un « grand chapiteau d'ante en travertin », découverts apparemment pendant la dernière guerre; aucun cliché n'a, sauf erreur, été publié de ce dernier, mais il est probable qu'il était corinthien - ce qui ne permet pas d'ailleurs de conclure avec sûreté que les colonnes libres l'étaient aussi68. Quoi qu'il en soit, l'aspect d'ensemble de ces temples devait rester très italique; il ne conservait sans doute plus grand chose, sauf peut-être dans certains détails de modénature, de l'arrogante volonté de rupture avec la tradition, qui avait marqué quelques-unes des plus importantes créations des imperatores de la période précédente. A cela deux raisons, croyons-nous. L'une, politique, pourrait se formuler ainsi: après la crise gracquienne, la classe dirigeante fait du respect du mos maiorum le fondement idéologique de l'abolition des réformes; l'on comprend qu'elle n'estime plus opportun de créer, dans la trame urbaine d'une Rome où le tuf, le bois et les terres cuites continuent de modeler le visage des principaux édifices, des îlots « hellénistiques » qui présenteraient à ses yeux le double inconvénient de ne pas se situer dans la ligne générale de son action, et de heurter, à la façon d'une comédie de Térence trop directement inspirée des modèles grecs, les habitudes et les goûts des populäres69. L'opération, dans le cas des trois temples majeurs que nous avons évoqués, eût été d'autant plus imprudente
65 Cf. W.-D. Heilmeyer, Korintische Normalkapitelle, Heidelberg, 1970, p. 122. 66 Tenney Frank, loc. cit., p. 90 et p. 100. 67 Cicéron, In Verrem, II, 1, 129, 133, 145. 68 G. Lugli, Roma antica, II centro monumentale, Rome, 1946, p. 112. 69 II est remarquable que l'arrogance impliquée dans la reconstruction du temple de la Concorde par le chef du Optimates, après la mort de C. Gracchus et le massacre de 3.000 de ses partisans, ne se soit pas traduite, pour autant qu'on puisse en juger, par une archi-
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qu'elle eût affecté quelques-uns des lieux les plus fréquentés et les plus vénérés de Rome70. La faction modérée de la nobilitar, qui garde en mains la situation, reprend en fait à son compte l'attitude pragmatique et discrète qui avait toujours été d'ailleurs celle des nobles les plus intelligents de la période antérieure, soucieux surtout de filtrer ce qui, dans la culture grecque, pouvait être utile aux techniques du pouvoir et de la conquête 71. L'austérité de la censure de Scipion Emilien en 142 avait déjà su marquer avec fermeté, face à un Mummius enivré par le nombre et la splendeur des spolia de Corinthe, la nécessité d'un retour urgent aux maiorum instituta 72. Et depuis l'aventure des Gracques, tout philhellénisme accusé était devenu ambigu sinon suspect. Le stoïcisme de Panétius n'avait pas nourri seulement la pensée des cercles aristocratiques, mais fourni à Ti. Gracchus et à son eminent conseiller Blossius de Cumes la base doctrinale d'une réforme agraire!73 L'autre raison n'est en somme que le corollaire technique de celle-là: ce qui faisait, aux yeux d'un Brutus Callaicus, le prix d'une construction signée par l'un des maîtres de l'ionisme oriental, devait entraîner aussi sa relative stérilité, car cette architecture importée restait extérieure aux préoccupations réelles des bâtisseurs locaux, même si elle proposait des solu tions élégantes à divers problèmes de détail. En ce domaine comme dans tous les autres, l'hellénisation ne pouvait être que le résultat d'une longue osmose, d'un long travail d'assimilation et de contamination 74: plus efficace que ces
tecture en rupture trop ostensible avec la tradition (cf. Plutarque, C. Gracchus, 17). Sur Térence et le public populaire, voir P. Grimai, Le siècle des Scipions, Paris, 1953, p. 152 seq. Cf. aussi G. Garbarino, op. cit., II, p. 560 seq. 70 Dans le cas de Vaedes Matris Magnae, il est probable que le clergé très traditionaliste de cette divinité joua un rôle déterminant dans le choix du plan et du matériau. Cf. P. Hommel, Studien zu den Figurengiebeln der Kaiserzeit, Berlin, 1954, p. 30 seq. 71 Cf. A. La Penna, dans Dialoghi di Archeologia, 1971, p. 193 seq. Voir aussi P. Grimal, op. cit., p. 115 seq.; G. Garbarino, op. cit., II, p. 349 seq. (notamment sur le problème de l'expulsion des philosophes, en 161 et en 154). 72 A. E. Astin, op, cit., p. 115 seq. 73 Cf. D. R. Dudley, dans JRS, 31, 1941, p. 94 seq.; M. Pohlenz, Die Stoa, Geschichte einer geistigen Bewegung, Göttingen 2e edit., 1959, p. 205 seq.; Α. Ε. Astin, op. cit., p. 195 seq.; G. Garbarino, op. cit., II, p. 445 seq. 74 L'exemple de l'art oratoire est significatif: lorsque Polybe assure le jeune Scipion qu'il trouvera toute l'aide souhaitable auprès de ceux de ses compatriotes qui maîtrisent les techniques intellectuelles auxquelles celui-ci veut avoir accès (Polybe, 31, 24, 6: ... τα μαΰήματα περί â νυν όρώ σπουδάζοντας ύμας...) il est bien entendu pour le maître comme pour l'élève qu'il s'agit essentiellement d'acquérir ou d'affiner, dans la langue latine, des outils conceptuels et rhétoriques qui sont encore déficients. Même si l'on apprend le grec, on se garde bien de devenir un Grec dans ses mœurs et ses modes d'expression. On connaît les sarcasmes dont Polybe accable
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modèles imposés de façon autoritaire et sans lien avec les recherches anté rieures, la diffusion des cartons, le choix parmi ceux-ci de ce qui s'adaptait le plus facilement aux conditions d'emploi et de taille des matériaux couramment utilisés, aux plans et aux ordonnances les plus familières, devaient pro mouvoir des solutions fécondes, surtout après 129, date de la pacification et de l'organisation de la province d'Asie. Les années de transition entre le second et le premier siècle en ad ministrent la preuve. Entre 110 et 90 av. J.-C. s'élèvent à Rome deux séries de temples « hellénistiques », dont il faut bien convenir qu'elles demeurent presque étrangères l'une à l'autre. D'un côté réapparaissent, créations de ce que R. Delbrueck appelait déjà « der römische Kapitalismus » de l'époque tardo-républicaine 75, des objets monumentaux de marbre, isolés et figés dans leur impeccable étrangeté: la tholos du Forum Boarium, dont F. Rakob a montré les imperfections de détail dues à l'inexpérience d'une main-d'œuvre partiellement locale, mais dont le plan ainsi que les éléments majeurs de l'ordre, quoique taillés sur place, s'affirment comme des œuvres grecques76; le temple périptère à crépis de San Salvatore in Campo, dont nous avons souligné dans une étude précédente le caractère singulier, et, à certains égards, unique, dans l'architecture religieuse urbaine77. De l'autre, des constructions qui, contemporaines, ou très légèrement postérieures à ces nouveaux temples marmoréens, présentent, avec l'emploi
Aulus Albinus Postumius (39, 1, 3 seq. et 31, 25, 4) qui compose des œuvres en Grec. Polybe le fait, sans aucun doute, avec l'accord et les encouragements de Scipion (cf. M. A. Momigliano, loc. cit., p. 191). Au contraire Cicéron (Brutus, 25) désigne avec satisfaction en M. Aemilius Lepidus Porcina (cos. 137) le premier orateur romain qui ait su assimiler les principales figures de la rhétorique grecque et les transposer dans un moule latin. Sur Polybe et Scipion, voir les pages capitales de P. Grimai, op. cit., p. 138 seq. et G. Garbarino, op. cit., II, p. 392 seq. 75 R. Delbrueck, Hellenistische Bauten in Latium, II, p. 180. On sait que la tholos du Forum Boarium a été récemment identifiée à Yaedes Herculis Victoris seu Invicti, ce qui désignerait comme son commanditaire un mercator du nom de M. Octavius Hersennus. Cf. F. Coarelli, dans Dialoghi di Archeologia, 1971, p. 263 seq. L'hypothèse est reprise par F. Rakob, W.-D. Heilmeyer, op. cit., p. 37. Sur Octavius Hersennus, cf. Macrobe, Saturn., Ill, 6, 11; Servius, Ad Aen., VIII, 363 (voir G. Lugli, Fontes ad topographiam veteris Urbis Romae pertinentes, 8, n° 357-358, p. 355). 76 W.-D. Heilmeyer, dans Der Rundtempel am Tiber in Rom, p. 19 seq. Le temple date certainement encore de la fin du IIe s., bien que cet auteur et F. Rakob hésitent à la situer avant les années 90, en raison de la trop fameuse notice de Pline (HN, 17, 6) sur l'absence de colonnes de marbre dans les édifices publics de Rome au temps de la censure de L. Licinius Crassus. Cf. supra, n. 23, et notre c/r dans Latomus, 34, 1975, p. 823 seq. 77 MEFRA, 85, 1973, p. 150 seq.
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des matériaux traditionnels, une interprétation bien différente des plans, des modénatures et des ordres. Ainsi le temple rond du Largo Argentina, que son identification à Vaedes Fortunae huiusce diei empêche de faire descendre au-delà de la première décennie du Ier s. av. J.-C. 78: son podium, dont le couronnement reproduit le type complet de la corniche, avec denticules et cimaise en doucine droite79, l'éloigné des types définis par Vitruve80, et de la tholos du Forum Boarium; non seulement le sanctuaire s'en trouve placé en position dominante, mais il se voit doté d'un axe, par l'ouverture d'un escalier devant le podium circulaire, et la mise en place d'une colossale statue cultuelle contre le mur de fond de la cella. Ajoutons que les rapports planimétriques entre sanctuaire et péristasis ne participent plus d'une organisation essentie llementrythmique, où les éléments construits doivent composer avec des espaces vides harmonieusement répartis, mais révèlent l'écrasante primauté des premiers sur les seconds81: le schéma hellénistique est ici adapté aux exigences d'une architecture où la spécificité des partis s'estompe au profit de la pesanteur plastique et de la frontalité. Qui veut retrouver ce que Proust appelait la « pensée de l'architecte », dans une construction hellénistique ou romaine, doit s'employer à la décrypter au niveau du plan82: c'est là en effet que transparaissent encore avec une relative netteté, à travers des rapports simples, les recherches théoriques qui ont étayé les intentions réelles du bâtisseur; ensuite, au cours de la
78 Sur l'identification de ce temple, cf. P. Boyancé, dans MEFR, 57, 1940, p. 64 seq. et F. Coarelli, dans Palatino, 12, 4, 1968, p. 369. Sur le délai, toujours relativement court, qui sépare un triomphe de l'achèvement des constructions payées avec les manubiae, voir M. Gwyn Morgan, dans Klio, 55, 1973, p. 223 seq. Si l'argent n'est pas utilisé dans les années qui suivent immédiatement, il reste inexploité, du moins dans le domaine des constructions publiques. L'exemple en est donné par M. Livius Drusus, cos. 112, qui triomphe en 110 [de Scordistjeis Macedonibusque; il meurt en 109, et son fils, tribun en 91, n'utilise plus à des fins édilitaires l'argent disponible. Sur le triomphe de Catulus en 101, et sa lutte contre les Cimbres, cf. Plutarque,. Marius, 23-26. Voir en dernier lieu R. G. Lewis, dans Hermes, 102, 1974, p. 90 seq. 79 L. T. Shoe, op. cit., p. 178, pi. 56, 1. 80 Vitruve, IV, 8, 1, ne connaît, on le sait, que les tholoi monoptères à podium (tribunal) et les tholoi périptères à crépis. Sur la typologie des temples ronds, cf. en dernier lieu W. Binder, Der Roma-Augustus Monopteros auf der Akropolis in Athen und sein typologischer Ort, Stuttgart, 1969. 81 On notera en particulier la densité de la colonnade et l'étroitesse du déambulatoire. Cf. La publication prochaine de l'édifice, à paraître dans les Studi Romani. 82 Voir à ce sujet les remarquables analyses de W. Alzinger, op. cit., p. 137 seq.
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longue aventure de l'élévation, dans un monde où la séparation des tâches et la spécialisation s'accroissent83, ces intentions peuvent se trouver altérées. Or il est clair, pour qui examine de ce point de vue le temple rond du Largo Argentina, que son architecte entendait créer autre chose qu'une tholosx périptère, et qu'il s'est comporté, dans l'organisation des masses, comme un précurseur de ceux qui, à l'époque de Pompée et de César, mettront au point cette pesante architecture urbaine de représentation, dont l'Empire recueillera l'héritage. Mais le plus remarquable reste le traitement de l'ordre corinthien: on a peine à concevoir, devant ces chapiteaux aux acanthes vigoureuses, qu'il s'agit d'œuvres d'imitation, reproduisant avec soin des modèles hellénistiques dont certains sont beaucoup plus anciens84; aucun aspect rétrospectif, aucun pédantisme dans ce travail plein de sève, qui ne se laisse pas davantage situer dans la série des chapiteaux « italo-corinthiens » de Palestrina, de Terracine ou de Cori, que dans la lignée plus orthodoxe des chapiteaux de l'autre tholos romaine. Si W.-D. Heilmeyer tient à en placer la confection dans le 2e quart du Ier siècle, en arguant essentiellement de leur parenté avec les chapiteaux de l'agora de Messene 85 - lesquels peuvent dater encore de la fin du IIe s.86 - c'est qu'il éprouve une certaine réticence à admettre la vitalité des échanges artistiques, dans cette Rome présyllanienne, ouverte
83 Le temps des architectes-sculpteurs, qui suivaient la construction depuis les fondations jusqu'à la finition des ornamenta, et parfois y participaient eux-mêmes, un peu à la façon dont plus tard un Borromini guidera, en leur donnant l'exemple, ses artisans maçons et stucateurs, n'a pas survécu, semble-t-il, à la période tardo-classique. Significative est à cet égard l'attitude de Vitruve, qui juge excessive la position « maximaliste » de Pythéos (De architectura, I, 1, 12), lequel exigeait d'un architecte une connaissance non seulement théorique mais pra tique de toutes les techniques du bâtiment et de la décoration. Cf. P. Gros, Aurea Templa, op. cit., p. 104. A cet égard l'étude récente de J. J. Coulton (Towards Understanding Doric Design: the Stylobate and Intercolumniations, dans Ann. of the British School at Athens, 69, 1974, p. 61 seq.) est précieuse, en ce qu'elle montre, à partir de mensurations précises relevées sur un grand nombre de temples, que même des édifices doriques fort élaborés présentent seul ement des dimensions de stylobate bien définies, et que le reste paraît avoir été « ajusté » en fonction de réglages successifs qui ne reposent pas sur des bases théoriques mais sur un savoirfaire empirique (particulièrement p. 66 seq. et p. 84 seq.). Voir aussi, dû même auteur, Second Temple of Hera at Paestum and the pronaos problems, dans JHS, 95, 1975, p. 15 et p. 23 seq. 84 W.-D. Heilmeyer, Korintische Normalkapitelle, p. 36; Der Rundtempel, p. 28 seq.; Ch. Leon, Die Bauornamentik des Traiansforum, Vienne, 1971, p. 156 seq. 85 Korintische Normalkapitelle, p. 53. 86 Cf. Α. Κ. Orlandos, Έργον, 1959, p. 112 seq., fig. 117; G. Daux, BCH, 84, 1960, p. 697, fig. 3; Έργον, 1972, p. 157, fig. 193.
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dès lors à tous les courants d'influence venus de Méditerranée orientale. Le redoublement des caulicoles en est un indice précieux (Fig. 1): sur ce chapiteau de travertin, taillé par un atelier romain, nous trouvons l'abouti ssementd'un schéma décoratif dont les premiers exemples attestés se rencont rentà Milet et à Diocésarée dans la première moitié du IIIe s. av. J.-C. 87, mais dont l'Asie du second siècle offrait sans doute d'autres jalons, qui nous échappent à ce jour. Cependant, ce qui était une fantaisie décorative un peu grêle dans les précédents hellénistiques, contribue ici à renforcer la métaphore tectonique du décor d'acanthes88: non seulement en effet la structure « normale » du chapiteau n'est pas altérée, puisque les deux gaines, celle de la volute et celle de l'hélice, restent accolées, mais leur rigoureuse verticalité, soulignée par de profondes cannelures, accuse leur fonction « portante » . Deux autres édifices, exactement contemporains, appartiennent à cette même série, c'est le temple d'Honos et Virtus, dont Vitruve fait le plus grand éloge, bien qu'il soit sans posticum 90, et le temple Nord du Forum Holitorium. Le second nous aide à imaginer le premier, dont aucun vestige ne subsiste, mais dont nous savons qu'il fut construit par un maîtred'œuvre romain du nom de C. Mucius 91. Il est peut-être hasardeux de penser que le choix de Marius fut, en partie au moins, dicté par le souci politique de prendre ses distances par rapport aux habitudes des imperatore^, et particulièrement de ce Metellus qui, quelques décennies plus tôt, avait fait appel à un maître grec92; mais l'hypothèse semble confortée par le fait que,
87 Milet, monument de Laodicée; temple de Zeus à Diocésarée. Cf. G. Roux, op. cit., p. 378 seq. 88 Comme le souligne d'ailleurs, à juste titre, W.-D. Heilmeyer. 89 La même particularité se retrouvera, plus tard, au temple d'Apollon Palatin, cf. H. Bauer, dans RM, 79, 1969, p. 183 seq. 90 Vitruve, III, 2, 5 et VII, praef. 17. Sur la nécessité de maintenir la leçon des manusc ritsdans le premier passage: et, ad Mariana, Honoris et Virtutis sine postico a Mudo facta . . ., cf. en dernier lieu MEFRA, 85, 1, p. 137 seq. 91 II est dommage que ce personnage, cité deux fois par Vitruve (cf. note précédente), nous reste inconnu par ailleurs. Nous avons avec lui, et avec ce Cossutius qui travailla à lOlympéion d'Athènes (cf. P. Bernard, dans Syria, 45, 1968, p. 148 seq.), le premier exemple d'un architecte romain de quelque renom. Sur Valerius d'Ostie dans le deuxième quart du Ier s. av. J.-C, cf. Pline, HN, 36, 103. Sur L. Cornelius, architectus Catulli, cf. G. Molisani, dans Atti Ace. Naz. Lincei, Rendiconti, 26, 1971, p. 41 seq. 92 Sur l'aversion de Marius à l'égard des raffinements hellénisants, cf. par ex. A. La Penna, loc. cit., p. 210 seq.
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sans renoncer aux normes des périptères de tradition ionique, Mucius les adapta à un vieux plan italique. Vitruve n'émet qu'un regret/lorsqu'il évoque son œuvre, c'est qu'elle n'ait pas été bâtie en marbre95. Appréciation superf icielle, qui cache sans doute un malaise plus profond: entre le temple métellien de Juppiter Stator et celui de Marius, il y a toute la distance qui sépare une architecture où les recherches modulaires définissent une entité autonome, et dont les proportions répondent essentiellement à des principes esthétiques, d'une architecture de la continuité où les schémas traditionnels sont volontiers altérés pour permettre l'insertion du temple dans une suite monumentale. Le temple Nord du Forum Holitorium, intégré à une série de trois sanctuaires, en offre un bon exemple94. Lui aussi dépourvu de colonnade postérieure, il présente une façade hexastyle, ionique. Et, comparable en cela au temple rond du Largo Argentina, il compte un nombre appréciable d'éléments de dérivation asiatique, à tous les niveaux de sa modénature: sa base à double scotie, au profil plus souple et aux moulures plus élaborées que celle de la dite tholos, est, à cette date, la variante la plus habile d'un prototype gréco-oriental encore peu diffusé en Occident 95. Il est peu pro bable qu'aucun des temples de marbre alors construits à Rome ait comporté des bases de ce genre %: un mode de dérivation par circulation des « cartons », analogue à celui que nous postulions pour les chapiteaux du temple du Largo Argentina doit rendre compte de cet emprunt. D'autres « citations » semblables, quoique plus maladroites, ont été relevées par L. T. Shoe au couronnement de la frise et à la corniche97. La même indépendance se trouve donc ici proclamée, par rapport aux périptères marmoréens de VUrbs, antérieurs ou contemporains: un souci constant d'animation du décor architectonique, le goût, parfois abusivement qualifié de « baroque » 98, pour des profils plus riches et des modénatures plus accentuées, où le stucage ajoutait un mouvement et une couleur dont il nous est difficile d'imaginer 93 VII, praef. 17: id vero si marmoreum fuisset... 94 Cf. R. Delbrueck, Die drei Tempel am Forum Holitorium, Berlin 1903; G. Lugli, Roma antica, p. 548; F. Coarelli, Guida archeologica di Roma, 2e edit., 1975, p. 284 seq. 95 L. T. Shoe, op. cit., p. 198, pi. 62, 4. 96 Les deux seules que nous connaissions (temple rond du Forum Boarium, (F. Rakob, op. cit., pi. 20-21), temple sous San Salvatore in Campo (MEFRA, 85, 1973, p. 152)) appartien nent à d'autres séries. Dans ses constructions des années 140, Hermodoros avait sans doute adopté la base attique, peut-être avec plinthe, récemment annexée à l'ordre ionique par Hermogénès. Cf. E. Akurgal, op. cit., p. 178 seq. 97 Op. cit., p. 202-204. 98 W.-D. Heilmeyer, Der Rundtempel, p. 28.
LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME
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les effets, orientaient les recherches des architectes romains de ce début du Ier s. vers des sources moins « classiques » que celles dont procédaient les créations d'Hermodoros et de ses collègues ou épigones; celles-ci devront attendre la période triumvirale et proto-augustéenne pour accéder à la dignité de modèles ". Les trois moments que nous essayons ainsi de dégager ne nous appa raissent sans doute distincts qu'en raison de la schématisation, inhérente au caractère lacunaire des données qui nous sont accessibles. Dans la trame historique de ce demi-siècle si dense, ils se chevauchèrent souvent: les mêmes hommes ont pu adopter, en ce domaine, plusieurs attitudes différentes 10°. Il reste que la constitution progressive d'un style hellénistique occidental, phénomène décisif pour l'histoire de l'architecture, ne semble pas exclusive ment liée à la venue d'architectes et à l'emploi de matériaux grecs: ces opérations attestent surtout de la part de quelques membres de la nobilitas la volonté de mettre à profit le retard stylistique et technique de Rome pour manifester la puissance de ceux qui ont désormais accès aux ressources de l'Orient hellénisé. Sans sous-estimer l'importance, pour les équipes locales, d'une présence aussi active et aussi longue que celle d'Hermodoros, par exemple, il faut admettre cependant que cette architecture grecque importée, soucieuse surtout de rupture avec une tradition italique dépourvue de prestige aux yeux des imperatores du milieu du second siècle, a été sans doute une source moins féconde, et a joué dans la diffusion des plans, des décors et des profils un rôle moins important que ce qu'on pourrait appeler la francmaçonnerie des ateliers, qui assurait, d'un bout à l'autre d'une Méditerranée de plus en plus centrée sur Rome, la circulation des modes, des schémas, des images.
99 W.-D. Heilmeyer, Korintische Normalkapitelle, p. 40 seq. 100 Rappelons par exemple, pour mesurer les lacunes de notre documentation, que nous ne savons rien de précis des temples construits par les autres vainqueurs de 146: Vaedes Aemiliana Herculis de Scipion Emilien (Festus, 282 L = G. Lugli, Fontes ad Topographiam veteris Urbis Romae pertinentes, 8, 1962, p. 351, n°328), et Yaedes Herculis Victoris de Mummius (A. E. Astin, op. cit., p. 115). La première doit sans doute être assimilée à Vaedes Herculis Invicti in Foro Boario, mentionnée par Macrobe, Saturn., Ill, 6, 10; dans ce cas il s'agirait d'un temple rond (aedes rotunda, d'après Tite-Live, X, 23, 3) et un dessin de Baldassare Peruzzi nous en conserverait l'image: tholos à crépis, d'ordre doricotoscan (?); mais de quand datent les vestiges ainsi représentés, et quel crédit peut-on faire à ce dessin rapide, non coté? (cf. E. Nash, Pictorial Dictionary of Ancient Rome, 2e edit, Londres, 1968, p. 473, fig. 580).
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Fig. 1 - Les doubles caulicoles du chapiteau du temple Β (Largo Argentina), tels qu'ils apparaissent au lit d'attente du bloc inférieur.
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NUOVE OSSERVAZIONI SULLA LAMINA BRONZEA DI CERERE A LAVINIO
A Jacques Heurgon, insigne studioso di Roma e dell'Italia antica, desidero di offrire - insieme all'espressione della mia simpatia ed all'augurio di ancor lunga e fervida attività - alcune nuove considerazioni sulPormai celebre lamina bronzea col nome di Cerere rinvenuta a Lavinio (fig. 1). Proprio a me toccò la ventura di pubblicare per la prima volta, nel 1951, il pregevole documento 1. Ne dovevo la conoscenza alla premurosa e intelligente iniziativa del compianto amico Pietro de Francisci, il quale, avendo osservato quella caratteristica lamina iscritta nella casa di donna Maria Borghese, castellana di Pratica di Mare e proprietaria del terreno donde l'oggetto era tornato in luce, volle presentarmi alla principessa Borghese e chiederle di affidare a me la pubblicazione di quel suo cimelio. Come si ricorderà, la lamina bronzea ha forma rettangolare, è larga cm 29, alta cm 5,2, e doveva essere fissata ad una superficie verticale, come dimostrano, di qua e di là, due chiodi dei quali restano tuttora le capocchie. Su due righe corre, chiarissima, un'epigrafe incisa con lettere dell'alfabeto latino arcaico che sembrano databili al III secolo av. Cr., forse ancora alla sua prima metà. L'epigrafe suona così: CERERE · AVLIQVOQVIBVS VESPERNAM · PORO L'inizio della seconda riga fu spostato verso destra, certamente per evitare lo spazio destinato al primo dei due chiodi: ο che la lamina venisse applicata alla pietra ancora prima di essere iscritta ο che, come ritengo più probabile, l'epigrafe sia precedente all'applicazione. In tal caso, era ovvio che i fori destinati ai chiodi fossero subito calcolati ed eseguiti. La seconda
1 M. Guarducci, in Archeologia Classica, 3, 1951, pp. 99-103, tav. 21.
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riga dell'epigrafe venne, comunque, a trovarsi fra i due chiodi, in posizione simmetrica rispetto alla prima riga. I punti che nelle due righe separano la prima parola dalla seconda sono, ovviamente, segni d'interpunzione. Dopo la mia prima pubblicazione del 1951 molta acqua è passata sotto i ponti. Vari altri studi e varie altre interpretazioni hanno visto la luce in Italia e fuori. Contemporaneamente, gli scavi eseguiti nella località dove la lamina era stata rinvenuta, cioè, come sempre più chiaramente veniva con fermato, nel grande santuario dell'antica Lavinio, hanno determinato nuove e importanti scoperte che nella interpretazione della lamina di Cerere assumono senza dubbio il loro peso. Fra l'altro, una nuova lamina del medesimo tipo si è aggiunta alla prima: l'ormai notissima lamina col nome dei Dioscuri, la quale peraltro è di rame (non di bronzo) ed appartiene ad età notevol mentepiù antica, cioè, come non a torto l'ha datata il suo editore Ferdinando Castagnoli, alla fine del VI secolo2. Dei nuovi giudizi via via espressi intorno alla lamina di Cerere dal 1951 in poi tenni conto in un mio successivo studio del 1959 3. Dopo d'allora la nostra lamina ha seguitato ad attirare l'interesse degli studiosi e nuove spiegazioni (era da prevederlo) sono state proposte. Di pari passo sono proseguite le indagini nel santuario di Lavinio, ora concretate già in due volumi (Lavinium, I, 1972 e Lavinium, II, 1975) che fanno onore a Ferdinando Castagnoli e alla sua scuola. Da tali indagini appunto risultano, oggi, alcuni dati di fatto che bisogna tener presenti prima di riprendere in esame il molto tormentato testo della nostra epigrafe. Occorrerà dire, dunque, che ambedue le lamine - quella dei Dioscuri e quella di Cerere - furono rinvenute nella zona degli spettacolosi tredici altari rimessi in luce dagli scavi. Esse però non erano in situ, ma si trova vano, evidentemente, fra materiale di scarico. Nella medesima zona, e sempre fra materiale di scarico, furono individuati frammenti di tre blocchi di tufo con incassi destinati ad accogliere lamine metalliche e con avanzi di chiodi. Nessuna delle tre impronte, riconosciute dagli acuti occhi di Lucos Cozza, si accorda - per numero e posizione dei chiodi - alle lamine dei Dioscuri e di Cerere. Se ne deduce perciò che almeno cinque blocchi con lamine metalliche applicate esistevano nel santuario4.
2 F. Castagnoli, in Studi e materiali di storia delle religioni, 30, 1959, pp. 1-9. Per questa epigrafe, che vanta ormai una ricca bibliografia, cf. P. Sommella, in Gymnasium, 81, 1974, pp. 281-283 e, ultimamente, lo stesso F. Castagnoli, in Lavinium, II, Roma, 1975, pp. 441443, fig. 507. 3 M. Guarducci, in Archeologia Classica, 11, 1959, pp. 204-210, tav. 67. 4 L. Cozza, in Lavinium, II, cit., pp. 168-171.
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Le dimensioni delle tre impronte e delle due lamine superstiti sono quasi uguali tra loro: larghezza cm 29, cioè circa un piede romano, altezza fra cm 4,5 e cm 5,3. Se si pensa che la lamina dei Dioscuri appartiene alla fine del VI secolo e quella di Cerere al III, bisogna dedurne che le dimens ioni dovevano essere tradizionalmente prescritte e che la tradizione si dimostrava molto tenace. Di fronte all'uguaglianza delle misure passa in seconda linea la diversità nel numero dei chiodi: cinque nella lamina dei Dioscuri e nelle tre impronte ( '. ■ '. ), due, come si è visto, nella lamina di Cerere ( · ·). Un'accurata osservazione dei blocchi frammentari recanti le tre im pronte di lamine permette di affermare ch'essi non erano altari. Che cosa allora? Gli scavatori del santuario hanno finito per ammettere che si tratti di basi sostenenti un tempo doni votivi, essi pure metallici. Motivi di questa opinione sono stati da una parte il dativo con cui viene espresso - nella rispettiva lamina - il nome dei Dioscuri (Castorei Podlouqueique / qurois), dall'altra il rivenimento nel medesimo santuario di una squisita statuetta bronzea di kore arcaica (forse una Venere) che sembra appunto un ex voto e che doveva essere fissata sopra una base di pietra5. Ma la definizione come basi votive delle pietre cui erano applicate le lamine suscita in me qualche dubbio. Soprattutto il secondo argomento, quello della kore bronzea, mi sembra contestabile. Pur ammettendo che la kore sorgesse anticamente sopra una base di pietra, è impossibile stabilire se la rispettiva dedica sia stata espressa in una lamina metallica applicata alla base ο non piuttosto addirittura nella pietra della base stessa. Quanto poi al primo argomento, quello del dativo usato per indicare il nome dei Dioscuri, è verissimo che il dativo è, di per sé, il caso più comune (ed è ovvio) nelle dediche votive. V'è però, qui, una difficoltà. La lamina di Cerere, che appartiene, come si è visto, alla medesima serie di monumenti, dovrebbe a rigore essere anch'essa un testo votivo; e invece non lo è. Si tratta infatti, come tutti riconoscono, di una legge sacra. Per affermare che anche la base cui fu applicata la lamina di Cerere fosse stata una base votiva, bisogne rebbeammettere che sulla medesima fosse anticamente esistita, al di sopra della lamina a noi pervenuta, un'altra lamina avente uguali dimensioni e conte nente una dedica. Ma, come ognuno vede, si tratterebbe di una ipotesi puramente gratuita. Che non si debba pensare a monumenti votivi sembra poi confermato dall'assenza - nella lamina dei Dioscuri - di un verbo ο di
F. Castagnoli, ibid., pp. 341-347, taw. 3-4.
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un sostantivo di dedica e di qualsiasi accenno all'offerente. Fra le dediche latine di età repubblicana sono infatti rarissime quelle che consistono nel puro e semplice nome della divinità espresso in dativo6. La difficoltà di pensare, nel nostro caso, a dediche votive non è sfuggita, del resto, nemmeno al Castagnoli. Mentre infatti egli si dichiara sostanzialmente favorevole a quella tesi, usa d'altra parte, circa le due lamine iscritte, espressioni un po' confuse che rivelano incertezza 7. La tradizionale analogia, certamente voluta, sia fra le basi sia fra le rispettive lamine metalliche farebbe piuttosto credere - io penso - che si trattasse di mensae ufficialmente apprestate per gli dei, con l'indicazione delle rispettive divinità, ed eventualmente dei cibi per ciascuna di esse prescritti. Con tale ipotesi non sarebbe inconciliabile il dativo esprimente il nome dei Dioscuri, in quanto anche in una mensa sacra essi rimanevano destinatari dell'offerta. D'altra parte, nel testo della legge sacra (la lamina di Cerere) l'atto di offerta è implicito nel ricordo stesso dei cibi rituali. Ma sulla ipotesi delle mensae tornerò in seguito. Vengo ora alPinterpretazione del nostro testo. Esso è brevissimo e di lettura certa. Ma quelle quattro chiarissime parole, girate e rigirate in tutti i sensi dagli studiosi, hanno dato luogo ad una lunga fila di spiegazioni
6 Un esempio se ne trova in uno dei cippi di Tor Tignosa databili fra il IV e il III se colo av. Cr.; gli altri coevi cippi della medesima località presentano però l'apposizione dono ο d(ono): cf. M. Guarducci, in Bull. Cornuti., 72, 1946-1948, pp. 3-10, tav. 1; Id., ibid., 76, 19561958, pp. 3-13 (Append.); Id., in Rom. Mitt., 78, 1971, p. 75. Nel mondo greco si trovano talvolta dediche consistenti nel semplice nome della divinità in dativo, ma soltanto quando si tratta di doni di scarso rilievo. Altrimenti non mancano i nomi dei donatori, i quali (è ovvio) desiderano lasciare anche un ricordo di se stessi (cf. M. Guarducci, Epigrafia greca, III, Roma, 1975, p. 8 sèq.). 7 F. Castagnoli, in Lavinium, II, cit., p. 441. Dopo aver affermato che l'epigrafe dei Dioscuri è votiva, egli aggiunge: « La seconda [cioè quella di Cerere], per analogia, si dovrebbe considerare anch'essa una dedica (seguita in questo caso da una prescrizione rituale)»; e poco dopo, avendo negato che i blocchi con le impronte ed i chiodi siano altari, prosegue: «si deve perciò pensare a basi di donari, forse con statuette analoghe a quella della kore; anche le lamine conservate dovranno probabilmente spiegarsi in tal senso». In verità, la lamina di Cerere non contiene affatto una dedica, bensì una legge sacra. A questa allude anche il Castag noli, parlando di «prescrizione rituale». Egli scrive però, inesattamente, «seguita in questo caso da una prescrizione rituale»; la lamina contiene infatti essa stessa soltanto la prescrizione rituale. Il Castagnoli pensa forse, confusamente, alla ipotesi da me prospettata or ora come assai poco verosimile, che cioè la legge sacra sia stata preceduta sulla medesima base da un iden tica lamina contenente una dedica. Le sue frasi un po' incerte dimostrano, comunque, ch'egli sente difficoltà nel sostenere la tesi delle basi votive.
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diverse. Più che spiegazioni, alcune di esse potrebbero, veramente, esser chiamate « fantasie ». Comunque sia, una prima serie di codeste opinioni venne enumerata e discussa da me nel mio secondo studio sull'argomento (1959) 8; un'altra lista collettiva fino al 1963 figura nell'articolo pubblicato in quell'anno da Ugo Scamuzzi9; un'altra ancora, dall'inizio fino al 1975, è stata succintamente redatta, ma senza alcuna presa di posizione, da Ferdinando Castagnoli in Lavinium, II10. La parola meno tormentata è lo auliquoquibus della prima riga. In essa tutti riconoscono un ablativo di auliquoquia (= aulicocta), termine significante viscere (probabilmente di porco) bollite in pentola. Ho detto « tutti », ma per esattezza dovrei dire « quasi tutti », perché Paolino Mingazzini preferisce, egli solo, sottitendere ad auliquoquia non già exta, ma sacra n. In altri termini, egli ci vede il primo ricordo di una nuova festa: gli * Auliquoquia, così detti appunto dalle viscere porcine lessate in pentola che i fedeli avrebbero offerte a Cerere. Le rimanenti tre parole sono state più ο meno ampiamente discusse. CERERE è stato interpretato ora come accusativo (Cerere(m)) ora come dativo (Cerere(i)). Come accusativo, esso ha preso talvolta anche il significato di nome comune (= «pasto meridiano», contrapposto a vespernam = «pas toserale »).. VESPERNAM, evidente accusativo, è stato inteso ora come nome comune (= « pasto serale ») ora come nome di divinità. PORO, il più tor mentato di tutti, la vera vittima degli studiosi, ha assunto via via i più diversi valori: ora di nome comune in ablativo, ora di avverbio di tempo, ora di avverbio di luogo, ora di preposizione, ora di verbo storpiato, ora di sostantivo storpiato, ora di nome proprio di divinità al dativo. Fin da quando, nel 1951, pubblicai il testo della lamina bronzea, mi ero convinta che l'epigrafe consistesse in due accusativi seguiti rispettiv amente da un ablativo. Poiché vesperna era noto come nome comune (= « pasto serale »), cercai, sempre per mantenere il parallelismo fra CERERE(M) e VESPERNAM, d'intendere come nome comune anche cerere(m); e lo intesi nel senso di «pasto meridiano». Nel secondo scritto invece (1959), aderendo alla tesi di Stefan Weinstock che interpretava
8 M. 9 U. 10 F. 11 P.
Guarducci, in Archeologia Classica, 11, 1959, p. 205 seq. Scamuzzi, in Rivista di studi classici, 11, 1963, pp. 280-285. Castagnoli, in Lavinium, II, cit., p. 443 seq. Mingazzini, in Festschrift Gottfried von Lücken, Rostock 1968, p. 712.
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VESPERNAM come nome proprio di divinità da accostarsi a CERERE(M) 12, detti anch'io ai due accusativi il valore di nomi divini (Cerere e Vesperna), pur commentando Vesperna in maniera molto diversa rispetto alla spiega zione del Weinstock. Ma sul significato di Vesperna parlerò più diffusamente in seguito 13. Le parole auliquoquibus e poro {= porro, collettivo) restavano per me (così le aveva intese anche il Weinstock) nomi di cibi (viscere bollite e porri) da offrirsi rispettivamente a Cerere e a Vesperna. C'era naturalmente, sottinteso (così pensavo), un verbo all'infinito con valore d'imperativo: « onorare », « placare », ο simili. Un'altra più persuasiva possibilità mi r iservo d'indicare fra poco. Dopo il mio secondo scritto, altro inchiostro è stato versato sulla innocente laminetta. Vorrei qui passare rapidamente in rassegna, comment andole via via con qualche osservazione, le più significative opinioni sull'argomento: K. Latte (1960) 14. Interpretando poro come poro, egli intende: «Si offra a Cerere un pasto (daps) serale con viscere bollite». Basta il poro per su scitare legittimi dubbi. È una violenza fatta al testo, e tanto più grave in quanto si tratta di un testo molto accuratamente inciso. H. Wagcnvoort (1961) 15, il quale ha successivamente ribadito la sua opinione nel 1972 16. Ecco come egli stesso la formula nel suo secondo scritto: «Cerere auliquo quibus (se. facito), vespernam poplo (se. dato), d.h.: man sollte der Ceres das gekochte Eingeweide opfern, nachher das übrige Fleisch nach griechischem Ritus dem Volk zum Abendessen preisgeben». Dunque, alla dea le interiora, al popolo la carne. Anche qui si maltratta, come si vede, il disgraziato poro, che diventa poplo (= populo). Inoltre si sottintendono due verbi, dei quali il primo sarebbe intransitivo, il secondo invece transitivo. Infine si aggiunge, gratuitamente, un concetto che il testo non esprime (la distribuzione della carne al popolo, secondo il rito greco); pre scindendo poi dal problema che la suddetta distribuzione solleverebbe. È infatti evidente che per saziare di carne suina il popolo (e nel frequentatissimo santuario di Lavinio si trattava certamente di un popolo numeroso), parecchi porci avrebbero dovuto essere sacrificati. Se no, la vesperna sarebbe stata, per la verità, un po' troppo magra.
12 S. Weinstock, in Journ. Rom. Stud., 42, 1952, pp. 34-36. 13 V. sotto, pp. 421-425. 14 Κ. Latte, Römische Religionsgeschichte, München, 1960, p. 69 seq. e p. 70, nota 1. 15 Η. Wagenvoort, in Mnemosyne, 14, 1961, pp. 217-223. 16 Id., in Aufstieg und Niedergang der römischen Welt (= Miscellanea J. Vogt), I, 2, Berlin -New York, 1972, p. 349, nota 1.
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U. Scamuzzi (1963) 17. Egli interpreta: «da ultimo (si presenti) a Cerere un'of ferta serale a base di interiora lessate». Il poro acquista l'insolito significato di postea e, per conseguenza, l'autore è costretto ad ammettere l'esistenza di una lamina precedente nella cui epigrafe il poro equivalente a postea trovi la sua giustificazione. Ma ciò è insostenibile, come dimostrano i blocchi rinvenuti a Lavinio con le loro impronte di una singola lamina. G. Pugliese Carratelli (1968) 18. Pensando che la lamina fosse applicata ad un altare, egli intende: «Cerere(i) auliquoquibus vespernam poro », vale a dire « con viscere bollite il pasto (sacrificale) della sera qui irinanzi ». Ma la spiegazione cade per due principali motivi: anzitutto non si tratta di un altare e, in secondo luogo, è impossibile attribuire a poro il significato di «qui innanzi». P. Mingazzini (1968) 19. La novità della sua interpretazione consiste nel rav visare in auliquoquibus il primo (presunto) ricordo di una festa detta Auliquoquia. Egli parafrasa pertanto: « (chi intenda partecipare alla festa in onore di) Cerere, detta delle "interiora in pentola", contribuisca con almeno un porro». Precisando il suo pensiero, l'autore ammette che i frequentatori del santuario avessero preso il malvezzo di cenare a sbafo con le vittime macellate a spese del santuario e che perciò i responsabili del santuario stesso, seccati, avessero imposto agli indiscreti ospiti l'obbligo di portarsi dietro, come «contorno», almeno un porro. La spiegazione è troppo divertente per essere accettabile. E in realtà, sebbene il poro sia stato - questa volta - lodevolmente rispettato, si fa dire anche qui al testo ciò che francamente esso non dice, mettendo a contributo una dotta, sì, ma un po' rischiosa immaginaz ione. Mi sia inoltre permesso di rettificare un'affermazione del Mingazzini. Rifiutando la ipotesi del Weinstock e mia che si tratti di due nomi divini in accusativo (Cerere(m) e Vespernam), egli giustifica il suo rifiuto osservando che di una dea Vesperna « nessuno ha mai sentito parlare » e dichiarando di non capire « per quale ragione Cerere avrebbe perduto la emme finale, mentre vespernam l'avrebbe mantenuta»20. Quanto alla ignota dea Vesperna, è facile rispondere che non pochi nomi di divinità, sia presso i Greci sia presso i Latini, ci sono pervenuti da una sola fonte21 e che, nel nostro caso, l'esistenza di una Vesperna è resa probabile, come già ho spiegato e meglio spiegherò in seguito, da considerazioni di vario genere. Quanto poi alla mancanza della m finale dopo Cerere, mentre in Vespernam la m c'è, è quasi superfluo rilevare che Cerere è seguito da vocale, Vespernam da consonante, e che l'elisione della m finale, mentre non è ammessa davanti a consonante, lo è invece, e con estrema facilità, davanti a vocale 22. Cerere per Cererem è perciò, in questo caso, pienamente legittimo.
17 U. Scamuzzi, op. cit., pp. 286-290. 18 G. Pugliese Carratelli, in Parola del Passato, 23, 1968, p. 340. 19 P. Mingazzini, op. cit., pp. 711-713. 20 Id., op. cit., p. 712. 21 Allo stesso modo, si potrebbe obiettare al Mingazzini che «nessuno ha mai sentito parlare » di una festa di nome Auliquoquia. 22 Ciò è provato dal comportamento della m finale davanti a vocale nella poesia.
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R. Arena (1972) 23. Egli propone due soluzioni: 1) «a Cerere (si sacrifichi) con viscere bollite, a Por (si offra) un pasto serale » ; 2) (subordinatamente) « a Cerere (si offra) una cena a base di viscere di porco». Nel primo caso, il verbo sottinteso sarebbe facito, intransitivo nella prima riga, transitivo nella seconda, e Poro dovrebbe essere inteso come variante di Puero, cioè del dio Libero, associato nel culto a Cerere. Nel secondo caso, invece, por assumerebbe il significato nuovo di porcus al genitivo. Anche qui, come si vede, la dotta immaginazione ha largamente contribuito. R. Schilling (1972) 24. Osservando che la divinità di Vesperna è, a suo giudizio, sospetta, egli preferisce intendere «présente à Cérès une offrande du soir, une fres sure bouillie en marmite ». L'autore non spiega donde risulti quell'imperativo « présente », ma ci vuoi poco a capire ch'esso deriva dall'indebita spiegazione di poro come forma del verbo porrigere. Basta questo a rendere sospetta la spiegazione che lo Schilling escogita per evitare Vesperna, da lui (non esito ad affermarlo) ingiustamente sospettata25. Una iscrizione latina del III secolo av. Cr., e per di più rinvenuta in un santuario notevole quale quello di Lavinio, non è cosa tanto comune da potersi prendere con una certa disinvoltura. Ecco perché ho voluto passare in rassegna, vagliandole criticamente, le diverse opinioni degli studiosi. Le quattro parole dell'epigrafe hanno dato l'avvìo, come si è constatato, a molti e disparati pensieri. Nell'ansia di giungere ad una soluzione loro, alcuni studiosi poi hanno fatto al testo più ο meno gravi violenze, quasi tutte imperniate sul molto dibattuto poro. D'altra parte, è assai strano che in nessuna delle opinioni da me prese in esame sia stato sentito l'evidente parallelismo fra i due accusativi e i due ablativi. Calcolando anche gli scritti anteriori al 1959, bisogna riconoscere che nel corso di più di venti anni soltanto il Weinstock ed io lo abbiamo avvertito26. Eppure quel parallelismo richiama subito alla memoria una formula ripetuta costantemente, almeno nell'antica Grecia, da leggi sacre e da calendari: nomi di divinità seguiti dal ricordo delle rispettive offerte. Di solito, è vero, i nomi divini sono in dativo, i nomi delle offerte in accusativo, con un verbo - espresso ο sottinteso significante il concetto di «dare», «sacrificare», ο simili. Qui, invece, i nomi divini sono in accusativo, i nomi delle offerte in ablativo. Ma la difficoltà è
23 R. Arena, in Rendiconti 1st. Lombardo, 106, 1972, pp. 448-450. 24 R. Schilling, in Aufstieg und Niedergang, cit., p. 319 e nota 9. 25 Lo Schilling dimostra di non conoscere il mio secondo articolo sull'argomento. 26 La tesi del Weinstock venne accettata, come ipotesi probabile, da Β. Μ. Thomasson, in Opuscula Romana, III (= Acta Instituti Romani regni Sueciae, series in 4°, XXI), Lund 1961, pp. 133-135. Essa però non approfondì lo studio del testo, tanto è vero che seguitò ad am mettere come possibile l'errata etimologia proposta dal Weinstock per il nome Vesperna (p. 134, nota 4). Per questa etimologia, v. sotto, pp. 421-425.
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superabile, perché si può benissimo sottindere un altro verbo. Finora avevo pensato ad Honorare, placare, piare, ο simili. Ora però, ammettendo che le basi cui erano applicate le lamine iscritte possano essere state mensae sacre, non escluderei che il verbo sottinteso sia un epulari, retto dai soggetti Cerere(m) e Vespernam (= « Cerere banchetti con viscere bollite, Vesperna con porri»); il che equivale, naturalmente, ad un invito rivolto ai fedeli di offrire alle due divinità quei determinati cibi e non altri. Quanto poi al verbo epulari, si sa ch'esso veniva normalmente usato dai Latini per indicare i banchetti (epula) consumati sia dai mortali sia e specialmente dagli dei27. Entrando in quest'ordine d'idee, troveremo - io penso - una conferma all'opinione che nell'epigrafe debbano veramente riconoscersi due dèe: Cerere e Vesperna. Secondo un uso molto antico, sia i Greci sia i Latini offrivano banchetti agli dei per placarne la collera ο per ottenerne i favori. Tali celebrazioni venivano chiamate dai Greci ΰεοξένια, dai Latini lectisternia ο sellistemia. Quest'ultimo termine riguarda le dee che, secondo la norma osservata dalle donne greche e romane, partecipavano ai banchetti non sdraiate ma sedute. Già nel mio secondo articolo, interpretando auliquoquibus e poro, come i cibi offerti rispettivamente a Cerere e a Vesperna, ebbi occasione di alludere ai lectisternia. A quanto allora osservai aggiungerò adesso che l'uso d'im bandire mense agli dei, praticato nel Lazio fin da tempi antichissimi, si estese - presso i Latini - anche a divinità desunte dalla religione dei Greci 28. Ma, nel nostro caso, acquista particolare importanza il ricordo che nel ban chetto sacro le divinità venivano, almeno nel Lazio, abitualmente accoppiate 29. Ciò confermerebbe, appunto, l'accoppiamento di Cerere con Vesperna. Si osservi altresì che i Dioscuri, menzionati dalla lamina più antica, sono anch'essi una coppia. Poiché, come ho detto, i blocchi di tufo con lamine metalliche sono con estrema probabilità mensae, sarebbe attraente immag inare una serie di mensae stabilmente collocate, per iniziativa dei responsab ili del santuario, davanti alle immagini di divinità accoppiate, e pensare che su quelle mensae venissero deposti i cibi spettanti, secondo le regole tra dizionali, a ciascuno dei numi.
27 Sallustius, Hist, fragm., II 87 D (parlando Isaura: ...et in eo credebatur epulari diebus certis dea, 28 Cf. G. De Sanctis, Storia dei Romani, IV, 2, 1, 29 Livius, V, 13, 5 seq. Cfr. A. Bouché-Leclercq, s.v. Lectisternium, p. 1008 seq.
del santuario della Magna Mater ad ecc). Firenze, 1953, p. 316. in Diet, des ant. grecques et romaines,
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Riguardo poi ai Dioscuri, è opportuno ricordare ch'essi erano dai Greci presi in speciale considerazione per i Theoxenia. Già Pindaro tramanda, nella terza Olimpica, che i banchetti ad essi offerti erano eccezionalmente frequenti30, e da un passo di Ateneo contenente la testimonianza del poeta comico Chionides risulta che nel Pritaneo di Atene s'imbandivano ai Dioscuri mense cariche di formaggio, olive e porri31. Anche un'epigrafe di Paro (databile al II secolo av. Cr.) menziona Theoxenia in onore dei Dioscuri, accompagnati da conviti pubblici32. Voglio inoltre rilevare che i Theoxenia erano oggetto di rappresenta zioni figurate. Tipico, a questo proposito, è il noto pinax marmoreo a rilievo offerto circa la metà del IV secolo av. Cr. dal devoto Lysimachides nel santuario di Eleusi, un pinax con due coppie di divinità davanti a mense imbandite: a destra Θεός sdraiato e Θεά seduta, a sinistra le due Dèe del santuario, Demetra e Cora, ambedue sedute33. A proposito di rappresen tazioni figurate, non voglio poi dimenticare che proprio nel santuario di Lavinio, fra le molte statuette fittili votive rinvenute in mezzo a materiale di scarico nella zona dei tredici altari, non mancano figurine di divinità sedute a coppia. Per quanto la corrosione dei pezzi permette di giudicare, uno almeno sembrerebbe composto di due divinità femminili34. Ho voluto ricordare questo gruppetto fittile, pur non osando - ben s'intende - dare un nome alle due figure35. Un'ultima osservazione è opportuno fare riguardo ai Theoxenia, un'osservazione che implica altresì l'offerta dei porri e perciò anche, sia pure indirettamente, il tanto maltrattato poro dell'epigrafe di Lavinio. Ho già parlato dei porri sulle mense imbandite ai Dioscuri ateniesi36. Ricordo ora un passo di Ateneo, risalente al periegeta del II secolo av. Cr. Polemon di Ilio, in cui si afferma che a Delfi, in occasione delle feste Theoxenia, si gareggiava nell'offrire a Latona il porro più bello. Chi ci riusciva aveva
30 Pindarus, 01, 3, 71 seq. 31 Athenaeus, 4, 137 E. 32 IG, XII, 5, 129, 11. 56-61. 33 J. N. Svoronos, Das Athener Nationalmuseum, I, Athen, 1908, tav. 88, η. 1519 (cf. pp. 554-561); Rh. N. Thönges-Stringaris, in Ath. Miti, 80, 1965, p. 91, n. 156, Beil. 14, 2 (dove si cita altra bibliografia). 34 M. Mazzolani, in Lavinium, II, cit., p. 309 seq., fig. 380. 35 Per un altro tipo di statuina fittile rappresentante due dèe sedute in trono, cfr. F. Winter, Die Typen der figürlichen Terrakotten, I, Berlin-Stuttgart, 1903, p. 134, fig. 7. 36 V. sopra.
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il diritto di prendersi una porzione dalla mensa37. Prescindendo dalla spi egazione etiologica che Polemon da di questa usanza (Latona, incinta di Apollo, avrebbe sentito la « voglia » dei porri), sembra necessario ammettere che, secondo un'antica tradizione, anche a Delfi il porro aveva un suo posto d'onore sulle mense dei sacri conviti38. A Lavinio, il porro costituiva, diciamo così, il menu di Vesperna. Ma chi era, precisamente, costei? Già nel 1959, scrivendo il mio secondo articolo, mi opposi alla ipotesi del Weinstock, respinta del resto - ad eccezione della Thomasson - da tutti gli altri studiosi, che Vesperna potesse intendersi quale personificazione del pasto serale {vesperna) e che i due nomi, proprio e comune, derivassero dal tema del verbo vescor attraverso una forma %vesqu-erna. Proposi invece di ravvisare in Vesperna una formazione aggettivale da vesper (attraverso *vesperinus, parallelo allo εσπερινός dei Greci) e d'interpretare Vesperna come dea dell'Occidente e perciò come regina dei morti: in sostanza, come una Cora - Proserpina, che sarebbe stata assai bene accanto a Cerere, la Demetra dei Greci. A sostegno di questa tesi addussi varie attestazioni del l'uso greco di considerare l'Occidente, cioè la regione dove il sole tramonta, come regno del dio infero e citai, fra l'altro, l'espressione sofoclea έσπερος οεός per indicare Ade 39. La presenza di una dea « occidentale » accanto a Cerere (Demetra) nel santuario di Lavinio, notevolmente imbevuto di elementi greci, mi sembrava plausibile. Agli elementi da me allora addotti si potrebbe anche aggiungere la tradizione attestata, sia pure per la prima ed unica volta, da Callimaco nel III secolo av. Cr., secondo la quale Demetra, assistita da Hesperos, si sarebbe recata essa stessa nell'Occidente (έπί δυυμάς) per cercare la figlia rapita40. Anche oggi l'idea di una Vesperna - Cora accanto a Cerere mi sembra accettabile. Oggi però vado pensando se la vera e prima origine della Vesperna di Lavinio non sia forse un'altra; pur ammettendo che la Vesperna originaria abbia assunto, in secondo momento, anche quel carattere di regina infera che la rendeva particolarmente idonea all'associazione con Cerere.
37 Athenaeus, 9, 372 A. 38 In un passo del poeta comico Xenarchos, Athenaeus, 2, 63 F, tramanda che il βολβός, praticamente affine al porro, aveva la sua parte nel culto di Demetra. Cfr. J. Murr, Die Pflanzenwelt in der griechischen Mythologie, Innsbruck 1890, p. 178 seq. 39 Sophocles, Oedipus rex, 178, e scolio relativo: έσπερου tìeoC του Άιδου φησί. 40 Callimachus, Hymn., 6, νν. 8-11.
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La nuova idea, imperniata essa pure sul concetto di ' Occidente ', mi si è affacciata per la prima volta mentre leggevo la bella prolusione con cui nel 1969 Jacques Heurgon dette inizio - a Taranto - all'ottavo Convegno di Studi sulla Magna Grecia. Parlando intorno alle relazioni fra la Magna Grecia e i santuari del Lazio, lo Heurgon propone la ragionevole ipotesi che Stesicoro, antico poeta dell'ambiente locrese, abbia scelto quale argomento principale della sua Ιλίου πέρσις la venuta di Enea in Occidente col fatidico scopo di fondare una nuova Troia sulle rive del Lazio41. A tale proposito, egli cita la famosa Tabula Iliaca Capitolina, dove si ricorda, fra le altre fonti, la 'Ιλίου πέρσις / κατά Στησίχορον. Proprio a questo poema si riferirebbero, secondo lo studioso francese, le tre scene in cui figura Enea: l'eroe riceve dal sacerdote gli ιερά che l'accompagneranno nell'avventuroso viaggio; l'eroe esce dalla città guidato da Ermete avendo il vecchio Anchise sulle spalle e il piccolo Ascanio per mano (la scena riprodotta, com'è noto, dalle celebri statuette di Veio della fine del VI secolo ο dell'inizio del V secolo av. Cr.); l'eroe s'imbarca sulla nave che lo porterà in Occidente. Ed ecco la didascalia: Αίνήας συν / τοις ιδίοις / άπαί[ρ]ων / εις την Έσπε/ρίαν (= «Enea coi suoi nell'atto di salpare verso l'Occidente ») 42. Ho tradotto « Occidente », ma sarebbe anche lecito tradurre « Italia ». I Greci infatti, e specialmente i poeti, solevano applicare all'Italia il nome più vasto di Εσπερία. Questo nome poi venne costantemente pronunciato dai Greci e successivamente dai Latini (Hesperia) quando si trattava di Enea e della mèta cui, per volere del fato, egli tendeva. Così Agathyllos, poeta elegiaco vissuto nell'Arcadia dell'età ellenistica, parlando delle peregrinazioni di Enea, racconta che, dopo un soggiorno in Arcadia, l'eroe giunse alla terra Esperia e vi generò il figlio Romolo (αυτός δ' Έσπερίην εσυτο χϋόνα, γείνατο δ'υΐα / 'Ρωμύλον) 43. Non c'è poi bisogno di ricordare i notissimi versi di Virgilio nei quali si racconta di Enea venuto alla terra Hesperia 44. In questo contesto s'inserisce bene anche la tradizione riportata da Varrone, secondo cui la stella Veneris, cioè Vesper, avrebbe guidato Enea dalle mura di Troia alla riva di Laurento45. Tale tradizione fu ricordata
41 J. Heurgon, in Atti dell'ottavo Convegno di studi sulla Magna Grecia, Napoli, 1969, p. 22-27. 42 A. Sadurska, Les tables Iliaques, Warszawa, 1964, p. 30 f, tav. 1. Per le tabulae Iliacae, cf. le mie recentissime pagine (M. Guarducci, Epigrafia greca, III, Roma, 1975, pp. 425-433). 43 Agathyllus, presso Dionysius Halic, 1, 49, 2. Cf. Id., l, 35, 3, donde risulta che il nome Εσπερία veniva applicato all'Italia non soltanto dai poeti. 44 Vergilius, Aen., 1, 569; 2, 781, ecc. 45 Servius, ad Aen., 1, 382.
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da me nel mio secondo articolo 46. Allora però la considerai come una elabo razione erudita di età non troppo antica. Se infatti nel mondo greco si co nosce già nel III secolo av. Cr. l'associazione tra Afrodite e Hesperos, l'astro della sera, nel mondo latino l'analoga associazione fra Venere e Vesper compare per la prima volta appunto nel I secolo av. Cr., nel suddetto passo di Varrone e in alcuni di Cicerone. Oggi invece, prescindendo dal ricordo della stella Venerìs, sono costretta a riconoscere che nella tradizione riportata da Varrone si ribadisce ancora una volta la relazione molto più anticamente stabilita fra Enea e l'Occidente. Lo stretto legame con cui da molti secoli i Greci univano Enea a l 'Oc idente, e precisamente all'Italia, non può non avere avuto la sua im portanza nel santuario di Lavinio. La figura dell'eroe troiano, il ricordo delle sue gesta e dei miracoli che accompagnarono il suo approdo alle coste del Lazio, diffusi in Etruria già nel VI secolo e nel mondo romano almeno nel V, ebbero eccezionale importanza nel santuario lavinate, sede della lega dei Latini e luogo dove ufficialmente e solennemente si veneravano i sacra principia populi Romani Quiritium47. A Lavinio esisteva anche un heroon di Enea, che nel I secolo av. Cr. Dionigi d'Alicarnasso descrisse, attestando parimente l'avvenuta identificazione dell'eroe con un dio locale, Pater Indiges, legato al fiume Numicio48. Gli scavi eseguiti a Lavinio dal Castagnoli e dalla sua scuola hanno poi confermato brillantemente le notizie della tradizione letteraria. Mentre la forma degli altari e l'abbondante mat eriale fittile e metallico denotano stretti contatti col mondo greco, si è potuto anche identificare Vheroon di Enea cui allude Dionigi d'Alicarnasso; un piccolo edificio risalente alla seconda metà del IV secolo av. Cr., ma racchiudente in sé un'antica e veneranda tomba del VII49. Paolo Sommella, cui si deve la suggestiva identificazione, è riuscito altresì a stabilire che quella tomba fu incorporata nel grande santuario circa la metà del VI secolo 50. Prescindendo dall'appassionante problema circa la vera identità del personaggio deposto nella tomba, non si può escludere che già nel VI secolo gli si
46 M. Guarducci, in Archeologia Classica, 11, 1959, p. 210. 47 Asconius, nel suo commento a Cicero, pro Scauro, 1, 1; Valerius Maximus, l, 6, 7; Servius, ad Aen., 2, 296; 3, 12; 8, 664, ecc. Cf. M. Guarducci, in Rom. Mitt, 78, 1971, pp. 82 e nota 42, 85. 48 Dionysius Halic, 1, 64, 4-5. 49 P. Sommella, in Rend. Pont. Acc, 44, 1971-1972, pp. 47-74; Id., in Gymnasium, 81, 1974, pp. 287-292. 50 Id., in Gymnasium, cit., p. 288.
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attribuisse quel nome di Enea che probabilmente gli si dava nel IV, quando fu costruito il piccolo edificio i cui resti sono stati rimessi in luce dagli scavi. Alla fine del secolo poi il prestigio di Enea e della sua tradizione dovevano essere, nel santuario di Lavinio, in pieno fiore. Stando così le cose, la presenza in quel santuario, nella prima metà del III secolo, di una personificazione dell'Occidente, cioè della terra italica ricca di splendide promesse verso la quale i fati avevano sospinto Enea, non desterebbe meraviglia. Direi anzi che proprio in quel sacro ambiente, e forse soltanto in esso, una siffatta personificazione potrebbe essere giustificata. I Romani dell'età repubblicana sembra non abbiano conosciuto - tranne la dea Roma - personificazioni di città e di regioni. I Greci però, dall'età di Esiodo in poi e specialmente nel periodo ellenistico, ne conobbero molte e alcune di esse fecero oggetto di culto51. Non sarebbe dunque strano che quest'uso greco fosse stato trasmesso, fra tanti altri elementi di cultura e di religione, all'ambiente fortemente grecizzato di Lavinio. In altri termini, non ci si potrebbe stupire che, sulla scia di Enea e forse per impulso della tradizione dotta, una Εσπερία fosse penetrata nel santuario lavinate, assumendo qui il nome latino di Vesperna. Si noti, a questo proposito, che Vesperna è l'esatto equivalente di 'Εσπερία. Come infatti 'Εσπερία è forma aggettivale di Έσπερος, così Vesperna lo è di Vesper, che a sua volta può assumere anch'esso il significato di « regione occidentale » 52. Si osservi infine che una personificazione della forma aggettivale εσπερία è attestata nel mondo greco, sia pure in altro contesto, dalla figura della eroina troiana (anche qui, Troia!) 'Εσπερία, amata da Aisakos figlio di Priamo53. Ammessa l'esistenza - nel santuario di Lavinio - di una Vesperna come personificazione della Hesperia tellus che tanta importanza assume nella leggenda di Enea, non sarebbe difficile spiegarsi come codesta Vesperna fosse stata attribuita quale compagna di mensa a Cerere. Da una parte infatti anche Cerere era legata alla terra, dall'altra una dea dell'Occidente poteva essere concepita altresì quale regina del mondo infero, assumendo perciò l'aspetto di quella dea che i Greci consideravano Cora figlia di Demetra e i
51 Per l'età pre-ellenistica, cf. F. W. Hamdorf, Griechische Kultpersonifikationen der vorhellenistischen Zeit, Mainz, 1964, pp. 25-30. 52 Vergilius, Aen., 5, 19; Ovidius, Tristia, 1, 2, 28. 53 Ovidius, Met, 11, 769; Apollodorus, 3, 147, 149 (per Aisakos). Cf. Ο. Gruppe, Griechische Mythologie und Religionsgeschichte, II, München, 1906, p. 1243, nota 1.
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Latini Proserpina (o Libera) figlia per l'appunto di Cerere. Voglio inoltre osservare che, se la divinità somma del santuario di Lavinio fu, come ad alcuni studiosi ed anche a me sembra assai probabile, l'antichissima Venere Frutis54, i culti di Cerere e di Vesperna si accorderebbero bene alla fisi onomia di una dea protettrice dei campi, che da un certo momento in poi potè anche venir considerata la Venere madre di Enea.
Solinus, 2, 14.
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. ' ·: ■ Fig. 1 - Lavinio, La lamina bronzea di Cerere.
AUGUSTE HAURY
UNE « ANNÉE DE LA FEMME » À ROME, 195 AVANTJ.C.?
Aucune joute oratoire n'est plus célèbre dans l'œuvre de Tite-Live que celle où s'affrontèrent cette année-là Caton l'Ancien, consul, âgé de moins de quarante ans 1, et deux tribuns de la plèbe, L. Valerius et M. Fundanius, l'un pour maintenir la loi Oppia, les autres pour en obtenir l'abrogation. Comme l'historien ne la mentionne qu'à cette date tardive2, laissons-lui la parole: « Tulerat earn C. Oppius tribunus plebis Q. Fabio, Ti. Sempronio consulibus, in medio ardore Punici belli, ne qua mulier plus semunciam auri haberet neu uestimento uersicolori uteretur neu iuncto uehiculo in urbe oppidoue aut propius inde mille passus nisi sacrorum publicorum causa ueheretur » 3. Passons sur les manifestations tumultueuses des matrones, les prouesses oratoires du consul et de L. Valerius, son antagoniste. Tout cela, Tite-Live l'évoque ou le reconstitue de façon si pittoresque, disons même si actuelle, que le charme de sa relation en oblitère la substance historique. De ce point de vue en effet tout est loin d'être clair, et d'abord la date. Tite-Live paraît catégorique: « Q. Fabio, Ti. Sempronio consulibus » nous reporte à l'année 215, car L. Postumius Albinus, élu pour la troisième fois fin 216 (?), s'étant laissé surprendre avec toute son armée par les Boïens
1 234-149. Son collègue, L. Valerius Flaccus, le sera aussi à la censure en 184. Il ne parti cipe pas, semble-t-il, au vif du débat. Aux tribuns hostiles à la loi s'opposent deux de leurs pairs, M. et P. Junius Brutus. 2 Liv. XXXIV, 1-8, 3. 3 Ibid. 1, 3. Tacite, auquel on renvoie d'ordinaire, évoque à deux reprises (A. III, 33, 4 et 34, 6) en un débat contradictoire les « Oppiae leges » dans un contexte beaucoup plus général - les épouses des gouverneurs les accompagneront-elles? - où l'avarice et l'ambition tiennent une place notable, au demeurant élogieux pour nombre d'épouses. A retenir en particulier (34,7): «Nam uiri in eo culpam si f emina modum excédât» - définition même de la luxuria. L'auctor de la proposition repoussée est A. Caecina Seuerus, le valeureux « second » de Germanicus, au ménage uni, six fois père - et de souche étrusque.
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en Cisalpine avant son entrée en charge4, son suppléant C. Marcellus avait été invalidé à la suite d'un coup de tonnerre le jour même de son entrée immédiate en charge et finalement remplacé par Q. Fabius le « Temporiseur » 5, péripéties qui ne vont pas sans délais. En outre l'historien conclut son récit par: « (Lex) uiginti annis post abrogata est quam lata ». Toutefois l'antagoniste de Caton est moins précis et s'il répète « uiginti ante annis lata(m) » (XXXIV, 6, 9) 6, il mentionne la « possession » par Hannibal de Tarente (XXXIV, 6, 11) que l'historien situe en 212, encore que sa fidélité chancelât depuis longtemps (XXV, 7 et suiv.). D'ailleurs nous relevons dans les deux discours assez d'anachronismes - Caton parle de la guerre contre Antiochus, de trois ans postérieure (192-190) comme d'un fait actuel - pour ne pas condamner sans examen une datation plus récente, 213, que retien nent chez nous deux Maîtres éminents, MM. Heurgon et de Saint-Denis. La « Vie quotidienne chez les Etrusques » (Hachette 1961) indique cette date p. 163: « En 213, aux plus sombres jours de la seconde guerre punique, une lex Oppia était revenue là-dessus, interdisant aux femmes l'usage des voitures attelées à Rome et dans les autres villes, et dans un rayon de mille pas alentour, sauf pour des motifs religieux. La paix revenue, en 195, Caton s'était déchaîné etc. ». Les « Essais sur le rire et le sourire des Latins » (Belles Lettres 1965), dans un remarquable chapitre III consacré à « Caton l'Ancien et ses boutades», proposent eux aussi cette date (p. 76). Si aucun de ces Maîtres ne la justifie, les Fastes consulaires permettent de le tenter, qui mentionnent en 213 Q. Fabius Q. F. Q. N. Maximus, fils du consul de 215, et Ti. Sempronius Gracchus, déjà consul en 215. L'arrondissement du nombre 18 en 20 n'a rien d'impossible, surtout dans le feu de l'action oratoire, comme le prouve Cicéron, Catil. I, 47, et l'on peut généraliser l'observation d'Asconius (In Pisonianam, début): «Hoc... oratorio more, non historico, uidetur posuisse ». Ce sont donc d'autres critères qui permettront de choisir entre ces deux dates. D'abord que contient exactement cette loi, d'après ce que nous en connaissons? Elle interdit aux femmes de posséder plus d'une demi-once
4 Liv. XXIII, 24 et 25. Polybe (III, 118): «... μετ' ολίγας ημέρας». Que vaut cette préci sion chronologique? Le Grec ne mentionne pas plus les répercussions électorales du nouveau désastre qu'il n'énumère les résolutions énergiques prises par le Sénat. 5 Ibid. 31, 12-14. 6 Valére Maxime, IX, 1, 3: «lus per continuos uiginti annos seruatum». 7 «At uero nos uicesimum iam diem patimur hebescere aciem horum auctoritatis». Asconius précise dix-huitième.
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d'or, soit environ 13 gr. 5 - approximativement notre pièce de 40 F.8 -, de porter des vêtements multicolores (sic), de circuler en véhicule attelé dans la capitale, dans une ville municipale ou à moins de mille pas alentour sauf pour cérémonie religieuse officielle. Par or, entendons des bijoux; par multi colores 9, notamment des vêtements rehaussés de pourpre, « ut auro et pur pura fulgeamus », fait dire Caton à ses matrones (XXXIV, 3, 9); par iunctum uehiculum, probablement le carpentum, où Tanaquil était entrée à Rome aux côtés de son époux10. Peut-être cette dernière interdiction est-elle la plus obscure, comme l'est l'autorisation d'user du carpentum, voire les jours fériés du pilentum accordée par Camille en 391 aux matrones dont le sacrifice des bijoux permit à l'Etat de s'acquitter envers Apollon delphique de la dîme promise au cours du siège de Véies n. Pourtant, à y regarder de plus près, les deux autres interdictions n'échappent pas à l'équivoque. Elles réduisent les achats de parures coûteuses, mais à quelle fin? Est-ce le luxe féminin, « il lusso delle donne » 12, que visait le tribun, ou la dépense? Les matrones ou leurs fournisseurs? Un peu de philologie devrait nous éclairer. Si nous considérons, bien que le mot ne soit prononcé ni par Tite-Live ni par Valère-Maxime, cette loi comme « somptuaire », que signifie sumptus? Comment ce mot s'emploie-t-il notamment à cette date, où nous disposons du riche vocabulaire de Plaute 13, orfèvre en la matière? Un coup d'œil sur le Lexique de Lodge montre qu'il en use au sens de « dépense »: « restim sumpti facere » (Cas. 425) = « faire la dépense d'une corde » etc. Il l'emploie
8 Erreur de Rotondi, Leges publicae populi Romani, rééd. Olms 1962: «... vieto di por tare... ornamenti d'oro d'oltre mezza libra di peso». 9 Valere Maxime, IX, 1, 3: «... nec ueste uarii coloris uti». 10 Liv. I, 34, 8 et Heurgon, op. laud. p. 162-163. 11 Liv. V, 25, 8-9; cf. Heurgon, op. laud. p. 163. J. Bayet paraît renoncer à expliquer ce point; mais signale que Romulus leur aurait, d'après Ovide (Fastes, I, 617 et suiv.), déjà accordé cet honneur par gratitude envers les Sabines. De Caton censeur Tite-Live écrit (XXXIX, 44, 2): « Ornamenta et uestem muliebrem et uehicula quae pluris quam quindecim milium aeris essent, deciens tanto pluris quam quanti essent iuratores (répartiteurs assermentés) iussi». Cf. Plutarque, CM. 18, 2. Textes cités par Madame Malcovati, Oratorum Romanorum fragmenta, I, 39 (De uestitu et uehiculis). Outre le prix, considérable, souvenons-nous que plus de dix ans séparent consulat et censure, pendant lesquels la victoire sur Antiochus (192-190) a précipité l'invasion du luxe. Mais ici encore Caton songe au Trésor, comme le dit expressément Plutarque. 12 Rotondi, op. laud. 13 La chronologie très incertaine de ses pièces ne permet guère d'en tirer ici parti. D'après Lejay (Plaute, p. 3) l'Aululaire serait antérieure, YEpidicus postérieur à l'abrogation de la loi Oppia, que paraît déplorer (225 et suiv.) l'esclave Epidique, meneur du jeu.
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même dans le contexte le plus élogieux par la bouche de Philocalès (Mostellaria 120 et suiv.), qui compare les parents à des bâtisseurs: «primumdum parentes fabri liberum sunt». Car pour les bien élever (125-127) «nec sumptus sibi sumptui ducunt esse. Expoliunt: docent litteras, iura, leges suo sumptu et labore». Plaute ignore sumptuarius et n'use qu'une fois de sumptuosus, au sens de « dépensier » (Mere. 693), sens que connaît Cicéron (De orat. II, 135) à côté de « coûteux » (Q. jr. Ill, 8, 6), mais dans AU. XIII, 47, 1 rationes sumptuariae ne signifie que « comptes de dépenses » et c'est « De sumptu suo », sur sa dépense, et non son luxe, comme le prouve la conclusion, que s'expl ique Caton dans un discours cinglant14. Par ailleurs Plaute encore n'use pas de luxus, peut-être de luxuriari (Pseudolus 1107), deux fois seulement de luxuria, mais au sens de «débau che », si nous en croyons notre Maître Ernout, dans le Prologue du Trinummus (8), que prononce la Luxuria personnifiée, et dans VAsinaria, où nous lisons: «Luxuriae sumptus suppeditare ut possies» (819). Quand le Caton livien use de ce mot au sens de « luxe » (XXXIV, 3, 9; 4, 1 et 7), c'est le moment de nous méfier. Quel est alors la portée historique de cet éloge: «Nulla erat luxuria quae coerceretur » (ibid. 4, 8), dont il honore la génération de son arrière grand'mère 15 pour stigmatiser ses con temporaines 16? Au demeurant quels sumptus réglementent les lois dites ou non somptuaires 17? Les XII Tables réduisent les dépenses funéraires, tant des obsè ques que du tombeau, disposition solonienne déjà, note Cicéron (Leg. II, 59). La lex Metilia de fullonibus, 217, concerne les dépenses vestimentaires (Pline XXXV, 17, 197), la lex Publicia de cereis (209?) les frais de luminaire,
14 Notre 15 16 Malcovati, Cinéas, Caton le séducteur, op.(De laud. agricultura, LXIV, échouefragment également 143) ordonne traduit auprès que pardesJ.la matrones, Bayet, uilica Littérature « neibid. luxuriosa 4,6latine. et siet suiv.» - dépens ière, traduit J. Bayet, ajoutons, de son temps comme de son argent. 17 Cette glane puise surtout dans Rotondi (op. laud.), dont elle ne discute pas les dates, ainsi que dans l'Index legum des Œuvres complètes de Cicéron d'Orelli-Baiter. Les références et commentaires de ces derniers sont instructifs: ainsi Caton aurait-il d'abord repoussé, puis défendu la loi Orchia.
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la lex Orchia de cenis (181) le nombre des convives, la lex Fannia cibaria (161) les aliments, la boisson et la vaisselle, la lex Aemilia (115) le genre de mets. Je passerais sous silence la lex Licinia de 103 (?), car elle reprend pour l'essentiel la lex Fannia, si elle n'eût été abolie par la lex Duronia dès 98. Derechef la lex Cornelia (81) réduit la dépense et taxe certaines denrées; la lex Antia (71), outre la dépense, toujours elle, règle les invitations à magistrats; après Pompée (55) César aussi s'en mêle (46). De ce régime végétarien est victime Cicéron, qu'intoxiquent des champignons (Fam. VII, 26, à Fadius Gallus), mais le si galant dictateur n'épargne pas les dames: « Lecticarum usum, item conchyliatae uestis et margaritarum nisi certis personis et aetatibus perque certos dies ademit », ajoute Suétone (Caes. 43), et Saint Jérôme (Chron. ol. 1, 3, 4): « Prohibitae lecticis margaritisque uti quae nec uiros nec liberos haberent et minores essent annis XLV ». D'où ce commentaire de Jérôme Carcopino (César, 4e éd. P.U.F. 1950, p. 997, n. 187): « Sous le législateur perce le pince-sans-rire, qui plaçait les femmes dans la nécessité de choisir entre l'aveu de leur âge et leurs colliers de perles ». Ce trait d'esprit ne doit pas nous détourner de consulter sa source principale. Or Suétone commence par ces mots: « Peregrinarum mercium portoria instituit », qui eux aussi ont des précédents. Ainsi la lex Fannia (161) édicte-t-elle que les notables se régalant entre eux aux fêtes de Cybèle suivant un rite antique sont tenus de jurer entre autres choses « neque uino alienigena, sed patrio usuros » (Gell. II, 24, 2) 18. Ainsi ne serait pas visée toute dépense excessive, mais celle qui eût entraîné ce que nous appelons une «sortie de devises». Mesure économique et financière plus que morale, surtout à haute époque. N'était-ce pas déjà le but de la lex Oppia? Nous y voyons en effet condamner le port de vêtements multicolores, de bijoux d'or excédant une demi-once. Or d'où viennent surtout ces objets? M. Heurgon nous le suggère. Comparant la gaucherie de la statuaire étrusque à la perfection des bijoux il écrit (op. laud. p. 228): «Nous n'écarterons donc pas tout à fait une hypothèse. C'est l'attrait du cuivre et du fer étrusques, on l'a vu, qui a déterminé la colonisation grecque en Italie et la fondation chalcidienne de Cumes au VIIIe siècle. « Mais qu'apportaient donc en échange les Grecs? » se demande-t-on. La réponse ne serait-elle pas: de l'or, des bijoux d'or ». Au IIIe siècle ne serait-ce pas le cas pour Rome - et ne
18 Aulu-Gelle (II, 24, De uetere parsimonia deque antiquis legibus sumptuariis) cite et commente librement les lois Fannia, Licinia, Antia, Iulia, qui «ad populum peruenit Caesare Augusto imperante » d'après les Conjectures d'Atéius Capiton.
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disons rien des tissus de luxe 19 - surtout depuis son expansion maritime de l'entre-deux-guerres? Cette hypothèse posée, quelles considérations permettent d'opter entre 215 et 213? La seconde date paraît a priori moins sûre puisqu'elle se heurte aux « vingt ans » du texte livien, mais son contexte historique plaide aussi contre elle. M. Heurgon, qui tient pour 213, parle (op. laud. p. 163) des « plus sombres jours de la seconde guerre punique ». Certes cette année voit les Carthaginois reprendre pied en Sicile grâce au renversement de l'alliance syracusaine et l'on redoute que leur allié Philippe V après son échec illyrien devant Apollonie en 214 (Liv. XXIV, 40) n'opère par mer la jonction de son armée avec celle d'Hannibal. Rome néanmoins tient tête et même remporte des succès en Espagne, ce fief des Barcides 20. Au contraire 215 voit se développer les conséquences des désastres apulien et cisalpin: au printemps l'alliance de Philippe et d'Hannibal, puis la mort du fidèle Hiéron21, qu'avait dès 216 menacé une conspiration familiale. Virtuellement la défection est consommée qui permettra aux Carthaginois d'ouvrir un nouveau front en Sicile comme ils le vont tenter en Sardaigne22, réparation aux mânes d'Hamilcar 23. Aussi bien l'année 215 occupe-t-elle chez Tite-Live 27 chapitres24, l'année 213 moins de 925. Cette même année 215 nous montre Rome aux prises de surcroît avec une crise économique et financière. Dans la seconde moitié de 216 le tribun Minucius a fait voter la création de « tresuiri mensarii » 26, auxquels TiteLive se réfère explicitement à tout le moins deux autres fois27, la première en 214 « ob inopiam aerarli », la seconde en 210, « cum pecunia in aerario non esset » 28. A l'en croire, ces commissaires encaissent en 214 les contri-
19 Relire la tirade d'Epidique mentionnée n. 13. 20 Liv. ibid. 48, 1: «Cum in Hispania res prosperae essent». 21 Liv. XXIV, 4-7. 22 Ibid. XXIII, 34, 10-16. 23 «Angebant ingentis spiritus uirum Sicilia Sardiniaque amissae» (ibid. XXI, 1, 5). 24 19 1. XXIII, plus de 8 1. XXIV. 25 XXIV, 43-49. 26 Ibid. XXIII, 21, 6: «Et Romae quoque propter penuriam argenti, tresuiri mensarii rogatione M. Minuci, tribuni plebis, facti, L. Aemilius Papus, qui consul censorque fuerat, et M. Atilius Regulus, qui bis consul fuerat, et L. Scribonius Libo, qui turn tribunus plebis erat». Précédent, les quinqueuiri mensarii de 351 (Liv. VII, 22, 5 et suiv.). Personnages eminente eux aussi, ils avaient réglé à la satisfaction générale une affaire de dettes grâce à une sorte d'avance du Trésor. La « province » des triumvirs paraît plus vaste. 27 XXIV, 18, 12 et XXVI, 36, 8, textes capitaux. 28 Ibid. 35, 9.
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butions volontaires des mineurs et des veuves (XXIV, 18, 13), en 210 celles des magistrats et sénateurs, puis, à leur exemple, des chevaliers et de la plèbe. Ce n'est là qu'un indice parmi d'autres. Aussi bien la vie économique ne reprit-elle véritablement qu'après la victoire du Métaure29. Or si l'année 216 a été désastreuse, l'année 217 l'avait été à peine moins et, comme « guerre faite sans bonne provision d'argent n'a qu'un soupirail de vigueur », que « les nerfs des batailles sont les pécunes » 30, la tradition y place une nouvelle dévaluation 31. Elle aurait réduit l'as du dixième au seizième du denier, le sesterce passant malgré son nom de deux as et demi à quatre. Il en serait résulté un allégement des dettes, notamment de celles du Trésor, comptabilisées en as. A dire vrai nous ne connaissons exactement ni l'intitulé de la loi, ni sa date. D'ordinaire on restitue dans la note de Festus sur « graue aes » (p. 87 L) [lege Fla] minia minus soluendi, intitulé qui placerait le vote de la loi avant le départ du consul pour Tras imène et son application sous la dictature de Fabius. C'est la solution pru dente adoptée par M. Vallet dans son édition du livre XXII (P.U.F. 1966), note à 10, 7, conciliant ainsi une restitution probable avec l'indication de Pline l'Ancien: « Q. Fabio Maximo dictatore » 32. Tite-Live dit bien qu'après son élection Flaminius ne demeura qu'un jour à Rome, mais il a pu se tromper (note de M. Vallet à XXII, 1, 5). Mais si la dévaluation peut soulager le Trésor en tant que débiteur envers ses nationaux, elle ne le soulage pas en tant qu'acheteur à l'étranger: le jeu des changes accroît en général le coût des importations. D'où la nécessité de les restreindre au strict nécessaire et de contrôler ce que nous appelons les sorties de devises. Sans doute le denier serait-il demeuré stable, la dévaluation de l'as n'affectant que le marché intérieur. Il n'en demeure pas moins certain que si la loi Oppia fut votée sous le troisième consulat du prodictateur de 217, elle s'insère, sinon dans un plan, du moins dans une série de mesures cohérentes imposées par les malheurs sans précédent de 216 à des magistrats dont l'un au moins n'avait pas la mémoire courte.
29 Liv. XXVII, 51, 10, cf. H. Zehnacker cité plus loin. 30 Paroles du moine Jean des Entomeures refusant à Grandgousier un don de soixante-deux mille saluts tant que durerait la guerre picrocholine (Rabelais, Gargantua, XLVI). 31 La précédente dévaluation du denier tombant du 1/72 au 1/84 de la livre, pratique ment l'équivalent de la drachme attique (3 gr. 90 d'argent) daterait de la première guerre punique d'après la chronologie traditionnelle. Que dut coûter en effet la construction de 100 quinquérèmes et 20 trirèmes rien que pour l'année 260, celle de la victoire de Duilius? 32 XXXIII, 44-45: « Postea Hannibale urguente Q. Fabio Maximo dictatore asses unciales facti placuitque denarium XVI assibus permutari... Ita res publica dimidium lucrata est».
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Cet enseignement traditionnel, que mes camarades historiens et moi reçûmes, je crois bien, à l'École Normale Supérieure de Jérôme Carcopino sur la foi de Mommsen, Marquardt 33 et Ernest Babelon34, a été depuis contesté grâce au progrès de la numismatique. Ainsi dans sa thèse magistrale sur Moneta notre collègue strasbourgeois H. Zehnacker, ancien «Romain» lui-même, écrit-il (p. 446): «Vers le dernier tiers du deuxième siècle le denier, qui valait jusque-là par définition dix as, fut réévalué à seize as sans subir pour autant le moindre changement de poids, de type ni même de nom. Pline l'Ancien croit cette opération contemporaine de la réforme onciale et les date toutes deux au temps de la deuxième guerre punique ». Cette refonte de l'histoire monétaire n'infirme pas la démonstration ici tentée. En effet, nous confirme l'auteur, « les victoires d'Hannibal à Trasimène en 217 et à Cannes en 216, la révolte de Syracuse en 215 et encore la chute de Tarente en 213 mettent Rome au bord du désastre tant militaire qu'économique . . . Après la détresse des années 217-213 la situation ne s'améliorera qu'en 207, après la bataille du Métaure ... En 210 encore l'Etat avait lancé un grand emprunt, qui avait absorbé l'épargne des parti culiers et que l'on ne commença à rembourser qu'en 204 » 35. Ne lit-on pas dans le même ouvrage (p. 3-4) qu'«en 63 le Sénat romain essaya de s'opposer à l'exportation hors d'Italie de l'or et de l'argent (et qu')en 58 une lex Gabinia de uersura interdit les prêts aux villes de province » 36? A fortiori en 215 fallait-il protéger le Trésor contre toute « hémorragie » de métal précieux. Voici donc, à mon sens, et je voudrais que ce fût le bon, la véritable portée d'une loi dont Tite-Live attendra vingt ans pour nous parler. Oserai-je insinuer - et ceci découle de cela - que « l'affaire » de 195 a été grossie à
33 Mommsen et Marquardt, Manuel des antiquités romaines, trad. G. Humbert, Paris Thorin 1888, p. 16 et surtout 17 et notes jointes (Pline, Festus etc.). 34 Traité des monnaies grecques et romaines, Paris Leroux 1901. 35 Op. laud. p. 327-328. 36 II faudrait, mais ceci sort du cadre de cet article et requiert une compétence de spécial iste,situer le problème des métaux précieux dans son cadre économique, qui dépasse les fron tières de l'Italie: surproduction monétaire du début de la deuxième guerre punique et trimétallisme éphémère (ibid. p. 308), émission d'aurei, dont «aurei au serment» pour compléter le système du quadrigat en 219, crise suraiguë, puis abandon du quadrigat et création du denier (213-211) et dévaluation sextantaire du bronze. Problèmes et solutions somme toute actuels. A noter, en rapport sans doute avec la «ponction» opérée par les tresuiri mensarii en 210 et signalée plus haut, la décision sénatoriale de monnayer en 209 les 4000 livres d'or qui restaient dans Vaerarium sanctius (ibid. 349). Fondamental Cic. Flacc. 67, pour l'an 63.
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dessein pour provoquer un affrontement oratoire exceptionnel. Le problème ne me paraît se poser avec cette acuité prophétique sur le plan moral que grâce à un anachronisme à incidences contemporaines37, autrement dit l'historien disserte de l'actualité augustéenne 38 sous le couvert d'une anti quité prestigieuse et sous la forme apparemment impartiale d'un débat contradictoire: Aristote revu par Cicéron. Tite-Live, ne l'oublions pas, possé daitégalement une bonne culture philosophique39. Au demeurant, est-il vraisemblable que les matrones romaines n'aimas sent pas elles aussi bijoux et somptueux atours? Tite-Live, nous l'avons vu, exalte le sacrifice volontaire qu'elles firent des premiers après la prise de Véies, antérieure de plus de 180 ans40, disons deux siècles, à la loi Oppia. Au surplus, bien avant que se développassent les relations avec des nations lointaines de culture raffinée et de mœurs relâchées, elles n'avaient jamais cessé d'être étroites avec l'Etrurie, où les jeunes Romains venaient parfois prendre femme. La « vertu » ne condamne pas toute parure et ce n'est pas en raison de ses mœurs, mais de sa stérilité qu'en 227 Sp. Carvilius Ruga répudia son épouse « inuitus inuitam » 41. Il y aurait fort à parier que la seconde épouse du vieux Caton, cette fille d'un client qui devint la grand' mère du Sage, possédait plus d'une demi-once de bijoux. Aussi bien Polybe
37 C'est ainsi que Sir Ronald Syme interprète les Annales de Tacite. La critique de Tibère dissimule celle d'Hadrien. Beau «montage» aussi que ce débat contradictoire entre l'opposition sénatoriale et Claude à propos de l'admission de sénateurs gaulois (A. XI, 23-24). 38 Interprétation déjà de Ferrerò, Repubblica d'Augusto p. 281 - qui croit néanmoins à l'authenticité du discours de Caton, dont M. de Saint- Denis écrit (op. laud. p. 77): «Nous ne possédons pas le discours réellement prononcé de Caton, mais cet arrangement de Tite-Live, mélange de boutades et de sarcasmes, de raillerie et d'indignation, paraît être, dans l'ensemble, un excellent - à-la-manière-de-Caton». MM.J.M. André et A. Hus, L'Histoire à Rome, P.U.F. 1974, vont plus loin (p. 88): «II est même presque certain... qu'ayant à faire parler Caton contre l'abrogation de la loi Oppia (Tite-Live) n'a pas consulté l'original». Des mêmes, p. 96: «C'est son rêve de Rome que Tite-Live transcrit, et son œuvre doit aussi être appréciée de ce point de vue». Thèse extrême que celle que soutient H. Tränkle, Cato in der vierten und fünften Dekade des Livius, Verlag der Akademie der Wissenschaften und der Literatur, Mayence 1971. Il affirme que le discours authentique n'existait plus au temps de Tite-Live et nie de surcroît que le style doive rien au Censeur. 39 «Scripsit... et dialogos quos non magis philosophiae annumerare possis quam historiae et ex professo philosophiam continentes libros» (Sénèque, Ludi. 100, 9). 40 396 (Tite-Live) ou 391 (Bayet). 41 Aulu-Gelle, IV, 3, 2 (éd. Marache). Il avait été contraint par les censeurs de jurer de « prendre femme pour avoir des enfants » et préféra la religion du serment à son inclination et à son amour.
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admirera-t-il encore l'intégrité des magistrats romains42 pourtant si contestée par l'âpre Censeur dans tel discours43. Mais cette mise au point vise plus loin qu'à rétablir un fait historique dans sa pureté. A force de célébrer une vertu plus spartiate que romaine, les écrivains impériaux, car c'est d'eux qu'il s'agit, ont rendu à la gloire de Rome un dangereux service. A une austérité de bon aloi ils ont abouti à substituer dans la pensée des hommes, surtout depuis l'explosion des natio nalismes, une réputation de brutalité bornée. Ouvrant ces jours-ci par le hasard d'un rangement une brochure illustrée sur L'Art antique rédigée par un défunt membre de l'Institut je lis: « Le génie positif et utilitaire (des Romains) ... ». Combien de mes élèves de lycée dans la bibliothèque desquels j'avais placé cet album ont lu, cru et croiront encore ce commentaire désuet! Et combien, à la lecture de cette défense de la loi Oppia, tiendront encore Caton l'Ancien pour . . . Mais laissons la parole à M. de Saint-Denis 44: « Cet antiféministe n'était pas misogyne: il y a tant de féministes qui sont miso gynes et d'antiféministes qui aiment trop les femmes »! Ne fut-ce pas le cas du Censeur, puisque Plutarque lui reproche précisément sa, disons, muliérosité 45? Aux lectrices et lecteurs à qui cette réhabilitation paraîtrait incongrue je conseille de relire la loi somptuaire de celui que ses légionnaires auraient proclamé avec toute la capitale « semper amicum omnium potius quam cuiusquam inimicum » 46, si la chambrée ne les eût accoutumés à des lazzi moins civils47.
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42 VI, 56, 15. Effet notamment de leur Πίστις (= fides). Intéressant commentaire de M. Hein rich Dörrie, Polybios über «Pietas, religio» und «Fides», dans les «Mélanges. .. offerts à P. Boyancé», 1974, p. 251-272. 43 V. n. 14. 44 Op. laud. p. 74. 45 CM., notamment ch. 24, à propos des relations du veuf avec une jeune esclave, puis de son remariage avec la fille de son ancien secrétaire. «Et comme l'on apprêtait les noces, Caton le fils, prenant quelques-uns de ses parents et amis avec lui, alla devers son père, lui demander s'il avait commis aucune faute envers lui, ou s'il lui avait point fait quelque déplaisir, pour dépit duquel on lui amenât une marâtre. Et lors le père s'écria: «Oh! Ne dis jamais cela mon fils; je trouve bon tout ce que tu fais, et ne m'en saurais plaindre en sorte que ce soit; mais je le fais pour autant que je désire avoir plusieurs enfants, et laisser plusieurs citoyens tels que tu es à la chose publique». (Trad. J. Amyot, La Pléiade, N.R.F. 1959). 46 En inversant les genres du trait de Cicéron contre Clodia, Cael. 32. Curion le Père (Suétone, César, 52, 6) est plus caustique encore. 47 «Vrbani, seruate uxores: moechum caluom adducimus. Aurum in Gallia effutuisti, hic sumpsisti mutuum» (ibid. 51). Le chapitre suivant énumère ses bonnes fortunes royales, « Eunoen Mauram Bogudis uxorem . . sed maxime Cleopatram ...».
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STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES
Nous nous proposons d'examiner un problème que M. Jacques Heurgon avait effleuré en 1973: la découverte par Stendhal des Étrusques et de leur civilisation 1. Cette découverte par les Romantiques, contemporaine de celle de l'Egypte antique, avait été utilisée dans les domaines esthétique, politique et littéraire. Dans le premier cas, elle étayait la réaction contre les idées de Winckelmann qui, tout en « reconnaissant » aux Étrusques une priorité chronologique, les avait bien vite éliminés pour ne glorifier qu'un classicisme grec idéal. Dans le second, il s'agissait de les utiliser dans la querelle qui opposait Florence à Rome ou de dresser une Étrurie « libre » face au centra lismeromain antique ou pontifical. Quant au succès littéraire - et mondain que les Étrusques rencontrèrent, il est bien connu; pour nous en tenir à la littérature française, il n'est pas un prosateur, de Chateaubriand à Flaubert, qui ne les évoque à plusieurs reprises. De tous ces auteurs, Stendhal est celui qui leur a consacré la plus grande attention. Mais ainsi que l'a remarqué M. J. Heurgon2, il y eut deux
1 J. Heurgon, La découverte des Étrusques au début du XIXe siècle, lecture faite dans la séance publique annuelle du 30 novembre 1973, et paru dans les publications de l'Institut de France, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1973. Dans le cours de cet exposé et dans les notes, nous utiliserons les abréviations suivantes: RNF: Rome, Naples et Florence, lère édition, 1817, 2e édition, 1826; Promenades: Promenades dans Rome, Paris, 1829; Mélanges: Mélanges d'art, articles de Stendhal réunis et publiés à Paris, éditions du Divan, 1931; Tom beaux: Les tombeaux de Corneto, écrits pour la Revue des Deux Mondes, probablement en 1837, et réédités dans Mélanges, III, pp. 201-221. Pour la commodité du lecteur, nous ren verrons: pour la Correspondance, à l'édition de H. Martineau et V. del Litto, parue à la N.R.F., coll. de la Pléiade (I - 1800-1821 - 1968; II - 1821-1834 - 1967; III - 1835-1842 - 1968); pour les Voyages, à l'édition de M. V. del Litto, même collection, 1973; pour le reste de l'œuvre de Stendhal, aux Œuvres complètes publiées de 1927 à 1933 aux éditions du Divan. Pour la pagination, P. renverra aux éditions de la Pléiade, D. aux éditions du Divan. 2 O.e., pp. 5 sq.
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rencontres entre Stendhal et les Étrusques, nous dirions plutôt deux périodes au cours desquelles l'auteur de La Chartreuse de Parme les considère de façon différente: de 1817 à 1829-1830, il en parle presque uniquement de façon livresque et émet à leur sujet des considérations théoriques; de 1831 à 1840, période de son consulat à Civitavecchia (interrompu du 11 mai 1836 au 10 août 1839) il en traite en fouilleur, en chroniqueur, en pourvoyeur d'antiques ou en fonctionnaire, bref d'une façon beaucoup plus pragmatique 3. Cet intérêt pour les Étrusques doit être replacé dans la « philosophie » de Stendhal et estimé d'après ses méthodes de travail. Il faut également tenir compte de son attitude face à l'étude de l'antiquité4, aux savants et aux mondains de son temps. Nous terminerons en nous interrogeant sur les sources qui ont fourni à Stendhal ses connaissances livresques.
Les premières mentions des Étrusques par notre auteur sont au nombre de trois pour la seule année 1817. Elles affirment que la civilisation étrusque, antérieure à celle des Grecs, dans le domaine des arts, des sciences et de la sagesse, fut la première civilisation italienne. Les nations les plus célèbres ont une époque brillante. L'Italie en a trois . . . (Elle) a la gloire de l'antique Étrurie qui, avant la Grèce, cultiva les arts et la sagesse, l'âge d'Auguste et le siècle de Léon X5.
3 Ce qui n'exclut pas quelques vues théoriques, qui répètent on précisent, généralement, les opinions de la première période. Les plus longs textes de Stendhal consacrés aux Étrusques datent de cette seconde période, ou de la courte période intermédiaire séparant la parution des Promenades du consulat: annotation manuscrite sur l'exemplaire Serge André (1830?) des Promenades; lettre à Sophie Duvaucel (1834); fragment inédit Walks in Rome (1835); Les tombeaux de Corneto (probablement 1837) repris et résumé par Abraham Constantin dans Idées italiennes (1840), approuvées et corrigées par Stendhal pour la seconde édition; le Rapport au Maréchal Soult (1840). 4 Assez curieusement, l'activité archéologique de Stendhal s'ouvre et se clôt sur deux rapports administratifs. Le premier, adressé au duc de Cadore les 3 juin et 7 juillet 1812, concerne l'état d'avancement de l'inventaire du Musée du Louvre (P. I, pp. 642 sqq. et 645 sqq., lettres 450 et 454); le second est adressé au Maréchal Soult, le 29 janvier 1840 (P. III, pp. 327 sqq., lettre 1679). Il va de soi que le vrai Stendhal est ailleurs. 5 Histoire de la peinture en Italie (1817), D. I, p. 70. Mêmes termes dans RNF, lère éd. (1817), P. II, p. 140, en note par Stendhal lui-même: Après la chute de ce grand peuple inconnu dont nous ne savons autre chose sinon qu'il exista [Stendhal ne le caractérise pas autrement] l'Étrurie, la première, cultiva les arts et la sagesse. L'Italie, de plus, a l'âge d'Auguste et le siècle de Léon X.
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Les premiers pas que l'on fit vers une manière moins imparfaite d'imiter la nature fut de perfectionner les bas-reliefs. La gloire en est aux Toscans, à ce peuple qui, déjà une fois, dans les siècles reculés de l'antique Étrurie, avait répandu dans la péninsule les arts et les sciences6. L'idée sera reprise trois fois en 1823, dans Racine et Shakespeare7, avec un élargissement notable: l'un des textes affirme que « l'Italie a éclairé et civilisé l'Europe du temps de la docte et sage Etrurie et sous Léon dix », alors qu'elle l'a « dominé sous les Romains et sous Grégoire VII » 8; un autre proclame que l'Italie a « trois fois déjà civilisé le monde » aux périodes précitées. L'Étrurie se trouve donc exaltée parce qu'Italienne et plus discr ètement parce que Toscane (opposition entre « éclairé » « civilisé » et « dominé ») 9, màis rien ne donne encore à penser que Stendhal en ait une opinion précise 10. Il en aura deux, apparemment contradictoires, à partir de 1824; il les reprendra jusqu'en 1837. Dans un article de 1824 n, il écrit en effet: (En Angleterre) sept à huit cents familles jouissent d'une opulence dont on n'a pas d'idée sur le continent. Semblables aux prêtres de l'ancienne Egypte et de l'Étrurie, elles sont même parvenues à se faire respecter et presque aimer par les pauvres diables qu'elles condamnent à un travail aussi opiniâtre. L'idée est reprise trois fois en 1829, dans les Promenades 12, la seconde fois en opposant lucumons et prêtres, les seconds dominant les premiers: La peur que Luther fit aux papes du seizième siècle a été si forte que, si les États de l'Église formaient une île éloignée de tout continent, nous y verrions le peuple réduit à cet état de vasselage moral dont l'antique Egypte
6 O.e., p. 75. 7 D., pp. 203, 212, 270. 8 D., p. 212. 9 Les Promenades reprennent en 1829 l'idée d'une civilisation étrusque plus avancée que celle de Rome: P., p. 665. Sur le parallèle entre Rome et l'Étrurie, v. plus bas. 10 L'Italie en 1818 comporte une allusion à Volterra (P., p. 271): Les tyrans d'Italie . . . écrasèrent l'industrie et le commerce. Volterra, qui comptait cent mille habitants (A v[érifier], ajoute Stendhal), n'en a plus que quatre mille. 11 s'agit sans doute de la Volterra Étrusque, que Stendhal ne connaissait pas encore, puisqu'il n'y séjournera que du 3 au 10 juin 1819 (voir plus bas). 11 Repris dans les Mélanges, D., III, p. 246. 12 P., pp. 602, 665, 920.
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ALAIN HUS et l'Étrurie ont laissé le souvenir et que, de nos jours, on peut observer en Autriche. Ancus Martius... construisit une citadelle sur le Janicule... car les villes d'Étrurie, dominées par les prêtres, gouvernées sous eux par des rois et jouissant d'un degré de civilisation fort avancé, commençaient à être jalouses de Rome. Les rois d'Étrurie ou Lucumons, contrariés par les prêtres, n'att aquèrent pas Rome d'assez bonne heure... (Dans la Rome primitive) le centre de la puissance des prêtres était dans cette Étrurie, maintenant si vide de passions. Ils y jouaient le rôle que les jésuites voudraient se donner; ils désignaient les petits rois du pays, qui ne pouvaient rien faire sans leur assentiment. Je ne puis m'empêcher de voir le premier pas de l'esprit humain dans ce triomphe remporté par l'esprit sur la force brutale13.
La même conception sera reprise en mars 1835 14 ainsi que dans un fragment publié en 1853 et dont une partie se trouve dans l'exemplaire Serge André15, et dans l'article sur les tombeaux de Corneto16 sans doute écrit en 1837. Elle tenait fort au cœur de notre auteur. Le parallélisme entre l'Egypte et l'Étrurie ne se limitera pas à la toutepuissance des prêtres et à l'exploitation matérielle et morale des masses par une caste sacerdotale, mais ne sera repris que postérieurement à 1829, soit pour reprendre le même thème, soit pour affirmer l'originalité des Étrusques par rapport aux Égyptiens en architecture n, soit pour s'interroger sur la
13 C'est nous qui soulignons. Même assimilation avec les jésuites en 1835: Walks in Rome, P., p. 1194. 14 Ibid. 15 P., pp. 1643 et 1644, intéressant aussi à d'autres points de vue: Probablement il y avait en Étrurie une caste qui faisait travailler les nigauds à son avantage (profit). Elle avait des secrets magiques. On trouve celle de ses formules magiques qui guérissaient les animaux dans l'ouvrage de Caton le Censeur intitulé De re rustica . . . Figurez-vous un président de collège électoral chargé par M. de Villèle d'escamoter les votes. Au moment où il voit entrer une douzaine d'électeurs libéraux, il déclare qu'il aperçoit des hirondelles qui volent dans un sens singulier et de mauvais augure. Là-dessus, il lève la séance, et les électeurs ennemis eux-mêmes se retirent tout pantois. . Tels furent les augures tirés de l'Étrurie pour les Romains contemporains de Fabius Maximus. Il n'y a pas certitude absolue que la première partie de ce texte soit de Stendhal: elle figure dans l'édition Romain Colomb de 1853, mais on n'en n'a pas retrouvé trace dans les exemplaires annotés (V. del Litto, éd. des Voyages, P., p. 1644). 16 Mélanges, D., pp. 212 sq.: reprend à peu près le texte des Promenades, P., p. 665. 17 Ex. Serge André, P., p. 1643. Tout en admettant, avec Frédéric (v. plus bas), que «les Étrusques furent les élèves de l'Egypte», Stendhal suggère qu'ils inventèrent la pyramide (tombeau de Porsenna) en s'inspirant des «tas de pierres formés au coin des champs dans les pays de montagne comme la Toscane».
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possibilité d'une influence égyptienne dans la « coutume » de « cacher les tombeaux » en Étrurie alors qu'à Rome on les exhibait 18. Bien entendu, Stendhal n'évite pas l'inévitable parallèle entre Rome et l'Étrurie, qu'il aborde en 1826 dans une optique résolument favorable aux Etrusques 19. Comme toutes les villes de cette ancienne Étrurie dont Rome naissante détruisit la civilisation vraiment libérale pour l'époque, Volterra est placée au point le plus élevé d'une haute colline... et plus loin: ... je fais à mon lecteur cet aveu ridicule, je me sens indigné contre les Romains qui vinrent troubler, sans autre titre que le courage féroce, ces républiques d'Étrurie qui leur étaient si supérieures par les beaux arts, par les richesses et par l'art d'être heureux...20. C'est comme si vingt régiments de cosaques venaient saccager le boulevard et détruire Paris; ce serait un malheur même pour les hommes qui naîtront dans deux siècles: le genre humain et l'art d'être heureux auraient fait un pas en arrière. Contradiction - au moins apparente - avec les propos tenus en 1824 sur le gouvernement clérical de l'Étrurie. Mais, de toute évidence, il s'agit ici des happy few! Sur les Romains, Stendhal s'explique au reste quelques pages plus loin: Les Romains ont été un grand mal pour l'humanité, une maladie funeste qui a retardé la civilisation du monde: sans eux, nous en serions peut être déjà en France au Gouvernement des États-Unis d'Amérique. Ils ont détruit les aimables républiques de l'Étrurie. Chez nous, dans les Gaules, ils sont venus déranger nos ancêtres; nous ne pouvions être appelés des barbares, car enfin nous avions la liberté. Les Romains ont construit la machine compliquée nommée monarchie et tout cela pour préparer le règne infâme d'un Néron, d'un Caligula, et les folles discussions du Bas-Empire sur la lumière incréée du Thabor. Mais il poursuit: Malgré tant de griefs, mon cœur bat pour les Romains. Je ne vois pas ces républiques d'Étrurie, ces usages des Gaulois qui assuraient la liberté; je vois au contraire dans toutes les histoires agir et vivre le peuple romain et l'on a besoin de voir pour aimer. Voilà comment je m'explique ma passion pour la grandeur romaine, pour les ruines, pour les inscriptions... 18 Tombeaux, D., p. 214. Cf. Idées italiennes (1840), D., p. 294. C'était ignorer les tumuli, en particulier ceux de Tarquinia, que Stendhal connaissait bien à cette époque. 19 RNF, 2e éd., P., pp. 497, 503 sq., 508. 20 C'est nous qui soulignons, les deux fois, et plus bas: aimables.
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Pourtant alors, Stendhal connaissait Volterra, il avait lu Pignotti et Micali, entendu parler de Niebuhr (v. plus bas); il était informé dans les grandes lignes de l'histoire étrusque, au moins dans ses rapports avec Rome21. Si les Étrusques ont peu d'histoire, si l'on ignore leur constitution politique, la faute en est aux savants, en particulier aux savants français22. Ce sont au reste les Étrusques, écrit Stendhal en 1829, qui léguèrent aux Romains le dangereux pouvoir qu'était chez eux la religion23. Ils furent les élèves des Égyptiens et les maîtres des Romains. Mais les Romains qui, avant tout, songeaient à la guerre, ne leur prirent d'abord que leur religion et longtemps repoussèrent les arts. Les patriciens voulurent la loi du serment: c'était la loi du recrutement à Rome24. Sur ce point, la pensée de Stendhal se précisera plus tard, en 1835 et en 1837, tout à l'avantage de Rome. Rome conquérante était sage et ne cherchait pas à choquer inutilement ses sujets qu'elle décorait du nom d'alliés. Elle leur laissait leur religion. Elle dut la laisser surtout à l'Étrurie, pays entièrement dominé par des p[rêtres] adroits. Si, avant la conquête, des gens comme il faut avaient l'habitude de se faire cacher après leur mort dans les petites caves peintes dont nous avons parlé et même, de se faire mettre, après brûlure, dans des vases peints, les Romains ne durent pas prescrire cet usage. Ce genre de sottise était réservé aux temps modernes. Les Romains avaient l'esprit de n'avoir pas de pfrêtres] 25. Je pars de cette idée: les Romains cherchaient à montrer leurs tombeaux, les Étrusques à les cacher. Un tombeau chez les Romains était une affaire . de gloire mondaine; chez les Étrusques, c'était peut-être l'accomplissement d'un rite prescrit par une religion sombre et jalouse de son empire... un tombeau romain vise toujours à être un édifice remarquable; on y mettait une inscription indiquant les choses honorables qu'avait faites, pour l'utilité de sa patrie, le personnage qui y était déposé. Probablement les prêtres étrusques n'admettaient point cette idée mondaine et basse d'utilité; il fallait obéir aux dieux avant tout26.
21 RNF, 2e éd., P., p. 503; Promenades (1829), P., p. 665. 22 Voir l'article du New Monthly Magazine de janvier 1826, dont le texte figure dans la lettre du 18-12-1825, à propos de Micali et de Niebuhr (v. plus bas). 23 Promenades, P., p. 665. 24 Texte de l'ex. Serge André, P., p. 1643. 25 Walks in Rome, P., p. 1194. 26 Tombeaux (1837), D., pp. 212 sq. Les Idées italiennes d'Abraham Constantin ne repren nentpas le parallèle religieux, mais s'interrogent sur le caractère systématiquement caché des tombes étrusques (D., p. 295): Mais le prétendu tombeau des Horaces ou de Porsenna, à dix minutes d'Albano, que depuis vingt ans l'on suppose étrusque, se trouve hors de terre et fort en évidence. Peut-être est-ce le tombeau d'un roi étrusque et y avait-il exception pour les Rois?
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Ici encore, la pensée de Stendhal est en apparente contradiction avec elle-même: tout en possédant une classe cléricale oppressive, les Étrusques avaient l'art d'être heureux; Rome, tout en ayant emprunté à l'Étrurie sa religion et même ses prêtres, avait su se passer de prêtres et se montrer tolérante en matière religieuse: ce qui ne l'empêche pas d'avoir été « un grand mal pour l'humanité, une maladie funeste » pour lesquels Stendhal n'éprouve pas moins une grande tendresse parce qu'il les voit. Il était grand temps que des archéologues sérieux vinssent réveiller l'Étrurie endormie! Pourtant, dès sa première période, Stendhal ne manque pas de connais sances« erudites », assez éparses et fragmentaires il est vrai, et n'apparaissant guère qu'en 1826: sur la chronologie et l'histoire de l'Italie centrale avant la domination romaine27, sur les vases dits étrusques28, sur l'architecture29 (connaissance de la voûte, construction de canaux, pyramide, bref une « architecture très avancée » indépendante de l'architecture égyptienne), sur l'alphabet et la langue 30. Pourtant il n'a encore vu qu'une seule ville étrusque, Volterra, dont il avait parlé brièvement par ouï-dire dans l'Italie en 181831. Il y séjourna du 3 au 10 juin 1819 pour tenter de fléchir Métilde, dont il essuya un refus. Sur le moment, sa correspondance ne retient de la ville que « ces superbes murs étrusques » 32 autour desquels il se figurait « le bonheur de (se) promener » avec Métilde . . . Ces murs « cyclopéens » l'ont beaucoup frappé, car il les évoquera de nouveau en 1826 33 et dans le fra gment de l'exemplaire Serge André34. Le site le frappera aussi beaucoup: il l'évoquera en 1826 35 et, dans sa correspondance de 1832, à propos de
27 Article du New Monthly Magazine (d'après Micali, voir plus bas); RNF, 2e éd., 1826, P., p. 503. 28 Dans une satire contre un savant français: RNF, 2e éd., 1826, P., p. 563. 29 Promenades, P., p. 916; ex. Serge André, P., p. 1643. 30 O.e., p. 1644: L'alphabet des Étrusques dérivait, comme les autres, de celui des Phéniciens, ce peuple d'industriels. Les Étrusques n'avaient pas reçu leurs lettres des Grecs, puisqu'ils écrivaient de droite à gauche et supprimaient les voyelles brèves, comme les Hébreux. L'étrange aspiration que l'on retrouve dans l'Italien de Florence vient de l'Étrusque. Le texte figure dans une note manuscrite de l'ex. Serge André, avec cette introduction: Par prudence [v. plus bas] je viens de m'ennuyer toute une soirée, quoique je ne sois amoureux que des ruines de Rome. Je n'ai appris de bon que ceci: [citation]. 31 V. plus haut, p. 439, note 10. 32 Lettre à Matilde Dembowsky, n. 678, du 30-6-1819, P., I, p. 976. 33 RNF, 2e éd., 1826, P., p. 497. 34 P., p. 1643: «Les Étrusques avaient une architecture très avancée: voyez Volterra». 35 RNF, 2e éd., ibid.
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Chieti 36; il examine « une grande quantité de petits tombeaux d'albâtre », c'est-à-dire d'urnes cinéraires des IIP- Ier siècles37. *
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A l'exception de Volterra et de quelques vases probablement grecs, Stendhal ne vit rien d'étrusque jusqu'en 1831, date de son arrivée à Civita vecchia38. Tout change après cette date et, s'il reprend parfois quelques considérations théoriques abordées durant la première période, il parlera surtout de choses et de personnes qu'il aura vues ou dont il aura entendu parler et de son action sur les lieux. Chroniqueur mondain et curieux, il tient sa place dans le courant qui porte alors gens du monde et savants vers les Étrusques, jugeant les uns et les autres, vulgarisant les seconds à sa manière, fournissant d'utiles compléments aux rapports officiels qui paraissent dans les Annali et le Bollettino di Corrispondenza archeologica. Il ignorera le livre de Mrs Hamilton Gray, Tour to the sepulchres of Etruria in 1839, paru à Londres en 1840 et, bien entendu, la première édition des Cities and Cemeteries of Etruria de George Dennis, publiée seulement en 1848, qui confirmeront néanmoins certaines de ses anecdotes. Presque toutes les informations proviennent alors de la Correspondance ou de l'article Les tombeaux de Corneto, cité p. 438 note 3 et conçu comme un véritable guide39.
36 Lettres 1159, du 29-10-1832, et 1160, du 3-11-1832, P. III, pp. 482 et 484. 37 RNF, 2e éd., ibid. 38 Notons, par curiosité, ces propos tirés de RNF, 2e éd., p. 475: Je vais presque tous les matins à Casalecchio, promenade pittoresque à la cascade du Reno: c'est le Bois de Boulogne de Bologne. 39 II nous paraît utile de donner ici le plan de deux des textes fondamentaux datant de cette période: Les tombeaux de Corneto (1837) et la Lettre à Sophie Duvaucel (1834), qui sont de petites sommes: Les tombeaux de Corneto: 1. On n'est nulle part mieux qu'à Paris; 2. Voyages et tourisme à Corneto; 3. Fouilles de Lucien Bonaparte à Vulci et le début de la vogue pour les vases «étrusques»; 4. Français, Anglais et Allemands face aux Antiquités; 5. Activités du roi de Bavière; 6. Les peintures; 7. Les vases de Corneto et les ventes de Durand; 8. Les tombeaux; 9. Étrusques et Romains: leur attitude à l'égard des tombeaux; gouvernement de l'Étrurie; 10. Description de la nécropole de Tarquinies (souvent orthographié Tarquinie); 11. Chronologie, méthodes de datation, discussion des théories. Lettre à Sophie Duvaucel: 1. Positions esthétique et scientifique de l'auteur; 2. Il fouille à Corneto; description; 3. Les tombeaux; 4. Les vases; 5. Méthodes de fouilles; 6. Un sarcophage; 7. Les savants.
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Ses pas l'ont porté à Tarquinia (Corneto), Vulci, Cerveteri, pour y assister à des fouilles, y fouiller lui-même ou acheter vases et pierres gravées. Mais il ne donne de détail que sur les deux premières40. Voyons d'abord la description qu'il donne de Corneto-Tarquinia pour le public, dans les Tombeaux de Corneto41. Le cimetière antique de Tarquinies est celui que les étrangers visitent le plus ordinairement pour la raison que l'on peut y aller de Rome en neuf heures42. Cette nécropole est à un mille de Corneto, jolie petite ville remar quable par des édifices remplis de caractère et située elle-même à dix-neuf lieues de Rome. La nécropole de Tarquinies était vingt fois grande comme la ville, ce qui est fort naturel quand on bâtit des cimetières éternels... Ce cimetière a une lieue et demi de long sur trois quarts de lieue de large43. A l'exception de quelques petits monticules, rien ne paraît à l'extérieur; on ne voit qu'une plaine nue, garnie de broussailles et presque de niveau avec le coteau sur lequel Corneto est bâtie; on domine la mer qui n'est qu'à une petite heure de distance. La correspondance est plus familière et Stendhal s'y livre plus volontiers. Il écrit, dans la lettre à Sophie Duvaucel44: A côté (de Corneto) se trouve une colline nue, abominable, sans arbre ni élévation quelconque. C'est la Nécropole, le Père Lachaise de Tarquinies, d'où venait Tarquin qui eut un fils si célèbre dans l'histoire de la vertu féminine. Dans les autres lettres, la description est absente ou très courte mais, presque toujours, revient la comparaison avec le Père Lachaise, employée
40 La lettre 1615, du 19-3-1838 (P. III, p. 258) évoque seulement les découvertes effectuées à Santa Marinella par la duchesse Caetani. 41 Mélanges, pp. 214 sq. 42 La notice des Idées italiennes (1840), D., p. 293, situe Corneto à 12 heures de Rome et Tarquinia à 10 minutes de Corneto. Le fragment Walks in Rome (P., p. 1194) place Corneto à 20 lieues de Rome. La lettre à Sophie Duvaucel la situe à 2 heures de Civitavecchia (P. II, p. 712); celles du 24-3-35 (n. 1439, P. III, p. 26) la situe «à trois heures de mon trou»; celle du 25-12-1831 (n. 1060, P. II, p. 375) «à trois heures de chez moi». 43 II écrit dans Walks in Rome, ibid.: Cette nécropole, pour parler le langage gratuitement pédantesque de MM. les pédants savants, a deux lieues de longueur et une et demi de large. Apparemment, Stendhal écrivait de mémoire en 1837 et se fiait à son impression, non aux calculs des «pédants savants». 44 Ibid.
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pour « faire voir » la nécropole de Tarquinia à ses correspondants parisiens mais qui, visiblement, enchantait l'auteur45. Outre les objets - qu'on trouve aussi ailleurs - tels que vases, bijoux et pierres gravées, Stendhal s'intéresse beaucoup aux tombeaux et aux pein tures. Les premiers surtout excitent sa curiosité et son badinage. La descrip tion la plus complète (et la plus « officielle ») se trouve, bien entendu, dans les Tombeaux de Corneto, où sont distingués hypogées simples, tumuli et tombes rupestres46: Comme les tombeaux étrusques sont de petites caves soigneusement recouvertes de trois ou quatre pieds de terre, rien ne paraît à l'extérieur; il faut aller [pour les fouiller] à la découverte... Un tombeau étrusque est une petite chambre de douze à quinze pieds de long sur huit ou dix de large, haute de huit pieds et revêtue ordinaire ment de peintures à fresque, fort bien conservées et fort brillantes au moment où l'on ouvre le tombeau. Ces tombeaux, tous également recouverts de quelques pieds de terre, sont, pour la plupart, creusés dans le nenfro, pierre tendre du pays. Dans des niches creusées ou construites tout autour du tombeau, comme les étagères d'une armoire, sont déposés les corps, dans des caisses basses de nenfro. Quelquefois, au lieu de squelettes, on ne trouve que des débris d'os brûlés. Il paraît que, le tombeau terminé, on comblait le trou, où il avait été construit; du moins aujourd'hui, rien absolument n'indique à l'extérieur l'existence d'un tombeau. En général, trois ou quatre pieds de terre recouvrent la partie supérieure, et, pour parvenir à la très petite porte, il faut descendre à douze et même quinze pieds au-dessous du niveau général du plateau élevé où se trouve la nécropole de Tarquinies. Je me hâte d'ajouter qu'il y a des tombeaux, peut-être d'une autre époque, qui sont annoncés par un monticule en terre de quinze à vingt pieds d'élévation. On trouve dans les pentes très adoucies de la suite de collines désertes qui avoisinent la côte, de Montalto à Cerveteri, des cassures de rocher de quinze à vingt pieds de haut. On a souvent creusé des tombeaux dans ces rochers, en général fort tendres; mais je ne les crois pas de la même époque ou peut-être du même peuple que les tombeaux de Corneto, qui consistent dans une petite cave recouverte de trois pieds de terre. Les descriptions fournies par la correspondance sont ici encore plus brèves et plus enjouées mais montrent que celle des Tombeaux résultait
45 N. 1439, du 24-3-1835, P. III, p. 26. La forme est plus explicite dans la lettre au directeur du Moniteur (fin novembre 1836, n. 1575, P. III, p. 224): Figurez-vous un cimetière ou nécropole grand comme le Père Lachaise. Cf. encore Walks in Rome, P., p. 1194: «Les tombeaux du Père Lachaise de Tarquinies». 46 Pp. 208 sqq.; 211 sqq.; cf. le texte d'Abraham Constantin des Idées italiennes, D., p. 293.
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d'une vision directe et non de lectures erudites47, comme le montrent égal ement ses récits de fouille (voir plus bas). C'est également par vision directe que Stendhal prend connaissance des peintures tarquiniennes: Les hommes peints ont trois pieds de haut. On distingue l'expression des traits pendant six mois, l'air ensuite gâte un peu. Cela semble fait par un élève du Dominicain et cela a 3000 ans au moins, peut-être 3005 (sic) 48. Il n'écrit guère plus dans le fragment des Walks in Rome (1831): Les parois de cette petite chambrette (le tombeau-type) sont peintes. Quelques-unes de ces peintures (à fresque bien entendu) sont contemporaines des premiers temps historiques de la guerre de Troie ([blanc] avant J.-C.)49. Son jugement reste aussi superficiel dans les Tombeaux de Corneto où il parle surtout des vingt-deux copies faites par Ruspi sur l'ordre du roi de Bavière. La manière dont les torses sont dessinés rappelle ce qu'il y a de plus beau dans les figures du Parthenon, mais ce qui est fort singulier, les mains ont à peine la forme humaine (sur les copies). Nous avons eu occasion, il y a trois ans, de voir M. Ruspi travailler à de nouvelles copies de ces peintures singulières: elles représentent en général des cérémonies funèbres et des combats. Ces figures ont de deux à quatre pieds de proportion. Nous nous sommes assuré que M. Ruspi n'ajoutait rien au dessin vraiment sublime et aux brillantes couleurs des originaux. Jamais, par exemple, il n'a voulu corriger les mains qui ressemblent tout à fait à des pattes de renoncules. Mais nous apprenons que, depuis trois ans, les couleurs de ces fresques ont bien changé. Un chien lupo, placé au pied d'une des tables, dans un des tombeaux représentant une cérémonie funèbre et dont on admirait la vérité et l'esprit, a disparu entièrement50.
47 Lettre à Sophie Duvaucel, P. II, p. 712, avec croquis (annonce Tombeaux D., p. 210). Cf. la description des Walks in Rome, P., p. 1194: Un tombeau est une petite cave de dix pieds sur huit recouverte de trois ou quatre pieds de terre et parfaitement cachée. Les parois de cette petite chambre sont peintes. 48 Lettre 1182, du 25-2-1833, P. II, p. 501. 49 P., p. 1194. 50 Tombeaux, D., p. 208; cf. la lettre 1575, au directeur du Moniteur, P. III, p. 225. Les Idées italiennes, D., p. 293, parlent également des vingt-deux copies faites par Ruspi, avec cette curieuse mention: «Chercher à les voir». Inattention d'A. Constantin et de Stendhal lui-même? Ou bien Stendhal s'était-il vanté dans les Tombeaux?
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ALAIN HUS Ce texte est ainsi revu dans les Idées italiennes. Ces tombeaux remplis de vases sont garnis de fresques bien étonnantes; on dirait les corps dessinés par l'École de Raphaël; les torses surtout sont admirables et toutes les mains semblent dessinées pour des gamins. Les yeux des figures de profil sont vus de face, signe de haute antiquité.
Sur Vulci, Stendhal est un peu moins explicite mais il a visité le site et recueilli de précieux renseignements « de coulisse » sur Lucien Bonaparte et sa famille51. Il nous fait part dans une lettre du 24 mars 1835, de sa visite à Musignano, château où résidait le frère de Napoléon, devenu prince (papal) de Canino52. Dans le fragment Walks in Rome (28-3-1835) 53, il donne une description qui révèle un voyage encore tout récent, certain ement celui que nous venons de mentionner. De Corneto, en traversant des chemins abominables ou, plutôt, une plaine couverte de boue, nous sommes arrivés à la Cucumella... Une petite rivière, ou plutôt fleuve car elle va se jeter dans la mer à sept milles d'ici, la Fiora, sépare la Cucumella (vaste domaine en plaine non bâtie et d'un aspect désolé)54 d'un plateau élevé où l'on suppose avec assez de probabilité que fut la vieille ville étrusque de Vulci. Un homme de sens profond, M. le pr[ince] M[assimo], pense que Vulci elle-même dont à peine on trouve des vestiges aujourd'hui et qui, il y a quinze cents ans, était à peine un village, avait été bâtie sur les ruines d'une ville tout à fait contemporaine de Rome, si ce n'est antérieure.
51 Nous ne nous étendrons pas sur ce dernier point. Stendhal s'intéresse beaucoup à Lucien Bonaparte, qualifié de fou, à sa femme, «Madame Jouberton», à ses «deux vauriens de fils cadets » et à leurs aventures, qui intéressent Thiers, à ses problèmes d'argent, à sa mort, à ses propriétés et à leur valeur au moment de sa mort, à sa veuve: lettres 1353 (7-9-1834), P. II, p. 690; 1561 (6-5-1836), P. III, pp. 209-212; 1724 (1-7-1840), P. III, p. 372; 1806 (19-11-1841), P. III, p. 510-512. Cf. aussi les Tombeaux, pp. 204 sq. 52 Lettre 1440, du 24-3-1835, à J.-J. Ampère, P. III, p. 27. Une lettre antérieure (P. II, pp. 591-593) montre qu'il connaissait déjà, en 1834, la région de Montalto di Castro. Cf. les Walks in Rome, note suivante. 53 P., pp. 1194 sq. 54 Selon l'usage local de l'époque, Stendhal parle ici du domaine, non du tumulus (néan moins, voir plus bas). C'est ce dernier qui est ainsi désigné par les savants, au moins depuis Lenoir, Annali dell'Istituto, V, 1832, pp. 272 sqq. Cet « aspect désolé » est bien celui qui frappait les voyageurs de l'époque, notamment G. Dennis (o.e., 2e éd., 1878, pp. 437 sqq.). Stendhal ignore également la discussion concernant la ville qui occupait le Pian di Voce (Vétulonia ou Vulci): c'est qu'il se fiait uniquement à Micali ou à Raoul-Rochette (v. plus bas): cf. aussi Annali... I, 1829, pp. 187 sqq.
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L'effroyable antiquité de certains vases trouvés dans des tombeaux à Vulci ou à son faubourg la Cucumella a suggéré cette idée. J'écris assis dans une cabane en paille, élevée sur les ruines d'une chapelle chrétienne de l'an 400... 55. Il reprend cette description, plus brève et plus « scientifique » (sur le nom de la Cucumella) dans les Tombeaux de Corneto (1837) 56. Les principales découvertes (du prince de Canino) eurent lieu sur les bords de la Fiora, petit fleuve en miniature qui sépare l'état romain de la Toscane et qui, après avoir coulé dans un lit de rochers calcaires, va se jeter à la mer sous Montalto. On trouva surtout beaucoup de vases et de bronzes dans une colline factice nommée la Cucumella par les gens du pays et dans l'espace situé entre la Cucumella et la Fiora. En 1835, on fouilla dans la ville même de l'ancienne Vulci, sur la rive droite de la Fiora et on y trouva, entre autres objets précieux, une magnifique statue de bronze qui fut achetée par le roi de Bavière. Rien de plus en somme que des souvenirs personnels enrichis de docu ments puisés à des sources orales. Il en va de même pour Cerveteri qui intéresse surtout notre auteur par les bijoux, statues et pierres qu'on y trouve57, mais il ne nous en a guère laissé de description. Située à quatre heures de Rome58, à deux milles de Monterone 59, elle est en outre l'objet de trois remarques erudites dont une au moins - et probablement les trois sont tirées de Nibby, l'une des sources certainement consultées par Stendhal (voir plus bas): «ville grecque antérieure aux Romains», «ville grecque qui avait un traité avec Carthage » 60. La ville étrusque de Caere est connue par le traité qu'elle conclut avec Carthage... quelques savants placent la ville de Caere quatre milles plus au nord au lieu où se trouve le village de Ceri61.
55 Cette église existe encore. 56 P. 205. Aux pp. 203 sq., il avait rappelé le célèbre épisode du bœuf tombé dans une tombe et des poursuites engagées par Lucien Bonaparte contre son fermier. L'anecdote est racontée par G. Dennis, et Stendhal lui-même en fera part à Thiers par la lettre 1724 du 1-7-1840 (P. III, p. 372) en lui annonçant la mort de Lucien. 57 Walks in Rome, P., p. 1193 (bijoux); Tombeaux, D., pp. 216 sq. (bijoux); Rapport au Maréchal Soult, avec lettre 1679 du 29-1-1840, P. III, pp. 327 sq. (statues romaines); lettres citées à la note 60. 58 Walks in Rome, ibid. 59 Lettre à Ampère, n. 1440, P. III, pp. 27-30. 60 Lettres 1665 du 5-12-1839, et 1678 (signée Jacques Durand) du 28-1-1840, P. III, pp. 313 et 325. 61 Rapport au Maréchal Soult, in fine. Ces renseignements sont explicitement empruntés à «feu le professeur Nibby».
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ALAIN HUS Mais il intercale une impression personnelle: Rien de plus triste que le village qui porte le nom de Cerveteri; encore est-il désolé par la fièvre.
Si le voyageur se complaît parfois à quelques impressions de voyage en concédant - rarement - un hommage à l'érudition, l'esthète, le « mond ain », le chroniqueur et le fonctionnaire ne s'intéressent - comme toute son époque - qu'à quatre catégories d'objets: les vases, les bijoux, les pierres gravées et les statues. Encore celles-ci sont-elles romaines et les laisseronsnous de côté62. Ici encore l'aspect scientifique de la question n'est abordé que dans les écrits destinés au public - ou à l'administration - la Corre spondance ne traitant que d'impressions esthétiques ou de la valeur mar chande des objets. Les vases, qu'il n'avait évoqués qu'en passant en 1826 63, l'occupent beaucoup en tant qu'amateur, qu'acheteur et pourvoyeur entre 1834 et 1837. Ils occupent aussi l'esthète et nettement moins l'érudit, alors pourtant qu'était paru en 1831, l'admirable Rapporto volcente de Gerhard64 ainsi que de multiples études sur les vases de Vulci et de Tarquinia. Comme tous ses contemporains, il est frappé du fait que toutes les tombes, même violées, contiennent de nombreux vases 65, mais il ne s'intéresse guère qu'à leur prix, à la façon dont ils ont été trouvés et achetés66. Tout au plus distingue-t-il entre vases noirs (bucchero) qui n'ont aucune valeur et vases peints ou « oranges » (= à figures noires ou rouges) 67. Les bijoux font eux aussi partie du matériel précieux que l'on recherche en priorité, mais ils n'éveillent chez lui que l'étonnement du connaisseur et des sensations tactiles ou ne suscitent que des considérations commerciales. Un [blanc] et sa femme fermière de son état fait faire des fouilles et nous a montré un collier en filigrane d'or d'un travail fort délicat. Ce collier d'or sans alliage pèse deux onces (175 g. je crois) et elle en demande deux
62 V. plus haut, p. 448, note 54. 63 RNF, 2e éd., 1826, P., pp. 562 sq. 64 Annali dell'Istituto, III, 1831, pp. 5-218 et 221-270, avec les planches dans les Monum enti correspondants. 65 P. ex. lettre à Sophie Duvaucel, P. II, p. 712, ou au directeur du Moniteur, P. III, pp. 224 sq., ou encore au directeur du Mémorial bordelais, n. 1615, du 19-2-1838, P. III, p. 258. Le fouilleur en a vu dans les tombes, mais surtout au magasin d'antiquités de Donato Bucci. 66 Notamment dans Tombeaux, pp. 204-206, 208, 215-217. 67 Lettre à Sophie Duvaucel, p. 713, et Tombeaux, p. 204; lettre 1575 de fin novembre 1836 au directeur du Moniteur.
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mille francs. On offre mille francs. Nous avons essayé des bagues d'or élast iques qui vont également bien à tous les doigts; élastiques après deux mille ans68! (à Cerveteri). Si l'on rencontre un tombeau non encore exploré, on trouve des sièges, des flambeaux de bronze, souvent des pendants d'oreille, des diadèmes et des bracelets élastiques fort légers mais admirablement travaillés et de l'or le plus pur... (Les ouvriers du Prince Torlonia) ont trouvé dans un seul tombeau des bracelets et des bagues qui, après tant de siècles, avaient encore conservé une élasticité parfaite. Un seul de ces bracelets, qui pouvait ainsi s'adapter également à tous les bras et qui s'est trouvé en or beaucoup plus pur que celui des napoléons, pesait quatre vingt quatre napoléons d'or69. Quant aux pierres gravées, Stendhal en distingue deux catégories: les romaines 70, et les étrusques qu'il juge « horriblement laides » et « d'une liberté de main bien singulière » 71. Un seul monument de sculpture, enfin, attire son attention: un sarco phage trouvé par la société de fouilles dont il fait partie, à Tarquinia. L'an passé (= en 1833), l'un de nous a trouvé une statue couchée sur son tombeau exécutée sans gêne avant le genre raide et soigné de l'École d'Égine72. (... Avez-vous lu ce déclamateur sans idées, mais non pas froid, nommé Winckelmann, premier baron de Steindhal?). Ce sans-gêne prouve qu'il a au moins 2700 ans, lui et ses quatre bas-reliefs. Ces quatre bas-reliefs repré sentent fort bien le cas tragique d'une pauvre jeune fille que l'on tue et que l'on pleure ensuite73. Le fait représenté se passait au temps d'Homère. Les figures des basreliefs ont l'air faites d'hier; elles ont huit pouces de haut et de petites blouses serrées par une ceinture. Elles se démènent très bien. Ce tombeau sera célèbre en 1850 74. Terminons ce tour des « connaissances » de Stendhal relatives aux Étrusques en examinant sa chronologie. Notons d'abord qu'il ne tente guère de dresser une chronologie évolutive que pourtant il avait connue durant la première période 75 et qu'il pressent encore durant celle-ci, au moins pour
68 Walks in Rome, P., p. 1193. 69 Tombeaux, pp. 216 et 217. Le Napoléon pèse 5 g. 806. 70 Les pierres gravées apparaissent tard dans la correspondance. Romaines: lettre 1673 du 12-1-1840, P. III, p. 321 (et réponse de P. E. Fargues, p. 572 (cf. la lettre au même du 5-12-1839). 71 Lettre 1665 du 5-12-1839, P. III, p. 313; Idées italiennes, D., p. 294. 72 Contre-sens historique évident. 73 Sans doute le meurtre de Cassandre. 74 Lettre à Sophie Duvaucel, P. II, pp. 713-714. 75 V. plus haut.
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la peinture, puisque selon lui (en 1835) certaines fresques tarquiniennes sont contemporaines de la guerre de Troie et d'autres de l'empire romain, la plupart étant « contemporaines de Tarquin » 76. Son attitude en la matière se fixe en 1837 dans un texte assez long, mais dont nous présenterons les extraits les plus significatifs, car il illustre bien la position scientifique de Stendhal dont il sera question plus bas77. J'ai remarqué que lorsqu'on va visiter une fouille... la curiosité humaine se trahit constamment par une dernière discussion: on se demande toujours: dans quel temps ces tombeaux ont-ils été construits? Après avoir mis le lecteur en garde contre les modes qui consistent à imiter telle époque du passé, il poursuit: Pour être admis dans le Corps d'ailleurs si respectable des archéologues, il faut savoir par cœur Diodore de Sicile, Pline et une douzaine d'autres historiens: de plus il faut avoir abjuré tout respect pour la logique. Cet art importun est l'ennemi acharné de tous les systèmes: or, comment un livre d'archéologie peut-il attirer l'attention du monde, même légèrement, sans le secours d'un système un peu singulier? Je connais onze systèmes sur l'origine des vases peints et des tombeaux étrusques... Le plus absurde est, ce me semble, celui qui suppose que tout cela a été fait sous Constantin et ses successeurs. Le système que j'adopterais volontiers et que je proposerais au lecteur, tout en convenant qu'il est malheureusement dénué de preuves suffisantes, est celui qui m'a été enseigné par le vénérable père Maurice (homme de terrain, aimable, fort érudit, qui...) pense que les tombeaux que nous déterrons appartiennent à un peuple fort antérieur aux Étrusques, peut-être contemporain des premiers Égyptiens et que... chez ce peuple primitif on plaçait des vases ou au moins des coupes dans le tombeau de ceux qu'on voulait honorer. Il faut remarquer ici que, toujours selon Stendhal, le prince Massimo pensait que la Vulci étrusque « avait été bâtie sur les ruines d'une ville tout à fait contemporaine de la guerre de Troie si ce n'est antérieure » 78.
76 Walks in Rome, P., p. 1194. Cf. Tombeaux, p. 218: «une peinture évidemment romaine». Relevons ici une curieuse phrase du même passage des Walks: «... l'Étrurie... ne fut entièrement conquise que quarante-cinq ans après la fondation de cette terrible voisine ». Cette voisine n'est pas mentionnée, mais il ne peut s'agir que de Rome. Or Stendhal fixait la conquête de l'Étrurie à 280, date à laquelle Ti. Coruncanius triomphe des Vulciens et des Volsiniens. De quelque façon qu'on envisage le chiffre 45 (45, 450, 445, 545, etc..) la phrase de Stendhal demeure absurde. Seul 475 approcherait de l'exactitude telle que la concevait la science de l'époque. 77 Tombeaux, D., pp. 217-221. 78 Walks in Rome, p. 1195.
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Après avoir violemment critiqué les savants allemands, Stendhal poursuit: Je n'ai retenu que deux faits suffisamment prouvés de tous ces ouvrages allemands. Les vases découverts dans les tombeaux de Tarquinies . . . n'ont pas été connus des Romains et leur sont antérieurs. Pline, qui fut un homme exact... (et patriote)... aurait-il négligé de parler des figures admirablement dessinées et des vases que l'on trouvait enfouis sous terre? (Le second fait est que les vases de Tarquinia diffèrent de ceux que, d'après Cicéron, des vétérans de César retrouvèrent à Capoue). Le scepticisme de Stendhal est donc presque total et sa prudence métho dologique remarquable! Il avait dû fixer sa position en 1836 car c'est celle qu'il mentionne dans la lettre de fin novembre 1836 au Moniteur79 et dans une lettre du 12 janvier 1840 80. En revanche, avant cette époque, en accord avec la science du temps qui s'appuyait sur des auteurs comme Virgile ou Denys d'Halicarnasse, il place régulièrement les tombeaux, vases et peintures de Tarquinia à l'époque homérique: « cela a 3000 ans » 81 « 3000 ans au moins, peut-être 3005 (sic) » 82. Les plus anciennes peintures sont « contemporaines des premiers temps histo riques de la guerre de Troie » (voir plus haut). Dans la lettre à Sophie Duvaucel, de 1834 83, il tient pour 2700 ans («tenez ferme à 2700 ans») sans raison aucune. Mais même après avoir défini sa position de prudence, il en revient à des datations chiffrées, plus vagues il est vrai: « il y a 2000 ou 3000 ans » en 1838 84 et, au début de ce même article sur les Tombeaux de Corneto à la fin duquel il prend si nettement parti: « 2000 ans au moins, peut-être 4000 » 85, qui concilie sa propre conviction et les « enseignements » du Père Maurice. Nous sortirions de notre propos en évoquant les activités archéologiques et la chronique que tient Stendhal sur les fouilles, le commerce antiquaire etc dont Tarquinia et sa région sont le centre. Ce serait pourtant la partie la plus vivante et la plus pittoresque de cet exposé. Les chroniques des fouilles, exécutées tant par lui-même et la société dont il fait partie que par les propriétaires, les antiquaires et les savants, occupent une partie non
79 P. III, p. 225: tombeaux, vases et peintures de Tarquinia sont «antérieurs aux Romains». 80 P. III, pp. 321 sq. (n. 1673): «antérieurs à Pline». 81 Lettre 1439 du 24-3-1835, P. III, p. 27. 82 Lettre 1182, du 25-2-1833, P. II, p. 501. 83 P., pp. 712 et 713. En décembre 1825, il datait d'après Niebuhr l'Étrurie préromaine d'«il y a 2400 ans»: au New Monthly Magazine, P. II, p. 414. 84 Lettre 1615, du 19-3-1838, P. III, p. 258. 85 Tombeaux, D., p. 202.
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négligeable de sa Correspondance916 et des Tombeaux de Corneto entre 1831 et 1838 87. On y apprend le pourquoi et le comment des fouilles, on y voit appliquées les déplorables méthodes qui sont alors universellement pratiquées, le tout raconté avec beaucoup de piquant et souvent de pittoresque88. On y fait connaissance avec divers fouilleurs et marchands d'antiquités, tels le chevalier Manzi et surtout le cher Donato Bucci pour lequel il n'hésite pas à faire de la publicité 89. On y assiste sur le vif au commerce effréné des antiquités étrusques pour lequel Stendhal se fait rabatteur au bénéfice de ses amis quand il n'achète pas pour son propre compte90. Stendhal insiste aussi sur le caractère mondain (tourisme et collections) de la vogue des Étrusques, dont il avait déjà pris conscience en 1825-1826 et qu'il rapportait à l'influence de Niebuhr91. Il ne résiste pas au plaisir de juger le caractère 86 Et non seulement la lettre à Sophie Duvaucel et les Tombeaux, comme l'écrit M. Yves du Parc dans le Stendhal Club, 6, 1960, pp. 190 sq. L'article paru dans le Moniteur du 8-12-1836, cité par M. du Parc, est la lettre déjà citée, n. 1575, de fin novembre 1836. 87 1831: lettre 1060, P. II, p. 375; 1834: lettre à Sophie Duvaucel; 1835: Walks in Rome, lettre 1439, P. III, pp. 26 sq.; lettre 1440, P. III, pp. 27-30; 1836: lettre au directeur du Moniteur et l'article; Tombeaux, passim, notamment pp. 215 sqq.; 1838: lettre 1615, P. III, p. 258; 1840: Rapport au Maréchal Soult. Sans parler des textes mineurs ou se rapportant à des découvertes romaines. 88 Ainsi la scène, analogue à celle qui est rapportée par Noël des Vergers dans VÉtrurie et les Étrusques, II, Paris, 1864 et retranscrite dans A. Hus, Les Étrusques, peuple secret, Paris, 1957, pp. 27 sq. Elle est décrite dans la lettre 1439, du 24-3-1835, P. III, pp. 26 sq.: Quand on trouve un tombeau intact... on jouit pendant une heure de la vue d'un grand homme, revêtu de tous ses ornements, une couronne d'or sur le crâne; les feuilles de laurier en or sont plus légères que du papier. Bientôt tout tombe en poussière très humide, presque en boue, et l'on est réduit à pêcher, avec une épingle, les feuilles de laurier dans cette boue. Le ton diffère beaucoup de celui - plus romantique - de Noël des Vergers. 89 Y. du Parc, art. cité, pp. 189-192. Nombreux textes, entre autres: Walks in Rome, P., p. 1194; lettre au directeur du Moniteur; Tombeaux, pp. 209 sqq, 214 sq; lettres de 1838, P. III, p. 258 (n. 1615) et pp. 267 sq (n. 1626); Idées italiennes, D., pp. 293 sq. 90 1834: lettre à Sophie Duvaucel et lettre 1261, P. II, p. 925; 1835: lettre 1439, P. III, pp. 26 sq; 1440, P. III, pp. 27-30; 1836: lettre au directeur du Moniteur; 1837: lettre du 12-2, P. III, p. 539 Tombeaux, pp. 204 sq, 208 sq, 216; 1839: lettre 1665, P. III, p. 313; 1840: P. III, p. 372, etc.... Les achats et les visites du roi de Bavière, les copies qu'il fait faire des peintures de Tarquinia (v. plus haut) sont mentionnées à plusieurs reprises en 1834, 1836 et 1840, ainsi que dans Tombeaux, p. 205. 91 Au New Monthly Magazine, écrit le 18-12-1825, P. II, pp. 413 sq. Il déplorait alors que les savants français aient négligé les Étrusques, alors qu'Italiens (Micali) et Allemands (Niebuhr) s'en occupaient activement. Sur ce caractère mondain de l'étruscologie et des antiquités, entre autres: lettre à Sophie Duvaucel; lettre 1439, P. III, p. 26 (1835); Tombeaux, pp. 205 sq et 208 sq; lettre 1665, P. III, p. 313 (1839). Ce caractère mondain (qui n'exclut pas l'érudition apportée par les «savants») sera bien illustré par le Tour de Mrs Gray (ν. plus haut), qui paraîtra en 1840.
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français comparé à ceux des Anglais et des Allemands du point de vue qui nous occupe; il s'agit de la vente des vases de Vulci effectuée par Lucien Bonaparte 92: Mais pour en revenir aux sept cent mille francs reçus par le prince en échange de ses vases, ce furent l'Angleterre et l'Allemagne qui payèrent cette somme énorme; la France n'y participa que pour cinq mille francs, tant le goût des arts est encore incertain chez nous lorsqu'il n'est pas fortifié par la mode. Or, comment les pauvres vases de Corneto auraient-ils été à la mode? Ils n'étaient protégés par personne. Un savant étranger m'a appris que le numéro du Moniteur du 28 juillet 1830, le dernier Moniteur du règne de Charles X... contient une longue lettre qui explique assez bien ce que c'est que les vases de Corneto93... J'ai scandalisé ce savant étranger en lui disant qu'on ne lit jamais dans le Moniteur que les ordonnances qui nomment les ministres; que, quant aux articles littéraires, on leur trouve je ne sais quoi d'officiel et d'illisible. J'ai ajouté que les antiquités ne seront jamais à la mode en France, pour la raison que certains charlatans trop connus s'en sont emparés comme de leur domaine. En France, pays du charlatanisme et de la camaraderie, personne ne veut être dupe des charlatans trop connus. Stendhal, à l'évidence, n'a jamais parlé des Étrusques pour eux-mêmes. Durant la première période, ils lui servent constamment de point de réfé rence pour exercer sa satire contre les prêtres ou critiquer la société de son temps, ce qui explique ses contradictions: tantôt esclaves des « jésuites », tantôt possédant P« art d'être heureux », ils illustrent en partie sa conception du voyage et des livres qui s'y consacrent: L'auteur a passé dix ans en Italie; au lieu de décrire des tableaux ou des statues, il décrit des mœurs, des habitudes morales, l'art d'aller à la chasse au bonheur en Italie9*. et c'est un aspect de cette conception qu'il illustre pendant sa seconde période. Je ne prétends pas dire ce que sont les choses; je raconte la sensation qu'elles me firent95. S'il refuse d'écrire dans la première période pour « les gens à argent et à cordons » 96, c'est bien pour eux que souvent il agit et écrit dans la seconde, tout en conservant son indépendance d'esprit et de jugement.
92 Tombeaux, pp. 205 sq. 93 Sur ce savant et cet article: Y. du Parc, Stendhal Club, 6, 1960, pp. 189 sqq. 94 Lettre du 20-3-1827, passage cité par V. del Litto dans son édition des Voyages de Stendhal, P., p. XXXVIII. 95 RNF, cité ibid. 96 Ibid.
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D'où lui vient donc son souci d'érudition? A n'en pas douter de l'article de VEdimburg News qui, rendant compte de la première édition de Rome, Naples et Florence, en novembre 1817, le taxait de frivolité, ce dont Stendhal fut piqué au vif 97. Dès lors, tout en avouant lui-même: « ce n'est pas un voyage sérieux » 98, il entreprend de se documenter sur les antiquités en vue de la seconde édition de l'ouvrage ", et encore après la parution des Promen ades, dans les annotations manuscrites de l'exemplaire Serge André. Mais, si son « cœur » (voir plus haut) le porte vers les vestiges romains, les Étrusques l'ennuient 10°. Par prudence (pour donner du sérieux à son ouvrage) je viens de m'ennuyer toute une soirée quoique je ne sois amoureux que des ruines de Rome. Frédéric aime les Étrusques et leur influence sur les Romains... (il) dit du mal de Cimarosa ou du Corrège quand je refuse de croire aux grandes actions des Étrusques. L'intérêt sera beaucoup plus vif pendant la seconde période, mais les vues théoriques beaucoup plus réduites: c'est que les villes, les tombeaux, les objets étrusques sont matière à sensations. Il n'en demeure pas moins que si ces sensations et une partie des jugements qu'il porte lui sont personnels, une autre partie de ces jugements et toutes ses connaissances théoriques proviennent des chercheurs et érudits contemporains, de ceux qu'il appelle « les savants ». Nous devons donc chercher à savoir quelle était son attitude à l'égard des antiquités et des « savants » et quelle était sa position scientifique. A l'égard des antiquités, il agit deux fois en fonctionnaire consciencieux qui fait rapport à ses supérieurs 101. Mais le plus souvent il en parle à titre personnel. C'est, en 1826, une admiration respectueuse et instinctive encore que rationnelle 102 qui n'interdit pas de « rêver » 103 et qui procure plus de
97 Voir, sur ce point, V. del Litto, o.e., P., pp. 1430-1451. 98 Lettre n. 801 bis du 22-12-1825, P. II, pp. 77 sq. Il y demande à Martial Daru «une notice de trois pages sur les services que l'Intendant de Rome a rendus à l'antiquité et aux arts». Réponse de Daru le 26-12-1825, contenant un exposé des fouilles en cours à Rome, ainsi que des travaux de l'Accademia S. Luca et de l'Institut d'archéologie. 99 Ibid. 100 Ex. Serge André, P., pp. 1643 sq, et Promenades, D. pp. 140-142. 101 En 1812 et en 1840, v. plus haut, p. 438, note 4. 102 RNF, 2e éd., 1826, P., pp. 507 et 535. 103 O.e., pp. 503 sq.
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connaissances que celles d'un « savant », puisées dans les livres. Plus tard, quand il aura manipulé ou vu des milliers d'objets, il recherchera en eux « le beau antique » 104. Son érudition sera beaucoup plus pratique que livres que,mais il restera toujours un « paysan du Danube » 105. Cette attitude d'honnête homme et d'amateur plus éclairé qu'il ne veut l'avouer, mais partial et finalement peu ouvert à l'art antique 106, trouve son complément dans les jugements qu'il porte de 1825 à 1837 sur les savants. D'abord sur les savants en général, sots 107, incompétents 108, crédules 109, pédants n0, vaniteux et ridicules m, ennuyeux 112 doctrinaires et imbus de l'esprit de système113, détestables érudits dépourvus de logique et de sens commun 1U. Viennent ensuite les savants par nationalités. En France, Caylus est « sévère et brusque » 115, et nos « prétendus historiens » se voient reprocher de ne rien avoir publié sur les Étrusques 116; mais c'est l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres (horresco referens) qui est sa cible favorite. Dans la lettre à Sophie Duvaucel (1834) 117, garantissant l'authenticité des vases qu'il envoie, il écrit: Quant au local, j'y conduisis jadis... MM. Adrien de Jussieu et Ampère118; quoique tenant à l'Institut, j'espère qu'ils ne mentiront pas quant aux faits bruts.
104 Grec et romain, non étrusque: lettre n. 1181, du 14-2-1838, P. II, p. 500; cf. lettre 1665, du 5-12-1839, P. III, p. 313. 105 Lettre 1678, du 29-1-1840, P. III, p. 325. 106 Cf. RNF, 2e éd., 1826, P., p. 541: II faut être un sot ou un savant pour prétendre que cela (les peintures de Pompei) est supérieur au XVe siècle: ça n'est qu'extrêmement curieux». 107 RNF, 2e éd., 1826, p. 541. 108 O.e., pp. 562 sq; Walks in Rome, P., p. 1194. 109 Ex. Serge André, P., p. 1644 (archéologues). 110 Walks in Rome, P., p. 1194. 111 RNF, 2e éd., 1826, P., pp. 562 sq. 112 Walks in Rome, ibid. 113 Lettre à Sophie Duvaucel, P. II, p. 713 («vos savants qui nient tout ce qu'ils n'expl iquent pas»); Tombeaux, D., p. 218. 114 Tombeaux, ibid. 115 Lettre 1060, du 25-12-1831, P. II, p. 375. 116 Au New Monthly Magazine, décembre 1825, P. II, p. 413 sq. 117 P., pp. 713 et 714. 118 Cf. la lettre à la même, n. 1380, du 3-11-1834, P. III, pp. 722 sq et, plus loin, la lettre 1393. Longue lettre archéologique à J.-J. Ampère (père d'Adrien), n. 1440, du 24-3-1835, P. III, pp. 27-30.
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et il termine sa lettre par ces propos: Les antiquaires romains ont la tête encore plus étroite qu'un membre de l'Académie des Belles Lettres. Figurez-vous quelque chose de plus étroit que M. Silvestre de Sacy et de plus hypocrite que M. Saint Martin119. Les savants italiens pris dans leur ensemble ne sont égratignés qu'une fois en 1826: Ce qui manque le plus aux savants italiens, après la clarté, c'est l'art de ne pas regarder comme prouvés les faits dont ils ont besoin; leur manière de raisonner, en ce genre, est incroyable120. Mais c'est surtout la science allemande que Stendhal déchire à belles dents en 1826, 1829 et 1837, avec une constance remarquable. En 1826, il reproche aux savants allemands de considérer l'Histoire - et l'Antiquité avec un esprit abscons: M. Niebuhr serait bien supérieur à tout ceci (Micali), si la malheureuse philosophie allemande ne venait jeter du louche et du vague sur les idées du docte Berlinois... A Paris, on sert à part le turbot et la sauce piquante. Je voudrais que les historiens allemands se pénétrassent de ce bel usage; ils donneraient séparément au public les faits qu'ils ont mis au jour et leurs réflexions philosophiques. On pourrait alors profiter de l'histoire et renvoyer à un temps meilleur la lecture des idées sur l'absolu121. Je ne comprends rien au ton mystique avec lequel M. Schlegel vient nous parler des théâtres anciens; mais j'oubliais qu'il est Allemand et appa remment moi, malheureux Français, je manque de sens intérieur122. Plus tard, sur l'exemplaire Serge André, il reproche à Frédéric qui a « le caractère allemand » et « qui parle avec éloge des ouvrages de MM. Dorow et Ottfried Müller sur l'ancienne Étrurie » 123 de « rêver à l'histoire » et de « croire aux grandes actions des Étrusques » 124. En 1837, enfin, il est beau-
119 Tombeaux, p. 213: le même reproche y est adressé de ne pas travailler sur pièces à « un jeune savant français » qui a émis un jugement erroné sur une inscription du Vatican; « il est vrai que ce jeune savant, qui sera de l'Institut, n'a jamais vu le Vatican ». 120 RNF, 2e éd., 1826, P., pp. 497 sq. 121 O.e., p. 498. 122 O.e., p. 535. 123 Promenades, P., pp. 607 et 716. 124 P.f p. 1643.
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coup plus dur. Parlant des ouvrages allemands 125, il écrit 126: Tous se moquent fort de la logique et admettent comme preuve irréfra gable de belles phrases pompeuses ou bien, comme Niebuhr, prouvent une certaine chose, ajoutent une supposition à la chose prouvée et, deux pages après, partent de la supposition comme d'un fait incontestable; c'est ainsi que l'on est un grand homme outre-Rhin. Tout ce que l'on peut accorder à ces messieurs, qui se moquent de notre légèreté, c'est qu'ils savent par cœur quinze historiens ou poètes anciens. Ce n'est pas peu, une tête qui contient cela peut elle contenir autre chose? Stendhal n'est pas plus tendre pour les grands noms de l'archéologie et de l'étruscologie récents et contemporains. Caylus (voir plus haut) est à peine égratigné, mais Winckelmann, « premier baron de Steindhal » est qual ifié de « déclamateur sans idées mais non pas froid » 127. G. Micali, auteur à succès en 1810 de l'Italia avanti il dominio dei Romani1291, déjà qualifié «pédant d'idées» en 1817 (voir plus haut), est ainsi caractérisé dans le New Monthly Magazine 129: M. Micali de Florence qui, malgré toute son érudition est assez charlatan et qui a souvent des idées fausses sur les monuments qu'il décrit (par exemple la porte cyclopéenne de Volterra) . . . En 1826, Niebuhr lui est reconnu « bien supérieur » pour les faits et Stendhal revient sur « bon nombre de mensonges et d'exagérations » dans les planches consacrées par Micali à Volterra. En somme, Stendhal s'appuie sur le seul cas où il puisse juger de visu pour ratifier les jugements critiques de Niebuhr (qu'il n'a sans doute pas lus) et des spécialistes.
125 Au nombre desquels, apparemment, il range un certain M. Dempstev, « savant archéolo gue de Florence» qui aurait publié, «il y a plusieurs années, en dix volumes in-folio, l'histoire des systèmes inventés de son temps». Nous n'avons pas retrouvé trace de ce M. Dempstev. Ne s'agirait-il pas de Thomas Dempster, Écossais, qui vivait au XVIIe siècle et dont furent publiés, longtemps après sa mort, en 1724 et à Florence, les deux tomes de son De Etruria regali libri VII? Cela serait bien dans la manière de Stendhal. 126 Tombeaux, pp. 219 sq. 127 Lettre à Sophie Duvacel, P. II, p. 713. 128 Sur G. Micali: P. Trêves, Lo studio dell'antichità classica nell'Ottocento, Milan-Naples, 1962, pp. 293-311. La critique spécialisée se montra très réservée, mais l'ouvrage fut admiré, notamment en France, par Fauriel (qui sera l'un de ses co-traducteurs), Lamennais et surtout Sismondi. Niebuhr porte sur lui des jugements contradictoires ou, pour le moins, nuancés. Micali publiera, en 1832, une Storia degli antichi popoli italiani. Probablement Stendhal la lira-t-il comme il avait lu l'Italia-..., mais il ne porte plus de jugement après 1826. 129 De janvier 1826; lettre de Stendhal du 28-12-1825, P. II, pp. 413 sq.
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Mais B. G. Niebuhr 130, nous l'avons déjà vu, n'est pas épargné à cause de sa « philosophie allemande ». Pour les faits il est encensé dans l'article du New Monthly Magazine (« seul M. Niebuhr de Berlin a rempli heureuse ment la tâche entreprise par M. Micali ») dans lequel Stendhal feint d'em prunter directement à son livre le tableau qu'il brosse de l'Italie des VIIe-VF siècles avant notre ère. Mais, en 1837, cette belle confiance a disparu: outre la diatribe citée ci-dessus, il avait déjà écrit, quelques pages auparavant, qu'on ne saurait « ajouter foi à toutes les imaginations données comme preuves du célèbre Niebuhr » m. F. Inghirami 132 est rapidement expédié, en 1835 133. Stendhal lui reproche, nous l'avons vu plus haut, d'avoir fait « sur les vases étrusques, des romans qui ne sont pas même amusants »; plus loin, il écrit: (Philippe) « a lu les dix volumes in 4° de M. Inghirami, prétendu savant de Florence, lequel a le mérite d'exposer tout ce que d'autres ont dit sur les vases ». Quant à Raoul-Rochette 134, il est seulement mentionné dans le New Monthly Magazine comme « académicien et ultra », (qui) a fait une traduction française de cet ouvrage romantique {V Italie... de Micali). Mais Stendhal va plus loin en 1829 135: « M. Raoul-Rochette a gâté cet ouvrage en le mettant en Français ». Cette longue suite de critiques et de jugements sans appel suffirait à nous informer de la position «scientifique» de Stendhal. Il la définit plus positivement dans quelques textes échelonnés de 1829 à 1834, qui se ramè nent à l'énoncé de quelques principes: Dans l'étude de ces antiquités reculées (époque de S. Tullius et pro blèmes des remparts de Rome), l'essentiel est d'admettre pour probable ce qui est probable, de ne croire que ce qui est prouvé; je ne parle pas de preuves mathématiques car chaque science a un degré de certitude différent 136. 130 II avait publié en 1811 et 1812 les deux premiers tomes de sa Römische Geschichte. Il ne sera traduit qu'en 1840. Il est plus que probable que Stendhal - qui se serait profondément ennuyé à le lire en français - ne s'est pas donné le désagrément de le lire en allemand. RaoulRochette en traite brièvement dans l'Introduction de son édition de Micali, I, p. XII. 131 Tombeaux, p. 212. 132 Monumenti etruschi e di etrusco nome, 10 volumes, Florence, 1820-1826. Il semble que Stendhal ait au moins feuilleté cet ouvrege. Du moins ne se trompe-t-il pas sur le nombre des volumes. Raoul-Rochette en dit grand bien, o.e., p. XIII. 133 Walks in Rome, P., pp. 1193, 1194, 1195. 134 Sur Raoul-Rochette, G. Perrot, CRAI, 1906, p. 638 sqq, et J. Heurgon, o.e., p. 4. Ses notes et ses « éclaircissements » prennent constamment le contre-pied de Micali. En revanche, il ne l'a pas traduit, la traduction étant due à Joly et Fauriel (Raoul-Rochette, o.e., p. V). 135 Promenades, P., p. 666. 136 Promenades, P., p. 666.
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Sur l'exemplaire Serge André, il condamne l'imagination dans les scien ceshistoriques: Au lieu de rêver à l'histoire, j'aime mieux employer mon imagination à la musique ou à la peinture137. En 1833, il écrit: Je deviens antiquaire en diable. Cependant, il me reste encore un peu de logique; je ne regarde pas pour vrai ce qui convient à mon système138. En 1834, autre précision 139: J'aime le beau et non le rare; ensuite, je ne crois que ce qui est prouvé. Nous sommes donc prévenus du médiocre intérêt scientifique que Stendhal portait aux antiquités étrusques et des opinions qu'il nourrissait à l'égard des savants et des archéologues, singulièrement à l'égard de ceux qui s'occupaient des Étrusques, au nom d'un idéal certes sain mais superficiel. Reste à voir quelles sources il prétendait avoir consultées («pour faire sérieux »), celles qu'il a effectivement utilisées, et à nous demander quel a été le rôle de ces dernières dans les vues parfois aberrantes qu'il a exposées. Il faudra se garder de sous-estimer son apport personnel, qu'il s'agisse de ses idées, si constantes, ou de ce qu'il avait personnellement vu. Parmi les sources écrites, il y a d'abord celles qu'il prête à « d'autres », c'est à dire à ses personnages des Promenades. Cela prouve qu'il en connaissait l'existence - voire qu'il les avait vues ou qu'il en avait entendu parler -, mais rien n'indique qu'il les ait effectivement lues: ce sont G. Dorow 140 et Karl Ottfried Müller 141 (prêtés à Frédéric, « esprit allemand ») et F. Inghirami142 (prêté à Philippe).
137 P., p. 643. 138 Lettre 1182, du 25-2-1833, P. II, p. 501. Cf. plus haut les reproches adressés aux « savants » sur leur manque de logique et leur esprit de système. 139 Lettre à Sophie Duvaucel, P. II, p. 712. Cf. la lettre du 11-1-1834, antérieure de dix mois: «l'histoire probable des tombeaux de Corneto». Le genre de «preuve» dont il se con tente, et qu'il produit à plusieurs reprises, consiste à affirmer que les vases et les tombeaux étrusques sont antérieurs aux Romains parce que Pline, «ce vantard», «dont l'amour -propre tient à montrer que l'Italie n'a pas l'unique mérite d'avoir conquis le monde et a fait aussi d'assez jolies choses dans les arts», n'en parle pas. V. plus haut, p. 453. 140 Auteur d'un Voyage en Étrurie, paru en 1829. 141 Auteur de Die Etrusker, Breslau, 1828. Les deux ouvrages venaient donc à peine de paraître quand Stendhal publiait les Promenades. 142 Voir plus haut, p. 460, note 132. L'ouvrage (1820-1826) était encore récent.
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II y a ensuite celles que Stendhal revendique explicitement ou dont il parle si péremptoirement que cela revient à les revendiquer143. Rien ne donne à penser qu'il ait vraiment lu les deux « géants » du XVIIIe siècle, Caylus et Winckelmann, sur lesquels il ne porte d'ailleurs que des jugements génériques. Mais il les connaissait certainement de façon ou d'autre, comme le montre, pour Winckelmann au moins, la lettre à Sophie Duvaucel 144. En revanche, il en est cinq dont il se réclame formellement et un sixième qu'il ne mentionne pas à propos des Étrusques mais qu'il a beaucoup pratiqué et pillé145: de cinq d'entre eux (voir plus haut) il a dit pis que pendre 146. Ce sont: G. Micali, dont l'Italia avanti il dominio dei Romani paraît en 1810 147. B. G. Niebuhr, dont la Römische Geschichte I et II paraît en 1811 et 1812 148. L. Pignotti, dont la Storia della Toscana sino al principato paraît en 1813 149.
143 Bien entendu, nous nous limitons à celles qu'il invoque à propos des Étrusques. Il y en a d'autres - nombreuses - pour Rome, que M. A. Caraccio énumère dans son édition crit ique des Promenades, Paris, Champion, 1938, pp. XXXVIII-XLI. L'étude de M. Caraccio, déce vante pour notre propos, reste fondamentale pour l'étude des sources romaines des Promenades. 144 P., p. 713. 145 Les cinq premiers sont Micali, Raoul-Rochette, Niebuhr, Pignotti et Nibby; le sixième est Sismondi. 146 Pour Micali (qui, pourtant, partageait son horreur de l'esprit de système et des savants «conjecturants»), Raoul-Rochette et Niebuhr, voir plus haut. En ce qui concerne Nibby, bien qu'il le pille sans cesse pour ses descriptions de Rome, et qu'il l'estime en 1825 «le moins bête des savants romains», et en 1829 «l'un des antiquaires les plus raisonnables de Rome» (Promenades, P., p. 892), il l'égratigne sérieusement vers la même époque (P., p. 1270) et le méprise cordialement parce qu'il est archéologue. Quant à Sismondi, il ne cesse de porter sur lui des jugements acerbes, bien qu'il l'utilise sans cesse en 1817 et 1818: voir V. del Litto, éd. des Voyages, P., pp. 1444 sq et 1623 notamment. 147 II s'en réclame formellement en 1829 dans Promenades, P., p. 665, ainsi que de Niebuhr et surtout de Pignotti. Dès 1825 et 1826, il portait sur lui des jugements péremptoires. Mais il l'a lu, comme le montre la réflexion qu'il fait sur les erreurs que commet Micali à propos de la Porta all'arco de Volterra. Raoul-Rochette, dans son Introduction, loue fort, avec Niebuhr, la qualité des planches de Micali. 148 II s'en réclame en Promenades, ibid., ν. note précédente. Nous avons rapporté plus haut ses jugements, également péremptoires. Il est douteux qu'il l'ait vraiment lu. 149 II s'en réclame comme source directe en Promenades, ibid. (à propos des prêtres étrusques, qui auraient empêché les lucumons de prendre Rome plus tôt: « Pignotti raconte fort bien tout ceci sans emphase, et sans chercher à se donner de l'importance»). L'ironie, le scepticisme de Pignotti, son érudition un peu superficielle mais déjà «digérée» plaisaient à Stendhal, qui l'utilise fréquemment.
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J. C. de Sismondi, dont l'Histoire des Républiques italiennes du MoyenAge (16 volumes) paraît entre 1807 et janvier 1818 15°. Raoul-Rochette, dont la traduction annotée de Micali paraît en 1824 (la traduction est en fait de Joly et Fauriel, v. plus haut, p. 460, note 134). A. Nibby, dont Stendhal ne se réclame qu'une seule fois sur un point précis (voir plus haut), qu'il utilise en fait deux fois. Son Viaggo antiquario ne' contorni di Roma paraît en 1819, ses Elementi di Archeologìa en 1828 et son Itinerario di Roma en 1830 151. Stendhal enfin, mais exclusivement durant la deuxième période, cite un grand nombre de sources orales auxquelles il fut certainement redevable de nombreux renseignements pratiques ou érudits. Ce sont: D. Bucci, antiquaire à Civitavecchia et ami de Stendhal 152, le chevalier Manzi, qui fouillait à Tarquinia et à Rome et publiait des dissertations sur l'origine des tombeaux tarquiniens 153, Durand, collectionneur 154, « le savant M. Acolti de Corneto 155, le Père Maurice 156, le Prince Massimo 157 », « un savant étranger » 158, P. Cala bresi, collectionneur d'antiquités étrusques 159 et, par son canal, Q. Visconti 160 que Stendhal cite plus souvent à propos d'antiquités romaines. Cette informa tion orale suffit presque à Stendhal durant la période 1831-1840 161. Reste
150 Également pillé par Stendhal qui, malgré ses jugements péjoratifs, partage beaucoup de ses idées. Une partie de l'Introduction est consacrée aux Étrusques. Nous savons qu'en mai 1818, Stendhal s'occupa à extraire du dernier tome de longs extraits. 151 Stendhal ne le cite, mais expressément, que pour l'histoire de Cerveteri, à la fin de la lettre au Maréchal Soult. Il l'utilise pourtant une autre fois sans le dire (v. plus bas). 152 Sur Donato Bucci: Walks in Rome, P., p. 1194; Tombeaux, Ό., pp. 209 sqq et 214 sq (cf. Idées italiennes, D., p. 294); lettre de novembre 1836 au directeur du Moniteur (et l'article), n. 1575, P. III, p. 224 («Donato Bucci, ancien négociant en draps qui est devenu passionné pour les vases antiques, et qui a laissé là les draps pour ne plus s'occuper que d'antiquités»; cf. lettre 1626, P. III, p. 268); lettre du 19-3-1839, n. 1615, P. III, p. 258, etc. 153 Lettre 1182, du 25-2-1833, P. II, p. 501 (cf. celle du 11-1-1834, P. II, p. 575); Tomb eaux, pp. 207, 214 sq. 154 Tombeaux, pp. 208 sq. 155 O.e., p. 207. 156 O.e., pp. 218 sq. 157 Walks in Rome, P., p. 1195. L'opinion du prince Massimo sur Vulci coïncide avec la remarque que Stendhal faisait dès 1817 sur l'existence d'un «grand peuple inconnu» avant les Étrusques (v. plus haut, p. 438, note 5). 158 Tombeaux, p. 206. 159 Lettre au Maréchal Soult, n. 1679, du 29-1-1840, P. III, p. 327. 160 Ibid. Antiquaire et commissaire des antiquités à Rome. 161 A l'exception du renvoi à Nibby, pour l'histoire de Cerveteri, dans la lettre au Maréc halSoult.
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donc à voir où celui-ci a puisé son information pour les idées qu'il émet durant la première période. Nous examinerons successivement chacun de ses thèmes. Le thème des trois âges de l'Italie se trouve dans Sismondi 162 et Pignotti 163. Celui des Étrusques, première civilisation de l'Italie, antérieure aux Romains est également dans Sismondi 164 et Pignotti 165, mais se trouve surtout à mainte reprise dans Micali 166, avec mention des arts, des sciences, de la pensée et de la sagesse; Pignotti 167 et Micali 168 situent leur floraison à l'époque de la guerre de Troie et soulignent leur antériorité par rapport à Rome 169. La civilisation étrusque s'est même développée antérieure ment à celle de tous les autres peuples de l'Europe et notamment à celle des Grecs, affirment Sismondi et Pignotti 170. Le thème suivant, commun à l'Egypte et à l'Etrurie et selon lequel le clergé - véritable caste - aurait réduit le peuple en esclavage mat ériel et surtout moral, dominé les lucumons (ou « petits rois ») et exercé le pouvoir par leur intermédiaire, est également présent à des degrés divers, chez les trois auteurs. Il n'est pas jusqu'aux « sept cents ou huit cents familles d'Angleterre », ni même la comparaison avec le catholicisme romain et les jésuites, qui ne se trouvent chez deux d'entre eux. L'anticléricalisme de Stendhal est bien connu; mais c'est certainement les pages que Sismondi consacre au rôle de l'église catholique en Italie m qui lui fournissent l'idée de sa comparaison. Sismondi y développe en effet la thèse selon laquelle la religion catholique a dominé l'Italie, « parce qu'au cune n'est plus fortement organisée, aucune ne s'est plus complètement subordonné la philosophie morale, aucune n'a plus entièrement asservi les consciences...». Par leur alliance avec les princes temporels, les Papes
162 Introduction (1807), p. XI. 163 Pp. 111-123. 164 Introduction, p. VI. 165 Pp. 4, 66 sq. 166 Micali, L'Italia..., I, p. 135; II, pp. 96, 182-188, 215, 218; 222 sq; III, p. 15. 167 Pp. 92 sq. 168 II, p. 188. 169 Pignotti, ibid.; Micali, passim. 170 Sismondi, Introduction, p. VII; Pignotti, pp. 78, 92, 109 sq (d'après Winckelmann et Caylus). Cette vue est alors unanimement acceptée, témoin, par exemple, le Résumé complet d'archéologie, par Champollion-Figeac (frère de l'égyptologue), Paris, I, 1825, p. 184. 171 Tome XVI, 1818, pp. 409-422 et (sur l'éducation, confiée aux jésuites) 422-431.
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« ne s'occupèrent que de courber les consciences et d'asservir l'esprit humain, et en effet ils lui imposèrent un joug que jamais les hommes n'avaient encore porté ». L'Église s'est emparée de la morale qui s'est entièrement dénaturée entre les mains des casuistes. Quant au résultat de l'éducation des jésuites, il a été de « façonner au joug » leurs élèves et d'en faire des sujets obéissants. « Conduits en aveugles dans leur éducation, obéissant en aveugles à leurs prêtres, ils ont été tout prêts à offrir la même obéissance à leurs princes ». Sismondi soulignait d'ailleurs dans le même volume 172 que la liberté antique n'était que celle de « certaines familles ». Or, Micali offrait de son côté, l'image d'une Étrurie « féodale » 173 dans laquelle une puissante aristo cratie possédait une influence dominante qu'elle devait au fait qu'elle « riuniva in se gli onori del sacerdozio e dell'impero » m. L'idée n'est pas exactement celle de Stendhal sur ce point précis, mais nous trouvons dans Micali et Pignotti, sinon un jugement, du moins une description de la religion et du clergé étrusques qui sont certainement à l'origine des propos de Stendhal. Pignotti 175 reste assez générique, parlant des Étrusques comme des hommes « les plus superstitieux de la terre » après les Égyptiens, décrivant leur clergé comme lié « alla primaria autorità » et suggérant la soumission des « puissants » aux prêtres; il approuve d'ailleurs comme sage cette utilisation de la religion à des fins politiques. Micali va beaucoup plus loin dans la description et dans l'analyse. La religion étrusque, telle qu'il la voit, assure le bonheur de l'État; elle est saine et son influence positive 176. Quant au clergé, c'est un corps de prêtres discipliné 177, recruté dans la classe dirigeante et détenant tous les pouvoirs politiques parce qu'il possédait la science, surtout celle d'interpréter la volonté des dieux178. Le résultat (comme en Egypte) fut d'établir l'ordre social sur deux classes distinctes, l'une faite pour enseigner,
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O.e., p. 360. I, p. 134. II, p. 31. Pp. 125-129. II, pp. 56-57. II, p. 56. II, p. 65 sqq: In tanta forza di religione, adunque, si videro stabilite famiglie sacerdotali, i cui membri mediante un ascoso commercio con le nature divine, si arrogarono la prero gativa d'essere gli interpreti del cielo ed i soli autorevoli membri della teologia politica. Questa classe d'uomini, interponendo ad arbitrio l'augusta voce dei Numi, si appropriò esclusivamente le poche salutari cognizioni allora esistenti in fisica, astronomia, medic ina, ed altre cose naturali, in guisa che si rendette non solo custode degli arcani di religione, ma ancora dei segreti delle scienze ed arti ... Né con minor destrezza gli
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l'autre pour croire 179. Les buts de la première furent « d'accumuler » à son profit de nouvelles connaissances et de se prévaloir de celles qu'elle possédait déjà, pour régner sur les esprits 180; elle tendra à « troubler, sinon à opprimer les faibles facultés de l'esprit humain » 181. Pourtant, le jugement de Micali sur cette caste sacerdotale est largement positif. Non seulement, elle est une nécessité universelle, mais, par sa réfle xion, elle conduit au progrès des sciences et des arts (cf. la réflexion de Stendhal sur « les premiers pas de l'esprit humain dans ce triomphe remporté par l'esprit sur la force brutale » p. 440); elle est même garante du bonheur et de la fermeté de l'État 182. Quant à l'assimilation ou au parallélisme de l'Étrurie et de l'Egypte, ils sont alors, dans une perspective résolument hostile à Winckelmann, largement répandus 183 et trouvent un écho certain dans Pignotti 184 et dans Micali 185. Le thème de la prospérité étrusque est bien illustré par Sismondi 186, Pignotti 187 et Micali 188. Mais Stendhal ne se préoccupe pas du problème de
astuti indovini Toscani abusarono del sacro ministero, vantandosi alcuni d'intendere il linguaggio auguroso delle aquile... (cf., p. 440, note 15, le texte sur M. de Villèle). Ces idées sont reprises et amplifiées en II, pp. 224 sqq. 179 II, p. 224. La science étant fondée sur le secret (arcano), on aboutit à: La creazione cioè d'un corpo di primati custodi della religione, ed insieme delle scienze e delle arti. Su questa base, i saggi del mondo civile inalzarono quell'ardito sistema, che stabilì l'ordine sociale su due distinte classi: l'una fatta per insegnare, l'altra per credere. 180 II, p. 225. C'est nous qui soulignons. Micali poursuit: II grande scopo di ogni civile ο religiosa corporazione è il potere, ed un potere fondato sulla credulità umana trae seco ogni altra sorta di dominio. On remarquera la conformité de la pensée de Micali avec celle de Stendhal, et jusqu'à l'emprunt par celui-ci de plusieurs mots. 181 II, pp. 231 sq. 182 II, p. 71. 183 Voir par exemple le bel article de S. Donadoni, Or ÏEtruria a se t'appella, qui traite précisément de l'année 1826, dans La parola del passato, 147, 1972, pp. 397-406: Champollion lui-même, à titre privé il est vrai, donnait fort dans ces comparaisons. Cf. également le Résumé complet d'archéologie de son frère, dont les deux tomes paraissent en 1825 et 1826, où Egypte et Étrurie sont fréquemment rapprochées, par leur antiquité et leur esprit, contre la Grèce et Rome. 184 P. 4 et 78 notamment. 185 Outre les passages cités, II, pp. 137 sq (confédération), 190 (sculpture), 229 (croyances d'outre-tombe). 186 Introduction, pp. VII, cf. VIII et IX. 187 Pp. 4 sq. 188 I, pp. 137 sq; III, pp. 4 sq et passim.
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la décadence, expliqué par ces deux derniers auteurs - à la suite des Anciens et notamment de Diodore de Sicile - par les excès de cette prospérité. Beaucoup plus étonnantes sont les affirmations de Beyle sur le libéra lisme des « aimables républiques d'Étrurie » et sur leur art d'être heureux. Ils le sont moins quand on sait que ces deux thèmes sont énoncés et déve loppés par Sismondi et Micali 189. Sismondi est catégorique 190: « Le gouverne ment des Étrusques était celui du bonheur et de la liberté; c'était le gouver nement fédératif ». Micali qui voit, dans un second temps, dans le gouverne ment fédératif une cause de décadence 191, chante à plusieurs reprises la libéralité des Étrusques à l'égard des autres peuples 192, mais aussi leur haine de la tyrannie et la liberté dont ils jouissaient à l'intérieur de leurs états 193. Quant au bonheur, outre qu'il ressort, pour la vie quotidienne, de tableaux tels que ceux qu'il décrit en II pp. 96-110, il est à plusieurs reprises réaffirmé et expliqué par la législation, les mœurs, la nature des dieux et même le système clérical 194. Le parallélisme avec Rome n'est pas loin, mais ce n'est guère chez Micali (à mainte reprise favorable aux Romains) qu'il faut le chercher à moins de lire subtilement entre les lignes. Sismondi 195 fournit à Stendhal l'opposition entre la liberté étrusque et la gloire que Rome tira de ses con quêtes, l'idée (répandue) que la conquête romaine a chassé la liberté et le bonheur d'Italie, et celle (plus répandue encore) selon laquelle la décadence de Rome s'explique par la perte de la liberté et des vertus. Mais c'est Pignotti 196 qui souligne que Rome ne connaissait que la guerre (et l'agr iculture). C'est encore lui, au reste, qui souligne la libéralité de Rome à l'égard des Étrusques et la tolérance romaine pour les cultes étrangers197. Voilà pour les grands thèmes. En ce qui concerne ce que nous appelle rons la petite érudition, il est parfois possible de la localiser. La chronologie (notamment celle de la monarchie et la date de 280 comme terme de l'indé-
189 Pignotti demeure beaucoup plus prudent. S'il reconnaît la sagesse de la classe dirigeante (p. 129), il avoue son ignorance des institutions (pp. 14 sqq). 190 Introduction, pp. VII sq. 191 I, pp. 141 sq; cf. II, p. 9 (d'après Strabon). 192 I, p. 136. 193 II, pp. 12 sqq; II, p. 28. La pensée de Micali tourne constamment autour de la notion de modération politique des Étrusques. 194 I, p. 136; II, pp. 28, 56, 71; III, p. 1. 195 Introduction, pp. VII-IX et X-XI. 196 P. 66. 197 Pp. 67 sq et 125.
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pendance étrusque) peut s'inférer de Micali mais est plus claire encore dans Pignotti 198. Le nom de lucumon apparaît souvent dans Micali 199. La con naissance que Stendhal a de Pline l'Ancien provient de Micali dans son chapitre sur l'art200. Cependant les propos de Stendhal concernant l'his toire de Caere et l'architecture étrusque proviennent de Nibby, bien que Pignotti et Micali en parlent201. En revanche, nous n'avons pu localiser la source précise de Stendhal sur l'alphabet et la langue202. Toute la documentation de Stendhal - si l'on excepte quelques points d'érudition - provient donc de Sismondi, de Micali et de Pignotti; notre auteur l'utilise souvent de mémoire, soit pour illustrer ses propres idées (anticléricalisme, libéralisme, art d'être heureux, etc) qu'il partage souvent avec Sismondi, soit pour éviter d'encourir le reproche de frivolité. Sauf sur un point, nos conclusions rejoignent celles qu'A. Caraccio a dégagées dans l'Introduction de son édition des Promenades et qui concernent la document ation romaine de Stendhal. 1 - Sa documentation de la première période est - sauf pour Volterra exclusivement livresque et entièrement (Sismondi, Pignotti) ou partiellement (Micali) de seconde main. Il la feuillette plus qu'il ne la lit, néglige beaucoup de problèmes et bien des détails; il la déforme volontiers et se livre à des rapprochements ou à des digressions personnelles. « Tous ces éléments inertes rassemblés par des archéologues sont vus par des yeux exercés, jugés par un esprit plein de curiosité et de parti pris, sentis par une âme subtile douée à l'extrême du pouvoir de sympathie et d'antipathie » 203. 2 - A cette documentation de base, il ajoute parfois des détails emprunt és à Nibby ou ailleurs. Il se répète souvent lui-même204. 3 - Alors que tous ses livres, à partir de 1818, se piquent d'archéologie, l'histoire ancienne l'intéresse médiocrement. Il se contente (sans esprit vrai-
198 Pp. 21-65. Stendhal s'y réfère expressément pour la période royale: Promenades, P., p. 665, et A. Caraccio, éd. des Promenades, Paris, 1938, p. 290. 199 Notamment II, p. 10. 200 II, pp. 182-220. 201 Sur Caere: lettre au Maréchal Soult, in fine; sur l'architecture: A. Caraccio, o.e., p. 451. Pour l'architecture, Micali, II, pp. 182-188 n'est pourtant pas éloigné de Stendhal. Pignotti (pp. 107 sq) et Champollion-Figeac (I, p. 69) font, en particulier, un sort au tombeau de Porsenna. 202 Pignotti, pp. 69 sqq, et Micali, II, pp. 263 sqq, demeurent très dubitatifs. Toutefois, Micali exprime l'idée d'un emprunt aux Phéniciens en II, p. 270. 203 A. Caraccio, o.e., p. XXXVIII. 204 O.e., pp. XL sq.
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ment critique, contrairement à ses principes) de ce que lui fournissent ses sources et « bâtit sans esprit de système, une théorie sceptique de l'histoire qu'il laisse au lecteur le soin de reconstituer » 205. « II se contente de ce qui est strictement indispensable à la compréhension des monuments et des sites. A peine quelques traits du caractère antique (ici: étrusque) sont-ils mis en lumière... ce climat antique est bien indépendant de l'histoire206». 4 - En conséquence, «sa science n'est qu'une science frelatée». Il utilise, non les originaux, mais de « solides synthèses », « conservant les réfé rences qui peuvent laisser croire à une documentation sérieuse dont il ne s'est jamais soucié, passant généreusement sous silence des auteurs qu'il méprise effrontément au moment même où il les pille, et qui avaient souvent un autre tort, en 1829 - le tort d'être bien vivants ». Toutefois, la mise en œuvre est bien de lui207. 5 - C'est seulement à partir de 1831 qu'il devient «étrusque» et qu'il voit208. Mais, contrairement à ce qui se passe pour sa documentation romaine209, il cherche peu à accroître son érudition étrusque par les livres, répétant volontiers ses propos antérieurs, laissant croire qu'il a lu divers auteurs mais en réalité se contentant le plus souvent de renseignements oraux. C'est que ce bel effort de documentation « pour les sots » avait pour but une seconde édition des Promenades, dans lesquelles les Étrusques n'avaient qu'une part bien mince. Stendhal reste donc semblable à lui-même: heureusement!
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Cf. Caraccio, o.e., p. XLII. Cf. o.e., p. XLIV. Cf. o.e., pp. LXXVI sqq. O.e., p. XCV. O.e., p. CXLI.
Monsieur Jean-René Jannot
Les danseurs aux haches ou le ballet de Phinée. A propos d'un relief de Chiusi In: L'Italie préromaine et la Rome républicaine. I. Mélanges offerts à Jacques Heurgon. Rome : École Française de Rome, 1976. pp. 471-485. (Publications de l'École française de Rome, 27)
Citer ce document / Cite this document : Jannot Jean-René. Les danseurs aux haches ou le ballet de Phinée. A propos d'un relief de Chiusi. In: L'Italie préromaine et la Rome républicaine. I. Mélanges offerts à Jacques Heurgon. Rome : École Française de Rome, 1976. pp. 471-485. (Publications de l'École française de Rome, 27) http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/article/efr_0000-0000_1976_ant_27_1_2004
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LES DANSEURS AUX HACHES OU LE BALLET DE PHINÉE À PROPOS D'UN RELIEF DE CHIUSI Κάλαις δε και Ζήτης τας Αρπυίας Φινέος άπελαύνουσιν Pausanias, III, 18, 15 Un curieux monument clusinien est conservé au NY-Carlsberg Museum de Copenhague; insuffisamment étudié, peu publié, il est mal connu et mérite pourtant, ne serait-ce qu'en raison de son aspect atypique, une étude de détail \ Par le style des reliefs autant que par la forme des moulures, cette base quadrangulaire 2 évoque, en plus évolué, l'urne de Florence 5501 3 ou tel petit fragment également de Florence4. Elle semble se rattacher à un groupe de reliefs qui nous semblent, sinon les plus anciens, du moins parmi les premiers de la grande production des reliefs de Chiusi 5. Il nous semble malheureusement impossible de donner, dans l'état actuel de nos connaissanc es, une datation précise de ce monument, mais, en dépit d'un vocabulaire de formes encore très « ionique » il ne nous semble pas pouvoir être anté rieur aux années 520-510. Considérant l'évolution notable du reste de la production clusinienne, nous ne pensons pas qu'il puisse être postérieur à 480. On y relève des schémas simples, sans superpositions, qui sont assez originaux et qui nous semblent le fruit d'une création locale, et d'autres
1 Bibliographie: F. Poulsen, Das Heibig Museum, p. 101/102, n. H 204. E. Paribeni, / rilievi chiusini arcaici, SE, 12, 1938, p. 93, n. 73. Etruscan Places Lands and Peoples, Fig. 357 (Fig. 1). 2 Pietra fetida. Dimensions: H: 0,37, L: 0,62 1: 0,59. En haut et en bas moulure en demi-rond, les scènes sont bordées d'un méplat. 3 Bibliographie, E. Paribeni, op. cit., p. 124 n. 175, qui en donne la dernière étude comp lète. Kunst und Leben der Etrusker, Köln 1956, pi. 15. 4 Paribeni, op. cit., p. 92 n. 72. Tav. 17,3. 5 L'auteur travaille à une édition des reliefs de Chiusi, et à une étude de l'ensemble du matériel. Il proposera dans ce travail une datation relative et une tentative de chronologie absolue.
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schémas, plus complexes, dérivant de constructions attiques de la fin du style sévère, auxquelles ils se réfèrent en dépit des persistances ionisantes du dessin. La face A, ornée d'un banquet, évoque, par la superposition des plans déjà complexe, des influences de la fin de l'archaïsme, qui contredisent la raideur des attitudes et la disposition isocéphalique des personnages. Sur deux Klinai que précèdent deux Trapézai, sont étendus deux couples mascul ins, le personnage de gauche étant barbu et celui de droite, imberbe, sans doute un éphèbe. Les hommes barbus à gauche sur les Klinai, tiennent chacun par l'anse une coupe à pied, et les jeunes gens à leur droite se contentent d'exécuter des gestes de leur main droite ouverte. Entre les deux Klinai, tourné vers celle de droite, un petit échanson nu tend le « simpulum » et la bouche à servir. La face Β a été rapprochée6 des scènes de la Tombe du Baron; elle est construite symétriquement et, de part et d'autre d'un axe central imagi naire, on voit deux jeunes gens debout, face à face, puis deux couples de chevaux de main à l'encolure arquée et levant conventionnellement un antérieur, tenus en bride par deux palefreniers, enfin, à l'arrière plan, deux arbres-fuseaux. Les superpositions sont médiocres, mais les chevaux dérivent nettement d'un modèle attique, plus avancé que celui des chevaux de la Tombe du Baron. On pense à la tombe Stackelberg 7, à certains ivoires surtout 8. La face C est, elle, fort déroutante: quatre personnages courent à grands pas vers la droite. De gauche à droite, deux hommes barbus semblent pour suivre deux femmes. Les hommes, qui sont vêtus d'une courte tunique aux pans arrondis sur les cuisses, ont endossé un manteau long qu'il est fréquent de voir porté par des femmes, et dont deux pans plissés tombent sur le devant de la poitrine. Il se peut qu'ils soient coiffés d'une étroite calotte conique; leur main gauche est levée, paume ouverte devant eux, et déborde même sur le « cadre » de la scène; le poing gauche est également levé et brandit vers l'avant une hache au talon terminé par une pointe, que le sculpteur s'est contenté d'inciser sur la marge supérieure du panneau. De petites ailes partent de leurs mollets. Peut-être ont-ils chaussé des endromides ailées, car la jambe droite du premier personnage semble serrée dans la haute tige d'une de ces bottes. Les deux hommes sont pratiquement
6 F. Poulsen, op. cit., p. 102. 7 F. Weege, Etruskische Malerei, Beilage II. 8 Y. Huis, Ivoires d'Etrurie, pi. 37 et 38,3.
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identiques, et ne se superposent pas. Devant eux courent vers la droite deux femmes « immobiles à grands pas ». Vêtues du long et large chitôn ionien à pli central, elles portent sur les épaules un manteau semblable à celui des deux hommes, mais beaucoup moins plissé, et que le mouvement de leur course ouvre davantage encore. La première regarde vers la droite, tandis que la seconde se retourne comme pour évaluer la distance qui la sépare des poursuivants. Au-dessus, de sa tête, la première tient de ses deux bras levés un plateau de grande dimension, où l'on reconnaît les mets d'un repas ou d'un banquet: galettes ou gâteaux, semblables à ceux que l'on voit d'ordinaire étalés sur les Trapezai des repas attiques et que le sculpteur a simplement ici incisés sur la bordure supérieure. La seconde tient à deux mains, au niveau de sa taille, une large coupe, ou une grande phiale qu'elle s'applique, en dépit de sa course, à maintenir bien horizontale. La dernière face (D) représente enfin cinq personnages qui dansent d'un mouvement très animé. Les quatre premiers sont des hommes, vêtus d'une tunique courte et largement plissée, qui, groupés deux à deux, dansent l'un en face de l'autre; le premier, toutefois, se dirigeant vers la gauche. Le cinquième personnage qui danse à grands pas vers la gauche est une femme portant un long chitôn et un manteau. Le mouvement très vif des quatre hommes est proche de celui du couple célèbre de la Tombe des Lionnes 9, ou des danseurs de la Tombe des Inscriptions 10. Les scènes, entourées d'un encadrement plat, ne semblent pas liées les unes aux autres en une frise continue, ou en une composition articulée; elles nous semblent tout à fait indépendantes les unes des autres, et les seules qui pourraient se trouver liées thématiquement sont celles des faces A et D, encore que la chose ne nous semble nullement nécessaire. Si la scène de banquet est extrêment fréquente n, et sur les reliefs et dans les peintures funéraires, dont elle suit d'ailleurs les schémas, si la danse, quoiqu'elle soit ici plus animée qu'à l'ordinaire, est le thème le plus souvent représenté à Chiusi 12, le thème des jeunes gens aux chevaux est déjà plus rare, mais on le rencontre dans la peinture pariétale; nous le connaissons
9 M. Pallottino, La peinture étrusque, p. 47. 10 F. Weege, op. cit., pgg. 74-75. F. Poulsen, Etruscan Tomb Paintings, fig. 12. 11 S. De Marinis, Tipologia del Banchetto..., passim. 12 R. Bianchi Bandinelli, Clusium, in Mon Ant, 30, 1925, p. 484, 24 sur les cippes, 3 sur des urnes. Paribeni, op. cit., SE, 13, 1939, p. 187 sq. M. A. Johnstone, The Dance in Etruria, p. 54 sq. C'est sans aucun doute la représentation la plus fréquente.
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sur quelques urnes peintes 13 ainsi que sur des reliefs clusiniens 14 et des plaquettes d'os et d'ivoire 15. Par contre, la scène représentant les deux femmes porteuses de mets poursuivies par des hommes aux pieds ailés brandissant des haches est un « unicum »: non seulement nous ne connaissons aucune scène approchante dans tout le répertoire clusinien, mais encore dans tout l'art archaïque ou archaïsant étrusque 16. Les figures sont relativement conventionnelles; les femmes, en particulier, ne diffèrent guère des danseuses des autres reliefs clusiniens ou des peintures pariétales: on croirait voir la grande ballerine au manteau volant de la Tombe des Lionnes. Ce sont les attributs qui constituent toute l'originalité des scènes représentées et nous pensons qu'il faut y attacher une grande importance: haches brandies, ailes talonnières, plateau de service de banquet ou de repas, grande coupe tenue horizontalement, nous semblent des détails significatifs et le désir de repré senter une poursuite nous paraît manifeste. C'est à l'étude de ces détails que nous consacrerons les pages qui suivent.
Les haches brandies Les danseurs brandissant des haches sont, à notre connaissance, repré sentés exclusivement sur les grands vases d'impasto ornés de reliefs aux cylindres. Nous en connaissons qui voisinent avec la représentation d'un taureau, sur un fragment provenant de la Via Sacra17 et que pour cette raison, qui nous semble un peu mince, on estime être une scène de sacri fice18 le danseur étant supposé, sur le point d'immoler l'animal. Nous en connaissons un autre, associé à une scène de banquet en plein air, sur un
13 Urne inédite du Museo dell'opera del Duomo, Orviéto. Urne de Tarquinia: Kunst und Leben der Etrusker, Köln 1956 pi. 33. 14 Londres: Pryce, Catalogue of sculpture... I, 2, p. 168, D, 11. D, 12. Paribeni op. cit., p. 130, n. 188/189. 15 Y. Huis, op. cit., pi. 37, 38, a etc. 16 On pourrait en tirer argument pour y découvrir une falsification. Nous pensons au contraire que les faussaires, quand ils sont babiles, se contentent de pasticher des œuvres connues. On ne peut mettre en doute la qualité de la sculpture; aussi son originalité même nous semble-t-elle un argument d'authenticité. La ressemblance avec une œuvre céramique attique, comme la coupe de Würzbourg nous semblerait plutôt l'indice d'une dépendance de l'artisan antique à l'égard de l'art attique, qu'un argument permettant de suspecter une copie moderne. 17 Antiquarium Forense. Cf. M. Grant, Le Forum Romain, p. 38 (Fig. 3).
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pithos d'impasto de la Villa Giulia 19: l'homme qui brandit la hache semble tourner en une danse rapide, autour d'un cratère que surmonte une œnochoé. Ces danseurs aux haches sont, dans l'un et l'autre cas, représentés dans une attitude de « course agenouillée » qui traduit dans le domaine des conventions archaïques, le mouvement rapide aussi bien que le tournoiement ou la danse animée; ils sont accompagnés de plus ou moins près par des danseurs exécu tantdes gestes traditionnels. Aussi serions-nous tentés d'y reconnaître des « acrobates-danseurs » « aux armes » - et non « en armes » - comparables {mutatis mutandis) à ceux qui pratiquent les danses aux épées ou aux sabres de l'Ecosse ou du Turkestan contemporains. Comment ne pas penser égal ement aux danses acrobatiques « aux épées » que nous décrit Xénophon 20 à plusieurs reprises et dans des circonstances diverses, ou aux acrobates « aux épées » que nous représente la céramique grecque? Ce qui nous semble certain c'est que l'Etrurie du VIe siècle connaissait, sans doute sous forme de divertissement de banquet, peut-être sous forme de danse rituelle, une danse « aux haches ». Nos deux hommes barbus seraient-ils deux de ces danseurs? Faudrait-il y reconnaître les acteurs d'un divertissement de ban quet? Peut-être, mais nous avons noté une autre particularité qu'il convient d'étudier, et qui ne peut manquer de modifier la nature des personnages.
Les ailes talonnières A dire vrai, comme nous l'avons signalé, ces ailes partent non du talon mais du milieu du mollet de nos personnages; nous remarquerons qu'elles présentent un léger retournement vers le haut ce qui les rapproche de la catégorie décrite par N. Gialouris21 comme étant de type ionique. Elles ne semblent pas être doublées d'une aile vers l'avant (du moins l'état de conser vation du relief dans la zone qui comprend le pied gauche du premier homme et le pied droit du second ne permet pas de décider s'il se trouvait
18 L'attitude du sacrificateur maniant la hache sur les plaques de bronze de Bomarzo (Vatican 12268) est absolument différente, et l'homme à la hache du fragment de la Via Sacra est accompagné d'un danseur qui exécute des sortes de «marteaux». 19 Mingazzini, / vasi della collezione Castellani, n. 266. en dernier lieu Ant Class, 43, 1974, PL I, 7 (Fig. 2). 20 Banquet, II, 15 sq. 21 N. Gialouris, ΠΤΕΡΟΕΝΤΑ ΠΕϋΙΛΑ, in BCH, 1953, 2, p. 296 sq.
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là une aile fixée à l'avant de l'endromide). De même, l'érosion avancée de la partie basse du relief ne permet pas de savoir si les deux femmes qui fuient avaient, ou non, elles aussi, des ailes talonnières. Or nous savons bien peu de chose de la fonction de ces chaussures ailées dans l'icono graphie étrusque archaïque! Une simple allusion dans un ouvrage très géné ral22 suppose que ces ailes peuvent être une convention destinée à exprimer la vitesse ou l'aptitude à la vitesse de ceux qui les portent. Pourtant nous ne les avons rencontrées exclusivement qu'employées par des « démons » ravisseurs d'âmes, par des divinités chthoniennes 23, par des personnages divins24, par des animaux fabuleux25 jouant un rôle dans des apothéoses ou des déplacements de dieux ou de héros 26, au point que nous sommes tenté d'estimer que cet attribut est surhumain, héroïque ou divin. Ceci rejoint d'ailleurs les usages grecs et est confirmé par ce que nous savons de l'iconographie hellénique de ces attributs27. A nos yeux, le port d'ailes talonnières situe donc les deux manieurs de haches en dehors de l'étroit domaine des simples danseurs que nous avons précédemment rencontrés, et leur confère un caractère suprahumain ou héroïque. Il serait assez logique d'imaginer que les femmes qui fuient sont, elles aussi, chaussées de ces ailes: nous ne connaissons pas en effet de scène de poursuite où les seuls poursuivants soient munis de cet attribut, et dans le domaine de l'iconographie étrusque, seules les scènes de rapt par des démons ravisseurs nous montrent des personnages démunis de ces ailes, puisqu'il s'agit d'hommes ou d'âmes qu'enlèvent des génies psychopompes 28. Pourtant, nous avons dit qu'il nous était impossible de le prouver, et nous nous
22 Y. Huis, op. cit., p. 180 note 4. 23 Ainsi sur la célèbre plaque Campana, F. Roncalli, Le Lastre dipinte da Cerveteri, p. 20 et pi. IV. Sur un vase du groupe de la Tolfa, Genève, Musée Fol, Beazley EVP, p. 11. Sur un vase Pontique de Paris, Bib Nat. De Luynes p. 4, pi. 6. R. Hampe Simon, Griechische Sagen..., p. 33, pi. 7. 24 Trépied de Vulci BN Paris, groupe des «Dioscures»; de même trépied semblable à Rome (Vatican) et à Londres, ainsi qu'à Budapest. Cf. J. R. Jannot, A propos d'un trépied de Vulci, dans RA 1977. 25 Chevaux des ivoires de Tarquinia, Y. Huis, pi. 32, 1. 26 Chevaux d'une amazonomachie, Bronze de Pérouse, Hampe Simon, Grieschiche Sagen Tafel 20. 27 Ν. Gialouris, op. cit., p. 315. 28 Ainsi en est-il de la plaque Campana citée note 23, ou de l'acrotère de Berlin, A. Andren, Architectural Terracottas, II, 16, p. 36, pi. 11, 40.
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contenterons de noter que la chose est non seulement plausible, mais même assez probable, et qu'une très légère surépaisseur sur la jambe gauche du second homme peut être interprétée comme la trace d'une aile talonnière de la première femme. Cependant, ce qui plus encore les distingue est le fait qu'elles portent les apprêts d'un repas.
Le plateau garni de mets et la coupe pleine Nous n'avons jamais rencontré aucune représentation semblable d'un plateau chargé, et cela nous apparaît comme un curieux témoignage de la manière dont étaient servies les Trapezai de banquets: on se contentait, semble-t-il, comme sur certaines de nos modernes tables dessertes, de dépos erun plateau dont les dimensions étaient celles de la table elle-même, ce qui facilitait le service et la desserte de la table. F. Poulsen a cru reconnaître en ces deux femmes un cortège allant servir un repas ;mais dans ce cas, pourquoi les serveuses se croiraient-elles obligées de courir, pourquoi des hommes aux pieds ailés les poursuivraient-ils? Pourquoi la menace des haches brandies?
La poursuite La poursuite est en effet le caractère dominant de la scène, tous les détails concourent à en donner l'impression, l'envol des manteaux et des robes, le pas tendu des protagonistes, la position des haches, le coup d'œil en arrière de la seconde femme, et jusqu'à l'attitude de la main gauche des hommes, qu'on retrouve invariablement dans les représentations de courses, et qui est destinée à traduire l'effort et la vitesse, en stylisant le balance ment des bras29. L'ensemble de ces divers caractères, de ces détails significatifs, de ces attributs, ne nous semble pouvoir correspondre qu à un seul récit antique
29 On remarquera le même mouvement dans les scènes de courses de la tombe des Olympiades, M. Moretti Nuovi Monumenti della pittura Etrusca, p. 112, du maître des Olymp iades, p. 125; et sur de beaux reliefs de Chiusi à Palerme NI 8398, par exemple, ou, sous une forme plus archaïque NI 8387 (Paribeni n. 120).
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le mythe de Phinée. Pausanias, Hésiode, Apollonios de Rhodes surtout, nous ont livré l'essentiel de ce mythe. On sait que : « Phinée, fils d'Agénor avait sa demeure près de la mer, Phinée, qui plus que tout autre mortel avait enduré des années de peine ...» Apoll. Rhodes, Arg, II, 181 sq. du fait des Harpyes, qui dérobaient ou souillaient de leurs excréments tous les repas du vieillard. Le même auteur nous rapporte que les Argonautes, sur le point de partir pour la Colchide, s'en furent demander à Phinée, dont les qualités de devin étaient bien connues, le chemin à suivre. Pour le prix de ses conseils, il demanda aux fils de Borée, Zétès et Kalaïs de le débarrasser des importunes Harpyes. « Tous deux eurent bientôt préparé le repas du vieillard, dernière proie des Harpyes . . . Tout près se postèrent les deux Boréades, pour les chasser avec leur épée dès la première attaque. A peine le vieillard venait-il de toucher aux aliments que, soudain, comme de sinistres ouragans, ou des éclairs, elles fondirent des nues à l'improviste, et s'élançaient avec des cris aigus, avides de nourriture ...» Apoll. Rhodes, Arg, II 262. Alors s'engagea la poursuite: « Dans leur dos les fils de Borée pointant leur épée couraient derrière elles . . . Zeus leur avait envoyé une ardeur inépuisable: sans lui, ils n'auraient pu les suivre au loin, car leur vol était rapide comme les tempêtes ...» Apoll. Rhodes, Arg, II, 274. La poursuite se termine diversement, suivant que l'on suit Apollonios, Hésiode ou Diodore de Sicile (IV, 44, 2), soit par des promesses de paix auxquelles les Harpyes sont contraintes, soit par la mort de ces monstres divins. La chose nous importe peu; ce qu'il nous faut remarquer c'est la remarquable identité entre le récit mythique et la représentation de Chiusi. Le mythe a d'ailleurs inspiré diverses œuvres, et nous en connaissons plusieurs représentations. On sait ainsi par Pausanias, qu'au milieu de nomb reuses autres représentations, la poursuite ornait le trône d'Amyclées: « Kalaïs et Zétès éloignent les Harpyes de Phinée ...» Pausanias, III, 18, 15.
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On en connaît une représentation sur un vase de Würzbourg30, et une autre sur un vase du Vatican 31. Chaque fois, on retrouve, avec une remarquable insistance, la scène de la poursuite, en un schéma qui ne diffère de la représentation clusinienne que sur deux points: - Sur les représentations grecques, les Harpyes n'emportent pas les mets en fuyant. - Les Boréades, conformément au récit, brandissent des épées et non des haches. La première différence peut facilement s'expliquer par le fait que, la scène du repas de Phinée n'apparaissant pas sur le relief de Chiusi, il a semblé nécessaire au sculpteur de préciser la situation en adjoignant le plateau et la coupe dans les mains des ravisseuses. Il semble qu'on ait ainsi voulu insister sur le vol des nourritures nécessaires à la vie. La seconde différence semble par contre inexplicable autrement que par une contamination avec les représentations de danseurs aux haches, seule illustration voisine, seule scène vécue ayant pu inspirer l'artisan. Les hommes courant en brandissant des haches ont fort bien pu se substituer aux repré sentations d'hommes brandissant des épées. Nous nous permettrons d'évoquer in fine une hypothèse qui pourrait faire justice de cette différence, mais, en tout état de cause, la substitution des armes ne nous semble pas diminuer la vraisemblance de l'interprétation. L'identification de la scène ne fait donc pas de doute à nos yeux: les deux Boréades, Zétès et Kalaïs poursuivent en menaçant de leurs haches les deux Harpyes Aello et Ocypèté qui viennent de ravir la nourriture et la boisson du malheureux Phinée. Mais cette identification pose plus de problèmes qu'elle ne résoud d'énigmes! Pourquoi cette représentation sur une base? Pourquoi le choix de ce mythe médiocrement connu? Cette représentation a-t-elle une fonction ou est-ce une « banalisation » gratuite?
