COLLECTION DIRlG:EE PAR CHARLES
KANNENGIESSER
Le Moyen Age et la Bible sous la direction de
Pierre Riche - Guy Lobric...
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COLLECTION DIRlG:EE PAR CHARLES
KANNENGIESSER
Le Moyen Age et la Bible sous la direction de
Pierre Riche - Guy Lobrichon
BIB L E DE
Taus LES
BEAUCHESNE OUVRAGE DU
PUB L I E
CENTRE
AVEC
NATIONAL
LE DES
CONCOURS LETTRES
Lisle des collaboraleurs
EDINA BOz6KY MARIE-CHRISTINE CHARTIER JEAN
CHATILLON
JACQUES DUBOIS FRANC;:OIS GARNIER
UniversitC de Montreal Agregee d'histoire, Paris Institut catholique de Paris Ecole pratique des Hautes Etudes, Paris Institut de Recherches et d'Histoire des Textes, Orlians
JEAN GAUDEMET ARYEH GRABOIs
Universite de Paris
PIERRE-MARIE GY
Institut catholique de Paris
THOMAS M. IZBICKI MICHELINE LARES YVES LEFEVRE ROBERT E. LERNER LAURA LIGHT LESTER K. LITTLE GUY LOBRICHON JEAN LONGERE PIERRE PETITMENGIN PIERRE RICHE MARY A. ET RICHARD H. ROUSE MARC VAN UYTFANGHE ANDRE VAUCHEZ JACQUES VERGER MICHEL ZINK
UniversitC de Haifa UniversitC de Californie, Berkel~ Universite de Paris XII UniversitC de Bordeaux Northwestern University, Evanston, III. Universite de Californie, Los Angeles Smith College, Northampton, Mass. College de France, Paris Centre national de la Recherche scientifique, Paris Ecole normale superieure, Paris UniversitC de Paris X UniversitC de Californie, Los Angeles Universite de Gand UniversitC de Paris X Ecole normale superieure, Paris Universite de Toulouse - Le Mirail
Table des matieres
Introduction
II
Monique Duchet-Suchaux et Yves Lefevre
Les noms de la Bible
13
LE LIVRE La Bible a travers les inventaires de bibliotheques medievales 2. Versions et revisions du texte biblique 3· Une nouveaute : les gloses de la Bible 1.
4· La concordance verbale des Ecritures 5· Les traductions bibliques : l'exemple de la Grande-Bretagne
Pierre Petitmengin Laura Light Guy Lobrichon Mary A. et Richard H. Rouse
115
Micheline Lares
12;
3I
55 95
ETUDIER LA BIBLE 1.
2. ;. 4· 5·
Instruments de travail et methodes de l'exeghe a l'epoque carolingienne La Bible dans les Ecoles du xn e siecle L'exegese de l'Universite L'exegese rabbinique Comment les moines du Moyen Age chantaient et goutaient les Saintes Ecritures
Pierre Riche Jean Chatillon Jacques Verger Aryeh Grabols
147 16; 199 2;;
Jacques Dubois
261
Le Mqyen Age et la Bible
10
VIVRE LA BIBLE 1.
LE GOUVERNEMENT DES HOMMES
Presence de la Bible dans les Regles et Coutumiers 2. La Bible dans les Collections canoniques 3· La Bible et les canonistes 4· La Bible et la vie politique dans Ie haut Moyen Age
INTRODUCTION
1.
II. 5· 6. 7· 8. 9· 10.
Marie-Christine Chartier Jean Gaudemet Thomas M. Izbicki Pierre Riche
LA PASTORALE
L'imagerie biblique medievale Les apocryphes bibliques ModeIes bibliques dans l'hagiographie La predication en langues vernaculaires La predication en langue latine La Bible dans la liturgie au Moyen Age
Fran~ois Garnier Edina Bozoky Marc van Uytfanghe Michel Zink Jean Longere Pierre-Marie Gy
BIBLE ET NOUVEAUX PROBLEMES DE CHRETIENTE Monnaie, commerce et population La Bible dans les confreries et les mouvements de devotion 3· Les communautes heretiques I.
Lester K. Little
2.
555
Andre Vauchez Robert E. Lerner
Conclusion Abreviations des livres de la Bible Sigles utilises Bibliographie Index scripturaire Index des manuscrits Index des noms propres
620
621
Le titre de ce volume n'a pas ete choisi au hasard. Nous n'avons pas voulu etudier la Bible au Moyen Age en presentant seulement Ie travail des clercs et des moines, lecteurs et commentateurs des textes sacres, mais nous voulons montrer comment au Moyen Age on a re~, compris la Bible, quelle a ete l'influence de l'Ecriture sainte sur l'enseignement, les institutions, les mentalites medievales. Vaste programme, projet ambitieux voire demesure. Depuis des travaux anciens en Allemagne et en France, des colloques sur la Bible medievale ont ete organises en Italie, en Belgique, un volume collectif a vu Ie jour en Angleterre1 • Mais beaucoup des etudes ont davantage ete consacrees a l'etablissement du texte biblique, aux manuscrits, aux traductions en langue vulgaire et surtout a l'exegese2 • Le renouveau d'interet pour l'histoire de la Bible au Moyen Age est certain comme en temoignent les innombrables articles et livres dont nous n' avons retenu que les principaux et les plus recents dans la Bibliographie qui termine Ie volume. Certes, ce n'est pas dans la limite de ces pages que nous avons pu couvrir tout Ie champ d'un vaste programme. Nous avons demande a quelques specialistes frans:ais et etrangers, historiens, philologues, liturgistes, historiens du droit et de l'art, etc., de donner un chapitre qui correspond a leurs propres recherches. Nous avons divise l'ouvrage en I. Cambridge [5]. z. De LUBAC [II];
SMALLEY
[15].
12
Le Moyen Age et /a Bib/e
quatre sections pn!sentant d' abord Ie Livre puis son etude depuis Ie haut Moyen Age, ensuite en troisieme lieu nous avons montre comment la Bible a in£lue sur Ie comportement et les institutions et comment les responsables de 1a pastorale ont utilise la Bible, enfin la derniere section est consacree a. la place de la Bible vis-a.-vis des nouveaux problemes de la Chretiente. est certain qu'~u ~oment ou debute Ie Moyen Age, la Bible connait deJ.a une; longue hi~tolre. Le volume consacre a. la patristique latine qUl parrutra 1?ar la sUlt,e ~era une introduction a. notre ouvrage. En accord avec ceux qUl nous precedent dans Ie temps nous avons choisi Ie vue siecle comme date de depart. C'est en efl"et a. cette epoque que l'Occident c~mmence a. pr.endre son visage medieval. C'est en efl"et alors qu'apparrussent dans blen des domaines les traits constitutifs de cet Occident qu~ l'on c?mmen~e a. appeler l'Europe. De nouvelles structures politiques, soclales, econoffi1ques, religieuses sont etablies. Apres la conversion des Anglo-Saxons, les Iles britanniques entrent dans la chretiente qui commence a. s'edifier. Les moines insulaires etablissent des liens durables entre les Iles et Ie Continent. Alors que la Mediterranee n'est plus Ie centre de gravite de l'Occident, il faut maintenant regarder vers Ie nord pour voi~ s'etablir une sorte de Mediterranee nordique, lieu d'echanges de prodUlts, d'hommes, d'idees entre les pays riverains de la Manche et de la mer du Nord. Mais les differents auteurs des chapitres du volume ne ,se sont pas !nterdit d~ faire quelq~es i~cursions dans les periodes qui precedent la notre, de meme ceux qUl trruteront de la Bible au xvre siecle devront remonter vers la peri ode medievale. L'histoir.e ~e la Bible est co~e celIe d'un long £leuve qui parcourt Ie temps et lr:-lgue de fas:ons vanees les champs de chaque periode. Les clercs, les m01nes et les laks y puisent chacun a. leur fas:on dans la fidelite d'une tradition ecclesiale. Si ce livre suscite d'autres etudes et fait progresser la recherche, notre but sera atteint.
Les noms de la Bible
,..II
En latin, les Livres saints, dont l'ensemble est a. present denomme couramment la Bible, n'ont pas ete designes par un seul terme au Moyen Age. Le mot grec Biblia, neutre pluriel designant l'ensemble des livres qui constituent la Bible, a donne plusieurs mots latins, dont Ie curieux bib/iotheca, si souvent utilise. C'est surtout l'aspect materiel du volume qu'evoque au premier abord ce mot qui signifie « collection ou depot de livres » et a donne lieu a. de nombreuses discussions l . Isidore de Seville, au vue siecle, dans ses Etym%gies (VI, 3) l'utilise dans son explication de la remise en ordre de l' Ancien Testament: « Le scribe Esdras, dit-il, apres l'exil et l'incendie des livres de la Loi par les Chaldeens, reconstitua, sous l'inspiration de l'Esprit divin, l'ensemble de l'Ancien Testament (bib/iotheca Veteris Testamenti); une fois les Juifs rentres a. Jerusalem, Esdras corrigea les textes corrompus de la Loi, et constitua en vingt-deux livres l'ensemble de l' Ancien Testament, pour qu'il y eut autant de livres que de lettres de l'alphabet [hebreu]. » Que ces livres soient separes ou relies pour constituer l'Ancien Testament, Ie mot est ici compris comme designant un tout, une unite2 • L'explication d'Isidore I. o. l'article de A. MUNDO, « Bibliothe&a », Bible et lecture du Careme d'apres saint . . BenOit, dans RB, 60, 1950, pp. 65-92. 2. Sur la Bible d'Isidore, cf. T. A. MARAZUELA,« Algunos Problemas del Texto Blblico de Isidoro », dans Isidoriana, Leon, 1961, pp. 153-191.
14
Le Mqyen Age et la Bible
est reprise textuellement au xn e siecie par Hugues de Saint-VictorS. Bibliotheca designe souvent d'ailleurs un volume (codex) contenant les divers livres bibliques, conc;u sous son aspect materiel : ainsi, au debut du IXe siecie, dans les Gesta abbatum Fontanellensium la« Geste des abbes de Fontenelle» (Saint-Wandrille), nous est present6e« une tres belle Bible» (bibliotheca oplin/a) « contenant l'Ancien et Ie Nouveau Testament, dont les prefaces et Ie debut des livres sont decores de lettres d'or. » En survolant les siecies, et en glanant de-ci de-la, nous nous apercevons que Ie mot bibliotheca represente un seul volume considere sous son aspect exterieur ou son contenu, cela depend. Nous trouvons l'equivalence entre codex, Ie volume, et bibliotheca dans une anecdote rapportee par Ie moine Raoul Glaber, dans ses Histoires, au XIe siecie : Ie saint abbe de Cluny, Maleul, a ete capture par les Sarrasins au retour d'un voyage a Rome; l'un de ceux-ci « posa Ie pied sur Ie volume (codicem) que Ie saint homme de Dieu avait coutume d' emporter touj ours avec lui, c'est-a-dire la Bible» (bibliothecam videlicet) 4. Gilles de Paris, a la fin du xne siecie, dans un poeme d'introduction a I' Aurora de Pierre Riga, ne s'exprime pas differemment, lorsqu'il parle de « ce livre qui est appele Bible » (eo libro, qui bibliotheca vocatur). Lorsque la chronique de Morigny, elle aussi au xn e siecie, parle de cette bibliotheca tout entiere, « de la Genese jusqu'a la derniere epitre de Paul », il peut s'agir du volume ou de l'ensemble des Livres saints, tout comme dans la chronique de Saint-Pierre de Sens : « On fit ecrire a part Ie Pentateuque de MoIse; c'est-a-dire la premiere partie de la Bible (bibliotece), pour que les freres ne succombent pas sous Ie poids de tout Ie volume» (de nouveau bibliothece). Dans une enumeration de livres liturgiques, a la fin de ce meme siecie, Richard de Saint-Victor emploie Ie terme de bibliotheca, en parallele avec les homeliaires et autres . 3· Cett~ citation d~ Hugues de SAINT-VICTOR, comme la plupart des textes cites par la
s~te, proYlent du fichier du Nouveau Du Cange (Institut de France), ou des divers diction-
nalres natlonaux de latin medieval qui ont deja publie la lettre B. Nous avons particulierement utilise: - Ie Mittellateinisches Worterbuch, Munich, 1967, art. « Biblia» et « Bibliotheca», I, 10, c. 1461 1462. et 1462.-1463; - Ie Di~tionary of Medieval Latin from British Sources, London, 1975; - Ie Dlctionnaire de latin medieval de Boheme et de Moravie (Latinitatis medii aevi lexicon Bohemorum), Pragae, 1977; - Ie Glossarium mediae latinitatis Sueciae, Stockholm, 19 68 • Pour tout ce qui con~erne ~es dictionnaires et glossaires de latin medieval, on peut c<:,ns~ter Ie r~marquable bilan faIt par A.-M. BAUTIER, « La lexicographie du latin medieval, Bilan InternatIonal des travaux », dans La lexicographie du latin medieval et ses rapports avec les recherches actuelles sur la civilisation du Ml!)'en Age, Paris, 1981 (Colloques internationaux du CNRS, nO 589), pp. 433-453. 4· Notons que l'editio~ d.e M. PROU, Radulfus Glaber, Historiarum sui temporis libri quinque (9 8 7- 1044), donne Ie mot biblzotheca (I, IV, 9, p. II), alors que la Patrologie de MIGNE au t. 142., col. 619D, transcrit biblia, ce qui semble invraisemblable a cette date.
Les noms de la Bible traites, et en opposant ce mot a Scriptura divina, Ie contenu de la Bible: « C'est par paresse et par indolence qu'ils ne connaissent pas les saintes Ecritures, car les eglises sont pleines de bibles (bibliothecis), homeliaires et autres traites. )} Jean Beleth, dans son traite de liturgie, au xn e siecie, souligne l'ambiguIte du terme : « Ce mot de bibliotheca est equivoque et homonyme a la fois de celui qui designe Ie lieu OU sont places les livres, ... et du grand volume OU sont rassembles tous les livres de l' « Ancien et du Nouveau Testament» (magnum volumen compactum ex omnibus libris Veteris et Novi Testamenti) 5. Un dicton resume cette incertitude et cette confusion : « Bibliotheca mea servat meam bibliothecam. » Nulle ambiguIte cependant, lorsque la Vie de sainte Gertrude (texte du vne siecie) nous affume que la sainte avait « enferme dans sa memoire presque tout Ie texte de la loi divine» (pene omnem bibliothecam divine legis) ~ Le terme est meme employe sew, lorsqu'il nous est dit que l'eveque de Vienne, Didier (vue siecie), etait« un homme raffine par sa connaissance de l' ensemble de la Bible)} (eruditione universe bibliothece politus). Quant a la bibliotheca de saint Jerome, mentionnee par un chroniqueur du XIe siecie, elle designe Ie texte latin, traduit de I'hebreu (secundum hebraicam veritatem). 11 en est aussi question dans Ie Verbum abbreviatum de Pierre Ie Chantre, dans les dernieres annees du xue siecie : « Jerome en une seule annee expliqua a Paula et a Eustache la Bible tout entiere (totam bibliothecam) selon les quatre sens6 , historique, alIegorique, moral et anagogique. » Entin, dans sa Chronique, vers I I 50, Otton, eveque de Freising, designe l' Ancien Testament par l'expression bibliotheca Judeorum. En relation aussi avec Ie mot grec biblion, on trouve biblus, qui apparait uniquement en poesie et, semble-t-il, rarement apres Ie x e siecie. 11 peut etre utilise sew ou avec un adjectif : quadrati Bibli et evangelicus biblus designent bien evidemment les Evangiles, tandis que Ie mot utilise sew dans un poeme du VIne siec1e se refere a l'Ancien Testament ou a une partie de celui-ci (a savoir Ie Pentateuque) : mosaica carmina bibli. Ermold Ie Noir, dans son poeme en l'honneur de Louis Ie Pieux, fait allusion a l'enseignement puise dans les livres sacres : « En lis ant tous les livres de la Bible, rec;ois I'heritage de l'enseignement nouveau et ancien» (pedectis / accipe biblis testamenta novi dogmatis ac veteris). 11 est a noter que testamentum est utilise ici dans un sens different de son
5. Le texte de Jean Beleth est emprunte a l'edition de H. DOUTElL, Summa de officiis ecclesiasticis Johannis Beletb, Tumhout, 1976 (Corpus christianorum. ConJinuatio mediaevalis, 41 et 41A) 60, 8, p. 109; car l'edition de la Patrologie (t. 2.02., col. 66 B ) est differente en de nombreux passages - dont celui-ci. 6. a. H. De LUBAC [II].
16 acc~ption
Le Mqyen Age et la Bible
habituelle et que c'est Ie mot dogma qui represente Ie Testament anClen et nouveau. Paul Alvar de Cordoue, poete du IXe siecle, mentionne les bis septem Pauli bibli, c'est-a-dire les epitres de saint Paul, depuis la lettre aux Romains jusqu'a l'epitre aux Hebreux. Au xe siecle, dans son poeme sur Ie siege de Paris par les Normands (II, 614), Abbon de Saint-Germain parle du « Christ, dont la Bible ~rophet~sa~t a son sujet, temoigne de sa naissance », en designant le~ hvres blbliques par Ie terme de Bibli (Christi, cuius quoque vates I nasci testantur bibli). II semblerait logique de se pencher ensuite sur l' emploi du mot Biblia mai.s 11 appar~t tellement tard qu'il convient d'examiner auparavan~ Scrzptura. Ne disons-nous pas, nous aussi, l'Ecriture ? L'Ecriture sainte, en effe~, est designee par saneta, divina, ou meme, tout a la fin du xne siecle, theo/~gtca dans une phrase de Lambert d'Ardres, pour qui les textes de la Blble SO?t aussi les historiae divinae. Remarquons au passage que Ie mot ~heologla, dans Ie s~ns de theologie, n'a ete utilise par Abelard, Ie premler, que quelques dizaines d'annees plus tot. Revenons quelques. siecles en arr.iere : dans les MoraNa in Job, Gregoire Ie Grand parle de Scrlptura ou Scrtptura sacra: « La sainte Ecriture est une nourriture pour nous » (Scriptura sacra nobis est cibus). Cette metaphore se retrouve tres frequemment ; les textes sacres dans leur ensemble « nourris~ent par l'action de l'Esprit-Saint qui, pa;tout present en ce~ textes, aglt efflcacement en nous, en nous parlant ». C'est ce qu'affirme Pas~hase ,R~dbert au IXe .si~cle, dans son traite sur Le corps et Ie sang du ChrIst, ou 1 on peut aUSSl lire que « nous sommes nourris par Dieu au fond de nous par l'enseignement de la doctrine sacree des Ecritures » (sacr~men~o S cripturarum erudiendo divinitus introrsus pascimur). . L Ecntur~ est la .source de tout enseignement; elle nous parle, elle « dlt », selon 1 expresslOn tres frequente chez Ie pape de l'an 1000, Gerbert o~ chez l'eveque de Chartres, Yves, pour ne citer qu'eux, mais en n'ou~ bliant pas de mentionner au passage l' expression du moine Gottschalk d'Orbais, au IXe siecle : « L'Ecriture sainte crie par la bouche de l'apotre Paul ~t, dit.:. » (Scriptt~ra divina per os apostoli Pauli clamat et dicit... ). Sll Ecrlture nous lnstruit et nous forme, c'est, selon Rupert de Deutz au XI~e siecle, ~ans son Traite sur I' Esprit-Saint, « qu' elle est la seule parole de Dleu, l'uruque, semee dans les ames et transmise par les signes que sont les lettres ». Encore faut-il savoir l'aborder, la lire, l'etudier, mais comment Ie faire correctement ?« Celui qui lit l'Ecriture sainte de maniere correcte la comprend », affirme l'eveque de Chartres Fulbert au Xle siecle. Toutefois cela ne parait pas evident a tout Ie monde. Dans une lettre a Eginhard, au temps de Charlemagne, l'abbe Loup de Ferrieres ne dit-il pas que Ie futur archeveque de Sens « l'avait adresse a l'abbe de Fulda,
Les noms de la Bible Raban Maur, pour qu'il res:oive de lui l'acces aux divines Ecr~t~es » (ad venerabilem Rhabanum directus sum uti ab eo ingressum c~perem dzvmarum ihturarum). 11 eprouvait Ie besoin d'etre guide pour lire reete, comme r 'J' sc _tr, disait l'eveque Fulbert. Cette methode de 1ecture d' Olt en t:Ilet etre de'finie, e nous explique Hugues de Saint-Victor au ~li~u du xn si~cle, dan.s son traite Ie Didascalicon. « Beaucoup de ceux qUl lisent les Ecntures g~~s~nt dans diverses erreurs, faute de posseder Ie fonde~en~ de la vente ?> (vides multos scripturas legentes quia fundamentum verttatts non ~abe~t, In errores varios labi) , d' ou la necessite d'une methode, pour etablir ce fondement. 11 faut en effet, continue Ie chanoine de Saint-Victor, ne pas s'arreter au sens litteral « qui peut n'avoir aucune signification, bien que Ie sens des ~ots soi: evident, et ceci se produit en de nombreux endroits de la samte Ecnture ». « 11 faut scruter avec Ie plus grand discernement les passages de la divine Ecriture qui ne peuvent etre Ius selon Ie sens litteral » .(Ioc~ in divina pagina que secundum litteram legi non possunt, que magna dzscrettone discernere oportet). C'est alors qu'il faut appliquer les quatre sens de l'Ecriture (cf. n. 6), et se faire guider par un magister ou un lector. Remarquons en passant que l'Ecriture est ici designee par divina pagina, cornme nous Ie verrons plus loin. « L'Ecriture est donc la seule verite, c'est la « loi divine, et Ie clerc cloitre doit se consacrer entierement a sa lecture, » selon Philippe de Ha~engt, au d.ebut ~u xme siecle (lex ~ivina, Scriptura ~acr~ .est, in cuius lecttone claustralts clertcus totus debet versarz); c est la leetzo dZVlna. « Tout ce qui est dans la sainte Ecriture est vrai » (quicquid in sacra Scriptura continetur, verum est), dim saint Thomas. e . Pierre Ie Chantre l'exprime de maniere poetique a la fin du xn s!ecle, en comparant l'Ecriture a « un bateau sur lequel n~us devons frore ~a traversee » (Saera Scripturn est navis nostra, qua transIre debemus), tandls que pour saint Bonaventure, l'Ecriture est une « cithare ». « Le champ de l'Ecriture deborde de preceptes et d'exemples », ecrit Loup de Ferrieres dans sa lettre a Eginhard deja menti~ru:ee. Quant au maitre, Abbon de Fleury,« i1 a plante au cceur de son ~sC1ple. (Gauzlin de Fleury) les £leurs de la sainte Ecriture » (inerant elUs cordz Abonis magistri prolati sanetae Scripturae flores boni); c'est ce que nous dit l'abbe Helgaud dans sa Vie de Robert Ie Pieux. ., Utilisant les divers qualificatifs que nous avons mentlOnnes, plusieurs commentateurs les justifient. C'est ainsi que Robert de Melun, maitre parisien de la seconde moitie du xrre siec1e, explique da~s un passage de son Commentaire sur I' epitre aux Romains : « .Les Ecntu~es (Scripturae) dans lesquelles i1 est question de l'Incarnatlon .du Christ Sont sacrees a cause de la verite immuable qU'elles contlennent ». Robert de Melun utilise aussi, comme beaucoup de ses devanciers, Ie terme de « divin » : « livres divins » ou « livres des divines Ecritures ».
18
Les noms de la Bible
Le Moyen Age et la Bible
Et la Glose ordinaire, dans une preface aux Psaumes, affirme qu'il « n'est rien dans la divine Ecriture qui ne concerne pas l'Eglise ». o I?ivina ou sacra Scriptura est souvent utilise avec Ie mot pagina, qui slgrufie texte ou passage, comme l'ecrit dans ses Histoires, Richer, moine de Saint-Remi de Reims au x e sU:cle : « Apres les textes de la sainte Ecriture qui furent ici Ius et discutes » (post sacrae Scripturae paginas). Accompagne d'un qualificatif ou du nom d'un apotre ou d'un evangeliste, ce terme designe un texte du Nouveau Testament : « Si nous en venons aux textes evangeliques, nous lisons » (ad paginas evangelicas) , ecrit Yves de Chartres dans une lettre des dernieres annees du xre siecle ' tandis qu'on parle aussi de la pagina Pauli ou de la pagina Mathei. Pagina signifie aussi l'Ecriture, Ie texte de la Bible, accompagne ou non de commentaires, soit comme l'ecrit Pas chase Radbert dans son Commentaire sur I'evangile de saint Matthieu :« C'est un seul et meme Dieu que designent l'un et l'autre Testament» (unum eumdemque Deum utraque pagina designari) ou Robert de Melun, au xue siecle : divina pagina tam Veteris quam Novi Testamenti, ou pagina utriusque Testamenti. Dans ces quelques citations, l'equivalent exaet de ce terme serait plutot « Testament ». Rugues de Saint-Victor dans Ie De sacramentis parle, lui, des livres du Nouveau Testament qui, joints a ceux de l' Ancien, forment Ie « corpus » biblique (corpus divinae paginae). L'autorite de la sacra pagina est absolue, dit l'eveque Otton de Freising, parlant de l'abbe de Clairvaux, qui « prenait ses decisions, en se referant a l'autorite de la sainte Ecriture» (ex auctoritate sacrae paginae).« L'auctoritas est telle qu'il ne peut etre question de la soumettre a la ferule du grammairien », dit Jean de Garlande, au debut du xme siecle. II arrive aussi a pagina de designer l'objet qu'est Ie livre contenant Ie texte sacre « que ne laissait jamais tomber de ses mains cette moniale tellement assidue a sa lecture », dont nous parle un moine de Fulda du rxe siecle (ut... numquam divina pagina de manibus eius abscederet). Apparait enfin, au xue siecle seulement, Ie mot Biblia, qui n' est pas un neutre pluriel issu du mot neutre pluriel grec Bib/ia, mais qui est alors un substantif feminin singulier. C'est dans les dernieres annees du siecle que Pierre Riga, chanoine de Reims, compose l' Aurora, ou Biblia versificata; quelques annees auparavant, Pierre Ie Mangeur (Comestor), maitre parisien, avait compose une paraphrase de l'Ecriture, l'Historia scholastica, qui aura un succes si considerable qu'on la designera tres souvent durant les siecles suivants par Ie terme de Biblia. On ne peut manquer ici de se poser la question suivante : est-il toujours possible de faire Ie depart entre Ie texte biblique proprement dit, les commentaires ou gloses qui l'accompagnent, et les textes patristiques ? Vne notation d'un aete du xr e siecle relatif a la fondation du monastere de Muri en Suisse montre a quel point tout est mele : « On
fit ecrire les livres des Chroniques, d'Esdras, les sermons de saint Augustin, les Actes des Apotres, les lettres de Paul! » Le xure siecle voit naitre nombre de travaux sur Ie texte blbliq,ue, ion des traductions et des commentaires, parfois avec des rabbms, reV1Strole de la tradition et etude du vocabulOA alre. pparalssent aus si les ~:ncordances de la Bible (Conc?rda~~ae Bib/iae);, c' est~a-dire, se~o~ la definition du Dictionnaire de la joz ckretzenne ~n « :ep~rto1!e alphabetlque de toUS les mots utilises dans la samte Ecnture omdiquant pour chaq,ue root les passages ou il figure »7. Rugues de Samt-Cher fut Ie premler rdances. On note aussi un glossaire des termes hebreux aUt eur de Conco BObr} et grecs de la Bible (De hebraicis et grecis vocabults glossart~m t tac et un Vocabularium Bibliae de Guillaume de La Mare, po~ ~e clter que quelques titres au milieu d'un grand foisonnement. On declde des 12 36 que les Bibles doivent etre corrigees (Bibliae corrigantur) morau~, L a Bible est glosee, Ie texte est encadre de commenta1!es d' " lat historiques ou autres. Biblia glossata, dit Ie testament ~. eve que ang s du xme-siecle, enjoignant de la vendre (volumus quod Btblta nostra glossata 0
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vendatur). On ins ere des « postilles » : ce n;ot designe des. commentalres S~:71S, places apres certains passages, certatns mots (post tlla ~erba). Le Dl~tton naire de Du Cange explique que ce sont des notes margl~ales e~ contmues qui se developpent a la suite de ce:tains,mots d~~s la .satnte.Blble, et ~ue les maitres reprenaient pour les dieter a leurs eleves, ensillte, « post tlla verba », venait l'explication du maitre. . Vne chronique de 1228 parle d'Etien~e Lang~o~.qill« fit des postilles sur toute la Bible et la divisa en chapltres, divlslOn d<;>llt on. se sert maintenant » (hie super bibliam postill~s jecit e~ cam p~r caP:tula lu:bus nun~ utuntur modern;, distinxit). En 1238, tl est fatt mentlOn d un. ev~qu~ qill « ecrivit des postilles sur Ie psautier » (de A~exandro Cestrzensl eptscop,o super psalterium postillas scripsit). Rugues de Salnt-Ch~r, dont un ch~oru queur Martinus Oppaviensis ecrit en 1277 : « Le c~rdinal R,ugues aJouta des postilles a tout Ie texte ?e la Bib~e,. et fut a,ussl.le p~eml~r a~teur de Concordances» (Hugo ... quz totam Btbltam postzl/avtt), dit lill-meme que « les postilles de la Bible sont elaborees selon Ie quadr~ple s.ens : hi~t~ rique, allegorique, moral et anagogique » (p~stil/ae zn unzversa Blblt~ secundum quadruplicem sensum : historicum, al/egorzcum, moralem ,~t a~ag?g~ cum). L' epitaphe de Nicolas de Lyre, mort en I ?49, affirme qu 11 « ecnvl~ des postilles seion le sens litteral sur toute la ~l?l~ du comm.encement a 1a fin» (postiilavit enim Bibliam ad litteram a prznczpto usqueadjznem). ~ous avons vu apparaitre Ie verbe postil/are; quant au commentateur, t1 est 0
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7. Definition empruntee au Dictionnaire de la Foi cbretienne, t. I :« Les mots », Paris, 1968 , publie sous la direction de O. de LA BROSSE, A. Mo HENRY, et Ph. ROUILLARD.
20
Le Mqyen Age et la Bible
n?~me «. po~tillator » dans un texte tcheque du xve siecie (doctor ...
Btbltae untversttatis postillator). :'~~t du texte sacre q~'il est question lorsque Salimbene, a la fin du XIII. slecie, parl~ de la BIble lue en fran~ais vulgaire (totam Bibliam in galltco. vu'¥art legtsset). De meme sainte Brigitte, selon son proce:s de ca.nomsatl?n (fin du xlve-debut du xv e siecie), relisait assidfunent des VI~S ~e salUts et ~< ~a .Bi~le qu'elle avait faittraduire dans sa propre langue» (Btbltam quam slbt In lingua sua scribi fecit). I! n'en est pas moins vrai que Biblia peut aussi designer Ie volume P!utot que. son contenu, comme en temoigne sans doute une phrase d un chromq~eur tcheque du xv e siecie : « Sigismond, enlumineur de Prague, promlt d' enluminer une (ou la) Bible » (Sigismundus illuminator de ,~ra~a.:. promisit.:. bibliam.... iII~minare) .. De meme, dans l'enquete preli~n~lre au ~roces d~ canomsatton de salUt Yves a Treguier en 1330, un te~olU ~e deciare-t-1! pas que « messire Yves portait tout Ie temps s~r lUl un livre appele Bible, a ce qu'on disait » (continue deferebat unum /tbrum secum vocatum Bibliam, ut dicebatur) 8 ? . Quels que soient les termes utilises, ils peuvent tous designer Ie hvre ou son contenu, tout comme notre mot fran~ais « Bible ». Nous avons rencontre a plusieurs reprises les termes d'Ancien et d~ Nouve~u Testament: comme Ie dit Hugues de Saint-Victor9 , « la salUte Ecnture est nommee Testament, en se referant a la coutume des ~o~~es » : de meme que les individus qui n' ont pas eu d' enfants peuvent Jur~diquement en adopter, de meme« Dieu n'ayant par nature qu'un Fils u~que, a voulu. en adopter un grand nombre par grace » (testamentum dtcttur sacra Scrzptura humana consuetudine dante occasionem... : Deus unum sol:m .~ilium ~abens ex n~t~ra, multos voluit adoptare ex gratia). Deja, au VII slec~e, ~sldore de SevIlle dans ses EtyllJologies (V, 24) avait donne une explicatIOn parallele du terme de Testamentum. « Toute la divine Ecriture est contenue dans les deux Testaments ' l'Ancien et Ie Nouveau », ajoute Ie maitre victorin du xu e siecle. Quant au mot Evangelium, Jean Scot, qui a traduit les reuvres du Pseudo-Denys et connaissait donc Ie grec, l'explique ainsi : « C'est un mot grec, il signifie en latin bonne nouvelle, eu : bon, et angelum : nouvelle» (eu, bontlm,. angelum, nuntium). Pour conclure, il convient de jeter un coup d'reil sur l'ordre et Ie n~m des livres de l'Ancien Testament, et meme de l'ensemble de la BIble. Ils se presentent en fait dans l'ordre que nous connaissons. Isidore de Seville ~recisait que « les cinq Livres de Moise - Ie Pentateuque _ que les Hebreux appellent Thora, sont nommes Loi par les Latins ». 8: Arthur de LA BORDERlE, Monuments originallX de l'histoire tk saint YIIU 1887 (<< Processus de VIta », p. 66). ' 9· Hugues de SAINT-VICTOR, De scripturis et scriptoribus sacris, MrGNE, PL, 175, col. 19A •
Les noms de la Bible
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On peut aussi mentionner que les commentaires sur les premiers versets de la Genese, la Creation en six jours sont souvent appeles Hexameron, a. la suite de saint Ambroise. Terminons sur un poeme de onze vers, compose pour aider a memoriser les noms des livres de la Bible. C'est un extrait d'un manuscrit de la Bibliotheque municipale de Troyes, du xve siecie, provenant de l'abbaye de Clairvaux10• Plusieurs folios contiennent des poemes sur une partie de la Bible: quatrains sur Ie Pentateuque, par exemple. Un autre texte est intitule Ordo et nomina librorum Biblie. Le poeme que voici porte pour titre : In his versibus continentur libri Biblie
Est generans Exo. Levi. Computo. Deuteronomius losue. ludeux. Ruth. regum Paralipomenonque Esdra, Neemias, Thobias, Judith et Hester Job, Psalmus, Salomon triplex, Sapientie bina lsa. Iere. Treni. Baruch. Ezechiel Danielque Ose. Joel. Amos. Abdi. Jonas. Miche. Naum Abac. Soph. Ageus. Zacharias et Malachias Post Machabeos sumit nova gratia tempus Matheus. Marcus. hinc Lucas inde Johannes Ro. Co. Gal. Eph. Phi. Colo. Thes. Thimo. Ti. Philem. Hebr. Actus. Apocalipsis claudunt lacobum. Pe. 10. ludam.
Si I' on compare ce poeme a celui qui est consacre aux « noms des livres de la Bible », sur un folio voisin, il apparait comme moins complet : Ie Cantique des Cantiques, l'EccIesiaste et l'Ecclesiastique ne sont pas cites. Par contre, l'abreviation en une ou deux syllabes du nom de certains livres de I' Ancien Testament, du nom des prophetes et du titre des epitres pauliniennes donne quelque facilite sans doute pour les retenir! Le livre des Nombres est devenu Computo. Neanmoins, l'ensemble se reconnait fort bien et doit aussi se retenir sans trop de difficultes ! Avant Ie XIIe siecie, seuls les ciercs ont ecrit des textes relatifs a la Bible et comme ils n'ecrivaient qu'en latin, Ie vocabulaire biblique etait un vocabulaire strictement latin. A partir du xu e siecie, la litterature fran~aise s'est developpee de telle fa~on que des ouvrages profanes pouvaient faire des allusions a l'Ecriture sainte, alors que des ouvrages didactiques abordaient des questions religieuses et scripturaires, avant que paraissent les premieres traductions du texte sacre. Naturellement Ie fran~ais a utilise a propos des textes bibliques un vocabulaire decalque sur Ie vocabulaire latin. Scriptura, Sancta Scriptura, Divina Scriptura, Divina Pagina, Sancta Pagina, Biblia donnent : « I'escrit », « Ie saint escrit », « Ii devins escriz », 10. La transcription de ces folios du manuscrit 2013 de la Bibliotheque municipale de Troyes nous a ete fort aimablement communiquee par Colette }EUDY, que nous remercions chaleureusement. Le poeme retranscrit est au fO 2.
US noms de la Bible 22
Le Moyen Age et la Bible
« la sainte escripture », « les escriptures », « la devine page », « la sainte page », « la bible », « la vraie bible »; l'ancien Testament se dit « Ie vies bible (vies = vieux) ». Le frans:ais possede les termes « glose », « gloseor (glossateur) », « postille », « coment (commentaire) » et « comenteor (commentateur) ». Bien sur, ce vocabulaire connait des formes diverses selon les differents dialectes d' 011 et d' ~c. A titre d' echantillon, nous pouvons transcrire la table de la Bible historiale, traduction de la sainte Ecriture faite en 1297 : « Che sont chy apres li livre hystorial de Ie Bible qui en cest livre sont translate... : Prumierement est en cest livre translates li livres de Genesis; Et puis Exodes, Levitiques, Ii livres de Nombres, Deuteronomes; Li livres de Josue; Li livres des J uges; Les quatre livres des Rois; Les Paraboles Salemon; Li livres Job; Li livres Thobie et Jheremie et Ezechiel; Li livres Daniel, li livres Susane et les hystoires qui apres vienent; Li livres Judith et les hystoires qui apres vienent, si com vous les trouveres; Li livres Hester et les hystoires qui apres vienent, si com vous les trouveres; Li deux livres des Macabeus; L'istoire euwangelique et les Euvangiles »11. D'autres traductions plus anciennes comportent « Li Apochalisse ... apochalisse vaut autant com revelacions », « Ie livre de Salamon Ie rai, fiz de David Ie roi, Ie quellivre ron apele Sapience... Ie livre des Paraboles de Salamon Ie roi, ... Ie.> Proverbes de Salamon Ie roi »12. D'autres traductions plus tardives comportent « les Faiz des Apostres » ainsi que « les Epistles de saint Pol »13. Pour clore ces considerations sur l'onomastique et Ie vocabulaire bibliques au Moyen Age, nous ne pouvons pas resister a la tentation de presenter la liste alphabetique des livres de 1'Ecriture sainte tels qu'ils apparaissent dans 1'ceuvre encyclopedique de l'un des plus illustres maitres de Paris, Jacques Legrand, comprenant L'Archiloge Sophie (ecrit avant 1405) et Ie Livre de bonnes meurs (compose avant 1410), ce qui constitue une nomenclature frans:aise telle qu'elle s'etait constituee a la fin du Moyen Age14 : « Amos, Apocalipse, Bible (par reference a saint Jerome; autrement Jacques Legrand utilise 1'expression Sainte Escripture), Cantiques, Premiere epistre aux Chorintes, Seconde epistre aux Corintes, Daniel, Deuteronome, Ecclesiastes, Livre Ecclesiastique, Epistre aux Ephesiens, Esdras, Ester, Exameron (a propos du commentaire de saint Ambroise), Exode, Livre des fais (ou faix) des Apostres, Epistre aux Galathes, Livre de Genesis, Epistre aux Hebrieux, Livre r r. Cf. Samuel BERGER, La Bible franraise au Mqyen Age. Elude sur les plus anciennes versions de la Bible ecriles en prose de langue d'oil, Paris, r884, p. r66. I2. Ibid., pp. 96 et I 05. I3. Ibid., pp. r79 et 265. 14. Je dois cette liste it M. Evencio BELTRAN, qui a prepare l'edition de ces textes frans:ais ainsi que de l'ouvrage latin de Jacques LEGRAND qui porte Ie titre de Sophilogion. Qu'il trouve ici l'expression de rna reconnaissance.
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!lesterj~:' t~:=Ju~;, ~=~~eJ'='J~~ ~~~:' i~
L1V~ivre de' Levitique, Euvangile sainct Luc, Livr~ des ~achabees. ou ou
b
Malachiel (pour Malachie), Euvang1le sa:nct Mathieu,
Mach~e eU~ivre de nombres, Oseas ou Livre d'Osee, L1vre yaralopob s Psaultier (Commentaire de saint Augustm sur les Neetnl 'P enon rover e , R .) S h . ~ ~s) Epistre aux Rommains, Livre des Roys (ou 01S, op orne, L~:~:Thobie, Epistre a Tymothee, Ysays (ou Yasaie), Zacharie ». Monique DUCHET-SUCHAUX et Yves LEFEVRE.
LE LIVRE
La tradition Ie dit, Ie vocabulaire aussi, Ie Livre par excellence, c' est la Bible. Dans la culture des chretiens tout au moins et des juifs ; et deja avouons une limite de notre entreprise, qui met hors champ la Bible hebraique, dont pourtant l' on sent la presence durant tout Ie Moyen Age, parce que les chretiens jettent vers elle sans cesse des coups d'reil furtifs et vite reprimes. S'agit-il alors de la Bible latine, qu' on proteste aussit6t de la vitalite d'une culture grecque, depuis la Sicile jusqu'a la Pologne. II a fallu renoncer a trop embrasser, se cantonner dans Ie terroir deja immense de l'Occident latin. C'est que partout dans Ie Moyen Age la Bible est sensible, a portee de main, vivante, tant et si bien qu'on ne voit guere comment l'aborder, par quel moyen affronter Ie sujet. Le choix retenu ici est presque celui de l'archeologue a la quete des traces d'une vie materielle. Livre par excellence, la Bible est avant tout un objet, un materiau, un agregat de textes semes sur Ie parchemin ou Ie papier. Mais cet objet a pour particularite d'etre confectionne, entretenu et legue avec Ie plus grand soin, avec devotion meme : d'abord parce qu'il contient Ie code du christianisme, ensuite parce qu' entre les pages de ce code sommeillent d'innombrables potentialites que Ie Moyen Age occidental a su brillamment exploiter.
Le Livre 26
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Le Livre
La premiere section de cet ou ,. materielle de Ia Bible au Mo en A evra~e etalt vouee a l'histoire par de vastes jacheres inexprquee; :,~e~~ I.e cha~p en est occupe Ce n'est done qu'une histoire ' J , eSlgneral quelques-unes. vient du desir manifeste ch matlerlelle avortee, mais Ie salut ez tous es aute d . ' urs e Sulvre Ia trace u bon gibier, flairant I'h d meme ou Ies choses se °t~e et bses . creatures, ses institutions Ia alsent 0 stlnem t b' . . en ou len sont trop bavardes sur elles-meme C plutot une histoire de Ia St'e hnettel ~stolre .materielle est devenue '1' coogle apphq , '1 B'b utI lsateurs et manipulateurs celIe d uee a a, 1 Ie par ses transmission. ' e ses modes d emploi et de
r:
't Le circuit de I'enquete etal't al ors tout trac' L ., e ape est celle des bibil' th' e. a premIere . 0 eques et de 1 aValent souci, eux aussi de d'fi . . eurs responsables; ils Bible dans leurs armoir~s et e ru~ une. J~ste place, adequate, a Ia , ont ImagIne des t' d C . sys emes ment, car il faut bien org' aruser. e falsant P' P' e classeamorce .. etltmengin qUI ouvre 1 ' lerre . . . Ia suite de I'esqUlsse Ie LIvre de mains en main L' d es armOIres et fait passer ., s. a secon e phase t 11 d . es ce e u trl entre 1es d ifferentes versions de 1 Bl'bI l ' Durant tout Ie haut Mo ena A e e atlne, I~ choix du bon texte. en effet voyage en y. g , des verSlOns concurrentes ont , COexistence compi . Pourquoi l'une seule d'entre elles a-t-elle p rlS . 1e d essus;> alsante. Et autre proceda-t-on aces ,.. ,comment de temps a , . reVISIons du te t b 'bli ,x ~ 1 que, rendues necessalres par Ies malheurs d e 1 benjamine de notre equip L a tr~nsffilsslon manuscrite? La ' . e, aura LIght s' t u travaIl Ie plus pe'rl'IIe d ' es trouvee chargee ' ux sans oute cel 'd d successifs pour decider de l' th ,~ UI e presenter ces efforts " au entlClte d'un t 1 a malnterur, Sur Ia fi . d ' exte, a retrouver et 1 . 01 es manuscrlts ell " c aIr Ie Iabeur des maitre ' , ' e a pu alnSl mettre au 1 d'une Bible reellement ~!u~:le~::ers 1200-~2,~O, et I'apparition raissent Ies instruments . s une trolSleme phase appaIecteur ne saurait se pascom~~gno~s de Ia Bible, ceux dont nul de Ia Bible. Ces outils ser s . pretend parvenir a I'intelligence 'il £ 1 sont Sl nombreu encore, et notre chon s'est ' ur 1 x qu a a Iu trancher dances, parce que Ia seul porte sd es Gloses et sur Ies Concor" S1'bIes, mais aussi parce q ement es d synth'eses para1ssa1ent pos. ue ce sont eux e t ' . Ie destln medieval de la Bibl U ~ reprl~es cap1tales pour e. n caractere cur1eux de ces outils
est leur anonymat, presque toujours, et leur provenance collective, qui atteste Ie labeur d'une corporation, silencieuse ici mais triomphan partout. Et au terme de la chaine des operations effectuees te sur Ie Livre d'entre les Livres prend place une derniere phase, de la plus haute importance puisque sont en jeu la survie et la reproduction du christianisme : c'est Ie temps des traductions et adaptations de la Bible pour des publics malhabiles en latin ou de langue differente. L'exemple du domaine anglo-saxon, presente par M. Lares, montre a l'envi les difficultes, et aussi les enjeux de ces entreprises. L'aval de cette histoire, la diffusion en largeur, vers des en publics n'entendant pas Ie latin, eut merite, convenons- , beaucoup plus de place et d'attention. Pourtant, Ie sujet des traductions reapparait plus bas au fil des pages, tandis que livresl et travaux sur les traductions de la Bible ne manquent pas • Quelques e remarques suffisent ici. Tout d'abord, la lenteur avec laquell des langues romanes s'individualisent par rapport au latin commun de leurs origines explique assez l'apparition tardive de traductions romanes (Xle siec1e) ; reste que plusieurs siecies se sont ecoules entre Ie moment ou en Gaule on a cesse de parler latin et celui ou des traductions voient Ie jour, et entre-temps on ne sait guere de quoi etaient armes les c1ercs des eglises rurales pour comprendre et faire entendre la Bible. En dehors de l' espace roman, les choses etaient plus c1aires : dans les lles britanniques et les pays germaniques, on a traduit a l'usage des laics et des c1ercs aussi qui ignoraient Ie latin. Bede avait entrepris la traduction de l'Evangile de saint Jean, il fut suivi par d'autres (M. Lares). En Baviere, a Fulda, des moines se sont mis a l'ouvrage2 • Plus loin vers l'Est, Cyrille et Methode ont de meme procede a la traduction des textes sacres pour les Moraves. 11 est cependant significatif que l'experience n'eut guere de suite, en raison de l'hostilite du c1erge de Germanie3 • Sans aller jusqu'a evoquer l'aH'rontement entre chretientes, en 1. Voir ROST [14]; Cambridge [5], pp. 33 8-39 1 ; Bibel [2.], art. « BibelUbew:tzung », tut
col. 2,95-1°5. A. SCHWARZ, « Die Bibel und die Grundlegung einer frankischen Litera Bible [3], pp. 58-69; BibBI [2],97-9 8• 3, Cf. Bibel [2], 1°5·
», dans
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Le Livre
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latine et grecque, il est evident que partout l'autorite ecclesiastique craint que les traductions ne favorisent les heresies : la premiere traduction germanique n'avait-elle pas ete effectuee pour les chretiens ariens (Wulfila) ? Sur la demande expresse de laics, on traduisit largement les Psaumes au xn e siecle, mais aussi Ie Cantique des Cantiques4 • C'etait cependant rompre Ie cercle du controle clerical, et l'Eglise reagit vite, ainsi Innocent III dans une lettre celebre aux Messins, en 11995, ou Ie synode de Toulouse en 122 9 qui pour combattre la propagande cathare interdit les traductions en langue vulgaire. Plus tard, dans Ie nord de la France, on reproche aux Beguines d'utiliser la langue vulgaire pour lire la Bible6 • Sous Ie controle, on saisit donc une resistance organisee ; mais celle-ci est mal connue, et on ne sait guere ce qui distinguerait une Bible vaudoise d'une Bible catholique, sinon que la premiere peut etre en fran~ais et la seconde est necessairement en latin7 • Quant a l'histoire du livre-objet, en amont de la chaine, c'est un chapitre a ecrire. Car une Bible, un recueil des Evangiles, se sont vus reconnaitre pendant Ie haut Moyen Age des valeurs d'usage singulieres. Vne Bible de Charles Ie Chauve ou Ie Livre de Kells manifestent la gloire du donateur et celIe du beneficiaire ; des Evangiles font normalement partie du trousseau de l'eveque, qui ne se deplace pas sans eux, de meme que tout clerc charge d'eglise devrait en possederB. Mais entre cet usage nature! aux fins pp.
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., et lui ui fait deposer un Evangile de Jean de predicatlbon'd ~e t Cqthbert Ct 68 7), la difference se creus~9. d la tom e e sam u Im :~, est bien une fonction propit~atoire, qu' ~~ =~::~t :r~! ede e siecle au Livre d' Armagh, orsqu on e X . 10 sans succes , d' ailleurs . Sans parler de cet autre usage h' . , I Iml I ~nne , 'd d' ouvrir la Bible pour en extraire. une prop et~e~ tres repan u bb' ou un eveque elu. Le LIvre apparalt ICl " d'etre pendant Ie Pour un nouvel a e, 'il n'a sans doute guere cesse comme Moyen Acege,qlu. e slgne d'un pouvoir, sur les hommes et sur Ie temps. A
A
+ J. LECLERCQ, « Les traductions de la Bible et la spiritualite medievale», dans Bible [5], 26~-217. A c6te des traductions, il faudrait aussi analyser les paraphrases po6tiques, depuis
!:.~~~nd (compos.e entre 822 et 840) jusqu'a la fin du Moyen Age: voir J. R. SMEETS, « Les
ons-adaptattons versifiees de la Bible en ancien frans;rus », dans Les Genres littiraires t'M··S":;::-&8S Ibeologiques ~I Pbilosopbiques midiivale.r, Louvain-Ia-Neuve, pp. 5 GA:ERT, « Adaptattons et versions de la Bible en prose (langue d'oil»), ibid., pp. WAU........
1983,
2'-
i~
249- 2 8 ; 592
Rl!GoRY,. « The Twelfth Century Psalter Commentary in French for Laurette », dans BI~/e f5], pp. 109-126, et J. R. SMEETS, « La Bible de Jehan MaIkaraume », ; ~L2Zo-235,6 atnSl que Ie classique BERGER, La Biblefratlfaire au M~en Age, Paris, 1884. 78+ ,214, 95-699; lettre reprise dans les Dicritale.r de Gregoire IX, ed. FRmDBERG,
iIIiII.
II.
~3~' xxm, 197; voir Y. CONGAR, Jalons pour une tbeologie du laiGal, Paris, 1953, -:=~V;~Ott~'::-'.JIf11Itras, r~~Ilans-~ __~RudoIf NtiEsCH, AltwaltiensisGbe Bibeliibersetzung Ms. 3 tier Bibliotbeque I Berne, 979 : edition d'une Bible occitane, ecrite dans la zone du pp.
1
a la fin du XIII" siecIe (outre celie·d, deux autres Bibles occitanes ont ete COnnues). que do~s les bagages d'un eveque : PL, 139,841 ; liste _ plutot optimiste _ 1 POSseder tout pretre en AngIeterre au X" siecIe, PL, 1 39, 1473.
College.» en 1 1 77 a' la bataille 9 Manuscrit conserve, en Grande-Bretagne, it Stonyhurst crit « participa 7 ; ce mandie:(voir Tresors d'Irlande, Paris, Ga/eries I~. DUBLIN, Trinity ,Coll. Ie52,cadavre ecrit en e80son gar d :tJ;::;;:~.,;;t!;:.!nr;:::i:i:,s:. I9 32 I93J, Paris, 1982, nO 56).
-janvier
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La Bible atravers les inventaires de bibliotheques medievales
Sous Ie nom commode d'inventaires de bibliotheques medievales, on a pris l'habitude de regrouper un ensemble de documents tres divers, qui vont de la liste de quelques titres griffonnee sur une feuille de garde au catalogue exhaustif couvrant des dizaines de pages, du registre de pret a l'inventaire apres deces 1• A cote des manuscrits eux-memes et des reglements de bibliotheques2 , ce vaste corpus qui doit compter entre deux et trois mille unites constitue une source de premier ordre pour les historiens de la pensee et de la spiritualite du Moyen Age3 • Les publications de documents 4 et les etudes de detail sont legion, mais l'exploitation statistique des series, la bibliometrie comme on dit maintenant, ne fait que commencer5 et peu de savants ont eu l'audace de se
1. Les difIe.rentes categories de documents sont bien presentees dans A. DEROLEZ, Les catalogu4s tie bibliotbeques, Tumbout, 1979 (Typologie des sources du Moyen Age occidental, 31). Le repertoire fondamental reste celui de Th. GoTTLIEB [24], qui distingue entre les catalogues de bibliotheques proprement dits (761 numeros) et les documents mentionnant des livres (629 nume.ros). Dans notre expose nous faisons, sauf indication suppIementaire, implicitement reference aux editions citees par Gottlieb. 2. K. W. HUMPHREYS, The Book Provisions of the Medie1Jal Friars, I2IJ-I400, Amsterdam, 1964, pp. 18-82, etudie ceux en usage dans les ordres mendiants. 3. On trouvera un choix suggestif d'etudes, recentes ou anciennes, dans la bibliographie de B. GUENEE, Histoire et culture historique dans/'Occident mitlie"a/, Paris, 19 80, pp. 379-3 82 . 4. Mentionnons juste un recueil pratique, mais peu sUr : G. BECKER [19] et trois series qui, elles, presentent toutes les garanties voulues : MBKDS et MBKO [27], et MSV = Mitte/a/terliche SchatZllerzeichnisse, t. I, Munich, 1967. 5. Un travail de pionnier : J.-Ph. GENET, « Essai de bibliometrie medievale : l'histoire dans les bibliotheques anglaises», dans Revue fra11faise d'histoire du livre, I6, 1977, pp. 3-40 .
Le Livre A travers les inventaires de bibliotheques mMievales
risq~er a des p~esentations synthetiques 6 • En particulier, a part un essai, plutot anecdonque, de Hans Rost dans son gros volume sur La Bible 7 au Mqyen Age , personne n'a tente, a notre connaissance, de rechercher ce que ces inventaires pouvaient no us apprendre sur la place que tenait I:Ec?ture sainte dans les bibliotheques et, plus profondement, dans 1 uruvers mental des lecteurs medievaux. A vrai dire, cette prudence s'explique. Pourquoi se lancer dans une longue enquete si Ie resultat en est donne d'avance? Les auteurs d'un tres riche tour d'horizon sur les bibliotheques anglaises d'avant I7 00 disent l'essentiel en peu de mots : . « On pe~t considerer comme allant de soi que chaque bibliotheque, swva.nt, sa talll~, aura en sa possession une ou plusieurs bibles, ainsi que les differents livres en volumes separes, d'ordinaire gloses »8. <~ L~s catal~gues commencent presque toujours par des Bibles, en parnculier des livres gloses, si populaires au XIle siecle. Viennent ensuite ' d'ordinaire, les reuvres des Peres ... »9. Le cadre est ainsi trace: la Bible se rencontre partout, Ie Livre precede en general les autres livres. Est-il possible de donner plus de vie a ce tableau: ou de lui, apporter quelques. retouches ? N~)Us l'avons essaye en pranquant une sene de sondages qw nous ont condwt de la Renaissance ~~roli~gienne aux bibliotheques de la pleine Renaissance, juste avant que ~ lmp~lme ne suppIante Ie manuscritlO, et nous voudrions presenter, a partlf de leurs resultats, quelques remarques sur la diffusion de la Bible sa place dans les bibliotheques, son contenu et sa valeur pour les homme; de ce temps.
Apres la tourmente OU avait peri la civilisation antique, les dercs ont essaye de reconstituer des collections de livres et Ie fondement sur lequel iIs ont bati leurs bibliotheques naissantes, ~'est la bibliotheca par , 6. n y ~ ~?ujours profit a relire J. de GHELLINCK, « En marge des catalogues des bibliothequ~s medievales », dans. ~ee~/anea Fr. Ehrle, t. 5, Rome, 1924, pp. 33 1-3 63 (sur la Bible et les lns~~ent~ de travail blbliques, pp. 339-342) et P. KIBRE, « The intellectual interests
reflected In librarIes of the fourteenth and fifteenth centuries », dans The Journal of the Hi.rtory of Idea.r, 7, 1946, pp. 257-297 (specialement pp. 275-2 78). 7· H. ROST [14], pp. 150-161 : « Die Bibe1 in den Bibliothekskatalogen des Mitte1alters ». II y a naturellement beaucoup a glaner dans E. LESNE [26]. 8. R. M. WILSON, « The Contents of the Medieval Library », dans The Engli.rh Library before I7 0 0, Londres, 1958, p. 87. 9· Fr. WORMALD, « The Monastic Ubrary », ibid., p. 24. . 10..Nous n'a-y-ons pas ~borde les proJ:>U:mes specifiques que pose 1a presence, dans les lnventaue,s, de BIbles Imprlmees. Autre limitation : les traductions de la Bible en langues ~etnacu1rures, (sur .lesquelles on pourra consulter Cambridge [5], pp. 33 8-49 1) ne sont evoquees qu occaslOnnellement.
llence la Biblel l qu'ils ont dft parfois aller chercher tres loin. exce, , d l'A" L' odyssee du codex grandior de Cassiodore et de son des~e? ant,. miatmus, l2 est trap connue pour qu' on la repete ; on evoquera lCl,un salnt modest~, W ndrille qui fait apporter de Rome pour son monastere de Normandie , '1e et G" 1 a deux textes de base que sont la Blb regolfe 1e G ran dIS,une a~ance qui se retrauvera souvent. A sa suite, les differents abbes du VIlle et du IXe siecle dont les donations nou.s s.ont c,?~ues, par 1es C:esta abbatum Fontanellensium I4 ont chacun ennchi 1a blbliotheque de ~vres bibliques ou de commentaires, ecrits .souvent en ~ne Roma;ta Itttera ( omprenons sans doute l' oncia1el6) qw en rehaussalt Ie prestlge. . c La presence de cette pierre angulaire qu'est la Bible nous semble Sl naturelle qu'on est surpris de rencontrer d'assez nomJ:>reux catalogues OU elle n'apparait pas. La nature du document expliq~e souv:ent ce silence. II peut etre mutile accident.ellemen~, co~m~ l~s. lllv~ntalfe~ de Fulda au lXe siecleI6 ou au contralfe partlel des I ongllle . ~es. listes d'accroissements, comme celle des livres copies p~r. ~u pou~ Re?lllb~rt, bibIiothecaire de ReichenauI7 , ou celle des acqwsltlons faltes ~ SalntEmmeran de Ratisbonne sous l'abbatiat de Ramwold l8 , ne mentlOnnent pour ainsi dire pas de livres saints pour la bon?e raison qu~ les mona~ teres, deja bien fournis l9 , n'avaient pas ,b.es01n ~'e~emplalf~s supp~e mentaires. Parfois la preterition est mysteneuse, runsl dan~ llllventalfe de Saint-Vaast d' Arras au XIle siede20 ; parfois au contralre elle nous II. On connait Ie jeu de mots Bibliotheea mea .rervat meam bibl!othe:am, .cite dan~ l'article instructif de A. MUND6, « Bibliotheea. Bible et lecture de careme d apres srunt BenOIt », dans RB, 60, 1950, p. 7 8. d h C 'd ' 12. Bonne presentation chez J. W. HALPORN, « Pandectes, Pandecta an t e asslo orlan Commentary on the Psalms », dans RB, 90, 1980, p~. 296-298. . ' 13. Gesta abbatum Fontanellen.rium, 7 (MGH, ~S. zn u.rum sekolarum" t. 28, p. 1,5) . ~edlen.r .recum detuli! necnon et volumina diver.ra Sanetarum Scrlpturarum vetens ae novl Testament: max:meque ingenii beatis~imi atque apo.rtolici glorio.ri.r.rimi papae G~egorii., ., C l 14· GOTTLIEB [24], nOB 1033-1036 (presentation tres 11S1b1e chez H. OMONT, ata ogue general de.r manu.rcrit.r... , serie in-8°, t. I, 1886, pp. XVI-XIX). , d 15. Cette denomination, qui n'est pas relevee par B. BISCHOFF, « DIe alten Namen ~r 1ateinischen Schrifartten », in Mittelalterliehe Studien, t. I, Stuttgart, 1966, pp. 1-5.' ap~ara~, assez souvent en rapport avec des textes bibliques, dans des ~talo~~s (par ex. Srunt-P~re e) Chartres, XI" siecle : GOTTLIEB, nO 271; Notre-Dame de ParIS, XI" sle~le : GOTTL~? n 422 et dans des chroniques; cf. W. WATTENBACH, Da.r Schriftwe.ren im Mlttelalter, LeIpZIg, 1896, pp. 440 et 538. , Ii e 16. GOTTLIEB [24], nOB 59- 60. 17· MBKDS [27], t. I, nO 53 (accroissements entre 835 et 842); les textes bIb ques s , , , limitent a deux psautiers, sur 42 livres. 18. MBKDS [27], t. IV, nO 26 A (date de 993); en dehors de livres liturglques, on ne trouve de biblique qu'un volume contenant les Actes des Ap6tres, les Lettres de Paul et l'Apocalypse. IV ° 19. Ainsi que Ie prouvent 1es inventaires MBKDS, t. I, nO 49 (821-822) et t. , n 25
9~2~LIEB
liv:re~ bi~liques,
(ava;:. [24], nO 248. Il est difficile de croire que tous les dont certains subsistent encore aujourd'hui, etaient conserves en dehors de 1a blbli~thequda':mR~e Ie Suppose Ph. GRIERSON, « La bibliothequc: d~ Saint-Vaast d'Arras au xu" slecle », s , /2, 1940, p. II9 (<< dans l'eglise ou a 1a sacrlstle »). P. RICHE, G. LOBRICHON
2
34
Le Livre
semble eloquente. Si la Bible n'est pas nommee ou localisee dans les 674 ~uteurs et les 195 bibliotheques que recense Ie Catalogus scriptorum ecclestae de Boston de Bury21, c'est parce que sa presence, trop evidente ' . '" . ne mente meme pas qu" on s y" arrete : toute cette Imposante bibliogra-, phie n'a d'autre raison d'etre que de conduire, en signalant les bons auteurs et les bons livres, a une meilleure comprehension de 1'Ecriture sainte, dont l'introduction, nourrie de Cassiodore, d'Hugues de SaintVictor et de Vincent de Beauvais, a longuement detaille la structure. Meme reaction a Tegernsee a la fin du xve siecle : Ie volumineux catalogue alphabeti~ue d'Ambrosius Schwerzenbeck22 releve uniquement les doctores egregtt et leurs opuscula et scripta eximia. Cinq siecles plus tot, a une epoque OU les livres etaient moins courants, on avait, a la cathedrale de Wurtzbourg 23, indique les commentateurs de 1'Ecriture dans l' ordre des livres bibliques, mais aussi precise les exemplaires des textes sacres dont disposait la bibliotheque. Dne comparaison entre les collections de deux couvents dominicains va nous montrer d'une autre fas:on qu'il ne faut pas trop vite conclure du silence a l'absence. A Saint-Romain de Lucques, en 12 78, sur les 97 ouvrages recenses, plus des quatre cinquiemes etaient soit des livres bibliques (74), soit des instruments de travail : quatre concordances trois Ysto~ie,. un, Unum ex q~attuor24. En revanche, deux cents ans plu; t~rd, la blbliotheque de Satnt-Eustorge de Milan ne comportait que dix-sept livres de ces deux categories sur un total de 693 25• La presence de quelque 130 volumes de commentaires montre que les Dominicains ne se desinteressaient pas de la Bible, bien au contraire : seulement les religieux devaient avoir, comme dans d'autres couvents, des Bibles achetees avec l'argent de l'ordre ou pretees ad vitam26 et qui, gardees dans les cellules, ne figuraient pas dans l'inventaire de la Libreria. La Bible peut en eft'et se trouver bien ailleurs que dans les armoires ou les pupitres de la bibliotheque, comme Ie montrent des recolements 21. R. ~OUSE a montre que l'auteur est Ie benedictin Henri de KIRKSTEDE, bibliothecaire de B~y-Samt-E~unds .dans Ie troisieme quart du XIV" siecle, et Ie titre Catalogus de libris autenttcts et apoerifis : vOIr son article « Bostonus Buriensis and the Author of the Catalogus scriptorum ecclesiae», dans Speculum, 4I, 1966, pp. 471-499. Nous avons consulte Ie texte du Catalogus dans sa dissertation inedite (Ph. D., Cornell University, 19 63). 22. MBKDS [27], t. IV, nO 109 (14 8 3). 23· M.BKDS [27], .. t. IV, nO 129 (environ 1000). La disposition de la premiere partie (In Genestm.: Ambrostt exameron; Augustini... ; Hieronimi... , etc.) annonce l'index du CataI~gus : Nomtna doctorum qui scribunt super Bibliam. Super Genesim : Augustinus super Gensim ad Itteram ... , Ambrosius de operibus sex dierum ... , etc. (ROUSE, Cd. citee, p. 28 9). GoTTLIEB [24], nO 584 (= E. BALUZE, G. D. MANSI, Miscellanea, t. 4, Lucques, 17 4, pp. 24· 602-604). 6 , ~5· ?'apres l'inven~aire publie par Th. KAEpPELI, « La bibliotheque de Saint-Eustorge a Milan a la fin du XV" slecle [1494]», dans Archivum Fratrum Praedicatorum, 2/, 1955, pp. 5-74. 2.6 .. C[. K. W. HUMPHREYS, op. cit. (supra, n. 2), pp. 19-30 (bibliotheque personnelle du dorrurucam : achats, ventes, legs, etc.; dispositions speciales concernant les Bibles) et 34 (emprunts a la bibliotheque du couvent).
A travers les inventaires de bibliotheques medievales
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, eraux dont Ie plus ancien est sans doute celui de Saint-Riquier, gen , , . 1 p' 27 1 1 dresse en 831 sur l'ordre ~e 1 empereu~ ,Loms e leu~, ~t e pus detailIe peut-etre celui de Clteaux, comp~le en 1480 par 1 abbe Jean de apres sa remise en ordre des collectlOns 28 • On rencontre des textes · CIrey 1 ,. li 1 b 'bliques a la sacristie et dans l'eglise meme - es eplsto ers et es I 29 • • d ' , ngeliaires necessaires aux lectures de la messe ,malS aUSSl es evaneva 1 '1 des psautiers et des bibles entieres, sur lesque s on pretalt serment, gi es, . . .. J' d 30' a, l'occasion - au re£ectOlre, parnu les Itbrt legenat a mensam et Jusque d ns l'infirmerie : il y ayah deux psautiers, enchaines a celle de l'abbaye l 'apparalt que rarement dea Reading au xn e siecle31 • En revanche la Bl' ben 32 dans les bibliotheques scolaires , ce qui pourrait surprc:ndre quando on songe au role, bien att~~te a toutes l~~ epoqu.es, du psa~t1er. c?mme livre de lecture33 : au xv e slecle encore, I tnventaue de la Llbra1t1e de Bourgogne signale avec reverence celui OU saint Louis. avait appris a lire34• Sans doute l'Ecriture occupait-elle une place motndre dans Ie cursus « secondaire » auquel etaient destinees ces collections : on note tout de meme qu'a Saint-Gall un tome de l'Ancien Testament est depose ad scolam35 et qu'a la cathedrale du Puy 36 des gloses et l'explication des prologues apparaissent sous une rubrique Divina volumina vel eorum A
•
A
expositiones.
,
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Est-il possible de depasser Ie cadre forcement hnute d un~. eglise ou d'un monastere? Deux petits recueils de catalogues du nulieu du XIV e siecle nous permettent une excursion en Italie et une autre en Allemagne. En 1360, deux ermites de Saint-Augustin ~es:oivent. de leur general la mission d'inspecter les couvents de la provtnce de Slenne et
27. GOTTLIEB [24], nO 402. 28. GOTTLIEB [24], nO 275. , . 29· Etude terminologique, fondee justement sur Ie temOlgnage des catalogues, dans l'article« Epitres» du DACL, t. 5, 19 22 , col. 25 8-261. " "". 30 . Bibles destinees aux lectures du refectoire par exemple a Srunt-Amand (XII ~lecle). L. DELISLE Cabinet des manuserifs, t. II, p. 456, nO 254; a Durham (1395), Catalogt veteres ecclesiae cath~dralis Dunhelmensis, Londres, 1838, p. 80; ala cathedrale de. S~~ourg (1,433) : MBKO £27], t. IV, p. 5 I, nO 395; a Clairvaux. (1472) : A. VERNET, La blbllotheque de I abbaye de Clairvaux du XII" au XVIII" sitcle, t. I, Pans, 1979, p. 71, nOS 30-33, etc. 31. GOTTLIEB, nO 497 (= English Historical Review, ], 1888, p. 122) : Item IIII cathenata, duo in ecclesia, duo in infirmaria. .. 32. Les inventaires anterieurs au XIII" siecle sont utilises par G. GLAUCHE, Schullek!ure im Mittelalter. Entstehung und Wandlungen des Lekturekanons nach den Quellen dargestellt, Muruch, 197 0 (Ie mot« Bible» ne figure pas a l'index). . 33· a. P. RICHE, « Apprendre a lire et a ecrire dans Ie haut Moyen Age », dans Bulletm de la Societe nationale des Antiquaires de France, 1978-1979, pp. 194-198. 34· G. DOUTREPONT, Inventaire de la« librairie» de Philip1!e Ie Bon; Bruxelles,. 1906, p .. 171, nO 248 : Item ung ancien Psaultier de grosse lett~e, et -! est esertpt que c est Ie psautter Monseigneur Saint Lqys auquel il aprint en son enfance (= Leldensls, lat. 76 A). . 35· MBKDS [27], t. I, nO 16 (milieu du IX" siecle), 'p. 72,1. 4-5 : It~m pa:alzppomenon, Tobias Iudith Hester in volumine I /Jeteri ret d'une autre mam] ad scolam. Racme nest donc pas Ie prercier q~i ait songe a la valeur pedagogique du livre d'Esther. 36. GOTTLIEB [24], nO 379.
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Le Livre A travers les inventaires de bibliotheques mMievales
td·ls dressent de~ inventaires detailles des biens mobiliers et i b·li e chaque matson Les . di· ,. mmo t ers Bibles peuvent se ;esum:; d~::~;~a6~~~ s~=~~ :sur la presence de TABLEAU 1
Couvents
Bibles completes
Colle di Val d'Elsa Massa Maritima Montalcino Monticiano Sienne
2 2
Livres isoltfs
2 2 10
~:U~i~~~:;~~u;;a~~n!r!:r~~!e~etr~:e!:er:s.
r;:ommentaires, Instruments (dont concordances) 3 (I) 6 (I)
I (0) 2 (I) 28 (2)
Total des livres 51
71 II
54
220
exi~te
un e: i1 bien sur 1S dont la premiere est entierement reservee a la Bibl: ;t ~~ qqUl~e b,{;chae rassembles par les freres d'une communaute de b 'T £u~ ques vres partout au moins une Bible38 et tou· ours ,ase. o~te 01S on trouve dances facilitent l'acces a l'Ecritu J S. ,sauf a ~ontalctno, des concort. un travaIl de fond ne se conroit g uere qu'a St·enne, ou, se trouvereod'atlle d;. :r partout possible de mediter la Bible ur~, un stu l~m ~e~erale, i1 est preparer ses sermons. et y recourtr atsement pour A ~tisbonne au contraire, toutes les biblioth' d . ' 1'·. eques es stx couvents masculins dont on d D ,. a resse tnventatre en 134739 regorgeaient d B·bl eux etablissements semblent moin . h ., e 1 es. illusion d'opt!· . l I s rtc es, mats c est sans doute une que. e cata ogue des A ti . plet; q~ant a celui des Benedictins de Pr~1~~nngs ~;~Ul~Ottl°trdie~~~t incd~m tnventatre d 6 ' es V1Stons un decrites 40 D:~I e 5 sant rep~dre Ie prologue OU les Bibles etaient bibliques· da 1xemp es .~u, ont. a montrer Ie triomphe des etudes d A , ns eurs vartetes anctenne t benedictin de S· E e mo erne. u monastere atnt- mmeran sept pu ·tt reserves aux Libri text. ()' . pt . es sur trente-deux etaient Hum 1-2, aux DtVersl expositores (3- 6), surtout les 37· Fonde sur les inventaires publi' D sancti Augustini bibliothecis» dans ~ pr . GUTlli~z, « De antiquis ordinis eremitarum 220-222 et 301 -3 0 8. ' na ecta Augustmlana, 2}, 1954, pp. 186-188, 21 3- 21 7, 38.. A vrai dire incompleta in arvo volumine ' . . ,., quaternt concordantie super Biblia m~s p t. l· a(lfont,lclano, ou ~l n y a aussi que quinque 39. MBKDS, t. IV nO 30 ' (Saint-~ era letera ,UTI~R~Z, op. CIt., pp. 220-221). d'un ~talogue du XlIo'sU:cle), 42 (Priif=ranBeB~di~tns), 39 (~riill, Benedictins; reprise 45 (Satnt-Blaise, Dominicains) et 4 8 (Saint-l' n ~s), 44 (S~t-Sauveur, Franciscains), 40 • Nous en donnons la traduction auveur,. etmltes de satnt Augustin). en appendice, pp. 52-53.
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Peres de l'Eglise, meme si on y rencontte Pierre Lombard et Nicolas de Lyre, et enfin a la Biblia in partibus (32) qui clot Ie catalogue. Les dominicains de Saint-Blaise oftraient a leurs lecteurs quatte pupitres de textes gloses et de postilles (1-4) et un cinquieme a moitie rempli d'instrUments de travail : concordances, correctoire, dictionnaire. Si l'on remarque que leur bibliotheque ne comprenait que quatorze meubles, on voit que la proportion de Bibles etait encore plus forte chez les mendiants que chez les moines. Vne impression d'uniformite se degage. Certes, il y a eu les temps herolques OU avoir une Bible representait un tour de force41 ; sans doute, a certaines epoques, la lecture liturgique semble l'emporter sur la meditation personnelle, pour ne rien dire du travail exegetique42, mais a la :fin de notre periode Ie meme « stock biblique » semble se retrouver dans tout l'Occident medieval, de Saint-Augustin de Cantorbery43 a San Martino delle Scale de Palerme44• Le cas priviIegie de la Sicile va nous permettre de confronter cette culture ecclesiastique a celIe des lales, que nous a revelee une enquete a travers les testaments du XIVe et du xve siecle46• La Bible occupe certes une place preponderante, mais dans les actes etablis pour les Juifs; chez les chretiens, sa presence est plus discrete: 20 exemplaires complets, 5 Evangiles, 12 psautiers, quelques livres isoles (surtout la Genese, les Proverbes et les Lettres de Paul) dans les quelque 250 inventaires depouilles. C'est peu de chose par rapport aux 70 ouvrages de Balde et aux 140 de Bartole. Cette preponderance ecrasante des livres de droit, manue1s et commentaires, se retrouve dans les testaments des parlementaires parisiens entre 1389 et 141946: leur culture est avant tout professionnelle, meme si la presence de Bibles completes (dont six appartenaient a des !ales), de livres isoles de l'Ancien comme du Nouveau Testament et de divers instruments de travail revele un interet reel pour l'Ecriture sainte.
41. On peut evoquer ici les plaintes de Freculf de Liseux dans une lettre aRaban Maur (entre 822 et 829) : in episcopio nostrae parvitati commisso nec ipsos novi veterisque testamenti canonicos repperi libros, multo minus horum expositiones (MGH, Epist. Karol. aevi, t. 3, p. 392). 42. Ainsi dans les fondations benedictines du XI" siecle, si l'on en croit Cs. CSAPODI, « Le catalogue de Pannonbalrna, reflet de la vie intellectuelle des benedictins du XI" siecle en Hongrie », dans Miscellanea codicologica F. Mesai dicata, t. I, Gand, 1979, pp. 167-168. 43· Cf. M. R. JAMES, The Ancient Libraries of Canterbury and Dover, Cambridge, 1903, pp. 197-406 (specialement pp. 197-218). 44. Cf. P. COLLURA, « L'antico catalogo della biblioteca del Monastero di San Martino delle Scale (1384-1404) », dans Bollettino del Centro di studifilologici e linguistici siciliani, IO, 1969, pp. 84-140, specialement p. 10445· H. BREse, Livre et societe en Sicile (I299-I499), Palerme, 1971. Les conclusions preSentees pp. 52-53, dont nous nous inspirons, ne sont pas remises en question par les nouveaux documents publies par Ie meme auteur dans Ie Bollettino.•. , I2, 1973, pp. 167-189. 46. Fr. AUTRAND, « Les librairies des gens du Parlement au temps de Charles VI », dans Annales, 1973, pp. 1219-1244 (specialement pp. 1234-1235).
Le Livre
A travers les inventaires de bibliotheques medievales .
Si l'on monte dans la hierarchie ecclesiastique, vers les cardinaux4' ou les eveques 48, on trouvera une proportion un peu plus forte de Bibles, encore que certains dignitaires, comme tel abbe de Saint-GeorgesIe-Majeur a Venise49, semblent avoir une culture bien peu biblique. Si l'on descend vers les classes moins fortunees, et qu' on se penche par exemple sur les testaments du Lyonnais, Ie livre devient beaucoup plus rare et la Bible disparait presque: dans 4316 testaments, on ne trouve guere que trois exemplaires complets, un volume d'Evangiles, deux « Evangiles et Epitres » et une dizaine de psautiers, a usage surtout liturgique50 . Evidemment ce ne sont pas les riches series cheres aux bibliotheques monastiques, soucieuses d'engranger toujours plus d'exemplaires de la bonne parole, ou aux collectionneurs princiers, avides de livres toujours plus somptueux51, mais il y a quelque chose d'emouvant a cons tater que Ie seullivre que legue Dame Catherina de Ysfar, de Palerme, c'est Bibiam unam scriptam in carta membrana52 • Ce modeste legs prend toute sa valeur si l'on songe que, quelques decennies plus tot, Ia faculte des Arts de Louvain n'avait pas reussi a se mettre d'accord sur I'achat d'une Bible
bonam et utilem facultati 53 •
La Bible, qui est donc priviIegiee par sa frequence, l'est aussi par la place qU'elle occupe dans les inventaires, en regIe generale la premiere. 47. Voir les documents publies par A. PARAVICINI BAGLIANI, I testamenti dei cardinali del duecento, Rome, 1980 (pp. CXXXV-CXLIII, etude synthetique sur les livres mentionnes dans les testaments). 48. Cf. D. WILLIMAN, Bibliotheques ecclesiastiques au temps de la papaute d'Avignon, t. I, Paris, 1980, p. IOl (<< about one quarter of the texts in these private libraries are theological, that is to say, Biblica, Fathers of the Church, Sentences, and commentaries upon these ... »). 49. Sur les 74 livres que legue ce Bonincontro de' Boattieri, il n'y a de biblique qu'un fiber evangeliorum glosatus; cf. P. SAMBIN, « Libri di Bonincontro de' Boattieri, canonista bolognese (t 1380) »... , dans Rivista di storia della chiesa in ItaNa, If, 1961, p. 30I. 50. D'apres M. GONON, La vie quotidienne en Lyonnais d'apres les testaments, XIVeXVIe siecles, Paris, 1968. L'index de cet ouvrage ne facilitant pas les recherches bibliographiques, nous croyons utile de preciser qu'on trouvera ces livres dans les testaments nOS 42, 184 et 1325 (Bibles); 613 (volumen Euvangeliorum); 724 et 1588 (Evangiles et epitres); 93, 103, 533, 705, 885, Ip8, 1361, 1559 et 1588 (psautiers). Le testament d'un chanoine de Saint-Just de Lyon en 1403 (no 1588) precise qu'i! s'agit de livres gloses. 51. Les manuscrits Ie montrent mieux que les inventaires : voir les descriptions donnees dans La librairie de Charles V, Paris, 1968, pp. 59-64 et 91-96, et dans La librairie de Philippe Ie Bon, Bruxelles, 1967, pp. 9-16. Sur Ie luxe des temoins de la Bible fran<;aise, qui ont souvent appartenu a des rois ou a des princes, cf. P.-M. BOGAERT,« Adaptations et versions ... » (cite infra, n. 91), pp. 268-269. 52. BRESC, op. cit., p. 277 (15 janvier 1482). 53. Cf. A. VAN HOVE,« La bibliotheque de la Faculte des Arts de l'Universite de Louvain au XV" siecle», dans MeJangesCharles Moeller, Louvain, t. I, 1914, p. 618, n. I. L'affaire evoquee eut lieu en decembre 1441; la raison de l'echec, c'est sans doute Ie mal chronique des bibliotheques universitaires, penurias maximas.
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d {: uilleter Ie repertoire de Gottlieb, qui
I1 soffit P?u~ s:en convruncre e e arfois aussi leur plan de classement54, indique l'mclplt d~s cat~v~:;::: Jresser une bibliotheque qu'ont rediges de
Ou de se reporter aces G b . I Naude55 comme Ie bienheureux lointains predecesseurs de a ne Parentu~elli Ie futur Nicolas V57 : t d Romans 56 ou T ommaso , . . Bumb er e 'ble ar ordre comme par raison », amSl q~e « I1 faut placer en tete la .Bl p e . , le5s Des documents de prenuer · bbe de Garstem au XIV Slec . r Ie dIt un.a. . d'hui l'attention soit par leur rorme, comme 59 ordre, qUl retlennef~~~l~:sbach recemment decouvert , soit par ~eur Ie catalogue mura,. . de Saint-Eyre de Tou1, etonnamment nche contenu, comme lmventalfe moins par leur petite section en c1assiques 60, n'en commencent pas A
biblique. . 'bl n'occu e pas cette place d'honneur. La 11 arrive par~Ol.s que la ~l e e bie~ des collections n'ont pas de raison la plus eVldente, c e~ ~u, t pour de petites bibliotheques classement. On Ie :om/re~ ~~~~~s ou de la Trinite de Pecamp au comme celles de Samt- ere e. a I d' ordre magnifique qui semble Xle siecle61 ; on est plus surpnsAPar e . es de Kulmbach62 ou les BeneI' v e chez les ugus tl ns d regner, en p em X '. d P d oue63 Parfois i1 a dli exister un or re, dictins de Sainte-Justme e a d . par exemple lorsqu'il a faHu . '1' difie au cours u temps, I ' malS 1 s est mo . .. c'est sans doute pour ce a qu on inserer de nouvelles acqUlsltlOnS . « anciens catalogues de bibliotheques anglaises : trOIS des quatre d I Cent¥alblatt fiur Bibliothekswesen, 9, 18 9 2, 54. Autre sondage bI" ' r H OMONT ans e '' , li (xne-xlye siecles) » pu les pal B'bl tIe quatrieme par les Peres de I Eg se. cl t 201-222 commencent par a I e, e ommande comme plan de assemen 62 pp. 55 Lequel, dans son ouvrage pam en 1 7, ~:~l . comme en Theologie, par exe~ple «l'ordre Ie plus facile, Ie n:?ins~ntr1gul ~ 7a~!u~~~re t~~~es les Bibles les premieres SUl)vat [c'est-a-dire dans la premler~ asse, . » (reim ression, Leipzig, 196~,. p. 100. a l'ordre des langues, par apres Ie,S C~)fi~leJ~:t~~s_Charl!s BRUNET (derniere edition en 186 5) table methodique du Manuel ~u libratre e,. q lace de son classement. . reserve encore a l'Ecriture .samte la prem1;~e p 63 (chapitre de officio librarii) : il f~ut ~s~er 56. Opera de vita regularz, t. II, R?me, I ~, p. 2 t enchainer quelques liyres bien lislb es, dans un lieu silencieux un ou plus~e~\1up~tr~~eeer7tiere ou par parties, la Bible sans gloses, de consultation frequente, comme a leg 0 " .' a les Sommes, etc. " , ar G SFORZA La patria, la famtglza e la gtovznezz r son canon bibliographtcum (publie p )' . B 'L ULLMAN Ph. A. STADTER, The 57 . Su 8 59 381 VOir . ' , di papa Niccol;' V Lucques, 18 4, pp. 3 - , 2 16 Public Library of Renaissance Florence, Pad(~ue, 1.97 " 1;abb~ye de Garsten en 133 1). 8. MBKO [27l, t. V, p. 23,1. 30-31, onatlon a 5 MBKDS [27l t. IV nO 140 (envIron 1400):, R F TIER« La bibliotheque et Ie ~;: GOTTLIEB [2~l, nO ~06 (Xl e, si~l~; re~ub;I~:oir;s d~V;a Societe d'ArchCologie lorrai~ tresor de l'abbaye de Saint-Evre-les- °d », ant lut' meme (Munich, Clm 10292, f. 143 ' I ) t rtout d e 6 L ' examen d ulireocumen 6I, 19II, pp. 12 3- 1 5' ar exemple Liber Iosuae et non o~.' e su permet de corriger quelques lectures (, b'br e pour de nouvelles acqrus1t1ons. voir I' espace laisse libre, apres la section I Iqu, 61. GOTTLIEB [24l, nOs 271 et 28 9' 62 MBKDS [27l, III, nO 108 (1461-1468). 0612) vient d'etre republie par G.~63: L'inventaire comme~ce en.14~3 (~~~~:t;bri e cultura presso i benedettini padolJanz In TONI ALZATI, La Biblioteca dt S. G,ustzna dt Le '6 premiers numeros correspondent a peu eta umanistica, p~d,:>ue, 1982'bl?:li ~:I~~. cf~ J,~ cit., p. 7, n. 22. pres au fonds otlgmal de la I 0 eq ,
Le Livre A travers les invcntaires de bibliotheques medievales trouve des livres saints en plusieurs endroits du grand catalogue de Cluny64 - ou nSorganiser les locaux et ajouter de nouveaux meubles. La bibliotheque publique des Franciscains de Sienne se composait de deux series de pupitres : si la Bible n'apparait qu'au milieu de l'inventaire (numeros modernes 219-313), c'est que les pupitres a dextris iuxta murum, qu'elle occupait des l'origine, ont ete doubles par une autre serie, novi a sinistris, que Ie redacteur a decrite en premier65. Peut-etre faut-il supposer une explication de ce genre a l'etrange mutation qui, dans Ie cloitre de la cathedrale de Durham, fait passer devant l'Ecriture sainte les livres de droit et de grammaire66 . Lorsque c'est un notaire qui a inventorie une collection apres Ie deces de son possesseur, il y a de grandes chances qu'un ordre eventuel lui echappe totalement : il se contente de prendre les livres un a un, d'un bout de la bibliotheque a l'autre, comme on Ie voit par Ie recolement, fort minutieux d'ailleurs, fait au chateau de Pavie entre Ie 4 et Ie 8 janvier 142667 . ParfOls 68la Bible cede la premiere place. On l'a reservee a des usuels liturgiques , a des livres dont l'ecriture surprend, comme les libri scottice scripti de Saint-Ga1l69 ou bien encore a des auteurs pour lesquels on nourrit une reverence particuliere, par exemple Ie patron du monas70 tere 71ou les ecrivains « maison » : a Saint-Denis Ie Pseudo-Denys et Suger , chez les Franciscains les docteurs de l'Ecole72. Un pas de plus,
64· GOTTLIEB [24], nO 280 (environ II58-II61, connu par des copies du XVII" siecle). Sont bibliques les nOS 1-12 (1;-14 = sermonnaires), 15-16; 56-57; 390-39 1 ; 412; 43 . 2 65· GOTTLIEB, nO 673 (14 81 ), republie par K. W. HUMPHREYS, The Library of the Franciscans of Siena in the late fifteenth century, Amsterdam, 197 8. De meme chez les Dominicains de Padoue, la Bible est en tete (inventaire de 1390) ou au milieu (inventaire de 1459) suivant que Ie catalogueur COmmence par les pupitres de gauche ou de droite; cf. L. GARGAN, Lostudio teologico e la biblioteca dei Domenicani a Padova nel tre e quattrocento, Padoue, 197 , pp. 19 et 24 . 1 1 0 66. Inventaire de 1;95 (GOTTLIEB [24], nO 462); au contraire, la Bible vient en tete de la bibliotheque, de formation plus recente, installee au « Spendiment » (inventaire de 1;9 ; GoTTLIEB, nO 461 et 461 a). 1 67· GoTTLIEB, nO 61 7; republie dans E. PELLEGRIN, La bibliotheque des Visconti et des Sforza ducs de Milan, au XVe siee/e, Paris, 1955. II y a une concentration de bibles et de commentaires aux nOS 56;-59 8 et 658-685, mais on en trouve un peu partout ailleurs; ainsi une bible cum glossa ordinaria circumcirca est partagee entre les nOS 199 et 226. 68. Par exemple a Saint-Pierre de Salzbourg au XII" siecle (MBKO, t. IV, nO I;). 69· MBKDS [27], t. I, nO 16, p. 71, 1. 1;-32 (il s'y trouve d'ailleurs quelques lines bibliques). 0 71. Ainsi a Saint-Vivant de Vergy au XI" siecle (GOTTLIEB, nO 4 13). 7 . Malgre l'absence d'inventaire, on peut dire, d'apres les cotes inscrites sur les manuscrits au xv" siecle, que ces auteurs figuraient dans la premiere classe; la seconde comportait au moins Hilaire de Poitiers et Ie pape Nicolas Ier; la Bible n'apparaissait que dans la troisieme. Cf. D. NEBBIAJ DELLA GUARDIA, La bibliotheque de l'abbqye de Saint-Denis-en-France, du IX" au XVIII" siede (a paraitre en 19 85). 2 7 . Ainsi a Bologne en 1421 (GOTTLIEB [24], nO 537; publie par M.-H. LAURENT, Fabio Vigili et les bibliotheques de Bologne au debut du XVIe siede, Cite du Vatican, 1943, pp. 23 - 5); 6 26 les dans la Bibliotheque secrete des Franciscains de Sienne (cf. supra, n. 65), la Bible occupe pupitres HaL, et vient donc apres les docteurs, mais aussi les philosophes, Ie droit, les sermons, etc.
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et ce sera la nombbr~use c~~or,t~~~~~:r;~~~E~~S:t~~~~:r~::t;::c~~ ainsi dans des a .ayes. ene . n et Rievaulx74 . L'exemple Kremsmiinster73, clsterclennes comme Pontlp~rlois meme les libri philosoS . t Vaast d' Arras nous montre que de alU - . d tIes libri divini 75 • II y a certes des retours en phi:~e artls pas:e~~ l;v~liothecaire d' Admont, Pierre d'Arbon, a~an arrlere - en fi 3d l' d traditionnel Ie classement « auteurs. ». (p~re~ donne au pro t e or re . d . t) qu'il aValt mstltue d l'Eglise) -« matieres »(Blble, sermons, rolt, e c' ' . dans Ie bas 76 mais une ten dance se d eSSlUe e quatre ans auparavant - , . . ra comme Ie couronnement de • Age' 1'Ecriture salUte arnve B'b ' l Moyen . ., et dernier parterre de livres dans la I tlonomle ut savoir L'e tr01s1eme , t tes et to . .d F . 1 l'areola theologica, est consacre aux ex ui ont droit a des cotes en lettres de Richard e. ourruv~, . r aux commenta1!es de 1 Ecntu e,.q Am lonianum d'Erfurt78 se ter'la Bible est bien d'or77, et Ie catalogue du Coll~g1Um h p". mine par une importante sectlOn Dc t eo ogta, ou representee. . , . . consistait a adopter l' ordre Une autre solutlo.n, re:voh~tlonna1~e;9 Ie sieele la Bible eelate alphabetique. A ~orble e~a SalU~Be~~n E:a~;i~es Job' Josue, etc. II en ses differents hvres: ctes, . a~e, ents de t;avail' fort pratiques, est peu probable ~ue ces index, 1~ ~~~ meme si la Bible est longtemps aient correspondu a u? rangeliment e ~ , nt existent independamment sentie comme une sUlte de vres qUl souve les uns des autres.
. . th' ire medieval est d' ordonner cette Le probleme po~ blbli~ue~aebut ou plus tard dans les petites . ' r brique comme Livres canomasse au contenu mu tl orm:. collections, on se contente d une,.uruq~e/'AUnct'en el du Nouveau Testament . S' Ri . 83 I) ou Des ttvres ae h mques (alnt- qUler, . li ite peut d'ailleurs cac er (Reichenau, 821-822)80. Cette apparente slmp c
.1;
etabli 73. GOTTLIEB [24], nO 243 (XII" siecle); MBKO [27], t. v , n ° 8 (plan de classement . 0 entre 132 et 1;25)· 8( blie par A HOSTE, Bibliotheca Aelredlana, S~~~n6 74· GOTTLIEB [24], nOs 37 et 49 repu mblent itter du XIIe plutat que du XII!" Sle e. 1 62 brugge, 19 , pp. 149- 75). Ces cat~?clgu)es sepublie dans l'article de Ph. GRIERSON, Cltesupra, 75. GOTTLIEB [24], nO 248 (XII" Sle e, re n.20. 7] t.III nOl(I376;sursastructure , voir A., DERD76. On comparera I ,ordre d e MBKO[ 2" LEZ, op. cit., p. 33) etnO 2 (13~0)'de ·ts t II pp. 524 et 535. FOURNIVAL relegue en Cf L DELISLE Cabmet s manusGrI , • , , ap~~dice'les'/ibri origi/uzles, c'est-a-dire les reuvres des Peres. . 8 7 • MBKDS [27], t. II, nO I (14J(:I41~). Bibles qui se trouvaient alors a Corbie et qru, 61 -618. 79· GOTTLIEB [24], nOs 28; et ;95.' sur es semble-t-il, echappent a cet index, VOIr LESNE [26], pp. 7 80. MBDKS [27], t. I, nO 49.
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Le Livre A travers les inventaires de bibliotheques mMievales
une ar~~tecture ~affinee; c'est ainsi qu'a Saint-Pons de en 12 76 ,la pretnlere elasse du catalogue De text. b'b" Tomieres en : ' U 1 tlae, se structure Bible~ coml?U:tes (I en 2 vol.) Divers hvres isoles de l'Ancien Testament (6 I Nouv:eaux ~estaments complets (2 vol.) VO .) Divers hvres du Nouveau Testament (12 vol.)
Toutefois, bien vite, on a du mar uer d . en deux etait evidente : elle apparait aqSaint-~ ~1pa,rat1ons. ~a division .. a des Ie IXe sleele. A la fin du Moyen Age on a raffine . tr' - Ancien Testam'ent Evangil~s lEPa;tlt10n comme a Admont (1380)82 . 1 ' , pltres - ou meme' .. Clnq c asses comme a Durham83. repartltlon en Le Didascalicon de Hugues de Saint-Viet 84 . " un plan plus elabore inspire d'une tr dif or. oifralt aux blbliographes ' a lon qU1 remonte a saint Jerome85. Vetus Testamentum . Lex Prophetae 5. Agiografi 4· Libri.... qui Ieguntur quidem sed non scrtbuntur in canone I.
2.
Novum Testamentum EvangeIia ApostoIi 5 a. Decreta 5 b. Sanct?rum patrum et doctorum eccIesiae Scrtpta I. 2.
Ce schema, qui est utilise par Henri de Ki k 86 • de base au bibliothecaire de Priifenin 87 • r stede ,avalt deja servi catalogue (traduit plus b g q.ut, dans Ie prologue de son parfaite en subdivisant lea~pp. 52-5,p, avalt meme realise une symetrie giles, Apotres Docteurs Aopuveau estament en guatre elasses : EvanU ' ,ocryph es. n tel plan a Ie merite d'inte r '1' . commentateurs de l'Ecrl'tur . g ~r a architecture d'ensemble les e saInte . lIs pourr t . d 1 . e a BIble - c'est la soluti 1 1 · ' on vernr apres la totalite P Saint-Gall Cluny Saint P on a us repandue : a Priifening comme a , , - ons ou A dmont88, c'est Gregoire Ie Grand qui . 81. GOTTLIEB [24], nO 400 (= DELI . SLE, Cabmet des manuscrits t. II 6 . clpe du classement a ete d e ' :,!tion practices and cataloguin::!;h~::" l!r.ESSOfiN, Merljeval Classific~tion ;!JC~Ja/~~;~. ~a~~ift~ Ions, 1980, p. 52. once rom t e I2th to the IJth centuries Gover Publi 82. MBKO [27], t. III, nO 2. 'ca. 83. GOTTLIEB [24] no 462 (I ) Le . Dlver~i libri Biblhe gl;sati (25)' ~. ,~ c~q subdivisions sont: Libri Biblhe (9 num' ). canomcae (2) V· , ange,za g,osata (II)' E'"lSt!. P ,. eros, 8 . ' lennent ensuite les Libri eoncordane' ' r 0 ae au.: ~/osatae (5); Epistolae 4 1939 . LIvre IV, chap. 2, De ordine et numero H:;rum .(I,~ ~~es Seolastlcae historiae (4). 8' pp. ?1-7 2 • orum, e. . H. BUTTIMER, Washington . ~. IT I expose dans sa lettre 3 et dan I ' Pdan!1nClpaux echelons inte!1l1'dio;~ 5 s e Prologus galeatus aux Livres de Sam I I s D' Bo I " ~es sont recenses B F ue; es 86 Ie ~ e von Moutier-Grandva! Berne par. ISCHER, « Die Alkuin-Bibeln » . VOIr l'edition ROUSE (cite' , 197 1, p. 77· ' 87· MBKDS [27] t. IV ° e supra, n. 21), pp. 1-15. 88. Voir les . ' . ,~42. Inventatres ClteS aux notes 87, 69, 64, 81 et 82.
!.
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ouvre la marche; ailleurs, c'est plutot Augustin - , soit apres chaque livre biblique, comme a 1a cathedrale de Constance89 , soit aux deux endroits ala fois, comme a Saint-Vincent de Laon90. Si l'on ajoute qu'il faut aussi prendre en compte les histoires saintes, complements naturels de l'historia par excellence qu'est la Bible91, et les instruments de travail qui se multiplient a partir du xm e sieele92, on voit que les bibliothecaires se trouvent confrontes a une tache delicate d' organisation. Parmi les diverses solutions adoptees, deux nous ont semble particulierement interessantes, celle du college de Sorbonne (1338) et celle de l'abbaye de Clairvaux (1472); nous les presentons dans Ie tableau 2 de la page 4493. La bibliotheque universitaire est, comme celle des ordres mendiants 94, divisee en deux secteurs, l'un public OU se trouvent accessibles, mais enchaines, un certain nombre d'exemplaires de travail (48 volumes sur 420 pour les sections considerees; pour l'ensemble, environ 330 sur 1 722) et l'autre secret, reserve aux membres du college qui ont Ie droit d'en emprunter les livres. Cette distinction n'a pas de raison d'etre dans une bibliotheque destinee a une communaute monastique. Le plan est en gros Ie meme dans les deux institutions : Bibles non glosees, une variete de livres parabibliques (Histoires saintes a la Sorbonne, concordances chez les Cisterciens), « Bibles par parties glosees »; postilles et autres expositions. Le catalogue de Clairvaux instaure des divisions de format, souligne l'importance de certains exegetes comme Pierre Lombard et Nicolas de Lyre, et introduit des renvois aux commentaires des docteurs, patristiques ou medievaux, dont les reuvres sont dans les deux bibliotheques nettement separees de la Bible. Ce qui frappe, si l' on compare ces deux inventaires a ceux de collections anterieures, c'est bien sur leur organisation methodique, si favorable a 1'etude, mais aussi Ie triomphe qu'elles consacrent des Bibles completes et des Bibles glosees. 89. MBDKS [27], t. I, nO 36 (1343). 90. Catalogue du xv" siecle publie par U. BERLIERE dans la RB, t. 39, 1927, pp. 105-124. Des commentaires patristiques sur les Psaumes et sur Job sont intercales au ruilieu des Bibles, alors qu'en principe les ceuvres des Peres forment des classes a part (Sequuntur libri beati Augustini... , Gregorii.•. , etc.) . 91. Le te!1l1e appatait par exemple a Thannkirchen en 855 (MSV, nO 89), a Gorze (XI" siecle, RB,22, 1905, p. 3), etc. Le role de la Bible comme livre d'histoire est souligne par P. M. BOGAERT, « Adaptations et versions de la Bible en prose (Langue d'oil) », datIs Les genres litteraires dans les sources theologiques et philosophiques mediCvales, Louvain-la-Neuve, 1982, pp. 259-277. 92. Presentation d'ensemble par R. ROUSE, « Le developpement des instruments de travail au XIII" siecle », datIs Culture et travail intelleetuel dans I 'Occident medieval, Paris, 1981, pp. 115 -144. 93. Ce tableau, qui se Iiruite a la matiere biblique, est etabli d'apres les catalogues, GOTTLIEB [24], nO 349 (= DELISLE, Cabinet des manuscrits, t. III, pp. 9-23) et nO 276 (A. VERNET, op. cit., pp. 67-121). On notera qu'il existait en dehors de la bibliotheque de nombreux textes bibliques utilises pour la Iiturgie; ils sont recenses dans Ie cas de Gairvaux (pp. 335-341). 94. a. K. W. HUMPHREYS, The Book Provisions (cite supra, n. 2), pp. 85-87.
A travers les inventaires de bibliotheques mMievales
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Prenons une bibliotheque moyenne du xme siecle, par exemple celIe des chanoines reguliers d' Aureil en Limousin95 : sur ses quelque deux cents volumes, elle comprend un Nouveau Testament complet (car c'est bien lui que designe la notice « Quatuor evangeliste. Actus apostolorum. VII epistole canonice, etc. »), deux textus evangeliorum a usage liturgique, quelques livres bibliques isoles ou regroupes a deux ou a trois, et parfois joints a des ceuvres patristiques ou profanes; aucun ne semble glose. Pas de Bible complete, ce qui n'a rien de surprenant: bien souvent on rencontre dans les inventaires des corpus incomplets dont les inventaires signalent les lacunes - une Bible « sauf les Evangiles et Ie Psautier » a Saint-Amand et a Priifening96, un Nouveau Testament « sauf les Evangiles » a Odenheim97 - ou bien au contraire detaillent Ie contenu livre par livre: un ceil exerce peut alors identifier Ie texte biblique dont on disposait, disons a Lobbes au xn e siecle98 • Certes il a existe a toutes les epoques la Bible incomparabilis tota, pour reprendre la formule du catalogueur de Schaffhouse99, soit rassemblee sous la forme compacte de pandecte10o, soit divisee en plusieurs tomes : Ie catalogue de SaintRiquier, des 83 I, presente ala suite les deux extremes, « une Bible entiere (integra) ou sont contenus 72 livres, en un volume; une autre morcelee (dispersa) en 14 volumes »101. Mais les gros bataillons de la Sorbonne et de Clairvaux marquent Ie triomphe d'une production quasi industrielle. Ce serait de meme une tache interessante que de suivre a travers les inventaires les progres irresistibles de la Bible glosee. Au debut, on doit expliquer ce qu'est la glose : «psalterium cum aliquibus patrum sententiis»102, puis on cons tate dans toute l'Europe Ie succes des manuscrits de modele parisien, aussi bien a Salzbourg103 ou a Durham104, ou les eveques en
95. Voir J. BECQUET,« La bibliotheque des chanoines reguliers d'Aureil en Iimousin au XIII" siecle», dans Bulletin de la Societe arcbeologiqueet historiquedu Limousin, 92,1965, pp. 107-134. 96. GOTTLIEB [24], nO 394 (= DELISLE, Cabinet des manuscrits, t. II, p. 449,no 2); MBKDS, [27], t. IV, nO 41, p. 422, 1. 61-62 (cf. infra, p. 53). 97. Catalogue du xu" siecle publie par A. WILMART, dans RB, 49, 1937, p. 93, nO 3. 98. P.-M. BOGAERT, Bulletin de la Bible latine, t. 6, 1980, nO 256, a propos du catalogue publie par Fr. DOLBEAU dans Recherches augustiniennes, IJ, 1978, p. 26, nO 187. L'ordre des lines est celui de Theodulf. 99· MBKDS [27], t. I, nO 63 (p. 293, 1. 30). 100. Ainsi a Saint-Ene de Toul (inventaire cite supra, n. 60). Sur l'idee de reunir en un volume, pour Ie service divin, toute l'Ecriture sainte, voir B. FISCHER, « Die Alkuin-Bibeln» (cite n. 85), pp. 59-60. 101. GOTTLIEB [24], nO 402 (= BECKER [19], nO II, p. 24). La« Bible de Saint-Riquier» (Paris, BN, lat. 45 et 93) semble plutot un produit de la region de Paris; cf. B. FISCHER, Bibeltext [35], pp. 188-189. 102. Inventaire d'Odenheim (cite supra, n. 97), p. 93, nO 9. 103. Lines de l'archeveque Conrad II (II64-II68), identifies d'apres les ex-libris par O. MAZAL, « Die Salzburger Domkapitelbibliothek vom 10. bis 12. Jahrhundert », dans Paliiographie I98I. Colloquium des Comite international de paleographie, Munich, 1982, p. 83. 104. 11 est interessant de comparer les donations de Guillaume de Saint-Calais (t 1095; GOTTLIEB [24], nO 1067) et d'Hugues du Puiset (t II95; GOTTLIEB [24], nO 1068) : d'un cote
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Le Livre
o~ent en grand nombre
a leur cathedral " ou en un siec1e Ie stock des livres , e , qu a 1a Trinite de Fecam ~~sez. ?etaille de Sainte-Justine de g~~~e~!e~::e de 0 a 25 105• L'inventai;~
I e~illlibre q:u s'etait etabli vers Ie milieu d n~us.,permet de cons tater theque de dimensions moyennes : u xv sleele dans une biblio3
TABLEAU
Livres non glosCs Format
Maximus Magnus Mediocris Parvus Portatilis Non indique
Livres gloses
I
15
Total 4
Bible en 2 vol.
Bible en I vol.
NT
Livres
i.roies
2
I
6 2
2
2
2
Les editions en multiples volume . se concentrent dans Ie f, s . on: dlsparu. Les Iivres gloses 260 X ormat medl0Crts 107 , .' di , I7° rom, alors que Ie texte sim Ie " c est-a- re d'environ qu en hvre de poche pour I h P se presente aussi bien en in-folio , e c ceur ou po xl ' O n aurait tort toutefois de r' d' , u e pret. quelques statistiques ce que les ~n~.1!e a. quelques plans de c1assement et a Ie contenu de la Bible medi' I L ental~es peuvent nous apprendre sur a du detail. Nos predecesseur:va e.. eur n~h~sse est dans Ie foisonnement vaste que ceIill. dont no us di valent acces a un matene ' . I b eaucoup plus leur vocabulaire me'me sposons, et leurs curiosites, leurs scru ule peuvent nous ' I ' . P s , ce 9u est une biblia depicta, curta ou ace ec alrer. ~len sur nous devinon: ~at~ une pensee de reconnaiss urtat~, capltulata, glosata, metrica108 blbliothecaire d'Assise Fre're Ga~ce no~s Vlent tout de meme lorsque Ie' t, b /, ~ ,1ovanru Ioli Ii ~ u a.a comporte une table d I ' nous exp que qU'une biblia gtles tam dominicalia et ferial:a tous es ~assages des epitres et des evanquam etlam festivalia et communia totius une Bible en deux volumes d I' psautiers non gloses et ,~au~re une Bible en deux volumes rune vmgtame de livres gloses. ,une autre en quatre, quatre 105. Cf. GOTT LIEB 24] nOs 289 ( " " I 106. Notre tableau ne port XI Slec e) et 290 (xu e siecle). r 107..En depit de G. CANT~NquX sur Ie fond~ ancien; c£ supra n. 63 Ivre mrus son £: I LZATI, op. CIt. P 22 d' ',. . op. cit. (supra n or;;)'t, comme a Saint-Marc de FI~re~ce: ;; ~cr~d~lgne non la qualite du 108. Qualliic~tif: ' p. I~4. ' . . . LLMAN, Ph. STADTER, s releves dans les index des MBKO.
A travers les inventaires de bibliotheques mtfdievales
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anni 109 . Bien sur, on se lasse de rencontrer des dizaines de fois l'indpit Frater Ambrosius ou de voir signalees des bibles « avec leurs prologues et leurs prefaces », mais c'est une indication du meme ordre, due i1 est vrai
a Reginbert de ReichenaullO,
qui a mis sur la piste de sommaires inedits des Psaumes1ll• Son collegue de Clairvaux a lu, ou tout au moins feuillete, les livres qu'il repertorie, et i1 aime a en relever les particularites : ici l'abondance des abreviations, 1:1 un ordre different de celui traditionnel1l2 • A Gorze et ailleurs, Ie bibliothecaire confronte a des series de Bibles se fait une idee de leur andennete relative1l3 et commence, grace a l'Ecriture sainte, un debut de re£lexion paleographique : c' est ainsi que Ie catalogue de Saint-Vincent de Laon caracterise un Livre des Rois comme nova et optima littera, tandis qu'un psautier glose se voit qualifie de antiquissimae ii/terae et modici vaioris 114• Le Psautier eveille aussi des souds de philologue : on note s'il reproduit la prima transiatio, s'il est double, triple ou quadruple115, s'il contient ces obeles et ces asterisques qui pour saint Jerome etaient l'essence meme de sa recension hexaplaire116 • Naturellement de la presence de ce psautier dit « gallican », on ne peut rien conclure sur la diffusion de la langue frans:aise, comme certains l'ont fait naivement117 ; en revanche, beaucoup d'indications explidtes nous signalent des textes bibliques en hebreu, en grec118 ou en langues vernaculaires et nous permettent ainsi de mieux evaluer, a toutes les epoques, la culture des milieux monastiques et, pour Ie bas Moyen Age, la percee des traductions en langues nationales dans les differentes classes de la sodete. Quant a cette frange parabiblique que constituent les apocryphes, si importants pour l'imagination medievale, les inventaires donnent la possibilite d'en jalonner la diffusion : qui soups:onnerait sans leur temoignage qu'il existait en Lorraine une « revelation du
109. Inventaires de 1381 (brefs et detailles), publies par C. CENCI, Bibliolbeca manuscripta ad sacrum conventum Assisiensem, Assisi, 1981, t. I, p. 84, nO 20. IIO. MBKDS [27], t. I, nO 53, p. 261, 1. 36. III. Cf. H. BOESE,« Capitula psalmorum », dans RB, 9I, 1981, pp. 131-163. II2. Cf. A. VERNET, op. cit., pp. 69 et 71 (inventaire de 1472, nOs 19 et 29). II3. Il y avait a Gorze deux Bibles, l'une antiquae manus, l'autre novae (RB, 22, 190 5, p. 3, I. 2-3). 114· RB,39, 1927, p. 107 (no 36) et II4 (no 133). IIS. Sur les psautiers a trois ou quatre colonnes, voir A. WILMART, RB, 28, 191I, p. 350. 1I6. Cf. D. de BRUYNE,« La reconstitution du psautier hexaplaire », dans RB, 4I, 1929, p. 298. Le catalogue de Saint-Amand au XII" siecle (cf. n. 96; DELISLE, Cabinet des manuscrits, t. II, p. 449, nO 6) signale deux psautiers secundum Ieronimum .~. et -:- emendala. II7. Cf. A. SIEGMUND, Die Uberlieftrung der griecbiscben Literatur in der laleiniscben Kircbe bis zum zwolften Jabrbundert, Miinchen-Pasing, 1949, p. 24, n. 2, corrigeant une erreur de Lesne. C'est bien sur un psautier triple que Ie catalogue de Pannonhalma en 1093 (GOTTLIEB, nO 120) designe par les mots: ({ Psalterium Gallicanum. Ebraycum. Graecum ». II8. Sur ces deux categories, voir LESNE [26], pp. 780-781; cf. aussi W. BERSCHIN, Griecbiscb-Iateiniscbes Mitlelalter, Berne, 1980, pp. 48-5 I.
Le Livre
A travers les inventaires de bibliotheques medievales
prophete Esdras quand il fut, dit-on, en enfer »119 et que, dans les nes britanniques, on avait tant d'interet pour l'histoire d'Aseneth femme de Joseph120 ? '
~vre d'histoires, ec?le de catalogage et de classification, la Bible est a~ssl et av~t tout .le Livre, dont la valeur speciale est soulignee par Ie falt que les lllv~nta1res eux-memes sont souvent transcrits sur des Bibles ou des ~;anglles121. Le .bibliothecaire de Saint-Martial de Limoges e au XIII slecle, Bernard .It1e~, ~e~t bien choisir comme support de son catalogue un ouvrage « Inut1le a lire et qui ainsi ne sera plus inutile »122 son attitude e~t exceptionnelle : auparavant, comme a Durham123, plu: t~rd, comm~ a Mondse~124, on est heureux et fier d'inscrire Ie contenu dune donatlOn sur Ie livre qui en constitue l'article Ie plus precieux. Cette valeur est parfois pecuruaire (des documents financiers Ie prouvent ' l"'d 125) l' ~ e~1 ence ,et on comprend Ie sage abbe de Fiirstenfe1d qui tient a abn ~ans sa :ellule ':ll manuscrit biblique parous et preciosus126. Les lllventalres ancIens, <;{Ul ne ~artagent pas l'indignation de saint Jerome cont~e Ie l~e des LlVres salllts 127, aiment a insister sur la richesse de certallles Bibles, sur leur parchemin teint en pourpre, sur leurs lettres
!
II 9. Liber Esdrae prophetae uel reuelatio quant/Q in infernum fuisse dicitur a Gorze (RE 22 p. 8 1. 134). Ce texte, fort rare, se trouvait aussi a Saint-Arnoul de Metz d'ap:es l~ 16 ogu)e e 73 (BEC, OJ, 1902 , p. 512, nO 78; attribue par erreur a Saint-Arnould de car'epy. C
19t~'
ci
As 12oh· Cf. R: M. WILSO~, « The contents... » (cite supra, n. 8), p. 93, n. 38 : Ie Libellus de ene! est present dans SlX catalogues.
12I. Remarque de B. BISCHOFF dans Mittelalterliche Schatzverzeichnisse t. I Munich 19 7 pp. 9- 10. " " 6 o 122. DELISL.E, Cabinet des manus.crits, t: II, p. 496 (GOTTLIEB [24J, nO 315). Le manuscrit 108 5) est un antlphonalre abrege de Saint-Martial du XI" siecle P rteur 12 ~N, latIn 3. OTTLIEB [2fJ, ~o 1067, republie et etudie par C. H. TUltm:R dans ]Ths'I I I _ 1 2 61!s{P' 121- 3 , d apres Ie manuscrit Durham, A. II. 4 (Bible de Guillaume' d:' S~n~124. Donation de Benedikt v B'b (MBK'" une Bible: Vienne , 6 NB, 1222. on I urg en 1453 U [27J, t. V, nO 17), consignee sur
II ~i~~ Ainsi fes comptes de Philippe Ie Hardi, qui regIe Ie 17 decembre 139 8 l'achat de une belle ~~~uJ. a c~reuse de Champmol pres de Dijon : « Item; pour parfaire et accomplir 100 f e e grosses ett;es ... ~our i~e1le enluminer, coler, tmire et relier et pour Ie archemin mns ... Item pour dlx petlltes bIbles pour les celles [cellulesJ afin que les relil?gt' . auront aucunes infir . e I ' , eux qw service sans hffilt ~ pour. esquelles J11c:ur conv~ent laisser l'eglise puissent dire leur occasion de ;:::resJ ~r I enffIrmJer et pour sUlvre l'eglise et pour estudier, si qu'ils n'ayent aux autres Ir e eur ce e pour aller estudier en la bible de l'eglise ou de parler les uns 50 fmns» (pP~~, ce 100 frans; et pour achepter du parchemin pour les lines dessus diz p. 339). u e par B. PROST, dans Archives historiques artistiques et litteraires, 2, 1890-1891; 126. f!eBKDS [27], t. IV, p. 655,1. 41-42 (13 12).
codic:;~stiu!~:~ ~~HUHS ..~~ : i~fifiicitur membrC~':':.' colore pu,rpureo, an.e ores earum (dlStus emorltur.
aurum liquescit in lit/eras, gemmis
49
d'or et d'argent, sur les reliques qui ornent la reliure128 : il n'y a pas de livres aussi somptueux dans tout Ie tresor et toute la bibliotheque, sauf peut-etre ceux qui racontent la vie ou les miracles du saint fondateur129 . Les indications sont parfois d'une telle precision qu' on peut identifier la decoration du volume et, par exemple, ajouter d'apres l'inventaire de Priim130 une nouvelle bible alcuiruenne aux que1que cinquante qui sont parvenues jusqu'a nous 131. Qu' e1le se presente comme une piece de musee ou au contraire comme un modeste outil pour la meditation, la Bible est un livre plus personnalise que les autres. Les cardinaux du XIIIe siecle mentionnent beaucoup de livres dans leurs testaments, mais quand il s'agit des livres saints, ils precisent souvent « ma Bible », Biblia mea132 : c'est un peu une partie d'eux-memes qu'ils donnent. Lorsqu'en 860 Evrard, comte de Frioul, avait reparti entre ses enfants les livres de sa chapelle133, il avait veille a ce que chacun de ses fils res:ut au moins un livre saint, qui, a la difference des autres titres, etait toujours caracterise : Unroch aura « notre psautier double et notre Bible », Berenger « un autre psautier ecrit en or », Adalard « un troisieme psautier que nous avions pour notre usage personnel », Rodolphe « un psautier avec son explication, que Gisela [femme d'Evrard] avait pour son usage personnel ». Dans quelques cas on precise rneme, a la maruere de Frans:ois Villon, l'intention qui a preside au legs : Hugues, abbe de Saint-Arnand, emportait toujours avec lui une Bible en deux volumes de petit caractere, « il la fit brievement annoter afin, disait-il, que ma posterite la possede au milieu des affaires seculieres et des chevauchees, pour qu'ils y fixent leur attention, s'ils Ie veulent bien »134. Trois cents ans plus tard, ce n'est plus a des chevaliers mais a un etudiant que s'adresse un parlementaire parisien, Jean de Neuilly-Saint-Front en lui Ieguant« ma Bible que j'aymoye sur tous mes autres Iivres ... ann qu'il y estudie »135. 128. Cf. LESNE [26], pp. 6-13 (<< Les reliures precieuses») et 13-17 (<< Fonds de pourpre et lettres d' or »). 129. Ainsi a Saint-Amand (GOTTLIEB [241, nO 394) et a la cathedrale Saint-Cyr de Nevers (GOTTLIEB, nO 337; publie par B. ASPINWALL, Les ecoles episcopales et monastiques de l'ancienne province ecclesiastique de Sens, Paris, 1904, pp. 146-148). 130. MSV, nO 74 (inventaire de 1003, utilisant l'a~e ~e. donation, f~t par l'em~ere~r Lothaire en 852), p. 80, 1. 21-22 : I bibliothecam cum ,magmibus et mazoribus characteribus m voluminum principiis deauratis.
131. Cf. B. FISCHER, « Die Alkuin-Bibeln» (cite n. 85), p. 64 : il doit s'agir d'une Bible decoree a Tours pendant l'abbatiat de Vivien (843-851). . . 132. Impression retiree de la lecture des testaments publies dans A. PARAyrCINI, op. ~zt. (supra, n. 47); voir par exemple p. 264 celui de Jean Cholet (I29~) : nO 133 lz~r?s t~eologl~os g/osatos et Bibliam meam maiorem•.. , et plus loin cet autre d~n, tres p~rsonnalis~JU1 ~USSI : Avicennam meum lego magistro Petro ditto MIllo si tempore mortIS mee eXIS~at.obse,!ullS mels. . 133. GOTTLIEB [241, nO 798; document etudie par P. RICHE,« Les bl?!Jotheql;les de troIs aristocmtes carolingiens», dans Le Ml!Ytn Age, 69, 1963, pp. 96-101 (artIcle reprls dans son recueil Instruction et vie religieuse dans Ie haut Ml!Yen Age, Londres, 1981). 134. DELISLE, Cabinet des manuscrits, t. II, p. 456, nO 255. 135. D'apres Fr. AUTRAND, art. cit. (supra, n. 46), p. 1234.
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Le Livre
A travers les inventaires de bibliotheques mMievales
Les catalogues gardent Ie souvenir de telles donations. La Bible s'y presente souvent avec son histoire, parfois resumee au nom de son ancien possesseur, qui peut etre la gloire de la communaute comme Maleul a Cluny136 et Pierre Martyr a Saint-Eustorge de Milan137 ou au contraire une figure sans relief comme ces cinq personnages qu'evoque l'inventaire de Lanthony138. A Saint-Augustin de Cantorbery, Ie nom du possesseur est si bien incorpore a la description qu'il sert pour les renvois : « Le Cantique des cantiques n'est pas ici parce qu'on Ie trouve plus haut dans les Proverbes de Salomon de Raoul »139. Parfois c'est Ie mode d'acquisition qu'on se plait a evoquer de fas;on soh modeste: « Un corpus de l'Ancien Testament, en un petit volume, appartenant a Martin Weiss, que j'ai achete ason ami »140, soit au contraire majestueuse : un document de Klosterneuburg no us apprend comment, pour doter sa nouvelle fondation, Ie margrave Leopold III s'est procure a Saint-Nicolas de Passau, moyennant deux vignobles et Ie libre transit d'un bateau sur Ie Danube, une superbe Bible en trois tomes qui au fil des ans et des inventaires s'est reduite a un seul volume141. Une provenance lointaine Ie plus. sou,:e~t italienne 14:, rehausse Ie prestige d'un manuscrit. On peut aussile v~nerer comme I autographe du saint local: c' est ainsi que Durham conservalt, en plus du tombeau de Bede Ie Venerable, quatre Evangiles de manu Bedae143 . Ces traditions se sont maintenues jusqu'a l'epoque moderne, et un paelographe averti comme Dom Martene a du faire beauc~up de,p~ine aux Mi~mes d: Tonnerre en leur demontrant que leur BIble « ecnte de la maIn de saInt Bernard »144 etait en reaHte bien posterieure. En revanche, a cote de ces figures illustres, mais trompeuses, no~s renc?ntron~ .d,ans les ~anuscrits et les inventaires des copistes qw ont bIen mente de la BIble, comme Otloh de Saint-Emmeran C?nrad de Scheyern, Diet~ot de Wessobriinn145, ou ce Goderan qui ~ ffilS quatre ans pour transcnre les deux volumes de la Bible de Stave1ot146 . nO
;.3 6.
GOTTLIEB [24], nO 280 ( 1I 58- 1I 61); = DELISLE, Cabinet des manuscrits, t.
II,
p. 459,
137· KApPEL1, art. cit. (supra, n. 25), p. 67, nO 695. 13 8. Cf. H. OMONT, art. cit. (supra, n. 54), pp. 208-209. 139· M. R. J;WES, op. cit. (supra, n. 43), p. 204. 14°· Inventrure.de Caspar Fleuger (1468), MBK6 [27], t. III, p. 102, I. 35-3 6. 141. Cf.. MBK6 [27], t. I, pp. 83 et 89. 142. Reichenau,. 823-~38 : Liber prophetarum quem Hi/tiger de Italia adduxit (MBKDS, t. I, p. 25 6, I. 32-33); Saint-NIcolas de Passau, XII" siecle : Isti sunt libri quos Roma detulimus (ibid. t. IV, ~. 54, I. 52-57); cf.. Kremsmunster, XI" siecle : item bibliam, quam in Recia comparavit' t/u m rediret aRoma (MBKO, t. V, p. 34, I. 34). ' 143· GOTTLIEB [24], nO 46~ (1391); = Cat~/ogi veteres ... , p. 16 (Durham, A, II, 16). 144· Cf. A. VERNET, op. CIt., pp. 713-714 (Juillet 1709). 1 et 6 I.45. MBKDS [27], t. IV, nO 27; IV, nO 106 (il y a en fait plusieurs Conrad)', III, nOS 60 I
146. On lui doit aussi la Bible de Lobbes; cf. W. CARN [179], pp. 265-266 et plus generaIO, 1962, pp. 81-84 (pour une etude ~ec1mique de e~~ture de Goderan, voir L. GlLISSEN, L'expertise des ecritures mMievales Gand 1973 specialement pp. 65- 84). ' , ,
l:m~nt, E. BROUETTE, dans Scriptorium,
11 resterait une derniere question a poser aux inventaires, la plus difficile celIe de savoir si l'Ecriture sainte a ete lue. On peut l'affirmer sans cr~inte pour les livres liturgiques dont les catalogues nous di.sent parfois qui etait responsable :« Prior Vallis V:ine~rum habe~»147. L.es ?stes de pret sont moins probantes. Bi~n sur ?n dis~nbu~ de~8livres bIbli~ue~ a Cluny in caput quadragesimae (mais aUSSI un T1te-~1Ve) ; on en pr,ete a Klosterneuburg 149, a Saint-Ouen de Rouen15o, a la Sorbonne o~ ~es nouveaux membres du college res;oivent une Bible et la de de la bibliotheque l51, a la Bibliotheque Vaticane152, bref part~ut. Est-il pos.sible d'evaluer ces prets ? On s'etonne de constater Ie p~t1t nom~re. de ~v~es bibHques distribues entre 1475 et 1487 par Pl~tl,na, Ie bIb~otheca1re du Pape : dix-neuf seulement, dont quatre ont ete empru~tes par ~llle meme personne, Cristoforo della Ro:ere, castellano. du c~ateau SamtAnge. Est-ce Ie resultat d'une desaffectlOn pour} Ecntu:e s~mte ? ~v~nt de tirer cette conclusion, il faut se rappe1er qu 11 y avait d autres bIbh~ theques a Rome et que, de toute fas;on, beaucoup de personnes possedant deja leur Bible n'avaient pas besoin d'en empr~~ter .un a:utre e~em plaire. La duree d'un pret ne garantit pas une utIhsatlOn IntensIve : que penser d'un emprunt qui s'etend sur vingt-cinq ans 153, et d'un autre qui semble si definitif qu' on note a cote du titre furatur per scripto~e,,!154 ? Rares sont les cas OU 1'0n a des preuves incontestables d'efficaClte : la tapisserie d' Angers montre que ce,:x qui av~~e?t obtenu en ,Pret l' Apocalypse du roi Charles V l' ont vraiment utIli.see « ?,our faIr.e [un] bea:u tapis »155; quant a l'emprunt d'une Bible latme r~li~e en CUlr r?uge f~lt au couvent des Augustins d'Erfurt par un rehgieux nomme MartIn Luther156, il a sans doute contribue un petit peu a la reforme de l'Eglise.
147. Scilicet un « bon et bien petit Psaultier» (Clairvaux, 1472; A. VE~T, op. cit~~., 339)· 148. A. WILMART, « Le convent et la bibliotheque de Cluny.vers Ie mIlieu du XI . sl~cle », dans Revue Mabil/on, I I , 1922, pp. 96-98 (interessant commentrure sur les lectures bibliques) et 1I5. 149. MBK6 [27], t. I, nO 16 (vers 1470). 150. Cf. L. DELISLE, « Documents sur les livres et les bibliotheques au Moyen Age », dans BEC, II, 1850, pp. 227-230 (entre 1372 et 1378)..., , 151. a. J. VIELLIARD, « Le registre de pret ~e la Bibliothequ: du College de Sorbonne au xv" siecle », dans The Universities in the late MIddle Ages, L~uvrun, 1978, p. ;88. 152. D'apres Ie registre de pret tenu par Bartolomeo Platina pour les ~ees 1475-14~7 (Vat. lat. 3964), publie par M. BERTOLA, I due primi registri di prestito della B,bl,oteea Apostoltca Vaticana, Rome, 1942, pp. 1-40 • • . . . . d li d I 153. Pierre Ie Venerable est prie de faire rest1~er sme ~llat!one ~ux vres, ~s g ose.s sur Matthieu et un Evangile de Jean glose, empruntes de~U1s VIngt-CInq ans (EplSt., 169, The Letters of Peter the Venerable, ed. G. CONSTABLE, Cambndge, Mass., 1967,. t. I, p. 4 02). 154. Durham, inventaire de 1416 (GOTTLIEB [24], nO 466) = Catalogl veteres ... , p. II5; il s'agit d'un psautier. . .. . 155. Cf. L. L. DELISLE, Recherches sur la librame de Charles V, ParIS, 1907, t. I, pp. 147-14 8. 15 6. Cf. H. GRISAR, Luther, Fribourg-en-Brisgau, t. I, 19II, p. 9 et t. III, 1912, p. 460.
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Le Livre
A travers les inventaires de bibliotheques mMievales
C'est sur l'image du lecteur de la Bible qu'il convient de terminer. Religieux, ill'a trouvee facilement dans la bibliotheque de son monastere, que celle-ci soit petite ou grande, bien rangee ou desordonnee; pretre ou laic, ill'a res:ue en don, ou encore achetee a prix d'or. II se rejouit a en contempler la decoration, ou peine au contraire sur l'ecriture trop fine. Peut-etre, a l'exemple de tel roi de France, en lit-il chaque jour un chapitre nu-tete et a genoux157 • Et si l'on pouvait l'interroger, il est probable qu'il aimerait reprendre, a la suite de Hugues, prieur de Chartreuse, ces paroles de Gregoire Ie Grand: « C'est la nourriture de l'ime et sa refection spirituelle que l'intelligence de l'Ecriture divine, infiniment plus precieuse que l'or et la topaze, Ie miroir de l'ime qui montre sa beaute ou sa laideur, et lui permet de s'emender »158.
A r ' l'exception du Psautier et des Evanvolumes. Nous ~~rs les m:~e~nlV;:~!~r~ volumes. En editions isolees, nous (llican romain hebraique et grec) , en un giles, dans une . 1 e nouv avons un Psa~t1er es qutdruplci gal mo~ et celu; de Job; de meme, les ecrits volume.; de meme IA lvres E eltr~so canoni ues et les Actes des Apotres; ~es apostohques; . de m.eme, le~ p d Les\nciens sont : Gregoire, Patenus, Peres sont SOlt ancle~s, ~01t ~o er~~s. Jerome Origene Cesaire, Isidore, u~~; ~~~s Les m~dernes s~nt : Bede, Alcuin, Hilaire, Basile, Am bOlse, Ephrem, Autpert, et eau~oup u h .. Anselme de Lucques, Anselme de Raban, ~ernold, Yve~Hll:lmo~uZ:~t a~i~~re Damien, Pierre Abelard, Pierre Cantorbery, Hugues, ;,atlen, pP r ~n meme de ces auteurs, nous pouvons bien une ceuvre partagee en plusieurs Lombard et beaucoup autres. I ou avoir plusieurs <;euvres en un vo ume, oue les ceuvres de divers auteurs, ou volumes; ou blen un volu~e regr~~psuivant ce plan dressons l'inventair~ encore chacun occupe auteur son voque ume. des ceuvres de chaque nous venons de citer,' de celles bien sur qUl se trouvent chez nous.
APPENDICE Prologue du catalogue de la bibliotheque de Priifening ( 1I6 5) Afin que Ie mince tresor de notre bibliotheque soit connu de fas:on claire et parfaite, il faut proceder avec un certain ordre. Les livres procedent soit de l'autorite divine, de l'Ancien aussi bien que du Nouveau Testament, soit de l'autorite humaine. A propos des livres divins, il faut savoir avant tout que, de meme que I'Ancien Testament est partage en quatre ordres, la loi, les prophetes, les hagiographes et ceux qui sont extra-canoniques _ la loi consiste en effet dans les cinq livres de MoIse; il y a huit livres prophetiques : Josue, Juges, Samuel, Malachie, IsaIe, Jeremie, Ezechiel, les douze prophetes; neuf hagiographes : Job, les Psaumes, les Proverbes, l'Ecclesiaste, Ie Cantique des cantiques, Daniel, les Chroniques, Esdras et Esther; en dehors du canon, il y a Tobie et Judith; quant au livre de la Sagesse et a celui de Jesus, fils de Sirach, ils sont inconnus chez les Hebreux _ de meme, dis-je, Ie Nouveau Testament se partage lui aussi en quatre ordres : les quatre Evangiles; les ecrits apostoliques, c'est-a-dire l'Apocalypse, les Actes des Apotres, les Ep1tres canoniques et les Epitres du bienheureux Paul; les Peres, c'est-adire ceux qui ont ecrit sur tous ces livres ou sur la foi ou en vue de l'edification; et en dehors du canon on trouve les livres composes sans profit de ce genre. Nous avons donc tous les livres de l'Ancien Testament et, du Nouveau, les Evangiles et les ecrits apostoliques dans une Bible ancienne en trois 157· Tradition sur la Bible de Charles V, rapportee chez les celestins de Paris; cf. BN, lnanuscrit fran!;ais 15 2 90 , p. 3; Charles Va lu chaque annee la Bible en entier, et cela pendant quinze ou seize ans d'apres Philippe de MEZIERES, Le songe du vieilpeJerin, ed. G. W. COOPLAND, t. II, Cambridge, 1969, p. 25 6. 8 15 . Lettre it Boniface, archeveque de Cantorbery, du 8 novembre IZ50, pubIiee par S. GUICHENON, Histoire genealogique de la Royale maison de Savoie, t. IV, Turin, 1780, p. 58. _ En terminant, nous voudrions exprimer toute notre reconnaissance it Dom P.-M. Bogaert et it M. A. Vernet, qui ont bien vouIu reIire notre etude et I'ameIiorer par de precieuses suggestions, ainsi qu'it la Section de Codicologie de I'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes, se trouve commodement rassemble l'essentiel de la documentation mise en ceuvre dans cetou article.
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Traduit d'apres MBKDS [2.7], t. IV, p. 422, I. 41-74.
Pierre PETITMENGIN.
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Versions et revisions du texte biblique
L'histoire de la Bible en latin du IXe au XlIIe siecle est un vaste sujet difficile a cerner. On prend conscience, de plus en plus, des recherches aeffectuer, et on perc:;oit la methode asuivre desormais beaucoup mieux qu'on ne domine vraiment Ie sujet. Cela est vrai, malgre les resultats tres considerables obtenus depuis la fin du XIXe siecle, qui ont renouvele nos connaissances sur la carriere medievale de la Vulgate de Jeromel • L'Histoire de la Vulgate pendant les premiers siecles du Moyen Age, de Samuel Berger (1893), reste aujourd'hui l'ouvrage fondamental sur Ie sujet, precieux bien que nombre de ses conclusions aient ete infirmees depuis 2 • L'edition critique du Nouveau Testament, entamee a Oxford en 1898 par l'eveque Wordsworth et H. J. White, achevee en 19543 , ainsi que la grande edition romaine actuellement preparee par les Benedictins (commencee en 1926, elle a atteint Ie livre de Daniel)4, offrent aujourd'hui I. Je suis redevable au pr Richard H. Rouse, de l'Universite de Califomie, de ses encouragements et conseils tout au long de la mise au point de cet article. L'expression« Vulgate de saint Jerome» suit l'usage conventionnel, quoique l'ensemble des livres bibliques constituant la « Vulgate» ne remonte pas necessairement it la traduction de Jerome. Cf. R. LOEWE,« The Medieval History of the Latin Vulgate », dans [5], p. 108; E. F. SUTCLIFFE, « The Name Vulgate », dans Bi, 29, 1948, pp. 345 et s. Z. BERGER [z9]. 3. Novum Testamentum ..• latinae secundum editionem sancti Hieronymi, ed. J. WORDSWORTH, H. J. WHITE, H. F. D. SPARKS, Oxford, 1898-1954. Cf. B. FISCHER, « Der Vulgata-Text des Neuen Testamentes », dans Zeitschr.J neutest. Wiss.,46, 1955, pp. 178-196. 4. Biblia Sacra iuxta latinam Vulgatam Versionem .•. cura... monachorum Sancti Benedicti edita, Rome, 19z6- (en cours). Cf. J. GRIBOMONT, « Les editions critiques de la Vulgate », dans Studi Medievali, 2, 1961, pp. 363-377.
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les outiis essentie1s pour mieux connaitre la t adi· V~Igate; de n~uvelles et attentives recherches su: le:7an ~~xtu;lIe de la cnts se sont aJoutees aces editions 5 • nu es e manusCes recherches se sont portees la plu art d t fondamentaux pour l'etablissement du te~te deusa~:::)~:~lesLmanu.scr~t~ des manuscrits anterieurs au lXe sl·.l.cle t d e. a maJonte • t: ,e ceux u lXe et d' , . contlennent une tradition plus ancienne du texte bi. ap~e~ q~ gn~usement collationnes et regroupes en familIes D:~~ud ont ete ~Ol tatIon, la connaissance historique du sUJ· et a et: . aU e cette ?~le,n Personne n'a en a ' 'd ,. e cuneusement blalsee. . g ge une etu e systematIque des manuscrits de la V 1 t qUl nlous res tent, et plus particulierement de ceux d'apres Ie x u. ~~ e e D e p us on a eu tendance a traiter . Slec e. e e seulement d'un point de vue te tu cles manuscr~ts ~es x et xr siecles x e comme temotns d' di . , . anteneure, sans les replacer dans leur' contexte hi t . une tra tlOn beaucoup a faire, et du travail de b 1 VIs onque. II reste donc ase, sur a u gate de l'apres-lXe siecle.
I Les reformes du texte bibli ue end 1 ,. .. essentielles a une histoire d ql vP 1 ant a, p~71Ode carolinglenne sont ,. , e a u gate medievale P l' 'di . s tnteresse au te:x:te de saint J' ' 1 .. our eru t qUl importants. Dans son Memoire e;o~:"t. ~~. manuscnts carolingiens sont Dom Quentin commence son e~~ ~a ISsem.ent du texte de la Vulgate, e deux principales revisions du texte aue~~a~lIfs del:uadnuscrits par les celIe d'Alcuin C'est qu'l·l e t .1 ec e, ce e e Theodulf et . . s essentIe de conn At 1 f:·l . glennes pour determiner l' 1 d 1 . at re es anu les carolinulterieurs. Pour le medievi~:P ~ .eur tnfiuence sur les manuscrits lingienne est captivante en e~:~ tlon btextue1.le de la periode caroblemes de la Vulgate Pour h al~ ~ne onne tntroduction aux promentales reviennent .. com c aq~e penode, les memes questions fondaparlent d'une BI·bl· .m~nt tnterpreter les sources medievales qui e « corrlgee » ;l Dan 1 ont-e1Ies ete faites, et dans que1 b~t ;l Ens ~u~ contexte ces corrections s.ont-elles apparues dans nos texte ;l. C general, com~e?t des variantes tIon et de diffusion des . s. omment les conditIons de producLa periode carolin rr::::UU:C:lt~ ~nt-e1le~ in~uence Ie texte de la Bible? Berger et de Corssen g . ete s,crutee d abord par les travaux de de Rand sur la peinru'r!~sl'~;;ic les etud~s ~onumentales de Kohler et par Dom Fischer Cette p' . d ture carolinglenne, enfin et plus au fond eno e peut donc no us initier aux problemes .
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tu:
5· Voir en particulier QUENTIN [ J ' . F. C. BURKITT, dans ]ThS 43, etude qUI suscita de nombreuses repliques f 2 0 pp. 197 et s.; D. J. CHAPM' 24d 19 3, pp. 4 6 et s.; E. K. RAND, dans HThR I , c. AN, ans RB, J7, 1925, pp. 5 et s. et 365 et s. ' 7, 19 24,
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que rencontrent les specialistes 6 • A partir des travaux de Dom Fischer, on peut voir comment une etude attentive des manuscrits conserves peut apporter un debut de reponse aux questions enoncees ci-dessus. Il faut mettre en jeu la connaissance des ecritures et de la decoration pour determiner la date et Ie lieu de production des manuscrits, de pair avec une etude poussee de leur texte (si possible par une collation complete de tous les livres de la Bible); enfin, il faut ancrer cette connaissance fermement dans une vision generale des efforts intellectuels et de l'erudition dans la periode en cause. La reinterpretation de la Bible par les specialistes modernes revele aussi Ie danger auquel on s'expose en s'en tenant ala lettre des documents; les pretentions extravagantes des sources medievales ne peuvent etre interpretees qu'en fonction des manuscrits qui nous res tent. Longtemps on s'est satisfait d'une histoire relativement simple de Ia Bible carolingienne7 • Charlemagne aurait encourage I'erudition; il aurait ordonne a ses savants d'etablir des textes de livres liturgiques importants, qui puissent servir d' edition standard dans toutes les eglises de son royaume. Il a effectivement essaye de Ie faire pour la regIe de saint Benoit, Ia collection de droit canonique connue sous Ie nom de « Collection dionysio-hadrienne », et pour Ie sacramentaire gregorien8 • Et puisque la Bible est un livre de base pour toutes les activites de l'Eglise, il semblait naturel de postuler que l'empereur aurait choisi une Bible qui donnerait Ie texte standard, faisant autorite dans tout l'Empire. Or on savait qu' Alcuin, tout afait adapte a cette tache de par sa formation en Northumbrie, avait en effet prepare une Bible « corrigee »; d'ou la conclusion generalement admise que la Bible d' Alcuin avait ete preparee sur les ordres directs de l'empereur, et qu'il s'agissait du texte« imperial» dont la logique semblait commander I'existence. Il est instructif de retracer, meme brievement, Ie processus qui a permis d'infirmer cette theorie. Les directives les plus importantes de Charlemagne ayant trait a Ia Bible, ou du moins aux parties liturgiques de celle-ci, sont Ie capitulaire connu sous Ie nom d' Admonitio generalis et la lettre intitulee Epistola de litteris colendis. Dans son Admonitio generalis, qu'iI adresse au clerge de son royaume en mars 789, Charles se preoccupe de la creation d'ecoles dans les dioceses et monasteres, et de la copie exacte et soigneuse des textes liturgiques, surtout des evangiles, des psaumes et du missel.