30 Mon Insi, 10, 8 a. Röscher, Lexikon, s.v. Horai, col. 2724. Les Boréades, désignés par leur nom, sont vêtus comme les hommes de notre relief, mais sont dotés d'une double paire d'ailes, et brandissent une épée: ils portent une courte barbe, et leur coiffure est assez proche de celle des hommes de notre relief (Fig. 4). 31 Mus. Gregoriano Etrusco II, 31, 2 et 2 a.
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Les questions qu'on ne peut manquer de se poser sont de deux ordres: - celles qui tiennent, en général, au rôle des représentations sur les bases. - celles qui touchent à la représentation de cette scène précise. Nous pensons pouvoir, après une longue étude, affirmer que les repré sentations des bases sont en général d'une nature comparable à celles des peintures pariétales: nous y retrouvons, souvent dans le même ordre de succession, les mêmes cycles représentatifs, comme s'il s'agissait d'un doublage ou d'un substitut des peintures pariétales. Mêmes banquets, mêmes scènes de jeux et de danses funéraires, mêmes courses de chars et mêmes concours gymniques. Pourtant, une autre base, stylistiquement fort proche de notre exemplaire de Copenhague, présente des scènes qu'aucune peinture n'a, à notre connaissance, représentées32, et qui peuvent être en rapport avec un mythe grec plus ou moins étrusquisé: il s'agit de la scène du rapt d'une jeune fille par un guerrier qui semble se diriger vers une assemblée d'hommes assis. On est alors en droit de se demander si la production de l'atelier dont provient le relief de Copenhague, si originale par rapport au répertoire pictural, n'a pas aussi une fonction et une signification différentes. Les pein tures et les reliefs sont en général destinés à perpétuer le souvenir de cér émonies funéraires, à en assurer la permanence, à en prolonger l'efficacité; banquets, concours et danses en constituent pour cette raison le répertoire de base. En adoptant des représentations de mythes, elles changeraient de rôle, se chargeant d'une fonction symbolique; l'embuscade contre Troïlos, à la fameuse Tombe dès Taureaux, ne saurait, à nos yeux, avoir la même fonction qu'une banale représentation de banquet ou de danse, dont le rôle est seulement d'assurer une permanence des rites, et nous serions tenté d'y voir quelque transcription symbolique de la mort guettant l'homme sans méfiance, sans qu'il sache ni le jour ni l'heure! Dès lors, les rares représen tationsmythiques des parois des tombes ou des panneaux des bases pourraient avoir une signification symbolique. Les rôle de notre relief serait alors propre mentreligieux. Au-delà du pittoresque du récit d'Apollonios, la poursuite des Harpyes et leur mise hors d'état de nuire au pauvre Phinée par les Boréades est un de ces actes d'épuration, de lutte contre les divinités nuisibles, qu'accomp lissentd'ordinaire les héros libérateurs: Héraklès, Persée ou Thésée. Nous
32 C'est la fameuse base de Palerme NI 8382. (ex 152), Paribeni op. cit., p. 93, n. 74, illustrée en dernier lieu par L. Banti, II Mondo degli Etruschi, p. 331, Fig. 79.
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savons que, faisant écho à une longue tradition, Virgile situait les Harpyes dans le vestibule des Enfers33, qu'elles apparaissent comme des ravisseuses d'enfants34 ou d'âmes, et qu'il n'était pas rare des les représenter sur les tombeaux emportant l'âme du mort dans leurs serres. Il serait tentant de voir ici, dans la scène où les Boréades les poursuivent et les chassent, un acte apotropaïque, et comme un geste de garantie contre l'irrémédiable de la mort. N'emportent-elles pas ici le pain et le vin, la nourriture et la boisson, symboles alimentaires de la vie dont elles s'emparent? Le sens de la scène serait-il alors eschatologique? Il reste pourtant une contradiction. Comment admettre que la même base présente un banquet des plus banals, une parade de cavaliers qui l'est à peine moins, et une danse funéraire animée, scènes manifestement liées aux cérémonies funéraires, que leur représentation vise simplement et modestement à rendre permanentes à l'intérieur de la chambre funéraire, et qu'au voisinage de ces trois scènes courantes se développe un mythe à fonction probablement eschatologique? Trois faces représenteraient, en les « actualisant », des actes rituels, alors que la quatrième aurait un rôle symbol ique? Cette disparité est choquante, et on nous permettra de suggérer, avec la prudence qui s'impose, une hypothèse qui ne nous semble nullement invraisemblable, et qui, si elle devait se justifier par d'autres exemples, pré senterait un certain intérêt. On sait que les peintures pariétales tarquiniennes nous présentent des scènes que l'on peut déjà qualifier de théâtrales. Le jeu de Phersu, la « fuite du masque » ne sont rien d'autre que des spectacles prenant place dans des cérémonies funéraires. Les reliefs de Chiusi, quant à eux, nous montrent de véritables troupes de ballets: danseurs déguisés en Silènes, danseuses vêtues en Ménades dansent de véritables chorégraphies35; faut-il rappeler que l'on connaît des hommes masqués et travestis36? Est-il aussi besoin de rappeler que les débuts du théâtre romain sont étrusques37 et que ces
33 Enéide II, 252. 34 Rohde, Psyche, p. 66. 35 Fragment Dorow, Paribeni n. 143. Fragment 2290 de Chiusi, Paribeni n. 141 et surtout Florence, sans n., Paribeni, op. cit., n. 116, pi. 23, 5, qui montre un véritable ballet de Silènes et de Ménades sous la direction d'un aulète. En dernier lieu, Ant Class, 43, 1974, η. 56, pi. II, 7. 36 Ainsi sur l'une des faces du relief de Palerme NI 8387 déjà cité note 29. 37 J. Heurgon, La vie quotidienne chez les Etrusques, p. 268. Et les fameux passages de Tite Live, VII, 2, 6. et d'Ovide A.A., I, 111. qui pour évoquer des danseurs nous conduisent au seuil d'un véritable théâtre dansé.
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spectacles ne devaient guère différer d'un ballet à argument? Faut-il insister sur le fait que ces représentations sont liées à des cérémonies funéraires, qu'elles prennent place au milieu des jeux en l'honneur du défunt, et qu'elles doivent être réputées de quelque utilité pour la survie du mort? La scène représentée ne serait-elle pas un ballet mythologique, dont le sens symbolique et le rôle apotropaïque conviendraient bien à l'une de ces représentations funéraires? Les danseurs aux haches n'auraient eu qu'à chausser des sandales ailées pour devenir les Boréades, les danseuses qu'à emporter coupe et plateau pour évoquer la fuite des Harpyes, et l'artisan clusinien se serait contenté, sans doute à la demande expresse de ses clients, de perpétuer dans la pietra fetida le souvenir de ce ballet comme il gardait celui des banquets et des jeux, sur les faces adjacentes. Il faudrait alors reconnaître dans la scène qui nous occupe, non point le mythe de Phinée, mais bien le ballet de Phinée. S'il fallait retenir cette hypothèse, les origines du théâtre étrusque s'en trouveraient singulièrement éclairées. Même en nous en tenant à la simple identification du mythe, il nous faut admettre que dans la cité de Chiusi, vers la fin du VIe ou les débuts du Ve s., un mythe grec assez marginal était assez connu pour avoir donné lieu à une représentation précise, et sans doute à une interprétation religieuse. Représentation graphique du mythe de Phinée ou illustration d'une représentation chorégraphique de ce même mythe, la scène de Copenhague apparaît comme un précieux témoignage de l'utilisation d'un mythe grec par la pensée religieuse étrusque archaïque.
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Fig. 1 - Copenhague, Ny-Carlsberg Mus. H. 204, Face C.
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Fig. 2 - Rome, Antiquarium Forense. Fragment de col de pithos.
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Fig. 3 - Rome, Musée de Villa Giulia, Pithos Castellani. Impasto.
Fig. 4 - Coupe de Würzbourg.
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Fig. 5 - Pithos Castellani.
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UN LION ETRUSCO -ROMAIN D'ALÉRIA *
Les pluies torrentielles du printemps de 1975 ont entraîné de véritables nappes de charriage, au long des pentes de la butte principale où s'est édifiée Alalia-Aléria. En contrebas d'un replat situé à mi-hauteur, - une trentaine de mètres d'altitude au-dessus de la plaine, au sud-ouest -, un fragment sculpté attira l'attention d'un villageois qui d'aventure cherchait des escargots: c'était la crinière d'un lion sculpté en tuf volcanique dont nous retrouvâmes groupés presque en surface cinq importants fragments qu'avait emportés dans une coulée d'une trentaine de mètres une nappe d'argile pliocène (18 août 1975). Sans doute la fouille reste-t-elle à faire. Mais sans attendre des précisions sur l'emplacement primitif et sur l'exact contexte archéologique, je serais heureux d'offrir à M. Jacques Heurgon ce témoignage d'outre-Tyrrhénienne du génie étrusque auquel il s'est si heureusement consacré. Lion couché en pierre volcanique importée (nenfro), d'un brun jaunâtre violacé à l'humidité. Manquent des fragments de la base antérieure et posté rieure, la cuisse gauche, les pattes de devant, le mufle, et des éclats plus superficiels au bord de l'œil et de l'oreille gauches, ainsi que sur la colle rette formée par la crinière. Rongé sur 1 centimètre de profondeur le flanc droit semble être resté longtemps exposé aux intempéries. Base: 0m90 (originellement environ lm20) x 0m39 x OmlO. Tête: 0m50 de hauteur x 0m40 de largeur avec la crinière; et sans la crinière: 0m33 x 0m25. Œil: 0m50 x 0m03; oreille: 0m08 x 0m06. Crinière: 5 ondes de boucles au sommet de la tête. Pattes arrière: Omll de hauteur x 0m34 de longueur. Départ de la patte droite levée: 0m28 de hauteur. * Je remercie l'Institut Germanique pour les deux photographies des lions d'Aquila; la mission américaine pour la photographie des fragments de Cosa; et j'exprime à Michel Gras mes remerciements les plus amicaux pour son aimable et efficace intervention.
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Haute et large, la tête est imposante, mais proportionnée au reste du corps. Le front est séparé par un pli profond que soulignent deux bosses de part et d'autre de l'arête nasale, et qui amorce la séparation médiane de la crinière. Sous le bourrelet régulier de la paupière, les grands yeux ovales bien écartés de part et d'autre du large nez paraissent à fleur de tête. On distingue le pli arrondi de la commissure des lèvres et le départ de la gueule, sans doute ouverte, langue pendante, et gonflant les joues. Les oreilles courtes, en coquille, s'insèrent dans les plis de la crinière qui descend derrière la nuque en cinq ondes de boucles, généralement faites de trois mèches en bourrelet, mieux ordonnées à droite, et en désordre du côté gauche. Le corps est mince, mais plein, bien modelé, sans détails anatomiques ni jeu des muscles. Les pattes arrière, massives, présentent quatre doigt schématisés évoquant trois phalanges et une griffe. La queue passe entre les jambes et remonte sur le dos par devant la cuisse droite. (Fig. 1, 2, 3).
Au premier coup d'œil on note le contraste entre l'expression vivante et majestueuse de la tête et l'allure conventionnelle du reste du corps1; et ce contraste semble d'autant plus voulu que la statue est mise en valeur des deux côtés: à droite par le mouvement de la queue, et à gauche par la tête qui se redresse2. La patte antérieure droite, relevée, prenait sans doute appui sur un protomé animal, et peut-être humain comme c'est le cas d'une statue de Vulci3. Mais la gueule ouverte à demi ne devait pas bouleverser la majesté tranquille de la tête que souligne le traitement stylisé de Parrièretrain. Par sa matière, - un tuf volcanique importé en Corse, sans doute de Vulci -, et par l'allure d'ensemble, ce lion se range dans la grande tradition
1 W. L. Brown, The Etruscan Lion, 1960, p. 153, sur cette sculpture répondant à un goût archaïsant authentique et non à une froide copie; cf. A. Hus, Recherches sur la statuaire en pierre étrusque archaïque, 1961, p. 538 sq. sur les lions funéraires; Id. Réflexions sur la statuaire en pierre de Vulci après l'époque archaïque, Mélanges offerts à André Piganiol, 1960, II, p. 162-172; Id. Vulci Etrusque et Etrusco-romaine, 1971, p. 129 sq. 2 A. Hus, Recherches, p. 46, et p. 135 sq. Cf. M. Yon, Les Lions archaïques, Anthologie salaminienne, IV, 1973, p. 29. Il faut noter que le lion découvert à Val Vidone (Brown, p. 151-153, et pi. 53) est représenté tournant la tête vers sa droite tandis que la queue remonte devant sa cuisse gauche: c'est le contraire du lion d'Aléria, mais les deux faces sont également privilégiées. 3 Aujourd'hui à Florence, 75964, Brown, pi. 54 bl et b2, et p. 152-153; A. Hus, Vulci, pi. 21b. En cours d'analyse, ce nenfro semble indiquer la région de Vulci. Il ne comporte pas les gros grains blancs du tuf de Cerveteri, que m'a fait remarquer M. Cristofani. Voir note 10.
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des lions vulciens. Mais il comporte trois particularités qui peuvent marquer sa place dans l'évolution de la statuaire étrusco-romaine des IVe-P siècles: la crinière ne se prolonge pas au long de l'arête dorsale4; et surtout le lion apparaît dans la position couchée habituelle à l'époque archaïque, alors que les lions hellénistiques semblent tous se dresser sur les pattes arrière5; et aucun souci de la musculature ne marque la surface lisse du ventre et de l'arrière-train6. Ces particularités poussent à l'extrême l'opposition familière à la sculpture étrusco-romaine entre l'expressionisme hellénistique, le style dramatique de la sculpture grecque, et la tradition archaïsante. Le contraste atteint ici un réel équilibre entre un art animalier et cette évolution vers le symbolisme et le décoratif qui sont caractéristiques de Vulci 7. Aussi ce lion qui s'inscrit dans la même tradition que l'urne funéraire de Sienne8 nous paraît à mi-distance des lions de Val Vidone, de Tuscania (Fig. 4), et de Vulci 9, et d'autre part des lions probablement datés de la fin de la République découverts à Aquila (Fig. 6, 7) et à Santa Maria di Falleri (Fig. 5) 10. Nous le rapprocherions volontiers du lion découvert à Cesi, aujourd'hui à Terni (Fig. 8) n, et surtout d'un autre lion de Santa Maria di Falleri dont
4 Cette crinière prolongée sur l'échiné apparaît sur le lion de Val Vidone, Florence 13922, le lion de Vulci précédemment cité, Florence 75964; un autre lion de Vulci, Florence 75965 (Brown, pi. 55 b); le lion de Cosa (Brown, p. 153-154); le lion de Cèsi aujourd'hui à Terni (E. Galli, SE, 17, 1943, tav. 14 b). Elle manque en général sur les lions attiques et béotiens d'époque classique et hellénistique (C. Vermeule, Greek Funerary Animals, AJA, 76, 1972, p. 49-59), ainsi que sur les lions d'Aquila (Deutsch Inst. 3027 et 3028). 5 Sur ces lions couchés, A. Hus, Recherches, p. 198-199; M. Yon, art. cit. insiste sur l'influence égyptienne, p. 38-39. Les lions étrusco-romains sont malheureusement souvent mutilés, mais les pattes brisées semblent ne pas avoir fait corps avec un socle. 6 Cette musculature apparaît nettement sur les lions d'Aquila, un lion de Santa Maria di Falleri d'après A. Pasqui, NSA, 1903, p. 18, fig. 3; c'est une caractéristique de l'expressionisme dérivé de Skopas, dont l'absence est un trait nettement archaïsant. 7 A. Hus, Recherches, p. 547. 8 Sienne, Musée archéologique 726 (Brown, pi. 55 a): autant que permet d'en juger la face mutilée du lion d'Aléria, c'est du type d'expression de ce lion à large face et à haut front qu'elle se rapproche le plus. 9 Val Vidone (Florence 13922); Bolsena (Brown, p. 152-153, pi. 54a) en réalité Tuscania, cf. n. 10; Vulci (Florence 75964, 75965). Le symbolisme ici l'emporte. 10 Aquila (Deutsch Inst. 3027, 3028); Santa Maria di Falleri, d'après A. Pasqui, NSA, 1903, p. 18, Fig. 3. Un certain réalisme animalier apparaît ici grossièrement rendu. Cf. M. Cristofani, / Leoni funerari della Tomba «dei Rilievi» di Cerveteri, Archeologia Classica, XX, 1968, qui en donne une photographie, Tav. CXXXIV. 11 Cesi (E. Galli, SE, 17, 1943, pi. 14 b). C'est à l'équilibre entre l'expression et la signi fication du lion de Faléries que fait penser le lion d'Aléria.
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W. L. Brown a conservé une photographie (pi. 55, e) (Fig. 9): ce sont des lions monumentaux symbolisant la vigilance et la force dans un même expressionisme retenu et dominé. Peut-être pourrait-on leur assigner une datation avoisinant la fin du IVe siècle, - une époque où toute l'Etrurie est commercialement représentée en masse dans la nécropole d'aléria, et insister sur le rôle joué à Aléria par l'Etrurie méridionale, et sur l'importance de Cosa. Il semble en effet difficile de croire qu'une telle sculpture, - près d'une tonne -, ait pu être importée en Corse après 259 et la conquête romaine de Cornelius Scipio, fils de Barbatus, notamment au cours des longues vicissitudes des Guerres Puniques. Mais quelle était au juste sa destination? Même les tombes les plus riches n'ont jamais rien livré de comparable, et seuls des cippes anépigraphes marquent aux IVe-IIF siècles l'entrée des tombes à chambre12. Celles-ci, creusées dans l'argile tendre, n'offrent préc isément à cette époque aucun caractère monumental, et l'on ne voit pas comment un lion de cette taille pourrait occuper un dromos qui tend alors à se réduire à un simple couloir étroit, à un « terrier ». De plus nous n'avons jamais encore repéré de tombes préromaines sur les pentes de la Butte d' Aléria, - la nécropole s'étendant au sud à Casabianda. Aussi serions-nous tenté de faire un rapprochement avec les fragments d'un lion en nenfro découverts à Cosa (Fig. 10), dans les fouilles menées à la porte de Yarx, et qu'on pense y avoir été apporté de son emplacement originel 13. Ne pourrait-on pas rappeler le rôle primitif de gardiens des portes attribué aux lions depuis l'époque néo-hittite? La laïcisation de la statue funéraire, notée par Alain Hus, expliquerait l'utilisation - ou si l'on veut à Cosa, la réutilisa tion, dans une perspective monumentale de ces imposantes sculptures 14. S'il est possible de concevoir que des familles étrusques installées à Aléria, ou des familles d'Alerini étroitement liées à des Etrusques, se soient résolues à importer un lion funéraire, il nous semble en l'état actuel de nos connais sances plus vraisemblable d'imaginer qu'une telle statue jouait un rôle près d'une porte de la ville, - et précisément sur l'accès à cette « porte préto rienne » inscrite dans la topographie, ultérieurement attestée par une inscription aujourd'hui perdue 15.
12 J. et L. Jehasse, La nécropole préromaine d' Aléria, 25e Supplément à Gallia, 1973, p. 81 sq. 13 W. L. Brown, p. 153. 14 A. Hus, Recherches, p. 538. 15 Espérandieu, Inscriptions antiques de la Corse, 1893, p. 39.
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Fig. 1 - Aléria. Lion vu de face.
Fig. 2 - Aléria. Lion vu du côté gauche.
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Fig. 3 - Aléria. Noter le départ de la patte droite, et l'enroulement de la queue sur le dos, par devant la cuisse droite.
Fig. 4 - Bolsena, d'après W. L. Brown, pi. 54 a, en réalité Tuscania.
UN LION ÉTRUSCO-ROMAIN D'ALÉRIA
Fig. 5 - Santa Maria di Falleri, NSA, 1903, p. 18, fig. 3.
Fig. 6 - Aquila. Photo Inst. Allemand 3027.
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Fig. 7 - Aquila. Photo Inst. Allemand 3028.
Fig. 8 - Cesi (Terni), SE, 17, 1943, pi. XIV.
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Fig. 9 - Santa Maria di Fallen, d'après Brown, pi. 55 c.
Fig. 10 - Cosa, arrière-train d'un lion de nenfro. Dessin aimablement concédé par F. E. Brown.
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AUTOUR DU PEINTRE D'HÉSIONE
La Tombe 168, fouillée en Août 1974, dans la Nécropole d'Aléria appart ient à la catégorie des tombes à chambre. Très complexe, elle était signalée par trois petits cippes de calcaire, dont l'un surmontait encore la porte, les deux autres ayant glissé à l'intérieur. Trois squelettes avaient été réunis en tas dans un angle à droite de la porte, le dernier corps inhumé s'allongeait à l'entrée, dans la chambre, et tenait en main deux monnaies puniques. Le mobilier funéraire comptait cent vingt objets, et comprenait des vases de provenance campanienne, latiale, étrusque et punique, datables des années 325 à 260 avant J.-C. Parmi les trouvailles les plus caractéristiques figuraient un cratérisque cantharoïde à vernis noir et panse godronnée, portant sur le col une consécration à Demeter en caractères grecs, une coupe et un cratère falisque à figures rouges du Fluid Group, et notamment un stamnos qui venait s'ajouter à la collection des vases Volterrans d'Aléria \ Je suis heureuse de pouvoir dédier la publication de ce stamnos à Monsieur Jacques Heurgon, en témoignage de respectueuse gratitude. STAMNOS VOLTERRAN. Inv. 74/38. Fig. 1, 2, 3. Hauteur: 32,8 cm. Diamètre d'ouverture: 21 cm. x 17,8 cm. Hauteur du col: 8 cm. Diamètre du col: 15,3 cm. Diamètre de la panse: 20 cm. Diamètre du pied: 11,8 cm. Pâte rose orangé, bien épurée, de texture poudreuse. Embouchure légèrement gauchie, à large lèvre tombante; col cylindrique à peine cintré; épaule peu marquée; panse ovoïde; pied composite formé de quatre éléments superposés: un anneau, une gorge resserrée, une coupole hémisphérique reposant sur un bourrelet qui sert de plan de pose. Anses en boudin, à départ horizontal et se redressant verticalement. Vernis noir mat, régulier. Le fond
1 Musée J. Carcopino, Inv. 74/38. Les autres vases cités portent leur numéro de publication, J. et L. Jehasse, La nécropole préromaine d'Aléria, 25e Supplément à Gallia, 1973.
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externe du vase, et la face interne des anses sont réservés. Décor en figures rouges et rehauts blancs, sans contours en relief. Sur la lèvre, grille noire, régulière, en barres verticales. Sur le col, deux frises parallèles, dont la pre mière porte une série de T, alternativement inversés; la seconde, une guirlande horizontale de laurier, à feuilles tournées vers la droite, et garnie de baies. FACE A, sur la panse: Combat d'un Pygmée contre une grue. A gauche, un guerrier pygmée, nu, le front bombé, le nez retroussé, le cou épais, le ventre proéminent, les muscles bien dessinés, le sexe dé mesuré, fait face à une grue. Le mouvement du corps est marqué par la position des jambes, en fente avant, demi fléchies, jambe droite ramenée en arrière. Le personnage est coiffé d'un pétase à larges bords, qui laisse échapper, sur le front, une frange de cheveux traitée en petites stries parallèles. Il tient dans la main droite une lance qu'il pointe vers la grue, et dans la gauche un bouclier ovale, orné d'un umbo en losange, prolongé de part et d'autre, longitudinalement, par une droite surmontée de trois points. Le dessin est très fouillé, la narine, le nez, les articulations sont soulignés de touches légères et expressives. De nombreux détails sont surpeints en blanc: grands rubans flottant sur le chapeau, ou croisés sur la poitrine, noués sur la hanche, et pendant dans le dos; large collier à bulles, bracelet à trois rangs, hautes sandales à lanières. En face de lui, la grue, ailes ouvertes, tient le genou du Pygmée dans sa patte droite; le long bec, le long cou ployé, le détail des plumes et des rémiges, la queue en éventail sont finement rendus. Un long ruban surpeint en blanc se noue autour du cou de l'oiseau, en formant de larges boucles. Entre les deux combattants se dresse une plante fleurie, qui jaillit du sol entre deux petites feuilles. FACE B: Moins bien conservée que la face A, la scène figurée occupe une sur face moindre. Même scène de combat d'un Pygmée contre une grue. Ici, la grue est à gauche, ailes déployées, cou enrubanné. Le guerrier tient une grosse pierre (?) dans la main gauche, et un sabre courbe, de type « machaira » dans la main droite, bras levé au-dessus de la tête, prêt à frapper. Le Pygmée ne porte plus de chapeau, il est nu, et chaussé de sandales à lanières. Des rubans flottent au-dessus de sa tête, se croisent sur sa poitrine, et pendent jusqu'à terre. Derrière la grue, ondule la longue tige d'une plante fleurie. SOUS LES ANSES se développe un motif décoratif qui encadre les deux scènes figurées: une palmette à cœur ovale, inscrite dans un triangle,
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et posée sur deux volutes en spirale serrée, est flanquée de deux palmettes obliques inscrites dans une ogive. Entre ces palmettes s'épanouit une demipalmette « en dents de peigne ». Tous les vides sont comblés par des campan ules striées, affrontées, inversées, des rouelles pointées. On devine sur le vernis noir, les traces effacées des rehauts de peinture blanche.
LE STYLE DE CLUSIUM-VOLATERRA Ce motif latéral est la caractéristique essentielle du style de ClusiumVolaterra 2; il permet de rattacher notre stamnos à ce groupe. Ce style homo gène du IVe siècle avant J.-C. se retrouve sur des coupes, des skyphoi, des askoi, des stamnoi, et notamment des kelebai. L'argile passe du jaune chamois, au rose orangé; le vernis, compact et d'un beau noir, devient plus mat, et plus dilué dans les exemplaires les plus récents. A l'unité décorative de la panse répond une assez grande variété de la décoration de la lèvre et du col, où se combinent des motifs géométriques, - grilles, lignes brisées, vagues, oves, roues dentées, réticulé garni de croix, et, plus rarement des motifs végétaux stylisés, comme les rosettes, ou les guirlandes de laurier ou de vigne. Vers le troisième quart du IVe siècle, ce style se simplifie, et le décor devient plus relâché, les formes des vases se réduisent au stamnos, et surtout à la kelebè. Albizzati 3, et après lui, Beazley et Trendall 4 assignaient à Chiusi le début de cette production, et particulièrement les skyphoi et coupes à médaillon de très belle facture. Pourtant, le flanc de ces coupes est générale ment peint d'une main plus lourde et gauche, et les personnages ont une apparence grotesque. Sensible à l'unité fondamentale plus qu'à l'évolution,
2 C. Albizzati, Due fabbriche etnische di vasi a figure rosse « Clusium-Volaterrae », MDAI (R), 30, 1915; P. Ducati, Storia dell'arte etrusco, 1927; Id., Uno stamnos etrusco del sepolcreto della Certosa (Bologna), SE, 8, 1934; T. Dohrn, MDAI (R), 52, 1937, Zur Geschichte des italisch- etruskischen Porträts; J. D. Beazley, Etruscan Vase-Painting, 1947; E. Fiumi, Gli scavi della necropoli del Portone degli anni 1873-1874, SE, 25, 1957; id., Intorno alle ceramiche del IV sec. a.C. di fabbrica erroneamente chiamata chiusina, SE, 26, 1958; P. Bocci, Guida ai vasi etruschi, 1959; Id., Crateri volterrani inediti del Museo di Arezzo, SE, 32, 1964; A. Stenico, Nuove pitture vascolari del gruppo «Clusium», Studi in onore di Luisa Banti, 1965; M. Montagna-Pasquinucci, Le kelebai volterrane, 1968. 3 Art. cité, p. 129 sq. 4 EVP, p. 10, 113, 123; Α. D. Trendall, Vasi antichi dipinti del Vaticano, I, p. 223, avec des réserves.
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E. Fiumi5 a proposé de situer à Volterra la production de toute la série. Mais tous s'accordent à placer à la charnière, le Peintre d'Hésione6. Le Peintre d'Hésione à Aléna. L'œuvre du Peintre d'Hésione est en effet caractérisée par de grands sujets dans la tradition mythologique grecque, représentés sur des vases particulièrement élaborés, mais aussi par une production plus simple, dont les thèmes se rapportent plus directement à l'esprit étrusque. Or ce peintre, et son école, semblent bien attestés à Aléria, sur des vases de formes diver ses:askoi, stamnoi, et kelebai. Ainsi, dans les cent cinq premières tombes de la nécropole avons-nous déjà trouvé six vases: Le fragment n. 598 (stamnos, ou kelebè?) dont le dessin soigné, l'ha rmonie et l'élégance, les détails de la draperie traitée en fines hachures, les articulations soulignées d'un demi-cercle et d'un point, l'emploi des rehauts blancs, et le traitement du thyrse enrubanné, sont caractéristiques de la manière de ce Peintre7. La kelebè n. 740, appelle immédiatement la rapprochement avec la kelebè, inv. 44, du Musée étrusque de Volterra: les faces B, de chaque vase sont identiques et d'une même main8. Le stamnos n. 741, présente sur la face A, deux personnages chevau chantdes dauphins: or les détails du dessin, et le traitement des animaux marins se retrouvent exactement sur la kelebè inv. 42 de Volterra, où un dauphin porte une Lasa 9. La face B, s'orne de deux personnages: une Mènad e tenant un thyrse, un satyre portant une corne à boire. (Fig. 4). Tous les détails sont propres au Peintre d'Hésione, jusqu'à cette fleur à la tige con tournée qui se retrouve sur le col de la kelebè, du Musée de Pérouse inv. 796 10. Pour le stamnos n. 742, nous avions noté déjà l'étroite parenté stylist ique qu'il entretient avec le stamnos précédent, n. 741. Les attitudes déhan chées des personnages sont fort proches. Or, ces mêmes personnages sont à
5 SE, 26, 1958, p. 243-258. 6 Défini en premier par Dohrn, art. cité, p. 120-124, 135, et complété par Beazley, P. Bocci, M. Montagna-Pasquinucci. 7 Comparer au fragt, de Volterra, Museo Guarnacci inv. 97 = M. Montagna, p. 51, n. 24; et à la kelebè de Pérouse, inv. 796 = M. Montagna, p. 98, n. 99. 8 Montagna, p. 46, n. 17. 9 M. Montagna, p. 44, n. 15. 10 M. Montagna, p. 98, n. 99.
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comparer avec la kelebè, inv. n. 46 de Volterra11, qui fait partie d'un nouveau groupe stylistique, voisin du Peintre d'Hésione, et que A. Stenico a ajouté aux quatre groupes primitifs définis par Dorhn, pour le groupe de Clusium-Volaterra 12. La kelebè n. 843 offre la même reproduction d'un Pygmée dansant avec des bandelettes qu'une kelebè de Florence, inv. 4122, dont le col s'orne des mêmes palmettes inversées qu'à Aléria 13. Enfin, l'askos en forme de canard n. 2309, appartient à une série bien étudiée par G. Gualandi 14: si le décor, très soigné, des plumes traitées dans un esprit géométrique, rappelle un semblable askos du Musée du Louvre, H 100, attribué par C. Albizzati et Beazley au groupe de Clusium 15, la tête féminine, par ses cheveux en bandeau formant des crans en demi-cercle, ainsi que par le décolleté en forme de cœur du corsage entrerait fort bien dans le groupe le plus ancien du Peintre d'Hésione, où figure par exemple la kelebè du Staatliche Museen de Berlin, inv. 3986, et la kelebè du Musée de Prague, inv. 2470, qui présentent ces deux particularités 16. A ces six vases nous pouvons ajouter une kelebè d'Aléna, provenant de fouilles clandestines, et dont nous ne possédons qu'une seule photogra phie (Fig. 5): d'un très beau dessin, le profil féminin, qui tranche nettement par sa technique, sur les autres portraits des Peintres volterrane, porte une coiffure en bandeaux festonnés, retenue par un diadème et un serre-chignon évoquant à la fois notre askos n. 2309, et la Lasa au dauphin du Musée de Volterra, inv. 42. C'est dans cette production que s'insère notre stamnos inv. 74/38. LE STAMNOS 74/38. Notre stamnos présente une certaine originalité dans sa forme au long col, si on le compare aux deux autres stamnoi d'Aléria, n. 741, 742; mais aussi par sa décoration accessoire: la frise de Τ inversés est rare, et se rencontre plus fréquemment associée à des rosettes, comme sur la kelebè du Musée de Prague inv. 2470 17. La guirlande de laurier n'est pas non plus très
11 12 13 14 15 16 17
M. Montagna, p. 47, n. 19 A. Stenico, art. cité. M. Montagna, p. 86, n. 78. C. Gualandi, Askoi in forma di anitra, Arte antica e moderna, 8, 1959. EVP, p. 119. M. Montagna, p. 58, n. 38; et p. 101, n. 102. M. Montagna, p. 101, n. 102.
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courante 18. Cependant les palmettes latérales, particulièrement soignées, sont comparables aux plus réussies du groupe. Quand à la scène figurée, on doit la rapprocher d'une scène analogue représentée sur une kelebè du Musée de Florence, inv. 4035 19 de la main du Peintre d'Hésione. Les ressemblances sont en effet nombreuses, si l'on compare l'anatomie du Pygmée, le dessin des muscles, le traitement des articulations, la position des jambes; en outre, le profil, et la chevelure « en coup de vent » sont identiques sur l'un des personnages chevauchant un dauphin du stamnos n. 741. La lance et le bouclier ovale à umbo rhombique garni de trois points se répètent sur les deux vases, comme aussi sur le cratère du Musée de Milan, inv. 8/1957 20; et c'est un même geste qui fait brandir au Pygmée, ici une machaira, et là une massue. Les grues sont fort proches, par le traitement des ailes, la queue en éventail, et l'expression cruelle. Traitée par un autre peintre volterran, Florence inv. 4084 21, la scène bien plus gauche souligne par contraste la parenté étroite des deux premiers vases, et la double réussite qu'ils repré sentent. Mais quelle en peut être la signification? VALEUR ANECDOTIQUE OU SYMBOLIQUE DE LA REPRÉSENTATION Le combat des Pygmées et des grues apparaît déjà chez Homère (Iliade, III, v. 6), et on retrouve ce thème célèbre représenté sur le Vase François; une Hydrie de Caere évoque le thème voisin d'Héraklès combatt ant de petits Egyptiens. La céramique à figures rouges le traite avec faveur, surtout à la fin du Ve siècle; il est aussi représenté sur des intailles22. On le rencontre même sur un vase chypriote archaïque, avec déjà cette allure amusée, voire grotesque et ridicule qui a frappé les céramologues 23. Il ne faut donc pas s'étonner si très tôt les Anciens ont tenté d'expliquer et de rationaliser ce mythe: l'épouse d'un Pygmée, Oinoe, provoque la colère d'Héra qui la change en grue, la rendant ainsi odieuse aux Pygmées qui la pour chassent et l'empêchent de rejoindre son fils; selon d'autres, la reine des Pygmées, Gerana, aurait subi le châtiment de son orgueil d'une même
18 M. Montagna, p. 50, n. 23 (Musée de Volterra); et p. 99, n. 100 (Pérouse). 19 M. Montagna, p. 81, n. 70 = R. Bianchi Bandinelli - A. Giuliano, Les Etrusques et l'Italie avant Rome, 1973, p. 275. 20 CVA, Milan, IV B, pi. 1. 22 Daremberg et Saglio, s.v. Pygmées; RA, 23 (2), 1959, p. 2064 sq; Roscher, Lexicon der Mythologie, s.v. Pygmaien; Et G. Becatti, EAA, 6, 1965, p. 169 sq. 23 V. Karageorghis, Une représentation de Pygmée et de grue sur un vase chypriote du VIIe siècle avant J.-C, RA, 1972, p. 47-52.
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manière. Le combat d'adversaires si surprenants offrait donc matière à de véritables tableaux de genre, qui triompheront à époque hellénistique et romaine dans les scènes « Nilotiques ». Ainsi a-t-on traditionnellement inter prété dans le sens de l'anecdote et du comique cette représentation. Cependant E. Montagna-Pasquinucci, dans son étude d'ensemble sur les kelebai volterranes 24 insiste, contrairement à Herbig et Beazley, sur le symbolisme funéraire de la majorité des thèmes de la série25. La colonne, le vase, les personnages drapés et voilés, les protomes chevalins ou humains, les Lasa ailées, les animaux marins, les scènes dionysiaques, et même le chien et le centaure lui semblent convenir à des vases propres à un usage sépulcral; il y aurait concordance entre les thèmes décoratifs et l'utilisation fréquemment attestée en Etrurie de ces stamnoi ou kelebai comme urnes cinéraires. Comment alors expliquer que seul le combat des Pygmées et des grues échappe à ce symbolisme chthonien? Si l'on considère la production du Peintre d'Hésione telle que la révèle la nécropole d'Aléria, on est frappé du caractère symbolique sinon religieux des représentations. Les nombreuses scènes de danse, définies par Beazley comme « danses à l'étrusque », par la position retournée de la main, ont une allure nettement rituelle, hiératique; la Mènade ressortit à l'esprit diony siaque, les dauphins présentent d'abord un caractère sotériologique; la Lasa, et sans doute le portrait féminin ne peuvent guère avoir d'autre signification que funéraire. Restent donc les Pygmées. Or l'antique thème homérique prend aisément une coloration symbolique: les migrations des grues ont frappé tous les peuples, jusqu'à l'Inde et la Chine, et cet animal réputé intelligent et cruel, joue un rôle important dans les mythologies orientales et occident ales, qu'on retrouve jusque dans les représentations médiévales26; et d'autre part, le Pygmée avec son casque, son bouclier rectangulaire ou ovale, son épée courbe, harpe ou machaira, est curieusement affublé d'un armement italo-celtique. L'aspect ridicule n'est nullement évident. N'a-t-on pas récem ment interprété les guerriers gaulois des statuettes votives de Caere comme des représentations de Mars Italicus?27. Même si des détails nous échappent encore, nous croyons que le caractère symbolique constant de cette série de vases invite à chercher ici
24 Op. cit. p. 11-16. 25 EVP, p. 132; et R. Herbig, Giebel, Stallfenster und Himmelsbogen, MDAI (R), 42, 1927. 26 L. Réau, Iconographie de l'Art Chrétien, 1956, T. Ill, 3, p. 1515. 27 Ch. Peyre, Problèmes actuels de la recherche sur la divinisation celtique dans la Cispadane, Bull. SFAC, II, 1967-1968, p. 176, n. 4; et p. 177, n. 1.
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encore un même esprit. Il nous semble que les Etrusques ont été seuls à conserver selon leurs perspectives eschatologiques personnelles le sens primit if et sauvage de la légende telle qu'Homère la connaissait quand il écrivait: « On croirait entendre le cri qui s'élève devant le ciel, lorsque les grues fuyant l'hiver et ses averses de déluge, à grands cris prennent leur vol vers le cours de l'Océan. Elles vont porter aux Pygmées le massacre et le trépas, et leur offrir à l'aube un combat sans merci » 28. Ce caractère cyclique et fatal, cette atmosphère de cruauté tragique, nous placent aux antipodes du grotesque et de la dérision. La soif de sang dont parlera encore Ovide29 se rapporte plus à un Charun ou Tuchulcha, et ressortit à cette atmosphère religieuse que de bons juges reconnaissent à toute la production céramique et picturale de l'art étrusco-romain 30.
La présence d'un tel vase dans une tombe d'Aléria, pose d'emblée de multiples problèmes: rapports commerciaux reliant les deux bords de la mer Tyrrhénienne, et entretenus avec les Etrusques, les Campaniens, les Puniques. Problèmes politiques concernant ou non des Etrusques installés à Aléria. Problèmes religieux portant sur la signification du thème de ce vase, et son sens sépulcral. Mais il nous invite aussi à examiner dans son ensemble l'œuvre du Peintre d'Hésione. D'après notre étude, huit vases d'Aléria appartiendraient à ce groupe dont on ne connaissait jusqu'ici que dix-sept kelebai, auxquelles Aléria ajoute deux formes nouvelles avec le stamnos et l'askos. Or il s'agit d'une série homogène qui nous semble toute d'inspiration funéraire, d'un art où l'emporte la valeur symbolique malgré une saveur réaliste indéniable, d'un art enfin qui semble évoluer pendant un quart de siècle, et qui, par une filiation continue permet de relier des formes dégradées, simplifiées, à ces prototypes de haute valeur artistique qui d'après R. Bianchi Bandinelli appartenaient à « une civilisation bien plus complexe que celle de l'Etrurie ou de l'Italie » 31. Quand on parle du Peintre d'Hésione, on n'envisage pas un seul artiste,
28 Ed. Belles-Lettres, trad. Mazon. 29 Pygmaeo sanguine gaudet avis, Fastes, II, 176. 30 M. Pallottino, La peinture étrusque, p. 111 sq.; J. Heurgon, La vie quotidienne chez les Etrusques, p. 40-41; A. Hus, Vulci étrusque et etrusco -romaine, p. 158-159. 31 R. Bianchi Bandinelli, op. cit. p. 274.
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mais un atelier, uni, homogène, qui produit pendant près de trente ans, dans la deuxième moitié du IVe siècle, des œuvres que l'on peut ranger selon le tableau suivant: ÉTRURIE
ALÉRIA
Premier Groupe112 1 Herakles et Hésione 2. Dionysos et Ariane 3. Herakles et Apollon (?) Deuxième Groupe33 4. Pygmée contre grue, Florence 4035 5. Pygmée contre grue, Inghirami, pi. 357 7. Lasa sur un dauphin 9. Eros sur un cygne 10. Danseurs étrusques 12. Pygmée aux bandelettes 14. 15. 16. 17.
Pygmée au bouclier Profil de jeune homme Tête de femme voilée, fragt. Fragments de Cortone
Troisième Groupe34 21. Pygmée armé 22. Centaure 23. Guerrier 24. Profil de Satyre
6. Pygmée contre grue, inv 74/38 8. Jeunes gens sur dauphins, n. 741 11. Danseurs étrusques, n. 740 13. Pygmée aux bandelettes, n. 843
18. Mènade au thyrse, n. 598 19. Profil de femme 20. Askos à profil, n. 2309
25. Stamnos, n. 742
32 Premier Groupe: 1. Pérouse, Museo del Palazzone 2. Pérouse, Museo Archeologico, inv. 796. 3. Dessins à l'Institut Allemand de Rome. (XXIII, 41). 33 Deuxième Groupe: 4. Florence, Museo Archeologico, inv. 4035. 5. Reproduction, Inghirami, pi. 357. 6. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria, inv. 74/38. 7. Volterra, Museo Guarnacci, inv. 42. 8. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria, n. 741. 9. Berlin, Staatliche Museen. V, I, 3986.
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Un premier groupe comprendrait des vases traitant de grands sujets mythologiques, dans un style très élaboré. Aucun des exemplaires d'Aléria ne se rattache à cet ensemble. Le deuxième groupe, où se range en majeure partie l'apport d'Aléria, contient des vases d'une saveur et d'une symbolique plus typiquement étrus ques. Cette série s'ouvrirait avec un vase célèbre: le combat d'un Pygmée contre une grue, qui pourrait servir de transition. Le troisième groupe, plus hétérogène comporte des vases où l'on reconnaît la manière du Peintre d'Hésione, mais qui ne sont sûrement pas de sa main. Nous pouvons noter à quel point l'apport d'Aléria renforce la cohésion de l'œuvre du Peintre d'Hésione. Ces vases permettent de pénétrer plus avant dans l'élaboration de l'imagerie étrusque, qui acquiert son accent original et une saveur particulière à partir de thèmes primitivement importés. De cette synthèse l'atelier du Peintre d'Hésione est assurément le meilleur représentant.
10. Volterra, Museo Guarnacci, inv. 44. 11. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria. N. 740. 12. Florence, Museo Archeologico, inv. 4122. 13. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria. N. 843. 14. Arezzo, Museo Archeologico, inv. 15460. 15. Prague, Musée National, inv. 2470. 16. Volterra, Museo Guarnacci, inv. 97. 17. Fragments de Cortone, EVP, p. 126. 18. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria. N. 598. 19. Aléria, trouvaille clandestine. 20. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria. N. 2309. Troisième Groupe: 21. Bologne, Museo Civico, inv. 410. 22. Volterra, Museo Guarnacci, inv. 49. 23. Milan, Museo Civico Archeologico* inv. 8/1957. 24. Volterra, Museo Guarnacci, inv. 30. 25. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria. N. 742.
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Fig. 1 - Musée d'Aléria. Stamnos. Inv. 74/38. Face A. Photo Tornasi.
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Fig. 2 - Musée d'Aléria. Stamnos. Inv. 74/38. Face B.
Fig. 3 - Musée d'Aléria. Stamnos. Inv. 74/38. Décor latéral.
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Fig. 4 - Musée d'Aléria. Stamnos. N. 741. Face B. Photo Tornasi.
Fig. 5 - Kelebè au profil de femme, trouvée à Aléria. N. 19. Face A.
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AU DOSSIER DE LA « LEX SACRA » TROUVÉE A LAVINIUM
Une inscription en latin archaïque, gravée sur une tablette de bronze, fut trouvée en 1949 sur le site de l'antique Lavinium, dans les ruines d'un sanctuaire. Longue de 29 cm. et large de 5, cette tablette est percée, à ses extrémités, de deux trous, par où passaient des clous qui, selon les archéolog ues, devaient servir à la fixer à une table d'offrandes. Le document est datable du IIIe siècle av. J.-C, d'après la forme des lettres et la morphologie archaïque. Il se lit sans difficulté et se présente ainsi: CERERE . AVLIQVOQVIBVS VESPERNAM . PORO Malgré les efforts de plusieurs philologues, ce texte reste partiellement énigmatique. Etudiant le culte de Cérès à Rome, j'avais eu l'occasion de m'y intéresser, il y a près de vingt ans; depuis, des interprétations nouvelles ont été proposées, qui autorisent un essai de mise au point. Pour la commod ité de la discussion, nous renverrons par le seul nom des auteurs aux études suivantes qui constituent la bibliographie (complète, me semble-t-il) de notre sujet. M. St. R. H. M.
Guarducci, Legge sacra da un antico santuario di Lavinio, dans Archeologia Classica, III, 1951, p. 99-103. Weinstock, A lex sacra from Lavinium, dans Journ. of Rom. Studies, XLII, 1952, p. 34-36. Bloch, Une lex sacra de Lavinium et les origines de la trìade agraire de VAventin, CRAI, 1954, p. 203-212. Le Bonniec, La lex sacra de Lavinium, dans Le culte de Cérès à Rome, Paris, 1958 (Appendice, p. 463-466). Guarducci, Ancora sulla legge sacra di Lavinio, dans Archeologia Classica, XI, 1959, p. 204-221.
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E. Peruzzi, Un problema etimologico latino, dans Maia, XI, 1959, p. 212-223. Κ. Latte, Römische Religionsgeschichte, Munich, 1960, p. 70, note 1. H. Wagenvoort, De lege sacra Livinia nuper reperta, dans Mnemosyne, XIV, 1961, p. 217-223. Un seul mot sur les quatre, le plus surprenant à première vue, ne pose pas de problème: AVLIQVOQVIBVS désigne les entrailles de certaines victimes sacrificielles, qu'on faisait bouillir dans une marmite, au lieu de les rôtir à la broche; c'est ce que nous apprennent de précieuses définitions de Verrius Flaccus et de Varron. On notera que ce dernier cite le porc parmi les animaux dont on cuit les exta dans une marmite; on ajoute à cette offrande d'entrailles ainsi rituellement apprêtées du blé prélevé sur la mola salsa \ Si, comme nous le pensons, il s'agit d'un sacrifice offert à Cérès, les entrailles devaient être celles d'une truie, hostia propria de la déesse, selon le rite romain tout au moins, - mais on peut supposer sans témérité qu'il en allait de même à Lavinium, ville fondée par Enée et, à certains égards, métropole religieuse de Rome. Le nom divin CERERE pose deux problèmes, d'ailleurs étroitement liés: le premier est de morphologie, le second d'interprétation. Et d'abord, le mot est-il à l'accusatif, comme le pensent M. Guarducci (qui a maintenu ce point de vue dans son deuxième article), St. Weinstock et, en dernier lieu, E. Peruzzi? est-il au datif, comme le soutiennent R. Bloch, H. Le Bonniec, et enfin H. Wagenvoort? Dans le premier cas, I'm final n'est pas noté; dans le second, on est en présence d'un datif en -ë; la philologie, à elle seule, ne peut trancher, car les deux solutions sont admissibles en elles-mêmes dans une inscription archaïque 2. Si Cerere = Cererem, le mot est sur le même plan et joue le même rôle que uespemam; on pourrait dans ce cas s'étonner de la différence de traitement entre les deux mots, puisque I'm final de uespemam n'a pas disparu, et on serait tenté d'en tirer argument en faveur de Cerere =
1 Paulus-Festus, p. 21 L.: Aulas antiqui dicebant, quas nos dicimus ollas, quia nullam litteram geminabant. Itaque aulicocia exta quae in ollis coquebantur dicebant, id est elixa. Varron, L. L., 5, 98 (édit. et trad. J. Collari, Paris, 1954): Haec sunt quorum in sacruficiis exta in olla, non in ueru coquuntur. « Ce sont les bêtes » (énumérées dans le contexte, au parag. 97, parmi lesquelles le porc) «dont, dans les sacrifices, les entrailles sont mises dans une marmite et non à la broche». - Ibid., 104: frumentum... ad exta ollicoqua solet addi ex mola, id est ex sale et jarre molito. L'expression aulam extarem « marmite pour cuire les entrailles sacrificielles» se lit chez Plaute, Rud., 135. 2 Voir les exemples fournis par M. Guarducci et E. Peruzzi en faveur de l'accusatif; par R. Bloch en faveur du datif.
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= Cereri. En fait, cette inconséquence ne prouve rien; on en trouve de comparables dans les épitaphes des Scipions3. Seule une interprétation de l'ensemble du texte permettra d'opter pour l'accusatif ou pour le datif. Le moment est venu de nous interroger sur le sens de VESPERNAM. Or, semble-t-il, la réponse est facile; de nouveau elle est fournie par Verrius Flaccus: « Les anciens appelaient uesperna ce qu'aujourd'hui nous appelons cena ». Ainsi, le mot est un synonyme, sorti de l'usage, du mot désignant le principal repas des Romains, le repas du soir4. Mais alors, si on consi dère, comme il est naturel, que Cerere désigne la déesse, on ne comprend pas comment le nom divin et le repas du soir, tous deux à l'accusatif, pourraient être les deux compléments directs d'un même verbe (sous-entendu) qui les régirait; on ne voit pas quel pourrait être le sens de ce verbe. Pour sortir de l'impasse, si on tient à conserver le parallélisme, il n'y a que deux solutions, symétriques et opposées: pour supprimer la différence de nature entre les deux mots, on considérera, si étonnant que cela paraisse, ou bien que cerere désigne ici un repas autre que la uesperna, ou bien que uespernam, tout comme cerere, est un nom de divinité. La première solution est celle de M. Guarducci (premier article); plus de déesse, mais deux repas, dont à vrai dire nous ne savons que faire. Au contraire, St. Weinstock supprime le repas du soir, ou plutôt le métamorphose en une divinité par faitement inconnue, compagne inattendue de la grande Cérès. En 1951, M. Guarducci admettait que Cerere(m) désignait, par méto nymie, le blé, donc le pain, donc, par extension, le repas de midi, par oppos ition à celui du soir. Cette conception, critiquée à bon droit par St. Weinstock, puis par R. Bloch, a été abandonnée par son auteur, dans le deuxième article. Il est donc inutile de s'y attarder. Signalons toutefois que, dans un esprit différent, E. Peruzzi a repris la thèse qui fait de cerere(m) et de uespernam deux noms communs. Son intention n'est pas au premier chef de donner une nouvelle interprétation d'ensemble du texte, mais de résoudre « un problème étymologique »: quelle est l'origine du latin cena? Dans l'inscription, cerere(m) aurait le sens de « pasto diurno », formant couple avec uesperna = « pasto serale»; ceres (non commun) serait devenu cena,
3 Cf. les observations d'A. Ernout, dans Recueil de textes latins archaïques, nouvelle éd., Paris, 1957, p. 13 sqq. 4 Paulus-Festus, p. 47 L.: cena apud antiquos dicebatur quod nunc est prandium; uesperna, quam nunc cenam appellamus; p. 505 uesperna apud Plautum cena intellegitur. Cf. ibid., p. 457, où cet usage ancien est rapporté aux Sabins: scensas Sabini cenas dicebant. Quae autem nunc prandia sunt, cenas habebant, et pro cenis uespernas appellabant.
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en passant par un intermédiaire (hypothétique) ceres-na. Selon lui, ce n'est pas le nom divin qui a été utilisé comme nom commun, comme le suggérait M. Guarducci; c'est exactement l'inverse qui s'est produit: ceres « pasto diurno » est devenu Cérès. Au plan linguistique, je laisse à plus compétent le soin de critiquer la démonstration de E. Peruzzi, qui, je l'avoue, ne m'a pas convaincu. Du point de vue religieux, il va de soi que les objections faites à M. Guarducci gardent dans le cas présent toute leur valeur; il suffit donc d'y renvoyer. Ajoutons que tout ce qu'on sait de Cérès et de son culte interdit de l'expliquer comme une personnification du repas de midi divinisé! Pour St. Weinstock, au contraire, CERERE(M) est bien la divinité, mais VESPERNAM devient une déesse, inconnue jusqu'ici. Il n'est pas exclu qu'il s'agisse d'une déesse gentilice étrusque; c'est plus probablement « an Italie goddess of food », qu'on ne s'étonnera pas de trouver honorée en même temps que Cérès nourricière. Son nom ne s'expliquerait pas comme un adjectif formé sur uesper, mais se rattacherait à la racine de uescor. Et l'inscription se traduirait à peu près: « II faut se rendre propices » (verbe sous-entendu à l'infinitif: placare, ou un autre de sens voisin) « Cérès par une offrande d'entrailles bouillies, Vesperna par une offrande de poireaux » (nous reviendrons sur ce sens donné à PORO). Cette interprétation a fait l'objet de critiques qui me paraissent n'avoir rien perdu de leur valeur, et que je me permets de reproduire, car, depuis, M. Guarducci a repris à son compte, en la modifiant, l'hypothèse de St. Weinstock. R. Bloch écrivait en 1954: « Créer de toutes pièces un personnage divin en partant d'un mot déjà connu par ailleurs est un acte bien hardi auquel il ne faudrait se résoudre qu'en désespoir de cause. D'autant que le terme archaïque de uesperna s'insère parfaitement dans une inscription du IIIe siècle avant notre ère et que sa signification de repas s'accorde très bien avec la rédaction d'une loi sacrée énonçant des prescriptions relatives à un repas divin ». A ces remarques, nous ajoutions, en 1958, qu'il serait gênant d'admettre l'homo nymie, fortuite, de deux mots n'ayant rien de commun: le repas du soir uesperna (de uesper) et la prétendue déesse Vesperna (de uescor), jugeant «étrange » cette déesse « Nourriture » qui n'est comparable à aucune autre divinité. Même refus de la part de H. Wagenvoort (1961): « deam illam Vespernam non agnoscemus nisi dura necessitate coacti ». En 1959, M. Guarducci se déclare « d'accord avec Weinstock pour interpréter l'accusatif Vespernam comme le nom d'une déesse ». Elle donne cette traduction, conforme à celle du savant anglais: « (Si onori, o si plachi) Cerere con viscere bollite, Vesperna con porri ». Mais cette déesse et celle de Weinstock n'ont de commun que le nom. Car la nouvelle Vesperna n'est
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pas la déesse de la nourriture; son nom ne s'explique pas par uescor, mais se rattache à uesper. Toutefois, « si les noms uesperna et Vesperna dérivent de la même racine et se sont formés de la même manière, il n'est nullement nécessaire d'admettre que le nom de la déesse est indissolublement lié au nom commun. En d'autres termes, Vesperna et uesperna peuvent être deux formes parallèles, mais indépendantes ». A partir des trois sens de uesper: « étoile du soir », « soir » et « occident », que peut signifier le nom divin Vesperna? « Dea astrale, ο dea della sera, o dea dell'Occidente? ». En raison de l'association à Lavinium de Cérès et de Vesperna, les deux pre mières hypothèses doivent être écartées. Mais Vesperna pourrait être consi dérée comme « déesse de l'Occident et par conséquent comme reine des morts, selon la conception très répandue dans l'Antiquité qui se représente le royaume des trépassés dans la région mystérieuse où le soleil se couche ». Ne peut-on retrouver dans les deux déesses honorées ensemble « le couple de la Mère et de la Fille, de ces deux divinités grecques - Demeter et Koré - qui, parvenues dans le Latium par l'intermédiaire de la Sicile et de Cumes, avaient été superposées par les Latins aux antiques figures indigènes de Cérès et de Libéra ». - Ces spéculations semblent aussi ingénieuses qu'arbitraires. Même s'il existe, comme on nous le dit, dans les cultes de Lavinium d' « innegabili elementi di grecita», c'est aller vite en besogne que de faire une Demeter de notre Cérès, et surtout d'identifier à Koré une Vesperna fantomatique! Si nous admettons que CERERE est un datif, et que VESPERNAM n'est autre que le repas du soir, nous obtenons pour les trois premiers mots le sens suivant: «A Cérès un repas du soir (fait d') entrailles bouillies à la marmite ». Mais que faire de PORO? M. Guarducci, St. Weinstock, R. Bloch, E. Peruzzi y voient l'ablatif de porrum, ou porrus, pris au sens collectif: « poireau(x) », la graphie par un seul r étant antérieure à la gemination des consonnes. Mais R. Bloch se trouve devant une difficulté particulière, puisque, à la différence des autres exégètes de ce groupe, il ne dispose plus que d'une divinité au lieu de deux: c'est à la seule Cérès que vont les deux offrandes: les exta bouillis et les poireaux. Il reconnaît que « la disjonction des deux termes fait difficulté », mais pense qu'elle n'est pas inadmissible dans un texte de haute époque, obéissant peut-être à certaines préoccupations d'ordre rythmique ». Je ne crois pas possible d'admettre une asyndète entre auliquoquibus et poro, considérés comme deux ablatifs jouant le même rôle grammatical et séparés par uespernam. C'est un fait que R. Bloch n'a pas été suivi sur ce point. Il propose une autre solution: « Si l'on sépare les deux lignes, il s'agit d'offrandes distinctes suivant les moments du jour. Un verbe tel que facere serait sous-entendu: on sacrifie (en règle générale) à Cérès
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avec des auliquoquia, on lui offre une uesperna faite de poireaux ». Mais il est impossible qu'un seul verbe sous-entendu régisse à la fois l'ablatif auliquoquibus et l'accusatif uespernam (cette critique a reçu en 1961 l'approbation de H. Wagen voort). Autre difficulté: on a beau nous vanter la qualité exceptionnelle des poireaux d'Aricie, ville voisine de Lavinium, il n'en est pas moins vrai que cette offrande est tout à fait insolite dans le culte romain ancien, non seul ement dans celui de Cérès, mais d'une manière générale. On peut toujours dire avec M. Guarducci que nous sommes loin de connaître tous les rites de la religion romaine, et que d'autre part l'offrande de poireaux n'est pas inconnue dans la religion grecque, mais je doute que ces arguments suffisent à lever la suspicion. A mon sens, il faut renoncer aux poireaux. D'autres aussi l'ont pensé. Mentionnons, pour mémoire, une hypothèse que je ne connais que par M. Guarducci. Incidemment, F. Castagnoli5 suggère, avec une réserve bien compréhensible, « la possibilité que le mot en discussion PORO fût une préposition (= pro) », dont dépendrait par anastrophe, l'accusatif uespernam, et que ce dernier eût le sens de «soir»: «A Cérès (on sacrifie) avec des aliments cuits à la marmite avant le repas du soir (ou avant le soir) ». Comme le dit M. Guarducci, « il est difficile d'admettre un poro employé comme le serait pro et, de plus, postposé à uespernam ». Ajoutons que pro construit avec un accusatif nous obligerait à admettre une faute du graveur. Au cours de la discussion qui suivit la communication de R. Bloch à l'Institut, J. Vendryès avait proposé une interprétation beaucoup plus plausi ble: poro, c'est à dire porro, pourrait être l'adverbe, à prendre au sens tem porel de « désormais », l'inscription ne formant qu'une phrase: (on offrira) « désormais à Cérès un repas du soir fait d'entrailles bouillies ». En 1958, je m'étais rallié, en désespoir de cause, à cette solution, si du moins on ne consentait pas à corriger le texte. En faisant tout de même cette réserve: « on ne comprend pas pourquoi, à partir d'un certain moment, cette obliga tions'imposerait aux fidèles ». Depuis, H. Wagenvoort a nettement rejeté cette interprétation: « Fateor equidem ita interpretando sensum praeberi mea opinione a lege sacra alienissimum ». Je crois qu'il a vu juste et qu'il faut renoncer à l'ingénieuse hypothèse de J. Vendryès. Si on n'arrive pas à trouver un sens satisfaisant à l'énigmatique poro, si d'autre part on se refuse à le tenir pour un locus desperatus, il ne reste qu'une solution, que j'avais proposée timidement en 1958: supposer une faute
Dans Studi e materiali di storia delle religioni, 30, 1959, pp. 1, 8.
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du graveur et corriger le texte. K. Latte, deux ans plus tard, n'a pas manqué d'audace en proposant de lire, au lieu de poro, poro. L'arbitraire et l'invraisemblance de cette correction sautent aux yeux: comme le note H. Wagenvoort avec bon sens, on omet de nous expliquer comment le graveur aurait pu omettre cinq caractères. L'hypothèse d'une faute commise par le graveur n'est pas en elle-même à rejeter, mais il convient d'éviter toute conjecture qui ne présente pas un minimum de crédibilité. Alors que personne n'hésite à admettre la nécessité de corriger parfois le texte d'un auteur qui s'est corrompu au cours des siècles, parce qu'il ne nous est parvenu qu'après avoir été copié et recopié, on se montre beaucoup plus réticent, non sans raison, lorsqu'il s'agit de modifier le texte d'une inscription, qui constitue l'original, parvenu jusqu'à nous sans intermédiaire. Pourtant, le grand épigraphiste Dessau (cité par Wagenvoort) nous avertit opportunément que de nombreuses inscriptions, sur pierre ou sur métal, même lorsqu'il s'agit de textes officiels (lois, rescrits impériaux), ne sont pas beaucoup moins fautifs que-. le texte de bien des manuscrits du Haut Moyen Age6. H. Wagenvoort propose donc de corriger poro en poplo (forme syncopée pour populo, bien attestée en latin archaïque). La faute s'expliquerait par une confusion entre PL et R: le graveur aurait mal lu son modèle; acceptable si le texte à copier était en capitales, cette erreur serait encore plus facile à admettre si l'écriture était cursive. Il faudrait comprendre ainsi l'inscription, en sous-entendant deux verbes: Cerere auliquoquibus (facito), uespernam poplo (dato). C'est à dire: « Sacrifie à Cérès en lui offrant des entrailles cuites à la marmite; offre au peuple un repas du soir ». Deux lignes d'inscrip tion, deux phrases indépendantes. Après le sacrifice des exta à la divinité, le reste des viandes, les uiscera, devenus « profanes », seraient servis au public comme repas du soir. Cet usage est attesté pour le culte d'Hercule à VAra Maxima (Servius, Aen., 8, 269; cf. Macrobe, Sat., 3, 12, 3). H. Wagenv oortcite Wissowa (Religion und Kultus, p. 278 sq.): «Diese Zehntengabe (= la decima Herculis) wurde als Ganzes dem Hercules geweiht . . . aber nur ein geringer Teil davon blieb im Tempel, das Meiste wurde am Abend dem Volke preisgegeben (profanare) und zu dessen Bewirtung verwendet ». Et de s'écrier: « Ecce uesperna nostra! ». - Cette nouvelle interprétation, je l'avoue, ne me semble nullement convaincante. Il est difficile d'admettre que les quatre mots du texte constituent deux phrases dont les deux verbes
6 Latein. Epigraphie, dans ['Einleitung i. d. Altertumswissenschaft de Gercke-Norden, tome I, fase. 1, p. 10.
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différents ne sont pas exprimés. On ne nous dit pas à qui s'adressent les deux impératifs: facito et dato; s'agit-il de la même personne? est-ce un prêtre, ou plutôt un magistrat, puisque H. Wagenvoort pense à un rite du culte public? Enfin la comparaison avec le culte hellénique d'Hercule à Y Ara Maxima n'a de sens que si on admet un postulat difficilement accept able: « Si existimamus saeculo tertio a.C.n. Cererem Lauinii graeco ritu cultam esse - nec uideo quid tali sententiae obstet - quaestio soluta esse mihi uidetur ». Rien n'indique que nous ayons affaire à un culte importé; au contraire, le rituel des exta cuits à la marmite est purement romain, ou plutôt latin, et la Cérès de notre inscription doit être la déesse agraire indigène. Détail significatif, nous avons vu qu'on ajoutait aux entrailles cuites un peu de cette mola salsa caractéristique du sacrifice romain. Si le repas sacré est offert seulement le soir, ou en fin d'après-midi, c'est que la « cuisine » rituelle exige un assez long délai: une fois l'animal immolé, il faut couper en morceaux les exta et les faire cuire dans la marmite; c'est pourquoi le calendrier liturgique connaît des jours intercisi (« entrecoupés »), pendant lesquels les activités profanes ne sont permises qu'entre le moment où la bête est sacrifiée et celui où les exta sont offerts, autrement dit entre le matin et le soir: Intercisi dies sunt per quos mane et uesperi est nefas, medio tempore inter hostiam caesam et exta porrecta fas 7. Revenons-en à PORO. La séquence: datif d'attribution, ablatif instru mental, accusatif complément d'objet direct, fait attendre une forme verbale. En 1958, j'avais proposé PORGO, forme ancienne de PORRIGO, qui est bien attestée8. C'est la table d'offrandes qui est censée parler: «A Cérès j'offre le repas du soir fait d'entrailles bouillies à la marmite ». Il me semble que ce verbe qui veut dire « tendre, présenter, offrir » convient assez bien à une mensa sur laquelle le repas rituel est déposé. M. Guarducci objecte que « è durissimo il poro nel valore di porgo », mais je crois avoir été mal compris: il ne s'agit pas de donner à poro la valeur de porgo; j'admets que le graveur a fait une faute, explicable par la ressemblance entre le G et PO; c'est en quelque sorte une haplographie (bien que ce terme soit impropre, les deux lettres étant différentes). Il faudrait restituer PORO. M. Guar ducci fait aussi remarquer que « senza esempio è il motivo della mensa
7 Varron, L. L., 6, 31; cf. Ovide, Fastes, 1, 49-52; Macrobe, Sat, 1, 16, 3. 8 Festus, p. 244 L.: PORIGAM dixisse antiqui uidentur pro porrigam, propter morem non geminandarum litterarum, ducto uerbo a porro regam... Antiqui etiam porgam dixerunt pro porrigam. - Dans un texte poétique Cicéron emploie cette forme syncopée: Nat. deor., 2, 114; voir les exemples réunis par A. S. Peace, ad loc.
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parlante ». C'est exact, à ma connaissance, mais on pourrait répondre qu'il y a un commencement à tout. Disons que ce serait un « hapax » archéolog ique. En tout cas on peut faire valoir quelques analogies: la fameuse fibule de Préneste prend la parole pour nommer l'artisan qui l'a fabriquée. « Ce tour est primitif, commente P. Lejay. A Chypre, dans des inscriptions très anciennes, l'objet votif se déclare la propriété du dieu; les scarabées et les vases nomment leur maître . . . Parmi les plus anciennes inscriptions grecques, se trouvent des ex-voto offerts aux dieux . . . L'objet proclame à qui il appart ient, à qui on l'a consacré » 9. Aux archéologues de dire ce qu'ils en pensent. Ce n'est pas sans inquiétude que je soumets ces quelques pages au jugement pénétrant du savant que nous voulons honorer; puissent-elles n'être pas trop indignes de lui!
P. Lejay, Histoire de la littérature latine des origines à Flaute, Paris, s.d. (1920).
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« EVOCATIO »
La découverte en Cilicie d'une inscription relative à la prise de la ville â'Isaura Vêtus par le proconsul P. Servilius Vatia l en 75 av. J.-C. ne semble pas avoir attiré l'attention des historiens de la religion romaine, bien que son inventeur, le Professeur Alan Hall2, ait fait remarquer, sans s'y attacher lui-même, qu'elle obligeait à reprendre l'examen des questions relatives à Yevocatio. Ce rite est célèbre parce qu'il a quelque chose d'archaïque et d'étrange pour la mentalité moderne et parce que les seuls exemples qui nous étaient connus jusqu'à présent de façon assurée concernaient deux des sièges les plus fameux de l'histoire romaine, celui de Veies en 396 av. J.-C. et celui de Carthage en 146 av. J.-C, mais en réalité le dossier sur lequel on pouvait s'appuyer pour l'étudier était très mince, si l'on mettait à part les textes qui concernent le secret dont auraient été environnés l'identité de la principale divinité poliade de Rome et le véritable nom de VUrbs elle-même afin d'empêcher une evocatio par l'ennemi3, et ceux qui ne font que répéter partiellement l'apport des sources principales4. Celles-ci compren aient seulement le récit par Tite-Live de Vevocatio de la Junon de Veies et des miracles par lesquels elle avait manifesté son accord au transport
1 P. Servilius Vatia «Isauricus». 2 A. Hall, New light on the capture of Isaura Vêtus by P. Servilius Vatia, dans Akten des VI Internationalen Kongresses für Griechische und Lateinische Epigraphik, München, 1972, Vestigia, 17, p. 568-571. 3 Macrob., Sat, III, 9; PL, H.N., XXVIII, 18, 3-4; III, 65; Serv. Ad Aen., II, 351; I, 277; Plut., Quaest. Rom., 61; Solin., I, 4. Les historiens modernes de la religion romaine ont souvent relevé ce secret, par ex.: V. Basanoff, Evocatio, p. 17-31. - J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, p. 122-3. - Dumézil, La religion romaine archaïque, p. 301; 412-214; 453-4; 489, n. 3; 531-2. Je n'ai pu prendre connaissance avant d'achever cet article de l'ouvrage de Thomas Köves-Zulauf, Reden und Schweigen, Römische Religion bei Plinius Maior, Studia et testimonia antiqua, XII, Munich, 1972. 4 Val. Max., I, vili, 3; Dion Halic, XIII, 3; Plut, C amili, VII.
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de sa statue sur l'Aventin après la prise de la ville par le dictateur Camille 5, une longue note de Macrobe6 donnant le texte du carmen utilisé pour « évoquer » les dieux de Carthage et de celui qui avait servi ensuite pour « dévouer » la ville aux divinités infernales romaines, de brefs commentaires de Servius également à propos de Carthage7, enfin une courte note de Pline l'Ancien 8 et une allusion de Festus 9 sur Yevocatio en général. L'inscrip tion découverte par le professeur A. Hall n'est pas très bien rédigée, mais elle a sur ces sources littéraires de valeur inégale l'immense avantage d'être un témoignage direct et bien daté. En voici le texte: «Servilius C(aii) f(ilius) imperator, / hostibus victeis, Isaura vetere / capta, captiveis venum dateis, / sei deus seive deast, quoius in / tutela oppidum vêtus Isaura / fuit, [...] votum solvit». Les termes de l'invocation reproduite aux lignes 4, 5 et 6 (« sei deus. . . fuit») sont les mêmes que ceux du carmen employé à Carthage soixante et onize ans auparavant (Si deus si dea est, cui populus civitasque Carthaginiensis est in tutela); Pline l'Ancien les a reproduits partiellement d'après Verrius Flaccus (deum cuius in tutela id oppidum esset) en ajoutant que le rite figurait encore de son temps dans la science pontificale (« et durât in pontificum disciplina id sacrum »), or Servilius Vatia était pontife: dans ces conditions il semble légitime d'admettre que l'opération à laquelle il a procédé devant Isaura Vêtus a bien été une evocatio et pas simplement un rite analogue («similar») comme l'a suggéré le Professeur A. Hall. Cette hypothèse conduit à une conception de Vevocatio et de son importance beaucoup plus satisfaisante que celle qui avait été reçue jusqu'à présent et fait disparaître les difficultés auxquelles on se heurtait à son sujet. Du seul fait qu'elle ait été pratiquée à l'encontre d'une ville barbare d'Asie Mineure qualifiée d'oppidum, il résulte que Yevocatio n'était pas réservée aux divinités poliades des villes italiennes et pas davantage à celles des villes fondées etrusco ritu, seules dignes d'être qualifiées d'urbes,
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Liv., V, xxi, 2-5; xxii, 3-7. Macrob., loc. laud. Serv., Ad Aen., II, 244; 351; XII, 841. PL, H.N., XXVIII, 18. Fest, s.v. «Sacra peregrina», p. 237 M = 268 L.
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selon une théorie moderne qui a longtemps prédominé 10. En conséquence il n'y a plus aucune raison de rejeter les indications fournies par Macrobe à propos du siège de Carthage, en particulier les textes des deux carmina qu'il a recueillis; on doit admettre au contraire la loyauté de son témoignage lorsqu'il affirme avoir fait une enquête sérieuse pour retrouver le souvenir des « dévotions » de villes auxquelles on avait procédé autrefois (in antiquatibus) et avoir découvert les textes de ces carmina dans un livre d'un érudit de l'époque sévérienne, Sammonicus Severus, qui les avait copiés lui-même dans un ouvrage beaucoup plus ancien « d'un certain Furius » que Macrobe n'a pas identifié mais dans lequel on reconnaît aujourd'hui L. Furius Philus, consul en 136 av. J.-C, un ami de Scipion Emilien qui a peut-être participé au siège de Carthage. D'après l'inscription Vevocatio était un votum, dont il fallait accomplir les promesses une fois satisfaction obtenue, c'est-à-dire une fois la ville prise. On ne songe plus maintenant à faire du votum une opération magique, obligeant la divinité à obtempérer à la condition d'avoir été bien faite; le carmen de 146 demande au contraire aux divinités évoquées de faire con naître leur accord (ut sciamus intellegamusque). par l'aspect des entrailles des victimes offertes au moment "même où l'on prononçait le vœu: In eadem verba hostias fieri oportet auctoritatemque videri extorum, ut ea promittant futura. Dans le carmen de Carthage après la formule générale sive deus, sive dea... in tutela fuit, on trouve: teque, maxime, Me qui urbis huius populique tutelam recepisti, pourtant nous avons rappelé la tradition selon laquelle le nom de la principale divinité protectrice de Rome était caché pour empêcher qu'elle ne fût l'objet d'une evocatio. Il n'y a pas là de contradiction, simplement les divinités auxquelles on s'adressait devaient être invoquées avec le plus de précision possible, mais il ne fallait les nommer que si l'on était certain qu'elles pouvaient être invoquées pour cette opération-là, sous le nom qu'on leur connaissait; en cas de doute il était préférable de s'en abstenir n. Vevocatio s'adressait à tous les dieux de la ville, nécessairement englobés dans l'expression générale sive deus,
10 J'ai exposé ma conception à cet égard en dernier lieu dans mon article Les Romains et l'orientation solaire, dans MEFRA, 1975, 1, p. 287-320. 11 II fallait se montrer prudent à cet égard même vis-à-vis des dieux romains, comme le rappelle le texte du carmen utilisé pour la devotio de Carthage (Macrob., loc. laud.): «Dis Pater, Veiovis, Manes, sive quo alio nomine fas est nominare... ».
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sive dea . . . 12, mais si l'on savait, de façon certaine, qu'elle était plus part iculièrement sous la protection d'une de ces divinités, il était sage d'invoquer plus spécialement cette divinité dans le cadre de la prière: tel fut évidem mentle rôle du teque, maxime ... de 146 av. J.-C. Il existait donc une formule générale qu'il fallait adapter à chaque cas d'après ce qu'on savait du panthéon de l'ennemi. Ce sont les pontifes qui procédaient à ces ajustements puisque la formule générale se trouvait dans les libri pontificales 13. Le carmen de Carthage montre qu'ils le faisaient d'après leurs archives: en effet son complément, visiblement rédigé en démarquant la formule générale n'est pas adressé à Tanit, la principale protectrice de la ville en 146 av. J.-C, dont l'identification avec Junon était déjà très ancienne alors, il invoque, au contraire, un dieu masculin, qui ne peut être que Baal Hammon, dieu suprême du panthéon punique jusqu'à l'époque où sa parèdre l'avait supplanté, sans doute au début du IVe s. av. J.-C. 14, tout en lui laissant la seconde place; déjà les cérémonies célébrées à l'occasion des crises religieuses qui avaient secoué Rome au cours de la Seconde Guerre Punique, s'étaient souvent adressées à son équivalent romain, Saturne, en même temps qu'à la Junon reine de l'Aventin 15. L'examen des entrailles des victimes ayant montré que les dieux avaient accepté d'abandonner leurs adorateurs et de devenir les protecteurs des Romains et de leur ville, les temples, les idoles et les objets sacrés de l'ennemi se trouvaient désacralisés aux yeux des assaillants: en 146 Scipion Emilien punit pour désobéissance des soldats qui avaient pillé durant l'assaut le temple d'« Apollon» dans les bas quartiers de Carthage et s'étaient partagés l'or du naos et de la statue 16, mais il n'y eut pas de cérémonie expiatoire.
12 Le carmen de 146 après avoir invoqué spécialement le principal protecteur de Carthage, revient au pluriel: «... a vobis peto,... ut vos... voveo vobis...». 13 PL, loc. laud. 14 G. et C. Picard, Vie et mort de Carthage, p. 144-151. 15 Cf. R. Bloch, Hannibal et les dieux de Rome, CRAI, 1975 p. 14-25, V. aussi M. Le Glay, Saturne Africain, en partie, p. 468-478. Le Saturne Africain héritera de l'épithète de magnus ou de deus magnus, voire de maximus, qui avait très probablement appartenu au Baal Hammon punique {ibid., p. 126-127). Est-ce un simple hasard si le carmen de 146 invoque le principal protecteur de Carthage par la même épiclèse: «teque, maxime... »? 16 App., VIII, 127-133: «Apollon» était le dieu punique Resheb (G. et C. Picard, op. laud., p. 177). Cette désacralisation explique que les Romains aient pu transporter à Rome les statues de culte elles-mêmes, quitte peut-être à les reconsacrer ensuite par leurs propres rites: ainsi
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Les indications fournies par les sources sur les promesses faites par le votum sont peu précises. On croit généralement qu'il s'agissait d'un culte et d'un temple à Rome où l'on aurait donc dû élever d'innombrables temples aux dieux évoqués, pourtant nous n'arrivons à établir qu'une liste extr êmement restreinte et souvent contestable de ces temples: celui de la Junon de Veies sur l'Aventin est le seul cas certain, peut être un temple au Voltumna, Vertumne de Volsinii évoqué en 265 sur l'Aventin également, au Champ de Mars un temple à la Junon Curitis de Falerii et un à la Minerve de la même ville sur le Celius (Minerva capta); il est possible qu'un culte ait été rendu parfois à une divinité évoquée dans un temple dédié à une divinité qui lui avait été assimilée, par exemple on peut supposer que la Tanit/Junon de Carthage a reçu un culte dans le temple de l'Uni/Junon (de Veies) sur l'Aventin, pourtant l'empereur Elagabal amènera à Rome la Junon Calelestis de la Carthage romaine 17: pouvait-il ignorer qu'il s'agissait de la « Junon » punique? Mieux encore: le carmen de 146 avait promis aux dieux évoqués des temples et des jeux: Si ita feceritìs, voveo vobis templa ludosque facturum sans préciser où le vœu serait accompli, or tous les jeux qui ont été célébrés à Rome après une victoire l'ont toujours été à notre connaissance en l'hon neur des divinités romaines dont l'aide avait été spécialement sollicitée en vue de cette victoire. On doit donc se demander si les promesses de Vevocatio n'étaient pas tenues dans le pays même, devenu romain par la conquête. L'inscription d'Isaura Vêtus apporte un sérieux argument en ce sens. Elle est gravée sur une dalle haute de 0,58 m, longue de 1,03 m, épaisse de 0,30 m, qui n'avait pas été polie à l'arrière, préparée par conséquent pour être enchâssée dans la maçonnerie d'une assez grande construction; la dernière ligne a été écrite assez loin du bord inférieur de la pierre, ce qui suggère que l'inscription était destinée à être vue de bas en haut au-dessus d'un rebord; on est ainsi conduit à penser que cette construction était un temple. Les dieux évoqués auraient donc reçu généralement sur place le
pourrait s'expliquer sans soulever de difficulté l'épithète de la « Minerva capta » du Celius; la déesse ayant été évoquée en même temps que les autres divinités de la ville, en particulier Juno Curitis, sa statue, désacralisée, aurait été transportée à Rome avec le butin mais reconsacrée ritu romano dans le sanctuaire du Celius. 17 Elagabale et non Septime Sévère, comme l'a démontré J. Mundle, Dea Caelestis in der Religionspolitik des Septimius Severus und der Iulia Domna, dans Historia, X, 1961, p. 228-237.
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culte qui leur avait été promis 18; d'après Ovide, le char et les armes de Junon étaient d'ailleurs restés en Afrique 19. Toute devotio d'une ville était nécessairement précédée par Vevocatio de ses dieux, comme le rappelle Macrobe. La liste de dévotions anciennes qu'il fournit, sans avoir la prétention d'être exhaustive, est donc en même temps une liste d'évocations. Il énumère: «Stonii (?), Frégelles, Gabies, Veies, Fidènes en Italie, Carthage et Corinthe, bien d'autres armées et oppida des ennemis de Rome en Gaule, en Espagne, en Afrique chez les Maures et chez d'autres peuples dont parlent les anciennes annales ». Nous n'avons plus de motifs pour mettre en doute cette enumeration, même pour la Gaule, l'Espagne et l'Afrique: on peut songer à Numance (133 av. J.-C), à Entremont (123-122 av. J.-C), à la guerre de Jugurtha. Comme le peu d'importance attaché à l'exécution des vœux, cette longue énumérération montre que Vevocatio 'n'était pas un rite exceptionnel; c'était, bien au cont raire, un rite banal du vieil arsenal religieux romain de la guerre, si banal que les auteurs n'y ont même pas fait allusion sauf dans les cas célèbres de Veies et de Carthage 20, pas plus qu'à d'autres, tout aussi courants, telle la lustration de l'armée au moment de l'entrée en campagne dont Tacite nous apprend incidemment qu'on la pratiquait encore en 37 ap. J.-C.21.
18 Les honneurs qui leur auraient été rendus auraient donc été bien moindres que ceux rendus aux divinités transplantées à Rome pour en devenir de nouvelles protectrices alors que leur cité d'origine était en paix avec elle, dont les exemples les mieux connus sont ceux d'Asklépios, de Vénus Erycine et de Cybèle. On remarquera cependant que ces cultes et ceux des dieux évoqués étaient réunis sous la dénomination commune de sacra peregrina (Festus, loc. laud.), et que ces divinités continuaient de recevoir leur culte traditionnel dans leur sanctuaire d'ori gine - et certainement dans d'autres:' les Romains n'ont jamais pensé qu'une divinité ne pouvait être présente que dans un seul sanctuaire. Selon Arnobe (AUv. pag., III, 38) tous les dieux évoqués étaient invoqués comme dei novensiles et leurs cultes confiés à des gentes ou célébrés comme sacra publica: il est évidemment difficile de mesurer la confiance qui peut être accordée à ces affirmations. 19 Ovid., Fast., VI. 45-46: « Paeniteat, quod non foveo Carthaginis arces, / cum mea sint ilio currus et arnia loco»; Virgile (Aen. I, 12-17) avait déjà écrit: «Urbs antiqua fuit... Karthago... hic illius arma, hic currus fuit». Certes les Puniques n'ont pas évité de donner à leurs divinités l'apparence humaine, mais ils les représentaient également par des symboles, si bien qu'il est permis de se demander si la question du transfert de «la statue» de Junon à Rome, souvent posée par les historiens modernes sans qu'ils puissent y répondre, n'est pas en réalité un faux problème. 20 Malheureusement trop bref, le texte de Festus, cité supra, conduit à la même conclusion. 21 Par l'offrande des suovetaurilia à Mars, (Tac, Ann., VI, xliii, 2).
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MAGIE ET SORCELLERIE À ROME AU DERNIER SIÈCLE DE LA RÉPUBLIQUE
On a maintes fois, semble-t-il, souligné l'importance de l'époque impér iale dans l'histoire de la magie à Rome. « Ce qu'il pouvait y avoir d'original dans la pratique de la magie en Italie disparut sous l'Empire », notait déjà Marquardt 1. Et ce jugement est confirmé par H. Hubert qui, dans l'excellent article Magia du Dictionnaire des Antiquités2, retrace le passage d'une « sorcellerie populaire » et d'une « magie de paysans » (à l'origine) à une magie (celle de l'Empire) tantôt plus savante et comme « sécularisée », tantôt plus liée à la religion, du fait des influences étrusques et étrangères. Quant aux ouvrages les plus récents, c'est sur la période augustéenne qu'ils mettent l'accent, qu'il s'agisse de l'étude de la répression de la magie 3 ou de réflexion sur l'action magique4. En reconnaissance pour l'inlassable bienveillance du directeur d'une trop longue thèse complémentaire et en hommage au savant, aussi attentif aux « sortilèges » d'un avocat contemporain de Pline le Jeune qu'aux magis tratures étrusques, on souhaite montrer ici que le dernier siècle de la Répu-
1 Le culte chez les Romains, t. II, p. 133. 2 Daremberg-Saglio-Pottier, Diet, des Ant. gr. et rom., t. III, 2 (1904), p. 1494-1521. Excellentes réflexions sur les rapports entre magie et religion d'une part, entre magie et science d'autre part dans le livre de S. Viarre, L'image et la pensée dans les «Métamorphoses » d'Ovide, Paris, 1964, p. 153 ss. 3 E. Massonneau, La magie dans l'Antiquité romaine, Paris, 1934, p. 122 ss., 169 ss. De même pour R. Mac Mullen, Enemies of the Roman Order. Treason, Unrest and Alienation in the Empire, Cambridge, Harv. Univ. Press, 1966. 4 J. Annequin, Recherches sur l'action magique et ses représentations (F1 et IIe siècles après J.-C), Paris, 1973, livre riche de renseignements, mais partiel, et qui repousse résolument (p. 10) toute tentative d'essai chronologique au nom de la lente évolution des structures ment ales. Cette dernière observation n'est pas inexacte; mais il faut tenir compte des apports plus ou moins enrichissants, ou déformants, venus de l'extérieur, ainsi que des glissements sociolo giques... ce qui s'est produit, croyons-nous, au Ier s. av. J.-C.
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blique fut pour l'évolution de la magie à Rome une période décisive, marquée à la fois par un notable renouveau d'intérêt pour les pratiques des magiciens et des sorciers et par l'élaboration d'une nouvelle magie, plus séduisante pour les milieux cultivés et mondains de la capitale. C'est précisément le succès de cette science noire, nouvelle ou du moins renouvelée, qui expli quera mieux le scepticisme inquiet de Cicéron, les attaques des poètes, la condamnation et la répression d'Auguste. Alors que, comme l'a bien montré A. Alföldi 5, la puissance d'attraction de la mantique tend à diminuer à partir de Marius et de Sylla, non sans garder cependant la faveur des masses, où n'ont pas encore pénétré les idées nouvelles sur le monde et le sort de l'homme, seules capables d'enta merles vieilles croyances dans les forces obscures, dans les pouvoirs des astres, dans les présages, ceux-ci ont dû contribuer à impressionner une opinion préoccupée, lassée et bientôt horrifiée par les guerres civiles. Jamais depuis l'époque de la deuxième guerre punique, si fertile en prodigia, Rome n'en a connu autant qu'au Ier av. J.-C, tous exploités, bien sûr, le prodige étant devenu une « arme de choix dans les luttes politiques » 6. R. Bloch, qui les a fort bien étudiés, en a mentionné plusieurs, à titre d'exemples. En complétant sa liste, mais sans prétendre la rendre exhaustive, on voit signalés les cas suivants: -
En 90, pendant la campagne militaire de Sylla en Italie, une flamme s'élève de la terre entr'ouverte (Plut., Sylla, VI, 9). Un peu plus tard, une couronne de laurier, symbole de victoire, appar aîtsur le foie d'une victime qu'il est en train de sacrifier (Ibid., XXVII, 16). En 88, sous le consulat de Sylla, un coup de trompette retentit dans un ciel serein (Ibid., VII) 7. En 87, sous le consulat de Cn. Octavius, apparaît une comète (Cicéron, De nat. deor., II, 5, 14); c'est l'année de la comète de Halley8. C'est aussi l'année de la fulmination de Pompeius Strabo. On entend des bruits d'armes qui s'entrechoquent dans le ciel; des gouffres s'ouvrent
5 Voir notamment dans Chiron, 5, 1975, p. 165-192: Redeunt Saturnia regna, IV, Apollo und die Sibylle in der Epoche der Bürgerkriege. Déjà J. Gagé, Apollon romain, Paris, 1955, p. 424 ss. 6 R. Bloch, Les prodiges dans l'Antiquité classique, Paris, 1963, p. 139. 7 Les devins étrusques l'interprétèrent comme le signe d'un changement de saeculum et le début d'un âge nouveau, une metakosmesis: cf. J. Gagé, op. cit., p. 431. 8 Cf. F. S. Archenbold, Weltuntergang und der Halleysche Komete, Berlin, 1910, p. 54.
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dans la terre, d'où jaillissent des flammes, etc. La tête de la statue d'Apollon tombe par terre et s'y fixe (lui. Obs., 56 ss. [116]; Appien, B.c., I, 325 ss.) 9. Le 6 juillet 83, pendant la dictature de Sylla, le recueil des Livres sibyllins brûle dans l'incendie du Capitole. L'empressement mis à le reconstituer (ce qui fut fait en 76) prouve l'intérêt que beaucoup lui attachaient; le nombre de ses « gardiens » - les decemuiri sacris faciundis - est à cette occasion porté à quinze (Den. Hal., IV, 62, 6). La même année, on entend, entre Capoue et le Volturne, un fracas d'armes et d'étendards, accompagné d'une effrayante clameur (lui. Obs., 57 [118]). A partir de 65, on attend un « kosmische Zeitwende » 10. Par l'interméd iaire de la muse Uranie, sont énumérés et décrits les phénomènes célestes (comètes, bolides) et terrestres (apparitions nocturnes de spectres), annonciateurs des graves événements de 63 (De consulatu suo, dans Cic, De diuin., I, 17, 11 ss.; lui. Obs., 61 [122]). En 57, une colonne de Jupiter sur le mont Albain est frappée par la foudre (Cass. Dio, XXXIX, 3). En 56, un grondement souterrain est perçu dans VAger latiniensis (Cic, De harusp. resp., 20 ss.). Fin 50, un graue ostentum est annoncé sur le territoire cumain (un arbre avec trop peu de branches), ce qui d'après les Livres sibyllins signifie un carnage prochain (Pline, H.N., XVII, 243); et le 12 janvier 49, lors du passage du Rubicon apparaît un homme d'une taille et d'une beauté extraordinaires (Suét, Diu. lui, 32). En 48, l'année de Pharsale, les phénomènes célestes se multiplient: superique minaces prodigiis terras implerunt, aethera, pontum: comète, éclairs dans un ciel serein, foudre sur le « sommet latial »( étoiles en plein jour, dérèglement du système solaire et lunaire, éruption de l'iïtna, embrasement de l'autel albain de Vesta, etc., Lucain a décrit avec complaisance ces « gages sûrs d'une pire destinée » (Phars., I, 524 ss.; lui. Obs., 65 125). En 44, des prodiges nombreux accompagnent la mort de César: trom pettes et bruits d'armes dans le ciel, le soleil est privé de sa lumière, les statues des dieux pleurent, des bœufs parlent (Tib., II, 5, 71 ss;
9 Sur cette série de prodiges, « la plus étonnante et la plus grave » depuis 114, voir J. Gagé, op. cit., p. 430. 10 A. Alföldi, art. cit., p. 182 ss.
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MARCEL LE GLAY lui. Obs., 68 [128]). Et surtout en juillet 44, pendant les jeux de la Victoire de César, entre le 20 et le 30, c'est l'apparition dans le ciel de Rome de la fameuse comète - le sidus Iulium - dont OctaveAuguste sut tirer tout le parti que l'on sait pour étayer de croyances astrales l'apothéose de Yimperator défunt et la fondation du culte imperial n. En 43, un « bolide » se manifeste lors de la bataille de Modène (Pline, H.N., II, 96). Mais c'est la fondation du second Triumvirat et ses pre mières décisions qui sont accompagnées surtout de signes effrayants: des loups sont vus sur le Forum, des bœufs parlent, des statues pleurent, des bruits d'armes et de courses de chevaux sont perçus; le soleil a un aspect étrange; la foudre tombe sur des temples et des statues (Appien, Ce, IV, 4, 14; lui. Obs., 69 [129]). En 42, l'année de Philippes, de nouveaux prodiges sont signalés: on voit trois soleils; la statue de Jupiter sur le mont Albain suinte, etc. (lui. Obs., 70 [130]).
Après quoi le Liber prodigiorum reste muet jusqu'en 17/16 pour ment ionner alors l'apparition d'une comète 12. Que Cicéron, Pline et d'autres, qui ont rapporté ces prodiges, aient montré quelque scepticisme sur leur interprétation comme « signes astrologiques » 13, peu importe. Seul compte le
11 Sur cet astre de grande taille, apparu du côté du Nord: Hör., Od., I, 12, 46-48; Virg., Bue, IX, 46-49; Aen., VIII, 681 (et Servius); Prop., EL, IV, 6, 59 ss.; Ovid., Met, XV, 840-851; Sén., Nat. quaest, VII, 17, 2; Suét, Diu. lui, 88; Plut., Caes., 69, 3; Cass. Dio, XLV, 7, 1-2. Seuls font état d'un culte rendu à cette comète dans le temple de Vénus à Rome: Plin., H.N., II, 93-94 et lui. Obs., 67. Une comète fut réellement visible à Rome, pour Halley: cf. Archenb old,op. cit.; cette comète serait la même qui apparut de nouveau en 530, 1106 et 1680. Sur les implications religieuses, voir F. Cumont, L'éternité des empereurs romains, dans Rev. Hist. Litt. Rei, 1896, p. 435-452; A. Alföldi, Der neue Weltherrscher, dans Hermes, LXV, 1930, p. 369-384 (interprète l'apparition de la comète comme l'annonce d'un nouvel âge d'or); K. Scott, The Sidus Iulium and the Apotheosis of Caesar, dans Class. Phil, XXXVI, 1941, p. 257-272 (sur la comète, signe de l'apothéose de César obtenue en récompense de ses vertus); L. Ross Taylor, The Divinity of the Roman Emperor, p. 90 ss.; J. Gagé, Apollon romain, p. 585 ss.; et plus récemment G. Radke, Augustus und das Göttliche, dans Antike und Universalgeschichte, Festschrift H. E. Stier, Münster, 1972, p. 273-274. 12 lui. Obs., 71 [131] la mentionne en 17; Dion Cassius, LIV, 19, 7, en 16; elle est mise en relation avec la défaite de Lollius (clades Lolliana: LIV, 20, 5) et n'a rien à voir avec le sidus Iulium, comme le note justement G. Radke, art. cit., p. 273-274. ; 13 Sur le scepticisme de Cicéron à l'égard des phénomènes célestes interprétés comme signes astrologiques, cf. De diuin., passim, par ex. I, 17 ss.; II, 81; il y ajoute de l'ironie dans Pro Murena, 25, quand il parle des anciens juristes, a quibus etiam dies tanquam a Chaldaeis
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fait qu'ils les ont relevés, ce qui suffit à attester l'intérêt que leur portaient et l'opinion publique et certainement les milieux politiques intéressés à les lui faire connaître. L'attention prêtée à ces « signes » dans une période aussi troublée que le dernier siècle de la République participe évidemment de celle qu'on prêtait alors à l'astrologie en général. L'ouvrage récent qu'ont consacré à la littérature astrologique et à son histoire W. et H. G. Gundel 14 dispense d'insister sur cette question. Rappel ons seulement que la génération de Cicéron a été fortement marquée, non seulement par l'enseignement de Posidonius et sa théorie de la « sympathie » universelle 15, mais aussi par d'autres fervents de l'astrologie hellénistique,
petebantur; voir M. Van den Bruwaene, La théologie de Cicéron, Louvain, 1937, p. 183 ss.: « Le scepticisme de Cicéron » - Quant à Pline, ennemi de la crédulité et attaché au déterminisme stoïcien, il « croit que tous les événements sont commandés par des lois naturelles, qu'il faut s'efforcer de découvrir» (J. Beaujeu, éd. de Pline, H.N., II, p. 182), d'où sa réflexion: quippe ingentium malorum fuere praenuntia; sed ea accidisse non quia haec facta sunt arbitror, uerum haec ideo facta quia incasura erant Ma - «Les malheurs n'arrivèrent pas, je crois, parce que les météores étaient apparus; au contraire ceux-ci apparurent parce que les catastrophes étaient imminentes». - Sur les prodiges, comme manifestations «d'un sacré le plus souvent maléfique» et comme «signes d'une volonté supérieure», voir les excellentes remarques de M. Meslin, Le merveilleux comme langage politique chez Ammien Marcellin, dans Mél. W. Seston, Paris, 1974, p. 353-363. 14 W. Gundel et H. G. Gundel, Astrologumena. Die astrologische Literatur in der Antike und ihre Geschichte (Sudhoffs Archiv, Vierteljahrsschrift für Geschichte der Medizin und der Naturwissenschaften der Pharmazie und der Mathematik, Beiheft 6), Wiesbaden, 1966, 382 pp. Voir, à propos de ce livre, R. Turcan, Littérature astrologique et astrologie littéraire dans l'Antiquité classique, dans Latomus, 27, 1968, p. 392405. Ce livre fondamental est à ajouter à la bibliographie donnée par A. J. Festugière. La révélation d'Hermès Trismégiste, I: L'astrologie et les sciences occultes, Paris, 1944, p. 89. Sur les rapports entre astrologie et magie, ou mieux sorcellerie, cf. H. G. Gundel, Weltbild und Astrologie in der griechischen Zauberpapyri, Munich, 1968. 15 Sur la doctrine de l'unité du kosmos et de la sympathie qui en lie tous les membres, doctrine qui est à la base de l'astrologie, de la magie, de l'alchimie et de la médecine populaire depuis l'époque hellénistique jusqu'à la Renaissance, voir les fortes pages de A. J. Festugière, op. cit., p. 90 ss. qui montre que cette doctrine n'est pas propre à Posidonius, mais est alors prônée par presque toutes les écoles philosophiques. Toutefois sur l'influence de Posidonius, voir infra, p. 531, n. 24. Autant peut-être que la philosophie de Posidonius, celle de son maître Panétius de Rhodes avait exercé une influence sur la pensée de Cicéron; lui aussi croyait à la «sympathie» universelle, même si, à la difference des stoïciens, il rejetait une sympathie directe entre le macrocosme et le microcosme: cf. M. Van den Bruwaene, op. cit., p. 19 ss. et surtout M. Van Straaten, Panétius, sa vie, ses écrits et sa doctrine, avec une édition des fragments, Amsterdam-Paris, 1946.
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tels que Géminos de Rhodes et probablement Antiochos d'Ascalon 16. Il est clair que, si Auguste et après lui, Tibère, les poètes augustéens et leurs successeurs directs ont été si férus d'astrologie, c'est à la génération anté rieure, celle de César, de Cicéron et de Varron que revient la responsabilité de cette passion nouvelle 17 pour une nouvelle conception du monde et de son organisation. A cet égard, trois traits importants méritent, me semble-t-il, d'être particulièrement soulignés. C'est d'abord que telle qu'elle a été élaborée à l'âge hellénistique, l'astrologie, que le Père Festugière définit comme « l'amalgame d'une doctrine philosophique séduisante, d'une mythologie absurde et de méthodes savantes employées à contre-temps » 18, se présente au dernier siècle de la République, plus encore peut-être que par le passé, liée à l'astronomie et solidaire de celle-ci, si bien que l'art divinatoire - et en particulier l'art de tirer « l'horoscope » - apparaît vraiment comme une science. Qu'il s'agisse d'apotélesmatique, d'iatromathématique ou de bota nique astrologique, qui, toutes, exigent une connaissance précise des rapports entre les planètes elles-mêmes, puis entre celles-ci et les signes zodiacaux, les parties du corps humain et les plantes, mais toujours au départ une connaissance de la géométrie cosmique, le Ier siècle av. J.-C. voit paraître (vers 70) l'Introduction à l'étude des phénomènes de Géminos de Rhodes, « das älteste uns erhaltene astronomische Werk der Antike », selon W. et H. G. Gundel 19. Son contemporain, Antiochos d'Athènes, spécialiste de l'astrologie mathématique, travaille sur des traités hermétiques, écrit des Εισαγωγικά ou « Introductions à l'astrologie », publie un calendrier et proba blement un traité d'astrobotanique 20. Quelques décennies plus tard, Manilius21, poète savant et philosophe moraliste, compose ses Astronomica.
16 Sur Géminos de Rhodes, infra, η. 19. Pour l'influence d'Antiochos d'Ascalon (peut-être à identifier avec l'astrologue Antiochos d'Athènes) sur Cicéron, cf. P. Boyancé, Cicéron et les semailles d'âmes du Timée {De legibus, I, 24), CRAI, 1960, p. 283-289, en part. p. 288. 17 Dont en trouve déjà trace dans Plaute (cf. W. et H. G. Gundel, op. cit., p. 122) et chez Ennius (239-169) qui se moque des gens plus attentifs aux astrologorum signa dans le ciel qu'à ce qui se passe devant leurs pieds: quod est ante pedes nemo spectat, caeli scrutantur piagas (Ibid., p. 122). 18 Op. cit., p. 89. 19 P. 103. Il y expose les connaissances élémentaires de l'astrologie hellénistique. 20 Cf. F. Cumont, Antiochos d'Athènes et Porphyre, dans Mèi. J. Bidez, Bruxelles, 1933, p. 135 ss. et W. et G. H. Gundel, op. cit., p. 115 ss. Voir supra, n. 16. 21 Les livres I et II ont été publiés entre 9 et 14 apr. J.-C, les autres livres sous Tibère: J. Van Wageningen, RE, XIV, 1 (1928), col. 1115-1133. Cf. W. et H. G. Gundel, op. cit., p. 141 ss.
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Autant peut-être que sa solidarité avec l'astronomie, s'affirme au Ier s. av. J.-C. la solidarité de l'astrologie avec la théologie astrale. Depuis que Platon lui a donné en quelque sorte ses lettres de noblesse, elle s'est singu lièrement développée. Rappelons simplement que Cicéron lui-même traduit les Phainomena d'Aratos, qu'utilise et commente par ailleurs Varron d'Atax22. Grâce à quoi les dieux et la mythologie s'installent dans le ciel et bientôt les horoscopes vont recourir à une terminologie divine (KronosSaturne, Zeus-Jupiter, Arès-Mars, etc.) pour désigner les planètes23. Plus décisif encore pour le succès de l'astrologie paraît l'appui que lui apportent les écoles philosophiques alors les plus actives: l'école stoïcienne qui, avec Panétius de Rhodes (185-109), veut fonder en raison le fatalisme sidéral, tandis que son élève, Posidonius d'Apamée (135-51), plus proche du pythagorisme et de l'astronomie pythagoricienne, le pare d'un caractère peut-être plus mystique24; l'école néo-pythagoricienne d'autre part, qui trouve dans le sénateur P. Nigidius Figulus (vers 99-45) un défenseur aussi prestigieux25 de l'astrologie que de la magie. Ces solidarités, hautement proclamées au dernier siècle de la République entre astrologie et science, astrologie et théologie, astrologie et philosophie, expliquent l'extraordinaire faveur dont elle jouit alors, aussi bien dans les
22 Voir P. Boyancé, La religion astrale de Platon à Cicéron, dans REG, LXV, 1952, p. 312 ss. Sur Aratos, cf. W. et H. G. Gundel, op. cit., p. 94 ss. Sur la tradition de Cicéron, sa méthode et sa valeur, voir A. S. Pease, dans l'éd. commentée du De diuin., Univ. of Illinois Studies in Language and Literature, VI, 1920, p. 78-79. Sur Varron d'Atax, infra, p. 547, n. 94. 23 Les plus anciens horoscopes utilisant ces appellations divines paraissent être Pap. Oxyr., IV, 804 (de 4 apr. J.-C.) et II, 235 (de 14 apr. J.-C.) selon F. Cumont, Les noms des planètes et l'astrolatrie chez les Grecs, dans L'Ant. class., IV, 1935, p. 36 et n. 3. 24 Sur Panétius, cf. supra, p. 529, n. 15. - Sur Posidonius d'Apamée, dont on sait l'i nfluence sur Cicéron et toute sa génération, sur Strabon, etc., apprécié par ses contemporains et après sa mort (cf. les jugements de Galien, de s. Augustin, De du. Dei, V, 2: philosophus astrologus, multum astrologiae deditus, fatalium siderum assertor; V, 5: magnus astrologus idemque philosophus), voir M. Laffranque, Poseidonios d'Apamée. Essai de mise au point, Paris, 1964, qui insiste surtout sur Posidonius savant (géographe, mathématicien, physicien) plus que sur le philosophe; W. et H. G. Gundel, op. cit., p. 102-103. Posidonius est souvent annexé par les historiens du néopythagorisme: cf. J. Carcopino, La basilique pythagoricienne de la Porte Majeure, Paris, 1944, p. 188 ss. et surtout L. Ferrerò, Storia del Pitagorismo nel mondo romano (dalle origini alla fine della Repubblica), Torino, 1955, p. 268, qui toutefois parle à son propos de syncrétisme stoïco-pythagoricien. 25 Cf. W. et H. G. Gundel, op. cit., p. 137 ss. et infra, p. 542 et n. 73. Sur son prestige, voir Aulu Gelle, XIX, 14, 3; IV, 9, 1: Nigidius Figulus, homo, ut ego arbitror, iuxta M. Varronem, doctissimus; cf. Serv., Ad Aen., X, 175.
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milieux cultivés de Rome que dans le peuple. Le livre de W. et H. G. Gundel révèle combien la littérature du temps, depuis les « grands » auteurs, Cicéron, Varron, César, Catulle et tous les poètes augustéens, jusqu'aux écrivains presque inconnus (ou méconnus), est pénétrée d'idées astrologiques. Qu'on songe seulement au Songe de Scipion 26. Quant "à la faveur populaire pour l'astrologie, les épigrammes dont on sait combien elles sont un précieux révélateur des croyances et des préoccupations des petites gens27, en témoi gnent de manière vigoureuse, sinon toujours claire. Lucillius et Nicarque, au Ier s. apr. J.-C, ont volontiers exercé leur verve satirique aux dépens des astrologues. Ils n'ont certainement pas été les premiers. La magie et sa forme dégradée, la sorcellerie ont bénéficié de la même faveur et du même mouvement de curiosité. On a, me semble-t-il, trop tendance à considérer que dans l'histoire de la magie à Rome, c'est l'époque augustéenne qui a marqué le début d'un nouvel âge28. C'est vrai pour l'histoire de la répression de la magie et de la sorcellerie. Mais la nécessité de la répression ne s'est fait sentir qu'à la lumière du regain de faveur des
26 Op. cit., p. 121 ss. Sans oublier l'art du dernier siècle de la République (p. 133 ss.): citons seulement le Panthéon d' Agrippa (25 av. J.-C.) et parmi les arts dits mineurs, le disque de Brindisi (cf. P. Boyancé, Le disque de Brindisi et l'apothéose de Sémélé, dans REL, LXIV, 1942, p. 191 ss.). 27 Voir R. Waltz, Anthol. grecque, fre partie, Anthol. Pal., t. III 9 livre VI), coll. Univ. de France, 1931, p. 15 ss. 28 Sans vouloir donner ici une bibliographie de la question (qu'on trouvera d'ailleurs dans les ouvrages cités ci-après), je note que ni le vieil et remarquable art. de H. Hubert, Magia du Daremberg-Saglio-Pottier, Diet, des Ant, p. 1494-1521 (mise à part la remarque citée supra, p. 525, n. 2) ni les deux derniers ouvrages français sur la magie ne posent vraiment la question de son évolution, de ses transformations: E. Massonneau, op. cit., souligne seulement (p. 123 ss.) l'intérêt du Ier s. apr. J.-C. «parce que les princes se montrent aussi soucieux de prohiber et de poursuivre la magie et l'astrologie que de s'en réserver un usage personnel, public ou clandestin». Et plus récemment, J. Annequin, op. cit., s'en tient - on le voit par le titre - à l'époque impériale et d'ailleurs repousse explicitement (supra, p. 525, n. 4) toute considération chronolog ique. Les derniers ouvrages étrangers s'en tiennent, eux aussi, à l'époque impériale, par ex. F. A. Cramer, Astrology in Roman Law and Politics (Amer. Phil. Soc, Memoirs, 37), Philadelphie, 1954; R. Mac Mullen, Enemies of the Roman Order, Cambridge, 1966. Seul, S. Eitrem, La magie comme motif littéraire chez les Grecs et les Romains, dans Symb. Osloenses, XXI, 1941, p. 39-83, traite globalement (p. 63 ss.) son sujet dans la Rome du Ier s. av. et de l'époque augustéenne, mais en insistant surtout sur l'évolution de la « technique » littéraire depuis l'époque hellénistique. De même, le livre de S. Viarre, op. cit., qui présente une excellente mise au point sur la magie dans ses rapports avec la religion et avec la science (p. 153 ss.); s'il a le grand mérite de rassembler presque tous les éléments du problème de l'évolution subie par la magie au dernier siècle de la République, il ne le pose pas ... Ce n'était pas, il est vrai, le sujet du livre.
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magiciens, des sorciers et de leurs pratiques, et plus encore peut-être du fait d'une évolution dans les conceptions mêmes de la théorie et de l'action magiques, assez importante pour opérer, en même temps qu'un considérable élargissement d'audience, un glissement social vers les classes supérieures. Et c'est cela qui précisément a inquiété le nouveau pouvoir romain. Telles sont les mutations qui paraissent avoir affecté la magie et la sorcellerie au dernier siècle de la République et qu'on voudrait étudier maintenant de plus près. A examiner les textes 29, il apparaît que jusque vers la fin du IPs. av. J.-C, la magie et la sorcellerie, souvent difficiles à distinguer d'ailleurs, sont affaire de paysans, et sévissent surtout dans les campagnes, comme l'avait déjà noté H. Hubert. Il s'agit de maléfices sur les champs, consistant à faire passer les récoltes d'un champ dans un autre, ce que condamne déjà la loi des XII Tables30, ou a contrario à faire passer les rats d'un champ dans celui du voisin31. Ou bien de pratiques destinées à attirer ou à écarter les pluies32 et les sécheresses désastreuses qui avec leur cortège de maux (mortalité animale, maladies, épidémies) provoquent à plusieurs reprises le recours aux « pratiques superstitieuses » dont Tite Live s'est fait l'écho 33. Il s'agit aussi, bien sûr, de recettes de médecine, vétérinaire et humaine, dont le caractère magico-sorcier est évident, par exemple quand Caton, après avoir livré un remède pour purger, déjà étonnant par la variété des composants (pied de porc, moules, poisson, scorpion, escargots, lentilles, chou, etc.), recommande une réduction par cuisson à « trois » setiers de bouillon, à prendre en « trois » fois 34. Les quelques vers conservés de Laevius: « On va, fouillant partout
29 La plupart ont été de manière très commode rassemblés par V. Ciaffi, La magia nella litteratura e nella vita di Roma antica, Univ. di Torino, 1962, malheureusement sans commentaire. 30 Voir Sénèque, Quaest, IV, 6, 2 et 3, qui évoque la loi des XII Tables: ne quis aliènes fructus excantassit. Sur cette disposition législative, Plin., H.N., XXVIII, 17. Sur Yexcantatio, Plin., H.N., XXVIII, 29; Serv., Ad Bue, VIII, 69; s. Aug., De du. Dei, Vili, 19. 31 Exorcisme pratiqué par les Galles, cité par H. Graillot, Le culte de Cybèle à Rome et dans l'Empire romain, Paris, 1912, p. 311. Cf. J. Marquardt, Le culte chez les Romains Paris, 1889, p. 133, n. 6 et E. Massonneau, op. cit., p. 69. 32 Sén., Quaest. nat, IV, 6, 3, qui évoque l'antiquité qui «dans son ignorance... croyait que des incantations attiraient et écartaient les pluies». 33 Par ex. IV, 30, après la bataille de l'Algide (première moitié du Ve s.). 34 Caton, De agr., 158. Sur la valeur sacrée et magique du nombre trois, la bibliographie est énorme: voir dans J. Annequin, op. cit., p. 163 un tableau qui montre la fréquence de son emploi dans la littérature latine des deux premiers siècles, et p. 164 dans les papyrus;
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pour découvrir des philtres, antipathes, petites roues, rognures d'ongles, bandelettes, racines, herbes, tendres pousses, lézards à double queue au pouvoir séducteur, et charmes d'amour des hennissantes cavales » 35 ne démentent pas cette impression. Le lien entre magie et médecine va d'ailleurs rester si étroit que Pline36 dans son Histoire naturelle mêlera constamment les vertus médicales et les vertus magiques des plantes, et est-il sûr qu'aux yeux de tous celles-ci soient aujourd'hui complètement dissociées de celles-là? Natu rellement les amulettes jouent leur rôle préservateur37 à la fois contre les méfaits et contre les hommes. Car les malédictions contre les personnes occupent une grande place dans les pratiques anciennes. Pour les connaître, les tabellae defixionum s'ajoutent utilement aux textes littéraires et four nissent un précieux répertoire de formules et de faits magiques. Mais on n'a pas, à ma connaissance, suffisamment remarqué que, rares avant le 1er siècle
quelques réflexions, p. 30 et notes, p. 43. C'est un sujet qui a intéressé les Anciens; voir par ex. Ausone, qui lui consacre un jeu poétique: XXII, Griphus ternarii numeri, éd. A. Pastorini, Turin, 1971, p. 614 ss. Voir E. T. Bell, La magie des nombres, trad, fr., Paris, 1953. - Dans son De agr., 160, Caton livre un remède pour guérir les luxations par des incantations (allusion à ce remède dans Pline, H.N., XXVIII, 21); on a cru qu'il s'agissait d'une opération chirurgicale; le processus et les formules relèvent bien plutôt de la magie, comme l'a montré E. Laughton, Cato's charm for dislocations, Class. Rev., 52, 1938, p. 52-54, dont l'interprétation est adoptée par R. Goujard, éd. de Caton, De agr., coll. Univ. de France, 1975, p. 319-320. - Pour d'autres textes de Caton, de Varron, de Columelle, voir V. Ciaffi, op. cit., p. 10 (veterinaria e medicina). 35 Conservés par Apulée, Apol, XXX. Le sens d'antipathes est incertain. Il s'agit sans doute d'un philtre contre les enchantements (le mot est ici au neutre; deux exemples au féminin dans Pline, H.N., XXXVII, 145; Diosc, V, 148). Quant aux charmes d'amour des cavales, c'est certainement une allusion à Vhippomanes, une humeur sécrétée par les juments; c'est ainsi qu'on désigne aussi l'excroissance charnue que les poulains ont sur le front en naissant et que leur mère dévore, si l'on ne s'en empare pas; cf. Virg., Aen., IV, 516; Ed., VIII, 64 ss.; Prop. El, IV, 18; Tib., II, 4, 55 ss. Sur Laevius et les croyances populaires de son temps: J. Granarolo, D'Ennius à Catulle. Rech, sur les antécédents romains de la «poésie nouvelle», Paris, 1971, p. 90, 315; H. Bardon, La littérature latine inconnue, I, 1952, p. 189-195. 36 Dont on retiendra d'ailleurs la formule sur la formation de la magie (H.N., XXX, 1, 2): «La magie est née de la médecine, elle y a joint le ressort de la religion, puis s'est incorporé l'art astrologique. Ainsi elle tient les esprits enchaînés par un triple lien». Pour quelques remar quessur la médecine et la magie, voir E. Massonneau, op. cit., p. 72 ss. et J. Annequin, op. cit., p. 49-54. Mais il y a beaucoup plus à dire: cf. déjà A. J. Festugière, Rév. Herrn. Trism., I, p. 123 ss. Sur la tradition magique en médecine grecque, von L. Bourgey, dans R. Taton, Hist. gén. des Sciences, I, La science ant. et médiévale, Paris, 1957, p. 279-281. 37 Caton, De agr., 159, par ex. donne ce remède contre les excoriations: « Quand vous irez en route, portez sous votre anneau un brin d'absinthe du Pont». Formules d'exorcisme: V. Ciaffi, op. cit., p. 14 ss.
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- on n'en compte que quatre dans le recueil d'A. Audollent38 -, elles se multiplient à partir de Sylla, et visent des personnes de toutes catégories sociales, dans leur vie affective comme dans leurs activités professionnelles 39, pour atteindre leur plus grande extension à partir de l'époque augustéenne. On observe qu'avant Sylla, toutes proviennent de Campanie, alors qu'au Ier s., à côté de Capoue, de Cumes et de Pouzzoles, Rome figure aussi comme lieu d'origine, avant que l'Empire ne les disperse dans toute l'Italie et dans toutes les provinces; mais peut-être ne faut-il pas attacher trop d'importance à cette origine campanienne, étant donné le petit nombre de documents de haute époque. Il paraît plus significatif de trouver chez Caton, dans une incantation destinée à guérir une luxation 40, le recours répété à des formules magiques, dont l'efficience devait tenir pour une part au mystère qui entour ait les mots étranges qui les composaient41. Or ces Έφέσια γράμματα - qui apparaissent ici mentionnés pour la première fois par un auteur latin, avant de s'infiltrer sur les tablettes de défixion42 et sur les amulettes43 - intri-
38 A. Audollent, Defixionum tabellae, Paris, 1904 η 136 192-194 Sur le η 193 (tabella de Capoue, commençant par une invocation Keri arentikai = Cereri ultrici), voir E Vetter, Handbuch der italischen Dialekte, I, 1953, p. 37 ss., Nr 6; V. Pisani, Le lingue dell'Italia antica oltre il latino, 1953, p. 82 ss., n. 28; H Le Bonniec, Le eulte de Cérès à Rome, Paris, 1958, p. 44. 39 A. Audollent, op. cit., η. 137-139 (de Rome), 196 (de Cumes): malédictions de haine contre des personnes - n, 192 (de Capoue), 209 (de Pouzzoles): iudiciariae defixiones pour empêcher l'adversaire de parler - η 197, 199 (de Cumes): phylactères provenant de tombeaux. 40 De agr, 160, éd. Goujard, p. 108-109, 320, n. 6 Voir supra, n. 34. 41 Incipe cantare: «Motas uaeta daries dardares astataries dissunapiter » Et tarnen cotidie cantato et luxato uel hoc modo: «Huât haut haut istasis tarsis ardannabou damnaustra »: De agr , 160 = Ciaffi, op. cit., p. 20. Le mot important - le Nom de puissance - qui en général se cache dans ces formules (cf. J Annequin, op. cit., p. 28, qui se réfère aux papyrus magiques) est probablement ici le dernier, damnaustra, qui se rapproche de damnameneus, un des mots fréquemment employés, sous cette forme ou sous une forme approchante, dans les textes magi ques, par ex dans les tabellae defixionum: Audollent, n. 172, 241, 267; voir p. 499 ss (index VII): Ephesia grammata cum papvris maxime collata. Damnameneus figure aussi sur des amulettes: Fröhner, Philologus, 22, 1865, p. 544 ss. 42 Audollent, op. cit., p. LXVII ss. et 499 ss. Voir Kühnert, R E , V, 2, s.v. Έφέσια γράμματα, col 2771-2773. Hésychius, s.v. (éd. Κ. Latte, II, 1966, p. 243, η. 7401) et Clément d'Alexandrie, Strom , I, XV, 73, 1 et V, VIII, 45, 2 (éd. Stählin, p. 356) donnent sous ce nom une liste de six mots (dont δαμναμενεύς) qu'Hésychius qualifie de ιερά και αγία. Mais ces mots n'étaient pas les seuls Ephesia grammata; voir Audollent, op. cit., p. lxvii ss. Une citation du Paidion, comédie de Ménandre, qui se trouve dans Suidas (άλεξιφάρμακα), montre que les Έφέσια γράμματα étaient employés dans les noces pour conjurer les influences magiques néfastes (frg. 371). 43 Voir supra, n. 41.
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guaient déjà les Anciens qui ont cherché à en percer le sens (en vain, puisqu'il est mystérieux et donc secret). Et il semble bien que Caton n'a pu connaître ces formules que d'un auteur grec, tel que le pythagoricien Androcyde, dont on sait par Clément d'Alexandrie qu'il tenta une explication de ces mots magiques44. Une pièce de plus à verser au dossier de la culture hellénisante du vieux Caton et peut-être au dossier de son « pythagorisme ». Parmi les maléfices dirigés contre les personnes, il en est un qui, à la lumière des textes, paraît avoir pris au cours des siècles anciens une place de plus en plus grande, c'est l'empoisonnement, le ueneficium, mot qui en vient d'ailleurs très vite à désigner à la fois l'empoisonnement et les pratiques de sorcellerie45. Le recours au poison a dû bénéficier - si j'ose dire - des progrès importants acquis à l'époque hellénistique dans la connaissance des poisons, notamment dans la distinction de mieux en mieux établie entre plantes médicinales et plantes vénéneuses46, ainsi que dans les dosages dont les variations font de certaines plantes tantôt un remède, tantôt un poison comme c'était le cas aussi, pensait-on, pour le lait de femme, le lait de chèvre et le lait d'ânesse par exemple. On voit ce que pouvaient tirer de là les malintentionnés . . . La plus ancienne « affaire des poisons » connue remonte à 361 av. J.-C. On aurait alors, dixit Tite Live47, attribué au uenenum une énorme mortal ité, résultat probable d'une épidémie48, ce qui aurait entraîné la condamna-
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44 Clém. Alex., Strom, V, VIII, 45, 2 (Stahlin, p. 356) qui qualifie Ανδροκύδης de ό Πυθαγορικος, lui attribue l'explication suivante: Δαμναμενευς δε ό ήλιος ό δαμάζων. C'est sans doute sur ces textes que se fonde P. Huvelin, Les tablettes magiques et le droit romain (extrait des Annales intern d'Histoire, Mâcon, 1901), p. 36 ss., pour attribuer aux Pythagoriciens la diffusion en Italie des Ephesia grammata (je n'ai pas pu consulter cette étude, signalée par E. Massonneau, op. cit., p. 34, n. 4). - Sur Androcyde, voir Freudenthal, s.v. Androkydes, dans RE, I, 2 (1894) col. 2149-2150. 45 Venenum a, comme φάρμακον en grec, la triple signification de remède, de poison et de drogue magique ou abortive. Voir Ch. Lécrivain, s.v., dans Daremberg-Saglio-Pottier, Diet, des Ant, V, p. 714-715. 46 Voir la liste des poisons ou produits considérés comme tels dans Pline, H.N., XX, XXI, XXV, XXVIII-XXIX. Sur les progrès de la science des plantes à l'époque hellénistique, cf. J. Beaujeu, dans R. Taton, Hist. gén. des sciences, I, La science ant. et médiévale, Paris, 1957, p. 381-382. Sur Théophraste et son Histoire des plantes, cf. A. Rey, La science dans l'Antiquité, IV, L'apogée de la se. technique grecque, Paris, 1946, p. 165 ss.; L. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, I, New York, 1923; 4e éd., 1947, p. 27 ss., 236 ss. 47 Vili, 18 (avec enquête sous forme d'ordalie); Val. Max., II, 5, 3; Orose, III, 10. 48 Sur le sens de pestilentia dans l'ancienne Rome (où les pestilentiae occupent une place importante dans l'histoire des Ve et IVe s. surtout) pour désigner peut-être parfois la vraie
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tion à mort de 170 matrones. En 186, dans l'affaire des Bacchanales, les empoisonnements figurent parmi les crimes reprochés aux initiés, mais ici uenena a sans doute un sens plus large que « poisons ». Mais en 180, et de nouveau à la suite d'une pestilentia, des enquêtes extraordinaires sont menées à Rome et en Italie sur de prétendus empoisonnements, dont celui d'un consul imputé à sa femme; selon Tite Live49, trois mille personnes auraient été condamnées en Italie. En 154, ce sont encore deux femmes qui sont accusées d'avoir empoisonné leurs maris, des consulares, et pour ce crime strangulatae sunt 50. D'après Polybe (VI, 13, 4) les empoisonnements font partie des crimes graves que le Sénat fait poursuivre en Italie. Bien que les détails manquent, et qu'en dehors des récits de Tite Live on ne puisse se reporter qu'aux comédies de Plaute, où ueneficus et uenefica sont des insultes courantes 51, et à l'appréciation de Caton pour qui « il n'y a pas une adultère, qui ne soit une empoisonneuse » 52, il semble que les recours aux poisons se soient multipliés aux deux derniers siècles de la République. C'est du moins ce qui paraît justifier l'adoption au début du Ier s. d'une législation répressive nouvelle. En 81, Sylla promulgue la lex Cornelia de sicariis et ueneficiis 53, qui ne crée pas, comme on l'a dit, une quaestio spéciale pour les ueneficia, puisqu'en 98 déjà est attesté un iudex q(uaestionis) ueneficis 54, mais qui, sans toucher aux quaestiones (qui restent, semblet-il, séparées) réorganise les procédures existantes et jusque là indépendantes,
peste, mais le plus souvent là malaria, due aux crues du Tibre, cf. P. Fraccaro, La malaria e la storia degli antichi popoli classici, Atene e Roma, 1912, p. 57-88; J. Gagé, op. cit., p. 71 ss.; en dernier lieu P. A. Brunt, Malaria in Ancient Italy, dans Italian Manpower 225 BC - A.D. 14 (App. 18), Oxford, 1971, p. 611-624. 49 XL, 37, 43, 44. 50 Tite Live, Ep., 48; Val. Max., VI, 3, 8. 51 Par ex. Truc, 762. 52 Quintil., V, 11, 39; cf. Plut, Cato maior, 9, 11. 53 Connue par Cicéron, Cluent, LIV, 147-148 et par Dig., XLVIII, 8, 1, 3, 5 et 16. Voir E. Massonneau, op. cit., p. 159 ss.; A. W. Lintott, Violence in Republican Rom, Oxford, 1968, p. 119 ss. et surtout E. S. Gruen, Roman Politics and the Criminal Courts, 1968, p. 261-262. 54 Dans Yelogium de C. Claudius Pulcher, cos. en 92, est mentionnée, après l'édilité, la charge de iudex q(uaestionis) ueneficis, qu'il dut exercer en 98 (CIL, I2, p. 200 = Inscr. Ital, XIII, 3 (Elogia, 70); cf. T.R.S. Broughton, The Magistrates of the Roman Republic, II, 1952, p. 4. Ce qui prouve l'existence d'un tribunal chargé de juger les empoisonnements avant Sylla. Ch. Lécrivain, dans le Diet, des Ant, s.v. Venenum, t. V, p. 715, s'est trompé en indiquant que la lex Cornelia avait institué une quaestio spéciale appelée ueneficis. Sur ces questions, voir en dernier lieu A. W. Lintott, Provocatio, dans Aufstieg und Niedergang der Rom. Welt, I, 2, 1972, p. 253-262.
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en les réunissant dans une seule et même loi. Ainsi, tout en distinguant l'empoisonnement du meurtre ordinaire, la loi associe désormais ces deux crimes dans une même mesure de répression, assortie sans doute d'une même peine, au minimum l'interdiction de l'eau et du feu, c'est-à-dire l'exil, au pis la mort 55. Il ne semble pas que la sévérité de la répression ait suffi à stopper la vague d'empoisonnements à Rome. Les ueneficia restent nombreux au dernier siècle de la République et sous l'Empire56. Mais revenons à la magie et à la sorcellerie, pour constater les change mentsprofonds intervenus au Ier s. av. J.-C. Le premier - le plus important peut-être - c'est que la magie, comme l'astrologie, s'est rapprochée de la science. Pour Cicéron, c'est une science: Nec quisquam rex Persarum potest esse qui non ante magorum disciplinam scientiamque perceperit (De diuin., 1,41). Et tout ce passage du De diuinatione montre qu'avec Cicéron la question de la magie est devenue un sujet de recherche. Le mot même de magus, qui - on l'a remarqué déjà - apparaît pour la première fois dans les textes latins avec Cicéron, en même temps que magia, ars magica, herba
55 Comme l'indique Cic, Cluent., LIV, 148, qui précise en outre que la loi, d'abord appli cable aux seuls magistrats, l'a été ensuite à tout le monde (omnes mortales) et il ajoute: qui uenenum malum fecit, fecerit. Et ailleurs: quicumque fecerit, uendiderit, emerit, habuerit, dederit. Il précise encore: omnes uiri, mulieres, liberi, serui in iudicium uocantur; tous sont appelés à comparaître. Il ne semble pas que, lorsque le Dig., XLVIII, 8, 3, 5 indique la deportatio comme legis Corneliae de sicariis et ueneficis poena, il s'agisse - comme on l'a cru - d'une confusion de termes, résultant d'une interprétation tardive; la deportatio in insulam est par faitement attestée à haute époque. Enfin il paraît que très vite après la promulgation de la lex Cornelia, le parricide y a été incorporé, comme le prouve le procès de Roscius d'Amérie en 80 (cf. E.S., Gruen, op. cit., p. 262). D'après Mommsen, Droit pénal, II, p. 343 ss., suivi par E. Massonneau, op. cit., p. 159 ss., la loi de Sylla distinguerait parmi les «meurtres» cinq délits: la mort violente, le vol de grand chemin, l'abus de la procédure capitale, l'incendie malveillant, le crime commis à l'occasion d'un naufrage. On voit à quoi était assimilé l'e mpoisonnement. Sur la deportatio, à différencier de la relegatio, voir J: Carcopino, L'exil d'Ovide, dans Rencontres de l'hist. et de la litt., 1963, p. 94 ss. 56 A titre d'exemples seulement, l'apulien Domitius, ami de Marc Antoine, accusé d'avoir empoisonné son neveu (Cic, Phil, XI, 6, 13); Germanicus dont la mort, entourée de mystère, est attribuée à un empoisonnement par incantatio: «On avait trouvé dans le palais, sur la terre et autour des murs, des formules d'enchantements et d'imprécations, des lames de plomb sur lesquelles était gravé le nom de Germanicus, des débris humains à demi-brulés et souillés par du sang noir, et d'autres maléfices, au moyen desquels on croit que les âmes sont vouées aux divinités infernales» (Tac, Ann., II, 69; Dion Cass., LVII, 18). Sous Néron, l'empoisonnement est courant. Et l'on citera, pour clore une liste qui est naturellement loin d'être exhaustive, Martial, IX, 15: «Sur les tombeaux de ses sept maris, cette scélérate de Chloé a inscrit ces mots: «C'est mon travail (se fecisse) ». Où trouver aveu plus naïf?» L'empoisonneuse entend «le monu ment»; le poète comprend «les décès répétés»!
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magica, magices, etc., est par lui utilisé précisément dans un contexte de recherche57. On s'interroge sur cette magie, sur son origine. Elle vient d'Orient, mais encore? de Perse? de Thrace? Ovide se réfère plutôt à la Thrace et à la Thessalie, comme on verra. Et Pline, à la fin du Ier s., se livre à une véritable enquête d'historien sur sa provenance (H.N., XXX, 1, 6): il rappelle la tradition qui la fait venir de Perse et plus particulièrement de Zoroastre, puis cite Eudoxe, Aristote, Hermippos, Pythagore, Empédocle, Démocrite et Platon. Déjà, avant lui, à propos de l'eau et du feu considérés comme éléments premiers, Vitruve avait cité les mages à côté de Thaïes et d'Heraclite (VIII, Praef. 1). C'est donc bien à la fois comme disciplina scientiaque qu'est considérée la magie au Ier s. av. J.-C. (au prix d'une confusion entre mages traditionnels et magiciens), mais une « discipline » qui n'a rien à voir avec la disciplina etrusca admise à Rome, et une « science » d'origine étrangère, qui en fait quelque chose de différent de la divination officielle. C'est pourquoi Cicéron, qui personnellement ne croit pas à la mantique - il n'accepte l'haruspicine que pour des motifs politiques ou, si l'on veut, par raison d'Etat, « à cause de la république et de la religion civique » 58, et pour la même raison l'art augurai59 - se méfie bien davantage encore de la magie. A plusieurs titres, semble-t-il, qu'il n'explicite pas dans le détail, mais qui sont assez clairs. D'abord parce que, du fait du déclin incontestable de l'art augurai, déclin qu'il attribue à l'ancienneté et à la négligence 60, la magie,
57 Outre De diuin., I, 23 (ei magos dixisse, quod genus sapientium et doctorum habebatur in Persis) et 41 (éd. A. S., Pease, p. 174-175 et 178, avec commentaires importants sur le mot magus, qui au Ve s. est employé par les Grecs dans le sens de « trickster » et ensuite par Platon et Euripide dans le sens de «magician»), voir De leg., II, 10: ... nec sequor magos Persarum. 58 Ego... qui diuinationem esse nego (De diuin., II, 8); Vt ordiar ab Haruspicina, quam ego reipublicae causa communisque religionis colendam censeo (II, 28). 59 De leg., II, 31-33. On sait que Cicéron était augure; il se défend d'ailleurs de partialité (II, 28). Sur la contradiction entre De diuin., II, 8 et le non video cur esse diuinationem negem, il y a une abondante bibliographie; voir notamment l'excellente introduction de A. S. Pease, M. Tulli Ciceronis De diuinatione, rééd. Darmstadt, 1963, p. 10 ss. et M. Van den Bruwaene, La théologie de Cicéron, 1937, p. 183 ss. 60 Sed dubium non est quin haec disciplina et ars augurum euanuerit iam et uetustate et neglegentia (De leg., II, 33). Haruspices et augures faisaient depuis longtemps déjà l'objet de critiques et de railleries: Pomponius, au début du Ier s. a composé des atellanes intitulées L'Augure et L'Haruspice; Laberius un mime intitulé L'Augure; Plaute, dans Asinaria a contref ait une prise d'augures; et Afranius a écrit une togata intitulée L'Augure: voir J.-P. Cèbe, La caricature et la parodie dans le monde romain antique des origines à Juvénal, Paris, 1966, p. 73 ss., pour qui le «vers d'atellane», auquel fait allusion Cic, De diuin., II, 10, 25, pour ridiculiser la notion de destin et par là ruiner le fondement même des prédictions, proviendrait d'une des œuvres de Pomponius.
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bien qu'essentiellement différente de la divination, a gagné sur le terrain perdu par la mantique; la pratique de la nécromancie le montre61. Ensuite, parce que le recours aux magi et à leurs procédés relève du culte privé et qu'en cette matière tout doit être contrôlé, donc contrôlable, par les prêtres de l'Etat (De leg., II, 30), seuls étant autorisés « ceux qui disent les destins et les devins reconnus par le Sénat et par le peuple» (Ibid., II, 20); or ce n'est pas le cas des magi62. Enfin, parce que la magie, en se présentant comme une science, devient plus apte à séduire les esprits et par là redou table. . . d'autant que dans le même temps, comme l'astrologie, elle se rappro che de la religion et de la philosophie. En fait, comme on l'a plus d'une fois noté 63, « magie et religion font dans l'Antiquité bon ménage ». Sans se confondre avec elle, la magie co-existe toujours plus ou moins avec la religion, quand elle ne s'y mêle pas. Les pratiques magiques des « vagants », porteurs de « superstitions . . . presque toutes étrangères » 64, inquiétaient déjà les Romains de la haute époque républicaine dans la mesure où elles affectaient le mos maiorum et risquaient de troubler la pax deorum. Caton et Columelle associent haruspices, augures, chaldéens et sorcières (sagae) dans la même interdiction, quand ils fixent les devoirs du fermier65. De toute façon, il entre souvent - et pas seule-
.
61 Voir infra. Sur la distinction fondamentale entre la divination et la magie, bonnes remarques de E. Massonneau, op. cit., p. 17 ss. 62 Le ton solennel qu'adopte Cicéron (De leg., II, 19 ss.) pour énoncer «les lois des lois», c'est-à-dire les lois sacrées, s'explique à la fois par la crise religieuse du temps, qui affecte la religion traditionnelle, par l'influence de Platon et la pratique de Vimitatio (Platon n'était pas seul à avoir écrit des Lois), et aussi sans nul doute par la montée des religions et des pratiques étrangères; la règle fixée et qui définit la position officielle romaine est claire: separatim nemo habessit deos neue nouos neue aduenas nisi publiée adscitos; priuatim colunto quos rite a patribus acceperint Ritus familiae patrumque seruanto (De leg., II, 19). Or, on va le voir, la magie, devenue une «science», se rapproche en même temps de la religion. 63 Cf. notamment F. Chapouthier, Amulettes d'autrefois et d'aujourd'hui, dans Mél. Ο et M. Merlier, Athènes, 1956, I, p. 113-117 (à qui est empruntée la citation); cf. aussi G. Van der Leeuw, La religion dans son essence et ses manifestations, Paris, trad, fr., 1948, p. 531; «Là où il y a religion, il y a magie... Là où il y a magie, il y a religion»; et plus récemment la juste mise au point de S. Viarre, L'image et la pensée dans les «Métamorphoses» d'Ovide, Paris, 1964, p. 153 ss. 64 Tite Live, IV, 30; XXV, 1. 65 «Qu'il ne s'avise de consulter ni haruspice, ni augure, ni devin (hariolum), ni chaldéen (chaldaeum) »: Caton, De agr., 5, 4; sur le sens de chaldaeus = mathematicus (A. Gell., I, 9, 6), astrologue (Cic, De diuin., I, 41; II, 42; Diod. Sic, II, 29, 4) dans la réprobation et la répression confondu avec magicien, sorcier, ueneficus, plus tard maleficus, etc., cf. E. Massonneau, op. cit., p. 49 ss. Le premier edit officiel contre les Chaldaei date de 139 av. J.-C; il émane du préteur
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ment dans la pensé populaire - une part de magie dans la divination, en particulier dans la divination associée aux prodiges, étant donné que la magie est dans son principe même66 liée étroitement à la croyance au fatalisme astral. Cicéron le sait bien. Et c'est pourquoi il s'élève contre ceux qui con fondent la cause cur quid eueniat et le « signe » lui-même 67. Toutefois il semble que, par rapport aux conceptions et aux pratiques de l'époque antérieure, le caractère sacré de la magie ait été renforcé, au cours du dernier siècle de la République, au même titre que son approche scientifique d'ailleurs. Et il ne paraît pas douteux que dans le resserrement des liens entre religion, magie et science les néo-pythagoriciens aient joué un rôle déterminant. Dans la « renaissance » pythagoricienne, dont Cicéron s'est fait l'écho 68 et dont J. Carcopino et L. Ferrerò ont tour à tour reconsti-
pérégrin Cn. Cornelius Hispanus et les expulse dans les dix jours de Rome et d'Italie (Val. Max., I, 3, 3; cf. E. Massonneau, op. cit., p. 158 ss.; F. Cramer, Expulsion of astrologers from Ancient Rom, Class, e Med., XII, 1951, p. 14 ss.; Astrology in Roman Law and Politics (Amer. Phil. Soc, Memoirs, 37), Philadelphie, 1954, p. 58). - De Col, XI, 1, 22: Haruspicum sagamque sua sponte non nouerit, quae utraque genera uana superstitione rudes animos infestant; sur le sens de saga, cf. Cic, De diuin., I, 31; Hör., Od., I, 22, 21; Epit, II, 2, 208; Tib., I, 2, 42; Apulée, Met, I, p. 206. On notera l'emploi par Columelle du féminin pour désigner la sorcière (voir infra). Sur le uilicus, «tel qu'il devrait être» et plus généralement sur l'exploitation agricole selon Caton et selon Columelle, voir R. Martini, Rech, sur les agronomes latins et leurs conceptions économiques et sociales, Paris, 1971, en part. p. 81 ss. et 343 ss., qui n'exa mine pas les devoirs «religieux» du uilicus; mais ce n'était pas son sujet... 66 Sur les «principes magiques», voir notamment S. Viarre, op. cit., p. 189 ss. et J. Annequin, op. cit., p. 17 ss. et 134 ss. Ce qui ne veut pas dire que les mages ne connaissent pas les formules propres à briser la force de Vheimarmené et l'influence des astres: cf. W. Gundel, RE, VII, 2 (1912), s.v. Heimarmene, col. 2640 ss. La sorcellerie se situe à un autre niveau, v. infra. 67 De diuin., I, 16. Sur les rapports de la divination et de la magie, voir Halliday, Greek Divination, 1913, ch. IV; Tavenner, Studies in Magic from Latin Literature, 1916, p. 10; E. Massonneau, op. cit., ch. II: Divination et magie, qui appelle parfois des rectifications. 6STusc, IV, 1, 2 ss.; De fin., V, 2, 4; De leg., I, 12, 33; De off., I, 17, 56, et surtout le De Repubi, où «Platon apparaît comme le saint Paul de l'évangile pythagoricien», selon la formule de J. Carcopino, ouv. cit., p. 191. M. Van den Bruwaene, La théologie de Cicéron, p. 210 conjecture qu'à partir de 50 (d'après Tim., I, 2) Cicéron, entré en rapport avec les Pythagoriciens, aurait été influencé dans ses écrits par leur doctrine; il ne tient pas compte du caractère et de la date de la composition du De Rep., alors achevé et connu {Ad AU., V, 12, 2; Ad fam., VIII, 1, 4); sur Cicéron et Pythagore, voir L. Ferrerò, op. cit., p. 334 ss. P. Boyancé, Etude sur le Songe de Scipion, 1936, a pour sa part montré tout ce que le mythe final du De Rep. doit à la pensée pythagoricienne du temps, et non, comme on l'avait généra lement cru, à Posidonius d'Apamée.
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tué l'histoire69, l'aspect le plus frappant est sans doute celui qui touche le pythagorisme lui-même, qui de simple tendance culturelle, d'objet de curios itéretenant surtout l'attention, voire l'intérêt de quelques intellectuels particuliètement éclairés, prend dans de Ier s. av. J.-C. un nouvel aspect, celui que lui confère la constitution de cénacles, de groupes ayant une certaine orientation philosophique et religieuse certes, mais aussi politique et sociale. Mais non moins remarquable apparaît chez les néo-pythagoriciens de ce Ier siècle l'association étroite, qui se manifeste dans leurs préoccupations intellectuelles et spirituelles et sur laquelle insistent contemporains et succes seurs, entre leur érudition, leur passion de la théologie et leur attrait pour le spiritisme. Alexandre Polyhistor, affranchi par Sylla et encore en pleine activité en 40, peut-être le meilleur représentant du syncrétisme (triomphant au Ier s.) entre la tradition pythagoricienne et le stoïcisme, à cet égard très représentatif du néo-pythagorisme renaissant 70, révèle dans ses « Symboles pythagoriciens », conservés en abrégé par Diogene Laerce (VIII, 24 ss.), une érudition très éclectique et un goût très poussé pour le surnaturel et le merveilleux71. Avec lui le néo-pythagorisme s'affirme déjà à la fois dogmat iqueet ésotérique. Son contemporain, Posidonius d'Apamée (140/130-59/40), dont l'appartenance stoïcienne n'est pas douteuse, mais dont les attaches pythagoriciennes restent discutées72, est en même temps naturaliste, géographe et historien, théologien mystique et adonné aux sciences occultes 73. Quant
69 J. Carcopino, La basilique pythagoricienne de la Porte Majeure, Paris, 1944, p. 187 ss.; L. Ferrerò, Storia del Pitagorismo nel mondo romano (dalle origini alla fine della Repubblica), Torino, 1955, p. 265 ss. 70 Voir L. Ferrerò, op. cit., p. 280 ss. Selon Zeller, Die Philosophie der Griechen, 5" éd. Ill, 2, p. 107, l'œuvre d'Alexandre Polyhistor est tout à fait caractéristique des débuts du néopythagorisme et témoigne des différences que révèle celui-ci par rapport au pythagorisme originel; à la différence de celle de Posidonius qui, élève de Panétius, se présente, lui, comme stoïcien. 71 II a rassemblé d'ailleurs, toute une collection de faits extraordinaires et merveilleux: Θαυμάσιων συναγωγή, qui atteste l'intérêt porté par l'érudition contemporaine au surnaturel. Sur ce point et sur la place d'Alexandre Polyhistor dans l'histoire du néo-pythagorisme, cf. L. Ferrerò, op. cit., p. 286-287. 2 M. Laffranque, Posidonius d'Apamée. Essai de mise au point, Paris, 1964, a fait l'historiographie du personnage. Pour sa part, elle récuse l'interprétation «orientaliste» de F. Cumont et l'idée d'une «théologie posidonienne mystique». Il est difficile de distinguer ce qui relève du vrai pythagorisme et du «posidonisme»; mais peu importe pour notre sujet; c'est l'esprit du temps, la mentalité collective qui nous intéresse surtout ici. 73 Sur tout cela, voir M. Laffranque, op. cit., C'est, à mon avis, A. D. Nock, JRS, 1959, p. 1-16, qui dans une brève et forte analyse a le mieux dégagé l'originalité et la place de Posi-
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à P. Nigidius Figulus, de Cicéron à s. Augustin, en passant par Aulu-Gelle 74, on s'est plu à vanter son immense savoir et son intégrité morale autant que ses connaissances théologiques et son attrait pour ces choses, quae a natura inuolutae uidentur75. Mort en exil en 45, cet ami de Pompée, dont César redouta le secret d'une activité mystérieuse 76, est la figure la plus marquante d'un pythagorisme tellement imprégné de magie77 que le penchant à l'ésotérisme et à l'occultisme peut être considéré comme l'aspect le plus caracté-
donius, dont le mérite serait d'avoir élargi l'idée que l'homme se fait du divin dans le monde et en lui-même, et peut-être d'avoir acheminé le monde gréco-romain vers un mysticisme qui n'était d'ailleurs pas le sien. 74 Cicéron, Tim., I, 1; Aulu Gelle, Na.A., XIX, 14,3; IV, 9, 1: Nigidius Figulus, homo, ut ego arbitror, iuxta M. Varronem, doctissimus; d'où sans doute Servius, Ad Aen., X, 175: Nigidius solus est post Varronem, licet Varrò praecellat in theologia, hic in communibus litteris. S. Jérôme, Chron. Euseb., ad a. 45 a.C, le qualifie de pythagoricus et magus; et S. Aug., De du. Dei, V, 3, de mathematicus. Voir Gianola, Nigidio Figulo astrologo e mago, Milano, 1907, repris dans La fortuna di Pitagora presso i Romani, Catania, 1921, p. 49 ss.; L. Legrand, P. Nigidius Figulus, philosophe pythagoricien et orphique, Paris, 1931. 75 Acer inuestigator et diligens earum rerum, quae a natura inuolutatae uidentur (Cic, Tint., I, 1). Dans Apot, 42, 7, Apulée rapporte une scène d'incantations, dont Nigidius Figulus apparaît comme le héros chargé de retrouver par des procédés magiques 500 deniers perdus. Et Suet, Aug., 94, 6 n'est pas loin d'attribuer à la magie la découverte par Nigidius Figulus de la future gloire d'Auguste, fondée sur l'heure de sa naissance. Selon F. Cumont, Mon. Piot, XXV, p. 81, n. 2, «le spiritisme des néopythagoriciens tel qu'il fut pratiqué à Rome par Nigidius Figulus et ses émules (Cic, Tusc, I, 37; De diuin., I, 132) se rattache directement à la nécyomancie égyptienne». Dans la scène rapportée par Apulée, le, on notera l'emploi d'enfants comme mediums (pueri instincti carmine): voir infra, p. 548, n. 100. Et dans le cercle de Nigidius Figulus, on pratiquait l'hydromancie et la lécanomancie, procédés évoqués dans les représenta tions de la basilique pythagoricienne de la Porte Majeure (cf. J. Carcopino, op. cit., p. 261 ss.). 76 Selon Dion Cass., XLV, 1, 3 ss, Nigidius Figulus fut accusé de tenir des réunions secrèt es;César l'a pour cela jugé politiquement dangereux: cf. J. Carcopino, op. cit., p. 198. Sur les serments et le secret dans les sectes pythagoriciennes, voir A. Delatte, Etudes sur la littérature pythagoricienne, Paris, 1915, p. 15; Tannery, Sur le secret dans l'école de Pythagore, Arch. f. Gesch. der Philos., 1888, p. 28 ss. Sur la valeur du secret dans la magie, J. Annequin, op. cit., p. 135. Noter qu'un de ses compagnons d'exil, ami de Cicéron, Aulus Caecina, était un parfait connaisseur de Vetrusca disciplina (Cic, Ad fam., VI, 6, 3; Pline, H.N., II, 1; Suét, Diu. lui, 75, 5). 77 Voir L. Ferrerò, op. cit., p. 265 ss. et S. Viarre, op. cit. p. 209 ss. (excellentes pages sur les relations du néo-pythagorisme et de la magie). Imprégné de magie et de scientisme philo sophique: cf. l'exemple de la basilique pythagoricienne de la Porte Majeure (construite sous Claude, selon J. Carcopino), où J.: Bousquet, Les confrères de la Porte Majeure et l'arithmologie pythagoricienne, dans REG, 1951, p. 466-471, a montré que le nombre de membres de la secte - 28, produit de 7x4 - rappelle le «nombre parfait» platonicien, appliqué à «l'engendré divin » et prouve que « dans le néopythagorisme d'époque hellénistique et romaine on a certain ement assimilé à la doctrine de la secte les résultats arithmologiques acquis depuis le IVe s. et codifiés dans les Eléments d'Euclide».
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ristique de sa renaissance au Ier siècle av. J.-C. D'Appius Claudius Pulcher, collègue dans l'augurât et ami de Cicéron, on ne peut dire s'il fut en rapport avec la secte de Nigidius Figulus, mais on sait78 que, non content de croire aux fondements objectifs et scientifiques de la divination, il tirait les horos copes, pratiquait les sortilèges et la nécromancie, c'est-à-dire des formes de divination très proches parentes de la magie et de la sorcellerie, sinon propre mentmagiques. Enfin, si l'on peut, avec Cicéron toujours 79, croire que Vatinius, magistrat romain et pythagoricien, s'adonnait, vers le milieu du siècle, à des pratiques magiques comportant notamment l'évocation des esprits des morts et la con sultation des entrailles d'enfants (ce qui n'implique pas nécessairement, comme on l'a cru, le meurtre direct), on est plus réticent sur l'appartenance pythagoricienne de Varron. Du moins peut-on dire, avec J. Carcopino 80, que, s'il n'a pas « vécu dans l'église pythagoricienne » - encore qu'on puisse, semble-t-il, déceler dans son œuvre des éléments pythagoriciens81 - du moins avons-nous la preuve que « le plus grand théologien du paganisme romain . . . voulut y mourir », puisque Pline nous a transmis ses exigences testamentaires: être enseveli, selon le rite pythagoricien, dans un sarcophage en terre cuite, sur un lit de feuilles de myrte, d'olivier et de peuplier noir82. Autant d'exemples, d'où l'on peut, me semble-t-il, tirer deux leçons. La première, c'est qu'au dernier siècle de la République, science, religion et magie non seulement « font bon ménage », mais se confortent mutuellement, en communion dans le néo-pythagorisme. Ce qui a eu pour effet - et cela n'est paradoxal qu'en apparence - de dissocier davantage dans leur principe la magie (plus que jamais étroitement liée à la croyance au fatalisme astral
78 Par Cicéron, Tusc, I, 16, 37; De diuin., I, 10, 30; 58, 132. Voir V. L. Constans, Un correspondant de Cicéron, Ap. Claudius Pulcher, Paris, 1921; L. Ferrerò, op. cit., p. 307 ss. 79 Cicéron, In Vatinium, VI, 14 (en 56, interrogatoire que lui fait subir Cicéron, dans l'affaire de Sestius), l'accuse de inferorum animas elicere et cum puerorum extis deos mânes mactare. Sur la divination nécroman tique, cf. E. Massonneau, op. cit., p. 39 ss.; J. Annequin, op. cit., p. 58. 80 Bas. pyth. Porte Majeure, p. 203. 81 L. Ferrerò, op. cit., p. 319 ss., qui insiste en particulier sur l'arithmologie varronienne, qui paraît orientée par les conceptions pythagoriciennes. Mais l'inspiration stoïcienne paraît prédominer: cf. P. Boyancé, Quelques remarques sur la théologie de Varron, dans REL, XXXI, 1953, p. 39-40, pour qui Varron dans sa théologie s'inspirait, non de Posidonius, mais d'Antiochus d'Ascalon, dont les vues sur l'âme du monde sont apparentées au stoïcisme, tout en restant personnelles; pour J. Pépin, La «théologie tripartite» de Varron, dans R. Et. August, Mél. Bardy, II, 3-4, 1956, p. 265-295, les sources de Varron sont plus précisément stoïciennes. 82 Pline, H.N., XXXV, 160.
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et à la loi de sympathie) de la sorcellerie (liée, elle, à l'idée que les hommes - en général, plutôt les femmes - peuvent intervenir pour rompre l'ordre cosmique, créer des anomalies et forcer les puissances surnaturelles à inter venir, bref briser Vheimarmené), et cependant de les rapprocher dans les pratiques: la frontière est mince et imprécise entre les procédés magiques et ceux de la sorcellerie, qui apparaît de plus en plus comme une forme dégradée de la magie. La seconde leçon à tirer, c'est que, grâce au néo-pythagorisme surtout, ou plutôt à la personnalité des néopythagoriciens du Ier siècle, la magie - et même la sorcellerie, on va le voir - se sont introduites dans les milieux aristocratiques et cultivés et plus encore peut-être dans le demi-monde où nous font pénétrer les poètes d'avant-garde de la République finissante. Après tous les travaux récents - et excellents - qui leur ont été consacrés, il n'est évidemment pas question de reprendre ici une inutile démonstration. On voudrait simplement et brièvement souligner, après d'autres83, la valeur de témoignage sur son temps de l'œuvre d'Ovide, pour s'en tenir à un poète qui fut certes - et il ne faut jamais l'oublier - un mondain érudit et spiri tuel, auteur à succès dans les salons et cercles littéraires de Rome 84, mais qui savait aussi retrouver son sérieux pour traiter de sujets sérieux85. Or pour le sujet qui nous occupe, le témoignage d'Ovide est particulièrement import antà trois points de vue. D'abord, comme illustration de la faveur dont jouissent magie et sor cellerie dans le dernier demi-siècle de la République et du rôle des néo pythagoriciens 86 . . . et des femmes dans leur diffusion. Que la Canidie
83 En particulier pour ce qui concerne Ovide, S. Viarre, op. cit., et à titre d'exemple, P. Grimai, Les Métamorphoses d'Ovide et la peinture, paysagiste à l'époque d'Auguste, dans REL, 1938, p. 145-161, qui montre que la conception du poète, qui mêle dans son œuvre illusion et réalité, s'accorde parfaitement au 2e style tardif de la peinture pompéienne. 84 Voir J. M. Frécaut, L'esprit et l'humour chez Ovide, Grenoble, 1972. 85 De même qu'il peut être « un excellent philologue » (H. Le Bonniec, éd. Fastes, I, p. 99, à propos de augere, augurium, augustus), il est aussi un bon «interprète de la religion romaine» (R. Schilling, REL, 46, 1968, p. 223-227). 86 Dans S. Viarre, op. cit., p. 209 ss., et 216 ss., des pages très suggestives sur les liens qui unissent le pythagorisme à la poésie en général, à Ovide en particulier, sur quoi, bien sûr, on renverra à J. Carcopino, L'exil d'Ovide, poète néopythagoricien, dans Rencontres de l'histoire et de la littérature, Paris, 1963, p. 59-170. La discussion n'est pas achevée, loin de là, sur la vraie raison de la condamnation à l'exil d'Ovide (appartenance pythagoricienne ou non?), voir en dernier lieu L. Hermann, Ovide, la Bona dea et Livie, dans L'Ant. class., XLIV, 1975, p. 126-140. Mais de nouveaux arguments, de plus en plus nombreux (et il y en aura d'autres) semblent plaider en faveur de la thèse du néo-pythagorisme ovidien.
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d'Horace soit un personnage réel ou imaginaire, peu importe. Comme Locuste et Martine après elle, elle représente un type de magicienne - conforme à la tradition hellénistique et à la conception italienne87 - dont Ovide a brossé le portrait avec Circé88, héritière tout à la fois des célèbres sorcières thessaliennes, d'Hécate et autres enfants de la Nuit89, et de la vieille saga des campagnes de la péninsule90. Ensuite, comme répertoire des influences diverses qui ont modifié l'aspect de la magie traditionnelle et marqué les pratiques magiques du temps à Rome. La scène décrite dans Metam., VII, 179 ss. est à cet égard très instructive. Elle emprunte à la Grèce bien sûr (et à la Thessalie en parti culier), à l'Orient, à l'Egypte, à l'Afrique, qui avec l'Etrurie ont le plus con tribué à enrichir le rituel en usage en Italie, chez les Marses par exemple, ou les Pélignes91. Maintenant l'opération magique est - comme on l'a
87 On a noté avec raison le rôle des femmes dans la pratique de la magie et de la sor cellerie (S. Viarre, op. cit., p. 178) et aussi le fait que, tandis que chez les Grecs (ainsi Apollo nius de Rhodes, Argonautica) Médée est la magicienne par excellence, pour Ovide, c'est Circé qui occupe le devant de la scène, présentée comme «la magicienne de l'Italie». Ceci est con forme à une tradition, peut-être assez ancienne (IIP-IP s., selon J. Bayet, p. 64), sur la pénétration de la légende de Circé dans les montagnes d'Italie centrale, légende dont Solin s'est fait l'écho (II, 27 = Pline, H.N., VII, 15; cf. Pline, XXV, 11; A. Gell., N.A., XVI, 11). Sur cette légende, cf. J. Bayet, Les origines de l'arcadisme romain, repr. dans Idéologie et Plastique, Rome, 1974, p. 62 ss. Sur les Marses et la sorcellerie, voir infra, n. 91. Quand Cicéron, édictant ses lois religieuses (De leg., II, 21) dit: «Qu'il n'y ait point de sacrifices nocturnes célébrés par les femmes, hormis ceux qui se font régulièrement au nom du peuple (quae pro populo rite fient), il pense évidemment aux supplications nocturnes des matrones et aux veillées secrètes du culte de Bona dea, mais peut-être aussi aux rites de sorcellerie qui se déroulent essentiell ement la nuit; sur l'importance de la nuit, Ον., Met, VII, 179 ss.; outre Cl. Ramnoux, citée infra, η. 89, cf. A. Delatte, Herbarius, p. 26 ss., 36 ss. 88 Voir, sur « les faits magiques dans les Métamorphoses », S. Viarre, op. cit., ch. II, p. 173 ss. - Accessoirement aussi avec Médée (Her., VI, 83 ss.; Met, VII, 179 ss.) qui «connaît les formules magiques (carmina), d'une faux enchantée moissonne des plantes redoutables, et tout ce que j'aime mieux ignorer»; ou avec Dipsas (une vieille ivrognesse, une lena; en latin dipsade = une sorte de vipère), «savante dans les arts magiques et dans les incantations d'Ea, elle fait par son art remonter les fleuves vers leur source. Elle connaît bien les vertus des herbes, celles des fils qui s'enroulent au rhombe (rouet magique) . . . Elle n'a qu'à vouloir, et le ciel dans toute son étendue se voile de nuages épais, qu'à vouloir, et la voûte céleste resplendit d'un jour clair, etc.» (Amores, I, 8). 89 Cf. C. Ramnoux, La Nuit et les enfants de la Nuit dans la tradition grecque, Paris, 1959, livre qui semble avoir échappé à S. Viarre; et c'est dommage: cette tradition éclaire certains aspects des magiciennes d'Ovide. 90 Voir supra, p. 540, n. 65. 91 Ovide, Fastes, VI, 142; Ars am., II, 202. Les Marses - chez qui a pénétré la légende de Circé (supra, n. 87) - ont la réputation de charmer les serpents, de conjurer l'effet des
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observé 92 - menée selon des règles, dont beaucoup me semblent héritées de la Grèce93. L'évocation par Ovide des sorcières thessaliennes, thème em prunté sans doute aux Argonautiques d'Apollonius de Rhodes (par l'intermé diaire de Varron d'Atax?) 94 et qui va devenir chez tous les poètes de la fin de la République et du début de l'Empire un lieu commun, n'est peut-être pas au départ un simple emprunt littéraire. Enfin, comme analyse descriptive des divers champs d'action où s'exer centalors la magie et la sorcellerie. A savoir la nature, l'amour et la mort, trois domaines où les pratiques magiques « ovidiennes » se trouvent dans
blessures: cf. A. Gell. XV, 11, 1; Lucilius, 575 ss. (Marx): Marsus colubras disrumpit cantu; cf. Pline, H.N., XXVIII, 30. Ils peuvent changer les hommes en oiseaux, forcer l'amour des hommes. Dans Horace, Ep., V, 76, Canidie veut opérer un contresort pour vaincre les « formules marses», qui ont été plus fortes que ses uenena; Horace parle de ces formules (Marsis uocibus) avec un certain mépris, comme de formules de magie vulgaire. Dans le catalogue des troupes romaines qu'il dresse avant la bataille de Cannes, Sii. Ital., Punica, Vili, 495 ss. loue la «jeunesse marse», comme apte à la guerre et rompue à l'art magique. - Les Pélignes, voisins des Marses, fournissent à Rome devineresses et sorcières (Hor., Ep., XVII, 60). De même la Sabine (Hor., Sat, I, 9, 29 ss.; Ep., XVII, 28, qui évoque les Sabella carmina à côté des formules magiques marses). Sur la magie indigène (italienne), opposée à la magie étrangère («barbare»), cf. S. Eitrem, Symb: Osi, XII, 1933, p. 34, n. 2. 92 S. Viarre, op. cit., p. 181 ss. 93 Voir Röscher, s.v. Mondgöttin (Zauberei, Magie), dans le Lexikon de Roscher, II, 2, col. 3163-3167; M. P. Nilsson, Geschichte der griech. Religion, 2. Bd.: Die hellenistische und röm. Zeit, München, 1950, p. 498-520. 94 Sur les sorcières thessaliennes, il y aurait beaucoup à dire; on y reviendra ailleurs. Voir Roscher, art. cit., col. 3165-3166 et note. Ovide, «le plus hellénisé des poètes latins», a-t-il été, dans sa description des opérations magiques de Médée et l'évocation de son pouvoir d'« attirer la lune» sur la terre, influencé plutôt par Théocrite? ou par Apollonius de Rhodes, dont « les Argonautiques, comme Jason, doivent la vie à Médée » (G. Roux, Commentaires sur Théocrite, Apollonios et quelques épigrammes de l'Anthologie, dans R. Phil, 37, 1963, p. 84)? Il est difficile de le dire: S. Viarre, op. cit., p. 133 souligne l'influence d'Apollonius, mais note (p. 171) qu'Ovide ne tient pas de lui ses renseignements magiques, qu'il tire plutôt de la vie de ses contemporains. L'un n'exclut pas l'autre; on peut penser qu'au moins l'évocation des «sorcières thessaliennes» porte la marque d'Apollonius. Sur Apollonius, voir Knaack, RE, II, 1 (1895), s.v. Apollonios, Nr. 71, col. 126 ss. et H. Herter, Der Kl. Pauly, I (1964), col. 449-451. Pour son influence sur Catulle: R. Avallone, Catullo e Apollonio Rodio, Antìquitas, 8, 3-4, 1953, p. 8-75. On sait que son poème fut traduit en latin par Varron d'Atax au Ier s. av. J.-C, (Fragments réunis par W. Morel, Fragm. Poet, lat., 1927, p. 93-96) et fut une des sources principales des Argonautiques de Valerius Flaccus, à la fin du Ier s. apr. J.-C. Sur Varron d'Atax, voir M. Gayraud, Un Narbonnais du Ier s. av. J.-C. , le poète Varron de l'Aude, dans Bull. Ass. G. Budé, 1971, p. 647-665; J. Granarolo, L'époque néotérique ou la poésie romaine d'avant-garde au dernier siècle de la République (Catulle excepté), dans Aufstieg und Niedergang der Röm. Welt, I, 3 (1972), p. 307-311, avec 11 fragments dans les Testimonia, p. 351-355.
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MARCEL LE GLAY
leur réalité confirmées par les defixionum tabellae, les textes des papyrus et les figurations des intailles magiques95. La nature, avec les cueillettes d'herbes96 et le venin des serpents, le renouvellement de sa vigueur (celui de la nature humaine aussi, assuré par d'étranges mixtures), les fleuves qui « entre leurs rives étonnées remontent vers leurs sources », la mer dont les flots s'apaisent ou s'agitent sous l'effet des incantations, les vents qui arr ivent ou s'éloignent, les roches et les forêts qui sont mis en mouvement, les astres qui descendent du ciel sur la terre97 à l'appel des carmina. L'amour, avec les incantations qui « font céder les battants et triompher du verrou enfoncé dans la porte, même si celle-ci est de chêne » 98, avec les philtres magiques et les charmes qui, face à Corinne « engourdissent la vigueur » du poète et sont rendus responsables de son « impuissance » (après . . . neuf prouesses, il est vrai) ". La mort enfin, avec la nécromancie et le meurtre magique, rares chez Ovide 10°, mais dont l'horrible réalité prend corps - si j'ose dire - dans les pratiques d'Appius Claudius Pulcher et de Vatinius et trouvent un écho dans la scène de meurtre d'enfant décrite par Horace 101. Du même principe - mais il ne s'agit plus que de meurtre
95 Sur les papyrus magiques, recueillis par K. Preisendanz, voir H. G. Gundel, Weltbild und Astrologie in den griech. Zauberpapyri (Münch. Beitr. zur Papyrusforsch, und ant. Rechtsgesch., 53), München, 1968. Sur ceux qui contiennent des horoscopes, cf. O. Neugebauer, Greek horoscopes (Amer. Phil. Soc, Memoirs, 48), Philadelphie, 1959. Sur les intailles magiques, voir C. Bonner, Studies in Magical Amulets, Ann Arbor, 1950, avec le er. par A. J. Festugière, Amulettes magiques à propos d'un livre récent, Cl. Phil, 46, 1951, p. 84 ss.; et A. Delatte, Ph. Derchain, Les intailles magiques gréco-égyptiennes, Paris, 1964, avec les c.r. sévères et rectificatifs de H. Seyrig, Syria, 42, 1965, p. 409-412 et M. Smith, A.J.A., 71, 1967, p. 417-419. 96 Par ex. Ovide, Her., VI, 83 ss. Voir F. Pfister, s.v. Pflanzenaberglaube, RE, XIX, 2 (1938), col. 1446 ss. et A. Delatte, Herbarius, 2e éd., Liège-Paris, 1938. 97 Outre Met, VII, 207, cf. 263 ss.; Am., II, 1, 23. Après Ovide, c'est un des lieux com muns de la littérature magique à Rome. Sur l'origine et l'évolution du sens de l'expression καυαιρεΐν την σελήνην, cf. Ch. Mugler, REA, 61, 1959, p. 48-56. 98 Am., II, 1, 23. 99 Am., Ill, 7, 27 ss. 100 Am., I, 8 par ex. Voir S. Viarre, ouv, cit., p. 173 ss. 101 Hor., Ep., V. Sur le rôle des enfants dans la magie, enfants vierges de toute souillure (παις αφυορος), y compris de la souillure que représente la mort des parents (puer patrimus et matrimus), ce que n'a pas bien montré A. Oepke, Άμφιϋαλεϊς in gr. und hellen. Kult, dans Arch. f. Religionswiss., XXXI, 1934, p. 42 ss., voir W. R. Halliday, Greek Divination, London, 1913, p. 160-162; Th. Hopfner, Griech. -Aegypt. Offenbarungszauber (Stud, zur Palaegr. und Papy ruskunde, XXI et XXIII), Leipzig, 1921 et 1924; Id., Die Kindermedien in den gr.-ägypt. Zaüberpapyri, dans Ree. Kondakov, Prague, 1926, p. 165-76; Ganszyniec, s.v. Λεκανομαντεία, RE, XII (1925), col. 1882 (diuìnatio per puerum); A. Delatte, Anecdota Atheniensia, I, Liege, 1927, Index, s.v.
MAGIE ET SORCELLERIE À ROME
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symbolique - participent les métamorphoses et les envoûtements, de l'homme attiré malgré lui par l'effet du rouet magique 102 à l'avocat (auquel fait allusion Cicéron dans le Brutus, 217) rendu muet au cours du procès qu'il doit plaider contre la sorcière Titinia103. Ainsi - on n'en peut douter - c'est bien au dernier siècle de la Répu blique que la magie, sans pour autant acquérir droit de cité à Rome, s'est infiltrée dans les mœurs de la nouvelle classe dirigeante et du demi-monde en formation, tandis que la sorcellerie, toujours cantonnée dans les cimetières et le quartier mal famé de Subure 104, excitait de plus en plus la « curiosité » et l'intérêt des Romains de toutes les catégories sociales. Question de mode? Peut-être. Il est souvent difficile de faire la part de la mode et celle des réalités psychologiques profondes. Fronde? Ou déjà désir d'aller au-delà des limites de la connaissance permise? Un peu de tout cela sans doute. Mais dans une période - qui à plus d'un égard ressemble à la nôtre par le besoin d'évasion qui anime les hommes - où le goût du merveilleux et du surna turel se manifeste dans la littérature 105, où l'illusionisme triomphe dans l'art106, où le déclin des dieux traditionnels, que ne compense pas encore
παιδίον; F. Cumont, RHR, CHI, 1931, p. 72; A. J. Festugière, L'idéal religieux des Grecs et l'Evangile, Paris, 1932, p. 288, n. 2; Rev. Herrn. Trism., I, L'astrologie et les se. occultes, 1944, p. 294. Trace encore d'utilisation d'enfant dans un procès de sorcellerie engagé en 449 apr. J.-C. contre l'évêque Sophronius de Tellâ = Constantina, en Osrhoène: E. Honigmann, A Trial for Sorcery on August 22, A.D. 449, dans Isis, XXV, 1944, p. 281-284. 102 Am., I, 8. C'est aussi devenu un lieu commun. 103 Cette allusion de Cicéron est signalée par J. Heurgon, art. cit., Hommages à M. Renard, I, p. 447-448. La même idée dans PGM, XXX, a, e, f; dans les iudiciariae defixiones (Audollent, Tab. def., n. 192 par ex.); dans une tablette datée du IP s. apr. J.-C, publiée par F. K. Dörner, Eine neue Fluchtafel, dans JOEI, XXXII, 1940, Beibl, p. 65-72; dans une épigramme de VAnthol. Pal, XI, 138 (de Lucillius, deuxième moitié du Ier s. apr. J.-C). 104 Par ex. Hor., Ep., V; Sat., I, 8. Sur cette scène de magie, cf. R. Desmed, Ludus magistralis, 1966 et 1967. 105 Voir E. Rohde, Der griech. Roman, Leipzig, 1876, p. 251 ss.; L. Ferrerò, op. cit., p. 91 ss., qui met en rapport avec le pythagorisme; p. 294 ss. aussi; contra, P. Boyancé, Etude sur le Songe de Scipion, p. 174. Toutefois aucun roman de cette époque n'est connu: R. Merkelbach, Roman und Mysterium in der Antike, München, 1962, en part. p. 333 ss. Sur l'évolution du goût et de la mode littéraire dans la littérature du Ier s., voir les remarques de J. André, Etudes sur les termes de couleur dans la langue latine, Paris, 1949, p. 399; S. Viarre, op. cit., p. 69 ss.; J. Granarolo, art. cit., ANRW, I, 3, p. 278-360. 106 Voir K. Schefold, Pompeianische Malerei. Sinn and Ideengeschichte, Bale, 1952, trad, fr. par J. M. Croisille dans une éd. revue et augmentée, La peinture pompéienne. Essai sur l'évolution de sa signification, coll. Latomus, 108, Bruxelles, 1972, en part. p. 236 ss.; Id., Vergessenes Pompeji, Berne-Munich, 1962; Id., Caesars Epoche als goldene Zeit röm. Kunst,
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l'afflux des religions orientales, crée un certain « vide des âmes », sinon des esprits, on peut comprendre que la magie et la sorcellerie aient trouvé leur place. L'attrait nouveau qu'elles provoquent constitue pour cette époque ce qu'on appelle aujourd'hui un fait de mentalité collective. Du même coup, le 1er siècle avant notre ère prend dans l'histoire de la magie et de la sor cellerie une importance nouvelle au point de vue sociologique, mais aussi au point de vue proprement historique: fidèle encore à la tradition hellé nistique, il voit s'amorcer le grand effort de renouvellement de la « science noire » qui va triompher à l'époque impériale.
ANRW, I, 4 (1973), p. 945-969, voir en part. p. 946-949: Die Schöpfung der illusionistischen abendlandischen Wanddekoration (le deuxième style apparaît au plus tard sous Sylla, vers 80); voir G. Ch. Picard, La peinture romaine jusqu'à la destruction de Pompéi, dans REL, 41, 1963, p. 378-391, et en dernier lieu R. Winkes, Zum Illusionismus röm. Wandmalerei dei Republik, ANRW, I, 4 (1973), p. 927-944, avec bibliographie, p. 938-944.
MICHEL LEJEUNE
NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX, DES SOURCES ET DES FONTAINES
ABREVIATIONS Manuels: AIW Bu2 IEW PI
= = = =
Fr. Muller Jzn, Altitalisches Wörterbuch, 1926. CD. Buck, A grammar of oscan and umbrian, 2nd ed., 1928. J. Pokorny, Indogermanisches etymologisches Wörterbuch, 1959. C. von Planta, Grammatik der oskich-umbrischen Dialekte, 1897.
Textes (outre Bu2 et PI): Bo Co LIA2 LR RV Si Ve
= = = =
G. Bottiglioni, Manuale dei dialetti italici, 1954. R. S. Conway, The italic dialects, 1897. V. Pisani, Le lingue dell'Italia antica, 2e éd., 1964. A. La Regina, Le iscrizioni osche di Pietrabbondante, dans Rh. CIX, 1966, 260 sq. = M. Lejeune, Inscriptions de Rossano dì Vaglio, dans: Mem. Lìncei 1971, 47 sq. [incluant, 69 : sq., RV - 19]; Rendic. Lincei XXVI, 663 sq.; ibid. XXVII, 1973, 399 sq.; à suivre. = C. de Simone, Contributi peligni dans: Ann. Ist. Or. Napoli IV, 1962, = E. Vetter, Handbuch der italischen Dialekte, I, 1953.
Mus. XVI2, 1972, 63 sq.
La venue au jour de données nouvelles au cours des années récentes (notamment LR 3, 4, 5 en 1966; RV-19 en 1971) est l'occasion du réexamen, ici proposé, du lexique des eaux en osco-ombrien. Dossier, bien entendu, lacunaire, constitué de témoignages isolés, excluant toute argumentation ex silentio (à la différence de ce qui est légitime pour le latin), et impropre à nous faire connaître, à l'intérieur de l'ensemble osco-ombrien, l'aire géographique réelle des termes qui s'y trouvent sporadiquement attestés. La comparaison de dialecte à dialecte ou de langue à langue est d'ailleurs, il faut aussi le rappeler, inévitablement gauchie par la diversité
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des distributions du signifié. Selon qu'il s'agit de l'eau en tant que substance, de l'eau qui sourd ou qui s'écoule, de l'eau qui s'étend en nappes naturelles, etc., le nombre des unités lexicales, et leur compréhension varient d'idiome à idiome. Et, diachroniquement, un même signifiant a plus d'une fois glissé d'une notion à une autre à l'intérieur de ce champ sémantique. C'est pourquoi le lecteur ne devra pas s'attendre à trouver ici, dans le domaine lexical que nous envisageons, une reprise d'ensemble de la classique confrontation entre osco-ombrien et latin (UTUR - aqua, etc.). Nous ne lui proposons pas plus qu'une collection critique des matériaux présentement utilisables.
I)
* WED -
De la racine * wed - / * ud -, largement attestée en indo-européen 1, l'ombrien conserve un nom neutre nomin. ace. * ud-or / autres cas: * ud-n dont le plus proche correspondant formel est en grec (ΰδωρ / ύδατος). Il figure, à l'accusatif UTUR et à l'ablatif UNE, respectivement, dans deux passages du rituel eugubin, à propos d'une triple offrande d'une boisson (de nature discutée), de vin et d'eau. A (lib 14-15): SVISEVE FERTU PUNE, ETRE SVISEVE VINU FERTU, TERTIE SVISEVE UTUR FERTU («gutto ferto potionem, altero gutto uinum ferto, tertio gutto aquam ferto»). Β (lib 20): PUNI PESNIMU, VINU PESNIMU, UNE PESNIMU (« potione supplicato, uino supplicato, aqua supplicato»). C'est donc l'eau en tant que substance que désigne ici ce neutre, signification portée en latin par le féminin aqua 2.
1 Cf. IEW 78. 2 Sous le lemme (IEW 23) «akua- (richtiger dk-ä): ek~», Pokorny réunit trois groupes de données dont il est incertain qu'ils soient apparentés. - 1°) Un verbe «boire» du hittite et du tokharien (en distribution complémentaire, dans le lexique i.e., avec *pô-: IEW 839). Hitt. 3e sg. ekuzi/y pi. akuanzi (avec même alternance que dans eszi/asanzi de *d\es - être», etc.; sur l'occlusive, cf. F. O. Lindeman, RHAS, XXIII, 1965, p. 29 sq.). Tokh. yoktsi (sur l'initiale, cf. J. A. Kerns et Β. Schwartz, JAOS. LXXXIII, 1963, p. 361 sq.). Racine à poser comme dieK" - ou (plutôt?) * 9iegv(h) -. - 2°) Un nom féminin de l'eau (en latin: aqua) ou du «cours d'eau» (en germanique: got. ahva, «ποταμός», etc.), reposant sur *32ekw-. - 3°) Un nom de la «mer» impliqué par v. isl. aegir, v.a. eagor, ayant chance de reposer sur *9ieaigft-.
NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX
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Le latin n'ignore pas, pour autant, la racine * wed -, mais l'a seulement dans unda, formation de genre animé (fém. en -a) désignant P« eau en mouvement», le «flot», probablement 3 dérivée de *ud-n- avec inter version - dn- > - nd- entre voyelles (comme dans fundus en regard de skr. bhudnâh). Inversement on a voulu retrouver en osque (AAPA-) un un nom de l'eau apparenté à lat. aqua, mais probablement à tort (ci-après, II).
II) *APUn nom osque des eaux courantes avait été pressenti à partir d'une inscription frentanienne, ambiguë et difficile, connue depuis un siècle et demi (ci -dessous, F), et, par ceux qui en reconnaissaient l'existence, il avait été diversement interprété. Les inscriptions samnites C, D, E, publiées en 1966, sont venues clarifier le problème; la signification a été confirmée par la nature même des supports (vasques) de C et D; la constance de la graphie initiale AA - en C,D,E, confirmant la graphie AA - de F, a elle-même des implications étymologiques (voir plus loin) qui ont, semble-t-il, échappé à LR. On rappellera et discutera d'abord les quatre textes. C: LR 4 (Pietrabbondante) 1 PAK. STAÎIS. L [ . ] M [ . ] T. AAPAM [ . E]KAK . [ ] M 2 KELLAKED. ÎNÎM. KÜRASS. EKASK[ . A]MANAFED 3 ESÎDUM . PRUFATTED L'inscription 4 est traduite par LR: « P(acius) Staius L(uci f.) m(eddix) t(uticus) aquam hanc [caeleste]m (?) | collegit (?) et ...as has locavit5, idem probavit ». Son formulaire la classe dans les procès-verbaux officiels
3 A. Meillet et son école tiennent pour une autre explication: reflet, dans un nom post verbal, de l'infixé nasal du présent *u-n-ed/ *u-n-d- (skr. 3e sg. unatti/3e pi. undatï). Sur les deux interprétations, cf. Leumann-Hofmann, Lat. Gr., p. 155. 4 P. 264 sq. (avec photo, pi. III, et dessin, pi. VII). Provenance: lieu-dit Arco, près la colline de S. Scolastica, au S.-E. de Pietrabbondante. Inscription sinistroverse, en lettres de 3 cm. environ. Sur la paroi frontale, courbe, d'une vasque en calcaire semi-cylindrique haute de 80 cm. environ, et de dimensions horizontales 137 x 105 cm. 5 Le parfait préverbe AA-MANAFFED (Pompei: Ve 12, 14, 15, 17, 18) correspond étymologiquement à mandare, et «locavit», dans la traduction LR, est, bien entendu, au sens de «a mis en adjudication».
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de construction publiques, dont l'osque nous offre nombre d'exemples. Le support de la gravure est une fontaine. L'emploi du démonstratif rapproché « hic » à la fois pour AAPAM et pour KÛRASS marque que ces deux éléments étaient sous les yeux de qui lisait l'inscription. Le second terme est de signification inconnue. Pour le premier, cette situation laisse a priori possibles et une signification « aquam » et une signification « fontanam », entre lesquelles ne permettent de choisir ni l'adjectif en accord avec AAPAM, à cause de sa mutilation 6, ni le verbe 7 régissant AAPAM, à cause de son obscurité8. Il est vrai que la structure générale du texte ne spécifie que pour KÛRASS la procédure d'adjudication initiale et d'approbation terminale qui est de règle dans les travaux publics; ceci indiquerait que AAPAM n'est pas, à proprement parler, objet de travaux, et favoriserait « aquam ». Il faudrait alors que KÛRASS désignât l'ensemble des installations ici dues à cette intervention du meddix. C'est un terme obscur. Le nomin. sg. KÛRU s'en rencontre apparemment dans l'inscription de Saepinum Ve 161; mais ce document, longuement discuté sans conclusions décisives9, demeure lui-même énigmatique. LR se borne à noter que la confrontation de Ve 161 avec C circonscrit désormais le problème, sans le résoudre. Elle écarte, en
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6 A priori: ou bien adjectif verbal en [...NNA]M, avec signification «curavit» uel sim. pour KELLAKED; ou bien (c'est à quoi a songé LR), adjectif proprement dit spécifiant la nature ou la qualité de l'eau. 7 Encore que cette observation morphologique ne touche pas aux questions ici discutées, on notera l'importance (bien vue par LR) de... AKED qui, pour les verbes osques de 1CR conju gaison, nous apporte un nouveau type de formation du parfait, à côté de ... AFED (qui est rare) et de... A(T)TED (qui est fréquent). - II est vrai (LR le note) que l'existence d'une telle formation avait été, auparavant, enseignée par V. Pisani et O. Parlangeli, mais à partir d'exemples qui étaient, et qui demeurent, de valeur douteuse. En particulier, dans une inscrip tion bruttienne du sanctuaire d'Apollon Alaos à Crimisa (n° 2 de Franciscis-Parlangèli) Gli Italici del Bruzio, 1960), gravée en scriptio continua (σακαρακιδι μαιπακτη ιςερουντης πακ/ιης) le génitif anthroppnymique Πακτηις Ερουντη<ι>ς Πακ,Ριη<ι>ς est précédé d'une séquence σακαρακιδιμαι où l'on a voulu isoler une forme verbale σακαρακιδ, qui serait une 3e sg. de subj. parfait actif, mais sans justifier syntaxiquement une telle 3e sg. active dépourvue de sujet; par ailleurs, on attend a priori que les finales -A(T)TED, -AFED, -AKED soient distribuées entre les verbes en -a-, chacun ne connaissant qu'une d'elles: or, pour sakrâ -, nous avons - AFED (Ve 86 et 87; 3e sg. subj. parfait passif SAKRAFIR). 8 LR invoque (sans justifier la formation en -a-) la racine *kel- (IEW 548) «mettre en mouvement rapide». Dans la même hypothèse d'un sens «aquam» pour AAPAM, tout aussi admissible serait un verbe signifiant « capter », p. ex. dérivé d'un nom de contenant correspondant, pour la forme du mot, à lat. cella. 9 Cf. Rev. Et. Lat. XLVI, 1968, p. 115 sq.
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effet, toute désignation qui ne serait pas, de quelque façon, celle d'un objet. Mais deux voies s Ouvrent alors; ou bien (plutôt?) terme général: « opus » à Saepinum 10, « opera » à Pietrabbondante; ou bien (plus difficilement) terme particulier qui se trouverait applicable à la fois à la pierre de Saepinum et à la fontaine de Pietrabbondante. Dans aucune des deux directions, on ne rejoint plausiblement une des racine *(s)ker- jusqu'ici répertoriées11; ce qui donne à penser que l'osque * korâ- a chance de rester sans étymologie. D: LR 3 (Pietrabbondante) 1 P[ M.] T. ΑΑΡ A [M. ]ED 2 []R[ ]UD[ ]AI[AMA]NAFED 3 ESÏDUM PRUFATTED Inscription 12 de même nature, de même type de support, et sans doute de même date que C. Malgré les lacunes du texte, il apparaît deux proposit ions;AAPA[M] est régi par le verbe mutilé qui termine la 1. 1; ensuite seulement intervient (avec [AMAJNAFED et PRUFATTED) la clause d'adjudi cationdont l'objet à l'accusatif n'est malheureusement plus reconnaissable dans les débris de la 1. 2. Texte donc qui ne peut rien nous apprendre de plus que C. E: LR 5 (Pietrabbondante) 13 [ 1? [ 2? [ 3? [
]KULU [ ]AAPÂ [ ]NAMU[
] ] ] ]
10 On s'est demandé s'il s'agit d'une pierre de fronde ou d'un petit objet votif, ou d'un petit monument funéraire, hypothèses dont aucune ne rend compte du caractère tout à fait insolite du travail graphique: lettres ressortant en relief, par évidement de la pierre autour d'elles. Ne s'agirait-il pas d'un « morceau de bravoure » de quelque lapicide professionnel, d'une sorte de «chef-d'œuvre» technique (au sens qu'avait ce terme dans notre artisanat d'autrefois)? Et n'est-ce pas en tant qu'«opus» que l'inscription définit l'objet lui-même, avant de donner le nom de son auteur? 11 IEW 567-578 et 933-947. 12 P. 264 (sans illustration). 13 Les vestiges Ρ [ ] Τ sont conciliables avec la désignation PAK. STAIIS. L. M. T. de C, il s'agirait alors d'un ensemble de travaux d'adduction d'eau dus à un même magistrat.
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Bribes d'une inscription 14 dont le support lui-même n'est pas caracté ristique, et dont les vestiges ne permettent pas de définir le type rédactionnel. Aussi bien qu'à C ou à D, le texte pouvait ressembler à Ve. 149, et énumérer, par exemple, une série d'installations offertes à un sanctuaire par la largesse d'un donateur. Rien de sûr et rien qui éclaire AAPA-. F: Ve 173 1 VEREIAS: LUVKANATEÎS 2 AAPAS : KAÎ AS : PALANUD Document 15 gravé sur une plaquette de bronze 16 « de forme insolite » 17, avec trous de fixation 18, sans que l'objet auquel il était affixé puisse être déterminé autrement que par l'interprétation du texte (une fontaine, uel sim., si AAPAS est un nom de l'eau). Origine inconnue. La conservation initiale19 au Musée de Lanciano oriente, en gros, vers le domaine des Frentânî (mais la mention « Anxanum? » des éditions de textes est d'une précision fa l acieuse). Mommsen a, dès 1850, proposé de reconnaître deux noms propres: l'ethnique (gén. sg.) LUVKANATEÎS, et le toponyme (abl. sg.) PALANUD, qui, l'un et l'autre, orienteraient, entre les vallées du Sangro et du Trigno, vers le massif montagneux d'où sort l'Osento20. La première identification
14 P. 266 sq. (avec photo, pi. II et dessin, pi. VII). 15 Signalé pour la première fois en 1831 par R. Guarini (Excursus alter epigraphicus lib. comm. XIII, p. 21). Bibliographie jusqu'en 1850 chez Mommsen, Unterit. Dial, p. 169, n° I. Bibliographie jusqu'en 1897 chez Co 193 et PI 209. Ensuite: Bu2 61, Ve 173, Bo 1, LIA2 42. 16 Dimensions env. 14x4 cm. 17 C'est la description que se contentent d'en donner les lemmes de Buck, Vetter, Pisani; «token or label», Conway; «Marke?», Vetter. Description de Bottiglioni: «a forma di gladio»; plus probablement, schématique silhouette anthropomorphe avec tête et amorce des bras. Mais ce que personne ne paraît s'être demandé, c'est la raison d'être de cette représentation (sans rapport avec le contenu inscrit, à tout le moins avec celui de la 1. 2). On suggérera que les vereias avaient chacune leur emblème, lequel était probablement apposé sur les installations leur appartenant, et que le hasard nous a ici conservé un exemplaire de l'emblème de la vereio Loucanas. 18 En fait, un seul trou réellement percé (du côté de la tête), l'autre simplement esquissé, sous forme de cercle gravé (du côté des pieds, après la fin de la 1. 1), soit que l'objet n'ait pas, en définitive, été utilisé, soit qu'on se soit contenté de la suspendre verticalement. 19 Depuis, passé au Musée National de Naples. 20 Discussion historique et géographique détaillée chez G. Colonna, Arch. Class. VII, 1955, p. 164 sq.
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n'a jamais été contestée. La seconde ne l'a été que par Planta, qui préfère chercher dans PALANUD un mot du lexique21. Le texte se présente d'abord comme une énonciation de propriété (1. 1: «propriété du groupement de jeunes22 de L. »), et on en rapprochera, à cet égard, l'inscription de fontaine H (1. 1: « cette fontaine est propriété de Cupra Mater»). Suit (1. 2) une mention complémentaire, d'interprétation incertaine 23, le seul point désormais acquis (grâce à C et D) étant la significa tion « eau » de AAPA - (ici, soit au gén.sg., soit au nomin. pi.) ; on y a notamment cherché (avec AAPAS au nomin pi.) une description (adj. KAIAS) et une indication de provenance (abl. PALANUD) de ces eaux; mais une autre voie est possible. Il pourrait s'agir d'une clause qui serait une consé quence de la propriété énoncée 1. 1: prescription soit interdisant soit auto risant conditionnellement l'usage de l'eau par des étrangers à la vereio. Dans cette hypothèse, la recherche pourrait s'orienter comme suit: proposi tion verbale avec subj. 2e sg. KAÎAS à valeur permissive « on peut prendre » 24;
21 II, p. 644: etwas «edicto», zu 1. palam; es ist die Möglichkeit zu beachten, dass das Wort = "palandoci (Gerund oder aus *palam-do-) wäre, da auf dieser Inschrift die Cons. gemination gefehlt haben kann; als Bedeutung käme auch «de publico», «publico sumptu» od. dgl. in Betracht. 22 Que ces groupements, dans les cités osques, aient été dotés d'installations et de locaux propres, ressort, p. ex., de Ve 11 (Pompéï): construction d'une maison (TRÎÎBLJM) sur fonds légués à la vereio. 23 Dans la mesure où le dernier mot est accepté comme toponyme, ablatif d'origine pour Bu2, Bo, Ve, ablatif-locatif [?] pour LIA2; mais ceci ne mène à rien sans une vue d'ensemble sur la 1. 2, dont seuls, en fait, suggèrent une traduction Müller et Pisani - AIW 40: «zu (A-) den heissen (KAÎAS) Quellen (-APAS) [geht hier der Weg] von Pallanum»; ce serait un indicateur de direction, à mi-route de P. et de sources thermales; on notera l'invraisemblance morphologique de A - (au lieu de AZ) pour la préposition «ad», et de - AS (au lieu de - ASS) comme finale d'ace, pi.; Müller fait venir kayo- «chaud» de *halyo- (ce qui est., phonétiquement, invraisemblable; il eût dû songer plutôt à kai- (3), IEW 519). - LIA2: «aquae (nomin. pi. AAPAS) fontanae (gén. sg. KAIAS) Pallani (sens locatif de l'abl. en -UD)»; il fait du second mot un dérivé en *-yâ (proprement «captâtiô») de la racine «prendre» de KAHAD etc. (voir note 24). 24 Les langues i.e. occidentales (italiques, celtiques, germaniques) présentent une série de termes, groupés IEW 518 sous un lemme *kagh-/*kogh-, avec des incertitudes de détail sur le vocalisme radical, et avec un consonantisme qui surprend (l'i.e. excluant en prin cipe sourde . . . sonore aspirée, aussi bien que sonore aspirée . . . sourde, comme couples de consonnes radicales); sens général supposé: «prendre». On se borne ici aux données oscoombriennes: formes verbales « prendre » à thème de présent kâh- (osque) et à thème de parfait kéh(ombrien). En osque, n'est connu jusqu'ici qu'un subj. présent kàha- (2e sg. καίιας, Ve 184; 3e sg. KAHAD, Ve 6). Nous proposons de voir, dans KAIAS, un plus ancien '"kahyâs (sur -hy->-y-, cf. PI. § 218), et de poser le verbe osco-ombrien comme *kâh-yo-/*këh- (type
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gén. sg. partitif AAPAS « de l'eau », faisant fonction d'objet; abl. instr umental en - UD marquant la modalité de prise d'eau qui est seule autorisée 25. Il existe une sorte de réflexe par laquel l'exégèse osco-ombrienne se tourne, de premier abord, vers le latin comme terme de référence. En présence du AAPAS de F, si l'on a, correctement, songé 26 à une signification « eau », c'est par une référence, probablement incorrecte, à aqua21, à quoi l'on se tenait même si l'on apercevait28 la difficulté que fait la longue AA -, parfois en s'efforçant, sans grand bonheur, de l'écarter29. Entrevue par Pisani30, la solution probable est le recours à la racine * di ep - 31, qui fournit un nom-racine féminin dont la flexion est bâtie sur les thèmes * âp- (allongement morphologique aux cas forts) / * âp- (degré normal aux autres cas), le degré zéro *p-32 ayant été éliminé de la dé clinaison parce qu'il rendait le thème méconnaissable, et ne survivant plus33 qu'au second terme de quelques composés devenus inanalysables. Telle est la situation conservée par le sanskrit (nomin. pi. ap-ah, gén. pi. àp-am) et une partie de l'iranien (av. nomin. sg. af-s, instr. sg. ap-a-). Mais ailleurs le vieux nom-racine *âp - / * âp - a été remplacé par des dérivés. Ils peuvent être formés sur * âp - (peut-être, à partir d'un paradigme du nom-racine dans lequel la longue des cas forts aurait été généralisée); ainsi en
de lat. fäcio/ßcl, cäpio/cepi, etc.); le subj. en -a- peut être formé soit (archaïquement) sur la racine (kah-â-), soit (régulièrement) sur le thème d'indicatif (kahya-), de même qu'on a p. ex. en latin (Leumann-Hofmann, Lat. Gr. § 235a) aduenat à côté de ueniat, etc.). 25 Nous rejoignons ici, non le détail, mais le principe des vues de Planta sur le dernier mot (cf. n. 21). Sur la signification de PALANUD, sur la structure du mot (le premier a est-il ou non anaptyctique?), sur sa nature grammaticale (adverbe? substantif? gérondif?), on ne peut faire que des hypothèses en l'air. De toute façon, il semble qu'il s'agisse d'une condition restrictive quant à l'utilisation de l'eau par des étrangers à la vereio. 26 Depuis Mommsen (UD, p. 244: «Die Bedeutung ist unsicher; vielleicht = aquas»). 27 Ainsi Co (I p. 210): «if AAPAS were to be compared with lat. aqua (the AA- is a serious difficulty) ,...»; PI (II p. 644): «AAPAS ist von âqua durch den Vocal getrennt». 28 Muller analyse en A - (préposition) et - APAS (régime): voir n. 23 - Pisani allègue gratuitement un allongement sous l'accent {LIA2 p. 101 sq. «AA- è casomai la lunga prodotta sotto Paccente»), sans y croire beaucoup, puisqu'il indique ensuite une solution de rechange («Oppure abbiamo qui il tema '"äp-Zsp- di scr. apes--·»)29 Cf. η. 2. 30 Voir η. 28. 31 IEW 51. 32 C'est-à-dire ""dip-, sans survivance de la laryngale initiale devant occlusive. 33 Avec traces de la laryngale, alors intérieure, quand le premier terme finissait par une voyelle brève, laquelle s'allonge: ... î- dip ...>... ìp ... (ainsi skr. antarïpa-), ... ü- dip ...>... üp ... (ainsi skr. anüpa-), etc.
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vieux perse (ap-î-) ou en osque (äp-ä-). Ou bien ils sont formés sur ap-/ab(cette dernière variante étant la forme prise par àp - devant sonore34 à certains cas faibles de la déclinaison du nom-racine); p. ex. gaélique àb-n-35 « cours d'eau » (cf., avec élargissement -i-, lat. amnis). Si ρ osco-ombrien est d'origine ambiguë (i.e. * ρ ou * kw) le choix entre deux etymologies (référence soit à skr. apah soit à lat. àqua) est orienté par la quantité longue de osq. AA -: nous ne connaissons, de la racine de lat. aqua, got. ahva (voir n. 2), aucune forme à a- initial, et nous n'avons aucune trace d'un nom-racine * äkw- dont la flexion aurait pu présenter * âkw- aux cas forts. Par ailleurs, l'existence en italique de *äp-/*äp- est indirectement confortée par lat. amnis (voir plus haut). Il y a donc probabilité pour que osque AAPA - soit à mettre en parallèle avec v. p. api- etc.
III) *PIDLe sanctuaire lucanien de Rossano di Vaglio (Potenza) est un grand sanctuaire de source, dédié à Méfitis, déesse chtonienne, à côté de qui apparaissent accessoirement, dans les ex-voto, Jupiter et Mars; Mars y est qualifié de « résidant chez Méfitis » (RV-33: μαμερτει με^τανοι); Jupiter, lorsqu'il est invoqué, l'est conjointement avec Méfitis, dans le cadre d'un couple Souverain/Souveraine, comme il ressort notamment des dédicaces jumelles du grand autel double (RV-17: αιωρηις/ RV-1 8: ôioofuccç διομανα[ς] «souver ainejovienne »). C'est ce qui nous a incité à rechercher de quelque façon ce couple Jupiter-Méfitis dans un autre ex-voto 36 comportant, sur deux lignes, deux datifs en asyndète: G) RV-19 (Rossano di Vaglio) 1 2
(cofr|i πιζηι
34 Mais le sanskrit dissimile -b-bh- en -d-bh- (p. ex. instr. pi. âdbhih du nom des «eaux»). 35 Cf. R. Thurneysen, A grammar of old irish, 1946, § 233-1. 36 Texte tardif (assignable à la fin du IIe s.), présentant un état évolué du phonétisme. Le groupe initial [dy-], encore attesté en RV-17 (ôuofr|iç), y est passé à [dz-], et a reçu la même notation ζ que la séquence intérieure [-dz-] résultant de *-d( )s- après syncope d'une
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La solution qui nous est parue plausible a été d'identifier πιζηι à la Source divinisée37. Dans la mesure où cette interprétation sera acceptée, il en résultera l'attribution à l'osque d'un nom de la « source », différent de la désignation latine (fans, qui est sans correspondant connu hors du latin), mais ayant des attaches au moins avec le grec. En effet le datif πιζηι admet l'interprétation * pid(ë)s-ei (avec syncope de la brève intérieure); la graphie ι de l'osque méridional, à cette époque, renvoie à un i fermé 38 c'est-à-dire à un * 7 originel; l'occlusive initiale peut être issue soit de * p- soit de * kw-. En revanche c'est * p- seul (*/jw - eût abouti39 à τ) qu'implique l'initiale de hom. πΐδ- αξ, πϊδ-ήεσσα et de formes ultérieures, nominales (πίδυλίς) ou verbales (πϊδ-άω, πΐδ-ύω), diversement suffixées, issues de πΐδ-; à ce mot, réputé sans étymologie, le rapprochement de l'osque donnerait un début d'étymologie 40; le thème * pid-es- qu'il suppose est (avec un * pid-âque conforterait, il est vrai, πϊδάω), un des deux points de départ possibles pour la dérivation de πϊδήεσσα.
IV) *GV/ÎWA Un nom féminin de thème bia- (avec variante bea-) apparaît dans quatre textes osco-ombriens en écriture latine, qui semblent s'échelonner dans le IIe s. - Deux sont ombriens et proviennent respectivement du Nord et du centre du domaine: l'un (H), des environs de Fossato di Vico (Heluillum), à une quinzaine de km. au Sud-Est de Gubbio (Iguvium); l'autre (J), des environs de Foligno (Fulginia), à une quarantaine de km. au Sud de Gubbio. II y a, d'autre part, deux textes péligniens; l'un (K), des environs de Pratola Peligna, à quelque 5 km. au Sud-Est de Corfinio (Corfinium); l'autre (L), des environs de Tocco Casauria (Interpromium) à une quinzaine de km.
voyelle brève (πιζηι, voir plus bas); cette affriquée sonore [dz] se simplifiera d'ailleurs rapidement en [z] et, dès lors, la notation pourra être étendue (ainsi dans RV-28, p. ex. ειζιδομ «idem») à l'ancien *-s- intervocalique sonorisé. 37 On se rappellera d'autres exemples de dédicaces conjointes à Jupiter et à une source divinisée, dans le monde ancien, p. ex. à Nîmes IO VI ET NEMAVSO (CIL. XII 3070). 38 Alors que i ouvert (impliquant soit * î soit * ë) s'écrit ει. 39 Cf. M. Lejeune, Phonétique historique..., 1972, § 37 40 Un emprunt de l'osque au grec est exclu, le grec historique ignorant tout substantif sigmatique de cette racine.
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au Nord-Est de Corfinio - Documents découverts: H, en 1868; K, en 1873; L, en 1900; J en 1926. Aucun des supports de ces inscriptions41 n'est parlant par lui-même (comme c'est le cas pour AAPA - en C et D); mais le contexte archéolo gique de H manifeste des installations hydrauliques (fontaines, citernes) à quoi le texte (p. ex. cisterno) fait référence. - D'autre part, les contextes littéraux donnent un certain nombre d'indications. La bio de H est donnée comme appartenant à Bona Mater et relevant donc d'un lieu de culte; mais ce n'est certainement qu'une utilisation, entre autres, de la bio; car s'il s'agissait organiquement d'un sanctuaire ou élément de sanctuaire (certains ont proposé d'entendre « sacellum »), on attendrait que les divinités con cernées fussent nommées en J, K, L. - Par ailleurs, une bio est une chose qu'on fabrique (bia opset[a] en J, bea(m) . . . fec( ) en L, avec verbes « faire »), ce qui exclut qu'il s'agisse d'une désignation de P« eau ». - Au confluent de ces diverses indications se situe une signification « fontaine » (uel sim.), qui est celle à laquelle se tiennent les plus récents éditeurs. H: Ve 233 (Fossato di Vico) 1 2 3 4
CVBRAR. MATRER. BIO. ESO OSETO . CISTERNO .N.C.LV SV.MARONATO IIII V.L. VARIE.T.C. FVLONIE
L'inscription42 est gravée sur une plaquette de bronze43. Pour le con texte archéologique, les indications, incomplètes et parfois inexactes ou
.
41 Pierres J, K (face inscrite: 44 x 34 cm), L (face inscrite: 25x18 cm.) qui peuvent avoir supporté des fontaines (K est décrit comme «socle») ou appartenu à une paroi voisine, mais dont aucune n'est une vasque. Plaquette de bronze de 15x6 cm. pour J; mais affixée à une poterie qui, elle, est significative (embouchure de déversoir). 42 Première publication par A. Fabretti, Atti Ace. Se. Torino, IV, 1868, p. 785 sq. (bio: «pium»). - Bibliographie jusqu'en 1897 chez Ço 354 (bio non traduit; II p. 604: «cisterna uel sim.») et PI 295 (bio non traduit; I 413 et II 6: «Gabe?»). - Ensuite: Bu2 83 (bio: «sacellum»); Th. von Grienberger, KZ 56, 1929, p. 23-26 (bio: adjectif «uiua»); Ve 233 (bio: «fontana»), repris par Ernout, Dial, ombr., 1961, p. 49, n° 4; LIA2 62 A (Mo: adjectif «uiua»); Bo 112 (bio: «uiua»). 43 Faute de place, les derniers chiffres de CLVIIII («159») ont été reportés à la fin de la ligne inférieure, dans le blanc qui suit maronato. - Un point probablement erroné, après C dans C LV/IIII. Certains ont entendu « n(ummis) c(ollectis) », ce qui ramènerait de 159 à 59 unités monétaires le coût d'établissement de la citerne. - Voir fac-similé de Stefani (cf. n. 46); dimensions: 14,5x5,5 cm (épaisseur: 3 mm.).
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imprécises, données par ex. par W. Corssen 44 et Th. von Grienberger 45 d'après les notes de Marco Micheletti (inventeur du site en 1868), sont désormais à remplacer par la description qu'a procurée E. Stefani46 après un nouvel examen du site et du matériel. Il y avait, sur cette colline voisine de Fossato di Vico, un ensemble d'installations cultuelles. En sous-sol, une citerne (de plus de 12 m3) creusée dans la roche 47. Au sol, des constructions diverses (bâtiment à pavement de mosaïque, construction à colonnettes, etc. . .), notam ment deux très grandes vasques de fontaines48. Lors de la destruction du sanctuaire, un certain nombre d'éléments de ces installations du niveau supérieur sont tombés dans la citerne. Entre autres, un large conduit de terre-cuite 49 à l'embouchure duquel était affixée 50 la tablette. Celle-ci figurait donc au-dessus d'une des deux fontaines. L'inscription rappelait l'appa rtenance de la fontaine à Bona Mater51, et mentionnait l'adjonction, aux installations préexistantes, d'une citerne, avec datation par les noms des marones en exercice, et indication du coût des travaux52. Certains tenants de l'explication de bio par « uîua », tels von Grienberger ou Pisani, lisent le texte comme un énoncé unique, dans lequel un adjectif bio déterminerait un substantif cisterno. Cette vue est doublement impro bable: et du fait de la syntaxe (disjonction non justifiable en prose); et du fait des realia (une citerne creusée dans la roche n'est pas un contenant d'« eau vive »). La ligne 1 et les lignes 2-4 constituent deux phrases distinctes. Dans la seconde, l'ordre: verbe (initial) + sujet est peut-être une modalité de coordination de la proposition à celle qui précède (ordre normal: bia opseta dans la proposition unique de J). Sur la forme oseto, voir n. 63 et 64. On observera que le verbe « faire » qui s'applique ici à une citerne s'applique
44 45 46 47
KZ 20, 1872, p. 81-95. KZ 56, 1929, p. 23-26. Not. Se. 1940, p. 171-179. Ibid., p. 174-175 et fig. 5. «La buca... cilindrica... misurava esattamente m. 3 di pro fondità e m. 2,30 di diametro. In fondo ad essa era stata praticata una cavità imbutiforme di m. 1,64 di diametro e profonda cm. 55. 48 Ibid., p. 175. « In prossimità della cisterna, si poterano individuare i resti di due grandi vasche contigue..., l'una, la più prossima alla cisterna, m. 5,60 di larghezza, l'altra m. 4,30». 49 Cylindrique, ou plus exactement légèrement tronconique, avec diamètre variant, dans la portion reconstituable, de 54,5 à 56,5 cm. (Ibid., p. 175 et fig. 6). 50 A l'aide de plomb (détails: ibid., p. 172 n. 2 et fig. 2). 51 A considérer donc comme divinité chtonienne, volontiers associée (comme la Méfitis osque) à un culte des sources. 52 Le libellé ne précise pas si (comme il est cependant probable) les travaux avaient été décidés par les autorités municipales et payés sur des fonds publics.
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ailleurs (J) à une fontaine. - Le terme cisterno est vraisemblablement un emprunt au latin. On enseigne souvent que lat. cisterna est lui-même un emprunt à l'étrusque, mais sans raisons décisives (aussi longtemps que le terme demeurera, en étrusque même, imaginaire); H. Rix m'indique qu'il y voit un développement proprement latin de cista (emprunt au gr. κιστή) avec le suffixe de cauerna. J: VE 234 (Foligno) 1 2 3 4
ΒΙΑ : OPSET [ MARONE [ T. FOLTONIO [ SE.PTRONIO [
Cette inscription sur pierre53 a été donnée comme complète à droite par Ribezzo (et, à sa suite, par les éditeurs ultérieurs du texte) alors que la pierre est brisée à droite, la fracture passant au ras de Τ (1. 1), ne laissant subsister de E54 (1. 2), après la première haste verticale, que le bas de la seconde55, entamant le Ο de la 1. 3, et ne laissant après Ο de la 1. 4 qu'un blanc de peu de largeur: voir la photographie illustrant l'editio princeps. Cette affirmation de l'intégrité du texte, qui n'a aucun fondement épigraphique, tient seulement à l'interprétation que donne Ribezzo: à la 1. 1, 3e pi. en -(n)t; à la 1. 2, nomin. pi. en -e(s); à la 1. 3 et à la 1. 4, nomin. sg. en -o(s); il enseigne gratuitement, à propos des trois dernières lignes, que le scribe de Foligno ne notait pas le sifflantes finales. Nous avons, ci-dessus, inscrit à la fin de chaque ligne, un crochet droit 56.
53 Découverte en 1926 près de Foligno et publiée en 1928 (avec photo) par F. Ribezzo, RIGI. 12, p. 225 sq, («sacellum condunt marones...»). Ensuite, Ve 234 («fontanam fecerunt marones... »), que reproduit A. Ernout, Dial, ombr., 1961, p. 60, n° 5; LIA2 62 Β («uiuam fecerunt marones...»); Bo 114 («uiuam opérant marones...»). 54 II s'agit, dans ce texte, du e épigraphique latin républicain constitué de deux hastes verticales. 55 Ce qui laisse le choix entre marone[et maroni[... suivi d'une des lettres e, f, i, m, n. p, r, t; les lectures avec maroni[... ne conduisent à aucune forme ici plausible; on notera que (le dat. abl. pi. des thèmes consonan tiques eût-il à Foligno -ï- comme voyelle de liaison: voir plus bas), une désinence *-fs non encore assimilée en -s serait très improbable à la date de notre texte. 56 En fait (voir plus bas), nous ne considérons comme incomplets que (sûrement) opsetfa] ou opsetfast] à la 1. 1, et (peut-être) marone[s] à la 1. 2.