6. BERGER [29], pp. 145 et s.; K. MENZEL, P. CORSSEN et autres, Die Trierer AdaHandschrift, Leipzig, 1889; W. KOHLER, Die karolingischen Miniaturen. I : Die Schufe von Tours, 2 vol., Berlin, 1930-1933; E. K. RAND, Studies in the Script of Tours, 2 vol., Cambridge, Mass., 1929-1934; ID., « A preliminary Study of Alcuin's Bible», dans HThR, 24, 1931, pp. 324 et s.; B. FISCHER, Die Afkuin Bibef, Fribourg en Brisgau, 1957; ID. [34] et [35]; ID., « Die Alkuin Bibeln », dans Die Bibef von Moutier-Grandvaf, ed. J. DUFT, Berne, 1971, pp. 49 et s. 7. F. L. GANSHOF [36], qui revisa ses positions en 1974 [37]. 8. FISCHER [35], p. 158; D. BULLOUGH, The Age of Charlemagne, Londres, 1973 2, p. IIO.
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Qu'on cree dans tous les monasteres et les eveches des ecoles' les enfants y etudieront les psaumes, les notes, Ie chant, Ie comput et la 'grammaire Q,u:on co~rige ~vec ~oin les liv~es, ~atholiq';les; souvent' en effet ceux qui deslrent bIen pner Dleu Ie font a I a~de ~e hvres fautifs; ne laissez pas vos e~ants les co.rro~.rre er:core en les .etudiant ou en les copiant. Quant a la tache de <;
Dans son Epistola de litteris colendis, qui remonte aux annees 780-800 (7 84-7 8 5 ?), Charlemagne donne instruction au cIerge d'encourager l' etude des lettres (Iitterarum studia) , pour permettre une meilleure comprehension des Ecritures 10• . Dan~ ces deux de;rets, ~harlemagne enonce les raisons pour lesquelles 11 se preoccupe de 1 exactItude des textes, et particulierement de ceux de nature liturgique. II pense qu'un niveau minimal d'education est necessaire pou~ parvenir a ce~te ~xactitude, et que s'il n'est pas atteint, on ne peut esperer demander aDIeu comme il convient ce qu'on attend de lui. L'education est aussi necessaire pour comprendre la base fondamentale de la religion chretienne, c'est-a-dire la Bible. D'aucuns ont concIu de ces documents que Charlemagne aurait voulu qu'on ne diffuse dans ses territoires qu'un seul et bon texte de la Biblel l. C'est Ii forcer les textes. Ceux-ci nous montrent plutot Charlemagne sous l'aspect d'un souverain soucieux avant tout des choses prat~ques.' qui pense qU:il faut une Eglise bien ordonnee, capable de serVlr Dleu ~v:ec efficacl~e, et cela avec une comprehension adequate ?es ch.oses divlnes: Par1ll1.1es elements necessaires de son programme, 11 fallalt donc une InstructIon de base, et des textes liturgiques exempts des. fautes les plus grav:es du~.s a l'ignorance et a la negligence des sC!1bes. Le pOlnt essennel qu 11 nous faut resoudre dans ces decrets ~st ce que Charlemagne veut dire par des livres bene emendatae. Seul 1 examen des manuscrits conserves peut nous permettre de decider cela avec un minimum de certitude. Toutefois, il faut encore mentionner un autre decret de Charlemag?e; il re~se~re Ie ~ien. entre celui-ci et les efforts visant a corriger la B~ble. II s aglt de I Eplstola generalis (786-801), dans laquelle Ie souvera~n ordonne d'utiIiser l'homeliaire de Paul Diacre dans tout son empl!e. ponc, puis9.u'il est de notre tache que 1'etat de nos eglises progresse
t?uJ~urs en m1eux, nous nous preoccupons d'un soin vigilant de reparer
I ateber des lettres, que la negligence de nos ancetres a presque efface. Et
a
9· MGR, Capito I, p. 60. 10. Ut jaci!ius et .rect~us divi~arum scrip/~rarum mysteria valealis penetrare. Cf. L. WALLACH, Charlemagne s De IZt/errs colendis and Alcwn. A diplomatic-historical study» dans Speculum 26,195 1, p. ~9?.Voir E. E. STENGEL, Urkundenbuchdes Klosters Fulda, I, Marburg, 1958, pp. 246~ 254· On SUlt ICI la date proposee par FISCHER [35], p. 15 6 . II. GANSHOF [36], pp. 7-8.
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notre exemple, nous invitons aussi tous ceux qui dependent de nous a se livrer sans retenue a1'etude des arts liberaux; c'est ainsi qu'avec l'aide universelle de Dieu, nous-memes avons fait corriger rigoureusement tous les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, corrompus par l'imperitie des editeurs!2.
L' Epistola generalis dit bien qu' on aurait essaye de corriger la Bible tout entiere, depuis longtemps (iampridem), et avant 801; Charlemagne en avait connaissance et aurait apparemment approuve l'entreprise. Or d'apres les manuscrits conserves de la Bible, et d'apres la date inferee de la directive, il est improbable que l' Epistola generalis ait trait a la Bible d'Alcuin13 • La Bible elaboree par Maurdramne, abbe de Corbie de 772 a 781, representerait l'un des premiers efforts visant a obtenir une meilleure Bible. Le texte de cette Bible, dont cinq volumes ont survecu sur les douze d' origine, merite un examen plus complet : il semble etre un precurseur du texte d' Alcuin, plus etroitement relie a la famille des manuscrits italiens qu'a la famille espagnole 14• Bien que, materiellement, cette Bible en plusieurs volumes n'ait rien apporte de nouveau, dIe est correcte dans son orthographe; et au titre de premier element datable de la minuscule carolingienne, dIe represente un pas important dans les perfectionnements de la production de manuscrits, si importants pour l'influence ulterieure de la Bible carolingienne. Le groupe de manuscrits connu sous Ie nom de « Groupe d' Ada », a 1'Ecole de la cour de Charlemagne, est encore plus etroitement lie a la cour imperiale que la Bible de Maurdramne. Ces splendides et luxueux ouvrages (sept manuscrits des Evangiles et un psautier) furent produits peut-etre a Aix-Ia-Chapelle, entre 78 I environ et 814. Cependant, on ne sait toujours pas si ces manuscrits sont ou non Ie resultat d'une revision du texte qui aurait ete effectuee a Aix. Comme la Bible de Corbie, ils semblent parents du texte d' Alcuin. Le texte du psautier est la version gallicane, c'est-a-dire la revision des psaumes faite par saint Jerome a partir des Hexapla d'Origene. C'est aussi la version retenue par Alcuin pour sa Bible, et grace a l'influence du scriptorium de Tours, elle s'est repandue dans les pays de l'Occident latin au cours des siecIes suivants 15• La Bible de Maurdramne et les manuscrits du Groupe d' Ada apportent la preuve que circulait un type de texte parent du texte utilise par 12. MGR, Capito I, p. 80; FISCHER [35], p. 156; GANSHOF [36], p. 7, suggere une date entre Ie 19 avril 800 et Ie 29 mai 80r. 13. FISCHER [35], pp. 160-163; GANSHOF [37], pp. 275-276. 14. Amiens, BM, 6, 7, 9, II et 12, et Paris, BN lat. 13174, ff. 136, 138; QUENTIN [43], pp. 279-280 et FISCHER [34], pp. 587-588, soutiennent Ie rapport avec Ie texte d'AIcuin. BERGER [29], p. 102, pensait que Ie texte de cette Bible differait profondement de celui d'AIcuin. 15. W. KOHLER, Die karol. Miniaturen, II, Berlin, 1958; III, Berlin, 1960, pp. 1-93; FISCHER [34], pp. 588-590; MENZEL et CORSSEN, op. cit., n. 6, pp. 29-61.
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Alcuin, et ils sont des indices du genre d'activites qu'inspiraient et encourageaient les interets de Charlemagne. La Bible produite a Metz, tres vraisemblablement sous la direction de l'eveque Angilram (t 79 1 ) est d'importance avant tout en raison de son format. Cette Bible, dont il ne subsiste que la seconde partie, est la premiere Bible carolingienne de grand format, complete en un seul volume : c'est-a-dire du type qu'on associe exelusivement a Alcuin et au scriptorium de Tours 16. Avant Ie IXe sieele, les « pandectes », ou recueils complets, n'etaient pas inconnus. Le prototype Ie plus celebre en est Ie codex grandior decrit par Cassiodore dans ses Institutiones : Un livre de grand format ecrit en caracteres tres Iisibles, ou I'on trouve Ia traduction de l' Ancien Testament selon Ies Septante, a quoi fait suite Ie Nouveau Testamentl7. Le Codex Amiatinus, produit sous la direction de l'abbe Ceolfrid 9-7 16) au monastere de Wearmouth-Jarrow en Northumbrie, est un autre exemple celebre1B. II existe donc des precedents a la Bible de Metz. Cependant, c'est seulement au IXe sieele que cette forme d'une Bible complete en un volume se generalise et qu' on en trouve des exemplaires en nombre significatif19. De par son texte. la Bible de Metz ne semble pas apparentee a celIe d'A1cuin, bien qU'elIe ait ete corrigee d'apres e1le par la suite; son texte represente peut-etre celui qui etait alors en vigueur dans Ie nord de la France2o. (
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La plus celebre des revisions carolingiennes de la Bible est, sans aucun doute, celIe qui est associee a A1cuin. La Bible d'A1cuin n'etait qu'un avatar entre autres des efforts inspires par l'idee que se faisait Charlemagne des activites propres a une Eglise efficace, et par son desir de produire une Bible « corrigee ». Neanmoins, cette Bible etait promise au plus bel avenir : son influence est due tres largement a la preeminence du scriptorium de Tours apres la mort d'A1cuin et a l'aspect exterieur des Bibles qui y etaient copiees. A1cuin etait ne pres de York vers 730-73521. II etudia la sous la 16. Aujourd'hui Metz, BM 7 (CLA, 786). Le manuscrit mesure 46 X 33 cm, et est ecrit sur deux colonnes de 4 0 lignes. FISCHER [34J, pp. 59 0-59 1 ; KOHLER, op. cil., ill, 2. Teil : Die Metzer Handschrijten; BERGER [29J, pp. roo et s. 17· InsJituJiones, I, 14, 2-3, ed. MYNORS, Oxford, 1937, p. 40. 6 18. Cf. FISCHER, « Codex Amiatinus und Cassiodor », dans Biblische Zeitschrijt, NF, 6, 19 2, pp. 57 et s.; aujourd'hui a Florence, Bib!. Medicea-Laurenziana, Cod. Am. 1. 19· Outre celui qui survit sous Ie nom de Codex Amiatinus, il est certain que Ceolfrid disposait de deux autres pandectes; voir FISCHER [34J, p. 560. Des fragntents d'un pandecte espagnol du VU" siecle subsistent a Leon, Cathedrale 15; voir FISCHER, o. c., p. 5 , cf. 62 Herbert KEsSLER, Princeton, 1977, p. The 3. Illustrated Bibles from Tours (Studies in Manuscript IllUlIIination, 7), 20. FISCHER [34J, p. 59 1 , rejette la these de BERGER pour qui ce texte etait Ie resultat d'un melange d'influences irlandaises et wisigothiques [29J, pp. 100 et s. 21. LOEWE, op. cit., n. I, p. 134.
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, 1Elb t re<;ut ainsi une education des meil1 ert, e l ' nfia vers 7 l'ecole palatine direction d'Egbert et d 82 leures pour l'epoque. ~har.emagn~ ~s c~'a s~ mort ed 4, i1 fut abbe 80 d' Aix-Ia-Chapelle et, d envlton 79 J q , . d' 'rudit pour ses de Saint-M~rtin de Tours. SOt e~e;l:~:~sre~:;:i~~~ e: partie l'interet contemporams comm~ pour es s o , qu'on a .por~e a sa Blble. "travailler a sa Bible avant 79 6 environ, Alculn n a pas comm~nce ~ . t Martin22 En 800 A1cuin a envoye quand il est devenu abbe de. am - l'Evang'ile de s~int Jean a Gisele ti de son commentalre sur , une par e . helles our les lectures du temps de Careme. de C reV1SlOn , . .' P de la Bl'ble. Dans la lettre accompaet Rotrude, '11' moruales 1 rune II traval alt a ors su avant Piques 800 1'1 explique pourquoi ses com. gnant son envOl, peu mentaires sur les quatre E vangl'1es, qu' 'il avait promis, ne sont pas acheves : . .. d ' ommentaires de tout I'Evanglle, Sans doute vous ~u,ralS-)e a reI~sedmed c seigneur roi de corriger l' Ancien si je n'etais pas occupe a e~;cuter or re u et Ie Nouveau Testament . , N thanae1» c'est-a-dire a FreEt dans une Iettre ~~'il;~;:sel~i~~in a deelare que Fredegise doit degise, plus tard abbe a D ' ne Bible en guise de cadeau: presenter a Charlemagne,« aVl », u .. .
d
.. aix remets a mon seigneur Davld Ia mlSSlve Au petitesse, jour de Noel, " t de la divine Ecriture et quelques de rna avechom~e Ie tres dey samt presen 24 mots de saIut •
'bl d' A1cuin a done ete offerte a Charlemagne SeIon Ganshof, la B~ e , N "1 de l'an 800. Dom Fischer e lorsqu'il a ete couror:n emp;r~ur a , ~~tee a Aix-Ia-Chapelle l'annee pe?se plutot q~~lla, B~bl~~, ~:n::r~eP:~~e dont parle la lettre a GiseI~25. SUlvante, et qu e e etalt e. ervise la production d'au molUS Outre ces deux. Bibles, AlcUln s:Fait abbe a Saint-Martin. Dans ses . que l'une d'elles a ete faite quatre autres Bibles pendant. qu ' d" d tion AlcUln mentlOnne . poemes lUtro uc , A a Mais aucun des manusctlts pour Gerfrid de Laon, e,t une .autr~ po~ ~fi' ble a l'une de ces quatre survivants du temps d A1cUln nest 1 en a 26 Bibles . 1 oduction de six Bibles compU:tes Attestee par Ies documents, a pr 1 1 Bible de Saintest une veritable prouesse. II est dommage que seu e a
;1
, " er Ia B'ble en 7 selon GANSHOF [36], qui s'appuie 22 Alcuin aurait commence a reY1s d yl (M7~H, Ef>i.rt. IV nO 121, pp. 17 6- 1 77). . , . 'I t des hvres e ORK r , , B'bl sur la lertre d Alcwn rec aman. , t rise a relier cette lettre avec la 1 e. FISCHER [35J, p. 172, note que.nen n au ~ 23. Lettre 195 (MGH, Epz.rt., IV, 3 3)' 24· Lettre 262 (op. cit., p. 420). 2 8' FISCHER [35J, pp. 161- 16 3. 25· GANSHOF [3 6], p. 14 et [37J, p. 7 ;83- 29 2 ' FISCHER [35J, p. 162. 26. MGH, PLAC, I, nOB 6 5- 69, pp. ,
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Gall 75 ait survecu dans sa totalite, car c'est loin d'etre un tres beau manuscrit. Du point de vue de l'orthographe, elle est mediocre, et elle n'a pas les decorations splendides et 1a mise en pages minutieuse qui caracteriseront les autres Bibles dites d' Alcuin. Les manuscrits d' Ada et les Bibles produites par Theodulf, contemporain d' Alcuin, sont des reussites beaucoup plus impressionnantes, des points de vue artistique et calligraphique. II est donc tres peu probable que Ie manuscrit de SaintGall soit la Bible qui a ete reellement offerte a Charlemagne27 • A propos des manuscrits produits a Tours du vivant d' Alcuin et de ses successeurs Fredegise (807~8 34), Adalhard (834-843) et Vivien (844-851), il nous faut encore repondre a deux questions 28 • La Bible d' Alcuin a-t-elle ete realisee a la demande de Charlemagne pour servir de modele officiel pour Ie royaume ? Aucune preuve ne nous permet de tirer cette conclusion. Au contraire, la Bible d'Alcuin n'etait qu'une bible parmi un certain nombre d'autres produites« pour» Charlemagne, et sa popularite et son influence sont posterieures a la mort et d' Alcuin et de Charlemagne29• Deuxiemement, que voulait dire Alcuin lorsqu'il disait etre occupe in emendatione veteris novique testamenti? Au dire de certains, Alcuin recherchait les meilleurs manuscrits possibles. En 797, il fit venir des livres de Northumbrie; on a presume que parmi ceux-ci se trouvait une Bible, et qu'ainsi Alcuin connaissait deja les conclusions de certains specialistes modernes de la Bible, c'est-a-dire que Ie texte de Northumbrie, descendant du texte Amiatinus, est l'un de nos meilleurs temoins du texte de saint Jerome. Rien cependant ne prouve qu' Alcuin aurait rec;u une Bible parmi ces livres 30• Dom Quentin a pretendu que pour l'Octateuque, Alcuin s'etait inspire de l'Amiatinus; selon Berger, Wordsworth et White, son Nouveau Testament descendrait des manuscrits northumbriens et anglo-saxons sous influence irlandaise. Or il s'avere qu'en general Alcuin a utilise sans discernement les manuscrits existants dans Ie nord de la France a son epoque. Le credit des manuscrits northumbriens et de l' Amiatinus en particulier est dft tres vraisemblablement a leur influence sur des manuscrits qui circulaient en Gaule des avant l'epoque d' Alcuin. Cette conclusion semble etre valable en gros, mais n'oublions pas qu'il faut, pour chaque livre ou groupe de livres bibliques, determiner quels en sont les ancetres : ceci independamment des autres, et qu'il s'agisse de la Bible d' Alcuin ou de toute autre Bible. Ainsi dans
o
2.7·
RAND,
Bibel, p. 8. 2.8. crlts. 2.9· 30 . p. 593· o
« A preliminary Study.•. » (op. cit., n. 6), p. 337. a.
FISCHER,
Die Alkuin
FISCHER,
op. cit., pp. 13-14 et RAND, op. cit., pp. 32.7 et s. donnent la liste des manus-
FISCHER,
op. cit., p. 19, et [34], p. 593.
GANSHOF
[36], p. 15;
GLUNZ
[38], pp. 2.9-32.. Voir
FISCHER
[35], p. 172. et [34],
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les livres sapientiaux de la Bible d' Alcuin, l'influence des manuscrits espagnols est-elle importante31• Les interets d' Alcuin n'etaient pas ceux d'un spedaliste moderne de la critique biblique, qui recherche les meilleurs manuscrits et en compare les diverses lectures; sa tache ne s'est pas resumee pour autant a recopier la Bible en un seul volume. L'influence de sa Bible a ete crudale, en ce sens qu'il a choisi de ne pas utiliser la Vetus Latina. Sa Bible etait une Vulgate, purifiee en partie des interpolations de la Vetus Latina32 • Son choix du Psautier gallican a eu aussi de grandes consequences pour l'histoire ulterieure de la Vulgate33 • Au-dela de ces decisions d' « editeur », la Bible d' Alcuin est Ie resultat d'une emendatio medievale classique, c'est-a-dire la rectification de la grammaire, la suppression des erreurs et des barbarismes des scribes, et la correction de l'orthographe34 • La correction de la Bible que decrit Cassiodore dans ses Institutiones est de ce type 35• Le texte d' Alcuin a ete legerement revise par ses successeurs a Tours, mais dans l'ensemble, il n' a pas change36 • L'influence qu'a eue cette Bible apres Alcuin tient Iargement a l'importance de Tours comme centre de production de manuscrits. Des Bibles produites a Tours avant la mort de Vivien en 851, il reste dix exemplaires complets 37 • La commodite de leur presentation explique aussi leur vogue: ces Bibles de Tours se ressemblent etonnamment. Elles comprennent de 420 a 450 folios, d'environ 50 cm sur 35 a 39 cm, et sont ecrites sur deux colonnes de 50 a 52 lignes 38 • La plupart d'entre elles contiennent les prologues en vers composes par Alcuin, et les livres de la Bible sont disposes dans Ie meme ordre39 • Des l'epoque de Fredegise, ces manuscrits sont magnifiquement ecrits, en minuscules bien tracees, et differentes couleurs et types de capitales delimitent la structure du texte40• D'un point de vue artistique, ces Bibles sont importantes, car, pour la premiere fois en Occident, on a essaye d'y resoudre Ie probleme de l'illustration de 1a Bible comme un tout. Certes on avait deja illustre des manuscrits bibliques. Les Evangiles, par exemple, contenaient ordinairement des portraits des quatre evangelistes. Le Codex Amiatinus presente quelques rares illustrations, notamment un portrait du scribe Esdras (f. v ro), une image du tabernacle (f. 3 r O-4 rO) et une Mqjestas Domini (f. 796 V O). A Tours, sous la direction d' Adalhard 31. QUENTIN [43], pp. 2.80-2.86 et BERGER [2.9], pp. 197-2.05; FISCHER [35], pp. 172.- 174. 32.. FISCHER, op. cit., p. 174· 33. ID. [34], p. 588 . 34· ID. [34], pp. 592.-593 et [35], p. 174· 35. LOEWE, dans [5], pp. 137 et II6. 36. FISCHER [35], pp. 17 1- 172.. 37. Cf. n. 2.8. 38. LOEWE, op. cit., pp. 137-138. 39. QUENTIN [43], pp. 2.86-2.87; BERGER [2.9], p. 332.; MGH, PLAC, I, pp. 2.87 et s.; Biblia Sacra (cit. n. 4), I, pp. 44 et s. 40. LOEWE, op. cit., p. 138; FISCHER, Die Alkuin Bibel, pp. 15-16.
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et de Vivien, un programme plus complet se developpe. La premiere Bible de Charles Ie Chauve, faite a. Tours entre 845 et 85 I, probablement en 845- 84 6, oftte des illustrations pour la Genese, l'Exode et l'Apocalypse, une Mtf/estas Domini qui precede Ie Nouveau Testament, ainsi que Jerome preparant la Vulgate, David composant les Psaumes, la conversion de saint Paul, et un portrait de dedicace41• A la difference de la Bible d'Alcuin, la Bible produite par Theodulf etait un veritable effort d'erudit. Theodulf, ne vers 760 dans Ie nord de l'Espagne, se refugia en France pour echapper a. l'invasion maure. Nomme abbe de Fleury et de Saint-Aignan, il devint eveque d'Orleans entre 78 I et 794· Apres la mort de Charlemagne, accuse de conspirer contre Louis Ie Pieux, il fut depose et emprisonne (8 18), pour etre relikhe avant sa mort en 821. Theodulf revisa sa Bible a. peu pres en meme temps qu'Alcuin. II a da finir avant d'etre emprisonne en 818, et sans doute a-t-ilcommence a. y travailler a. Fleury. Comme il a utilise la Bible d'Alcuin dans une etape au moins de sa revision, il devait etre a. l'ceuvre dans les annees qui ont suivi 800-80 I, date a. laquelle la Bible d'Alcuin etait achevee 42• Les manuscrits des Bibles de Theodulf portent les traces d'une serie de revisions. Theodulf cite de fas;on singuliere les les;ons differentes dans les marges. Dans Ie manuscrit de Paris, BN lat. 93 80, les les;ons du Codex Toletanus sont signaIees par un « s » (= spanus), celles de la Bible d'Alcuin par un « a » (= albinus) et les autres tout simplement par ~( al » (= alia). II a. ensuite etendu ce catalogue des variantes pour y Inelure une comparaIson avec Ie texte hebreu. Theodulf adoptait donc une attitude plus critique que ses contemporains vis-a.-vis de son texte mais il n'en a pas resulte une meilleure qualite de son texte. Les der~ meres phases de son travail denotent une tendance a. incorporer autant de variantes que possible. Ses methodes etaient certainement celles d'un erudit, mais il n'avait pas Ie sens critique qui aurait pu Ie conduire a. trancher parmi les variantes 43• On a pretendu que Theodulf utilisait surtout des manuscrits espagnols. Cette influence espagnole apparait dans certains livres de sa Bible, et meme dans certaines caracteristiques externes, comme les arcs en fer a. cheval des tables de canons, et l'ordre des livres bibliques (qui suit celui d'lsidore); en generall'influence italienne, mamfeste dans Ie texte, est beaucoup plus forte 44• 41. KESSLER, op. cit., n. 19, pp. 4-6. 42. LOEWE, op. cit., p. 126; FISCHER [35], pp. 175- 176 et 182. Sur la Bible de Theodulf en0 general, voir l'etude pionniere de L. DELISLE, « Les Bibles de Theodulphe », dans BEC, 4 , 18 79, pp. 5-47· . 43· FISCHER clI., p. 128.
L'approche erudite de Theodulf est aussi evidente ~ans Ie ~ontenu de sa Bible. II rejette les apocryphes, lIre et .rye LlVres ~ ~sdras, lIre Epitre aux Corinthiens et l'Epitre aux Laodiclens: II. Ch01s~t pour Ie psautier la traduction de l'hebreu par J~rome45. ~t 11 aJ~ute. a l~ fin de sa Bible plusieurs textes savants. Dom FIscher avalt tout a faIt raIson de qualifier la Bible de Theodulf d' « ouvrage de reference, commode et scientifique »46. Les Bibles de Theodulf se presentent sous un format beaucoup plus petit que les pandectes prod~its a. ~ours ..Le BN ~at. 93 80 mesure 32 X 23 cm et est ecrit en ~aracteres tres p~tIts et tres ~ets, en deu.:colonnes de soixante-deux hgnes. II est possIble que Theodulf s: S01t inspire pour ce format de manuscrits espagnols (Ie Codex Cavensts par exemple mesure 32 X 26 cm), ou des yandectes ecrits d'un~ main tres fine (pandectes minutiore manu) de CasslOdore47 • Ses m~m.~scr~ts sont des produits finis, bien ortho~r~phies, de r~marquables ,r~alisatIons sur les plans calligraphique et artIstique. Leur Influence ulteneure a cependant • ete bien moindre que celle de la Bible d'Alcuin48 • Que Charlemagne ait ou non voulu faire d'une seule Bible l~ BIble officielle de l'Empire, la periode carolingienne marque une etape.Importante dans l'histoire de la Vulgate medievale. La Bible d'Alcrun n'est qu'un effort independant par~ beaucoup d:autres, t.out aU,ssi indepe~ dants, qui visaient a. la productIon d'une mellleure BIble. C .est la ~tabl lite politique de l'Empire qui permit ces. efforts, e~ Ie ~a1t aUSSl q~e Charlemagne avait compris que pour etablir une ~glise h1~n. ord0n;!ee, essentielle a. cette stabilite, il fallait d'abord un ruveau mlrumal d InStruction. Or cette stabilite a peu dure. L'histoire du texte de la Bible entre Ie x e et Ie xue sieele presente, on Ie verra, une multitude fangeuse de problemes jusqu'a. present non .res?lus, et ~l est d.onc diffici~e de mesu~er tout l'impact des textes carolinglens. Neanm01ns, les ~~bles c~rohn giennes, et celIe d' Alcuin en particulier, o~t offert. ~ux sleeles SUlvants une palette de modeles. Elles ont ete plutot. explO1tees comme s.ources pour l'amelioration du texte ou pour l~ Ch01X des prolo?ues malS elles ont rarement ete recopiees en entier. L'lnfluence de ces Blbl~s se mes~re aussi a la domination desormais en Occident de la traduction de saInt Jerome. Enfin elles ont aussi fourni a. la posterite des model:s de ~a Bible en tant qu'objet materiel: un format donne, un mode d orgarusation, de decoration ou d'illustration bien precis.
[35], pp. 17 8- 179; E. POWER, dans Biblica, J, 1924, pp. 233 et s.; LOEWE, op.
44· H. F. D. SPARKS, « The Latin Bible », dans The Bible in its ancient and english versions ed. H. W. ROBINSON, Oxford, 1940, p. 119; BERGER [29], pp. 145- 176 ; QUENTIN [43]: pp. 257- 258 ; FISCHER [34], p. 595 et [35], pp. 178-182.
45· ID. [35], p. 17 8. Voir aussi H. de SAINTE-MARIE, Sallcti Hieronymi Psalterium iuxta Hebraeos, Rome, 1954. 46. FISCHER [34], pp. 593-594; QUENTIN [43], pp. 259-266. 47· QUENTIN [43], p. 250 et fig. 6, p. 252; FISCHER [34], p. 594. 4 8. BERGER [29], pp. 177-184; FISCHER [35], pp. 182-183. P. RICHE, G. LOBRICIION
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II L'histoire du texte biblique au rxe sieele a fait l'objet d'importantes recherches, tres eelairantes, a travers les documents et les manuscrits conserves. En revanche, l'histoire de la Vulgate latine du xe au xue sieele a ete a peine ebauchee. II s'agit pourtant d'une periode importante qui a vu nombre d'innovations en matiere de format et d'illustration de la Bible, aussi bien que plusieurs tentatives de correction du texte. II n'existe pas meme un recensement des manuscrits existants, indispensable a une geographie des centres OU l'on produisait des manuscrits de la Bible au fil du temps. L'histoire de la Bible au cours de cette periode est intimement llee a l'histoire de chaque monastere important, mais en fait nous ne savons rien sur les textes copies dans les principales abbayes benedictines, peu de chose seulement sur la Bible cistercienne, et rien du texte utilise et ~~use par les a,utres «,nouv~au:c o~dres »~ ~omme les chanoines augustlruens et les Premontres. II s ag1t d une perlOde de changements massifs dans l'histoire de l'Eglise medievale, mais l'influence d'un mouvement aussi fondamental que la Reforme gregorienne sur la production et l'utiIisation de la Bible, ainsi que sur Ie texte biblique, a tout juste ete reconnue, et jamais a fond examinee. Un vaste champ est ouvert encore pour l'histoire du texte de la Bible pendant cette peri ode. Ce qu' on en a dit repose en general sur une extrapolation retroactive, a partir du texte du xure sieele, un texte dont l'histoire est elle-meme incomplete49. Dans son Histoire de la Vulgate pendant les premiers siecles du Mqyen Age, Samuel Berger se penchait surtout sur la periode d'avant Ie e x siecle. II avait une connaissance tres profonde des manuscrits medievaux de la Bible, et donc ses conelusions sur l'histoire ulterieure du te~te meritent l'attention. Mais i1 ne les a pas etayees de preuves convamcantes. Pour Berger, la periode du x e au xure sieele a ete une ere de grande perturbation dans l'histoire de la Vulgate: les textes yetaient copies sans uniformite, et s'eloignaient ainsi de plus en plus du texte 50 de saint Jerome • Le texte qui circulait en France au xne sieele etait a ses yeux une version corrompue de la Bible d'Alcuin. Presumer que toutes les Bibles produites apres Ie rxe sieele sont de mauvaises versions des textes carolingiens, represente une simplification d'un probleme
~ n'existe pas d'histoire generale du texte de la Vulgate pour la periode qui va du x" sleele, en dehors de GLUNZ [38] et des sections appropriees de QUENTIN [43] discutees cl-dess~us. Les expos~s SUI la Bible du XIII" sif:ele se boment souvent a opposer l' « ordre » ~resente par Ie XIII" sleele au chaos des sieeles precedents. Pour la Bible du XUI" sieele , voir mfra. 50. BERGER [29], p. 329. 49;
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generalement acceptee51• Plexe', et c'est pourtant la une theorie comLe h d t t stOlr~, u ex e seul ouvrage important a se penc ~r sur l'hi' e res Ie rx siecle est I'History of the Vulgate In England, publiee en 1933 a:;r H. H. Glunz. En bref, Glunz y soutient qu'a partir de l:ep?~ue ~'Alcuin se developpe, et cela specialement dans les c~n~es d exe~ese non monastiques, une croyance selon laquelle Ie. texte b1blique .contlent integralement la verite que l'Eglise a Ie, ~e;01r. de commuruquer au royant comme etant la doctrine. Cette vente qUl est contenue dans .la ~ible ne peut cependant etre connue qu'a l~ lumiere de l'e~egese ~atns tique. Cette croyance, moulee dans Ie climat de scol,as~que na1~sant alors dans les ecoles, et influencee par la force du realisI?-e. log1~ue, engendre un nouveau texte biblique. Les types de te~te .qUl ClrCu1a1ent jusqu'a la revision d' Alcuin et meme a son epoque, amS1 que 9uelq~es types ulterieurs produits dans les centres conservate~s Jl~s~u au xr e sieele, descendent en droite ligne de la Vulgate de sam;, Je~o~~; et les variantes familiales qu'ils presentent ne sont dues. qu a ~ 1neV1tables erreurs de scribes et a des contaminations du latln anC1en. En revanche les textes bibliques produits par la suite sont Ie resultat de l'introdu~tion deliberee de les:ons conformes .a l'exegese ,Patristiq,ue, sans laquelle les contemporains considerent la B1ble comme lUco~plete. Glunz fait remonter cette evolution du texte a une date tr~s anC1enne, en trouvant quelques les:ons qui, a son avis, sont dues a l'lUfluen~~ de l'exegese patristique des Ie debut du rxe siecle. Au cour~ ,des s1e~les suivants un nombre croissant de les:ons de ce type ont ete. adoptees, se stand~rdisant progressivement avec l'emergence au xn e Steele d'un commentaire formalise, la Glossa Ordinaria, et finissent par se trouver ., Ie52 . a la base de la « Bible de Paris» au xnre Slec L'etude de Glunz n'a malheureusement suscite au~une autre recherche d'ensemble. Plusieurs points dans son argu~entatlOn assez co;nple~e ont ete discredites, en particulier ses deelaratlOns sur Ie text~ d AI~m et sur l'histoire de la Glossa Ordinaria au xn e sieele; ~t un de.St1n cune~x fait que les travaux de Glunz ont ete ou bi~~ ignore~, ou bIen ac.ceptes sans reserve 53• Deux reactions mal appropnees, car a tout Ie molUS les ses concIus l'ons de Glunz doivent etre mises a l'epreuve. . Et comme I . collations de textes se sont limitees a des man~scnts a~g alS et au~ Evangiles, il faut etendre l'enquete aux manuscnts contlnentaux et a toute la Bible. 5I. ID., La Biblefratlfaise au Moyen Age, P:ris, 1884, p. 151; cf. Frederick KENYON, Our Bible and the ancient manuscripts, Londres, .193? ' P: 190: dan 1 't de Londres BL 52. GLUNZ [38], pp. 97-258 en part1~e:; 11 VOlt s e manUscrl , , 0 60 Egerton 9 un temoin de l'inHuence patrlstlque (p. 9 ). . d l' 'el d LOEWE supra n 30 et infra pp. 81-82. Vne lecture attentive e art!.e. e .. ' dan;1;], r6vele qu'ii ad~ptait bie'n des idees de Glunz. II n'existe aucune appreClatIOn crItique de l'ensemble du travail de Glunz.
Cf
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Le Livre
Mais il a bien vu qu'on ne peut assimiler Ie texte de la Bible apres Ie siecle a une mauvaise version de textes du rxe. Bien que les explications de Glunz au sujet de l'apparition de nouvelles les:ons doivent etre testees encore, ses comparaisons sont interessantes; et cela d'autant plus que Denifle, dans son etude des « correctoires » (correctoria) du xm e siecle, publiee en 1888, a trouve dans la Bible d'Etienne Harding, du debut du xn e siecle, des les:ons qui reapparaissent dans Ie texte du XIn e54• La seule autre etude pertinente est Ie Memoire sur l'etablissement du texte de la Vulgate, de Dom Quentin. II y analyse trois familIes de manuscrits, representees surtout du x e au XIIe sieele55. La famille espagnole, ou plutot, puisqu' on peut y distinguer plusieurs groupes, les familIes espagnoles, ont ete etudiees en long et en large dans les tentatives visant a etablir Ie texte veritable de saint Jerome. Ces manuscrits sont lies, de par leur texte, a une peri ode bien plus ancienne; l'isolement geographique et politique de l'Espagne contribuait a la survie de types de textes qu' on peut faire remonter a la recension du ve siecle, associee au nom de « Peregrinus » et a la revision effectuee par Isidore a la fin du VIe et au debut du VIle sieele56• De ce fait, on a prete attention a leur texte seul, au detriment des conditions reelIes dans lesquelIes ils ont ete produits et utilises. II y a la famille des manuscrits du sud de l'Italie, dite « groupe cassinien », parce que la majorite de ses manuscrits se trouvent aujourd'hui dans la bibliotheque de l'abbaye du Mont-Cassin. ElIe est reliee du point de vue du texte, et surtout dans 1'0ctateuque, a un manuscri; ~sp~gnol du IXe siecle (Cavensis), ainsi qu'a d'autres manuscrits d'origine ltalienne. Les manuscrits de ce groupe, dont la majorite remonte aux x e et XIe siecles, sont de grands livres, ecrits en ecriture beneventaine et ne contenant chacun qu'une partie de la Bible57 • Dans une discussion d'ensemble sur l'histoire de la Vulgate, on a tendance par commodite a se concentrer sur les principaux manuscrits contenant la Bible au complet en un seul ou en plusieurs volumes; cependant ce groupe nous ra~pelIe que, ~ien plus souvent que la Bible complete, on copiait des partles de la Blble selon les besoins des commanditaires et cela surtout avant Ie XIIIe siecle. Les rassemblements naturels d~ Livres IXe
54· DENIFLE [31], pp. 269-27°' 55· QUENTIN [43], pp. 298-384. 56. Cf. D. de BRUYNE, ({ Etude sur les origines de la Vulgate en Espagne », dans RB,]I, 1914~19~?, pp. 51? et s.; T. MARAZUELA Ayuso, La Bib/ia visigotica de San Isidoro de Leon,c~ntrlbuclon af estutilo de fa Vulgata en Espana, Madrid, 1965; B. FISCHER, ({ Algunas observaClones sobre e1 Codex Gothicus de la R. C. de S. Isidoro en Leon y sobre la tradici6n espanola dela Vulgata», dans Archivos Leonenses, I J, 1961-1962, pp. 1-47; LOEWE, dans [5], pp. 120-12 5. 6 57 . QUENTIN [43], pp. 353-360; Biblia Sacra (op. cit., n. 4), t. 12, 1964, pp. XVIII et 13, 19 9! p. E. A. ~EWE, The beneventan script, Oxford, 1914. D. Maurus lNGUANEZ, Codicum Ca.rslnensmm manuscriptorum catafogus, t. 3, 2, Monte-Cassino, 1941.
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bibliques comme 1'0ctateuque, les Prophetes ou les Evangiles, etaient .. copies de conserve58 . La famille que Dom Quentin nomme Ie « groupe ltalien » re~et une importance particuliere pour l'histoire de la Vulgate post-carolingienne. En effet, ces manuscrits forment un groupe tres etendu et tres homogene dans son apparence exterieure, un groupe ~emontant a la fin du Xle et au debut du xn e sieele et provenant des envltons de Rome; ils donnent l'exemple d'une nouvelle presentation materielle de la Bible medievale. Etant donne que ce groupe est represente par un tres grand nombre de manuscrits toujours existants, l'examen de Quentin fonde sur sept de ces Bibles n'etait pas definitif. Cependant Ie texte de ces manuscrits decoule en general de la Bible d' Alcuin, et l'influence des manuscrits espagnols et de la Bible de Theodulf y est sensible. Les premiers manuscrits contiennent Ie Psautier dit « romain », une version anterieure aux revisions de saint Jerome59 • Les caracteristiques les plus frappantes de ces Bibles, connues surtout sous Ie nom de Bibles « atlantiques », ou Bibles « geantes italiennes », sont leur grand format et leur homogeneite d'aspect. En general, leur format varie entre 55 et 60 cm pour la hauteur et 36 a 40 em pour la largeur. Leur uniformite est bien illustree par trois des manuscrits decrits par Dom Quentin, datant du XIe sieele et cont~nant to~s la Bible complete en un seul volume, actuellement .conserves ~u Va~c~. Le manuscrit Barberini lat. 587 mesure 55 X 38; 11 a 394 feUllIets, eents en deux colonnes de 55 lignes. Le manuscrit Vat. lat. 10510 mesure 55 X 38 cm, a 376 ff., et chaque page est ecrite sur deux colonnes, de 64 lignes dans l' Ancien Testament, et de 57 dans Ie Nouveau. Le manuscrit Vat. lat. I05II mesure 55 X 38 em, et se compose de 353 ff., sur deux colonnes de 55 lignes. lIs se ressemblent aussi par leur mise en page, leur ecriture, et en general par Ie type de de~oration et d'i.lIustration qu'ils contiennent60• Cependant Ie volume uruque de ces Blbles n'est pas la caracteristique du groupe; en effet, un bon nombre d'entre elles sont copiees en deux ou trois volumes. Les caracteristiques materielIes des Bibles « atlantiques », leur grand format, leur presentation en plusieurs volumes, de?-nissen~ la no~velle Bible monastique. On ne trouve pas ce type d~ Blble .qu ~~ Itali.e,' Le plus ancien exemple semble en etre ~~ grand.e. ~lble qUl ~,ete coplee et iIlustree a Saint-Vaast dans la prelUlere mOltle du Xle sleele (aetuelleA
58. LOEWE, dans [5], p. 109. 59. QUENTIN [43], pp. 361-384; GRIBOMONT, 01.. cif., n. 4, pp. F3-515.; E. B. GARRISON, ({ Notes on the History of certain twelfth-century Italian ManuS~IPtS o~ :tmportance. fo~ the History of painting », dans La Bibliofi/ia, /4, 1952, pp. 1-34; pUlS du mem~, les St~s In the History of medieval italian Painting, I-IV, Florence, 1953-1960; Mostra Storlca NaZlona/e della Miniatura, Palazio di Venezia, Roma, Cata/ogo, Florence, 1954, nOB 117-128. 60. Cf. Mostra, op. cit., n. 59, nOB I I 7-128 ; BERGER [29], p. 141; QUENTIN [43], pp. 364366, 384 et fig. 48-56.
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ment ms. 559 de Ia Bibliotheque municipale d'Arras). Elle est decoree d'un bon nombre d'illustrations a pleine page, qui sont placees au seuil de certains livres bibliques. Bien que Ia majorite de ces illustrations soit de nature ornementaIe, Ie troisieme livre des Rois et Ie livre d'Esther sont illustres par des scenes narratives. Cette Bible peut etre consideree tant comme Ie prolongement que camme l'affinage de la Bible carolingienne illustree, Ie representant d'une tradition qui s'est eteinte pendant Ie x e siecle. A la fin du XIe siecle, des Bibles analogues aux Bibles geantes italiennes etaient produites en Allemagne, en France, en Angleterre aussi bien qu'en Italie. II est possible que, mis a part Ie manuscrit de Saint-Vaast, les Bibles italiennes soient les exemples les plus anciens de ce type; toutefois, un groupe de manuscrits, actuellement a la Bibliotheque municipale de Reims et qui viendrait de Saint-Remi, a precede peut-etre les plus vieux de ces manuscrits italiens illustres 61• Au xn e sieele, I'Angleterre a produit un certain nombre de magnifiques exemples de la nouvelle Bible monastique. Et, parce qu' on les a etudies beaucoup plus attentivement que leurs homologues de France et d'ailleurs de l'Europe, on ne pense guere qu'a l'Angleterre quand on mentionne ce type de Bible62• Par Ie nombre, les Bibles anglaises de qualite produites au xn e siecle depassent tres largement celles du XIe qui ont survecu jusqu'a nous. La fameuse Bible de Guillaume de SaintCarilef, encore conservee a Durham, et celIe de Gondulphe, copiee peut-etre a Rochester, sont pratiquement les seuls manuscrits anglais de grand format produits par Ie XIe sieele qui contiennent la Bible complete. On n'a jamais examine de fas:on satisfaisante I'important probleme de la source du texte rapporte par ces manuscrits ou par ceux du xne siecle63• A premiere vue, ce qui caracterise surtout ces livres, ce sont d'abord leurs grandes dimensions : leur format varie entre les 580 X 400 mm environ de la grande Bible de Winchester (vers I I 50-1 180) etles 370 X 26 5 d'une Bible produite vers I 130 pour Ie Prieure de la cathedrale de 64 Rochester • C'est aussi leur redaction en plus d'un volume. Contrairement aux « pandectes » turoniens, qui etaient vraiment de grands livres, on est frappe en ouvrant une Bible monastique du xne siecle par la . 61. P. H. BRIEGER, « Bible illustration and Gregorian Reform », dans Studies in Church History, 2, 196 5, pp. 155 et s.; manuscrits Reims, BM 16-18 et 20- 2 3. 62. Pour les travaux sur les Bibles anglaises du XIIe siecie, voir les references de KAUFMANN, Romanesque Manuscripts, Io66-II90, Londres, 1975, nOS 13, 45, 56, 59, 69, 7C.0, F.82-84.
6~. GLUN~
[3 8], pp. 182, 191-192; manuscrits Durham, A.II.4 et San Marino, Calif., Hunttngton Libr. lIM 62. La seule etude sur Ie texte de ces livres est celle de GLUNZ, pp. 153196. 64· Winchester, Cathedral Libr. : KAUFMANN, op. cit., n. 62, nO 83, pp. 108-III. Bible de Rochester: aujourd'hui manuscrits Londres, BL Royall.C. VII et Baltimore, Walters Art Gallery, 18; cf. KAUFMANN, nO 45, p. 81.
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profusion de ses decorations et par son ca~actere aere. Par exemple, la Bible de Bury (fabriquee entre II35 enVlron et II38-II4I). mesure 5 14 par 355 mm, et Ie scribe a utilise pour l'ecrire une g~ande mtnuscule du xn e sieele, disposant Ie texte en deux colonnes de 42lignes,seul~ment. II n'a fait aucun effort pour economiser l'espace lors de la redaction de l'ouvrage. L'ecriture, ample, donne aussi a croire que cette Bi?le et~it surtout utilisee comme livre liturgique ou pour la lecture au refectOlre pendant les repas. Au xve siec1e, la liste des bienfaiteurs de B~ry' SaintEdmunds catalogue ce manuscrit sous Ie nom de « magna bibliotheca refectorii »65. Plus tard au cours du xne sieele, 1a Vie de saint Hugues parle d'une Bible realisee par les moines de S~int-Swith~n de Winchester, que Ie roi voulait offrir au saint, alors pr~eur de .WIthan;t. On ! decrit cette Bible comme un ouvrage d'un travatl exqUls, « qUl devalt etre utilise pour la lecture pendant les repas »66.., . L'utilisation de ces Bibles monastiques du xne sleele comme livres de ceremonie et leur importance en tant que symboles de leur m~n~stere sont attestees non seulement par leur grand format et par leur ecnture, mais aussi par la grande quantite d'illustration~ qu'elles co~p?rtent. Les Bibles du palais de Lambeth et de Bury contIennent des mlnlatures ainsi que de nombreuses initi~les d~cor~ti,:"es et historiees. La Bi.ble de Bury est interessante, parce qu une InSCnptlOn ~ans les G;,sta Sacrzstarum monasterii s. Edmundi signale Ie ~om de l'~rtIste,.« maItre !fug~es ,»; Qu'on ait utilise Ie titre de « maIo;e », ~e faIt a~ssi que la BIble a~t, e~e payee, a conduit les historien.s d art a. soutellir que H,:gues ~ etait vraisemblablement pas un mOIne de SaInt-Edmunds,. mats pluto.t un artiste laique qui travaillait pour Ie monastere67 • L~ .BIble d~ palms de Lambeth, qui a probablement ete faite vers Ie ffi1lieu du sleele pour I'abbaye de Saint-Augustin de Canterbury, e~t par~nt~ par son s~le de celIe de Bury, mais n'est pas du mem~ artiste. L artI~te d~ l~ ~Ibl~ de Lambeth a aussi travaille sur Ie contInent, et peut-etre etalt-tl IUl aussi un artiste laique itinerant68 • Ces Bibles son~ en~ore, dans. une certaine mesure, des produits traditionne1s des scnptona monastiques ou e1les ont ete ecrites et decorees; cependant, parce qu' elles sont I'reuvre d'artistes seculiers, e1les anticipent les pratiques du xnIe sieele et la production de livres hors des monaste~~s. e . Les Bibles monastiques de la fin du XIe sleele et du xn sleele ont ete etudiees en tant que monuments de I'histoire de l'art. En revanche 65· C. M. KAUFMANN, « The Bury Bible », dans Journ:zl of the Warburg and Courtauld Inst., 39, 19 66 , pp. 61 et 62-63; Registrum Coquinarfae : Do~, BM 553, f. 48. . . 66. W. OAKESHOTT, The Artists of the Wmchester BIble, Londres, 1945, p. 2, The Life of Hugh of Lincoln, ed. D. L. DoulE et H. FARMER,. 1961, t. I, pp. 85-~7. 67· KAUFMANN, op. cit., pp. 60-81; MemorIals of St. Edmund s Abbey, ed. T. ARNOLD (Rolls Series), 1890-1896, t. II, p. 290. . 68. C. R. DODWELL, The Great Lambeth Bible, Londres, 1959, pp. 8 et 16-18. Sur les Btbles de Bury et de Lambeth Pal., voir KAUFMANN, op. cit., n. 62, nOS 56 et 70.
Le Livre leur texte n'a jamais ete convenablement examine. II est pourtant necessaire, pour corriger Ie tableau de cette epoque, de se pencher reellement sur Ie texte, en utilisant des collations aussi completes que possible. Les caracteristiques materielles des manuscrits, l'agencement exterieur des livres bibliques et les elements non bibliques s'y trouvant, ne peuvent suppleer a l'etude du texte lui-meme, mais peuvent nous aider a comprendre ce texte. On l'a vu, l'ecriture, Ie format et les illustrations sont des guides importants pour dater et localiser la production des manuscrits; ils peuvent egalement nous aider a ancrer solidement Ie teX!te dans Ie milieu historique OU il a ete produit. Par ces caracteristiques ~ate~ielles de la Bible, on peut donc esperer une comprehension plus sattsfatsante des changements apportes au texte. Selon Glunz, Ie texte biblique posterieur au IXe siecle avait ete ,:olontaire~ent modifie, afin de Ie rendre conforme a l'exegese patristtque. On lit en effet dans les sources ecrites de la periode qu'on s'est penche sur Ie texte de la Bible et qu'on a meme tente de l'ameliorer. On n'a pu rattacher ces indications vagues a des manuscrits bien definis de la B~ble; elles peuvent ~'etre, ad~etto.ns-Ie, que des temoignages ~onventtonnels de I approbatton et de 1 adrruration que porte un ecrivain a un homme respecte. e , Au x si~cle, on no~s dit. ,\ue saint D~nstan, archeveque de Cantorbery d.e 959 a 9 88 , .auralt a~sld.um.ent cort1ge des «livres fautifs» (mendosos libros) :. ce qUl po~rralt s~grufier, par extrapolation, qu'il a corrige des ,manuscnts de la BIble. Slgeber~ ?e Ge~blo~x signale qu'Olpert, abbe de Gembloux (t 1048), a favonse la cople nunutieuse de la Bible et notamment qu'il possedait une Bible complete en un seul volume: ' . Tel ur: nouveau Philadelphe, il se prit de passion pour la fabrication d'une bIble pIen~ere, et transcrivit l'Ancien et Ie Nouveau Testament en un volume. En outre 11 accumula plus de cent volumes d'Ecriture sainte ... ?elon ~e meme ~igebert, ~rancon, ecoIatre de Liege, a etudie et cople la BIble. Et PIerre Danuen (1007-1072) ecrit de lui-meme : , ]'~i pris soin de corriger pour vous la Bible, un volume contenant tout
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Lanfranc etait un erudit biblique de taiIle. On l'admirait de son vivant pour son enseignement, et il a compose des commentaires sur les Psaumes et sur les Epitres pauliniennes. Ses corrections des Peres de l'Eglise, dont parle Milon, nous sont parvenues sous forme de copies des manuscrits originaux. Mais il est plus difficile de trouver une preuve que Lanfranc a corrige la Bible70• Selon Glunz, Lanfranc aurait introduit en Angleterre un texte de la Vulgate, caracterise par des les;ons choisies en concordance avec l'exegese patristique, ce qui aurait ete alors courant sur Ie continent. Or Ie texte qui, selon lui, aurait circule en France avant d'etre introduit en Angleterre par Lanfranc n'est jamais clairement identifie. A ce point precis de sa demonstration, Glunz se fonde sur une discussion des tendances de l'exegese biblique, au lieu de rechercher des manuscrits de ce texte. Les deux manuscrits anglais que Glunz cite comme exemples du texte de Lanfranc sont peut-etre apparentes aux commentaires de l'archeveque, mais on ne peut les utiliser COmme preuves convaincantes d'une reelle revision de la Bible. II faut insister sur cette faiblesse bien precise des theories de Glunz, car son examen du texte des grandes Bibles anglaises du xn e siecle decoule directement de sa discussion du texte de Lanfranc71• La revision de la Bible par Lanfranc n'a toujours pas ete prouvee; ceci etant, un tel travail serait conforme a ses activites bien connues d'erudit biblique et a ses corrections sur les Peres de l'Eglise. Contrairement au flou de ces rumeurs de revisions faites sur la Bible, Ie manuscrit de la Bible corrigee par Etienne Harding, abbe de Citeaux de II09 a IIB, est bien tangible et a survecu jusqu'a nous (Bibliotheque municipale de Dijon, mss 12-15). Cette Bible est un remarquable monument de calligraphie et d'enluminure. Bien que les quatre volumes varient legerement en dimension (les deux premiers mesurent 474 X 32 6 mm' Ie troisieme 425 X 300 et Ie dernier 442 X 325), et que Ie style artistique et graphique des deux derniers volumes soit incontestablement different de celui des deux premiers, il n'y a aucune raison de douter que ces quatre manuscrits constituent la Bible originale d'Etienne 72 • On lit en fin du deuxieme volume une explication remarquablement
1 AncIen et Ie Nouveau Testament: rapidement toutefois, et donc sans rigueur.
Milon, Crispin, dans sa vie de Lanfranc, archeveque de Canterbury de 1070 a 1089, expose que Lanfranc fit de meme : 'bEt p~rce .que, les Ecritures etaient corrompues a l'exces par la faute des scrl es, il veilla a corriger selon la foi orthodoxe tous les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament ainsi que les reuvres des saints Peres 69• G 69· Memorials of St. Dunstan, ed. W. ~TUBBS (Rolls Series), Londres, 1874, p. 49; SIGEBERT, (PL, 160, 625); Liber de seri"t. eccl. (PL 160 <8<)' Pierre D'''IEN D estaa.bb.gemblac. eordineer,'t u'A' l' , ,JJ, ~, emtarum ... "'ontlS vel/am (PL, 145, 334); Milon CRISPIN, Vita beatj Lanfrand ( PL , 15 0, 55)·
70. M. GIBSON, Lanfranc of Bee, Oxford, 1978, pp. 39-41 ~t 50-61; ID., « Lanfranc's Commentary on the Pauline Epistles », dans ]ThS, New Senes 22, 1971, pp. 86-112; ID. «Lanfranc's Notes on patristic texts », dans ]ThS, New Series 22, 1971, pp. 435-450; GL~Z [38], pp. XVII-XVIII et 158-196, pretend que Lanfranc a bien corrige la Bible; GIBSON, Lanfrane, p. 241, semble Ie nier, mais voir ses remarques sur Ie sujet PRo 39-40. 71. GLUNZ [38], pp. 158-196. Glunz cite en exemple les manusctlts Oxford, Wadham College A. 10.22 et Londres, BL Royal I . B. X I ' . . 72. Voir J.-P.-P. MARTIN [40]; P. T. HtiMPFNER, « Die BIb~1 d~s hl. Stephan Ha::ding )~, dans Cirtercienser-Chronik, 2fJ, 1917, pp. 73 et s.; K. LANG, D,e Btbel Stephan Hardm!!/.: em Beitrag zur Textgesehichte tier neuetestamentliche Vulgate:, Bonn, ~9~9; ,Ch. OUR.~EL, ~ mmtature du Xlle siecle a I'abbaye de Citeaux d'apres les manuscrzis de la Biblzotheque de Dyon, DIJon, 1926; ID., Miniatures eistereiennes (I IOfJ-II J4), Macon, 1960.
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Le Livre
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instructive sur la fas;on dont Etienne a etabli son texte 73. Lorsqu'il recherchait parmi les manuscrits de la Bible Ie plus « veridique » (veraciorem) qui lui servirait de modele, il a decouvert, dit-il, que tous les manuscrits ne contenaient pas Ie meme texte, et qu'en particulier l'un d'eux etait plus complet que les autres, pleniorem caeterus. Ce fut ce texte qu'il copia. II n'etait pourtant pas satisfait des incoherences qu'il avait decouvertes, et puisqu'il ne lisait pas l'hebreu, il a demande a quelques juifs leur avis. lIs ont compare son texte avec l'hebreu original, et Etienne a supprime de sa Bible tous les passages qu'ils ne trouvaient pas dans leurs manuscrits. On voit encore aujourd'hui les passages ratures dans les manuscrits de Dijon; ils sont particulierement nombreux dans Ie Livre des Rois, qu'Etienne tient pour Ie plus interpole. Les corrections apportees par Etienne ala Bible n' ont pas « ameliore » son texte dans Ie sens moderne du terme, etant donne qu'il ne cherchait pas a retablir Ie texte de saint Jerome. Neanmoins son desir de retourner a l'hebreu original est tout a fait dans la ligne du retour a la purete de la RegIe de saint Benoit, dont les premiers cisterciens se voulaient les promoteurs. Le texte qu'Etienne Harding a corrige etait tres etroitement parent de celui d'Alcuin, legerement influence par la Bible de Theodulf, et comportait quelques les;ons isolees portant la marque de manuscrits italiens, anglo-saxons et irlandais74. . La legislation cistercienne stipule que les usages liturgiques et les livres de toutes les maisons de l'Ordre doivent se conformer a ceux de Citea,ux. On dit souvent que la Bible d'Etienne Harding a ete Ie manuscnt de base (exemplar) de toutes les Bibles cisterciennes, et peut-etre Etienne avait-il ce dessein. Mais personne n'a encore pu etablir que tel fut Ie cas. Karl Lang a etudie des Bibles cisterciennes du xnre sieele et a cons tate que leur texte n'etait pas apparente a celui d'Etienne Harding 75• Au ~lieu .d~ xue. sieele, un autre cistercien, Nicolas de Manjacoria, cherchatt auss~ a cornger .le texte de la Bible. Sa Bible ne nous est pas parve~ue, mats son travatl sur Ie Psautier, Ie Libellus de corruptione et co,:epttone Psalmorum, denote un sens critique plus developpe. Comme Enenne, il s'en prend al'idee que Ie texte Ie plus complet serait necessairement Ie meilleur; mais il rejette Ie texte hebreu comme temoin utile p~ur layulgate de saint Jerome, ne Ie retenant que 1:1 OU tous ses manuscnts lanns montrent des variantes. Le prologue a sa Bible corrigee subsiste
73· Dijon, BM I}, f. 150
V
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PL, 166, IH3-IH6 et DENIFLE [3 1], pp. 26 7- 8.
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encore, et manifeste l'interet qu'il portait a la suppression des ajouts et des interpretations erron~es du texte76 . ." Un bilan de l'histoire de la Vulgate du x e au xn e steele n est pas encore possible. Certaines familles de textes ,ont ete identifie~s. ~es groupes d'Espagne et d'Italie nous donnent I exemple ?e ~a diffuslOn de textes tres conservateurs. Les influences des textes carolingtens et de la Bible d' Alcuin en particulier sont indeniables, on les saisit a l'evidence dans Ie texte des Bibles geantes italiennes. Cette periode a egalement ete marquee par des innovations. La Bible monastique de la .fin du Xle et du xue siecle ne se caracterise pas seulement par une perststance du grand format des « pandectes » turoniens. Ma~erielle~ent, elle represent? l'adaptation de la Bible a de nouveaux besOl.ns, et 11, reste ~eaucoup a faire pour mettre au clair l'usage de ~es Btbles .. D un pomt ~e. vue textuel aussi, des indices laissent percevolr Ie dynarrusme de c~tte pen~de. Quels etaient les types de texte en circulation? A q,:el pOlnt la Btble fut-elle amendee par Ie melange de textes plus anctens, dans quelle mesure de nouvelles les;ons ont-elles ete introduites? Cela,. seule une etude approfondie sur Ie texte du plus gr.~nd nombre, p,osstble ~~ ces Bibles pourra Ie determiner. Les xe-xne steeles aya?t ete un~ p~node de decentralisation intellectuelle, depourvue des poles consntues par la cour imperiale au IXe sieele, ou les grands centres urbains et les ~ni versites au XUle sieele, I'entreprise ne peut etre qu'enorme. Peut-etre ne pourra-t-on jamais resumer Ie desordre et I'infinie vari
III La Bible du XIIle sieele a survecu dans un nombre impressionnant de manuscrits la contenant au complet, en un seul volume,. sou.ve~t de petite taille. Or, contrairement a l:heterog.eneite des manuscnts btbliqu~s du xe au xne sieele elle apparatt de pnme abord de fas;on ordonnee et uniforme. Car ce s~nt I' ordre et l'uniformite qu' on a consideres depuis Berger comme la realisation principale et Ie tr~t novateur du XIIle si~ele pour I'histoire de la Vulgate. Berger pensatt que la f~meuse .platnte emise par saint Jerome devant la mulntude des traducnons latmes au
26 o URSEL, 74· LANG, ~p: Glt., pp. H et 53-54; LOEWE, dans [5], p. 144; DENIFLE [31], pp. 269, 475; La mlntature ... , p. 22. 75· OURSEL, La miniature, p. 15; LOEWE, I. G.; MARTIN [40], pp. 53 2-5H; LANG, op. Gil., pp. 34-35 et 39-43.
76. A. WILMART, « Nicolas Manjacoria, cistercien a Trois-Fontaines », dans RB, ii, 1921, pp. 136-143; LOEWE, dans [5], p. 144; DENIFLE.[31j, pp. 270-276 et 475-476; J. VAN DEN GHEYN, « Nicolas Maniacoria, correcteur de la BIble », dans RBI, 8, 1889, pp. 289-295.
Le Livre IVe siecie peut bien qualifier to ute I'histoire medievale de Ia Vulgate avant Ie XIIre siecie, et plus particuIierement encore Ies Xe-XIIe siecies : « Autant de manuscrits, autant de Bibles. » En revanche, son histoire de la Bible du xrrr e siecie devient celIe de Ia creation a Paris d'une Bible dans Ie premier quart du siecie : et celle-d petit a petit serait devenue I~ seule Bible en usage en Europe77. ~omme pour I'etude de Ia ~ible carolingienne, I'interpretation hab1tuelle de Ia Vulgate au xrrr e sleele puise surtout a des documents a premiere vue satisfaisants. En I'occurrence, Ies seules sources a retenir so~t Ies trois prindpaux ouvrages de Roger Bacon, I'Opus Matus, I'Opus Mtnus, et I'Opu~ Tertiu'!'. Les elements fournis par Ies manuscrits bibIiques, quand on a pns Ia peme de Ies examiner, ont ete interpretes a Ia Iumiere de presupposes fondes sur ces sources. Et si I'histoire de Ia Vulgate e au xrrr sieele a toujours ete ecrite a Ia maniere d'une histoire de la Vulgate en France, et en particuIier a Paris, Ia cause directe en est Ie credit accorde a~ ecrits de Bacon. Le present examen procedera a quelques comparrusons avec des Bibles du xme siecie produites en Angleterre et en ~spagne. Toutefois, 1'histoire de Ia Vulgate du XIIre siecie dans c~s pays et allieurs en Europe reste un sujet pratiquement vierge et ~otentlell~ment fructueux 78 . Void Ie passage de I'Opus Minus qui constltue Ie POlnt de depart de presque toutes Ies discussions contemporaines sur Ia Bible au xme siecle :
II y a en effet un~ qu~rantaine d'annees, a Paris, de nombreux theologiens et plus e.ncore de« hbralres » (stationarii) a la vue courte mirent en avant ce manuscrt~ de ba~e (exemplar). Mais c'etait des illettres et des gens maries, peu .soucle~ et lncapables. de penser ~ur l'authenticite du Texte sacre. Aussi on~-lls publ~e des ~anuscrtts profondement fautifs; et Ia-dessus, une foule de sC~I~es ont Intro~Ult de multiples variantes, ajoutant a la corruption du texte. D ou ~es the?l<;>glens de notre temps n'ont pu avoir acces aux originaux, et ont faIt a priorI confiance aux « libraires »79. C'est Ia ap:paremment un redt agreablement simple. Bacon ecrit en r2. 6 7 : enVlton qu~rante ans auparavant, donc vers 12.2.6-12.2.7, un groupe de theolog1ens et de libraires 80 parisiens « publiait » un exemplar d~ Ia Bible. Bien que charge d'erreurs de copie et de corruptions textue~es, 11 fut :econnu comme texte offidel des theologiens parisiens. Dans 1 Opus Matus, Bacon oppose cette Bible, qu'il appelle l'exemplar 77· S. BERGER, Les Prifaces jointes aux livres de la Bible dans les manuscrits de la Vulpate ParlS 1902 p V . . [] ' . o.
27· ou: aUSSl 10. 29, pp. 329-330, et La BIble fral1fatse au Ml?)'en Age, Paris, 188 4,' pp. , 15.1-152• 8 .. ~ A. L. B~TT! Th~ Place of Garrett 28 in Thirteenth Century English Illumination In t, Col~bla Uruverslty, 1973); et voir infra, p. 9 2. Fr. Ragen Bacon. Opera quaedam hactenus inedita. I, Opus Minus et Opus Tertium, ed. J• S7~ • RE~R (Rolls. SerIes), Londres, 1895, p. 333. ( ' la8~~ Llbratte », ~ci e~ par la suite, s'entend du stationarius, Libraire patente par l'Universite a I1erence du Llbrrure commercial, Librarius).
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parisiense, a la traduction authentique, qu'on pouvait encore. v~ir ~ans les manuscrits « qui se trouvaient dans les monas teres et qUl n avruent jamais ete gloses ni alteres »81. J.-P.-P. Martin, a la fin, ?U XIXe ~ieele, accepte s,an~ reserve Ies deciarations de Bacon. Il deCIde que 1 ensemble des ecnts de Bacon n'est pas seulement une source indispensable~ mais q~e seul. ~acon permet a l'historien de p~r~er avec quel9ue ?e~rul de la BIble pan!le~e. Bien que Martin ait examme les manuscnts b1bliques dat~nt du XIII sleele conserves a Paris, i1 tire cependant toutes ses conciuslOns de Bac.o?, y ajoutant quelques details de son, crn. E~t~e r2.10 e~ ~2.~0, un c?m1te de copistes, de « libraires » et de ma1tre~ pans!e~s aU,r,a1~ ~te nomme aux fins d'etablir un texte de la Bible qUl servlta1t d editlon standard pour l'Universite, et que publieraient les libraires de l'Universite. P~esse~ par Ie besoin urgent ?'un texte .stan?ard pour les ecole~ de Pans qUl connaissaient une crOIssance rap1de, lIs adopterent la methode la plus fadle et la plus rapide pour etablir leur tex~e, en y i?trodui~~nt tout simplement toutes les ~ffere~tes Iec;ons et .lnter:polatl~ns q,; tIs youvaient trouver, pour arnver a ce que Martln, frusa~t echo a Etle~e Harding, appelle un « texte complet ». Martin croyrut que cette BIble . a'1'ep?~ue , ~ . 't B.ac. on82 . etait peu COnnue en dehors de Pans ou, ~~nvru On croit encore couramment a ce cOffilte des ma1tres et librrures, et a la creation d'une seule Bible pour repondre aux besoins de I'Universite83 • Henri Denifle, un erudit plus critique que Martin, n'est pa~ d'accord avec ce!ui-d sur la nature de ce texte; il s'en remet cependant a Bacon pour en expliquer l' origine. La contribution la plus im~or~a~te de Denifle a ete de rectifier l'idee que la « Bible de Pans» aurrut et~ Ie resultat d'une « correction » du texte, et la creation d'une recenSlOn entierement nouvelle de Ia Bible. Au contraire, Denifle a remarque que plusieurs des lec;ons particu.~erement « ~ediocre~,» qu'on tro~ve dans les manuscrits du xme s1ecie apparrussent. deja dans la ~lb~e d'Etienne Harding, aux premieres ~nnees d,:," .xue slec~e. II a. ~onc effilS l'hypothese qu'un comite des mrutres par~s~ens avrut cho1s: un se~ manuscrit, qui est devenu Ie « modele pans1en. ». On ,ne .salt p~s, dit Denifle, que! fut l'accueil reserve a ce man~scr~t pa~ ~ Umvers1te. Il .y aurait eu neanmoins un lien important entre 1 Umverslte et un manuscrtt exemplar. Or, Denifle n'a pu trouver la moindre trace dans les docume~ts de l'Universite d'une telIe revision de la Bible, pas davantage que d un manuscrit qu'on puisse rapprocher de I'exemplar en questi~n84. B:rger consent a cette fabrication d'une Bible a Paris dans Ies preffileres decennies du XUIe siecie. Il s'inspire lui aussi beaucoup de Bacon, mais ecarte JEDD, Londres, 1733, p. 49. 8z. MARTIN [41] et [42]. 83. KENYON (op. cit., n. 51), p. 190. 84. DENIFLE [31], pp. 271 et 277-292.
81. Opus Maius, ed. S.
Le Livre
Versions et revisions du texte biblique
l'expression « Bible de I'Universite », parce qu'elle suggere l'existence d'un texte biblique officiel pour I'Universite85• , Mart~n, Denifle ~t Berger n'etaient donc pas entierement d'accord. NeanmOlns, ;es trOls sava~,ts o~t admis. la validite du temoignage de Bacon: au debut du xure sleele, 11 y auralt eu une tentative emanant du milieu u~v~rsitaire, q~ aurait vi~e ~ produire un texte' biblique; ce texte devalt etre« publie » par les libraires de l'Universite assurant ainsi une relative uniformite parmi les Bibles utilisees a Paris. C'est admettre q~e c~s efforts ~nt eu pour effet de creer la premiere Bible uniforme, di~see en un tres, g~and nombr~ de m~nuscrits. Bacon est un personnage fa~~tnant, ~t ses ecnts sur la BIble demontrent qu'il possedait un sens c~l~que. tres moderne, surprenant pour son epoque. Fait interessant, il repete tnlassab~em~nt que la re~tauration d'une bonne Vulgate doh reposer sur Ie temOlgnage des me11leurs manuscrits latins. Donc il incite les,erudits ~ chercher de vieux manuscrits, ales comparer, et a ne recourir qu en derruer ressort, au grec et a l'hebreu d'origine pour l'etablissement des l.es;ons86. Cependant, l'esprit intuitif dont fait preuve Bacon dans certatne~ de. ses re~arques ne doit pas nous faire oublier qu'il n'ecrit pas en temOln o.cuialre de !~ « creation» de la Bible parisienne. Tout au plus ,ra~p.orte-t-11 une traditlOn transmise dans les ecoles. Ses reflexions s~r 1 on?tne, de ~ette Bible ont ete fortement influencees par les conditlons qUI prevaialent au moment OU il ecrivait. Elles interviennent dans ~es ouvrage~ de polemique, precisement contre les methodes de correctlon de l~ BIble ~~ usage ~~n~ Ia seconde moitie du siecle. Les origines de la 87BIble pansienne n etalent pas la preoccupation principale de Bacon •. II ne nous donne en fait aucune preuve serieuse de la fabrication d'une BI~le ~estinee a l'enseignement universitaire, ni de sa publication par les libralres. Tout au plus ses ecrits attestent-ils que vers les annees l' . . 1:7~, expresslOn exemplar parisiensis avait un sens que comprenalent generalement ses contemporains. }l y a ~onc tout lieu de douter du recit de Bacon. En verite, ce n'est ~u.a ~artlr des .manuscrits aujourd'hui conserves qu'on peut ecrire I histolre de la BIble du xnre sieele a Paris. A la lumiere de ces temoignages, o~ peut ?uvrir Ie chantier, explorer les changements intervenus dans l~ presen~atlo~ materielle, si evidents au xure sieele, la nature du :exte circula.nt a Pans, et Ie degre d'uniformite que presentent reellement es manusc~1ts. de la Vulgate a cette epoque. Le specialiste qui etudie la Bible carolingienne peut se familiariser avec chacun des manuscrits encore existants. Mais ce qui caracterise 85· BERGER (op. cit n 77) pp La BOb' fi 0. 1 · f 0, 'P . 27-3 (suhra ., « D es E SSalS qut0 0 ·t 'e't' 0 , D., 0, I ,e raw-azse 07 ' Ln"77) . ,PP . 1
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d'abord et avant tout la Vulgate au XIIre sieele, c'est Ie grand nombre de manuscrits qui en subsistent et qui viennent de to~tes les regi?ns d'Europe88 • L'enorme augmentation du nombre de ~Ibles prodmtes au cours de ce sieele est un symptome de changements Importants, dans les methodes de production et de diffusion des manuscrits, ain~i que dans l'origine des possesseurs et la maniere d'utiliser, les Ecn~ures. Mais ici l'historien se heurte presque a un exces de donnees potentlelles. L'examen de chaque manuscrit important est fastidieux, possible dans une etude de la Bible au rxe siecle, il ne l'est plus pour Ie xm e. II faut plutot fonder ses conclusions sur un echantillon des manuscrit.s survivants. Un travail portant sur un tres grand nombre de manuscnts rencontre des difficultes specifiques : on ne connait ni la date ni la proven~nce. de la grande majorite des Bibles du xme siecle, il faut donc en :preIDler lie.u les analyser en fonction de leurs ecritures et de leur decoratlon. Depms Martin, Denifle et Berger, on s'est donc penche avant tout sur, ~es caracteristiques exterieures de ces Bibles. Certaines de ces caractenstiques sont communes a tous les manuscrits de la Vulgate du XIIre siecle, d'un bout a l'autre de l'Europe. Contrairement aux periodes precedentes .de l'histoire de la Vulgate, les Bibles du xme siecle sont dans le~r ,grande .maJ?rite completes en un volume unique. Des« pandectes» ont ete prodmts d~s les origines de la Vulgate, mais c' est au xm e siecl~ que cc;tte fo~~ule ~ faIt l'objet d'un choix presquesyste.matiq~epour~es B.Ibles. L appantlon~,une Bible de petit format est aUSSI une mnovatlon Imp~rtante de ce slecle. De grandes Bibles, impressionnantes, en un ou piusleurs vO,lume~, sont encore produites alors, mais la tendance generale est a la r~ductlo~ du format· cette tendance connait son apogee avec les toutes petltes « BIbles de poche », ecrites sur un parchemin tres fi? en car~cteres minuscules, et dont il nous reste un grand nombre d exemplalres. Avec de ~els progres, Ie XIIre sieele se detache ,nett~men~ comme. une nouvelle ere. On remarque aussi une tendance a ratlonaliser la BIbl~ : .bon nombre de documents annexes qui circulaient avec Ie texte biblique tout au long du Moyen Age furent supprimes, generalement. dans les annees 1230: ainsi les listes de chapitres, ou les resumes habltuellement disposes en tete de chaque livre de la Bible, les indications sti~home~ triques (il s'agit du nombre de vers, port~ en fin d~ chaque ~vre; a l'origine, ces indications servaient a deterIDlner Ie salalre du copiste) et les tables de canons d'Eusebe89 • D'autres caracteres ont ete identifies comme des particularites de la Bible de Paris ou « de l'Universite ». Martin etait convaincu qu'on pouvait reconnaitre un manuscrit de la Bible de Paris d'apres ses carac-
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88. Ph. LAUER, Bib/ioJheque nationa/e. Catalogue general des Manuscrits latins, 1, Paris, 1939. 89· BERGER, Prifaee.r (cite n. 77), p. 28.
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teristiques exterieures, sans recourir i l'analyse de son texte. Teis sont en bref : l'utilisation d'un nouveau systeme de chapitres, que j'appelle ici « systeme de chapitres moderne » puisqu'il est presque equivalent i ceiui en usage de nos jours; la presence d'un glossaire de noms hebreux commens:ant par Aaz apprebendens, un ordre fixe des livres bibliques, et enfin une serie de prologues bien determinee9o • Berger fit ressortir en particulier cette caracteristique nouvelle et propre aux Bibles de Paris i ses yeux : les deux prologues des Maccabees attribues aRaban Maur, et un prologue de l'Apocalypse, peut-etre de Gilbert de La Porree91• Chapitres modernes, ordre fixe des livres bibliques et serie uniforme des prologues, ces caracteristiques sont tres frequentes dans les Bibles du xme siecle provenant de France du Nord. Sur la foi de ces elements plus que tout autre, et au vu des manus crits , les specialistes depuis Berger ont souligne l'uniformite et la standardisation de la Bible au XIIre siecle. Berger, Martin, et plus recemment Robert Branner, ont postule que ces traits etaient propres a la Bible de Paris 92 • Comment pr~uver ceia, c'est une question qu'ils n'ont pas serieusement affrontee, et lIs ne se sont pas davantage demande si ces caracteristiques sont vraiment solidaires d'un type precis de texte. L'histoire du texte de la Bible au xme siecle est donc essentielle. Malheureusement, cet aspect souleve encore bon nombre d'interrogations sans reponses. L'esquisse tracee par Quentin de la famille de manuscrits qu'il appelle Ie « groupe de l'Universite de Paris » n'est fondee que sur une collation de quatre Bibles du xm e siecle, choisies au hasard. La collation de quatre manuscrits ne saurait avoir valeur d'examen approfondi du texte en vigueur i Paris ou dans Ie nord de la F.rance. au x~ne siecle; eile laisse en suspens la question des textes qui c~rcula1ent allleurs. Cependant les conclusions de Quentin et les les:ons C1t~es en apparat critique fournissent aux specialistes une base preliminaIre pour une comparaison et une classification d'autres Bibles du XIIre siecle. Quentin adhere sans s'en expliquer aux conclusions de Berger ~t de Martin sur les debuts parisiens. Mais en comparant ses manuscrlts avec des types de texte plus anciens, il conclut que la Bible de l'Universite derive en gros de la Bible d'Alcuin, et qu'elle porte la marque d'une certaine parente avec les Bibles atlantiques italiennes ainsi qu'avec Ie texte de Theodulf93. 90 . MARTIN [~2], pp. 446-447 et 456; BERGER, ibid. Les Prologues sont enumeres dans N. R. KER, MedIeval Manuscripts in British Libraries, I, Londres, 1969, pp. 96-98 et dans R. BRANNER [177], pp. 154- 155. 9 1. BERGER, ibid.; STEGMULLER [17], nOS 547, 553, et 839. . 92. Selon Ker, toutefois, cette serie de prologues est commune a un grand nombre de BIbles du XIIle siecle en France du Nord. ?3'.,QUENTIN [43~, pp. ,3~5-388. Le ms. 5 de la Bib!. Mazarine, que Quentin date du XIV slecie, est en faIt anterleur a 1231, comme Ie reconnaissent les volumes de l'edition
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Seion Glunz, les resultats de Quentin pretent a confusion et sont insuffisants; et ceia parce que dans sa propre vision, Ie texte parisien du xrIIe siecle ou, seion ses propres termes, Ie texte « scolastique », ne doit pas seulement etre caracterise comme une version tres corrompue du texte d'Alcuin, mais surtout par de nouvelles les:ons 94• Le portrait qu'il dresse de la genese de ce nouveau texte, notablement different des theories de Berger, Denifle et Martin, decoule avec logique de sa vision d'un texte de plus en plus influence depuis les rxe_xe siecles par l'exegese patristique. II reconnait que la creation au xn e siecle de la Glossa Ordinaria est un aspect de l'histoire de la Bible qu'on ne peut ignorer; et c'est Ii l'argument majeur de sa demonstration. Pour les gens des ecoles au xne et au debut du xm e siecle, la« Bible» n'etait autre que la Bible accompagnee de sa glose95. Seion Glunz, Pierre Lombard (vers 1100-1 r60) est 1a figure cie de l'histoire de la compilation et de la standardisation de la Glose. Et i l'en croire, une part essentielle de la compilation de la Glose par Ie Lombard aurait ete une revision du texte biblique lui-meme. Ce texte, accompagne de sa glose, aurait ete adopte par les ecoles de Paris comme « manuei standard », de la meme fas:on que Ie furent les « Sentences » du meme Lombard. Le texte de la Bible que les libraires ont choisi au debut du xme siecle pour Ie mettre en circulation sous la forme de Bibles depourvues de glose etait tout naturellement ce texte en vigueur dans les ecoles des Ie milieu du XIIe siecle. Toujours seion Glunz, ce texte aurait connu un succes presque immediat, et on peut en remarquer l'influence dans pratiquement toutes les Bibles copiees apres 1200 environ96• Glunz rend donc l'echo de Bacon. Cependant, il propose une theorie entierement nouvelle sur les origines du texte de Paris. Comme Denifle, il reconnait que ce texte circulait avant Ie xm e siecie. Mais Ii OU Denifle pretend que de nouvelles les:ons auraient ete introduites par les erreurs des copistes et par l'influence de la Vetus Latina, Glunz fait remonter Ie texte parisien a un travail de revision sciemment effectue au XIIe siecie : c'est alors qu'on aurait adapte Ie texte biblique i la Glossa Ordinaria. Tout ceci pourtant ne va pas sans problemes. Beryl Smalley l'a montre, Glunz fait une fausse analyse de l'histoire de la compilation de la Glose. Pierre Lombard a bien prepare une version amplifiee de la glose sur Ie Psautier et les Epitres de saint Paul, mais on ne peut lui attribuer la paternite de l'ensemble de la Glose 97 • En outre, si les collations de Glunz demontrent que certains passages du texte de bon nombre d'evangiles gloses, i la critique romaine apres la parution du livre de Quentin. Vatican, lat. 7664 n'a pas place dans l'apparat critique de la Biblia Sacra (op. cit., n. 4). 94. GLUNZ [38], pp. 259-284, en particulier 261. 95· SMALLEY [15], p. 334· 96. GLUNZ [38], pp. 262-263, 267 et 277. 97. SMALLEY, {( Gilbertus Universalis, Bishop of London and the Problem of the Glossa Ordinaria», dans RTAM, 8,1936, pp. 24-26; ID. [15], pp. 60-65.
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En du XIIe et au debut du xm e sieele, ont peut-etre ete influences par la Glose, son examen de l'immixtion de ce type de texte dans des manuscrits non gloses se limite a une poignee de Bibles du xme sieele provenant d' Angleterre. 11 n'etablit pas de lien satisfaisant entre Ie texte de ces livres et Ie texte qui circulait a Paris. On ne peut donc accepter les idees de Glunz sans plus ample infor.me. 11 est dommage que ses travaux aient ete limites au texte des Evangtles, car on evalue mal Ie rapport entre les le<;ons qu'il cite et celles qu'a choisies Quentin comme caracterisant Ie « groupe de l'Universite » dans l'Octateuque. Cependant, recemment, N. Haastrup a trouve de tels liens, entre les le<;ons caracteristiques enumerees par Quentin pour la Genese et quelques manuscrits de la Genese avec glose datant du XIIe siecle98 . Bien que preliminaires, les travaux publies d'Haastrup laissent neanmoins entendre que Ie lien postule par Glunz entre Ie texte glose et celui qu'on trouve dans les Bibles du XIIIe siecle est important. D'autres recherches sont necessaires, et surtout des collations plus completes de manuscrits gloses du XIIe siecle avec des Bibles sans glose du XIIIe. Nous devons savoir dans quelle mesure Ie texte de la Glose et celui de la Bible etaient normalises, afin de pouvoir reevaluer l'importance des collations que Glunz a faites pour les Evangi~es. Cependant, Glunz, Quentin et l'apparat critique de la Vulgate romallle nous fournissent un outillage provisoire : ceci permet d'identifier quelques le<;ons qui pourraient bien caracteriser un texte specifique en circulation dans certaines Bibles du XIIIe siecle. On peut survoler un large echantillon de Bibles du XIIIe siecle, examiner leurs caracteristiques materielles, les traits exterieurs de leur texte - et en particulier ceux qu'on cite couramment pour specifigues de la Bible « de Paris» - , et les le<;ons identifiees par Quentin et Glunz : alms se dessinera une ebauche de l'histoire de la Vulgate parisienne au XIIIe siecle, au moins de fa<;on preliminaire. Partant de la, il est elair que cette histoire se divise en deux phases distinctes. Les vingt-cinq ou trente premieres annees du XIIIe siecle font transition. Les Bibles de ces annees-la presentent une variete considerable de types; mais a l'interieur meme de cette variete, on peut distinguer Ie developpement de nouveaux traits. Les annees 1230 voient l'apparition de la Vulgate du xme siecle dans sa maturite pleine. Dans un premier temps, nous examinerons Ie degre d'uniformite des Bibles produites a Paris; nous evaluerons ensuite l'influence de celles-ci sur les Bibles produites ailleurs. La transformation de la vieille Bible monastique du XIIe siecle en la nouvelle Bible du XIIIe est tout particulierement notable dans un 9 8. N. lIAASTRUP, {( Zur friihen Pariser Bibel. Auf Grund skandinavischer Handschriften», dans Classica el Mediaevalia, 24, 1963, pp. 242 et s. et 26, 1965, pp. 394 et s.
Versions et revisions du texte biblique certain nombre de Bibles completes, en un seul volume, provenant du nord de la France et probablement de Paris, et qu'on date d'environ 12001230. La majorite de ces Bibles sont des manuscrits soigneusement ecrits, magnifiquement illustres. De recents travaux, notamment de Fran<;ois Avril et de Robert Branner - de celui-ci, Ie Manuscript Painting in Paris during the Reign of saint Louis est un guide precieux a de nombreux manuscrits jusque-la non repertories dans leur detail - , montrent que tres probablement ces Bibles ont ete peintes a Paris : grace essentiellement a une comparaison stylistique avec des ouvrages dont la provenance peut etre determinee par des colophons (Ie colophon est un vers, un proverbe, ou une marque d'authenticite qu'un scribe apposait au terme de son travail), des marques de propriete, ou des caracteres liturgiques. Ces Bibles ne forment pas une famille coheren~e de manusc~its, au meme titre que par exemple les pandectes turoruens de la Blble d' Alcuin au lXe siecle. Elles ont ete produites dans une meme region geographique, en l'occurrence Paris, mais n'emanent pas d'un m~me scriptorium. En termes de dimension, de format, d'agencement exteneur du texte, de choix des documents non bibliques inseres la, et de texte lui-meme, elles ne sont pas uniformes. II reste donc beaucoup a faire. Dans l'attente d'un examen complet des Bibles produites alors en Europe, un examen meme preliminaire de quelques-unes des Bibl~s produites a Paris au debut du xm e siecle revele tres clairement ce falt . significatif : il y a mise en place d'une nouvelle Bible99. La majorite de ces Bibles sont de grands ouvrages, dont la tallle varie entre 48 cm par 32 et 27 cm par 18. On n'y trouve pas veritablement la Bible de poche des decennies ulterieures. Neanmoins, deja se manifestent quelques tentatives pour reduire la taille de la Bible. La Bi?!e de la British Library, Additional 15452, date du tout debut du xm e sleele : elle mesure 21 X 14 cm. CelIe de Paris, BN lat. 16267, qui date sans doute du premier quart du sieele, ne mesure que I~X II, cm.; elle. parvier;t a economiser l'espace en abregeant Ie texte, au pOlllt d y lalsser lllcompletes des phrases entieres. Malgre la grande taille de bon nombre de ces Bibles, on peut observer un nouveau progres dans la mise en pages. La Bible monastique du XIIe sieele, habituellement ecrite en lettres amples, bien espacees, etait 99. La discussion qui suit presente des conclusions provisoires fondees sur un examen de la majorite des Bibles manuscrites du XIII" siecle actuellement conservees dans les collections parisiennes, ainsi que sur une selection de manuscrit~ a~jo~d'hui en. Angleterre e~ aux Etats-Unis. Je tiens a remercier les conservateurs .de la Blbhotheque. NatlOnale ~e ParIS, e; particulierement M. Frans:ois Avril, pour leur rude et leurs conse!ls. Ma gratitude va. a Mme Patricia Stirnemann, qui attira mon attention sur ces manuscrlts, et dont les consells et Ie soutien m'ont ete d'une aide incalculable pour rna recherche. BRANNER [177], pp. 22-31; F. AVRIL, {( A quand remontent les premiers ateliers d'enlu~eu;s laics a Par.is? », dans Dossiers de I'Archeologie, r6, 1975, pp. 36-44; ID., {( Un Manuscrlt d auteurs classlques et ses illustrations», dans The Year I200. A Symposium, New York, 1975, pp. 267-268, n. 3.
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particulierement adaptee a la lecture publique. Dans un certain nombre des Bibles en un seul volume produites a Paris dans les premieres decennies du Xln e siecle, on cons tate deux nouveautes : une reduction de la taille des lettres, une tendance a diminuer l'espace entre les lignes. Une comparaison des dimensions de deux Bibles, ecrites a Paris dans ces annees, demontre cette evolution. Le manuscrit BN lat. II 549, un grand volume mesurant 460 X 325 mm, contient une partie de l'Ancien Testament sur 192 feuillets; elle est ecrite en deux colonnes de 5° lignes, et 1'espace ecrit couvre 33 5/7X 204/6 mm; les lignes reglees sont distantes d'environ 7 mm. En revanche Ie BN lat. 14232 est une Bible complete, mesurant 427X 304 mm, de 336 feuillets. L'espace ecrit couvre 245/7 X 155/8 mm, soit sensiblement moins que dans Ie lat. II 549; pourtant Ie texte y est dispose sur deux colonnes de 60 lignes, les lignes reglees sont espacees d'a peu pres 4 mm. On remarque tout de suite une reduction de la surface ecrite, et des marges tres amples. Le BN lat. 14232 ne comporte pratiquement aucune note marginale d'aucune sorte. Pourtant bon nombre de Bibles de format semblable presentent dans leurs marges des gloses abondantes, en tout petits caracteres, bien traces. Certaines de ces Bibles de grand format en un seul volume ont ete con91es manifestement pour etre copiees et lues avec un commentaire adjoint. On les a peut-etre meme con91es comme des suppleants pour des Bibles copiees avec la « Glose ordinaire » au complet. Une Bible entiere de ce type pourrait comprendre jusqu'a quatorze volumes 100. Si bon nombre des Bibles en un volume ne presentent qu'une glose partielle ou pas du tout, ceci peut-etre revele simplement l'ampleur du temps et de la main-d'ceuvre necessaires a la confection d'un tel volume entierement glose. On ne copia guere ce type de Bibles que pendant Ie premier tiers du xm e siecle; il faut donc y voir une experience de courte duree. Mais on doit cependant etudier cette experience a fond, en raison tout particulierement du lien possible entre Ie texte de la Bible du xm e siecle et celui des Bibles copiees avec la Glose ordinaire. A considerer leur texte, l'ordre des livres bibliques et Ie choix des prologues, les Bibles produites a Paris dans les trois premieres decennies du X1ne siecle varient beaucoup. Cependant on y observe un fait du plus haut interet : parmi les Bibles dont Ie texte presente les les;ons caracteristiques, au dire de Quentin et Glunz, de la « Bible de l'Universite », il en est un bon nombre, OU 1'ordre des livres suit celui qu'on tient depuis Berger et Martin pour un trait distinctif de la Bible de Paris. En outre, Ie choix des prologues dans ces Bibles peut ne pas correspondre exactement a la serie caracterisant la Bible de Paris; mais i1 en est tres 10~. Voir par exemple Paris, BN lat. 14233, lat. 11537, et Paris, Arsenal 589. Paris, Mazarme 131-144, Bible glosee complete du debut XIII" siecle; BRANNER [177], pp. 202, 206.
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proche, et comprend les prologues des Maccabees attribues aRaban Maur, ainsi que Ie prologue de l'Apocalypse, peut-etre de Gilbert de La Porree. Voila donc au moins un debut de preuve, que Ie type de Bible identifie communement sous Ie nom de Bible de Paris existait dans un etat primitif a Paris dans les trente premieres annees du xnre siecle. Quant aux deux autres caracteristiques de la Bible de Paris a son age adulte, Ie nouveau systeme de chapitres (et la disparition concomitante des vieilles listes de chapitres) ainsi que Ie glossaire des noms hebreux Aaz apprehendens, on peut aussi en rapporter l'origine au Paris de cette epoque; cependant ni l'une ni l'autre n'apparait sous sa forme adulte dans les manuscrits de la Bible avant les annees 1230. La mise au point d'un systeme uniforme de chapitres fut une innovation, d'une evidente utilite, pour ceux qui utilisaient la Bible comme manuel de base dans les salles de classe. La division de la Bible en chapitres n'etait pourtant pas une invention de la fin du xne ou du debut du xm e siecle; en effet, des 1'epoque des Peres de l'Eglise, on avait divise les livres bibliques en sections, et une liste de ces divisions, connues sous les noms de tituli, capitula, capitulatio, ou brevis par les auteurs du Moyen Age, etait habituellement placee au debut de chaque livre de la Bible. A tel point que vers Ie milieu du xne siecle, on utilisait un nombre incroyable de systemes differents de division101• A partir de cette epoque, la pratique consistant a citer des passages de la Bible en indiquant livre et chapitre se fit de plus en plus courante dans les ecrits scolaires. Pierre Ie Chantre (t II97), par exemple, utilise dans ses ecrits plusieurs systemes differents, mais jamais les « chapitres modernes ». Etienne Langton, qui ens eigne a Paris jusqu'en 1206, semble avoir ete Ie createur du nouveau systeme, a la base de celui de nos jours. Mais jusque vers 1203, il utilise un ancien systeme. Vers 1225 environ, a l'epoque OU ecrit Philippe Ie Chancelier, les references aux chapitres de Langton semblent ne pas etre rares 102• Les Bibles en un seul volume produites a Paris entre 1200 et 1230 montrent qu'on s'interessait au probleme des divisions du texte. La plupart de ces manuscrits sont divises en chapitres selon des systemes anciens, souvent notes par de petites initiales, et conservent des listes de capitula au debut de chaque livre biblique. Neanmoins les chapitres modernes y sont frequemment indiques en marge 103• II est malheureusement tres difficile de determiner si ces indications sont d'origine, ou si 101. a. o. SCHMIDT, Ober verschietlene Eintheilungen tier heiligen Schrift, Graz, 1892; E. MANGENOT, « Chapitres de la Bible », dans DB, II, Paris, 1926, pp. 562-564; SMALLEY, Study [15], pp. 222-224· 102. A. LANDGRAF, « Die Schriftzitate in der Scholastik um die Wende des 12. zum 13. Jahrhundert », dans Bi, IS, 1937, pp. 80-83; F. M. POWICKE, Stephen Langton, Oxford, 1928,pp. 34 et s.; A. d'EsNEvAL [33], p. 561. 103. Par exemple, Paris, Arsenal 589; Troyes, BM, 577; Londres, BL, Add. 15253.
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elles ont ete ajoutees ensuite. Dans certains cas cependant, il est probable qu'on les a ajoutees tres.tot. Le manuscrit 70 de la Bibliotheque Mazarine, par exemple, est une Blble qu'on peut dater par des criteres stylistiques des vingt premieres annees du siecle. Son texte est divise selon un ancien systeme, mais les chapitres modernes sont indiques en marge. L'ouvrage comporte des gloses etendues, d'une main sure, tres proche de celie qui a copie Ie texte. Cette glose, probablement contemporaine de la Bible, entoure avec soin la numerotation des chapitres modernes; on peut de ce fait conclure que ces chapitres aussi sont d'origine. Le manuscrit 5 de la Bibliotheque Mazarine, qui daterait d'avant 1231, est egalement un bon exemple de cohabitation d'un ancien et du nouveau systeme. II est probab.le que cette Bible a ete produite en Angleterre, bien que Quentm la tlenne pour un exemple de « Bible de I'Universite » : la presence des chapitres modernes a une date aussi avancee est done interessante, compte tenu en particulier des rapports de Langton avec l' Angleterre et Paris. On a. aussi de bonnes raisons d'attribuer au meme Etienne Langton Ie glossatre des noms hebreux Aaz apprehendens : Ie manuscrit 341 de la Bibliotheque de la Faculte de Medecine a Montpellier se clot sur une explication en rubrique attribuant l' ouvrage a « maitre Etienne Langton ». D'Esneval a demontre recemment que cet outil biblique, base sur la version de saint Jerome, circulait a la fin du xn e et au debut du xru e siecle dans deux versions anterieures au moins. CelIe qui fut adoptee finalement dans tant de Bibles du xrue siecle est de loin la plus perfectionnee et la plus pratique: elle suivait en effet un ordre completement alphabetique. II n'est pas evident que ces trois versions soient l'ceuvre de Langton, et la date de compilation de la troisieme n'est pas exactement definie 104• C~p~nda?t, notons qu'a l'exception d'une Bible, Ie manuscrit 65 de la Blb~otheque de I:Arsenal (debut du siecle) qui contient une premiere ve~slOn du glossatre Adam de la meme main que la Bible, l' « Interpretatl~n des noms hebreux» a circule tout d'abord independamment de la Blble, e~ est absente des manuscrits bibliques avant les annees 12 3°105. ., Des Blbles produites a Paris au cours des trente premieres annees du stecle, pas sons a celles des annees 1230 et d'apres. Un certain nombre de changements y sont immediatement sensibles. Les anciennes listes de chapitres, les multiples systemes differents de division ont fait place au ' ' mineures d'un seul syst~m~ n;oderne, avec tout juste quelques variations m~n~scnt a I autre. Le glossaire des noms hebreux Aaz apprehendens SUlt 1 Apocalypse presque partout. L' ordre des livres est Ie plus souvent celui qu'on tenait pour caracteristique de la « Bible de Paris ». La dimen-
sion des manuscrits varie encore considerablement, mais pour la premiere fois la Bible classique « de poche » apparait. On remarque aussi l'augmentation considerable du nombre des manuscrits. Robert Branner n'a etudie que des Bibles a initiales peintes, mais une rapide comparaison des manuscrits de la Bible qu'iI a examines et des dates qu'il a etablies est edifiante. II a catalogue dix-sept Bibles completes en un seul volume issues des ateliers de Paris entre 1200 et 1230. En revanche, il en a trouve plus de cent pour la periode d'environ 1230-1250, et pres de soixante qui dateraient de la seconde moitie du siecle 106• Ces chiffres pourraient etre majores, si on prenait en consideration des manuscrits plus modestes, non illustres. Or ce sont ces Bibles des annees 1230 et suivantes qui etayent notre conception des elements caracteristiques de la Bible parisienne du XIn e siecle. C'est aussi dans les annees 1230 qu'on rencontre dans un grand nombre de Bibles provenant de Paris ou des environs la serie de prologues designee par Berger, Martin et plus tard par Branner comme caracteristique de la Bible de Paris. Le premier exemple date de cette« nouvelle» Bible est Ie manuscrit 15 de la Bibliotheque municipale de Dole 107 • A la fin de l'Apocalypse, Ie scribe Thomas clericus de Pontisara l'a signee et datee : il a acheve son manuscrit en 1234. C'est une veritable Bible de poche; elle contient Ie texte complet en 484 feuillets, mesurant 158X 105 mm, avec une surface ecrite de seulement 108jIIox70j69 mm. Elle est ecrite sur deux colonnes de 49 !ignes, et les lignes reglees y sont espacees d'un peu plus de 2 mm : c'est dire la petitesse des signes d'ecriture. Le parchemin en est tres fin, presque translucide. L' ordre des livres et Ie choix des prologues correspondent exactement a ceux qui ont ete identifies comme caracteristiques de la Bible de Paris; et certains passages du texte presentent les le~ons « scolastiques» de Glunz dans Matthieu, et celles de Quentin dans l'Octateuque. Le systeme moderne de chapitres est utilise d'un bout a l'autre, et des documents accessoires comme les listes de capitula et les tables de canons d'Eusebe ont disparu. L' « Interpretation des noms hebreux » Aaz apprehendens suit l'Apocalypse. Chaque element constituant du manuscrit de Dole, ordre des livres, prologues, chapitres modernes, « Interpretation des noms hebreux » et texte biblique lui-meme, existait sous une forme ou sous une autre, dans les Bibles produites a Paris vers 1200-1230. Apres 1230, de nombreuses Bibles ont ete produites a Paris et alentour selon ce meme modele qu'on voit dans la Bible de Dole. Identifier ce type de Bible comme la « Bible de Paris» est done une generalisation raisonnable et
104. D'EsNEVAL [32],. pp. 165-169, propose de dater les trois glossaires de II80-1220. 105. ID. [33], p. 561, cIte Paris, BN lat. 26 en exemple d'une des premieres Bibles comport~t l~ glossaire des noms hebreux. Cependant ce manuscrit est presque certainement posterIeur a 1230 environ.
106. BRANNER [177], pp. 201-239, et aussi p. 109. 107. Ch. SAMARAN et R. MARICHAL, Catalogue des Manusmls en ecriture laline porlanl des indications de date, de lieu au de copisle, t. 5, p. 41.
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La Bible
bien fondee. Cette uniformite d'ensemble cependant, qui en soi est certainement un progres important et nouveau dans l'histoire de la Vulgate, ne doit pas faire oublier que de nombreux manuscrits produits a Paris au xrue siecle ne se conforment pas a ce modele. Certes, presque partout on inclut l' « Interpretation des noms hebreux », on emploie les chapitres modernes. Pourtant, de nombreuses Bibles ecrites a Paris ne contiennent pas la meme serie de prologues, et parfois, bien que plus rarement, presentent un ordre different des livres. Branner lui-meme a observe qu'une comparaison ponctuelle d'un petit nombre de lec;ons a travers des Bibles peintes toutes dans Ie meme atelier revelait un degre important de variation108 • Un certain nombre de Bibles produites a Paris au xure siecle ne donnent pas les lec;ons que Quentin et Glunz tenaient pour caracteristiques de la « Bible de l'Universite ». Pour les annees 1200-1230, les ouvrages ne comportant pas ces lec;ons sont generalement ceux OU l'ordre des livres et des prologues differe de celui qu'on associe a la « Bible de Paris»; dans la periode suivante, Ie texte et son ordonnance externe sont independants. Une Bible tout afait« normale », d'apres l'ordre des livres et des prologues, peut contenir un texte qui ne presente pas les lec;ons pretendument nouvelles de la« Bible de Paris »109. Outre la variete dans Ie texte et dans les annexes, les Bibles produites a Paris et alentour apres 1230 environ montrent une gamme etendue de types materiels. Pour la plupart, on ne peut plus en identifier les proprietaires d' origine; mais la diversite des apparences materielles laisse imaginer leurs proprietaires vraisemblables. La prosperite croissante du xru e siecle avait de fait cree un nouveau marche de livres de luxe, et bon nombre des Bibles du xme siecle sont en effet de riches et couteux manuscrits. Certaines d'entre elles ont ete peut-etre offertes en donation a des eglises ou monas teres : c'etait traditionnel. Mais en plus de cela, les riches magnats de l'Eglise et de l'aristocratie les recherchaient des ormais pour leurs propres collections. La tradition associe Ie manuscrit BN lat. 10426 au nom de saint Louis, sans preuves reelles, mais cette Bible de poche, minuscule, aux merveilleuses enluminures, n'aurait pas detonne parmi ses possessions llO• ~08. Par exemple, BRANNER [177], pp. 214-215, recense 27 Bibles de l'atelier Mathurin. TroIs de celles-ci sont citees sans specification de contenu; six presentent des divergences par rapport a l'ordre des lines et au choix des prologues selon l'usage parisien, et dix-huit se conforment a celui-ci. Par contraste, Ie groupe de la Sainte-Chapelle (ibid., pp. 236-239) se compose de 16 Bibles; deux d'entre elles sont citees sans indication de leur contenu, hui~ different un peu de la« Bible de Paris », et six se conforment a l'ordre des lines et au cholX de prologues dans l'usage parisien. Cf. BRANNER, « The Soissons Bible Paintshop in Xlllth Century Paris », dans Speculum, 44, 1969, 15, n. 15. 109. Tout au moins d'apres sondage de les:ons selectionnees. Par exemple, Paris, BN l~t. 233 A (BRANNER, Manuscript Painting [177], p. 214), ne contient pas les prologues« parislens », pas plus que les les:ons caracteristiques relevees par Glunz et Quentin. llO. On pense que Blanche de Castille a donne a Saint-Victor Ie manuscrit Paris, BN lat. 14397.
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Le xure siecle est aussi marque par un changement important dans Ie role de l'Eglise : a la fois une reaction, en partie du moins, au defi serieux que l'heresie lanc;ait au monopole de l'Eglise, et Ie reflet d'une vaste poussee evangelisatrice. On met l'accent de plus en plus sur la predication et sur Ie developpement d'une structure pastorale, afin de satisfaire les besoins des fideles laIques : ceci se perc;oit dans les interets des theologiens parisiens de la fin du xue siecle, s'afliche dans les decrets du IVe Concile de Latran en 1215, et dans la reconnaissance des nouveaux ordres mendiants. Probablement un humble pretre de paroisse au xure siecle n'aura pu se permettre de posseder une Bible. Neanmoins la Bible de poche etait un outil precieux pour Ie predicateur itinerant, en particulier avec l'introduction d'instruments non bibliques tels que calendriers, tables liturgiques ou listes de themes pour les sermons Ill. Toutes les Bibles de poche n'appartenaient pas ades religieux mendiants, comme Ie demontre ce volume luxueux qui a peut-etre appartenu a saint Louis. Pourtant les besoins des ordres mendiants, et plus largement la nouvelle orientation de l'Eglise au xure siecle, expliquent assez l'emergence d'une « nouvelle Bible ». Enfin, la croissance de l'Universite medievale engendre aussi une nouvelle classe de gens qui avaient besoin d'une Bible : les maitres des universites, et meme certains etudiants, desiraient peut-etre posseder une Bible magnifiquement decoree. Un document nous raconte qu'un pere se plaignait amerement des sommes d'argent que son fils avait depensees a Paris pour que ses livres « jacassent en lettres d'or »112. Cependant certains des livres plus simples qui ont ete conserves ont probablement ete utilises autrefois par des erudits medievaux. Le manuscrit BN lat. 15476, qui devint plus tard propriete de la Sorbonne, en est un bon exemple : c'est une Bible d'ecriture claire, mais simplement et rapidement decoree, de dimension modeste, qui aura amplement sufli a un usage scolaire1l3• L'utilisation de la Bible, dans les ecoles et pour la composition de sermons, est clairement demontree par la croissance au XU1 e siecle d'une nouvelle batterie d'instruments bibliques. On n'examinera pas ici l'histoire des collections de distinctions bibliques ou de la concordance verbale; mais la circulation et l'emploi de tels outils ont permis d'utiliser la Bible comme une « mine» de citations pratiques; et ce traitement des
Ill. Cf. R. H. et M. A. ROUSE, Preachers, Florilegia and Sermons: Studies on the Manipulus Florum of Thomas of Ireland, Toronto, 1979, pp. 42-63. Par exemple, Paris, BN lat. 206, de 169X llO mm, contient une table des lectures liturgiques. Le ms.lat. 166, de 195X 125 mm, y ajoute une table des themes de sermons selon l'annee liturgique. Le lat. 16266, de 150X 100 mm, contient ces deux tables ainsi qu'un calendrier. ll2. BRANNER [177], p. 2. ll3. Ce manuscrit mesure 265X 185 mm (surface ecrite 195!189X 126 mm) sur 453 f. en deux colonnes de 51-54 lignes.
Le Livre
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&ritures se reflete peut-etre dans la predominance parallele des Bibles copiees d'un seu1 tenant. En outre, l'utilisation des chapitres modernes dans des outils comme la concordance verbale aura certainement ete un facteur important pour l'adoption de ces chapitres dans les manuscrits de la Bible114• Les repercussions d'un autre outil, les « correctoires » (correctoria ou correctiones), sont plus difficiles a evaluer. A certains egards, ces ouvrages, qui donnent des listes de variantes qu'on trouve dans differents manuscrits de la Bible latine, parfois aussi dans les Bibles grecque et hebralque, prouvent l'interet que suscite Ie texte de 1a Bible, dans les milieux mendiants en particulier. Cependant les correctoires, qui circulaient Ie plus souvent independamment de la Bible, ne subsistent qu'en tres petit nombre d'exemplaires pour chaque type. Rien ne prouve qu'ils aient jamais eu une grande diffusion. On ajoute souvent des variantes dans les marges des Bibles; il se peut qu'elles refletent les memes preoccupations que les correctoires, ou qu'elles en proviennent, mais ceci ne peut encore etre prouve. Par ailleurs, on n'a jamais demontre de fa~on convaincante que les correctoires eussent jamais servi a modifier Ie texte de la Bible116• Au moins se peut-il que ces listes de variantes aient eu pour objet de fournir aux commentateurs et predicateurs un choix de le~ons. C'est peut-etre ce que faisait Etienne Langton. Comme Beryl Smalley l'a montre, Langton savait qu'on pouvait trouver de nombreuses variantes dans les manuscrits de la Bible. Loin d'en etre deroute, ses ecrits Ie montrent, i1 se rejouissait de la souplesse que lui offrait ce choix116. L'explication traditionnelle de l'histoire de la Bible a Paris au XIIre siec1e, a la suite surtout des propos de Roger Bacon, a eu ce resultat malheureux : on a eu tendance a ne considerer la Bible que comme manuel d'enseignement. La diversite d'apparence materielle des manuscrits suffit a elle seule a prouver que c'est 1a deformer la realite. Un presuppose paralle1e veut que toutes les Bibles produites a Paris au xme siec1e l'aient ete par les libraires de l'Universite. A etudier les manuscrits, on voit que c'~st 1a a:,"ssi une simplification abusive. Seules trois Bibles, a ce qu'on salt, contiennent des marques de pecia; et un manuscrit, actuellement a la Bibliotheque Mazarine, est peut-etre un recueil d'exemplaires de peciae117 • On ne peut exc1ure la decouverte de nouveaux manuscrits de
ce g~nre; et on a pu copie~ de~ Bibles sans marques de pecia a partir de mode1es vendus par les libraues de l'Universite. L'existence de ces qua~e, Bibles ~n tout cas n'autorise pas a conc1ure que toutes les Bibles ont ~te pro~U1tes de. c~tte fa~on. En outre, meme s'il en etait ainsi pour ce~tal?es Blbl~s pansl~nnes d~ X~IIe s~ec1e, on ne peut deduire qu'il eXlst:ut une ~lble ofEcle~le ~e 1 Uruverslte avec un texte stable. D'apres des etudes recentes, les libraues ont rarement produit des textes absolument uniformes ou rigoureux, bien que leur activite ait ete reglementee par l'Universite 118. Dans leur grande majorite, les Bibles conservees du xme siec1e ressemblent peu, materiellement, aux ouvrages emanant des libraires de l'Universite. Nos connaissances sur la production et Ie commerce des li;res au ~IIIe siec1e sont encore incompletes; mais des recherches r.ece~tes lals~ent. pe~s:r qu'un autre systeme existait, parallele aux libralres de 1 Uruverslte, surtout pour la production de manuscrits de lux~. Le terme prete a confusion, en suggerant une fausse maturite : n:als un « co~~~rce » de liv~es parait av~ir eu cours a Pa~is a partir du debut du XIII ~lec1e. Des artisans professlOnne1s, y compns des enlumineur~, des,. fabn~a?ts de par.chemin et des scribes, figurent en effet dans les roles d lmposltion. Les Blbles en un seul volume, produites vers 12001230 ont probablement ete peintes par des artistes professionne1s. Ceci permet d'expliquer et Ie degre de variation, et l'uniformite globale qu'on peut observer d~ns les manus.crits de la Bible. D'apres ce que nous pouvons percevolr, la production manuscrite du XIIre siec1e etait etonnamment differente de celle, monastique, des siec1es anterieurs, OU tout Ie processus de fabrication etait mene a bien dans un meme atelier119. On a insiste ici sur les variations rencontrees dans les manuscrits de la Bible, mais l'uniformite relative de ces Bibles parisiennes est frappante quand on les .compare a des Bibles provenant d' Angleterre et d'Espagne. Ces ?O~paralSO?S s.ont bien evidemment provisoires, tant qu'on n'aura pas. ecnt une histone plus etendue de la Vulgate en dehors de Paris; n;alS e~les autor!sent ?'ores et d~ja plusieurs observations generales. La r,ed~~tio? des dimen~lOns, avec I adoption du format « Bible de poche », r,~tiliSa~lOn des .chapltres ~odernes et la disparition des listes de capitula, lmc1uslOn aUSSl du glossane des noms hebreux Aaz apprehendens, cela semble avoir ete adopte partout en Europe. En Angleterre, on peut Ie
1I4. R. H. et M. ROUSE, « The Verbal Concordance to the Scriptures», dans Arch. Fr. Praed., 44, 1974, 5-30; ID. [52, 53]; WILMART [97]· 1I5. GLUN~ [38], pp. 285-286, distingue co"ectoria et co"ectiones. Les etudes principales sur les co"ectorla s~nt celies d~ DENIFLE [3 I]; BERGER, « Des Essais» (op. cit., n. 84); E. MANGENOT, « Correctol!es de la BIble», dans DB, II, Paris, 1926, c. 1022-1026. 1I6. SMALLEY [15], pp. 220-221. , 1~7: .Les t;l0tes ~e J?estrez sont a~tu~liement conservees a la Bibliotheque du Saulchoir, a Pans, II y slgnal~t 1 eXIstence de trOIs BIbles dotees de marques de pecia : Paris, BN lat. 28, 938: ~~ 14238. VOIr ]'. DE~TREZ et M. D. CHENU, « Exemplaria universitaires des XIII" et XIV slecies », dans Scriptorzum, 7, 1953, p. 68 : Paris, Mazar. 37. rUne pecia est une unite de
livre n;anuscrit" or~eI?ent un ~er de 4 ff., appartenant a un exemplaire approuve par les.maJtres de ~ Uruverslte et depose chez ~ « libraire»; celui-ci louait chaque pecia a des Scrl~S profe.sslO~.els aux fins de. reprod~ctlOn. a. G. POLLARD, « The Pecia system in medieval Uruverslt1es », dans MedIeval Scrzbes, Manuscripts and Libraries. Essqys, N. R. Ker, Oxford, 1979, pp. 145 et s. (N.d.E.).] 1I8. ROUSE (op. cit., n. 1I0), pp. 169-177. 1I9. B.RANNER [17,7], P,P, 1-,1; AVRIL, « A quand ... » (op. cit., n. 98), pp. 36-44; BRANNER, « Manus~!1pt-Ma~ers ill ~d-thirteenth century Paris», dans Art Bulletin, 43, 1966, pp. 65-67; ID., « SOIssons BIble» (Clte n. 107), pp. 13-14.
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Le Livre
demontrer, ce phenomene est intervenu tres tot. La petite Bible d'Oxford, Bodleian Library lat. bib. e.7 a ete illustree par Guillaume de Brailles; elle est complete en un seul volume, mesure 168 X 108 mm, et la surface ecrite n'est que de II7/119X72h4 mm. II se peut que cet ouvrage ait ete produit pour Ie couvent dominicain d'Oxford, entre 1221 et 123412°. II est divise en chapitres modernes, sans liste de capitula, et donne l' « Interpretation des noms hebreux». Le manuscrit de la British Library, Arundel 303, d'entre 1228 et 1234, est une autre Bible tres petite, avec chapitres modernes et « Interpretation des noms hebreux »121. Celui de Paris, BN n. a. lat. 836 a ete copie en Castille en 1240122 ; c' est une petite Bible, de 165 par 120 mm, qui est divisee en chapitres modernes et comprend l'habituel glossaire des noms hebreux. Contrairement a la diffusion rapide et precoce de ces caracteristiques, i1 en est d'autres que les Bibles anglaises et espagnoles presentent peu souvent : ce sont l' ordre des livres, Ie choix des prologues et Ie texte identifie par les lec;:ons de Quentin et Glunz, si frequents dans les Bibles produites a Paris ou dans les environs. Recemment, AdelaIde Bennett a compare l' ordre des livres et Ie choix des prologues dans quarante-deux Bibles anglaises des deuxieme et troisieme quarts du xme siecle. Elle a cons tate que ces deux caracteristiques variaient sans regularite sensible d'un manuscrit a l'autre. Les lec;:ons enumerees par Quentin et Glunz ne se retrouvent que rarement dans les Bibles anglaises 123. Un releve d'un petit groupe de Bibles espagnoles conservees actuellement a la Bibliotheque Nationale de Paris accuse la meme tendance. On cons tate de nombreuses variations dans Ie choix des prologues et l' ordre des livres, et Ie texte est souvent demuni des lec;:ons tenues pour caracteristiques de la « Bible de l'Universite »124. 120. J. J. G. ALEXANDER, « English or French? Thirteenth Century Bibles », dans Manuscripts a/ Oxford. An Exhibition in Memory of R. W. Hunt, ed. A. C. de LA MARE et B. C. BARKER-BENFIELD, Oxford, 1980, p. 71. 121. A. G. WATSON, Catalogue of dated and datable Manuscripts in the Department of Manuscripts. The British Library, Londres, 1979, p. 92 et pI. 131. 122. Je remercie les conservateurs de la Bibliotheque Nationale de Paris, et particulierement F. Avril, J.-P. Aniel et A. Saulnier, d'avoir attire mon attention sur ce manuscrit et d'autres Bibles de provenance espagnole. SAMARAN et MARICHAL, Catalogue (0. c., n. 106), IV, pI. XXXI, p. 123. 12 3. BENNETT (op. cit., n. 78), Appendices IA et IB. C'est ainsi que Ie manuscrit Oxford, Bodleian Libr., lat. bib. e. 7, contient les lines bibliques dans l'ordre en usage it Paris, mais sans autres prologues que les deux qui presque invariablement precedent la Genese. n ne presente pas les les:ons caracteristiques de Quentin pour l'Octateuque, mais celies de Glunz pour les Evangiles. Le manuscrit Londres, British Libr., Arundel 303 aussi n'a que les deux p~ologues it Gen.; il ne comporte pas les les:ons de Glunz et de Quentin. Londres, British Llbr., Royal I.B.XII, une Bible ecrite en 1254, ne donne ni l'ordre parisien des lines, ni Ie choix parisien des prologues, ni les les:ons de Glunz et de Quentin. .1~4· Par exemple, les manuscrits Paris, BN lat. 201 et lat. II932 ne suivent pas Ie choix parlSlen des prologues et ne contiennent pas les les:ons de Quentin ou de Glunz. Le BN lat. 16264 et Londres, British Libr., Add. 50003 ne se conforment pas it la serie precise des prologues de Paris, mais en revanche donnent les les:ons de Glunz et de Quentin.
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D'un choix meme rudimentaire de manuscrits de la Bible au XIIl e siecle, des conclusions se degagent; elles n' ont pas la simplicite et la clarte des theories issues de Bacon, mais elles sont certainement plus conformes a la realite du xm e siecle. L'existence de variations considerables est certes un fait important; pourtant apres 1230 environ, la grande majorite des Bibles produites a Paris et alentour se conforme, et pour Ie texte, et pour l'agencement exterieur de ce texte, a la Bible identifiee depuis la fin du XIXe siecle par Berger et Martin comme la « Bible de Paris ». Rien ne justifie les declarations de Bacon selon lesquelles une Bible aurait ete « publiee » par les libraires de l'Universite, apres que ceux-ci et les theologiens se sont entendus pour etablir un texte a la hate. Les origines du texte se trouvent peut-etre bien dans les Bibles glosees du XIIe siecle, comme Ie suggere Glunz et comme Ie confirment, en partie, les travaux d'Haastrup. L'important, c'est que chacun des elements qui a caracterise la Bible de Paris a partir des annees 1230 ait ete present dans plusieurs des Bibles parisiennes produites vers 1200-1230. Comment ces elements ont ete rassembles pour arriver a une Bible telle que celIe de Dole, nous ne Ie comprendrons qu'a mesure que s'etendra notre connaissance de la production des livres au xme siecle. II est egalement frappant de cons tater la propagation tres rapide en Europe, notamment en Angleterre et en Espagne, de trois des caracteristiques de cette « nouvelle Bible» : son petit format, l'inclusion de l' « Interpretation des noms hebreux», et les chapitres modernes. II en resulte que les manuscrits de la Bible du xme siecle se ressemblent bien plus, malgre des variantes regionales dans Ie style d'ecriture et de decoration, que les manuscrits de la Vulgate aux periodes precedentes du Moyen Age. Cette uniformite apparente masque des differences tres importantes, dans Ie texte et dans son agencement exterieur. Berger pretendait que Ie xme siecle avait cree une Bible « uniforme »; mais il n'avait raison qu'en partie. L'histoire complete du texte de la Vulgate du XIIIe siecle, notamment en dehors de Paris et du nord de la France, reste a ecrire. Pour la premiere fois, au XIlIe siecle, on a cree des Bibles qui apparemment se conforment a une idee precise de ce que devrait etre materiellement une Bible. Pourtant, une veritable uniformite du texte sacre n'apparaitra qu'a une periode bien plus tardive dans l'histoire de la Vulgate. Laura LIGHT. Traduit de I'anglais par Bruno Lobrichon et Philippe Buc.
3 Une nouveaute : les gloses de la Bible
Vne glose, dans Ie langage courant, est un commentaire volontiers oiseux ou malveillant, qui coupe les cheveux en quatre pour mieux obnubiler. Si la Glose de la Bible, une entreprise typique du Moyen Age central, a si mauvaise reputation, la faute en est sans doute aux humanistes et a ceux qui pronent Ie retour au texte, comme si Ie souci de la purete originaire etait la quintessence de l'esprit scientifique et pouvait seul reanimer une verite perdue. Que la Glose de la Bible ait pu etre un carcan, une gene a l'imagination theologique, il se peut, a la condition de reconnaitre aussi l'esprit de ses origines. Sa rehabilitation est venue depuis quelques decennies, grace aux travaux inlassables de Miss Beryl Smalley!; il s'en faut cependant de beaucoup que sa voix ait ete bien entendue des historiens et des redacteurs de catalogues des manuscrits medievaux, dont beaucoup encore a ce jour confondent gaillardement gloses et commentaires de l'Ecriture, ou parlent tout uniment de « glose ordinaire }) dans un do maine ou l'abondance des varietes incite a la prudence. L'heure n'est pas venue encore de faire Ie point definitif; tout au plus faut-il esperer des pages qui suivent un examen sommaire des principaux problemes de la Glose : d'ou vient l'idee d'une Glose complete de la Bible, comment fut-elle mise en reuvre, I. Le maitre ouvrage de Miss Beryl SMALLEY, The Study of the Bible... [15], peut etre complete par Ie recueil d'articles du meme auteur, Studies in Medieval Thought and Learning. From Abelard to Wyclif, London, 1982. On n'utilisera qu'avec la plus extreme prudence l'article d'E. BERTOLA, {( La Glossa ordinaria biblica ed i suoi problemi », dans RTAM, 4J, 1978, 34 et s.; Ie bref travail de R. WIELOCKX [49], est beaucoup plus fiable et informe.
Les gloses de la Bible
Le Livre comment fut-elle diffusee et reproduite, quel fut son ap~ort da~s l'evolution medievale des modes de pensee? Autant de questlOns qu ~l faut suivre au fil des siecles, et que j'invite a reprendre en troIS histoires concentriques : histoire d'un mot, histoire de forme, histoire de savants.
QU'EST-CE QUE LA
«
GLOSE
»?
Close, void un nom d'origine grecque, il signifie « langue », et l~s savants du haut Moyen Age Ie savaient tres bien, depuis les grammalriens de l' Antiquite tardive. D'Isidore de Seville (~ebut. du vne siecle) aux professeurs du IXe siecle, et chez Rugues de Satnt-VIctor encore, au second quart du xn e, on expliquait que «Ja glose designe d'ur: seul mot approprie Ie concept dont il est questlOn, par exemple conttt:scere est tacere, se taire »2. Dne glose n'etait donc qu'un synonyme, eclrurant un mot mal comprehensible par lui-meme. On opposait alors, de fas;on plus extensive, la glose au commentaire : ~elui-c~ a~cum.ule les gl?se~ et les dilue dans un discours fluide et contmu. AinSI avrut-on fabnque aux VIne-IXe siecles des « glossaires » a l'intention des commentateurs de la Bible : c'etaient de veritables dictionnaires des interpretations courantes de chaque mot repute diffidle 3 ; une glose en etait l'unite de base. Or void qu'au debut du xn e siecle les savants ont confere un sens nouveau au nom de « glose ». Rugues de Saint-Victor s'en tenait a la definition classique; mais l'un de ses collegues, Guill~ume de Conches, choisit d'expliquer la difference entre Ie commentatre et la glose, en inversant presque leur rapport traditionnel : « Le commentaire, dit-il, s'en tient a la sententia, sans se preoccuper du fil de la Iettre ou de l'explication de cette Iettre. La glose, elle, s'attache a tout. cela. D'ou Ie nom de 'gIose', c'est-a-dire 'langue' : elle doit en effet expliquer en clair, comme si la langue elle-meme du docteur s'exprimait de vive voix »4. Guillaume, qui enseignait sans doute a Chartres et a Paris dans Ie premier tiers du xne siecle, abattait ainsi avec entrain les cloisons vermoulues qui confinaient l'analyse de texte dans les classes de grammaire, presque dans l'enseignement elementaire. La sententia, c'etait en effet Ie resultat de tout Ie travail d'interpretation effectue sur un texte, une belle phrase bien pesee et sonnee, souvent l'ceuvre d'un savant Z. Hugues de SAINT-VICTOR, Didascalicon. De studio legendi, ed. ~. H. BUTTIMER, Washington, 1939, p. 94. C'est la definition toute classique d'Isidore de Seville. 3. Tels sont Ie Bibelwerk analyse par B. BISCHOFF dans ses « Wendepunkte}) [66], pp. ZZ2 et s. et 231, les Glossae in Vetus et Novum Testamenllll11 examinees par J. CONTRENI, « The biblical Glosses of Haimo of Auxerre and John Scottus Eriugena}), dans Speculum, p, 1976, 411-434, et Ie Liber Glosarius plus tardif de Paris, BN lat. 346.
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beneficiant d'une autorite incontestee, en general un Pere de l'Eglise. Guillaume de Conches etablit qu'un type de document, une « glose », met sous les yeux du lecteur toutes les etapes du processus scientifique : la science, c'est Ie retour concret aux sources, et la mise en pratique d'analyses systematiques. Et par la on aboutit a des resultats de qualite egale a ceux qui avaient fait la fortune des Peres. Dne ambition pointe ici, a peine masquee, qui porte les maitres du xne siecie peu a peu au rang d'autorites. Se fait jour ici la conscience d'un nouveau magistere, qui vaut bien celui des docteurs de l'age herolque. Guillaume de Conches fait une allusion claire a un type de document, ce que vient confirmer un fait nouveau de langage. Des les annees 1100 en effet, les bibliothecaires introduisent dans leur nomenclature une categorie auparavant inusitee, celIe des « livres gloses »; tres rapidement, l'habitude se repand de distinguer ces livres et les commentaires, avec une rigueur toute particuliere pour les ouvrages cons acres a la Bibles. II ne s'agit plus ici de technique d'enseignement, pas encore d'une documentation faisant autorite, mais tout au moins d'un materiau bien specifie, qui occupe une place avantageuse dans les armoires des bibliotheques. Les livres manuscrits contenant ainsi des « gloses » de la Bible se multiplient a une cadence inouIe dans Ie second tiers du xne siecle : ils diffusent ce qu'on appelle desormais la Close de la Bible. Non plus seulement un materiau curieux, mais un ensemble documentaire jouissant d'un label quasi officiel. A telle ens eigne qu'au milieu du xne siecle, un professeur s'en indigne et rappelle vertement a ses confreres que la Glose ne saurait avoir Ie meme statut que les ecrits des peres6 • Rien n'y fait; desormais la Glose de la Bible s'impose, vers 1200 elle est devenue pour tous Ie corpus de !'interpretation biblique, vehicule dans un type de livre presentant des caracteres specifiques.
FOR.,.\1ES DE GLOSES
Que sont donc ces livres manuscrits d'aspect si particulier? lIs se presentent comme l'unite de trois elements. lIs contiennent en premier 4. Guillaume de CONCHES, Glosae super Platonem, ed. E. JEAUNEAU, Paris, 1965, p. 67. Un demi-siecle plus tard, Huguccio distingue dans ses Derivationes entre &ommentum, expositio verborum iun&turam non considerans sed sensum, et glossa, expositio sententiae et illius litterae quae non solum sententiam sed etiam verba attendiJ (cite par N.lliRING, dans AHDLMA, 27,1960, p. 66). 5. Les catalogues medievaux de bibliotheques edites dans les MBKDS et MBK~ [z7] montrent bien la precision du vocabulaire. Les exemples les plus precoces y :'Ippanussent dans les inventaires de Blaubeuem et de Michelsberg, aux alentours de 1100, pws IIIZ-1147 respectivement (BECKER [19], pp. 174 et s.; MBKDS [Z7], II, .348 et s.). Au XI~e siecle, on ne classait pas encore sous des rubriques differentes commentalres et gloses; matS on affiche clairement Ie depart entre libri glosati et expositiones ou glosae super librlll11 X. 6. SMALLEY, Stmfy [15], p. 227. P. RICHE, G. LOBRICHON
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Le Livre
lieu Ie texte d'un ou de plusieurs livres de la Bible, dans une colonne centrale, d'une ecriture a gros module, bien adaptee a la lecture publique. Dans les colonnes a gauche et a droite du texte, on a recopie des gloses « marginales », qu'on a pris soin d'individualiser par des signes de paragraphe; elles sont .ainsi clairemen~ s.eparees les unes des autres. Dans les intervalles des lignes du texte blblique, dans la colonne centrale, sont reparties les gloses « interlineaires », beaucoup plus courtes, localisees au-dessus des mots qu'elles expliquent. Ces deux elements de gloses sont nettement differencies du texte biblique, grace au module de leur ecriture, plus petit de moitie. Ces trois elements constitutifs definissant ce qu'il faut bien appeler la forme « Glose de la Bible », une forme originale dont l'histoire est au premier chef celIe d'une mise en page. Les scribes innombrables qui ont copie les manuscrits de la Glose se sont livres a des experiences triomphantes de mise en page, qui atteignent aux sommets de l'art plus tardif des imprimeurs. La Glose de la Bible donne a voir en effet la perfection d'un procede de composition que n'ont jamais approche meme les meilleurs copistes de gloses du droit. Bien plus, et ce fait est curieux, la composition en trois colonnes au moins, avec apparat double de gloses, parait etre un phenomene typique du christianisme latin. Le zeIe sacre des copistes juifs de la Torah ne semble pas s'etre relache au point d'introduire des gloses de main d'homme dans l'espace reserve a la Bible. Le Talmud peut entourer Ie texte biblique, mais i1 ne penetre pas dans la colonne centrale. Dans l'Orient grec, des Evagre Ie Pontique (rve siecle) on mit en circulation des manuscrits bibliques OU variantes hexaplaires et commentaires jouxtaient la colonne reservee au texte de la Bible; et plus tard, les copistes de manuscrits a chaine ont dispose dans les marges des extraits de commentaires. Mais jamais les Byzantins n'ont insere des gloses interlineaires, et jamais ils n'ont repris la composition de type occidental7 • On n'avait donc pas peche l'idee de ce modele etrange chez les voisins ou chez les concurrents. Pourtant les savants d'Occident pouvaient feuilleter dans les bibliotheques de leurs ecoles des ouvrages qui pouvaient nourrir l'idee de la Glose : c' etaient des manuscrits gloses de Virgile, d'Ovide, de Prudence, de Martianus Capella, de tous ces auteurs dont la lecture et l'etude faisaient Ie pain quotidien des eleves dans les cours de grammaire. La trace de ces manuscrits est continue a partir du rxe siecle; ils sont bel et bien dotes de gloses marginales et interlineaires. Or au rxe siecle, on a fabrique des manuscrits bibliques sur ce modele. Sans doute l'idee avait-elle ete importee des iles sur Ie continent, par ces cohortes de 7. Ces informations sur Ie domaine byzantin m'ont ete fort aimablement fourrues par Ie Pere Joseph Paramelle; Ies nuances delicates dont il entoure ses propos m'incitent toutefois a revendiquer I'entiere responsabilite des erreurs qui se seraient glissees ici.
Les gloses de la Bible
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moines venant de Northumbrie et d'Irlande a la fin du vme et au debut du rxe siecle. Du moins Ie scribe qui vers 800 copia les visions d'Ezechiel accompagnees de gloses marginales et interlineaires etait-il irlandais, ou avait-il ete forme dans quelque monastere irlandais 8 • La paternite de la Glose remonterait ainsi aux Irlandais. Et fascines sans doute par l'immense savoir de ces pedagogues hors pair, les continentaux suivirent quelque temps leurs usages 9 • Mais Us renoncerent bientot a celui de la Bible glosee. Et pourquoi donc? On pers:oit bien a l'occasion que les maitres continentaux furent agaces par les pretentions et l'influence des Irlandais aupres des princes; mais cela sufUsait-il pour qu'on repudie une methode interessante? La technique suivie pour l'etude des auteurs classiques n'a pas ete maintenue pour celIe de la Bible. Faute de pouvoir incriminer l'inexperience des scribes, il faut songer a une eclipse des etudes bibliques, consecutive a une transformation des structures scolaires, et donc des interets des savants. Quoi qu'il en soit, voyons comment Ie modele en trois colonnes fut lentement releve a partir du troisieme quart du Xle siecle, et pour la Bible1o• C'est dans les dernieres decennies de ce siecle qu'on se mit a copier des manuscrits consacres a un seullivre biblique, avec assortiment de gloses. lIs sont generalement de dimension modeste (moins de 200 X 150 mm), emanent presque a coup sUr des ecoles. lei et la, un maitre a selectionne certains livres de la Bible : ce sont les Psaumes en premier lieu, les epitres de saint Paul, Ie Cantique des Cantiques, et l'Apocalypse. Le texte biblique y est ecrit sur de longues lignes, qui couvrent presque toute la page; il est farei de gloses qui se nichent dans les moindres recoins, faute de marges l l. Au premier quart du xn e siecle, les manuscrits se presentent de fas:on mieux organisee, on enserre Ie texte dans une colonne centrale assez etroite. C'est ce modele, e:lCPerimente avec succes pour Ie Psautier et les Epitres pauliniennes en particulier, qui
S. Zurich, Staatsarchiv AG 19, nO XII (VIlle-IXe siecles) : 2 If. ecrits vraisemblablement en Irlande, puis propriete de Saint-Gall dont les relations avec les iles etaient tres vivantes (cf. CLA, VII, nO IOOS); rna reconnaissance va ici a M. L. Holtz, qui m'a signale cet ancetre de la Glose. 9. Le modele en trois colonnes a perdure pour les Psautiers; la poesie s'y pretait facilement en elfet (entre autres, celui de Troyes, BM 6IS). 10. Les donnees rassemblees ici procedent de l'examen d'environ 170 manuscrits de gloses bibliques, dont deux tiers appartenant a la Bibliotheque Nationale de Paris (fonds de Saint-Victor et de la Sorbonne). Sans l'aide bienveillante des conservateurs de la BN et des chercheurs de 1'IRHT (Paris), sans les conseils toujours judicieux et attentifs de Patticia Stimemann, ce travail n'aurait pas ete possible. II. Certains manuscrits de la fin du Xle siecle sont d'un format plus grand; ne proviendraient-ils pas de bibliotheques monastiques ? Ainsi Ie Psautier de Florence, Laurenziana, Pluto 17.9 (fin Xle pour les gloses ? Italie du Nord), 202 If. de 253X 173 rom; ou Ie Cantique suivi des epitres de Paul de Paris, BN lat. 4S0 (fin Xle; France du Nord), 93 If. de 255X IS5. Mais les manuscrits contemporains de l'Apoc. glosee sont nettement plus modestes (Vatican, Regin. lat. 21 : 20SX ISO; Reims, BM 135 : I75X 122 rom).
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s'impose definitivement. On divise la page en trois colonnes; celie du centre est isolee des autres par deux colonnettes formees de deux traits verticaux, et a la pointe seche on y grave des lignes horizontales, de 12 a 20, sur une hauteur de 150 a 180 mm. Dans cette colonne centrale, Ie scribe reproduit Ie texte biblique, d'une ecriture a gros module. D'un coup d'reil, il evalue Ie volume des gloses a reporter, et trace dans les colonnes marginales des lignes en nombre suffisant, puis il y recopie les gloses. C'etait miracle bien sUr s'il parvenait a situer precisement ces gloses a hauteur du passage en cause; il palliait cet inconvenient grace a un systeme de signes de renvoi, se repondant du texte aux gloses 12 • Ce stade convenait tout a fait aux besoins des ecoles dans la premiere moitie du xue siecle. Sommaire encore, la mise en page reservait cependant des espaces vides en nombre suffisant pour parer a d'eventuelles additions; il fallait neanmoins que Ie manuscrit ne contienne pas de portions importantes de la Bible. Le succes de ce modele en trois colonnes toutes glosees fut immediat : on en copia des exemplaires de luxe, on l'exporta bientot, et tous les ateliers d'ecriture de l'Occident latin Ie suivaient des Ie second tiers du xue siecle. Le centre principal de production d'ou sortaient des gloses de la Bible parait etre alors Paris; c'est la du moins que Ie modele est perfectionne a partir du milieu du xu e siecle, sous l'inspiration sans doute des maitres de l'ecole cathedrale. Apparaissent des subdivisions dans les colonnes de glose, a l'aide de petites colonnettes; cela permettait d'imbriquer plus rationnellement des gloses, d'exploiter mieux la surface de la page, et c'est signe que Ie volume des gloses se stabilise. Cette tendance se confirme lorsque dans Ie troisieme quart du xue siecle, les maitres parisiens commencent a alleguer dans leur enseignement des gloses qu'ils qualifient de « marginale » ou d' « interlineaire »13. C'est donc qu'ils disposaient d'une veritable edition scolaire, identiquement disposee, emanant peut-etre aussi d'une officine specialisee, d'un meme atelier de copie parfaitement rompu a cet exercice de1icat de la reproduction a l'identique14• C'est a cette epoque qu'on introduit un nouveau perfectionnement de la mise en page : les preparateurs des manuscrits composent desormais une grille uniforme de reglures (traits a la regIe) 12. Deux systemes ont coexiste pour ces marques de renvoi : d'une part, les lettres de l'alphabet, et de l'autre un systeme alliant traits et points (present dans des manuscrits grees du haut Moyen Age). 13. Miss SMALLEY, Stu4J [15], en cite de nombreux exemples. 14- n devrait etre possible de reperer les manuscrits gloses dont se servaient les maitres parisiens grace a ces mentions de glosa marginalis ou interlinearis. C'est une erreur en effet d'imaginer que ces localisations sur la page caracterisent des sentences d'origine differente; ~te, et les preuves abondent, une {( marginale » peut fort bien se trouver en {( interlin6aire » et inversement, seIon les manuscrits. Neanmoins, les sentences longues ne pouvaient trouver place entre les lignes et etaient done port6es en marge. La fixation intervient au debut du XIII" siecle en general.
c:n
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pour Ie texte biblique et pour les gloses, qu'on copie desormais de concert, page par page15• On ne s'en tint pas la; Ie succes d'edition et la demande scolaire etaient tels vers 1200, l'experience aussi des scribes etait si grande qu'on porta a quatre, bientot a cinq, Ie nombre de colonnes par page. On savait alors parfaitement etendre les lignes du texte sur deux ou trois de ces colonnes, parce qu'on avait une vision precise du volume de gloses a distribuer sur la page: les gloses se presentent donc a l'reil immediatement en face du passage considere, plus n'est besoin de re~ourir it des marques de renvoi. Du meme pas, on entreprit de reprodune d'un seul tenant des portions considerables de la Bible, notamment les quatre Evangiles ensemble; et vers 1220 apparaissent les premieres grandes Bibles glosees. La taille des manuscrits s'accroit (Ie texte biblique s'etend de 20 a 30 lignes environ) : Ie luxe l'exigeait, qui poussait tout centre religieux a posseder sa Bible glosee au complet, richement decoree. L'exigeaient aussi les universites, soucieuses de disposer d'un exemplaire de reference, tout comme Ie reclamaient les maitres de ces universites qui voulaient disposer d'exemplaires de la Glose presentant des espace~ assez vastes pour qu'ils y puissent porter leurs propres commentaires 16• Vers Ie milieu du xme siecle cependant, des gloses de poche circulaient; et des scribes declaraient leur inquietude devant la complexite hallucinante d'une mise en page trop sophistiquee, et conscients de leur insuffisante maitrise, faisaient retour a des formules plus simples, celles du xne siecle17 • L'histoire materielle de la Glose semble s'assoupir dans la seconde moitie du xme siecle. Rien n'autorise a dire qu'on l'ait largement copiee, sinon dans des ateliers provinciaux, au-dela du cap de 130018. Le modele de composition, qui avait atteint vers 1250 sa perfection, semble n'avoir donne lieu ensuite qu'it degradation. Au demeurant, la Glose de la Bible 15· Bien des manuscrits executes a la meme epoque dans un meme atelier montrent Ie passage d'un systeme a l'autre: ainsi Ie Paris, BN lat. 14776 (XIJ3; Saint-Victor). I~. ~s manuscrits Paris~ Bibl•.Sainte-Genevieve 75 (milieu xm" siecle) et BN lat. 15236 ont ~Sl .appartenu a un maltre qw y a recopie son eo=entaire. De meme la grande Bible donurucame (?) de Bordeaux, BM 22, 33, 37, 49, 55 du milieu du XIII" siecie, a-t-elle ete ~urg~osee. Quant aux metho?es universitaires de l'edition authentique, j'avoue n'avoir lamats rencontre encore de BIble glosee portant des marques de pe&ia. La planche annexe reproduit un fragment d'une glose copiee vers 1200-1220 dans l'abbaye cistercienne de Vauclair (dioe. de Laon). 17· ~oir par exemple la petite Bible glosee de Paris, Mazarine 70 (milieu XIII"); un manu~c;:rlt, norrnan~ peut-e~e, ecrit vers 1230-1240, revient a la mise en page caractenstique ~u ~eu ~u XU", slec~e (ParIS, B~ lat. 14783; Saint-Victor). Un eopiste meridional pousse la SImplification a I extreme, en disposant texte et glose sur deux colonnes (Paris BN lat. 90 deuxieme tiers du xm" siecle). ' , 18. Bien des catalogues sign alent des {( gloses ordinaires » de la Bible qui auraient ete ecrit~s au xIV" ou ~ siecle; ces datations me paraissent souvent suspectes: Cependant, on a certam~m~t recople la Glose assez tardivement en Europe centrale, avee Ie developpement des uruversltes.
Les gloses de fa Bible
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etait assez repandue alors dans tous les centres pour que la production s'en rarefie. Peut-etre est-ce a cette epoque qu'on commenc;a de la denommer « Glose ordinaire »19. L'histoire en tout cas de la Glose au xme siecle et a la fin du Moyen Age est peu connue; il semble que Ie grand commentaire du francis cain Nicolas de Lyre, au premier quart du xrve siecle ait contribue a la dis qualifier, en la perimant. Mais reste que l'aventure materielle de la Glose est intimement liee a toute I'histoire des techniques intellectuelles, et ceci en un moment crucial du developpement de l'Occident.
HrSTOIRE DE SAVANTS
La gestation laonnoise
Laon, 8M 102 (XlIIi, Vauclair), f. 14R Glose « ordinaire » d'Apoc. 7, 9-14
Ce que montrent a l'evidence les avatars successifs de la forme « Glose », ce sont les peregrinations des savants du haut Moyen Age, comment des lies on vint repandre un enseignement sur Ie continent, l'enracinement progressif dans des centres choisis, puis l'avenement d'un nouveau systeme scolaire, dont il faut bien situer I'apparition en France du Nord dans la seconde moitie du xr e siecle. C'est dans ce sillage que la Glose de la Bible prit naissance aux alentours de 1100. Cette prehistoire de la Glose suit les meandres compliques d'une derive qui emporte les centres intellectuels de l'Ouest europeen, du IXe jusqu'au xne siecle. L'hegemonie culturelle des Irlandais et des moines de Northumbrie fit long feu en matiere d'exegese biblique; elle s'amortit cependant vers Ie milieu du IXe siecle sur Ie continent, et au debut du xre siecle en Angleterre. Les malheurs de l'Empire carolingien, les invasions normandes et hongroises ont lentement dresse un mur de difference entre les successeurs de Bede Ie Venerable et les continentaux; ceux-ci ont appris a porter Ie regard vers Ie Midi. Les reuvres de l'Auxerrois Haimon sont bien significatives de ce detournement progressif, des Ie milieu du IXe siecle. Vne culture exegetique continentale prend une pale figure, jusqu'a l'effondrement du IXe siecle. Mais venu Ie x e , et jusqu'au milieu du xre siecle, une chape de silence semble recouvrir I'exegese biblique (B. Smalley); dans les rares lieux OU l'on y porte quelque interet, en Lotharingie surtout, on regarde negligemment Ie texte biblique, et on passe Ie plus clair du temps a compiler des auteurs a la reputation eprouvee : ainsi des Moralia in Job de Gregoire Ie Grand a-t-on selectionne des extraits concernant chaque livre de la Bible, et Ie 19. Cette denomination tardive ne devrait plus 11 l'avenir etre employee dans la description des manuscrits anterieurs 11 1220 environ.
Le Livre
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tout suffisait a. alimenter les besoins des lettres 2o• Ceux-ci etaient bien davantage passionnes par l'etude de la grammaire et de la rhetorique, du comput et du droit que par l'enseignement de la Bible. Voici qu'en 1025, on deniche pres d'Arras un groupe de marginaux. Et parce qu'ils se reclament de la loi des Evangiles et des Apotres, l'eveque Gerard de Cambrai intervient, arme de sa morgue de lettre : bien loin d'argumenter sur Ie texte biblique, il assene une replique tout entiere composee de sentences patristiques. Certes la Bible est presente, mais posee religieusement a. son cote, a. l'instar d'une chasse de reliques saintes 21• L'eveque Gerard est l'un des plus parfaits representants des interets savants encore au seuiI du XIe siecle : ceux-ci epousent les contours successifs des grandes entreprises politiques; et ces dernieres ne puisent guere leur seve dans la Bible, sinon dans l'Ancien Testament, parce qu'on per~oit la. mieux que dans Ie Nouveau les regles fondamentales du pouvoir et de l'ethique sociale. De telles regles, lues essentiellement dans Ie Pentateuque et dans les Livres historiques de la Bible, convenaient sans doute tres bien a. la grande chefferie carolingienne et a. ses epigones; mais Ie Xle siecle s' ouvre par un deverrouillage brutal et impitoyable. Dans Ie « tohu-bohu }} des pouvoirs et des institutions, a. la faveur des rivalites dans l'Eglise et dans l'aristocratie, « 1'invention ideologique prend de la hardiesse }}22 : c'est 1'enonce des trois ordres de la societe, ce sont les liturgies royales, ce sont les reformes monastiques, mais ce sont aussi des exigences religieuses nouvelles, qui fermentent dans des villes en pleine croissance economique et demographique. Ce rebond du christianisme occidental, sensible surtout dans les parts septentrionales de l'Italie et de la France, Ie long des grands axes, prend chair et parole en la personne de reformateurs, marginaux mais vite recuperes par les pontifes romains. On accentue soudain la consideration pour la Bible entiere, et non plus pour les sagesses vetero-testamentaires. L'idee de reforme s'appuie certes sur un double effort de predication, par la parole et par l'exemple, et de rationalite elevee (Berenger de Tours, au troisieme quart du Xle siecle), mais les nouvelles moutures puisent a. la Bible, au Nouveau Testament en particulier. Aux exaltes qui proclament et predisent les Evangiles, les clercs font chorus bientot; et de plus en plus les moines nourris dans les grands monas teres reformes cedent Ie pas aux clercs issus des ecoles urbaines. La reprise du travail fondamental sur la Bible se fait dans les vieux centres intellectuels du nord de la France, entre Angers et Liege, a. Laon, a Reims, a. Tours, a. Paris aussi (Ie cas de la Normandie, OU l'initiative reste entre les mains des moines, tient aux orientations des princes, qui 20.
a decrit les avatars de la celebre collection de Paterius. s. 22. G. DUBY, Les Trois Ordres et l'imaginaire dufiodalisme, Paris, 1978, p. 160.
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WASSELYNCK [76], IP, 1271 et
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ont choisi de s'appuyer la sur Ie reseau des grands monas teres). On avance prudemment; 1'enseignement de haut niveau se porte sur les Psaumes d'abord, pature des moines par excellence, et de ceux-ci les maitres ont a. creur de passer aux Epitres de saint Pau123 • Apparemment, ce choix est neuf au milieu du Xle siecle. Ainsi font Lanfranc a. l'abbaye du Bec (t 1089), Berenger a. Tours (t 1088), Ie mal connu Drogon de Paris, et apres eux Bruno Ie Chartreux (1030/5-IIOI) a. Reims. Sans doute ont-ils dispense leur savoir a. la fois dans la forme primitive de la Glose et sous celIe du commentaire24• Mais on sait encore peu de chose sur les fins que poursuivaient reellement ces maitres et leurs confreres anonymes lorsqu'ils entreprenaient une glose differente de leurs precurseurs. Deux traits meritent cependant d'etre releves dans ces premiers pas de l'exegese nouveau style. C'est en premier lieu Ie reemploi du materiel fourni par les savants du IXe siecle, ceux de 1'ecole d' Auxerre surtout. D'autre part, ces gloses primitives fixent l'attention sur les methodes rigoureuses de la grammaire, de la rhetorique, et de la dialectique; iI faut aborder Ie texte biblique selon ces prealables, alors seulement Ie maitre se permet d'en tirer la signification, et est sensus. Dans ce troisieme quart du Xle siecle, les professeurs manifestent une mefiance appuyee vis-a.-vis d'une lecture trop immediate, trop litterale de la Bible : tout comme s'ils entreprenaient une reeducation de leur public, dont ils auraient a. craindre les debordements reformateurs ou un fondamentalisme trop sommaire. Le terrain se fait plus sUr lorsque s'impose Ie magistere laonnois, autour des annees IIOO, sous 1'egide de maitre Anselme. Anselme a ens eigne a. 1'ecole cathedrale de Laon a. la fin du Xle siecle; peut-etre a-t-il mene de front ensuite ses les:ons sur la Bible (iI s'en est fait une specialite) et ses hautes charges d'administration - il est doyen du chapitre de Laon, et chancelier episcopal de 1098 au moins jusqu'a. sa mort en I II 7. Anselme a su mettre sur pied un veritable laboratoire d'exegese biblique, rassemblant des personnalites de premier plan, orientant leur travail vers la fabrication de la Glose, aux fins de promouvoir une reforme de la societe.
23. B. SMALLEY, « Some Gospel Commentaries of the Early Twelfth Century », dans RTAM, 41, 1978, 147-148. 24. ID., « La Glossa Ordinaria. Quelques predecesseurs d'Anselme de Laon », dans RTAM, 9,1937,365 et s. Miss Smalley a montre que plusieurs collections des epitres de Paul glosees circulaient jusqu'au debut du XII" siecle; un premier groupe est represente par Paris, BN lat. 2875; Manchester, JRL, 109; Londres, BL Royal4.B.IV, PL, 150, Paris, BN lat. 12267; Vatican, Vat. lat. 143; Berne, BB 334; un autre se trouve dans Berlin, SB Phillipps 1650' n en existe d'autres, eparses, comme Paris, BN lat. 480 ou BN lat. II967. De meme y eut-il concurrence entre plusieurs series differentes pour les Psaumes : il faudrait comparer par exemple Florence, Laur. Pluto 17.9 (XI" siecie; Italie du Nord), Paris, BN lat. II550 avec des gloses precoces du XII" sii:cie comme BN lat. 442, pour mieux comprendre les objectifs des maitres qui entreprenaient une glose differente des precurseurs ou des concurrents.
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Aux cotes d'Anselme travaillent les meilleurs esprits du royaume : Guillaume de Champeaux (env. I070-II2I), Alberic de Reims, et Raoul de Laon, frere d'Anselme et son successeur dans ses charges. Avec eux il redonne a son ecole un lustre perdu depuis longtemps; on y accourt bientot de toutes parts de la chretiente larine. On y rencontre Abelard, que l'ombre du maitre agace vite, bien d'autres aussi qui ressurgissent plus tard aux postes les plus en vue des administrations royales, en France et en Angleterre, et aux sommets partout en Europe de la hierarchie ecclesiastique. Anselme reussit a conjuguer parfaitement les trois modeles d'exegese que Ie XIe siecle avait peu a peu individualises. Conformement au modele scolaire Iegue par ses devanciers, il a certainement glose d'abord les Psaumes, puis les Epitres de saint Paul25 ; c'etait rendre hommage a la tradition recente. De meme semble-t-il avoir souscrit au modele monastique, en publiant une glose du Cantique des Cantiques, qui fut apres les Psaumes, Ie premier livre de l'Ancien Testament a recevoir une glose, mais on ignore quelle est celle qui revient a Anse1me. II eut surtout Ie merite d'etoffer Ie modele reformateur, evangelique, en entreprenant avec son frere Raoul la glose des Evangiles - sauf Marc - et de l' Apocalypse. II prend pour ce faire appui sur la double tradition patristique et carolingienne, y selectionne un commentaire, Ie confronte avec d'autres, mais souvent introduit sa solutio~ personnelle sans en prevenir son lecteur. II pousse d'autre part Ie travatl sur la lettre du texte, avec une predilection pour l'histoire, ce en quoi il se singularise. Et partout dans ses gloses, celle de l'Apocalypse tout particulierement, il distille les motifs de la reforme eccIesiale : critique nuancee des nouvelles formes de l'alienation economique (les plaies de l'instrument monetaire, la simonie) et sociale (Ie desordre feodal et la privatisation des biens publics), programme de restauration morale (par une exaltation soutenue des vertus communautaires), Ie tout sous Ie patronage d'un clerge purifie de ses souillures seculaires, la chair et l'argent26 • C'est precisement pour la formation de ce clerge qu' Anselme et ses collaborateurs ont pose l'amorce d'une glose complete de la Bible. Celle-ci est manifestement destinee a des clercs deja formes, capables de situer les sources utilisees, dans des florileges sans doute plutot que dans Ie recours aux sources originales, et de jongler avec les differentes interpretations proposees pour un meme texte; a ces gens ensuite de repercuter l'esprit de la glose laonnoise, d'ou Ie rappel frequent de l'ceuvre Z5· C'est la parva glosatura (SMALLEY, op. cit., n. Z3, p. 149), editee sous Ie nom de « Glose ordinaire» des Psaumes (WIELOCKX, op. Git., n. 1, pp. zz6-zz7); la glose d'Anselme sur les Epitres de saint Paul est habituellement designee sous son titre Pro alterGatione. z6. Je me suis explique sur ces motifs dans une these de 3" Cycle en Histoire, soutenue en 1979 a l'Universite de Paris X (a paraitre), sur les gloses et commentaires de l'Apocalypse au xu" siecle.
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de predication. Or c'etait la un pas d'importance majeure pour l'histoire scolaire du haut Moyen Age, et aussi pour les destinees du christianisme: tandis qu'auparavant l'enseignement de haut niveau s'epanchait avec predilection dans l'etude des arts liberaux - en particulier ceux du discours, du bien dire - , dans l'ecole d'Anselme on fait de ceux-ci des preambules et la lecture puis l'interpretation de la Bible prend Ie dessus. Ainsi se confirme Ie grand passage du christianisme occidental, de la consolidation institutionnelle a l'evangelisme.
Le recentrage parisien Entre Anselme et les premiers professeurs qui avouent publiquement leur dette a son egard, une quarantaine d'annees s'est ecoulee. Ces temoignages viennent de Paris, ville dont la preeminence s'est imposee sur les autres centres scolaires du royaume et aussi de tout l'Occident. Vers 1150-1160, un maitre celebre, Pierre Ie Mangeur, regrette que ni Anselme ni son frere Raoul n'aient glose l'Evangile de Marc 27 • Outre qu'il justifie par Ia sa propre intervention, il rappeJIe clairement l'orientation neo-testamentaire des maitres laonnois. II convient aussi de l'inachevement de leur entreprise, et surtout se comporte comme si Ie travail de la Glose n'avait pas progresse depuis les initiateurs. Ce qui est faux; illaisse entendre ainsi que toutes les gloses en circulation ne sont pas d'egale valeur, n' ont pas la meme autorite. II semble meme que les hommages appuyes qu'on rend a Paris au travail des Laonnois s'assortis sent volontiers d'une volonte de prendre de la distance. C'est au vrai a Paris que Ie corpus tend a se stabiliser. L'ceuvre a progresse, sans nul doute. Deja un emule d'Anselme, Gilbert dit l'Universel, clerc d'Auxerre et futur eveque de Londres (I 127), s'est degage de l'emprise du maitre. On ne sait trop ou il a travaille; il porte la responsabilite de la glose du Pentateuque et des Prophetes, peut-etre celIe aussi des Rois, de Josue, de Ruth et de Juges 28 , avec u~ franc succes puisque apparemment ses gloses sont res:ues sans modification. L'eventail de ses sources est conforme aux habitudes laonnoises, il suit la meme methode, et pourtant on chercherait en vain chez lui les touches specifiques qui donnaient aux travaux d' Anselme et de
Z7. A B. SMALLEY revient une fois de plus Ie merite d'avoir eclairci toutes ces questions dans ses articles deja anciens sur « Gilbertus Universalis, Bishop of London (llz8-1134) and the Problem of the 'Glossa Ordinaria'», dans RTAM, 7,1935, z35 et s.,et 8, 1936, z4et s., puis « A Collection of Paris Lectures of the later XIlth Century in the Ms. ~e~broke ~ollege, Cambridge, 7 », dans Cambridge HistoriGal Journal, 0, 1938, 103 et s. La cltatlon de PIerre Ie Mangeur est rapportee dans 1'etude sur Gilbert l'Universe!, p. 48. z8. SMALLEY, op. cit. ci-dessus, et « An Early Twelfth-Century Commentator on the Literal Sense of Leviticus », dans RTAM, JO, 1969,78 et s.
Le Livre seS proches l'allure d'un programme. Gilbert semble marquer deja des reserves a l'egard de la Glose laonnoise. Puis vers II45, Ie prince Henri, fils du roi Louis VI, rentre au monastere cistercien de Clairvaux; dans son trousseau, il apporte des livres somptueux, des gloses en particulier qui ont ete fort vraisemblablement executees a Saint-Victor de Paris avant I 137 : ce sont celles des Psaumes et de Paul dans la version laonnoise, celles des quatre Evangiles et des Epitres canoniques29 • La selection en soi est significative des interets d'un laIc de haut rang au xn e siede, destine il est vrai a la dericature. Cependant, on voit dans ces manuscrits a quel point Ia Glose etait jugee incomplete: ils ont res:u dans la seconde moitie du xn e siede des additions, reportees avec Ie plus grand soin. Enfin, la presence d'une glose de I'Evangile de Marc, anterieure au temoignage de Pierre Ie Mangeur, confirme que des glossateurs operaient independamment des deux maitres laonnois, mais dans Ie droit fil de leur tentative, bien qu'avec des options sans doute de plus en plus divergentes. Pendant au moins Ie premier tiers du xn e siede, des maitres ont tente de concurrencer les gloses laonnoises, en France du Nord surtout, peut-etre aussi en Italie septentrionale. Miss Beryl Smalley a pu Ie prouver pour plusieurs livres de l' Ancien Testament30 • La regIe est donc encore celie de la diversite. Toutefois ces independants traV'aillent selon Ie canevas d' origine laonnoise : ils ont sous la main un document d' origine anselmienne, et Ie confrontent ad'autres exemplaires, ou tel commentaire qu'ils abregent, ils relevent les interpretations divergentes, avec Ie souci
29. Ces manuscrits exceptionnels portent l'ex-libris du prince« Henricus regis filius », du temps donc de Louis VI, mort en II 37. Sans doute faut-il y distinguer deux livraisons. Il y a d'abord trois manuscrits portant 18 lignes de texte biblique II l'interieur d'un cadre regie pour 3 co~onnes de 190/200 sur 150 mm (col. de texte et 2 col. de glose) : Montpellier, Fac. de Mede?Ue 155 (Mat/b., glose), Troyes, BM 5II et 512 (Psautier et Epitres de saint Paul). Le ~saut1er Troyes 5I I ressemble etrangement du point de vue formel II celui de Saint-Victor, Parts, BN lat .. 14402, mais Ie premier est depourvu de prologues. Vne autre livraison regroupe des manuscrtts II 15 lignes de texte (cadre regIe de 155X 130 mm) : ce sont Troyes, BM 871 et 1083, respectivement Me et Le gloses. A ceux-ci il faut ajouter Troyes 1023 bis de 13 lignes pour 140X 137 mm, In glose. Je n'ai pu etudier la septieme glose, Troyes, BM 1620. On peut rapprocher ces manuscrits de ceux de Saint-Victor, Paris, BN lat. 14771 (Lev., glose), 14398 (Gen., glosee) et 14408 (Me). Le scriptorium de Saint-Victor semble avoir ete un centre d:experiences, ou l'on a peut-etre fait du transfert technologique avec I'Italie du Nord; c'est amst qu'une disposition formelle tout II fait singuliere apparait dans deux manuscrits seulement, Paris, BN lat. 14409 (XIP, Epitres de Paul et Mattb., de Saint-Victor) et Florence, Laur. Pluto 23.13 (XI[2, Epitres de Paul, Italie du Nord, avec des gloses de Lanfranc et Berenger) : la page n'est pas reglee en trois colonnes II proprement parler, mais on a dresse au centre de la page un rectangle ou est inscrit Ie texte, et un autre rectangle de meme centre enc:'-dre l~ page et definit les marges. Or on possedait II Saint-Victor, tres tot, deux gloses au moms d'mspiration italienne sinon italiennes sur Ie plan de leur decoration (BN, lat. 14779 et 14786). , 30 . B. SMALLEY, op. cit., n. 28, et [48]. Les gloses tres precoces du prince Henri pourraient etre comparees II celles, beaucoup plus vulgaires d'aspect, du Mont-Saint-Michel (Avranches, BM).
Les gloses de la Bible
d'en identifier l'auteur. Ainsi en va-t-il des gloses des epitres pauliniennes : l'uniformite de surface qui a fait dasser les gloses anselmiennes sous Ie titre Pro Altercatione n'est qu'un leurre, elle voile des etats differents 31• Plus net encore est Ie cas de l' Apocalypse: apres la glose et Ie commentaire annexe d' Anselme, qui fixe pour des siedes les nouveaux principes de l'interpretation orthodoxe, plusieurs gloses apparaissent ici et la. Or leurs redacteurs font retrait devant les grands desseins d' Anselme : ils conservent la nouvelle structure imposee par lui, mais ecartent ses audaces reformatrices, telle sa critique de la societe feodo-vassalique, substituent des extraits d'un autre commentateur a ceux du maitre de Laon32 • Et des Ie milieu du xn e siede, se repand une autre generation de gloses de l'Apocalypse; elle reproduit toujours la structure anselmienne, mais transmet un corps d'interpretation profondement remanie. C'est sur cet habit neuf qu'en l'espace d'un demi-siede et plus d'autres vont polir lentement la Glose de l' Apocalypse, jusqu'au texte definitif et « ordinaire ». Rien n' etait donc joue a la mort d' Anselme, et surtout pas pour ses travaux les plus authentiques. En tout cas, il est curieux de noter qu'un representant de la vieille ecole monastique, Pierre de Celle, peut ignorer franchement la Glose lorsqu'il compose au troisieme quart du siede un commentaire du livre de Ruth33• L'heure de la premiere cristallisation sonne a Paris, au milieu du xne siecle. Le temoignage Ie plus net en serait la provenance des manuscrits les mieux soignes, qui arborent les caracteres formels les plus nets et rigoureux : ils emanent sinon de l'atelier, du moins de la bibliotheque de l'ecole Ia plus prestigieuse d'alors a Paris, celle des chanoines de Saint-Victor34• II y a ensuite l'intervention personnelle d'un personnage de premier plan, Pierre Lombard, qui ens eigne a Paris dans les annees 1140-1150, avant d'etre eveque de la metropole capetienne en II 58. De prime abord, il brouille Ie jeu, lorsqu'il impose sa glose personnelle du Psautier et des Epitres pauliniennes; i1 supplante immediatement les gloses d' Anselme dans la faveur des ecoles. Mais l' ceuvre d' Anselme poursuit son chemin, on la recopie au XUIe siede dans les Bibles glosees. Et pour eviter tout malentendu, les copistes prennent soin de livrer les gloses du Lombard en forme de commentaire continu, et non pas en 31. Les gloses Pro altereatione de Troyes, BM 512 et Paris, BN lat. 14409, bien qu'originaires probablement du meme atelier, presentent l'une par rapport II l'autre des variantes dans Ie choix des sentences pour II Thess. 32. Voir l'etude mentionnee n. 26. Le bene£iciaire de la discrete mise II l'ecart d'Anselme a ete un temps Ie commentateur Berengaud, un auteur totalement inconnu parce que jamais etudie de pres, et qui, II mon avis, travaille en meme temps qu'Anselme, sur une documentation proche, mais avec des orientations analogues II celle de Rupert de Deutz. 33. Commentaria in Rutb, ed. G. de MARTEL, Turnhout, 1983 (CC, Continuatio Medievalis, 54)· 34. Le fonds de Saint-Victor se trouve conserve principalement II la Bibliotheque Nationale de Paris.
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Le Livre
marge et entre les lignes 35 . Or Ie meme Pierre Lombard canonise la Glose de la Bible sitot qu'il vient a la citer dans son Livre des Sentences, qui devient Ie manuel de base de l'enseignement theologique jusqu'au XVle siecle. Grace a lui, et surtout par Ie poids de son emule Pierre Ie Mangeur, chancelier de Paris de II68 a 1178, la Glose entreprend une longue carriere de manuel fondamental d'exegese biblique, entre les mains des professeurs et etudiants de Paris, et peu a peu a travers toute l'Europe. II a fallu pour atteindre ce succes merite qu' on choisisse une glose parmi d'autres pour chaque livre de la Bible; dans la foulee, on aura sans doute selectionne une edition particuliere, qui permet aux maitres parisiens du dernier quart du xne siecle de donner leurs references en localisant les citations choisies, en « interlineaire » ou en « marginale ». Et certainement les professeurs auront-ils ete conduits a faire choix d'une version particuliere du texte biblique; mais Ie temps n'est pas encore a l'etablissement d'un texte parisien, puisqu'a la fin du siecle, on se borne a admettre que Ie texte du Lombard, pour les epitres de saint Paul, est « plus correct» que les autres 36 . Toujours est-il que devenue« parisienne », la Glose se depouille; on l'expurge au minimum necessaire, on attend d'elle qu'elle livre les interpretations admises par Ie groupe des professeurs qui preside aux destinees de l'ecole de Paris, et bientot a celles des universites. Quand dans Ie dernier quart du xn e siecle l'usage s'etablit a Paris, et ailleurs, de commenter la Bible tout entiere dans l'ordre suggere par saint Jerome, les meilleurs des professeurs, un Pierre Ie Chantre, un Etienne Langton, ne font ni plus ni moins que gloser la Glose37.
Le succes difinitif : l' abolition des differences L'histoire de la Glose n'a pas pris fin avec son introduction dans l'enseignement. Un lent polissage s'est poursuivi, que revelent les manuscrits; on ratisse les dernieres herbes folIes, et on pro cede a des additions bien pesees, tout en menant un travail critique sur Ie texte de la Glose. Cela s'est fait a coup sur dans un meme centre, puis que tous 35· Apres la Glose anselmienne des Psaumes, Gilbert de La Porree a publie ce qu'on appelie la media glosatura, jusqu'a ce que Pierre Lombard compose la magna glosatura, entre II48 et 1159. Gilbert et Pierre firent de m~me pour les Epitres pauliniennes. Les questions de mise en page de ces « gloses » ont ete recemment etudiees par Christopher de Hamel, dans un article a paraitre. 36 • « Scripturis dieo factis », vel « sanctis », siGUt legi/ur in libro lunbardi qui co"ectior ceteris creditur esse (Paris, BN lat. 14443, f. 255 rO b). 37· Les commentaires des maitres parisiens a la fin du siecle, notarnment dans Ie cercle de Pierre Ie Chantre, renvoient toujours a la Glosa qu'ils citent par ses tituli, c'est-a-dire les premiers mots de chaque sentence.
Les gloses de la Bible
III
les manuscrits de la Glose au milieu du Xlne siecle, Ie terme ultime, presentent un nombre minimal de variantes d'un bout a l'autre de 1'Europe: a Paris sans doute, bien qu'on produise des copies de la Glose partout. Le prestige de la Glose a la fin du xn e siecle faisait d'elle un instrument indispensable. Et lorsque de pieux lalcs revendiquent Ie droit a precher l'Evangile en 1179, Ie pape fait savoir que doit etre prohibe tout enseignement de la Bible « sans glose »38. Les disciples de Valdes comprennent si bien l'avertissement qu'ils se munissent immediatement d'un certain « livre ecrit en frans:ais, qui contient Ie texte et la glose du Psautier ainsi que de plusieurs livres de l'Ancien et du Nouveau Testament »39. De ce livre, il ne reste aucune trace; c'est que la Glose est demeuree 1'apanage des savants, leur bien propre et collectif. Texte scolaire, elle Ie demeure parce qu'elle appartient au ciel de l'abstraction, apparemment sans date ni lieu. Pourtant il faudrait bien l'adapter aux nouvelles realites de la fin du xne siecle. Or 1'evidence massive est deconcertante. Ainsi manquait-il encore une glose pour Ie livre des Maccabees; on combla la lacune, dans les dernieres decennies du siecle, en recopiant tres fidelement Ie commentaire d'un vieil ancetre, Raban Maur (IXe siecle), eclate avec habilete en gloses marginales et interlineaires40 • Entre les salles de cours, et la Palestine OU les Croises rassemblaient leurs dernieres forces pour conserver quelques arpents de terre, l'abime est affiigeant; on semble se refuser a exploiter la Bible pour traiter de situations contemporaines. Pourtant, dans ces ecoles OU l'on forme les futurs administrateurs de la chretiente, les ecrits au moins du Nouveau Testament ne peuvent manquer de soulever des questions. Les gloses en livrent quelques rares indices. Quelques maitres anonymes, mais d'assez grande reputation pour edicter leurs additions dans la Glose, permettent de soulever Ie voile. Ces manipulations ultimes s'exercent plutot sur la partie du Nouveau Testament la plus anciennement glosee; la glose de Marc, plus recente, etait sans doute consideree comme satisfaisante. Quelle que sait l' origine de ces additions, leur adoption par la communaute des 38. Cf. B. BOLTON, « Poverty as Protest: some Inspirational Groups at the Turn of the xnth Century », dans The Church in a Changing Society, Uppsala, 1978, pp. 28-32. 39. Walter MAp rapporte que des disciples de Valdes utilisaient un librum... lingua conscriplum gal/iea, in quo lexlus et glosa psalter;; plurimorumque legis utriusque librorum continebantur (MGH, 55., XXVI, 66). 40. Le manuscrit Paris, BN lat. 17204 pourrait ~tre Ie prototype de la glose de Maec.; ecrit a Paris vers 1210 (P. Stimemann), il a appartenu ala chancelierie de Paris (f. 164 yO). A Ia suite des gloses de I-IV Rois, Chr. et Esd., on trouve celie de Mace., sous Ie titre Ineipil expositio rabani mauri in libro maehab. (PL, 109, II25 et s.), avec les deux lettres dedicatoires de Raban; dans les manuscrits posterieurs on a supprime les tiues du commentaire et des lettres. De plus un annotateur contemporain a soigneusement coliationne ce manuscrit sur un exemplaire de Raban. Toutefois on rencontre quelques rares gloses interlineaires qui sont etrangeres aRaban, mais sont empruntees a Remi (cf. 152 ro).
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Le Livre
savants date du dernier tiers du xue siecle, sinon du debut des annees 1 200. On y pen.;:oit quatre tendances, a peine esquissees. La premiere pousse a garantir la reception universelle de la Glose; Ie signe en est l'evanouissement des dernieres traces caracteristiques de l'ecole d'Anselme. Un exemple suffit : une sentence est substituee a une autre, tout a fait anselmienne, qui donnait une definition extensive de la prophetie; il parait au contraire prudent de limiter et de controler etroitement Ie droit de quiconque, chretien ou paien, a prophetiser, a lire et a dire les desseins de Dieu41• On reconnait la une tactique bien eprouvee des clercs pour sauvegarder leur privilege de la parole et du sens. De la meme orientation pro cede opportunement un ajout a la Glose de saint Jean (Jean 10, 11-12) : on y rappelle que Ie ministere episcopal est independant de la quaIite de vie de celui qui l'exerce. On conforte ainsi la hierarchie ecclesiastique dans son pouvoir d' ordre, dans la droite ligne qui mene au Concile de Latran IV (12 15) et accroit Ie role des administrations episcopales42 • Troisieme addition revelatrice, celle qui souIigne l'accord et l'identite profonde en matiere de morale entre la loi naturelle et la loi du Chris1f3; c'est Ie signe d'un nivellement de la conscience historique, et une porte s'ouvre a l'aristoteIisme du xure siecle. Enfin, une pericope evangelique a donne lieu a d'interessants developpements, c'est l'entretien des Pharisiens avec Ie Christ sur Ie divorce (Mat. 19, 3 et s.). Vers 1200 on precise qu'il ne saurait y avoir de lien matrimonial entre parents (propinquos) sauf s'ils ignorent leur parente; la regIe canonique etait bien connue, mais ce rappel pourrait etre une allusion timide au trouble qui a pu saisir les maitres parisiens lors des problemes matrimoniaux de Philippe-Auguste, qui venait de repudier la reine Ingebourge44• Passe Ie cap de 1200, la Glose entre dans une derniere phase de 4 1. Cf. Paris, BN lat. 17233 (XIP), f. 7 Vo a, glose de Matth. 1, 22-23 : Prophetia alia ex prescientia et hec est immutabilis ... Alia ex iudilio operum. et hec solet mutari... Que est ex prescientia alia impletur solummodo operatione DeL., alia impletur hominum administratione ... , a comparer a,vec celie qu'a editee Dom O. LOTTIN, dans RTAM, Ij, 1946, p. 193. Au terme de l'evolutIOn, on ne trouve plus que la sentence Prophetia signum est prescientie Dei (par exemple, Paris, BN lat. II966, f. 9 vo, vers 1200). 4 2 • La glose Pastor nomen est officii, sicut etiam episcopus. Episcopus etsi male vite fuerit, tamen vere est apiscopus... est absente de tous les manuscrits avant Ie troisieme qurt du XII" siecle; on .ne la rencontre pas encore dans les additions faites a Troyes, BM 1023 bis, mais un copiste l'a lntroduite dans Ie Paris, BN lat. 643, f. 34 bis Vo a (XIP, Normandie). 43· Sur Matth. 19,9, Doctrina Christi naturali legi concordat quia est tempus perfection;s (add. du XlIII, qu'on trouve par exemple dans Paris, BN lat. 621, XlIII, Cath. de Narbonne, £. 31 rOb). , 44· Ce,Pourrait etre Ie sens d'une glose introduite dans Paris, BN lat. 17233, f. 45 to a (d .une.roam d'env. 1200) : Ad hoc ut alia ducatur vivente prima, hoc nul/i modo licet. Si dicatur t.!uza quz duxit propinquam potest iI/am dimittere et aliam ducere, respondetur quia non est matrimonium mter prop;nquos nisi sint ignorantes quod fuerit propinquitas inter ipsos. Ce qu' on rapprochera d'une glose plus anodine encore, l'addition Si ancilla libero vel servus libere supponitur, conjugium non reputatur postquam detectum fuit, sic ot de consanguineis (sur Matth. 19, 9, entre autres manuscrits dans Paris, BN lat. 17234, f. 74 VO c (XIIP», et BN, lat. 621 (XIIP), f. 31 rO a).
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cristallisation. On entreprend de corriger les manus crits , d'en elaguer les fautes; on en scelle Ie texte, au point qu'un jour un copiste, surpris de n' avoir a transcrire sur une page aucune glose marginale, se sent tenu a signaler qu'il n'y a « aucune glose dans cette marge »45. Les differences d'un manuscrit a l'autre s'estompent; de cette mise au pas, les manuscrits de l'Universite de Paris temoignent abondamment. Les derniers amenagements portent sur Ie nombre et l' ordre des prologues dont chaque livre de la Bible est normalement assorti. Des fluctuations regionales persistent, qui rendent Ie classement des gloses extremement delicat, mais on tend a l'uniformite. Vers 1220 est introduit un nouveau prologue en tete de la Glose de l' Apocalypse; on l'a faussement attribue a une figure marquante des annees 1140, Gilbert de La Porree parce qu'on ne veut preter qu'aux riches 46 • Sans doute est-ce seuIement au milieu du XIIre siecle qu'on a ajoute un troisieme prologue au livre des Maccabees 47 • Du moins ces derniers apports n'apportent-ils plus rien au sens; ils se contentent de preciser la structure rhetorique du livre en question. On voit Ii l'usure d'un travail seculaire, et c'est peut-etre celle qui affecte l'exegese biblique tout entiere au xm e siecle; a cette epoque, l'enseignement de la Bible n'a cesse d'animer les ecoles. C'est Ie siecle de la synthese doctrinale, des grandes Sommes theologiques : celles-ci se reposent sur la Glose, y renvoient par necessite, mais ne s'en inspirent pas. Les tergiversations des maitres, que laissent percevoir les mouvements incessants de la Glose de la Bible entre la fin du xre siecle et Ie debut du xure, incitent desormais a la prudence, et aussi a des travaux plus attentifs; relue dans une duree longue, la Glose s'avere riche d'enseignements sur les objectifs poursuivis par les intellectuels de l'Europe occidentale en un temps de mutation. Elle merite beaucoup plus que ce survol; et vers l'aval tout d'abord, puis que son existence ne trouve pas sa fin au XIIre siecle. C'est ainsi qu'un Martin Luther ecrivant son celebre Commentaire des Psaumes (1513), avait a cceur de Ie composer selon la forme de la Glose, marginalement et entre les lignes d'un texte imp rime sur une colonne etroite. Ainsi faisaient encore plusieurs de ses contemporains. Mais outre cette survie curieuse d'une forme specifique, on manque cruellement d'etudes sur l'utilisation reelle de la Glose a la fin du Moyen Age; de meme faut-il se demander si au xm e siecle les meiIleurs des theologiens en etaient vraiment des disciples libres, ou des esclaves. Qu'y a-t-il de neuf dans l'exegese biblique de saint Thomas d' Aquin? La Glose parait bien s'etioler des la seconde moitie du 45. Paris, Mazarine 117 (XII3, Italie), f. 47 to c. 46. II s'agit du prologue Omnes qui pie volunt ViVC71. 47. En addition dans Paris, BN lat. 17204, f. 125 VO et dans BN lat. 17207 (vers 1220, Sorbonne), f. 3 VO : Machabeorum libri duo prenotant prelia inter hebreorum duces gentemque persa-
rum ... hortabatur ad gloriam passionis.
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Le Livre
XlIIe siecle; mais s'agit-il d'une desaffection, ou d'une banalisation? Et en amont, les pistes ouvertes dans ces pages requierent d'autres tr~vaux,. cO,ns~cres a chaque livre biblique. Vne information partielle m autonse a dire que la .Glose laonnoise a apporte un sang neuf, recupera?t toutes les. forces vlve~ d'une refor~e ecclesiale .qu' on a desiree et mlse en chantler autour d Anselme. Mals que voulalent reellement les aut~es .acte~s de la Glose, ,et les pionniers du Xle siecle, quel message esperalent-tls transmettre, c est un enjeu qu'il faut encore affronter.
Guy
4 LOBRICHON.
La concordance verbale des Ecritures
Parmi les nombreux instruments de travail produits au XlIIe siecle pour l'etude, l'enseignement et la predication, la concordance verbale des Ecritures est non seulement l'un des tout premiers mis en reuvre, mais probablement Ie plus important. La concordance etait une solution, creee deliberement, aux besoins des theologiens latins : ils cherchaient en effet un dispositif qui leur permit de disposer sous une meme vedette tous les usages d'un mot ou d'une expression dans les Ecritures. La concordance biblique repondait specifiquement a un besoin immediat; elle n'a pas evolue a la longue, mais a ete inventee et perfectionnee grace a de judicieux remodelages et reajustements realises en moins de cinquante ans; elle s'est largement et rapidement repandue en Europe, parce qu'elle a ete diffusee par les « libraires» (stationarii) des universites. Bien que Ie principal mecanisme qu'elle emploie, c'est-a-dire la mise en ordre alphabetique, ait ete connu des Grecs des Ie second siecle avant Jesus-Christ, c'est la concordance verbale latine qui a servi de modele aux premieres concordances avec la Septante grecque en 1300, et avec l'Ancien Testament hebreu en 1438-1478. Pour maitriser cette tache qui consistait a extraire et a disposer en ordre alphabetique les quelque 100000 occurrences dans les Ecritures de pres de 10000 mots, les compilateurs de la concordance verbale effectuerent Ie meme travail que leurs descendants directs, les inventeurs de I' ordinateur numerique, outil qui permet de compiler les concordances les plus modernes. II existait au Moyen Age trois concordances verbales latines - c'est-adire des concordances de mots, verba, par opposition aux concordances
COLLECTION DIRIGEE PAR CHARLES
KANNENGIESSER
Le Moyen Age et la Bible sous la direction de
Pierre Riche - Guy Lobrichon
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LE DES
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XIUe siecle; mais s'agit-il d'une desaffection, ou d'une banalisation? Et en amont, les pistes ouvertes dans ces pages requierent d'autres travaux, consacres a chaque livre biblique. Une information partielle m'autorise a dire que la Glose laonnoise a apporte un sang neuf, recuperant toutes les forces vives d'une reforme ecclesiale qu' on a desiree et mise en chantier autour d' Anselme. Mais que voulaient reellement les autres acteurs de la Glose, et les pionniers du XIe siecle, quel message esperaient-ils transmettre, c'est un enjeu qu'il faut encore affronter.
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Guy LOBRIcHoN.
La concordance verbale des Ecritures
Parmi les nombreux instruments de travail produits au XUIe siecle pour l'etude, l'enseignement et la predication, la concordance verbale des Ecritures est non seulement l'un des tout premiers mis en ceuvre, mais probablement Ie plus important. La concordance etait une solution, creee deliberement, aux besoins des theologiens latins : ils cherchaient en effet un dispositif qui leur permit de disposer sous une meme vedette tous les usages d'un mot ou d'une expression dans les Ecritures. La concordance biblique repondait specifiquement a un besoin immediat; elle n'a pas evolue a la longue, mais a ete inventee et perfectionnee grace a de judicieux remodelages et reajustements realises en moins de cinquante ans; elle s'est largement et rapidement repandue en Europe, parce qu'elle a ete diffusee par les « libraires» (stationarii) des universites. Bien que Ie principal mecanisme qu'elle emploie, c'est-a-dire la mise en ordre alphabetique, ait ete connu des Grecs des Ie second siecle avant Jesus-Christ, c'est la concordance verbale latine qui a servi de modele aux premieres concordances avec la Septante grecque en 1300, et avec l'Ancien Testament hebreu en 1438-1478. Pour maitriser cette tache qui consistait a extraire et a disposer en ordre alphabetique les quelque 100000 occurrences dans les Ecritures de pres de 10000 mots, les compilateurs de la concordance verbale effectuerent Ie meme travail que leurs descendants directs, les inventeurs de l' ordinateur numerique, outil qui permet de compiler les concordances les plus modernes. II existait au Moyen Age trois concordances verbales latines - c'est-adire des concordances de mots, verba, par opposition aux concordances
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de sujets. Toutes trois ont ete produites par les Dominicains de Paris, entre les dates approximatives de 1235 et 1285. La premiere concordance verbale des Ecritures est celIe qui commence par A, a, a. Ie. I. c., XlIII. d., Eze. 1111. f. .. , et se termine par Zorobabel... Luc. III.f. Elle a ete produite au couvent dominicain de Saint-Jacques a Paris, et il en reste des ebauches dans des reliures de livres de SaintJacques faites au xve siecle. Hugues de Saint-Cher semble avoir dans une certaine mesure participe a la concordance dite de Saint-Jacques. Le temoignage Ie plus ancien en est celui de Tholomee de Lucques, vers 1315 : selon celui-ci, Hugues « a cons;u, avec ses freres, la premiere concordance de la Bible ». II est impossible de dire s'il a simplement etc l'instigateur du projet, ou s'il y a activement participe, et s'il l'a vu realiser ou non. Hugues a occupe pendant six ans l'une des deux chaires de theologie a Saint-Jacques, de 1230 a 1235. Pendant cette periode, en plus de l'enseignement qu'il dispensait, il a produit des postilles sur toute la Bible, probablement avec l'aide de ses freres dominicains. II semble peu probable que la premiere concordance ait pu etre achevee des 1230; cependant Ie projet devait etre sinon acheve, du moins bien entame des 123 5, date a laquelle a pris fin Ie lien officiel de Hugues avec Saint-Jacques. Deux des copies de cette concordance peuvent etre datees avec certitude de 1240 au plus tard. Depuis bon nombre d'annees, les specialistes de la Bible ebauchaient les travaux preliminaires menant a une concordance verbale, cela peutetre sans qu'ils aient eu cette fin particuliere a l'esprit. Dans les ecoles, on accordait pour l'etude de la Bible une grande importance au sens - litteral ou allegorique - de chaque mot en particulier; et l'un des moyens de discerner ce sens etait de comparer l'usage du mot dans tous les passages des Ecritures OU l' on pouvait Ie trouver. A la fin du xne et au debut du xure siecle, les maitres en sacra pagina a Paris incluaient frequemment dans leurs gloses une table de references a des passages paralleles, qu'on appelait parfois concordantia. Leur inclusion dans la glose etait un substitut peu pratique en l'absence d'ouvrages ne s'occupant que de concordance; et bientot des collections specialisees commencerent a apparaitre. II est possible que certaines d'entre elles soient nees d'une extrapolation de ces gloses; d'autres cependant etaient des creations nouvelles, comme les collections de « distinctions» (distinctiones), listes de mots classes par ordre alphabetique et accompagnes, pour chacun, d'une selection de passages bibliques illustrant les sens figures du mot : c'etait la une pratique courante au debut du xure siecle. La concordance verbale complete de la Bible etait cependant une tache colossale, qui pour etre menee a bien exigeait la main-d'reuvre et la concentration des Dominicains sur la Bible. Malgre Ie role directeur d'Hugues de SaintCher, la concordance est une production collective essentiellement anonyme, pour un public non specifie, comme un autre document
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dominicain de l'epoque Ie precise: « Les Freres precheurs ont compile cet ouvrage pour l'usage de nombreuses personnes. » Les Freres de Saint-Jacques reussirent a resoudre deux problemes cruciaux en realisant cette concordance, soit celui d'un systeme de references, et l'autre, technique, du regroupement et de la mise en ordre des mots et references. Celui du systeme de references, ils l'ont resolu en partie en adaptant un etat anterieur et en partie en innovant. Un systeme de division des livres de la Bible en chapitres avait deja ete elabore; relativement pratique, 11 permettait, de par son caractere rationnel et standardise, de remplacer les differents systemes, souvent illogiques, qu' on peut trouver dans les Bibles avant Ie xrue siecle. On attribue traditionnellement ce nouveau systeme de division par chapitres a Etienne Langton. Dans les annees 1230, les nouvelles divisions par chapitres, existant des 1203, avaient ete largement acceptees a l'Universite comme systeme uniforme. Leur adoption par les Dominicains pour leur concordance biblique, en plus de leur utilisation dans la nouvelle Bible dite « de Paris », fut en quelque sorte la sanction officielle qui assura la survie jusqu'a nous de ce nouveau systeme, certes avec quelques modifications, mais mineures. Ce n'est qu'au xvr e siecle que s'effectuera la division des chapitres en versets. Neanmoins, les Dominicains de Saint-Jacques ont cons;u une technique utile de reference a la place relative d'un mot dans un chapitre donne : cela en divisant mentalement Ie chapitre en sept parties, chacune etant designee par l'une des sept premieres lettres de l'alphabet, de A a G. Quant a la seconde question, c'est-a-dire les mecanismes suivis par un groupe de savants pour compiler leur concordance, elle est moins evidente. II ne reste aucune trace ecrite du stade initial de l'extraction et de la compilation; cependant plusieurs fragments de l'etape suivante subsistent, c'est-a-dire la premiere concordance a l'etat de brouillon. De toute evidence, une fois que les mots et leurs references avaient ete regroupes, les compilateurs les disposaient sur des cahiers separes, selon un ordre alphabetique approximatif, chaque cahier etant consacre a une section donnee de l'alphabet. Cinq de ces cahiers peuvent etre reconstitues, certains partiellement, d'autres en entier, a partir de fragments retrouves dans des reliures de manuscrits de Saint-Jacques faites au xve siecle. Chacun est ecrit d'une main differente; ils couvrent respectivement les mots commens;ant par St-, Ta- a To-, tous les U-, et sur deux cahiers separes une partie des mots en V-. Grace a tout cela, on peut mieux comprendre Ie processus de compilation. II existe evidemment au moins un stade precedant cette ebauche, celui de l'extraction des mots et de l'annotation a chaque fois qu'un mot reapparait, les articles consacres a chaque mot ou groupe de mots etant enregistres a part, probablement sur des feuilles volantes. Puis vient l'etape qu'on connait grace a nos fragments de cahiers, OU chaque
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identification reste donc hypothetique. Le dominicain Jean de Darlington, conseiller et confesseur de Henri III et par la suite archeveque de Dublin, est associe acette Concordance par une source anglaise anonyme, qui fait de lui Ie seul compilateur de l'ceuvre : « C'est par les etudes et par l'industrie de Jean qu'a ete editee cette vaste concordance, qu'on appelle la Concordance anglaise. » Certe declaration est repetee, presque mot pour mot, dans diverses chroniques anglaises du debut du xrve siecle. Ce n'est qu'au debut du xvre siecle qu'on trouve une mention d'un lien entre un certain Hugues de Croydon et la Concordance anglaise. Ce personnage par ailleurs inconnu y est associe au nom de Richard de Stavensby. En tout cas, les chroniques et les manuscrits encore existants s'accordent sur un fait: les compilateurs etaient anglais. lIs ont effectue leurs travaux a Saint-Jacques, a Paris, et non pas en Angleterre. Les parties de la Concordance anglaise qui proviennent de la bibliotheque de Saint-Jacques sont presque certainement des fragments d'un original de qualite. C'etait au depart un manuscrit de plusieurs volumes dont quatre seulement existent encore: ceux qui comportent les lettres A-B, M-O, O-P et T-Z. II devait y avoir a l'origine au moins trois autres volumes, peut-etre meme quatre. C'est recemment qu'on a admis qu'il n'existe aucune copie connue de ce texte. En revanche, il en existe divers abreges ou condenses. On pensait couramment que la Concordance anglaise avait donne naissance a la Concordance latine moderne; ce fut en fait l'echec d'une ambition. Richard de Stavensby et ses assistants avaient choisi de donner une phrase presque complete de contexte pour chaque reference, ce qui rendait la Concordance anglaise trop longue pour etre pratique. Ses abreges et derives sont assez peu nombreux pour demontrer qu' elle ne pouvait pas remplacer de fas:on satisfaisante la Concordance de Saint-Jacques; mais leur nombre est assez important pour nous montrer qu' on desirait remplacer celle-ci. La forme sous laquelle la concordance verbale de la Bible fut Ie plus largement repandue, a partir de la fin du xme siecle, ne fut ni l'une ni l'autre des deux versions precedentes; on leur substitua une troisieme compilation. Cette troisieme Concordance est conservee dans 80 manuscrits au moins, dont la majorite a ete copiee a Paris de 1280 a 1330 environ. Cette version ne tombe pas dans l'ecueil des deux extremes, platitude et prolixite, qui caracterisent les deux ceuvres precedentes. Comme Stavensby et les autres, ses compilateurs se sont rendu compte qu'il fallait citer chaque mot dans son contexte; mais a la difference de leurs predecesseurs, ils ont limite la longueur du contexte a des proportions raisonnables. Un paragraphe d'introduction commence par Cuilibet volenti requirere concordantias in hoc libro; Ie corps du texte commence par A a a. Jer. 1. a. domine deus ecce nescio 10., et se termine par Zelpha. Gen. XXX. b., Sentiens Lia quod parere desiisset, Zelphas ancillam suam
compilateur se voit confier la responsabilite de classer par ordre alpha~etique ~~ partie donnee de l'alphabet. II est peu probable qu'une autre
etape SOlt mtervenue entre la compilation de ces cahiers et la concordance a l'etat final. II suffisait d'organiser les cahiers par ordre alphabetique, en tena~t compte des indications de changement, et d'en faire une bonne cople. Ce processus, pour l'epoque comme a la notre est une merveille d'organisation de la main-d'ceuvre. ' Des ~uelque 25 manuscrits de la Concordance de Saint-Jacques encore eXlstants, tous sauf deux datent du milieu du XIIre siecle et tous ~e res~emblent etonnamm~nt. Ecrits sur cinq colonnes par pag~, de 46 a 60 lignes par colonne, lIs sont sobres, sans rubriques ni decoration, et ce sont de petits volumes portatifs, d'environ 30 cm sur 20. lIs semblent avoir ete pour la plupart produits dans l'Ordre dominicain, peut-etre meme a Saint-Jacques. Les possibilites d'usage de cette concor~ance ,e~aient ce~en?an.t limitees, du fait que les mots y sont simplement enumeres, sans mdicatlOn de leur contexte biblique. La seconde concordance verbale, dite « concordance anglaise », a ~en:e de corriger cette omission en donnant pour chaque mot Ie contexte mtegral. Elle commence par A, a, a. Jerem. 1. b., A a A domine deus ecce nescio loqui quia puer ego sum. II ne s'agit pas d'une simple revision de la Concordance de Saint-Jacques; en effet presque toutes les entrees de mots contiennent des references a de nouveaux passages de la Bible. ~e plus, des entrees ont ete ~jou~e~s, d'autres supprimees, ou reorganise~s .. La Con.cordance anglalse etalt donc, sans doute, une entreprise ongmale, qUl avait demande des efforts considerables si ce n'est la reiteration complete des travaux effectues par les DOmicicains de Paris. ~n ne connait pas avec precision la date de cette Concordance anglaise; Slmon Berthenus, ecrivant en 1500, dit que l'ceuvre a ete composee « vers l'an 1252 », mais on ne connait pas la source de cette affirmation. Notr~ seule certitude, c'est qu'elle a ete composee apres la Concordance de Samt-Jacques, et avant la troisieme version ni l'une ni l'autre n'etant precisement datees. ' ~n .a:tribue la Co~cordance anglaise a trois dominicains de ce pays; en r~alit~ un seul, Richard de Stavensby, peut etre associe de fas:on certame a cette ceuvre. Son nom figure au titre de celui qui a « parfait », ou« complete» une lettre a la fin de plusieurs sections dans les manuscrits de cette ceuvre qui nous sont parvenus. On peut ainsi lire : « lci prend fin la lettre A, perfectionnee par Frere R. de Stavensby», ou« ici prend fin la,lettre completee par Frere Richard de Stavensby ». II s'agit peut-etre de Richard de Stavensby, frere de l'eveque de Coventry, qui a amasse des benefices ecclesiastiques dans Ie diocese de Lincoln durant les a~nees 1220, et qui a pendant peu de temps rempli l'office de tresorier de. L~chfi7ld vers 1230-1231; cependant rien ne prouve que ce Richard solt )amalS devenu dominicain, ou qu'il soit meme aIle a Paris. Cette
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marito tradidit. Cette troisieme concordance n'est pas une revision de la Concordance anglaise. En efIet ses compilateurs semblent n'avoir fait aucun usage du travail des Dominicains anglais. Ils n'ont pas davantage adopte comme base unique la Concordance originale de Saint-Jacques, se contentant d'ajouter un bref contexte a chacune des references qui etait donnee lao Lorsqu' on la compare avec les deux versions anterieures, la troisieme Concordance presente des variantes nombreuses; elle inclut des references et meme des entrees de mots qu' on ne trouve pas dans les deux autres. De plus, l'ordre alphabetique adopte par cette troisieme Concordance n'est pas equivalent au classement par ordre alphabetique des Concordances precedentes, et ne l'ameliore pas non plus comme on pourrait s'y attendre si elle dependait de l'une ou de l'autre; elle est meme, d'un bout a l'autre, plutot moins meticuleuse dans son classement que ses predecesseurs. En resume, comme la Concordance anglaise, la troisieme Concordance semble constituer une repetition partielle ou totale des efforts deja realises. C'est la troisieme Concordance qui survit, un peu modifiee, dans la Concordance latine moderne. Et bien que la premiere edition imprimee de cette troisieme Concordance, celIe de Mentelin, conclue que« s'achevent ici les Concordances de Frere Conrad d' Allemagne », aucun des manuscrits existants ne porte la moindre mention d'auteur. La troisieme Concordance, tout comme la premiere, etait plutot un projet collectif des Dominicains de Saint-Jacques. La troisieme Concordance existait deja en 1275, car elle apparait dans Ie catalogue d'un « libraire » parisien de l'epoque : « en outre, des Concordances, 108 pieces» (Item concordantiae... c pecias et viii). Le libelle ne permet pas de distinguer de quelle Concordance il s'agit, mais nous savons que ni la Concordance de Saint-Jacques, ni l'anglaise n'etaient disponibles en peciae, c'est-a-dire en « pieces », ou cahiers loues separement. On sait que des manuscrits de la troisieme version etaient divises en 108 peciae; cette derniere version est sans aucun doute celIe que mentionne la liste de 1275. En outre, une copie de la troisieme version, produite probablement par un « libraire », a ete offerte en legs a la Sorbonne par Etienne d' Abbeville en 1288. La troisieme Concordance a donc du etre compilee apres la Concordance anglaise - il est fort peu vraisemblable que Stavensby aurait entrepris son travail si une Concordance satisfaisante existait deja - , et avant 1275. Nous ne savons pas si la troisieme Concordance etait ou non disponible en peciae avant cette date, ni combien de temps elle l'est demeuree; toutefois elle est disponible de nouveau dans Ie seul autre catalogue conserve d'un « libraire » a Paris, en 1304. Le modele de ce libraire etait divise en 108 peciae de six pages. Des marques de pecia sont visibles sur un certain nombre de manuscrits de la troisieme Concordance. Bien que de dimensions importantes, la Concordance etait normalement copiee en un seul volume. Les manuscrits
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copies sur les modeles des libraires sont d'une presentation remarquablement uniforme. Tout comme la Concordance de Saint-Jacques etait redigee sur cinq colonnes, la troisieme version est presque invariablement disposee sur trois colonnes de 62 a 66 lignes, avec titre courant. Quand elle est decoree, l'initiale C du prologue contient frequemment une representation de la Vierge al' Enfant. Bien que la premiere Concordance, celIe de Saint-Jacques, soit du format portatif qui caracterise les livres des Mendiants au debut du XIIIe siecle, la troisieme Concordance est un livre de taille, en general d'au moins 40 sur 30 cm, et de 400 feuillets. Les proprietaires ne la transportaient sans doute pas avec eux. Au debut, la diffusion des Concordances dominicaines a ete lente. L'original, la Concordance de Saint-Jacques, fut apparemment cree dans l'intention de repondre aux besoins des etudiants et maitres de SaintJacques. Il en reste quelque 25 copies. Cependant, a toutes fins utiles, on peut dire que la concordance verbale de la Bible n'etait pas connue en Europe avant la publication de la troisieme Concordance par les « libraires ». Celle-ci doit sa vaste diffusion - il en reste 80 copies - et une bonne part de son impact a la fin du siecle au fait qu'elle etait disponible en peciae. La troisieme Concordance etait assurement un livre de luxe; et sa diffusion peut etre associee a une categorie particuliere d'ecclesiastiques, les riches prelats; par exemple, elle faisait partie de la panoplie de manuels couteux que possedaient les prelats de la cour pontificale en A vignon. On s'en rend compte et d'apres la provenance et d'apres l'aspect des copies qui nous restent. Ce sont souvent des volumes magnifiques, dont l'aspect est en contraste, d'une maniere remarquable, avec les manuscrits de manuels scolaires et de traites a l'usage des pretres de rang ordinaire. Les manuscrits de la Concordance sont souvent soigneusement rediges, sur parchemin de bonne qualite, et portent a l'occasion les notes d'un correcteur avec des initiales decorees et meme historiees; on y fait un large usage de la feuille d'or. Bref, ce sont de toute evidence des livres couteux. Le fait est que meme en faisant abstraction de ce luxe, la reproduction des Concordances etait certainement onereuse, en raison de leur longueur et de la precision exigee du scribe. Neanmoins, malgre les limites inherentes au coM de ces ouvrages, les Concordances eurent une influence profonde sur les autres instruments de travail, sur la litterature exegetique et sur celIe des sermons dans la seconde moitie du xme siecle et par la suite. Leur role principal fut peut-etre d'aider a la redaction des sermons; et bien qu'il soit impossible d'evaluer l'ampleur de ce role, on en trouve de nombreux indices et dans les manuscrits des Concordances et dans Ie contenu des sermons de la fin du Moyen Age. Vers 1340, divers manuels a l'usage des predicateurs presupposent que Ie predicateur dispose d'une Concordance pour preparer ses sermons. De toute evidence, les predicateurs, en
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particulier l'elite de ce groupe, ceux qui avaient une formation universitaire, employaient la concordance verbale comme outil pour leur preche : ils l'avaient empruntee, ou utilisaient des copies appartenant aux etablissements religieux, ou l'avaient achetee personnellement. En resume, l'apparition de la premiere Concordance est un phenomene important, car elle a repondu aux besoins des theologiens en quete d'un outil qui rassemblerait en un seul lieu toutes les utilisations d'un mot ou d'une expression donnes dans les Ecritures. Le besoin de cet outil s'est fait sentir a la fin du XIle et au debut du xm e siecie. II n'y avait cependant aucun moyen pratique de reproduire cet outil, et a en juger au nombre de copies qui nous res tent, il a eu peu d'influence en dehors de l'Ordre dominicain. La Concordance anglaise, loin d'etre l'ancetre de la concordance moderne, etait pratiquement inconnue au Moyen Age. Le veritable ancetre des travaux modernes est la troisieme Concordance, produite par les Freres de Saint-Jacques au xme siecie. II faut aussi remarquer qU'elle n'est pas apparue soudainement et dans sa pleine maturite en 1235-1240. Au contraire, la concordance verbale s'est developpee d'essai en essai, chacun constituant un effort de perfectionnement de cet outil, pour l'usage de la communaute theologique et pastorale, et elle a culmine dans la concordance qui figure dans Ie catalogue des libraires de 1275. C'est cette autre invention du XIIle siecie, la publication en peciae, qui a garanti a la Concordance son rayonnement et lui a permis de devenir un instrument ciassique de reference pour Ie Moyen Agel. Mary A. et Richard H. ROUSE. Traduit de l' anglais par Bruno Lobrichon et Philippe But.
5 Les traductions bibliques . l'exemple de la Grande-Bretagne
On peut parler d'une presence de civilisation chretienne en GrandeBretagne bien avant la conversion des Barbares anglo-saxons au VIe-VIle siecie. Dne chretiente celtique, peut-etre originaire du second siecie de l'ere chretienne, etait en tout cas suffisamment structuree au debut du IVe siecie pour envoyer au Concile d' Arles (314) une delegation episcopale. Au vre siecie, age des saints cdtiques de Grande-Bretagne en pleine periode d'expansion de la colonisation anglo-saxonne, les traditions chretiennes celtes d'Irlande s'implantent en Ecosse, de leur cote. Le nom de l'ile d'Iona est la replique hebralque du nom de saint Columba qui y etablit son monastere en 563 et rayonne sur la cote d' Argyll, puis chez les Angles de Northumbrie. Des indices textuels et toponymiques attestent la circulation de traditions bibliques qu'on peut parfois considerer comme vernaculaires l . Dans Ie domaine anglais proprement dit, posterieurement aux invasions barbares, les documents vernaculaires preserves sont en vieil anglais - ensemble de dialectes anglo-saxons implantes en GrandeBretagne a partir du v e siecie et en moyen anglais - transformation du vieil anglais au contact des Normands apres la Conquete de 1066. Les types de texte representes suivent les hasards de cette preservation, conditionnee par les siecies, les guerres et les conflits de domination I.
1.
Pour la bibliographie, voir les nOS [51-53].
M. M. LARES, « Toponymie biblique medievale », in Revue internationale d'Onomastique,
avril 1970, et [64].
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politique et religieuse du Moyen Age a nos jours : Saxon contre Celte, Danois et Normand contre Saxon, catholique contre protestant et protestant contre catholique. Les problemes de datation des textes viennent, de leur cote, compliquer chronologie et classification.
LA PERIODE PRE-ANGLAISE Le progres des etudes linguistiques permet d'identifier des sources tres anterieures aux manuscrits qui subsistent de textes poetiques celtiques ou la Bible prise dans son sens chretien maximal - Ancien et Nouveau Testament - laisse des traces appreciables. II en est de meme des textes celtiques en langue latine OU les citations bibliques surabondent. Dans Ie De Excidio et Conquestu Britanniae de Gildas Ie Sage, texte posterieur aux implantations anglo-saxonnes, la permanence de cette tradition est bien illustree, et l'eclairage des sources textuelles tend a demontrer une continuite his tori que qui franchit Ie cap du vue siecle. On peut y denombrer 15 references au Nouveau Testament et 290 a l' Ancien Testament, tirees principalement des Evangiles, du Pentateuque, des livres historiques et sapientiaux et des grands Prophetes; environ un tiers des citations sont tirees de Jeremie, Isaie et Ezechiel. Mais il s'agit de textes latins.
LES VIe-VUe SIECLES ANGLO-SAXONS Vers la fin du VIe siecle, la mission envoyee par Gregoire Ie Grand (596) puis celle d'York (625) vont implanter des traditions bibliques dans des chretientes anglo-saxonnes dont certaines - dans Ie Nord - res:oivent egalement les traditions bibliques celtiques dont nous avons parle plus haut. Sans parler des traditions homiletiques ni de la « traduction par l'image » a l'usage de la masse des illettres (fresques dans les lieux de priere) qui trouve aussi un echo dans certaines pages de manuscrits, veritables bandes dessinees avant la lettre (manuscrit Claudius B IV de la British Library). Au vue siecle, Ie moine historien Bede Ie Venerable, relatant l'eclosion et Ie developpement des chretientes de Grande-Bretagne - celtiques et anglo-saxonnes - mentionne a diverses reprises l'influence de l'Ecriture sur les mceurs et les traditions de son pays. Les problemes d'ordre ecclesial et moral poses par Augustin de Cantorbery a Gregoire Ie Grand, initiateur de la Mission, suscitent des rep~ns~ fondees sur I'Ecriture comme on peut Ie lire dans Ie Livre I de l'H,stozre
a Cantorbery
L'exemple de la Grande-Bretagne des chretientes anglaises de Bede Ie Venerable. Bede lui-meme, a la fin de I'ouvrage, fait l'inventaire de ses propres travaux : I'Ecriture sainte y tient une place considerable, Ancien comme Nouveau Testament. II ne s'agit pas de traduction toutefois, mais de commentaires qu'il a ecrits sur les commentaires des Peres de l'Eglise : commentaires de commentaires, appelant Ie procede de la gemara - et rediges en latin. Indiquons toutefois Ie materiau scripturaire manie par ce moine dont on s'accorde apenser qu'i! fut I'un des plus grands esprits de son siecle, et des plus influents. Dans l'ordre meme OU i1 les cite: Traites sur Ie commencement de la Genese -la premiere partie du livre de Samuel les Livres des Rois - les Proverbes - Ie Cantique des Cantiques Isaie, Daniel, Jeremie - Ezra et Nehemie - Habacuc - Tobie - Ie Pentateuque, Josue et les Juges - les Rois et les Chroniques - Job -,- les Proverbes, l'Ecclesiaste - l'Evangile de Marc - l'Evangile de Luc - les Actes des Apotres - les Epitres - l'Apocalypse - et une anthologie du Nouveau Testament. La tradition monastique veut egalement que Bede ait entrepris sur son lit de mort une traduction de l'Evangile de Jean dont il ne reste en tout cas aucune trace.
CAEDMON DE WHITBY Grace a l' Histoire des chretientes anglaises de Bede, nous disposons de la description d'un phenomene de vulgarisation de l'Ecriture qui s'apparente a la traduction. Au livre IV, chapitre 24 de I'Histoire, Bede analyse Ie procede utilise par une certaine equipe monastique a Whitby, dans la seconde moitie du vue siecle, peri ode toute proche de celle de l'historien. Des moines expliquent des textes scripturaires a Caedmon, homme simple et sans culture qui, inspire, les transpose en poesie vernaculaire a l'usage de tous. Caedmon ecoute, medite, rumine en quelque sorte (audiendo... rememorendo... quasi mandum animal ruminando .. .) muant I'histoire biblique en suaves mesures qui enchantent les auditoires (in carmen dulcissimum convertebat, suavisque resonando .. .). Ainsi, nous dit Bede, furent produits des chants sur la Genese, et l'Exode en particulier - sur l'Incarnation, la Passion, la Resurrection et l'Ascension du Seigneur de meme que sur la Pentecote, les enseignements des Apotres, Ie Jugement dernier. Caedmon fait ecole, une tradition de transmission de l'Ecriture s'etablit2 • Nous ne pourrions pas juger du fonctionnement possible d'une semblable tradition si nous ne disposions d'un ensemble de textes extremement precieux, redige en langue vieil anglaise et s'apparentant 2.
Cf. B.
LUISELL1,
« Becla e l'inno di Caedmon », Studi Mediaevali,
1973, 1013-1036.
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a cette
tradition caedmonienne sinon a l'reuvre de Caedmon lui-meme (manuscrit Junius XI de la Bibliotheque bodleienne it Oxford, dit Caedmon Manuscript). Les themes traites sont precisement ceux qu'indique Bede Ie Venerable, d'une part. D'autre part, des travaux recents ont montre que ces textes sont autre chose que des paraphrases poetiques teintees de paganisme, comme on l'a souvent cru. La structure des recits s'apparente a celIe d'un lectionnaire de source tres ancienne, Jerusalem au IVe siecle et les elements estimes adventices ont ete identifies comme emprunts a des commentaires talmudiques. Par ailleurs, la presence de signes ekphonetiques indique un usage paraliturgique sinon liturgique a part entiere. Et si l'on fait la part de l'abondant appareiI rythmo-alliteratif de noms divins dont iI est maintenant etabli qu'iIs sont en harmonie avec les sources bibliques, on cons tate que Ie materiau biblique est suivi avec rigueur. Ce type de transmission du materiau biblique pendant la periode du haut Moyen Age anglais semblerait s'apparenter aux traditions juives targoumiques dont on a des traces d'heritage chretien dans les premiers siecles de notre ere. Le statut de ce type de texte participe a Ia fois de la « traduction» et du « commentaire ». C'est peut-etre aussi un phenomene d'incorporation d'elements de commentaire dans Ie texte devenu manuscrit que la source orale du texte pourrait expliquer. On peut considerer que semblables textes, s'ils ne sont pas aproprement parler des traductions vernaculaires, ont neanmoins une « fonction traductrice» qui ne manque pas de fidelite aux sources.
LE IXe smCLE ALFREDIEN
II faut attendre Ie IXe siecle et la periode dite « alfredienne » pour mieux cerner, en Grande-Bretagne, la notion de « traduction ». Alfred Ie Grand, roi des West-Saxons, defenseur des Anglais contre les envahisseurs scandinaves, obtiendra la delimitation des territoires occupes par ces derniers et prendra soin, par la suite, de leur evangelisation. Unificateur politique et apotre chretien, Alfred Ie Grand aborde dans Ie meme esprit les problemes des populations anglo-saxonnes. La culture - culture chretienne peut-etre aussi culture tout court - est un souci majeur pour lui, et iI est l'initiateur d'une entreprise etonnante de traduction de toutes sortes de textes dans Ie dialecte west-saxon qui deviendra ainsi une sorte de langue litteraire inter-peuples avant de devenir nationale. Un Corpus alfredien ou de source alfredienne se constitue, ou les textes bibliques tiennent une place appreciable. Parmi ceux-ci, nous devons accorder une importance certaine a des traductions partielles de l' Ancien Testament a usage juridique.
L'exemple de la Grande-Bretagne
Une grande partie des chapitres 20, 21 et 23 de l'Exode biblique constituent l'ouverture du Code juridique alfredien conserve en particulier dans un manuscrit du x e siecle, Ie plus complet et Ie plus ancien dont nous disposions pour ce texte (nO 173 de Corpus Christi College a Cambridge). Le probleme du decoupage du texte et d'une certaine trituration doit retenir notre attention. Le texte alfredien suit Ie fil du texte biblique Ie plus souvent avec precision. Mais iI y a amenagement du texte, dans une optique assez aisement identifiable. II y a d'abord evidence d'un tri qu'on peut dire sociologique et didactique. On elimine certains elements difficilement transposables dans un contexte anglais du haut Moyen Age, par exemple dans Ie domaine agricole (nature des animaux), social (relations avec des peuples etrangers), moral (passages impIiquant la polygamie). Le texte est destine a etre compris des Anglais comme source de regles morales et juridiques concernant Ie servage, les dommages corporels (hommes et animaux), Ie droit d'asiIe, la propriete, Ie vol, Ie viol, l'idoIatrie, Ie pret, Ie blaspheme, la justice et les temoignages, etc. On elimine - plus rarement, on ajoute et Ie cas est d'autant plus interessant. Dans la casuistique concernant les biens confies a un gardien et voles par un tiers, par exemple, Ie legislateur anglais rajoute un cas que Ie legislateur mosaique n'avait pu prevoir : celui d'un rapt de betaiI par les Vikings. Cela pourrait s'appeler une mise it jour de type talmudique. Cela peut apparaitre egalement comme une addition faite au texte scripturaire avec une desinvolture difficile a admettre. Cela peut egalement etre, a l'origine precisement, un commentaire non incorpore mais devenu interpolation et incorporation entre les mains des copistes; car plus d'un siecle s' est ecoule entre les premieres transcriptions du code alfredien, et la composition du manuscrit dont iI est question ici. On ne saurait faire un proces d'intention au redacteur alfredien - ni au roi Alfred lui-meme - en ce qui concerne les elements ajoutes. Restent ce qu'on pourrait appeler des « mutations» verbales. II s'agit fondamentalement d'une christianisation de certains elements du texte dans une optique evidemment theologique. Le Seigneur de l' Ancien Testament est remplace par « Christ» dans Exode 20, II. Le procede n'est d'ailleurs pas etranger, comme chacun sait, a la Vulgate hieronymienne : Habacuc (3, 18). Et l'esclave hebreu (Exode 21, 2) devient « serf chretien ». L'approche du texte se situe a un niveau autre que celui d'une « traduction» au sens traditionnel du mot, tradition toujours actuelle et passant par les Septante et saint Jerome avant les philologues de la Reforme. II y a a la fois traduction, elagage, actualisation. C'est de l'Ecriture sainte appliquee, mais qui se reclame de sa source sacree, car Ie legislateur anglais ne manque pas de se referer a l'autorite divine,
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Le Livre
a travers celIe de Moise - autorite a laquelle nous savons qu'il croit profondement - pour donner a ce qu'il prescrit un prestige et un poids absolus. Les sources concernant Alfred indiquent que ce roi pieux et lettre aurait egalement ete l'auteur d'une version en prose du Psautier, qui pourrait etre la portion en prose du « Paris Psalter », comme on Ie verra plus loin.
LE PSAUTIER VIEIL ANGLAIS, UNE TRADITION CONSIGNEE DANS DES MANUSCRITS DES xe-Xle SIECLES U'I'ILISES JUSQU' AU xue
11 n'est pas surprenant de trouver Ie Psautier au premier rang des entreprises de versions vernaculaires de la Bible. L'usage penitentiel est largement atteste au Moyen Age, de meme que l'usage liturgique et l'usage dans les rituels de priere pour !'intercession et pour les pelerinages. L'Office liturgique vieil anglais qui subsiste integralement dans Ie manuscrit Junius 121 de la Bibliotheque bodleienne contient a la fois des fragments de Psaumes en prose appartenant au premier tiers du Psautier, et des fragments de Psaumes en version rythmoalliterative. Les fragments metriques sont identiques aux passages correspondants d'un interessant Psautier de la Bibliotheque Nationale (Fonds Latin 8824) qui contient non seulement un texte latin du Psautier, mais une version (qui ne lui correspond pas) en vieil anglais rythme. Ce manuscrit communement appele « Paris Psalter» contient un premier bloc de cinquante Psaumes en prose vieil anglaise, dont nous avons deja indique qu'il pourrait etre a l'origine une reuvre alfredienne - en ce cas, la composition en remonterait au IXe siecle. Les Psaumes 5 I a 150 de ce meme Psautier ont la particularite d'etre recomposes dans un mode eurythmique dont l'analyse est revelatrice. Ce style repute plat et ampoule semble en realite merveilleusement adapte a la cantilene. Noms divins et chevilles alliteratives diverses n'apparaissent plus, lorsqu'on les lit a haute voix, comme l'invasion d'une diction poetique stereotypee, mais comme un appareil rythmo-alliteratif qui insuffie a la langue anglaise ancienne une legerete surprenante, et lui donne une Ruidite qui peut bien avoir etc, aussi, Ie support d'une cantillation (si l'on en juge par les signes ekphonetiques subsistant dans Ie manuscrit Junius 121, ainsi qu'on Ie verra plus loin). Ce que nous devons souligner ici est la fidelite au texte des Psaumes qui n'est pas deforme, mais incruste par les formules rythmo-alliteratives dont nous venons de parler. Fidelite dont on peut mieux juger par la comparaison non pas avec Ie texte latin qui figure egalement dans Ie manuscrit (les textes latin et anglais sont voisins mais indc-
L'exemple de la Crande-Bretagne pendants) mais avec un autre Psautier (Ie « Vespasian Psalter ») simplement glose, manuscrit beaucoup plus ancien (rxe siecle) qui pourrait representer la tradition primitive du Psautier introduite en GrandeBretagne anglaise a la f1n du VIe siecle. Ce Psautier rythme merite dans une grande mesure Ie titre de traduction vernaculaire si l' on considere la trame textuelle meticuleusement preservee. Et ce phenomene de transmission du Psautier a pris sa veritable dimension lorsqu'on s'est aperc;u de la presence de cette version dans l'Office liturgique vernaculaire de source benedictine dont on possede un manuscrit complet datant du Xle siecle, mais dont 1a source vraisemblablement, remonte au xe siecle (manuscrit Junius 121 de la Bibliotheque bodleienne). Notons que, si la version rythmo-alliterative figurant dans « Paris Psalter » ne concerne que les Psaumes 5 I a 150, 1'0ffice liturgique vernaculaire dont nous avons deja parle contient, sous une forme poetique semblable, des passages des cinquante premiers Psaumes du recueil davidique. 11 a donc existe une version complete du Psautier sous cette forme qui, mise au service du message biblique, represente un potentiel important de transmission vernaculaire. 11 faut indiquer en marge de ce phenomene, des Psautiers, integralement ou partiellement preserves a ce jour, presentant une glose continue. Ce type de traduction en friche est destine a des clercs ou des laics lettres pour un usage personnel ou, pour les predicateurs, comme base de citations et d'explications dans des sermons. On denombre onze Psautiers comportant une glose interlineaire continue, et deux comportant des gloses occasionnelles. A Londres, sept de ces manuscrits sont conserves a la British Library (Cotton VespasianA. J, Royal 2. B.V, Stowell, Cotton Vitellius E. XVIII, Cotton Tiberius C.VI, Bosworth Psalter = Additional 37517, Arundel 60) et un a Lambeth Palace (manuscrit 427)' Le Junius 27 est a la Bibliotheque bodleienne d'Oxford. On en trouve deux a Cambridge (University Library Ff. I .23 et « Eadwine's Canterbury Psalter» = Trinity College R. I7. I), un a la Bibliotheque de la Cathedrale de Salisbury (manuscrit 150) et un a New York (pierpont Morgan Library, M 776). L'usage liturgique est evident pour la plupart de ces Psautiers. Les gloses les plus anciennes remontent au rxe siecle (Vespasian Psalter). Les autres datent des xe, Xle (les plus nombreuses) et xn e siecles.
Closes continues et traductions anglaises des Evangiles (milieu et fin du x e siecie) Cet effort dans Ie sens de la traduction se situe dans la ligne de la tradition alfrcdienne mais s'explique aussi par la renaissance bcncdicP. 'RICHE, G. LOBRICHON
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Le Livre tine (Benedictine revival) qui caracterise Ie x e siecle chretien en Angleterre, dans Ie sillage de l'archeveque Dunstan de Cantorbery. Deux manuscrits tres anciens des Evangiles portent chacun une glose continue en vieil anglais. L'Evangile de Lindisfame (autour de l'an 700 - Manuscrit Cotton Nero D.lV de la British Library) presente une glose continue ajoutee vers Ie milieu du x e siecle en dialecte northumbrien. L'Evangile de Rushworth (autour de l'an 800 - Manuscrit Auct. 2.19 de la Bodleienne a Oxford, egalement appele « Macregal Gospels ») presente une glose continue de la seconde moitie du x e siecle dont une partie est en dialecte mercien et Ie reste une copie de la glose northumbrienne de l'Evangile de Lindisfame. Le mot a mot qui comporte assez frequemment deux variantes du vocabulaire vieil anglais, est evidemment destine non seulement a aider les clercs a comprendre Ie texte, mais a sous-tendre la predication aux laIcs. Le premier de ces manus crits , catalogue liber praeelarissimus, est illustre de fa~on plus imposante que Ie second, et comporte en particulier cinq « pages-tapis» celebres dans les annales de l'iconographie chretienne. Quant a la traduction integrale des quatre Evangiles, une version du x e siecle, en dialecte west-saxon, subsiste dans six manuscrits dont l'un, endommage par l'incendie de la Bibliotheque cottonienne, a perdu environ un cinquieme de ses pages (Skeat, reedition 1970). Il s'agit d'une veritable traduction en prose, claire et harmonieuse, texte destine a devenir accessible et familier par la lecture ou l'audition.
La tradition aeljricienne de I' abrege vernaculaire (Ancien Testament, fin du x e sieele) C'est egalement au x e siecle que se situe une entreprise de transmission du contenu de l'Ancien Testament qui, selon les cas s'identifie ou s'apparente plus ou moins au processus de la traduction. lci encore - comme ce fut Ie cas pour Alfred Ie Grand, son equipe et ses adeptes ulterieurs - cette entreprise est a l'origine celIe d'un homme. Il s'agit du moine Aelfric d'Eynsham, moine et predicateur prestigieux dont Ie jloruit se situe vers la fin du x e siecle. Il se peut d'ailleurs qu' Aelfric ait ete egalement l'initiateur de traductions du Nouveau Testament - celles dont nous avons parle plus haut - ou d'autres qui n'auraient pas ete preservees. Le prestige des premiers livres s'affirme en partiselon des traditions (Pentateuque, Hexateuque, Heptateuque) transplantees d'Orient en Europe christianisee. En ce qui conceme l' Ancien Testament, nous disposons non seulement de textes qui peuvent lui etre attribues (et si ces memes textes ne sont pas authentiquement aelfriciens, ils n'en ont pas moins d'importance) mais d'un Libellus Veteri et Novi Testamenti et d'une Priface qui nomment leur auteur,
L'exemple de la Grande-Bretagne et qui exposent une certaine optique de traduction. Soulignons d'abord la reticence d' Aelfric a souscrire aux demandes instantes de lettres auxquels la connaissance du Nouveau Testament - objet de traductions comme nous l'avons vu, et dont la diffusion posait certainement moins de problemes - ne suffisait pas. Voici d'abord un extrait du texte pre£a~ant la traduction partielle de la Genese biblique :
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Le Moine Aelfric salue respectueusement l'ealdorman Aethelwerd. Tu m'as demande, cher, de traduire pour toi - du latin en anglais - Ie livre de la Genese. Souscrire a cela me semblait une tache pesante et tu me dis que je n'avais pas besoin de traduire ce livre plus loin qu'Isaac, fils d'Abraham, car quelqu'un d'autre avait traduit Ie livre depuis Isaac jusqu'a la fin. He bien, cher, cette entreprise (pour moi ou pour quiconque d'autre) me semble fort perilleuse, car je redoute ceci : qu'un lecteur ou un auditeur peu ec1aire vienne imaginer qu'il peut vivre, sous la Loi Nouvelle, comme vivaient les anciens Peres avant que l' Ancienne Loi fUt prescrite, ou bien comme on vivait sous la Loi de Molse. J'appris une fois qu'un certain pretre - alors mon maitre avait en sa possession Ie livre de la Genese, et i1 avait quelque connaissance du latin. II disait que Ie patriarche Jacob avait quatre femmes : deux sreurs et leurs deux servantes. Ce qu'il disait etait parfaitement exact, mais il ne savait pas - ni moi, alors - combien grande est la difference entre l' Ancienne Loi et la Nouvelle. Au commencement de ce monde, un frere prenait sa sreur pour epouse, et en ce temps aussi, Ie pere avait des enfants de sa propre fille. IIs prenaient plusieurs femmes en vue de la croissance du peuple, et on ne put au debut se marier autrement qu'entre gens d'une meme famille. Si un homme voulait vivre maintenant, apres la venue du Christ, comme on vivait avant ou sous la loi de MoIse, il ne serait pas chretien, il ne serait meme pas digne qu'on mangeat en sa compagnie. Les pretres mal informes, pour peu qu'ils aient quelque intelligence du latin, auront tot fait de s'eriger en maitres eminents, sans en savoir pour autant Ie sens spirituel, ni comment l' Ancienne Loi etait Ie signe des choses a venir, ni comment la nouvelle alliance, apres 1'incarnation du Christ fut l'accomplissement de toutes les choses que l'Ancienne Loi annon<;ait en figure au sujet du Christ et de ses elus. (Traduction M. Lares, dans Bible, [64], p. 274.)
« Tache pesante » s'il en est, pour Ie moine Aelfric, qui redoute les malentendus semblables a ceux dont il a precisement ete Ie temoin. C'est Ie probleme pose par les mreurs des temps bibliques qui preoccupe les responsables pastoraux, les hommes - clercs comme laIcs - manquant de culture, n'etant pas prepares a faire la part des temps, Aelfric hesite, se fait prier. Nous voyons que pour l'encourager, l'ealdorman Aethelweard a rappele a Aelfric qu'il s'agissait seulement de completer une traduction preexistante - mais cela ne res out pas Ie dilemme. Aelfric, faute de pouvoir Ie I
Le Livre Notons qu'Aelfric fait un pas de plus en amont du probleme : on ne doit pas seulement redouter la vulgarisation de textes decrivant des comportements susceptibles d' etre pris comme modeles; Ie texte latin meme est sujet a caution, si les pretres comprenant Ie latin ne sont pas informes de la valeur typologique et non plus historique et didactique accordee par l'Eglise chretienne aux textes saints. C'est au principe meme de la vulgarisation - par voie vernaculaire ecrite, ou par Ie truchement d'explications orales du latin - qu' Aelfric se trouve confronte. La Preface a la Genese redigee par Aelfric jette aussi une lumiere interessante sur la methode et l'esprit de la traduction tels qu'il les cons:oit. Tout en insistant sur la perception de l'Ancien Testament comme somme de « figures» du Nouveau, Ael&ic dit tres clairement qu'il ne faut rien ajouter aux sources latines. Ce Livre, ecrit Aelfric, « est compose comme Dieu lui-meme 1'a dicte au scribe Moise, et nous ne devons point transcrire en anglais plus que n' en a Ie latin, ni modifier l'ordre de la composition, excepte si 1'anglais et Ie latin different dans leur mode d'expression ». C'est Ie compromis traditionnel entre mot a mot et sens a sens. Mais s'il n'ajoute rien, Aelfric a moins de scrupules a retrancher. La formule in ure wisan sceortlice (selon notre maniere, en abrege) lui est familiere, et naturelle; c'est la, semble-t-il, la cle d'une philosophie de la traduction qui a preside a la version anglaise de l'Hexateuque qui, aux environs de l'an mille, est attribuee a Aelfric au moins partiellement. Et si d'autres que lui y ont contribue, on peut dire qu'ils ont partage la meme philosophie et qu'elle est appliquee dans 1'Hexateuque (Pentateuque plus Josue) dont il existe une traduction en anglais modernes et depuis peu une edition en fac-simile4• On peut cons tater, pour 1'Hexateuque vieil anglais, que Ie souci majeur du traducteur semble etre l'accessibilite du texte : traduction claire d'un texte « allege ». Toute question de principe mise a part, l'etude detaillee de cette version anglaise montre la dominante pedagogique du tres petit coup de ciseau. Pour la Genese par exemple, en depit des elagages, pas un seul verset n'est entierement absent. Quant a certaines expurgations du texte - par exemple la scene de tendresse entre Isaac et Rebecca au chapitre 26 - on ne peut les mettre au compte d'une censure systematique en ce sens : en ce cas, Ie chapitre 34 eut ete semblablement expurge - or, il ne l'est pas. Le viol et la violence ne sont pas non plus elimines. L'optique de traduction, ici, est un compromis entre Ie souci de
3· S. J. CRAWFORD, [57]. P. CLEMOES et C. R. DODWELL, [S8].
4.
L'exemple de la Grande-Bretagne traduction integrale, et la maniere que Aelfric a lui-meme definie comme etant la sienne propre : celle de 1'abrege, par allegement du texte. Nous avons ici un type de traduction medievale qui se distingue nettement des traductions-adaptations bibliques abondantes presentees par ailleurs par ce meme Aelfric par exemple (ou un de ses emules) : textes a statut hybride, se situant entre la traduction et 1'homelie (d'apres les J uges, les Rois, Esther, Judith et Macchabees) ou la censure est caracterisee (censure eminemment edulcorante et mysogine). Sans oublier les citations libres (ou rappels si l'on veut) de la Bible qui foisonnent dans Ie grand cycle d'Homelies anglaises du meme auteur et qui constituent un veritable cursus d'Histoire sainte a diffusion tres large et repetee a l'occasion des grandes fetes. L'effort de produire une traduction relativement proche du type objectif peu illustre entre Jerome et Ie XIVe siecle a d'ailleurs marque Aelfric qui indique, dans 1'un des textes deja mentionnes, qu'on ne l'y reprendra plus ! II n'est peut-etre pas inutile de mentionner que l'un des manuscrits qui contiennent tout ou partie de 1'Hexateuque aelfricien est une sorte d'edition de luxe, tres abondamment sinon richement - (Ie travail de 1'enlumineur est tardif et inacheve) - illustree. La bande dessinee biblique alternant avec les sequences y prend Ie relais du texte, refletant des traditions exegetiques reperables. Ce manuscrit (Cotton Claudius B IV de la British Library) temoigne avec solennite du caractere exceptionnel de cette version vernaculaire : peut-etre aussi de son usage limite, quoique l'examen de l'ensemble des manuscrits subsistants puisse egalement mener a des conclusions differentes, et laisser supposer une diffusion plus importante de ces textes. Quoi qu'il en soit, il y a un phenomene aelfricien et anglais de tentative de traduction biblique concernant des textes autres que Ie Nouveau Testament et Ie Psautier. Cette entreprise a ete suscitee par une « demande » suffisamment forte transmise par des notables, Aethelweard, Sigeweard, demande significative dont nous avons la chance d'avoir la trace.
La revolution linguistique du Xle sieele et Ie probleme vernaculaire jusqu'au XIVe sieele L'installation en Grande-Bretagne, a partir de 1066, d'un prince normand, d'une Cour normande, de prelats normands, de traditions politiques et linguisriques continentales, donne au probleme vernaculaire une physionomie pour Ie moins complexe. Le vieil anglais tend a devenir d'abord la langue des illettres, et Ie frans:ais, langue de la caste dominante, la langue de la culture et des institutions. Dans
Le Livre les tres grandes lignes, on peut parler de l'elaboration progressive de dialectes « moyen anglais », fruits du voisinage anglo-normand, heritiers des dialectes vieil anglais, tandis que Ie fran<;ais subsiste sous des modes differents, tantot continental, langue juridique par exemple, tantot insularise et atteste par des documents etiquetes « anglo-normands ». Les dignitaires de la Cour et de l'Eglise vont longtemps vivre et diriger a l'heure continentale et les Bibliotheques vont au meme pas. ParalleIement, les manuscrits recopies, gloses et annotes en anglais du Xle au Xlne siecle montrent que l'usage de l'anglais ancien se perpetue parallelement a la maturation de ees dialectes moyen anglais qui vont acquerir au cours du xn e siecle des res sources suffisamment vivantes pour produire une litterature autonome. L' Angleterre d'apres la « conquete » normande est done accrochee au Continent pour tout ce qui est eccIesiastique et culture!' II n'est pas etonnant qu'une Bible vernaculaire complete ayant laisse sa trace en Angleterre soit une Bible anglo-norman de. On trouve en particulier, dans les testaments de nobles laics, la trace de Psautiers et d'une Apocalypse traduits en frans:ais. II s'agit evidemment de textes appartenant ou temporairement COMes a des nobles ou notables lettres qui avaient obtenu des autorites eccIesiastiques une licenee de lecture. Le probleme de la liceite des versions vernaculaires de la Bible se posait en effet sur Ie Continent comme ailleurs, et de la meme fa<;on, en Angleterre. Nous y reviendrons plus loin. De l'invasion normande de 1066 au debut du xn e siecle, on n'a guere de traces d'entreprises de traduction biblique dans les dialectes anglais qui, au contact des parlers normands, evoluent vers Ie stade « moyen anglais ». Nous savons que la transmission des messages de l'Ecriture se fait par l'homelie, selon la tradition deja largement illustree au tournant du xe siecle par Ie moine Aelfrie et l'eveque Wulfstan. Vers Ie milieu du xn e siecle, un ensemble de textes gloses tres significatifs est Ie Psautier de Cantorbery (deja mentionne) communement appele « Eadwine Psalter ». Moins d'un siecle s'est ecoule depuis l'installation des Normands en Grande-Bretagne. On y trouve regroupees les trois versions hieronymiennes : lola version romaine accompagnee de gloses en vieil anglais; 20 la version dite « hebraique avec gloses en vieux fran<;ais », et la version gallicane accompagnee de notes en latin. L'eIement « vernaculaire » est double ici : Ie vieil anglais, langue du peuple heritier des tribus anglo-saxonnes implantees en Grande-Bretagne sept siecles plus tot - et Ie vieux fran<;ais, langue de culture implantee par les Normands de Guillaume Ie Conquerant mais deja presente comme telle dans l'entourage deja anglo-normand d'Edouard Ie Confesseur. C'est en 1200 que Ie moine Grm, par ailleurs inconnu, produit en anglais rythme une harmonie des Evangiles a vocation non seule-
L'exemple de la Grande-Bretagne
ment religieuse mais linguistique. La vingtaine de milliers de vers (sans compter 342 vers de dedicace) de l'Ormulum, preservee dans manuscrit Junius I de la Bibliotheque bodleienne, est ici encore reponse a une requete. Orm explique comment il a accepte de transposer en anglais (Icc hafe wennd intill Ennglissh) la sainte parole de l'Evangile (Goddspdless ha!lghe !are) par souci des ames. II harmonise les quatre Evangiles selon Ie procede illustre dans Ie Diatessaron de Tatien, et i1 amplifie Ie texte pour repondre a un double objectif: 1° equilibrer rythme et rime (the rime swa to fillenn); 2° aider a l'intelligence du texte ( ... the goddspell 1I11derrstanndenn... he mot we! ekenn manig word... ). De surcroit, la codification grammaticale et orthographique ( ... write rihht... ) est un souci majeur chez Orm. Cet effort imposant et bien explicite marque la maturation des parlers moyen anglais. Dans cette ligne, nous trouvons vers 1250 une version metrique du Pentateuque communement appeIee Genese et Exode s, en 1300, Ie Cursor Mundi; et vers la fin du XIVe siecle, une version metrique de l' Ancien Testament qui regroupe un materiau emprunte a la Genese, a l'Exode, au Deuteronome, aux Nombres, Josue, Juges, Ruth, les Rois, Job, Tobie, Esther, Judith et Macchabees (ed. Kanen-Ohlander, Stockholm, 1923-1963). L'auteur de Genese et Exode (manuscrit unique de Corpus Christi College) s'inscrit dans la tradition d'Orm quant au vocabulaire et a la versification. Le texte (plus de 4000 vers), s'il suit la narration du Pentateuque, est largement alimente par d'autres sources, dont la plus immediate reste I'Historia Scho!astica de Pierre Comestor. Le Cursor Mundi, en plus de 25 000 vers, embrasse l'ensemble de l' Ancien et du Nouveau Testament, englobe une masse de materiau refletant les cultures des chretientes medievales et se termine dans une vision apocalyptique. La popularite de l'ensemble est attestee pendant deux bons siecles. Le Psautier va etre au XIV e siecle l'objet de plusieurs versions vernaculaires. Le mouvelllent mystique anglais (a la fois cenobitique, eremitique et laique) trouve dans Ie Psautier un support de choix parallelement aux liturgies latines. Des 1300 nous trouvons Ie fameux Surtees Psalter en couplets rimes. On lui reproche la platitude de sa versification, mais ici encore, on peut percevoir Ie souci de faciliter la cantilene, fut-elle privee, et en tout cas la memorisation a usage devotionnel ou penitentiel. Un autre Psautier du XIVe siecle, en dialecte « West Midland », est redige en prose. (Manuscrit Pepys 2498 de Magdalen College, Cambridge). La traduction du Surteos parait stricte en comparaison avec celle de ce Psautier, qui s'ecarte constamment du texte et englobe d'abondants elements de commentaires. La prose, par contre 5. Early English Texts Society, 1895 et LUND, 1960.
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(parce que plus tardive) a une autonomie et une musicalite tres superieures aux qualites du Psautier rime. Entre les deux quant ala date, mais avec un coefficient de popularite et une perennite dans Ie succes qui l'emporte sur l'un et l'autre, Ie Psautier du celebre mystique anglais Richard Rolle de Hampole. Il s'agit d'un Psautier paraphrastique dont les elements de commentaire sont principalement empruntes a la Glossa Mt!Jor de Pierre Lombard. Il est interessant de relever dans un Prologue de Rolle a son propre Psautier6 , ces indications sur sa methode de traduction: « Dans la traduction, je suis la lettre autant que je Ie puis; et lorsque je ne trouve pas d'anglais approprie, je suis l'esprit du mot, de sorte que ceux qui Ie liront ne craignent point d'etre induits en erreur. » Il ecrit encore qu'il recherche, en anglais, une formulation claire et simple, aussi proche que possible du latin, « ann que ceux qui ne connaissent pas Ie latin puissent acceder, par l'anglais, a un grand nombre de mots latins ». Il faut encore mentionner comme sources d'information biblique ou comme anthologies d'elements bibliques, des recueils qui concourent a la formation de traditions populaires et sont notablement plus anciens que les manuscrits des xn e et XIVe siecles dont nous disposons : la « Southern legend collection »7 qui mele a des sources apocryphes I'Histoire sainte de la Creation au sac de Jerusalem - et divers textes des Gesta Romanorum, reservoir de traditions populaires OU l'allegorie biblique tient une place non negligeable. Sans oublier les nombreuses citations bibliques proposees dans les poemes epico-spirituels tels que Ie Piers Plowman de Langland.
DE LA REVOLUTION VERNACULAIRE (MILIEU xrve smCLE) AU MOUVEMENT DES TRADUCTEURS WYCLIFFITES La seconde partie du XIVe siecle nous a laisse des traductions des Epitres, du Nouveau Testament, d'une partie des Actes des Apotres - et du debut de l'Evangile de Matthieu8• De meme qu'un manuscrit unique des Epitres Pauliniennes 9• Il s'agit cette fois de traductions proprement dites dont l'origine « orthodoxe» est d'ailleurs discutee. Le probleme des traductions tel qu'il se pose dans la seconde partie du XIVe siecle, et par la suite, doit etre d' abord evoque. Les versions vernacu1aires poetisees a usage paraliturgique ou autre ne semblent jamais avoir ete suspectees. Mais nous avons vu plus haut 6. 7· 8. 9·
Edition Bnunley.
« South English Legendary »,
BETS,
Edition A. C. PAUES, 1902. Parker 32, ed. M. J. POWELL, 1915.
1956-1959.
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les reticences manifestees par Aelfric alentour de l'an mille, en matiere de traduction integrale, alors que la langue vieil anglaise etait devenue un instrument convenablement adapte a la creation litteraire, et a la traduction. Au xrve siecle les objections courantes en milieux ecclesiastiques ont des dominantes specinques auxquelles il faut refiechir. D'une part, la langue anglaise « moyen anglaise » s'est imposee non point encore comme langue juridique, Ie fran<;ais se maintiendra longtemps sur ce plan, mais comme langue de culture, langue scolaire, langue litteraire, depuis Ie debut de la guerre de Cent ans. Il y a de la « demande» pour des traductions anglaises de l'Ecriture, comme il devait y en avoir encore, dans la classe cultivee, pour les versions fran<;aises; i1 existe encore trois manuscrits d'une Bible anglo-normande complete, dont une datee de 1364, et 84 manuscrits d'une Apocalypse anglo-normande. Mais cette demande est jreinee, et l'usage des traductions produites est contingente. Il faut rappeler ici que la lecture, et donc la traduction de textes bibliques, Ancien et Nouveau Testament, n'a jamais ete l'objet, a Rome, d'une prohibition en bonne et due forme. Mais un controle, une sorte d'inquisition episcopale, est etabli en ce domaine. On reserve la lecture des traductions vernaculaires aux gens cultives qui en requierent l'autorisation. Cet usage est largement atteste. Le contact avec les autorites ecclesiastiques est sous-entendu : la grace attachee a l'etat du pretre est en effet jugee indispensable a l'interpretation correcte de l'Ecriture, qu'il s'agisse des quatre niveaux d'interpretation traditionnels, ou de l'interpretation « litterale » majoree plus tard par les Franciscains. Il s'ajoute a cela, dans Ie contexte du xrve siecle finissant, Ie soup<;on d'heresie qui court dans la societe chretienne anglaise, lezardee par l'opposition a certains abus, l'impopularite de certains moines, la contestation nationaliste d'usages romains consideres comme etrangers, et la revolte paysanne (1381), Ie tout accentue par Ie scandale du Grand Schisme d'Occident qui bouleverse les esprits pendant Ie dernier quart du xrve siecle et les deux premieres decades du suivant. C'est ace moment que Ie mouvement Lollard d'une part, Ie mouvement wycliffite de l'autre, trouvent un front commun dans la revendication d'une Bible vernaculaire accessible a tous les chretiens. Ce mouvement a par sa nature meme des implications politico-religieuses qui passent par la Cour, Jean de Gand etant favorable a Wyclif, par Oxford OU Wyclif et son secretaire John Purvey animent la traduction anglaise de la Bible, alors que les hauts responsables de l'Eglise durcissent leur attitude envers ceux qui voudraient faire de l'autorite du Texte la rivale de l'autorite ecclesiastique. Car c'est bien d'un rapport de forces qu'il s'agit, et on n'ignore pas que les traductions a usage populaire sont souvent reclamees pour servir a la predication laique echappant a la surveillance doctrinale de l'Eglise. La menance du clerge anglais en matiere de versions vernaculaires
Le Livre
repose peut-etre plus encore sur les probU:mes d'edition et de diffusion que sur les problemes de transcription proprement dits. Un texte approuve par les autorites ecclesiastiques peut se teinter d'heresie s'il est amplifi~ de note~ ou meme, comme c'est souvent Ie cas, de simples commentalres marglnaux mettant en cause l'autorite ou la tradition de l'Eglise. On comprend ainsi que Ie meme Arundel ait accorde a la reine Anne de Boheme, epouse de Richard II - et il Ie dit lui-meme dans l'oraison funebre dediee a cette reine en 1394 - l'autorisation de posseder et lire des Evangiles en anglais - et qu'il ait pu sevir contre la libre circulation de traductions de ce type. Cette lecture, donc, se trouve contingentee, l'orthodoxie se trouvant d'un cote de la ligne de controle, et, de l'autre, l'heresie, bientot sanctionnee par Ie redoutable decret de 1401 De Haeretico Comburendo. Lecture et entreprises nouvelles de traductions se trouvent freinees d'autant, Ie risque de presomption d'heresie en venant a planer alentour. Wyclif, protege et prudemment retire du monde, ne fut brule que post mortem, mais Ie duc de Gloucester avait deja ete execute pour heresie en 1397 et bien d'autres condamnations suivront les Constitutions d'Oxford inspirees par Arundel. Entre autres dispositions visant Lollards et Wycliffites, il y a interdiction, sous peine d'excommunication: 1° de faire lecture publique ou privee de traductions posterieures au temps de Wyclif, qui n'aient pas ete prealablement approuvees au niveau du diocese ou, si necessaire, de la province ecclesiastique; ZO d'entreprendre de sa propre autorite la traduction d'un texte scripturaire en anglais ou en toute autre langue, Ie frans;ais etant egalement vise. Notons que les traductions prewyclifiennes ne sont pas visees par les Constitutions d'Oxford, mais elles auront sans doute s~uffert de l'ambiance inquisitoriale qui en resulta. Cette ambiance, qui regnera pendant tout Ie xve siecle et au debut du XVl e est clairement evoquee par Ie futur saint Thomas More dans son « Dialogue concernant les heresies » : « Et parfois, avec ceux qui sont envoyes au bucher ou convaincus d'heresie, ils brwent la Bible anglaise sans y regarder de pres, que la traduction soit ancienne ou nouvelle, bonne ou mauvaise. » Ce n'est pas que More se montre tendre envers les versions « heretiques » et. leurs auteurs (ce Dialogue est une attaque contre Ie traducteur Tmdale) mais i1 semble deplorer par la bouche du Messager, interlocute~ du Dialogue, les « bavures» qui n'auront pas manque de se prodUlre. Par ailleurs, l'existence de versions vernaculaires de la Bible agreees par les eveques, et demeurant entre les mains de laies (hommes et ~emmes, precise Ie Messager) est attestee par More. Et les traductions ~tegral~s de la Bible, toujours selon More, ne sont pas une innovation ~t:o?~te par l~s Wycliff~tes, car, dit-il, « vous devez comprendre que I herenque supreme, Wyclif, alors que la Bible entiere avait ete longtemps avant lui traduite en anglais par des gens vertueux et bien instruits, et
L'exemple de la Grande-Bretagne
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lue avec soin et respect, en devotion et modestie, par de bonnes et pieuses personnes, se prit a la retraduire dans un but malfaisant ». Si l'existence de traductions integrales de la Bible anterieures a Wyclif est attestee par Thomas More du cote catholique - elle l'est egalement par John Foxe du cote des Reformateurs. n n'en reste pas moins, ainsi que nous l'avons deja souligne, que les entreprises ont ete freinees et la circulation des traductions severement controlee. En milieu « orthodoxe », Ie Psautier de Richard Rolle semble avoir ete, a partir du Concile d'Oxford, Ie seullivre de la Bible qui ait ete librement diffuse en version vernaculaire.
Les deux versions wyclijjites de la Bible (I}S2-I}90)
C'est Oxford qui a ete Ie milieu d'eclosion d'une premiere version dite wycliffite des deux Testaments. nest difficile de determiner la part personnelle que Wyclif a prise dans ce travail auquelle pretre Nicolas de Hereford a en tout cas largement participe. Achevee en 138z, cette premiere version integrale sera l'objet d'une laborieuse revision principaIement menee par Ie second de John Wyclif, John Purvey, huit ans plus tard. La premiere version reste tres attachee au mot a mot; la seconde presente des qualites idiomatiques et une fluidite tres amelioree, temoignant d'une serieuse revision de la syntaxe precedemment accrochee, avec exces, au latin lO • La poursuite des gens, clercs ou laies, suspectes d'heresie, va reduire ces textes a une circulation clandestine rendue encore plus dangereuse au debut du xve sieele. II nous reste en tout cas plus de zoo manuscrits de ces versions. Alors que dans l'Eglise, les etudes hebraiques sont actives, et ce depuis Ie xn e siecle, on doit constater que ni Wyclif, ni Purvey ne connaissaient l'hebreu - non plus que Ie grec. Les traductions wycliffites se sont basees sur la Vulgate et la traduction s'appuie souvent sur la litterature exegetique - selon les textes, Augustin et Jerome, les commentaires de Robert Grosseteste, la Catena Aurea de Thomas d' Aquin et, specialement pour les references a l'hebreu, les Postillae du franciscain Nicolas de Lyre. On dispose d'un Prologue general, probablement reuvre de Purvey, qui apporte un eelairage interessant sur la fas;on dont les problemes de traduction se posaient, et etaient abordes par lui. Dans ce Prologue (ajoute a son reuvre en 1395 ou 1396) Purvey explique comment, selon lui, la meilleure maniere de traduire du latin en anglais consiste a « traduire selon Ie sens et point seulement selon les mots, de sorte que Ie sens 10. Tmvaux de H. HARGREAVES [61] et de FRISTED [60].
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soit aussi clair, voire plus clair en anglais qu'en latin, et ne s'eloigne point de la lettre; et si la lettre ne peut etre suivie quand on traduit, que Ie sens demeure entier, et clair ». Nous apprenons egalement qu'un travail considerable a ete accompli pour etablir un texte latin de base. Parlant de lui-meme, Ie maitre d'reuvre dit avoir eu « bien du travail, avec divers compagnons et collaborateurs, pour rassembler de nombreuses et anciennes bibles, et reuvres de docteurs et gloses ordinaires, et de faire une bible latine passablement correcte ». On a toutes les raisons de penser que certaines versions vernaculaires approuvees par l'episcopat en 1394 etaient l'reuvre de « wyclifIites ». Ce qui est en cause, dans l'optique du temps, est fondamentalement l'appareil de gloses et notes accompagnant les manuscrits et refletant un etat d'esprit contestataire mettant en cause les institutions ecclesiastiques. De toute fas:on, il y avait une guerre de la Bible et il ne faut pas s'etonner de constater que l'Ecriture n'ait pas figure en tete des programmes de Caxton, promoteur de l'imprimerie en Angleterre au xv e siecle. C'est a l'heure de la Reforme que l'imprimerie se mettra au service de la Bible dont, plus tard, sur ordre d'Elizabeth I, un exemplaire sera present dans chaque paroisse du pays. La Bible vernaculaire va devenir Ie rempart et l'arme des Lollards. La persecution des Lollards, poursuivie sous Ie regne d'Henry V, est encore ravivee par Ie CondIe de Constance. La predication - basee sur l'Ecriture mise a la portee du peuple - se poursuivra non plus en plein air, mais dans Ie secret de reunions clandestines. Le temoignage d'ecclesiastiques tels que l'archeveque Chlchele permet de penser qu'en 1428 en tout cas, la predication clandestine est encore floris sante. Les destinees des versions wycliffites, confondues avec celles des Lollards, sont masquees par les bouleversements du xve siecle OU les derniers episodes de la guerre de Cent ans s'enchainent avec la guerre des Deux-Roses. Si l'on a la trace de survivances de versions vernaculaires a la fois du cote Lollard et du cote orthodoxe, ainsi que nous l'avons vu plus haut dans les ecrits de Thomas More, l'heure n'etait certainement plus a la promotion des traductions bibliques, et ce jusqu'au regne d'Henri VIII et aux versions tudoriennes qui n'appartiennent pas au Moyen Age. II faut dire, en conclusion, que c'est l'esprit des traductions wycliffites l l plutot que Ie materiau meme de ces traductions, qui influencera les destinees de la Bible anglaise. Tyndale et Coverdale preconiseront et mettront en pratique un retour aux sources, preparant la voie a l' Authorized Version de 16II, piller protestant de la religion, de la culture et de la langue en Angleterre. Micheline LARES.
I I.
L'Ecriture-Loi divine : Goddis Lawe -
source a la fois de morale et d'autorite.
ETUDIER LA BIBLE
Des Ie debut du monachisme, la lecture et l' etude de l'Ecriture sainte sont considerees comme une des activites principales du moine. La Bible est Ie livre par excellence. Des son enfance, Ie jeune moine doit apprendre par creur son psautier : « Que celui qui veut revendiquer Ie nom de moine ne puisse ignorer ses lettres, qu'il retienne egalement par creur tous les psaumes. » Possedant parfaitement Ie psautier, Ie moine peut comme l'ascete du desert « ruminer » nuit et jour la parole sacree. Les psaumes sont vraiment les armes du serviteur de Dieu : qui connait les psaumes ne craint pas l'adversaire. Du psautier, on passe peu a peu aux autres livres de la Bible, soit en ecoutant les lectures en commun, soit en lisant personnellement comme Ie recommande la RegIe de saint Benoit et les autres Regles. Lisant et meditant la Bible, recitant Ie texte sacre aux offices liturgiques, Ie moine s'adonne ainsi a la lectio divina. Le moine mais aussi les clercs qui, dans les centres presbyteraux et episcopaux qui se creent adoptent les principes de la culture monastique. Sans doute une formation elementaire est indispensable pour avoh acces a la lecture de la Bible. Au depart cette lecture ne doit pas etre precedee d'une preparation poussee. Le but des etudes bibliques est moins
Etudier la Bible
Le Mqyen Age et la Bible
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une recherche intellectuelle qu'une meditation destinee a lui ouvrir l'esprit et l'ame. L'abbe est moins un professeur qu'un maitre spirituel. Pour penetrer Ie sens de l'Ecriture, la purete du creur est preferable a la science disait Cassien repris par saint Benoit. Meme si par la suite l' exegese monastique demande une preparation plus poussee, eIle reste marquee par les principes des fondateurs du monachisme1 • Pour Gregoire Ie Grand converti a la vie monastique, la Bible est non seulement l'autorite supreme mais l'instrument principal de la culture chretienne : « Bien que l'Ecriture sainte surpasse de fas:on incomparable tout savoir et toute doctrine, pour ne rien dire du fait qu'elle annonce la verite, ni du fait qu'elle appelle a la Patrie celeste, qu'elle detourne des desirs terrestres Ie creur de ses lecteurs pour leur faire embrasser les biens d'en haut, qu'elle exerce l'effort par ses propos plus obscurs, qu'elle comble les humbles par son langage terre a terre... Cependant eIle surpasse aussi tous les savoirs et toutes les doctrines par sa fas:on meme de s'exprimer, car, par un seul et meme langage, a travers les recits de ses textes, eIle revele un mystere et s'entend a parler des evenements du passe de maniere a savoir par la meme proclamer des faits a venir et sans modifier l' ordre de son discours, dans les memes textes, eIle sait a la fois decrire les faits qui ont eu lieu et annonce ceux qui doivent avoir lieu »2. Lorsque l'on sait l'influence que Gregoire Ie Grand eut sur Ie Moyen Age3 , ce passage choisi parmi d'autres, prend to ute sa valeur. Gregoire par ses commentaires, homelies sur l'Evangile, sur EzechieI, sur Ie Cantique des Cantiques, sur Ie Livre des Rois, Moralia in Job, ouvre la voie royale de l'exegese monastique medievale. A la meme epoque, dans les lIes britanniques, particulierement en Irlande, debute, dans les centres monastiques de plus en plus nombreux, un travail de commentaire dont on commence a juger de l'importance4 • Les Irlandais qui, par ascetisme, quittent volontiers leur patrie, trans portent en Angleterre et sur Ie Continent
leur ardeur a etudier la Bible. Colomban ne se separe pas du texte sacre, nous dit son biographe, et sachant la reputation de Gregoire, illui reclame ses traites exegetiques. Ses disciples, en fondant des monas teres en Gaule et en insistant sur la meditation de la Bible, revigorent Ie clerge merovingien5 • En Angleterre, dans les centres de culture religieuse etablis soit par les Irlandais, soit par les disciples des missionnaires envoyes par Gregoire Ie Grand, une science chretienne s'edifie dont Ie plus illustre representant est Bede Ie Venerable. Comme les moines du VIe siecle, les lettres insulaires affirment que la Bible est superieure a tous les autres textes et qu'en eIle sont contenues toutes les formes du savoir : « La sainte Ecriture, dit Bede, l' emporte sur tous les ecrits, non seulement par l'autorite parce qu'elle est divine ou par l'utilite parce qu' elle conduit a la vie eternelle, mais encore par l' antiquite et par la forme »6. Mais a la difference de leurs predecesseurs qui s'opposaient a la culture classique, les moines celtes et anglosaxons ont vu la necessite de construire a partir de la Bible un programme d'etudes dans lequeIla grammaire tenait une grande place. La Renaissance carolingienne a beneficie de l'reuvre des moines insulaires. Nous verrons dans un chapitre particulier comment dans l'enthousiasme du renouveau intellectueI, les clercs et les moines des VIlle et IXe siecles ont utilise des instruments de travail et ont esquisse une methode exegetique qui restera en usage jusqu'au XIe siecle. Avec Ie renouveau monastique des xe et XIe siecles et avec Ie developpement de la liturgie a Cluny et ailleurs, l'exegese reprend une vigueur nouvelle. Cluny n'est pas ennemie de la « culture », comme on l'a dit trop souvent et comme Ie dement l'reuvre de ses abbes 7 • Dans ce monastere, se realise un equilibre entre ascese, liturgie, devotion privee, etude biblique. L'Ecriture sainte est source de tout progres spirituel. A sa lecture, ecrit Otloh de Saint-Emmeran, « les yeux de l'homme interieur s'ouvrent. II
I. Cf. Leclercq [9]. Gregoire Ie Grand, Maralia in Job, 20, 1 (PL, 70, 135) cite par Cl. DAGENs, Gregoire Ie Grand, Culture et experience chretiennes, Paris, 1977, p. 52. 3· De LUBAc [II], I, pp. 537 et s. 4· BISCHOFF [66], t. I, pp. 505 et s.
5. RICHE [72], 371 et s. 6. BEDE, De scbematibus et tropis (PL, 9 0 , 175)· . 7. J. LECLERCQ, « Cluny fut-il ennemi de la culture? », dans Revue Mabillon, 1957, et
2.
[9], passim.
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Le Mqyen Age et la Bible
comprend ce qu'il n'a jamais encore compris des Ecritures et de tout Ie reste. II s'etonne d'avoir ete si sourd et si aveugle. Alors il avance de plus en plus dans la lecture sainte et ce qu'il ne lisait que par crainte et desir de pardon, il Ie lit aussi maintenant qu'il commence a aimer pour savoir les merveilles de la sagesse et de la misericorde de Dieu »8. Pourtant reconnaissons que peu de grands commentaires exegetiques ont ete ecrits a cette epoque. Les lettres connaissent la Bible, l'utilisent dans la Vie des saints, la traduisent comme en Angleterre, mais la commentent rarement. Ainsi lorsque l'abbe Eldric de Saint-Germain d' Auxerre recherche un commentaire d'Ezechiel, il ne trouve rien de mieux que de faire copier celui du moine Haimon qui vivait au milieu du IXe siecle. Aux traites d'exegese on prefere la poesie, l'histoire, la morale et les ouvrages d'allure scolaire. Gerbert d'Aurillac Ie plus grand ecol:itre de la fin du x e siecle est un humaniste qui cite plus souvent les textes profanes que l'Ecriture9 • L'importance donnee dans les ecoles aux auteurs pakns et aux arts liberaux inquiete ceux qui veulent maintenir Ie climat de l'Ecriture sainte a une epoque OU la reforme de l'Eglise exige un approfondissement de la culture religieuse, certains critiquent ouvertement une ecole trop ouverte aux sciences seculieres et particulierement a la dialectique que l' on redecouvre : « Se declarent savants, ecrit Otloh de Saint-Emmeran, ceux qui sont instruits dans les saintes Ecritures plutot que ceux qui sont instruits dans la dialectique, car j'ai rencontre des dialecticiens assez naifs pour decreter que toutes les paroles de l'Ecriture devaient etre soumises a l'autorite de la dialectique et pour temoigner souvent plus de confiance a Boece qu'aux auteurs sacres. » Gozzechin de Liege condamne ceux qui « donnent de nouvelles interpretations des psaumes, des lettres de saint Paul et de l' Apocalypse » et Pierre Damien en preconisant un retour a la « sainte simplicite » revient au principe de la culture ascetique des moines du VIe siecleI°. Dans cette prise de conscience qui secoue les milieux lettres du XIe siecle, certains hommes tels 8. OTLOH, De Cursuspirituali, J; PL, I40, 146 cite par J. LECLERCQ [9], p. 152. 9· RICHE [73], pp. 185-186. 10. Ibid., pp. 339 et s.
Etudier la Bible
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Lanfranc, puis son disciple Anselme du Bee, proposent des solutions nouvelles pour l'etude de la Bible et jettent les bases de ce qu'on a appele la theologie scolastique et dont parlera Jean Chatillon. Au xne siecle, l'exegese monastique trouve un nouvel essor avec la reforme cistercienne dont Ie grand artisan fut saint Bernard «Ie dernier des Peres ». Pour la fas:on dont saint Bernard explique l'Ecriture, il suffit de renvoyer aux analyses d'Henri de Lubac et de Jean Leclercqll. L'exegese monastique ne veut pas etre une science mais une sagesse spirituelle qui doit viser a la contemplation du donner revele et deboucher sur la theologie mystique. Elle est nourrie de la meditation du texte sacre mais aussi du poeme de la liturgie. Dom Dubois en donne quelques exemples en parlant des psaumes et des antiennes. Les chanoines reguliers qui veulent revenir a la vie apostolique et faire de leur cloitre une « ecole du Christ» font une large place a la lectio divina « au cloitre, ecrit Philippe de Harvengt Ct II83), il n'y a guere de place pour la vanite : on n'y recherche que la saintete. La jour et nuit, Ie juste se soumet a la divine volonte, s'adonne aux hymnes, ala priere, au silence, aux larmes, a la lecture. La, dis-je, la sincerite d'une vie purifiee nettoie l'intelligence; alors celle-ci permet d'arriver a la science plus sincerement et plus efficacement »12. Et Philippe d'opposer Ie cloitre aux ecoles du siecle. En eifet, comme Ie montre Jean Chatillon, d'autres methodes sont utilisees pour etudier la Bible et en presenter to utes les richesses. Reprenant les tentatives de Lanfranc et de saint Anselme, les magistri in sacra pagina utilisent des principes de type analytique et rationnel. La lecHo n'est plus une meditation mais un cours qui debouche sur la quaestio et meme la disputatio l3 • lci s'elabore une exegese scolastique qui se developpe dans les universites du xme au xve siecle comme Ie montre Jacques Verger. Encore ne faudrait-il pas trop opposer exegese monastique et exegese scolastique : les moines suivent de pres les developpements de l'exegese enseignee dans les ecoles II. LECLERCQ [9], passim, de LUBAC [II], I, 2, p. 586 et J. VERGER dans BernardAbelard ou Ie Clo/lre ell'ecoJe, Paris, 1982, pp. 148 et s. 12. Philippe de HARVENGT, Bpi-rl., PL, 20J, 58, cite par J. LECLERCQ [9], p. 187. 13. CHBNU [80], p. 323.
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Le Moyen Age et la Bible
urbaines et d'autre part dans Ie grand reveil evangelique du siecle les maitres en Ecriture sainte, saint Thomas tout Ie premier, restent fideIes au commentaire spirituel de l'EcritureI4 • Parallelement aux etudes exegetiques menees dans les cloitres et dans les ecoles, la Bible est objet de commentaire de la part des rabbins juifs. 11 nous a semble indispensable de demander a un speeialiste de la pensee juive un chapitre sur l'exegese rabbinique, do maine encore mal connu. lei sont etudiees non seulement les methodes de travail des rabbins mais egalement les relations entre savants juifs et chretiens qui, nous Ie verrons, debutent a 1'epoque carolingienne. Encore faudrait-il pousser I'etude pour Ie xme siecle et les siecles suivants, faire place a l'etude importante de Nicolas de LyrelS • XIIre
I
Instruments de travail et methodes de l' exegete aI'epoque carolingienne
La Renaissance carolingienne ne peut etre consideree simplement comme un renouveau de l'etude des belles-lettres. Pour Charlemagne et ses collaborateurs, il s'agit d'abord d'une ceuvre religieuse qui remet en honneur l'etude de la Bible. Peu a peu au cours des VIlle et rxe siecles les methodes et les instruments de travail des lettres qui veulent penetrer les secrets de la divina pagina se mettent en place en s'appuyant sur l'experience de l'exegese patristique et en definissant les buts et les moyens d'une veritable science exegetique. Raban Maur ne disait-il pas a ses eleves : « II n'est pas permis a ceux qui s'instruisent eux-memes ou doivent instruire les autres d'ignorer la science des saintes Ecritures »1.
CULTURE PREPARATOIRE
La premiere condition du travail exegetique est, comme dans l' Antiquite tardive et Ie tres haut Moyen Age, l'acquisition d'une culture preparatoire, une propedeutique a l'etude de la Bible2 • L'exegete doit d'abord bien connaitre les langues dans lesquelles etait conserve Ie texte biblique. 14· M. D. CHENU [92], pp. 199 et s. 15· « Bibel im Judentum» [2], col. 72. H. HALPERIN, « De l'utilisation par les chr6tiens de l'ceuvre de Rachi », dans Rachi, ouvr. collectif sous la direction de M. SPERBER, Paris, 1974, pp. 163-200. Sur Nicolas de Lyre, cf. de LUBAC [II], IV, pp. 344 et s.
1. De Institutione clericorum, III, I. 2. H. MARROU, Saint Augustin ella fin de la culture antique, Paris, 1937, pp. 431 et s.; P. RICHE [72], passim.
Etudier la Bible Des 789, dans un des artieles de l' Admonitio generalis, Charlemagne exige que la grammatica, c'est-a-dire la langue latine, soit enseignee dans toutes les ecoles. Alcuin dans son traite sur l'orthographe et dans son De grammatica reprend en les adaptant les enseignements des grammairiens anciens particulierement Donat. II veut faire disparaitre barbarismes et solecismes, etablir une ponctuation et une orthographe correctes. pourtant la nature du latin biblique n'est pas sans poser des problemes a ceux qui cherchent a retrouver une langue digne des grammairiens anciens 3 • Deja Gregoire Ie Grand avait affirme dans sa fameuse preface des Moralia in Job qu'il etait « inconvenant d'assujettir les paroles de 1'oraele celeste aux regles de Donat », phrase qui a ete bien souvent reprise par les lettres du Moyen Age. Au rxe sieele, Alvar de Cordoue et Gottschalk d'Orbais opposent volontiers la Bible a Donat. Smaragde, abbe de Saint-Mihiel, trouve la solution en ecrivant une sorte de« grammaire chretienne » qui heureusement va faire 1'objet d'une edition4• Dans Ie poeme qui precede l' ouvrage, il chante les louanges de la grammaire : « lci vous trouverez cette mesure d' or qui vient du ciel et dont Ie Saint-Esprit lui-meme nous a gratifies. C'est Ia qu'il nous raconte les grandes actions des patriarches, Ia que resonne Ie lyrisme des psaumes : ce petit livre est plein de dons sacres, il contient 1'Ecriture, il est parfume de grammaire. Or l'Ecriture ens eigne a chercher Ie royaume de Dieu, a se detacher de la terre, a s'elever plus haut, elle promet a tous les bienheureux ses bienfaits celestes: vivre avec Ie Seigneur, habiter toujours avec Lui. La grammaire done, par la bonte de Dieu, accorde de grands biens a ceux qui la lisent avec soin »5. Smaragde, tout en connaissant bien Ie latin elassique, justifie les formes que l' on trouve dans la Bible et qui pourraient passer pour des incorrections. Puis que Ie texte sacre a ete ecrit sous 1'inspiration du Saint-Esprit, on doit abandonner dans certains cas les regles de Donat. D'autre part Smaragde sait 1'influence que 1'hebreu a pu avoir sur la constitution du latin chretien. Comme d'autres exegetes, il parle avec admiration de la langue de « nos peres les Hebreux ». Pourtant il est peu vraisemblable que l'hebreu dont on celebre la perfection ait ete objet d'etude a 1'epoque carolingienne. Lorsque les lettres citent des termes hebreux, ils utilisent les ecrits de saint Jerome. Quelques allusions nous font penser que Theodulf d'Orleans, Florus de Lyon et Pas chase Radbert connaissaient l'hebreu, mais leur science devait etre assez elementaire. Ce qui est certain c'est que les exegetes carolingiens res tent en contact avec les rabbins juifs et discutent de 1'interpretation de l'Ancien Testament6• Deja a la fin du VIlle siecle, Pierre de Pise avait eu a Parme une disputatio avec Ie juif Lull dont Ie 3· P. RICHE [73], pp. 234-235. 4· Edition en preparation par L. HOLTZ et B. LoFSTEDT pour Cc. 5· MGH, Poet. lat., 1,607; trad. J. LECLERCQ [9], p. 48. 6. P. RICHE [73], pp. 96 et s.
Methodes de I'exegese carolingienne
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texte est malheureusement perdu. Au rxe sieele, Claude de Turin evoque les discussions entre maitres juifs et chretiens et Paschase Radbert doit tenir quelques-unes de ses connaissances d'un juif, 1'« Hebraeus moderni temporis », auquel Raban Maur se refere ; est-il un rabbin ou un juif converti7 ? On en discute encore. Ce qui est certain, c'est que l'auteur des Quaestiones hebraicae in libros Regum et paralipomenon, inserees parmi les livres de Jerome, etait un juif chretien converti qui ecrivait au rxe sieeles. Le grec, troisieme langue biblique, etait certainement mieux connu que l'hebreu9 • Charlemagne lui-meme, dit Eginhard, comprenait Ie grec sans Ie parler. Les ambassades qui se multiplient entre Occident et Orient au rxe sieele ont renforce les liens culturels entre les deux mondes. Ainsi peut-on expliquer la circulation en Occident des manuscrits bibliques grecs ou bilingues que mentionnent les catalogues des bibliotheques et que l'on a conserves dans les fonds des manuscrits 10• II s'agit surtout des psautiers mais aussi des textes des Evangiles et des Epitres. A Saint-Denis, des moines savaient Ie grec. Des lrlandais, tels Sedulius, Martin Scot et surtout Jean Scot Erigene, connaissent egalement cette langue. Sedulius Scotus avait meme recopie en grec un recueil des Epitres pauliniennes et avait transcrit Ie psautier. Les lrlandais installes dans la peninsule italienne ont ravive les etudes du grec comme en temoignent les lettres ecrites par un Scot de Milan sur la traduction du psautier en grec. A Rome, en ltalie du Sud, Ie grec continue a etre etudie dans les milieux ecelesiastiques. De l'etude des langues, passons a celle des arts liberaux dont la connaissance est necessaire pour comprendre la Bible. Saint Augustin, dans son De doctrina christiana, Cassiodore dans les Institutiones avaient justifie l'utilisation des arts liberaux. Gregoire Ie Grand, quoi qu'on en ait dit, acceptait Ie recours a ce qu'il appelait les « sciences exterieures » : « Bien que cette culture contenue dans les livres profanes ne serve pas par elle-meme au combat spirituel des saints, si elle est unie a la divine Ecriture, elle nous permet d'acquerir une connaissance affinee de cette meme Ecriture. Voila en verite Ie seul but de notre etude des arts liberaux : comprendre plus finement les paroles de Dieu grace a la formation qu'ils nous procurent »11. Au VIne sieele, les moines anglosaxons affirment eux aussi que la Bible est superieure a tous les autres textes et qu'elle contient tous les genres litteraires. II convient alors pour en saisir toute la richesse d'avoir etudie la grammaire, Ie seul des arts
7. B. BLUMENKRANZ [99], p. 174. 8. Ed. A. SALTMAN, Pseudo-Jerome « Questiones on the hook of Samuel», Leyde, 1975. 9. P. RICHE [73], pp. 92 et s. 10. A. SIEGMUND, Die Ueherlieferung tier griechischen christlichen Literatur in tier lateinischen Kirche his zum Zl1lolften Jahrhundert, Munich, 1949, pp. 24 et s. I I . In I Reg. 5, 84 (CC, Iff, p. 471). Cf. Cl. DAGENS, Gregoire Ie Grand, Cultures et experience chretiennes, Paris, 1977, pp. 50 et s.
Etudier la Bible liberaux qui merite un interet : « Surtout applique-toi sans cesse a la lecture de la Bible et des textes sacres, ecrit Aldhelm a son disciple. Si en outre tu veux connaitre quelques parties des lettres seculieres, fais-Ie surtout dans Ie but suivant : puisque dans l'Ecriture, tout, ou presque tout, I'enchainement des mots repose entierement sur la grammaire, tu comprendras d'autant plus facilement a la lecture les sens les plus profonds et les plus sacres de ce meme langage divin que tu auras appris les regles les plus differentes de l'art qui forme sa trame »12. Dans son De schematibus et tropis Sanctae Scripturae, Bede Ie Venerable constate que la Bible utilise des figures, des formes, des schemes speciaux, qu'elle affecte des themes metaphoriques et des tropes. II faut donc pour comprendre la Bible connaitre ces figures. Charlemagne, conseille par Alcuin, ne fait que reprendre ces principes dans l' Epistola de litteris colendis : « Puis que dans l'Ecriture sainte nous trouvons inseres des schemes, des tropes et d'autres figures semblables, il n'est pas douteux que celui qui les lit en comprend plus facilement Ie sens spirituel, qu'il a ete auparavant mieux et plus profondement instruit dans la science des lettres. II faut done choisir pour cela des hommes qui aient Ie desir et la capacite d'apprendre et Ie gout d'instruire les autres »13. La grammaire et la rhetorique ne sont pas, du moins dans la premiere Renaissance carolingienne, etudiees pour elles-memes mais en vue de recherches exegetiques. II en est de meme pour les arts du quadrivium qui permettent de connaitre la realite des choses et doivent aider l'exegete dans son commentaire allegorique. Ainsi comme Ie dit Alcuin :« Le jeune homme pourra s'avancer tous les jours sur Ie chemin des arts jusqu'a ce que son age plus mur puisse atteindre Ie sommet des saintes Ecritures »14. Parmi les arts liberaux, la troisieme branche du trivium, la dialectique, etait jusqu'alors assez peu honoree en raison des dangers qU'elle faisait courir a la foi. Pourtant, en relisant saint Augustin et particulierement Ie De ordine, les lettres carolingiens apprennent que la ratio est Ie principal element de notre res semblance avec Dieu et que la foi chretienne ne dispense pas de la recherche. Le chercheur chretien doit rentrer dans l'intelligence des mysteres et meme en rendre raison. L'argument d'autorite ne suffit plus, il faut Ie completer pour parvenir a l'intelligibilite de la foi et d'abord de l'Ecriturel5 • C'est encore saint Augustin qui, dans Ie De doctrina christiana, relu avec profit a l'epoque carolingienne, affirme : « La science du raisonnement est de beaucoup la plus importante pour les questions de tout genre qui sont a approfondir et a resoudre dans les saintes Ecritures »16. 12. Ep. a Aethilwald. MGH. AUGt. Antiq.• XV. 500. 13· MGH. Capito I. p. 79; cf. P. RICHE [73]. p. 553. 14. PL. IOI. 854. 15· P. RICHE £74]. 16. De DOGtrina.... II. 31.
Methodes de I'exegese carolingienne
REVISION DU TEXTE BIBLIQUE
Pour mener a bien un commentaire de l'Ecriture, l'exegete doit travailler sur un texte convenablement etabli. Or il est certain que les manuscrits bibliques precarolingiens etaient remplis de fautes de copistes. Dans l' Admonitio generalis de 789, Charlemagne demande que l' on corrige bien les livres catholiques et plus tard, dans l' Epistola generalis, il rappelle qu'il a depuis longtemps corrige soigneusement tous les livres de l' Ancien et du Nouveau Testament alteres par l'imperitie des copistes. Comme Ie dit un poete de cour, « Charles a mis autant d'ardeur a supprimer les incorrections des textes qu'a vaincre ses ennemis sur les champs de bataille »17. Encourage par Ie roi franc, freres et moines rivalisent d'ardeur i corriger les manuscrits de l'Ecriture qu'ils possedent dans leurs bibliotheques. D'autre part, appliquant a la Bible Ie desir d'unification qui caracterise sa politique, Charlemagne souhaite que toutes les eglises possedent la meme version biblique. Nous avons vu dans la premiere partie de ce livre comment la Vulgate de saint Jerome etait encore concurrencee par la Vetus Latina et l'Itala I8 • Le psautier se presentait ici sous sa forme romaine, Ii sous sa forme gallicane. Des manuscrits venus des lIes britanniques et de l'Espagne circulaient sous plusieurs versions si bien que l'on trouvait, comme l'a ecrit Samuel Berger, « un melange desolant de textes excellents et de textes detestables, quelquefois deux traductions du meme livre juxtaposees, les anciennes versions melees i la Vulgate dans une confusion indicible et les livres de la Bible copies dans chaque manuscrit dans un ordre different ». Pour remedier a cet etat de choses, Charlemagne encouragea les efforts de revision de l'abbe de Corbie, Maurdramne (772-781), et de l'eveque d'Orleans Theodulf. Vers 797, il demanda a Alcuin, alors abbe de Saint-Martin de Tours, d'entreprendre la revision de la Bible. Alcuin et son equipe tourangelle travaillerent activement a cette reuvre; il put offrir sa version a Charlemagne Ie jour de Noel 801 pour l'anniversaire de son couronnement. Si Ie manuscrit d'Alcuin a disparu, la Bible conservee a Monza parait Ie texte Ie plus proche de l'exemplaire offert a Charlemagne. Au IXe siecle, les Bibles alcuiniennes se multiplient partout sans que pour autant les anciennes versions disparaissent comme en temoignent les citations relevees dans l'reuvre d'HincmarI9.
17. MGH, Poet. lat., I. p. 89. Cf. Laura LIGHT. {( Versions et revisions du texte biblique ». supra, pp. 56 et 19. J. DEVISSE [68]. pp. IZ39 et S.
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S.
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«
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Methodes de l'exegese carolingienne
Etudier la Bible
INTRODUCTORES
»
ET
« EXPOSITORES »
Dans Ie livre I de ses Institutiones, Cassiodore, apres avoir presente les differents livres de l' Ancien et du Nouveau Testament, cite les ouvrages de ceux qu'il appelle les introductores et les expositores. Les premiers donnant les regles generales de l'hermeneutique, les seconds donnent les commentaires des Peres de l'Eglise sur les differents livres de la Bible. Les Carolingiens reprennent cette distinction methodologique.
Introductores Saint Augustin est Ie premier d'entre eux. Son manuel, Ie De doctrina christiana, avait ete un peu oubHe jusqu'au VIlle siecle et fut redecouvert a l'epoque carolingienne20 • Lorsque Raban Maur redige son De institutione clericorttm, il rep rend bien des passages du traite de saint Augustin. Ainsi les chapitres 2 a 15 de son livre III presentent les difficultes des interpretations exegetiques telles que l'eveque d'Hippone les avait exposees. Les Instituta de Junilius conservees dans vingt-cinq manuscrits sont connues des Anglo-Saxons et des Carolingiens. Les Formulae spirituaNs intelligentiae d'Eucher de Lyon, resumees au vm e siecle, se trouvent dans beaucoup de bibliotheques. Le Hvre VI des Erymologies d'Isidore de Seville, intitule De libris et ojficiis ecclesiasticis, detache de l'reuvre isidorienne est utilise par les exegetes. II y a egalement peut-etre en Espagne les scripturarum claves attribuees au pseudo-Meliton21• De l'Irlande, ou des Ie VIle siecle des groupes d'exegetes travaillent activement22 , provient Ie pseudo-Augustin, De mirabilibus sacrae scripturae23 , et Ie Liber de divinis scripturis 24 • Pour connaitre les lieux signales dans les Hvres saints, l'exegete dispose du traite de saint Jerome, Liber de situ et nominibus locorum hebraicorum25, et des itineraria 26, c'est-a-dire des descriptions de la Palestine; 20. I. OPELT, {( Materialen zur Nachwirkung von Augustinus Schrift De Doclrina christiana»,
dans Jabrbucb f. Antike und Cbri.rlenlll1J1, 1974, pp. 64-73.
21. STEGMULLER [17], n. 5574, l'edition de Dom PITRA, Spicileg. Solemmense, III, 1855, pp. 420-421, n'a pas ete remplacee. 22. BISCHOFF [66]. . 23. PL, Jf, 2146-2200, cf. M. SIMONETTI, {( De mirabilibus sacrae scripturae un trattado l!landese sui miracoli della sacra scrittura », dans Romano Barbarica, 4, 1979, pp. 225-251. 24. PL, 8J, 1203-1218; cf. D. de BRUYNE, {( Etude sur Ie Liber de divinis scripturis », dans RB, 4f, 1933, pp. 1I9-141, et J. J. CoNTRENI [67], p. 79. 25. Ed. P. de LAGARDE, Onomastica Sacra, G6ttingen, 1870. 26. ltineraria Hierosolymitana, ed. CC, series latina, t. 175 et 176, 1965; cf. Oavis XV, n. 2324 a 2333.