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Toutes les éditions, depuis Ribezzo, analysent: objet bia(m) à l'ace, sg. + verbe actif 3e pi. opse(n)t + groupe de sujets au nominatif (lignes 2-4). C'est là (sans jamais, d'ailleurs, le déclarer expressément) lire en latin les trois dernières lignes. Car marorië(s) ou maronë[s] n'est pas un nomin. pi. ombrien, lequel serait * marons 57 ; et les gentilices en -io(s) ou -io[s] ne sont pas des nomin. sg. ombriens, lesquels seraient soit en -is > -ir, soit en -ies > -ier 58. D'autre part une 3e pi. opse(n)t 59 soulève des difficultés sérieuses. Ou bien (Vetter, Pisani) on y voit un parfait; mais la finale primaire -ent au lieu de la finale secondaire -ens60 est malaisément justifiable61. Ou bien (Ribezzo, Bottiglioni) on y voit un présent62: mais le présent connu de ce verbe est de première conjugaison en ombrien comme en osque 63 et il faudrait, ad hoc, supposer ici un remodèlement analogique64. Par surcroît, dans un procès-verbal municipal de travaux, c'est le parfait qu'on trouve toujours, non le présent.
57 On n'a pas d'exemples ombriens de nomin. pi. animé pour les thèmes à nasale. Mais on sait d'une part (ainsi, par frater< *frâter(ë)s) qu'en ombrien (comme en osque) le nomin. pi. des thèmes consonantiques continue *-ës, avec syncope de ë (PI § 284-1; Bu2 § 178-10). On sait d'autre part (ainsi par IKUVINS< *-in(ö)s) qu'en ombrien (comme en osque) se conservait en fin de mot une séquence secondaire -n( )s après syncope (PI § 236-5; Bu2 § 110-6). 58 Cf. PI § 276-1; Bu2 § 91. 59 La non-notation de η devant / est banale: PI § 154, Bu2 108. 60 Sur la constance de l'opposition -nt primaire / -ns secondaire, cf. PI § 302 («Ausnahmen gibt es nicht»), Bu2 §§ 203-204. Du verbe ici allégué, on a d'ailleurs le parfait 3e pi. en Ve 196 (ουπσενς), Ve 8 et 10 (UUPSENS), Ve 16 (UPSENS). 61 Pisani: extension (exceptionnelle) de la finale primaire aux dépens de la finale secon daire [??], ou hybridation de -ns ombrien par -nt latin [??]. 62 A en juger au moins par le futur en -se/o-, la 3e pi. thématique de l'osco-ombrien est en -ent, non en -ont (cf. Bu2 § 204-3). 63 Dénominatif en -a- tiré d'un neutre de thème '"opes- (cf. lat. opus/ operarî). Le thème verbal de présent est donc (après syncope de la brève intérieure) opsa-. Il est directement attesté en ombrien (3e sg. impér. osatu, VI b 24) et en pélignien (3e sg. passive subj. imparf. upsaseter, Ve 216). Il est, de plus, impliqué en osque par le gérondif de thème opsanno (Ve 11, 13, 18, 152, 153, 154) et le part, passé de thème opsato - (Ve 124). 64 Du dénominatif opsà-, on attendrait un parfait secondaire (osque et ombrien -afed, osq. -a(t)ted, ombr. -anse), mais on a en osque (et il a sans doute existé aussi en ombrien) un parfait fort analogique (du type radical à voyelle allongée) *ôps 7o - (cf. Bu2 § 225): UPSED (Ve 142, 177; pour la 3e pi., voir n. 60). - Cette ambiguïté paradigmatique a amené à côté du participe öpsa-to- (osque: Ve 124), la création d'un participe «fort» öps-eto(ombrien: H, J). - La même ambiguïté aurait pu conduire à doubler le présent öpsä- d'un présent fort *öpse/o-; l'hypothèse n'est donc pas invraisemblable a priori; mais elle ne peut prendre appui, jusqu'ici, sur aucune donnée connue.
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Sans modifier la signification du texte, on en proposera ici une construc tion différente, en même temps qu'une lecture proprement ombrienne: bia: opsetfa] marone t. foltonio se. ptrnio
« fontana facta marone T. Fultonio Se. Petronio »
avec alternatives, à la 1. 1 : bia: opset[ast]
« fontana facta est »
et à la 1. 2: marone [s]
« maronibus »
D'abord, au nomin. sg. (ici, en - A) de Γ dèci.65, phrase nominale (cf. oseto cisterno en H), qu'on y restitue ou non la copule -(e)st. Ensuite, ablatif absolu de datation. Ou bien marone au sg. (en accord en nombre, avec le premier seul des deux noms propres); finales ombriennes d'abl. sg. en -E pour la IIIe décl. 66, en -O pour la IIe décl. 67. Ou bien maronefs] à l'abl. pi., en supposant (faute de tout exemple de cas oblique pi. de IIIe décl. hors d'Iguvium) que la voyelle de liaison pouvait être * -ï- à Foligno (comme en osque), non * -ü- (comme dans l'ombrien des Tables), *-?- (de *maron-i-f(o)s) étant ici noté e (comme il arrive sporadiquement à Iguvium). En dépit de ces difficultés de syntaxe (pour marone) ou de forme (pour maronefs]), nous pensons que cette lecture est préférable à l'interprétation traditionnelle. Dans cette perspective, on notera que J (qui est d'un autre site ombrien que H, et qui est probablement antérieur) se signale, par opposition à H, par deux traits de relatif archaïsme: notation -A, non encore -O, de l'ancien * -â final; entre voyelles, conservation du groupe secondaire intervocalique -p( )s-, non encore assimilé en -(s)s-68. 65 En osco-ombrien -a en finale absolue (PI § 29; Bu2 § 34) tend à se fermer en se vélarisant, mais les témoignages graphiques indiquent une évolution inégalement avancée selon le$ lieux et les époques; pélignien: -A (sauf -V en Ve 213); T.E. en écriture locale: flottement -A/-U; T.E. en écriture latine: -O; osque: -U, -O, -o ou -ω. Nous admettons que l'ombrien en écriture latine pouvait avoir soit -A (J: Foligno) soit -O (H: Fossato di Vico; Iguvium). 66 PI § 283-8; Bu2 § 178-5. 67 L'aboutissement ombrien de "'-öd (Bu2 § 171-6) est, dans les Tables Eugubines, écrit -U en alphabet indigène, -V (très exceptionnellement, -O) en alphabet latin. Mais, hors d'Iguvium, nous avons au moins un exemple assuré de -O dans maronato (H), qui est un substantif thématique (Bu2 § 259-2). 68 PI § 208; Bu2 § 122.
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Κ: Ve 212 (Pratola Peligna) 1? 2? 3? 4?
[ ? ] MEDIX.ATICVS BIAM.LOCATIN P.SADRIES.T V.POPDIS.T
Cette inscription sur pierre69, dont il est incertain si nous avons le début ou non, est en tout cas complète70 à gauche, en bas et à droite (avec, notamment, blanc de la largeur des deux lettres à la fin de la 1. 2, ce qui intéresse la discussion de -ATIN). Elle mentionne l'intervention de deux magistrats dans l'établissement d'une fontaine: « [ . . . ? . . . ] meddices * actici fontanam locauerunt P. Satrius T.f., V. Popidius T.f. ». Le second mot est un hapax; si, comme on le pense généralement, on a ici at- < * aht- < * akt-, les deux magistrats sont désignés comme «ad acta (ou: ad actus) pertinentes»; mais on ignore la nature (religieuse? politique? technique?) de cette spécification71. La principale difficulté concerne le mot en -atin, dont la finale n'est ni mutilée sur la pierre, ni (si elle était abrégée d'une ou deux lettres) abrégée faute de place. - On ne connaît d'autre -n authentiquement final en osco-ombrien que celui de la postposition -en. Au prix d'une haplographie locatin « in locatione », la forme du mot se laisserait justifier sans
69 Première publication: Dressel, Bull. Inst. 1877, p. 182-184 (biam non traduit). Biblio graphie 1877-1897 chez Conway (n° 219; biam non traduit; II p. 604: «cisterna uel sim.») et Planta (n° 251; biam non traduit; I p. 413 sv. et II p. 6: «Gabe?»). Puis Ve 212 (biam «fontanam»); LIA2 49 (biam «uiuam», glosé par «fonte ο sim.»); Bo 126 (biam «uiuam»: «si sottintende aquam ο cisternam»). 70 Voir par ex. fac-similé chez J. Zvetaieff, HMD. tab., 1885, VI-2. Si une ligne supérieure manquait (?), elle aurait pu contenir quelque mention du type « iussu senatus » uel sim., mais c'est une hypothèse non nécessaire. Est en tout cas exclue toute restitution supposant une lacune en bas (ainsi C. Pauli, Altit. St. V, 1887, p. 46, imaginant un texte de [2] + 4 + [4] lignes, terminé par une formule verbale, laquelle à distance régirait l'accusatif biam... atim [sic], avec nom *ati- de la «fontaine» d'où dériverait aticus: «magistratus *fontanarii»). 71 Cf. PI. § 175, Bu2 § 142. L'évolution est, à date historique, plus avancée en ombrien (-at-, sous diverses graphies) qu'en osque (-aht-), le pélignien présentant le même stade que l'ombrien: cf. pél. SATO (Ve 204) en regard de l'ombrien [sät-] diversement écrit (SAHT-, SAT-, SAHAT-) et de l'osque (SAAHT-).
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difficulté72; mais, dans cette hypothèse73, c'est la construction que l'absence de verbe rendrait difficile74. - Alternative: mot en -atin( ) incomplète ment écrit. C'est ce qu'implique l'interprétation, généralement reçue75, de locatin comme 3e pi. d'un parfait de Γ conj. (« locauerunt »). En regard du -a(t)tens attendu, il faut alors à la fois justifier l'absence de -s et le timbre -i- de la voyelle désinentielle. Il est exact que le pélignien, à la différence de l'osque, néglige souvent d'écrire -s final 76; tous les exemples sauf un concernent, il est vrai, -s postvocalique (lequel est, les trois fois, noté dans notre texte); mais on pourra alléguer l'épitaphe de Corfinium Ve 228 h qui présente tout ensemble -s noté après voyelle et -s non noté après nasale77. Il est exact aussi que des flottements sporadiques entre é et î apparaissent dans le domaine osco-ombrien 78; mais, du moins jusqu'ici, on n'en connaît pas d'exemple dans ce contexte précis (devant -ns). - Au total, l'hypothèse « locaverunt » est la moins coûteuse. Mais, ce verbe, en quel sens? Lorsque les éditeurs précisent leur inter prétation 79, c'est toujours en faveur de « mettre en adjudication ». Ce second sens, technique, de lat. locare, n'a guère chance de se retrouver en pélignien que par emprunt de sens (calque) ou emprunt de mot. En fait, il semble qu'on ait toujours songé à un emprunt de mot. On y voit un des nombreux
72 Nous tenons pour probable (les exemples font défaut) que le loc. sg. osque des thèmes consonantiques était en -ei (comme celui de la IIe décl., à laquelle ces mêmes thèmes ont d'ailleurs emprunté les finales d'ace, sg. et d'abl. sg.). Pour la IIe décl., nous avons un exemple de loc. sg. + postposition *-en dans HURTÎN (Ve 147), dont la finale - IN est expliquée comme continuant *-e(y)-en (PI § 33, Bu2 § 41a). Aux thèmes à nasale en -ätiö / -ationdu latin correspondent des thèmes en -ATIUF/-ATIN- (PI § 283 c; Bu2 § 181). Le locatif ici supposé serait (sans postposition) en *-ATIN-EÎ; avec postposition en -ATINÎN. 73 Dont l'amorce est déjà chez Planta II p. 658. 74 A supposer qu'une ligne supérieure ait disparu (voir n. 70), ce n'est en tout cas pas là qu'aurait pu se loger le verbe. Un verbe initial (cf. commentaire de oseto cisterno en H) ne serait admissible que comme marque de coordination à une proposition antécédente. Il faut donc, si locatin n'est pas un verbe, que le verbe soit sous-entendu: «meddices fontanam in locatione (scilicet: dederunt, vel sim.) », ce qui ne satisfait guère. 75 Elle remonte à Bücheier, Bull. Inst. 1877, p. 236. 76 Cf. PL § 256. 77 V. ANIAES. V. CALAVAN, où le dernier élément a chance d'être le nomin. sg. en -an(s) d'un ethnique à suffixe -ano-. Ici encore, ce n'est pas faute de place que la sifflante a été omise (voir p. ex. le fac-similé de J. Zvetaieff, HMD. tab. IV-8). 78 Cf. PI § 31; Bu2 §§ 38-39. 79 En dernier lieu, V. Pisani («appaltarono»).
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termes administratifs que le lexique de la vie municipale italique a reçus de Rome. - A dire vrai, les procès-verbaux que nous avons pour l'osque, mentionnant adjudication de travaux à un entrepreneur 80, ne manquent jamais de mentionner ensuite la réception des travaux terminés, et leur conformité constatée avec les clauses du marché81. Ce que nous n'avons pas ici. Mais l'objection n'est pas décisive; le formulaire administratif pélignien a pu, occasionnellement, différer du formulaire osque (ainsi, on n'a pas de co rrespondant osque de la formule fesn(u) upsaseter coisatens de Ve 216, « templum (ut) exstrueretur curauerunt »). - Néanmoins, reste à nos yeux aussi probable, pour locatin, une signification « mettre en place ». A condit ion, bien entendu, que le mot puisse être originellement osque, car on ne voit pas, pour un terme aussi banal, la justification d'un emprunt. Ceci mène au problème de l'initiale. Si lat. locus est sans étymologie, du moins savons-nous, à travers Festus, que la forme avait comporté, dans un stade antérieur dont le souvenir n'était pas complètement perdu, un groupe initial stl-; on en infère, pour les premiers siècles du latin historique, une évolution stl- > * si- > 1-. Or, l'osque connaissant encore, à l'époque de nos textes, un groupe initial si-, on en conclut qu'un * stloko- osque eût dû, à cette même époque, se présenter comme * sloko-; d'où la né cessité que le thème de locatins soit un emprunt au latin (et,. par récurrence, qu'il faille prendre le mot dans l'acception technique qu'il peut avoir dans la langue juridique de Rome). - Mais l'argumentation n'est pas assez serrée pour être contraignante. On n'a, d'osque si-82, que deux exemples campaniens, dont l'un (appellata0 SLAAGI- «territoire» à Abella, Ve 1; mot sans étymologie) et l'autre (nom propre SLAABIS à Herculanum, Ve 107) ont d'ailleurs chance d'être de plus haute date que K. Si rien ne le prouve, rien n'exclut non plus qu'en une autre région (pays pélignien) et à date plus basse, si- soit passé à 1-. Il y a donc, à côté de l'hypothèse d'un emprunt au latin, avec des chances égales, celle d'un * stloko- commun au latin et à (tout ou partie de) l'osco-ombrien, les deux langues en ayant parallèlement tiré un dénominatif de Ière conjugaison « mettre en place ».
Généralement, par UPSANNUM (-AM) DEDED (-ENS) «donner à faire: Généralement, par PRUFA(T)TED (-ENS) «approuver». Cf. PI § 230; Bu2 § 114.
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M: Si 1 (Tocco Casauria) 1 2 3 4
Ρ A . PETRONI POM. F. BEA ECAN. F EC MEDIX
Ce texte 83 « Pa. Petronius Pom. f. fontanam hanc fecit meddix » apporte un doublet bea - de biä - que de Simone compare au peai « piae » de Ve 218 et explique par une ouverture de i en hiatus. Sauf le dernier, tout les mots sont abrégés, ainsi petroni(s), bea(m), ecan(c). Derrière l'abréviation fec(ed), de Simone ne dit pas s'il voit un mot latin ou une forme proprement dialectale 84; cette dernière éventualité accorderait à l'ensemble: osque85 - pélignien la même dualité de parfait fefäk-/ßk- qui se constate dans l'ensemble: latin de Préneste86 - latin de Rome. Des interprétations proposées, au long d'un siècle, pour bio (« pius », Corssen; « corpus », Hunschke; « uia », Bréal; « ara », Bücheier; « saeptum » 87, Bugge; « thesaurus », Deecke; « donum », Planta; etc. . .) et des etymologies qui y ont été associées ou qui y ont conduit, il n'y a à retenir ici que l'interprétation « fontana » 88 seule compatible avec l'ensemble du dossier tel qu'il se présente aujourd'hui, et la seule étymologie qui ait été, pour « fontana », avancée et qui remonte à Pauli 89: * gwiwâ- « (eau) vive » > « fon taine », avec même application de l'adjectif aux eaux qu'un latin (fontes
83 Première publication en 1900 par P. L. Calore (Atti della Reale Acc. di... Napoli 21, p. 182, n° 11; et p. 174). L'existence du texte est passée inaperçue de Buck, Vetter, Pisani, Bottiglioni. La pierre n'a pu être retrouvée en 1962 par C. de Simone, qui la republie (Ann. Ist. Or. Napoli IV, 1962, p. 63-67 et pi. 1-1) d'après la copie et la photographie de Calore. 84 On a d'autres exemples, dans les parlers centraux d'un *ë étymologique noté E (ainsi pour la première voyelle de REGEN[AI] «rëglnae » en Ve 218; etc.). 85 A Bantia (Ve 2), fefacid, fefacust. 86 Ve 365: VHEVHAKED. 87 Pendant la première moitié du XIXe s. a prévalu cette interprétation d'« enclos» (sacré), se référant à un terme du vieil islandais: fém. kvi (pluriel kviar) « enclos où les brebis sont rassemblées pour la traite». Buck (encore qu'avec hésitation: Bu2, 1928, n° 83) et Ribezzo (RIGI 12, 1928, p. 225) traduisent «sacellum». Cette étymologie italico-scandinave figure, chez Müller (AIW, 1926, p. 210) et chez Walde-Pokorny (Vergi. Wb. der idg. Spr. I, 1929, p. 666), d'où elle est passée en 1959 chez Pokorny (IEW 467). 88 Proposée par Pauli (voir n. 89), reprise en 1928 par von Grienberger (KZ LVI, p. 23-28) et en 1932 par Vetter (Glotta XX, p. 19), c'est celle qui prévaut depuis le milieu de ce siècle (Ve, Bo, LIA2). 89 Altit. Forsch. V, 1887, p. 42 sq.
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uiuï, etc.) et métonymie banale (cf. ital. sorgente: « (eau) surgissante » > « source »). Si cette étymologie est valable, il en résulterait une conséquence qui n'a pas été signalée, malgré son intérêt: bia- alors, étant originellement adjectif, implique un nom féminin pour P« eau »; or bia- appartient non seulement au pélignien (pour lequel on peut supposer, avec vraisemblance, le même nom âpâ- qu'en osque), mais aussi à l'ombrien (qui ne nous a jusqu'ici fourni que le neutre UTUR). L'ombrien dès lors (et peut-être l'oscoombrien dans son ensemble?) aurait connu pour l'eau (comme le fait, par ex. le sanskrit) à la fois un nom neutre de Peau-substance et un nom animé de l'eau vive; seul le hasard des textes nous priverait du nom neutre en osque et du nom féminin en ombrien; l'opposition, ici, entre latin et osco-ombrien, se réduirait à l'élimination par le latin de l'élément neutre du couple. Malheureusement, cette étymologie ne va pas sans difficultés phonétiques: elle implique, pour le pélignien et l'osque, amuïssement possible de -wentre deux voyelles (de timbres différents). Pauli allègue pél. suois (Ve 203; cf. sua, Ve 213) en regard de osq. SUV-, SUV-, acca (nom de femme, Ve 215 f; supposé doublet de accaua), des<* deues lat. «dives» (Ve 214); il allègue aussi ombr. bue lat. « boue » (VI a 25, etc.) - Planta, qui reprend le problème d'ensemble90, enseigne que -w- intervocalique se conserve régu lièrement entre voyelles dans tous les parlers du groupe; il y a bien un petit nombre de formes embarrassantes, mais où l'étymologie a plus de chances d'être en question que la régularité de l'évolution phonétique; à en juger par l'osque (nomin. pi. BIVUS, Ve 6) on attend conservation de -w- dans les formes issues de * gwïwo- 91; la position de Pauli est « sehr zweifelhaft » 92. En cette incertitude, et en l'absence de solutions de rechange tant à partir de cette même racine * gwey(d)- 93 que d'autres racines connues, ou l'on acceptera en même temps que l'étymologie de Pauli les difficultés qui la grèvent, ou l'on se résignera (peut-être sagement) à laisser le mot, jusqu'à nouvel ordre, sans étymologie.
90 PI § 106. 91 IEW 468. 92 A demi-mot, Pisani, p. ex. suggère pour « vivant » une forme à suffixe *-yo-, non *-wo- (ad 62 A: «bio, da *griiâ, cf. gr. βίος»). Mais βίος (dont nous ignorons s'il a comp orté: IEW 468, ou non, un -f-), n'est, en tout cas, pas un adjectif. 43 Compte tenu du fait que b- peut continuer soit *b-, soit *gw- soit un groupe *dw-.
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POST-SCRIPTUM Cet article était sous presse quand a paru (A. La Regina, Parola del Passato, fase. CLXI, 1975, 167 sv.) l'inscription d'une troisième vasque de Pietrabbondante (cf. ci-dessus C, D,), nouveau témoin des travaux édilitaires du même P. Staius L. f.; forme verbale EMANAFED: restituer donc, en C et D, le préverbe [E-], non [A-]. Texte: 1 2 3
PA . STAIIS . L . M . AAPAM . KELLAKED ÎNÎM . KURASS . EKASK . EMANAFED ESÎDUM . PRLJFATTED
ETTORE LEPORE
TIMEO IN STRABONE V, 4,3 C 242-243 E LE ORIGINI CAMPANE
La prospettiva ionica di Ecateo di Mileto deve avere influito a lungo sulla storiografia greca, se ancora alla metà del V secolo a. C. Antioco di Siracusa parla per « il paese intorno al Cratere » (che è il nome più antico di quella che fu detta Campania, solo dopo l'occupazione dei Campani, alla fine del secolo) di Ausoni (555 F 7 Jacoby), riprendendo la tradizione etnica nota ad Ecateo \ anche avendo a disposizione altre notizie e cono scendo certamente gli Opici2 che egli, tuttavia, riteneva una semplice variante onomastica rispetto agli Ausoni3. Una più completa e precisa individuazione degli strati etnici in Cam pania affiora tuttavia soprattutto in fonti più tarde, la cui tradizione risale probabilmente all'altro celebre storico siceliota, vissuto tra il quarto e il terzo secolo a. C, interessato a etnografia e geografia, Timeo di Tauromenio. A lui attinse Polibio, pur criticandolo violentemente, e attraverso costui e altre fonti - ma forse anche direttamente - prese materiali e giudizi Strabone. Sarà, perciò, utile partire dal passo dell'opera geografica di quest'ultimo sulla Campania che sembra contenere elementi timaici sulla successione dei vari popoli nella regione. « Prima di tutto bisogna che si parli della Campania. Si apre a partire da Sinuessa lungo il litorale che segue un ampio golfo fino a Miseno, e di là un altro golfo molto più grande del precedente; lo chiamano Cratere e si estende dal Miseno fino all'Ateneo, i due promotori. L'intera Campania si trova al di là di queste coste, pianura la più fertile di tutte; la circon-
1 P. es. per Noia, «città degli Ausoni», 1 F 61 Jacoby. 2 Ibid., e F 4; oltre che Tue. VI 4,6 su Cuma che ha per fonte probabile proprio Antioco. 3 Arisi., Polit, VII, 9,3, 1329 b 18-20 ripete la spiegazione, con espressione non chiara, attingendola forse alla stessa fonte, data la conoscenza che ha della storiografia locale: ibid. 1329b 8.
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dano colline che danno frutti abbondanti e monti, quelli dei Sanniti e quelli degli Osci. Antioco dice che questo paese era abitato dagli Opici e che questi si chiamavno anche Ausoni. Polibio invece mostra che si tratta di due popoli tramandando queste notizie; infatti dice che il paese intorno al Cratere abitano gli Opici e gli Ausoni » (Strab. V, 4,3 = C 242). Fin qui il passo di Strabone non pone problemi e sottolinea il contrasto di opinioni tra la più antica storiografia locale (che abbiamo visto essere probabilmente ancora sotto l'influenza di Ecateo) e il giudizio di Polibio che conosce Ausoni e Opici come due popoli distinti. Tutto il contesto straboniano, anche precedente, sembra risalire a Polibio, il cui libro XXXIV conteneva una descrizione geografica dell'Italia4. I riferimenti di V, 4,2 (in fine) - 3 (inizi), a Frentani e Dauni, concordano con i dati polibiani (v. p. es. Ili, 88,3; X, 1,3), specie con l'importanza che quest'ultimo popolo ha in essi5; così la netta distinzione della Campania (in senso stretto e proprio), come un hinterland con le sue famose risorse, rispetto alle coste - distinzione che torna in tutto lo schema di Strabone, con le πόλεις δ'έπί μεν τη οαλάττη (di V, 4,4 ss = C 242-43), ed έν δε τη μεσογοά^ Καπύη (di V, 4,10 = C 249) con le altre città di Cales e Teano Sidicina da una parte, Nuceria e quelle interne come Noia, dall'altra - cor risponde alla breve descrizione della Campania in Polibio (III, 91, spec. 4-6), che è a sua volta sintesi aggiornata all'epoca annibalica e insieme forse anticipazione del più ampio excursus geografico già citato (XXXIV, 11,7 ed. cit.). Anche in questa si dice che « quanto alla pianura intorno a Capua essa è la più rinomata d'Italia ... in essa si trovano pure le più belle e famose città della penisola. Sono situate sulla costa le città di Sinuessa, Cuma, Dicearchia, quindi Neapolis, ultimo il popolo dei Nucerini. Nell'entroterra sono situate verso nord Cales e Teano, verso oriente e mezzogiorno i Dauni e Noia. Proprio al centro della pianura si trovava la città di Capua, che era allora la più fiorente di tutte ». Dopo aver identificato la pianura campana con quella Flegrea (con un riferimento che è anch'esso in Timeo, 566 F 89 Jacoby, e che ritroveremo in Strab. V, 4,4 = C 243 e V, 4,6 = C 246, a proposito di Cuma e del suo territorio), Polibio aggiunge anche che « essa è limitata . . . per lo più da monti alti e ininterrotti ». Questi
4 Da esso deriva probabilmente anche questa citazione: cfr. ed. Biittner-Wobst, voi. IV, pp. 421-22. 3 Come forse già in Timeo, cfr. Geffken, Timaìos' Geographie des Westens, Berlin 1892, pp. 5 ss.
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sono probabilmente quelli che Strabone chiama monti dei Sanniti e degli Osci, senza che si riesca a precisare meglio; infatti il seguito del passo polibiano che ci aiuterebbe a una identificazione, elencandoci gli accessi alla Camp ania attraverso quei monti dall'interno, è lacunoso e non menziona che il Sannio (άπο της Σαυνίτιδος) e, dopo le parole perdute per la corruzione, il territorio irpino (άπο των κατά τους Ίρπίνους τόπους). A meno che la lacuna non contenesse una terza menzione etnica è difficile dire che cosa Strabone intendesse con monti degli Osci, specie se il passo deriva da Polibio. Polibio, che nella breve descrizione della Campania non nomina i popoli che la abitavano, in nessun contesto giuntoci direttamente conosce il te rmine "Οσκοι; anche nella citazione esplicita, contenuta nel nostro passo, egli menziona Ausoni e Opici. Evidentemente egli usa il termine Όπικοί proprio nel significato di Osci; lo proverebbe anche il frammento di Stefano Bizantino, attribuito al libro IX, 9,10 a (ed. Büttner- Wobst), se quel che segue al lemma Άτελλα, πόλις Όπικών Ιταλίας μεταξύ Καπύης και Νεαπόλεως è come la citazione finale sull'etnico Ατελλανός sicuramente derivato dal testo polibiano. Il passo del libro XXXIV, citato da Strabone, distingue dunque gli Ausoni dagli Opici, riferendosi a due momenti culturali (e forse cronol ogici) - oltre che a due elementi etnici - diversi; esso rispecchia la s ituazione campana dopo l'arrivo delle genti osche e loro gruppi minori (Campani, Nucerini, Sanniti, ecc). A veder bene gli si accosta strettamente per concezione un altro brano di Strabone, nella parte precedente dello stesso libro riguardante il Lazio meridionale: V, 3,6 = C 232-233. Ivi si dice infatti: « Al di là del litorale nelPentroterra si stende la pianura Pomentina e la regione contigua ad essa abitavano precedentemente gli Ausoni, che possedevano anche la Campania. Dopo di questi invece gli Osci; ed anch'essi avevano parte della Campania. Ora però il territorio è tutto dei Latini fino a Sinuessa, come ho detto ». A prescindere dai confini geografici del Lazio, di cui Strabone ha già parlato (in V, 2,1 = C 219 e in V, 3,4 = C 231) accettando la stessa frontiera, secondo una tradizione che risponde alla situazione tra IV e II secolo a. C, anche i dati etnici di questo passo sono polibiani6. Essi, tuttavia, se accettati alla lettera, sarebbero l'unica evidenza in Polibio dell'uso del termine "Οσκοι (cui contraddice, invece, tutto il resto della sua opera storica, come
6 Così sostiene anche F. Lasserre, nella sua edizione di Strabone: Geographie, t. Ill, Paris 1967, nota 4 di p. 85 a p. 207.
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si è visto). In questo caso, dunque, bisogna pensare - contrariamente a quanto accade di solito per la tradizione polibiana in Strabone, attinta quasi sempre direttamente7 - ch'essa è stata filtrata, e aggiornata nella te rminologia, da una fonte intermedia, probabilmente Artemidoro, cui risale lo schema generale di tutto V, 3,6 e che anche in altre citazioni di Polibio lascia intravedere la sua presenza8. Qui se l'uso di notizie leggendarie da Timeo può confermare l'attività di Artemidoro anche in margine ai suc cessivi dati polibiani9, le osservazioni seguenti sulla scomparsa degli Osci (των μεν γαρ "Οσκων έκλελοιπότων) e la loro eredità dialettale e culturale a Roma, anche se valgono per l'epoca di Polibio 10, fanno supporre media zione attraverso Posidonio, che è certamente fonte delle ultime righe di V, 3,6 sul vino Cecubo e che, in altri luoghi, V, 4,11 = C 249-250 e VI 1,2 = C 254, contiene analoga riflessione a proposito della sparizione delle popola zionisabelliche d'Italia meridionale, anche lessicalmente vicina a questo passo in esame (p. es.: ενιαι δ'έκλελοίπασι τελεως - τα τε ευη . . . έκλέλοιπεν) e tipica dell'analisi etnografica posidoniana n. Posidonio sembra essere ancora la fonte in V, 3,9 = C 237-238, dove per il territorio dei Sidicini si dice appunto che sono "Οσκοι, Καμπάνων ευνος έκλελοιπός. Noi dobbiamo, in conclusione, ritenere che Polibio parlasse soltanto di Ausoni e Opici (nel senso di tutti gli Osci di Campania) e che il termine Osci sia appunto modifica chiarificatrice e interpretazione già antica (della fonte médiatrice) del corrispondente termine polibiano. Nell'età dello storico (II secolo a. C), del resto, il vocabolo Opici ha assunto un senso anche più lato, né etnico né geografico, oltre a designare una stirpe sia pure in senso più generico: ne fornisce evidenza la tradizione di Catone (presso Plin., N. H., XXIX, 14) sull'uso greco in quell'epoca (« nos quoque dictitant barbaros et spurcius nos quam alios Όπικών appellatone foedant »), seguito a modo suo da Giovanni Lido (De mens. I, 13: όππικίζειν και (ως το πλήυος) όφφικίζειν το βαρβαρίζειν Ιταλοί λέγουσιν). Riferito dunque all'epoca di Polibio - ο a quella un po' anteriore di qualcuna delle sue fonti - il commento del Beloch (Campanien, Berlin 1879, p. 3) che « per un greco è Όπικος ogni italico, che non sia né un messapo, né un tirreno » è valido.
7 Cfr. F. Lasserre, Notice, dell'ed. cit., pp. 11-14. 8 Cfr. F. Lasserre, loc. cit., pp. Il, 14 ss., spec. 16. 9 Cfr. F. Lasserre, loc. cit., p. 15. 10 Cfr. F. Lasserre, p. 207 cit. 11 Cfr. F. Lasserre, loc. cit., pp. 18-20, che non elenca V, 3,6 sugli Osci ma gli altri due confronti; v. pure ivi il commento a n. 3 di p. 87 e a n. 1 di p. 128.
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La mancata precisazione cronologica e storica di questo uso ha però indotto i moderni, dopo gli antichi, a identificare gli Opici, ο con gli Ausoni (seguendo Antioco e facendone una stirpe affine del più antico strato indo europeo venuto in Italia), ο con i sopraggiunti italici, cioè con gli Osci (e considerandoli il nome più antico di questa stessa gente, quello noto soprattutto alla tradizione greca). Antioco e Polibio hanno lasciato dunque un'impronta profonda nella storiografia antica, ma anche nella ricerca più recente, e hanno - sia pur fuori della chiara coscienza moderna - contribuito a consolidare la dottrina sulle due ondate in cui si sarebbe verificato il popolamento indo-europeo e la stratificazione etno-linguistica e culturale in Campania. Se, infatti, da una parte per Ausoni e Opici si afferma che « le due denominazioni corrispondono almeno a due fasi successive della storia di uno stesso popolo », ma si considerano gli Opici tutt'uno con i più tardi Osci, il loro nome come nome che « i Greci non hanno potuto prendere a prestito che agli Osci stessi » 12, dall'altra l'esperienza critica in campo storico, archeologico e linguistico specialmente degli studi italiani, dal Pareti al Pallottino e al Devoto, veniva da quest'ultimo sintetizzata: « La civiltà più antica è attribuita dalla tradizione agli Ausoni . . . Attraverso i territori da loro occupati si era sviluppata la più antica civiltà del ferro, a mezzo giorno del Lazio, quella delle tombe a fossa . . . Chi conosce il grande atta ccamento che i nomi di popolo hanno al suolo, non può sorprendersi che l'antico nome di Opici appartenesse allo strato più antico di Indo-europei e la forma Osci rappresenti l'adattamento dello stesso nome agli Italici soprag giunti sicché ' opico ' può continuare a significare un popolo affine agli Ausoni, ' osco ' un popolo italico, con le rispettive lingue, la ' opica ' protol atina, la ' osca ' italica ...» 13. Il rapporto che intercorre tra Ausoni, Opici e Osci è molto importante per definire lo sfondo etnico e culturale locale, su cui si svolsero le prin cipali vicende storiche campane in età arcaica: « si tratta del problema più importante della storia della Campania » riconosce il Devoto 14. Egli stesso, ammettendo due « invasioni » indo-europee in Italia 15 avverte, tuttavia,
12 J. Heurgon, Recherches sur l'histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine, Paris 1942, pp. 41 ss., spec. 49-50; anche per E. Wikèn, Die Kunde der Hellenen von dem Lande und der Völkern der Appenninenhalbinsel bis 300 v. Chr., Lund 1937, pp. 109 ss., 119 ss. secondo cui gli Opici sono Sanniti e quindi Osci; v. contra già F. Ribezzo, recensione in RIGI, XXI, 1937, p. 113. 13 G. Devoto, Gli antichi italici, 3 ed. riv. Firenze 1967, pp. 119-120. 14 Cfr. op. cit., p. 120. 15 Cfr. op. cit., spec. pp. 65-66, 103.
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che « l'espansione indo-europea non è il risultato di episodi violenti, imprese guerresche, ο invasioni improvvise che avrebbero lasciato ricordo in una materia epica; ma un flusso, ora rapido, ora lento, ininterrotto e si può dire inavvertito » 16. Con la sua acuta sensibilità per i fatti storici, loro concretezza e dinamismo, il linguista mentre sa che la diffusione di lingue « implica una solidità di organizzazione sociale, una compattezza di nuclei familiari che non si giustifica con inconsistenti 'fermenti' ma con la presenza effettiva di uomini, sia pure poveri e pochi, ma organizzati », mentre quindi dichiara che « inevitabile è l'accettazione da parte degli ar cheologi di singole correnti artistiche ο tecniche ο culturali » 17, ha co scienza del pericolo di rigidi schemi e astrazioni sulla genesi di questi movimenti etnico-culturali nell'Italia più antica. Perciò si può ripetere con lui che « la opposizione di due (o tre ο più) correnti non significa che queste si siano distaccate dall'unità primitiva come due (o tre ο più) rami di un albero, ben visibili e distinti. Presuppone piuttosto che l'espan sione (di cui nessuna traccia leggendaria è sopravvissuta) sia stata uno stillicidio invisibile che solo in Italia ha finito per trovare un assestamento e un raggruppamento » 18. È con questa coscienza metodica che bisogna proseguire l'esame della tradizione etnica in Campania e tornare al passo di Strabone su di essa. Vedremo subito che quella testimonianza contiene un filone tradizionale (senza chiara attribuzione) su cui non si è forse insistito abbastanza e del quale non si è chiarita la paternità, ma che può rinnovare la nostra pro spettiva. Lo schema dualistico, accettato comunemente dalla moderna storio grafia (Ausoni-Opici e Osci oppure Ausoni e Opici-Osci), si rivelerà ad attenta analisi ormai insufficiente, e del termine medio, gli Opici, andrà chiarita la posizione storica e il significato culturale (se non quello linguistico). Se l'evidenza documentaria non è in Campania ancora sufficiente a fornire « caratteri distintivi decisivi » per definire tutti gli elementi culturali e specialmente linguistici, presenti nella regione, anche il Devoto - pur non andando al di là delle soluzioni che gli sono proprie - dovrebbe ammettere che « parlare di due stratificazioni non vuoi dire perciò che siano state le sole, né che la feconda e più recente, quella degli Italici, sia stata l'ultima » 19.
Ibid., p. 86. Cfr. G. Devoto, op. cit., p. 65. Cfr. ibid., pp. 47-48. Cfr., op. cit., p. 48.
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La tradizione antica serba forse ancora traccia di questo più complicato processo, di cui appunto la Campania sembra forse sempre più rappresentare un notevole esempio. E torniamo a Strabone (V, 4,3 = C 242-243), nell'ulteriore sua test imonianza, dopo l'esposizione del conflitto di opinioni tra Antioco e Polibio: « Altri ancora dicono che (la Campania), abitandola dapprima Opici ed Ausoni, fosse occupata poi da un popolo degli Osci, e che questi fossero scacciati dai Cumani, ed essi a loro volta dai Tirreni; per la sua fertilità la pianura infatti era divenuta assai contesa e avendovi impiantato dodici città questi ultimi chiamarono quella che ne era stata la testa Capua. Indotti dal loro lusso in mollezze, come dovettero ritirarsi dalla regione intorno al Po, così abbandonarono questa ai Sanniti, e costoro poi furono costretti a rinunziarvi da parte dei Romani ». La interpretazione che qui si da del passo deve superare due moderni emendamenti, il primo dei quali largamente accettato e diffuso nelle più recenti edizioni, deriva dal tentativo di comprendere il testo certamente guasto, correggendolo tuttavia in maniera arbitraria e poco coerente con il tipo di tradizione cui qui ci si trova davanti. Fermiamoci dunque un mo mento sul testo. 1) Dopo il genitivo assoluto οίκούντων Όπικών πρότερον και Αύσόνων segue nei codici οί δ* εκείνους veramente intraducibile se lasciato nel cont esto. Perciò i moderni, fin da una proposta del Madvig20, hanno supposto trattarsi di una corruzione da Σιδικινούς, correggendo perciò in tal senso. Così essi intendono che la Campania « abitandola dapprima Opici ed Ausoni, occuparono poi i Sidicini, un popolo osco ». La corruzione sarebbe paleo graficamente possibile (specie pensando ad uso di sigma lunato e a lettura itacistica in un esemplare onciale) e ad alcuni è sembrato tanto più sicuro l'emendamento in quanto Strabone altrove conosce i Sidicini e li classifica come "Οσκοι21; anche a V, 4,10 = C249 torna accanto alla menzione di Capua, « testa » delle città campane (come nel nostro passo), un confronto con Teano Sidicina, unica importante tra le altre, che ha potuto far pensare ad una presenza dei Sidicini anche nel nostro caso. In realtà questi due passi si inseriscono in contesti diversi: il primo con la menzione dei Sidicini
20 Poi seguita dal Nissen, in «Rh. Mus.», 38, pp. 575 ss., e accettata dallo Jacoby, 555 F 7, e dagli editori di Strabone più recenti, lo Aly e il Lasserre. 21 Cfr. V, 3,9 = C 237-238, e p.es. J. Bérard, La Magna Grecia, trad, it., Torino 1963, p. 453 en. 121 a p. 476.
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è in un lungo elenco di città sulla via Latina - anche questa volta a pro posito di Teano, di cui si rileva l'importanza come centro urbano campano e in esso i Sidicini sono Osci, ma questi sono poi considerati « un popolo estinto dei Campani », con una inversione di rapporto e una riflessione tipica, che abbiamo già vista anche altrove riferirsi a epoca recente e a tradizione derivante da Posidonio; il secondo, anche se per l'assurda etimo logia si riallaccia al nostro passo e alla sua fonte (che vedremo quasi cert amente essere Timeo), è anch'esso frutto di osservazioni sul sistema stradale romano, ora sulla via Appia, e risale forse ad Artemidoro se non allo stesso Strabone. Nessuno dei due passi, comunque, può veramente avvicinarsi al nostro, dove si parla della stratificazione etnica in Campania in epoca protostorica e storica, e le genti citate appartengono ai grandi gruppi ben noti alla tradizione greca. La menzione dei Sidicini - che ben si spiega in un contesto topografico come V, 3,9 che segue i vari centri abitati non ha nulla a che fare con questa storia delle « origini » in Campania; questa tribù, di interesse strettamente locale, non rientra nel largo quadro che il nostro passo traccia: del resto nell'altro capitolo la qualificazione dei Sidicini è quanto mai vaga e confusa, con quello strano concetto degli Osci quale popolo dei Campani, che dimostra come poco e male fossero noti nella tradizione che fa capo a Strabone, sì da non poter rappresentare assolutamente uno dei principali popoli succedutisi nel dominio della pianura campana. Sembra dunque che la presenza del oi δ' εκείνους nei codici debba spiegarsi in modo diverso, senza introdurre nella successione etnica i Sidicini. Il Wikén già pensava ad una glossa (probabilmente riferita al rapporto tra Opici e Ausoni, gli uni seguiti agli altri, ο a quello tra questi due e gli Osci, più tardi occupanti), che dal margine era poi entrata nel testo, come di frequente suole accadere. In tal caso l'espressione è da espungere dal testo come estranea, e non bisogna tenerne alcun conto ai fini dell'inte lligenzadi esso, come noi abbiamo finito per fare22. 2) L'altro emendamento, non accettato dagli editori, ma che per l'au torità dello studioso che lo ha proposto non si può evitare almeno di discutere, anche se si deve respingere, è la correzione nel testo, dove appare il genitivo assoluto οίκούντων Όπικών πρότερον και Αύσόνων, che G. Beloch, in una sua celebre memoria su Le fonti di Strabone nella descrizione della
22 Appunto con simile procedimento lo Sbordone nell'edizione critica di Strabone espugne come glossa oi δ' εκείνους e ne respinge ogni emendamento. Cfr. Strabonis Geographica, ree. F. Sbordone, voi. II, Romae 1970, p. 255, r. 23 = 12 dell'apparato critico.
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Campania 23 considerava legittima, dopo aver giustamente presupposto Artemidoro quale fonte comune a Strabone e Plinio per quella regione, e volendo, meno esattamente, estendere al primo, anche dove non ce n'è evidenza, la tradizione (talvolta di carattere diverso) conservataci dal secondo. Mettendo dunque a confronto con il passo straboniano quello di Plinio (NH, III 60: « tenuere Osci, Graeci, Umbri, Tusci, Campani »), che elenca semplicemente e in strano ordine i popoli abitatori e dominatori della Campania, il Beloch riteneva che « non sarebbe troppo ardito lo scrivere Όμβρικών invece di Όπικών, lezione che darebbe un senso molto migliore24. È facile vedere quanto arbitrario sia questo procedimento, nonostante l'acutezza del grande storico in fatto di critica testuale, e quanto poco valga a migliorare il senso del testo. Il paragrafo, così come ci è tramand ato,s'inquadra infatti perfettamente nell'antica tradizione degli Ausoni ed Opici, e il resto con la menzione degli Osci, dei Cumani e degli Etruschi 10 completa con notizie di provenienza non tanto diversa da quella tradi zione, da Antioco a Polibio. La versione pliniana che parla solo di Osci e introduce l'elemento nuovo, Umbri, resta ancora da precisare nelle sue fonti: 11 Beloch stesso d'altronde consente in una notevole differenza d'informa zioni e di metodo tra Plinio e Strabone, e al carattere più propriamente storico delle fonti straboniane 25. La differenza qui non può, tuttavia, dipendere soltanto da una esagerata abbreviazione pliniana delle notizie storiche con servatesi in Strabone26. Altrove il geografo non ha il minimo accenno ad estensione degli Umbri diversa da quella di età storica, divenuta canonica nella formula di Stefano Bizantino27, e le sue fonti sono più ο meno le stesse, soprattutto Polibio, e poi Artemidoro e Posidonio. Se i due passi di Plinio e Strabone, messi a confronto dal Beloch, risalgono veramente entrambi ad Artemidoro, è chiaro che il primo integra i dati comuni con aggiunte per le quali non fornisce nel nudo elenco alcuna giustificazione, mentre Strabone a sua volta sembra scendere a maggiori particolari, di origine storiografica, che solo fino ad un certo punto possono ammettersi come derivati, indirettamente, attraverso il geografo che gli è fonte principale.
23 In Mem. della R. Accad. dei Lincei, 10, 1882, p. 424 ss. 24 Art. cit., p. 432. 25 Cfr. art. cit., pp. 437 ss. 26 Cfr. F. Lasserre, éd. cit., p. 15, nota 1 contro G. Hagenow, Untersuchungen zu Artemidors Geographie des Westens, Göttingen 1932 che svaluta i paralleli tra Strabone e Plinio. 27 Cfr. V, 1, 7 = C 214; V, 1,10 = C 216; e spec. V, 2,10 = C 227; e Steph. Byz. s.v. Όμβρικοί: παρά τον Αδριακον κόλπον, μέσον του Πάδου και Πικεντικου.
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Respinti, dunque, i due emendamenti e accettato il testo nella forma sopra riprodotta, resta da vedere a quale autore allude qui Strabone, con l'espressione « altri ancora dicono », cioè altri storici, accanto a quelli citati subito prima. L'etimologia per il nome di Capua (fondata sul latino caput, pro babilmente), il tema della successione dei conquistatori della contesa pia nura (esso richiama il passo su quella Flegrea a V, 4,4 = C 243, sicur amente di derivazione timaica, cfr. 566 F 89 Jacoby = Diod. IV, 21,5, come del resto V, 4,6 = C 245-46; si noti tra il nostro passo e il primo degli altri due la quasi identica espressione: δια γαρ την άρετήν περιμάχητον γενεσυαι το πεδίον - άλλ'έκ του περιμάχητον την γήν είναι δι' άρετήν), la decadenza per τρυφή e μαλακία, hanno fatto pensare a Timeo28. Lo conferma soprat tuttol'allusione finale del passo al dominio etrusco e alla sua rovina, tanto nella pianura Padana che in Campania, la quale29 rimanda a Polibio (II, 17,1) e quindi ancora una volta alla fonte principale di quel capitolo che è Timeo. Polibio, infatti, dopo aver descritto la valle e pianura del Po, avanza alla fine del capitolo (16, 15) una critica a Timeo (« soprattutto a causa del l'ignoranza che Timeo dimostra sulle località suddette »), rendendo evidente che quello storico ne parlava e vi si soffermava, e poi - continuando a sfruttar la fonte, al di là di ogni polemica, com'è suo costume - inizia l'esposizione dei fatti storici di quel territorio: « Questa pianura (Padana) era anticamente abitata dai Tirreni, che occupavano pure in quei tempi gli allora cosiddetti Campi Flegrei intorno a Capua e Noia; questi sia per l'essere frequentati sia per l'esser conosciuti da molti acquistarono grande fama per la loro fertilità (έπ ' αρετή). Perciò chi vuoi comprendere la storia della potenza dei Tirreni non deve riferirsi al territorio ora occupato da essi, ma alle pianure sopra ricordate e alle risorse che ne derivano ». Segue poi il racconto sulla invasione dei Celti in Padana e la nuova sua occupa zioneda parte loro, cacciatine gli Etruschi. Il passo di Strabone sulla Campania e i suoi dati etnici sono dunque da attribuirsi a Timeo: la menzione degli Osci accanto agli Opici e Ausoni mostra come la visione dello storico siceliota arrivasse a distinzioni più precise di quelle polibiane; d'altronde la netta separazione tra Opici e Ausoni che abbiamo trovato in Polibio contro Antioco risale probabilmente anch'essa
28 Cfr. F. Lasserre, ed. cit., p. 15 e note 2 e 3 di p. 104 a p. 213, oltre quelle agli altri luoghi citati; naturalmente il Lasserre pensa a mediazione di Artemidoro, ritenendo d imostrato dal Däbritz, De Artemidoro Strabonis auctore capita tria, Diss. Leipzig 1905, pp. 8-11 che Strabone non ha letto Timeo. 29 Come ricorda anche il Lasserre, p. 213.
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già a Timeo (che è fonte del libro XXXIV per l'Italia e la Campania come per la rimanente Europa: cfr. XXXIV, 10,5 e le osservazioni su Timeo in XII, 26 d, 2 ss.; 28 a, 3). Il rapporto tra i due popoli non è chiaramente un rapporto di successione cronologica e potrebbe sembrare conferma della moderna teoria, cui già si è accennato, che ne fa genti della stessa ondata indo-europea. Tuttavia, anche la tradizione anteriore a Timeo che li identifica lascia trapelare una certa confusione e il tentativo erudito di avvicinare e mettere insieme elementi distinti30. A noi che non abbiamo più il testo di Timeo viene il sospetto che Strabone leggesse nello storico siceliota molto
30 Per precisare la posizione che nella suddetta triade hanno gli Opici sarà forse bene tornare alla tradizione di Antioco di Siracusa e affiancare al frammento (555 F 7 Jacoby), che abbiamo già veduto citato da Strabone e secondo cui gli Opici erano identici agli Ausoni, niente altro che un loro diverso nome, un altro frammento dello storico siceliota in cui ritorna in contesto diverso la menzione del popolo. Parlando del popolamento primitivo dell'Italia meridionale e Sicilia, e dopo aver cercato di spiegare il legame tra gli Enotri e le altre minori tribù enotriche con una supposta serie di re enotrii, eponimi dei vari gruppi, tra cui i Siculi (che devono essere il residuo di quella gente rimasto nel Bruzio e noto ancora in età storica nel retroterra di Locri: Tue. VI, 2,4), Antioco - secondo la citazione di Dionigi di Alicarnasso (I, 22,5 = 555 F 4 Jacoby) — Σικελούς δε τους μεταναστάντας άποφαίνει, βιασυεντας ύπο τε Οίνώτρων και Όπικών; con questo « passaggio » di Siculi (ch'erano in fondo gli stessi Enotri, quando ebbero mutato nome) in Sicilia, sotto la spinta di altri Enotri «e Opici», che ne sarebbe stata la causa, lo storico siceliota spiegava l'origine di uno dei principali elementi etnici del l'isola. Da questa tradizione accoglieva probabilmente Tucidide (VI, 2, 4-5; e cfr. Dion. Hal. I, 22 cit.) la sua più sommaria affermazione che «i Siculi dall'Italia (dove infatti abitavano) passarono in Sicilia, φεΰγοντες Όπικούς», fuggendo dinanzi agli Opici, semplicemente. C'è insomma nella tradizione cui faceva capo Antioco una contrapposizione (e quasi rapporto di successione cronologica e culturale) tra Enotri-Siculi ed Enotri-Opici (più precisamente Enotri e Opici). In essa il rapporto tra Enotri e Opici finisce per essere molto simile a quello, concisamente espresso, su Ausoni e Opici, dalla fonte di Strabone e ripetuto più confusamente, da Aristotele nel passo citato della Politica. Vien dunque da chiedersi (specie per l'oscurità della citazione aristotelica paragonata a quella della fonte di Strabone) se veramente Antioco abbia mai detto « che questi (gli Opici) si chiamavano anche Ausoni» ο se li abbia menzionati insieme agli Ausoni, con una espres sione «Ausoni e Opici», simile a quella «Enotri e Opici», essa stessa certamente approssi mativae frutto di scarse conoscenze ο di poco chiara comprensione dei rapporti tra i due elementi etnici (come in genere accade in questa erudizione antica), ma neppur perspicua affermazione di un'identità, che potrebbe esser derivata da più tardo e altrui fraintendimento. Quel che qui conta è: a) che gli Opici (già nella tradizione di Antioco) sembrano essere un elemento non affine agli Enotri, ma che qualificano i popoli nella zona occupata già dagli Enotri a partire da un certo momento (e da un certo mutamento culturale); b) che anche per gli Ausoni la tradizione antica che fa capo ad Antioco poteva contenere analoga quali ficazione diversificante gli Ausoni veri e propri dai popoli più tardi presenti nella zona già da loro occupata (da un dato momento e mutamento culturale) ο anche più semplicemente
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di più di quanto appaia dalla breve sintesi e sentisse perciò il bisogno di citarne le concezioni sulla etnografia campana, accanto a quelle di Antioco e di Polibio. L'ampio uso di citazioni timaiche nel contesto straboniano per la Camp ania31 fa anzi pensare che non tutto questo materiale possa provenire solo per via indiretta da Artemidoro, ma che invece - con buona pace del Däbritz e di una critica meccanicistica delle fonti - Strabone attingesse talvolta direttamente a Timeo, integrando i dati già contenuti in Artemidoro e aggiungendovi altro materiale 32. In favore di tale tesi 33 va notato p. es. che in VI, 2, 4 come in V, 4, 9 la citazione di Timeo è preceduta da citazione di versi di Pindaro, abituali allo storico siceliota (566 F 92; 142 Jacoby): è difficile che Strabone trovasse in Artemidoro non solo lunghi brani timaici, ma anche le citazioni pindariche pertinenti, a parte il fatto che a volte di Artemidoro nel relativo contesto straboniano non" vi è traccia rilevante. Meno chiara è la relazione che viene stabilita in Timeo tra gli Osci e i Cumani e poi tra questi e gli Etruschi: qui essa sembra proprio di succes sione cronologica, mentre i tre elementi sono coevi ad un certo momento ed è, caso mai, più antico l'ultimo, quello etrusco. È evidente che lo storico obbedisce qui ad uno schema delle dominazioni in Campania che cala una realtà molteplice e contemporanea in un ordine astratto e convenzionale. Non potremo certo pretendere da lui conoscenze linguistiche e culturali quali quelle raggiunte dalla moderna indagine scientifica; il concetto di Osci, distinto rispetto ai Sanniti, oltre che rispetto agli Opici, è perspicuo in questa tradizione solo fino a un certo punto. Tra Greci di Cuma ed
i loro discendenti evoluti, cronologicamente e culturalmente ormai diversi, per l'epoca più tarda e la presenza di nuovi elementi di differenziazione. Cfr. già E. Lepore, in Le genti non greche della Magna Grecia. Atti dell'XI Conv. di Studi sulla M. Gr., Napoli 1972, p. 85. 31 Oltre i luoghi già citati si vedano: V, 4,4 = C 243 con l'etimologia del nome Κύμη da κύματα, preceduta da un ενιοι φασί; V, 4,5 = C 244 sulPAverno; V, 4,6 = C 245 con il mito di Eracle e il golfo Lucrino, e forse con la notizia su Dicearchia, porto di Cuma; V, 4, 7 = C 246 sulla sirena Partenope a Neapolis, l'agone in suo onore e l'uso di fonte locale sulle liste degli eponimi; V, 4,8 = C 247 sulla piana vesuviana e, certamente, sulle isole Sirenusse; V, 4, 9 = C 248 sulla fondazione di Pithecussai, presidio siracusano e occupazione neapolitana, nonché sui fenomeni vulcanici dell'isola; V, 4, 12 = C 249 sulle leggi sannitiche e sulla versione tarentina delle origini dei Sanniti; e cfr. F. Lasserre, pp. 108, n. 5; 112, p. 2; 114 n. 2; 118 n. 3 e 214 n. 7; 215 n. 4; 215-216, n. 3 e 5; 218 n. 2; ed E. Lepore, La vita politica e sociale, in Storia di Napoli, voi. I: L'età classica, Napoli 1967, pp. 142, 152, 158, 161 e passim. 32 Così sosteneva già G. Hunrath, Die Quellen Strabo's im sechsten Buche, Cassel 1879 per il libro VI: spec. VI, 2,4 = C 270-271. 33 Contra F. Lasserre, p. 15, n. 1.
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Etruschi Timeo sembra assegnare ai primi la più alta antichità - conforme a una visione che fino a poco tempo fa era anche quella della moderna dottrina -; difficilmente riuscirebbe, però, anche a chi ancora seguisse questa dottrina, di accettare una sparizione di Cuma dinanzi agli Etruschi. Lo schema di maniera va spiegato in Timeo tenendo presente, da una parte, quella serie di lotte tra Greci ed Etruschi in Campania, che se non terminò con la vittoria dei secondi (anzi vide sempre loro sconfitte tra VI e V se colo a. C), provocò il declino di Cuma e l'eclisse della sua potenza a van taggio di altre formazioni politiche, anche alleate; dall'altra esso deve col legarsi ad una tradizione, presente forse già in Timeo, oltre che in altre più note fonti, che considera piuttosto tarda la presenza etrusca nella regione anche se non l'abbassa addirittura al secondo quarto del V secolo a. C. come una delle notizie sulla data della fondazione di Capua 34. Entro questi ben definiti limiti, il quadro e la impostazione dei problemi storici della Campania arcaica, quali affiorano in questi relitti dell'opera di Timeo sono un punto di partenza quanto mai interessante, sia per gli indizi positivi che possono fornire, sia anche per gli aspetti tendenziosi e negativi, che aiutano a penetrare e dunque a dissipare false prospettive antiche. Questa tradizione, insomma, attesta un processo di evoluzione culturale in Campania - oltre che di contrasti etnici, politici e sociali - cui parte cipano, accanto ai Calcidesi di Cuma e agli Etruschi di Capua, queste po polazioni proto-italiche e italiche fino alla formazione di « popoli osci » e all'invasione dei Sanniti. La vicenda è complessa e si riflette solo parzia lmente nello schema tradizionale. Un lungo fermentare di elementi di origine « italica », ma distinti nel tempo, e soprattutto nella realtà culturale - in cui gli Opici devono probabilmente trovare un posto più preciso e nuovo dovette portare alla oscizzazione (come fatto di civiltà) della regione. Il culmine di questo processo fu rappresentato dalla penetrazione etnica e linguistica, e dalla conquista da parte delle avanguardie sannitiche, che riuscirono attraverso assimilazione e sopraffazione a creare quell'organico ambiente unitario, pur nelle sue diverse componenti e articolazioni, che chiamiamo Campania.
34 Cfr. Cat. fr. 69 Peter, HRR, p. 70 in Veli. Pat. I, 7, 3-4 su cui contiamo di tornare in altra sede.
ROBERT LEQUÉMENT ET BERNARD LIOU
CÉRAMIQUE ÉTRUSCO-CAMPANIENNE ET CÉRAMIQUE ARETINE, À PROPOS D'UNE NOUVELLE ÉPAVE DE MARSEILLE
Le hasard des découvertes sous-marines a voulu que dans cette note dont nous faisons ici hommage à M. Jacques Heurgon nous abordions un secteur de recherche qu'ont illustré, ces dernières années, les beaux travaux de deux de ses plus brillants élèves: ceux de nos amis Jean-Paul Morel, pour la céramique étrusco-campanienne à vernis noir 1, et Christian Goudineau, pour la céramique aretine2. Nous devons cette rencontre heureuse à une épave située dans l'archipel qui ferme vers le Sud-Est la rade de Marseille, entre l'île Plane (ou Calseragne) et l'île Riou, par fond de 20 m. Déclarée au début d'août 1975 par MM. J. Gélindo et P. Vogel, elle a été très vite mise au pillage par les amateurs d'amphores. Le souci de ne pas laisser disparaître une cargaison dont le grand intérêt était immédiatement apparu a poussé la Direction des Recherches archéologiques sous-marines à intervenir sans tarder pour un sondage qui a occupé, avec des interruptions, les périodes du 15 au 24 septembre, puis du 13 au 16 octobre3. Le hasard a voulu que ce sondage se fît dans la partie centrale du navire: nous avons en effet travaillé à l'intérieur du trou que les pillards avaient entamé dans l'herbier de posidonies et nous y avons trouvé la pièce d'emplanture avec la cavité du mât;
1 Nous ne mentionnerons ici que ses Notes sur la céramique étrusco-campanienne. Vases à vernis noir de Sardaigne et d'Arezzo, dans MEFR, LXXV, 1963, p. 7-58 (en abrégé: Morel, Notes...), et Céramique à vernis noir du Forum romain et du Palatin, dans Suppl. 3 aux MEFR, Paris, 1965 (en abrégé: Morel, Forum-Palatin) . 2 Fouilles de l'Ecole française de Rome à Bolsena (Poggio Moscini) 1962-1967, tome IV: La céramique aretine lisse, suppl. 6 aux MEFR, Paris, 1968 (abrégé par le seul nom de l'auteur). 3 Outre les auteurs de ces lignes, l'équipe de la D.R.A.S.M., embarquée sur Y Archéonaute, commandé par le Maître principal A. Magania, comprenait Melles E. Jarry et M. -P. Pujol, MM. D. Colis, P. Grandjean, J.-C. Le Boulch; Melles H. Garde et C. Troche, MM. J. Gélindo, J.-C. Négrel et M. Ouvrieu ont également prêté leur concours.
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celle-ci contenait la traditionnelle monnaie votive 4, qui est très concrétionnée et dont nous ne savons encore si elle sera lisible. Le matériel issu de ce sondage et des premières prospections des inven teurs comprend des amphores vinaires Dressel 1 B: trois exemplaires intacts (Fig. 1), 42 cols ou lèvres, 24 panses. La plupart de ces amphores paraissent avoir été estampillées: 41 cols sur un total de 44, portent sur la lèvre une marque imprimée dans un cartouche rectangulaire: ARTE (3 ex.); HERAC (6 ex.); METRON (2 ex.); NVN (8 ex.); PHILOX (4 ex.); un timbre toujours très mal imprimé, dont les deux premières lettres seulement sont nettes: SE, et qui doit se lire, probablement, SELEV, avec le second E ligaturé dans le sens rétrograde: S L 3/ (12 exemplaires); sur six cols, la marque est complè tement effacée5. Bon nombre de ces cols ont conservé, au-dessus du bouchon de liège, un opercule de pouzzolane sur lequel est inscrit, deux fois, un nom - le même pour tous les exemplaires - difficilement lisible: probablement AP. ATTI. Un col, différent, appartenait sans doute à une amphore de type Lamboglia 2. Sept lampes entières et des fragments d'au moins huit autres ont été découvertes; elles se rattachent au type des lampes à grénetis (Warzenlampen), encore qu'elles présentent des caractéristiques individuelles intéressantes (Fig. 2). Leur vernis est noir, ou marron, ou rouge. Deux d'entre elles ont à la base du bec un décor en relief figurant une grenouille, sem blable à celui d'une lampe trouvée par Claude Santamaria sur l'épave A du cap Drammoni6; deux autres ont sur le fond une marque Ν identique à celle que porte la même lampe du Drammoni. Les fragments de céramique
4 Cette découverte devient banale: épaves A de La Chrétienne, à Saint-Raphaël (F. Dumas,, 1962), de Blackfriars dans la Tamise (P.R.V. Marsden, 1963), de l'anse Gerbal à Port-Vendres (Y. Chevalier, 1963), A de la pointe de la Luque à Marseille (J.-C. Négrel, 1973), de la baie de Cavalière au Lavandou (R. Lequément, 1974), de la Madrague de Giens à Hyères (A. Tchernia, 1974). 5 II ne nous semble pas que ces marques soient connues par ailleurs (mais nous n'avons pas fait de recherche approfondie); on ose à peine signaler ARTEMO, sur une amphore d'Alésia (M. H. Callender, Roman Amphorae, Londres, 1965, n. 129), ou ARTI, sur une amphore Dressel 1 de Villaricos (M. Beltran Lloris, Las anforas romanas en Espana, Saragosse, 1970, p. 120, n. 30 et fig. 45, 17); on rapprochera, en revanche, étant donné la grande similitude du matériel des deux épaves, la marque HERACLI sur des amphores Dressel 1 Β de l'épave A du cap Drammoni (cf. C. Santamaria, Travaux et découvertes sur l'épave " A " du cap Drammoni à Saint-Raphaël (Var), dans Actes du IIe congrès intern, d'archéologie sous-marine (Albenga, 1958), Bordighera, 1961, p. 170-171, ou encore F. Benoît, L'épave du Grand-Congloué à Mars eille, Paris, 1961, p. 61, fig. 58). 6 C. Santamaria, L'épave A du Cap Drammoni (Saint-Raphaël): fouilles 1971-1974, dans Revue archéologique de Narbonnaise, 8, 1975, p. 188 et fig. 3 et 4.
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commune sont nombreux, en particulier ceux de plats à vernis intérieur rouge. Le chargement comprend enfin la céramique étrusco-campanienne qui fait l'objet de cette note. L'ensemble du matériel, qui présente de grandes analogies avec celui de l'épave A du Drammoni, celui aussi des épaves de la Madrague de Giens 7 ou de Planier 3 8, suggère une date proche de 50 av. J.-C. Nous n'avons jusqu'ici récupéré aucune pièce intacte de céramique à vernis noir: une centaine de tessons, qui se recollent peu à peu, jusqu à reconstituer des formes complètes, et qui n'appartiennent pas à plus de douze exemplaires. Mis à part un bol de forme Lamboglia Β 1 A 9 et un petit vase fermé Lamb. Β 10, il s'agit uniquement de patères Lamb. Β 7, de grandes, et même de très grandes dimensions (jusqu'à 54 cm de diamètre). On distingue à coup sûr huit pièces, que nous décrirons comme suit 10: 1 (Fig. 3) Fond de patere; forme complète non reconstituable. Diamètre du pied 130 mm. Surface satinée; vernis noir mat, absolument uniforme à l'intérieur; à l'extérieur, quelques taches brun clair près du pied. Fond externe réservé avec quelques coulées de vernis. Pâte dure, très épurée, chamois. Ressaut sur la face interne du pied. Petit cercle tracé à main levée au centre, avec, dans un cartouche rectangulaire (8,5 x 7 mm environ), l'estampille Q.AF. Six timbres radiaux géométriques (variante du motif des deux " C " opposés). Deux séries de deux sillons concentriques (plus grand diamètre 116 mm), entre lesquels deux rangs de fines guillochures.
7 Cf. B. Liou, Informations archéologiques: recherches sous-marines, dans Gallia, 33, 1975, p. 585-589, et le volume d'A. Tchernia et coll., à paraître comme supplément à Gallia. 8 A. Tchernia, Premiers résultats des fouilles de juin 1968 sur l'épave 3 de Planier, dans Etudes classiques, III, 1968-1970, p. 51-82. On comparera surtout le profil des céramiques que nous présentons ci-dessous avec ceux du plat étrusco-campanien à vernis noir (Lamboglia 7) et du plat «préarétin» à vernis rouge (Goudineau 1), p. 70, fig. 16, 3 et 1. 9 N. Lamboglia, Per una classificazione preliminare della ceramica campana, dans Atti del I Congresso internazionale di Studi Liguri (1950), Bordighera, 1952, p. 139-206. 10 Nous nous inspirons aussi fidèlement que possible, pour cette description, des principes définis par J.-P. Morel, Forum-Palatin, p. 12-15.
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2 (Fig. 4) Patere dont la forme complète est reconstituable, avec toutefois une légère marge d'incertitude. Diamètre du bord un peu supérieur à 520 mm; diamètre du pied 145 mm. Surface lisse; vernis noir à reflets bleutés, uniforme à l'intérieur, très endommagé à l'extérieur où l'on distingue les traces de tournassage et quel ques taches brun clair près du pied. Fond externe réservé avec quelques coulées. Pâte dure, légèrement granuleuse, chamois. Ressaut sur la face interne du pied. Deux petits cercles accolés au centre (diam. ext. 36 mm), au milieu desquels a été imprimé, dans un cartouche rectangulaire de 8x6 mm envi ron, l'estampille Q.A. Deux groupes de deux cercles concentriques (diam. ext. 157 mm) enserrent quatre rangs de stries. A l'extérieur du cercle le plus éloigné du centre, huit estampilles radiales: il s'agit du même timbre Q.A. 3 (Fig. 5) Fond de patere, conservé jusqu'à l'amorce de la paroi: la forme comp lète est pratiquement reconstituable. Le diamètre du bord est légèrement supérieur à 530 mm; diamètre du pied 153 mm. Surface satinée; vernis intérieur noir mat nuancé de brun-rouge près du centre (disque d'empilement); usé à l'extérieur, avec traces de tournassage et taches claires près du pied. Fond externe réservé avec des coulées de vernis. Pâte dure, légèrement granuleuse, chamois. Ressaut sur la face interne du pied. Même décor que la patere n. 2; diamètre du cercle le plus éloigné du centre 164 mm; cinq estampilles radiales sur huit sont conservées. 4 (Fig. 4) Patere dont la forme complète est reconstituable. Diamètre du bord 540 mm; diamètre du pied 156 mm. Surface satinée; vernis noir mat-luisant à l'intérieur, sauf près du centre où le disque d'empilement est franchement brun-rouge; usé ou craquelé à l'extérieur. Fond externe réservé avec des coulées de vernis. Pâte dure, un peu granuleuse, nettement plus rose que dans les exemp laires précédents. Ressaut sur la face interne du pied.
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Même décor; diamètre du plus grand cercle 178 mm. Les huit estamp illes radiales sont conservées. 5 (Fig. 4) Fond de patere, forme complète non reconstituable. Diamètre du pied 152 mm. Surface lisse; vernis noir brillant uniforme. Fond externe réservé. Pâte dure, épurée, chamois légèrement rosé. Ressaut sur la face interne du pied. Même décor; diamètre du plus grand cercle 162 mm. Trois estampilles radiales conservées. 6 (Fig. 5) Fragment du fond d'une patere analogue, sans trace du pied. Dimens ionsnon précisables, du même ordre que pour les exemplaires précédents. Surface satinée, vernis noir mat très usé. Pâte dure, un peu granuleuse, chamois. Décor réduit à un arc de la paire de cercles la plus éloignée du centre et à deux estampilles radiales Q.A. La disposition des estampilles radiales de ces patères n. 2 à 6, à l'exté rieur du cercle le plus éloigné du centre, est insolite. J.-P. Morel, qui a réper torié à ce jour 280 types de disposition du décor imprimé sur céramique campanienne, nous dit n'en connaître aucun qui ressemble à celui-ci n. 7 (Fig. 6) Patere dont la forme complète est reconstituable. Diamètre du bord 430 mm; diamètre du pied 134 mm. Surface lisse; vernis homogène noir à reflets bleutés. Fond externe réservé avec quelques coulées de vernis. Pâte dure, très épurée, chamois clair. Ressaut sur la face interne du pied. La partie centrale du fond manque; ne subsiste que l'amorce d'un petit cercle. Six timbres radiaux; l'estampille constitue une curieuse variation sur
11 Remerciements amicaux à J.-P.M. pour les renseignements qu'il a bien voulu nous communiquer.
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le thème des " C " opposés: deux arcs de cercle décrivent une boucle à leurs extrémités et sont traversés par une sorte de ruban sinueux. Deux séries de deux sillons concentriques (diamètre du plus grand cercle 143 mm), entre lesquels quatre rangs de stries. 8 (Fig. 7) Fond de patere, forme complète non reconstituable. Diamètre du pied 126 mm. Surface lisse, vernis homogène d'un beau noir ni mat ni brillant. Fond externe réservé. Pâte dure, épurée, chamois clair. Ressaut sur la face interne du pied. Le centre est mutilé; on y aperçoit cependant l'amorce d'un petit cartouche carré ou rectangulaire au milieu d'un cercle. Quatre estampilles radiales (trois seulement sont conservées), disposées en croix, dont le motif se retrouve fréquemment12: quatre points symétriques, à l'intérieur et à l'extérieur des deux "C" opposés. Plage de hachures larges et hautes entre deux paires de cercles accolés (diam. ext. 98 mm). Cette céramique à vernis noir de l'épave de l'île Plane nous situe au cœur d'un problème longtemps controversé, à la solution définitive duquel elle apporte sa contribution: celui des origines de la céramique aretine à vernis rouge, ou, si l'on préfère cette formulation plus précise, de la filiation entre céramique à vernis noir et céramique à vernis rouge d'Arezzo. L'estampille Q.AF est en effet connue depuis longtemps, sur céramique à vernis rouge, à Arezzo même, et a été trouvée depuis à diverses reprises en d'autres lieux 13. En 1880, H. Dressel publiait, avec le matériel de la nécro pole de PEsquilin, la même estampille sur céramique à vernis noir 14 et
12 Par exemple, Lamboglia, Classificazione..., p. 155, n. 8 et p. 153, note 58; Morel, Forum-Palatin, n. 157, p. 81 et pi. 12; Goudineau, p. 331 (tesson étrusco-campanien Bolsena 66-91-7). 13 Arezzo: A. Fabroni, Storia degli antichi vasi fittili aretini, Arezzo, 1841, pi. IX, 86. Bolsena: a) A. Balland - A. Tchernia, Scavi della Scuola francese di Roma: Pavimenti tardorepubblicani ο proto-augustei, dans N. S. Α., 1966, p. 55, fig. 3 et p. 66; b) Goudineau, p. 105, 106 et 109. Rome: CIL, XV, 4937, c. Minturnes: H. Comfort, Terra sigillata from Minturnae, dans Am. Journ. of Archaelogy, 47, 1943, n. 48. Narbonne: A. Oxé - H. Comfort, Corpus Vasorum Arretinorum, Bonn, 1968, n. 28, n. Tarragone: ibid., η. 28, k. 14 E. Dressel, La suppellettile dell'antichissima necropoli esquìlina, dans Bull. dell'Inst. di Corrispondenza archeologica, 52, 1880, η. 80, p. 294 et pi. 17.
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concluait à une filiation, à Arezzo même, et dans les mêmes ateliers entre la céramique à vernis noir et la poterie à vernis rouge à laquelle nous réser vons le nom d'arétine 15. Il reprenait, ce faisant, une thèse qu'avaient soutenue avant lui A. Fabroni et G. -F. Gamurrini et que défendraient à leur tour, entre autres, H. Dragendorff et A. del Vita 16. Elle devait toutefois se trouver battue en brèche, notamment par les travaux d'A. Oxé 17, ou, à tout le moins, rencontrer le scepticisme. Lorsque J.-P. Morel, dans son article de 1963, fait le point de la question, il se montre très sensible à des erreurs d'inter prétation incontestables de certains tenants de cette thèse, à la difficulté qu'on éprouve à distinguer, sur « de petits morceaux de fonds », des vases à vernis noir ou des vases à vernis rouge « ratés » ; peu convaincu par les vases à vernis noir portant l'estampille Q.AF ou Q.A qu'il a eu personnellement l'occasion d'examiner 18, il pousse le doute méthodique jusqu'à récuser le témoignage qu'elle semblait fournir et il conclut, sur l'ensemble du problème, que le « dossier » est « trop mince pour qu'on puisse défendre l'idée d'un passage progressif, à Arezzo même, de la céramique étrusco-campanienne à la céramique aretine rouge ». Chr. Goudineau, que son étude de l'aretine de Bolsena a persuadé du bien-fondé de cette idée, a fort clairement énoncé, d'après Morel, « les pièces à fournir pour que le " dossier ", étoffé, emporte l'adhésion: il s'agirait de présenter des formes contemporaines des débuts de l'arétine - donc, plus exactement, de notre préarétine - identiques où, à
15 Ibid., p. 329-331. 16 Références dans Morel, Notes..., p. 55 sq. et dans Goudineau, p. 322, n. 2. 17 Pour qui le vernis rouge aurait été introduit, vers 30 av. J.-C, par des potiers venus d'Orient: thèse qui trouve son expression achevée dans Arretinische Reliefgefässe vom Rhein, dans Materialen zu römisch-germanischen Keramik, 6, Francfort, 1933. 18 Cf. Morel, Notes..., p. 57 et n. 1. La liste des timbres Q.AF et Q.A sur vernis noir que nous connaissons à ce jour s'établit comme suit: Arezzo: cf. CIL, XI, 6700, 12 et Oxé-Comfort, n. 28 a, c. Morel, Notes..., p. 53, n. 24, ne connaît, au musée d'Arezzo, qu'un exemplaire, de lecture incertaine: Q.Â*F ou (plutôt) Q.A. Vulci: Morel, ibid.: Q.A. Rome: CIL, XV, 4937, a (le tesson de PEsquilin), b (rive ou lit du Tibre) et Oxé-Comfort, n. 28, h (musée de Dresde); Q.AF. Paestum,, au musée (renseignement de J.:P. Morel): Q.AF. Ampurias: Oxé-Comfort, n. 28, m; J.-P. Morel, qui le donnait pour disparu (Notes..., p. 57, n. 1), nous signale qu'il a été retrouvé, au musée de Gérone, par E. Sanmarti: il se lit Q.A (cf. N. Lamboglia, Bolli ampuritani su «Campana C », dans R.E.Lig., XXI, 1955, p. 51). Tarragone :CIL, II, 4970, 11; lu Q.Â"È, c'est à dire sans doute Q.AF. La Alcudia de Elche; A. Ramos Folqués, Ceramica presigillata de la Alcudia de Elche, dans VII Congreso nacional de Arquelogia, Barcelona 1960, Saragosse, 1962, p. 365 et fig. 1 (Cf. également Evolución de la ceràmica campaniense a la sigillata en la Alcudia de Elche, dans Rei Cretariae Romanae Fautorum Acta XI/XII, 1969-1970, p. 19 et p. 27, fig. 11 et 12): Q.AF.
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tout le moins, fort semblables, les unes appartenant à des vases incontesta blementétrusco-campaniens, à vernis noir, les autres à des vases à vernis rouge; il faudrait, d'autre part, exhiber des timbres identiques ou fort sem blables » 19. Sur le premier point, il a donné une démonstration tout à fait neuve et convaincante20; sur le second, il a, certes, avancé des présomptions très fortes, mais s'est, par prudence, privé des arguments qu'avaient jadis fournis à H. Dressel l'estampille Q.ÂP et le timbre C.V., qui figure lui aussi sur vernis noir et sur vernis rouge21. Les patères trouvées sur l'épave de l'île Plane ont le grand mérite de ne plus laisser place à aucun doute. La marque Q.AF en particulier - la seule qui soit jusqu'ici attestée sur vases arétins à vernis rouge - figure sur un plat qui est du plus beau noir, absolument uniforme, sans même la moindre trace rouge ou brune d'un disque d'empilement. Aucun doute, d'autre part, que Q.AF et Q.A ne soient deux timbres distincts: nous avons une fois le timbre Q.Â~F, central, entouré de six estampilles radiales géométriques22, et, sur cinq plats, le timbre Q.A central huit fois répété sous forme d'estamp illes radiales 23. En revanche, il n'est sans doute pas trop imprudent d'induire de la présence de ces deux timbres sur des plats de même forme apparte nant au même chargement et rangés dans le même coin de la cale, qu'il s'agit de deux variantes de la signature d'un même atelier. En ce qui concerne la forme de ces plats, qui est celle-là même de la patere que N. Lamboglia donnait comme modèle de sa forme 7 de « campanienne Β » 24, la comparaison du profil de leurs bords et de leurs pieds avec ceux de la forme d'arétine à vernis rouge que Chr. Goudineau appelle « précurseur » 25, ou encore avec celui du plat, déjà évoqué, issu de l'épave 3 de Planier 26, confirme très largement ce que nous disaient les estampilles
19 Goudineau, p. 323-324. 20 Ibid., p. 324-331. 21 Ibid., p. 331-334. Cf. E. Dressel, art. cit., p. 331 et Morel, Forum-Palatin, p. 159, n. 387. 22 Pour autant que nous puissions en juger, les descriptions étant parfois incomplètes, la seule disposition analogue attestée doit être celle du plat de la nécropole de l'Esquilin décrit par Dressel, p. 294: «Nel centro è impresso con bollo quadrangolare (mill. 12x8,5) Q.AF a lettere rilevate. Intorno sono alcuni bolli ad ornato». Ailleurs, il ne s'agit que de Q.AF, central et radial, ou radial seulement (cf. Oxé-Comfort, η. 28). 23 Voir ce que nous disions plus haut de la singularité du décor. 24 N. Lamboglia, Classificazione..., p. 148. 25 Goudineau, p. 252. 26 Supra, note 8.
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de l'origine aretine de ces pièces de vaiselle étrusco-campanienne et sur la filiation directe, dans les mêmes ateliers d'Arezzo, dont celui de Q.Af(ranius?), entre les productions à vernis noir et celles à vernis rouge. Une dernière vérification s'impose, que nous n'avons pas faite encore, la découverte de l'épave étant trop récente: une analyse chimique de l'argile de ces tessons, que M. Picon comparerait avec celles qu'il a faites déjà des argiles de vases d'Arezzo 27; on pourrait même sans doute analyser conjointe ment l'argile de notre plat signé Q.AF et celle dûn tesson à vernis rouge (de Bolsena, par exemple), portant la même estampille. Au total, les pièces que nous avons présentées n'apportent certes pas de révélation fondamentale, mais une très précieuse confirmation. Il s'agit aussi du premier témoignage assuré de l'exportation maritime de céramique d'Arezzo28; ce qui ne laisse pas de poser le problème de son acheminement et de l'escale (Pise?) où l'a embarquée un navire chargé par ailleurs de vin campanien 29 .
27 Cf. notamment M. Picon, M. Vichy et E. Meille, Composition of the Lezoux, Lyons and Arezzo Samian ware, dans Archaeometry, 13, 1971, 2, p. 191-208. 28 Le plat (unique) de l'épave Planier 3 appartenait sans doute à la vaisselle de bord, non à la cargaison. Il en est de même des pièces d'arétine tardive trouvées sur les épaves Drammoni D (J.-P. Joncheray, dans Revue archéologique de Narbonnaise, VI, 1973, p. 275-284), Port-Vendres 2 (D. Colis, C. Domergue, F. Laubenheimer et B. Liou, dans Gallia, 33, 1975, p. 62), ou encore Cavallo 1 et Lavezzi 2 (W. Bebko, Les épaves antiques du Sud de la Corse, Bastia, 1971, p. 17 et 33). 29 Les dessins qui illustrent cette note sont dus à Denis Fontaine, les photographies à Patrick Grandjean (Direction des Recherches archéologiques sous-marines).
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Fig. 1 - Amphore Dressel 1 B, estampillée NVN (hauteur: 1,155 m .)
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Fig. 2 - Lampes.
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Fig. 3 - N. 1, décor (éch. 1 : 1) et profil (éch. 1:3).
Μ G W ΖΗ
Fig. 5 - Ν. 3, décor (éch. 2:3) et profil (éch. 1:3).
ill
Λ
υ
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Fig. 7 - N. 8, décor (éch. 2:3) et profil (éch. 1:3).
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Fig. 8 - Estampilles. A et B: n. 1; C: n. 2 à 6; D: n. 7; E: n.
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SU ALCUNE RECENTI PROPOSTE DI IDENTIFICAZIONE DI CENTRI ANTICHI DELLA SICILIA
Alcuni studi di diversa ampiezza e di diverso valore, comparsi recen tissimamente, rientrano nella sfera di interesse di un lavoro al quale sto attendendo e nel quale mi propongo di riesaminare tutte le testimonianze antiche che riguardano l'ubicazione, ο almeno il nome, degli antichi centri abitati siciliani di età greca e romana. G. Uggeri ha riesaminato con molta cura il settore siciliano della Tabula Peutingeriana nel VI volume di Studi Vichiani (1969, pp. 127-171), prendendo in considerazione le tre vie che vanno rispettivamente dal Traiectum a Lilibeo lungo la costa settentrionale, da Lilibeo a Siracusa ed a Messina e, infine, dall'odierna Termini Imerese a Catania. La sua è una ricerca assai utile anche perché corredata da una notevole bibliografia. Da questo studio è partito anche un giovane studioso di Pisa, Giorgio Bejor, che ha pubblicato negli Annali della Scuola Normale Superiore un articolo dal titolo Tucidide 7, 32 e la via δια Σικελών nel settentrione della Sicilia (1973, pp. 741-765). Domenico Seminerio, inoltre, ha pubblicato un opuscolo dal lungo titolo Morgantina a Caltagirone e altre ipotesi di identificazione degli antichi abitati dei Margi (Catania 1975). Vittorio Giustolisi prosegue intanto la sua serie di volumetti dedicati a singole zone archeologiche della Sicilia occidentale: Cronia, Paropo, Solunto (1972), Hykkara (1973), Le navi romane di Terrasini e l'avventura di Amilcare sul monte Heirkte (1975). Per di più Giuseppe Navarra, già noto per le sue appassionate ricerche precedenti, quanto mai ricche di informazioni, ma anche di scarso valore scientifico, ha pubblicato nelle Mitteilungen dell'Istituto Archeologico Germanico di Roma, un grosso articolo intitolato E Gela e Katagela (1975, pp. 21-82). Non va infine dimenticato Giacomo Manganaro, che nel I volume di Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt (1972, pp. 442-461) dedicato
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a Joseph Vogt, ha scritto alcune pagine Per una storia della Sicilia romana, nelle quali accenna anche ad una serie di problemi di identif icazione di alcuni centri. Mi pare quindi opportuno presentare in breve una panoramica della attuale situazione dopo che le ricerche, soprattutto archeologiche, del l'ultimo ventennio hanno reso possibile una revisione di tanti dati che ci erano offerti soprattutto dall'interpretazione di fonti prevalentemente letterarie. Conviene forse partire dal breve cenno di G. Manganaro, ripetendo con lui che « quale introduzione alla storia della Sicilia . . . riesce indi spensabile un prospetto documentato, anche per quanto riguarda gli aspetti urbanistici, delle città » (p. 447). « Alcune di queste - egli aggiunge pongono ο hanno posto problemi di identificazione ». Egli ha intanto annunciato una serie di identificazioni fondate soprattutto su reperti numismatici e considera « indubitabile » quella di Morgantina a Serra Orlando, di cui riparleremo. Dubita invece delle proposte relative a AitnaInessa, Maktorion e « altri centri interni », avanzate da Rizza, Tusa ed Adamesteanu e promette di proporre l'identificazione di Herbessos a Mont agna di Marzo, Herbita a Monte Alburchia presso Gangi, Mytistraton fra Capodarso e Marianopoli (nelle Madonie), Kimissa presso Raffi Rossi (Agrigento), Petra fra Resuttano e Casteltermini, Hippana (sic) fra Drepanum e Mazara. Il centro dei Sileraioi, inoltre, dovrebbe trovarsi fra Agrigento e Caltanissetta e quello dei Tyrrhenoi ad Alimena. Il Manganaro conferma infine la sua opinione che Amestratos fosse nei pressi dell'attuale Mistretta ed Engyon a Troina. Non possiamo certo discutere le identificazioni da lui promesse ma non ancora dimostrate. Dobbiamo invece soffermarci per un istante su quelle di Amestratos e di Engyon. E per quest'ultima la dimostrazione offerta dal Manganaro nel 1964 (Siculorum Gymnasium, Ν. S. XVII 2, p. 251 s.) non dimostra alcunché perché è fondata sulla lettura dell'iscrizione che compare su alcune ghiande missili: φαεκγυ. Secondo Manganaro la lettura ne è senza dubbio φα(τρία) Έκγυ(ίνων). Mi limito ad osservare che, anche ammettendo questa lettura, il tirarne delle conseguenze è per lo meno troppo rischioso: il nome della città ci è trasmesso dalla storiografia come Έγγυον (Diod. IV 79, 5; XVI 72, 3), quello dei suoi abitanti suona in dativo Έγγυίνοις (Diod. XVI 72,3). Già per questa differenza di scrittura, e verosimilmente di pronuncia, l'identificazione mi pare alquanto dubbia. Ma v'è di più perché, secondo Manganaro, gli abitanti di Engyon dovrebbero costituire una φρατρία appartenente ad Enna, che « in epoca ellenistica deve (nostra
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spaziatura!) aver costituito il centro politico di diversi villaggi ο distretti territoriali, quali si rivelano essere state le phatriai ». A smentire l'ipotesi di Manganaro basta il passo di Diodoro citato da lui stesso: Timoleonte restituisce Veleutheria agli Engiini cacciandone il tiranno Leptines. Come si può pensare che il tiranno dominasse su una phatria di Enna e non su Enna stessa, se Engyon - in quanto sua sede - ne era il capoluogo politico? Sulla base di argomentazioni così solide si può fare qualsiasi ipotesi. Ma si tenga presente la carta geografica: per controllare il territorio di Troina, Enna avrebbe dovuto controllare almeno il territorio di Assoro e di Agirio e Diodoro d'Agirio sarebbe stato . . . Diodoro di Enna. Questa identificazione va dunque probabilmente esclusa, e probabil mentesi deve respingere anche la lettura dell'iscrizione su cui si fonda il Manganaro, nella quale non sarà invece da escludere la presenza della preposizione έκ in un contesto φα( . . . ) έκ Γυ (...) che resta da integrare. Quanto ad Amestratos, il Manganaro rinvia ad un suo articolo (Città di Sicilia e santuari panellenici nel III e II sec. a. C.) edito in Historìa XIII (1964), p. 420 ss., del quale ho già avuto occasione di occuparmi (cfr. Kokalos XII, 1966, p. 171 ss.). Non starò qui a riparlare del comp lesso di problemi derivanti dalla lettura di SGDI 2580 = BCH 1921, p. 24 ss. So bene che la mia datazione del verosimile archetipo è stata contestata, ma ora il problema da affrontare è quello dell'identificazione di Amestratos, affrontato anche dalla Piraino in Kokalos V (1959), p. 186 s. Amestratos, sostiene il Manganaro, è da cercare a Nissoria, dove altri hanno creduto di collocare Imachara. Posso essere d'accordo con Manganaro sull'osservazione che la presenza di un caduceo con l'iscrizione Ίμαχοφαίον δαμόσιον (IG XIV 589) non prova l'identità Imachara-Nissoria; ma la s equenza Enna-Mestraton-Agurion-Prachara-Malistrata-Erbita del Geografo Ravennate non prova affatto che Mestraton (ossia Amestraton) debba essere Nissoria piuttosto che, p. es., Leonforte. Come Nissoria anche Leonforte è proprio sulla strada ancor oggi in uso da Enna ad Agira, e da Agira si arriva ad Erbita (se Erbita, come vedremo, è la città di Serra Orlando) lungo una strada che attraversa il Dittaino-Chrysas e lungo la quale non pare impossibile cercare Prachara e Malistrata. Imachara, comunque, deve essere fra Assoro ed Agirio (Agira), se almeno si presta fede all'itinerario ciceroniano contro l'opinione del Manganaro stesso. Nella noterella del 1964 Manganaro prometteva di identificare Herbita presso Monte Alburchia, promessa ripetuta nel 1972, « essendovi state ri nvenute monete di Alaisa, del Symmachikon e del Kainon ». La ragione per
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cui si dovrebbe identificare con Herbita un centro in cui si trovano mo nete di Alaisa resta dunque un mistero; ma noi sappiamo già che con ogni verosimiglianza Herbita era la città di Serra Orlando. Quanto ad Aitna-Inessa, Manganaro ne prometteva l'identificazione al monte Mendolito presso Adrano; ma non ce l'ha ancora data. È invece F. P. Rizzo lo studioso che ci ha offerto la soluzione migliore nel suo volume dedicato a La repubblica di Siracusa nel momento di Ducezio (Palermo 1970, p. 38 ss.) collocando Inessa nell'odierna contrada Civiti (o Civita) confinante con Paterno (che è una delle Ible). Tucidide VI 93,4 giustifica pienamente l'ipotesi anche da un punto di vista storico, associando Inessa ed Ibla nell'incendio del grano che gli Ateniesi provocarono nel 414. Ancora una volta le identificazioni fondate su reperti numismatici si rivelano illusone. Quanto all'opuscolo del Seminerio, occorre dire che l'autore è uno studioso locale, appassionato ricercatore delle antiche memorie della sua valle, che rende conto appunto anche delle sue indagini personali nella valle dei Margi, ossia del fiume che viene detto anche fiume di Caltagirone. Le critiche al suo lavoro sarebbero facili poiché, fra l'altro, molto avventurose sono le sue considerazioni linguistiche; ma va attent amente letto ciò che egli ha scritto nel tentativo di dare un senso coerente alle notizie che le fonti storiche ci hanno tramandate. Conviene comunque partire dalle sue conclusioni per seguirne anche il ragionamento. Nella valle, dunque, il Seminerio colloca tutta una serie di centri antichi col legati fra di loro: Morgantina, Makeila (ovviamente l'orientale), Menai, Menainon, Palike, Neai, Trinakie, Triocala, Maktorion. Si tratta, come ciascuno sa, di nomi di località di cui si è a lungo discusso e la cui ubicazione è di importanza fondamentale per la ricostruzione di numerosi episodi storici di grande interesse. Punto focale di tutto il discorso è certamente la collocazione di Morgantina nell'attuale Caltagirone, il cui nome di chiara origine araba non ci può offrire alcun indizio per l'identificazione: esso significa soltanto che gli Arabi vi videro un « castello delle grotte » ο un « castello dei geni » che presuppongono uno stanziamento più antico. Da Caltagirone, del resto, sono ben visibili, ci dice il Seminerio, le grotticelle della necropoli della Montagna. Quanto ai possibili « geni », possiamo aggiungere, nulla ci prova che si tratti, eventualmente, dei Palici. L'ubicazione di Morgantina a Caltagirone riprende un'ipotesi avan zata da M. T. Manni Piraino (in Kokalos V, 1959, pp. 174-189), ma il Seminerio la integra elencando materiali inediti di età romana che confe rmano la persistenza del centro abitato anche per la fase per la quale non si
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avevano elementi sufficienti. Il rifiuto della teoria di Erim e di Sjòqvist, già fatto proprio anche da me e da F. P. Rizzo, è dunque accolto ora anche dal Seminerio; ma quest'ultimo va sicuramente oltre il limite del giusto quando pretende, come Erim e Sjòqvist, che sia fuori discussione l'identità Morgantina-M urgentia. Non è vero infatti che Yager Murgentinus ricordato da Cicerone possa essere collocato intorno a Caltagirone perché doveva trovarsi fra l'agro di Enna e quello di Assoro, nettamente più a nord di Aidone, ad est-nord-est rispetto ad Enna. Ma sull'identificazione del centro siculo-greco di Serra Orlando torneremo fra poco. Per ora c'in teressa invece questa valle dei Margi, nell'ambito della quale bisognerebbe identificare, sempre secondo il Seminerio, Makella con Occhiolà, Menainon al Monte Catalfaro, Neai al Piano Casazza, Trinakie in località Altobrando, ferme restando le identificazioni di Menai con l'attuale Mineo e di Palike con l'attuale Rocchicella. Per giungere a queste conclusioni il Seminerio (p. 56) rifiuta, fra l'altro, l'opinione di Santo Mazzarino che faceva di Trinakie e di Piakos una stessa località e quella di Dinu Adamesteanu che accomunava Trinakie con Palike. Le considerazioni che egli fa a questo proposito derivano dalle sue esplorazioni nel territorio di una collina che egli chiama di Altobrando per motivi politici: in realtà sulle carte il nome della col lina è Monte Balchino. Qui, comunque, egli ha trovato tracce di un centro abitato e fortificato, distrutto e abbandonato « verso la metà del V se colo » e qui è incline a vedere Trinakie, ultimo baluardo della resistenza indigena antisiracusana. Con Trinakie il Seminerio collega Triocala, la cui esistenza è atte stata soltanto in età romana. Egli l'identifica col castello di Altobrando come logico corollario delle identificazioni di Morgantina con Caltagirone e di Makella con Occhiolà. È dunque su quest'ultima che converrebbe soffermarsi un istante per valutarne le ragioni, ma a questo proposito il Seminerio si fonda quasi esclusivamente sulla vicinanza di Makella a Morgantina, accogliendo in sostanza il punto di vista del Fazello e del Pais, da lui citati, per collocare Makella nella valle dei Margi. Per l'identificazione, in particolare, con Occhiolà, occorreva re spingere nell'ambito delle ipotesi gratuite quella di Occhiolà stessa con Echetla, e le ragioni addotte in proposito mi paiono pertinenti. Così il quadro proposto dal Seminerio presenta una sua organicità non trascurabile che, nonostante certe ingenuità, possono servire di base a nuove ricerche. Abbiamo già accennato poco sopra al problema della città che sorgeva a Serra Orlando ed alla posizione assunta a questo proposito dalla Piraino
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e dal Rizzo. Non intendiamo ricordare qui i particolari delle argomentaz ioni storico-topografiche addotte da quegli studiosi; ma non possiamo passare sotto silenzio il fatto che il Rizzo ha potuto portare a riprova della validità del rifiuto di identificare Morgantina in questa località anche un documento ecclesiastico di notevole valore. Si tratta dell'iscrizione D. Leoni PP II civi et patrono populus Aidonensis basilicam hanc erexit, riportata da R. Pirro {Sicilia sacra, Palermo 1733, citata dal Rizzo, op. cit., p. 162, nota). Il dedicatario, Leone II, era precisamente « erbitense ». L'iscrizione risale all'anno 1090, data alla quale è inimmaginabile una falsificazione di tipo umanistico. Soltanto la presenza di numerose monete Hispanorum ha fatto identi ficare la pretesa Morgantina con la città di Serra Orlando nella presun zione che Morgantina appunto fosse la città concessa dai Romani agli Ispani. Ma già la Piraino aveva rilevato che nemmeno Murgentia, la città ricordata da Livio, può essere collocata a Serra Orlando poiché con ogni verosimiglianza essa va posta fra Enna ed Assoro, come si deduce da quanto ne dice Cicerone. Le monete Hispanorum non sono dunque un indizio sufficiente per l'identificazione di Murgentia, lo sono ancor meno per l'identificazione di Morgantina. Aggiungiamo soltanto che l'apparente omonimia di più centri è un fenomeno abbastanza diffuso in Sicilia, dove basterà ricordare i casi di Motye-Motyon-Motyke, Herbessos I e II, le varie Hyblai, forse le due Erbite, se una di queste è identificabile con Alaisa (v. Piraino, art. cit., p. 187). Dopo questa prima serie di precisazioni possiamo ormai passare allo scritto del Bejor. In esso abbondano osservazioni di una certa acutezza che, partendo dall'esame di un passo di Tucidide, gli consentono di trac ciare le linee essenziali di una strada interna di grande importanza militare. D'altra parte, non varrebbe forse la pena di tentare l'identificazione di centri minori dell'antica Sicilia, se questo sforzo non promettesse almeno di darci un più sicuro mezzo di valutazione dei rapporti fra l'uno e l'altro di questi centri. Nel caso particolare Bejor parte dalla menzione che Tucidide fa di Halikyai accanto a Centuripe (ό Νικίας . . . πέμπει ές των Σικελών τους την δίοδον έχοντας και σφίσι συμμάχους, Κεντόριπάς τε και Αλικυαίους και άλλους κ.τ.λ.). È noto che questo passo ha dato luogo a diverse interpretazioni. Fra queste Bejor ritiene preferibile quella di Raubitschek (TAPhA 1940, p. 13), secondo il quale Tucidide avrebbe semplicemente voluto indicare nominativamente soltanto le due città alleate più importanti anche « per la loro posizione chiave nell'ambito della viabilità dell'interno dell'isola » (p. 743). In altri termini Tucidide avrebbe indicato il punto di
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partenza ed il punto d'arrivo di una strada interna che attraversava il ter ritorio dei Siculi, e credo che a supporto di questa teoria si potrebbe addurre anche la stessa parola δίοδος collegata con l'insieme dei Σικελοί. Bisogna tuttavia aggiungere subito che, nonostante l'opinione di Bejor, non si può credere che la Halikyai esistente nella Sicilia occidentale fosse «sieula». Contrariamente a quanto asserisce il giovane studioso, Diodoro (XIV 48,4) ci da un elenco di cinque città che non sono certamente sicule: Halikyai, Solus, Aigesta, Panormos, Entella. Quanto poi a Diod. XIV 55, 7, il nome degli Άλικυαΐοι vi compare soltanto in connessione con quello dei Sicani, non dei Siculi. Non si può dunque forzare il senso del passo di Tucidide fino ad includere Alicie fra le città dei Siculi. Occorrerà ammettere che il passo di Tucidide è corrotto oppure che di Halikyai ne esistessero effettivamente due: una in Occidente, ben collocabile fra Entella e Lilibeo, e l'altra in Oriente. Ancora una volta ricordiamo che le omonimie in Sicilia non ci spaventano affatto. Merito di Bejor, comunque, resta il fatto di aver identificato la strada che attraversava la Sicilia da est ad ovest permettendo di raggiungere Panormo e l'Occidente dell'isola senza la necessità di attraversare il ter ritorio controllato da Agrigento. Questa strada, pur lasciando in disparte Enna, doveva corrispondere grosso modo all'odierna nazionale CataniaPalermo almeno fino a Vicari. Di qui, attraverso l'odierna Corleone ed Entella, si poteva giungere nella zona di Poggioreale (p. 754), S. Ninfa e Salemi, la zona appunto in cui è da cercare anche Halikyai. Giustamente Bejor precisa che « per la discussione fra un tronco viario ed un altro solo una più puntuale ricerca archeologica potrà giovare (ed è probabile che potessero esistere due ο più tronchi paralleli parimenti frequentati) » (p. 754). Ma la linea essenziale c'è già ed è sufficiente a spiegare l'itinerario dei mercenari campani nel 404, quello di Magone nel 392 e forse quello dei Geloi nel 413 per unirsi a Gilippo presso il Chrysas e quello di Agatocle nel 307 da Terme a Centuripe. Ma qui non ci so ffermeremo ad esaminare i singoli casi, né le singole identificazioni proposte da Bejor: alcune di queste sono fuori discussione, altre - proprio per le incertezze indicate dallo stesso Bejor - restano sub iudice. Può essere interessante, invece, prendere in considerazione i risultati dell'indagine svolta da V. Giustolisi anche con l'ausilio della fotografia aerea. Della Solunto punica e di Hykkara e della loro possibile ubicazione ho già detto qualcosa ad un Convegno tenutosi a Strasburgo nel 1971. Non starò dunque qui a ripetermi, tanto più che non ci sono in questo campo grandi novità. Ma proprio le ricerche di Giustolisi nel territorio di Hykkara-Carini si sono allargate a quasi tutta la zona compresa fra Palermo
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e Partinico e l'indagine ha condotto ad alcuni risultati che meritano di essere ricordati. Vorrei cominciare dall'identificazione del Heirkte, generalmente riconosciuto nel monte Pellegrino proprio a nord di Palermo. Sulla base della traduzione di un grecista insigne quale Bruno Lavagnini (p. 47 s.), il Giustolisi (Le navi romane cit.) ha dato una nuova interpretazione di un passo di Polibio (I 56 s.). Ecco dunque la traduzione nei suoi passi essenz iali: « Amilcare . . . occupò la località denominata Eircte la quale è situata a mezza strada fra Palermo ed Erice in prossimità del mare ... La località ha sotto il suo controllo anche un porto opportunamente situato nei r iguardi della rotta marittima da Lilibeo e da Trapani verso l'Italia ... La predetta località possiede in tutto tre sole vie d'accesso, due dall'interno e una dalla parte del mare ... In un secondo tempo, essendosi schierati di contro a lui i Romani a guardia della città di Palermo, a circa cinque stadii di distanza, impegnò con loro molti e movimentati scontri per terra per quasi tre anni ... ». Coloro che conoscono la zona di monte Pellegrino sanno benissimo che questo monte non può in alcun modo essere definito « a mezza strada fra Palermo ed Erice », né alle falde del Pellegrino può porsi altro porto che non sia quello di Palermo. Né infine si può dire che al monte Pel legrino arrivino tre strade - di cui due interne - perché nessun'altra potrebbe giungervi se non quella che oggi conosciamo e che, inserita ora nella cosiddetta « panoramica », raggiungeva il santuario di Santa Rosalia per un erto sentiero. Soltanto lungo la parete occidentale del monte, praticamente inaccessibile da quel lato, corre la via che congiunge Palermo a Mondello. Scontri in pianura sarebbero dunque potuti avvenire soltanto lungo questa via. Fin troppo facile è per il Giustolisi la confutazione di questa iden tificazione e di altre che pur si avvicinavano maggiormente al vero, come quella di J. Kromayer. Un punto può così dirsi acquisito con la ovvia conseguenza che l'Eircte potrà essere ubicato, come suggerisce il Giustolisi stesso, al monte Pecoraro ad est di Cinisi. Così pure può dirsi acquisito il quadro della viabilità della zona. Forse anche l'ubicazione della Macella occidentale sul Monte d'Oro (Montelepre) (p. 9 s.) ha buone probabilità di consistenza, ma qui il problema si complica perché implica anche la documentazione « elima » di quel centro. Non occorre, del resto, riprendere qui il grave problema dei rapporti elimosicani, dei quali mi sono interessato, sia pure marginalmente, nella relazione che ho presentata al Congresso F.I.E.C. di Madrid su Indigeni e colonizzatori nella Sicilia preromana.
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Occorre invece un cenno almeno al sorprendente articolo comparso recentissimamente nelle Mitteilungen romane a firma di G. Navarra. Questo studioso era già noto soprattutto per un suo libro intitolato Città sicane sicule e greche nella zona di Gela (Palermo 1964). Nel suo libro egli sosteneva la vecchia tesi che l'antica Gela fosse da identificare nel l'attuale Licata, tesi sostenuta anche da G. Uggeri (in P. d. P. 1968, pp. 120-131) e da G. Carità {La topografia di Gela antica etc., Bologna 1972). Sulla base delle fonti letterarie la tesi è insostenibile: la mia opinione, del resto, è pubblicata (in Kokalos XVII, 1971, pp. 124-130). Gela è la medievale Terranova, alla quale è stato ridato da qualche decennio l'antico nome; Licata è sul luogo dell'antica Finziade. Archeologicamente, le ricerche di Orlandini, Adamesteanu e Griffo non sembrano lasciare adito a dubbio alcuno; ma è proprio in questo campo che il Navarra si arrischia a sferrare il suo attacco, avvalendosi questa volta di una sede così prestigiosa come il vecchio e glorioso Istituto Archeologico Germanico. Proprio questa sede, così illustre, ci induce a tornare sul tema. Soffermiamoci dunque su qualcuno dei diciotto punti (elencati a p: 23 dell'articolo) che il Navarra riprende dalle «fonti storiche ». Uno di essi, il n° 15 (p. 33), è fondato sulla distanza fra Gela e Morgantina, ed a questo proposito il Navarra non esita a porre Morgantina a Serra Orlando. Ora, scrive il Navarra, « Morgantina è equidistante da Licata e da Camarina; ma è molto più vicina all'odierna Gela, e da essa facilmente accessibile lungo la vallata del Maroglio ». Fin qui egli ha ragione e più ancora ne avrebbe se accettasse l'identificazione di Morgantina nella zona di Caltagirone; ma non si capisce perché poi il Navarra escluda che, ove non fosse identificabile con Licata, Gela potesse accettare « a conclusione del con gresso da essa promosso, che Morgantina fosse pagata ai Siracusani e ceduta ai Camarinesi ». Su tali illazioni è inutile indugiare. Giustamente, poi, il Navarra rileva una inesattezza filologica di Piero Orlandini a proposito di Herodot. VII 153, dove si legge di Maktorion ύπερ (non έπΐ της) Γέλης οίκημένην; ma vuole ricavarne che la città fosse « immediatamente sopra l'abitato », il che è assolutamente inverosimile. Risibile addirittura l'affermazione che è « chiaro che l'uso moderno di i ntendere sopra per settentrione deriva dalla non millenaria abitudine di appendere (sic\) le carte geografiche con il nord in alto ». Ma proprio per l'uso di ύπερ nel senso geografico di « above, farther inland » il dizionario facilmente accessibile di Liddell-Scott cita Erodoto (I 175), Tucidide (II 48), Senofonte (Anab. II 6, 2), ecc. ecc.
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II diciottesimo punto di Navarra riguarda la distanza fra Gela ed « Eruke » ; ma, se può essere dubbio che Eryke - sita a « 90 stadi da Gela » - sia da identificare « presso Mene ed il Simeto », non è però dubbio che il testo di Callia ripreso dal Navarra parla non di Gela ma της . . . Γελώας ed hanno quindi ragione coloro che si riferiscono non già a Gela, ma al territorio di Gela, di cui la medievale e moderna Terranova faceva sic uramente parte qualunque sia l'identificazione che se ne propone. Faremo grazia di altre piacevolezze filologiche; ma non possiamo esimerci dal ricordare la troppo brillante ipotesi che fa di un Βώτακος un Buterese (p. 38. L'iscrizione è in Kokalos III, 1957, p. 96)! Ed a questo punto ci arresteremo: troppo piacevole ed istruttiva è la lettura dell'articolo per privarne gli intenditori. Resta invece l'aspetto archeologico della questione. Non voglio entrare nel gioco delle datazioni di singoli monumenti. Mi chiedo soltanto se, i ndipendentemente da singoli casi, sia possibile stabilire una continuità di vita in Gela ο in Licata posteriormente alla data di fondazione di Finziade. Non i silenzi sono prove, ma i monumenti. Di Gela-Terranova ci si dice che nulla può essere datato dopo i primi anni del III secolo a. C; di Licata ci si presentano alcune iscrizioni che, se autentiche, vanno datate al II-I secolo a. C. Ma i Geloi del II secolo risiedono a Finziade e dunque Finziade è l'attuale Licata. Se invece le iscrizioni sono false - come è stato più volte ripetuto - non valgono a dimostrare che in antico Licata si fosse chiamata Gela, ma soltanto che i Licatesi si fondano su di un falso per rivendicare a se stessi le glorie geloe. Un ultimo punto vorrei toccare in questa rapida rassegna. Più volte si è dovuta discutere, da quando si studia storia dell'antica Sicilia, la questione dell'esistenza di più Ible. Io stesso ho ripreso il discorso recen tissimamente, dedicando qualche pagina al tema Quante Ible? (in Kokalos XX, 1974, in corso di stampa). Mi sia quindi permesso di accennarvi, spe cialmente in rapporto a quanto si è scritto da altri negli ultimi anni. Come punto di partenza mi riferirò ad un articolo del 1966, che ebbi occasione di scrivere per riprendere in esame dopo Manganaro l'itinerario dei thearodokoi delfici in Sicilia {Kokalos XII, 1966, pp. 171-178). L'itinerario ricostruito da Manganaro era questo: Messana, Abaceno, Tindari, Tauromenio, Etna-Inessa, Centuripe, Catania, Siracusa, Eloro, Tiracio, Camarina, Ibla, Ergezio, Noe, Assoro, M [lustrato], Κ [ale Aktè], [Alonzio], Alesa, Terme, Lipari. Si trattava di un itinerario che mi aveva lasciato alquanto perplesso; e proponevo già allora di leggere il nome greco corrispondente al latino Murgentia in luogo di quello di Mytistraton, quello di Kephaloidion in luogo di Kalè Akté, ed infine suggerivo l'ipotesi che non
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il nome di Alonzio, ma eventualmente quello di Apollonia (p. 172) andasse integrato nella lacuna successiva. Su quelle mie proposte, però, non intendo tornare prima di aver ripreso la questione della sede di Ibla. Cominciamo quindi col ricordare che una Ibla è collocata nell'it inerario dei thearodokoi fra Camarina ed Ergezio-Noe-Assoro. Abbiamo così due punti di riferimento sicuri: Camarina ed Assoro, ma non conosciamo con certezza né l'ubicazione di Ergezio, né quella di Noe. Di Ergetion sappiamo soltanto che, distrutta da Ippocrate, giaceva nella pianura dei Lestrigoni - ossia nella piana di Catania - ad una notte di marcia dal mare (Polyaen. V 6). La si può supporre non lontana dal l'Etna (cfr. ΙΆϊτνη Έργετίνη ricordata da Steph. Byz. s.v. Έργετιον), come già, p. es., faceva il Dunbabin (The Western Greeks, p. 403), a preferenza che altrove: forse a Ramacca fra il Gornalunga ed il fiume Caltagirone? Di Noai si è discusso molto sulla possibilità che sia la stessa città altre volte indicata come Neai ο Nomai (cfr. Manganaro in Historia XIII, 1964, p. 434, n. 122). Non entriamo nel merito. Ma la collocazione fra Ergezio ed Assoro ci fa pensare a Castel di Iudica come alla sede più probabile. Le identificazioni proposte da Manganaro mi paiono d'altronde diff icilmente sostenibili: per lui Ergetion è identificabile a Feria nella zona di Pantalica, a nord di Akrai (Palazzolo Acreide), e Noai «sulla via interna verso Assoros » (p. 434). Ma la sequenza da lui citata - Σεργέντιον, Ύβλα, Λεόντιον - dimostra, se qualcosa può dimostrare (ma è dubbio il nome di "Υβλα, Σεργέντιον è considerato identico ad Έργετιον), che provenendo da sud si incontrava prima Ibla e poi Leontini e che quindi Ibla dovrebbe collocarsi tra Feria (per lui sede di Ergetion) e Leontini. O, dunque, è errata l'identificazione di Ergetion, ο è errata quella di Hybla, ο sono errate entrambe. Ricordiamo che Georges Vallet (in Kokalos Vili, 1962, p. 47) ha messo in evidenza il fatto che, a partire dal secondo quarto del VI secolo si constata la presenza di « noyaux grecs installés en milieu indigène » e che « Grecs et indigènes sont étroitement mêlés ». I luoghi da lui citati sono Grammichele, Serra Orlando, probabilmente Monte Iudica, forse Licodia. Sarà fuori luogo cercare in questa zona le città che ci interessano? Ma torniamo ad Ibla. Pausania registrava una sola città di questo nome ancora attiva, una seconda era distrutta. Una terza, inoltre, è ricor data da Stefano di Bisanzio che cita Filisto, ed anche questa poteva esi stere ancora nel III-II secolo a. C. A proposito di quest'ultima - l'unica che non sia esplicitamente indicata come appartenente al territorio « catanese » - ho altrove proposto una diversa interpretazione del passo -
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sicuramente corrotto - da cui si era derivata la sola testimonianza di una Hybla Heraia. Sarebbe stata questa, a mio parere, Tibia di Iblone che, secondo una interessante proposta di L. Bernabò Brea (// crepuscolo del re Hyblon, in P.d.P. 1968, p. 161 ss.), andrebbe ubicata a Pantalica, press'a poco là dove Manganaro pensa di trovare Ergetion. Ammettendo l'identificazione di Bernabò Brea, la serie Camarina-IblaErgezio-Noai ci indurrebbe a cercare Ergetion, non necessariamente iden tica a Sergention, alquanto più a nord di Pantalica sempre in direzione di Noai e di Assoro. Così, come già s'è detto, possiamo pensare per que sto centro a Ramacca, mentre per Noai si può pensare a Castel di Iudica. In questo modo si avrebbe un itinerario abbastanza semplice da Camarina ad Ibla, Ergezio, Noe, Assoro, che non ci costringerebbe ad ipotizzare una puntata verso Ibla prima dello spostamento del thearodokoi ad Ergezio. Va però anche notato che una Hible è indicata nella Tabula Peutingeriana ed in altri itinerari (v. B. Pace, A.C. S.A. I2, p. 475 ss.) fra Calvisiana ed Agris (= Acre). Tenendo fermo alle identificazioni Akrai-Palazzolo Acreide e Calvisiana-Niscemi, se ne deduce che questa Hible doveva tro varsi ad occidente di Palazzolo, forse a nord di Ragusa, ma non a Ragusa stessa. Di questa Hible, dunque, non si può tenere alcun conto per rico struire l'itinerario dei thearodokoi se non giungendo a risultati analoghi a quelli ottenuti dal Manganaro ed a proposito dei quali abbiamo indicato le difficoltà che si oppongono alla ricostruzione del viaggio. Da questo punto di vista non ci interessa nemmeno, in questa sede, una discussione 'sul valore storico-filologico della testimonianza di itinerari che po trebbero rispecchiare una diversa situazione: si potrebbe addirittura ipo tizzare che la Tabula Peutingeriana, p. es. avesse qui un nome fuori posto ο un nome corrotto, o, anche, che esistesse un'Ibla non ricordata da Pausania e che, proprio per questa ragione, ne compaiano tre anziché due in Stefano di Bisanzio. Ma il problema può restare aperto. V'è infine da considerare la possibilità che l'Ibla dell'itinerario dei thearodokoi sia la sola che è attestata come vivente da Pausania e che, senza dubbio, va cercata nel Catanese. Proprio cercandola nel Catanese è possibile collocarla a Paterno. Da qui ad Ergetion-Ramacca il tratto è breve per raggiungere Castel di Iudica (Noai?) ed Assoro. Attraversati i monti Erei, dunque, i thearodokoi sarebbero rientrati nella piana di Leontini dopo il tragitto costiero che li aveva portati da Catania a Camarina. Fondarsi sull'itinerario dei thearodokoi delfici per giungere all'iden tificazione dei singoli centri da loro toccati è dunque possibile soltanto tenendo conto di alcuni punti di riferimento ben precisi e tenendo presenti
PROPOSTE DI IDENTIFICAZIONE DI CENTRI ANTICHI DELLA SICILIA
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questi punti da cui i thearodokoi dovettero partire per un numero di diramazioni che resta da precisare. La prima di queste diramazioni la si constata dalla sequenza AbakainonTindari-Tauromenio: da Abakainon l'itinerario risale verso Tindari prima di proseguire per Tauromenion. Una seconda diramazione si ha fra Aitna e Catana con la puntata su Centuripe. La terza può essere quella verso Ibla, se si identifica Tibia del l'itinerario con Paterno. Avremmo così, eliminando queste diramazioni, una linea Messana-Abakainon-Tauromenion-Aitna-Catana-Siracusa-EloroTyrakion-Camarina-Ibla e poi, da Ibla appunto, Ergetion-Noai-AssoroM[urgentia?]. Da questo punto in poi, secondo l'ipotesi da me avanzata (in Kokalos XII, 1966, p. 174), si può pensare ad una puntata verso Kephaloidion, donde, raggiunta la costa, il viaggio poteva proseguire verso la vicina Alesa (Castel di Tusa) attraverso l'odierna Pollina, dove è stata più volte identificata Apollonia (cfr. Uggeri, in Vichiana cit., p. 133 s.; Bejor, art. cit., p. 759). Chiudiamo così queste note nel nome di Apollo, signore delle Muse, con la speranza che Clio non ci abbia tradito.
GUIDO A. MANSUELLI
IL MONUMENTO DI PORSINA DI CHIUSI
Un passo di Varrone, recepito letteralmente nella Naturalis historia di Plinio l, si diffonde sui particolari costruttivi e formali del monumento fune rario del re chiusino Porsina, monumento che Plinio cita come esempio di inutile e colpevole megalomania. La descrizione varroniana, con dettagli non del tutto inspiegabili dal punto di vista tipologico, è indicativa di due fatti: l'eccezionaiità della dimensione sia in pianta che in alzato e il fine personal mente celebrativo. I dati restano problematici, per l'impossibilità di risalire alle fonti informative di Varrone e per la citazione che Plinio aggiunge di tradizioni etrusche, fabulae Etruscae2. Il monumento comunque era scom parso al tempo di Plinio3 e forse già a quello di Varrone, ma, come spesso avviene, è difficile potere accantonare il problema con la semplicistica esclu sione di tutto ciò che sa di leggendario. Cercheremo quindi, senza porre in via prioritaria il quesito della veridicità della notizia, di enucleare dal-
1 Plin., N.H., XXXVI, 91: namque et Italicum dici convertit quern fecit sibi Porsina rex Etruriae sepulcri causa, simul ut externorum regum vanitas quoque Italis superetur. sed cum excédât omnia fabulositas, utemur ipsis M. Varronis in expositione eius verbis: «sepultus est sub urbe Clusio in quo loco monumentum reliquit lapide quadrato quadratum, singula latera pedum tricenum, alta quinquagenum, in qua basi quadrata intus labyrinthum inextricabile, quo si quis introierit sine glomere lini exitum invenire nequeat. 92 supra id quadratum pyramides stani quinque, quattuor in angulis et in medio una, imae latae pedum quinque septuagenum, altae centenum quinquagenum, ita fastigatae ut in summo orbis aeneus et petasus unus omnibus sit impositus, ex quo pendeant exapta catenis tintinnabula, quae vento agitata longe sonitus référant, ut Dodonae olim factum. 93 supra quern orbem quattuor pyramides insuper singulae stani, altae pedum centenum. supra quas uno solo quinque pyra mides » quarum altitudinem Varronem puduit adicere; fabulae Etruscae tradunt eandem fuisse quam totius operis ad eas. vesana dementia quaesìsse gloriam impendio nulli profuturo, praeterea fatigasse regni vires ut tarnen laus maior artificis esset. 2 XXXVI, 93. 3 XXXVI, 90.
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l'esame del passo gli elementi utilizzabili per qualche ricupero circa la cono scenza dell'architettura etrusca. Il motivo che ha portato Plinio a diffondersi ampiamente, nella citazione e nelle aggiunte proprie, è sostanzialmente moralistico. Egli infatti introduce il discorso4 su taluni famosi esempi di macrotettonica, unificati nella cate goria dei labyrinthi, portentosissimum humanì impendii opus e distinti per la loro complessità. Plinio abbozza anche una storia dei labyrinthi, ponendo come più antico quello egizio di Herakleopolis, da cui fa dipendere senza dubbio, direttamente quello di Creta, opera di Dedalo5. In modo speciale Plinio si impegna in un confronto di fonti e di soluzioni interpretative6, propendendo per il riconoscimento ai labyrinthi di una funzione sacrale, per lo meno per gli egizi. Non è tuttavia del problema generale dei labyrinthi, d'altronde oggetto di ricerche recenti 7 che intenderei qui occuparmi. I dati di Varrone e Plinio sono interessanti per più di un motivo: in primo luogo l'orizzonte cronologico, che è quello del tardo arcaismo etrusco in via di sfociare nel subarcaismo, più ο meno lo stesso cui risale l'esempio di macrotettonica templare del tempio capitolino a Roma, poi perché si conferma il privilegio della pr ogrammazione funeraria. Il monumento è detto esplicitamente costruito sepulcri causa, in più si tratta dell'unico monumento etrusco precisamente riferito ad un personaggio storico, anzi ad uno dei pochissimi protagonisti conosciuti della storia etrusca, un sovrano noto per la sua potenza. È facile per noi sottolineare quello che Plinio, nella sua preponderante preoccupa zione moralistica, appena adombra, cioè il rapporto fra il personaggio e il monumento, in termini di equazione fra la dimensione storica attribuitasi
4 XXXVI, 64. 5 XXXVI, 85. 6 XXXVI, 84: dicamus et labyrinthos vel portentosissimum humani impendii opus, sed non, ut existimari potest, falsum. durât etiamnum in Aegypto Heracleopolite nomo qui primus factus est ante annos, ut tradunt, MMMDC a Petesucho rege sìve Tithoe, quamquam Herodotus totum opus XII regum esse dicit novissimumque Psammeticum. causas faciendi variae interpretantur: Demoteles regiam Hotesidis fuisse, Lyceas sepulcrum Moeridis, plures Solis sacrum id extructum, quod maxime creditur. Il riferimento ad Erodoto è II, 147. 7 G. Pugliese Carratelli, Labranda e labyrinthos, in Rendic. Accad. Napoli, XIX, 1939, pp. 5-20; Κ. Kerényi, Labyrinthstudien2, Zürich 1952; G. Becatti, La leggenda di Dedalo, in La parola del Passato, XIV, 1957, pp. 161-76; C. Gallavotti, Labyrinthos, ibid., pp. 176; M. Cagiano de Azevedo, Saggio sul Labirinto, Milano 1958; P. E. Pecorella, art. Labirinto, in Enc. arte ant., IV, 1961, pp. 436-40. Inoltre: Humborg e Karo, art. Labyrinthus, in PaulyWissowa, RE, XII, 1, 1924, coi. 312-23; A. W. Van Buren, in Anthemon Anti, 1945, p. 85.
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da Porsina e la dimensione fisica della costruzione, la complessità enfatizzata fino a diventare una sorta di complicata « macchina » architettonica, assurda e senza confronti nel mondo classico. È ciò che si ricava dal vesana dementia quaesisse gloriam delle ultime righe del passo, non senza riserve, perché, alla lettera, Porsina avrebbe cercato di rendersi famoso con il monumento in sé, e il monumento sarebbe diventato fine a se stesso, non strumento per comunicare il nome e le gesta del re. Il quale da Plinio è messo in rapporto con potentati stranieri, specialmente dell'Oriente, ed anche questo è un dettaglio da non trascurare. Lo scopo funerario-celebrativo, comunque, mi pare interpretativo dell'intenzione, mentre quanto è detto in principio, dopo l'esplicito sepulcri causa, cioè simul ut externorum regum vanitas quoque Italis superetur, anche per l'uso del verbo al presente, mi pare piuttosto consecutivo che finale 8, mi pare in altri termini che Plinio dichiari in sostanza una conseguenza di fatto, piuttosto che un'intenzione di Porsina di gareggiare in inutile macrotettonica con reges externi. Così mi pare anche dell'ultimo inciso del passo, relativo alla conseguenza che ad aver meritato rinomanza da quell'inutile dispendio sia stato in definitiva l'artista che aveva realizzato l'opera: ut tarnen laus maior artificis esset, dove è contenuto un riconoscimento significativo a vantaggio dello stesso artista, e quindi una dichiarazione, tutto sommato, della positività dell'operare artistico, esente dalla deplorazione moralistica che ricade soltanto sul committente. La ripren sione deWimpendium nulli profuturum rientra nel biasimo frequente in Plinio per programmi non di pubblica utilità, massime se, come questo, ave vano prosciugato le risorse di uno stato, praeterea fatigasse regni vires, dove è chiaro che lo scrittore, come non ha mancato l'equazione fra perso naggio e monumento, non ha trascurato un rapporto in negativo fra dispendio e inutilità, con ciò cogliendo l'aspetto economico del problema, il peso sulla bilancia del regno chiusino di una siffatta enfatica autocelebrazione.
8 Per l'espressione di cui a 93 ... praeterea fatigasse ... ut tarnen laus ... si tratta di consecutiva retorica. Circa il tono del passo di cui nel testo, non è da escludere un affioramento del nazionaliSmo italico: in fondo par di cogliere un sottaciuto compiacimento perché gli Itali avevano raggiunto un primato anche in questo campo di intraprese inutili. Ringrazio vivamente l'amico Prof. Elio Pasoli per la consulenza che mi ha cortesemente prestato circa problemi filologici e grammaticali del testo.
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Plinio non è stato esente dal dubbio sulla credibilità di quanto stava per esporre, su un oggetto di meraviglia eccedente qualsiasi norma, ed ha sentito il bisogno di riportare puntualmente la sua fonte, l'indiscussa autorità scientifica di M. Terenzio Varrone: sed cum excédât οπιηία fabulositas, utemur ipsis M. Varronis in exposìtione eius verbis 9, tanto più che il monu mento era scomparso 10. Una posizione di incertezza resta dove lo scrittore, per supplire ad un dato mancante in Varrone, cita le fabulae Etruscae. Ma ciò, non significa che Plinio dubitasse dell'esistenza reale del monumento di Porsina n. Un elemento da prendere ad ogni modo in considerazione è costi tuito dalla puntualità delle misure che Varrone riferisce, con esplicito li nguaggio tecnico. Il monumento, per Varrone, era costituito da un basamento di trecento piedi di lato, alto cinquanta, con un rapporto quindi di 6:1 fra pianta ed alzato. Si aggiunga che entrambe le misure sono multipli di cinque, come tutte le altre indicate per l'altezza e la larghezza delle piramidi. Quelle insistenti sul nasamento sono indicate come alte centocinquanta piedi, larghe alla base settantacinque, cioè la metà dell'altezza; di cento piedi è l'altezza delle piramidi del secondo ordine, due terzi di quella del primo. La lunghezza di cinque piedi sembra dunque da assumersi come modulo della complessa costruzione. Tale modulo entra sessanta volte nella lunghezza dei lati del basamento, dieci nell'altezza di questo, quindici nel lato di base e trenta nell'altezza delle piramidi del primo ordine, pertanto tre volte l'altezza del basamento, venti volte nell'altezza delle piramidi del secondo ordine 12. La somma delle altezza date è pari alla larghezza del lato di base, ma questa corrispondenza non tiene conto delle membrature orizzontali. La corrispondenza fra tale altezza totale e l'altezza delle piramidi del terzo ordine, tramandata dalle fabulae Etruscae, non ha, in teoria, carattere di inverosimiglianza e di illogicità. Plinio attribuisce a ritegno il silenzio di Varrone su questo terzo ordine, in realtà probabilmente il silenzio dipendeva da difetto d'informazione ο da perdita, già ab antico, della parte più alta. Certo è che fra il primo e il secondo ordine di piramidi è dato come inter-
9 XXXVI, 91. 10 V. nota 3. 11 XXXVI, 84, cit. a nota 6, all'inizio. 12 Nella valutazione di tali rapporti mi è stato, come spesso, di grande aiuto l'amico Arch. F. Bergonzoni, che ringrazio sentitamente. Egli mi ha fatto rilevare in particolare il carattere ritmico delle corrispondenze, inseribili in una scala musicale.
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corrente un rapporto decrescente, di 1,5:1. Il discorso sui rapporti, anche confrontato con quello vitruviano sul tempio tuscanico 13 come rapporti fra grandezze derivate, con possibilità di riconoscere un modulo, è da assumere come una acquisizione per la conoscenza dell'architettura etrusca, per lo meno in quanto ripensata da trattatisti romani. Anche ammesso 14 che tutta la notizia sul monumento di Porsina fosse fantastica ο enfatizzata, ο frutto di tradizioni ibride, rapporti, corrispondenze e modulo non possono ritenersi inventati, ma corrispondenti a qualcosa di conosciuto ed accertato. Si può aggiungere una ulteriore constatazione: il lato di base delle piramidi del primo ordine corrisponde ad un quarto del lato del basamento. La partizione del piano superiore di questo, considerando quattro piramidi in angulis ed una al centro, in medio, la disposizione di queste comporterebbe la riparti zione del piano stesso in un reticolo di sessantaquattro quadrati, ciascuno con lato corrispondente alla metà del lato di base delle piramidi, trentasette piedi e mezzo, e una distanza fra le piramidi di ciascuna fronte corrispon dente al doppio del lato di base, centocinquanta piedi, pari alla metà della larghezza totale del basamento. Sicché al rapporto metrico lineare risulta combinato, presupponendo il reticolo, un rapporto di grandezza di superficie, aventi come unità modulare il quadrato di trentasette piedi e mezzo di lato. Tutto questo sembra ricavabile senza difficoltà dal testo varroniano, ma dovrà essere approfondito anche attraverso verifiche monumentali. Varrone ha raccolto soprattutto i dati dimensionali e volumetrici gener ali, riferendo anche un dato costruttivo importante, cioè che il monumento era ex lapide quadrato. Non vi è dubbio che, secondo la descrizione varroniana il monumento sia da considerarsi fuori terra, poiché egli precisa che il labirinto era ricavato, ovviamente in costruzione, nel basamento: . . . in qua basi quadrata intus labyrinthum inextricabile . . . , per cui i percorsi interni debbono supporsi rettilinei. È da escludere quindi qualsiasi supposizione relativa a vani ipogei 15. A parte la mole, non altrimenti documentata in Etruria, la forma della costruzione, con un basamento quadrato sormontato da piramidi non pone difficoltà. Fra l'altro l'associazione fra prisma quadrato e piramide si ritrova in numerosi segnacoli sepolcrali, specialmente proprio
13 De arch. IV, 7 e segg. Il passo è notissimo; va rilevato che i rapporti vitruviani sono geometrici e non numerici, dal che si potrebbe indurre la coesistenza dei due sistemi modulari nell'architettura etrusca ο due modi di vedere la stessa architettura da parte della scienza antica. 14 Karo, cit. a nota 7. 15 Per il tentativo di riconoscimento nel complesso di Poggio Gaiella, si v. dapprima E. Braun, II sepolcro di Porsena illustrato e descritto dai suoi scopritori, Roma 1840; per il problema R. Bianchi Bandinelli, Clusium, nei Mon. ant. Lincei, XXX, 1925, col. 223 e 370.
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chiusini 16. Difficile da spiegare è invece quanto segue: . . . ita fastigatae (le piramidi) ut in summo orbis aeneus et petasus unus omnibus sit impositus . . ., dove grammaticalmente la sovrimposizione dell' orbis et petasus è dichiarata come conseguenza della fastigatio delle piramidi, espressione interessante per la sua congruità alla consequenzialità architettonica. Le interpretazioni sono state diverse e contrastanti 17, non sempre sufficient emente meditate, soprattutto circa l'uso del termine petasus, letteralmente « cappello », in accezione particolare architettonica 18. È utile intanto soffer marsi sul fatto che il monumento è indicato come polimaterico, con parti bronzee nella struttura lapidea e che Yorbis aeneus, letteralmente, è da intendersi come un corpo metallico con funzione strutturale e portante, se su di esso si impostavano le piramidi del secondo ordine: supra quern orbem quattuor pyramides insuper singulae stani . . . Un problema contestuale alla funzione di questo elemento metallico è di risolvere la dizione ut in summo (delle piramidi) orbis aeneus et petasus unus omnibus sit impositus, come espressione congiuntiva oppure endiadica. Questa seconda a me pare più persuasiva: identificando orbis e petasus, nel senso di « cappello circolare » la componente petasus starebbe a significare la forma dell'elemento, leggermente concoide. Poiché mancano riscontri monumentali, il problema è desti nato a rimanere tale, ma è certamente indicativo che all'Etruria subarcaica si attribuisse una tecnica metallurgica tale da consentire la realizzazione di un simile colossale elemento. Non è indicata da Varrone la misura, ma cert amente il diametro àeìVorbis deve essere inteso circa equivalente alla dimens ione segnata dagli interassi fra le piramidi. È l'unico dato che possediamo sull'esistenza di parti metalliche strutturali di tale entità. Una possibile spiegazione potrebbe trovarsi supponendo che si trattasse in realtà del riv estimento metallico applicato ad elementi strutturali in pietra, ipotesi che
16 Sempre fondamentale lo studio di E. Paribeni, in St. Etr., XII, 1938, pp. 57 e segg. e XIII, 1939, pp. 179 e segg. Per diverse tipologie si v. ora E. e G. Colonna, Castel d'Asso, Roma 1970, II, tav. CCCCIX. L'analisi dei segnacoli funerari etruschi dal punto di vista archi tettonico resta un campo aperto di ricerca. 17 S. Ferri traduce «un disco (o palla) e un petaso...»; precedentemente G. Buonamici, (Fonti di st. etr. Firenze 1939, p. 375) aveva tradotto «un cerchio di bronzo e un cappello». G. Karo rende pyramides con «Türme». 18 E. Schuppe, art. Πέτασος, in Pauly-Wissoxa, RE, 19, 1, 1937, col. 1123, 60: nel caso specifico lo dice usato come termine caratteristico, «Kuppeldach». Altri„esempi analoghi solo in lingua greca: Or. Gr. Inscr. Sei., 510, 4 (Odeion di Efeso) ; .C/G, 3422, 17 (Philadelphia); cfr. inoltre Leid. mag. Papyri, Leipzig 1891, 3, 11. Lidder-Scott, 1966, «awning, baldacchino»; Lewis Short, s.v. II, «caps, cupola». Sull'impiego dei metalli nell'edilizia antica, da ultimo: R. Martin, Manuel d'architecture grecque, I, Paris 1965, pp. 155-162.
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tuttavia urta contro la difficoltà di pensare a membri lapidei di tale lun ghezza da coprire gli interassi fra le piramidi, senza peraltro trascurare la possibilità che petasus indichi una struttura cupolare. L'altro, particolare su cui si sofferma Varrone, dei sonagli appesi a catene pendenti d&ÌVorbis aeneus è interessante perché i sonagli introducono nel contesto architetto nico una serie di elementi articolati, meccanici, suscettibili di movimento e quindi di mutare aspetto sotto l'azione del vento. Si tratta di elementi di estrazione artigianale e significano pur sempre una riduzione dell'architettura a livello di oggetto strumentale. Essi rientrano ad ogni modo nel carattere dell'architettura etrusca, poco sensibile alla coerente esclusività della defini zione delle masse e dei volumi, portata alla dissoluzione della forma geomet ricaattraverso la frammentazione delle linee. La figura del monumento comportava una serie di stadi sovrapposti, basamento, primo ordine di piramidi, orbis aeneus, secondo ordine di pira midi, infine il terzo ordine, impostato uno solo, cioè su di un piano unitario, retto dalle piramidi dell'ordine medio, specie di piattaforma orizzontale 19 quindi, che non è detto di quale materia fosse costruita. L'insieme sarebbe risultato quindi di una articolazione di vuoti e di pieni, con un sensibile sviluppo nel senso dell'altezza, quindi da intendersi anche come elemento di centralizzazione dello spazio, alle falde del colle di Chiusi20. * * * Inutile tentare ο anche discutere una ricostruzione21, destinata ad aumentare il numero delle ipotesi. Più importante mi sembra - e più impor tante anche, come accennato, delle stesse conclusioni sulla verosimiglianza e autenticità dell'informazione - ricuperare quei dati che si è venuti ril evando dall'esame del passo, sempre valido come informazione-interpretazione antica sull'architettura etrusca. Innanzi tutto l'attribuzione di un eccezionale complesso macrotettonico all'architettura etrusca dello scorcio del VI secolo, poi, ma non in secondo piano, la precisazione di relazioni dimensionali da cui è possibile ricavare un modulo e l'applicazione di esso in una scala di rapporti fra grandezze derivate di ordine aritmetico, infine il ricorso alla associazione polimaterica con l'introduzione di elementi di bronzo, materia
19 36, 94: ... uno solo 20 36, 91: sepultus est sub urbe Clusio ... 21 Ricostruzioni: De Luyne, Quatremère de Quincy, Mon. Inst., I, 1829-33, tav. XIII (Ann. Inst, 1829, p. 204); L. Canina, Architett. antica, 159; Ferguson, in /HS, 6, 1885, p. 267, tav. 60.
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nobile e durevole per eccellenza nella scala gerarchica dei valori di materiali presso tutto il mondo classico. Tutto questo non può essere relegato faci lmente fra le invenzioni, trascurando le suggestioni che possono derivarne. Altri rilievi riguardano il significato del monumento: già si è detto della priorità dei programmi funerari rispetto agli altri programmi monumentali etruschi, specialmente in ordine al requisito della durabilità, estraneo al tempio ed all'edilizia pubblica e privata. In questo ambito è chiaro che nel patrimonio architettonico etrusco del tardo arcaismo il monumento fune rario rappresentava l'unica tipologia suscettibile di andare oltre il senso commemorativo implicito nella sua assenza e destinazione, per diventare mezzo di affermazione della personalità di un personaggio attraverso il tempo. L'enorme dispendio necessario, citato da Plinio come paradigma negativo, dimostra la contrarietà della società nobiliare etrusca ad impegnarsi finanzia riamente in altro genere di programmi che non riflettessero appunto questa esigenza di perpetuazione monumentale. Ma nel caso di Porsina sembra di ricavare dal testo pliniano che il programma monumentale del re non coin volgesse, come d'ordinario, la famiglia, quanto esclusivamente ο prioritari amente la sua persona, che apparisce quindi in una situazione storica parti colarissima, con le conseguenze facili a ricavarsi: il monumento di Porsina è visto da Plinio nell'accezione di monumento politico, in cui l'eccezionaiità dimensionale è indicativa dell'autorità del personaggio, non senza motivo indicato come rex Etruriae; l'accenno alle risorse esaurite del regno, fatigasse regni vires, conferma il carattere emblematico del monumento anche nei confronti dello stato chiusino, che da più elementi appare avere svolto un ruolo politico di primo piano nell'Etruria e nell'Italia intorno al 500. Ma si deve anche aggiungere che al valore funerario, commemorativo ed emblemat ico del monumento si univa un valore - con la funzione - sacrale, per la presenza dei sonagli appesi, di cui già Varrone ha riconosciuto il rapporto con il rituale mantico di Dodona. Ed anche l'individuazione di questa plural itàdi componenti (è palese che si tace di altre, epigrafica e figurale) e di motivazioni induce a porre il passo di Varrone-Plinio fra le fonti importanti per la conoscenza del mondo etrusco *. * Nota aggiuntiva. - Avevo già inviato questo testo per la stampa quando per la cortesia dell'amico Dott. D. Vitali, che vivamente ringrazio, ho potuto conoscere uno scrittore inedito sull'argomento, accompagnato da disegni, dello studioso bolognese Giovanni Gozzadini, al quale il tema interessò per ricerche comparative sui monumenti funerari di Marzabotto (Bologna, Bibl. Comunale dell'Archiginnasio, Arch. Gozzadini, Cart. Ill, N. 430). Senza entrare nel merito della trattazione, mi è parso utile profittare dell'occasione per segnalare il documento.
HENRI METZGER
CRÉATION CONSCIENTE OU IMAGE GREFFÉE? À PROPOS D'UNE FIGURE DE JEUNE DIEU CHTHONIEN DES ARTS DE L'ITALIE MÉRIDIONALE
Les archéologues du monde grec connaissent depuis longtemps un cratère en cloche attique du second quart du IVe siècle (Fig. 1 a et b) qui, après avoir fait partie des collections Hamilton et Hope, a été acquis voilà une soixantaine d'années par le British Museum 1. En raison du caractère très particulier de l'image reproduite je crois nécessaire de répéter l'essentiel de la description que j'en donnais dans mes Représentations2. « A l'intérieur d'une grotte en forme de dôme aux parois spongieuses, un personnage masculin, accueilli par une petite Niké, sort de terre jusqu'à mi-jambes. Il est imberbe et sa chevelure, ceinte d'une couronne de feuilles de lierre maintenue par un bandeau, flotte sur ses épaules; le bas de son corps est pris dans une draperie; le bras droit replié maintient un sceptre contre la poitrine; la main gauche, ramenée le long du corps, semble faire un ■geste de salut. Ä l'extérieur du monticule quatre figures sont rassemblées. A droite une mènade, debout sur un socle à degrés, tient d'une main un thyrse, de l'autre un plateau chargé d'offrandes ... A gauche un silène nu et barbu . . . est accoudé à la paroi de la grotte et tient un thyrse de la main gauche; der rière ce silène et au même niveau que lui une mènade contemple la scène . . . Au dessous de la mènade Dionysos nu est assis; sa chevelure est ceinte d'une mitre et d'une couronne ... un thyrse repose sur son épaule droite et, des deux mains, il tient un bandeau et une couronne ».
Μην. 1917.7-25.1; cf. Tischbein, Coll. of engrav., I, pi. 32; Harrison, Prolegomena2, fig. 128; Themis, p. 421 sq.; Tillyard, Hope vases, n° 163, pi. 26; Metzger, BCH, 68-69, 1944-45, p. 296 et 297, fig. 1; Représentations, p. 262/16 et pi. 35; Nilsson, Opuscula selecta, II, p. 616/3; Zancani-Montuoro, Essays K. Lehmann (1964), p. 391, n. 30; Muthmann, Ant. Kunst, 11, 1968, p. 34; Jobst, Die Höhle in gr. Theater (1970) p. 104 sq.; Zunst, Persephone (1971), p. 409 sq.; Cl. Bérard, Anodoi (1974), p. 104 sq. 2 Voir la note précédente.
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Les avis se sont partagés sur l'identité de la figure jaillissant du sol à l'intérieur de la grotte. Certains ont parlé de Dionysos chthonien3, d'autres de Iakchos4, d'autres, sans plus de précision, d'un jeune dieu chthonien5. La première explication ne saurait nous satisfaire, la présence, à l'extérieur de la grotte, d'un incontestable Dionysos, doté de ses attributs caractéristiques (thyrse, bandeau, mitre et couronne) paraissant devoir inter dire d'interpréter aussi comme un Dionysos le personnage assez différent qui sort de terre. La céramique athénienne ne saurait guère admettre entre deux images correspondant à la même figure, entre deux signifiants d'un même signifié, d'aussi fortes dissonnances et l'on ne voit pas du tout qu'on puisse, pour résoudre un pareil dilemne, parler, comme le voudrait Cl. Bérard 6, d'un jeu initiatique plutôt que d'un mythe. Il apparaît d'emblée que l'énigmatique figure du cratère Hope s'apparente aux divinités chthoniennes, en grande majorité féminines, que connaissent les vases d'Athènes, mais que rien ici ne désigne expressément Dionysos, auquel ne conviendrait assurément pas le sceptre. Dans mes premières études j'avais écarté l'hypothèse d'une représentation de Iakchos, avancée jadis par Furtwängler, à laquelle semblait se rallier Beazley. J'invoquais essentiellement, pour repousser cette explication la grande différence entre le jeune dieu sortant du sol et le personnage vêtu d'une somptueuse tunique courte, chaussé de bottes, tenant une ou deux torches qui apparaît sur bon nombre de vases éleusiniens et sur le pinax de Niinnion 7. Certes il ne viendrait aujourd'hui à la pensée de personne de confondre la figure du cratère Hope avec le Iakchos des images éleusiniennes, mais des travaux récents 8 nous ont rappelé que la religion athénienne, sous le nom de Iakchos, désignait deux entités différentes, le génie des proces sions éleusiniennes auquel fait allusion entre autres un chœur des Gre nouilles 9 et le Iakchos-Dionysos invoqué aux Lénéennes 10, ce dieu que
3 Cf. Harrison, Prolegomena2, p. 406 et Tillyard, loc. cit. 4 Cf. Furtwängler, fahrbuch, 6, 1891, p. 120. 5 Cf. Buschor, S. B. München, 1937, I, p. 31. 6 Anodoi, p. 105. 7 Cf. Représentations, p. 257 sq.; Recherches, p. 42 sq. Sur la distinction entre Iakchos et Eumolpos cf. Mélanges Collari, p. 299. 8 Cf. en dernier lieu J. Roux, Euripide, Les Bacchantes, p. 472 sq. 9 Cf. Aristophane, Grenouilles, p. 323 sq.; G. Roux, REG, 80, 1967, p. 167. 10 Cf. Schol. Aristophane, Grenouilles, 479; Nilsson, De Dionysiis Atticis, p. 112 sq.; Deubner, Attische Feste, p. 125.
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célèbrent Y Antigone de Sophocle n et les Bacchantes d'Euripide 12. Il serait donc assez tentant de reconnaître sur le cratère Hope une figura tionde Iakchos-Dionysos, le terme convenant à cette divinité dépourvue du thyrse, mais vêtue, comme l'est parfois Dionysos 13? Cependant on pourrait s'étonner que l'imagerie athénienne n'offre pas d'autres exemples de ce personnage si clairement attesté dans les textes et nous ne saurions fonder une démonstration sur un document isolé. Tout bien pesé la formule de Buschor qui s'en tenait au « jeune dieu chthonien » nous paraît la plus satisfaisante. Encore faudrait-il qu'elle réponde à quelque conception un peu précise, que nous ne pouvons pas tirer du seul examen des vases athéniens. Fort heureusement l'imagerie de Grande Grèce nous fournit peut-être les éléments de comparaison qui jusqu'à présent nous ont fait défaut. Dans le groupe assez peu nombreux des grands vases apuliens à représentations infernales 14 un cratère à volutes de l'ancienne collection Santangelo au musée de Naples (Fig. 2) joue un rôle à part15: le compagnon de Persephone n'est pas ici le dieu âgé et barbu qui sur le cratère de Munich 16 occupe un trône magnifique face à la déesse debout ou se tient debout face à Persephone assise sur le cratère à volutes de Karlsruhe 17. C'est un éphèbe aux formes graciles dont un manteau ou une draperie, découvrant largement le torse et le flanc gauche, enveloppent les jambes, le bas du corps et le
11 Vers 1146 sq. 12 Vers 725. Cf. J. Roux, op. cit., p. 471 sq. 13 Voir par exemples le cratère en calice d'Athènes 15072 (Schefold, UKV, pi. 45/2), le cratère Pourtalès du British Museum F 68 (Schefold, UKV, n° 94; Représentations, p. 126/36, pi. 17), le cratère en cloche du British Museum F 69 (Schefold, UKV, n° 95, pi. 26/1). 14 La seule étude d'ensemble consacrée à ces vases demeure celle de Winckler, Die Darstellungen der Unterwelt auf unteritalischen Vasen, Breslauer philologische Abhandlungen, 3/5, 1888. Aux documents réunis dans cette publication on ajoutera un fragment de la collection Fenicia à Ruvo (cf. Jatta, Mon.ant., 16, 1906, p. 517 sq., fig. 8; Harrison, Themis, p. 521, fig. 146; Séchan, Études sur la tragédie dans ses rapports avec la céramique, p. 560 sq., fig. 16; Heurgon, Mél. Rome, 49, 1932, p. 18, fig. 1; Will, Bull Beyrouth, 8, 1946-48, p. 124: Orphée parvenant au Palais d'Hadès), les fragments d'un cratère à volutes de l'Institut d'archéologie de Mayence (cf. Hampe et Simon, Griechisches Leben im Spiegel der Kunst, p. 39 et fig. 0: Ajax dans le Palais d'Hadès) et un cratère à volutes du Musée de Bâle rattaché au cycle du Peintre de Baltimore (cf. Art of ancient Italy, André Emmerich Gallery, 4-29, avril 1970). 15 N° 11; cf. Jahn, AZ, 1867, pi. 221; Bull, nap., N.S., Vili, pi. 6-8; Winckler, ibid., p. 50, n° VI; Schauenburg, Jahrbuch, 73, 1958, p. 66, fig. 11. 16 Inv. 3297; cf. Winckler, ibid., p. 4, n° I; FR, pi. 10; Harrison, Prolegomena2, p. 602, fig. 162; Themis, p. 521, fig. 145; Guthrie, Orpheus, fig. 16; Cook, Zeus, III, pi. 37. 17 Inv. Β 4; cf. Mon. II, pi. 49; Winckler, ibid., p. 13, n° 11; Heurgon, Mél. Rome, 49, 1932, p. 21, fig. 2; CVA, 2, pi. 62-64.
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dos. Il tient un sceptre de la main droite et porte une couronne de laurier; une peau de panthère recouvre le klismos, très différent du trône d'Hadès ou de Persephone que nous observons sur les autres vases 18. Ces diverses indications vont dans le même sens. Le peintre du cratère Santangelo, qui témoigne aussi de son originalité dans la présentation d'un Orphée de type apollinien 19, a cherché à différencier aussi clairement que possible le person nage,auquel il accorde la première place, de la figure traditionnelle d'Hadès. Le partenaire de Persephone n'est pas le souverain des Enfers engoncé dans ses vêtements de théâtre. En dépit de la peau de panthère qui recouvre son siège ce n'est pas non plus un Dionysos, puisqu'il ignore le thyrse, le canthare, la couronne de lierre et la mitre, attributs que l'imagerie de Grande Grèce et de Sicile, comme l'imagerie athénienne, prête couramment au Maître du thiase. Néanmoins ses liens avec Persephone sont évidents. N'aurions-nous que le cratère apulien de Naples nous n'hésiterions pas à parler d'un Hadès jeune. La parenté qu'offre cette figure avec le dieu chthonien du cratère Hope nous incite néanmoins à nuancer une pareille affirmation. On serait tenté de croire que nous avons affaire, sur le vase attique et sur le vase apulien, à la même figure, traitée sous deux aspects différents. Le cratère Santangelo ne quitte pas le cadre conventionnel des représentations italiotes de caractère infernal; le jeune dieu est affronté à Persephone sous le naiskos ionique correspondant au « palais d'Hadès ». Au registre inférieur Héraclès domptant Cerbère, une Erinye abaissant une torche et faisant un signe à Héraclès sont autant de souvenirs de la figuration courante, si même la présence d'un Hermès et celle d'un Orphée de type apollinien nous éloignent quelque peu du milieu habituel de ce genre de tableau. Le cratère Hope nous place en revanche dans la perspective d'une anodos et nous n'avons aucune difficulté à suivre nos devanciers et à rap procher cette anodos de celle qui décorait un autre cratère en cloche attique, trouvé dans une tombe de Capoue, qui jusqu'à la dernière guerre a fait
18 Voir entre autres les cratères de Munich ou de Karlsruhe cités plus haut ou le cratère à volutes de l'Ermitage St. 424 (Gerhard, AZ, 1844, p. 225, pi. 13; Winckler, p. 65, n° XII). 19 Le torse nu, la cithare et la couronne de laurier ne conviennent apparemment pas à Orphée qui, sur les autres vases, porte le costume asiatique de théâtre. Cet accoutrement et ces attributs désigneraient normalement Apollon. Cependant selon Schauenburg {Jahrbuch, 73, 1958, p. 72, n° 88): «Apollon könnte nur durch eine selbst für unteritalische Vasenmaler ungewöhnliche Gedankenlosigkeit in den Hades versetzt sein ». Nous aurions, dans une pareille figure, un exemple d'emprunt formel aboutissant à une homonymie. Cf. Moret, L'Ilioupersis dans la céramique italiote, p. 298.
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partie des collections de Berlin 20. J'emprunterai une partie de ma description à Froehner: « Au milieu une grotte ceusée dans le roc, aux parois spongieuses crevassées, tapissées de plantes grimpantes. Une jeune femme s'y montre à mi- corps». A gauche Dionysos, Eros jouant de Vaulos et Pan qui se penche sur la voûte; à droite deux satyres qui font de grands gestes de surprise. Le même schéma se retrouve dans ses lignes essentielles sur un cratère en cloche de La Vallette21 - Yanodos de la divinité féminine se déroule à l'intérieur d'une grotte en forme d'ogive; à l'extérieur de la grotte Hermès et trois satyres s'apprêtent à accueillir la déesse - et peut-être aussi sur un cratère en calice de Dresde22, encore que sur ce vase le tracé de la grotte ne soit pas absolument certain. Toujours est-il que l'imagerie athénienne a mis l'accent sur l'aspect chthonien de la divinité, l'imagerie apulienne sur son aspect infernal. Dans tous les cas l'image du jeune dieu qui s'apparente à Dionysos, mais ne se con fond pas avec lui, n'est plus isolée. On peut au surplus espérer que de nouvelles publications et, en premier lieu, l'ouvrage attendu de Trendall sur les céramiques apuliennes nous feront connaître d'autres documents similaires ou approchants. Sans attendre cependant la révélation de documents inédits nous pouvons dès à présent étendre notre enquête à un autre domaine, plus ancien il est vrai que celui des vases apuliens, le domaine des plaquettes de Locres et porter notre attention sur les scènes de rapt qu'illustrent ces plaquett es23.Les tableaux de ce type se répartissent en trois groupes. Sur bon nombre de reliefs on reconnaît Hadès clairement désigné par son âge, qui ravit Coré en l'entraînant au galop d'un quadrige. Priickner24 a supposé
20 F 2646. Cf. Froehner, Annali, 1884, p. 206 sq.; Mon. II, pi. 4; C. Robert, Archäol. Märchen, pi. 4; Harrison, Prolegomena2, p. 278, fig. 69; Nilsson, Opuscula selecta, II, p. 612, n° 2; Représentations, p. 75 sq., pi. V/5; Bérard, Anodoi, p. 103 sq., pi. 10/35 a et b. 21 Cf. Cambitoglou, JHS, 75, 1955, pi. 3a et p. 8, fig. 1 et 3; ARV, 2, p. 1436/7 .Recherches, p. 13, n. 2; Bérard, ibid., p. 135, pi. 16/55. 22 Cf. Noël des Vergers, L'Étrurie et les Etrusques, pi. 10; Harrison, Prolegomena, p. 277, fig. 68; Nilsson, Geschichte, I3, pi. 39/1; ARV2, p. 1056/95; Recherches, p. 13/15; Bérard, Anodoi, p. 131 sq., pl. 16/53. 23 Sur ces pinakes on se reportera essentiellement à Quagliati, Ausonia, III, 1908, p. 136 sq.; Orsi, Bollett. d'arte, 3, 1909, p. 410 sq.; P. Zancani-Montuoro, Arch. Stor. Calabria, 5, 1935, p. 195 sq.; Rendiconti Acc. Napoli, 29, 1954, p. 79 sq.; Atti Magna Grecia, n.s., 1, 1954, p. 71 sq., Arch. Stor. Calabria, 24, 1955, p. 284 sq.; Archeol. class., 12, 1960, p. 37 sq.; Essays Karl Lehmann (1964), p. 386 sq.; Priickner, Die lokrischen Tonreliefs (1908); Zuntz, Persephone, (1971), p. 164 sq. 24 Op. cit., p. 73.
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que le motif s'inspirait de l'Hymne homérique à Demeter. Il semble toute foisqu'aucun détail ne rappelle ici la plaine rarienne, où fut ravie la fille de Demeter, ni non plus le χάσμα γης, que nous devinons sur le skyphos fragmentaire d'Eleusis25. La même imprécision, ou mieux, la même indif férence au cadre se retrouve sur un fragment de cratère apulien de l'a ncienne collection Hope26: ce serait la formule italiote du rapt, qui igno rerait en somme les traits proprement éleusiniens. Cette indépendance vis-à-vis de l'imagerie proprement éleusinienne, les pinakes de Locres du Ve siècle et les vases apuliens du IVe l'affirment aussi dans le choix d'une formule inconnue des arts d'Athènes, celle du cortège paisible d'Hadès et de Coré dressés sur leur char27. Le schéma est ici emprunté à un canevas bien connu des peintres athéniens depuis l'époque des figures noires, celui des cortèges nuptiaux28. Cependant les pinakes de Locres connaissent aussi une troisième formule qui retiendra spécialement notre attention. Le ravisseur de Coré est figuré comme un homme jeune qui s'approche du char ou s'apprête à y monter pour entraîner sa captive29. Les modernes en ont fait un substitut d'Hadès ou un Hadès rajeuni jusqu'au jour où P. Zancani-Montuoro a publié une plaquette de musée de Reggio30 rassemblant en un même tableau le jeune ravisseur qui enlève la captive dans ses bras et un personnage plus âgé se présentant sous les traits qui sont habituels à Hadès (Fig. 3). Selon l'hypothèse de P. Zancani-Montuoro31 le ravisseur agirait ici pour le compte d'Hadès. Il faudrait voir dans cette scène à trois personnages l'illustration d'un mythe
25 Cf. Hartwig, AM, 21, 1896, p. 377 sq., pi. 12; ARV, 2, p. 116-117; Recherches, p. 11/6. 26 Cf. Tischbein, Collection..., III, pi. I; Förster, Raub une Rückkehr der Persephone, p. 237 sq.; Tillyard, Hope vases, n° 233, pi. 33. 27 Voir par exemple dans le domaine des pinakes le fragment du British Museum Β 489 (cf. Higgins, Catal. of Terracottas, n° 1215), dans celui des vases apuliens le cratère à volutes du British Museum F 77 (cf. Schauenburg, Jahrbuch, 73, 1958, p. 58, fig. 5) ou l'amphore de Genève 15043 (cf. Schauenburg, ibid., fig. 6). 28 Voir par exemple le lécythe du Peintre d'Amasis au Metropolitan Museum 56.11.1: cf. von Bothmer, Antike Kunst, 3, 1960, p. 73, pi. 7/1-3; Paralipomena, p. 66. 29 Cf. Priickner, op. cit., p. 70 sq. 30 // rapitore di Core nel mito locrese, Rendiconti della Acc. Napoli, 29, 1954, p. 79 sq., pi. Vili; Atti Società Magna Grecia, 1, 1954, p. 75 sq. Je remercie vivement Madame ZancaniMontuoro de m'avoir procuré cette photographie. 31 Cf. P. Zancani-Montuoro, Rendiconti Napoli, 29, 1954, p. 85: «non Plouton ma un suo delegato secondo una versione mitica trasmessa dai testi, probabilmente locale».
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local où le rapt serait le fait d'un mandataire du dieu des Enfers 32. Pouvonsnous identifier ce mandataire? Schauenburg 33 qui ne connaissait pas encore la plaquette de Reggio avait suggéré d'assimiler le ravisseur imberbe des plaquettes locriennes au partenaire de Persephone du cratère Santangelo. Il retrouvait par ailleurs le même dieu imberbe sur une peinture tombale de la Russie Méridionale34 et sur deux reliefs de l'Agora d'Athènes35. Il va sans dire que le nouveau document de Reggio donne encore plus de piquant à cette recherche, mais nous insisterons surtout sur la dualité des figures mêlées au rapt de Coré. Si elle paraît se retrouver sur les vases apuliens où le dieu ravisseur se voit fréquemment secondé par un cocher, une pareille dualité semble étrangère à la plupart des enlèvements grecs qui sont le fait d'un ravisseur unique36. Dans quelle mesure l'association du jeune dieu et du dieu âgé sur le pinax de Reggio traduit-elle une croyance propre aux peuples de l'Italie Méridionale? On pourrait être tenté, pour répondre à pareille question, d'invoquer le témoignage des lamelles « orphiques » de Thourioi. Trois d'entre elles mentionnent à la fois Euklès et Eubouleus37 et les associent à la χϋονίων βασίλεια. Si l'identification de cette déesse ne soulève pas de dif ficulté nous ne pouvons malheureusement pas nous faire d'opinion précise sur les divinités masculines nommées dans ces textes. D'après Hésychius38 Euklès désignerait Hadès, et, dans cette perspective, le jeune dieu serait Eubouleus39. Une telle indication serait en contradiction avec la con ception éleusinienne qui fait d'Eubouleus une divinité majeure40. Une pareille incertitude nous donne donc à penser que l'on ne peut sans doute rien tirer de précis des indications fournies par les lamelles « orphiques », sinon la mention d'une triade qui explique peut-être le pinax de Reggio.
32 II semble en revanche que Priickner (op. cit., p. 73) se soit inscrit en faux contre cette thèse. 35 Jahrbuch, 68, 1953, p. 57. 34 Cf. Rostovtzew, Ancienne peinture décorative dans la Russie Méridionale, pi. 89. 35 Voir les reliefs S 1251 (Thompson, Hesperia, 17, 1948, p. 177 sq., pi. 54/2; Nilsson, Opuscula selecta, II, p. 565; Recherches, p. 38/23) et S 1646 (Schauenburg, ibid., p. 57, fig. 11; Recherches, p. 41/40 et pi. 26.4). 36 Voir les exemples que j'ai réunis dans Collection Stathatos, III, p. 176. 37 Cf. Kern, Orphicorum Fragmenta, p. 106/32 a, b et c = Zuntz, Persephone, p. 299 sq., A, 1, 2, et 3. 38 Εύκλής · ό Αϊδης. 39 Sur le personnage d'Eubouleus à Eleusis cf. à présent Richardson, The Homeric Hymn to Demeter, p. 81 sq. 40 Cf. Rohde, Psyché (trad, française), p. 233; Nilsson, Opuscula selecta, Ιί, ρ. 551.
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Peut-être doit-on chercher dans une autre direction et imaginer une façon de parallélisme entre l'opposition dieu infernal âgé-dieu jeune des monuments italiotes (pinakes de Locres ou vases apuliens) et l'opposition Ploutos-Plouton des documents athéniens. Rappelons brièvement comment se présente le problème dans l'art d'Athènes. Nous commençons par ren contrer un Ploutos nouveau-né sur une hydrie du musée d'Istanbul41, puis un Ploutos enfant sur un couvercle de lékanis de Tübingen42, sur un fragment de vase de même forme à Athènes 43 et sur une péliké de l'ancienne collection Sandford Graham44 et, quittant le monde éleusinien, un Ploutos éphèbe, commensal de Dionysos, au revers du cratère Pourtalès du British Museum45. A ce Ploutos enfant ou éphèbe correspond un Ploutos dans la force de l'âge poursuivant Coré sur une amphore à col du musée de Naples 46, associé à Demeter et Coré dans divers tableaux éleusiniens 47, banquetant avec Phéréphatta au médaillon de la coupe du Peintre de Codros au British Museum48 et c'est un Plouton à chevelure et barbe blanches que nous voyons s'affirmer sur le lécythe d'Athènes 1301 49 et, en dehors d'Athènes, sur le relief fragmentaire de Chalcis50 et sur le skyphos falisque de Heidelberg51. L'imagerie de Grande Grèce ne connaît certes pas une gamme de situations aussi riche: le choix se limite entre un dieu jeune et un dieu âgé, sans qu'on puise prétendre que la formule simplifiée adoptée par les imagiers italiotes dérive en droite ligne de modèles athéniens. Le doute est ici d'autant plus justifié que l'art italiote, à côté des figures d'Hadès,
41 Style de Kertch. Cf. S. Reinach, RA, 1900, I, p. 93; Schefold, UKV, n° 152, pi. L; Nilsson, Geschichte, I3, p. 317, pi. 44/1; BCH, 68-69, 1944-45, p. 330 et 333, fig. 13; Représent ations,p. 244/12, pi. 32; Mélanges Paul Collari, p. 299, fig. 4. 42 E 83. Style de Kertch. Cf. Watzinger, Gr. Vasen Tübingen, p. 57, pi. 40; Schefold, UKV, n° 46, Nilsson, Geschichte, I, 3, p. 318, pi. 45/1; Représentations, p. 245/14, pi. 34/1. 43 Coll. de Fethiye Djami 1961 Vak. 790. Style de Kertch. Cf. Dontas, Deltion, 17, 1961-1962, p. 101 sq., pi. 35; Recherches, p. 37/17, pi. 16/2. 44 Style de Kertch. Cf. Recherches, p. 34/2, pi. 14/1. 45 Style de Kertch. Cf. Panofka, Cabinet Pourtalès, pi. 17; Schefold, UKV, n° 94; Représent ations,p. 126/36, pi. 17; ARV2, p. 1446/1. 46 Inv. 3091. Cf. Förtster, Raub und Rückkehr, pi. 2; Schauenburg, fahrbuch, 73, 1958, p. 49; fig. 1; ARV2, p. 647/21: Peintre d'Oionoklès; Recherches, p. 10/5. 47 Voir les exemples que j'ai rassemblés dans Recherches, p. 18 sq. 48 E 82; cf. Mon. 5, pi. 49; BCH, 68-69, 1944-45, p. 318; ARV2, p. 1269/3. 49 Cf. Schauenburg, Jahrbuch, 68, 1953, p. 51, n. 68; Recherches, p. 23/56, pi. 11/1. 50 Cf. en dernier lieu Daux, BCH, 88, 1964, p. 483 sq., pl. 19 et 20. 51 Cf. Schauenburg, ibid., p. 38, fig. 1 et 2.
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qui lui semblent propres, connaît aussi, avec le cratère campanien d'Eton college 52, une représentation incontestable de Plouton à la corne d'abondance. En somme le problème que soulèvent les images du dieu âgé et du dieu jeune demeure celui de savoir si une pareille distinction correspond à la croyance des peuples hellénisés de l'Italie Méridionale, pour autant qu'on puisse parler d'une croyance commune aux Locriens du Ve siècle et aux Tarentins du IVe, ou si cette distinction ne traduit pas plutôt la greffe de quelque modèle athénien. Les peintres apuliens et les modeleurs de Locres se font-ils les interprètes de légendes propres à leurs milieux ou transposentils les thèmes que leur ont enseignés les vases d'Athènes importés sur leur sol? On sait le rôle qu'a exercée la céramique d'Athènes dans la diffusion de certaines images parmi les peuples du monde périphérique. J'ai eu voilà quelques années l'occasion de le souligner à propos des scènes de banquet reproduites sur les sarcophages lyciens des Ve et IVe siècles53. Les magnifiques découvertes de Karaburun 54 en Lycie montagneuse ont permis de vérifier sur un point précis l'action exercée par les vases exportés d'Athènes. Le banquet du dynaste figuré sur la paroi centrale de la tombe lycienne s'inspire directement de la formule grecque du banquet et, par exemple, de celle qu'avait adoptée, pour le festin d'Héraclès, le Peintre d'Andokidès sur les deux faces de l'amphore « bilingue » du musée de Munich55. Il est permis de parler de véritables homonymes, chacune des images, la grecque comme la lycienne, conservant son caractère spécifique. Est-il besoin de rappeler que le monde étrusque a connu, lui aussi, l'influence dominante des céramiques grecques 56? C'est une pénétration culturelle du même ordre que l'on serait tenté d'imaginer dans le cas de notre doublet italiote, pénétration qui serait d'autant plus naturelle que des artistes athéniens avaient très probable ment émigré en Grande Grèce vers le milieu du Ve siècle 57. Un cratère
52 Cf. Tischbein, Coll. of engravings, IV, pi. 25; Tillyard, Hope vases, n° 305, pi. 41; Trendall, LCS, p. 262/237 et pi. 104/1 et 2. 33 Cf. L'Antiquité classique, 40, 1971, p. 521. 54 Voir en particulier Mellink, A JA, 77, 1973, p. 297 sq., pl. 44. 55 Inv. 2301; cf. FR, pl. 4; Pfuhl, fig. 315; Lullies et Hirmer, Griech. Vasen d. reifarch. Zeit, pi. 1-7; CVA, 4, pi. 155/1 et 2; ARV2, p. 4/9. 56 Je me rallierai sans réserve à la thèse défendue par Camporeale d'une tradition figurée indépendante de la tradition littéraire (La Parola del Passato, 19, 1964, p. 428 sq.; Studi etruschi, 26, 1958, p. 3 sq.; 36, 1968, p. 21 sq.; 37, 1969, p. 59 sq.; Studi Luisa Banti, p. Ill sq., p. 262 sq., 302 sq. 57 Cf. Trendall, LCS, p. 3.
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en cloche de Pisticci58 nous donne l'occasion de constater qu'un atelier proto-lucanien avait, pour sa part, emprunté aux ateliers d'Athènes le motif de la divinité féminine sortant du sol. Il ne serait donc pas impossible que l'on découvre un jour parmi ces mêmes vases lucaniens une peinture correspondant à Vanodos d'une divinité masculine. Implanté en Italie le thème aurait été ensuite adapté par un peintre apulien au cadre infernal des grands cratères à volutes du IVe sècle. On peut aussi imaginer qu'un peintre apulien se soit directement inspiré de vases attiques contemporains importés sur le sol italien comme le cratère Hope provenant de Sant'Agata de Goti59 ou le cratère de berlin F 2646 trouvé à Capoue 60, et, ici encore, ait procédé à la transposition du thème chthonien vers le thème infernal. Dans l'ignorance où nous sommes des croyances propres à l'Italie du Sud, à l'époque pré romaine, c'est l'explication que nous retiendrons pour l'énigmatique figure du jeune dieu infernal des pinakes de Locres et du cratère apulien de Naples.
58 59 Cf. Trendall, Tillyard, Hope ibid., vases, p. 14/1; p. 99.pi. 1/1 et 2. 60 Cf. Furtwängler, Vasensammlung Berlin, p. 756.
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Fig. 1 a - Cratère Hope au Musée britannique.
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Fig. lb - Cratère Hope au Musée britannique.
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Fig. 2 - Cratère à volutes au Musée de Naples, Santangelo, n. 11.
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Fig. 3 - Plaquette de Locres au Musée de Reggio.
ALAIN MICHEL
ENTRE THUCYDIDE ET PLATON: ÉLOQUENCE ET MORALE CHEZ SALLUSTE
La pensée politique de Salluste a suscité pendant les dernières décennies des travaux nombreux et excellents x. Je ne voudrais ici insister que sur deux aspects. 1) Cette recherche sur l'idéologie de l'historien ne tire pas parti, jusqu'à nouvel ordre, des intentions philosophiques de sa rhétorique2. Au contraire, cette dernière inspire de la méfiance; les « lieux communs » qu'elle favorise paraissent propres à affadir la pensée. Ce genre d'objections est bien souvent adressé à Salluste. Or, nous croyons qu'on peut appliquer à cet auteur la méthode que nous avons utilisée à propos de Cicéron. Les procédés oratoires ou littéraires dont il fait usage relèvent de traditions bien déterminées, dont on peut dans une large mesure définir la signification idéologique. Nous essayerons de le montrer. 2) Du même coup, nous serons conduits à interpréter cette réflexion politique dans une perspective parti culière. La rhétorique, dans la mesure où elle s'appuie sur la philosophie, fait la part grande à l'éthique et à la psychologie, si proches, l'une et l'autre, de la psychagogie. Par ce biais, nous nous trouverons amenés à poser une question fort importante quand il s'agit de cette œuvre et de cet écrivain: y a-|-il une morale de Salluste? se réduit-elle aux lieux communs ou, simple ment, au doute? On pourrait le croire. Mais cela n'est pas si sûr. Pour s'en aviser, il suffit de réfléchir sur les faits suivants: Salluste a subi, sans doute, et dépassé l'influence de Cicéron: à travers elle, il a rejoint à la fois Thucyd ide et Platon.
1 Nous renvoyons en particulier à la thèse d'E. Tiffou, Essai sur la pensée morale de Salluste à la lumière de ses prologues, Paris, 1974, où l'on trouvera une bibl. développée. 2 Certes, on a analysé de manière détaillée la technique des discours ou la composition (v. en particulier les nombreuses indications de K. Buechner). Mais on n'a pas étudié dans cette rhétorique la médiatrice de la philosophie.
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Je ne prétends pas donner ici une étude exhaustive de l'éloquence prat iquée par Salluste. Je choisirai seulement quelques exemples frappants, et surtout, j'essayerai de confronter les œuvres de l'historien avec la doctrine des rhéteurs qui vivent en son temps. Les deux principaux noms qui nous viennent aux lèvres sont ceux de Cicéron et de Denys d'Halicarnasse. Par le premier, nous connaissons les débats littéraires qui se sont développés autour de l'éloquence et de l'histoire pendant la jeunesse de Salluste, dans le moment précisément où celui-ci avait avec Cicéron des rapports quelque peu agités. L'Arpinate a connu entre 55 et 45, entre le De oratore et YOrator des oppositions qui allaient contre sa conception éclectique de l'éloquence. Il a dû se défendre contre les Néo-attiques. Ceux-ci s'inspiraient de deux modèles assez différents: d'une part certains, comme César, suivaient surtout la limpidité de Lysias et de Xénophon; d'autres mettaient en avant Thucyd ide,et l'on sait que Salluste est l'un d'entre eux. Cicéron, tout en recon naissant l'élévation, la force et la profondeur de Thucydide, lui reproche son obscurité, qui nuit à la persuasion. De Xénophon, il ne parle guère; à Lysias, il reconnaît la clarté, la pureté, mais il le trouve souvent privé d'élévation ou de pathétique. Je ne parlerai pas ici d'Isocrate, qui n'est pas en cause, et qui apparaissait souvent aussi proche de l'Asianisme que de l'Atticisme, et je rappellerai seulement que Cicéron opte pour un modèle qui lui paraît tout concilier: Démosthène. Ces indications nous permettent de définir les grandes lignes du débat littéraire qui se développe au temps de Salluste. Elles nous font connaître les termes de la problématique: l'Atticisme vise la clarté, la pureté, la simplic ité,parfois la grandeur. Il ne pratique guère le pathétique et se défie de l'enflure. Les observations de Denys d'Halicarnasse dans son Thucydide ont cet intérêt qu'elles nous présentent un éloge en forme de cet écrivain, suivi d'ailleurs d'une critique non moins vive de son style. Denys félicite d'abord Thucydide de ce qu'il ne cherche que la vérité (8). Il souligne à ce propos que ce jugement est autant celui des philosophes que des rhéteurs. Il présente ensuite des objections relatives au plan, qui ne nous importent pas ici. Puis il passe à l'expression; et voici comment il expose les qualités de Thucydide à cet égard (24): «Thucydide examina le style d'Hérodote et des autres écrivains dont j'ai fait mention; il distingua les qualités de chacun, et il s'efforça d'introduire dans la pratique historique un caractère qui lui était propre et qu'aucun autre n'avait su discerner: dans le choix des mots il préféra les expressions en forme de tropes, obscures, archaïques à celles qu'autorisait l'usage commun de son temps; dans l'agencement des parties
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plus ou moins longues du discours, il préféra ce qui avait de la dignité, de l'austérité, de la fermeté, de la rudesse dans les rencontres de lettres à ce qui était mélodieux, doux et coulant, sans aucun heurt...». Ces remarques permettent de définir les quatre qualités du style de Thucydide: caractère poétique du choix des mots (et de leur arrangement), variété des figures, rudesse de l'harmonie, concision du sens. Elles annoncent aussi les critiques qui suivront chez un péripatéticien épris de mesure, comme Denys: cette passion du style figuré, que manifeste Thucydide, et qui fait de lui l'héritier de Gorgias et des sophistes, le conduit à négliger à la fois l'agréable et l'utile, à s'éloigner du bon usage, de la clarté vraisemblable, du naturel et de la convenance. Nous retrouvons ici sous une forme plus développée les objec tions de Cicéron. Mais revenons sur les éloges, qui constituent la partie positive de cette description. Ils doivent nous intéresser d'une manière toute particulière, puisque nous savons que Salluste était favorable à Thucydide et cherchait à l'imiter. Du même coup, nous soupçonnons déjà que notre historien prend ses distances avec la tradition péripatéticienne que Denys représente et dont Cicéron était plus proche3. Cela nous indique d'emblée que la rhétorique peut apporter des indications qui dépassent le domaine de l'esthétique littéraire. Sans y insister pour l'instant, cherchons la véritable portée des compli ments que Denys adresse à Thucydide. Pour la mesurer, il faut d'abord se référer à une tradition qui est ancienne dans la littérature critique de langue grecque. C'est depuis les Grenouilles d'Aristophane qu'on a pris l'habitude de distinguer deux styles, qui appartiennent l'un et l'autre à la poésie tra gique, mais qui s'opposent: l'un, celui d'Eschyle, se distingue par sa grandeur mais aussi par sa ruguosité, par la difficulté de sa grammaire, par l'archaïsme ou la rareté de son vocabulaire, par la dureté des rencontres de lettres et de sons; le style d'Euripide est au contraire coulant; il cherche une familiarité réaliste qui va souvent jusqu'au prosaïsme. On voit que les Grecs lient depuis longtemps la grandeur et la dureté de l'expression. Cette tendance trouve son accomplissement chez Denys, dans l'œuvre la plus originale peut-être qu'il ait composée, son traité de l'arrangement des mots, dont les principales thèses figurent aussi dans le Démosthène (37 sqq.). Il existe, dans l'art, de juxtaposer les termes, plusieurs types d'harmonie, l'une basse et facile, l'autre moyenne, la troisième « austère ». Cette dernière caractérise
3 Sur Denys, v. par exemple les travaux de P. Costil; G. Kennedy, The Art of Rhetoric in the Roman World, p. 342 sqq. (bibl).
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Thucydide: c'est elle que l'auteur étudie d'abord. Elle se distingue par la recherche de la noblesse dans les figures, par la défiance à l'égard du style périodique (il faut affecter une négligence antique qui laisse à l'esprit un certain champ de liberté), par le goût des rencontres de sons, entre con sonnes et même entre voyelles. Nous avons décrit cette doctrine avec un certain détail parce que nous voulions faire apparaître ses sources idéologiques. Elle se situe dans une tradition littéraire et philosophique où l'on voit intervenir d'une part les Péripatéticiens (souci de la mesure, du naturel et de la convenance qui leur est liée), et aussi l'influence de la poésie tragique et celle des sophistes. Or, ayant établi cela, nous pouvons maintenant, de manière très aisée, faire un rapprochement avec Salluste. Nous savons que celui-ci prétend imiter Thucydide. Dès lors, nous avons à nous demander ce qu'il veut imiter dans ce modèle. La chose ne va pas de soi. L'histoire de l'art ou de la littérature nous apprend que des époques différentes ou des hommes divers ne trouvent pas dans les mêmes exemples la même inspiration. Il est donc utile de savoir ce que les contemporains de Salluste trouvaient d'original chez Thucydide. Les œuvres de Cicéron et de Denys nous l'enseignent: Salluste connaissait bien le premier; le second atteste l'existence d'une tradition de critique littéraire, à dominante péri patéticienne, qui lui est certainement antérieure, que Cicéron connaissait aussi et que notre historien n'a guère pu ignorer, alors même qu'il s'y opposait. Dès lors, nous pouvons comparer les textes de Salluste non pas direct ementavec Thucydide mais avec l'idée que Denys nous en propose. Si nous apercevons des concordances, il y aura de fortes chances qu'elles ne soient pas dues au hasard. De fait, il apparaît tout de suite de manière très claire, et sans qu'on ait besoin d'entrer dans le détail, que le style de notre histo rien répond largement au modèle de 1'« harmonie austère»: défiance à l'égard du discours périodique, recherche de l'archaïsme qui va jusqu'à l'affectation, tension vers une certaine noblesse mêlée à la simplicité, goût de la rupture et parfois de l'asyndète, rencontres de voyelles relativement fréquentes, volonté d'élévation « poétique »: ce n'est point un hasard si Salluste recourt volontiers à la clausule héroïque ou à des accumulations de longues et de brèves à la fin de ses membres de phrases. Tout cela répond à l'image qu'il se fait de Thucydide ou, plus largement, d'un certain style austère. Si nous cherchons un exemple précis, nous le trouverons par exemple dans le Jugurtha, 85, 31. Il s'agit du discours de Marius. Jusqu'à 38, en dix-sept lignes, nous trouvons vingt-six verbes, pour quinze propositions
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indépendantes: c'est dire la brièveté des phrases et le rejet du style pério dique. En 33, on observe une accumulation solennelle de quatre infinitifs, qui s'achève par une clausule héroïque: laborem tolerare. Les particules de liaison sont absentes, sauf un namque. Enfin, dans les sept premières lignes, on trouve quatre rencontres de voyelles semblables: parui id facio; artificio opus est; multo optuma; praesidia agitare; ajoutons quatre autres hiatus: quae ad, facta oratione, neque illos, me opulenter. Tout cela répond exactement aux descriptions que Denys donnera du style austère. Il n'est pas nécessaire d'insister davantage. Chacun voit qu'il serait aisé de trouver d'autres exemples. D'autre part, nous connaissons l'intention de Salluste quand il compose ce discours. Dans ce passage même (31 sq.), Marius explique qu'on l'accuse d'inculture et qu'effectivement il ne s'est pas formé à l'art des rhéteurs: non sunt composita uerba mea: parui id facio. Ipsa se uirtus satis ostendit; Ulis artificio opus est, ut turpia facta oratione tegant. Neque litter as Graecas didici; parum placebat eas discere, quippe quae ad uirtutem doctoribus nihil profuerunt. Un peu plus loin, en 39, l'orateur décrira de la manière suivante son comportement moral: Sordidum me et incultis moribus aiunt, quia parum scite conuiuium exorno . . . Marius est sordidus, il n'aime pas les lettres grecques, dont l'excès d'ornement lui déplaît sans doute autant que leur excès de ruse. Le passage est célèbre4. Il nous semble significatif qu'il coïncide exactement avec l'accumulation des rencontres de voyelles et des procédés que décrira Denys. Il n'est pas si facile qu'on croit de se délivrer de la rhétorique. Quand on affecte de se détourner de cette éloquence habile et fleurie que pratiquent les rhéteurs, on rejoint, pour peu qu'on ait quelque grandeur d'âme, la négligence austère où Thucydide excelle dans ses meilleurs moments. Marius a peut-être voulu l'ignorer, mais Salluste le sait et fonde là-dessus son idéal littéraire. Du même coup, il nous devient possible de distinguer la signification politique et morale du style ainsi choisi. Nous connaissons les arguments auxquels recourt Marius dans ce texte célèbre; ils font de lui un modèle exemplaire pour l'action et pour l'éthique. Marius est un homo nouus qui échappe à la corruption de la nobilitas et rénove de ce fait l'antique tradi tion de la uirtus romaine. Il est un chef populaire, qui s'adresse à la plèbe. Il est aussi un soldat qui se prépare à l'engagement total en faveur du peuple romain. Il serait sans doute possible de montrer que son discours
4 Nous laissons ici de côté les rapprochements avec les rhetores latini etc.
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réunit ainsi et combine tous les types d'éloquence qu'on trouve dans le Jugurtha. Comme le tribun Memmius, il use de Veloquentia popularis et parle au peuple pour en stimuler l'activité; comme Sylla (que nous enten drons s'exprimer à la fin du livre), il manifeste à la fois le courage et la sobriété du véritable imperator. De ce fait, il égale le dynamisme de Jugurtha. En revanche, il ne se laisse aucune occasion de tomber dans le pathétique et on se rend compte que la miseratio n'est pas son fort; c'est dans la bouche d'Adherbal, en 14, que cette forme d'éloquence se manifeste. A partir de ces quelques suggestions, que nous limitons au Jugurtha, nous pouvons vraisemblablement situer Salluste parmi ses contemporains. Nous voyons comment il se sépare de Cicéron: il n'aime guère les miserationes, il ne veut pas avoir à demander pitié. Cependant, il lui arrive de rejoindre, comme l'Arpinate, la tradition démosthénienne: c'est lorsqu'il fait parler des tribuns ou des chefs populaires, qui appellent le peuple à éviter toute mollesse, toute passivité. En tant que populaire épris d'action, Salluste est proche de César. Mais, précisément, ce n'est pas ce dernier qu'il imite, ou du moins pas lui seul. Le Catilina vient ici confirmer nos observations: Caton aussi est éloquent, et il semble bien que Salluste a voulu combiner les deux types d'éloquence qu'il a présentés dans le texte célèbre (50 sqq.). C'est pourquoi, cherchant un modèle littéraire, il s'adresse à Thucydide plutôt qu'à Xénophon: il ne veut pas sacrifier la grandeur d'âme à la clarté ou à l'élégance; il se tient à mi-chemin entre Démosthène et Xénophon, entre Cicéron et César.
Au point où nous en sommes, la rhétorique nous conduit à la morale, ainsi que nous l'avions annoncé. Nous constatons que Thucydide permet à Salluste d'établir une synthèse entre l'idéal de Cicéron et celui des Néoattiques et de poser du même coup un idéal complexe de simplicité popul aire et de rigueur traditionnelle. Nous sommes libres maintenant d'examiner en la prenant au sérieux cette éthique que la rhétorique définit et accentue au lieu de l'estomper. Et ici, à côté de Thucydide, un autre modèle va paraître: il s'agit de Platon. Là encore, l'usage que Salluste fait de cette tradition marque en même temps ses liens et ses distances avec Cicéron. Puisque nous parlons de morale, il faut revenir aux prologues de Salluste. Ceux-ci ont été récemment fort bien étudiés. On a mis en lumière leur importance: ils commandent toute l'œuvre, ils ne doivent pas être pris à la légère, il est possible d'analyser leur évolution vers un pessimisme gran-
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dissant5. Nous voudrions seulement nous interroger sur leurs sources6: Salluste affirme le primat de l'âme sur le corps, de la contemplation sur l'action. Tout cela peut nous renvoyer à n'importe quelle philosophie anti que. On peut y voir un simple recours aux lieux communs de la rhétorique, tels qu'ils ont été proposés par Isocrate (2,37). Mais, précisément, nous venons de constater que Salluste, dans sa réflexion stylistique, s'oppose radicalement à l'Isocratisme. Avant d'admettre une inconséquence (qui n'est pas impossible, bien sûr), il faut donc chercher s'il n'existe pas d'autres sources qui préservent mieux la cohérence de cette pensée. Or un grand nombre de faits permettent de penser à une référence au Platonisme. Nous en avons indiqué certains dans une précédente étude. Nous voudrions ici insister sur quelques points, qui se rattachent au problè me de la morale de Salluste. En particulier, il convient d'interpréter dans ce sens le texte célèbre du Catilina, 3, 2 sqq., où l'historien décrit son renoncement à la politique: « Pour moi, tout jeune encore, mon goût me porta, comme tant d'autres, vers la politique, et j'y trouvai bien des déboires. Au lieu de l'honneur, du désintéressement, du mérite, c'était l'audace, la corruption, la cupidité qui régnaient. Malgré l'aversion qu'inspiraient ces vices à mon âme ignorante du mal, ma faible jeunesse, gâtée par l'ambition, se trouvait retenue parmi de si grands vices; et, tout en me refusant à suivre l'immoralité générale, j'étais tourmenté de la même soif d'honneur qui me livrait comme les autres aux attaques de la médisance et de l'envie ...» (d'ap. trad. Ernout). On a vu dans ce textes biographique un aveu fait par Salluste de ses errements de jeunesse; il laisserait entendre par ces mots qu'il a participé aux crimes politiques que beaucoup d'hommes ont commis pendant cette période agitée et que le procès qui lui fut intenté n'était pas si dépourvu de fondement. En réalité, Salluste n'avoue rien de tel; s'il pré sente une autocritique, c'est au point de vue philosophique et il le fait de telle façon qu'il augmente sa gloire plutôt que de l'altérer: en effet, ce texte constitue la paraphrase du début de la lettre VII de Platon (324 b sqq.) 7. Le philosophe commence ainsi: « Au temps lointain de ma jeunesse, j'ai
5 Cf. Tiffou, op. cit. En particulier, nous ne reviendrons pas sur ses excellentes remarques relatives aux Histoires. Nous nous en tiendrons ici aux textes de Salluste qui nous sont parvenus complets. De même, d'une manière générale, nous éviterons de parler des Lettres à César. 6 Cf. Tiffou, chap. VI et VII (en ce qui concerne Thucydide, on trouvera chez lui la comparaison de prologue à prologues, p. 27 sqq.; nous ne nous occupons ici que du style). 7 Cf. Tiffou, p. 207 sqq., qui se réfère à: F. Egermann, Die Proömien zu den Werken des Sallust, Sitzungsberichte der Akad. der Wiss., Wien, CCXIV, 3, 1932, et à: Κ. Vretska, Sallusts Selbstbekenntnis (Bell. Cat. 3, 3-4, 2), Eranos, LUI, 1955, p. 41 sq. Le premier établit le rappro-
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éprouvé certes un sentiment pareil à celui de tant d'autres: j'avais l'idée, aussitôt que je serais devenu mon maître, de m'orienter sans plus attendre vers les affaires publiques... » (trad. Robin, Pléiade). Sous les Trente comme après le retour des bannis, Platon a constaté l'extrême difficulté que les philosophes éprouvent à intervenir dans les affaires publiques: pendant ces deux périodes, cela fut symbolisé par les malheurs de Socrate. Aussi notre auteur a-t-il décidé de se tenir à l'écart: «... Finalement, au sujet de tous les États existant à l'heure actuelle, je me dis que tous, sans exception, ont un mauvais régime; car tout ce qui concerne les lois s'y comporte de façon quasi incurable, faute d'avoir été extraordinairement bien préparé sous de favorables auspices; comme aussi force me fut de dire, à l'éloge de la droite philosophie, que c'est elle qui donne le moyen d'observer, d'une façon générale, en quoi consiste la justice tant dans les affaires publiques que dans celles des particuliers. Or les races humaines ne verront pas leurs maux cesser avant que, ou bien ait accédé aux charges de l'État la race de ceux qui pratiquent la philosophie droitement, ou bien que, en vertu de quelque dispensation divine, la philosophie soit réellement pratiquée par ceux qui ont le pouvoir dans les États... » (326 a-b). Certes, Salluste ne reprend pas directement à son compte toute cette analyse. Mais elle est sous-jacente à son propos, dont elle infléchit le sens. Il ne s'accuse pas lui-même, si ce n'est d'avoir aimé l'honneur, et c'est des Romains qu'il dénonce la corruption. Il proclame, dans cette préface comme dans les autres, et notamment dans les Lettres à César, qu'il va se détacher de l'action pour mieux analyser la ratio de l'histoire. Il ne sera plus lui-même un homme de gouvernement, un chef politique, mais un conseiller philoso phique pour de plus grands que lui. Enfin cette conception de l'histoire et du rôle dévolu à l'historien suppose un très grand pessimisme quant à l'état des institutions. Bien loin d'être un aveu d'immoralité, la première préface de Salluste affirme que son activité d'historien naît pour lui d'une exigence morale qu'il n'a pu satisfaire dans l'action. Dès lors nous pouvons trouver plus de cohérence et de valeur à certains passages, auxquels on a reproché de brasser des lieux communs. Je pense principalement au grand excursus relatif à l'histoire de Rome qui ouvre le Catilina. On y voit la nobilitas peu à peu
chement dont nous faisons état ici, le second insiste sur les différences entre les deux textes, qui sont bien évidentes, mais qui, à nos yeux, ne doivent pas dissimuler le fait fondamental que cette référence implique: il ne s'agit pas ici d'une confession portant sur les fautes généra lement reprochées à Salluste (concussion etc.). Pour notre étude citée plus haut, cf. note suiv.
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dépravée par l'ambition, le lucre, le luxe. L'ambition conduit à la conquête, la conquête au règne de l'argent (auaritia), et enfin Rome sombre dans la libido et la luxuria: ce monde corrompu est mûr pour un tyran; Catilina se présente. S'agit-il seulement ici d'un moralisme banal? Non, sans doute. En fait, Salluste applique ici à l'histoire de Rome la schéma que Platon avait mis au point dans les livres VIII et IX de sa République: le philosophe avait comparé l'évolution (et les révolutions) des cités aux changements qui interviennent chez les individus de génération en génération: il avait montré comment à la sagesse philosophique, qui seule peut assurer un bon gouver nement fondé sur l'aristocratie véritable, succèdent tour à tour la timocratie (où le désir de l'honneur se substitue à celui du bien), l'oligarchie ploutocratique, la démocratie anarchique fondée non sur la liberté authentique mais sur la licence du plaisir, enfin la tyrannie, dans laquelle un monarque injuste et cruel profite de sa force de caractère et de sa grandeur dans le mal pour asservir le peuple avili par le régime précédent8. Les analogies avec les vues de Salluste sur le destin de Rome sont très nombreuses. Nous avons constaté d'autre part qu'il a des affinités avec le Platonisme. Par exemple, à propos de sa vie même, nous avons vu qu'il évoque ce désir de l'honneur qu'il place très près de la vertu. D'autres nuances peuvent apparaître à la fois comme des conséquences et des vérifications. Par exemple, certaines contradictions apparentes s'effa cent si nous admettrons cette interprétation. C'est le cas en ce qui concerne la personnalité de Catilina. A partir de son célèbre portrait, on a voulu trouver chez Salluste une complaisance romantique pour les révoltés. En fait, Catilina n'est rien d'autre que le prototype du tyran. Il en a la force, la grandeur; il exerce comme lui sa séduction sur une jeunesse dépravée par la démocratie; de même que lui, il apparaît comme le destructeur de la piété filiale, celui qui favorise le meurtre des pères par les enfants, afin de mettre ces derniers à sa merci. Il n'y a pas ici de complaisance romanti que, mais une réflexion platonicienne sur la tyrannie, qui implique dans un seul homme rencontre de l'injustice et de la grandeur. D'autre part, cette lecture platonicienne de Salluste permet de résoudre les problèmes posés par ses conceptions religieuses: tantôt, il ne paraît croire qu'en la fortune, par exemple à propos de Sylla en Jugurtha, 95, 4: Atque felicissimo omnium ante ciuilem uictoriam numquam super industriam fortuna fuit;
8 Sur tout ceci, cf. pour plus de détail notre article: Entre Cicéron et Tacite: aspects idéologiques du Catilina de Salluste, Acta classica Universitatis scientiarum Debreceniensis, V, 1969, p. 83-92. Sur le tyran, cf. République, VIII, 565 e sq (v. Egermann, p. 47).
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multique dubitauere fortior an felicior esset Ce texte pourrait apporter des arguments à ceux qui tiennent pour l'épicurisme de Salluste. Mais, au chap. 63, l'historien nous a rapporté qu'un aruspice, à l'issue d'un sacrifice, a prédit son destin à Marius. Sans doute le récit de cet événement commence par le mot forte. Cependant l'auteur ne paraît pas avoir de doute sur la réalité du fait. Nous pouvons donc admettre qu'il se rattache à une philosophie qui croit dans la possibilité de la divination. La rareté des références à des faits de cet ordre, la prudence de leur mise en œuvre convient mieux au doute de l'Académie qu'à la certitude du Portique. Dans tous ces domaines importants, qu'il s'agisse des probabilités de la religion, des inquiétudes de la morale individuelle ou des révolutions poli tiques, Salluste paraît proche de Platon. Naturellement, il l'atteint sans doute par des intermédiaires; je ne chercherai pas ici qui peut être chacun d'entre eux. Mais le premier auquel nous pensons, celui qui se prête le mieux à la vérification, est le principal représentant de la tradition platoni cienne dans la Rome de Salluste et tout près de lui: Cicéron. Notre auteur a fréquenté très intimement ce personnage. Nous avons suggéré, après d'autres, qu'il avait pu exercer une influence sur la création de certaines œuvres importantes comme le De oratore, le De republica, le De legibus9. Il n'a pu manquer de connaître en particulier le deuxième de ces traités. Or, dans le livre I, on trouve un résumé de la République platonicienne, VIII-IX. Cela constitue une présomption supplémentaire pour justifier notre interpré tationde Salluste. Faut-il donc penser qu'ici l'historien se tient plus proche de l'orateur qu'il ne l'était dans la pratique de son style? Je ne le crois pas. Je considère plutôt que ce rapprochement, qui est incontestable, nous permet aussitôt de déceler, en même temps que les ressemblances, les différences. Salluste n'imite point Platon dans le même esprit que Cicéron; les points de diver gence sont très significatifs. Disons sommairement que, presque toujours, l'historien élimine dans les interprétations cicéroniennes ce qui relève de l'Aristotélisme ou de la tradition polybienne. Cela est manifeste sur trois sujets: 1) Salluste montre une sévérité extrême à l'égard de Vauaritia. Il voit expressément un mal dans la richesse {Ad Caesarem, II, 7); cette attitude radicale, qui ne se contente pas de renvoyer à la mesure ou à l'indifférence, n'appartient dans l'Antiquité qu'au Platonisme. On sait qu'Aristote s'est opposé à cet aspect 9 Cf. Rev. des études latines, 44, 1966, p. 237 sqq. En ce qui concerne les intermédiaires, je laisse complètement de côté dans cet article les problèmes relatifs aux influences stoïciennes (Posidonius etc.).
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de la pensée de son maître. Cicéron lui aussi se montrait nuancé. Salluste est péremptoire. 2) L'historien ne reprend pas à son compte la théorie cicéronienne et polybienne de la constitution mixte triple. Là encore, il y avait débat entre Platon et Aristote: le second optait pour une constitution triple et dénonçait chez Platon l'idée d'une tyrannie démocratique, d'une monarchie appuyée sur le peuple. 3) Enfin, du même coup, Salluste montre beaucoup moins de défiance que Cicéron pour le pouvoir personnel. Au début de l'excursus du Catilina (6,6), on trouve la formule: Imperium legitumum, nomen imperi regium habebant. Salluste semble disposé à accepter la monarchie si elle s'appuie authentiquement sur la loi. Cicéron, sans doute, a fait l'éloge des bons rois comme Romulus. Ses contemporains le lui ont d'ailleurs reproché. Salluste n'encourt-il pas le même reproche, avec d'autant plus de raisons qu'il n'utilise pas les contrepoids de la constitution mixte? Nous ne voulons ici que poser la question. On sent bien que la démar chede l'historien est sensiblement différente de celle de Cicéron. Elle s'inspire pourtant du Platonisme, comme il le fait lui-même. Mais elle pro cède à sa façon; or, ici, nous touchons un aspect de cette pensée qui va confirmer la première partie de notre étude. Lorsque Salluste rejoint Platon, il le fait en retrouvant l'esprit de Thucydide. Reprenons ces trois thèmes que nous venons d'évoquer: le détache ment à l'égard de l'argent, le refus de la constitution mixte, la réflexion sur le pouvoir personnel. Ils figurent tous trois dans un texte qui a une impor tance fondamentale dans l'Histoire de la guerre du Péloponnèse (II, 65, 8): il s'agit du célèbre portrait de Périclès: « La raison (de son pouvoir) était la suivante: c'est qu'il avait, lui, de l'autorité grâce à la considération dont il jouissait et à ses qualités d'esprit, et que, de plus, pour l'argent, il montrait une éclatante intégrité: aussi tenait-il la foule, quoique libre, bien en main, et au lieu de se laisser diriger par elle, il la dirigeait (...). Sous le nom de démocratie, c'était en fait le premier citoyen qui gouvernait ...» (trad, de Romilly) 10. Ce texte célèbre semble bien constituer la principale source de la théorie cicéronienne du «principat»; il se trouve de ce fait au cœur du débat sur les constitutions politiques, mais il ne fait nullement intervenir la constitution mixte triple: on sait que Thucydide se bornait à opposer démocratie et oligarchie, sans prétendre les mélanger. D'autre part, Thucyd idemet très fortement l'accent sur l'intégrité de Périclès: celui-ci ne cède jamais à la soif de l'argent, et c'est à cela qu'il doit son autorité. Ce thème 10 Sur ce texte et le passage du Ménexène que nous citons ensuite, cf. notre communicat ion: Cyrus et Périclès: impérialisme et principat chez Cicéron et quelques autres, dans L'idéo logiede l'impérialisme romain, colloque de Dijon, les 18 et 19 octobre 1972, Paris, 1974, p. 8 sqq.
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s'atténue fortement quand Cicéron nous parle du princeps: il garde au con traire une importance majeure dans les écrits de Salluste. Toute la première partie de cette étude a souligné l'influence que Thucydide exerce sur Salluste en ce qui concerne le style et marqué aussi que cette influence n'est pas seulement littéraire mais morale. Cela nous pousse à considérer comme probant le rapprochement que nous venons de faire. Mais alors ne faut-il pas négliger la référence à la source platonicienne? Celle-ci paraît avoir moins d'intérêt puisque, sur les points fondamentaux, il suffit de penser à Thucydide. Nous répondrons que cela n'est pas absolu mentvrai: qu'on songe seulement aux réflexions sur la décadence de Rome, qui n'ont pas d'équivalent chez l'historien grec. Il faut surtout se rendre compte que l'existence d'une pluralité de sources est tout à fait possible. Les textes que nous citons ici ont une grande célébrité: chacun les connaît; il ne s'agit pas chez Salluste de références erudites; il prend plutôt position sur des aspects majeurs de l'idéologie antique. Or le portrait d'Athènes avait été tracé par un autre grand penseur, qui employait précisément des termes très proches de ceux de Thucydide: il s'agissait de Platon, dans le Ménexène (238 c-d): «C'est le gouvernement des meilleurs qui a été généra lement notre régime politique constant. Tel le nomme gouvernement du peuple, tel lui donne à sa fantaisie un autre nom; mais la vérité est qu'il est, avec l'assentiment de la foule, le gouvernement des meilleurs ». Dans ce passage tout à fait fondamental, Platon propose l'idée d'une aristocratie à tendance monarchique et appuyée sur le consentement démocratique. Nous avons tenté ailleurs de montrer que l'Empire romain, d'Auguste à Marc Aurèle, s'est appuyé sur cette doctrine pour assurer sa propre justification. D'autre part, en insistant, comme l'avait déjà fait Thucydide, sur son indiffé rence, ou sa défiance, à l'égard du « nom » porté par le régime, Platon ouvre la voie à toute une série de formules célèbres: nomen imperi, chez Salluste, nomen principis, chez Tacite. Le premier, comme son modèle, tourne la chose en un sens optimiste, le second, pensant aux savants men songes d'Auguste et de ses successeurs, en un sens pessimiste . . . Nous pouvons nous arrêter ici et conclure cette partie de notre exposé. Quand il s'agit de morale politique, Thucydide est encore le maître à penser de Salluste, comme il était son maître d'éloquence. Dans les deux cas, il s'agit de prendre des distances par rapport à Cicéron. Mais, dans les deux cas aussi, on voit s'affirmer l'influence de ce dernier, par les questions posées, sinon par les réponses. En matière de morale politique, il s'agit avant tout de méditer sur l'autorité du prince, en quelque régime qu'elle se manif este (mais Cicéron croit sans doute plus que Salluste ou Platon que le régime n'est pas indifférent). En tout cas, ces penseurs se rencontrent autour
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de deux ou trois textes fondamentaux; ils ne s'imitent pas mutuellement: ils dialoguent, ils s'interrogent, ils s'inquiètent. Cicéron et Salluste se rejoignent et se séparent à la fois en Platon et en Thucydide. Cicéron lit parfois Platon avec les yeux d'Aristote; Salluste l'aborde selon la tradition de Thucydide, que Cicéron, au demeurant, n'ignorait pas. Les mêmes nuances apparaîtront au temps d'Auguste et plus tard dans l'historiographie. Denys d'Halicarnasse se rapprochera d'Aristote et de sa constitution triple n; Tite Live et Tacite, qui rejetteront cette dernière notion, se tiendront plus proches de Salluste. Nous pourrions nous arrêter ici. Nous avons proposé deux suggestions: 1) II existe un lien entre le style de Salluste et sa pensée morale. La rhéto rique, chez lui comme chez d'autres, possède une signification philosophique. S'il choisit d'imiter Thucydide, c'est pour prendre ses distances à l'égard de Cicéron tout en conservant ce qui fait l'essentiel de sa leçon, la grandeur (granditas); il s'agit de concilier les styles de César et de Caton: le discours de Marius y parvient. 2) César, Caton, Marius, tous ces hommes, chacun à sa manière ont exercé un principal La méditation morale de Salluste tourne tout entière autour du principat, dont elle montre dans l'histoire les diverses faces. Cela est bien naturel à l'époque de César et de Cicéron. Auguste va réaliser plus ou moins la synthèse de ces deux hommes. Il semble que Salluste a pu l'y encourager. Pour cela il était revenu aux principes histori queset philosophiques de la réflexion sur l'autorité personnelle et sur la liberté: à partir de la pensée même de Cicéron, il s'était aperçu qu'on pouvait rapprocher Platon et Thucydide 12.
11 Dans l'image qu'il nous donne de la «constitution de Romulus». 12 Insistons sur deux points: 1) Nous ne prétendons nullement arriver ici à une vue systématique des choses. Nous reconnaissons comme tous les commentateurs que Salluste, même s'il s'inspire de Platon, est fort différent de lui et d'abord qu'il n'est pas un philosophe mais un historien. Il reste que la philosophie tient une certaine place dans sa vision de l'histoire et dans cette philosophie nous avons voulu souligner une nuance dominante. Il s'agit bien d'une nuance qui ajoute à la complexité du personnage au lieu de le simplifier. La suite de cet article le montrera. 2) En insistant sur les aspects platoniciens de la pensée de Salluste et sur leurs prolongements politiques, nous faisons apparaître d'une manière objective la plausibilité de certaines interprétations: par exemple, nous trouvons dans cette manière de voir des raisons d'accepter l'authenticité des Lettres à César qui s'inscrivent exactement dans la même idéolog ie, qui montrent à l'égard du cicéronisme le même mélange d'attention et de distance. Ajoutons enfin que nous avons laissé de côté les problèmes politiques proprement dits (cf. Earl, La Penna). Ici encore, notre interprétation philosophique va dans le sens de ces commentateurs: Tacite veut rendre aux optimates le consentement des populäres par l'établissement d'une aristocrat ie véritable, à la tête de laquelle figure un chef éclairé, héritier à la fois du catonisme et du césarisme et capable s'il le faut de tromper un peu le peuple sur le sens des mots pour obtenir son consentement. On pourrait interpréter de même l'illustration et la critique de l'impérialisme,
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Cela nous inspirera nos ultimes remarques. Car enfin, il s'agit de morale. Or, sur ce point, est-il si facile de juxtaposer Thucydide et Platon? Certes, le Ménexène se rapproche de YOraison funèbre. Cependant, la morale du Gorgias ne semble pas coïncider toujours avec celle qui s'exprime par exemple dans le dialogue des Athéniens et des Méliens. Du côté de Thucyd ide,on trouve un pessimisme historique assez marqué, qu'inspirent les passions humaines et la puissance de la fortune. On a l'impression d'assister chez lui au règne du hasard, de la force ou de la nécessité, exploités tantôt par l'intelligence des hommes et tantôt par leur sottise. Chez Platon demeure un grand espoir dans le triomphe de la philosophie et dans le succès de la justice. Il est vrai que les choses ne sont pas si simples: Platon a écrit, dans sa lettre VII, les lignes tristes que nous avons citées; Thucydide semble avoir distingué très nettement la fatalité impérialiste qui entraîne les Athé niens à détruire Mélos et la lucidité pieuse et sage qui permet à Périclès de protéger sa cité. La rencontre des deux écrivains tient dans cette nuance: comment le réalisme peut-il éviter de tourner au cynisme, comment la conscience que nous prenons du pouvoir des vices peut-elle nous dispenser du désir de les imiter? Toute l'œuvre de Salluste tend à suggérer l'importance de cette question et à lui donner une réponse qui puisse convenir à la fois à Thucydide et à Platon. D'abord, il reconnaît en diverses occasions que la cruauté, la violence peuvent être utiles. Par exemple, Marius prend Capsa par ruse et la détruit (91,7): Id facinus contra ius belli, non auaritia neque scelere consults admissum, sed quia locus Iugurthae opportunus, nobis aditu difficilis, genus hominum mobile, infidum, ante neque beneficio neque metu coercitum. Je laisse à Salluste la responsabilité de ce petit dialogue qu'il esquisse d'une manière si brève mais si méthodique avec des gens qui ressemblent un peu aux Méliens. Lui aussi admet qu'on peut violer le droit; il précise à quelles conditions: il faut surveiller ses motifs et s'assurer que Vauaritia ne figure point parmi eux; on ne commet pas de crime (non scelere), dès lors qu'on se trouve obligé par les circonstances matérielles et les passions ou les habitudes des peuples, qui interdisent de leur faire confiance. Dès ce texte, nous voyons s'ébaucher une sorte de compromis entre le réalisme et la vertu. Cela plairait peut-être à Machiavel, mais irait-il jusqu'à partager qui ne doit être ni prédateur et nourri par Vauaritia, ni dépourvu de mesure et fondé sur le désir infini de l'agrandissement. Platon redoutait l'excès de grandeur pour les états; il détestait l'esprit de lucre. Naturellement, nous ne prétendons pas que tout vient de Platon. Mais celui-ci a pu contribuer à confirmer Salluste dans ces idées; cela peut nous encourager dans cette interprétation de sa pensée.
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ce pessimisme profond à l'égard des hommes qu'on sent chez Salluste? Je pense en particulier à fugurtha, 61,4: Métellus cherche un traître pour livrer le roi: il choisit Bomilcar, quod ei per maxumam amicitiam maxuma copia fallendi erat: « comme il avait avec lui la plus grande amitié, il avait les plus grands moyens de le tromper ». Encore une fois, l'historien moraliste analyse implacablement une situation: d'une part, on ne peut pas se fier aux hommes, d'autre part les amis sont les mieux placés pour trahir. Mais ce refus des illusions ne doit pas conduire à l'illusion cynique. C'est ici l'erreur de Jugurtha. Il ne cessait de répéter: «A Rome, tout se vend». Il a fondé là-dessus sa politique de révolte. Il a eu tort de compter ainsi sur les vices. Scipion pourtant, au camp de Numance, l'avait prévenu: « S'il persévérait dans sa belle conduite, et la gloire et le trône lui vien draient spontanément; s'il voulait aller trop vite, son argent même le préci piterait à sa ruine ». Pour paraphraser un proverbe que Claudel cite dans le Soulier de satin, le vice n'est pas toujours sûr. Jugurtha n'a pas su le comprendre. C'est de cette manière prudente que Salluste rejoint Platon. Il sait douter. Il s'aperçoit que les plus grands hommes ne sont point par faits (Marius, par exemple . . .), qu'il y a de l'élévation et de l'héroïsme dans les plus grands criminels (sans cela un Catilina ne pourrait aspirer à la tyrannie); il découvre dans beaucoup de personnages et d'événements cette ambiguïté dont Tacite jouera plus tard si tristement. Enfin, il ne se fait pas d'illusions sur les avantages de l'action violente: il l'indique dans la préface du Jugurtha, 3, 2: Nam ui quidem regere patriam aut parentes, quamquam et possis et delicta corrigas, tarnen inportunum est (ici encore, on devine une allusion à Platon, à VEuthyphron), cum praesertim omnes rerum mutationes caedem, fugam aliaque hostilia portendant. Frustra autem niti neque aliud se fatigando nisi odium quaerere, extremae dementiae est: nisi forte quern inhonesta et perniciosa lubido tenet potentiae paucorum decus atque libertatem suam gratificari. Seuls peuvent chercher la violence ceux qui ne travaillent pas pour eux mais qui se font les mercenaires de quelque oligarchie. Salluste est persuadé que le véritable réalisme rejoint l'esprit moralisa teur soit dans Votium, soit dans le désir de paix. Mais il sait aussi qu'on ne peut se fier aux hommes, et c'est pour cette raison que le discours d'Adherbal, dans le Jugurtha, est un peu dérisoire. Salluste, nous l'avons dit, ne veut pas compter sur la pitié, il ne se fie pas à la supplication. Tel est le sens de cette éloquence dure qu'il prête à Marius, de cet éloignement qu'il témoigne à Cicéron, de ces affinités dans le pessimisme qu'il choisit de découvrir entre Thucydide et Platon. Le chemin qu'il ouvre n'est même pas celui de Machiavel, à la fois plus hardi et plus gai. On songe plutôt pour le lendemain à Auguste et à Tacite pour les temps qui suivront.
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I / Maccabees was originally written in Hebrew - rather than in Aramaic. But the original Flavius Josephus already used the Greek translation 1. Semitic text was known, at least indirectly, to Origen and St. Jerome and may have been used by learned Jews even later than the fourth century2. We do not know when and how the Hebrew text disappeared. Retranslations from Greek or Latin into Hebrew of course exist. The oldest known to me is by an anonymous Jew who apparently translated the text of the Vulgate into Hebrew at Worms or Mainz about 1160-1180. This text was discovered by D. A. Chwolson in the Bibliothèque Nationale of Paris and taken by some scholars to be the original Hebrew. The truth soon became obvious3. Modern translations by S. I. Fraenkel (1830), A. Kahana (1931,
1 Josephus, as is well known, did not use chapters 14-16, but this does not justify S. Zeitlin's theory that chapters 14-16 "do not belong to this book, but were written later, perhaps as part of another book" (The First Book of Maccabees, 1950, p. 32). Whether Josephus used / Maccabees indirectly, through an anti-Samaritan source, as suggested by B. Motzo, Saggi di storia e letteratura giudeo-ellenistica, Firenze 1925, 207-214, is another question. See H. W. Ettelson, "The Integrity of I Maccabees", Trans. Connecticut Acad. 27, 1925, 249-384. 2 About the Hebrew title the latest paper so far is J. A. Goldstein, Haw. Theol. Rev. 68, 1975, 53-57. 3 Against A. Schweizer, Untersuchungen über die Reste eines hebräischen Textes vom ersten Makkabäerbuch, Berlin 1901 see I. Levi, Rev. Étud. Juives 43, 1901, 215-221; C. Torrey, Journ. Bibl. Lit. 22, 1903, 51-59. According to D. Flusser the so-called Josippon composed by a Southern Italian Jew in the tenth century used a Latin translation of /-// Maccabees: Encycl. Judaica, s.v. Josippon (1971). The whole matter of the Jewish medieval tradition about the Maccabees deserves new investigation (I gave an outline in Prime linee di storia della tradi zione maccabaica, Torino 1931, reprint Amsterdam 1968, 48-65; 129-139). I shall here call attention to one point only. The Megillath Antiochos ('Antiochus' Scroll') - on which see
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2nd ed. 1956) and A. S. Hartom (1958) are intended to render the book accessible to Hebrew readers and do not claim to be reconstructions of the original text. Consequently nobody has so far rigorously distinguished between what is Hebrew and what is Greek in / Maccabees. The most recent scientific contribution in this direction known to me is Günter Ο. Neuhaus, Studien zu den poetischen Stücken im I. Makkabäerbuch (Würzburg 1973), which is a retranslation of, and commentary on, the poetic passages in the book. The poetic passages are a good example of the questions involved in the convergence of the two historiographie traditions. / Maccabees contains a series of passages which even in the Greek translation reveal all the peculiari ties of Hebrew poetical style, including the best known, parallelismus membrorum. Sudden transition from prose to poetry can be found in other biblical texts. The nearest in time is Ecclesiasticus. But verse is mixed with prose also in Seneca's Apocolocyntosis, Petronius' Satyricon, Ps.-Callisthenes' Life of Alexander (III cent. A. D.?), and the Historia Apollonii Regis Tyri (V cent.?). A recent addition to the Greco-Latin series is Pap. Oxyrh. XLII, 3010 (II cent. A. D.). We know very little about the origins and conventions of this mixed form4. Another example of such questions is the introduction of documents. Documents are to be found in both biblical and Greek historiography. But at least the exchange of letters with the Spartans in / Maccabees seems to be dictated by Hellenistic conventions: it is meant to establish a genealogical relation between two nations5. Finally, the excursus about the Romans in ch. 8, though formulated in good Hebrew terminology, is an encomium for which Hellenistic literature provides the ingredients and the contours. The Bible contains implicit or
M. Z. Kaddari, The Aramic Antiochus Scroll, Bar Ilan Annuals I-II, 1963-4 - connects Antiochus Epiphanes and his general Bagris (= Bacchides) with the names of Antiochia and its outpost Pagrae (Strabo 16, 2, 8). This seems to reflect Antiochene Jewish lore, that is to point to an Antiochene origin of the Antiochus Scroll. Antiochia was the centre of the Christian cult of the " Maccabean " Brothers (E. Bickerman, Byzantion 21, 1951, 63-83). Does the scroll represent the Jewish answer? 4 P. Parsons, Bull Inst. Class. Studies 18, 1971, 53-68; R. Merkelbach, Zeitschr. Papyr. Epigr. 11, 1973, 81-127. In general F. Dornseiff, Antike und Alter Orient, Leipzig 1956, 244; R. Merkelbach, Roman und Mysterium, Berlin 1962, 323-324; M. Hengel, Judentum und Hellenismus, 2nd ed., Tübingen 1973, 154. 5 E. Bickerman, Sur une inscription grecque de Sidon, Mél. Syriens R. Dussaud I, Paris 1939, 91-99.
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explicit descriptions of cities and states, such as the lamentation over Tyre in Ezechiel or the curious description of Ecbatana in Judith, but each of the compliments to Rome in / Mace. 8 has a parallel in Greco-Latin historiography. Thus the attitude to her allies (Polyb. 24, 10, 11), the dislike of monarchy (Polyb. 10, 40), the internal concord (Dionys. 7, 66, 4-5 with reference to patricians and plebeians), not to speak of the interest in natural resources or mines (Aristeas 119; Plin. n.h. 3, 138) 6. Similarly, the treatment of Corinth (and Carthage) is registered in a comparable tone in Diod. 32, 4, 5 7. There is, however, no indication of a written source. Indeed the mistakes in the description (the Senate meeting every day, the yearly one-man rule, Antiochus III taken prisoner by the Romans, the Romans giving to King Eumenes of Pergamum " the country of India, Media and Lydia and parts of the best lands of King Antiochus ") presuppose accounts by badly informed travellers. The character of the whole chapter is that of a distant acquaintance with the Roman State. The author does not deceive when he reports about the "fame of the Romans". The question is only whether what he repre sents is the state of knowledge of Judas Maccabaeus and his companions about 161 B.C. or rather a reflection of his own knowledge some decades later. There are clear indications that the latter alternative is the correct one. First, the author himself says in v. 10 that the enslavement of the Greeks (or part of them) lasts " to this day ", that is, to the time in which the book was written. Secondly, the whole of vv. 9-10 makes sense only if they are taken to refer to the defeat of the Achaean League and the destruction of Corinth in 146 B.C.
II We may therefore ask whether there are any pointers to the time in which the author wrote ch. 8, as the chapter itself contains anachronisms in relation to the situation of 161 B.C. I would suggest that the whole atmosphere of the chapter is that of the years c. 146-130. If the author
6 W. Gernentz, Laudes Romae, diss. Rostock 1918; E. M. Sanford, Am. Journ. Philol. 58, 1937, 437-456; B. Forte, Rome and the Romans as the Greeks saw Them, Rome 1972; J. Touloumakos, Zum Geschichtsbewusstsein der Griechen in der Zeit der römischen Herrs chaft, Göttingen 1971. But the essential is in H. Fuchs, Der geistige Widerstand gegen Rom in der antiken Welt, Berlin 1938. On the "topos" of mines, my Quarto Contributo, Roma 1969, 514. 7 On this J. Touloumakos quoted (n. 6), p. 28 n. 22.
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presupposes the destruction of Corinth, he makes no reference to the transformation of the kingdom of Pergamum into a Roman province. Indeed it is difficult to believe that any author writing in Palestine after 129 B.C. could commit the geographical howler of attributing to the kingdom of Pergamum, and therefore the Roman province of Asia, a territory extending to India and Media. Like the notions of the Roman Senate meeting every day and of Rome ruled by one consul each year, the fantasy about Pergamum is the result of remoteness which seems unbelievable after the Roman take-over in 129 B.C. More generally, the whole image of the Roman State is that of a distant organization which has not yet established itself in Asia Minor, not very far from Palestine. None of the historical facts mentioned in the chapter seems to contradict a date between 146 and 129 B.C. The Romans had been exploiting the silver and gold mines of Spain since the beginning of the second century: a fact which must have early attracted the attention of the Jews as neigh bours of the Phoenicians8. The allusion to the Gauls paying tribute can be interpreted in various ways, but it is preferable to take it as a reference to Northern Italy, Gallia Cisalpina. It has been acutely suggested to me by my friend Professor E. Gabba that there may be an allusion to the episode of Tiberius Gracchus and the ambassador of Pergamum in v. 14, " not even one of them put on a diadem or donned purple for self-aggrandizement". Gracchus was accused, as we know from Plutarch (Ti. Gracchus ch. 14), of regal ambitions because allegedly he had taken into his house the diadem and the purple brought to Rome by the ambassador of Pergamum 9. / Maccab ees might allude to what after all must have been the real situation - that Tiberius impounded the insignia and confirmed the traditional hostility of the Romans to the " regnum ". I do not exclude the possibility that some echo of the episode of 133 B.C. reached the author of / Maccabees in a
8 Cf. L. Garcia Iglesias, "Los Judios en la Espana Romana", Hispania Antiqua 3, 1973, 338 and bibl. there quoted. More in general J. M. Blazquez, "Fuentes literarias griegas y romanas referentes a las explotaciones mineras de la Hispania Romana" in La Mineria Hispana e Ih ero americana I, Leon 1970, 117-150. The Jews of course were to learn better. Cf. the curious passage on the dual government in Rome in Genesis Rabbah 49, 9, translated by M. Hadas in "Roman Allusions in Rabbinic Literature", Philol. Quart. 8, 1929, 369-387, which seems to be suggested by somebody's reflections on the Roman Republic (S. Krauss, Monu menta Talmudica V, 1, Wien, 1914, p. 10 η. 18). 9 Cf. E. Rawson, Journ. Rom. St. 65, 1975, 150-159. [See now M. Sordi, Storiografia e propaganda, Milano 1975 (but 1976), 95-104. I am not convinced by her terminus ante quern of 152 B.C. for ch. 8].
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sense favourable to Tiberius Gracchus, but I do not consider it likely. What he knows is that no Roman wants to be a king. Famous stories about the Scipiones were enough to confirm this attitude in the eyes of a secondcentury writer without having to turn to Tiberius Gracchus. If the atmosphere of the chapter is what we can expect from a person writing between the destruction of Corinth and the incorporation of the kingdom of Pergamum in the Roman State, we may conclude that this chapter was written not later than 129 B.C. As it is difficult to believe that a later author would take over a short eulogy of Rome written between 146 and 129 B.C., there is a prima facie case for extending the date of ch. 8 to the whole book and concluding that / Maccabees, which was clearly written after the death of Simon in 135 B.C., is not later than 129 B.C. This conclusion seems to me very probable, but there are two interconnected difficulties which must be taken into consideration: 1) / Maccabees uses the biblical formulaic statement that the enslave mentof the Greeks and the tomb erected by Simon to his parents and brothers in 143 B.C. exist "until our days" (8, 10; 13, 30). 2) / Maccabees also uses another biblical formula about John Hyrcanus (16, 23-24): "the rest of the story of John, his wars and the deeds of value he performed . . . are written in the annals of his high-priesthood ". It can be argued that a date about 129 B.C. is not remote enough from 146 or 143 B.C. to justify the formula " until our days ". It can similarly be argued - and has been argued - that the formula in 16, 23-24 presupposes the death of John Hyrcanus. Everyone is entitled to his own impression in such matters. My impression is that in undated and anonymous books like / Maccabees these formulas were written with future readers in mind and therefore included a vague prophetic element. Formulas which belong to the biblical historical style cannot be used to date a late imitation of the biblical style, whereas the substance of ch. 8 is, at least to my mind, a clear clue to the date of the whole book.
JEAN-PAUL MOREL
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME
«Toute ma vie j'ai entendu parler de la jeunesse. Toute ma vie ce sujet m'a ennuyé. Non que ce soit un sujet plus ennuyeux qu'un autre, mais il me semble qu'il inspire surtout les imbéciles » 1. « Un travail d'érudition prend, au moins pour celui qui l'exécute, un intérêt singulier, s'il le peut rattacher à un problème qui, étudié dans une époque déterminée, avec les caractères propres à cette époque, trouve encore un écho dans la conscience contemporaine»2. Une affirmation péremptoire de polémiste excédé, une constatation tran quille d'enquêteur saisi par son sujet: tels sont les jugements extrêmes que peut susciter une étude sur la jeunesse. A tort ou à raison, nous sommes tenté de récuser le premier, dont l'auteur devrait craindre qu'il ne fît boomer ang:ce n'est pas parce qu'un sujet est perpétuellement actuel qu'il faut en nier l'intérêt. Serait-on agacé par un certain engouement de notre époque pour les problèmes de la jeunesse, que l'étude de la jeunesse romaine n'en mériterait pas moins d'échapper à ce discrédit. En effet, au-delà des raisons très génér ales qui concourent à faire de la jeunesse, dans la plupart des sociétés, une classe d'âge plus soudée que les autres, et plus apte à être considérée isolément en tant que telle (raisons qui tiennent notamment à une autonomie déjà acquise au sortir de l'enfance, mais pas encore obérée par la responsab ilité d'une famille ou par le déclin physique et la dépendance qui en résulte), ce champ d'études voit s'affronter de façon particulièrement significative certaines contradictions propres à la société romaine: société complexe et souvent déroutante derrière une façade faussement familière, société à la
1 J. Dutourd, Un sujet ennuyeux, dans La Revue de Paris, septembre 1969, p. 11. 2 P. Roussel, Etude sur le principe d'ancienneté dans le monde hellénique du Ve siècle avant J.-C. à l'époque romaine, dans Mémoires de l'Institut National de France, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XLIII, 2e partie, 1951, p. 132.
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JEAN-PAUL MOREL
fois « froide » et « chaude », à histoire à la fois « stationnaire » et « cumulat ive » - pour reprendre des expressions de Cl. Lévi-Strauss 3 - selon le domaine que l'on considère ou, mieux, selon le point de vue que l'on adopte. Les problèmes de la jeunesse n'y apparaissent pas avec l'évidence qu'ils présenteraient, soit dans une société très primitive (ou des classes d'âge figées se perpétuent clairement au cours des siècles), soit dans une société à évolution très rapide comme celle où nous vivons (où les antagonismes entre générations renaissent d'année en année sous des traits changeants). Chercher à les dégager de la gangue des situations ambiguës sous lesquelles on les entrevoit, du réseau des interprétations erronées ou tendancieuses qu'en présentent les Anciens eux-mêmes, est une entreprise passionnante mais ardue. Est-ce la difficulté de l'enquête? Est-ce le manque d'évidence d'une problématique de la jeunesse à Rome? Toujours est-il que la désaffection de la recherche historique a longtemps été si profonde que, malgré les efforts de quelques pionniers, J. Gagé a pu parler à cet égard d'une « indiffé rence presque complète » 4. Mais ce sont les mêmes raisons qui avaient conduit M. Jacques Heurgon à attirer notre attention sur l'intérêt d'une telle étude. Ce thème ne pouvait que séduire un esprit aussi sensible que le sien à la diversité des aspects du génie latin et italique, à la combinaison des documents et des indices les plus variés, aux échos que le monde moderne et le monde antique se renvoient mutuellement. Si nous n'avons pas noué la gerbe, du moins avons-nous pu constater la réalité des problèmes, la richesse des aperçus possibles, l'enchevêtrement des voies qui s'offrent au chercheur: et ce sont quelques lignes de force, parmi d'autres, que nous aimerions dégager ici en hommage d'admiration et de gratitude au savant et au maître.
Une enquête totale sur la jeunesse romaine devrait s'engager dans des directions très diverses, et s'intéresser par exemple aux institutions politiques comme aux composantes religieuses, à l'éducation comme aux rites de passage,
3 Le champ de l'anthropologie, Leçon inaugurale au Collège de France, Paris, 1960 = Anthropologie structurale deux, Paris, 1973, p. 40-41; Race et histoire, Paris, 1952 (rééd. 1961), p. 41 sq. = Anthropologie structurale deux, p. 395-401. 4 Classes d'âge, rites et vêtements de passage dans l'ancien Latium. A propos de la garde-robe du roi Servius Tullius et de la déesse Fortuna, dans Cahiers internationaux de sociologie, XXIV (n.s., 5e année), 1958, p. 34.
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME
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à la démographie comme à l'idéologie, à la linguistique comme à l'icono graphie. Nous nous bornerons à évoquer ici - non pour les étudier de façon approfondie, mais pour souligner leurs différences et leur inégale fécondité en l'état actuel de la recherche - trois thèmes possibles: aspects politico-littéraires, aspects institutionnels, aspects « archaïques » ou « primit ifs ». Nous ne nous interdirons pas de recourir ici ou là à des parallèles modernes, voire contemporains. Nous sommes en effet de plus en plus per suadé que des textes anciens, parfois obscurs ou pris à la légère, peuvent être éclairés par des observations incontestables effectuées près de nous, sans la moindre référence au monde romain: échappant ainsi au reproche de vouloir trop prouver, ces observations apportent par là même aux auteurs antiques une caution qui n'est pas négligeable.
I - LITTÉRATURE, POLITIQUE
ET
PSYCHOLOGIE
Nous serions tenté d'évoquer cet aspect par prétention. Si toutes les périodes de la littérature latine, des adulescentes de Plaute jusqu'à l'exalta tion juvénile de saint Augustin, se prêtent à une étude psychologique, morale ou politique de la jeunesse romaine, l'époque de Catilina, de la Correspon dance de Cicéron, des poetae noui est manifestement cruciale à cet égard. Le « mal du siècle » de ces jeunes gens, ou leur arrivisme, ont longtemps constitué, et constituent encore, les thèmes de prédilection d'une certaine forme de l'histoire littéraire, et souvent de l'histoire tout court. Ils ont donné lieu à des observations pénétrantes, justes et stimulantes. Toutefois, nous ne pensons pas que l'on puisse parvenir à une compréhension spécifique de la jeunesse romaine en se contentant de poser ses pas dans ceux de Gaston Boissier5. Affirmer, après s'être interrogé sur les causes du comportement de la jeunesse au siècle de César, que « tous ces jeunes gens étaient simple mentfous d'amour et de poésie », ajouter « qu'il n'y a pas, en définitive, de bien grandes différences entre cette jeunesse du siècle de César et la jeunesse de tous les temps » 6, c'est tenir sur ce qu'il est convenu d'appeler la jeunesse éternelle, considérée du reste exclusivement sous ses dehors « révo-
5 Voir notamment Caelius et la jeunesse romaine au temps de César, dans Revue des Deux-Mondes, 1864, p. 41-74; Cicéron et ses amis, Paris, 1865. 6 J. Granarolo, La jeunesse au siècle de César d'après Catulle et Cicéron, dans Actes du Congrès de l'Association Guillaume Budé (Lyon, 1958), Paris, 1960, p. 494 et 515.
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lutionnaires » ou « romantiques », des propos qui, si intéressants soient-ils, risquent de fourvoyer la réflexion ou de la faire tourner court. Non que tout soit dit en ce domaine. Mais l'étude politico-littéraire et psychologique de la jeunesse à Rome gagnerait à renouveler et à diversifier ses méthodes, quitte à renoncer aux dissertations élégantes, et notamment à s'inspirer de l'actualité la plus crue, et au besoin la plus journalistique. Peut-être les faits romains prendraient-ils alors une autre signification, un autre relief. Par exemple, il serait intéressant d'étudier - mais en se demand antce qu'il entre en eux de conflits de générations d'une part, et d'autre part de vestiges d'une division de la société par groupes d'âge - certains passages de la Correspondance de Cicéron: Cicéron qui flatte éperdument les adulescentuli nobiles 7, mais reçoit en retour d'un Caelius une lettre où perce l'irrévérence, sinon un soupçon d'hostilité, contre la génération précé dente et nantie, uos senes diuites . . . 8. Il serait plus intéressant encore de relire à la lumière d'événements récents, et par conséquent bien observables, le passage de la Conjuration de Catilina dans lequel Salluste nous montre la iuuenfus italienne quittant pour une Rome où l'attirait l'espoir d'une vie facile et subventionnée d'hommes de main des campagnes où son travail ne lui assu rait plus la subsistance9: phénomène qui de nos jours encore, dans les pays et sous les régimes les plus divers, assure ou est censé assurer à certains ambitieux ou à certains partis des masses de manœuvre prêtes à tout, et qui peut faire de la lecture d'un quotidien le meilleur commentaire à l'histo rien romain 10. De fait, Catilina ne fut-il pas, aux dires de Cicéron, le séducteur
7 Adulescentuli nobiles et autres expressions analogues: voir par exemple la Correspon dance de Cicéron, lettres XII, 1, 6; 8, 33; 13, 50; XXII, 5; XXVII, 3; CXXIX; CLXXV, 3; CCXXVII, 4; CCLXXIII, 4. 8 Quidnam rei publicae futurum sit si senatum non curet, uos senes diuites uideritis (Cic, Corresp., lettre CCLXII, 2). Le rapprochement senatus-senes serait intéressant si senatus n'était pas une conjecture de L. Mendelssohn, Analecta tulliana, dans Neue Jahrbücher für Philologie und Pedagogik, 37, 1891, p. 67-80, acceptée notamment par L.-A. Constans et J. Bayet dans leur édition de la Collection des Universités de France, t. IV, Paris, 1950. Pour des études psychologiques sur Caelius comme représentant typique de la jeunesse romaine au temps de César, cf. supra, note 5. 9 Salluste, De coniur. Catil, XXXVII, 7: praeterea iuuentus, quae in agris manuum mer cede inopiam tolerauerat, priuatis atque publicis largitionibus excita, urbanum otium ingrato labori praetulerat. 10 On en trouvera dans les numéros du Monde en date des 3-4 décembre 1972 et du 25 février 1970, respectivement, des exemples concernant des pays aussi différents que Madag ascar et la Chine populaire. Ainsi, pour le premier cas, ces lignes: « Dans les centres urbains de Madagascar s'entassait depuis de longues années un prolétariat misérable: venus de la
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de cette jeunesse et comme son miroir aux alouettes, iuuentutis illecebra n? On s'exposerait en outre à méconnaître la portée de tels textes si l'on n'évo quait à leur propos le problème des rapports entre société rurale et société urbaine, et du rôle respectif des jeunes dans ces deux types de société: jeunes mieux intégrés à leur famille dans une société rurale, ou si l'on veut mieux neutralisés par ce milieu familial qui reste prépondérant et qui compense largement l'antagonisme entre les générations par leur solidarité ressentie à tous les instants; jeunes plus enclins, dans une société urbaine, à s'unir selon le critère de l'âge et à former des bandes. En devenant l'Urbs par excellence, Rome n'a pas manqué de connaître cette évolution, et d'en subir les conséquences 12. II - INSTITUTIONS Très tôt, la société romaine a minutieusement codifié les aspects admin istratifs de la répartition par âges. Dans sa monumentale étude sur le prin cipe d'ancienneté dans le monde hellénique, P. Roussel a reconnu que Rome s'est montrée sous ce rapport plus précise, plus formaliste que la Grèce elle-même 13. Pour ne pas parler des leges annales qui scandent rigoureuse-
campagne ou rejetés par le système scolaire, ces déshérités végétaient au jour le jour ... Ils revendiquaient leur filiation paysanne . . . On les mit en garde contre les manipulateurs qui cherchaient à se servir d'eux comme templin pour leurs ambitions personnelles »; ils fondèrent le parti des «Jeunes gens sans travail de Madagascar», etc. - Quant à la Chine de 1970, à propos des « formations illégales et ultra-gauchistes de jeunes et de gardes rouges » qui « ont surgi à Pékin et dans d'autres grandes villes chinoises après le retour de la masse des jeunes qui ont quitté les zones rurales sans autorisation», l'agence Tass, selon Le Monde, affirme que « tout au début de la révolution culturelle, les maoïstes se sont servi de la jeunesse en tant que force de choc». 11 CatiL, II, 4, 8. - Intéressantes remarques sur l'attitude politique de Catilina, César et Cicéron envers les jeunes gens dans W. Allen, Jr., On the importance of young men in Cicero nianpolitics, dans CJ, XXXIII, 1937, p. 357-359. 12 Dans les textes que nous avons cités précédemment, l'opposition ville-campagne est fortement marquée, aussi bien chez Salluste (urbanum otium Φ in agris) que dans les documents contemporains («centres urbains » Φ « venus de la campagne», «filiation paysanne»; «grandes villes» Φ «zones rurales»). Cette opposition comporte aussi à Rome des implications littéraires, que nous avons tenté de signaler (J.-P. Morel, ha «iuuentus» et les origines du théâtre romain (Tite-Live, VII, 2; Valére Maxime, Π, 4, 4), dans REL, XLVII, 1969 [1970], p. 230-231), et des implications cultuelles, sur lesquelles cf. C. Gallini, Protesta e integrazione nella Roma antica, Bari, 1970, p. 30-31. 13 Etude sur le principe d'ancienneté, op. cit., p. 125-126.
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ment les cursus sénatoriaux, on voit une division en deux classes d'âge - iuniores et seniores - structurer, selon des modalités qui, il faut bien le reconnaître, nous échappent le plus souvent, toute une série d'assemblées, de magistratures ou d'institutions centrales ou municipales - Sénat peutêtre 14, equitatus 15, sévirat 16, turmae 17, curies 18, tribus 19 - et, d'abord et surtout, les centuries. A propos de ces dernières, Mommsen, tout en affirmant l'origine purement militaire de cette division, a reconnu qu'elle avait aussi, en fin de compte, des implications politiques, puisqu'elle conférait aux voix des plus âgés une prépondérance de fait20: exemple typique de l'ambiguïté de Rome, où fonctions primitives et rôles politiques se juxtaposent, puis se superposent, les seconds tendant de plus en plus à supplanter les premières sans toutefois en effacer complètement le souvenir. Trois institutions sont particulièrement représentatives de cette ambig uïté, qui ne résulte pas uniquement des lacunes de notre information: les collegia iuuenum, le principat de la jeunesse, le lusus Troiae. Les collegia iuuenum, ou les divers groupements analogues, résument en eux les paradoxes des institutions officielles consacrées à la jeunesse: ces associations sont abondamment attestées par des textes et surtout par des inscriptions, et ont été - une fois n'est pas coutume - attentivement étudiées; mais elles n'en restent pas moins fort mal connues. L'abondante littérature qui leur est consacrée21 fait ressortir non seulement la perplexité
14 Cf. B. G. Niebuhr, Römische Geschichte, I, 5e éd., Berlin, 1853, p. 185-186; G. Bloch, Les origines du Sénat romain, Paris, 1883, p. 279-284; A. Piganiol, Essai sur les origines de Rome, Paris, 1917, p. 253-254. 15 Cf. W. Seston, Les chevaliers romains et le «justitium de Germanicus », dans Rev. Hist, de Droit Français et Etr., 4e s., XXX, 1952, p. 169 sq. 16 Cf. L. R. Taylor, Seviri equitum Romanorum and municipal seviri: a study in pre-military training among the Romans, dans JRS, XIV, 1924, p. 158-171; A. Calderini, Milano romana, fino al trionfo del Cristianesimo, dans Storia di Milano, I, Milan, 1953, p. 271-276. 17 J. Toutain, s.v. Troja, Trojae ludus, dans Diet, des Ant, V (1912-1919), p. 493-496. 18 Cf. R. Cagnat, Chronique d'épigraphie africaine, dans BCTH, 1895, p. 69-70; St. Gsell, ILAlg., I, Paris, 1922, p. 301, n. 3080; G. Charles-Picard, Civitas Mactaritana (= Karthago, VIII), Paris, 1957, p. 80-81. 19 Cf. A. Rosenberg, s.v. Iuniores, dans RE, X, 1 (1917), col. 950-960; G. Charles-Picard, op. cit., p. 81. 20 Th. Mommsen, Le droit public romain, VI, 1, Paris, 1889, p. 297. 21 Parmi les études les plus importantes et les plus récentes, il faut mentionner G. CharlesPicard, Civitas Mactaritana, op. cit., passim; H. W. Pleket, Collegium iuvenum Nemesiorum: a note on ancient youth-organisations, dans Mnemosyne, ser. IV, XXII, 1969, 3, p. 281-298; J. Gagé, Les organisations de «iuvenes» en Italie et en Afrique du début du IIIe siècle au
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de la recherche actuelle, mais aussi la diversité des situations réelles, en ce qui concerne le nom de ces collèges (collegia iuuenum, iuuenes, iuuentutes . . .); leur origine (qu'il s'agisse de leurs antécédents lointains ou de leur date d'apparition); l'âge de leurs membres (limites d'âge supérieure et infé rieure, légales ou de fait) et leur condition sociale; les magistrats ou les responsables chargés de les animer, de les encadrer, de les administrer; et leur finalité, pour laquelle les auteurs modernes ont mis l'accent, tour à tour, sur les buts culturels22, la formation militaire23, la constitution de milices locales24, l'entraînement sportif25, la participation à des jeux et à des specta cles 26, la célébration du culte impérial 27, l'accomplissement de rites religieux
«bellum aquileiense» (238 ap. J.-C), dans Historia, XIX, 1970, 2, p. 232-258; et surtout les nombreux travaux de M. Jaczynowska, et notamment Collegia iuuenum; le rôle et l'activité des associations de la jeunesse romaine au temps du Haut Empire (en polonais avec un résumé en français), Torun, 1964 (avec un catalogue de 201 inscriptions); L'organisation des iuvenes à Trebula Mutuesca, dans Eos, 57, 1967-1968, 2, p. 296-306; Les collegia iuuenum et leurs liaisons avec les cultes religieux au temps du Haut Empire romain, dans Zeszyty Naukowe, Nauki Humanistyczno-spoleczne Zeszyt 32, Historia IV, Torun, 1968. p. 23-42; L'organisation intérieure des « collegia iuvenum » au temps du Haut-Empire romain, dans Gesellschaft und Recht im griechisch-römischen Altertum, Teil 2, Berlin, 1969, p. 95-119; Les organisations des iuvenes et l'aristocratie municipale au temps de l'Empire romain, dans Recherches sur les structures sociales dans l'Antiquité classique, Paris, 1970, p. 265-274. 22 S. L. Mohler, The iuuenes and the Roman education, dans TPAPhA, LXVIII, 1937, p. 442-479. 23 C. Jullian, s.v. Juvenes, Juventus, dans Diet, des Ant. (1900); M. Rostowzew, Pinnirapus iuvenum, dans MDAI(R), XV, 1900, p. 223-228; M. Della Corte, Iuventus, Arpino, 1924, p. 11; Id., La iuventus e l'organizzazione della gioventù, dans Atti del V Congr. Naz. di Studi Romani, II, Rome, 1940, p. 350-356. 24 C. Jullian, art. cité, p. 784; M. Della Corte, Iuventus, op. cit., p. 16; L. Leschi, les «Juvenes» de Saldae d'après une inscription métrique, dans Etudes d'épigraphie, d'archéologie et d'histoire africaines, Paris, 1957, p. 349-360 (réimpr. de Rev. Ap.,. LXVIII, n. 333, 1927, p. 393-419); G. Picard, Mactar, dans Bull. écon. et social de la Tunisie, n. 90, juillet 1954, p. 18; Id., La civilisation de l'Afrique romaine, Paris, 1959, p. 36. 25 A. Galieti, Intorno al culto di «Iuno Sispita Mater Regina» in Lanuvium, dans BCAR, XLIV, 1916, p. 9; L. Leschi, art. cité, p. 360; A. Marzullo, II «collegium juvenum» e le bene merenze dei Tulli a Paestum, dans Atti del III Congr. Naz. di Studi Romani, Bologne, 1934, p. 601; E. Magaldi, Lucania romana, I, Rome, 1948, p. 251-253; M. Jaczynowska, Collegia iuvenum, op. cit., p. 87; H. W. Pleket, art. cité, p. 286 et 291. 26 L. Mariani, dans NSA, 1897, p. 419-420; C. Jullian, art. cité, p. 783; M. Rostowzew, Römische Bleitesserae, Leipzig, 1905, p. 68-71; A. Galieti, art. cité, p. 9; G. Charles-Picard, Civitas Mactaritana, op. cit., p. 79; M. Jaczynowska, ibid. 27 R. Egger, Eine Darstellung des Lusus Juvenalis, dans JÖAI, XVIII, 1915, p. 115-129; G. C. Susini, Nuove prospettive storiche: a proposito di alcune scoperte romane in Emilia, dans Atti del III Congr. Intern, di Epigr. greca e latina (Roma, 1957), Rome, 1959, p. 324.
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ou funéraires28, l'influence politique29, les tâches civiles d'utilité publique (annone30, cursus publicus51), toutes ces hypothèses pouvant du reste s'avé rerexactes selon le cas considéré. Cette diversité, qui contraste avec la tendance à la centralisation et à l'uniformisation de l'administration impériale, ne s'explique peut-être que si ces collèges reflétaient des ascendances très variées, que nous pouvons parfois entrevoir sans être sûrs de les interpréter correctement. Il en est ainsi des groupements municipaux de jeunes en Sabine, que semble impliquer, si controversée qu'en soit l'origine, la présence parmi les octouiri de Trebula Mutuesca de deux magistri iuuentutis32, ou des iouie des Tables Eugubines33, ou des classes d'âge des tribus celtes ou ligures d'Italie du Nord 34, ou, enfin, de la vereiia osque 35: mais la nature de cette dernière est elle-même ambiguë, puisqu'on y trouve, comme dans une auberge espagnole, ce qu'on y apporte ou ce qu'on veut y voir - selon les cas iuuentus, assemblée des uiri ou milice veillant sur les portes - et que le rôle joué plus d'un siècle plus tard à Pompéi par des iuuenes mêlés, en tant que tels, aux joutes électorales, peut résulter aussi bien d'une lointaine filiation depuis la vereiia pompéienne que du hasard qui nous a conservé ici graffiti et inscriptions peintes.
28 H. Demoulin, Les collegia juvenum dans l'Empire romain, dans Musée belge, I, 1897, p. 114-136 et p. 200-217; C. Jullian, art. cité, p. 782; G.-Charles Picard, Civitas Mactaritana, op. cit., p. 133; H.W. Pieket, art. cité, p. 286. 29 M. Della Corte, Juventus, op. cit., p. 23-27; C. Nicolet, Appius Claudius et le double Forum de Capoue, dans Latomus, XX, 1961, 4, p. 707. 30 G. Picard, Mactar, art. cité, p. 18; Id., Civitas Mactaritana, op. cit., p. 88 et 144. 31 H. G. Pflaum, essai sur le Cursus Publicus sous le Haut-Empire romain, dans Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de l'Institut de France, t. XIV, lère partie, Paris, 1940, p. 214 sq. 32 Sur ce problème, cf. M. Torelli, Trebula Mutuesca. Iscrizioni corrette ed inedite, dans Rend. Lincei, s. 8, XVIII, 1963, 3-4, p. 240-241; M. Jaczynowska, L'organisation des iuvenes à Trebula Mutuesca, art. cité. 33 Cf. G. Devoto, Gli antichi Italici, 3e éd., Florence, 1967, p. 223. 34 Cf. A. Passerini, II territorio insubre nell'età romana, dans Storia di Milano, I, Le origini e l'età romana, Milan, 1953, p. 166; E. Sereni, Comunità rurali nell'Italia antica, Rome, 1955, p. 210-214. 35 C'est ce que réaffirme en dernier lieu G. Devoto, Tre aspetti della romanità arcaica, dans Riv. Stor. Italiana, LXXX, 1968, 3, p. 661-662, en insistant sur l'importance des classes d'âge dans la tradition italique qu'il oppose sous ce rapport, de façon sans doute excessive, à la «romanité», où l'aurait emporté, au lieu de «la distinction entre anciens et jeunes» mainte nue chez les Italiques, «la lutte de classes entre patriciens et plébéiens».
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II reste que ces collèges, dont la nature et les fonctions ont été si ardemment débattues, semblent n'avoir joué dans le monde romain qu'un rôle somme toute très secondaire. C'est à notre sens le type même de sujet qui, compte tenu de son importance réelle, a excessivement détourné l'atten tiondes historiens de Rome de recherches touchant à des aspects plus fondamentaux. Les principes iuuentutis poseraient des problèmes tout à fait analo gues36. Là aussi, il s'agit d'une institution amplement attestée par la littéra tureet par l'épigraphie d'époque impériale; là aussi, il s'agit d'un titre dont la signification exacte, dont les conditions d'attribution, dont la date de créa tion sont loin d'avoir été complètement élucidées; là aussi il s'agit d'une fonction dont les racines plongent de toute évidence dans un passé très lointain, où elle avait sans doute une autre nature, plus spontanée, et une autre extension, puisqu'elle concernait non pas un individu, ou quelques individus, mais tout un groupe prééminent au sein de la iuuentus. Cela, les textes antiques nous le laissent entrevoir37; mais ils ne nous aident guère, après avoir éveillé notre curiosité, à pousser l'enquête plus avant. Le lusus troiae offre un autre exemple de coutume moribonde ressuscitée par un pouvoir fort. Ce très ancien et très mystérieux carrousel de la jeunesse, derrière lequel on entrevoit des lointains d'un archaïsme et d'une continuité passionnants, fut repris par Sylla38, puis par César39, puis par Auguste40 pour la propagande de leur régime et l'exaltation de la race et
36 Voir notamment L. G. Koch, De principe iuventutis, Leipzig, 1883; L. Cesano, Di un nuovo medaglione aureo di Costantino I e del «princeps iuventutis»: studio numismaticoepigrafico, dans Rassegna Numismatica, Vili, 1911, 3-6, p. 32-92; J.P.D.V. Baldson, Gaius and the Grand Cameo of Paris, dans JRS, XXVI, 1936, p. 152-160 (en particulier p. 155-157); W. Beringer, s.o. Princeps juventutis, dans RE, XXII, 2 (1954), col. 2296-2311; et en dernier lieu J. Gagé, Programme d' « italicité » et nostalgies d'hellénisme autour de Gallien et Salonine. Quelques problèmes de «paideia» impériale au IIIe siècle, dans Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II, 2, Berlin -New York, 1975, p. 828-852 et en particulier p. 844-847 (s'inspirant, pour ce qui est du « charisme » apollinien dont se réclamait Volusien, de deux études de J. Heurgon, Tarquitius Priscus et l'organisation de l'ordre des haruspices sous l'empereur Claude, dans Latomus, XII, 1953, p. 402, et Traditions étrusco-italiques dans le monnayage de Trébonien Galle, dans SE, XXIV, 1955-56, p. 91-105. 37 Voir, par exemple, Tite-Live, II, 12, 15: trecenti coniurauimus principes iuuentutis Romanae . . . 38 Plutarque, Cato Minor, 3: on suppose généralement (mais sans indice probant) qu'il s'agit d'une reprise d'une ancienne tradition par Sylla après une longue interruption. 39 Suétone, Diu. lui, XXXIX, 4. 40 Suétone, Aug., XLIII, 5.
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notamment de sa jeunesse, mais de façon si artificielle, si peu « sentie », qu'Auguste devait y mettre fin, sur les réclamations des sénateurs, à la suite d'un très banal accident - une jambe cassée - survenu à l'un des partici pants41! Les institutions que nous venons d'évoquer nous laissent en fin de compte une double impression de fossilisation et de récupération: - fossilisation, dans la mesure où, par un processus connu aussi en Grèce42, on voit se restreindre à des groupes peu nombreux, voire, dans le cas du princeps iuuentutis, à un individu parfois unique, des caractéristiques, des obligations, ou des droits qui ont dû primitivement être le fait de toute une classe d'âge, ou d'une partie notable de cette classe d'âge43; fossilisation aussi quand ce qui primitivement allait de soi et naissait spontanément fait désormais l'objet d'une création volontaire et d'une réglementation. - récupération d'autre part, si l'on peut risquer ici ce terme moderne, dans la mesure où ces institutions parfois maintenues artificiellement en vie sont mobilisées au service d'une propagande44. Un exemple frappant de cette utilisation idéologique et politique est offert par ce document eminent de la propagande impériale qu'est le Grand Camée de France, si l'on accepte d'y voir, avec Ludwig Curtius, Caligula en princeps iuuentutis, recevant un casque après un lusus troiae, tandis que Tiberius Gemellus s'appuie sur des armes de schola iuuentutis, le tout en présence de la déesse Juventas accompagnée des divinités typiques de la jeunesse que sont Honos et
41 Sur le lusus troiae, voir surtout H. von Petrikovits, Troiae lusus, dans Klio, XXXII, 1939, p. 209-220; L. Herrmann, Remarques sur le ludus Troiae, dans RBPhH, XVIII, 1939, 2-3, p. 487-492 (qui insiste sur le caractère politique que ce «jeu» prit à partir de l'époque de Sylla). Sur l'«étymologie complaisante» qui sous Auguste permit de conforter la légende des origines troyennes de Rome, cf. J. Heurgon, La vie quotidienne chez les Etrusques, Paris, 1961, p. 249-251. 42 Voir par exemple H. Jeanmaire, Couroi et Courètes, Lille, 1939, p. 443: «il est probable qu'[en Crète], comme à Athènes, les rites auxquels avait participé autrefois toute la jeunesse s'étaient restreints au cercle de quelques familles». 43 Une étape intermédiaire semble être distinguée par P. Vidal-Naquet lorsqu'il évoque les «sociétés secrètes», «petits groupes accomplissant une tâche d'intérêt public et pour lesquels un degré particulier d'initiation est prévu » (Les jeunes: le cru, l'enfant grec et le cuit, dans Faire de l'histoire, sous la direction de J. Le Goff et P. Nora, III, Paris, 1974, p. 155): on pense par exemple, pour Rome, aux Luperques. 44 Voir notamment P. L. Lambrechts, Het begrip «jeugd» in de politieke en godsdienstige hervormingen van Augustus, dans Ant Class., XVII, 1948, p. 355-371.
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Virtus (cette dernière absente sur la gemme, mais restituée par Curtius sur un original supposé) 45. Exemple privilégié, mais non pas isolé. Ainsi, quelques décennies aupa ravant, d'anciens compagnons de César, conduits par P. Sittius, avaient fondé en Numidie la Colonia Iulia Iuuenalis Honoris et Virtutis Cirta, dont le nom étonnant exaltait manifestement l'idéologie de la jeunesse, particulièrement ancrée, semble-t-il, dans les milieux campaniens (ou, mieux, pompéiens et nucériens) dont Sittius était originaire46. On peut observer ici une étape intermédiaire du gauchissement progressif des institutions se rapportant à la jeunesse, étape au cours de laquelle l'utilisation de symboles de la classe d'âge des jeunes, idéologique déjà, mais encore relativement spontanée, est encore le fait d'un groupe marginal47, et non pas déjà celui du pouvoir central. Tous les exemples invoqués invitent donc à chercher, derrière la façade officielle et artificielle qu'à nos yeux présentent souvent ces institutions à partir du dernier siècle de la République, les manifestations plus spontanées de la jeunesse en tant que groupe d'âge, dans une Rome plus archaïque ou, serait-on tenté de dire, plus primitive.
45 Cf. L. Curtius, Neue Erklärung des grossen Panser Carneo mit der Familie des Tiberius, dans MDAI(R), XLIX, 1934, p. 119-156. D'autres interprétations sont proposées notamment par J.P.V.D. Baldson, art. cité; et par J. Charbonneaux, Le Grand Camée de France, dans Mélanges Charles Picard (= RA, 1948), p. 170-186, qui insiste beaucoup, lui aussi, sur les éléments qui dans ce relief se rapportent à la jeunesse. 46 Cf. J. Heurgon, Les origines campaniennes de la confédération cirtéenne, dans Libyca, V, 1957, 1, p. 7-24, et notamment p. 20: «...Iuuenalis, parce que Sittius avait donné à ses bandes l'allure et les mots d'ordre de ces associations de iuuenes qui, avant d'être encouragées à Rome par Auguste, étaient nées et s'étaient développées dans tout le monde osque, notamment à Pompéi». A. Berthier, Colonia Cirta Sittianorum, dans Recueil de notices et mémoires... de Constantine, LXX, 1957-1959, p. 91-118, préférerait attribuer cette fondation à Auguste (l'idéologie serait alors la même, mais elle s'insérerait dans l'ensemble de la propagande augustéenne); les arguments développés par J. Heurgon à l'appui d'une fondation unitaire, et d'une ascendance campanienne, des quatre colonies de la Confédération cirtéenne, nous paraissent toutefois emporter l'adhésion. Voir aussi, à propos de cette «Nouvelle-Campanie», J. Heurgon, La lettre de Cicéron à P. Sittius (Ad Fam., V, 17), dans Latomus, IX, 1950, p. 369-377 (p. 369). 47 Sinon même de marginaux: très significativement J. Heurgon décrit P. Sittius comme un «fuoruscito» (Les origines campaniennes..., art. cité, p. 10). On se rappellera à ce sujet les réflexions de G. Dumézil sur le mot sodalis « qui désigne le membre d'un petit groupe auto nome contenu dans la société et qui parfois s'oppose à elle»: la sodalitas «ne s'ajuste pas complètement à l'ensemble social » (Aspects de la fonction guerrière chez les Indo-Européens, Paris, 1956, p. 13).
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III - ASPECTS PRIMITIFS Nous abordons ici un domaine où l'érudition moderne n'aime guère s'aventurer trop avant, quand elle ne s'en écarte pas avec méfiance. La désaffection pour ce type de recherches s'explique doublement: - la première raison est une étrange indifférence de nos contempor ains à cet égard dès lors qu'il s'agit de Rome: soit parce que l'on est obscu rément convaincu que les Romains n'ont rien pu posséder en propre et qu'ils n'ont fait, ici comme ailleurs, qu'emprunter à d'autres civilisations et notam mentà la Grèce; soit parce que l'on est persuadé que Rome n'a jamais pu présenter les traits d'une société primitive et que l'on préfère en retenir les aspects formalistes, juridiques, « classiques ». Or, s'il importe de prêter atten tion à certaines mises en garde contre les tentations du « primitivisme » ou d'une « ethnologie sans histoire » 48, il serait également dommageable de s'en tenir ici à une histoire sans ethnologie; - l'autre raison tient au fait que les Romains qui, au fond, les siècles s'écoulant, en sont venus à se faire d'eux-mêmes une idée assez analogue à celle que nous en avons communément, se sont comme plu à brouiller les pistes. G. Dumézil a montré, par exemple, qu'ont disparu du latin les noms de la « fonction guerrière », du « héros fort », du « jeune homme excessif », et que cette langue a créé pour les notions militaires un vocabulaire nouveau, impliquant la substitution d'un patriotisme unitaire et discipliné à la « moral e de classe » du guerrier 49. Il est hors de doute que cette évolution du vocabulaire est très significative. Mais cette morale de classe elle-même, le furor, le goût de la uis, ont-ils disparu pour autant? N'ont-ils joué aucun rôle dans l'histoire de Rome, dans la conscience romaine? On l'a parfois prétendu; nous sommes quant à nous persuadé du contraire50.
48 Cf. J. Heurgon, La religion romaine archaïque, dans REL XLIV, 1966 (1967), p. 86-93 (sur les dangers du «primitivisme» impénitent, p. 87-88); P. Vidal-Naquet, Les jeunes: le cru..., art. cité, p. 161-162. 49 G. Dumézil, Ner- et viro- dans les langues italiques, dans REL, XXXI, 1953 (1954), p. 175-190. 50 A. Varagnac, Civilisation traditionnelle et genres de vie, Paris, 1948, p. 267, soutient - non sans exagération - qu'avant l'invention du canon seules les armées romaines ont su échapper à l'alternative action prodigieuse du héros-action massive des foules armées (mais le livre I de Tite-Live, comme son livre VII, abondent en exemples d'« actions prodigieuses de héros»). L. Gerschel, de son côté, oppose la «morale héroïque» du guerrier ou du champion
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II faut toutefois reconnaître que les indices d'une Rome à classes d'âge du type primitif sont épars et peu évidents, et qu'il est aisé de refuser d'en tenir compte si l'on ne veut voir dans les Romains qu'un peuple de soldats disciplinés, de politiciens formalistes ou retors et de juristes tatillons. Mais ces indices s'éclairent s'ils sont examinés à la lumière combinée d'une analyse interne poussée et d'un comparatisme diversifié. Idée banale, certes. Mais sa mise en œuvre - et peut-être faut-il parler ici de nouveauté - devrait être désormais singulièrement facilitée par l'appa rition récente de nouvelles stimulations, grâce au développement des études dans d'autres domaines favorisés à cet égard par l'abondance et le caractère explicite des documents. L'historien de Rome, s'il s'intéresse à ces problèmes, n'est plus réduit à chercher dans l'ethnologie - qu'elle considère les peuples « primitifs » 51 ou les coutumes de nos sociétés « traditionnelles » 52 - des parallèles qui risquent de lui être reprochés comme des amusements, ou de le laisser sur sa faim, si éclairants, si légitimes qu'ils soient. Les idées, les confirmations et les explications peuvent être puisées aussi: - dans le monde grec, qui bénéficie à cet égard d'études bien plus avancées que le mode romain. Si ce dernier a G. Dumézil et J. Gagé, il n'a pas eu son Jeanmaire et son Brelich, son Forbes et son Pélékidis, son VidalNaquet et son Détienne53;
indo-européen, en quelque façon du « chevalier -brigand » - celle d'un Coriolan - à « la morale traditionnelle du Romain attaché à sa terre», du «soldat-laboureur» (Coriolan, dans Hommage à Lucien Febvre, II, Paris, 1953, p. 40): mais, là encore, on objectera que la légende de Coriolan (lequel, du reste, fait partie des primores iuuenum, Tite-Live, II, 35, 5) atteste précisément la coexistence, et le conflit, des deux morales à Rome même. 51 Cf. F. R. Chaumartin, M. Chiappore et M. Woronoff, La pédagogie des langues anciennes à Dakar, dans Actes du 6e Congrès de l'Association des Professeurs de Langues Anciennes de l'Enseignement Supérieur, Rennes, 1973, p. 49-55: un «groupe de travail et de recherche sur les structures comparées des sociétés africaine et grecque» a reconnu dans les classes d'âge et les rites de passage le thème le plus fécond d'une étude comparative. Voir aussi infra, note 73. 52 Voir par exemple A. Van Gennep, Les rites de passage, Paris, 1909; Id., Quelques rites de passage en Savoie, dans RHR, XXXI, 1910, p. 37-55; A. Varagnac, Civilisation traditionnelle..., op. cit.; Id., L 'archéocivilisation. Notion et méthodes, dans Etudes archéologiques (P. Courbin, éd.), Paris, 1963, p. 219-230; R. Christinger et W. Borgeaud, Mythologie de la Suisse ancienne, 2 vol., Genève, 1963-1965. 53 Outre diverses études mentionnées supra ou infra, nous pensons notamment à C. A. Forbes, Neoi. A contribution to the study of Greek associations, Middletown, 1933; A. Brelich, Paides e Parthenoi, Rome, 1961; C. Pélékidis, Histoire de l'éphébie attique des origines à 31 av. J.-C, Paris, 1962. - M. J.-P. Néraudau soutiendra prochainement une thèse sur la jeunesse romaine.
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- dans d'autres sociétés de l'Italie primitive - sabelliques, celtiques, ligures ... - de mieux en mieux connues grâce aux progrès de l'archéologie, de la linguistique et de l'histoire; - dans le Moyen Age européen, à propos duquel les travaux de G. Duby sur les structures familiales, ou sur les jeunes, ouvrent par exemple des perspectives très enrichissantes54; - dans la société contemporaine, enfin, dût-on s'exposer - surtout depuis mai 1968 - au reproche de s'embarquer sur le dernier bateau. Déjà le fascisme et le nazisme, et leurs adversaires, avaient vu le parti qu'ils pouvaient tirer de l'histoire de notre temps pour éclairer et comprendre les réalités romaines, et le cas échéant en recevoir en retour un semblant de justification55. Et il est difficile de lire un journal, à notre époque, sans y trouver quelque indication propre à nous faire réfléchir sur Rome: « contreculture », « groupes marginaux », « bandes de jeunes », « frustration », sont des notions que l'on peut appliquer, souvent en les nuançant, parfois telles quelles, à la jeunesse romaine. C'est précisément à propos du livre de Clara Gallini sur « Protesta e integrazione nella Roma antica », livre qui fait la part belle au problème de l'insertion des jeunes dans la société, que l'on a récemment rappelé qu'il ne faut pas craindre en ce domaine de poser des questions anachroniques, pourvu que les réponses ne le soient pas56. Certes, comparaison ne doit être ni raison, ni assimilation. Mais les rapprochements entre cultures diverses aident à tout le moins à mettre en relief les particularités de Rome. Ainsi J. Heurgon a-t-il pu opposer « une
54 Voir par exemple G. Duby, Les «jeunes» dans la société aristocratique dans la France du Nord-Ouest au XIV siècle, dans Annales ESC, 19, 1964, 5, p. 835-846, et Structures de parenté et noblesse dans la France du Nord aux XIe et XIIe siècles, dans Miscellanea mediaevalia in memoriam Jan Frederik Niermeyer, Groningue, 1967, p. 149-165 (ces articles sont l'un et l'autre réédités dans le recueil Hommes et structures du moyen âge, Paris -La Haye, 1973, p. 213-225 et 267-285). Voir aussi infra, p. 679. 55 Parallèles avec l'Italie fasciste, critique (L. R. Taylor, Seviri equitum Romanorum..., art. cité) ou élogieux et généralement sans nuances (F. Ribezzo, Studi e scoperte di epigrafia osco-lucana nell'ultimo decennio, dans Riv. Indo-Gr eco-Germanica, 8, 1924, p. 83 sq.; M. Della Corte, Iuventus, op. cit., p. 11; Id., NSA, 1939, p. 262; S. Puglisi, Le associazioni giovanili [= Civiltà Romana, 6], Rome, 1938). Parallèles avec l'Allemagne nazie: P. Wuilleumier, Tarente, des origines à la conquête romaine, Paris, 1939, p. 184; A. Varagnac, Civilisation traditionnelle..., op. cit., p. 317; J. Marabini, Les hommes du futur, Paris, 1965, p. 19-20. 56 W. Kula, Alcuni aspetti della collaborazione tra storici ed economisti, dans A. Caracciolo, éd., Problemi storici dell'industrializzazione e dello sviluppo, Urbin, 1965, p. 52-53, cité par M. Mazza dans son compte rendu de C. Gallini, Protesta e integrazione nella Roma antica, op. cit., dans Ima, XXII, 1971, p. 179.
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mystique du uer sacrum, au nom duquel les populations sabelliennes, et osques en particulier, justifiaient traditionnellement leurs migrations et leurs violences comme si c'était une offrande religieuse de leur jeunesse au dieu Mars », à la « prudence de paysan conservateur et rebelle aux aventures » qui avait pendant longtemps guidé le peuple romain 57. De même, la remarque de M. Détienne selon laquelle, dans les sociétés grecques archaïques ou archaïsantes, « l'assemblée de l'armée est le substitut permanent du peuple » 58, amène à s'interroger sur Rome et à y reconnaître, tout bien pesé et quoi qu'on en ait dit, une situation opposée. Sans vouloir revenir sur les conclu sionsd'une étude antérieure59, nous souhaiterions, ici, souligner combien les faits grecs, mieux explicités, plus propices à l'observation, font ressortir - fût-ce a contrario - les traits de la société romaine. Admet-on, toujours avec M. Détienne, que la voix au chapitre est « un des privilèges de l'homme de guerre » dans cette Grèce archaïque où règne la « solidarité entre la fonction guerrière et le droit de parole » 60? On n'en sera que plus sensible à la distinction que les Latins ont pris soin d'établir entre la fonction militaire, qui revient aux jeunes, et la fonction deliberative, qui est l'apanage des seniores. Ovide et Florus opposent à cet égard arma (ou bella) et consilium 61, aussi clairement que Tite-Live oppose manus et uox 62, voire, dans un contexte différent, Horace bracchia et consilium 63. En Grèce, le couple parole-action peut avoir été, dans certaines cités et à certaines époques, le propre de la classe guerrière64. A Rome, l'action et la parole sont conçues, du moins
57 J. Heurgon, La guerre aux 4e-3e siècles et la «fides romana», dans Problèmes de la guerre à Rome, sous la direction de J.-P. Brisson, Paris -La Haye, 1969, p. 23-32 (p. 26-27); sur le ver sacrum, voir surtout J. Heurgon, Trois études sur le « Ver sacrum », Bruxelles, 1957. 58 Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, Paris, 1967, p. 92. 59 J.-P. Morel, «Pube praesenti in contiene, omni poplo» (Piaute, «Pseudolus», v. 126): pubes et contio d'après Plaute et Tite-Live, dans REL XLII, 1964 (1965), p. 377-388. 60 M. Détienne, ibid. 61 Ovide, Fastes, V, 59-62: Martis opus iuuenes animosaque bella gerebant, / Et pro dis aderant in statione suis; / Viribus Ma minor nec habendis utilis armis / Consilio patriae saepe ferebat opem; Florus, I, 1: iuuentus diuisa per tribus in equis et in armis ad subita belli excubaret; consilium rei publicae penes senes esset. 62 Tite-Live, III, 71, 8: Non potuisse se tarnen inducere in anìmum quin, quem agrum miles pro parte uirili manu cepisset, eum senex quoque uoce, qua una posset, uindicaret. 63 Horace, Odes, III, 4, 41-50, avec l'opposition lene consilium-iuuentus horrida bracchiis (et encore v. 65-70, où l'abus de la uis est symbolisé entre autres par un centimanus gigas). 64 Cette affirmation doit toutefois être atténuée à la lumière de textes comme les vers de Pindare cités par Plutarque, Lycurgue, 21, 6: «Là se distinguent en leurs conseils les vieillards, et sous leurs armes les jeunes gens»: "Evûa βουλαί γερόντων / Kai νέων ανδρών άριστεύουσιν αίχμαί . . .
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idéalement, comme le lot de deux classes d'âge différentes. On ne saurait mieux symboliser, avec la tendance gérontocratique de Rome, l'importance que revêtent dans cette société la notion de groupe d'âge et celle de fonction propre à chaque âge. Fonction politique, mais aussi fonction culturelle. Nous avons eu na guère l'occasion de souligner quelle lumière, et quelle caution, recevaient de l'observation des sociétés primitives ou pré-modernes, en Europe ou hors d'Europe, les fameux textes de Tite-Live et de Valére Maxime relatant les origines du théâtre romain: textes fort malmenés par les exégètes et dont pourtant la vraisemblance et la cohérence sont, en ce qui concerne la nature de la jeunesse et son rôle « ludique », culturel, voire cultuel, tout à fait éclatantes65. Là aussi, nous nous bornerons à deux observations complé mentaires suscitées par des faits plus proches de nous. Le comportement de la iuuentus, tel que le décrivent ces récits, rappelle en effet cette con tre-culture de plus en plus souvent évoquée à propos de la jeunesse de notre époque: contre-culture qui se caractérise entre autres, pour reprendre une de ses définitions, par « le débat entre Dionysos et Apollon, le refus des valeurs techniques, l'attention portée à la qualité des relations interindi viduelles » 66: ce sont là, mutatis mutandis, un conflit, un refus et un choix que Tite-Live laisse transparaître clairement. Et par ailleurs, tout récemment, nous avons eu la surprise de lire sous la plume d'un journaliste qui assurément ne pensait pas à Tite-Live la meilleure illustration des problèmes posés par le passage d'un théâtre d'amateurs à un théâtre de professionnels, tels que les décrit le Padouan67!
65 J.-P. Morel, La « iuuentus » et les origines du théâtre romain, art. cité, p. 208-252. 66 Cf. F. Gaussen, La jeunesse est-elle la dernière chance de la société? dans Le Monde du 26 mars 1971, citant notamment Th. Roszak, Vers une contre-culture, Paris, 1971 (traduction de The making of a Counter Culture; reflections on the technocratie society and its youthful opposition, Londres, 1970). Voir aussi le parallèle établi entre Rome et l'époque contemporaine, en ce qui concerne entre autres la contre-culture, par M. Lancelot, Le jeune lion dort avec ses dents, Paris, 1974, p. 119-128. 67 S. Piscitello, dans La Gazzetta del Mezzogiorno du 4 juillet 1975, à propos d'un spectac le théâtral populaire traditionnellement donné par des amateurs à Sordevolo (Vercelli): «forse occorrerebbe... dare al Teatro popolare di Sordevolo ed alla sua sacra rappresentazione una struttura meno dilettantistica [lege hac fabularum a risu ac soluto ioco res auocabatur, dit Tite-Live en VII, 2] ed una frequenza più riavvicinata [saepiusque usurpando] ... Il rischio [pollui] di una simile decisione è però quello di far perdere a questa manifestazione il suo carattere spontaneo e popolare e di « professionalizzare » attori e comparse che vivono, più che recitare, la loro parte» [ludus in artem paulatim uerterat].
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Convaincu qu'un recours moins timide au comparatisme éclairerait maint aspect de la jeunesse romaine, nous emprunterons deux derniers exemples à notre Moyen Age et à la Grèce archaïque. G. Duby a montré que dans la société française des Xe-XIF siècles, les iuuenes, voués à l'errance et entretenant souvent des relations d'hostilité avec leur père, tendaient à s'agréger au lignage de leur mère et à nouer des liens privilégiés avec leur oncle maternel68. Comment ne penserait-on pas aux analyses conduites indépendamment et antérieurement par J. Gagé - et qui ont suscité, il faut bien le dire, trop peu d'échos -, sur l'hostilité qui dans la Rome archaïque opposa souvent pères et fils (hostilité symbol iséepar l'attitude de Brutus et de Manlius Torquatus faisant mettre leurs fils à mort), et surtout sur le rôle que dans cette société des oncles matern els, des auunculi, ont sans doute joué dans l'encadrement de bandes de jeunes ayant échappé à l'autorité paternelle69? On accordera aux sceptiques qu'il s'agit d'un terrain semé d'embûches: mais pourquoi devrait-on négliger des indices qui à Rome sont faibles et sporadiques, lorsque les documents que nous ont transmis en abondance d'autres sociétés plus heureuses à cet égard invitent à leur restituer, ne serait-ce qu'à titre d'hypothèse, force et cohérence? Ce rôle de révélateurs de faits romains devenus flous et evanescente, nous l'attribuerons maintenant à un corpus de textes se rapportant à la Grèce archaïque et classique, et qui a permis récemment à P. Vidal-Naquet d'analyser le rôle des eschatiai, des zones marginales, dans l'éducation et les fonctions de la jeunesse grecque 70. Dans des postes-frontières, oureia, phrouria, les jeunes gens sont confinés pendant de longues périodes en un isolement qui leur interdit d'être considérés comme des membres à part entière de la cité. Nous avons été frappé d'emblée par les rapprochements qu'il est aisé d'établir entre cette « sauvagerie provisoire du crypte » 71 et les conditions de vie de la iuuentus romaine lors d'un épisode où son rôle est
68 Nous nous référons aux articles mentionnés supra, note 54, et surtout à une conférence sur « Les structures familiales dans la société française aux Xe-XIF siècles » prononcée à l'Ecole Française de Rome le 25 mars 1970. 69 Cf. J. Gagé, Les traditions des Papirii et quelques-unes des origines de V « equitatus » romain et latin, dans Rev. Hist, de Droit Franc, et Etr., 4e s., XXXIII, 1955, 1, p. 20-50; Id., Matronalia, Bruxelles, 1963, p. 233-235 et 268-269. 70 Le chasseur noir et l'origine de l'éphébie attique, dans Annales ESC, XXIII, 1968, 5, p. 947-964. 71 P. Vidal-Naquet, Les jeunes: le cru..., art. cité, p. 157.
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eminent: le siège de Véies72. Nous avons alors examiné le récit livien à la lumière, non plus seulement des remarques de P. Vidal-Naquet, ou de telle autre recherche comparatiste où l'apport des sociétés traditionnelles actuel lement observables s'avère particulièrement précieux73, mais aussi des textes anciens qui nous décrivent la formation des jeunes gens dans diverses cités grecques, et notamment la cryptie; et nous nous sommes aperçu qu'il n'était guère de particularités du récit de Tite-Live - récit déconcertant à plus d'un égard - auxquelles on ne pût trouver des répondants en Grèce, qu'il s'agît de l'aspect formateur de cette épreuve d'endurance ou de l'éloignement des affaires publiques, des hivers supportés ou de l'importance des frontières, du rôle de Vapaté ou des travaux entrepris par la troupe, et de maintes autres coïncidences dont l'énumération et l'analyse excéderaient le cadre de ces remarques et exigeront un discours plus démonstratif. Coïncidences? Voire . . . Tite-Live a-t-il recouru à des modèles grecs qu'il aurait transposés, en Romain, sur le mode historique? Ne fait-il pas plutôt ici un « pèlerinage aux sources » 74, avec cette intuition géniale qui le caractérise lorsqu'il réflé chit aux aspects archaïques de la iuuentus? Il est de fait que ce livre V de Tite-Live - « l'admirable livre V » 75 est avec le livre I et le livre VII celui où les fonctions et les valeurs de la iuuentus sont le plus passionnément exaltées. On se rappelle le coup de main par lequel un jeune Romain enlève le vieil haruspice étrusque - praeualens iuuenis Romanus senem infirmum ad suos transtulit -, symbole transparent, et dont l'évidence s'impose particulièrement chez Tite-Live, de la force neuve de Rome terrassant d'antiques cités76; ou l'épi-
72 Tite-Live, V, 2-22. 73 Voir notamment M. Woronoff - F. Fouet, Parallélismes et convergences des structures initiatiques dans les civilisations de l'Afrique noire et de la Grèce antique, dans Etudes afr icaines (Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Université de Dakar), 4, 1974, p. 19-43; Id., Préliminaires à une étude comparative des initiations (Documents péda gogiques du Département de langues anciennes, Faculté des Lettres, Université de Dakar), Dakar, 1975. 74 C'est ainsi que la tentative de Tite-Live est qualifiée par J. Heurgon, Entre la nostalgie et l'espérance, dans Rome au temps d'Auguste, Paris, 1967, p. 163-189 (p. 172). Pour d'autres réflexions de J. Heurgon sur la valeur des documents liviens, voir son Introduction à l'édition de Tite-Live, I (collection Erasme), Paris, 1963, p. 4; son compte rendu de Matronalia de J. Gagé, dans Gnomon, 1964, p. 284-286 (286); et Rome et la Méditerranée occidentale jusqu'aux guerres puniques, Paris, 1969, p. 381. 75 J. Heurgon, Entre la nostalgie et l'espérance..., art. cité, p. 172. 76 Tite-Live, V, 15, 7. Sur cet épisode, voir les remarques de J. Hubaux, Rome et Véies, Paris, 1958, p. 189-190, qui établit en outre un parallèle entre l'opposition iuuenis Romanus-
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sode final du siège de Véies, marqué par la licentia juvénile qui amène un des jeunes Romains, delecti ex omni exercitu iuuenes, désignés pour transférer à Rome la statue de Junon, à s'adresser à la déesse en des termes d'une familiarité dont on ne sait si elle est irreverente ou sacrée: Tite-Live, en tout cas, prend un malin plaisir à nous laisser le choix, ou se fait un scrupule de trancher (seu spiritu diuino tactus, seu iuuenali ioco), car la faveur divine pouvait faire des iuuenes, comme des pueri, à coup de plaisant eriesou d'affirmations aussi innocentes que chargées de sens, des porteurs à'omina 77. Mais c'est, au-delà du siège de Véies, tout le livre V qu'il faudrait citer sous ce rapport, depuis la conduite exemplaire de Camille envers les enfants confiés au maître d'école de Faléries 78 jusqu'au uer sacrum des Bituriges sous la conduite des impigrì iuuenes Bellovèse et Ségovèse79 (le projet plébéien d'essaimage à Véies n'est-il pas du reste conçu lui-même comme un uer sacrum™?); depuis le choix que les Romains font du Sénat et de la iuuentus militaris lorsqu'il s'agit de sauver l'essentiel à l'approche des Gaulois81, jusqu'au tranquille héroïsme par lequel C. Fabius Dorsuo, iuuenis Romanus, egregius adulescens, unit dans l'admiration de son geste ses concitoyens et ses ennemis 82; il faudrait enfin citer l'apparition de Juventas83 dans les dernières lignes d'un livre tout entier dominé par la figure de ce Camille dont le cognomen est à lui seul tout un programme84.
senex infirmus et l'opposition noua urbs-veterrimi populi en V, 54, 5. De son côté, R. M. Ogilvie observe: « other sources do not distinguish so dramatically the ages of the two characters » (A commentary on Livy, Books 1-5, Oxford, 1965, p. 662). 77 Sur cet épisode (Tite-Live, V, 22, 4-5), cf. J. Gagé, Apollon romain, Paris, 1955, p. 187; J.-P. Morel, La «iuuentus» et les origines du théâtre..., art. cité, p. 224-225. 78 Tite-Live, V, 27. 79 Tite-Live, V, 34. 80 Tite-Live, V, 24, 5-8. On y trouve, comme lors du récit de l'émigration gauloise, la notion d'un trop-plein de population, très explicite ici (abundans multitudo, V, 34, 2; quod abundabant, V, 34, 5), implicite là (ager Veientanus uberior ampliorque Romano agro); mais il y manque l'idée d'une «mission sacrée», essentielle dans le uer sacrum (J. Heurgon, Trois études sur le ■ « Ver sacrum », op. cit., p. 5) et que Tite-Live ne manque pas d'évoquer dans le cas des Insubres: Bellouesum ac Segouesum, sororis filios, impigros iuuenes, missurum se esse in quas dii dédissent auguriis sedes. On notera, ici encore, une relation iuuenes-auunculus (voir supra, p. 679). 81 Tite-Live, V, 39, 9 et 12; 40, 1. 82 Tite-Live, V, 46, 1 et 52, 3. 83 Tite-Live, V, 54, 7. 84 Sur ce «surnom ominal», voir l'Appendice de l'édition du livre V par J. Bayet et G. Baillet, dans la Collection des Universités de France, Paris, 1954, p. 143.
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De ces considérations un peu pointillistes nous semble se dégager une idée directrice qui rend compte aussi bien de l'existence de certains faits que de leur caractère peu apparent. S'il est vrai que la plupart des sociétés combinent en elles des types divers de stratification sociale85, ce phénomène est à Rome porté à un degré extrême, puisque l'on voit s'y superposer et s'y entrecroiser des plans de clivage particulièrement nombreux: gentilice, familial, politique, juridique, économique, sans oublier la répartition par sexes et par âges. Certes, d'autres types de division ont assez vite pris le pas sur la division par classes d'âge, et en cela on s'explique par exemple que H.-I. Marrou ait pu définir la famille comme le milieu naturel où se formait le jeune Romain, beaucoup plus que le jeune Grec, dans l'éducation duquel le club d'hommes aurait joué un rôle primordial 86. Mais en fait ces autres types de division n'ont jamais totalement aboli à Rome - et c'est particulièrement net sous la République - la division par classes d'âge, et tous ses corollaires en ce qui concerne notamment les fonctions de la jeunesse. Il reste que l'image traditionnelle du « Romain » a souvent empêché les Modernes d'admettre ces états anciens, et leurs survivances. A vrai dire, la coexistence de divers types de sériation sociale n'allait pas sans poser des problèmes aux Romains eux-mêmes: d'où, sous l'Empire, les contradictions des acteurs de l'Histoire, et les incompréhensions de ses spectateurs 87. Mais on rencontre déjà ce type d'ambiguïté sous la République, quand on voit par exemple tel magistrat prétexter une levée de troupes, c'est-à-dire la ségrégation des jeunes en tant que classe d'âge, pour amputer le corps civique d'un élément politiquement défavorable ou, ce qui est
85 Voir par exemple, pour certaines sociétés «primitives», G. Balandier, Anthropologie poli tique, Paris, 1967, p. 70, 98-99, 111-112; pour les sociétés ligures antiques, E. Sereni, Comunità rurali nell'Italia antica, op. cit., p. 214; pour la Grèce, H. Jeanmaire, La cryptie lacédémonienne, dans REG, XXVI, 1913, p. 121-150; pour les sociétés médiévales, G. Duby, Leçon inaugurale au Collège de France, Paris, 1971, p. 67-70 et 343-344. 86 Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, 6e édition, Paris, 1965, p. 67-70 et 343-344. s7 Cf. J.-P. Morel, « Pantomimus allectus inter iuuenes», dans Hommages à Marcel Renard, II, Bruxelles, 1969, p. 525-535.
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tout aussi significatif, les plébéiens se persuader qu'ils sont victimes d'une machination de ce genre88. Il ne faut donc pas s'étonner que la tradition romaine soit, sur les problèmes de la jeunesse, peu sincère, peu lucide ou peu déchiffrable. C'est pourquoi il faut beaucoup espérer du comparatisme pour assembler en un tout cohérent les bribes d'information qui nous sont parvenues: car si Rome nous renseigne relativement peu sur la jeunesse, ce que nous pouvons savoir par ailleurs de la jeunesse doit en revanche nous aider à comprendre quel ques aspects essentiels de la pensée, de l'histoire et de la société romaines.
88 Ainsi en Tite-Live, V, 2, 5; 11, 9; VI, 38, 8; 39, 7. On peut rappeler à ce sujet une réflexion de J.-F. Revel dans sa critique de l'Anthropologie politique de G. Balandier (L'Express du 22-28 janvier 1968), selon laquelle les sociétés archaïques ont dû cacher déjà sous leurs structures appa remment figées des formes « de manipulations, de triturations et de combinaisons qu'il faut bien se résoudre à qualifier de politiques».
JEAN-PIERRE NÉRAUDAU
L'EXPLOIT DE TITUS MANLIUS TORQUATUS (TITE-LIVE, VII, 9, 6-10) (RÉFLEXION SUR LA «IUUENTUS» ARCHAÏQUE CHEZ TITE-LIVE)
En 361 1, Titus Manlius gagna son surnom de Torquatus à l'issue d'un combat singulier qui l'opposa, sur un pont de l'Anio, à un Gaulois qu'il dépouilla, après l'avoir tué, de son collier (torques). Nous avons la chance de pouvoir lire, grâce à Aulu-Gelle qui l'a conservé, le récit que fit de l'événement Claudius Quadrigarius 2, et qui inspira directement Tite-Live3. S'il est probable que ce dernier a utilisé d'autres sources, que nous ne pouvons préciser4, du moins pouvons-nous juger du résultat, et, par l'étude des différences entre les deux textes, comprendre quelle signification il a voulu donner à son récit. Tite-Live, lui-même, fait référence au récit de son prédécesseur5, et la comparaison entre eux s'impose si naturellement qu'elle a déjà été faite et commentée. Nous n'insisterons pas sur les résultats qu'elle a donnés6, et nous la reprenons ici, car il nous semble qu'on n'a pas assez insisté sur quelques détails ajoutés par Tite-Live à la description de Claudius Quadrig arius, et qui nous semblent se justifier par une conception précise de la iuuentus archaïque.
1 C'est la date de Tite-Live, mais Claudius Quadrigarius plaçait le combat au moins dix ans plus tôt (Tite-Live, VI, 42, 5). 2 Aulu-Gelle, N.A. IX, 13; cf. Peter: Vet. hist. Rom. frag. Leipzig, 1870; 2e éd. 1906-1914, fg. 10 b. 3 Tite-Live le mentionne et le résume (VI, 42, 5). 4 Peut-être Valerius Antias (cf. J. Bayet, Appendice 3, Tite-Live VII, col. Budé p. 104). 5 Cf. note 3. 6 Le thème du furor subit, chez Tite-Live, un traitement particulier: le héros romain par vient à concilier l'ardeur guerrière et le respect de la discipline (cf. R. Bloch, Appendice 4, Tite-Live VII, qui reprend l'exposé de G. Dumézil: Horace et les Curiaces, Paris, 1942, pp. 10-34 que celui-ci enrichira encore dans Heur et malheur du guerrier, Paris, 1969).
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Alors qu'on pourrait penser que le progrès du genre historique à Rome tendait vers plus de rationalisme, c'est, curieusement, le texte de Tite-Live qui paraît, au premier abord, le plus épique. Il est vrai que le combat singul ierest un morceau de bravoure de toute épopée7, mais Claudius Quadrigarius l'a traité avec une sobriété qui en estompe les caractéristiques et qui crée l'impression d'exceptionnel plus par ses réticences que par ses descript ions.Il n'insiste pas, comme le fait Tite-Live, sur l'armure éclatante et exotique du Gaulois, il suggère avec discrétion l'inégalité physique des combattants, qui, clairement indiquée par Tite-Live, transforme le combat en un affrontement quasi-mythique entre un Romain-David et un GauloisGoliath. Claudius Quadrigarius, qui cherchait à « animer l'histoire, non à la romancer » 8, parvient, par la concision de son style, par la lourdeur du silence qui pèse sur son récit, à suggérer, sans la décrire, l'angoisse qui entoure les deux champions. Sans doute est-ce une belle réussite et un grand progrès sur le pittoresque abusif, parfois naïf, d'autres annalistes9. Pour Tite-Live, l'ampleur des moyens qu'il met en œuvre a pour fin d'enri chirle récit, mais aussi - et surtout - d'y introduire de grands thèmes qui le font échapper à l'anecdote, lui donnent une orientation historique plus vaste et l'intègrent à l'ensemble de son œuvre. C'est à la lumière de ces remarques que nous allons réfléchir sur trois détails qui ne sont pas emprunt és par Tite-Live à Claudius Quadrigarius.
Au défi lancé par le Gaulois à l'armée romaine 10, un grand silence répond d'abord: 1 Claudius Quadrigarius
2 Tite-Live
Nemo audebat propter magnitudinem atque immanitatem faciès. Deinde Gallus inrìdere coepit atque linguam exertare. Id subito perdolitum est cuidam Tito Manlio...
Diu inter primores iuuenum Romanorum silentium fuit, cum et abnuere certamen uererentur et praecipuam sortem periculi petere nouent. Turn Titus Manlius...
7 Pour l'évolution des récits de bataille de l'épopée homérique à la tragédie grecque et à l'histoire, cf. J. de Romilly: Histoire et raison chez Thucydide, ch. 2, pp. 107 sqq. 8 J. Bayet, Littérature latine, Paris 1934, rééd. col. U, 1965, p. 116. 9 Claudius Quadrigarius, qui écrivait à l'époque de Sylla, représente une tendance ratio naliste de l'histoire, opposée à la tradition de Fabius Pictor (J. Bayet, ibid.). 10 Sobrement exprimé chez Claudius Quadrigarius, il prend, chez Tite-Live une allure rhétorique (VII, 9, 8).
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La première différence est d'ordre psychologique. Dans le premier texte, Titus Manlius se décide à relever le défi après la mimique du Gaulois qu'il prend pour une moquerie outrageante n; il est soudain (subito) envahi par la douleur, dans un état d'âme d'abord passif (perdolitum est). Dans le second texte, le héros se décide après réflexion et son nom n'est plus exprimé au datif, complément de l'impersonnel, mais au nominatif: il est sujet d'un verbe actif. Mais la différence essentielle pour nous, c'est le développement de nemo (1er texte) par inter primores iuuenum. Cette expression désigne régulièrement chez Tite-Live les équités qui - à tort ou à raison 12 - lui semblent représenter l'élite sociale de l'armée, l'expression la plus parfaite de la valeur guerrière de Rome. Ainsi, pour s'en tenir au livre VII, lorsqu'après l'ouverture, en plein forum, d'un gouffre que rien ne pouvait combler, les dieux firent savoir qu'il fallait consacrer « ce qui faisait la principale force du peuple romain ... si on voulait la perpétuité de l'Etat romain » 13, c'est un chevalier, Marcus Curtius, iuuenis bello egregius, qui s'y précipita, à cheval. Cette deuotio mit fin au prodige, ce qui montre que le jeune honne correspondait parfaitement, lui un soldat et un cavalier, à la définition un peu énigmatique des devins 14. L'addition de Tite-Live vise donc à engager le récit dans une conception sociologique de l'armée, qui le rattache à la réalité et participe à sa crédib ilité. C'est un des aspects aussi du second détail que nous allons analyser. L'impatience soudaine du héros de Claudius Quadrigarius est devenue chez Tite-Live un acte contrôlé: Titus Manlius, avant de répondre au défi va demander l'avis du dictateur. Quand Claudius Quadrigarius écrit: cuidam Tito Manlio, summo genere gnato... Tite-Live développe: Turn Titus Manlius L. filius, qui patrem a uexatione tribunicia uindicauerat, ex statione ad dictatorem pergit. et prête au jeune homme un discours où sont exaltés les fastes de sa famille, et au dictateur une réponse où est évoquée la pietas du futur héros. Tout 11 Cette mimique exprime la prise de possession du guerrier par le furor (cf. R. Bloch, op. cit. p. 112). 12 Tite-Live assimile les équités aux patriciens; cette question oppose aujourd'hui A. Alföldi: Procum patricium, in Historia, XVII, oct. 1968, qui défend l'assimilation, et A. Momigliano: Procum patricium, in JRS, 1966, 56, pp. 16-24, qui la nie. Dans le même sens qu'A. Momigliano, cf. A. Magdelain: Remarques sur la société romaine archaïque, in REL, XLIX; 1972, pp. 103-127. 13 Tite-Live, VII, 6, 2-3. 14 Id., VII, 6, 6.
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se passe comme si Claudius Quadrigarius voulait, à la manière de Caton, éviter de trop parler des individus et des gentes patriciennes, et feignait d'ignorer la geste des Manlii 15. Tite-Live, au contraire, inclut le combat singulier dans la carrière déjà connue de Titus Manlius, et, même, comme nous allons le voir, dans sa carrière future. Sa pietas s'est manifestée dans le livre VII 16 et lui a valu d'être élu tribun militaire; il était alors iuuenis. . . et stolide ferox uiribus suis 17. Nous voici loin du cuidam Tito Manlio; le personnage de Tite-Live est bien connu et son exploit guerrier se place dans la continuité d'un autre épisode de sa vie. Le thème, clairement développé, des rapports de la pietas, de la disci plina et du furor, évoque irrésistiblement un autre épisode dont le même Titus Manlius est un protagoniste: c'est, au livre VIII, la dramatique histoire de son fils. Celui-ci, turmarum praefectus 18, servait sous les ordres de son père, alors consul, dans une guerre contre les Latins. Malgré l'interdiction faite par les consuls de combattre hors des rangs, le jeune Manlius ne résiste pas au défi que lance à l'armée un cavalier tusculan: voici que recommence l'histoire du père, mais le fils a la réaction que son père avait dans le récit de Claudius Quadrigarius, « son sang ne fait qu'un tour » 19, il engage le combat - à cheval - et tue l'audacieux. Cette concession au furor lui vaut d'être condamné à mort par son père, et exécuté. Sa mort renforce la disci pline mais suscite un réflexe de classe d'âge: la iuuentus se détourne de Manlius Torquatus et ne lui pardonne pas sa sévérité20. On retrouve dans cet épisode le rôle de la cavalerie qui délègue contre un cavalier ennemi un de ses membres les plus représentatifs. On y voit se manifester la cohésion d'une classe d'âge unie dans sa réprobation contre un père trop intransigeant, qui, en même temps, est un consul trop sévère. On peut développer cette réaction de la iuuentus de plusieurs manières complémentaires: soit simplement, c'est le réflexe naturel de la jeunesse contre l'autorité, soit plus abstraitement, c'est le refus de la disciplina par des jeunes hommes habités par le furor, ou, en termes plus politiques, c'est l'opposition à une conception du pouvoir dont le consul est le représentant.
15 Caton, ap. Pline, N.H. VIII, 5, II. 16 Tite-Live, VII, 4-5. 17 Id., VII, 4, 6. 18 Id., Vili, 7, 1. 19 Id., Vili, 8, 1: mouet ferocem animum iuuenis. 20 Id., VIII, 12, 1: Cui uenienti seniores tantum obuiam exisse constat, iuuentutem et tunc et omni uita deinde auersatam eum exsecratamque.
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Cette interprétation politique est suggérée par Tite-Live qui met en rapport la désobéissance du jeune Manlius avec celle de Q. Fabius21. Mais ce dernier est magister equitum et c'est à Papirius Cursor, dictateur qu'il désobéit en combattant, malgré les ordres qu'il avait reçus, tandis que son supérieur était parti à Rome prendre les auspices22. Q. Fabius, ferox adulescens23 gagne la bataille qu'il a engagée; mais le dictateur, furieux, veut le châtier et invoque l'exemple récent des imperia Manliana24 et celui, plus ancien, de Brutus, juge inflexible de ses fils25. L'analogie entre Q. Fabius et Titus Manlius, le jeune, invite à supposer une opposition plus vaste qu'un conflit de générations et plus précis qu'une rencontre entre deux entités - la disciplina et le furor -, une opposition qui pourrait être une rivalité sociologique entre la cavalerie et les pouvoirs de l'Etat26. Le refus d'une certaine légitimité du pouvoir soude étroitement les jeunes hommes qui semblent liés par des pratiques de compagnonnage27. Nous allons pouvoir préciser les liens qui unissent les iuuenes en commentant une troisième addition de Tite-Live au récit de Claudius Quadrig arius. C'est à la fin du combat; le vainqueur se pare du collier de son adversaire 28: 1 Claudius Quadrigarius
2 Tite-Live
Quo ex facto ipse posterique eius Torquati cognominati.
Inter carmina prope modo incondita quaedam militanter ioculantes, Torquati cognomen auditum...
Le sens de cet apport est de tous le plus clair et le plus significatif du travail et des intentions de Tite-Live. On y retrouve les mêmes mots, qui,
21 Tite-Live, VIII, 30, 3-35, 8. 22 Id., VIII, 30, 2. 23 Id., Vili, 30, 4. 24 Id., VIII, 34, 2. 25 Id., Vili, 34, 3, rappel du livre II, 3-5, sp. 5, 6. 26 Cette rivalité a été étudiée par V. Basanoff: Le conflit entre pater et eques chez Tite-Live, in Annuaire de l'Ecole pratique des H.E.; section des sciences religieuses, 1947-48, pp. 3 sqq. 27 C'est peut-être le sens d'un détail qu'ajoute Tite-Live au texte de Claudius Quadrigarius: juste avant le récit du combat: armant inde aequales iuuenem. Les fils de Brutus sont aequales sodalesque adulescentium Tarquiniorum (II, 3, 2). 28 Le héros de Claudius Quadrigarius coupe la tête de son adversaire (geste ressortissant au furor), celui de Tite-Live n'inflige aucun outrage au Gaulois tué.
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au début du livre VII, dans l'excursus consacré à l'histoire de théâtre romain, définissent la réaction de la iuuentus au spectacle que donnaient des histrions étrusques appelés pour conjurer une épidémie29: imitari deinde eos iuuentus, simul inconditis inter se iocularia fundentes uersibus coepere30. C'est une première forme de jeu théâtral; le vocabulaire le met en rapport avec l'attribution de surnoms, glorieux ou ridicules31, que se permet la jeunesse. On pense aussi aux plaisanteries que les soldats risquent, en toute impunité, sur le parcours des triomphateurs32, dans un brouhaha joyeux comme celui qui entoure la victoire de Titus Manlius33. Il y a une cohé rence manifeste dans le rôle de la jeunesse qui est chargée de parodier le réel par le théâtre ou le rire et de le soustraire ainsi aux influences malé fiques qui guettent le vainqueur ou le triomphateur. Là, Tite-Live ne fait que corroborer un fait qui est une réalité historique34. Tite-Live n'est ni le seul, ni même le premier35, à avoir signalé la pré sence dans le monde archaïque d'une classe d'âge, que nous saisissons ici dans ses activités militaires mais dont il a analysé souvent le comportement
29 Tite-Live, VII, 2. 30 Id., VII, 2, 5. 31 L'attitude de la jeunesse se retrouve dans deux passages de Plaute: Captiui, 69-70: Iuuentus nomen indidit scorto mihi eo quia inuocatus soleo esse in conuiuiis. Menaechmi, 76-77: Iuuentus nomen fecit Peniculo mihi ideo quia mensam, quando edo, detergeo. Cf. J.-P. Cèbe, La caricature et la parodie dans le monde romain antique des origines à Juvénal, Paris, 1966, et J.-P. Morel: La iuuentus et les origines du théâtre romain, in REL, XLVII, 1970, pp. 208-252, sp. p. 232. 32 Cf. M. Schanz: Geschichte der römischen Litteratur, I3, Munich, 1907, p. 23. 33 Le surnom de Torquatus est entendu parmi les chants divers. 34 La fonction du rire est bien connue dans le rite des Luperques, qui, au début de la fête, sont tenus d'éclater de rire après avoir été souillés du sang sacrificiel puis purifiés (Plutarque, Rom. 21); cf. J.-P. Cèbe, op. cit. p. 19. 35 Varron, pour interpréter le vieux proverbe sexagenarii de ponte in Tiberim deicere, expliquait que les iuniores refusaient de laisser voter aux comices les vieillards qui ne participaient plus à la guerre (Varron, de Vita populi Romani, ap. Nonius, p. 523). Cette explication, dans le détail est erronée (il n'y a aucun rapport entre le Tibre et les ponts des suffrages), mais elle postule l'existence d'une classe d'âge imbue de ses privilèges et prête à les défendre par la violence.
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politique36. Virgile, qui, dans les Géorgiques, décrit les jeux de la pubes37, présente dans l'Enéide un type de société bien proche de celle que nous voyons décrite par Tite-Live38. En face de Titus Manlius, de son fils, de Q. Fabius et de tous les autres iuuenes qui s'illustrent dans l'œuvre livienne, VEnéide nous offre Turnus, Pallas, Nisus et Euryale et Ascagne 39. L'histoire et l'épopée ont depuis leurs origines des rapports assez étroits - et toujours affirmés40 - pour que nous ne nous étonnions pas que se rencontrent » Virgile et Tite-Live.
La question essentielle qui se pose est évidemment celle-ci: quelles traces d'une vérité historique peuvent subsister en filigrane dans des récits dont la mise en forme littéraire est manifeste? Question trop vaste pour que nous puissions y répondre ici41. Nous souhaitons seulement amener le lecteur à juger plausible la conception de Tite-Live en admettant que le travail littéraire n'est pas une fin en soi mais une manière de servir l'histoire. « L'économie du livre VII », écrit J. Bayet, « laisse à désirer. Sur vingtcinq ans d'histoire, vingt-trois ne couvrent que les deux tiers du récit ...» et il incrimine le manque de réflexion historique sur bien des événements politiques et militaires42. Ces reproches sont sans doute fondés, mais il faut
36 Cf. en particulier, III, 11, 6, l'histoire de Kaeso Quinctius et de ses compagnons (sodales) au moment des troubles causés par la rogatio Terentilia. 37 Virgile, Géorg. I, 343 sqq et II, 385 sqq, sp. 386: uersibus incomptis ludunt risuque soluto, qui rejoint tout à fait les remarques de Tite-Live. 38 Virgile, Enéide, VIII, 102 sqq, sp. 105: Una omnes ìuuenum primi pauperque senatus, où la cité d'Evandre est organisée en deux classes d'âge. 39 Le dialogue entre le furor et la disciplina se retrouve dans l'épisode de Nisus et Euryale (IX, 176 sqq) perdus par leur ardeur dévastatrice et vaine, dans le personnage de Turnus, héros du furor, iuuenis par excellence; le thème de la pietas éclaire les relations d'Evandre avec son père, puis avec Enée, celles d'Ascagne avec son père, lui-même lié à Anchise par une profonde déférence, celles aussi de Turnus avec son père (cf. XII, 932-933). 40 Quintilien définit l'histoire comme un poème en prose (Inst. orat. X, 1, 31). 41 La question a été abordée par J.-P. Morel, La iuuentus... et Pube praesenti in contione, otnni poplo, in REL, XLII, 1965, pp. 381 sqq; nous lui avons consacré dans notre thèse intitulée: La jeunesse dans la littérature et les institutions de la Rome républicaine une part importante. 42 J. Bayet, Appendice, Tite-Live VII, p. 79.
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noter qu'il y a dans ce livre au moins un thème qui, par ses retours, lui donne une manière d'unité, c'est précisément le thème de la jeunesse. Annoncé au livre VI par la critique de Claudius Quadrigarius 43, et continué au livre VIII par la suite de l'histoire de Titus Manlius, il sert d'ouverture au livre VII, réapparaît lié à de jeunes héros Marcus Curtius, Titus Manlius, dont l'exemple inspire le combat de Valerius Corvus44; celui-ci, élu consul à vingt-trois ans 45, achève presque le livre par un long discours 46 qui réintro duit le thème. « Cette présence de la jeunesse s'explique par les relations diverses de Rome avec d'autres peuples; dans le livre VII, des histrions étrusques vien nent à Rome et provoquent une réaction de la iuuentus; ensuite l'arrivée des Gaulois suscite des héroïsmes et le retour à des pratiques guerrières fondées sur le furor et la magie. Déjà au livre V le rôle de la jeunesse s'était accru au cours de la guerre contre Véies - ce sont des iuuenes romains qui emportent à Rome la statue de Junon47 -, et lors de la prise de Rome par les Gaulois: la ville se reforme dans la citadelle sur une structure en classes d'âge48 et admire l'héroïsme de C. Fabius, iuuenis Romanus49. La seconde guerre punique suscitera encore dans l'œuvre de Tite-Live de grands moments consacrés à l'exaltation de la jeunesse50. Ainsi Tite-Live suggère que l'influence des peuples étrangers suscite de la part de la jeunesse des réactions d'imitation ou de refus qui renforcent sa cohésion et son originalité 51. Le passage du furor, en particulier, éveille celui qui sommeille en tout guerrier, fût-il Romain. Virgile l'avait magnifiquement suggéré dans la dernière scène de YEnéide quand Enée renonce à épargner Turnus et sacrifie, lui aussi, à la fureur52; et, Salluste aussi l'avait dit en montrant à la fin de la
43 Tite-Live, VI, 42, 5. 44 Tite-Live, VII, 26: récit symétrique du combat de Manlius Torquatus, mais avec le thème du prodige qui vient au secours du héros. 45 Tite-Live, VII, 40, 8. 46 Id., VII, 40. 47 Id., V, 22, 4-7. 48 Id., V, 39, 9: Nam, cum defendi urbem posse tarn parua relieta manu spes nulla esset, placuit cum coniugibus ac liberis iuuentutem militarem senatusque robur in arcem Capitoliumque concedere... 49 Tite-Live, V, 46, 1. 50 La jeunesse sera incarnée par Scipion l'Africain, cf. XXVI, 16; XXVIII, 40-45. 51 Le problème de la jeunesse guerrière est de se mettre à l'unisson des pratiques magiques des adversaires. 52 Enéide, XII, 939 sqq.
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Conjuration de Catilina les vainqueurs souillés par la violence guerrière53. Chez Tite-Live l'idée s'exprime de façon optimiste ou pessimiste, selon les récits54, mais c'est toujours la même idée. Elle devient un commentaire historique quand elle est accompagnée de notations exactes sur la nature de la iuuentus, classe guerrière, dotée de la difficile mission d'assumer les nécessités de la violence, et de la fonction, plus religieuse, d'assurer la pérennité de la société par la conjuration des forces maléfiques du monde 55. La cohérence des textes où Tite-Live définit cette classe d'âge, leur accord avec le portrait que tracent d'elle d'autres auteurs, la justesse, rapidement verifiable, de quelques indications qu'ils donnent, tout nous invite à les traiter en documents historiques. Il faut naturellement, pour parvenir au fait brut, dépouiller les textes des multiples apports qui leur donnent leur forme définitive. Mais une fois ce travail accompli, nous trouvons un fait simple - ici l'existence d'une classe de jeunes gens dans la société archaïque - qui n'a rien de scandaleux ni de fantaisiste. Nous savons, en effet, que Sparte et Athènes, pour la Grèce 56, que les Osques et d'autres peuples italiens 57 ont connu des classes d'âge. Rome eut très tôt des relations avec la Grèce58; ses rencontres avec les peuples d'Italie furent diverses et incessantes59. Nous ne pensons pas que l'exemple des autres peuples ait suscité la création d'une structure fondée sur les classes d'âge, car la plupart des sociétés archaïques pratiquent ce système, mais il a pu - c'est ce que Tite-Live laisse entendre - influencer l'attitude de la jeunesse, la raidir, par exemple, dans ses attitudes, et amener le pouvoir politique à prendre à son égard des positions diverses. Il n'y a rien là que de très plausible et de très vraisemblable. 53 Conjuration de Catilina, LXI, 8; sur le rapprochement avec le dénouement de l'Enéide, cf. W. Kühn: Götterszenen bei Vergil, Heidelberg, 1971, p. 167. 54 D'une façon générale, le furor est châtié (comme le sont, chez Virgile, Nisus et Euryale), mais Q. Fabius est finalement épargné; Tite-Live, pour exprimer cette infraction à l'habitude, recourt aux thèmes de l'indulgence que méritent la jeunesse et ses faiblesses. 55 C'est la fonction des Luperques, celle du théâtre à ses origines (il est introduit à Rome au cours d'une épidémie), celle, aussi, du rire. 56 Pour Sparte, cf. surtout H. Jeanmaire: Couroi et courètes, Lille, 1939; pour Athènes, cf. C. Pélékidis: L'histoire de l'éphébie attique des origines à 31 av. J.-C. Paris, 1962. 57 La vereiia osque est la mieux connue des classes de jeunes gens dans l'Italie pré-romaine (cf. M. Della Corte: Iuuentus, Arpinum, 1924), mais on a des indices de structure analogue chez d'autres peuples (cf. E. Sereni: Communità rurali nell'Italia antica, Rome, 1955). 58 Cf. D. Van Berchem: Rome et le monde grec au VIe siècle avant notre ère, in Mél. Piganiol, Paris, 1966, II, pp. 739-748. 59 On a pu parler d'une koinè institutionnelle en Italie (cf. S. Mazzarino: Dalla monarchia allo stato repubblicano, Catane, 1946, pp. 5 sqq; 10; 69; 76; 85 et passim).
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C'est au service d'une histoire sociologique de l'époque archaïque que Tite-Live a mis en œuvre, dans ses premiers livres, les multiples ressources de son art. Nous venons de constater l'étonnante cristallisation d'éléments divers sur un récit légué par la tradition sous une forme dépouillée60. Le récit, impressionnant chez Claudius Quadrigarius à force de brièveté, devient, chez Tite-Live, une page vivante d'histoire où se mêlent le présent et le passé - mais l'historien n'est-il pas le maître du temps que domine son regard? -, la narration et le commentaire, où les personnages ne sont pas seulement des noms mais des caractères, à la fois stylisés et réalistes. La part de Tite-Live dans cette métamorphose fut sans doute essentielle. Ce qui, de toutes façons, doit lui revenir, c'est l'économie interne de son œuvre, c'est la composition qui domine les contraintes de la présentation annalistique et la monotonie qui pourrait en résulter61. Le thème de la jeunesse nous est apparu à plusieurs reprises, traité par un jeu subtil de correspondances, d'une manière à la fois toujours semblable et différente, sur des tonalités variées. Cette diversité acquiert son unité une fois qu'ont été rapprochés les récits consacrés à des iuuenes. L'œuvre de Tite-Live - et même la pre mière décade - fera toujours mentir le personnage morose d'Anatole France, Monsieur Bergeret, maître de conférences à l'Université et spécialiste de latin, qui disait, en réponse à des commentaires qu'on lui faisait sur elle: «Ce n'est pas la première fois que le commentaire des Décades vaut mieux que le texte»62.
60 Tite-Live a fait appel à toutes les ressources de la rhétorique et aux événements de l'histoire contemporaine (les rapports entre l'ordre équestre et le patriciat sont sans doute une modernisation fautive des faits archaïques). Cependant, il est invraisemblable que sa con ception de la iuuentus doive tout à la réorganisation par Auguste de la iuuentus Romana. Tout s'oppose à cette supposition: la présence d'une classe de jeunes hommes dans les sociétés antiques, les détails archaïques authentiques que donne Tite-Live (rôle en particulier de la jeunesse dans la mystique de la durée romaine), enfin la volonté affirmée par Auguste de retrouver le passé et non d'innover (Res Gestae, 8, 5). 61 Au temps de Cicéron, aucun historien ne semble avoir réussi à créer une œuvre digne d'admiration (cf. De legibus, 1, 2-3); le premier historien digne de ce nom, Salluste, s'est dégagé de la tradition annalistique; Tite-Live, qui y revient, doit avoir inventé sa méthode de composition thématique. 62 Anatole France, Le mannequin d'osier (volume 2 de l'Histoire contemporaine, Livre de poche, p. 24).
CLAUDE NICOLET
TESSÈRES FRUMENTAIRES ET TESSÈRES DE VOTE
La publication récente d'une série de papyrus d'Oxyrhynchos * relatifs aux distributions fumentaires à la fin du IIIe s. apr. J.-C, oblige à rouvrir le dossier difficile des « tessères » utilisées à cette occasion. La question, comme on sait, avait été longuement étudiée par M. Rostovtzeff à l'extrême fin du siècle dernier2, lorsqu'il publiait ces petits documents qu'il appelait, à tort sans doute, des « tessères » de plomb, et dont une importante série avait bien évidemment un lien, par les représentations et les inscriptions qu'elles por taient, avec les distributions furmentaires 3. Les conclusions de Rostovtzeff avaient été mises en doute par D. Van Berchem, d'abord dans un article de
1 J. R. Rea, The Oxyrhynchos Papyri, vol. XL, 1972, avec en particulier une très utile introduction, p. 1-15. Il s'agit de cinquante documents, datés de 269 à 272, provenant sans doute des archives de l'administration locale des distributions. Trente et un de ces documents sont des actes de candidature de la part, en général, de jeunes gens ayant les qualifications nécessaires et qui postulent la place laissée vacante par un mort. Les « tessere » (τάβλαι) sont mentionnées dans le n° 2924. Cf. le c.r. de D. Van Berchem, JRS 1974, 243. 2 Cf. successivement: M. Rostovtzeff, Etude sur les plombs antiques, dans Rev. Num. 1897, 462; 1898, 77; cf. surtout 256-271; M. Rostovtzeff et M. Prou, Catal. des plombs de l'Ant., du M. A , conservés au Ct des Méd. de la B.N., Paris 1900; M. Rostovtzeff, Tesserarum urbis Romae et suburbi plumbearum Sylloge, St. Petersbourg, 1903; et Römische Bleitesserae, ein Beitrag zur Sozial-und Wirtschaftsgeschichte der röm. Kaiserzeit, dans Klio, Beihefte 3, 1905, p. 1-131, spec. p. 10-22; du même, art. Frumentum, dans RE (1910), col. 126-187. 3 Les tessères dont le type ou la devise ont trait aux frumentations sont les nos 336 à 512 de la Sylloge, p. 45-62. La plus typique est sans doute le n° 336 (au Musée des Thermes) qui porte au droit la légende DELIBIFOR/IV, et au revers MINVCIA, ce que Rostovtzeff interprète: d(i)e lib(eralitatis) I, for(o) IV, où forum équivaudrait à ostium, mot qui, dans les inscriptions de Rome et dans le Chronographe de 354 (p. 144, éd. Mommsen, dans les MGH IX) désigne les 45 guichets de la Porticus Minucia Frumentaria. Mais on n'a pas de parallèle pour cette interprétation. Ne pourrait-on lire sur le tout petit document Por(ticus) / Minucia? Une remarque sur la forme Minucia: elle prouve que la tessere est de haute époque: les inscriptions (ainsi
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la Revue Numismatique en 1936, ensuite dans sa Thèse en 1939 4. Il se refusait à voir dans des petits objets de plomb, par définition fragiles et faciles à contrefaire, de véritables bons, même valables pour une seule distr ibution, et proposait d'y reconnaître des jetons de compte ou calculi, souvent d'origine privée. Malgré ces réserves, il n'en maintenait pas moins l'essentiel de la théorie de Rostovtzeff; sous l'Empire, les citoyens de la plèbe frumentaire auraient disposé en fait de deux sortes de « tessères »: l'une nominale et permanente, qui témoignait de leur droit viager aux distributions, et qui d'ailleurs était le seule à mériter vraiment le nom de « tessere », puisqu'il s'agissait d'un document assez important, en forme de tablette, sans doute en bois. L'autre, sur laquelle D. Van Berchem ne se prononce pas nette ment, devait être en effet un « jeton », mais non pas en plomb, que l'intéressé échangeait, au guichet du Portique de Minucius, contre les cinq modii mensuels 5. Je voudrais ici examiner brièvement à nouveau certains aspects de ce problème, en versant au débat un témoignage parallèle d'époque républicaine et quelques documents figurés qu'on n'a sans doute pas regardés d'assez près. La difficulté fondamentale provient du fait suivant: les témoignages textuels qui nous renseignent sur les tessères frumentaires (à partir d'Auguste seulement) ne précisent pas la nature de ces objets, qui allait de soi pour les contemporains. Mais des textes juridiques cités au Digeste, ainsi qu'un texte de Juvénal, font intervenir la tessere frumentaire (ou, comme on verra,
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que tout récemment le Plan de Marbre sévérien) montrent qu'au IIe et au IIIe s., on dit Minicia. Le n° 337: au droit MINVCIAF^ au revers une statue d'Hercule (cf. SHA, Vita Comm. 16: Herculis signum aeneum sudavit in Minucia per plures dies). Voir aussi n° 338 (N. MOD. I / AA.P.P.); 341: M(odius) f/ru(menti). 4 D. Van Berchem, Tessères ou Calculi? Rev. Numism., 1936 p. 297; du même, Les distr ibutions de blé et d'argent à la plèbe romaine sous l'Empire, Genève, 1939; la question est reprise assez longuement, avec une copieuse bibliographie par F. Fabbrini, Tesserae Frumentariae, dans NDI, 1973, 266-273, qui me dispense de citer les travauz antérieurs. [Je n'ai pu prendre connaissance à temps de la grosse étude de J.-M. Carrié, Les distributions alimentaires dans les cités de l'Empire romain tardif, dans MEFRA, 1975, 2, 995-1101]. 5 La théorie des «doubles tessères», introduite par Rostovtzeff, est admise généralement, par ex. par G. Cardinali, Frumentatio, dans Diz. Ep., III (1922), p. 10 et suiv. Sur les procédures de la distribution, en particulier les listes de noms « gravés » (incisi) au Portique de Minucius, cf. CIL VI 220 (ILS, 2163) concernant les Vigiles: ii qui frument(o) publ(ico) incisi sunt, etc. . . Sur l'emplacement des deux porticus Minucia (la vêtus et la frumentaria) , voir désormais F. Coarelli, L'identificazione dell'area sacra di Largo Argentina, Palatino, 1968, 365-373, et C. Nicolet, Le temple des Nymphes et les distributions frumentaires à Rome à l'époque républicaine d'après des découvertes récentes, dans CRAI, 1976, p. 29-51.
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quelque chose qui en est très proche) dans des causes testamentaires, de telle sorte qu'on a bien l'impression qu'un tel document, même s'il était nominal, pouvait être acquis et légué par testament. Ce qui lui donne bien évidemment une physionomie particulière, assez proche, en réalité, d'un titre de rente perpétuel ou du moins viager. Le dossier est assez mince, voyons ces textes. La plus ancienne mention de la tessere se rencontre dans Suétone, à propos d'Auguste. L'expression revient deux fois : Populi recensititi vicatim egit, ac frequentius ab negotiis auocaretur, ter tesseras dare destinavit; sed desideranti rursus, ut sui cuiusque mensis acciperet
ne plebs frumentationum causa in annum quaternum mensuum consuetudinem veterem concessit (Div. Aug. 40, 3)6.
Si l'on prend ce texte à la lettre, il paraît bien que les tessères étaient distribuées pour chaque frumentation, c'est-à-dire une fois par mois habi tuellement, et qu'Auguste tenta un moment d'introduire des « tessères valables pour (des rations de) quatre mois ». Il n'y a pas de raison de confondre ce renseignement avec celui que donne Dion pour l'année 28 av. J.-C: και τω πλήΟει τεραπλάσιον τον σΐτον ενειμε 7, qui marque sans doute un quadruplement exceptionnel, cette année là, de la quantité distribuée. Autre mention des tessères - beaucoup plus délicate - dans le chapitre consacré par Suétone aux libéralités d'Auguste 8: Frumentum quoque in annonae difficultatibus saepe levissime, interdum nullo pretio uiritim admensus est, tesserasque nummarias duplicavit {Div. Aug. 41,5). La phrase de Suétone, très dense, fait allusion à des faits différents. D'une part de nombreuses distributions aux frais du Prince, donc supplé mentaires par rapport à celles qui dérivaient de la loi, à prix réduit. D'autre part, « quelquefois » (interdum), des distributions gratuites toujours supplé-
6 Sur le sens exact de recensus (cf. aussi Suétone, Div. Jul., 41,5) et de recensio (ibidem, ainsi que Cic, Pro Milone, 73), cf. notre communication citée note 5. Il s'agit de la révision des listes frumentaires, non du recensement complet. La première eut lieu en 57/56 à l'inst igation de Pompée (Dion 39,24, I, parle d'une απογραφή, qui veut dire exactement professio; le résultat est le même); la seconde en 46, sur l'ordre de César (Suet. Div. Jul, 41,5; App., EC, Π, 102, avec une confusion: Plut, César, 55,3, même chose; Dion 43, 21,4, qui parle à juste titre d'une έξετασις. La troisième eut lieu sous Auguste (avant 2 av. J.-C, Dion, 55, 10, I). 7 Dion 53, 2, I. 8 Sur ces questions, cf. P. A. Brunt et J. M. Moore, Res G esiae Divi Augusti, Oxford, 1967,57-61.
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mentaires. Par recoupement, nous connaissons deux de ces occasions. La première mentionnée par les Res Gestae, 15, I, pour l'année 23: et consul undecimum duodecim frumentationes frumento privatim coempto emensus sum (l'absence de prix montre qu'il s'agit d'une chose gratuite et cela aboutit bien à un doublement de la ration d'Etat ) La seconde mentionnée par Dion pour 6 ap. J.-C. (LV, 26,3): έπέδωκε μεν γαρ και προίκα . . . τοις σιτοδοτουμενοις τοσούτον έτερον όσον αεί έλάμβανον. « II donna aussi gratuitement, à ceux qui recevaient ordinairement le blé, la même quantité en plus qu'ils recevaient habituellement ». Il est très pro bable que c'est à un fait de ce genre que fait allusion l'expression curieuse employée par Suétone à la fin de sa phrase: tesserasque nummarias duplicava. On a beaucoup discuté de ces mots. Quel est le sens de nummaria? En gros, deux solutions possibles: « qui donne droit à de la monnaie » (comme frumentaria signifie « qui donne droit à du blé »), ou bien « en forme de monnaie ». Que signifie d'autre part « duplicavit »? « II doubla le nombre » ou bien « il doubla la valeur » des tessères? Le mot numarios, suivant immé diatement frumentarios, revient une autre fois dans les Res Gestae9, dans un passage malheureusement mutilé. Mais le texte grec retrouvé porte σειτικάς και άργυρικας συντάξεις, et, comme l'admettent désormais les éditeurs (8), il est très difficile de traduire suntaxeis par tesseras. Le texte latin doit avoir comporté un mot général, du genre tributus - qui ne nous donne aucun renseignement concret. Retenons pour l'instant l'interprétation de D. Van Berchem et admettons que nummarias tesseras signifie « les tessères en forme de pièces », les jetons. Le mot serait placé ici par Suétone pour faite comprendre à ses lecteurs, qui ne connaissent qu'une autre forme de tessere (le document permanent), qu'il s'agissait alors, sous Auguste, de jetons. Mais pourquoi le mot est-il absent du passage 40,3? La dernière allusion littéraire est celle que nous trouvons chez Juvénal: il s'agit du malheureux professeur de rhétorique qui, s'il en croit le poète, sibi dabit ipse rudem... / summula ne pereat qua uilis tessera uenit fr umenti (VII, 171-174). On traduit: «la misérable somme dont il s'achète un bon de blé au rabais » (frumenti est mis pour frumentaria). Le texte prouve seulement qu'une tessere pouvait s'acheter. Mais une tessere de quelle sorte? Valable une seule fois ou permanente? Le contexte, si dérisoire qu'il montre
Cf. J. Gagé, Res Gestae Divi Augusti, 1935, p. 105-107.
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le salaire d'un professeur, doit pourtant nous faire penser à une tessere qui donne droit à plusieurs frumentations. Car l'équivalent de cinq modii de blé (à deux ou trois sesterces le modius) 10 serait sans doute beaucoup trop bas. C'est ce qui explique que ce texte ait été si souvent utilisé par ceux qui admettent l'aliénabilité, à une certaine époque du moins, de la « tessere » devenue document permanent assimilé à un titre de rente. Cependant les textes les plus déterminants sont de toute autre portée: ce sont des commentaires du Digeste. A) Dig. V, I, 52, I (Ulpien, lib. VI fideicommisorum) : Si libertis suis tesseras frumentarias emi voluerit, quamvis major pars hereditatis in pro vincia sit, tarnen Romae debere fideicommissum solvi dicendum est, cum apparet id testatorem sensisse ex genere comparatìonìs. B) Dig. XXXI, 49, 1 (Paul, Hb. V ad legem luliam et Papiam): Si Titio frumentaria tessera legata sit et is decesserit, quidam putant exstingui legatum, sed hoc non est verum, nam cui tessera vel militia legatur, aestimatio videtur legata. C) Dig. XXX, 87, pr. (Paul, lib. XIV resp.): Titia Seio tesseram frumentariam comparari voluit post diem trigesimum a morte ipsius: quaero, cum Seius viva testatrice tesseram frumentariam ex causa lucrativa habere coepit, nee possit id quo habet petere, an ei actio competat. Paulus respondit ei de quo quaeritur, pretium tesserae praestandum quoniam tale fideicommissum magis in quantitate quam in corpore consistit. D) Dig. XXXII, 35, pr. (Scaevola, lib. XVII Digest.): Patronus liberto tribum emi petierat: libertus diu moram ab herede patroni passus est et decedens heredem reliquit clarissimum virum: quaesitum est, an tribus aestimatio heredi eius debeatur, respondit deberi; idem quaesiit, an et commoda et principales liberalitates quas libertus ex eadem tribu usque in diem mortis suae consecuturus fuisset, si ei ea tribus seeundum voluntatem patroni sui tunc comparata esset, an vero usurae aestimationis heredi eius debeantur, respondit, quidquid ipse consecuturus esset, id ad heredem suum transmittere. On a beaucoup discuté de ces textes, car l'idée d'une mise en vente des tessères semble incompatible avec la règle du nombre fixe des bénéfi-
10 Pour le prix du blé à l'époque impériale, je renvoie à l'enquête utile de S. Mrozek, Prix et rémunérations dans l'Occident romain, Gdansk 1975, p. 10-15.
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ciaires imposée par César et Auguste n. On a donc supposé, en particulier, que l'achat des tessères était réservé et limité aux affranchis 12; mais les textes Β et C envisagent un héritier de n'importe quelle condition. Ensuite, il est certain que le legs d'une tessere frumentaire (ou l'ordre donné au fideicommis d'en acheter une pour l'héritier) est un peu équivalent d'un titre de rente: il représente une valeur argent mesurable (cf. le mot quantitas, dans le texte C, le mot aestimatio dans les textes Β et C, le mot pretium, texte C) tant en capital (pretium, aestimatio) qu'en rentes annuelles (désignées dans le texte D par les mots commoda et principales liberalitates) 13, le tout étant susceptible de rapporter des intérêts (usurae) en cas de retard de versement. Tout se passe comme si la tessere était en effet un document permanent, ouvrant certains droits, auquel une certaine valeur est reconnue, et qu'on peut acquérir et transmettre par héritage. Les textes sont malheureusement muets sur les personnes ou les organismes auprès desquels on peut se procurer un tel docuement. Mais, en même temps, apparaissent de singulières limitations à l'usage et à la possessions de ces tessères. Le texte A prouve d'abord qu'elles n'avaient cours, si j'ose dire, qu'à Rome - qu'elles n'étaient donc pas valables pour les autres cités où des distributions - impériales ou locales - sont attestées. Cela est confirmé par
11 F. Fabbrini, Tesserae frutti., NDI, 1973, p. 268-269. On allègue souvent, pour le droit des affranchis à la frumentation, deux vers de Perse, V, 72-73: liberiate opus est; non hac ut quisque Velina / Publius etneruit scabiosum tesserula far / possidet. Cartault traduit (éd. Budé): «II nous faut la liberté»: ce n'est pas celle-ci: «tous les Publius inscrits, leur service terminé, dans la Velina, sont, de par une méchante tessere, propriétaires de blé galeux». Rea voudrait corriger Velina(tn) etneruit, et entendre emerere comme «servir dans l'administration»; mais etnerere signifie «terminer un service», n'importe lequel, et Velina avec un nom est normalement construit à l'ablatif. Il ne faut pas pousser trop loin le parallèle entre les liturgistes d'Oxvrhvnchos et les Romains. Cf. pourtant le sens de militia cité ci-dessous note 17. 12 Mommsen, Droit Public, VI, 2, p. 18-34. On sait que Mommsen prétendait - à tort que les affranchis, quoique citoyens, avaient été exclus des tribus, même urbaines, par Auguste (p. 26-27, où il cite de nombreuses exceptions épigraphiques). Il était donc obligé, pour justifier la participation évidente des affranchis aux frumentations, de supposer, dans chaque tribu, des « collèges » frumentaires distincts de la liste des membres de la tribu. En réalité, il ne faut pas oublier le numerus clausus instaure par César et ressuscité par Auguste: il n'y avait que 200.000 bénéficiaires, quelque soit le nombre des citoyens (ingénus ou affranchis) habitant Rome. D'où la nécessité d'attendre une vacance, ou d'en acheter une, avant de pouvoir se dire membre de la plèbe frumentaire. Cf. D. Van Berchem, Distributions, p. 49-53 (mon hypothèse est un peu différente); cf. Suétone, Aug. 101. 13 Principales liberalitates veut dire «les libéralités impériales», ce que n'a pas vu J. Rea, Oxyrh. Ρ αρ., XL, p. 11.
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le texte D, où le mot tessera n'apparaît pas, mais où il est question de la place dans une tribu (tribuni emere) 14, qui certainement incluait le droit aux frumentations (commoda) et aux congiaires (principales lib er alitâtes): il s'agit donc d'une place dans la « plèbe urbaine des 35 tribus », expression bien connus et localisée à Rome 15. Ensuite, il apparaît clairement que, quoique négociable, ce document restait cependant personnel et nominal. On ne peut, par exemple, en posséder plus d'un, comme il ressort du texte C: l'affranchi couché sur le testament d'une matrone pour une tessere en a reçu une autre à titre gratuit (ex causa lucrativa) 16 avant la mort de la testatrice: « II ne peut donc réclamer ce qu'il possède déjà », dit le texte, comme si le document était nominal. Dans ce cas, répond Paul, on ne lui donnera certes pas une seconde tessere, mais on lui donnera sa valeur en argent, car c'est la valeur qui compte (quantitas), plus que la matérialité de l'objet (corpus). Le texte D d'ailleurs prouve qu'un clarissime ne pouvait pas hériter de la tessere elle-même - réservée aux plébéiens. C'est pourquoi, là encore, aura lieu une aestimatio. Nous sommes donc, je crois, forcés d'admettre qu'il s'agit à la fois de documents nominaux, donc soumis à un contrôle par les autorités (certaines catégories sociales ne pouvaient en bénéficier et personne ne pouvait en posséder plusieurs), et de documents qui pourtant, dans certaines limites, pouvaient être achetés, vendus, légués. Or, nous connaissons d'autres documents tout à fait comparables: ce sont les places dans les décuries de scribes, d'appariteurs ou de crieurs 17. La procédure est attestée très clairement dès l'époque républicaine (Cic, 2 Ver. III, 184). Elle s'explique très bien si l'on se rappelle comment était organisé le recrutement de ces officiers publics: ceux qui étaient reconnus aptes à en exercer les fonctions constituaient un ordo, comme l'atteste déjà la lex Cornelia de XX quaestoribus (I, 32), comme le confirment de très nombreux
14 Mommsen, D.P., VI, 2, p. 33-34. 15 CIL, VI 910 = ILS 168; CIL, VI 909 = ILS 176; cf. CIL, VI 955 = ILS 286: Tribus XXXV quod liberalitate optimi principis commoda earum etiam locorum adjectione ampliata sunt; je ne suis pas sûr que les loca soient les places au cirque (Dessau), mais plutôt des places dans les distributions: Pline, Paneg. 51; 25; Mommsen, D.P., VI, 32, n. 7. L'inscription CIL, VI, 1021 = ILS 6046, malheureusement très lacunaire, donne des chiffres de tribules pour les quatre tribus urbaines et deux rustiques. Le total ne saurait excéder 13 à 15000, et Mommsen a donc raison de supposer qu'il s'agit d'une liste de nouveaux bénéficiaires. 16 Sur le sens de cette expression, Heumann-Seckel, Hand-Lexikon, 823; A Berger, Encycl. Diet. Rom. Law, 383: mode d'acquisition sans dépense réciproque (legs, héritage etc....); Rea a tort de traduire: «by paying for it». 17 Pour l'organisation de Vordo des scribes et des appariteurs, voir désormais B. Cohen, The Roman Ordines, Thèse Tel-Aviv, 1972.
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témoignages. Mais il était permis à un membre de cet ordo de se substituer un vicarius (vicarium dare subdere); non pas sans doute n'importe qui, car la loi exigeait des qualifications (ibidem, II, 17: cuius in locum per leges plebisvescita viatorem praeconem leget sublegei non licebit). La loi n'explique pas pour quelle raison se faisait cette « subrogation »: mais l'expression parfaitement courante decuriam emere 18 prouve qu'il s'agissait tout simplement d'une vente, de ce qu'on a appelé, à juste titre, « la vénalité » des offices. Très souvent ce sont des affranchis qui « achètent » ainsi la place devenue vacante par le retrait volontaire d'un titulaire, espérant en retirer moins de profit (substantiel pourtant) que d'honneur, car ces char gesdonnent une « vocation » à l'ordre équestre. Ce n'est donc pas l'Etat qui vend directement une charge; il se contente de tolérer, de contrôler et d'enrégister une aliénation privée. A mon avis, c'est d'une procédure exacte ment parallèle qu'il s'agit pour la tessere frumentaire. La preuve en existe d'ailleurs : un rescrit de Philippe, de 249 apr. J.-C. 19, concernant les rapports des patrons et des affranchis, précise: Fundus autem quem ais Agilìo liberto donasse te, tribus et decuria, quae ipsius nomine comparatae sunt . . . Les deux choses sont donc parfois compatibles: l'affranchi Agilius a reçu à la fois une place dans une tribu (donc une tessere frumentaire) et une place dans une décurie de scribes ou d'appariteurs. C'est d'ailleurs ainsi qu'il faut expliquer à mon avis l'expression tessera vel militia20 qui figure dans le texte B. Quoiqu'il en soit, il semble hors de doute que les tessères frumentaires mentionnées dans les textes juridiques sont des documents officiels nomi naux, portant mention exacte de la tribu. Lorsqu'ils étaient achetés, très
18 Sur l'expression decuriam entere, Mommsen, DP., I, 389, n. 3; L. Ross Taylor, Horace's equestrian career, dans Am. Journ. Phil., 1925 161-169; C. Nicolet, Les finitores ex equestri loco, dans Latomus, 1960, 102-103; on peut consulter encore Louis Lucas, Etude sur la vénalité des charges..., Paris 1883, et A. H. Jones, The Roman Civil Service..., dans JRS 1949 38-55 = Stud. Rom. Gov. Law, 151-175. Le texte le plus topique, outre la lex Cornelia de XX quaestoribus, est Cicéron, 2 Verr. Ill, 184; cf. aussi Suétone, Vita Hor., p. 44 Reiff: scriptum quaestorium comparavit; Schol. ad Juven., V, 3: decuriam quoque quaestoriam compararet; Porphyrion, ad Hor. II, 6, 86; CIL, VI, 1820; 1822; IX, 2454, etc.... 19 Fragmenta Vaticana 272 (FIRA2, II, p. 522). 20 Militia, au IVes., désigne couramment le service comme fonctionnaire dans les bureaux (TLL, s.v. militia, col. 962, 31; 963, 16; cf. Paul, Sent. V, 25, 12; pour l'achat et la vente, Celse, Dig. 31, 32; Scaev. Dig. 19, 252, 2; 34, I, 18, 2, etc.); on peut se demander si, dans des textes du IIe ou IIIe s., le mot n'est pas interpolé.
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certainement à ceux qui, pour une raison ou une autre, voulaient s'en défaire, on devait y reporter très exactement le nom du nouveau bénéficiaire. Nous pouvons avoir une idée des mentions que comportaient ces tessères grâce aux inscriptions qui donnent précisément - le plus souvent comme preuve d'appartenance à la plèbe frumentaire - tous les renseignements désirables: le jour du mois et le guichet du portique de Minucius. La plus ancienne est celle de Ti. Claudius Ianuarius: Ti. Claudius Aug. lib. curator de Minucia die XIIII ostio XLII (CIL VI, 10223 = I.L.S. 6071); et celle ci, très explicité: C. Sergius C. fil. Alcimus vix. ann. III mensib. III diebus tribus frumentum accepit die X ostio XXXIX etc.... {CIL VI, 10224b = I.L.S. 6069). Je laisse de côté pour l'instant le problème que pose la présence de cet enfant sur la liste des bénéficiaires (alors qu'évidemment son père n'en faisait pas partie) 21, pour ne retenir que les précisions concernant la distribution du blé: il me semble évident qu'elles devaient aussi figurer sur la tessere. Que nous apportent, pour notre propos, les papyrus d'Oxyrhynchos récemment publiés par J. Rea? Ils mentionnent justement le document essentiel qui est nommé τάβλα 22, mot qui apparaissait déjà dans un fragment d'Hermopolis. Il est intéressant de noter que ce mot est la transcription grecque du latin tabula ou tabella - non tessera. Le mot figure dans un document qui est très certainement un avis publié par les magistrats annuels qui, à Oxyrhynchos, sont chargés de la distribution, sur désignation du conseil23. Ils délivrent aux ayants droit des tablai qui ne sont valables que pour la durée de leur magistrature. Rea traduit le mot par « token », mais des documents qui devaient porter au moins le nom du bénéficiaire et la
21 Cf. ci-dessus note 12. 22 J. Rea, Oxyr. Pap., XL, n.° 2924: άναγκαϊον ένομίσαμεν ύπομνήσαι τους παρ' ημών τάβλας μεν έσχηκότας, έν τη διαδόσει μηδεπω δε τον σεΐτον είληφότας καν νυν ταύτας π[. ..]; cf. un papyrus de Leipzig provenant d'Hermopolis (Sammelbuch, I, 4514): εστίν ώστε τους λαμβ[ά]νουντας τάβλας και τον σϊτον λαμβάνειν, cité par Mitteis et Wilcken, Grundzuge u. Chrestomatie I, 1912, n° 425 (un autre papyrus d'Hermopolis qui est une déclaration, απογραφή, datée de 261 ap. J.-C). Ailleurs dans les papyrus le mot a le sens de tabula (tableau). Cf. Rea, p. 13 qui cite les jetons et tessères trouvés ici ou là en Egypte (d'après Num. Chron. 1908, 287; 1930, 300). Pas d'autres mentions de ces τάβλαι dans S. Daris, // Lessico latino nel greco d'Egitto, Barcelone, 1971. 23 Le n° 2918 mentionne τοις κίρεΰΐϊσι ύπο της κρατίστης [βουλής] δ[ι]άδοσιν ποιήσασθαι τοϋ σειτηρε[σίου].
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marque, sinon le nom, du responsable de la distribution, sont plus que des jetons, comme le mot tabla le prouve d'ailleurs. L'existence de tels documents va de pair, à Oxyrhynchos, avec d'autres moyens de contrôle. Les phylarques devaient dresser les listes des bénéficiaires dans leur tribu, listes séparées pour les trois catégories de bénéficiaires, les epikritentes, les homologoi et les remboi24. Ils le faisaient en consultant les archives, mais les papyrus con servés montrent que les individus avaient le droit de présenter leur candi dature par écrit, en particulier pour remplacer les morts, puisque, comme à Rome, le nombre maximum des bénéficiaires est fixé d'avance et qu'on pro cède à une subsortitio. Des certificats de toutes sortes devaient être joints à ces actes de candidatures. Les candidatures étaient examinées par une commission de diacritai. Mais il y avait en outre un appel nominal auquel devaient répondre les bénéficiaires et Rea suppose très raisonnablement que c'est à cette réunion que devaient être distribuées les tablai. Il est frappant de constater combien, dans ses grandes lignes, cette procédure des distributions à la fin du IIIe s. en Egypte rappelle celle de Rome: nombre limité, entrée de nouveaux membres par tirage au sort, et même révision périodique des listes. Mais rien ne dit que, dans sa matérialité, la tabla reproduise exactement la tessere romaine - de quelle époque d'ailleurs -? Une différence au moins devait exister: à Rome ce ne sont pas des magistrats annuels qui la distribuent; rien n'oblige donc qu'elle ait eu, comme à Oxyrhynchos, une validité limitée à un an. Les textes juridiques que j'ai cités n'indiquent rien de tel. Mais, en revanche, l'emploi du mot tabla confirme l'hypothèse de D. Van Berchem selon laquelle, à partir d'une certaine époque, la tessere a pris, en réalité, la forme d'une tabella, sans doute en bois, suffisamment grande en tout cas pour avoir comporté les indications d'état civil (nomen) et sans doute les précisions concernant le guichet de la Minucia et le jour du mois. A l'appui de cette conclusion - qui me paraît sûre - Van Berchem allègue quelques représentations figurées de tessères, qu'il commente, à un détail près, de façon excellente 25. Il faut incontestablement partir d'un
14 Sur ces catégories, Rea, p. 2-5; les έπικριυέντες sont les citoyens qui ont subi victorieus ement l'examen, les ρεμβοί sont essentiellement ceux qui ont accompli une liturgie, y compris les affranchis; enfin les ομόλογοι, qui sont peut-être des citoyens de naissance illégitime, des «assimilés». Chaque catégorie a un numerus clausus, comme à Rome: respectivement 3000, 900, 100 (la population totale d'Ox. devait être de 25000 habitants). Cf. par exemple pour la procé durele n° 2894. 25 D. Van Berchem, Les distributions, p. 92 et suiv.
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sesterce d'Antonin du British Museum26 qui représente au revers Annona (Fig. 1 et 2). Elle porte dans le bras gauche la rame qui symbolise les convois d'Alexandrie et d'Afrique, et brandit dans la main droite un objet qui, à l'échelle de la figure, mesurerait au moins 20 ou 30 cm de longueur et se présente comme une tablette rectangulaire terminée vers le haut par un anneau ou un globule. Deux autres monuments très abîmés, une pein ture27 et une base au Musée Vatican28, représentent de la même façon Annona. Mais elle apparaît surtout avec une grande netteté sur un sarco phage d'Ostie29, actuellement' au Musée des Thermes, datant du milieu du IIIe s., qui, plutôt qu'un simple negotiator, figure un employé de l'Annone avec son épouse le jour du mariage (Fig. 3 et 4). A gauche et à droite du groupe central, quatre figures symboliques: à l'extrême gauche, Portus (Ostie), tenant dans sa main droite le phare, une proue de bateau à ses pieds. A l'extrême droite, Africa, très reconnaissable à sa coiffure en tête d'éléphant; à ses pieds un modïus plein d'épis; elle porte elle-même un épi dans la main droite. Les deux autres figures doivent être interprétées autrement que ne le font Rostovtzeff et Van Berchem. A droite, Liberalitas ou Fortuna 30, peutêtre Abundantia, avec la corne d'abondance dans le bras gauche, les fruits et les épis dans son giron. A gauche, non pas Liberalitas ou Frumentatio, mais, exactement comme sur la monnaie, Annona portant dans son bras
26 H. Mattingly, Coins of the Rom. Emp. Br. Mus., IV, p. 267, n° 1655, (PL 40, 1) = Mattingly Sydenham, Rom. Imp. Coin., III, p. 123, n° 757 = PL V, 112. Annona debout à gauche; à ses pieds à gauche deux proues de navires, l'une chargée d'un modius; à droite le phare d'Alexandrie. Cf. une autre monnaie de Lucius Verus, Mattingly, CREBM, IV, p. 609, n° 1357 (PL 81, 3). Annona debout brandissant la tessere; il ne faut pas confondre cette tessere avec l'objet à manche, rectangulaire, que brandit souvent Liberalitas: ce n'est pas un abacus, mais un plateau à monnaie, d'après D. Van Berchem. 27 Une peinture d'Ostie, G. Calza, Not. Scavi, 1915, p. 247, fig. 6. 28 Dite «base de Sorrente»: A. Degrassi, Bull. Corn., 1932, 1-109 (Rom. Mitt, X, 1889, Tab. X, b, p. 1013). 29 Sarcophage «Aquari» (cf. Aquari, Bull. Corn., 1877, p. 156; Not. Scav., 1877, 60); au Musée des Thermes, Inv. n° 40799 (R. Paribeni, Le terme di Dioclez. e il Museo Naz. Rom., 1932, n° 102, p. 77; Id., Bol. d'Arte, 1909, 291), reproduit et commenté par Rostovtzeff, S.E.H.R.E., 2a ed., 1957, pi. XXVII d'après Paribeni; CIL VI, 29809, (à cause des mots Port(us) à gauche et [A]f[ric]a, à droite. 30 Annona comme Liberalitas, sont souvent représentées avec la corne d'abondance (comme Félicitas, Hilaritas, Fortuna); mais Liberalitas, qui fait plutôt allusion aux congiaires, est représentée (plus de 40 fois sur les monnaies des Antonnins) avec la corne et le plateau à monnaie. Abundantia apparaît sous les Sévères (H. Mattingly, C.R.E.B.M., VI, 591-594 PL 20, 593), très proche de la figure représentée sur le bas-relief.
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gauche non pas le rutellum 31 (petite pelle à égaliser le blé dans le modius), mais la rame, et brandissant dans la main droite un objet similaire à celui de la monnaie; la taille du relief permet cependant de mieux le lire: c'est une tabella presque rectangulaire, avec au sommet un anneau. Le rebord accentué marque, me semble-t-il, qu'il s'agit d'un support d'écriture (Fig. 5). La juste attribution à la figure de gauche du nom d'Annona permet donc d'avoir une représentation exacte d'une tessere frumentaire du IIIe s. ap. J.-C. qui convient parfaitement à un document permanent. Le problème est de savoir à quand remonte l'origine des documents de ce genre. Si notre raisonnement est juste et si la mention du guichet de la Minucia et du jour du mois devait y figurer, il est tentant de les faire remonter au moment de l'aménagement de la seconde Porticus Minucia, sous Claude peut-être, après l'incendie des (Horrea) Aemiliana52. La plus ancienne inscription portant ce type de renseignements est de l'époque de Claude ou de Néron. Précisément Suétone, énumérant les missilia dont Néron gratifia le peuple lors de ses « Grands Jeux », mentionne des « tessères frumentaires »: Sparsa et populo missilia omnium rerum per omnes dies: singula cotidie milia auium cuiusque generis, multiplex penus, tesserae frumentariae, uestis, aurum, argentum, gemmae, margaritae, tabulae pictae, mancipia, iumenta, atque etiam mansuetae ferae, nouissime naues, insulae, agri {Nero, 11,4).
31 Le commentaire du CIL VI, 29089, comprend comme moi: «mulier corona turrita insignis d. tabellam sin. remum gerens». On attend Annona avec la rame-gouvernail; il est vrai que l'engin représenté dans son bras gauche, ici, n'a pas exactement la même forme que sur la monnaie d'Antonin, citée n. 23. En revanche, l'objet planté dans le modius de blé, aux pieds à'Abundantia, avec un manche court, ne peut être une rame, mais doit être le rutellum (sur lequel, voir le commentaire et les renvois de Rostovtzeff, S.E.H.R.E. pi. XXVII); c'est de toute façon de peu d'importance. 38 Selon l'hypothèse récente, et encore inédite, de F. Coarelli. Les Aemiliana attestés par Varron, R.R. III, 2, 6 et Cicéron, De Rep. I, 9, étaient-ils un «quartier», comme on le pense communément (d'ailleurs difficile à localiser) ou, plus précisément, des horrea? Cette dernière hypothèse semble confirmée par le passage bien connu de Suétone, Div. Claud., 18, qui, dans un chapitre entièrement consacré à l'annone, montre la façon dont l'empereur Claude dirigea, du Diribitorium, la lutte contre leur incendie. Cet incendie des Aemiliana, que le texte de Suétone oblige à dater pendant son règne, doit être différent de celui mentionné par un fragment des Fasti Ostienses (R. Paribeni, dans Bull. Comm., 1916, 208-227; W. Groh, Bull. Corn., 1918, 246-249; A. Degrassi, Inscr. Hal, XIII, 1, p. 191 et 220), qui est de 38 ap. J.-C, sous Caligula. E. Rodriguez a mis en place, près de la rive du Tibre dite «inter duos pontes», un fragment du Plan de Marbre portant AEMILI[ana?] (Bull. Comm., 1970-71 [1975], p. 112-113).
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II est difficile de dire de quelles sortes de tessères il s'agissait. Il y a gradation dans l'énumération de Suétone, et les derniers cadeaux (esclaves, bêtes apprivoisées, navires, maisons et terres) n'ont pu être distribués que sous forme de « bons ». L'or, l'argent, les perles pouvaient en revanche pleu voir directement. A-t-on jeté à la foule des tessères-jetons, valables pour une seule distribution? mince cadeau. Comme dans le texte de Juvénal, il me semble qu'ici « tessere » doit s'entendre du document permanent en forme de tablette: c'est malgré tout une chose qu'on peut lancer à la volée dans un théâtre. Mais on peut aller plus loin et remonter plus haut. Une représentation sur une monnaie me paraît offrir, avec les tessères que brandit Annona, une similitude frappante. Il s'agit de l'objet mystérieux représenté sur un sesterce d'argent de (Lollius) Palikanus, daté par M. Crawford de 45 av. J.-C. 33. Au droit, une jarre (plutôt qu'une urne) (Fig. 5), au revers une tablette rectangulaire, plus ou moins allongée selon les exemplaires, surmontée en haut d'un anneau ou d'un globule (Fig. 6). On hésite beaucoup sur l'interpré tation, symbolique ou non, de ces objets. J'ai d'abord pensé, avec d'autres dont Lily Ross Taylor34, qu'il s'agissait d'une tabella de vote: mais d'autres représentations sûres (Fig. 7, 8, 9) de tels objets ne montrent pas d'anneau - ce qui s'explique, comme on verra, car le bulletin de vote ne reste que peu de temps entre les mains de l'électeur. J'ai proposé ensuite, me fiant à une ressemblance tout compte fait superficielle35, d'y voir la représentation d'une « tessere nummulaire » (Fig. 10). Mais la représentation d'une tessere nummulaire (document privé autant que nous le sachions) sur une monnaie s'explique mal. Or, comme le remarque M. Crawford, la plupart des types de l'émission de Palikanus ont un rapport avec la situation ou les activités
33 Babelon, II p. 149; Grueber, I, 4017 (P.L., 21) Sydenham, 963; M. Crawford, RRC, 473, 4 (p. 482-483). 34 L. Ross Taylor, Rom. Voting Assemblies, p. 37 (et pi. VI, 1) qui pense que la «voting tablet» et l'urne (électorale) font allusion, comme les Rostra et Libertas des autres types de la même émission, à l'activité du tribun M. Lollius Palikanus, père du monétaire présumé. Mais les urnes de vote représentées sur les monnaies de sa planche V ne ressemblent en rien à celle de Palikanus. Et les autres tabellae n'ont pas d'anneau. 35 J'avais pourtant soutenu le même point de vue dans «Confusio suffragiorum » , Mél. Arch. Hist, 1959 p. 208-210 mais j'ai ensuite pensé à une tessere nummulaire (Rev. Et. hat. 1967, p. 105) d'abord parce qu'une tessere de la collection Fröhner, au Cabinet des Médailles, plus courte que les autres, présente à peu près le profil de certains coins de Palikanus; et surtout à cause de la tessere de 62 av. J.-C, CIL I2, 910: Heraclida Lolli / sp. Κ Febr. / D. Sii. L. Mur. Mais rien ne dit que Lollius soit de la famille du monétaire.
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de César en 46, après Munda. Le n° 473, 2a36, en particulier, avec la chaise curule entourée d'épis, comporte une allusion frumentaire évidente. Les devises Libertatis, Honoris, Felicitatis ont également toutes trois une résonnance césarienne. Je me demande donc s'il ne faut pas revenir à une hypo thèse d'A. Blanchet37, rejetée par Crawford, et si la tablette n'est pas une tessera frumentaria. Elle ressemble plus à celle du sarcophage d'Ostie qu'à toute autre chose.L'urne du droit ferait elle aussi allusion à des distributions contemporaines d'huile ou de vin38 (Suétone, Caes. 38). Si ce rapprochement est pertinent, je me demande s'il ne faudrait pas attribuer l'introduction d'un document personnel et permanent pour les frumentations à César. C'est lui qui réalisa en ce domaine, précisément en 46, une réforme définitive, en révisant la liste des bénéficiaires, en lui fixant le chiffre maximum de 150.000, et en instituant la procédure du tirage au sort pour remplacer les vacances 39. Palikanus aurait célébré à sa manière cette mise en ordre en représentant sur son sesterce la nouvelle tessere. Cette hypothèse me paraît d'autant plus probable, que l'usage de tessères et de tesserulae pour le contrôle des activités civiques40 me paraît avoir existé sous la République. En particulier pour une opération très proche dans son principe de l'exercice du droit au frumentum publicum, je veux
36 A. Alföldi, Les Praefecti Urbi de César, Mèi. W. Seston, Paris 1974, p. 1-23, sp. p. 6, donne une tout autre interprétation de ces monnaies. Il les intègre dans des séries de 15 monét aires, Praefecti Urbi et aediles Ceriales, dont les types font tous allusion à ces fonctions. Il est exact que le type de Crawford 473, 2 a, est exactement semblable à ceux de C. Considius. Ceux de L. Livineius Regulus montrent le modius et les épis. Liberias se retrouve aussi sur les monnaies de cette époque. J'espère avoir montré ailleurs (art. cité n. 5) que la recensio de César eut lieu en 46 av. J.-C. 37 A. Blanchet, Le congiarum de César et les monnaies signées Palikanus, Atti. Congr. Int. Se. Stor., Rome 1903 (1904), VI, 101-105, interprète de façon convaincante le «vase» comme un congius (cf. T.L., XXV, 2) et fait le rapprochement avec les textes de Suétone et de Dion cités n. 34. Il rappelle le sanctuaire de la Liberté consacré par César en 46 (Dion, 43, 44, I), mais il fait de Palikanus un édile de la plèbe (cf. l'article de A. Alföldi cité n. 32). Crawford rejette trop rapidement l'argumentation d'A. Blanchet. 38 Suétone, César, 38; Dion, 43, 21, 3. 39 Suétone, César, 41,5; Dion, 43, 21, 4 (Tite-Live, Per. 115; Appien, BC, II, 102, et Plutarque, César, 55, 3 se trompent). J'ai ajouté à ces témoignages celui de Cicéron, Phil, II, 83, (et 64) dans la communication citée à la n. 5 (CRAI, 1976, p. 29 sq.). 40 J'ai insisté sur les liens entre les divers domaines de la vie civique dans Le métier de citoyen, Paris Gallimard 1976, p. 368-370. Pour le droit de vote et son exercice, cf. récemment L. Ross. Taylor, Roman Voting Assemblies, 1967, et E. S. Staveley, Greek and Roman Voting and Elections, Londres, 1972, qui, p. 162-164, pose le problème du contrôle de l'identité, mais sans le résondre. Il n'a pas vu le lien avec les tesserulae de Varron.
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dire le droit de vote. Du temps du vote oral, le contrôle des individus qui se présentaient dans leur tribu et leur centurie était effectué par le rogator qui interrogeait à haute voix chaque électeur, entouré sans doute des respon sables de l'unité, curatores tribuum et centurions de centurie électorale41. Ils devaient disposer de la liste des tribules et vérifier visuellement l'identité des votants. Avec le vote écrit, la procédure se complique. Comment s'effec tuaitle contrôle, qui existait sûrement, comme le prouve une anecdote con cernant la vie de Marius42? Un passage du Livre III des Res Rusticae de Varron43 - que j'aurais du noter plus tôt - me paraît fournir un élément de réponse. La scène se passe, comme on sait, un jour de comices édiliciens, en 55 av. J.-C. Les protagonistes devisent à la Villa Publica pendant que le dépouillement se fait au Diribitorium. Une grande rumeur leur parvient du Champ-de-Mars et bientôt quelqu'un vient la leur expliquer: Narrât ad tabulant, cum diriberent, quemdam deprensum tesserulas conjicientem in loculum, eum ad consulem tractum a fautoribus competitorum. Pavo surgit, quod eius candidati custos dicebatur deprensus (III, 5, 18). J'ai, après bien d'autres, trop vite considéré que tesserulas était synonyme de tabellas et désignait des bulletins de vote, qu'un fraudeur essayait d'intro duiredans l'urne. Mais loculus ne désigne pas une urne de vote, qui se dit cista. Tesserula, c'est une « petite tessere », c'est-à-dire quelque chose d'équi valent, si l'on suit notre reconstitution des frumentations, aux « jetons » échangés, chaque mois, contre les cinq modii. Ici, ces tesserulae ont été échangées, à mon avis, contre le bulletin de vote (tabella) que l'électeur reçoit avant de voter, au moment de pénétrer sur le pons, comme attestent à la fois un texte de Cicéron44 et une monnaie45 (Fig. 11). Elles servaient ensuite au contrôle du nombre des votants; autant de tesserulae, autant
41 J'ai analysé de près les procédures concrètes du vote dans deux articles: Platon, Cicéron et le vote secret, dans Historia, XIX, 1970, 39-66, et Le livre III des R.R. de Varron et les allusions au déroulement des comices tributes, Rev. Et. Ane, 1970, 113-137. 42 Plutarque, Marius, V, 3-5: un esclave d'un ami de Marius surpris mêlé aux citoyens dans les Saepta. 43 J'ai trop hâtivement, comme tout le monde, traduit tesserula par « bulletin de vote », dans mon art. REA, 1970, p. 132, n. I. 44 Cicéron, Ait., I, 14, 5: operae clodianae pontes occuparant; tabellae ministrabantur ita ut nulla daretur « uti rogas ». 45 Monnaie de P. (Licinius) Nerva, Crawford, RRC, 292, I, p. 306-307, qui a bien vu, (contrairement à L. Ross. Taylor, RVA, 39) que le citoyen qui s'apprête à voter est sur le pont et que celui qui lui tend quelque chose d'en bas est un custos ou un rogator; cf. mes articles cités n. 37 et 41.
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d'électeurs qui avaient reçu leur bulletin. En cas de fraude, il fallait intro duire à la fois' faux bulletins et fausses tessères pour que les chiffres coïncident. Il faut supposer peut-être (mais pour cela je ne connais aucun témoi gnage) que le citoyen possédait aussi une tessere permanente qui lui per mettait de recevoir à chaque occasion ces tesserulae. A moins qu'on se soit passé de ce document en matière électorale, les rogatores et custodes se contentant de consulter une liste. Cela aurait été possible du fait de Paffluence relativement restreinte aux comices à cette époque, alors que pour les distributions frumentaires, qui mettaient en mouvement 150.000 ou 200.000 citoyens chaque mois, le document permanent a dû devenir indispensable assez tôt. On peut dès lors, me semble-t-il, revenir à l'expression de Suétone, fesseras nummarias, qui faisait difficulté. Il ne s'agit pas de tessères donnant droit à de l'argent - le contexte est exclusivement frumentaire. Il s'agit du « jeton », non du document permanent: pour les années de disette, mais exceptionnellement, Auguste s'est contenté de doubler la valeur des douze jetons remis aux citoyens au vu de leur tessere permanente et des listes. C'est pour expliquer cela que Suétone emploie une expression imagée, et nous traduirons donc tesserae nummarias par « les jetons des distributions ».
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Fig. 1 - Monnaie d'Antonin, Mattingly, CREBM, IV, n. 1655.
Fig. 2 - Monnaie de Septime Sévère.
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Fig. 4 - Sarcophage d'Ostie (détail: Annona).
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rig. 5 - Sesterce de (Lollius) Palikanus: droit.
Fig. 6 - Sesterce de (Lollius) Palikanus: revers
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Fig. 7 - Denier de Q. Cassius Longinus (55 av. J.-C.) (M. Crawford, RRC n. 428).
Fig. 8 - Denier de C. Coelius Caldus (51 av. J.-C.) (M. Crawford, RRC, n. 437, la).
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CLAUDE NICOLET Rg. 9 - Denier de L. Cassius Longinus K->3 av. J.-C.)(M. Crawford, RRC, n. 413).
Fig. 10 - Tessere nummulaire (CIL, I2, 938 = ILLRP, 1056).
Fig. 11 - Denier de P. Licinius Nerva (vors 113 ou 112 av. J.-C.) (M. Crawford, RRC, η. 292).
ANTOINETTE NOVARA
SUR LE POUVOIR: UN CHAPITRE POLYBIEN DE SALLUSTE (À PROPOS DE CAT., 2, 1-6)
Le deuxième chapitre de la Conjuration de Catilina comporte une esquisse de l'histoire du pouvoir dans les Etats, un aperçu historique sur l'impérialisme et une réflexion générale sur les transferts du pouvoir. « 1. Igitur initio reges - nam in terris nomen imperi id primum fuit diuorsi pars ingenium, alii corpus exercebant; etiam turn uita hominum sine cupiditate agitabatur, sua cuique satis placebant. 2. Postea uero quam in Asia Cyrus, in Graecia Lacedaemonii et Athenienses coepere urbis atque nationes subigere, lubidinem dominandi causam belli habere, maxumam gloriam in maxumo imperio putare, turn demum periculo atque negotiis compertum est in bello plurumum imgenium posse. 3. Quod si regum atque imperatorum animi uirtus in pace ita ut in bello ualeret, aequabilius atque constantius sese res humanae haberent, neque aliud alio ferri neque mutari ac misceri omnia cerneres. 4. Nam Imperium facile is artibus retinetur quibus initio partum est. 5. Verum ubi pro labore desidia pro continentia et aequitate lubido atque superbia inuasere, fortuna simul cum moribus immutatur. 6. Ita Imperium semper ad optumum quemque a minus bono transfertur. « Donc, au début les rois, car ce fut là en premier le nom du pouvoir dans le monde, déployaient, diversement, une partie leurs qualités intellectuelles, les autres leurs forces physiques; alors encore la vie des hommes se passait sans ambition, chacun se contentait de ce qu'il avait. Mais, après qu'en Asie Cyrus, en Grèce les Lacédémoniens et les Athéniens ont commencé à soumettre les villes et les nations, à trouver dans leur goût de la domination une cause de guerre, à penser que la plus grande gloire réside dans le plus grand empire, alors seulement l'expérience et la pratique firent reconnaître que c'est l'esprit qui, dans la guerre, a le plus grand rôle. Et si la valeur de l'âme x des rois et des
1 Salluste a usé de l'expression animi uirtus dans le premier chapitre (§ 5): «sed diu magnum inter mortalis certamen fuit uine corporis an uirtute animi res mütaris magis
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ANTOINETTE NO VARA
gouvernants se manifestait autant dans la paix que dans la guerre, le cours des affaires humaines se montrerait plus régulier et plus constant, et l'on ne verrait pas tout aller à la dérive, ni tous ces changements et boule versements. Car le pouvoir se conserve facilement par les vertus grâce auxquelles il a été acquis au début. Mais quand ont fait irruption, à la place de l'effort, l'indolence, à la place de la maîtrise de soi et de l'esprit d'équité, la débauche et l'arrogance, la fortune change en même temps que les mœurs. Ainsi le pouvoir passe toujours du moins bon au meilleur » 2. Le thème du pouvoir a été introduit et abordé par la théorie de la gloire avec laquelle commence l'ouvrage. La gloire ne se conquiert que grâce à l'esprit exerçant, comme il le doit, le pouvoir sur le corps. Mais la gloire militaire est-elle obtenue grâce à l'esprit? Comme les exploits guerriers cons tituent l'un des principaux titres de gloire d'un citoyen, sinon le premier3, la question s'est imposée à Salluste. Pour lui, la démonstration que « c'est l'esprit qui, dans la guerre, a le plus grand rôle » a été réalisée par les conquérants et maîtres d'empires. Avant de répondre ainsi à la question qu'il a soulevée à propos de la force physique et de la valeur de l'esprit dans l'art militaire 4, Salluste a jugé bon de remonter aux origines du pouvoir dans l'Etat; il s'en est procuré l'occasion en évoquant la période où l'impé rialisme n'existait pas encore et où n'avait pas été faite la démonstration
procederei». Karl Büchner (Salitisi, Heidelberg, 1960, ρ: 96) établit simplement au sujet de la «Geisteskraft» l'équivalence: animi uirtus = ingenium. Avec subtilité A. D. Leeman (Sallusts Prolog und seine Auffassung von der Historiographie. I. Das Catilina proömium, Mnemosyne, ser. IV, VII, 1954, p. 325) avait écrit que «l'esprit est comme intellectualisé en ingenium, tandis que uirtus à travers l'association avec animus est spiritualisée». Dans l'édition qu'il a procurée de la Conjuration, Alfred Ernout (Paris, Belles Lettres, 5e éd. 1962) traduisait «animi uirtus» en I, 5 par «la vigueur de l'esprit» et en II, 3 par «qualités morales». Dans l'un et l'autre passages l'expression est très proche d'ingenium, mais paradoxalement, puisqu'elle associe deux termes abstraits, elle tend à rendre de manière plus sensible la manif estation et le dynamisme de l'animus. 2 Pour le traducteur, la vieille édition de F. Antoine et R. Lallier (Paris, Hachette 1888) reste souvent très utile. A propos du sens de «aliud alio Ferri», cf. η. 32. 3 Cf. Cat, III, 1; Cic, De Off., II, 45. Les théories de la gloire présentées par Salluste et Cicéron doivent être rapprochées, cf. Alain Michel, Entre Cicéron et Tacite: aspects idéologiques du « Catilina » de Salluste, Acta Classica Uniuersitatis Scientiarum Debreceniensis, V, 1969, p. 84; Etienne Tiffou, Essai sur la pensée morale de Salluste à la lumière de ses prologues, Paris, 1975, p. 42-43, 61-65, 75-117 (chapitre IV: la gloria, rétrospective. Etude comparée chez Salluste et Cicéron). 4 Cf. I, 5, cité au début de la n. 1.
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que l'esprit joue dans la guerre le rôle prédominant. Puis Salluste déplore, dans un raisonnement par contraste, que l'esprit qui a donné des preuves semblables de sa valeur dans la guerre, n'ait pas réussi à en fournir autant dans la paix; ainsi s'expliquent dans les Etats, comme dans les empires, la corruption, puis le transfert du pouvoir. Pour la stabilité du pouvoir, il suffit que le gouvernant conserve les qualités du conquérant. Mais la conquête d'un empire, la prise du pouvoir dans la cité suscitent des vertus que la possession du pouvoir altère d'ordinaire. Alors le pouvoir passe aux mains de plus vertueux qui chassent les mauvais maîtres. Les trois maximes sur le pouvoir en général, qui sont groupées de façon à démontrer que le pouvoir va de pair avec la supériorité intel lectuelle et morale, sont unies aux aperçus historiques sur les débuts du pouvoir dans l'Etat et de l'impérialisme par une phrase de transition, où sont comparées les manifestations de la valeur de l'âme dans la paix et dans la guerre. L'expression animi uirtus constitue la liaison entre l'esprit de la guerre et les vertus de la paix. En effet, après avoir mis en lumière l'esprit, ingenium, Salluste passe à la valeur de l'âme, animi uirtus, puis il lui substitue les vertus, artes, dont la sentence sur les changements conjoints des mœurs et de la fortune laisse entendre qu'elles sont morales. L'enchaînement complexe des idées dans le chapitre laisse supposer qu'il n'y a pas là une rédaction de premier jet, mais une construction appliquée, dont les matériaux premiers et essentiels sont d'une part l'histoire de l'impérialisme, sa définition, la démonstration qu'il a accomplie de la valeur prépondérante de l'esprit dans les guerres, et de l'autre la maxime sur le pouvoir qui se conserve facilement grâce aux vertus par lesquelles on l'acquiert. Cette mise en œuvre dont on sent qu'elle résulte d'un effort particulier de Salluste excite la curiosité: on est amené à se demander si les idées présentées par l'historien, au lieu de lui appartenir en propre, ne sont pas autant de références à un auteur ou des auteurs, dont Salluste voudrait fournir à son lecteur le plaisir intellectuel de retrouver la trace. Ce qui était un jeu pour le Romain cultivé de l'époque devient pour les modernes une recherche des sources capitale pour la bonne compréhension du texte. Dans son article sur II significato dei proemi sallustiani, Antonio La Penna5 a jugé l'entreprise désespérée à propos de l'aperçu historique sur
Cf. p. 99 de cet article paru dans Maia en 1959.
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l'impérialisme et son avis n'était sans doute pas différent pour les lignes qui le précèdent et le suivent immédiatement. Toutefois, la source de la maxime sur le pouvoir qui se conserve grâce aux vertus mêmes de la conquête a été déjà identifiée6: Salluste emprunte ici à Polybe (X, 36,5); celui-ci tirait une leçon générale des difficultés qu'après leur victoire sur Publius et Cnaeus Scipion, les Carthaginois con nurent en Espagne, pour avoir traité leurs sujets υπερηφάνως, cum superbia, dirait le latin. A. La Penna doute qu'il y ait « une trace sûre » de Polybe chez Salluste 7 et les parallèles relevés par Wilhelm Avenarius ne l'ont pas con vaincu. Mais au seul rapprochement précis que W. Avenarius avait signalé au sujet de ce deuxième chapitre du Catilina et qui a été cité ci-dessus, d'autres peuvent être ajoutés; nous les versons au dossier de l'inspiration polybienne de Salluste. A notre connaissance du moins, ils n'ont pas été faits jusqu'ici. Pour continuer l'examen des maximes sur le pouvoir, il apparaît que Salluste, quand il traite des changements dans les mœurs, qui entraînent les transferts du pouvoir, se souvient du livre VI de Polybe. L'idée est courante que la fortune varie avec les mœurs8. L'« anacyclosis » de Polybe a paru à Salluste en fournir une démonstration remar quable. En lisant l'analyse de l'historien grec sur les facteurs dont dépendent les changements de régimes, Salluste a retenu les éléments communs à la dégénérescence de la royauté en tyrannie, de l'aristocratie en oligarchie, de la démocratie en ochlocratie: desidia, lubido, superbia. L'indolence, la débauche, l'arrogance succèdent à l'effort, labor, à la maîtrise de soi, continentia, à l'esprit d'équité, aequitas. Ainsi Polybe avait montré les rois à titre héréditaire qui, soucieux d'avoir un train de vie inimitable, s'adonnent à tous les luxes, assouvissent tous leurs désirs amoureux sans scrupule9
6 Cf. Wilhelm Avenarius: Die griechischen Vorbilder des Sallust, Symbolae Osloenses, XXXIII, 1957, p. 65. 7 Antonio La Penna, L'interpretazione sallustiana della Congiura di Catilina, Studi Italiani di Filologia Classica, XXXI, 1959, p. 162, n. 3; Sallustio e la rivoluzione romana, Milan, 1968, p. 155, n. 270. 8 Elle rejoint les formules proverbiales, selon lesquelles ce sont les mœurs de chacun qui lui façonnent son sort, cf. A. Otto, Die Sprichtwörter und sprichtw örtlicher Redensarten der Römer, Hildesheim, (1890), reprod. 1962, Fortuna 8°, p. 143. 9 Cf. VI, 7, 7. Pour illustrer d'un exemple ces considérations F. W. Walbank renvoie à X, 26, 3, qui concerne Philippe V.
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... Et l'ochlocratie lui avait donné l'occasion de brosser une peinture du peuple qui vit et s'amuse grâce aux biens d'autrui, tente d'établir la dictature de la violence 10. Le facteur de l'amour de l'argent, plus particulier à la dégénérescence de l'aristocratie en oligarchie, a été laissé de côté par l'historien latin n. La manière dont Salluste s'exprime emporte la conviction qu'il écrit une synthèse d'après le texte de Polybe, et d'après nul autre, bien qu'il n'ignore pas assurément les spéculations de Platon sur les dif férentes constitutions et les hommes qui les incarnent, sur la corruption des unes et des autres 12. Pro labore desidia . . . 13. Les parents ont combattu un régime corrompu, pour en instituer un meilleur conforme aux valeurs que le précédent bafouait. Les héritiers n'ont plus à lutter pour les conquérir, et ils perdent, dans l'habitude, le sentiment qu'elles doivent être défendues. Desiderii: Polybe a insisté avec force sur ce facteur premier de la dégénérescence des régimes: « Quand ils recevaient par succession héréditaire le pouvoir, et trouvaient déjà tout prêt ce qu'il fallait pour leur sécurité et tout prêt plus que le nécessaire pour leur subsistance, alors ...» (VI, 7, 6) ... « A nouveau, quand les enfants héritaient de leurs pères une telle position d'autorité, comme ils n'avaient pas l'expérience des malheurs, ni absolument aucune expérience de l'égalité politique et de la liberté d'expression, et comme ils avaient, dès le début de leur vie, été élevés au sein de l'autorité et des hautes fonctions paternelles ...» (VI, 8,4) ... « Mais à nouveau, quand est survenue une jeune génération et que la démocratie a été transmise aux fils des fils, alors à ceux-ci l'égalité politique et la liberté d'expression, parce qu'ils en avaient l'habitude, n'apparurent plus du tout d'une grande valeur...» (VI, 9,5). Salluste a pris soin de respecter l'ordre constant dans
10 Cf. VI, 9, 8. 11 Cf. Pol., VI, 8, 5. Platon a particulièrement insisté sur la cupidité qui corrompt l'aristo cratie en oligarchie (cf. Rep, VIII, 551 Α.), mais il n'avait pas dégagé avec la rigueur et la fermeté de Polybe la culpabilité des «héritiers». L'auaritia que Salluste poursuit si souvent de ses blâmes n'est pas citée ici. L'auaritia de l'Ep. ad Caes., 2, 7, 3 est inspirée de Pol., VI, 46, 6-9, cf. W. Avenarius, loc. laud, p. 65. 12 Cf. le relevé des rapprochements entre passages de Salluste et textes de Platon dans l'article de W. Avenarius, p. 81 sq. 13 La desidia correspond à la volonté de ne rien faire; Yotium consiste dans la situation où l'on n'a rien à faire d'obligatoire, et dans tout ce que l'on peut donc faire à son gré. Sur le rôle de Votium dans l'histoire selon Salluste, cf. Jean-Marie Andre, L'otium dans la vie morale et intellectuelle romaine, Paris, 1966, p. 335 sq., en particulier p. 369.
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lequel Polybe avait énoncé les facteurs qui altèrent la royauté, l'aristocratie, la démocratie: l'indolence, le débauche, la tyrannie auxquelles s'adonnent les héritiers w. Pour l'historique du pouvoir et de l'impérialisme, comme pour ses sentences sur le pouvoir, Salluste se réfère à Polybe. C'est un lieu commun d'affirmer que le pouvoir sur les groupes humains fut d'abord assumé par des hommes qui exerçaient seuls la charge du gouvernement. Mais, comme, le mot latin reges n'a pas la précision des termes grecs μονάρχοι, βασιλείς et qu'il peut équivaloir à l'un ou à l'autre - et même à τύραννοι, mais la tyrannie est une corruption de la royauté; elle ne saurait exister au début des temps - Salluste a ajouté (§ 1): diuorsi, pars ingenium, alii corpus exercebant; il opère ainsi la synthèse des passages où Polybe, dans son livre VI, insiste sur la différence existant entre le monarque qui exerce le pouvoir par la force, a été choisi à cause de sa force physique, et le roi, à qui ses qualités d'esprit donnent la prééminence et qui gouverne en faisant appel à la raison. Avec le monarque régnent ίσχύ ς (VI, 5, 9; 6, 12), la force, σωματικαΐ και ϋυμικαΐ δυνάμεις (VI, 7, 3), les qualités physiques et celles de l'énergie, dont les moyens de gouvernement sont φόβος, βία (VI, 4, 2), la peur, la violence; avec le roi l'emportent γνώμη (VI, 4,2), le jugement, λογισμός (VI, 5, 12), la réflexion, της γνώμης και του λογισμού διαφοραί (VI, 7, 3), la supériorité du jugement et de la réflexion. « Diversement, une partie déployaient leurs qualités intellectuelles, les autres leurs forces physiques » 15. Salluste ne fait pas allusion aux passe-temps intellectuels ou sportifs des premiers gouvernants, mais distingue à la façon de Polybe les βασιλείς et les μονάρχοι, satisfait de trouver pour différencier les reges le critère qui correspond au dualisme de la chair et de l'esprit, sur lequel le début
14 Cf. VI, 7, 6-8; 8, 4-6; 9, 5-9. 15 Salluste paraît avoir une prédilection pour le verbe «exercere», sa valeur concrète et active. Il l'emploie dans toutes ses acceptions (cf. Cat., VIII, 5; XI, I; XXXVIII, 4). La phrase ici (II, 1) est proche de celle qui, en VIII, 5, montre les Romains agissant de tout leur être, corps et esprit. La distinction qu'a faite Polybe, suivi par Salluste, entre la monarchie et la royauté, est liée à l'affirmation des sophistes que c'est d'abord le plus fort qui a exercé le pouvoir et à l'idée stoïcienne que la royauté est contemporaine du surgissement de valeurs éthiques et sociales, cf. F. W. Walbank, A historical commentary of Polybius, vol. I, Oxford, 2nd ed., 1970 p. 653. - Κ. Büchner qui interprète avec raison la phrase de Salluste en écrivant que parmi les rois, « les uns régnaient par leurs forces physiques, les autres par l'autorité de l'esprit » (op. cit., p. 96) n'est pas remonté à la source.
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de son ouvrage est bâti. Au lieu de suivre l'ordre chronologique de Polybe, Salluste accorde la première place hiérarchique à ceux qui « ïngenium exercebant ». Ni ces premiers gouvernants ni leurs sujets n'éprouvaient d'ambition ou de convoitise territoriale: sua cuique satis placebant. Quelle est la raison de ce contentement? Il n'est pas sûr que ce soit la sagesse, ni que Salluste laisse ici percevoir la nostalgie d'un début pacifique des temps, d'un âge d'or 16. Il a visiblement cherché avant tout, dans un chapitre sur le pouvoir, sur l'impérialisme et l'esprit, à composer une phrase qui relie l'organisation des premières sociétés humaines, le commencement du pouvoir dans les communautés des hommes à la montée de la volonté impérialiste. Ces royautés primitives que Salluste prétend sine cupiditate ne sont pas nécessairement l'objet de son approbation et pourraient à tout le moins manquer d'un certain sens de la gloire. Polybe n'avait pas hésité à affirmer le désir d'étendre sa domination plus beau et plus glorieux pour un pays que le simple souci de conserver son territoire et sa liberté 17. Il avait formulé cette remarque dans une critique de la constitution de Lycurque au cours du livre VI. Polybe avait commencé par concéder que si le but d'une constitution est d'assumer la conservation d'un territoire et le maintien de son indépendance, la constitution de Lycurgue était par faite; puis il ajoutait que « si l'on vise un but plus élevé et si l'on pense plus beau et plus magnifique que cela d'exercer l'hégémonie (ήγεΐσΰαι) sur beaucoup, de commander (έπικρατεϊν) à beaucoup, de devenir leur maître (δεσπόζειν) et de concentrer tous les regards sur soi ... » 18, alors les faiblesses de la constitution de Sparte par rapport à celle de Rome apparaissent net tement. Et Polybe ne manquait pas d'appuyer son raisonnement d'exemples 19. Il paraît vraisemblable que ce passage ait laissé dans l'esprit de Salluste une trace telle que l'historien latin en est venu à conserver, tout en le transposant dans le temps, le contraste entre l'absence regrettable d'ambi-
16 Cf. E. Tiffou, op. cit., p. 46. 17 Cf. VI, 50, 3. Pour dépeindre l'époque primitive qu'il juge ignorante et sans agrément, cet âge lointain où l'horizon de chacun était borné au coin de terre où il était né, Manilius écrira une formule qui est proche de celle de Salluste et désigne une regrettable absence de curiosité: se quisque satis nouisse putabant (Astr., I, v. 78), «chacun pensait qu'il en savait suffisamment». 18 VI, 50, 3. La comparaison entre Lacedèmone et Rome vient ensuite (4-6). 19 Cf. VI, 49 et VI, 50, 5-6.
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tion chez certains peuples et la lubido dominandi (δεσπό(ειν) des autres. L'expression ne semble pas péjorative, et c'est là un fait exceptionnel qu'explique l'influence du texte de Polybe 20. Le contexte invite bien à penser que la lubido dominandi n'est pas condamnée, et le regret que l'esprit ne sache pas garder dans l'exercice du pouvoir les qualités que suscitait le désir de commander, le souligne. La série des grands conquérants et possesseurs d'empires que cite Salluste débute par Cyrus et aligne après lui les Spartiates avec les Athéniens. Le lecteur s'étonne un peu que les Macédoniens n'aient pas été ajoutés à cette liste, ou que le nom d'Alexandre ne soit venu y figurer, cet Alexandre qui fut le modèle favori des généraux de Rome, d'un Scipion l'Africain ou d'un César21. Il se trouve que les raisons d'écarter les Macédoniens du nombre de ceux qui s'approprièrent et possédèrent les empires les plus importants, avaient été indiquées par Polybe, lorsque celui-ci, pour bien souligner l'intérêt de sa recherche historique, avait établi, à la gloire de Rome, une comparaison entre l'empire romain et ceux qui l'avaient précédé 22. Dans le deuxième chapitre de sa préface (I, 1, 2), l'historien grec avait écrit, vers la moitié du 2e siècle avant J.-C. 23: «on saisira d'un coup d'œil l'originalité et la grandeur de mon sujet, si l'on compare et met en paral lèleles plus célèbres puissances du passé, celles sur lesquelles les historiens se sont le plus longuement étendus, avec l'empire romain. Voici celles qui sont dignes de la comparaison et du parallèle: les Perses, à une certaine
20 Salluste a une prédilection pour le terme lubido sans doute à cause de sa valeur dynamique, de l'incitation à agir qu'il comporte. Ce mot est employé par Salluste dans toutes ses significations. Ainsi il désigne la débauche au § 5 et en Cat, VII, 4, il n'implique aucun jugement péjoratif. Quand Salluste parle de politique intérieure, il indique combien il abomine la dominatio d'un clan ou d'un individu sur la cité: la volonté dominatrice se rend coupable alors d'asservir des citoyens dont la nature est de posséder la libertas. Lorsque dans le Bel. Jug., 81, 1, Jugurtha se prononce sur la lubido imperitandi qui anime les Romains, le contexte ne laisse aucun doute sur le blâme exprimé par l'ennemi des Romains! N'omettons pas de signaler qu'A. La Penna (II significato..., loc. laud., p. 97-98), E. Tiffou {op. cit., p. 51) trouvent à l'expression lubido dominandi en Cat, II, 2 une valeur péjorative. 21 Cf. Liv., XXV, 14; Suet, Diu. lui, VII; D. Michel, Alexander als Vorbild für Pompeius, Caesar und Marcus Antonius, Archäologische Untersuchungen, Bruxelle, 1968, (Latomus 94). 22 Sur l'habileté et la rigueur avec lesquelles Polybe a mené l'éloge obligatoire de son sujet, cf. Paul Pedech, La méthode historique de Polybe, Paris, 1964, p. 409 particulièrement. 23 Pour C. O. Brink et F. W. Walbank, (The construction of the 6th book of Polybius, Class. Quart. 1954, p. 98), Polybe avait écrit avant 146 au moins les livres I à XV. F. W. Walbank a traité à nouveau des difficiles problèmes de la datation des Histoires dans A historical commentary on Polybius, vol. I, op. cit., p. 294 sq. entre autres.
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époque, ont acquis un grand empire et une grande puissance; mais chaque fois qu'ils ont osé franchir les limites de l'Asie, ils ont compromis non seulement leur empire, mais leur existence même; les Lacédémoniens qui avaient pendant longtemps disputé l'hégémonie de la Grèce, une fois vain queurs, l'ont conservée à peine douze ans incontestée. Les Macédoniens ont dominé l'Europe des rives de l'Adriatique au Danube, ce qui n'est en somme qu'une faible partie de ce contient; ensuite ils ont conquis l'empire de l'Asie après avoir anéanti la puissance perse. Pourtant, bien qu'ils soient devenus aux yeux du monde les maîtres de la plupart des terres et des Etats, ils ont laissé une grande partie du monde habité complètement en dehors de leur conquête: ils n'ont même pas songé une seule fois à s'emparer de la Sicile, de la Sardaigne et de l'Afrique, et ils ne connaissaient même pas, pour parler net, les peuplades si batailleuses des pays occidentaux. Mais les Romains, en soumettant non pas quelques parties, mais la totalité du monde habité, ont laissé une puissance si étendue qu'il est impossible à nos contemporains de lui résister ni à nos descendants de la surpasser. Mon livre permettra de comprendre pour quelle raison ils ont conquis la domination universelle et par la même occasion combien et à quel point est profitable à ceux qui aiment s'instruire la science politique » 24. Pour Paul Pédech, qui a repris récemment25 la conclusion à laquelle était parvenu Georg Kaibel en 1885 26, ces considérations de Polybe sont le premier exemple connu de ce qui deviendra un lieu commun. G. Kaibel présentait comme premier texte grec inspiré par le chapitre de Polybe une partie de la préface de Denys d'Halicarnasse à ses Antiquités romaines (c. II-IV). Salluste, auquel G. Kaibel ne fait pas allusion, a précédé Denys, du moins en tant qu'utilisateur latin du thème développé par Polybe. Chez Salluste, la comparaison avec Rome reste implicite; sans doute l'auteur la croit-il naturelle et spontanée pour le lecteur romain, car personne
24 Traduction de Paul Pedech (dans l'édition du livre I des Histoires de Polybe, Paris, Belles Lettres, 1969). En commentant le premier chapitre de Polybe (I, 1, 5), F. W. Walbank (op. cit., p. 40) a présenté des suggestions sur la genèse de la pensée de Polybe. Quand l'historien grec a insisté sur la cinquantaine d'années qui furent seulement nécessaires à Rome pour conquérir presque tout le monde habité, il a été « sans aucun doute impressionné par les propos de Démétrios de Phalère sur la chute de la Perse et l'ascension de la Macédoine, imprévisibles cinquante ans auparavant (XXIX, 21, 4) et par le parallèle de ces événements dans la défaite infligée à la Macédoine par Rome». 25 Cf. La méthode historique, op. cit., p. 409, et Polybe, Histoires (Livres I), op. cit., p. 19, n. 2. 26 Cf. Dionysios von Halikarnass und die Sophistik, Hermes, 20, 1885, p. 501.
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ne lit sans faire d'application, de rapprochement avec ce qui est connu et intéresse. Le sujet de la conquête romaine va être touché dans P« archéologie » qui introduit à la Rome de Catilina, et, s'il est fier des hauts faits romains à la guerre, Salluste ne cesse toutefois aussi de se demander jusqu'à quelles limites l'extension de l'empire est profitable à la cité et en particulier si les acquisitions sur le continent asiatique ne com portent pas plus de danger qu'elles ne sont fructueuses. Les préoccupations du lecteur contemporain ne ρομν3ΐεηί que rejoindre celles de l'écrivain, et il était inutile de souligner qu'après Cyrus, les Athéniens et les Lacédémoniens, les Romains recueillaient la gloire de posséder un très vaste empire. Tandis que Denys d'Halicarnasse 27 fera se succéder les Assyriens et les Mèdes, avant d'en venir aux Perses, Salluste, à l'imitation de Polybe, commence sa série par l'empire perse: toutefois il a préféré nommer le fondateur de l'empire plutôt que d'indiquer de façon générale, comme son
27 Cf. Ant. Rom., I, II, 2. Denys d'Halicarnasse, tout en prenant modèle sur la préface de Polybe et en lui empruntant «un matériau qui était... le bienvenu» (G. Kaibel, loc. laud., p. 507) pour un amateur d'effets rhétoriques, s'est souvenu d'une autre succession d'empires et a voulu, pour ouvrir sa liste, citer les Assyriens et les Mèdes, dont les noms intervenaient dans une réflexion d'origine vraisemblablement orientale sur la suite de quatre grands empires dépassés par un cinquième. Polybe lui-même avait rappelé comment Scipion Emilien, alors qu'il contemplait la destruction de Carthage, avait médité sur la chute des empires, Assyrie, Mèdie, Perse, Macédoine (cf. XXXVIII, 22, 2). Joseph Ward Swain (The theory of the four monarchies, Class. Phil., 35, 1940, p. 2 sq.) a soutenu que ce thème oriental, avec lequel les soldats romains se seraient familiarisés lors de la campagne de Magnésie, avait été introduit dans la littérature latine par un certain Aemilius Sura, qui est cité dans une glose du chapitre VI, de Velleius Paterculus. On y lit: «Aemilius Sura de annis populi Romani: Assyrii principes omnium gentium rerum potiti sunt, deinde Medi, postea Persae, deinde Macedones; exinde duobus regibus Philippo et Antiocho, qui a Macedonibus oriundi erant, haud multo post Carthaginem subactam deuictis summa imperii ad populum Romanum peruenìt. Inter hoc tempus et initium regis Nini Assyriorum, qui princeps rerum potitus est, intersunt anni MDCCCCXCV». (Cf. Hermannus Peter, Historicorum Romanorum Reliquiae, vol. alt., Leipzig, 1906, p. 161). Pour J. W. Swain, Aemilius Sura a dû écrire entre 189 et 171 avant J.-C. Cette datation demeure une hypothèse. Santo Mazzarino, // pensiero storico classico, II, I, Bari, 1966, p. 490) situe à l'époque républicaine, sans préciser davantage, l'historien qu'il préfère appeler Mamilius Sura au lieu d'Aemilius Sura, contrairement à H. Peter (H.R.R., II, p. ccx), qui critiquait Reiff erscheid d'avoir hasardé cette correction. Sans doute faut-il rester sur une prudente réserve et, comme H. Peter, ranger Aemilius Sura parmi les auteurs d'époque tout à fait incertaine (cf., p. ccvii). On ne saurait donc prétendre qu'Aemilius Sura a été une source commune pour Polybe, Salluste et Denys. Salluste a-t-il pensé à Démétrios de Phalère, qui a sans doute influencé Polybe (cf. n. 24)? Toujours est-il qu'il voyait, au premier plan sur l'écran de sa mémoire, les lignes de Polybe.
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prédécesseur l'avait voulu, l'hégémonie perse. Il a agi ainsi, c'est probable, dans un hommage à Xénophon qui avait vanté les mérites de Cyrus le Grand, et avec le souci de préciser une origine, le moment à partir duquel la démonstration du rôle prépondérant de l'esprit dans la guerre a été accomplie28. Salluste ne retient du texte de Polybe que la désignation des conquérants et ne reprend pas les commentaires sur l'extension et la durée des empires: il abrège; il précise aussi; alors que Polybe ne nommait pas les Athéniens et les dissimulait dans son allusion aux peuples à qui les Lacédémoniens ont disputé l'hégémonie sur la Grèce, Salluste tient à les mentionner, ne serait-ce qu'en l'honneur de Thucydide, mais l'ordre qu'il adopte se ressent apparemment de la tournure choisie par Polybe: in Graecia Lacedaemonii et Athenienses. . .2Ç>. Puis, étant donné qu'il approuve les raisons de Polybe qui voulait rayer de la liste des grands conquérants et possesseurs d'empires les Macédoniens, Salluste ne souffle mot de ceux-ci; il a mis en pratique les suggestions polybiennes. Denys d'Halicarnasse n'observera pas un pareil silence, que ne rompt aucun mot de précaution à l'égard du lecteur, et il reprendra, lui, avec soin, comme l'a souligné G. Kaibel, le raisonnement de Polybe sur l'extension de l'empire macédonien30. Ainsi ce chapitre de Salluste sur le pouvoir ne peut être expliqué que si l'on retrace sa genèse. La reconstitution de celle-ci révèle non seulement la connaissance trop souvent sous-estimée 31 que Salluste avait de son Polybe, mais le travail de l'écrivain. Tout se passe comme si Salluste utilisait une sorte de carnet de citations et de notes prises au cours de sa lecture des livres I, VI et X des Histoires, comme si, après avoir éprouvé le désir de chercher un modèle pour sa préface chez Polybe, il avait été entraîné à
28 Salluste aime marquer les «origines». Le début du chapitre VI du Catilina en est un exemple: origine de la première cité, origine de Rome. 29 II est aussi plausible, mais à un degré moindre en raison de la subtilité de l'explica tion, que Salluste ne songe plus alors à la succession des grandes hégémonies et donne, à propos de la domination grecque en général sur le monde méditerranéen, la chronologie des manifestations de convoitise territoriale en Grèce, conformément aux remarques de Polybe dans le livre VI (49, 1). Il citerait ainsi la domination perse, puis la domination grecque, en apportant à ce sujet des précisions sur les désirs de conquête: ce nouvel ordre chronologique brouillerait quelque peu la perspective chronologique générale. 30 Cf. Ani. Rom., II, 3-4, cité par G. Kaibel, loc. laud., p. 502. 31 Ainsi Paul Perrochat (Les modèles grecs de Salluste, Paris, 1949) avait eu le tort de ne pas tenir compte de Polybe dans son recensement des inspirateurs hellènes de Salluste. Les doutes d'A. La Penna à propos de l'influence de Polybe sur Salluste ont été signalés n. 7.
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revoir aussi le livre VI des Histoires pour stimuler ses réflexions sur le thème du pouvoir et s'était souvenu d'un épisode du livre X qui l'avait frappé. Entre ses réminiscences de Polybe, Salluste a inséré, en manière de transition, l'idée qui lui est chère de la plus grande difficulté que présente pour Variimi uirtus l'existence en temps de paix32. Et la conclusion de son chapitre sur le pouvoir est celle qu'il a tirée des diverses méditations de Polybe sur Γάρχή: «Ita Imperium semper ad optumum quemque a minus bono transfertur ». On pourrait déduire de cette loi optimiste la croyance à un progrès politique, entrecoupé de ces mauvais moments nécessaires où se corrompt un régime pour laisser place à un meilleur; la phrase imprime dans l'esprit du lecteur la conviction que la possession du plus grand empire correspond aux plus grands mérites. D'une pareille loi sur les transferts du pouvoir, il est possible de tirer des consolations dans les pires crises de politique intérieure ou extérieure, puisqu'un mauvais pouvoir ne saurait durer, et une exaltante morale de la conquête et de l'exercice du pouvoir: sur le conquérant et le maître du pouvoir pèse la menace de céder le pouvoir à un meilleur; il y a l'obligation d'être le meilleur pour qui veut exercer durablement le pouvoir. Mieux vaut ne pas insister sur la mauvaise utilisation qui peut être faite de la pensée de Salluste. Plus subtilement l'analyse de la genèse de ce chapitre permet de dissiper cette sorte de malaise qu'on éprouve à le parcourir, et elle invite à secouer les habitudes de lecture. Salluste a d'abord exprimé en latin la quintessence des extraits qu'il avait accumulés des Histoires polybiennes. Si par son choix et par sa fo rmulation il a fait siennes les idées de Polybe, il les a aussi liées de façon originale. Il a inséré entre elles une transition qui paraît toute personnelle et a conclu à sa manière propre. L'ordonnance de ces pensées sur le pouvoir est caractérisée par de fortes articulations logiques qui confèrent au chapitre ses vertus de mouve ment. Mais si, trop docile aux apparences, le lecteur ne freine son élan, il trouve que Salluste se joue de lui: ne lui faudrait-il pas admettre, en définitive, que toute guerre de domination est une entreprise morale?
32 Le parallèle que signale Avenarius entre l'Epitre VII de Platon, 325 e et Cat. II, 3 ne concerne que «aliud alio ferri» (φερόμενα... πάντη πάντως). Il s'agit d'expressions quasi proverbiales.
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Mais Salluste ne dit rien de tel, et la théorie de la guerre aux justes causes33 est trop ancrée dans la mentalité romaine pour qu'il en soit arrivé à cet excès. Il est de fait que Salluste ne s'est pas soucié d'indiquer, à la façon de Polybe, comme facteurs du dynamisme impérialiste les lois qui qui organisent les Etats, et l'on peut regretter qu'il n'ait pas la rigueur de l'historien grec dans ses démonstrations. Chaque phrase de Salluste ici, taillée pour elle-même, doit être lue comme une maxime. Il conviendrait de séparer l'une de l'autre par un silence ces pensées sur le pouvoir et l'impérialisme. Ce contraste entre un mouvement apparent dû aux articulations logiques et l'immobilité des œuvres sculpturales que sont les maximes donne au lecteur pressé quelque malaise. La liaison logique ne sert qu'à imposer au regard un ordre qui fait valoir chaque phrase, à la méditation un ordre suggestif qui la rendra plus profonde. Cet ordre, que Salluste a conçu pour attirer une égale attention sur chaque formule, assure également le progrès de la pensée entre deux notions sur lesquelles Camèade avait joué dans son fameux exposé double, pour et contre la justice. Ce sont la sapientia en tant que sagesse avisée, et la iustitia. Dans le troisième livre du De Republica, Cicéron avait rapporté les propos de Camèade sur l'impérialisme, le pouvoir, la justice et la sagesse (c. 12-15). Et Salluste a montré d'abord des manifestations de la sapientia dont les exemples sont multiples dans l'histoire du pouvoir. Ensuite on passe à la iustitia qui domine la grande loi régissant tout pouvoir. A retrouver chez Polybe l'inspiration principale de Salluste pour ce chapitre sur le pouvoir, on surprend l'historien latin à son ouvrage même, ce qui contribue à faire apprécier l'œuvre achevée à sa juste valeur.
33 Les conditions de la guerre juste sont rappelées par Cicéron dans le De Republica (III, 34), dans le De Legibus (III, 8), dans le De Officiis (I, 36), où l'auteur traite {id. 38) des caractéristiques de la guerre de imperio. La conception cicéronienne de l'impérialisme romain et de la guerre a été résumée par Alain Michel, dans Les lois de la guerre et les problèmes de l'impérialisme romain, p. 181 des Problèmes de la guerre à Rome, sous la direction de Jean-Paul Brisson, Paris-La Haye, 1969.
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«RAPTOS A DUS HOMINES DICI...» (TITE-LIVE, XXXIX, 13): LES BACCHANALES ET LA POSSESSION PAR LES NYMPHES
Nul ne le conteste plus: la relation par Tite-Live de l'affaire des Bacchanales contient un fond de vérité. En premier lieu, l'étude minutieuse du Senatus-consultum de Bacchanalibus a permis d'authentifier dans ses grandes lignes le récit de la répression 1; d'autre part, l'époque semble égal ement révolue où détails romanesques, exagérations polémiques et déformat ions calomnieuses2 disqualifiaient purement et simplement aux yeux de l'historien les renseignements d'ordre religieux fournis par ce passage, « le premier, et même à vrai dire le seul document littéraire que nous ait livré l'antiquité sur les mystères dionysiaques au sens propre » 3. On est enclin à admettre aujourd'hui qu'en plusieurs endroits Tite-Live - ou du moins la ou les sources dont il s'inspire4 - s'appuie sur le procès-verbal établi en vue de la quaestio: en particulier, le morceau (13, 8-14) qui transcrit la confession d'Hispala constitue, une fois supprimées les gloses, « un rapport véridique » 5 dont l'analyse a pu fonder des conclusions 6 géné-
1 Voir notamment la série d'articles publiés dans Hermes de 1932 à 1936 par E. Fraenkel et M. Gelzer, ainsi que l'étude d'Y. Béquignon, Observations sur l'Affaire des Bacchanales, dans RA, 1941, I, p. 184-198. 2 Comme dans tous les cas de répression de « déviants » au cours de l'histoire, il est difficile de faire la part de la malveillance et de l'incompréhension, qui se nourrissent et se renforcent mutuellement. 3 A. J. Festugière, Ce que Tite-Live nous apprend sur les mystères de Dionysos, dans MEFR, LXVI, 1954, p. 79 (= Etudes de religion grecque et hellénistique, Paris, 1972, p. 89). Cf. déjà G. Méautis, Les aspects religieux de l'Affaire des Bacchanales, dans REA, XLII, 1940 {Mélanges Radet), p. 476-485, en particulier p. 480. 4 Voir notamment sur ce point G. Tarditi, La questione dei Baccanali a Roma nel 186 a.C, dans La Parola del Passato, XXXVII, 1954, p. 265-287, spécialement p. 265-267 et 286-287. 5 Festugière, art. cité, p. 91 = Etudes, p. 101. 6 Ibid., p. 98-99 = p. 108-109.
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ralement acceptées sur la composition du thiase, la cérémonie de l'initiation, les actes de culte des initiés. Le nouveau crédit accordé au récit de « l'affaire » s'est révélé fécond: divers ouvrages ou articles récents7 ont mis en évidence les réalités à la fois masquées et dévoilées par une affabulation romanesque autant que répressive. On peut citer en ce sens les observations de C. Gallini, pro longées et rectifiées par R. Turcan8, sur les noms théophores que portent ici les « dignitaires » bachiques la suggestion de P. Boyancé 9 concernant la qualité de Mater soulignée chez la prêtresse Paculla Annia, ou l'étude plus générale du même auteur sur les antres bachiques 10. On retiendra encore les remarques concluantes de J. Heurgon n sur le succès du culte de Dionysos en Etrurie à la fin du IIIe s. et au début du IIe s. av. J.-C. Ces découvertes éparses mériteraient sans doute d'être rassemblées pour enrichir le tableau de « ce que Tite-Live nous apprend sur les mystères de Dionysos ». C'est sur un point déjà abordé dans l'article qui porte ce titre que je voudrais maintenant revenir. Tite-Live fait dire à Hispala: Raptos a dus homines dici quos machinae illigatos ex conspectu in abditos specus abripiant . . . On comprend en général 12 que des hommes (homines) qu'on attachait à des machines pour
7 En fait, en 1891 déjà, Dieterich {De hymnis orphicis, Marburg, p. 39) avait reconnu dans les pastores révoltés qu'évoque Tite-Live des βουκόλοι dionysiaques. Thème repris et développe par P. Wuilleumier, Tarente des origines à la conquête romaine, dans BEFAR, 148, Paris, 1939, p. 498. De même, la correction de lucus Similae (Tite-Live, XXXIX, 12) en lucus Semelae (de Sémélè, mère de Dionysos) a-t-elle été proposée de longue date par maint éditeur et commentateur. 8 Cf. C. Gallini, Protesta e integrazione nella Roma antica, Bari, 1970, p. 14-15, 34, 38; et surtout le compte-rendu de ce livre par R. Turcan, Religion et politique dans l'affaire des Bacchanales, dans RHR, 181, 1972, p. 3-28, en particulier p. 15, n. 3; p. 18-19. 9 Dionysos et Sémélé, dans Rendiconti della Pontificia Accademia di Archeologia, XXXVIII, 1967, p. 97. 10 L'antre dans les mystères de Dionysos, dans Rendiconti della Pontificia Accademia di Archeologìa, XXXIII, 1962, p. 107-127. 11 Le culte de Dionysos en Italie primitive, dans REL, 35, 1957, p. 106-112. Voir aussi A. Bruhl, Liber Pater: origine et expansion du culte dionysiaque à Rome et dans le monde romain, dans BEFAR, 175, Paris, 1953, p. 49 sq., 70 sq. et pi. II et IV: remarques sur Dionysos en Etrurie complétées par M. Pallottino, dans SE, XXV, 1957, p. 604-607. Une des versions auxquelles se réfère Tite-Live (celle de Valerius Antias selon G. Tarditi, art. cité, p. 287) plaçait un Graeculus uates, charlatan installé en Etrurie, à l'origine de la contagion dionysiaque à Rome (Tite-Live, XXXIX, 8, 5). Voir infra, p. 738-740. 12 Ainsi D. Nisard (Tite-Live, XXXIX, éd. Firmin-Didot, Paris 1856, rééd. Paris. BellesLettres, 1970) traduit: «les dieux étaient supposés enlever des malheureux, qu'on attachait
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les jeter dans des antres souterrains (abditos specus) passaient pour (dici) avoir été ravis par les dieux (raptos a dus). En fait, la construction person nelledu passif de dico au sens de « on dit que ...» est plausible, mais rien n'interdit ici de donner à ce verbe son sens de « appeler », usuel avec un attribut 13. Dans cette hypothèse, on pourrait conserver la même construc tion (homines sujet, raptos a dus attribut) ou en adopter une autre, légèr ement différente, avec [eos] antécédent non exprimé de la relative quos machinae . . ., et le groupe raptos a dus homines en position d'attribut. Cette seconde possibilité est sans doute linguistiquement préférable 14. Cela
à une machine et qu'on faisait disparaître en les précipitant dans de sombres cavernes»; E. Lasserre (Paris, Garnier, 1936): «On attribuait aux dieux la disparition des malheureux...»; E. T. Sage (éd. Loeb, Londres, 1965): «Men were alleged to have been carried off by the gods...»; et encore A. J. Festugière (art. cité p. 90 = p. 100): «Certains hommes ... passaient pour avoir été enlevés par les dieux». 13 Voir les nombreux exemples donnés par le Thesaurus linguae latinae, V, 1, Leipzig, 1934, col. 981-982. Noter en particulier que ce verbe est souvent employé pour désigner une traduction, ou une transposition, du grec au latin. 14 Dans l'autre hypothèse, l'emploi du mot homines comme antécédent de la relative fait problème. Ou bien, en effet, l'auteur veut désigner par là «les gens qui, ceux qui...», sans distinction de sexe ni de catégorie, mais dans cet emploi généralisant c'est l'anaphorique eos - le plus souvent omis devant un relatif au même cas - qui semblerait s'imposer. Ou bien il s'agit d'une catégorie particulière de personnes: des hommes par opposition aux femmes, et l'on attendrait uiros; de certains hommes par opposition aux autres participants aux bac chanales, et il faudrait quosdam, ou nonnullos. Festugière a bien senti la difficulté, qui inter roge: «cet homines - non uirosl - peut-il comporter la signification α'ανυρωποι, c'est-à-dire désigner des «personnes», hommes ou femmes, sans que l'auteur veuille préciser?» (art. cité, p. 90, n. 1 = p. 100, n. 1). Interprétation qui pourrait s'autoriser du contexte (uiri et feminae y sont soigneusement distingués), mais aussi d'un passage du sénatus-consulte des Bacchanales lui-même (1. 19 sq.), où le terme homines concerne explicitement des «personnes» des deux sexes: homines plous V oinuorsei uirei atque mulieres {CIL I, 196 = Dessau, ILS I, 18). Telle est bien, certainement, la valeur d'homines dans notre texte. Mais cette indétermination délibérée serait tout aussi bien rendue par l'antécédent eos, exprimé ou non - et si Hispala avait voulu insister sur une certaine «promiscuité», comme elle le fait maintes fois, elle aurait eu recours, elle aussi, à l'expression homines, uiri atque mulieres... On voit qu'il est difficile de justifier la présence dans le texte du mot homines, si l'on retient la construction couram ment reçue. Dans l'autre hypothèse, au contraire, qui fait de raptos a dus homines un attribut, l'expression du substantif homines, à défaut d'être absolument nécessaire à la correction gramm aticale, s'explique simplement: le mot sert d'appui au groupe raptos a dus. Il serait évidem mentinutile si l'attribut consistait en un simple adjectif, ou en un participe sans détermination complétive. Notons enfin que la construction ici proposée met en valeur le rapprochement expressif diis-homines, et la perspective de quasi-divinisation qu'il suggère (cf. Festugière, art. cité, p. 95-96 = p. 105-106).
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n'importe guère pour le sens: avec cette nouvelle interprétation de dici, au lieu de « on disait qu'avaient été ravies par les dieux les personnes qu'on attachait pour les jeter ... », il faut comprendre: « on désignait du nom de 'personnes ravies par les dieux' celles que...». Si nul traducteur n'a envisagé cette hypothèse (dici au sens de « être appelé »), c'est qu'elle implique pour l'expression raptos a dus (homines) une valeur religieuse précise et quasi-technique, qui n'a pas été reconnue, mais qui semble tout à fait à sa place dans un « procès-verbal ». On serait en présence d'une des nombreuses révélations faites par Hispala. De même qu'elle livre les noms des principaux responsables d'une coniuratio dont elle trahit aussi les secrets rituels, elle fournirait ici une indication précise sur certains termes employés par les « bacchants » eux-mêmes pour désigner les diverses catégories de participants aux mystères, et sur les états psycho logiques et religieux qu'ils connaissent au cours des cérémonies. Or, les termes raptos a dus, qu'on peut rendre par « ravis », « enlevés », « transportés par les dieux », c'est-à-dire « en proie aux dieux », comme écrit André Gide 15, plutôt que « proie des dieux », - ces termes rendent assez exactement le mot grec bien attesté ϋεόληπτος (littéralement: « saisi par le dieu »), dont ils sont probablement la traduction 16. Non seulement, en effet, Paculla Annia et ses « fils » 17, les Campaniens Minius et Herennius Cerrinius, devaient parler le grec, mais surtout la langue sacrée des mystères était à l'origine et, jusque sous l'Empire, est demeurée la langue grecque 18. Cette expression imagée désigne en fait la « possession » par la divinité, et caractérise P« inspiré », celui par la bouche de qui parlent les dieux. Dans le texte livien, il faut en ce sens rapprocher raptos a dus homines de la description donnée un peu plus haut des transports des bacchants: viros velut mente capta cum iactatione fanatica corporis vaticinari, « les
15 Journal, 1939-1949 (1940), Paris, 1960, p. 49. 16 Le rapprochement est signalé, sans autre commentaire, par C. Gallini, op. cit., p. 59 et p. 92, n. 21. 17 J'écris le mot entre guillemets, car Paculla Annia, selon toute vraisemblance, n'est «mère» qu'au sens religieux du terme: celle qui patronne le thiase et donne l'initiation, - à moins qu'elle ne soit à la fois mater nata (naturelle) et facta (cultuelle), comme la dedicante d'une inscription de Trêves (Greek Inscriptions in the British Museum, IV, 2, 600). Cf. supra, p. 732, n. 9; et le commentaire de P. Boyancé, art. cité ad loc, p. 96-97. 18 Cf. par exemple, au IIe s. ap. J.-C, l'inscription de Torre Nova, avec les remarques de F. Cumont, The Bacchic inscription in the Metropolitan Museum, dans A] A, XXXVII, 1933, p. 259-261.
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hommes, comme hors d'eux-mêmes, prophétisaient en s'abandonnant à des contorsions frénétiques ». C'est bien le même bouleversement spirituel qui est décrit, à quelques lignes d'intervalle, avec des mots différents 19. A l'espèce de « démence rituelle » propre aux mystères dionysiaques s'ajouterait, si l'on s'en réfère à l'emploi du verbe vaticinari, ce que E. R. Dodds nomme une « démence oraculaire » 20. Quoi qu'il en soit, l'idée centrale est que l'individu touché par la ϋεολήψια ne s'appartient plus, qu'il est tout entier « en proie aux dieux », et comme tel nanti de certains pouvoirs divins. Le rôle joué dans cette transfiguration par l'antre sacré - abditus specus reste à préciser 21, mais pour le bien entendre, on interrogera encore une fois la formule sacrée: raptos a dus homines. . .: qui s'emparait au juste de l'âme des bacchants? La réponse serait évidente (Dionysos, Bacchus, Liber, quelque nom que l'on donne au dieu), n'était le pluriel dus22. Ce point n'a guère inquiété les commentateurs: attribuant à dici le sens de « on rappportait que », ils reconnaissent ici une affabulation vague et méprisante, un « conte de bonne femme » mettant en scène des dieux nombreux et indéterminés, ou plus simplement «les dieux». On est aux antipodes des claires nomenclatures de la religion romaine, et l'on conçoit que Tite-Live, esprit sceptique et traditionnel à la fois23, ait ainsi compris, ou plutôt déformé, le fragment de
19 On notera pourtant la parenté sémantique des participes capta et raptos... En tout cas, ces redites, et le manque de cohérence de la composition, ne doivent pas surprendre: on en a plusieurs autres exemples dans le récit de l'affaire, et particulièrement dans la « con fession d'Hispala». Cela résulte de l'alternance déjà notée de fragments du rapport officiel - sinon les ipsissima uerba d'Hispala, du moins un condensé de ses propos - et de com mentaires malveillants. Il serait tentant, mais sans doute vain, de regrouper les fragments apparentés et de supprimer les «doublets» (par exemple XXXIX, 11, début - 13, fin). 20 Voir le chapitre III de son livre, Les Grecs et l'irrationnel, éd. fr., Paris, 1965: Les bienfaits de la folie (p. 75-82). Dodds se réfère là à la classification de Platon (Phèdre, 265 a). Sur Γέπίληψις comme «mal sacré», ibid., p. 73. Cf. également H. Jeanmaire, Dionysos, Histoire du culte de Bacchus, Paris, 1951, p. 190-191, sur les nymphes Thriai, divinités prophétiques qui précédèrent au Parnasse Apollon et la Pythie, tout en préfigurant les Thyiades par leur comportement de bacchantes. Jeanmaire souligne {ibid., p. 194) que cet aspect oraculaire reste flou, quoique souvent suggéré. 21 Cf. Festugière, art. cité, passim et p. 94-95 = p. 104-105. 22 A rapprocher du même pluriel employé quelques lignes plus haut dans l'expression tamquam deum monitu, à propos de l'action de Paculla Annia. Mais la formule monitus deorum est stéréotypée; introduite par tamquam, elle prend une couleur ironique: l'auteur prend ses distances par rapport à la source d'inspiration supposée de la prêtresse de Bacchus. 23 Voir notamment W. Liebeschuetz, The religious position of Livy's History, dans JRS, LVII, 1967, p. 45-55.
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procès-verbal inséré dans sa relation. Mais on ne voit pas en quoi ce contre sensl'eût conduit à modifier le détail des propos d'Hispala: c'est bien à cette dernière, donc à la langue même des mystères, que remonte cette formulation à première vue surprenante. Un premier rapprochement s'impose avec le pluriel Bacchis de l'e xpression initiare (ou initiarï) Bacchis, elle aussi très curieuse et attestée seulement dans le récit livien des Bacchanales. On ne peut guère traduire que par « initier aux mystères de Bacchus », mais le sens littéral est à peu près « faire entrer par initiation chez les Bacchant(e)s ». Double caracté ristique de ces mystères: on y conçoit l'initiation comme introduction dans un groupe au moyen d'une cérémonie communautaire, et non d'une « promot ion » individuelle; en second lieu, ce groupe, fondamentalement féminin 24, se compose d'êtres semi-divins habités par le dieu: les Bacchae sont l'équi valent exact des « Ménades » grecques. Autant le nom des premières (comme le verbe bacchor) indique une assimilation à la divinité 25, autant celui des secondes en fait des « possédées ». Le P. Festugière peut ainsi établir un parallèle éclairant, tant du point de vue du vocabulaire que de la construc tion (avec le datif), entre Bacchis initiare et la formule de VIon: έΰιάσευσ[ε] . . . μαινάσιν . . . Βακχίου 26. Le pluriel diis se référerait-il à ce groupe de personnages qui entraîne {rapit) en son sein le nouvel initié, et lui communique le furor bachique? En fait, les Bacchantes ou Ménades, même inspirées, ne sont pas à propre mentparler des divinités; mais très tôt, les Anciens les ont assimilées à d'autres campagnes de Dionysos 27, réellement divines, celles-là 28: les Nymphes. Or, la notion de « rapt par les nymphes » est couramment attestée, et peut être rapprochée du texte de Tite-Live à un double titre: c'est un délire bachique qui s'empare du νυμφόληπτος; Dionysos a été nourri et éduqué par une ou des nymphes, et cela dans leur antre.
24 Cf. Jeanmaire, op. cit., p. 90 et passim. 25 On a souvent remarqué dans l'iconographie dionysiaque, et par exemple à la Villa des Mystères, l'intime mélange de l'élément humain et de l'élément divin. 26 Euripide, Ion, v. 550-553. 27 Cf. H. Jeanmaire, op. cit., p. 61-62, p. 275-278: «la Mènade (...) a son correspondant mythique dans les nymphes nourrices du dieu» (p. 278): on retrouve l'équivalence humanodivine signalée plus haut, n. 25. De même, E. Coche de la Ferté note une «tendance à la confusion entre les Ménades et les nymphes de Nysa» sur les vases grecs, notamment à proximité de grottes rocheuses (Les Ménades et le contenu réel des représentations de scènes bachiques autour de l'idole de Dionysos, dans RA, XXXVII, 1951, 2, p. 21). 28 L'expression deae Nymphae se rencontre ainsi dans plus d'une inscription: par exemple ILS 7075, 9262; cf. 3847.
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Νυμφόληπτος: le terme spécifie θεόληπτος; c'est même le seul composé de la même famille. Aussi les deux mots conjoints peuvent-ils désigner une même catégorie de personnes: οί νυμφόληπτοι και θεόληπτοι των άνϋρώπων, έπιπνοία δαιμονίου τινός ώσπερ ένϋουσιάζοντες écrit Aristote 29, et Platon use de la même expression pour qualifier un « enthousiasme » bachique 30. Raptus a dus pourrait donc traduire νυμφόληπτος plus exactement que θεόληπτος, ou du moins un θεόληπτος incluant un νυμφόληπτος: ceci dans une langue beaucoup moins apte que le grec, surtout au début du IIe s. av. J.-C, à rendre les concepts « mystiques ». Interprétation d'autant plus vra isemblable que la même phrase de Tite-Live désigne comme « ravis par les dieux » ceux qui « descendent dans des antres souterrains ». Antres « bachiques » 31, ces cavernes sont à identifier avec la demeure des nymphes, lieu de l'éducation-initiation de l'enfant Dionysos32. Les individus mention-
29 Eud. Eth., 1214 a, 5. 30 Phèdre, 238 c-d: «le lieu m'a l'air d'être réellement divin (ϋεΐος), au point que si j'en viens, dans le cours de mes propos, à être un possédé des nymphes (νυμφόληπτος), ne t'étonne pas: ce que je dis en ce moment n'est plus si loin du dithyrambe». V. encore Hesychius, qui définit les νυμφόληπτοι (s.v.) comme oi κατεχόμενοι νΰμφαις - traduisons rapii a nymphis -, lesquels sont μάντεις και έπιυειαστικοί (sur l'emploi de ces derniers termes, cf. supra, p. 735 et n. 20). 31 «Antre bachique»: la formule est consacrée, mais ne doit pas induire en erreur: ces sortes de cavernes ne sont en aucune façon le « séjour » de Dionysos. Il faut plutôt y voir un lieu d'accueil provisoire, où se déroulent et le mythe fondateur (l'éducation de Dionysos) et le rite qui périodiquement l'actualise (l'initiation des bacchants). Le contenu même du mythe et du rite explique que Dionysos ne soit pas le titulaire, le « propriétaire » du sanctuaire souterrain, mais, au même titre que ses fidèles, l'hôte en ces lieux, et en somme l'obligé des nymphes. Sur cet exemple précis, on saisit le caractère essentiellement errant, mobile, de ce dieu migrateur et «accapareur», si bien analysé par H. Jeanmaire, op. cit., p. 192-193 (com paraison avec Apollon): «on le rencontre partout et ... pourtant il n'est nulle part chez lui» (p. 193) et p. 273-275: parallèle (p. 273) avec Hadès, souverain permanent d'un séjour infernal exactement localisé: «la géographie mythique de Dionysos», elle, «n'a guère plus de localisation dans l'espace mythique que dans l'espace réel», - et plus loin: «La mythique Nysa... est le lieu de son enfance et de son éducation... ce n'est pas son séjour de prédilection ni... la terre promise à ses fidèles». J. Bayet (Le phénomène religieux dionysiaque, dans Critique, 80, 1954, p. 20 sq.) définit en ce sens F« accapareur » Dionysos comme une «pensée religieuse qui rayonne et annexe » plutôt que comme une personne divine. Voir également C. Gallini, op. cit., p. 64-65. Par là, peut-être, entrevoit-on comment les Graeculi uates itinérants que dénonce Tite-Live (XXXIX, 8, 1-2) ont pu implanter le culte de leur dieu, en le «greffant» sur tel ou tel culte rendu localement aux nymphes (voir infra, p. 740). 32 Cf. A. J. Festugière, Les Mystères de Dionysos, dans Revue Biblique, XLIV, 1935 (appendice, p. 382-396), article réédité dans Etudes de religion..., op. cit., p. 48-62; P. Boyancé, L'antre dans les mystères de Dionysos, dans l'article déjà cité des Rendiconti della Pontificia
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nés par Hispala apparaissent donc comme ceux qu'une inscription33 nomme les symmystai de Dionysos: ceux qui, après le dieu et avec lui, rejoignent les nymphes dans leur sanctuaire et sont grâce à elles pénétrés du délire sacré. Reste une dernière difficulté: pourquoi, s'il s'agit bien des nymphes, lit-on dus et non nymphis ou, au féminin, deabus 34? Deux types de raisons peuvent être avancées: l'une serait que l'on est en présence d'une traduction très générale du grec θεόληπτος. Cette explication n'est pas exclusive d'une seconde35: les nymphes, par essence même, sont des déesses, non seulement groupées entre elles, mais qui se joignent facilement à d'autres divinités; le dieu Pan, entre autres, est fréquemment représenté sur des reliefs figurant l'antre des nymphes, en train de mener leur cortège dansant. Sans exclure Dionysos lui-même, dont Pan est d'ailleurs un des fidèles suivants. Aussi n'est-il pas possible de préciser davantage, mais dus paraît désigner global ementles éléments du thiase bachique qui ont, d'une façon ou d'une autre, partie liée avec le ζάοεον άντρον 36.