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Ie plus celebre est celui d' Adamnan de Iona, De locis sanctis, redige a la fin du vue siecle a partir de notes que lui avait fournies l'eveque Arculf apres son pelerinage en Terre sainte27 • Bede Ie Venerable avait lui aussi compose un traite de geographle biblique (Liber de locis sanctis) et y avait ajoute un ouvrage d'onomastique tire des Actes des Apotres, Liber regionum atque locorum de actibus apostolorum 28 • Pour l'histoire du peuple juif, l'exegete disposait du livre de Joseph, Antiquitisjudai'ques29, et de celui d'Eusebe de Cesaree traduit par saint Jerome. A la suite d' Augustin, d'Isidore et de Bede, Claude de Turin etabHt une chronologie biblique ou il presentait les grandes etapes de l'hlstoire du monde depuis la creation30 • Les differents personnages bibHques etaient signales dans Ie traite d'Isidore : Liber de ortu et obitum patrum, ou dans l'ouvrage anonyme, sans doute irlandais, Liber de ortu et obitu patriarcarum3 1, et dans Ie pseudo-Bede, Interpretatio nominum hebraicorum32 • On trouvait dans l'Hexameron de saint Ambroise ou dans Ie Physiologus latin33 la signification du nom des animaux et des plantes, tandis que la valeur symbolique des nombres etait expliquee par Ie Liber numerorum d'Isidore de Seville mais aussi par Ie traite De numeris attribue faussement a Isidore et qui venait sans doute des milieux irlandais34•
Expositores Voulant imiter Cassiodore, Notker Ie Begue envoya a la fin du siecle a Salomon de Constance un manuel qui presente les differents commentaires que l'on doit utiliser et il l'intitule Notatio de illustribus viris qui ex intentione sacras scripturas exponebant aut ex occasione quasdam sententias divinae auctoritatis explanabanf35. Notker presetlte pour chaque livre de la Bible les exegetes les plus eminents qui font autorite. II consacre Ie chapitre Ier a ceux qui ont ecrit sur la Genese, l'Exode, Ie Uvitique, Ie Nombre, Ie Deuteronome, etc. Le chapitre II a ceux qui ont commente Ie Psautier, les Proverbes, l'Ecclesiaste et Ie Cantique des Cantiques, puis vient un chapitre particulier au commentaire de Job; i1 poursuit avec les commentaires des livres du Nouveau Testament. Parmi les commentateurs, les quatre Peres Augustin, Jerome, Ambroise IXe
27. Ed. D. MEEHAN (Scriplores latini hiberniae, III), Dublin, 1958. 28. Ed. LAlsTNER, Cambridge (Mass.), 1939, pp. 147-158. 29. Ed. BLATT, The latin Josephus, 1952. 30. PL, I04, 918-926; cf. B. GUENBE, Hisloire el culture hirlorique dans l'Occidenl medieval, Paris, 1980, pp. 150-152. 31. PL, 8J, 1275-1294. 32. PL, 9J, IlOI-1104· A. SmGMUND, op. cil., pp. 128-129. 33. 34. R. E. Mac NALLY, Der irische Liber de nll1J1eris, Munich, 1957, et {( lsidorian pseudepigrapha in the early middle ages », dans Isidoriana, Leon, 1961, pp. 304-316. 35. PL, I JI, 993-1°°4.
a.
Btudier la Bible et Gregoire jouissent du plus grand credit. Parmi eux, il faut faire une place particuliere a Gregoire dont tous les savants du haut Moyen Age connaissent l'reuvre et particulierement les Moralia in Job 36• En dehors des quatre docteurs de l'Eglise Origene est tres souvent cite et particulierement apprecie par Claude de Turin et Raban Maur. Enfin Bede, dont l'reuvre exegetique annonce celie des Carolingiens, apparait, pour reprendre Ie mot de Notker, comme « un nouveau soleil surgi de l'Occident pour illuminer toute la terre ». L'reuvre des Peres est si vaste qu'on la connait souvent par des extraits tels ceux que Paterius avait faits apartir des ouvrages de Gregoire Ie Grand37, des extraits des Moralia in Job composes par l'Irlandais Lathcen38• Des Des britanniques proviennent Ie De luminaribus ecclesiae du pseudo-Bede39 et les excerptiones Patrum regroupent plusieurs commentaires patristiques. On trouve egalement des extraits sous d'autres formes: les uns suivent l'ordre des livres des Ecritures, les autres sont organises par themes doctrinaux en Sententiae comme l'avait fait Isidore de Seville et Julien de Tolede. Les Carolingiens, dont Ie gout pour les florileges a ete souvent remarque, composent eux aussi des extraits de commentaires scripturaires tels les Collectiones in Epistolas et Bvangelia de Smaragde de Saint-Mihiel40 et Ie Florilegium ex sacra scriptura que Prudence de Troyes ecrit pour aider ceux qui s'appretent a recevoir les ormes sacres 41• A leur tour les Carolingiens ont ete des expositores et, en s'appuyant sur les Peres et Ie plus souvent en les imitant, ils ont multiplie les commentaires de l'Ecriture. Les tableaux etablis a partir du repertoire de Stegmiiller permettront de nous rendre compte de l'importance de leur reuvre exegetique. ANCIEN TESTAMENT
Genese. Alcuin (n. 1084-1085), Angelome de Luxeuil (n. 1334), Bede (n. 1598), Pseudo-Bede (n. 16p.), Remi d'Auxerre (n. 7094), Raban Maur (n. 7021). Exode. Bede (n. 1602), Pseudo-Bede (n. 1648), Raban Maur (n. 7022). Levitique. Pseudo-Bede (n. 1649 et 1656), Claude de Turin (n. 1951), Raban Maur (n. 7024), Walafrid Strabon (n. 8319). Nombres. Pseudo-Bede (n. 165°-1657), Raban Maur (n. 7025). ,6. De LUBAC [II], 1,2, p. 537. 37- PL, 89, 68,-916. ,8. &Ioga de Moralibus Job quae Gregorius Jecit, ed. M. ADRIAEN, CC, I41 (1969). ,9· PL, 94, 522. Sur ces extraits cf. C. SPICQ [16], p. 12, et l'article « Florileges » dans DSp, V, 5,6 et s. 40. PL, I02, 1,-14; cf. de LUBAC [II], II, I, pp. 279-280. 41. PL, I I I, 1422-144°.
Metbodes de I'exegese carolingienne
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Deuteronome. Pseudo-Bede (n. 1658), Raban Maur (n. 7027). Josue. Pseudo-Bede (n. 1659), Claude de Turin (n. 1952), Raban Maur (PL, Io8, 999-II08).
Juges.
Pseudo-Bede (n. 1660), Raban Maur (n. 7031). Ruth.
Pseudo-Bede (n. 1661), Raban Maur (n. 7032). Rois.
i
'('
Bede (n. 1603-1606), Pseudo-Bede (n. 1662), Angelome de Luxeuil (n. 1335-1338), Claude de Turin (n. 1954-1955), Raban Maur (n. 70337036), Theodemir de Psalmodi (n. 7976). Chroniques. Raban Maur (n. 7°37). Esdras et Nehemie. Bede (n. 1607). Tobie. Bede (n. 1608). Judith. Raban Maur (n. 7038). Esther. Raban Maur (n. 7039)' Job. Aucun commentaire. Psaumes. Alcuin (n. 1088-1090), Florus de Lyon (n. 2274), Pas chase Radbert (n. 6261), Prudence de Troyes (n. 7016), Remi d'Auxerre (n. 72II), Walafrid Strabon (n. 8324). Proverbes. Bede (n. 1609-1668). Ecclesiaste. Alcuin (n. 1093). Cantique des Cantiques. Alcuin (n. 1°92), Angelome de Luxeuil (n. 1339), Bede (n. 1610), Haimon d'Auxerre (n. 3065-3079), Hincmar de Reims (n. 3562). Sagesse. Bede (n. 1674), Pseudo-Bede (n. 1065-1066), Raban Maur (n. 7052). Ecclesiastique. Bede (n. 1675), Raban Maur (n. 7°53). [sai'e. Bede (n. 16II), Joseph Scot (n. 5146), Raban Maur (n. 7053), Remi d' Auxerre (n. 3083). Jeremie. Raban Maur (n. 7054).
Etudier la Bible Lamentations. Pas chase Radbert (n. 6262), Raban Maur (n. 7°55). EZechiel. Raban Maur (n. Daniel. Raban Maur (n. Petits prophetes. Remi d'Auxerre Habacuc. Bede (n. 1612). Maccabee. Raban Maur (n.
7056). 7057).
(n. 3070 et 3088).
7°58 et 7059). NOUVEAU TESTAMENT
Matthieu. Pseudo-Alcuin (n. 1110), Pseudo-Bede (n. 1678 et 7061), Christian de Stavelot (n. 1926), Claude de Turin (n. 1958), Florus de Lyon (n. 2275), Pasehase Radbert (n. 6263), Remi d' Auxerre (n. 7226), Raban Maur (n. 7060), Sedulius Seotus (n. 76°3), Walafrid Strabon (n. 8326). Marc. Bede (n. 1613), Sedulius Seotus (n. 1604). Luc. Christian de Stavelot (n. 1927), Sedulius Seotus (n. 76°5). Jean. Alcuin (n. 1096), Pseudo-Bede (n. 1680), Christian de Stavelot (n. 1928), Florus de Lyon (n. 2275), Jean Scot (n. 4959)' Actes des Apotres. Bede (n. 1615 et 1616), Pseudo-Bede (n. 1682). Epitre aux Romains. Claude de Turin (n. 1959), Florus de Lyon (n. 2.2.77 et 692.0), Haimon d'Auxerre (n. 3071, 3101, 3114), Raban Maur (n. 7064), SeduIius Seotus (n. 7608). Epitre aux Corinthiens. Claude de Turin (n. 1960, 1961), Florus de Lyon (n. 692.1, 692.2), Haimon d'Auxerre (n. 3071, 3101, 3114), Raban Maur (n. 7°65, 7066), SeduIius Seotus (n. 76°9, 7610). Epitre aux Galates. Claude de Turin (n. 1962.), Florus de Lyon (n. 2280, 692.3), Haimon d' Auxerre (n. 3°71, 3104), Raban Maur (n. 7067), SeduIius Seotus (n. 7 616). Epitre aux Ephesiens. Claude de Turin (n. 1963), Florus de Lyon (n. 2.2.81 et 6924), Haimon d'Auxerre (n. 3°71 et 3105), Raban Maur (n. 7068), Sedulius Seotus (n. 7612). Epitre aux Philippiens. Florus de Lyon (n. 22.82. et 692.5), Haimon d'Auxerre (n. 3106, 3101 et 3114), Raban Maur (n. 7069), Sedulius Seotus (n. 7613).
Methodes de I' exegese carolingienne
157
Epitre aux Colossiens. Florus de Lyon (n. 2283 et 692.6), Haimon d'Auxerre (n. 3°71, 3101 et 3114), Raban Maur (n. 7070), SeduIius Seotus (n. 7014, 7607 et 7621). Epitre aux Thessaloniciens. Florus de Lyon (n. 2.284, 2.2.85, 692.7, 692.8), Haimon d'Auxerre (n. 3°71, 3101, 3104, 3107, 3108), Raban Maur (n. 7°71, 7072.), SeduIius Seotus (n. 76°7, 7615, 7616, 762.1). Epitre a Timothee. Florus de Lyon (n. 2.286, 2287, 692.7, 6930), Haimon d'Auxerre (n. 3°71, 6110, 611 I, 3101, 3114), Raban Maur (n. 7073, 7074), SeduIius Seotus (n. 7606, 7617, 762.1). Epitre a Tife. Alcuin (n. 1097), Florus de Lyon (n. 2288 et 6931), Haimon d'Auxerre (n. 3°71, 3101, 3112.), Raban Maur (n. 7075), SeduIius Seotus (n. 76°7, 7619, 7621 ). Epitre a Philimon. Alcuin (n. 1°98), Claude de Turin (n. 1971, 1972), Florus de Lyon (n. 2.989, 6932.), Haimon d'Auxerre (n. 3°71, 3101, 3113), Raban Maur (n. 7076), Sedulius Seotus (n. 762.0). Hebreux. Alcuin (n. 1099), Claude de Turin (n. 1973 et 3 I 39), Florus de Lyon (n. 2.990 et 6933), Haimon d'Auxerre (n. 3I 14,3°71), Raban Maur (n. 7077), SeduIius Seotus (n. 762.1). Jacques. Bede (n. 1632.). Pierre. Jean. Jude.
Bede (n. 1638). ApocalYpse. Aleuin ou pseudo-Bede (n. 1102. et 1684), Ambroise Autpert (n. 12.75), Beatus de Liebana (n. 1597), Bede (n. 1640), Berengaud (n.. 1711), Haimon d'Auxerre (n. 3072., 312.1 et 72.47), Pseudo-Isidore (n. 5271).
Ces tableaux sont en soi suffisamment eloquents pow: saisir l'importance de la production exegetique carolingienne. Si certains commentatew:s sont bien connus tels Raban Maw: et Christian de Stavelot:42 , d'autres sont redecouverts, tel Haimon d'Auxerre. L'reuvre d'un Claude de Turin meriterait une etude particuliere43• Autre constatation, contrairement a ce qu'on pourrait penser, a une epoque de civilisation vetero-testamentaire, l' Ancien Testament est moins commente que Ie Nouveau. Bnfin certains livres ont retenu davantage l'attention des De 43· Cf. 42.
LUBAC [II],
J. J.
n,
CoNTRENI
pp. 201 et [67], passim.
1,
204.
Methodes de I'exegese carolingienne
Etudier la Bible exegetes, Ia Genese, Ie Cantique des Cantiques, Ies Psaumes, Ie Livre des Rois et, pour Ie Nouveau Testament, c'est l'Evangile de Matthieu et les Epitres de Paul qui l'emportent sur les autres livres.
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QUAESTIONES
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ET
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RESPONSIONES
»
Parmi les commentaires exegetiques, i1 faut faire une place a part aux questions et reponses, genre litteraire bien connu a l'epoque patristique44• Au cours de sa lectio de la Bible, l'exegete remarque tout ce qui pose question, qu'il cherche a resoudre avec l'aide de son raisonnement et de son erudition, a repondre aux difficultes que lui pose un correspondant fictif ou reel. Tandis qu'Isidore de Seville, dans ses deux livres de Quaestiones, suit l'exemple des Peres, Julien de Tolede s'engage dans une veritable critique exegetique en tentant de surmonter les contradictions qui existent entre les deux Testaments 4S• De l'Espagne du VIne siecle vient sans doute Ie Liber de variis quaestionibus 46 , attribue a Isidore, et peut-etre d'Irlande Ie De veteri et novo Testamento quaestiones47 • En Angleterre, Bede Ie Venerable repond a trente quaestiones sur Ie Livre des Rois, sous son nom sont ecrites des questions sur l'Exode, Ie Levitique, les Nombres, Ie Deuteronome, etc. 48 • Les Carolingiens, pedagogues par excellence, se plaisent a poser des questions et a y repondre en utilisant soit les autorites, soit les arguments rationnels. Ces questions sont de differents types : les unes peuvent etre d'ordre litteraire, portant sur des formes grammaticales du mot ou sur des allusions historiques et geographiques. Ainsi l'archldiacre Pierre avait pose et resolu, sur l'ordre de Charlemagne, soixante-neuf quaestiones sur Daniel49• Que veut dire Ie mot « Naphte », que veulent dire les dix cornes de la Bete dont parle l'auteur? Quelles sont les provinces gouvernees par Nabuchodonosor ? Pourquoi torques est au feminin alors que chez Tite-Live Ie mot est au masculin? D'autres questions sont plus en rapport avec les problemes religieux : ainsi Wicbod, abbe de Saint-Martin de Treves, met dans la bouche de son disciple les questions suivantes : «Je dois rechercher quel est l'auteur du livre appele chez nous la Genese?
44. G. BARDY,« La litterature des quaestiones et responsiones sur l'Ecriture sainte », dans RB, 1932, pp. 216-236 et 341-369. 45. Antikeimon hOG est contrapositorum sive Gontrariorum in speciem utriusque Testamenti locorum, PL, ')6, 587-704. 4?: Sur l'~uteur de cet ouvrage cf. J. N. Hn.LGARTH,« The position of Isidorian Studies: A crltlca1 reVIew of the literature since 1935 », dans Isidoriana, Leon, 1961, pp. 30-31. 47. Ed. Mc NALLY, CC, 108 B, 1973. 48. STEGMULLER [17], II, 1648, 1656 a 1658. 49· PL, 96, 1347.
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Pourquoi dans la vision qui apparait a Moise dans Ie desert est-ce tantot l'ange, tantot Dieu qui est nomme? » Le dialogue qui s'engage utilise saint Augustin, saint Jerome, Eucher, etc. 50. Le Wisigoth Claude de Turin repond a trente quaestiones que lui avait posees l'abbe Theodemir. Son compatriote Agobard de Lyon repond aux objections de l'AngloSaxon Fredegise dans un traite qui meriterait lui-meme une etude5l• Scrotant l'Ecriture, posant des questions et tentant d'y repondre, l'exegete carolingien s'engage dans la voie de la speculation theologique. La theologie carolingienne, premiere manifestation encore modeste de la theologie medievale, est nee de la redecouverte de la dialectique et de l'etude plus approfondie de la Bible et des commentaires patristiques. Paschase Radbert et Ratramne de Corbie, lorsqu'ils traitent l'un de l'enfantement du Christ par la Vierge, l'autre de la naissance du Christ et lorsque tous les deux exposent leurs idees sur l'Eucharistie, utilisent leur solide connaissance de la Bible62 • Gottschalk d'Orbais, meme s'il est plus grammairien que theologien, comme l'a montre Jean Jolivet, connait bien l'Ecriture comme en temoignent plus de deux mille citation~ de l' Ancien et du Nouveau Testament63 • Jean Scot Erigene, Ie premler des grands theologiens medievaux, part lui aussi de l'Ecriture, cette Foret profonde aux branchages innombrables, cette mer immense, cet abime insondable qui offrent une gamme de sens aussi nombreux que les couleurs de la queue du paon64• Le travail de l'intellectuel chretien est d'interpreter Ie donne reveie : « Le Saint-Esprit, dit l'Irlandais, a depose dans Ie texte sacre un nombre infini de sens, c'est pourquoi l'interpretation d'aucun commentateur ne detroit celle des autres pourvu qu'elle s'accorde avec la saine foi et la profession catholique »66. Mais l'intellectuel doit utiliser la raison que Dieu a mise en l'homme : « II n'est point de salut pour les ames fideles si ce n'est de croire aux verites qui leur sont enseignees ... et de saisir par l'intelligence les verites qu'elles croient »66. Dieu qui s'est manifeste dans les Saintes Ecritures demande de nous un effort:« C'est a la sueur de son front que la raison de l'homme doit manger son pain, c'est-a-dire cultiver la terre des Saintes Ecritures couverte pour elle d'epines et de ronees c'est-a-dire de la subtile
50. PL, ')6, II05; cf. M. M. GORMAN, « The Encyclopedic Commentary on Genesis prepared for Charlemagne by Wigbod», dans ReGh. Ang., 1982. 51. a. J. CHATILLON,« Isidore et Origene. Recherches sur les sources et l'influence des Questiones in fletere Testamento d'Isidore de Seville », dans Melanges A. Robert, 1957, pp. 537547; AGOBARD, Liber contra objectiones Fredegirir, PL, I04, 159-174. 52. J.-P. BOUHOT, Ratramne de Corbie, Paris, 1976, pp. 50-57. 53. Dom LAMBOT, Introduction a I'idition des OiHtJreS thiologiques et grammaticales, Louvain, 1?45, et J.)OLIVET, Godescalc d'Orbais et la Trinitl. La methode de la theologie a I'lpoque carolingtenne, ParIS, 1958. 54. Sur ces c!ifferentes images, cf. de LUBAC [II], I, 1, pp. 1I9 et s. 55. Periphyseon, ill, 24, PL, I22, 690. 56. Ibid., col. 556.
Etudier la Bible complexite des pensees divines »57. Reconnaissons que Jean Scot, dans Ie Perip~seon ou dans Ie commentaire qu'il fit sur saint Jean, a bien rempIi, non sans risques, Ie programme qu'il s'etait assigne.
LES DIFFERENTS SENS DE L'EcRITURE
Pour terminer cette rapide presentation du travail de l'exegete carolingien, rappelons, en renvoyant au livre d'Henri de Lubac, que la lecture de l'Ecriture peut se faire a des niveaux differents 58 • Origene et les Peres en avaient deja expose les principes qui sont repris par les Carolingiens. Les uns suivent les sept regles de Tychonius qui a encore des lecteurs 59, d'autres, plus nombreux, etudient la Bible selon les trois sens comme l'avait fait Bede Ie Venerable, mais, Ie plus souvent, ils adoptent deja la voie des quatre interpretations. Le premier sens est celui de l'histoire, c'est celui que Christian de Stavelot prefere : « Je me suis efforce de suivre Ie sens historique plus que Ie sens spirituel car il me parait deraisonnable de chercher dans un livre l'interpretation spirituelle quand on ignore l'interpretation historique. L'histoire est Ie fondement de toute interpretation et c'est elle qu'il faut saisir en premier lieu; sans elle on ne peut legitimement passer a une autre interpretation »60. Le deuxieme sens est celui de l'allegorie ou de la typologie qu'Origene avait particulierement enseignee. L'interpretation spirituelle et figuree des recits bibliques permet l'identification de la foi revelee dans Ie Nouveau Testament. Le troisieme sens moral ou tropologique dont Gregoire Ie Grand avait donne une magnifique illustration dans ses MoraNa in Job conduit a la conversion des mceurs. L'Ecriture est un miroir dans lequel chacun doit se regarder afin de pouvoir diriger sa conduite. L'exegese monastique a particulierement privilegie ce troisieme sens car, nous dit Smaragde de Saint-Mihiel dans Ie Diademe des moines: « Si Ie moine cherche des regles pour bien vivre et y apprend comment dans les demarches de son cceur placer Ie pied de ses bonnes ceuvres, il trouve dans Ie texte sacre d'autant plus de profit qu'il progresse lui-meme davantage »61. Enfin l'anagogie conduit Ie chretien des choses visibles aux choses invisibles, vers l'esperance de la Jerusalem celeste. Toute lecture de l'Ecriture doit avoir son couronnement dans la contemplation mystique. Jean Scot Erigene interpretait a sa fas:on ces differents chemins de
Methodes de l' exegese carolingienne l'interpretation scripturaire lorsqu'il ecrivait dans son Homelie sur Ie Prologue de saint Jean: « La Divine Ecriture est comme un mode intelligible compose de quatre parties comme autant d'elements. La terre qui se trouve au milieu a la fas:on d'un centre, c'est l'histoire, aut~ur de laquelle, comme les eaux, est repandue la mer, au sens moral, les Grecs l'appellent ethique. Au-dela de l'histoire et de l'ethique qui s~nt, pour les ames, comme les parties inferieures de ce monde, s'etend l'air de la science naturelle laquelle est appelee par les Grecs physique. En dehors et au-dessus de tout cela, se trouve Ie feu subtil et ardent du ciel empyree, c'est-a-dire la contemplation subtile de la nature divine laquelle est appelee par les Grecs theologique »62. Pierre RICHE.
57· Ibid., col. 744. 58. De LUBAC [II].
59. P. GAZIER, « Le livre des regles de Tychonius. Sa transmission du De tiocJrina chri.rtiana aux Sentence.r d'Isidore de Seville », dans RE Aug., XIX, 1973, pp. 241-261. 60. PL, IOO, 1262, Expo.ritio in Evangelium Mal/hei. 61. Chap. 3, De /ectione, PL, I02, 598.
62. Ed. ]EAUNEAU, « Sources chretiennes », Paris, 1969, pp. 268-272. P. RICHE, G. LOBRICHON
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La Bible dans les ecoles du Xlr siecle
L'Ecriture reste, au xne siecle, ce qu'elle n'avait jamais cesse d'l~tre : la Parole de Dieu, la source de toute verite, la fontaine jaillissante dont les eaux vives donnent a l'enseignement de l'Eglise sa vigueur, sa force et sa fecondite, Ie pain que l'Esprit-Saint distribue aux fideles ann qu'ils s'en nourrissent et qu'ils en vivent. Tous ceux qui lisent, qui expliquent ou qui commentent l'Ecriture conservent done, a l'egard du texte sacre, cette attitude de respect et de docilite que la liturgie, la pratique de la lectio divina et celle de la meditatio leur avaient traditionnellement enseignee. Des tendances nouvelles cependant apparaissent. La renaissance spirituelle et l'esprit de reforme qui avaient marque la seconde moitie du xre siecle, l'evolution de la societe, celle de la pensee chretienne et celle du sentiment religieux lui-meme, sont a l'origine de comportements nouveaux. Les commentateurs, sans doute, ne renient pas les methodes d'interpretation que les generations precedentes leur avaient transmises. Nombre d'entre eux expliquent pourtant l'Ecriture, desormais, selon des techniques nouvelles ou dans un esprit nouveau. On en trouve d'abondants temoignages dans les commentaires ou les ecrits d'inspiration biblique, si divers, mais si riches, si foisonnants, parfois si libres et si originaux, que nous ont laisses un Rupert de Deutz, un saint Bernard, un Gerhoch de Reichersberg, ou tant d'autres maitres appartenant a l'ordre monastique ou a l'ordre canonial. Des changements d'attitude d'une autre nature se manifestent, cependant, chez les clercs appartenant au monde des ecoles, et c'est l'histoire de cette evolution qu'il convient ici d'esquisser.
Etudier la Bible
ECRITURE ET ECOLE
L'institution scolaire avait en effet connu, des la fin du Xle siecle, des transformations dont on connait aujourd'hui relativement bien l'histoire, au moins dans ses grandes lignes. Les ecoles monastiques, qui avaient joue un role si important durant tout Ie haut Moyen Age, tendaient a disparaitre. Les ordres anciens fermaient peu a peu celles qu'ils avaient longtemps dirigees et les ordres nouveaux se refusaient Ie plus souvent a en ouvrir. Les ecoles cathedrales et les ecoles urbaines, en revanche, celles surtout qui reussissaient a attirer et a retenir des maitres de renom, voyaient les etudiants accourir. Ce developpement etait accompagne d'un renouvellement des methodes d'enseignement qui affectait toutes les disciplines, depuis la grammaire et les arts liberaux, jusqu'a celIe a laquelIe on devait donner bientot Ie nom de theologie. Au debut du xn e siecle, il est vrai, ce mot ne revetait pas encore la signification qu'on devait lui donner plus tard et qui n'apparaitra que vers les annees I 12.0, avec la publication des premiers ouvrages d' Abelard. Les maitres a qui incombait la charge d'enseigner la doctrina sacra recouraient toujours a un vocabulaire ancien que Ie nouveau ne ferait que lentement disparaitre. La science sacree etait pour eux la pagina sacra. Cette expression rappelait a tous ceux qui auraient ete tentes de l'oublier que l'Ecriture etait au cceur meme de tout enseignement se rapportant aux mysteres de la foi et que la theologie prenait la sa source. Cette permanence du vocabulaire traditionnel ne doit pourtant pas faire illusion. Les changements qui s'accomplissaient au sein des ecoles avaient, entre autres consequences, celIe de modifier progressivement les methodes de lecture et d'interpretation de l'Ecriture auxquelIes les maitres avaient ete longtemps attaches mais qui ne leur suffisaient plus. Ces modifications etaient d'ailleurs si profondes, elles etaient si etroitement liees a une transformation des structures mentales et des assises culturelles sur lesquelIes l'etude des sciences sacrees avait ete traditionnellement fondee, que c'etait la relation meme des maitres ou des etudiants avec l'Ecriture qui en etait affectee. Pour comprendre la nature du changement qui s'amorce alors, il faut se souvenir de ce qu'etait la Bible, pour un lecteur du Xle siecie ou du debut du xue. Rappelons d'abord que Ie mot Biblia n'apparait guere dans la langue medievale. Le Moyen Age n'a connu que Ie mot grec, employe au neutre pluriel, ta biblia, que retiennent encore nos vieilles concordances imprimees pourtant apres la Renaissance: Bibliorum sacrorum concordantiae. Le feminin singulier biblia, ou biblia sacra, n'est venu que tardivement et n'a d'abord ete utilise que rarement. 11 a l'inconvenient de conferer une unite assez artificielle a un ensemble de livres compose
us ecoles du Xlle sieele a des epoques fort eloignees les unes des autres, appartenant aux genres litteraires les plus varies. On peut regretter que son emploi generalise ait affaibli en nous Ie sentiment de cette diversite et plus encore celui de cette densite historique, religieuse et spirituelle que la serie des livres saints porte en elle. Le vocabulaire medieval, sur ce point, etait plus riche, plus abondant et plus suggestif. Voyons par exemple, sans chercher a preciser toutes les nuances que leur diversite recouvre, les termes que saint Anselme de Cantorbery employait Ie plus couramment, a la fin du Xle siecie, et dont la liste a ete etablie par S. Tonini!. Comme beaucoup d'autres, Anselme parle parfois des « saints livres » (sacri libri, sac,-i codices), des « livres divins » (divini libri). 11 emploie plus souvent les expressions de sacra pagina, autentica pagina, auctoritas divina, auctoritas sacra ou simplement auctoritas. Mais Ie mot qui revient Ie plus frequemment sous sa plume est celui d' « Ecriture» (scriptura), accompagne Ie plus souvent d'epithetes qui formeront avec lui ces expressions, si courantes dans la litterature biblique ou theologique, dont nos langues modernes n'ont d'ailleurs pas perdu Ie souvenir: sacra scriptura, sancta scriptura, divina scriptura. D'autres expressions cependant, meme si elles sont plus rares, doivent nous arreter. Ce sont celles OU la notion de parole est substituee a celIe d'ecriture. Dans un langage, OU l'on decouvrirait peut-etre quelques resonances juridiques, Anselme parle en effet, a diverses reprises, des divina dicta ou des canonica dicta. Ce que nous fait connaitre l'Ecriture, ce sont donc les « dits » de Dieu, des « dits » qu'on peut appeler canoniques, parce qu'ils ont ete reconnus comme authentiques, comme emanant veritablement de Dieu, comme pourvus des lors de cette autorite irrecusable qui s'impose au croyant. Ailleurs, et mieux encore, invitant l'homme a preter attention aux enseignements de l'Ecriture et ales faire fructifier au-dedans de lui, Anselme se souvient de la parabole du semeur, pour rappeler, avec l'Evangile (Luc, 8, II), que cette semence qui tombe dans Ie cceur de l'homme, c'est 1a parole de Dieu : verbum Dei. Anselme se fait ici l'echo d'une affirmation a laquelle la tradition chretienne avait toujours ete attachee et selon 1aquelle l'Ecriture est une parole vivante. On y trouve en effet, disait deja saint Augustin, les eloquia Dei, « sortant sans cesse de la bouche meme de Dieu », et les paroles meme du Verbe: Verba Verbi 2 • Cette conviction que l'Ecriture etait une parole, celIe des Prophetes ou celle des Apotres, mais aussi celle de Dieu 1ui-meme, posait un probleme d'hermeneutique. S'il y a en effet une relation etroite entre la parole et l'ecriture, il y a aussi entre elIes une distance. La parole est en I. « La Scrittura nelle opere sistematiche di S. Anselmo. Concetto, posizione, significato », dans Ana/ecta anselmiana, II, 1970, p. 74. 2. a. M. PONTET, L'exegese de saint Augustin predicateur (coil. « Theologie », 7), Pads, s.d., p. II6; P. AGAESSE [I], col. 157.
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Etudier la Bible
effet premiere. Elie est aussi plus expressive, beaucoup plus apte a transmettre un message signifiant, a atteindre l'auditeur attentif, sans autre mediation que celie des sons que la voix emet et que l' oreille recueille. C'est elle qui etablit, entre celui qui parle et celui qui ecoute, une relation vivante, un echange, une communication qui leur permet de se reconnaitre et de se savoir presents l'un a 1'autre. L'ecriture, en revanche, comme on l'a souvent remarque, met la parole dans une situation equivoque. Sans doute a-t-elle l'avantage de fixer et de perenniser en quelque maniere la parole, de permettre de la retrouver. Mais, d'une certaine maniere aussi, elle la trahit et s'oppose a elle. Au discours qu'elle veut reproduire elle impose ses regles, ses normes et ses limites. Elle fait ecran entre les deux interlocuteurs. Les pieges de l'ecriture sont plus dangereux encore lorsqu'il s'agit de l'Ecriture divine, de cette ecriture dont l'ambition est de transmettre les paroles ineffables de Dieu. II n'y a aucune proportion entre les moyens d'expression dont dispose l'ecriture humaine et Ie message indicible qu'elle voudrait faire connaitre. Pour tenter de franchir cette distance infranchissable, Ie croyant doit done adopter des attitudes et des comportements specifiques. L'antique lecture de l'Ecriture, la lectio divina, Ie savait deja. Elle n'avait jamais ete une lecture comme les autres. Effectuee dans Ie silence ou au sein de la fonction liturgique et en relation etroite avec elle, elle devait deboucher sur la meditation et la priere. Elle etait une experience, enrichie ellememe par l'experience des communautes chretiennes et par celIe des saints qui avaient indefiniment lu, relu et medite les memes textes. C'est dans un tel environnement que la recherche des differents sens de l'Ecriture prenait toute sa signification et se pretait a des developpements dont les ecrits des Peres et des anciens commentateurs avaient donne auparavant l'exemple. Des methodes d'approche differentes allaient pourtant apparaitre dans les ecoles et, bien que les medievaux ne se soient pas toujours pose la question sous une forme aussi radicale, certains ne s'en etaient pas moins demande jusqu'a quel point elles etaient legitimes. lci encore, les problemes de vocabulaire ne peuvent etre negliges. Le mot grec schoie, et son equivalent latin schola, servaient a designer, primitivement, un temps de loisir ou de repos, et par suite un temps donne aux travaux de 1'esprit ou a la vie spirituelle. Si Ie mot ecole avait conserve cette signification premiere, on n' aurait sans doute eprouve aucune difficulte a faire de l' « ecole », ainsi comprise, Ie temps Ie plus propice a la lecture et a la meditation de l'Ecriture, a l'ecoute de la Parole. A quelie occupation plus convenable Ie croyant aurait-il pu occuper en effet son loisir, cet otium que les poetes latins avaient souvent celebre et dont la tradition chretienne avait transfigure Ie sens? Le mot schola pouvait d'ailleurs designer aussi, dans la langue militaire, un groupe, une armee, ou encore, dans la langue ecclesiastique, un groupe de moines ou de clercs.
us ecoles du Xlle sieele Entendu en ce dernier sens, l'ecole continuait a etre Ie lieu privilegie de l'etude de l'Ecriture. Saint Benoit n'avait-il pas declare, dans Ie Prologue de sa RegIe, que son monastere devait etre une ecole, celIe du service divin : dominici schola servitii? Et saint Bernard n'avait-il pas rappele a plusieurs reprises a ses moines qu'ils etaient a l'ecole, mais a une ecole dont Ie maitre etait Ie Christ3 ? II est clair, cependant, que lorsqu' on parle des ecoles medievales, on entend Ie mot schola dans un tout autre sens. II s'agit desormais d'etablissements dfunent localises, organises, OU des maitres s'adressent a des etudiants, suivent des programmes bien definis et adoptent des methodes qu'ils s'efforcent de perfectionner. La lectio n'est plus une lecture, elle est une « les:on », un « cours ». Lorsqu'il ne s'agit pas d'un enseignement profane et que Ie maitre « lit » les livres saints, la sacra pagina, l'Ecriture n'est plus Ie lieu d'une experience spirituelle; elie devient objet ou instrument. Objet d'une etude qui porte desormais plus d'attention ala lettre, au texte, et fait appel aux disciplines profanes qui en faciliteront l'acces. Instrument aussi d'une theologie qui continue sans doute a savoir que les livres saints lui transmettent la Parole de Dieu, mais qui veut aussi y decouvrir les formules et les argumentations propres a nourrir la speculation des maitres et a soutenir les constructions systematiques que ceux-ci elaborent. II etait inevitable qu'une telle evolution provoquat des reactions. Le probleme, a vrai dire, n'etait pas nouveau. L'exegese la plus traditionnelle avait affirme depuis longtemps la necessite de recourir aux sciences profanes, ou du moins a certaines d'entre elles. Des les premiers siecles, nombre d'exegetes avaient mis au service de l'interpretation des textes sacres tout ce que la grammaire, la philologie, l'histoire, la geographie et bien d'autres disciplines encore pouvaient leur procurer de ressources. Saint Augustin, dans son De doctrina christiana, avait dresse Ie programme d'une culture dont l'objectif etait de permettre a ceux qui en beneficieraient de mieux comprendre l'Ecriture. Les ecoles du haut Moyen Age ou de l'epoque carolingienne, qu'elles fussent cathedrales ou monastiques, avaient favorise a leur tour un enseignement des arts liberaux dont les finalites, dans l'ensemble, etaient les memes. L'apprentissage de la grammaire, de la rhetorique, de la logique, celui aussi de l'arithmetique, de la geometrie, de la musique et de l'astronomie, devaient fournir a l'etudiant, qu'il flit moine ou clerc, les connaissances dont il avait besoin pour lire en prive ou en public Ie texte des livres saints, pour chanter l'office et assurer les fonctions liturgiques dont il avait la charge, pour parvenir a une certaine intelligence des mysteres 3. De diversis, 40, I, et 121 (PL, rS" 647 A et 743 B; ed. LECLERCQ-RoCHAIs, VI, I, pp. 234 et 398). D'autres textes ant ete cites par G. de MARTEL, dans Pierre de CELLE, L'ico/e du clo/lre (<< Sources chretiennes », 240), Paris, 1977, pp. 120-121, n. 2.
Etudier la Bible de la foi que l'Ecriture lui apprenait a connaitre, pour annoncer cette foi a ceux qui ne la partageaient pas encore, ou eventuellement pour la defendre contre les erreurs qui la menas:aient. II n'y avait rien, en tout cela, qui ne fUt acceptable et meme necessaire. Certaines voix s'etaient parfois elevees ici ou la, il est vrai, durant Ie haut Moyen Age ou a l'epoque carolingienne, pour protester contre ce recours aux disciplines profanes et pour declarer qu'on ne pouvait preferer l'autorite de Donat ou de Ciceron a celle des Ecritures 4 • De telles protestations ne pouvaient etre prises au serieux, pourvu toutefois que l' on maintint les disciplines profanes ainsi pratiquees a la place subordonnee qui devait etre la leur et que l'on continuat a faire de l'Ecriture Ie lieu privilegie d'une rencontre avec Dieu, d'une experience spirituelle authentique. Mais ce qui avait ete accepte assez aisement, durant Ie haut Moyen Age, n'allait plus l'etre de la meme maniere lorsque, vers Ie milieu du XIe siecle, la culture litteraire et surtout la dialectique prirent un nouvel essor. Les mises en garde se multipliaient, dans les milieux monastiques, et l'echo s'en repercutera longtemps. On connait les critiques formulees par saint Pierre Damien contre les moines qui se mettaient en tete d'etudier la grammaire5 • Le meme docteur, d'ailleurs, grand humaniste et grand poete, pourtant, comme l'a rappele recemment Alain Michel6, avait pris la peine de montrer, en d'autres ouvrages encore, et notamment dans sa Lettre sur la Toute-Puissance divine, a quel point la dialectique etait inadaptee a l'etude de la Parole sacree7• Beaucoup estimaient donc, comme Guillaume d'Hirsau (t 1091), que les moines ne devaient pas s'adonner a l'etude des arts liberaux et que « Ie psautier devait leur suffire »8. Certains n'etaient d'ailleurs pas eloignes de penser, avec l'auteur d'un sermon attribue a Otloh de Saint-Emmeran (t 1070), que les clercs eux-memes ne devaient pas perdre leur temps a argumenter ou a fabriquer des syllogismes 9 • En depit de quelques exagerations, cette defiance a l'egard des arts liberaux et de la dialectique ne manquait pas de justifications. Les erreurs de Berenger, ecolatre de Tours Ct 1088), plus tard celles de Rosceli~ (t 1120), maitre itinerant qu'Abelard lui-meme devait combattre, montralent a quels dangers un usage incontrole de l'argumentation 4·
a. G. PARE, etc. [89], p. 181.
5· Opus&. JqII, cap. II : De mOfllUhis qui grammaliGam dis&ere gestiunl, PL, I4J, 306-307. 6. In lfymms el CanliGiJ : Culture el beauti dans I'hymnique &hritienne, Louvain-Paris, 197 6,
p.160. 7· a. A. CANTIN, dans Pierre DAMIEN, Leltre sur la Toule-Puissan&e divine (<< Sources chretiennes », 191), Paris, 1972., Introd., p. 18 7. 8. a. Guillaume d'HIRSAU, Praefatio in sua astronomiGa, dans PEZ, Thesaurus anutiolum VI, p. 2.61, cite par PARE [89], p. 186, n. 4. ' 9· Quomotjo /egentlum sit in rebus visibi/ibus, Prol., PL, 93, II03-II04. Sur l'attribution a Otloh de Satnt-E== de ce sermon imprime parmi les ceuvres du Pseudo-Bede voir E. AMANN, dans DTC, XI (2.), Paris, 1932., col. 1667. '
Les ecoles du Xlle sieele rationnel1e pouvait exposer la theologie. Mais les controverses que ces erreurs avaient provoquees obligeaient ceux-la meme qui n'en auraient peut-etre pas eu sans cela Ie gout a ne pas dedaigner completement l'instrument dialectique et a en faire a leur tour usage. Ainsi s'amors:ait, au sein des ecoles, et des la seconde moitie du XIe siecle, une evolution dont nous ne pouvons suivre ici tous les developpements mais dont il faut signaler au moins les etapes les plus marquantes et les plus significatives.
L'ECOLE
DU
BEC
La premiere ecole dont il faut faire mention, a ce propos, est celIe de l'abbaye du Bec, une des rares ecoles monastiques qui ait ete ouverte, vers la fin du XIe siecle, a des etudiants qui n'etaient pas moines. Cette ecole avait ete d'abord dirigee par Ie prieur Lanfranc (1005-1089), arrive au Bec en 1042, et qui devait devenir par la suite abbe de Saint-Etienne de Caen (1063) puis archeveque de Cantorbery (1070). Nous avons plusieurs raisons d'evoquer ici ce personnage, theologien d'un certain renom, qui avait combattu les doctrines eucharistiques de Berenger et qui avait etudie la dialectique. Lanfranc n'etait pourtant pas qu'un controversiste. II avait aussi commente l'Ecriture. Miss Beryl Smalley a retrouve un fragment d'une explication du livre de Job, qui porte Ie titre de Dicta Lanfranci archiepiscopi in lob et fait une large place a la grammaire10• Mais on lui attribue surtout deux commentaires bibliques : l'un sur Ie livre des Psaumes, l'autre sur les Epitres de saint Paul. Le titre meme de ces deux ouvrages merite de retenir l'attention car nous y trouvons, des Ie milieu du XIe siecle, un temoignage de l'interet porte aux deux livres de l'Ecriture qui seront Ie plus souvent commentes par les theologiens, au siecle suivant. Le commentaire sur Ie livre des Psaumes n'a pas ete retrouve. L'explication des Epitres de saint Paul, en revanche, a ete publiee autrefois par d'Achery, puis reproduite par Migne (PL, IJO, 101-406). Sigebert de Gembloux, au xne siecle, avait deja remarque que, partout OU cela etait necessaire, Lanfranc, dans ce commentaire, avait eu recours a la dialectique : ubicunque opportunitas locorum OCCU"it, secundum leges dialecticae proponit, assumit, conelud#l1. Certains, il est vrai, ont conteste l'exactitude de ce jugement et nie que ce commentaire ait ete compose dialectico more]!}.. Mais cette appreciation n'est justifiee que par une conception trop etroite et trop restrictive de la dialectique. S'il est exact que Lanfranc, combattant Berenger, a declare 10. B. SMALLEY [15], p. 69. II. De sGriploribus e&desiastiGis, 155, PL, Ilo, 583. 12.. E. AMANN et A. GAUDEL, DTC, VIII (2.), Paris, 192.5, col. 2.563.
Etudier fa Bible dans son De corpore et sanguine Domini qu'il n'avait jamais desire traiter les « questions dialectiques » po sees a ce propos par les textes de l'Ecriture ou leur apporter une solution (PL, IJO, 417 A), il n'en a pas moins reconnu, dans son commentaire de la Premiere Epitre aux Corinthiens (PL, IJO, 323 B), qu'il ne condamnait pas la dialectique, mais l'usage pervers que certains en faisaient. De ~ait, sans introduire encore des « questions» theologiques proprement dites, on Ie voit s'efforcer d'etablir Ie sens exact de certains mots et noter les diverses ,sig~fications. qui leur sont donnees par l'Ap6tre I3 • II cherche surtout a falte ressortlt non plus seulement ce que saint Paul veut affirmer, mais ce que celui-ci veut « demontrer » ou « prouver ». II te~t: aussi .de re~onstruire l'enchainement des propositions et lorsque CelUl-cl ne lUl paralt pa~ suffisamment clair, il n'hesite pas a developper son commentalre en falsant appel au vocabulaire dialectique des ecoles et en recourant. a des exp~ess!ons ?U a des mots tels que a simili, a minori, a causa, responsto, assumptto, tnductto, a contrario, conelusio a simili, etc. 14• II s?ume~ de la sorte Ie texte qu'il veut expliquer a un veritable traitement dialecttque, encore sommaire sans doute, mais annonciateur deja des ~ethodes et des techniques qui allaient bient6t se developper et se repandre. . Le plus grand titre de gloire de Lanfranc, pourtant, est d'avoir su f~lre de l'ecole du Bec un etablissement prestigieux : magnum et famosum Ittte:-aturae gymn~sium, dira Guillaume de Malmesbury l5. Sa renommee avrut en effet attIre des etudiants qui allaient bient6t connaitre eux-memes une grande notoriete. Le plus celebre de tous est saint Anselme (t 1109), y-enu en 1060 en cette abbaye du Bec dont il deviendra prieur puis abbe Jusqu'a so~ elevati?n ;u siege archiepiscopal de Cantorbery en 1093: Ansel~e, 11 est vrru, n est pas un exegete. Le commentaire des Epitres de SaInt Paul qui avait ete imprime sous son nom au XVle siecle a ete r~stitue depuis lo~gtemps a Herve (t 1150), moine 'de l'abbaye be~edic tIne de Bourg-Dleu (PL, I8I, 591-692). On n'a donc conserve de lui a~cun ouvrage biblique. Mais il connait parfaitement l'Ecriture. II la cIte frequemment, dans ses ecrits spirituels ou dans ses lettres. Son style, son vocabulaire, sa maniere de penser et d'ecrire dans ces ouvrages temoignent d'une familiarite avec les livres saints qu:une lecture assidu~ e,t une ~e?itation constante, jointes a la celebration quotidienne de 1 office div1n, peuvent seules expliquer. Guibert de Nogent (PL, I J6, ~74 ~) nous apprend d'autre part qu'il initiait ses eleves a l'etude de 1 E<:t1~e, et que, selon l'usage des ecoles de ce temps, illeur apprenait a y disttnguer « un triple ou un quadruple sens ». 13· B. SMALLEY [15], pp. 69-72. 14· U. PARE [89], p. 237. 15. De gestis pontifiGUm anglorum, PL, I79, 1459 D.
Les ecoles du Xlle sieele Ce qu'il faut surtout noter, pourtant, c'est qu'Ans~lme de Cantor: bery, considere souvent comme Ie « pere de la scolastlque », a eng~ge dans des voies nouvelles cette discipline qui porte encore chez lUl Ie nom de sacra pagina ou de sacra doctrina, mais qui deviendra bient6t la theologie. Dans les celebres monographies, de caractere speculatif, qu'il a consacrees aux grands mysteres de la foi, il cite beauc?up moins souver:t les livres saints que dans les ecrits dont il a ete question plus haut, et 11 utilise les textes cites d'une maniere differente. L'Ecriture est toujours au point de depart de sa reflexion theologique, mais son a~bition. est maintenant de parvenir par la raison et par des argumentatIOns ratIOnnelles a « l'intelligence de la foi », c'est-a-dire a l'intelligence des verites que les livres saints lui avaient fait prealablement connaitre. C'est ainsi, par exemple, que dans Ie Prologue de son Monologion, OU il traite de l'essence divine et du mystere de la Trinite, il nous previent que pour repondre au desir exprime par ses freres, son traite, profondement theologique pourtant, « ne tirera aucune force persuasive de l'autorite de l'Ecriture mais exposera les resultats obtenus en chaque recherche dans un style simple et avec les arguments courants de l'habituelle disputatio, cedant en peu de mots ala necessite rationnell~ et a l'evidence de la verite »16. Plus tard encore, dans un autre ouvrage, 11 rappellera que dans son Monologion, et aussi dans Ie Proslogion qui en est la suite, il s'etait donne pour objectif de « demontrer par des raisons necessaires, et sans recourir a l'autorite de l'Ecriture, ce que nous tenons par la foi »17. Sans nous attarder a rechercher ce que sont, pour saint Anselme, les « necessites rationnelles » ou les « raisons necessaires » dont i1 est ici question, constatons que l'abbe du Bec etablit ici une distinction met.hodologique tres nette entre l'autorite de l'Ecriture, sur laquelle s'appUlent les enseignements de la foi, et la reflexion rationn:ll~ d:stinee a ~ui procurer ce qu'il appelle l'intelligence de la foi. Cette dist~c:tt~n cond?lta les maitres a faire de l'etude de l'Ecriture une diSCIpline qUl se confondra de moins en moins avec celle de la theologie proprement dite. Le theologien, en effet, cherchera, comme l'avait fait Anselme dans ses monographies, a elaborer un discours scientifique, fonde ~ur d:s argu-. mentations dont les techniques de la logique et de la dialectIque .lw permettront d'assurer ou de verifier la solidite. Mais .comme s~,reflexIOn continuera a trouver son point de depart et ses aSSlses premleres dans l'Ecriture, il devra pouvoir demander a celle-ci des affi:~tions sures, dont les termes et Ie sens auront ete definis avec prec1S1on. II pourra donc de moins en moins se contenter des interpretations symboliques, des polysemies et de cette recherche des sens multiples. d'un .meme te~te qui avaient enchante l'exegese du haut Moyen Age et qwdevalentnournr, 16. Monologion, Proi., cd. SCHMITT, vol. I, p. 7; trod. P. ROUSSEAU, Paris, 1947, p. 71 • 17. Epist. de Incarnat., cd. SCHMITT, vol. II, p. 20, 1. 16- 1 9.
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Etudier la Bible
Les eeoles du Xlle siecle
longtemps encore, la foi, la piete, la predication et l'iconographie des medievaux. L'etude de l'Ecriture devra etre une science de plus en plus precise et rigoureuse, et cette science devra faire elle-meme appel, de plus en plus, aux techniques que les arts liberaux et toutes les disciplines profanes pourront mettre a sa disposition.
L'ECOLE DE BRUNO LE CHARTREUX ET LES ORIGINES DE LA
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QUAESTIO
»
En depit du prestige dont saint Anselme a joui de bonne heure et du sucd:s qu' ont connu ses ecrits, sa pensee et ses methodes ne se sont imposees qu'avec lenteur. D'autres ecoles, d'autres auteurs ont done joue ~ role, dans cette evolution qui allait modifier progressivement les attltudes et les comportements des theologiens, au contact de l'Ecriture, et done aussi leur maruere de lire les livres saints et de les interpreter. Certains historiens ont donc insiste a juste titre sur l'influence d'un personnage beaucoup plus connu comme reformateur et comme fondate~r d'ordre que comme exegete: saint Bruno (t 1101). « Quels que s01ent les titres que puisse revendiquer Anselme de Cantorhery pour etre reconnu comme Ie pere de la scolastique », ecrit en effet A. M. Landgraf, « il ne faudrait pas oublier pour autant, au debut de cette nouvelle periode, celui qui Ie premier a reussi a exercer une influence notable par l'intermediaire d'une ecole, a savoir Bruno Ie Chartreux »18. . !rop d'~certitude~ pesent encore sur l'authenticite des ouvrages bl~lique.s qu on a attrlbues au fondateur de la Chartreuse pour qu'on pUlsse discerner, en toute certitude, ce qui lui appartient personnellement et mesurer exactement son influence. On lui a Souvent donne en effet ~ commentaire sur les Psaumes et un commentaire sur les Epitres d~ sam~ Pa~, qu'~l aurait vraisemblablement composes au temps OU il enselgnalt a Relms, avant de gagner Ie desert de la Chartreuse. L'authen~cite du premier de ces ouvrages est generalement admise, encore qu'elle rut ete a nouveau contestee, il n'y a pas si longtemps. Celie du second est plus douteuse, mais plusieurs critiques recents estiment que, s'il n'est pas de saint Bruno lui-meme, ce commentaire est issu « de son entourage » et qu'il pourrait avoir pour auteur, soit Raoul de Laon que nous retrouverons bientot, soit un maitre du nom de Jean de Tours. Nous ne pouvons revenir ici sur ces problemes d'histoire litteraire, recemment reexamines par d'autres19 • II reste que nous avons la, de 18. A. LANDGRAF [85], p. 25. 19· a. A. STOBLEN,« Les commentaires scripturaires attribues a Bruno Ie Chartreux », dans RTAM, 2/ (1958), pp. 177-247; A. M. LANDGRAF, op. Gil., pp. 65-66.
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nouveau, les commentaires des deux livres qui seront Ie plus souvent gloses et expliques, tout au long du xn e siecle, qu'il existe entre ces deux expositions des res semblances souven~ r:~arquees .et que toutes deu~ pro cedent selon des methodes dont 1 ongme scolaue et la nouveaute meritent de retenir l'attention. Le Commentaire sur les Psaumes (PL, IJ2, 637-142.0) s'en tient encore, pour l'essentiel, aux methodes traditionnelles de l'exegese allegorique e~ morale en honneur durant Ie haut Moyen Age. II recourt cependant aUSSl a des procedes qui viennent certainement de~ ecoles. C'es~.ainsi que dans son Prologue, pour definir la nature des enselgnem~nts 'lu 11 va de~ander au livre des Psaumes, l'auteur evoque une classlficatl0n des SClences, heritee de la philosophie grecque, qu'Origene, saint Ambroise et Jean Scot Erigene avaient deja citee dans des conditions analogues et que d'autres, au xn e siecle, utiliseront a leur tour, avec quelques variantes 20 • II explique, en effet, que les livres de lao Gene~e et d~ l'~~clesiaste se rapportent a la physique parce que Ie premler tralte de 1 orlgme du ~o~de et qu'il est question, dans Ie second, de la nature et des proprletes des choses. Se souvenant probablement, par la suite, des Morales sur Job de saint Gregoire Ie Grand, il considere que Ie li,:"re ~e Job se rappo~e a l'ethique, alors que Ie Cantique des Cantiques, .qUl trrute d~s plus sub~mes mysteres de Dieu, releve de ce que les anClens appelruent la sClen~e theorique, la theoriea. Ces considerations de caractere general sont destlnees a justifier l'interpretation, tres traditionnelle au demeurant, que Ie commentateur va proposer du livre qu'il explique, interpretation q~'on retrouvera souvent chez d'autres. Bien que quelques psaumes traltent de questions relevant de l'ethique, ecrit-il:. la plup~rt .d'entre eux se rapportent a la science theor~que, parce ~u lIs ont pr~C1p~lement pour objet Ie mystere de l'Incarnatl0n et les actlOns du Chrlst. C est done une , interpretation christologique du livre qui n~us sera donnee. Mais on trouvera une preuve plus manifeste encore du caractere scolaire de ce commentaire dans Ie fait que 1'auteur y introduit des « questions ». Le procede n'etait pas absol~ent no,?"ve~u" pui~qu'il apparait deja, au rxe siecle, dans les commentaues at~bues ~ Hrumon d'Auxerre21• Mais il etait encore peu courant et ne devrut se developper vraiment qu'au cours du xne siecle. La Quaestio etait nee tout ~atw;elle ment de la lcetio. Lorsqu'un texte ou une « sentence » de 1 Ecrlture pretait a discussion du fait de la presence, soit d~s l~ :exte lui-~eme, soit dans les commentaires anciens, de formules, d OplnlOnS ou d lnterpretations divergentes, Ie maitre et ses eleves tentaient de surmonter leurs perplexites. C'etait l'occasion d'une breve discussion OU la dialec20. Cf. C. SPICQ [16], pp. 24 et 104. . . ... ZI. a. A. M. LANDGRAF [85], pp. 48-49. Sur les ongmes de la QuaestIO, vOIr aUSSl PARE [89], pp. 125-131; B. SMALLEY [15], pp. 66-82; M.-D. CHENU [80], pp. 337-341.
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Etudier la Bible
Les ecoles du XIIe sieele
tique pouvait intervenir..Les « questions » n'apparaissent pourtant enc.or~, dans Ie commentaue des Psaumes attribue a saint Bruno, que
« ?~dement e,t sous. une ~orn:e imparfaite »22. Eiles se rapportent pnnclpal~ment a ?es d!£Ecultes d ordre doctrinal et notamment a ceiles que posalt aux theologlens Ie mystere du Dieu fait homme. Le commentate~r ~e declare d'ailleurs parfois incapable de resoudre la question P?see; 11 se comp~re alors a Jean-Baptiste qui s'etait declare indigne de denouer la courrOle de la chaussure du Sauveur (In Psalmum f9 PL
9 18 D).
'
,
If2,
B~en que:e Commentaire sur les Epttres de saint Paul (PL, If), 11-5 66) ne sOlt peut-etre pas de saint Bruno lui-meme, mais de quelque maitre de, s?n entoura~e, plusi~urs historiens de l'exegese medievale lui ont prete une a~te~n~)O parnculiere. « Dne importante ecole s'est formee auto~r ?e lw, ecnt. e~core A. M ..~andgraf, a l'interieur de laqueile il fut amplifie .et ret.ravallIe de la maruere la plus diverse »23. Les nombreux man~scnts qw en ont ete conserves montrent que ce commentaire ou pl~~ot les commentaires separes de chacune des epitres de saint Paul q~ 11 rassem~le ont connu un grand nombre de remaniements. Les di,:"erses vers:ons qU'on en c~nnait pro.uvent donc que dans des ecoles qw peuv:ent etre celles de Relms et qw n'avaient pas la celebrite ou la renomm~e de celles dont nous aurons a parler par la suite, on ne se content;lt p~us seulem.ent,« comme c'etait Ie cas jusqu'alors, de commenter et d expliquer telliv7e de l'Ecriture », mais qu'on adoptait, « comme ~exte sco~alre,. en ~a totali~e ou. par maniere d' extraits, l'ouvrage du maitre, lSSU ~e 1 explica~on. de 1 Ecnture », et qui demeurait « en usage meme Ie maltre une fms disparu »24. L'interet de ce commentaire theologique vient aussi de la methode a laquelI~ il recourt..L'auteur ne se contente pas, en effet, de rechercher succeSSlvement la slgnification de chaque verset du texte de l'Apotre il cherche ~ decouvrir systematiquement, pour chacune des Epit~es c~mmentees, !a :< cause »./causa), c'est-a-dire la raison pour laqueile Sal?t Paul a e~~t, la. man~re (materia), c'est-a-dire Ie sujet dont elle tralte, et enfin llOtennon (tntentio) qui fut celIe de l'Apotre en redigeant son te~te. Le procede ainsi mis en reuvre reparaitra souvent selon des mOeda~tes rsarfois differentes, dans d'autres commentaires bibliques du XII slecle . On Ie retrouve, par exemple, dans deux commentaires anonymes des Epitres de saint Paul etudies autrefois par A. M. Landgraf26, OU encore dans un commentaire des Psaumes attribue par Erasme a 22.
23· 24· 25· 26.
A. M. LANDGRAF, ibid. Ibid., p. 47.
Ibid., p. 25. C£ C. SPICQ [16], p. 104. « Untersuchungen zu den Paulinenkommentaren des RTAM, 8 (1936), p. 267.
12.
Jahrhunderts », dans
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Haimon d'Auxerre (PL, II6, 191-714), puis a Anselme de Laon par A. Wilmart, mais que des erudits plus recents datent des annees 1130II 5027. La dialectique, au surplus, n'est point absente du Commentaire des Epttres attribue a saint Bruno. Dans son Prologue, deja, s'interrogeant sur les raisons qui avaient dfr conduire saint Paul a prendre la plume, l'auteur repond en utilisant un vocabulaire qui est celui des ecoles OU la dialectique etait pratiquee. Si l'Apotre a ecrit, nous dit-il (PL, If j, I I A), c'est parce que l'Eglise naissante, encore incertaine de ses des tinees , n'aurait pas tarde a se poser toutes sortes de « questions» et qu'il fallait y repondre d'avance afin que par la suite les chretiens ne fussent pas divises. Plus loin d'ailleurs, examinant les enseignements de saint Paul, Ie commentateur ne manque pas une occasion d'affirmer que ce dernier « a prouve » (probavit), qu'il a « determine» (determinavit), ou encore qu'il a apporte une reponse aux objections que certains pourraient formuler dans l'avenir contre les enseignements de la foi. 11 ne s'agit donc plus ici seulement de chercher les significations allegoriques ou morales du texte, mais de decouvrir, dans les Epitres de saint Paul, les argumentations et les demonstrations que celui-ci avait lui-meme proposees pour eclairer la foi des chretiens, l'assurer et la defendre.
L'tCOLE DE LAON ET LES ORIGINES DE LA
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GLOSE
»
L'ecole de Laon a joue un role decisif dans cette evolution des methodes d'interpretation de l'Ecriture a laquelle on assiste, tout au long du xn e siecle. Cette ecole etait d'origine ancienne. Elle avait ete illustree, des l'epoque carolingienne, par Jean Scot Erigene. Elle avait retrouve un nouvel eclat, vers la fin du xr e siecle, grace a un maitre du nom d'Anselme (t III7) lequel, assiste de son frere Raoul, en avait assume la direction. Anselme de Laon avait ete l'eleve d' Anselme de Cantorbery, al'abbaye du Bec. Mais ni lui, ni ses collaborateurs immediats n'etaient des speculatifs, COmme l'avait ete saint Anselme. lis demeuraient fideles a la methode traditionnelle de la sacra pagina selon laquelle l'enseignement de la doctrine sacree etait fonde avant tout sur une etude attentive du texte de l'Ecriture. lis s'attachaient d'abord a « lire » les livres qu'il s'agissait de commenter, puis a en expliquer la signification, mot par mot et phrase par phrase, en s'inspirant des interpretations donnees par les Peres ou les commentateurs anciens, a examiner les difficultes ou les « questions » que Ie texte les amenait a soulever, a en 27· a. A. WILMARI', « Un commentaire des Psaumes restitu6 a Ansehne de Laon », dans RTAM, 8 (1936), pp. 325-344; O. L01'1'IN, Psychologie et morale aux XII" et XIII" siecles t. V, Gembloux, 1959, pp. 170-175.
Etudier la Bible
Les Beoles du Xlle siecle
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proposer enfin des solutions, souvent redigees sous forme de « sentences ». Anselme de Laon n'a jamais cesse de pratiquer cette methode. On a donc pu dire de lui qu'il n'avait « fait qu'une chose dans tout son enseignement: commenter la Bible »28. Abelard, il est vrai, venu entendre les les:ons d' Anselme, a vivement critique sa methode. II a exprime son dedain pour l'effort de recherche erudite auquel se livraient les maitres et les etudiants de Laon29 • Mais ces injustes reproches meconnaissent I'importance et la qualite de I'effort accompli a Laon, sous l'impulsion d' Anselme, pour donner un statut scientifique a l'exegese biblique, efforts dont temoignent les nombreux commentaires qui sont issus de cette ecole. La plupart de ces ouvrages, malheureusement, posent de delicats problemes d'attribution. Les manuscrits nous en font en outre souvent connaitre des redactions differentes. Celles-ci temoignent de l'utilisation scolaire qui a ete faite de ces explications, indefiniment remaruees, retouchees, abregees ou developpees suivant les circonstances et les besoins de l'enseignement. Dans ces conditions, il n'est meme pas possible de reconstituer d'une maruere satisfaisante I'reuvre exegetique d' Anselme de Laon. L'authenticite du Commentaire des Psaumes que A. Wilmart avait cru pouvoir lui restituer, on I'a vu, est aujourd'hui rejetee 30 • 11 en va differemment du Commentaire du Cantique des Cantiques qu'on lui a souvent attribue. La version qu'en ont reproduite les editions (PL, I62, 1187-1228) n'est certainement pas de la plume de I'ecolatre de Laon. En revanche, les recensions qu'on en trouve dans les manuscrits se presentent dans de meilleures conditions. Sur cinq manuscrits reperes par Dom Jean Leclercq, en effet, trois attribuent I' ouvrage a Anselme, deux autres a son frere Raoul qui fut, on Ie sait, son intime collaborateurS 1. L'ouvrage, en tout cas, depend certainement de l'ecole de Laon et retient l'attention. On a affaire ici, en effet, a un livre de l'Ancien Testament tres souvent commente, lui aussi, au xn e siecle, mais alors que l'exegese d'inspiration monastique reconnaissait Ie plus souvent I'ame fidele dans I'epouse du Cantique, Ie commentaire issu de l'ecole de Laon, qui distingue lui aussi la materia, Ie modus et I'intentio ou la finis du livre qu'il veut expliquer, nous en donne une interpretation ecclesiologique et voit dans l'epoux et l'epouse dont il celebre l'union la figure du Christ et de l'Eglise. 11 renoue ainsi avec une interpretation dont I'origine remonte a I'epoque patristique et que d'autres commentaires reprendront par la suite. L'authenticite des commentaires de l'Evangile de saint Matthieu et
du livre de l'Apocalypse que l'on a egalement attribues a Anselme ont fait l'objet d'hesitations analogues. Des recherches recentes semblent avoir montre que les Enarrationes in Mathaeum qui ont ete imprimees sous son nom (PL, I62, 1227-1500) ne sont pas de lui et qu'elles doivent avoir ete redigees par Geoffroy Babion, disciple d'Anselme qui fut ecolatre d' Angers de 1096 a 1110; il faudrait rendre en revanche a Anselme de Laon un commentaire inedit de saint Matthieu, dont Ie temoin Ie plus connu est un manuscrit d' Alens:on, et des Closes sur saint Matthieu, conservees dans un manuscrit parisien, dont Ie commentaire de Geoffroy Babion ne serait qu'un abrege32 • Quant aux Enarrationes in Apoea!Jpsin dont on a aussi fait don a Anselme, dIes ne sont certainement pas authentiques, sdon A. M. Landgraf, sous la forme ou dIes ont ete imprimees (PL, I62, 1499-15 86); certains manuscrits, cependant, donnent a Anselme des Closes sur l'Apocalypse, peu etudiees jusqu'a ce jour, mais on peut penser que l'une ou l'autre d'entre dIes est l'reuvre de l'ecolatre de Laon33 • L'evocation de ces commentaires doit nous rappe!er que Ie plus grand titre de gloire d' Anselme de Laon et de son ecole, en matiere biblique, est d'avoir joue un role determinant dans la confection des premieres gloses. Celles-ci rassemblaient, soit entre les lignes du texte de la Bible, soit dans les marges disposees a cet effet, des explications se rapportant a un mot ou a un passage determine de l'Ecriture, explications empruntees Ie plus souvent aux ecrits des Peres ou a ceux des commentateurs anciens, mais aussi, parfois, a des « modernes »34. Au moment d' entreprendre ce travail, Anselme avait certainement beneficie des recherches effectuees auparavant par d'autres, a Laon ou ailleurs. II avait su trouver egalement des collaborateurs, en la personne de son frere Raoul, tout d'abord, mais en celle aussi de Gilbert l'Universe!, Breton qui avait frequente les ecoles de Nevers et d' Auxerre, a la fin du XIe siecle et au debut du xn e , et qui montera plus tard sur Ie siege episcopal de Londres. La vaste entreprise dont Anselme et son ecole avaient pris l'initiative ne devait pourtant pas trouver son achevement a Laon. C'est a Paris que seront principalement poursuivis les travaux d'ou devait sortir plus tard la celebre Close ordinaire dont les ecoles de theologie se serviront durant plus de trois siecles, jusqu'a l'aube des temps modernes. L'histoire fort complexe de la Close doit faire ici meme l'objet d'un chapitre special. Nous n'avons pas a nous y arreter davantage. Mais il etait impossible de parler d' Anselme de Laon et de son ecole sans qu'il en flit au moins fait mention.
2.8. ]. LECLERCQ, « Le commentaire du Cantique des Cantiques attribue a Anselme », dans RTAM, Zo (I949), p. 2.9. 2.9· ABELARD, Hisloria calamilalum, ed. J. MONFRIN, Paris, I959, pp. 68-69. 30 • Cf. ci-dessus, n. 2.7. 3 r. ]. LECLERCQ, art. cit., pp. 2.9-39.
32.. B. MERLE..-r::, « Ecoles et bibliotheques, a La,on, du d~~ de l'Antiq~te au developpement de 1'Universlte », dans Aclesdu XCV- Congresdes Somtes savantes (Retms, Z970), t. I, Paris, I975, pp. 44-46 • 33. A. M. LANDGRAF [85], p. 7 I • 34. Ibid., p. 74·
Les ecoles du Xlle sieele
Etudier la Bible
L'ECOLE DE SAINT-VICTOR
L'ecole de Saint-Victor n'est pas la premiere ni la plus ancienne ecole parisienne. La plus importante de celles qui avaient existe avant elle etait etablie, comme dans toutes les villes episcopales, a l'ombre de la cathedrale, dans ce qu'on appelait Ie cloitre Notre-Dame. L'hlstoire de l'ecole Notre-Dame, avant l'an 1100, est enveloppee d'obscurite. C'est seulement aux alentours de cette date que sa reputation commence a s'affirmer, grace, notamment, a la place qui y etait faite a l'enseignement de la dialectique, grace aussi a la reputation de Guillaume de Champeaux, archidiacre de Paris, qui la dirigea a partir de l'an 1103. Mais ce dialecticien de renom, qui avait sejoume a Laon, aupres d'Anselme, et qui devait avoir Abelard comme disciple puis comme contradicteur, avait abandonne sa chaire magistrale en IIOS, pour etablir, non loin de Notre-Dame, dans une eglise dediee a saint Victor, situee sur la rive gauche de la Seine, une communaute de chanoines reguliers ou il allait bientot reprendre son enseignement et ouvrir, de ce fait, une nouvelle ecole. Guillaume ne devait pas rester longtemps a Saint-Victor. Des II 13, en effet, il avait ete elu eveque de Chalons. Mais Ie monastere qu'il avait fonde, erige en abbaye en 1114, n'en avait pas moins connu bien vite un remarquable essor et l'ecole qui y etait annexee allait bientot briller d'un grand eclat. Cette ecole a ete, durant pres d'un demi-siecle, celle qui devait attacher Ie plus d'importance a l'etude de l'Ecriture35 • II s'agissait a vrai dire d'un etablissement assez original. Son organisation s'apparentait encore, par bien des aspects, aux ecoles monastiques, mais ses methodes etaient deja ouvertes a la plupart des innovations qui etaient en train de se faire jour. Placee en quelque sorte, institutionnellement et culturellement, a la jonction d'un monde ancien dont elle assumait sans hesitation l'heritage, et d'un monde nouveau sur lequel ses premiers maitres jetaient un regard charge d'optimisme, elle a beaucoup contribue a introduire dans l'ecole « les vieux exercices du cloitre )}, comme l'a ecrit Miss B. Smalley36. Elle a su realiser de la sorte une difficile synthese entre deux uruvers dont les methodes exegetiques et theologiques avaient parfois quelque peine a s'accorder. Hugues de Saint-Victor (t II41) sera Ie premier, au sein de cet etablissement, a mettre simultanement, au service d'une lecture renou35. Cf. J. W. BALDWIN, Masters, Princes and Merchants: The social Views of Peter the Chanter and his Circle, Princeton, NJ, 1970, vol. I, p. 92 : « At Paris, the foremost center of Scriptural study, was the abbey school of Saint-Victor. » 36. SMALLEY [151, p. 196 : « The Victorines, being both claustrales and scholares, were able to transmit the old religious exercise from the cloister to the school. »
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velee de l'Ecriture, aussi bien les richesses que la tradition lui avait transmises que les progres realises par les arts liberaux. Considere par ses contemporains comme Ie premier theologien de son temps et comme un « nouvel Augustin )}, il est 1'auteur d'une reuvre exegetique dont l'importance a ete souvent remarquee. Parmi tous les ecrits qu'il nous a laisses, en ce domaine, i1 faut mettre au premier rang les deux traites qu'il a consacres a 1'etude de l'Ecriture et a son interpretation, Ie Didascalicon et Ie De scripturis et scriptoribus sacris. Le Didascalicon est un traite de methodologie, de pedagogie et d'hermeneutique. On y a vu, non sans raison, une « refonte complete )} du De doctrina christiana de saint Augustin37 • Le sous-titre de ce traite, De arte legendi, nous apprend qu'il est aussi un « art de lire )}, c'est-a-dire, si 1'on se souvient des significations que revetent les mots legere et leclio, un art d'enseigner. Les trois premiers livres du Didascalicon traitent d'abord des « ecritures profanes )}, c'est-a-dire de tous les livres qui se rapportent aux arts liberaux ou aux sciences humaines et dont la « lecture)} est, elle aussi, necessaire. « Apprends tout, dit Hugues a son disciple, et tu verras ensuite que rien n'est superflu )}38. Toutes les sciences sont en effet utiles, non seulement pour parvenir a la sagesse, mais aussi pour comprendre les « ecritures divines)} dont s'occupent les trois derniers livres. Ces « ecritures divines )} se distinguent des ecritures profanes par leur origine, par Ie but qu'elles se proposent et par la « matiere )} don~ elles traitent39 • Par leur origine, car c'est l'Esprit-Saint lui-meme qill les a inspirees et ceux qui nous les ont donnees ecrivaient sous son action; par Ie but qu'elles se proposent, car elles contribuent a restaurer en l'homme la ressemblance divine perdue par Ie peche en lui apprenant a connaitre et a aimer Dieu; par la matiere dont elles traitent, parce que, a la difference des ecritures profanes qui ne parlent que de« 1'reuvre de la creation» (opus creationis) , elles s'occupent de « l'reuvre de notre redemption)} (opus restaurationis) : leur veritable objet n'est autre, finalement, que « Ie Verbe incarne et ses sacrements)}, c'est-a-dire ses mysteres 40 • La notion d' « ecriture divine », de scriptura sacra, a cependant chez Hugues une extension beaucoup plus large que celle que nous lui reconnaissons habituellement. Elle recouvre d'abord, bien entendu, I' Ancien Testament, subdivise lui-meme en trois « ordres » : la Loi, les Prophetes et les Hagiographes, I'enumeration detaillee des livres mettant pourtant a part, a la suite de saint Jerome, mais a la difference 37. SMALLEY [15], p. 86. . 38. Ditiascalicon, VI, 3, ed. c. H. BUTTIMER, Washi~gton,. 1939, P: 115, 19· 39. a. R. BARON, Science et sagesse chez Hugues de Samt-VlCtor, Parts, 1957, p. 102. 40 • HUGUES, De scripturis et scriPloribus sacris, 2 et 17, PL, I 7 " II AB et 24 AB; De sacramentis,lib. I, ProI., 2-5, PL, I76, 183-185.
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d'Augustin et d'Isidore de Seville, les livres que nous appelons aujourd'hui deuterocanoniques (Sage sse, Ecclesiastique, Judith, Tobie et Macchabees)41. Le Nouveau Testament comprend lui aussi trois« ordres» : les Evangelistes, les Apotres et enfin les Peres. Hugues, bien entendu, nous dit ce que contient ce dernier « ordre ». On y trouve d'abord les « decretales », c'est-a-dire les decisions authentiques des concHes et des papes, puis « les ecrits des saints Peres et des docteurs de l'Eglise », a savoir ceux « de Jerome, d' Augustin, de Gregoire, d'Ambroise, d'Isidore, d'Origene et de Bede », et enfin les ecrits « de beaucoup d'autres auteurs orthodoxes, dont Ie nombre est si grand qu'on ne peut les compter »42. Cette extension de la notion d'Ecriture sainte aux Peres ne doit pas nous surprendre. Elle etait assez repandue chez les ecrivains ecclesiastiques, du x e au xue siecle43. Le De scripturis et scriptoribus sacris, plus tardif que Ie Didascalicon, precise cependant que les ecrits des Peres n' ont pas la meme autorite que les autres. Comme les deuterocanoniques de l' Ancien Testament, ils font partie de ces livres « qu' on lit, mais qui ne sont pas inscrits au canon »44. Les « ecritures divines », dont Ie champ est ainsi defini, sont d'une autre nature que les « ecritures profanes ». Elles s'expriment d'une autre maniere. Elles doivent done etre interpretees selon d'autres methodes. Dans les ecritures profanes, en effet, seuls les mots ont une signification. Dans les Ecritures divines, en revanche, non seulement les mots, mais les « choses », c'est-a-dire les personnages, les lieux, les temps, les evenements ou simplement les objets que ces mots designent ou mentionnent, ont, elles aussi, un sens 45. Cette distinction entre les mots et Ies choses est inspiree d'une theorie de la signification que saint Augustin avait deja exposee dans son De doctrina christiana. Elle impose au lecteur de l'Ecriture Ie respect de regles specifiques dans son interpretation des livres saints. Hugues enumere a ce propos les sept regles de Tychonius que saint Augustin, suivi plus tard par Isidore de Seville, avait reproduites 46• Mais Ie fait que les mots et les choses soient les uns et les autres signifiants est surtout a la base de la doctrine de la pluralite des sens de l'Ecriture que la tradition avait depuis longtemps elaboree et que Hugues expose a son tour. II s'en tient Ie plus souvent a une division tripartite qui distingue successivement Ie sens his tori que, Ie sens allegorique et Ie sens tropologique. Mais comme il parle a plusieurs reprises du sens anagogique, tan tot pour en faire une variete particuliere du sens allegorique, tantot pour Ie 41. 42. 43· 44· 45· 46.
Dida.rca/., lV, 2, p. 72, 3-5. Ibid., lV, 2, p. 72. Ibid. a. PARE [89], p. 220; c. SPICQ [16], pp. 107-108. C. 6, PL, Ill, 15-16. Dida.rca/., V, 3, pp. 96-97; De .racram., lib. I, ProI., 5, col. 185. Dida.rcal., V, 4, pp. 97-102.
Les ecoles du XIIe siecle confondre avec Ie sens tropologique, cette division tripartite s'accorde aisement avec les divisions quadripartites que d'autres continuaient a proposer47 • L'existence de ces trois sens permet a Hugues de comparer l'Ecriture a un edifice dont Ie sens historique serait Ie fondement, Ie sens allegorique Ie corps du batiment et Ie sens tropologique les revetements qui I'ornent et l'embellissent. Le sens historique est done premier. « Le fondement et Ie principe de la doctrine sacree est l'histoire, ecrit Ie Didascalicon; c'est d'elle que l'on peut extraire la verite de l'allegorie, COmme on extrait Ie miel du rayon de miel »48. L'historia, en effet, c'est d'abord Ie sens litteral, Ie sens des mots, qu'il faut bien comprendre. Mais c'est aussi Ie sens du recit, car l'Ecriture est une histoire, celle de I'univers, celle de I'homme, celle des desseins de Dieu. La recherche de ce premier sens est done a la base de tous les autres. Aucune autre interpretation ne peut etre legitimement acceptee si elle n'est fondee sur une explication historique solidement etablie. C'est au sens allegorique, cependant, que Ie theologien s'attachera Ie plus volontiers. C'est en effet Ie sens dogmatique par excellence. C'est lui qui prend en consideration les res et les sacramenta de l'Ecriture pour en decouvrir la signification cachee et parvenir de la sorte a l'intelligence des mysteres de la foL La decouverte des deux sens precedents trouvera son prolongement dans la recherche du sens tropologique. II s'agit alors de demander a l'Ecriture les enseignements qui guideront Ie chretien dans sa vie morale et dans son cheminement interieur. C'est ce dernier sens, egalement, qui procurera au lecteur de I'Ecriture les instruments d'analyse, les moyens d'expression et Ie langage qui lui permettront de scruter les profondeurs de son ame, d'y observer les mouvements de la nature et de la grace et de rendre compte, a lui-meme et aux autres, de son experience interieure. On comprend, dans ces conditions, que Hugues de Saint-Victor, sans rien retrancher de l'effort critique requis par l'etude de l'Ecriture, ait pu assigner a celle-ci une finalite contemplative et expliquer a son disciple que la lecture (Iectio), ou l'enseignement (disciplina), devait conduire a la meditation (meditatio), la meditation a la priere (oratio), la priere a l'action (operatio) et l'action a la contemplation (contemplatio )49. Hugues ne s'est pas contente de formuler des regles d'hermeneutique. II a pratique cette exegese dont il avait pose les principes. Lui qui ne savait probablement pas beaucoup de grec, et moins encore d'hebreu, il a cherche a comparer les textes latins dont il disposait avec Ie texte original et i1 s'est renseigne a cet effet aupres de maitres 47. a. R. BARON, op. cit., pp. III et 1I5. 48. Dida.rcai., VI, 3, p. II6, 20-22. 49. Ibid., V, 9, p. 109, 13-15.
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juifs 50 • C'est ainsi que dans ses Notes sur Ie Pentateuque, sur les Juges et sur les Rois, on remarque un recours direct al'hebreu pour expliquer Ie sens de certains mots, et Miss B. Smalley pense que les maitres ainsi consultes par Hugues appartenaient a une ecole d'exegese rabbinique du nord de la France fondee peu auparavant par Ie celebre Rashi, decede en llo5 51 • Pour faciliter d'autre part a ses disciples la recherche du sens « historique », et sans doute aussi pour aiguiser leur sens critique ou les aider a eviter de lourdes erreurs d'interpretation, Hugues a voulu mettre a leur disposition des instruments de travail qui leur permettraient d'aborder avec plus d'assurance l'rustoire biblique proprement dite. II a donc compose a cet effet un Chronicon, intitule aussi De tribus maximis circumstantiis. L'ouvrage contient des tableaux chronologiques mettant en rapport les evenements de l'histoire biblique avec ceux de l'histoire profane. A l'exception de la preface et de quelques rares passages 52, ce recueil est demeure inedit, mais Richard de SaintVictor devait plus tard l'utiliser pour rediger un manuel d'etudes bibliques sur lequel nous reviendrons. L'explication allegorique des livres saints est souvent presente dans les commentaires bibliques de Hugues. Elle apparait davantage, pourtant, dans ses traites de caractere proprement theologique et notamment dans son celebre De sacramentis (PL, IJ6, 174-618). Les « sacrements » ne sont autre chose ici, pour Hugues, que les mysteres de la foi. Son ouvrage n'est donc pas un ouvrage d'exegese. C'est une somme de theologie qui a pour ambition d'exposer Ie dogme chretien dans sa totalite, mais de l'exposer dans Ie cadre de ces interpretations allegoriques dont son Didascalicon avait dit toute l'importance. Des les premieres pages de ce De sacramentis, en effet (col. 183-184), l'auteur nous informe que si dans un precedent ouvrage, qu'il faut identifier avec son Chronicon, il a rassemble des indications erudites se rapportant a une lecture « historique » de l'Ecriture, il veut maintenant que ce second ouvrage soit une introduction a une lecture allegorique. C'est au nom et comme sous la couverture de cette lecture allegorique qu'il pourra alors exposer les mysteres de la foi en adoptant, comme principe de division, Ie double theme de la creation et de la redemption de l'homme auquel il est toujours demeure attache. Quant au sens tropologique ou moral, Hugues de Saint-Victor l'a souvent recherche, lui aussi, soit dans des commentaires bibliques, soit dans des opuscules spirituels dont nous savons aujourd'hui qu'ils ont ete, de tous ses ouvrages, ceux qui ont connu Ie plus de succes et
qui ont ete Ie plus souvent recopies. Tous les livres de l'Ecriture peuvent se preter a cette sorte d'explication. Dans ses Homelies sur l'Ecclesiaste (PL, Ill, II3-Z56), cependant, Hugues attire plus particulierement notre attention sur trois d'entre eux, les Proverbes, l'EccIesiaste et Ie Cantique des Cantiques, que Salomon, selon lui, aurait consacres aux trois etapes de la vie spirituelle. Le premier traiterait donc de la meditation qui est une sorte de combat de la science contre l'ignorance, Ie second du premier degre de la contemplation et Ie troisieme de ses degres les plus eleves (op. cit., 117-II8). C'est donc du premier degre de la contemplation, celui OU l' ame parvient a la vision de la verite, que Hugues traitera lui-meme dans son explication de l'Ecclesiaste. Mais il parle aussi de la meditation et de l'union de l' arne a Dieu dans des opuscules dont l'inspiration biblique est constante. Un de ces courts traites nous explique, semble-t-il, ce que Hugues pensait au fond de lui-meme de la nature de l'Ecriture, qu'il appelle un « grand sacrement ». Elle est parole des hommes, en effet, mais cette parole des hommes, c'est aussi la Parole unique du Verbe de Dieu : « Dieu parle autrement par la bouche des hommes, ecrit-il, autrement par lui-meme. Que Dieu en effet parle parmi les hommes par les hommes, presque toute l'Ecriture de l' Ancien et du Nouveau Testament en temoigne. II parle donc par les hommes; il parle par lui-meme : par les hommes, de multiples paroles; par lui-meme, une seule. Mais en toutes ces paroles qu'il a proferees par les levres des hommes fut presente cette unique parole, et en son unicit6 toutes ne font qu'un : sans elle, elles n'ont pu etre proferees en quelque lieu ou temps que ce soit »53. Les autres maitres de l'ecole de Saint-Victor, apres la mort de Hugues, aborderont l'etude de l'Ecriture en s'inspirant des principes et des methodes que celui-ci avait preconises. Une attention speciale doit etre accordee, parmi les heritiers de la pensee de Hugues, a un exegete sur lequel les travaux de Miss Beryl Smalley ont jete une vive lumiere, Andre de Saint-Victor54• Ce Victorin, qui devint par la suite abbe du monastere de Wigmore, en Angleterre, OU il mourut en II75, est un des plus grands representants de l'exegese scientifique du xn e siecle. La plupart de ses commentaires bibliques sont encore inedits. Mais ils font en ce moment meme l'objet de recherches qui nous permettront bient6t de les mieux connaitre. Nous savons cependant, des maintenant, que dans ses explications de l'Ancien Testament, Andre s'est inspire des conseils relatifs a la recherche du sens litteral ou rus-
50. B. SMALLEY [15], pp. 102-104. 51. Ibid., p. 104, et R. BARON, op. cit., pp. 107-109. 52. Cf. W. GREEN, « Hugo of St. Victor: De tribus maximis circumstantiis gestorum », dans Speculum, IS (1943), pp. 484-493. et D. VAN DEN EYNDE, Euai sur la succession et la date des eGrits de Huguu de Saint- Victor, Rome, 1960, pp. 90-92.
B. De Verbo Dei, dans HUGUES de SAINT-VICTOR, Six opuscules spirituels, Introd., trad. et notes de R. BARON (<< Sources chretiennes », 155), Paris, 1969, p. 61. 54. Cf. B. SMALLEY [15], pp. II2-I95. Un commentaire d'ANDRE sur !'Ecclesiaste a ete publie par G. CALANDRA, De historica Andreae Victorini expositione in Ecclesiasten, Palerme, 1948.
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Les ecoles du Xlle sieele
torique que Hugues avait precedemment donnes. n avait etudie a cet effet la l~~gue hebraIque et s'etait mis a l'ecole de maitres juifs dont les traditlOns et les methodes l' ont profondement influence. Ses contemporains Ie lui ont parfois reproche, et Richard de Saint-Victor, dans son De Emmanuele (PL, I96, 601-666), s'en prendra vivement a l'interpretation qu' Andre et quelques-uns de ses disciples avaient donnee de l'Ecce virgo concipiet d'IsaIe (7, 14). Au xm e siecle, Ie franciscain Roger Bacon se plaindra a. son tour de l'autorite excessive dont jouissait Andre de Saint-Victor. Ces critiques et ces plaintes temoignent en tout cas de l'influence exercee par les commentaires de ce maitre. Cette influence est encore difficile a. mesurer, mais bien des travaux en ont deja. confirme l'ampleur et l'etendue. . Richard de Sain~-Victor (t 1173), contemporain d'Ancire, appartlent comme ce derruer a une generation dont les preoccupations sont un peu differentes. Son reuvre biblique continue neanmoins a s'inspirer des principes de Hugues. On lui doit en effet une sorte de manuel ~'introduction a l'etude de la Bible, Ie Liber exceptionum, dans lequel 11 declare n'avoir rien neglige de ce qui lui paraissait necessaire a un debutant desireux de « lire» l'Ecriture65• L'ouvrage ne vise pas a l'originalite. C'est un recueil d' « extraits », empruntes a « de nombreux livres », que l'auteur a classes et mis en ordre selon un plan bien defini. Dans une premiere partie, qui doit beaucoup au Didascalicon et au Chronicon de Hugues, Richard traite des methodes dont il convient d'user pour interpreter l'Ecriture, puis des services que les arts liberaux et les sciences profanes doivent rendre a l'exegete. Dans la seconde partie, qui a acquis de bonne heure une existence autonome sous Ie titre d' Allegories sur I' Ancien et Ie Nouveau Testament et a ete tres largement repandue sous cette forme, Richard reproduit de longs extraits ~es Peres ou des commentateurs anciens se rapportant aux principaux hvres de la Bible. Cette disposition lui permet de presenter commodement les principales interpretations allegoriques ou tropologiques que la tradition avait donnees des deux Testaments. . ~1ais l'auteur de ce Liber nous a donne aussi des ouvrages plus ortgmaux. Quelques-uns d'entre eux sont cons acres a la recherche du sens litteral. Richard connait en effet parfaitement la theorie des trois sens de l'Ecriture professee avant lui par Hugues. II sait qu' on ne peut chercher la signification allegorique ou tropologique des textes si l'on n'a d'abord etabli Ie sens litteral ou historique. II tente ainsi, dans quelques opuscules (PL, I96, ZII-Z56), de resoudre les difficultes que posent les recits bibliques se rapportant a. la construction du tabernacle de MOise, a l'edification du temple de Salomon ou a. la chronologie 55· a. p. 97, 5-8.
RICHARD DE SAINT-VICTOR,
Liber exceptionum,
ed. J.
CHATILLON,
Paris, 195 8,
des rois de Juda et des rois d'Israel. Bien qu'il n'ait apparemment pas connu la langue hebraique, il avait eu certainement recours, pour ce faire, aux lumieres de maitres juifs. II declare en effet que « par des Juifs il a connu les ecrits des Juifs »56. A la,.de.ma~de. so~vent de c?rrespondants dont les requetes prouvent qu 11 jOUlSsalt dune certame autorite en matiere biblique, il s'est efforce aussi de resoudre les difficultes que presentaient certains passages du Nouveau Testament et notamment de saint Paul. L'interpretation est ici plus theologique, mais les eclaircissements d' ordre litteral y tiennent egalement beaucoup de place57 • Richard nous a cependant surtout laisse des commentaires ou des ouvrages dans lesquels il recherche Ie sens allegorique ou l~ sens .tr~ pologique du texte. C'est au premier de ces deux sens que s est prtnClpaIement attache son commentaire de l'Ap?calypse (PL, ~96, 683~888). Des les premieres pages de cet ouvrage, 1 auteur nous dit que 1 Apocalypse est l'expression « d'oracles sublimes et .lumineux se rapportant au Christ et a l'Eglise » (I, Prol., 685 C). MalS Ie commentalre passe volontiers de l'allegorie a la tropologie. Richard note en effet qu'en decrivant d'avance les tribulations, les epreuves et les persecutions que devra subir l'Eglise, l' Apocalypse exh~rte ~~lle-ci a. la pa~ience. Ce sont des enseignements concernant la V1e sp1rttuelle que Richard expose, par exemple, dans son De somnio Nabuchodonosor (PL, I9 6, IZz9-1366), dans les explications de quelques passages des .Psaumes ou d'autres livres de l'Ecriture qui ont ete regroupes sous Ie tltre d' Adnotationes mysticae in Psalmos (PL, I96, z65-404), ou enfin dans les nombreux ouvrages et opuscules constitues autour de themes ?ibliques qui ont connu un succes considerable et exerce une durable mfluence sur la spiritualite occidentale. Cette tradition exegetique trouvera plus tard un dernier reI:rese~ tant en la personne de Thomas Gallus, decede vers IZ46. Ce Vlctonn avait dti etre admis dans la grande abbaye parisienne vers la fin du xne siecle. II y etait demeure jusqu'en IZI8, date a. laquelle il a:vait quitte definitivement la France pour fonder Ie monastere des chanomes reguliers de Saint-Andre de Verceil. Thomas est surtout c~nnu p~r ses commentaires sur les ecrits de Denys, Ie Pseudo-Areopaglte. Ma1S c'est aussi un exegete qui a commente IsaIe et a explique a trois reprises Ie Cantique des Cantiques 68• Nous retrouverons Thomas Gallus lorsque
56. De concordia regum conregnantium super Judam et sUJ!8r Israel, PL,. I96, 241 B. 57. Voir notamment les Declarationes nonnullarum dif!icu/~atum scripturae et Ie De Apostoli, dans RICHARD DE SAINT-VICTOR, Opuscules theologzques, ed. J. RmAILLIER, 1967. . ., B 58. a. Thomas GALLUS, Commentaires sur Ie Cantzque des Cantzques, ed. J. ARBET, 6 19 7.
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vre~1S
Pans, P . ans,
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Les ecoles du XIIe siecie
Etudier la Bible
nous parlerons des premieres concordances de la Bible et des efforts accomplis, vers Ie meme temps, pour introduire, dans les differents livres de l'Ecriture, des divisions commodes.
LE TEMPS DES THEOLOGIENS
A~ m0r.nent meme OU Anselme de Laon et ses disciples, puis Hugues de SalOt-VIctor, mettaient au point les methodes de lecture et d'interpretation de l'Ecriture dont il vient d'etre question, d'autres tendaient a enseigner ~'une r.naniere beaucoup plus systematique cette discipline qu'on appelalt touJours la sacra pagina mais qui devenait de plus en plus theologie. lIs adoptaient de ce fait, a l'egard de l'Ecriture, des comportements et des methodes d'approche d'un type nouveau. L'att.ention des. maltres, tout d'abord, devenait plus selective. Ene s~ portalt sur les livres dont Ie contenu doctrinal semblait etre Ie plus rIche, et notamment sur les deux livres qui tenaient deja dans l'enseignement, depuis un certain temps, une place privilegiee, Ie livre des Psaumes et les Epitres de saint Paul. Au meme moment les commentaires s'interessaient de plus en plus a la lettre, au texte propr~ment dit. Compte tenu de la nature des livres ainsi expliques, il s'agissait moins, a vrai dire, de l'interpretation historique dont Hugues de Saint-Victor avait r~p~ele la r:e?essite, ~~e d'une analyse grammaticale, stylistique et litteralre destmee a preciser Ie sens des mots, a demeler l'enchrunement des propositions ou meme a decouvrir, dans les livres saints, les raisonnements et les argumentations qui y etaient enfermes. Comme l'ecrit un com~entaire des Psa~es attribue a l'enigmatique Honorius Augustodunensls, « les syliogismes sont caches dans l'Ecriture comme Ie poisson dans la profondeur des eaux »59; c'etait Ie role du.' commentat~ur. que de les faire apparaltre. II arrivait d'autre part que les textes bibliques, ou surtout les interpretations que les Peres en avaient donnees, ne s'accordaient pas entre eux ou semblaient meme se contredire. Le maitre recourait alors a la dialectique. Les « questions », de plus en p~us nor.nbreuses, de plus en. plus developpees, qui sont introduites desormals dans les commentalres ont pour objet de resoudre ces diffic~.ltes,. mais elles abordent egalement des problemes proprement theologlq~es. Les arguments pour et contre sont presentes et discutes. La quaestio se transforme ainsi parfois en disputatio, et les Quaestiones ou les Quaestiones disputatae tendront bientot a se detacher du texte biblique pour etre rassemblees dans des collections et former de la sorte des recueils specialises. Les exemples en sont nombreux. Citons 59· Selee/arum Psalmorum expositio, PL, I72, 279.
par exemple, parmi beaucoup d'autres, les Quaestiones de divina pagina 60 de Robert de Melun, publiees vers Ie milieu du xue siecle , ou les Quaestiones in epistolas Pauli qui.ont ete imprimees parmi les. pse~depi graphes de Hugues de Saint-VIctor (PL, Ill, 43 1 - 634), malS qUl sont plus tardives que les precedentes. , . , . De tels ouvrages nous aident a comprendre a quel pomt I enselgnement s'etait transforme. Comme l'a ecrit Ie cardinal Henri de Lubac61 : « Les lectures ou le~ons publiques consacrees a l'explication de la divina pagina, comme on s'accoutume. a dire ~u singulie~, de. la sacra pagina, de la caelestis pagina, de la Veterts ac Novz Testamentz 1!a~na, de l'universa pagina verbi Dei, ces lectures, telies q~'elie~ s~. mult1plien~ au xue siecle, different bien davantage de la lectto prlm1tlve. A vral dire elles sont tout autre chose ... Ceux qu' on appelle maintenant lectores divi~itatis, ou magistri divinorum librorum ou doctores sacrae paginae exer~ent un magistere, Ie magisterium divinae lectionis, qui tend a se desacrahser. Ce sont des professeurs d'Ecriture sainte. Avant la lettre, ce sont des universitaires. » Ces professeurs ne se contentent pas de commenter ou d' expliquer l'Ecriture. Ils commencent a rediger, non plus seulement des monographies speeialisees, comme l'avait fait Anselme de C~tor?ery, ~ meme de modestes recueils de « sentences », comme I aValent faIt quelques maitres issus de l'ecole de Lao~, mais de veritables trait~s de theologie et des « sommes ». CeIles-cl adoptent un mode de presentation un ordre des matieres de plus en plus systematique, de plus en plus e'loigne de cette inspirati~n bi~lique e~cor~ si pre~ente dans Ie De sacramentis de Hugues de Satnt-Vlctor. L Ecriture, bIen enten~u, demeure presente dans ces ouvrages. Mais elIe y est devenue un « JI;U theologique » OU Ie maitre va chercher ses arguments, une « ~utorite » sur laquelle i1 s'appuie. Elle n'y est donc plus lue pour elle-meme .. Elle est mise au service d'une theologie dont elle reste pourtant touJours la source. Cette transformation de l'approche scripturaire n'etait pas nee d'initiatives isolees. Elle etait l'expression d'un mouvement de grande ampleur et de longue duree, amorce, comme on l'a vu, des la fin du XIe siecle, et qui devait se poursuivre et se developper jus 9u 'au milieu du XIIIe. Faute de pouvoir mentionner iei tous ceux. qUl ont joue un role dans cette evolution, ou qui en ont ete les temolOs, retenons les noms de trois maitres qui ont contribue plus que d'autres a la favoriser, peut-etre meme a la preeipiter : Pierre Abelard, Gilbe~ de la Porree et Pierre Lombard. Ces maitres ont ete celebres. MalS s'ils meritent ici notre attention, c'est surtout parce que tous trois ont fait « ecole », a travers leurs innombrables disciples, bien qu'ils n'aient 60. (Euvres de Robert de Me/un, ed. R. 61. De LUBAC [II], I, I, pp. 84-8 5.
M. MARTIN,
t. I, Louvain, 1932·
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Les Bcoles du XIIe sieele
pas toujours ete attaches, d'une maniere exclusive a un etablissement determine, comme l'avaient ete saint Anselme de Cantorbery, Anselme de Laon ou Hugues de Saint-Victor. Le premie~. ,de ces tro!s t~eolog~ens, Pierre Abelard (t 1142), que nous av~ns deja rencontre, n a cesse en effet de se deplacer, suivi par ses ad:rurateurs et transportant en quelque sorte avec lui son ecole. 11 avalt consacre la premiere partie de sa carriere a l'etude des arts lib~raux et. il s:etait d'abord illustre dans l'exercice de la dialectique. Mals, sans Jamrus renoncer a cette discipline, il n'avait pas tarde a s'interess~r a .la sacra p~gina et l~i-~eme n~us ~ra plus tard que « Ie Seigneur ne 1 avalt pas moms favonse pour lmtelligence de l'Ecriture que pour celIe de~, lettr:s pro~anes ):6~. C'est a Laon qu'il avait manifeste pour la prerruere fOlS sa Vlrtuoslte et son talent dans l'art de lire et de comment:r l'Ecriture. yenu dans cette ville, vers I I 12 OU I I 13, on s'en souvlent, pour y ecouter les les:ons d'Anselme vieillissant il avait releve Ie defi lance par les disciples du maitre et il avait dommente impromrtu, ~ais. avec un etonnant succes, la difficile prophetie d'Ezechlel.qu on n avalt pourtant pas coutume d'expliquer dans les ecoles63. Fldele au vocabulaire traditionnel, Abelard continuera, dans ses ouv:ages speculatifs~ a identifier l'enseignement de la theologie avec celru de la sacra pagl~a. Dans sa Theologia christiana il ne manquera pas de rappeler que ~Ecrlture, « dans sa triple exposition, contient la plenitu~e de la doctrme »64, et dans Ie prologue de sa Theologia scholarium, qUI est une breve somme de theologie, il declarera avoir voulu repondre a une requete de ses etudiants et avoir ainsi redige pour eux « une sorte d'introduction a la divine Ecriture »65. Mais il se rcrerera aussi au V,e or~ine et au De doctrina christiana de saint Augustin pour affirmer ~a nec~sslte .de recourir aux ~sciplines rationnelles, a la philosophie, a la dial~ctlque surtou~, mats aussi a l'arithmetique, pour apporter une solutlon aux.« questlOnS» que posent les livres saints et pour penetrer « les allegones et les mysteres » qu'ils contiennent66 . De fait lorsqu'on parcourt les deux ouvrages qu'on vient de mentionn:r on ~'a~ers:oit bien vite que si une large place est faite a l'Ecriture e; aux ecnts d?s Peres, c'est aussi a la grammaire, ala dialectique et a ce qu'on a ap~ele « les arts du langage » que l'auteur recourt constamment. , P~erre Abelard, comme tous les maitres, a pourtant commente 1 Ecnture. Les les:ons sur Ezechiel qu'il avait donnees a Laon, et dont nous savons qu'elles avaient fait l'objet de « reportations », n'ont pas 62. Hist. calamit., cd. cit., p. 82, 67 6-677. 63· Ibid., pp. 68- 6 9. 64· Theol. christ., II, cd. E. M. BUYl·AERT Corpus christianorum COllt. med.
1929-193 I.
65· Theol. schol., Cd. BUYTAERT, ibid., p. 66. Thea!. christ., cd. cit., pp. 18 4- 18 5.
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ete retrouvees. Mais son exposition sur l'Hexaemeron (PL, q8, 731-784), redigee a la demande d'Heloise, et son commentaire de l'Epitte aux Romains (Corp. christ., Cont. med., II, pp. 41-340) sont parvenus jusqu'a nous. Le choix des livres ainsi commentes est significatif. Dans son In Hexaemeron Abelard a voulu jouer la difficulte, comme il l'avait jouee a Laon. 11 nous rappelle lui-meme, en effet, dans sa Preface, que Ie debut de la Genese, Ie livre d'Ezechiel et Ie Cantique des Cantiques avaient toujours ete consideres comme les passages les plus obscurs de toute l'Ecriture et qu'une ancienne tradition hebraique, a laquelle Origene et saint Jerome avaient fait echo, en interdisait la lecture aux enfants pour en reserver l'explication aux savants et aux sages. Quant a l'Epitre aux Romains, on a dit plus haut a quel point elle retenait l'attention des theologiens. On retrouve, dans ces deux expositions, Ie souvenir des methodes d'interpretation dont les predecesseurs ou les contemporains d' Abelard avaient fait usage. C'est ainsi, par exemple, que l'In Hexaemeron mentionne a diverses reprises les trois sens de l'Ecriture, donnant pourtant Ie nom de sens mystique a celui que Hugues de Saint-Victor avait appele allegorique (col. 732, 770). Quant au Commentaire de I' Epttre aux Romains, il propose une classification des livres de l'Ecriture assez semblable a celIe qu'avait retenue Hugues de Saint-Victor, encore qu'il ne soit plus question de considerer les ecrits des Peres comme faisant partie des « ecritures sacrees ». Abelard distingue en effet, dans l' Ancien Testament, la Loi, les Prophetes et ce qu'il appelle les « histoires », puis, parallelement, dans Ie Nouveau Testament, l'Evangile qui correspond a la Loi, les Epitres et l'Apocalypse qui correspondent aux Prophetes et les Actes des Apotres qui sont de 1'« histoire » (prol., ed. cit., pp. 41-42). 11 ne manque pas non plus de se rcrerer constamment aux explications que les Peres avaient donnees des textes qu'il commente. L'In Hexaemeron, i1 est vrai, depend principalement de saint Augustin, mais Ie Commentaire de I'Epftre aux Romains cite beaucoup d'autres auteurs, non sans comparer entre elles leurs interpretations, avec un sens critique aigu. De fait, si ces deux expositions se souviennent encore des methodes traditionnelIes, elles mettent aussi a contribution Ia grammaire et la dialectique. Le Commentaire de I' Epttre aux Romains, notamment, tres litteral, fait largement usage de ces disciplines. Abelard y compare les differentes versions entre elles et i1 examine avec attention la construction des phrases. Les preoccupations doctrinales de l'auteur sont cependant sans cesse presentes, et son expose est frequemment interrompu par des « questions» d'ordre theologique ou reparaissent les opinions defendues dans les ouvrages de caractere systematique mentionnes plus haut. Les liens qui unissent l'ceuvre exegetique et l'ceuvre theologique d' Abelard apparaissent ainsi tres etroits. C'est done tout autant au
Etudier fa Bible
theologien qu'au commentateur que saint Bernard s'en prend lorsqu'il declare, dans son Contra errores Abaelardi (I, PL, I82, 1055 A), qu'Abelard, depuis sa jeunesse, joue avec la dialectique, et que, lorsqu'il interprete les saintes Ecritures, « il deraisonne ». Ce jugement est injuste et excessif. La posterite ne l'a pas ratifie. En depit des condamnations dont ce maitre a fait 1'objet et des critiques qui ont ete dirigees contre lui lo~gtemps encore apres sa mort, en depit aussi de ce qu'il pouvait y aVOlr de contestable ou de temeraire dans son enseignement, on ne peut douter de la profonde influence exercee par Abelard sur toute une generation de theologiens. Ceux-ci n'ont pas seulement repris a leur compte ses methodes ou ses idees. IIs ont aussi recopie, abrege ou imite ses commentaires bibliques, et surtout son exposition de l'Epitre aux Romains. Bien qu'il ait eu une carriere moins agitee qu' Abelard, Gilbert de la Porree, qui mourut eveque de Poi tiers en I I 54, est aussi de ces maitres qui ont accompli de frequents deplacements. II a en effet frequente, comme etudiant puis comme enseignant, les ecoles de Poitiers, de Laon, de Chartres et de Paris, et si l'on parle souvent de « 1'ecole de Gilbert de la Porree », comme on parle de « l'ecole d'Abelard », c'est parce que, comme son illustre contemporain, il a exerce son influence sur plusieurs generations de disciples devenus maitres a leur tour. En depit de ces analogies, Gilbert n'appartient pas a la meme famille spirituelle qu' Abelard. II n'a pas partage ses opinions, il semble meme qu'il les ait parfois combattues. II avait en effet res:u une formation bien differente. A Chartres, OU il avait longtemps sejourne et OU l'on semble avoir alors prete plus d'attention a l'etude de la philosophie qu'a celIe de la Bible67, il avait pu s'initier aux arts liberaux, a la grammaire speculative et a la dialectique. A Laon, en revanche, il avait frequente l' ecole que dirigeait Anselme et, bien loin d' eprouver pour ce maitre les memes sentiments d'antipathie qu' Abelard, il avait tres probablement participe a l'elaboration des gloses et a celle des premiers recueils systematiques de sentences dont son ecole s'etait fait une specialite. Comme Abelard, pourtant, Gilbert est l'auteur d'ouvrages de theologie systematique. Mais ses ecrits, en ce domaine, sont bien differents de ceux de l'auteur de la Theofogia christiana. II se presentent en effet sous la forme de commentaires des opuscules theologiques de Boece, d'une remarquable profondeur sans doute, mais dans lesquels 1'Ecriture ne tient presque aucune place. Si nous en croyons les tables , 67' C;:f. A. CLERVAL~ Les ~c?les de Ch~~tres au Mqyen Age, Chartres, 1895, p. 267 : « ... Ie role Joue par la theologle poslove dans I ecole de Chartres, au XII" siecie... fut tres restreint. Le gout de la philosophie platonicienne fit releguer les Peres et l'Ecriture sainte au second plan. })
Les ecofes du XIIe siecle
de l'edition recente qu'en a donne N. Haring68, on n'y trouve au total, pour un volume de pres de 400 pages, qu'une quinzaine de citations bibliques, certains textes reparaissant d'ailleurs a deux ou trois reprises. La theologie, ici, devient purement speculative et se rHere de moins en moins aux livres saints. Gilbert, pourtant, a explique aussi 1'Ecriture. On lui a attribue longtemps des explications bibliques qui ne sont pas de lui. Mais il est certain qu'il a commente, comme tant d'autres, en ce temps, Ie livre des Psaumes et la serie complete de~ Epitres d.e saint Paul. Bien qu'ils soient encore inedits, ces commentaltes ont frut l'objet ces dernieres annees, de plusieurs etudes. On peut donc avoir, aUjourd'hui, quelque idee de leur contenu et des methodes d'inter. pretation qu'ils ont adoptees. Ces deux ouvrages ont ete composes a des epoques differentes. Le premier, Ie Commentaire des Psaumes, a ete certainemen~ co~mence a Laon du vivant meme d'Anselme, donc avant III7, et ~l a ete probablem~nt acheve par la suite a Paris. Gilbert s'y est largement inspire des premieres gloses laonnaises. Mais il a utilise d'une fas:o~ beauc?up plus personnelle que ses predecesseurs et ses contempor~ns ~~ nche documentation patristique qui avait dft etre mise a sa diSposltwn. II ne se contente plus de citer textuellement les Peres. II s'inspire de leurs doctrines et de leurs idees, incorporant celles-ci dans un expose suivi OU il presente egalement ses propres vues. II cherche, d'autre part, a etre aussi concis que possible, et il n'utilise encore qu'avec, r~serve les procedes dialectiques si souvent presents dans ses autres ecr~t~. II s'en tient de la sorte a une interpretation christologique tres traditlonnelle et considere Ie livre des Psaumes « comme un evangile prophetique OU Ie Christ lui-meme parle par la personne du Psalmiste »69. Le commentaire de Gilbert sur les Epitres de saint Paul appartient, lui aussi, a la tradition laonnaise, mais il a ete compose a une date plus tardive que Ie precedent, peut-etre aux alentours de l'annee I I ?o, et il est plus personnel encore. On y remarque de nombreuses «. questl?ns » theologiques qui traitent de Dieu et du mystere de l'Incarnatl?n. Gllbert y tient compte des opinions de certains de ses contemporruns, probablement meme de celles d'Abelard qui n'est pourtant pas nomme, et 7o illes discute. C'est dire qu'une large place y est faite a la dialectique • Nous avons ici un commentaire d'ordre theologique dont la profondeur et 1'interet n'ont pas echappe aux theologiens du temps. En det:it de son ampleur, il a ete tres souvent recopie. On en retrouve des extralts e ou des citations dans un tres grand nombre d'ouvrages de la fin du xn ou du debut du xm e siecle. II a certainement beaucoup contribue a 68. The Commentaries on Boetius by Gilbert of Poitiers, Toronto, 19 66 . . 69. H. C. VAN ELSWI]K, Gilbert Porreta. Sa vie, son lEuvre, sa pensee, Louvam, 19 66 , p. 47· 70. Ibid., pp. 57-58.
Etudier la Bible rep andre les idees de Gilbert au sein de ce qu' on devait appeler plus tard « l'ecole porretaine ». La distinction pedagogique deja solidement etablie entre l'enseignement biblique et celui de la theologie systematique, entre les commentaires de l'Ecriture et les« sommes », devait s'affirmer d'une maniere plus nette encore, au moins chez les maitres parisiens et en dehors de l'ecole de Saint-Victor, vers Ie milieu du xn e siecle. On trouve un exemple particulierement frappant de cette partition dans les ecrits d'un des maitres dont l'reuvre jouira, pendant plusieurs sieeles, d'un etonnant credit, Pierre Lombard. Ce maitre, qui mourut eveque de Paris en 1160 apres avoir ens eigne longtemps la sacra pagina dans les ecoles de cette ville, nous a en effet laisse, lui aussi, et sans parler de son reuvre oratoire, deux sortes d' ouvrages. Durant la premiere partie de sa carriere, Pierre Lombard, comme tant d'autres, a explique Ie livre des Psaumes (PL, I!JI, 55-169) etles Epitres de saint Paul (PL, I!JI, 1297-1696, et I!J2, 9-520). Le premier de ces deux commentaires a du etre compose avant 114171. C'est une vaste compilation encore tres fidele aux methodes d' Anselme de Laon, citant longuement les ecrits des Peres et utilisant egalement des commentaires plus recents, notamment celui de Gilbert de 1a Porree. II n'est pas sur, il est vrai, que ce commentaire soit issu directement de l'enseignement du maitre, mais il est fort probable que celui-ci s'en est servi par la suite dans ses cours 72 • Pierre Lombard, s'inspirant apparemment de Remi d' Auxerre, considere que Ie livre des Psaumes contient toute la theologie : In hoc libro est consummatio totitls theologicae paginae (col. 57 B). II en donne une interpretation d'inspiration christologique, mais souvent aussi tropologique et moralisante. Ses explications restent encore tres proches du texte. Les « questions » y sont peu nombreuses et sont traitees brievement. L'exposition des Epitres de saint Paul est plus tardive. On a montre qu'il en existait deux redactions differentes et que la plus ancienne etait anterieure a l'annee 1148 73 • Dans ce commentaire, qui sera par la suite incorpore a la Close ordinaire, Pierre Lombard cite toujours les ecrits des Peres. Mais, en redigeant son ouvrage, il avait egalement sous les yeux les commentaires de l'Ambrosiaster et de Haimon d'Auxerre, des gloses abregees d' Anselme de Laon, certains ecrits de Hugues de Saint-Victor, et aussi les commentaires de Gilbert de la Porree dont il se sert sans jamais en nommer l' auteur74 • Les « questions » sont iei beaucoup plus nombreuses que dans Ie Commentaire des Psaumes. Comme saint Bruno d'ailleurs, Pierre Lombard pense que saint Paul a redige 71. Cf.1. BRADY, dans Pierre LOMBARD, Sententiae in IV jibris distinctae, I, Pars I, Prolegomena, Grottaferrata, 1971, p. 31*. 72. Ibid., pp. 46*-61*. 73. Ibid., pp. 82*-88*. 74. Ibid., pp. 74*-82*.
Les ecoles du Xlle sieele ses Epitres afin de premunir l'Eglise contre les doctrines heretiques qui auraient pu corrompre son enseignement et pour repondre d'avance a toutes les « questions» que les fideles pourraient se poser par la suite (col. 1297 AB). II s'agit donc bien d'un ouvrage qui, sans negliger la lettre, suivie au contraire de tres pres, veut etre un commentaire theologique. On en sera d'autant moins surpris que peu d'annees plus tard, vers II 55-1157 d' apres son dernier editeur75, Pierre Lombard publiait Ie celebre recueil de Sentences, divise en quatre livres, qui devait connaitre une extraordinaire fortune. Cet ouvrage de caractere systematique, fruit de l'enseignement du maitre, presentait un expose complet, methodiquement ordonne, des mysteres de la foi. L'auteur, il est vrai, y developpait quelques theses qu'on devait juger aventureuses; il professait a l'egard des methodes et des opinions abelardiennes une sympathie parfois trop appuyee. Ses Sentences feront donc l'objet de serieuses critiques, durant les dernieres decennies du XIIe siecle76 , mais elles auront leurs defenseurs, et elles deviendront bientot, a partir surtout du 4e Coneile de Latran (1215), Ie manuel officiel de toutes les ecoles de theologie. L'Ecriture est constamment citee, dans cette « somme ». Mais elle est definitivement devenue une « auto rite » invoquee, expliquee et commentee de fas:on a tenir son role dans les demonstrations et les argumentations theologiques du maitre. Cette « autorite » est bien entendu la premiere et la plus importante de toutes. Ce n' est plus elle, cependant, qui sert de cadre et d'armature a un manuel dont les avantages pedagogiques apparaitront bientot tels qu'on n'osera plus beaucoup modifier, desormais, l'ordre des matieres qu'il avait adopte. Le succes de l'ouvrage de Pierre Lombard consacrera en quelque sorte, d'une maniere decisive, cette distinction entre l'enseignement de l'Ecriture et celui de la theologie qui s'etait progressivement affirmee et qui sera un des traits caracteristiques de la methode scolastique. Les maitres de l'Universite, au XIIIe sieele, continueront sans doute a lire et a commenter l'Ecriture. Mais, dans leur enseignement theologique proprement dit, ce sont les Sentences de Pierre Lombard qu'ils expliqueront et commenteront.
LES MAlTRES DE LA FIN DU XIIe smCLE
Les Sentences de Pierre Lombard ne joueront pleinement Ie role assez inattendu qui allait etre Ie leur que vers Ie second quart du 75. Ibid., pp. 122*-128*. 76. Cf. J. de GHELLINCK [83], pp. 25 0 - 26 7. P. RICHE, G. LOBRICHON
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EtuJier la Bible
Les ecoles du Xlle siecle
xure siecle. Durant les dernieres decennies du xu e, en effet, nombre de maitres parisiens s'accommodent encore assez mal des methodes auxquelles elles recourent. Ils veulent demeurer fideles aux vieilles traditions de la sacra pagina, en s'effors:ant toutefois de faciliter toujours davantage l'acces, la lecture et l'interpretation des livres saints et en creant a cet effet des instruments de travail adaptes aux besoins des ecoles qui se developpent et s'organisent. On a souvent avance que cet interet toujours renouvele porte a l'Ecriture etait issu directement du mouvement que l'ecole de Saint-Victor avait sus cite et longtemps anime. Il est vrai que les maitres auxquels on fait ici allusion ont souvent cherche leur inspiration chez les exegetes victorins et qu'ils ont largement utilise leurs ecrits. Il est exact egalement qu'ils n'appreciaient pas beaucoup plus que les Victorins de la fin du siecle les subtilites de certains disciples d' Abelard, de Gilbert de la Porree ou meme de Pierre Lombard. Deux de ceux que nous allons retrouver, Pierre Ie Chantre et Etienne Langton, devaient s'en prendre aces theologiens et a leurs disciples. Le premier se plaignait de la multitude des gloses superflues qui recouvraient Ie texte des livres saints et de ces « disputes» ou l' on ne traitait que de « questions vaines et inutiles »77, tan dis que Ie second ne voulait pas que l' on scrutat « avec irreverence les secrets de Dieu »78. Mais lorsque Ie meme Pierre Ie Chantre critique les commentateurs qui dissertent des temps et des lieux, des genealogies bibliques, de la disposition du tabernacle de Moise ou de la construction du temple de Salomon79 , on a bien Ie sentiment que ses contestations atteignent certains commentateurs victorins, meme si elles ne les visent pas directement. En realite, ces maitres se separaient moins des Victorins par leurs methodes d'interpretation de l'Ecriture que par la maniere meme dont ils concevaient l'enseignement et par les finalites qu'ils assignaient a l'etude de la theologie. Hugues de Saint-Victor conservait Ie souvenir des anciennes traditions monastiques. C'etait encore un homme de vieille culture. Sa recherche de la sagesse etait une quete spirituelle, desinteressee. Il avait done ecrit, on l'a vu, que la lectio devait conduire a la meditatio, a l' oratio et a la contemplatio. Pierre Ie Chantre, en revanche, considere que « l'etude de la sainte Ecriture consiste en trois choses : la lectio, la disputatio et la praedicatio »80. Avec la disputatio, que Hugues de Saint-Victor n'avait mentionnee qU'en passant, dans son DidascaliconS!, la place de la dialectique et celIe de la theologie speculative sont maintenant reconnues, dans l'enseignement de la sacra pagina,
mais cet enseignement devra lui-meme deboucher sur la predication, celIe du maitre d'abord, qui doit lui consacrer statutairement une part de son temps, celIe aussi a laquelle se livreront plus tard ses etudiants, destines a devenir des pasteurs et des predicateurs. Il ne s'agit pas la, bien entendu, d'un changement d'orientation radical. Pierre Ie Chantre ne sous-estime en aucune maniere la meditation et la contemplation. Mais avant de se retirer au monastere cistercien de Longpont, ou il mourra, en II97, il est un maitre seculier. Il appartient a un monde scolaire qui prefigure deja Ie monde universitaire de demain. Il sait fort bien d'autre part que ses collegues et lui-meme, en tant que maitres, doivent se livrer a une triple activite : l'explication de l'Ecriture qui correspond a la lectio, l'etude de la theologie systematique qui releve de la disputatio, et la praedicatio82 • Il y a longtemps, sans doute, que les maitres se livrent a la predication. Durant la seconde moitie du xne siecle, cependant, leur activite se developpe, en ce domaine83 , et nombre d' entre eux attachent une importance croissante a l'obligation OU ils se trouvent de proposer un enseignement qui preparera leurs auditeurs a travailler, par la predication, a la defense de la foi et a la reforme des mceurs. Mais la predication se nourrit des enseignements de l'Ecriture plus que des argumentations de la dialectique. Il etait done necessaire qu' on revint, d'une maniere ou d'une autre, a une lecture des livres saints dont la speculation theologique tendait a s'eloigner. Il fallait, a cet effet, continuer a recourir a tout ce que les ecoles de Laon et de Saint-Victor avaient rassemble en fait de gloses ou de commentaires. Mais il fallait donner aussi aux etudiants, aux predicateurs et aux theologiens euxmemes la possibilite de s'initier aisement a la lecture et au maniement des livres saints. Sans doute est-ce la l'explication du succes connu par la celebre Historia scholastica (PL, I98, 1053-1722) que Pierre Ie Mangeur acheva peu avant r 170. On a dit tres justement de ce livre, qu'il consacrait et etendait « dans l'usage courant la methode historico-litterale de Saint-Victor »84. Son merite etait precisement de presenter toute l'histoire biblique, de la Genese aux Actes des Apotres, sous une forme accessible et simplifiee, pour« l'usage courant », qui permettait d'en demeler aisement les etapes. Il sera longtemps Ie manuel d'Ecriture sainte Ie plus souvent recopie, utilise, ou complete, et Ie savant Etienne Langton, plus tard, ne dedaignera pas de Ie commenter et de Ie gloser85 • C'est vers cette epoque, egalement, que commencent a apparaitre les recueils de Distinctiones sur lesquels des recherches recentes ont attire l'attention. Il s'agissait de sortes de repertoires ou de dictionnaires qui
Verbum abbreviatum, 1-4, PL, 20J, 23-34, et J. W. BALDWIN, op. cit., pp. 9 8- 101 . Super tribussceleribus Moab (Amos, 2, 1), cite par J. W. BALDWIN, vol. II, p. 70, n. 81. Verbum abbreviatum, 2, col. 27 D-28 A. Ibid., 1, col. 25 A, et J. W. BALDWIN, I, pp. 90 -9 1. Cf. M.-D. CHENU [80], p. 339, n. 1.
82. Cf. PARE [89], pp. 122-123. 83. Comme il ressort, notamment, de l'ouvrage de J. LONGERE [143]. 84. M.-D. CHENU [80], p. 259. a. B. SMALLEY [15], pp. 178-180. 85. a. G. LACOMBE, B. SMALLEY,« Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton », dans AHDLMA, J, 1930, pp. 18-51.
77. 78. 79. 80. 81.
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avaient pour objet de distinguer et de classer les difi"erentes significations qu'un meme mot peut revetir, dans l'Ecdture, et de donner, pour chacun de ces sens, des exemples qui en illusttaient l'emploi. Les premiers recueils de cette sorte semblent avoir ete ceux que nous ont laisse Pierre Ie Chantre (t 1197) et Alain de Lille (t 1203). Mais on en connait d'autres, compiles vers la fin du xne siecle ou Ie debut du xIIre, par des maittes parisiens tels que Pierre de Poitiers (t 1205) et Prevostin de Cremone (t 1209), qui furent l'un et l'autre chanceliers, puis par Pierre de Capoue (t 1242) qui enseigna dans les ecoles parisiennes jusqu'en 1219, avant de devenir patriarche d' Antioche et cardina186 • Tous ces maittes, de ten dances docttinales ttes diverses, sont des theologiens qui nous ont laisse des « sommes » ou des collections de Sentences de caractere systematique. Leurs repertoires de Distinctiones etaient destines simultanement, Ie plus souvent, aux enseignants et aux predicateurs. Mais ceux-ci, ou du moins quelques-uns d'entre eux, disposeraient bientot des premieres concordances, reelles ou thematiques, qui ont peut-ette ete elaborees par Ie victorin Thomas Gallus 87 au debut du xm e siecle, en attendant les concordances verbales qui n'apparaitront que plus tard, apres 1235, chez les Dominicains du couvent de Saint-Jacques a Pads 88• Nombre de maittes ressentaient en outre la necessite de porter remede aux divergences qui apparaissaient entre les difi"erents exemplaires des livres saints dont on faisait usage dans les ecoles. Pierre Ie Mangeur, dans son Historia scholastica, et Pierre Ie Chantre, dans les commentaires bibliques encore inedits qu'il nous a laisses, avaient deja eu recours aux ttavaux d'Andre de Saint-Victor pour tenter d'ameliorer les textes qu'ils expliquaient. Etienne Langton (t 1228), qui enseigna la theologie a Paris jusqu'a son elevation au siege de Cantorbery, en 1206, devait proceder d'une maniere beaucoup plus systematique. Ce maitre, qui est l'auteur, lui aussi, de nombreux commentaires bibliques, de diverses Quaestiones de theologie et de nombreux sermons, est de ceux qui se sont attaches, avec une particuliere attention, a l'etude des textes 89 • Utilisant a son tour les ttavaux de ses predecesseurs, et tout specialement ceux d' Andre de Saint-Victor, il pdt la peine de comparer les unes aux 86. Cf. R. H. et M. A. ROUSE, « Biblical Distinctiones in the thirteenth Century », dans AHDLMA, 4I, 1975, pp. 2.7-37. On trouvera de nombreuses indications sur l'origine et l'histoire des DirJincJiones medievales dans G. HASENOHR, « Un recueil de Distinctiones bilingue du debut du Xlv" siecle », dans Romania, 99 (1978), pp. 47-54. 87. Cf. G. THERY,« Thomas Gallus etles Concordances bibliques », dans AlIsder GeisJeswelJ des MiJtela/Jers (Bei/rage zur GeschichJe tier Phil. und Theol. des MilJe/alJers, Supplementband, III, I), Miinster, 1935, pp. 427-446. 88. Cf. R. H. et M. A. ROUSE, « The verbal Concordances to the Scriptures », dans Archivum jraJr. praedicatorum, 44 (1974), pp. 5-30. 89. Cf. B. SMALLEY [15], pp. 2.19-221. Les reuvres d'Etienne Langton sont encore presque entierement inedits. On pourra se faire une idee de l'abondance de son reuvre exegetique en consultant, outre l'article deja cite de G. LACOMBE et B. SMALLEY, pp. 5-220, Ie Repertorium biblicum de F. STEGMULLER, t. V [17], pp. 232.-3°2.
3 L'exegese de l'Universite
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Le xn e siecle avait fait passer l'exegese du cloitre al'ecole. Ce transfert avait determine un profond changement d'attitude face au texte sacre. D'aliment de la rumination spirituelle du moine, celui-ci etait devenu matiere d'etude et d'enseignement. Au commentaire mystique et inspire dont saint Bernard avait donne dans ses Sermons sur Ie Cantique l'ultime et plus parfaite expression, s'etait substituee une approche analytique et discursive, attentive au sens litteral et soucieuse de fonder sur la verite meme du texte l'autorite dogmatique et morale dont l'Eglise impregnait son action pastorale et d'abord sa predication. Le xm e siecle a renforce encore cette preponderance de l'ecole et l'exegese monastique - assez mal connue, il est vrai, pour cette epoque parait desormais s'epuiser ou, en tout cas, s'enfoncer dans la routine. Mais i1 ne s'agissait plus de la meme ecole. Beaucoup des centres les plus celebres du siecle precedent - Laon, Reims, Chartres, Saint-Victor de Paris - sont rapidement retombes dans l'obscurite. Tout l'enseignement de haut niveau, y compris en theologie, s'est concentre dans les grandes universites qui ont surgi entre 1200 et 12 5 o. Peu importent ici les facteurs, assurement complexes, de cette mutation institutionnelle. Retenons seulement que si les premieres universites du versant mediterraneen de l'Europe - Bologne, Montpellier, Padoue, Salamanque n'ont d'abord regroupe que des ecoles d'« arts », de droit et de medecine, plus au nord celles de Paris, Oxford, un peu plus tard, vers 1250, Cambridge devinrent les foyers majeurs de l'enseignement theologique. Meme si ces nouvelles facultes de theologie ne rassemblaient vraisem-
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blablement que des effectifs assez restreints, leur prestige etait immens.e dans toute la chretiente. Meme si, en fait, les maitres es arts ou en drOlt ont sans doute eu un role plus actif que les theologiens dans les combats pour la constitution meme de l'universite, ces derniers en tirerent tout autant parti pour s'assurer une autorite sans egale. « Paris, mere des sciences ... , cite des lettres ... , atelier de 1a sagesse ... dont les maitres oment d'inestimables joyaux l'Epouse du Christ », dit Ie grand privilege pontifical de 1231 : 1a Papaute el1e-meme reconnaissait aux theologiens de l'universite un veritable magistere doctrinal etendu a l'Eglise universelle. Des les annees 1220-1230, les nouveaux ordres mendiants, Dominicains et Franciscains (rejoints a la fin du siecle par les Ermites de S~t Augustin et les Carmes), implanterent des couvents dans toutes l::s vl~es universitaires et creerent dans ces couvents des ecoles de theologle. Ecoles ouvertes non seulement aux membres de l'ordre mais aussi a des auditeurs exterieurs et qui, Ii OU il s'en trouvait, furent bientot incorporees aux facultes de theologie existantes. Cette incorporation se heurta, specialement a Paris dans les annees 1250-1260, a de viol~ntes resistances de la part des maitres seculiers mais finalement les Mend~ants l'emporterent. Desormais, a Paris comme a Oxford ou Cam~:)!1dge, leurs studia s'imposerent comme les plus importantes et les plus bnllantes des ecoles de theologie de l'universite. Certes, dans Ie meme temps, les Mendiants avaient aussi mis sur pied leur reseau propre d'ecoles. Chaque province avait sa hierarchie de studia d'arts, de philosophie et de theologie. Mais, au-dessus de ces reseaux provinciaux, chaque ordre avait cree, pour 1'elite de ses theologiens, quelques studia generalia et, a quelques exceptions pres, ces studia generalia furent precisement ins:alles dans les grandes villes universitaires. L'essor des ordres mendiants, leur interet pour l'etude, elle-meme conc;ue comme preparation necessaire a Faction pastorale, n'ont done fait que renforcer, au sein de l'Eglise, Ie prestige intellectuel exceptionnel d'un tout petit nombre de centres universitaires, au premier rang desquels Paris et, dans une moindre mesure, Oxford. Ce n' est que dans les dernieres decennies du XIV e siecle que cette concentration extreme du haut enseignement theologique (et done de l'exegese qui en etait une partie) se desserra un peu avec la creation de nombreuses universites nouvelles et, d'autre part, l'erection de facultes de theologie dans des universites qui en etaient jusque-la depourvues. Alors qu'il n'existait en 1300 que cinq facultes de theologie (aux trois citees plus haut s'ajoutaient celIe, bien secondaire, de Naples et celIe, tres particuliere, de la Curie romaine), dix furent fondees au cours du XlVe siecle (notamment a Toulouse, Bologne, Padoue, Prague, etc.) et plus de trente au xV6 • Les causes de ces fondations furent diverses : a la pression des Etats et des Eglises nationales vint se combiner une
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attitude nouvelle de la Papaute a qui Ie triomphe du nominalisme a Paris avait enf1n montre les dangers d'une trop grande concentration de l'enseignement theologique autour d'un centre preponderant. Le Grand Schisme precipita evidemment Ie mouvement. Mais ici il faut surtout souligner que ces creations n'altererent guere les conditions anterieures du travail theologique et exegetique. Presque partout les nouvelles facultes se formerent autour de studia mendiants preexistants, de maniere a peu pres exclusive dans Ie Midi, avec l'adjonction de quelques ecoles seculieres dans Ie nord de l'Europe. Presque partout Paris fut Ie modele et la reference. Meme a Bologne, les statuts de la faculte de theologie erigee en 1364 suivaient de tres pres ceux de Paris. Presque partout d'ailleurs les premiers maitres furent des docteurs de Paris qui amenerent avec eux doctrines, methodes et instruments de travail parisiens. La deconcentration de l'enseignement theologique observee aux derniers siecles du Moyen Age n'etait done guere susceptible d'en favoriser Ie renouvellement. De ces remarques preliminaires on peut done retenir, s'agissant de l'histoire de l'exegese du xru e au xv e siecle, que celle-ci s'est faite, pour 1'essentiel, dans Ie cadre universitaire, c'est-a-dire, au total, dans un cadre bien precis, limite et tres unifie, plus meme qu'a l'epoque anterieure. Ceci autorise-t-il a la traiter comme un tout? 11 est vrai qu'il est difficile de degager des differences locales, si ce n'est, sur des points precis, d'appreciables nuances entre Paris et Oxford. En revanche, il semble bien que, malgre l'incontestable continuite de l'exegese universitaire, garantie par celIe meme des statuts, il y ait eu une certaine evolution dans la place reconnue au travail exegetique tant dans l'enseignement que dans la conception meme de la theologie. Dans un premier temps, en gros jusqu'a la fin du xure siecle, on a Ie sentiment de rester dans Ie prolongement de l'exegese du xrr e et les innovations que 1'on peut cons tater ne representent nullement une rupture ou un rejet de l'heritage des siecles anterieurs. Cet heritage, rappelons-le, etait double. D'une part, les Peres: saint Jerome bien sUr, mais aussi saint Augustin, saint Gregoire Ie Grand, ainsi que les Peres grecs, partiellement traduits en latin au xrr e siecle comme saint Jean Chrysostome. D'autre part, les auteurs du xrr e siecle meme dont les commentaires bibliques etaient devenus des ouvrages de reference, d'usage universel : Abelard, les divers compilateurs de la Glose (les Laonnois, Gilbert de La Porree, Pierre Lombard), Pierre Ie Mangeur et son Histoire scolastique, les Victorins enf1n. Si l'on examine maintenant la production exegetique des maitres de l'universite au xm e siecle, deux phases particulierement brillantes ressortent. La premiere, qui se situe autour des annees 1200, aux tout debuts de l'universite, a etc evoquce plus haut dans ce livre et il sufllt de la
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rappeler brievement. L'auteur Ie plus important en fut l'Anglais Etienne Langton qui enseigna a Paris de 1180 environ a son election comme archeveque de Canterbury en 1206. II redigea, en suivant l'ordre prone par Hugues de Saint-Victor, c'est-a-dire en commens:ant par les Evangiles, un commentaire complet de la Bible ainsi que de I'Histoire scolaslique, elle-meme promue au rang de texte de base de l'enseignement exegetique. Le merite Ie plus durable d'E. Langton fut de mettre au point une « edition » a peu pres definitive de la Bible; regroup ant les livres de l'Ancien Testament dans un ordre (pentateuque, livres his toriques , livres sapientiaux, Prophetes) qui combinait les canons hebreu et grec, les divisant en chapitres de taille reguliere, i1 mit fin a une confusion qui interdisait tout systeme coherent de references. Cette« edition» apparait peu avant 1203. Amelioree et completee par Thomas Gallus, Ie dernier grand exegete victorin, qui, en particulier, subdivisa les chapitres en paragraphes, elle devint l'edition de la « Bible de l'universite de Paris» et a survecu jusqu'a nos jours. Du depart d'Etienne Langton aux debuts des maitres mendiants vers 1230 s'etend une periode moins feconde. Certains des theologiens parisiens d'alors ont laisse des fragments plus ou moins etendus de commentaires bibliques (Jean d'Abbeville sur Ie Pentateuque, les livres historiques et Ie Psautier, Guillaume d' Auvergne sur les Proverbes, l'Ecclesiaste et Ie Cantique, Guillaume d'Auxerre et Philippe Ie Chancelier sur les Psaumes, ce dernier commentant aussi Job, les Lamentations et les Evangiles) mais il s'agit nettement, bien plus encore que chez Langton, de commentaires sommaires, gloses ou « moralites » rapides; l'interet essentiel de ces maitres allait deja aux « questions» theologiques, desormais separees du commentaire scripturaire. On en revient a une conception beaucoup plus unifiee de la leclio divina a partir des annees 1230 avec les premiers regents en theologie des nouveaux ordres mendiants, Roland de Cremone, Hugues de Saint-Cher et Guerric de Saint-Quentin chez les Dominicains, Alexandre de Hales et Jean de La Rochelle chez les Franciscains. D'une certaine maniere, ces Mendiants retrouvaient l'esprit meme des exegetes du xne siecle, Victorins ou seculiers parisiens, ce qui n'etait qu'une manifestation parmi d'autres d'analogies plus profondes residant dans un meme attachement a l'idee de reforme, a l'inspiration evangelique, au souci de ne pas separer l'etude theologique de ses applications morales et de ses finalites pastorales. Le premier grand commentateur biblique chez les Mendiants fut Ie dominicain Hugues de Saint-Cher qui parait avoir travaille avec l'aide de toute une equipe de freres reunie au couvent Saint-Jacques de Paris et qu'il continua a diriger meme apres sa promotion comme cardinal en 1244. Hugues de Saint-Cher redigea des « postilles » ou commentaires sur I'Histoire scolaslique et sur l'ensemble de la Bible, postilles simples et
L'exegese de I'Universite assez traditionnelles qui se presentaient comme un complement et une mise a jour de la Glose, precisement par de larges emprunts aux auteurs du xn e siecle. D'autre part les Dominicains de Saint-Jacques produisirent, sous l'impulsion d'Hugues, la premiere Concordance verbale de la Bible (ou ne disposait jusque-la que de concordances « reelles », par sujets) et un correctoire qui reunissait un certain nombre de variantes de la Vulgate jugees preferables a celles de la recension communement utilisee a l'universite de Paris depuis Etienne Langton. Dans les memes annees, d'autres instruments de travail du meme genre furent composes dans les studia francis cains et a Oxford. Mais l'apport des Mendiants ne se limita pas a ce type de productions. Leurs regents consacraient une part importante de leurs lectures au commentaire approfondi de tout ou partie de la Bible; si on en juge par les manuscrits conserves, ils paraissent meme avoir attache plus de prix que les seculiers a cette forme d'enseignement (cf. annexe, tableau I). S'il serait excessif de parler, surtout a Paris, d'un monopole mendiant de l'exegese universitaire, il est cependant sUr que les Mendiants ont exerce dans ce domaine du travail theologique une preponderance suffisante pour l'impregner des valeurs caracteristiques de leur spiritualite et de leur action. Ce n'est pas ici Ie lieu de passer en revue l'ensemble de la litterature exegetique universitaire du xme siecle. Le Repertorium biblicum Medii lEvi de F. Stegmiiller en donne desormais une image tres complete, avec toutes les precisions souhaitables. Mais il convient de mentionner les reuvres les plus importantes avant d'essayer de degager les caracteres generaux de cette production. Mis a part Hugues de Saint-Cher dont l'reuvre conservee refiete moins, repetons-Ie, l'activite de professeur que celle de compilateur de manuels, les maitres mendiants n' ont generalement commente que quelques livres de la Bible. Geoffroy de Bleneau et Guerric de SaintQuentin, qui professerent au couvent Saint-Jacques dans les annees 12331242, commenterent, Ie premier Ie Psautier et les Epitres de saint Paul, Ie second l'essentiel des livres sapientiaux et des Prophetes plus Luc, les Actes, les Epitres de saint Paul et peut-etre les Epitres catholiques et l'Apocalypse. Les premiers maitres francis cains n' ont generalement laisse qu'une reuvre exegetique reduite mais de grande qualite theologique : une partie des Prophetes, Ie Psautier, les Evangiles et l' Apocalypse pour Alexandre de Hales; certains Prophetes, les Evangiles synoptiques, les Epitres de saint Paul et les Epitres catholiques pour Jean de La Rochelle; I'Hexaemeron, Ie livre de l'Ecclesiaste et celui de la Sagesse, Luc et Jean pour saint Bonaventure. Le plus abondant et, du moins quant a la methode, Ie plus novateur des exegetes mendiants fut certainement Albert Ie Grand (vers 11931280); quoique leur redaction definitive date souvent de la fin de sa vie,
Etudier la Bible ses commentaires bibliques decoulent pour l'essentiel de l'enseignement qu'il donna a Paris et Cologne dans les annees 1240-1260. Albert aurait commente toute la Bible mais on n'a conserve, d'attribution certaine, que ses lectures sur Job, les Prophetes, les Evangiles et les Epitres; il s'est attaque a des textes jusque-la peu etudies comme Baruch ou les livres deuterocanoniques de Daniel; il a, nous y reviendrons, pose avec une particuliere fermete Ie primat absolu du sens litteral, face aux incertitudes de l'allegorie. Une fois elimines les apocryphes, l'reuvre exegetique de saint Thomas d' Aquin est egalement limitee. De datation delicate, elle parait s'etaler sur toute sa carriere magistrale, de son accession au doctorat en theologie (1256) a sa mort en 1274. Comme beaucoup d'reuvres universitaires, elle nous est parvenue sous la forme tantot d' « expositions» soigneusement redigees par saint Thomas lui-meme, tantot de « reportations » d'auditeurs plus ou moins revisees par Ie maitre. Au total, saint Thomas a commente IsaIe, les Lamentations, Jeremie (exposition inachevee), Job, les 54 premiers psaumes, Ie Cantique des Cantiques, Matthieu, Jean et, a deux reprises, les Epitres de saint Paul. II faut mettre a part la Catena aurea, qui est une glose des Evangiles; cette « chaine» d'autorites patristiques, essentiellement extraites des traductions des Peres grecs, n'est pas en effet un produit de l'enseignement de saint Thomas; elle fut redigee en 1263-1268 a la demande du pape Urbain IV qui comptait l'utiliser dans les debats lies a sa politique d'union des Eglises latine et grecque. Les ecrits exegetiques de saint Thomas, disciple de saint Albert mais parfois moins novateur que son maitre, ne sont pas d'egale importance: certains, a travers une analyse minutieuse, grammaticale et logique, du sens litteral, debouchent sur des questions theologiques de grande portee: ainsi de son exposition sur Job ou de ses deux commentaires de Paul; certains en revanche, largement fondes sur les Peres et la Glose, sont des commentaires nettement plus rapides et traditionnels : ainsi de ses lectures sur Matthieu, Ie Cantique ou les Psaumes. Dans presque tous, en tout cas, saint Thomas, tout en proclamant la primaute du sens litteral, fait plus ou moins largement sa place a l'interpretation morale et mystique, selon des significations Ie plus souvent reprises purement et simplement des Peres. II parait inutile de poursuivre cette enumeration et de detailler la production des autres docteurs mendiants qui, dans la seconde moitie du xm e siecle, ont laisse une reuvre exegetique estimable, comme Guillaume de Meliton ou Jean de Galles chez les Franciscains ou, chez les Dominicains, Guillaume d' Altona, successeur de saint Thomas dans sa chaire de Saint-Jacques, Pierre de Tarentaise (futur pape Innocent V) ou, a la fin du siecle, Nicolas de Gonan qui, renouant avec la tradition d'Hugues de Saint-Cher, entreprit de rediger un commentaire complet de toute la Bible.