Accademia..., p. 111-113, 118-123, 126. Sur la Nymphe Mystis, au nom évocateur, cf. Nonnos, Dionysiaques, IX, 101 sq. et P. Boyancé, Dionysiaca, dans REA, LXVIII, 1966, p. 53. Voir encore, pour l'iconographie, G. E. Rizzo, Dionysos Mystes, dans Atti dell'accademia di Archeologia di Napoli, 1918, p. 39 sq. et surtout Cl. Bérard, Art alexandrin et mystères dionysiaques, Le «vase bachique» d'Avenches, dans le Bulletin de l'Association Pro Aventico, 19, 1967, p. 67 sq. Sur des représentations d'un Polyphème «dionysiaque» dans des «grottesnymphées», cf. H. Lavagne, Le Nymphée au Polyphème de la Domus Aurea, dans MEFR, 82, 1970, p. 712-719. 33 Publiée par J. Bousquet dans BCH, LXII, 1938, p. 51 sq.; cf. BCH, L, 1926, p. 242. 34 Le mot deae, en principe, n'est employé seul pour désigner les nymphes que si le contexte ne laisse pas place à l'équivoque; cf. ILS, 3847 (inscription dédiée à Esculape, à Hygie et aux nymphes): dii deaeque huiusque loci salutar es, où, comme on voit, la distinc tion entre divinités masculine et féminines est explicite. 35 Noter d'autre part que dans le cas présent l'expression raptus a nymphis aurait créé une ambiguïté, par les résonances funéraires qu'elle a acquises, en relation avec plusieurs épisodes mythologiques (Daphnis, Hylas surtout...) et qu'on retrouve dans des inscriptions, par exemple ILS 8482 = CIL 29195 (Rome); cf. la formule abuit ad Nymfas sur un relief de Grossetto (voir les remarques de A. Carnoy, dans Muséon, LXIX, 1956, p. 187 sq.). 36 « Un endroit est appelé ζάΰεον quand il est comme rempli d'un souffle divin » (W. Vollgraff, dans BCH, LI, 1927, p. 454: commentaire des lignes 140-141 du péan de Philodamos à Delphes (strophe XI). Vollgraff examinait là une lecture possible de ces deux lignes: (...) ζάΰέον τε [τεδ]/ξαι ΰεφ πρέπον αντρον. Lecture à mon sens préférable à celle, bien pléonastique, qu'il retient finalement (ζαΰέωι... / ΰεφ; cf. Euripide, Phéniciennes, 232: ζάϋεά τ' άντρα δράκοντος). Quoi qu'il en soit, l'idée est nettement exprimée d'un lieu rempli, par essence même, de la présence divine, et remplissant, « saisissant » de cette présence ceux qui le visitent. On peut rapprocher de cette formule, non seulement le passage de Platon cité
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On le voit: les nuances que ces pages, qui trouvent leur point de départ dans l'article fondamental du P. Festugière, ont voulu introduire dans la traduction de Tite-Live et dans la compréhension de certains termes religieux conduisent à une interprétation un peu différente de celle pro posée, sur ce point précis, par le même auteur 57. J'y vois cet avantage qu'on est ainsi dispensé de chercher hors des mythes, des rites et des lieux saints dionysiaques la raison d'être d'un langage au premier abord déconcertant. Une récente découverte archéologique confirme cette hypothèse et permet d'éclairer à son tour certains aspects du récit de Tite-Live. Une salle souterraine carrée à vqûte tronconique et oculus central trouvée à Bolsena - la Volsinii romaine 38 - se rattache à un sanctuaire bachique aménagé entre 220 et 200 av. J.-C, et détruit par le feu 30 à 60 ans plus tard. D'évidence, il s'agit d'une de ces cavernes dites « dionysiaques », plus souvent décrites dans des textes, évoquées dans des inscriptions ou même illustrées par des représentations figurées qu'attestées dans la réalité 39. De cet ensemble,
supra, p. 737, n. 30 (θείος... ό τόπος), mais d'autres textes ou inscriptions qui mentionnent plus précisément des «antres»: notamment celui de Vari, qu'un certain Archidémos de Théra fit aménager sous l'inspiration de nymphes: νυμφόληπτος φραδαΐσι Νυμφών ταντρον έξηργάξατο (C. Inscr. Att, I, 423-425), et le « Sphragidion » où, selon Pausanias (IX, 3, 9) et Plutarque {Vit. Arist. XI, 3-4) les nymphes du Cithéron prononçaient jadis des oracles: το των Σφραγιτίδων νυμφών αντρον (...) έν ω και μαντείον ήν πρότερον, ως φασι, και πολλοί κατείχοντο τών έπιχωρίων, ους νυμφολήπτους προσηγόρευον (Plutarque, loc. cit.). Antre de nymphes plus ou moins «bachiques», lieu privilégié de la possession oraculaire des νυμφόληπτοι: il semble que l'on rejoigne ici une notion assez commune dans l'Antiquité, et rattachée à d'anciennes légendes (à πρότερον ως φασι chez Plutarque correspond το άρχαΐον . . . έχει λόγος, selon Pausanias, loc. cit.); cf. sur ce point J. Toutain, Les cavernes sacrées dans l'Antiquité grecque, dans Annales du Musée Guimet, XXXIX, 1912, p. 167-168. - On peut songer, en milieu étrusque, aux enseignements de Végoia, elle aussi nymphe et prophétesse, (enseignements sans doute plus récents qu'on n'avait cru; cf. J. Heurgon, The date of Vegoia's Prophecy, dans JRS, XLIX, 1959, p. 41 sq.). Sur un «antre des nymphes» en Etrurie, voir infra, p. 740. 37 Art. cité, p. 94-96 = p. 104-106. 38 Voir J.-M. Pailler, Bolsena 1970. La maison aux peintures, les niveaux inférieurs et le complexe souterrain, dans MEFRA, 83, 1971, 2, p. 384-392 et fig. 8 à 16. 39 P. Boyancé, L'antre dans les mystères..., art. cité, ne signale, pour «une trentaine» de documents figurés (p. 108), qu'un seul édifice «venu jusqu'à nous»: la crypte du sanctuaire de Liber Pater à Mactar {ibid., p. 119, et la référence, n. 1, à G. Ch. Picard, Ciuitas Mactaritana, dans Karthago, VIII, 1957, p. 50-52). On peut y ajouter, avec Ch. Picard, la crypte bachique du sanôtuaire lié au théâtre d'Orange {Sur le sanctuaire d'Orange (Arausio) dans le Vaucluse, adjacent au théâtre, dans CRAI, 1958, p. 84-85; cf. la remarque du même auteur dans /S, 1961, p. 66 et n. 39 bis et dans RAC, 13, 1965, p. 10) et avec A. Audin {Le théâtre antique de Lyon et la relinon dionysiaque, dans Latomus, XXXII λ, 1973,
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seules ou presque ont subsisté les parties souterraines, épargnées par l'i ncendie et par l'érosion, ainsi qu'un nombre important de terres-cuites décoratives préservées, après la destruction, par un scrupule religieux dont, à époque un peu plus tardive, le même site offre un autre exemple caracté ristique40. Le seul vestige notable en surface à proximité de l'antre, qui appartenait sans doute au même ensemble cultuel, est un vaste bassin disposé en L et revêtu d'un enduit hydraulique. Plus fondamentalement, l'eau joue un rôle essentiel dans le complexe cultuel volsinien. Non seulement la salle souterraine est liée à une citerne, mais elle est revêtue du même enduit hydraulique que celle-ci. L'antre luimême ne servait pas à la conservation de l'eau, mais la présence d'un dispositif d'écoulement montre que les cérémonies qui s'y déroulaient faisaient régulièrement usage de l'eau puisée à la citerne. De plus, les deux salles ont été aménagées au débouché d'un important souterrain de drainage dont on a simultanément détourné le cours: il faut en conclure que le cadre des mystères dionysiaques célébrés à Volsinii à la fin du IIIe et au début du IIe s. av. J.-C. s'identifie à un « antre des Nymphes », ou plus précisément se greffe41 sur un culte local des eaux42 maintes fois repérable au cours de l'histoire de la ville et de sa région 43. Il y a plus: le remarquable décor en terre-cuite qui a permis de caractériser le sanctuaire comme dionysiaque représente une panthère assise, chevauchée et entourée de Bacchoi AA tantôt ailés, tantôt aptères;
p. 560-566) la grotte proche du théâtre de Fourvière à Lyon: grotte à peu près contemporaine, dans son premier état, de la construction du théâtre sous Auguste; à noter l'existence près de l'entrée de cette grotte d'un bassin alimenté continuellement et se déversant en source «des nymphes» (ibid., p. 562-563); également, dans le deuxième état de l'antre - sévérien la présence, parmi d'autres statues «bachiques», d'une nymphe sur un dauphin (p. 564). Ces trois monuments, il faut le remarquer, sont d'époque impériale. 40 Cf. A. Balland, dans l'ouvrage d'A. Balland, A. Barbet, P. Gros, G. Hallier, Bolsena II, les Architectures (1962-1967), dans les Suppléments aux MEFR, 6, Paris, 1971, p. 295-300. 41 Sur la vraisemblance d'une telle «greffe», cf. supra, p. 737, n. 31. Dans le même sens, H. Jeanmaire (op. cit., p. 214) mentionne «bien des choses... que le dionysisme aurait déplacées ou confisquées - à son profit - par un phénomène de substitution dont rend compte le caractère envahissant de ce mouvement religieux». 42 Cf. A. Balland, op. cit., p. 276-279; 293-295. 43 Cf. D. M. Taylor, Local cuits in Etruria, Rome, 1923, p. 147-164 (passim), 245-246. Plus généralement, sur le culte des eaux en Etrurie, voir P. Aebischer, Notes et suggestions concernant l'étude du culte des eaux en Etrurie, dans SE, VI, 1952, p. 123-144. 44 Ch. Picard a consacré plusieurs études à ces bacchoi; voir notamment Les statues ptolémaïques du Sarapieion de Memphis, Paris, 1955, p. 183, n. 3 et p. 190, n. 3; Sur le relief
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l'ensemble s'agrémente de la guirlande de lierre caractéristique. La scène aux putti, dont il existe d'autres exemples45, évoque très précisément les enfances de Bacchus, donc son éducation par les nymphes46: les θεόληπτοι volsiniens sont bien des νυμφόληπτοι. Enfin, le lieu et l'époque de leur initiation donnent une dernière fois raison à Tite-Live: naturellement, il n'est pas question d'établir l'existence du Graeculus uates d'où serait venu tout le mal47, et encore moins de résoudre la question si disputée de Γ « origine » des Bacchanales en Italie48. Mais une étude rapide49 du sanc tuaire et de l'antre de Volsinii démontre que le cas de Laris Pulenas, élucidé par M. Heurgon, n'était pas isolé, et prouve la vitalité en Etrurie Méridionale, des dernières décennies du IIIe siècle aux premières années du second, de mystères bachiques assez conformes à l'image qu'en donne l'auteur latin50. Et rien n'interdit d'attribuer la destruction soudaine de l'édifice sacré, que la stratigraphie permet de situer entre 190 et 160 av. J.-C, à l'application chez les foederati Vulsinienses 51 des décisions prises en 186 par le Sénat: « les consuls furent chargés de détruire d'abord à Rome, puis
hellénistique de Capri (Musée de Naples), dit «la chevauchée nocturne», dans Atti del VII Congresso Internazionale di Archeologia Classica, I, Rome, 1961, p. 407-425. 45 Voir en particulier D. Costa, Dionysos enfant, les Bacchoi et les lions, dans RA, XXXIX, 1952, 1, p. 170-179. 46 Cf. H. Seyrig, La triade héliopolitaine et les temples de Baalbek, dans Syria, X, 1929, p. 319-325. Voir également Ch. Picard, Les frises historiées autour de la cella et devant Vadyton, dans le temple de Bacchus à Baalbek, dans Mélanges Dussaud, I, Paris, 1939, p. 322, p. 333-335, et L. Leschi, Mosaïques à scènes dionysiaques de Djemila-Cuicul (Algérie). Comparer P. Boyancé, L'antre..., art. cité, p. 108-109. 47 Cf. supra, p. 732. 48 Cf. la mise au point d'A. Bruhl, op. cit., p. 70 sq.; sur une inscription bachique du IIIe s. av. J.-C, à Veii, voir St. Weinstock, Weihinschriften aus Veii, dans Gioita, XXXIII, 1954, p. 309 et n. 6. 49 La publication archéologique définitive est à paraître prochainement dans la Collection de l'Ecole Française de Rome (ouvrage rédigé en collaboration avec J. Andreau, A. Barbet, G. Hallier, H. Lavagne, P. Pomey). Sur les terres cuites, étude de J.-M. Pailler et F. -H. PairaultMassa à paraître dans la même collection. 50 Selon J. Heurgon, art. cité de la REL, p. 112, les inscriptions de Tarquinia et de Tuscania sur lesquelles il s'appuie révèlent que «les mystères bachiques dans cette partie de l'Etrurie... avaient fait l'objet d'une organisation officielle». A Bolsena aussi, on est bien en présence d'un vaste ensemble public qui tranche sur les îlots environnants et dont les dimensions, l'emplacement à la limite de deux terrasses, l'architecture et les relations avec le système hydraulique du quartier sont significatifs. 51 Aucun document ne nous est parvenu attestant formellement que Volsinii soit à cette époque une ciuitas foederata. Mais cela se déduit aisément d'indices concordants, antérieurs
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dans toute l'Italie, toutes les installations servant aux Bacchanales, ne respectant que les autels ou les statues consacrés de longue date » 52. S'il en est bien ainsi, on conçoit que d'un sanctuaire édifié au maximum 30 à 40 ans avant « les événements », il ne soit pas resté pierre sur pierre53. A ce sujet, il faut insister sur le fait que la table de bronze de Vager Teuranus n'évoque pas explicitement, elle, la destruction des bâtiments du culte. Revenant au propos initial de cet article, on conviendra que la version livienne des événements, et notamment de la répression, sort décidément grandie des confrontations avec les autres sources: le sénatus-consulte des Bacchanales la confirmait à peu près de bout en bout; la voici corroborée par l'archéologie sur un des points, rares mais essentiels, où l'épigraphie nous laissait incertains de la décision du Sénat.
même à 265-264: cf. A. J. Pfiffig, Die Ausbreitung des Römischen Städtewesens in Etrurien, Florence, 1966, p. 88-89, et surtout W. V. Harris, Roman foedera in Etruria, dans Historia, XIV, 3, 1965, p. 282-292, notamment p. 286-288. 52 Tite-Live, XXXIX, 18. 53 Aussitôt après la destruction du sanctuaire, une domus à atrium toscan est édifiée sur les ruines. Même en tenant compte des précautions rituelles signalées plus haut, (conservat ion des terres cuites dans le cadre de la maison), cette réoccupation immédiate d'un locus sacer (cf. Digeste, I, 8, 6) par une construction privée implique, surtout dans la très conservat rice Etrurie, que la « sacralité » de l'endroit ait été annihilée par quelque décision officielle (cf. Digeste, I, 8, 9). Sur ces problèmes, voir P. Gros et A. Balland, op. cit., respectivement p. 109-110 et 295-299. Sur l'intervention du Sénat, à cette occasion, dans les «affaires rel igieuses» des cités italiennes, cf. A. H. McDonald, Rome and the Italian Confederation (200-186 B.C.), dans JRS, XXXIV, 1944, p. 11-33, en particulier p. 26 sq.
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NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA)
Les stèles figurées archaïques de Volterra et de son territoire 1 com prennent un monument du Musée Guarnacci peu étudié2, mais particulièr ement digne d'intérêt: il s'agit de la stèle CIE 50 qui aurait été retrouvée vers 1865 au fond des « Balze » 3 et qui fut récupérée en 1872 par Gamurrini chez un antiquaire de Volterra4. La stèle - le détail a son importance proviendrait selon toute vraisemblance de la nécropole de Badia et serait un des rares témoignages de l'époque archaïque dans un cimetière où, comme l'ont montré les dernières fouilles du Professeur Fiumi, il existerait un énorme hiatus entre l'époque villanovienne, faiblement représentée, et l'époque hellénistique à laquelle appartiennent la plupart des tombes5.
1 Nous renvoyons à la bibliographie citée à la note 1, p. 147, de l'article de M. Pallottino, Uno schema iconografico greco-anatolico in Etruria, dans Etudes etrusco -italiques (Univ. de Louvain, fase. 31), Louvain, 1963. Aux quelques monuments figurés cités dans cet article pour la période archaïque (quatre en tout) s'ajoute maintenant la stèle de Montaione (cf. SE, 35, 1967, p. 516 sq. et pi. 89a; 90, a, b, c). 2 L'édition du monument avant celle du Corpus est due à F. Gamurrini, append, n. 49, p. 9, pi. III dans Suppl. au Cil, Florence, 1880. Cf. Fig. 1. Cette stèle n'est pas examinée dans l'étude de A. Minto, Le stele arcatene volterrane dans Scritti in onore di B. Nogara, Rome, 1937, p. 305-315. Elle est mentionnée et brièvement décrite dans le livre de P. J. Riis, Tyrrhenika, Copenhague, 1941, p. 140, η. 4, dans l'article «Volaterrae» de la RE, IX, A, 1, col. 730 (G. Radke) et dans l'article de E. Fiumi, La fades arcaica del territorio volterrano dans SE, 29, 1961, p. 276 et note 66 ibid. La stèle n'a pas été photographiée en dehors de l'ouvrage de P. L. Consortini, Volterra nell'Antichità, Volterra, 1940, p. 38 (assignée au commencement du Ve siècle par l'auteur, ibid. p. 96 et n. 1, datation suivie par G. Radke, art. cité. Aucune référence à la stèle chez A. Hus dans MEFR, 71, 1959, p. 26 sq. et chez C. Laviosa, Guida alle stele arcaiche e al materiale volterrano, Florence, 1962 (Va settimana dei Musei Italiani, 25 Marzo - 1 Aprile). 3 Cf. SE, 8, 1934, p. 359 et SE, 29, 1961, p. 276 (art. cité de E. Fiumi). 4 CIE I, 50, p. 16, CII (Gamurrini), loc. cit., supra note 2. 5 Cf. E. Fiumi, Gli scavi degli anni 1960-1965 nell'area della necropoli di Badia, dans NSc. 26, 1972, p. 132 (sur le problème de la stèle CIE 50 dans le contexte des nécropoles de Volterra liées à l'histoire du développement urbain de la cité).
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Sans doute, l'état fragmentaire du monument, la platitude du relief et la nature même de la pierre, - un travertin poreux et criblé de trous -, empêchent-ils une lecture parfaite, tant de l'image que de l'inscription, mais l'originalité de la représentation, qui ne se rattache pas à la typologie cou rante des figures de guerriers6, est indéniable, même si nous devons ra isonner seulement sur la partie inférieure de la stèle. Cette dernière comprend d'abord, de bas en haut, une partie grossièr ement épannelée terminée par un léger rentrant - on ne peut dire une moulure - en plan oblique qui se raccorde selon une horizontale à la partie figurée proprement dite. Cette partie inférieure de la stèle était très certaine ment destinée à être au moins partiellement fichée en terre, à proximité ou au-dessus du tombeau. La stèle d'Avile Tite ne comporte pas de zone épan nelée de ce type tandis que la stèle de Pomarance (Larth Tharnie) présente deux zones (épannelée et figurée) mais très grossièrement raccordées entre elles, sans plan oblique de séparation. L'exemplaire du territoire de Roselle7 est plus proche de la stèle de Volterra, dans la mesure où il présente le même plan oblique de séparation des deux zones, mais il s'en détache aussi tôtpuisque l'encadrement de la représentation manque totalement. L'image de CIE 50 est située en revanche dans un cadre constitué de bords plats, l'un, horizontal, sur lequel reposent les pieds des personnages, les deux autres légèrement obliques et formant avec le premier une base de trapèze isocèle. La disparition du couronnement ne permet pas de conclure de façon décisive sur l'aspect formel de la stèle. On entre dans le domaine des hypo thèses en imaginant, avec Radke, l'arrondi supérieur caractéristique des stèles courantes de Volterra et de son territoire8. On pourrait aussi bien imaginer un cadre trapézoïdal surmonté ou non d'un anthemion, comme sur certaines stèles de Fiesole et de sa région9.
6 Typologie étudiée à propos des stèles de Fiesole par F. Magi, Stele e cippi fiesolani dans S£, 6, 1932, p. 41. Cf. aussi Id., Nuova stele fiesolana dans ACl, 10, 1958, p. 201-207; P. Bocci, Una nuova stele fiesolana, Boll. Arte, ser. 4, 48, 1963, p. 207-211; F. Nicosia dans SE, 34, 1966, p. 149-164. Sur Fiesole, en dernier, G. Caputo dans Rend. Lincei, 26, 1971 (5-6), p. 325 sq. 7 Ce monument, pratiquement inédit (cf. A. Mazzolai, Rosselle e il suo territorio, Grosseto, 1960, p. 115, fig. 38 = face antérieure et p. 175) se trouverait au Musée de Grosseto. Nous n'avons pas noté sa présence lors de l'inauguration du nouveau Musée de Grosseto (Mai 1975, X Convegno di Studi Etruschi) dans les salles splendides consacrées à Rusellae. 8 G. Radke, art. cité, col. 730. 9 F. Magi, art. cité, pi. VIII, X, XI.
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Le détail de la représentation n'est pas moins original: de part et d'autre d'un élément végétal central, qui semble cependant à l'arrière-plan, deux personnages se font face. L'aspect du végétal suffirait à lui seul à écarter des datations trop hautes: il ne peut s'agir en aucun cas d'un élément du répertoire orientalisant ancien servant d'axe de symétrie entre deux figures opposées 10. Il s'agit d'un arbuste élancé, aux feuilles de forme allongée, opposées deux à deux: cet arbuste fait songer exactement à des motifs similaires très fréquents sur les fresques des tombes de Tarquinia. En parti culier, la tombe « du Baron » présente de ces ramures qui forment le décor de hiératiques oppositions de personnages (mur Ouest) n, comme sur notre stèle. Le personnage à gauche (pour le spectateur) avance légèrement la jambe gauche et le personnage qui lui fait face amorce un mouvement exactement symétrique de la jambe droite. Le mouvement n'est pas aussi accentué que sur la stèle d'Avile Tite où le guerrier esquisse une plus grande enjambée. La raison de ce hiératisme plus accentué ne tient pas seulement à la nécessité de loger deux personnages dans un cadre étroit. L'économie et la conception du mouvement se justifient par d'autres raisons liées au souvenir d'un certain style, que nous tenterons de définir plus loin. Plusieurs traits communs caractérisent encore le vêtement et les chaus sures des personnages. Ils portent des calcei repandi dont la pointe recour bée est très lisible sur la pierre. Leur tunique, visible jusqu'aux genoux - voire un peu au-dessus dans la partie centrale plissée - est de même facture: il s'agit d'une tunique longue ou mi-longue se terminant au-dessous du mollet et relativement adhérente aux jambes dont on devine les princ ipaux volumes (genoux, mollets). Un faisceau de quatre plis retombe au centre de la tunique entre les jambes de sorte que le bord inférieur du vêtement présente une ondulation « a fiamma ». Le détail se retrouve,
10 Comme, par exemple, des fleurs de lotus ou des arbres séparant des personnages dans les motifs de Γ orientalisant ancien. Entre autres exemples cf. une corne d'ivoire de Populonia, A. Minto, Populonia, Florence, 1943, p. 119 (tumulus des chars). 11 M. Pallottino, La peinture étrusque, Genève, 1952, p. 57. On trouve des analogies frappantes entre le dessin de l'arbuste sur la stèle de Volterra et celui des arbres derrière lesquels se dissimule Achille pour surprendre Troïlos (Tombe des Taureaux). Ce motif de l'arbuste se retrouve sur des bagues de marque ionienne, cf. A. Furtwängler, Die antike Gemmen, Leipzig, 1900, I, pi. VII, 8, 9, 10; III, p. 83 sq. en part. p. 86.
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notons-le au passage avec Consortini et Radke12, pour la tunique de Larth Tharnie. Pour le reste du costume, au-dessus de la tunique précédemment décrite, les personnages présentent un schéma vestimentaire légèrement différent. Le personnage le mieux conservé, à gauche, porte un manteau sillonné par des plis obliques parallèles indiqués par des incisions (quatre) clairement visibles 13 qui, partant du bord inférieur du manteau, devaient se prolonger au-delà du bord supérieur conservé de la stèle, en direction de l'épaule gauche. En effet, le dernier sillon conservé vers la droite du per sonnage semble se prolonger en partie à l'aplomb de la jambe gauche avancée, en partie au-dessus de la zone des plis centraux de la tunique. Au-dessus de la jambe gauche, on note un pan de vêtement vertical déli mité entre un sillon de même direction et le contour externe du personnage. Le dessin du bord inférieur du manteau, dont la lecture est rendue difficile par l'aspect criblé de la pierre, paraît suivre une courbe légère au départ et progressivement plus marquée jusqu'au sillon vertical en question. Le pan d'étoffe vertical retombe ainsi légèrement au-dessous de la courbe suivie par le bord inférieur du manteau, à son point le plus haut. Ces précisions pourraient démontrer que nous avons affaire à une seule pièce d'habillement (manteau) dont les plis obliques suivraient le mouvement du corps en avant et dont un pan vertical retomberait de l'épaule gauche. Au contraire, le personnage à droite présente apparemment trois éléments différents: anté rieurement, on voit une sorte de kolpos, qui recouvre la jambe droite avancée. La courbe, particulièrement accentuée, tend à rejoindre la verticale à l'endroit où elle s'articule avec l'élément suivant: ce dernier paraît un bandeau plat taillé en pointe à l'extrémité et constitue une sorte d'axe de symétrie, correspondant à l'espace au-dessus du faisceau des plis centraux de la tunique. Au-delà de cet axe se situe le troisième élément, un autre
12 G. Radke, art. cité, col. 730, reprend une observation très juste de P. L. Consortini, o.e., p. 96, n. 1 (cf. supra note 2). 13 Les traces d'une cinquième incision légèrement divergente, à gauche, dans la zone du relief la plus densément criblée de trous (trois dépressions principales en alignement) est douteuse en raison de l'état de la pierre. Cependant il est probable que si la figuration des plis existe dans cette zone, les incisions correspondantes tendent à épouser la forme du corps. Le premier indice de l'existence d'une telle figuration pourrait être précisément constitué par la ligne divergente soupçonnée à laquelle pourrait s'ajouter quatre autres sillons ou dépressions parallè les dont on verrait le départ sur la ligne de contour gauche du personnage.
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kolpos, qui recouvre la jambe gauche et se termine au listel d'encadrement de la stèle. Notre description s'est gardée jusqu'à présent, dans la mesure du possi ble, de toute interprétation. Nous voudrions maintenant faire quelques propositions en ce sens et tenter de déterminer à quel horizon culturel pourrait se rattacher la stèle. La stèle CIE 50, comme nous l'avons vu, n'est guère comparable aux autres stèles d'Etrurie pour la typologie vestimentaire. Elle ne représente pas le guerrier -kouros, nu ou avec un équipement de guerre, mais deux per sonnages opposés dont l'habit, plus civil que militaire 14, n'a pas d'équivalent, même dans le vêtement de certains personnages « civils » (?) des stèles de Fiesole 15. A fortiori, ces vêtements ne se retrouvent pas sur les stèles figu rées du monde grec de la période archaïque 16. Les kouroi et les korai de la petite statuaire étrusque en bronze ne fournissent généralement pas de meilleurs points de comparaison 17. Pour
14 Sur la stèle de Larth Tharnie, on peut observer un compromis assez bâtard entre le vêtement civil (cf. infra, p. 755) et les attributs militaires (épée). Cet aspect avait déjà frappé A. Minto (art. cité, p. 308) qui se demandait si Larth Tharnie n'était pas plutôt un prêtre «qu'un guerrier». Ce qui nous reste de la stèle CIE 50 ne fait en revanche pas penser que des attributs militaires aient pu compléter l'équipement de tel ou tel personnage (cf. infra p. 753) l'opposition pourrait être marquée uniquement dans les gestes. 15 F. Magi art. cité, pi. V, 1 (cippe Inghirami); VIII, 3; p. 43. 16 Dans l'immense bibliographie concernant les stèles grecques, nous nous bornons à citer l'article stèle de la RE, III A, 1929, col. 2313 sq. (A. Möbius). Pour la période archaïque dans les diverses régions de la Grèce: K. Friis Iohansen, The Attic Grave-Reliefs, Copenhague, 1951; G. N. Richter, Archaic attic gravestones, Londres, 1961; V. Jantzen dans Arch. Anz., 1963, p. 431-439; J. Frei dans Arch. Anz., 1973, p. 193-200; V. Kuigge, dans Arch. Anz., 1972, p. 584-629; E. Akurgal, ^Zwei Grabstelen Vorklassischer Zeit aus Sinope, Berlin Winckelmansprogramm, 111, Berlin 1955; Id., Griechische Reliefs des VI Jahrundertß aus Lykien, Berlin, 1942; P. Demargne, Fouilles de Xanthos, les piliers funéraires, Paris, 1,958; H. Biesantz, Die Thessalischen Grabreliefs, Mayence, 1965, Id., dans Festschrift Matz, 1962, p. 63 sq.; G. Despinis, Kykladische Grabstelen des 5/4 jh. v. ehr., dans Antike Plastik, VII, 1967, p. 77-78; H. Hiller, Ionische Grabreliefs der ersten Hälfte des 5 Jahrhunderts v. ehr,, Göttingen, 1968 et maintenant Ist. Mitt., Beiheft, 12, 1975. Pour Sparte, Ath. Mitt, 2, 1877, p. 28 (H. Dressel, A. Milchhoef er) ; P. Jacobsthal, Die Melischen Reliefs (Berlin, 1931); E. Buschor, Altsamische Grabstelen, I, dans Ath. Mitt, 58, 1933, p. 24 sq., Altsamische Grabstelen, II, dans Ath. Mitt, 74, 1959, p. 6-9. 17 En l'absence d'un véritable Corpus des petits bronzes, il est actuellement vain de donner ici une bibliographie complète. En dehors des catalogues des principaux musées et des Tyrrhenika
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autant que les séries étudiées jusqu'à présent permettent la comparaison, nous trouvons seulement quelques concordances de détail, et non de types. En voici quelques exemples: le groupe terminal d'un candélabre de Bologne 18 comprend un personnage féminin dont le chiton présente un groupe de plis centraux droits, comme les personnages des stèles. C'est là un trait qui est bien attesté en particulier à la fin de la période archaïque (dernier quart du VIe, début du Ve siècle). Il est symptomatique cependant que le bronze (et, plus généralement les statuettes portant un chiton comparable) ne com porte pas l'autre pièce du vêtement, l'himation à plis obliques. Si nous prenons au contraire des statuettes, rattachables à des séries d'inspiration ionienne 19, dont le manteau présente les caractéristiques plis obliques, nous ne trouvons pas la tunique à faisceau de plis centraux, que l'on considère des personnages masculins en court manteau ou des personnages féminins. C'est encore la danseuse d'un candélabre du British Museum 20 qui fournirait l'un des meilleurs points de comparaison pour la tunique se terminant a fiamma avec plis centraux et pour la courte « chemise » dont les blousants forment deux kolpoi peut-être comparables à ceux du personnage à droite de notre stèle. Ainsi certains détails pris séparément pourraient être attribuables à des personnages féminins, mais cette solution est pour le moins douteuse, en ce qui concerne la stèle21. Un indice, néanmoins, nous semble plus sûr: la
(cité) de P. J. Riis, nous renvoyons à l'article récent de G. Gualandi, dans SE, 42, 1975, p. 37 sq. pour les bronzes récents de Bologne (Villa Cassarmi); P. Monti dans Studi Romagnoli, 15, 1965, p. 59-80; H. Jucker, Etruscan votive bronzes from Populonia, dans Art and Technology. A symposium on classical bronzes (S. Doeringer, P. G. Mitten, A. Steinberg, Cambridge Massachussets) Massachussets, 1970, p. 195 sq.; G. Colonna, Bronzi votivi umbrosabellici, I, Florence, 1970, ainsi qu'aux numéros suivants des SE: 10, 1936, p. 381 sq. (Catania); 12, 1938, p. 267; 15, 1941, p. 231-236; 21, 1947, p. 343 sq. (Verona); 22, 1948, p. 59 sq. (Modène); 23, 1949, p. 383 sq. (Verona); 25, 1951, p. 489 sq. (Chiusi); 26, 1952, p. 193 sq. (Grosseto) et aux numéros suivants de Y Arch. Anz.: 1966, p. 367-378; 1967, p. 619 sq.; 1973, p. 652-658. 18 Reproduit dans A. Hus, Les bronzes étrusques, Bruxelles, 1975 (coll. Latomus, 139), p. 26. 19 Par exemple le bronze de l'île d'Elbe, cf. SE, 2, 1928, p. 49-54. Cf. aussi types de togati: E. Hill Richardson, The Etruscan origins of Early Roman sculpture, dans Mem. Ac. Am., 21, 1953, p. 114 sq., fig. 2, p. 26; G. Hafner, Etruskische Togati, (Antike Plastik, IX) Munich, 1969, p. 40 sq. 20 A. Hus, o.e., pi. 23 (candélabre n. 598 du British Museum). 21 Cf. discussion infra p. 753. Leasies ne peut-être qu'un masculin (qu'il s'agisse d'un nomen ou d'un praenomen), à suffixe - ie décalqué sur les suffixes indo-européens en - ios pour les noms de personnes.
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plupart des détails vestimentaires feraient songer qu'elle se situe dans un contexte d'art ionien ou au plus tard d'art attique de la fin du VIe ou du début du Ve siècle. Or l'art grec offre effectivement certains modèles ioniens susceptibles d'expliquer la typologie vestimentaire des personnages de la stèle. Tout part iculièrement, la statuaire ionienne orientale, que de nouvelles découvertes et de nouvelles études contribuent à faire connaître toujours mieux, fournit des types différents des habituels kouroi22. Il s'agit en réalité, comme le souligne M. Devambez23 à propos d'une statuette du Louvre, bien plus que de kouroi, de personnages d'un certain âge, représentés avec l'habit et la dignité de leur fonction. Ces personnages sont encore différents des kouroi par leur dynamique: représentés en train de marcher, ils avancent légèrement la jambe gauche, imprimant au vêtement un mouvement discet, mais sensible, aHncessus plein de noblesse24. Nous nous référons à une série de statues qui comprend, entre autres, le jeune homme du Cap Phoneas (Samos), celui de Pitane (Pergame) 25, celui de Myous (Berlin), le Dionyshermos du Louvre, un grand nombre de fragments ou de statues entières à Samos, Didyme26, Apollonia Pontos27, pour ne citer que la statuaire en pierre, mais qui compte aussi un certain nombre de terres cuites à Samos ou à Chypre28. Comme le soulignent de récentes recherches, le type de ces statues remont erait assez haut, mais connaîtrait un réel développement dans la grande statuaire vers 550 environ29. Ainsi, pour ne citer que deux exemples, le jeune homme du Cap Phoneas pourrait être daté vers 540-530 30, et le Dionyshermos du Louvre pourrait appartenir aux environs de 520 av. J.-C.31.
22 G. M. Richter, Kouroi, New York, 1970, p. 155, 124 a-c. K. Blümel, Die archaischen griechischen Skulpturen der Staatlichen Museen zu Berlin, Berlin, 1964, n. 69, p. 64, fig. 217-219. 23 P. Devambez, Une nouvelle statue archaïque du Louvre, dans RA, 1966, 2, p. 195 sq. (et bibl.). 24 P. Devambez, art. cité, p. 203. Cf. Fig. 2 et 3. 25 E. Akurgal, Die Kunst Anatoliens, Berlin, 1961, p. 231, fig. 195. 26 Κ. Tuchelt, Die archaischen Skulpturen von Didyma (Ist. Forsch, 21) Istambul, 1970, p. 61 sq. 27 Cf. Bull, de la Soc. arch, bulgare, 18, 1952, p. 93 sq. (Galabov). 28 Sur ces statues nous renvoyons à la récente publication de B. Freyer - Schauenburg, Bildwerke der archaischen Zeit und des strengen Stils (Samos, 11), Bonn, 1974, p. 150-152. 29 B. Freyer - Schauenburg, o.e., p. 152. 30 Ibid., p. 152 («nicht nach 540»); E. Akurgal, o.e., p. 231 «um 540-530». 31 P. Devambez, art. cité, p. 215.
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Le dernier quart du VIe siècle a. J.-C, ou le dernier tiers de ce siècle, semble donc correspondre à la période du plus grand développement de ces statues qui sont produites, semble-t-il, encore au début du Ve siècle 32. Or les ateliers créateurs du type sont très certainement d'Asie Mineure, peut-être de Milet 33. Il reste à déterminer, d'abord sur le plan figuratif; ensuite sur le plan historique pourquoi et comment la stèle de Volterra se rattacherait à ces types 34. Dans la forme générale, ces statues unissent deux pièces du vêtement qui se retrouvent à Volterra: le chiton à faisceau de quatre plis centraux dont le nombre se retrouve à Samos ou encore à Didyme35 et l'himation court qui retombe au-dessus des genoux, devant, et, au milieu du mollet, derrière. Dans le détail, les larges plis obliques du manteau (personnage à gauche) sont indiqués à Volterra comme à Samos par des sillons à peu près équidistants. Le pan vertical du vêtement qui descend de l'épaule gauche correspondrait au pan du manteau droit36, terminé de façon savante en
32 Avec des développements différents du drapé de l'himation = statue d'Apollonia, cf. Bull, de la Soc. arch, bulgare, fig. 56, p. 97 (en particulier pour le profil). Cf. aussi style local de Chypre, M. Yon, Un dépôt de sculptures archaïques (Salamine de Chypre V), Paris, 1974, pi. 3, 1-7, p. 22-23. 33 B. Freyer - Schauenburg, o.e., p. 151 (et bibl. antérieure). 34 S'il ne pesait des doutes très lourds sur l'authenticité du kouros H 215 de la Glyptothèque Ny Carlsberg provenant d'Orvieto (cf. A. Andren dans Studi in onore di Luisa Banti, Florence, 1965, p. 20, note 12) nous pourrions dire que ce kouros est une imitation étrusque des Kouroi d'Asie Mineure examinés ici et une preuve de la transmission d'un certain modèle en Etrurie. 35 K. Tuchelt, o.e. (Katalog): Κ. 29, p. 64; pi. 30, 1-2; K. 31, p. 65, pi. 31 (1-2); K. 33 bis, p. 66, pi. 34, 1-4 (datés respectivement pour les deux premiers du dernier quart du VIe siècle av. J.-C, et pour le troisième de la fin du VIe siècle av. J.-C). Cf. Fig. 3. 36 L'interprétation du pan d'étoffe droit est d'autant plus compliquée que le mode de représentation des personnages de la stèle est intermédiaire entre la vue de profil et la vue de trois-quarts. Sous la ceinture les plis centraux sont vus de face tandis que les jambes sont de profil. De même pour le haut du corps on peut supposer un passage subtil vers une repré sentation oblique par rapport au spectateur au mieux vers un raccourci de trois-quarts. Les vases attiques à figures noires, les peintures de Tarquinia, les hydries de Caeré offrent quantité d'exemples de ce type. Ainsi le pan droit peut provenir de l'épaule (passage du manteau) comme sur les fresques de Tarquinia (mais on remarque que le pan est collé au corps tandis que sur la fresque de la tombe des Augures, il retombe un peu en avant du corps). On peut épiloguer sur le geste des personnages. Nous serions assez enclin à penser effectivement à une sorte de
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zig-zag à Samos. Entre les deux représentations, au-delà des analogies, il faut en effet souligner deux différences: l'une, irréductible, qui concerne la longueur de la tunique plus courte sur Fa stèle (mais les comparaisons les plus frappantes restent du domaine d'influence ionien: peintures de Tarquinia et hydries de Caere37); l'autre différence a trait évidemment à la qualité artist iqueinférieure de la stèle et aux difficultés d'une représentation de profil. La maladresse est évidente comparée aux ondes harmonieuses de l'himation samien et le traitement du pan de l'himation révèle la même pauvreté rudimentaire. Mais, au niveau purement typologique, la comparaison nous paraît justifiée et même en vérité confirmée si nous considérons le personnage à droite de la stèle. En effet le détail des trois éléments (cf. supra) n'est pas moins significatif. Riis avait bien noté les deux sortes de kolpoi formés par le vêtement mais n'en tirait aucune conclusion: elle nous semble assez claire si nous nous référons aux mêmes types grecs. Le bord arrondi du vêtement dans la pierre correspondrait justement à l'arrondi de l'himation et la « bande taillée en pointe » entre les deux kolpoi pourrait aussi correspondre à un pan d'himation descendant de l'épaule gauche, comme sur le personnage à gauche. Mais c'est en réalité un principe d'explication minimum qui ne donnerait pas de raisons suffisantes pour rendre compte de la présence du second kolpos, vers le dos du personnage. Celui-ci ne s'explique pas, puisque
salut funèbre comme on le voit justement pour la tombe des Augures et sur des reliefs en pierre fétide de Chiusi. La main gauche était donc peut-être posée sur la tête, tandis que le bras droit légèrement plié devait descendre en oblique le long du corps, ou (autre solution) s'arrêter un peu au-dessus de l'extrémité de l'élément végétal, comme on voit pour la Tombe du Baron. 37 Sur la terminaison a fiamma de certains vêtements dans l'art étrusque, cf. G. Patroni, II taglio a fiamma nel panneggio delle figure etrusche, dans Rend. Ist. lombardo Scienze e Lettere, 69, 1936, fase. 6-10, p. 375 sq. Quant à la tunique en elle-même, il s'agit d'une adaptation des longs chitons ioniens à un type de vêtement moins long, peut-être étrusque, dont on possède certains exemples sur les fresques de Tarquinia. Cf. en particulier l'agonothète (combat de lutteurs, Tombe des Augures) qui est vêtu d'un vêtement long terminé a fiamma et possédant un faisceau de plis au centre. Cf. F. Magi - G. Becatti, Le pitture delle tombe degli Auguri e del pulcinella (Monumenti della pittura antica, sez. I, III-V, Rome, 1955, fig. 13 p. 25 et fig. 11). On comparera également avec la tunique (comportant au centre quatre plis droits) du petit bronze de Fossombrone (Isola di Fano). Cf. E. G. Giglioli, AE, Milan, 1935, pi. LXXXV, 4 (daté du dernier quart du VIe siècle). Pour la comparaison entre le style des vêtements sur les hydries de Caere et les vêtements de notre stèle, nous nous bornons à citer l'hydrie E. 702 du Louvre cf. Fig. 4 (personnage derrière Hermès enfant allongé comme mort) et l'hydrie du Vatican n. 229, pi. 19 (Albizzati), cf. Fig, 5 (personnage d'Hermès dans la lutte d'Héraclès et Alkyoneus).
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le personnage est représenté de profil, comme certaines formes de « chemises » blousant au-dessus de la tunique longue38. D'autre part, un court himation retombant librement derrière le dos ne forme pas un arrondi aussi marqué. Le principe d'explication véritable vient encore, selon nous, d'une attentive considération des profils des statues ioniennes en question. Ainsi le jeune homme du Cap Phoneas soulève légèrement l'himation, d'un geste qui n'est peut-être pas tellement féminin39, mais qui participe sans aucun doute de la noblesse et de la distinction aristocratique reflétée par la statue40. Ce geste imprime à l'himation deux arrondis de part et d'autre de la main. Ce profil du bas du manteau est très comparable à celui du personnage de Volterra et forme effectivement deux sortes de kolpoi devant et derrière la main. On peut comparer encore avec des fragments de Didyme publiés par Tuchelt41 pour se convaincre que nous avons affaire à un type bien établi: à part le retour des quatre plis centraux du chiton (comme sur notre stèle) au des sous de l'himation, on reconnaît encore sur ces fragments la place du bras collé au corps et de la main qui soulevait l'himation. A la lumière de ces exemples on arriverait à une solution bien plus satisfaisante pour le per sonnage de Volterra. L'élément terminé en pointe entre les deux kolpoi serait une figuration très schématique de la main tenant le vêtement. Ce détail ne doit pas nous étonner si nous comparons, par exemple, avec la stèle de Larth Tharnie42: le bras droit et la main sont figurés de façon rudimentaire et « rabougrie » et nous pouvons être sûrs que l'artisan ne savait ou ne voulait pas faire une main dans le style naturaliste. Nous aurions pour CIE 50 une figuration du même ordre et, notons-le, d'une main repliée faisant un geste de préhension43. L'interprétation ainsi suggérée de
38 Comme pour les pièces du vêtement de certaines korai (vues de face). Par exemple: G. M. Richter, Korai (cité), n. 441-444 (dernier tiers du VIe siècle). On peut également songer à ce détail du costume sur certaines hydries de Caeré; il appartient à des personnages soit féminins (Gè dans le châtiment de Tityos, cf. P. Devambez, dans Mon. Piot, 41, 1946, p. 47, fig. 9) soit masculins (Ulysse, ibid., fig. 16). 39 E. Akurgal, Die Kunst Anatoliens (cité), p. 229. Cf. Fig. 7. 40 P. Devambez, art. cité, p. 203. 41 K. Tuchelt, o.e., cf. supra note 35. Cf. Fig. 6. 42 Cf. G. Buonamici, Epigrafia etrusca, Florence, 1932, pi. XVIII, fig. 26; TLE 407, et M. Pallottino art. cité dans Etudes étrusco-italiques, pi. XVII, 1; G. Giglioli, AE, pi. LXIX, 1. 43 Le fait que, dans l'hypothèse défendue, la main soit repliée explique même l'extrémité anguleuse figurée sur la stèle. La statuaire ionienne de référence, comme on peut s'en rendre compte par le jeune homme de Myous, celui du Louvre, ou celui de Samos, n'atteint pas non plus la perfection dans la représentation de la main et l'on conçoit même qu'une transposition
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la main soulevant l'himation permettrait d'expliquer la légère dissymétrie entre les deux courbes de l'himation, marquée aussi sur les statues ioniennes 44. En outre nous expliquerions ainsi par une différence gestuelle (et probable ment pas sexuelle), la différence apparente entre le vêtement du personnage à gauche et celui du personnage à droite. Les deux personnages seraient vêtus de façon analogue mais le personnage à gauche aurait les bras levés au moins à la hauteur de la taille, dans la partie disparue de la stèle. Le personnage de droite, en revanche, se présenterait à l'autre avec une solennité aristocratique qui fait penser à un type d'héroïsation ou peut-être d'adieu funèbre 45. En effet les considérations typologiques présentées jusqu'ici n'expliquent pas seules la conception de la représentation. C'est une des rares stèles étrusques connues avec deux personnages opposés. Dans la typologie des stèles grecques archaïques le mort est le plus souvent isolé, ou, si une figure lui fait face, elle est dans l'attitude de l'adorant devant le défunt assis sur un trône comme une divinité. Il faut attendre les développements du Ve siècle pour voir des représentations du défunt debout, prenant congé d'un compag non,d'un enfant ou de sa famille 46. L'héroïsation s'humanise dans la figura tionde l'adieu funèbre. Les stèles étrusques représentent une catégorie moins nombreuse que les stèles grecques, et surtout, dont l'évolution à travers le temps ne se laisse pas suivre dans un processus continu 47. Néanmoins, malgré
quelconque de cette particularité dans le bas-relief conduise certainement au schématisme. Un autre fait prouve l'imitation (et le provincialisme): ce sont les profils droits des statues grecques qui présentent le geste imprimant à l'himation les deux kolpoi. A Volterra, nous avons au contraire un profil gauche (cf. Fig. 7a qui fait voir encore l'arrondi du manteau). 44 K. Tuchelt, ibid., nos Κ 29, Κ 31. 45 L'inscription avec le génitif Leasies (praenomen ou nomen?) de la personne à qui la stèle est dédiée est placée du côté droit de la stèle, à côté du personnage qu'elle désigne. La lettre qui suit le s du génitif lue comme un E dans le Corpus est peut-être en réalité un h ^ . L'hypothèse d'un s EB nous paraît à exclure cf. infra note 72 sur l'alphabet de Colle. Il nous semble en effet d'après un examen attentif de la pierre que la trace longitudinale médiane est discontinue, tandis qu'on peut observer une certaine continuité de la barre transversale, malgré l'existence d'une légère dépression naturelle contre la haste gauche de ce qui serait un H ^ . Notons en tout cas que les traits transversaux des autres E de l'inscription possèdent une inclinaison différente de ceux qui appartiendraient à un E après leasies, selon la lecture du CIE 50. 46 Sur la typologie des stèles grecques, cf. E. Akurgal, Zwei Grabstelen vorklassischer zeit aus Sinope (cité), p. 18 sq. en particulier p. 21-22. 47 Sur la progression entre l'Ombrone et l'Arno, cf. M. Pallottino, art. cité (Etudes étruscoitaliques), p. 147, n. 1.
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tout son provincialisme, la stèle CIE 50 pourrait marquer un moment de transition figurative qui ne correspond peut-être pas à un gros écart chronolo gique avec les autres stèles de Volterra: le passage de la représentation du héros-mort isolé à la représentation du héros devant le personnage qui lui rend l'hommage funèbre est selon nous un effort pour rendre par l'image ce que les inscriptions des stèles de héros seuls proclamaient déjà, l'offrande de la stèle par un autre personnage (indiqué au nominatif) que le défunt48. Les seules stèles comparables à la stèle de Volterra sont deux stèles de la région de Fiesole (n. 11 et surtout n. 17) 49 où l'on voit deux personnages debout en opposition (deux guerriers ou deux personnages en habit civil) dans des scènes de congé ou d'adieu funèbre. Ces deux stèles ne sont pas parmi les plus anciennes de la série fiésolane, comme CIE 50 par analogie avec
48 Cf. par exemple CIE 105 (Avile Tite) et TLE 407 (Larth Tharnie). M. Cristofani (SE, 41, 1973, p. 282-284, en part. p. 284) pense que la personne qui dédie la stèle, sans rapport de parenté avec le défunt (comme l'enseigne, semble-t-il, l'onomastique des inscriptions), pourrait avoir été son remplaçant à sa mort. Elle aurait ainsi ajouté ensuite le nomen du défunt à son propre nom. Sans imaginer des structures de parenté archaïques formant une réalité en soi et susceptibles de rendre compte d'un tel phénomène (cf. CIE 11, Fiesole, Mi larus ananas anasnies klan, H. Rix, Das Etruskische cognomen, 1963, p. 305) nous pensons que les motivations et la forme des adoptions antiques permettent d'expliquer une assomption de parenté justifiée par la nécessité d'accomplissement du rite funèbre. D'autres usages sociaux (camaraderie militaire, εταιρεία, à ce sujet J. Heurgon dans Historia, VI, 1957, p. 96) peuvent avoir joué aussi bien. De même il n'est pas toujours certain, pour les stèles attiques archaïques que le dédicant soit le plus proche parent (cf. n. 55, p. 143, G. H. Jeffery, The inscribed gravestones of archaic Attica, dans Ann. BSA, 57, 1962, p. 115 sq.; G.M.A. Richter, The archaic gravestones of Attica, Londres, 1961, η. 35, p. 157, fig. 202 (Epigraphical index de M. Guarducci) voir aussi M. Guarducci, Epigrafia greca, III, Rome, 1974, p. 177 sq. La formule avec mi muluvanike constitue, au demeurant, une transposition des formules grecques du type μ'άνέ&ηκεν cf. A. J. Pfiffig, Die Etruskische Sprache, Graz, 1969, p. 234, pour l'équivalence mla[X] donum votivum (racine mulu) et grec άνάοημα. 49 F. Magi, art. cité, p. 18, n. 17 (stèle de S. Ansano), p. 44, 70. A propos de cet unicum dans les représentations des stèles de Fiesole, l'auteur rappelle la stèle archaïque de Sparte (cf. Ath. Mitt, 2, 1877, p. 301) représentant deux personnages opposés se rendant hommage. L'un des deux personnages de la stèle n. 17 (F. Magi, ibid.) de Fiesole tient un canthare. On peut comparer avec la stèle attique de Lyseas (G.M.A. Richter, The archaic gravestones of Attica, (cité) n. 70, p. 48, fig. 159) pour ce détail. Nous serions moins portés à y voir l'indice de la fonction sociale du défunt (prêtre de Dionysos, etc.) qu'une signification plus générale liée au rite funéraire et à Phéroïsation du défunt (cf. stèle de Chrysaphà à Sparte, l'un des deux défunts trônant tient un canthare). De même l'autre stèle de Fiesole (SE, 6, 1932, p. 69), cf. F. Magi, dans / Convegno di Studi Umbri (cité), p. 179, interprétée comme un adieu funèbre entre deux guerriers.
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ces stèles n'est probablement pas la plus ancienne stèle de Volterra, en admettant que ces dernières puissent remonter au-delà de 550 a.C, ce qui n'est guère pensable.
Notre interprétation du monument suppose la présence ou la réception de certaines formes ioniennes orientales à Volterra. Mais sous quelle forme et pour quelle «clientèle»? L'apport n'est certainement pas aussi bien représenté et aussi brillant que sur les côtes d'Etrurie Méridionale. Rien de comparable, sans doute, à cette floraison artistico-commerciale dont témoi gnent, entre autres, les hydries de Caere. Dans le cas de la stèle CIE 50, il est trop évident que l'artisan adapte tant bien que mal une technique pauvre à la reproduction de types artistiques savants. Certains traits locaux demeurent comme les calcei repandi et, peut-être la tunique mi-longue terminée a fiamma, qui se retrouve cependant, comme nous l'avons vu, dans des peintures tombales de Tarquinia influencées par le style ionien. On retrouve la même mode mais exprimée de façon encore plus barbare sur le personnage de Pomarance où entrent très certainement aussi un certain nombre de traits ioniens50. La réception de modèles ioniens à Volterra et
50 Ainsi il n'est pas sûr que Larth Tharnie porte une pièce de vêtement unique (sorte de longue tunique, cf. A. Minto, art. cité). La pierre conserve peut-être encore, mais nous voulons le vérifier sur l'original, soit la trace d'une sorte de camisole portée par -dessus le chiton long, peut-être comparable avec le vêtement du joueur de flûte (Tombe de la chasse et de la pêche), cf. P. Romanelli, Le Pitture della tomba della caccia e pesca (Monumenti della pittura antica scoperti in Italia), Rome, 1940, fig. 12), soit encore la trace d'un manteau semblable à celui du personnage à gauche de la stèle CIE 50. En tout cas, le profil (dessin de la ligne de front, des yeux, léger saillant des lèvres est comparable à quantité d'œuvres suivant les canons de la représentation ionienne; voir le détail dans C. Lavk)sa, Guida..., p. 12-13, fig. 4, et cf. E. Langlotz, Die Kulturelle und künstlerische Hellenisierung der Küsten des Mittlemeers durch die Stadt Phokaia, Cologne, 1966, fig. 54 (profil de Myous); cf. aussi le petit bronze de Populonia, H. Jucker, dans Art and technology, cité, fig. 2a et 2b; cf. aussi le profil ionien de Iasos, C. Laviosa, dans Ann. Scuola Arch. Atene, 50-51, 1975 (1972-73), fig. 9, 10 12 (datation haute, avant 550). Quant au détail qui a été interprété tantôt comme un casque, tantôt comme une coiffure, nous sommes plutôt portés à croire qu'il s'agit d'une coiffure, puisque l'oreille est visible. Le traitement en deux zones distinctes de la coiffure se retrouve sur de nombreux kouroi, mais le schéma particulier d'une zone lisse au-dessus d'une zone bouclée se retrouve sur des vases provenant de l'Ionie du Nord et datables aux environs de 540-530 (en particulier
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Pomarance indique la voie de la côte et en particulier la route qui, passant par Pomarance pouvait soit emprunter la vallée de la Cecina soit rejoindre Populonia par Lustignano et la vallée de la Cornia51. En effet, c'est à Populonia que semblent bien se situer la plupart des éléments aidant à la réso lution du problème historique posé par la stèle CIE 50. Nous n'en citerons que deux: la présence de stèles à anthemion de type samien52 qui, si l'on se réfère à la typologie de Buschor53, seraient comparables à des stèles de Samos datées entre la période de Polycrates et le « tournant » du Ve siècle et les témoignages de la plastique, en particulier celui constitué par une petite tête en terre cuite retrouvée dans les scories près du port antique. Cette tête publiée par Minto en 1934 54, porte, comme on disait alors, une perruque à étage de type crétois. En réalité, ce qui reste de la tête s'inscrit stylistiquement dans la même production ionienne-orientale évoquée à propos de la stèle de Volterra. On comparera en particulier avec la tête K. 6 de Tuchelt au British Museum55. La chronologie nous reporte à des dates
une série de dinoi étudiés par F. Villard dans Mon. Piot, 43, 1949, p. 33 sq., et récemment par F. Hölscher dans CVA, Würzburg Bd 1, Munich, 1975, fig. 17, taf. 26 à 28), deux zones bien distinctes de la coiffure sont séparées par une double incision (par exemple sous la nuque de Dionysos, F. Villard, o.e., p. 35, fig. 5). Comme d'autre part les cheveux tendent à cacher une partie du front, le dessin supérieur de la coiffure peut avoir inspiré les schémas grossiers de Volterra. A propos de ce traitement de la coiffure en deux zones, nous voulons ajouter un parallèle de l'art étrusque qui ne nous semble pas avoir été signalé jusqu'ici: il s'agit du dessin de la coiffure des Sirènes et autres personnages chez le peintre de Micali (vers la fin du VIe s.). Nous citons un seul exemple celui de CVA Leipzig Τ 3309, taf. 49, 6 et 50, 2-3, où la Sirène semble porter le même « bonnet » que Larth Tharnie ou le personnage anonyme de Laiatico. La même remarque s'applique à la stèle de Laiatico pour laquelle on notera que les mèches de cheveux semblent se terminer par des boucles arrondies. Ce détail est comparable à la coiffure du guerrier sur la stèle de l'hoplitodrome. Cf. J. Charbonneaux, R. Martin, François Villard, La Grèce archaïque, Paris, 1968 fig. 301; on peut rapprocher encore la coiffure d'Avile Tite (boucles sur le front et perruque à étages) de celle d'un kouros de Paros, La Grèce archaïque, cité, fig. 151, p. 132, sans quitter la sphère ionienne orientale (en particulier l'influence de Milet). 51 Sur les trouvailles de bronzes archaïques à Lustignano, cf. E. Fiumi, La faciès arcaica (cité), p. 273. 52 A. Minto, Populonia, Florence, 1943, p. 164, pi. XLI, 3-4, en particulier 3. 53 E. Buschor, Altsamische Grabstelen, I, dans Ath. Mût., 58, 1933, p. 22 sq., en part, p. 31-36; Id. Altsamische Grabstelen II, dans Ath. Mitt, 74, 1959, p. 6-9; Β. Freyer - Schauenburg, o.e., p. 274 sq., pl. 72, 73, 74, 75. 54 A. Minto dans N. Se, 1934, p. 406, fig. 62. 55 Κ. Tuchelt, art. cité, p. 53-54, pl. 10-11 (1-3), datée vers 550 av. J.-C.
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA)
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sensiblement comparables à celles avancées plus haut, soit le dernier tiers du VIe siècle. Elargissant l'enquête à d'autres catégories de matériel à Populonia, on trouverait nécessairement un matériel plus varié et plus riche qu'à Volterra56 pour illustrer des produits artistiques imités ou importés d'Ionie ou des îles orientales de la Mer Egée. Ce n'est pas notre propos. Cependant, parmi les membra disiecta des tombes archaïques de Volterra, on ne saurait passer sous silence certains petits bronzes57, en particulier le petit bronze de Munich n. 3678 qui appartient selon toute vraisemblance à la production ionienne58. Ce bronze représente une figurine féminine coiffée du tutulus et vêtue d'un chiton long, bouffant latéralement de part et d'autre de la ceinture. Elle tient de la main gauche la paryphé et de la main droite esquisse un geste de salut (?). Les plis du chiton forment un dessin à ondes parallèles dégradées en amplitude et qui tendent à rejoindre la tan gente à la paryphé formant une courbe au-dessus de la jambe gauche. En dehors de certains traits particuliers, comme le traitement du visage, et le maniérisme précieux des plis en zig-zag de la paryphé et du chiton, le dessin des plis du chiton a des parallèles typologiques très précis qui se situent, de nouveau, dans la statuaire gréco-orientale. Une koré de Samos, une autre de Didyme sont, pour le dessin des plis du chiton, sous la ceinture, les exemples les plus voisins de la petite Koré en bronze de Munich59 que la vivacité de l'expression, le tutulus, permettent de rapprocher encore de séries intéressantes de l'art ionien auxquelles appartiennent le bronze n. 226
56 Pour l'analyse des bronzes de Populonia et leur appartenance au courant ionien, cf. H. Jucker, dans Arch. Anz., 1967, p. 619 sq. et Id. dans Art and Technology (cité), cf. note 17. 57 Dans le cadre restreint de cet article nous n'examinerons pas la totalité des petits bronzes archaïques de Volterra qui méritent également une mention dans le cadre de l'art ionien. Pour certains d'entre eux, nous renvoyons à E. Fiumi, La faciès arcaica, cité, p. 285 sq. 58 Münch. Jahrb.; 1912, p. 72, fig. 2; Arch. Anz., 1913, p. 17, n. 2, fig. 2; P. J. Riis, Tyrrhenika, Copenhague, 1941, p. 142; E. Fiumi, La fades arcaica... (art. cité), fig. 16, p. 291, 292; Mostra etr. Mil. n. 256 (entre 550 et 500); H. Busch et G. Edelmann, Etruskische Kunst, Francfort, 1969, p. 119. Cf. Fig. 8. 59 En particulier pour le schéma des plis du chiton, tendant à rejoindre la paryphé en ondes progressivement tangentes à cette dernière, cf. G.M.A. Richter, Korai (cité), n. 516 (Koré de Didyme au Musée de Berlin); ibid., n. 491-494 (Korè provenant du temple d'Héra à Samos. Pour le schéma des deux kolpoi de part et d'autre de la ceinture, ibid., n. 441-444 (Grèce continentale, vers 530-520) et surtout, ce détail, dans la série ionienne, cf. C. Blümel, o.e., p. 52 n. 49, fig. 135 (Milet); p. 44 n. 37 fig. 106 (Samos). Cf. Fig. 9.
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du Musée du Louvre60, on encore des produits comparables trouvés en Espagne 61. Si les influences ioniennes à Volterra ont été convoyées par Populonia, l'origine ou l'intermédiaire maritime de ces contacts se déduit (quand nous n'aurions pas d'autre indice) de la sphère artistique et de la chronologie des œuvres grecques de référence. Ces dernières se situent en majorité dans le dernier tiers du VIe siècle. La stèle et le petit bronze sont à dater de la même période, peut-être plutôt de la fin du VIe ou du début du Ve siècle. Or nous savons qu'en 545 la bataille d'Alalia n'a été qu'un épisode signi ficatif de l'intensité des rivalités commerciales et de la piraterie dans une zone de la mer tyrrhénienne comprise entre l'Archipel Toscan, la Sardaigne, Populonia, l'Elbe et la Corse. La victoire « à la cadméenne » sur les Cartha ginois et les Etrusques de Caere (il n'est pas question de l'Etrurie du Nord) ne suffit sans doute pas aux Phocéens pour s'assurer de la sécurité des communications commerciales entre l'Archipel Toscan, la Sardaigne et la Corse, mais il leur resta probablement leurs points d'appui septentrionaux par l'île d'Elbe et par Populonia62. Depuis Populonia, fondée par un mysté rieux peuple venu de la Corse63, jusqu'à la vallée de l'Arno, les témoignages
60 A. De Ridder, Les bronzes antiques du Louvre, Paris, 1913, I, p. 40, n. 226, pi. 22; P. I. Riis, o.e., p. 128, pi. 22,4. 61 Pour le rapprochement entre le bronze du Louvre et celui de Madrid, cf. E. Kukahn, Unas relaciones especiales entre el arte oriental griego y el occidente, dans Actes du Simposio de Colonizaciones, Barcelona - Ampurias, 1971 p. 109 sq; P. J. Riis, o.e., p. 142, note que la statuette du Louvre (ibid., p. 128, pi. 22, 4) de provenance inconnue (peut-être assimilable à un bronze de Pérouse, cf. A. De Ridder, loc. cit.) ferait une excellente contrepartie à la sta tuette de Munich provenant très probablement de Volterra. Pour nous, tous ces petits bronzes sont des produits (originaux ou imitations) de diffusion de l'art oriental grec en occident. 62 Sur la bataille d'Alalia, cf. en dernier lieu (avec bibl. ant.) l'article de M. Gras dans Latomus, 1972, 2, p. 698 sq., en particulier p. 712 sur les itinéraires maritimes et sur l'impor tancede la région de Populonia et de l'île d'Elbe en fonction du second itinéraire vers la Sardaigne. 63 Servius ad Aen. X, 172: «quidam Populoniam, post XII populos in Etruria constitutos (c'est nous qui soulignons et cette phrase est importante pour conclure qu'il ne s'agit pas d'une migration préhistorique ou protohistorique), populum ex insula Corsica in Italiam venisse et condidisse dicunt: alii Populoniam Volaterranorum coloniam tradunt: alii Volaterranos Corsis eripuisse Populoniam dicunt». Vingt ans avant la prise de Phocée (Hérodote I, 165) =vers 565 les Phocéens avaient fondé leur colonie d'Alalia et l'on doit penser à cette première vague de colonisateurs pour une fondation phocéenne de Populonia. Populonia a d'ailleurs tous les carac tères d'un établissement phocéen par sa structure d'emporium sur la mer (cf. Strabon V, 2, 6) et le passage se référant à une conquête de Volterra sur la ville pourrait illustrer les rapports de nature complexe, qui se tiennent ordinairement entre une emporium et sa χώρα, entre les
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA)
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ne manquent pas sur la présence de navigateurs orientaux sur le rivage64. Le trésor trouvé à Volterra65, composé en partie de pièces de Phocée, en partie d'imitations (peut-être dues à un atelier local), confirme la réalité de certaines influences orientales à Volterra. La stèle CIE 50 qui rappelle de près certains types de la statuaire de l'Ionie nous paraît avoir sa place au sein d'une telle problématique historique. Bien plus, au-delà du cas particulier de la stèle CIE 50, il est tentant de rattacher l'ensemble des stèles de Volterra à une problématique unique, celle des influences ioniennes liées à la présence de navigateurs orientaux sur la côte et en particulier à Populonia. Une telle optique nous permettrait de mieux prendre la mesure de cet art funéraire à la fois si ingénument local et si étrangement ouvert à des schemes lointains. Les remarques de M. Pallottino sur la stèle d'Avile Tite pourraient trouver un éclairage adéquat dans le même contexte historique. La stèle d'Avile Tite η obéit pas seul ement à un schéma figuratif anatolien présent également à Xanthos65. Elle appartient tout entière à la lignée stylistique des reliefs lyciens de la seconde moitié du VF siècle 67.
Phocéens et les indigènes; sur le caractère des fondations phocéennes et de la colonisation phocéenne, cf. E. Lepore, Strutture della colonizzazione focea in Occidente, dans Nuovi Studi su Velia, Par. del Passato, 130-133, Naples, 1970, p. 19 sq., en particulier p. 33-34. 64 Cf. F. Gamurrini, dans Per. Num. Sfragistica, 4, 1872, p. 208-209; ibid., 6, 1874, p. 50-57, η. 4, p. 68, trésor trouvé près de Cecina avec monnaies de Populonia et de Marseille (trésor plus récent que celui de Volterra). Pour les fameuses pièces en or trouvées dans la zone comp rise entre Populonia, Pise, Lucques, nous renvoyons aux discussions (à paraître) du Congrès International de Numismatique, Naples, avril 1975. 65 Cf. la communication de Mme Cristofani-Martelli sur le trésor de Volterra (Naples, Congrès international de Numismatique) justement mis en rapport avec un certain nombre d'œuvres influencées par le style ionien dont la tête Lorenzini (cf. A. Andren, dans Antike Plastik, 7, 1967, p. 29 sq., pi. 14-16, fig. 9 et R. Bianchi Bandinelli, dans Dial di Arch., 1968, 2, p. 227 sq. fig. 1-3 pour qui la tête Lorenzini est plutôt attique) et notre stèle. A propos d'in fluences attiques on peut rappeler avec G. Vallet et F. Villard que les Phocéens ont probablement été auprès des Etrusques les intermédiaires du commerce et de l'art attiques. Cf. G.. Vallet-F. Villard, Les Phocéens en Méditerranée occidentale à l'époque archaïque et la fondation de Hyele, dans Velia e i Focei in Occidente, Par. del Passato, 108-110, Naples, 1966, p. 175. 66 M. Pallottino, art. cité dans Etudes etrusco -italiques. 67 Pour la perruque « à étages » on comparera avec la Tombe des Lions de Xanthos (vers le milieu du VIe siècle), cf. E. Akurgal, Griechische Reliefs des VI Jahrhunderts aus Lykien, p. 27; ibid., p. 28 sur l'aspect dessiné plus que sculpté de la ligne du corps. Pour le dessin du corps, cf. la tombe d'Isinda (un peu avant 530 av. J.-C); Id., Die Kunst Anatoliens (cité) p. 135, fig. 85 (perruque à étage du joueur de lyre et dessin du corps).
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Ainsi nous devons affronter deux séries de problèmes que nous évo querons ici rapidement plus pour ouvrir des perspectives que pour apporter des conclusions définitives. 1) On ne peut pas parler génériquement 68 d'influence ionienne ou d'Asie Mineure mais de points de contact précis qui ont une répercussion immédiate sur les conditions de la création des stèles. On a avancé l'hypo thèse très plausible de la présence d'artistes grecs69. Mais cet art ionien des stèles peut en réalité conduire à deux hypothèses: ou une fraction de la population indigène, en rapport avec les Grecs, utilise les formes et, nous dirions volontiers, les oripeaux ioniens, pour ses propres besoins de prestige; ou encore, certains étrangers70 (commerçants, courtiers) adoptés en pays
68 Cet aspect avait déjà été souligné par A. Minto (art. cité) comme par M. Pallottino, art. cité, p. 151-152 et repris dans le livre de P. Zazoff, Etruskische Skarabäen, Mayence, 1968, p. 19-20. 69 Cf. l'inscription Metru menecen (= Μήτρων έποίεσεν; C. De Simone, Die Griechische Entlehnungen im Etruskischen, II, Wiesbaden, 1970, par. 190, p. 231-233); A. Minto, Populonia (cité), p. 237. 70 On peut se demander quelle est l'origine de noms comme Tharnie (TLE 407), Leasie (CIE 50, s'il s'agit toutefois d'un nomen) ou même Ninie (CIE 1, Fiesole). Lors du dernier congrès d'Etudes étrusques (Grosseto, mai 1975), C. De Simone a attiré l'attention sur Zarmaie(s'), cf. SE, 39, 1971, n. 26, p. 353 et pi. LXXIII ^ulci) et -Zarmas (Asie Mineure). Nous rappelons à ce propos que la stèle de Grosseto d'après A. Mazzolai (loc. cit. supra) porte l'inscription... maies. Nous nous demandons de même si les suffixes -ie ou -nie (cf. H. Rix, o.e., p. 296-297) ne cachent pas d'autres noms de marque orientale. Cf. L. Zgusta, Kleinasiatische Personennamen, Prague, 1964, par. 253 (Δαρνος = Phrygie), ibid., par. 282-4 et note 79: Λείας masc; Id., Anatolische Personennamensippen, Prague, 1964, p. 58-59. Nenias; par. 3, p. 34-35 (-Zarmas/Ζαρμος, ce dernier nom peut-être celte?). Tharnie avec dentale sonore rappelle tarnas/nai gén. tarnes à Vulci, {TLE 318-321) avec dentale sourde. Si l'on doit traiter na(s) comme suffixe, tharnie pourrait être une variante construite avec suffixe -nie. Mais en admettant que la racine soit Tharn/tarn/Δαρν (Δαρν-ος/tarn-as) le problème serait très différent et nous devrions évoquer une possible adjonction du simple suffixe italique -ie à un nom étranger. Nous n'aurions pas alors à considérer (H. Rix, loc. cit.) le problème des gentilices en -ni (Tharme) pour ce nomen. En revanche, ce dernier problème se pose sûrement pour le dédicant de la stèle de Larth Tharnie: ... (?) uchulni. Ce nom, malgré l'état de la stèle, paraît complet et dans cette hypothèse il est tentant de le rapprocher de Ogulnius attesté (étr. gén.) dans la région de Chiusi et de Pérouse, et célèbre aussi (D.H., 20, 14, Liv. 10, 6 sq.) dans l'histoire de la plèbe romaine (cf. W. Schulze, ZGLE Berlin, 1904, p. 150-151). On notera, pour la phonétique de l'inscription, que la gutturale sonore a été préférée à la sourde, phénomène qui se rapproche peut-être de l'expression de cette même préférence dans le cas tharnie, tarnas, évoqué ci-dessus. Ajoutons que dans la même série des noms d'origine asiatique, le problème se pose pour arch, tatanas (Orvieto, Tufo del Crocefisso, SE, 30, n. 14, p. 144) et Τατανης, L. Zgusta, o.e.,
NOTE SUR LA STÈLE «CIE I, 50» (VOLTERRA)
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étrusque font commissionner à des artisans locaux un monument funéraire à la mode de leur pays. 2) La réalité d'un apport ionien à travers le commerce phocéen suppose que l'on établisse aussi un parallélisme chronologique entre une certaine culture, sa transmission et son expression avec les moyens locaux. Sans doute ne doit-on pas trop relever la chronologie de ces stèles et les faire remonter à un orientalisant ancien71. Sans doute est-il vain d'établir une chronologie absolue pour chaque monument. Cependant, le style est un des éléments qui pourrait faire établir le point de concentration de ces monum ents vers 530+ 10. La stèle CIE 50 semblerait la plus récente dans la mesure où la série de la statuaire ionienne parallèle peut comporter des représentants encore au début du Ve siècle 72. Un autre élément qui pourrait faire surgir d'autres parallélismes chronologiques est l'écriture. Nous ne voulons souli gner qu'un seul fait en rappelant que dans le domaine ionien le thêta pointé fait son apparition vers le milieu du VIe siècle 73. Or la stèle de Larth Tharnie
par 1517-28, p. 505); ree. tatanus (colombe de Volterra) et Τάτανος (Mys. Pergame, lycie, ibid. par. 1517-27, p. 699). 71 Tendance, selon nous, trop marquée chez A. Hus, Recherches sur la statuaire en pierre étrusque archaïque, Paris, 1961 (BEFAR 198), p. 508 (vers 600), et Id. dans MEFR, 71, 1959, p. 26 sq., en particulier p. 31. S'il n'est pas douteux que certains produits orientalisants anciens (notamment de petits bronzes) attestent la précocité de certains contacts avec l'Orient, cf. A. Hus, art. cité, p. 9 sq., J. C. Balty, dans Bull. Inst. Hist. Belge, Rome, 33, 1961, p. 5-68, ibid., 37, 1966, p. 1-16, les stèles de Volterra n'appartiennent pas à ce courant ancien. 72 Si la stèle est effectivement recentior, il peut s'agir d'une écriture délibérément archaïsante. Sur l'écriture des stèles de Volterra, cf. quelques notes contenues dans l'article de M. Cristofani, Sull'origine e la diffusione dell'alfabeto etrusco, dans Festchrift Vogt, Berlin, 1972, p. 466-489, en part. p. 482, et le récent commentaire du même auteur dans SE, 41, 1973, p. 284, cité supra, ainsi que dans la note de F. Nicosia dans SE, 35, 1967, p. 516 sq. (stèle de Montaione). Le Thêta à point central apparaît, semble-t-il, dans l'alphabet de Colle (E. Buonamici, Epigrafia etrusca, Florence, 1932, pi. IV, fig. 6 et p. 110-111, si toutefois les dessins conservés de cet alphabet constituent des points de référence suffisamment sûrs (cf. A. Neppi Modona, dans Rend. Lincei, 62, 1926, p. 508 qui souligne que d'après les dessins cet alphabet aurait comporté également un samesh). 73 M. Guarducci, Epigrafia greca, I, Rome, 1967, p. 259; L. H. Jeffery, The local scripts of Archaic Greece, Londres, 1961, p. 325. Le Thêta pointé apparaît sur une dédicace d'Aiakes à Héra (Samos) env. de 525-520 (ibid., η. 13), à Milet {ibid., η. 33) et peut-être avant (vers 540-525) sur un vase de Klazomènes (ibid., η. 63). D'autres exemples (Attique, ibid., p. 66, n. 16 = vase François vers 570) et n. 24 (canthare de Nearchos vers 550). Eretrie (n. 9, p. 87), Béotie (n. 1, p. 44) peuvent faire penser à certains emplois antérieurs à 550, mais l'usage le plus
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comporte précisément un tel thêta qu'il est tentant de replacer non seul ement dans la perspective de l'évolution propre de l'alphabet étrusque, mais encore, s'agissant d'une création dont les liens avec l'art ionien oriental sont reconnus, dans la perspective d'une possible influence. Les problèmes que nous venons d'évoquer ne peuvent naturellement trouver de résolution adéquate dans le cadre de cet article. Il nous aura suffi d'attirer l'attention sur un monument méconnu, la plus ionienne peutêtre des stèles de Volterra74, comme il nous est agréable de soumettre ces réflexions à M. Heurgon après les récentes discussions du congrès de Naples.
Note additionnelle: Le nom de Larth Tharnie rappelle celui des habitants de Τάρνη πόλις Αχαίας, ό οίκήτωρ Τάρνιος και τάρνια έργα (Steph. Byz., s.v. Τάρνη). Mais nous savons d'autre part que Τάρνη était l'ancien nom de la ville de Sardis en Lydie (cf. Schol. ad II. V, 44: Τάρνης πόλις Λυκίας {leg. Λυδίας) ή νυν Σάρδεις. Eustath. ad IL, p. 270, 33: Τα δε σχόλια γράφουσιν οτι ήν και Τάρνη τις πόλις Αχαίας). Originellement Tharnie pourrait donc vouloir dire «habitant de Τάρνη», ce qui nous reporte à la Lydie dans le cas d'une des deux villes mentionnées, et serait intéressant s'il est vrai, comme nous avons voulu le démontrer, que les stèles de Volterra dépendent étroitement pour leur naissance des rapports avec la Méditerranée orientale, en fonction notamment de la présence phocéenne à Aleria et probablement aussi à Populonia.
courant s'établit, semble-t-il, dans la seconde moitié du VIe s. car c'est le Thêta pointé qui fait figure d'innovation et le Thêta à croix qui fait figure de persistance (pour les exemples, ibid., Phocide, p. 100, Corinthe, p. 115, Argos, p. 154, Laconie, p. 183, Arcadie, p. 207, colonies achéennes, p. 249, Sicile, p. 262, îles Egées, p. 289). 74 Rappelons encore le miroir (inv. n° 921) du Musée Guarnacci (fonds ancien) représentant deux femmes coiffées du tutulus, vêtues à la mode ionienne, symétriquement opposées de part et d'autre d'un anthémion à palmettes évoquant encore Populonia. Cf. I. Mayer Prokop, Die gravierten etruskischen Griffspiegel archaischen Stils, (MDAi R, suppl. 13), p. 42, n° 55, pi. 49, 2.
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA)
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;*>
(Photo de l'auteur) Fig. 1 - Stèle «CIE, I, 50».
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ν*··*
(Clichés:' a) DAI Athènes Nég. 70/1076 b) Staatl. Museen zu Berlin Nég. SK 74 69 D SK 74 71) Fig. 2 - Kouros du Cap Phonéas (a), de Myous (b, b').
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA)
(Cliché DAI Istamboul, P. Steyer, Nég. Di 64/21)
Fig. 3 - Kouros de Didyme (fragment K. 29, K. Tuchelt, o. c, pi. 30, 1).
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(Cliché: DAI Rome, Neg. 54.524) Fig. 4 - Hydrie E 702 du Louvre.
(Cliché: DAI Rome, Neg. 32.109) Fig. 5 - Hydrie du Vatican.
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA)
(Cliché: DAI Istamboul, W. Schiele, Nég. Di 65/10) Fig. 6 - Kouros de Didyme (Profil droit de la fig. 3 supra).
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(Clichés: a) DAI Athènes, Nég. 70/1082 b) Staatl. Museen zu Berlin Nég. SK 6848) Fig. 7 - a) Profil droit du Kouros du Cap Phonéas; b) Profil gauche du Kouros de Myous.
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA)
ι *
(Cliché: C. H. Krüger-Moessner Nég. KM 2595)
(Cliché: Staatl. Museen zu Berlin Nég. SK 74S2)
Fig. 8 - Bronze de Munich (n° 3678).
Fig. 9 - Korè de Berlin (SK 1744).
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MASSIMO PALLOTTINO
SUL CONCETTO DI STORIA ITALICA
L'argomento che qui si tratta fu da me affrontato come introduzione ad una serie di conferenze, dal titolo « Lineamenti di storia dell'Italia antica prima dell'unità romana (Sketch of a History of Ancient Italy before its Romanization) », tenute all'Accademia Americana in Roma e all'Università del Michigan, Ann Arbor, nell'anno 1968 per il Thomas Spencer Jerome Lectureship. Esso costituì anche la prospettiva di base della mia relazione sulla Magna Grecia e l'Etruria al Convegno di Taranto dello stesso anno 1968 \ ed è stato poi ripetutamente svolto ed approfondito in sede di corsi universitari a Roma e a Perugia. Ma vale forse la pena di riproporlo nel momento attuale all'attenzione di un più vasto pubblico di studiosi, ill ustrando le premesse storico-critiche di quella interpretazione unitaria del configurarsi e del divenire del mondo dell'Italia preromana (cioè anteriore al compimento del processo di romanizzazione politico-giuridica, linguistica e culturale) che si riassume nel concetto di « storia italica ». Dedicare il mio discorso a Jacques Heurgon non è che un naturale e doveroso riconosc imento del suo apporto, in prima persona, all'affermazione di questo indi rizzo di rinnovamento dei nostri studi. È noto che gli schemi fondamentali della storiografia scientifica mo derna del mondo classico cominciarono a definirsi tra la fine del XVIII e il principio del XIX secolo. In questo periodo apparvero le opere di W. MitG~ ford History of Greece (1784-1810) e di Β. Niebuhr Römische Geschichte
1 La Magna Grecia e Roma nell'età arcaica, Atti dell'VIII Convegno di studi sulla Magna Grecia, Napoli, 1969 (1971), pp. 35-48, e successivo intervento pp. 250-255. Nell'occa sione del Convegno e ad integrazione della mia relazione ritenni opportuno distribuire privat amente ai colleghi più interessati, in un numero limitatissimo di esemplari tirati a cura dell'Isti tuto di Etruscologia e Antichità Italiche dell'Università di Roma, il testo provvisorio della prima conferenza della serie «Jerome Lectures», che con tutti i necessari sviluppi e aggiornamenti costi tuisce la traccia del presente saggio.
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(1811-1832) nelle quali si riconosce generalmente l'avvio alle discipline che chiamiamo «storia greca» e «storia romana». Ma proprio negli stessi anni - con una coincidenza di date il cui valore, se non erro, è sfuggito agli studiosi - vedeva la luce il libro di Giuseppe Micali L'Italia avanti il domi niodei Romani (1810, con una successiva edizione nel 1821) 2. L'opinione corrente e tradizionale sull'opera del Micali è che essa appar tenga al filone erudito dell'antiquaria etruscologica ed italicistica del Sette cento di cui sarebbe un'espressione ritardata ed in certo senso conclusiva, priva di autentico interesse storico: ciò che tutto sommato riflette con inerte accettazione i giudizi negativi della critica ottocentesca3. Sembra per altro affacciarsi oggi l'opportunità di una più attenta e sensibile rilettura di quel testo, e di una sua sostanziale rivalutazione, non soltanto in rapporto alla vastità del disegno e alla sistematicità e coerenza di sviluppo della materia trattata, che non hanno precedenti 4, ma anche per quel che riguarda l'acqui sizione di una metodologia critica nel vaglio delle tradizioni antiche5, l'im-
2 È lo scritto basilare e di più genuina originalità del dotto livornese. La posteriore Storia degli antichi popoli italiani (1832) ne costituisce in gran parte un rifacimento con accentua zione erudita. Sull'opera del Micali, sul suo significato, sul suo ambiente e sulla sua fortuna si veda specialmente P. Trêves, Lo studio dell'antichità classica nell'Ottocento, Milano-Napoli, 1962, pp. xxi-xxiii, 293-343; cfr. ora anche J. Heurgon, La découverte des Etrusques au début du XIXe siècle, in CRAI, 1975, pp. 591-600. 3 A cominciare dal Niebuhr, Vorträge über römische Geschichte, 1846, I, p. 73, che con dannava L'Italia avanti il dominio dei Romani con giudizio sommario soprattutto per la sua mancanza di capacità analitica e per la preconcetta tesi antiromana. 4 A queste caratteristiche della sua opera va riferito l'intendimento espresso dallo stesso Micali di « entrare per una via non ancora da alcuno calcata » (Prefazione all'Italia, che cito, anche successivamente, dall'edizione U.T.E.T. 1887). La vastissima e multiforme letteratura settecentesca sull'Italia antica ebbe un carattere essenzialmente antiquario, nel senso della raccolta e dello studio dei monumenti, delle ricerche iconografiche e storico-religiose, delle disquisizioni epigrafiche, etimologiche, etnografiche ecc; ed anche quando toccò risultati di autentica validità storica, come nel caso dell'opera del Lanzi (cfr. M. Pallottino, Luigi Lanzi, fondatore degli studi di storia, storia della civiltà e storia dell'arte etrusca, in Studi Etruschi, XXIX, 1961, pp. xxvii-xxxviii), restò pur sempre legata ad una formula d'impianto di tratta zioni particolaristiche: mancò, cioè, di un tentativo di «storia scritta per la storia». Sul proble ma dei rapporti fra studi antiquari e studi storici si veda, tra l'altro, il saggio di A. Momigliano (1950) ripubblicato in Studies in Historiography, New York, 1966, pp. 1-39. 5 Cito le parole stesse del Micali: «... il buon gusto di critica, introdotto ai nostri giorni nello studio dell'erudizione, ci ha finalmente riscossi dal timido rispetto che prevaleva ne' tempi addietro per opinioni scritte e copiate da tanti secoli» (Italia, I, cap. IV, p. 65). Il procedimento critico viene poi subito precisato nei tre punti fondamentali della verosimiglianza logica, della comparazione reciproca tra le fonti e della imparzialità del giudizio.
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piego dei dati archeologici ed epigrafici come « fonti » di storia 6; e perfino una inclinazione singolarmente anticipatrice verso la storia concepita come risultato di condizioni ambientali, economiche e sociali 7. Lo stesso Leitmotiv antiromano e « antimperialista », di là dal suo possibile richiamo allusivo ai fatti contingenti dell'Italia sotto il dominio napoleonico (e prescindendo dalla fortuna che esso ebbe poi nel clima romantico del Risorgimento ita liano), ha valore di pensiero storico in quanto esprime sia pure in forma istintiva e passionale l'esigenza di rivendicare uno spazio cronologico, cultu rale e politico autonomo alle esperienze dei popoli dell'Italia preimperiale. L'Italia avanti il dominio dei Romani merita di essere restituita alla prospettiva del suo tempo e collocata sullo stesso piano delle opere della letteratura storica contemporanea, cioè della fase di passaggio dall'illum inismo al romanticismo. Come quelle sopra citate del Mitford e del Niebuhr essa si propose il fine di esplorare unitariamente uno dei grandi settori
6 Porre a fondamento dell'evidenza storica « il sussidio dei monumenti » a fianco, e sullo stesso piano, dell'« autorità degli scrittori» (Italia, I, cap. Ill, p. 50) è un rifarsi a temi già largamente dibattuti sul piano teorico nei secoli precedenti (cfr. Momigliano, Studies in Histo riography cit., p. 13 sgg.). Ma l'atteggiamento del Micali nei riguardi dei resti materiali dell'anti chità si differenzia da quello degli eruditi del Settecento in quanto tende a spostare l'interesse dall'oggetto considerato in sé e per il suo significato particolare (storico-religioso, storico-artistico, linguistico ecc.) al suo valore generale e mediato di testimonianza storica: significativa a questo proposito è la dichiarata «finalizzazione storica» del tipo tradizionale delle raccolte iconografiche negli Antichi monumenti per servire all'opera intitolata l'Italia avanti il dominio dei Romani (1810) e nei successivi Monumenti inediti a illustrazione della storia degli antichi popoli italiani (1844). 7 Sui rapporti tra ambiente naturale, risorse, produzione, strutture sociali e progresso storico si considerino tra l'altro le osservazioni, a volte sottilissime, dei primi due capitoli di Italia, I (pp. 37-49). Sul passaggio dalle primitive piccole comunità egualitarie di villaggio alle loro associazioni confederali e ai più evoluti organismi urbani con poteri accentrati e sviluppo delle aristocrazie non potrebbe forse, nelle grandi linee, dirsi meglio oggi, a parte le conferme e le precisazioni dell'archeologia preistorica che mancavano al Micali (vedi specialmente Italia, I, cap. II, pp. 48-49, e cap. XXI, pp. 187-203): da notare tra l'altro la proposta interpretazione degli aspetti e dei limiti originari del potere regio alla luce della comparazione etnologica con i capi delle tribù degl'Indiani d'America, che riflette quelle tendenze speculative della fine del XVIII e del principio del XIX secolo dalle quali trarrà origine la socio-antropologia moderna (cfr. E. E. Evans-Pritchard, Introduzione all'antropologia sociale, Bari, Laterza, 1971, p. 29 sgg.). L'interesse del Micali per i problemi sociali si manifesta anche, ad esempio, nel quadro sobrio e preciso che egli ci offre della posizione della donna nel mondo etrusco (Italia, I, cap. XXIII, pp. 238-242), prima che questo tema fosse alterato dalla suggestione del mito matriarcale di J. Bachofen (per essere poi magistralmente ricondotto nei suoi reali termini storici ai nostri tempi da J. Heurgon, La vie quotidienne chez les Etrusques, Paris, 1961, p. 95 sgg.).
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« reali » della storia dell'antichità classica. Nello stesso momento e nello stesso clima di progresso degli studi storici affioravano dunque, definiti e paralleli, i tre temi della Grecia, dell'Italia, di Roma. Ma quale sarà poi il loro ulteriore sviluppo? Nel corso del secolo XIX i filoni della « storia greca » e della « storia romana » continueranno e cr esceranno ininterrottamente fino a dominare l'intero campo dell' Altertums wissenschaft positivistica e postpositivistica. Al contrario il filone della « storia italica » si isterilirà e finirà con l'interrompersi 8. Ciò spiega perché i libri del Mitford e del Niebuhr siano tuttora considerati alla base di una esperienza storiografica viva, mentre quello del Micali restò confinato e dimenticato sul binario morto dell'erudizione prescientifica, fuori di ogni interesse critico-bibliografico. Naturalmente la causa essenziale della fortuna della storia greca e della storia romana, come concetti e come discipline accademiche, si identifica con la esistenza stessa di una letteratura storica greca e latina. Per la predo minante impostazione filologica dello storicismo ottocentesco la storia era legata essenzialmente alla utilizzazione e all'interpretazione delle fonti lette rarie. Si aggiunga che essa fu concepita soprattutto come narrazione delle vicende politiche, militari, istituzionali, cioè come specchio dell'attività delle classi dominanti; ebbe lògicamente quell'inquadramento per unità etniche seguite diacronicamente attraverso tutto il loro sviluppo (nel senso di una
8 All'opera del Micali si affianca e fa seguito un'intensa produzione di scritti dedicati alla storia e all'etnografia dell'Italia primitiva, come quelli di M. Delfico, D. Romagnosi, S. Campanari, A. Mazzoldi, A. Bianchi Giovini - ultima, già oltre la metà del secolo, la Storia dell'Italia antica di A. Vannucci (1863) -, nei quali in parte sopravvive lo spirito dell'erudizione settecentesca, in parte si esprimono, attraverso allusioni più ο meno velate, i sentimenti patriottici del tempo. Non fa meraviglia trovare impegnati sul tema dell'Italia preromana scrittori del Risorgimento italiano quali Carlo Cattaneo e Cesare Balbo; e alcuni dei motivi fondamentali del pensiero storico del Micali, specialmente la rievocazione e rivendicazione dei valori del pluralismo italico e la posizione antiromana, ebbero un profondo influsso sull'intero romanticismo risorgimentale. Queste correnti sono state acutamente indagate da B. Croce, Storia della storiografia italiana nel secolo decimonono5, I, Bari, 1947, pp. 52, 110 sgg.; cfr. anche. F. Mascioli, Anti-Roman and Pro-Italie Feeling in Italian Historiography, in Romanie Review, XXXIII, 1942, pp. 366-384, e Trêves, op. cit. alla nota 2, stesse pagine e p. 725 sgg.; per l'influenza del Micali sulla cultura francese vedi Heurgon, op. cit. alla nota 2, p. 4 sgg. Così recepita e sentita soprattutto nella sfera politico-ideologica - e forse proprio per questo - l'eredità del Micali non fruttificò in una scuola storica vitale, al passo con i tempi: le voci dei suoi più ο meno modesti epigoni « rimasero soffocate da quelle ben più possenti della scienza critica tedesca, la quale seguitava imperturbab ile ad affiancare alla storia "greca" non una storia "italica", ma una storia "romana"» (G. Giannelli, Trattato di storia romana, I, Roma, 1953, p. 8).
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« storia di popoli ») che era suggerito dalle tendenze del nazionalismo allora dominante; e adottò largamente gli schemi evoluzionistici delle scienze natur ali dell'età del positivismo. Tutti questi motivi concorsero al formarsi e al caratterizzarsi, in modo determinante e per taluni aspetti irreversibile, di due grossi « blocchi » storiografici destinati ad includere e ad esaurire l'intera problematica degli studi storici sull'antichità classica. L'idea di una « storia italica » era viceversa contraria e quasi ripugnante ai princìpi della scienza del secolo XIX. Ad essa faceva difetto il supporto di una tradizione letteraria originale ed unitaria; gli stessi dati superstiti ricavabili dalle fonti greche e latine erano così scarsi da apparire piuttosto « frammenti di storia » che « storia ». All'Italia preromana era mancata quella unità linguistica, etnica, culturale e quella continuità evolutiva che erano state proprie, nello stesso tempo, del mondo greco; il suo territorio appariva suddiviso in gruppi di genti diverse, più ο meno definibili, a livelli di sviluppo quanto mai vari, talvolta conosciute soltanto dal nome. La soluzione abor tiva del tema proposto dal Micali al principio del secolo non fu dunque un fatto casuale, ma piuttosto la logica conseguenza di un orientamento di studi che portò a disconoscerne sul piano generale la validità come schema ο concetto storico. Al posto di una visione unitaria dei fatti dell'Italia antica prima della romanizzazione non potevano proporsi che visioni parziali delle singole popolazioni e culture. Da una parte la forza degli schemi storiografici dominanti fece sì che tutta la problematica più strettamente storica del mondo italico venisse a polarizzarsi, per così dire centrifugamente, verso la storia greca e verso la storia romana: la prima, in quanto interessava e riassorbiva lo studio dei fenomeni e delle vicende di una parte notevole del territorio italiano (com presa estensivamente la Sicilia) sul quale i Greci furono presenti come colonizzatori; la seconda, in quanto seguiva la nascita e la crescita di una città situata nel cuore stesso dell'Italia, le sue conquiste ed i suoi rapporti con l'ambiente circostante e con le popolazioni con le quali essa venne in progressivo contatto fino all'imporsi della sua dominazione su tutto il paese. La storia italica in quanto oggetto di studio degli storici si identificò, cioè, con la storia della grecita marginale della Magna Grecia e della Sicilia e con la storia di Roma monarchica e repubblicana. Da un'altra parte, per tutti i settori geografici e cronologici non « coperti » direttamente da questi campi di studio, e cioè per le rimanenti esperienze dell'Italia indigena, l'indagine descrittiva e ricostruttiva rimase affidata quasi esclusivamente agli archeologi e ai linguisti, non oltrepassando i limiti del metodo e dei risultati di queste discipline specialistiche (pur fortemente incrementate dalle scoperte e dal loro intrinseco progresso e raffinamento
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critico) e assumendo pertanto un carattere di etnografia protostorica piuttosto che di storia vera e propria. In tale prospettiva il mondo degli Etruschi venne a trovarsi ovviamente in una posizione di assoluta preminenza non solo come materia di studio di vecchia tradizione, ma anche e soprattutto per l'intrinseca superiorità della sua esperienza civile nel quadro dell'Italia preromana. Tuttavia l'etruscologia, nonostante la relativa ricchezza delle memorie della tradizione e la stessa abbondanza dei documenti scritti origi nali, non raggiunse neppur essa una vera e propria impostazione storica, di là dal contributo analitico dei filologi, degli epigrafisti, dei linguisti, degli archeologi, degli storici dell'arte, della religione, delle istituzioni, dei costumi e così via. Per il resto l'interesse degli studiosi si rivolse alla identificazione e, per quanto possibile, alla conoscenza dei singoli popoli, come i Sanniti, gli Umbri, i Veneti, gli Apuli ecc. e alla illustrazione delle varie culture archeologiche locali, più ο meno precisamente identificabili - e in diversi casi non identificabili affatto - con queste entità etniche: culture indagate per lo più nell'ambito e con i metodi degli studi preistorici. Per oltre cento anni - proprio i più fecondi e progressivi per la risco perta dell'antichità classica - si è dunque praticamente negata una « storicità » intrinseca ed autonoma dei problemi dell'Italia preromana; si è anzi addi rittura lasciato questo settore d'indagini e di conoscenze ad un livello di raccolta di dati, di analisi frammentarie condotte con metodi diversi, di interpretazioni parziali e provvisorie, aventi piuttosto carattere « antiquario » che storico: cioè in una condizione che, richiamando in qualche modo il frammentismo erudito del Settecento, potremmo dire di « sottosviluppo » rispetto agli studi contemporanei sul mondo greco e sul mondo romano. Che tale stato di cose possa aver perdurato a lungo nelle posizioni della critica moderna si spiega soprattutto considerando il prestigio della scienza ufficiale, specialmente germanica, e dei suoi orientamenti che tendevano a favorirlo, sovente imposti con intollerante dogmatismo anche sul piano meto dologico: per esempio nel senso della esaltazione paradigmatica della civiltà greca (culminata e riassunta nel neoumanesimo di Helmut Berve) e nel disinteresse, per non dire il disprezzo, verso il « non greco » e il « non classico ». Ma non potevano mancare di manifestarsi nel frattempo, come di fatto si sono manifestati particolarmente negli ultimi decenni, motivi di disagio e sintomi di reazione. Il continuo e sempre più intenso accrescimento - dive nuto addirittura vertiginoso ai nostri giorni - delle scoperte archeologiche ed epigrafiche sulle civiltà degli Etruschi e degli altri popoli e centri del l'Italia antica, incluse le colonie greche, era venuto a poco a poco mostrando con incontrovertibile evidenza la reale dimensione quantitativa e qualitativa
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di queste esperienze nel quadro generale del progresso storico-culturale e storico del mondo antico, tale da rendere sempre meno accettabile una loro valutazione secondaria, marginale e frammentaria. Del resto la stessa concezione generale degli studi di storia antica aveva subito sensibilissimi sviluppi rispetto alla fase della loro impostazione ottocentesca. Essa si era andata progressivamente aprendo, di là dalla reinterpretazione dei dati della storiografia classica, all'impiego globale di tutte le possibili fonti di conoscenza, epigrafiche, numismatiche, monumentali, figu rate. I suoi interessi si erano estesi alla ricostruzione delle condizioni sociali, economiche, della vita, della tecnica, dei costumi. Soprattutto si era venuto superando il principio delle storie nazionali con l'affermarsi di nuove e diverse prospettive di « storia universale », di « storia epocale », di storia particolare di singoli ambienti, ceti sociali e così via. In ogni settore delle ricerche storiche e socio-antropologiche si manifestavano nette reazioni ai modelli evoluzionistici e deterministici. Si può dire che siano così cadute ad una ad una le principali preclusioni concettuali che avevano portato nel corso del XIX secolo al soffocamento dell'idea di una storia autonoma ed unitaria dell'Italia preromana. Tutto ciò premesso non fa meraviglia che il problema della « storia italica » sia venuto a poco a poco riaffiorando e riproponendosi alla tematica delle generazioni più recenti. In quali termini e con quali prospettive vedre mo subito nelle pagine che seguono.
Nello schema tradizionale e corrente della storia romana concepita come descrizione dello sviluppo continuo ed « organico » di Roma dalla sua nascita all'affermazione universale dell'impero il mondo italico appare soltanto di scorcio, quale premessa iniziale di ambientazione etnografica e materia collaterale dei capitoli riguardanti la conquista della penisola: cioè sotto un profilo « esterno » ed accessorio rispetto al vero ed unico oggetto d'interesse storico, che è Roma, e attraverso quell'ottica esclusivamente romana che era già stata propria degli annalisti latini. Ma Roma è, essa stessa, parte del mondo italico. Questa semplice realtà non sfuggì agli antichi, né poteva alla lunga sfuggire alla riflessione critica dei moderni. Il pensiero storico antico aveva acquisito, almeno fin dall'inizio dell'età ellenistica e indipendentemente dalle progredienti fortune di Roma, una nozione dell'Italia come entità definita e distinta non solo geografica mente, ma anche per i suoi caratteri etnici e per le sue tradizioni, espe rienze e vicende; cosicché, di fronte alla conquista romana, esso era stato
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necessariamente portato a proporsi il problema del rapporto, che oggi diremmo dialettico, di opposizione ο di convergenza, fra Italia e Roma, per cui l'Italia diveniva un fattore « interno » ed essenziale della storia di Roma (come Roma della storia dell'Italia) 9. Proprio da questo problema inquietante e sottile nasce una nuova propensione della storiografia moderna a considerare i valori del mondo italico con sempre maggiore interesse sul piano della coscienza storica - non più dunque soltanto al livello dell'acquisizione e dell'accumulo di conoscenze - rispetto alla impostazione rigidamente romanocentrica dello storicismo romantico-positivistico. Non si può tuttavia parlare, almeno per un primo tempo, di svolta ο di rottura degli schemi ottocenteschi. Si tratta piuttosto di un orientamento volto a conciliare, nel quadro inter pretativo, italicità e romanità, studiati come fenomeni (e concetti) intrecciati e paralleli, se non addirittura identificabili. È significativo a questo proposito che già Theodor Mommsen nella sua famosa Römische Geschichte avesse dichiarato esplicitamente di voler raccontare piuttosto la storia dell'Italia che non la storia di Roma, in quanto Roma aveva dato forma ad una materia italica10: che è quanto dire che il rapporto fra Italia e Roma veniva inteso decisamente nel senso della conti-
9 Sul formarsi e sull'affermarsi del concetto d'Italia (e tendenzialmente di una storia e storiografia dell'Italia) nell'antichità si veda specialmente S. Mazzarino, // pensiero storico classico, Bari, 1966, II, 1, pp. 87-102, 212-230. Più particolarmente per il rapporto dialettico fra Italia e Roma cfr. M. Adriani , La tematica «Roma-Italia» nel corso della storia antica, in Studi Romani, XVI, 1968, pp. 134-148. La considerazione di un nesso delle diverse popolaz ioniitaliche fra loro e con la Magna Grecia, come prima immagine unitaria del mondo dell'Italia antica, sembrerebbe già percepibile nel IV secolo in ambienti di tradizione pitagorica, stando all'interpretazione data dal Mazzarino di un frammento del filosofo tarantino Aristoxenos. Del resto l'Italia rappresenta ormai una realtà territoriale definita anche sul piano politicogiuridico nel trattato romano-cartaginese del 306 a.C. che la attribuiva alla sfera d'influenza di Roma. Gli scrittori latini, molti dei quali di origine «italica» piuttosto che «romana» (anche i più antichi: si pensi alla formazione, riassuntiva delle esperienze di una koinè italiana, cioè greca, italico-orientale e latina, dell'apulo Ennio, che si vantava di possedere tre «cuori»: Gellio, XVII, 17, 1) propendono verso interessi italici comuni fino a sfiorare l'idea di una storia «nazionale»: tendenza che, già significativamente espressa nell'impianto tematico pluralistico delle Origines di Catone, trovò la sua più compiuta manifestazione nel clima ideologico di restaurazione italica e di conciliazione e comune esaltazione di Roma e dell'Italia, che caratte rizzala letteratura augustea (su Virgilio come cantore delle res Italae si vedano specialmente le illuminanti pagine di U. von Wilamowitz nel saggio di cui si dirà più avanti, cit. alla nota 14, e di E. Paratore, Virgilio, Roma, 1945). 10 Cito dall'ediz. (Storia di Roma antica) Firenze, Sansoni, 1960, I, p. 15: « Se da un punto di vista formale fu Roma che con la sua struttura giuridica conquistò la signoria sull'Italia
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nuità e della concomitanza, così come si era presentato agli occhi dei Romani dell'età di Augusto (notiamo per inciso che questa impostazione mommseniana appare del tutto antitetica a quella del Micali che concepiva la dia lettica Italia-Roma come frattura e contrapposizione). L'intuizione proble matica del Mommsen resta tuttavia isolata, e teorica, in un contesto meto dologico e narrativo che è quello della « storia romana » scritta nello spirito del suo tempo. La possibilità di rimeditare la storia di Roma e della civiltà romana, soprattutto per le sue fasi più antiche, alla luce offerta dalla documentaz ione linguistica ed archeologica di altre popolazioni italiane e di ricostruire un tessuto di condizioni e di processi comuni e di influenze reciproche cominciò a farsi concreta, e cosciente, a partire dall'inizio del nostro secolo. Senza dubbio questo nuovo apporto non era, e non è, commisurabile alla soverchiante portata dell'evidenza interna e diretta della tradizione storica romana; ma per quanto limitato e frammentario esso si è venuto dimostrando singolarmente prezioso, se non talvolta addirittura determinante, ai fini della conferma, della rettifica, della precisazione e dell'accrescimento delle cono scenze derivanti dalla critica delle fonti letterarie. Un iniziale esempio di utilizzazione sistematica del materiale epigra fico non latino (più particolarmente etrusco), in funzione dello studio di un fenomeno di « circolazione » romano-italica quale è quello dell'origine de l 'onomastica personale latina, s'incontra nell'opera di W. Schulze Zur Geschichte Lateinischer Eigennamen (1904) n. Ma le iscrizioni etrusche, umbre, osche con il loro valore di fonti fresche, genuine, cronologicamente
e poi sul mondo, questa priorità non può essere confermata da un rigoroso esame storico. Quella che si è soliti definire la dominazione romana sull'Italia, ci appare piuttosto come l'unione di tutte le stirpi italiche in un solo stato; e di queste stirpi i Romani furono la più potente, ma solo un ramo di esse». 11 II tema dell'onomastica personale italica - che tocca alla radice il problema delle ident ità comuni e delle interrelazioni dei popoli della penisola sia sotto il profilo dell'unità tipolo gicadel sistema « bimembre » (peculiare ed esclusivo dei Romani, degli Etruschi e degli UmbroSabelli), sia per quel che riguarda lo scambio dei nomi di diversa origine linguistica come indizio di mescolanze demografiche - è stato ripreso, con particolare impegno di ricerche orien tate sia in senso linguistico sia in senso storico-sociologico, soltanto di recente: cfr. H. Rix, Das etruskische Cognomen, Wiesbaden, 1963; C. De Simone, Etrusco «tursikina»: sulla forma zione ed origine dei gentilizi etruschi in « -kina (-cina) », in Studi Etruschi, XL, 1972, pp. 153-181 (con riferimenti alla bibliografia immediatamente precedente, in particolare di G. Colonna e J. Heurgon); H. Rix, Zum Ursprung des römisch-mittelitalischen Fentünamensystems, in Aufs tieg und Niedergang der römischen Welt, I 2,_Berlin-New York, 1972, pp. 700-758; M. Cristo-
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immediate - anche se spesso di ardua interpretazione - e in continuo incre mento, concorreranno soprattutto a rinnovare, se non addirittura a rivolu zionare, il settore delle ricerche giuridico-istituzionali, a cominciare dal saggio di A. Rosenberg Der Staat der alten Italiker (1913), che subordinò per la prima volta la problematica strettamente romanistica ad una prospetti va italica comune. Si apre così quel lungo discorso che, attraverso il con fronto di molteplici esperienze disciplinari (epigrafiche, linguistiche, filolo giche, storico-culturali, giuridiche, sociologiche ecc), il giuoco di alterne accentuazioni polemiche (in senso a volte romanistico, a volte italicistico) e l'intreccio di complesse e sottili discussioni ed ipotesi - da ultimo incen trate soprattutto sul tema del passaggio dalla monarchia alla repubblica -, ha coinvolto, e tuttora coinvolge, una illustre schiera di storici e giuristi di diverse nazioni, quali tra gli altri E. Kornemann, F. Leifer, H. Rudolf, E. Meyer, S. Mazzarino, A. Alföldi, A. Momigliano, P. De Francisci, F. De Martino, F. Sartori, J. Heurgon, R. Werner, R.E.A. Palmer, A. Guarino 12. Il decennio 1920-1930 segnò, come è noto, un improvviso generale acuirsi d'interesse per la conoscenza delle civiltà preromane. Da un lato gli studi etruscologici, stimolati da nuove ricerche e scoperte archeologiche (come quelle di Veio e di Cerveteri), si trovarono a compiere progressi decisivi in tutti i campi, dall'approfondimento della problematica storica delle origini alle indagini sulla lingua e allo sforzo d'individuazione di un'originalità dell'arte etrusca rispetto alla greca; si avviarono ad organizzarsi in incontri scientifici internazionali e in istituzioni stabili di ricerca; diven tarono un fatto di cultura europea. Da un altro lato le esperienze delle popolazioni italiche, anche fuori dell'Etruria, cominciarono ad essere trattate in larghe visioni di sintesi. Né può trascurarsi la constatazione che, dal bilancio della grandiosa attività esploratrice di Paolo Orsi nei siti della Magna Grecia e della Sicilia e attraverso i contributi delle opere di storici come G. Giannelli e E. Ciaceri, si aprì parallelamente, nel medesimo periodo, una nuova e più moderna visione dei Greci in Italia: preludio allo straordi nario impulso di iniziative di scavo e di discussione scientifica che caratte-
fani, Diffusione dell'alfabeto e onomastica arcaica nell'Etruria interna settentrionale (e rela tiva discussione), in Aspetti e problemi dell'Etruria interna. Atti dell'VIII Convegno Nazionale di Studi Etruschi ed Italici. Orvieto 1972, Firenze 1974, pp. 307-339. 12 Bibliografia particolareggiata in Giannelli, Trattato di storia romana cit. pp. 35 sgg., 217 sgg.; R.E.A. Palmer, The Archaic Community of the Romans, Cambridge, 1970, p. 303 sgg.; Gabriella Poma, Gli studi recenti sull'origine della repubblica romana, Bologna, 1974.
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rizzerà questo settore nell'ultimo dopoguerra13. Tutto ciò avviava ad una ulteriore presa di coscienza del problema complessivo del mondo italico di fronte alle posizioni storiografiche tradizionali. È notevole che nel solo anno 1925 si siano concentrati tre avvenimenti scientifici particolarmente signifi cativi in tal senso: cioè la pubblicazione dei libri di E. Pais Storia dell'Italia antica e di L. Homo L'Italie primitive et les débuts de l'impérialisme romain, e la conferenza di U. von Wilamowitz tenuta a Firenze sul tema « Storia italica » 14. Vedremo subito quale più speciale significato abbia quest'ultimo fatto, cioè la posizione assunta dal Wilamowitz. Ma possiamo riconoscere intanto decisamente affermata, nel momento di cui si parla, la tendenza degli storici a trattare tutta la prima parte della storia romana fino all'unificazione della penisola come una storia italico-romana, relativamente a sé stante 15, ispi rata all'idea mommseniana di una sorta di condominio concettuale tra le due prospettive storielle dell'Italia e di Roma (di cui la prima concepita piutto sto in senso statico e condizionante, la seconda in senso dinamico ed inno vatore). È il caso, oltre che delle opere citate del Pais e di Homo, di numer osealtre successive, tra le quali si includono alcune di più particolare rilevanza critica e notorietà come quelle di K. J. Beloch, F. Altheim e
13 Per un quadro degli studi etruschi nella fase in discorso, sotto i vari aspetti e con i principali dati di fatto e bibliografici, rinvio alla mia Etniscologia6, ristampa, Milano, 1975, pp. 9 sgg., 299 sgg., 355 sgg., 435 sgg. (= The Etruscans, London, Allen Lane, 1975, pp. 27 sgg., 167, 193 sgg., 294 sgg.). Quanto alla cronaca degli eventi organizzativi - incentrati a Firenze per la prevalente iniziativa di A. Minto - si noti il loro addensarsi nelle date seguenti: 1925 costituzione del Comitato Permanente per l'Etruria, 1926 Convegno Nazionale Etrusco, 1927 pubblicazione del primo volume della serie Studi Etruschi, 1928 Congresso Internazionale Etrusco, 1932 creazione dell'Istituto di Studi Etruschi ed Italici. Per il mondo italico in gene rale ricordiamo l'apparizione delle opere: F. von Duhn, Italische Gräberkunde, Heidelberg, I, 1924; G. Patroni, La preistoria, Milano, 1927; D. Randall-Mac Iver, The Iron Age in Italy, Oxford, 1927 e Italy before the Romans, Oxford, 1928; U. Rellini, Le origini della civiltà italica, Roma, 1929; G. Devoto, Gli antichi italici, Firenze, 1931. Per la Magna Grecia: G. Giannelli, Culti e miti della Magna Grecia, Firenze, 1924; E. Ciaceri, Storia della Magna Grecia, Milano, 1927-1932. 14 Pubblicata in Rivista di Filologia Classica, n.s. IV, 1926, pp. 1-18. 15 Del resto generalmente nell'ambito degli studi di storia romana la storia repubblicana ha costituito e costituisce un settore d'interesse per molti lati diverso - nei problemi, nel metodo, nelle stesse persone dei cultori - rispetto alla storia dell'impero: « bipolarità » che si riflette in modo palese nella bibliografia. Sulla varietà delle prospettive tematiche e sulle es igenze unitarie della storia romana si veda tra l'altro Mazzarino, Storia romana e storiografia moderna, Napoli, 1954.
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L. Pareti 16. In esse appare ormai pienamente acquisita la consapevolezza di una inscindibilità non solo di Roma dalle comunità circostanti, ma anche dell'Italia anellenica dall'Italia greca: ciò che può riassumersi nel concetto di koinè greco-italico-romana proposto dal Mazzarino 17. D'altra parte non si può trascurare la considerazione, in verità essenziale, che anche per questi studiosi il rapporto dialettico tra l'Italia e Roma è concepito come continuità necessaria (nel senso dell'antica ideologia augustea e, aggiungiamo, dello spunto mommseniano) e che pertanto il destino dell'Italia resta in ultima analisi legato al « miracolo » di Roma che ne riassume unitariamente la molteplicità e ne conclude il comune travaglio; cosicché l'esperienza italica « si protende verso l'avvenire » ed « acquista significato soltanto in funzione di Roma » 1S: ciò che equivale ad affermare che, in sé, i fatti italici non filtrati attraverso Roma sarebbero pur sempre oggetto di mera erudizione, non di storia. La forza istintiva di questa persi stente convinzione e suggestione - cioè dell'italicità come premessa della romanità - si dimostra altrimenti, ad esempio, nella stessa formulazione del titolo di un libro dedicato ex professo ai popoli e alle civiltà dell'Italia pre romana, riassuntivo degli studi della fase immediatamente precedente e rimasto unico nel suo genere fino a questi ultimi anni 19: voglio dire J. Whatmough, The Foundation of Roman Italy (1937).
16 Cito nell'ordine cronologico, prescindendo da ogni distinzione valutativa del livello critico delle opere elencate: K. J. Beloch, Römische Geschichte bis zum Beginn der Punischen Kriege, Berlin-Leipzig, 1926; G. Giannelli, La repubblica romana, Milano, 1937; P. Ducati, L'Italia antica dalle prime civiltà alla morte di C. Giulio Cesare, Milano, 1938; F. Altheim, Italien und Rom, Amsterdam-Leipzig, 1941 (ripubblicato come Römische Geschichte. Die Grundlagen, Frankfurt a. M., 1951); L. Pareti, Storia di Roma, I: L'Italia e Roma avanti il conflitto di Tarante, Torino, 1952; G. Giannelli, Trattato di storia romana. I: L'Italia antica e la repubblica romana, Roma,. 1953; M. A. Levi, L'Italia antica. I: dalla preistoria all'unifica zione della penisola, Milano, 1968. 17 Già in Dalla monarchia allo stato repubblicano. Ricerche di storia romana arcaica, Catania (1945), pp. 5 sgg., 95 sgg., e poi con un ancor più ampio respiro dialettico in Fra oriente e occidente. Ricerche di storia greca arcaica, Firenze, 1947, p. 18 sgg. 18 Riporto i concetti e direttamente alcune espressioni di Altheim, Italien und Rom, p. 171 (= Römische Geschichte, p. 168) e Mazzarino, Dalla monarchia allo stato repubblicano, p. 123; Fra oriente e occidente, pp. 19-20. 19 Cioè fino all'apparizione dell'opera in più volumi, in corso di pubblicazione, Popoli e civiltà dell'Italia antica a cura di G. A. Mansuelli, M. Pallottino, A. Prosdocimi, Roma, Biblio tecadi Storia Patria, I-IV, 1974-1975.
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Non sono tuttavia nel frattempo mancati i segni di un ulteriore e più decisivo sforzo di superamento concettuale e metodologico delle impostaz ioni ottocentesche. Essi si erano manifestati già chiaramente nella citata conferenza del Wilamowitz, attraverso l'affermazione dell'originalità e della ricchezza dei valori di « vita » e di civiltà del mondo italico, della loro appar tenenza a tutte le stirpi dell'Italia antica compresa la greca, della loro influenza su Roma, del loro esaurirsi in conseguenza della romanizzazione: posizione che, rifacendosi esplicitamente al Micali, non solo sorpassa, ma addirittura rovescia le idee correnti, proprio in quanto nega un processo evolutivo continuo dai primordi italici al trionfo della romanità e considera quest'ultimo piuttosto come chiusura di un ciclo storico antecedente, in sé compiuto. Wilamowitz lanciò agli studiosi l'esplicito invito a scrivere una « storia italica » basata soprattutto sulla testimonianza dei monumenti, consi derati non più soltanto come oggetti di un interesse archeologico puramente descrittivo ed analitico, ma come autentiche fonti di storia, sostitutive, in questa specifica sfera culturale e cronologica, delle fonti letterarie: ciò che significa proporre - ο riproporre con più sicura formulazione critica - un criterio essenziale di individuazione e di valutazione autonoma dei fatti dell'Italia preromana al di fuori di ogni possibile giudizio alterato dalla visione a posteriori della storiografia romana. Non meno appassionatamente più tardi un archeologo, Amedeo Maiuri, nel suo saggio Problemi di archeo logiaitalica (1946) 20, richiamando il Micali e il Wilamowitz, raccomandava di trarre un frutto storico dal fecondo lavoro di riesumazione delle antiche civiltà italiane. La stessa esigenza, seppure in altri termini, è affermata da G. Devoto nella premessa della seconda edizione de Gli antichi Italici (1951): «dare un quadro moderno dell'Italia antica attraverso occhi non romani ». Su tale linea più avanzata di revisione si collocano in concreto diversi spunti di pubblicazioni recenti e recentissime relativi a singoli problemi storici, istituzionali e culturali dell'Italia preromana. Essi mostrano una ten denza sempre più spiccata a ravvicinare, comparare ed interpretare unitari amentefatti ed aspetti contemporanei finora considerati isolatamente nei separati àmbiti della Magna Grecia, di Roma, dell'Etruria, e così via: cioè a scavalcare ed entro certi limiti addirittura annullare le rigide frontiere
Ripubblicato in Saggi di varia antichità, Venezia, 1954, pp. 47-58.
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non soltanto metodologiche ed operative, ma anche e specialmente psicolo giche,finora esistenti nonostante tutto fra le rispettive discipline accademiche tradizionali della storia greca, della storia romana, dell'etruscologia ecc; e - ciò che più conta - a ricollocare questi fatti ed aspetti nel loro tempo e nel loro livello di sviluppo socio-culturale, prescindendo dalla suggestione di « ciò che verrà dopo » e dal modo con cui essi poterono essere, dopo, ricordati ο rappresentati in situazioni storiche e con mentalità del tutto differenti. Si tratta di osservazioni che si concentrano su punti ο temi divenuti di più vivo interesse negli ultimi anni (anche a seguito di alcune sensazio nali scoperte archeologiche come quelle degli elogia degli Spurinna di Tarquinia, delle lamine d'oro inscritte di Pyrgi e dei dipinti della tomba del Tuffatore di Posidonia 21). Consideriamo ad esempio tutto il rinnovato fer vore di discussioni sul problema dei rapporti fra Roma e la Magna Grecia - dagli studi di F. Sartori e D. Van Berchem alle relazioni e alle discus sioni del Congresso di Taranto del 1968 ricordato in principio22 - e più generalmente i molteplici richiami ad una visione unitaria della civiltà arcaica dell'area greco-tirrenica (intendendo con « tirrenica » la fascia costiera dalla Campania al Lazio e all'Etruria) per ciò che concerne lo sviluppo e gli ordinamenti delle poleis, la religione, la vita intellettuale e materiale, le correnti artistiche e così via, nel senso tra l'altro più volte suggerito da chi scrive 23. Si annotino anche gli accostamenti fra dati del mondo greco, etrusco
21 Per la specifica importanza di questi rinvenimenti ai fini del problema di cui si tratta, cioè delle interrelazioni e dei comuni sviluppi fra diversi ambienti storico-culturali dell'area italica, vedi le successive note 23 e 24. 22 F. Sartori, La Magna Grecia e Roma, in Archivio storico per la Calabria e la Lucania, XXVIII, 1959, pp. 183-188; Costituzioni italiote, italiche, etrusche, in Studie clasice, X, 1968, pp. 29-50; D. Van Berchem, Rome et le monde grec au VIe siècle avant notre ère, in Mélanges d'archéologie et d'histoire offerts à A. Piganiol, II, Paris, 1966, pp. 739-748. Per il Congresso di Taranto vedi gli atti citati alla nota 1 (specialmente le relazioni di J. Heurgon e G. Pugliese Carratelli). 23 Cito gli esempi seguenti: corrispondenza di costumi descritti nella « cronaca cumana», Dion. Hal. VII, 2 sgg., con figurazioni pittoriche tarquiniesi coeve (La parola del passato, fase. XL VII, 1956, p. 83); per una più autentica comprensione dell'ambiente storico della Roma dei Tarquini nel quadro della civiltà arcaica, inclusa la letteratura greca contem poranea (La prima Roma, in, Studi Romani, V, 1957, alle pp. 259-261: richiamo di Momigliano in Studies in Historiography cit., p. 245); sull'interesse delle iscrizioni delle lamine di Pyrgi per lo studio delle forme e dei processi istituzionali in Etruria, a Roma e nel mondo greco-coloniale all'inizio del V secolo (Archeologia Classica, XVI, 1964, p. 104 sgg.; Nuova luce sulla storia di Roma dalle lamine d'oro di Pyrgi, in Studi Romani, XIII, 1965, pp. 1-13); valutazione delle
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e romano a proposito degli avvenimenti del V e IV secolo, secondo il metodo inaugurato da Marta Sordi nello studio delle interrelazioni fra la conquista romana di Veio, l'invasione gallica e la politica italiana di Dionisio di Siracusa24. Analoghi stimoli a nuove prospettive nascono dal più largo impiego delle fonti letterarie latine per dare risalto e concretezza alla conoscenza di ambienti e personaggi etruschi di età ellenistica e romana, caratteristico dell'opera di Heurgon (in diversi scritti e soprattutto nell'ultimo capitolo de La vie quotidienne chez les Etrusques, 1961); lo stesso Heurgon ha poi ribadito con molta chiarezza il punto di vista generale della stretta inte rdipendenza dei processi storici dei singoli popoli dell'area italica contro il vecchio abito mentale, ereditato dall'antica annalistica, di considerarli distanti e reciprocamente « impermeabili » 25. Tutto questo dimostra, se non erro, che è ormai matura l'esigenza di una reinterpretazione della materia storica dell'Italia antica secondo criteri diversi da quelli prevalsi finora nella storiografia moderna, non solo di fronte all'esclusivismo romanocentrico di tradizione niebuhriana, ma anche rispetto alla formula corrente di una storia italica ο italico-romana, oscillante fra i due « poli » dell'Italia e di Roma e intesa come descrizione di un mondo italico destinato ad unificarsi in mondo romano. Si pone, cioè, il problema di affrontare decisamente lo studio del mondo italico come tale, nel suo proprio quadro cronologico e nelle sue caratteristiche: considerando sì natu-
pitture della tomba del Tuffatore di Posidonia come testimonianza singolarmente significativa di una koinè ideologico-iconografica, e per taluni aspetti anche stilistica, fra gli Etruschi di Tarquinia e i Greci di Posidonia (La Magna Grecia e Roma nell'età arcaica cit. alla nota 1, pp. 254-255; Qualche riflessione sulla tomba del Tuffatore di Paestum, in Colloqui del Sodal izio, III, 1970-72, pp. 59-67). 24 M. Sordi, / rapporti romano-ceriti e l'origine della civitas sine suffragio, Roma, 1960. Questo filone, la cui ispirazione si riflette anche nella successiva produzione scientifica della Sordi, ha avuto recentemente uno sviluppo molto interessante a proposito della interpretazione dei frammenti di elogia latini riferibili a personaggi dell'antica famiglia tarquiniese degli Spurinna, già venuti in luce nel santuario dell'Ara della Regina a Tarquinia, in rapporto da un lato con le notizie storiche di fonte greca sulla spedizione ateniese contro Siracusa del 414-413 a.C. (cfr. Pallottino, Kokalos, XVIII-XIX, 1972-73, pp. 60-63) e con i dati relativi alla storia romana del IV secolo, da un altro lato con la possibile attestazione archeologica diretta (e contempo ranea ai fatti) della tomba dell'Orco I di Tarquinia che M. Torelli attribuisce agli Spurinna: vedi da ultimo, complessivamente, per questo processo ricostruttivo: M. Torelli, Elogia Tarquiniensia, in Documenti epigrafici latini per la storia di Tarquinia etruscae romana, Firenze, 1975. 25 Magistratures romaines et magistratures étrusques, in Les origines de la république romaine (Fondât. Hardt, Entretiens sur l'antiquité classique, XIII), Genève, 1967, pp. 97-127, specialmente alle pp. 99-100.
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ralmente in esso l'esistenza e la progressiva crescita di Roma, ma prescin dendo dalla suggestione dell'esito finale che non può e non deve, crediamo, condizionarne retrospettivamente il giudizio storico. Si tratta in sostanza di riconoscere ai fenomeni dell'area italica una identità complessiva, nel loro svolgimento parallelo a quello del mondo greco durante il corso del I millennio a.C, come aspetto « regionale » del divenire mediterraneo, prima del loro assorbimento - che è comune all'Italia e alla Grecia - nella sfera dell'affermazione universalistica di Roma. Avviare un discorso nel senso delineato significa praticamente ripren dereoggi, a distanza di centocinquanta anni, il tema proposto dal Micali (sia pure con tutti gli aggiornamenti imposti dalle esperienze e dalle esigenze della scienza attuale), cioè il filone interrotto di un'autentica « storia italica ». È auspicabile che questo discorso si sviluppi in un impegno e in un pr ogramma organico di ricerca, orientato verso il perseguimento dei seguenti obiettivi fondamentali: 1. Preliminare definizione (e qualificazione) della materia della « storia italica » nei suoi termini e limiti geografici, etnografici e cronologici. Prescin dendo dai problemi dell'origine e della diffusione del nome Italia già larg amente studiati26, sembra ovvio considerare territorialmente sin dai tempi protostorici l'intera area dell'Italia augustea, compreso il settentrione, anche per intrinseche ragioni di coerenza culturale: per le quali appare inoltre opportuno considerare anche la Sicilia, pur estranea alla definizione antica di Italia. A differenza della Grecia - e contrariamente ad opinioni etnogenetiche di linguisti e archeologi dell'età positivistica - non esiste un popolamento di « Italici » che caratterizzi etnicamente l'area italica in modo unitario 27. Riferito al concetto di storia italica il termine « italico » ha solo un valore generico (già in Micali, Mommsen, Wilamowitz ecc.) di aggettivo di Italia, includente tutti i suoi abitatori: cioè non soltanto le stirpi indigene di lingua indoeuropea (gl'Italici in senso stretto secondo l'accezione moderna), ma anche i Greci delle colonie (che si autodenominavano Italioti), gli Etruschi ecc. Sui limiti cronologici della storia italica potrà discutersi - e c'è,
26 Cito alcuni fra i lavori più recenti e riassuntivi della precedente bibliografia: J. Bérard, La colonisation grecque de l'Italie méridionale et de la Sicile dans l'antiquité2, Paris, 1957, p. 444 sgg.; E. Lepore, L'Italia nella formazione della comunità romano-italica, in Klearchos, V, fase. 20, 1963, pp. 89-113; G. Radke, Italia. Beobachtungen zu den Geschichte eines Landes namens, Romanitas, 1967, pp. 35-51; Devoto, Gli antichi italici3, Firenze, 1967, p. 102. 27 Cfr. G. Devoto, Gli antichi Italici3, cit., p. 41 sgg.; M. Pallottino, Etruscologia6, rist., cit., p. 25 sgg.
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e vi sarà, larga materia di discussione - circa la possibilità di individuazione di un termine iniziale, e del suo progressivo arretrarsi, alla luce delle nuove scoperte archeologiche, dal momento essenziale della colonizzazione greca (Vili secolo) verso gl'inizi dell'età del ferro e addirittura nell'età del bronzo (frequentazione micenea, formazione di comunità protourbane ecc.) 28; ment reil termine finale appare ormai chiaramente definibile nella gradualità del dissolversi delle strutture italiche entro l'unità romana fra il IV e il I secolo a.C. 2. Processo conoscitivo. La disparità fra i settori più direttamente e copiosamente illuminati dalla storiografia antica (Magna Grecia e Roma) e i settori dei quali si ha nozione prevalentemente sotto il profilo degli aspetti della cultura (fasi protostoriche, mondo etrusco, popolazioni indigene del l'area umbro-sabellica, del versante adriatico, dell'Italia settentrionale) potrà essere gradualmente colmata ο attenuata utilizzando, al livello di fonti di autentica informazione storica, sullo stesso piano di validità critica ed in modo « imparziale » (secondo la felice espressione del Devoto), tutte le diverse categorie di testimonianze, non soltanto della tradizione letteraria, ma anche epigrafiche, toponomastiche, topografiche, monumentali, figurate ecc. 29. 3. Conquista (o riconquista) di una visione d'insieme dei fatti coevi dell'area italica e delle loro reciproche interrelazioni, sfuggita in gran parte, ripetiamo, alle prospettive locali delle tradizioni annalistiche e più general mente agli schemi della storia concepita in senso « diacronico » come storia dello sviluppo nel tempo (ed in sé conchiuso) di singoli popoli ο stati ο città. Ciò che si propone oggi è appunto la rottura di quegli schemi attraverso una ricerca sistematica dei collegamenti « epocali » ο « sincronici », che già si preannunciano così fecondi di risultati nei primi tentativi operati in tal senso di cui si è fatto cenno. Occorrerà naturalmente compiere un notevole sforzo di logicale oserei dire di immaginazione, per vincere quelle assuefa zionidi metodo che ci obbligano a « vedere » una situazione ο un evento della Magna Grecia collocati esclusivamente nel contesto evolutivo della grecita, discussi e interpretati criticamente nel quadro delle fonti storiografiche ed epigrafiche greche ο dell'archeologia e dell'iconografia greca; un
28 Per una « anticipazione » di formazioni storiche in Italia all'età del bronzo vedi già Pallottino, Le origini storiche dei popoli italici, in X Congresso Internazionale di Scienze Storiche, Relazioni, Firenze, 1955, II, pp. 3-60. 29 Cfr. Pallottino in Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, Berlin-New-York, I 1, 1972, pp. 22-23.
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problema della storia di Roma di età regia ο repubblicana risolvibile solo alla luce della tradizione romana; un aspetto della civiltà etrusca giudicato pregiudizialmente ed astrattamente per il suo carattere di « etruscità » quasi che esso appartenesse ad una realtà del tutto isolata dal mondo circostante; un momento culturale di una qualsiasi necropoli laziale, campana, picena, veneta ecc. studiato limitatamente alle questioni tecniche di tipologia ο di cronologia secondo gl'interessi, i procedimenti e le esperienze degli specialisti di archeologia protostorica di quella regione; una epigrafe preromana (etru sca, osca, venetica) affidata automaticamente al monopolio dell'analisi dei linguisti competenti nel rispettivo settore, intendendosi con ciò esaurito il compito della sua illustrazione. Soltanto cercando di abbattere queste parat ìeconvenzionali dei nostri studi sarà possibile ricostruire una realtà storica di cui sono rimasti sinora inafferrabili, ο percepiti solo confusamente, i rapporti fondamentali. 4. Delineazione, infine, di uno sviluppo comune degli eventi storici nel mondo italico, distinto da quello di altri grandi « cicli » della storia dell'anti chità, cioè della storia greca e della storia romana. Questo sviluppo va rico struito indipendentemente dalle periodizzazioni della storia delle città della Magna Grecia e di Roma regia e repubblicana, come pure dagli schemi evolutivi particolari delle fasi storico-culturali del mondo etrusco e di quals iasi altra singola civiltà regionale italica; ma dovrà piuttosto intendersi basato sulla considerazione complessiva di tutti i fatti conosciuti. Alla luce della nostra esperienza attuale parrebbe fin d'ora potersi intravvedere e suggerire una successione articolata come segue: a) processi formativi delle nazionalità storiche fra la tarda età del bronzo e l'età del ferro, in parziale coincidenza con gli approcci « precolon iali » e con l'inizio della colonizzazione greca dell'Italia meridionale e della Sicilia, e in un contesto di graduale passaggio a strutture protourbane ed urbane caratterizzate da vivaci incrementi di scambi terrestri e marittimi, dal sorgere di industrie estrattive, edilizie e manufatturiere, da sempre più accentuate differenziazioni sociali e concentrazioni di ricchezza e di potere, dall'accoglimento di elementi di civiltà superiore, inclusa la scrittura (XIII-VII secolo a.C); b) fioritura arcaica dei centri dell'Italia meridionale greca e dell'Italia tirrenica non greca con particolare riguardo alPEtruria (ed inclusa Roma), nel sistema delle città-stato progredienti da primitivi ordinamenti gentilizi e monarchici all'organizzazione, più ο meno definita, di comunità cittadine con proprie assemblee e magistrature, e all'insorgere di poteri personali (tiranni): con un vigorosissimo sviluppo di prosperità economica e di civiltà
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religiosa, intellettuale ed artistica, sotto l'influenza del progresso del mondo greco arcaico; mentre le regioni interne della penisola, il versante adriatico e l'Italia settentrionale, pur restando sostanzialmente ad un livello più arre trato di culture protostoriche, subiscono forti contraccolpi ed estese penetra zioni della civiltà greco-tirrenica (VII-V secolo); e) fase delle « reazioni continentali» caratterizzata dai seguenti feno meni concomitanti: crisi economico-politica delle città del mondo costiero greco-tirrenico; espansioni delle popolazioni italiche di stirpe umbro-sabellica dall'interno della penisola verso il Mar Tirreno e il Mar Ionio e dei Galli dall'Italia settentrionale verso la penisola; dominio dei mari e pressioni sulla penisola da parte delle potenze « esterne » (Cartagine, Siracusa, Atene, poi altri prìncipi e avventurieri greci) in un vasto giuoco di competizioni inter nazionali: fenomeni dai quali consegue il formarsi di nuove strutture statali, sociali e culturali, gravitanti verso un'embrionale esperienza unitaria italicopeninsulare (V-IV secolo); d) periodo finale dell'improvviso e rapido insorgere dell'egemonia politico-militare di Roma, che dal punto di vista della storia italica può considerarsi come una riaffermazione del mondo tirrenico sul mondo italicopeninsulare attraverso il successivo formarsi delle compagini federali latina, latino-campana e infine romano-italica, con l'abbattimento della potenza « continentale » dei Sabelli e dei Galli e il più ο meno pacifico assorb imento delle residue antiche comunità degli Etruschi e dei Greci: per cui Roma viene a riassumere la triplice eredità della tradizione tirrenica (etruscolatino-campana), del blocco italico-peninsulare e della politica italiana ed extra-italiana dei Greci (anche contro Cartagine e nell'Oriente ellenistico); e la «storia italica» trapassa in «storia romana» (IV-I secolo a.C).
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ATHÈNES ET LES LÉGENDES TROYENNES D'OCCIDENT
II est toujours malaisé de discerner le moment où quelque chose naît, que ce soit la vie sur la terre, l'homme parmi les animaux, ou une langue, ou une religion, ou un peuple, ou une légende. C'est que le moment originel, rassemblant toute une histoire, est souvent lui-même un nœud de multiplicités et d'indécisions: le caractère nouveau de ce qui s'opère alors n'apparaîtra distinctement que par la suite, en développements dont l'ascendance n'est pas toujours évidente. Et puis il est dans le sort du gland de disparaître sous le chêne. Quand il s'agit de reconnaître le moment où se constitue une légende de fondation, des difficultés particulières existent. Une imagination relative à l'événement où commence l'histoire d'une cité peut prendre son essor à des dates très diverses, tant que dure cette histoire dont elle prétend dire le commencement. Il est difficile de situer dans un contexte historique une création qui comporte toujours une part de fiction. Le philologue ou l'historien doit tenter de résister au vertige où le sollicitent tant d'ombres. Il doit se faire une loi de ne formuler, fût-ce dubitativement, que des hypo thèses précises, définies, reconnues, autant qu'il se peut, en toutes leurs implications: ce qui est mou, ce qui est flou ne sert à rien. Il doit, entre autres, tenir le plus grand compte de la date où furent rédigés les textes à partir desquels il opère; les véritables certitudes ne commencent que là. Certes on doit toujours garder ouverte la possibilité qu'une légende se soit constituée à une époque très antérieure, mais c'est une faute aussi d'attribuer à toute légende la plus haute antiquité imaginable et de n'explorer point de façon suffisante les possibilités qu'elle se soit constituée à une date beaucoup plus proche des premiers textes. En cette matière, croyons-nous, l'effort de la recherche doit tendre à découvrir des situations historiques où telle légende, telle famille de légendes, a quelque possibilité de s'être constituée, et à en reconnaître le plus grand nombre. Il peut arriver que certaines hypothèses soient incompatibles; certaines possibilités, encore, peuvent paraître plus probables que d'autres,
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mais il est souvent difficile d'attribuer à des hypothèses des coefficients de plus ou moins grande probabilité: un tel jugement dépend largement des idées d'ensemble qu'on se fait du cours de l'histoire pendant les périodes intéressées. C'est dans cet esprit que nous voudrions présenter quelques faits susceptibles de donner à penser qu'un certain nombre des légendes de fondations troyennes en Occident ont pu se constituer au Ve siècle dans le halo de l'influence ou des entreprises d'Athènes. Nous sommes heureux d'offrir ces pages souvent interrogatives au savant qui, par sa prudence, la délicatesse de ses interprétations, son respect des monuments et des textes a renouvelé à nos yeux les obscures genèses du monde italien. Parmi les légendes de fondation, les légendes troyennes forment ellesmêmes un groupe particulier. L'implantation d'une telle légende à Rome et l'importance politique de Rome dès le IIIe siècle font que toutes les légendes attestées seulement après cette date peuvent n'avoir d'existence que comme satellites ou échos de la légende romaine; c'est au moins une possibilité à étudier chaque fois en premier lieu. Ceci fait, le problème propre reste toujours de comprendre, à Rome comme ailleurs, pourquoi dans un monde de civilisation grecque c'est une légende de fondation troyenne (et non pas grecque) qui s'est instituée. On connaît les réponses: la légende illustrerait les origines d'une cité qui n'a sur son passé que des traditions obscures et sans rapport à une cité grecque définie; elle styliserait le souvenir d'attaches anciennes à l'Orient; elle définirait le statut de non-grec (ou de non-grec et non tout à fait barbare) attribué à leurs voisins indigènes par des colons grecs venus d'Asie (ou d'ailleurs), ou par les mythographes aux populations indigènes rencontrées par les Grecs; elle attribuerait à une cité le plus souvent barbare le statut d'ennemie des Grecs pour assembler les Grecs contre elle et lui promettre le destin de Troie \ A-t-on, avec ces schemes explicatifs, reconnu tous les possibles? Nous ne le croyons pas; trop vagues, trop générales à bien des égards, les hypo thèses que nous venons de rappeler sommairement pèchent aussi par une certaine étroitesse dans leurs perspectives:
1 Sur ces schemes explicatifs, cf. J. Perret, Les origines de la légende troyenne de Rome, Paris, 1942, p. 1-8, 38-42, 203-204, 258-266, 302-304; G. K. Galinsky, Aeneas Sicily and Rome, Princeton, 1969, p. 91-102, 160-162.
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- elles sont conçues presque toujours pour rendre compte des légendes occidentales en les rapportant directement à la catastrophe de Troie. Or il est périlleux de sauter de la Troade à la mer Tyrrhénienne sans accorder plus qu'une mention à des légendes analogues qui, au voisinage des pre mières colonies athéniennes, se sont développées d'abord soit en Eolide soit dans la Grèce du nord et peuvent éclairer la manière dont les Troyens furent transmis à l'Occident; - elles sont conçues presque toujours à partir de la situation suggérée par Vlliade, celle d'un antagonisme où les Troyens se définissent comme les ennemis du nom grec. Or, avec le temps, l'image des Troyens s'est modifiée: dans la tragédie attique, chez Euripide en particulier, ils sont moins ennemis que victimes, présentés souvent avec une chaude sympathie; - elles supposent presque toujours que la référence aux Troyens, un peuple si particulier et en même temps si éloigné de l'Occident, présente un caractère d'artifice: recours gratuit à une tradition littéraire pour styliser la réalité d'une histoire concrète qui n'y a point de rapport. Or, quoi qu'il en ait été de la catastrophe de Troie, le peuple de Priam n'a pas à ce point disparu des continuités de l'histoire concrète. Mais pour s'en aviser il ne faut pas partir de l'Occident. Nous lisons dans Vlliade (XX, 307-308) une prophétie de la gloire future des Enéades; on pense communément que le poète songeait à quelque dynastie puissante en Troade, vers le VIIe siècle peut-être, et qui aurait également inspiré VHymne à Aphrodite. Tout cela s'est-il rapidement éteint, sans suite saisissable, dans un provincialisme confiné? Nous ne le croyons pas car de très bonne heure d'autres champions possibles sont sur place, et notamment les Athéniens, pour revendiquer authentiquement l'héritage de Troie2. Par plusieurs voies nous sommes ainsi conduits vers Athènes et pour un moment historique bien défini qui n'est ni celui des poèmes homériques, ni celui des croisades panhelléniques contre les Barbares, d'Isocrate à Pyrrhos, mais l'entre-deux, VIe et Ve siècles. Période dont le dernier demi-
2 Cf. E. Heitsch, Aphroditehymnos Aeneas und Homer, Hypomnemata, XV, 1965; A. Dihle, Homer-Probleme, Wiss. Abh. der Arbeitsgemein, für Forsch, des Landes NordrheinWestfalen, XLI, 1970. L'Enéide d'Iliad., XX, 156-352 serait l'œuvre d'un poète qui, tout en écrivant à la gloire d'une dynastie locale d'Enéades, voit déjà s'étendre sur la région l'influence d'Athènes. Nous lui attribuerions nous-même volontiers l'invention du motif édifiant du départ d'Enée avec son père, son fils et les sacra de Troie; en rapport avec Iliad., XX, 307, ces détails importent particulièrement à une famille qui veut autoriser ses droits à «régner sur les Troyens».
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siècle voit à la fois les grandes entreprises occidentales d'Athènes et l'élabo ration de l'œuvre d'Hellanicos, apparemment si importante pour la mise au point d'un grand nombre de légendes de fondations troyennes. L'événement le plus ancien qui nous donne de saisir dès la fin du VIIe s. la connexion établie entre Athènes et Troie est sans doute celui que conte Hérodote (V, 94): les Athéniens disputent aux gens de Lesbos la possession de Sigée en alléguant que cette ville n'est pas plus aux Lesbiens qu'à l'un quelconque des peuples qui luttèrent contre Troie3. S'ensuivait-il qu'elle dût revenir préférentiellement aux Athéniens? Ils avaient peut-être d'autres arguments à faire valoir4. Mais le plus important pour nous est cette imbrication, dès l'origine, de la politique avec les légendes. Quant à la réalité, Sigée, terre troyenne, resta aux Athéniens, visiblement institués de ce fait dans le rôle d'héritiers et représentants des Troyens. C'est en se fixant aux lieux mêmes où fut Troie qu'Athènes inaugure sa carrière impériale; Sigée marque le plus oriental d'une série de points d'appui qui s'échelonneront le long de la côte en Chersonese, en Thrace, en Chalcidique, en Macédoine et qui assurent à Athènes un accès aux forêts et aux mines du Pangée, plus loin au Pont-Euxin. L'empire d'Athènes naît dans les terres du nord; à toutes les époques les Athéniens ressen tiront toujours avec une vivacité exceptionnelle les événements qui se passent là-haut, que l'on songe aux affaires de Potidée ou d'Olynthe. Or dans l'optique de YHiade ces pays ne sont pas terres grecques mais terres troyennes; dans le Catalogue, Péoniens, Thraces, gens de Sestos et d'Abydos, Cicones, Pélasges marchent aux côtés des Troyens. Il est donc naturel qu'établis sur ces rivages les Athéniens se tiennent pour confirmés dans leurs droits d'héritiers et représentants des Troyens. La référence à Troie qui nous semble toujours une fantaisie presque inexplicable de la part d'une cité d'Italie, de Sicile ou d'Afrique découle ici des données conjuguées de la politique et de la géographie. Dès la fin du VIe siècle, Aineia sur le golfe Thermaïque frappe des monnaies à l'effigie d'Enée. En 437, lors de la fondation d'Amphipolis, le chef athénien s'occupe de faire rapatrier en grande pompe les centres de Rhésos, héros local tué traîtreuse-
3 Cf. Strab., 599-600; Polyaen., I, 25; sur l'ensemble des textes, sur la date de l'épisode, cf. F. Schachermeyr, RE, 1950, s.v. Pittakos, 1867-1870. 4 En 458, Eschyle (Eum., 397-402) explique que les Achéens ont remis la Troade à Athéna afin qu'elle revienne à Athènes.
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ment par les Grecs alors qu'il arrivait en Troade au secours de ses alliés troyens5. Il n'est pas étonnant que des fabulations explicites aient suivi. Dans la généalogie des rois de Troie, V Iliade (XX, 119) glisse un Erichtonios, homonyme à tout le moins du roi d'Athènes qui fonda les Panathénées; • Hellanicos s'évertue à en faire deux contemporains6, mais Strabon (604) nous assure que plusieurs voyaient dans un unique Erichtonios la souche commune des Athéniens et des Troyens. Sur les métopes du Parthenon, nous ne nous étonnons pas de rencontrer ce personnage; il était moins évident qu'Enée, figuré dans sa fuite sainte et glorieuse, y dût aussi être représenté; ainsi qu'à Ch. Picard, il nous paraît plausible que les Athéniens aient considéré le père des Enéades comme étant un peu des leurs et qu'ils aient cru se glorifier en sa personne7. C'est à peu près au même moment, vers 450, que nous apparaît chez Sophocle le lien d'Athènes et de Troie en la personne de Teucros: fils de Télamon le Salaminien, il est, par sa mère Hésione, petit-fils de Laomédon de Troie8; dans Ajax 1300 il rappelle avec fierté son ascendance troyenne, reçoit un rôle sympathique dans un dialogue où Agamemnon, son partenaire, est odieux. Mais ce n'est pas tout: postérieurement à Ylliade on avait mêlé aux choses troyennes un peuple voisin, les Teucroi, dont l'éponyme devait être le fondateur de Troie. Là encore, comme dans le cas d'Erichtonios, on va jouer de l'homo nymie; selon l'atthidographe Phanodème, ce premier Teucros était originaire de l'Attique et plus précisément du bourg de Xypète entre Athènes et Phalère9. Phanodème savait aussi expliquer comment le Palladion d'Athènes était celui même de Troie, mais sans que les Athéniens eussent la moindre responsabilité dans le rapt sacrilège perpétré par Ulysse et Diomède 10.
5 Polyaen., VI, 53. On ne peut séparer de cet événement la composition du Rhesos, quel qu'en soit l'auteur (cf. E. Delebecque, Euripide et la guerre du Péloponnèse, Paris, 1951, p. 110- 128); sur une renaissance à cette date du culte héroïque de Rhésos, cf. H. Froning, Zum Rhesosmythos, AA, 1971, p. 30-36. 6 Cf. E. Heitsch, o. c, p. 119. 7 Ch. Picard, Manuel d'archéol. grecque, La sculpture, II Période classique - Ve siècle, t. I, Paris, 1939, p. 399, 428-429. 8 De la même façon Munychos, roi d'Athènes, est à la fois petit-fils de Thésée par son père et de Priam par sa mère (Lycophr., 495-499 et schol. ad loc; cf. J. Toepffer, Quaestiones Pisistrateae, Diss. Dorpat, 1886, p. 70-79). 9 Phanodème {Fr. Gr. Hist, III Β, nr. 325, fr. 13), αρ. Dion. Hal, I, 61, 5 et Strab., 604. 10 Id. (ibid., fr. 16), αρ. Eustath., ad Odyss., I, 321, p. 1419, 52; cf. Paus., I, 28,9.
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Dans la tragédie attique la sympathie témoignée aux Troyens est souvent évidente. En dépit de son objectivité, le poète de Vlliade était pour les Grecs, comme Zeus lui-même, et les Troyens payaient pour leurs fautes. Dans la tragédie ces fautes sont oubliées ou minimisées; les souffrances des vaincus sont évoquées avec un pathétique qui les fait paraître largement imméritées; en revanche, la dureté des vainqueurs y est souvent décrite en traits insoutenables. On se demandera comment il fut possible de présenter devant un public grec des pièces où leurs compatriotes sont à ce point maltraités. Mais les Athéniens se sentaient-ils alors compatriotes d'Agamemnon et de Ménélas? Pour le poète de Ylliade les Atrides étaient avant tout les animateurs d'une coalition des Grecs contre une cité de l'Asie: ouest contre est, si l'on veut s'exprimer en termes géographiques. Progressivement au cours du Ve siècle le poids des empires puis la rivalité d'Athènes et de Sparte a fait pivoter la ligne du clivage; la guerre de Troie y est devenue conflit entre sud et nord: Argos, Sparte et Mycènes contre Troie, et les Athéniens sont passés du côté des Troyens n. On glisse ainsi vers la thèse que Servius (En., III, 281) formulera plus tard avec une naïveté amusante: Troiani. . . ab Atheniensibus originem ducunt. Mais, après tout, Strabon (604) disait-il autre chose quand il fait état: της προς τους Αττικούς επιπλοκής των Τρώων 12? Ce qui nous apparaît ainsi de façon assez claire dans le cas de ces légendes troyennes devenues la parure d'Athènes n'est en somme qu'un effet particulier de la tendance d'une métropole à se lier de liens légen daires aux pays où elle étend son empire: elle-même y implantera à l'occasion quelques-unes de ses légendes propres mais aussi bien elle accueillera et traitera comme siennes les légendes de ces terres d'expansion. En ce qui concerne Athènes, il n'est pas difficile de remarquer d'autres légendes qu'elle a chez elle développées avec quelque prédilection parce qu'elles resserrent ses liens avec son empire du nord, légendes relatives à
11 Les faits sont particulièrement saisissables chez Euripide, cf. E. Delebecque, o. e, passim, notamment p. 110, 403, 406-407. On notera qu'Achille, le vieux Pelée (Andromaque) sont généralement traités avec égard; déjà dans le Philoctète de Sophocle, Néoptolème est assuré ment plus sympathique que les chefs grecs qui se servent de lui. C'est que ces personnages représentent la Thessalie qu'Athènes a toujours tenté de mettre dans son jeu, cf. Thuc, I, 102; II, 22; IV, 78; V, 13, 51 et E. Delebecque, o.e., p. 411-413. 12 Selon des scholies d'Andromaque retrouvées par E. Schwartz (Mélanges Graux, Paris, 1884, p. 652), Denys de Chalcis racontait comment, après la ruine de Troie, Acamas, fils de Thésée (cf. infra, p. 797, n. 13), s'était associé à Scamandrios, fils d'Hector, et à Ascagne, fils d'Enée, pour rebâtir des villes en Troade.
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Borée, aux Thraces, aux Pélasges, aux Hyperboréens, aux Amazones peutêtre 13. Ce n'est pas le lieu d'analyser en détail ce vaste complexe: il n'importe à notre présent propos que dans la mesure où il nous permet de situer et mieux comprendre l'intérêt que les Athéniens portent aux légendes troyennes. Et d'autre part, en nous donnant de les ressaisir comme élément d'un ensemble plus vaste, cette mise en place concourt à éclairer la recherche: là où nous trouvons des Hyperboréens, des Pélasges, des peuples pontiques, si de surcroît la présence des Athéniens paraît probable, une légende de fondation troyenne a chance d'avoir pu à la même époque se constituer; si des indices semblent le donner à penser, il est raisonnable de les retenir comme sérieux. Lorsque, à partir de l'Egée, les Grecs s'aventurent, s'installent, bientôt rivalisent dans les terres et les mers de l'ouest, on peut s'attendre à ce que la même ligne de partage entre un domaine du nord et un domaine du sud se prolonge semblable à elle-même, par contiguïté, comme en certains métaux une faille, une fois amorcée, se poursuit, rectiligne jusqu'au bout de la pièce. Il est normal que les Péloponnésiens s'étendent au long des côtes de Grande Grèce, puis de Sicile, en conservant le souvenir d'une certaine appartenance ou solidarité avec leurs origines. De la même manière, quand l'Epire, voisine de la Thessalie et de la Macédoine, entrera dans les jeux
13 Borée est le gendre des Athéniens (Herodot, VII, 189) comme le bienfaiteur des souve rains de Troie (Iliad., XX, 223-230); le Thrace Térée vient lui aussi (chez Sophocle, chez Philoclès, cf. infra, p. 803, n. 36) prendre femme à Athènes; au moins depuis Euripide (cf. Kern, RE, 1907, s.v. Eumolpos, 1119), Eumolpos, l'ancêtre d'une des plus nobles familles d'Athènes, est un Thrace. Autour des personnages d'Acamas et de Démophon, fils de Thésée, devenus l'un ou l'autre l'époux de la Thrace Phyllis, foisonne tout un ensemble de légendes devenues presque officielles (cf. Eschin., Amb., 31) et qui lient Athènes à la Thrace. Les Thraces, les Amazones, les Pélasges à diverses reprises (Eschl., Eum., 685; Herodot., I, 56, 58; II, 56; VI, 137; VII, 94; VIII, 44; Thuc, IV, 109; Isocrat, Paneg., 70; Panathen., 193; Diod. Sic, IV, 28) ont occupé l'Attique. Ce sont même ces derniers qui ont fortifié l'Acropole (Dion. Hal., I, 28, 4; Paus., I, 28, 2). Télamon, héros salaminien, est originaire des bords de l'Aisépos en Troade (Orph., Argon., 144). Que ce soit par le pays des Amazones, puis par Ilion (Callimach., fr. 186 Pfeiffer, 20-22) et la Chalcidique (Ον., Met, XV, 356), ou par le fond de l'Adriatique puis par Dodone (Herodot, IV, 33), toutes les routes hyperboréennes convergent vers Athènes (cf. Diod. Sic, II, 47); selon Phanodème (cf. F. Jacoby, Fr. Gr. Hist, III Β, nr. 325, fr. 29) l'éponyme Hyperboreios était lui-même un Athénien. Légendes très diverses assurément quant à leur préhistoire mais qui, à une époque donnée, par exemple la seconde moitié du Ve siècle, ne peuvent manquer d'être rapprochées, de former un ensemble devant l'imagination parce que toutes elles tournent le regard du même côté.
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politiques de la Grèce, ce sera dans la mouvance d'Athènes 14; nous savons qu'un peu plus tard les Athéniens essaieront de mettre avec eux l'Acarnanie 15, Corcyre. Ils monteront jusqu'aux bouches du Pô où Spina subit à ce point les vicissitudes de la prospérité d'Athènes qu'on a cru y remarquer dans les dernières décennies du Ve siècle une détérioration de la céramique importée 16. Du côté tyrrhénien, ils envoient des colons à Naples où les cultes se réorganisent selon les rites athéniens 17. Surtout ils essaient de mettre les Etrusques dans leur jeu et de les tourner contre Syracuse 18. De ce côté il n'est que d'exploiter une situation préexistante puisque, ind épendamment de la rivalité d'Athènes et de Sparte, un antagonisme de même formule oppose ici encore le nord et le sud, les Etrusques d'un côté et de l'autre les Siciliens groupés autour de Syracuse 19. Mais la puissance écono mique et navale des Etrusques, leur situation géographique ne peut manquer d'en faire pour le côté d'Athènes un renfort particulièrement précieux; on peut penser qu'à leur égard les efforts de persuasion n'auront pas été ménagés. Tout cela n'est pas affaire des seuls politiques, l'imagination des Athéniens s'y enflamme; c'est un homme du commun, Bdélycléon, qui dans les Guêpes (v. 700) nous donne en 422 la définition de l'empire du nord: « depuis le Pont jusqu'à la Sardaigne ». Le jeu des antagonismes légendaires a suivi naturellement cette ex tension du théâtre des rivalités politiques20. Glissant vers l'Occident, y
14 Vers 470, c'est la fuite de Thémistocle chez Admète (Thuc, I, 136-137), un épisode qui pourrait avoir eu aussitôt sa transposition dans le Télèphe d'Eschyle (cf. L. Séchan, Etudes sur la tragédie grecque, Paris, 1926, p. 123-127); c'est surtout vers 422, le complexe historicolégendaire qui se noue, avec YAndromaque d'Euripide, autour de la minorité du roi Tharyps, cf. J. Perret, Néoptolème et les Molosses, àans REA, XLVIII, 1946, p. 24-28. 15 Cf. Thuc, 111,94-98,100-102, 105-114; VII, 57. 16 Cf. R. Chevallier, Rome et l'Italie du Nord, dans REL, XXXVII, 1959, p. 138. 17 Participation athénienne (Strab., 246); patronage du héros athénien Phaleros (Lycophr., 717; Steph. Byz., s. v.); visite entre 439 et 432 de l'amiral athénien Diotimos (Tim., αρ. schol. Lycophr., 732 = Fr. Gr. Hist, III Β, nr. 566, fr. 98); lampadophories (Tim., ibid.,); renouvel lementdes types monétaires, cf. G. Pugliese Carratelli, Napoli antica, PP, VII, 1952, p. 253-254. Après la prise de Cumes par les Samnites en 421, Naples ne doit son salut qu'à l'intervention d'Athènes, cf. J. Heurgon, Recherches sur... Capoue préromaine, Paris, 1942, p. 95. 18 Cf. Thuc, VI, 88, 103; VII, 57. 19 Mise au point dans J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale..., Paris, 1969, p. 110-111; depuis: M. Pallottino, La Sicilia e gli Etruschi, Kokalos, XIV-XV, 1968-1969, p. 339-343; M. Gras, Les enjeux insulaires en mer Tyrrhénienne. Les rapports des Etrusques avec les Grecs et les Puniques en Corse et en Sardaigne (VIP-VP s.), AEHE, IVe Sect., 1971-1972, p. 779-785. 20 On trouvera les principales références (en sus des ouvrages indiqués supra, n. 19)
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confirmant l'autorité de Sparte, les légendes péloponnésiennes ou plus généralement doriennes s'étendent dans les terres du sud, dans la péninsule sallentine, sur les côtes du golfe de Tarente, en Sicile, Diomède, Idoménée, Phalanthos, Podalire, compagnons de Nestor venus de Pylos, Héraclès surtout omniprésent21; les indigènes eux-mêmes, les Oenotres, sont censés être venus d'Arcadie; d'adroites combinaisons attestées dès l'époque d'Antiochos de Syracuse établissent que les Sicules sont des Oenotres aussi, mais ces SiculesOenotres remontent jusqu'au Tibre si bien qu'en fait c'est tout le peuplement de l'Italie méridionale qui relève de la Sicile et du Péloponnèse22. De la même manière ce sont les légendes du nord, déjà plus ou moins assumées par Athènes mais à l'occasion ranimées pour une nouvelle carrière, qui vont être transportées en Epire, en Illyrie, dans la partie septentrionale de l'Italie 23. On songe surtout à ces Pélasges que tout est arrangé pour identifier aux Etrusques; ils entrent en Italie par les bouches du Pô après avoir traversé l'Epire; ils s'établissent fortement à Cortone, descendent jusqu'au Tibre24.
dans E. Ciaceri, Culti e miti nella storia deWantica Sicilia, Catane, 1911; G. Giannelli, Culti e miti della Magna Grecia, Florence, 1924; J. Bérard, La colonisation grecque de l'Italie méridionale et de la Sicile dans l'Antiquité: l'histoire et la légende, Paris, 1941. 21 Lues avec une suffisante attention, les pages remarquables de J. Bayet sur l'Italie héracléenne du VIe au IVe siècle (Les origines de l'Hercule romain, Paris, 1926, p. 7-124), font apparaître avec évidence un contraste entre la vie des légendes héracléennes dans tout le sud de l'Italie (à partir de Rome) et leur inexistence en Etrurie. 22 Sur les Oenotres arcadiens, cf. Dion. Hal., I, 11, 2-4; sur les Sicules Oenotres, cf. Antioch. Syrac., ap. Dion. Hal, I, 12, 3; Sicules en Italie selon Thuc, VI, 2 et Strab., 257, 270. 23 Est-il possible, comme on le prétend souvent, qu'elles expriment plutôt des événements réels, en sorte que les migrations apparemment imaginées auraient été véritables (même si elles avaient eu lieu, à l'occasion, en sens inverse de ce que disent les textes et en des temps très reculés)? Peut-être, bien que la tradition de souvenirs très anciens pose toujours plus d'un problème; il n'y a guère que l'archéologie qui semble, quant au fond, pouvoir apporter de vraies lumières (cf. les réflexions d'Edouard Will dans RPh, XXXVI, 1962, p. 91-93). Mais il faudra toujours explorer la possibilité que les légendes grecques ou orientales d'Occident y aient été introduites, quelquefois en exploitant des homonymies approximatives, à mesure que progressait l'intégration au monde grec de régions nouvelles; elles exprimeraient ainsi la connaissance que les Grecs acquéraient de leurs voisins ou plutôt la manière dont ils voulaient les considérer. Il nous semble que la plupart trouvent de la sorte une explication assez naturelle. 24 Les Pélasges ont été déplacés de tant de manières, retrouvés en tant de lieux qu'on est parfois tenté de ne voir en leur nom qu'un terme vague toujours disponible pour désigner n'importe quelle population, préhellénique ou proto-hellénique. Cette brume se dissipe un peu si l'on distingue les époques (cf. F. Schachermeyr, RE, 1937, s.v. Pelasgoi; F. Lochner-Hüttenbach, Die Pelasger, Arb. aus dem Inst, für vergleich. Sprachwiss. der Univ. Graz, VI, 1960); les textes plus anciens assignent clairement leur domaine aux confins septentrionaux du monde grec (du Strymon à l'Adriatique pour Eschyle, Suppi, 250-259), puis secondairement en Attique;
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Mais il y a naturellement aussi des Hyperboréens qui également descendent d'un côté jusqu'à Rome et sur l'Adriatique jusqu'à la hauteur de Dodone25. On retrouve dans les mêmes secteurs des peuples pontiques liés depuis longtemps aux légendes troyennes: les Vénètes sont les Enètes paphlagoniens d'Homère; les Mysiens ont poussé à travers la Thrace jusque sur l'Adriatique et les fils de Télèphe régnent en Etrurie26; Rhètes et Liburnes tiennent aux Amazones; il y a des Thraces, des Colques en Istrie27, des Dardaniens en Illyrie, peut-être déjà chez les Etrusques dans la cité pélasgique de Cortone 28. Assurément dans cette société nous ne serions pas trop étonnés de rencontrer des légendes spécifiquement en rapport avec Troie, des Troyens homologues de ce que sont Diomède et Idoménée dans l'Italie du sud; de fait, Andromaque est venue chez les Molosses et y est aux origines de la dynastie régnante, le Priamide Hélénos, le Troyen Chaon sont rois auprès de Dodone. Ici les héros sont censés être venus de Thessalie; mais d'autres itinéraires ont pu exister plus au nord, débouchant sur l'Adriatique aux
à peine saisissables dans le Péloponnèse, on ne les trouve ni en Grande Grèce ni en Sicile. Mais les Pélasges sont identifiés aux Etrusques chez Sophocle (ap. Dion. Hal, I, 25, 4) et Hellanicos (ibid., I, 28, 3); ils sont leurs voisins pour Hérodote (I, 57). En Italie, selon Sophocle (ap. Dion. Hal., I, 12, 2), le partage se fait entre Oenotriens et Tyrrhenes; de la même façon chez Virgile, c'est sur le Tibre que les Pélasges venant du nord atteignent les confins des Sicanes (Aen., VIII, 600-602; XI 316-317). 25 Herodot, IV, 33; Hyperboréens à Rome, Silenos, ap. Solin., I, 15; Festus, 220. Il nous paraît encore impossible de discerner le lien de ces légendes avec celles qui se rapportent aux Boreigonoi (Lycophr., 1253) et aux Aborigines (apparentés aux Pélasges et ennemis comme eux des Sicules selon Dion. Hal., I, 17, 1). Après O. Gruppe, J. Bayet (Les origines de l'arcadisme romain, dans MEFR, 38, 1920, p. 92-93) a cru pouvoir reconnaître une influence athénienne dans les légendes relatives aux Pélasges d'Italie et aux Aborigines. 26 Herodot., VII, 20; Lycophr., 1245-1249; Dion. Hal., I, 28, 1. -Suidas (s.v. Λατίνοι) identifie Télèphe et Latinus; les Latins auraient antérieurement porté le nom de Κήτιοι; or dans l'Odyssée (XI, 522) ces Κήτειοι accompagnent effectivement les fils de Télèphe. 27 Les Colques de Pola (Callimach., fr. 11 Pfeiffer; Lycophr., 1022; Plin., N.H., III, 129) sont évidemment en rapport avec la légende des Argonautes. On notera que dans l'Italie étrusque c'est un Argonaute athénien, Télamon, qui laisse trace de son passage (Diod. Sic, IV, 56 résumant Timée); sur Phaleros, autre Argonaute athénien, cf. supra, p. 798, n. 17. Sur les Thraces en Istrie, cf. Apollodor., ap. Steph. Byz., s. ν. Ύλλεΐς; Ps. Skymn., 387. 28 Après s'être établi en Troade, Dardanos fonde une colonie « au dessus de la Thrace » (Diod. Sic, V, 48). On admet généralement (cf. V. Buchheit, Vergil über die Sendung Roms, Heidelberg, 1963, p. 151-172) que Virgile est le premier à avoir imaginé des liens entre Dardanos et l'Etrurie. Est-ce si sûr? Plus d'un demi-siècle avant l'Enéide, ainsi que l'a établi J. Heurgon (Inscriptions étrusques de Tunisie, CRAI, 1969, p. 526-551), des colons étrusques installés en Afrique se donnent comme Dardaniens; est-il croyable que ce soit seulement une référence à la légende troyenne de Rome?
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confins de PIllyrie, Anténor, Enée ont pu s'avancer par là29. Enfin en Sardaigne on retrouve, dans une confusion sans doute significative, des Thespiens patronnés par Athènes, des Athéniens et une fois encore des Troyens; de là certains aboutiront à Cumes 30. Pourquoi ne serait-ce pas aussi dès cette époque que les Acarnaniens chez qui fleuriront plus tard tant de légendes de fondations troyennes commencent à s'aviser que seuls de tous les Grecs ils ont refusé de prendre les armes contre Troie31? Dans la seconde moitié du Ve siècle il s'agit en Occident d'une situa tion de guerre. Or dans une guerre on ne se contente pas d'organiser et de consolider son secteur géographique propre, mais de pousser des pointes et, s'il se peut, d'implanter des points d'appui chez l'ennemi pour l'inquiéter et le prendre à revers. Dans la réalité de l'histoire les Athéniens ont cherché contre Syracuse des appuis à Ségeste, à Carthage32; il ne paraît donc pas très étonnant de trouver à Ségeste une légende de fondation troyenne, de
29 Selon Virgile (Aen., I, 242-249), Anténor pour atteindre Patavium a dû franchir (ou dépasser) les bouches du Timave, ce qui suppose soit un itinéraire entièrement terrestre (comme apparemment, celui des Mysiens, cf. supra, p. 800, n. 26), soit une navigation le long des côtes illyriennes rejointes à travers la Thessalie et l'Epire (comme firent les Pélasges). Enée de même, s'il est venu en Italie à travers le pays des Molosses (Dion. Hal., I, 72, 2), ou s'il a quelque temps accompagné Néoptolème (Ilias parua, ap. Tzetz., ad Lycophr., 1262-1263 ou Simmias, ap. schol. Euripid. Androm., 10-14; cf. K. Ziegler, RE, 1935, s.v. Neoptolemos, 2448). Ces itinéraires continentaux imaginés d'après des routes réelles ou purement fictifs (les Anciens ont longtemps sous-estimé la distance qui sépare l'Adriatique de l'Egée et du Pont, cf. Liv., XL, 21-22; Strab., 313) resserrent singulièrement l'unité de ce que nous proposons de reconnaître comme légendes septentrionales: Troade, Thrace, Macédoine d'une part, Illyrie, Vénétie, Etrurie de l'autre. 30 Cf. notamment Diod. Sic, IV, 29-30 et V, 15; Paus. I, 29, 5; VII, 2, 2; IX, 23, 1; Χ, 17, 5; le fond du récit remonte à Timée, cf. J. Geffcken, Timaios' Geographie des Westens, Philol. Untersuch., XIII, 1892, p. 55-59, 166-171. 31 La non-participation des Acarnaniens à la guerre de Troie est notée par Ephore {ap. Strab., 462); Strabon nous apprend qu'ils en firent argument pour gagner la faveur des Romains. Un article fort suggestif de Paul M. Martin, La tradition sur les «passeurs» de la côte acarnanienne, légende ou réalité, dans Mélanges offerts à Roger Dion, Paris, 1974, p. 45-53 attire l'attention sur le complexe des légendes du franchissement de l'Adriatique. Il conviendrait peut-être de se demander si les légendes de fondations troyennes attestées plus tard (Dion. Hal., I, 50-51) dans certaines îles du voisinage n'ont pas quelque chance d'avoir au Ve siècle (où Céphallénie, Zacynthe, Corcyre sont avec les Athéniens, cf. Thuc, VII, 57) des attaches lointaines. 32 Selon Thuc, VI, 88, les Athéniens envoient simultanément à Carthage et en Etrurie pour demander des renforts; ailleurs (Thuc, VI, 15, 34, 90; Plutarch, Alcib., 17, 3-4; Nicias, 12, 1-2; Perici., 20, 4) ils songent plutôt à assujettir Carthage. Dans l'imagination des dé magogues (Aristophan., Eq., 173, 1303) l'empire athénien doit s'étendre de la Carie à Carthage.
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la même manière que nous trouvons à Scylletion Ménesthée et ses Athéniens 33, ou que nous voyons les Athéniens revendiquer sur la Siritide des droits très anciens (Herodot, VIII, 62) au moment où les Tarentins veulent l'arracher aux gens de Thourioi. Faut-il supposer qu'à Carthage comme à Siris les légendes troyennes plus tard attestées se sont formées à cette date sous l'influence d'Athènes? C'est à bon droit que la légende de Ségeste est retenue avec prédilec tion par tous ceux qui tentent de reconnaître dans un passé un peu ancien l'origine des légendes troyennes d'Occident. Nous la connaissons relativ ementbien et il n'est pas déraisonnable d'y voir un exemple de ce qui a pu sous les mêmes influences se constituer ailleurs à cette époque: nous y voyons la légende employée à des fins politiques, nous y voyons les Athéniens aux côtés d'une cité troyenne. Plus particulièrement nous y voyons à l'œuvre les instruments par lesquels ce genre de fiction pouvait être accrédité: Thucydide évoque les rapports séduisants mais mensongers des ambassadeurs de Ségeste et des commissaires athéniens; Diodore nous apprend qu'ils alléguèrent des alliances antiques, des parentés de sang. A toutes les époques pour justifier des nécessités présentes on a toujours aimé évoquer, vrais ou feints ou forcés, de glorieux souvenirs communs; dans l'antiquité, la mythologie y contribuait34. Ambassades, discours d'apparat - que l'on songe à Isocrate - appelaient pour ainsi dire l'invention ou la diffusion de légendes utiles. Mais dans l'Athènes du Ve siècle le théâtre y prêtait aussi son concours: nous en avons conservé avec VAndromaque d'Euripide, inséparable de la genèse des légendes dynastiques de l'Epire, un exemple particulièrement explicite. Or voici que dans le cas de Ségeste, nous pouvons sans doute, à travers Timée, restituer également le schéma d'une tragédie qui illustrait la thèse d'une origine troyenne35. D'autres faits, d'autres indices peuvent être rapprochés. Dans la Pandionis de Philoclès, vers 431, un dieu apprenait aux spectateurs que, descendant de Térée, le roi
33 Légende née en rapport avec l'expédition athénienne de 415, au jugement de Philipp (RE, 1921, s.v. Scylletium, 920, 922). C'est de la même manière qu'à la même époque (cf. J. Bérard, o. c, p. 86-89) les Athéniens prétendent avoir inauguré eux-mêmes la colonisation de toute la Sicile. 34 Cf. F. Schachermeyr, Religionspolitik und Religiosität bei Perikles, SAWW, nr. 258, 1968, - et au siècle précédent M. P. Nilsson, Political propaganda in sixth century Athens, dans Studies presented to D. M. Robinson, II, 1953, p. 743-748; les appels à la συγγένεια tiennent une place considérable dans les discours rapportés par Thucydide. 35 Cf. J. Perret, Origines, p. 272-280.
ATHÈNES ET LES LÉGENDES TROYENNES D'OCCIDENT
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des Odryses, Sitalcès. était apparenté, par Procné, aux Athéniens 36. Beaucoup de critiques pensent aujourd'hui que dans les Antenoridai Sophocle menait ses héros en Italie, Polybe (II, 17, 5) incrimine les faiseurs de tragédie à propos des légendes relatives aux Vénètes. Si nous arrivons mal à nous représenter comment on a pu expliquer, faire admettre que les Mysiens fussent venus jusqu'à l'Adriatique, que les fils de Télèphe eussent régné en Etrurie, n'est-ce pas parce que le hasard nous a privés de tant de tragédies écrites depuis Eschyle sur les Mysiens et sur Télèphe37? On croit donc entrevoir au Ve siècle des conditions historiques où, comme parties d'un complexe légendaire plus étendu, des légendes de fonda tions troyennes ont pu se constituer en Occident: elles y faisaient partie de traditions d'inspiration athénienne et se trouvaient, pour la plupart et hormis la brillante exception ségestaine, centrées sur l'Italie du nord, l'Etrurie en particulier. Avec le temps, les légendes troyennes ont gardé plus de relief que les autres qui les accompagnaient parce que les Troyens, surtout quand ils tiennent de quelque héros un visage personnel, sont plus intéressants que les Hyperboréens, les Dardaniens, les Enètes ou les Pélasges. A mesure que cet entour s'évanouissait dans les brumes d'une pseudo-ethnographie préhistorique, les légendes troyennes subsistaient isolées, incompréhensibles. Que l'on omît alors d'éclairer les témoignages antiques par ce qui avait fait depuis le VIIe siècle la réalité vivante des Troyens, savoir: les vicissitudes de l'empire athénien, son expansion en Troade et en Thrace, sa rivalité avec Sparte, ses ambitions, ses entreprises occidentales, l'imagination des poètes tragiques, on n'avait plus qu'à se rabattre sur une Iliade à peu près muette. Mais il faut sans doute revenir à Servius, en entendant cette fois des légendes troyennes ce qu'il entendait dire des Troyens eux-mêmes: . . . ab Atheniensibus originem ducunt. Heureux Troyens donc qui, malgré leurs fautes et leurs malheurs, auraient à quelques siècles de distance trouvé comme champions les deux peuples les plus prestigieux du monde antique, les Athéniens d'abord, puis les Romains. 36 Cf. F. Stoessl, RE, 1938, s. v. Philokles, 2493-2494 et la polémique de Thucydide (II, 29). 37 On lira désormais dans F. Jouan, Euripide et les légendes des Chants cypriens, Paris, 1966, un remarquable essai de restitution du Télèphe d'Euripide (et accessoirement des autres tragédies consacrées au même épisode), p. 222-255; là aussi, comme dans Andromaque, comme dans les Troyennes, le poète invite son public athénien à se placer contre les Atrides du côté du prince d'Asie injustement attaqué.
AMBROS JOSEF PFIFFIG
DER BEITRAG ETRURIENS ZUM KAISERHEER DES 1. und 2. JAHRHUNDERTS
Nachdem Antonius bei Philippi in zwei Schlachten über die Cäsarmörder gesiegt hatte, war es die Aufgabe Octavians, die Soldaten nach Italien zurückzuführen und die Landzuteilung vorzunehmen \ Die gesetzliche Grundlage für die Assignation war eine Lex data « arbitratu C. Iulii Caesaris et Marci Antoni et Marci Lepidi triumvirorum r.p.c. » 2; es ist die im Liber coloniarum erwähnte lex triumviralis 5 . Es handelte sich zuerst um nicht weniger als 28 Legionen, also etwa 170.000 Mann4; schließlich schwoll die Zahl der Anwärter auf ein Landlos auf mehr als 200.000 Mann, 34 Legionen, an5. Diese zu befriedigen kam einem fast völligen Besitzwechsel in Italien gleich. Von der Assignation war nur der Besitz von Senatoren, Soldaten, Veteranen und Frauen ausgenommen6. Achtzehn Städte waren im Vertrag von 43 v.Chr. von den Triumvirn zur Übergabe an die Soldaten bestimmt worden 7. Domaszewski 8 nimmt legions weiseDeduzierung an, was aber eine Gleichung: 18 Städte - 18 Legionen ausschließt. Um das vollständige Verzeichnis dieser Städte - Appian führt nur sieben namentlich an - hat sich Mommsen bemüht9. Es ist keine der alten etruskischen Städte darunter. Der Grund dafür mag sein, daß Etrurien durch die Verwüstungen infolge des Kampfes gegen Sulla zu arm geworden war, oder auch - was uns viel mehr zu gelten scheint -, daß Etrurien (und Umbrien) ein maßgeblicher Teil des Rekrutierungsgebietes der Trium-
1 Appian B.C. V 3, 11; Dio C. XLVIII 2, 2 ff.; Sueton Aug. 13, 3. 2 Lib. colon. 213 L. 3 Vgl. Pais E., Storia della colonizzazione della Roma antica I, Rom 1923, 374. 4 Appian B.C. V 3, 13; 5, 21. 5 Ebda 22, 87. 6 Dio C. XLVIII 8. 7 Appian B.C. V 3, 10 f. 8 Neue Heidelberger Jahrb. 3, 1894, 183. 9 Hermes 18, 1883, 170f. 175 ff.
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virn, besondes Mark Anton und des Oktavian war und deshalb nicht durch Enteignungen beunruhigt und gereizt werden sollte. Diese Regionen spielen auch noch in der frühen Kaiserzeit eine große Rolle für die Rekrutierung des Heeres. Es scheint nicht überflüssig zu sein, dem für Etrurien kurz nachzugehen, da auch dieser Umstand für die Beziehungen zwischen Rom und Etrurien, die von den uns erhaltenen Quellen wenig klar und eindeutig gezeichnet werden, von Bedeutung ist und vorsichtige Rückschlüsse auf die Verhältnisse vor der Kaiserzeit erlaubt. Tacitus 10 sagt von den drei cohortes urbanae und den neun Prätorianerkohorten, sie seien Etruria ferme Umbriaque delectae aut vetere Latio et coloniis antiquitus Romanis. Die Inschriften, die sich auf Prätorianer und Legionäre beziehen, geben in vielen Fällen Aufschluß über die Heimat dieser Personen n. Der Dienst in der Prätorianergarde hatte mehrfachen Anreiz: Hoher Sold, Dienst in der Umgebung des Kaisers und - wenigstens in Friedenszeit der lockende Aufenthalt in der Hauptstad. Nach der Entlassung standen den emeriti verschiedene Aufstiegsmöglichkeiten im Reichsdienst offen 12. Augustus hatte die Rekrutierung für die Prätorianer (und die cohortes urbanae) auf das Prinzip der Freiwilligkeit gestellt. Den Vorteilen des Garded ienstes entsprach natürlich, daß die Kandidaten einer besonderen inquisitio und probatio unterworfen waren 13. Der gehobene Dienst verlangte von vornherein von den Bewerbern neben den allgemeinen soldatischen Tugenden eine gewisse Kultiviertheit. Diese aber war vor allem bei den gehobenen Ständen der Munizipien zu finden 14. Rostovtzeff 15 meint geradezu, daß der Dienst bei der Garde dem jungen städtischen Bürgertum vorbehalten war. So ist auch erklärlich, daß die Prätorianer einerseits verhältnismäßig oft aus Familien kamen, deren Mitglieder munizipale Ehrenstellen bekleideten 16,
10 Ann. IV 5. 11 Bearbeitungen des Materials liegen für die Prätorianer (neben älteren Darstellungen) bei M. Durry, Les cohortes prétoriennes (Paris, 1938) und bei A. Passerini, Le coorti pretorie (Rom 1939) vor; jenes für die Legionäre bei Ritterling, RE XII 1380 ff. und (vermehrt) bei Forni G., Il reclutamento delle legioni da Augusto a Diocleziano (Mailand 1953). Siehe auch Clauss M., Zur Datierung stadtrömischer Inschriften. Epigraphica 35, 1973, 55-95. 12 Passerini 166. 13 Ebda. 142. 14 Ebda. 167. 15 Gesellschaft u. Wirtschaft im röm. Kaiserreich I (Leipzig 1929) 42 f. 77. 87 f. 16 Passerini 164.
DER BEITRAG ETRURIENS ZUM KAISERHEER
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andererseits häufig sie selber nach ihrer Entlassung in ihren Heimatgemeinden zu führenden Stellungen gelangten, auch mit Überspringung niedrigerer Amter 17. Ein gleiches ist für ehrenvoll entlassene Legionäre festzustellen. Ein schönes Beispiel für das Ansehen der Veteranen in ihrer Heimat bieten zwei neuere Inschriften aus dem etrusko-faliskischen Lucus Feroniae 18: a) T(ito) Nasidio Messori / veterano / ex equitibus speculator(ibus) 19 / donis donato ab Aug(usto) /5 adlecto ex decreto dec(urionum) / remissa honoraria / aedilitate / Ilviro col(oniae) Iul(iae) Felicis Luco Feroniae / Hedia Verecunda /10 uxor / l(ocus) d(atus) d(ecreto) d(ecurionum) b) C(aio) Musano C(ai) f (ilio) / primo pilo bis, trib(uno) mil(itum) / praefecto / stratopedarci20 /5 Ilviro quinquen(nali) / ex d(ecreto) d(ecurionum) p(ublice)
I Die Sichtung des Materials bei Passerini (vor allem aus den Latercula militum praetorianorum GIL VI, 1, 2375.2377-2385.2404) ergibt folgendes Bild vom Beitrag Etruriens zu den Prätorianern: Arretium 22 Clusium 13 4 Cortona 5 Faesulae 3 Falerii 2 Ferentium Florentia 22 Forum Clodi 2 Heba21 1 Luca 12 Luna 9 Perusia 7 Pisae 6
aus Blera Pistoriae Populonia Rusellae Saena Sutrium Tarquinii Tuscana Vetulonia Volaterrae Vulci Volsinii Visentium
4 1 1 1 6 1 2 1 2 10 2 11 1
17 Ebda. 166. 18 NScav. 1953, 1*4 u. 15, 19 Zu den équités speculatores, den berittenen kaiserlichen Ordonanzen, siehe Passerini 70 ff.; zu ihrer Verwendung als kaiserliche Leibwache siehe Lammert, RE III A 1585. 20 Praefectus str atop edar ces = praefectus castrorum (Kießling, RE IV A 329). 21 Noch nicht bei Passerini; NScav. 1955, 39: (Z.6) miles pr(a)et(orianus) sta(tionarius)
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Damit sind natürlich keine absoluten Zahlen gegeben; es wird aber die Streuung deutlich. Passerini hebt hervor22, daß schon im 1. Jahrhundert n.Chr. die mittleren und nördlichen regiones Italiae die des Südens merklich übertreffen. Das Faktum belegt ja auch Tacitus (s.o.). Den Grund für diese Differenzierung sieht Passerini im sozialen und ökonomischen Niedergang von Süditalien. Im 2. Jahrhundert verschiebt sich das Hauptrekrutierungsg ebiet noch mehr nach Norden. Dieser liefert nun mindestens eben so viele Prätorianer wie Mittelitalien. Von den bei Passerini 151 f. angegebenen Städten der Regio VII (Etruria) stellen Florentia, Arretium Clusium, Luca, Volsinii und Volaterrae 90 von den 151 erfaßten Prätorianern, das sind 59,6%. Dabei ist bemerkenswert, daß in dieser Spitzengruppe die drei am Italikeraufstand beteiligt gewesenen Städte Arretium, Clusium und Volsinii 23 rangieren, dazu Volaterrae, das einst so zähe um seine civitas und um seinen ager gekämpft hatte24. Unter 112 Prätorianern, die 136 n.Chr. entlassen wurden25, sind neben 31 Transpadanern, 11 Cispadanern und Ligurern 27 Etrusker (das sind 24,5%) und 13 Umbrer und Picener. Den Rest (30 Mann) stellen die übrigen Italiker und die Provinzen. Im Jahre 160 werden 260 Prätorianer entlassen26. Davon
22 A.a.O. 159 f. 23 Kubitschek (De Romanarum tribuum orig. 64 ff.) und Beloch (//. Bund 42) haben nachgewiesen, daß es sich bei den acht Tribus, in welche jene Städte eingeschrieben wurden, die gegen Rom die Waffen erhoben hatten, um die Tribus Arnensis, Clustumina, Fabia, Falerna, Galeria, Pomptina, Sergia und Voltinia handelt. In diesen Tribus finden wir fast alle Städte im Westen und Süden Umbriens, von den etruskischen Städten aber nur Arretium, Clusium und Volsinii. Es sind jene acht Tribus, « to which no colony or civitas sine suffragio or loyal ally is known to have been assigned » wie Fell (Etruria and Rome 163) sagt. 24 Während die Assignation an die Veteranen Sullas nicht angerührt wurde (Cic. de domo 30, 79: de agris ratum est, fuit enim populi potestas; vgl. ad Att. I 19: Sullanorum hominum possessiones confirmabam), wurde immer wieder versucht, den konfiszierten ager von Volaterrae und Arretium, den Sulla (in Volaterrae überhaupt, in Arretium teilweise) nicht assigniert hatte, zur Aufteilung zu bringen. Darauf zielten die von Caesar und Crassus inspirierten leges agrariae des Rullus im Jahre 63 und des L. Flavius im Jahre 60 hin (Geizer, RE VII A 865 ff.). Hier unternahm es Cicero mit Geschick und Erfolg, den betroffenen Städten zu retten, was zu retten war (Cic. ad Att.. I 19: Volaterranos et Arretinos, quorum agrum Sulla publicarat nee diviserai, in sua possessione retinebam. - ad jam. XIII 4: (Volaterrani) a me in consulatu meo defensi sunt. cum enìm tribuni plebis legem iniquissimam de eorum agris promulgavissent, facile senatui populoque Romano persuasi, ut eos cives, quibus fortuna pepercisset, salvos esse velini. - Ebda: hanc actionem meam C. Caesar primo suo consulatu lege agraria comprobavit agrumque Volaterranum et oppidum omni periculo in perpetuum liberava). 25 CIL VI 2375 a, b. 26 CIL VI 2379 a, b.
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sind 105 Norditaliener, 45 Etrusker (das sind 15,4%), 30 Umbrer und 15 Picener. Der Rest (65 Mann) entfällt auf Latium, Kampanien, Samnium und die Provinzen. Unter 41 Prätorianer, von deren Entlassung in den Jahren 182-186 wir wissen27, sind 22 aus Oberitalien (das sind 53,6%), 4 (das sind 9,8%) aus Etrurien, und zwar aus Florentia, Volaterrae, Clusium und Volsinii. Wir sehen, daß selbst bei dem allgemeinen Rückgang der Rekrutierungen aus Mittelitalien Etrurien und Umbrien in den Regionen I-VII führend bleiben.
II Nach dem bei Forni erfaßten Material ergibt sich für die Regio VII folgendes Bild des Beitrages zu den Legionen: Es dienen in der Leg. Leg. Leg. Leg.
II Augusta II Adiutrix IV Flavia VII Claudia
Leg. X Gemina Leg. XI Claudia
Leg. Leg. Leg. Leg. Leg. Leg. Leg.
XII Fulminata XIII Gemina XV Apollinaris XVII XX Valeria Victrix XXII Primigenia XXVIII
1 1 1 2 3 1 2 5 1
1 1 1 1 1 1 1
Mann aus Luca; Mann aus Arretium; Mann aus Luca; Mann aus Arretium und Mann aus Florentia; Mann aus Florentia; Mann aus Arretium, Mann aus Florentia, und Mann, der nach seinem Namen Masterna und den dei avertentes, denen er einen Altar dediziert28, ein Etrusker ist; Mann aus Florentia; Mann aus Florentia; Mann aus Tarquinii; Mann aus Pistoriae Mann aus Luca; Mann aus Faesulae; Mann aus Pisae.
27 AE 1933, nr. 95. 28 Macrobius Sat. Ill 20, 3 nennt nach der von Tarquitius Priscus ins Lateinische über setzten Disciplina Etrusca die dei avertentes als Beschützer der arbores infelices. Vgl. Thulin, Die etruskische Disziplin III 76.95 und Stähelin, RE Suppl. III 184.
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Dies ergibt - natürlich wieder nicht als absolute Zahlenangabe, sondern als Indikator der Entwicklungstendenz -, nach den Heimatgemeinden geordnet, für die Zeit von Augustus bis Traian (später finden wir keine Etrusker mehr in dem uns zur Verfügung stehenden Material): Es stammen aus Florentia 11 Arretium 5 Luca 4 Pisae 1 Pistoriae 1 Tarquinii 1 (unbekannt) 1 (Masterna in der Leg. XI Claudia) Auch hier steht Nordetrurien mit Florentia und Arretium noch an der Spitze. Das Bild, das wir aus dem von Passerini, Durry und Forni vorgelegten Material für Etrurien gewinnen, dürfte in de Hauptzügen der Realität ent sprechen. Aus dem markanten Anteil der Prätorianer an diesem Bild kann wohl folgendes abgeleitet werden: Wenn sich junge Etrusker aus den gehobenen Ständen so zahlreich freiwillig den Fahnen der Kaisergarde verschrieben und dort in Ehren dienten, dann zeigt dies, daß keinerlei nationalistisches Ressentiment eines unter worfenen Volkes bei ihnen bestand. Wenn sie überdies besonders aus dem Norden und Osten von Etrurien, aus Florentia, Arretium, Clusium, Luca, Volsinii und Volaterrae kommen - aus den Gegenden also, wo ein starkes italisches Element von jeher die Hauptkomponente des etruskischen Volkes bildete -, dann läßt dies erkennen, wie sehr das Italikertum seit langer Zeit, besonders stürmisch aber seit dem Bundesgenossenkrieg, die Geschichte Etruriens bestimmt hat. Es waren aber nicht die Etrusker italischer Abstammung allein; auch die von « tyrrhenischem » Ursprung, die Mitglieder ältester Adelshäuser, hatten innerlich und äußerlich den Weg zu Rom gefunden und haben dem Reich in Treue und Ehre gedient. Neben den Mitgliedern des Hauses der Caicna (Caecina) in Volaterrae und den Velimna (Volumnii) in Perusia - um nur die bekanntesten zu nennen - steht als Sinnbild der Freund und Helfer des Augustus, der aus Arretium stammende Cilnier C. Maecenas.
GILBERT-CHARLES PICARD
«L'HOMME À LA FRAISE» HISTOIRE D'UN THÈME DÉCORATIF ÉTRUSQUE
Les ptéryges décorées de la cuirasse de la statue d'Auguste découverte en 1916 à Cherchel 1 portent, à raison d'une sur deux, une figure étrange: une tête virile de face pourvue d'énormes moustaches qui se relèvent en rinceaux et d'une barbe triangulaire aplatie est posée sur une sorte de colle rette rayonnante de onze languettes plus larges à leur extrémité qu'à leur origine; la chevelure est coiffée en bandeaux ondulés. Le tout évoque étonnam ment un contemporain d'Henri IV paré d'une « fraise » tuyautée. Ce masque singulier alterne avec des figures de Satyres ou plutôt de Pans cornus2. Des masques plus ou moins semblables apparaissent sur les ptéryges d'un certain nombre de cuirasses. On les trouve par exemple sur un groupe de statues flaviennes auxquelles appartient le célèbre Mars Ultor du Capitole, et sur un torse de Cosa daté par C. Vermeulle du temps d'Hadrien3. Ce motif, comme la plupart de ceux qui ornent les cuirasses impériales, a été constitué dans les ateliers romains héritiers de l'art néo-attique, dans la
1 M. Durry, Musée de Cherchel, Supplément, 1924, pi. XI et XII, pp. 98-107 CC. Ver meulle, Berytus 13, 1959, p. 55, n. 179, pi. XV, fig. 45. H. G. Niemeyer, Studien zur statuarischen Darstellung der römischen Kaiser, 1968, p. 92 et pl. 12, 2, n. 58. La statue a été trouvée derrière la scène du théâtre, au voisinage du Forum; il y avait là sans doute un sanctuaire du culte impérial (cf. CRAI 1975, p. 386-397). L'identification à Auguste paraît assurée; mais il semble impossible de dater l'œuvre du vivant de ce prince. Le type du décor suggère une datation sous le règne de Domitien (Niemeyer) ou sous celui d'Hadrien (Vermeulle). L'hostilité avérée de Domitien à l'égard de César rend la première de ces data tions peu probable (cf. Stace, Silves, I, 26 sqq. et 84 sqq.). Trajan au contraire a remis en honneur la mémoire de César (J. Beaujeu, La Religion Romaine à l'apogée de l'Empire, p. 91, n. 3). La statue impériale en nudité héroïque (M. Durry, op. cit., p. 80 et pi. VII, 3), trouvée en même temps que l'Auguste, appartient au même groupe que le Trajan de la Glyptothèque Ny Carlsberg (H. G. Niemeyer, op. cit., p. 63). 2 C. C. Vermeulle, Berytus XIII, p. 44, n.s 78 sqq. 3 C. C. Vermeulle, A] A 61, 1957, p. 247; Berytus XIII, p. 59 et pl. XIII, fig. 43, n. 176.
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GILBERT-CHARLES PICARD
seconde moitié du Ier siècle av. J.-C. Nous le retrouvons, en effet, sur des plaques de terre cuite de la série Campana; plusieurs de ces bas-reliefs céra miques ont été découverts par G. F. Carettoni dans le secteur du temple d'Apollon sur le Palatin4; ils proviennent certainement de constructions contemporaines de la fondation, en 36-28 avant J.-C, peut-être, du portique des Danaïdes. Des différences existent entre le masque imprimé sur ces plaques et celui de la statue césaréenne: la barbe est aplatie en ovale, la chevelure bouclée paraît recouverte d'une sorte de béret strié. La présence de la palmette, évoquant la « fraise », le développement en rinceaux des moustaches assure pourtant l'identité des figures. Comme tant d'autres motifs de l'art augustéen, éclectique souvent plutôt que néo-classique, celui-là est emprunté à l'archaïsme, et à l'archaïsme étrusque. Nous en trouvons l'origine sur des attaches d'anses d'œnochoés du type Schnabelkanne, qui ont été cataloguées et étudiées récemment par B. Bouloumié. Celui-ci décrit ainsi l'anse d'un de ces vases provenant de Civita Castellana, et conservé au Metropolitan Museum de New York5: « L'attache inférieure se compose d'une tête de Satyre barbu et moustac hu, dont la chevelure est divisée en tresses qui se déroulent en demi-volutes, de part et d'autre et en sens opposé (à la place des sépales habituels). Au-dessous une demi-volute qui, au centre présente un gros enroulement, et qui finit à l'extérieur en petite palmette latérale, de chaque côté, suspendue comme une clochette végétale. Enfin une palmette terminale, courte et grossière, à neuf feuilles ». Ce type d'anse d'œnochoé, assez rare, est difficile à dater avec préci sion6. On en trouve une interprétation celtique à Klein Aspergle7, datable de la seconde moitié du Ve siècle. Les œnochoés étrusques peuvent être situées, sans trop de précision, dans le cours de ce même siècle. Des anses à figures associées à des palmettes se retrouvent pendant très longtemps. Parmi les plus anciennes Mme Boucher signale par exemple8 une anse du musée de Lyon, qu'elle attribue à une ciste ou à un récipient
4 Rendiconti Pont. Ace. Rom. d'Arch., XLIV, 1971-1972, pp. 123-139, plus particulièr ement p. 135-137 et fig. 9. 5 Bernard Bouloumié, Les œnochoés en bronze du type Schnabelkanne en Italie, Rome, 1975, p. 36 et pi. XIV. Cf. aussi p. 158 et pi. LXX, n. 239. Pour la définition du type, cf. pp. 248-249. 6 Ibid. p. 301 sqq. 7 Bouloumié, p. 181; J. Déchelette, Manuel, p. 1433, fig. 642. 8 Bronzes antiques du musée de Lyon, p. 159, n. 164.
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analogue, datable du Ve siècle; l'attache représente une tête de dieu fleuve dont la longue barbe s'appuie sur une palmette. De nombreux vases métalli ques d'époque impériale, œnochoés ou situles, ont des anses dont l'attache inférieure représente une tête humaine, parfois celle d'un Satyre9, qui peut être posé sur une palmette ou un autre ornement végétal 10. Mais ces décors de qualité souvent médiocre ne gardent guère la pureté du motif originel étrusque qu'on retrouve au contraire sur les plaques Campana et les ptéryges de cuirasse. Le motif connaît, d'autre part, une destinée brillante et imprévue dans l'art celtique. Il s'y introduit par l'imitation des Schnabelkanne étrusques: dès le Ve siècle, l'œnochoé de Klein Aspergle n nous présente une anse à visage de Satyre transformé par l'imagination du bronzier celte. J. Déchelette notait déjà qu'on trouvait sur beaucoup d'ouvrages celtiques ces visages grotesques aux pommettes saillantes, aux yeux globuleux. La palmette se tran sforme en une succession « d'ailes de papillon » imbriquées les unes dans les autres. Le motif de la tête associée à la palmette passe ensuite dans le décor de la bijouterie 12. Mais on est surtout surpris de le trouver dans la sculpture sur pierre: le pilier de Saint Goar, au Musée de Bonn 13, présente au bas de chacune de ses faces une tête allongée, sans doute barbue, posée sur un ornement en forme de fleur de lys renversée, et encadrée latéralement par des sortes de postes posés verticalement. Il ne nous paraît pas douteux qu'il s'agisse encore de notre « Satyre à la palmette » peut-être déjà promu à la dignité divine. Cette promotion en tous cas ne saurait faire de doute, quand nous considérons la figure du dieu aux cerfs du chaudron de Gundestrup. Ce
9 S. Tassinari, La Vaisselle de bronze romaine et provinciale au Musée des Antiquités Nationales, n. 178, p. 68, pi. XXXIV. Il s'agit d'un masque de satyre archaïsant, mais la palmette a disparu. 10 On retrouve une palmette dégénérée au bas de l'anse de l'œnochoé 171 trouvée à Neris; le visage qu'elle supporte pourrait être celui d'un Dionysos ou d'un Satyre jeune de type hellé nistique. Cf. les anses de situle, d'un travail médiocre, nos 125 et suivants où une tête féminine (?) repose sur une feuille de vigne. 11 Supra n. 7. 12 Nous utilisons ici la thèse encore inédite de W. Kruta sur l'art celtique en Bohême. 13 Monument souvent reproduit depuis Winckelmann, et de date très discutée. Cf. par exemple J. J. Hatt, Celtes et G allo -Romains, 1970, p. 104, fig. 38, qui le date du IVe siècle av. J.-C. J. Déchelette, op. cit., p. 1523-1524 le croyait carolingien. Le rapprochement que nous indiquons, et qui n'a pas encore été fait à notre connaissance, apporte évidemment un argument pour la datation haute.
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GILBERT-CHARLES PICARD
personnage, figuré, comme les autres dieux qui décorent l'extérieur du réci pient, par un buste à la tête démesurément agrandie, tient deux cerfs tête en bas, qui s'encadrent entre son visage et ses bras levés. Sa barbe, soigneu sement peignée, repose sur une sorte de collerette formée de six crosses symétriquement distribuées. La forme du buste, aux bras relevés, est très exactement celle de l'anse de l'œnochoé 489 de Civita Castellana à New York. Quant à la collerette, il nous paraît évident qu'elle dérive de la palmette des vases de ce type. Nous ne pouvons ici même commencer à indi quer les conséquences que cette identification peut avoir pour l'interprétation d'un monument sur lequel on a tant écrit. Mais il nous semble indispensable de la signaler aux historiens de l'art celtique. Il est certain que tous les artistes, qui pendant sept siècles environ, ont utilisé la tête de Satyre posée sur une palmette végétale, ont choisi le motif pour sa valeur décorative et non pour sa signification qui d'ailleurs était très faible au départ. Cette transmission formelle a dû se faire, dans la plupart des cas, par l'imitation directe d'objets qui portaient l'ornement. Nous en avons la certitude en ce qui concerne son adoption par les Celtes. Mais il est intéressant aussi de constater que les diverses civilisations ont conféré à l'image un sens en rapport avec l'idéologie dominante de leur société: chez les Celtes, elle a fini par représenter des dieux sans doute importants, chez les Romains elle a été utilisée au service de la propagande impériale 14.
14 II est probable que sur les ptéryges de cuirasses la tête de Satyre était interprétée comme une tête de barbare. On retrouve une tête très voisine de celle des ptéryges de Cherchel sur le plastron de la statue de Trajan du Louvre qui provient de Gabii (Vermeulle, loc. cit., n. 80). Mais ici, la barbe est traitée de manière à suggérer des feuilles d'eau. Il pourrait s'agir d'une tête du Rhin inspirée par celle sur laquelle Vequus Domitiani posait le pied. Si la statue était bien dès l'origine dédiée à Trajan, elle pourrait faire allusion aux événements de 96-97, qui lui valurent le titre de Germanicus. Les ptéryges de Cherchel pourraient aussi faire allusion à la Germanie.
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L'HOMME À LA FRAISE >
(Cliché B. Fortuner) Fig. 1 - Détail de la cuirasse de Cherchel (d'après le moulage de l'Institut d'Art de Paris).
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(Cliché obligeamment communiqué par G. F. Carettoni) Fig. 2 - Plaque de type Campana trou véesur le Palatin.
(Cliché Musée de Saint-Germain) Fig. 3 - Détail du Chaudron de Gundestrup.
DANIELLE PORTE
NOTE SUR LES « LUPERCI NUDI»
Que l'on songe au bouclier échancré des Saliens, à Yapex et au filamen du Flamen Dialis ou à la touffe de verveine sacrée (sagmina) en équilibre sur la tête du Fétial, l'aspect extérieur des prêtres romains ne manque pas de pittoresque. Le costume des Luperques - du moins tel qu'on le concevait jusqu'ici -, est sans doute le plus original en même temps que le plus sommaire de tous: un fouet, une peau de bouc \ il n'en faut pas plus pour esquisser la silhouette traditionnelle du Luperque: « Ils sont nus », écrit Plutarque2, «à l'exception d'un pagne autour des reins». Ledit pagne était découpé dans la peau d'un bouc, comme l'étaient les lanières employées pour la flagellation rituelle3. Tout récemment, A. W. J. Holleman a voulu supprimer la peau de bouc et réduire au seul fouet le costume des célébrants4. Cette thèse révolutionnaire, fondée sur le texte d'Ovide (Fasi., II, 267-452) mérite un examen attentif. Des divers points abordés dans le texte de A. W. J. Holleman, nous n'examinerons ici que la question du pagne des Luperques. Auguste, d'après l'auteur5 qui se réclame du texte de Suétone6 rap pelant la restauration de la fête par le Prince et sa réorganisation dans le 1 Justin, Abrégé des Hist. Phil, de Trogue-Pompée, 43,1: ipsum dei simulacrum nudum caprina pelle amictum est, quo habitu nunc Romae Lupercalibus decurritur. Il est probable que les Luperques étaient oints d'huile (Cicéron, Phil., II, 34, 86; Lactance, Div. Inst, I, 21, 45; Appien, II, 109; Plutarque, Vit. Ant. 12), couronnés de fleurs (Lactance, ibid.) et masqués, ou, du moins, avaient le visage enduit de boue (Lactance, ibid.: personati aut luto obliti). 2 Plutarque, Vit. Rom., 21: έν περιζώσμασι γυμνοί. 3 C'est l'avis général. P. ex., A. Marbach, RE, XIII, 2, p. 1816: Hierauf umgürteten sich die Luperci, zumeist junge Leute, mit den Fellen der geopferten Böcke, und liefen (etc.). 4 Ovid and the Lupercalia, Historia, 22, 1973, p. 260-268. La thèse soutenue est reprise dans: An enigmatic function of the Flamen „Dialis and the Augustan Reform, dans Numen, 20, 3, 1973, p. 222-228. 5 Op. cit., p. 261 et suiv. 6 Aug., 31: Nonnulla etiam ex antiquis caerimoniis paulatim abolita restituii, ut... sacrum Lupereale...; Lupercalibus uetuit currere imberbes.
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sens des bonnes mœurs, aurait introduit des nouveautés à l'intérieur des Lupercales. Si l'on s'avise qu'aucun des textes antérieurs à Ovide n'attribue aux prêtres-coureurs un quelconque vêtement, puisque l'expression normale ment employée pour les désigner est: nudi, c'est que les Luperques étaient entièrement nus avant que la pudibonderie d'Auguste leur imposât le port d'un pagne. Dans cette perspective, la répétition obstinée du mot nudus par Ovide, à un moment où précisément les Luperques n'étaient plus nus, serait à entendre de façon ironique: it is simply intended to ridicule the action of decency by the emperor7. Si l'on doit interpréter en ce sens les vers d'Ovide simplement parce qu'il écrit nudi alors que les coureurs ne sont pas nus, il faut croire alors que Verrius Flaccus, Virgile et Tite-Live8, qui n'emploient pas d'autre mot, n'approuvaient pas l'initiative augustéenne? Nous ne trancherons pas sur la présence ou l'absence de l'ironie dans le texte des Fastes, et procéderons au seul examen des documents que nous possédons et des conclusions qu'ils permettent d'entrevoir. Certes, Suétone a bien mentionné l'intervention d'Auguste dans l'orga nisation de la fête: on sait par lui qu'il empêcha les jeunes gens encore imberbes d'y participer, en même temps qu'il leur interdisait d'assister aux Jeux Séculaires et à tous les Jeux nocturnes. Il semble pourtant que, si le Prince avait habillé des prêtres qui, pendant sept siècles au moins avaient accompli le rituel dans un état de complète nudité, Suétone n'aurait pas manqué de mentionner cette innovation, lorsqu'il signale l'autre initiative d'Auguste, l'élévation de la limite d'âge imposée aux participants; d'autre part, le nouveau décret augustéen aurait sans doute laissé des traces plus visibles dans les ouvrages traitant des fêtes romaines et des Lupercales en particulier9. Rien ne nous autorise à supposer que le texte de Suétone implique d'autres modifications que celles qui y sont explicitement énoncées. Aussi la suggestion de F. Borner 10 exploitée par A. W. J. Holleman: die Restaurat ion legt die Möglichkeit nahe, dass der Kaiser Neuerungen eingeführt
7 Op. cit., p. 263. 8 Paulus-Festus, p. 57 L.; Virgile, Aen., VIII, 653; Tite-Live, I, 5,2. 9 Nous avons employé le même argument contre la thèse de A. W. J. Holleman qui veut que la présence du Dialis aux Lupercales soit aussi une innovation augustéenne tournée en ridicule par Ovide, dans une étude précédente (Trois vers problématiques dans les Fastes d'Ovide, à paraître dans la revue Latomus). 10 Die Fasten, 2, 1958, p. 100.