L'exegese de I'Universite Deux points sont par ailleurs a noter. D'abord, la quasi-disparition, apres 1240, des commentaires bibliques dus a des maitres seculiers parisiens. Nicolas de Tournai, regent vers 1226-1229, qui a .laisse ~es gloses assez developpees sur l' Ancien Testament, y comprls .ce~atns livres deuterocanoniques (Tobie, Judith, Macchabees I et II), aIDSl que sur Luc et les Actes, et Eudes de Chateauroux, regent puis chancelier dans les annees 1230, dont on connait des introductions ala plupart des livres de la Bible (sauf les Prophetes), sont les derniers grands noms que l'on puisse citer ici. Le silence des seculiers ulterieurs reflete. sans doute la mediocrite de beaucoup d'entre eux, compares a leurs rlvaux mendiants. Mais il est aussi Ie signe d'une conception differente de l'enseignement theologique, deja tout entiere tournee vers Ie commentaire des Sentences et la« question disputee ». Les debuts de l'exegese oxfordienne meritent egalement d'etre signales. Quoique les premiers maitres d'Oxford aient generalement ~te formes a Paris, l'enseignement biblique a vite pris en Angleterre certaI?s caracteres propres. L'initiateur fut Robert Grosseteste, maitre secu~er et chancelier de l'uruversite mais qui fut aussi, de 1229 a 1235, Ie premter regent du studium franciscain d'Oxford. Sachant bien Ie grec et d'ailleurs aide par une equipe de collaborateurs egalement hellenistes, R??ert Grosseteste avait une formation plus riche que celIe des maitres panslens qui etaient surtout des dialecticiens; grammairien convaincu de l'importance des problemes philologiques, philosophe ouvert a~ « nouvel Aristote», celui de la Physique et de l'Ethique, Grosseteste mtt ~n reuvre une pratique beaucoup plus integree de la lectio divina, .combIDan~ un interet renouvele pour Ie texte sacre lui-meme (y compns ses verSlOns grecque et hebraique) et un usage exegetique audacieux des a?ports de la philosophie naturelle. De l'reuvre de Gro~seteste, on. ret1e~dr~ .en particulier sa Concordance reelle et un commentalre du Psautler qUl den.ve largement des Peres grecs. Une conception analogue d~ commentalre biblique fut defendue par Roger Bacon - nous y revlendrons - et illustree a Oxford, dans la seconde moitie du siecle, par certains maitres mendiants comme Ie dominicain Simon de Hinton (regent en 1248-125°) ou Ie francis cain Thomas Docking (regent en 1260-1265). II est cependant vrai qu'il y eut aussi a Oxford des auteurs beaucoup plus proc~es des pratiques parisiennes comme Ie dominicain Richard Fishacre qUl, dans Ie prologue de son commentaire des Sentences (vers 124°-1243), afIirma la necessite de separer nettement, dans l'enseignement, les « questions» theologiques et les lectures de l'Ecriture sainte, con~e avant tout par lui comme une source de « moralites ». Par-dela la diversite des auteurs et des ecoles, l'exegese universitaire du X1U e siecle presente cependant un certain nombre de caracteres communs et qui Ia situent dans Ie prolongement de celIe du xn e . Comme I'a note Beryl Smalley, Ie trait majeur en est Ie « declin du
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commentaue spirituel », a quoi s'opposent « les developpements nouveaux et originaux du commentaire litteral ». On ne saurait cependant suivre l'eminente historienne anglaise lorsqu'elle ajoute qu'il s'agit la d'une « revolution ». II parah plus prudent de partir de cette formule du P. de Lubac a propos de saint Thomas d'Aquin qu'on peut sans doute etendre a toute l' exegese du XIIre siecle : « Sans vouloir innover en rien, il [saint Thomas] s'est contente de degager en termes sobres et nets, qui en dessinent vigoureusement les traits majeurs, une doctrine de douze siecles. )} L'exegese de saint Thomas et de tous ses contemporains continuait en effet a se fonder sur la theorie patristique, qui restait universellement admise, des quatre sens de l'Ecriture. On peut meme dire que c'est chez eux que l'on en trouve l'expression la plus claire et la plus coherente. Saint Bonaventure qui, plus que tout autre, a insiste, notamment dans son Breviloquium et ses collations sur l'Hexaemeron, sur la perfection de l'Ecriture sainte, fondement meme de l'Eglise, sur sa profondeur, sa richesse infinie, en tirait tout naturellement qu'elle ne saurait avoir un seul sens. S'en tenir a la lettre, ce serait partager « l'erreur des Juifs » alors que l'Ecriture est avant tout Esprit puisqu'elle a Dieu pour auteur; et cette dimension spirituelle se deploie en une pluralite, peut-etre meme une infinite, de sens, que nous ne saurions epuiser ici-bas. « L'Ecriture sainte tout entiere est comme une cithare et sa corde inferieure ne peut produire par elle-meme d'accords harmonieux, mais seulement avec les autres » (In Hexaemeron, colI. XIX); et dans ces memes collations, saint Bonaventure developpe autour des themes des quatre sens de l'Ecriture et des trois sens spirituels tout un chatoyant symbolisme OU interviennent les quatre Vivants d'Ezechiel et de Jean, les trois personnes de 1a Trinite, les trois vertus theologales, etc. Ces jeux subtils ne l'empechaient d'ailleurs pas de formuler ailleurs des regles pratiques d'hermeneutique et d'insister sur Ie primat de l'exegese litterale qui peut seule donner l'acces ulterieur aux sens mystiques. Saint Thomas d' Aquin est plus explicite encore, specialement en trois passages bien connus de son reuvre, dans Ie quodlibet VII (q. 6, a. 14-15), Ie commentaire de l'Ephre aux Galates (c. IV, lect. 7) et Ie debut de la Somme theologique (la, q. I, a. 10). Ces trois textes se completent parfaitement. II en ressort que saint Thomas n'entend nullement remettre en cause l'approche traditionnelle de l'Ecriture, dont il cite expressement les origines patristiques et specialement augustiniennes, mais bien plutot la preciser, la justifier en raison et, par suite, la proteger de certaines aberrations. La distinction entre sens litteral et sens spirituel ou mystique (qui est la distinction essentielle, beaucoup plus importante que les subdivisions, d'ailleurs variables selon les auteurs, en sens allegorique, tropo-
L'exegese de I'Universite logique, anagogique, etc.) lui parah fondee sur les distinctions fondamentales - du point de vue tant religieux que philosophique - de la lettte et de l'esprit, des faits et des mysteres, des mots et des choses. Ainsi ecrit-il dans la Somme theologique : L'auteur de l'Ecriture sainte est Dieu. Or, il est au pouvoir de Dieu d'employer, pour signifier quelque chose, non seulement des mots, ce que peut faire aussi l'homme, mais egalement les chases elles-memes. Lars donc que dans toutes les sciences les mots ant valeur significative, celle-ci [Ia science sacree] a en propre que les chases memes signifiees par Ies mots employes signifient a leur tour quelque chose. Cela etant, Ia premiere signification, a savoir celIe par Iaquelle Ies mots signifient certaines chases, correspond au premier sens, qui est Ie sens historique au litteral. L'autre signification, par laquelle Ies chases signifiees par Ies mots de nouveau signifient d'autres chases, c'est ce qu'on appelle Ie sens spirituel, qui est fonde sur Ie sens litteral et Ie suppose. A son tour, Ie sens spirituel se divise en trois sens dis tincts. En effet, comme Ie dit l'Apotre, Ia Ioi ancienne est une figure de Ia Ioi nouvelle, et Ia Ioi nouvelle elle-meme, ajoute Denys, est une figure de Ia gloire a venir; en outre, dans Ia Ioi nouvelle, ce qui a lieu dans Ie chef est Ie signe de ce que nous-memes nous devons faire. Quand donc Ies chases de I'ancienne Ioi signifient celles de Ia Ioi nouvelle, on a Ie sens allegorique; quand les chases realisees dans Ie Christ, au dans ce qui signifie Ie Christ, sont Ie signe de ce que nous devons faire, on a Ie sens moral; pour autant enfin que ces memes chases signifient ce qui est de I'eternelle gloire, on a Ie sens anagogique (la, q. I, a. 10, trad. H.-D. Gardeil). Les memes definitions apparaissaient deja, en termes tres proches, dans les deux passages mentionnes plus haut et qui sont legerement anterieurs; dans son commentaire sur l'Epitre aux Galates, saint Thomas les accompagnait d'un exemple precis, sur Ie Fiat lux de la Genese: Lorsque je dis « Que Ia Iumiere soit )} en designant a Ia Iettre Ia lumiere physique, il s'agit du sens littera1. Si par« Que Ia Iumiere soit », on entend Ia venue future du Christ dans I'Egiise, il s'agit du sens allegorique. Si I'on dit « Que Ia Iumiere soit » pour signifier que Ie Christ nous introduira dans Ia gloire, il s'agit du sens anagogique. Si enfin on dit « Que Ia Iumiere soit » pour dire que notre intelligence est eclairee et notre creur embrase par Ie Christ, il s'agit du sens moral (c. IV, 1. 7). II n'est pas necessaire de prolonger cette revue. Pratiquement tous les exegetes du XIIr e siecle ont, a un moment ou un autre de leur reuvre, expose et fait leur cette theorie des quatre sens. Albert Ie Grand lui-meme, souvent presente, non sans exces, comme l'adversaire resolu de l'exegese traditionnelle, s'y refere dans Ie prologue de son commentaire sur les petits Prophetes comme a une donnee evidente : ... II Y a quatre sens : Ie sens historique, qui emprunte sa solidite a Ia verite des faits; Ie sens tropoIogique au moral, qui a celle de Ia vertu; Ie sens allegorique, qui a celle de Ia certitude de Ia foi; Ie sens anagogique, qui a celle de I'immutabilite des promesses eternelles.
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Cette insistance constante sur la theorie des quatre sens suffit a montrer que pour ces auteurs Ie sens spirituel n'etait pas un ornement extrinseque ni un sens « adapte », de maniere plus ou moins heureuse, pour illustrer telie ou telle affirmation doctrinale (ou politique). Le sens spirituel demeurait a leurs yeux de necessitate sacra Scriptura, comme dit saint Thomas, element constitutif de la verite meme de l'Ecriture et voulu par Dieu. Le chretien ne saurait, face a la Bible, faire abstraction de l'action de l'Esprit et de l'unification de toute l'histoire du salut par et dans la personne du Christ, unique objet de l'Ecriture et leur unique interprete; « ce que les Juifs comprennent selon la chair, les chretiens doivent Ie comprendre selon l'Esprit », dit encore saint Thomas (in II Cor., c. III, 1. 7) qui, ailleurs, rappelle et approuve la condamnation jadis portee contre l'exegese « judalsante » de Theodore de Mopsueste: Nous devons eviter l'erreur condamnee au v e CondIe. Theodore de Mopsueste avait dit que dans l'Ecriture sainte et les Prophetes rien ne se rapportait expressement au Christ mais que [ces textes] se rapportaient a diverses autres choses que l'on avait adaptees au Christ: ainsi « Ils se sont partage mes vetements » (Ps. XXI) serait dit non du Christ mais, a la lettre, de David. Cette conception a ete condamnee a ce CondIe et celui qui affirme qu'il faut expliquer ainsi les Ecritures est heretique (Prologue du Commentaire des Psaumes). Albert Ie Grand est peut-etre Ie seul chez qui on peut peut-etre trouver des formules qui semblent impliquer une relative depreciation de la valeur theologique des sens spirituels. Illui arrive de suggerer que la distinction des sens peut jouer a un double niveau : celui de la nature meme de l'Ecriture et de l'intelligence chretienne de la Revelation mais aussi celui d'un mode d'exposition et de commentaire; si l'on prefere, un niveau proprement theologique (qu'il ne nie pas) et un niveau pedagogique, d'illustration des verites relatives a la foi et aux mceurs. II y a la, incontestablement, l'amorce d'une degradation de l'exegese spirituelle dont nous verrons les prolongements ulterieurs. Mais si l'on ne veut pas forcer les textes et concernant Albert lui-meme, il est sans doute plus urgent de souligner avec Ie cardinal de Lubac que c'est sur la foi de formules tronquees qu'on n'a vu en lui qu'un pourfendeur de l'exegese spirituelle alors que son desir, justifie, d'ecarter les allegories arbitraires ne l'enfermait nullement dans Ie litteralisme : C'est creuser des citernes perrees (Jer., 2, 13) que de chercher des significations erronees dans les Ecritures ... ou de mepriser l'intelligence spirituelle dans Ie Christ, dit une phrase de son commentaire sur Jean, 5,40, dont on ne cite trop souvent que la premiere partie qui semble alors viser sans nuances les commentaires mystiques.
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Ainsi comprise, l'attitude d' Albert parah, en fait, assez proche de celIe de son cleve saint Thomas. Celui-ci etait en effet tout aussi soucieux de bien delimiter Ie champ d'application de l'exegese spirituelle. Comme saint Bonaventure et saint Albert, il soulignait que toute l'Ecriture ne relevait pas automatiquement d'une quadruple exposition, sauf a ramener l'interpretation mystique a l'adaptation arbitraire de telie ou telie signification a n'importe quel passage du texte. Contre les abus de l'allegorisme pratique par certains auteurs anterieurs, il s'est efforce de dresser quelques garde-fous, qui temoignent a la fois de la permanence, chez lui, du sens authentique de l'allegorie chretienne et d'une volonte d'affinement de ce sens allegorique qui aboutissait en fait, peut-etre malgre lui, a en reduire notablement la portee hermeneutique. Dans son quodlibet VII, il precise : Dans la sainte Ecriture, il arrive surtout que ce qui doit suivre dans l'ordre du temps soit signifie par ce qui Ie precede; et de Ia vient que parfois dans la sainte Ecriture ce qui est dit au sens litteral de ce qui precede peut s'exposer, au sens spirituel, de ce qui viendra plus tard, tandis que l'inverse n' est pas vrai (q. 6, a. 15, trad. C. Spicq). L'expose mystique devra done etre essentiellement « typologique », c'est-a-dire interpretation du texte sacre comme figuration generale de l'economie historique du salut, exercice de theologie symbolique se dilatant en eschatologie. Meme ainsi conc;ue, cette exegese mystique n'etait pas a l'abri de tous Ies pieges de l'allegorisme. Saint Thomas souhaitait donc que Ie theologien pdt conscience de Ia marge d'incertitude que comportait necessairement Ie sens spirituel, toujours fonde sur des comparaisons et des analogies, et qu'il s'assurat done toujours de la conformite la plus grande possible de ses interpretations avec Ie contenu obvie de Ia Revelation! et l'autorite de I'Eglise, exprimee dans Ies gloses des Peres les plus vencrables. En derniere analyse, cet examen critique de la notion meme de sens spirituel et de son bon usage amenait saint Thomas a remettre en cause non certes 1'« autorite» ou, si on prefere, I'authenticite de ce sens mais son« efficacite» dans I'expose et I'approfondissement de Ia foi. Prudence excessive? Citons encore une fois Ie cardinal de Lubac : « On peut sans doute regretter apres coup qu'il [saint Thomas] n'ait pas cherche davantage a couler sa pensee dans Ie moule des quatre sens : elle y eut gagne d'apparaitre plus historique et plus christologique. Mais un tel regret n'est-il pas chimerique? L'entreprise etait-elle encore imaginable? » L'interet pour l'exegese spirituelle etait ne dans un contexte pastoral (la catechese patristique) puis monastique. L'atmosphere des ecoles et des universites ne la favorisait guere. Les preoccupaI. « Toute interpretation spirituelle doit etre confirmee par une interpretation litterale de l'Ecriture sainte; ainsi evite-t-on toutrisque d'erreur », Quodl. VII, q. 6, a. 14.
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tions propres a l'enseignement - exposition rationnelle, argumentation logique - s'accommodaient mal des approximations de ce type de commentaire. Et de surcroit l'adoption dans les ecoles des methodes d'analyse textuelle des auteurs antiques, fondees sur les arts du trivium, loin de revivifier l'exegese spirituelle, y introduisit non une rigueur retrouvee mais un intellectualisme qui favorisait « la multiplication sans criteres ni limite des figures et des allegories» (M.-D. Chenu). Le declin du commentaire spirituel de l'Ecriture a donc sans doute ete plus subi que voulu par les auteurs universitaires du xm e siecle. Et a l'epoque meme de saint Thomas un certain equilibre e~stait encore. On sait d'ailleurs que les auteurs que nous venons de c1ter ont tous largement pratique eux-memes l'exegese spirituelle dans les expositions et lectures bibliques qu'ils nous ont laissees. Force est cependant de remarquer que ce n'est generalement pas Ie point fort de ces ceuvres. Souvent incomplets (ne recouvrant pas tout Ie livre commente et ne comportant frequemment que l'un ou l'autre des trois sens spirituels), souvent repris de maniere systematique des Peres et de la Glose, ces commentaires manquent d'originalite. Et en 1269-1270, saint Thomas decida meme de limiter strictement son exposition sur Ie livre de Job au sens litteral. S'agissant d'un des textes qui depuis les temps patristiques avait Ie plus alimente l'exegese mystique, ce parti nouveau est significatif2. Certes, saint Thomas Ie justifie par l'excellence du commentaire spirituel de Gregoire Ie Grand (MoraNa in Job) « auquel on ne voit rien a ajouter », et i1 n'y a certainement aucune ironie dans cette formule reverentielle. Elle n'en traduisait pas moins Ie sentiment desormais largement repandu, au moins dans les milieux scolaires, d'un epuisement de l'exegese mystique et, par contraste, la decouverte des attraits nouveaux de la lettre. Ainsi lentement devalues, les sens spirituels de l'Ecriture ne perdirent pas pour autant toute portee theologique ou religieuse. Constituant un schema commode, ils continuerent a structurer maints exposes et questions dogmatiques et moraux, meme de plus en plus separes du commentaire scripturaire vivant. Les seductions de l'allegorisme pur et simple faciliterent d'autre part la penetration, chez certains auteurs universitaires, du prophetisme joachimite qui procedait lui-meme, a l'origine, d'une exegese purement spirituelle. Nous reparlerons plus bas de ces veritables devoiements qui continuerent bien avant dans Ie XIV e siecle. Plus simplement, les sens spirituels, specialement Ie sens moral, garderent la fonction, que leur avait reconnue Albert Ie Grand, d'un mode d'exposition populaire, bien adapte en particulier a la predication a 2. Cependant, quelques annees plus tot, Roland de Cremone avait deja, Ie premier, commente Job selon les quatre sens, en donnant un grand developpement a l'expose litteral.
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qui ils fournissaient une large moisson d'autorites et d'exemples scripturaires. Un autre chapitre de ce livre traite de cette permanence dans la predication, latine ou vernaculaire, des formes plus traditionnelles de l'hermeneutique qui y retrouvaient d'ailleurs, dans l'intention pastorale, une de leurs raisons d'etre primitives. C'est dans ce contexte d'une tradition exegetique maintenue mais cependant irresistiblement gauchie, comme de l'interieur, du fait meme des conditions creees par Ie cadre scolaire nouveau, qu'il faut se placer pour apprecier l'insistance desormais mise sur la valeur du sens litteral de la Bible. Les formules qu'il est aise de collecter - « Qui meprise la lettre de la sainte Ecriture ne parviendra jamais al'intelligence spirituelle de celle-ci » (saint Bonaventure, prologue du Breviloquium), « Le sens litteral est premier et en lui est Ie fondement des trois sens spirituels » (Albert Ie Grand, Somme theologique, la, l, 5, 4), etc. - n'avaient en soi rien de nouveau et n'impliquaient, repetons-le, aucune remise en cause de la « necessite » theologique du sens spirituel. La nouveaute n!sidait bien davantage au niveau de la mise en ceuvre pratique. Celle-ci se faisait desormais sous une forme scolaire, celIe d'un enseignement de la Bible. EIle etait donc soumise ades criteres specifiques, d'ordre pedagogique : il s'agissait d'abord d'expliciter a des etudiants qui n'en avaient pas necessairement, par exemple par l'impregnation liturgique, la pratique anterieure, Ie contenu obvie de la Bible; il s'agissait ensuite de faire servir ce contenu a l'expose systematique de la doctrine theologique et morale de l'Eglise, expose qu' on avait pris l'habitude de construire, depuis les premiers auteurs de Sentences, Abelard et Pierre Lombard, selon les regles de l'argumentation dialectique; il s'agissait enfin de faire en sorte que l'instruction biblique ainsi re<;ue fut immediatement adaptee aux fins pratiques qui etaient celles des etudes theologiques, specialement chez les Mendiants : la predication, la polemique (antiheretique, antijuive, antimusulmane); meme dans les commentaires magistraux la perspective apologetique est toujours presente. Dans la dedicace de sa Catena aurea, qui, il est vrai, n'est pas une ceuvre proprement scolaire, saint Thomas precisait : Mon intention, dans cette reuvre, a ete non seulement de rechercher Ie sens litteral mais aussi d'exposer Ie sens mystique et, en meme temps, de refuter les erreurs et d'affinner la verite de la foi catholique. Or, dans cette perspective, il apparut vite que seul Ie sens litteral pouvait soutenir de maniere certaine I'argumentation dogmatique, ainsi que Ie dit saint Thomas dans la Somme theologique : On ne peut argumenter qu'a partir du sens litteral et non a partir des sens dits alIegoriques ... Rien ne sera cependant perdu de Ia sainte Ecriture car rien de necessaire a Ia foi n'est contenu dans Ie sens spirituel que I'Ecriture ne nous livre clairement ailleurs dans Ie sens litteral (la, q. I, a. 10).
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En meme temps qu'il fondait au plan non de l' « autorite » theologique mais a. celui de l' « efficacite » doctrinale Ie primat du sens litteral, Ie developpement de la scolastique donnait precisement aux exegetes universitaires les moyens concrets d'enrichlr leurs modes d'investigation de la lettre. Nous avons cite plus haut quelques-uns des instruments de travail (concordances reelles et verbales, correctoires) crees dans les ecoles du xm e siecle. On pourrait y joindre les recueils de distinctiones d'esprit analogue quoique destines a. la predication plus qu'a. l'enseignement. Des chapitres particuliers de ce livre sont consacres a. la presentation detaillee des uns et des autres. Mais il y a plus. Les efforts, assez maladroits d'ailleurs, pour diffuser dans l'universite une recension jugee satisfaisante de la Vulgate, la mise au point d'une division du texte sacre en chapitres et paragraphes numerotes afin de permettre un systeme clair de references, la reflexion des exegetes pour fixer de maniere definitive et, il faut Ie dire, pertinente Ie canon de la Bible, specialement de l' Ancien TestamentS, tout ce travail qui n'etait au demeurant pas propre a. l'exegese biblique (car des efforts analogues furent alors faits, dans les memes milieux universitaires, vis-a.-vis des Peres, des recueils juridiques, des textes d'Aristote, etc.) « denote », comme l'a bien montre R. H. Rouse, « un changement important dans l'attitude vis-a.-vis de l'autorite du mot ecrit ... , un de sir d'appliquer aux textes une nouvelle methode de recherche, d'acceder a. l'information, de la localiser dans la matiere du te:x:te »4. Cette attitude nouvelle face a. la lettre du texte sacre, jugee desormais de nature a. arreter longuement 1'attention de l'exegete, ressort clairement de la lecture de n'importe quel grand commentaire biblique du xm e siecle. Certes, ces commentaires continuaient a. prendre largement appui sur les interpretations des Peres, connues Ie plus souvent a travers la Glose, encore que Ie recours aux originalia Patrum fftt vivement conseille, sinon pratique. Mais les exegetes universitaires savaient aussi que les interpretations des Peres etaient elles-memes parfois discordantes et qu'elles ne dispensaient donc pas de rechercher, eventuellement par soi-meme, la « verite de la lettre », qu'ils identifiaient a. l' « intention» de 1'auteur sacre. « Tel est Ie sens litteral et conforme a. l'intention de l'auteur », dit saint Thomas dans son commentaire de l'Epitre aux Romains; cette formule est significative de ce type d'exegese. 11 s'agissait au demeurant 3· En gros, on peut dire que les exegetes du XIII" siecle ont su rejeter a peu pres tous les apocryphes (mis a part la « Priere de Manasse » et Esdras III) et reconnrutre la canonicite des livres deuterocanoniques, tout en leur attribuant generalement une autorite moindre, au moins au plan doctrinal. Dans Ie Nouveau Testament, ils ont tous admis l'authenticite paulinienne de l'Epitre aux Hebreux (sur Ie detail de ces problemes, voir C. SPICQ [16], pp. 144-159). 4. R. H. ROUSE, « L'evolution des attitudes envers l'autorite ecrite : Ie developpement des instruments de travail au XIII" siecie », dans Culture et travail intellectuel dans l'Occident medieval, Paris, 1981, pp. II5-144.
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d'une tache difficile et parfois l'incertitude sur Ie sens exact de tel ou tel passage ne pouvait etre levee de maniere satisfaisante. Ne pouvait-on, suggeraient alors certains, aller jusqu'a concevoir qu'il puisse a. l'occasion exister une veritable pluralite de sens litteraux de l'Ecriture, ne serait-ce qu'en raison de la pluralite de ses « auteurs », 1'ecrivain inspire d'une part mais aussi l'Esprit-Saint lui-meme ? Sur ce probleme diffidle, saint Thomas a des formules quelque peu embrouillees qui ont alimente les positions divergentes des thomistes contemporains; dernier en date, Ie cardinal de Lubac parait penser que saint Thomas admettait eventuellement divers sens litteraux, encore que d'une « authenticite biblique » inegale, glissant du sens propre, celui« de l'auteur », a. des sens « adaptes » mais cependant ratifies par l'Esprit-Saint. Dans cette tache diffidle d'analyse litterale, les exegetes universitaires utilisaient avant tout les instruments dont ils avaient appris l'usage a. la faculte des arts 5 : la grammaire (la morphologie beaucoup plus que la syntaxe) et la dialectique. La grammaire leur permettait d'apprecier Ie sens exact des mots, concordances et distinctiones facilitant a. cet egard d'eclairants rapprochements. La dialectique surtout commandait toute la structure du commentaire. Celui-d commens:ait normalement par un prologue etablissant l'unite organique du livre commente par l'analyse de son sujet, de sa composition et de son genre litteraire, de sa finalite religieuse ou morale. A partir de Guerric de Saint-Quentin, les exegetes prirent 1'habitude d'utiliser systematiquement la classification aristotelidenne des quatre causes (efficiente, materielle, formelle, finale) pour ordonner leurs prologues. C'est a. ce schema que se refere saint Thomas lorsqu'il distingue, dans l'introduction de ses expositions, 1'auteur (par exemple Jeremie, prophete de Dieu), la matiere (dans l'exemple de Jeremie, la captivite d'Israel), Ie mode ou forme (id, Ie mode prophetique), enfin l'utilite (ici, nous apprendre a. bien vivre avant de parvenir a. la gloire de l'immortalite). Apres Ie prologue, Ie commentaire lui-meme se presente selon une ordonnance egalement dialectique, c'est-a.-dire qu'il est divise et subdivise en autant d'elements qu'il est necessaire pour mettre en evidence sa structure logique, c'est-a.-dire pour retrouver l'intention, les « raisons» de l'auteur inspire. Et l'exposition progresse ainsi systematiquement, section apres section, Ie commentaire litteral etant souvent double, repetons-Ie, de l'expose d'un ou plusieurs sens spirituels. Cette minutieuse analyse grammaticale et logique s'appuyait sur un grand luxe d'autorites et de references: autres passages de la Bible ellememe, plus ou moins judideusement rapproches et confrontes au texte 5. Les mrutres en theologie seculiers etaient tous mrutres es arts. Les mrutres mendiants avaient eu une formation equivalente dans les studia d'arts et de philosophie de leurs ordres.
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commente - citations « authentiques » des Peres et « magistrales » des glossateurs plus recents, patiemment relevees et eventuellement accordees selon les regles desormais elassiques de la dialectique - , rappel des interpretations erronees et des erreurs des heretiques du passe. Les references aux auteurs paiens, c'est-a-dire a Aristote, aux savants et philosophes grecs et arabes, aux moralistes antiques, apparaissent assez timidement vers 1220 chez Guillaume d'Auvergne et Philippe Ie Chancelier. Ce fut Roland de Cremone, forme en arts a Bologne avant son entree chez les Dominicains, qui, Ie premier, leur ouvrit largement les portes de l'exegese, suivi par tous les auteurs posterieurs, specialement Albert Ie Grand et les Oxfordiens. La Physique et la Mitaphysique, plus tardivement et plus discretement l' Ethique et la Politique furent ainsi largement mises a contribution. Naturellement, ces references n'avaient pas en exegese la valeur d'autorite des citations patristiques mais elles servaient a expliciter rationnellement Ie contenu litteral du texte sacre. L'idee meme que la Bible etait Ie livre supreme, a la fois fondement de l'Eglise et achevement de toute science et de toute sagesse, justifiait qu'on usat de toutes les disciplines de l'esprit humain, de toutes les ressources des sciences profanes pour elucider les significations historiquement voulues par les auteurs inspires. « Sans l'astrologie [et on pourrait y ajouter toutes les disciplines du quadrivium et de la philosophie naturelle] on ne peut comprendre bien des passages de l'Ecriture sainte », dit, dans son commentaire sur Job, Roland de Cremone qui rappelle ailleurs que tout docteur en theologie doit avoir ete prealablement forme en philo sophie, specialement en logique « pour ne pas se laisser prendre a des argumentations erronees » et en medecine « a cause des allegories et moralites tirees des proprietes des choses ». La lecture des commentaires bibliques du xm e sieele est aujourd'hui fort deroutante. Leur extreme morcellement, qui correspondait aux necessites d'une pedagogie essentiellement orale, est lassant. Surtout les lacunes de cette hermeneutique sautent aux yeux. Sa grande minutie ~rammaticale ne saurait cacher sa faiblesse philologique. Pour l'essentiel, les exegetes du XIIIe siecle s'en sont tenus aux recensions dont ils disposaient couramment, c'est-a-dire, en particulier, celIe dite de l'universite de Paris; recension notoirement assez fautive, ce dont les contemporains eux-memes eurent bientot conscience mais sans parvenir a y., porter s,:bstantiellement remMe malgre la production au long du sleele de divers correctoires; seul celui du francis cain d'Oxford Guillaume de La Mare, redige a la fin du XIIIe siecle, utilisait assez largement Ie tex~e hebreu et les commentaires rabbiniques. La solution avait en effet bIen ete per~ue, c'etait de recourir aux versions grecque et hebraique. En. vertu d'une theorie alors largement admise sur l' origine et la generatIon successive des langues, l'hebreu exer~ait meme sur les auteurs chretiens une fascination particuliere. Et de fait, on trouve dans les
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bibliotheques universItalreS ou mendiantes, notamment anglaises, du xme sieele des glossaires grec- ou hebreu-latin ainsi que des originaux hebreux, parfois gloses en latin, et des traductions, specialement du Psautier, directement refaites sur l'hebreu. A la fin du XIIIe siecle, plusieurs couvents dominicains (Barcelone, Jativa) eurent une ecole d'hebreu. Mais tout cela n'alla pas tres loin. Tout en fascinant, les versions grecque et hebraique de la Bible suscitaient a priori la mefiance; on soup~onnait en particulier les J uifs de falsifier l' Ancien Testament pour en eliminer toute allusion au Christ; on repro chait en somme a l'exegese rabbinique son strict« judaisme» qui ne pouvait evidemment alimenter l'alIegorie chretienne. Bien souvent, ceux-la meme qui se donnerent la peine d'apprendre Ie grec et l'hebreu et d'examiner les versions grecque et hebraique de l'Ecriture, Ie firent dans une perspective ouvertement apologetique, pour y puiser la matiere d'ecrits polemiques. Ajoutons que cette connaissance des langues orientales fut surtout Ie fait d'exegetes specialises dans la compilation de manuels; mais parmi les commentateurs proprement dits, si ceux d'Oxford eurent generalement un minimum de notions de ces langues, les grands auteurs parisiens les ignorerent superbement; les references pedantes, les etymologies plus ou moins exactes de mots et de noms grecs et hebreux dont ils parsemaient volontiers leurs ecrits, ne doivent pas faire illusion sur leur ignorance profonde. On chercherait de meme en vain dans ces commentaires les elements d'une approche historique ou litteraire authentique de la Bible. Les explications d' ordre historique ou archeologique sont rares, vagues, souvent erronees. Les caracteristiques propres du style biblique, variable selon Ie genre des livres mais qui, en regIe generale, s'apparente plus ala poesie ou a la chronique qu'a l'expose doctrinal, sont tres largement meconnues; il est vrai qu'il etait difficile de mener une telle approche rhetorique et poetique en n'ayant a disposition qu'une traduction, de surcroit souvent mediocre. Bref, l'exegese des maitres universitaires du XIIIe sieele nous frappe volontiers par son anachronisme, sa tendance a moins expliquer, pour elle-meme, la lettre de l'Ecriture qu'a lui appliquer des significations contemporaines portees par de simples considerations lexicales et deductions logiques. « Pour prouver ce qu'il vient de dire, l' Apotre introduit deux syllogismes ... » : cette formule extraite du commentaire de saint Thomas sur l'Epitre aux Romains - on en trouverait mille analogues chez saint Thomas lui-meme ou ses contemporains - suffit, mieux qu'un long discours, a faire sentir les limites d'une exegese a ce point dominee par les habitudes de la pensee dialectique. Mais ce constat de carence est lui-meme, pour une part, anachronique. II faut en effet bien voir que chez tous ces auteurs Ie souci d'exposer Ie sens litteral de l'Ecrhure sainte s'accompagnait cependant du refus
Etudier la Bible d'un litteralisme qu'ils eussent qualifie de « judalsant» c'est-a-dire
~'a;v~ugl.e, comme la Synagogue aux yeux bandes des porch~s gothiques,
a I hIstone du salut, au centre de laquelle Ie Christ donne seul sens a toute la Revelation. Aussi bien d'ailleurs voit-on a lire par exemple saint Thomas, que la definition qu'il donne du « s~ns litte'ral» de l'Ecri~ ture est en fait large et recupere une part de ce que nous aurions cru relever du sens spirituel traditionnel. Le sens litteral, dit-il, ne doh pas seulement s'entendre du sens immediat, grammatical, et des references factuelles, historiques; il inclut la totalite du contenu de la Revelation: c'est-a.-dire tout l'e-?seignement religieux et moral explicitement donne par Dieu dans la BIble, que ce soit sous la forme d'un discours obvie ou sous celles, multiples,. de la parabole ou de la prophetie (sans compter c~ ~ue nous avons dit plus haut de la multiplicite possible des ,~e~s lit:eraux). Cantonnant l'exegese spirituelle dans Ie domaine ~e I ~di~catlOn ~orale ~t de la meditation typologique, saint Thomas elargissait en faIt considerablement Ie champ de ce sens litteral de l'Ecriture dont il nous dit par ailleurs qu' « il ne saurait y avoir en lui la moindre faussete ». On ,,:oit donc qu'il faut etre prudent lorsqu'on rapproche, comme on Ie. faIt souvent, Ie succes de l'exegese litterale chez les docteurs m~ndiants de l'esprit evangelique - vivre l'Evangile « a la lettre » _ qw est un des fondements de la spiritualite de leurs ordres. Certes les Me~diants et d'abord saint Frans:ois ont passablement devalue les anCIennes traditions monastiques de contemplation et de meditation c~dre na:~rel de l'e~e~ese spirituelle, au profit d'un ideal plus concre~ ou la pnere et la perutence supplantent la lectio divina ou en tout cas s'~n separent nettement. Mais l'exegese des grands dodeurs domini~ ~ams ~t fra~ciscains n'a rien de la paraphrase pieuse - Scriptura sola _ a quOl au;aIt pu m;ner .par elle-meme la pratique de la vie apostolique. Elle parrut ~~nc s exp~quer beaucoup plus par l'atmosphere intellectuell e. ~es. m1heux scolaues dans lesquels les Mendiants se sont inseres e: .qw etalt cell~ de la scolas.tique et donc de l'aristotelisme. Par oppoSltlOn a.u platorusme, au moms latent, et a l'augustinisme de la culture mo~ast1qu~ du haut Moyen Age, la scolastique refuse d'assigner comme ~, a la SCIence et notamment a la theologie l'intuition d'une verite Ideale cachee derriere un monde d'apparences et accessible seulement selon les ,:,"Oies de l'illumination mystique ou de la pensee symbolique. La scoiastique pense au contraire qu'une connaissance scientifique des apparences est possible et meme necessaire - car il n'en est point d'autre -, que l'esprit ne se derobe pas derriere la lettre mais au contraire s'y . . . expnme en l"n£ 1 ormant. L'Ecriture sainte est donc totalement intelligIble. dans sa litteralite mais, sous peine de « judalser », cette litteralite n: dOlt pas se suffir~ a soi-meme mais au contraire renvoyer, au-dela d elle-meme, non pomt tant aux « sens spirituels » traditionnels qu'au
L'exegese de I'Universite contenu dogmatique de la foi qui constitue, comme dit Albert Ie Grand, la « verite de la lettre ». Litterale et scientifique, l'exegese universitaire du xme siecle etait donc, plus encore, doctrinale et theologique. Les theologiens du XIIe siecle, a partir d' Abelard, avaient deja commence a pousser Ie commentaire biblique au-dela de sa fin immediate en degageant, a. propos de tel ou tel passage de l'Ecriture, les « questions» theologiques qu'il appelait; bientot etaient apparus les premiers recueils de « sentences » OU ces questions theologiques etaient combinees entre elles et rassemblees selon un ordre systematique n'ayant plus rien a. voir avec celui de l'Ecriture. Ce mouvement qui tendait a. detacher la theologie de l' exegese, la sacra doctrina de la sacra pagina, a pris toute son ampleur au XIIre siecle avec la scolastique, au fur et a mesure de la decouverte progressive de l'aristotelisme qui faisait entrer dans Ie champ de la doctrine chretienne la consideration des problemes non seulement religieux mais philosophiques et enfin moraux et politiques. Ce developpement de la theologie speculative s'est traduit sur Ie plan scolaire par l'apparition de nouveaux exercices : commentaires des Sentences de Pierre Lombard - questions disputees. Naturellement, ces exercices, normalement batis selon Ie mode de l'argumentation dialectique, requeraient largement Ie secours d'autorites scripturaires. 11 etait donc logique que de plus en plus l' exegese proprement dite, a quelque niveau de sens qu'elle visat, s'adaptat a. cette finalite nouvelle qui demandait plus une analyse minutieuse des textes qu'une saisie globale de leur unite. Avant la fin du xm e siecle, surtout dans les studia mendiants, cette evolution n'etait d'ailleurs pas achevee. Les meilleures expositions bibliques, celles d'un saint Bonaventure ou d'un saint Thomas a. Paris et, plus encore, celles des maitres oxfordiens continuaient a. tenir ensemble exegese proprement dite et questions theologiques, qui restaient directement greffees sur leur substrat scripturaire. Mais, meme en pareils cas, il n'en etait pas moins vrai que la speculation theologique imposait desormais au commentaire de l'Ecriture son mode d'investigation et d'expression - la dialectique - et ses categories doctrinales. D'une autre maniere que les disciplines profanes, l'exegese se voyait donc de plus en plus ramenee a. un role ancillaire vis-a.-vis de la science sacree qui trouvait desormais son expression la plus achevee dans les exposes systematiques des Sentences et des Sommes. Naturellement, ceci ne signifie pas que les theologiens de ce temps ont mal connu la Bible. Au contraire, les progres techniques (malgre leurs insuffisances) de l'exegese litterale, la structure meme des cursus d'etudes - sur lesquels nous reviendrons - leur assuraient une familiarite profonde, une impregnation totale du texte sacre. I1s Ie connaissaient sans doute tres largement par cceur et Ie recours aise aux tresors immenses de la Glose et des concordances leur en donnait la maitrise a peu pres parfaite.
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On a releve que sur les 38 000 citations explicites contenues dans les deux Sommes de saint Thomas, 25 000 venaient de la Bible, 8000 d'auteurs chretiens, Peres surtout, et 5 000 seulement d'auteurs paiens (dont 4 300 d' Aristote). Commentant ces chillies, Ie P. Hubert en conclut que les Sommes sont des « manuels de theologie biblique et, par contrecoup, d'exegese» OU les references aristoteliciennes ne representeraient que« Ie patrimoine universel de l'experience et du bon sens humain »6. C'est aller un peu vite en besogne. Le meme auteur ecrit d'ailleurs plus bas que « saint Thomas ne s'arrete pas ... a l'Ecriture en tant que texte. Sa foi, en pleine activite, va aux res par-dela les verba ». N'est-ce pas reconnrutre que la matiere scripturaire, dont nul ne peut evidemment, sans absurdite, nier qU'elle soit Ie fondement de toute la foi chretienne, est organisee par les auteurs scolastiques selon une structure qui n'est sans doute pas purement aristotelicienne mais qui n'est pas non plus specifiquement biblique. Le P. Chenu fait observer que« la Bible etait, dans l'enseignement de la theologie au xm e siecle, Ie livre de base, non seulement comme Ie premier repertoire des autorites a utiliser pour assortir de leurs preuves les arguments elabores, mais comme la matiere meme, directement exploitee, du savoir sacre qu'est la theologie, science de Dieu a partir de la parole de Dieu ». L'exegese du xme siecle s'est adaptee a ce double role. Elle a fourni a l'enseignement et, ajouterons-nous, a la predication toutes les autorites et exempla dont ils pouvaient avoir besoin. Elle a nourri substantiellement les grandes constructions doctrinales mais sans pour autant en informer ~er~tablement l'architecture. Telle est, nous semble-t-il, la principale litnlte d'une exegese qui a sans doute permis d'acceder a une connaissance encore jamais atteinte du texte sacre mais qui, en meme temps, n'a pas su en faire l'axe central de la vie chretienne, n'a pas su animer l'~xperience concrete de la foi de la vie propre d'un texte revele par Dleu tout au long de l'histoire du salut. En verite, ces limites de l'exegese scolastique avaient deja ete per<;ues . pour une part et dans les milieux universitaires eux-memes par certalllS contemporains, tel Ie francis cain d'Oxford Roger Bacon dont l'.O!US minus (vers 1267) contient a ce sujet quelques pages souvent cl~ees. Bacon s'y propose d'enumerer les « sept peches » dont, selon lU1, souffre l'enseignement theologique de son temps7 : la philosophie a tout envahi et l'Ecriture sainte elle-meme est desormais exposee selon des procedes empruntes aux dialecticiens, aux grammairiens et 6. M. I;IUBERT: ({ L'humour de saint Thomas d'Aquin en face de Ia scolastique », dans I2J74 Annee cbarmere. Mutations et continuites (Colloques internationaux du CNRS, 55 8), Paris, 1977, pp. 725-739. 7· Fr. Rogeri Bacon opera quaedam bactenus inedita, ed. J. S. BREWER, vol. I, Londres, 18 59, pp'. 322 -359; l'Opus minus ne nous ayant ete conserve que de maniere fragmentaire, il manque d allleurs Ie passage concernant Ie ({ septieme peche » de Ia theologie moderne.
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L'exegese de I'Universite aux juristes. II est certes, ajoute-t-il, des sciences nobles et utiles a la theologie : grammaire des langues etrangeres (en tendons Ie grec et l'hebreu), mathematiques, perspective, morale, science experimentale, alchimie, mais les exegetes actuels les dedaignent au profit exclusif de la grammaire latine, la logique, la philosophie naturelle et la metaphysique; et ces quatre sciences elles-memes, d'ailleurs, ils les connaissent en fait si mal que c'est une source supplementaire d'erreurs dans leurs exposes comme on peut Ie voir dans les commentaires totalement surfaits d' Alexandre de Hales et Albert Ie Grand. Dans les facultes de theologie, les Sentences de Pierre Lombard ont supplante l'Ecriture sainte elle-meme et l'Histoire scolastique : au sententiaire tous les honneurs et les titres alors que Ie bibliste n'a qu'une position subalterne; cette coupure est la consequence de la separation desastreuse des « questions }) et du texte sacre lui-meme : Les questions qu'il faudrait degager du texte Iui-meme pour I'eclairer, ... en sont separees... Ceux qui lisent Ie texte, en realite ne I'expliquent pas vraiment car ils ne posent pas Ies questions specifiques et necessaires a I'inteIligence meme du texte. Pourtant toutes Ies questions utiles et proprement theoIogiques que l'on trouve dans Ies Sommes et les Sentences, pourraient etre resolues en se fondant sur Ie texte de I'Ecriture. Et ce fragment de l'Opus minus se termine par un long passage sur la corruption de la recension de la Vulgate dite de Paris, les mefaits de l'ignorance des langues et de l'histoire, l'insuffisance radicale des correctoires en usage et la necessite de recourir aux originaux grec et hebreu. Ces considerations philologiques se retrouvent dans d'autres ceuvres de Bacon comme l'Opus mCYus. Temoignage remarquablement vivant. n ne faut cependant ni exagerer son apparente modernite ni se laisser prendre a la veine sarcastique que ce francis cain d'Oxford deploie volontiers lorsqu'il s'agit de critiquer ses collegues parisiens, specialement domini cains. n ne rend justice ni a la qualite theologique des meilleures expositions bibliques du xme siecle ni aux efforts philologiques et linguistiques limites mais reels de certains de ses contemporains. Et on ne sache pas que lui-meme ait d'ailleurs beaucoup mis en pratique les beaux principes enonces dans l'Opus minus. En realite, comme l'ont souligne Beryl Smalley et d'autres, malgre sa perspicacite, la critique de Roger Bacon etait beaucoup plus tournee vers Ie passe que vers l'avenir. Son modele, c'etait l'exegese des Victorins du xn e siecle et les premiers docteurs d'Oxford, Robert Grosseteste et Adam Marsh. Certes, l'ideal exegetique qui sous-tend ces pages repose sur des exigences auxquelles nous sommes redevenus sensibles : la necessite d'assurer les fondements textuels de l'Ecriture par une meilleure connaissance de ses versions les plus anciennes - la necessite de reunifier commentaire litteral et questions doctrinales pour constituer une authentique theologie
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biblique - l'idee que Ie progres des disciplines scientifiques les plus diverses ne pouvait que concourir a une meilleure comprehension du texte sacre et devait done etre encourage. Mais chez Bacon ces exigences decoulaient en fait de la conviction traditionnelle que tout etait dans la Bible, expression insurpassable de la sagesse divine; et cette conviction l'amenait a placer la theologie, elle-meme ramenee, comme nous venons de Ie dire, a une forme revivmee d'exegese, au sommet de l'immense edifice d'un savoir encyclopedique - « Ie theologien doit tout savoir pour pouvoir comprendre pleinement l'Ecriture sainte » dont il a lui-meme esquisse Ie plan. Mais a cette date ce scire omnia (qui fait echo, a pres d'un siecle et demi de distance, a l'omnia disce d'Hugues de Saint-Victor), s'il posait peut-etre d'utiles jalons pour Ie developpement ulterieur des sciences experimentales, constituait pour l'exegese une position irrealiste, intenable, qui faisait fi des progres contemporains des sciences et l'eut ecrasee sous Ie poids des questions les plus disparates. Plus que d'une impossible unite, c'etait d'une specificite authentique que l'exegese avait desormais besoin. De toute fas:on, les protestations de Roger Bacon allaient largement a contre-courant non seulement de la methode suivie par la plupart des docteurs de son temps mais aussi des pratiques couramment admises alors dans les milieux universitaires et par la grande majorite des etudiants en theologie, seculiers ou Mendiants, ainsi que l'attestent quelques indices concrets sur lesquels nous voudrions terminer. On sait par exemple qu'a en juger par Ie nombre de manuscrits conserves, les reuvres proprement exegetiques d' Albert Ie Grand, saint Bonaventure ou saint Thomas paraissent avoir eu beaucoup moins de diffusion que leurs commentaires d' Aristote ou des Sentences ou leurs Sommes theologiques. II n'existe que 2 manuscrits du commentaire d' Albert Ie Grand sur IsaIe contre 28 de sa Metapf?ysique, 25 du commentaire de saint Bonaventure sur l'Ecclesiaste contre 227 de son Breviloquium et pour saint Thomas enfin 59 manuscrits de son exposition sur Job, 33 de celle sur Jean, 2 de celle sur les Lamentations contre 78 a 167 (selon Ie livre considere) de son commentaire sur les Sentences, 137 de ses Quodlibet et jusqu'a 280 pour la Secunda Secundae de la Somme theologique. Cette faible diffusion des commentaires bibliques coincidait avec une desaffection croissante des etudiants pour ce type d'exercice, meme dans les ordres mendiants. A la fin du xm e siecle, les Dominicains entreprirent de creer, dans leur ordre, des studia Biblie distincts des sttfdia theologie traditionnels OU on lisait essentiellement les Sentences' Ie chapitre general de 1308 s'effors:a de generaliser cette institution: ~n er: donna?t la raison: « Comme il est trop connu que l'etude de 1 EC!1~re Salnte s'est effondree, negligee, semble-t-il, de la plupart, Ie maltre de l'ordre ... ordonne formellement que dans chaque province
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soient designes un ou plusieurs couvents OU on ne lira que la Bible, biblice8 • » Mais des 1312 il fallut apporter a cette decision des corrections qui en annulaient pratiquement la portee : « ... Pour que les jeunes freres assignes a un studium Biblie ne soient pas pour autant prives de 'questions', nous voulons et ordonnons qu'a ces dits studia Biblie soient assignes des lecteurs des Sentences suffisants et idoines. » Prestige de la « question disputee », sclerose et appauvrissement deja irremediables de l'exegese avaient done fait echouer cette tentative pour instaurer chez les Precheurs de veritables ecoles bibliques. Dans les facultes de theologie proprement dites et specialement dans celIe de Paris dont les statuts furent repris dans toutes les fondations de la fin du Moyen Age, 1a place faite aux lectures bibliques dans les cursus universitaires et les programmes d'etudes, sans etre aussi ridicule que Ie pretendait Bacon, n'en etait pas moins limitee. On ne possede pas de statuts complets de la faculte de theologie anterieurs au XIVe siecle mais les pratiques que ceux-ci enterinerent avaient du, pour l'essentiel, se constituer au cours du Xln e siecle. L'enseignement biblique etait donne a deux niveaux. II y avait les lectures des maitres. Les maitres ne « lisaient »-ils que la Bible ou leur arrivait-il de commenter aussi les Sentences? Ce point est discute. En tout cas, ils etaient assez libres dans l' organisation de leurs lectures magistrales, aussi bien quant au contenu (c'est-a-dire quant a la place, plus ou moins grande, a faire aux « questions », theologiques et autres) que quant au rythme; si saint Thomas parait avoir souvent fait deux lectures bibliques par semaine, ce qui lui permit par exemple d'exposer l'Evangile de saint Jean en deux ans et 144les:ons, un Gerson, au debut du xve siecle, mettra dix ans pour commenter les trois premiers chapitres de Marc. A son image, beaucoup de regents, surtout seculiers, paraissent avoir passablement neglige leurs lectures bibliques pour se consacrer avant tout a l'organisation des disputes. L'enseignement biblique courant, celui qui constituait l'initiation essentielle de la plupart des etudiants, etait done assure par de jeunes bacheliers dits biblici ou cursores. Au bout de sept (plus tard six) ans d'etudes (audition essentiellement passive des lectures des maitres et des bacheliers et des disputes), l'etudiant qui en etait juge digne etait admis au. grade de bachelier et devait a ce titre faire deux cursus d'un an chacun au cours desquels i1 lisait, chaque annee, un livre de l' Ancien et un livre du Nouveau Testament. Chaque « cours » debutait par une introduction (principium ou introitus - c'est generalement la seule partie qui a survecu par ecrit de ces lectures de bacheliers biblistes) consacree a l'eloge de 8. Le sens de ce mot n'est pas evident. n est sans doute synonyme de cursorie (cf. infra, p. 222) mais certains, comme Bhrle, pensent qu'il designe une forme plus approfondie de commentaire, incluant l'exposition des sens spirituels.
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l'Ecriture et a la presentation generale du livre commente; puis Ie cursor exposait cursorie Ie livre qu'il avait choisi, c'est-a-dire qu'il s'agissait d'une presentation complete mais rapide, s'attachant sans digression ru question au seul texte, eclaire par Ie recours systematique a la Glose et aux commentateurs autorises. Les bacheliers « bibliques » mendiants et cisterciens etaient meme, quant a eux, tenus de parcourir cursorie en deux ans non pas quatre mais tous les livres de la Bible. II ressort de ces dispositions statutaires que les programmes de la faculte de theologie donnaient aux etudiants les moyens d'acceder a une excellente familiarite avec Ie texte de l'Ecriture (<< ecoute » pendant sept ans puis « lu » pendant deux) mais qu'il s'agissait Ie plus souvent d'une connaissance theologiquement superficielle dont Ie but etait surtout de permettre au futur sententiaire puis maitre d'assimiler l'immense matiere des autorites scripturaires. Les exercices les plus fondamentaux de l'enseignement theologique etaient en dfet manifestement Ie commentaire des Sentences de Pierre Lombard que Ie bachelier, devenu « sententiaire », faisait en deux (plus tard un) ans, apres avoir termine ses cursus bibliques, et surtout les disputes, ordinaires ou quodlibetiques, auxquelles il participait comme « bachelier forme » avant de les presider lui-meme comme docteur. II est a cet egard significatif que l'examen universitaire essentiel, celui de la licence, ait consiste en une serie de disputes menees par Ie candidat sur des questions choisies par lui et qu'on n'ait jamais envisage d'y inserer un exercice d' « exposition » biblique. Mgr P. Glorieux a etudie les notes personnelles d'un certain Jean de Falisca, etudiant en theologie a Paris de 1348 environ a 1364, annee de sa maitrise 9 ; l'examen de ce dossier ne dement pas l'impression creee par la lecture des statuts. Rien n'y apparait des cursus bibHques de Jean de Falisca, qui ont dll etre simple paraphrase de la Glose, alors qu'on Ie voit au contraire, des ses annees d'etudiant puis de cursor, se preoccuper d'assister ou de participer a des disputes et de reunir, par des lectures multiples de theologiens contemporains, les materiaux qui nourriront plus tard ses lec;ons de sententiaire, qui representaient manifestement l'episode decisif de sa formation. L'exemple de Jean de FaHsca n'est qu'un cas parmi d'autres. Pour apprecier de maniere plus globale la place des textes et commentaires bibHques dans la formation des theologiens, on aimerait disposer, par exemple, du temoignage des bibliotheques. Malheureusement, au moins avant Ie xve siec1e, rares sont les inventaires conserves de bibHotheques specifiquement destinees a des etudiants en theologie. On
9. P. GLORIEUX,« Jean de Falisca. La formation d'un maitre en theologie au XIV· siecle», dans AHDLMA, n, 1966, pp. 23-104.
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connait quand meme celIe de la Sorbonne, un des plus grands colleges parisiens, fonde en 1257 par Robert de Sorbon pour seize etudiants en theologie. Un catalogue complet, dresse en 1328, recense 1 824 volumes, ce qui en faisait une des plus belles bibliotheques d'Occidentlo. On peut, en s'appuyant sur les subdivisions memes de ce catalogue, regrouper ces volumes de la maniere suivante : Textes bibliques (Bible, Histoire scolastique, gloses et postilles bibliques) ................................ . Peres et auteurs ecclesiastiques anterieurs au X1IIe siecle .. . Theologie scolastique (Sentences, Questions, Som~es) ., Ouvrages de piete et de pastorale (Distinctiones, Vies de saints, Sommes des vices et des vertus, sermons, liturgie) ...................................... . Arts (grammaire, logique, quadrivium) et philosophie (Aristote, philosophie naturelle, ethique) ........ . Droit ........................................... . Livres en franc;ais ................................. . Total ..................................... .
424 (2; 184 (10 279 (15,5
%)
402 (22
-)
46; (25,5 62 (;,4 10 (0,6
-) -)
1 824 (100
-)
-) -)
-)
Les quelques bibliotheques de studia mendiants que l' on connait, naturellement plus modestes, semblent avoir ete composees de maruere analoguel l. , .., , ., S'agissant de la Sorbonne, on a la une bibHothequ~ ~ssez .eqUlHbree. Ceci tient sans doute, pour une bonne part, aux onglOes diverses des donateurs et au fait que l'enseignement de la Sorbonne etait plutot traditionnel. En tout cas, textes proprement bibHques, Peres, theologie scolastique moderne, ouvrages divers de pastorale, manuels d'art et de phllosophle y etaient egalement tres accessibles. Et ceci nous confirme dans l'impression generale d'une culture biblique de base tres largement diffusee mais chez des hommes tout a fait impregnes des methodes de 10. Edite dans L. DELISLE, Le Cabinet des manuscrits de la Bibliotheque nationale, t. III, Paris, 1881, pp. 9-7 1. .. . . I I. Un exemple : la bibliotheque du couvent dOmInIcatn de Padoue, connue par un mventaire de 139 0 (publie dans L. GARGAN, Lo studio teologieo e ~a bib~ioteea dei Domenieani a Padova nel Tre e Quattroeento (Contributi alia storia del1'Universlta di, Padova, ?), Padoue, 197 1, pp. 19 1- 220). Si nous repartissons les 227 volumes sous les memes rubnques que pour la bibliotheque de la Sorbonne, nous obtenons : Textes bibliques. . .. . . . . . . .. .. . . . . . ... . . . . . . . . . . . .. . . . 49 (21,5 %) Peres et auteurs ecciesiastiques anterieurs au XIII· siecie.. 15 ( 6,5 -) Theologie scolastique ................................ 47 (21 -) Piete et pastorale. . . . . . . . . .. .. . . . . . . .. .. . . . . . . . .. . . . . . 9 2 (40 ,5 -) Arts ........ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 (6 - ) Droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 ( 4,5 -)
Les principales differences (im~rtan~e ~es .ou;rages ~e. pas~orale, faib~esse relativ~ des arts) s'expliquent aisement par Ie fait qu 11 s aglt dune blbliotheque mendiante et non.plus seculiere.
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travail et des modes d'exposition des arts et de la dialectique et assignant avant tout a l'exegese un role en somme propedeutique au service de la predication d'une part, de la speculation theologique de l'autre. Si l'on entre plus en detail dans l'examen des volumes de gloses et postilles bibliques dont Ie contenu est identifie avec precision, soit 253, on constate que les livres sapientiaux (83) et specialement, parmi eux, Ie Psautier (41), d'une part, les Evangiles (62) de l'autre se taiIIent la part du lion alors que les livres historiques (15), les Actes (2) ou l'Apocalypse (4) sont bien mal representes. Le releve de tous les commentaires parisiens connus d'apres Ie Repertorium biblicum de F. Stegmuller amene, avec plus de precision, a des constatations analogues. On les trouvera reunies a la fin de ce chapitre, ventilees par sieele, dans Ie tableau 2 de l' annexe. II apparait que des Ie XIIle siecle les exegetes universitaires ont commente avec predilection les livres qui se pretaient Ie mieux soit a des commentaires doctrinaux, soit a des « moraIisations » : les Iivres sapientiaux, plus particulierement Ie Psautier et Ie Cantique, les Evangiles, les Epitres de saint Paul. lIs ont au contraire beaucoup moins pratique des livres, parfois tres apprecies, comme l'Apocalypse, aux sieeles anterieurs mais qui auraient appele, pour prendre tout leur sens, une exegese vraiment historique (Ie Pentateuque, mis a part la Genese toujours tres lue, les livres historiques, les Actes) ou authentiquement mystique - et poetique - (les Prophetes, l' Apocalypse). Vne telle repartition des commentaires bibliques produits dans les milieux universitaires parisiens nous parait, a son tour, iIIustrer cet usage ancillaire de l'exegese par rapport a la theologie speculative et a la philo sophie chretienne que nous avons analyse plus haut. On no us excusera d'etre beaucoup plus rapide sur l'exegese universitaire des XIVe et xve sieeles. Elle est assez mal connue mais rien de ce que l'on en sait actuellement n'autorise a reviser Ie verdict de « decadence» porte contre elle par Ie cardinal de Lubac. Et l'on peut etre d'autant plus bref que rien de bien nouveau n'apparait alors mais seulement Ie durcissement des caracteristiques les plus discutables de l' exegese du X1IIe sieele et Ie dessechement de ce qui y etait encore vivant. Sans doute cette decadence n'a-t-elle pas ete continue. Le premier tiers du XIV e sieele est meme marque par certaines reuvres interessantes. Si l'exegese theologique dont temoignent par exemple les commentaires bibIiques de maitre Eckhart reste dans la ligne de saint Thomas, divers auteurs, essentiellement mendiants - car ces ordres avaient plus que jamais Ie monopole de cette production (cf. annexe, tableau I) - , se lancerent a nouveau dans de grandes entreprises d'exposition de la totalite ou au moins de larges parties de la Bible, avec une attention soutenue a la lettre et a l'histoire et souvent une bonne connaissance
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de l'hebreu12 • Les dominicains anglais Nicolas Trevet et Robert Holeot commenterent ainsi Ie Pentateuque, les Paralipomenes, Ie Psautier et les livres sapientiaux. A Paris, les domini cains Pierre de La Palu et Jacques de Lausanne (dont les sermons eurent, par ailleurs, tant de succes), les franciscains Pierre Auriole, Frans:ois de Meyronnes et surtout Nicolas de Lyre ont compose des commentaires complets de la Bible. La Postilla litteralis super Biblia compilee par Nicolas de Lyre de 1322 a 1331 eut un immense succes qu'attestent des centaines de manuscrits; Nicolas lui-meme en donna divers abreges, notamment a l'usage des predicateurs. A propos de Nicolas de Lyre, comme plus haut de Roger Bacon, il faut souligner Ie melange d'archalsme et de modernite qui caracterise son reuvre. La tradition de la glose integrale de la Bible avec laquelle il renouait etait celle d'Etienne Langton et d'Hugues de Saint-Cher. Sa volonte affirmee de donner Ie primat a la lettre tout en respectant la theorie des quatre sens n'avait non plus rien de nouveau. Sa connaissance, qui a d'ailleurs ete diversement appreciee, des commentaires rabbiniques de Raschi et autres, etait deja celle d'Andre de Saint-Victor; Nicolas de Lyre etait d'ailleurs tres sensible au danger du « judaisme » et il est l'auteur d'ecrits de poIemique antijuive fondes sur l'Ancien et Ie Nouveau Testament (Probatio adventus Christi contra Judmos, Responsio ad quemdam Judmum ex verbis Evangelii secundum lvIattheum contra Christum nequiter arguentem). II faut enfin noter que Ie commentaire spirituel de Nicolas vehicule d'abondantes reminiscences joachimites comme Ie montre son desir de trouver dans certains livres comme Ie Cantique ou l' Apocalypse des figures des ages successifs de l'EgIise. La Postilla litteralis n'en reste pas moins une reuvre de grand merite, bien informee et temoignant a l'occasion de sens critique. Elle est la derniere de ce type au Moyen Age. Apres 1340, Ie declin se precipite. A la sclerose interne du genre vinrent s'ajouter les consequences de la crise desormais vecue par les deux grands ordres mendiants dont les couvents furent depeuples par les pestes ou tirailles entre observances rivales. L'apparition, au tableau 1 de l'annexe, de nombreux commentateurs carmes ne doit pas faire illusion. Si elle temoigne de l'essor de cet ordre, jusque-Ia secondaire, a la fin du Moyen Age, il s'agissait cependant d'auteurs peu originaux et dont 1'reuvre est souvent mince. A partir de la fin du XIV e sieele, la production exegetique universitaire semble meme s'effondrer, quantitativement et quaIitativement. Les seuls commentateurs de quelque merite (Henri de Hesse, Pierre 12. Rappelons que date de cette epoque Ie decret Inter sollicitudines promulgue au Concile de Vienne (1312) et prevoyant la creation a la Curie et dans les universites de Paris, Oxford, Bologne et Salamanque de chaires d'hebreu, d'arabe et de syriaque; quoique peu suivi d'effet, ce decret confirme l'interet que Ie probleme des langues orientales, pour des raisons a la fois exegetiques et missionnaires, rencontrait alors dans l'Eglise. P. RICHE, G. LOBRICHON
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d'Ailly, Jean Gerson) sont a nouveau des maitres seculiers, moins prisonniers sans doute que les Mendiants de traditions scolaires figees. Mais il ne s'agissait pas d'un veritable renouveau. Les statuts des facultes de theologie ne font apparaitre nulle part de modifications appreciables dans la place et Ie role devolus aux etudes bibliques dans les cursus des etudiants. Au contraire, Ie prestige des Sentences de Pierre Lombard comme base de tout l'enseignement theologique est aIle grandissant. C'est dans leurs commentaires d' Aristote et des Sentences qu'Ockham et les theologiens nominalistes qui l'ont suivi a Oxford et Paris, ont exprime l'essentiel de leurs idees alors qu'ils n'ont laisse pratiquement aucune exposition biblique. II est d'ailleurs faux de croire que Ie nominalisme d'Ockham aurait du tout naturellement deboucher, au moins en theorie, sur un biblisme systematique. Comme l'a note Georges de Lagarde, la forme propre du rationalisme d'Ockham l'a amene a plusieurs reprises a poser comme fondements conjoints de la foi les Ecritures et les « assertions de l'Eglise universelle », les unes et les autres eclairees par Ie bon usage de la raison13• Rien la qui put fonder Ie renouveau d'une theologie biblique ou de la science scripturaire. Fixee dans un cadre scolaire immuable, l'exegese universitaire a continue a obeir aux memes principes hermeneutiques, c'est-a-dire a continue a essayer de tenir ensemble la necessite religieuse de l'interpretation spirituelle et la primaute theologique de l'exposition litterale. Mais ce qui etait encore au XlIIe siecle une unite relativement vivante, s'est ensuite disloque. Beaucoup de commentaires tardifs se presentent, seIon Ie mot du cardinal de Lubac, comme un « melange d'allegorisme et d'ultra-litteralisme ». La profusion des allegories et moralites de toutes sortes, si eIle satisfaisait theologiens et predicateurs sans cesse en quete d'autorites scripturaires, pervertissait en fait la distinction ancienne des sens et ramenait a une serie de pro cedes mecaniques d'exposition ce qui avait ete pedagogie de l'intelligence spirituelle des Ecritures. Le sens litteral lui-meme n'apparaissait donc plus comme Ie lieu ou se manifestait la verite inepuisable de la Revelation, la Bonne Nouvelle de la venue du Christ dans l'histoire, mais comme une regIe imp osee, un repertoire d'arguments dogmatiques dont l'interpretation avait ete fixee de maniere intangible par les Peres, la Glose et les commentateurs posterieurs les plus autorises. Dans une lecture ou, a partir de Marc 3, 29, il definit la notion meme de sens litteral, Jean Gerson, chancelier de l'Universite de Paris, theologien marque par Ie nominalisme mais par ailleurs, on Ie sait, attentif a l'aspiration de ses contemporains a une 13. G. de LAGARDE, La naissance de l'esprit laique au dec/in du Moyen Age, vol. 5, ParisLouvain, 1963, pp. 147-152-
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religion plus sensible au cceur, plus proche de Dieu, multiplie les gardefous, qui sont autant de restrictions a la liberte de l'exegete. On est certes heureux de Ie voir declarer, en humaniste, dans sa seconde « consideration » : Le sens litteral de la sainte Ecriture ne doit pas se comprendre selon la rigueur de la logique ou de la dialectique... L'Ecriture sainte a en effet sa logique propre, que nous nommons rhetorique (De sensu litterali sacra Scriptura). Mais un peu plus bas il prend soin de baliser soigneusement l'itineraire de l'exegete; moins encore qu'Ockham il n'imagine de faire sortir la verite tout entiere de la foi du seul contact direct avec l'Ecriture; il tient au contraire a la reinserer dans Ie fil d'une tradition ecclesiastique pesante14 : Sixiemement : Ie sens litteral a d'abord ete revele par Ie Christ et les Apotres et eclaire par leurs miracles; puis il a ete confirme par Ie sang des martyrs; puis, en argumentant contre les heretiques, les saints docteurs ont degage plus explicitement ce sens litteral et ses consequences evidentes et probables; enfin est venue la determination des saints condles qui a permis a l'Eglise de definir comme dogme ce que les docteurs avaient etabli comme doctrine. Des peines furent fixees par les juges ecclesiastiques et laks contre ceux qui par une audace temeraire refuseraient de se soumettre a la determination de l'Eglise. Disposition necessaire car beaucoup n'en finiraient pas de raisonner et de dis cuter contre la verite. Septiemement: si Ie sens litteral vient de nos jours a etre mis en cause sur des points qui ont deja ete clairement determines et admis par l'Eglise, il ne faut pas se mettre, par esprit curieux, a raisonner contre ces adversaires mais simplement user des sanctions prevues (ibid.). La statistique que nous avons etablie des livres de la Bible les plus Ius a Paris a la fin du Moyen Age (cf. annexe, tableau 2) renforce cette impression d'une exegese de plus en plus en quete d'autorites doctrinales et morales. Les livres historiques et les Prophetes sont presque completement negliges a cette epoque et Ie recul du Pentateuque laisse une place ecrasante aux livres sapientiaux, Psautier en tete, pour l' Ancien Testament. Mais, par ailleurs, la part du Nouveau Testament augmente considerablement; ceci a profite surtout aux Epitres, dont l'usage theologique se con~oit aisement. Parmi les Evangiles enfin, ceIui de Jean l'emporte desormais nettement sur ceux de Matthieu et de Luc, moins doctrinaux, Marc restant, malgre les lectures deja citees de Gerson, Ie moins commente des Evangelistes. On pourrait arreter ce chapitre sur la constatation de ce blocage. Sans trop y insister, i1 parait cependant utile de rappeler qu'en dehors de l'universite ou au moins sur ses marges les deux derniers siecles 14. Qu'il definit de maniere evidemment beaucoup plus precise et orthodoxe qu'Ockham, lequel s'en tenait au concept assez theorique de« consentement de l'Eglise universelle».
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du Moyen Age ont vu se frayer des voies nouvelles qui ont commence a redonner vie et surtout portee religieuse concrete a l'exegese. Chez les Franciscains de tendance« spirituelle », la theorie joachimite des ages successifs de l'histoire, appuyee sur une interpretation mystique de l' Apocalypse, a continue a avoir ~rand s~cc~s tout ,au long du xrve sieele dans la mesure OU elle fonda1t sur 1 Ecnture meme la vocation exceptionnelle des fils de saint Fran<;ois et donnait corps aux esperances de cette observance ~erse.cutee. Un. ~ertain nombre ?e maitres en theologie, plus ou moms lies aux Spmtuels, se sont faits l'echo de ce prophetisme dans leurs commentaires de l' Apocalypse, quoique generalement av~c 'prudence: ainsi.,chez ~ierre Je~n-Oli;.i: lecteur en theologie a Pans a la fin du XIIre s1eele, P1erre Aunole deja cite ou Ie dominicain Jean Quidort. Cependant, si elle temoigne du prestige persistant, dans certains milieux, de l'.allegorie. chreti~~ne et de l' eschatologie biblique, cette inspiration n' en eta1t pas moms .traditlOnnelle. Plus representatifs du temps etaient sans doute les divers courants evangeliques qui se maintenaient ou se developpaient sous des formes variees et tendaient, entre autres, a proner un retour au texte meme de l'Ecriture, debarrasse de la gangue des gloses et concordances forcees et du fatras des allegories (ce qui n'exeluait pas necessairement l'usage de significations mystiques simples et authentiquement spirituelles). Parfois lies au moins au depart, au monde des ecoles, ces courants, qui developpaient une critique, parfois explicite, de la theologie et de l'exegese universitaires, s'en sont rapidement detaches. pour pro~ou voir des formes d'exposition et de diffusion de la B1ble access1bles, par la predication, l'image ou la lecture, a la masse des pauvres elercs et des laics : traductions vernaculaires, « Bibles des pauvres » illustrees sont des productions typiques, souvent encore bien maladroites, de cet evangelisme. On Ie ~rouvai~ a l'~uvre dans cert~ins milie:n .monas: tiques reformes, cartus1ens, c1sterc1ens ou canoruaux. II eta1t a~ssi present dans les mouvements religieux populaires comme ceux lies, aux Pays-Bas, a la Devotion moderne. II etait enfin au creur des mouvements de reforme anglais et tcheques qui se developperent autour de Wyclif d'une part, des reformateurs praguois et de. Jea? .~us de l'autre. Primat de la « loi evangelique », ferveur et s1mplic1te dans l'approche de l'Ecriture : piete et hermeneutique tendaient chez Wyclif a se rapprocher dans la ligne qui aboutira au scriptura sola reformateur. On peut ignorer ~e sens ~ysti'\u~ ou Ie sens l~tteral ,second; il v~u~ mie';1X penser selon Ie sens sImple et Immedlat (sensus rudls) et s en remettre a I EspntSaint... (De veritate sacra Scriptura). Mais bientot expulses d'Oxford et persecutes comme ~eretiques, W.yclif et ses disciples n'eurent guere d'influence sur l'ense1gnement uruversitaire de la Bible.
L'exegese de I'Universite De toute fa<;on, Ie courant nouveau Ie plus fecond, du strict point de vue de l'exegese, etait l'humanisme italien qui allait enfin lui donner les moyens d'un veritable renouveau, c'est-a-dire de cette critique efficace de la Vulgate toujours souhaitee et jamais realisee au Moyen Age, grace a une maitrise parfaite des textes grecs et hebrruques. En r453, Lorenzo Valla publiait sa Collatio Novi Testamenti, premiere etape vers les grandes editions bibliques du xvr e siecle. Dans Ie prologue i1 denon<;ait l'insuffisance flagrante de l'exegese medievale : Ceux qui ne sont pas experts dans la langue grecque ne peuvent comprendre et dans leurs commentaires affirment des erreurs et des improprietes fort eIoignees de la verite; et souvent ils disputent obstinement entre eux de questions qui sont, comme on dit, des vetilles, et dans l'epitre dedicatoire au pape Nicolas V il critiquait hardiment les faiblesses du texte de saint Jerome avant de conelure, avec ce melange d'evangelisme sincere et d'orgueil individuel si typique de l'humanisme du Quattrocento : ... Les simples mots de la sainte Ecriture sont comme autant de pierres precieuses avec lesquelles est construite la Jerusalem celeste ... Je me suis eiforce, selon mes capacites, de donner, pour ainsi dire, une toiture restauree au temple de cette cite ... Est-il tache plus noble ? .. Seul sera qualifie pour ce travail celui qui aura au moins une bonne connaissance du grec et une parfaite connaissance du latin et sera pleinement verse dans les lettres sacrees; il n'y a pas grand monde qui reponde aces exigences. Dans ces conditions on ne devrait pas contrecarrer mon ceuvre ni meme la mepriser16 • Mais ici encore on ne saurait attribuer a l'universite, ou Valla luimeme n'eut guere que des deboires, une part active dans Ie renouveau humaniste de l'exegese. Typique a cet egard est l'attitude d'un homme comme Gerson. Nous avons deja parle de sa prudence, de sa fidelite aux traditions scolaires. Pourtant il etait sensible a la crise generale de l'enseignement theologique, a l'ecart croissant entre celui-ci et les aspirations religieuses des contemporains; il etait aussi, on Ie sait, ouvert au renouveau culturel que representait a Paris meme l'humanisme naissant. En 1400, il redigea un memoire sur la reforme de la faculte de theologie; c'est un texte bien timide et decevant, en particuller en ce qui concerne Ie probleme, a peine mentionne, des etudes bibliques. Apres avoir cons tate que : Les autres facultes se moquent des theologiens; on les traite d'extravagants; on les accuse de ne plus rien savoir de la verite solide [du dogme], des bonnes mceurs et de la Bible,
15· Ces deux passages sont cites par S. I. Florence, 1972, pp. 325 et 374.
CAMPOREALE,
Lorenzo Valla. Umanesimo e te%gio,
Etudier la Bible
L'exegese de l'Universite
Gerson se borne a demander qu' on etudie reellement les quatre livres des Sentences - toujours elles ! - et pas seulement Ie premier, « et aussi la Bible », ajoute+il rapidement. Puis il termine en souhaitant que les universitaires se preoccupent davantage de la predication populaire et publient, a l'usage des clercs et des fideles, « un petit traite sur les principaux points de notre religion » et « une liste des doctrines scandaleuses reprouvees par les maitres ». Ainsi done Ie renouveau espere des etudes theologiques et bibliques n'allait pas, dans son esprit, au-dela de la production d'un catechisme et d'un syllabus. Cinquante ans plus tard, a l'heure OU l'apparition de l'imprimerie, d'une part, la renaissance de l'etude des langues, de l'autre, modifieront completement les conditions memes du travail exegetique, l'universite, au moins sous sa forme traditionnelle et officielle, ne sera guere plus en mesure d'accueillir ce renouveau, dont elle sentait obscurement Ie besoin. Jacques VERGER.
ANNEXE
T ABl:EA? I. - Apl?artenance eccIesiastique des auteurs de commentaires blbliques de Pans et Oxford identifies dans F. STEGMULLER [17], t. II, III, IV, V, VIII et IX Xllle siCcle
XIVe siCcle
XVe siCcle
PARIS Seculiers
24
Dominicains Franciscains Carmes Ermites de Saint-Augustin Total des Mendiants
19 19
9 (13 %)
8
(3 2 %)
12
39 (59
Autres reguliers Total general
(3 6,5 %)
%)
(4,5 %) 66 (100
%)
II
I
25 10
8 (83 %)
14 (56 %)
(4 %)
3 (12%)
70 (100 %)
25 (100 %)
58
OXFORD
Seculiers Dominicains Franciscains Carmes Ermites de Saint-Augustin Total des Mendiants Autres reguliers Total general
,
,'. I "~
"
4 (17
%)
6 (17 %) 7 2 16 4 19 (83 %)
II
35 (100 %)
17 (100 %)
7 10 I
18
(75
%)
2
(8
%)
24 (100
%)
3 (18 %) 3 14 (82 %)
Etudier la Bible
232
TABLEAU 2. composes
-
Nombre de commentaires des divers livres de la Bible STEGMULLER [17]
a Paris, d'apres F.
XIIIe siecle
XIVe siecle
XVe siecle
Pentateuque dont : Genese
53
(13
%)
41 15
(13
14
%)
(7
%)
Livres historiques
54
(13
%) %)
45
(14
%) %)
(0
%) %)
Livres sapientiaux dont : Psautier Cantique Prophetes Total
106 (25,5 27 20 66 (16 279 (67,5
Matthieu Luc Marc Jean Total
21 21 17 19 78 (19
Epltres de Paul Ephres catholiques Total
20 10 30
(7
9
(2
Actes Apocalypse
-
19
%) %)
78 (24,5 17 17 34
(II
198 (62,5
%) %)
69 (22
%)
16 II
(4,5
Total
13 6 (3 2,5
Total general
415 (100
%) %) %) %) %)
27
(3 1,5
%) %)
(3 2
%)
(2,5 13
4 L Jexegese rabbinique
2 4 2
19 15 14 21
%)
9 (22 6 2
I
(8,5 (1,5
17
(5,5
118
(37,5
316 (100
%) %) %) %) %)
13
10 2 12 (29 (2,5 2
(5
28 (68,5 41 (100
%) %) %) %) %)
N.B. - Dans ce tableau : si un meme auteur a donne plusieurs commentaires d'un meme livre, on ne l'a compte qu'une fois. pour un meme livre de la Bible, on n'a pas distingue les commentaires complets et les commentaires partiels ou inacheves.
Les fondements de l'exegese rabbinique* medievale et de ses methodes ont ete forges par les sages! de la Mishna et du Talmud entre Ie lIe siecle avo et Ie VIe siecle ap. J.-c. Le Talmud est, a maints egards, une compilation de I'exegese de l' Ancien Testament, dont Ie but a ete surtout la codification de la Loi et son adaptation aux circonstances nouvelles. Ce travail impliquait a Ia fois la comprehension du texte biblique et son interpretation, afin de I'adapter aux besoins d'une societe qui, au Proche-Orient, etait regroupee dans des habitats urbains et agraires et regie par leurs propres notables et dirigeants religieux. En dehors de ces buts pratiques, qui entrent dans Ie domaine de la jurisprudence et de la thCologie juridique, l'exegese a ete I'instrument qui avait servi I'etablissement de Ia version officielle de I'Ancien Testament, Ie texte
* Le terme « exegese rabbinique » est une notion modeme, fondee sur la perception de la fonction du rabbin dans les communautes juives depuis Ie XIV" siecle. A l'epoque traitee ici, Ie mot rabbin signifiait un enseignant, sans faire la distinction entre Ie pere d'un individu, considere toujours comme son premier maitre, et l'enseignant It une ecole. Le terme employe par les contemporains etait Haham (<< sage »), dans Ie sens du « savant ». La bibliographie de l'exegese juive medievale est parmi les plus abondantes; autant que possible, on evitera de renvoyer ici aux ouvrages en hebreu, nous limitant aux langues accessibles aux lecteurs de cette collection. Pour des travaux d'ensemble, cf. B. M. CASPER [100] OU I'on trouvera des indications bibliographiques additionnelles, ainri que E. I. J. ROSENTHAL, « Medieval Jewish Exegesis; its character and significance », Journal of Semitic Studies, 9, 1964, 2.65-2.81. 1. L'ouvrage fondamental est celui d'E. E. URBACH (en hebreu), Lu« sages», Jerusalem, 1965 (trad. anglaise, The Sages; their Concepts and Beliefs, 1975)·
Etudier la Bible massoritique2• Si Ie Pentateuque, Josue et les Juges avaient deja ete canonises avant Ie lIe siedeav. J.-c., donc avant la traduction de la Septante, les autres livres de l'Ancien Testament ont fait l'objet de discussions quant a la version a adopter, ou encore s'ils devaient etre indus dans Ie canon. Ces debats ont contribue au developpement des methodes de l'interpretation litterale du texte, dont la version massoritique a ete etablie depuis Ie lIe siede ap. J .-c. A partir de cette version, repandue dans tout Ie monde juif, les sages ont elabore des commentaires, au point que la litterature talmudique contient la methode exegetique dite PaRDeS, soit les initiales des quatre sens de l'Ecriture : Peshat (Ie sens litteral), Remez (allusion), Derash (Ie sens homiletique) et Sod (secret ou Ie sens allegorique). Cette methode a ete ulterieurement developpee, aux VIe-IXe siedes, aux academies talmudiques de la Mesopotamie, Sura et Poumpedita, soit les « academies babyloniennes », qui avaient monopolise les etudes talmudiques dans Ie monde juif du haut Moyen Age. Des considerations de l'ordre pratique ont joue un role important dans l'etablissement de cette preponderance. C'est ainsi que la decadence du centre palestinien, due aux persecutions du gouvernement byzantin, a partir du debut du v e siede, laissa Ie centre « babyloneen » sans rival pendant une tres longue periode. n en resulta que les dirigeants de differentes communautes juives du monde entier se sont habitues a s'adresser aux academies mesopotamiennes en matiere de jurisprudence et de l'interpretation des preceptes. Les conquetes arabes du VIle siede ont abouti a la concentration de la grande majorite des communautes juives du monde mediterraneen sous un seul regime politique; c'est ainsi que Ie gouvernement du califat avait facilite les communications des differents pays avec l'Iraq, ce qui joua aussi en faveur des academies de la Mesopotamie. Les liaisons commerciales avec la Syrie ommeyade et avec l'Iraq abbasside ont permis aux dirigeants des communautes de pronter des voyages de marchands en Orient, ann de les charger de questions concernant l'application de la Loi. Ces « envoyes rabbiniques », venant de tout Ie monde regi par les califes, mais aussi bien de l'Europe chretienne, en ont saisi les chefs des academies, les Geonim. Les questions ont ete etudiees aux seances de l'Academie respective, OU les textes bibliques, la source de la jurisprudence talmudique, etaient commentes et interpretes selon les quatre sens de l'exegese, avant la redaction du Responsum, qui faisait autorite et devenait precedent. C'est ainsi qu'encore avant Ie IXe siede une masse composant un riche materiel exegetique a ete accumulee en Meso2. Le probleme de l'etablissement du texte massoritique de I'Ancien Testament et sa datation a ete l'objet des debats contradictoires. Cf. G. E. WElL, Initiation a fa massorah, Paris, 1964, et B. J. ROBERTS, « The Old Testament: Manuscripts, Texts and Versions », dans G. W. H. LAMPE [5], pp. 1-26.
L'exegese rabbinique potamie, la litterature geonique. Elle a servi de source pour les commentaires de Saadiyah Gaon (882-942), qui representent un tournant dans l'exegese juive; ne a Abu-Sweir (district de Payoum) en Egypte, Saadiyah avait etudie a Alexandrie et a Jerusalem avant de s'agreger a l' Academie de Bagdad, dont il est rapidement devenu Ie chefS. Ce logicien, eleve de l'ecole neo-platonicienne d' Alexandrie, adopta dans son exegese surtout les sens litteral et homiletique, qu'il developpa sur les fondements philologiques et philosophiques en arabe, qu'il avait appris a l'epoque de sa formation. C'est ainsi que Saadiyah subit l'influence des courants theologiques musulmans, adaptes dans son reuvre. Un exemple signinant de cette influence se trouve dans sa methode de l'explication raisonnee des preceptes; ann d'y aboutir, Saadiyah divisa les preceptes et les lois bibliques entre ceux qui etaient octroyes par la Revelation et les preceptes emanant de la raison. Cette elucidation, devenue doctrine de l'orthodoxie rabbinique, eut une importante influence sur les exegetes des generations suivantes. Les commentaires de Saadiyah ont ete consideres comme l'emanation de l'orthodoxie juive et sont devenus les fondements de l'exegese biblique en Espagne, dans I'Mrique du Nord et en Europe occidentale.
Les debuts de l'ecole talmudique en Espagne se situent au dernier quart du vm e siede, lorsque l'exilarque Natronai ben Zabinai, exile de Baghdad par les geonim, qui l'avaient depose en 771, y trouva refuge. Cette ecole, dont on peut suivre l'evolution depuis Ie IXe siede, a joue un role de premiere importance dans Ie developpement des centres scolaires en Occident4 et, par consequent, de l'exegese juive occidentale. Certes, ces debuts ont marque la continuation de la tradition normative des academies mesopotamiennes, reprenant ses methodes et les quatre sens de l'interpretation. Pourtant, de nouvelles approches ont ete formulees rapidement, au point que Ie x e siede doit etre considere comme point tournant dans l'histoire de l'exegese juive medievale, aussi bien par ses innovations que par sa proliferation. Le cadre humain et socioculturel des activites de l'ecole sepharade (lit. judeo-espagnole; dans notre contexte, Ie terme indut aussi bien Ie Maroc) a ete celui de la civilisation du califat de Cordoue, a laquelle les juifs avaient activement contribue6 • Dans cette societe, la langue arabe 3. Cf. H. MALTER, Life and Work of Saadiah Gaon, Philadelphie, 1970, 2" ed. 4. Cf. A. GR.A1Iois, « Ecoles et structures sociales des communautes juives dans I'Occident aux lx"-xn" siecles », Gli Ebrei nelrAlto Medioevo (Settimane ... di Spoleto, t. XXVI), Spolete, 1980, pp. 937-964. 5. Cf. E. LtVI-PROVENC;:AL, Histoire du califat de Cortioue, Paris, 1944 (t. I de son Histoir, de l'Espagne mumlmane), ainsi que Ia theorie d'A. CASTRO, La realMad histtJrica de Espana, Mexique, 1954, sur I'origine tri-ethno-religieuse de la civilisation espagnole.
Etudier la Bible a ete l'element commun de la transmission des idees et des connaissances, qu'il s'agisse de la litterature, de la philosophie, des sciences ou bien de la medecine. Les intellectuels juifs avaient appris l'arabe et l'ont employe dans leurs propres reuvres; cette ouverture linguistique a, par ailleurs, facilite aux juifs de se mettre au courant des developpements theologiques de l'Islam, qui ont eu leur influence dans l'elaboration des doctrines du judaisme6 • C'est ainsi que, dans Ie domaine philologique, les resultats acquis par les grammairiens arabes ont servi de modele pour la renaissance de l'hebreu; la-dessus, il y eut, hors de l'influence regionale, transmission de l'heritage des grammairiens juifs de la Palestine. L'etude de l'hebreu et de sa grammaire a connu son essor en Espagne medievale aux xe_xu e siedes. Toute une serie de maitres, depuis Menahem ben Saruq (m. ca. 960), Donash ben Labrat (ca. 920-980) et leur eleve Jehudah ben Hayyuj7, ont forge les outils philologiques de l'exegese biblique, prenant comme exempla de leur analyse des textes de l' Ancien Testament. Un des premiers exemples de l'application de cet enseignement dans l'exegese a ete l'reuvre de Jonah Ibn Janah (premiere moitie du XIe siede), connu aussi par son nom arabe, Abu al- Walid8 • Dans ses traites, Ibn Janah proceda aux commentaires philologiques des textes bibliques, selon une methode critique, qui l'amenait a corriger la version massoretique, quand eUe ne se conformait pas aux regles de la grammaire. Cette methode lui valut les critiques de ses contemporains, toute correction du texte massoretique etant consideree comme sacrilege. 11 en resulta qu'Ibn Janah n'a pas ete indus parmi les exegetes reconnus; pourtant, ses travaux ont eu une influence importante sur les exegetes posterieurs, qui ont fonde leurs interpretations litterales sur la methode philologique. C'est ainsi que Moise Jikatilla, ou Gikatilla (seconde moitie du XIe siecle)9, qui s'etait concentre sur les commentaires sur Isaie et sur les Psaumes, dont seuls des fragments ont ete conserves, est arrive a la conclusion que les predictions des prophetes se referaient a leur propre temps et n'affectaient pas l'avenir messianique. Cette voie insolite de l'interpretation des textes bibliques, OU la philologie amenait au rationalisme, n'a pas ete acceptee par les exegetes rabbiniques medievaux. Cependant, malgre les critiques acerbes, la methode philologique et son application dans l'exegese n'ont pas ete condamnees dans leur ensemble. C'est ainsi que deja pendant la seconde moitie du XIe siecle, l'on remarque un retour aux approches plus conser6. Cf. S. W. BARON, A Social and Religious History of the jews, t. VII (Philadelphie, 1958), pp. 3-28, ainsi que t. VI (1958), pp. 3-16. 7. Pour les biographies des personnes mentionnees, v. Encyclopaedia judaica, Jerusalem, 1971, en anglais (abr. Ej, tome et col.), Ii laquelle nous renverrons, sauf exceptions. Pour Menahem ben Saruq, Ej, XI, 1305-1306; Donash ben Labrat, Ej, VI, 270-271; Jehudah ben Hayyuj, Ej, VII, 1513-1514. 8. Ej, VIII, 1181-1186. 9· Ej, VII, 565-566.
L'exegese rabbinique
237
vatives du sens litteral des commentaires. Jehudah ben Balaam, Ie contemporain de Jikatilla, dont les commentaires sur Isaie et sur les Psaumes ont ete conserves lO, s'est aligne sur l'attitude traditionnelle, voire ceUe de Saadiyah Gaon, ouvrant ainsi la voie aux exegetes vers l'emploi de la methode philologique. 11 accepta sans reserve la version massoretique de l' Ancien Testament et l'interpreta selon les regles grammaticales, les seules a son avis qui pourraient aider a elucider Ie sens litteral du texte. Par ces procedes, i1 contribua a accrediter la methode philologique de l'exegese, qui connut son essor aux xn e et XUIe siedes. Les reuvres exegetiques d'Abraham Ibn Ezra (Io89-II64)11 combinent les methodes philologiques et philosophiques. Ne a Tolede, en Castille, il etudia en Andalousie, qui etait sous la domination musulmane, et, pendant sa jeunesse, a complete sa formation voyageant en Afrique du Nord, du Maroc a l'Egypte. De retour a sa ville natale, i1 y pratiqua la medecine, tout en consacrant ses loisirs aux etudes bibliques, a la grammaire hebraique, a l'astronomie, ainsi qu'a la philosophie, domaine OU l' on peut Ie qualifier de logicien, du courant neo-platonicien. Cependant, Ibn Ezra, devenu la personnalite la plus notoire du judaisme castillan, quitta brusquement en II39 l'aisance de Tolede et mena une vie de vagabond et de pauvrete jusqu'a sa mort, en 1164. Ses errements l'ont mene par la France et Ie royaume anglo-normand12• Cette periode de vagabondage, qui a ete une occasion pour lui d'assurer la transmission orale des achevements de l'ecole sepharade au nord des Pyrenees, fut en meme temps la periode la plus feconde de la vie d'Ibn Ezra, celle de la redaction de son reuvre, assurant ainsi sa position d'encyclopediste pour la posterite. Dans Ie domaine de l'exegese, Ibn Ezra s'est acquis une tres haute reputation grace a ses commentaires sur Ie Pentateuque, Isaie, les Prophetes mineurs, les Psaumes, Ie Cantique, Job, Esther, l'Ecclesiaste et Daniel. lis representent, dans leur ensemble, l'originalite de l'esprit de leur auteur et l'usage qu'il fit de sa vaste culture biblique, philologique, litteraire et philosophique. Ses introductions ont une valeur methodologique, car il y insista sur les principes de ses commentaires et surtout sur les raisons qui l' ont amene a adopter Ie sens litteral; a cet egard, l'introduction au Pentateuque a une importance particuliere, resumant sa position par rapport aux quatre courants exegetiques qui avaient precede ses propres travaux. C'est ainsi qu'il s'opposa a l'exegese geonique, abstraction faite des reuvres de Saadiyah Gaon, pour lequel 10. V. l'introduction de l'edition de ses reuvres par J. et H. DEREMBOURG, Opuscules et traitls, Paris, 1864. II. Ej, VIII, 1163-117°. 12. Cf. A. GRABOiS, « Le non-conformisme intellectuel au XII" siecle : Pierre Abelard et Abraham Ibn Ezra », dans Modernite et non-conformisme dans I'histoire de France, Leyde, 1983, pp. 3-13.
Etudier la Bible il professa une grande admiration, en raison de leur usage excessif des sources exterieures, ce qui les avait orientees vers 1'homelie. Quant aux Keraites 13, qui ont concentre leurs travaux sur Ie seul texte biblique, ne reconnaissant pas l'autorite du Talmud, illeur reprocha Ie manque de comprehension de l'Ecriture par l'abandon de la tradition, « qui doit etre utile pour 1'exegete ». Les methodes de 1'ecole franco-allemande ont ete trop homiletiques a son gout, meme quand elles ont exprime Ie sens litteral, parce qu'on n'y faisait pas usage des regles de la grammaire hebraique et de la logique. Enfin, il rejeta tout emploi du sens allegorique, surtout par l'exegese chretienne, soulignant que pareilles interpretations cherchent des allusions se referant au texte du Nouveau Testament, et n'ont ainsi rien en commun avec Ie sens historique des livres comme la Genese ou l'Exode, ni avec Ie sens litteral des lois et des preceptes 14 • En somme, sa position a ete clairement definie : seules la methode philologique et l'approche logique peuvent donner Ie sens correct des textes. Dans son exposition, Ibn Ezra resta fidele a ses principes. Son commentaire sur l'Exode est un modele d'interpretation philologique, ainsi qu'un chef-d'reuvre de grammaire de l'hebreu biblique. Adoptant 1'attitude traditionnelle, qui attribue a MoIse la redaction du Pentateuque, ses etudes philologiques 1'ont amene a cons tater que certains fragments ont du etre rediges posterieurement, surtout dans Ie Deuteronome, et interpoles dans Ie texte massoretique. Le meme esprit critique se devoile aussi dans son commentaire sur Isaie; Ibn Ezra a ete Ie premier exegete qui distingua une seconde partie du livre; quoiqu'il se soit contente d'exprimer ses vues dans des termes voiles, on lui doit la decouverte d'Isaie II, soit d'un auteur different des chapitres 50-6615. Sans que l'on doive Ie considerer un precurseur de Ia recherche biblique critique, dans Ie sens moderne du mot, il est certain que, par ses methodes de travail, Ibn Ezra devanc;ait son epoque. Ceci, sans sortir du courant orthodoxe de I'exegese. D'autre part, dans son commentaire sur Ie Cantique, Ibn Ezra est 13· L~s ~eraites sont une secte qui, sous la direction d'Anan ben David de Baghdad, se sont separes au VIlle siecle du judaisme « rabbinique », refusant de reconnaitre l'autorite du Talmud. ,Leur grand essor se situe entre les VIII" et x" siecles, lorsqu'ils ont fonde leurs co~m~utes en Mesopotamie, Perse, Syrie, Palestine, Egypte et l'Empire byzantin. Leur p<;>lemlque avec Ie judaisme « rabbinique », qui avait pris des formes acerbes, les amena it devel<;>Pl?er leur propre exegese, qui a ete critiquee par Saadiyah Gaon. Malgre leur declin, les Keraltes n'ont pas disparu et ont continue leur existence en marge du judaisme orthodoxe (EJ, X, 761-785), cf. Z. CAHN, The Rise of the Karaite Sect,. a New Light on the Halakah and the Origin of the Karaites, New York, 1937, et Z. ANKORI, Karaites in Byzantium, New York, 1959· 14· Cf. ~. FRIEDLAENDER, Essays on the Writings of Abraham Ibn Ezra, Londres, 1877, 4 vol. Malgre sa date, cet ouvrage classique reste la meilleure etude sur l'reuvre exegetique d'Ibn Ezra. 15· Introduction au commentaire sur Ie livre d'Isaie, redige it Lucques (II45), Isale, avec les commentaires de Rashi, Ibn Ezra et David Kimhi, Jerusalem, 1923.
L'exegese rabbinique
239
reste fidele a la tradition, qUl Imposait une interpretation allegorique du livre. Dans son introduction, il affirma que « ces meilleurs chants du roi Salomon contiennent un message secret », qu'il faut devoiler. Pourtant, son exposition, meme dans ce cas ou l'allusion et I'allegorie lui etaient imposees, a ete en somme influencee par sa methode philoIogique, ce qui lui a permis de rediger une interpretation originale du Cantique, ou 1'on trouve une synthese des sens allegorique et litteral16 • Les resultats acquis par Ies exegetes philologiques de I'ecole sepharade ont servi de fondement pour I'reuvre de David Kimhi de Narbonne (RaDaK, II60-1235)17. Kimhi, qui a ete un grammairien notoire et qui a traduit en hebreu des ouvrages philosophiques rediges en arabe en Espagne, entreprit son reuvre exegetique Iorsqu'il a ete deja age, ce qui lui avait donne l'avantage de l'experience et du cumul des sources employees. C'est ainsi qu'elle est aussi importante par son volume que par sa qualite, au point qu'elle est habituellement imprimee avec Ie texte et Ies commentaires de Rashi dans les editions traditionnelles de l' Ancien Testament. Outre Ie Pentateuque, dont seulle commentaire sur Ia Genese a ete conserve, il interpreta tous Ies prophetes, Ies Chroniques et les Psaumes 18 • Par ses methodes de travail, il peut etre considere Ie continuateur d' Abraham Ibn Ezra. Cependant, il employa aussi I'reuvre de son pere Joseph et l'enseignement de son frere aine, Moise, qui avaient etudie Ies travaux philologiques sepharades depuis Ie x e siecle, ainsi que Ies methodes Iexicographiques en vogue a Rome et a Narbonne. C'est ainsi que son exegese, fondee sur I'interpretation stricte du sens litteral, I'amena parfois aux dissertations grammaticales ou bien des notes Iexicographiques, avant de proposer ses propres interpretations des mots. Un important aspect des commentaires de Kimhi est lie a sa polemique avec l'exegese chretienne. Cet aspect, qui n'avait pas joue un role important dans les travaux de ses predecesseurs en Espagne, formes dans l'aire politique et culturelle de la societe musulmane, fut au creur des exegetes juifs de I'Europe chretienne. Cependant, il ne faut pas y voir une reaction academique pure contte Ies interpretations chretiennes de l'Ancien Testament, comme ce fut dans 1'reuvre d'Ibn Ezra, ni Ie miroir d'une polemique a propos des methodes d'exegese. Leur but doit etre formule comme appartenant au domaine pratique, a savoir doter Ies juifs des arguments destines a renforcer Ie judaisme dans Ies pays chretiens face au proselytisme de 1'Eglise et les convaincre du bien16. Cf. G. VAJDA, L'amour de Dieu dans la thiologie juive du Ml!Yen Age, Paris, 1957, s.v.
« Cantique des Cantiques ». 17. Cf. F. TALMAGE, David Kimhi,. the Man and his Commentaries, Cambridge (Mass.), 1975· 18. Ed. de H. J. 1. GAD, Londres, 1962, qui est un recueil des editions critiques de ses commentaires, et Le commentaire complet sur les Psaumes, ed. A. DAROM, 2 vol., Jerusalem, 19 66- 197 1.
Etudier la Bible fonde de la doctrine juive19• Quant a Kimhi, qui travaillait a Narbonne pendant la croisade albigeoise, qui eut des repercussions sur la condition privilegiee des juifs du Languedoc20, il souligna ces buts de la polemique dans ses commentaires sur la Genese, 24, 4, et sur les Psaumes, surtout Psaume 221. La refutation des interpretations christologiques de l'Ancien Testament amena Kimhi a etudier dans ses commentaires la question du sens des Lois et des preceptes bibliques. Se fondant sur la methode philologique, il s'opposa a toute interpretation dans Ie sens corporaliter et spiritualiter des preceptes. Commentant Ie Deuteronome, 30, II-14, il souligna la validite perpetuelle des lois divines, emanation de la Revelation sur Ie mont Sinai; la-dessus, il nia, commentant Ie Psaume 110, toute allusion a Jesus-Christ et, par consequent, tout droit de delier personne de l'observation stricte des preceptes 22 • Pourtant, ces refutations ont une portee plus large, englobant la question de l'avenir messianique. Certes, Kimhi s'y heurta aux difficultes, emanant de sa methode philologique, qui n'admettait pas l'allegorie, ni des interpretations mystiques. II se contenta done de constater, ce qui par ailleurs a ete deja souligne par des exegetes qui l'ont precede, que les predictions des prophetes sur l'arrivee du Messie n'ont pas ete encore accomplies, ce qui laissait la solution du probleme du salut d'Israel pour un avenir indefini 23 •
Parallelement, l'ecole sepharade a developpe l'usage des methodes philosophiques de l'exegese. Comme dans la philologie, des travaux en arabe ont eu leur influence dans ce domaine aussi. Ceci, malgre une difference fondamentale entre les deux domaines : l'influence des gram19· Le probleme du proselytisme et des conversions des juifs au christianisme est un des plus difficiles a resoudre par la recherche modeme, en raison du melange entre les conversions ~o~cees et les conversions volontaires. La politique officielle de I'Eglise a ete la conversion des JUlfs par la persuasion, en accord avec sa vocation missionnaire (cf. P. BROWE, Die Judenmission im Mille/alter, Miscellanea historiae pontificae, VIII, Rome, 1942), tandis que, depuis Ie XI" siecle, on remarque des pressions imposant la conversion. Les textes hebraiques ont fait la distinction, employant les mots anusim (forces) et meshumadim (renegats); I'insistance des sources imposant la rupture de toutes relations avec les renegats indique qu'il ne s'agissait pas de quelques cas isoIes. A ce propos, la polemique antichretienne des exegetes faisait partie des efforts deployes afin de renforcer la foi des juifs. Cf. E. I. J. ROSENTHAL, « Anti-Christian Polemics in Medieval Jewish Commentaries », Journal of Jewish Studies, XI, 1960, 115-135. 20. Cf. G. SAIGE, Etudes sur les juifs du Languedoc antirieurement au XIV" sifcle, Paris,
L'exegese rabbinique mairiens arabes se fit sentir en raison de leur creation originale, tandis que dans la philosophie il s'agissait en premier lieu du recours a l'heritage hellenistique, que les juifs avaient connu dans sa forme originale, encore avant les traductions en arabe. L'habitude des philosophes et des scientistes juifs de se servir de la langue arabe pour en rediger leurs propres travaux a ete un facteur important dans Ie processus de l'adoption des methodes philosophiques aux fins exegetiques, d'autant plus que ces memes personnes ont parfaitement ete formees dans la rabbinica et done dotees d'une formation bilingue24 • Un autre facteur pour la propagation de la methode philosophique a ete l'influence de l'exegese de Saadiyah Gaon et de ses travaux neo-platoniciens, rediges en arabe. Le recours aux methodes philosophiques de l'exegese a ete aussi favorise par la tendance de la presentation systematique et analytique des textes talmudiques, expliquant Ie sens de la Bible, ce qui s'opposait a la tradition mesopotamienne de leur memorisation25 • Cette tendance impliquait une methode d'argumentation, dont l'emploi se retrouve dans les commentaires de l'Ancien Testament. Dans ce domaine, l'reuvre des sages de l'ecole de Kairouan servit de modele: Hananel Bar Hushiel (ca. 980-1056)26 et Nissim Bar Jacob (ca. 990-1062), l'auteur du Mafteah lemanoule hatalmud27 (La clef aux serrures du Talmud), qui est un index analytique de la litterature talmudique, sont devenus des autorites dans ce domaine. Leurs reuvres ont ete etudiees par les exegetes de l'Espagne, de l'Italie et du bloc francoallemand. Sur ces fondements, Alfasi (Rabbi Isaac de Fez, ca. 1013II02) entreprit, pendant l'epoque OU il dirigea l'academie de Fez, soit avant 108028, un travail monumental, commentant la jurisprudence talmudique. Son but, l'elucidation des lois, l'amena a commenter les preceptes de l' Ancien Testament, en raison du principe de la continuite de la jurisprudence juive, a partir de la Revelation sur Ie mont Sinai. Sous !'influence des reuvres de Saadiyah Gaon, il recourut aux methodes des philosophes neo-platoniciens. L'reuvre d'Alfasi, qui ne se situe pas dans Ie domaine de l'exegese biblique proprement dite, eut cependant une influence importante sur les exegetes en Espagne, qui ont applique ses methodes de l'interpretation des lois dans leurs travaux. L'emploi des methodes philosophiques dans l'exegese a ete facilite par l'etude de l'reuvre de Salomon Ibn Gabirol (ca. 1020-1057). Ibn Gabirol, connu dans l'Occident latin comme Avicebrol, l'auteur de la Fons Vitae 29 , inspira les exegetes du xn e siecle, qui lui ont emprunte
1881, I.V. 21. Psaume II, ed. DAROM, t. I. Les textes de Kimhi refutant les doctrines chretiennes ont ete traduits en latin par l'humaniste GENEBRARnus, dans son fucueil des commentaires hebraiques, Paris, 1566. 22. Psaume CX, ed. DAROM, t. II. 23· Ibid. et TALMAGE, op. cit. s.v. Sur Ie probleme messianique dans les ceuvres des exegetes juifs medievaux, cf. G. SCHOLEM, The Messianic Idea in Judaism, New York, 1911.
Cf. S. W. BARON, op. cit., pp. 274 s. In., ibid., pp. 21-22 et 328-33°. EJ, VII, 1252-1253. EJ, XII, 1183-1184. 28. EJ, I, 600-604. 29. EJ, VII, 235-245.
24. 25. 26. 27.
Etudier la Bible les methodes et la logique. Afin de prouver Ie rationalisme de la foi juive et la morale de ses principes, il adapta l'enseignement de son maitre Nissim Bar Jacob de Kairouan et etudia les textes de l' Ancien Testament. Ces interpretations ont servi de modele pour Ie developpement du sens moral dans l'exegese rabbinique. Cette tendance moralisante a ete developpee pendant la seconde moitie du Xle siecle par Ie philosophe Bahiya Ibn Paquda, dans son traite Hovoth halevavoth (Introduction aux devoirs du cceur)30. Bahiya, qui s'est occupe de la nature de la Divinite, a traite des problemes de la Revelation et du sens moral des preceptes, adoptant l'enseignement neo-platonicien dans l'exposition de ses arguments. Par cela meme, son reuvre eut une influence profonde sur les exegetes sepharades au xn e siecle, qui en ont adopte les methodes. Ces influences se manifestent dans l'exegese de Jehudah ben BarzillaI de Barcelone (Barceloni) au debut du xn e siecle31 . Ce chef spirituel du judaisme catalan a commente une selection des textes de l'ensemble de l'Ancien Testament, Ie Sifer Yetsirah (Le livre de la Creation). A la difference de ses trois maitres de pensee, qui avaient vecu en terre d'Islam, Barceioni dut confronter les conditions de coexistence dans l' environnement chretien qui, en Catalogne, accusait des traits liberaux et se deroulait dans une ambiance de tolerance 32. Ces conditions, qui l'ont mis en contact avec l'exegese chretienne et, semble-t-il, avec des sectaires dualistes proto-cathares, l' ont amene a adopter une attitude polemique envers les doctrines dualistes-gnostiques et trinitaires. Ann de les refuter, il employa les textes talmudiques, deja elucides par Alfasi, ainsi que les enseignements philosophiques d'Ibn Gabirol et d'Ibn Paquda, auxquels il emprunta les methodes de raisonnement. L'importance de son reuvre exegetique reside surtout dans ses interpretations litterales, fondees sur la methode neo-platonicienne de l'argumentation. C'est ainsi que, commentant les textes concernant la source de l'inspiration des prophetes, Barcelol1i conclut que l'essence de la Divinite est spirituelle; glosant la Genese I, sur Ie terme « l'esprit de Dieu », il jeta les jalons de sa methode : la nature spirituelle de Dieu, facteur de la Creation et de la Revelation, a ete aussi bien la source de l'inspiration des prophetes. En raison de cette nature immaterielle, 11 conclut qu'il est inconcevable de soutenir que la Divinite pourrait revetir une forme dualiste, ou bien comme Incarnation33 . Dans son reuvre exegetique, Abraham Ibn Ezra, qui exprima Ie courant philologique, employa aussi la methode philosophique, s'averant 30 • EJ, IV, 105-108. 31. EJ, X, 341-342. 32 • Cf. I. BAER, History of the Jews in Christian Spain, 2 vol., Philadelphie, 1966, et !'introduction de R. J. SCHORR a son edition des ceuvres de Jehudah ben BarzilIai, Cracovie, 19 02 , pp. III-XXIII. 33· Sifer Yetsirah, ed. S. J. HALBERSTAMM, Berlin, 1885, p. 77.
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comme l'eleve spirituel d'Ibn Gabirol, auquel il a emprunte la logique. Cet usage se devoile surtout dans ses commentaires concernant la Revelation, ainsi que dans son argumentation du sens moral des 'prec~p.tes bibliques 34. L'importance de l'reuvre d'Ibn Ezra dans ce domalne reSIde surtout dans sa maniere de la combinaison des deux methodes pour l'elucidation du sens litteral de l'Ecriture; son exegese marque l'achevement des travaux des neo-platoniciens, qui seront eclipses dans la generation suivante par les aristotelidens. L'apogee du courant philosophique de l'exegese rabbinique a ~t~ atteinte dans l'reuvre de Maimonide (1135-1206), surtout dans son tralte Moreh Nevohim (Le Guide des Perplexes) 35. Contemporain d'Ibn Rushd (Averroes) et originaire comme lui de ~ordoue~ MaImor:ide ~o~?ina dans son reuvre l'enseignement de son pere, Malmon, qUl avalt ete u~ exegete repute, notamment dans Ie sens homiletique et moral, et celUl de la philosophie aristotelicienne, qu'il avait etu~iee a ~ordoue, dans Ie but de condlier les doctrines bibliques avec la philosophie. Son approche a ete determinee par sa conviction que la Bible contient l' essentiel .de l'enseignement philosophique; c'est ainsi qu'il souligna que pareille methode de l'interpretation serait la meilleure voie du renforcement de la foi et de l'explication du veritable sens de l'Ecriture. Cette conception imposait Ie developpement des interpretations nguratives du texte, aux cotes du sens litteral, qui etait au creur des exegetes sepharades. Cependant, elles etaient susceptibles d'amener l'etudiant vers la dire~tion d~ raisonnement abstrait, qui pourrait se glisser vers l'heterodoXle. Ce~l, parce qu'a partir du processus de la Creation Ie fosse e~tre l~ ~heorIes d' Aristote sur l'eternite de la matiere et entre la doctrIne blblique de la creation par Ie Verbe du neant devenait impossible a passer. Dans ce cas, Maimonide accepta tel quel Ie sens litteral, l'expliquant par l'action du Verbe (Logos) sur la matiere (Physis)36. Cependant, en raison de la substance incorporelle de la Divinite, telle que Ie judaIsme con~oit et que Maimonide lui-meme exprimait dans ses trav~ux et dans ses Responsa rabbiniques, l'interpretation anthropomorphique de la Genese devrait etre expliquee dans un sens metaphorique. Or, cette 34. V. par exemple, son commentaire sur l'Exode, XX, 7. _ . 35. Ne a Cordoue, ou il avait etudie, Moise be~ Maimon (Ra~BaM ou Ma1morud~) a ete parmi les victimes de la conquete de I' Andalous1e et du fanatls.me a~mohade ; foro; de se convertir a!'Islam afin de pouvoir quitter sa ville natale vers II65, 11 rerua cette converslO~. Apres une visite en Palestine, il s'etablit au Caire, ou il exerc;:aJa medecin~. Sa renommee professionnelle lui valut la nomination de med~cin de la ~o:ur, sOlgnant Saladin e~ s,:>n. entourage. Sa reputation de talmudiste en fit Ie directeur spmtuel des communautes 1U1~e.s .du monde entier. II acceda a la prestigieuse position de ~agid, Ie c.he~ de la ~omm~au~e )U1Ve de I'Egypte, devenue ensuite hereditaire dans sa famllle .. ~a b1bliograp~e ma1~orudienne est tres riche; cf. EJ, XI, 754-781, ou l'on trouvera des references supplementa1res. •. 36. Cf. G. VAJDA, « La philosophie juive en Espagne », ~s R. D. BARNETT (e?.it.), The Sephardi Heritage, Londres, 1971, pp. 81-lII, mettant au lOur son ouvrage class1que, Introduction [106].
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methode eloignait l'exegete des sens litteral et homiletique, traditionnellement diffuses dans les communautes juives. Qui plus est, elle imposait a Malmonide l'adoption des methodes metaphysiques d'argumentation. Cette difficulte a ete la cause d'une longue dispute concernant l'orthodoxie des reuvres philosophiques de Malmonide, qui se manifesta amerement dans la plupart des communautes juives pendant Ie Xln e siecle37. Meme les exegetes qui ont defendu ses doctrines, tel David Kimhi, ont formule des reserves quant a ses interpretations metaphoriques, les considerant comme opposees a la methode logique du sens litteral, Ie peshat. En revanche, sauf les opposants les plus acerbes, ils ont adopte l'emploi de la philo sophie dans l'exegese du maitre, qui a ete surnomme « Ie grand aigle », surtout pour ses commentaires sur les prophetes. Dans ce domaine, l'interpretation de Maimonide, representant la prophetie comme un phenomene naturel, n'ayant pas de caractere mystique, se pretait a l'effort de la conciliation entre la foi et la raison. A cet egard, Ie Guide des Perplexes souligne la dependance entre la Raison et la Revelation divine, qui avait ete la source de l'inspiration des prophetes. Developpant les arguments deja exprimes par ses predecesseurs, depuis Saadiyah Gaon jusqu'a Ibn Ezra, Maimonide trac;a la doctrine de l'interpretation par la raison de la Revelation et, par consequent, des preceptes et des pratiques religieuses. C'est ainsi qu'il redigea« Les treize principes de la foi »38, qui est un document orthodoxe traditionnel, explique par sa methode philosophique. Dans ce texte, adopte comme attestation de 1a foi par l'ensemble des communautes juives, meme par ceux qui se sont opposes a ses arguments philosophiques, i1 abandonna la doctrine de Saadiyah, fondee sur la division des Lois, entre les preceptes de la revelation et preceptes de la raison. Selon la doctrine maimonidienne, la loi divine contient a la fois les elements de la revelation et leur explicatio? ~ais~nnable, ce qui implique Ie devoir de suivre tous les preceptes. La dist1UctlOn est operee dans ce systeme entre les lois « ceremonia1es », ~ont les raisons ne doivent pas etre connues par les fideles, et les lois Juridiques, qui se pretent a l'usage de la raison. Le role de l'exegese est, dans ces cas, d'interpreter les textes, afin d'expliquer la raison de la p~role divine. Ces arguments ont eu une influence profonde sur la pensee JU1V~ d~puis Ie xrrr e siecle, ainsi que sur la theologie catholique, et partlculierement sur Ie thomisme39. Ils ont ete fondes sur la theorie d'Ibn Sina (Avicena), qui avait insiste sur l'identite entre l'existence et l'essence divine. Quoique vivant dans les pays musulmans, Andalousie et Egypte, 37· Pour un ?=es bref resume de la controverse, cf. Ej, XI, 751-753. • 38.« L~s trelZe principes de la foi» sont indus dans son commentaire sur Ie Talmud, ed. Varsovle, 1837 et separata. Cf. G. VAJDA, op. cit. (n. 36) et A. J. REINES Maimonides and Abrabanelon Prophecy, Cincinnati, 1970 • ' 39· Cf. E. GILSON, Le thomisme, 4" ed., Paris, 1942,passim.
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Malmonide avait appris les dogmes chretiens et les problemes poses par l'exegese allegorique chretienne, dont les methodes etaient assez proches de ses tendances metaphoriques, malgre les differences fondamentales quant aux conclusions 40. Ayant ete saisi par des questions adressees par des communautes de l'Europe occidentale, il a ete amene a traiter des arguments des exegetes chretiens, surtout des interpretations des textes de l' Ancien Testament, censes annoncer Ie Christ. Dans cette polemique, Maimonide adopta une attitude historique, fondee sur la combinaison du sens litteral du commentaire et de son argument philosophique. C'est ainsi que, interpretant des textes comme Isale 7 ou les Psaumes, il se concentra sur leur signification historique, les remettant dans leur contexte chronologique et refusant d'y voir des allusions a Jesus-Christ. Qui plus est, se fondant sur la tradition talmudique41, il s'opposa a la doctrine de la nature divine de Christ; Jesus, ou Josue, avait ete represente comme un des sages de la Mishna, dont certains points de son enseignement avaient ete condamnes par ses collegues.
La genese et Ie developpement de l'exegese rabbinique dans les pays de l'Europe occidentale chretienne se situent dans une perspective socioculturelle diametralement opposee aux conditions regnant dans les pays musulmans. Des considerations valables a propos de l'education et la culture dans « l'Occident barbare »42 peuvent etre appliquees, avec certains changements, au secteur juif. Certes, on l'a deja etudie et souligne, l'enseignement, qui pourrait etre qualifie de « primaire », a ete fait courant dans ces communautes43. Il consistait dans l'enseignement biblique, surtout du Pentateuque et des pericopes tirees des prophetes, ainsi que de la liturgie, ce qui incluait les Psaumes. Jusqu'au IXe siecle, la dependance de ces communautes des academies mesopotamiennes a ete totale en tout ce qui concernait la jurisprudence talmudique et l'interpretation des textes. A cet egard, meme les ecoles de l'Italie, a Rome et a Lucques, dont Ie niveau a ete sensiblement plus eleve, n'ont pas joui jusqu'a la seconde moitie du VIlle siecle d'une tres grande notoriete. L'installation a Lucques de la famille mesopotamienne des Calonymides vers la fin du VIne siecle44 eut a ce respect des consequences 40. Dans sa« Lettre II Yemen», ed. A. s. HAL KIN, New York, 1942, Maimonide exprima dairement son opinion sur la necessite d'apprendre les dogmes chretiens afin de les refuter. 41. Cf. E. 1. J. ROSENTHAL,« Anti-Christian Polemics... » (art. cit., n. 19). 42. Cf. P. RIcHE. [731, surtout sur la distinction entre l'enseignement elementaire et secondaire (pp. 221-284). 43. Cf. A. GRABois,« Ecoles et structures sociales... » (art. cit., n. 4). 44. Cf. A. GRABois,« Le souvenir et la legende de Charlemagne dans les textes hebraiques, medievaux», Le Moyen Age, 76, 1966, 5-41, ainsi que J. DAN (en hebreu), La doctrine du secrel des pietisles de I'Allemagne, Jerusalem, 1968, pp. 14-30.
Etudier la Bible importantes. lis ont emporte les traditions exegetiques dans les quatre sens de l'Ecriture du centre « babylonien » et ont continue ses activites dans leur nouvelle demeure. li serait difficile de hasarder une identification du personnage rabbinique en Italie, duquel Alcuin avait obtenu des conseils a propos des versions des textes de l'Ancien Testament; ce qui importe plus est que, a la veille de la proclamation de l'Empire carolingien, l'ecole biblique italienne s'est acquis une reputation, repandue aussi bien en dehors de la societe juive transalpine45• A la difference de la situation en Espagne et dans les pays du califat abbas side, ou la culture arabe avait exerce une influence profonde sur les juifs, surtout dans les domaines philologique, scientifique et philosophique, les juifs de l'Europe occidentale n' ont pas trouve d'inspiration, et donc de l'interet, dans la culture latine de leur temps. Elle ne correspondait point a leurs preoccupations, n'apportant pas de contributions methodologiques a leurs travaux et, par contre, les reuvres ecrites en larin, daDS Ie domaine des dogmes christologique et trinitaire, etaient opposees aux doctrines du judaisme. Plus encore, Ie latin n'etait pas la langue parlee, ce qui reduisait au minimum les besoins d'y recourir. A cet egard, la tolerance dont les juifs avaient joui jusqu'au IXe siecle en Italie et dans Ie royaume des Francs changea les perspectives et les attitudes stereotypiques des juifs envers la chretiente, au point que l'on se referait aux chretiens de la France comme a « nos freres, les fils d'Esaii »46; pourtant, elle n'attenua pas la dispute theologique 47• Les reuvres d'Agobard et d'Amolon de Lyon, de Raban Maur de Mayence, de Paschase Radbert, soit quelques-uns des auteurs dont l'influence politique donnait un poids particulier a leurs travaux, ont ouvert la polemique religieuse, qui a finalement abouti a mettre un terme a la tolerance et a oblige les sages juifs d'apprendre les arguments des chretiens, afin de defendre leurs prop res doctrines. Ces traits caracteristiques expliquent aussi bien la segregation culturelle en Europe latine que Ie developpement particulier des courants exegetiques juifs dans ces pays. L'ecole exegetique ashkenaze (strictement, Ie terme s'applique aux communautes du bassin rhenan et il est elargi a ce propos sur la Lorraine et la France septentrionale, quoique les sources hebraiques medievales se distinguent parfaitement entre les trois pays) a commence ses activites sous l'influence preponderante de l'exegese mesopotamienne, qui lui avait ete transmise par l'Italie. L'arrivee et l'installation a Worms de Calonymus de Lucques, a la fin du IX e ou
45· MGH, Epp., IV, 172; cf. E. S. DUCKET, A/min, Friend of Charlemagne, New York, 195 1, p. 269. . 46. Lettre des « communautes de France» it Hisdai Ibn Shaprut (debut du x. siecle), ed. J. MANN, Texts and Studies, t. I, Cincinnati, 1929, p. 28. 47· Cf. B. BLUMENKRANZ [99].
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au debut du x e siecle48, marqua les debuts de cette ecole, dont les travaux exegetiques pendant les premieres generations ont ete concentres sur Ie sens homiletique. Les commentaires sur les textes de l' Ancien Testament ont ete effectues al'aide des textes mishnaiques et talmudiques, ce qui a donne une importance particuliere a l'exegese talmudique. Par consequent, les sages de cette ecole ont travaille sur les textes hebraiques, arameens, ainsi que sur des traductions syro-arameennes de la Bible (Ie Targum). A la difference de Saadiyah Gaon et de leurs collegues de l'Espagne et de l' Afrique du Nord, les sages ashkenazes ne savaient pas l'arabe et n'avaient pas de formation philologique. En revanche, leur connaissance inti me du Talmud et de la litterature geonique mesopotamienne les dotait des instruments methodologiques du commentaire sur l'esprit du texte, se servant a la fois de l'homelie et du sens de l'allusion comme des elements destines a developper l' exegese litterale. L'reuvre de Gershom de Metz, La lumiere de la Diaspora (ca. 960-1028), la plus grande autorite du judaisme ashkenaze et Ie chef de l' Academie de Mayence49 , est edifiante a cet egard. Ses ouvrages ont ete reconstitues a partir des fragments inseres dans les travaux des generations posterieures, ou ils ont ete largement cites, en raison de son autorite. Gershom a ete surtout un exegete talmudique et juriste, possedant une tres bonne connaissance du droit germanique, qui l'aida dans l'elaboration de ses propres travaux. Prenant comme exemple son plus fameux edit, instituant la monogamie et abolissant la pratique de la repudiation sans Ie consentement de l'epouse, ce qui la transforma en divorce, on peut suivre sa methode de travail; l'etude des textes et des autorites normatives 1'amena a conclure qu'il n'y avait pas de precepte instituant la polygamie; l'interpretation litterale du Pentateuque lui servit de fondement juridique, en raison de la mention d'une seule epouse des patriarches Abraham et Isaac; la position de Sarah en tant que l' epouse legitime, tandis que les concubines avaient ete reduites au plan secondaire et, a la difference de la dame, appartenaient a la classe servile, l' ont amene a conclure que l'esprit de 1'Ecriture ainsi que la pratique talmudique penchaient vers la monogamie. C'est ainsi que chez Gershom l'exegese jouait un role pratique, qui est devenue fait courant dans l'reuvre rabbinique en Allemagne et en France, au point que l'on peut comprendre la remarque d' Abelard, dans son Dialogue, a propos de l'approche juridique des juifs a l'egard des preceptes 60• Outre l'influence de Gershom et des ecoles de Mayence et de Worms, les exegetes ashkenazes ont subi aussi l'influence des reuvres de Hananel 48. Cf. A. GRABOiS, « Le souvenir et la legende de Charlemagne... », art. cit., n. 44. 49· EJ, VII, 5I I -P3. 50. Pierre ABELARD, Dia/ogus inter Phi/osophum, Judaeum et ChrisJianum, ed. R. THOMAS, Stuttgart, 1970; v. notamment pp. 73-84.
Etudier la Bible Bar Hushiel de Kairouan. Hananel, qui fut un des grands maitres du centre nord-africain pendant la premiere moitie du XIe siecie, a concentre ses ~ctivit~s surtout sur l'exege~e talmudique, domaine OU i1 s'est acquis la reputatlOn. Par ses travaux, 11 est devenu Ie pivot de la transmission des ceuvres geoniques en Occident, en ajoutant les resultats de ses propres etudes. Son commentaire sur Ie Pentateuque represente l'essentiel de son exegese biblique; i1 eut une influence notoire au XIe siede, en combinant les sens litteral, homiletique et alIegorique et a servi de source d'inspiration a Rashi, dont l'ceuvre fit oublier celIe de Hananel au point que seuls quelques fragments ont ete conserves 51• Les ouvr~ges de Hanan~l ont ete largement diffuses encore de son vivant par ses eleves, dont plusleurs ont effectue de grands voyages, venant de l'Espagne, de l'Italie, du Maghreb et de l'aire franco-allemande a Kairouan. lis ont consigne dans leurs cahiers (kuntres)52 les commentaires du maitre; ce materiel leur servit ulterieurement de fondement pour leur propre enseignement ou ceuvre ecrite. En Italie, OU l'ecole rabbinique de Rome s'est acquis la reputation d'autorite parmi les communautes de l'Europe occidentale, au point que des personnalites hautement distinguees s'appuyaient sur les sentences des « nos maitres, les sages de Rome »53, l'enseignement de Hananel eut une influence profonde. li servit notamment comme source pour l'ceuvre lexicographique de Nathan de Rome (ca. 1035- IIIO), l' Arukh, dont la compilation a ete achevee avant 110054. L'Arukh est un dictionnaire etymologique de la Bible et du Talmud, contenant des ex]?lications minutieuses des origines hebralques, arameennes, grecques, launes, arabes et persanes des termes. Nathan devenu Ie directeur de 1'ecole de Rome en 1070, apres la mort de s~n pere, s'est acquis une reputation d'autorite dans Ie domaine lexicographique et a ete consulte par des grands maitres, ses contemporains, dont Rashi de Troyes. li a employe dans son ceuvre les resultats de 1'exegese surtout du sens litteral , " creant en meme temps les fondements linguistiques des nouveaux courants exegetiques, dont les auteurs n'avaient pas d'acces aux ceuvres en a.r~be ~es grammairiens sepharades. Conjointement avec les ceuvres traditlOnalistes des ecoles de Mayence et de Worms ainsi que celles de Hananel, l'ouvrage de Nathan de Rome eut son inRuence sur Ie developpement de l'important centre exegetique de la France septentrionale aux XIe et xn e siedes. Parmi les premiers exegetes bibliques de France, Menahem ben 51. Ed. A. BERLINER, Migdal Hananel, Bresiau, 18 76 . A 52. Le. mot kuntres a ete adapte du latin commentarius dans l'hebreu mishnaique, Ier sieele e Steele E.C. (A. Even SHUSHAN, Nouveau Dictionnaire de fa lanoue hebraique Jerusalem 19.C.-m b' , , 66 ). 53· Par exemple, Rashi (Responsum 41, ed. 1. S. ELFBEIN, New York, 1943, p. 34). 54· E], XII, 859-860.
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Helbo, qui vecut au XIe siecle en lie-de-France ou en Champagne, a ete des plus originaux. On connait tres peu sa vie et sa carriere; i1 fit un long voyage dans Ie Languedoc, OU il etudia soit a Narbonne, soit a Toulouse, OU les ceuvres des exegetes sepharades etaient diffusees 55 • Sous l'influence de son voyage d'etudes, il abandonna les methodes exegetiques des ecoles rhenanes; les fragments de ses commentaires, qui se trouvent dans l'ceuvre de son neveu et eleve, Joseph Kara, prouvent qu'il donna la priorite au sens litteraire de l'interpretation de l'Ecriture. C'est par son intermediaire que Ie manuel de grammaire redige en hebreu par Ibn Saruq, Mahbereth (Le cahier), a ete transmis et diffuse en France septentrionale, ou il a servi les exegetes et particulierement Rashi. Ben Helbo n'a pas dirige une ecole proprement dite et, sauf son neveu, Joseph Kara, ne semble pas avoir forme des eleves. C'est par son ceuvre qu'il fut Ie precurseur du grand centre exegetique de France.
Rashi (Rabbi Salomon Isaaki, 1040-II06) a ete sans doute Ie plus important et Ie plus celebre exegete juif au Moyen Age56 • Ne a Troyes, il avait etudie a Worms et a Mayence avant de rentrer dans sa ville natale et y fonder Ie centre scolaire franco-champenois. Des ecoles rhenanes, Rashi apporta a Troyes une masse enorme de materiel, consignee dans ses Kuntresim; elle contenait, outre l'enseignement de ses maitres de Worms et de Mayence, les le~ons des maitres de Kairouan et particulierement l'enseignement de Hananel Bar Hushiel, qu'il avait appris a Worms par l'intermediaire d'Eliezer Bar Nathan, un des eleves de Hananel et, vers Ie milieu du XIe siedf', maitre a 1'ecole, ou il diffusa l'ceuvre du savant nord-africain. Se basant sur ce materiel, Rashi mena a Troyes une vie d'etudes et d'enseignement, tout en gagnant ses revenus comme vigneron. Fidele aux traditions du centre ashkenaze, il debuta par l'exegese talmudique, dictant ses commentaires a ses eleves, dont plusieurs ont ete membres de sa famille ou apparentes par des liaisons matrimoniales. Cette ceuvre lui rendit rapidement la reputation d'avoir explique « les sens ouverts et couverts du Talmud »57 et en fit une grande autorite, au point qu'il etait couramment saisi des questions de jurisprudence et de principes par les dirigeants des communautes de France,
55. E], XI, 1304-1305; selon une allusion de Rashi, Commentaire sur Ie Deuteronome, XXII, il aurait etudie a Toulouse, ou il fut l'eIeve de Moise Hadarshan (Ie Precheur), un des grands maitres de l'ecole narbonnaise du XI e siecle. 56. Cf. M. LIBER, Rachi, sa vie, son rEuwe, son influence, Paris, 1953, nouv. ed.; pour une bibliographie detaillee, cf. B. BLUMENKRANZ (edit.), Bibliographie des juifs de France, Toulouse, 1974, S.v. Rashi. 57. v. quelques temoignages medievaux s'exprimant ainsi, recueillis par BARON, op. cit., t. VI, pp. 50-51.
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Etudier la Bible
de l'Empire et des autres pays. L'etude de ces questions et Ie processus de l'elaboration de ses Responsa l'ont mis au courant de problemes de l' ordre pratique interessant les communautes, ainsi que des debats entre juifs et chretiens et, surtout, des theses soutenues par des interlocuteurs chretiens resultant de leurs interpretations de textes bibliques 5B . Ce fut une raison complementaire pour sa decision d' entreprendre un vaste projet de commentaires sur l'Ancien Testament, qui lui valut sa renommee, en tant qu'exegete juif Ie plus important de tous les ages. Les commentaires de Rashi sur l'Ancien Testament ont ete originalement elabores comme notes de lecture et comme explications de textes enseignes a ses eleves. A partir de ces notes, OU il avait consigne les interpretations des autorites exegetiques anterieures et cite bon nombre de sources talmudiques relevantes, il a procede aux commentaires systematiques sur la plupart des livres de l' Ancien Testament. TIs ont ete rediges sous la forme d'elucidations concises, se concentrant de prime abord sur 1'explication du sens des mots, voire Ie sens litteral. Rashi, qui a maintes fois fait etat de son intention de faire la Bible intelligible aux masses, a souvent recouru aux termes en frans:ais qu'il employait afin d'expliquer les locutions hebraiques difficiles a comprendre; Ie depouillement de ses commentaires donne l'usage de plus de 3 000 mots en frans:ais59. Du point de vue methodologique, Rashi a combine dans son exegese les sens litteral et homiletique; ceci, malgre sa preference al'interpretation litterale des textes. Cependant, il ne fit pas usage dans ce domaine de la methode philologique sepharade, quoiqu'il eut ete au courant de la Mahbereth d'Ibn Saruq, qui semble avoir ete la seule reuvre des grammairiens sepharades qu'il ait connue. C'est ainsi qu'il a ete dependant des methodes des sages mesopotamiens et de travaux lexicographiques, comme ceux de Nathan de Rome, qu'il consultait frequemment. Quant au sens homiletique, il tira les meilleures interpretations aussi bien de la tradition geonique que des maitres rhenans, les critiquant parfois, surtout quand il les trouvait opposees au sens litteral. Les homelies lui ont servi surtout pour l'elucidation historique, qu'il croyait necessaire comme moyen d'expliquer Ie sens correct du texte commente. Telles ont ete la sequence des evenements de l'Exode ou, dans un ordre different des idees, les guerres entre les royaumes de Juda et d' Aram, dont la sequence l'interessait afin de commenter Ie texte d'Isaie 7, qui avait aussi servi au developpement de la doctrine christologique par les exegetes chretiens. Cette combinaison des sens exegetiques, qui consista dans l'interpretation « par la raison» de l' Ancien Testament, s'explique 58. Responsum 61 de &shi (ed. ELFBEIN, n. 53). 59· Cf. A. DARMsTETER, Les gloses fra11faises de &schi dans la Bible, Paris, 1909, et H. BANnT, « ~he Laazim of Rashi and the French Biblical Glossaries », dans C. ROTH (edit.), The Warld HIStory of the Jewish People, t. II, Tel-Aviv, 1966, pp. 291-296.
L'exegese rabbinique
par Ie but de l'reuvre exegetique de Rashi, a savoir Ie renforcement de la foi et la fortification de la cohesion dans Ie cadre des institutions communautaires 60• L'evocation du passe biblique et l'interpretation du sens des lois et des preceptes ont ete, a cet egard, Ie fondement de l' existence juive dans la Diaspora; pour ses dirigeants, Ie desir d'y voir la continuation, certes idealisee, de la vie d'Israel biblique, quitte a renoncer, en raison des circonstances, aux expressions des entites politiques, representait Ie realisme et Ie moyen de preserver l'unite du peuple jusqu'au salut messianique. C'est ainsi que l'exegese de Rashi exprimait un sens de pragmatisme commun aux sages ashkenazes, tout en faisant des allusions aux evenements actuels, comme par exemple dans son commentaire sur Isaie 53. La refutation de l'exegese chretienne, surtout dans ses expressions allegoriques, a ete un point cardinal dans l'reuvre de Rashi. Pourtant, il s'est refuse a adopter dans ses commentaires une attitude polemique, ne trouvant pas l'interet, ni Ie gout pour les discussions academiques interreligieuses. Son esprit pratique l'amena a produire une version juive du sens des fragments disputes, qui serait susceptible d'aider les juifs dans les discussions et de renforcer les esprits, afin de leur permettre l'accumulation des arguments pour s'opposer a la propagande de la conversion au christianisme. Le probleme de la conversion des juifs, qu'elle ait ete forcee ou resultant de la persuasion, a ete autour de la premiere croisade un probleme epineux pour les dirigeants juifs en Europe occidentale et ils ont exprime leurs soucis a cet egard61• Pour Rashi il ne s'agissait pas seulement de recueillir et repeter les decrets interdisant l'abjuration et tout rapport avec les convertis; son souci, de fortifier les esprits dans la foi, l'amena a refuter les arguments des chretiens, afin de ne pas laisser les juifs dans une position OU ils pourraient etre attires par eux. C'est ainsi que, interpretant les Psaumes, il accentua partout OU, a sa connaissance, l' exegese chretienne voyait une allusion a Jesus qu'il s'agissait, selon la lettre du texte, du roi David, par exemple Ie Psaume IT. Dans Ie meme ordre d'idee, il expliqua dans son commentaire sur Ie Psaume 45 la reference au peuple elu comme synonyme d'Israel et non pas une allusion a l'Eglise. Cette methode l'amenait, comme ce fut Ie cas des commentaires sur Isaie 52-53 ou Zacharie 6 et 9, a abandonner les interpretations rabbiniques traditionnelles et a avancer ses propres vues par l'exposition litterale et historique. C'est ainsi qu'il a interprete Isaie 7 : niant tout fondement de la doctrine 60. Cf. I. BAER (en hebreu), « Rashi et la realite historique de son temps », Tarbiz, 20, 1949, 320-33 2. 61. Cf. R. CHAZAN, « The Hebrew First-Crusade Chronicles », Revue des Etudes juives, 133, 1974, 235-254. On peut comparer ces soucis avec les idees de l'auteur anonyme de l'Adversus Judaeos de la seconde moitie du XII" siecle; cf. B. BLUMENKRANZ et J. CHATILLON, « De la polemique anti-juive a la catechese chretienne », RTAM, 2J, 1956,40-60.
Etudier la Bible christologique, Rashi elucida la prophetie de la conception d'Emmanuel par la Vierge, comme un fait situe dans Ie passe et lie a la guerre entre Resin, roi d' Aram, et Pekah ben Remaliahu, roi d'Israel. Dans ce cas, son expose historique allait de pair avec Ie sens litteral, car, dit-iI, Ie verbe « concevoir » est employe au passe62 • Cette methode exegetique fut employee aussi pour elucider les problemes concernant l'eschatologie de l'ere messianique. S'opposant a l'exegese chretienne, qui voyait en Christ Ie Redempteur, il con<;ut dans ses commentaires sur Isaie et sur les Psaumes (particulierement Ps. 10, 22, 68) la vision de l'avenir messianique, qui sera l'epoque du salut des « fils d'Israel ». Ainsi trouva-t-ille terme de cet avenir dans les chutes d'Ismael et d' « Edom » (Rome) et dans leur expulsion du pays d'Israel; iI y voyait la condition du salut, con<;u en termes d'une « cite de Dieu », car, « c'est alors que Dieu sera Ie roi eternel »63. Cette vision eschatologique ne Ie poussa pas cependant aux sens de l'allusion ou allegorique des Ecritures, qui auraient impose une speculation sur Ie temps de cette ere. Son sens pratique amenait Rashi a laisser Ie probleme messianique a un avenir indefini, afin de se concentrer sur les conditions concretes de son temps.
L'ecole exegetique rabbinique en France peut etre caracterisee comme celle de Rashi. Pendant Ie dernier quart du Xle siecle, il a forme a Troyes une generation d'eleves, qui ont diffuse ses methodes exegetiques et dont certains sont devenus des maitres a leur tour, creant des ecoles, comme celles de Paris et d'Orleans, ou bien dans d'autres petites villes de la France septentrionale64• Vne bonne partie fit de l'exegese leur champ de predilection, completant par leurs commentaires l'reuvre du Maitre, repute meme parmi les intellectuels chretiens comme Rabbi Salomon65 • Pourtant, a la difference de leurs predecesseurs et des exegetes sepharades, ils ont entretenu un dialogue continuel avec leurs collegues c~tholiques, surtout les Victorins, prenant ainsi part aux activites exegetlques de la Renaissance du xn e siecle66 , Ces dialogues ont evidemment t:ris parfois un caractere polemique, parce qu'il s'agissait de points essentlelS de dogme, OU l' opposition entre les deux religions rendait impos-
62 .. Commentaire sur Isaie, edit. I. MAARSEN, Jerusalem, 1936, VII, 14. Cf. M. WAXMAN, « Rashi as Comm~ntator of the Bible », dans Rashi, his Teachings, New York, 1958, pp. 9-47. 63· Commentalre sur les Psaumes, edit. 1. MAARSEN, Jerusalem, 1935, X, 10-14. 64· Cf. L. RABINOWICZ, The Social Life of the Jews in Northern France in the TwelfthFourteenth Centuries, as Reflected in the Rabbinical Literature of the Period, Londres, 1938, passim. 65· Cf. B. SMALLEY [15] et H. HALPERIN [104]. 66. Cf. SMALLEY [15] et A. GRABOIS, « The Hebraica Veritas and Jewish-Christian IntelIectual Relations in the Twelfth Century », Speculum, fO, 1975,613-634.
L'exegcse rabbinique
sible l'accord sur les principes; d'autre part, quand il ne s'agissait pas de textes fondamentaux du point de vue doctrinal, Ie dialogue revetait une forme de collaboration pacifique. Parmi cette pleiade d'exegetes en France, on retiendra quelques noms, en raison de l'importance de leur reuvre. Joseph Kara (ne vers 1065) avait etudie sous la direction de son onele paternel Menahem ben Helbo, avant de joindre l'ecole de Rashi a Troyes, OU il est rapidement devenu un collaborateur du Maitre67• Pendant son sejour a Worms, au debut du xne sieele, il participa aux discussions theologiques avec des intellectuels chretiens. L'enseignement de Rashi et son experience l'ont amene a concentrer ses commentaires sur Ie sens litteral du texte, d' OU son surnom « Kara ». II mentionna son but de produire des elucidations simples, afin qu' elles soient intelligibles par les couches populaires; il en resulta l'usage de termes en langue vernaculaire, en fran<;ais et en allemand rhenan, afin d'expliquer Ie sens des mots bibliques. Sa methode exegetique l'amena au travail comparatif, par l'usage des textes correspondants tires des differents livres de l' Ancien Testament. L'influence de son onele, Ben Helbo, se manifesta surtout dans ses commentaires sur Ie Cantique et sur autres poemes, OU il mit l'accent sur l'analyse des chants. Samuel Ben Meir (RaShBaM, I085-II74), Ie petit-fils de Rashi, ne a Ramerupt (Champagne), a ete sans doute Ie plus celebre eleve de son grand-pere maternel, et est devenu Ie plus important exegete juif en France au xn e siecle. En dehors de sa formation rabbinique, il se distingua par sa vaste culture generale, dont la connaissance du latin, qu'il avait appris afin de pouvoir etudier directement l'exegese catholique. Encore a l'ecole de Rashi, il fit preuve de son esprit independant; en raison de ses remarques, Ie maitre corrigea quelques-uns de ses commentaires. De la vaste reuvre exegetique de Rashbarn, seul son commentaire sur Ie Pentateuque a ete conserve integralement68 ; des fragments de commentaires sur des autres livres ont ete inseres dans les travaux des exegetes posterieurs. A la difference de son reuvre de tossafiste, OU il s'appuya sur l'autorite du Talmud69, Rashbam a ete radicalement oppose, en tant qu' exegete, al'usage du sens homiletique, soutenant avec vigueur son opinion que seul Ie sens litteral permet la comprehension du texte biblique. C'est ainsi que ses commentaires representent une correction des interpretations de Rashi. Afin d'arriver ason but, Rashbam a etudie attentivement l'hebreu et les traites rediges en hebreu par les grammairims sepharades, qu'il mentionna dans ses elucidations, sans pourtant 67· EJ, X, 759-760. 68. EJ, XIV, 8°9-812; Ie commentaire sur Ie Pentateuque a ete publie par D. ROSIN, Breslau, 1881, reed. annotee par A. 1. BROMBERG, Tel-Aviv, 1964. 69. Cf. E. E. URBACH (en hebreu), Les tossaphistes, Jerusalem, 1955 et un bref expose de P. KLEIN,« Les Tossafot et la France », Vitalili de fa pensiejuive, 1966, pp. 40-57.
Etudier la Bible suivre leur direction philologique. La conclusion la plus importante de ses etudes est dans Ie domaine de la semantique; il observa une difference entre l'hebreu biblique et mishnaique, ce qui disqualifiait Ies textes talmudiques comme source pour l'interpretation de l' Ancien Testament. Son exegese consiste en notices concises et Iucides, expliquant « Ie sens de la lettre biblique ». A cet egard, Rashbam a elargi Ie champ de la critique de l'exegese catholique par ses etudes sur Ie texte de la Vulgate, OU il a trouve des erreurs de traduction. Telle a ete par exemple son interpretation de la Genese 49, 10, OU il expliqua que Shiloh est Ie nom d'une ville dans Ie « pays d'Ephraim» et non pas, « comme Ie dit Jerome », une allusion a Jesus, qui !JJittendus est. A partir de ces lectures, il taxa I'exegese allegorique en general et particulierement l'exegese catholique de« fausse interpretation ». Ainsi, sa methode de la refutation des doctrines christologiques a ete fondee sur l'emploi logique du sens litteral hebraique, comme dans Ie cas de l'Exode 20, 13. A la difference de Rashi qui, maintes fois, avait avoue ses hesitations quant au veritable sens des mots, par la formule : « Je ne sais pas », Rashbam fit preuve d'une plus grande confiance en soi-meme et dans ses qualites d'exegete, proposant toujours ses propres interpretations pour les textes qu'il a commentes. Joseph Bekhor Shor d'Orleans (xne siecle), qui a ete l'eleve du Rashbam, se distingua comme un des fondateurs des centres scolaires juifs de Paris et d'Orleans; il a entretenu des contacts reguliers avec les Victorins, Ies familiarisant avec les methodes de l'exegese rabbinique 70• Parmi ses travaux exegetiques, les commentaires sur Ie Pentateuque et sur les Psaumes ont ete conserves71. Comme son maitre, mais avec bon nombre d'exceptions, Bekhor Shor a ete un adepte du sens litteral de l'interpretation; il employa cette methode notamment pour expliquer la raison des preceptes, dans ses commentaires sur Ie Levitique, ainsi que dans sa critique des interpretations catholiques des textes. A ce propos, il considerait les erreurs de la « traduction de Jerome» comme les fondements des « contresens » de l'exegese chretienne, continuant dans ce domaine l'ceuvre du Rashbam. Pourtant, son originalite reside dans son developpement de l'elucidation historique des textes; au courant des traits principaux de la chronographie, il a redige de breves dissertations sur les personnalites bibliques, a partir des Patriarches, insistant sur les motifs de leurs activites. Cette conception l'amena a elaborer des interpretations sur la societe biblique, a Ia Iumiere des conditions sociales de son propre temps, telies qu'il remarqua dans l'Ile-de-France 72• D'autre part, Bekhor Shor a ete Ie premier exegete 70 • EJ, IV, 410-411. 71. Jerusalem, edit. H. J. 1. GAD, 1957. 72. Commentaire sur Ia Genese, XXVII, 40.
L'exegese rabbinique
de l'ecolefran S;aise qui proposa une interpretationrationnelle des miracles, par exemple dans ses commentaires sur la Genese 19 ou sur l'Exode 9, en voyant des phenomenes quasi naturels. Ainsi, dans ce domaine, il se rapprocha des raisonnements des membres de l'ecole philosophique sepharade, sans en adopter les methodes.
Tandis que la plupart des exegetes rabbiniques des lXe_XUe siecles ont concentre leur ceuvre sur les sens litteral et homiletique des textes, il y en eut un certain nombre qui ont recouru au sens allegorique et, en raison de leurs preoccupations mystiques 73, qui se sont propose de devoiler Ie message cache ou secret des Ecritures et a l'interpreter dans les perspectives de leurs preoccupations. A la difference de l'allego:ie !JJishnalq~e et talmudique, les tendances allegoriques de l'exegese geonzque et rabblnique avaient subi l'influence du mysticisme musul.man et de sa method~, Ie qala!JJ74. Cette methode, employant des expresslons anthropomorphiques et se fondant sur la metaphore, se manifesta depuis Ie VUle siecle dans les ceuvres des sages du Proche-Orient, trouvant aussi bien son expression dans les travaux de Saadiyah Gaon, quoiqu'il ne faille pas Ie considerer comme exegete allegorique ou mystique. L'influence du qala!JJ islamique s'est manifestee surtout dans les ceuvres theologiques et litteraires, dont les auteurs se sont occupes, particulierement du probleme du« Salut d'Israel », Ie voyant comme un phenomene lie aux perspectives cosmiques; l'enseigne~ent des ceuvres neo-platoniciennes, telles celles de Plotin, eut ,une part. lmp.ortante d~ns l'elaboration de ces concepts, de meme que I astrologle y Joua un role preponderant. Pourtant, toutes ces me~ta~ions etaient textu.elleme~t fondees sur l' Ancien Testament et partlcuherement dans les lnterpretations de la Revelation divine, soit par ses manifestations directes, soit par I'inspiration des prophetes, ce qui ramena Ies mystiques. aux ;extes bibliques, afin d'y saisir Ie sens secret et de Ie co~menter: Parelll~s et~des ont ete effectuees aussi afin de relever des alluslons qUl pourrruent etre susceptibles de servir a I'elaboration de preceptes moraux de comportement pieux. Depuis Ie IXe siecle, ces tendances ont commence a etre diffusees parmi les communautes de l'Occident, grace a l'enseignement du sage mesopotamien Abu Aharon a Lucques. A cet egard, l'ecole de Kairouan joua un role important dans Ie processus de Ia transmission des idees; les ouvrages de Hanan~l Bar Hushiel et Nissim Bar Jacob contenaient des elements metaphonques, 73. Cf. G. SCHOLEY, Major Trends in Jewish M'ys~icism, New -X:0~k, 1954· . 74. Cf. G. VAJDA, « S'adya commentateur du.Llvre ~e la Creation », dans Annualre I9J9I960 de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, Ve sectIon, Paris, 1960.
L' exegese rabbinique
Etudier la Bible qui ont servi de fondement aux travaux de certains de leurs eleves, surtout en employant les methodes philosophiques de l'interpretation. De surcroit, les Calonymides, en tant que legataires de l'enseignement d' Abu Aharon, avaient amene de la Mesopotamie la tradition geonique; ils l'ont enseignee a Lucques et a Worms, et employe aussi bien les sens de l'allusion et de l'allegorie dans leurs travaux. Evidemment, i1 ne s'agissait pas de la transplantation pure et simple de la methode du qalam, ni de son adaptation; elle ne se pretait pas aux conditions regnant dans les pays chretiens et, par ailleurs, les juifs de l'Europe, Espagne exciue, ne savaient pas l'arabe et n'etaient pas au courant de la theologie de l'Islam. En revanche, les persecutions antijuives, au debut du XIe siecie, dans la vallee du Rhin et en France75, ont provoque des reactions pietistes et mystiques parmi les couches juives; leur ampleur amena quelques exegetes a etudier les messages mystiques de l' Ancien Testament. Quoique cette hypothese n'ait pas ete prouvee, il semble que les methodes allegoriques des exegetes catholiques aient servi comme element complementaire d'emulation. Certes, il ne s'agit pas de themes; les mystiques juifs ont rejete avec la meme vigueur que leurs collegues les commentateurs litteraux et homiletiques des doctrines christologique et trinitaire, doctrines qu'ils qualifiaient d'idolatrie76 . Quant a l'influence methodologique, son emploi, tendant a fortifier les esprits et creer un code de comportement pietiste, semble avoir ete facilite par la cohabitation dans les villes et les relations mondaines qui y ont ete nouees. La premiere croisade laissa une tache sanglante dans les communautes juives de la France et de l' Allemagne, a partir de Rouen et notamment dans les bassins du Rhin et du Danube. Dans les communautes rhenanes, les « persecutions de l'an 4846» (1096) ont ete considerees, pour la premiere fois dans l'histoire du judaisme europeen, comme un holocauste, dont Ie caractere a impregne l'ceuvre litteraire, religieuse et philosophique des juifs europeens pendant des generations, contribuant a Ia naissance d'une attitude d'amertume douloureuse envers « Edom, Ie sanguinaire ». 11 en resulta un renforcement des tendances pietistes, soulignant l'importance morale du sacrifice de leur vie. Les pietistes (Hasidim) de la vallee du Rhin ont fonde leurs principes sur l'enseignement de l'interpretation morale de l'Ecriture, soit un melange du sens homiletique, de I'allusion et de l'allegorie. L'ecole des Calonymides, transferee a Spire au debut du xn e siecie, 15. Cf. R. CHAZAN, « 1°°1-1012; Initial Crisis for Northern European Jewry », dans Proceedings of the American Academy for Jewish Research, 38-39, 191°-1911, IOI-ISI. 16. Cf. 1. G. MARCUS, Piety and Society ,. the Jewish Pietists of Medieval Germaf!J, Leiden, I9S1. La question de l'infiuence qu'eut l'environnement chretien sur Ie developpement spirituel des jnifs dans l'aire culturelle ashkinaze a ete disputee contradictoirement par les chercheurs. 11 semble que les opinions niant l'existence d'une pareille influence doivent etre considerees comme valables pour la periode avant Ie XI" siecle.
apres la destruction de la communaute de Worms pendant la premiere croisade, a ete, comme auparavant, la chaine de la transmission de ces courants exegetiques. L'ceuvre d'Eliezer (<< Ie Grand ») ben Isaac de Worms, au XIe siecie, qui avait ete aussi l'eleve de Gershom, La Lumiere de la Diaspora, a Mayence, eut a ce propos une influence profonde77 • Son Testament de Rabbi Eliezer Ie Grand, OU il developpa les principes du comportement moral, en tant que « Ia vie bibIique », a servi de modele a cette methode exegetique. Calonymus de Worms (m. II26), qui s'est etabli a Spire vers 1 !0O, l'employa dans son enseignement oral, afin d'expliquer Ie message secret de la piete. Son fils, Samuel ben Calonymus 78, adapta l'enseignement paternel dans son commentaire sur Ie Pentateuque, devenant ainsi un des premiers exegetes du courant pietiste et du Hasidisme ashkenaze. Ce commentaire, tendant a devoiler Ie message secret, voire « la legation de Moise », est entierement fonde sur les interpretations des allusions et allegories, a l'aide des textes midrashiqttes. Telle a ete, par exemple, l'explication du sejour de Moise sur Ie mont Sinai pendant quarante jours; il avait employe ce temps pour apprendre directement de Dieu les secrets de la Revelation et la loi « orale », qui contenait Ies preceptes enseignes aux pietistes ashkCnazes. Cet ouvrage a servi surtout au developpement des methodes exegetiques, employees par ses parents, Jehudah ben Calonymus de Mayence et Jehudah ben Calonymus de Spire. 11s ont developpe pendant la seconde moitie du xn e siecle l'interpretation allegorique de I' Ancien Testament'9, dans Ie but pratique d'offrir, par Ie resultat de leurs travaux, une consolation mystique pour les communautes persecutees, et d'elaborer une doctrine de comportement moral des juifs. Un trait caracteristique de ce courant mystique de I'exegese, OU la methode philosophique neo-platonicienne n'a pas joue qu'un role efface et indirect, reside dans l'usage des textes midrashiques et du sens homHetique dans Ies commentaires. A cet egard I'ceuvre exegetique d'Eliezer ben Samuel de Metz (ca. 1115-1198) eut une influence importante. Eliezer etudia en France et particulierement a l'ecole de Rashbam et, ensuite, diffusa en Lorraine et en Allemagne l'enseignement exegetique de l'ecole fran~aise80. Cependant, a la difference des travaux de ses maitres de France, il abandonna Ie sens litteral et sa propre contribution a I'exegese se situe dans Ie sens homiletique; dans son Livre des divots, redige vers II70, il a commente les « six cent treize preceptes », a savoir I'ensemble des lois bibliques, recourant aux sources talmudiques. Ce qui est 11. EJ, VI, 623-624; en ce qui concerne les Calonymides, cf. J. DAN, « The Beginning of Jewish Mysticism in Europe », dans C. ROTH (edit.), The World History of the Jewish People,. the Dark Ages, Tel-Aviv, 1966. 1S. EJ, XIV, S09· 19. EJ, X, 348-350. 80. EJ, VI, 628-629. P. RICHE, G. LOBRICHON
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Btudier la Bible
L'exegese rabbinique
. portant pour notre propos est que cet enorme travail exegetique, qui . t ensuite devenu lui-meme l'objet des commentatres, met l'accentur s ~s Ale moral des preceptes et sur leur importance pour Ie comportement ea~ait des fideles. C'est ainsi que la methode d:Eliezer de Met~ a ete ~doptee par les exegetes hasidiques, qui l'ont combmee avec leur methode .. allegorique. J ehudad Hehasid (ca. I I5 0-12 I 7), fils de Samuel ben Calonymus, ~ 1 't' indiscutablement Ie grand maitre du mysticisme ashkenaze8 • Et~bli ~ ~atisbonne, en Baviere, sa figure est rapidement devenue legend~l~e; la posterite lui attribua des miracles e~ectue~ ~fin d~ s,auver les J~fs menaces par des persecutions. J ehudah n a pas ete un exeg~te de la qualite de son pere, ni de ses freres, quoiqu'il consa~rat une part1~ de ~~n temps aux commentaires bibliques. Dans son Lzvre de la gloz~e dzvzn~, ~ont euls des fragments ont ete conserves, il s'attacha aux tnterpretatlOns :llegoriques; ses commentaires sur la Genese, sur la,~evela~on. (l'E~od:) et sur les Prophetes temoignent de sa ~ethode. d tnterpretatlon esote. II a ete aussi l'auteur de la premlere partle du/. grand manuel du nque. J • ) , mouvement pietiste ashkenaze, Sifer Hasidim 82 (Le lIvre aes p'zeux ?u, sur les fondements des commentaires homiletiques et allegonques, tl a elabore Ie plus important code de conduite des pieux. Son eleve et parent, Eleazar Harokeah de Worms (ca .. II65-1230), a ete Ie plus important exegete de l'eco~e pieti~te ashkenaze. Fils de Je~u?ah ben Calonymus, qui a ete son premler mattre, El~zar appar~e~a~t a l~ famille des Calonymides et fut Ie legataire de leurs method~s exege~lques , Jehudah Hehasidlui enseigna Ie mysticisme83• Eleazar cont1t~u~ ses etudes, voyageant et sejournant a ces fins dans les centres rabblruques de la France septentrionale et de l' Allemagne. L'en~eign~ment d'Eliezer de Metz dont il avait ete l'eleve pendant des annees, lalssa des traces pr~ fond~s dans son reuvre, surtout par l'adaptation de sa methode ho~ letique. Dans Ie livre, dont Ie titre Haroke~h (Le fa!se~r de baume~ dev!nt son surnom Eleazar interpreta les pnnClpes ethiques de 1 AnCl~n Testament, tant que fondement de la moral~ t:i~tiste..M~intes f01S, dans ses commentaires sur l'Exode et sur Ie UVltlque, 11 evoqua les traditions familiales. Son bref commentaire sur Ie Pentateuque est en revanche un chef-d'reuvre d'exegese allegorique, fondee sur l'interpre., . tation symbolique des « signes ». Ce commentaire a ete ulterieurement developpe dans Ie tralte qw represente l'reuvre la plus originale d'EIeazar, Sodei RaZ'D'ya (Les secrets
1m
:n
81 C£ G SCHOLEM, Major Trends .•. (op. cit., n. 73), pp. 73- II1. . . 82: L'6diclon de J. W1STINETZK1, Francfort, 1924, a ete la sow;ce de plu~e~s. traductlOnS dans la plupart des langues occidentales, dans leur majeure partie des abreVlatiOnS ou des
anthologies. 83. E], VI, 59 2-594, et G. pp. 171-193.
SCHOLEM,
d· S b l· N Y k 97 On the Kabbalah an Its .ym 0 Ism, ew or, 1 0 ,
des secrets), fonde sur Ie developpement du sens allegorique de l'Ecriture. Sa methode repose sur l'etude de la signification symbolique des 22lettres de l'alphabet hebraique, qui selon cette theorie representent « l'expression du Verbe ». Leur message cache permet, a son sens, de resoudre les mysteres divins a partir de la Creation. Ce symbolisme des « lettres » sert aussi a elucider les « signes », ce qui amena Eleazar a elaborer une interpretation cosmique de la Genese et une image mystique du « royaume celeste », OU Dieu, les anges et les « voix » veillent sur Ie sort des gens, se revelant Ie cas echeant et inspirant les prophetes. Cette methode exegetique lui servit aussi bien pour l'explication des malheurs subis par Ie peuple juif: elles sont des epreuves imposees au peuple elu par la volonte divine, annons;ant et preparant Ie « salut d'Israel »84. La conception visionnaire d'Eleazar n'a pas ete fondee seulement sur l'interpretation allegorique des textes; elle a trouve des sources d'inspiration dans les reuvres exegetiques morales, telles celles de Saadiyah Gaon et d'Eliezer de Metz.
Pendant la seconde moitie du xn e siecle, on constate l'emergence d'un second centre mystique dans Ie Languedoc (la « Provence » des sources hebraiques medievales). Sous l'influence des tendances gnostiques et des interpretations allegoriques de l' Ancien Testament, un processus de cristallisation se manifesta, probablement des Ie debut du xn e siecle. Les reuvres philosophiques neo-platoniciennes, et partiCulierement celles d'Ibn Gabirol et de Bahya Ibn Paquda, ont inspire les penseurs « provens;aux ». Malgre leur opposition aux theories gnostiques, les mystiques « provens;aux » ont adopte une partie de l'exegese de Jehudah ben Barzillai Barceloni. L'reuvre de son contemporain, Abraham Bar Hyya de Barcelone85, eut pourtant une influence profonde dans ce processus de cristallisation; theologien, astronome, mathematicien et philosophe, Bar Hyya s'occupait aussi bien de l'astrologie. Dans son traite, Megillat Hamegaleh (Le rouleau du decouvreur), acheve vers II30, Bar Hyya appliqua les resultats de ses recherches astrologiques, afin de rediger une dissertation eschatologique, OU il calcula l'arrivee des temps messianiques et la date du salut du peuple juif, par l'etude des « signes » cosmiques et les evenements historiques. Ce traite eut une tres large diffusion parmi les communautes juives des son apparition; les maitres du mouvement hasidique en Allemagne l'ont adapte pour leurs propres besoins. 84. 11 n' existe pas une edition du traite entier; quatre parties essentielles ont ete publiees, dont celle editee par I. KAMELHAR, Jerusalem, 1936, est la plus importante. 85. E], I, 130-133.
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Etmlier la Bible
Sur ces fondements des talmudistes reputes, tels Rabbi Abraham ben David (RaBaD) de Posquieres86 et Jacob de Lunel, ont introduit dans leurs ouvrages des elements mystiques, encore meies avec Ie materiel homiletique. Ce fut probablement la genese de la doctrine de la Kabbalah (lit. « tradition »). Dans la generation posterieure, les theories kabbalistes ont ete developpees dans Ie « cercle » provenc;al, dirige par Isaac l'Aveugle (Ie fils du Rabat!), mort en 123587, et celui de Gerone, en Catalogne, destine a devenir Ie centre du mouvement. Isaac l'Aveugle et ses compagnons ont essaye de trouver, par l'interpretation litterale et allegorique des textes bibliques, l'appui scripturaire de leur enseignement, surtout en commentant Ie Cantique88 • Les premiers ttavaux, de la fin du xne et du debut du xme siecle, font deja etat des tendances methodologiques de ce mouvement par l'interpretation allegorique de l' Ancien Testament dans une perspective cosmique avec sa phenomenologie89• L'exegese kabbalistique et ses manifestations sortent pourtant du cadre chronologique imparti a notre expose. Son developpement methodologique et ses interpretations systematiques ont ete plus tardifs, a partir de la seconde moitie du xrn e siecle, avec les commentaires sur Ie Pentateuque par Nahmanide90, qui a ete lui-meme eleve au cercle de Gerone; son influence fut grande sur les courants exegetiques du bas Moyen Age. Aryeh GRABOIS.
86. Cf.1. TWERSKY, Robad of Posquieres. A Twelfth-century Talmudist, Cambridge (Mass.), 19 6 2., 33 6 p. 87. V. la monographie en hebreu de G. SCHOLEM, La Kabbalah en Provence: Ie cercle du Robad et de son fils, Robbi Isaac I' AlJeugle, J&Usalem, 1962., ainsi que son Ursprung untl Anfange tier Kabbalah, Berlin, 1962., et G. VAJDA, Recherches sur Ia philosophie et Ia Kabbale dans Ia pensee juive au Moyen Age, Paris, 1962.. 88. B], X, 489-653, qui represente une monographie monumentale par G. SCHOLEM de la Kabbalah; pour Ie centre occitan-catalan, cf. col. 518-52.8. 89. Le commentaire d'Bzra de Gerone sur Ie Cantique des Cantiques, ed. G. VAJDA, Paris, 19 69. 90 • B], XII, 774-782..
5 Comment les moines du Moyen Age chantaient et goutaient les Saintes Ecritures
Quae enim pagina, aut quis sermo divinae auctoritatis veteris ac novi Testamenti, non est rectissima norma vitae humanae ? « Quelle page ou quelle parole de l'autorite divine de l'ancien ou du nouveau Testament n'est pas une tres droite regIe de la vie humaine?» (RegIe de saint Benoit, c. 73). Apres avoir prescrit et recommande bien des fois la lecture de l'Ecriture sainte, saint Benoit termine sa RegIe par cette exclamation. Comment traiter d'un sujet aussi evident, qui n'a echappe a aucun de ceux qui se sont interesses a la litterature ou a l'histoire medievales ? Faut-il reprendre ce qui a ete dit et bien dit? Dom Jean Leclercq dans son excellent livre L'amour des lettres et Ie desir de Dieul a expose avec bonheur des principes qu'il suffira de rappeler : « Au Moyen Age, on lit generalement en prononc;ant avec les levres, au moins a voix basse par consequent en entendant les phrases que les yeux voient... Plus qd'une memoire visuelle des mots ecrits, il en resulte une memoire musculaire des mots prononces, une memoire auditive des mots entendus. La meditatio consiste a s'appliquer avec attention a cet exercice de memoire ~otal~; elle est done inseparable de la lectio. C'est elle qui, pour ainsi dire, InSCr1t Ie texte sacre dans Ie corps et l'esprit ... « Ce machonnement repete des paroles divines est parfois evoque par Ie theme de Ia nutrition spirituelle: Ie vocabulaire est alors emprunte I. J. LECLERCQ [9], pp. 72-76. Les citations sont empruntees au chapitre V Us lettres sacrees, mais les allusions Ii l'usage des Ecritures sont nombreuses Ii travers tout Ie livre.
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Etudier la Bible
a la
manducation, a la digestion, et a cette forme tres particuliere de digestion qui est celle des ruminants : aussi la lecture et la meditation sont-elles parfois designees par ce mot - si expressif - de ruminatio. Par exemple, faisant l'eloge d'un moine qui priait sans cesse, Pierre Ie Venerable ecrira: 'Sans repos sa bouche ruminait les paroles sacrees'2. De Jean de Gorze on a pu dire que Ie murmure de ses levres pronons:ant les Psaumes ressemblait au bourdonnement d'une abeille3 • Mediter, c'est s'attacher etroitement a la phrase qu'on se recite, en peser tous les mots, pour parvenir a la plenitude de leur sens : c'est s'assimiler Ie contenu d'un texte au moyen d'une sorte de mastication qui en degage Ia saveur; c'est Ie gouter, comme saint Augustin, saint Gregoire, Jean de Fecamp et d'autres Ie disent d'une expression qui est intraduisible, avec Ie palatum cordis ou in are cordis 4 • Toute activite, necessairement, est une priere : Ia leclio divina est une lecture priee. Aussi un opuscule anonyme destine au moine encore novice lui donne-t-il cet avertissement : 'Quand 'il lit, qu'il cherche la saveur, non Ia science. L'Ecriture sainte est Ie 'puits de Jacob d'ou I'on extrait les eaux que l'on repand ensuite en 'l'oraison. Or il ne sera pas necessaire d'aller a l'oratoire pour y commen'cer a prier; mais dans la lecture meme, il y aura moyen de prier et de 'contempler .. .' « Le phenomene de la reminiscence est lourd de consequences dans Ie domaine de l'exegese... Elle est en grande partie une exegese par reminiscence, et c'est expliquer un verset par un autre verset ou un meme mot revient... Grace au machonnement medieval des mots, on en vient a connaitre la Bible 'par cceur'. On peut ainsi trouver spontanement un texte ou un mot qui corresponde a la situation decrite dans chaque texte, et explique chaque autre mot. On devient une sorte de concordance vivante, une vivante bibliotheque, au sens ou ce dernier terme designe la Bible. Le Moyen Age monastique pratique peu la concordance ecrite : Ie jeu spontane des associations, des rapprochements et des comparaisons, suffit a l'exegese ... L'exegese monastique ... est a Ia fois, inseparablement, litterale et mystique. » Les moines se sont beaucoup appliques a l'etude de l'Ecriture sainte. Dom Jean Leclercq Ie rappelle avec insistance : « 11 y a une litterature monastique sur l'Ecriture, et elle est abondante, plus abondante que ne Ie 2. PIERRE LE VilNERAlILE, De Miraculis, I, 20, dans PL, I89, col. 887 A, ecrit du moine Benoit: os sine requie sacra verba ruminans, non in terra, sed in caclo positum hominem indicabant (toute son allure et) sa bouche ruminant sans repos les paroles sacrees indiquaient que cet hornme n'etait pas sur terre, mais dans Ie del. La meditation est accompagnee d'un mouvement des levres. 3. JEAN DE SAINT-ARNOUL, Vie de Jean de Gorze, dans PL, IJ7, col. 280: In morem apis Psalmos tacito murmure contiflU(} revolvens, repetant les Psaumes continuellement par un doux murmure a la fac;on des abeilles. 4. Textes dans Jean LECLERCQ, Un maitre de la vie spirituelle au XI- site/e, Jean de Fecamp, Paris, 1946, p. 99, n. 3.
Les moines du Moyen Age laisserait suppose~ ,Ie peu d' etudes qu' on lui a consacrees ... Jusque dans Ie cours du xn e sl~cle, Ie,S auteurs monastiques sont si nombreux qu'ils donnent Ie ton; pws peu a peu, les commentaires scolastiques deviennent plus nombreux »5. Plutot que de tenter une analyse de la pensee d'auteurs illustres ou de retrac~r les ~tape~ ?e l'approc~e litteraire des livres saints, peut-etre ser~-t-ll plu.s tmmediatement utlle d'essayer d'entrevoir les attitudes des ~otnes, qw chercherent Dieu en toute loyaute. La plupart auraient ete tncapables de s'exprimer, ils n'avaient d'ailleurs pas vocation de predicate~r. IIs n'ont pas voulu acceder aux sommets de la connaissance ils n'etalent pas attires par l'erudition. Mais iis se sont nourris des te~tes sacres pour alimenter leur vie spirituelle.
THEMES SCRIPTURAlRES
. Les inves~igations qui vont suivre sont groupees autour de realisatlons assez diverses. II faut analyser de tres pres les temoignages les regarder dans la simplicite de ceux qui les ont vecus, avec des ye~ de myope. L?s ~c~!asti9-ues o~t aime.l~s p~ans rigoureux, divises et compartim~n~es, a llnfini, a~ prlx d~ disttnctt~ns subtiles, les moines qui les ont precedes ont prefere se lalsser entratner par des associations d'idees et admettre que les digressions introduisent une agreable diversion. A le~r exemple, seront donc traites, successivement et sans plan, les themes swvants : la memoire au service de la connaissance de l'Ecriture : les Joca monachorum; - l'~:riture, recueil de sentences a mediter et a approfondir : ce que revel:nt les coupures des Psaumes dans l'office regIe par saint BenOlt; - l'acn;alite permanente de l'Ecriture sainte: les supplications pour Ie passe et Ie present pensees et chantees avec l'Ecriture dans les antiennes de I'office; - l'uti~sation de l'Ecriture dans les compositions litteraires sans pretentto~ 9-~e sont les :Vie~ des sa~ts, illustree par deux exemples du ~n sl~cle: .so~ventrs" lnfo~attons e~ devotion fervente pour un motne qw a Ialsse une reputatton de satntete dans Ie monastere ou il a vecu, saint Girard; legende, imagination et miracles recents pour un saint dont les actes ont ete entierement oublies, saint Fiacre; -
5· J. LECLERCQ [9], pp. 70-71.
Etudier la Bible les livres de la Bible sont restes absolument stables depuis Ie temps ou les moines chretiens les ont abordes 6, les textes qui les accompagnent ou en derivent et 1a musique qui leur a ete adaptee ont ete Ius et apprecies pendant de longs siecles et souvent Ie sont encore. Il n'est pas question de fixer de rigoureuses limites chronologiques et moins encore de determiner les epoques OU apparurent de nouvelles conceptions puis que ce sont les valeurs permanentes qui sont l'objet de ces analyses.
loca monachorum Sous Ie nom de loca monachorum ont ete transmises des series d'enigmes formulees en questions et reponses. Leur origine se place a une haute epoque. Peut-etre apparaissent-ils en Gaule et dans les Iles britanniques des Ie VIe siecle. L'influence de modeles grecs est probable. Quoi qu'il en soit, Ie succes de ces loca monachorum fut durable, les manuscrits sont nombreux et s'echelonnent tout au long du Moyen Age7 • Les questions variees font appel a des connaissances livresques, certaines sont philosophiques, d'autres scientifiques, beaucoup sont l'echo de theories admises. Un bon nombre concernent la Bible, directement ou indirectement en proposant des conclusions parfois inattendues. Les questions qui font appel a la memoire montrent que les partenaires ont une connaissance approfondie des moindres details de l'histoire d'Israei. Quelques exemples montrent que questions et reponses ne sont pas seulement des exercices de memoire.
Qui cum asina locutus est? Qui parla avec une anesse ? Balaam propheta. Le prophete Balaam8 • Balaam, devin connaissant Ie vrai Dieu, accepta pourtant de maudire Israel. L'ange du Seigneur lui barra Ie chemin. Balaam ne Ie vit pas, mais son anesse prit peur, s'ecarta deux fois, puis s'arreta. Balaam irrite la frappa. Alors « Y ahve ouvrit la bouche de l' anesse et elle dit a Balaam : Que t'ai-je fait pour que tu m'aies battue trois fois ?» Balaam repondit : « Tu t'es moquee de moi ! Si j'avais eu a la main une epee, je t'aurais 6. Les presentes recherches portant sur la tradition medievale, les citations bibliques sont faites d'apres la Vulgate ou les anciennes versions latines tant pour Ie texte que pour la numerotation des versets. Les variantes du texte hebreu ne sont habituellement pas signalees. 7. Bibliographie dans Clavis Patrum latinorum, editio altera, Bruges, 1961, nO II55 f. Edition: Walter Suchier, Das mittellateinische Gesprach Adrian und Epictitus nebst verwandten Texten (Joca Monachorum), Tiibingen, 1955. (Cf. Scriptorium, II, 1957, p. 136, nO 245 avec la liste des manuscrits utilises.) Les textes ont ete reproduits par A. HAMMAN, PL Supplementum, IV, 1967, pp. 917-941. 8. Col. 929, nO 28. - Toutes les citations sont empruntees au Supplement de la Patrologie laline, cite ala fin de la note precedente. 11 suffit done d'indiquer la colonne et Ie numero.
Les moines du Mqyen Age deja tuee. » L'anesse dit a Balaam : « Ne suis-je pas ton anesse, qui te sers de monture depuis toujours. Ai-je l'habitude d'agir ainsi envers toi ?» Il repondit: « Non» (Nomb. 22, 21-33). Pas plus que Balaam, les auteurs des loca ne sont surpris d' entendre parler une anesse. La discussion ne porte pas sur des problemes d'interpretation, l'Ecriture est acceptee sans discussion9 •
Qui asinas querendas regnum invenit ? Qui en cherchant des anesses trouva un royaume ? Saul10• Saul etait a la recherche des anesses de son pere Qish, quand il consulta Samuel qui lui annons:a que les anesses etaient retrouvees. Et c'est alors qu'ille sacra roi d'Israel (I Sam. 9, 3 - 10, 8).
Qui locutus est post mortem ? Qui parla apres sa mort? Samuell l. Saul qui avait expulse du pays necromants et devins se deguisa pour aller consulter la necromancienne d'Endor. EUe evoqua Samuel qui apparut et lui dit : « Pourquoi as-tu trouble mon repos en m'evoquant?» Puis Hlui repeta que Dieu s'etait detourne de lui : « Demain, toi et tes fils, vous serez avec moi» (I Sam. 28, 14-19). Cette vision terrifiante a retenu l'attention.
In quem montem non pluit usque in aeternum ? Sur queUe montagne ne pleut-il pas pour l'eternite? In Gelbuae, ubi Saul se occisit. Sur Gelb06, OU Saul se tua12 • Saul blesse par les archers se jeta sur son epee (I Sam. 3 I, 3-4). En apprenant la mort de Saul et de son fils Jonathan, David composa un chant funebre OU il maudit Ie lieu OU ils perirent : ... Montagnes de Gelboe, ni rosee, ni pluie sur vous (II Sam. I, 2I). Cette malediction de David fut reprise dans une magnifique antienne presentee plus loin. La secheresse produit Ie desert. La malediction est prise au pied de la lettre.
Qui justus per oratione homicidium fecit? Sanctus Helias et Heliseus Quel juste a fait un homicide par la priere ? Saint Elie et saint Elisee13• 9. Col. 929, nO 28. 10. Col. 928, nO 17. II. Col. 936, nO 6. 12. Col. 928, nO 18. 13. Col. 928, nO 40.
Les moines du Moyen Age
Etudier la Bible Le feu du ciel descend deux fois sur les hornmes venus arreter Elie (N Rois 1, 9-II). Quant a Elisee, il annon<;a la mort violente des reines Jezabel et Athalie (IV Rois 9, 33-37 et II, 1;-16).
Qui mortuus mortuos suscitavit ? Qui mort, ressuscita des morts ? Heliseus in Galgalis Elisee a Galga1I4• On lit au quatrieme livre des Rois (1;,20-21) : « Elisee mourut et on l'enterra. Des bandes de Moabites faisaient incursion dans Ie pays chaque annee. II arriva que des gens qui portaient un hornme en terre virent la bande; ils jeterent l'hornme dans la tombe d'Elisee et partirent. L'homme toucha les ossements d'Elisee : il reprit vie et se dressa sur ses pieds. »
Quis manducavit et bibit, nec carnem, nec sanguinem habuit ? Qui mangea et but, mais n'eut ni chair, ni sang? Angelus Raphael. L'ange Raphae1I5• Dans I'histoire de Tobie, I'ange Raphael parut sous une forme humaine. Quand il se fit connaitre, il declara : « Vous avez cru me voir manger, ce n'etait qu'une apparence » (Tob. 12, 19)' Pour Ie Nouveau Testament, les questions sont moins nombreuses. L'une d'elles revele une appreciation intelligente de I'histoire de l'Eglise:
Ubi nomen Christianorum primum exortatum est?
au Ie nom de chretiens fut-il employe pour la premiere fois ? In Antiochia civitate. Dans la cite d' Antioche l6 • « C'est a Antioche que, pour la premiere fois, les disciples re<;urent Ie nom de chretiens » (Actes 11, 26). Les Juifs n'avaient evidemment pas designe les disciples de Jesus par un mot qui aurait laisse croire qu'il etait Ie Christ. La qualite de cette reponse ne doit pas donner une idee trop avantageuse de la chronologie des auteurs des Joca monachorum. Les exegetes modernes placent la composition du livre de Ruth au 14. Col. 928, nO 13. 15· Col. 936, nO 12. 16. Col. 924, nO 18.
milieu du ye siecle avant J.-c., les anciens ne se posaient pas de telles questions. Pour eux, Booz etait Ie grand-pere de David, et son histoire etait claire. Dans Ie livre de Ruth (2, 4), Booz arrivant de Bethlehem salue ses moissonneurs en disant : Dominus vobiscum. lIs lui repondent : Benedicat tibi Dominus. Que Ie Seigneur te benisse. A des moines ne pouvait echapper l' emploi de cette formule qui revient si souvent dans la liturgie :
Qui primus dixit: Dominus vobiscum ? Qui Ie premier a dit : Ie Seigneur soit avec vous ? Boozfilius Salmon, quando operarios suos misit in messem Booz, fils de Salmon, quand il a envoye ses ouvriers a la moisson 17. L'auteur du De inventione nominum fit preuve d'une erudition etonnante. II rassembla les homonymes des deux testaments. Apres avoir annonce Ie nombre des personnages du meme nom, qui peuvent etre, deux, trois ou plus, jusqu'a six ou sept, il y a meme onze SimonIS, i1 les enumere sans s'astreindre a l'ordre chronologique. Mais surtout il sait eviter les confusions: Sex sunt Mariae, una est Maria soror Aaron, II est Maria mater Domini noslri Ihesu Christi, III est Maria Magdalenae de qua excluserat Dominus Noster Ihesus Chrislus septem daemonia, IV est soror Marthae et Lazari, Vest mater Iohannis et Iacobi, VI est mater Cleopas. J1 y a six Marie : la premiere est Marie seeur d'Aaron, la seconde est Marie, mere de Notre-Seigneur Jesus-Christ, la troisieme est MarieMagdeleine de laquelle Notre-Seigneur Jesus-Christ avait chasse sept demons, la quatrieme est la seeur de Marthe et de Lazare, la cinquieme est la mere de Jean et Jacques, la sixieme est la mere de Cleopas l9 • Depuis saint Gregoire Ie Grand, prevalut en Occident l' opinion qui estimait que Marie-Magdeleine etait la seeur de Lazare. Le De inventione nominum les distingue nettement et les scribes recopierent sans broncher cette tradition maintenue en Orient. Pour eviter les confusions, l'auteur du De inventione nominum donne Ie nombre des annees qui separent les homonymes, mais i1 ne calcule ce chiffre que lorsqu'ils sont deux; il ne se risque pas aux concordances chronologiques pour plusieurs personnages. A cote de ces questions qui exigent une vraie connaissance de la Bible, d'autres sont plutot des devinettes meme si Ie pretexte est biblique. Les exceptions aux lois naturelles de 1a naissance et de la mort sont fortement soulignees.
17. Col. 923, nO 92. 18. Col. 913. 19. Col. 914.
Etudier la Bible
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Qui est mortuus et non natus ? Qui est mort et n'est pas ne ? Adam20 • Qui est natus et non est mortuus? Qui est ne et n'est pas mort? Helias et Enoch21• Qui est bis natus et semel mortuus? Qui est ne deux fois et mort une seule ? Jonas profeta, qui tribus diebus et tribus noclibus in ventre cili oravit nec caelum vidit, nec terra tetigit. Le prophete Jonas, qui pria trois jours et trois nuits dans Ie ventre de la baleine, ne vit pas Ie del, ne toucha pas la terre 22 • La sortie du ventre de la baleine est assimilee a une seconde naissance.
Qui semel natus et bis mortuus? Lazarus. Qui est ne une fois et mort deux fois ? Lazare 23 • Les speculations exegetiques amenent des chaines de questions :
Quis avam suam virginem inviolavit ? Qui a viole sa grand'mere vierge Cain terram - Cain la terre. Unde erat ava eius? Comment etait-elle sa grand-mere? Inde quia erat filius Ade, qui de limo terrae factus est Parce qu'il etait fils d' Adam, qui fut fait du limon de la terre24• La premiere question est une interpretation de la malediction de Cain. Apres Ie meurtre d' Abel, Ie Seigneur lui dit : « Qu'as-tu fait? La voix du sang de ton frere crie vers moi de la terre. Desormais tu seras maudit sur la terre qui a ouvert sa bouche et a res:u de ta main Ie sang de ton frere » (Gen. 4, 10-1 I). L'expression terre vierge n'est pas dans l'Ecriture, mais avant la creation de l'homme, il est ecrit « qu'il n'y avait pas d'homme qui travaille la terre» (Gen. 2, 5). Adam fut forme du limon de la terre, les mots sont transcrits exactement (Gen. 2, 7). Le redt du deluge note que tout ce qui avait un souffle de vie, c'est-a-dire tout etre qui respire, mourut (Gen. 7, 22). 20. 21. 22. 23· 24·
Col. Col. Col. Col. Col.
928, nO 2. 928, nO 8. 928, nO 9. 931, nO 19. 931, nOS 10-II.
Les moines du Mqyen Age On devait donc conclure que certaines vies s'etaient maintenues :
Qui fuerunt vivi sine archa in diluvio ? Qui pendant Ie deluge vecut sans etre dans l'arche? Focus in petra et pisces in mario Le feu dans la pierre et les poissons dans la mer25. Le feu est celui des volcans. Dne conclusion peut etre thee du redt de la creation:
Qui dedit quod non accepit ? Qui donna ce qu'elle n'avait pas res:u ? Eva lac. Eve, du lait26• Et pour rappeler que les Joca monachorum peuvent se presenter sans base scripturaire, un exemple pris au hasard suffira :
Quid est Niger qui albo producit? Qui est noir et produit du blanc Vacca nigra albo lacte producit Dne vache noire produit du lait blanc27 • Les Joca monachorum appartiennent a un genre qui s'est perpetue jusqu'a nos jours avec les jeux de la radio ou de la television. Comme eux ils temoignent des connaissances de l'epoque. Les questions doivent etre assez diffidles pour exiger une recherche et assurer a ceux qui ont trouve un certain prestige, mais elles doivent etre comprises et appredees par Ie large public qui regrette de ne pas savoir. Bon indice du niveau de culture generale, les Joca monachortlJJ1 attestent chez les moines une bonne connaissance de la Bible. Ce n'est pas un indice de culture authentique. Par exemple, transformer une evocation poetique en enigme n'est pas heureux au point de vue de Ia qualite litteraire. On lit dans Ie livre des Proverbes (30, 18-19) : II est trois choses qui me depassent et quatre que je ne connais pas: Ie chemin de l'aigle dans Ies deux, Ie chernin du serpent sur Ie rocher Ie chernin du vaisseau en haute mer Ie chemin de I'homme chez Ia jeune femme. 25. Col. 922, nO 64. 26. Col. 919, nO 35. 27. Col. 919, nO 29.
Etudier la Bible Les loea monaehorum transposent prosalquement :
Die mihi, quod sunt res quas homo deseroire non potest ? Dis-moi quelles sont les choses que l'homme ne peut decrire. Quator - Que? Quatre - lesquelles ? Viam pueri in adoleseeneia Le chemin du jeune homme chez la jeune femme viam aquile volantis Ie chemin de l' aigle qui vole viam navis in mari, Ie chemin du vaisseau sur la mer viam serpentis per petram Ie chemin du serpent sur Ie rocher28. Des jeux scolaires ne definissent pas une veritable culture, ils temoignent du niveau des connaissances acquises et dans ce cas particulier permettent de conclure que les moines du Moyen Age lisaient et assimilaient l' ensemble des livres saints.
Les eoupures des Psaumes Le psautier est une collection de poemes lyriques d'inspiration religieuse 29 . Leur composition au pays d'Israel s'echelonne sur de longs siecles depuis Ie roi David. Apres Ie retour de l'exil a Babylone, les Psaumes furent groupes en cinq livres en tenant compte de leur destination liturgique, des habitudes acquises ou de certaines affinites litteraires 30• La coordination des Psaumes n'est pas parfaite. De plus, des traditions diverses ont entraine des divergences superficielles, qui concernent entre autres la numerotation. L'hebreu et la Vulgate s'accordent pour compter cent cinquante psaumes, mais avec quelques groupements et divisions differents, de sorte qu'ils sont presque toujours decales d'une unite31• L'hebreu coupe en deux un psaume (qui porte les nOS 9 et 10 en hebreu), alors que la Vulgate maintient son unite (psaume 9), mais la 28. Col. 932, nO 35. 29· La bibliographie des Psaumes est infinie. Les Psaumes etant des courts poemes, il est
facile de retrouver chacun d'entre eux dans les commentaires. L'etude la plus complete et la plus pratique en fran<;ais est Louis JACQUET, Les Psaumes et Ie ca:ur de I' homme, 3 vol., 1975 -1979. ~our chaque psaume : texte traduit en fran<;ais, presentation, notes critiques, notes exegetlques, onentation chretienne, utilisation neo-testamentaire et liturgique, priere. L'introduction expose les principes generaux du commentaire. La bibliographie raisonnee, qui couvre 35 pages, commence par les principaux travaux patristiques et medievaux. . 30 . Par exemple, dans Ie livre I, Ie mot Yahve est employe 272 fois et Elohim 15; dans Ie hvre II, Yahve 30 et Elohim 164; cf. JACQUET, I, p. 73. 3I. Dans Ie present article, les numeros des Psaumes sont ceux de la Vulgate et de la liturgie romaine, sauf indication contraire.
us moines du Moyen Age Vulgate (Psaume I 13) reunit indument deux psaumes (Psaumes I 14 et I I 5 de l'hebreu). Vulgate et hebreu s'accordent pour unir deux psaumes (sous les nOS 143 de la Vulgate et 144 de l'hebreu) ou pour diviser un psaume en deux (sous les nOS 41 et 42 de la Vulgate et 42-43 de l'hebreu). De plus Ie Psaume 52 (53 de l'hebreu) est la recension elohiste d'un poeme dont Ie Psaume 13 (14 de l'hebreu) est la recension yahviste. En latin, Ie Psaume 52 a Dominus, OU Ie Psaume 13 a Deus; les textes sont les memes 32 • Comme ils l'etaient dans la synagogue, les Psaumes devinrent l'element essentiel de la priere commune chretienne. I1s furent adoptes tels qu'ils etaient dans la version grecque des Septante. Les chretiens du Moyen Age ne s'inquieterent pas des variantes du texte hebreu. Les commentaires furent nombreux, mais ce n'est pas d'eux qu'il sera question ici, car les usages liturgiques revelent mieux encore la pratique quotidienne et la mentalite de ceux qu'ils impregnent. Dans sa RegIe, saint Benoit organisa la recitation des Psaumes selon un schema different de celui qui etait deja en usage dans l'Eglise romaine, OU il resta en vigueur jusqu'en 191 I. Le principe de la recitation integrale du psautier dans la semaine etait acquis et largement observe, puisqu'un bon nombre de psaumes etaient repetes plusieurs fois. Contrairement a ce qu'on pourrait imaginer l'office benedictin etait moins long que l'office romain. Les amateurs de statistiques ont compte qu'a l'office ferial, i1 y avait 4915 versets de psaume par semaine au romain et seulement 3 632 au benedictin. L'office benedictin n'atteignait pas les trois quarts de la longueur de l'office romain. Avec 22 strophes de 8 versets, Ie Psaume I 18 est Ie plus long de tous. Pieuse elevation sur la loi de Dieu, il avait ete reparti a l'office romain entre les petites heures, OU il etait repete chaque jour. Pour Ie placer tout entier, i1 avait fallu grouper les strophes deux par deux. Au contraire, d'apres la RegIe de saint Benoit (c. 18), les strophes du Psaume 118 sont attribuees une par une aux petites heures du dimanche et du lundi, tandis que les psaumes graduels sont utilises aux autres jours. Alors que l'office romain ne divisait aucun autre psaume, la RegIe de saint Benoit, qui joint au Psaume 115 Ie Psaume 116, quia parous est (il a deux versets), divise les plus longs en deux parties et les compte pour deux. Les coupures des Psaumes dans l'office benedictin meritent d'etre relevees et examinees parce qu'elles ne correspondent pas aux conceptions des exegetes modernes. Celles-ci furent appliquees dans la division des psaumes realisee lors de la reforme du breviaire romain en 191I. Le Psaume 9 a trois parties : perspectives eschatologiques (2-13), 32. Dans la Vulgate, Ie Psaume 13 s'est accru d'une chaine de citations que saint Paul avait inseree a la suite du verset 3 de ce psaume dans l'Epitre aux Romains 3,13-18.
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Les moines du Moyen Age
Etudier la Bible
prieres pour l'avenement de l'ere de justice (14-20) et plainte sur Ie retard de l'ere nouvelle (22-39). L'hebreu numerote Psaume 9 les deux premieres parties et Psaume 10 la ttoisieme. L'office benedictin coupe avant la fin de la deuxieme partie apres Ie verset 19. Ce choix permet de conclure sur une parole encourageante :
Quoniam non in finem oblivio erit pauperis, patientia pauperum non peribit in finem. Car Ie pauvre ne peut etre toujours en oubli l'attente des pauvres ne perira pas a jamais. Le debut de la seconde partie est un appel
a la victoire :
Exsurge Domine non c01ifortetur homo, judicentur gentes in conspectu tuo Dresse-toi Seigneur, que l'homme ne soit pas Ie plus fort, que les nations soient jugees devant toi. Le Psaume 17 se compose de 14 strophes de 8 vers, qui rythment Ie mouvement de la pensee. Ne tenant aucun compte de ce plan, la coupure de l'office benedictin est placee au troisieme vers de la huitieme strophe. La premiere partie se clot sur une parole d'apaisement :
Et retribuet mihi Dotllinus secundum justitiam meam, et seCUndlltll puritatem manttum mearllm in conspectlf oculorllm ejzts. Aussi Ie Seigneur m'a rendu selon rna justice, selon la purete de mes mains au regard de ses yeux. Le verset de la fin de la septieme strophe aurait eu a peu pres Ie meme effet, mais Ie debut de la seconde partie n'aurait pas ete percutant comme il l'est
Cum sancto sancttls eris, et ctlm viro innocente innocens eris, Avec celui qui est saint, tu es saint, avec celui qui est loyal, tu es loyal. Arbitraire au point de vue de la construction litteraire, la place de la coupure a ete voulue pour d'autres raisons. Le Psaume 36 est un poeme alphabetique OU deux exhortations encadrent un expose doctrinal sur la retribution. Cet expose se divise en trois parties : la mine des impies, la prosperite du don du Seigneur et la fidelite, gage de prosperite. La coupure se place logiquement entre la dcuxieme et la troisieme partie, telles qu'on les lit dans Ie psaume, car les exegetes s'accordent a penser que les versets 22 et 26 ont ete intervertis. La suite du sens est en effet beaucoup meilleure en effectuant cet
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echange. Cela n'a pas inquiete pour la coupure de l'office benedictin qui fait terminer sur un souhait de bonheur et commencer par une exhortation : Conclusion :
Tota die miseretur et commodat : et semen iIIitls in benedictione erit. Toujours, il compatit et il prete; et sa posterite sera en benediction. Commencement :
Dec/ina a malo et fac bontlm, et inhabita in saectlltlm saectlli. Evite Ie mal et fais Ie bien et tu habiteras a jamais (Ie pays). Le grandiose Psaume 67 est considere comme Ie plus difficile du psautier. Apres un prelude, il evoque cinq episodes glorieux de l'histoire d'Israel et s'acheve par l'annonce du triomphe messianique. Dans l'office benedictin, la coupure se place entre l'evocation de la venue de Dieu a Sion, au temps de David et de Salomon, et la description du chatiment des idolatres au temps d'Elie. De part et d'autre de la coupure les versets proclament Ie triomphe de Dieu et l'esperance :
Ascendisti in altum, cepisti captivitatem : accepisti dona in hominibtls : Etenim non credentes, inhabitare Domintlm Deum. Tu gravis la hauteur, tu emmenes des captifs, des hommes tu re<;ois des dons, meme des rebelles; c'est la que tu habiteras, Seigneur Dieu. Benedicttls Dominus, die qtlotidie, prosperttm iter faciet nobis Detls saltltarium nostrortlm Beni soit Ie Seigneur, chaque jour, il nous a ouvert la voie du bonheur il est Ie Dieu de notre salut. Dans Ie Psaume 68, on distingue deux parties, la premiere etant une imploration, et la seconde des vreux suivis d'une action de graces. La coupure est placee avant la fin de la premiere partie pour mettre en valeur l'imploration avec laquelle commence Ie second demi-psaume
Exattdi me, Domine, qtloniam benigna est misericordia ttla, secundutll multitudinem miseratiorum tuarum respice in me, Exauce-moi Seigneur, car ta bante est compatissante, dans ta grande misericorde regarde vers moi.
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La finale du premier demi-psaume est un appe1 au secours, qui bien que moins caracteristique exprime un sentiment de confiance.
Non me demergat tempestas aquae, neque absorbeat me profundum, neque urgeat super me puteus os suum. Que les vagues en fureur ne me submergent pas, que l'abime ne m'engloutisse pas, que Ie gouffre ne se ferme pas sur moi. La coupure du Psaume 77 a ete choisie pour mettre en valeur une finale a. la premiere partie. Ce psaume historique rappelle la sortie d'Egypte, puis la marche dans Ie desert et l'arrivee en Chanaan. La coupure divise une strophe qui commen~ant par decrire un repentir Ie denonce ensuite comme un mensonge : separe de son contexte, Ie verset devient un cri d' esperance :
Et rememorati sunt, quia Deus adjutor est eorum, et Deus excelsus redemptor eorum est. IIs se rappe1aient que Dieu est leur secours, et Ie Dieu tres haut leur Sauveur. Le debut du second demi-psaume est purement narratif. Le Psaume 88 est un poeme messianique qui met en grand relief Ie roi David. La coupure, qui n'est pas au milieu du psaume, mais au premier tiers, contribue a. mettre en valeur l'election de David par Dieu. Une hymne au Dieu bon et fidele se termine par un cri de confiance :
Quia Domini est assumptio nostra, et sancti Israel, regis nostri. Du Seigneur vient notre protection, et du Saint d'Israel, notre Roi. Quant a la seconde partie elle s'ouvre par un majestueux oracle:
Tunc locutus es in visione sanctis tuis et dixisti : Posui adjutorium in potente : et exaltavi electum de plebe mea. Inveni David servum meum, oleo sancto meo unxi eum. Jadis, en vision, tu as parle a tes saints et tu as dit : J'ai prete assistance a. un heros et j'ai eleve l'elu de mon peuple. J'ai trouve David, mon serviteur, de mon huile sainte, je l'ai oint.
Us moines du Moyen Age L'importance donnee a David n'est pas due au hasard. Considere comme auteur de tous les psaumes, David etait pour les chretiens fervents du Moyen Age un des propheres qui avait annonce Ie plus clairement la venue du Christ et un des plus grands saints de l' Ancien Testament. Le Psaume 103 est un hymne enthousiaste a la gloire du createur. Le verset choisi pour preceder la coupure est un cri d'admiration :
Quam magnificata sunt opera tua Domine, omnia in sapientia fecisti, impleta est terra possessione tua. Que tes ceuvres sont magnifiques, Seigneur, tu as tout fait avec sagesse, la terre est remplie de tes biens. Dans Ie psaume, ce verset est plutot l'introduction du tableau qui decrit la mer et les animaux, que la conclusion du tableau montrant que les astres reglent les activites des animaux et des hommes. II a ete choisi comme finale, bien qu'il soit aux deux tiers du psaume. La reprise debute par une description. Le Psaume 104 est un hymne au Seigneur, createur et bienfaiteur d'Israel. Entre une invitation a la louange et un epilogue sur la fidelite au Seigneur, il decrit quatre periodes de l'histoire d'Israel : les patriarches, Joseph, MoIse et l'Exode. Dans ce psaume essentiellement narratif, il etait impossible de trouver un verset donnant une sentence caracterisee. Finale et commencement sont avant tout narratifs. La finale est un eloge de Joseph qui a ete applique par la liturgie aux bons serviteurs de Dieu :
Constituit eum dominum domus suae, et principem omnis possessionis suae, Ut erudiret principes ejus sicut semetipsum, et senes ejus prudentiam doceret. IIl'etablit seigneur sur sa maison et gouverneur de tous ses domaines, Pour mener a sa guise les princes et enseigner la sagesse aux anciens. Le Psaume 105 raconte la longue histoire des forfaits du peuple elu pour mettre en relief, par contraste, la bonte de Dieu. Entre prelude et epilogue, huit forfaits sont evoques plus ou moins longuement. II eut ete facile de placer la coupure entre deux episodes, mais on prefera Ie choix difficile d'un verset presentant une finale d'esperance. On retint l'eloge de Phinee : Et stetit Phinees, et placavit, et cessavit quassatio Et reputatum est ei in justitiam, in generationem et generationem usque in sempiternum
Etudier la Bible Phinee se leva, et apaisa (Ie Seigneur) et Ie fleau s'arreta, Cet acte lui fut impute a justice, d'age en age a jamais. La reprise commence par les versets racontant la revolte de Meriba. Le Psaume 106 celebre la delivrance d'Israel en quatre images decrites parallelement, avec deux refrains evoquant l'un Ie cri de detresse et l'autre l'action de graces. Apres ces episodes, Ie psaume decrit Ie retour a Jerusalem. La coupure est placee apres les deux premiers versets du quatrieme episode, Ie plus long et Ie plus pittoresque, ce1ui qui decrit les tribulations des marins sauves de la tempete. Tous les exegetes admettent que l'episode fut modifie et amplifie, mais ces remaniements qui sont anterieurs a l'ere chretienne allongerent la description en gardant les refrains. L'unite de l'anecdote fut tellement bien sauvegardee que Ie sujet « Ceux qui descendent sur la mer dans des navires » n'est jamais repete. La place de la coupure s'explique uniquement par la grandeur de l'exclamation admirative qui termine Ie premier demipsaume :
Qui descendunt mare in navibus, facientes operationem in aquis multis. Ipsi viderunt opera Domini, et mirabilia ejus in profundo. Ceux qui descendent sur la mer dans des navires faisant du commerce sur les eaux immenses, Ceux-la ont vu les ceuvres du Seigneur et ses prodiges au milieu de l'abime. Le Psaume 138 traite, en douze versets pour chacun, deux themes qui sont d'ailleurs etroitement lies: la science et la grandeur de Dieu, l' origine et la fin de l'homme. La coupure intervient alors que Ie psalmiste est en train de montrer qu'il est impossible d'echapper a la presence de Dieu; les deux versets qui commencent la seconde partie sont Ie complement des precedents. Dans l'hebreu, Ie psalmiste se plaint du poids de la main de Dieu sur lui, dans la Vulgate, il experimente la presence universelle de Dieu et ne la regrette pas, bien qu'il se soit demande auparavant ou aller pour y echapper.
Etenim illllc mantIS tua deducet me, et tenebit me dextera tua. La encore c'est ta main qui me conduira, ta droite qui me saisira. Le premier demi-psaume s'acheve sur un cri de confiance, d'autant plus energique qu'il est separe de son contexte. Le debut du second est descriptif.
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Les exegetes s'accordent pour reconnaitre dans Ie Psaume 143 deux chants distincts : Ie premier (I-II) est une compilation de versets empruntes a divers psaumes, Ie second (12-15) decrit la prosperite materielle, don de Dieu. La coupure partage Ie psaume en deux parties egales, Ie refrain qui termine la premiere se retrouve au troisieme verset de la seconde, mais la coupure est destinee a mettre en valeur l'action de graces au debut du second demi-psaume
Deus, canticum novum cantabo tibi, in psalterio decacbordo psallam tibi. Dieu je te chanterai un cantique nouveau, sur la harpe a dix cordes, je te louerai. La finale du premier demi-psaume est une demande de delivrance, idee normale a cet endroit, mais son expression est un peu trainante. Le Psaume 144 est Ie cantique de louange par excellence. Psaume alphabetique, il est compose de deux parties egales, formulant des louanges au Dieu Roi, puis au Dieu Providence. La coupure est placee naturellement entre les deux parties, Ie dernier verset de l'une apportant une finale apaisante, et Ie premier de l'autre une invitation a la louange :
Suavis Dominus IIniversis, et miserationes ejus super omnia opera ejus. Le Seigneur est bon envers tous et ses tendresses s'etendent sur toutes ses creatures. Confiteantur tibi, Domine, omnia opera tua, et sancti tui benedicant tibi. Que tes creatures te louent, Seigneur, et que tes saints te benissent. Sur les quatorze psaumes divises en deux parties dans l'office monastique, cinq seulement sont partages d'une fas:on logique pour des esprits modemes, les neuf autres coupent en deux un episode ou une strophe. Ce1a est tellement flagrant qu'au milieu du xxe siecle, les coupures des Psaumes 9 et 106 ont ete transportees a des endroits plus logiques. Pourtant les coupures anciennes n'ont pas ete disposees au hasard. BIles ne sont pas purement arbitraires, mais temoignent d'une mentalite differente. Bn analysant les coupures des psaumes on constate que les notes dominantes des finales sont la paix et la confiance : Dieu est fidele, il est tout-puissant, il n'abandonne jamais ceux qui se confient en lui. Ces themes reviennent sous des formes variees. Dans deux cas, ils s'expriment par des personnages exemplaires : Ie patriarche Joseph (Psaume 104) qui acquiert par ses vertus un pouvoir immense, et Ie
Etudier la Bible
roi David (psaume 88) qui protege Ie peuple parce qu'il est l'elu de Dieu. Cantiques inspires res:us par l'Eglise, les psaumes ne pouvaient pas subir la moindre adaptation. 11 a fallu les couper sans y changer ou deplacer un mot. La finale du premier demi-psaume et Ie commencement du second sont absolument lies : Ie choix d'un verset pour occuper une de ces places impose automatiquement a l'autre Ie suivant ou Ie precedent. Cela explique que, dans six cas, Ie debut du second demi-psaume est purement descriptif et n'a donc aucun caractere qui justifie sa place (Psaumes 77, 10 3, 104, 10 5, 106 et 138). Le debut d'un psaume doit etre plutot une invitation a la priere, un appel a Dieu qui donne la victoire, un cri de louange ou d'action de graces. 11 arrive que finale et debut sont parfaitement adaptes (Psaumes 9, 17, 36, 67, 88 et 144). Enfin dans deux cas (Psaumes 68 et 143), la finale de la premiere partie Ie cede en interet au debut de la seconde. Encouragement pour la priere et la confiance au debut, paix dans 1a contemplation de la gloire de Dieu a la fin, les psaumes sont appeles a proposer des idees que l'esprit as simile pendant que la voix cree par Ie chant Ie recueillement propice a cette meditation. L'attention assidue a la lettre du psaume n'est pas requise, un verset peut alimenter longtemps une priere secrete qui ne nuit nullement au deroulement de l'office, rythme par Ie chant alterne de psaumes sus par creur. Dans leur choix inattendu, les coupures des psaumes revelent la mentalite des moines d'autrefois qui ne cherchaient pas dans l'Ecriture une instruction ou une lecture, mais Ie contact avec Dieu. Les antiennes tides de I' Ancien Testament
Les differences entre l'office romain et l'office monastique ne doivent etre ni minimisees, ni exagerees. Les schemas sont assez specifiques pour qu'il soit possible de les distinguer au premier coup d'~il, mais Ie contenu est presque toujours Ie meme : les psaumes constituent Ie fonds des offices; antiennes, repons, hymnes se retrouvent de part et d'autres. Beaucoup de saints ont eu des offices entierement propres, qui ont ete adaptes a l'un et l'autre schema. Quelquefois des chanoines dependant d'une abbaye suivaient l'office monastique les jours de fetes monastiques, par exemple a Chelles ou, au xn e siecle, Ie breviaire de l'eglise Saint-Georges a des offices de saints a neuf les:ons sauf pour saint Benoit qui en a douze33 • Souvent chanoines et moines preferent
Les moines du Mqyen Age
leur propre schema : Ie 29 sep,te~bre 1049, Ie .p.ape Le~n IX a.rriva a Reims pour proceder a la dedicace de la ~asllique S~mt-Reml. !--a ceremonie avait ete fixee au 2 octobre. La vel11e, les reliques du samt furent portees a la cathedrale au milieu d'une ~oule imme~se. La. ~uit tombe. « Les moines autour de leur patron vel11ent en aUegres vlglles et celebrent les matines a douze les:ons, avec leurs repons. Aussitot apres eux, les chanoines chantent les me~es, vigiles solenneUes et. ,les neuf les:ons de leur office de matines s achevent lorsque la lUmlere parait »34. Moins que pour garder leurs habitudes et observer ~eurs rubriques propres, moines et chanoines preferent ne pas se reurur en un seul chreur pour ne pas se contrarier dans leurs interpretations musicales et pour assurer la nuit entiere une permanence liturgique. Ce n'est pas parce que les pieces liturgiques etaient communes aux chanoines et aux moines, ni parce que leur origine n'est pas surement monastique - eUe est Ie plus souvent inco~ue - qu'.e~l:s n' ont. pas eu une influence profonde sur tous ceux qU1 les ont utllisees, momes, chanoines, clercs et fideles. Une serie d'antiennes a ete compo see pour accompagner la lecture des livres de l'Ancien Testament. On en a repere II2 dans des manuscrits dont Ie plus ancien est du IXe siecle35• Le manuscrit qui en contient Ie plus en a 68 36• 11 y eut au Moyen Age une grande variete d'utilisations. L'antiphonaire reforme par Pie V en conserva 28, quelques-unes furent retenues par des recueils de chants non liturgiques 37 • Les II2 antiennes viennent de huit livres de l'Ancien Testament. Les livres historiques ont la plus grosse part : 72 antiennes dont 31 des quatre livres des Rois, 10 de Tobie, 6 de Judith, 4 d'Esther et 21 des deux livres des Maccabees. 16 antiennes sont tirees de la Sagesse, 13 de Job, II seulement des Prophetes 38• 34. ANSELME DE SAINT-REMY, « Histoire de la dedicace de l'eglise d,u bienheureux Remi de Reims » (Bibliotheca hagiographica latina, nO 4825). Texte et traductIOn par Dom Jacques HOURLIER dans La Champagne binedictine, Contribution a l'annie saint Benoit ( 480- ~ 9,80). Travaux de l'Academie nationale de Reims, I60" volume, 1981, pp. 181-300. Le passage CIte est au chapitre XXIII (13), pp. 230-231. , ., 35. Sur ces antiennes de l'Ancien Testament, U~berto,FRANCA, .oFM, Le a~tifone blblzche dopo Pentecoste studio codicologico storieo testuale con appendlce mUSIcale, Stud,a Anseimlana, 7 J (Analetta liturgica, Roma, 1977. L'auteur a etudie seize manuscrits : IX" siecle, ~, X" siecle? ~eux, XI" siecle, trois, XII" siecle, six et XIII" siecle, quatre. Il y en a beaucoup d autres, tnalS 11 est peu probable qu'ils contiennent des ~ti,ennes inconnues. " ,. , 36. Antiphonaire d'Ivrea (Ivrea, Blbhot. cap. 106), XI" slecle. L antlphOnalre de Worcester (Worcester, Cathedral Library, F. 160), XIII" siecle, en a seul~ent 28. " 37. Dans la presentation des antiennes, la place des ~tlet;me~ dans les an~lph~na1r~s posterieurs 11 Pie V et anterieurs 11 l;t reforn:'e de,Paul VI s,era 1n~lqu~e pa:~e que c ~st la qu 11 est Ie plus facile de les trouver .notees. La llt,urgle monastlque ~enovee utilis~ certarne~ ~~ ces antiennes mais les nouveaux hvres ne contlennent pas la muslque et renVOlent aux editlons
4),
anterieur~s.
33· Bibliotheque Sainte-Genevieve, ms. 1270 (cf. V. LEROQUAIS, Les breviaires des bibliotheque.! publiquesde France, III, pp. 456-457, nO 693).
38. Cette statistique est donnee par Umberto F~c~, op. ~it" p~. ~24-250 et tableau p. 372, mais il ne tient pas compte des passages empruntes a des hvres blbhques aUtres que la source principale.
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Le contenu des antiennes est fort divers. QueIques-unes apparaissent comme des citations de l'Ecriture detachees de leur contexte parce qu'elles ofttent de belles formules, mais plus souvent, eIles evoquent des situations concretes, soit pour les temps bibliques, soit pour l'epoque de ceux qui les chantent. L'analyse de queIques-unes d'entre elles permettra d'apprecier la familiarite de ceux qui les chanterent autrefois avec les evenements de l'histoire d'Israel. La plus longue de ces antiennes, et peut-etre la plus celebre a cause de sa qualite musicale, est Montes Gelboe. En apprenant la mort du roi SaUl et de son fils Jonathas, David composa une complainte (II Sam., I, 18-27). Cette complainte a la longueur d'un psaume et non celIe d'une antienne. Le compositeur a done fait un choix parmi les versets et iI les a places dans un ordre different. De 29 lignes, iI en a tire 7. Laissant tomber Ie prologue, iI commence abruptement par l'adresse aux Monts de Gelboe qu'iI maudit : trois lignes du verset 2 I sur quatre (lignes I a 3). II passe au verset 25 dont iI garde les deux lignes. Jonathas, l'ami de David, est seul nomme. Les deux premieres lignes du verset 23 rappellent Saul avec Jonathas, et leur union dans la vie comme dans la mort. Les variantes sont minimes, mais indiquent un art consomme de la composition. A la 2 e ligne, in te adresse a la montagne de Gelboe que maudit David a plus de force qu'ibi; ala 5e ligne, oeeisus est remplace par interfeetus qui se prete mieux a la melodie, et pour la meme raison a la 7e ligne divisi a cede sa place a separati. Enfin a la 6e ligne, valde vient renforcer les qualites de Saul et de Jonathas amabiles et decori. n est inutile d'epiIoguer sur les omissions. Comme iI est normal dans une complainte, les redondances sont nombreuses. Le verset 26 est entierement consacre a Jonathas : « Mon frere, que j'aimais plus que l'amour des femmes, comme une mere aime son fils. » aurait pu a lui seul donner matiere a un chant. Le compositeur a prefere developper la gloire des combattants plutot que Ie regret de l'ami perdu. n etait libre de son choix et a eu raison de ne pas accumuler les themes. Le resultat est une lamentation energique et poignante sur laquelle la musique se modele admirablement pour la porter a son paroxysme. Et tous ceux qui l'ont chantee ont partage les sentiments de David39 •
n
I. 2.
3. 4. 5. 6. 7.
Montes Gelboe, nee ros nee pluvia veniant super vos ; quia in te abieetus est clipeus fortium, clipeus Saul, quasi non esset unetus oleo. Quomodo eeeiderunt fortes in proelio ? lonathas in exeelsis tuis interfeetus est: Saul et Jonathas, amabiles et deeori valde in vita sua, in morte quoque non sunt separati.
,9· Premieres Vepres du 5" dimanche apres la Pentec6te.
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Monts de GeIboe, que ni la rosee, ni la pluie ne tombent sur [vous, parce que sur vous fut deshonore Ie bouclier des forts, Ie bouclier de Saul comme s'iI n'avait pas ete oint d'huiIe (sainte). Comment sont-iIs tombes les forts au combat? Jonathas sur tes hauteurs a ete tue : Saul et J onathas si aimables et beaux dans leur vie, dans la mort non plus n'ont pas ete separes. On peut rapprocher de la lamentation de David sur la mort de Saul et de J onathas la lamentation du peuple d'Israel a la mort de Judas Maccabee (I Mac. 9,20-21) : 1-2.
3. 4.
Et fleverunt eum omnis populus Israel planctu magno. et lugebant dies multos et dixerunt : Quomodo cecidit potens. qui salvum faciebat populum Israel?
Le compositeur a abrege la presentation, iI a remplace Israel par Domini pour ne pas repeter Ie mot et permettre des applications plus larges 4o •
Lugebat autem Judam Israel planetu magno, et dicebat : 3. Quomodo eecidit potens, 4. qui salvum faeiebat populum Domini? Israel pleurait Judas avec une grande douleur et disait : Comment es-tu tombe, toi, puissant (dans Ie combat) qui sauvais Ie peuple du Seigneur? I.
2.
Ce n'est plus une malediction, mais devant Ie malheur incomprehensible une angoisse, sous laquelle la musique laisse percer une lueur d'esperance. Le roi David vieillissait. Adonias, Ie plus age de ses fils, intriguait pour lui succeder. Le pretre Sadoc et Ie prophete Nathan se rendirent aupres de David qui s'y opposa. n leur donna l'ordre de sacrer Ie fils de Bethsabee, Salomon. Ce qui eut lieu aussitot (Ill Rois I). Le compositeur a retenu pour composer l'antienne deux versets : l'un appartient au recit de Jonathan a Adonias apres la ceremonie :
Unxerunt eum Sadoe saeerdos et Nathan propheta regem in Gihon, 3. et aseenderunt inde laetantes (Ill Rois 1,45),
1. 2.
40 • Premieres Vepres du ," dimanche d'octobre.
Etudier la Bible
282
us moines du Moyen Age
l'autte reprend les paroles de David preparant la ceremonie :
4. Et canetis bucina atque dicetis : Vivat rex Salomon ! (III Rois
I,
39).
La composition est une presentation simple et prestigieuse41
Unxerunt Salomonem Sadoc sacerdos et Nathan propheta regem in Gihon, 3. et abierunt laeti, dicentes : 4. Vivat rex in aeternum, alleluia. Le prette Sadoc et Ie prophete Nathan donnerent a Salomon l'onction royale a Gihon, puis ils remonterent joyeux en criant : Vive Ie roi a jamais, alleluia. I.
2.
La concision peut arriver a la perfection. Et elle ne trahit nullement l'Ecriture. Elie est enleve per turbinem in caelum. L'expression revient deux fois. Plutot que d'employer ascendit, qui decrit la montee d'Elie (IV Rois 2, I), Ie compositeur a prefere s'inspirer de levare vellet, utilise un peu avant : I. Factum est autem, cum levare vellet Dominus Eliam per turbinem in caelum, ibant Elias et Eliseus de Galgalis. (IV Rois 2, I).
Pour la suite il a suivi Ie recit de l'ascension d'Elie en l'allegeant un peu:
283
Le livre de Job reclamait peu d'adaptations. La conclusion sur la conduite de Job (Job T, 22) fut mise en musique sans aucun changement43
In omnibus his non peccavit lob labiis suis, neque stultum quid contra Deum locutus est. En tout cela Job ne pecha point par ses levres, Et il ne dit rien d'insense contre Dieu. I.
2.
Dans l'amertume de son ame, Job s'ecrie :
Memento quia ventus est vita mea. Souviens-toi que ma vie n'est qu'un souffle (Job 7, 7). I.
2.
II a suffi d'ajouter mei, Domine Deus, pour en faire un cri d'esperance : I. Memento mei, Domine Deus, 2. quia ventus est vita mea. Souviens-toi de moi, Seigneur Dieu parce que ma vie est un souffle". La transformation de paroles tragiques de l'Ecriture en chants de triomphe est une des reus sites du compositeur45
Refulsit sol in clipeos aureos, et resplenduerunt montes ab eis, 3. et fortitudo gentium dissipata est. Le soleH a lui sur les boucliers d'or, et les montagnes ont resplendi de leur eclat, et la force des nations a ete abattue. I.
2.
Eliseus autem videbat et clamabat : 3. Pater mi, pater mi ! 4· currus Israel et auriga eius ! (IV Rois 2, 12). 2.
l'evocation est parfaite dans sa concision42
:
Dum tolleret Dominus Eliam per turbinem in caelum, 2. Eliseus clamabat, dicens : 3. Pater mi, pater mi ! 4. currus IsraC"l et auriga eius ! Tandis que Ie Seigneur enlevait Elie dans un tourbillon vers Ie [ciel, Elisee criait : Mon pere, mon pere, char et conducteur d'Israel ! I.
41. Pre~eres Vepres du 7" dimanche apres la Pentec6te.
4 2 • Premieres Vepres du 9" dimanche apres la Pentec6te.
Ne voit-on pas l'armee comme au glorieux temps de texte original a un sens tout celle qui vient au-devant de
du Dieu d'Israel s'avancer victorieuse, Charlemagne les armees chretiennes ? Le autre. Cette armee qui s'avance ainsi est Juda a Bethzacharia :
Et, ut refulsit sol in clipeos aureos et aereos, resplenduerunt montes ab eis. ... et quand Ie soleil a lui sur les boucliers d'or et d'airain, les montagnes ont resplendi de leur eclat (I Mac. 6,39). T.
2.
43. Premieres Vepres du 2" dimanche de septembre. 44. Cette antienne n'a pas ete gardee par la reforme de Pie V. 45. Premieres Vepres du 2" dimanche d'octobre.
Les moines du Moyen Age
Etudier la Bible Malgre l'exploit d'Eleazar qui tua troupe de Juda dut se replier. Sans faire Ie compositeur fait combattre l'armee viteurs de Dieu en citant un verset de
Ie plus bel elephant, la petite la moindre allusion a ce revers, victorieuse en faveur des serpsaume qu'il modifie un peu :
Et quand (dum) il l'a trouvee, vient la conclusion fournie par une cinquieme citation (prov. 3, 18) qui prend plus de force grace a une inversion :
5. Et qui tenuerit eam beatus.
Dissipa gentes quae bella volunt (ps. 67, 3I). Contresens biblique si on veut, l'antienne est rythmee comme un texte sacre et apporte aux croyants Ie triomphe de la victoire. L' appel de la Sagesse a une excellente resonance biblique46 :
Sapientia clamitat in plateis : Si quis diligit sapientiam, 3. ad tile declinet et cam inveniet ,. 4. et eam dum invenerit, 5. beatus est, si tenuerit eam. La Sagesse crie sur les places : Si quelqu'un aime la Sagesse, Qu'il vienne a moi et ilIa trouvera, Et quand ill'aura trouvee, n sera bienheureux, s'illa garde. I.
2.
Or il ne s'agit pas d'une citation, mais de cinq citations bien agencees. De la premiere (prov. 1,20-21) sont retenus quatre mots: I. Sapientia foris praedicat, in plateis dat vocem suam, in capite turbarum clamitat.
la seconde (Sir. 4, 13) est detournee de son sens, parce qu'un seul membre est conserve : 2.
Et qui illam (sapientiam) diligit, diligit vitam.
la troisieme (prov. 9, 16) detache un membre de phrase pour Ie rattacher a celui qui precede :
3. Qui est parvulus, declinet ad me. la quatrieme (Prov. 8,35) utilise deux membres de phrase en les inversant et les modifiant legerement :
3-4- Qui me invenerit, inveniet vitam. II ne trouve plus la vie, mais la sagesse (eam). 46. Premieres Vepres du 4" dimanche d'aout.
Le compositeur montre une prodigieuse habilete, avec une connaissance profonde des textes bibliques et un admirable sens poetique. Plus etonnante encore, la priere au Dieu de l'univers, qui s'inspire de Daniellibrement en utilisant d'autres livres de l' Ancien et du Nouveau Testament sans se lier a aucun47 :
Qui caelorum contines thronos et a~ssos intueris, Domine Rex regum, 3. montes ponderas, terram palmo concludis ,. 4. exaudi nos, Domine, in gemitibus nostris. Toi, qui contiens Ie trone des cieux et sonde les abimes, Seigneur, Roi des rois, Tu peses les montagnes, tu tiens la terre dans ta main; exauce-nous, Seigneur, dans nos gemissements. I.
2.
Le debut de la premiere ligne n'est pas une citation scripturaire. On pense au Cantique des trois jeunes gens dans la fournaise : Benedictus es in throno regni (Dan. 3, 54), et cela d'autant plus volontiers que Ie verset suivant a fourni la fin de la ligne :
Benedictus es, qui intuens a~ssos (Dan. 3, 55). La formule rex regum apparait aussi dans Daniel, mais elle est adressee
a Nabuchodonosor (Dan. 2,37), Elle a ete reprise et appliquee au Christ par saint Paul (I Tim. 6, 15) et par l'Apocalypse (19, 16) dans les memes termes
Rex regum et Dominus dominantium. La troisieme ligne est une libre adaptation d'un verset d'Isaie (40, 12) :
Quis mensus est pugillo aquas et caelos palmo ponderavit ? Quis appendet tribus digitis molem terrae, et libravit in pondere montes et colles in statera ?
47. Premieres Vepres du 4" dimanche de novembre.
Les moines du Moyen Age
Etudier la Bible
286
La forme interrogative a ete remplacee par l'affirmation de la force du Seigneur. La derniere ligne est empruntee a Daniel dans un tout autre contexte que la premiere (Dan. 9, 17) :
Nunc ergo exaudi, Deus noster, orationem servi tui. In gemitibus nostris n'est pas dans Daniel, mais il complete bien la priere, par Ie contraste de la toute-puissance de Dieu exprimee en trois lignes et de la priere humble et breve. Pour terminer cette enquete, on examinera deux antiennes pour demander la paix. S'inspirant du Cantique que Ie Ier livre des Chroniques met dans la bouche de David a la :fin de sa vie, Ie compositeur propose une antienne a laquelle il donne une :finale qui en fait une priere pour la paix. Deux textes sont utilises, Ie premier emprunte aux Chroniques (I Chro. 29, II) : Tua est, Domine, magnificentia et potentia et gloria atque victoria, et tibi laus ; cuncta enim, quae in caelo sunt et in terra, tua sunt; tuum, Domine, regnum, et tu es super omnes principes (I Chro. 29, II) et Ie second, vient de l'Ecclesiastique (5°,25) :
(Det nobis iucunditatem cordis) et fieri pacem in diebus nostris in Israet per dies sempiternos. De ces textes sort une priere confiante :
Tua est potentia, tuum regnum, Domine. tu es super omnes gentes; 3. da pacem, Domine, in diebus nostris. A toi, la puissance et la royaute, Seigneur; tu domines sur toutes les nations; donne la paix, Seigneur, a nos jours. 1.
2.
L'antienne a une saveur biblique et pourtant s'il est tres souvent question de la paix soit pour exprimer un souhait, soit pour decrire ~e situation heureuse, l'expression Da pacem ne se trouve qu'une seule fOls dans la Bible en Isaie sous la forme Domine, dabis pacem nobis (Is. 26, 12).
Une autre antienne pour la paix qui ne figure plus dans l'office a ete conservee dans l'usage comme chant votif48
Da pacem, Domine, in diebus nostris, quia non est alius qui pugnet pro nobis, 3. nisi tu Deus noster. Donne la paix Seigneur, a nos jours, parce qu'aucun autre ne lutte pour nous si ce n'est toi notre Dieu. I.
2.
L'exclamation Da pacem est combinee avec Ie souhait de l'Ecclesiastique (51, 25) :
det nobis jucunditatem cordis, et fieri pacem in diebus nostris... Que Dieu nous donne la paix du cceur et que la paix soit faite en nos jours. Isaie (51, 22) transmet les paroles de Dieu luttant pour son peuple :
Deus tuus qui pugnabit pro populo suo. Le vieux Tobie dans son cantique de louange invite Israel a faire savoir aux nations qu'il n'y a pas d'autre Dieu tout-puissant que son Seigneur:
quia non est alius Deus omnipotens praeter eum (Tob. 13, 4)· Le second membre de l'antienne a ete compose, en reunissant ces deux passages un peu modifies puis que nobis rend la supplication plus immediate que populo suo. La :finale vient du Ier livre des Maccabees (3, 53) : Comment pourrons-nous resister aux nations si toi Dieu, ne nous aide pas ? nisi tu Deus, atijuves nos. Le compositeur a laisse tomber Ie verbe qui n'aurait rien ajoute a pugnet pro nobis mais a introduit l'adjectif possessif noster pour insister sur l'appartenance aDieu. Du VIlle au Xll e siecle, la liturgie a ete vecue avec un repertoire d'une richesse incomparable. Elle offrait une variete que les schemas rigides ont considerablement reduite. Beaucoup de belles antiennes 4 8. Texte et references pour son utilisation ancienne au moment au on lisait les lines des Maccabees dans Rene-Jean HESBERT, Corpus antiphonalium ofjicii, Rerum ecclesiasticarum documenta Series major, Fontes IX, Rome, 1968, TIl, p. 135, nO 2090.
Les moines du Moyen Age
Etttdier la Bible
ont ete exclues et pratiquement abandonnees, quelques-unes seulement ont ete recuperees dans les Variae Preces utilisees dans des ceremonies extra-liturgiques comme les Saluts du Saint-Sacrement. Pour comprendre l'impregnation biblique du monachisme medieval, il ne faut pas imaginer seulement Ie moine lisant calmement dans une grosse Bible, en ruminant son texte, ille chantait avec enthousiasme et entrait tellement dans sa mentalite et son style qu'il pouvait recomposer, remanier et completer sans trahir son esprit. Cette liberte surprenante temoigne d'un sens et d'un gout beaucoup plus surs que les penibles offices scleroses, composes par la suite a coup de concordance, en sortant les mots de leur contexte, et en leur donnant un sens anachronique, sans Ie moindre souffle de vie. Le respect de la lettre tue l'esprit, la liberte des moines du Moyen Age les a fait penser et prier avec les saintes Ecritures. La liturgie n'est pas seulement un recueil des plus belles pages de la Bible, elle l'assimile et la met a la portee de tous dans des ceremonies ou Ie chant et les gestes supportent et dilatent l'effort de l'intelligence.
VIES DE SAINTS
Les Joca monachorum, les coupures des psaumes dans l'office monastique et les antiennes tirees de l' Ancien Testament ont montre comment les moines du Moyen Age abordaient la Bible et comment ils s'en nourrissaient; deux Vies de saints composees au xn e siecle montreront comment des moines qui avaient une instruction et des possibilites communes ont utilise l'Ecriture dans des recits sans pretention, destines a leurs freres moines et par eux au peuple chretien.
La vision de saint Girard
La presentation par un moine d'un de ses anciens, mort en odeur de saintete, redigee alors que les temoins vivants sont encore nombreux a un interet exceptionnel. Sans retenir ici tous les traits qui restituent parfaitement la vie monastique du xn e siecle, i1 est revelateur d'analyser l'etonnant passage OU est relatee l'apparition du Christ a Girard. La scene se passe dans Ie prieure du Bois, pres de Sermaise en Anjou. Une troupe de diables se presentent a Girard qui les chasse d'un signe de croix. I1s partent en faisant un tel bruit que « les freres qui reposaient dans leurs lits, car c'etait la meridienne, furent reveilles par ce tap age »50. Le biographe raconte alors l'apparition du Christ en accumulant les reminiscences : Servus ergo Dei, hostibus fugati, maiestati psallere coepit, quia ibi contriverat Dominus capita draconis (Ps. 73, 14) et confregerat potentias, arcuum, scutum, gladium et bellum (Ps. 75, 4) atque illuminaverat eam a montibus aeternis (75, 5). « Les ennemis ayant fui, Ie serviteur de Dieu commen~a a
psalmodier devant sa majeste, parce que Ie Seigneur avait ecrase les tetes du dragon, avait brise les puissances, l'arc, Ie boucHer, Ie glaive et la guerre, et l'avait illumine depuis les montagnes eternelles. » Mcifestati psallere n'est pas dans la Bible, mais s'en inspire - les deux mots s'y trouvent - et preparent l'apparition du Christ en majeste. Suit un centon de trois versets de psaumes qui se suivent dans l'ordre numerique, mais non dans Ie cursus monastique51• Laudanti igitur et gratias agenti Dominus Iesus in summa caeli arce stans apparuit, et ei, ut postea ipse confessus est, e/evata manu, benedixit. « A celui qui Ie louait et lui rendait graces, Ie Seigneur Jesus
apparut debout au plus haut de la citadelle du ciel. 11 Ie benit de sa main levee, ainsi qu'ill'avoua plus tard. »
Girard, moine de Saint-Aubin d' Angers est mort Ie 4 novembre I I 23 en odeur de saintete. Sa Vie a ete ecrite vers I I 5349 • Girard, bien que pretre avant son entree au monastere, etait pieux, mais plutot ignorant, tandis que son biographe, qui semble avoir ete moine des son jeune age, etait instruit. 11 declare dans sa preface qu'il ecrit avec la simplicite de la sainte Ecriture, ce qui ne l'empeche pas de citer des auteurs de l' Antiquite classique.
Concise, la description de l'apparition ne contient pas de citations, mais des reminiscences successives : Laudanti gratias agenti se trouvent constamment dans l'Ecriture. Stans est exige par la benediction solenneHe qui se donne debout, Elevato manu, benedixit vient de Luc (24, 50), sans doute a travers l'antienne de l'Ascension. Les mots cae/um et arx sont tous les deux dans la Bible, mais l'expression caeli arce n'y est pas. EIle provient de Virgile (Eneide, I, 25 0), ce qui ne doit pas etonner car Ie style d'un moine lettre est influence simultanement par la liturgie,
49. Vila,' Bibliotheca hagiographica latina, nO 3548 dans AS, Novembris II, I, pp. 493-501. Cf. J. DUBOIS, « Vne ceuvre litteraire a Saint-Aubin d'Angers au xue siecie : La Vie de saint Girard », dans La litterature angevine mMievale, Actes du Colloque du 22 mars I980, Angers, 19 81 , p. 51 - 62.
50. Vita, nO 50. 5 I. Le Psaume 73 est au vendredi. p. RICHE:, G. LOBRICHON
Ier
nocturne du jeudi, Ie psaume 75 est aux Iaudes du 10
Etudier la Bible
la Bible et les auteurs classiques, et surgissant spontanement sous sa plume, ils se melangent et s'unissent sans gene 52 • L'autorite invoquee pour garantir ce prodige est dans l'Evangile (Mat. 5, 8) la sixieme beatitude : Nec hoc incredibile esse debet, cum ipse Dominus in evangelio pollicitus sit dicens : Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt. « Cela ne doit pas etre incroyable, puisque Ie Seigneur lui-
meme l'a annonce dans l'Evangile en disant : Bienheureux ceux qui ont Ie creur pur, parce qu'ils verront Dieu. » L'insertion des autres citations scripturaires de la Vie de saint Girard est moins litteraire. Toujours amenees pour etayer une affirmation, elles s'inserent sans peine dans Ie recit. Elles sont peu originales : les psaumes sont cites quatre fois; quatre allusions a des personnages de l' Ancien Testament ne requierent pas de connaissances directes; il n'y a qu'un seul texte des Proverbes (3, 5-6). Sept citations des synoptiques (Jean n'est pas cite), six de saint Paul, une de I Pierre, Jacques et l'Apocalypse donnent au Nouveau Testament une part un peu plus belle qu'a l' Ancien. L'Ecriture, bien connue, est utilisee avec discretion.
Le livret du pClerinage de Saint-Fiacre
Le livret du pelerinage de Saint-Fiacre53 est sorti d'un prieure OU quelques moines administraient un modeste pelerinage. II a ete redige par trois moines de Saint-Fiacre. Le premier, Jean, etait probablement gardien des reliques; il a compose en II88 deux Prologues, une Vita (Vita prima) et vingt-quatre Miracles. Le second, vers 1200, a remanie et complete la Vita (Vita secunda). En 1241, un troisieme a raconte la guerison miraculeuse du panetier de France, Geoffroy de La Chapelle. Elle avait eu lieu un bon quart de siecle plus tot. Ce recit est precede d'un prologue. Dans Ie livret on releve 152 citations plus ou moins evidentes. Elles se repartissent fort inegalement dans la Bible: 63 pour Ie Nouveau Testament et 89 pour l' Ancien. Les Psaumes arrivent largement en tete avec 52 citations, puis les evangiles avec 3 I, saint Paul 20, Ie Pentateuque 14, les livres sapientiaux 12, les Prophetes 8. Les Actes des Apotres sont cites 5 fois, l' Apocalypse 4, l'Epitre de saint Jacques 3 et les livres historiques de l' Ancien Testament 3 seulement. Et dans chacune de ces categories, il y a des preferences : pour les evangiles : Matthieu 15. p. Cf. J. DUBOIS, op. cit., p. 61. 53. Edition et commentaire du livret dans Jacques DUBOIS, Un sanGtwire monastiqlle all Mqyen Age (Hautes Etudes medievales et modemes, 27), Geneve-Paris, 1976.
Les moines du Mqyen Age
Luc 7, Jean 6 et Marc 3. Pour saint Paul, l'Epitre aux Romains 6, alors que six epitres ne sont pas citees. Pour Ie Pentateuque, Genese 5. Cette premiere statistique montre que les auteurs connaissent toute la Bible et citent de memoire en accordant une preference aux textes sus par creur a travers la liturgie comme les psaumes et a ceux qui sont au centre de la spiritualite chretienne comme les evangiles et saint Paul. L' origine des citations est diverse, leur repartition dans Ie livret du pelerinage de Saint-Fiacre est tres inegale. II y en a 50 dans Ie premier Prologue, 40 dans Ie second, 14 dans la conclusion aux Miracles et 7 dans Ie prologue au Miracle de Geoffroy de La Chapelle. Ce qui donne comme moyenne par page: 16, 10,7 et 7. Trente et une citations dans les Miracles font une moyenne de deux pour trois pages, Ie Miracle de Geoffroy de La Chapelle en a 7, soit deux par page. II n'y a de citation ni dans la Vita prima, ni dans la portion parallele de la Vita secunda, OU on en trouve trois groupees a la fin du supplement. La Vita prima part de traditions extremement vagues et imagine en quelques episodes les actions de saint Fiacre et surtout la fondation du monastere, sans chercher a illustrer son recit par des citations. L'emploi des citations d'Ecriture a ete voulu dans les Prologues et les Miracles. Quelques exemples permettent d'apprecier la methode des moines ecrivains, qui adaptent leurs effets au genre litteraire. Les Prologues sont de veritables homelies. Les faits historiques sont reduits a quelques allusions, alors que les les:ons spirituelles s'appuient sur des citations bibliques quand elles ne leur empruntent pas leur expression. Dans Ie premier Prologue, saint Fiacre est presente avec une abondance etonnante de references scripturaires. Le style est complique54 • Parce qu' elle doit garder Ies nuances de l' original, une traduction est assez Iourde. Egregius Christi confessor Fiacrius, perfectus evangelice institutionis discipulus enituit, siquidem fidei rectitudini opus bonum studiose maritavit. In sacro enim pectore volvebat assidue quoniaJJI « intellectus bonus omnibus facientibus eum» (Ps. 110, 10), non audientibus, « quoniam auditores tantum non iustificabuntur» Rom. (2, 13), nee dicentibus, « multi enim dicunt et non faciunt» (Mat. 23, 3). Unde doctrina sana cum morum inequalitate non cedit eis ad salutem, « opus autem bonum reputatur ad iustitiam » (Gen. 15, 6). « Qui facit », inquit, « haec, non movebitur in aeternum » (ps. 14, 5). Ne igitur fides in eo sine operibus moreretur vel operatio praeter fidem facta infructuosa ad salutem persisteret, quae « in lege Domini meditabatur die ac nocte » (ps. I, 2) in lucem bone operationis perducere studuit, iuxta illud, 54. Texte du premier prologue dans Un sanGtuaire monastiqlle all Mqyen Age: Saint-Fiacreen-Brie ... , p. 67-71.
2.92.
Etudier la Bible
« luceat lux vestra coram hominibus» (Mat. 5, 16) « ut fontes derivarentur foras» (prov. 5> 16) « et cortina traheret cortinam » (Ex. 2.6, 1-6) et« qui audiret, diceret, Veni» (Apoc. 2.2., 17)' Tanquam ergo « turtur holocallStomatis ad ascellas» ora retorquens (Lev. I, 14-17) et« sicut animal in lege» (Lev. I I) sic que subtili discretione decoxerat, bona operatione mminabat. Ab ineunte vero aetate « terram suae nativitatis egreditur» (Gen. 2.7, 7), «populum suum et domum patris sui obliviscitur » (ps. 44, II) voluntarie paupertatis strenuus amator, quae in bonis mentibus custos humilitatis esse assolet. « Le celebre confesseur du Christ, Fiacre, brilla comme un parfait disciple de la formation evangelique, puisqu'il unit avec application les bonnes reuvres i la rectitude de la foi. Il meditait assidument en son saint creur cette verite que 'sont bien avises 'ceux qui l'entendent', parce que ceux qui se contentent d'entendre ne seront pas justifies, ou qui Ie disent parce que beaucoup disent et ne font pas. De Ii vient qu'une saine doctrine sans la conduite correspondante ne les mene pas au salut, tandis que les bonnes reuvres sont comptees comme justification : celui qui agit de la sorte, est-il dit, ne sera jamais ebranle. Aussi afin que la foi ne demeurat pas en lui sans les reuvres ou que 1'action faite en dehors de la foi ne rest at pas sterile, Ie contenu de la foi du Seigneur qu'il meditait jour et nuit, il s'appliquait i Ie mettre dans la lumiere de la bonne action d'apres cette parole: Qu'ainsi donc luise votre lumiere devant les hommes pour que les sources soient dirigees au-dehors, que Ie rideau entraine Ie rideau et que celui qui entende dise : Viens. De meme donc qu'etaient reduits en holocauste la tourterelle Ie cou tourne vers les ailes et 1'animal pur selon la loi - ce qu'il avait decompose en ses elements par la finesse de son discernement, il Ie ruminait en faisant Ie bien. Des l' age Ie plus tendre, il quitte la terre de sa naissance, il oublia son peuple et la maison de son pere, il aima passionnement la pauvrete volontaire qui, chez les ames bonnes, est la gardienne habituelle de l'humilite. » Aux quatorze citations d'Ecriture, on peut ajouter les expressions du debut: opus bonum est courant chez saint Paul et repris dans la liturgie, fidei rectitudini est employe par saint Augustin, De baptismo, IV, c. 10, 14· A la fin, les idees developpees sont cheres aux auteurs spirituels du Moyen Age, qui recourent aux mots discretio et ruminare, rencontres chez saint Augustin et saint Gregoire Ie Grand. La plupart des citations d'Ecriture sont litterales et ne demandent pas d'explication. Pour Ies Proverbes I'auteur utilise exactement la Vulgate, qui contredit en cet endroit Ie texte hebreu. L'auteur des Proverbes decrit Ie bonheur conjugal et explique qu'il faut garder sa
Les moines du Moyen Age
2.93
femme a:ec la meme vigilance que l'eau de son puits, Ie traducteur latin a compns que c'etait une benediction de voir l'eau sortir de chez soi comme une belle et nombreuse famille. Aussitot apres, Ie souhait « que Ie rideau entraine Ie rideau » parait obscur. Dans l'Exode, il s'agit des rideaux qui doivent se joindre pour former Ie tabernacle, demande par Dieu i Moise. Pour les auteurs medievaux, Ie tabernacle est Ie symbole de l'Eglise, les saints contribuent i l'edification de l'Eglise par leurs bonnes reuvres. L'interpretation des sens de l'Ecriture au Moyen Age est souvent un peu mysterieuse. Elle se charge de tout ce que les auteurs sacres et leurs c?m;nentateurs Y ont ajoute. Op~s ~onum reputatur ad justitiam, « La f01 d Abraham lut compta comme Justtce » (Gen. 15, 6) : Insistant sur la justification p~r la foi, saint Paul reprend cette expression (Gal. 3, 6 et Rom. 4, 3). Satnt Jacques (2., 32.) au contraire met en valeur les reuvres : « Vous voyez que l'homme est justifie par les reuvres et non seulement par la f~i. » Le Prologue suit la pensee de saint Jacques. . Un .peu plus 10m, Ie Prologue utilisant un procede classique compare sa1nt F1acre aux plus hautes figures de la Bible : In fidei imitari sataoebat , . . rectitudine Abraham, in fiervore Petrum' b M oyst mansuetudo, Pauli simplicitas, Job patiencia in eo mtilabant. « Il s'efforc;ait d'imiter Abraham dans la rectitude de la foi Pierre dans sa ferveur; la douceur de Moise, la simplicite d~ Paul, la patience de Job brillaient en lui. »
Il y avait eu p!us haut une allusion i Abraham, qui n'etait pas nomme. La ferveur de P1erre est un theme classique. On lit dans Ie livre des Nombres (12., 3) que Moise etait Ie plus doux des hommes. Saint Paul emploie plusieurs fois Ie mot simplicite66• La patience de Job est proverbiale56• , Enfin, Ie do~ des larmes, si cher aux devots du Moyen Age, est pretexte a un developpement curieux : In v~lI~ lac~imarum (ps: 83, 7) constitutus, crebris ieiuniis et puris orattonz~us t~te~tus, jlevtt malitiam mundi, jlevit miseriam exilii, et « quonzam trrtgu~m superius et irriguum inferius » (J uges I, 15) acceperat a DominO, a quo « omne datum optimum et omne donum p:rfect~m est» (Jacques I, 17), totus resolvebatur in lacrimis, cupiens dtssolvl et esse cum Christo (Phil. I, 2.3).
« Se trouvant dans la vallee des larmes, adonne a des je-unes frequents et des prieres pures, il pleura sur la malice du monde, 5~· ~e ~o,ine a dft ,pens~r a ,II Cor. ,1,12 : N~m glori~ haec, testimonium conscientiae nostrae, quod In slmpftcl~ate cordIS et smcerltate Del, conservatl sumus In hoc mundo, abundantius autem ad vas. , 56. ~a patience de Job est proverbiale. Job lui-meme la revendique : Et patientiam meam qulS con.tlderat? (Job 17, 15). '
Etudier la Bible il pleura sur la misere de l'exil et parce qu'il recevait du S~ign:ur, source de toute grace excellente et de tout don parfalt, 1 eau d'en haut et l'eau d'en bas, il fondait en larmes de tout son etre, ayant Ie desir d'etre dissous et d'etre avec Ie Christ. }} Le vocabulaire est biblique, mais il ne s'agit pas de citations litterales, sauf l'expression in valle lacrymarum. Tous ces themes se r~trouvent continuellement dans les prieres composees du xe au XIIe slecle, par exemple dans Ie Salve Regina. . Les larmes amenent une citation inattendue du livre des Juges. Caleb avait promis sa fille Axa a qui prendrait Cariath-Sepher. Axa ne fut pas satisfaite de sa dot et dit a son pere : « C'est une terre aride qu~ tu m'as donnee, donne m'en aussi une arrosee par les eaux. }} C~le? 1m en donna une arrosee par Ie haut et arrosee par Ie bas : ... da et trrtguam
terram acquis. Dedit ergo ei Caleb irriguum superius et irriguum inferius. Terra sous-entendu dans la Bible ne l'est pas dans Ie Prologue parce que Ie mot irriguum est employe comme substantif par les Peres de l'Eglise au sens d'eau. , L'auteur du Prologue n'explique pa~ ce qu'e~t P?u: lui l'~au den haut et l'eau d'en bas, mais l'abondance d eau entralOe lldee de dissoudre, ce qui amene une ~itati~n assez ~ar~e ,de saint P~ul... ,. Le moine de SalOt-Flacre a-t-llirusse aller son lmaglOatlon ou s est-ll inspire d'auteurs plus ou moins anciens? II n'avai~ certainement pas sur place une bibliotheque abondante, peut-etre s'est-il s~uv~nu. de lec~res a l'abbaye mere de Saint-Faron ou ailleurs. II conna1ssrut b1en la B1ble et aimait l'exegese symbolique et il est un bon representant de la culture des moines du XIIe siecle.
Les Miracles de saint Fiacre Beaucoup moins nombreuses que dans les Prologues, les citations qui parsement les miracles sont plus .sp,on.tanees .. Elles ne s'accu:nulent pas dans des morceaux OU Ie genre litterrure l~s lmpos~, elles v1~nnent spontanement sous la plume du gardien des reliq~es qm raconte. slmplement les prodiges qu'il a observes ou qu'il a appns par les narratlons des pelerins. . Rien n'impose de croire que Ie redacteur n'a pas ajoute des det~ls de son cru et prete aux personnages mis en scene des paroles qu'lls n'ont pas prononcees. La mere d'un des quatre gar<;ons tombes dans l'Oise .adresse a sa~~ Fiacre une priere dans laquelle elle rappelle que Ie Christ a ressusc1te Lazare mort depuis quatre jours 57 • 57. Miracle
2,
dans Un sanctuaire monastique au Mqyen Age: Saint-Fiacre-en-Brie ... , p. 95·
Les moines du Moyen Age Vne citation biblique bien amenee fournit des reflexions constituant une philo sophie de l'histoire. Au pont de Meaux, la jument portant son maitre et ses deux fils malades trebuche et tombe dans la Marne. Le pere invoque saint Fiacre quia de tribulacione invocavit Dominum exaudivit eum Deus - parce que dans la detresse il a invoque Ie Seigneur, Dieu l'a exauce (ps. 117, 5). Citation legerement arrangee qui amene l'heureux denouement : Ie pere sauve ses fils 58. Les habitants de Meaux etonnes et heureux de savoir sauves Ie pere et ses deux fils tombes dans la Marne s'ecrient : A Domino factum est istud et est mirabile in oculis nostris (ps. 117, 23).« C'est l'reuvre du Seigneur, c'est une chose merveilleuse a nos yeux }}59. Saint Fiacre apparaissant a un homme qui a jete au feu un sac de remedes lui annonce : Fides tua te salvum fecit. « Ta foi t'a sauve. )} Le saint reprend une parole du Christ adressee a une femme (Mat. 9, 22) en la mettant au masculin60• Les reminiscences de l'Ecriture ne servent pas seulement a donner une coloration religieuse, a tirer une conclusion edifiante ou a suggerer une salutaire le<;on, elles donnent du relief a la trame du recit. Dans la phrase que Daniel oppose a un vieiIlard accusateur de Suzanne : Concupiscentia subvertit cor tuum (Dan. 13, 56) il a suffi de remplacer tuum par ejus pour decrire les sentiments du jeune homme pret a enlever une jeune fille : concupiscentia subversit cor ejus. « Le desir a perverti son creur }}61. Vne femme de Soissons completement paralysee fait porter a saint Fiacre un cierge de sa taille. Pendant son sommeil, Ie saint lui apparait tenant Ie cierge et la guerit. Quand son serviteur revient, elle lui demande a quelle heure exactement il a depose Ie cierge, et elle constate qu'elle a ete guerie a ce moment. Bien que les citations ne soient pas litterales, l'imitation du recit de la guerison du fils de l'ofEcier royal de Capharnaiim Gean 4, 51-53) est evidente62 • Sans abuser des considerations moralisatrices, Ie moine redigeant les Miracles tire parfois une le<;on. Apres avoir raconte comment une jeune fille qui, souffrant d'un fic, se rendait a Saint-Fiacre, avait ete enlevee par un jeune homme et rapidement delivree par un soldat, il ajoute que Ie Seigneur n'a pas voulu laisser cette faute sans chitiment.
Deus ultionum Dominus, qui per prophetam dixit: Da mihi vindictam et ego retribuam, qui facit judicium injuriam patientibus, injuriam puellae noluit intlltam relinquere. 58. 59· 60. 61. 62.
Miracle I, p. 93. Miracle I, p. 93. Miracle 13, p. 116. Miracle 16, p. 12I. Miracle 5. pp. 98-99.
Les moines du Moyen Age
Etudier la Bible « Le Seigneur Dieu des vengeances qui a dit par Ie prophete : Donne-moi la vengeance et moi je retribuerai, moi qui rends justice a tous ceux qui souffrent d'oppression ne voulut pas laisser sans punition l'injure faite a la jeune fille. » Le texte composite est une chaine de passages cites de memoire avec une reference vague au prophete, mot qui renvoie globalement aux textes inspires. Les trois premiers mots sont empruntes au Psaume 93, I. La suite vient de saint Paul qui s'inspirant du Cantique de Moise (Deut. 32, 35) utilise deux fois cette sentence (Rom. 12, 9; Rebr. 10, 30). Qui facit judicium injuriam patie~tibus est un ver~et du Ps~um: 102, 66~. Qu'un moine utilise l'Ecnture pour decnre une sltuatlon ou tlrer une le<;on parait normal, sa familiarite avec ces textes permet des usages inattendus. Un jour arriva a Saint-Fiacre un homme qui avait un pol~pe. U~e masse de chair corrompue, grosse comme un reuf de poule, 1m pendalt au nez. Elle genait sa respiration de sorte qu' on croyait entendre Ie cri d'une oie. Le malade se couche pres du tombeau du saint et s'endort.
Misericors et miserator Dominus, qui semper respicit in orationem humilium, et numquam sprevit preces eorum, sed luctum convertit in gaudium, conscidendo saccum eorum. « Le Seigneur compatissant et misericordieux, regarde toujours la priere des humbles, et ne la meprise jamais, mais transforme leur douleur en jDie en coupant leur sac. » La phrase debute par une expression qui revient plusieurs fois dans les Psaumes (IIO, 4; III,4 et 144, 8) et est reprise dans l'Epitre de Jacques 5, II. II a suffi d'y ajouter qui semper pour enchainer avec Ie verset 23 du Psaume 101. Non est remplace par numquam pour repondre a semper. Au Psaume 29, 12 on lit : convertisti planctum meum in gaudium mihi, conscidisti saccum meum, et circumdedisti me laetitia. « Tu as change mon deuil en joie, tu as dechire mon sac et m'as revetu d'allegresse. » Ce psaume est un chant rituel pour Ie recouvrement de la sante: apres avoir rendu grace pour sa guerison, Ie psalmiste rappelle les circonstances de sa maladie et expose de faISon imagee Ie changement du malade; Ie cilice de deuil est remplace par des vetements de fete. Cilice est traduit en latin par saccum. Se revetir d'un sac est une expression classique, mais i1 n'en est pas question ici. Le mot sac est pris dans un tout autre sens : Ie sac est l'affreux appendice qui avait pousse dans Ie nez du pelerin. A son reveil, il a l'heureuse surprise de constater que cette masse de ch~r corrompue s'etait detachee sans laisser aucune trace: sa douleur s'etalt transformee en joie64• 63. Miracle 16, p. 122. 64. Miracle 8, pp. 105-106.
L'utilisation du texte de la Bible est moins cocasse, mais encore plus soignee dans Ie dernier miracle. Doutant de son savoir-faire litteraire Ie moine de Saint-Fiacre apres avoir ecrit la Vie et les Miracles du saint avait porte son manuscrit a l'abbaye de Sainte-Genevieve de Paris, en demandant de Ie relire et de Ie corriger. Cette tache fut confiee a un novice qui ne fut guere flatte d'avoir a s'occuper d'un saint inconnu qui n'avait pour l'exalter qu'un moine de la campagne. Aux matines de la fete des saints Pierre et Paul, ce novice chantait l'invitatoire quand i1 fut saisi d'une douloureuse crise de sciatique. Cette punition du mepris pour saint Fiacre s'explique : au pere de l'enfant possede qui l'implore :« Si tu peux quelque chose viens a notre aide », Jesus avait repondu : « Si tu peux, tout est possible a celui qui croit» (Marc 9, 23)· Dicit vero veritas : Omnia possibilia sunt credenti. « Puis que la puissance accompagne celui qui croit... qu'y a-t-il d'etonnant a ce que celui qui ne croit pas devienne impotent? }) Apres avoir peniblement acheve l'invitatoire, Ie malheureux novice se traine jusqu'a son lit. En se laissant tomber dessus, il heurte de la main Ie livre de saint Fiacre place sur une etagere et Ie re<;oit sur la figure. Cela Ie guerit subitement. II remercie Ie saint qu'il avait oublie, et revient au chreur, exiliens et laudans Deum, « gambadant et louant Dieu}) (Actes 3, 8). La marche du miracule est decrite avec les termes employes dans les Actes des Ap6tres pour Ie boiteux gueri par saint Pierre. Sans insister sur les ressemblances, Ie moine de Saint-Fiacre en reprenant quelques termes, suggere que saint Fiacre accomplit des miracles comme saint Pierre lui-meme65• Leur caractere concret a valu de nos jours aux Recits de Miracles un regain d'interet. Certains avaient declare qu'ils etaient ennuyeux et steriles, bien qu'ils aient toujours charme des legions de lecteurs et d'auditeurs. Le gout du merveilleux n'a jamais totalement disparu. Le moine de Saint-Fiacre s'adressait aux pe1erins qui d'apres ce qu'il dit lui-meme appartenaient au petit peuple66 • Pour la plupart, ils ne savaient pas lire et il est probable qu'aucun n'avait jamais eu une Bible entre les mains. IIs ignoraient Ie latin et les Miracles que lisaient les moines devaient pour eux etre traduits et sans doute paraphrases. Les auditeurs avaient l'habitude d'entendre des sermons appuyes sur l'Ecriture; ils reconnaissaient certains passages celebres, ils se laissaient impregner par ce style biblique qu'employaient spontanement les predicateurs. Les productions les plus humbles sont les meilleurs temoins de l'acces du peuple chretien au Livre par excellence.
65. Miracle 24, pp. 132-134. 66. Ibid., pp. 158-160.
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LA
Etudier fa Bible
LETTRE ET L'ESPRIT
VIVRE LA BIBLE
Commencer un expose en declarant qu'il n'y a pas de plan suggerant une synthese, qui peut d'ailleurs etre une these, demontree par des arguments soigneusement selectionnes et tendus vers un but arbitrairement choisi, est se preparer une conclusion difficile, voire impossible, a moins d'une pirouette pour declarer que la question reste en suspens et que la discussion est toujours ouverte. Dom Jean Leclercq a declare que « la litterature monastique sur 1'Ecriture etait abondante, plus abondante que ne Ie laisserait supposer Ie peu d'etudes qu'on lui a consacrees ». Sans toucher a la litterature, car on ne peut y ranger les Vies des saints, l'expose a montre l'influence profonde que l'Ecriture a eue sur les moines du Moyen Age, meme sur ceux qui n'ont pas ecrit du tout ou se sont contentes d'un petit recit de circonstance. En imaginant les moines assis dans Ie cloitre pour ruminer l'Ecriture, il ne faut pas oublier les moines illettres, qui ne sachant pas lire, ne connaissaient les livres saints que par ce qu'ils entendaient lire ou chanter et qui etait commente et explique dans les conferences du chapitre. N'exagerons pas l'ignorance de ces humbles: chez les moines noirs, les moines illettres ont tous les droits des moines lettres, ils participent aux deliberations et votent comme les autres; chez les moines blancs, les convers sont les administrateurs des granges ou les artisans; on ne confie jamais les responsabilites materielles a des incapables. A toutes les epoques il est difficile de penetrer la mentalite des humbles et de ceux qui ne se livrent pas. En toute bonne foi, des theoridens exposent avec un paternalisme vaniteux ce que pensent les simples, on peut preferer plus de discretion. Ce qui est plus dommage encore, c'est qu'on s'attarde a ce qui parait singulier en laissant tomber ce qui est commun. Or ce qui impregne une mentalite est l'ordinaire et non l'exceptionnel. Les moines du Moyen Age ont tellement bien connu l'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament qu'ils ont pu en faire des jeux : -
ils ont lu et reIu la Bible, de sorte qU'elle venait tout naturellement sous leur plume ou dans leur conversation; ils 1'ont meditee, assimilee et ruminee inlassablement; ils ont acquis une telle habitude de penser avec elle qu'ils se degagent sans peine du carcan de la lettre pour arriver sans la trahir a l'expression de leur propre pensee; enfin, c'est par l'Ecriture que leur priere s'est elevee aux sommets de la contemplation. Jacques DUBOIS.
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Des l'Antiquite la Bible est consideree comme un miroir dans lequel Ie chretien doit se regarder pour rectifier sa conduite et amender ses meeurs. D'autre part elle contient une legislation, des preceptes et reglements promulgues pour Ie peuple d'Israel que les hommes du Moyen Age ont adaptes a leur usage; la Bible est donc loi et auto rite par excellence. Les legislateurs monastiques s' en inspirent et citent a plaisir bien des passages de l'Ecriture, en particulier des Livres Sapientiaux. lIs trouvent dans Ie Nouveau Testament de quoi appuyer leur ideal de partage des biens, d'amour fraternel, d'ascese1 • Nous n'avons pu donner qu'une etude sur l'influence de la Bible dans les regles et coutumiers monastiques, etude qui devrait etre developpee. La legislation de l'Eglise contenue dans les collections canoniques s' est constituee lentement a partir du droit seculier mais surtout de la Bible. L'article que Jean Gaudemet a bien voulu nous donner est en ce sens tres important. II est complete par celui de Thomas M. Izbicki qui etudie specialement les sources bibliques du Decret de Gratien et des canonistes des siecles suivants. I.
1957·
O.
ROUSSEAU,
Monachisme et vie religieuse dans I'ancienne tradition de l'Eglise, Chevetogne,
COLLECTION DIRIGEE PAR CHARLES
KANNENGIESSER
Le Moyen Age et la Bible SOllS
la direction de
Pierre Riche - Guy Lobrichon
BIB L E DE TOUS
LES
BEAUCHESNE OUVRAGE DU
PUBLIE
CENTRE
AVEC
NATIONAL
LE DES
CONCOURS LETTRES
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LA
Etudier la Bible
LEl'l'RE ET L'ESPRIT
Commencer un expose en declarant qu'il n'y a pas de plan suggerant une synthese, qui peut d'ailleurs etre une these, demontree par des arguments soigneusement selectionnes et tendus vets un but arbitrairement choisi, est se preparer une conclusion difficile, voire impossible, a moins d'une pirouette pour declarer que la question reste en suspens et que la discussion est toujours ouverte. Dom Jean Leclercq a declare que « la litterature monastique sur l'Ecriture etait abondante, plus abondante que ne Ie laisserait supposer Ie peu d'etudes qu'on lui a consacrees ». Sans toucher a la litterature, car on ne peut y ranger les Vies des saints, l'expose a montre l'influence profonde que l'Ecriture a eue sur les moines du Moyen Age, meme sur ceux qui n'ont pas ecrit du tout ou se sont contentes d'un petit recit de circonstance. En imaginant les moines assis dans Ie cloitre pour ruminer l'Ecriture, il ne faut pas oublier les moines illettres, qui ne sachant pas lire, ne connaissaient les livres saints que par ce qu'ils entendaient lire ou chanter et qui etait commente et explique dans les conferences du chapitre. N'exagerons pas 1'ignorance de ces humbles: chez les moines noirs, les moines illettres ont tous les droits des moines lettres, ils participent aux deliberations et votent comme les autres; chez les moines blancs, les convers sont les administrateurs des granges ou les artisans; on ne confie jamais les responsabilites materielles a des incapables. A toutes les epoques il est difficile de penetrer la mentalite des humbles et de ceux qui ne se livrent pas. En toute bonne foi, des theoriciens exposent avec un paternalisme vaniteux ce que pensent les simples, on peut preferer plus de discretion. Ce qui est plus dommage encore, c'est qu'on s'attarde a ce qui parait singulier en laissant tomber ce qui est commun. Or ce qui impregne une mentalite est l'ordinaire et non 1'exceptionnel. Les moines du Moyen Age ont tellement bien connu l'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament qu'ils ont pu en faire des jeux : -
ils ont lu et re1u la Bible, de sorte qu'elle venait tout naturellement sous leur plume ou dans leur conversation; ils l'ont meditee, assimilee et ruminee inlassablement; ils ont acquis une telle habitude de penser avec elle qu'ils se degagent sans peine du carcan de la lettre pour arriver sans la trahir a l' expression de leur propre pensee; enfin, c'est par l'Ecriture que leur priere s'est elevee aux sommets de la contemplation. Jacques DUBOIS.
VIVRE LA BIBLE
Des l'Antiquite la Bible est consideree comme un miroir dans lequel Ie chretien doit se regarder pour rectifier sa conduite et amender ses mceurs. D'autre part elle contient une legislation, des preceptes et reglements promulgues pour Ie peuple d'Israel que les hommes du Moyen Age ont adaptes a leur usage; la Bible est donc loi et autorite par excellence. Les legislateurs monastiques s'en inspirent et citent a plaisir bien des passages de l'Ecriture, en particulier des Livres Sapientiaux. Ils trouvent dans Ie Nouveau Testament de quoi appuyer leur ideal de partage des biens, d'amour fraternel, d'asceseI. Nous n'avons pu donner qu'une etude sur l'influence de la Bible dans les regles et coutumiers monastiques, etude qui devrait etre developpee. La legislation de l'Eglise contenue dans les collections canoniques s'est constituee lentement a partir du droit seculier mais surtout de la Bible. L'article que Jean Gaudemet a bien voulu nous donner est en ce sens tres important. Il est complete par celui de Thomas M. Izbicki qui etudie specialement les sources bibliques du Decret de Gratien et des canonistes des siecles suivants. I.
1957·
o. ROUSSEAU, Monachisme et "ie religieuse dans I'ancienne tradition de l'Eglise, Chevetogne,
Le Ml!}en Age et la Bible
Des Ie haut Moyen Age Ie Liber ex lege Moisi est une des sources de la collection irlandaise « L'Hibernensis » qui eut une grande influence sur Ie Continent. Lorsque l'on parle de l'Irlande on evoque les Penitentiels qui ont tant marque la conscience des hommes du haut Moyen Age. Nous avions demande a Cyrille Vogel d' en parler en raison de sa grande connaissance de ces textes difficiles. Malheureusement une mort prematuree l'a empeche de donner un texte definitif sur ce sujet2 • II est certain que les Penitentiels sont tres influences par l' Ancien Testament. Les interdits alimentaires rappellent ceux du Levitique, tout ce qui touche a Ia morale sexuelle est accompagne de references vetero-testamentaires. Mais Ie Nouveau Testament est egalement source des auteurs de penitentiels : les tables de l'edition Bieler donnent 75 citations de l'Ancien Testament et une centaine du Nouveau3 • Si les Carolingiens sont tres mefiants en ce qui concerne les Penitentiels insulaires, ils n'utilisent pas moins les textes bibliques pour tout ce qui touche a Ia penitence. Dans la preface de son Penitentiel Raban Maur cite une longue page du Levitique, Ie livre du Pentateuque Ie plus lu a l'epoque'. Le moralisme carolingien est nourri de Ia Bible comme on peut Ie voir par exemple dans Ie traite de Jonas sur l' «instruction des laies » ou ceux de Raban Maur sur I'oblation monastique et sur Ie respect que les enfants doivent aux parents5 • En tout ce qui concerne Ie mariage Ia Bible est la premiere autorite, il suffit de renvoyer aux travaux de Noonan et Jean Gaudemet6 • La legislation sur l'usure, sur les poids falsifies, sur l'esclavage, etc., s'accompagne de citations bibliques7 • Enfin, la Bible est pour les gouvernants du Moyen Age, Iaics 2. C. VOGEL, Le pecheur et la penitence au Mqyen Age, Paris, 1969. Les « Libri paenitentiales» (Typologie des sources du Moyen Age occidental, nO 27, Turhout, 197 8). 3· L. BIELBR, The Irish Penitentials(Scriptores Latini Hibemiae, 5),Dublin, 1963, pp. 288- 28 9. 4· R. KOTTJE, Die Bussbiicher Halitgars von Cambra; und des Hrabanus Maurus. Ihre Uberlieferung und ihre Quellen, Berlin, 1980. 5· PL, Io6, 121-278 et PL, IOl, 419-440 et MGH, Epist. V, pp. 403-405' Cf. DHUODA, Manuel pour monfils, III, ed. P. RICHE, Paris, 1975, pp. 135-141. 6. J. T. NOONAN, Contraception et mariage, Paris, 1969, pp. 44-63 et tables pp. 680-682; J. GAUDEMET, Societes et mariage, Paris, 1980, p. 234 et Bibliogr., p. 45 8. 7· CHA~LEM1I:GNE, Admoni~io generalis, 74. Sur les faux poids, cf. SMARAGDE DE SAINTMIHIEL, V,a regia, chap. 29, Cltant Deut. 25, 13 et PrOf!. 20, 23. De meme sur l'esclavage SMARAGDE, chap. 30, et « Edit de Pitres» de 864, MGH, Capito II, p. 326 . '
Vivre la Bible
et clercs, l'autorite premiere. Ce qui meriterait un grand livre n'a pu faire dans notre ouvrage que l'objet d'un court chapitre traitant du haut Moyen Age, car c' est bien a cette epoque que se sont constitues l'essentiel des doctrines politiques et l'arsenal des references les plus utilisees pendant tout Ie Moyen Age. Six etudes ont ete consacrees a la pastorale, c'est-a-dire a la formation religieuse du peuple chretien. Comme les fideIes ne peuvent avoir acces a la Bible directement, les pasteurs doivent la leur presenter sous differentes formes. Les laics, dit Cesaire d'Arles d'une fas;on imagee, sont « semblables a des veaux qui recherchent Ie lait que leur preparent les pretres en broutant sur les collines des saintes Ecritures ». Pour la plupart, Ie premier contact avec la Bible est l'image. On dit et on repete que I'instruction populaire medievale depend en grande partie des images que l' on contemple, que la cathedrale a ete la « Bible de pierres ». La « predication muette » a ete des Ie debut consideree comme une des bases de la pastorale populaire. Qu'on se souvienne de la lettre de Gregoire Ie Grand a I'eveque de Marseille coupable d'iconoclasme : « L'image est utile dans l'Eglise afin que ceux qui ignorent les lettres puis sent du moins, en contemplant les murs, apprendre ce qu'ils ne peuvent lire dans les livres. » Les Carolingiens, meme lorsqu'ils combattent Ie culte des images, reconnaissent Ie role educatif de ces images. Franc;ois Garnier a eu Ie merite de poser les problemes, de prendre quelques exemples empruntes aux Bibles des xne et xme siecles, et de montrer comment trouver une imagerie biblique dans les livres exegetiques et liturgiques. Les imagiers n'utilisent pas simplement les textes authentiques : les livres « apocryphes » avaient ete condamnes, ils n'ont cesse d'etre toleres dans la pratique. Pour satisfaire leur gout de l'etrange et du merveilleux, les hommes du Moyen Age les ont Ius ou se Ies sont fait lire. Edina Bozoky presente ces textes qui ont eu un grand succes, et dont on commence a saisir toute l'importance pour la litterature, la liturgie et l'art du Moyen Age. Depassant Ie cadre geographique de notre livre, elle fait une incursion dans Ie do maine greco-slave, et etudie un apocryphe bogomile traduit en latin au xn e siec1e. Ces apocryphes ont inspire Ies artistes, si
Le Moyen Age et la Bible
bien que sans eux, disait Emile Male : « La moitie au moins des ceuvres du Moyen Age demeurerait pour nous lettre close. » II etait difficile de presenter tous les themes retenus par les artistes, Ie choix fait par notre collegue est tres significatif. Dans la pastorale medievale l'hagiographie tient une grande place. Les Vies des Saints si longtemps considerees comme une « basse litterature » sont actuellement revalorisees. Les auteurs des textes hagiographiques, des moines en general, nourris de la Bible, empruntent a l'Ecriture bien des passages pour celebrer leur heros. Poursuivant les recherches de Jean Leclercq8, Marc Van Uytfanghe qui a cons acre sa these a La Bible dans les Vies de saints merovingiens nous montre comment la Bible se refiete et se transpose dans l'hagiographie tout au long du Moyen Age aussi bien en latin qu'en langue romane. Precisement Michel Zink, reprenant les conclusions de sa belle these9 , parle ici de la predication en langue vulgaire romane. Nous devons rappeler cependant que dans Ie monde anglo-saxon, la predication se fait normalement en langue nationale, comme en temoignent les « homelies catholiques » sur l'Ancien et Ie Nouveau Testament, d'Aelfric, abbe d'Eynsham, au debut du xre siecle1o• Or la langue de culture est normalement Ie latin. C'est dans cette langue que les clercs font leur apprentissage, forgent leurs outils, prechent devant leurs confreres. Jean Longere presente la mise en ceuvre de cet arsenal oratoire. Et la Bible y prend une place majeure. Si les themes des sermons populaires sont d'habitude plus moralisants que scripturaires, peu a peu, grace a l'utilisation des homiliaires, les predicateurs prennent comme points de depart des versets de la Bible. Les exemples de sermons et les donnees statistiques qu'il propose rouvrent l'enquete, a poursuivre desormais. C'est egalement par l'intermediaire du latin que la Bible est presente dans la liturgie. Le Pere Gy se contente ici d' etudier sa place dans les prieres de la messe et de l' office. II ne pousse pas 8. J. LECLERCQ dans Bible [3]. 9· Cf. Bibliogr. nO 147. 10. Cf. M. M. DUBOIS, Ael/ric, sermonnazre, doc/eur el grammairien, Paris, 1943, pp. 81 et s.; M. LARES [64], cf. egalement les Homilies de Wulfstan d'York (t 1023), editees par D. BETHURUM, Oxford, 1957.
Vivre la Bible
sa recherche au-dela du xme siecle, mais la question se pose desormais de savoir si les responsables de la liturgie n'ont pas eu tendance a placer peu a peu la Bible hors de leur domaine, visant Ie rite plus que l'inspiration. Nous n'avons pu dans cette section examiner tout ce qui concerne la Bible et la societe chretienne, particulierement a la fin du Moyen Age; c'est pourquoi nous avons reserve une quatrieme partie, OU seront presentes quelques problemes relatifs au monde laic, desormais confronte a une nouvelle lecture de la Bible.
I - LE GOUVERNEMENT DES HOMMES
I
Presence de la Bible dans les Regles et Coutumiers
Saint Cuthbert, qui fut moine a Melrose, au VIle siecle, puis eveque de Lindisfame, declarait, quelques jours avant Ie deces du prieur Boisile : « J'ai un codex de l'Evangile se10n saint Jean; il est compose de sept cahlers; chaque jour, nous pourrons, avec l'aide de Dieu, en lire un et l'etudier entre nous »1. Quant a Benoit, moine a Cluny, Pierre Ie Venerable nous Ie decrit portant toujours sur lui un psautier glose afin de reciter les psaumes avec plus de devotion et d'attention, de sorte que si Ie sens d'un passage lui echappait, il pouvait jeter un coup d'reil rapide sur la glose2 • Au creur de ces deux anecdotes se profile un personnage : Ie moine, face a un livre: la Bible, maintes fois repertoriee dans les catalogues des bibliotheques monastiques et maintes fois citee dans les regles monastiques. A priori, on serait tente de qualifier d'evidentes ces relations entre Ie « Livre» et Ie monde des abbayes. Pourquoi s'etonner qu'un moine lise la Bible, quand la litterature hagiographlque et les regles monastiques presentent la vocation comme une reponse a l'appel evangelique : « Va, vends ce que tu as ... et suis-moi » (Mat. 19,21)? Mais, a considerer la richesse de la Bible, qui est a la fois un livre de morale, un recueil d'histoires et aussi une galerie de personnages parfois hauts en couleurs, a considerer aussi la variete des familIes monastiques : Benedictins, Chartreux, Cisterciens... sans oublier les I. 2.
Vita Cuthberti, chap. 3 (AS, Mars, III, p. De miraculis I, 20 (PL, I89, 886).
102).
Vivre la Bible ermites et les reclus, l'evidence des premieres reflexions cede rapidement la place a de multiples questions. Certes, les regles monastiques citent la Bible! Mais s'agit-il de toute la Bible? Certains livres n'ont-ils pas ete privilegies? Bien sur, les livres bibliques offrent aux moines de nombreux modeles a imiter. Mais des figures n'ont-elles pas ete valorisees par rapport a d'autres ? Enfin, par-dela les textes normatifs et leurs references scripturaires, qu'en est-il de la vie quotidienne? Le moine lit la Bible, l'entend proclamer a l'eglise; inspire-t-elle les habitudes de sa vie de tous les jours ? La lecture des regles monastiques, l'etude des coutumiers et de certains traites concernant les moines et leurs coutumes permettront d'apporter quelques reponses a ces trois types de questions. « Comme Ie dit l'Ecriture », « Ie Seigneur nous avertit en disant ... », « comme Ie declare Ie Prophete », « l'Ecriture sainte nous recommande ... », ces formules emaillent chaque paragraphe - ou presque des regles monastiques, telle par exemple la Regula S olitariorum de GrimlaIc, composee au IXe siecle pour des reclus 3• Elles introduisent les citations bibliques qui semblent ainsi interpeller Ie lecteur de maniere vivante. Dans son Prologue, Ie meme Grimlaic justifiait ce frequent recours aux saintes Ecritures a l'aide du verset johannique (7, 18) : « Celui qui parle de lui-meme cherche sa propre gloire. » C'est done l'etude de ces citations bibliques qui va maintenant retenir notre attention. Cette demarche, cependant, exige une remarque prealable : s'il est vrai que la Bible est souvent la source litteraire la plus frequemment citee dans les textes normatifs, il n'en reste pas moins que les Sancti Patres font souvent bonne figure aux cotes du livre saint. Ainsi, dans la Regula Solitariorum, la Bible, qui est citee 252 fois, devance de peu les Peres de l'Eglise qui totalisent 248 citations et allusions, avec au premier rang saint Benoit, suivi d'!sidore de Seville, des exempla des Vitae Patrum, de Basile, de Gregoire, qui precedent largement Jerome, Julien Pomere, Augustin ... D'ailleurs, l'auteur presente son reuvre comme un florilege compose « a partir des sentences des Peres orthodoxes et de leurs divers exemples ». Pareillement, Chrodegang fait de multiples emprunts a la RegIe de saint Benoit et a la legislation canonique anterieure4 • Et, au xm e siecle, Bernard du Mont-Cassin rappelle que les novices doivent savoir par creur Ie psautier et la RegIe de saint Benoit5 • 3· 4· 1967, 5·
PL, ZO), 573-664, en attendant l'edition qui doit paraitte dans« Sources chretiennes». G. HOCQUARD, « La RegIe de saint Chrodegang », dans Colloque saini Chrodegang, Metz, pp. 73-75· Dom U. BERLlERE, L'as.ese benedktine, Maredsous, 1929, p. 13.
Les Regles ef CoufufIJiers S'il est done exact que la Bible n'est pas la source unique d'inspiration des regles monastiques, il n'en reste pas moins qu'elle est cependant la source essentielle. Encore convient-il de preciser cette influence: la Bible inspire-t-elle de fa-:ron egale chaque reuvre, chaque partie de ces reuvres ? Qui l'emporte, de l' Ancien Testament ou du Nouveau? N'y-a-t-il pas des livres privilegies, des citations ne sont-elles pas rappelees plus volontiers que d'autres ? Leur interpretation n'a-t-elle pas change au cours des ages ? Toutes les regles monastiques se referent a la Bible, mais parfois de fa-:ron tres inegale. Ainsi, Ie Petit Exorde de Citeaux peche par sa pauvrete en ce domaine; il n'y est guere question que des « nouveaux soldats du Christ, pauvres avec Ie Christ pauvre » et d'abaisser les tetes orgueilleuses sous Ie joug suave du Christ6 • Meme constat de pauvrete pour la RegIe des Templiers qui, malgre sa longueur, ne cite que 18 fois Ie livre saint. A l'oppose se placent au contraire des textes comme la RegIe de GrimlaIc qui, avec ses nombreuses citations scripturaires, ferait preuve d'une culture particulierement remarquable en ce domaine. Colomban et Chrodegang font bonne figure avec respectivement chacun 25 et 39 citations. La repartition de ces references a l'interieur de chaque chapitre semble assez inegale. Prenons Ie cas de la RegIe de Colomban et de ses dix chapitres : 1.
2.
De Du De De De De
l'obeissance, citations scripturaires ........... . silence ................................... . la nourriture .............................. . la pauvrete ............................... . la vanite ................................... . la chastete ................................ .
3. 4. 5. 6. 7. Du cursus ..................................... . 8. De la discretion .............................. . 9. De la mortification ............................ . 10. De la perfection ............................... .
33 25
% du
chap.
o
40 25 5 8 10
Ce tableau permet de constater que ce sont les chapitres concernant la morale (obeissance, silence, vanite, chastete) qui contiennent Ie plus de citations. Ces citations scripturaires dans leur ensemble offrent une difficulte: dans quelle mesure sont-elles Ie reflet d'une reelle culture biblique faite de lectures personnelles? La reponse est moins evidente qu'il n'y parait, car un auteur peut a la fois fort bien posseder « sa Bible » et, en meme temps, lorsqu'il ecrit, la citer a travers des intermediaires. La RegIe de Chrodegang est un bon exemple de la complexite de cette situation : sur les 39 citations bibliques qu'elle contient, 22 figurent 6. PL,
zoo, 1507 et 1510.