NOTE SUR LES « LUPERCI NUDI»
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hätte, loin d'être l'expression d'un avis unanime des Modernes n, nous paraîtelle à peu près gratuite. Venons-en à l'examen des mots qui peignent le costume des Luperques et qui tendent à prouver, nous dit-on, qu'avant la décision d'Auguste les coureurs étaient nus. Il est indéniable qu'avant l'époque augustéenne aucune description ne contient autre chose que le terme nudus. Nous n'alléguerons pas qu'il existe seulement deux textes républicains sur les Luperques, et laisserons le bénéfice de l'argument à la thèse de A. W. J. Holleman. L'un de nos textes est la peinture lapidaire que l'auteur des Philippiques trace en trois mots du Luperque Antoine: nudus, unctus, ebrius 12. L'autre, la fiche techni quede Varron: Lupercis nudis lustratur antiquom oppidum Palatinum gregibus humanis cinctum 13. Les textes augustéens où figure le mot nudi, et qui sont à peu près contemporains de la prétendue, réforme augustéenne, ne contredisent pas, comme on pourrait le croire d'abord, la thèse de A. W. J. Holleman: ils se réfèrent, et cet argument est très acceptable, aux époques archaïques, tels les textes de Tite-Live, Virgile, Verrius Flaccus déjà cités 14. Deux textes, ceux de Denys d'Halicarnasse et de Justin 15, parlent d'un vêtement. Nous étudierons le texte de Denys par la suite. Dans celui de Justin, le mot nunc, ainsi que le temps du verbe amictum est, introduisent, dit notre auteur, une distinction entre une nudité primitive et la tenue actuelle du dieu Faunus, qui « a été habillé » d'une peau de bouc 16, - sans doute par un
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11 A. W. J. Holleman, op. cit., p. 261: Modem writters on the subject are unanimous in suggesting that the emperor made other innovations too. Notons d'ailleurs que la traduction anglaise du texte de F. Borner est plus affirmative que l'original: le savant allemand ne parlait que d'une Möglichkeit, le texte anglais traduit par: the emperor made. 12 Cicéron, Phil, III, 12. 13 Varron, L. L, VI, 34. 14 Voir note 8. Un texte de Virgile, Aen., Vili, 282, parle de prêtres pellibus in morem cincti. A. W. J. Holleman, article cité de Numen, 20,3, 1973, nie qu'il puisse s'agir des Luper ques, puisque Virgile traite du culte d'Hercule. Pourtant, Virgile mentionne aussi les Saliens, qui n'ont, à Rome du moins, rien à voir avec ce dieu; s'il ne décrit pas formellement les Luper ques, Virgile a pu imaginer le costume des prêtres archaïques sur le modèle du leur? Ce pellibus reste étonnant, s'il est vrai que les Luperques sont les seuls prêtres romains vêtus de peaux. 15 Le texte de Justin est cité à la note 1; Denys d'Halicarnasse, A.R., I, 80. 16 Op. cit., p. 262: . . which means that the originally nudum statue at some moment « was covered ».
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réflexe identique à celui qui imposa, aux époques de la Renaissance, une feuille de vigne aux marbres antiques! Cette statue de Faunus, nous pouvons nous la représenter assez exacte ment d'après le marbre reproduit dans le lexique de W. H. Roscher 17. Le dieu est nu, à l'exception d'une peau de bouc couvrant le dos et attachée autour du cou. Si vraiment cette peau avait été rajoutée sur la statue par simple décence, l'aurait-on nouée de cette façon? Le marbre, en effet, nous montre Faunus exhibiting (his) genitals 18, et cela nous oblige à considérer la peau de bouc non comme un voile pudique mais bien comme un vête ment rituel du dieu, ce qui rend toute sa valeur au témoignage de Justin qui la mentionne. Faunus n'est pas un Luperque, s'il est appelé couramment Lupercus: rien ne nous oblige à croire que les Luperques nouaient leur peau de chèvre à l'imitation de celle du dieu! Aucun texte ne nous parle d'une peau nouée autour du cou, et le personnage représenté sur le miroir de Bolsena 19, vêtu d'une peau de bouc semblable à celle de Faunus, n'est pas forcément identifiable avec un Luperque, s'il est vrai qu'il ne tient aucunement un fouet, mais le bâton noueux des bergers primitifs.
Il est fort regrettable que A. W. J. Holleman n'ait pas poursuivi sa démonstration en procédant à la contre-épreuve, et examiné aussi les textes postérieurs à l'époque augustéenne. En effet, si la première partie du raiso nnement est juste, (c'est-à-dire: s'il est vrai que les Luperques étaient nus avant Auguste du fait que les textes antérieurs à son règne portent nudi), la réciproque doit se laisser démontrer, et les textes postérieurs à Auguste doivent forcément parler de Luperques « habillés ». Il convient, bien entendu, de distinguer les textes qui évoquent les Luperques primitifs et leur tenue primitive de ceux qui décrivent les Luper-
17 Voir illustrations dans l'article Faunus dû à G. Wissowa, Lexicon de W. H. Roscher, I, p. 1459-1460 et surtout 1465-1466. 18 Op. cit., p. 264. Ce serait le nom des courroies, amiculum Iunonis (Fest, p. 76 L.) qui aurait entraîné l'invention du vêtement de peau. That very name, ajoute l'auteur, is also quite suggestive of the original movement of those thongs as well as of the purpose of the lashing stimulation of the reproductive powers. Trouve-t-on vraiment tout cela dans l'expression: amiculum Iunonis? 19 Voir le même article du Lexicon, p. 1466.
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ques contemporains: cette séparation effectuée, le résultat est tout de même révélateur. Plutarque, dont nous avons cité le texte 20, écrit, en s'inspirant d'Acilius et de Butas, que les Luperques étaient ceints d'un pagne: cette correction apportée au terme γυμνός peut, nous dit-on, n'être valable que pour les époques postérieures au règne d'Auguste. Soit. Mais lorsque Minucius Félix s'apitoie ironiquement sur le sort des malheureux Luperques condamnés à courir tout nus en plein hiver, -nudi cruda hieme discurrunt21 , il fait référence, sans le moindre doute, aux hommes qu'il a pu voir courir, et non à Romulus et Rémus ou à Antoine. Lactance décrit bel et bien des Luperques de son temps, lorsqu'il écrit: Nudi, unctì, coronati, personati aut luto ooliti, currunt22. Et pour nous en convaincre entièrement, citons le texte et le iamque sans équivoque de Prudence: Iamque Lupercales ferulae nudique petuntur Discursus iuuenum... Concluons sur ces textes: si l'on emploie, pour qualifier les Luperques, le mot nudi bien après Auguste, alors que les prêtres sont désormais officie llement vêtus, selon la thèse que nous discutons, de leur peau de bouc, c'est bien qu'il n'existe aucune différence dans la tenue des célébrants avant et après Auguste, c'est bien que « nudus » ne signifie pas « entièrement nu », ce qui, du reste, ne surprendra personne. Un coup d'œil sur l'emploi du mot nudus lèvera tous les doutes. Lorsque Virgile conseille au paysan de labourer et de semer « nu », nudus ara, sere nudus24, il a sans doute en tête la tenue sommaire exigée par la chaleur et le travail physique soutenu. Virgile traduit textuellement un aphorisme populaire d'Hésiode: . . . γυμνον σπείρειν, γυμνον δε βοωτεΐν, γνμνον δ'άμάειν25. Or, le γυμνός grec signifie: «en simple chitôn», «en vêtement de dessous ». C'est la tenue dans laquelle les envoyés du Sénat trouvèrent le futur dictateur Cincinnatus, qui labourait « nu » selon Pline 26, tandis que Tite-Live nous le montre simplement « sans toge » : les deux
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Voir note 2. Octavius, 24. Div. Inst, I, 21, 45. Contre Symmaque, II, 861. Georg., I, 299. Travaux, 391. H.N., XVIII, 320: et quidem, ut traditur, nudo. Tite-Live, III, 26.
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expressions sont donc équivalentes. Imaginerait-on l'octogénaire Spurinna, dont Pline le Jeune loue le genre de vie, se promenant tout nu dans son péristyle, tandis qu'il discute littérature ou philosophie avec ses familiers, qui sont, ajoute Pline, « libres de l'imiter si bon leur semble » 27? Examinons enfin la phrase du Jugurtha 28 où Salluste traduit une sentence de Xénophon: τα τυφλά τοϋ σώματος και άοπλα29, dit le grec. Et le latin répond: nudum et caecum corpus. Revenons à nos Luperques. Si Ovide répète bien, obstinément, le mot nudus au livre II, dans un autre passage des Fastes qu'on ne peut croire ironique puisqu'il ne s'agit plus d'œuvre augustéenne mais de culte ancien national, le poète écrit: Semicaper coleus cinctutis, Faune, Lupercis, Cum lustrant célèbres, uellera secta, uias30. Ce texte est une définition très générale de la course, et le terme employé, cinctuti, doit correspondre au nudi qu'Ovide préfère, au livre II, pour des raisons étiologiques: il est plus facile de trouver des explications à la nudité qu'à la semi-nudité, et d'ailleurs le mot s"émïnudus est interdit dans le distique élégiaque. Dans les récits étiologiques que nous possédons grâce à Servius, où Romulus et Rémus posent leurs vêtements afin de pour suivre les voleurs de bétail, le mot nudus est employé conjointement avec l'expression positis togis31: on conçoit aisément que la toga soit pour la course un embarras sérieux, mais cela n'implique aucunement que les poursui vantsaient éprouvé aussi le besoin d'ôter jusqu'à leur tunica interior et leur subligarl Venons-en, pour finir, au texte de Denys d'Halicarnasse, rédigé à la même époque que les décrets augustéens sur les Lupercales. Décrivant la tenue des Luperques, l'auteur grec note: γυμνούς, ύπεζώσμένους την αιδώ, ώς και νυν ετι δραται 32. Cette phrase, qui annonce un peu déjà la formule de Plutarque, suffit à éclaircir le problème. « Les Luperques sont nus, ceints d'un pagne autour
27Epist., III, 1: in sole, si caret uento, ambulai nudus. 28 Jug., CVII. 29 Cyr., III, 45. 30 Fast, V, 104-105. 51 Servius, Ad Aen., VIII, 343 et 663. 343: illos, iogis positis, cucurisse. 663: Uli, proiectis uestibus, persecuti sunt latrones; quibus oppressis et receptis animalibus, propter rem a nudis prospere gestam, consuetudo permansit (etc.). 32 A. R., I, 80.
NOTE SUR LES « LUPERCI NUDI »
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de leur virilité, comme cela se pratique de nos jours encore ». La remarque adjacente « comme cela se pratique de nos jours encore » suffit à faire comprendre que Denys envisage la tenue des coureurs telle qu'elle a consisté de tout temps, et non pas leur tenue modifiée après les prétendues innovat ionsd'Auguste. Pourtant, A. W. J. Holleman réussit à faire cadrer ce texte avec ses propres vues. Selon lui, Denys aurait copié d'abord une phrase d'Aelius Tubero, son modèle ordinaire, chez qui, selon la thèse que l'auteur moderne soutient, les Luperques sont normalement nus: c'est le γυμνούς de Denys. Puis, l'auteur grec aurait accolé à ce γυμνούς traduisant le nudos d'Aelius, une expression désignant la tenue qu'arborent les Luperques depuis les décrets d'Auguste, et c'est le : ύπεζωομενους την αιδώ. D'où le voisinage des deux expressions contradictoires montrant les Luperques à la fois nus et habillés: it is quite plausible that Dionysus in Tubero coming accross the word nudi - which we know to be the normal and conclusive description of the original Luperci - expanded the notion so as to be in accordance with his own experience of the restored festival^. La seule explication raisonnable de cette alliance de mots en asyndète, inadmissible selon un point de vue purement stylistique si elle recouvre deux états chronologiques différents, est celle-ci: le ύπεζωσμένοι est une correction explicative apportée à un γυμνοί apparu comme trop approximatif, lequel γυμνοί traduisait un nudi d'Aelius Tubero, d'Acilius ou de tout autre, ce nudi signifiant « en tenue légère ». L'expression de Denys est doublée par une expression jumelle de Nicolas Damascène34, qui, lui, ne peut faire référence à l'époque d'Auguste à laquelle il n'appartient pas: γυμνοί (...) τε και διεζωσμένοι. Quant au texte de Plutarque déjà cité, il nous propose une expression voisine, mais à l'envers: εν περιζώσμασι γυμνούς, ce qui permet d'exclure la possibilité que les deux mots se réfèrent à deux états chronologiques différents, dont γυμνούς aurait représenté le plus ancien. Les deux mots γυμνοί et ύπεζωσμένοι, tout comme les mots latins nudi et cinctuti, ne s'excluent pas l'un l'autre, mais se complètent et se précisent.
Nous conclurons ces rapides réflexions par des observations relevant davantage du domaine religieux.
33 Op. cit., p. 262. 34 Vie de César, 21: Λουπερκάλια καλείται, έν ή γηραιοί τε όμον πομπεύονσι χαίγνέοι, γυμνοί, άληλιμμένοι τε και διεζωομενοι.
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Plusieurs auteurs modernes, A. M. Franklin, W. Mannhardt, et, tout récemment, A. Alföldi35, se sont intéressés à l'aspect thériomorphique du rite, et l'on connaît le conflit qui oppose les tenants des Luperques-boucs à ceux des Luperques-loups, conflit que tentèrent de résoudre quelques essais de conciliation tendant à prouver que les prêtres pouvaient être à la fois l'un et l'autre 36. Les recherches anthropologiques ont démontré que l'homme s'assimile à l'animal dont il revêt la peau37. Si l'on supprime cette peau, on risque non seulement de résoudre par le néant le paradoxe de prêtres assimilés au bouc et nommés d'après le loup38, en même temps que de condamner bien des recherches modernes; on risque surtout de ne plus comprendre certains textes anciens: comment aurait-on qualifié les Luperques de Creppi39, si leur seul rapport avec le bouc résidait dans la lanière de peau qui leur servait de fouet? S'il n'est pas entièrement intelligible, le schéma des Lupercales est du moins cohérent: on immole des boucs, on oint de leur sang le front de deux jeunes gens qu'on essuie avec de la laine trempée dans du lait40, on découpe les peaux pour en faire des lanières, et on revêt les coureurs de peaux de boucs. Le pagne ainsi confectionné semble bien posséder une efficacité religieuse, appartenir à un ensemble rituel réalisé autour du bouc, et non pas être né d'un pur souci de moralisation. Si Auguste avait décidé de cacher la nudité de prêtres précédemment nus, ne leur aurait-il pas imposé une tunique, ou tout autre vêtement tissé, au lieu d'aller justement choisir la peau sanguinolente qu'on arrachait au cadavre des victimes? Le rapport qui existe entre la matière qui forme le vêtement des prêtres et les autres rites d'une fête pastorale est trop évident pour être le fruit du hasard, ce hasard fût-il un geste impérial. 35 Respectivement: The Lupercalia, New-York, Diss. Columbia University, 1921, passim; Die Luperealien, Mythologische Forschungen, 1884, p. 72-155; Die Struktur der Voretruskischen Römerstaates, Heidelberg, 1974, surtout p. 1-38. 36 P. ex.: J. Carcopino, La Louve du Capitole, dans BAGB, 4-6, 1924-1925, not. n° 6, p. 16; H. J. Rose, The Luperci, Wolves or Goats? dans Latomus, 8, "1949·, p. 9-14; K. Kérényi, Wolf und Ziege am Fest der Lupercalia, dans Mélanges /. Marouzeau, 1948, p. 309-317. 37 Voir l'étude de A. Alföldi citée supra. 38 Si réellement leur nom provient de lupusl Je partage sur ce point les doutes de E. Gjerstad, Legends and Facts of early roman history, Lund, 1962, p. 11. 39 Ce nom est attesté par le texte de Festus, p. 49 L. 40 Plutarque, Vit. Rom., 21. Pour H. J. Rose, De Lupis, Lupercis, Lupercalibus, dans Mnemosyne, 60, 1933, p. 394, et pour G. Marchetti-Longhi, II Lupercale nel suo significato religioso e topografico Capitolium, 9, 1933, p. 366, le sang, la laine (en ce cas, plutôt: le poil!) et le lait provien nent des boucs (en ce cas, plutôt: des chèvres!) sacrifiés.
JEAN PRÉAUX
«CAELI
CIVIS»
Stratège providentiel de Rome dans sa lutte décisive contre Carthage, Scipion est auréolé par sa jeunesse triomphante: Tite-Live le caractérise d'emblée par ces mots Scipio iuuenis, fatalis dux huiusce belli 1, et évoquera maints épisodes d'une carrière prestigieuse à l'appui de son affirmation limi naire, notamment les visites solitaires et secrètes dans la chapelle de Jupiter, sur le Capitole. Jacques Aymard a dégagé de la version qu'en donne AuluGelle, la part de vérité vécue dans l'organisation de la légende pieuse du héros2. Un autre détail de cette hagiographie mérite d'être joint à celui du silence des chiens du Capitole pour apprécier mieux encore, et dans une large perspective, cette authenticité, certes colorée de merveilleux: c'est le moment de ces entretiens privilégiés. Heures singulières entre toutes, enveloppées de mystère, silencieuses et chargées de mysticisme par la contemplation active du ciel, au point que ce fils de Jupiter n'agit déjà pas autrement que saint Benoît, quelque sept cents ans plus tard, et bien d'autres. Les récits de Tite-Live (26, 19, 5), Valère-Maxime (1, 2, 2), Aulu-Gelle (6, 1, 6) et de l'auteur (Aurelius Victor?) du De uiris illustrious (49) con cordent, si l'on y prend garde, sur l'heure de ces rencontres: Tite-Live Ad hoc iam inde ab initio praeparans animos, ex quo togam uirilem sumpsit, nullo die prius ullam publicam priuatamque rem egit quant in
1 Tite-Live, 22, 53, 6. 2 Jacques Aymard, Scipion l'Africain et les chiens du Capitole, dans Revue des études latines, 31, 1953, p. 111-116. On y joindra la synthèse de Roger Seguin, La religion de Scipion l'Africain, dans Latomus, 33, 1974, p. 3-21, notamment p. 9, n. 17: «même si l'Africain ne fréquenta pas le temple si tôt, ni si assidûment, il n'y a pas de raison pour suspecter TiteLive de mensonge».
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JEAN PRÉAUX
Capitolium irei ingressusque aedem consideret in secreto ibi tempus tereret.
et plerumque solus
Aulu-Gelle
De uiris illustribus
Id etiam dicere haud piget, quod iidem UH [se. C. Oppius et Iulius Hyginus], quos supra nominaui, litteris mandauerint Scipionem noctis extremo, priusquam dilucularet, in Capitolium uentitare ac iubere aperiri cellam Iouis atque ibi solum diu demorari, quasi consultantem de republica cum loue . . .
Publius Scipio ex uirtute Africanus dictus, Iouis filius creditus: ... in Capitolium intempesta nocte euntem numquam canes latrauerunt. Nec hic quicquam prius coepit quam in cella Iouis d i u t i ssime sedisset, quasi diuinam mentem acciperet.
Quant à Valère-Maxime, nous
n'en possédons que
les résumés de
Paris
Nepotianus
Scipio Africanus non ante ad negotia priuata uel publica ibat quam in cella Iouis Capitolini moratus fuisset, et ideo loue genitus credebatur.
Scipio Africanus neque publica neque pnuata prius umquam attigit quam in cella Iouis Capitolini diutissime moraretur antequam uideretur a quoquam.
La divergence entre Aulu-Gelle (noctis extremo, priusquam dilucul aret) et l'auteur du De uiris illustribus (intempesta nocte) n'est qu'appa rente3: leurs sources communes contenaient l'une et l'autre indication parce que Scipion dialoguait avec Jupiter de minuit à l'aube, dans le s ilence de la nuit 4, seul à seul avec son dieu, à l'abri des regards et des
3 Jacques Aymard, op. cit., p. 116, l'avait notée rapidement pour n'y déceler que «l'heure du héros » et rappeler que « les cérémonies en l'honneur des héros ont lieu la nuit, celles pour les dieux du soleil le matin». Généralement, c'est l'aube qui est retenue, par exemple Otto Weippert, Alexander -imitatio und römische Politik in republikanischer Zeit, Augsburg, 1972, p. 39. De son côté, Polybe (10, 2, 5-13) n'évoque pas la scène du Capitole, mais en 10, 5, 5, il rapporte que le peuple attribua à Scipion, lors de son accession à la charge d'édile, des dialogues avec Jupiter de nuit comme de jour, malgré son rationalisme, Polybe est donc le témoin le plus ancien de cette «merveilleuse légende». 4 C'est Virgile (Géorgiques, 1, 247-249) qui semble avoir forgé ce cliché, en distinguant du même coup le silence de la nuit profonde et l'aurore.
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oreilles (in secreto) 5. Et cet entretien durait longtemps: tous les auteurs insistent sur cette méditation prolongée, depuis Tite-Live (consideret et tempus tereret) jusqu'au De uiris illustrious (diutissime sedisset) tandis que l'expression des rédactions les plus anciennes, en langue latine du moins, semble conservée par Aulu-Gelle (diu demorari) comme le suggèrent les résumés de Valère-Maxime (moratus fuisset et diutissime moraretur). Les tours consacrés intempesta nocte et noctis extremo trouvent le meilleur éclairage l'un par rapport à l'autre dans un texte de Juvénal décrivant le travail intellectuel et la méditation suivie que favorisent ces heures, a pparemment creuses, au cours desquelles la nuit féconde le silence intérieur de l'intelligence éveillée: mediae quod noctis ab hora s e d i s t i , qua nemo faber, qua nemo sederei qui docet obliquo lanam deducere ferro 6. C'est depuis l'heure de « minuit » que le savant grammairien Palémon se consacre à de doctes enseignements et recherches sur Horace et sur Virgile, « à une heure dont personne parmi les travailleurs manuels ne voudrait, ni même celui qui enseigne à effiler la laine avec un fer oblique ». Si de minuit à la pointe du jour c'est l'heure propice à une doctrina féconde, on ne s'y livre pas à une activité autre que d'ordre intellectuel et spirituel, celle que favorisent la solitude et le silence 7. A l'aube, le travail manuel et les bruits de la communauté des hommes reprennent et dispersent l'atten-
5 Le tour livien in secreto, loin de renforcer solus, a toute une histoire dans l'ordre des activités intellectuelles et spirituelles, que je dois laisser ici de côté. 6 Juvénal, 7, 222-224. 7 C'est sans doute le sens qu'il faut donner au mot fameux - et profond - de Scipion selon Cicéron rapportant le témoignage de Caton: numquam se (se. Scipionem) minus otiosum esse quant cum otiosus, nec minus solum quam cum solus esset. Cicéron, De officiis, 3, 1 le commente utilement: magnifica uero uox et magno uiro ac sapiente digna, quae déclarât illum et in otio de négotiis cogitare et in solitudine secum loqui solitum, ut neque cessaret umquam et interdum conloquio alterius non egeret. Ita duae res, quae languorem adferunt ceteris, illum acuebant, otium et solitudo. Ce qui distingue Scipion de la masse, qu'il intrigue par là-même, c'est l'ascèse de i'otium et de la solitudo, conditions essentielles du monologue intérieur (secum loqui). Voir aussi l'analyse de J.-M. André, L'otium dans la vie morale et intellectuelle romaine des origines à l'époque augustéenne, Paris, 1966, notam mentp. 58-65.
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tion; un beau texte de Varron, précisément dans ses Endymiones8, exploite ce thème à des fins philosophiques: animum mitto speculatum tota urbe, ut quid facerent homines, cum experrecti sint, me facerent certiorem; siquis m e 1 i u s operam sumeret, ut eius consilio potius u i g i 1 i u m adminicularem nostrum: quid uidit? Alium curuantem extremo noctis tempore. A l'heure où les hommes se remettent debout pour vaquer à leurs occupations, en se courbant sur une tâche pénible, qui leur pèse, les ténèbres de la nuit commencent à peine à se dissiper: hélas! le travailleur, recru de fatigue physique, a dormi, il n'a pas pu « veiller », dès lors il n'a trouvé ni appui ni conseil au cours d'un dialogue intérieur avec son démon personnel, avec sa conscience, pour « mieux entreprendre » la tâche qui l'attend inexorablement dès l'aube9. Scipion, au contraire, avant d'entreprendre quoi que ce soit (prius ullam publicam priuatamque rem egit selon Tite-Live), a la force physique, intellectuelle, morale de se recueillir seul à seul devant
.
8 Ce fragment difficile pose beaucoup de problèmes, mais je m'en tiens à l'interprétation des derniers mots qu'a proposée E. Norden, dans le Rheinisches Museum, 27, 1872, p. 528 (= Kleine Schriften, p. 62). 9 Pierre Boyancé, Les «Endymions» de Varron, dans Revue des études anciennes, 41, 1939, p. 319-324 (= Etudes sur la religion romaine, Rome, 1972, p. 283-289) a montré que ce fragment varronien devait être joint au dossier qu'il a ouvert par son étude sur Les deux démons personnels dans l'antiquité grecque et latine, dans Revue de Philologie, 9, 1935, p. 189-202: uigilium nostrum est une allusion au rôle des démons comme «surveillants des actions des hommes», la formule varronienne signifiant que «l'action bienfaisante des démons vient appuyer une bonne résolution préexistante - ou plutôt s'appuyer sur elle: « Aide-toi, le ciel t'aidera», et surtout l'expression eius consilio de Varron «semble bien provenir du désir de concilier un certain libre arbitre de l'homme avec cette grâce surnaturelle qu'est le secours du bon démon». J'ajouterais volontiers qu'Ammien Marcellin (21, 14, 5), utilisant un aspect de cette tradition d'origine pythagoricienne, reproduit un catalogue d'initiés prestigieux: itidem . . sempiternis Homeri carminibus intelligi datur, non deos caelestes cum uiris fortibus conlocutos, nec adfuisse pugnantibus uel iuuisse, sed familiaris genios cum isdem uersatos, quorum adminiculis freti praecipuis, Pythagoras enituisse dicitur et Socrates, Numaque Pompilius, et superior Scipio, et (ut quidam existimant) Marius et Octauianus, cui Augusti uocabulum delatum est primo, Hermesçue Termaximus, et Tyaneus Apollonius atque Plotinus etc. Le verbe enituisse mériterait une étude. Voir aussi les observations très riches sur les Endymions de Varron par Luigi Alfonsi, Le Menippee di Varrone, dans Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, I, 3, 1973, p. 26-59 (spécialement p. 41-57) et par J.-P. Cèbe, Varron, Satires Ménippées, fase. 3, Rome, 1975, p. 446-474.
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Jupiter10, et cette ascèse a lieu obligatoirement de minuit à l'aube car elle met à profit les bonnes heures de la nuit: Juvénal (mediae noctis ab hora) et Varron {extremo noctis tempore) garantissent tour à tour les deux indica tions temporelles des récits de ces dialogues de Scipion, intempesta nocte et noctis extremo, priusquam dilucularet. Pierre Courcelle a jeté les lumières de son érudition sur la première de ces locutions pour nous apprendre qu'elle « a évoqué, depuis Cicéron et Salluste jusqu'au XIIe siècle, tout un décor romanesque pour les grandes actions militaires ou criminelles, mais aussi pour les expériences mystiques » n. Dans ses Dialogues, Grégoire le Grand affirme que saint Benoît, au cours d'une veille, intempesta noctis hora (à minuit), accoudé à la fenêtre d'une tour, dans le silence total de la nuit, que ne troublent pas ses frères endorm is,eut une vision alors qu'il était en pleine prière offerte à Dieu. Il vit une lumière inonder les ténèbres et, du haut de son observatoire, le saint, éclaboussé par cette clarté rayonnante, distingua à la fois deux choses, l'étrange petitesse du monde (uelut sub uno solis radio collectus) et l'ascension au ciel de l'âme de l'évêque Germain, qui venait de mourir (uidit Germani Capuani episcopi animam in sphera ignea ab angelis in caelum ferri). Aux textes de ce dossier qui vient d'être si diligemment et si rich ement constitué par Courcelle sans doute convient-il de joindre ceux qui décrivent la quête de Scipion au sommet du Capitole, dans la chapelle de Jupiter, et de se demander si, comme saint Benoît, Scipion tentait déjà une expérience mystique ou si ce n'était qu'une habile mise en scène bien étrangère à toute expérience vécue: réalisme ou affabulation 12? C'est poser
10 Solus, garanti par Tite-Live et par Aulu-Gelle, inscrit le texte dans les perspectives du secum loqui et de toute la tradition du «connais-toi toi-même», dont Marc Aurèle, quelque quatre cents ans après Scipion, sera un nouveau témoin en soulignant l'indispensable méditat ion qui précède l'action: ότι αρκεί προς μόνω τω ένδον εαυτοϋ δαίμονι -είναι και τούτον γνησίως ϋεραπεΰειν (2, 13). Sur cette tradition delphique, Pierre Courcelle, Connais-toi toi-même de Socrate à saint Bernard, Paris, 1974-1975, 3 volumes. 11 Pierre Courcelle, Intempesta node, dans Mélanges d'histoire ancienne offerts à William Seston, Paris, 1974, p. 127-134. Voir aussi La vision cosmique de saint Benoît, dans Revue des études augustiniennes, 13, 1967, p. 97-117 et La Consolation de Philosophie dans la tradition littéraire. Antécédents et postérité de Boèce, Paris, 1967, Appendice II, p. 355-372. 12 Tite-Live (26, 19, 3-4) recourt notamment au concept ostentatio: fuit enim Scipio non ueris tantum uirtutibus mirabilis, sed arte quoque quadam ab iuuenta in ostentationem earum compositus, pleraque apud multitudinem aut per nocturnas uisas species aut uelut diuinitus mente monita agens, siue et ipse capti quadam superstitione animi, siue ut imperia consiliaque uelut sorte oraculi missa sine cunctatione exsequerentur. C'est à cette réflexion que Tite-Live lie sa relation des entretiens de Scipion avec Jupiter.
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la question de la sincérité de la religion de Scipion, celle aussi de son exigence la plus intime par rapport à celles du mos maiorum. Il ne sera dès lors pas inutile de verser à ce dossier sur le silence propice aux visions cosmiques un texte, à première vue bizarre par son romanesque même, mais, à la réflexion, . digne d'être pris en considération parce que son auteur, Martianus Capella, a élaboré très lucidement la trame de son récit initiatique des noces de Philologie et de Mercure 13. Lorsque Junon cherche à convaincre son époux d'agréer Philologie comme leur bru, au ciel, dans la Voie lactée, elle trace le portrait suivant de sa protégée: Tune Iuno « atquin » ait « eiusdem conuenit uirginis (se. Mercurium) subire uinclum, quae illum etiam quiescere cupientem coniuere non perferat. An uero quisquam est, qui Philologiae se asserat peruigilia laborata et lucubrationum perennium nescire pallorem? Quae (se. Philologia) autem noctibus uniuersis caelum, fréta Tartarumque discutere ac deorum omnium sedes curiosae indagis perscrutatione transire, quae (se. Philologia) textum mundi circulorumque uolumina uel orbiculata parallela, uel obliqua, decusata, polos et limmata axiumque uertigines cum ipsorum puto siderum multitudine numerare, nisi haec Philologia gracilenta quadam affi χ ione consueuit, quotiens deos super eiusdem coactione instanti aque conquestos, cum eos concubiae aut intern ρ estae noctis si lenti o quiescentes flrf se uenire inaudita quadam obsecratione compelleret? Tarn uero abest ut sub hac (se. uirgine) possit pigrescere ìntricarique Cyllenius, ut commotis ab eadem suscitatisque pennis extramundanas petere latitudines urgeatur. Cur igitur, rex optime, differuntur (se. nuptiae), cum pro sola Atlantiadae sollertia duos u i g i 1 e s repromittam? » 14.
13 De nombreux essais ont rectifié depuis quelque vingt ans l'erreur d'appréciation de l'œuvre de cet érudit carthaginois du Ve siècle: on en prendra une bonne mesure dans l'excellente édition commentée du 2e livre que vient de procurer Luciano Lenaz, Padoue, 1975, Voir aussi l'essai intelligent et audacieux à la fois de Fanny Le Moine, Martianus Capella. A Literary Re-evaluation, Munich, 1972. 14 Je ne peux examiner ici les nombreux problèmes que pose ce discours (1, 37-38) si dense de Junon, d'une écriture très élaborée: j'en reproduis le texte établi par A. Dick (Teubner, 1925; 2e éd., 1969) et me contente d'indiquer que la leçon instantiaque n'est pas la meilleure sans doute (les manuscrits donnent stantiaque et constantiaque) , tandis que la
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Ce texte très dense présente Philologie comme une initiée à l'astronomie surtout, science à laquelle elle consacre chacune de ses nuits (noctibus uniuersis), dans un incessant labeur de son intelligence aux aguets (peruigilia laborata, lucubrationum perennium pallorem): cette quête curieuse des demeures des astres et des dieux (curiosae indagis perscrutatio 15) a entraîné {consueuit) et habitué Philologie a poser un certain regard (quadam affixione) sur ces dieux-astres pour les contraindre à sortir de leur repos cosmique (deos . . . quiescentes) , qu'ils savourent à la même heure de la nuit que les hommes, dans le profond silence du premier sommeil ou du milieu de la nuit (concubiae aut intempestae noctis silentio16). Cette prière intense et secrète est d'une qualité particulière {inaudita quadam obsecratione): elle vaut à Philologie le pouvoir de contraindre Mercure à déployer ses ailes (commotis suscitatisque pennis 17) pour s'élever vers les régions hypercosmiques auxquelles aspire celle qui veille, nuit
la correction défendue par W. Bühler dans Hermes, 92, 1964, p. 123-125, ne me paraît pas devoir être retenue (il suffit de sous-entendre memini, ou même puto, dans le passage en question: ... consueuit, quotiens (se. memini) deos... conquestos (esse), cum eos... quiescentes ad se uenire... compelleret). 15 La litière dans laquelle Philologie fera l'ascension du ciel, est escortée par quatre person nages, deux masculins, Labor et Amor, deux féminins, Epimelia et Agrypnia, tandis qu'en tête de ce cortège s'avancent le chœur des muses et d'autres personnages, et qu'en suite du cortège vient surtout Periergia... curiose uniuersa perscrutans atque interrogans (2, 143-146). C'est tout le symbole de la Curiositas. 16 Martianus Capella renforce le motif virgilien intempestae noctis silentio par l'adjectif concubia (se. nox) pour désigner la première partie de la nuit, avant minuit (Macrobe, Saturn., 1, 3, 12 et surtout 15). C'est l'heure mystique, celle du Visiteur du soir: cf. ce texte de André de Fleury cité par P. Courcelle (dans Mélanges offerts à William Seston, 1974, p. 133, n. 35): qua in ecclesia, angelicae uisitationis excubiae, splendor quoque supremae Celsitudinis, sub conticinio intempestae noctis, quam frequentissime notissimum est apparere (Miracula s. Benedicti, 6, 13). L'expression conticinium est synonyme de concubia nox. 17 Le verbe suscitare mériterait une longue note: qu'il suffise ici de relever qu'Ammien l'utilise dans sa description des visions nocturnes de l'empereur Julien, lorsqu'il « se levait au milieu de la nuit» (nocte dimidiata exsurgens) pour «prier secrètement Mercure, que l'enseign ement des théologiens donne pour l'intelligence de l'univers, celle qui, plus prompte que les autres esprits éveille leur activité» {occulte Mercurio supplicabat, quem mundi uelociorem sensum esse, motum mentium suscitantem, theologicae prodidere doctrinae). Et Ammien ajoute que Julien, à ces moments-là de silence et de communion cosmique, «s'occupait avec compétence de toutes ses obligations envers l'Etat» (explorate rei publicae munera cuncta curabat). Je reviendrai ailleurs sur cette page d'Ammien (16, 5, 4-8), parce qu'elle s'éclaire par la confluence de traditions initiatiques, spécialement celles qui associent Julien à Alexandre (qui vient d'être cité!) et à Scipion.
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après nuit, et scrute les espace intersidéraux, et notamment la Voie lactée, à la limite du visible. La mention d 'Atlantiades pour désigner Mercure dans ce passage n'est pas gratuite, ni une vaine marque d'érudition: Martianus Capella entend ici rappeler que le dieu du Cyllène est le petit-fils d'Atlas par Maia18, et dès lors un descendant de Japet, le Titan, l'audacieux puni par Jupiter. C'est le type aussi du savant éveillé et qui sans cesse cherche: uigil. Cette attitude titanesque, prométhéenne, herculéenne, est aussi celle de Philologie, et dans les pays d'Afrique du Nord, en Maurétanie et en Numidie (chez Massinissa entre autres), la chaîne de montagnes de l'Atlas se dressait haut dans le ciel, « plus loin de tout pays, dans celui des Ethiopiens, où le grand Atlas fait tourner sur son épaule la voûte à laquelle les astres enflammés sont ajustés » 19. Pierre Boyancé a confirmé les recher chesde Tièche20 en indiquant qu'Aristote n'est pas le premier à avoir affirmé cette symbolique d'Atlas, mais qu'il la tient des pythagoriciens, dire ctement ou par Platon. J'ajouterais que Scipion a pu aussi en percevoir direct ementles harmoniques en Afrique même, sans doute auprès de Massinissa. D'Aristote à Archimède, Atlas fut l'objet de travaux tant astrono miques que philosophiques21. Au cours de Parétalogie de Pythagore, pré parant celle de Numa, confident de Jupiter, Ovide explique comment par l'astronomie on exerce les yeux spirituels (oculis pectoris) pour tenter d'accéder à la vision cosmique. Comme les fils de Japet (Atlas, Prométhée, Héraclès, ensuite Hermès et l'Africain Iopas), comme Pythagore et tous les titans de la quête spirituelle, Scipion, en terre italienne comme Numa naguère, se complaît dans la familiarité secrète des astres, dont la connaissance
18 Ovide, Métam., 2, 704; 834; 8, 628; Fastes, 5, 663. Horace, Odes, 1, 10, 1: Mercuri, facunde nepos Atlantis. 19 Virgile, En., 4, 480-482. Cf. Pierre Boyancé, Virgile et Atlas, dans Mélanges d'histoire ancienne offerts à William Seston, 1974, p. 49-58. 20 Edouard Tièche, Atlas als Personifikation der Weltachse, dans Museum Helveticum, 2, 1945, p. 65-86. Voir aussi Albin Lesky, Hethitische Texte und griechischer Mythos, dans Gesammelte Schriften, 1966, p. 356-378. 21 L'une de ces exégèses du mythe d'Atlas, celle d'Aristote, De caelo, 2, 1, 2-6, 289 a 19 suiv., met en cause ceux qui croient qu'Atlas est un appui nécessaire de la voûte céleste et ceux qui pensent que le ciel doit être soutenu par une « nécessité pleine d'énergie psychique » (άναγκή έμψυχος): Pierre Boyancé, art. cit., à la note 20, attire l'attention sur le «fuseau de lumière comparable à une colonne» du mythe final de la République de Platon: vaste problème, délicat aussi, auquel il convient de joindre, je pense, celui que pose la «religion éclairée» de Scipion l'Africain.
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élève et fortifie l'esprit à l'écoute de ses rythmes propres et nourrit l'action prescrite par le fatum et inscrite dans les positions des planètes: iuuat ire per alta as tra, iuuat, terris et inerti sede relieta, nube uehi ualidìsque umeris insistere Atlantis palantesque homines passim et rationis egentes despectare procul trepìdosque obitumque timentis sic exhortari seriemque euoluere fati22. Pareille référence à Atlas, prêtée à Pythagore par Ovide23, est ap puyée sur l'un des motifs obligatoires de toute vision cosmique: la prise de conscience de la petitesse des hommes, de leur terre, de leurs chemi nements et de leurs égarements. C'est comme si Ovide transportait l'obser vatoire du Politique de Platon24 sur les épaules puissantes d'Atlas, du haut desquelles Pythagore se plaît (iuuat: ce choix du verbe mériterait qu'on l'examine!) à jeter un regard apitoyé sur les hommes25. La station singulière de Pythagore, debout sur les épaules d'Atlas, tel un nain sur celles d'un géant26, est couplée à celle du verbe insistere: est-ce un
22 Ovide, Métam., 15, 147-152. Le contexte est important, aussi bien celui des vers 143-147 que ceux du début de ce portait célèbre de Pythagore, les vers 60 et suivants: cumque animo et uigili perspexerat omnia cura, / in medium discenda dabat coetusque silentum / dictaque mirantum magni primordia mundi / et rerum causas, et, quid natura, docebat. Pythagore, comme son disciple Scipion, est à la fois un solitaire, lorsqu'il est contemplatif et studieux, et un maître, lorsqu'il communique son savoir. Cf. Archytas, selon un texte peu utilisé de Cicéron, Laelius, 88: «Si quis in caelum ascendisset naturamque mundi et pulchritudinem siderum perspexisset, insuauem illam admirationem ei fore, quae iucundissima fuisset, si aliquem, cui narraret, habuisset». Sic natura solitarium nihil amat semperque ad aliquod tamquam adminiculum adnititur, quod in amicissimo quoque dulcissimum est. 23 Roland Crahay et Jean Hubaux, Sous le masque de Pythagore, dans Ovidiana. Recherches sur Ovide, Paris, 1958, p. 283-300. 24 Platon, Politique, 272 e. Cf. Pierre Courcelle, La Consolation de Philosophie dans la tradition littéraire..., Paris, 1967: «L'observatoire du contemplatif», p. 357-363, et « L'étroitesse de la terre selon Grégoire le Grand et Sénèque », p. 363-366. 25 Le motif est utilisé à la fin de l'éloge funèbre de Népotien par saint Jérôme, qui le joint à Pexemplum de Xerxès: ο si possemus in talem ascendere speculum de qua uniuersam terram sub nostris pedibus cerneremus! (Epist., 60, 18). Cf. à propos de Dante: Alfonso Traina, «L'aiuola che ci fa tanto feroci». Per la storia di un topos, dans Poeti latini (e neolatini). Note e saggi filologici, Bologne, 1975, 305-335. 26 Juvénal, 8, 32 atteste qu'on désignait un géant ou un nain du nom d'Atlas (nanum cuiusdam Atlanta uoeamus, / Aethiopem eyenum, etc.): pareille dérision associe Atlas à Aethiops comme chez Virgile, En., 4, 481, le premier nom de ce pays «ultime des Éthiopiens», à la limite du monde et du soleil couchant, est précisément Atlantia (Pline, N.H., 6, 30, 187).
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hasard si Philologie, parvenue aux confins du monde stellaire, au terme de son ascension, voit totam caeli molem machinamque t ο r q u e r i 27, et cherche le créateur en s'abîmant dans une longue prière silencieuse, iuxta ipsum extimi ambitus murum annixa genibus (2, 200-205), ce qui lui vaudra d'accéder à l'apothéose dans la Voie lactée? Cet appui des genoux sur le mur même de l'ultime cercle du monde28 est le même que celui « des âmes qu'on dit immortelles et qui, parvenues au sommet de la voûte céleste, s'avancent au dehors, se dressant alors sur le dos de cette voûte, et qui, ainsi dressées, sont emportées par sa révolution circulaire tandis qu'elles contemplent les réalités qui sont en dehors du ciel » 29. La métaphore célèbre de Platon, soulignée par deux fois, est déjà celle d'Hésiode pour Atlas, représenté « dressé tout droit (tel un pilier), soute nant de sa tête et de ses mains infatigables, le vaste ciel ...» 30. Elle est aussi celle d'Eschyle dans ces vers prestigieux sur Prométhée, frère d'Atlas et fils de Japet: δς προς έσπερους τόπους ε σ τ η κ ε κίον' ούρανοΰ τε και χϋονός ώ μ ο ι ς ερείδων, άχυος ουκ εύάγκαλον 31. Atlas et ses pareils, Prométhée, Héraclès, Iopas, connaissent les lois du monde: atronomes et astrologues, ils enseignèrent à Pythagore, et à ses disciples, la libération spirituelle par la contemplation active de ces lois. L'une des formulations les plus réussies me paraît être de nouveau celle d'Ovide, peut-être parce que l'exilé de Tomes y exprime sa foi profonde32: Quid uetat et Stellas, ut quaeque oriturque caditurque, dicere? Promissi pars sit et ista mei!
27 Le verbe torqueri est virgilien à propos d'Atlas justement, En., 4, 482; 6, 797. Voir les observations pertinentes de Pierre Boyancé dans son étude sur Virgile et Atlas, op. cit., p. 56-57. 28 C'est là aussi que Dieu se tient et fixe le lieu de rencontre, au témoignage que Clément d'Alexandrie, Protreptique, 6, 68,3 verse au crédit des païens, «qui reconnaissent que Dieu est toujours en haut, sur la voûte du ciel, dans son observatoire personnel et particulier». Cf. Platon, Phédon, 247 b. 29 Platon, Phèdre, 247 b-c. 30 Hésiode, Théogonie, 517-519; cf. 746-747. 31 Eschyle, Prométhée enchaîné, 348-350. 32 Cet éloge ovidien de l'astronomie {Fastes, 1, 295-310) ne me paraît pas devoir être dissocié, quoi qu'on en ait écrit, de cette indication autobiographique des Tristes, 4, 10, 19-20:
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Felices animae, quibus haec cognoscere primis inque domus superas scandere cura fuit! Credibile est illos pariter uitiisque locìsque a 1 1 i u s humanis exeruisse caput. Non Venus et uinum sublimia pectora fregit officiumque fori militia eue labor, Admouere oculis distantia sidéra nostris aetheraque ingenio supposuere suo. Sic ρ e t i t u r caelum, non ut ferai Ossan Olympus, summaque Peliacus sidéra tangat apex. Nos quoque sub ducibus caelum metabimur Ulis ponemusque suos ad uaga signa dies. Ce texte, si riche et si personnel, par lequel Ovide s'inscrit dans une large tradition, oppose nettement deux types de conquérants du ciel, les Géants, foudroyés par Jupiter, aux Titans, qui, comme Atlas et ses disciples, eurent l'audacieuse curiosité d'escalader les cieux par les yeux de l'intelligence: la mesure du ciel, l'astronomie, est à la mesure de la terre, la géométrie, comme la contemplation l'est à l'action, qu'elle prépare, nourrit et organise grâce aux connaissances des rythmes saisonniers, bref par la science du calendrier, garante de la supériorité « divine » du chef de guerre, qui sait faire parler les armes à bon escient. Scipion l'Africain avait découvert ce secret et l'entretenait jalousement lorsqu'il faisait retraite dans la chapelle de Jupiter. Cicéron confirme ceci de façon éclatante, je pense, lorsqu'il décrit, dans un passage trop peu étudié de son Cato Maior, comment cette tradition du chef éclairé, parce que initié à l'astronomie, s'est ancrée dans la famille du vainqueur de Zama: au sein de l'état-major de Paul-Emile, vainqueur de Pydna, un astronome, confident du chef de guerre, prédit l'éclipse de lune dans la nuit du 21 au 22 juin 168 avant notre ère, la veille du jour de la défaite du roi Persée par Rome 33. Les termes choisis par Cicéron
at mihi iam puero caelestia sacra placebant / inque suum furtim Musa trahebat opus. Cette passion intellectuelle jugée inutile par le père d'Ovide (studium inutile) n'est pas seule ment celle de la poésie préférée au barreau, mais celle, plus générale, du culte des muses, d'origine pythagoricienne. 33 Cicéron, Caton, 49. Plusieurs motifs s'entrecroisent ici, qui tous concourent à mieux saisir le sens des entretiens de Scipion: tamquam enteritis stipendiisi animum secum esse secumque, ut dicitur, uiuere; pabulum; mori in studio (c'est Vimmoritur studiis d'Horace, Epîtres, 1, 7, 85, c'est la cura uigil et la curiositas de Philologie); aliquid describere; et surtout noctu... mane!
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pour exalter cet épisode fameux pourraient être retenus pour percer les secrets de ces entretiens de Scipion avec Jupiter, de minuit à l'aube: At ilia, quanti sunt, animum tamquam emeritis stipendiis libidinis, ambitionis, contentionis, inimicitiarum, cupiditatum omnium secum esse secumque, ut dicitur, u i u e r e ! Si uero habet aliquod tamquam pabulum studii atque doctrinae, nihil est otiosa senectute iucundius. Mori paene uidebamus in studio dimetiendi caeli atque t e r r a e C. Gallum, familiärem patris tui, Scipio; quotiens illum lux η ο e t u aliquid describere ingressum, quotiens η ο χ oppressif, cum mane coepisset! Quam delectabat eum defectiones solis et lunae multo ante nobis praedicere! L'astronome C. Sulpicius Galus (ou) Gallus 34 fut l'Archimède des milieux dirigeants de Rome au lendemain de la prise de Syracuse: c'est lui qui enseigna notamment comment lire le planétaire (sphaera) inventé par le savant assassiné en 212 35. C'est d'ailleurs Archimède lui-même qu'on peut reconnaître aussi dans les vers ovidiens des Fastes tout comme dans ceux des Géorgiques virgiliennes 36: Martianus Capella, au Ve siècle de notre ère, en fera encore l'un des héros, comme Euclide, de l'aventure humaine, au seuil même de son exposé sur la géométrie, dans un éloge où il retrouve le verbe requis par Ennius dans son éloge de Scipion. La rareté même de ce verbe, aequiperare, plaide-t-elle en faveur d'un emprunt conscient? D'autant qu'Archimède est ici associé étroitement à Jupiter:
34 Je n'entre pas ici dans la discussion de ce problème, cf. en dernier lieu G. Winkler, dans le Kleine Pauly, 1975, s.v. Sulpicius, col. 424 (en faveur de Galus). 35 Cicéron, De republica, 1, 21 et 23. Pline, N.H., 2, 53 insiste sur les effets militaires de cette «révélation» de Sulpicius, astronome et tribun militaire à la fois: il libéra les soldats de toute angoisse (sollicitudine exercitu liberato). Oh songe à l'épisode «miraculeux» des vents lors de la prise de Carthagène par Scipion, capable d'interpréter scientifiquement cette brusque saute du vent droit au septentrion, et en dégager sur-le-champ les conséquences sur le plan de la tactique du siège de la ville. Tite-Live narre l'épisode de Pydna en des termes qui pourraient convenir à Scipion: Sulpicius. .. pronuntiauit node proximo,, ne qui id pro portento acciperet, ab hora secunda usque ad quartam horam noctis lunam defecturam esse (44, 37, 6) et dès lors l'interprétation des soldats: ... Romanis militibus Galli sapientia prope diuina uideri (44, 37, 8). 36 Pierre Courcelle, Le souvenir d'Archimède en Occident chrétien, dans Convivium Dominicum. Studi sull'eucarestia nei Padri della Chiesa antica e miscellanea patristica, Catane, 1959, p. 289-296.
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Omnia compar habet (se. sphaera) paribus sub legibus ordo, nee minus haec mira est quam domus alta deum. Hanc mundo assimilem stupuit Trinacria tellus Archimedea astrificante manu. Ο felix cura et mentis prudentia maior corpore sub nostro aequiperasse Iouem!37. Le sens de l'épitaphe de Scipion par Ennius devrait être davantage établi en tenant compte de l'acception de ce verbe aequiperare puisque le poète l'a conçue en termes astronomiques (a sole oriente) et géographi ques (supra Maeotis paludes), qui impliquent la course complète du soleil de l'Est à l'Ouest, où il « plonge dans l'Océan » derrière les colonnes d'Hercule ou d'Atlas; il faudrait surtout évaluer le sens de factis, ces « exploits militaires » certes, mais préparés par la connaissance des lois du monde cosmique (par cette uirtus, ce consilium à propos de quoi Cicéron allègue justement ces deux vers d'Ennius dans ses Tusculanes, 5, 49); enfin les deux autres vers de cette épitaphe proclament le secret de cette sagesse révélée à Scipion: endo plagas caelestum ascendere est d'abord cette tension de l'esprit éveillé par l'étude constante des disciplines qui constitueront un jour ce quadriuium au sein des arts libéraux. Apothéose de l'homme d'Etat certes, mais d'abord de l'homme d'étude, du sapiens uir: immortalité astrale dans la Voie lactée aux côtés de Pythagore, Platon et Archimède entre autres, comme l'espère Philologie par ses mérites38. La mort d'Archimède ne passa pas inaperçue: Scipion découvrit-il le savant à ce moment-là? On n'a guère retenu un témoignage de TiteLive, qui, à la date de 204, tente de justifier l'étrange comportement de celui qui venait de remporter une éclatante victoire en Sicile: le vainqueur affecta de ne pas se soucier de Carthage et préféra déambuler ostensibl ement dans les gymnases et jouir des agréments de Syracuse, . . . cum pallio crepidisque inambulare in gymnasio, libellis eum (se. Scipionem) palaestraeque operam dare (29, 19, 12). Ce manteau du philosophe préféré à la toge du citoyen romain, ces crepidae au lieu des calcei tracent un programme,
37 Martianus Capella, 6, 583-585, v. 21-26. Dans le paradis des intellectuels, situé dans la Voie lactée, Martianus fait voisiner Archimède et Platon, tous deux sphaeras aureas deuoluentes (2, 212): rapport senti entre l'astronomie pythagoricienne du 10e livre de la République et celle du Timée d'une part, le planétaire d'Archimède d'autre part. 38 Quelques aspects de ce vaste sujet ont été analysés dans ma contribution: Le culte des muses chez Martianus Capella, dans Mélanges de philosophie, de littérature et d'histoire ancienne offerts à Pierre Boyancé, Rome, 1974, p. 579-614.
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auquel Scipion s'intéressa plus tôt, si l'on veut noter que Tite-Live (26, 19, 3 et 5), par deux fois, justifie les retraites de la chapelle du Capitole en faisant commencer cet usage ab iuuenta ou ab initio . . . ex quo togam uirilem sumpsit59. Exagération dira-t-on requise par l'hagiographie du héros, ou réalité d'une formation intellectuelle d'un homme né vers 235 et dont l'épisode syracusain de 204 confirme la profondeur et la permanence? L'éloge de Scipion par Dion Cassius40 n'est pas dénué de valeur histori que,bien au contraire. Le tour αρετή κράτιστος και παιδεία λογιμώτατος trouve sa meilleure illustration sous le calarne horatien, dans cette ode qui, en quelque sorte, trace le programme augustéen du culte des muses, auquel Scipion était initié: uis consili expers mole ruit sua, uim temperatam di quoque prouehunt in maius . . . 41.
39 II est généralement supposé (et admis) que la légende de la faveur divine accordée à Scipion commença après la victoire sur Carthagène, en 209: de fait, Tite-Live (26,19,1-6) narre les entretiens de Scipion avec Jupiter à la date de 211. Toutefois l'épisode de la marée (exceptionnelle en Méditerranée!) se réduit, à mon avis, à une saute des vents tournant brusque ment et violemment au nord. Tite-Live (26, 45, 8-9) est le seul à noter la vérité, et il faut prendre garde à la manière dont il établit la liaison entre le phénomène atmosphérique et la réaction intelligente de Scipion: medium ferme diei erat, et ad id, quod sua sponte cedente in mare aestu trahebatur aqua, acer etiam septemtrio ortus ìnclinatum stagnum eodem, quo aestus, ferebat et adeo nudauerat uada, ut alibi umbilico tenus aqua esset, alibi genua uix super aret. Hoc cura ac ratione compertum in prodigium ac deos uertens Scipio, qui ad transitum Romanis mare auerterent et stagna auferrent uiasque ante numquam initas humano uestigio aperirent, Neptunum iubebat ducem itineris sequi ac medio stagno euadere ad moenia. Le tour cura ac ratione est similaire à l'expression curis cogìtationibusque requise par TiteLive à propos d'une manœuvre tout aussi « génialement inspirée » de Philopœmen, contemporain de Scipion, en butte à des difficultés militaires: his curis cogitationibusque ita ab ineunte aetate anìmum agitauerat, ut nulla ei noua in tali re cogitatio esset (35, 28, 7; cf. 1-2). Dès l'enfance, Philopoemen fut formé par des philosophes, notamment Demophanes et Ecdelus. Quant à l'expression animum agitare, qui mériterait une analyse, Tite-Live l'emploie-t-il comme Cicéron le fait à la fin du Somnium Scipionis, à plusieurs reprises (26 à 29)? Et notamment dans l'ultime message de Scipion l'Africain: hanc (se. naturam animi) tu exerce optimis in rebus. Sunt autem optimae curae de salute patriae, quibus agitatus et exercitatus animus uelocius in hanc sedem et domum suam peruolabit. .. Nam eorum animi qui se corporis uoluptatibus dediderunt..., corporibus elapsi circum terram ipsam uolutantur nec hune in locum (se. orbem lacteum) nisi multis exagitati saeculis reuertuntur». 40 Dion Cassius, Fragm., 56, 43. 41 Horace, Odes, 3, 4, 65-67 dans l'ode aux muses, avec l'utilisation du motif des Titans précisément. Les couples uis-consilium, uirtus-sapientia, ainsi que d'autres, traduisent cet idéal
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Lorsque Scipion fera édifier un fornix, en 190, juste avant de partir en campagne contre les Etoliens, il choisira son emplacement avec le plus grand discernement42, non pas en travers ou au-dessus d'une rue ni dans un lieu très fréquenté comme le Forum ou le Grand Cirque, mais en face de la montée vers la cella louis, débouchant sur l'aire sacrée: P. Cornelius Scipio Africanus, priusquam proficisceretur, fornicem in Capitolio aduersus uiam, qua in Capitolium escenditur, cum signis septem auratis et equis duobus et marmorea duo labra ante fornicem posuit43. Hommage rendu par Scipion à son dieu certes, mais aussi à tous ceux qui, à l'instar d'Atlas, jetèrent un défi à l'ignorance en osant, tel Alexandre44, braver le ciel en levant les yeux pour le sonder. Hommage aussi à Pythagore, à Numa, à Archimède son contemporain, à d'autres encore comme Eratosthène. Et surtout à Aristote et à Platon: se pourrait-il que Scipion ait enrichi son fornix symbolique en joignant à ces statues dorées au nombre de sept comme les planètes, ces chevaux, au nombre de deux, pour rappeler à la fois les Dioscures, maîtres des hémisphères selon une tradition savante et initiatique45, mais aussi pour enseigner, d'après le mythe vivant du
de l'action concertée, mûrement réfléchie, cette uis temperata qui est la marque de Scipion, et aussi celle d'Alexandre selon le fragment des Annales d'Ennius, v. 222 V2: qualis consiliis quantumque potesset in armis. 42 En 196, L. Stertinius fit ériger deux fornices, l'un sur le Forum boarium l'autre au Grand Cirque (Tite-Live, 33, 27, 4): ce sont les deux plus anciens exemples attestés, celui de Scipion venant peu après, mais la motivation de ces trois fornices est différente, ne serait-ce déjà que par la chronologie de ces constructions, sans doute d'un type nouveau, Stertinius les faisant dresser après sa victoire et pour célébrer celle-ci, ne temptata quidem triwnphi spe, Scipion anticipant sur une victoire éventuelle et faisant ériger un fornix juste au moment de se mettre en campagne. Ce problème devra être repris: cf. récemment des observations judicieuses de H. S. Versnel, Triumphus. An Inquiry into the Origin, Development and Meaning of the Roman Triumph, Leyde, 1970, p. 135-136 et passim. 43 Tite-Live, 37, 3, 7. 44 Plutarque, De Alexandri Magni fortuna aut uirtute, 335 Β: Λυσίππου δε το πρώτον Άλεξανδρον πλάσαντος άνω βλέποντα τω προοώπω προς τον ούρανον (ώσπερ αυτός είώ&ει βλέπειν Αλέξανδρος ήσυχη παρεγκλίνων τον τράχηλον) επέγραψε τις ούκ άπιϋάνως: «αύδασοΰντι δ'εοικεν ό χάλκεος εις Δία λεύσσων/Γ&ν ύπ'έμοί τίϋεμαι · Ζεΰ, συ δ'"Ολυμπον εχε». Il y aurait beaucoup à dire à ce propos, d'Alexandre à Scipion certes (cf. Tite-Live, 26, 19, 7), mais aussi à Auguste lui-même, selon les vers admirables d'Horace dans son ode pindarique (1, 12), s'achevant sur cette strophe situant Auguste comme second de Jupiter, et comme son maître de justice sur terre à l'instar de celui qui dispose de la foudre au ciel. 45 Voir notamment Franz Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains, Paris, 1942, Chapitre premier: Les deux hémisphères et les Dioscures, p. 35-103.
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Phèdre, qu'il faut apprendre à dompter le bon cheval pour monter au ciel, sous peine de rester à terre sous la pesée du mauvais cheval, rétif46? Emule de Jupiter, qui sait lancer son char ailé, et des douze dieux, dont les attelages, étant équilibrés, facilitent leur ascension, Scipion a ap pris à préparer la conduite des affaires des hommes en montant les esca rpements qui mènent « au sommet de la voûte surplombant le ciel » : il est un cocher heureux par sa science des astres, il est capable aussi de s'e nfoncer dans l'intérieur du ciel, en ayant installé « les chevaux devant la mangeoire, où il a jeté l'ambroisie pour leur pâture et le nectar pour leur boisson ». Ces labra marmorea, au nombre de deux comme les chevaux, ne peuvent qu'être aussi symboliques que l'ensemble du décor du fornix: qu'on tente de les justifier par les Dioscures et leurs chevaux, ou par le mythe du Phèdre, ces vasques 47 peuvent rappeler le choix imposé à l'homme contraint à l'action. Comme le dit Platon, à la fin du mythe du cocher et de ses deux chevaux, puisse celui qui est « converti à la philosophie » (de l'action) ne plus tergiverser, ou, selon la judicieuse traduction de Léon Robin, « qu'il ne soit plus comme aujourd'hui entre deux selles. » 48. Ennius, selon Servius commentant les allusions de Virgile à Atlas dans l'Enéide (1, 741; 4, 246; cf. Géorgiques, 4, 291), affirme qu'Atlas aurait dû être appelé en latin Telamo. Or pareille dénomination de la chaîne de montagnes de Maurétanie est empruntée à la langue de l'architecture: Vitruve précise qu'il s'agit de l'équivalent masculin des caryatides49. Dès lors, à l'époque de Scipion, une métaphore d'origine architecturale a pu
46 Platon, Phèdre, 247 b, 248 a et 252 d-e (sur le choix du dieu dont on suit le cortège, notamment Zeus, qui confère à son « choreute » la grâce d'être ici-bas « par sa nature, philosophe et apte à conduire les hommes». Cf. le rappel des composantes de ce mythe en 253 c-d et sa justification en 253-257 b). 47 Le mot technique labrum désigne un ustensile (bassin, récipient évasé, aux rebords en forme de lèvres, etc.) dans la langue des paysans et des vignerons, ensuite un type de vasque, dont Pline le Jeune, Epîtres, 5, 6, 20 donne la description la plus nette. 48 Platon, Phèdre, 257b: c'est le refus de l'ambiguïté par la maîtrise des deux chevaux et des tensions au sein de l'être, c'est le triomphe de la méditation nourrice de l'action. 49 Vitruve, 6, 7, 6: item si qua uirili figura signa mutulos aut coronas sustinent, nostri telamones appellant, cuius rationes, quid ita aut quare dicantur, ex historiis non inueniuntur, Graeci uero eos άτλαντες uocitant. Atlas enim formatur historia sustinens mundum, ideo quod is primum cursum solis et lunae siderumque omnium uersationum rationes uigore animi sollertiaque curauit hominibus tradenda, ... En 1, 1, 5 le parallélisme des expressions vitruviennes est remarquable entre ces telamones et ces caryatides. Et que penser de Servius encore lorsque, commentant l'Enéide 1, 740-741, à propos d'Atlas, il précise ce que Virgile, à la suite de Varron, entendait par le mot proceres: proceres autem ideo secundum Varronem principes ciuitatis dicuntur, quia eminent in ea, sicut in aedificiis mu tuli quidam, hoc
«CAELI CIVIS» rapprocher
fornix
de
telamo
pour
évoquer
841 les
piliers
du ciel,
ces
caeli ingénies fornices d'un fragment d'Ennius 50 où Cicéron 51 voyait une image folle, qu'il ne com prenait pas ni n'admettait, parce que ce mot désignait en fait une sphère! Il s'agit d'un planétaire du type de celui d'Archimède, et on en saisit mieux l'intention dès l'instant où Hygin reprendra cette métaphore ennienne à propos d'Atlas précisément52. Caeli fornix ou caeli ingénies fornices, image audacieuse et admirable d'Ennius pour désigner le globe supporté par Atlas, mais aussi transfert à Rome, par le détour d'une double métaphore, de l'image de son vieux maître, Homère, à propos d'Atlas: Άτλαντος ϋυγατήρ όλοόφρονος, ος τε ύαλάσσης πάσης βενϋεα οϊδεν, έχει δε τε κίονας αυτός μακράς, αϊ γαϊάν τε και ούρανον άμφίς εχονσιν 53. Contraint de traduire κίονας μακράς, Ennius a requis la même langue de l'architecture, soit telamones, soit surtout fornices ingénies, ce qui a justifié le transfert au singulier collectif fornix caeli54, ou seulement fornix: Scipion lui avait indiqué sans doute la voie, par son monument symbolique de 190. Bien d'autres indications conservées par Tite-Live et par Ennius surtout55 confirment que maints traits de la biographie de Scipion l'Africain relèvent de l'histoire plus que de la légende, même lorsque Cicéron fera de l'homme et du citoyen éclairés le héros d'une révélation sur l'au-delà.
est, capita trabium, quae proceres nominantur. Référence analogique entre les «grands» de la cité, ses hommes «éminents», et ces éléments architecturaux appelés mutuli, telamones, caryatides, άτλαντες, et, par le détour du mythe d'Atlas, ces colonnes du ciel, ces κίονες homériques, hésiodiques et eschyléennes, et ces columnae et ces fornices enniennes! 50 Ennius, Fab. inc., fr. 381 V.2= fr. 319 Jocelyn. Sur statua et sur columna, il faudrait réexaminer le fr.. II du Scipio d'Ennius. 51 Cicéron, De oratore, 3, 162 vitupère cette métaphore d'Ennius, mais livre du même coup la clé de celle-ci: primum est fugienda dissimilitudo «caeli ingénies fornices»: quamuis sphaeram in scaenam, ut dicitur, attulerit Ennius, tarnen in sphaera fornicis similitudo inesse non potest. Le fornix était donc un symbole du cosmos. 52 Hygin, Fables, 150: Atlanti... caeli fornicem super humeros imposuit. 53 Homère, Odyssée, 1, 52-54. 54 Ce transfert est déjà opéré par Eschyle dans son Prométhée, 348-350 où le singulier (κίον ' ούρανοΰ τε και χϋονός) supplante le pluriel homérique. 55 Une étude récente sur la philosophie et sur la religion d'Ennius manque: elle devrait tenir compte notamment de ce qu'il est convenu d'appeler la «religion de Scipion». Ainsi le Scipio et maints fragments des Annales, des Saturae, du théâtre s'éclairent les uns par les
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II en va de même à propos de la religion de Scipion, de sa vision du monde, des dieux, des hommes56. André Piganiol posa le problème en termes précis: « il serait beau que le Songe de Scipion eût pour source un authentique songe de Scipion, à la suite d'une conversation avec Massinissa sur le thème de la mort, au lieu d'être, ce qu'il est probablement, une invention littéraire, une rationabilis imaginatio, comme dit Macrobe » 57. Ce dossier, depuis lors ouvert, n'a guère été étudié58. Et pourtant, on comprendrait mieux pour quelles raisons ce texte cicéronien exerça d'étranges prestiges59, et les exerce encore, pourquoi Fulgence le Mythographe appela Scipion caeli ciuis 60 et comment, lors de la redécouverte du Somnium Scipionis au début du IXe siècle, un écolâtre de Corbie, Pascase Radbert, s'éleva contre cette religion astrale au nom de la foi chrétienne 61.
autres, comme celui-ci, où je reconnais cette religion astrale et ce mysticisme cosmique qui entretenaient la foi et nourrissaient l'action de Scipion aspirant à la Voie lactée: contemplor inde loci liquidas pilatasque aetheris oras. (Saturne, fr. 3 V.2) Je reviendrai sur ceci. 56 Outre l'essai récent de R. Seguin, dans Latomus, 33, 1974, p. 3-21, je renvoie aux bonnes pages de O. Weippert, op. cit., p. 37-55 (p. 39, n. 2 bibliographie). Le jugement de H. Bengston sur Scipion, «ein durch und durch religiöser Mensch», doit être nuancé certes, mais ne mérite ni le scepticisme ni les critiques trop sommaires qu'il a provoqués. 57 André Piganiol, Sur la source du Songe de Scipion, dans Compes rendus de l'Académie des inscriptions et belles lettres, 1957, p. 88-94 (= Scripta varia, tome II, Bruxelles, 1973, p. 374-381, Collection Latomus, volume 132). 58 Voir toutefois l'étude suggestive de Gregor Maurach, Africanus Maior und die Glaubwürdigkeit des «Somnium Scipionis», dans Hermes, 92, 1964, p. 299-313 et la thèse brillante de Jacques Fontaine, Le « Songe de Scipion » premier Anti-Lucrèce?, dans Mélanges d'archéologie et d'histoire offerts à André Piganiol, Paris, 1966, p. 1711-1729. 59 Pierre Courcelle, La postérité chrétienne du «Songe de Scipion», dans Revue des études latines, 36, 1958, p. 205-234. 60 Fulgence, dans la préface de ses Mythologies (p. 4, 1. 4-7): ... sed quae nostrum Academicum rhetorem ita usque ad uitalem circulum tulit, quo paene dormientem Scipionem caeli ciuem effecerit. Le motif du caeli ciuis a fait l'objet de remarques, brèves mais sug gestives, de Luigi Alfonsi, Cittadini del cielo, dans Rheinisches Museum für Philologie, N.F., 107, 1964, p. 302-304. 61 En 831-832, dans la préface du livre III de son Expositio in Matthaeum, Pascase Radbert dénonce Yeloquentia païenne, qui est bien incapable d'assurer l'immortalité tant à Cicéron qu'à Scipion dans la Voie lactée: qui licet Academicum rhetorem per hanc inanem
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C'est que pareille espérance d'apothéose dans la Voie lactée est aussi espoir d'immortalité par les mérites de l'intelligence partie à la con quête du ciel, dont l'ascension ou le pèlerinage se font en raison de cette galaxie brillante, qui intrigua très tôt les esprits inquiets, parce que na turel ement curieux. Limite du visible, route du soleil ou fleuve de lait coulant entre les hémisphères, cette voie éclatait à l'esprit de ceux qui, éveillés la nuit, dans le silence de la méditation studieuse, laissaient s'envoler leur esprit aiguisé pour monter et savourer cette uoluptas atque horror que Lucrèce, après Epicure, qualifie de diuina et décrit comme une saisie totale de l'être lorsque la nature se laisse mettre à nu et, par des preuves manifestes, évidentes parce que visibles, s'ouvre à celui qui reste éveillé lorsque les autres dorment62. C'est l'exigence ascétique de la uita uigilia de Pline l'Ancien et de son garant, Varron63, car c'était celle des Pythagoriciens et de tous ceux qui, comme Scipion, s'efforçaient de voir avec les yeux du corps et de comprendre avec ceux de l'esprit. Religion éclairée, s'il en est.
uanitatis eloquentiam usque ad uitalis gramma circuii extulerint et dormientem Scipionem caeli ciuem effecerint, tarnen omnia haec anilibus ordiuntur fabulis quant aliqua ueritate fulciantur. Pascase a lu Fulgence, mais il l'enrichit en quelque sorte par le concept de la « limite visible à l'oeil nu » que constitue la Voie lactée, et qu'il désigne par le mot gramma, ce qui prouve qu'il a cherché à comprendre le Somnium Scipionis par le commentaire qu'en fit Macrobe: 1, 5, 5-7, éd. J. Willis. Cf. Gérard Mathon, Pascase Radbert et l'évolution de l'humanisme carolingien. Recherches sur la signification des Préfaces des livres I et III de l'Expositio in Matthaeum, dans Corbie. Abbaye Royale. Volume du XIIIe centenaire, Lille, 1963, p. 135-155. 62 Lucrèce, 3, 28-30 et passim. 63 Pline, N.H., Préface,, 18.
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LES MARCHES DES CES ARIENS VERS L'ESPAGNE AU DÉBUT DE LA GUERRE CIVILE
Au début de la guerre civile, César avait déjà réparti ses légions de vétérans en trois corps principaux: celui de Fabius, vers Narbonne, devait attaquer l'Espagne, celui de Trebonius, dans la vallée de la Saône, pouvait descendre en renfort soit vers l'Italie, soit vers Fabius; enfin, les 8e et 12e légions, rejoignant la 13e, constituèrent le corps d'armée avec lequel César contraignit Domitius à la capitulation et Pompée à l'abandon de l'Italie. Ce dispositif tripertito était conforme à des conceptions stratégiques que Yimperator avait expérimentées en Gaule 1. Quand Pompée eut quitté Brindes, Fabius entra en Espagne avec ses trois légions, les 7e, 9e et 11e. Selon une opinion admise2, il serait passé par la vallée du Têt, le col de la Perche et la haute vallée du Sègre, ce qui l'aurait amené sur la rive droite de cette rivière, sur le même bord que la ville d'Ilerda. Après avoir partagé cette manière de voir, nous avons rencontré trop de difficultés et dû admettre que Fabius était passé par le col du Perthus 3. Il apparaît alors qu'il a piétiné sur la rive gauche du Sègre, tandis que le pompéien Afranius, bientôt rejoint par Petreius, couvrait efficacement la tête du pont d'Ilerda sur cette rive orientale. Le plan stratégique de César ne se déroulait pas sans rencontrer une opposition solide. Ces mécomptes et ces retards qu'a voilés le récit du Bellum ciuile apparaissent si l'on établit un tableau, même sommaire, des marches des
1 Cf. Caes., b.g., VI, 6, 1 et 53, 1-3. Sur la répartition des légions en 50-49 voir notre Ordre de bataille de l'armée des Gaules, dans B>EA, 60, 1958, pp. 125-128. 2 Cf. von Göler, Caesars Gallischer Krieg und Theile seines Bürgerkriegs, 2e éd., Tübingen, 1880, 2e partie, p. 33; Colonel Stoffel, Histoire de Jules César, Paris, Imprimerie nationale, 1887, p. 48; J. Carcopino, Jules César, 5eéd. revue par P. Grimal, Paris, P.U.F., 1968, p. 369. 3 Cf. notre article: Le camp de Fabius près d'Ilerda. Un problème césarien (Bellum ciuile, 1940), dans Les Etudes classiques, 1976, pp. 25-34.
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légions césariennes et une esquisse du calendrier de leurs étapes. De tels calculs, assurément, laissent place à l'approximation. Des étapes du légionnaire, les uns ont souligné qu'elles pouvaient être fort longues, ce qui fut vrai, dans des cas exceptionnels4, d'autres soutiennent qu'elles étaient, d'ordinaire, très courtes, dix à quinze kilomètres par jour. C'est une mode de ne plus croire aux grandes étapes pédestres, même quand on ne devrait pas oublier la «longue marche» de Mao Tse Toung ou les fantassins d'avant 1914 5. Il importe de distinguer les marches qui servent à manœuvrer quand l'ennemi est proche et celles qui constituent un déplacement de l'armée sur une longue distance. Les premières sont mesurées d'après le terrain et l'att itude de l'adversaire, les Nerviens, par exemple (b.g., II, 16, 1 sqq.), ou Labienus et Scipion près d'Uzitta (b. Af., 41 et 49 sqq.). Les autres sont command ées par la géographie et limitées par la possibilité d'exiger des hommes un effort soutenu et des étapes régulières plusieurs jours de suite: itineribus iustis confectis, nullo die intermisso (b. Af., 1, 1, 1). Mais qu'était ce iustum iter? Végèce a donné deux indications d'un grand intérêt. L'une concerne Vambulatio, marche d'exercice que les légionnaires devaient, en temps de paix, accomplir tous les dix jours: Decent milia passuum armati instructique omnibus telis pedites militari gradu ire ac redire iubebantur in castra . . . (Veg., Inst. rei mil, I, 27). Végèce précisant qu'Auguste rétablit cet exercice qui était en usage avant son principat, l'indication paraît valable pour les légions du temps de César. A cause de l'expression: ire ac redire, on a pré tendu que Vambulatio se déroulait sur quinze kilomètres en tout, moitié à l'aller, moitié au retour. Le latin ne tolère pas cette interprétation: le com plément d'étendue, mis, pour ainsi dire, en facteur commun, affecte l'un et l'autre verbe. Vambulatio consistait à marcher dix milles dans un sens et dix milles pour revenir, en tout trente kilomètres. Le Bellum Africum fournit
4 L'exemple type, admiré par C. Jullian, Histoire de la Gaule, Paris, 1920, t. III, p. 177, est la marche du camp de Gergovie au devant de Litaviecos avec retour dans la nuit, b.g., VII, 40, 4 à 41, 5, soit une étape redoublée de 37,5 km. Les anciennes encyclopédies précisent que la marche forcée ne doit pas excéder 50 km en 24 h ou 60 km en 28 ou 30 h. Les légionnaires firent donc mieux. De cet exploit, on rapprochera la marche de Sarsura à Thysdra, une vingtaine de km, prolongée par un déplacement de 4 milles et suivie d'un départ à la 4e veille du départ pour Aggar à 30 km, soit 56 km en 25 ou 26 h., cf. b.Af., 76, 2. Les troupes de Scipion en ont fait autant. 5 R. Schmittlein, Avec César en Gaule, Paris, 1970, p. 127; cf. nos observations in REL, 50, 1972, p. 58.
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justement l'exemple d'une expédition de ravitaillement à dix milles de dis tance. Cet aller et ce retour correspondent à Vambulatio réglementaire: . . . tertia uigilia legiones duas cum equitatu mittit a castris milia passuum X atque inde magno numero frumenti onustos recipit in castra (b. Af., 65, 2). Qu'était le militaris gradus? Végèce a défini (Inst, rei mil, I, 9) les allures du légionnaire: au pas régulier, militari gradu, il devait parcourir vingt milles en cinq heures d'été, soit 30 km en 6h 15', ce qui correpond à 4,8 km à l'heure; au pas accéléré, pieno gradu, il devait parcourir, dans le même temps, vingt-quatre milles, soit 36 km; cette allure était de 6 km à l'heure. Toutes ces indications se confirment mutuellement: Végèce, qui considère une marche de 30 km comme l'exercice réglementaire, mesure sur cette distance le temps du pas régulier; pour montrer ce qu'est le pas accél éré, il donne une distance, plus grande, parcourue dans le même temps. De cette corrélation on peut induire que la légion donnait six heures de la journée à la marche; il restait dix huit heures pour lever le camp, en établir un nouveau, manger et dormir. Des indications concordantes de Végèce faut-il induire aussi que, pen dant un déplacement de plusieurs jours, les fantassins parcouraient quot idiennement 30 km et que cette distance était le iustum iter? Le récit de l'invasion de l'Italie, au début de la guerre civile, fournit un détail des étapes sur un terrain connu; il permet de mesurer les distances parcourues dans une chronologie établie et, en conséquence, de calculer la moyenne des étapes de l'infanterie. Il est légitime de reporter ce résultat dans le calcul d'autres déplacements à longue distance, comme celui des césariens vers l'Espagne. Certes, l'étape pouvait être plus longue un jour, plus courte le lendemain, mais sur une longue distance ces différences se compensent. D'après les marches en Italie, cette moyenne se situe entre 20 et 25 km par jour; arithmétiquement, ce qui ne veut pas dire quotidiennement, elle est de 22,5 km. L'exemple en était déjà donné au début de la guerre des Gaules par les légions que César amena en sept jours d'Ocelum au territoire des Voconces: . . . ab Ocelo, quod est citerions prouinciae extremum, in fines Vocontiorum ulterioris prouinciae die septimo peruenit (b.g., I, 10, 5). D'Avigliana aux environs de Gap, chez les Auantici, vassaux des Voconces, on peut compter 150 km par le col du Mont Genèvre. Pour l'invasion de l'Italie, il est juste d'ajouter que Pompée, obligé, comme on dit, de décrocher devant César, fit accomplir à ses fantassins des marches de 25 à 27 km par jour. Ainsi le iustum iter paraît-il un peu plus court que Vambulatio. Au bord du Sègre, les légions que Fabius envoya au secours de Munatius Plancus utilisèrent le pons ulterior, établi à 6 km en amont; dans la même journée, elles parcoururent pour rejoindre Plancus
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sur l'autre rive quatre fois cette distance, sans compter le déplacement d'est en ouest; elles ont donné près d'Ilerda une preuve supplémentaire que les vétérans de César pouvaient faire plus de 24 km dans une journée (b.c., 1, 40, 7; cf. b. Af., 79, 1: marche de nuit d'Aggar à Thapsus, soit 16 milles ou 24 km) 6. Pour situer les marches dans le calendrier, il importe de tenir compte de la vitesse des courriers qui portèrent les ordres de mise en route et de celle des chevaux qui transportaient les généraux et les cavaliers. L'étape quotidienne de la cavalerie paraît avoir été d'une cinquantaine de kilomètres. Quant aux courriers, en usant de relais, ils doublaient cette étape. Voilà quelques éléments qui permettent, malgré des lacunes ou des obscurités du Bellum ciuile, sinon de reconstituer une réalité, toujours evanescente, du moins de cerner le problème et de replacer les marches des césariens dans le temps. Ainsi, en appliquant la moyenne de 22,5 km à la distance qu'entre Narbonne et la rive gauche du Sègre devait franchir le corps d'armée de Fabius, soit 220 km, on peut admettre que cette marche exigeait une dizaine de journées. A quel moment? Le Bellum ciuile ne le précise pas. Néanmoins, on peut établir certaines limites chronologiques d'après deux données précises sur les opérations que César dirigea en personne: - d'abord, les Fastes7 indiquent qu'Afranius et Petreius capitulèrent le 2 août du calendrier; - ensuite, un passage du Bellum ciuile (2, 32, 5) assure que Vimperator fut vainqueur en Espagne quarante jours après être arrivé en vue de ses adversaires: Haec acta diebus quadraginta quibus in conspectu aduersariorum aduenerit Caesar. Compte tenu du comput préjulien où juillet, quintilis plutôt, avait 31 jours et juin, 29, l'arrivée de César en vue de l'ennemi (b.c., 1, 41, 3 sqq.) doit être datée du 23 juin; il était parvenu au camp de Fabius la veille, soit le 22. La périlleuse expédition de Plancus sur la rive droite du Sègre avait précédé de deux jours, eo biduo (ib., 41, 1); elle avait en lieu le 20 juin et n'était pas la première, suivant une cotidiana consuetudo (ib., 40, 3). En outre, Fabius avait construit deux ponts sur le Sègre; il était arrivé avant le 16 juin. Et sans doute bien avant, puisqu'au
6 Cf. b.Af., 9, 1, marche de nuit de 24 km, suivie aussitôt de l'établissement du camp et de l'investissement de Thapsus. 7 Fasti Amiterni, Maffeiani, Antiates, CIL, I2, p. 225; Marquardt, Le culte chez les Romains, trad. Brissaud, t. II, p. 372; J. Carcopino, Jules César, p. 392.
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moment où il envoyait fourrager au delà du Sègre, il avait épuisé toutes les ressources de l'arrière, entre Narbonne et son camp, ea quae citra flumen fuerant {ib., 40, 1). Ces précisions ont plus qu'un intérêt chronologique: elles impliquent tout le problème moral de la guerre civile: qui était l'agresseur? César reprochait aux pompéiens la puissante mobilisation organisée contre lui: Neque enim sex legiones alia de causa missas in Hispaniam septimamque ibi conscriptam neque tot tantasque classis paratas neque submissos duces rei militaris peritos . . . omnia haec iam pridem contra se parari 8. Sous une forme plus documentaire, le récit avait mentionné les sept légions que le parti pompéien comptait en Espagne: les trois legati de Pompée s'étaient réparti les tâches; en particulier, Petreius vint avec deux légions aider Afranius à défendre l'entrée de la péninsule 9. Le mémorialiste ne donne pas la date de cette concentration mais la manière dont sont désignés les chefs pompéiens qui commandent devant Ilerda 10 confirme qu'Afranius fut le premier à barrer la route devant Fabius et que Petreius le rejoignit ensuite. Fabius, le césarien, était l'agresseur ou, plus justement, le précurseur de l'agresseur César. Ce qui confirmerait l'antériorité de l'offensive de Fabius, c'est que l'Espagne n'aurait été mise en état de défense qu'à l'arrivée d'un représentant de Pompée, Vibullius Rufus. César, comme il l'explique lui-même {b.c., 1, 15, 4; 23, 2; 34, 1; 38, 1), avait eu la générosité de le libérer après la reddition de Corfinium, mais ce pompéien acharné avait couru prendre les consignes de son chef, puis était parti rejoindre les legati pompéiens d'Espagne. Par quelle voie? Par mer, puisque César était maître des routes terrestres. Or, Domitius, après sa fuite de Corfinium, était parvenu à Marseille vers le 20 avril, pendant que discutaient César et les représentants de la cité pho céenne. Il paraît impossible que Vibullius, redescendu d'abord vers le sud, auprès de Pompée, ait pu débarquer à Tarragone ou Barcelone plus tôt que Domitius à Marseille. D'autant qu'il lui fallut, comme à Domitius, longer la côte: de fait, c'est en arrivant à l'entrée de la G allia ulterior que César apprit à la fois son passage et celui de Domitius. On a même daté la réunion
8 B.c., 1, 85, 5 à 8. Ce grief ne fut sans doute pas développé ce jour-là, devant des advers aires qui savaient à quoi s'en tenir et le texte porte des traces de remaniement littéraire. Il n'en est que plus assuré qu'en écrivant cette partie de la Guerre civile, le mémorialiste voulait rejeter sur les pompéiens les torts de la préméditation. 9 Cf. Caes., b.c., 1, 38, 4. 10 Au groupe: a Petreio et Afranio s'oppose: ... suo ponte Afranius quem... habebat.
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des chefs pompéiens d'Espagne du début de mai n. Cette date semble un peu tardive. Il n'en apparaît pas moins qu'au moment de l'offensive de Fabius la concentration des pompéiens d'Espagne n'était pas encore opérée. Aux trois légions de Fabius, Afranius n'en pouvait opposer que trois et l'officier césarien comptait sur le renfort du corps d'armée de Trebonius. Cette entrée de jeu explique la hardiesse de Fabius; par lui, César était l'agresseur en Espagne comme il l'avait été en Italie. Les torts de César étaient aggravés par une savante préméditation stratégique. Au début de l'hivernage de 50, le proconsul avait placé les quartiers d'hiver de Trebonius avec quatre légions dans le Belgium, ceux de Fabius avec quatre autres chez les Eduens. Cette disposition initiale, qui dut faire l'objet du rapport habituel au Sénat, n'a été relatée qu'après la mort de César par Hirtius (b.g., VIII, 54, 4). Dans le Bellum ciuile (1, 37, 1), César s'était borné à indiquer que Fabius hivernait aux environs de Narbonne. Au cours de l'hivernage, le proconsul avait donc modifié le dispositif dont il avait rendu compte et reporté vers le sud des hiberna qui serviraient de points de départ pour la guerre civile. L'auteur du Bellum ciuile (1, 30, 1) date du départ de Pompée pour l'Epire la décision d'attaquer l'Espagne. Indiquée au fil du récit, sans indica tiondes mouvements de troupes, cette résolution survient comme une improvisation géniale. En fait, ce trait de génie reposait sur une préparation lointaine et sur une série de mesures d'exécution antérieures au 17 mars, date du départ de Pompée. L'analyse du récit permet de déceler des arrivées successives de renforts césariens en Espagne. Au moment où Fabius envoie Munatius Plancus en expédition au delà du Sègre, il a d'autres unités que ses trois légions: en effet, il a envoyé deux légions avec Plancus (b.c., 1, 40, 3); ensuite, il dépêche deux autres légions à leur secours (ib., 40, 7); il a donc au moins quatre légions. Il doit même en avoir une cinquième, indispensable à la garde du camp et qui, dans la situation particulière, en face du camp pompéien établi à la tête du pont, sur la rive gauche, était plus que jamais nécessaire. Au surplus, le récit précise que Fabius avait envoyé les secours, miserai: il était donc resté lui-même au camp avec, selon le maximum de probabilités, la légion qu'il commandait en personne 12.
11 J. Carcopino, Jules César, p. 387. 12 Très probablement la 9e légion, cf. Ordre de bataille, p. 118 sqq. La présence de la 9e légion sous Ilerda est attestée par b.c., 1, 45, 1.
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De fait, en rejoignant le camp, César y trouva cinq légions. Voici que, pour établir le nouveau camp près d'Ilerda, il adopte le dispositif suivant: trois légions en armes, rangées derrière un fossé, couvrent l'emplacement du camp en construction, deux autres fortifient chacune un côté (b.c., 1, 42, 1-3). Il y a bien cinq légions et il ne semble pas qu'il y en ait eu davantage, à ce moment-là. La preuve en est que les impedimenta et les castra superiora ont été laissés à la garde d'un groupe de cohortes, formation inférieure à l'effectif d'une légion encore que de nombreux auxiliaires aient pu la renforcer (cf. b.c., 1, 39, 2). C'est qu'une légion n'était plus nécessaire quand la menace que César faisait peser par la rive droite sur Ilerda obligeait les pompéiens à y venir eux aussi pour fortifier un nouveau camp sur la colline qui est au sud de la place 13. Combien de cohortes avaient été laissées à la garde de l'ancien camp, celui de Fabius? Le chiffre n'est pas fourni par les manuscrits, où l'on peut lire soit ex cohortibus (SLN), soit ex cohortes (MURTV). Ce sont les pre miers éditeurs qui ont imaginé sex. Le chiffre fait problème, car l'habitude de César était de prélever une cohorte par légion pour constituer un détache ment 14. Le nombre six, supposé par les éditeurs de la Renaissance, impli querait la présence de six légions, ce que dément l'ensemble du passage. Le mot cohortes ou cohortibus est confirmé par la suite (b.c., 1, 42, 5) qui présente le groupe: reliquas cohortes. Dans le Bellum Gallicum (V, 9, 1; 24, 4), le chiffre suit cohortes. Ici, placé après, n'aurait-il pas été confondu avec la désinence de cohortibus, surtout si cette terminaison était figurée en abrégé, ce qui fut courant à plusieurs époques? Ainsi placé, le chiffre était, paléographiquement, fragile. Le Bellum Gallicum (V, 5, 1) présente ainsi un: Caesar cum legionibus qui n'a pas de sens, alors qu'il faut lire: Caesar cum legionibus III. Dans ce passage du Bellum ciuile, on pourrait proposer la lecture: ex cohortibus V. Ces cinq cohortes correspondraient aux cinq légions présentes. Celles-ci seraient passées au sud d'Ilerda avec neuf cohortes chacune, ce qui ne gênait en rien, tout au contraire, la format ionde Vacies triplex. Si, dans la journée du 24 juin, sous Ilerda, Vimperator n'avait que cinq légions, il en avait davantage trente-neuf jours plus tard, quand après avoir
13 Cf. Le camp de Fabius près d'Ilerda..., p. 845, n. 3. 14 D'après b.g., V, 9, 2, prélèvement de deux cohortes par légion; 24, 4, prélèvement d'une cohorte sur chaque légion du Belgium; b.c., 3, 89, 4: une cohorte par légion pour constituer la quarta acies de Pharsale.
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poursuivi Afranius et Petreius à travers le pays de « Las Garrigas », il opposa son armée à la leur (b.c., 1, 83). Pour former une acies triplex avec leurs cinq légions, les pompéiens sont obligés de constituer la troisième ligne avec des cohortes à'alarii; sur leur prima et leur secunda acies, chacune de leurs cinq légions fournit des lignes de cinq cohortes; le déploiement du front de l'armée est donc de vingt cinq cohortes. César détaille le dispotif savant de son acies triplex: chaque légion présente quatre cohortes en première ligne, trois en deuxième ligne, trois en troisième ligne. César déploie moins ses légions alors que les fronts opposés devaient être sensiblement égaux, pour que l'un des antagon istes ne pût pas, d'emblée, envelopper l'autre. Comment les légions de César, ayant chacune un front plus court, purent-elles présenter un front égal à celui des pompéiens? Stoffel a formé une hypothèse 15 d'après le membre de phrase: sagittarii funditoresque media continebantur ade (b.c., 1, 83, 1). Il a supposé que César, ne disposant que de vingt cohortes légionnaires pour sa première ligne, allongea son front de bataille en insérant au milieu archers et fron deurs regroupés en masse. Les inconvénients d'un tel dispositif sont évidents: l'ensemble de la ligne était démuni de tireurs; ce groupement n'eût pas été capable d'arrêter la charge d'une légion ennemie et l'armée de César eût été brisée par le centre; surtout, on ne pouvait pas placer cette masse d'auxiliaires au centre sans briser une légion en deux. En effet, dans l'hypo thèse de Stoffel, où César disposait de cinq légions et alignait vingt cohortes de front, la position media ade se situerait entre la 10e et la 11e cohortes de la prima acies. Or, ces unités, dans cette hypothèse, appartenaient à la même légion, celle du centre. Et comment la masse des sagittarii et funditores eût-elle coupé, en deuxième et troisième lignes, les formations de trois cohortes? Jamais César n'eût constitué un tel front. Jamais, il ne s'en serait flatté comme il l'a fait dans son Bellum ciuile 16. Il convient d'admettre que sagittarii et funditores étaient intercalés entre les cohortes du centre. Continebantur implique une intention de les encadres pour les empêcher de se répandre, selon leur coutume, autour des
15 Colonel Stoffel, Histoire de Jules César, la guerre civile, p. 280 et planche 8. 16 D'après nos calculs, il y aurait eu habituellement 400 archers ou frondeurs par légion de César; mais, au début de la guerre civile, celui-ci fit largement appel à ses Gaulois, cf. b.c. 1, 39, 2, où le chiffre est perdu; ib., 51, 2, arricée de 6.000 Gaulois, archers rutènes et cavaliers, sans que le détail soit donné.
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ailes. La disposition est défensive 17. Mais César a la supériorité des effectifs. Il est visible que les pompéiens ont fait un effort exceptionnel pour consti tuerun front égal à celui de son armée. Ils rangent vingt-cinq cohortes en prima acies parce que César en a aligné vingt-quatre. Il a donc six légions en bataille. Il en avait laissé une à la garde du camp (b.c., 1, 64, 5). Dans cette phase finale des opérations contre Afranius et Petreius, César avait sept légions. Pareille concentration, faisant suite à l'invasion de l'Italie, résultait de manœuvres complexes 18. T. Rice Holmes 19 a cru que César achemina vers l'Espagne des légions nouvelles en laissant au repos dans des municipes {b.c., 1, 32, 1) les 8e, 12e et 13e, fourbues par leur marche jusqu'à Brindes. Il est vrai que, plus tard, on trouve en Espagne des légions récentes, placées sous le commandement de Cassius Longinus20. Mais il ne faut pas mettre sur le même plan l'occupation de provinces apparemment pacifiées et les premières opérations qui furent offensives. Ces nouvelles légions étaient venues relever le corps de bataille, indispensable pour affronter les vétérans d'Afranius et de Petreius (b.c., 1, 43, 5 à 45, 1). Peut-être Lucain tient-il de Tite-Live ou de Pollion que les deux armées étaient formées de vétérans, quand il rapporte que les adversaires, fraternisant autour des feux de bivouac, échangeaient le récit de leurs campagnes (Pharsale, III, 195; IV, 393-397). Dans cette concentration progressive des légions césariennes, quel fut l'échelonnement des arrivées? César n'a indiqué ni la date du départ de Fabius ni celle où il prit la décision d'attaquer l'Espagne. Tout au plus, le récit suggère que la décision fut prise à Brindes, après le départ de Pompée (b.c., 1, 30, 1), après le 17 mars. Une donnée permet d'entrevoir le calendrier d'opérations que Vimperator avait conçu. Quittant Rome le 7 avril, il arriva le 19 à l'entrée de sa province de Gallia ulterior (b.c., 1, 34, 4), soit à la frontière du Var, près de Cimiez, soit même à Fréjus. Les dates correspon-
17 Ils sont disposés, probablement, derrière la prima acies, complétant la secunda acies, qui n'aligne que trois cohortes là où la première ligne en a quatre. 18 En décembre 50, Cicéron, AU., 6, 7, 6, attribuait à César onze légions. Il avait donc remplacé les deux légions reprises par Pompée en formant la 5e Alouette, cf. L'origine militaire de la colonie de Lugdunum, dans CRAI, 1964, pp. 252 sq., et une autre légion provinciale que nous n'identifions pas. Cette mobilisation fut poursuivie au début de 49. 19 T. Rice Holmes, The roman republic, III, pp. 383-387. 20 Q. Cassius Longinus reçut de César quatre légions, dont deux, la 21e et la 30e, récemment levées en Italie, paucis mensìbus in Italia scriptas et deux d'origine provinciale, la uernacula et la secunda; il en leva une cinquième, b. Al. 53,5, cf. b.c., 2, 19, 1.
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dent à la durée d'un voyage à cheval de Rome à Nice, douze jours. César a suivi la route du littoral qui avait été dégagée par Caelius; il a retrouvé celui-ci en route21. Cette allure est déjà celle du voyage en Espagne de l'an 46: 24 journées au total (Suet, diu. lui, 56, 5). L'arrivée le 19 avril 49 en un point situé à environ 620 km d'Ilerda, soit treize jours de cheval, révèle que César comptait trouver son armée concentrée au bord du Sègre le 3 mai. Voilà un terminus ante quem plus précis pour le calendrier des opéra tions de Fabius. Chargé d'ouvrir la route et de lancer au moins un pont sur le Sègre, Fabius devait parvenir à cette rivière au plus tard le 1er mai. Or, de Narbonne à la position du pons ulterior, il fallait dix étapes. En outre, trois ou quatre jours de préparatifs n'étaient sans doute pas inutiles pour partir en guerre. D'autre part, compter seulement dix jours de marche revient à imaginer une promenade militaire. N'employa-t-on pas deux ou trois jours à forcer les passages et à réquisitionner des vivres, ce qui était une des missions de Fabius? Au total, entre 15 et 19 jours. Admettons 15 jours. Le mois d'avril antéjuli^n ayant 29 jours, il n'est pas possible que Fabius ait reçu son ordre d'offensive plus tard que le 15 avril, au soir. Selon cette première esquisse, César aurait envoyé sa lettre depuis Rome où il était entré le 31 mars. De Rome à Narbonne par Fréjus, on compte quelque 1025 km, qu'un courrier pouvait parcourir en dix jours. César aurait-il donc envoyé ses ordres à Fabius le 5 avril, deux jours avant son propre départ? Voilà un délai très court, trop court pour qui veut éviter les aléas du temps de guerre. En faveur de cette date, on pourrait dire que Yimperator mit son avant-garde en route le plus tard possible, afin d'obtenir la surprise. Mais la surprise fut inexistante et César, visiblement, n'a pas cherché à l'obtenir. Une lettre de Matius et Trebatius faisait part de ses intentions dès le 24 mars: deinde in Hispaniam proficisci (Cic, Att, 9, 15, 6). Vibullius Rufus n'avait eu aucune peine à connaître le projet de César pour courir alerter les pompéiens d'Espagne. Enfin, le fait que Fabius ait lancé deux ponts sur le Sègre, le fait qu'Afranius ait pu arriver le premier, à temps pour lui barrer la route et couvrir la tête du pont de pierre d'Ilerda22, montrent que Fabius a séjourné un certain temps sur la rive orientale du Sègre. Il serait donc juste de placer plus tôt le terminus ante quem et l'ordre donné par César.
21 Cic, Fam., 8, 15, 2 et 16, 4: Me secum in Hispaniam ducit, écrit Caelius. Voir M. Clerc, Massalia, histoire de Marseille dans l'Antiquité..., Marseille, t. II, 1929, pp. 65 sqq. 22 Cf. Le camp de Fabius près d'Ilerda..., (pp. 31-32).
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La même méthode permet de reconstituer un calendrier des marches de Trebonius. Avec ses trois légions, il devait parvenir au Sègre le 1er mai. Il partait du pays éduen, où avaient deux ans auparavant tenu garnison les 6° et 14° légions qui faisaient partie de son corps d'armée23. Or, la distance de Chalon sur Saône à Nîmes par la rive droite du Rhône est d'environ 340 km; de Nîmes à Narbonne, de 125 km; de Narbonne à Ilerda, de 220 km: au total, 685 km, soit 31 ou 32 étapes. Sans réserver un jour de repos, le mois à'aprilis n'ayant que 29 jours, Trebonius devait mettre ses légions en marche le 31 mars au plus tard. Ne leur eût-il laissé que deux jours pour leurs paquets, il est nécessaire qu'il ait reçu son ordre de départ le 28 au soir. Pour l'atteindre à cette date à Chalon sur Saône, quand devait partir le courrier? De Rome à Ocellum, étape au passage des Alpes, il y a 700 km; d'Ocellum à Mâcon, 320 km: au total, 1020 et il en faut un peu plus pour atteindre Chalon. Le courrier dut partir de Rome au moins dix jours avant le 28 mars, soit le 18. Mais à cette date, César n'était pas à Rome: il entrait dans Brindes! Le courrier destiné à Trebonius a donc été envoyé depuis Brindes. Et comme il partait de plus loin que Rome, il a été dépêché plus tôt, d'au moins quatre jours, pour parcourir les 490 km de Brindes à Rome. Donc, l'ordre destiné à Trebonius a été expédié depuis Brindes, le 14 mars au plus tard, au cours du blocus de la place. C'est le terminus ante quern qu'impose le calcul le plus sommaire, celui qui ne laisse aucune place aux défaillances des courriers et n'admet pas que les fantassins marchent moins de 22,5 km par jour. César a donc pris sa décision d'attaquer l'Espagne avant le départ de Pompée. Il ne songeait nullement à la réconciliation mais à une vaste opération stratégique. L'attaque de l'Espagne ne releva donc pas de l'improvisation mais d'une savante préparation. Il faut logiquement revenir au calendrier de Fabius. Arrivé au Sègre bien avant le 1er mai, n'avait-il pas lui aussi reçu son ordre de marche avant le 15 avril? De Brindes à Narbonne, par Bénévent, Rome, Vintimille, Arles, on compte environ 1440 km. Un ordre dépêché le 14 mars, de Brindes, put joindre Fabius le 28 et lui-même put atteindre vers la mi-avril la rive gauche du Sègre. Il avait quinze jours pour préparer le camp de base, lancer des ponts, amasser des stocks de vivres. Ce faisant, il épuisa les ressources des cantons voisins. Que devenaient, pendant ce temps, César, si renommé pour sa célérité, et le corps d'armée de Trebonius?
23 Sur les hiberna de Q. Cicero en pays éduen, b.g., VII, 90, 7; sur sa brigade formée de la 6e et de la 14e légion, cf. notre Ordre de bataille de l'armée des Gaules..., pp. 114-117.
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César entrait en conflit avec la république de Marseille. Ses entretiens avec les quinze magistrats phocéens commencèrent au plus tôt le 19 avril à Cimiez ou à Fréjus. Contrairement au Bellum ciuile (1, 34-36) qui simplifie les débats, la tradition de Tite-Live ou de Pollion, conservée par Lucain (Pharsale, III, 303 sqq.), garantit que les représentants de Massilia firent au moins une navette entre le proconsul et leur sénat. Par conséquent, il faut introduire dans le compte au moins la distance de 130 km qui sépare Marseille de Fréjus et, en admettant que l'urgence fit utiliser des relais par les négociateurs, que les messagers de César partirent sur leurs talons, il paraît difficile de ne pas compter quatre jours entre l'arrivée du proconsul et la lettre qui appela trois légions contre Marseille: . . . Caesar legiones très adducit (b.c., 1, 36, 4). Cet ordre nous paraît dater, au plus tôt, du 23 avril. L'attitude des Marseillais s'explique, en partie, par la situation straté gique. Où étaient, à cette date, les corps d'armée de César? Celui de Fabius était en Espagne; celui d'Italie, à un mois de marche, au moins; celui de Trebonius, parti de Chalon le 31 mars, devait se trouver le 23 avril à quelque 540 km de son point de départ, c'est-à-dire au delà de Narbonne. Un calcul inverse le confirme: si Trebonius devait parvenir le 1er mai au Sègre, à 220 km de Narbonne, il était passé près de cette ville le 21 avril. La savante stratégie de Vimperator avait eu pour effet de le mettre en présence des Marseillais sans son armée24. Ces conditions parurent des plus favorables à la république phocéenne et l'encouragèrent à prendre ouvertement le parti du Sénat et de Pompée. Voilà César contraint de modifier ses plans: il ne peut pas laisser subs ister, si près de la route d'Italie en Espagne, au milieu de sa principale ligne de communication et à l'entrée de sa province gauloise, une cité puissante et qui peut ouvrir son port à un débarquement de troupes pomp éiennes. Que peut-il faire? Rappeler toutes ses troupes d'Espagne, ce serait perdre le bénéfice des premières opérations de Fabius et ouvrir la Gaule à Petreius et Afranius; attendre ses légions d'Italie, ce serait donner aux Phocéens un tel délai pour se fortifier que la réduction de la place devien draitproblématique et certainement très coûteuse. Une seule solution: laisser Fabius devant les pompéiens d'Espagne et rappeler Trebonius. La présence
24 César avait sans doute sa garde de 400 cavaliers germains, cf. b.g. VII, 13, 1 et, peut-être, des fantassins de Caelius, cf. ci-dessus note 21; mais leur présence est douteuse car ils eussent ralenti la marche et il fallait bien assurer la garde du passage littoral.
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de ce legatus à Marseille est assurée (b.c., 1, 36, 5); c'est lui qui fit capi tuler la place (b.c., 2, 13, 3 sqq.). L'expression, à dessein imprécise, legiones très adducit, s'applique, aussi bien au corps d'armée de Trebonius qu'à celui d'Italie. Le mémorialiste n'a pas voulu montrer qu'il lui avait fallu dérouter et employer, simultanément ou successivement, six légions contre les Marseillais. Rappeler Trebonius, quelle perte de temps! D'abord, pour que le messa ger le rejoigne. A supposer qu'au cours des pourparlers, César se fût rappro ché, le messager avait, des environs de Marseille jusqu'à Narbonne, 250 km à franchir. Mais Trebonius avait dépassé Narbonne d'au moins deux étapes à la date du message et progressa de trois autres pendant que le tabellarius chevauchait à sa suite. Même avec des relais, trois jours étaient nécessaires pour parcourir ces 350 km. Trebonius fut-il rejoint avant le 26 avril au soir? Peut-être, si les courriers galopèrent nuit et jour. Mais le plus dur restait à accomplir, et par les légionnaires: revenir sur 350 km. En forçant la marche jusqu'à 25 km par jour, il leur fallait quatorze étapes. Les 6e, 10e et 14e légions n'ont pu occuper la colline Saint Charles avant le 10 ou le 11 mai. Quelle perturbation le siège de Marseille apporta-t-il dans le plan de César? D'abord, une modification évidente de son dispositif et, surtout, un retard considérable. S'il avait prévu d'être le 3 mai au bord du Sègre et puisqu'il y est parvenu le 22 juin, il a perdu cinquante journées. Encore était-il parti sans en avoir fini avec Marseille. Jusqu'à quelle date était-il resté devant la place? Il dut mettre neuf jours pour arriver à cheval au camp de Fabius, à 490 km: son escorte de 900 cavaliers interdisait l'usage des relais. Il quitta donc la colline Saint Charles le 13 juin. Après avoir pris sa décision d'attaquer la ville, il dut commencer par attendre ses troupes. Plus près de Marseille, avons-nous supposé, mais point trop près puisqu'il n'avait pas d'armée. Nous penserions volontiers à Arles, point de passage pour les légions qui revenaient du Perthus, port fluvial où César dut employer ses premiers jours d'attente forcée à presser la mise en chantier de sa flotte. Achevée trente jours après la coupe du bois, la construction des bateaux de guerre peut se situer entre le 29 avril et le 30 mai (b.c., 1, 36, 5). Vers le 2 ou 3 juin, la flotte trop neuve vint mouiller devant les îles de Pomègues et de Rathonneau. Le 6 ou le 7 mai, Vimperator avait vu arriver à Trinquetaille le corps d'armée de Trebonius et il arriva, avec lui, devant Marseille le 10 ou le 11. Il disposait de trente et une journées pour abattre la cité phocéenne. L'entreprise n'était pas inimaginable: la prise d'Avaricum, trois ans auparavant, n'avait exigé que 27 jours; or, Vagger édifié contre la capitale des Bituriges avait eu des dimensions exceptionnelles (b.g. VII, 24, 1). Ce que César a tu, c'est l'importance des travaux qu'il dirigea person nellement et qui échouèrent. En rapprochant de la tradition conservée par
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Lucain (Pharsale, III, 375 sqq.) les souvenirs notés par Vitruve (de architectura, X, 8) on peut tenter d'en imaginer la succession. D'abord, attaque souterraine par trente sapes que les Marseillais réussirent à inonder. Ces trente galeries de mine correspondent aux trente cohortes de Trebonius. César, dans cette première phase, n'avait pas d'autres troupes et a tenté d'emporter la place rapidement et par une surprise technique, inspirée de son expérience en Gaule (b.g. III, 21, 3; VII, 24, 2). Suit une autre phase où durent être employés des renforts arrivant d'Italie. L'énormité des travaux en est l'indice: terrassement pour combler le vallon entre la colline Saint Charles et celle des Carmes, assaut classique avec machines et béliers contre le célèbre mur. La comparaison avec l'assaut d'Avaricum suggère que cette phase prit une vingtaine de jours25. Lorsque l'artillerie marseillaise eut écrasé les machines de César et que les défenseurs eurent, dans la nuit suivante, tout incendié, les assiégeants furent contraints d'aller beaucoup plus loin chercher le bois de construction, indispensable à la reconstruction de Vagger. C'est alors qu'on peut placer l'épisode de la forêt sacrée, où, bravant les dieux gaulois, l'épicurien César porta la hache le premier26. Ce fut la fin de son séjour devant Marseille et il laissa la réfection des lignes et des travaux à Trebonius. Seuls les 6e et 10e légions furent maintenues devant la place. La 14° avait été envoyée en Espagne; les légions d'Italie, aussi. Quelles avaient été les marches de ce troisième corps d'armée? Il avait poussé jusqu'à Brindes. Une légion venant de Ravenne, les autres de Gaule, elles avaient selon l'expression romaine « bien mérité avec leurs pieds » quand leur général décida le départ pour l'Espagne (b.c., 1, 30, 1). Il les répartit alors dans des municipes mais le Bellum ciuile précise qu'il s'agissait seulement d'une pause: ut reliquum tempus a labore intermitteretur (1, 32, 1). Le labor qui attendait ces unités était le long cheminement vers l'Espagne. Lucain évoque une progression à l'allure soutenue27. C'est le tour défavo rablepris par les événements qui l'explique: les journées de repos furent
25 Les travaux d'Avaricum ont pris 25 jours, cf. b.g., VII, 24, -1, mais ils ont été retardés par les intempéries comme par les défenseurs, cf. ib., 22, 1. En outre, la menace extérieure que fait peser Vercingétorix empêche d'employer tout l'effectif contre la place, cf. notre Esquisse d'une stratégie de César d'après les livres V, VI et VII du Bellum Gallicum, Information littéraire, 1957, p. 113. A Marseille, César peut employer toutes ses troupes sur un front réduit, cf. M. Euzennat et F. Salviat, Marseille antique... Faculté des Lettres d'Aix, 1967. 26 Lucain, Pharsale, III, 426 sqq.; au flanc du massif de la Sainte Baume? C. Jullian, Histoire de la Gaule, III, p. 584, n. 6, préfère le vallon de Saint Pons. 27 Agmine rapto, Pharsale, III, 308; cf. les expressions de Végèce citées p. 846.
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compensées par une accélération. Pour arriver à Marseille, à 1240 km de Brindes, il fallait en marchant comme les pompéiens par étapes de 25 km, 52 journées. Il est vrai qu'en allant dans les municipes les troupes s'étaient sans doute rapprochées de Rome et qu'elles eurent sans doute moins à marcher. Si elles partirent vers le 29 mars, elles purent arriver au camp de la colline Saint Charles vers le 19 mai, après l'échec des trente sapes et à temps pour participer aux grands travaux de siège. Pendant un temps le corps d'armée de Trebonius fut donc renforcé par des légions venues d'Italie, mais y eut-il concentration de six légions devant Marseille alors que deux suffisaient à la bloquer et finirent par la prendre? De Marseille, César envoya des renforts à Fabius. Celui-ci, parvenu au Sègre, avait dû suspendre sa progression puisque Trebonius et ses légions, au lieu de le renforcer, avaient rebroussé chemin. Au contraire, les pompéiens étaient survenus; Afranius avait établi son camp à l'extrémité du pont de pierre et Petreius l'avait renforcé. Mais, comme on l'a vu, Fabius avait entre prisdes incursions sur l'autre rive parce qu'il avait reçu deux légions de renfort. Il serait même tentant de mettre en rapport la construction de chacun des ponts, le pons ulterior et le ports propior, avec l'arrivée de cha cune des deux légions, envoyées à Fabius depuis Marseille. Pour aller de Marseille au camp du Sègre par Narbonne et le Perthus (490 km), il fallait 22 journées. D'après les habitudes qui président au détache ment des légions, le premier renfort dut être le dernier numéro de l'ordre de marche, la 14e légion qui appartenait au corps d'armée de Trebonius et qu'on retrouve près d'Ilerda {b.c., 1, 46, 4). Il est à présumer que César ne la détacha pas avant que les légions venant d'Italie ne fussent très proches ou même arrivées. Partie entre le 19 et le 24 mai, la 14e légion rejoignit Fabius entre le 10 et le 15 juin. L'autre légion de renfort, sûrement présente le 22 juin, probablement le 20 pour la construction du second pont aurait quitté la colline Saint Charles vers le 29 mai. Il en résulte que le grand assaut contre Marseille fut mené par César avec quatre légions. Le texte ne fournit pas d'indice qui permette d'identifier cette seconde légion envoyée de Marseille en Espagne. Toutefois, dans l'invasion de l'Italie, la 8e et la 12e, venant de Gaule, avaient fourni les plus longues marches, tandis que la 13e n'était partie que de Ravenne. Ce serait une raison d'ad mettre que ce fut elle qu'on détacha à son tour, d'autant plus qu'après le départ de la 14e, elle était devenue la dernière de l'ordre de marche28.
28 C'est ainsi que, pour la guerre d'Afrique, 13e et 14e légions seront transportées dans le deuxième convoi, b.Af., 34, 4.
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Fabius eut donc au bord du Sègre les 7e, 9e et 11e légions, son corps d'armée, renforcées par la 14e, prélevée sur le corps d'armée de Trebonius, et par la 13e, prélevée sur le corps d'armée d'Italie, disposition qui présente quelque équilibre. Telle était l'armée que César voulut trouver lui-même en Espagne pour passer à l'offensive. Cette offensive devait être soutenue par de nouveaux renforts, deux autres légions avons-nous vu Puisque la 6e et la 10e restèrent devant Mars eille, ce furent les 8e et 12e. Elles partirent plus tard, après l'assaut brisé, après avoir contribué sans doute à la réfection des munitiones. Leur départ ne serait donc pas antérieur au 8 juin. César, les ayant mises en route, partit après elles mais les devança puisqu'il allait, avec ses cavaliers, deux fois plus vite. Il lui suffirait qu'elles fussent à sa disposition au début de )ui\\et-quintilis. Quand César, pour tourner la place d'Ilerda, eut porté son camp sur la rive droite du Sègre (b.c., 1, 41 sqq.), un cataclysme fit apparaître comme une hardiesse téméraire ce qui était une manœuvre classique. Une crue subite du Sègre et de son affluent, le Cinga, emportant les ponts, isolant le pays, bloqua César et son armée. Ils souffrirent d'une pénible disette. Cependant, par le pont de pierre, Afranius et Petreius recevaient du ravi taillement, envoyaient des troupes occuper la rive gauche et expédiaient à Rome des messages triomphants (b.c., 1, 48-53). L'analyse des marches révèle que la situation fut encore plus grave que ne l'a reconnu le Bellum ciuile. Une seule attaque de convoi y est mentionnée (b.c., 1, 51). Or, survenant six jours après l'arrivée de César aux castra superiora29, soit le 28 juin, la crue empêcha les 8e et 12e légions de rejoindre l'armée. Toutefois, si elles avaient été directement menacées par les Afraniens, le bruit en serait par venu à Rome (cf. b.c., 1, 53, 1-2) et César aurait dû faire une mise au point dans son Bellum ciuile, comme pour l'attaque du convoi. Au moment de la crue, les deux légions devaient se trouver à distance suffisante de l'ennemi pour n'être pas surprises, à deux ou trois étapes du Sègre, vers Cervera par exemple. C'est une raison supplémentaire d'admettre qu'elles avaient quitté le camp de la colline Saint Charles assez tard. Pour être le 28 juin à vingt étapes de ce point de départ, elles ne s'étaient mises en marche que le 9. Le lancement d'un nouveau pont à une trentaine de kilomètres en amont, vers Balaguer, entraîna un renversement spectaculaire de la situation: simul perfecto ponte celeriter Fortuna mutatur (b.c., 1, 59, 1). Ce pont
29 Ces six journées sont à compter d'après: postero die, b.c., 1, 41, 2; postero die, ib., 42, 1; tertio die, ib., 42, 5; le jour de la bataille, ib., 43-46; biduo, ib., 48, 1.
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permit à César d'utiliser pour ses communications avec l'est un chemin passant par Cervera et un autre passant par Manresa, Galaf et Agramunt. Alors, Vimperator put faire venir non seulement les convois de ravitaillement mais les deux légions qui attendaient à une soixantaine de kilomètres. Ce renforcement de l'armée explique que César ait pu maintenir en toute sécur ité la nouvelle tête de pont, alors que les pompéiens occupaient la rive gauche, ensuite, qu'il ait osé entreprendre des travaux de dérivation pour faire baisser le niveau du Sègre et le rendre guéable, enfin que devant une armée de sept légions, Afranius et Petreius, qui en avaient cinq, aient décidé de battre en retraite. Le Bellum ciuile met en lumière la puissance de la cavalerie césarienne {b.c., 1, 61, 1-2). Il n'éclaire pas assez la supériorité numérique des légions qui contraignit les pompéiens au départ, puis à la reddition. Vimperator a écrit qu'il y avait pour lui autant de mérite à vaincre par le calcul que par l'épée: . . . cum non minus esset imperatoris consilio superare quam gladio (b.c., 1, 72, 2). Le plus profond de ses calculs portait sur la concentration des légions. Lui l'a plutôt dissimulée. Les marches des légions apportent l'explication de l'action: les retards des renforts entraînent la stagnation, leur arrivée restitue l'initiative. Le plan stratégique de César ne fut pas mis en œuvre sans à-coups. Son consilium, en 49, coûta de très pénibles efforts aux fantassins; il permit l'entrée en guerre de Marseille et peu s'en fallut que cette cité ne fit échouer toute l'entreprise. Voilà pourquoi César a été si discret sur les marches de ses légions vers l'Espagne: outre qu'il ne voulait pas laisser paraître sa préméditation, il n'a révélé de son consilium que les résultats les plus brillants.
DENISE REBUFFAT-EMMANUEL
UN PROBLÈME D'ÉPIGRAPHIE ITALIQUE: L'ÉNIGME DE RIT
L'inscription figure sur un miroir du Louvre *; si connu qu'il soit depuis qu'il irrite la sagacité des commentateurs, nous en rappellerons brièvement l'aspect1 (PI. I). De flan arrondi comme un miroir étrusque, mais d'épigraphie latine comme un miroir prénestin 2, il est pourvu d'un manche massif à languette 3, et d'une tranche oblique rentrante4 décorée de stries transversales. Le droit a été peu nettoyé, cependant que le revers était poncé au point de réduire notablement la profondeur d'incision de la gravure. Le bandeau de revers est orné d'une guirlande sinueuse de vigne, et l'exergue d'une palmette aux pétales disjoints et inversés, émergeant d'un cratère en calice du type de Gnathia5, qui permet de situer le miroir dans les dernières décennies du 4e siècle. Le médaillon porte une figuration à quatre personnages, que nous présenterons de gauche à droite. Debout de trois quarts à droite, se tient d'abord un Eros nu, hermaphrodite, potelé, hanche, coiffé d'un chignon, portant bracelets de poignet et de cheville, et s'appuyant de la main droite sur un fût de colonne. Au-dessus de son aile gauche éployée se lit l'inscrip-
* Nous remercions vivement M. Noël Duval, Conservateur en Chef du Département des Antiquités Grecques et Romaines au Musée du Louvre, de nous avoir confié la publication des miroirs étrusques du Musée, où, grâce à lui et à Mlles M. -F. Briguet et C. Metzger, nous avons toujours disposé des meilleures facilités pour travailler. Notre article annonce l'étude que nous consacrerons à la collection. 1 Inv. 1730; Gerhard, Etruskische Spiegel, 371. 2 Ce qui est compatible, voir notre Miroir étrusque, dans Collection de l'Ecole Française de Rome, 20, 1973, p. 368-70. 3 Ibid., p. 362. 4 Ibid., p. 381-2. 5 Forti, Ceramica di Gnathia, cf. pi. IV et XXIX, e.
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tion cudido. Tous les commentateurs depuis Garrucci6 ont souligné avec raison le caractère banal de cette confusion entre ρ et d. Il n'est pas même besoin, comme le faisait Garrucci, de s'appuyer sur une erreur de Denys d'Halicarnasse 7; ce que nous savons du peu de culture des graveurs8, la fréquence de leurs erreurs épigraphiques 9 suffisent à expliquer la confusion entre deux lettres dont les formes sont au demeurant si proches. Le personnage suivant est venos, debout de trois quarts à gauche, les cheveux courts, en tunique ceinturée et manteau drapé, chaussée de sandales, et étendant la main droite au-dessus de la tête de cudido, le bras gauche plié au niveau de la taille. Une sorte de cippe ou de colonne basse sépare venos du personnage suivant, une femme ailée, de face, vêtue d'un péplos ceinturé et qui penche la tête vers le personnage de droite. Au-dessus de sa tête, à gauche, l'inscription vitoria. Nous ne rappellerons que pour mémoire l'hypothèse de Mommsen: « Vitoria videtur esse a vitulando » 10. Vitulari est un mot de la langue religieuse, commenté par Macrobe n, dont la signification de « se réjouir, manifester sa joie par des chants ou des cris » est suffisamment établie. Ce verbe justifie l'existence d'une déesse Vitula12, qui serait donc la déesse de la joie, mais que certains érudits ont voulu considérer aussi comme une
6 Bullettino d. Inst, 1859, p. 98-99; Arch. Anz., 1859, c. 82*; Annali d. Inst, 1861, p. 157-161; Ritschl, Priscae Latinitatis (1862) c. 16, tab. XI; Mommsen, CIL, I1, (1863), 58, p. 26; Gerhard, Etr. Spiegel, IV, p. 15-17 (1867); Baudrillard, Les divinités de la Victoire en Grèce et en Italie (1894), p. 47-49; Conway, Italie dialects (1897), η. 289 p. 316; Matthies, Praenestinischen Spiegel (1912), p. 64, 95; De Ridder, Bronzes antiques du Louvre, II (1913), n. 1730 p. 51; CIL, I2 (1918), 550, p. 428; Ernout, Textes latins archaïques (1947), n. 56 p. 30; Schilling, Religion romaine de Vénus (1954), p. 170-171. 7 Denys d'Halicarnasse, I, 68, qui avait lu sur une inscription archaïque DENATES au lieu de PENATES. 8 Miroir étrusque, p. 635, 656-7. 9 Ibid., aile pour vile sur le miroir 1283 de la Bibliothèque Nationale, p. 567. 10 CIL, Γ, 58. 11 Sat. Ill, 2, 11: «Primo pontificii juris libro apud Pictorem verbum hoc positum est, vitulari: de cujus verbi significatu Tìtius (Cincius? Mommsen, le.) ita rettulit: Vitulari est voce laetari. Varrò etiam in libro XV rerum divinarum ita refert, quod pontifex in sacris quibusdam vitulari soleat, quod Graeci ποαανίζειν vocant». 12 «Hyllus (Hygin? Mommsen, ibid.), libro quem de diis composuit, ait Vitulam vocari deam quae laetitiae praeest».
UN PROBLÈME D'ÉPIGRAPHIE ITALIQUE: L'ÉNIGME DE RIT
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déesse de la Victoire 13. Mommsen, en particulier, voudrait voir en Vitula l'une des divinités dont serait sortie la Victoria romaine 14. En fait, comme le rappelle A. Ernout, vitoria est une «réduction dialectale du groupe -et- à -t- » 15. Avec les moyens philologiques de son temps, Garrucci, qui attribuait l'absence du c à «une faute d'orthographe»16, était plus proche que Mommsen de la vérité. Mais les vraies difficultés commencent avec le dernier personnage, assis de trois quarts à gauche, les cheveux courts, le buste nu, les hanches drapées dans un manteau, des sandales aux pieds. Sa main droite s'avance vers la Victoire, qui de son côté semble presque lui poser la main gauche sur l'épaule. Au-dessus de son visage se lisent les trois lettres: rit. Tous les commentateurs ont hésité sur le sexe du personnage et ne se sont finalement décidés qu'en fonction de leur interprétation de l'inscrip tion. La plupart cependant y voient un homme. Garrucci balance: « non bastevolmente chiaro se sia maschile o femminile » 17. Mommsen, après avoir affirmé «figura, de cujus sexu non liquet », l'interprète comme un homme 18, ainsi que Gerhard « ein männliche Figur » 19, Convay « a seated youth » 20, De Ridder « un éphèbe » 21 et Bücheier « juvene » 22. Quant aux solutions apportées au problème épigraphique, elles sont encore moins satisfaisantes. Brunn 23 proposait de lire, non pas rit, mais pit qu'il interprétait en Peitho, divinité appartenant précisément au cercle de
13 Marquardt, Manuel, III, p. 312. Preller, Rom. Myth.3, I, p. 407. D'après Macrobe, I.e.: «Piso ait Vitulam Victoriam nominari; cujus rei argumentum proferì quod postridie Nonas Julias re bene gesta, cum pridie populus a Tuscis in fugam versus sit (unde Poplifugia vocantur) post Victoriam certis sacrificiis fiat vìtulatio ». Le seul motif qui fasse considérer Vitula comme une déesse de la Victoire, c'est que le lendemain des nones de juillet, jour où l'on célébrait une victoire, la vitulatio faisait partie de la cérémonie. Mais il ne s'ensuit pas que Victoria, à qui s'adresse le sacrifice, soit Vitula. 14 CIL, I1, 58: «Videturque magis dea Victoria orta ex duobus vetustioribus numinibus confusis Vica Pota dicta a vincendo potiundo, Victoria a vitulando ». 15 Textes latins archaïques, 46. 16 Bullettino, p. 99. 17 Ibid., p. 98 18 CIL, I1, 58. 19 Etr. Spiegel, IV, p. 16. 20 Italie Dialects, p. 316. 21 Bronzes antiques du Louvre, II, p. 51. 22 CIL, I2, 550. 23 Bullettino, 1859, p. 99.
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Venos. Malheureusement c'est bien rit qu'il faut lire, la haste inférieure étant parfaitement nette, quoique courte. Garrucci lisait bien rit, mais, pensant au décor d'une ciste prénestine fraîchement découverte représentant un jugement de Paris où la pomme était tenue par la Victoire, il supposait que rit « se référait » au nom de Paris, sans s'expliquer davantage. Cette idée fut reprise par Gerhard 24, par De Ridder 25, et par R. Schilling 26. Mais s'il est vrai que Paris apparaît fréquemment sur les miroirs tant étrusques que prénestins et sur les cistes, il n'y est jamais appelé Paris; c'est toujours le nom d'Alexandre qui est employé, quelles que soient les variations morphologiques dont il est affecté. Mommsen et Biicheler ont préféré s'en tenir à des explications latines de ce miroir latin. Le premier pensait à un Ritus: « Fuitne deus aliqui Ritus, Graecorum θεσμός, a nuptiali argumento sane non alienus? » 27. Solution quelque peu désespérée, qui se trouve ruinée si la figure en question n'est pas masculine, et qui, surtout, a l'inconvénient d'obliger à créer une divinité de circonstance. On peut objecter la même chose à Bücheier qui croit tout sauver en lisant Risus « licetne cogitare de Ris(u)? Γέλως Veneri comissantibusque comitatur in Plauti epitaphio Risus, Ludus Jocusque » 28. Pourquoi pas, mais pourquoi? Reconnaissons d'ailleurs que tous deux présen tent leur solution comme extrêmement hypothétique.
Et tout d'abord est-il vraiment impossible d'identifier sur la gravure le sexe du personnage en question? Nous ne le pensons pas. Le dessin de la poitrine est nettement, féminin, et le vêtement, laissant nu le buste et envelop pant les hanches et les jambes d'un personnage assis est le plus souvent utilisé, aux 4e et 3e siècles, pour les femmes29. La chaussure, basse, à lanières de cheville, est également plutôt employée pour des femmes, les hommes allant pieds nus ou chaussés de bottines plus hautes, ou de bottines « de chasse » 30.
24 Etr. Spiegel, IV, p. 16-17. 25 Bronzes du Louvre, l. c: « (Paris ??) ». 26 Vénus, p. 170, note 4: «Quelle que soit la solution de ce problème épigraphique il semble bien qu'il s'agisse de Paris». 27 CIL, I1, 58. 28 CIL, I2, 550. 29 Cf. Gerhard, Etr. Spiegel, 66, 77, 84, 95, 100 (= Β. Ν. 1338, Mir. étr. p. 619) etc... 30 Cf. la série des miroirs «à quatre personnages», notre Miroir étrusque, p. 512 sq.
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Les cheveux courts ne sont pas un obstacle. Sur beaucoup de miroirs, et cela dès le 5e siècle, les femmes portent les cheveux courts31, et d'ailleurs, ici, rien ne permet d'affirmer qu'ils soient forcément plus courts que ceux de Venos ou de la Victoire. Il s'agit donc bien d'une femme. Nous avons examiné directement l'inscription. Il n'est pas douteux qu'il faille lire rit. Nous avons également cherché à savoir si d'autres lettres avaient été effacées, si l'inscription primitive était plus longue. Nous n'avons discerné aucune trace d'autres lettres. D'ailleurs l'espace laissé libre de part et d'autre permettrait de graver tout au plus une lettre avant rit et deux après. Nous sommes persuadée que rien d'autre n'a jamais été écrit. Et cela peut parfait ement s'expliquer. Nous savons combien les graveurs sont tributaires des modèles qu'ils copient: il suffit que le modèle ait été endommagé et incomplet, pour que le graveur le recopie tel quel, incapable qu'il était de le compléter, parce qu'au fond, il ne le comprenait pas. C'est donc ce modèle endommagé qu'il nous faut restituer. A notre avis, la clef du problème se trouve sur une ciste prénestine (pi. II), connue depuis bien longtemps, conservée au Musée Grégorien du Vatican32, et que des analogies précises nous invitent à situer à la même époque - dernier tiers du 4e siècle - que des miroirs à inscriptions latines ou de flan piriforme que nous avons déjà étudiés 33. De forme ronde, portant sur son couvercle, en guise de poignée, une panthère attrapant un volatile, et comme motif gravé deux assemblées analogues de satyres et de femmes illustrant un thème de « séduction en musique » 34, elle est ornée, sur tout le pourtour de la boîte, d'une frise gravée continue encadrée en haut et en bas d'une bordure de palmettes et lotus alternés. Cette frise présente une série de héros, empruntés pour la plupart au cycle troyen, Micos (?)., Aciles, Iacor (peut-être une erreur pour Hector? 35), Aiax, et de divinités, Victoria, Fercles, Diesptr, Iuno, Mircurios, Veritus. Si nous gardons présente à l'esprit
31 Gerhard, Etr. Spiegel, 70, 83, 86, 87, 105, 106, 110, 111, 113, 114 etc.. 32 Inv. 12282. Garrucci, Ciste prénestine con epigrafi, Annali, 1861, p. 151-162. Monum enti, VI, pi. LIV. Ritschi, Rhein Mus., XVII, p. 607. Id., Priscae Latinitatis, c. 98. Mommsen, CIL, I, 1500. Fabretti, CII, 2726 ter c, pl. XLVI. CIL, I2, 564; XIV, 4106. Ernout, Textes latins archaïques, 55. 33 Pour le traitement des draperies, voir le miroir à inscriptions latines 1297 du Cabinet des Médailles, que nous avons daté vers 320 (Mir. étr. p. 610), et pour le casque, sorte de bonnet phrygien à crête, voir le miroir piriforme 1323, situé par nous vers 330 (ibid., p. 624). 34 On peut supposer qu'il s'agissait de deux groupes empruntés à un cahier de modèles consacré à ce thème. 35 Garrucci, l. c, p. 161.
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la scène du miroir, deux groupes presque symétriques attirent notre attention. Ils représentent tous deux un guerrier en train de s'armer aidé par une divinité, d'une part Aciles, nu, courbé pour mettre ses jambières, alors que, debout devant lui, Victoria, drapée, lui tient son casque de la main droite; d'autre part Aiax (PI. III), ayant déjà revêtu cuirasse et jambières, attachant le baudrier de son épée, et se tournant vers Veritus, jeune femme debout, drapée, qui de la main droite lui tend son casque, cependant que de la main gauche, elle maintient appuyée au sol la lance qu'elle va lui remettre. Nous pensons que la rit du miroir et la Veritus de la ciste ne font qu'une. Dans l'un et l'autre cas, la déesse est mise en parallèle avec la Victoire, et c'est aussi net sur le miroir que sur la ciste, puisque le miroir distingue deux groupes de personnages, Venus et Cupidon d'une part, la Victoire et Rit d'autre part, qui se tiennent par l'épaule. Or Veritus c'est Virtus, et l'iconographie, sur la ciste, correspond à ce que l'on peut attendre de cette divinité. Elle joue un rôle actif dans une scène d'armement, de préparation au combat. On peut se demander si, sur le miroir 371, elle n'est pas assise sur un bouclier, ou une pile de boucliers, tant le dessin est imprécis et d'interprétation difficile. Quelques hachures peuvent faire croire à l'éclat du métal. Finalement, il ne le semble pas, et l'amas assez confus qui lui sert de siège n'est sans doute que la figuration maladroite d'un rocher. La rocaille-siège est un poncif chez les graveurs de miroirs. L'inscription de la ciste est assez gauchement tracée (PI. IV). Dessau36 signalait déjà « ductus ab operano incisi ducunt ad Vepitus (il se réfère d'ailleurs à la planche des Monumenti et ne semble pas avoir vu l'objet directement); sed probabile est operarium dare voluisse vel Veritus vel Vertus (= Virtus), quod nomen quam apte conveniat mulieri Uli galeam Ajaci porrigenti ». La troisième lettre est en effet très anguleuse, et, à tout prendre, elle ne ressemble pas plus à un ρ qu'à un r: on a un exemple des deux lettres dans Diesptr, et on y voit un ρ à la boucle presque re fermée. C'est du t que cette lettre est le plus proche, et encore avec des différences, car la haste oblique plonge trop bas. D'ailleurs l'e de la première syllabe n'est pas complètement tracé non plus, et en ce qui concerne les r, celui de Victoria est également incomplètement tracé, le milieu de la panse faisant défaut. Il est donc vain de s'attarder sur ces approximations de graphie. Le graveur recopiait son modèle comme il pouvait, probablement sans le comprendre, et notre goût de l'exactitude et de la précision l'aurait bien étonné. Son modèle comportait assurément Veritus et c'est l'essentiel.
CIL, XIV, 4106.
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Reste à expliquer cette forme Veritus. A. Ernout, dans ses Textes latins archaïques37, ne donne aucun commentaire de ce mot, qui est pourtant, de toute l'inscription, celui qui en mériterait le plus. Pourtant Forcellini donnait, dans son article Virtus 38, une lecture vertus de la ciste, qu'il appuyait de deux références épigraphiques, l'une empruntée à Griiter39, l'autre à Marini 40. Ritschl de son côté, dans une étude du Rheinische Museum 41, reprise dans les Epigrafischgrammatische Miscellen 42, proposait la lecture veritus, assortie de l'interprétation veritus = virtus; veritus étant « une dérivation suffixée comparable à celle de serv-i-tus », alors que vertus était à mettre en rapport avec un mot comme juven-tus. Dessau43, à la suite de Ritschl, lisait soit veritus, soit vertus = virtus. Nous empruntons au Dictionnaire étymologique d'A. Ernout et A. Meillet la mise au point de la question: « Virtus est avec vir dans le même rapport de dérivation que Juventus, senectus avec juvenis, senex. Comme ces deux mots, il marque l'activité et la qualité » 44. Reste à expliquer que nous lisions veritus et non virtus. Il existe, rap pelons-le, de nombreux cas d'épen thèse d'un i entre deux consonnes: Alexandiri (Dessau 2350), balineum (5668, 5676, 5679, 5711 etc. . .), difficulitates (1118), Dominae (= Juliae Domnae, 9287), omines (= omnis 3546), ominibus (7480), opitimo (2077), opituma (7460d), trichil(inium) (p. 819) etc.. Ces i se développent donc volontiers au contact de consonnes liquides (1, r), ainsi d'ailleurs que de nasales, et d'autre part de l'occlusive t. Or le cas de virtus est à la fois celui du voisinage de la liquide r et de l'occlusive t. Et ce passage à un éventuel *virìtus a dû être facilité par l'abondance des composés de vir commençant par viri -: virilis, virilitas, viriliter, dont la parenté avec virtus devait être sensible aux usagers de la langue. Il existait en outre une divinité Viriplaca45.
37 55, p. 33. 38 Lexicon, s.v. Virtus. 39 Gruter, Inscriptiones antiquae, II, 1056, 2, mais c'est une inscription chrétienne. 40 Marini, Atti e monumenti de' fratelli Arvali, 1795, p. 500, 83. La forme donnée est VIIRTVS. 41 Rhein. Mus., XVII, p. 607. 42 Opuscula IV, p. 730. 43 CIL, XIV, 4106. 44 S.v. Vir. 45 Valére Maxime 2, 1, 6. Elle présidait aux raccommodements entre époux.
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Mais veritus suppose de plus une dissimilation, ou une ouverture de l'i initial, qui, elle non plus, n'est pas sans correspondants attestés: Felicetas (4058), Feronea (3479), filicessimes (= Felicissimae, 1963, qui offre une double anomalie), Menerva (1851. 3124, 3126, mais on peut voir là plutôt une influence étrusque) etc. . . Mais là encore, la ressemblance générale avec un terme comme Veritas a pu jouer son rôle. Veritus est donc bien une forme de virtus, attestée sur la ciste; sur le miroir, il est probable que c'est [ve]rit[us] qu'il faut restituer (plutôt qu'un *viritus qui n'est attesté par aucun témoin). Solution évidente, que le manque de renseignements sur les étapes de la création d'un miroir a certainement contribué à faire méconnaître jusqu'ici.
L'existence d'une déesse Virtus est très anciennement attestée dans le domaine latin. Parmi les prescriptions de la Loi des Douze Tables relatives au culte des dieux célestes, Cicéron énumère Mens, Virtus, Pietas et Fides46. Le premier temple consacré à Virtus le fut près de la Porte Capène 47, et son culte y était jumelé avec celui d'Honos. Honos possédait en effet un temple construit en 233 par C. Fabius Maximus Verrucosus. En 222 avant J.-C. M. Marcellus Claudius, le futur vainqueur de Syracuse, « renouvela » son culte en y associant celui de Virtus, mais à la suite de scrupules des Pontifes, le temple ne fut consacré qu'en 205. La déesse, toujours associée à Honos, avait un autre temple devant la Porte Colline48. Le culte de Virtus est donc ancien, même si, au moment où la Loi des Douze Tables en fait mention, elle ne possède pas de sanctuaire. Mais il est intéressant de rencontrer, grâce au miroir et à la ciste, un jalon intermédiaire entre le 5e et le 3e siècle finissant. L'apparence que la déesse revêt sur le miroir et sur la ciste est encore bien éloignée de celle que lui attribueront traditionnellement les monnaies républicaines ou impériales49 et les reliefs50. Sur le miroir, à demi drapée,
46 De Leg. 2, 19. 47 Cicéron, De Nat. Deor., 2, 61. Tite-Live, 27, 25, 7-9; 29, 11, 13. - Valere Maxime, 1, 1, 8. Plutarque, Marc. 28; De fort. Rom., 5. 48 Cicéron, De leg. 2, 23, 58. - CIL, VI, 3692. 49 Babelon, Monnaies de la Rép. rom., I, 213, 513 sq.; II, 236. F. Gnecchi, Le personifi cazioniallegoriche sulle monete imperiali, Riv. Hal. di Numismatica, XVIII, 1905, p. 41 sq. 50 Cf. par exemple un sarcophage du Palais Mattei, Monumenta Matthaeiana, III, 40, 1.
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le buste nu, elle n'est caractérisée par aucun attribut; sur la ciste, vêtue d'une tunique et d'un manteau longs, elle tient des armes, casque et lance, dont elle va, de façon imminente, se dessaisir au profit d'Ajax, qui ne sont donc que des attributs éphémères, c'est-à-dire qu'au fond elle est à nouveau sans attributs. Elle apparaît donc essentiellement comme une femme drapée, et n'est vraiment caractérisée que par la présence de son nom. La ciste l'associe à Ajax, et cette association correspond au témoignage de certains textes: le Peplos du Pseudo-Aristote 51 et l'Anthologie Palatine, sous le nom d'Asclépiade 52, donnent une épitaphe d'Ajax: Άδ' έγώ ά τλάμων Άρετα παρά τωδε κάυημαι Αΐαντος τυμβφ κειραμενα πλοκάμους, ϋυμον αχεί μεγάλω βεβολημένα, ει παρ' Αχαιοϊς ά δολόφρων Απάτα κρεσσον έμεΰ δύναται. qui a servi de modèle à Ausone pour sa propre épitaphe d'Ajax 53: Ajacis tumulo pariter tegor obruta Virtus, Inlacrimans bustis funeris ipsa mei, Incomptas lacerata comas, quod pravus Atrides Cedere me instructis compulit insidiis. Jam dabo purpureum claro de sanguine florem, Testantem gemitu crimina judicii. Il est intéressant de noter que des textes alexandrins - Ausone n'étant qu'un écho tardif de textes antérieurs - correspondent si bien à l'image donnée par la ciste du 4e siècle, derrière laquelle on devine, avec ses person nages de la guerre de Troie et ses dieux grecs aux noms transposés, un archétype hellénistique. C'est 1'Άρετή grecque qui parvient ici dans le domaine latin, c'est une Virtus transposée du grec qui va prendre place dans le Panthéon latin. Sur les deux documents figurés que nous avons présentés, le miroir et la ciste, ce n'est pas encore à Honos que Virtus est associée, mais à Victoria: c'est avec Victoria qu'elle fait groupe sur le miroir, c'est avec elle qu'elle est mise en parallèle sur la ciste. Il s'agit d'une association qui n'est pas inconnue des textes littéraires ni des inscriptions. Les déesses voisinent, par exemple, dans une enumeration divine de l'Amphitryon de Plaute54:
51 52 53 54
Bergk, 7, 1. 7, 145. Ausone, Epitaph., Peiper, p. 73, 3. Amphitr., 42.
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Neptunum Virtutem Victoriam Martern Bellonam; ainsi que sur une inscrip tion tardive de Lambèse55: Victoriae divinae, Virtutis corniti Aug(ustorum trium) r(es) p(ublica) c(oloniae) l(ambaesitanae). En contre-épreuve, Virtus est associée à l'adjectif invictus, lorsqu'il s'applique aux empereurs 56. Mais l'image de Virtus que nous donne le miroir du Louvre la fait apparaître également en face de Venus. Elles s'opposent banalement en une sorte de couple antithétique, chez Saint Augustin: «cur celebrata sit Venus et obscurata sit Virtus... Plures enim Venerem quam Virtutem (appetunt) »57. Silius Italicus présente la même antinomie, mais Venus y est remplacée par Voluptas58, son équivalent abstrait. Sur le miroir 1730 d'ailleurs, Venus et Cupido d'une part, Victoria et Virtus peuvent être considérés comme formant deux groupes opposés, comme deux allégories antithétiques. Dans un autre ordre d'idées Venus Victrix - ainsi que Félicitas - est associée à Honos et à Virtus dans la fête qui leur est consacrée le 12 août in theatro marmoreo: Veneri Victrici Hon(ori) Virt(uti) Felicitati in theatro marmoreo59. Mais il existe un témoignage littéraire qui donne un autre sens à cette association: le Culex, dans son « Catalogue des Héros », nomme ensemble Venus et Virtus, qui ont présidé toutes deux aux noces des Eacides, Pelée et Télamon, père d'Ajax. Peleus namque et Telamonia virtus Per secura patris laetantur numina, quorum Conubiis Venus et Virtus injunxit honorem60. Elles sont ensemble les protectrices, les patronnes des Eacides 61, et l'on pourrait imaginer que le miroir n'est qu'un fragment d'une plus vaste com-
55 56 invicti. 57 58 59
Dessau, 3812. Dessau, 3798: Honori et Virtuti imp(eratoris) Caes(aris) M. Aurefljii Cari p(ii) f(elicis)
Civ., 7, 3. Sii. Ital. 15, 18 sq. Fasti Amitern., CIL, I2, p. 324. Inscription presque identique dans Fasti Allifani, ibid. V(eneri) V(ictrici) H (onori) V(irîuti) V(ictoriae?) Felicita [ti] in theatro Pomp ei. 60 Culex, 297-299. 61 On en trouve un écho chez Horace lorsqu'il associe au nom d'Eaque le souvenir de sa virtus (Odes, IV, 8, 25-28): Ereptum Stygiis fluctibus Aeacum virtus et favor et lingua potentium vatum divitibus consecrat insulis.
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position, qui regrouperait les déesses et leurs protégés. La ciste du Vatican pourrait de son côté avoir conservé un souvenir d'un cycle iconographique des Eacides dont il reste peu de témoins62. Nous retiendrons de ces rapprochements que les groupements icono graphiques présentés par le miroir et la ciste ne résultent pas de fantaisies individuelles des modélistes, mais font allusion à des alliances divines réelles dont la littérature et l'épigraphie ont conservé des traces à des époques diverses.
Nous conclurons donc que l'inscription rit du miroir 1730 du Louvre peut se compléter en [ve]rit[us], nom attesté sur une ciste prénestine con temporaine du miroir, et que dans l'un et l'autre cas il s'agit de la déesse Virtus, dont l'apparition au 4e siècle, entre l'allusion rapide qui est faite à son culte dans la Loi des Douze Tables et la consécration en 205 de son temple à la porte Capène, comble heureusement une lacune de nos connais sances. Elle se présente, sur les deux monuments cités, comme une jeune femme drapée, ne portant, à proprement parler, pas d'attributs, et son inser tion dans une scène représentant les héros de la guerre de Troie, où elle apparaît comme protectrice d'Ajax, nous fait pressentir qu'un archétype alexandrin a dû guider le modéliste 63. Cette Virtus apparaît donc essentiellement comme la transcription latine de ΓΑρετή grecque. Elle est, sur les deux monuments, mise en parallèle avec Victoria, tandis que sur le miroir, elle se trouve en présence de Venos, et des références littéraires et épigraphiques consolident ces rapprochements. Nous y gagnons un précieux témoignage sur l'histoire de Virtus en Italie. D'autre part, l'élucidation du problème épigraphique que posait l'existence, sur le miroir, de cette inscription incomplète nous renseigne, une fois de plus, sur la manière dont travaillaient les graveurs, en particulier sur leur dépendance vis-à-vis de leurs modèles, et sur leur incompréhension personnelle de la signification des personnages et des mythes qu'ils re présentaient.
62 Les Tarentins faisaient des offrandes aux Eacides, Ps. Aristote, De Mir. Ause, 106. 63 Peut-être ces influences alexandrines ont-elles raffermi le culte de l'ancienne Virtus italique.
D'après Gerhard 371
PI. I - Miroir du Louvre 1730.
PI I Ciste du Vatican 12 82 (d apres les Monument VI LIV)
Cliché Musei Vaticani PI. Ili - Ciste du Vatican 12282 (détail).
Monumenti VI,
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PI. IV - L'inscription Veritus de la ciste du Vatican.
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AR VA BEATA PETAMUS AR VA DIVITES ET INSULAS »
Avant que les géographes ne les fixent aux Canaries, nombre de textes, depuis Homère, nous parlent des Iles Fortunées, ou de quelque contrée merveilleuse de l'Occident extrême. Quiconque entendait évoquer ce paradis pouvait concevoir le désir de s'y rendre, et cependant nous ne le trouvons exprimé qu'en deux circonstances avant qu'Horace écrive la XVIe Epode. D'abord lorsque les Carthaginois ont empêché les Etrusques d'aller y fonder une colonie. Puis lorsque Sertorius, après un revers, a caressé le projet de s'y réfugier. Les Etrusques, Sertorius, Horace: que faut-il penser de cette étrange séquence?
Quelle que soit l'érudition * qu'ait suscitée la XVIe Epode, il s'y trouve quatre vers qui ont provoqué moins d'intérêt, et qui méritent d'être relus. La description des Iles Fortunées comporte plusieurs thèmes: celui des nourritures aisées, d'où on passe facilement à celui des animaux paisibles. Puis vient plus merveilleux encore, et c'est la description du climat. Enfin se trouve le thème des navigateurs qui n'ont pas encore découvert les Iles, réservées par Jupiter à des privilégiés. Ce qui attire notre attention est la description du climat, qui tient toute entière dans cette particularité que2: neque largis aquosus Eurus arva radat imbribus pinguia nec siccis urantur semina glaebis utrumque rege temperante caelitum. 1 Bibliographie récente, globale et par centres d'intérêt, dans D. Ableitinger-Grünberger, Der Junge Horaz und die Politik, Heildelberg 1971. 2 Textes et traduction ci-dessous d'après F. Villeneuve, Horace, Odes et Epodes, p. 223 sq.
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En somme, il n'y a pas de fortes pluies, et la terre ne souffre pas de sécheresse. Qu'est-ce à dire? C'est qu'il y a des pluies, mais qu'elles ne sont pas « largis », elles n'ont pas cet effet néfaste décrit par « radat », et ce sont donc des pluies fines, mais fréquentes, ou à la rigueur une humidité suf fisante de l'atmosphère. Un géographe parlerait de « climat atlantique », et un humoriste de « crachin vivifiant ». Mais ne s'agirait-il pas simplement d'une description inversée des méfaits du climat de l'Italie centrale? Reportons-nous à la prophétie de Vegoia3: «Les récoltes seront fréquemment gâtées et abattues par la pluie et la grêle, périront sous la canicule, seront détruites par la rouille ». Pour jeter le mauvais sort sur les champs italiens, il suffisait de promettre aux agriculteurs les intempéries qu'ils connaissaient bien. L'optique des deux textes n'est pas la même: la prophétie envisage la destruction des récoltes sur pied. Horace pense aux graines en terre, soit à propos de la sécheresse, soit à propos des pluies, car c'est avant la végétation que le ravinement est le plus à craindre, et ce moment de la végétation est bien celui qui correspond à la mention de l'Eurus, par luimême associé à l'idée des pluies d'automne4. Mais il y a entre eux une autre différence: la prophétie énumère banalement des intempéries. Le texte de l'Epode est plus curieusement précis, en notant qu'au moment où il doit pleuvoir, il ne pleut cependant pas trop, sans cependant que les champs souffrent de sécheresse. Et en fait, quelque chose nous avertit que cette particularité des Iles Fortunées n'est pas simplement l'absence garantie de calamités trop fréquentes dans un pays normal, ou en Italie. C'est que la description passe sans aucune transition du thème de l'abondance paisible à cette particularité climatique, pour sauter ensuite à une autre idée. Et cette absence de transition est voulue, soulignée, par ce cri d'émerveillement: pluraque felices mirabimur. Il se passe dans ces Iles quelque chose de vraiment étonnant, qu'Horace semble découvrir et veut nous faire découvrir avec ravissement, et qui ne devrait pas tant le surprendre s'il ne s'agissait que d'être à l'abri des intempéries. Il faut donc se demander si cet étonnement n'accompagne pas la découverte de cette particularité que nous appellerons pour simplifier du
3 J. Hergon, The date of Vegoia's Prophecy, dans JRS 1959, p. 41-45 et résumé dans REL XXXVII, 1959, p. 46-47; La vie quotidienne chez les Etrusques, p. 283-286. 4 Sur la relation de l'Eurus et de l'automne, R. Lantier, Venti, Daremberg-Saglio, p. 719; Rehm, Euros, Realencyclopädie, col. 1313; Thesaurus, Eurus, col. 1079, ligne 17 sq.
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« climat atlantique » dans la tradition établie sur les Iles Fortunées. Or on constate aussitôt qu'à une exception près, d'autant plus remarquable, Horace ne la trouvait, au moins à notre connaissance, nulle part. Car depuis Homère 5 et Hésiode 6, les Iles, ou telle région bienheureuse équivalente, ont été maintes fois célébrées, et leur climat vanté. Mais nous trouvons chez Homère qu'il n'y pleut pas, et cela signifie que ses Champs Elysées sont à l'abri des méfaits hivernaux, qu'ils offrent un bonheur tout méditerranéen, une température douce où les vents rafraîchissent l'atmosphère. Et c'est ce bonheur méditerranéen que nous trouvons aussi chez Pindare7, et de même c'est la « tiédeur » du climat que vante Strabon 8 quand il commente Homère. D'un régime particulier des pluies, il n'est pas question, et l'équilibre du climat est un équilibre non des précipitations, mais des températures. Lorsque d'autre part les géographes9 nous parlent des Canaries, ils ne nous disent rien des pluies, sinon à propos de l'île appelée précisément Pluvialia, mais pour dire que la seule eau douce de l'île vient des pluies 10, ce qui a évidemment un tout autre sens qu'une allusion à un régime par ticulier des pluies. Et enfin, le texte de Diodore (V, 19-20) qui nous décrit avec quelque détail l'île où ont voulu s'établir les Etrusques insiste sur ses fleuves, ses ruisseaux et ses sources, fait allusion au climat, et ne dit mot, lui non plus, du régime des pluies. Voyons donc l'exception dont nous parlions. C'est le texte de Plutarque n qui concerne Sertorius. On se rappelle que Sertorius aborde sur la côte
5 Odyssée, IV, 562 sq. «... mais aux Champs Elysées, tout au bout de la terre, les dieux t'emmèneront chez le blond Rhadamanthe, où la plus douce vie est offerte aux humains, où sans neige, sans grand hiver, toujours sans pluie, on ne sent que zéphyrs, dont les risées sifflantes montent de l'Océan pour rafraîchir les hommes...» (trad. Victor Bérard). 6 Hésiode ne donne d'indication climatique que très indirectement: «... dans les îles des Bienheureux, aux bords des tourbillons profonds de l'Océan, héros fortunés, pour qui le sol fécond porte trois fois l'an une florissante et douce récolte». (Travaux et Jours, vers 171-173, trad. Mazon). 7 Pindare, Olympique II, 127 sq.: «... là, l'île des Bienheureux est rafraîchie par les brises océanes; là resplendissent des fleurs d'or, les unes sur la terre, aux rameaux d'arbres magnifiques, d'autres, nourries par les eaux...» (trad. Puech). 8 Strabon, III, 2, 13: «La pureté de l'air et la douceur des souffles du zéphyr sont, en effet, les traits caractéristiques de cette contrée, puisqu'elle se trouve à l'occident et que le climat y est tiède» (trad. Lasserre). 9 Liste des textes dans C. Th. Fischer, Fortunatae Insulae, Realencyclopädie, col. 42-43. 10 Pline VI, 202: in Pluvialia non esse aquam nisi ex imbribus. 11 Texte et trad. R. Flacelière, éd. Budé, tome VIII, p. 20-21: (1) Le vent s'apaisant enfin, il fut porté vers des îles sans eau, disséminées çà et là. où il passa la nuit. Puis il se rem-
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ouest de l'Espagne, un peu au nord de l'embouchure du Bétis, et qu'il rencontre là des marins, probablement des Gaditains, bien que le mot ne soit pas prononcé, qui reviennent des Iles Atlantiques. Et, après les indica tionstopographiques, vient une description, qui non seulement est consacrée au régime des pluies, mais n'est consacrée qu'à lui. (3) « Les pluies y sont modérées et rares, et les vents généralement doux et humides, ce qui rend la terre non seulement grasse et bonne pour le labour et les plantations, mais encore riche en fruits qui viennent d'euxmêmes, et qui suffisent par leur quantité et leur douceur à nourrir sans peine et sans travail une population oisive. (4) L'air qui règne dans ces îles est sain en raison des variations mesurées de la température des saisons, car les vents du Nord et de l'Est, qui soufflent de notre continent, ayant à traverser un espace d'une immense étendue, se dispersent et s'épuisent en chemin, tandis que les vents du large, ceux du Sud et de l'Ouest, qui soufflent autour d'elle, y apportent de la mer des pluies fines et clairsemées, et plus souvent encore des rosées de beau temps qui rafraîchissent la terre et la nourrissent doucement ». Nous avons séparé cette description en deux paragraphes pour mieux en souligner le plan. Le premier paragraphe est consacré aux pluies et à leurs conséquences, et le second à l'explication de leur régime. Ce n'est pas là un texte de littérateur, mais le compte rendu d'observations précises et même scientifiques. Et il n'y a guère lieu de douter qu'il s'agisse des renseignements mêmes rapportés par ces marins que nous appelons pour simplifier Gaditains, et qui avaient par métier la capacité de faire des observations de ce genre, et le goût aussi par vocation d'explorateurs. Lorsque nous relisons alors: «... l'humide Eurus n'y ronge point les champs sous des torrents de pluie ... les grasses semences ne sont point brûlées sous les mottes desséchées, car le roi des dieux célestes y contient l'un et l'autre excès », nous reconnaissons exactement le même thème, celui de l'humidité permanente sans pluies violentes. Et ajoutons que nous recon naissons aussi une même orientation des observations des deux textes: car il ne s'agit pas dans l'un et l'autre des pluies arrosant les récoltes, mais
barqua, passa le détroit de Gadeires et gagna vers la droite la partie de l'Espagne qui est au-delà, un peu plus loin que l'embouchure du Bétis qui se jette dans l'Océan Atlantique et qui a donné son nom à la région de l'Espagne qu'il arrose. (2) Là, il rencontra des marins revenus récemment des îles Atlantiques: ce sont deux îles séparées par un bras de mer fort étroit, situées à dix mille stades de la Libye et nommées îles des Bienheureux. (3) Les pluies ... (nous citons plus loin les § 3-4 du texte, et plus loin encore le § 5).
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bien de l'humidification du sol lui-même, naturellement favorable à ses pro ductions, mais secondairement. Horace et Plutarque sont donc seuls, parmi tous les auteurs dont nous ayons conservé des descriptions des Iles Fortunées ou du pays des Bienheureux à traiter de ce thème des précipitations de type « atlantique ». Or nous connaissons la source de Plutarque, ce sont les Histoires de Salluste 12, qui donne d'une part les mêmes précisions topographiques que Plutarque, fra gment Maurenbrecher I 100: quas duas insulas propinquas inter se et decem milia stadium a Gadibus sitas constabat suopte ingenio alimenta mortalibus gignere; qui faisait état d'autre part du désir de Sertorius de s'y rendre, I, 102, traditur fugam in Oceani longinqua agitavisse, ce qui nous est confirmé par le pseudo-Acron, Oceanus: in quo sunt insulae fortunatae, ad quas Sallustius in historia dicit victum voluisse ire Sertorium, Plutarque donnant en face de ces résumés une version plus précise: « Sertorius éprouva un désir extraordinaire d'aller s'établir dans ces îles et d'y vivre paisiblement, débarrassé de la tyrannie et des interminables guerres »; et qui concluait probablement que c'étaient là les Champs Elysées d'Homère, I, 101 Secundum philosophos elysium est insulae fortunatae, quas ait Sallustius inclitas esse Homeri carminibus, comme le fait Plutarque qui termine son récit en disant: (5) « Aussi la ferme croyance s'est-elle répandue jusque chez les Barbares, que là se trouvent les Champs Elysées et le séjour des Bienheureux, chanté par Homère » 13. On peut donc admettre que Plutarque nous restitue l'essentiel du récit de Salluste, si même il ne nous en donne pas une traduction plus ou moins étendue. Or, Horace et Plutarque ont en commun non seulement le thème du « climat atlantique », dont nous avons noté l'exceptionnelle originalité dans la tradition qui concerne les îles Fortunées, mais encore celui du départ vers les îles pour échapper aux guerres civiles. Ce souci précis d'échapper à la guerre, et à la guerre civile, est également original dans la tradition. On en conclura donc qu'Horace dépend lui aussi de Salluste. Est-il besoin d'une vérification? Elle nous est fournie par le pseudo Acron 14, qui nous signale le projet de Sertorius précisément à propos des
12 Les fragments viennent pour le 100 de Nonius IX, éd. Müller, 1888, p. 495; pour le 101 de Servius ad Aen., V 735; pour le 102 de Servius Dan. ad Aen., II, 640 (et non I 640 Maurenbrecher errore). 13 Cette ressemblance a été notée par A. Schulten, Sertorius, Leipzig, 1926, p. 5 sq. Sur ce que la vie de Sertorius doit à Salluste, Flacelière, éd. cit., notice sur la Vie de Sertorius. 14 Pseudo-Acron, éd. Keller, p. 440-441.
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vers 41-42 de la XVIe épode, ce qui s'explique bien soit s'il est dépositaire d'une tradition précise rappelant qu'Horace s'est inspiré de Salluste, soit s'il avait lui-même connaissance du texte de Salluste, et pouvait faire facil ement un rapprochement qui s'imposait. Grâce à l'originalité du thème du « crachin vivifiant », voici faite une démonstration au seuil de laquelle les commentateurs d'Horace ont bien souvent hésité, car tous connaissent bien sûr, les textes de Plutarque, de Salluste et du pseudo-Acron, mais avec ces seuls éléments, comme le dit l'un d'eux, l'influence de Salluste sur Horace est « possible, but not provable » 15. En renforçant le stemma qui fait dépendre de Salluste à la fois Plutarque et Horace, on peut ajouter aux fragments des Histoires de Salluste un long passage peut-être purement et simplement traduit par Plutarque, en tout cas fidèlement transposé, sur les observations climatologiques des Gaditains. On fournit aux chorographes 16 modernes un moyen d'orienter leur
15 E. Fraenkel, Horace, Oxford 1958, p. 49. De fait, les critiques n'ont que très rarement remarqué l'analogie du thème des pluies dans Plutarque et dans Horace, et ils n'en ont tiré aucun parti. G. Schörner, dans une disserta tion d'Erlangen de 1934, Sallust und Horaz über den Sittenverfall und die sittliche Erneue rungRoms, a bien vu que d'une façon générale, Horace avait subi fortement l'influence de Salluste, et rassemblé les arguments qui montrent que le pessimisme d'Horace et l'idée de la fuite vers les îles peuvent venir de Salluste, mais il ne tire partie que d'un mot en note du thème des pluies: Die Beschreibung der Seligen Inseln erinnert bei Horaz z.T. sehr stark an die Erzählung der Schiffer... (et il cite Plutarque: "Ομβροις δε χρώμεναι κ.τ.λ.). La remarque était pleine de sagacité, mais n'a pas été développée davantage. K. Barwick, Zur Interpretation und Chronologie der 4° Eclogue des Virgils und der 16° und 7° Epode des Horaz, Philologus 96, 1944, remarque p. 66 l'analogie entre PlutarqueSalluste et Horace, en y ajoutant une autre comparaison entre Epode XVI, 43, reddit ubi Cererem tellus inarata quotannis et Maurenbrecher 100 suopte ingenio alimenta mortalibus gignere, mais il met sur le même pied que ces rapprochements d'autres analogies avec Diodore V, 19 qui ne tiennent pas compte de la valeur exacte de ces fragments dans le dévelop pement de Diodore (voir ci-dessous). Ces comparaisons n'ont pas convaincu les critiques, comme on le voit par l'opinion de Fraenkel et de F. Villeneuve, p. 226 note 1: «Horace a pu s'inspirer du projet qu'on avait prêté à Sertorius... », et Doris Ableitinger-Grünberger leur oppose l'opinion, d'ailleurs intéres santede L. Levi, L'epodo XVI d'Orazio e la IV ecloga virgiliana, Atene e Roma, 1931, p. 168 note 1: «Eppure io crederei che il poeta... oltre e più che pensare al disegno attribuito da Sallustio e da Plutarco a Sertorio di andar a stabilirsi nelle isole Fortunate, come vogliono i commentatori e i critici, avesse in mente l'antica divisata trasmigrazione a Veio». 16 G. Aujac, La géographie dans le monde antique, Paris, 1975, p. 5-6, sur la géographie et la chorographie. L'analyse du climat des Iles tel qu'il nous est transmis par Plutarque devrait intéresser les géographes?
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recherche des Iles Fortunées 17. Et on apporte une réponse partielle à la question que nous posions pour commencer: tout se passe comme si Horace avait lu le passage des Histoires de Salluste qui concernait Sertorius 18.
Les Etrusques, nous dit Diodore (V, 20) avaient été tentés jadis de gagner une île de l'Atlantique digne du séjour des dieux 19: « Or 20 donc les Phéniciens, explorant pour les raisons ci-dessus mentionnées les rivages situés au-delà des colonnes d'Hercule et longeant la côte africaine furent entraînés par des vents violents loin au large dans l'Océan. Chassés par la tempête pendant plusieurs jours, ils abordèrent à
17 Notre article traitant des traditions sur les Iles Fortunées, et non des Iles Fortunées elles-mêmes, nous n'y disons volontairement pas un mot de la question de leur identification, ce qui fera comprendre que nous ne citions pas les travaux, souvent pleins d'intérêt, de ceux qui en ont traité, et que nous ne donnions pas notre opinion là-dessus. Bornons-nous à dire que l'explication de la genèse des textes est un préalable à l'emploi des détails qu'ils donnent. 18 Salluste meurt en 36 ou 35 (A. Ernout, éd. Budé, p. 8 ) sans avoir achevé les Histoires (p. 32). K. Barwick, p. 66-67: «Es darf daher mit Sicherheit angenommen werden, das Horaz bei der Abfassung der 16 Epode das i° Historienbuch gekannt hat, ... Damit wäre zugleich auch festgestellt, dass Ende 39-Anfang 38 das erste Historienbuch des Sallust bereits veröffentlicht war». Voilà donc l'épode qui sert de moyen pour dater la publication de Salluste. Sur la date de l'épode, P. Grimal, A propos de la XVIe Epode d'Horace, dans Latomus 1961, p. 721-730, dont la conclusion (février-avril 38) est pour l'essentiel acceptée par D. AbleitingerGrù'nberger (p. 64), qui fait cependant remarquer que la limite basse à adopter devrait être plutôt le «retour» d'Horace chez Mécène, que sa première présentation. On admet, ce qui est parfaitement rationnel, qu'Horace n'a plus pu écrire la XVIe épode après être devenu un familier de Mécène. Il reste cependant une petite incertitude: qui peut savoir ce qui pouvait plaire ou déplaire à Mécène? Pour un portrait, P. Boyancé, Bull. Ass. G. Budé, 1959, p. 332-344; puis J. M. André, Mécène, Paris 1967. Mécène étrusque revit dans J. Heurgon, Vie quotidienne, p. 317 sq. - Comment un Etrusque souriait-il quand il essayait d'imaginer les Romains quittant Rome? 19 Nous traduisons, car il n'existe pas de traduction française satisfaisante de Diodore. Sur l'édition des Belles-Lettres en cours, F. Chamoux, Une nouvelle édition de Diodore de Sicile, dans Bull. Ass. G. Budé, 1972, p. 365-368. 20 Texte éd. Loeb: XIX. Έπεί δε περί των εντός 'Ηρακλείων στηλών κειμένων νήσων διεληλύυαμεν, περί των κατά τον Ώκεανον ούσών διέξιμεν. Κατά γαρ την Λιβύην κείται μεν πελαγία νήσος αξιόλογος μεν τω μεγέοει, κειμένη δε κατά τον Ώκεανόν απέχει πλουν άπδ της Λιβύης ήμερων πλειόνων, κεκλιμένη προς την δύσιν. Έχει δε χώραν καρποφόρον, πολλήν μεν όρεινήν, ούκ όλίγην δε πεδιάδα κάλλει
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l'île ci-dessus mentionnée21, et ayant apprécié sa bienheureuse nature, ils la firent connaître largement. C'est pourquoi les Etrusques, qui disposaient d'une forte puissance navale22, voulurent envoyer dans cette île une colonie. Mais les Carthaginois les en empêchèrent, à la fois parce qu'ils redoutaient qu'attirés par les qualités de l'île, beaucoup des habitants de Carthage n'y
διαφέρουσαν (2) Διαρρεομένη γαρ ποταμοΐς πλωτοΐς έκ τούτων αρδεύεται, και πολλούς μεν έχει παραδείσους κατάφυτους παντοίοις δένδρεσι, παμπληθεΐς δε κηπείας διειλημμένας ύδασι γλυκέσιν επαύλεις τε πολυτελείς ταίς κατασκευαΐς ύπάρχουσιν έν αύτη και κατά τας κηπείας κατεσκευασμένα κωοωνιστήρια, την διάθεσιν άνϋηραν έχοντα, έν οΐς οι κατοικούντες κατά την οερινήν ώραν ένοιατρίβουσι, δαψιλώς της χώρας χορηγοΰσης τα προς την άπόλαυσιν και τρυφήν. (3) Ή τε ορεινή δρυμούς έχει πυκνούς και μεγάλους και δένδρα παντοδαπα καρποφόρα και προς τας έν τοις ορεσι δίαιτας έχοντα συναγκείας, και πηγας πολλάς. Καθόλου δ' ή νήσος αύτη κατάρρυτός έστι ναματιαίοις και γλυκεσιν ΰδασι, δι' ων ού μόνον άπόλαυσις έπιτερπής γίνεται τοις έμβιοΰσιν έν αύτη, άλλα και προς ύγίειαν σωμάτων και ρώμην συμβάλλεται. (4) Κυνήγια τε δαψιλή παντοίων ζφων και θηρίων υπάρχει, και τούτων έν ταίς εύωχίαις εύπορούντες ούδεν ελλιπές εχουσι τών προς τρυφήν και πολυτελειαν ανηκόντων. Και γαρ ιχθύων έχει πλήθος ή προςκλύζουσα τη νήσω θάλαττα δια το φύσει τον Ώκεανον πανταχη πλήθειν παντοδαπών ιχθύων, (δ) Καθόλου δε ή νήσος αύτη τον περικείμενον αέρα παντελώς εϋκρατον έχουσα, το πλέον μέρος του ένιαυτοϋ φέρει πλήθος άκροδρΰων και τών άλλων τών ωραίων, ώστε δοκεΐν αυτήν ώσεΐ θεών τίνων, ούκ ανθρώπων ύπάρχειν έμβιωτήριον δια τήν ύπερβολήν τής ευδαιμονίας. XX. Κατά μεν οΰν τους παλαιούς χρόνους ανεύρετος ην δια τον άπο τής όλης οικουμένης έκτοπισμόν, ύστερον δ' ευρέθη δια τοιαύτας αιτίας. Φοίνικες έκ παλαιών χρόνων συνεχώς πλέοντες κατ' έμπορίαν, πολλάς μεν κατά τήν Λιβύην αποικίας έποιήσαντο, ούκ ολίγας δε και τής Ευρώπης έν τοις προς δΰσιν κεκλιμένοις μερεσι. Τών δ' επιβολών αύτοΐς κατά νουν προχωρουσών, πλούτους μεγάλους ήθροισαν, και τήν έκτος 'Ηρακλείων στηλών έπεβάλοντο πλεϊν, ήν Ώκεανον όνομάζουσι. (2) Και πρώτον μεν έπ' αυτού του κατά τας στήλας πόρου πόλιν έκτισαν έπί τής Ευρώπης, ήν ούσαν χερρόνησον προσηγόρευσαν Γάδειρα, έν ή τά τε άλλα κατεσκεΰασαν οίκείως τοις τόποις καί ναον 'Ηρακλέους πολυτελή, καί θυσίας κατέδειξαν μεγαλοπρεπείς τοις τών Φοινίκων εθεσι διοικουμένας. Το δ' ιερόν συνέβη τούτο καί τότε καί κατά τους νεωτέρους χρόνους τιμασθαι περιττότερον μέχρι τής καθ' ημάς ηλικίας. Πολλοί δε καί τών 'Ρωμαίων επιφανείς άνδρες καί μεγάλας πράξεις κατειργασμένοι έποιήσαντο μεν τούτω τω θεώ εύχάς, συνετέλεσαν δ' αύτας μετά τήν συντέλειαν τών κατορθωμάτ ων. (3) Οι δ' ούν Φοίνικες διάτας προειρημένας αιτίας έρευνώντες τήν έκτος τών στηλών παραλίαν καί παρά τήν Λιβύην πλέοντες, ύπ' ανέμων μεγάλων άπηνέχθησαν έπί πολύν πλουν δι' 'Ωκεανού. Χειμασθέντες δ' έπί πολλάς ημέρας, προςηνέχθησαν τη προειρημένη νήσω, καί τήν εύδαιμονίαν αυτής καί φύσιν κατοπτεύσαντες άπασι γνώριμον εποίησαν. (4) Διό καί Τυρρηνών θαλαττοκρατοΰντων καί πέμπειν εις αυτήν άποικίαν επιβαλλομένων, διεκώλυσαν αυτούς Καρχηδόνιοι, άμα μεν εύλαβούμενοι μή δια τήν άρετήν τής νήσου πολλοί τών έκ τής Καρχηδόνος εις έκείνην μεταστώσιν, άμα δέ προς τα παράλογα τής τύχης κατασκευαζόμενοι καταφυγήν, εϊ τι περί τήν Καρχηδόνα ολοσχερές πταίσμα συμβαίνοι · δυνήσεσθαι γαρ αυτούς θαλαττοκρατούντας άπαραι πανοικίους εις άγνοουμένην ύπο τών υπερεχόντων νήσον. 21 Nous ne voulons pas trahir Diodore en allégeant son style. 22 Nous ne traduisons pas υαλαττοκρατοϋντες par «ayant la suprématie sur mer», puisqu'elle ne saurait être attribuée simultanément aux Carthaginois et aux Etrusques.
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émigrassent, et parce qu'ils se préparaient un refuge contre les coups du sort, pour le cas où une catastrophe complète atteindrait Carthage: car disposant eux-mêmes d'une forte puissance navale, ils pourraient emmener tous leurs concitoyens dans l'île dont leurs vainqueurs ignoreraient l'existence ». Et de fait, dans le cadre d'un exposé géographique, et après avoir parlé des îles de la Méditerranée, Diodore est passé à celles de l'Océan, en traitant d'abord de celle qui nous intéresse (V, 19) avant de traiter de la Bretagne (V, 21 sq.). « Car du côté de l'Afrique se trouve en pleine mer une île remarquable par sa superficie, et qui, située dans l'Océan est éloignée de l'Afrique d'un bon nombre de jours de navigation, vers la direction du couchant. C'est une contrée fertile, montagneuse certes pour l'essentiel, mais comportant pour bonne part une plaine d'une remarquable beauté. Car parcourue de fleuves navigables, elle en est arrosée, et elle possède plusieurs paradis plantés d'arbres de toutes sortes, ainsi que de très nombreux jardins parcourus d'eaux douces. Il s'y trouve des villas somptueusement construites, et dans les jardins sont édifices des pergolas ornées d'une parure florale, où les habitants passent leur temps pendant la saison d'été, la contrée fournissant libéral ementce qui est nécessaire à leur plaisir et à leur bien-être. La montagne possède des bois épais et étendus et des arbres fruitiers de toute sorte, et elle offre pour la résidence en montagne23 des vallons et de nombreuses sources. Dans l'ensemble, cette île est arrosée d'eaux courantes et douces, grâce auxquelles elle procure un plaisir délicat à ceux qui y vivent, et profite aussi à leur santé et à leur vigueur. La chasse y est libérale en toutes sortes d'animaux et de bêtes sauvages, et leur abondance dans les festins ne laisse rien à désirer de ce qui est nécessaire au bien-être et à la magnificence. Et il y a abondance de poissons dans la mer qui la baigne, puisqu'il est de la nature de l'Océan de regorger partout de toute sorte de poissons. Dans l'ensemble, cette île est dotée d'une atmosphère par faitement tempérée, si bien qu'elle procure la plus grande partie de l'année quantité de fruits des arbres et d'autres productions. Aussi paraît-elle, par l'excès de son bonheur, être la résidence de divinités peut-être, et non de simples mortels ».
13 Traduction approximative d'un texte peu sûr. Certains éditeurs ont résolu la difficulté en supprimant έχοντα.
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Voilà un texte qui ne nous parle que très marginalement du climat de l'Ile Atlantique, et les préoccupations de son premier auteur n'étaient pas celles d'un agriculteur. Il n'y est à aucun moment question des champs, ni de cultures ni même de récoltes, sauf accessoirement à propos de la cueillette de fruits des arbres. En fait, l'abondance qui règne dans l'île n'est que celle d'un vaste parc, et l'idéal du bonheur est de séjourner dans des paradis ou des jardins façonnés par des paysagistes attentifs, agrémentés de fabriques, et qui charment par leurs fleurs et leurs eaux vives. Il est admirable que Diodore situe dans une île de l'Atlantique24 ce qui est pour nous une des meilleures évocations que nous possédions d'un des paradis du Proche-Orient25. Car on retrouve, au détour des allusions grecques aux merveilles des résidences des princes et des satrapes de l'immense empire perse, les plantations d'arbres26, les réserves de gibier27 et le goût des eaux courantes 28, ainsi que dans le parc de Tissapherne, « les retraites et les pavillons aménagés avec un luxe royal et inouï » 29. Mais la totalité de la description ne dérive pas de celle d'un « paradis » asiatique. On discerne dans le texte l'esquisse d'une topographie, celle d'une île en grande partie montagneuse et où la montagne, remarquable par sa dense couverture de forêts, joue le rôle d'un château d'eau d'où jaillissent sources et cours d'eau. Serait-il donc construit à partir de deux éléments, la poésie des évocations « paradisiaques » drapant les grandes lignes d'un
24 Mais il ne sera pas le dernier à le faire! Robinson Crusoë, lui aussi découvrira dans son île un véritable «paradis»: «... At the end of this march, I came to an opening, where the country seem'd to descend to the West, and a little spring of fresh water, which issued out of the side of the hill by me, run the other way, that is due East; and the country appear'd so fresh, so green, so flourishing, every thing being in a constant verdure, or flourish of spring, that it look'd like a planted garden... I saw here abundance of cocoa trees, orange, and lemon, and citron trees; but all wild... I contemplated with great pleasure the fruitfulness of that valley, and the pleasantness of the situation, the security from storms on that side the water, and the wood... I was so enamour'd of this place, that I spent much of my time there for the whole remaining part of the month of July... I built me a little kind of a bower ... so that I fancy'd now I had my country house, and my sea-coast-house. » On retrouve simultanément ici le thème de la fraîcheur des eaux vives, celui de l'abondance naturelle, et celui de la pergola qui sert au séjour estival. 25 Les textes ont été rassemblés par P. Grimai, Les jardins romains, p. 68 et 79. 26 Plantations d'arbres: Xénophon, Economique, IV, 21; Quinte Curce, VII, II, 22, etc. (Grimai, p. 80-81). 27 Réserves de gibier: Cyropédie I, 3, 14; Quinte-Curce, VIII, 1, 2; Plutarque, Demetrios, 50. 28 Eaux courantes et sources: Quinte-Curce, VIII, 1, 2. 29 Plutarque, Alcibiade, 24.
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décor primitif30? Ce qui permet de le penser, c'est qu'un texte parallèle, contenant la même notice, au moins pour l'essentiel, sur l'histoire de l'île, la caractérise au contraire d'un seul mot, une île « déserte », ερήμην, ce qui confirme que les habitants de l'île avec leurs résidences, leurs berceaux de fleurs, et leurs festins, ne sont qu'embellissement, et les dieux qui mériteraient un tel séjour les princes très réels d'un Orient assez proche. En revanche, la mention, dans ce texte parallèle, des forêts et des fleuves navigables, permet de penser que les forêts denses et étendues, et les fleuves de Diodore faisaient bien partie de la description primitive 31. Il faut donc, pour remonter à la notice originelle, comparer deux textes, Diodore, et le De Mirabilibus Auscultationibus (84, ex 85). « Dans la mer 32 extérieure aux Colonnes d'Hercule, on dit que les Carthaginois avaient découvert une île, déserte, dotée d'une forêt aux multi plesessences et de fleuves navigables, et admirable par le reste de ses pro ductions. Elle était distante d'un grand nombre de jours de navigation. Comme les Carthaginois y venaient souvent à cause de ses heureuses qualités, et que quelques-uns même s'y établissaient, les gouvernants de Carthage déclarèrent qu'ils puniraient de mort ceux qui navigueraient vers l'île, et firent disparaître tous ses habitants, afin qu'ils ne divulguent rien, et qu'une foule d'immigrants rassemblée autour d'eux ne prenne pas le pouvoir dans l'île et ne ruine pas la fortune de Carthage ».
30 P. Grimai insiste sur l'union des thèmes de la fécondité et de l'agrément, qui est bien nette dans Diodore. Ce qui interdit d'extraire de Diodore tel ou tel élément de la description en l'isolant du contexte. Les rapprochements qu'on a pu faire entre Diodore et la XVIe Epode sont donc souvent très fragiles: par ex. Barwick art. cit., p. 66, note 66. 31 On se demande si Diodore a mal vu que sa source avait un plan rigoureux (a - la plaine; b - la montagne; c - vue d'ensemble) qu'il suit maladroitement, ou si au contraire il n'a pas introduit de fausses distinctions par souci exagéré des parallélismes. Sur les tendances du style de Diodore, et leurs conséquences quelquefois catastrophiques pour la clarté de l'exposé, J. Heurgon, Posidonius et les Etrusques, Mélanges Grenier, p. 801. Il est en tout cas certain que le déluge de participes du texte est une tendance propre au style de Diodore, et qu'elle ne concourt pas à l'alléger. 32 Nous traduisons aussi le passage du De Mirabilibus, faute de traduction française. Texte éd. Hett, coll. Loeb, 1936: (85) Έν τη υαλάσση τη εξω Ηρακλείων στηλών φασίν ύπο Καρχηδονίων νήσον εύρευήναι ερήμην, εχουσαν ϋλην τε παντοδαπήν και ποταμούς πλωτούς, καί τοις λοιποΐς καρποΐς Οαυμαστήν, άπεχουσαν δε πλειόνων ήμερων πλουν ■ έν ή" έπιμισγομένων των Καρχηδονίων πολλάκις δια την εύδαιμονίαν, ένίων γε μην καί οίκούντων, τους προεστώτας, των Καρχηδονίων άπείπασ&αι ΰανάτω ζημιουν τους εις αυτήν πλευσομένους καί τους ένοικοϋντας πάντας άφανίσαι, ϊνα μή διαγγέλλωσι, μηδέ πλήυος συστραφεν έπ' αυτών έπί την νήσον κυρίας τύχη καί την των Καρχηδονίων εύδαιμονίαν άφεληται.
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Le parallélisme de cette notice33 avec celle de Diodore est évident: on y retrouve le même ordre d'exposition - situation de l'île, description, histoire -; une description substantiellement comparable, si on pense que Diodore, même abstraction faite du thème paradisiaque, a, par travers de styliste, quelque peu enflé les données sur lesquelles il travaillait, tandis que l'auteur du De Mirabilibus avait sans doute plutôt tendance à abréger sa source; quelques détails caractéristiques déjà relevés, l'importance des forêts, les fleuves navigables; et la péripétie essentielle du veto carthaginois. Mais on relève aussi de notables divergences: Diodore
De Mirabilibus
Découverte par les Phéniciens Les inventeurs parlent de leur décou verte de l'île Les Etrusques veulent y envoyer une colonie
Découverte par les Carthaginois Les Carthaginois se rendent souvent dans l'île Des Carthaginois s'y établissent
Veto des Carthaginois Parce que:
Parce que:
a - ils ont peur que trop de Cartha ginoisne s'y établissent
a - ils ont peur que l'île ne soit connue de trop de monde
b - ils veulent conserver un refuge pour les Carthaginois en cas de ruine de Carthage
b - ils ont peur que la population de l'île ne devienne menaçante pour Carthage
Le texte du De Mirabilibus, qui ne peut être un résumé de Diodore, puisqu'il exclut son développement « paradisiaque », ne peut pas non plus, compte tenu de toutes ces divergences, être un résumé de la source directe de Diodore. Il semble remonter à une version différente concernant ces mêmes événements qu'étaient la découverte de l'île et l'interdiction pro mulguée par les Carthaginois. Avant de chercher à comprendre comment on a abouti à ces deux versions divergentes, il faut se demander ce qui s'était en réalité passé.
33 Ces textes ont été commentés plusieurs fois, en particulier par E. Colozier, Les Etrusques et Carthage, dans MEFR, 1953, p. 86-90 (avec bibliographie, p. 87 n. 2). Depuis, G. et C. Picard, La vie quotidienne à Carthage, p. 173 et 246-247.
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Et il faut remarquer que nos deux textes offrent tous deux une étrange logique. Chez Diodore, les Carthaginois interdisent aux Etrusques d'aller dans l'île parce qu'ils ont peur que trop de Carthaginois ne s'y rendent. Dans le De Mirabilibus, les Carthaginois interdisent à leurs compatriotes de s'y rendre parce qu'ils ont peur que trop d'étrangers n'en connaissent l'existence: car c'est bien ce qu'il faut entendre par διαγγέλωσι, ils ont peur que la nouvelle ne se répande, bien évidemment chez d'autres qu'eux. Quels sont ces gens qu'on ne veut pas mettre au courant? Ne s'agirait-il pas tout simplement des Etrusques de Diodore? Résumant sa source, l'auteur du De Mirabilibus a transformé les Phéniciens qui découvrent l'île en Carthaginois, probablement parce qu'il ne savait pas qu'il y avait en Occident d'autres Phéniciens que les Carthaginois, et en tout premier lieu les Gaditains, rendant ainsi la suite des faits encore plus étrange, puisqu'on ne comprend pas, s'ils étaient eux-mêmes les auteurs de la découverte, com ment la situation menaçait d'échapper au contrôle des Carthaginois. De la même façon, une mention primitive des Etrusques, parce que l'auteur du De Mirabilibus ou un de ses devanciers ne comprenait plus, toujours faute de connaissances sur l'Occident, quel rôle ils pouvaient bien jouer dans cette histoire carthaginoise, a probablement disparu de la tradition, au profit de ces vagues étrangers dont on a peur qu'ils n'apprennent la nouvelle et qu'ils ne transforment la population de l'île en un groupe allogène, nombreux et hostile. Il est donc bien probable que l'événement essentiel de l'histoire, c'est que les Carthaginois avaient interdit aux Etrusques d'aller s'établir dans une terre découverte par les Phéniciens de l'Ouest, histoire racontée ensuite de plusieurs façons, les divergences ne concernant que la succession des faits et les mobiles des Carthaginois. Car à relire les textes à partir de cette idée ils retrouvent l'un et l'autre une cohérence qui leur manque de prime abord. Dans Diodore, les Phéni ciens bavardent, et il est probable que les Carthaginois sont les premiers informés. Mais le fait essentiel est que la nouvelle tombe dans des oreilles étrusques, et c'est le projet étrusque qui inquiète les Carthaginois et provoque leur réaction. Dans le De Mirabilibus, les Carthaginois ne s'alarment pas dans un premier temps, et ils réagissent dans un second temps quand ils ont peur que la nouvelle ne se répande, c'est-à-dire quand ils se rendent compte qu'elle se répand effectivement, et que l'île suscite les convoitises d'autres qu'eux. Cela acquis, comment les faits sont-ils passés dans des récits qui sont parvenus jusqu'à Diodore et au De Mirabilibus? A accepter directement les conséquences de ce qui nous est dit, la source primitive n'est pas
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carthaginoise, puisque les Carthaginois semblent avoir organisé un « black out » rigoureux qui aurait dû ôter pendant longtemps à qui que ce soit l'envie de dire ou d'écrire quoi que ce soit sur le sujet. Mais tout secret a ses fuites, et l'interdiction elle-même ne pouvait être secrète. Cependant, les deux textes ont en commun une idée qui, à bien y penser, est étrange. Les Carthaginois ont peur. Ils ont peur dans l'immédiat de la puissance politique d'un rassemblement de population dans l'île. Et ils ont peur pour l'avenir que le destin de Carthage ne soit en jeu, et que l'île ne soit cause de la ruine de Carthage, ou qu'elle empêche Carthage de se sauver de sa ruine. Dans l'immédiat, il est peu probable qu'ils aient peur d'avoir une colonie supplémentaire: ils respectaient leur ancienne métropole tyrienne34, ils avaient su établir un protectorat sans problèmes sur les anciennes villes phéniciennes d'Occident, et s'ils avaient la force d'interdire, ils avaient aussi celle de contrôler. Ils ont donc peur d'autre chose, ou plutôt d'autres gens, et il s'agit des Etrusques, comme d'ailleurs on nous le dit. Un récit d'origine punique aurait-il ainsi avoué cette peur, et cette tradition ne serait-elle pas plutôt d'origine étrusque? Pour l'avenir, les Carthaginois étaient-ils donc si craintifs et si fatalistes 35 qu'ils prissent leurs décisions en fonction de cette ruine de Carthage qui jette son ombre sur les deux récits? Nous allons montrer que les faits sont probablement antérieurs à la chute de Tyr (332) ou à la campagne d'Agathocle (310-307) qui ont effectivement pu faire craindre ou envisager la fin de leur ville aux Carthaginois. Est-ce donc alors que le récit aurait été modifié après la chute de Carthage, ou après une crise qui l'avait fait craindre, donc par d'autres que par des Carthaginois, et dans ce cas, ne s'agirait-il pas de nouveau des autres protagonistes de l'affaire, les Etrusques? et s'il n'en est pas ainsi, à qui cette idée que toute ville devait rencontrer un jour sa fin était-elle familière, sinon aux Etrusques, qui comptaient les siècles36 que les destins leur avaient impartis? Demandons-nous donc alors pour qui le récit qui nous est fait avait de l'intérêt? Pour les Carthaginois, qui savaient de toute façon que les Phéniciens de l'extrême ouest en savaient long, et dont la politique constante
34 Ils ont accueilli de nombreux Tyriens au moment de la prise de la ville par Alexandre. Pendant la campagne d'Agathocle, ils envoient la dîme à Melqart de Tyr (Diodore, XX, 14). En 348, ils font participer Tyr aux avantages du traité avec Rome. 35 Quoiqu'on puisse citer le mot d'Hannibal après le Métaure . . . agnoscere se fortunam Carthaginis... (Tite-Live XXVII, 51, 12). Mais il est quelque peu ambigu. 36 J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 324.
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devait être jour après jour d'éviter que d'autres n'en apprennent trop? pour eux qui auraient laissé courir un récit qui les présentait sous un jour malheureux, défiants de leurs forces, incapables d'assumer leur vocation de puissance coloniale, jaloux de leurs alliés, et tourmentés par le souci de leur ruine? ou les Etrusques, recueillant la nouvelle des Gaditains, prêts à l'utiliser, mais brutalement stoppés par le veto carthaginois, et qui n'avaient plus qu'à se répandre en récits colorés sur ce qu'ils avaient perdu, et en comment aires acerbes, en suppositions malignes, et en malédictions bien senties sur le compte des Puniques, qui avaient eu peur d'eux et qui n'avaient même pas confiance en eux-mêmes? Le récit est essentiellement à l'origine celui d'un échec, ce qui nous garantit l'authenticité des faits, échec qui a déçu les Etrusques, mais qui humiliait les Puniques plus qu'eux-mêmes. Les Phéniciens de l'ouest ont bel et bien découvert quelque chose, les Etrusques l'ont su, les Carthaginois les ont empêchés d'en profiter, et ce sont des récits étrusques de l'affaire qui l'ont fait connaître et entrer dans le bagage d'anecdote des historiens. C'est soit la variété de ces récits eux-mêmes, soit l'histoire d'une longue tradition qui nous échappe, qui est à l'origine des divergences essentielles de nos deux textes. D'autres s'expliquent parce que l'un, le De Mirabilibus, trop loin des réalités, à gommé un certain nombre de détails caractéristiques, et que l'autre, celui de Diodore, s'est gonflé à la fois d'une tradition étran gère, empruntée à une description de « paradis » oriental, et des amplifica tions stylistiques propres à Diodore 37. Les renseignements que nous pouvons retenir sur l'île elle-même, montagneuse, boisée, riche en cours d'eau sont complètement différents de ceux que les marins de Sertorius avaient rapportés sur les deux îles jumelles au climat atlantique, et ils n'ont rien non plus d'essentiellement semblable aux Champs Elysées tièdes et rafraîchis par les Zéphyrs des vieux auteurs. Nous laisserons encore ici à d'autres le soin de la chercher, et nous avons déjà trouvé autre chose, si nous avons identifié la tradition 38 étrusque à laquelle l'incident étrusco-carthaginois avait donné naissance.
37 On ne devra donc utiliser comme renseignements sur les caractéristiques de l'île que ceux qui sont susceptibles de provenir de la source primitive de Diodore. 38 Nous laissons systématiquement de côté toute discussion sur les sources de Diodore dans ce passage, car il se trouve que cela ne nous intéresserait que de façon marginale de savoir si sa notice remonte à la description de l'Océan de Posidonius, ou à Timée. Notons en tout cas, en face de l'opinion de Barwick (Diodoros 5, 19 f (= Timaios...) der dem Sallust wahrscheinlich durch Poseidonios vermittelt wurde...») qu'il nous paraît inutile de penser que Diodore ait un quelconque rapport avec Salluste. Nous espérons montrer que les deux
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De quand39 les faits dateraient-ils? Diodore en parle comme d'une consé quence de la fondation de Gadès. Mais on ne peut le suivre sur ce point, et il est probable que sa source marquait nettement que cette conséquence n'avait suivi sa cause que tardivement: car il faut admettre que les Cartha ginois aient été à la fois en situation d'imposer leur volonté aux Gaditains, et d'interdire le passage vers l'Atlantique à d'éventuels rivaux, ce qui n'est guère vraisemblable40 avant la fin du VIe siècle. Quelle limite basse peut-on admettre? La puissance navale des Cartha ginois dure jusqu'à la fin de la Idre guerre punique, et elle renaît avant la seconde jusqu'à la fin de la seconde. Il n'y a pas là de quoi fixer une limite utile. Mais la mention de la puissance navale des Etrusques est peut-être plus intéressante. Elle le serait tout à fait si on admet que cette puissance s'est effondrée après la bataille de Cumes en 474 qui marque sans doute la fin d'une certaine hégémonie maritime en Occident41, et l'épisode qui nous intéresse
traditions sont complètement séparées. L'hypothèse d'une origine étrusque de ces traditions n'est pas celle des commentateurs précédents, E. Colozier et G. Picard, qui pensent à une origine punique. Cette opinion n'a rien qui soit invraisemblable. G. Picard note en particulier qu'on pourrait y relever « l'influence de quelque prophétie sur les destinées de Carthage, qui prédisait sans doute une nouvelle migration des Tyriens vers l'ouest» (La vie quotidienne à Carthage, p. 246). D'autre part, la politique de «stérilité volontaire» attribuée aux Carthaginois n'est pas invraisemblable (ibid., p. 247). Quant au goût pour les «paradis», il pouvait fort bien être partagé par les Carthaginois (ibidem, p. 86). Nous croyons cependant que dans ces récits, les Carthaginois sont vus de l'extérieur par des témoins qui n'ont pas accès aux véritables sources d'information puniques, et qui d'autre part se soucient peu de présenter l'attitude carthaginoise sous un jour favorable. 39 Le livre des Singularités Merveilleuses n'est pas daté (on le fait descendre jusqu'au temps d'Hadrien), et il ne peut fournir de limite basse. Quant aux sources de Diodore, remonter à Timée ne ferait qu'assurer la limite basse que nous adoptons pour d'autres raisons. 40 On admet en général que c'est vers 500 que Carthage s'est installée en Andalousie: A. J. Toynbee, Hannibal's Legacy, I, p. 528; G. et C. Picard, Vie et mort de Carthage, Paris, 1970, p. 64 sq. 41 M. Pallottino, Etruscologia, 6a éd. 1968, p. 136: «A partire da questo momento, per duto il controllo del mare, le città dell'Etruria tirrenica si ridurranno a modesti statarelli con tinentali, in attesa di esser assorbite dall'egemonia politica di Roma». J. Heurgon: Rome et la Méditerranée occidentale, p. 110: «La thalassocratie étrusque en Tyrrhénienne était brisée: ce qui ne signifie pas que les ports étrusques sur cette mer dussent cesser toute activité». Cf. aussi L'elogium d'Un magistrat étrusque découvert à Tarquinia, dans MEFR, 1951, p. 132-133. Sur l'expansion maritime romano-caerite, ibidem, p. 301.
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serait alors assez exactement datable du premier quart dû cinquième siècle. Mais en réalité, on ne peut accepter cette date précise. Lorsque Denys le Jeune (367-344) fonde ses colonies apuliennes42 destinées à protéger l'Adriatique de la piraterie des barbares riverains, il est probable que c'est aux pirates étrusques qu'il pensait aussi43. C'est en tout cas le rôle d'une base contre les Etrusques φυλακή έπί Τυρρηνους que devait jouer en 325-324 la colonie que les Athéniens projetaient d'y installer 44. Mais il ne s'agit pas seulement de l'Adriatique. Les Etrusques qui piratent en compagnie des Antiates après 338 sont certainement établis sur la côte de la mer Tyrrhénienne 45. Et les entreprises de tous s'étendent probablement à l'ensemble des routes commerciales du temps. Hypéride46 fait un discours περί της φυλακής των Τυρρηνών et c'est probablement du même sujet que devait traiter Dinarque47 dans son « Tyrrhenicos ». Le pseudo-Aristide48 nous apprend que Rhodes s'ornait des trophées gagnées sur les pirates tyrrhéniens, et une inscription est dédiée à la mémoire de 42 Diodore XVI, 5. Denys continue l'œuvre anti-étrusque et antiromaine de son père: M. Sordi, Diodori Siculi bibl. liber XVI, p. 12 et / rapporti romano-ceriti, Rome, 1960, p. 62 sq. 43 W. Helbig, Les vases du dipylon et les naucraries, dans Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, XXXVI, 1, 1898, p. 401. Une partie des faits que nous citons sur la piraterie tyrrhénienne ont été rassemblés par Helbig: le décret de 325-324, les discours d'Hypéride et de Dinarque, l'inscription de Rhodes et le Rhodiakos du Pseudo-Aristide, et le texte délien, d'après Homolle, Les archives de l'intendance sacrée à Délos, Paris 1887, p. 68. Nombre d'autres textes ne concernent pas des faits datés. 44 CIA, II, 2, n° 809; IG2 II 1629 ligne 220 sq. Récemment commenté par M. Zuffa, / commerci ateniesi nell'Adriatico e i metalli d'Etruria, Emilia preromana, VII, 1975, p. 4-5. 45 Strabon, V, 3, 5: «Mais autrefois les habitants d'Antium possédaient des navires et pratiquaient la piraterie aux côtés des Tyrrhéniens, alors même qu'ils étaient déjà les sujets des Romains. Cette situation amena d'abord Alexandre à déléguer une ambassade à Rome pour s'en plaindre, puis plus tard Démétrios à renvoyer aux Romains des pirates qui s'étaient laissé capturer et à leur dire que... il jugeait... inadmissible que les mêmes hommes fussent à la fois les conducteurs de l'Italie et les pourvoyeurs des expéditions des pirates, ou qu'ils adorassent les Dioscures... en même temps qu'ils envoyaient des pillards désoler les rivages de la Grèce... Aussi les Romains mirent-ils fin à cette activité» (trad. Lasserre). Les protestations de Démétrios sont certainement antérieures à sa captivité en 287-6. Voir notre article Tite-Live et la forteresse d'Ostie, p. 634, note 1. 46 Hypéride, éd. Blass, 3a éd., p. 123 fgt. LVI. 47 Dinarque, Oratores attici, éd. Baiterus et Sauppius, II, p. 322. On ne connaît qu'un titre d'après l'index des discours de Dinarque. 48 Aelius Aristide éd. Dindorf, I, discours XLIII, p. 798 = éd. Keil, II, p. 73. A. Boulanger, Aelius Aristide, Paris, 1923, p. 374, n. 1: le discours qui s'efforce de consoler les Rhodiens de la destruction de leur ville par le tremblement de terre de 142 « n'est pas d'Aristide, mais d'un sophiste de la même école».
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Rhodiens morts en mer en combattant contre les Tyrrhéniens 49. Enfin, c'est toujours είς την φυλακήν των Τυρρηνών que la ville de Délos fait un emprunt au temple d'Apollon 50. Nous sommes en 299, quelques années avant la bataille de Sentinum. Quand donc allait s'éteindre la piraterie étrusque? Dans l'Adriatique, nous voyons que les pirates illyriens sont déjà actifs à la fin du IVe siècle51. Dans la Tyrrhénienne, les Italiotes pirataient au moins depuis le IVe siècle: les Antiates étaient célèbres pour leurs exploits, et continueront à les exercer après la soumission de leur ville à Rome en 338, et même jusque vers 294286. Le milieu du IVe siècle avait vu aussi les entreprises de Postumius le Tyrrhénien 52, dont le nom révèle qu'il n'était tyrrhénien que de métier, et qui fut finalement capturé par les Syracusains en 338. De même que ces Illyriens et ces Italiotes ont indistinctement grossi les rangs des « Tyrrhéniens » avant Sentinum, de même on peut penser que nombre d'Etrusques ont continué leurs entreprises au IIIe siècle. Cependant, compte tenu du poids politique de Rome, il ne pouvait plus guère être question d'une activité ouverte et importante. C'est donc approximativement la limite basse provisoire que nous pouvons admettre pour des faits qui supposent une « puissance navale importante » des Etrusques. Car ces histoires de pirates sont révélatrices de la puissance navale étrusque. D'abord parce qu'elles sont trop fréquemment attestées pour ne pas correspondre à toute une infrastructure de ports et de chantiers. Ensuite, parce que ces pirates ne sont pas uniquement des pirates caboteurs, tapis dans les anfractuosités d'un rivage pour guetter les navires qui passent à portée. Ce sont des pirates au long cours, dont l'activité intéresse, ce qui n'est pas peu, Athènes, Rhodes, Délos et Syracuse. Enfin, le mot de pirates doit désigner très souvent les flottes nationales ou les corsaires armés par les villes maritimes, pour une activité d'ailleurs parfaitement honorable53.
49 F. Hiller von Gärtringer, Inschriften auf Rhodos, dans MDAl(A), 1895, p. 222-229, qui concerne trois frères dont le troisième a été tué seulement par des λαιστας. Texte repris dans SGDI, n° 3835, Sylloge III, 1225. 50 Homolle, l. c, se demande si Ptolémée et ses alliés ont soudoyé des corsaires contre Demetrios qui impose aux villes des contributions de défense, ou s'il s'agit simplement de répression de la piraterie. 51 Helbig, art. cit., p. 401, n. 3. «La tradition présente les Illyriens comme pirates pour la première fois en 301 av. J.-C. » (date livienne X, 2). 52 Notre art. Tite-Live et la forteresse d'Ostie, p. 639, note 1., et en particulier M. Sordi, Timoleonte, p. 113-115. 53 Honorable: Strabon III, 2, 13. Autres textes dans Ch. Lécrivain, Pirataem DarembergSaglio, p. 486.
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C'était certainement le cas des pirates d'Antium, et ceux des villes étrusques ne devaient pas avoir un statut bien différent. Antium disposait encore au moment de sa chute d'un grand nombre de vaisseaux longs, puisqu'ils ne purent être tous transférés à Rome, et qu'il fallut brûler le surplus54, et ses chantiers navals pouvaient réparer très rapidement cette perte. Postumius le Tyrrhénien, à un moment où ses affaires n'étaient pas des plus florissantes, disposait de 12 vaisseaux. La faible par ticipation navale 55 des Etrusques à l'expédition de Sicile ne doit pas tromper sur leurs possibilités, qui devaient être bien plus considérables. En 307 encore, ils sont en mesure d'intervenir à Syracuse avec 18 vaisseaux, et ne craignent pas, ce faisant, un conflit avec les Puniques eux-mêmes56. Rien n'empêcherait donc par exemple de penser que la tentative de colonisation des Romains en Corse57 dont on ne sait pas, avant la fin du IVe siècle, à quelle date elle a eu lieu58, ait pu se situer au IVe siècle, aux meilleurs temps de l'alliance romano-caerite 59. Nous pouvons donc conclure: jusqu'au moment où Rome met prat iquement fin à l'indépendance politique étrusque, il n'y a pas eu de période où les Etrusques auraient été incapables d'organiser une expédition coloniale vers une terre lointaine. Entre 500 environ et 300 environ, la marge est importante, et peutêtre est-il illusoire de vouloir la réduire. Cependant, en 348, Carthage interdit aux Romains de se rendre dans tout l'ouest méditerranéen60: Rome en tout cas ne pouvait plus guère imaginer envoyer une colonie dans l'Atlantique à ce moment. Mais il est probable que le traité de 348 a été fait sur le modèle d'autres traités qui liaient à Carthage les villes étrusques, et qu'il n'a été étendu à Rome que parce qu'après une crise, elle redevenait, depuis
54 Tite-Live VIII, XIV, 12 Naves Antiatium partirti in navalia Romae subductae, partim incensae. .. 55 Thucydide, VI, 103, 2: trois pentécontores. 56 Diodore, XX, 61. 57 J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, p. 301; J. Heurgon, dans J. et L. Jehasse, La nécropole préromaine d'Aleria, p. 551. 58 Pour L. et J. Jehasse, La nécropole préromaine d'Aleria, p. 20 « sans doute avant l'invasion gauloise»; pour I. Didu {art. cit. note sq. p. 325) au VIe siècle, au temps de la Rome étrusque. 59 Sur l'envoi de colons romains en Sardaigne en 377, J. Heurgon, Rome et la Méditerr anée,p. 301. Contra depuis: I. Didu, II supposto invio di coloni romani in Sardegna nel l'anno 378-7, Athenaeum, 1972, p. 310-329 qui propose de lire Satricon au lieu de Sardonian dans Diodore XV, 27, 4. 60 Toynbee, Hannibal's legacy, p. 528-529.
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353 61, une ville « étrusque » et aussi parce que l'occupation définitive des bouches du Tibre semblait indiquer les prémisses d'une vocation maritime. Il est donc probable que la ville (car il s'agit probablement d'une ville, et non « des Etrusques ») maritime (c'est une vraisemblance, mais il fallait que cette ville ait le goût des entreprises lointaines, et ait eu facilement des contacts avec les Gaditains) étrusque dont il est question dans Diodore a passé à une date que nous ignorons un traité avec les Carthaginois qui lui interdisait probablement comme à Rome les entreprises occidentales. D'autre part, nous connaissons en « 509 » le texte d'un traité entre Carthage et une ville italienne, il se trouve qu'il s'agit de Rome. Comme on l'a bien vu 62, Carthage ne songe pas à interdire l'accès de l'Occident lointain au partenaire. Il est donc probable que l'entreprise étrusque a été conçue à un moment où un ancien traité du type « de 509 » était encore en vigueur, - type de traité qui n'interdisait pas des entreprises occidentales - et où un traité du type « de 348 » n'était pas encore signé, mais où la politique Carthaginoise qui allait inspirer le traité de 348 se dessinait déjà. Si nous avions donc à choisir une date, nous dirions: assez largement après « 509 » - 500 environ, et d'autre part avant 353-348. Il est intéressant de noter que pendant cette période nous trouvons exprimée en Italie l'idée du déplacement de tout un peuple, lorsque les Romains envisagent de s'installer à Véies. Si ces dates sont bonnes, elles nous placent avant la campagne d'Agathocle, avant la chute de Tyr63, en un temps où Carthage n'avait guère de raison de douter de son destin. Cela nous confirmerait donc que ces spéculations sont plutôt d'origine étrusque. Mais même s'il faut les modifier, nous pouvons admettre que les faits sont en tout cas antérieurs à 300 environ: c'est dire qu'ils se situent bien avant que ne prenne naissance, au temps de Sertorius, la tradition rapportée par Salluste et Plutarque sur les îles Fortunées. Et de fait, les deux traditions sont considérablement différentes. Par le nombre des îles: une très grande île pour Diodore, deux îles séparées par un chenal étroit pour Salluste et Plutarque. Par la situation des îles:
61 353 de Tite-Live est un véritable renversement des alliances, ou plutôt un retour à l'alliance traditionnelle caerite. Aussitôt après, Rome va être aux prises avec les Grecs et les Gaulois, les ennemis de Caere. Notre art. Tite-Live et la forteresse d'Ostie, p. 639. Sur l'alliance romano-caerite, J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, p. 299-301. 62 Toynbee, p. 528. 63 Et avant même la bataille du Crimisos (341).
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à plusieurs jours de navigation à l'ouest de la Libye, pour Diodore; à 10000 stades de Gadès pour Salluste, de la Libye pour Plutarque. Par le climat des îles: tempéré pour Diodore, avec des montagnes boisées, des sources nombreuses et des fleuves navigables; caractérisé par le régime par ticulier des précipitations, pour Plutarque. L'île de Diodore est découverte par hasard, tandis que les marins que rencontre Sertorius ont plutôt l'air de revenir d'un voyage sans surprises que d'avoir fait une découverte. Sertorius veut fuir la guerre civile, tandis que les Carthaginois envisagent le destin de leur ville, et les Etrusques la fondation d'une colonie. En fait, il n'y a de commun aux deux traditions que la présence même d'une ou de deux îles dans l'Atlantique; le fait que leurs vertus naturelles les font assimiler à ceux qui en entendent parler aux îles légendaires des Bienheureux; et qu'elles suscitent le désir d'aller s'y établir. Mais pourquoi ne pas accepter tout simplement le témoignage des textes? A une date indéterminée, les Gaditains découvrent accidentellement une île dans l'Atlantique, et leur relation parvient à la connaissance des Etrusques, à qui le refus Carthaginois fait durement ressentir ce qu'ils ont perdu. Au début du Ier siècle, les Gaditains, encouragés peut-être par leur première découverte, ont eu le temps d'explorer plus largement l'Atlantique, et ils signalent à Sertorius deux îles séparées par un chenal étroit, dont ils ont évalué la distance à Gadès (ou à la côte d'Afrique) et observé les particularités clima tiques. Et ce renseignement passe de Salluste à Horace64 et à Plutarque. * * * Horace tributaire de Salluste n'est-il tributaire que de lui, et se peut-il que quelque chose de la tradition diodoréenne soit parvenu jusqu'à lui? En d'autres termes, après avoir complètement séparé les deux branches diodo réenne et sallustienne du stemma qui concerne les îles de l'Atlantique, devons-nous admettre qu'Horace, qui dépend directement, pour une part de son inspiration de la branche sallustienne, ait eu quelque notion de l'autre 65? 64 On peut remarquer qu'Horace n'a rien retenu dans l'Epode de l'origine phénicienne du renseignement, au point même que traitant du lieu commun (qui est chez Diodore à propos de la Bretagne en V, 21) des navigateurs qui n'ont pas abordé les Iles, il cite les Sidoniens. Peut-être au surplus n'avait-il pas une très claire conscience de la relation entre Phéniciens de l'Ouest ou Gaditains et Sidoniens? Mais il est plus probable qu'il traite à son gré ce thème des grands navigateurs. 65 Mais il n'y a eu aucun contact entre ces deux traditions avant Horace, au moins compte tenu des textes que nous possédons.