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egalement dans la RegIe de saint Benoit, 17 sont propres a l'eveque de Metz, avec une majorite de 14 citations neo-testamentaires7• Mais, a partir de cette constatation, nier la culture vetero-testamentaire de Chrodegang serait un non-sens. Au-dela de ces difficultes, une remarque s'impose : celie de la predominance quasi generale du Nouveau Testament sur l' Ancien. A cet egard, les chiffres sont eloquents :
Regles de Cesaire, AureIien, Tarnant, Ferreol RegIe de Colomban ................... . RegIe de Grimlai'c .................... . RegIe de Chrodegang ................. . Prologue de Ia RegIe de saint Etienne de Grandmont ....................... . Deux exceptions : La RegIe des Templiers .............. . Les Coutumes de Chartreuse ......... .
Ancien Testament
Nouveau Testament
138 citations 8 76
200
15
6
citations
18
176 24 12
7 35
L' Ancien Testament ne represente done que 30 a 40 % des citations bibliques, alors qu'il represente 80 % de la Bible. Encore faut-il preciser que les livres du cycle vetero-testamentaire sont tres inegalement utilises. Dans tous les cas, les Psaumes se taillent la part du lion : 79
% des
44 42 -
53 33 -
54 -
citations vetero-testamentaires des Regles de Cesaire, Aurelien, Tarnant, Ferreo!... des citations vetero-testamentaires de Ia RegIe de Colomban de Grimlai'c de Chrodegang d'Etienne de Grandmont des Templiers
Ces citations du psalmiste correspondent a deux utilisations differentes; elies vont de pair avec une description de la journee du moine et en particulier des Heures monastiques; ainsi : «Pour toi, j'ai dit la louange sept fois dans la journee» (Ps. 119, 164). Ou bien alors elles ont une intention moralisatrice : « Les humbles possederont la terre, rejouis d'une grande paix » (ps. 37, II). De fait, les Proverbes, avec leurs sentences moralisantes, occupent s?uv:ent une belle place a la suite des Psaumes : ils constituent en part1~er 23 % des citations vetero-testamentaires de la Regula Solitarlorum, 33 % de celies de Chrodegang.
7·
HOCQUARD,
op. cit., p. 77.
Dans Ie meme esprit, on peut noter egalement un recours assez frequent a l'Ecclesiaste, a I'Ecclesiastique et au Livre de la Sagesse, qui ont droit au total a 8 citations chez Grimlaic, ce qui correspond a plus du dixieme des citations vetero-testamentaires de la Regula Solifariorum. II y a done une sur-representation des livres sapientiaux dans les regles monastiques. En comparaison, les livres du Pentateuque font pale figure : deux citations dans la Regula Solitariorum (dont I'une, de surcroit, Deut. 13, 3, attribuee a l'Apotre), deux du Levitique dans la RegIe des Templiers. Le livre de l'Exode est utilise cinq fois dans les regles d' Aurelien et de cesaire; mais il s'agit toujours du meme verset : « Chantons Ie Seigneur» (I 5, I) a propos du deroulement de l' office. Colomban evoque deux fois Ie Deuteronome : « Gardez et mettez en pratique ... » (5, 32) et « rappelle-toi les jours d'autrefois ... » (32,7), Seules les Coutumes de Chartreuse citent huit fois la Genese, en se referant notamment a Isaac et Jacob. Au total, il n'y a done guere d'allusions aux situations historiques decrites par ces livres, dont les extraits choisis concernent directement la morale. Dne constatation voisine s'impose a propos des Livres historiques : ils couvrent un tiers de l'Ancien Testament et, cependant, ils n'ont droit qu'a une seule mention chez Chrodegang (I Sam.), quatre citations chez Grimlaic (deux citations des Rois, deux de Tobie). La encore, Ie but recherche n'est pas d'evoquer I'Histoire sainte en tant que telle, mais plutot d'exprimer une sentence comme « mieux vaut la priere avec Ie jefule » (Tob. 12, 8). Le sort des Livres prophetiques n'est pas meilleur. S'il est vrai qu'il est souvent question du « Prophete » dans les regles monastiques, c'est en general pour designer les Psaumes. Grimlak cite trois fois Isaie, deux fois Jeremie, trois fois Ezechiel, une fois Daniel et une fois Aggee, soit un huitieme des citations vetero-testamentaires de la Re!5.ula Solifariorum, alors que les Prophetes representent Ie quart de l'Anclen Testament. Dans les Regles d' Aurelien, Cesaire et Ferreol, on retrouve a nouveau Isaie, Ezechiel et Daniel, auxquels il faut joindre ?see, cite une fois par Ferreol. Les petits prophetes sont done quaslment absents de ce recensement. Au terme de ce survol, il faut une fois de plus insister sur Ie role du psautier dans la culture monastique medievale, et sur la meconnaissance relative de I'Histoire sainte. Certes, il est inevitable que des textes normatifs utilisent d' abord des sentences de morale plutot que des recits historiques. Mais ce choix a sans doute une signification plus profonde. Et tout simplement, il convient d'ajouter que les moines ont d'abord utilise les textes qu'ils entendaient Ie plus frequemment a l'eglise.
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Dans Ie large domaine des citations neo-testamentaires, on cons tate a nouveau une inegale repartition des livres saints, avec tout particulierement une quasi-absence de l'Apocalypse. Parmi les Evangelistes, Matthieu est Ie plus utilise. II occupe 35 % des citations neo-testamentaires de Grimlaic, 30 % de celles de Chrodegang. Encore faut-il preciser que ces emprunts ne touchent pas de la meme maniere tous les chapitres de Matthieu; certains recits ou versets sont privilegies : ainsi les versets 23-24 du chapitre 5 (<< quand tu te presentes a l'aute1... ») sont cites par Aurelien, Cesaire, Grimlaic... Les versets 33 et suivants du meme chapitre (<< tu ne te parjureras pas ... ») ont la faveur de Cesaire, Aurelien, Ferreol. Grimlaic utilise deux fois : « Qui regarde une femme pour la desirer... » (5,28 sq.). Aurelien et cesaire citent trois fois « si vous ne pardonnez pas aux hommes... » (5,28 sq.). Du Pater, Grimlaic et la RegIe de Paul et d'Etienne citent « pardonne-nous nos offenses ... » (6, 12 sq.). Grimlaic par deux fois rappelle « ne vous preoccupez pas du lendemain... » (6,34). Du chapitre 7, il retient Ie verset 6 : « Ne versez pas vos pedes devant les porcs », qu'il reprend deux fois, comme Ie verset 12 « tout ce que vous desirez que les autres fassent pour vous ... » et Ie verset 28 du chapitre 1 1 : « V enez a moi, vous tous qui peinez ... » La sentence du Christ: ~< De toute parole sans fondement que les hommes auront proferee, 11s rendront compte au jour du jugement... » (12,36) est mentionnee aussi bien par Grimlaic que par la RegIe de Pa~l et d'Etienne. Rappe10ns qu'elle figurait deja dans 1'Ordo Monasterii d'Augustin. « Si que1qu'un veut venir a ma suite ... » (16, 24) est cite deux fois par cesaire. Le chapitre 19, avec l'episode du jeune homme riche, est, comme on peut s'en douter, particulierement privilegie par les auteurs de regles monastiques : il est cite huit fois par Grimlaic, trois fois par Cesaire, deux fois par Aurelien. Le point fort du chapitre : « Va, vends ce que tu as ... » (verset 21) est rappe1e trois fois par Grimlaic. L'evocation du Jugement dernier : « Venez les benis de mon Pere... car j'ai eu soif... » (25,34-3 6) est utilisee par Grimlaic, en tout ou en partie, a six reprises. Elle fi~ure egalement chez Chrodegang. Ce que les auteurs de regles monasflques ont donc retenu de l'Evangile de saint Matthieu, c'est avant tout l'enseignement du Christ, dont les propos sont soigneusement transcrits. ~pr~s l'Evangile de Matthieu, ce1ui de Luc est Ie plus utilise : 16 cltaflons chez Grimlaic, 5 chez Aurelien, 10 chez cesaire, mais une seul~ment chez Chrodegang. Grimlaic utilise a deux reprises Ie verset « qw~onque a mis la main a la charrue et regarde en arriere... » (9,62). Aurelien et Macaire citent trois fois : « Quiconque parmi vous ne renonce pas a tous ses biens ne peut etre mon disciple» (14, 33). A propos des songes et de l'exces de nourriture, Grimlaic reprend par deux fois l'enseignement du Christ: « Prenez garde que vos creurs ne s'appesan-
Les Regles et Coutumiers
tissent pas dans la debauche et 1'ivrognerie» (21, 34). Le but de 1'auteur est d'inciter les reclus a la moderation, alors que Ie Christ recommandait a ses disciples de veiller pour ne pas etre surpris a l'approche du Jugement. II y a donc ici un changement de perspective qui illustre a la fois la familiarite des ecrivains avec Ie texte evangelique et en meme temps leur grande liberte d'utilisation. Curieusement, 1'Evangile de Marc est pratiquement absent des textes normatifs : il ne figure ni chez Grimlaic ni chez Chrodegang. II est cite une fois par Aurelien, deux fois par cesaire : « Pardonnez afin que votre Pere vous pardonne ... » (II, 26); encore faut-il preciser que ce verset rappelle tout aussi bien Matthieu, 6, 15. Une remarque semblable s'impose concernant saint Jean, qu' Aurelien ne cite qu'une fois, Ferreol cinq fois, cesaire deux fois. Grimlaic manifeste une plus grande culture johannique avec 12 citations, dont deux qui reprennent Ie verset 38 du chapitre 6 : « Je ne suis pas venu faire ma volonte ... » Dans Ies Actes des Ap6tres (utilises cinq fois chez Grimlaic, trois fois chez Chrodegang, cinq fois chez cesaire ...) certains versets sont tres nettement privilegies : « Entre eux, tout etait commun... » (4, 32) et « on distribuait a chacun selon ses besoins ... » (4,34-35), cite deux fois par Grimlaic. L'exemple d'Ananie et de Saphire est frequemment cite: deux fois par Grimlaic, ainsi que par cesaire et Aurelien; il est rare de trouver ainsi dans les regles monastiques la mention de personnages et de leur histoire. Restent maintenant les Epitres de saint Paul. Celles-ci representent 32 % des citations neo-testamentaires de Grimlaic, a peine Ie quart de celles de Colomban, cinq des sept citations de la RegIe des Templiers, une des douze citations du Prologue de la RegIe d'Etienne de Grandmont, Ie tiers des citations de Chrodegang, presque la moitie des citations relevees chez Cesaire, Aurelien, Ferreol, et dans les regles de Tamant et de Paul et Etienne. Mais ici encore, dans cet ensemble massif, des nuances s'imposent : l'Epitre aux Romains est citee, mais sans predilection particuliere pour tel ou tel passage. Les deux Epitres aux Corinthiens emportent la palme : 28 des 56 citations pauliniennes de Grimlaic. Les auteurs monastiques affectionnent tout particulierement certaines formules : « Nous annons:ons ce que 1'rei1 n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu ... » (I Cor. 2,9),« ne savez-vous pas que vous etes un Temple de Dieu ... » (3, 16); « ni voleurs, ni cupides, pas plus qu'ivrognes ... n'heriteront du Royaume de Dieu ... » (6, 10);« je me suis fait tout a tous afin d'en sauver quelques-uns ... » (9,22). L'Epitre aux Galates est assez peu citee, contrairement a l'Epitre aux Ephesiens, avec tout specialement Ie verset 26 du chapitre 4 : « Que Ie soleil ne se couche pas sur votre colere ... » Dans l'Epitre aux Philippiens, citons la formule : « Je sais me priver comme je sais etre a l'aise» (4, 12 sq.). De l'Epitre aux Colos-
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siens sont surtout rappeles des extraits du chapitre 3, c'est-a-dire des principes generaux de vie chretienne. Dans la premiere Epitre aux Thessaloniciens, Ie verset : « Reprenez les oisifs, encouragez les craintifs ... » (5, 14), dans la seconde « si quelqu'un ne veut pas travailler qu'il ne mange pas ... » (3, 10) sont particulierement cites. Dans le~ Epitres a Timothee, les ecrivains ont retenu la comparaison entre l'apotre et Ie soldat (debut du chap. 2, II) et la formule : « Le serviteur du Seigneur ne doit pas etre querelleur » (II, 2, 24). Les citations de l'Epitre de Tite proviennent surtout du chapitre 2, verset 7 : « Offrant en ta personne un exemple de bonne volonte. » De l'Epitre aux Hebreux domine sans conteste Ie verset : « Obeissez a vos chefs ... » (13,17). L'exemple et l'enseignement de saint Paul sont donc repris ici a l'intention des communautes monastiques avec parfois de curieuses deviations, c~mme l'u~i1isation par les Templiers, dans Ie but de justifier leur drolt de butln, du verset l'Ecriture dit : « L'ouvrier merite son salaire » (I Tim. 5, 18). En ce qui concerne les autres epitres, les auteurs utilisent tout particulierement de saint Jacques Ie verset : « Si quelqu'un s'imagine etre devot sans mettre un frein a sa langue ... » (I, 26) et « La colere de .l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu» (1,20). Grimlaic cite troiS fois la parole : « Ne medisez pas les uns des autres ... » (4, II). Le verset de saint Pierre : « Soyez soumis aux anciens ... » (II, 5, 5) a eu ~u succes aupres des auteurs de regles monastiques, notamment Ferreol et l'auteur de la RegIe de Tamant. Chez saint Jean, Ie verset Ie plus frequemment rappeIe est celui-ci : « Quiconque hait son frere est homicide » (I, 3, I 5). Que retenir au terme de ce tour d'horizon ? A la fois la tres grande familiarite des auteurs avec Ie texte saint, familiarite qui va de pair avec une tres large liberte d'utilisation. L'~criture est l'univers familier des auteurs monastiques du Moyen Age; lis y evoluent avec une facilite deconcertante, facilite qui evoque c~lle des auteurs classiques face ala mythologie. On rejoint ainsi l'opiruon de F. Pe.tit qui declarait : « Nos Peres savaient la Bible par cceur et ~e se lassale?t pas de la relire et de la mediter. Aussi leur langue devlent-elle facllement un centon biblique. L'Ecriture est un univers ou evolue leur pensee »8. , Apportons a ce .theme de la familiarite les nuances necessaires : d,abord, cette connrussance du texte biblique, pour intime qU'elle soit, n en est pas moins partielle : ce que citent avant tout les auteurs ce SO?t les livres sapientiaux, l'Evangile de Matthieu et les Epitre; de srunt Paul, livres dans lesquels ils peuvent trouver les fondements de 8. F. PETIT, La spiritualiti des Primontres, Paris, 1947, p. 23 8 .
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la morale chretienne. Ce choix est sans doute lie au contenu meme des livres, mais egalement a la liturgie. C'est ainsi par exemple que les auteurs premontres rappellent souvent dans leurs ouvrages la dignite du sacerdoce. A ce propos, les textes les plus commentes ne sont ni Ie Uvitique ni l'Epitre aux Hebreux, mais les passages de l'Ecclesiastique (45) consacres a Aaron et a ses fils : ils etaient en effet bien connus pour revenir souvent dans l'Office divin aux fetes des Martyrs et des Confesseurs pontifes9 • Ensuite, il arrive que les auteurs deforment Ie propos biblique, comme on l'a vu a propos du denigrement de l'ebriete et du butin des Templiers; ce qui permet de poser des maintenant une question que nous retrouverons : l'esprit biblique a-t-il reellement influence la redaction des regles monastiques? Ou bien les auteurs n'ont-iIs pas cherche a justifier leurs positions en s'appuyant sur tel ou tel verset, sans se preoccuper de son contexte?
Recueil inepuisable de citations, la Bible est aussi une magnifique galerie de personnages susceptibles d'avoir retenu l'attention des auteurs de regles monastiques. Les heros bibliques offrent en effet des les:ons de morale capables de guider les moines. Ecoutons a ce propos Adam de Premontre : « Contemplons, dit-iI, I'innocence d' Abel, l'obeissance de Noe, la pudeur excellente de Sem et de Japhet, la foi d'Abraham, la purete d'lsaac, la patience de Jacob, Ia chastete de Joseph, la mansuetude de Samuel, I'humilite de David ... »10. Surtout, les moines se sont efforces de rechercher tous ceux qui, dans l' Ancien Testament et dans Ie Nouveau, les avaient precedes dans la rupture avec Ie monde et la recherche de la vie solitaire. En ce domaine, on peut, d'embIee, distinguer trois directions de recherches : les personnages de l' Ancien Testament et, dans Ie Nouveau, la figure du Christ et l'exemple des Apotres. Le monde monastique de son cote est vaste et divers. II conviendra done de nuancer cette etude en considerant Ie cas des differentes families monastiques, distinction qui doit aboutir a marquer une evolution dans Ie temps. Nous avons deja vu la place reelie, mais relativement limitee occupee par l' Ancien Testament. lci encore, l'impression est la meme. Certes, les auteurs monastiques aiment a decrire les origines lointaines de la vie solitaire, mais en valorisant ensuite Ie Nouveau Testament. C'est bien ce que fait Grimlak lorsqu'il ecrit : « Certains, recherchant assez 9. Ibid., p. 2II. 10. PL, I98, 132·
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haut, disent que (l'eremitisme) commen~a avec Ie bienheureux Elie et Jean: Mais d~autr~s ~vaient ~me qu'Antoine etait Ie chef de ce genre de Vle. Macalre, disclple du blenheureux Antoine, affirme qu'un certain Paul de Thebes, dans Ie Nouveau Testament, etait a l'origine de ce phenomene; et c'est vrai. » Guigues de Chartreuse declare a son tour : « Vous savez en effet, par (Ia lecture de) l'Ancien Testament et surtout du N~uv~au Testament, que presque tous les plus grands secrets, les pl~s difficlles a. percer, ?nt ete reveles aux serviteurs de Dieu 10rsqu'iIs etalent non pomt au sem des foules agitees mais tout seuls »11. Que!s sont donc les exemples vetero-testamentaires preferes par nos auteurs ? D'abord, s'impose l'exemple d'Elie, auquel se refere GrimIaic et qui surtout, au XIn e siecle, fut directement a l'origine de la creation de l'ordre mendiant des Carmelites (I Sam 19). Quant a Odon de Cluny, il comparait saint Benoit a Moise: « Moise se~on Ie plan di;in,. s'impose par son rayonnement tranquille; avan~ 1m, certes, fleurlssalent en abondance l'usage des ceremonies sacrifici~lles et l~~ rites de !a circoncision; c'est lui qui toutefois, specialement, les mtrodmslt. De meme, les autres Peres ne sauraient porter prejudice a notre tres sa,int Legislateur, quand ils instituerent pour leur part les offices de la Salnte RegIe ... Un privilege leur (a Moise et a saint Benoit) est commun : l',un co~~ l'autre, ils furent des legislateurs. Le premier persuada les trlbus gemtssantes des Hebreux de quitter l'Egypte' Ie second detacha du peuple jouisseur des foules nombreuses les arr;cha aux tenebres naturelles des desirs de la chair et les introdtrlsit sous sa ~onduite, dans, la ~erre des vivants. Le premier separa la Me: Rouge; 1 ~u~e fit, apres Plerre, et par un miracle inou!, marcher l'un de ses disclples sur les eaux... Le premier sur les sols brUles du desert fit jailIir l:eau de la pierre pour etancher la soif du peuple; l'autre 'tira de la secheresse du rocher la fontaine des coutumes monastiques qui aujourd'hui, coule en un fleuve ... »12. ' , . ~e chapitre 80 des Coutumes de Guigues de Chartreuse est par~cu?ere?;en~ ric~e d'enseignements : il y est fait allusion a Elie (§ 6), runSl qu a blen d autres figures, dont l'histoire sert a valoriser la solitude : <~ ~nsi s'e~pliq~e ... qu'Is~ac sorte tout seul dans les champs pour mediter - fait qu 11 faut crOlre habitue! chez lui et non fortuit _ (~en. 24, 63), que Jacob, ayant fait passer (Ie torrent) a tous les Slens, reste seul, voie Dieu face a face (Gen. 32, 24-3 0 ), soit comble de bonheur grace a la benediction (qu'il re~oit) en meme temps que par .le changement en mieux de son nom : il a obtenu davantage, en un mstant, etant seul, que pendant toute une vie (passee) en la compaII. Coutumes de Chartreuse, chap. 80, § 4. 12. R. OURSEL, Les saints abbes de C1u'V', Namur,
1960,
pp. 76 -77.
gnie (des hommes). Moise aussi, Elie et Elisee, l'Ecriture atteste combien ils aiment la solitude ou combien, grace a elle, ils grandissent dans la connaissance des secrets divins, et de quelle fac;on, au lieu d'etre continuellement en danger parmi les hommes, ils sont visites par Dieu lorsqu'ils sont seuls. Jeremie quant a lui ... est assis seul, penetre qu'il est de la crainte de Dieu, et il demande que de l'eau soit versee sur sa tete, une fontaine de larmes (placee) dans ses yeux, pour pleurer les tues que son peuple a perdus (Jer. 15,17 et 8,23); il reclame aussi un endroit ou il puisse s'adonner plus librement a ce devoir si sacre et dit : 'Qui me donnera un gite d'etape au desert?' (Jer. 9, 1) comme s'il n'avait pas loisir de Ie faire etant en ville: et de la sorte il revele a quel point (la presence de) ses compagnons tarit en lui Ie don des larmes. Bien plus, ayant dit : 'll est bon d'attendre dans Ie silence Ie salut de Dieu' (Lam. 3,26) - affaire que favorise au maximum la solitude - , et ayant ajoute : 'll est bon pour l'homme de porter Ie joug des sa jeunesse' (Lam. 3, 27) - par quoi il nous console Ie plus, nous qui presque tous avons embrasse ce genre de vie depuis l'adolescence - et il ajoute ceci : 'll sera assis solitaire et se taira parce qu'il s'eleve au-dessus de soi-meme' (Lam. 3,28) : par la, il veut dire que grace au repos contemplatif et a la solitude, au silence et au desir ardent des biens d'en haut (Hebr. II, 16; Col. 3,2), presque tous les details de notre institution sont les meilleurs (qui soient). Que!s sont les fruits de cette application (au repos contemplatif), il Ie re!eve ensuite en dis ant : 'll tendra la joue a qui Ie frappe, il se rassasiera d'affronts' (Lam. 3,30) ... » Cette longue citation merite quelques reflexions : Guigues, par les exemples qu'il choisit, cherche a montrer la valeur de la solitude comme source de bienfaits. Les remarques qu'il fait a propos des Lamentations (3,27 et 28) sont pleines d'enseignements car elles semblent lui permettre de justifier certains aspects de la vie cartusienne : precocite de la vocation a la vie solitaire, qui contredit l'enseignement de saint Benoit, et en finale : « Par la il veut dire... que presque tous les details de notre institution sont les meiIleurs qui soient. » En d'autres termes, nous en revenons une fois de plus a cette conclusion : la Bible, par la variete de ses livres, parait avoir moins ete une source d'influence qu'un reservoir capable de fournir une citation pour justifier telle ou telle coutume. Un auteur anonyme du xn e siecle compara les Cisterciens aux prophetes qui s'etaient refugies dans des grottes et qui etaient secourus par Abdias, ministre du roi Achab; et il ajoute : « Regardons combien l'histoire ancienne est proche de notre temps au cours duquel ce qui arrive est sinon identique, du moins comparable. En effet, de notre temps, ceux qui ont des preoccupations secuIieres envoient des serviteurs de Dieu dans les endroits les plus caches et les plus eloignes de leurs terres, afin qu'ils rachetent leurs peches par l'effusion de leurs
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prieres »13. lci encore, l'auteur cherche a etablir des rapprochements entre Ie passe et Ie present. Quant a Pierre Damien, il emaille son discours concernant les novices de citations vetero-testamentaires a propos du jefule; Moise jefule sur Ie Sinai « de crainte de desirer s'asseoir avec les autres Israelites sur des marmites de viande. Les fils de prophetes, afin de ne detester aucune sorte de legume, ne refusent pas de decouper des coloquintes tres ameres dans leur marmite »14. Dans l' Ancien Testament, les references relatives au desert res:oivent donc un traitement de choix a l'interieur des reuvres monastiques, conclusion qui n'a en soi rien d'etonnant, mais a laquelle on peut donner un relief particulier si l'on constate que les exemples vetero-testamentaires sont particulierement nombreux dans les ecrits anterieurs au xn e siecle; rappelons tout specialement Grimlaic et les Coutumes de Chartreuse. Ces auteurs deja, tout en utilisant l'Ancien Testament, valorisaient Ie Nouveau. Mais, cette valorisation apparait plus clairement encore a partir du xu e siecle; avec deux centres d'interet : les Apotres - qui etaient deja Ie modele propose par Augustin dans l'Ordo Monasterii et qui deviennent a leur tour Ie modele des Premontres, puis Ie Christ lui-meme, dont l'imitation sous-tend l'esprit de la RegIe franciscaine. Certes, ces themes ne sont pas nouveaux : il suffit a cet egard de rappeler que Jean Cassien accordait a la vie cenobitique des origines apostoliques, que la RegIe de saint Benoit presentait la vie monastique comme un service militaire sous les ordres du Christ15• Ce qui est donc nouveau au xn e siecle, ce n'est pas l'apparition de ces modeles, mais la frequence de leur utilisation. Le modele apostolique, c'est celui de la primitive Eglise, telle qu'elle nous est decrite a travers les Actes des Apotres, avec quelques versets que les auteurs monastiques ont tout specialement affectionnes : « Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux, tout etait commun» (Actes 4, 32). « TIs se montraient assidus a l'enseignement des Apotres, fideles a la communion fraternelle, a la fraction du pain et aux prieres » (Actes 2,42). La formule de profession a Premontre etait la suivante : « ... selon l'Evangile du Christ, selon l'institution apostolique et selon la regIe canoniale du bienheureux Augustin »16. C'est donc ainsi la communaute de vie dans la pauvrete et Ie travail, la priere liturgique, l'assiduite a la Parole de Dieu et la charite qui deviennent les points forts de la spiritualite des Premontres. Ne pourrait-on ajouter que la 13· De diver.!i.! ordinibu.! Eccle.!iae (PL, 2I}, 823). 14· De perfectione monachi, XITI (PL, I4f, 32.2.).
15· Art. « Monachisme », DSp,!J, col. 1551-1553. 16. ADAM DE PRIDWNTRE, PL, I!J8, 479.
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devotion de ces derniers a l'egard de la Vierge est aussi une consequence de ce retour aux sources apostoliques, puis que Marie fut la compagne des Apotres dans Ie cenacle ? . L'imitation de la vie apostolique avait deja ete prop~see par sam~ Augustin : « Personne ne revendiquera rien comme son blen propre, r:'-1 un vetement ni aucun objet, car nous choisissons de mener la Vle apostolique » (Ordo Monasterii, 4). .ru.nsi s'~xplique la r~utilisa~on _ parfois delicate aen juger par les premlereS ~cultes de Premontr~ de cette regIe canoniale a partir des Xle et xne slecles, et, pour termmer l'usage qu'en fit saint Dominique, qui reprit aussi les Coutumes de Premontre17 • Mais la spiritualite apostolique des Premontre~ se double deja d'une devotion toute speciale pour la personne du ChrlSt : tendresse pour la creche et la fete de Noel, amour des Lieux saints, ainsi que Ie p~ouvent 18 certains noms de monasteres : Sainte-Croix, Bethleem, Mont-SlOn... • Quant au Prologue de la RegIe de saint E.tienne de Gran~ont, il nous mene vers l'Evangile : « ... La RegIe du Bleru:eure~ Basile, la ~egle du Bienheureux Augustin ... ne sont pas la racme mats la fro.ndalson; la RegIe des Regles, premiere et principale pour Ie salut <:t la f?l, est en ;ffet unique; d'elle derivent toutes les autres comme de petlts rulsseaux d une unique fontaine, c'est-a-dire Ie Saint Evangile conf1.e par Ie Sauveur aux Apotres ... »19. Ces remarques nous conduisent tout naturellement vers la spiritualite franciscaine. . . Frans:ois d' Assise en effet declarait : « Perso~e n~ me dit ce que devais faire. Dieu lui-meme me revela que je devats Vlvre en conformlte avec l'Evangile ... Je ne veux pas entendre. parler d'~e autre ~egle (quAe celle revelee par Dieu), qu'elle soit de satn~ Augus~, ~e samt Benolt ou de saint Bernard »20. L'exorde de la RegIe franclscame commence par ces mots : « Au nom du Seigneur, commence la vie des Freres Mineurs. La RegIe et la vie des Frer~s Mineurs ~ons.istent a obser;rer Ie saint Evangile de N.-S. J.-c. en Vlvant dans lobeissance, sans. rlen avoir en propre et dans la chastete. » Puis: « Tous les freres s'applique: ront a suivre l'humilite et la pauvrete de N.-S. J.-c. »21. En ~e qw concerne Ie jefule, saint Frans:ois se refere a~ verset evangelique : « Quand vous jeftnez, ne vous donne~ pas un ~r sombre co~e font les hypocrites ... » (Mat. 6, 16). TI auratt voulu f~e respecter a la lett~e Ie precepte evangelique : « Vous avez res:u gratUltement, do~ez gratUltement. Ne vous procurez ni or, ni argent, ni menue monnate pour vos
Y:
17. P. MANDONNET, Saint Dominique, I'idee, I'homme et I'auvre, Paris, 193 8, t. I, pp. 51-P' 18. F. PETIT, op. cit., pp. 89-9 2 • 19· PL, 20 4, 1I36. l de F' 20. L. HARDICK, J. TERSCHLUSSEN, K. ESSER, trad. J.-M. GENVO, La Reg e .! reN.! Mineur.!, etude historique ef spirituelle, Paris, 1961, pp. 22-23· 21. Ibid., pp. 1I2 et 1I8.
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ceintures, ni besaces pour la route, ni deux tuniques, ni chaussures, ni batons; car l'ouvrier merite sa nourriture» (Mat. 10, 9-II). Frans:ois interdisait donc a ses freres de recevoir « en aucune maniere or ou argent» et citait, a l'appui de son propos, dans la premiere regIe, « heureux les pauvres en esprit» (Mat. 5, 3) et : « n est plus facile a un chameau de passer par Ie trou d'une aiguille qu'a un riche d'entrer dans Ie Royaume des cieux» (Marc 10, 24). Cependant, pour justifier Ie fait que les Franciscains devaient gagner leur pain quotidien meme en Ie mendiant, saint Frans:ois faisait reference au Psaume 127, 2 : « Du labeur de tes mains, tu profiteras ... » Nous avons donc ici un exemple tres elair d'une pensee entierement centree sur la personne du Christ. Mais cette valorisation de l'esprit evangelique n'allait pas sans difficultes, a partir du moment OU l'on s'effors:ait de respecter non seulement l'esprit de l'Evangile mais aussi la lettre. On se rappelle les problemes qu'avaient rencontres les Premontres en cherchant aappliquer de fas:on trop litterale l'Ordo Monasterii: nous allons retrouver ici des difficultes similaires. C'est ainsi par exemple que les novices francis cains avaient droit a deux tuniques et a un chaperon, tandis que les profes ne pouvaient obtenir q~'une tunique a c~use du fameux precepte : « Ne mettez pas deux turuques. » Un chapltre general finit par tolerer une deuxieme tunique et permit aussi aux freres d'emporter des livres malgre la recommandation evangelique : « N'emportez rien pour votre route. » De la meme maniere, l'interdiction de porter des chaussures, pour se conformer a l'ordre : « Allez chausses de sandales » (Marc 6, 9), dut etre rapportee, et, dans la regIe definitive, les chaussures furent permises en cas de necessite22 • A l'issue de ce tour d'horizon, trois remarques s'imposent. Les auteurs monastiques ont privilegie les grandes figures du Desert de l'Ancien Testament, Ie Christ et la communaute apostolique. Rien d' etonnant dans ce choix de modeles destines a eelairer des hommes viv~t isoles ou en communautes, mais ayant en tout cas rompu avec Ie sleele. Seule, peut-etre, pourrait sembler deconcertante la tres faible audience accordee a Abraham, qui pourtant lui aussi traversa Ie desert pour repondre a l'appel de Dieu. Plus interessante sans doute est la repartition diachronique de ces themes : les heros de l'Ancien Testament sont surtout evoques avant Ie xn e siecle par des auteurs valorisant la solitude: Grimlaic, Chartreux ... alors que les. references evangeliques et apostoliques se multiplient surtout a partlr de ce moment dans les communautes de chanoines puis 22 •. Ce~ remarques concernant Ia RegIe franciscaine proviennent de L. HARDICK, en part1culier pp. 31, 42, 127,133,142,145 ...
op. cit.,
dans les couvents franciscains. N'y aurait-il pas ici quelques rapprochements a rappeler : ce passage de l'Ancien au Nouveau Testament n'evoque-t-il pas l'humanisation et la plus grande douceur qui gagnent alors l'art gothique? Surtout, dans un monde qui s'enrichissait, la pauvrete devenait vertu, signe d'effort et de renoncement, telle que la presente Ie Nouveau Testament, alors que dans l' Ancien, la pauvrete est souvent signe de malediction. Enfin, surgit une derniere ambiguite : les references bibliques orientent la spiritualite d'une famille monastique, mais influencent-elles vraiment la vie quotidienne? Nous avons deja vu les difficultes rencontrees par les Franciscains en ce domaine et il faut donc maintenant examiner de plus pres cette question. Mener une enquete sur la vie quotidienne dans les monasteres suppose, en bonne logique, que l'on utilise les coutumiers. Or, a cet egard, ceux-ci se revelent quelque peu decevants. n semble en effet souvent difficile d'y deceler une presence biblique tres nette, en dehors, bien sur, de la description de l'office. Ces textes qui reglementent la vie de tous les jours vont a l'essentiel : un tableau minutieux des details pratiques, sans trop se soucier de commentaires ou d'explications. En revanche, dans certains traites monastiques, composes comme de veritables reuvres litteraires, on peut trouver une reflexion approfondie sur les coutumes monastiques, a grand renfort de citations bibliques. N'en prenons pour exemple que Ie livre d'Adam de Premontre : De ordine et habitu canonicorum praemontensium, OU I'auteur, dans Ie chapitre concernant les vetements, cite 36 fois la Bible, puis a nouveau 14 fois dans un chapitre sur Ie symbolisme du vetement blanc. La lecture de ce genre de texte va nous guider en trois domaines : d'abord, l'etude des lectures monastiques, puis ceUe de la vie materieUe et enfin de la vie religieuse. QueUe est donc, dans un monastere, la place de la Bible, en tant que lecture, a l' office et en dehors de celui-ci ? Voyons par exemple ce qui se passait a Cluny, OU la duree de I'office finit par occuper une grande partie de Ia journee des religieux. La lecture de la Genese etait commencee aux Nocturnes de Ia Septuagesime et on l'achevait dans Ia semaine. A Ia Sexagesime, on lisait I'Exode, a l'eglise comme au refectoire; Ies huit premiers livres de I'Ancien Testament etaient acheves avant Ie Careme. A ce sujet, il etait precise, au xm e sieele, dans Ie monastere de Marchiennes : « On commence la Genese et Ies autres livres de Moise, Josue, Ies Juges ... Le chantre doit veiller a ce qu'ils soient Ius pour Ia Passion et, au besoin, on laissera toute autre lecture de cote parce qu'eUes ne sont pas aussi utiles a ecouter que la
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sainte Ecriture de la Bible »23. Pendant la semaine de la Passion jusqu'au Jeudi saint, on lisait les Propheties de Jeremie. Dans l'Octave de Piques, on lisait les Actes des Apotres, les deux semaines suivantes l'Apocalypse et les Epitres des Apotres. Puis, venaient les Livres des Rois, de Salomon, de Job, de Tobie, de Judith, d'Esther, d'Esdras et des Maccabees. Du Ier au I I novembre, on retrouvait de longues lec;ons aux Nocturnes avec les Propheties d'Ezechlel, puis les Propheties de Daniel et les douze petits prophetes. De l'Avent a Noel, on lisait Isaie, et, a partir du dimanche qui suit les SaintsInnocents (28 decembre), les Epitres de saint Paul. L'Epitre aux Romains se lisait en deux nuits. Ces lectures bibliques etaient accompagnees d'un ensemble de textes patristiques. C'est ainsi que les Clunisiens ne se contenterent pas de tirer les lec;ons des Vigiles de l'Ancien ou du Nouveau Testament, comme Ie recommandait saint Benoit, mais ils choisirent de preference des ecrits des Peres. Pendant les Nocturnes de Careme, on lisait Ie Commentaire de saint Augustin sur les Psaumes. Entre la Saint-Martin et l'Avent on lisait entre autres quelques homelies de saint Gregoire Ie Grand sur Ezechiel, pendant l'Avent, les Epitres du Pape saint Leon sur l'Incarnation, quelques sermons, surtout de saint Augustin. Si l'on avait fini les Epitres de saint Paul avant la Septuagesime, on lisait Ie Commentaire ou Exposition de saint Jean Chrysostome sur l'Epitre aux Hebreux24• En dehors de l'office, Ie moine lisait la Bible. Pour ce faire, Hildemar recommandait soit de lire avec Ie maitre d'ecole, soit de lire au cloitre25• Selon Guillaume Firmat, l'arbre de la Sagesse, plante des l'origine au milieu de 1'Ecien, s'eleve de nouveau dans Ie paradis du cloitre. Le travail du moine, nouvel Adam, est de se mettre en possession de la Sagesse et de ses fruits; il lui faut recourir au stratageme qu'utilisa Jacob pour s'enrichir et accroitre son troupeau. Les baguettes placees dans les rigoles symbolisent les secours spirituels de toute espece que renferme l' armarium monastique. Les brebis qui viennent boire sont la figure des religieux qui s'abreuvent aux saintes Ecritures 26• Les Coutumes de Farfa, qui correspondent a l'observance de Cluny au xr e siecle, nous donnent la liste des livres distribues au debut du Careme. Cette liste comprend 64 titres, dont Ie Livre des Rois, deux psautiers et les Epitres de saint Paul. Sur un role de 1252 s'y ajoutent Ie Uvitique, les Proverbes, Ie Cantique des Cantiques,« plusieurs autres », deux psautiers, quatre livres gloses : les Paralipomenes, saint Marc, les
23. C. A.,«Leslectures de table des moines de Marchiennes au XlII e siecie », dans RB, II, 18 94, p. 31· 24. Toute cette description provient d'Udalricb, a travers de VALOUS [II5], pp. 333-334· 25. Cite par Dom E. MARTENE, De antiquis monachorum ritihus, I, VII, Lyon, 1690, p. 78. 26. Dom G. MORIN,« Un traite inedit de saint Guillaume Firmat », RB, JI, 1914, p. 24 8.
Epitres de saint Paul et une Bible versifiee. Le catalogue de l'abbe Hugues III comprend environ 570 volumes, dont : une Bible « antique », une deuxieme qui fut a saint Maieul, un recueil de lectures des deux testaments, une grande bible en trois volumes, un Heptateuque, un volume des Prophetes, un deuxieme, la seconde partie du Nouveau Testament, avec des lec;ons pour les communs et pour 1'Avent... En fait, la Bible etait surtout lue au chreur; les livres de la bibliotheque ne representent qu'une reserve de volumes inemployes, pouvant servir a des fins de lectures privees. Notons d'ailleurs que la lecture se poursuivait au-dela du Careme, jusqu'au Careme suivant, pour meubler les heures consacrees a la lectio, heures forcement reduites par suite du developpement de l'office27• Terminons ce tour d'horizon des bibliotheques medievales par quelques informations : a Ratisbonne, en 1347, la bibliotheque des Franciscains comprenait 29 numeros bibliques sur un total de 86, celIe des Dominicains de la meme ville 49 sur 224. La bibliotheque d' Avignon en 1375, plus de 200 (sans compter 18 concordances) sur I 677, celIe de la Sorbonne en 1338, 334 (plus de 19 concordances) sur I 722, enfin celle de Saint-Augustin de Cantorbery en 1491, 286 sur I 83728 • La Bible, lue et meditee quotidiennement, inspire-t-elle concretement la vie de chaque jour? Si Ie verset evangelique : « Va, vends ce que tu as ... », permet de justifier la vocation d'un adulte, les auteurs monastiques ont dll rechercher des citations plus appropriees pour justifier la pratique de l'oblature, a l'aide en particulier de Lam. 3, 27:« II est bon pour 1'homme de porter Ie joug des sa jeunesse », et de Matthieu 19, 24: « Laissez venir a moi les petits enfants »29. Quant aux grands de ce monde en vi site au monastere, il fallait les ttaiter avec respect; et Hildemar declare a ce sujet : « Nous devons saluer les rois, les eveques et les abbes en nous prosternant a terre a cause de l'exemple du prophete Nathan qui se prosterna pour saluer Ie roi David »30. N'a-t-on pas ici Ie sentiment qu'Hildemar, par ce recours a la Bible, excuse une attitude que d'aucuns pouvaient juger trop deferente ? Le silence pese sur Ie monde monastique, tout specialement sur la nuit; apres Complies, les moines recitent ce verset du Psaume 140 : « Etablis Yahve une garde a ma bouche et veille sur la porte de mes levres. » Le silence nocturne ne se termine qu'avec l'office du matin 27. Dom A. WILMART, « Le convent et la bibliotheque de Cluny vers Ie milieu siecie», RetJue Mabillon, II, 1921, pp. 95-98 et n. 2, p. 96. 28. J. de GHELLINCK,« En marge des catalogues des bibliotheques medievales », Melanges F. Ehrle, Rome, 1924, t. V, p. 340. 29. V ALOUS [II 5], I, p. 40, n. 1. 30. Ibid., p. 168; PL, 66, col. 757, Regula commentata, c. 53. du
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et Ie verset du Psaume 50 : « Seigneur, ouvre mes levres, et rna bouche publiera ta louange »31. Parmi les questions materielles qui se posaient aux moines, deux meritent tout particulierement de retenir notre attention : Ie vetement et les repas. Aux debuts du monachisme, les moines de saint Pacome ont porte des vetements blancs, symboles de l'innocence. A partir de la fin du VIne siecle, se repandit la coutume de considerer Ie noir comme la teinte monastique par excellence32• Les Cisterciens puis les Premontres ont relance Ie debat avec une vigueur tres remarquable, qui nous vaut un bel echantillonnage d'argumentations bibliques. Pierre Ie Venerable repro chait a Bernard de Clairvaux d'adopter Ie blanc, couleur de la joie et de la solennite33, comme on Ie voit par exemple au moment de l' Ascension. Au-dela des arguments tires de la Bible, on peut constater que la laine blanche est plus courante et moins chere que la laine teinte, et que, precisement, la RegIe de saint Benoit prescrivait de n'utiliser que des etofl"es communes et a bas prix34• Le debat repartit de plus belle avec les Premontres. Relisons d'abord la Vie de saint Norbert qui proclamait que les anges de la Resurrection etaient vetus de blanc, que la laine etait Ie tissu des penitents dans l' Ancien Testament et que Ie lin etait reserve a l'office dans Ie sanctuaire35 • Cette argumentation est reprise par Adam de Premontre qui s'appuie sur Ezechiel: « Quant aux pretres de Sadoq, ... ce sont eux qui entreront dans mon sanctuaire... Lorsqu'ils franchiront les porches du parvis interieur, ils revetiront des habits de lin; ils ne porteront pas de laine sur eux quand ils serviront aux porches du parvis interieur » (Ez. 44, 15-17)36. Le meme auteur avait commence a preciser :« Qu'on ne doive pas trouver chez nous Ie luxe du vetement, Ie Seigneur Ie fait bien voir quand il dit que ceux qui sont vetus mollement demeurent dans les palais des rois » (Mat. II, 8). Philippe de Harvengt enseignait que les chanoines ont abandonne les vetements de lin moelleux et se sont vetus de laine blanche, afin de precher la grace du pardon, laquelle est signifiee par cette couleur, alors que Ie Seigneur declare : « Si vos peches ont ete rouges comme la vermine, ils seront blancs comme la laine» (Is. 14). Le blanc, couleur du pardon, est aussi celle de la joie, de l'esperance placee en la vie future. Ce symbolisme s'appuie sur plusieurs allusions evangeliques : la Transfiguration (Mat. 17), l'Ange de la Resurrection (Marc, 16)37. 31. VALQUS [1I51, I, p. 79. 32 • Ibid., p. 238.
B. PIERRE LE VENERABLE, Ep. 28, PL, I89, II7. 34. J.-B. MAHN, L'ordre cistercien et son gouvernement, Paris, 1945, pp. 34 et 46. 35· Vita Norberti, c. 9 (PL, Ilo, 1293)' 3 6. ADAM DE PIlliMONTRE, De ordine ... (PL, I98, 465-466). 37. Ph. de HARVENGT, De Continentia Clericorum, c. 126 (PL, 20J, 838-840).
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A travers ces exemples, on voit que la Bible permet de justifier l'utilisation de la laine aussi bien que du lin selon les circonstances. La encore, nous pouvons dire que la Bible justifie les coutumes plus qu'elle ne les inspire. Vne meme constatation s'impose a propos des repas. On sait les hes~tations monastiques concernant l'usage du Yin. Interdite par Pacome, Basile et Athanase, cette boisson fut toleree par Antoine, Martin, Ferreol, Fructueux et cesaire d'Arles, et enfin admise sans reticence par Benoit d'Aniane et les Peres du CondIe d'Aix38. Sur ce theme, les seules Epitres de saint Paul pouvaient fournir des arguments aux deux camps; l' Apotre en efl"et declare aux Ephesiens : « Ne vous enivrez pas, car dans Ie yin est la luxure» (5, 18), tandis qu'il conseille a Timothee de ne pas boire d'eau mais un peu de yin a cause de son estomac et de ses frequentes indispositions (I Tim. 5, 23). L'usage de la viande a lui aussi ete sujet a discussions. Selon certains auteurs, les oiseaux partidperaient a la nature des poissons car ils ont ete crees Ie meme jour qu'eux39• La Bible, on s'en doute, influence la vie religieuse du monastere : priere, offices, attitude a adopter face aux infractions ... La signification des heures monastiques elles-memes est en etroites relations avec Ie texte sacre. Comment ne pas evoquer id Ie texte d'Adam de Premontre40 ? Le Christ est ne pendant la nuit; sa venue a ete annoncee aux bergers a ce moment. C'est aussi l'heure a laquelle il pria, l'heure OU il fut arrete avec des lanternes, des armes, des glaives ... C'est l'heure OU il ressuscita, l'heure egalement OU il fut conduit a Anne puis a Caiphe, OU on lui cracha a la figure ... Le matin, il fut amene au pretoire de Caiphe, puis a Ponce Pilate auquel il fut livre. Le matin aussi, il fut raille; toujours Ie matin, il apparut a Marie-Madeleine pres du tombeau, il se tint sur Ie rivage, parlant a sept disciples qui etaient sur un navire. C'est alars qu'illeur ordonna de jeter Ie filet a droite et leur fit faire une peche miraculeuse. A tierce, il fut crucifie, flagelle par Pilate, couronne d'epines par les soldats; a tierce, vetu d'ecarlate, il fut adore par derision. A sexte, a la fois pretre et hostie, il fut eleve sur Ie bois de la Croix. A none, il mourut ... Ces lignes nous renseignent a la fois sur la capacite de meditation d'un lettre, qui cherche a penetrer Ie sens profond de la vie quotidienne, et en meme temps sur les limites de ce symbolisme christologique. n y a fort a parier en efl"et que cette reflexion subtile n'efHeurait guere Ie moine vivant au jour Ie jour sa vocation au fond d'un monastere. 38. V ALOUS [1151, I, p. 258. 39· VALOUS [1151, I, p. 178, 5" jour: Gen. 1,20-21. 4 0 • ADAM DE PIlliMONTRE, De ordine .•• (PL, I98, 526 sq.).
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Les Reglcs ct Coutumicrs
Vivrc la Biblc
La vie du Christ rythme la liturgie; c'est ainsi que l'abbe, a Premontre, doit bemr les cierges pour la Purification de la Vierge, des cendres a l'entree du Careme, des Rameaux a la Passion, du feu et de l'encens au samedi de Paques 41. Plus interessant pour nous encore est Ie fait que certains ordres religieux valorisent telle ou telle fete. Ainsi, les Premontres et la fete de Paques : pendant Ie temps pascal, on reprend toute la semaine, sauf Ie samedi, la messe du dimanche« en l'honneur de la sainte resurrection ». Celle-ci est commemoree a toutes les messes conventuelles. Meme aux fetes des saints, l'un des deux versets d'alleluia sera de la Resurrection... 42 . A Fulda, des 8 I 2, une procession en l'honneur de la sainte Croix fut orgamsee43 • L'episode des Saintes Femmes au tombeau permet a Zacharie de Besan~on, au xue siecle, d'etablir Ie commentaire suivant : « Les Saintes Femmes ne se sont pas prosternees; elles ont seulement incline Ie visage. Aussila coutume s'est-elle etablie dans l'Eglise que ... tous les dimanches et tout Ie temps de la quinquagesime, nous prions sans flechir les genoux, mais inclinant Ie visage vers la terre }}44. L'explication des chatiments a infliger aux moines fautifs se trouve, elle aussi, dans la Bible. Le nombre des coups ne depasse pas Ie chiffre de 39 : il s'agit d'une mesure juive appliquee par cinq fois a l'Apotre par ses compatriotes (II Cor. II, 24); et ce, afin de ne pas violer la Loi qui prescrivait de ne pas alier au-dela de quarante (Deut. 25, 3). On a la un exemple interessant de prescription vetero-testamentaire dont l'usage s'est poursuivi parce qu'il figurait aussi dans Ie Nouveau Testament45 • Saint Bernard reprochait a Pierre Ie Venerable de recevoir un moine fugitif apres une troisieme rechute, contrairement a la RegIe de saint Benoit. Ce a quoi Pierre Ie Venerable repondit que Ie Christ avait pardonne a Pierre qui l'avait reme trois fois et que Ie juste lui-meme etait tombe sept fois (prov. 24, 16 et Mat. 18, 21)46. Pour Pierre Damien, la flagellation volontaire est une fa~on de se conformer a la sentence de l' Apotre : « Je chatie mon corps et Ie reduis en servitude. » C'est une forme de martyre a endurer pour Ie Christ qui s'est livre lui-meme au supplice47 • Quelle est done en definitive la place de la Bible a l'interieur des abbayes? 41. P.-F. LEFEVRE, Les Statuts de Prtimontrti riformtis sur les ordres de Gregoire IX... , Louvain, 1946, p. 41. 42. F. PETIT, op. cit., p. 89. 43. Dom U. BERLIERE, op. cit., p. 238. 44. In unum ex quatuor, liber quartus, c. 173 (PL, I86, 59 2 ). 45. VALOUS [lI51, I, p. 219. 46. PIERRE LE VENERABLE, Ep. 28 (PL, I89, 127). 47. PIERRE DAMIEN,
Ep.
27
(PL, I44, 416).
D'un cote, on peut affirmer qu'il y a omnipresence du Livre saint:
a 1a bibliotheque, a l'office, aI'heure de la lcctio ...
D'un autre cote, face a cette certitude, surgit une question. La Bible, peut-etre d'ailleurs en raison de sa diversite, ne semble guere avoir joue Ie role d'un moule rigide ayant fa~onne Ie monde monastique. Ne parait-elle pas plutot avoir fourm des temoignages pour justifier les coutumes alimentaires et vestimentaires les plus variees? La encore, nous constatons avec quelle liberte les auteurs ont utilise les citations scripturaires.
Au total, la Bible apparait bien comme formant l'univers familier du moine; i1 suffit pour s'en convaincre de rappeler les nombreuses citations bibliques qui emaillent les regles monastiques, de songer aux modeles : Moise, Elie, les Apotres ... proposes aux moines, de penser aux coutumes de la vie quotidienne qui trouvent dans la Bible leur explication. Le moine est bien l'homme de la Bible. Le Livre saint est la grande reference spirituelle et litteraire de nos auteurs. Univers familier, certes ! Mais aussi, univers inegalement explore. En ce domaine, l'inegalite de traitement entre l'Ancien et Ie Nouveau Test~ment est particulierement frappante. On peut se demander s'il n'y auralt pas dans cette attitude un souci de se distinguer des juifs. Le commentaire d'Adam de Premontre sur les heures monastiques est eloquent a cet egard : les juifs, dit-il, avaient l'habitude de prier a tierce, sexte et none. A tierce, parce qu'ils pensaient que c'etait l'heure OU Moise avait re~u Ie Decalogue, a sexte, parce que Ie serpent d'airain fut eleve a ce moment, a none car l'eau jaillit alors du rocher dans Ie desert. « Mais, nous, nous savons de fa~on indubitable» que I'Eglise primitive re~ut Ie Saint-Esprit a tierce, que Ie Christ fut crucifie a sexte, qu'a none, un soldat lui per~a Ie cote d'une lance et qu'il en sortit du sang et de l'eau48 • Umvers familier, inegalement explore et, enfin, deforme. Le moine ne parait guere soumis a la Bible, il l'utilise plutot pour justifier une h~bitud~, un comportement, quitte a s'appuyer sur une citation scripturaue pnse en dehors de son contexte. Cette deformation est une consequence de la variete de la Bible, qui n'est pas moins grande que la diversite du monde monastique. Plutot que d'influence de la Bible sur les regles monastiques, il vaut mieux parler d'utilisation tres libre d'un reservoir de citations et de references. Marie-Christine CHARTIER. 48. ADAM DE PRfMONTRE, PL, I98, 527.
2
La Bible dans les Collections canoniques
Le terme meme de « Collection canonique » est equivoquel . Au sens strict de I'expression, il s'agit de recueils qui reunissent des textes normatifs afin de guider pasteurs et fideles dans I'observation des regles d'une discipline ecc1esiastique OU Ie Moyen Age englobait de vastes secteurs de Ia vie sociale (par exemple Ia juridiction, Ia vie familiale, Ia vie economique, Ies relations avec Ies autorites seculieres, etc.). Ces textes, dont Ie compilateur reste Ie plus souvent inconnu, sont fournis pour l' essentiel, a partir du lVe siec1e, par Ies decisions conciliaires (canons) et Ies prescriptions pontificales (decretales). Mais ils proviennent aussi de statuts episcopaux, de regles monastiques, d'incitations patristiques, de dispositions du droit seculier... et de passages de Ia Bible. Entendu dans cette acception stricte, Ies collections canoniques apparaissent au lVe siec1e et trouvent une sorte de couronnement dans Ie « Decret de Gratien » qui, vers 1140, constitue Ia Somme du droit canonique medieval. Aboutissement d'une longue histoire, nourri des collections des siec1es precedents, i1 marquera Ie terme de notre etude. Mais on ne saurait negliger d'autres recueils qui, bien que ne repondant pas a Ia definition que I'on vient de donner, ont, eux aussi, fourni des guides disciplinaires. Tout d'abord, avant I'apparition des collections de canons conciliaires et de decretales pontifica1es, de l'aube du lIe siec1e au debut du Iva des reuvres, qui fournissent Ies premieres indications sur Ia discipline ecc1e1.
Gerard
FRANSEN
[lIS].
Les collections canoniques
Vivre la Bible siastique, ou se melent catechese, enseignement moral, prescriptions liturgiques et regles disciplinaires. Premiers temoins d'une discipline naissante, elles meritent une attention speciale. Si les collections canoniques sont essentiellement des recueils de canons conciliaires et de decretales pontificales, on trouve dans certaines d'entre elles des apports personnels importants de l'auteur de la collection. Quelques-unes sont faites essentiellement de textes que leur auteur a cherche hors des sources legislatives habituelles, les lois conciliaires ou pontificales. C'est evidemment dans de tels recueils que la part de la Bible se reveIe particulierement importante. Aux difficultes provoquees par cette variete dans la nature des sources, s'en ajoutent d'autres, propres a notre enquete. L'une d'ordre materiel: relativement rares sont encore aujourd'hui les collections publiees; pour certaines les editions qui en ont ete faites sont loin d'etre satisfaisantes. II n'etait pas possible ici d'interroger la masse des collections qui res tent manus crites. L'absence d'une recension complete des manuscrits, leur dispersion entre les grands depots d'archives d'Europe, les difficultes de leur lecture, interdisaient de s'engager dans cette voie. Le nombre des collections publiees, leur diversite, leur echelonnement du VIe au xne siecle, l'ampleur de certaines d'entre elles permettent cependant de determiner d'une fas:on generale quels furent la place et l'usage des textes bibliques dans les collections canoniques. Vne autre difficulte tient au sens qu'il faut donner a cette « presence» de la Bible dans les collections canoniques. En effet, dans la mesure ou ces collections sont pour l'essentiel la reunion de textes normatifs de provenances diverses, c'est dans ces textes que la Bible est citee. Or il est evident que les auteurs des collections n'ont pas recueilli ces textes pour leur citation biblique, mais en raison de la regIe disciplinaire qu'ils posaient. L'interet du compilateur ne se portait pas sur les fragments bibliques. Et c'est cependant par eux que la Bible est Ie plus souvent mentionnee. On ne peut donc faire fi de ces citations. Elles constituent, Ie plus souvent involontairement, l'essentiel de la presence de la Bible dans les collections canoniques. En dehors de ces « citations par intermediaire », il arrive aussi que, dans leur apport personnel, les compilateurs alleguent la Bible. On est alors en presence d'un « emprunt direct )} des collections aUX sources scripturaires. II sera necessaire de bien distinguer ces deux formes d'emprunts. Enfin il faut distinguer les citations precises d'un texte biblique d'allusions a des faits que rapportaient les Livres saints. Celles-ci sont parfois si vagues qu'on hesite a y voir autre chose que Ie temoignage d'une certaine connaissance de l'histoire biblique. Sous Ie benefice de ces observations, il est possible d'engager une
enquete qui, en raison de la longue periode a envisager (ne-xne siecle) ne peut etre conduite que selon un plan chronologique. Celui-ci sera commande aussi bien par la diversite des societes dans lesquelles s'est poursuivie la vie de l'Eglise au cours de ces dix siecles, que par les transformations des mentalites, des exigences disciplinaires, des genres litteraires des collections. On est ainsi conduit a distinguer trois etapes : Les Collections de l'Eglise ancienne (ne_ve siecle). Le haut Moyen Age (VIe-xle siecle). Le Decret de Gratien (v. 1140).
LES COLLECTIONS DE L'EGLISE ANCIENNE
I
De bonne heure des livres « d'instruction )} se revelerent necessaires pour regler la vie des communautes locales, qu'il s'agisse du service liturgique, des exigences morales, de la discipline de la communaute. Diversite des preoccupations qui donne a ces premiers recueils un caractere composite. Dans la mesure ou ils traitent de questions disciplinaires (designation et autorite des ministres, obligations des fideles, reglement des litiges, sanction, etc.) ils interessent Ie canoniste. Ces recueils ne pouvaient emprunter a une « legislation )} encore inexistante ou pour Ie moins tres modeste. Leurs auteurs, Ie plus souvent inconnus, rappellent des usages qui font deja autorite, ajoutent parfois leurs propres conseils et souvent font appel a l'autorite des Ecritures. L' Ancien Testament, les Evangiles, les Epitres pauliniennes2 tiennent donc dans ces recueils une place importante. lIs constituent l'essentiel des « autorites » auxquelles on se refere. Ce lien etroit entre la discipline naissante et l'age apostolique est souligne par l'attribution, fallacieuse, de beaucoup de ces textes a l'autorite des Apotres. D'ou Ie nom de litterature « pseudo-apostolique », souvent donnee a ces collections. Leur histoire, leur date, leur lieu de redaction restent l'objet de debats dans lesquels nous ne nous engagerons pas ici3 • Nous retiendrons seulement quatre de ces reuvres, tres differentes d'esprit et qui accordent a la Bible une place tres inegale : la Didache ou Doctrine des douze Apotres, Ie Pasteur d'Hermas, la Tradition apostolique d'Hippolyte et la Didascalie4 • 2. Nous adopterons cette expression, qui repond aux attributions de nos collections, pour designer les epitres mises sous Ie nom de Paul, sans nous engager dans les debats de l'exegese contemporaine. 3. A. FAIVRE, « La documentation canonico-liturgique de l'Eglise ancienne», Relllle des sciences religiellses, t. 14 (1980),204-215; 273-295. 4. D'autres ecrits pourraient etre interroges : A. FAIVRE (<< Le texte grec de 'la Constitution ecclesiastique des Ap6tres' 16-20 et ses sources », Relllle des sciences religiellses, II, 1981,
Vivre la Bible La Didache o composee probablement en Syrie (en Egypte pour certains) dans la seconde moitie du Ier siecle fournit Ie plus ancien temoignage de recueil a la fois catechetique, liturgique et disciplinaire. La premiere partie, OU sont evoquees « les deux voies ... de la vie et de la mort» (chap. 1-6, I) expose une doctrine morale qui temoigne d'emprunts ala pensee judalque et d'influences esseniennes. Les emprunts a 1'AT y sont nombreux : 46 fragments sont repris a l'ancienne Loi. Et ce sont naturellement les preceptes du Decalogue qui occupent la premiere place. Le chapitre 2, 2-7 rappelle « les commandements de la doctrine» (qui sont autant de defenses) : ne pas tuer, ne pas commettre l'adultere, eviter pederastie, fornication, vol, magie, sorcellerie; ne pas provoquer d'avortement ni tuer Ie nouveau-ne, ne pas convoiter les biens du pro chain, etc. 6. Et c'est avecle Deuteronome (6,5), Ie Levitique (19,18), Tobie (4,15) que s'ouvre« la voie de la vie» : aimer Dieu et Ie pro chain et ne pas faire a autrui ce que l'on ne veut pas qu'il vous soit fait. Plus rares, les citations de l' AT dans la seconde partie de la Didache, qui concerne Ie culte et la liturgie (chap. 7-10). Cependant 1'« action de grace» (chap. 10) fait appel a Sagesse I, 14, Ecclesiastique 18, let 24,8. Les references neo-testamentaires 7 encore que moins bien representees ne sont pas absentes de ces deux premieres parties (;0 textes sur 50). La« Voie de vie », OU convergent tradition juive et inspiration chretienne, a une « section evangelique » (I, ;-5) qui evoque Matthieu (5, 26 et ;9-47), Luc (6,27-29), la premiere Epitre de Pierre (2, II). Le NT reparait dans la troisieme partie concernant les ministres et la vie de la communaute. Matthieu (10, 10), mais aussi les Epitres pauliniennes (I, Cor. 9, I;; I Tim. 5, 18) justifient Ie salaire des docteurs et des prophetes (I;, 1-2) et Matthieu (21,9) comme Ie Psaume 117, 26 fondent 1'hospitalite (12, I). La finale de la Didache (16) sur l'attente eschatologique fait appel a des citations proches de Matthieu et de Luc a cote de textes prophetiques8. Dans la Rome du milieu du lIe siecle, Ie Pasteur d'Hermas n'accorde 31-42) signale dans ce recueil, compose vcrs 300 « en Egypte ou peut-etre en Syrie », une large utilisation, d'ailleurs assez libre, des deux epitres a Timothee a propos des ministres ainsi que celle du Deuteronome 16, 18-19 et 17,9-13 (pour la fonction judiciaire). 5· Edition, avec introduction, traduction et notes par W. RORDORF et A. TUI~IER, dans la coll. « Sources chretiennes », nO 248 (1978) ou l'on trouvera (pp. 211-213) l'mdex des 46 citations de l'AT et des 50 references neo-testamentaires (dont 40 proches des evangiles de Matthieu (30), Marc (I) et Luc (9». 6. Cf.Exode20, 13-17; 21, 16; Deut. 5, 17-21; 18, lO;maissont aussi cites Tobie 14,10; Ps. 17,6; Provo 12,28; 14,27; 21,6; Ecc1esiastique 5,9 et 14; 6, I; Zacharie 5,3; 7, 10; 8,17· 7· La critique contemporaine s'accorde pour constater que la Didachi « ne connait pas encore les textes canoniques du NT» (RORDORF, op. cit., 84). Sur la tradition evangeIique dans Ia Didachi, cf. W. RORDORF, « La tradition apostolique dans la Didache », L' Annie canonique, XXIII (1979), 108-110. 8. Mat. ch. 24, V. 10-13; 24; 30-31; 42-44; Luc 12, 35; Joel 2, 2; Zacharie 13, 8 et 14, 5.
us collections canoniques
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aux souvenirs bibliques qu'une place plus limitee9. On a dit ~~ livre qu'il etait« une Apocalypse »10 et ill'est sans contest~ ~ans ses.« VIs~~ns ». Bien qu'ecrite en grec, l'reuvre est romaine. Elle se divise en cmq VlSlons, dOU2e Preceptes, dix Paraboles. Si elle ne fut pas composee d'un seul jet, la these d'auteurs multiples et d'un assez long echelonnement dans Ie tempsll n'est pas etablie12. Etudiant la langue d'Hermas (qui demeure pour nous un total inconnu), R. Joly la qualifie de « populaire a fortes couleurs bibliques du Nouveau Testament» et, dans son edition, il releve au cours des pages des reminiscences des livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. En fait la place faite a la Bible est limitee. Par son genre meme, Ie Pasteur n'est pas, meme dans les « Preceptes », une reuvre de caractere normatif13. n ne decrit pas la vie d'une communaute, et se propose encore moins d'en fixer la discipline. On ne saurait donc y chercher des appuis bibliques formels a des prescriptions jurid!ques. Sans doute les recours aux Ecritures ne sont pas totalement lnconnus du Pasteur. Lorsque Ie lVe Precepte (I, 6) qualifie d'adultere Ie remariage apres renvoi d'une epouse adultere, il se refere a Matthieu 5, ;2 et 19,9· Mais, Ie plus souvent, les references bibliques, parfois assez lib~es, sont tres formelles : reprises d'expressions telles que« s'ecarter du Dleu vivant »14,« baptise au nom du Seigneur »10; «faites la paix entre vous »16, « il vaudrait mieux pour eux n' etre pas nes »17, « Dieu qui a tout cree »18; «Ie mal devant Ie Seigneur»19. Ou bien il s'agit de formules d'invocation20 ou d'af!irmations tres generales21. Si l'on rencontre parfois des citations assez precises, mais po~ affirmer des principes tres generaux22, on releve plus souve~t ?es remlniscences verbales, qui temoignent d'une certaine culture biblique plus
9. Edition, avec introduction, traduction et notes par Robert JOLY, « Sources chret. », nO 53 bis (Ire ed. 1958,2" ed. 1968). 10. R. JOLY, op. cit., II. , I I. Developpee en particulier par St. GIET, Hermas et les Pastcurs, ParIS, PUF, 19 63. 12. Les conc1usions de GIET sont globalement repoussees par R. JOLY, « Hermas et Ie Pasteur », Vigiliae christianae, 1967, 201-218. . . . 13. D. HELLHOLM, Das Visionenbuch des Hermas als Apokalypse, I, 198o (Coruectanea blbhca, New Testament Series, 13, I). 14. Vision ill, 15,2 = Hebr. 3, 12. 15· Ibid., 3 = Actes 19,5· 16. Vis. III, 6, 3; 9, 2 et 10 et 12, 3 = I Thess. 5, 3· 17. Vis. IV, 23, 6 = Mat. 26, 24. 18. Prec. I, I = Eph. 3,9. 19. Prec. IV, 2, 2 = expression frequente dans Ie Livre d~s Juges (3, 12; 4, I; 10, ~ etc.). 20. Par exemple Vision I, 1,6 = Ps. 2,4; Gen. I, 28. VIS. II, 3, 4 = Ps. 58, 6. VIS. ill, 7, 3 et 4, 3 = Ps. 10 5, 3 et 86, 9· . 21. Par exemple Vision I, 1,9= Deut. 30, 3. VIS. I, 3,4= Actes 17, 24; Ps. 135,6; Is. 42, 5. Vis. IV, 2, 4 = Dan. 6, 23· • . .. 22. Par exempIe Precepte VII, I = Ecc1eslaste 12, 13 : « Crams Ie SeIgneur et garde ses commandements. »
Vivre la Bible que d'un recours a l'autorite des Ecritures 23, des references lointaines 24 ou des allusions 26• Dans « les Paraboles », ces allusions peu concluantes deviennent encore plus rares. Romaine aussi (bien que l'original, aujourd'hui perdu, ait ete redige en grec), la Tradition apostolique d'Hippolyte 26 presente un tout autre caractere et fait plus de place a la Bible. II s'agit d'un reglement ecclesiastique qui entend « rappeler la disciple et donner des directives »27. Des dispositions d'ordre liturgique s'y melent a des instructions plus specifiquement canoniques. Si l'on retient, avec une opinion repandue, que la Tradition est l'reuvre d'Hippolyte de Rome 28, on est conduit a la dater des premieres annees du me siecle. Les references bibliques n'en sont pas absentes, encore que l'on ne s'accorde pas sur leur liste29 • C'est qu'ici encore cette notion de« reference biblique » est equivoque. Bien souvent il s'agit de lointaines reminiscences formelles, plus rarement de citations precises d'un fragment du texte sacre30• On notera d'ailleurs que celles-ci se rencontrent tout specialement dans les parties liturgiques, en partieulier dans la priere du sacre episcopa131• Nous retiendrons comme dernier temoignage de cette litterature disciplinaire la Didascalie des Apatres 32• L'reuvre est orientale (Syrie) et date probablement du milieu du me siecle. L'appel aux textes bibliques y est important: 237 references 33 oul'AT figure avec 101 references 34• 23· Par exemple: Precepte XII, 2, 4 et 3,4, cf. Eph. 6, 13 et Ps. 18, 9. Parabole V, 57, 3; cf. I Rois 3, I I . 24· Exemple dans Precepte XII, 6, 3 = cf. Mat. 10, 28. 25· Comme celIe de« la tristesse)}, Precepte X, 2, I, cf. II Cor. 7, 10. 26. Edition avec introduction, traduction et notes par B. BaTTE, OSB, « Sources chret. )} nO I Ibis (2" M. 1968). ' 27· Darn BaTTE, op. cit., 25. 2~ •• En ce sens Dom BaTTE, op. cit. Une opinion differente a ete soutenue par Jean MAGNE, Tra~lllon aposlolique sur les charismes el diataxei.t des saints Apolres, Paris, 1975. La question est reprt~e par A. FAIVRE, « La documentation canonico-liturgique de 1'Eglise ancienne, Revue des SCIences religieuses, 1980, 279-286 qui ne retient pas l'attribution a Hippolyte. 29· L'edition d'Erik TIDNER (Didascaliae Apostolorum, canonum ecclesiasticorum, traditionis ap'ostolicae versiones latinae, Texte u. Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Ltte~a~ur, 75. Bd., 1963) fait etat de 10 references a l'AT, 16 aux Evangiles, 12 aux Epitres p~~ennes, 3 aux Actes des Ap6tres et 3 a d'autres ecrits du NT, soit au total 44 mentions btbliques. L'edition de Dom BaTTE (citeesupra) n'en retient que 15 dont 6 pour l'AT et 6 pour les Evangiles. 3°· Par exernple chap. 36 eliamsi... , fin; cf. Marc 16, 18. Chap. 28, cf. Mat. 5, 13. Chap. 41, cf. Mat. 25, 6 et 13, etc. 3 1. Chap. 3 (ed. BaTTE), cf. Ps. 50, 14; II2, 5-6; Dan. 13,42; Mat. 18, 18; Jean 20, 23; II Cor. I, 3. Voir aussi dans la priere sur Ie diacre (chap. 8) I Tim. 3, 13, ou celIe du chap. 26 (Ex. 3,4). . 32. Ed. F. X. FUNK, Didoscalia el constilutiones Apostolorum, Paderborn, 1905. La version latl11e est publiee par E. TIDNER, cite supra, n. 29. 33· Le releve de Tidner, op. cit., Index, pp. 178-181 (ou il faut deduire les references des ons eccles. et de la Tradition aposlolique). F. NAU (La Didoscalie, Paris, 1912) relevait 272 citattons, 162 de l'AT, 109 du NT (dont 71 de Matthieu). 34· Po~ Ie NT: Evangiles, 92; Epitres pauliniennes, 29; Actes des Ap6tres, 6; Apocalypse, I; dtvers, 8.
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Les collections canoniques
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A la difference des recueils que l'on vient d'analyser, la Didascalie cite tres souvent les termes memes de l'Ecriture et indique Ie livre dont ils sont tires 36• Certaines de ces citations sont d'une exceptionnelle longueur36• D'autres ne font pas reference a leur source et parfois Ie texte cite ne reproduit pas celui des Ecritures37 • Si certains de ces textes ont l'allure de declarations tres generales38, d'autres viennent appuyer des prescriptions disciplinaires 39 et parfois tendent a justifier l'autorite hierarchique. Ainsi lorsque les paroles du Christ aux soixante-douze disciples « qui vous ecoute m'ecoute ... » (Luc 10, 16) sont appliquees aux eveques (XVTII, 33-34).
L'apport des concHes et decretales
C'est au cours du rve siecle qu'avec Ie developpement d'une legislation canonique autonome, i1 devint necessaire d'en reunir les dispositions essentielles dans des collections proprement juridiques. Parce que cette legislation fut, au rve siecle, seulement d' origine conciliaire et orientale, les premieres collections reunirent les canons de Nieee, Neocesaree, Sardique, etc. Puis, vers la fin du siecle, avec l'essor des conci1es africains, l'Afrique eut ses propres collections. A Rome, les decretales pontificales, dont la portee legislative devient importante a partir des dernieres decades du rve siecle, font l'objet de petites collections des la premiere moitie du v e siecle40• La premiere grande collection canonique, qui accueille ala foi canons conciliaires et decretales pontificales, fut l'reuvre d'un moine scythe vivant a Rome, Denys Ie Petit. D'ou son nom de Di01rysiana41• La date exacte de composition reste discutee. Elle se situe dans les premieres decennies du Vie siecle. A partir de cette epoque et pendant dix siecles, les collections canoniques furent pour l'essentiel des compilations de canons conciliaires 35. Par exemple XI, 12 (p. 19) dictum est in Evangelio, suit une citation de Mat. 5, II-I2 (= Luc 6, 42-43). 36. Par exemple XIII, 24 a XVI, 2I = Ez. 18, I a 32. 37. Par exemple XI, 19-20, introduit par Dicit enim scriptura, ou 1'on trouve une similitude avec l'Ecclesiastique 34,10; Job 5, 17; Jacques I, 12 . 38. Par exemple XIX, 10-12 = Mat. 9, 12; XIX, 18-19 et 23-24, cf. Ez. 34, 4; etc. 39. Par exemple, a propos des veuves (XXXIII, 29-34) citation de Marc 12., 43· 40. Pour plus de details, nous nous perrnettons de renvoyer anotre etude sur Laformation du droit seculier el du droil de I'Eglise aux IV" el V" sieeles, 2" ed., Paris, 1979, 166-174. 41. La collection connut deux redactions (edition de la premiere par Adolf STREWE, Die Kanonessammlung des Dionysius Exiguus, Berlin, 193 I; la seconde redaction est reproduite PL, 67)·
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Vitore la Bible
et de decretales pontificales, sans apport « personnel » de leur auteur. Dans de telles conditions, des textes bibliques ne pouvaient figurer que dans la mesure OU ils etaient cites dans les dispositions legislatives recueillies par Ie compilateur. Or cette place fut assez limitee. Si les canons conciliaires n'ignorent pas la Bible, ils la citent rarement;42. Dans les conciles africains des rveye siecles on n'a releve que 44 textes des Ecritures 43. La place de l' AT Y est modeste (II textes); celle des Evangiles (10 textes), inferieure a celle des Epitres pauliniennes (18 textes). Les concHes tenus en Gaule au IVe siecle n'alleguent la Bible que 2 I fois, dont 8 fois de fa<;on simplement allusive44 • L' AT n'est cite expressement qu'une fois 45. Dans la longue serie des conciles de la Gaule merovingienne tenus aux VIe et VIle siecles les references bibliques sont rares et parfois tres vagues 46 . Sur vingt-six citations47, treize sont empruntees au NT (dont cinq aux Evangiles et cinq aux Epitres pauliniennes) et treize a l'AT. Les citations des Ecritures sont d'ailleurs tres inegales selon les conciles. Beaucoup d'entre eux n'y font nulle reference48 . Le Concile de Tours de 567 se signale par une abondance de references, qui temoignent de la culture scripturaire de certains de ses membres 49. La connaissance de la Bible dans la Gaule merovingienne est d'ailleurs mediocre. Gregoire de Tours avait compose un Commentaire sur les Psaumes. Lorsqu'il s'emerveHle d'un clerc in scripturis ecclesiasticis valde instructus, qui etait capable de citer la succession des generations enumerees par l'Ancien Testament50, il fait plus de cas d'un prodige de memoire que d'une brHlante intelligence. On sait qu'en Gaule, aux VIlevm e siecles, on apprenait les Psaumes par creur et que la Bible servait de theme a la predication5!. 4 2 • Par exemple Concile de N~ocesaree (314), c. 15, de Nicee (325), c. 2; (I Tim. 3, 6-7); 17 (Ps. 14, 5). Le c. 15 de Neocesaree (314-319) allegue l'autorite des Actes des Ap6tres. ~3. Cf.l'Index donne par Ch. MUNIER dans son edition des « Conciles africains», Corpus Chrut., CXLIX (1974), p. 373. Nous n'avons pu consulter l'etude de C. ANDRESEN « Die Bibel im konziliaren, kanonistischen u. synodalen Kirchenrecht», Fest. fur K. A/and, Berlin, 1980. 44. Cf. l'Index scripturaire de l'edition de ces conciles dans les « Sources Chret.», nO 241 (1977), 147. 45· Concile de Valence (374), c. 3 (Sag. I, 13). 46. Par e:x;emple Conciles de Vaison (529) c. I et 2; de Clermont (535) c. 12 et 16, etc. . 47· On latss~ en dehors de ce decompte les textes du Concile d'Orange de 529 consacre a l~ gr~e et au hb~e arbitre. Il ne s'agit donc pas d'un concile disciplinaire, mais d'un debat theologlque, ce qUl explique la frequence de l'appel aux Ecritures. 48. Par exemple les Conciles d'Orleans de 541 (38 c.) et de 549 (24 c.) ou celui d'Epaone de 517 (40 c). 4~· Treize citations, soit, pour ce seul concile, la moitie des citations scripturaires des ConClles merovingiens. 50. HF 5, 42. 51· Cf. RICHE [72], 515-516; 538.
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Si les conciles gaulois des VIe-VUe siecles ne totalisent pas trente citations de la Bible, la serie des conciles espagnols 52 l'invoque 264 fois 53• Autant que Ie nombre, c'est la diversite des livres allegues qui frappe. On n' a pas ainsister sur cette difference entre les deux familles conciliaires qui atteste, chez l'episcopat wisigothique, une culture biblique qui depassait de loin celle de leurs confreres francs 54• On retiendra simplement que les concHes wisigothiques, beaucoup plus que ceux d'Orient, d'Mrique ou de Gaule, etaient susceptibles de vehiculer un important arsenal de textes bibliques. Reste l'autre grande masse recueillie par les collections canoniques, les decretales pontificales. Determiner les emprunts faits aux Ecritures par la Chancellerie pontificale, des dernieres decencies du lye siecle a la yeHle de la reforme gregorienne, serait s'engager dans une etude des lettres des papes, dont on ne saurait dire qu'elle soit largement amorcee. On y releverait de grandes differences selon les hommes et les temps. La place de Gregoire I, tant par sa correspondance que par ses traites, est ici eminente. Sans entreprendre une enquete, qui depasserait largement notre propos, on se bornera a signaler l'importance de ce champ d'investigation. Relever les references bibliques qui, par Ie canal des conciles et des decretales figurent dans la longue serie des collections canoniques compilees du VIe au XIe siecle, serait fastidieux et de peu de profit. II ne s'agit pas en effet d'un appel a l'autorite biblique de la part des compilateurs. Ceux-ci ont voulu recueillir canons et decretales et c'est, comme par accident, qu'ils ont du meme coup introduit la reference scripturaire. L'etude de la Bible dans Ie Decret de Gratien fournira l'occasion de me surer l'ampleur de cet apport, au terme de l'histoire des Collections55• Plus importantes que ces « presences non recherchees }} sont de veritables appels a la Bible qui, dans des circonstances et en des temps divers, ont ete faits par les auteurs de collections, d'abord vers les annees 700 en Irlande, puis, a deux reprises, et selon des modalites differentes, par les collections de l' age carolingien.
52. D'Elvire (debut du lye siecle) au XVIIe Concile de Tolede (694). 53. D'apres Ie releve de l'edition des Concilios visigotkos de Jose VIVES, donnee par G. MARTINEZ DIEZ, Barcelone-Madrid, 1963, 580. L'AT est cite 131 fois, les Evangiles 76 (dont Matthieu 30 fois) et les Epitres pauliniennes 41 fois. 54. RICHE [72],341 fait observer que l'etude etla connaissance dela Bible dans l'Espagne du Yle et du debut du YIIe siecle etait « beaucoup plus profonde qu'en Gaule ». 55· Infra, pp. 351-352.
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On sait l'actif foyer de culture que fut l'Irlande aux VIle et vnr e siecles 66. Apres la grande epidemie de 664-668, dans les monas teres de Kildare Armagh, Bangor, les etudes exegetiques et grammaticales connaissent une grande faveur et les moines irlandais l'emportent souvent par leur science sur leurs freres d'Espagne ou d'Italie. Leur role, dans la renaissance intellectuelle de l'epoque de Charlemagne, n'a pas a etre rappele. Mais on ne doit pas oublier la place que tient dans cette culture l'etude de la Bible. Aussi n'est-il pas surprenant que les collections canoniques composees en Irlande aient accorde aux Livres saints une place de choix. Signalee naguere par Paul Fournier67, une reuvre anonyme, Ie Liber ex lege Mqysi, emprunte ses prescriptions morales et juridiques au Pentateuque68 . La fidelite au modele biblique va jusqu'a reproduire les textes dans l'ordre OU ils figuraient dans les Livres saints. Le recueil rappelle des preceptes moraux et en premier lieu ceux du Decalogue. n edicte des peines contre leur violation, en particulier en cas d'homicide, de vol, d'inceste, d'adultere. n fixe les principes de la responsabilite pour les dommages causes par les animaux. On y trouve egalement des dispositions de 1a legislation hebraique relative aux aliments purs ou impurs, au rachat des vreux, aux villes de refuge, mais aussi au devoir de payer la dime, dont la legislation carolingienne fera une obligation juridique. Des quatre manuscrits connus du Liber ex lege Mqysi, trois attestent sa diffusion en Bretagne69 et l'un d'eux provient de l'abbaye de Fleurysur-Loire. La collection fut donc connue sur Ie continent. Beaucoup plus importante que Ie Liber ex lege Mqysi, mais temoignant d'une egale devotion a la Bible, est la collection connue sous Ie nom d'Hibernensis 60 • Cette compilation, composee aux environs de 700 en Irlande, connut une large diffusion, attestee par les manuscrits qui nous en sont parvenus. II n'est pas impossible qU'elle ait ete utilisee par Reginon, l'abbe de Priim, pour son De synodalibus causis et par l'eveque de Worms, Burchard, pour son Decret61.
Composee sur les franges de la chretiente, l' Hibernensis ignore presque completement les decretales et les canons condliaires qui, depuis la Dionysiana, fournissaient l'essentiel des collections canoniques62 . Or la collection irlandaise se propose de fournir des regles sur la plupart des aspects de la vie chretienne, qu'il s'agisse des ordres du clerge (L. I-IX), des moines (L. XXXIX), des lieux consacres (L. XLIV), des obligations du chretien Geune L. XII, aumone L. XID, priere L. XIV, hospitalite L. LVI), des devoirs envers les defunts (L. XV, XVIII), des martyrs et des reliques (L. XLIX et LI), de la juridiction (L. XIX, XXI, XXVII, LXVII), du pouvoir civil (L. XXV et XXXVII), du mariage (L. XLVI), des superstitions (L. XXVI, LI), des dommages causes par les animaux (L. LIII), de la nourriture (L. LIV), etc. Dans tous ces domaines c'est surtout a la Bible qu'il est fait appel. Nous avons releve dans I'Hibernensis 326 textes tires des Ecritures, dont 217 pour l'AT. Les Evangiles figurent avec 47 textes, 50 viennent des Epitres pauliniennes. Les Actes des Apotres en ont donne 2, l'Apocalypse 3. Dans l' AT, Ie Pentateuque vient en tete avec 91 citations63, suivi par les Livres prophetiques (53 textes)64. Sur une quarantaine de textes tires des Livres sapientiaux, les Psaumes en ont fourni 11 et les Proverbes 16. Vne trentaine de textes viennent des Livres historiques, surtout de Samuel et des Rois. Le nombre des textes bibliques (AT et NT) dans chacun des 67 Livres de l'Hiber11Cnsis varie beaucoup et cela d'autant plus que l'ampleur de ces livres est tres inegale. On ne tentera pas ici d'etablir des pourcentages, qui seraient de peu d'interet. On observera simplement que certains livres ne font aucune place a la Bible66, alors que d'autres l'invoquent largement. Plus que la frequence des references, c'est leur objet qui merite attention. Si Ie livre I, de episcopo n'allegue que quelques phrases de la Ire Epitre a Timothee sur les conditions d'acces a l'episcopat66 , Ie Livre II, de preslrytero vel sacerdote invoque de nombreux textes de l'Ancienne et de la Nouvelle Loi. Le livre XXI, qui traite de l'organisation judiciaire et de la procedure (de iudicio), fait plus de vingt fois appel a la Bible et les Livres XXVII, de sceleribus et vindictis eorum
56. Pierre RICHE [72] et [73], pp. 43-44; 57-58. 57· FOURNIER [II7], 221-234; cf. G. LE BRAS, « Les Ecritures dans Ie Decret de Gratien », 255. Kan. Abt., 1938, 50-5 I. . 58. FOURNIER [II7], 222, n. 5, releve des emprunts al'Exode (chap. 20 a 23 eqI), au Levitlque (chap. 5,6, II, 12, 17, 19, 20, 22,24,27), aux Nombres (chap. 27 et 35), au Deuteronome (chap. 1,6,7, 13, 14, 17, 19, 23, 24, 27). 59· FOURNIER [II7], 223-224. , ,60. ~d: H. WASSERSCHLEBEN, 2" ed., Leipzig, 1885. Surcette edition (a laquelle nous nous referons ICI) cf. FOURNIER [117], 224, n. 3. 61.. WASSERSCHLEBEN, op. cit., XXVII-XXIX. L'influence de I'Hibernensu sur plusieurs collectIons canoniques du IX" au XI" siecle a ete soulignee par P. FOURNIER, « De !'influence
de la collection canonique irlandaise sur la formation des collections canoniques », NRHD, XXIII, 1899, 27 sq. 62. Elle dte tres exceptionnellement des canons conciliaires : L. II, chap. 26 : CondIe d'Agde 506, c. 6; L. X, chap. un. q = CondIe d'Agde c. 10; ibid., v = Nicee c. 17; L. XLVI, chap. 14 = CondIe d'Arles de 314, c. 10, etc. , .. 63. 32 pour Ie Deuteronome, 23 pour l'Exode, 14 pour les Nombres, 13 pour Ie UVlt1que, 9 pour la Genese. 64. Fournis surtout par Isaie (17) et Ezechiel (15), puis Jeremie (9) et Daniel (6). Tous les Prophetes n'ont pas ete mis a contribution. 65. Les Livres 6 a II, 19 et 20, 39,49,51 et 52, 59 et 60, 63, 65· 66. Chap. 7 a, b, c: Unius uxoris vir,. nemini cito manus imposueris,. non neophylum.
L'apport irlandais
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Les collections canoniques
(26 chapitres) s'y rerere une trentaine de fois, certains de ses chapitres (II, 12) etant formes d'une mosaique de petits fragments scrlpturaires. Nombreux recours a la Bible egalement dans Ie Livre XXIV qui traite de l'obeissance et dans Ie Livre XXV consacre au pouvoir royal. Si l'on y trouve Ie reddite Caesari de Matthieu 22,21 (chap. 9 a) ou les passages de Luc (2, I et 5) sur l'obeissance de Joseph a l'edit sur Ie recensement (chap. 9 d etj), c'est plus souvent a l'AT qu'il est fait reference, qu'il s'agisse des obligations des sujets ou de la moderation du prince. Larges citations de la Bible aussi dans les vingt chapitres du Livre XXXI de patribus et filiis. La encore l' AT reparait 2 I fois contre 4 textes des Evangiles et 3 des Epitres pauliniennes. Frequence des emprunts bibliques et meme prestige de l' AT dans d'autres Livres, tels que les Livres XXXVII de principatu, XXXVIII de doctoribus ecclesiae, XLII de ecclesia et mundo, LXVII, sur les devoirs du juge, OU l'on trouve un chapitre 4 de severitate vindictae et eius indulgentia compose de 14 petits fragments scripturaires. Mais les 38 chapitres du Livre XLVI, consacres aux questions matrimoniales, font plus souvent appel a Augustin, Jerome ou a quelques textes conciliaires qu'aux references scripturaires. Avec l'Epitre aux Ephesiens (5,22), Ie chapitre 24 prodame la soumission de la femme a son marl; la Ire Epitre aux Corlnthiens (7, 3-5), dans Ie chapitre 22, rappelle l'obligation du debitum coniugale, tandis que deux passages de l'Evangile de saint Matthieu (5, 31-3 2 et 19, 9) formulent la regIe de l'indissolubilite (chap. 8 et 27)' On ne saurait indiquer les sources auxquelles l'auteur de 1'Hibernensis a puise ses references bibliques. La forme sous laquelle il les presente prend d'evidentes libertes avec Ie texte sacre. Celles-ci sont sans doute largement Ie fait de ses sources. De telles variations de formes se retrouvent dans bien d'autres collections qui font appel a la Bible. II n'y a donc pas lieu de s'attarder a un manque de rigueur que l'on retrouve frequemment chez les canonistes medievaux. II faut au contraire souligner Ie role exceptionnel que tient la Bible dans I'Hibernensis. Non seulement elle est tres souvent citee, mais elle n'est pas simplement alleguee pour fournir des arguments d'autorite, voire des references lointaines. C'est elle qui apporte la regIe, car Ie texte biblique formule la loi. D'ou la frequence du mot Lex pour introduire un precepte de l'Ancien Testament. Et ceci non seulement lorsqu'il s'agit d'un texte de l' « Ancienne Loi» (Exode, Uvitique, N ombres, Deuteronome), mais aussi pour des textes prophetiques 67 ou his toriques 68 • Quant aux prescriptions de la « Nouvelle Loi », elles sont SOuvent introduites par Dominus in Evangelio (ou in Evangelio tout court). Ainsi, ne disposant pas des textes conciliaires et pontificaux qui
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alimentent les collections continentales, l'auteur de I'Hibernensis fait appel aux sources que lui offraient les scriptoria irlandais .. A. cote de~ ecrits patristiques, largement utilises, ce sont les textes blbliques qw lui ont fourni l'essentiel du droit. Par d'autres voies et selon d'autres methodes, ces textes penetrent un peu plus tard dans les collections canoniques continentales, tantot utilises par les « Faussaires de l'atelier isidorien », tantot portes par la litterature patristique qui, a partir du IXe siede, penetre largement dans les collections canoniques. La Bible dans les Recueils pseudo-isidoriens69
L'attention des historiens s'est depuis longtemps portee sur des recueils canoniques composes entre la fin de 846 et la fin de 85270 par des auteurs qui demeurent inconnus, probablement dans la region nord-est de la France (province de Reims). Les compilateurs .y .ont juxtapose textes authentiques et documents ap~cryphes, m~~pliant les fausses attributions. Ces apocryphes constltuent de ventables mosaiques ou voisinent fragments de droit seculier (romain et caroli,:gien), textes d'origine ecdesiastique et apports propres des compllateurs. Sans rouvrir ici Ie delicat dossier des Faux Isidoriens, on retiendra simplement ce que fut l'apport biblique aux deux plus importants d'entre eux, les Faux Capitulaires et les Fausses Decretales.
Les Faux Capitulaires71 lIs se presentent comme l'reuvre d'un certain Benoit Ie Uvite. Cette collection entend completer par trois Livres les quatre Livres de Capitulaires reunis par Ansegise72 • A ces trois Livres fO.nt suite quatre appendices. Le premier, soi-disan~ compleme~t du .Llvre III, ne fait que reproduire Ie Capitulare monasttcum de Lows Ie Pleux ( 81 7). Le second reprend une partie de la relatio adre~see en 829 par les eveque~ au roi pour demander la reforme de l'Eglise. Les deux autres (qw 69. Pour une orientation generale, cf. depuis l'expose de P. FOURNIER [II6], 1, Paris, ~931, IZ7-233; Shafer WILLIAMS, Codices Pseudo-Isidoriani, New York, 1971; H. F?R.HM~, Etnflus,s und Verbreitung der Pseudo-isidorischen. Fiilschungen von ihrem Auftausch hIS tn d,e ~euere ZeIt (Schriften der MGH, 3 vol., 1972-1974). Sur la place de~ apocryphes ~ll?s Ie drOit can<;>fi., G. LE BRAS, « Les apocryphes dans les collections canomques », La mtlca del testo, AliI del IIo Congr. intern. della Soc ital. di st. del diritto I, Firenze, 197 1, 37 1-39 1•. . . 70 . NOllS retenons les dates proposees par Pa~ FOURNIER (op. CI~.,. 183-185) qUI, rejetll?t la « these de l'origine remoise », situait les compilateurs dans la region du Mans (op. CIt., 19 2- 201 ). . . 7 1. Edition PERTZ, MGH Leges, t. 2, In-foho (1837). . 72 • D'ou la numerotation de ces trois Livres, V, VI, VII; au total 1 319 chapltres.
67· Cf. XXVIII, I (= Jos. 20, 7, 8). 68. Cf. XXXI, 7 (= II Sam. 19, 23); XXXII, 8 (= Josue 18, 10).
'I
Vivre la Bible comptent respectivement 124 et 170 chapitres) sont l'reuvre de l'atelier isidorien73• Pour composer leur reuvre les faussaires ont utilise des textes d' origines diverses : collections canoniques, comme l'Hispana ou la Di01!JsioHadriana, canons conciliaires, lettres pontificales, statuts episcopaux, reuvres d'ecrivains ecclesiastiques, capitulaires francs, lois germaniques, fragments de droit romain. La Bible, qui suscite alors un regain d'interet74, a ete largement utilisee et seul nous interesse ici cet apport biblique. Entreprise par Knust7 5, 1'identification de ces sources fut menee d'une fas:on plus complete par Emil Seckel dans une serie d'articles 76, dont les conclusions ont ete, pour l'ensemble, confirmees par P. Fournier 77• C'est a cette analyse que nous nous referons en la compIetant pour la fin des Faux Capitulaires et les Appendices dont Seckel n'a pu donner les sources. Les I 319 chapitres des trois Livres des Faux Capitulaires ne contiennent pas moins de 135 citations ou references bibliques. L'Ancien Testament, invoque 85 fois, tient de loin la premiere place. Les Epitres pauliniennes sont citees 22 fois, les Evangiles 20 fois, les Actes des Apotres 2 fois, l'Apocalypse I fois. La repartition des textes bibliques est tres inegale selon les Livres. Neuf seulement dans Ie premier (toutes neo-testamentaires), I I dans Ie troisieme (ou l'Evangile l'emporte avec 7 references), mais 125 dans Ie second, ou la Bible figure 92 fois. C'est que la grande majorite des chapitres du Livre I reproduisent des textes authentiques, empruntes a la Collection d' Ansegise 78, a des Capitulaires carolingiens 79, a la Dionysio-Hadriana 80, a l'Hispana 81, a des statuts episcopaux82, a des Penitentiels83, etc. 73· Cf. P. FOURNIER, op. cit., 168-169. Nous n'insisterons pas sur les textes bibliques que l'on trouve dans ces additiones, car ils figurent dans des textes repris par les compilateurs a d'autres sources. lis ne sont donc pas un apport propre des compilateurs. 74. 11 n'incombe pas a notre enquete de rechercher les causes et les manifestations de cet interet porte a la Bible depuis la fin du VIlle siecle. L'reuvre d'Hincmar, archeveque de Reims dans Ie demi-siecle qui suit la confection des faux Isidoriens (845-882), en offre un bon exemple. On consultera l'Appendice Hincmar et la Bible donne par J. DEVISSE au t. III de son Hincmar [68], 1237-135 Hincmar, en plus de 3 000 citations, allegue pres de 2 000 passages bibliques. 75· Cf.la ~ste publiee ~n tete d~ l'edition des faux Capitulaires citee supra, n. 7 1. 76. « Studien zu Benedictus Levlta», NelleS Archiv, t. 26 (19°1),37-72; 29 (1903), 277-331; 3 1 (1905), 59-139 (sources du L. I); 34 (1908), 321-381 (sources du L. II, chap. I a 162); 35 (19 09), 10 5- 19 1 et 435-539 (sources du L. II, chap. 162 a la fin); 39 (1914), 327-43 I (sources du L. ill, chap. 1-254); 40 (1915-1916), 19-130 (L. III, chap. 255-374); 41 (1917-1919), 159- 26 3 (L. ill, chap. 374-429). La mort a empeche SECKEL de donner les sources de la fin du L. III (chap. 43°-478) et des Appendices III et IV. 77· Op. cit., 151. 78. Chap. 4-5; 39-58; 63-97; 102-1°9; 208-229; 264-274; 280-299. 79· Chap. 6-21; 98-101; 193-2°7; 23°-263; 275-278; 300-3 05. 80. Chap. 22-24; 37-38; 13 1-135. 81. Chap. II8-122; 128-13°' 82. Chap. 35-36; 170-173. 83· Chap. lII-II4.
Les collections canoniques
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Trois chapitres seulement melent citations authentiques et composition des faussaires. Le chapitre 40 debute par un emprunt a Ansegise (1, 13 6) puis se poursuit par une adjonction des faussaires qui citent les Evangiles (Mat. 18,8 et 10,4°) et la premiere Epitre de Jean (3,15). Ainsi, dans ce qui est reuvre des faussaires, ce texte temoigne de l'attention qu'ils portaient a Ia Bible84 • Meme observation pour Ie chapitre 322, qui debute par un passage du chapitre 19 de la relatio des eveques a Louis Ie Pieux (829) et se poursuit par une composition des compilateurs, ou l'Evangile est invoque quatre fois 85 et OU figure egalement une citation de Ia premiere Epitre de Jean (3,15), Different est 1'usage de l'Ecriture au chapitre 392 ou les faussaires se sont inspires du texte des Actes 25, 16, mais en en modifiant la forme et la portee86• Au Livre III, l'appel a la Bible ne se trouve que dans sept chapitres 87 • C'est que, dans ce Livre egalement, les textes fabriques par les faussaires sont relativement rares. La majeure partie de ses 478 chapitres a ete reprise, comme dans Ie Livre I, a des sources authentiques : Dionysia-Hadriana (chap. 123-140), canons conciliaires (chap. 262-280), ou juxtapose des sources diverses : droit romain, capitulaires, collections canoniques, conciles, etc. (chap. 150-254; 281-374). Mais a lui seulle chapitre 390, qui se presente comme un fragment d'un capitulaire de Charlemagne, invoque quatre fois la Bible, citant Zacharie (2,8), Matthieu (18,6 et 10,4°) et Luc (10, 16), pour justifier la stricte obligation d'obeir aux clercs, representants de Dieu sur terre. Beaucoup plus considerable est 1'appel a la Bible dans Ie Livre II. Les 53 premiers chapitres sont empruntes a la Genese (un seul emprunt au chapitre I = Gen. 9, 6), a 1'Exode (chap. 2 a 29 qui reproduisent, en suivant l'ordre du texte sacre, des fragments d'Ex. 20,7 a 22,30)88, 84. Chap. 40: Ut presbyteri non ordinentur priusquam examinentur (= Rubr. Ansegise I, 136). Suit une composition du faussaire : Et ut ante ordinationem pleniter et studiosissime instruantur.•. ,
•.• quia nimis graviter peccant qui sacerdotes et ministros Christi detrahunt : quoniam testante evangelica tuba: « melius est unicuique, ut suspendatur mola asinaria collo eius et demergatur in profundum maris quam scandalizet unum de pusillis» (cf. Mat. 18, 6), Christi videlicet ministris. Et alibi « qui vos recipit, me recipit,. et qui vos spernit, me spernit » (= Mat. 10, 40).'. Similiter et Christi Domini nostri ministros et sacerdotes nostrosque magistros monemus, ne locum subditis tribuant detrahandi,. quia « qui detrahit fratrem suum, homicida est» (I Jean 3, 15). 85. Luc 10, 16; 17, 2; Mat. 18, 16-17; 18, 6; cf. SECKEL, op. cit., NA 31 (1905), 108-109. 86. Les Actes rapportent les propos du gouverneur Festus lors de l'inculpation de Paul :
« Les Romains n'ont pas l'habitude de ceder un homme avant que, ayant ete accuse, il ait eu ses accusateurs en face de lui et qu'on lui ait donne la possibilite de se defendre contre l'inculpation. » Les Faux Capitulaires (I, 392) transposent : ... Ne ullus sacerdos ludicetur, nisi praesentes
sint ipsius accusatores, idemque legitimi. A sancta Romana et apostolica ecc/esio olim statutum est et a nobis .rynodali sententia confirmatum, ut nullus ex sacerdotali catalogo iudicetur aut dampnetur, nisi accusatus accusatores legitimos praesentes habeat locumque defendendi ad abluenda crimina accipiat. 87· 39 0,43 1,433,439,451,462,475. 88. Serie continue d'Ex. 21, 14 a 36 puis de 22, I a 21, soit une importante partie du Code de l'Alliance, alors que Ie Decalogue ne figure que dans deux chapitres (2 = 20,7 et 3 = 20, rz).
Vivre la Bible au Levitique (chap. 20 a 37, qui empruntent surtout a Ia Loi de Saintete, chap. 18 a 20), aux Nombres (chap. 38-40) et au Deuteronome (chap. 41 a 53, qui utilisent surtout Ies chap. 22 a 24). En outre, a plusieurs reprises, des canons fabriques par Ies faussaires se referent a I'EvangiIe89, aux Epitres pauliniennes90 ou a l'Ancien Testament91 • II est diflicile de determiner a queUe version des textes bibliques ont eu recours Ies faussaires. La liberte dont ils font preuve a I'egard des textes rend une telle recherche fort aIeatoire. Assez indifferents au respect de la forme 92, il leur arrive d'en modifier Ie sens93, et I'on peut relever de fausses attributions 94•
Les Pansses Decretales Diffusees peu apres Ies Faux Capitulaires, et en tout cas avant I'aut~n.me 8 5~, les Fausses Decretaies invoquent Ie patronage d'un mysterteux Is/dorus Mercator. Elles emanent du meme atelier et furent composees selon Ies memes procedes. lci encore I'authentique se ' au moins pour meAle aux faux et ces faux sont fabriques en utilisant 96 partie des textes authentiques • Un releve des references bibliques dans les Fausses Decretales a ete donne par Hinschius dans son edition de cette collection96• Leur n<:>mbre est considerable : 532 citations97 alors que les Faux Capitulaues (dont Ie volum: es~, il es; vrai, moins imposant) n'en comptaient pas 15 0. Le NT (317 cltatlOns) I emporte sur I'Ancien (2 15). A l'ampleur de l'appel s'ajoute la diversite des sources rises en reuvre. Pour I' AT les cinq Livres du Pentateuque, quatre des Livres historiques 98, les 89· Par exemple au chapitre 68, a propos du bapteme iuxla praeceplum Domini (cf. Mat. 28, ) 19· ?~: ~ar exemple c~apit~e 70 : infine .•• quia incomprehensibilia sunl iudicia Dei el profunditatem consilzl ezus nemo polesl mvestlgare, ~. Rom. II, 33; chap. 97 : ... quoniam raptores ut ait apostolus, cf. I Cor. 6, 10; chap. 99 : detractlo sacerdotum ad Christum pertinet, cuius vice legatione in ecclesia fungunlur, cf. II Cor. I, 20, etc. 91. Cf. chap. 104, 194,209,215, 220, 370, 371, 377, 381. 92. Cf. les exemples cites infra. 93· a. p~ exemple la modification du texte de I'Exode dans faux Cap. II, 4 cite par SECKEL, op. cII., t. 34, 321. 94· Par exemple III, 433 ou Ie texte de Matthieu 18, 17 est attribue a Paul. ~5· Sur la collection, sa composition, ses sources, cf. P. FOURNIER [116], I, 17 1- 18 3 a corrIger et completer avec H. FUHRMANN (supra, n. 69), I, 167- 194. 96• Dec:etales pseudo isidorianae (Leipzig, 1863) CXVI-CXXII. Le releve d'Hinschius ne peut four~llr que ~es ?:dres,de. gran.deur, car il n'est pas exempt d'erreurs et d'omissions. Les nnperfectlons de I edi~on d Hinschl~ S?~t relevees par. H. FUHRMANN (Ioc. cit.) qui rappelle toutela valeu~ que pr~sente encore I edition de J. Merlin (1524) reproduite dans la PL, I JO. 97· Ce chlffre seralt encore plus eleve si 1'0n prenait en compte les textes bibliques qui figurent dans plusieurs passages des Fausses Decretales. , 9,8 ..Ceux q~ sont Ie plus souvent utilises par les collections canoniques : Samuel Rois Nehemle, Tobie. ' ,
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Livres sapientiaux (a l'exception du Cantique des Cantiques), neuf des dix-huit Livres prophetiques 99• Les quatre Evangiles sont presents (avec une centaine de textes, dont plus de la moitie empruntes a Matthieu1OO) ainsi que les Epitres pauliniennes (a I'exception de l'Ep. a Philemon) et les autres Epitres (sauf la IIe Ep. de Jean), les Actes, l' Apocalypse. Au total, 49 titres de la Bible ont foumi des auctoritates. Pas plus que pour les Faux Capitulaires, on ne peut determiner avec certitude les versions de la Bible utilisees pour Ies Fausses Decretales 101. La Vulgate, mais aussi Ia Vetus Latina et d'autres versions non identifiees102 • Certaines citations sont d'ailleurs faites par I'intermediaire d'autres sources. Des etudes recentes, qui n'ont malheureusement pas pu etre conduites a leur terme ont du moins revele Ia multiplicite des versions rises en reuvre103 • C'est pour fortifier leurs dires que les compilateurs des Fausses Decretales ont eu recours a la Bible. Plus que des allusions aux evenements rapportes par les Livres saints, ce sont de breves citations textuelles qui emaiUent leur developpement. II ne s'agit pas de masses compactes empruntees a un auteur sacre et plaquees plus ou moins arbitrairement. Le compilateur allegue successivement des sources differentes ou il croit trouver un appui pour les principes qu'il veut faire prevaloir. C'est ainsi que Ie texte de Matthieu (16, 18) Tu es Petrus... se retrouve dans plusieurs decretales104 pour justifier l'autorite romaine, l'un des soucis majeurs des Faux lsidoriens. De I'Hibernensis aux Fausses Decretales on observe donc une profonde mutation dans l'usage de la Bible par les collections canoniques. Alors que la collection irlandaise lui demandait des textes qui, repartis en chapitres, foumissaient les termes memes de la norme, les Fausses Decretales font appel aux citations bibliques pour fortifier l'autorite de leurs instructions disciplinaires.
Bible, Iitterattlre patristique et collections canoniques Lettres de direction, traites de theologie ou de morale cheminerent pendant des siecles sans penetrer dans les collections des canonistes. 99. Comme Ie plus souvent dans les collections canoniques, Osee et Jeremie ont une place de choix. 100. L'Evangile de Matthieu etait l'une des bases essentielles de la formation des clercs, de meme que les Psaumes, parfois appris par creur, tenaientune place de choix dans l'education. 101. L'irritante question des textes scripturaires utilises reste posee a tous ceux qui etudient I'usage de la Bible dans les divers genres litteraires du haut Moyen Age. Cf. J. LECLERCQ [9], 103-111. 102. Sur les textes de la Bible, cf. B. FISCHER [4], 519-600. 103. Cf. HINSCHIUS (op. cit., CXXXIX sq.) et H. FUHRMANN (op. cit., I, 178-179) qui fait etat des recherches entreprises par M. C. Brake!. 104. Ps. Pie, Ps. Anaclet, Ps. Marcel, Ps. Pelage II.
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Leur propos n'etait pas de formuler des prescriptions juridiques. Mais, par leur objet, ils rejoignaient parfois les preoccupations des canonistes. Aussi n'est-il pas etonnant qu'ils aient trouve accueil dans de nombreuses collections 105. A partir du VIUe siecle, alors que certaines collections, sur Ie modele de la Dio,!}siana, de I'Hispana ou d'autres collections du vue siecle comme la Vetlls Gallica106, se contentent de reunir des canons conciliaires et des decretales pontificales107, d'autres ajoutent a ces sources des textes patristiques. lci encore I'Hibernensis (v. 700) marque un point de depart, par la place qu'elle accorde a la patristique et specialement a saint Augustin. On retrouve des textes d'auteurs eccIesiastiques (Augustin, Gennade, Isidore de Seville, etc.) dans la collection du manuscrit de Saint-Germain (BN, lat. 12444) qui utilise l'Hibernensis 108, dans la « Collection en deux Livres », tributaire de la Vetlls Gallica, qui fut compose v. 825-850109 puis, a partir du milieu du rxe siecle, dans la plupart des grandes collections canoniques ainsi que dans les Penitentiels llO• On a releve 479 fragments empruntes aux Peres et aux auteurs eccIesiastiques dans I'Hibernensis 111, OU Jerome vient en tete (168 textes), suivi d'Augustin (94), Isidore (65), Gregoire Ie Grand (54) et Origene (43). Si la litterature ecclesiastique tient moins de place dans les Fausses Decretales (172 textes) ou, au debut du xe siecle, dans Ie De synodalibus callsis de Reginon de Prum (une quarantaine de textes), elle penetre largement dans Ie Decret de Burchard de Worms, compose entre 1008 et 1012 (247 canons sur un total de I 785) et vers la meme epoque, dans la « Collection en cinq Livres » (manuscrit Vat. lat. 1333)112, la Collectio XII partillm113 et d'autres collections moins importantes 114• Les collections de la « Reforme gregorienne » poursuivent dans 10 5. Sur cette « reception », cf. Ch. MUNIER, Les sources patristiques du droit de I'Eglise du VIlle au XIIle siee/e, These de doctorat en droit canonique, Faculte de Theologie catholique de Strasbourg, 1954 (Mulhouse, 1957). 106. E?ites par H. MORDE~, K~rchenrec~1 u. Reform in Frankreich, Berlin, de Gruyter, 1975 . .107. Cest Ie cas de la Dl0nyslo-Hadrzana (774), de la Dacheriana (v. 800), de l'Anse!mo ~dzcala (v. 882-896), ainsi que de plusieurs collections issues de la Vetus Gallica : coli. Heroval/zana (PL, 99, 989-2086), coll. de Bonneval (MORDEK Rechtssammlung der Handschrift von Bonneval, Deut. Archiv., 1968), etc. ' 108. Cf. MORDEK, Kirchenrecht ... , 144- 1 45. 109· Analysee par P. FOURNIER, RSR, VI (1926), 513-52 6 . IIO. Par exemple celui d'Halitgaire de Cambrai (817-831), ou les textes patristiques sont l10mbreux dans la partie consacree aux prescriptions morales (PL, I 0 J) . III. Nous renvoyons pour ces releves a Ch. MUNIER, op. cil., 30-3 2 • I I 2. P. FOURNIER, Un groupe de recueils canoniques italiens des Xe el XIe sieeles, Mem. Ac. Insc. et B~lles-Lettres, t. 40 (1915),164 et s. Le L. V, consacre au mariage, cite abondamment l'AT et satnt Paul. II3· P. FOURNIER, « La collection canonique dite 'Collectio XII Partium' », Rev. hisl. ce&i.,t. 17, 31-62; 229-2.59. II4· Comme la petite colleclio canonum d'Abbon de Fleury (v. 996) publiee dans la PL, I J9, 473-508.
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cette voie. Vers les annees 1080, la premiere recension de la collection en 12 Livres d'AnseIme de Lucques et la Collectio canonum du cardinal Deusdedit contiennent respectivement environ 180 et 210 fragments d'auteurs ecclesiastiques. Dans l'une comme dans l'autre, Augustin vient en tete (II 5 et 52 textes). Gregoire Ie Grand a donne 44 textes a Deus dedit. Mais c'est, avant Ie Decret de Gratien, celui d'Yves de Chartres qui, vers 1093-1094, accueille Ie plus largement la litterature ecclesiastique : 75 5 des 3 760 chapitres lui sont empruntes. Augustin a lui seul fournit 456 textes, suivi par Jerome qui n'en donne que 76. D'autres recueils canoniques de moindre ampleur ou de moindre diffusion accordent aussi une place aux auteurs ecclesiastiques. On les retrouve dans des collections de la fin du XIe siecle qui beneficient des £I.orileges patristiques mis en circulation a cette epoque. Tels Ie Liber canonum et decretorum sanctorum Patrum, connu par un manuscrit £1.0rentin, OU Augustin, Ambroise, Jerome, Gregoire Ie Grand sont largement representes 115, Ie Liber de vita Christiana de Bonizo de Sutri116 ou la Britannica, dont les deux series de Varia apportent, au milieu de textes d'origine pontificale, une riche moisson patristique117• Tous ces auteurs ecclesiastiques et specialement les Peres, invoquaient l'Ecriture118. Jerome1l9, Augustin, Gregoire Ie Grand, qui ecrivit des Commentaires sur Ie Premier Livre des Rois, des MoraNa sur Job 120, des Homelies sur Ezechiel et sur les Evangiles, la citent avec insistancel21. Par les emprunts des collections canoniques a cette litterature, de nombreux passages de la Bible penetrent dans ces recueils. On ne saurait ici en faire un releve qui serait fastidieux. II suffira d'envisager cette source d'emprunts bibliques a propos du Decret de Gratien, car la majorite de ses canons figuraient deja dans les grandes collections du XIe siecle et tout specialement dans les Decrets de Burchard et d'Yves.
115. FOURNIER-LE BRAS [116], 151-155. 116. Ed. PERELS, Berlin, 1930. 117. FOURNIER-LE BRAS [II6], 161-162. 118. Un releve est en cours dans la Biblia patristica, Index des citations et allusions bibliques dans la litterature patristique, 2 vol. parus (1975-1977, Paris, Ed. du CNRS). Le tome II traite du me siecle (Origene excepte). II9. Y. M. DUVAL, Le Livre de jonas dans la lilterature chretienne grecque ellatine. Sources et influence du Commenlaire sur jonas de saint jerome, Paris, Biblioth. augustinienne, 1973, 2 vol. 120. Edition avec trad. et com. dans la collection« Sources chretiennes », n08 32, 212, 221. 121. R. MANSELL! [4], 67-101. Sur saint Gregoire, cf. Ie volume que lni a consacre C. DAGENS (Paris, 1977).
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DicRET
DE GRATIEN
Le Decret La collection, qui depuis Ie Moyen Age est connue sous Ie nom de Decretum Gratiani, marque une etape essentielle dans l'histoire des sources du droit canonique122. Beneficiant de l'apport considerable des textes rassembles au cours des siecles dans les collections anterieures (Ie Decret d'Yves de Chartres lui a fourni presque Ie tiers de ses canons), Ie Decret de Gratien est un point d'arrivee123. Pour rendre sa collection maniable, Ie compilateur opera un choix dans la masse de textes qui lui etait offerte. II en retint assez pour que son recueil envisageat tous les aspects de la discipline ecclesiastique, pas trop pour que les utilisateurs ne soient pas noyes sous l'information. Mais Ie Decret n'est pas seulement une mine d'auctoritates. Se qualifiant lui-meme de Concordia discordantium canonum, il s'efforce de mettte de l'ordre dans une masse de textes d'origine, d'epoque, de finalite tres diverses et qui, par consequent, etaient loin d'offrir toujours des solutions concordantes. Pour ce faire, il repartit ses textes en mettant ensemble ceux qui developpent la meme doctrine. Et surtout il les accompagne d'exposes plus ou moins longs, qualifies de dicta Gratiani, qui les commentent, les interpretent, cherchent ales condlier. Ainsi Ie Decret est a la fois un recueil de textes (auctoritates) et l'ebauche d'une reuvre doctrinale (dicta). A cote des canons, repris aux collections anterieures, i1 exprime des opinions personnelles. La Bible figure dans les uns et les autres. Mais, alors que par les canons elle ne s'insere au Decret que de fa<;on indirecte, sans que Ie compilateur ait eu pour soud majeur de la dter, dans les dicta, elle apparait comme un apport voulu de Gratien. Nous aurons a tenir compte de cette difference essentielle. Bien des incertitudes subsistent sur l'auteur, la date, les conditions d'elaboration du Decret. On n'a pas id ales rappeler. Avec l'opinion la plus repandue nous admettrons qu'il fut compose vers 1140124,
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probablement a Bologne. Son auteur, Gratien, reste mysterieux et les raisons ne manquent pas de croire a un travail d'equipe, sans doute dirige par un maitre d'reuvre. II est d'autre part certain - les manuscrits les plus andens l'attestent - que des complements y furent apportes au moins jusque vers Ie dernier tiers du xne siecle. Certaines de ces adjonctions sont appelees Paleae. Elles font partie du Decret dans sa forme definitive et par consequent nous les retiendrons dans notre enquete. Mais i1 n'est pas certain que la IlIa pars du Decret, Ie De consecratione appartienne a la forme premiere de la Concordia125 et Ie De penitencia, insere assez maladroitement dans Ie traite du mariage (Cause XXIII, quo 3), a tres vraisemblablement connu des apports successifs126. Dans sa forme actuelle, Ie Decret comprend dans une premiere partie 101 Distinctiones, dans la seconde partie 36 Causae, subdivisees elles-memes en Quaestiones et, dans la troisieme partie, Ie De consecratione, 5 Distinctiones127 ; au total quelque 3 700 canons.
Autorite des Ecritures
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Non seulement, on Ie verra plus loin, Ie Decret de Gratien fait souvent appel a la Bible128, mais, plus explidtement que ses predecesseurs, i1 en predse l'autorite. L'Ecriture exprime la parole meme de Dieu129. Non seulement dans les textes du Pentateuque, lorsque Dieu dicte sa loi ou exprime sa volonte, ou lorsque Ie Christ parle dans les Evangiles; mais aussi quand les Prophetes disent Ie message divino D' OU des formules qui, bien souvent, introduisent Ie texte scripturaire, du type Dominus aif130, Dominus ait in Evangelio131, per Prophetam dixit132 , etc. Cette volonte divine est enseignement, mais enseignement fonde sur la puissance qui fait du Christ Ie Maitre de la 10i133• Quant aux Epitres pauliniennes, auxquelles Gratien se refere deux fois plus souvent qu'aux Evangiles 134, elles formulent des conseils
125. Sur Ie De consecratione, J. RAMBAUD [Ul], VII, 90-99' u6. Cf. J. RAMBAUD [121], 82-90. 127. Edition FRIEDBERG, Corpus Iuris canonici, t. I, Leipzig, 1879, reprod. Akademische Druck u. Vedagsanstalt, Graz, 1955. 128. L'etude de G. LE BRAS [uo], 47-80, reste fondamentale. u9. Gratien ne fait sur ce point que reprendre une doctrine traditionnelle, cf. GREGOIRE LE GRAND, Hom. in Ezech., I (PL, 76, 891) : Deus per totam sacram Scripturam nobis loquitur. 130. Par exemple D. 2 diet. post C. 39, § 3; D. 4, diet. post C. 7· 131. Par exemple D. 4, diet. post C. 9 et post C. II. Ip. D. 4, diet. post c. 19; ou Propheta .•• ait (D. 4, diet. post C. II). 133. C. 25, quo I, diet. post C. 16: Grat. Jesusdocens,tanquam potestatem habens, id est tanquam dominus legis. On notera l'insistance sur cet aspect autoritaire et juridique. 134. a. infra, pp. 351-352.
122. On ne peut rappeler ici une litterature recente tres abondante. Vne collection les Studia Gr<:tiam:, publiee d'abord par l'Vniversite de Bologne (t. I a XIV, 1953-1967) p~s a Rome (Ltbrerta Ateneo Salesiano, depuis 1972, t. XV) a consacre plusieurs volumes a des etudes sur les problemes du Decret. On consultera J. RAMBAUD [Ul], 49-129' 12 3. II est aussi Ie premier element du futur Corpus Juris canonid, qui se constitue peu a peu du XII" a~ x.rv" siecle, ~t Ie livre sur lequel va se developper une doctrine canonique auto~ome. MaJ~ 11 ne nous Interesse ici que comme la demiere des collections canoniques medievales oCCldentales, non comme Ie point de depart de la science canonique. • 124: A. VETULANl dans plusieurs articles a voulu demontrer qu'il remontait aux premieres ~ecenrues du XII" siecle, opinion qui est restee isolee, cf. R. METZ, « A propos des travaux .e M. Adam Vetulani », Rev. dr. can., VII, 1957; G. FRANSEN, « La date du Decret de Gratlen », RHE, LI (1956), 521-531 et LII (1957), 868-870.
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Vivre la Bible qui completent les preceptes de l'Evangile. Apostolus quidam consulendo addidit, que evangelicis preceptis non inveniebantur diffinita l35 • Ainsi, malgre la diversite de ses manifestations, c'est toujours la volonte divine qu'exprime l'Ecriture. Mais ses destinataires et donc sa portee s'etendent avec la Nouvelle Loi. Tandis que I'Ancien Testament ne s'adressait qu'au peuple elu, la Loi Nouvelle a vocation universellel36. ~ cette j~stification hlstorico-theologique de l'autorite scripturaire, Gratlen en aJoute une autre, empruntee aux phllosophes et aux juristes. La Loi Cancienne) et l'Evangile sont l'expression du droit nature1 lui-meme fondement de tout l'ordre juridique. ' Le Decret l'affirme des son dictum initial: Ie droit nature1 est quod in lege et Evangelio contineturl37 • Gratien en precise aussitot Ie precepte majeur: « Il ordonne de faire a autrui ce que l'on voudrait que 1'0n vous fasse et interdit de faire aux autres ce que 1'0n ne voudrait pas que l'on vous fasse. » Et de ~ter a l'appui de son dire: Unde Christus in Evangelio (Mat. 7, 12) : « Omma quaecunque vultis ut faciant vobis homines, et vos eadem facite illis. » Haec est enim lex et prophetae. Un autre dictum (D. 9 diet. post, c. I I) revient sur cette identification du droit nature1 a la volonte de Dieu. A~mant queJa ~a~onica s~riptura ne contient rien d'autre que ce que vo~ale~t les « 101S divlnes », 11 en conclut, par un syllogisme, que tout ce qw seralt contraire « ala volonte divine ou al'ecriture canonique» serait contraire au droit nature1. Ce1ui-ci, qui se confond avec la volonte de Dieu et l'Ecriture, a la primaute. Ill'emporte sur toute autre source. D'ou. cette conclusion, qui fixe la hlerarchle des sources en plas:ant ~'E.cnture au so~et : toute disposition ecclesiastique ou seculiere qui Iralt contre Ie dr01t nature1 doit etre rejetee. Si elle est formulee ici avec une particuliere nettete et d'une fas:on t~ut a f~it generale, l'idee n'etait pas neuve. C'etait deja la pensee d ~ug~stln d~~s un, passa~e du De baptismo contra Donatistas (II, 4), qu a:aIt recue11li Ie Decret d Yves de Chartres (IV, 227) et que reproduit ~ratlen (D. 9, ;. 8) « Qui ne sait que la sainte Ecriture canonique, aussi bIen celIe de 1 Ancien que celIe du Nouveau Testament, ... l'emporte sur tous les documents episcopaux posterieurs ? » Gratien138 faisait de l'Ancien et du Nouveau Testament Ie fondement meme du droit. Toutefois un autre dictum (D. 6, post., c. 3) revient sur l'assimilation 135· C. 35, quo I, diet. post C. I, § 2. 13 6: c. ~2.' quo 4, .dict. post C. 2 : Quia vero per incarnationem Christi gratia fidei ubique dilatata est, nec lam.dmtur« D,c domui Iudae et domui Israel»sed« Euntes docete omnes gentes» (Mat. 28, 10) et« In omnzgente quicumque timet Deum ... )} (Actes 10, 35). 137· M. VILLEY, « ~ources et portee du droit naturel chez Gratien », Rev. dr. can., IV (1954), 50- 6 5; « Le drOIt nature! chez Gratien », St. Gratiana, III (1955), 85-99. 13 8. GAUDEMET, « La doctrine des sources du droit dans Ie Decret de Gratien », Rev. r . c,!nonzque, I ~I950), 5-3 I reproduit dans « La Formation du droit canonique medieval », dJv. arlorum Reprmts, London, 19 80.
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entre la Bible et la loi naturelle, peut-etre formulee en termes trop generaux. Apres avoir rappele son principe : in lege et evangelio naturale ius continetur, Ie dictum precise aussitot : Non tamen quecumque in lege et evangelio inveniuntur, naturali iuri coherere probantur. Ce qui conduit a distinguer dans la Loi les moralia et les mystica. Les premiers, te1s que la defense de tuer, appartiennent au droit naturel et sont done insusceptibles de toute modification. Les seconds, te1s que les preceptes sacrificie1s, sont intangibles dans la mesure ou l' on envisage leur esprit (moralis intelligentia), mais non s'il s'agit seulement de leur aspect forme1 (superficies), qui n'a rien a voir avec Ie droit nature!' Distinction qui, sans mettre en cause l'autorite des Ecritures, tenues pour l'expression de la loi naturelle, permet cependant d'expliquer que tout dans la Bible, et surtout dans l' AT, ne s'impose pas de fas:on absolue. Le dictum s'acheve en mettant, a cote de ce droit nature1, inscrit des l'origine dans la raison humaine, Ie droit coutumier, qui apparait avec l'instauration d'une vie sociale, celIe inauguree par Cain139 et qui disparut avec Ie Deluge140, puis celIe qu'imposa Nemrod, « Ie vaillant chasseur »141. Ce dictum fournit un bon exemple des deux modes d'utilisation de la Bible que l'on retrouve tout au long du Decret. Tantot Gratien cite les termes memes du texte sacre Cici, Ie qualificatif de Nemrod robustus venator coram Domino), tantot il se reEere a un passage biblique pour justifier ses dires. lci, Cain civitatem aedificasse legitur renvoie a Gen. 4, 17 : « Cain ... devint un constructeur de villes » et, lorsqu'il fait de Nemrod« Ie premier qui opprima les hommes et les soumit a son pouvoir », Gratien s'inspire de Gen. 10, 8 qui presentait Nemrod comme « Ie premier potentat de la terre ». Ainsi que l'a montre M. Villey142, c'est aux theologiens frans:ais, Anselme de Laon et plus encore Hugues de Saint-Victor, que Gratien emprunte l'identification de l' Ancien et du Nouveau Testament a la loi naturelle l43 aussi bien que la preeminence du precepte « Tu ne feras pas a autrui ... I44 », la distinction entre moralia et mystica145 ou l'immutabilite du droit nature1146• 139. Gen. 4, 17· 140 • Ibid., 7, 21-23. 141. Ibid., 10, 9. 142. Op. cit., RDC, IV (1954), 57-60. 143. Cf. ibid., 58, n. 29, les references it Anselme, Abelard, Hugues de Saint-Victor, Guillaume de Champeaux. 144. ANSELME DE LAON, Sententiae (Ed. BLIEMETZRIEDER, Beitrage zur Geschichte des Mitte!alters, 18), p. 78 : Lex naturalis haec est quod libi non vis fieri, a/iis ne feceris; HUGUES DE SAINT-VICTOR, De Sacramentis (PL, I76, 347) : de prohibentis unum praeceptum in corde hominis scripsit, quod tibi non vis fieri aliis non fecms (Tob. 14). De praecipiendis similiter unum: quaecumque vultis ut vobis faciant homines, vos similiter facite illis (Mat. 7, 12). 145. M. VILLEY, op. cit., 60, n. 36. 146. HUGUES DE SAINT-VICTOR, op. cit. (PL, I76, 352) : Immobilia ergo lex naturalis habuit
duobus praeceptis comprehensa.
Vivre la Bible Ces distinctions etaient necessaires lorsqu' on faisait de l'Ancienne Loi comme de la Nouvelle Ie fondement de l'ordre juridique. Des regles que formulait la premiere, des exemples qu'elle donnait, tout n'etait pas a retenir. A plusieurs reprises Gratien Ie rappelle. Apres av.oir .cite une serie de faits de l'histoire d'Israel qui auraient pu sembler lustlfier des attitudes contraires a la discipline ecclesiastique, un dietum (c. 2, quo 7, diet. post, c. 41, § 8) retorque : Miracula (et maxime veteris test~menti) sunt admiranda, non in exemplum nostrae actionis trahanda. Mitlta enzm tunc concedebantur, que nunc penitus prohibentur147 . Un autre dictum 148 , a propos de la possibilite donnee par l' Ancienne Loi de confier a des femmes Ie jugement du peuple, declare : in veteri lege multa permittebantur, que hodi~ perfectione gratiae abolita sunt. Et l'on retrouve une formule ar:alogue a propos de respect de la verite : sed in veteri testamento multa permlttebantur, quorum exemplis hodie uti non licef149. . Mais c'est en matiere de discipline matrimoniale que les dICta soulignent Ie plus nettement les ruptures entre l'ancienne et la nouvelle Loi, qu'il s'agisse de l'interdiction du divorce, autorise par la loi hebraique l50, du renvoi de l'epouse sterile et de relations avec une esclave pour obtenir une descendance151 ou des mariages consanguins 152 • Une autre distinction permet aussi a Gratien de controler l'autorite biblique, celIe que les theologiens mettent entre precepte et conseil (exhortatio)153. Tout dans la Bible ne s'impose pas de rigore. A cote des contraintes de la discipline, une place est laissee aux incitations a plus de perfection. Echappant a l'ordre ou a la defense, des dispositions relevent de l'indulgence ou de la tolerance. Ainsi tout en affirmant fortement l'autorite primordiale des Ecritures G:atien arme des methodes d'interpretation que les theologiens n'avalent cess6 d'affiner depuis les dernieres annees du Xle siecle1M, 147. Meme affirmation a propos d'autres faits, dans Ie sommaire du c. 14, C. 23, q~. 8.. 148. C. 15, quo 3, diet. initial, § 2. Le texte fait allusion a Juges 4. 4 : « Debora... Jugealt Israel. » 149. C. 22, quo 2, diet. post, C. 18. On retrouve la meme idee c. 26, quo 2, .die!. p'os~ c: I OU reparaissent des formules d'autres dicta: multa permittebantur ... , tempore perfeetzonzs dlSelplmae ... , penitus interdicitur. . . , , IjO. C. 31, quo I, diet. post C. 7, a propos du marlage de DavldavecBeths~bee,apres leurs relations adulteres et Ie meurtre d'Urie : Sed in veteri testamento multa permlltebantur propter infirmatatem, que in evangel;; perfeetione eliminata sunt ,. sicut permit~ebatu.r quibusl!bet tia:e ~ibel!um repudii, ne per odium funderetur sanguinis innoxius. Quod postea Dommus m evangello prohibmt dleens uxorem a viro non esse dimittentiam, nisi causa fornieationis. 151· C. 32, quo 4, diet. post C. 2. 15 2. C. 3j, quo I, diet. initial, § 2 et diet. post C. I, § 2. . Ij 3. Distinetio 4, dictum post C. 6 : Decretum vero neeessitatem facit, exhortatio autem liberam vo/untatem exeitat cf. la mise en reuvre de cette distinction a propos de Mat. j, 40, C. 14, quo I, diet. post I: § 2 : II/tid vero evangel;; « si quis abstulerit tibi tunieam » non preeipientis. est, sed exhortantis. Voir aussi C. 2, quo 7, diet. post C. 39, § 3 a propos d'un exemplum fourm par Ie Christ qui accepta de discuter avec les Juifs (cf. Jean 8, 46). 154· Apres Ie celebre prologue d'YVEs DE CHARTRES (pour son Decret ou pour la Panormie ?) (PL, I6I, 47 et s.) et Ie De exeommunieatis vitandis de BERNOLD DE CONSTANCE (MGH,
Les collections canoniques
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peut sans crainte faire appel a l'AT, dont il sait, lorsqu'ille faut, ecarter preceptes et exempla.
Importance de l'apport
.'
scr~turaire
La recherche des references bibliques du Decret de Gratien nous en a revele 176 dans la Ia Pars (101 Distinctiones) et 733 dans la IIa Pars, mis a part Ie De Penitencia pour les raisons indiquees plus haut155• Soit un total de 909 references dans lesquelles l' AT figure pour 399 textes 156• A quoi il faut ajouter les references qui figurent dan~ les. de~ ensembles de bonne heure integres au Decret : Ie De penttencla qUl, malgre sa relative brievete157, n'en compte pas moins de 327 (AT, 153; NT, 174), et Ie De consecrationc, un peu plus developpe 158, qui n'en contient que 123 (AT, 29; NT, 94). La repartition de ces references dans les Distinctiones et les Causae n'est evidemment pas egale. Sur les 101 Distinctiones, 45 seulement contiennent des references bibliques et, parmi elles, certaines n'ont qu'une mention, d'autres en ont 9 (D. 8), I I (D. 49), 14 (D. 43), etc. Dans la IIa Pars seules deux Causae (4 et 18) n'alleguent pas la Bible. Pour les autres la frequence des mentions scripturaires est tres variable: une seule dans la C. I~, deux dans les C. 9, 17,20, mais 64 dans la C. 24 (heresie et excommurucation), 67 dans la C. I qui traite de la simonie, 145 dans la C. -:3. Ces differences s'expliquent pour partie par l'inegale ampleur des diverses Causae. Mais elles tiennent plus encore a la matiere traitee et a la nature des sources mises en reuvre. Ce que l'on a dit plus haut de la place de la Bible chez les auteurs ecclesiastiques laisse prevoir que la OU ils sont largement mis a contribution, Ie nombre des references bibliques a de grandes chances de s'amplifier. Les chifl"res indiques ci-dessus ne donnent qu'une vue superficielle Libelli de Lite, II, 112 et s.), ALGER DE LIEGE, dans son Liber ~e mi~erie?r~i~ et justitia, V. II.Oj (PL, I80, 857-968; cf. G. LE BRAS, « Le liber 'd~ misericordia et .Justlcla ~, Nouv. Rev. hlSt. de droit, 1921, 80-118 et « Alger de Liege et Gratlen », Rev. se. philos. e~ theol., /931, 5~26~ et ABELARD dans Ie Sic et Non, V. 1120 (PL, I78, 1339 et s.) posent des regles d interpretation et de conciliation des textes, dont Gratien sera largement tributaire.. . 15 j. Sur la place des Ecritures dans Ie De Peniteneia et Ie De Consecratlone, cf. mfra, p. 358. 156. G. LE BRAS [120], ecrivait : « Environ 230.textes de 1'~T et au~~ du NT son~ par lui allegues. }) Les chiffres que nous proposons seratent susceptlbles de legeres corrections, non seulement parce qu'un tel releve, en l'absence d'indiees ne saurait etre exempt. d'erreu:s, mais surtout parce que l'on peut hesiter a y faire figurer des ref~rences, ?es allUSions, Yol!e une expression qui temoigne d'une certaine c?nnaissan::e d~ la. Bible, mats ;lOn pas touJours d'une volonte tres claire d'invoquer son temOlgnage. C est amsl que nous n avons pas re~enu dans nos decomptes les allusions a l'histoire des Juifs qui figurent dans les § 1,2, 3 du dIctum post c. 2, D. 26. , 157. 87 colonnes dans l'Edition Friedberg sur les I 424 que compte Ie Decret. IS8. 131 colonnes.
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Vivre la Bible
de la place occupee par la Bible au Decret. La part des differentes composantes de l' AT et du NT est en effet inegale. Dans les Distinctiones de la Ia Pars ce sont, pour l' AT les Livres sapientiaux qui sont Ie plus souvent cites (une trentaine de fois) et parmi eux les Psaumes se placent largement en tete (18 references). Puis viennent les Prophetes (26 references) ou seuls sont presents Isaie (6 references), Jeremie (2 references), Ezechiel (8 references), Daniel, Osee, Michee, Sophonie (chacun avec une seule reference) et Malachie (6 references). Le Pentateuque est cite 19 fois, les Livres historiques 6 fois seulement. Les Epitres pauliniennes representent a elles seules plus de la moitie des textes neo-testamentaires, les Evangiles n'en constituent qu'un quart. Au contraire dans les Causae, Evangiles et Epitres pauliniennes sont a peu pres a egalite (178 et 188); les Actes des Apotres sont invoques 23 fois. La diversite des matieres envisagees dans les Distinctiones et dans les Causae explique, au moins pour partie, ces nuances dans l'appel aux differentes sources scripturaires. Non moins importante est la distinction entre les mentions de l'Ecriture dans les canons et celles qui figurent dans les dicta. Les premieres sont« entrainees » par Ie texte qui les cite qu'a recueilli Gratien. Les secondes lui sont directement imputables 159 • Malheureusement, la distinction entre ces deux groupes est parfois malaisee. Si dans l'edition de Friedberg une differenciation typographique separe nettement canons et dicta, il n'en allait evidemment pas de meme dans les manuscrits. Certains textes, presentes aujourd'hui comme canons, ont pu primitivement faire partie de dicta. Cependant, tout en ayant present a l'esprit cette cause possible d'erreur statistique, nous retiendrons pour dicta les passages que l'edition de Friedberg presente comme tels 160• Dans la Ia Pars, sur les 176 references bibliques, 37 figurent dans des dicta, dont 12 dans Ie dictum qui introduit une Distinctio161• Dans la IIa Pars on ne releve pas moins de 282 citations scripturaires dans les dicta (AT, II6; NT, 166) sur un total de 710, soit plus du tiers. Au De penitencia, qui, on l'a vu, fait un large appel a la Bible, 119 citations figurent dans les dicta, soit Ie tiers du norobre total de citations s cripturaires 162 •
159. Nous schematisons ici, car la determination de l'auteur ou des auteurs des dicta reste delicate: l'inconnu, qui demeure mysterieux sous Ie nom de Gratien, ou, a cote de lui, egalement d'autres mains? 160. Les« erreurs» que peut entrainer une telle methode ne sont pas assez nombreuses pour fausser gravement les resultats auxquels nous sommes parvenus. 161. D. I, 5,7,8, ZO, 21, 24, 40, 42 soit 9 distinctiones. On trouve en effet deux references bibliques dans les dicta initiaux du D. 5, 21 et 40. I6z. Le De consecratione ne comporte pas de dicta.
Les collections canoniques Origine des canons
a riference
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biblique
Avant d'envisager l'utilisation de la Bible par les dicta, il faut preciser d'ou viennent les canons qui citent les Ecritures. Cette recherche des sources se situe a deux niveaux. En effet, lorsque l'on parle des « sources» utilisees par Gratien, on peut entendre par la Ie texte qu'il reproduit (canon conciliaire, lettres de pape, fragment patristique, etc.) ou bien la collection canonique a laquelle il a eroprunte ce texte. En effet, a part de rarissimes exceptions, les canons du Decret ont ete pris, non dans les reuvres memes de leurs auteurs, roais dans des collections canoniques des XIe-xne siecies ou dans des florileges, en particulier des florileges patristiques. Le Decret d'Yves de Chartres et dans une moindre mesurecelui de Burchard de Worms, vieux deja d'un siecie et demi, ont ete pour Gratien une mine, ou il ne s'est pas fait faute de puiser. A travers eux (qui avaient deja beaucoup emprunte a leurs devanciers) ce sont toutes les grandes collections du haut Moyen Age, telles que I'Hispana, la Di0'!Ysio-Hadriana, les Faux Capitulaires et les Fausses Decretales, mais aussi, bien que plus modestement, des collections moins prestigieuses (en particulier celles de l'epoque gregorienne) qui ont ali mente Ie Decret de Gratien163• 1. Si l'on se place au premier point de vue, celui des textes recueillis par Gratien qui contenaient des fragments bibliques, c'est Ie dossier patristique qui a fourni Ie plus de references 164• Trois des Peres de l'Eglise latine viennent au premier rang 165• Saint Augustin a donne, au Decret, 75 citations bibliques (13 dans les Distinctiones, 62 dans les Causae), 36 (12 et 24) viennent de Gregoire Ie Grand166, 3 I de Jerome167 • Mais des references scripturaires ont aussi ete apportees par des lettres 16 3. Cf. les concordances donnees par FRIEDBERG dans les Prolegomena a son edition du Decret : chap. 4 : quibus canonum collectionibus Gratianus usus sit (col. XLII-LXXIV), dont il faut retrancher les Sentences du LoMBARD, qui sont posterieures au Decret. 164. Ch. MUNIER (<< A propos des textes patristiques du Decret de Gratien», Proceedings of the Third intern. Congress of medieval canon Law, 1968, Citta del Vaticano, 1971,43-50) estime a environ I 200 les canons tires de la patristique (sur 3 700). 16 5. Des citations bibliques ont aussi ete apportees au Decret dans des textes de saint Cyprien (par exemple D. 8, 8 et 8; D. 93, c. z5; C. I, q. I, C. 70, § z; C. 7, q. I, c. 9; C. ZI, q. 3, c. 4; C. z4, q. I, c. 18 et 19; C. 24, q. I, C. 31), de saint Ambroise (par exemple C. I, q. I, c. 19 et 83; C. 5, q. 5, c. 3; C. 6, q. I, c. 10; C. II, q. 3, c. 68; C. 13, q. 2, c. 24; C. 14, q. 3, c. 3; C. 15, q. I, c. 10; C. Z3, q. 3, c. 7; C. 23, q. 5, c. 25; C. 23, q. 8, C. 21; C. 24, q. I, c. 7; C. 24, q. I, c. 26; C. 33, q. I, C. 2), de Julien Pomere (c. I, q. 2, c. 7), d'Isidore de Seville (par exemple D. ZI, C. I; D. 50, c. z8; C. 32, q. 7, c. 15; C. 33, q. I, c. 18) ou de Bede (c. I, q. 3, c. II; C. 3, q. 7, c. 6; C. II, q. 3, c. 83, C. 24, q. I, c. 24). 166. Dans Ie long fragment cite D. 43, c. I, on ne releve pas moins de 12 citations bibliques. 167. Nous ecartons les fausses attributions a Jerome (par exemple D. 45, c. 17; C. 8, q. I, c. 15, 16, 18; C. II, q. 3, C. ZI, ZZ, Z3; C. Z4, q. I, c. 20; C. 27, q. I, c. 13 et 37; C. 27, q. 2, C. 41) ou a Gregoire Ie Grand (par exemple D. 4, c. 6; D. 5, c. z; D. 17, c. 4; D. 81, c. z3; C. II, q. 3, c. 66; C. 23, q. I, C. I). p.