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La XVIe Epode est largement nourrie de lectures, on dirait même de références. Or il est une idée qu'Horace ne trouvait pas dans le récit qui nous est connu par Salluste et Plutarque, c'est que la fuite vers les îles permet d'échapper à une inévitable «fin»: pour Horace, la «fin» de Rome, et pour Diodore, la « fin » de Carthage, à laquelle on remédiera par un transfert de la totalité de sa population. On peut bien trouver quelque analogie entre la XVIe Epode et Diodore, en notant par exemple qu'Horace aussi imagine un décor montagnard avec ses ruisseaux, montibus altis levis crêpante lympha desilit pede. Mais il s'agit probablement de ressemblances superficielles dues au hasard. Les données « paradisiaques » greffées sur la tradition diodoréenne sont totalement étran gères à Horace, dont les îles n'ont ni vergers, ni jardins, ni pergolas, ni gibiers abondants. Et les données originelles de cette même tradition, densité des forêts, fleuves navigables, ne s'y rencontrent pas non plus. En revanche, tout le tableau d'Horace est d'ambiance campagnarde, avec ses cultures, ses arbustes domestiques, son miel, ses troupeaux et ses emblavures, et ce rêve de petit paysan n'est pas chez Diodore. Aussi est-il pour le moins impossible de détecter chez Horace une réminiscence précise de la tradition suivie par Diodore, à moins qu'elle ne soit générale et complètement amalgamée avec celles des autres textes de la tradition poétique depuis Homère. Mais peut-être faudrait-il maintenant utiliser notre hypothèse d'une origine étrusque de la tradition diodoréenne, origine à laquelle permet de penser, entre autres indices, cette idée de la « fin » qui menace les villes. Si c'est bien une conception « millénariste » du sort des villes, en entendant par là que chaque ville doit disposer d'un certain nombre de « siècles » d'existence au-delà desquels son temps compté sera révolu, qui a engagé les Etrusques à dire que Carthage périrait un jour, et à ne pas s'étonner ultérieurement de sa chute, il est possible qu'elle appartienne à un réseau de croyances d'origine sacerdotale, mais devenues populaires, qu'Horace a certainement connues. Car bien qu'elles ne soient pas explicites, ces préoccupations « millé naristes » ne sont pas absentes de la XVIe Epode. D'abord parce que de quelque façon qu'on envisage leur rapport chronologique, elle forme couple 66 avec la IVe églogue, qui célèbre explicitement le renouvellement de la
66 Sur ce rapport, J. Perret, Horace, p. 244; Grimai, art. cit.; D. Ableitinger-Grünberger, p. 66, et bibliographie complète du débat note 1. Les deux arguments essentiels en faveur de la postériorité de l'Epode sont d'une part sa datation en 38, et le fait qu'Horace semble connaître la totalité des Bucoliques.
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grande série des siècles, magnus ab integro saeclorum nascìtur ordo: si bien que ce qui est explicite chez Horace, l'interrogation sur le sort de Rome, l'est moins chez Virgile, tandis que ce qui est explicite chez Virgile, l'idée du renouvellement des siècles qui assurera celui de la Ville, l'est moins chez Horace, qui oppose à cette solution par le renouveau la solution par le transfert. Ensuite parce que la mention par Horace du tombeau de Quirinus, qui est ici Romulus Quirinus, fait certainement allusion au fait que le Millenium actuel de Rome, celui qui penche si dangereusement vers sa fin, est celui qui commence avec l'apothéose du fondateur, dont la tombe intacte ne pouvait que symboliser l'intégrité de la Ville 67. Il n'est pas de notre propos d'entreprendre de rattacher à notre tour plus largement ou plus précisément la XVIe Epode à la complexité des croyances millénaristes 68 romaines, il nous suffit ici que ce lien existe évidem ment.Mais il nous paraît possible de montrer qu'elle s'inspire probablement de celles qui nous sont connues comme étrusques par quelque témoignage. Et ce seraient ces superstitions populaires qui pourraient être communes à la tradition diodoréenne et à l'inspiration de l'Epode. Altera iam teritur bellis civilibus aetas. La fin des siècles étrusques est marquée par la guerre civile: multae dissensiones in populo, dit la prophétie de Vegoia; « les augures déclarèrent qu'ils redoutaient une discorde et un conflit entre les propriétaires fonciers et la plèbe de la ville et du forum », rapporte Plutarque (Vie de Sylla, 7), ce qui permet peut-être d'interpréter comme étrusque l'explication des signes solaires de Virgile (Géorgiques, I, 464): ille etiam caecos instare tumultus saepe monet fraudemque et operta tumescere bella 69. Ferisque rursus occupabitur solum... habitandaque fana apris reliquit et rapacibus lupis. A Capoue dont le millenium s'achève, les loups entrent dans. la ville70 (Silius Italicus, XIII, 130-132). Au moment de la fondation du triumvirat, les haruspices étrusques disent « qu'allaient revenir les royautés d'autrefois », ce qui semble indiquer qu'ils croient à ce moment à un renouvellement millénariste, et on voit des loups sur le forum (Appien, IV, 4, 14). Ces rapprochements permettent peut-être d'attribuer une source étrusque à Virgile,
67 J. Gagé, Apollon romain, p. 588. 68 Voir d'ailleurs le chapitre de J. Gagé dans Apollon romain sur l'apollinisme millénariste et séculaire, p. 583 sq. 69 Les menaces de guerre civile étaient d'ailleurs fréquentes dans les réponses des haruspices: R. Bloch, Les prodiges dans l'Antiquité classique, p. 51-54. 70 Nous signalons ailleurs le double sens de ce prodige.
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et altae per noctem resonare lupis ululantibus urbes (Géorgique I, 485-6): car on ne voit guère ce que pourraient être ces villes « hautes » sinon les cités étrusques dressées sur leurs acropoles71; et peut-être à Lucain, silvisque feras sub node relidis audaces media posuisse cubilia Roma (I, 559-560) 72. Le sens de ces prodiges a pu être dans certains cas plus complexe, mais tous annonçaient certainement l'extinction du phénomène urbain et la reconquête de l'espace urbain par la nature. Barbarus heu cineres insìstei victor ... Il est probable que les présages « militaires » qui annonçaient la fin du saeculum ou du millenium étrusque, les sonneries de trompette (Plutarque, Sylla 7) et les bruits d'armes (Appien IV, 4, 14) qui permettent d'interpréter le atque tubas atque arma ferunt strepitantia caelo audita de Tibulle (II, 5, 71) et Virgile (I, 474) concer naient aussi bien la guerre étrangère que la guerre civile. Dans Virgile {Géorgique I, 509 sq.) Hinc movet Euphrates, Mine Germania bellum est adapté à la situation contemporaine de Rome, mais vicinae ruptis inter se legibus urbes arma ferunt ne peut faire allusion qu'à des cités-états égales entre elles, voisines, normalement liées par des traités d'alliance, et qui font naturellement penser aux cités étrusques, peut-être ces mêmes villes haut perchées sur leurs acropoles qui ont été évoquées plus haut. Et solibus ossa Quìrìni nefas videre dissipabit insolens. La tombe de Quirinus est, comme nous l'avons dit, le symbole du temps compté à Rome. Elle est aussi évidemment une des « âmes extérieures » de la ville 73, comme la Louve du Capitole74 ou le figuier Ruminai75: que la foudre frappe la première, que le second se dessèche, le présage était aussi i nquiétant pour la Ville que la fuite de la biche de cette autre ville étrusque qu'était Capoue76. Neque largis aquosus Eurus . . . Nous avons déjà noté que le climat des Iles Fortunées mettrait le paysan à l'abri des fléaux des récoltes, qui
71 La couleur étrusque marquée de toute la fin de la Γ Géorgique a-t-elle été assez soulignée? Virgile semble broder à l'aide d'événements contemporains sur une trame étrusque. 72 Mais la longue enumeration de prodiges de Lucain semble davantage un répertoire composé à plaisir que l'écho d'une source originale. Quant au thème de la ville abandonnée aux bêtes, et non précisément aux loups, c'est un lieu commun: Horace, Ode, III, 3, 40-42. Cf. L. Levi, p. 171. 73 Sur P«âme extérieure» des villes, J. Heurgon, Capoue, p. 323. 74 Cicéron, De Divinatione I, 20, v. 47; J. Carcopino, La Louve du Capitole, p. 34 sq.; J. Heurgon, Vie quotidienne, p. 279: «Qui alors, déroulant les traités et les monuments des experts, ne tirait pas des feuillets étrusques (chartae Etruscae) de sinistres prédictions?». 75 Tacite, Annales, XIII, 58. 76 Silius Italicus, XIII, p. 115 sq.
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font partie des catastrophes séculaires fructus saepe laedentur decutienturque imbribus atque grandine, caniculis interient, robigine occidentur (prophétie de Vegoia) 77. De même que l'incident diplomatique étrusco-carthaginois a été raconté, si on nous suit, par des Etrusques qui ont introduit dans le récit le thème de la « fin » de Carthage, de même Horace a traité le thème des Iles (deux îles) Marins de Bétique
Sertorius et entourage
Salluste
Plutarque
Horace ·
Traditions millénaristes étrusques
(une île) Incident étruscopunique
Thème du paradis
Versions étrusques
Source(s) du De Mirab.
Source(s) de Diodore
De Mirabilibus
Diodore
(Par simplification, le stemma ne respecte pas la chronologie)
77 Ne figurent pas dans Horace les catastrophes naturelles, tremblements de terre, inondat ionset autres: Vegoia: «la terre sera souvent secouée de tempêtes et de tourbillons qui la feront chanceler...»; Virgile, Géorgique I, 475, et Pline II, 199 (J. Heurgon, Vie quotidienne, p. 85), tirant son information sur ce tremblement de terre près de Modène d'un Eiruscae disciplinae volumen.
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Fortunées pour une part en empruntant au cortège dramatique des épisodes de la fin des siècles ou des villes étrusques. Et ce qui pouvait dans les deux cas associer ce thème des îles à celui du drame du renouvellement ou de la fin des villes, c'était probablement l'idée que ce renouvellement ne pouvait avoir lieu sur un site dont l'espérance de vie était usée. Nous connaissons mal les arguments des partisans du transfert de Rome à Véies. Mais l'un d'eux peut être reconstitué a contrario grâce au discours de Camille 78, qui est obligé de vanter les avantages du site de Rome: on se doute de la couleur que pouvaient prendre les critiques, devant une plèbe accessible aux vaticinations, et à qui on proposait d'aller précisément occuper un site étrusque. Le ton et la forme de la XVIe Epode en font peut-être aussi la transposition poétique de la harangue d'un agitateur populaire79.
Les Gaditains avaient donc découvert une île dans l'Atlantique. Les Etrusques, tentés de s'y établir, contrés par les Carthaginois, en ont fait le récit coloré de leur dépit, et influencé par leurs conceptions ordinaires de la destinée des villes. Une des versions de cette tradition a subi d'autre part une transmutation à l'image merveilleuse des paradis orientaux. Plus tard, les Gaditains donnent à Sertorius des renseignements qui nous sont parvenus grâce à Salluste et à Plutarque. Horace est directement tributaire de cette tradition, mais il a peut-être en commun avec le récit des Etrusques sa familiarité avec leurs vaticinations millénaristes. Avant lui, les dames du temps jadis, les seigneurs des grandes terres, les magistrats des hautes villes, les gardiens des rouleaux inverses, les haruspices et leur clientèle populaire, les pirates et les rois, - ce monde auquel les travaux de Jacques Heurgon ont redonné sa vie -, avaient peutêtre fêvé des Iles de l'Atlantique.
78 Tite-Live V, 54, 4. 79 Sur le «discours» et son type d'auditoire, analyse, détaillée de Fraenkel, Horace, p. 42 sq. La solution nous paraît être qu'Horace imite un discours d'agitateur populaire, une diatribe de carrefour, semblable à celles auxquelles se livraient les tribuns de la plèbe de jadis. Il n'y a pas alors à se demander dans quel cadre institutionnel ce « discours » peut entrer.
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IMMAGINI DI ERACLE E TESEO SU DI UNA KYLIX ATTICA DI VULCI
Da una delle ricche tombe della necropoli vulcente dell'« Osteria » l proviene questa grande kylix a figure nere del tipo « ad occhioni » 2 che nella parte esterna (l'unica decorata) esibisce rappresentazioni di non comune interesse esegetico (tavv. 1-3). Vi compaiono quattro gruppi di tre figure espresse fino al busto, di profilo verso destra; due gruppi
1 Tomba 50, a camera, di pianta rettangolare, scavata da Raniero Mengarelli il 15 luglio 1931; misurava m 2,20x1,50. Il corredo era composto in prevalenza di vasi attici (complessi vamente5 a figg. nere), tuttora inediti, rinvenuti qua e là sul pavimento, databili entro l'ultimo venticinquennio del VI sec. a.C: 2 Kylikes del tipo «Floral Band-cup» (inv. 63610-63611); 1 Hydria (inv. 63612); 1 Grande kylix «ad occhioni» (inv. 63613), qui presa in esame; 1 Anforetta a collo distinto (inv. 63614). 2 Non è stata attribuita dal Beazley né in ABV, né in Paralipomena. Bibl.: R. Vighi, II Nuovo Museo Nazionale di Villa Giulia, Roma 1957, p. 23; M. Moretti, II Museo Nazionale di Villa Giulia, Roma 1962, p. 41; B. F. Cook, in A] A, LXXII, 1968, pp. 341-342, nota 21, n. 19; A. Greifenhagen, in: Heibig, Führer4, III Band, Tübingen 1969, η. 2522. Ricomposta da molti frammenti, la kylix presenta sette piccole integrazioni nel bacino ed ha lo anse e il piede restaurati. Misura cm 11,5-12,5 in altezza; cm 29,7 nel diametro alla bocca. Figure nere e ritocchi in rosso-paonazzo scuro con abbondante uso del graffito; volti dei guerrieri risparmiati nel colore dell'argilla. Decorazione accessoria - È relegata sul fondo esterno del bacino, presso il gambo; consiste in una raggerà di denti di lupo stilizzati neri e risparmiati nel colore dell'argilla, alternati, con il contorno segnato da una sottilissima pennellata di vernice diluita di color bruno. I grandi occhioni apotropaici hanno sclerotide risparmiata, pupilla nera, iride espressa mediante tre cerchielli rispettivamente, dall'esterno all'interno, nei colori nero, rossiccio e nero con punto rosso-paonazzo nell'interno. Forma - Tipica del vasaio Nikosthenes: A 1 del Bloesch (cfr.: F.A.S., tav. 3, h. 2 a e p. 9). Bacino profondo, gambo grosso e breve con anulo a rilievo alla sommità dipinto in nero e al di sotto, filetto a risparmio; piede a larga tromba verniciato in nero con la costa risparmiata
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sono sui lati Α-B: Eracle fra due guerrieri elmati, altri due gruppi quasi identici sono posti sotto le anse, le quali s'impostano sulle teste delle figure laterali in maniera singolare. I Gruppo: tato A (tav. 2, part.). Al centro Eracle, interamente reso nella tecnica a figure nere, è facilmente riconoscibile dalla leontée nera che gli copre la testa e il petto: la villosità della pelle ferina è espressa conven zionalmente mediante una serie di doppi trattini graffiti. Ha il volto e la barba appuntita; quest'ultima, seminascosta dalla mandibola leonina, ha il contorno sottolineato dal graffito, così come il profilo del viso, le narici, le labbra e la parte superiore del mento, lasciata scoperta dalla barba. L'occhio è di forma canonica. Per mancanza di spazio, l'eroe è privo del rhópalon. I due personaggi laterali sono guerrieri. Hanno il capo coperto da elmo corinzio crestato, dipinto a vernice nera, che nasconde quasi completamente il volto e il collo risparmiati nel colore dell'argilla (segno di inizio e con comitanza della tecnica a figure rosse). Nella figura di destra il profilo è segnato da una spessa pennellata nera, ma in quella di sinistra vi si aggiunge all'esterno una linea graffita. In questo caso, infatti, il volto reso nella tecnica a figure rosse partecipa della tecnica contraria a causa della sua compenetrazione con l'Eracle tutto nero. Ovviamente anche gli occhi sono resi a contorno nero sul fondo neutro. La loro forma a mandorla, con l'indicazione dell'iride e della pupilla è quella generalmente usata nei vasi
e il profilo a echino piatto. È confrontabile con le segg. kylikes di ugual tipo, « ad occhioni » (con busti), databili fra il 530 e il 520 a.C, di dimensioni molto vicine, che si elencano con numero progressivo in relazione alla loro ampiezza (dalla più grande alla più piccola): 1) Louvre F 136: h. cm 12; diam. bocca, cm 29 (CVA, Louvre 10, p. 90, tav. 98, 1, 4-5; Beazley, ABV, p. 203, n. 2 (= Gruppo del Louvre 137); 2) Monaco, coll. Walter Bareiss, 82 (già nei mercati antiquari di Roma e Basilea), firmata dal vasaio Nikosthenes: h. cm 11,4; diam. bocca, cm 27,3 (Beazley, ABV, p. 231, n. 10 e p. 235; Kunstwerke der Antike, MM., A.G., Auktion XXII, Basel 1961, pp. 68-69, η. 133, tav. 41; Beazley, Paralipomena, p. 109 (non attribuita). 3) Louvre F 137: h cm 11,5; diam. bocca, cm 26,5 (CVA, Louvre 10, p. 90, tav. 98, 2-3, 6; Beazley, ABV, p. 203 n. 1 (eponima del gruppo del Louvre F, 137). 4) Basilea, mercato antiquario: h cm 10,2; diam. bocca, cm 21,9 (Kunstwerke der Antike, M.M., A.G. Auktion 34, Basel 1967, n. 131, pp. 65-66 e tav. 37). Le quattro kylikes citate hanno l'interno della vasca verniciato in nero, ad eccezione del centro, risparmiato nel colore dell'argilla con uno ο due cerchielli concentrici e un punto in color nero; nella nostra i cerchielli sono due. Riguardo alle dimensioni, la kylix vulcente resta per ora la più grande, superando di 7 cm nel diam. alla bocca quella del Louvre F 136 (η. 1 in elenco).
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a doppia tecnica e nei più antichi a figure rosse per indicare l'occhio maschile; può quindi considerarsi una forma di transizione. I caschi sono riccamente decorati; quello del guerriero di sinistra pre senta, nella zona immediatamente sopra la calotta, un motivo di zig-zag che forma triangoli, con punto nel centro dalla base, suddipinti in color rossopaonazzo scuro poco visibili nella foto, ma evidentissimi controluce. La calotta è adorna superiormente di due grandi e complessi ricci di voluta graffiti; sono opposti e tangenti ed hanno, al di sopra del punto di contatto, una palmetta a tre petali sovrappinti in rossiccio il cui contorno e il cuore mediano (a guisa di ovulo) sono indicati mediante il graffito. Inferiormente, opposto alla palmetta è un petalo (o fogliolina) pure graffito. All'inizio del paranuca si erge una palmetta, simile alla precedente, ma più piccola, del ineata con il solo graffito. Anche la paragnatide è decorata; lo spazio risul tante dalla forma aguzza della sua terminazione è utilizzato per rendere ad incisione gli elementi caratteristici di una protome animalesca: un orecchio appuntito, un occhio tondeggiante, maschile, e un muso la qualificano per quella di un cinghiale3. Al di sotto dell'orecchio dell'animale è un ampio e semplice ricciolo di voluta, a guisa di punto interrogativo capovolto, suddipinto in color rossiccio stralucido (quasi invisibile), poggiato sul margine inferiore della paragnatide. Tale margine presenta esternamente una serie di finissimi trattini paralleli, obliqui (resi a graffito) che, come in altri casi, sono l'indicazione stilizzata dei peli della barba. L'elmo della figura di destra ha forma e decorazione quasi identiche al precedente ad eccezione dell'ornato della fascia sotto la cresta che consiste in
3 Vi sono diversi elmi greci, in particolare, corinzi e calcidici, che presentano una certa varietà di ornati incisi sulla calotta e sulle paragnatidi, talora decorate di protoni animalesche. Alcuni sono di bronzo, altri proteggono le teste di guerrieri ο personaggi mitici rappresentati su vasi calcidesi e attici a figure nere. Più di frequente la testa di ariete è impiegata come ornamento delle paragnatidi, sia a rilievo, sia incisa. Un elmo bronzeo corinzio, nel Museo del Louvre (inv. 43) presenta paragnatidi decorate appunto con una testa di ariete (A. De Ridder, Les Bronzes antiques du Louvre, vol. II, Paris 1915, p. 2, n. 1102, tav. 65). Sui tipi di elmi greci, in particolare corinzi, si veda: E. Kukahn, Der Griechische Helm. Dissertation, Maarburg-Lahn, 1936, passim e pp. 39-40; Th. T. Hoopes, «The Greek Helmet in the City Art Museum of Saint Louis », in: Studies presented to David M. Robinson, II, 1953, pp. 833-839, taw. 81, 83-84 (paragnatidi decorate con testa di ariete a rilievo); E. Kunze, «Korinthische Helme», in: VII Bericht über die Ausgrabungen in Olympia, Berlin 1961, p. 45 e segg.; S. Boucher, in RA, 1964, pp. 97-100; E. Kunze, in VIII Bericht über die Ausgrabungen in Olympia, Berlin 1967, p. 135 e segg.; in particolare, p. 165, fig. 55, pp. 170-171, figg. 59-60, pp. 174-175, figg. 63-64.
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una serie di elementi di meandro, suddipinti in color rossiccio, appena visibili. Vi è infine da spendere alcune parole sul tipo delle vesti indossate da questi due personaggi. Sono di tessuto certamente pesante, e bande verticali, distinte da linee graffite, a colori alternati nero e rossiccio suddipinti4. Dovrebbe trattarsi di « chitone » (o « chitonisco ») e di « mantello » (o « cl amide ») espressi in modo sintetico, ma in assenza di confronti è difficile prendere posizione a tal riguardo. Inconsueta è anche la rappresentazione di un lembo del « mantello », sovrapposto al « chitone » e della stessa stoffa, il quale copre l'omero in vista e, con movimento ondulato delle strisce, sale sul collo (coprendo probabilmente i lunghi capelli) fino a raggiungere la nuca, infilandosi sotto l'elmo. Il « chitone » (o « chitonisco ») è arricchito da un'accollatura orlata con motivo di minuscole « onde ricorrenti » graffite. II Gruppo: lato Β (Tav. 2, part.). È ripetuta la triade con Eracle fra le due figure di guerrieri con tre uniche varianti: 1) La figura di sinistra veste un costume con decorazione a ret icolato di rombi sovrappinti in color rossigno e delimitati da doppie linee graffite aventi all'interno sufficiente spazio per ricevere una pennellata di vernice nera5. Qui il lembo del « mantello », sovrapposto al «chitone», ha trama diversa: è a bande nere e rossigne alternate. 2) Eracle ha il capo più eretto e, di conseguenza, mostra una por zione più larga di barba. 3) Nella figura di destra sono visibili sul collo, fuoriuscenti dall'elmo, alcune brevi ciocche di capelli neri ricciuti, rese con linee ondulate graffite. Manca il lembo del « mantello » sovrapposto al « chitone » e, in sua vece, è una grossa lingua nera, quasi attaccata alla linea di contorno (graffita) della barba di Eracle. Potrebbe indicare una lunga ciocca della chioma rica dente sul collo e sulle spalle, oppure essere il prolungamento della barba di Eracle.
4 Per questo tipo di stoffa, vedi: P. Colafranceschi Cecchetti, Decorazione dei costumi nei vasi attici' e figure nere, in Studi Miscellanei, 19, Università di Roma, 1972, p. 25, tav. XXXIX, 111. 5 Questo tipo di stoffa non è stato considerato nella citata monografia della Colafranceschi Cecchetti nell'ambito della «decorazione dei costumi nei vasi attici a figure nere». Un tessuto simile al nostro, ma a file alternate di rombi rossi e neri, appare - ad esempio - in raffigura zioni di Menadi su di una « Band-cup » nel Metropolitan Museum di New York, datata attorno al 530 a.C- Beazley, Development, p. 56, tav. 24, tav. 25, 1-8; CVA, New York, Metropolitan Museum, 2, tav. XIX, 31; Beazley, Paralipomena, p. 78, n. 1 (= pitt. di Oakeshott).
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III-IV Gruppo: sotto le anse (tav. 3, part.)· Sono rappresentati la testa di un uomo a capo scoperto, con barba prolissa, appuntita, fra i busti di due figure elmate di profilo verso destra. Entrambe indossano i soliti costumi a larghe bande verticali nere e rossicce ed hanno in capo elmo corinzio ad alto cimiero, come nel I gruppo del lato A (tavv. 1-2); anche qui la paragnatide dell'elmo del guerriero in primo piano è ornata di una testina di cinghiale incisa. Nel III gruppo il lembo del « mantello » (o « clamide ») sovrapposto al « chitone » (o « chitonisco ») è sempre a bande nere e rossicce, mentre nel IV gruppo tale lembo è tutto nero nel guerriero di destra e le strisce sono evidenziate semplicemente da tre linee graffite. Singolare, ma non nuova, è l'impostazione della base delle anse sulle teste dei guerrieri, come ad esempio, su una kylìx di Londra attribuita al pittore di Lysippides6. A causa dell'esiguo spazio a disposizione, il nostro ceramografo è stato costretto, in questa zona della kylix a comprimere e quasi incastrare la testa e il volto della figura centrale; la delineazione del profilo è molto simile a quella di Eracle sui lati Α-B, manca però l'attributo della leontée e, pertanto, si tratta di personaggio diverso da lui per la cui identificazione occorre prendere in considerazione varii elementi a cominciare dallo stile. Come si è accennato, le figure sono dipinte nella tecnica a figure nere, salvo che nelle parti nude (volti e colli) dei due guerrieri di ciascun gruppo. Questi sono infatti risparmiati nel colore dell'argilla e spiccano come limi tati campi chiari sulla massa scura della rappresentazione, da cui sono separ ati sia dal graffito, sia da una spessa linea nera di contorno. La stessa grossa pennellata separa il naso e il collo dei guerrieri di destra dal fondo della kylix. Il motivo di tale, del resto, non isolato procedere, è da ravvi sarsi nel desiderio, particolarmente sentito in un'età di istanze innovatoci, di ravvivare un contesto figurato che nella pura tecnica a figure nere sarebbe risultato poco perspicuo. Cronologicamente siamo all'inizio del terzo venticinquennio del VI secolo a.C, periodo in cui - fra l'altro - sono abbastanza frequenti queste raffigurazioni di busti (o teste) su kylikes (con ο senza occhioni) ed anche su altri vasi attici a figure nere 7. Le figure sono espresse in senso - per
6 Brit. Mus. Β 426: CVA, Londra, British Museum, 2, tav. 21; Beazley, ABV, p. 256, n. 20. 7 Vedi nota 2 e inoltre: R. Hackl, in Jdl, XXII, 1907, p. 91, figg. 9-11; E. Buschor, Feldmäuse», in Sitzungberichte d. Bayer. Akad. d. Wissenschaften, heft l, München 1937,
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così dire - riassuntivo e talvolta al di fuori di un vero e proprio contesto narrativo. Nel caso specifico, i personaggi delineati fino al busto, sembrano con cepiti come delle icone e ci appaiono in una staticità ieratica. Si ha l'i mpressione di assistere ad una epiphania di eroi del mondo mitico greco i quali, divenuti celebri per aver combattuto vittoriosamente, si manifestano ai mortali per essere venerati. Per ciò che riguarda Eracle, è inevitabile il riferimento - anche se si tratta di ben più tarda rappresentazione - al noto cratere di Orvieto, con servato nel Louvre, dove l'eroe appare in relazione con due guerrieri che lo fiancheggiano. Ma poiché l'esegesi del famoso vaso è tuttora in discus sione8, non ci si potrà fondare su di esso per trarre elementi utili all'int egrazione del gruppo Eracle-guerrieri della kylix in questione. Da oscurità, infatti, non può scaturire chiarezza e, quindi, basti l'aver notato la coinci denza iconografica, in attesa che definitive conclusioni sulla problematica rappresentazione del cratere orvietano possano eventualmente gettar luce anche sulla tazza vulcente. E veniamo al personaggio parallelo ad Eracle, ma senza specifici attributi, tentandone una ragionevole identificazione. Poiché anch'egli è nobilitato dall'essere fiancheggiato da due guerrieri, è da ritenersi che fosse consi derato di rango pari a quello dell'eroe per eccellenza. Ciò premesso, non è difficile immaginare che su di una stessa kylix prodotta ad Atene si sia voluto celebrare, accanto ad Eracle eroe panellenico, Teseo, l'eroe poliade attico, il mitico re sinecista, fondatore della città-stato, la pòlis. L'associazione - del resto - si giustifica con il fatto che la mitografia greca, in più casi, ci presenta i due eroi accomunati in una medesima impresa ο in lotta contro uno stesso nemico9. Assieme com battono le Amazzoni e assieme compaiono nella katàbasis eraclea, quando l'eroe argivo libera Teseo prigioniero di Ade. Ambedue, poi, sia pure separata mente,sono impegnati contro un terribile toro (a Creta e a Maratona). Tali relazioni assumono più tardi nell'Eracle euripideo coloriture sentimentali con la commovente rappresentazione di un fraterno sodalizio fra i due eroi.
p. 4 e segg., figg. 1-2; Beazley, ABV, pp. 202-203, p. 231, η. 10; Paralipomena, p. 109; CVA, Heidelberg, Universität, 4, pp. 37-38, tav. 159, 5 (inv. 5 121); CVA, Napoli, Museo Naz.le, 1, p. 11 taw. 21-22 (kylix senza occhioni eponima del pitt. di Kallis). 8 E. Simon, in A] A, LXVII, 1963, p. 43 e segg. (ivi bibl. critica prec). 9 Cfr. Simon, in A] A, cit., p. 46 e segg. e nota 11.
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Quanto poi all'aspetto fisico di Teseo, si ha nell'arte la scontata evolu zione dal greve personaggio barbuto dell'arcaismo all'atletico efebo dell'età classica e post-classica 10. Tutto ciò, ovviamente, in rapporto alla concezione vulgata dell'eroe impavido, ma un po' superficiale, vincitore di tremendi agoni e conquistatore di famose bellezze. Ma accanto a questa, vi è la concezione di Teseo saggio e potente monarca, fondatore e difensore della libertà ateniese, che non può dar luogo - evidentemente - ad un consi stente repertorio figurato, ma che sarà particolarmente sottolineato dalla storiografia di Tucidide e dalla retorica moraleggiante di Isocrate e di Plutarco. Tutto ciò è stato messo bene in evidenza dal Dugas n, il quale da anche i principali documenti ceramici attici che puntualizzano le due distinte personalità dell'eroe. In particolare, un frammento di anfora a Lund, attribuito ad Exekias, mostra una rara iconografia di Teseo: egli è provvisto di barba e di ricca e ben curata capigliatura, è nobilmente incoronato e ammantato; ogni incertezza relativa alla figura è sciolta dall'iscrizione Theséufs] 12. Questo pezzo, antico quanto il nostro, presenta l'eroe attico nello stesso nobile aspetto in cui apparirà nella letteratura più tarda che si rifaceva ad una tradizione iconografica già nota nel VI secolo. Ciò conviene in parte anche alla kylix di cui si tratta dove Teseo, assimilato anche nell'aspetto ad Eracle, esprime forza, gravita e dignità. Il valore patriottico della rappresentazione appare, dunque, evidente ed è pure sottolineato dalla presenza dei guerrieri che vogliono esaltare, fian cheggiandoli, gli eroi delle cui gesta più propriamente guerresche furono testimoni (le Amazzonomachie d'Asia e d'Attica), ma che possono pure costituire un compiaciuto riferimento alla valida organizzazione militare dello stato ateniese, fondato appunto da Teseo. Non si tratta, quindi, di raffigurazioni sia pur vagamente episodiche, ma di simboli propagandistici. Stilisticamente la tazza vulcente non ha confronti e, pertanto, si vor rebbe riconoscere una nuova mano, quella appunto del pittore di Vulci, T. 50. Si tratta di un ceramografo di gusto originale nella scelta dei soggetti,
10 Sulle rappresentazioni di Teseo nell'arte attica dalla fine del VI secolo in poi, vedi: Simon, A] A, cit., pp. 44-50 (ivi bibl. prec); N. Alfieri, RIAS A, N.S. Vili, 1959, p. 59 e segg. (articolo non menzionato dalla Simon); ν. anche: S. Patitucci Uggeri, Quaderni ticinesi di numismatica e di antichità classiche, Lugano 1975, p. 55 e segg., tav. la, tavv. II-III, fig. 2 e p. 69, note 19, 21 (ivi altra bibl. cit.). 11 Ch. Dugas - R. Flacelière, Thésée. Images et récits, Paris 1958; Recueil Ch. Dugas, 1960, pp. 93-107. 12 Beazley, Development, pp. 63, 113, tav. 27, 3; ABV, p. 145, n. 17; Dugas-Flacelière, Thésée, cit., p. 87, tav. 24, B.
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partecipe del vigore di un Exekias con qualche tratto convenzionale, tipico della fase di transizione dalla tecnica a figure nere a quella a figure rosse, fra il 530 e il 520 a.C. Sembra, tuttavia, opportuno menzionare alcune kylikes contemporanee per certe affinità tipologiche e stilistiche con la nostra. Se ne sono citate quattro per confronto della forma e della tipologia « ad occhioni »: una è firmata da Nikosthenes, le altre sono facilmente riferibili alla sua officina 13; tutte presentano figure sia maschili, sia femminili a risparmio. In particolare, è da ricordare la kyiix del Louvre F 137 che esibisce su ciascuno dei lati esterni un busto di guerriero, di profilo verso destra, con tunica a bande nere evidenziate dal graffito e il volto nello stesso colore dell'argilla. L'occhio di uno dei guerrieri 14 è a forma di mandorla con l'indicazione dell'iride e della pupilla; tale rendimento ricorre soltanto in un altro caso, quello del l'esemplare in esame. Inoltre il guerriero in primo piano su un frammento di tazza, nel Museo dell'Università di Heidelberg 15, mostra talune somiglianze tipologiche e stilistiche per noi interessanti: l'elmo e il sottostante profilo umano. Infine una kylix del Museo di Napoli, eponima del pittore di Kallis ie, è vicina alla nostra per le proporzioni delle teste, per una certa eleganza degli abiti e il gusto delle bande nere e rossicce alternate. In tutte le raffigurazioni considerate (oltre a quella di Vulci) i profili dei volti mostrano press'a poco le stesse caratteristiche: naso forte e lungo, quasi aggressivo, occhi grandi, sguardo fisso e severo.
13 Vedi elenco a nota 2. 14 CVA, Louvre 10, tav. 98, nn. 2, 6 (stesso lato). Vedi anche nota 2. 15 È datato fra il 540 e il 530 a.C: CVA, Heidelberg, Universität, 4, tav. 159, 5 (non attribuito dal Beazley). 16 Ex Coli. Santangelo 172: CVA, Napoli, Museo Naz.le, 1, tavv. 21-22. Vedi anche nota 7.
IMMAGINI DI ERACLE E TESEO
Tav. 1 - Roma - Museo di Villa Giulia (Vulci T. 50). Kylix ad occhioni: esterno.
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Tav. 2 - Roma - Museo di Villa Giulia (Vulci T. 50) . Kylix ad occhioni: particolari lati A-B.
IMMAGINI DI ERACLE E TESEO
Tav. 3 - Roma - Museo di Villa Giulia (Vulci T. 50). Kylix ad occhioni: particolare delle figure sotto le anse e profilo.
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LE CULTE DE «SOL» ET LES « AURELII » À PROPOS DE PAUL. FEST. p. 22 L.
Parmi les lemmes de Verrius Flaccus dont Paul Diacre nous a transmis la teneur, celui qui est consacré aux Aurelii (Aureliam familiam ex Sabinis oriundam a Sole dictam putant, quod ei publiée a populo Romano datus sit locus, in quo sacra faceret Soli, qui ex hoc Auseli dicebantur, ut Valesii, Papisii pro eo, quod est Valerii, Papirii *) mérite de retenir l'attention dans la mesure où il traite d'un problème auquel, sans l'ignorer, les modernes n'ont pas toujours accordé l'attention qu'il mérite. Cette notice se rattache au groupe de celles qui nous ont gardé le souvenir de cultes et de rituels confiés par la cité archaïque à certaines gentes2. Il suffira de rappeler ici
1 Paul. Fest., p. 22 L, s.u. Aureliam. 2 Cf. sur cette question A. De Marchi, II culto privato di Roma antica, 2, La religione gentilizia e collegiale, Milan, 1903, p. 3-26; G. Wissowa, Religion und Kultus der Römer, 2e éd., Munich, 1912, p. 404 (qui note à juste titre, ibid., p. 404, n. 4, que parmi les sacra gentilicia dont le souvenir est parvenu jusqu'à nous, seuls ceux de Sol chez les Aurelii, d'Hercule chez les Potitii et du tigillum ßororium chez les Horatii appartiennent à la série des sacra publica); C. W. Westrup, Sur les gentes et les curies de la royauté primitive de Rome, dans RIDA, I, 1954, p. 435-473, p. 445-446; P. De Francisci, Primordia duitatis, Rome, 1959, p. 170-171; G. Dumézil, La religion romaine archaïque, 2e éd., Paris, 1974, p. 609-610. Sur le culte du tigillum sororium chez les Horatii, cf. Liv., I, 26, 13, Id hodie quoque publice semper refectum manet: sororium tigillum uocant, et Denys d'Halicarnasse, AR, 3, 22, 7-8; Fest., p. 380 L, s.u. Sororium tigillum; Id., p. 502 L, s.u. Tigillum sororium; Paul. Fest., p. 399 L, s.w. Sororium tigillum. Sur le rôle dévolu aux Potitii dans le culte de l'Ara Maxima, cf. Liv., I, 7, 14; J. Carcopino, Aspects mystiques de la Rome païenne, Paris, 1942, p. 204-206; D. van Berchem, Hercule Melqart à l'Ara Maxima, dans RPAA, 32, 1959-1960, p. 61-68, p. 64 (pour lequel les Potitii étaient en réalité des κάτοχοι: cf. sur ce point A. Bouché-Leclercq, Les reclus du Serapeum de Memphis, Mélanges G. Perrot, Paris, 1903, p. 17-24); R. E. A. Palmer, The censors of 312 B.C. and the state religion, Historia, 14, 1965, p. 293-324, p. 293-308. Malgré J. Bayet, Les origines de l'Hercule romain, dans BEFAR, 132, Paris, 1926, p. 248-259, pour lequel le culte d'Hercule à l'Ara Maxima ne fut initialement qu'un culte gentilice, nous persistons à croire avec G. Wissowa, op. laud., p. 404, n. 4, qu'il appartenait à la série des sacra publica.
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la cérémonie annuelle du tigillum soronUm, à laquelle le nom des Horatii est à jamais lié, et la tradition relative au sacrifice célébré en l'honneur d'Hercule à VAra Maxima, aussi longtemps du moins que l'Etat n'en eut pas retiré la responsabilité aux mystérieux Potitii. En ce qui concerne Sol et les Aurelii trois témoignages peuvent être mis en rapport à des degrés divers avec la notice de Paul Diacre. C'est ainsi qu'au dire d'Annales dont Varron 3, il est vrai, ne précise pas la nature, le Soleil figurait parmi les divinités auxquelles Titus Tatius avait voué des arae qui gardaient le parfum de la langue sabine. En outre, un autre passage du De lingua latina fait référence à une tradition selon laquelle le nom sol serait un mot sabin4. Sans doute faut-il même dans ce texte corriger le sola uel d'un manuscrit en Sol ausel, auquel cas nous aurions la preuve que, par-delà Verrius Flaccus, le témoignage de Paul Diacre remontait en droite ligne à Varron. Enfin, à l'époque classique, le temple de Sol Indiges s'élevait sur le Quirinal5, traditionnellement considéré comme le siège d'un habitat sabin au temps lointain des initia. Si notre propos n'est pas d'entrer ici dans le détail des controverses relatives à la nature de ce culte, nous ne pouvons éluder le problème de son ancienneté. Un aussi bon connaisseur que G. Wissowa6 se refusait, on le sait, à admettre que Sol ait pu compter au nombre des di indigetes.
3 Varrò, Ling., 5, 74. La liste des divinités énumérées dans ce passage a été mainte fois commentée: cf. E. C. Evans, The cults of the sabine territory, Rome,1939, p. 152-240; J. Collari, Varron grammairien latin, Paris, 1954, p. 238-239; O. Terrosi Zanco, Varrone, L.L., V, 74. Divinità sabine ο divinità etrusche? S.C. Ο., 10, 1961, p. 188-208; G. Radke, Varrò L.L., V, 74, zu sabinischen Gottheiten in Rom, Romanitas, 6-7, 1965, p. 290-313; J. Poucet, Recherches sur la légende sabine des origines de Rome, Kinshasa, 1967, p. 46-53. Cf. également Denys d'Halicarnasse, AR, 2, 50, 3. 4 Varrò, Ling., 5, 68 (que nous citons dans le texte retenu par J. Collari, Varron, De lingua latina, Uvre V, Paris, 1954, p. 44), Sol uel quod ita Sabini, uel quod solus ita lucet, ut ex eo deo dies sit. Mais la correction Sol ausel de la leçon solauel donnée par le manuscrit F (codex Laurentianus LI, 10) est retenue par divers savants parmi lesquels G. Wissowa, op. laud., p. 315, n. 3; J. Heurgon, Recherches sur l'histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine des origines à la deuxième guerre punique, dans BEFAR, 154, Paris, 1942, p. 42, n. 2; G. Dumézil, op. laud., p. 432. 5 A. Degrassi, Inscriptiones Italiae, 13, 2, Fasti anni numani et iuliani, Rome, 1963, p. 493 (au témoignage des Fast. Vail, Aug. 8, des Fast. Allif., Aug. 9, et des Fast. Amitern., Aug. 9). De ces deux dates, A. Degrassi retient celle du 9 Août. Cf. d'autre part Tacite, Ann., 15, 74, I, qui mentionne l'existence d'un antique sanctuaire du Soleil (... Soli, cui est uetus aedes apud circum). 6 G. Wissowa, op. laud., p. 317.
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L'existence sur le Quirinal7 d'un puluinar Solis voisin d'un temple de Quirinus et la mention de l'étoile du soir dans l'inscription que Quintilien put y lire constituaient à ses yeux deux raisons majeures d'attribuer au culte du Soleil une origine grecque et d'inclure ce dieu dans la série des di nouensides. Malgré l'autorité de ce savant, les données dont nous disposons orientent l'analyse vers une conclusion différente. La plus anciennement connue dans le domaine épigraphiques nous est fournie par l'abréviation AG IN qui figure dans les Fasti Amiternini8 à la date du 11 Décembre et qu'A, von Domaszewski9 proposait de développer en Ag(onium) In(digetis). G. Wissowa rejetait cette lecture parce qu'il lui semblait étrange que la désignation du dieu ainsi honoré se réduisît à un adjectif10. Il s'étonnait d'autre part qu'elle ait pu apparaître en grandes capitales dans ce férial, puisque les indications de ce type sont d'ordinaire mentionnées en lettres plus petites n. Fort de ces constatations, il concluait par un non liquet sur le témoignage de Jean le Lydien dont le De mensibus 12 nous apprend que le sacrifice du Septimontium se doublait â'Agonalia δαφνηφόρω και γενάρχη ήλύρ, c'est-à-dire d'une cérémonie célébrée en l'honneur d'une divinité qu'il nous paraît dif ficile de ne pas assimiler à Sol Indiges, et corrigeait en AGON(ALIA) la notation AG IN due, selon lui, à une erreur du lapicide 13. Mais la découverte des Fasti Ostienses apporta la preuve qu'A, von Domaszewski avait eu raison contre G. Wissowa, et que l'interprétation la plus naturelle de Mens., 4, 155, p. 172 W. était aussi la bonne. Nous lisons
7 Quint, I, 7, 12; G. Wissowa, op. laud., p. 316-317; G. Dumézil, op. laud., p. 432. 8 A. Degrassi, op. laud., p. 535-536 (Fast. Amitern., Dec. 11). Les Fast. Maff. portent la mention AGON(ALIA), les Fast. Praen. la mention AG[ON(ALIA)] et les Fast. Antiat min. la mention AG (ONALI A). 9 A. von Domaszewski, Abhandlungen zur römischen Religion, Leipzig et Berlin, 1909, p. 173. 10 G. Wissowa, op. laud., p. 317, ri. 3. 11 Id., Gesammelte Abhandlungen, Munich, 1904, p. 232; id., Neue Bruchstücke der römischen Festkalenders, Hermes, 58, 1923, p. 369-392, p. 371-372. 12 Lyd., Mens., 4, 155, p. 172 W (qui date le sacrifice du Septimontium et cette cérémonie du 2 Décembre). L'adjectif γενάρχης qualifie également Ήλιος dans le texte, qui nous a été transmis par Diodore de Sicile (37,10), du serment par lequel le pacte d'amitié conclu en 91 par M. Liuius Drusus avec Q. Pompedius Silo avait été sanctionné. 13 G. Wissowa, Gesammelte..., p. 232; id., Religion..., p. 317, n. 3, approuvé par Marbach, RE, 3 A 1, s.u. Sol, col. 901-913, col. 903. F. Bömer, Ahnenkult und Ahnenglaube im alten Rom, Leipzig et Berlin, 1943, p. 60, se refuse à recourir au témoignage de Jean le Lydien pour interpréter les témoignages épigraphiques relatifs à la solennité du 11 Décembre.
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en effet dans ce calendrier à la date du 11 Décembre la mention [AG]ON(ALIA) IND(IGETI) 14. Aussi un consensus s'est-il établi entre épîgraphistes et historiens de la religion romaine pour admettre que les Agonalia de Décembre appartenaient au feriale antiquissimum 15, et qu'ils étaient accomplis au bénéfice de Sol Indiges. Dans cette perspective, le recours aux maiores litterae pour désigner la divinité à laquelle cette solen nité s'adressait pouvait s'expliquer en référence au désir des pontifes ou autres responsables du férial d'éviter toute confusion entre ces Agonalia et ceux qui, à d'autres moments de l'année, étaient célébrés en l'honneur de Janus, Mars et peut-être Vediovis 16. D'autres calendriers nous ont gardé le souvenir d'un sacrifice plus récent, accompli lui aussi, le 9 Août, en l'honneur de Sol Indiges in colle Quirinali 17. G. Wissowa fut de tout évidence mal inspiré le jour où il développa l'idée que l'adjectif indiges ne devait pas s'entendre dans ce cas en référence à l'opposition traditionnelle des di indigetes aux di nouensides, mais que son utilisation répondait à un besoin de souligner que ce culte était rendu à une divinité nationale ou du moins bien enracinée dans VUrbs, donc foncièrement différente du dieu oriental qui, vsous le même nom, était en train de s'y introduire 18. Quelle que soit en effet la significa tion exacte de ce mot, indiges ne saurait être considéré comme l'antonyme de peregrinus.
14 A. Degrassi, op. laud., p. 535-536 (Fast. Ost., Dec. 11). Les deux lectures proposées de cette abréviation par E. Vetter (Di nouensides, di indigetes, I.F., 62, 1956, p. 1-32, p. 32; Zum altrömischen Festkalender, Rh.M., 103, 1960, p. 90-94, p. 93: [AGJON(IORUM) IND(ICTIO) ou [AG]ON(IA) IND(ICUNTUR) ne sont pas convaincantes. 15 K. Latte, Römische Religionsgeschichte, Munich, 1960, p. 44, 73 et 444 (par rapport auxquelles la p. 213 est en retrait); A. Degrassi, op. laud., p. 365 et 536; A. Alföldi, Early Rome and the Latins, Ann Arbor, 1965, p. 252-253; G. H. Halsberghe, The cult of Sol Invictus, Leiden, 1972, p. 27. Cf. également, sur l'antiquité du culte rendu à Sol, E. Gjerstad, Early Rome V, Lund, 1973, p. 201. Contra, G. Wissowa, Religion..., p. 317, et G. Dumézil, op. laud., p. 432. Sur le culte de Sol Indiges, cf. encore C. Koch, Gestirnverehrung im alten Italien. Sol Indiges und der Kreis der Di Indigetes, Francfort, 1933 (ouvrage que nous n'avons pu consulter); id., Der römische Juppiter, Francfort, 1937, p. 41-42; G. Radke, Die Götter Altitaliens, Munster, 1965, p. 150. 16 A. Degrassi, op. laud., p. 536. Cf. respectivement les Agonalia du 9 Janvier (p. 393394), du 17 Mars (p. 425) et du 21 Mai (p. 460). L'identité de la divinité en l'honneur de laquelle cette dernière cérémonie était célébrée reste douteuse. 17 Cf. les témoignages rassemblés, p. 916, n. 3. 18 G. Wissowa, Gesammelte..., p. 180; id., Religion..., p. 317. Cf. également, mais avec des réserves, F. Richter, Ausführliches Lexicon der griechischen und römischen Mythologie
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De ce que le Quirinal servait de théâtre au sacrifice du 9 Août, il ne découle pas nécessairement que la cérémonie plus ancienne des Agonalia de Décembre ait été célébrée sur la même hauteur. Quoique douteuse, l'équivalence agoni - montes mentionnée, entre autres exégèses du mot agonium, par Paul Diacre 19, et le synchronisme des Agonalia Indigetis avec la fête du Septimontium constitueraient même deux raisons de nier tout rapport entre la solennité dédiée à Indiges et le Quirinal qui est le collis 20 par excellence, si une notice de Festus ne nous apprenait qu'en des temps anciens, cette hauteur avait porté le nom aJ Agonus21. De ces traditions apparemment contradictoires, seule la deuxième mérite foi, parce que confirmée par Denys d'Halicarnasse dont le témoignage établit que les Saliens Άγωναλεϊς22 se confondaient avec les Salii Collini, et sans doute aussi par Varron qui, dans le livre VI du De lingua latina, fait référence aux livres des Saliens « surnommés Agonenses » 23. Nous tenons donc pour acquis que, comme celle du 9 Août, la solen nitédu 11 Décembre avait lieu sur le Quirinal. En d'autres termes, il nous semble significatif qu'un culte dont les liens avec une famille d'origine Sabine sont une quasi-certitude ait été en étroit rapport, et ce dès une date fort ancienne, avec cette colline. Il est vrai que J. Poucet a avancé plusieurs raisons de croire qu'« une référence à Varron, L. L., V, 74 ne suffit pas pour "prouver" le caractère sabin d'une divinité vénérée à Rome»24. D'autre part, sans révoquer en doute l'origine sabine des Aurelii, ce savant a remarqué que cette famille apparaît dans les Fastes consulaires au IIIe siècle
herausgegeben von W. H. Roscher, 4, s.w. Sol, col. 1137-1152, col. 1141. Contra, outre C. Koch, G. K. Galinsky, Sol and the Carmen Saeculare, dans Latom,us, 26, 1967, p. 619-633, p. 626; G. H. Halsberghe, op. laud., p. 28. 19 Paul. Fest., p. 9L, s.w. Agonium, ... siue quia agonos dicebant montes, Agonia sacrificia, quae fiebant in monte. 20 Cf. sur ce point J. Poucet, L'importance du terme «collis» pour l'étude du dévelop pement urbain de la Rome archaïque, dans AC, 36, 1967, p. 99-115. 21 Fest., p. 304 L, s.w. Quirinalis collis, Quirinalis collis, qui nunc dicitur, olim Agonus appellabatur; Paul. Fest., p. 9L, s.w. Agonium, ... Hinc Romae mons Quirinalis Agonus et Collina porta Agonensis. 22 Denys d'Halicarnasse, A.R., 2, 70, 1. 23 Varrò, Ling., 6, 14. 24 J. Poucet, Les Sabins aux origines de Rome. Orientations et problèmes, Aufstieg und Niedergang der römischen Welt (désormais cité A.N.R.W.), 1, 1, Berlin et New-York, 1972, p. 48-135, p. 103; id., Recherches..., p. 51-52; id., Les Sabins aux origines de Rome: légende ou histoire, dans LEC, 39, 1971, p. 129-151 et 293-310, p. 140-141.
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seulement, en la personne de C. Aurelius L. f. C. n. Cotta, cos. 252, II 248 25. Aussi a-t-il émis l'hypothèse que l'accession à la magistrature suprême d'un de ses membres est à rapprocher de la conquête de la Sabine dès le début du IIIe siècle et de l'octroi qui s'ensuivit de la ciutas à ses habitants26. Il faut de toute évidence donner acte à J. Poucet d'avoir, par la première de ces remarques, énoncé une mise en garde salutaire contre des assimila tions ou des identifications hâtives. Même si des influences diverses ont pu s'exercer sur les cultes astraux, il est vraisemblable que la religion de Sol n'était pas spécifiquement sabine27. Au demeurant, ni les témoignages de Varron ni celui de Verrius Flaccus n'orientent l'analyse en ce sens. En effet, le De lingua latina n'inclut pas Sol parmi les divinités que son auteur énumérait sous les rubriques a Sabinis ou paulo aliter ab eisdem2&, mais le range dans le groupe de celles dont les autels que Titus Tatius était censé leur avoir voués gardaient le parfum de la langue sabine. A en croire d'autre part 5, 68, tout se passe comme si Varron avait proposé de sol-ausel deux etymologies, l'une sabine, l'autre latine. Alors même que le caractère fantaisiste de la seconde saute aux yeux, les linguistes ne dénient pas toute valeur au rapprochement de ces deux mots. En dernière analyse, ausel remonte en effet à l'étrusque usil29, bien attesté comme nom du soleil sur le foie de Plaisance comme sur les bandes de la momie de Zagreb. Quant au témoignage de Verrius Flaccus, s'il confirme qu'ausel correspondait en sabin à sol, il souligne, non sans mettre l'accent sur leur origine, la vocation des Aurelii à accomplir en l'honneur du Soleil des sacra publica au plein sens de ce mot.
25 T. R. S. Broughton, The magistrates of the roman Republic (désormais cité M.R.R.), 1, New-York, 1951, p. 212 et 215; J. Poucet, Les Sabins... Orientations..., p. 104 et 121. 26 Veil., 1, 14, 6 et 7, ...M'Curio et Rufino Cornelio consulibus Sabinis sine suffragio data ciuitas... Sempronio Sopho et Appio Caeci filio consulibus... suffraga ferendi ius Sabinis datum. P. A. Brunt, The enfranchisement of the Sabines, dans Hommages à M. Renard, 2, Bruxelles, 1969, p. 121-129, a récemment montré que cette tradition méritait une pleine confiance. 27 F. Altheim, Italien und Rom, I, Amsterdam et Leipzig, 1941, p. 146. Contra, F. Borner, op. laud., p. 58. 28 Cf. sur ce point les analyses, déjà citées, que J. Poucet a consacrées à Varrò, Ling., 5, 74. 29 P. Kretschmer, Einleitung in die Geschichte der griechischen Sprache, Göttingen, 1896, p. 83; W. Schulze, Zur Geschichte lateinischer Eigennamen, Berlin, 1904, p. 468; J. Heurgon, Recherches..., p. 42. Le texte des documents mentionnés dans la suite de la phrase est donné par M. Pallottino, Testimonia linguae etruscae, Florence, 1954, 1 et 719.
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Les considérations développées par J. Poucet sur le destin de cette gens sont cependant plus lourdes de conséquences que ses réflexions méthod ologiques, dans la mesure où ce savant est enclin à croire que la recon naissance par VUrbs du rôle incombant à ses membres dans la célébration du culte rendu à Sol ne saurait être antérieure au milieu du IIIe siècle. Mais il est impensable qu'à une date postérieure de cinquante ans et plus au moment où Ap. Claudius retira aux Potitii 30 les fonctions qui leur étaient traditionnellement dévolues dans les cérémonies accomplies, en l'honneur d'Hercule, à l'Ara Maxima, la cité ait renoué avec un usage dont le principe portait la marque de temps « immémoriaux ». Sans doute le pontifex maximus était-il associé de droit à son application31. Or l'hypothèse d'une initiative aussi réactionnaire s'accorde mal avec la conception modern isteque Ti. Coruncanius 32, qui fut le premier plébéien à exercer ce sacer doce, et ce à partir d'une date comprise entre 255 et 252, semble s'être formée de ses responsabilités. Le témoignage de la phonétique recoupe au demeurant celui de l'histoire, puisque la présence dans le lemme de Verrius Flaccus des formes Auseli, Valesti et Papisii nous reporte à une époque antérieure au « rhotacisme », c'est-à-dire à un phénomène dont les effets ne se firent guère sentir avant la deuxième moitié du IVe siècle33. Or ce que nous entrevoyons des cultes gentilices auxquels la cité con féra la dignité de sacra publica nous fait obligation d'admettre que le contenu de ce lemme vaut pour des temps nécessairement fort anciens. Si, malgré Tite-Live34, rien ne nous autorise à postuler l'existence d'une hypothétique
30 Liv., 9, 29, 9-10; Macr., Sat., 3, 6, 13 (qui ne mentionne pas Ap. Claudius); Vir. ill., 34, 2-3. Cf. l'analyse faite de cet épisode par J. Bayet, op. laud., p. 2-63-273. 31 Liv., 1, 20, 6, Ceterum quoque omnia publica priuataque sacra pontificis scitis subiecit (se. Numa Pompilius). 32 Sur la date à laquelle Ti. Coruncanius accéda aux fonctions de grand pontife, cf. T. R. S. Broughton, M.R.R., I, p. 210. Elle se déduit des événements dont la mention encadre dans la Perioch. 18 la référence à l'élection de ce personnage (Tib. Coruncanius primus ex plebe pontifex maximus creatus est). Sur ses efforts pour briser le monopole que les pontifes s'étaient réservé de la science du droit, cf. Pompon., Dig., I, 2, 2, 35 (Et quidem ex omnibus, qui scientiam nacti sunt, ante Tiberium Coruncanium publiée professum neminem traditur) et 38 (Post hos fuit Tiberius Coruncanius.. . qui primus profiteri coepit). Sur ce personnage et sur sa carrière, cf. F. Münzer, RE, 4, 2, s.u. Coruncanius, nr. 3, col. 1663-1664, et Jörs, ibid., col. 1664-1665. 33 P. Monteil, Eléments de phonétique et de morphologie du latin, Paris, 1970, p. 60. 34 Liv., 1, 7, 12, ...adhibitis ad ministerium dapemque Potitiis ac Pinariis, quae turn familiae maxime inclitae ea loca colebant; id., 9, 29, 9-10.
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gens Potitia, les Pinarii35 étaient eux aussi associés, dans un rôle il est vrai secondaire, aux cérémonies de VAra Maxima. Or les Fastes consulaires nous apprennent qu'ils jouirent d'une influence certaine à Rome entre 490 et 470 d'une part, dans les années 430 de l'autre36. Le problème se pose dans les mêmes termes pour les Horatii tenus d'accomplir chaque année la cérémonie du tigillum sororium et tout-puissants dans VUrbs autour de 450 37. De plus le choix de M. Horatius Pulvillus38 comme premier praetor maximus de la libera ciuitas confirme à nos yeux la tradition selon laquelle, en des temps plus anciens, la gens Horatia avait compté au nombre des familles influentes39. Tout suggère en effet que les bénéficiaires directs des événements de 509 se recrutèrent parmi des clans dont les rois étrusques avaient combattu la volonté de puissance que, forts des privilèges extorqués à leurs prédécesseurs latino-sabins, ils ne laissaient pas d'afficher. Dans ces conditions, le parti le plus sage nous semble être de recon naître dans les Aurelii une famille d'origine sabine dont l'arrivée à Rome est sans doute antérieure à la fin du VIIe siècle. En effet, même si une tendance se fait jour parmi les modernes à rejeter l'hypothèse d'une colonisa tion massive du Quirinal et du Capitole par les Sabins, archéologues et historiens des initia admettent volontiers la réalité d'un processus continu
35 Liv., 1, 7, 12; Verg., Aen., 8, 269, Et domus Herculei custos Pinaria sacri; Macr., Sat, 3, 6, 12-14. 36 P. Pinarius Mamercinus Rufus et L. Pinarius Mamercinus Rufus furent respectivement consuls en 489 et 472, L. Pinarius Mamercus (?) tr. mil. c.p. en 432, et P. Pinarius censeur en 430 (T. R. S. Broughton, MRR, 2, p. 600). 37 Des membres de cette famille parvinrent au consulat en 509, 507, 477, 457, 449, et au tribunat militaire à pouvoir consulaire en 425. Au IVe siècle, elle ne figure dans les Fastes consulaires qu'à deux reprises, en 386 et en 378 (id., ibid., 2, p. 572). 38 Liv., 7, 3, 8. La figure du praetor maximus est au centre de controverses qui opposent les historiens de la Rome archaïque: cf. parmi les travaux les plus récents J. Heurgon, Magistrat ures romaines et étrusques, dans Entretiens sur l'Antiquité Classique, 13, Genève, 1967, p. 99-127, p. 104-112; A. Momigliano, Praetor maximus e questioni affini, Studi in onore di G. Grosso, I, Turin, 1968, p. 161-175; A. Magdelain, Praetor maximus et comitiatus maximus, dans Iura, 20, 1969, p. 257-286; A. Guarino, «Praetor maximus», dans Labeo, 15, 1969, p. 199-201. 09 L'épisode des Horaces et des Curiaces a été récemment étudié par L. Deroy (Le combat légendaire des Horaces et des Curiaces, dans LEC, 41, 1973, p. 197-206, étude dans laquelle ce savant rattache le thème *hôra à la racine qui apparaît dans le grec χώρα, reconnaissant ainsi dans les Horatii « les gens de la campagne » et dans leurs adversaires les « citadins ») et par E. Montanari (II mito degli Horatii e Curiata, R. et C, I, 1972, p. 229-284). Les conclusions de ces deux articles restent conjecturales, même si certaines propositions du second méritent de retenir l'attention.
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d'infiltration qui, dès une date fort ancienne, permit à quelques petits groupes venus de Sabine de se faire une place dans la ville naissante 40. Nous tenons d'autre part pour acquis que les Aurelii rendaient au Soleil un culte gentilice auquel, dans des conditions qui nous échappent, leur nouvelle patrie reconnut un caractère officiel. L'appartenance à la plèbe de leurs lointains descendants ne change rien à l'affaire. Il est vrai que J. Marquardt 41 croyait trouver dans le lemme de Verrius Flaccus la preuve de l'existence, en des temps reculés, d'une gens Aurelia patricienne, vouée, comme d'autres, à une exstinction prématurée. Mais cette affirmation découle d'une vision dualiste de la population romaine primitive, et du dogme selon lequel la citoyenneté fut initialement le monopole du patriciat dont les membres se trouvaient seuls qualifiés de ce fait pour assumer la responsab ilité des sacra publica. Reste que le postulat d'un dualisme patricio-plébéien aussi ancien que Rome est aujourd'hui insoutenable42. Si cette constatation suffit à faire justice de l'hypothèse formulée par J. Marquardt, elle nous interdit également d'inclure ab origine les Aurelii dans une plèbe qui n'avait pas encore accédé à l'être. Il est vraisemblable que le patriciat se forma à partir d'un certain nombre de clans qui, dès l'époque de la monarchie latino-sabine, affirmèrent envers et contre tous leur vocation à se perpétuer héréditairement parmi les patres ou sénateurs43. Malgré le privilège qui lui avait été reconnu, la gens Aurelia ne put, pour des raisons que nous ignorons, trouver place
40 M. Pallottino, Le origini di Roma, dans ArchClass, 12, 1960, p. 1-36, p. 25-26; Id., Fatti e leggende (moderni) sulla più antica storia di Roma, dans SE, 31, 1963, p. 3-37, p. 17; Id., Le origini di Roma: considerazioni critiche sulle scoperte e sulle discussioni più recenti, dans ANRW, 1, 1, p. 2247, p. 40; H. Müller-Karpe, Zur Stadtwerdung Roms, Heidelberg, 1962, p. 46; E. Gjerstäd, Legends and facts of early roman history, dans Scripta Minora Regiae Societ. Human. Litt. Lund., 1960-1961, 2, p. 43; id., Cultural history of early Rome. Summary of archaeological evidence, AArch, 36, 1965, p. 1-41, p. 4-5; id., Early Rome V, p. 203; J. Poucet, Les Sabins...: légende..., p. 134. 41 J. Marquardt, Römische Staatsverwaltung, 32, Leipzig, 1885, p. 131, n. 8. Contra, Klebs, RE, 2, 2, s.u. Aurelius, col. 2431. 42 Nous nous permettons de faire référence sur ce point au chapitre III d'une thèse de doctorat sur les origines de la plèbe romaine que nous préparons sous la direction de Monsieur J. Heurgon. Mais cf. déjà les remarques de P. De Francisci, op. laud., p. 776-785. 43 A. Momigliano, An interim report on the origins of Rome, dans JRS, 53, 1963, p. 95-121, p. 118; J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale jusqu'aux guerres puniques, Paris, 1969, p. 200 et 220; E. J. Bickerman, Some reflections on early roman history, dans RFIC, 97, 1969, p. 393-408,p. 406.
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dans cette noblesse. D'où l'appartenance de ses descendants à la plèbe à partir du moment où, avant de se poser, dès la première sécession, en « ordre » constitutif de la cité, celle-ci entra dans l'histoire comme la masse du « corps civique » opposée à son élite. Dans la mesure où elle souligne que les plébéiens jouissaient de la pleine citoyenneté et qu'ils étaient membres à part entière de la com munauté romaine, cette définition aide à comprendre qu'une famille étran gère au patriciat ait pu garder la responsabilité d'un sacrum publicum. Peut-être une évolution comparable se laisse-t-elle constater dans le culte rendu à Cérès. Au terme d'une analyse approfondie et en tout point con vaincante, H. Le Bonniec44 a établi naguère qu'un certain nombre de rituels dans lesquels cette déesse était associée ou non à Tellus appartenaient au fond le plus ancien de la religion romaine. Rappelons, entre autres faits significatifs de ce point de vue, que la solennité des Cer ealia était inscrite au férial de « Numa » 45, et que le flamen Cerialis comptait au nombre des flamines mineurs46. Or un lemme de Paul Diacre nous apprend que, si les flamines maiores se recrutaient au sein du patriciat, les minores étaient choisis dans la plèbe47. Prise à la lettre, cette affirmation doit s'interpréter en référence à un dualisme dont nous sommes convaincu qu'il ne peut être aussi ancien que Rome. Dans le cas précis de Cérès, tout se passe donc comme si l'usage s'était instauré de conférer à un non-patricien le flamonium de cette déesse avant même le moment où, dans les années qui suivirent la première sécession, la plèbe imprima sa marque au culte qu'en droit, elle partageait dans le temple situé iuxta Circum Maximum avec Liber et Libera48. De toute évidence, les raisons que le patriciat avait
44 H. Le Bonniec, Le culte de Cérès à Rome des origines à la fin de la République, Paris, 1958, p. 21-210. 45 A. Degrassi, op. laud., p. 364 et 442-443. 46 Sur le flamen Cerialis, cf. H. Le Bonniec, op. laud., p. 68-71 et 112-114. L'existence d'un prêtre de ce nom est pratiquement attestée, à époque impériale il est vrai, par une inscription de Mevani (CIL XI, 5028 = ILS 1447). Il va de soi qu'il se confond avec le flamen sacrum Cereale faciens Telluri et Cereri dont Fabius Pictor nous a gardé le souvenir (Serv., Georg., 1, 21). Sur ce texte cf. J. Bayet, Les «Feriae sementiuae» et les indigitations dans le culte de Cérès et de Tellus, dans RHR, 137, 1950, p. 172-206 = Croyances et rites dans la Rome antique, Paris, 1971, p. 177-205. 47 Paul. Fest., p. 137 L, s.u. Maiores flamines, Maiores flammes appellabantur patricii generis, minores plebei. 48 Tac, Ann, 2, 49, 1.
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de se réserver le monopole des flamonia majeurs qui, dans la cité archaïque, avaient servi à sa définition ne valaient pas pour les cultes moins prestigieux dont les autres flamines avaient la charge. La tradition relative à la vocation solaire des Aurelii dont Verrius Flaccus nous a gardé le souvenir nous reporte donc à l'époque des initia,. et non à la période où cette gens s'intégra dans la nobilitas naissante. Dix siècles plus tard, l'empereur Aurélien que son nom « apparentait » à cette famille sabine devait renouer avec la tradition de ses lointains « ancêt res» en proclamant l'omnipotence et la majesté de Sol Inuictus 49.
49 Cf. sur ce point G. H. Halsberghe, op. laud., p. 130-162. Sur les Potitii on consultera encore A. Alföldi, Die Struktur des voretruskischen Römerstaates, Heidelberg, 1974, p. 148-150, qui, développant une hypothèse qu'il avait déjà formulée dans Zur Struktur des Römerstaates im 5. Jahrhundert v. Chr. (Les origines de la République Romaine, Entretiens..., 13, p. 225-278), p. 248-249, reconnaît en eux, mais sans invoquer d'argument décisif à l'appui de cette identi fication, les Valerli Potitii; sur les Vinarii, id., Oie Struktur..., ibid.; E. Gabba, Considerazioni sulla tradizione letteraria sulle origini della Repubblica (Les origines de la République..., p. 135-169), p. 159-160.
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LES OISEAUX D'UGENTO * τοΰ μεν πετάλοισιν έπ' άκροτάτοις ίζάνοισι ποικίλαι πανέλοπες καίολόδειροι λασιπορφυρίδες και αλκυόνες τανυσίπτεροι. Ibycos (fr. 9) Les découvertes récentes, en Italie méridionale, font connaître un grand nombre de tombes peintes, datées des Ve et IVe s. av. J.-C. Moins célèbre que la tombe du Plongeur de Paestum, le tombeau découvert en 1970, à Ugento, important centre messapien du Salento \ permet d'évoquer, à partir d'éléments nouveaux, des questions qui touchent autant à l'évolution de la peinture en Grande Grèce qu'aux réactions des peuples non-helléniques devant la présence et la pénétration des Grecs et de leur culture. Les remarques présentées ici ont pour seule fin de définir quelques hypothèses de travail sans prétendre dépasser le stade des interrogations. * Je voudrais remercier tout particulièrement M. F. G. Lo Porto, Surintendant aux Anti quités de la Pouille, d'avoir bien voulu m'autoriser à publier les dessins de la tombe d'Ugento et d'avoir ainsi permis cette étude, et également M. M. Napoli, Surintendant aux Antiquités de Salerne, de m'avoir fait parvenir la photographie de la tombe 21 de Paestum. Ce travail doit, en outre, beaucoup aux remarques amicales et critiques de F. d'Andria et C. Pagliara. 1 Sur Ugento cf. G. Susini, Fonti per la storia greca e romana del Salento, Bologne, 1962, p. 77 sqq.; Ν. Degrassi, EEA, Suppl. 1970, p. 880-81 avec bibliographie ad loc. La découverte essentielle de ces dernières années est celle du Poseidon de bronze, en 1963. La statue, datée de la fin du 6e s. av. J.-C, est considérée, par les uns, comme une œuvre importée de Grèce (W. Hermann, Arch. Anz, 1966, p. 293-296; F. G. Lo Porto, Tomba Messapica di Ugento, dans ASMG, U-12, 1970-71, note 251, p. 150) et par les autres, comme un produit tarentin (N. Degrassi, Atti Taranto III, 1963, p. 164, Boll. d'Arte XLIX, 1964, p. 392, P.P. 1965, p. 93; A. Stazio, Atti Taranto IV, 1964, p. 168 sqq.). Nous soutiendrions volontiers cette deuxième solution et nous pensons que les quelques remarques présentées ici renforcent l'idée d'une influence précoce de Tarente sur l'arrière-pays messapien. Les combats qui opposent les colons grecs et les Messapiens, au début du deuxième quart du Ve s. av. J.-C, n'impliquent pas une absence de contact entre les deux cultures, bien au contraire. De même, les modifications de l'organisation politique des Messapiens qui semblent se produire plus tôt dans cette partie de la Pouille qu'en Daunie ou Peucétie, ont pu être favorisées par des contacts plus profonds avec Tarente, cf. E. Lepore, Atti Taranto I, 1961, p. 268. (Les actes des Congrès de Tarente, consacrés à la Grande Grèce sont abrégés en «Atti Taranto» suivi du numéro du Congrès et de sa date).
AGNÈS ROUVERET
928 I - Description
La tombe et son matériel font l'objet d'une publication détaillée de F. G. Lo Porto, Surintendant aux Antiquités de la Pouille, parue dans les Atti e Memorie della Società Magna Grecia de 1970-71 2. Nous rappelons brièvement les traits principaux qui la caractérisent. 1.1 - II s'agit d'un tombeau de proportions monumentales, construit en blocs de calcaire ajustés avec soin. Il se compose de trois parties. Le socle3, formé de sept blocs juxtaposés dans le sens de la longueur, mesure 3,90 m de long, 2,18 m de large et 0,32 m de haut; il est entaillé sur une profondeur de 10 cm, une largeur de 0,97 m et une longueur de 2,75 m; l'espace ainsi dégagé servait à encastrer le lit funéraire (on a retrouvé, dans la tombe, des clous provenant de la klinè). Les plaques qui forment les parois latérales* sont au nombre de six, elles reposent sur le socle et présentent aux surfaces en contact des marques d'anathyrose. Elles sont recouvertes, à l'intérieur, d'une couche d'enduit (épaisseur 2 mm) et portent un décor peint. La tombe mesure, à l'intérieur, 2,95 m de long, 1,10 m de large et 0,80 m de haut. Le toit5, à double pente, est formé de deux blocs qui s'emboîtent l'un dans l'autre; ils étaient mis en place à l'aide de leviers: on peut lire leurs points d'appui sur la tranche des blocs latéraux en même temps que les rainures qui servaient à caler les blocs de couverture une fois posés. Recouvert d'enduit à l'intérieur, le toit avait également reçu une décoration peinte, malheureusement très endommagée, que l'on présentera dans cette étude. 1.2 - La tombe servit à deux dépositions au moins. Mais les circonstan ces de la découverte ont empêché que l'on pût repérer la disposition des objets à l'intérieur de la tombe, ainsi que celle des fragments de squelette. II est donc nécessaire de pratiquer tout un jeu de reconstitutions a posteriori, avec toutes les incertitudes qui en résultent. D'après l'analyse des os et les regroupements du matériel, F. G. Lo Porto place la première déposition au plus tard dans les années 490 av. J.-C. (sépulture d'un homme de trente ans environ), et la seconde au début du IVe s. av. J.-C. (adolescent de quinze ans environ) 6.
Cf. note précédente. Lo Porto, art. cit., p. 100-102; fig. 3-4. Lo Porto, art. cit., p. 102-103; 105-107, fig. 4-6-7. Ibid., p. 103-104, fig. 5. Ibid., p. 107 et p. 148-149.
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1.3 - Puisque la décoration peinte date de la construction de la tombe, nous nous contenterons d'énumérer les offrandes qui, d'après les analyses de F. G. Lo Porto, accompagnaient le premier mort. On relève, tout d'abord, un nombre important de vases de bronze. Certains sont bien antérieurs au début du Ve s. av. J.-C. (œnochoè de type rhodien (600-590); hydrie, pro bablement corinthienne (vers 560) 7), faut-il les considérer comme des produits précieux conservés dans le groupe familial avant de servir comme offrande funéraire? A ces vases anciens s'ajoutent un bassin et son trépied (fin du VIe s.) 8, une œnochoè du début du Ve s. 9, une olpè (fin du VIe s.) 10, deux strigiles n. La céramique se partage entre les vases grecs de production locale (coupes à vernis noir, hydrie, lécythe) 12 et les vases de type indigène (troz zelle et calathos) 13. La tombe contenait, enfin, un alabastre 14. Le matériel et le mode de construction du monument invitent à mettre, dès à présent, en relief les éléments suivants:
7 Ibid., n° 1 et 2 p. 108 sqq., pi. XLV, fig. 8; XLVI. 8 Ibid., n° 4; pi. XLVIII, fig. 10-11. 9 Ibid., n° 3, pi. XLVIII, fig. 9. 10 Ibid., n° 8 pi. LI Α-C, fig. 13. 11 Ibid., n° 12-13, pi. LXIII c et d. 12 Ibid., n° 31-32-42-43; pi. LXc; LXIIc; LXIId, l'argile de ces deux derniers vases est décrite comme jaune-verdâtre. Lors de fouilles effectuées en juillet 1975, à Torre San Giovanni, site du port d'Ugento, on a pu constater que les vases de production locale (du 4e s. av. J.-C, pour les plus anciens) se caractérisaient par une argile de même couleur (fouilles effectuées par la Scuola Normale di Pisa, l'Université de Lecce et l'Ecole Française de Rome). 13 N° 16 et 17, pi. LUI et LXII; D. G. Yntema, Messapian Painted Pottery, Analyses and Classification, dans Bulletin Antieke Beschaving, XLIX, 1974, p. 3-84, place les deux vases dans la seconde déposition (p. 58 et 37) mais ne justifie pas sa position. Le manque de connaissance sur l'évolution des vases messapiens invite à la plus grande prudence et les analyses de motifs et de formes présentées par l'auteur nous paraissent prématurées. Les seuls indices chronolo giques sûrs ne peuvent venir que des associations avec le matériel grec cf. L. Forti, Questioni di ceramica messapica, Archivio storico pugliese, XXV, 1972, p. 3 à 27. Les analyses de L. Forti montrent, entre autre, la persistance de formes et de décors que l'on considérerait comme « archaïques », jusqu'au IVe s. av. J.-C. Pour la trozzelle d'Ugento, il est impossible, en l'absence de profil, à la vue d'une simple photographie, de tirer une conclusion définitive. Il nous semble cependant que la courbure de la panse et le rétrécissement du col indiquent un état de la forme postérieur aux exemples de trozzelles que les associations de matériel grec placent à la fin du 6e s. (L. Forti, art. cit., fig. 9 et 10). Peut-être serait-il nécessaire d'abaisser la datation proposée par M. Lo Porto et de placer la trozzelle et le calathos dans la deuxième déposition. (Pour le calathos cf les parallèles (du Ve s. av. J.-C.) dans D. Adamesteanu, Popoli anellenici in Basilicata, 1971, pi. IV et LV). 14 N° 46, pi. LXIII.
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1) l'architecture de la tombe est grecque et trouve des parallèles étroits dans les tombes d'athlètes tarentins du Ve s. av. J.-C. publiées par F. G. Lo Porto en 1967 15. L'exemple le plus frappant est la tombe C (p. 69 sqq., fig. 3 à 6 et pi. 31 et 32) qui contenait un sarcophage peint actuellement exposé au Musée de Tarente. On peut présenter, pour la fin du VIe s. av. J.-C, un exemple analogue d'adoption d'un monument édifié dans une colonie grecque par un chef indigène de l'arrière-pays: la tombe princière de Sala Consilina découverte en 1896 reprend l'architecture de l'heroon de Poseidonia mis à jour par P. C. Sestieri en 1954 16. 2) l'importance du monument, la richesse des vases en bronze et leur chronologie ne peuvent manquer d'évoquer les tombes princières dé couvertes en territoir non-grec. A côté des exemples fameux de Vix ou de Trebenichte, il paraît plus pertinent pour notre propos de rappeler les tombes de Sala Consilina, Padula 17, Melfi 18, Armento 19, en pays lucanien et celles de Noicattaro, Rutigliano, Castiglione di Conversano en Apulie (Peucétie) 20. 3) Un trait tout à fait remarquable distingue la tombe d'Ugento. Il n'est pas rare que des armures de fabrication grecque accompagnent les riches dépositions que nous venons de mentionner21. Dans la tombe messapienne, ce sont des objets évoquant le monde de la palestre (strigiles et alabastre) qui ont été déposés à côté du mort. Ce trait est d'autant plus important qu'à la même époque, dans Tarente, les athlètes des familles aristo cratiques étaient ensevelis avec de singuliers honneurs (tombes à chambre regroupant, semble-t-il, plusieurs membres d'une même famille, et disposées à proximité des zones sacrées ou le long des artères principales, matériel
15 Tombe di Atleti Tarentinì, ASMG Vili, 1967, p. 31 à 98. 16 J. de La Genière, Recherches sur l'âge du fer en Italie méridionale, Sala Consilina, Naples, 1968, p. 199 sqq. 17 Ibid., p. 210 sqq. 18 D. Adamesteanu, ASMG, 1966, p. 199-208, Candelabro di bronzo di Melfi; Popoli Anellenici in Basilicata, 1971, pi. 38 à 40; La Basilicata antica, storia e monumenti, éd. Di Mauro, 1974. 19 D. Adamesteanu, ASMG, 1970-71, p. 83-92, Una tomba arcaica dì Armento. 20 F. G. Lo Porto, op. cit., p. 150, notes 249 à 251; Ν. Degrassi, Atti Tarante I, 1961, p. 232; Id., La civiltà apula nel quadro delle più recenti scoperte, dans Atti VII congr. internaz. Arch. Classica, 1958, Roma, 1961, II, p. 99 à 108. 21 Ex: Armento, art. cit., p. 88 (liste des autres casques grecs retrouvés en Basilicate); Melfi; Castiglione di Conversano. On ne peut manquer d'évoquer, également, la statue de bronze découverte à Grumento (E. Langlotz, M. Hirmer, l'Arte della Magna Grecia, 2e éd., Roma, 1968, p. 266-67, pi. 36) représentant un cavalier lourdement armé.
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somptueux.) 22. En tête de son étude, F. G. Lo Porto rappelle l'importance des jeux athlétiques en Grande Grèce (participation et victoires nombreuses dans les grands jeux panhelléniques mais aussi développement de jeux locaux) 23. Le personnage enterré à Ugento est-il lié, en quelque manière, à cette valorisation du sport qui s'exprime, à la même époque, dans les milieux aristocratiques grecs? Il est tout à fait hasardeux de déduire des offrandes accompagnant le mort des renseignements sur son sexe ou ses activités et l'on rappellera, à cet égard, les salutaires remarques de Ph. Bruneau24. Mais, comme on le verra, les peintures font également allusion aux accessoires de la palestre. Il se peut donc que la présence de ces objets dans la tombe messapienne, fournisse un indice précieux et rare de la pénétration de l'hellénisme en milieu indigène. On pourrait saisir, en effet, non seulement la diffusion de produits précieux comme les vases de bronze, (objets de prestige qui ne renseignent pas sur la pénétration effective de la culture grecque) 25, et l'imitation de formes grecques (à côté de la fabrication de vases indigènes, ce qui donne, déjà, des éléments d'appréciation des processus d'hellénisation) mais l'adoption d'un trait culturel, qui, de plus, occupe un place essentielle dans la mentalité des Grecs de l'époque26. L'appartenance du défunt à une aristocratie locale pourrait faciliter le passage et, en même temps, en limiter l'extension 27.
22 F. G. Lo Porto, art. cit.; cf. Strabon, VI 3 1 (278c), sur Tarente: «έχει δε γυμνάσιόν τε κάλλιστον». 23 A Tarente même, jeux en l'honneur d'Apollon Hyakinthos, cf. G. Giannelli, Culti e Miti della Magna Grecia, 2e éd. 1963, p. 34. Sur les prix, cf. lebes d'Onomastos de Cumes, J. Heurgon, Recherches sur l'histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine, Paris, 1942, p. 402, 430. 24 Ph. Bruneau, Tombes d'Argos, dans BCH, t. 94, 1970, p. 437 sqq., sur les offrandes, p. 523 sqq. 25 Cf. parallèles ethnologiques fournis par A. Dupront, De l'acculturation, XIIe Congrès International des Sciences historiques, Vienne, 1965, p. 35 notes 20 et 21. 26 La pratique du sport, la nudité corporelle qui en résulte constituent un trait d'opposi tion entre les Grecs et les Barbares (au moins pour l'Asie Mineure) ex: Xénophon Hell. Ill, 4-19. 27 Cf. E. Lepore, Atti Tarante I, 1961, p. 267. A Lanuvium, une tombe du début du Ve s. av. J.-C, découverte en 1934, associe, dans son matériel, des armes d'une richesse extrême et un disque de bronze où l'on voit incisés, d'un côté, un discobole et, de l'autre, un cavalier. On ne saurait mieux résumer les rapports de l'athlétisme avec l'idéologie des aristocraties locales influencées par l'hellénisme. La rencontre entre Ugento et Lanuvium illustre, en outre, tout comme les tombes étrusques contemporaines, l'existence d'une koinè culturelle, étendue du nord au sud de l'Italie. Le matériel de la tombe de Lanuvium et sa description ont été republiés dans Archeologia e Società, II, janv. févr. 1976, p. 45 à 50. Je remercie vivement C. Ampolo et F. Coarelli de m'avoir indiqué ce parallèle.
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2 - La décoration peinte Les peintures qui ornent les parois et le toit de la tombe s'organisent selon un système unitaire qui confirme l'existence d'un plan d'ensemble concernant aussi bien la construction que la décoration du monument. Les lignes incisées dans l'enduit permettent une mise en place régulière du décor. 2.1 - Sur les plaques latérales, à un socle décoré d'une suite de bandes rouge, blanche et bleue, s'ajoute, le long du bord supérieur, une série de bandelettes rouges dont les fils terminaux ondulent le long de la paroi28. La composition est rigoureusement symétrique: une bandelette sur chaque côté court et trois, sur les parois longues. On note que la décora tion peinte cherche à dissimuler l'interruption des blocs de construction, puisque, de chaque côté, une bandelette recouvre l'intersection des plaques (Fig. 1). 2.2 - Le long de la ligne inférieure des bandelettes, on relève la trace de clous, retrouvés soit à l'intérieur du tombeau, soit fixés aux anses des vases qu'ils portaient. L'absence de données sur la disposition des objets dans la tombe constitue, sur ce point précis, une perte irrémédiable, car il est essentiel pour notre propos de pouvoir dire si le jeu entre les bandelettes peintes et les objets réels suspendus à des clous date du plan décoratif initial du monument. D'après F. G. Lo Porto, une bonne partie du matériel de la seconde déposition aurait été accroché aux parois29. Cependant l'olpè de bronze de la fin du VIe s. av. J.-C. (photographiée pi. LI de l'art, cit.) porte à son anse le clou qui servait à la suspendre. Aurait-elle été réemployée lors de la deuxième déposition? Un autre indice vient du fait que les peintures du toit, qui datent de la construction de la tombe, représentent des objets suspendus. Enfin l'usage de mettre des objets aux parois des tombes est attesté au Ve s. av. J.-C. non seulement en Etrurie 30 mais à Tarente même 31. Quant à la peinture d'objets suspendus, elle apparaît fréquemment dans les tombeaux étrusques, depuis le VIe s. av. J.-C. 32; elle trouve son point d'aboutis-
28 Lo Porto, art. cit., pi. XLIIb; XLIII, a, b, c,; XLIV. 29 Ibid., p. 149. 30 Ibid., p. 107, note 5. 31 Lo Porto, Tombe di Atleti Tarentini, p. 86, fig. 8. 32 Ex: T. des Lionnes, M. Pallottino, La Peinture étrusque, Genève, 1952, p. 43 et 48, T. de la Chasse et de la Pêche, ibid., p. 49-50, T. Cardarelli, M. Moretti, Pittura etrusco in Tarquinia, Milan, 1974, fig. 41, 43, 44; T. du Frontoncino, fig. 50-51; t. du Baron, fig. 58...
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sèment dans la tombe du Chasseur de Tarquinia et son pavillon de chasse où le sens de l'illusion va beaucoup plus loin que le fait de suspendre gibier, couronnes et chapeaux puisqu'on y lit, en transparence, un paysage et une biche paissant33. Nous reconnaissons, cependant, qu'en posant, à titre d'hypothèse, que le jeu entre les objets réels suspendus et les peintures date de la première déposition, nous faisons de la tombe d'Ugento un précédent remarquable dans l'histoire du décor funéraire. En effet, si l'on trouve séparément, dès cette date, des objets réels ou peints le long des parois de tombes, le rapport illusioniste entre l'offrande réelle et la peinture n'était attesté jusqu'ici qu'au IVe s. av. J.-C. 34. 2.3 - Les peintures du toit sont en très mauvais état de conservation mais il a été possible de dégager certains éléments d'un plan d'ensemble. Pour plus de commodité, nous appellerons A la plaque qui couvrait la moitié est de la tombe et B, celle qui protégeait la moitié ouest35. D'après la disposition des jointures, on voit que le bloc A était posé en dernier36. La surface peinte de la plaque A est de 1,44 m de large sur 1,38 m de long. Sur les quatre extrémités, une bande rouge de 10 cm sur les côtés sud et nord et de 12 cm, sur les deux autres, sert de cadre à la décoration. On peut d'ailleurs lire sur la tranche des blocs latéraux de la tombe des traces de peinture rouge. Seule la moitié sud de la plaque portait des peintures, disposées le long de l'axe est-ouest de la tombe, en correspondance avec le plan de déposition du lit funéraire. En partant du côté sud de la plaque, on relève, après la bande rouge, sur une hauteur de 9 cm, des traces de peinture bleue qui sont, peut-être, le résidu d'une branche de feuilles (semblable à celle que l'on trouve sur
à Chiusi, T. du Singe: aryballe suspendu; F. Boitani, M. Cataldi, M. Pasquinucci, introd. M. Torelli, coord. F. Coarelli, Le Città etrusche, Milan, 1973, fig. 64. 33 M. Moretti, op. cit., fig. 52-54; A. Tonini, La tomba tarquiniese del Cacciatore, dans SE, 38, 1970, p. 45 sqq. 34 P. Moreno, II realismo nella pittura greca del IV sec, dans RIA XIII-XIV, 1964-65, p. 43, 56 avec bibl. ad loc. Une tombe de Cavallino, découverte en mars 1972, présente un jeu comparable entre des clous réels et une frise peinte représentant une branche de laurier ou d'olivier. Comme à Ugento, le tombeau fut utilisé deux fois, au début du Ve s. av. J.-C. et pendant le deuxième quart du IVe s. av. J.-C. Si les peintures datent de la première déposition, on dispose d'un deuxième exemple provenant de la même région. Cf. F. G. Lo Porto, Atti Taranto, XII, 1972, p. 370-371. 35 Cf. plan de F. G. Lo Porto, art. cit., fig. 5. 36 Ibid., p. 104 et fig. 6.
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la plaque B); puis, seul au centre d'une bande haute de 27 cm, un coq (Fig. 2). La tête et la queue de l'animal sont effacées; ce qui réduit de beaucoup les possibilités de comparaison. On note cependant la prédomi nancede la ligne qui définit les contours et les différentes parties de l'animal, la couleur, sous forme d'à-plats bleus et rouges s'ajoute au dessin. Pour la technique, le coq d'Ugento s'oppose ainsi aux oiseaux représentés sur plusieurs tombes de Paestum au IVe s. av. J.-C. 37 et qui sont créés par la juxtaposition des touches colorées. Les parallèles s'effectuent, au contraire, avec les coqs de la céramique attique ou chalcidienne de la fin du 6e s. av. J.-C.38, ceux des tablettes de Locres39 ou des monnaies d'Himère40. Notons, enfin, que le motif des coqs affrontés apparaît sur des trozzelles décorées de figures noires (brun foncé en l'occurence), en imitation de la céramique attique de la fin du 6e s. av. J.-C. 41. Particulièrement remarquable est l'exemplaire du musée de Lecce qui semble une adaptation locale de la geste d'Hercule: un personnage armé d'une massue affronte un oiseau (qui semble être un coq), un arbre les sépare; de l'autre côté, se trouvent deux autres coqs, dessinés dos à dos42 (Fig. 4). Les pattes du coq reposent sur une bandelette rouge semblable à celles des parois latérales, large comme elles de 7 cm, et distante de 13 cm des bandes d'encadrement. La plaque Β est plus longue, elle mesure 1,88 m. Après la bordure rouge, on lit les contours de deux objets suspendus, on peut supposer
37 Ex: t. 53, 58 (Andriuolo 1969, tombes exposées au Musée de Paestum) t. 2 (Gaudo, 1972) (réserves du Musée). 38 G. Vallet,, La représentation du coq dans la céramique du VIe s., dans La monetazione arcaica di Himera fino al 472 a.C, p. 53 sqq. Atti del II convegno del Centro Internazionale di studi numismatici, Napoli, 1969 supplì 15-16 degli «Annali», Roma 1971, pi. VII à XI. 39 H. Prückner, Die Lokrischen Tonreliefs, 1968, pi. 5, 6; 6, 1; 7, 3; 10, 3 et 5; 18, 2; 22, 1; 25, 5; 26, 4 et 3; 28, 3; 31, 1, 5, 7, 8; 32, 2; 34, 2. Les couleurs fondamentales des tablettes de Locres sont également le bleu et le rouge. 40 Cf. note 38, L. Breglia, II gallo di Himera, p. 37 sqq.; pi. I à VI. 41 D. Yntema, Some remarks on the Messapian brown-figured style, dans Mededelingen van het Nederlands Institut te Rome, 36, 1974, pi. 14-15 et fig. 3. 42 CVA fase. 4 Italie, fase. 1 Lecce, pi. 10, 5 et pi. 9, 5(IV f f). On rapprochera de cette figuration la scène de la « chasse au coq » représentée sur une coupe laconienne trouvée à Samos et attribuée au Peintre d'Arkesilas (c. 564 av. J.-C), cf. C. M. Stibbe, H cavaliere laconico, dans Mededelingen van het Nederlands Instituut te Rome, 36, p. 19 sqq., fig. 10.
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l'existence d'un troisième réduit à l'état de traits insignifiants. Peut-être étaient-ils accrochés à la partie inférieure de la bordure rouge, ce qui rappellerait la situation des parois latérales? En partant du côté est de la plaque (celui qui se soudait à l'autre moitié du toit), on lit, pour commencer, le contour d'une anse et le départ du corps d'un vase, peints en rouge (Fig. 3). L'angle aigu de l'anse et la présence d'une petite roue à son extrémité supérieure invitent à proposer, à titre d'hypothèse, qu'il puisse s'agir d'une trozzelle: d'après le dessin du col et les traces de la panse, on pourrait la rattacher au type archaïque (fin 6e) défini par L. Forti43. Se détache ensuite, un aryballe suspendu par ses lanières de cuir44 (Fig. 5). L'exemplaire d'Ugento trouve des parallèles extrêmement précis dans la céramique attique, on mentionnera, tout spécialement, le vase du peintre Peithinos (vers 500 av. J.-C.) pris comme exemple par C. H. E. Haspels (How the aryballos was suspended, BSA, 1927, p. 216 sqq., fig. 3; CVA Berlin2, pi. 60). La comparaison entre les deux tracés montre que le peintre d'Ugento connaissait parfaitement les usages et les conventions stylistiques de son temps. En correspondance avec la bandelette de la plaque A, s'étend une branche de feuillage bleu (hauteur 6 cm) sur laquelle, à 76 cm du bord ouest de la tombe, se profile un oiseau, peut-être une tourterelle, orienté dans la direction opposée de celle du coq, haut de 11 cm et long de 17 cm.45.
43 Art. cit., fig. 9 et 10. 44 Les deux aryballes découverts dans la tombe (Lo Porto, pi. LXIII) appartiennent par leur forme à la deuxième moitié du 5e s. av. J.-C, cf. J. D. Beazlev, Aryballos, dans BSA, 29, 1927-28, p. 187 (ex. de Tarente, CVA Oxford, 1, pi. XLVII, 9), R. M. Cook, Greek Painted Pottery, p. 233; The Athenian Agora, vol. 12, le partie, Black and Plain Pottery note 10 p. 152. On ne peut donc les mettre en rapport avec l'aryballe représenté sur le toit de la tombe. Pour la représent ation de l'aryballe cf. également la tombe du Singe de Chiusi (début du 5e s. av. J.-C.) (cf. note 32). 45 En l'absence de tout parallèle avec d'autres tombes messapiennes, il paraît difficile de proposer une interprétation des oiseaux placés sur le toit de la tombe. On rappellera, cependant, que des coqs apparaissent fréquemment dans la peinture funéraire (ex: en Etrurie, T. dei Fiorell ini (5e s. av. J.-C), M. Moretti, Nuovi monumenti della pittura etrusca, Milan 1966, p. 270; T. del Guerriero (4e s. av. J.-C), ibid., p. 240; T. 3697, ibid., p. 236; T. 3226, ibid., p. 212; à Paestum, T. du 4e s. av. J.-C. cf. note 37; à Karaburun, en Lycie, (début du 5e s. av. J.-C.) A] A, vol. 78, n° 4, oct. 1974, pi. 69). Le coq y est représenté soit comme ornement secondaire (seul ou affronté en position de combat) soit comme animal familier, parmi ceux qui se pressent sous les lits du banquet. La recherche d'une interprétation, peut s'orienter dans deux directions: - le coq serait l'emblème de la combattivité du personnage enterré (cf. sens des combats
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3 - Décoration et narration 3.1 - La tombe d'Ugento s'insère dans le cadre plus général de la peinture apulienne défini par F. Tinè Bertocchi: les peintures à caractère décoratif l'emportent de loin sur celles qui représentent des scènes figurées 46. Il peut s'agir de purs motifs ornementaux - ainsi, dans le sarcophage tarentin découvert Via Nitti47 - ou bien, comme ici, de bandelettes, de vases, de feuillages, d'oiseaux que l'on peut interpéter comme autant d'of frandes adressées au mort. On notera, en particulier, que, d'après l'auteur, la bandelette funéraire est un motif décoratif typique des tombes du Salento (IV-IIP s. av. J.-C); dans tous les exemples cités, la bandelette orne la couverture de la tombe48. 3.2 - Cette prédominance de l'élément décoratif dans les peintures situées à l'intérieur de tombes pourrait définir une aire de diffusion des influences tarentines en l'opposant à la situation contemporaine d'Etrurie ou de Paestum. On voit, en effet, grâce à la tombe du Plongeur49, posté rieure de 10 ou 20 ans au plus à la tombe d'Ugento, l'existence d'un autre système à composante narrative, mettant en scène des personnages et lié aux tendances qui s'affirment à la même époque dans la peinture
de coqs, soit dans les textes, soit dans la céramique cf. Ph. Bruneau, Le motif des coqs affrontés dans l'imagerie attique, dans BCH, 89, 1965, p. 90-121; H. Hoffmann, Hahnenkampf in Athen. Zur Ikonologie einer attischen Bildformel, dans RA, 1974, 2, p. 195 à 220): ce «fighting spirit» (J. D. Beazley, The development of Attic Black-figure, 1951, p. 91) s'exprime aussi bien dans la guerre (ex CVA Tarante fase. II Italia fase. XVIII, III he pi. 1-3) que dans le sport (coq des amphores panathénaïques); - par ailleurs, le coq est souvent offert aux divinités chthoniennes, et le monde laconien apparaît particulièrement attaché à ces cultes. (Sparte mais aussi Tarente, cf. G. Pugliese Carratelli, Atti Tarante X, 1970, p. 133 sqq. avec bibl. ad loc). On citera, entre autres exemples, le relief de Chrysapha (c. 540 av. J.-C), cf. J. Charbonneaux, R. Martin, F. Villard, Grèce Archaïque, Paris, 1968, fig. 183, p. 149 et les tablettes de Locres (c. 470 av. J.-C.) (dont les rapports avec Sparte, à l'époque archaïque, sont bien connus); cf. également C. M. Stibbe, // cavaliere laconico, art. cit. C'est pourquoi, nous privilégierions volontiers cette deuxième possibilité d'interprétation. Un fait certain est l'adoption des coqs par les décorateurs des troz zelles de la même époque. Or les trozzelles décorées de figures (personnages et animaux) sont suffisamment peu nombreuses par rapport à la production d'ensemble, pour que la présence des coqs prenne un relief tout particulier. On rappellera, enfin, en plus de la tombe de Karaburun, la frise de coqs et de poules de l'Acropole de Xanthos (c. 470 av. J.-C.) qui atteste une adoption du motif, à peu près contemporaine, dans le monde lycien cf. H. Metzger, Fouilles de Xanthos, II, l'Acropole lycienne Paris, 1963, p. 73 à 75, pi. XLVIII et L, 1. 46 F. Tinè Bertocchi, La Pittura funeraria apula, Naples, 1964, p. 138 sqq. 47 Ibid., n° 54 du catalogue, pi. Ill a-b et p. 113. 48 Ibid., p. 139 et chap. 6. 49 M. Napoli, La tomba del Tuffatore, Bari, 1970.
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étrusque. Une tombe à chambre découverte à Capoue au siècle dernier, datée du début du Ve s. av. J.-C. mais également la tombe de Ruvo (IVe s. av. J.-C.) s'insèrent dans le même courant50. Par contre, on retrouve en Sicile (Gela, Syracuse) l'usage d'orner de motifs décoratifs l'intérieur des tombeaux51. 3.3 - II pourrait paraître paradoxal qu'une tombe découverte en terri toire messapien se révèle plus proche de pratiques attestées dans les cités grecques que la tombe du Plongeur de Posidonia. Ce fait nous paraît définir, bien au contraire, les possibilités de mûrissement des cultures sur le sol de la Grande Grèce. S'il est vrai, en effet, que le principe de décorer de scènes peintes l'intérieur d'un tombeau apparaît étranger à la Grèce et se manifeste dans les aristocraties des peuples périphériques à l'est comme à l'ouest52, le langage utilisé et le contenu des peintures (en particulier les liens qui s'établissent entre le Symposion et le système de la polis) 53 rattachent pleine mentla tombe du Plongeur à l'hellénisme. Si l'on admet que, pour la tombe d'Ugento, l'aryballe peint, les deux strigiles et l'alabastre autorisent à supposer un lien avec le trait fondamental de la « paideia » grecque qu'est la fréquentation de la palestre, si l'on se fonde sur ce rapport possible pour évoquer les honneurs exceptionnels accordés aux athlètes tarentins aux VIe et Ve s. av. J.-C, on pourra même poser, par le biais de cette comp araison, un rapport entre la tombe messapienne et la tombe du Plongeur.
50 F. Weege, Oskische Grabmalerei, dans JDAI, t. 24, 1909, p. 99 à 162, t. n° 15 et fig. 4-5; J. Heurgon, op. cit., p. 422; pour Ruvo F. Tinè Bertocchi, op. cit., p. 34 sqq. 51 Cf. classification et étude des sarcophages dans M. Vaulina, A. Wasowicz, Bois grecs et romains de l'Ermitage, Wroclaw, Warzawa, Krakov, Gdansk, 1974, p. 36, notes 27-28. 32 En Etrurie et en Lycie (cf. les découvertes récentes de Kizilbel et Karaburun, A] A 1971, p. 245; 1972, p. 263 à 268; 1973, p. 297 sqq.; 1974, p. 253 et p. 351; EAA supplì 1970, p. 399 (article de M. J. Mellink); Cl. Rolley, La Peinture Grecque, dans Archeologia, décembre 1975, p. 16 sqq., fig. 19 à 23). 53 Le banquet des tombes étrusques ou lyciennes prend une tout autre valeur et adapte les formes grecques aux particularités de la société et des rites qu'il dépeint cf. A. Rouveret, La tombe du Plongeur et les fresques étrusques; témoignages sur la peinture grecque, dans RA, 1974, 1 p. 15 à 32; La peinture dans l'art funéraire: la tombe du Plongeur à Paestum (à paraître dans les Publications du centre de Recherches d'Histoire et de Philologie de la IVe section de 1Έ.Ρ.Η.Ε.) avec bibl. ad loc. On constate, par exemple, que les scènes de banquet disparaissent totalement des peintures lucaniennes du IVe s. av. J.-C. (alors qu'elles se maintien nent en Etrurie); ceci nous paraît un indice précieux des changements qui se sont opérés dans l'organisation politique de Paestum après la venue des Lucaniens.
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II nous semble, en effet, que la composante athlétique n'est pas absente du tombeau paestan. Certes, le plongeon, lié au bain, est avant tout, une activité de détente, mais sa position privilégiée sur le couvercle de la tombe, le rôle important pris par le plongeon dans les mythes grecs 54 nous conduisent à poser que la scène, en mettant en relief la valeur physique du défunt, définit métaphoriquement sa valeur tout court, selon un procédé typique des odes pindariques et en accord avec le système des valeurs aristocratiques. Chacune à leur manière et dans des contextes différents, les deux tombes témoigneraient donc de la force de ces valeurs en Grande Grèce, au début du Ve s. av. J.-C.
4 - Le courant apulien dans la peinture de Grande Grèce Par sa date précoce, la tombe d'Ugento illustre, enfin, une étape essentielle dans l'histoire de la peinture apulienne. Les tombes lucaniennes découvertes depuis 1969 à Paestum nous paraissent confirmer indirectement cette remarque55. 4.1 - La plupart des tombes dégagées se situent dans la seconde moitié du IVe s. av. J.-C, seules les tombes 21 et 23 56 sont datées, par leur matériel de 360 av. J.-C. environ. Ces tombes se distinguent de l'ensemble par plusieurs traits. Outre les particularités des objets qu'elles renfermaient57, on relèvera, du point de vue de la technique picturale, l'existence d'un
54 Cf. art. cit., note précédente, le point le plus important est le lien du plongeon avec les rites de passage, cf. R. Ginouvès, BAAANEUTIKH, Recherches sur le bain dans l'Antiquité grecque, Paris, 1962, p. 124-125; L. Gernet, La notion mythique de la valeur en Grèce repris dans Anthropologie de la Grèce antique, Paris, 1968, p. 93 sqq.; M. Détienne, Le «Vieux de la mer» dans Les Maîtres de Vérité dans la Grèce archaïque, Paris, 1973, p. 29 à 50; P. Vidal-Naquet, Faire de l'Histoire, III, Paris, 1974, Les jeunes, le cru, l'enfant grec et le cuit, p. 137 sqq. 55 M. Napoli, Atti Tarante IX 1969, p. 181 à 185; id., Paestum, Novara, 1970 pi. 9-10 et 94 à 104; id., La tomba del Tuffatore, Bari, 1970, p. 54 et 211 (bibliographie), p. 56 (carte des nécropoles); R. Bianchi-Bandinelli-A. Giuliano, Les Etrusques et l'Italie avant Rome, Paris, 1973, p. 234 à 241, fig. 267 à 275; P. Orlandini, Atti Tarante XI 1971, p. 273 sqq. et pi. 80 à 85. 56 Les tombes ne sont pas conservées dans leur intégralité, on possède une plaque de la tombe 21 (Musée de Paestum) et deux de la tombe 23 (réserves du Musée). 57 Nous renvoyons a la publication du matériel des tombes établie par Mmt' A. Greco que nous remercions des précieux renseignements donnés sur les deux tombes. Ils ont pro fondément orienté la présente recherche.
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dessin préparatoire, incisé dans l'enduit, qui définit des espaces réguliers, cette pratique est extrêmement rare dans les tombes suivantes. D'autre part, le décor ne met pas en scène de personnages. Une série de bandes, alternées régulièrement, réservent, au centre, un espace plus vaste destiné à recevoir la décoration principale: dans la tombe 21, cette dernière consiste en un arbre où une chouette semble attirer à elle trois oiseaux noirs58 (Fig. 6); dans la tombe 23, on voit, sur une plaque, une bandelette surmontée d'une coupe suspendue à un clou; de l'autre, une branche de rosier encadrée par une coupe et une œnochoè. Le motif des objets suspendus est repris sur une plaque de la tombe 30, datée de la fin du IVe s. av. J.-C. et sur la tombe n° 38 du catalogue de F. Weege59 (Fig. 7), tombe pour laquelle nous n'avons pas d'indication chronologique. On retrouve donc, sur ces tombeaux, les éléments du décor d'Ugento mais sans le jeu entre les objets réels et la peinture, l'ensemble est peint. 4.2 - II est intéressant de constater, en comparant les premières tombes peintes de Paestum avec l'ensemble des monuments dégagés, que l'on retrouve, à l'intérieur d'une même série, l'opposition entre peinture décorative et peinture figurée, établie, au début du Ve s. av. J.-C, pour la tombe du Plongeur et le monument d'Ugento. De fait, il est possible de définir tout ce qu'un groupe de tombes lucaniennes doit au monde étrusco-campanien contemporain 60.
58 Cf. texte curieux d'Aristote, Histoire des animaux, IX, 1 (609 a) où sont énumérés les ennemis de la chouette (la corneille, P« oiseau danseur») puis: «της δ'ήμερας καί τα άλλα όρνίοια την γλαυκά περιπέταται, ö καλείται οαυμάζειν καί προσπετόμενα τίλλουσιν · διό οι όρνιθουήραι δηρεΰουσιν αύτη παντοδαπα όρνίοια», cf. M. Détienne, J. P. Vernant, Les ruses de l'intelligence, la métis des Grecs, Paris, 1974, p. 174. Si l'on accepte cette interprétation, on voit que le thème de la capture des oiseaux par la chouette trouve des échos dans d'autres scènes r eprésentées sur les tombes de Paestum: lièvre poursuivi par un chien, (cf. t. 32; t. 1 (1971); (réserves du Musée), même carton dans une tombe publiée par A. Marzullo, Tombe dipinte scoperte nel territorio pestano, 1935, pi. D.); et chasse au Cerf (t. 18, 54, 90 (réserves du Musée, M. Napoli, Paestum, op. cit., n° 101, p. 62)). G. P. Woimant en m'indiquant que la chouette était utilisée comme appeau par les Anciens, m'a permis de développer cette interpré tation.La chouette apparaît comme appeau sur une mosaïque romaine d'Oderzo (début du IIIe s. ap. J.-C.) cf. G. Becatti, Alcune caratteristiche del mosaico policromo in Italia, dans La mosaïque gréco-romaine II, (Vienne 1971), éd. Paris 1975, p. 187 et note 61, pi. D, 1. 59 T. 30, réserves du Musée, inv. n° 21 411 à 414. T. 38, Weege, op. cit., p. 120, fig. 10-11. 60 Sur les tombes campaniennes outre Weege, op. cit., cf. J. Heurgon, op. cit., p. 422 sqq., W. Johannowsky, Atti Tarante XI 1971, p. 375 sqq. Pour un essai de classification des nouvelles tombes lucaniennes cf. A. Rouveret, L'organisation spatiale des tombes de Paestum, dans MEFRA, 1975-2, p. 595 à 652.
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4.3 - Un faisceau d'indices nous invite à proposer une origine tarentine aux motifs des tombes 21 et 23. 1) Dans le domaine général de la production artisanale, on doit signal er,tout d'abord, que les fouilles récentes ont fait connaître les vases d'un nouvel artiste paestan, le Peintre d'Aphrodite61. Cet artisan nous intéresse par les rapports qu'il entretient d'un côté avec Python, l'un des fondateurs des ateliers de céramique de Paestum, de l'autre, avec le peintre de Lycurgue, un des grands maîtres de la céramique apulienne de la première moitié du IVe s. av. J.-C. Puisqu'il paraît assez clair que l'essor de la peinture des tombes à Paestum doit s'expliquer, au moins partiellement, par le dévelop pement des fabriques de vases 62, il est essentiel de constater que ces artisans ont, à une date haute, des rapports artistiques avec l'Apulie63. 2) Si l'on considère les peintures proprement dites, on évoquera, en premier lieu, le précédent que constituent les peintures d'Ugento. On peut ajouter, à cet égard, que la tombe messapienne offre un argument important en faveur de la thèse soutenue par F. Tinè Bertocchi à propos de la peinture hellénistique tarentine. L'auteur propose en effet de tenir compte, en plus de l'influence alexandrine, d'une composante locale qui expliquerait la « guirlandomanie » des tombes hellénistiques. Elle appuie sa thèse sur les exemples que fournissent les vases apuliens à figure rouge de la seconde moitié du IVe s. av. J.-C. ainsi que la céramique de Gnathia mais elle ajoute: « purtroppo non abbiamo finora tombe con festoni dipinti sicuramente databili all'inizio del III sec. o prima, che ci comprovino una anteriorità tarentina del motivo del festone dipinto sull'arte di Alessandria, consentendoci al riguardo una parola definitiva » 64. A notre avis, la tombe d'Ugento et les peintures paestanes (si l'on accepte l'hypothèse de l'influence tarentine) offrent, avec leurs bandelettes, des antécédents dans le domaine de la peinture funéraire; on saisit même une évolution depuis la bandelette épaisse et droite, de couleur uniforme, jusqu'à la bandelette ondulée du IVe s. av. J.-C. qui va en s'affinant et présente, dans certains cas, des effets de trompe-l'œil. 3) On peut citer, d'autre part, en plus du témoignage de la cérami que apulienne que l'on vient d'évoquer, certains décors des tombes hellénisti-
61 E. Greco, // Pittore di Afrodite, Benévent, 1970. 62 R. Bianchi-Bandinelli, A Giuliano, op. cit., p. 234. 63 Sur les rapports politiques et culturels entre Tarente et le monde samnite dans la première moitié du IVe s. av. J.-C. cf. G. Pugliese-Carratelli, Atti Tarante XI 1971, p. 41-42. 64 Op. cit., p. 142.
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ques tarentines, en particulier la tombe 16 du catalogue de F. Tinè Bertocchi, avec sa tonnelle de vigne, ses fleurs, ses oiseaux65. On pourrait fort bien considérer les peintures de Paestum comme des antécédents de ces thèmes qui trouvent leurs prolongements dans les natures mortes et les jardins des fresques romaines66. 4) A Paestum même, on remarque combien la technique picturale des tombes 21 et 23 les distingue de l'ensemble: variété et originalité des tons, juxtaposition des touches colorées qui créent le relief, disparition de la ligne de contour, tout évoque une culture artistique beaucoup plus riche que celle des « coloriages » des peintures successives. On pense à l'anecdote rapportée par Pline l'Ancien au sujet du peintre Pausias (c. 380-330 av. J.-C.) qui rivalisait avec son amie Glycère, la marchande de fleurs, pour réaliser des couronnes plus belles que nature, « amauit in iuuenta Glyceram municipem suam, inuentricem coronarum, certandoque imitatione eius ad numerosissimam florum uarietatem perduxit artem illam 67
Des oiseaux d'Ugento à ceux de Paestum, nous sommes passés des con ventions du dessin archaïque grec à l'affirmation d'une peinture fondée sur la couleur et la recherche du réalisme. Grâce à la chronologie des tombes messapienne et lucaniennes qui est établie à partir de leur matériel et non sur des critères stylistiques, on peut constater que l'artisanat (et de plus, en pays indigène) reflète très rapidement les changements que l'on peut reconstituer, parallèlement, en lisant les textes consacrés à la grande peinture grecque.
65 Ibid., p. 62 sqq. On dispose également d'un exemple étrusque de la première moitié du IVe s; av. J.-C. avec la tombe du Gorgoneion de Tarquinia, Moretti (1966) op. cit., p. 216 sqq. Ces parallèles nous invitent à proposer de remonter au IIP s. av. J.-C. la datation de la t. 16 de Tarente. 66 Cf. K. Schefold, La peinture pompéienne, essai sur l'évolution de sa signification, éd. revue et commentée, trad, de J. M. Croisille, coll. Latomus n° 108, Bruxelles, 1972, p. 109 sqq. 67 Pline l'Ancien, H.N. XXXV, 125 ainsi que XXI, 4.
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Fig. 1 - Décoration intérieure de la tombe d'Ugento. (D'après F. G. Lo Porto, ASMG, 1970-71, pi. XLIV
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Fig. 2 - Coq. (Dessin de R. Guardi d'après les relevés de l'auteur).
3 - Trozzelle (?). (Dessin de R. Guardi d'après les relevés de l'auteur).
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(Photo du Musée de Lecce) Fig. 4 - Trozzelle: Hercule (?)
et les coqs.
Fig. 5 - Aryballe et oiseau. (Dessin de R. Guardi d'après les relevés de l'auteur).
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(Photo de la Surintendance aux Antiquités de Salerne) Fig. 6 - Paestum t. 21, plaque est.
Fig. 7 - Paestum t. 38. (D'après F. Weege, JDAI, fig. 10 et 11).
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LES «LARES GRVNDILES »
Si les Lares sont des divinités de vieille souche, qui apparaissent déjà dans la triple invocation du carmen archaïque des Frères Arvales - E nos, hases, iuuate - 1, si leur nature de « protecteurs de terroir » - qu'il s'agisse de Vager Romanus, du fundus familial ou des compita - paraît incontestable 2, l'expression Lares Grünaues (ou Grundules), elle, n'en reste pas moins mystérieuse. Tout en rappelant les textes qui l'attestent de façon sûre, Wissowa n'hésitait pas à déclarer que cette désignation est restée incompréhensible aux modernes comme aux anciens3. Wissowa n'avait fait allusion qu'à une seule tentative moderne d'inter prétation. Celle-ci avait été développée par G. J. Vossius4: elle consiste dans le rapprochement de l'adjectif Grundules avec le mot suggrunda (= auvent) et se fonde sur un texte tardif de l'Africain Fulgentius (Ve siècle), qui affirme
1 Cf. A. Degrassi, Ins. Latin, liberae reipublicae, I, p. 8, n. 4. 2 Cf. K. Latte, Rom. Religionsgeschichte, Munich, 1960, p. 94: « Entscheidend ist wohl, dass sie (= die Laren) die Schutzgeister des fundus bleiben, auch wenn des Geschlecht das dort wohnte, in die Stadt zieht». - Cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque2, Paris, 1974, p. 347: «Dans la religion publique ou privée, il y a un Lare ou des Lares (le pluriel est la règle, le singulier ne s'appliquant guère qu'au Lar familiaris) sur toute partie de terrain dont l'homme, ou un groupe d'hommes, ou la société dans son ensemble, fait un emploi durable, régulier, ou seulement important: les champs privés et Vager Romanus, les routes et les carrefours, les maisons et les quartiers, la ville, et aussi, quand on se bat, à en juger par la formule de la deuotio, le champ de bataille, et même, quand on navigue, la mer». 3 G. Wissowa, Ruk2, p. 174, n. 4: «Die bereits den Alten unverständlichen Lares grundules (Cass. Hemina bei Diom. p. 384 K., Non. p. 114, Arnob., I, 28) haben Neuere mit dem nur durch eine Glosse des Fulgentius, serm. ant, p. 113, 19 Helm bezeugten Namen suggrundaria für Kindesgräber (vgl. G. Boni, Not. d. Scavi, 1903, S. 165 f.) zusammen bringen wollen». K. Latte, o. l. ne fait pas mention de l'expression. 4 G. J. Vossius cité par^Boehm, RE, s. v. Lares, c. 818 (en 1924).
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que « les suggrundaria désignaient jadis les sépultures des enfants morts avant 40 jours » 5. Ces sépultures d'enfants ensevelis sous l'auvent de la porte des cabanes expliqueraient l'expression Lares Grundules6. Une variante de cette interprétation a été présentée par Boehm7. Elle abandonne la référence funéraire et rappelle que la maison est la demeure du Lar Familiaris; puisque le chéneau du toit correspond à la limite extérieure de la maison que le Lar domestique ne doit pas franchir, elle propose d'interpréter les Lares Grundules comme « les esprits demeurant sous le chéneau » (« die unter der Traufe wohnenden »). Faut-il encore citer la suggestion plus récente de G. Radke? A vrai dire, elle n'est guère explicite car elle se borne à englober les Lares Grundules dans une liste dont la caractéristique commune serait que les diverses épithètes qui définissent les Lares auraient, toutes, une valeur topographique, sans autre démonstration particulière 8. Tous ces essais ne nous avancent guère sur la signification de l'e xpression. Dans la mesure où ils esquissent une démonstration, ils se fondent sur un postulat plus que contestable, tout en négligeant les témoignages des anciens. Rien n'est en effet plus arbitraire que le lien établi entre l'adjectif Grundules et les substantifs suggrunda et suggrundaria. Si le mot suggrunda, qui désigne l'auvent ou l'avant-toit, est bien attesté chez Varron et chez Vitruve9, il n'en est d'ailleurs pas de même de suggrundarium: ce terme n'apparaît qu'une seule fois dans la citation d'un dramaturge inconnu par ailleurs, Rutilius Geminus, qu'a transmise l'Africain Fulgentius à la suite de sa propre définition du mot10. Il est possible, voire probable, que ces formations composées dérivent d'un mot simple, grunda, ainsi que le suggèrent
5 Fabius Planciades Fulgentius, Expositio sermonum antiquorum (éd. R. Helm, Leipzig 1898), p. 113, n. 7: «Priori (sic) tempore suggrundaria antiqui dicebant sepulchra infantium qui necdum quadraginta dies implessent... »." 6 La même thèse est défendue par E. Cuq, DA, s. v. funus, p. 1393, a. 7 Boehm, RE, s. v. Lares, Ibidem. 8 Cf. G. Radke, Die Götter Altitaliens (Munster, Westphalen, 1965), p. 167. La liste exhaustive des Lares qui seraient définis «durch ein Attribut auf eine bestimmte Örtlichkeit» comprendrait les Lares casanici, compitales, domestici, familiäres, grundules, permarini, quadriuii, rurales, semitales, uiales. - Je me demande si l'homonymie avec le mot allemand Grund (fonds de terre) n'est pas responsable de l'insertion arbitraire des Lares Grundules dans cette liste. 9 Cf. Varron, RR, III, 3, 5; Vitruve, De architectura, X, 21. 10 Cf. plus haut et note 5. - Le texte de la citation n'est d'ailleurs pas sûr: selon l'édition R. Helm (Leipzig, 1898, p. 113) il faut lire: Melius suggrundarium miser quereris
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les dictionnaires étymologiques n. Mais ce dernier n'est qu'un terme de glos saire, « sans étymologie sûre » 12, qui ne saurait avoir développé un adjectif dérivé. Il faut donc rejeter la prétendue dérivation de Grundulis à partir de grunda 13. Du même coup tombent les essais d'explication qui se fondaient sur ce prétendu lien sémantique pour élucider les Lares Grundules. C'est, au vrai, dans une direction différente que nous orientent la morphologie du mot et les témoignages des anciens. Loin d'être un dénom inatif, Grundilis a toutes chances d'être un déverbatif, formé sur le verbe grundire (grunnire est une forme rajeunie) qui signifie « grogner », en parlant du porc w. C'est à partir du thème ancien grundi- 15 que s'explique l'adjectif Grundilis, à l'instar de utilis, qui est un dérivé de uti 16. Cette exégèse morphologique correspond au plus ancien témoignage littéraire. Dans la version de Cassius Hemina, il est en effet question de Laribus Grundilibus, avec le vocalisme en i du suffixe thématique, à l'inverse du libellé transmis par le grammairien Nonius Marcellus qui adopte la variante Lares Grundules avec le vocalisme en u 17. Dès lors, la variation vocalique du suffixe thématique de Grundilis - Grundulis doit s'interpréter au bénéfice du vocalisme attesté le plus anciennement, qui vérifie le lien sémantique avec le verbe grundire 18.
quant sepulchrum; selon Marbach, (RE, s. v. suggrunda, c. 664) au contraire: melius subgrundarium misero quaereres quant sepulcrum. (La citation serait empruntée à une tragédie intitulée Astyanax). 11 Cf. Ernout-Meillet, D.E.4, s. v. grunda; Walde-Hofmann, L.E.W3, s. v. grunda. 12 Cf. Glossarla Latina (Belles Lettres, 1926) II, p. 163: grunda: στέγη καί το ύπερ τον πυλεώνα εξέχον. - La remarque sur l'étymologie incertaine est de Ernout-Meillet, 1. 1. 13 Tel est également l'avis de Marbach, RE, l. l. 14 Ernout-Meillet (D.E.4, s. v. grundio) aussi bien que Walde-Hofmann (LEW3, s. v. grundio) signalent la vraisemblance de cette dérivation. 15 La forme ancienne est bien grundire, en face de la forme rajeunie grunnire: cf. Thesaurus linguae Latinae, s.v. grundio, c. 2338, 1. 58; Manu Leumann, Lateinische Laut und Formenlehre (Munich, 1963), p. 169; Ζ. 1. 16 Curieusement l'adjectif Grundilis est omis dans l'ouvrage de Manu Leumann, Die lateinischen Adjektiva auf -lis (Strassburg, 1917). 17 Cf. L. Cassius Hemina (IIe siècle avant J.-C.) fragm. 11 de l'édition Peter, Hist. Roman, reliquiae, I, p. 101. - Nonius Marcellus, p. 164 L. - Ces deux textes seront examinés plus loin pour le fond du problème. - Une variante tardive se trouve chez Arnobe, Aduersus nationes, I, 28, qui, dans un contexte polémique, cite les Grundulios Lares. 18 Sans doute faut-il admettre une influence du timbre de la voyelle précédente u pour la naissance du doublet Grundulis, à l'instar des formations scurrilis (forme classique) scurrulitas (forme tardive).
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C'est le moment de reprendre les témoignages des auteurs anciens pour éclairer l'association, de prime abord singulière, entre ce nom et cet adjectif. Des Lares «grognons»? L'expression deviendra peut-être moins étrange, si nous prêtons attention à une digression des Res rusticae de Varron 19. Après avoir signalé qu'une truie doit normalement mettre bas autant de porcelets qu'elle possède de mamelles, il ajoute que, si elle en a moins, elle n'est pas rentable (fructuaria), qu'au contraire si elle en a plus, il y a prodige (portentum). « A ce sujet, le plus ancien prodige se produisit, dit-on, à Lavinium, quand la truie d'Enée mit bas trente porcelets blancs. Le prodige fut confirmé par le fait qu'après trente ans les habitants de Lavinium fondèrent la cité d'Albe (= la Cité Blanche). Il existe encore aujourd'hui des traces visibles de cette truie et de ces porcelets: leurs effigies en bronze sont encore aujourd'hui exposées en public et le corps de la truie qui serait conservé dans la saumure, est montré par les prêtres ». Ainsi le texte de Varron nous apprend qu'à Lavinium 20 subsistaient des vestiges visibles de la truie ominale qui, selon la prédiction faite par le devin Hélénus à Enée, devait signifier pour le héros errant la fin de ses tribulations: « je vais t'indiquer les signes, garde-les gravés en ta mémoire: quand, dans ta quête inquiète, tu trouveras auprès d'un cours d'eau, à l'écart du rivage, sous les Chênes, une énorme truie toute blanche, qui, couchée sur le sol, vient de mettre bas trente petits, tout blancs, pendus
19 Varron, RR, II, 17-18: «Parere dicunt oportere (scrofam) porcos quot mammas habeat. Si minus pariât, fructuariam idoneam non esse. Si plures pariât, esse portentum. In quo illud antiquissimum fuisse scribitur, quod sus Aeneae Lauini triginta porcos peperit albos. Itaque quod portenderit factum, post tricesimum annum ut Lauinienses condiderint oppidum Albam. Huius suis ac porcorum etiam nunc uestigia apparent, quod et simulacra eorum ahenea etiam nunc in publico posita et corpus matris ab sacerdotibus, quod in salsura fuerit, demonstratur ». 20 Dans l'édition H. Keil (Leipzig, 1884), p. 232, le texte et l'apparat critique révèlent que derrière apparent, les manuscrits portent iamne, écarté par l'éditeur, repris sous la forme in amne par les ueteres et corrigé en Lauinii par le philologue P. Victorius du XVIe siècle. - Dans son Commentarius in Varronis rerum rusticarum libros très (Leipzig, 1891), p. 167, H. Keil ne nie pas la vraisemblance de la conjecture - Lauinii - de Victorius mais il estime que le iamne provient simplement de la faute du copiste qui a été influencé par le etiamnunc qui précède et qui suit cette leçon fautive. - En tout état de cause, les précisions précédentes de Varron {Lauini; Lauinienses) suffisent pour localiser ces uestigia à Lavinium même.
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à ses mamelles, alors ce sera l'endroit désigné pour la ville, la fin certaine de tes épreuves » 21. Une prédiction analogue se trouve déjà, à quelques variantes près, dans Y Alexandra de Lycophron (IIIe siècle avant J.-C.) qui s'inspire lui-même de l'historien Timée de Tauroménion 22. Prédiction est faite qu'Enée « fondera trente forteresses - chiffre correspondant aux trente porcelets que mettra bas une truie de couleur sombre, transportée par lui sur son vaisseau depuis la Troade, et qu'il élèvera dans une cité un monument de bronze représen tant cette truie et les cochons de lait ». Nous reprendrons plus loin l'examen des variantes que présente la version de Lycophron par rapport à la tradition des auteurs latins; relevons les, en attendant: Lycophron mentionne une truie de couleur sombre « qu'Enée transportera depuis les sommets du Mont Ida et du pays dardanien ». Sur ce point, il n'est pas contredit expressément par Varron (sauf, implicitement, pour la couleur de la truie) mais par Virgile: selon le poète latin, c'est sur le sol italique qu'Enée trouvera une truie blanche, avec trente porcelets blancs. La couleur blanche, notée par les deux auteurs latins23, a manifeste ment la valeur prophétique d'annoncer la fondation future de la Cité Blanche {Alba). Lycophron qui ne mentionne pas plus Albe que Lavinium n'attribue
21 Virgile, Ae, III, 388-393: « Signa tibi dicam, tu condita mente teneto: cum tibi sollicito secreti ad fluminis undam litoreis ingens inuenta sub ilicibus sus triginta capitum fetus enixa iacebit, alba, solo recubans, albi circum ubera nati, is locus urbis erit, requies ea certa laborum». 22 Lycophron, Alexandra, 1253 s.: (Le sujet est Enée) (éd. Mascialino, Teubner, 1964): κτίσει δε χώραν εν τόποις Βορειγόνων υπέρ Λατίνους Δαυνίους τ ωκισμένην πύργους τριάκοντ', έξαριυμήσας γονάς συος κελαινής, ην άπ' Ίδαίων λόφων και Δαρδανείων εκ τόπων ναυσϋλώσεται, ίσηρίυμων ορέπτειραν εν τόκοις κάπρων ης και πόλει δείκηλον άνϋήσει μι$ χαλκω τυπώσας και τέκνων γλαγοτρόφων. Sur l'inspiration de ce texte par Timée, cf. F. F. Jacoby, F. Gr. Hist, III Β, ρ. 332, n. 318. - Texte cité (avec l'adoption d'une leçon différente au vers 1254) par A. Alföldi, Early Rome and the Latins, p. 271, n. 4. 23 Dans le récit de Varron, RR, II, 18, «la truie d'Enée» met bas des porcelets de couleur blanche; dans les vers de Virgile, Ae, III, 392, truie et porcelets sont de couleur blanche.
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qu'une couleur sombre à la truie. Pourquoi «sombre»? Sans doute, parce que le poète grec qui, puisant à la source de l'historien Timée, n'oublie pas d'évoquer l'existence « dans une ville, d'une effigie en bronze de la truie », prête naïvement à la truie vivante la couleur de son effigie monum entale; aussi bien, ignorant Albe-la Blanche il n'avait que faire du symbol isme des couleurs. Mais la différence essentielle entre les récits du poète grec et des deux auteurs latins réside dans l'interprétation symbolique du chiffre trente des porcelets; elle est spatiale chez Lycophron, temporelle chez les Latins: nous y reviendrons plus loin. Auparavant, il convient de signaler que le souvenir de la truie ominale et de ses trente porcelets est également attesté à Rome. En effet, l'historien du IIe siècle avant J.-C, L. Cassius Hemina, nous a transmis la version suivante: « la foule des bergers, par un accord unanime, confia un pouvoir égal à Rémus et à Romulus pour qu'ils se concertent entre eux au sujet du règne. Survient un prodige: une truie met bas trente porcelets; en mémoire de quoi, un sanctuaire fut élevé aux Lares Grünaues 24 ». Ce texte ne donne aucune explication sur la signification de ce monstrum, mais il nous fournit un renseignement capital: à Rome, le souvenir de la portée miraculeuse d'une truie est lié à la fondation du culte des Lares Grünaues, qui est daté, ici, du temps de Romulus et de Rémus. Le renseignement est confirmé par le grammairien Nonius Marcellus: « selon la tradition, le culte des Lares Grundules a été établi à Rome pour honorer une truie qui avait mis bas trente procelets » 25. Ainsi, un même culte, qui tire son origine d'un même prodige, est attesté à Rome comme à Lavinium: la seule différence est que, pour Lavinium, la chronologie le réfère à l'arrivée d'Enée au Latium, pour Rome, au temps de Romulus - en vertu d'un raisonnement analogue qui retient respectiv ement l'ère de fondation pour chacune des deux cités. Ce n'est pas la première fois qu'un tel « doublet cultuel » se rencontre à Lavinium et à Rome 26. Il vaut la peine d'en étudier le scheme essentiel à travers les variantes accessoires. 24 L. Cassius Hemina, fragm. 11 de l'édit. Peter, H.R.R., I, p. 101: «Diomedes, 1 p. 384 K. Haec ita esse hoc modo adfirmat Cassius Hemina in secundo historiarum, pastorum uulgus sine contentione consentiendo praefecerunt aequaliter imperio Remum et Romulum ita ut de regno pararent inter se. Monstrum fit: sus parit porcos triginta, cuius rei fanum fecerunt Laribus Grundilibus ». 25 Nonius Marcellus, p. 164 L.: «Grundules Lares dicuntur Romae constituti ob honorem porcae quae triginta pepererat». (A propos de la graphie en u de «Grundules», cf. plus haut, p. 947). 26 Dans mon exposé sur les «fouilles récentes de Lavinium», REL, 38, 1960, pp. 75-77, j'ai eu l'occasion de commenter en particulier les parallélismes cultuels suivants, qui sont
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Relevons les variantes de détail. Que la truie ait accompagné Enée pendant son voyage maritime depuis la Troade ou qu'elle soit trouvée par le héros troyen sur le sol italique, n'est pas d'une importance primordiale. La première version est rapportée par Lycophron et par Varron 27, la seconde, par Virgile et Denys d'Halicarnasse 28. Leur trait commun est de prêter au quadrupède une signification prophétique qui persuade Enée du terme de ses épreuves: désormais il devient fondateur de cité dans la terre promise. De même, il importe peu de savoir quelle voix surnaturelle arrive à rassurer Enée plongé une fois de plus dans la perplexité. Si Virgile confie (au chant VIII de l'Enéide) au dieu du Tibre, le soin de renouveler à Enée la promesse qu'il trouvera une truie ominale - promesse déjà faite, presque dans les mêmes termes, au chant III, par le devin Hélénus29-; si, au cont raire, Denys d'Halicarnasse fait intervenir « urie voix qui s'élève d'un boquet eau,voix d'un être invisible » 30 (on songe à la tradition romaine de Aius Locutius) pour rassurer le héros, ces variations ne modifient en rien la trame essentielle du récit. Il en est autrement des points qui concernent la localisation de la cité prophétique, l'interprétation symbolique du chiffre trente, la portée religieuse du récit mythique.
attestés à Rome et à Lavinium: cultes de Iuturna; de Castor (et de Pollux); Venus (Venus Frutis à Lavinium); d'Enée (inscription Lare Aineia, au lieu dit Tor Tignosa, près de Lavinium); Penates et Vesta. - Depuis cette date, la découverte spectaculaire d'une tombe archaïque et d'un heroon à Lavinium a jeté une lumière nouvelle sur le culte d'Enée: cf. P. Sommella, Heroon di Enea a Lavinium, Recenti scavi a Pratica di Mare, Rend. Pont. Accad. Rom. di archeol., 44, 1971-1972, pp. 47-74. Cf. aussi M. Guarducci, Enea e Vesta, dans Rom. Mitt., 78, 1971, pp. 73-89. 27 Cf. Lycophron, Alex., 1256 s. (Texte cité dans la note 22); Varron, LL, V, 144: «Haec (= sus) e naui Aeneae cum fugisset Lauinium, triginta parit porcos». L'allusion trop brève «sus Aeneae» de RR, II, 18 (voir le texte cité en note 19) ne serait pas décisive, à elle seule. 28 Cf. Virgile, Ae, VIII, 41-45; 81-85 - Denys d'Halicarnasse, I, 55,4. 29 Cf. Virgile, Ae., III, 389-393 (voir le passage cité en note 21); VIII, 42-45: « Iamque tibi, ne uana putes haec fingere somnum, litoreis ingens inuenta sub ilicibus sus triginta capitum fetus enixa iacebit, alba, solo recubans, albi circum ubera nati». (L'interlocuteur d'Enée est le deus Tiberinus). 30 Cf. Denys d'Halicarnasse, I, 56, 3.
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Pour la localisation de Γ« événement », il ne fait pas de doute qu'il faille accorder la primauté à Lavinium aux dépens de Rome. La première raison est que la grande majorité de nos sources penche dans ce sens depuis Lycophron jusqu'à Denys d'Halicarnasse, en passant par Varron et par Virgile, conformément aux données légendaires et historiques qui font de Lavinium la métropole religieuse de Rome31. La seconde est qu'une partie essentielle du récit mythique perdrait toute signification, si on s'avisait de renverser l'ordre de priorité Lavinium-Rome: Vomen des trente porcelets, quelle que soit son interprétation, ne s'inscrit en effet que dans la perspective d'une prolifération à partir de la cité de Lavinium. Dès lors, les seuls auteurs (Cassius Hemina et Nonius Marcellus) qui paraissent se séparer de la tradi tion lavinienne, en ne mentionnant qu'un culte romain des Lares Grünaues, loin d'être en divergence avec les autres sources, apportent au contraire le renseignement complémentaire qu'on attend logiquement: la reconnaissance à Rome d'un culte d'origine lavinienne, à l'instar du culte des Pénates, qui existe respectivement dans chacune des deux cités. Le fanum des Lares Grünaues signalé à Rome par Cassius Hemina32 s'explique donc, une fois de plus, par une transposition romaine d'un culte qui a fait souche à Lavinium. Il faut revenir à présent sur le symbolisme du chiffre trente. Lycophron 33 est le seul qui en ait proposé une interprétation spatiale, en prêtant à Alexandra (= Cassandre) la prédiction qu'Enée fondera trente forteresses, « chiffre identique au chiffre de la portée porcine ». Au contraire, toute la tradition d'inspiration latine a adopté résolument une interprétation temporelle qui assimile le chiffre des trente porcelets aux trente années séparant la fondation d'Alba de celle de Lavinium. Et on sait que pour marquer encore davantage le lien généalogique qui unit Alba à la cité mère, la tradition latine, à la différence du récit de Lycophron, met en scène une truie et des porcelets de couleur bianche^.
31 Cf. mon livre la Religion romaine de Vénus (Paris, 1954), pp. 67 s. 32 Cf. plus haut p. 952 et note 24. 33 Cf. plus haut, p. 941 et la note 22. - Cf. A. Alföldi, Early Rome and the Latins, pp. 271, s. 34 Cf. plus haut, p. 950. - L'interprétation temporelle des trente porcelets se vérifie depuis Varron jusqu'à Denys d'Halicarnasse. Au texte cité de Varron, RR, II, 18 (voir la note 19), il faut ajouter les suivants: Varron, LL, V, 144: « Oppidum quod primum conditum in Latio stirpis Romanae, Lauinium: nam ibi dii Penates nostri. Hoc a Latini filia, quae coniuncta Aeneae, Lauinia, appellatum. Hinc post triginta annos oppidum alterum conditur, Alba; id ab sue
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Reste un point fondamental: quelle importance religieuse peut-on accorder à ces Lares Grünaues? Une certaine ambiguïté se révèle en effet dans nos sources qui nous orientent dans deux directions divergentes. D'une part, la sus avec sa progéniture, n'est considérée, en dépit de sa signification ominale, que comme un animal et, si elle est marquée d'une sorte de caractère sacré, il ne s'agit en définitive que d'un sacré sacrificiel. C'est dans cette optique qu'est représenté le sacrifice de la truie lavinienne par la littérature et les documents figurés ... de l'époque classique. Chez Virgile, Enée sacrifie la truie et ses petits « à la puissante Junon » 35: « Voici que soudain - prodige merveilleux à voir - apparaît dans la forêt, couchée sur la rive verdoyante, une truie toute blanche avec sa progéniture blanche; le pieux Enée te l'immole, à toi, ô puissante Junon: il la place, elle et sa portée, avec les objets sacrés près de l'autel ». Chez Denys d'Halicarnasse, Enée est censé offrir « le sacrifice de la truie et de ses petits aux dieux de ses ancêtres, à l'endroit où se trouve aujourd'hui la chapelle qui est revêtue d'un sceau sacré pour les habitants de Lavinium et inaccessible à toute autre personne » 36. Ne nous attardons pas sur la question de savoir qui, de Maxima Iuno ou des πατρώοι ΰεοί, était le destinataire légitime
alba nominatimi. Haec e naui Aeneae cum fugisset Lauinium, triginta parit porcos; ex hoc prodigio post Lauinium conditum annis triginta haec urbs facta, propter colorem suis et loci naturam Alba Longa dicta. Hinc mater Romuli Rhea, ex hac Romulus, hinc Roma». (C'est précisément à Varron que J. Perret, Les origines de la légende troyenne de Rome (Paris, 1942), pp. 326, s.) attribue l'innovation de l'interprétation chronologique du nombre des porcelets) Virgile, Ae., VIII, 47-48 (le dieu du Tibre, interpellant Enée, par les vers cités dans la note 29, poursuit de la façon suivante): « Ex quo ter dénis urbem redeuntibus annis Ascanius clari condet cognominis Albam». - Tite-Live, I, 3, 4. - Denys d'Halicarnasse, I, 56, 4. - Juvénal, XII, 70-73. 35 Virgile, Ae., VIII, 81-85: « Ecce autem, subitum atque oculis mirabile monstrum, candida per siluam cum fétu concolor albo procubuit uiridique in litore conspicitur sus; quam pius Aeneas tibi enim, tibi maxuma Iuno, mactat sacra ferens et cum grege sistit ad aram ». 36 Denys d'Halicarnasse, I, 57,1: Αινείας δε της μεν ύος τον τόκον αμα τη γειναμενη τοις πατρώοις άγίζει ϋεοΐς εν τω χωρίω τωδ', ου νυν εστίν ή καλιάς, καί αυτήν οι Λαουινιάται τοις άλλοις αβατον φυλάττοντες ίεραν νομίζουσι. - Sur l'identification de ces πατρώοι ΰεοί avec les di Penates et sur le sacrifice accompli par Enée, cf. St. Weinstock, JRS, L, 1960, pp. 56-58, The sacrifice of Aeneas.
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du sacrifice célébré par Enée37. Dans l'un et l'autre cas, la référence à une divinité reconnue du panthéon romain ne saurait laisser de doute. C'est dans une direction bien différente que nous oriente le témoignage de Cassius Hemina38: non seulement il n'est pas question d'un sacrifice de la truie et de ses petits, mais un sanctuaire (fanum) est élevé en l'honneur des Lares Grünaues, à l'exclusion de tout autre dieu. Qui peuvent être ces Lares « grognons », sinon les porcins prophétiques qui ont été élevés, en vertu d'une sorte de sublimation sanctifiante, au rang de protecteurs de la mission confiée à Enée? Dès lors, faudrait-il conclure à une discordance radicale entre les temps archaïques et l'époque classique? Aurions-nous affaire pour les temps archaïques à une forme de « thériolatrie » 39 qui serait un cas unique à Rome? Les choses sont peut-être plus complexes qu'il ne paraît au premier abord. Déjà le caractère familier de l'épithète cultuelle devrait nous mettre en garde contre une interprétation aussi systématique. Dérivé d'un verbe expressif de la langue de tous les jours40, l'adjectif Grundilis n'a rien d'une appellation officielle. Par ailleurs, le caractère populaire de la vénération vouée à la truie et aux porcelets de Lavinium ne fait aucun doute: un monument en bronze les expose, sur une place publique, à la curiosité de la foule, pendant que les prêtres n'hésitent pas à montrer aux pèlerins - au temps de Varron - le corps de la truie qui, depuis des siècles, « se serait conservé dans la saumure » 41. Il s'agit incontestablement d'une dévo tionfolklorique qui expliquerait qu'on ait pu gratifier, dans le langage courant, ces « grognons » qui ont joué un rôle décisif dans une « histoire merveil leuse », du rôle protecteur des Lares. D'une manière parallèle, Romulus et Rémus ne bénéficieront-ils pas, eux aussi, sur le futur site de Rome, de la protection miraculeuse . . . d'une louve?
37 J. Carcopino, Virgile et les origines d'Ostie, pp. 719 s. conclut en faveur de Junon, tandis que St. Weinstock, /. /., p. 56 et note 133, revendique le sacrifice en l'honneur des Pénates. 38 Cf. le texte cité dans la note 24. 39 A. Alföldi {Early Rome..., p. 277 et note 2) penche dans ce sens, en se référant au « parallèle » des « dogs and the dogskin clothes of the Lares praestites » (cf. Ovide, F., V, 137-138; Plutarque, Q.R., 51). - Mais cf. l'argumentation de F. Borner, dans son Kommentar (d'Ovide, F., V, 137), p. 301, à rencontre des partisans de l'identification originelle des Lares praestites avec des chiens. 40 Grundire est rapproché de verbes expressifs du registre familier, tels que garrire, gannire, gingrire: cf. Ernout-Meillet, D.E.4, s.v. garrio. 41 Cf. les textes de Varron, RR., II, 18 (cité en note 19) et de Lycophron (cité en note 22).
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Or le thème de l'intervention d'une louve n'était pas, non plus, inconnu à Lavinium. Pendant la construction de la cité, les présages suivants se manifestèrent, selon Denys d'Halicarnasse 42: « un incendie s'étant déclaré spontanément dans la forêt, un loup apporta du bois sec dans sa gueule pour le jeter sur le feu, tandis qu'un aigle, survolant la scène, attisait la flamme en agitant ses ailes. A l'inverse, un renard qui avait trempé sa. queue dans le cours d'eau, s'efforçait de combattre les flammes: tantôt l'empor taientceux qui avivaient le feu, tantôt, celui qui voulait l'éteindre. A la fin, la victoire revint aux deux premiers, tandis que l'autre s'éloigna, ne pouvant plus rien faire. A ce spectacle, Enée dit que la colonie deviendra illustre et aura un prestige exceptionnel, qu'elle atteindra le sommet de la gloire, tout en suscitant par son développement l'envie et le dépit de ses voisins; qu'elle dominera cependant ses adversaires, dotée qu'elle est par la divinité de gages de prospérité plus forts que les entreprises envieuses de ses ennemis. Telles sont les indications très claires sur l'avenir de la cité que rapporte la tradition; et il en existe un monument commémoratif, sur le forum de Lavinium, sous forme de statues en bronze représentant les animaux, qui ont été conservées depuis un très long laps de temps ». Ainsi, la légende relative à la fondation de Lavinium a gardé le souvenir de l'intervention bénéfique de bêtes, à l'instar de la légende des origines de Rome. Le rôle nourricier de la louve et du pivert dans le sauvetage de Romulus et Rémus, abandonnés au fil du Tibre, a été souvent évoqué par les auteurs latins: « Qui ne sait que les enfants ont été nourris du lait d'une bête sauvage et qu'un pivert apporta souvent à manger aux petits délaissés? » 43. Ce thème a été également illustré par l'art, comme l'attestent la célèbre louve en bronze du Capitole ainsi que les statues de la louve et des jumeaux, érigées en 295 avant J.-C, près du figuier Ruminai par Cn. et Q. Ogulnius 44.
42 Denys d'Halicarnasse, I, 59, 4-5. 43 Cf. Ovide, F., Ill, 53-54: « Lacté quis infantes nescit creuisse ferino Et picum expositis saepe tulisse cibos?». - Dans un rêve prémonitoire, la vestale Ilia avait vu surgir du foyer où était tombé son bandeau (lanea uitta), deux palmiers contre lesquels son oncle (Amulius) brandit une hache; mais une louve et un pivert, «oiseau de Mars», intervinrent et sauvèrent les deux palmiers. (Ovide, F., Ill, 29-38). - Denys d'Halicarnasse, I, 79, 4 fait remonter le récit de la louve allaitant les deux jumeaux à Fabius Pictor, « suivi par L. Cincius, Porcius Cato, Calpurnius Piso et la grande majorité des autres historiens». 44 A propos de la Lupa Capitolina du VIe siècle avant J.-C. (et de la présence vraisemblable de jumeaux, dès l'origine), cf., en dernier lieu, O.W. v. Vacano, Aufstieg und Nierdergang der
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Voilà que Lavinium présente également une légende exaltant l'interven tion salvatrice de bêtes bénéfiques: au pivert et à la louve, qui veillent sur le sort des infantes conditores Vrbis, correspondent l'aigle et la louve qui favorisent la fondation de la cité lavinienne. Qu'il s'agit en effet égal ement d'une louve à Lavinium-et non d'un loup comme l'écrit Denys d'Halicarnasse45 - la démonstration en revient à A. Alföldi qui a attiré l'attention sur les représentations figurant au revers de deniers frappés en 45 avant J.-C, sous la dictature de César, par le monétaire L. Papius Celsus: une louve (reconnaissable à ses mamelles) met du bois sur un feu qu'attise un aigle en battant des ailes46.
Dès lors, une solution se dessine, dans la mesure où le cas des Lares Grünaues s'inscrit dans le contexte général des parallélismes que l'histoire relève entre Lavinium et Rome. Truie et porcelets qui interviennent au premier stade de la légende des origines de Lavinium, se sont prêtés à une vaste exploitation populaire du thème, tout comme la louve romaine. En ce sens, on peut se demander si l'intervention ultérieure de la louve et de l'aigle, lors de la construction de Lavinium, ne répond pas à une exigence supplémentaire de symétrie, comme si la louve et l'oiseau (aigle à Lavinium; pivert à Rome) devaient se retrouver sur les deux tableaux. Peut-être sommes-nous à même de lever maintenant les difficultés qui résultent de certaines discordances de nos sources. Nous avons vu que les auteurs de l'époque classique (Virgile et Denys d'Halicarnasse) 47 n'hésitent pas à faire sacrifier la truie miraculeuse et ses petits par Enée,
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römischen Welt, I, 4, Vulca, Rom und die Wölfin, en particulier pp. 557 s. - A propos des statues de bronze de la louve et des jumeaux, érigées près du figuier Ruminai en 295 avant J.-C, cf. Tite-Live, X, 23, 12: «... et ad ficum Ruminalem simulacra infantium conditorum urbis sub uberibus lupae posuerunt (Cn. et Q. Ogulnii aediles curules) ». 45 Cf. Denys d'Halicarnasse I, 59,4: (λέγεται)... λύκον μεν κομίζοντα τφ στόματι της ξηράς ϋλης επιβάλλειν επί το πΰρ . . - Remarquons que, si l'accord syntaxique de ce passage ne laisse pas de doute sur l'emploi du masculin, λύκος est un mot épicène, qui sert aussi bien au féminin qu'au masculin. 46 Cf. A. Alföldi, Early Rome and the Latins, p. 278. Voir M. H. Crawford, Roman republican coinage, I, p. 481 n. 472, 1 et 2; II, pi. LV. Notre description s'inspire de la représentation figurée et des indications fournies par M. H. Crawford. 47 Cf. Virgile, Ae., VIII, 84 (texte cité en note 35); Denys d'Halicarnasse I, 57,1 (texte cité en note 36).
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au cours d'une cérémonie religieuse, alors que l'historien Cassius Hemina48 signale la création d'un culte, matérialisé par l'érection d'un fanum en l'honneur des Lares Grünaues. La constatation qu'Hemina situe l'événement... à Rome, sans s'expliquer sur son origine lavinienne, n'est pas indifférente. Tout se passe comme si cet antiquaire qui, écrivant au IIe siècle avant notre ère, n'aurait certainement pas confondu la vénération de la louve romaine avec le culte rendu à un dieu, n'était plus au fait sur la significa tion véritable de la dévotion populaire de Lavinium. Il s'est contenté de transposer à Rome un « fait » lavinien, - selon le même raisonnement analogique qui a poussé Varron 49 à assigner à Lavinium le berceau des Pénates romains - sans s'interroger davantage sur sa teneur. Pour l'époque classique il ne pouvait subsister de doute. La version d'Enée sacrifiant la truie ominale a été authentifiée non seulement par la littérature, mais encore par l'art officiel, s'il est vrai que cette scène apparaît sur un relief de Vara Pads: Enée préside au sacrifice de la truie devant un temple dédié aux Pénates 50. S'il est une association cultuelle, consacrée par l'usage romain, c'est bien celle des Lares et des Pénates: les sanctuaires des uns et des autres, se trouvaient au même endroit, à Rome, au sommet de la Velia (Auguste les restaura tous les deux, ainsi qu'il le mentionne dans ses Res gestae) 51. Toutefois, en dehors de leur compétence respective, ces dieux diffèrent par une caractéristique essentielle: tandis que les Lares sont par définition attachés à un terroir, les Pénates sont transportables: à Rome, ils sont censés provenir de Troie grâce au relais de Lavinium. A quelle représentation homologue de Lavinium pouvaient alors cor respondre, au Ie siècle, les Lares romains? Certainement pas à nos Lares Grünaues qui n'avaient pas droit de cité dans la religion officielle. En revanche, le Lar Aineias qui, depuis les découvertes récentes, cesse d'être
48 Cassius Hemina (texte cité en note 24). 49 Cf. Varron, LL, V, 144: «Oppidum quod primum conditum in Latio stirpis Romanae, Lauinium: nam ibi dii Penates nostri». 50 Cf. Bianchi-Bandinelli, Enciclopedia dell'arte antica, s. ν. Ara Pacis, p. 527, fig. 709. Pour une description plus complète, cf. Scott Ryberg, Rites of the state religion in roman art, p. 40, fig. 21 et pi. X. - Ainsi, l'art officiel semble avoir confirmé la version de Denys d'Halicarnasse (voir texte cité en note 36) de préférence à celle de Virgile (voir texte cité en note 35). - Le thème du sacrifice de la truie par Enée est reproduit plus tard sur un médaillon d'Antonin le Pieux: sur ces documents, cf. F. Castagnoli, Lavinium, I, p. 81, n. 181, 182. 51 Res gestae diui Augusti, éd. Gagé, p. 110, § 19.
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une simple fiction littéraire pour devenir une réalité religieuse 52, était tout désigné à Lavinium pour occuper la place homologue des Lares romains. Cependant, le prestigieux ancêtre des Romains-Enéades n'a pas porté ombrage aux humbles compagnons que la légende avait associés à son aventure. De même que Romulus déifié sous les traits de Quirinus n'a pas porté atteinte à la légende de la louve romaine, de même Pater Aeneas, divinisé par la vénération officielle de l'Etat romain, n'a pas fait oublier la truie miraculeuse et ses petits que le langage familier avait gratifiés du nom de Lares Grünaues et qui continuaient à être exposés, sur une place publique de Lavinium, à la curiosité attendrie de la foule des pèlerins.
A propos du Lar Aineias, cf. la bibliographie donnée dans la note 26.
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CONSIDERAZIONI SUI COMPLESSI MONUMENTALI DI MURLO E DI ACQUAROSSA
Nel corso di questi ultimissimi anni sempre più frequente è stata la tendenza degli studiosi ad accostare in qualche modo tra loro il grande complesso rimesso in luce dagli scavi del Bryn Mawr College a Poggio Civitate di Murlo e il complesso « monumentale » della zona F dell'abitato di Acquarossa riesumato dagli scavi dell'Istituto Svedese di studi classici di Roma. Scoperti, per singolare e fortunata coincidenza, negli stessi anni, a partire dal 1966 1, i due « complessi » - cui fu riconosciuta in principio, e sia pure con qualche perplessità, una destinazione di carattere sacro (« santuario » per Murlo, tempio almeno per l'edificio A di Acquarossa) hanno finito con l'essere avvicinati soprattutto in concomitanza con l'affac ciarsi, sia per l'uno che per l'altro, di una successiva « interpretazione laica ». Tale interpretazione, peraltro ancora discussa 2, proposta da Giovanni Colonna (per Acquarossa) e, quindi, da Mario Torelli (sia per Acquarossa che per Murlo) negli interventi al Convegno di Studi etruschi di Orvieto del 1972 3 e, da ultimo (in modo specifico per Murlo ma con diretto richiamo anche
1 Per l'uno e per l'altro, v. le comunicazioni di sintesi (con la relativa bibliografia) pubblicate in Aspetti e problemi dell'Etruria interna (Atti dell'VIII Convegno Nazionale di Studi Etruschi e Italici, Orvieto 27-30 giugno 1972), Firenze 1974 (d'ora in avanti citato: Atti Orvieto): C. E. Östenberg, / problemi dei centri minori dell'Etruria meridionale interna alla luce delle scoperte dì San Giovenale e Acquarossa, pp. 75-87; Κ. Μ. Phillips, Poggio Civitate (Murlo, Siena), 1966-1972, pp. 141-146. 2 Cfr. le cautele e le perplessità espresse da M. Pallottino in Atti Orvieto, p. 91 e ora, nella prefazione al volume di C. E. Östenberg, Case etrusche di Acquarossa (Monografie della Tuscia, Comitato per le attività archeologiche nella Tuscia), Roma 1975, p. 2 nella quale è ribadita, per gli edifici monumentali della zona F, la difficoltà di « distinguere tipologicamente la destinazione religiosa da altri aspetti di dimora ο rappresentativi». 3 Cfr. Atti Orvieto, pp. 89-90 (Colonna) e p. 274 (Torelli).
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ad Acquarossa) da Mauro Cristofani4, riguarda la possibile funzione di « residenza civile » dei due complessi e, più in particolare, di « sede ufficiale » dei « capi » delle rispettive comunità 5. L'ipotesi della residenza - che non esclude, ovviamente, una « funzione » almeno complementare e in qualche parte dell'edificio, di tipo sacrale e cultuale, sia pure intimamente connessa con esigenze « private » (Cristofani) di tipo gentilizio (Torelli) 6 - è, senza dubbio, non soltanto assai suggestiva ma, obiettivamente, la sola soddisfacente allo stato delle nostre conoscenze e le motivazioni d'ordine socio-politico, economico e storico generale che ad essa sono state variamente date sembrano assai convincenti. A questa ipotesi, alla quale aderisco pienamente, non ho nulla da aggiungere 7 mentre, anche ricollegandomi ad essa, mi propongo di esporre alcune considera zioni sulle caratteristiche planimetrico-architettoniche dei due complessi in questione, riprendendo e sviluppando suggestioni prospettate soltanto margi nalmente dagli studiosi sopra citati per confortare con un altro argomento la loro tesi appena ricordata. Queste considerazioni traggono lo spunto da un brevissimo scambio di idee avuto a Grosseto, l'ultimo giorno del maggio 1975, con Kyle M. Phillips, in occasione del X Convegno nazionale di Studi etruschi e italici. Le dedico, come modesto omaggio, a Jacques Heurgon, il maestro che mi onora della sua stima ed amicizia e verso il quale sono debitore di tanti insegnamenti.
4 Considerazioni su Poggio Civitate (Murlo, Siena), in Prospettiva, I, 1975, pp. 9-17. 5 «... la residenza ufficiale (Ιαιιχιιηιηα) del piccolo re di Acquarossa » (Colonna); «... grandi residenze aristocratiche, dove il "feudatario" locale (il capo della gens) amministrava i propri interessi, rendeva giustizia fra i clientes e svolgeva i regolari sacra gentilizi...» (Torelli); «... una residenza "dinastica"...», «... una sorta di insediamento-castello...» (Cristofani) in locc. citt. alle note 3 e 4. Anche il Phillips, peraltro, nella sua relazione al Convegno di Orvieto (cit. sopra alla nota 1) p. 145, dopo aver ricordato che il complesso di Murlo è stato fino ad ora consi derato un santuario, osserva come in realtà la sua funzione non sia chiara e accenna ad altre possibili ipotesi: palazzo, centro amministrativo di una città, residenza comunale ο centro di una lega. Ora poi anche lo Ostenberg, per quanto riguarda Acquarossa, parla della possibilità di pensare a « raggruppamenti di edifici, sul tipo dei palazzi » (cfr. Case etrusche di Acquarossa, cit. sopra alla nota 2, p. 26 e p. 45). 6 Anche se né a Murlo né ad Acquarossa sia stato per ora possibile riconoscere tracce di culto (ma a Murlo potrebbe essere stato destinato a scopi cultuali l'ambiente isolato sul lato nord-ovest della corte che, tra l'altro, sembra concomitante con particolari soluzioni inte ressanti tutta l'ala del complesso con la quale è planimetricamente in relazione). 7 Ma, forse al termine del mio discorso essa potrà risultare, sia pure in maniera indiretta, ulteriormente rafforzata.
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Vale la pena di prendere le mosse dal complesso di Murlo che è, senza dubbio, il più « grandioso », formalmente meglio definito e, si potrebbe dire, in una parola, il più « completo ». Il complesso, come è noto (Fig. 1), appare caratterizzato da un « blocco » compatto di costruzioni che occupano un'area pressoché quadrata e si dispon gono allungate su quattro ali attorno a una grande corte con portici a colonne per tre lati. Gli edifici dei tre lati porticati appaiono articolati, al loro interno, in modo vario e senza particolari corrispondenze mentre l'edi ficio del quarto lato appare suddiviso regolarmente e simmetricamente in tre nuclei: uno centrale, tripartito, con un ambiente mediano interamente « aperto » sulla corte e fiancheggiato da due ambienti « chiusi », identici, e due laterali, entrambi ugualmente bipartiti con un ambiente più grande, rettangolare, verso l'esterno, e uno più piccolo, quadrato, verso l'interno. L'unica anomalia in tanta regolarità e simmetria è costituita dal corridoio che dall'esterno immette direttamente nella corte (e che sembra essere l'i ngresso principale di tutto il complesso) il quale separa e stacca dal nucleo centrale uno dei due laterali. Differenze minori, del tutto trascurabili, sono costituite dalle aperture, verso l'esterno e tra i due ambienti, esistenti nel l'altro dei due nuclei laterali bipartiti. La ricca e ordinata articolazione di quest'ala e l'esistenza in essa del l'entrata principale a tutto il complesso inducono a considerare questa come la più importante del complesso stesso, tanto più che proprio davanti e in asse con l'ambiente mediano aperto del nucleo centrale di essa si trova, nella corte, il piccolo ambiente quadrato e isolato che si sostituisce in certo qual modo e con molta evidenza al portico mancante in questo lato. La singolarità planimetrica del complesso di Murlo e la presenza caratterizzante della grande corte porticata sono state già sottolineate ed espressamente chiamate in causa a sostegno della tesi della «residenza»; soprattutto la corte porticata per la quale è stato osservato, da ultimo e più particolarmente dal Cristofani8, come nell'economia degli edifici per l'appunto « residenziali » essa assuma « il ruolo più significativo ». E a tal proposito non poteva non essere fatto un diretto riferimento a quei « palazzi » del mondo microasiatico e cipriota, come Larisa e Vouni, dove la corte
Art. cit. in Prospettiva, I, .1975, p. 11.
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rappresenta « il centro ideale per costruzioni in cui svolgevasi la vita aristo cratica del dinasta » (Cristofani). Il riferimento ai Palazzi di Larisa e di Vouni, è stato precisato dal Cristofani, vale per la supposta e assai probabile analogia delle esigenze funzionali e non può costituire certo un confronto di tipo genetico, ossia di derivazione, tanto più se si osserva come i palazzi citati siano planimetr icamentee architettonicamente assai più complessi e articolati 9. Ma, esclusa la derivazione - almeno diretta - dai Palazzi del mondo greco-orientale, bisogna pur ammettere che il complesso di Murlo ci si pre senta con caratteristiche planimetriche, funzionali e, per così dire, con cettuali, tali da apparire « completo » e relativamente « perfetto ». Il suo schema unitario, coerente e razionale, l'equilibrata distribuzione delle parti e le corrispondenze simmetriche (persino la decorazione architettonica degli edifici, assai ricca ed organica) e la stessa tecnica costruttiva, tutto conduce a un « progetto » accuratamente preordinato in vista di una destinazione chiaramente definita. Ma non è facile ritenere tutto ciò frutto di una « invenzione » geniale e di uno studio « a tavolino ». Più logico è pensare che dietro il « progetto » realizzato a Murlo, ci sia, come già acutamente rilevato dal Phillips 10, una tradizione quasi certamente o, almeno sostanzial mente, indigena e ormai pienamente sviluppata. Sicché si dovrebbe parlare per Murlo dell'esito finale di un certo processo planimetrico-architettonico, verosimilmente di progressivo adattamento, fino alla rispondenza più precisa, ad esigenze forse altrettanto gradualmente delineatesi e giunte quindi a completa definizione. Ma, a questo punto il discorso ha bisogno, per una sua giustificazione, di una plausibile documentazione. L'esempio di Murlo, come tale, e almeno per ora, resta unico nel mondo etrusco ma - a parte quello che potranno dirci future scoperte nei centri urbani dell'Etruria ancora così poco esplorati e conosciuti - ci si può chiedere se non sia già possibile riconoscere da qualche parte almeno degli indizi di quelli che ne potrebbero essere stati i «precedenti»; ossia le solu-
9 Lo Östenberg, tuttavia, sottolinea in proposito in Case etnische di Acquarossa {cit. alla nota 2) p. 46, i contatti « internazionali » degli Etruschi e, indubbiamente, pur senza dover escludere a priori la possibilità di «tradizioni architettoniche» almeno fino a un certo punto autonome e parallele, i rapporti tra l'Etruria e il mondo greco orientale nel periodo arcaico non possono essere ignorati (basterebbe pensare al «capitolo» delle terrecotte architettoniche). 10 Cfr. AJA, 76 (1972), p. 251.
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zioni parziali, i termini intermedi di quel « processo » sopra ipotizzato che pure, se il discorso è valido, non dovrebbero essere mancati; magari a Murlo stessa. Purtroppo, di una fase più antica del complesso di Murlo che avrebbe potuto forse illuminarci direttamente in proposito si è appena individuata l'esistenza nel corso delle ultime campagne di scavi n le quali hanno rivelato strutture sottostanti la grande corte porticata che sembra non dovessero differire molto dalla planimetria della fase più recente. È, evidentemente, troppo poco e Murlo deve essere quindi accantonata per la nostra ricerca. Ma è allora il momento di fare ricorso proprio al complesso « monum entale » della zona F di Acquarossa. Tale complesso, come si sa, (Fig. 2), risulta costituito di quattro edifici disposti su tre lati di una piccola « piazza », dei quali i due più importanti (A e C nella denominazione degli scavatori), formanti angolo retto fra loro, hanno una pianta rettangolare allungata, tripartita all'interno e si affacciano sulla piazza con ampi portici a colonne, mentre un altro (B), a tre grandi ambienti, si dispone in continuazione del l'edificio C e a fianco di quello A colmando l'angolo vuoto risultante dalla giustapposizione di questi, e il quarto (D), solo parzialmente conservato, si dispone sul terzo lato della piazza dove doveva essere anche l'ingresso ad essa12. Benché di proporzioni più ridotte, e soprattutto meno organicamente concepito e « compiuto », il complesso di Acquarossa presenta indubbie affinità con quello di Murlo e giustamente, come si diceva all'inizio, i due complessi sono stati ormai più volte chiamati a confronto. Ma il confronto è stato fatto, fino ad ora, quasi soltanto per evidenziare la possibile sostan zialeidentità di funzioni dei due complessi nell'ambito della tesi che si può definire, per intendersi, « palaziale ». Ebbene, io credo che, tenendo pre sente questa tesi, il confronto possa essere approfondito nell'ambito più specificamente planimetrico-architettonico e proprio nel senso della ricerca e della possibile individuazione di quei « termini intermedi » tra un momento
11 Cfr. AJA, 78 (1974), p. 168. 12 I due altri edifici (E ed F) che sorgono a una certa distanza, rispettivamente a est e a sud del complesso Α-D e orientati secondo quello, possono essere trascurati nel discorso che si sta facendo, anche se quasi sicuramente destinati a funzioni affini ο complementari a quelle del primo blocco di edifici. È tuttavia interessante sottolineare lo schema dell'edificio E con il grande cortile davanti all'ala porticata e suddivisa in tre ambienti.
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iniziale X e il « punto di arrivo » rappresentato dal complesso di Murlo di cui si diceva sopra. Lo schema planimetrico del complesso di Acquarossa risulta, di fatto, dalla giustapposizione ad L di due edifici (A e C con il prolungamento D) sostanzialmente uguali, di per sé autonomi e praticamente indipendenti tra loro e senza alcuna comunicazione. C'è però l'intento evidente di costituire un insieme per quanto possibile organico che risulta, oltre che dalla possi bileanalogia ο complementarietà delle funzioni e proprio per questo, dalla collocazione stessa dei due edifici e dal fatto che essi sono - come ha scritto il Colonna 13 - « collegati tra loro anche esteriormente dal porticato e dal comune mantello di abbellimenti fittili ». Alla base di tutto resta, comunque, l'utilizzazione per un determinato fine (che è qualcosa di più della semplice « reduplicazione » M) di una « unità » architettonica che è stata definita « residenziale » e che può essere fatta agevolmente risalire al tipo di costruzione domestica esemplificato nello stesso abitato di Acquarossa, per esempio nella casa Β della zona Β (Fig. 3) 15, arricchita con l'aggiunta di un portico a colonne sulla fronte. Aggiunta che avrebbe potuto costituire l'inizio, per così dire, della « monumentalizzazione » di un edificio per il quale alle funzioni di residenza pri vata si siano volute unire (o sostituire) a un certo momento quelle di « rappresentanza » ο di « pubblico servizio ». A questo punto del discorso mi pare si inserisca perfettamente anche il richiamo alla Regia del Foro, a Roma16 che nella sua fase arcaica ci si presenta (Fig. 4), secondo quanto è risultato dai recenti scavi 17, come un edificio a tre ambienti affiancati e organizzati fra loro secondo lo schema degli edifici della zona monumentale di Acquarossa ma con il portico che si è « trasformato » e ampliato in una vera e propria corte porticata. Questo, documento dalla Regia, potrebbe costituire allora un altro esempio di utilizza zionedell'unità architettonica di base in cui, piuttosto che la reduplica zione di questa, si sia preferito lo sviluppo del portico 18. Ma credo sia
13 in Atti Orvieto, p. 90. 14 Cfr. M. Pallottino, in Atti Orvieto, p. 91. 15 Cfr. C. E. Östenberg, Case etrusche di Acquarossa, pp. 13-14, fig. 72. 16 Cfr. G. Colonna, in: Atti Orvieto, p. 90; M. Torelli, ibid., p. 274; C. E. Östenberg, in: Case etrusche di Acquarossa, p. 45. 17 Cfr. F. E. Brown,, New Soundings in the Regia, in Entretiens sur l'antiquité classique, XIII, 1957, pp. 47 segg. 18 Ma sulla Regia il discorso sarebbe da approfondire per la possibilità che essa sia stata parte integrante di un più ampio complesso comprendente il tempio di Vesta e la Casa delle
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legittimo almeno prospettare come un « logico » e quanto mai « semplice » ampliamento di un edificio del tipo esemplificato dalla Regia di Roma sia, in caso di necessità, quello costituito dall'aggiunta di una seconda costru zione simile alla prima su un altro lato della corte. Ne deriva la considera zione che lo schema si presta ad essere « completato » con la costruzione di edifici su tutti e quattro i lati della corte (o piazza) arrivando in tal modo a un complesso di un tipo che ci riporta direttamente a quello dal quale siamo partiti e cioè a Murlo. *
*
Un discorso come quello fatto (ma sarebbe più giusto dire accennato), pur essendo ancorato a certe testimonianze concrete e a suggestioni non del tutto prive di verosimiglianza, potrà sembrare semplicistico e meccanico e forse anche « astratto » o, quanto meno, teorico. Per giunta se si volesse interpretare con un valore per così dire progressivo, come un'indicazione dello sviluppo per tappe successive di uno schema planimetrico-architettonico, dal tipo più semplice a quello più complesso, esso urterebbe contro una grossa difficoltà di carattere cronologico. Infatti tutti gli edifici chiamati in causa nella esemplificazione si presentano, come è noto, pressoché contempor anei, databili come sono nel corso del secolo VI a.C. Non solo, ma il comp lesso di Murlo (cui si dovrebbe pensare come alla tappa finale del processo) potrebbe essere persino più antico di quello di Acquarossa e la Regia di Roma (che dovrebbe precedere l'esempio di Acquarossa) più recente di tutti. È bene allora precisare a chiare lettere come - a parte il fatto che sulle datazioni c'è ancora da approfondire, soprattutto in relazione alle fasi più antiche e originarie dei diversi complessi e che è sempre possibile pen sare a fenomeni di conservazione e di persistenza in successive fasi di rico struzione e di adattamento 19 - allo stato attuale delle nostre conoscenze,
Vestali le cui fasi più antiche sono testimoniate, come è noto, da strutture murarie giacenti sotto le costruzioni di età imperiale che hanno, a differenza di queste, il medesimo orientamento della Regia e del vicus Vestae che attraversa tutto il complesso. Sempre a proposito della Regia - e dei contatti tra il mondo etrusco-italico e quello greco - è il caso di ricordare la significativa strettissima somiglianzà planimetrica di essa con l'edificio, di età pisistratide, del Pritaneo di Atene (v. C. Ampolo, in La Parola del Passato, 1971, p. 442 segg.). 19 Come potrebbe essere nel caso della Regia di Roma se, come ricorda il Colonna (op. cit. alla nota 16) p. 91, essa imitava i «palazzi» dei re costruiti sulla Velia e se fra questi si può risalire, secondo le fonti, fino a quello di Tulio Ostilio.
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quel discorso, se è vero che non può essere svolto in senso diacronico, può però avere un valore in linea di principio e in senso che si potrebbe definire « concettuale ». Per cui le « tappe » indicate, ο forse soltanto adombrate, se non possono essere collocate nel tempo, lo possono essere invece nella logica. E ciò, almeno come tentativo di organizzare con gli scarsi elementi a disposizione, ma utilizzandoli tutti coerentemente, una possibile linea di ricerca e di approfondimento che magari soltanto future auspicabili scoperte potranno ulteriormente chiarire e sviluppare o, al limite, sovvertire e annullare. A proposito dei possibili approfondimenti, è forse interessante fin da ora rilevare come, anche nell'ambito di quella che sembra una « contempor aneità » di fatto, il complesso di Murlo si presenti più organicamente defi nito e completo di quello di Acquarossa, pur potendo aver assolto a fun zioni sostanzialmente analoghe, forse in relazione alle esigenze di una maggiore « concentrazione » di quelle stesse funzioni richiesta dal fatto di non essere esso inserito in una struttura di tipo urbano, come è nel caso di Acquarossa, ma isolato e a se stante (nel senso della « residenza-castello » del Cristofani) mentre ad Acquarossa il blocco degli edifici Α-D poteva essere completato con funzioni complementari dagli edifici E - F, separati ma collegati al nucleo principale, all'interno di un « piano » urbanistico più dilatato ed aperto. * * Passando ora ad affrontare, rapidamente, il problema delle possibili conseguenze ο degli eventuali sviluppi successivi di uno schema così ben definito e apparentemente « concluso » come è quello del complesso di Murlo 20, il discorso mi sembra in proposito estremamente difficile. La distru zione violenta delle fabbriche di Murlo in concomitanza, e forse in conse guenza, di avvenimenti inseribili in un particolare « momento » socio-econo mico, politico e storico generale quale quello già acutamente indagato dal Torelli, dal Colonna e dal Cristofani21, potrebbe aver determinato la fine, oltreché dell'edificio, anche delle esigenze e quindi delle funzioni da esso assolte. Ma non è detto che non ci possa essere stata qualche « sopravvi venza », sia pure accompagnata da modifiche e adattamenti che, ancora una
20 Un problema, questo, appena sfiorato dal Phillips in AJA, 76 (1972), p. 251. 21 Nelle opere citate in questo articolo.
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volta, potrebbero aver interessato, al tempo stesso, lo schema architettonico e le funzioni, con queste ultime evidentemente in un ruolo primario e determinante. In altre parole, e anche se lo stesso tipo esemplificato ad Acquarossa risulta violentemente e definitivamente distrutto press'a poco nello stesso periodo di quello di Murlo, è possibile che tipi analoghi, che non si può escludere siano stati presenti in altri centri urbani che continuarono a vivere e a svilupparsi, abbiano avuto una qualche continuazione22. Il Phillips aveva fatto un fuggevole riferimento ai Fora repubblicani23 ma ciò è sembrato « fuor di luogo » al Cristofani 24 alla luce delle prescri zionivitruviane circa i « fori » italici e stando alle conoscenze degli esempi più antichi di fori di cui disponiamo (Cpsa e Pompei) i quali « riflettono esperienze assai stratificate nel tempo che non possono servire da confronto immediato ». A me sembra che l'osservazione del Cristofani sia sostanzialmente valida, ma solo tenendo presente che, in realtà, dell'origine e del formarsi del Foro non sappiamo nulla e nulla sappiamo del suo aspetto primitivo e, peggio ancora, assolutamente nulla sappiamo di quello che nelle città etrusche può essere stato il corrispettivo, se non il precedente, del Foro italico-romano. Sicché dobbiamo prudentemente arrestarci, senza poter dar corso alla pur suggestiva considerazione che un complesso planimetrico-architettonico come quello di Murlo, immaginato dilatato in un contesto urbano « evoluto » e una volta venuti meno i caratteri « privati » ed accentuatisi fino a diven tareesclusivi quelli « pubblici », in armonia con le mutate condizioni sociopolitiche (per esempio all'inizio delle repubbliche oligarchiche), è un qual cosa di assai vicino al Foro come lo conosciamo per un'epoca più tarda: il centro urbano con la piazza porticata circondata dagli edifici « pubblici » che insieme assolvono ad esigenze di carattere politico, commerciale, giuri dico e religioso (quelle stesse alle quali, ancora nel secolo VI a.C, all'interno della sua « residenza-castello » presiedeva il « signore » di Murlo). Forse, parlare almeno di un « precedente », sia pure in senso lato, potrebbe essere non del tutto ingiustificato.
22 Come è, del resto, proprio il caso certo della Regìa di Roma. 23 Cfr. loc. cit. sopra alla nota 20. 24 V. in Prospettiva (cit. alla nota 4) p. 10.
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Fig. 1 - II complesso di Murlo.
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Fig. 2-11 complesso della « zona F » di Acquarossa.
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Fig. 3. - La casa B della « zona B » di Acquarossa.
Fig. 4 - La Regia del Foro a Roma.
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A environ un kilomètre au Ν. Ο. de Tivissa (province de Tarragone) la route de L'Hospitalet à Mora, qui descend vers l'Ebre, sépare une olive raie, à gauche, d'un vignoble, à droite. Sur une centaine de mètres de long, cette route a coupé le terrain d'une fabrique romaine de terre-cuite: tant le vignoble que l'oliveraie sont parsemés, sur une largeur totale de cinquante mètres, d'une quantité exceptionnelle de tessons de tuiles et d'amphores (Fig. 1). Dans le talus de la route, côté vignoble, apparaît ce qui peut être le reste d'un petit mur de tuiles (Fig. 2). Les ratés de cuisson de tuiles et d'amphores que j'ai ramassés ne laissent pas de doute quant à l'existence d'un four de potier à cet endroit. Dans un ouvrage sur Tivissa \ F. Màrius Bru i Borràs a du reste consacré au site une page qui corrobore et complète ces rapides observations personnelles et dont il faut citer tel quel tout le premier paragraphe: « A un quilòmetre a l'occident de la vila, tocant a la carretera de l'Hospitalet a Mora la Nova, hi ha una partida de terreny coneguda per Aumedina, modificació de la paraula àrab Almedina ο Medina. Alii, en un espai d'uns 100 metres per 50 metres, s'han descobert una inf initat d'àmfores romanes, rajoles, teules, fragments de ceràmica, diverses monedes ibero-romanes i, molt excepcionalment, fragments de ceràmica sigillata. En el desmunt
* Cet article est le fruit d'une visite faite à Tivissa en octobre 1972 dans le cadre d'une mission de 1Ί.Α.Μ. (CNRS, Aix-en-Provence). Les résultats exposés ont été obtenus grâce à l'accueil exceptionnellement chaleureux et efficace du Dr. Vilaseca à Reus et de M. Adolfo Bruii à Tivissa. Qu'ils veuillent bien trouver ici l'expression de mes plus vifs remerciements. 1 F. Màrius Bru i Borràs, Fulls d'història de la vila de Tivissa i del seu tenitori antic, Tivissa, 1955, p. 76-77. Je ne connaissais pas ce travail quand j'ai étudié l'estampille TIBISI et donné quelques indications souvent dubitatives sur la production de l'atelier de Tivissa dans un article intitulé Les amphores vinaires de Tarraconaise et leur exportation au début de l'Empire dans AE Arq., 1971, XLIV, p. 38-85.
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de la carretera, es veia (1920) alguna paret de rajols i una espècie de petits forns, boques del forn per a atiar el foc, avui (1954) completament destruits. Moites àmfores, prop de la boca, porten la segiient inscripció, feta amb motile: TIBISI. Alguna altra duu la de SEX-DOMITI corn pot veure's en la Làm. Vili i en les àmfores disposades al Museu Arqueològic de Madrid. Un petit nombre de rajoles porta també la marca primerament dita ». *
La grande majorité des fragments d'amphores identifiables que j'ai exa minés ou prélevés sur le site se répartissent entre trois types: des Dr. 2-4 (Fig. 3, 8), des Oberaden 74 (Fig. 3, 1 et Fig. 4), enfin des cols dont la lèvre est comparable à celle des Dr. 7-10 (Fig. 3, 4 et 5). Il existe toutefois quelques fragments de cols ou d'anses qui se prêtent moins à des comparaisons tradi tionnelles, et j'ai également ramassé deux morceaux de lèvre qui semblent appartenir à des amphores « Pascual 1 » 2. L'argile ne présente pas beaucoup de diversité. Elle est dure, compacte, pure. Le dégraissant est constitué par de petits éléments blancs ou gris. La couleur varie du rouge-orangé au marron (code Cailleux et Taylor E 36 à D 46 ou D 54). On trouve souvent les deux couleurs sur un même fragment de vase; elles forment parfois des bandes alternées; le passage de l'une à l'autre peut être graduel ou au con traire leur séparation bien nette. Dans le village, à la bibliothèque municipale et au domicile de M. Adolfo Bruii, sont conservés des fragments estampillés trouvés sur le site. Quatre portent la marque SEX. DOMITI et autant la marque TIBISI. Deux estamp illes isolées s'y ajoutent: l'une, sur un fragment plat (tuile?), a été lue LAPT; l'autre, représentée fig. 3, 9, est moins lisible: probablement MEEV [...]. On compte parmi ces fragments ceux dont j'ai publié la photographie en 1971 3. Je donne ici, à défaut d'un dessin complet, le profil de leur lèvre (Fig. 3, 2 et 6). Un troisième fragment identifiable porte la marque TIBISI: il s'agit sans aucun doute d'une lèvre d'amphore « Pascual 1 », dont la production par l'atelier de Tivissa est ainsi confirmée (Fig. 3, 7). La même
2 R. Pascual Guasch, Centres de production y difusión geogràfica de un tipo de anfora, dans VII Congreso National de Arqueologia, Barcelona, 1960 (Saragosse, 1962), p. 334-345; M. Beltrân Lloris, Las anforas romanas de Espana, Saragosse, 1970, p. 329-336. 3 Art. cité, fig. 17.
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marque a du reste été récemment retrouvée sur un col d'amphore du même type par M. Bouscaras à Port-la-Nautique près de Narbonne4. Autant que j'ai pu le voir, et en tous cas pour les fragments 2, 3 et 6 de la fig. 3, qu'il m'a été possible d'examiner à loisir, l'argile a bien la même aspect que celle des tessons trouvés sur le gisement. Je ne ferai qu'une exception, pour le tesson estampillé MEEV ... : son argile rouge à points blancs le rapprocherait de la série définie antérieurement par F. Zevi et l'auteur de ces lignes 5. * *
On peut conclure de ces observations que l'atelier de Tivissa a produit au moins quatre types d'amphores: des Oberaden 74, des Dr. 2-4, des amphor es qu'on pourrait provisoirement appaler Dr. 7-10 catalanes, et enfin des amphores « Pascual 1 », que j'avais baptisées pour ma part « amphores fuse lées de Léétanie »: on voit qu'en réalité la région de production de ces dernières a largement dépassé la Léétanie. Les marques TIBISI et SEX. DOMITI sont d'origine locale. La première existe sur les trois derniers types que je viens de citer 6. L'estampille SEX. DOMITI n'est en revanche connue 7 que sur des amphores Oberaden 74. Les doutes que j'avais laissé subsister en 1971 sur son origine peuvent être levés: sa récurrence à Tivissa sur plusieurs fragments8, la présence sur le site même de l'atelier de fragments
4 A. Bouscaras, Les marques sur amphores de Port-la-Nautique, dans Cahiers d'Archéol ogie Subaquatique, III, 1974, p. 118-119. 5 Amphores vinaires de Campanie et de Tarraconaise à Ostie, dans Etudes sur les amphor es romaines, Collection de l'Ecole Française de Rome, Rome, 1972, p. 35-67. 6 Cf. A. E. Arq., 1971, cit., p. 65-67 et B. Liou, Gallia, 33, 1975, 2, p. 577, pour des exemples de la marque TIBISI sur des cols d'amphores Dr. 2-4 et sur un col de Dr. 7-10 catalane trouvée dans le golfe de Fos. 7 M. H. Callender, Roman Amphorae, Londres, 1965, n. 1602, indique pour la marque de Sextus Domitius la diffusion suivante: Bale, Nyon, Lugano, Oberaden, Héry (près d'Auxerre), St Paulien (près du Puy), Rodez, Carpentras. Pour un second exemplaire à Rodez, cf Gallia, 1974, 2, p. 463. Les timbres de Bàie et d'Oberaden sont sur des cols d'amphores de forme Oberaden 74: S. Loeschcke, dans Chr. Albrecht, Das Römerlager in Oberaden, Heft 2, Dort mund, 1940, p. 77; (corrigeant l'interprétation de la forme avancée par Oxé dans le Heft 1 du même ouvrage) et Callender, op. cit., pi. IV b. 8 Aux quatre que j'ai vus sur place il faut au moins ajouter ceux signalés par F. Marius Bru i Borras comme données au Musée de Madrid.
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de lèvres, de cols et de fonds d'amphores Oberaden 74, l'homogénéité des argiles, permettent bien d'affirmer que cette marque largement répandue vient de Tivissa. J'ai déjà utilisé cette donnée, ainsi que celles fournies par l'étude morphologique des fragments recueillis sur le site, pour caractériser les amphores Oberaden 74, les distinguer des autres amphores à pied annul aire et lèvre à ressaut auxquelles on donne parfois le nom générique de Dr. 28, et proposer de leur attribuer une origine catalane9. Quant à la date de l'atelier, rien ne l'indique, si ce n'est la présence de la marque SEX. DOMITI à Oberaden: il fonctionnait peu avant 9 av. n. è., mais il n'est pas possible pour l'instant de mieux préciser le moment de son installation ni la durée de son activité.
9 Note sur le matériel recueilli dans la fouille d'un atelier d'amphores à Velaux (B. du R.) (en collaboration avec J.-P. Villa) dans Actes du colloque international du CNRS «Méthodes classiques et méthodes formelles dans l'étude typologique des amphores», Rome, 27-29 mai 1974, (à paraître dans la Collection de l'Ecole Française de Rome).
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Le lébès Barone, qui doit son nom à l'antiquaire Raffaele Barone, est sans conteste le vase de bronze le plus célèbre de Capoue. Et tout naturel lement, M. J. Heurgon lui a consacré plusieurs pages de sa thèse 1. Mais, bien que le chaudron soit régulièrement cité dans différentes études portant sur Capoue, il est étrange qu'il n'ait pas encore fait l'objet d'une publication exhaustive2; il est vrai que celle-ci est prévue depuis quelques années dans la série Capua Preromana3. Que ces lébès exécutés à la fin du VIe ou au début du Ve s. selon les cas aient subi des influences venues d'Italie Centrale est un fait reconnu par l'ensemble des spécialistes. Ainsi, W. Johannowsky, qui les place, avec la céramique à figures noires étudiée par F. Badoni, dans la phase VI de l'histoire des nécropoles, peut-il écrire: «... anche i bronzi di questo periodo, la cui qualità è in parte relativamente buona, rientrano decisivamente nella cultura artistica etrusca » 4. M. J. Heurgon, pour sa part, s'était tout spécialement intéressé au motif central ornant le couvercle du lébès Barone; et c'est incontestablement les antéfixes de Satricum qu'il fallait rechercher comme prototype du couple formé par le Silène et la Mènade5. Nous voudrions, quant à nous, étudier plus en détail la frise gravée sur la panse du lébès: si l'on fait exception de l'épisode mythologique mettant en scène
1 P. 397-414. 2 S. Haynes, Etruscan bronze utensils, Londres, 1965, p. 16-8, fig. 1; F. Parise Badoni, Ceramica campana a figure nere, Florence, 1968, p. 147 sq.; Β. d'Agostino, II mondo periferico della Magna Grecia dans Popoli e Civiltà dell'Italia antica, Rome, 1974, 2, p. 199 (pi. 77). 3 Bronzi ed altri oggetti minori a cura di W. Johannowsky e C. de Theo (Studi e mat eriali dell'Istituto di Etruscologia e Antichità Italiche dell'Università di Roma). 4 EAA, supplementa, art. Capua, p. 182. 5 P. 412.
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Hercule et sans doute Cacus, celle-ci est en général un peu négligée et on insiste par-dessus tout sur les caractères stylistiques, en montrant la gros sièreté des figures et en concluant que la frise doit être l'œuvre d'un artiste différent6. Plus précisément, d'un point de vue iconographique, ce sont les scènes de jeux sur lesquelles nous voudrions attirer ici l'attention, en affirmant leur caractère résolument étrusque7. La frise gravée comprend, dans le domaine des sports, une course de chars, deux moments d'un pugilat et une scène de lutte, le tout étant inscrit à l'intérieur de colonnes doriques. Prenons tout d'abord le cas de la course, dans laquelle plusieurs éléments mettent en lumière l'aspect typiquement étrusque de la représentation. C'est en premier lieu la disposition générale des chars: sur les six biges en action, les deux du milieu sont en train de se dépasser, cependant que les quatre autres se suivent en file indienne, si l'on peut dire, avec cette précision que le premier et le cinquième auriges se retournent pour voir le concurrent situé derrière eux. Bien que cette disposi tion, en tout cas en ce qui concerne les chars qui se doublent, ne soit pas tout à fait inconnue en Grèce, on remarque qu'elle est surtout fréquente cependant sur les représentations étrusques8. C'est ainsi qu'elle apparaît déjà sur le plus ancien document étrusque montrant ce thème, autrement dit l'amphore « pontique » conservée au Musée de Berlin, œuvre du peintre d'Amphiaraos, ainsi nommé d'après le motif du départ d'Amphiaraos ornant l'épaule du vase9. Sur la panse de cette amphore, sept biges: le deuxième et le troisième, ainsi que le cinquième et le sixième sont en train de se dépasser, cependant que les trois autres sont montrés individuellement; on remarque aussi que le quatrième et le sixième cochers se retournent pour voir leurs poursuivants. Une disposition analogue se retrouve sur une terre cuite de Velletri où, lors d'une course de triges, on peut voir le deuxième aurige se retourner au moment où il essaie de dépasser celui qui mène la
6 D'Agostino, op. cit., p. 199. 7 Cet aspect est signalé rapidement par S. Haynes, qui fait le rapprochement avec la Tombe des Olympiades, op. cit., p. 17. 8 À. Âkerstrom, dans Op. Rom., 1, 1954, p. 196-7. 9 R. C. Bronson, Chariot-racing in Etruria dans Mélanges L. Banti, Rome, 1965, p. 95, n° 19 du catalogue et pi. 25 a. Nous serons souvent amené évidemment à citer ce remarquable article. La céramique pontique est d'ailleurs indiquée par B. d'Agostino comme une des sources possibles des motifs de cette frise. Nous noterons pour notre part que certaines hydries cérétanes montrent à la fois Hercule, des pugilistes et des lutteurs (C. Albizzati, Vasi antichi dipinti del Vaticano, Rome, 1923, fase. 3, 229, pi. 19-20).
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ronde 10. Citons enfin les fresques de la Tombe des Olympiades qui peuvent maintenant servir de référence: pendant que le deuxième et le troisième chars sont à la lutte, le premier aurige se retourne, sans doute pour s'assurer de sa victoire, de la même façon que l'aurige de tête du lébès Barone n. D'une façon générale, on constate que les courses de chars grecques, qu'il s'agisse de peintures de vases corinthiens ou attiques, sont marquées par une très grande régularité du motif12. Ainsi, sur le Vase François, les auriges sont-ils tous placés à la hauteur des chevaux qui suivent 13: il n'y a aucune irrégularité, aucune dissymétrie dans le traitement du motif. Il est très rare, en revanche, de voir une course mouvementée, comme sur l'amphore tyrrhénienne de Florence illustrant une nouvelle fois le départ d'Amphiaraos 14. Là, on peut en effet apercevoir un cheval renversé à terre, un char brisé et d'autres chevaux qui se cabrent en atteignant le but symbolisé par une lourde colonne dorique. Mais les peintures de cette nature, toutes relevées par R. C. Bronson, peuvent se compter sur les doigts de la main 15; c'est au contraire un motif presque obligé des représentations étrusques et par exemple, le schéma de l'aurige qui se retourne apparaît encore au milieu du Ve s. sur des bas-reliefs de Chiusi 16. C'est non seulement la disposition d'ensemble mais ce sont aussi les chars eux-mêmes et la technique de l'aurige qui nous conduisent à une conclusion semblable. Nous constatons que le lébès Barone présente une course de biges: bien entendu, ce char était connu des Grecs et il est même représenté, dès avant le milieu du deuxième millénaire, sur des stèles
10 Ibid., pl. 25 d, n° 17 du catalogue. 11 R. Bartoccini, C. M. Lerici, M. Moretti, Tarquinia, La tomba degli Olimpiadi, Milan, 1959, pi. 5-8. Le motif de l'aurige qui se retourne se trouve aussi sur la situle de Kuffarn qui fait partie de cette série d'œuvres de la région vénéto-illyrienne très influencées par la culture étrusque (Mostra dell'Arte delle situle dal Po al Danubio, Florence, 1961, n° 54, pl. H). 12 Après quelques exemples dans le protocorinthien et le protoattique, le motif de la course de chars est surtout représenté à partir du VIe s. dans la céramique attique (R. C. Bronson, art. cit., p. 90-92). Mais avec la peinture à figures rouges, il disparaît presque complètement: ainsi, la date du lébès Barone pourrait être aussi un indice du côté non hellénique de la frise puisqu'on ne trouve plus guère le sujet à ce moment et en tout cas il n'est pas situé en «vedette», comme sur les fresques de Tarquinia ou Chiusi. Mais il est vrai que nous avons affaire ici à une œuvre archaïsante, comme le montre bien la frise d'animaux en particulier. 13 A. Minto, II vaso François, Florence, 1960, p. 80-86. Contrairement à ce qu'affirme R. C. Bronson, on ne voit sur ce vase aucun aurige se retournant. 14 Perrot-Chipiez, Histoire de l'Art, Paris, 1885, 10, p. 109 sq., fig. 79. 15 Art. cit., p. 95. 16 E. Paribeni, / rilievi chiusini arcaici, dans SE, 12, 1938 ρ, 57 sq., n° 128 et 132.
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mycéniennes 17. Les héros de l'Iliade ne semblent pas avoir connu un autre type d'attelage, en tout cas pour la course 18; et c'est encore le bige qui est préféré par le Géométrique récent et les peintres protoattiques. Mais, dès la fin du VIIIe s., le quadrige commence à faire son apparition et au VIe s. il submerge complètement le bige qui disparaît pour ainsi dire des représentations. Il est évident que les courses de biges existaient encore à cette époque, comme le montrent des listes de vainqueurs et certaines amphores panathénaïques mais les peintres ont délibérément préféré le quadrige: après tout, ce choix sera aussi celui des artistes romains qui ont systématiquement représenté des courses de quadriges 19. Or, en Etrurie, la situation est claire: à n'examiner que les scènes de jeux, on pourrait croire que le quadrige y était inconnu; seuls, le bige et, dans une moindre pro portion, le trige, sont représentés. R. C. Bronson fait remarquer, avec beaucoup de justesse, que même le peintre d'Amphiaraos, qui est pourtant très hellénisé, ne va pas jusqu'à imiter les quadriges de son modèle corinthien20. C'est une course de biges qu'il a peinte sur le vase et c'est aussi ce char que montreront les fresques funéraires de Tarquinia et Chiusi: on connaît d'ailleurs la Tombe des Biges, au nom révélateur. Une terre cuite de Velletri pourrait ici être choisie comme modèle puisqu'on peut y voir, dans une course, et non sans surprise, un trige suivi de plusieurs biges21. Le type du char constitue aussi une indication. Autant qu'on puisse en juger, c'est le type « ionien » qui est représenté ici: on notera en par ticulier que les roues ont un nombre de rayons supérieur à quatre. Plus exactement, on constate encore une fois que c'est l'irrégularité qui prime: certains des chars ont des roues de quatre rayons, d'autres de cinq. Il en
17 R. C. Bronson, art. cit., p. 100. 18 Un seul vers de l'Iliade (11, 699) laisse supposer qu'il existait aussi des courses de quadriges, mais il s'agit certainement d'une interpolation due aux épreuves des Jeux Olympiques. Cf. F. Johansen, Les vases sicyoniens, Rome, 1966, p. 152, n. 1. 19 C'est en Ionie seulement (Clazomènes) que le bige est resté; une remarquable exception est fournie par le coffre de Cypselos (J. G. Frazer, Pausanias's description of Greece, Londres, 1913, vol. 3, p. 606 sq.). 20 P. 97. 21 A. Andren, Architectural terracottas from etrusco-italic temples, Lund, 1940, fig. 1, 5. La culture atestine, très influencée par l'Etrurie, nous l'avons dit, ne connaît aussi que le bige: situles Arnoaldi et de Kuffarn (n° 52 et 54 du catalogue de la Mostra). Notons que c'est le cas des peintures de Paestum également, dans leur grande majorité: cf. P. C. Sestieri, Tombe dipinte in Paestum, dans Riv. dell'Ist. Naz. d'Arch. e Storia dell'Arte, NS, 5-6, 1957, p. 65-110. (une seule exception avec quadrige, n° 7).
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est de même pour les chars de la Tomba del Colle qui ont des roues de huit, six et cinq rayons; et c'est aussi la diversité que l'on remarque, à propos de ce point, sur les fresques de la Tombe des Olympiades. Ce que l'on sent bien, c'est que les artistes étrusques, dans ces différents exemples, ont voulu montrer que les roues avaient beaucoup de rayons mais, avec désin volture, ils en ont représenté un certain nombre, au petit hasard. Ce char s'oppose, en tout cas, au type « continental » qui a « une caisse basse, une rampe ajourée dont la partie antérieure est plus haute que les parties laté rales . . . Les roues ont quatre rayons » 22. Or, c'est ce char qui est presque exclusivement utilisé, en Grèce même, dès la fin du VIIIe s. Ainsi, le choix du type ionien, comme celui de l'attelage à deux chevaux rapprochent-ils le lébès Barone de la production étrusque contemporaine. Mais le point le plus frappant dans cette démonstration que nous menons est peut-être la relation de l'aurige à l'attelage, autrement dit le mode d'utilisation des rênes. On constate en effet que les rênes sont nouées autour de la taille de l'aurige: celui-ci ne se contente pas de les tenir dans les mains, ainsi que le fait par exemple l'Aurige de Delphes. Or, pratiquement toutes les courses de chars étrusques présentent cette particularité: l'exemple le plus net est sans doute là encore celui de la Tombe des Olympiades, où les cochers sont affublés d'un nœud dans le dos, absolument démesuré d'ailleurs. Il s'agit d'une technique qui n'est pas inconnue en Egypte où elle était utilisée pour la chasse ou la guerre: cette façon de placer les rênes a le mérite de laisser les mains libres et l'on peut ainsi plus facilement lancer le javelot, par exemple, de son char23. Mais ce sont les Etrusques qui ont adapté cette techique à la course de chars, la transmettant ensuite aux cochers romains. Ce procédé permet évidemment à l'aurige de ne jamais perdre les rênes; en revanche, il entraîne un risque considérable dont on mesure les conséquences sur plusieurs représentations et en particulier, une fois de plus, sur les fresques de la Tombe des Olympiades: le cocher pouvait être ligoté dans les rênes et accomplir ainsi une fantastique cabriole. Ce risque, les auriges romains le connaissaient bien, qui glissaient dans les lanières leur encerclant la poitrine et la taille un couteau afin de se libérer du piège formé par les rênes en cas d'accident24.
22 F. Johansen, op. cit., p. 153. 23 J. K. Anderson, Ancient Greek horsemanship, California, 1961, pi. 1. 24 Diet. Ant. Gr. et Rom., art. circus, fig. 1453. La même technique se retrouve encore sur les deux situles déjà citées plus haut.
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Venons enfin à l'équipement des auriges qui doit aussi être relevé. Tous les cochers du bronze de Capoue portent un chiton court et sans ceinture, qui arrive juste à la hauteur des cuisses. Or, c'est bien là aussi le costume traditionnel des Etrusques qui s'oppose nettement à celui des Grecs: il suffit de penser à l'Aurige de Delphes vêtu d'une longue tunique blanche, qui lui descend jusqu'aux chevilles25. On notera d'autre part que les cochers capouans sont affublés d'un couvre-chef apparemment rond, qui leur en veloppe toute la tête et qui présente surtout la particularité d'être muni de protège-oreilles. Si les auriges grecs sont, quant à eux, toujours représentés tête nue, leurs collègues étrusques portent à plusieurs reprises un chapeau haut et pointu, une sorte de « tutulus » 26. Un des auriges de la Tombe des Olympiades porte ce que l'on pourrait appeler une bombe, en pensant à l'équipement de nos cavaliers modernes. Et surtout, différents documents étrusques nous montrent des cochers coiffés d'une sorte de casque à oreilles, très proche de celui que l'on peut voir sur le lébès Barone: c'est le cas de terres cuites de Velletri et de fragments de céramique à figures noires27. Signalons, pour terminer, le court fouet tenu par le cocher de tête ainsi que par celui qui est situé en troisième position: cet instrument est lui aussi utilisé par tous les auriges étrusques et s'oppose nettement à la longue baguette dont se munissent les auriges grecs, traditionnellement. En définitive, à s'en tenir à la seule course de chars, la réunion de ces différents él éments constitue un faisceau de preuves suffisamment important pour que ne soit pas discutable le caractère étrusque de la représentation. La scène du pugilat qui suit est tout aussi révélatrice: la présence d'un flûtiste accompagnant le combat du son de son instrument est un indice qui ne trompe pas28. Mais une deuxième scène de boxe suscite des
25 Cf. Aristophane, Nuées, v. 69-70: "Οταν συ μέγας ών αρμ' έλαύνης προς πόλιν ώσπηρ Μεγακλέης ξυστίδ' έχων. 26 C'est le cas en particulier sur les fresques de la Tomba del Colle: R. Bianchi-Bandinelli, Clusium. Le pitture delle tombe arcaiche, Rome, 1939, pi. D, et 7. Contrairement à l'inte rprétation trop moderniste de R. C. Bronson, art. cit., p. 96, le bandeau noué autour du front de l'Aurige n'a pas pour but d'empêcher les cheveux de lui tomber dans les yeux pendant la course: il s'agit en fait de la taenia, insigne du vainqueur, qu'il vient de ceindre après son arrivée (M. Chamoux, L'Aurige dans Fouilles de Delphes, 4, 5, Paris, 1955, p. 53). 27 R. C. Bronson, ibid., p. 96, pi. 25 d. 28 Nous renvoyons ici, pour toutes les références, à notre article des MEFRA, 86, 1974, 1, p. 71-74. La seule exception réelle en Grèce est fournie par le coffre de Cypselos, où l'on pouvait effectivement voir, selon Pausanias, un aulète placé entre les deux pugilistes. J. G. Frazer,
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réflexions un peu différentes: on peut y voir le pugiliste de droite lever un doigt pour reconnaître sa défaite: il est d'ailleurs à moitié renversé en arrière et sa position semble plus que difficile29. Or, à notre connaissance, aucune fin de combat révélant ce détail n'est visible sur d'autres documents iconographiques d'Etrurie, alors que c'est un motif bien attesté dans la céramique attique par exemple. Cela nous amène aussitôt à faire une remarque qui ne doit rien enlever à l'ensemble de la démonstration: l'artiste qui a gravé la frise du lébès Barone se trouvait dans un milieu, la Campanie, qui était au croisement de plusieurs cultures; et même si le caractère étrus quel'emporte largement, d'autres influences sont notables. C'est ainsi que les colonnes doriques qui encadrent les scènes athlétiques et qui symbolisent les constructions d'un « cirque » sont un trait purement hellénique. Sur les fresques ou vases peints d'Etrurie, les scènes gymniques et hippiques sont encadrées - lorsqu'elles le sont - par un arbuste ou un motif végétal quelconque30. Les seuls motifs architecturaux représentés sont, en général, à part les tribunes de la Tombe des Biges qui constituent une remarquable exception, des poteaux d'arrivée: ainsi sur une amphore à figures noires du Peintre de Micali, ainsi toujours dans la Tombe des Olympiades 31. Et signalons enfin un autre élément qui n'entre pas non plus dans le cadre étrusque habituel: les athlètes sont complètement nus, à la manière grecque, et ne sont pas munis d'un périzôma ou d'un suspensoir comme la plupart des concurrents étrusques. La lutte ne présente pas de caractères originaux marqués. Les deux athlètes sont dans une position que l'on peut supposer initiale: ils se tiennent réciproquement par les poignets, pour engager le combat. Plus exactement, il semble que l'athlète de gauche ait essayé de porter une « clé » au cou de son adversaire, attaque que ce dernier bloque en saisissant le poignet gauche de l'autre lutteur. C'est une position classique, relativement
op. cit., p. 600 sq. Fait d'ailleurs révélateur de l'étrangeté de cette coutume pour un Grec, Pausanias éprouve le besoin de préciser que cela se fait désormais de son temps pour les concurrents qui sautent en longueur dans le pentathlon (5, 17, 10). 29 Pourrait-il s'agir d'une scène de pancrace? Rien ne permet de l'affirmer ni d'ailleurs de le nier absolument; quoi qu'il en soit, les conclusions que nous pourrions en tirer ne seraient guère différentes: le pancrace n'est jamais représenté en Etrurie sauf peut-être sur les fresques de la Tombe des Biges et l'on connaît le caractère en partie hellénique de celles-ci. 30 J. D. Beazley, EVP, Oxford, 1947, pi. 2, 2 a. cf. aussi la Tombe du Guerrier: M. Moretti, Nuovi monumenti della pittura etrusca, Milan, 1965, p. 95, pi. 98, 9. 31 EVP, ibid.
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répandue32. Dans ces conditions, on ne peut guère tirer de conclusions probantes de cette scène athlétique, quant à son origine: d'ailleurs, d'une façon générale, c'est le cas habituel des scènes de lutte étrusques. Si ce dernier sport n'est donc pas spécifiquement étrusque, le fait qu'on le trouve à côté du pugilat et de la course de chars est assez signi ficatif. Ce sont en effet les trois épreuves que les Tyrrhéniens ont mont rées le plus souvent, tout au moins à ce qu'on pourrait appeler la « grande époque », celle des fresques funéraires de la seconde moitié du VIe s. et du début du Ve s. Le choix est aussi révélateur en ce sens qu'on ne trouve sur la frise aucune épreuve « athlétique », dans l'acception moderne du terme. La différence est nette d'avec les motifs en relief qui décorent le couvercle de ces mêmes bronzes, sur lesquels par exemple un discobole apparaît à trois reprises33. Or, les figures qui ornent les couvercles sont certainement d'une inspiration différente. Le fait que l'ensemble des scènes athlétiques soit étrusque apporte un élément intéressant en ce qui concerne le reste de la frise gravée et tout particulièrement le mythe de Cacus et Hercule. Car, contrairement à ce que disait J. Bayet, le caractère étrusque du lébès Barone - tout au moins en ce qui concerne cette partie de la décoration - peut ainsi être affirmé34. Et on aurait là la plus ancienne des représentations de Cacus, qui sont d'ailleurs très rares35. Ce serait en tout cas une indication que Cacus est bien à Rome un héros venu d'Etrurie. Sans doute faudrait-il aussi répondre à la seconde objection de J. Bayet, selon lequel « rien ne prouve qu'il s'agisse d'un exploit d'Hercule relatif au troupeau de Géryon » 36. Il serait trop long de discuter cette question ici mais disons tout de suite que les autres interprétations (Mélampos, Erginos) sont encore moins satisfaisantes. D'autre part, un faisceau de présomptions laisse penser que la légende de Cacus était effectivement fort ancienne en Etrurie, alors qu'elle
32 E. N. Gardiner, Wrestling dans JHS, 25, 1905, p. 272 sq. Et on en trouve l'illustration aussi bien sur des vases grecs {ibid., fig. 12) que sur un miroir étrusque (Gerhard-Körte, ES, 5, 224: il s'agit du célèbre miroir du Vatican représentant la lutte de Pelée et Atalante). 33 J. Heurgon, p. 410-11. 34 Herclé, Paris, 1926, p. 99-100: «ce vase est de fabrique indéterminée». 35 J. G. Winter, The myth of Hercules at Rome dans Univ. of Michigan Studies, 4, 1910, p. 171 sq. En tout cas, aucune représentation grecque du mythe ne peut être indiquée avec certitude, malgré P. Gardner dans JHS, 13, 1892-3, p. 70 sq. 36 J. Bayet, ibid., p. 100.
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l'était peut-être moins à Rome37. En tout cas, la légende de Cacus et des frères Vibennae illustrée, entre autres, sur un miroir de Bolsena, suppose vraisemblablement un précédent purement mythologique38. On voit mal en effet comment un tel conflit aurait pu être introduit directement dans l'iconographie; les Vibennae sont à la mode à la fin du IVe et au début du IIIe s.39. Héroïsés, ils prennent la place d'un personnage confronté à Cacus, personnage qui peut bien être Hercule lui-même. Un tel thème serait donc connu en Etrurie dès le IVe s. au moins et peut-être avant, ce qui nous renvoie près de la date du lébès Barone. Pourquoi Cacus ne serait-il pas venu d'une Campanie préalablement étrusquisée, ce que laissent d'ailleurs supposer certains textes longuement étudiés par J. Bayet40? Resterait alors à justifier l'avatar de Cacus, brigand devenu devin, mais cela est une autre histoire.
37 Cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1966, p. 57, n. 1, qui met en doute l'existence d'un couple Cacus-Caca: «... il n'y a couple que pour des divinités régentes de la sexualité (Liber -Libera) ou fortement engagées dans la sexualité (Faunus-Fauna) ». 38 ES, V, p. 166-172, pi. 127. 39 Cf. la date proposée par M. Cristofani pour la Tombe François de Vulci dans Dialoghi di Archeologia, 1, 2, 1967, p. 186 sq. Voir aussi J. Heurgon, La coupe d'Aulus Vibenna dans Mélanges J. Carcopino, Paris, 1966, p. 515-528. 40 Solin, 1, 8. Cf. J. Bayet, Les origines de l'Hercule romain, Paris, 1926, p. 214 sq.
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NOTES SUR LE PERSONNAGE DE ROMULUS
Le caractère légendaire des récits sur les origines de Rome était manifeste dès l'Antiquité. Les réserves de Tite-Live au début du livre I sont éclairantes \ G. Dumézil, pour sa part, fait très justement remarquer que ces contes présentent: « non pas des mythes fabuleux, ni même des récits épiques en ordre dispersé, mais une histoire des origines, un récit continu et plausible du type que . . . nous appelons historique » 2. Mais l'effort pour présenter de façon organisée les premiers temps de Rome n'a pas éliminé le vieil héritage indo-européen. On sait les brillantes études que G. Dumézil a menées. Il ne saurait être question pour nous de les contester, mais seulement d'ap porter quelques précisions sur le personnage de Romulus. Si celles-ci méritent d'être retenues, loin de mettre en cause l'analyse dumézilienne, elles doivent permettre de la pousser plus loin sur le point qui nous préoccupe. Le personnage de Romulus est ambigu. Contrairement à son successeur Numa, bon et sage, il est capable du meilleur comme du pire. Avec son frère Rémus, il se livre à des brigandages3, il est possédé de la regni cupido et, si l'on en croit Plutarque4, parvenu au faîte de la puissance, il exercera un tel abus d'autorité que les Sénateurs n'hésiteront pas à le faire périr. Les historiens, sans dire qu'il ait trempé dans la mort de Tatius, laissent planer un doute à ce sujet5. Mais il y a plus grave encore, on soupçonne
1 Tite-Live, Praef. 6-7. 2 G. Dumézil, Mythe et épopée, I, Paris, 1968, p. 269-70. 3 A vrai dire, les jumeaux sont présentés dans leurs coups de main comme des redres seursde tort (cf. surtout Plutarque, Vie de Romulus, 6, 3-5), mais les récriminations de leurs victimes dans Tite-Live, I, 5, 4, laissent soupçonner une autre vérité. Voir également sur ce point Denys d'Halicarnasse, 1, 79. 4 Op. cit., 27, 2-3. 5 Cf. Ibid., 23, 5 et Tite-Live, I, 14, 3.
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le héros d'avoir truqué les auspices pour s'assurer le pouvoir6; il tue son propre frère pour être seul à régner7, et n'hésite pas contre les droits de l'hospitalité à enlever les Sabines8 en fraudant avec la religion elle-même9. La ville qu'il a fondée, il la peuple de citoyens peu édifiants en assurant aux délinquants droit d'asile. Lorsqu'il cherchera pour eux des compagnes honorables, il se verra invité par dérision à trouver des femmes aussi peu recommandables 10. Romulus est donc un aventurier qui s'est fait lui-même. Il a fondé une grande partie de sa réussite sur la violence guerrière n. Sa figure est donc celle d'un personnage inquiétant, violent et ambitieux auquel il est incertain de se fier. Mais ce personnage peut être interprété de façon favorable. Ses origines sont merveilleuses puisqu'il est non seulement de sang royal, mais fils du dieu Mars 12. Sauvés des eaux, son frère et lui-même sont allaités par une louve 13. Ces faits extraordinaires témoignent qu'il est protégé des dieux. Cette protection apparaît clairement avec la prise d'auspice: c'est confo rmément à leur volonté que Romulus fondera Rome. Cet appui se manifeste clairement au moins une fois encore, lorsque l'invocation à Jupiter le sauve d'une défaite certaine à laquelle le condamnait la bravoure de Mettius Curtius w. Au reste, s'il lui est arrivé de frauder avec la religion, il sait aussi se montrer respectueux à son endroit. Après sa victoire sur le peuple caeninien, il ramène les dépouilles du chef ennemi tué de sa main et les dépose au pied du chêne sacré des bergers et fonde un temple consacré
6 On connaît les problèmes d'interprétation soulevés par cette prise d'auspices. Au livre I des Annales d'Ennius, fr. Ern. 43-62, il apparaît que Rémus est le premier à apercevoir un présage favorable; il n'en reste pas moins que la royauté revient à Romulus. Il s'agit sûrement dans ce passage d'auspicia impetrativa. On consultera à ce sujet J. Heurgon: Ennius, Annales, Traduction et commentaire, Paris, 1960, p. 42-3. Mais dans Tite-Live, I, 7, 1-2, il ressort que l'arrêt des auspices n'est pas accepté de façon sereine. C'est encore une fois la violence qui décidera. 7 Cf. Tite-Live, ibid., 2-3 et Plutarque, R., 9, 9 et 10, 1-2. 8 Cf. Tite-Live, I, 9 et Plutarque, R., 14-15. 9 En effet Plutarque (ibid., 14, 3-5) note que Romulus inventa le dieu Consus pour tendre un traquenard à l'occasion de sa fête. 10 Tite-Live, I, 9, 6. 11 Cf. également ses campagnes contre les Fidénates (ibid., 14, 4-11, Plutarque, R., 23, 6-7) et les citoyens de Véies (Tite-Live, I, 15, Plutarque, R., 25, 2-7). 12 Ennius, Annales, I fr. Ern., 20-36; Tite-Live, I, 4, 2; Plutarque, R., 4, 2. 13 Ennius, Annales, I, 40-2; Tite-Live, I, IV, 6; Plutarque, R., 4, 2. 14 C'est à cette occasion que Romulus invoque Jupiter en lui donnant l'appellation de Stator. Sur cet épisode cf. Tite-Live, I, 12 et Plutarque, R., 18, 8-9.
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à Jupiter Férétrien 15. En outre, la violence qui lui est est reprochée lui est imposée souvent par la nécessité. Etait-il possible de trouver des épouses à son peuple sans commettre un rapt, étant donné le refus des cités environ nantes? Les guerres sur lesquelles il assied, à la fin de sa vie, la puissance de sa cité, il ne les a pas délibérément recherchées. D'ailleurs, Romulus sut se montrer un bon organisateur et donner à sa ville des institutions sans lesquelles une cité ne peut vivre 16. Enfin sa disparition merveilleuse 17 plaide en faveur du personnage 18. L'ambiguïté de Romulus demande donc à être interprétée. En fait, les principales difficultés peuvent se résoudre, si l'on veut bien considérer que les jumeaux ayant été allaités par une louve sont, dans cette mesure, ses rejetons. Il est normal dès lors de penser que Romulus, fils de la louve, en a les caractères. Une telle hypothèse invite à s'interroger sur la signif ication qu'il importe de donner à cet animal et sur les mythes qui lui sont attachés. On ne saurait circonscrire le problème en identifiant le loup à Mars 19, ce dont, au demeurant, s'accommoderait assez bien la légende romuléenne. On a beaucoup écrit sur le loup20, il ne saurait être question de reprendre tous les problèmes soulevés. Il suffira de dégager le mythe essentiel et de voir comment il s'inscrit dans les vieilles traditions indo européennes avant d'en tirer les leçons permettant d'éclairer la figure de Romulus. Le loup présente, comme Romulus, une ambiguïté fondamentale, car tantôt il est considéré comme féroce et satanîque, tantôt il apparaît comme bénéfique. «Parce qu'il voit la nuit, il est symbole de la lumière»21. Cette
15 Tite-Live, I, 10 et Plutarque, R., 16. 16 Tite-Live, I, 8; Plutarque, R., 13. 17 Tite-Live, I, 16; Plutarque, R., 27, 3-9 et 28, 1-3. 18 Cette ambiguïté apparaît si l'on confronte les récits de Tite-Live et ceux de Plutarque. Le même fait peut être interprétée de façon favorable ou défavorable selon la thèse que l'auteur veut défendre ou selon la sympathie qu'il éprouve pour son personnage. Le récit des dernières campagnes de Romulus offre un bon exemple. Il ressort, chez l'historien latin, que le premier roi de Rome mène des guerres justes; en revanche le biographe grec insiste davantage sur les prouesses du héros et laisse supposer que celui-ci fut le premier à déclencher les hostilités entre les Romains et les Fidénates. 19 Cf. F. Altheim, La religion romaine antique, Paris, 1955, p. 163: «les jumeaux et fils du dieu-loup Mars». 20 On trouvera à ce sujet une bonne bibliographie dans V. Pöschl, Bibliographie zur antiken Bildersprache, Heidelberg, 1964, p. 589-90. 21 J. Chevalier, A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, 1969, p. 467.
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explication rend compte fondamentalement de cette ambiguïté. Le loup est lié aux ténèbres, de là viennent les mythes qui en font un psychopompe. Il est représenté comme un avaleur de lumière. C'est ce qui ressort du mythe médique où il avale la caille (vartikâ) qui sera délivrée de sa gueule par les jumeaux Asvin. La relation entre le loup et les jumeaux est trou blante. Il est remarquable que les Asvin représentent la troisième fonction, tout comme Romulus après sa divinisation en Quirinus. Quoi qu'il en soit, il importe de noter que la caille est le symbole non seulement du soleil levant, mais aussi de la lumière initiatique et intellective. Le loup est donc maléfique dans la mesure où il absorbe la lumière; mais il est bénéfique dans la mesure où il la restitue. Cette affinité entre le loup et la lumière peut trouver quelques éléments de preuve empruntés à la linguistique. On propose généralement un thème *z>Z&wo- pour rendre compte du nom du loup dans la plupart des langues indo-européennes (skt. vrka-, got. wulfs, lit. vïlkas, si. vlükü etc...). Cependant le grec et le latin présentent respectivement les formes λύκος et lupus. On s'est efforcé de rattacher celles-ci au même thème que les formes précédentes. « On a supposé que λύκος reposait également sur i.-e. *vlkwo- en admettant que la labio-vélaire a coloré la sonante en u et qu'ensuite elle a perdu son appendice labial ... Ce serait le même cas pour lupus ...» 22. Cette solution proposée est trop acrobatique pour être acceptée sans réserves. C'est ce qui a incité E. Benveniste23 à proposer pour rendre compte de la forme latine un thème indépendant *lupo-. Quant au grec, il représenterait un croisement de ce thème et du précédent (*vlkwo-). Il n'est pas nécessaire de postuler un thème *lupo-\ le thème *lukwopermet de rendre compte à la fois de la forme grecque et de la forme latine. Mais il faudra admettre que cette dernière a été empruntée à l'osco-ombrien où *kw>p (cf. *sokwis> sopis) 24. Mais si l'on met en parallère *vlkwoet *lukwo-, ne peut-on supposer qu'il y a eu pour une de ces deux formes une métathèse25? Cette hypothèse serait plus convaincante si une langue
22 P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1974, p. 650. Cf. A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, 4e éd., 1959, p. 370. 23 Cité par P. Chantraine, op. cit., p. 650. 24 Ce ne serait pas le seul emprunt dialectal du latin pour un nom d'animal. Ainsi le mot sabin bös s'est substitué à la forme *vüs normalement attendue. 25 Cette métathèse serait dictée par des raison religieuses, et donc à mettre en parallèle avec la métathèse du grec σκέπτομαι (cf. lat. spedo). Une telle métathèse ne doit pas surprendre dans des noms d'animaux, puisque ceux-ci sont souvent sujets à des tabous.
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indo-européenne présentait concurrement les deux thèmes. On pourra recourir au latin. Le mot volpes est considéré comme obscur26, mais ne pourrait-il pas s'expliquer à partir de *vlkw-?21. Ainsi lupus et vulpes pourraient être des doublets. L'hypothèse traditionnelle s'efforce de rendre compte de *lukwo- par vlkwo-, nous nous attachons à prouver le contraire. Si les arguments proposés ne paraissent pas suffisamment convaincants, la meilleure solution sera de poser deux thèmes indépendants. Dans un cas comme dans l'autre, le développement suivant pourra prendre place. Ne pourrait-on pas rap procher le thème *lukwo du thème signifiant la lumière en indo-européen? On pose traditionnellement un thème *l(e/o)w-k. Pourtant celui-ci ne rend pas compte de toutes les formes présentées par les langues indo-européennes. La plupart des langues centum supposent le thème que l'on propose trad itionnellement, les langues satam, à l'exception de l'arménien, s'accommoder aient davantage d'un thème *l{e/o)w-kw: skt. rocate (*leukweti; *k>s; *kw>c/-eJ;htMûkas(*loukwos;*k>s;*kzv>k);~ci si. luci (*k>s; *kw>k, c, c)28. Au demeurant le grec, dont les labio-vélaires connaissent, comme les langues indo-européennes orientales, des traitements différents suivant le contexte phonétique, n'exclut pas la présence d'une labio-vélaire dans un thème comme λευκός. Le voisinage d'un u rendrait compte du traitement palatal (cf. αίπόλος et βουκόλος). En latin des formes comme lucis pourraient également s'ex pliquer par l'analogie de lux qui n'exclut pas phonétiquement une labiovélaire (*kœ>c/ - C). S'il est difficile de substituer *lewkw à *lewk29, la substitution con traire est tout aussi délicate. On peut donc légitimement retenir *lewkw comme un des thèmes de la lumière. Il est, dès lors, aisé d'y rattacher le
26 Cf. A. Ernout et A. Meillet, op. cit., p. 751: «II est vain de chercher une étymologie exacte à un nom de cette sorte qui est sujet à des déformations volontaires: lupus, qui a des correspondants indo-européens clairs, en est un bon exemple». 27 Le traitement *ylkw serait également possible. C'est lui très probablement qu'atteste le patronyme Ulpius avec le suffixe -yo- (*vlkwyos> ulpius). 28 En slave les règles rendant compte du traitement de la labio-vélaire sourde sont les suivantes: *kw>c devant e ou i, *kw>c devant e représentant une ancienne diphtongue *oi, *ai et *kw>k dans toutes les autres positions. 29 On a vu que le latin et le grec n'offraient pas d'obstacles majeurs. On pourrait égal ement supprimer la difficulté en gotique qui présente liuhap. On sait que *kw>iv, mais ne pour rait-on pas postuler une réduction de h à h dans le contexte ufv ? Cela n'est pas invraisemblable phonétiquement, malheureusement les exemples manquent; aussi cette hypothèse ne peut-elle être que gratuite.
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thème *lukwo-. Le loup serait donc le « lumineux ». Ce serait une dénominat ion par antiphrase. Celle-ci n'aurait pas été suffisante si l'on retient la première hypothèse proposée, puisque ce thème aurait été soumis à une métathèse afin d'écarter les pouvoirs maléfiques du loup. Quoiqu'il en soit, si l'on admet que le loup est à la fois animal des ténèbres et animal de la lumière, on comprend qu'il soit à la fois source de violence destructive et de force guerrière bienfaisante; qu'il soit symbole de débauche et de dépravation, mais aussi de fécondité30; qu'il puisse être la source de destruction de l'autorité, mais également cause de la fondation d'un ordre nouveau. On sait, à ce propos, que de jeunes Sabins partaient, sous la conduite du dieu Mars déguisé en loup, fonder une colonie. Ainsi l'on peut reconnaître en Romulus, le nourrisson d'une louve, tous ces aspects contradictoires. Il est à la fois un personnage lumineux puisqu'il fonde un ordre nouveau avec l'appui des dieux et leur caution, mais en même temps ce personnage appartient aux ténèbres par sa cupido regni, son manque de loyauté et sa violence. Le rapprochement de Romulus et du loup permet de comprendre l'ambiguïté inhérente au fondateur de Rome. Ce rapprochement doit permettre de le situer également par rapport aux trois fonctions dégagées par G. Dumézil. Il apparaît dans les mythes qui le concernent que le loup est intéressé par les trois fonctions. Il relève de l'ordre de la souveraineté de celui de la guerre et de celui de la production (fécondité). Il n'est pas besoin de s'étendre sur les deux derniers points, mais le premier demande à être prouvé surtout eu égard aux traditions romaines. Les Lupercales que l'on célébrait le 15 février, sont des fêtes très anciennes. Les critiques s'accordent à reconnaître que le loup y était impliqué. Il est possible, bien que l'explication proposée pour le terme « lupercales », lupos arcere, ne soit pas admissible phonétiquement31, que ces fêtes aient tendu à conjurer les effets maléfiques du loup; mais, ainsi que le souligne J. Bayet32, «l'antique ambiguïté du sacré conçoit comme nécessaire qu'un dieu-loup protège contre les loups ». Cela donne à penser que les Luperques sont des loups, même s'ils sont des « écarteur de loups ». Or, si tel est le cas, on peut concevoir les liens qui unissent le loup et la fonction de la souveraineté
30 Cet aspect est illustré vraisemblablement par la flagellation administrée par les Luperques aux femmes stériles afin de les rendre fécondes. 31 Cf. J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Paris, 2e éd., Paris, 1969, p. 79. 32 Id., Ibid., p. 80.
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à la lumière des remarques capitales de G. Dumézil 33. « II semble que primi tivement les Luperques intervenaient, non moins brutalement, dans un autre ordre des réalités sociales: en ces semaines où tout doit être confirmé, le pouvoir royal bénéficiait des rites. On ne comprend pas bien, autrement, que César, développant le plan qui devait le mener au regnum, ait ajouté une troisième équipe aux deux traditionnelles, composés d'hommes dévoués, les Luperci Julii, première ébauche du culte impérial . . ., ni que l'expérience qu'il organisa avec Marc-Antoine pour savoir comment le peuple réagirait à son couronnement comme roi ait été faite à l'occasion des Lupercalia, pendant la course même . . . Que signifierait cet étrange tableau du consulLuperque, tout nu, sortant du peloton des coureurs et bondissant à la tribune pour couronner César, si ce n'était la reconstitution d'une vieille scène susceptible de frapper l'imagination du peuple et de l'emporter sur la mystique républicaine? ». On le voit, en dépit de l'attestation tardive de la cérémonie, celle-ci est d'une antiquité certaine. On peut donc, à la lumière de ce développement, conjecturer raisonnablement les liens qui, dans la mythologie romaine, devaient à date ancienne impliquer le loup dans l'ordre de la souveraineté. Ce schéma peut être également appliqué à Romulus. Il appartient à la fonction souveraine, parce qu'il s'est vu donner la royauté par les auspices. Jupiter le protège et par deux fois Romulus lui consacre un temple (temple de Jupiter Feretrius, temple de Jupiter Stator). Par son ascendance il appart ient de plein droit à la seconde fonction, puisqu'il est le fils de Mars. Il est maître en l'art de la guerre et ce n'est pas par hasard qu'il donne un conseil posthume aux Romains en les invitant à pratiquer l'art militaire 34. Enfin, en enlevant les Sabines, il a confirmé l'existence de sa cité, en lui assurant cette survie biologique sans laquelle il ne peut y avoir d'Etat. Ennius, qui, ainsi que le note G- Dumézil, n'a « eu d'autre ambition que d'ajouter un rythme et de nobles formules aux textes en prose préexistants » 35, évoque, à son insu, les trois fonctions qu'il convient de prêter à Romulus, en ces termes: Ο pater, ο genitor, ο sanguen dis oriundum! Tu produxisti nos intra luminis oras36.
33 34 35 36
G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1966, p. 343. Tite-Live, I, 16, 7. G. Dumézil, Mythe et épopée, op. cit., p. 270. Ennius, Ann., I, fr. Ern. 77-78.
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Chacune des apostrophes correspond à chacune des trois fonctions. Pater, est-il utile de le rappeler, caractérise les dieux et les hommes auxquels revient la souveraineté. Genitor salue en Romulus celui qui a assuré à Rome sa descendance. Quant à sanguen dis oriundum, ces termes célèbrent le guerrier qu'a été Romulus et son appartenance à la deuxième fonction. Ces trois fonctions ont été mises au service d'un grand œuvre, la fondation de Rome. Ennius emploie ici le mot lumen; est-ce une formule noble de poète37? Est-ce un terme anciennement utilisé dans l'imagerie de la fondation de Rome. On aimerait que ce fut le cas. Les quelques considérations briève ment exposées en tireraient une belle confirmation. Romulus, être inquiétant et ténébreux, conduit ceux qui le suivent à la lumière, c'est-à-dire au monde nouveau instauré par la fondation de la cité romaine. Une telle analyse invite à retoucher le tableau des quatre rois préétrus ques, tel qu'il est proposé par G. Dumézil. Chacun de ces monarques relèvent d'une fonction. Les deux premiers appartiennent, tous deux, à celle de la souveraineté, dont ils représentent un aspect complémentaire38. Romulus en fondant les auspicia et Numa les sacra s'opposent clairement. En effet « l'art des auspicia consiste à recevoir, interpréter et éventuellement rejeter les signes que le grand dieu veut bien envoyer aux hommes; l'art des sacra, c'est le culte avec ses hommages, ses sollicitations et ses marchand ages . . . Les auspicia descendent du ciel, les sacra montent de la terre » 39. Quant à Tullus et Ancus, ils représentent exclusivement la fonction à laquelle ils appartiennent, soit la deuxième pour Tullus et la troisième pour Ancus. Ne pourrait-on pas supposer plutôt que Romulus, le premier roi de Rome, relève des trois fonctions et que chacun des trois rois suivants dé veloppe chacune d'elles de façon complémentaire? En effet, Romulus n'exprime pas tous les aspects de l'ordre de la souveraineté, le personnage de Numa vient combler les lacunes. Il en va de même pour l'ordre de la guerre. L'histoire de Tullus reprend indubitablement des mythes anciens, les parallèles proposés entre ce roi et Indra par G. Dumézil sont lumineux40. Il n'en demeure pas moins que l'art guerrier de Tullus et celui de Romulus sont en distribution complémentaire. Tullus est un chef qui mène les opérations
37 Cf. ibid., II, fr. Ern. 89, At sese, sum quae deaerai in luminis oras. 38 Sur tout ce développement, voir G. Dumézil, Mythe et épopée, op. cit., p. 274 sq. 39 Ibid., p. 277. 40 G. Dumézil, Aspects de la fonction guerrière chez les Indo-européens, 1956, p. 15-61, Id., L'idéologie tripartite des Indo-Européens, 1958, p. 83-86; Id., Mythe et épopée, op. cit., p. 278-80.
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avec un art consommé41. Il apparaît comme un stratège de grand talent, mais il n'accomplit pas d'exploit. Romulus, au contraire, participe activement à la victoire que Rome doit à son bras et à son art dans le maniement des armes42. Ainsi, dans la fonction guerrière l'un s'illustre à titre personnel, l'autre comme le chef d'un peuple en armes. On retrouve ce même caractère complémentaire entre Romulus et Ancus. Le premier assure à la cité sa force essentielle de survie, l'expansion démographique, le second la force écono mique proprement dite43. Au terme de ces considérations, Romulus apparaît donc comme une figure extrêmement complexe, mais intelligible. Fondateur d'une cité appelée à dominer le monde, il s'insère de façon partielle dans chacune des trois anciennes fonctions indo-européennes. Les trois rois suivants viendront compléter les aspects qu'il n'assume pas, tout en agissant comme des révéla teurs. Ambigu dans les fonctions qu'il importe de lui attribuer, il l'est dans sa personne même. Cette ambiguïté permet de déceler en lui l'affinité étroite qui l'unit au loup; et ce n'est pas par hasard que la louve est demeurée le symbole de la puissance de Rome. Par ce biais, Romulus exprime un des mythes les plus anciens qui doit permettre de mieux comprendre les origines de sa cité. Figure de lumière et de ténèbres, il illustre le conflit nécessaire qui préside à la naissance d'un ordre nouveau. En effet, c'est le fils de la louve inquiétant et dangereux qui, avec l'aide des dieux, a fondé Rome, le creuset de la civilisation occidentale. Tu produxisti nos intra luminis oras.
41 Voir notamment la bataille contre les Véiens, Tite-Live, I, 27, 4-11. 42 Cf. Plutarque, R., 25, 4. 43 Cf. G. Dumézil, Mythe et épopée, op. cit., p. 280-1: «Quant au quatrième roi, Ancus, tout ce qui, en dehors même de ses aspects "commerciaux" et "plébéiens", constitue le récit de son règne, à savoir l'arrivée du richissime Tarquin à qui ses richesses, mises au service de Rome et du roi, donnent la vedette; l'aventure de la courtisane Larentia... la fondation enfin de la "Vénus Chauve"...: toutes ces légendes... n'ont en facteur commun que de relever toutes - richesse et générosité, séduction et volupté, santé - de la «troisième fonction».
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GLOSSE ETRUSCHE: QUALCHE PROBLEMA DI TRASMISSIONE
Tra i vari e complessi aspetti della sopravvivenza della cultura etrusca in epoca romana vi è quello, singolare e frutto di molteplici stratificazioni, costituito dalle glosse etrusche (o credute tali) in opere greche e latine di carattere dottrinario, in lessici e raccolte di glosse; a Jacques Heurgon, che di quella sopravvivenza è stato acuto indagatore e maestro, è dedicata questa nota, che intende contribuire alla ricerca delle fonti di tali glosse e dei possibili equivoci che da queste fonti sono derivati. Le glosse etrusche, raccolte da M. Pallottino nel volume dei Testimonia linguae Etruscae (= TLE2), comprendono categorie di vocaboli ben precise, ciascuna delle quali riproduce aspetti culturali ed interessi scientifici ο storiografici proprii di ambienti ed epoche diverse. Un primo e più antico gruppo è costituito da glosse etimologiche di varia natura, tramandateci perlopiù dall'epitome festiana, da tardi grammatici come Isidoro e Carisio, da commentatori tardo-antichi, quali Servio e Macrobio. La fonte è in qualche circostanza dichiaratamente l'opera varroniana1; nella maggior parte dei casi è possibile risalire sempre allo stesso Varrone 2, mentre alcune glosse dipendono forse da Verrio Fiacco ο da altri antiquari di tarda età repubblicana e augustea3.
1 Direttamente da Varrone derivano: TLE2 814, atrium (ripetuto come etimo di città in Serv. Aen. I, 726 e in Fest. Paul. p. 12 L);TLE2 838 a, idus (ripetuto da Macr. Sat. I, 15, 14-7); TLE2 851 a (ripetuto in Fest. p. 402 L); Varrone è citato come fonte in TLE2 816, baltea (in Caris. I, 77). Si noti però come Varrone tenda a ritenere greci (TLE2 819) ο sabini (TLE2 838) vocaboli da altri con certezza considerati etruschi. 2 Risalgono forse a Varrone le glosse: TLE2 821, capys (etrusco in Serv. Aen. X, 145, non etrusco TLE2 822, cassidam in Fest. Paul, (Isid. p. XVII, 38 L,14, «antiqui 1); TLE2 nostri», 831, falado e in Isid. (Fest.XII, Paul.7, p. 57, 78«Itala L); TLE2 lingua»); 841, lanista (Isid. X, 159); TLE2 843, lucumones (Serv. Aen. II, 278, e Vili, 475). 3 Da Verrio Fiacco deriva probabilmente la glossa festiana TLE2 848, nepos (Fest. p. 162 L), ove è una vasta digressione sul costume economico-familiare etrusco non particolarmente
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Lo specchietto qui sotto riprodotto riflette in maniera chiara gli in teressi spiccatamente antiquarii che hanno raccolto e tramandato queste glosse e mette bene in luce anche l'idea, tutt'altro che vaga ed imprecisa, che la ricerca antiquaria romana si era fatta dei profondi processi di int erazione culturale tra Etruschi e Latini, nonché la conoscenza posseduta della storia arcaica d'Etruria: basti notare da un lato il cospicuo numero di glosse relative al mondo dello spettacolo (TLE2 837, 841, 851), e dall'altro il preciso grado di informazione sulla estensione e sull'importanza dei dominii etruschi in Campania e nella Valle Padana (TLE2 811, 814, 821). politiche Istituzioni e sociali
Istituzioni religiose
Armamento abbigliamento
Mondo dello spettacolo
Toponimi
Varie
lucumones TLE2 843
camillus TLE2 819
baltea TLE2 816
hisier TLE2 837
arimo s TLE2 811
mantisa TLE2 844
nepos TLE2 848
falado TLE2 831
cassidam TLE2 822
lanista TLE2 841
atrium TLE2 814
idus TLE2 838
laena TLE2 840
subulo TLE2 851
capys TLE2 821
e A) B) C) D)
Un secondo, più cospicuo gruppo di glosse ci deriva da lessicografi glossatori tardo-antichi. All'interno di questo gruppo distinguiamo: otto glosse relative al calendario etrusco; quindici glosse di nomi di piante tramandateci tutte da Dioscoride, tranne due nell'erbario dello Pseudo-Apuleio; quattordici glosse di vario argomento contenute nel lessico di Esichio; tre glosse contenute negli scolli all'Alessandra di Licofrone compilati dal dotto tardo-bizantino Tzetze.
Esaminiamo ora ciascuno di questi sottogruppi. Il sottogruppo D, le glosse di Tzetze, è quello fra tutti meno rilevante, praticamente privo di
frequente nell'opera varroniana. Così pure verriana potrebbe essere l'altra glossa di Festo TLE2 844, mantisa (Fest. Paul. p. 119 L), malgrado il suo sapore fortemente linguistico (e dunque varroniano). Da documentazione aruspicale ο anche da tradizione orale deriva TLE2 803, aesar (in Suet. Aug. 97 e Cass. Dio LVI, 29, 4); certamente tradizione orale è TLE2 812 (raccolta da Afranio e spiegata da Fest. Paul. p. 17 L; cfr. Placid. V, 7, 16). È infine da non ritenere etrusca TLE2 857, vorsum, poiché la lezione Tusci è errore di tradizione manoscritta per Osci, attestato nella stessa tradizione e da Varr. r. r. I, 10.
GLOSSE ETRUSCHE: QUALCHE PROBLEMA DI TRASMISSIONE
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valore: TLE2 839 ( . . . ίταλον τον ταυρον . . . ), riportato come voce greca anche da Apollodoro (II, 10), risale presumibilmente a Timeo, ma è riconosciuta parola italica; TLE2 ad 855, τύρσις, deriva dalla speculazione di Dionigi di Alicarnasso sui « Tirreni » 4; TLE2 847 (ό 'Οδυσσεύς παρά Τυρσηνοΐς Νάνος . . . ), oscura ed attestata dal solo Tzetze, potrebbe essere anche parola greca5. Passando al sottogruppo B, cominciamo con l'osservare che dei tredici nomi etruschi di piante in Dioscoride, come ebbe a riconoscere V. Bertoldi in un vecchio studio su tali termini botanici6, almeno 4 di questi nomi, e cioè σπίνα αλβα {TLE2 850), κικένδα-κομιτιάλις {TLE2 825), απιουμ ρανίνουμ {TLE2 809), σουκίνουμ {TLE2 852), sono certamente latini, come pure forse latini sono γαρουλεου {TLE2 833), λάππα μίνορ {TLE2 842), τάντουμ {TLE2 853); dubbia è γίγοφουμ {TLE2 834), che per Marcello Empirico sarebbe termine gallico 7, mentre per φαβουλώνιαμ, dal chiaro aspetto latino (faba suilla), abbiamo la concordanza, che discuteremo poi, con lo Pseudo-Apuleio {Herb. 5... Tusci fabulongam). Di parole etrusche ο apparentemente tali restano solo καυτάμ {TLE2 823), μούτουκα {TLE2 846), ραδία {TLE2 849), e, forse, μασούριπος {TLE2 845). Delle glosse dello Pseudo-Apuleio, apianam {TLE2 808) è verosimilmente latina, come dimostra il confronto con TLE2 809, e carofis (TLE2 826) sembra essere adattamento ο trascrizione (che potrebbe essere tanto etrusco quanto latino) del greco χλωρόπιον. Da questa breve disamina balza evidente il fatto che tanto Dioscoride quanto lo Pseudo-Apuleio (o le loro fonti) avevano davanti agli occhi dei testi in cui accanto a parole etrusche autentiche comparivano parole latine e che facilmente queste ultime potevano essere etichettate come « etrusche ». Il sottogruppo B, le glosse esichiane, possiede ugual caratteristica. In esse infatti dodici parole possono ritenersi genuinamente etrusche, vuoi perché come TLE2 804 (άϊσοί ■ ϋεοί) hanno preciso riscontro in fonti diverse (TLE2 803: aesar . . . Etrusca lingua deus) ο addirittura nella tradizione diretta etrusca (ais-, aiser-, etc.), vuoi perché è possibile ricostruirne una forma corretta etrusca8, mentre due, κάπρα · αϊξ {TLE2 820) e δέα · ϋεά (TLE2 828),
.
4 La fonte di Tzetze è Dion. Hal. I, 26, 2 (TLE2 855): τΰρσις... παρά Τυρρηνοΐς αϊ έντείχιοι και στεγαναί οικήσεις . . 5 Cfr. νάνναζον · παιζόμενον, Hesych. 6 V. Bertoldi, «Nomina Tusca» in Dioscoride, in St. Etr. X, 1936, p. 295 ss. 7 Marc. Empir. X, 50; cfr. V. Bertoldi, art. cit., p. 297 ss. 8 La radice ais- ritorna più volte nel rituale di Zagabria (cfr. ad es., II, 12; IV, IV, 20, 21; V, 8, 18; VI, 7; VII, 11, 20; etc.) e in iscrizioni sacre (cfr. ad es. TLE2 359a, 740): da tempo essa è stata messa in rapporto con le glosse TLE2 803-4.
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sono altrettanto sicuramente latine. Il curioso fenomeno, che abbiamo r iscontrato per le glosse botaniche, si ripete in Esichio, anche se con fr equenza virtualmente inversa: la circostanza ci induce a scartare spiegazioni di « convergenza linguistica », come quella proposta dal Bertoldi 9, e ricercarne invece la ragione in un problema di fonti, di trasmissione e di modo di compilazione. Una volta stabilito che, come ormai universalmente accettato 10, il sott ogruppo A deriva da una fonte etrusca genuina ove compariva, lacunoso nei quattro mesi finali, un calendario etrusco iniziante, al pari di quello romano arcaico, da marzo11, possiamo tentare di affrontare un discorso globale sulle fonti di queste glosse tardo-antiche: a questo scopo sarà opportuno classificare le glosse del sottogruppo esichiano in categorie di vocaboli omogenee. Da questa classificazione risulta il seguente specchietto (fra parentesi il numero di TLE2): Animali ανταρ αρακος βυρρός κάπρα δάμνος γνίς
Atmosfera
Religione
(807) ανδας (806) άϊσοί (81θ) αύκήλως (815) δέα (817) (82θ) (827) (835)
Piante
(804) άταισόν (828)
Istituzioni politiche
(813) δροϋνα
Vita umana
Strumenti
(829) άγαλήτορα (802) χάπος
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II quadro presenta una straordinaria frequenza di nomi di animali, ben sei su quattordici 12, un discreto interesse per i fenomeni atmosferici e re ligiosi (con due glosse per ciascuna categoria), e, accanto a singoli nomi di strumenti (« carro »), piante (« vite che monta sugli alberi ») e di classi d'età (peraltro di uso ambiguo, «fanciullo»), contiene un rivelatore concetto
9 Art. cit. 10 V. J. F. Mountford, De Mensium Nominibus, in JHS, XLIII, 1923, p, 108 s. 11 Sul problema mancano studi recenti: ancora importante per la connessione tra il mese "'Chosfer (TLE2 858) e il numerale cezp- (otto?), il lavoro di E. Fiesel, Bemerkungen und Berichtigungen - 3. Etruskisch «acht» und «Oktober», in St. Etr. X, 1936, p. 324 s. 12 Non tengo conto di una quindicesima glossa esichiana, TLE2 811 e (v. oltre). Su tutto il problema delle glosse esichiane, ma con diversa prospettiva, M. Durante, Etrusco e lingue balcaniche, in Ann. Ist. Or. Napoli, III, 1961, p. 59 ss; cfr. anche K. Olzscha, Eine etruskischgriechische Hesychglosse, in Gioita XLVI, 1968, p. 263-7.
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astratto di natura politica (« potere, carica »). Questa disamina ci conduce, credo, ad una sola risposta circa la possibile fonte di queste glosse, come di quelle botaniche: i libri di disciplina Etrusca. In queste disparatissime raccolte compaiono infatti con grande rilievo tutte le categorie lessicali che abbiamo formato con le glosse sia esichiane che botaniche. Discretamente famoso fra i libri Etruschi era YOstentarium arborarium di Tarquizio Prisco, di cui Macrobio ci ha conservato un lungo frammento (Sat. Ill, 20, 3) e che catalogava minuziosamente i tipi di piante 13: a questi libri possiamo senz'altro attribuire il gruppo delle glosse botaniche di Dioscoride e dello Pseudo-Apuleio e l'isolata glossa botanica di Esichio. Nella disciplina largo posto avevano i prodigi connessi con animali. Non a caso abbiamo esplicita testimonianza di dottrina aruspicale che r iguarda i cavalli - cfr. glossa TLE2 827, da Esichio - come afferma Servio (Serv. Dan. Aen. Ili, 537: in libris Etruscis invenitur etiam equos bona auspicia dare); non meno importante il posto che l'aruspicina riservava ai volatili, soprattutto aquile e sparvieri (cfr. glosse esichiane TLE2 807, 810, 835), che i libri classificavano in specie infinite: « sunt praeterea complura genera (seil, di aquile) depicta in Etrusca disciplina saeculis non visa, quae nunc defecisse mirum est, cum abundent etiam quae gula humana populatur », ricorda Plinio (N.H. X, 37). Anche gli animali domestici (cfr. glossa esichiana TLE2 820) avevano un particolare rilievo: si ricordi il frammento di Tar quizio Prisco sull'ozi ariesve macchiato di rosso (Macr. Sat. Ill, 7, 2) e Vagnus . . . qui vellus in fronte purpureum haberet (S.H.A. Get. 3, 5), auspicio di futuro comando. Sempre nei testi aruspicini si discutevano le tempestates, per le cui procurationes erano convocati gli aruspici 14: ciò rende ragione del nome di venti fra le glosse esichiane (TLE2 806). Perfettamente comprensibile è poi in questo quadro la presenza di glosse riguardanti divinità (TLE2 804, 828), mentre per la glossa άγαλήτορα · παΐδα {TLE2 802) possiamo pensare sia a nascite di pueri deformi ο androgini 15 sia a predizioni ed oroscopi
13 I nomi delle piante del frammento sono: alaternum, sanguinem, filicem, ficum atrum, acrifolium, pirum silvatìcum, ruscum, rubum sentesque. Da altre fonti aruspicali abbiamo: ilex (Plin. N.H. XVI, 237), virga sanguinea (cfr. sanguinem; Plin. N.H. XXIV, 73), morus talea, ulmo (Plin. N.H. XVII, 124), laureus (Liv. XXXII, 1, 14; Tac. Hist. Π, 48; S.H.A. Sever. Alex. 13, 7). 14 Fonti e discussione in C. O. Thulin, Die Etruskische Disziplin, III, Göteborg 1909, p. 88-94. 15 Ibid,p. 118-21.
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per fanciulli, sia ancora alla presenza di fanciulli in riti di aruspicina come esecutori inconsci ο attendenti 16. E infine nel quadro della disciplina rientra perfettamente la glossa δροΰνα ■ αρχή: soprattutto nell'età imperiale udiamo di aruspici appunto in caso di omina e di predizioni intorno al futuro destino di comando dell'interrogante, e buona parte dei libri era devoluto a questo importante tipo di predizione. In questo quadro di predizioni di imperium, credo, inserita la glossa esichiana relativa allo « scarabeo » (TLE2 817). Anche se l'insetto caratteristico degli omina è l'ape 17, questo è sempre considerato dirum; allo scarabeo, invece, che ricorre costantemente come riproduzione plastica nella glittica etrusca, era forse attribuito signi ficato fausto, tanto più se è corretto l'accostamento di βυρρός della glossa al burrus latino (cfr. Fest. Paul. p. 31 L) ed al πυρρός greco18, come des ignazione di colore rosso scarlatto, colore che aveva un ruolo fondamentale nella formulazione di omina imperii 19. L'intero secondo gruppo di glosse, quelle esichiane, quelle botaniche ed i nomi di mesi, può dunque ricondursi senza sforzi ai libri di disciplina Etrusca, nei quali confluivano trattati miscellanei di interpretazioni di presagi tratti dal cielo, dagli uccelli, dalle piante e interessanti la vita religiosa, la vita pubblica, la vita privata20: questi ostentarla, con la loro minuziosa catalogazione dei fenomeni soprannaturali in rapporto ad una realtà naturale altrettanto minuziosamente classificata, dovevano essere una fonte preziosa per glossatori, lessicografi e naturalisti della tarda antichità. E la fonte ci spiega anche il curioso equivoco in cui tanto i tardi botanici quanto Esichio sono caduti, quello cioè di ritenere « etruschi » dei termini perfettamente latini: essi erano in ciò indotti non soltanto (o non tanto) dall'equivoco inerente al titolo stesso di questa miscellanea letteratura aruspicale, di libri Etrusci, Etruscorum libri, Etruscae dìsciplinae libri, et sim., ma soprattutto
16 Pueri erano iniziati i nobiles etruschi alla disciplina (cfr. Cic. de div. I, 41, 92; Val. Max. I, 1); un puer compare nel rilievo ostiense delle sortes Herculis dedicato dall'aruspice C. Fulvius Salvis (cfr. G. Becatti, // culto di Èrcole a Ostia, in Bull. Com. LXVII, 1939, p. 40 ss.). 17 C. O. Thulin, op. cit., Ill, p. 98-101. 18 R. Fohalle, A propos de κυβερνάν - gubernare, in Mèi. linguistiques offerts à J. Vendryes, Paris 1925, p. 157 ss. con P. Kretschmer, Literaturbericht für das Jahr 1925 - Griechisch, in Gioita XVI, 1928, p. 166. 19 Cfr. il passo dei libri Tarquitiani relativo alla macchia purpurea sulla pecora ο sul l'ariete (in Macr. Sai. Ili, 7, 2; cfr. Serv. Dan. Bue. IV, 43; S.H.A. Geta 3, 5). 20 Cfr. quanto, sulla base delle nuove fonti epigrafiche, ho potuto concludere nel volume «Elogia Tarquinensia», Firenze 1975.
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dal fatto che la formularità delle compilazioni lasciava largo posto, accanto al testo tradotto ο compilato in latino, all'inserzione di brani, lunghi ο brevi non importa, direttamente in etrusco, uso questo di cui proprio una glossa festiana (Fest. p. 18 L: arse verse) ci rende edotti. Trassero i compilatori di glossarii e lessici queste glosse direttamente dai libri di aruspicina ο dipendevano piuttosto da fonti intermedie? A questa domanda non è facile rispondere allo stato attuale delle nostre cono scenze, ma solo avanzare qualche congettura. Esichio certamente per alcune glosse dipende da fonti intermedie. Se la glossa TLE2 804 e deriva da Strabone (TLE2 811 a) ο dalla ,f onte di questi, Timeo, tuttavia quest'ultima glossa non fa parte del gruppo di quelle considerate, perché Esichio omette in questo caso la specificazione Τυρρηνοί/ύπο Τυρρηνών aggiunta a tutte le altre quattordici, ciò che, a mio avviso, prova l'omogeneità del gruppo. Ancor più complesso il caso di Dioscoride, nel quale, come dimostra il principale editore Wellmann 21, le interpolazioni appaiono numerosissime e di epoca varia: sarebbe suggestivo pensare, con lo stesso Wellmann22, che anche i nomi etruschi (o creduti tali) di piante derivino assieme ad altri nomi di piante di origine non greca dal lessico di Pamfilo di Alessandria, a sua volta fonte indiretta di Esichio attraverso l'opera di Diogeniano 23. Che queste glosse figurassero già in lessici di età romana è ipotesi non inverosimile, ma la confusione tra etrusco e latino, che ritorna in Esichio come in Dioscoride, non depone troppo a favore di compilazioni di epoca relativamente antica. D'altro canto, l'interesse per l'aruspicina atte statoci da storici e da eruditi24 del IV sec. e ancora nel V sec. non ci fa escludere l'ipotesi di fonti dirette ο quanto meno di una mediazione di compilazioni tardo-antiche eseguite in circoli colti pagani ο paganeggianti. La distruzione, operata da Stilicone, dei libri sibillini25 non deve aver coin volto anche i libri di aruspicina, che a differenza di quelli sibillini non erano
21 M. Wellmann, Dioskourides-De materia medica libri V, Leipzig 1906-14. 22 Id., Die Pflanzennamen des Dioskurides, in Hermes, XXXIII, 1898, p. 360 ss.; su Pamfilo, ν. M. Wellmann, Pamphilos, in Hermes LI, 1916, p. 1 ss. 23 Quanto di queste glosse etrusche di Esichio derivi da Diogeniano e quanto da altre fonti è argomento vastissimo: in generale, sul problema dell'interpolazione di Esichio ν. Κ. Latte, Hesychii Alexandrini Lexicon, I, Hafniae 1953, p. XI ss. 24 Molto delle fonti di aruspicina ci è conservato da storici come Ammiano, da eruditi come Servio e Macrobio; un'interesse morboso per questo soggetto è evidente - quale che sia la data - anche nella compilazione della Historia Augusta. 25 Rut. Nam. II, 51.
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copia unica: la disciplina Etrusca, di quarta mano nell'africano Marziano Capella, troverà proprio nell'Oriente greco rifugio, all'ombra delle apparentate dottrine neoplatoniche e nel confuso coacervo di scienze magiche e misticheggianti. Ancora nella nostalgica età giustinianea, Giovanni Lido potrà ritrovare, fra i manoscritti dello studio costantinopolitano, non solo opere - più consone ai gusti dell'età - del mistico Nigidio Figulo « tratte dai libri di Tagete », ma persino scritti di vera aruspicina, tardivi come quelli di Cornelius Labeo26, ο anche di buona epoca, cesariana, come quelli di Clodius Tuscus27, e alto-imperiale, come quelli di un tal Vicellius, che forse altri non è se non un tarquiniese Vetilius28.
26 Forse del III sec. d.C. (così G. Wissowa, in RE, IV, 1, col. 1351-55), ma che per la citazione di Macrobio (I, 16, 29) di un liber fastorum difficilmente potrebbe essere posteriore al I-II sec; tuttavia egli è la fonte principale, con Tarquizio Prisco, per molta dell'erudiziene di IV e V sec. d.C: cfr. Fulg. serm. ant., p. 112, 11 Helm. 27 Certamente d'età cesariana e non augustea (come vuole invece G. Wissowa, in RE IV, 1, col. 104), perché in corrispondenza con Sinnius Capito, filologo contemporaneo di Pacuvio Antistio Labeone, padre del giurista, suicida dopo Filippi. D'altro canto questo spiega perché il suo calendario finito nel περί διοσημείων di Giovanni Lido sia anteriore alla riforma cesariana. 28 Cfr. « Elogia Tarquinensia » cit.
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Tous les élèves de M. Jacques Heurgon ne sont pas étruscologues; mais il n'en est aucun, je crois, qui, à le lire ou à l'entendre élucider une question épineuse, n'ait eu envie de le devenir et n'ait été tenté de poursuivre une exploration sur la piste qu'il avait ouverte, voire sur telle autre qu'excluait sa démonstration. C'est ce que j'aurai l'outr ecuidance de faire ici en hommage à un maître de la recherche textuelle et archéologique. La prophétie de Végoia, telle que la transcrit - non sans la tronquer, semble-t-il - un passage des Gromatici Veteres transmis par les codices Palatinus (fol. 118) et Gudianus (fol. 151) 1 est un sujet de controverse dont M. Heurgon2 a enrichi le dossier. Tout récemment, G. Piccaluga3 a voulu moquer dans les exégèses qui ont germé autour de ce texte un exemple typique des méthodes « humanistiques » appliquées généralement à l'his toire des religions et plus précisément aux témoignages de la tradition littéraire. On pourrait renvoyer la balle aux comparatistes qui exploitent tout aussi allègrement les données brutes et disparates de l'ethnographie. Quoi qu'il en soit, je reconnais qu'on a voulu interpréter le « fragment de Végoia » en fonction de documents dont l'inspiration est, de toute évidence, hétérogène. Il nous est présenté comme une révélation de la Nymphe prophétesse à un Arruns Veltumnus sur l'origine et le fondement divins de la limitatio 4.
1 Gromatici veteres, I, p. 350, Lachmann. 2 The date of Vegoia's prophecy, JRS, 49, 1959, p. 41-45; Id., dans REL, 37, 1959, p. 46 s.; Id., La vie quotidienne chez les Etrusques, Paris, 1961, p. 133 s., 284 ss. 3 Minutai. Saggi di storia delle religioni, Coll. Nuovi Saggi, 63, Rome, 1974, p. 133-150. Cf. du même auteur: Terminus. I segni di confine nella religione romana, dans Quaderni SMSR, 9, Rome, 1974, p. 148 s. 4 Idem Vegoiae Arrunti Veltymno. Scias mare ex aethera remotum. Cum autem Juppiter terrant Aetruriae sibi vindicavit, constitua jussitque metiri campos signarique agros. Sciens
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Cette délimination et la répartition de tout ce qui compose le Kosmos ont mis fin au chaos primordial. Elles ont commencé par la discrimination des éléments: Scias mare ex aethera remotum. Cette histoire ressemble à celle que chante Orphée dans les Argonautiques d'Apollonios de Rhodes5. C'est un thème traditionnel, qui n'a rien de spécifiquement étrusque et dont l'hérédité remonte, par delà l'aurore de la philosophie grecque, aux cosmo gonies orientales6. Cum autem Juppiter terram Aetruriae sibi vindicavit . . . Ici le transcripteur des Agrimensores paraît bien abréger le texte de sa source, qui devait s'expliquer sur la séparation des autres éléments. Le cum autem confirme cette impression, car autem signifie souvent: « mais pour en arriver à » ou « pour en revenir plus exactement au sujet qui nous occupe ». Visible ment, le responsable de la citation passe très vite sur ce qui ne concerne pas directement la terminatio des terres; une fois posée l'idée que la ségré gation élémentaire conditionne l'ordre cosmique, il en arrive immédiatement à la sollicitude particulière que Jupiter nourrit envers l'Etrurie: son saint patron l'aurait prémunie providentiellement (sciens) contre les désordres de l'avidité humaine en instituant la délimitation, le bornage des propriétés7. Mais voici que cette paix socio-économique voulue par le dieu de l'ordre céleste et terrestre est menacée ob avaritiam prope novissimi óctavi saeculi. Ceux qui déplaceront les bornes à leur profit étendant leur domaine aux dépens des voisins seront condamnés par les dieux. S'il s'agit d'esclaves, ils changeront de maîtres pour leur malheur; si la chose se
hominum avaritiam vel terrenum cupidinem, ierminis omnia scita esse voluit. Quos quandoque quis ob avaritiam prope novissimi odavi saeculi data sibi homines maio dolo violabunt contingentque atque movebunt. Sed quid contingent moveritque, possessionem promovendo suam, alterius minuendo, ob hoc scelus damnabitur a diis. Si servi facient, dominio mutabuntur in deterius. Sed si conscientia dominica fiet, caelerius domus extirpabitur, gensque ejus omnis interiet. Motores autem pessimis morbis et vulneribus efficientur membrisque suis debilìtabuntur. Turn etiam terra a tempestatibus vel julminibus plerumque labe movebitur. Fructus saepe ledentur decutienturque imbribus atque grandine, caniculis interient, robigine occidentur. Multae dissensiones in populo. Fieri haec scitote, cum talia scelera committuntur. Propterea neque fallax neque bilinguis sis. Disciplinam pone in corde tuo. 5 Apoll. Rhod., Arg., I, 496 ss. = O. Kern, Orphicorum fragmenta2, Berlin, 1963, p. 98, n° 29. 6 A. Piganiol, dans Cahiers d'Histoire Mondiale, I, 2, 1953, p. 344 s. 7 Dans la tradition mythographique, Jupiter apparaît aussi comme le dieu qui met fin au temps « chaotique » des origines et qui consacre un ordre fondé sur la différenciation des compétences ou des propriétés: G. Piccaluga, Terminus, p. 148 ss. et passim. Sur JupiterTerminus et l'étrusque Tinia, cf. R. Pettazzoni, La divinità suprema degli Etruschi, SMSR, 4, 1928, p. 218 ss.; J. Heurgon, The date of Vegoia's prophecy, p. 41; La vie quotidienne chez les Etrusques, p. 133, et les observations critiques de G. Piccaluga, Minutai, p. 144 s.
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fait avec la complicité du maître, la maison de celui-ci sera bien vite ruinée et sa famille s'éteindra tout entière. Les coupables seront épuisés par les maladies et les déficiences de toute sorte. La terre sera éprouvée par la foudre et les intempéries; les récoltes seront saccagées par les pluies, la grêle, la canicule et la rouille. Aux désastres agricoles consécutifs à cette redoutable conjoncture météorologique s'ajouteront les troubles qui déchireront la cité: multae dissensiones in populo. Dans cette prédiction post eventum, les menaces concernant le déchaîne ment des éléments8 appartiennent à l'arsenal traditionnel du prophétisme catastrophique dont les Oracles Sibyllins notamment et l'apocalyptique chrétienne exploitent si souvent la veine facile et toujours efficace. L'origi nalité de la prédiction attribuée à Végoia est de lier ces épreuves au déplace mentdes propriétés, à la confusion sociale, à la destruction de familles entières. Il s'agit donc d'un texte inspiré par des gens victimes d'un bouleversement de la carte terrienne. La prophétie a été conçue, rédigée, diffusée dans des circonstances révolutionnaires. Lesquelles? On a pensé à l'époque et à la réforme des Gracques 9. M. Heurgon 10 a mis la prophétie en relation avec l'émotion suscitée en Etrurie par les lois de Livius Drusus en -91. Or le huitième siècle dont la pseudo-Végoia annonce les terribles malheurs aurait pris fin en -88 n, si du moins on tient compte d'un passage « d'ailleurs obscur » de Plutarque en sa Vie de Sylla 12. M. Heurgon applique à novissimi la règle summa arbor et entend ce superlatif non pas au sens de « dernier », mais de « finissant, en son
8 Qui procède évidemment des pouvoirs inhérents à la fonction de Jupiter, dieu de la foudre et des ouragans: cf. R. Pettazzoni, art. cit., p. 218 ss. 9 Cf. L. Zancan, II frammento di Vegoia e il «novissimum saeculum», Atene e Roma, 7, 1939, p. 213; J. Heurgon, dans REL, 37, 1959, p. 46. St. Weinstock (RE, 2. Reihe, 8A1, col. 579, s.v. Vegoia) fait vivre Veltumnus «gegen Ende des 2. Jhds v. Chr.». 10 La vie quotidienne chez les Etrusques, p. 285 s., et dans JRS, 49, 1959, p. 41 ss.; REL, 37, 1959, p. 46 s. A la suite de cette dernière communication, E. Cavaignac (ibid., p. 104-107) a voulu expliquer certaines singularités du texte des Gromatici en relation avec la situation sociale de l'Etrurie agricole avant la guerre des Marses. 11 Cf. A. J. Pfiffig, Eine etruskische Prophezeiung, Gymnasium, 68, 1961, p. 55-64 (qui retient la date de -88): L. Piotrowicz, L'attitude de l'Etrurie pendant les troubles civils romains, Klio, 23, 1929/30, p. 336 ss. (qui retient celle de -91). 12 Plut, Sulla, 7, 7-8 (= tome VI de l'éd.-trad. R. Flacelière-E. Chambry, Paris, 1971, p. 240): Είναι μεν γαρ οκτώ τα σύμπαντα γένη διαφέροντα τοις βίοις και τοις ήυεσιν αλλήλων, έκάστω δε άφωρίσοαι χρόνων άριυμον ύπο του ϋεου συμπεραινόμενον ένιαυτου μεγάλου περιόδω. Και οταν αύτη σχη τέλος ετέρας ένισταμένης κινεΐσΰαί τι σημείον έκ γης ή ουρανού ΰαυμάσιον... κτλ.
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dernier état ». Végoia déplorerait Vavaritìa d'un huitième siècle « touchant presque à sa fin » 13. Mais faut-il absolument faire coïncider sa prédiction avec le témoignage de Plutarque? Ce témoignage n'a paru obscur que parce qu'il s'accordait mal avec celui des Agrimensores. Que nous dit en effet le biographe de Sylla littéralement? Qu'en -88 des prodiges annonciateurs de la guerre civile entre Syllaniens et Marianistes inspiraient aux devins étrusques certaines déclara tions - que J. Carcopino 14 a mises au compte du pythagorisme. Une nouvelle race d'hommes allait apparaître qui consacrerait la métakosmèsis que faisaient pressentir d'étranges phénomènes. Huit âges différents par leur vie et leurs mœurs devaient remplir l'histoire du monde. A chaque âge était assigné ύπο του ΰεοΰ un temps correspondant à la Grande Année, et le terme de chaque période était marqué par un signe céleste ou terrestre. Il est clair que ce texte n'a aucun rapport avec la prophétie de Végoia. En premier lieu, il s'agit bien de devins étrusques (Τυρρηνών oi λόγιοι), mais leur prédiction concerne l'humanité en général, les âges du monde, et non pas l'Etrurie qui n'est pas nommée ni même allusivement visée dans l'excursus de Plutarque. En second lieu, l'auteur de la Vie de Sylla parle de « races » et de périodes comptées en fonction de la Grande Année cosmique, mais non pas de « siècles ». Par ce que Censorinus 15 a transcrit de Varron nous savons que les siècles étrusques n'avaient rien à voir avec
13 J. Heurgon, dans REL, 37, 1959, p. 46. 14 Virgile et le mystère de la IVe Eglogue2, Paris, 1943, p. 144 s. 15 De die natali, 17, 5-6 (p. 44,3-45,4 de l'éd. O. Jahn, Berlin, 1845; rééd. anast. G. Olms, Hildesheim, 1965): in unaquaque civitate quae sint naturalia saecula, rituales Etruscorum libri videntur docere, in quis scriptum esse fertur initia sic poni saeculorum. Quo die urbes atque civitates constituer entur, de his qui eo die nati essent eum qui diutissime vixisset die mortis suae primi saeculi modulum finire, eoque die qui essent reliqui in civitate, de his rursum ejus mortem, qui longissimam aetatem egisset, finem esse saeculi secundi. Sic deinceps tempus reliquorum terminari. Sed ea quod ignorarent homines, portenta mitti divinitus, quibus admonerentur unumquodque saeculum esse finitum. Haec portenta Etrusci pro haruspicii disciplinaeque suae peritia diligenter observata in libres retulerunt. Quare in Tuscis historiis, quae octavo eorum saeculo scriptae sunt, ut Varrò testatur, et quoi numero saecula ei genti data sint et transactorum singula quanta fuerint quibusve ostentis eorum exitus designati sint continetur. Itaque scriptum est quattuor prima saecula annorum fuisse centenum (centum CRgl), quintum centum viginti trium, sextum undeviginti et centum, septimum totidem, octavum turn demum agi, nonum et decimum superesse, quibus transactis finem fore nominis Etrusci.
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une Grande Année. Le record de longévité atteint par les gens nés le jour même où telle ville avait été fondée fixait la durée du premier siècle; la plus longue vie de ceux qui avaient vu le jour au terme de ce premier siècle correspondait à un second siècle, et ainsi de suite. Les siècles étrusques sanctionnaient une réussite biologique: la durée maximale d'une génération. Chez Plutarque, il s'agit de cycles cosmiques dont le terme est arrêté par Dieu, et non pas de longévités individuelles. Entre ce passage de la Vie de Sylla et ce que Varron nous apprend de la disciplina Etrusca un point commun mérite à vrai dire d'être souligné: des prodiges envoyés par les dieux avertissent les hommes de la fin d'un siècle 16, saeculum, mais non pas d'un « âge », d'un cycle et encore moins d'une Grande Année. On peut certes suspecter Plutarque, ou l'historien dont il dépend, d'avoir greffé sur une donnée de l'haruspicine étrusque des considérations néopythagorisantes inadéquates au sujet; mais tel qu'il nous est parvenu, ce texte ne saurait éclairer le prope novissimi odavi saeculi de la pseudo-Végoia. On voudrait au moins constater une correspondance numérale entre les huit âges de Vexcursus plutarchéen et le huitième siècle « touchant pres que à sa fin » de Végoia. Mais, abstraction faite du sens précis que peut avoir novissimi, Plutarque n'écrit nulle part que les devins toscans an nonçaient la fin du huitième âge. Ils interprétaient le prodige de la trompette résonnant dans un ciel serein comme le signe d'un tournant cosmique: une nouvelle race allait marquer l'histoire du monde. Mais Plutarque ne leur fait pas dire ni que ce devait être la dernière, ni que c'était la fin du huitième âge. Pour concilier la pseudo-Végoia avec Plutarque, on pourrait être tenté de comprendre novissimi dans l'acception de « fin de siècle » qu'a défendue M. Heurgon. Mais la conciliation ne s'impose pas, et donc le sens de novissimi odavi saeculi reste incertain, à moins que la détermination du contexte historique d'où est issue la « prophétie » ne confirme tel ou tel chiffre de siècles. Varron fait état d'une supputation étrusque de dix siècles, quibus transadis finem fore nominis Etrusci 17. La source qu'il transcrivait dans son livre De saeculis utilisé par Censorinus datait du huitième siècle
16 Ibid., 17,5 (p. 44, 12-14, Jahn) et 6 (p. 44, 19, Jahn). Cf. Plut., Sulla, 7, 8. Selon A. Bouché-Leclercq (Histoire de la divination dans l'Antiquité, IV, Paris, 1882, p. 97), la tradition recueillie par Plutarque est «suspecte à plus d'un titre». 17 Censor., De die natali, 17,6 (p. 45, 3-4, Jahn). Cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1966, p. 634.
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étrusque: octavum turn demum agi 18. Mais ce huitième siècle ne devait pas être le dernier, et c'est encore une raison de penser que l'excursus de Plutarque est étranger à la science toscane: nonum et decimum superesse 19. Les Tuscae historiae20 d'où Varron a tiré la matière de son exposé, et dont la rédaction remontait octavo eorum saeculo, devaient être à peu près con temporaines de la prophétie attribuée à Végoia. Dans l'optique des Etrus ques de cette époque, le huitième siècle ne serait pas le dernier, mais presque le dernier, l'avant-dernier ou l'antépénultième. Un comput de neuf siècles peut avoir existé concurremment avec une doctrine millénariste de dix siècles adoptée sous l'influence des idées grecques21. Les rites des Jeux Séculaires romains et les cultes laviniens de Tor Tignosa22 attestent l'importance du nombre neuf dans l'Italie antique. En tout cas, rien n'exclut a priori la traduction traditionnelle de prope novissimi par « avant-dernier ». A quelle époque pouvait correspondre ce huitième siècle durant lequel l'historien toscan anonyme suivi par Varron avait consigné le système chronologique de sa nation? Auguste contait en ses Mémoires (De memoria vitae suae) 23 qu'au dire d'un haruspice étrusque, Volcanius ou plutôt Volcatius24, le neuvième siècle aurait pris fin avec l'apparition du Sidus fulium, la comète de César. Le dixième siècle débutait en -44 suivant ce comput qui (notons-le en passant) s'accorde encore très mal avec les don-
18 Ibid., (p. 45, 2-3, Jahn; cf. p. 44, 16-17: In Tuscis historiis, quae octavo eorum saeculo scriptae sunt). 19 Ibid. (p. 45, 4, Jahn). 20 Ibid. (p. 45, 16, Jahn). 21 L. Zancan, art. cit., p. 209. Les Oracles Sibyllins, auxquels R. Bloch (dans Mélanges A. Ernout, Paris, 1940, p. 21-28) attribue des origines étrusques (cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque, p. 573: l'histoire de l'acquisition par Tarquin le Superbe des Livres Sibyllins recouvre un fait authentique, «les premiers grimoires en rapport avec les prodiges ont été introduits à Rome pendant sa période étrusque»), passaient pour enseigner une périodicité de neuf siècles, le dixième ouvrant une ère nouvelle: Serv., Ad Bue, IV, 4 (p. 44 s., Thilo); Juv., Sat, XIII, 28; Κ. Ο. Müller-W. Deecke, Die Etrusker, rééd. anast, Graz, 1965, II, p. 316. 22 R. E. A. Palmer, Roman religion and Roman Empire, Five essays, Philadelphie, 1974, p. 109 ss. 23 Deutéro-Servius, Ad Bue, IX, 4 (p. 115, 24-116,3, Thilo): Sed Vulcanius aruspex in contione dixit cometen esse, qui significaret exitum noni saeculi et ingressum decimi; sed quod invitis diis secreta rerum pronuntiaret, statim se esse moriturum: et nondum finita oratione, in ipsa contione coneidit. Hoc etiam Augustus in libro secundo de memoria vitae suae complexus est. L'intérêt de ce texte est souligné dans Κ. Ο. Müller-W. Deecke, op. cit., II, p. 311 s. 24 Leçon de Madvig.
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nées qu'on voudrait tirer de Plutarque: il est assez peu vraisemblable que le neuvième siècle ait seulement compté quarante ans, de -88 à -44! Le texte du Deutéro-Servius qui nous rapporte la déclaration de Volcatius ne précise pas qu'elle concernait des siècles étrusques; mais qu'on les évalue à 100 ou à 110 ans, qu'on date la fondation de YUrbs de -814, -758, -753, -750 ou -729 25, le compte de neuf siècles en -44 reste inégal à celui des années écoulées ab Urbe condita. Il est vrai que nous igno rons tout de la chronologie que ce Volcatius aruspex pouvait avoir retenue pour fixer le natalis de Rome; mais la date de -944 n'est attestée nulle part. Il faut donc bien supposer que Volcatius parlait de siècles étrusques. On sait que leur durée variait en fonction de la longévité humaine26. Les Tuscae historiae révélaient que les quatre premiers avaient compté chacun cent ans, le cinquième 123 ans, le sixième et le septième 119 ans27. La durée du huitième - en cours au moment de la rédaction - ne pouvait encore être précisée: à plus forte raison celle des neuvième et dixième siècles! On a induit de ce texte que le siècle étrusque variait autour de 120 ans. Si l'on retient cette fausse moyenne, le huitième siècle aurait commencé vers -284; si l'on compte deux siècles de 119 ans, on reste aux alentours de -282; mais à supposer deux siècles de 123 ans, on remonte aux années -290. Les sinistres prédictions de la pseudo-Végoia à Arruns Veltumnus visent probablement non pas l'Etrurie en général, mais une cité toscane celle même où vivait le pieux faussaire qui dénonçait les infractions à l'ordre divin. En effet, les Tuscae historiae fondaient leur compte des siècles étrusques sur la longévité maximale des individus nés dans telle ville: eoque die qui essent reliqui in civitate de his rursus ejus mortem qui longissimam aetatem egisset finem esse saeculi secundi. . . Quelle ville? Rien n'autorise d'emblée à conjecturer qu'Arruns Veltumnus était « un prince de la région de Clusium » 28. Arruns est un prénom assez courant, et l'on n'a aucune raison d'identifier Veltumnus avec le lucumon clusinien dont Tite-Live nous conte l'histoire en V, 33 - sans le moindre rapport avec Végoia, d'ailleurs. Le nom de notre Veltumnus a le même radical que
25 J. Bayet, éd. -trad, de Tite-Live, Histoire romaine, I, Paris, 1954, p. cxiv. 26 Censor., De die natali, 17,5 (p. 44, 7-9, Jahn). Cf. K. O. Miiller-W. Deecke, op. cit., II, p. 309; G. Dumézil, op. cit., p. 633 s. 27 Censor., De die natali, 17,6 (p. 44,20-45,2, Jahn). 28 J. Heürgon, dans REL, 37, 1959, p. 46.
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le mot Velsu inscrit sur les monnaies attribuées à Volsinies 29, que Voltumna, la grande divinité étrusque dont le sanctuaire abritait près de Volsinies les assemblées confédérales des douze peuples toscans et qui, apparem ment, se confond avec Vertumna/Vortumna ou Vertumnus 30. Que le nom même de Volsinies procède du nom de la divinité ou l'inverse, ils s'enracinent tous deux dans la même signification de base. L'étrusque Properce31 fait écho à l'étymologie populaire qui rapprochait de Vertumnus le latin vertere: quia vertentis fructum praecerpimus anni. Vertumne aurait personnifié le cycle annuel dont le tournant majeur se situait à l'automne, saison des fruits que le dieu ou la déesse (car il s'agit d'une puissance androgyne) faisait prospérer. Vertumne apparaît comme un dieu du changement, du cours temporel. Or c'est à Volsinies précisément que dans le temple de Nortia les fameux clous sacrés dénombraient les années écoulées32. On a dit et répété que Volsinies était une véritable « Delphes étrusque » 33, et l'on ne s'étonne donc pas que des oracles comme celui de Végoia aient pu y germer dans les milieux sacerdotaux. En tout cas, dans cette ville just ement considérée comme le centre religieux et moral de l'Etrurie indépen dante34, il semble bien que la notion du temps passé, en devenir ou à venir
29 A. Sambon, Les monnaies antiques de l'Italie, I, fase. 1, Paris, 1903, p. 14 et 40; B. V. Head, Historia numorum2, Oxford, 1911, p. 12. Cf. K. O. Miiller-W. Deecke, op. cit., I, p. 386 s.; W. Eisenhut, dans RE, 2. Reihe, 8A2, col. 1676 (s.v. Vertumnus); R. Enking, dans RE, 2. Reihe, 9A1, col. 830 (s.v. Volsinii). 30 G. Wissowa, Religion und Kultus der Römer2, Munich, 1912, p. 288; J. Heurgon, Recherches sur l'histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine, Paris, 1942, p. 71; V. Basanoff, dans RHR, 126, 1943, p. 5 s.; M. Pallottino, Etrusco lo già5, Milan, 1963, p. 243, etc. La question est discutée dans RE, 2. Reihe, 9A1, col. 852 ss., par W. Eisenhut: «eine Hypothese» (col. 855). W. Schulze (Zur Geschichte d. lat. Eigennamen, Berlin, 1933, p. 252) avait posé l'équation Vertumnus = Veltymnus. 31 Prop., IV, 2, 11. Cf. G. Radke, Die Götter Altitaliens, Münster, 1965, p. 319; W. Eisenhut, dans RE, 2. Reihe, 8A2, col. 1680. Varron (de l. Lai., V, 46) qualifie Vertumne de deus Etruriae princeps, titre approprié au saint patron d'une ville considérée comme la capitale de l'Etrurie, caput Etruriae (Val. Max., IX, 1, Ext. 2; R. Bloch, Volsinies étrusque, MEFR, 59, 1947, p. 11). 32 Liv., VII, 3, 7. Cf. K. O. Miiller-W. Deecke, op. cit., II, p. 307; R. Bloch, art. cit., p. 13; R. Radke, op. cit., s.v. Nortia, p. 232, et sur le rite romain du clavus annalis, G. Piccaluga, Terminus, p. 236 ss. 33 A. Piganiol, Histoire romaine, Paris, 1949, p. 77; J. Gagé, Apollon romain, Paris, 1955, p. 243. 34 M. Pallottino, op. cit., p. 185 («centro morale della intera nazione») et 264: «Le celebrazioni annuali del santuario di Voltumna presso Volsinii avevano... carattere nazionale». Sur Vertumnus/Voltumna, voir l'art, de W. Eisenhut, dans RE, 2. Reihe, 9A1, col. 850 ss.
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ait occupé une place de premier plan. Le rite du clavus annalis donnerait même à penser que le compte des différents siècles énumérés dans les Tuscae historiae était d'origine volsinienne et que la chronologie étrusque était fondée sur l'histoire même - authentique ou légendaire - de cette ville vouée au culte de Vertumne/Voltumnus. Or dans le nom même d'Arruns Veltumnus à qui Végoia aurait dévoilé l'avenir du huitième siècle se re connaît celui du dieu volsinien des variations annuelles et du devenir temporel. Ce nom symbolique de Veltumnus était on ne pouvait mieux ap proprié à une prophétie des métamorphoses séculaires. Il l'était aussi et singulièrement à une prophétie post eventum concernant Volsinies (Velsu-): le nom de la cité transparaît dans celui du confident de la Nymphe. Que se passait-il à Volsinies vers les années -280, date à laquelle cette ville qui passait pour la première de l'Etrurie - Etruriae caput35 dut faire sa soumission à Rome? Elle était en proie à une révolution sociale 36. Emancipés en masse et prématurément, les esclaves avaient imposé ce que nous appellerions la dictature du prolétariat: universam rempublicam occupaverunt37. Comme souvent, le libéralisme des notables s'était re tourné contre eux et leur esprit de démission. A cette complaisance de tels maîtres qui avaient peut-être cru, en jetant du lest, s'assurer l'appui, voire la complicité de leurs «gens», pourraient faire allusion certaines expressions de la prophétie de Végoia. Il y est dit à propos du déplace ment des bornes: Si servi facient, dominio mutabuntur in detenus. L'hypo thèse- a priori paradoxale, puisqu'un esclave n'a pas, ne peut avoir de propriété terrienne, ni donc la moindre responsabilité juridique en la matière - n'a de sens que dans un contexte de confusion révolutionnaire comparable à celui de Volsinies vers -280, où les servi pouvaient prendre des initiatives aussi exorbitantes38. Dans la citation des Gromatici, il est
35 Val. Max., IX, 1, Ext. 2. 36 Ibid., loc. cit.; Florus, I, 21; Zonaras, VIII, 7 (= Dion Cassius, I, p. 141 s., Boissevain). Cf. J. Heurgon, La vie quotidienne chez les Etrusques, p. 80; Id., Rome et la Méditerranée occidentale jusqu'aux guerres puniques, Paris, 1969, p. 318, 335. La date exacte de la révolution volsinienne reste incertaine; mais le processus des troubles sociaux a commencé bien avant 265. Quand Volsinies dut en -280 se soumettre à Rome, la situation était déjà mauvaise pour les grands propriétaires terriens. 37 Val. Max., loc. cit. 38 Frappé par cette singularité, E. Cavaignac (A propos de Végoia. Note sur le servage étrusque, REL, 37, 1959, p. 105 s.) explique la chose tout autrement. Dans la population rurale de l'antique toscane, la main d'oeuvre présentait, paraît-il, certaines analogies avec les hilotes laconiens et les pénestes thessaliens. Le «serf» étrusque avait «une certaine liberté
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question ensuite de délits contre la propriété d'autrui commis conscientia dominica 39, avec la connivence du maître: ce qui suppose encore l'initia tivedes esclaves (ou des affranchis) sur laquelle le dominus ferme les yeux, en laissant faire, et sans doute avec l'espoir fallacieux que sa maison en profitera globalement, même si les servi commandent: en fait toute sa gens en pâtira, et ce sera la ruine de la société volsinienne. Valère-Maxime 40 donne une précision bien intéressante à cet égard: Testamenta ad arbitrium suum scribi jubebant. Les esclaves dictaient donc à leur gré le texte des testaments, « c'est-à-dire, commente M. Heurgon 41, procédaient à une réforme de la propriété et à une redistribution des terres », ce qui postule tout justement le déplacement des bornes. Nous ignorons évidemment si les désastres météorologiques détaillés par la pseudo-Végoia ont doublé les clades qui accablèrent une cité na guère si bien gouvernée, Volsinies où régnait l'ordre des mœurs et des lois: moribus et legibus ordinata 42\ Du moins savons-nous que les dissensiones in populo amenèrent les survivants des classes dirigeantes à solli citer le bras séculier de Rome. On connaît la suite: l'ancienne Volsinies fut détruite, les affranchis révolutionnaires massacrés et une nouvelle ville s'éleva à l'emplacement de l'actuelle Bolsena43. Il me semble qu'il y a quelques correspondances assez frappantes entre la prédiction des Gromatici et la situation historique décrite par ValèreMaxime notamment. Une autre correspondance s'impose, je crois, entre le huitième siècle de Végoia et le huitième siècle du comput sur lequel l'haruspice Volcatius fondait ses calculs. Que pour l'Etrurie entière Volsinies ait en quelque sorte servi d'étalon chronologique de référence, il n'y a rien là de surprenant, puisque les davi annales y consignaient le temps révolu, que le culte de Vertumne/Voltumna y déifiait le cycle annuel et que la cité passait pour la plus ancienne du peuple tyrrhénien: αρχαιότατοι Τυρσηνών 44. Compte tenu des indications que Varron nous a conservées des Tuscae historiae, le premier siècle étrusque aurait débuté entre -1051 et -1043,
d'action » qui lui aurait permis de déplacer les bornes et d'augmenter la portion de terre à cultiver. Sur ce point précis les vérifications manquent... 39 Cf. E. Cavaignac, art. cit., p. 106. 40 Loc. cit. 41 La vie quotidienne chez les Etrusques, p. 80. 42 Val. Max., loc. cit. 43 J. Heurgon, op. cit., p. 81; R. Bloch, art. cit., p. 14 s. 44 Zonaras, VIII, 7,4 (= Dion Cassius, I, p. 141, 9-10, Boissevain).
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date à laquelle Volsinies aurait donc fait remonter sa fondation. Des historiens et des archéologues ont situé vers -1000 l'apparition des Etrus ques en Italie45. D'autres ne rejettent pas à priori la tradition qui les lie à la légende troyenne 46. Récemment, H. Hencken 47, reprenant tout le dossier, s'est rallié à l'idée que les Etrusques pouvaient avoir gagné la péninsule vers la fin du second millénaire avant J.-C. La question mérit erait une réinvestigation approfondie du matériel archéologique dont l'énorme lot s'enrichit tous les jours. Cependant, il faut peut-être aussi tenir compte de la doctrine des siècles dont se réclamait à la mort de César un connaisseur de la disciplina Etrusca, l'haruspice Volcatius.
45 Sur l'origine des Etrusques, cf. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale, p. 363 ss.; R. Bloch, L'état actuel des études étruscologiques, Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, I, I, Berlin-New York, 1972, p. 12 ss. 46 On a même voulu reconnaître le nom des Troyens (Tros-es) dans celui des Etrusques (e-Trûs-ci): V. I. Georgiev, Introduzione alla storia delle lingue indeuropee, Rome, 1966, p. 276 ss. 47 Tarquinia, Villanovans and early Etruscans, Pubi, de {'American School of Prehistoric Research, Peabody Museum, Harvard University, 23, Cambridge, Mass., 1968, II, p. 603 ss. Cf. R. Bloch, art. cit., p. 13 s.
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AVENUES, QUARTIERS ET TRIBUS À THOURIOI, OU COMMENT COMPTER LES CASES D'UN DAMIER (À PROPOS DE DIOD. XII, 10 ET 11)
La fondation de Thourioi a fait l'objet d'un certain nombre d'études, dont certaines toutes récentes *: l'intérêt suscité par la fondation de cette ville nouvelle sur le territoire de Sybaris, plus d'un demi-siècle après la destruction de celle-ci, est dû à deux raisons principales: selon la formule d'Ed. Will, « c'est avec l'affaire de Thourioi que s'ouvre le chapitre occidental de la politique athénienne » 2; par ailleurs, comme le souligne justement F. Castagnoli, « Thurii è una delle poche città antiche di cui conosciamo la struttura urbanistica da fonti letterarie3».
1 II y a sur la question une riche bibliographie. Nous nous contenterons de signaler ici les articles auxquels il sera renvoyé le plus souvent: V. Ehrenberg, The foundation of Thurii, dans AJPh, LXIX, 1948, p. 149-170; S. Accame, La fondazione di Turi (in Note per la storia della Pentecontaetia), dans RFIC, XXXIII, 1953, p. 149-170; I. D. Kondis, Ή διαίρεσις των Θουρίων, dans ΑΕ, 1956, p. 106-113; F. Castagnoli, Sull'urbanistica di Thurii, dans PP, CXXXIX, 1971, p. 301-307; Ν. Κ. Rutter, Diodoro and the Foundation of Thurii, dans Historia, XXII, 1973, p. 155-176. 2 Ed. Will, Le monde grec et l'Orient, I: le Ve siècle, 1972, p. 277, avec bon résumé des principales données. On trouvera des allusions plus ou moins détaillées à la fondation de Thourioi dans tous les ouvrages qui traitent de la politique athénienne en Occident au Ve siècle et, naturellement, de Périclès. Comme ce n'est pas cet aspect du problème qui sera envisagé ici, nous nous contenterons de renvoyer à l'ouvrage de Brandhofer, Untersuchungen zur athenischen Westpolitik im Zeitaller des Pericles, Diss. München, 1971, p. 22-53, qui fournit l'état de la question. 3 F. Castagnoli, PP, p. 301, avec la bibliographie récente pour tout ce qui touche au problème de l'urbanisme: cf. aussi J. R. McCredie, Hippodamos of Mileto, in Studies presented to G.M.A. Hanfmann, Fogg Art Museum, Harvard Univ. Monogr. in art and arch., 1971, p. 95-100. On rappellera également la parution en langue anglaise d'une nouvelle édition mise à jour de l'ouvrage de F. Castagnoli, Hippodamo di Mileto e l'urbanistica a pianta orto gonale, Roma, 1966, sous le titre Orthogonal Town Planing in Antiquity, Cambridge Mass. 1971; cf. plus récemment la seconde édition augmentée (mais sans changement sur ce point) de R. Martin, L'urbanisme dans la Grèce antique, 1974, p. 40-41 et 45.
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Ces sources littéraires, c'est, au vrai, essentiellement le texte célèbre de Diodore4, car, des autres données il y a peu à tirer5: dans la Vie de Périclès par exemple, Plutarque, après avoir cité un certain nombre de colonies fondées à l'instigation de Périclès termine ainsi son enumeration: « il (Périclès) établit encore d'autres clérouquies en Italie, où fut fondée Sybaris, que l'on appela Thourioi » 6; il s'agit donc, on le voit, d'une simple mention de la fondation de la ville. Au contraire, Diodore consacre un très long passage à la nouvelle cité dont on peut résumer ainsi l'essentiel: il y avait eu d'abord une première tentative de reconstruction de la ville cinquante huit ans après sa destruction, mais au bout de cinq ans, les Sybarites furent chassés par les Crotoniates 7; ils projetèrent alors de fonder une nouvelle fois Sybaris, et ils envoyèrent des ambassadeurs en Grèce aux Lacédémoniens et aux Athéniens, pour leur demander de les aider dans leur projet et de participer à l'entreprise. Les Spartiates refusèrent, tandis que les Athéniens prêtèrent dix vaisseaux, dont ils confièrent le commandement à Lampon et à Xenocritos et qu'ils envoyèrent aux Sybarites; de plus, ils firent savoir aux villes du Péloponnèse qu'il était possible à qui le désirait de prendre part à cette fondation. Cet appel fut largement entendu; l'oracle de Delphes consulté8 répondit qu'il fallait fonder la ville là où l'on pourrait boire de l'eau avec mesure et manger du pain sans mesure. Ils débarquèrent en Italie et, arrivés à Sybaris, ils cherchèrent le lieu indiqué par l'oracle; non loin de Sybaris, ils trouvèrent une source appelée Thouria, qui s'écoulait par un tuyau d'airain que les gens du pays appelaient «medimnos». Ils pensèrent que c'était le lieu indiqué par l'oracle et, l'ayant entouré d'un mur, ils fondèrent la cité qu'ils appelèrent Thourion d'après le nom de la source. C'est là que se placent les quelques lignes qui décrivent l'organisation première de la cité et qui sont en effet un des rares textes grecs où nous
4 Diod. XII, 10, 3-7, qui reprend en les développant les indications rapides données au livre XI (XI, 90, 4). 5 Comme autres sources, on citera quelques passages de Plutarque {Per, 11; Me, 5, 3; Praec. ger. reip., 15, 812 d) ainsi que Schol. in Aristoph. Nub. 332; Hesych., s.v. Θουριομάν(τεις), (666) Schmidt; Phot. Lex., s.v. Θουριομάντεις Naber; Tzetzes, in Aristoph. Nub. 332. 6 Plut. Per, 11. 7 Diod., XII, 10. 8 Sur le rôle de l'oracle de Delphes dans ce cas particulier, cf. notamment H. W. Parke et D. E. W. Wormell; The Delphic Oracle2, II, 1956, p. 58 et Rutter, op. cit., p. 162-163.
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trouvons des indications précises sur « l'urbanisme » d'une polis; comme ce texte présente un certain nombre de difficultés, il est préférable de le citer9: 7 Την δε πόλιν διελόμενοι κατά μεν μήκος εις τέτταρας πλατείας, ών καλοΰσι την μεν μίαν Ήράκλειαν, την δε Αφροδισίαν, την δε 'Ολυμπιάδα, την δε Διονυσιάδα, κατά δε το πλάτος διεΐλον εις τρεις πλατείας, ών ή μεν ώνομάσϋη Ήρωα, ή δε Θουρία, ή δε Θουρΐνα. 'Υπό δε τούτων των στενωπών πεπληρωμενων ταΐς οίκίαις, ή πόλις έφαίνετο καλώς κατεσκευάσυαι. Les commentateurs se sont surtout attachés à rendre compte de la dernière phrase du texte; mais la première partie pose, elle aussi, des pro blèmes, que l'on peut rapidement formuler ainsi: - l'expression την πόλιν διελόμενοι ... είς τέτταρας πλατείας est étrange; en effet la construction de διαιρέω (ou mieux de διαιρέομαι) avec, à l'accusatif, le nom de la chose que l'on divise et un groupe prépositionnel introduit par εις et l'accusatif est rare 10 et ne s'emploie que pour indiquer le résultat du partage: διαιρεΐσϋαί τι εις μέρη. Evidemment l'expression sur prend s'il s'agit de dire que les nouveaux colons divisèrent la ville par des plateiai. - l'expression κατά μήκος est susceptible de deux interprétations: on peut comprendre que ces rues sont dans le sens de la longueur ou qu'elles divisent la longueur de la ville (auquel cas elles lui seraient perpend iculaires), κατά se prêtant en effet aux deux hypothèses11. Avant d'examiner les interprétations qui ont été données pour la dernière phrase, il convient, pour avoir tous les éléments du problème, de rappeler brièvement la suite du texte de Diodore 12: c'est l'histoire des difficultés
9 Le texte cité ici est celui de l'édition Budé, Les Belles Lettres, 1972; cette édition, œuvre de M. Casevitz, est excellente aussi bien pour l'établissement du texte que pour les notes et pour la traduction. On trouvera, p. 1032, la traduction proposée pour ce passage. 10 L'idée de faire des parts, ou des parties, s'exprime soit par un accusatif d'objet direct (διαιρεΐν ...τρία μέρη, Plat. Phaedr., 253 d; οκτώ μέρη διελών το παν πλήθος, Plut. Per., 27) soit avec κατά, qu'il s'agisse d'une question que l'on divise en parties (κατά μέρη Plat., Leg. 658 a) ou d'un objet (κατά μέλεα διελών, Hdt, I, 119); l'emploi avec είς ne se rencontre guère que lorsque le verbe est au passif (cf. Arisi, HA 486 a 5 οσα διαιρείται είς όμοιομερή et Déni., 4e Phil 51 είς δυο ταϋτα διήρετο τα των Ελλήνων). 11 C'est sans doute ce que veut dire F. Castagnoli, PP, p. 301, n. 1, mais, bizarrement, il parle de είς au lieu de κατά et renvoie à ce sujet à Kondis (cf. infra, p. 9, n. 35) qui, lui, parle bien de είς, mais à un tout autre point de vue. 12 Nous résumons rapidement ici tout le chapitre 11 du livre 12 de Diodore en utilisant les commentaires de M. Casevitz (op. cit., p. 99-101).
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qui surgirent dans la ville nouvelle: il y eut d'abord une période de bonne entente (όμονοήσαντες) entre les citoyens, mais elle fut de courte durée, et, ajoute Diodore, on pouvait s'y attendre (ούκ άλόγως). Très vite des dissensions apparurent entre les Sybarites d'origine (οι προϋπάρχοντες Συβαριται) et les nouveaux arrivés (oi προσγραφεντες ύστερον πολΐτοα): les premiers voulaient garder un rôle prépondérant dans la vie politique de la cité et dans les cérémonies religieuses et, surtout, ils s'étaient attribué les terres les plus proches de la ville (την μεν σύνεγγυς τη πόλει χώραν κατεκληροΰχουν έαυτοΐς), ne laissant aux derniers venus que les terres plus lointaines (την δε πόρρω κειμένην τοις έπήλυσι); bref - et c'est l'exemple même sur lequel s'appuie Aristote 13 pour affirmer qu'on arrive toujours à un état de crise (στασιωτικόν τι) quand sont juxtaposés dans une cité des éléments étrangers - la crise (ή διαφορά) éclata, les nouveaux arrivés tuèrent la plupart des Sybarites 14 et restèrent seuls dans la ville (την πόλιν αυτοί κατωκησαν). Mais le territoire était vaste et fertile et surtout - ce que ne précise pas Diodore - il fallait pouvoir se défendre éventuellement contre une autre attaque des Crotoniates. On fit donc venir de Grèce de nouveaux colons, et en grand nombre, et on répartit la cité et le territoire suivant des principes d'égalité (διενείμαντο την πόλιν και την χώραν έπ' ίσης ενεμον) 15. Tant de sagesse fut récompensée: la cité devint prospère, fit alliance avec Crotone et le régime qui s'y établit fut démocratique; on répartit les citoyens en dix tribus (διεΐλον τους πολίτας είς δέκα φυλάς), auxquelles on donna un nom tiré de leur ethnie d'origine: trois, qui regroupaient les Péloponnésiens, furent appelées arcadienne, achéenne et éléenne; trois autres furent appelées béotienne, amphictyonienne, dorienne; les quatre dernières reçurent les noms suivants: ionienne, athénienne, eubéenne, insulaire. C'est alors qu'on fit venir comme législateur Charondas dont l'œuvre est longuement rapportée par Diodore (chap. 12 à 20). Revenons maintenant aux indications sur la fondation même de la ville; elle s'est déroulée suivant les rites habituels: recherche du site 16 indi-
13 Arist. Pol. V, 3, 1303 a; cf. aussi Pol., V, 6-8 (1307 b); sur les rapports entre les indica tions de Diodore et les réflexions d'Aristote, cf. les remarques judicieuses de N. K. Rutter, op. cit., p. 167-168; cf. aussi F. Sartori, Problemi di storia costituzionale d'Italia, 1953, p. 110-112. 14 Ceux qui réussirent à échapper au massacre s'installèrent (cf. Diod., XII, 22) sur les bords du fleuve Traeis. 15 Sur le sens de cette phrase, cf. infra, p. 1029, n. 33. 16 Rappelons que Diodore, comme Strabon (VI, 1, 13, dont le récit contient de toute façon d'évidentes confusions, indique que le site retenu pour Thourioi et déterminé en fonction de la source Thouria, se trouvait à proximité de Sybaris (ούκ απω&εν της Συβάρεως). On sait
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qué par le dieu, construction d'une enceinte, dénomination de la cité; puis intervient le tracé des quatre plateiai κατά μήκος et des trois κατά το πλάτος, dont Diodore indique les noms 17, et, finissant la description de la ville, la phrase que nous avons laissée de côté provisoirement et qu'il nous faut maintenant examiner 18. On sait que les manuscrits du livre XII de Diodore se répartissent en deux familles, l'une représentée essentiellement par le Patmïacus 50 (P), l'autre qui dérive du Marcianus gr. 375 (M), avec tous les recentiores utilisés surtout par les éditeurs 19. Jusqu'à l'édition Teubner 20, les éditeurs donnaient comme texte: « ύπο δε τούτων στενωπών πεπληρωμενων ταΐς οίκίαις, ή πόλις έφαίνετο καλώς κατεσκευάσυαι » et la traduction latine de Müller montre bien comment on interprétait la phrase: quumque uicos his interjectos domibus expleùissent, urbs commode digesta et pulchre exaedificata uidebatur21; autrement dit στενωπός était interprété comme signifiant le quartier, sens qui semblait impliqué par l'emploi du verbe πληρώ. Or, Vogel fit d'abord remarquer que ταΐς οίκίαις était la correction d'un éditeur, alors
que les fouilles récentes effectuées à Sybaris (cf. infra, p. 1032, n. 42 montrent que Thourioi, comme la colonie romaine de Copia, s'est installée sur le site de l'antique Sybaris: cf. à ce sujet l'excellent volume publié par l'Accademia Nazionale dei Lincei, comme supplément aux NSA (8e série, vol. XXIV, 3e suppl., 1970), qui présente un bilan (Sibari) de dix années de fouilles; cf. aussi l'article de P. G. Guzzo - responsable d'une large partie du volume précédent Scavi a Sibari, PP, 1973, p. 278-314. P. G. Guzzo (Sibari, p. 17 sq.) note que les indications de Diodore et de Strabon peuvent signifier, plutôt qu'une localisation différente de Thourioi par rapport à Sybaris, une «non completa sovrapposizione dell'uno all'altro». C'est ce que suggèrent les recherches effectuées sur le site, «mostrando una zona..., frequentata solo in epoca arcaica, ed una seconda, quella del Parco del Cavallo, frequentata con buona continuità dall'ultimo quarto del Vili0 sec. a.C. al V° sec. d.C. » (p. 17). 17 Ces plateiai sont désignées par des adjectifs: les quatre premières portent le nom de divinités (où ne figure pas Athéna); il faut comprendre την δε 'Ολυμπιάδα par l'avenue de l'Olympien et non d'Olympie. Pour l'emploi du mot πλατεία dans les textes, les papyrus et surtout les inscriptions, cf. L. Robert, Etudes anatoliennes, 1937 (reprod. anastatique, 1970), p. 532-538 (notamment p. 532, n. 3 et 533-534): la plupart des πλατεϊαι que nous connaissons sont d'époque impériale, « alors que presque toutes les villes s'ornaient de larges avenues rectilignes bordées de colonnades» (L. Robert, p. 532); cf. du même auteur, RPh, 1958, p. 19 et n. 1, RPh, 1959, p. 223 et Bulletin Epigraphique, IV, 1959-1963, p. 191. 18 L'établissement du texte et son interprétation font l'objet d'un long commentaire de M. Casevitz dans la Notice (p. XVI-XVII) de l'édition citée. 19 Cf. l'introduction de M. Casevitz (op. laud., p. 15 avec bibliographie). 20 F. Vogel, Diod., vol. II, éd. Teubner, 1890. 21 Diodori Sic. Bibl..., Dindorf-Müller, éd. Didot, 1845, p. 421.
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que les manuscrits portaient tous τας οικίας et que la seconde main de P22 corrigeait le début de la phrase ainsi: τούτων δε των στενωπών πεπληρωμένων; dès lors, c'est ce texte qui fut adopté: une bonne édition de Diodore comme celle de la collection Loeb qui choisit cette version ne donne (à l'exception de τας οικίας) aucune indication dans l'apparat critique sur le texte originel de P, que l'on retrouve dans toute la famille de M. Cette nouvelle version, comment fallait-il l'interpréter? Diodore, qui venait de parler des plateiai, reprenait sa phrase, après avoir donné leur nom, en écrivant: « ces stenopoi une fois remplis de maisons »; il n'y avait donc pas, ou il n'y avait donc plus, pour Diodore ou sa source, de différence de sens entre stenopoi et plateiai; les deux mots étaient en fait indistinct ement employés pour distinguer les rues d'une ville. C'est la thèse qui fut soutenue, avec les conséquences que vous verrons bientôt, par A. von Gerkan, dans son ouvrage considéré longtemps comme fondamental et qui reste important pour toute recherche sur l'urbanisme grec: « en qualifiant ces rues de rues principales (Hauptstrassen), on présuppose que, entre elles, il y en a d'autres, plus étroites, et que le mot πλατεία désigne une rue particulièrement large. Mais nous ne connaissons, dans aucune ville, un système ainsi conçu de rues complémentaires et la suite du texte de Diodore [c'est la phrase que nous venons de citer] montre qu'il ne faut pas interpréter Diodore en ce sens: pour lui, il n'y a plus de différence entre πλατεία et στενωπή, les deux mots désignant simplement les rues des villes; notons au passage que, pour Diodore la beauté de la ville résulte de l'agencement régulier du plan de la ville»23. Deux ans plus tard, dans son Histoire de l'architecture urbaine, P. Lavedan qui, semble-t-il, avait lu rapidement von Gerkan, reprenait une partie de ses conclusions en les interprétant24: il était étonnant qu'une ville comme Thourioi qui devait être importante, puisque beaucoup de monde avait
22 Cette correction est adoptée par le Scorialensis 104; sur la dérivation du Scorialensis 104 par rapport à P (Patmiacus 50), cf. la communication de P. Beltrac aux Etudes Grecques (résumé dans REG, 78, 1965, p. XXXIV-XXXV). 23 Arnim von Gerkan,, Griechische Städteanlagen, Untersuchungen zur Entwicklung des Städtebaues im Altertum, 1924; dans le second chapitre, vingt pages sont consacrées à Hippodamos de Milet (p. 42-62), avec deux passages sur la fondation de Thourioi (p. 47 sq. et sur le plan de la ville (p. 56 sq.); le passage traduit se trouve p. 56-57. Dans Storia della Magna Grecia (1927), E. Ciaceri semble accepter l'hypothèse de von Gerkan sur le sens de στενωπή (II, p. 352, n. 3). 24 Pierre Lavedan, Histoire de l'architecture urbaine, 1926, p. 137-138.
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répondu à l'appel des Athéniens, ne comportât que quatre artères longitu dinales et trois transversales; mais la suite du texte de Diodore expliquait tout: les citoyens, en effet, « étaient divisés en dix tribus . . . Cette division nous fournit la clef du plan. Les quatre artères longitudinales et les trois transversales déterminent douze secteurs: dix correspondent aux dix tribus, qui représentent l'apport de la Grèce propre; un autre devait comprendre les vieux Sybarites; le douzième était sans doute affecté aux organes gé néraux de la cité, sorte de Panhellénion analogue à celui de Naucratis ». Et, pour conclure, P. Lavedan admet, à titre d'hypothèse, l'existence de petites voies secondaires « dont Diodore ne nous dit rien » (sic: ce qui prouve bien qu'il admet l'interprétation de von Gerkan) « qui devaient sub diviser ces quartiers en blocs d'habitations, en insulae » 25. Cette hypothèse fut reprise et développée par R. Martin: à Thourioi « le tracé des rues . . . fut dicté par la seule préoccupation de créer des quartiers correspondant aux divers contingents de colons qui constituaient le premier peuplement » 26, et plus loin: « Nous croyons très vraisemblable l'interprétation du texte de Diodore proposée par P. Lavedan . . . Ces douze zones [découpées par les grandes artères] sont l'effet de la distribution politique des emigrants qui sont répartis en dix grandes tribus correspondant à leur lieu d'origine ... Il est très vraisemblable qu'un quartier, suivant la coutume, est attribué à la population primitive, les anciens Sybarites . . . Enfin, à l'exemple des plans contemporains du Pirée, de Milet, une zone était réservée au centre administratif, puisque c'est là la principale originalité des plans inspirés par Hippodamos » 27. Ainsi s'établit le rapport que l'on retrouve dans les manuels d'histoire grecque ou d'urbanisme grec entre les dix tribus et les « douze » quartiers de la cité panhéllénique de Thourioi, et qui est présenté comme la marque d'Hippodamos 28.
25 Ibidem.; le même développement est repris à peu près mot pour mot dans Lavedan et Huguenet, Histoire de l'urbanisme, Antiquité, 1966, p. 164-165. 26 Roland Martin, op. cit., p. 41. 27 Ibidem, p. 45-46. 28 Cf. récemment l'excellent ouvrage de Ed. Will, op. cit., p. 278: «le corps civique fut divisé en dix tribus... Mais où donc étaient les Sybarites? Peut être y eut-il à l'origine une ou deux tribus sybarites, car on sait que chaque tribu eut un quartier de la ville, qui en comporta douze». On notera une étrange variante sur les chiffres dans L. Mumford, La cité à travers l'histoire, 1964, p. 250: «Thurium était divisée en dix (sic) quartiers par quatre grandes artères longitudinales et trois transversales. Huit de ces grands ensembles étaient attribués chacun à l'une des communautés, les deux autres étant réservés aux anciens Sybarites et aux édifices publics... ».
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Or, il est clair que cette hypothèse, devenue peu à peu une donnée bien admise, repose sur une erreur de calcul, mieux de raisonnement29. Comment, en effet, à partir des droites qui les forment, compter les cases d'un damier? Deux droites parallèles coupant à angle droit deux autres parallèles déterminent un rectangle et non pas quatre! De même trois parallèles coupant à angle droit quatre parallèles déterminent six rectangles et non pas douze. Ce sont donc bien six quartiers, et non douze, que forment les quatre et trois plateiai orthogonales de Thourioi. Si, par ailleurs, pour l'ensemble de la ville, on tient compte - et il le faut bien des secteurs déterminés en partie par les plateiai, en partie par la muraille, on ajoutera, autour de ces six quartiers centraux, quatorze autres et on arrivera à un total de vingt. Tel est bien d'ailleurs le nombre qu'indiquait von Gerkan: « Les rues étaient bordées de maisons des deux côtés et, le long de la muraille, on avait non une rue, mais un πάροδος: cela détermine vingt quartiers, dont il faudra soustraire un certain nombre pour le marché, les temples, les édifices publics, ce qui nous donnera une quinzaine de quartiers pour les maisons » 30, et suit un développement sur les remarques démographiques que l'on peut faire à partir de ce nombre. Il n'y a donc aucun rapport numérique à établir entre le nombre des plateiai et la répartition des tribus dans la ville. Peut-on même dire, selon la formule beaucoup plus prudente de P. Zancani Montuoro, qu'« à la régularité géométrique du plan de la ville correspondit une répartition aussi précise des habitants, selon les régions dont ils étaient originaires, en dix tribus »31? Oui et non; en effet, le texte de Diodore sépare rigoureusement les temps: il y a d'abord la première fondation de la ville avec la division de l'espace urbain par les plateiai et la construction des maisons, puis, après une brève période (ολίγον δε χρόνον) d'heureuse entente, les dissensions rappelées plus haut, le meurtre de presque tous les anciens Sybarites, la venue de nouveaux colons de Grèce, et c'est alors qu'ils διενείμαντο την πόλιν και
29 II est étrange que F. Castagnoli qui discute les deux « importantes interprétations » de Lavedan d'une part et de von Gerkan d'autre part (PP, loc. cit., p. 303) n'ait pas relevé que le premier reposait en fait sur une simple erreur; la même remarque vaut pour F. Sartori, Prodromi di costituzione miste in città italiote nel V° sec, dans Atti Ist. Venet. Se. Lett, e Arti, 1972-1973, p. 644, n. 122. Il n'est pas exact non plus de dire, comme le fait F. Castagnoli (loc. cit., p. 304), que von Gerkan «immagina la città divisa in 20 quartieri»; ce n'est pas là une hypothèse, mais c'est bien le seul chiffre qu'autorisent les indications de Diodore, comme nous allons le voir. 30 Von Gerkan, op. cit., p. 57. C'est ce nombre de vingt quartiers qui est indiqué par W. B. Dinsmoor, The architecture of Ancient Greece, 3e edit., 1958, p. 214. 31 P. Zancani Montuoro, Enc. Arte antica, 1966, s.v. Thurii, p. 843.
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την χώραν έπ' ϊσης ενεμον 32. Quel que soit le sens qu'il convient de donner à διενείμαντο 33, il est évident que Diodore veut opposer la première phase de la vie de la nouvelle cité (avec, déjà le tracé urbain régulier), au cours de laquelle les Sybarites veulent s'arroger tous les droits dans la ville et se réserver les meilleures terres dans la χώρα, au nouvel état de choses qui s'établit par la suite: régime démocratique et répartition de la nouvelle population en dix tribus. Il n'y a donc non seulement pas de rapport numérique, mais pas de lien logique entre le tracé urbain et la division en tribus, même si, en fait, celle-ci utilise d'une certaine manière les possi bilités que donnent les divisions régulières de la ville. En résumé, il ne faut pas faire dire à Diodore plus qu'il ne dit. Dans son premier passage, Diodore évoque le tracé de la nouvelle fondation; dans un second temps, il raconte comment, après des événements dramat iques, les nouveaux arrivés furent divisés d'après leur origine; dans le premier temps, il insiste sur la belle organisation de la ville (au sens matériel: ή πόλις έφαίνετο καλώς κατεσκεύασυαι) ; dans le second, sur le bon gouverne ment de la cité (καλώς έπολιτεύοντο). Nous ne devons donc pas tenir compte des prétendues préoccupations sociales ou ethniques qui auraient « dicté » le tracé des rues pour éclairer le texte qui a été le point de départ de nos réflexions et auquel il faut main tenant revenir. Sans aborder ici le problème des sources de Diodore, qui a été longuement débattu34, on peut dire que, sans doute dans tout le début du texte, Diodore résume maladroitement, comme le suggère I. D. Kondis35, une source plus longue qui devait donner des renseignements assez détail lés sur la topographie de Thourioi. C'est ainsi que l'expression διελόμενοι κατά μεν μήκος εις τέτταρας πλατείας résulte probablement de la confusion de deux idées voisines, qui devaient être exprimées séparément dans la source suivie: la division de la ville en quartiers (εις μέρη) et la délimita tion des quartiers par les grandes rues (δια πλατειών). Mais une maladresse de ce genre ne nous autorise pas pour autant à procéder librement avec le texte qui suit, en choisissant la correction d'un manuscrit (τούτων δε τών στενωπών πεπληρωμένων) plutôt que la leçon de tous les autres, pour, en fin
32 Diod., XII, 11,2. 33 «Ils respectèrent l'égalité dans l'administration de la ville» (M. Casevitz); «to these (i.e. aux nouveaux colons) they assigned parts of the city» (C. H. Oldfather, éd. Loeb). 34 Bon résumé dans F. Sartori, loc. cit., p. 638 et n. 95 et 121; en bref, l'article récent de Rutter soutient contre Accame qu'Ephore est la source principale de Diodore pour l'ensemble des livres XI et XII. 35 I. D. Kondis, Ή διαίρεσις τών Θουρίων, dans AE, 1956, p. 107-109.
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de compte, prêter à Diodore une grossière bévue: après avoir longuement parlé de larges avenues orthogonales qui caractérisent le plan de Thourioi, les plateiai, Diodore utiliserait pour désigner ces mêmes avenues le mot qui évoque de toute façon un passage étroit (στενωπός) en écrivant quelque chose comme: « on divisa la rue par de larges avenues et une fois ces ruelles remplies de maisons... ». Il n'est pas raisonnable d'amender un texte pour lui donner un sens qui est tout sauf satisfaisant. Cependant il est vrai que le texte non amendé du manuscrit de Patmos, que l'on retrouve dans l'autre famille, celle qui dérive du Marcianus gr. 375 (M), n'est pas davantage satisfaisant: ύπο δε τούτων των στενωπών πεπληρωμένων τας οικίας ή πόλις έφαίνετο καλώς κατεσκευάσϋαι. La correction la plus simple, qui remonte à Reiske, est de changer τας οικίας en ταΐς οίκίαις; c'est le texte qu'adopte M. Casevitz, parce que, dit-il, l'accusatif de relation n'est pas courant chez Diodore 36, mais surtout parce qu'il faut bien que πεπληρωμένων ait un complément pour que le texte adopté ait un sens: « les petites rues étant, par eux, remplies au moyen de maisons, la cité parut parfaitement organisée ». Cette interprétation ne nous semble pas non plus vraiment satisfaisante: ainsi comprise, l'indication ύπο τούτων est totalement superflue, alors que l'on s'attend, une fois définies les grandes lignes du plan, à ce que Diodore indique ce qui fut fait à l'intérieur de chacun des secteurs ainsi délimités. C'est ce qu'avait bien vu I. D. Kondis, qui avait suggéré l'hypothèse suivante: s'appuyant sur des exemples d'Euclide, il note que l'expression το ύπο τούτων s'emploie par un double raccourci (l'article neutre au lieu d'un substantif désignant l'angle ou le rectangle et l'omission d'un participe comme περιεχόμενον indiquant l'idée de délimité par) pour signifier « l'angle ou le rectangle formé ou délimité par ces lignes»; il propose donc de lire: <τών> ύπο δε τούτων [των] στενωπών πεπληρωμένων, τας οικίας . . . etc. Le sens serait: les rectangles compris entre ces plateiai une fois remplis de stenopoi, la ville parut harmonieusement disposée avec ses maisons; en effet, dans cette hypothèse, on peut maintenir l'accusatif de relation τας οικίας et la fin de la phrase suggère que c'est l'alignement des maisons sur les rues orthogonales (plateiai et stenopoi) qui faisait la beauté d'une ville comme Thourioi, or, c'est précisément, selon Aristote, ce qui caractérise le « style d'Hippodamos » 37.
36 M. Casevitz, op. cit., p. xvn. 37 Cf. I. D. Kondis, loc. cit., p. 255 et, du même Kondis, Ή εύτομος διάυεσις εις τον Ίπποδάμειον τρόπον, ΑΕ, 1953-1954, Mélanges Oikonomos, I, p. 255-267. Aristote souligne (Pol., VII, X, 4, 1330 a) que la disposition des maisons privées (ή των ιδίων οικήσεων διάοεσις) semble
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Pourtant, la correction et l'interprétation de Kondis, si intelligentes soient-elles, n'ont pas été retenues par M. Casevitz, et à juste titre; l'e xpression το ύπο τούτων appartient, dit-il, au langage technique et n'ap paraît pas dans les textes littéraires38; plus même, il semble, d'après les exemples d'Euclide que cite Kondis, que ces ellipses ne sont naturelles qu'en fonction du contexte, qui permet l'expression abrégée, les mots omis ici figurant ailleurs de façon explicite. De plus, dans la leçon pro posée par Kondis, la place de δέ en troisième position, alors que les deux mots précédents ne forment pas un tout, est totalement insolite et i nvraisemblable. Dès lors, le plus sage serait sans doute de constater que le texte de Diodore, tel qu'il nous a été transmis, présente une difficulté, plutôt que de chercher à tout prix à la résoudre. Cependant, on peut affirmer, sans risque d'erreur, les points suivants: των στενωπών πεπληρωμένων est sans aucun doute un génitif absolu39; le participe πεπληρωμενων implique normalement un complément et la correction ταΐς οίκίαις semble donc né cessaire; mais plutôt que de comprendre ύπο τούτων comme un complément totalement inutile du verbe passif (qui, d'ailleurs, le verbe étant au participe
beaucoup plus agréable (ήδίων) si elles sont bien alignées, conformément à la nouvelle mode introduite par Hippodamos. Nous n'avons pas repris ici le problème d'Hippodamos à Thourioi (Diodore ne le nomme pas): cf. à ce sujet, outre R. Martin et F. Castagnoli, F. Sartori, loc. cit., p. 639 sq. (notamment n. 100, où il rappelle justement l'idée exprimée par E. Lepore, Atti VII0 Conv. Magna Grecia, 1968, p. 40 selon qui «il racconto di Diodoro - quai che ne sia la fonte - è pervaso dalle dottrine dominanti nella speculazione ippodomea e suoi riflessi nella teoria e prassi urbanistica»; Hippodamos certes ne joua aucun rôle dans la législation de la nouvelle ville, qui fut le fait de Charondas; mais les réserves de Rutter, loc. cit., p. 165, sur le rôle d'Hippodamos dans la construction de Thourioi doivent nous rappeler les lacunes de notre documentation plutôt que nous porter à refuser les données fragmentaires qui peuvent être interprétées dans ce sens. 38 M. Casevitz, loc. cit., p. xvii. 39 On pourrait être tenté de supposer que Diodore avait écrit τούτων δε ύπο στενωπών πεπληρωμενων: «ces plateiai une fois remplies, c'est-à-dire complétées par les stenopoi», inter prétation que suggère avec prudence Castagnoli, op. cit., p. 302: « si potrebbe tradurre: ed essendo queste (cioè le plateiai) riempite di stenopoi (cioè completate cogli stenopoi) ». Mais, si la conjecture est satisfaisante dans la mesure où elle explique facilement les deux leçons des manuscrits (un copiste comprenant mal le sens de la phrase aurait substitué των à ύπό pour retrouver la forme normale d'un groupe nominal à adjectif démonstratif - d'où le texte du ms. de Patmos - et un autre pensant que l'expression devait signifier avec un ordre de mots peu naturel « par ces petites rues » aurait voulu rétablir une formulation plus normale et écrit ύπο δε τούτων των στενωπών, ce qui est le texte corrigé du ms. de Patmos et du Scorialensis), elle n'est pas soutenable à cause du sens de πληρώ et de l'emploi de ύπό: πληρώ peut prendre le sens de compléter, quand il s'agit d'un nombre, d'un ensemble qui est « amené à sa plénitude»; mais les voies secondaires ne «complètent» pas en ce sens les voies principales.
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parfait, devrait plutôt être au datif), ne peut-on supposer que l'expression, rattachée en quelque sorte aux στενωποί, signifie que ceux-ci sont subor donnés, si l'on veut, aux πλατεΐοα et comprendre: « les stenopoi dépendant de ces plateiai une fois complétées par les maisons » avec un sens de πληρώ, qui ici ne fait pas de difficulté40. On pourrait alors proposer pour le texte cité p. 1023 la traduction suivante: « ils divisèrent la ville dans le sens de la longueur par quatre avenues dites d'Héraclès, d'Aphrodite, de l'Olympien et de Dionysos; dans le sens de la largeur, ils la divisèrent par trois avenues, appelées Hérôa, Thuria et Thurina. Une fois que, dans la trame de ces avenues, les rues se trouvèrent pourvues de leurs maisons, la ville apparut harmonieusement disposée ». Hypothèse, certes, parmi d'autres41; en revanche - et ce sera notre conclusion - il est certain que l'ensemble du récit de Diodore ne permet pas de mettre en rapport cette division de la cité par les plateiai avec la répartition qui fut faite par la suite de la nouvelle population en dix tribus; il est certain également que Diodore distingue nettement les plateiai et les stenopoi42; il est probable enfin que certaines maladresses ou obscurités du texte de Diodore s'expliquent par le fait qu'il résume une source qui devait donner des indications plus détaillées sur la topographie de Thourioi; mais, quelle que soit l'interprétation retenue pour la dernière phrase, il semble hors de doute que Diodore, comme sa source, employait l'expression τών στενωπών πεπληρωμένων ταΐς οίκίαις. Voilà qui montre bien la conception que l'on avait du tracé d'une ville: on fixe les plateiai, puis les stenopoi, enfin ceux-ci se trouvent « complétés » par les maisons: la viabilité établie d'abord en vue du lotissement n'a de sens qu'en raison des constructions à venir. La formule est à retenir quand on étudie l'urbanisme des colonies grecques d'Occident.
40 En effet, ce sens de πληρώ, qui nous semble devoir être rejeté en ce qui concerne le rapport des avenues et des rues, est ici admissible, puisqu'une rue sans maison n'est pas une rue; il y a d'abord le tracé de la rue, mais celle-ci n'est complète que lorsqu'elle est bordée de murs. 41 Elle m'a été suggérée par Jean Brunei, professeur honoraire à l'Université de Montpellier, à qui je suis heureux de redire ici ma gratitude: depuis bien des années, j'ai toujours trouvé auprès de lui autant de gentillesse que de compétence. 42 Sur les indications que fournissent les fouilles récentes de Sybaris sur les rues de Thourioi et sur leur disposition, bon résumé dans P. G. Guzzo, PP, 1973, p. 291 sq.; le réseau des rues est orthogonal; on notera notamment l'existence de deux plateiai de largeur inégale (l'une, est-ouest, large de 6,50 m.; l'autre, nord-sud, large de 13 m. environ) et de nombreux stenopoi, larges de 3,50 .m. environ.
PIERRE WUILLEUMIER
L'EMPOISONNEMENT DE CLAUDE
La critique philologique est inséparable de la tradition littéraire et historique: un exemple récent confirme cet adage. Pendant trois siècles et demi, depuis l'édition de Pichena en 1607, un manuscrit du XIe siècle, le Laurentianus 68, 2, appelé M2, a servi de base à l'établissement du texte pour la deuxième partie des Annales de Tacite. En 1960, E. Koestermann lui a parfois préféré un exemplaire du XVe siècle, le Leidensis BPL 16 Β = L, retrouvé et réhabilité par C. W. Mendell l. Devant les réserves de la critique internationale, R. Hanslik et ses disciples ont entrepris la recension générale, le dépouillement minutieux et le class ement méthodique des quelque trente exemplaires contemporains, et, s'ils ont réduit la valeur de L, ils ont, à leur tour, un peu exagéré celle du Vaticanus Latinus 1958 (V 58) et de sa famille2. Cette tendance se manifeste, en particulier, dans le passage relatif à l'empoisonnement de l'empereur Claude, Ann., XII, 67, 1: le texte primitif de M2, infusum delectabili cibo leto uenenum, semble avoir été corrigé, par l'effacement des lettres ci, en infusum delectabili boleto uenenum; L y ajoute une copule aberrante: infusum delectabili cibo et leto uenenum; la famille de V 58 écrit: infusum delectabili cibo boletorum uenenum. Les éditeurs hésitent de même: à l'exemple de Jac. Gronovius, J. Jackson reconstitue cibo boleto; sur la suggestion d'Orelli, H. Fuchs ne garde que cibo, en sacrifiant leto; inversement, à l'instigation de Ed. Wurm, H. Goelzer, H. Bornecque et E. Koestermann conservent boleto, en négligeant ci; enfin R. Hanslik et H. Weiskopf adoptent la variante cibo boletorum, . . . que
1 C. W. Mendell, Amer. Journ. Phil, LXXII, 1951, p. 337-345; LXXV, 1954, p. 250-270. E. Koestermann, Philol, CIV, 1960, p. 92-115; Edit, Leipzig, Teubner, 1960; 1965. 2 R. Hanslik et I. Schinzel, Historiarum liber II, Wiener Studien, Beiheft 3, Vienne 1971. R. Hanslik et H. Weiskopf, Annalium libri XI-XII, ibid., 4, 1973. R. Hanslik, in Antidosis Festschrift für W. Kraus, ibid., 5, 1972, p. 139-149. M. Zelzer, Wien. Stud., 86, 1972, p. 185-195.
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PIERRE WUILLEUMIER
H. Goelzer et H. Bornecque semblent traduire par « un plat de champignons », tout en retenant pour le texte l'autre version! Comment choisir? Les diverses leçons et corrections s'expliquent et se justifient aisément au point de vue paléographique par les assonances de syllabes et les analogies de mots. L'usage de l'auteur ne fournit pas un argument décisif, car Tacite n'emploie pas ailleurs le substantif boletus, ni l'adjectif delectabilis, qui prend ici une valeur ironique; cependant, sa concision habituelle ne favorise pas la redondance cibo, boleto, et il ne rattache jamais à cibus un génitif pluriel de nature objective. Cette construc tion ne se rencontre guère, d'après le Thesaurus, que chez Pline l'Ancien3 ou dans la littérature chrétienne, et tous les auteurs latins donnent au mot cibus le sens de « nourriture », d'« aliment » ou d'« ingestion », non pas celui de « plat ». Enfin, la comparaison, qui s'imposait, avec les autres récits du crime apporte une preuve décisive: en effet, les historiens, Suétone4 et Dion Cassius5, comme les poètes, Martial6 et Juvénal7, utilisent tous le seul mot boletus - ou μύκης - au singulier. Il faut donc retenir le terme technique boleto, nécessaire et suffisant. De fait, l'empoisonnement de l'empereur dans un banquet était beaucoup plus facile à réaliser s'il portait sur un spécimen particulier que sur un ensemble composite. L'« injection » qu'il implique n'a rien de surprenant chez les anciens, passés maîtres dans le maniement des substances toxiques 8, et pour une spécialiste aussi experte que Locuste. Ainsi, la leçon de V 58 prend figure de glose, et la valeur de ce manuscrit tardif ne doit pas être surestimée.
3 Pline l'Ancien, H.N., XXIX, 97: piscium; XXX, 61: coclearum; XXXII, 70: mullorum. 4 Suétone, Cl, 44, 2: Boletum medicatum auidissimo ciborum talium obtulerat; cf. Nér., 33, 1. 5 Dion Cassius, LXI, 34, 2: Φάρμακόν τι αφυκτον ... ες τίνα των καλουμένων μυκήτων ένεβαλε. 6 Martial, Epigr., I, 20, 4: Solus boletos, Caeciliane, uoras. / ... Boletum qualem Claudius edit edas. 1 Juvénal, Sat, V, 147: Vilibus anticipes fungi ponentur amicis, / boletus domino, sed quales Claudius edit / ante ilium uxoris, post quern nihil amplius edit; VI, 620: Minus ergo nocens erit Agrippinae / boletus, siquidem unius praecordia pressit / Me senis. L'allusion de Pline l'Ancien, H. Ν., XXII, 92, ne précise pas le nombre des bolets. 8 Cf. A.-M. Tupet, La magie dans la poésie latine, des origines au siècle d'Auguste, à paraître prochainement.
HUBERT ZEHNACKER
LES « NUMMI NOVI » DE
LA
« CASINA »
La comédie que nous appelons maintenant Casino, est sans doute une des pièces les plus tardives de Plaute *. C'est même la toute dernière de celles qui nous sont conservées, si l'on en croit la chronologie établie naguère par K.H.E. Schutter2, qui la date de 186-185, alors que Plaute est mort en 184. Après la disparition de son auteur, la Casina fut l'objet d'une reprise; à cette occasion, un poète inconnu la pourvut d'un nouveau prologue, qui est le seul que nos manuscrits aient conservé. Ce prologue, comme le veut la loi du genre, expose au public les données de l'intrigue, signale l'auteur et le titre de la pièce grecque qui a servi de modèle, les Clerumenoe (Κληρούμενοι) de Diphile, et rappelle que la traduction latine, sous le titre Sortientes, est due à Plautus cum latranti nomine3. En tête du prologue, après une captatio beneuolentiae de 4 vers, notre poète anonyme, pour justifier la reprise d'une pièce de Plaute, développe l'idée que les productions du passé, vieux vin, vieilles monnaies, vieilles comédies, valent mieux que celles du temps présent. C'est à ce passage (Cas. 5-20), et particulièrement au vers qui fait allusion aux nummi noui (Cas. 10) que nous voudrions, après bien d'autres4, consacrer notre attention; et nous offrons cette étude en un modeste hommage à un savant auquel aucune des réalités de l'Italie antique n'est demeurée étrangère.
1 F. Ritschi, Parerga zu Plautus und Terenz, p. 191 sqq. 2 K.H.E. Schutter, Quibus annis comoediae plautinae primum actae sint quaeritur, Groningue, 1952, p. 49-55. 3 On s'accorde à penser que Plaute s'est désigné d'abord sous les noms de Maccus Titus (Asin. 11, Mere. 10), puis sous celui de Plautus (Truc. 1, Poen. 54, Trin. 8). On trouve aussi le nom de Plaute en Men. 3 et Pseud. 2, mais ces prologues posent le même problème d'authent icité que celui de la Casina. 4 H. Mattingly, E.S.G. Robinson, The date of the Roman denarius and other landmarks in early Roman coinage, dans PBA XVIII, 1932, p. 211 sqq. Id., The prologue to the Casina of
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Le premier problème est celui de la date de la reprise de la Casina, et c'est le poète anonyme lui-même qui nous fournit une indication. Nos postquam populi rumore intelleximus Studiose expetere uos Plautinas fabulas, Antiquam eius edimus comoediam, Quant uos probastis qui estis in senioribus. Nam iuniorum qui sunt, non norunt, scio; Verum ut cognoscant dabimus operarti seduto.
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Les spectateurs âgés ont assisté à la première représentation de la Casina et ont accueilli la pièce avec faveur; mais les plus jeunes, assurément, ne peuvent la connaître et la découvriront donc grâce à cette reprise. Un simple calcul permet d'inférer de cette phrase une indication chronol ogique. Selon toute vraisemblance, les seniores ont au moins 45 ans au moment de la reprise de la Casina; or, pour goûter la pièce lors de sa pre mière représentation, ils devaient avoir à tout le moins l'âge d'homme, 17 ans. Si nous gardons ces deux chiffres à titre d'hypothèse de travail, et si nous retenons la date de 186/5 pour la première représentation, nous aboutissons à une reprise vers 158/7. Mais cette date ne peut être qu'un terminus post quem, car si les intéressés pouvaient avoir plus de 17 ans en 186/5, il est encore plus vrai qu'ils devaient en avoir plus de 45 au moment de la reprise. Nous pouvons donc raisonnablement descendre à 155, voire à environ 150. Il est vrai que des considérations numismatiques sont venues troubler parfois ces données de la chronologie, et c'est la faute des vers 9 et 10 du prologue: Nam nunc nouae quae prodeunt comoediae Multo sunt nequiores quant nummi noui.
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Plautus, CR, 1933, p. 52 sqq. Id., Nummus, dans AJPh LVI, 1935, p. 225-231. Tenney Frank, On the dates of Plautus' Casina and its revival, dans AJPh LIV, 1933, p. 368-372. W. Beare, The date of the Casina, CR, 1934, p. 123 sqq. S. L. Cesano, La data di istituzione del denarius di Roma, dans BMIR IX, 1938, p. 3-26. H. Mattingly, The first age of Roman coinage, dans JRS XXXV, 1945, p. 65-77. A. Stazio, "Nummus" in Plauto, Numismatica, 1948, p. 19 sqq. G. P. Shipp, Plautine terms for Greek and Roman things, Glotta XXXIV, 1955, p. 139-152. H. B. Mattingly, The first period of Plautine revival, dans Latomus XIX, 1960, p. 230-252. J. H. Michel, Le prologue de la Casina et les manages d'esclaves, dans Homm. à L. Hermann, Coll. Latomus XLIV, 1960,-p. 553-561. R. Thomsen, Early Roman coinage, II, Copenhague 1961, p. 173-175.
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Dans une série d'études restées célèbres 5, H. Mattingly et E.S.G. Robinson ont employé ce texte, parmi d'autres arguments, pour situer la création du dernier en 187; dans cette perspective, il leur fallait remonter la date de la première représentation de la Casino, jusque vers 210, et celle de sa reprise en 169 environ. Malgré les oppositions qu'elle suscita6, H. Mattingly resta fidèle à cette théorie jusqu'à la fin de sa carrière7; et si la distance entre les années 169 et 187 paraissait un peu grande pour que l'on pût parler de nummi noui, les opinions de E. A. Sydenham, qui pensait que le denier avait été créé en Italie du Sud et n'était remonté à Rome que pro gressivement 8, venaient à point nommé fournir un explication. Mais la science numismatique progressait. En 1960, H. B. Mattingly9 chercha à sauver l'essentiel de la doctrine de son père, la création du denier en 187, quitte à sacrifier ce qui paraissait accessoire, la datation haute de la Casina et de sa reprise. Le savant britannique décelait dans toute une série de pièces de Plaute des traces de remaniements, et proposait, vers l'année 150, des reprises pour VAmphitryo, les Captiui, la Casina, la Cistellaria, le Curculio et le Truculentus. Du coup, les nummi noui ne désignaient plus les premiers derniers succédant aux quadrigats, mais les derniers au revers de Diane, puis de la Victoire en bige, succédant aux deniers anciens et (partiellement) lourds, au type des Dioscures. Une partie de cette discussion appartient aujourd'hui au passé. Les recherches de R. Thomsen 10 permettent de situer la date de la création du denier vers 213-211. Aux arguments proposés par ce savant, d'autres sont venus s'ajouter n, et il semble bien que les nummi nouì de la Casina n'aient plus rien à apprendre aux numismates 12.
5 Citées dans la note précédente. 6 Cf. les articles de Tenney Frank, W. Beare et S. L. Cesano, cités ci-dessus. 7 H. Mattingly, Notes, dans E. A. Sydenham, The coinage of the Roman Republic, Londres 1952, p. 221. 8 E. A. Sydenham, Problems of the early Roman denarius, Transactions Num. Congress, Londres 1936, p. 262-275; repris dans CRR, p. 14 sqq. 9 Η. Β. Mattingly, The first period of Plautine revival, dans Latomus XIX, 1960, p. 230-252. 1U R. Thomsen, Early Roman coinage, 3 vol., Copenhague 1957-1961. Le compte rendu le plus clair est celui de J. Heurgon, dans REL XL, 1962; p. 411-418. 11 P. Marchetti, La datation du denier romain et les fouilles de Morgantina, dans RBN CXVIL 1971, p. 81-114. 12 M. H. Crawford, Roman Republican coinage, Cambridge 1974, I, p. 28, note 4.
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D'aucuns pourraient même soutenir qu'il faut exclure toute référence à des realia: en 1960, J. H. Michel 13 a fait remarquer que l'éloge des monnaies anciennes et le mépris des espèces nouvelles, supposées de mauvais poids et de mauvais aloi, est un topos dont un passage des Grenouilles d'Arist ophane(v. 717 sqq.) fournit un excellent exemple. Nous ne croyons pas, cependant, qu'il faille aller si loin. L'ensemble du prologue de la Casina est trop concret, trop romain de ton, pour qu'on puisse considérer la plainte sur les nummi noui comme une simple clause de style. Au contraire, la mauvaise humeur du Prologus doit avoir des fondements réels, et nous voudrions montrer que les recherches numismatiques récentes permettent d'envisager, sinon une solution unique, du moins des éléments de solution.
Le prologue de la Casina, tel que nous le possédons aujourd'hui, n'a sans doute pas été rédigé d'un seul jet. Le poète anonyme qui s'y exprime par endroits peut avoir remanié à son usage un prologue authentiquement plautinien, en en gardant de larges extraits et en y intercalant des morceaux de son cru. On ne peut guère se prononcer sur la captatio beneuolentiae des v. 1-4, mais les v. 5-20, où les poètes d'autrefois sont comparés à ceux de la nouvelle génération, sont un passage qui appartient à coup sûr au remanieur. Les v. 21-63, qui consistent en une présentation de la pièce, viennent sans doute pour l'essentiel du fonds ancien 14; au contraire les
13 J. H. Michel, Le prologue de la Casina et les mariages d'esclaves, dans Homm. à L. Hermann, Coll. Latomus XLIV, 1960, p. 553-561. 14 Plaute parle souvent de lui à la troisième personne, et le jeu de mots sur son nom est tout à fait dans sa manière: Diphilus Hanc graece scripsit, postid rursum denuo Latine Plautus cum latranti nomine. Mais la cheville du v. 33, postid rursum denuo, peut être la trace d'un remaniement. Dans Men. 3, le Prologus dit au public: Apporto uobis Plautum lingua, non manu, qui se comprend mieux s'il s'agit d'une reprise après la mort de Plaute, apportare Plautum manu signifiant «apporter le texte de Plaute». Au début du prologue de la Casina, il est question (v. 12) des Plautinae fabulae, dans un passage qui appartient à coup sûr au remanieur; on retrouve l'expression Plautina fabula dans un des deux vers survivants du prologue du Pseudolus, et c'est une autre trace probable d'une reprise posthume.
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v. 64-80, et notamment la digression sur les mariages d'esclaves, sont plutôt à mettre au compte du poète anonyme. Du v. 81 à la fin, la vraisemblance penche en faveur d'une attribution à Plaute 15. Ce qui nous importe, c'est que l'auteur du second prologue parle en son propre nom lorsqu'il fait référence aux nummi noui, mais probablement aussi lorsqu'il mentionne par deux fois, et de façon très personnelle, l'Apulie et les Apuliens: At ego aio id fieri in Graecia, et Carthagini, Et hic in nostra terra, in Apulia; Maioreque opere ibi seruiles nuptiae Quam liberales etiam curari soient. Id ni fit, mecum pignus, si quis uolt, dato In urnam mulsi, Poenus dum iudex siet, Vel Graecus adeo, uel mea causa Apulus.
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Nous verrons plus loin ce qu'il faut en penser. Dans l'immédiat, nous voudrions reprendre en peu de mots le problème du sens de nummus chez Plaute. A l'époque de la « bataille du denier », un certain nombre d'études ont paru sur cette question, mais on peut les soupçonner de manquer d'objectivité. Nous donnons ci-dessous la liste complète des occurrences de nummus dans le corpus plautinien 16. Dans un certain nombre de cas, nummus est accompagné d'un génitif ou d'un adjectif qui le qualifie; on a nummus argenti, auri, aureus, Philippeus ou Philippus, plumbeus. Le sens est évident, il s'agit de monnaies d'argent, d'or, de plomb (nous dirions de la monnaie de singe). Nummus employé sans déterminant n'est souvent que la reprise d'une somme précédemment énoncée en nummi d'argent ou d'or. Il arrive aussi que le contexte immédiat fournisse la clef. Ainsi dans Poe. 594-595: Hic trecentos nummos numeratos habet. Ergo nos inspicere oportet istuc aurum, ...
15 J. H. Michel, dans l'étude citée supra, attribue à Plaute les v. 1-4, 35-63, 67-88. 16 Rien dans Amph.; Asin. 153, 440, 487; Aul 108, 112, 448; Bacch. 609, 668, 706, 709, 873, 882, 969, 1026, 1033; Capt. 258, 331; Cas. 10; rien dans Cist. ni dans Cure; Ep. 54, 330, 372, 701; Men. 219, 290, 311, 542; Merc. 491; rien dans Mil.; Most. 115, 357, 535, 632, 892, 919, 1011, 1080; Pers. 36, 117, 437, 663, 684, 852; Poen. 166, 345, 594, 670, 714, 732, 734; Pseud. Arg. Π, 2, et 81, 97, 299, 356, 506, 644, 809, 847, 877, 1323; Rud. 1313, 1314, 1323, 1327, 1406; rien dans Stick; Trin. 152, 844, 848, 954, 959, 962, 966, 970, 995, 1003, 1139; Truc. 562; rien dans Vid. ni dans les frgts. - Cf. G. Lodge, Lexicon Plautïnum, 2 vol., Leipzig 1904-1933.
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où il s'agit évidemment de pièces d'or; ainsi encore dans Per. 683-684: Probae hic argenti sunt sexaginta minae, Duobus nummis minus est. où ce sont des nummi d'argent. Jamais nummus n'est accompagné de aeris ou de aeneus; même en l'absence de toute précision, le terme ne peut désigner chez Plaute que de la monnaie d'or ou d'argent. Mais quelles sont les dénominations visées? Les nummi Philippei sont des statères d'or; nummi aurei s'emploie indifféremment à la place de Philippei et désigne donc également des statères 17. On aimerait pouvoir affirmer, de manière parallèle, que les nummi d'argent sont toujours des didrachmes. Mais cette équivalence n'est absolu mentcertaine que dans un texte, Truc. 561-562: Nam iam de hoc obsonio de mina una deminui modo; Quinque nummos mihi detraxi, partem Herculaneam. La mine valant 100 drachmes, la pars Herculanea, c'est-à-dire la dîme, en vaut 10; c'est la valeur de 5 nummi; le nummus est un didrachme. Dans deux autres textes, nous apprenons que le nummus vaut plus qu'une drachme. Dans Pseud. 808-809, un cuisinier déclare: Uli drachumissent miseri: me nemo potest Minons quisquam nummo ut surgam subigere. « Que ces pauvres diables se donnent pour une drachme; moi, à moins d'un écu, personne ne peut me faire lever de mon banc ». (Trad. Ernout). On peut penser à un didrachme ou à un tétradrachme. Dans le Rudens, v. 1323 sqq., le leno Labrax propose de payer success ivement 300, 400, 500, 600, 700, 1000, 1100 nummi, mais Gripus exige un talentum magnum; au v. 1344 nous apprenons qu'il s'agit d'un talentum argenti, c'est-à-dire de 6000 drachmes. Dans une telle enchère, le saut de 1100 à 3000 didrachmes, voire de 1100 à 1500 tétradrachmes, paraît plus naturel que celui de 1100 à 6000 drachmes. Nummus signifie donc ici didrachme ou plutôt tétradrachme.
17 Une confirmation dans Poen. 713-714: heic sunt numerati aurei Trecenti nummi qui uocantur Philippei.
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Dans un passage des Ménechmes, Men. 541-542, le mot nummus prend une acception pondérale: Amabo, mi Menaechme, inauris da mihi, Facienda pondo duum nummum stalagmiti. Il ne s'agit pas de « pendeloques du poids de deux drachmes » (trad. Ernout), mais, si nous admettons que ces bijoux doivent être en or, de pen deloques du poids de deux statères. Tels sont les seuls textes qui fournissent des renseignements quelque peu explicites. Nous passons naturellement sous silence les expressions négat ives du type Pseud. 356: Nummum non habes « Tu n'as pas un sou, pas un écu », qui ne peuvent rien nous apprendre. A plus forte raison ne tenons-nous pas compte de Per. 704, où Nummosexpalponides est une conjecture de Ritschl, ni du célèbre Trinummus, le type même du faux problème. Nummus désigne donc, dans les intrigues de pièces de Plaute, une monnaie quelconque de métal précieux, et plus particulièrement les deux dénominat ions courantes dans l'Italie hellénisée, le statère d'or et le didrachme d'argent. Mais le v. 10 du prologue de la Casina n'est sûrement pas de Plaute, encore que le poète anonyme s'efforce d'imiter la langue de son modèle; de plus, il n'est pas question de l'intrigue de la pièce. Nous devons donc compléter notre enquête en expliquant le mot nummus en fonction de l'histoire romaine des années 160-150. A cette époque, Rome ne frappe pas de monnaie d'or. D'autre part le bronze est à exclure aussi. On n'a jamais dit à Rome *as nummus, semis nummus, uncia nummus, ni rien de tel. Dans le monnayage de l'Etat romain nummus s'applique exclusivement aux métaux précieux: on dit denarius, quinarius, sestertius nummus, uictoriatus nummus, comme on avait dit précédemment quadrigatus nummus, et comme on dira plus tard aureus nummus. Dans toutes ces expressions, nummus est le substantif générique, que qualifient en le précisant les adjectifs denarius, quinarius, etc. Il est donc certain que pour un Romain de Rome nummus désigne une monnaie d'argent. Une difficulté pourtant se présente. Dans certaines régions de l'Italie on a employé nummus pour désigner des monnaies de bronze. Le cas est formellement attesté en Apulie 18. Or nous serons amené à penser que le 18 Ainsi à Lucéria, CIL I2 401, IX 782. Tenney Frank, On the dates of Plautus' Casina and its revival,, dans AJPh LIV, 1933, p. 369, pense qu'il s'agit de victoriats, mais J. Heurgon, Les
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poète qui a composé le prologue de la Casina, au vu des v. 72 et 77, est peut-être apulien. Dans cette hypothèse, les nummi noui désigneraient bien des monnaies de bronze, mais il faudrait admettre que le poète a laissé échapper une expression régionale qui risquait de créer un malentendu auprès du public de Rome. * * II nous faut maintenant nous tourner vers l'histoire de la monnaie romaine au IIe siècle avant J.-C; contrairement à ce qu'espéraient nos pré décesseurs, ce sera peut-être la numismatique qui fournira quelques lumières à la philologie. Dans un ouvrage consacré aux émissions monétaires de la République romaine 19, nous avons analysé plus particulièrement les séries de la période sextantaire et du début de la période onciale20. Les principales étapes de l'évolution nous paraissent être les suivantes. 1) Le système du denier est créé vers 213-211 (chronologie de R. Thomsen). Ils s'accompagne du victoriat et du bronze sextantaire. Les ateliers sont très dispersés, mais peut-être un peu moins que ne l'a cru Sydenham. 2) Après la seconde guerre punique, ou au tout début du IIe siècle, l'atelier de Rome devient atelier principal pour la production de l'argent comme il l'était déjà pour le bronze. Le victoriat subit une dévaluation et son style se détériore, mais les deniers sont encore de poids plein. Le bronze manifeste une tendance croissante au poids oncial. 3) A partir d'env. 180, le poids du denier est réduit de 1/72 à 1/84 de livre; quelques émissions plus anciennes avaient déjà amorcé le mouvement. Le bronze est maintenant officiellement frappé au poids oncial, encore qu'on observe des retours surprenants au régime sextantaire. Au bout de quelques années, les ateliers provinciaux sont tous fermés; seuls restent en activité la Monnaie de Rome et un atelier auxiliaire. Vers 175 apparaît au revers
«nummi» de l'inscription du bois sacré de Lucére, dans BSFN XVIII, 1963, p. 278-279, a montré que ce sont des monnaies de bronze. Des pièces de bronze de Teanum Apulum et de Venouse, en Apulie également, portent les mentions Ν, Ν Ι, Ν II (W. Giesecke, Italia Numismatica, p. 137 sq.; R. Thomsen, Early Roman coinage, I, p. 194 et 203). 19 H. Zehnacker, Moneta, 2 vol., Rome 1973 (= BEFAR 222). 20 Ibid., I, p. 350-444.
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du denier le type nouveau de Diane en bige, suivi en 165 de la Victoire en bige, sans doute par référence à la victoire sur Persée. Le victoriat cesse d'être émis vers 165. L'as disparaît vers 145, mais les autres dénominations de bronze continuent à être frappées; leur poids est souvent inférieur au calibre oncial. Demandons-nous maintenant quelles peuvent avoir été les raisons qui ont poussé l'auteur du second prologue de la Casina, vers les années 155-150, à se plaindre de la monnaie romaine. Les considérations de type et de style lui sont sans doute étrangères; seuls entrent en ligne de compte le poids et l'aloi des pièces ainsi que leur pouvoir d'achat. Si les nummi du poète anonyme désignent, contrairement à l'usage romain, de la monnaie de bronze, ce n'est pas un événement unique qui a provoqué son mécontentement, mais la tendance persistante du bronze de la République à perdre du poids et à devenir monnaie fiduciaire. La dévaluation était galopante pendant la seconde guerre punique; elle est larvée dans les premières décennies du second siècle. Mais passons au monnayage d'argent. La dévaluation du denier est vieille de 25 à 30 ans; le délai paraît un peu long, mais il est des ressentiments qui ont la vie dure ... La disparition du victoriat vers 165 conviendrait mieux. Nous avons essayé de montrer récemment 21 que le victoriat ne valait strict ementque son pesant d'argent, tandis que les monnaies d'argent du système du denier étaient surévaluées d'un tiers de leur poids. Pour imposer le denier à l'ensemble de l'Italie et à certaines régions outre mer, l'autorité romaine avait éprouvé le besoin de recourir à une monnaie de transition. Vers 165 cette nécessité ne se faisait plus sentir: l'impérialisme romain triomphait bien au-delà des frontières de l'Italie, et à Rome même les guerres de con quête avaient amené un véritable flot de numéraire et un rush inouï vers la prospérité. Rome alimenta désormais en deniers les régions de l'Italie où régnait précédemment le victoriat. On sait par ailleurs qu'à l'extrême fin du IIe siècle, une lex Clodia remit en vigueur un néo-victoriat en lui assignant le poids et la valeur d'un quinaire. Or nous pensons que le victoriat circulait avec la valeur d'un quinaire dès bien avant cette date; l'arrêt de la frappe du quinaire le confirme. On peut donc suggérer maintenant que dès env. 165 les victoriats qui restaient en circulation furent tarifés à un demi-denier.
21 H. Zehnacker, Le quinaire-victoriat et la surévaluation du denier, à paraître dans Actes du Congrès Intern, de Numismatique, New-York 1973.
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Mais ne perdons pas de vue que l'auteur du prologue de la Casina dit hic in nostra terra en parlant de l'Apulie; il soutient aussi que les mariages d'esclaves 22 se célèbrent en grande pompe en Grèce, à Carthage et en Apulie, et si le public refuse de le croire, il propose qu'un Poenus, un Graecus, ou mea causa, un Apulus vienne le confirmer23. Mea causa n'a de sens que s'il signifie « pour tenir compte du fait que je suis Apulien ». Cette origine géographique pourrait bien se doubler d'un conflit de générations et de goûts littéraires. Le théâtre du temps de Plaute et d'Ennius reflétait la prise de conscience d'une Italie en voie de romanisation; à partir de Térence au contraire, ce sont de plus en plus l'esprit et le goût de la ville de Rome qui s'imposent24. Il semblerait que le poète qui s'exprime dans le prologue de la Casina rappelle avec nostalgie une époque où les product ionslittéraires répondaient plus à son goût et à celui de l'ensemble de ses compatriotes. Si donc ce poète inconnu est originaire d'une région de l'Italie hellé nisée, de l'Apulie par exemple, il a assisté, à partir de 165-160, à l'effacement progressif du victoriat et de toutes les monnaies iocaies, au profit d'un denier fortement surévalué dont la crédibilité lui paraissait douteuse, malgré le prestige de l'autorité qui le soutenait. * * * Mais pour compléter l'éventail de nos hypothèses, tournons-nous vers le nouveau catalogue du monnayage républicain, accompagné d'une véritable histoire de la monnaie, qui vient de paraître sous la signature de M. H. Crawford25. Dans le classement adopté par ce savant, qui admet pour la création du denier la date thomsénienne basse de 211, les émissions du système du
22 J. H. Michel, loc. cit., p. 553-557, montre de façon convaincante que les mariages d'esclaves auxquels il est fait allusion dans ce passage ne sont pas à considérer sous l'angle juridique, mais comme une festivité: nuptiae et non matrimonium, « noce » et non « mariage ». 23 On a souvent mal compris la raison de la présence de ces personnages, surtout celle de l'Apulien. Rien n'est pourtant plus simple. Pour attester la réalité de certaines coutumes grecques, puniques ou apuliennes, qui peut être plus compétent qu'un iudex grec, punique ou apulien? 24 P. Grimai, Le siècle des Scipions, Paris 1953, p. 88. 25 M. H. Crawford, Roman Republican coinage, 2 vol., Cambridge 1974.
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denier se suivent à un rythme extrêmement rapide jusqu'à la fin de la guerre punique, en fonction des besoins énormes de l'Etat romain pendant cette période. Il en résulte que pour les événements auxquels nous avons fait référence, les dates adoptées par M. H. Crawford sont plus hautes que les nôtres26. La diminution du poids du denier, d'env. 4,5 à env. 3,9 g, et corré lativement celle du victoriat, d'env. 3,4 à env. 2,9 g, se fait vers 200. Le pre mier denier présentant au revers Diane en bige est situé vers 194-190 27, alors que nous proposions 175. Les derniers victoriats, de même, sont placés dans la période 179-170 28, alors que nous avancions la date de 165. Toutes les émissions de bronze de la même époque, bien entendu, suivent ce mouve mentvers le haut. Ce n'est pas le lieu ici de discuter le bien-fondé d'une telle chronologie, mais il faut avouer qu'elle ne nous aide pas dans notre recherche des nummi noui. Un autre trait de la chronologie de M. H. Crawford, pourtant, semble nous favoriser. C'est qu'à force de serrer vers le haut les quelque 120 pre mières émissions du système du denier, l'inévitable devait se produire: la chronologie monétaire du milieu et surtout du dernier tiers du IIe siècle étant à peu près sûre, on risque de « vider » de toute émission le second quart de ce même siècle. M. H. Crawford a consciemment accepté ce risque, et il a résolu le problème d'une façon à la fois audacieuse et élégante. Il suppose en effet que la frappe des nummi a été interrompue vers 170, et qu'à l'exception de deux émissions (les n° 182 et 187) qu'il faudrait peut-être déplacer29, aucune monnaie romaine d'argent n'est émise jusqu'en 157. Lorsque le monnayage de l'argent reprend, les deniers commencent à adopter le nouveau type de la Victoire en bige dont l'apparition, vers 157, se trouve donc datée de quelque 8 ans plus bas que nous ne l'avions proposé nous-même. Dès lors, il est bien tentant de considérer que les mummi noui de la Casina désignent la reprise du monnayage d'argent à Rome vers 157. Notre poète se ferait le porte-parole des milieux conservateurs, qui restaient attachés au monnayage de bronze et considéraient avec suspicion l'importance crois-
26 Notre propre chronologie est évidemment plus haute que celle de Sydenham, puisqu'il nous a fallu redistribuer toutes les émissions à partir d'une date initiale qui se situe en 213-211 et non plus en 187. 27 C'est le denier de TAMP, Syd. 335, Cr. 133/3. 28 C'est le victoriat au symbole casque, Syd. 271, Cr. 168/1. 29 Les émissions griffon, Syd. 283, Cr. 182/1, et PVR, Syd. 424, Cr. 187/1.
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sante que prenait l'argent après la victoire sur Carthage30. L'arrêt de la frappe des nummi en 170 leur parut de bon augure, mais sa reprise vers 157 les fit déchanter, et le prologue de la Casina, peu après, exprime ce mécontentement. Il est une objection pourtant que nous voudrions opposer à cette hypo thèse presque trop séduisante. Entre les derniers deniers d'avant 170 et les premiers d'après 157, on ne constate aucune différence de poids ni d'aloi; pour trouver le denier « lourd » de 4 scrupules, il faut, nous l'avons dit, remonter à env. 200. La différence de type même, à supposer qu'elle ait intéressé le poète de la Casina, n'est pas frappante; la Victoire en bige ne se distingue de Diane en bige que par des détails, auxquels les numismates modernes sont sans doute plus sensibles que ne l'étaient les usagers anciens. Au demeurant, tous les deniers postérieurs à 157 ne portent pas ce type de la Victoire; on retrouve les Dioscures et Diane.
Après ce tour d'horizon, plus exploratoire que démonstratif, force nous est de reconnaître qu'aucun événement ne saurait à lui seul justifier la plainte des nummi noui. Dans l'état actuel de la science numismatique, nous avons le choix entre plusieurs possibilités. Mais cette abondance, au lieu de nous décourager, doit nous paraître significative. Dans la première moitié du IIe siècle, l'histoire de la monnaie romaine présente un certain nombre de faits qui peuvent tous justifier les récriminations d'un laudator temporis acti. Une dévaluation unique ne l'aurait sans doute pas ému; mais au milieu - et peut-être à cause - de l'afflux des richesses étrangères, la monnaie romaine « dérapait » de partout: le bronze perdait du poids, lentement mais sûrement; le victoriat, qui avait les faveurs de certaines populations, cessait d'être frappé; et le denier ne retrouvait plus son immuabilité pondérale et typologique d'autrefois. Pour notre poète, le bon vieux temps était passé, et rien n'allait plus.
30 H. Zehnacker, La numismatique de la République romaine. Bilan et perspectives, dans Aufstieg und Niedergang der röm. Welt, I, Berlin 1972, p. 286-287.
FAUSTO ZEVI
L'IDENTIFICAZIONE DEL TEMPIO DI MARTE «IN CIRCO» E ALTRE OSSERVAZIONI
Si ritiene generalmente che l'espressione: in circo Flatninio, con cui gli antichi localizzano taluni monumenti della zona meridionale del Campo Marzio, abbia un valore « regionale », indicando cioè quegli edifici collegati con il circo da un rapporto topografico di contiguità. In un recentissimo lavoro \ T. P. Wiseman ha proposto invece una diversa spiegazione. Muo vendo dall'etimologia varroniana (circus Flaminius . . . quia circum aedificatus est Flaminium campum . . .) 2 e dai lessicografi (circus est planities rotunda) 3, egli conclude che il circo Flaminio dovette essere, all'origine, un semplice recinto approssimativamente circolare, che delimitò l'antico campo Flaminio (o, in altre fonti, prata Flaminia); gradualmente invaso da edifici e regolarizzato nella forma, finì col divenire quella sorta di piazza rettangol are che la forma urbis ci fa conoscere. L'espressione: in circo Flaminio avrebbe perciò un valore letterale, designando cioè quelle costruzioni sorte con il tempo nei prata Flaminia e, quindi, effettivamente dentro il primi tivoperimetro del circo. L'ipotesi del Wiseman ha del paradossale e dimostra, se non altro, quanto scarse siano le nostre conoscenze su monumenti pur celebri della Roma antica. Le etimologie, anche se linguisticamente corrette (ma dubito che tale sia il nostro caso) certo non possono spiegare tipologia e sviluppo
Sono vivamente grato al Prof. F. Castagnoli che ha letto questo scritto e mi ha confortato del suo favorevole giudizio. 1 T. P. Wiseman, Circus Flaminius, in PBSR, XLII, 1974, p. 3 ss. (in seguito citato: Wiseman). 2 Varrò, L. L., V, 154; ma Varrone continua: et quod ibi quoque (come nel circo Massimo: cfr. 153) ludis Taureis equi circum metas currunt. In questa frase, circum non può significare che: intorno. Λ Nonius Marc, 697.
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delle strutture architettoniche; nessuno, ritengo, potrà immaginare il tempio periptero esastilo come un edificio circolare solo perché Vitruvio detta misure e disposizione dei colonnati che eran circum la cella4. Rotondo avrebbe dovuto essere, a maggior ragione, il Massimo, un circus al pari del Flaminio, del quale è di secoli più antico; e ciò, se non altro, è escluso dalla natura dei luoghi. Topograficamente, va osservato che l'antica via che usciva da Porta Carmentale avrebbe tagliato proprio a mezzo il supposto recinto circolare; e, d'altro canto, la recente analisi di B. Olinder ha ribadito come l'espressione in circo Flaminio entri nell'uso corrente soltanto con l'età augustea5. Vi è tuttavia, nell'ipotesi del Wiseman, un elemento che richiede atten zione, e che viene a raggiungere un convincimento che anche chi scrive, per altra via, era venuto formandosi. A ben considerare, tutte le ipotesi sul circo Flaminio, vecchie e nuove, muovono dall'assunto ο dalla persuasione che il circo fosse una struttura permanente di muratura, come il circo Massimo e gli altri noti in Roma e fuori; ma, se guardiamo la forma urbis, con la didascalia circus Flaminius troviamo indicato una specie di piazzale, in cui non si riconosce nessuno di quegli elementi che si ritengono pecul iari di un circo. Di qui, l'idea - più ο meno esplicitamente presente in tutti gli studi (quello del Wiseman costituendo, anche per questo riguardo, una eccezione), che un'opera di totale ο parziale demolizione, sia intervenuta in qualche momento della storia dell'edificio. D'altronde, senza supporre una radicale trasformazione, come conciliare il fatto che ancora nel 145 d.Cr. si celebravano nel circo i ludi Taurei, ciò che implica un permanere delle sue funzioni « circensi », e mezzo secolo dopo si trova raffigurato nella pianta marmorea qualcosa che di circo non sembra avere che il nome? Tuttavia non va dimenticato che in Roma tutti gli edifici da spettacolo dell'età repubblicana (e alcuni di età imperiale, come l'anfiteatro neroniano) erano costruiti in legno: edifici stabili quindi, in quanto stabilmente destinati ad una funzione specifica, ma solo in certa misura permanenti, perché costi tuiti da strutture parzialmente mobili. A me sembra probabile, tenuto conto delle fonti, che, a differenza del Massimo, il circo Flaminio non abbia mai
4 P. es. Ili, II, 5. 5 B. Olinder, Porticus Octavia in circo Flaminio, Acta Inst. Rom. Suec, 8° voi. XI, 1974 (in seguito citato: Olinder), spec. pp. 17 ss. Ritengo però probabile che l'espressione fosse pre sente anche in Varrone, perché ritorna in ambedue gli autori antichi, Servio (Ad Aen. 2, 225) e Macrobio (Sat. 3, 4, 2) che riportano il suo brano, il quale inoltre, nel secondo di essi, viene riferito in forma di discorso diretto. Contra: Olinder, p. 51.
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superato la fase a strutture lignee, non sia mai divenuto un edificio stabi lmente costruito in muratura. Le ragioni probabilmente furono più d'una; in primo luogo, la natura dei ludi che si svolgevano nel circo Flaminio implicava una diversa, e più semplice, articolazione dell'arena6; ma soprat tutto, dovette sembrar conveniente lasciare ad un'area, ormai al centro di una vasta zona completamente urbanizzata e di spiccata impronta monum entale, un carattere di adattabilità a usi diversi. Così, Augusto, nel 2 a.Cr., potè dare una caccia acquatica al coccodrillo là dove, nel 9, aveva tenuto l'orazione per la morte di Druso; Vespasiano sembra utilizzasse il circo, secondo l'antico costume, per farvi sfilare la pompa del suo trionfo; però, nel 140 e nel 145 vi si celebrano i ludi Taurei, la forma urbis lo presenta come una piazza e, nel IV sec. d.Cr., Polemio Silvio continua ad annotare in Roma circi duo, Maximus et Flaminius: notizie in apparenza fortemente contraddittorie, ma non in reale contrasto, mi sembra, nella spiegazione che si è proposta. D'altro canto, è da presumere che sia la costruzione (in muratura) come la demolizione di un edificio di tale portata, avrebbero lasciato qualche traccia nelle fonti. F. Coarelli certo ha ragione sottolineando il fatto che il teatro di Marcello invase una parte dell'area del circo Flami nio 7; ma deve essersi trattato di un'operazione poco laboriosa, relativamente indolore anzi, se gli antichi, che pur ricordano le distruzioni di templi ο gli acquisti di suoli privati necessari per la nuova fabbrica, al circo Flaminio non accennano mai. Solamente in questa prospettiva l'ipotesi del Wiseman può conservare una sua ragionevolezza: alcuni edifici occuparono parzia lmente l'originaria area del circo, ma ciò, a mio giudizio, non ne alterò sostanzialmente la forma e, soprattutto, non ne compromise le funzioni. Dobbiamo anzi immaginare che, a somiglianzà del circo Massimo, nel cui interno sorgevano anche edifici sacri, monumenti di diversa natura siano venuti ad inserirsi negli spazi destinati alle gradinate lignee, intercalandosi con esse: tale, probabilmente, il caso del tempio dei Castori, che forse trasse la sua inusuale forma proprio dalla ricerca di un coerente raccordo archi tettonico con la compagine del circo8; né il massiccio porticato di Via di S. Maria dei Calderari (la supposta crypta Balbi) può ritenersi ostacolo allo
6 Cfr. G. Marchetti Longhi, Circus Flaminius, Mem. Line. s. V, XVI, 1923, p. 621 ss. (spec. 649 ss.); il circo aveva delle metae, Varrò, loc. cit. 7 F. Coarelli, II tempio di Diana in circo Flaminio e alcuni problemi connessi, in DdA, II, 2, 1968, p. 191 ss. (spec. 202 ss.). 8 Sul tempio dei Castori in circo, Vitr. IV, 8, 4.
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sviluppo del circo Flaminio, ο addursi a prova del suo estendersi altrove9. Ha dunque ragione, sembra, chi interpreta il summus circus ovidiano, come il lato opposto, e quindi il più distante, rispetto al punto di partenza delle gare 10; in ogni caso, un riferimento alle strutture stesse del circo sembra da escludere.
Il riconoscimento dell'autonomia delle due zone, in campo e in circo, ha rappresentato, negli studi del passato, un'acquisizione di fondamentale importanza. Gli esatti confini tra le due zone (se pur ve ne erano di rigo rosi) sono però materia di discussione. Un'ingegnosa teoria, che risale, credo, al Domaszewki n ed è stata sostenuta con particolare vigore dal Castagnoli nella sua classica monografia sul Campo Marzio 12, riconosce il limite tra Campo e circo neìVamnis Petronia, piccolo affluente del Tevere, che, al dire di Festo, i magistrati, recandosi in Campo Marzio per esercitarvi le loro funzioni, dovevano attraversare avendo preso un particolare genere di auspici, gli auspicia peremnia 13. Il percorso deli' amni s è stato, tentativamente ricostruito dallo Hülsen 14; nel suo tratto terminale - che anche secondo il Wiseman marcherebbe il confine della zona in circo - esso dovrebbe riconos cersinella cloaca in pietra gabina che da Piazza Mattei muove in linea retta sino al Tevere 15. Ma l'identificazione del vero sito del circo Flaminio ha
9 G. Marchetti Longhi, Nuovi aspetti della topografia del... Campo Marzio, in MEFR, 82, 1970, 117 ss. 10 Recentemente: F. Coarelli, II tempio di Bellona, BCom, LXXX, 1968/67, 37 ss. (spec, p. 49 ss.); M. Guarducci, in RendPontAcc, XLII, 1969/70, pp. 220 ss.; Marchetti Longhi, art. cit., p. 144 ss.; diversamente, in accordo alla sua idea, Wiseman, p. 15 (summus circus = «the edge of the Circus »). 11 A. V. Domaszewski, Die Triumphstrasse auf dem Marsfelde, in Archiv. Relig. Wiss., 12, 1909, p. 67 ss. 12 F. Castagnoli (in seguito citato: Castagnoli), II Campo Marzio nell'antichità, Mem. Line, s. Vili, 1947, p. 93 ss. (spec. 119 ss.). 13 Fest, p. 296 Lindsay, s.v. Petronia amnis. Non credo che il passo di Nicolao Damasceno (Vita di Aug. XXIII) si riferisca al ponte dell'amnis, come supposto da M. E. Deutsch (Univ. Calif. Pubi. Class. Phil., II, p. 272 ss.; cfr. Castagnoli, p. 119). 14 In Jordan-Hülsen, Topogr. d. Stadt Rom, I, 3, p. 473. 15 Castagnoli, p. 119; Wiseman, p. 8. II Wiseman mi ha cortesemente voluto comunicare che egli non crede più a questa funzione di confine dell'amnis Petronia: egli esprimerà questo suo nuovo punto di vista in una recensione al libro di B. Olinder, in corso di stampa nel JRS 66, 1976.
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completamente mutato le prospettive di ricostruzione topografica della zona; ad esempio, si è ormai compresa la vera ragione della omogeneità di orientamento di tutti gli antichi edifici a partire dal Portico di Ottavia fino a S. Salvatore in Campo 16. Del resto, lo stesso Castagnoli implicitamente ha mostrato di ritener necessaria una sostanziale revisione delle sue prece denti posizioni, con il proporre per il tempio di S. Salvatore, prima consi derato oltre i confini deìì'amnis e quindi in campo, l'identificazione con uno degli edifici sacri in circo Flaminio 17; dal canto suo, F. Coarelli ha sviluppato la sua ricostruzione topografica senza tener in conto il problema del tracciato del fiume 18. Ora, mentre il diverso valore giuridico-sacrale delle due zone non può essere negato, dal punto di vista puramente topografico permangono delle incertezze. Vi è, in primo luogo, il problema della vasta area a nord-est del circo Flaminio, e tuttavia al di qua délì'amnis Petronia, che, con tutta verosimiglianza, non era detta in circo; in secondo luogo, l'indicazione « regionale » in circo Flaminio sembra entrare nell'uso corrente piuttosto tardi 19, e con valore eminentemente topografico. Ma soprattutto, sul piano concreto, dobbiamo considerare le condizioni ambientali del Campo Marzio in età più antica, quando corsi d'acqua, sorgenti, paludi dovevan rendere disagevole l'accesso specialmente ad alcune zone della pianura. Nel 193 a.Cr. gli edili costruirono, tra la Porta Fontinale e l'ara di Marte, un portico qua in campum iter esser20. Naturalmente ciò non significa che, prima d'allora, la piana fosse priva di ogni iter; ma la notizia liviana indica, a mio avviso, che l'accesso all'ara Martis, e quindi ai Saepta, avveniva normalmente secondo un percorso preciso, appunto quello che dovevano seguire i magis trati che, scendendo dal foro, si recavano in Campo Marzio. Dunque, è lungo questo itinerario che si effettuava il passaggio délì'amnis Petronia, qui si dovevano evitare i vitia che potevano inficiare l'azione magistratuale. Ma non mi sembra che le fonti autorizzino l'ipotesi che Vamnis costituisse
16 La individuazione delle direttrici di sviluppo del Campo Marzio è uno dei ineriti maggiori del Castagnoli (spec. p. 148 ss.); naturalmente, ignorandosi allora la vera ubicazione del circo Flaminio, egli faceva dipendere l'omogeneità di orientamento degli edifici della zona sud della pianura, dalla direzione della via che usciva dalla Porta Carmentale. 17 Precisamente con il tempio di Bellona: F. Castagnoli, in Gnomon, XXXIII, 1960, p. 608. 18 Specialmente nel lavoro: L'«ara di Domizio Enobarbo» e la cultura artistica in Roma nel II sec. a.Cr., in DdA, II, 3, p. 302 ss. (in seguito citato: Coarelli). 19 Cfr. nota 5. 20 Liv., XXXV, 10, 12.
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una linea continua di confine tra campo e circo. In età augustea, poi, quando si generalizza la locuzione in circo Flaminio, le opere di canalizza zione e di bonifica avranno reso ben difficile seguire, in superficie, il per corso del fiume. *
II riconoscimento della posizione del teatro di Balbo e del circo Flami niocostituisce un'altra delle fondamentali conquiste che la topografia di Roma antica deve all'acume di G. Gatti21. Sulle prime, la scoperta non ebbe la risonanza che meritava, suscitando piuttosto polemiche che un nuovo fervore di studi22. Mentre L. Cozza ha continuato il lavoro sui frammenti della forma urbis con acquisizioni di primaria importanza (fondamentale l'identificazione della porticus Minucia25), si deve riconoscere a F. Coarelli il merito di aver tratto dalla recente scoperta tutte le conseguenze, delineando, in un'ampia serie di lavori, una ricostruzione brillante della topografia della regione 24. Non tutti i dubbi sono, come è ovvio, fugati, né tutte le ipotesi che egli presenta possono dirsi verificate con uguale certezza; le pagine che seguono metteranno anzi in luce qualche motivo di dissenso. Ma, al dilà dei possibili emendamenti a margine, il quadro tratteggiato da Coarelli mantiene, mi sembra, una solidità che gli deriva da un'intima coerenza. Uno dei punti controversi rimane la localizzazione della porticus Octavia in circo Flaminio 25. Costruito da Cn. Ottavio dopo il trionfo navale
21 G. Gatti, Dove erano situati il teatro di Balbo e il circo Flaminio, in Capitolium, XXXV, 7, 1960, p. 3 ss. 22 G. Marchetti Longhi, in Palatino, IV, 1960, 162 ss.; e VI, 1962, p. 168 ss.; repliche di G. Gatti in Palatino, V, 1961, p. 17 ss., e VII, 1962, p. 147. Nel secondo suo articolo, il Marc hetti Longhi ha accettato la nuova collocazione del teatro di Balbo. 23 L. Cozza, Pianta marmorea severiana, nuove ricomposizioni, in Studi di Topografia Romana (Quad. Ist. Topogr. Ant., V, Roma, 1968), p. 9 ss. 24 Oltre agli articoli già citati, si vedano specialmente: La porta trionfale e la Via dei Trionfi, in DdA, II, 1, 1968, p. 55 ss.; L'identificazione dell'area sacra del Largo Argentina, in Palatino, XII, 1968, p. 365 ss.; Navalia, Tarentum e la topografia del Campo Marzio meri dionale, in Quad. Ist. Topogr., V, 1968, p. 28 ss.; Classe dirigente romana e arti figurative, in DdA, IV-V, 1970/1, p. 241 ss. «Polykles», in St. Misc. 15, 1970, p. 85 ss. 25 A questo argomento è dedicata la seconda parte del libro di B. Olinder, cit. a nota 5; la sua interpretazione è a tal punto priva di ragionevolezza, che non merita qui discuterla: si cfr. la mia recensione in Gnomon, 1976 (in stampa) e quelle, sostanzialmente concordi, del Wiseman (JRS, 66, 1976, in stampa) e di P. Gros (RA, 1976, in stampa).
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su Perseo di Macedonia, l'edificio è definito porticus duplex corinthia26: l'appellativo corinthia trae origine, come racconta Plinio, dal fatto che aveva capitelli di bronzo (e forse anche di ordine corinzio); il valore di duplex è stato discusso27. L'inusitato sfarzo della decorazione spiega perché Velleio includa il portico di Ottavio tra gli edifici del II sec. che, insieme con la pubblica magnificenza, introdussero in Roma la luxuria 28. Ricostruito da Augusto, il portico ospitò le insegne recuperate dai Dalmati nel 33 a.Cr.29. Unica fonte per l'ubicazione della porticus Octavia è Festo, che la dice theatro Pompeii proxima30: F. Coarelli la ha collocata sul lato nord del circo Flaminio, subito al dilà dei portici di Ottavia e di Filippo, immaginand ola come un grande quadriportico simile al portico di Metello e racchiu dente,come quello, due templi 31. La posizione prescelta è plausibile, e corr isponde abbastanza bene alle indicazioni di Festo; d'altro canto, è probabile che, al pari dei coevi edifici « trionfali », il portico di Ottavio allineasse la fronte lungo la via seguita dai trionfi32. Perplessità suscita invece la sup posta struttura a quadriportico, un tipo edilizio che, per quanto noto, non sembra affermarsi in Roma che più tardi; e appare poco conforme allo spirito del tempo che Ottavio si sia limitato a costruire un temenos porticato attorno a due templi non legati al suo nome: diverso naturalmente il caso del portico di Metello, sorto come cornice allo splendido tempio di Giove Statore. Dal punto di vista topografico, non c'è la materiale possibilità di sistemare, nell'area indicata, un quadriportico grande come quello di Ottavia, perché i ruderi scoperti attorno a Largo Arenula hanno già l'orientamento degli edifici in campo, e la Via dei Falegnami è sostanzialmente antica e marca chiaramente sul terreno un confine preciso tra due zone distinte33. Ritengo perciò - e trovo questa opinione condivisa da B. Olinder e da T. P. Wise-
26 Plin., N. H., XXXIV, 13. 27 V. la nota di J. J. Coulton, Διπλή στοά, in A] A, 75, 1971, p. 183 ss. 28 Veli, II, 1, 2. 29 Res Gestae, 19; App., Ill, 28; cfr. Dio, XLIX, 43, 8. 30 Fest., p. 188 Lindsay. Sulle orme di Olinder (op. cit. a n. 5, su cui vedi la mia recensione in Gnomon 1976, in stampa) nega valore alla notizia di Festo anche L. Richardson Jr., The evolution of the Porticus Octaviae, in A] A, LXXX^ 19/6, p. 57 ss. 31 Coarelli, p. 312 ss. e fig. A. 32 Sull'argomento ν. da ultimo l'ari, cit. di F. Coarelli, La porta trionfale e la via dei Trionfi. 33 Si veda la pianta di G. Gatti, art. cit. in Capitolium 1960, fig. 6.
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man34, che la porticus Octavia fosse un edificio architettonicamente in sé concluso, ad unico braccio, segnalato soprattutto per la singolare preziosità della decorazione, che introduceva in Roma moduli e concetti ornamentali tipicamente ellenistici. Senza entrare nel merito di una recentissima, suggestiva proposta del Wiseman, che ne propone l'identificazione con il portico di Via S. Maria dei Calderari35, è sufficiente qui limitarsi all'osservazione che, immaginando il monumento di Ottavio come un fabbricato ad unica ala, viene a cadere la necessità di un rapporto puntuale con altri edifici in circo. Nell'interno del quadriportico da lui immaginato, F. Coarelli ha disposto i templi di Vulcano e di Marte. Anche se non connessa con la porticus Octavia, è verosimile che la aedes Vulcani si trovasse in questa zona, non lontana dai Saepta e dalla palus Caprae con cui sembra avesse rapporto36. Fragili appaiono invece gli argomenti addotti per localizzare qui il tempio di Marte. Sostanzialmente, anzi, si riducono a due: una presunta relazione con il portico di Ottavio; il luogo di rinvenimento dell'Ares Ludovisi37. Il primo argomento è di carattere induttivo. Poiché le insegne che Augusto recuperò dai Parti vennero poste nel tempio di Marte Ultore, e quindi dedicate a Marte, si suppone che il portico di Ottavio, in cui furon collocate le insegne dalmatiche, fosse in un qualche rapporto col tempio di Marte in circo. Ma la proposizione può essere rovesciata: se le insegne dovevano esser dedicate a Marte, non avrebbe avuto senso porle nel portico circostante, anziché nel santuario del dio stesso; semmai, l'episodio prova che l'edificio di Ottavio col tempio non aveva nulla a che fare38. Quanto alPAres Ludovisi, Pier Sante Bartoli ne segnala il trovamento (sotto la voce: « Campitelli »), nei pressi del Palazzo Santacroce « per andare a Campitelli ». F. Coarelli osserva che questa specificazione non si adatta al Palazzo di Piazza Cairoli, ma a quello, più antico, « a diamanti », che è, appunto, sulla via per Campitelli e sorge là dove egli vorrebbe localizzare il tempio di Marte. La supposizione è ingegnosa, ma non del tutto soddisfacente; ciò che
34 Olinder, p. 110 ss.; Wiseman, p. 13 ss. Ho esposto la stessa idea nel. Colloquium: Hellenismus in Mittelitalien, Göttingen Giugno 1974 (in stampa). La ricostruzione topografica proposta da Coarelli è invece accolta con favore da G. Ch. Picard (non J. Heurgon, come in Olinder, p. Ili), in REL, 1970, p. 647. ^ Idea che egli ha espresso nella recensione cit. a nota 15. 36 Castagnoli, p. 162 s. con bibl; Coarelli, p. 354, nota 43. 37 Coarelli, pp. 313 ss. 38 Questa, e molte delle altre successive argomentazioni, sono state da me presentate nel citato intervento nel Colloquium: Hellenismus in Mittelitalien.
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reca maggior imbarazzo, nella testimonianza del Bartoli, è in verità il titolo « Campitelli » che non si attaglia né all'un palazzo né all'altro. D'altro canto, dai primi del Seicento in poi, il « palazzo delli signori Santacroce », cioè il palazzo padronale della famiglia, è quello di P.za Cairoli, e il Bartoli si sarebbe espresso in modo diverso se avesse voluto alludere ad un altro delle molte case e palazzi che i Santacroce possedevano in città. L'Ares Ludovisi andrà riportato all'incirca nel luogo dove lo poneva Lanciani; l'espressione di P. S. Bartoli indicherà forse quel lato del palazzo che prospetta su Via dei Giubbonari, cioè la strada che di lì segue « per andare a Campitelli ». * * * L'antico edificio sotto le case adiacenti S. Salvatore in Campo, fu segnal atoper la prima volta da V. Baltard nel 1837; il Canina giustamente vi riconobbe un tempio, che suppose orientato in senso est-ovest, e di cui tentò di delineare una pianta ricostruttiva39. Solo nel 1872, nuove scoperte e un'accurata indagine dei resti superstiti consentirono a V. Vespignani40 quella eccellente ricostruzione che, fino ad oggi, è rimasta canonica (v. figg. 1-2): un periptero esastilo di proporzioni raccorciate (forse con nove colonne sui fianchi) sollevato su un crepidoma a sei gradini, con colonne « di marmo greco a scanalature e baccelli », quindi di ordine ionico ο corinzio, ma con « basi di maniera dorica » 41. Nessun resto dei capitelli, che comunque, con sagacia, il Vespignani immaginò ionici. A partire dal 1863, lo studio topografico e architettonico del monu mento si arresta come ricerca indipendente e viene a collegarsi con il pro blema dei rilievi Monaco-Louvre (un tempo nel palazzo Santacroce), che, dal Furtwängler in poi, siamo avvezzi a chiamare Γ« ara di Domizio Enobarbo ». L'argomento fondamentale della dimostrazione risale allo Urlichs42 che, collegando il rilievo di Monaco col thiasos marino di Skopas esistente,
39 L. Canina, in Ann. Inst, 1838, 1 ss; una soluzione planimetrica diversa ma sempre conservante l'orientamento nord-sud già da lui proposto, è presentata dallo stesso Canina in Antichi Edifizi di Roma, Monum. voi. II tav. VI (riprodotte ambedue da Vespignani, art. cit. a nota seg., tav. V, figg. 1-2 vedi qui fig. I in basso). 40 V. Vespignani, Avanzi di tempio incerto della IX regione di Augusto, in BCom, L, 1872/73, p. 212 ss. 41 F. W. Shipley, in MAAR, IX 1931, p. 44, afferma che il tempio di S. Salvatore ha podio di travertino e colonne di tufo; evidentemente una confusione di schede. 42 L. Urlichs, Skopas, Greifswald 1863, p. 129.
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al dire di Plinio, nel delubrum Cn. Domiti43, e quest'ultimo con un aureo di Domizio Enobarbo raffigurante il tempio di Nettuno44, trasse le conclus ioniche i rilievi di Monaco appartenessero alla decorazione del tempio di Nettuno, e precisamente al fregio della cella; che essi provenissero al palazzo Santacroce dal vicino tempio di S. Salvatore il quale, pertanto, doveva identi ficarsi con il tempio di Nettuno in circo Flaminio, eretto dal partigiano di Antonio poco dopo il 40 a.Cr. Seguì, nella stessa direzione, una brillante esposizione del Brunn45, quantunque l'Overbeck46, in un articolo troppo trascurato, avesse mostrato l'impossibilità di un rapporto tra il periptero di S. Salvatore e la figurazione monetale di Domizio, e sottolineato il carattere puramente neoattico dei rilievi che con lo stile e il gruppo del grande Skopas del IV secolo difficilmente avevano rapporto. Fu merito del Furtwängler 47 l'aver ricollegato il rilievo di Monaco con quello del Louvre, e averne riconosciuto l'appartenenza ad un solo monumento, appunto Γ« ara di Domizio Enobarbo ». Il rapporto di contenuti tra le scene, così diverse, dei due rilievi, restava altamente problematico; e la questione si fece ancor più complessa quando il Domaszewski, in una fondamentale ricerca48, interpretò la scena del Louvre non come una missio exercitus, bensì come la lustratio che conclude il censo. La spiegazione fu cercata con l'associare i due temi, per così dire, in « unione personale » nella figura del dedicante ο di un suo antenato: si doveva trovare un personaggio che fosse stato censore oltre che ammiraglio. La scelta dipendeva anche dalla datazione che, su base stilistica, si assegnava ai rilievi. Così, volta a volta, si proposero Cn. Domizio Enobarbo, cens. 115 (Domaszewski); P. Servilio Isaurico, cens. 55/54 (Anti) 49; L. Gellio Poplicola, cens. 70 (Kahler, Wiseman) 50;
44 Ν. 43 Grüber, Η., XXXVI, Brit. Mus. 26. Coins, Rep., II, p. 487.; R. Bartoccini, 77 tempio di Nettuno nell'aureo di Domizio Enobarbo, in Atti Mem. 1st. It. Numism., Ill, 1917, p. 83. 45 H. Brunn, Der Poseidonfries in d. Glypt. zu München, in S ζ. Ber. Κ. Nayr. Akad., I, 1876, p. 342 ss. (= Kl. Schriften, II, p. 371 ss.). 46 J. Overbeck, Die Kunstgesch. Stellung d. Rei. mit. Poseidon ecc, in Ber. K. Sachs. Ges. d. Wiss. Leipzig, 28, 1876, 110 ss. 47 A. Furtwaengler, in Intermezzi, Leipzig-Berlin 1896, p. 33 ss. 48 Art. cit. a nota 11, spec. pp. 79 ss. 49 Atti IstVen, 84, 1924/5, p. 473 ss. 50 H. Kahler, Seethiesos und Census (Monum. Artis Rom. VI), Berlino 1966, p. 35 ss.; con diversa e originale prospettiva, T. P. Wiseman, Legendary Genealogies... Greece and Rome, XXI, 1974, spec. p. 160 ss., che interpreta il thiasos come allusione alla leggendaria discendenza di L. Gellio da Nettuno.
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M. Antonio, cens. 97 (Coarelli) 51; e l'identificazione dell'edificio col tempio di Nettuno rimase anche quando venne a perdersi ogni collegamento con i Domizi Enobarbi52. Il miglior lavoro d'insieme sulla « ara di Domizio Enobarbo » è quello di F. Coarelli. Riprendendo un'intuizione del Mingazzini 53, egli pensa che lo Skopas autore del thiasos marino fosse non il grande scultore del IV sec, ma il minore suo omonimo, attivo in Roma sullo scorcio del II sec. a.Cr., cui già il Mingazzini aveva assegnato il Pothos, e Coarelli, convincentemente, avvicina sia l'Ares Ludovisi che, come opera di bottega, i rilievi già Santacroce. Nuovi documenti d'archivio danno la persuasione che la « ara » pro venga realmente da S. Salvatore, di cui sarebbe perciò accertata l'identità con la aedes Neptuni in circo Flaminio. Il committente dei rilievi sarebbe M. Antonio, vincitore dei pirati nel 102 a.Cr. e censore nel 97; da un accenno di Cicerone, apprendiamo che, forse per suo incarico, costruì i navalia (collegati con il tempio di Nettuno?) 54 l'architetto greco Ermodoro di Salamina, il quale, come sappiamo da altre fonti, aveva altrove collaborato con Skopas Minore. Infine, due anni fa, P. Gros ha pubblicato un importante contributo su « Hermodoros et Vitruve » 55. Egli osserva che, nel dare le norme per la costruzione del tempio periptero esastilo, Vitruvio, detta nel libro IV, delle proporzioni differenti da quelle che egli stesso prescrive nel HI. È necessario perciò supporre che l'autore latino abbia attinto a due fonti diverse: l'una, è da riconoscere sicuramente in Ermogene; l'altra si suppone sia Ermodoro
51 Coarelli, p. 339 ss. 52 Tra le altre ipotesi spicca, per l'originalità della soluzione cercata, quella di F. Castagnoli, «II problema dell'ara di Domizio Enobarbo», in Arti Figurative, I, 1945, p. 181 ss., che, disso ciando i rilievi dal tempio di S. Salvatore (da lui ritenuto in campo), li assegna al tempio delle Ninfe, sede dell'archivio del censo (di qui la scena « storica » del Louvre) ricostruito dopo l'incendio del 52 a.Cr. L'interpretazione del Castagnoli è stata a ragione respinta già dal Kahler (op. cit., p. 10); notevole è tuttavia il tentativo di cercare una diversa via all'esegesi del rilievo. Sul Tempio delle Ninfe e la sua probabile identificazione con l'edificio di Via delle Botteghe Oscure, v. ora F. Coarelli, art cit in Palatino, XII, 1968, p. j71 ss. Non merita più che una menzione la singolare idea di G. Hafner, Zwei römischen Reliefwerke, in Aachener Kunstblätter, 43, 1972, p. 97 ss.: i rilievi Santacroce apparterrebbero al fregio del monumento funerario di Lutazio Catulo, il vincitore delle Egadi del 241 a.Cr. 53 Skopas Minore, in Arti Figurative, 11,1946, p. 137. 54 F. Coarelli, art. cit. in Quad. Ist. Top. Ant. V, 1968. In realtà l'accenno di Cicerone (De Orai., II, 14, 62) non sembra implicare necessariamente un rapporto tra M. Antonio ed Ermodoro, né soprattutto che a M. Antonio risalga il rifacimento dei navalia. 55 MEFRA, 85, 1973, p. 137 ss.
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di Salamina. Esaminando i resti templari di S. Salvatore (egli ne accetta l'identificazione con la aedes Neptuni), il Gros conferma, in primo luogo, che l'edificio è in marmo greco, come visto da Vespignani, e precisamente in pentelico; quindi, che le singolari basi delle colonne si richiamano non alle « dorico-toscane », ma alle « Wulstbasen » ioniche; infine, che le proporzioni dell'edificio ricordano quelle raccomandate da Vitruvio nel IV libro e che, per altra via, egli aveva supposto derivassero da Ermodoro. È singolare come ambedue questi lavori abbiano, ciascuno per proprio conto, colto il segno, pur senza trarre le necessarie conseguenze topograf iche,cioè l'identificazione del tempio di S. Salvatore con la aedes Martis in circo 56. Occorre però, preliminarmente, sgomberare il terreno da altre ipotesi. I templi noti in circo Flaminio sono in tutto 12 ο 13; l'ubicazione di quelli di Apollo, Giove Statore, Giunone Regina, Hercules Musarum è nota dai resti superstiti ο dalla forma urbis. L'identificazione di Bellona col « tempio ignoto » presso il teatro Marcello, mi sembra sicura 57. Fortuna Equestris era probabilmente in campo, presso il teatro di Pompeo (ad theatrum lapideum) ed era sistilo 58; non esisteva più in età tiberiana 59. Il tempio dei Castori va escluso perché, come sappiamo da Vitruvio, distinto da una planimetria particolare60. Pietas, forse distrutto già da Cesare, è detto anche in foro Holitorio, e perciò comunque situato all'altra estremità della zona in circo 61. Restano solamente i templi di Diana, Vulcano, Nettuno, Hercules Custos, Marte. Riassumiamo ora le caratteristiche del tempio di S. Salvatore. È in marmo pentelico - quindi certamente posteriore al primo tempio marmoreo di Roma, quello di Giove Statore, eretto da Metello Macedonico dopo il
56 Cfr. Zevi, Colloquium Hellenismus in Mittelitalien, cit. 37 Coarelli, art. cit. a η. 10. D'altra parte, si era da tempo riconosciuto che il tempio di Bellona, per esser sede di riunioni extrapomeriali del Senato, e prossimo alla colonna bellica, doveva esser molto vicino alle mura urbiche, e quindi presso l'estremità est del circo: cfr. O. Gilbert, Gesch. u. Top. d. Stadt Rom., Leipzig 1890, III, p. 74, p. 80 ss. 58 Vitr., Ill, 3, 2; Olinder (p. 42) ritiene che l'espressione vitruviana si riferisca al teatro di Marcello. 59 Tac, Ann., 3, 71. 60 Vitr. IV, 8, 4. 61 L'identificazione di Pietas in circo Flaminio con l'omonimo tempio in foro Holitorio è convincentissima ipotesi di F. Castagnoli, art. cit. in Gnomon, p. 607.
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146 62; improbabile, d'altro canto sia più tardo del 40 circa a.Cr., quando ebbe inizio lo sfruttamento intensivo delle cave lunensi63. È un periptero senza podio, con crepidoma a gradini, quindi un tempio di tipo pienamente ellenistico, anzi un unicum in Roma, confrontabile solamente con la tholos del Foro Boario datata alla fine del II sec. a.Cr.64; ha delle basi di colonne di forma inconsueta, forse un preziosismo arcaizzante, che è comunque ragionevole pensare in uso in un periodo in cui la base « attica » non si era ancora affermata come esclusiva. In conclusione: l'edificio va datato tra 140 e 40 a.Cr., molto verosimilmente nella prima metà di tale periodo (circa 140-100/90 a.Cr.). Questi elementi ci consentono di restringere l'arco delle possibilità. Del tempio di Vulcano non si sa quasi nulla; da Livio (che, contrariamente ai calendari, lo dice in campo: forse era ai limiti tra le due zone?65) sappia mo che esisteva già nel III sec. a.Cr.; nessun accenno a ricostruzioni successiv e. Alcuni elementi indurrebbero a collocarlo presso Piazza Mattei 66. Il tem pio di Diana risale invece, al pari di Iuno Regina, all'opera di M. Emilio Lepido (cens. 179); nessun restauro è noto nel periodo che interessa. Le circostanze del voto e della dedica67 sono tali da far pensare ad uno stretto collegamento, anche topografico, tra i due edifici; è probabile che Diana fosse anche prossima al tempio di Apollo, e ambedue i nuovi templi vicini a quel theatrum ad Apollinis che fu approntato proprio in quella stessa
62 M. Gwyn Morgan, The portico of Metellus, a Reconsideration, in Hermes, 99, 1971, p. 480 ss. ritiene che la data più probabile per l'appalto del tempio di Giove Statore sia il 143; egli suppone, tuttavia (e a mio parere senza motivi realmente solidi) che Metello abbia in pari tempo costruito anche il tempio di Giunone Regina. Del tutto inaccettabile la teoria di M. J. Boyd in PBSR, XXX, 1958, p. 153 ss., il quale sostiene che in Velleio I, 11, 3-5, il termine aedes ex marmore vada riferito al quadriportico attorno ai templi. Il Drerup (Zus Ausstattungsluxus in d. roem. Architektur, Münster 1957, η. 66), sulla base di Plinio N.H., XXXVI, 7, ritiene che non esistessero edifici in marmo a Roma prima degli anni 90 a.Cr.; a ben vedere, è questo l'unico motivo che consiglia a F. Rakob - W.-D. Heilmayer, Der Rundtempel am Tiber in Rom, Mainz 1973, p. 28, una datazione del tempio rotondo del Foro Boario dopo il 100 a.Cr. 63 II marmo trova impiego in quanto materiale proveniente da una terra di conquista, v. Colloquium Hellenismus in Mittelitalien, cit., in stampa. [Tale posizione vedo ora ripresa da P. Gros, nell'ari, in questo volume, p. 387-410]. 64 D. E. Strong - J. B. Ward-Perkins, The Round Temple in the Forum Boarium, in PBSR, 28, 1960, p. 7 ss. 65 Liv. XXIV, 10, 9. 66 V. sopra, a p. 1054. 67 Liv. XXIX, 2 e XL, 52. È stato giustamente sottolineato che le due divinità del voto di M. Emilio Lepido sono le due principali dell'Aventino: cfr. p. es. Gilbert, op. cit., III, p. 81.
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censura. F. Coarelli ha supposto, con verosimiglianza, che il tempio sia stato distrutto per i lavori del teatro di Marcello e ricostruito dietro la scena di questo68. Quanto a Nettuno, la ormai tradizionale identificazione con il tempio di S. Salvatore a ben vedere non regge. Le date, in primo luogo, non corr ispondono: la aedes Neptuni esisteva già nel 206 a.Cr., la moneta di Enobarbo e l'espressione pliniana (delubrum Cn. Domiti) indicano un rifacimento in età triumvirale (forse attorno al 32 a.Cr.). F. Castagnoli ha giustamente r ibadito che la moneta contiene una raffigurazione non generica, ma, al cont rario, volutamente caratterizzata: l'edificio di Enobarbo è un prostilo tetrastilo, sollevato su alto podio, con i lati a blocchi squadrati69. Nessuno di questi elementi corrisponde con quelli di S. Salvatore. Maggiori probabilità ha Hercules Custos. Per vero, molti studi recenti si sono accostati all'ipotesi che esso sia un tutt'uno con Hercules Musarum 70: il numero dei templi in circo diminuirebbe allora di una unità e, per quanto ci riguarda, il problema sarebbe automaticamente risolto. A me sembra, tutta via, che i due edifici vadano tenuti distinti. I pochi dati cronologici non coincidono: Hercules Musarum è collegato con le Muse di Ambracia e con il rifacimento augusteo di Marcio Filippo; di Hercules Custos, Ovidio dice invece che Sulla probavit opus71, né l'Èrcole lincine e Musagete di Fulvio Nobiliore sembra avere affinità con il dio protettore del circo e dei suoi agoni72. D'altro canto, l'espressione ovidiana: altera pars circi73, implica, topograficamente, che il tempio di Èrcole fosse situato presso il capo del circo opposto a quello del tempio di Bellona; se questo si colloca presso il teatro di Marcello, Èrcole va posto presso il limite occidentale del circo Flaminio, cioè, più ο meno, nella zona di S. Salvatore in Campo. Anche la data di Ovidio rientra, in definitiva, nei limiti stabiliti; e, nel complesso,
68 Art. cit. a nota 7, spec. p. 201 ss. 69 Castagnoli, p. 157 ss. 70 P. es. G. Marchetti Longhi, art. cit. in MÊFR 1970, p. 144 ss.; Castagnoli, art. cit. in Gnomon, p. 608; Olinder, p. 58 ss. L'opinione contraria è stata invece sostenuta specialmente da Coarelli, p. 316 ss. (e in altri lavori dello stesso) e ora da Wiseman, p. 21, η. 38. 71 Fasti, 6, 210. Peraltro, generalmente si ritiene che il tempio di Hercules Custos sia stato costruito assieme con il circo Flaminio (quello di Siila sarebbe solo un restauro) e che ad esso vada riferita la notizia di Liv. XXXVIII, 35, 4 (189 a.Cr.). 72 Le affinità verbali rilevate da Olinder (p. 61) tra Ovid., loc. cit., e Eumen., Pro inst.sch., 7, 3, non hanno reale rilevanza. 73 Ovidio, Fasti, 6, 209.
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l'identificazione col tempio di S. Salvatore appare possibile. Alcuni indizi consiglierebbero tuttavia di ubicare il tempio di Hercules Custos un poco più a sud, in un immediato rapporto di contiguità topografica col circo su cui il dio esercitava la sua tutela e, al tempo stesso, più vicino al fiume. Infatti, tra le realizzazioni dei censori del 179 a.Cr., Livio annovera una porticus. . . post navalia et ad fanum Herculis 74. Che si alluda allo Hercules Musarum è idea suggestiva, ma poco probabile, non solo per la distanza di quel tempio dal Tevere e quindi dai navalia, ma soprattutto per il lungo giro che il portico avrebbe dovuto compiere attorno al circo Flaminio. Iscrizioni con dediche ad Èrcole provengono dall'area circostante Via Arenula verso il fiume 75. La collocazione di Èrcole Custode nel sito di S. Maria in Monacelli è possibile 76; occorre però notare che la chiesa medioevale ha orientamento divergente rispetto all'asse del circo. Il problema rimane aperto. Passando invece al tempio di Marte in circo Flaminio, eretto da Bruto Callaico (console nel 138) dopo il trionfo lusitanico, troviamo una sorpren dentecorrispondenza di ogni dato. Il monumento del Cailaico doveva essere uno splendido edificio in cui, in ricercato contrasto, il dio della guerra si mostrava in un ambiente della più raffinata cultura ellenistica. L'architettura (probabilmente marmorea) 77 dell'edificio era opera di Ermodoro di Salamina 78, l'architetto greco chiamato pochi anni prima da Metello per realizzare il primo tempio di marmo di Roma. La statua di culto era di Skopas (certo il Minore); ma, accanto al dio, con epigrammatico accostamento, era una Afrodite nuda che superava, al dire di Plinio, quella prassitelica, e « avrebbe dato nobiltà a qualunque altro luogo » 79. Sulie pareti del tempio, erane incisi i versi del poeta Accio, che aveva in Bruto il suo protettore 80. Il programma ideologico del Callaico appare evidente. Secondo una diffusa tradizione (certamente quella che Accio avrà seguito nella sua praetexta Brutus) era alla prima coppia di consoli, e cioè a Bruto fondatore
74 Liv. XL, 51, 6: l'incerto passo è riesaminato dal Wiseman, p. 18. 75 Coarelli, p. 317 e nota 80 a p. 359. 76 L'ipotesi è di Coarelli, p. 318. 77 Trovo difficilmente accettabile l'idea di F. Coarelli («Polykles», cit., p. 86) che possa provenire dal tempio di Marte in circo il frontone di Via S. Gregorio. 78 Aedis Martis... architectata ab Hermodoro Salaminio: Com. Nep. apud Prise, Inst. 8, 4, 17. 79 Plin., Ν. Η., XXXVI, 26. Venere è accanto a Marte già nel lettisternio del 217 (Liv. XXIII, 10). 80 Cic, Pro Arch., 11, 27; Sch. Bob. ad loc.
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della Repubblica, assieme al suo collega di minor rango, che si doveva, per così dire, la creazione del Campo di Marte: quel campo, un tempo privato possesso dei Tarquini, era stato allora confiscato e consacrato al dio81. Allo stesso dio ora un discendente del grande Bruto consacrava il tempio del circo Flaminio, rinnovando le glorie della gente e, a un tempo, richiamando il leggendario antenato e la nascita dello stato repubblicano. Ma, per altro verso, il monumento si proponeva come simbolo dello spirito dell'aristocra zia del tempo: architettura, scultura, poesia, concorrevano all'immagine della nuova nobilitas che, alle tradizionali doti marziali di valore guerriero, univa ormai quelle di una cultura e di una sensibilità artistica di stampo greco. E dunque, in questa precisa corrispondenza tra dati delle fonti e resti monum entali, l'intuizione di P. Gros non poteva trovare miglior conferma: il tempio di S. Salvatore richiama i canoni di Ermodoro per la ragione che esso è opera di Ermodoro, anzi l'unica a lui attribuibile con certezza. Felice si rivela ora, alla luce della nuova identificazione, l'accostamento tra PAres Ludovisi e il Mars colossiaeus di Skopas Minore: la statua Ludovisi viene infatti dalle vicinanze del Palazzo Santacroce, a breve distanza dal tempio di Marte, di cui forse avrà ornato il temenos; nulla di più logico che al maestro autore della statua di culto, ο alla sua bottega, siano state commiss ionate anche le altre sculture che completavano la decorazione dell'edificio. Resta in piedi, si dirà, il problema dell'« ara di Domizio Enobarbo»; vera crux interpretum destinata, una volta di più, a sfuggire ad un'interpretazione definitiva. La sua provenienza dal tempio di Marte in realtà non è sicura (per dimostrarla, F. Coarelli è costretto a supporre prima un furto, poi un falso in un documento d'archivio, episodi, ahimè, ben possibili, ma che, in mancanza di prove, pare antimetodico postulare 82); resta però il fatto che i rilievi del palazzo Santacroce probabilmente provenivano da un monu mento delle vicinanze e una loro relazione col tempio di S. Salvatore, anche se non dimostrata, appare ugualmente possibile. Una volta di più, si pone il problema del rapporto di contenuto fra le due scene. Spero tornare sull'argomento in altra sede; mi limito qui ad alcune osservazioni. Se si dovesse istituire tra le due scene un rapporto « gerarchico » di importanza, la preminenza andrebbe assegnata, credo senza esitazioni, a quella storica: il corteggio di Nettuno, pur avendo, è certo, un significato
81 Liv. II, 5; Dion. Hal. V, 13; Plut, Popi, 8; Flor. I, 3; Schol. luv., 6, 524: ... Brutus agrum Tarquini Superbi eo eiecto totum Marti consecravit. 82 Coarelli, pp. 323-324.
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nell'economia del monumento, ha funzione eminentemente decorativa. D'altro canto, che il thiasos alluda ad un successo navale è assai poco probabile; difficilmente un osservatore avrebbe potuto intuire, nel lieto svolgersi del corteo nuziale, il favorevole esito di una battaglia83: la scena non potrebbe dunque costituire che un generico richiamo al dio nel cui santuario si suppone collocata. Tuttavia, se, al di fuori di ogni idea precostituita, si volesse evincere, dal contenuto dei rilievi, quale fosse la divinità cui eran dedicati, non si potrebbe, ritengo, pensare che a Marte: solo per Marte viene compiuto il sacrificio, solo quel dio è presente accanto alla sua ara. È vero che la presenza di Marte è funzionale alla scena; ma ciò non toglie valore all'argomento. Quel che in ogni caso appare poco verosimile, è che l'intero rilievo del Louvre non abbia altro scopo che affermare la qualità di censore del dedicante (o di un suo antenato) e che in esso « si sia voluto eternare . . . ,,un atto di ordinaria amministrazione quale un censo » 84: gigantesco fumetto per trasmettere un messaggio banale. La scena deve avere altra densità di contenuti. Sarebbe affascinante l'ipotesi che il rilievo ricordasse la fonda zione dell'ara Martis, cioè la consacrazione del campo al dio e la periodica purificazione, al suo cospetto, del popolo romano in armi: richiamo allora, alla gloria del leggendario fondatore della Repubblica, l'antenato di Bruto Callaico. Mi domando se gli elementi intrinseci della rappresentazione siano realmente tali da escludere una simili esegesi. In ogni caso, i rilievi vanno datati entro la seconda metà del II sec. a.Cr. La proposta di Coarelli (monumento del censore del 97 a.Cr.) è solo in apparenza felice; in realtà, essa viene a togliere il supporto dell'unico el emento antiquario di peso, su cui si fonda la datazione alta dell'« ara », cioè l'anteriorità alla riforma mariana dell'esercito. Non si tratta soltanto di porre attenzione alla foggia e tipologia dell'armamento: l'intuizione del Domaszewski 85 reca con sé altre e più importanti implicazioni. L'esercito di cui si effettua la lustratio è, senza dubbio, un esercito di stampo tradizionale, levato e ordinato, all'antica maniera, secondo le classi e nelle centurie de l 'ordinamento « serviano » 86; la nostra scena è espressione, in uno spirito pienamente tradizionale, della primitiva costituzione repubblicana, prima che
83 Cfr. J. Sieveking, Der sog. Altar des Cn. Dom. Ahenobarbus, in ÖJh., XIII, 1910, p. 97. 84 Castagnoli, p. 157. 85 Art. cit., p. 79. 86 Una precisa esegesi della scena è stata proposta da M. Torelli, in un ampio lavoro sul rilievo storico romano, ora in stampa.
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la riforma mariana, sovvertendone il principio censitario, alterasse struttura e composizione dell'esercito. Se si vuoi accettare una datazione posteriore a Mario, sarà necessario porre l'ideazione di una scena siffatta in un momento di reviviscenze tradizionalistiche; e non sarebbe agevole immaginare quando. D'altro canto, se si vuoi cercare nei rilievi Monaco-Louvre l'influsso di Skopas Minore, non sarà lecito distanziarli troppo da quei pochi termini cronologici che possediamo sull'attività dell'artista87. Nel narrare le imprese lusitaniche di Bruto Callaico, tutte intessute di episodi di antica virtus&8, v'è un tema che le scarsissime fonti su quegli eventi riprendono con insistenza: quello dell'impero esteso usque ad oceanum. Spintisi fino all'estremità nord-occidentale della penisola iberica, oltr epassando il fiume Lete, i soldati romani avevano raggiunto il limite estremo delle terre, là dove, dinanzi ai loro occhi colmi di religioso stupore, si stendeva l'oceano senza confini e il sole spegneva nel mare il suo fuoco: l'audacia dell'impresa sfiorava il sacrilegio89. L'evento dovette produrre pro fonda impressione. Il tema del tiaso marino, caro agli artisti neoattici, acqui sta in questi anni una popolarità prima sconosciuta e si sviluppa in compos izioni monumentali di inusitata grandiosità. Sarà possibile riconoscere in questa preferenza per il motivo, in quella raffigurazione di un mare non toccato dall'uomo in cui eterno si svolge il corteo di Nettuno e Anfitrite, un'eco, quasi una simbolica allusione all'estendersi dell'impero sino al cospetto dell'Oceano?
87 Fondamentalmente, l'esecuzione delle statue nel tempio di Marte, probabilmente attorno al 130 a.Cr. Connessione dello Hercules Olivarius con la tholos del Foro Boario: Coarelli, Classe dirigente, cit., p. 179 ss. 88 Liv. per., LV, LVI.'LVIII; App., VI, 71-73; Val. Max., VI, 4. 89 Flor., I, 33: Decìmus Brutus... peragrato victor Oceani lìtore, non prius signa convertit quam cadentem in maria solem obrutumque aquis ignem non sine quodam sacrilega metu et honore deprendit.
PROSPETTO DEL TEMPIO
SEZIONE
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Fig. 2 - Tempio di S. Salvatore in Campo. Stato dei ruderi, ricostruzione della fronte e spaccato trasversale nei disegni di V. Vespignani (da BCom L, 1872/3," tav. VI).
TABLE DES MATIÈRES
Pages xi xm xxiii
Préface Bibliographie Tabula Gratulatoria André BALLAND, Sur là nudité des nymphes
1-11
Jean BEAUJEU, Les dernières années du calendrier pré-julien .
13-32
Raymond BLOCH, Religion romaine et religion punique à l'époque d'Hannibal. Minime romano sacro
33-40
Maria BONGHI-JOVINO, Breve nota in margine al problema dell'ellenismo italico: tipi ellenistici nella coroplastica capuana
41-47
Bernard BOULOUMIÉ, Un vase étrusco-corinthien (?) trouvé en Alsace?
49-58
Jean-Paul BOUCHER, Sur l'influence des grands tragiques latins
59-64
Dominique BRIQUEL, Les enterrés vivants de Brindes .
.
65-88
Jean-Pierre CALLU, Eléphants et cochons: sur une représentat ion monétaire d'époque républicaine
89-100
Giovannangelo CAMPOREALE, Su alcune forme vascolari del bucchero ceretano
101-113
Gérard CAPDEVILLE, Taurus et bos mas
115-123
André CHASTAGNOL, Confectuarii
125-131
Jean-Pierre CHAUSSERIE-LAPRÉE, Structures phoniques do minantes dans les Aratea de Cicéron
133-146
Raymond CHEVALLIER, Grecs, Etrusques et cols des Alpes
149-155
Filippo COARELLI, Un elmo con iscrizione latina arcaica al Museo di Cremona
157-179
.
TABLE DES MATIÈRES
1068
Pages Jean
COLLART, Quelques observations statistiques sur le Livre I de Tite-Live
181-185
Giovanni COLONNA, Scriba cum rege sedens
187-195
Michael CRAWFORD, The early Roman Economy, 753-280 B.C.
197-207
Mauro CRISTOFANI, La leggenda di un tipo monetale etrusco
209-214
Marina CRISTOFANI MARTELLI, Note di ceramica volterrana
215-242
Alfonso DE FRANCISCIS, Note sull'architettura arcaica a Pompei
243-252
Georges DUMÉZIL, Virgile, Mézence et les « Vinalia »...
253-263
Paul-Marie DUVAL, Observations sur le style des monnaies gauloises en or attribuées aux Salassi ou aux Uberi
265-274
Germanine FAIDER-FEYTMANS, Poignées dionysiaques découvertes aux environs de Courtrai (Belgique) ....
275-283
Jean-Louis FERRARY, « A Roman Non-Entity »: Aurelius Cotta, tribun de la plèbe en 49 avant J.-C
285-292
Robert FLACELIÈRE, Caton d'Utique et les femmes
293-302
Pierre FLOBERT, Camille et Ganymede
303-308
Jean GAGÉ, Les autels de Titus Tatius. Une variante sabine des rites d'intégration dans les curies?
309-322
Antonio GIULIANO, Una anfora etrusca policroma
323-324
Christian GOUDINEAU, Sur un mot de Cicéron ou Avignon et le domaine de Marseille
325-332
Jean GRANAROLO, Catulle LU: simple fronde ou pessimisme sans merci?
333-339
Michel GRAS, La piraterie tyrrhénienne en mer Egée: mythe ou réalité?
341-370
Pierre GRIMAL, La maison de Simon et celle de Théopropidès dans la Mostellaria
371-386
Pierre GROS, Les premières générations d'architectes hellé nistiques à Rome
387-410
Margherita GUARDUCCI, Nuove osservazioni sulla lamina bronzea di Cerere a Lavinio
411-425
Auguste HAURY, Une 195 avant J.-C?
427-436
« année de
la
femme »
à
Rome,
TABLE DES MATIÈRES
1069 Pages
Alain HUS, Stendhal et les Etrusques
437-469
Jean-René JANNOT, Les danseurs aux haches ou le ballet de Phinée. A propos d'un relief de Chiusi
471-485
Jean JEHASSE, Un lion étrusco-romain d'Aléria
487-495
Laurence JEHASSE, Autour du peintre d'Hésione ......
497-508
Henri LE BONNIEC, Au dossier de la lex sacra trouvée à Lavinium
509-517
Joël LE GALL, Evocatio
519-524
Marcel LE GLAY, Magie et sorcellerie à Rome au dernier siècle de la République
525-550
Michel LEJEUNE, Noms osco-ombriens des eaux, des sources et des fontaines . .
551-571
Ettore LEPORE, Timeo in Strabon V, 4, 3, C 242-243 e le origini campane Robert LEQUÉMENT-Bernard LIOU, Céramique étruscocampanienne et céramique aretine, à propos d'une nouvelle épave de Marseille
573-585
587-603
Eugenio MANNI, Su alcune recenti proposte di identifica zione di centri antichi della Sicilia
605-617
Guido A. MANSUELLI, II monumento di Porsina di Chiusi
619-626
Henri METZGER, Création consciente ou image greffée? A propos d'une figure de jeune dieu chthonien des arts de l'Italie méridionale
627-640
Alain
MICHEL, Entre Thucydide et Platon: éloquence et morale chez Salluste
.,
Arnaldo MOMIGLIANO, The date of the first Book of Maccabees Jean-Paul MOREL, Sur quelques aspects de la jeunesse à Rome . . . ,
641-655 657-661 663-683
Jean-Pierre NÉRAUDAU, L'exploit de Titus Manlius Torquatus (Tite-Live VII, 9, 6-10) (réflexion sur la iuventus archaïque chez Tite-Live)
685-694
Claude NICOLET, Tessères frumentaires et tessëres de vote
695-716
Antoinette NOVARA, Sur le pouvoir: un chapitre polvbien de Salluste (à propos de Cat, 2, 1-6) . ,
717-729
1070
TABLE DES MATIÈRES Pages
Jean-Marie PAILLER, Raptos a Diis Homines Dici (Tite-Live XXXIX, 13). Les Bacchanales et la possession par les nymphes
731-742
Françoise-Hélène PAIRAULT-MASSA, Note sur la stèle CIE, I, 50 (Volterra) Massimo PALLOTTINO, Sul concetto di storia italica ...
743-769 771-789
Jacques PERRET, Athènes et les légendes troyennes d'Occident
791-803
Ambros Josef PFIFFIG, Der Beitrag Etruriens zum Kaiserheer des 1. und 2. Jahrhunderts
805-810
Gilbert-Charles PICARD, « L'homme à la fraise ». Histoire d'un thème décoratif étrusque
811-815
Danielle PORTE, Note sur les luperci nudi
817-824
Jean PRÉAUX, Caeli civis
825-843
Michel RAMBAUD, Les marches des Césariens vers l'Espagne au début de la guerre civile
845-861
Denise REBUFFAT-EMMANUEL, Un problème épigraphique italique: l'énigme de Rit
863-876
René REBUFFAT, Arva beata petamus arva divites et insulas
877-902
Giuliana RICCIONI, Immagini di Eracle e Teseo su di una kylix attica di Vulci
903-913
Jean-Claude RICHARD, Le eulte de Sol et les Aurelii: à propos de Paul. Fest. p. 22 L
915-925
Agnès ROUVERET, Les oiseaux d'Ugento
927-945
Robert SCHILLING, Les Lares Grünaues
947-960
Romolo A. STACCIOLI, Considerazioni sui complessi monum entali di Murlo e di Acquarossa
961-972
André TCHERNIA, L'atelier d'amphores de marque Sex Domiti
Tivissa
973-979
Jean-Paul THUILLIER, La frise de Capoue
lébès
gravée du
et la
Barone
Etienne TIFFOU, Notes sur le personnage de Romulus . Mario TORELLI, trasmissione
Glosse
etrusche:
qualche
Robert TURCAN, Encore la prophétie de Végoia
problema
.
. di
981-990 991-999 1001-1008 1009-1019
TABLE DES MATIÈRES
1071 Pages
Georges VALLET, Avenues, quartiers et tribus à Thourioi, ou comment compter les cases d'un damier (à propos de Diod. XII, 10 et 11)
1021-1032
Pierre WUILLEUMIER, L'empoisonnement de Claude .
.
.
.
1033-1034
Hubert ZEHNACKER, Les nummi novi de la Casina .
.
.
.
1035-1046
Fausto ZEVI, L'identificazione del tempio di Marte in Circo e altre osservazioni
1047-1066