RICHE, G. LOBRICHON
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Les collections canoniques
Vivre la Bible
pontificales d'Innocent 1168, Leon Ie Grand169, Anastase170, Gelase171, Nicolas 1172, Urbain ll173 ou, mais beaucoup plus rarement, par des canons conci1iaires (Nicee 325174 et 787175, Tolede 633 176 et 675 177 ou Tribur 895 178) et cette enumeration ne pretend pas etre exhaustive. 2. 11 serait sans grand interet pour notre enquete de rechercher les collections canoniques auxquelles Gratien a emprunte les textes contenant des citations scripturaires. Une telle enquete, qui se revelerait souvent aleatoire ou meme vaine, releve d'une histoire de la compilation canonique, qui depasse de beaucoup notre propos. 11 nous suffit de savoir, et les preuves en sont innombrables, que les textes avec references scripturaires que l' on trouve au Decret figuraient deja dans de nombreuses collections anterieures 179• On a vu, en effet, que les collections anterieures a Gratien a partir du moment OU elles ont fait appel a la patristique, avaient deja de nombreuses references bibliques 180• 11 faut cependant souligner l'importance de l'apport pseudo-isidorien au dossier biblique du Decret. Vingt-six au moins des Fausses Decretales qui se retrouvent au Decret contiennent des references bibliques 181 ; deux autres viennent des Faux Capitulaires182• On retrouve done, au terme de l'Histoire des collections canoniques medievales, l'importance des Faux Isidoriens pour l'introduction des Ecritures dans Ie droit canonique.
168. Par exemple D. 2.6, c. 3; D. 3I, c. 4; D. 82., C. 2.; C. I, q. I, c. 73, § I. 169. Par exemple D. 19, c. 7 (Ps. 18, S); D. 47, c. 6 (Sir. 18, 30); D. So, c. 67; D. 61, C. S (I Tim. S, 2.2.); D. 9S, c. 6, § I (I Tim. 4, 14 et S, 17 et Actes 60, 2.8); C. I, q. I, C. P et n; c. II, q. I, c. 34; C. 2.6, q. 6, c. 10. 170. Par exemple D. 19, c. 8, § 1 (Mat. 2.3, 2.; Luc 3,16), § 2. (I Cor. 3, 6). 17 1. Par exemple D. 88, c. 2.; C. 2.4, q. 2., C. 2.; C. 2.4, q. 3, c. 36; C. 27, q. 1, C. 42.· 172.. Par exemple D. 2.1, C. 4 et 6; D. 2.7, c. 7; D. 43, c. S; C. 1, q. 1, c. 86; C. IS, q. 6, c. 2. et q. 8, c. S; C. 2.0, q. 3, c. 4; C. 2.3, q. 8, c. 19; C. 30, q. 1, C. 3 et 6; C. 30, q. 4, c. 1. 173. Par exemple D. 32., C. 6; C. 1, q. 3, c. 8, § 1 et 4; C. 19, q. I, C. 2.. 174. D. 47, c. 2.; D. 48, c. 1; C. 14, q. 4, c. 4 et 7· In. D. 38, c. 6; C. 2.1, q. I, C. 1 et q. 4, c. 1, § 1 et 2.. 176. Par exemple D. 38, c. I; D. 4S, c. S; C. I, q. 4, c. 7; C. 12., q. 2., c. 66; C. 13, q. 2., c. 2.8. 177. C. S, q. 4, c. 3; C. 7, q. 1, C. IS· 178. C. 2., q. 5, c. 4; C. 13, q. 2., c. 14· 179. Les notes de FRIEDBERG en indiquent quelques-unes pour chaque canon du Decret. n yen avait bien d'autres, ce qui rend Ie plus souvent impossible de determiner celle a laquelle chaque canon a ete repris. 180. Supra, pp. 344-34S. 181. D. 17, c. I; 2.2., C. 2.; SO, c. 4 et 14; 84, c. 6; 93, c. 7; C. 2., q. I, C. 2.0 et q. 7, c. IS et 19; C. 3, q. 4, c. 9; q. S, c. 8; q. 6, c. 13; C. 6, q. I, c. 13 et 16; C. 7, q. I, c. 39 et 46 ; C. 9, q. 3, c. 7; C. II, q. I, c. 14; C. 12., q. I, C. 2.; q. 2., C. 7 et 10; C. IS, q. 6, c. I; C. 16, q. I, c. n, § 4; C. 2.4, q. I, C. IS; C. 2.6, q. 6, C. 12.; C. 30, q. S, C. 10. 182.. C. 2.7, q. I, C. 2. et C. 3S, q. 8, c. 3·
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La Bible dans les « dicta » ~ .
C'est en examinant la place faite aux references bibliques dans les dicta que l' on peut apprecier l'usage que Gratien a fait des Ecritures. Car, tandis que les textes bibliques, qui figurent dans les canons, engagent les auteurs de ces canons et non Ie compilateur du Decret, les dicta qui sont l'reuvre de Gratien183 permettent de connaitre la technique de son argumentation. Celle-ci repose sur l'interpretation allegorique chere aux theologiens de l'epoque184, Anselme de Laon, Gerhoch de Reichersberg, Rupert de Deutz, saint Bemard185• Des Allegoriae in Vetus et Novum Testamentum 186 furent composees par un contemporain de Gratien que l'on a parfois voulu identifier a Pierre Ie Mangeur, Hugues ou Richard de SaintVictor. Cette interpretation allegorique, etrangere a la pensee occidentale modeme, mais importante pour l'exegese medievale, explique beaucoup de references bibliques, qui semblent aujourd'hui sans rapport avec Ie sujet187 • Pour qualifier ce que lui apporte la Bible, Gratien use des deux termes, chers aux dialecticiens de son temps : auctoritates et exempla188• La longue histoire du peuple d'Israel, les recits des Evangiles et des Actes fournissent des « exemples )} en abondance dont la diversite permettait d'etayer des theses contraires. Quant aux auctontates, elles sont fournies avant tout par les enonces de l'Ancienne Loi et les messages evangeliques. Mais elles viennent aussi des Livres sapientiaux et prophetiques ainsi que des Epitres. Dans de nombreux dicta la reference biblique est breve, venant fortifier plus ou moins directement l'affirmation du dictum. Mais, dans quelques cas, Ie dictum accumule les citations pour mieux appuyer sa demonstration. Tour a tour sont cites des textes de l' Ancien et du Nouveau Testament et, pour chacun d'eux, des fragments de divers ecrits alimentent un imposant dossier. n n'est pas exc1u que des florileges aient facilite Ia collecte de ces textes. Mais, faute de preuve, on ne peut 183. Sous reserve de ce qui a ete dit supra, n. IS9. 184. Deja Gregoire Ie Grand distinguait deux niveaux d'interpretation : celle selon la « verite historique» et celle qui requerait l' «intelligence de l'allegorie» : In verbis sacri e/oquii••• prius servanda est veritas historiae et postmodum requirenda spiritalis inte//igentia a//egoriae (Hom. in Evang. L. II, Hom. XL, PL, 16, 13°2.); sur 1'interpretation allegorique chez Gregoire, cf. R. MANSELLI [3], 79-83. 18S. a. G. LE BRAS [1I6], 6S, n. 2, et Cb. MUNIER, A propos des textes patristiques ... , et A propos des citations scripturaires, 82. Sur 1'interpretation medievale de la Bible en general, cf. H. de LUBAC [II]. 186. PL, Ill, 634-924. 187. Par exemple D. 36 dictum post c. 2, § I; 13; 14. - D. 37, dictum post c. 7; C. 2, q. 7 dictumpostc. 2; C. 7, q. I dictumpostc. 48; C. 23, q. 5, dict.postc. 49. 188. L'expression revient a plusieurs reprises, cf. par exemple les dicta initiaux de C. 23, q. 3 et C. 26, q. 2.
Les collections canoniques
Vivre la Bible l'affirmer. nest d'ailleurs peu vraisemblable que Gratien ait trouve lui-meme l'ensemble des textes repondant aux exigences des cas precis qu'il envisageait189. Un bon exemple de dos~ier scripturaire est offert par Ie dictum ~e la ~. I 3~ q. I, po~t ~. I. G.ratlen se p~opose ~ans cette question de deternuner a quelle eglise d01vent reverur les dimes dues par des exploitants qui ont ete contraints de quitter leur domicile devant une menace ennemie, mais qui, installes sur Ie territoire d'une autre paroisse, continuent a cultiv:er l~urs ter:es si~ees sur leur p~ro~sse d'origine. Pour regler Ie conflit qUl pourralt surg1r entre les deux eglises se pretendant l'une et l'autre attributai:es des dimes, Gr~tien n'allegue pas moins de quatorze passages de l'Ecrlture190, dont certatns concement l'obligation de verser la dime, mais dont d'autres ne s'y refer.en~ pas directement. D'autres dicta citent egalement des textes b1bliques empruntes a des Livres diff~rents191. Tous temoignen~. de Ia ~o~ai~sance que Gratien avait des ECrltures et de la valeur qu 11 attr1bualt a leur autorite. Une attention speciale doit etre accordee a I'usage de la Bible dans les dicta initiaux des Distinctiones ou des Quaestiones. Neuf Distinctiones s'ouvraient par un dictum qui allegue un ou deux textes scripturaires192. Dans les Causae, 22 Quaestiones, dans leur dictum initial, se referent a la Bible193. Ne pouvant examiner en detail ces 31 dicta, parfois fort longs, on se bomera a envisager avec quelle diversite ils utilisaient les textes bibliques. Certaines de ces citations ne repondent pas pleinement a une exigence du texte194. Ou bien Ie rappel de l' Ancienne Loi a simplement pour but de marquer la difference entre ses prescriptions et celles du droit nouveau195. Ailleurs, Ie texte biblique foumit, avec l'autorite qui lui est propre, une justification ou un exemple du principe que rappelle Ie 18 9. De nombreuses references scripturaires des dieta ont ete fournies ~ G~tien par les canons que ces dicta commentent. II n'est cependant pas exc1u. que Gratlen rut empt;Inte directement a des recueils bibliques florileges, ouvrages reprodUlsant telle ou telle partIe de l'ensemble biblique, gloses. FRIEDB~RG (Prolegomena, XXXIX, nO 65) a releve 19 emprunts a lag/ossa ad Vulgatam, dont la plupart figurent au De peniteneia et Ch. MUNIER (<< A propos des textes patristiques du Decret de Gratien », Proceed.. tke Third intern. Cong: of. Mediev~1 cano~ Law, 1968 , Citta del Vaticano, 1971, 46) releve l'utilisatIon de la Glose ordinalre (attrIbut!e a Anselme de Laon) dans les dicta, par exemple D. 37, diet. post c. 7· 190 . Reference a Nomb. 18,2.1-2.9; citation du Deut. 12., ~; 14, 2.7; 2.~, 2.5; 2.5, 4; Ps. 80, 13; 103, 14; Luc 10, 5; I Cor. 9, 7, II et 13; Gal. 6, 6; I TIm. 6, 8; IT TIm. 2.,.6. 191. Voir par exemple D. 25, diet. post c. 3; D. 36, diet. post c. 2; C. I, q. 4, d,et. post c. II (14 citations); C. 2, q. 7, diet. post c. 27; 39; 41; C. 7, q. I, diet. post c. 4 8 ; C. 23, q. I, diet. initial; C. 23, q. 4, diet. post c. 32, etc. 192. Cf. supra, n. 161. 193. C. I, q. 2 et 3; C. 2, q. 4; C. 15. q. I; C. 15, q. I; C. 17, q. I; C. 22, q. I; C. 23, q. I, 3, 5, 6, 8; C. 24, q. 2 et 3; C. 26, q. 2 et 5; C. 28, q. I ; C. 29, q. I et 2; C. 34, q. 4 et 6; C. 33, q. 1. 194. Par exemple D. 7. 195. Par exemple D. 5.
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dictum196 • Lorsqu'il traite des decretales et de l'autorite pontificale romaine, Gratien rappelle dans les dicta initiaux quelques-uns des textes scripturaires essentiels en la matiere197. nest d'autre part bien connu que ce sont les textes de la Premiere Epitre a Timothee (3, 2-6; 4, 8; 5, 15 et 22), de I'Epitre a Tite (I, 6) sur les qualites de l'episcope et des presbytes qui servent de base et de plan aux Distinctiones qui traitent de l'ordination198. C'est en alleguant Matthieu 5, 37 et l'Epitre de Jacques 5, 13 que Ie dictum initial de la C. 22, q. I interdit les serments et de nombreux textes bibliques justifient la defense faite aux clercs de s'engager dans Ie service des armes199. Au lieu de se montrer affirmatif et de trancher d'entree de jeu une question difficile, d'autres dicta rassemblent des temoignages scripturaires qui semblent se contredire et servent ainsi des opinions contraires. Tel est Ie cas du dictum initial de la C. 24, q. 3 qui s'ouvre en donnant« de nombreux exemples » du chatiment frappant toute une famille pour la faute d'un de ses membres et qui s'acheve en declarant que l'on ne saurait frapper toute la famille pour la faute d'un seul. Meme altemance dans Ie dictum initial de la C. 28, q. I a propos du mariage des infideles. Le dictum fait d'abord valoir les auctoritates (parmi lesquelles figure un texte de Paul200) qui s'opposent a la reconnaissance de telles unions. Puis il cite « d'autres auctoritates» tirees de l'Evangile et de Paul qui conduisent ales admettre201 . Dans la multitude des temoignages scripturaires, tous ne servent pas de fa~on evidente l'argumentation de Gratien. Certains exempla de l'Ancien Testament se conciliaient mal avec les exigences de la Nouvelle Loi202 . nest meme certains episodes de la vie du Christ, tels que les rapportent les Evangiles, qui exigent explication203 . On peut s'etonner de ce que Ie Decret n' ait pas prefere passer de tels temoignages sous silence. Sans doute certains etaient-ils trop connus pour que Gratien puisse sembler les ignorer. D'autres figuraient dans l'auctoritas rapportee au Deeret. n etait done neeessaire qu'un dictum en fixe l'exacte portee. C'est alors qu'intervient utilement I'interpretation allegorique, OU l'on 196. Par exemple D. 8. 197. D. 20 et 21. 198. D. 25 et suivantes; cf. G. LE BRAS [120], 71-73. Deja l'Hihernensis avait utilise ces textes dans son L. I consacre a l'episcopat (chap. 7). 199. D. 2.3, q. I, dictum initial. Resumant l'esprit de ces textes, Ie dictum se clot par la formule lapidaire : militare peeeatum est; cf. aussi les exempla et auctoritates que Ie dictum initial de la C. 23, q. 3 tire de l'Ancien et du Nouveau Testament pour condamner Ie recours a la violence et les textes du dictum initial de Ia C. 23, q. 6. 200. Rom. 14, 22. 201. Luc 12, 52; 14,26; Mat. 19,29; I Cor. 7,12; Tite 2, 4. 202. Cf. pour la simonie Ie C. I, q. I, diet. post, c. 22 et 24; la peine, C. 15, q. I, diet. post, c. 6; Ie mensonge : C. 22, q. 2, diet. post, c. 20 et 24; Ie serment, C. 22, q. I, diet. post, c. 16 et q. 4, diet. post, c. 22. 203. Cf. par exemple C. I, q. I, diet. post, C. 22 et 24; C. 2, q. 7, diet. post, c. 39.
iI. Les collections canoniqlles
Vivre la Bible a vu patfois une « jonglerie litteraire »204. Dans d'autres cas, utilisant des principes d'interpretation plus « modemes », deja proposes par Yves de Chartres et Abelard, il explique ces solutions differentes du droit de son epoque en rappelant qu'elles avaient ete donnees pour d'autres temps et d'autres lieux. C'est en combinant les principes nouveaux de l'interpretation avec ceux, traditionnels, de 1'interpretation allegorique que Gratien se libere de textes embarrassants.
La Bible dans Ie « De Consecratione » On a signale plus haut la place relativement modeste faite aux textes scripturaires dans Ie De Consecratione : 123 references, inegalement reparties entre ses cinq distinctiones : une seule a la Distinction III, relative aux fetes et au jefule (c. 30); 6 dans quatre canons (20, 24, 39, 40) ala Distinction V (qui traitent de la confirmation); 13 a la Distinction I qui traitent des lieux et des objets du culte ainsi que du sacrifice eucharistique, mais 45 a la Distinction IV (bapteme) et 58 a la Distinction II (eucharistie). On est, d'autre part, frappe de la forte preponderance des textes du Nouveau Testament (94 contre 29), sensible tout specialement dans la Distinction IV qui traite du bapteme et de la confirmation. Autre fait remarquable : sur les 56 references aux Evangiles (contre 34 aux Epitres pauliniennes), 38 utilisent l'Evangile de Jean, alors que dans les autres recueils canoniques c'est celui de Matthieu qui vient toujours en tete. On invoquera pour expliquer cette particularite l'objet du De Consecratione, consacre essentiellement au culte et aux sacrements (bapteme, confirmation, eucharistie). L'explication ne doit pas etre ecartee. Mais peut-etre cette difference par rapport aux deux premieres parties du Decret trahit-elle la main d'un autre compilateur. L'absence de dicta dans Ie De Consecratione releve plus de cette derniere explication que de la premiere. Elle est en tout cas un fait notable qui importe a notre enquete. En efi'et, dans cette IlIa Pars du Decret toutes les references bibliques sont apportees par les textes qui constituent les canons. Aucune ne peut etre attribuee au compilateur du De Consecratione. n serait donc vain de rechercher ici une methode ou des principes d'utilisation des textes bibliques, ou meme de deceler des matieres qui les auraient particulierement suscites. Seul fut determinant Ie choix des auctontates et celui-ci ne fut pas guide par Ie souci de faire appel aux Ecritures.
z04. LE BRAS [120], 76.
La Bible dans Ie « De Penitencia
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»205
Relativement rares au De Consecratione, les references bibliques abondent au De Penitencia : 335, dont II9 dans des dicta. On retrouve ici la distinction entre citations bibliques apportees par les textes recueillis pour leur auctontas et non pour leur reference scripturaire, et citations voulues par l'auteur du dictum. La grande majorite de ces citations (toutes celles qui figurent dans les dicta) sont groupees dans les quatre premieres Distinctiones du De Penitencia. Les Distinctions V a VII, tres courtes, il est vrai, puisqu'a elles trois elles ne comptent que 16 canons, ne citent que six fois la Bible (dont une seule citation de l'AT). Dans les D. I, II et III, Ancien et Nouveau Testament sont l'un et l'autre bien representes. Dans la D. IV Ie Nouveau Testament est presque deux fois plus souvent cite que l'Ancien (23 contre 15). Dans les D. I et III, l' Ancien Testament 1'emporte (60 et 35 contre 47 et 26). La quasi-totalite206 des references scripturaires contenues dans les canons du De Penitencia figurent dans des textes d'auteurs ecciesiastiques, et en tout premier lieu des Peres latins : Ambroise, Jerome, Augustin, Gregoire Ie Grand. L'accueil fait a d'autres auteurs chretiens est, proportionnellement, plus genereux et plus varie que dans l' ensemble du Decret. Par eux beaucoup de passages bibliques ont ete re~s au De Penitencia. Citons Origene (en general masque sous d'autres noms, dont ceux d'Adamantius ou d'Exitius, D. 3, c. 34 et 35. que l'on ne retrouve pas au Decret207), Cyprien, mais aussi Pomere, Isidore de Seville, Bede et, pour l'Orient, saint Jean Chrysostome. La longueur exceptionnelle des dicta du De Penitencia constitue un autre trait caracteristique de cette partie du Decret. Elle a favorise les apports bibliques 208• Ces traits du De Penitencia, nouvelle confirmation de son originalite par rapport au Decret, s'expliquent en partie par son objet. Alors que la Distinction I traite du role de la contrition et de la confession dans la remission des peches, les D. II, ill, IV, sorte de« traite theologique »209, z05. Ch. MUNIER, « A propos des citations scripturaires du De Penitencia », Rev. de droit canonique, XXV (1975), 74-83. z06. n faut cependant signaler quelques tres rares canons formes exdusivement d'une citation biblique: D. I, c. 3 (Ps. 50, 19),4 (Ps. 31, 5), 34 (Mal. 3,7); D. z, c. 7 (I Cor. 13); c. z8 (Gal. 5, 6). Le c. 36, D. 1 (I Ep. Jean, 3,9) ne doit pas etre tenu pour un canon, mais etre rattache au dictum precedent qui s'y rHere expressement; cf. egalement D. IV, C. ZI. z07. Ou Origene est tres souvent cache sous Ie nom de Jerome. z08. Z3 citations dans Ie dictum de la D. z, post, c. 39; ZI dans Ie dictum de la D. I, post c. 60; 14 dans celui de la meme D,post, c. 87. z09. J. RAMBAUD [IZI], 89. La tendance speculative theologique de ces Distinctiones, inhabituelle dans Ie Decret, a ete soulignee par Ie pape Jean-Paul II, alors Mgr K. WOJTYLA dans un article sur « Le traite De Penitencia de Gratien dans l'abrege de Gdansk », Studia GraHana, VII (1959), 357-390.
Vivre la Bible envisagent la reiteration de la penitence et la reviviscence des fautes pardonnees. On est loin ici des considerations proprement canoniques.
Domaine de l'argument scripturaire On a rencontre, au cours des developpements precedents, que1quesunes des questions a propos desquelles Gratien faisait intervenir Ie temoignage scripturaire. En dresser une liste exhaustive serait long et de peu de profit. On ne saurait en effet mettte cote a cote les textes OU la Bible n'est alleguee que de fa~on allusive, dans une breve formule, et ceux qui, multipliant les references scripturaires, semblent en faire une donnee essentielle de l'argumentation. Dans les vingt premieres Distinctiones, consacrees aux sources du droit, les references bibliques sont peu nombreuses et l'on n'en compte que six dans les dicta 210• Elles deviennent plus frequentes dans la seconde partie des Distinctiones lorsque Gratien traite de l'acces aux ordres, des ministres et de la hlerarchle. Deja Ie dictum initial de la D. 20 (§ I), a propos de l'autorite des decretales, avait cite Matthleu 16, 18. D'autres passages rappelleront a nouveau les fondements scripturaires de la Primaute211• La Bible est aussi alleguee a propos des degres d'ordre212, du respect des superieurs 213, des conditions d'acces aux ordres 214, des qualites de l'eveque215, de la chastete c1ericale216, de la temperance que doivent observer les c1ercs 217 et des autres vertus du c1erge218 • La grande majorite de ces citations figurent dans des canons empruntes a la patristique219, mais les dicta font egalement etat de references bibliques. Beaucoup plus abondants dans la IIa Pars du Decret, les temoignages bibliques sont invoques a propos de sujets tres divers. La Cause 23, qui traite de la violence sous ses diverses formes 220, leur est particuliere210. Cf. supra, p. 352. 2II. Dictum initial de la D. 21, § 3 (Luc 22, 32); cf. D. 21, c. 2 et 3; D. 22, c. I et 2. 212. Dictum initial de la D. 21, § I (Luc II, 19); D. 21, c. I (Ionn. 1,9). 213. D. 21, c. 4. 214. Dictum initial de la D. 24 (I Tim. 5,22); D. 25, diet. post c. 3 (I Tim. 3,2). 21 5. D. 25, diet. post c. 3 (I Tim. 3,2; Tite, 1,7); D. 40, diet. initial (I Tim. 3,2). 216. D. 31, diet. post c. I (I Cor. 7,5), c. 4 (Lev. II, 14 et 21, 12; Nomb. 18,7), c. (I Cor. 7, 5), c. II (I Cor. 9, 5). 217. D. 35, c. 2, 6. ZI8. Cf. D. 36, dictum post c. 2, § 5, 7, 8, 9, 10, II; D. 37, diet. post c. 15; D. 38, c. 10; D. 42, dictum initial, § 2. 219. Voir en particulier Ie tres long passage emprunte a Gregoire Ie Grand, D. 43, c. I; autres emprunts au meme auteur D. 45. c. 9; D. 46, c. I et 2; D. 47, c. 3; emprunts a Jerome D. 35, c. 2, 4. 6; D. 49, c. 2 ou a Origene D. 45, c. 17, etc. 220. La guerre (q. I et 2), l'usage de la contrainte et la legitimite des peines (q. 3 et 4), la peine de mort et Ie droit de tuer son ennemi dans une guerre juste (q. 5), la poursuite de l'heresie (q. 6 et 7), les clercs et Ie service des armes (q. 8).
Les collections canoniques ment accueillante : 58 references a l' AT, 87 au NT. Le dictum initial de la q. I multiplie les references aux deux Testaments pour condamner toute violence, ce qui n'empechera pas la q. 4 de proposer une doctrine de la guerre juste221 • Le dictum de la q. 4,post c. 15 accumule les citations qui opposent a la rigueur de I'Ancienne Loi, edictant des peines et donnant I'image d'un Dieu severe (specialement Ex. 20, 5), la mansuetude de la Loi Nouvelle, qui reserve a Dieu Ie chatiment des fautes et invite l'homme coupable a la penitence. Le dictum initial de la q. 5, au contraire, rapproche Ie precepte du Decalogue « tu ne tueras pas » (Ex. 20, 13) des paroles du Christ « ce1ui qui prend Ie glaive perira par Ie glaive» (Mat. 26, 52). Ce dernier texte reparait dans Ie dictum initial de la q. 8, cette fois pour justifier I'interdiction faite aux c1ercs de prendre les armes. A travers les dicta de la q. 4 s'esquisse une doctrine de la repression et des peines qui prend appui sur des references scripturaires. On pourrait multiplier de te1s exemples. Qu'il s'agisse des dimes, des privileges, du serment, de la sepulture, des sorts, du chatiment des coupables 222, des accusations contre les prelats 223, l'Ecriture est largement invoquee. On la retrouve dans des evocations critiques des mreurs de I'episcopat medieval. Le dictum post c. 20 (C. 23, q. 8) signale des eveques qui ne se satisfont pas d'etre les serviteurs de Dieu. A la difference des Uvites de I'Ancienne Loi, ils ne disent pas « Dominus pars hereditatis meae est »224. Non contents de la dime et des premices, ils veulent des champs, des domaines, des chateaux et des cites. Pour tout ce1a, ils doivent tribut a C6sar225, a moins d'en etre exemptes par la bienveillance imperiale. Propos qui rappellent les debats de la Querelle des Investitures. Cette critique discrete des appetits episcopau:x: rejoint celie, plus incisive, des reformateurs « gregoriens ». De ces appe1s si divers a la Bible, nous ne retiendrons pour terminer que ceux du de matrimonio. De la C. 27, q. 2 ala c. 35, on ne rencontre pas moins d'une cinquantaine de references a l' AT et plus de 80 au NT. Dans les dicta, la Bible reparait une quarantaine de fois. Qu'a cote de la procreation, I'une des fins du mariage soit Ie remede a la concupiscence est rappe1e, dans Ie dictum de la C. 32, q. 2, post c. 2 par la citation de la Ire Epitre aux Corinthlens 7,2 et Ie dictum conc1ut, avec la meme epitre (7, 5), a I'obligation du debitum conjugale. La doctrine consensualiste, qui tient I'echange des consentements 221. HUB RECHT, « La 'juste guerre' dans Ie Decret de Gratien », St. Gratiana, III (1955), 161-177. 222. Le texte de la Ire aux Corinthiens 5,3-5 est cite a plusieurs reprises: C. II, q. 3, diet. post c. ZI; C. 23, q. 4, diet. post c. 26; C. 24, q. I, diet. post c. 4; Ie dictum initial de C. 26, q. 5 se refi:re a 1 Cor. 5, II. 223. Cf. G. LE BRAS [120], 62-69. 224. Ps. 16 (15), 5. 225. Le dictum cite Ie Reddite Cesari (Mat. 22,21) et Rom. 13,7.
Vivre la Bible pour l'acte createur du lien matrimonial, est justifiee dans Ie dictum de la D. 27, q. 2,Post c. 2 par l'exemple decisif du mariage de la Vierge. Un fragment d'une lettre d'Innocent I (D. 26, c. 3), citant Matthieu 19, 6, rappelle Ie principe d'indissolubilite. C'est au meme passage de Matthieu (19, 9) que fait appe11e dictum initial de la C. 33, q. I, pour fonder la loi d'indissolubilite, ainsi que Ie dictum post c. 16, C. 32, q. 5. Le privilege paulin qui met en echec la loi d'indissolubilite en cas de mariage entre chretiens et infideles est expose, a l'aide de textes scripturaires, dans un passage du Liber de adulteriis coniugiis d' Augustin que Gratien fait figurer C. 28, q. I, c. 8 et, dans Ie dictum initial de cette quaestio, plusieurs textes des Evangiles et de Paul cautionnent la reconnaissance du mariage des infideIes 226 • Le refus d'autoriser Ie mari adultere a renvoyer sa femme, egalement coup able d'adultere, est justifie dans Ie dictum initial de la C. 32, q. 6 par les textes de Jean (8, 7) et de Luc (6,42) sur la lapidation de la femme adultere. Le dictum initial de la C. 1 5, q. 3, se demandant si une femme peut porter accusation contre un clerc, offre a Gratien l'occasion d' affirmer la superiorite masculine et d'opposer une fois de plus l'Ancienne Loi aux regles de son temps. En effet, au temoignage du Livre des Juges (4,4), des femmes furent juges en Israel (§ I). Mais Gratien constate que sur ce point 1a Loi Ancienne est abolie; et de citer (§ 2) l'Epitre aux Ephesiens (5, 22-23), subordonnant la femme a l'autorite du mari227 •
Conclusion Au terme de cette analyse, une question demeure. Quel interet presente pour Ie Decret de Gratien cet apport scripturaire? Les rares canonistes qui se sont interroges sur ce point semblent en faire peu de cas. Les references a l' AT paraissent a G. Le Bras concerner « un monument historique dont certaines parties sont caduques et les autres ne sont respectees qu'en tant qu'annonce du Nouveau Testament »228. Le bilan de la contribution scripturaire est a peine moins severe : « L'ensemble est moins imposant que Ie principium du Decret ne Ie laissait prevoir. » L'Ancien Testament est depasse, l'Evangile « predication morale OU les precisions juridiques sont rares » ne pouvait guere repondre aux besoins du juriste. Quant a saint Paul,
226. Cf. aussi di&lum initial de la C. 29, q. 2, qui se prevaut de la generalite des termes de I Cor. 7, 39. . 227. Dans ce di&lum, ou il rejette l'exemple donne par l'Ancien Testament, Gratien tnvoque la loi romaine, refusant aux femmes l'acd:s des tribunaux, ainsi que Ie confirment les textes du Code de Justinien et du Digeste qui forment les c. 1 a 3 de la meme quaestio. 228. Dp. &il., 66-67.
Les collections canoniques il ecrivait pour de petites communautes, bien differentes de la societe chretienne du xue siecle229 • Se plas;ant a un autre point de vue, Ch. Munier est aussi reserve. S'il reconnait que la Bible est pour Gratien« regIe de foi et de conduite », il ne lui semble pas que dans Ie Decret elle formule Ie droit. Gratien, en « bon gregorien », estime que cette fonction revient a l'autorite et tout specialement au Siege romain230. S'il allegue la Bible c'est pour en inserer Ie message dans son recueil juridique plus que pour en degager des regles de droit. Si l'on suivait cette voie, on en viendrait a conclure que les references bibliques ne figurent au Decret que par une sorte de jeu, au mieux pour temoigner d'une connaissance des Ecritures, ou, tout simplement, parce qu'elles etaient fournies a Gratien par les textes qu'il recueillait. Devant Ie nombre considerable de references scripturaires qui figurent au Decret231, il est cependant difficile de croire que Gratien n'y ait attache qu'une mediocre attention. Sans doute la grande majorite figure dans des canons et, par consequent, lui a ete « donnee » par les textes qu'il recueillait. Mais les dicta aeux seuls en comptent 429, celles-ci voulues par leur auteur. Le temoignage biblique est donc pour Gratien une donnee importante; parfois une reference embarrassante, quand l'exemple ou la regIe qu'il rapporte ne correspond plus aux usages canoniques du xne siecle. Si Gratien Ie rappelle neanmoins, c'est qu'il estime que beaucoup Ie connaissent et qu'il doit en proposer une interpretation convenable. En fait, dans les dicta comme dans les canons, Ie texte biblique formule souvent une regIe ou sert de fondement a la regIe qui est formulee. II ne semble donc pas que l'on puisse en meconnaitre la valeur juridique et donc l'importance dans la masse des textes qui constituent Ie Decret. Tous ces textes sans doute n'ont pas meme valeur. Certains sont loin de la regIe de droit, d'autres temoignent d'un monde juridique revolu et l'on a dit la part que tenait l'allegorie dans l'interpretation de nombreux fragments scripturaires. Mais, surtout, la nature meme de beaucoup de textes scripturaires soumet leur autorite a un certain controle. Cons;us dans Ie monde lointain du peuple d'Israel, les textes de l'Ancien Testament requierent pour les canonistes du xu e siecle que1que explication. Les formules
229. Dp. Gil., 76. 230. « A propos des textes patristiques » (cite supra, n. 164), 49-50; « A propos des citations scripturaires du De Peniten&ia » (cite supra, n. 205), 82-83. 23 I. Nous en avons releve 886 pour les deux premieres parties, 123 au De Conse&ratione, 335 au De Peniten&ia, soit un total de 1 344.
Les collections canoniques
Vivre la Bible neo-testamentaires elles-memes ne sont pas toujours a prendre pour expression de la regIe de droit. Dans ce travail d'interpretation, Gratien donne la premiere place a l'autorite romaine. Le dictum initial de la D. 20 est a cet egard decisif. Gratien s'interroge sur la place des expositores sacrae scripturae dans la hierarchie des sources. n en reconnait l'excellence. Guides par l'Esprit-Saint, Augustin, Jerome et d'autres ont une auto rite considerable, que justifient leur science et leur raison. A ce point de vue, ils l'emportent parfois sur certains Pontifes. Mais« autre chose est d'exposer avec soin l'Ecriture et autre chose d'imposer un terme aux litiges. La science ne suffit pas pour regler les affaires, il faut aussi Ie pouvoir ». A l'appui de cette doctrine, Ie dictum evoque la remise a Pierre des clefs du Royaume des Cieux. n cite aussi Ie texte de l'Evangile : « Tout ce que tu lieras sur cette terre ... »232. Paroles qui conferaient au Chef de l'Eglise et la science de discerner Ie bien du mal et Ie pouvoir d'exclure et de reconci1ier. Ainsi l'hommage rendu aux savants marque les limites de leur role. A eux d'exposer, a l'autorite de trancher et de dire Ie droit. Absoudre ou condamner n'est pas seulement question de science. n y faut Ie pouvoir, dont disposent ceux qui president a la communaute. Les docteurs ont beau l'emporter sur les Pontifes dans leurs livres. Parce qu'ils ne sont pas les premiers en dignite, ils leur cedent Ie pas dans Ie reglement des litiges. C'est en ayant present a l'esprit cette hierarchie que l'on doit apprecier la place des Ecritures au Decret. Par Ie nombre des references et leur variete, elle est considerable. A cet egard, Ie Decret de Gratien s'inscrit dans la lignee de ses grands predecesseurs, les Decrets de Burchard de Worms ou d'Yves de Chartres. n les surpasse meme par sa richesse. Mais l'Ecriture donne rarement une solution immediate aux difficultes quotidiennes. Lorsqu'il s'agit de les resoudre, l'autorite de la hierarchie reprend la premiere place et la speculation cede aux exigences de la discipline. Accueillant aux Ecritures, Ie Decret n'en avait pas moins re~ les les:ons « gregoriennes ». Souverain legislateur, Ie Pontife romain reste l'interprete supreme du droit et des Ecritures.
23 2• Mat. 16, 19.
CONCLUSION GENERALE
De l'aube du second siecle au milieu du xue, avec des fortunes diverses, la Bible chemine dans « les collections canoniques ». Elle fut a deux moments source directe de droit. D'abord lorsque les premieres reuvres liturgico-disciplinaires, qui ne disposent meme pas d'une ebauche de legislation, demandent aux Ecritures une discipline de vie. Puis, au VIlle siecle, dans la lointaine Irlande OU des moines cultives doivent suppleer aux deficiences du droit. Dans les deux cas, malgre les differences d'epoque et de situation, la Bible est utilisee selon des modalites assez voisines. Elle fournit directement des textes et l'Hibernensis en fait volontiers des chapitres disciplinaires. Tout autre est son emploi dans les Faux Isidoriens. L'atelier des faussaires lui demande une caution pour justifier leurs theses. Celles-ci s'expriment dans de longs apocryphes a l'abri de prestigieux patronages. Les citations ou allusions bibliques emaillent Fausses Decretales et Faux Capitulaires. Mais elles ne sont plus presentees directement comme des regles disciplinaires. Peu utilisee par la legislation du haut Moyen Age, la Bible n'a pas grand-place dans les collections canoniques du VIe au milieu du IXe siecle. Ce qui ne signifie pas qu'on ait cesse de l'etudier. Certaines decretales la citent et quelques eveques cultives l'invoquent dans les conciles. Mais elle est affaire d'hommes de doctrine plus que de pasteurs ou de legislateurs 233 • Aussi est-ce dans la litterature chretienne, et surtout chez les Peres de l'Eglise, qu'elle trouve refuge. A partir du milieu du IXe siecle, cette litterature vient enrichir les recueils canoniques. Par son intermediaire, la Bible fournit aux collections auctoritates et exempla. Elle n'est pas simplement enrichissement quantitatif. Avec les textes scripturaires un esprit nouveau penetre les collections, dont temoignent encore les recueils constitutifs du Corpus Juris canonici. Sans ecarter les enonces normatifs, auxquels convient la rigueur juridique, les collections font une place au message biblique, exprime souvent sous forme imagee, voire poetique, et dont les ambitions depassent la seule harmonie d'un ordre terrestre. Cet emprunt biblique a varie selon les temps. D'abord en importance. n est modeste dans les premieres reuvres doctrinales, elles-memes assez breves: on ne compte pas JOO references dans la DidachC (AT 46, NT 47); moins encore dans Ie Pasteur ou la Tradition apostolique. Vne nette progression des la Didascalie OU l'on releve 238 references qui emptun-
233. Certains cumulent ces titres, et, en tout premier rang, Gregoire Ie Grand.
Vivre la Bible
Les collections canoniques
tent un peu moins a l'Ancienne (I03) qu'a la Nouvelle Loi (I35). Mais c'est dans l'Irlande de l'Hibernensis et un siecle et demi plus tard dans la Gaule carolingienne du Pseudo-Isidore que s'opere Ie progres decisif, fruit d'une etude plus poussee de la Bible, mais aussi du travail des Peres: pres de 300 textes dans l'Hibernensis, dont les deux tiers (2I4) ont ete empruntes a l' AT; environ 400 dans les Fausses Decretales, OU l'Ancien Testament l'emporte d'une courte distance (2I5 contre I77)234. Servis par ces collections, mais ne dedaignant pas des emprunts nouveaux, les compilateurs, de Burchard a Gratien, en Italie comme au nord des Alpes, enrichissent Ie dossier. A cette croissance numerique repond tres normalement une diversification croissante. La Didache n'utilisait que I4 livres de l' AT et, pour Ie NT, surtout l'Evangile de Matthieu, un peu moins celui de Luc, les Epitres pauliniennes n'apparaissent que trois fois. Avec la Didascalie l'eventail s'ouvre : 2I livres de l'AT; pour Ie NT, un large appel aux Evangiles (92 references) se combine avec l'utilisation de la presque totalite des Epitres pauliniennes 235. Mais c'est l'Hibernensis qui, a la quantite, ajoute la diversite. Vingtsept livres de l'AT (sur 46) sont cites. Parmi ceux qui n'ont pas ete mis a contribution, certains resteront ignores des collections canoniques : Ruth, I Chronique, Judith, Esther, les deux Livres des Macchabees, les Lamentations, Baruch, Abdias, Aggee et neuf autres livres, rarement cites par les canonistes236. Au NT, l'Hibernensis emprunte non seulement une cinquantaine de textes des Evangiles, mais, outre des fragments des Actes, de l'Epitre de Jacques, de la Ire de Pierre, de la Ire de Jean et de l'Apocalypse, des passages de la plupart des Epitres pauliniennes 237. Les Fausses Decretales se montrent un peu plus selectives a l'egard de l' AT238. Mais, a l'exception de la lettre a Philemon et de la lIe Epitre de Jean, tout Ie NT est mis a contribution. D'une fac;on generale, dans I'AT, Ie Pentateuque (et surtout l'Exode et Ie Deuteronome), mais plus encore les Psaumes et, parmi les Pro-
phetes, Isaie et Ezechiel239 sont Ie plus souvent invoques par les collections canoniques. Dans Ie NT, l'Evangile de Matthieu et, pour les Epitres, celles aux Romains et la Ire aux Corinthiens occupent les premieres places. Ces choix tiennent pour partie aux sujets abordes. Mais ceux-ci ne les conditionnent pas pleinement, car la reference biblique est souvent reflet d'une certaine culture, resurgence de memoire, sans grande coherence avec l'objet du canon. On constate en effet que les preferences et les omissions des canonistes se retrouvent, pour l'essentiel, dans d'autres ceuvres 240. II est remarquable que les preferences des Fausses Decretales se retrouvent pour bonne part dans les ecrits d'Hincmar241 dont les sujets depassent de beaucoup Ie seul domaine du droit. Les Psaumes y sont au premier rang suivis par Matthleu. La Ire aux Corinthiens et l'Epitre aux Romains sont, de loin, en tete des Epitres pauliniennes. Isaie et Ezechiel sont preferes aux autres prophetes. Et, pas plus que les collections canoniques, les ecrits de l'archeveque de Reims ne font appel aux Livres de Ruth, de Judith, au Ier Livre des Macchabees ni, parmi les Prophetes, a Baruch ou Abdias ou, pour les Epitres, a la lettre a Philemon242. Les grandes collections canoniques des XIe_Xne siecles ne modifient guere ces equilibres. Leurs auteurs etaient trop tributaires de leurs devanciers, trop marques aussi par les methodes et les matieres de l'enseignement de leur temps pour rompre avec la tradition. Le Decret de Gratien, ici comme en bien d'autres domaines, s'inscrit dans la ligne d'une longue histoire. Mais il porte aussi les germes d'une grande mutation. Fidele au passe, il admet largement les references bibliques. Marque par les theses que developpent depuis un siecle les collections « gregoriennes », il fait de Rome l'arbitre du droit. Vne hierarchie des sources s'affirme qui, sans ecarter Ie recours a la Bible, met au premier rang Ie Pontife romain. Jean GAUDEMET.
234· D'autres temoignages, et avant tout celui d'Hincmar de Reims, canoniste, theologien, liturgiste, con£rment la place considerable des references bibliques dans la litterature chretienne du IXe siecle . . 235· Seules deficiences la lIe Ep. aux Corinthiens et la lIe aux Thessaloniciens qui n'apparalssent guere avant les Fausses Decretales et la lettre it Philemon qu'ignorent les collections canoniques. 2?6. II Chro., Nehemie, que citent une fois les Fausses Decretales, Cantique des Canttques (tres rarement cite dans les collections canoniques), Ecclesiastique, Joel, Michee, ~ahum (ces deux derniers n'apparaissent qu'avec les Fausses Decretales), Sophonie (que 10,n ne trouve 3,4, que dans un texte du Concile romain de 743, c. 15, que reproduit Ie Decret d'Yves, VI, 76 en attendant celui de Gratien, D. 81, c. 23), Malachie. .2p. Ne sont pas utilisees les Epitres aux Philippiens et aux Colossiens, la lIe aux Thessa10ntclens, l'Epitre a Tite. 23 8. Vingt-deux livres non utilises,
239. La frequence des citations d'Ezechiel (comme de Job) s'explique par l'existence de commentaires celebres de ces livres, auxquels ont emprunte les auteurs de collections canoniques. 240. Cf.les observations de Beryl SMALLEY [4], 631-655, spec. 649 : Ie Psautier privilegie; puisles Evangiles etles Epitres; peu de place aux« petits» prophetes, sauf Jonas, au Cantique ou it l'Apocalypse, mais faveur pour les Livres sapientiaux. 241. J. DEVISSE [68], 1320-1321. 242. D'autres livres, absents des collections canoniques, ne se trouvent dans les ecrits d'Hincmar qu'a une ou deux reprises et l'inverse est egalement vrai.
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Vivre la Bible
I
Les collections canoniques
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Tableau du nombre de riferences bibliques dans quelques collections canoniques
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Q I. Genese Exode Uvitique Nombres Deuteronome Josue Juges Ruth I Samuel II I Rois II I Chroniques II Esdras Nehemie Tobie Judith Esther I Macchabees II Job Psaumes Proverbes Ecclesiaste Cantique des Cantiques Sagesse Ecclesiastique (Sirac.) Isale Jeremie Lamentations Baruch Ezechiel Daniel Osee Joel Amos Abdias
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II
II
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16 9
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II
I
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II
13 3 5 4
4 10 4
3
3
2
52 27 30 15 23 4 3
9 5 3
6 4
2
2
2
8
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~ I
45
17 9
29 6 3 4
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6
II
2
(1) I : Distinctiones et causae; 2 : De Penitencia; 3 : De Consecratione.
2
3 64 24 14 3 6
4 41
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12
29 3 10
10 3 4 3
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Deeret de Gratien (1)
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4
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ANCIENT TESTAMENT I 6
Tableau du nombre de riferences bibliques dans quelques collections canoniques (suite)
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2
I
2
2 2 2
2 2 46
3
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2
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10
101
21 7
21 5
399
153
29
54 8 17 20 14 27 25 16 7 14 6 8 3 5 9 4 2
121 3 37 41
29 6 27
10 2 6 36 3 9 17 2 2
I
7 13 22
3 6 12
2
14
50
2 3 8 317
85
NOUVEAU TESTAMENT
30
9
9
2 5 4
2
3
7
I
II. Matthieu Marc Luc Jean Actes Ep. aux Romains I Corinth. II Galates E/iihesiens P ·lippiens Colossiens I Thessal. II I Tim. II Tite Philemon Hebreux Ep. de Jacques I Ep. de Pierre II Ep. de Pierre I Ep. de Jean II Ep. de Jean III Ep. de Jean Ep. de Jude Apocalypse Total NT
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2
56 9 23 4 6 2 2 4 2
2 2
7
32
13
10 4 2 8 16 3 2 7
3 4 2 4 7 2
2
4
8 2
3
33
49 99 17 13 4 3 2
37
2 9 13 3 2
I
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2
3
II
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I
3 3
I
50
36
13 6
3 109
I
5 9 3
9
II
2 I
6 0 5 7
6 174
94
3 La Bible et les canonistes *
Les debuts de l'etude scientifique du droit canon au Moyen Age sont generalement dates des environs de 1140, lorsque Gratien composait sa Concordia discordantium canonum, ou Decretum. On sait peu de chose a propos de Gratien, generalement decrit comme un moine camaldule favorable a la papaute, qui enseignait la theologie a Bologne. 11 etait contemporain des « quatre Docteurs », les successeurs d'Irnerius, l'initiateur de l'enseignement scientifique du droit civil en cette citel • Le Decretum se presentait comme un manuel, realise a une epoque ou Ie droit ens eigne dans les ecoles etait defini par des enseignants plus que par les legislateurs. Hors de toute approbation papale d'un caractere officiel, l'reuvre de Gratien fut etudiee a travers toute la chretiente. A Bologne et a Paris, les facultes de droit canonique delivraient des les:ons sur une version du texte de Gratien complete par certaines additions (paleae)2. Gratien n' etait pas Ie premier penseur medieval soucieux de mettre de l'ordre dans l'heritage divers de l'Eglise en fait d'idees et de pratiques disciplinaires. La plupart des anciennes collections canoniques etaient
* L'auteur a discute ces reflexions avec les prs Stephan Kuttner et Brian Tierney, ainsi qu'avec ses collegues de l'Institut de Droit canonique medieval (Berkeley), Stephanie Jefferis Tibbetts et Stephen Horwitz. 1. S. CHODOROW, Christian Political Theory and Church Politics in the Mid-Twelfth Century, Berkeley, 1972, pp. 47-64; J. NOONAN, « Gratian Slept Here: the Changing Identity of the Father of the Systematic Study of Canon Law», dans Traditio, Jf, 1979, pp. 145-172. 2. S. KUTTNER, Harmony from Dissonance, Latrobe, Penna., 1960, p. 30; J. NOONAN, « Was Gratian Approved at Ferentino », Bulletin of Medieval Canon Law, 6 (1976), pp. 15-27; P. CLAsSEN, « Das Decretum Gratiani wurde nicht im Ferentino approbiert», ibid., 8 (1978), pp. 38-40; H. RASHDALL, The Universities in the Middle Ages, I, Oxford, 1936; repro 1964, pp. 128-135.
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La Bible et les canonistes
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des compilations chronologiques de canons conciliaires et de letttes papales avec un ensemble complexe de textes apocryphes. Mais Gratien appartenait a une tradition de theologie scolaire qui produisait des collections systematiques en vue de resoudre des problemes d' organisation ecclesiastique. On inserait dans ces collections, avec les canons et les decretales, des extraits patristiques, souvent reIatifs a l'Ecriture, et des passages tires de la Bible elle-meme. Parmi les premiers de ces theologiens scolaires figure l'eveque de Worms, Burchard, du Xl e siecle, dont Ie Decretum se terminait par un penitentiel (Corrector) et un traite de theologie speculative (Speculator). Des auteurs ulterieurs dans cette meme tradition furent membres d'un cercle reformateur a Rome ou comptaient parmi ses sympathisants. Trois de ces derniers, des ecclesiastiques plus nordiques, influencerent Gratien, a savoir Bernold de Constance, Yves de Chartres et Alger de Liege. IIs appliquerent des regles hermeneutiques aux divers textes legaux herites par l'Eglise. Le transfert des principes exegetiques du domaine des textes sacres a ceIui du droit canon ne leur posait d'ailleurs aucun probleme special, puis que la Vulgate ne manquait pas de termes juridiques rendant un echo fideIe du latin du droit romain3• Gratien lui-meme appartenait a la plus ancienne periode de la theologie scolastique. Ses rapports precis avec les ecoles de Paris ont fait l'objet de nombreuses discussions. Des auteurs medievaux etablissaient une telle connexion en faisant de « Pierre » Gratien un frere de Pierre Lombard et de Pierre Ie Mangeur. La recherche moderne pretendit relier la methodologie de Gratien avec celle de Pierre Abelard. Un trait d'union entre eux a ete suggere par leur recours commun aux ecrits de Bernold et d'Yves. Ce rapport parait Ie plus plausible, Gratien ne semblant avoir connu les doctrines d' Abelard que d'une fas;on indirecte. L'un et l'autre, ces deux pionniers intellectueIs, avaient tendance a placer la dialectique en tete de l'hlstoire, en vue de resoudre les differences entre les textes res:us4. L'influence de Gratien sur Pierre Lombard se laisse discerner plus immediatement dans Ie fonds commun de leurs compilations, Ie Decretum et les Sentences, ainsi qu'en leur theologie 3· C. MUNiliR, Le.s sources patristiques du droit de I'Eglise, Mulhouse, 1957, pp. 54, 58, 96, 99, III; A. M. LANDGARF, « Diritto canonico e teologianelsecolo XII», dans Studia Gratiana, I, 1953, pp. 374-376; W. ULLMANN, Law and Politics in the Middle Age.s, Ithaca, NY, 1975, pp. 42-46. Les collections irlandaises, composees II l'ecart du courant principal de l'Europe, se servirent largement de la loi mosaique; voir P. FOURNIER, « Le Liber ex lege Moy.rj et les tendances bibliques du droit canonique irlandais », dans Revue celtjque, jO, 1909, pp. 221-234. Des versets bibliques en grand nombre entrerent dans la composition des Fausses Decretales; voir G. LE BRAS, « Les Ecritures dans Ie Decret de Gratien », dans Zeit.rchrift fiir Recht.rgeschichte, kan. Abt., 27 (1938), pp. 47-80 et 5 I. 4· D. E. LUSCOMBE, The School of Peter Abelard, Cambridge, 1969, pp. 214-221; R. E. WEINGART, The Logic of Divine Love, Oxford, 1970, pp. 28-31; J. R. McCALLUM, Abelard's Christian Theology, Oxford, 1948, pp. 98-99; J. PELIKAN, The Chrj.rtian Tradition, III, Chicago, Ill., 1978, pp. 213, 224, 227; KUTTNER, Harmony from Di.r.ronance, pp. 24-26, 35-36.
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des sacrements et leur theologie morale. Partout les Sentences empruntent au Decretum (les Decretistes, a leur tour, emprunterent a l'reuvre de Pierre Lombard dans leurs propres discussions sur les sacrements)5. Ces filiations une fois clarifiees, il devient plus aise d'enregistrer Ie recours a l'Ecriture dans Ie Decretum. Pour Gratien, comme pour les theologiens scolaires plus anciens, l'Ecriture representait la pierre de touche de la discipline ecclesiastique tout entiere ainsi que de la croyance. II fallait appliquer les verites eternelles de la Bible sur Ie plan pratique grace a la science canonique. L'approche du droit canon par Gratien offre des affinites etroites avec la theologie morale. Ainsi il partageait volontiers Ie penchant de son epoque, attachant peu d'attention a la lettte du texte pour decouvrir d'autant mieux la signification spirituelle qui s'y cachait. On voit donc Gratien tres preoccupe au sujet du sens tropologique de l'un ou l'autre des innombrables passages scripturaires cites dans Ie Decretum, ou auxqueIs il fait allusion en passant dans ses dicta, formulant sa propre opinion sur des problemes particuliers. Dans ces cas, il se servait de l'Ecriture a tout moment, des lors qu'elle lui permettait de resoudre des questions specifiques sans qu'il fut entraine pour autant dans Ie domaine des exegetes 6. D'une maniere generale, on l'a deja note, Gratien considerait l'Ecriture comme la pierre de touche de sa jurisprudence. CeIa devient evident des l'entree du Decretum, qui devoile les idees de l'auteur en matiere de loi. Gratien affirmait que l'espece humaine etait gouvernee par deux realites, la loi naturelle et les coutumes. II ajoutait que la loi naturelle se laissait trouver dans les Evangiles, un propos qui ne manqua pas de creer une grande petplexite. Le sens Ie plus vraisemblable de ce passage est que l'Ecriture renfermait des propositions enons;ant les principes eterneIs de la loi de nature. Ces principes etaient donnes dans la creation, mais l'humanite dechue requerait de les voir enonces a nouveau dans la revelation. Gratien lui-meme cite comme un exemple de loi naturelle dans la Bible la « regIe d' or » : « Agis envers autrui comme tu voudrais qu'autrui agisse envers toi» (Mat. 7, IZ)1. Ailleurs Gratien distinguait clairement entre la loi naturelle, seIon laquelle toutes choses etaient communes a tous, et l'etablissement des droits de propriete seIon des lois humaines. En ce contexte, il citait tour a tour la vie communautaire de la primitive Eglise seIon Actes 4, 32, Gratien n'utilisa pas Ia version finale de la confession de Berenger de Tours; voir R. SOMER« The Case Against Berengar of Tours - a New Text », Studi Gregorianj, 9 (197 2), pp. 55-75· 5. G. LE BRAS, « Pierre Lombard, prince du droit canonique », in Mj.rcellanea Lombardiana, Novarra, 1957, pp. 245-252; LANDGRAF, « Diritto canonico », pp. 377-378,381,401. 6. LE BRAS, « Les Ecritures », pp. 52-53, 64-67, 77-80; B. SMALLEY [15], pp. 30 3-3 0 4. 7. Corpus Iuri.r Canonici, ed. E. FRIEDBERG, Leipzig, 1879; repro 1955, I, I : D. I, a.c. I; B. TIERNEY, « Natura jd est Deu.r : a Case of Juristic Pantheism? », Journal of the Hj.rtory of Idea.r, 24 (1963), pp. 3IO-3II; LE BRAS, « Les Ecritures », pp. 55-56.
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et une version expurgee de la vie communautaire des gardiens dans la RepubJique de Platon8• Certes Gratien ne se devait en rien de justifier aupres de ses lecteurs son recours constant a l'Ecriture, specialement aux Evangiles, des lors qu'il enseignait la loi. Son usage de l'Ecriture sainte avait une consequence a la fois positive et negative au regard des regles qu'il fixait. Aucune loi humaine n'etait censee contredire les eternelles verites de la Bible, mais celles-ci devaient fournir des preceptes applicables dans des situations actuelles 9 • En s'abaissant a un tel niveau pratique, Gratien et ses successeurs devaient traiter deux problemes d'interpretation, poses par l'autorite de la Loi ancienne et par les apocryphes. Contrairement a certains de ses predecesseurs, Gratien ne se bornait pas a considerer les citations de l'Ecriture sainte comme des autorites a enumerer cote a cote avec les canons, decretales et extraits des peres10• Pourtant, il citait l'Ancien Testament en abondance. Mais il procedait avec un reel sens critique. Dans la septieme Distinction, Gratien citait Isidore de Seville pretendant que Moise fut Ie premier legislateur, mais il departageait en toute clarte les aspects liants de la loi mosaique et ceux qui ne I'etaient pas. Ainsi la prohibition de l'inceste dans Ie Uvitique (20, ZI) etait decrite comme une regulation en vigueur pour toujours. Mais d'autres lois et pratiques n'etaient pas comprises en ce sens. Cela etait particulierement vrai des regles ceremonielles, comprises comme prefigurant les sacrements de la Nouvelle Loi, comme des types, ou des formes incompletes rendues a leur perfection par Ie Christ. Gratien partageait en cela l'opinion commune de son temps selon laquelle la Loi ancienne avait prefigure la Nouvellel l. Malgre ce genre de raisonnement Gratien fit un grand usage de l' Ancien Testament dans ses dicta. Les canonistes posterieurs se trouverent obliges de dis cuter anouveaulameme question, en concluant que les lois de l'Ancien Testament ne pouvaient s'appliquer que dans les cas OU Ie canon et la loi civile restaient muets (en meme temps ils exigeaient de la part des Juifs de vivre selon une interpretation chretienne de la loi, en vouant Ie Talmud au bucher parce qu'il paraissait contenir des doctrines « heretiques »)12. Gratien montrait moins d'interet pour Ie probleme des textes apocryphes, bien que ses contemporains s'en preoccupassent fort. Ainsi 8. FRffiDBERG ed., I, 14: D. 8, a.c. I; S. KUTTNER, « Gratian and Plato », in Church Government in the Middle Ages: Essays Presentend to C. R. Cheney on his 70th Birthday, ed. c. N. L. BROOKE et 01., Cambridge, 1976, pp. 93-II8; B. TIERNEY, Medieva/ Poor Law, Berkeley, CA, 1959, pp. 2.6-2.7· 9· LE BRAS, « Les Ecritures », pp. 50,69-75,79-80. 10. LE BRAS, « Les Ecritures », pp. 52.-54. II. FRffiDBERG ed., I, 12. : D. 7, c. I; LE BRAS, « Les Ecritures », pp. 57, 59-68. 12.. P. LANDAU, « Alttestamentlisches Recht in der Compi/olio prima und sein Einfluss auf das kanonische Recht », Studio Gratiana, 20 (1976), pp. III-IH; B. KEDAR, « Canon Law and the Burning of the Talmud », Bulletin of Medieval Canon Law, 9 (1979), pp. 79-82..
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son extrait du soi-disant Deeret de Gelase dans la quinzieme Distinction ne s'occupait que des ecrits patristiques susceptibles d'etre Ius dans la liturgie en complement de l'Ecriture. C'est seulement dans une palea que la section traitait de textes apocryphes restitues, suivie par l'expose de la sequence correcte des lectures liturgiques tirees de la Bible meme13 • Pourtant Gratien transmit a ses lecteurs les arguments qu'il trouvait dans les sources a propos de l'authenticite des pretendus « Canons des Apotres », tout en laissant Ie derruer mot a Isidore de Seville qui les acceptait parce que les Peres les avaient couverts de « l'autorite synodale » (bien plus, Gratien se servit de ces textes pseudo-apostoliques plusieurs fois tout au long du Deeretum)14. Ayant jete un regard sur ces problemes hermeneutiques, nous pouvons examiner Ie recours de Gratien a l'Ecriture pour la solution de problemes pratiques. On l'a deja note, les renvois a l'Ecriture sainte et les extraits de commentaires patristiques de la Bible pullulent d'un bout a l'autre du Decretum. Un type d'exemples devrait suffire ici. On les prendra dans l'expose de Gratien sur les lois de la dime et des enterrements, dans la seconde partie de la collection, parmi les deux questions de la treizieme « Cause ». La premiere question concerne les dimes; elle consiste presque exclusivement en une serie d' arguments propres a Gratien, la plupart truffes de citations bibliques. Le cas debattu, hypothetique, est celui de laics pousses hors des limites de deux dioceses, si bien que leurs champs se trouvaient dans l'un et leurs residences dans l'autre. Des passages de I'Ecriture etaient cites afin de prouver que Ie droit de la dime avait ete etabli en vue de nourrir les levites, et que chacun des deux eveques pouvait taxer ces revenus. Tout en distinguant entre les droits lies au site et ceux lies a la residence, Gratien attirait l'attention sur les instructions donnees par Ie Christ aux disciples en vue de I'evangelisation CLuc 10, 5), de maniere a recommander au clerge de ne pas mepriser Ie laicat15• La discussion de la loi sur les enterrements dans la seconde question reunit des passages de lettres pontificales, de canons conciliaires et de textes patristiques. Ces derniers incluent quelques elements d'exegese ou des citations bibliques. Gratien citait l'exemple de la vente du champ d'Ephron par Abraham (Gen. 23, 16) comme un geste d'ofttande volontaire en faveur d'un enterrement. Cela entrait dans une demonstration destinee a etablir que des ofttandes ne devaient pas etre imposees aux fideIes a propos de ce rite. La, comme ailleurs dans Ie Decretum, nous observons Ie souci du reformateur d'eviter la moindre apparence de 13. FRIEDBERG ed., I, 36-41 : D. 15, c. 3; LE BRAS, « Les Ecritures», p. 48, n. 4; E. von DOBSCHUTZ, Dos Decretum Gelasianum de /jbris recipiendis et non recipiendis, Leipzig, 1912.; MUNIER, Les sources, pp. 107, 183. 14. FRIEDBERG ed., I, 41-42. : D. 16, a.c. I-C. 4; ed. cit. I, XIX. 15. FRIEDBERG ed., 1,717-72.0: C. 13, q. I.
Vivre la Bible simonie. Gratien citait aussi Jerome cornrnentant Galates a l'encontre de ceux qui priaient pour les morts, mais seulement pour dire que ce texte s'appliquait dans Ie cas des damnes. n produisait un verset psalroique (ps. 48, 8) en guise d'illustration complementaire. Gratien citait Chrysostome sur Hebreux, ou Ie fait de pleurer les morts etait assimiIe a de la pusillanimite, mais seulement pour limiter l'application de ce passage, grace a une citation de I Thess. 4, 13, a ceux qui refusent de croire en la resurrection des morts16 • Ces exemples se laisseraient facilement multiplier pour illustrer Ie recours de Gratien au texte biblique et aux commentaires patristiques de la Bible dans des arguments particuliers. Les citations paraitront souvent tirees hors de leurs contextes, voire forcees dans leur application. Mais la methode scolastique propre a Gratien se servait de ces autorites pour donner des reponses utiles a des questions d'importance. Un tel succes dans l'art d'utiliser et de concilier entre eux des textes fit que les successeurs de Gratien continuerent son entreprise en creant la discipline universitaire du droit canonique. Un bon nombre parmi les anciens decretistes, tel Gandulphe, furent aussi bien des theologiens introduisant dans l'explication du Decretum les memes methodes preconisees par les maitres de la pagina sacra. On trouve la une certaine cornrnunaute methodologique englobant toute l'universite de ce temps, les enseignants du droit civil aussi bien que les theologiens et les canonistes. Les exegetes de l'Ecriture arrivaient les premiers, elaborant une glose ordinaire a partir de gloses dispersees sur des passages donnes, et des commentaires sur des livres individuels de la Bible. Aussi bien les canonistes que ceux du droit civil ont sans doute, ne fut-ce qu'inconsciernrnent, imite les maitres de la pagina sacra, en suivant une meme ligne de developpement. Vers la fin du xme siecle, Accursius avait compose la glose ordinaire de chaque livre du Corpus Juris Civilis, alors que la glose ordinaire sur Ie Decretum par Jean Ie Teutonique, revisee par Bartholomee de Brixen, etait completee par la glose ordinaire sur Ies decretales gregoriennes par Bernard de Parme17 • Dans ces ouvrages de droit canonique, la Bible elle-meme etait l'une des autorites citees et la plus prestigieuse parmi elles. Les canonistes avaient vite fait de dresser des hierarchies d'autorites a citer dans un argument. L'Ecriture se trouvait toujours a la place d'honneur cornrne l'autorite supreme; mais peu a peu des canons conciliaires et des decretales papales furent rec;us cornrne ayant plus d'autorite que les textes patristiques, y compris ceux qui interpretaient l'Ecriture18 • 16. FRIEDBERG ed., I, 725, 727, 729-730 : C. 13, q. 2, c. 13, c. 20, p.c. 20, c. 26, p.c. 26; MUNmR, Les sources, p. 54. 17· LANDGRAF, « Diritto canonico », pp. 377, 381; LUSCOMBE, School of Abelard, 16-17; H. KANTOROWICZ, in SMALLEY, Study [15], pp. 52-55. 18. B. TmRNEY, ({ Sola scripturaand the Canonists», Studia Gratiana, I I (1967), pp. 345-366 et 369; MUNmR, Les sources, pp. 186-191.
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Le XIIIe siecle connut aussi un remarquable changement dans l' orientation des etudes bibliques. Au plan doctrinal, l'accent n'etait plus mis seulement sur les sens spirituels, mais aussi sur la lettre. La signification du texte sacre etait cherchee a travers, et non derriere, Ie sens litteral. Ce developpement doctrinal n'eut pas d'impact apparent sur les canonistes. A un autre niveau, plus technique, celui des index, Ie rapport parait plus direct. Le merite en revient a l' ordre dominicain. Les Freres Precheurs, autour de Hugues de Saint-Cher, a Saint-Jacques de Paris, creerent des concordances systematiques de la Bible19 • D'autres membres du meme ordre composerent des manuels systematiques et des recueils de references pour les predicateurs 20• Ce n'est pas un hasard si la composition du premier index alphabetique du Decretum, Ia Margarita Martiniana, fut l'reuvre d'un autre frere precheur, Martin de Pologne21 • Avant meme Ia fin du XIIe siecle, Ie droit canon tendait a devenir une science purement legale sous l'influence des legistes civils. Ce developpement rencontra une certaine resistance. On notera en particulier I'interdiction papale opposee a l'enseignement du droit romain a l'Universite de Paris. Mais l'attraction du droit civil ne pouvait etre niee. Dans les universites italiennes, a Bologne et dans les plus recentes, l'etude du droit civil fut requise avant celIe des canons; des docteurs en chaque droit (doctores utriusque juris) ne manquaient pas parmi les Iaureats. Simultanement l'etude du Decretum avec ses citations de l'Ecriture et des Peres, cornrnen~ait a prendre du terrain. Les canonistes consacraient de plus en plus de temps a la collection et au commentaire de l'enorme masse des decretales papales, publiees sous les noms de pontifes tels qu' Alexandre TIl et Innocent TIL Les collections ofIicielles de ces decretales, Ie Liber Extra, Ie Liber Sextus et les Constitutions clementines, constituerent Ies principaux manuels de droit canonique22• La collection de Gratien ne disparut pas du programme d'etude, mais on en publia moins de commentaires. Le meilleur de ces commentaires tardifs fut Ie Rosarium Decreti, par Guido de Baysio, qui se servit d'anciens ecrits de decretistes non compris dans la glose ordinaire. Guido tira egalement profit des reuvres de Thomas d'Aquin pour donner a sa discussion de la theorie sur la loi une base solide parmi les idees contemporaines au sujet de la loi naturelle23 • 19. SMALLEY [15], pp. 264-265; A. VAN HOVE, Prolegomena, ed. rev., Malines, 1945, pp. 503-5 0 5. 20. R. and M. ROUSE, Preachers, Florilegia and Sermons, Toronto, 1979· 21. T. KAEpPELI, Scriptores Ordini.r Praedicatorum, III, Rome, 1980, pp. 114-12 3. 22. VAN HOVE, Prolegomena, pp. 348-368, 443-449, 455-45 6, 4 61 , 46 5-483, 495-5 02 ; RASHDALL, Universities, I, pp. 147, 261-262, 437-439· 23. VAN HOVE, Prolegomena, pp. 483-484, 502-503; F. LIOTTA, « Appunti per una biografia delcan6nista Guido da Baisio arcidiacono da Bologna », Studi Senesi, ser. 3, 13 (1964), pp. 1922. Pour l'Aquinate chez les canonistes ulterieurs, voir A. BLACK, « Panormitanus on the Decretum », Traditio, 26 (1970), pp. 440-444.
Vivre fa Bible Ces developpements n'entrainerent aucune devaluation de la Bible dans l'esprit des canonistes. Les lettres envoyees par la chancellerie pontificale, meme celles qui ne trouverent pas place dans les collections officielles, etaient composees avec un rapport constant a l'Ecriture24• Parmi les decretales comprises dans les collections officielles, certaines prirent une signification politique durable; elles aussi se trouvaient impregnees d'expressions tirees de la Bible. Qu'il suffise de mentionner la decretale Per Venerabilem (X, 4, 17, 13) d'Innocent III, marquant les differences entre les cas recevables ou irrecevables de la part du pape investi de la fonction sacerdotale selon la loi mosaique sur l'inspection des Iepreux 26. Par ailleurs la methodologie des commentateurs ne changeait guere, malgre Ie poids excessif des commentateurs tardifs (Jean d'Andrea dut developper un systeme marquant les paragraphes de signes speciaux pour distinguer entre differents types de gloses, mais ce systeme ne fut pas retenu par les canonistes ulterieurs)26. Ces commentaires citaient d'occasion l'Ecriture parmi leurs autorites, mais l'exegese comptait peu au regard de leurs preoccupations plus strictement legales 27. Le XIVe siecle vit la promulgation de la derniere collection officielle de decretales, les Clementines; il connut aussi un bref renouveau de l'interet des canonistes pour l'etude de l'Ecriture. Jesselin de Cassagnes produisit une concordance des textes bibliques cites dans Ie droit canon en suivant l'ordre des livres de la Bible28 . Un ouvrage plus populaire, les Coneordantiae Bibliae ad Jura de Jean Calderini, suivait l'ordre alphabbtique des noms et termes bibliques 29. Jean de Jean inclut une section scripturaire dans sa Manifestatio Seeretorum Deereti30 (on devrait noter qu'un autre canoniste fran~s de ce temps, Guillaume de Montlauzun, publia un ouvrage de droit concernant les sacrements)31. Au champ des disciplines universitaires Ie droit canonique se trouvait flanque de rivaux de part et d'autre. Durant la derniere partie du xn e siecle, Etienne de Tournai s'attendait a des critiques aussi bien de 24· B. SMALLEY, « Gregory IX and the Two Faces of the Soul », Medieval and Renaissante 2 (1950), pp. 179-182. 25· B. TIERNEY, « Tria quippe distinguit iudicia .•. a Note on Innocent Ill's Decretal Per Venerabilem », Speculum, Jl (1962), pp. 48-59. 26. S. KUTTNER, « Johannes Andreae and his Novella on the Decretals of Gregory IX », The Jurist, 24 (1964), pp. 393-408, 405-406. 27· Le recours a l'argument d'autorite chez les canonistes merite la meme attention que ce ~ecours chez les auteurs du droit civil; voir N. HORN, « Argumentum ab auctori/ate in der ~eglsten Argumentationstheorie », dans Festschrift fUr Franz Wieacker zum 10. Geburtstag, ed. O. BEHRENDS, Gottingen, 1978, pp. 261-272. 28. J. TARRANT, « The Life and Works of Jesselin de Cassagnes », Bulletin of Medieval Canon Law, 9 (1979), pp. 37-64 et 46, 62-63. 29· TARRANT, « Jesselin », p. 63, n. 162. 30 • H. GILLES, « Jean de Jean, abbe de Joncels », Histoire litteraire de la France, 40 (1974), pp. 53- I l l et 77. 31 • P. FOURNIER, « Guillaume de Montlauzun, canoniste », Histoire littiraire de la France, JJ (19 21 ), pp. 467-503 et 481-486. Studies,
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la part des juristes civils que des theologiens, et de la part de ceux-ci notamment a cause de son recours a l'Ecriture32. Les temoignages historiques de telles critiques du cote des theologiens abondent. Bernard de Clairvaux reprocha a la curie romaine d'etre occupee davantage avec les lois de Justinien qu'avec les Evangiles. Les critiques de Pierre Ie Chantre etaient plus techniques. Il pretendait que les doctrines des canonistes concernant les empechements au mariage se fondaient sur une lecture erronee de l'Ecriture sainte. Innocent III publiera plus tard un canon corrigeant Ie droit canonique selon les recommandations de Pierre33. Au XIVe siecle, la critique des theologiens a l'encontre des canonistes se fit plus acerbe. Guillaume d'Ockham soutint que les canonistes favorables a Jean XXII avaient troque les passages scripturaires contre des principes pro-romains34. Une critique identique fut repetee dans les ecrits de theologiens conciliaristes comme Jean Gerson et Jean de Segovie35. Les critiques de Wyclif et Hus prenaient meme plus d'ampleur, puisqu'elles rejetaient les canonistes pour avoir contamine les purs enseignements de l'Ecriture avec des « traditions humaines ». Wyclif affirmait que l'unique loi veritable etait a chercher dans l'Ecriture36. La meme desapprobation du droit canonique fut exprimee par les reformateurs protestants. Luther en personne voua aux flammes des volumes de droit canon37 . On rencontre meme un canoniste s'exposant a devenir la cible de telles critiques au sein des milieux de la curie. Jesselin de Cassagnes suggera dans l'annotation des Extravagantes Johannis XXII que Ie pape a Ie droit d'enoncer un nouvel article de foi. Jean XXII luimeme ordonna a J esselin de reviser Ie passage en question, de maniere a faire entendre qu'il ne fit jamais qu'enoncer en termes nouveaux des croyances etablies. Mais les Michelistes furent prompts a sauter sur l'erreur de Jesselin comme typique des erreurs larvees de la curie sous Jean XXII38. 32. KUTTNER, Harmony from Diu., p. 2. Les canonistes entretenaient aussi une hostilite permanente a l'egard des juristes du droit civil: voir W. ULLMANN, Medieval Papalism, Londres, 1949, pp. 26-32. 33. BERNARD OF CLAIRVAUX, Five Books on Consideration, trad. J. D. ANDERSON and E. T. KENNAN, Kalamazoo, Mich., 1976, pp. 32-33; J. W. BALDWIN, « Critics of the Legal Profession: Peter the Chanter and his Circle », in Proceedings of the Second International Congress of Medieval Canon Law, ed. S. KUTTNER, Vatican City, 1965, pp. 249-259; LANDGRAF, « Diritto canonico », p. 378. La science de l'Ecriture demeurait la source principale de la superiorite que Ie theologien s'attribuait sur Ie canoniste; voir R. J. LONG, « Utrum iurista vel theologus plus profkiat ad regimen ecclesie : a quaestio disputata of Francis Caraccioli. Edition and Study», dans Medieval Studies, JO, 1968, pp. 145-150. 34. H. A. OBERMAN, Forerunners of the Reformation, New York, 1966, p. 54. 35. L. B. PASCOE, Jean Gerson: Principles of Church Reform, Leyde, 1973, pp. 49-79; H. A. OBERMAN, Masters of the Reformation, Cambridge, 1981, p. 24; A. BLACK, Council and Commune, Londres, 1979, pp. 5-6, II. 36. M. HURLEY, « S&ripturasola : Wycli£fand his Critics», Traditio, pp. 275-352 et 285-286, 289, 297-298, 300; TIERNEY, Sola s&riptura, p. 348. 37. OBERMAN, Masters of the Reformation, pp. 134, 156, 208, 230, 278. 38. TARRANT, « Jesselin», pp. 44-46; B. TIERNEY, Origins of Papal Infallibility II JO-I JJO, Leyde, 1972, pp. 194-196, 226.
Vivre la Bible Deux theologiens, du moins, tous deux en faveur du pape, firent plus que de critiquer les canonistes; ils composerent leurs propres commentaires du Decretum de Gratien. Le premier d'entre eux, Ie carme Guido Terreni, etait l'un des defenseurs de Jean XXII dans sa lutte avec les apologistes de Louis de Baviere, Michel de Cesene, Guillaume d'Ockham et Marsile de Padoue. Guido entreprit de prouver que les textes du Decretum, susceptibles d'etre utilises au desavantage du pape, ne pouvaient etre compris vraiment qu'en un sens favorable au pontife romain. A cette fin, Guido appliqua la methode utilisee par les theologiens de l'Universite de Paris dans la controverse des correctores, Ie debat toujours ouvert au sujet de l'orthodoxie de certaines idees de Thomas d'Aquin39 • Les conciliaristes avaient impute aux canonistes la plupart des maux dont soufI"rait l'Eglise. Le renouveau de la papaute au xve siecle impliqua une attaque directe du conciliarisme, non sans viser la lecture conciliariste de certains passages majeurs du Decretum. Ainsi Ie theologien dominicain Jean de Turrecremata decida d'opposer a l'interpretation conciliariste de Gratien son propre commentaire du Decretum. II adopta la forme de la question scolastique et exploita les doctrines de Thomas d' Aquin en plus de la glose traditionnelle de la lettre du texte40• Ces efforts pour reinterpreter Gratien appartiennent a l'histoire de l'ecclesiologie, mais ils concement aussi bien l'etude du recours biblique chez les canonistes. En fait, on se voit renvoye au vieux probleme de l'Ecriture et de la Tradition. Les canonistes ont souvent ete supposes promouvoir une theorie pretridentine des deux sources de la revelation. Quelle que soit la pertinence d'une telle comprehension de Trente, certains arguments en faveur de cette opinion ne sauraient convaincre personne. Le texte de Basile Ie Grand a propos de l'importance de la Tradition, souvent cite par les apologistes du catholicisme tridentin, figure dans Ie Decretum, mais faussement attribue a Augustin (D. II, c. 5). II n'y est compris toutefois qu'a propos d'une discussion sur l'importance des coutumes 41. L'usage frequent de la notion de Tradition chez les canonistes n'avait d'autre but que de certifier des rites precis et des institutions, et non point d'eriger la Tradition comme une sorte de nouvelle source de la revelation. Les canonistes etaient d'un niveau theologique suffisant pour faire clairement la distinction entre la loi et Ie dogme42• De meme, les canonistes furent accuses de placer Ie pape en quelque sorte en concurrence avec l'Ecriture. L'inflation verbale de la rhetorique 39· T. TURLEY, « Guido Terreni and the Decretum )}, Bulletin of Medieval Canon Law, 8 (197 8), pp. 29-34· 40 • T. M. IzBICKl, « Johannes de Turrecremata, Two Questions on Law)}, Tidjschrift voor Rechtsgeschiedenis, 43 (1975), pp. 91-94. 4 1. FRIEDBERG ed., I, 24-25; Y. CONGAR, Tradition and Traditions, Londres, 1966, pp. 52, 58-59, 160-161; OBERMAN, Forerunners, p. 55; TIERNEY, Sola scriptura, p. 349. 4 2. TIERNEY, Sola scriptura, pp. 350-351.
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pro-papale vers la fin du Moyen Age sonne desagreablement a des oreilles modemes, mais ce fait ne devrait pas empecher de constater a quel point les canonistes ne cesserent de reconnaitre Ie primat de l'Ecriture. Les canonistes ont fortement souligne la plenitude du pouvoir papal, dans l'ordre de la legislation, dans l'administration de la justice et dans son exemption. Mais cette autorite ne permettait pas au pape de contredire la loi divine ou la loi naturelle. Le pape pouvait dispenser de certains preceptes pratiques et specifiques de l'Ecriture, telles les regles de Paul dans Ie choix du clerge, mais il n'avait pas pouvoir de dispenser des verites etemelles contenues dans l'Ecriture43 • Si toutefois les canonistes ont apporte leur contribution au probleme de l'Ecriture et de la Tradition, il faudrait la chercher a propos de la notion du magisterium, en particulier dans la question relative au role de la papaute dans la determination du canon de l'Ecriture. Cette question n'a pas encore ete etudiee proprement par les historiens du droit canon. II faut pourtant noter que les deux theologiens qui ont commente Ie Decretum, Terreni et Turrecremata, emirent des opinions importantes sur ce probleme. Georges Tavard a accuse Terreni d'etre, a l'instar des canonistes, Ie protagoniste d'une nouvelle conception de l'Ecriture, tres precisement a cause de son insistance sur Ie role de la papaute dans Ie choix du canon". La doctrine de Turrecremata sur Ie service papal comme etant la voix de l'Eglise dans ce proces selectif est proche de celle de Terreni, elle a seulement ete jugee plus moderee. II faut insister sur Ie fait qu'aucun de ces deux auteurs n'a jamais essaye de placer Ie pape au-dessus de la Bible ou en opposition avec elle. L'Ecriture gardait son primat dans leur ecclesiologie, tout comme elle la gardait dans la pensee des canonistes eux-memes. Mais un canon choisi par l'Eglise ou par la papaute pour Ie bien de l'Eglise occupe une place differente en ecclesiologie que ne fait un livre dont la valeur supreme, vrai don de Dieu, va de soi45 • Dans ce meme contexte, nous ne devons pas oublier que les canonistes furent parmi les ecrivains medievaux les plus importants, en matiere de politique et d'ecclesiologie. Maintes de leurs idees emigrerent de la loi dans la polemique, et passerent de la polemique dans les courants
43. TIERNEY, Sola scriptura, p. 352; H. SCHEUSSLER, « Sacred Doctrine and Authority in Canouistic Thought on the Eve of the Reformation)}, in Reform and Authority in the Medieval and Reformation Church, ed. G. F. LYTLE, Washington, DC, 1981, pp. 55-68; S. KUTTNER, « Pope Lucius TIl and the Bigamous Archbishop of Palermo )}, in Medieval Studies Presented to Auhr~ Gwynn 5.]., ed. J. A. WATT etal., Dublin, 1961, pp. 409-503. 44· G. TAVARD, Holy Writ or Holy Church?, Londres, 1959, pp. 31-33, 39,47-48. 45. T. M. lzBICKl, Protector of the Faith, Washington, DC, 1981, p. 64; B. TIERNEY, « 'Only the Truth Has Authority' : the Problem of Reception in the Decretists and in Johannes de Turrecremata », in Law, Church and Society: Essqys in Honor of Stephan Kuttner, ed. K. PENNINGTON et R. SOMERVILLE, Philadelphie, 1977, pp. 69-96.
Vivre la Bible majeurs de la pensee europeenne46• Dans un tel mouvement doctrinal, beaucoup pouvait dependre de l'exegese d'un passage-cle de la Bible. 11 suflit d'observer les variations sans fin operees par les canonistes et les vulgarisateurs sur Ie theme du pouvoir des cles, en particulier i propos du Tu es Petrus (Mat. 16, 18) et d'une formule paraliele adressee aux apotres (Mat. 18, 18). Ces passages devinrent des loci classici pour toute discussion sur l'absolution sacramentelie, la censure ecclesiastique et la plenitude du pouvoir papal, y compris Ie magisterium. Le paralielisme entre les deux passages de Matthieu pouvait preter i arguer que l'Eglise entiere a re~ Ie pouvoir des cles i travers Pierre, agissant - selon les termes d'Augustin - in Jigura ecclesiae. Ce type d'argument etait soutenu par les conciliaristes, ce qui poussa les theologiens en faveur de la papaute, tel Turrecremata, i se servir de l'argument de Jean Ie Teutonique, pour qui la plenitude du pouvoir etait garantie par un autre texte, sans paraliele, relatif i Pierre : « Pais mes agneaux, pais mes brebis» (Jean 20, 23). Guido Terreni, on ne doit pas l'oublier, usa de cet argument contre les Michelistes47 • Les canonistes, tout comme les theologiens, firent grand cas de la priere de Jesus afin que la foi de Pierre restat sans faille (Luc 22, 32), dans des arguments sur Ie magisterium. Toujours prets i exalter l'autorite du pape comme arbitre supreme dans les disputes doctrinales, les canonistes, minimisant Ie fait d'etre instruit au benefice de l'autorite, montrerent de la reticence i accepter une interpretation « infaillibiliste » du texte lucaruen. On touche Ii encore au probleme de l'Ecriture et de la Tradition, puis que d'un point de vue antipapaliste on pourrait imaginer Ie pontife supreme usant du magisterium pour contredire Ie sens evident de l'Ecriture. Aux yeux des Michelistes, c'etait exactement ce qui se passait avec Jean XXII, qui contredisait leurs idees sur la pauvrete apostolique, canonisee par la decretale Exiit de Nicolas III (VI, 5, 12, 3)48. Des citations de l'Ecriture pouvaient egalement servir i debattre de questions purement pratiques. Les idees des canonistes sur la guerre juste furent developpees en contradiction avec les enonces plus pacifiques du Nouveau Testament. 11 en alia de meme des idees sur la Croisade et au sujet de la repression des heresies. L' Ancien Testament, souvent compris au sens aliegorique, etait fort apprecie en vue de justifier Ie recours a la force dans la defense de la chretiente contre ses ennemis
46. B. TIERNEY, Religion, Law and the Growth of Constitutional Thought I I JO-I6 JO, Cambridge, 1982, pp. 14-15, 104. 47. B. TIERNEY, Foundations of the Conciliar Theory, Cambridge, 1955, pp. 23-36,241-242; 10., Origins of Papal Infallibility, pp. 43-45, 262-264; 1ZBICKI, Protector of the Faith, p. 58. 48. TIERNEY, Origins of Papal Infallibility, pp. 34-37, 244; 10.,« A Scriptural Text in the Decretales and in St. Thomas: Canonistic Exegesis of Luke 22.32 », dans Studia Gratiana, 20,1976, pp. 363-377. La mention de la cM du savoir en Luc II, 52etaitegaIementl'objetde nombreuses citations; voir TIERNEY, Origins of Papal Infaillibility, pp. 40, 217-218, 24°-242.
La Bible et les canonistes
internes et externes 49• Des directives d'ordre politique pouvaient fort bien se fonder sur des formules bibliques, comme « personne ne peut servir deux maitres » (Luc 16, 13), qui servit a demeler les alliances d'un noble gentilhomme, lie par des clauses de traites ala fois avec l'Angleterre et la France50• Le recours a l'Ecriture au niveau pratique ne concernait pas les seules spheres superieures des institutions ecclesiastiques et politiques. Les problemes pastoraux avaient de tout temps ete envisages en rapport avec l'Ecriture sainte. On s'en rend compte dans l'histoire de l'administration de la penitence, qui portait a confronter des textes poussant a la severite ou a la clemence dans la maniere d'accorder l'absolution51• Sur ce point, Ie droit canonique demeure etroitement lie a la theologie. Nous avons deja mentionne Ie Corrector de Burchard, Ie plus volumineux des anciens penitentiels. Au xme siecle, une sorte plus juridique de manuel fut introduite, la Summa de casibus conscientiae. L'un des artisans principaux de cette evolution fut Ie canoniste dominicain Raymond de Penafort. A une date ulterieure, un autre dominicain, Jean de Fribourg, retravailla la Summa de Raymond, en lui donnant une orientation thomiste52• Dans ces Sommes, comme dans les autres ouvrages de droit canonique, les citations et references scripturaires abondent. 11 suffit de mentionner l'usage, commun aux thomistes et aux canonistes, de Guehazi, Ie serviteur d'Elisee (IV Rois 5, 20-27), comme type du clerc simoniaque53• Des extraits de l'Ecriture pouvaient encore servir a regler des problemes relatifs au laicat, tels que l'absolution des artisans qui fabriquaient des accessoires de toilette frivoles pour les femmes. Le Tractatus de ornatu mulierum de saint Antonin de Florence s'inspirait du cas d'un franciscain qui avait refuse d'absoudre l'un de ces artisans. Vne copie de ce traite est suivie d'une longue discussion sur Is. ;, 16-26, la liste
49. J. A. BRUNOAGE, « Holy War and the Medieval Lawyers », in The HolY War, ed. T. P. MURPHY, Columbus, Oh., 1976, pp. 99-140 et 100-101, 107-108; F. RUSSELL, The Just War in the Middle Ages, Cambridge, 1977, pp. 57-58, 61, 64, 72-73, 89-94, 100, II3-II4, II8; MUNIER, Les sources, pp. 155, 157. 50. T. M. lzBICKI,« The Canonists and the Treaty of Troyes », in Proceedings of the Fifth International Congress of Medieval Canon Law, ed. S. KUTTNER and K. PENNINGTON, Vatican, 1980, pp. 425-434 et 430. 51. J. T. McNEILL and H. GAMER, Medieval Handbooks of Penance, New York, 1938; repro 1965, pp. 4-5, 15. 52. VAN HOVE, Prolegomena, pp. 510-517; L. BOYLE,« The SlI111ma confessorum of John of Freiburg and the Popularization of the Moral Theology of St. Thomas and of Some of his Contemporaries », in St. Thomas Aquinas, I274-I974, ed. A. MAURER et al., Toronto, 1974, pp. 245-z68. 53. BoYLE,« John of Freiburg », p. 267. Les auteurs de sommes plus tardifs userent de meme des idees scolastiques sur Ie pouvoir des cles, voir T. N. TENTLER, « The Summa for Confessors as an Instrument of Social Control », dans The Pursuit of Holiness in Late Medieval and Renaissance Religion, ed. c. TRINKAUS et H. A. OBERMAN, Leyde, 1974, pp. IIO-II2.
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Vivre la Bible
des ornements a enlever de la fille de Sion64• D'autres exemples se laisseraient tirer de la doctrine des canonistes sur l'usure ou sur les empechements de mariage65 • Meme des questions de procedure pouvaient tourner autour d'une citation biblique. Le conseil de Jesus a propos de la conduite a tenir dans les disputes (Mat. 18, 15-17) devint Ie fondement de la denunciatio evangelica, une forme d'accusation qui court-drcuita les voies legales 56. Dans l'ordre des institutions sociales, Ie Nouveau Testament, a travers les canonistes et d'autres, fit germer la notion nouvelle de la pauvrete non coupable, et du pauvre digne d'etre assiste 5 ? L'Ecriture impregnait l'etude et l'enseignement du droit canonique68, en contribuant a la fusion caracteristique de ce droit entre moralisme et science juridique. Ce moralisme eclaire les origines de cette science, sa proximite avec la theologie morale et sacramentelle. On a blame ce moralisme pour des raisons pratiques, comme par exemple la multiplication des appe1s 59• Mais la raison d'etre du droit canon, comme de l'Eglise elle-meme, etait Ie salut des ames dans une communaute fondee sur les obligations de droit imposees au moment du bapteme60• Les canonistes medievaux n'etaient pas de grands exegetes, mais ils n'oublierent jamais entierement leur raison d'etre et ils utiliserent l'Ecriture pour pouvoir mieux y correspondre. Bien que Ie droit canonique dispanlt du devant de la scene dans l'histoire intellectuelle de l'Europe, les idees, tirees par les canonistes de l'Ecriture, devinrent partie integrante de l'heritage commun de l'Occident. 61 Thomas M. IZBICKI. Traduit de I'anglais. par Charles Kannengiesser 54. Vat. Ottob. lat. 715, ff. II8 VO-lZ0 va. Ce commentaire renvoie a THOMAS D'AQUIN, Expositio super Isaiam (Opera Omnia, 28, Rome, 1974, pp. z9-3z); T. KAEPPELI, Scriptores Ordinis Praedicatorum, I, Rome, 1970, pp. 87-89. 55. J. KIRSHNER, « Reading Bernadino's Sermon on the Public Debt », in Atli del Simposio Internazionale Cateriniano-Bernardiniano, ed. D. MAFFEI and P. NARDI (Siena, 198z), pp. 547-621 : 566-567, 571, n. 84, 590; BALDWIN, « Critics of the Legal Profession », pp. z5Z-255, 257; LE BRAS, « Les Ecritures »,75. 79; MUNIER, Lessources, pp. 156-157. 56. KUTTNER, Harmol!)', pp. 44-45. 57. W. ULLMANN, « Public Welfare and Social Legislation in the Early Medieval Councils », Studies in Church History, 1 (1971), pp. 1-39; TIERNEY, Medieval Poor Law, pp. Il-22, 29-30. 58. A Oxford, on imposait deux annees d'etudes bibliques aux etudiants qui n'avaient pas acquis leur maitrise en droit civil; voir L. BOYLE, « The Curriculum of the Faculty of Canon Law at Oxford in the First Half of the Fourteenth Century », dans Oxford Studies presented to Daniel Callus, Oxford, 1964, pp. 137 et 145. 59. R. RODES, Ecclesiastical Administration in Medieval England, Notre-Dame, Ind., 1977, pp. 70, 76, 79, 93, 97· 60. E. VODOLA, « Fides et culpa: the Use of Roman Law in Ecclesiastical Ideology», in Authority and Power: Studies on Medieval Law and Government Presented to Walter Ullmann on his Seventieth Birthday, ed. B. TIERNEY and LINEHAN, Cambridge, 1980, pp. 83-97' 61. SCHEUSSLER, « Sacred Doctrine », pp. 65-68; CoNGAR, Tradition and Traditions, pp. 58-59, 160-161; M. GILMORE, Humanists and Jurists (Cambridge, Mass., 1963), pp. 84-85; VAN HOVE, Prolegomena, pp. 521-522; ULLMANN, Medieval Papalism, p. 2; TIERNEY, Religion, Law and the Growth of Constitutional Thought, p. 104.
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La Bible et la vie politique dans Ie haut Moyen Age
A chaque epoque du Moyen Age, tous les dirigeants, clercs et !ales, ont utilise les arguments scripturaires pour donner autorite a leurs prindpes de gouvernement et a leurs revendications. Quelques historiens ont etudie l'influence de la Bible sur les idees politiques de telle ou telle periode medievale dans des articles qui sont les pierres d'attente d'un travail qu'il faudra un jour entreprendre1 • Nous nous contenterons de rappeler comment la Bible a pu etre utilisee par les hommes politiques du haut Moyen Age et particulierement de la periode carolingienne. C'est en effet acette epoque que les doctrines ont pris corps qui seront par la suite reprises sans grand changement.
AVANT L'EPOQUE CAROLINGIENNE
Depuis l'etablissement de l'Empire chretien, i1 n'est pas rare de trouver sous la plume des eveques du Conseil des Empereurs des paralleles entre ceuxqui sont les lieutenants de Dieu sur terre et les figures de l'Ancien Testament. Constantin vainqueur de Maxence est Ie nouveau Moise qui triomphe de Pharaon, Marcien lorsqu'il convoque I. n faut signaler M. PACAUT, La theocratie : l'Eglise et Ie pouvoir au M'!Yen Age, Paris, 1957; H. X. ARQUILLIERE, L'augustinisme politique. Essai sur laformation des theories politiques du M'!Yen Age, Z· ed., 1956; et les travaux nombreux de W. ULLMAN, en demier lieu« The Bible and the principles of government in the Middle Ages», dans Bibbia [41, pp. 181-zz7. Cf. aussi R. KOTTJE [u71. P. RICHE, G. LQBRICHON
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Vivre la Bible Ie Concile de Chalcedoine apparait comme un nouveau David2 • Cette conception religieuse du pouvoir imperial est encore concurrencee par Ie vieux concept stoicien de l' Antiquite. Les survivances de la culture antique permettent au VIe siecle dans les royaumes barbares mediterraneens Ie maintien de l'image d'un roi philosophe, nouveau Trajan3 • Tout va changer a partir du VIle siecle, lorsque la Bible et la Bible seule devient Ie livre de reference par excellence pour ceux qui reflechissent a la condition royale4 • Nous Ie constatons dans l'Espagne wisigothique dans laquelle Ie clerge joue un role politique predominant. Les conciles nationaux de Tolede sont des assemblees autant religieuses que politiques. Les eveques wisigoths et particulierement Isidore de Seville imaginent la royaute wisigothique a l'exemple de celie que l' Ancien Testament presente5 • Le Livre des Rois commence a devenir Ie « miroir » de la monarchie barbare. Pour Isidore, David est Ie modele du roi humble et repentant, Salomon, Ie prince pacifique par excellence, a l'inverse, Jeroboam apparait comme Ie mauvais roi qui « pecha et fit pecher Israel ». D'autre part, en etablissant les principes de la monarchie chrerienne, Isidore affirme la monarchie du Christ et rappelle que les rois doivent etre au service de l'Eglise et qu'ils participent comme les autres chretiens au sacerdoce du Christ apres avoir re~ l'onction du bapteme. li dit que dans l' Ancien Testament, seuls les rois et les pretres etaient oints, depuis l'avenement du Christ, tous les fideles re~oivent l'onction. Aussi avec les Peres du IVe Concile de Tolede, interdisant les attentats contre la royaute, il pouna rappeler la fameuse parole: « Ne touchez pas ames Christs. » Ceci n'indique aucunement que des cette epoque les rois wisigoths etaient sacres. Mais peu a peu en raison des circonstances religieuses et politiques particulieres l'idee d'assimiler Ie roi wisigoth a un nouveau Christ s'impose. En 672., Ie roi Wamba est sacre comme l'etaient les rois de l' Ancien Testament. Dans la Gaule merovingienne du VIe siecle, ceux qui reflechissent sur Ie pouvoir royal, Fortunat et Gregoire de Tours particulierement sont influences par differents courants de pensee. La vieille notion germanique du roi, responsable de l'ordre cosmique et terrestre n'est pas oubliee. D'autre part, Ie concept stoicien du prince antique attire encore 2. E. EWIG, « Das Bild Constantins des Grossen in den ersten Jahrhunderten des Abenlandischen Mittelalters », dans Spalantike.r und Frankisches Galliens, Munich, 1976, I, pp. 72 et s. 3. M. REYDELLET, La royaute dans la lilleralure latine de Sidoine Apollinaire a Isidore de Seville, Paris, 1982. 4. H. JAEGER, « Les docttines bibliques et patristiques sur la royaute face aux institutions monarchiques hellenistiques et romaines », dans La monocratie,« Recueil de la Societe JeanBodin », 20, Bruxelles, 1969, pp. 409-428; G. BARDY,« La monarchie dans la tradition patristique », dans RBi, 1926, p. 461. 5. M. REYDELLET,« La conception du souverain chez Isidore de Seville », dans Isidoriana, Leon, 1961, pp. 457-466.
La vie politique
nos ecrivains. Pourtant deja 1es references aux Rois de l'Ancien Testament ne sont pas absentes. Si Gregoire de Tours invoque incidemment David a propos de Clotaire Ier, il qualifie Gontran de bonus sacerdos, Fortunat va beaucoup plus loin puisque pour lui Childebert est un « nouveau Melchisedech », rex et sacerdos par ses vertus et les services qu'il rend. On a bien souvent commente ce passage lui faisant dire plus qu'il n'en exprime reellement6 • A partir du VIle siecle l'influence de l' Ancien Testament est beaucoup plus nette. Pour l'auteur du Liber Historiae Francorum, Dagobert, roi pacifique est un nouveau Salomon. L'eveque qui ecrit pour un fils de Dagobert, une sorte de « Miroir de prince » est encore plus explicite : « li convient, tres pieux roi, que tu relises frequemment les saintes Ecritures afin que tu puisses y apprendre les raisons d'agir des anciens rois qui ont ete agreables aDieu »7. Et de citer David, Salomon, Ezechias. Le clerc veut jouer Ie role d'un prophete en avertissant Ie prince des dangers a eviter et des devoirs a pratiquer et en s'appuyant sur les Livres Sapientiaux et les Livres des Rois. En comparant ce texte aux Institutionum disciplinae ecrites, a la meme epoque pour un prince wisigoth tout inspire de la tradition antiqueS, on se rend compte que Ie portrait du roi ideal merovingien annonce deja celui que traceront les Carolingiens. Si nous quittons Ie Continent pour passer dans les lies britanniques ou s'elabore une nouvelle culture a partir des Ecritures9, nous sommes frappes des allusions de plus en plus nombreuses a la Bible. Pour l'auteur du traite Des douze abus du siecle qui allait etre un des ecrits les plus Ius et les plus recopies dans tout Ie Moyen Age10, Ie prototype du « roi unique» est presente dans Ie livre de Samuel et Ie tableau du regne beni de Dieu s'inspire de la Genese. Le roi doit proteger la veuve et les orphelins comme Ie recommande Ie Deuteronome. Gildas dont la culture biblique est tres grandel l fait un parallele entre Ie tyran et Ie roi Achab et presente Ezechias comme Ie modele du roi pieux. Bede Ie Venerable connait Gildas mais il connait encore mieux les livres de l'Ancien Testament. Dans son commentaire sur Samuel ecrit en 716, il trace Ie portrait des bons et des mauvais rois12• Les 6. G. MARTINI, « Regale sacerdotum », dans Archivio della Deputazione romana di Sioria patria, 6I, 1938, pp. 1-166. 7· Texte traduit dans P. RICHE [73], p. 384. 8. Ibid., p. 390. 9· P. RICHE [7 2 ], pp. 351 et s. 10. H. H. ANTON, « Pseudo-Cyprian, De duodecim abusivis saeculi und sein Einfluss auf der Kontinent insbesondere auf die karolingischen Fiirstenspiegel », dans Die Iren und Europa i111 friiheren Millelaller, Stuttgart, 1982, II, pp. 568-617. I I . F. C. BURKITT, « La Bible de Gildas», dans RB, 1934, pp. 206-215 etF. KERLOUEGAN, Les destinies de la culture latine dans I'ile de Brelagne au VIe sucle. Recherches sur Ie « De Excidio Brilanniae» de Gildas (These d'Etat, Paris IV, exempl. dactylogr., 1977), pp. 79-87. 12. J.-M. WALLACE-HADRILL, Bar{y germanic Kingship in England and on the Continent, Oxford, 1971, pp. 72 et s.
Vivre fa Bible
La vie politique
allusions a l'Ancien Testament sont plus rares dans son Histoire ecclesiastique. C'est la pourtant qu'il cite la lettre du pape Vitalien au roi Oswy (III, 29) dans laquelle Ie pape citant Isaie (XI, 10) parle de l'arb~e de Jesse d'ou sortent les rois en comparant rolS anglo-saxons et rOIS d'Israel. Peu a peu se des sine la figure biblique des rois chretiens de I'Occident.
Providence l'a oint pour Ie trone royal» et qu'« i1 a ete place sur Ie trone a I'aide du Seigneur »18. Pepin et ses successeurs sont donc les emules des rois bibliques. II serait fastidieux de relever tous les passages dans lesquels les clercs carolingiens rivalisent pour celebrer les princes19• Alcuin ne peut s'adresser au roi sans lui donner Ie nom de David. Citons quelques lignes d'une lettte ecrite vers 794 : « Heureuse, a dit Ie psalmiste, la nation dont Dieu est Ie Seigneur; heureux Ie peuple exalte par un chef et soutenu par un predicateur de la foi dont la main droite brandit Ie glaive des triomphes, dont la bouche fait retentir la trompette de la verite catholique. C'est ainsi que jadis, David choisi par Dieu comme roi du peuple qui etait alors son peuple elu ... soumit a Israel par son glaive victorieux les nations alentour et precha parmi les siens la Loi divine. De la noble descendance d'Israel est sortie pour Ie salut du monde 'la £leur des champs et des vallees', Ie Christ a qui de nos jours, Ie nouveau peuple qu'il a fait sien, doit un autre David ... » (Lettre 41). Ce texte est ecrit peu apres Ie Concile de Francfort pendant lequel Charlemagne avait ete appele rex et sacerdos. Mais comme Ie remarque H. Fichtenau2o, ni David, ni Salomon ne furent des rois-pretres, Melchisedech etant Ie seul roi-pretre de l' Ancien Testament. Si Charlemagne est pretre c'est qu'il juge Ie bien et Ie mal d'apres la Loi et comme Ie dit Paulin d'Aquilee « i1 est un roi dans son pouvoir, un pretre dans ses sermons ». Charlemagne aime egalement se comparer a Josias, ce roi qui avait fait restaurer Ie temple et ordonner a la classe sacerdotale de corriger les abus (IV Rois, 22-23). Dans la preface de I'Admonitio generalis de 789, Charles ecrit : « Nous avons lu en effet dans Ie Livre des Rois comment Ie saint Josias s'effors:a de ramener au culte du vrai Dieu Ie royaume qu'il tenait de lui et comment a cet effet il Ie parcourut, I'admonesta et Ie corrigea, non que je veuille m'egaler a sa saintete mais nous devons toujours suivre l'exemple des saints et reunir tous ceux que nous pouvons dans l'effort vers une vie sainte21• )} Louis Ie Pieux est egalement un nouveau David, mais aussi un nouveau Salomon. Ermold Ie Noir parlant du sacre de Louis met dans la bouche du pape Etienne IV un long parallele entre l'empereur et Salomon et reprend les paroles de la reine de Saba au roi d'IsraeI22• Au rxe siecle, la figure de Salomon constructeur du temple, auteur presume du Livre de la Sagesse, est plus evoquee que celle de David. Les rois carolingiens doivent mediter la parole : omnia in sapientia fecistis, se conduire selon
LA BIBLE ET LA POLITIQUE CAROLINGIENNE
US rois d'Israel prototypes des rois carolingiens En 75 I, Pepin Ie Bref avec l'assentiment du pape prend la place des rois merovingiens. Cet evenement marque non seulement Ie changement d'une dynastie mais une transformation radicale dans la conception de la monarchie. Le roi n'est plus simplement Ie prince doue de qualites eminentes, capable de faire regner l'ordre et la justice. II n'est plus seulement Ie successeur des rois germaniques, forts d'une puissance quasi magique, il devient l'heritier des rois de l' Ancien Testament. Pepin est Ie fils de Charles Martel qui, a deux reprises, est compare a Josue, qui peut-etre dut son surnom a un rapprochement avec Judas Maccabee13. Pepin est non seulement elu roi en 75I, mais il est sacre, c'est-a-dire il devient I'oint du Seigneur comme l'etaient SaUl et David. Cette innovation a fait l'objet de bien des commentaires auxquels je renvoie Ie lecteur14. Ecartant l'hypothese de ceux qui pensent, soit que la confirmation de Clovis a son bapteme tenait deja lieu de sacre15, soit que Ie sacre etait deja usite dans les pays insulaires 16, rappelons que les rois wisigoths etaient sacres depuis 672 et que les clercs carolingiens en avaient sans doute ete informes17. Mais les eveques avaient-ils besoin de ce precedent pour prendre leur decision? La relecture du Livre des Rois et Ie commentaire qu'avaient fait Bede et Gregoire Ie Grand, leur permettaient de legitimer leur acte. Pepin n'etait plus seulement l'elu des Grands, il etait l'elu de Dieu : « L'esprit de Dieu est en lui» (I Sam., X, 6). II peut dire au Seigneur avec Salomon: « Tu m'as elu roi » (Sag. IX,7) et s'il ne se dit pas encore comme ses successeurs « roi par la grace de Dieu », i1 affirme en 760 que « la divine 13. E. EWIG,« Zum christlichen K6niggedanken im Friihrnittelalter », dans Spatantikes ... ,
I, p. 41. 14· L. HALPHEN, Cbarlemagne etl'Empire farolingien, Paris, 1947, p. 25 et s.; M. BLOCH, Les rois tbaumaturges, 2" ed., Paris, 1983. 15· DB PANGE, Le Rai Tres Chretien, Paris, 1949. 16. Cf. M. BLOCH, op. fil., p. 468. 17· P. D. KING, Law and SOfiety in the visigothif Kingdom, Cambridge, 1.972, p. 48 et s.
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L. HALPHEN, op. fit., pp. 23 et 75. H. ANTON, Fiirstenspiegel und Herrsfherethos in der Karolingerzeit, Bonn, 1968, pp. 75-76 et s. H. F1CHTENAU, L'Empire farolingien, Paris, 1958, p. 82. 21. MGH, Capito I, p. 52. 22. ERMOLD LE NOIR, Poeme sur Louis Ie Pieux, ed. FARAL, Paris, 1932 (vers 892-925).
18. 19. et 109 20.
Vivre la Bible
La vie politique etait prevu Ie port de la mitre, comme il est dit a propos d' Aaron28 • La construction du tr6ne au premier etage de la chapelle d'Aix avec ses six degres et ses bras de part et d'autre, correspond a la description donnee dans Ie Livre des Rois (1 Sam., 10, 18) au sujet du tr6ne de Salomon. Le palais royallui-meme peut etre considere comme un nouveau temple, lui-meme anticipation de la Jerusalem celeste et du Paradis, c'est du moins ainsi que Ie presente Walafrid Strabon dans son poeme De imagine Tetrici 29• Tels les rois de l' Ancien Testament, les princes carolingiens etablissent la loi de Dieu sur terre, ils legi:ferent autant en matiere religieuse que civile, s'occupant de discipline ecclesiastique, de formation et de recrutement du cierge, de l'instruction religieuse des fide1es, de la liturgie, de l'administration des sacrements, etc. TIs font revivre la vieille institution judaique de la dime; de meme ils legitiment leur politique economique et sociale en citant tel ou tel verset de l'Ancien Testament. Ainsi dans l' Admonitio generalis de 789, Charlemagne ecrit : « Que tous emploient des mesures egales et exactes ainsi que des poids justes et egaux... Ainsi que nous avons dans la loi Ie precepte du Seigneur et de meme Ie Seigneur disant dans Ie Livre de Salomon : mon ame hait poids et poids, mesure et mesure »(Deut. 2 5, 13 et Provo 20, 10 et 23)' De meme, il se re:fere a l'Ancien Testament pour interdire Ie pret a interet. Lorsque, dans l'edit de Pitres en 864, Charles Ie Chauve parle de l'esciavage, il cite Ie Uvitique (25, 39-41) qui prescrit Ie retour a la liberte apres six ans de servitude. Enfin a l'instar des rois bibliques, les Carolingiens ordonnent des prieres expiatoires, des jeunes et des penitences au moment des calamites publiques ou des famines. Les successeurs des Carolingiens n'oublient pas que la loi religieuse doit inspirer leur legislation. Alfred Ie Grand fait reviser les codes anglo-saxons en s'inspirant de l'Exode et du Deuteronome. Orton III lui-meme, lorsqu'il evoque l'interdiction par la loi romaine de faire des proces a l'epoque des moissons et des vendanges, decide de l'autoriser toute l'annee saufle dimanche, et il cite Ie Psaume 106, 3 :« Heureux ceux qui observent Ie droit, ceux qui pratiquent en tout temps la justice »30.
les lois de la Sagesse. En Charles Ie Chauve, pour les lettres, se concilient Ie roi philosophe de l'Antiquite et Ie roi sage de l'Ancien Testament23 • Dans les Bibles executees pour Charles Ie Chauve, les peintures et les inscriptions sont a ce sujet tres explicites 24• Le Livre des Rois qui se trouve dans toutes les bibliotheques ainsi que ses commentaires, particulierement ceux de Bede Ie Venerable et de Gregoire Ie Grand, doivent etre Ius et relus par les princes. Dans son poeme a Pepin d'Aquitaine, Ermold Ie Noir ecrit : « Tu pourras, Prince, lire dans l'histoire des Rois, lesquels d'entre eux ont ete agreables aDieu et quel profit ils en ont tire »; apres avoir donne les exemples de Saw, David, Salomon, il ajoute « tous les rois qui ont observe les preceptes de Dieu ont conserve leur royaume et obtenu toutes les prosperites ». Loup de Ferrieres, Hincmar et bien d'autres tireront leurs references de ce meme ouvrage25• L'e1ection des princes, les formules du sacre et Ie couronnement des rois evoquent egalement les figures des rois d'Israe1 ou des heros bibliques. La Missa pro principe du missel de Bobbio qui date peut-etre du debut du VIlle siecie, demande l'intercession d' Abraham, de Moise, de Josue et de David. Le Palimpseste de Reichenau reprend un passage de n Mac. (1, 24-25). La Benedictio super principes contenue dans Ie sacramentaire d'Angouleme de la fin du VIlle siecie, en partie reprise lors du couronnement de Louis n a Troyes en 87826, demande aDieu que Ie roi soit semblable a Moise, Josue, Samuel, David et Salomon. Pour donner aux objets symboliques du pouvoir royal une valeur religieuse, les c1ercs trouvent egalement des references dans l'Ancien Testament: pour l'epee Ie Psaume 44. 4 : « Accingere gladio tuo super femur tuum », pour Ie sceptre, Ie Psaume 2, 9 : reges eos in virga ferrea, ou encore Sagesse 6, 22 :« si... delectaminis sedibus et sceptris, 0 reges populi diligite sapientiam ». La couronne est celle d'Aaron : « corona aurea super mitram ejus » (Sir. 45, 14), c'est la couronne de gloire dont parlent Isaie 62, 3 et Jeremie 13, 18 27 • Lorsqu'au x e siecie, Otton Ier fera fabriquer la couronne avant son expedition qui devait Ie conduire a l'Empire, il y fera poser quatre plaques se rapportant aux douze ap6tres et aux douze tribus de Juda et entre elles quatre emaux evoquant les prophetes et les rois de l' Ancien Testament. De plus, sous la couronne,
Le peuple franc, nouvel Israel 23. P. RICHE,« Charles Ie Chauve et la culture de son temps », dans Colloque Jean Scot Erigene, Paris, 1977, p. 45, reimpr. dans Instruction et vie religieuse dans Ie haut M'!)'en Age, Variorum Reprints, Londres, 1981. 24. H. ANTON, op. cit., p. 259. La Bible de Saint-Paul-Hors-Ies-Murs presente dans une miniature l'onction de Salomon par Nathan. 25. ERMOLD LE NOIR, EplJre au roi Pepin, ed. FARAL, p. 227. Loup DE FERRr:BRES, Correspondance, ed. LEVILLAIN, Paris, 1927, t. I, p. 163. 26. E. EWIG, « Zum christlichen... », p. 20. 27. P. E. SCHRAMM, Herrschaftszeichen und Staatssymbolik, Stuttgart, 1954-1956.
L'avenement et Ie triomphe des Carolingiens sont salues par les ciercs comme une victoire du nouveau peuple d'Israel. L'alliance que t
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28. 29. Age », 30 •
R. FOLZ, La naissance du Saint-Empire, Paris, 1967, pp. 51 et S. P. RICHE, « La representation du palais dans les textes litteraires du haut Moyen dans Francia, 1976, pp. 167-168, reimpr. dans Instruction .•• (vok n. 23). M. LARES, Bible [64], pp. 5I et s.
Vivre la Bible les rois etablissent avec l'Eglise romaine est comparee a l'alliance de Dieu et du peuple juif. Le peuple franc est Ie nouveau peuple elu, en temoigne Ie prologue de la Loi Sallque ou la lettre que Ie pape Etienne II envoie a Pepin: « I1 est declare qu'au-dessus de toutes les nations qui sont sous Ie ciel, a ete placee votre nation franque qui m'est favorable a moi, Pierre, c'est pourquoi je vous ai contle l'Eglise que j'ai rec;ue de Dieu »31. Les ennemis des Francs sont compares aux adversaires d'Israel : les rois que combattent les Carolingiens sont de nouveaux Jeroboam et Achab 32• De meme que Dieu avait eprouve Israel en Ie livrant a la colere de ses ennemis, il eprouve Ie peuple franc et Ie fait triompher33• Lorsque Pas chase Radbert ecrit son Commentaire sur les Lamentations de JCremie, il ne peut s'empecher d'evoquer les devastations operees par les Normands ala meme epoque : « I1 me convient moins de commenter Jeremie que de pleurer et de me lamenter car comme Ie verset suivant Ie fait connaitre, ces malheurs multiples ont pour cause les peches du peuple, l'iniquite des pasteurs et des grands ... Dieu brandit son glaive, il en menace nos cous et la hache est au pied de l'arbre, car notre esprit est rebelle au bien. Telle est la raison pour laquelle sevit Ie glaive du barbare, glaive sorti du fourreau du Seigneur... » Dans ses Gesta Caroli, Notker de Saint-Gall compare les victoires de Charles et de Louis sur les Normands a celles que David et Salomon remporterent sur les peuples patens (II, 19)' Lorsque en 882 Charles Ie Gros a l'imprudence d'accueillir Ie chef normand, Ie chroniqueur de Fulda l'accuse d'agir more Achabico se souvenant d' Achab qui avait eu l'imprudence de traiter avec les envoyes du roi d' Aran. Les guerres civiles qui ruinerent 1a Gaule conduisent les chroniqueurs a evoquer l'histoire du peuple juif. Ainsi Hincmar dans sa preface de la Vie de saint Remi dit-il que les sources concernant l'archeveque de Reims avaient disparu, comme avaient ete detruits tous les livres du temps de la devastation de la Judee par les Chaldeens ; de meme Pepin avait reconstitue Ie temporel de l'Eglise de Reims, comme Esdras avait rassemble les elements des livres de l'Ecriture sainte. Lorsqu'ils parlent de la revolte des fils de Louis Ie Pieux contre leur pere, les contemporains ne peuvent s'empecher de faire allusion a l'insurrection d' Absalon contre David34• Achitophel qui poussa Absalon a la revolte est pour Agobard, Amalaire, Raban Maur Ie type du mauvais conseiller35• Lorsque les ennemis de l'imperatrice Judith deplorent 31. MGH, Epist. IV, p. 503. Cf. ERMOLD LE NOlR, poc111e ... , vers 972 et s. 32· ANTON, op. cit., pp. 349-435. 33. NOTKER DE SAINT-GALL, Gesta CaroN, II, 13 (luges 2., 22. et 7, 2). 34. Raban MAUR, Liber de reverentia jiliortt111 erga patres et erga reges, MGH, Epist. V, p. 4°3; DHUODA, Manuel II, I, ed. P. RICHE, p. 137. 35. G. BIDAULT, « Achitophel conseiller de la dissidence ». dans Revue dtt Moyen Age latin, I, 1945, pp. 57-60.
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ses agissements contre Ie prince Lothaire, ils ne peuvent que la comparer a Athalie, a Jezabel et a Dalila36• Lorsque Ie traite de Verdun de 843 met fin provisoirement aux luttes entre les fils de Louis Ie Pieux, Ie diacre de Lyon, Florus, fait un long poeme sur la Deploration sur la division de I'Empire annonc;ant les chatiments qui risquent de s'abattre sur l'Occident, il cite Ezechiel 13, 10 et Amos 8. Comparer Ie peuple franc a celui d'Israel est donc habituel dans Ie monde carolingien. Disons pour terminer que dans l'Espagne du IXe siecle, les chroniqueurs eux aussi pensent que Ie peuple wisigoth est egalement Ie peuple elu. Lorsque Pelage est victorieux de cent vingt-quatre mille Chaldeens, c'est-a-dire des Arabes, la chronique d' Alphonse III Ie compare a Gedeon, vainqueur des cent vingt mille Madianites. Les annees d'oppression arabe sont assimilees a celles de la captivite de Babylone.
Les eveques carolingiens successeurs des prophetes Si les rois carolingiens sont heritiers des rois de l'Ancien Testament, les clercs qui les conseillent n'hesitent pas a se dire de la lignee des prophetes Michee, Ezechiel, Nathan, etc. Deja au VIle siecle, dans la lettre de l'eveque a un prince merovingien, on lit : « Les rois dont nous parlons presentent toujours un cceur attentif aux avertissements du prophete. C'est pourquoi tres glorieux Seigneur il faut que vous ecoutiez aussi les eveques et que vous aimiez vos plus anciens conseillers et celui qui aupres de vous dirige Ie palais ... » Les clercs qui adressent aux princes des lettres de conseils ou des traites appeles « Miroirs )} se referent aux conseillers des rois de l' Ancien Testament. A partir du regne de Louis Ie Pieux la parole d'Aggee (2, II) «Interroge les pretres sur la loi » et devient Ie mot d'ordre de l'episcopat. En effet, comme l'a bien montre Etienne Delaruelle, l'episcopat, conscient de ses responsabilites, se prononce sur les grands interets de l'Etat et de la chretiente. Au Concile de Paris de 829, on presente un programme de reformes a l'empereur. On evoque Ie spectre de SaUl a qui, de par sa desobeissance, Ie royaume fut enleve pour etre donne a David. On parle d'Heli et de ses fils dont la negligence leur valut la perte de l' Arche. Deplorant que les biens de l'Eglise soient accapares par les latcs, on rappelle comment les rapines d'Akan, fils de Karmi, entrainerent la colere de Yahve contre les fils d'Israel (Josue, 7). Celui qui joua Ie principal role dans Ie Concile est Jonas, eveque d'Orleans. Peu apres 829, il adresse a Pepin, roi d' Aquitaine, Ie De institutione regia 36. Paschase RADBERT, Epitaphiu111 Arsenii, PL, I20, 1640; AGOBARD, Liber Apologeticus, PL, I04, 307-320.
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qui se presente comme un veritable traite politique selon l'Ecriture sainte37 . En dehors des emprunts faits a la litterature patristique, Jonas cite explicitement cinquante-cinq passages de l' Ancien Testament et trente-sept passages du Nouveau Testament. Certains chapitres (10 et 15) se presentent sous la forme d'une longue suite de citati~)fis. P~ur Jonas qui s'appuie sur Deuteronome 17, 17-20, Ie sacerdoce qU1 consellle la royaute est seul interprete des volontes divines; c'est comme Ie dit Etienne Delaruelle « la theocratie ou si l' on prefere Ie gouvernement sacerdotal ». La crise qui conduit a la deposition de Louis Ie Pieux a Saint-Medard de Soissons est l'occasion de relire Ie Livre des Rois : de meme que Samuel a remplace Saul par David, de meme les eveques peuvent deposer l'empereur coupable de fraude et installer son @s a sa place38 . Ces citations scripturaires sont reprises pendant la periode de Confraternite qui suivit Ie partage de 843, mais alors c'est au Livre des Proverbes que l'on se refere : « Le frere aide par son frere est comme une ville forte» (Prov. 18, 19) ou bien « la OU il n'y a pas de dirigeants lepeuples'effondre» (Prov. I I, 14). A l'assemblee de Yutz pres de Thionville en 844, les eveques rappellent aux princes qu'ils sont leurs peres en citant Aggee 2, 12, Deut. 32,7 et Ps. 95, 17. Lorsque en 878, Louis Ie Germanique envahit Ie royaume de Charles, Hincmar au nom des eveques lui ecrit une longue lettre dans laquelle il lui recommande de r,elire Ie deuxieme Livre des Rois et l'histoire de Saul et de David : « II y verra de quel respect, bien que Ie Seigneur l'eut reprouve et rejete, SaUl fut jusqu'au bout entoure par Samuel, ce pretre Samuel dont les eveques tiennent quoique indignes la place dans l'Eglise »39. Hincmar, conseiller de Charles Ie Chauve, ne cesse pas de se considerer comme Ie successeur des prophetes. Dans Ie De ordine palatii, il se presente comme un nouvel Ezechiel en rappelant Ie mot de ce dernier « Ecoute, tu leur annonceras ce que tu auras appris de moi ». De meme qu'Ezechiel etait « guetteur de la maison d'Israel », les eveques sont, comme Ie veut l'etymologie du mot, « des veilleurs ». Que les rois se souviennent qu'ils ont ete sacres par les eveques : « Dans l'Histoire des Rois nous lisons que les princes des pretres lorsqu'ils consacraient les rois dans la royaute par l'onction sacree, leur posaient sur la tete la couronne significative de victoire et pla~aient en leurs mains la Loi par laquelle ils devaient se diriger eux-memes, corriger les pervers et diriger les bons dans la voie droite. » Devenu apres la mort de Charles Ie Chauve conseiller de son succes-
37. E. DELARUELLE, « En relisant Ie De instiJutione regia de Jonas d'Orlea.ns . L'ent;ree en scene de I'episcopat », dans Melanges Halphen, Paris, 1951, pp. 185-192. Cf. I'llltroductlon de I'edition de REVIRON, Paris, 1930. 38. L. HALPHEN, op. cit., pp. 291 et s. 39· Ibid., p. 362.
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seur Louis Ie Begue, Hincmar se met cette fois a la place du prophete Michee dont il cite un long passage40. Rois et eveques doivent collaborer. L'autorite sacerdotale est superieure en matieres spirituelle et morale. Les eveques n'hesitent pas a intervenir lorsque les princes risquent de violer la loi de Dieu ou de laisser les laics confisquer les biens d'Eglise. En 881, Ie synode de Saint-Macre auquel assiste Hincmar met en garde ces derniers en rappelant qu'Ozias est devenu lepreux apres avoir ose prendre l'encens dans Ie temple (II Chro. 26, 16). Le role que les eveques ont joue aupres des princes les a conduits a exiger d'eux une promesse au moment du sacre. Lorsque Charles Ie Chauve est sacre roi de Lotharingie en 869, il s'engage a maintenir a ses sujets l'integrite de leur personne et de leurs biens et d'accorder aux plus demunis des secours. Semblable promesse est exigee de Louis Ie Begue en 877 et d'Eudes en 888. II est interessant de rapprocher cette promesse d'un precedent biblique : en effet les rois de l'Ancien Testament, recevant l' onction, concluaient avec Ie peuple un pacte et une sorte de contrat, qu'il s'agisse de David (II Sam. 5,3), de Roboam (III Rois 12,4) et surtout de Joas (IV Rois II, 12). Or Ie sacre de Joas commente par Bede puis par Claude de Turin et Angelome de Luxeuil est evoque par Hincmar dans ses differents traites. Sans doute Hincmar qui veut se conduire aupres de Charles Ie Chauve comme J oiada aupres de Joas ne parle pas explicitement de promesses royales. Comme Ie dit Marcel David : « Est-ce a dire que les ecclesiastiques du IXe siecle et plus specialement Hincmar tout feru de culture biblique ne se soient nullement inspires de l' Ancien Testament pour introduire la promesse royale dans Ie sacre? IIs n'y ont certes pas puise un modele tout fait et ce n'est pas du cote de la technique juridique qu'il faut chercher les emprunts. IIs se sont plutot servis de la Bible pour justifier en doctrine la prestation de nos promesses dont ils trouvaient deja la formule dans la pratique de leur temps. Les textes bibliques joints aux citations des Peres leur ont permis d'accrediter l'idee que Dieu impose par sa volonte propre des commandements aux monarques. L' Ancien Testament leur a permis aussi de montrer a leurs contemporains qu'en face d'un roi infidele a ses devoirs les Israelites n'hesitaient pas dans les periodes de crise sinon a appliquer les sanctions du moins a poser leurs conditions »41.
40. PL, I2" 989-990. Cf. J. DEVISSE [68]. 41. M. DAVID, Le sermenJ du sacre du IX- au XV- siee/e, Strasbourg, 1951.
Vivre la Bible Le heros biblique prototype de I'aristocrate carolingien Dans la societe carolingienne, les clercs et les moines tiennent Ie premier rang, les laics viennent en second et souffrent en quelque sorte d'un complexe d'inferiorite. Engages dans les occupations terrestres, s'adonnant a la guerre ou a un metier, sont-ils appeles a franchir les portes du ciel? Les clercs repondent a ces inquietudes en invitant les laics a lire et a relire les Ecritures. Mais comme il est difficile de lire l'ensemble de la Bible, ils en tirent ce qui leur apparait Ie plus adapte a leur etat. L'Ecriture etant bien souvent consideree comme un miroir dans lequel les hommes doivent se regarder, on donne a ces petits traites Ie nom de specula. Ainsi les laics ont entre leurs mains des livres de conseils auxquels ils peuvent se referer comme les moines et chanoines se referent a leur regle42• Les Miroirs se presentent comme de veritables florileges de l'Ecriture sainte. Prenons deux exemples : celui d'un miroir de prince et celui d'un miroir de lale. Dans Ie traite Via regia que Smaragde de Saint-Mihiel ecrivit pour Louis Ie Pieux, on compte cent quarantesept citations de l'Ancien Testament et cinquante du Nouveau Testament. Dans Ie premier cas, neuf citations viennent du Pentateuque, trois des Livres des Rois, trente-six de l'Ecclesiaste, treize de la Sagesse, quarante-quatre du livre des Proverbes, neuf de Job, quinze des Psaumes, huh d'Isaie, trois de Malachie et trois de Jeremie. Pour Ie Nouveau Testament, vingt citations proviennent des Evangiles et vingt-six des Epitres 43 • Au milieu du IXe siecle, une aristocrate carolingienne, Dhuoda, ecrit un manuel d'education pour son fils age alors de seize ans. La culture biblique de Dhuoda est assez etonnante puisque nous pouvons relever plus de quatre cents citations de l' Ancien Testament et deux cent trente du NouveauM • Certains livres de la Bible sont plus representes que d'autres. Dans l' Ancien Testament, les Livres Sapientiaux, Ie Livre de Job et Ie Psautier I'emportent, en dehors de Ia serie des Psaumes 120-128; presque tous Ies autres sont representes. Pour Ie Nouveau Testament, I'Evangile de saint Matthieu et les Epitres de saint Paul sont Ies plus frequemment cites. Dhuoda cite de memoire Ie plus souvent et adapte a son texte les versets bibliques. Le mot ou I'expression qu'elle emploie lui rappelle naturellement tel passage scripturaire. Dhuoda invite son fils a reprendre tel passage de l'Ecriture en disant : « Nous lisons que Sem, fils de Noe... il est ecrit dans l'Evangile... 4 2. P. RICHE [73], pp. 288-291. 43· PL, I02, 935-970, trad. frans:. W. WITTERS (La-Pierre-qui-Vire) sans date (1950). 44. Ed. P. RICHE, « Sources chretiennes », nO 225, Paris, 1975.
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l'Apotre dit... » Elle souhaite que son fils puisse poursuivre ses etudes de Ia sainte Ecriture, il decouvrira ce qu'il faut eviter, ce qu'il faut rechercher et ce qu'il doh faire en toute occasion. Les Miroirs permettent de des siner la figure ideale de l'aristocrate en reference avec les personnages bibliques. Sem, Isaac, Joseph sont les modeles des enfants qui doivent obeissance et respect a leurs parents. Joseph est l'exemple du jeune homme chaste, Job celui du pere de famille qui est passe de la prosperite a l'epreuve. Gregoire Ie Grand, auteur des Moralia in Job, ouvrage tres lu dans Ie haut Moyen Age, avait popularise cette figure que nous trouvons continuellement evoquee a notre epoque. Comme Ie recommandaient Ez. 2,21, Deut. 27, 19, Jer. 22, 3, Job avait pris la defense des pauvres et des orphelins, des veuves; les auteurs carolingiens rappellent aux lales qu'ils doivent s'engager sur cette voie. L'aristocrate carolingien n'est pas simplement un homme de bien mais il est un guerrier qui doit mettre sa force au service de Dieu. Deja apparait la division de la societe en deux ordres, celui des guerriers et celui des pretres. En 747, Ie pape Zacharie ecrivait a Pepin Ie Bref : « Aux princes, aux hommes du siecle et aux guerriers revient Ie soin de prendre garde a l'astuce des ennemis et de defendre Ie pays. Aux eveques, aux pretres, aux serviteurs de Dieu, il appartient d'agir par des conseils salutaires et par des prieres afin que grace aDieu, nous priant, ceux-Ia combattant, Ie pays demeure sauf »45. Les clercs carolingiens legitiment Ia fonction des « bellatores » a l'aide de references bibliques. Dans son traite De regis persona, Hincmar rappelle que ceux qui font la guerre ne deplaisent pas aDieu; il prend comme reference la lettre d'Augustin au comte Boniface, mais aussi donne l'exemple de David et du centurion de l'Evangile46• Un soldat chretien doh se contenter de sa solde comme Ie recommandait Jean-Baptiste CLuc 3, 13) et surtout doit suivre l'exemple des guerriers de l'Ancien Testament. Les « Miroirs » des princes mais aussi les epitaphes qui font I'eloge d'aristocrates laics, les poemes en l'honneur de chefs de guerre rappellent Ie souvenir 47 de Samson, Gedeon, David, Josue, etc. Parmi les heros bibliques les plus souvent evoques figurent les Maccabees, particulierement Judas Maccabee, morts pour la defense de leurs lois et de leur patrie (II Mac. IV, 5). D'ailleurs les Maccabees passaient pour des martyrs et les eglises de Milan et de Cologne pretendaient posseder leurs reliques. Le plus bel eloge que l'on puisse faire a un guerrier c'est de Ie comparer a Judas Maccabee : ainsi les Annales de Fulda (867) appellent Robert Ie Fort « Ie Maccabee de notre temps » et Hincmar, 45. MGH, EpiJt., III, p. 56. 46. PL, I2J, 841. 47· MGH, Poet. ae/l. Carol., II, pp. 121,639,651,660; IV, p. 138.
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Sedulius Scotus et bien d'autres font des Maccabees les prototypes des guerriers chretienS48• Notons enfin que Ie Livre des Maccabees (II Mac. 12, 46) permet a nos auteurs de recommander les prieres pour ceux qui sont morts 49• Parmi les figures des heros bibliques, celle des Maccabees est donc une des plus celebres a l'epoque carolingienne et Ie restera pendant tout Ie Moyen Age. Vne etude d'ensemble meriterait d'etre faite a ce sujet. Ainsi il est indeniable que la lecture des textes de l'Ecriture contribue a la naissance de ce que l'on appellera plus tard l'ideal chevaleresque. Tous ceux qui decrivent Ie soldat chretien se referent a la Bible, Ie concept de la guerre sainte tire en partie ses sources de l' Ancien Testament5o•
CONCLUSION Nous aimerions poursuivre l'etude de l'influence de la Bible sur la vie politique et sociale du Moyen Age en reprenant les articles parus ici et Ill.. C'est un travail qui en lui-meme meriterait un grand developpement. Contentons-nous de rappeler que les princes et les eveques du x e siecle, avant et apres la restauration de l'Empire en 962 n' ont guere innove, que les Ottoniens se montrent dignes successeurs des Carolingiens. Ainsi dans Ie rituel du couronnement imperial, l'eveque demande a Dieu de benir Ie nouvel empereur : « Rends-lui vi site comme tu Ie fis a Moise dans Ie Buisson ardent, a Josue au combat, a Gedeon dans son champ, a Samuel dans Ie temple; remplis-le de ta benediction etoilee, penetre-Ie de la rose et de ta sagesse, que Ie bienheureux David a re~ sur son psalterion et que son fils Salomon a obtenu du ciel grace a tes largesses ... »51. Dans son eloge d'Adelaide, epouse d'Otton Ier, Odilon de Cluny applique a la reine ce qu'il trouve dans Deut. 15, 8 et Provo 31,20-2952. La royaute biblique continue et continuera longtemps encore a etre presentee comme l'ideal a atteindre53• A partir du XIe siecle, au moment OU eclate la querelle des Investitures, pape, eveques, princes et tous les polemistes qui sont a leur service trouvent dans les Ecritures des references qui peuvent alimenter 4 8 . PL, I2J, 844; MGH, Poet. aeu. Carol., IV, p. 138. 49· H. ANTON, op. cit., p. 434; DHUODA, Manuel, VITI, 16, p. 323. 50. E. DELARUELLE, « Essai sur la formation de l'idee de croisade» dans Bullet. de litterature ecclesiastique, 1941, 1944, 1953, 1954; E. ERDMANN, Die Enstehung des Kreuzzugsgedanken, Darmstadt, 1955, tmd. angl., Princeton, 1977; P. ALPHANDERY, « Les citations bibliques chez les historiens de la premiere croisade », dans RHR, 1929, pp. 139-157. 51· R. FOLZ, op. cit., pp. 283-284. a.l'epitaphe de Otton I, PL, I42, 967. 52. ODILON, Vita Adelaidis, § 5; MGH, 55, IV, p. 639. 53· A. GRABOiS, « L'ideal de la royaute biblique dans la pensee de Thomas Becket », dans Co/loque Thomas Becket, Paris, 1975, pp. 103-110.
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leur argumentation. II y a non seulement usage mais abus de la Bible pour reprendre Ie titre d'un article de J. Leclercq54. L'editeur du Registre de Gregoire VII a pu relever plus de cinq cents textes bibliques. Dans la litterature polemiste du xn e siecle publiee dans les Monumenta Germaniae Historica, on trouve reference a plus de sept cents passages de la Bible se repartissant par moitie dans l'Ancien et Ie Nouveau Testament; les livres les plus souvent cites sont ceux du Pentateuque, les livres historiques, les Prophetes, les Evangile et les Epitres de saint Pau155• C'est egalement a cette epoque que se forme « la trop fameuse theorie des deux glaives »56. Alors qu' Alcuin, consulte par Charlemagne, n'avait vu a ce passage de Luc 22, ;8 que l'image du corps et de l'ame, un conseiller d'Henri IV en tire argument pour distinguer pouvoir spirituel et tempore!. On sait comment les clercs jusqu'a Boniface VIII reprendront a leur profit l'image devenue classique. Jusqu'a la fin du Moyen Age, partisans et adversaires de la theocratie pontificale, les uns voulant prouver la toute-puissance de l'Eglise romaine, les autres, la subordination de l'Eglise a l'Etat, rivaliseront d'habilete et d'erudition pour tirer des allegories bibliques ce qui vient a la defense de leur parti. Mais de semblables argumentations ne feront que deconsiderer ceux qui les utilisent et finiront par pervertir l'intelligence spirituelle de l'Ecriture57 • Pierre RICHE.
ANNEXE CITATIONS LES PLUS SOUVENT UTILISEES
Gen. 27, 29 : Que des peuples te servent, que des populations se prosternent devant toL. Dent. 17, 18 : Et quand il sera monte sur son trone royal il ecrira pour luimeme une copie de cette loi que lui transmettront les pretres levites. I Sam. passim et particulierement 10, I : Samuel prit la fiole d'huile, la versa sur la tete de SaW; 10, 6 : alors fondra sur toi l'esprit du Seigneur; 16, I; : (onction de David). II Sam. 5, 3 : Le roi David conclut en leur faveur une alliance a Hebron devant Ie Seigneur et ils oignirent David comme roi d'Israel. 54. J. LECLERCQ, « Usage et abus de la Bible au temps de la Reforme gregorienne », dans Bible [3], pp. 89-108. 55. Libelli de lite imperalorum el ponlificum saeculis XI ef XII conscripti, MGH, Hanovre, 1891 -1897; cf. HACKELSPERGER, Bibel und miltelalterlichen Reichsgedanke, Bottrop in Westfalien, 1934· 56. Y. CoNGAR, « La trop fameuse theorie des deux glaives », dans Cafholicisme, V (1951), col. 39-42 reimpr. dans Sainle Eglise, Paris, 1963, pp. 411-416. 51. DE LUBAc [II], IV, pp. 381 et s.
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Vivre la Bible
Ps. 45, 18 : Tu en feras des princes sur toute la terre. Provo II, 14 : Le salut est dans Ie nombre des conseillers; 8, 15 : Par moi regnent les rois et les grands fixent de justes decrets. Sag. 6, 3 : V ous avez rec,;:u du Seigneur votre pouvoir; 9, 7 : C'est toi qui m' as prefere pour etre roi de ton peuple. pr. I, 10 : Sache que je te donne aujourd'hui autorite sur les nations et les royaumes. EZ. 3, 17 : Fils d'ho~e je t'ai etabli g?etteur pour la t?aiS?~ d'lsr~~l. Dan. 5. 2 I : Dieu est maItre de la royaute des hommes et 11 y eleve qUIll veut. Osee 8, 4 : lis ont cree des rois sans moi. Aggie 2 I I : Sollicite donc des pretres une directive. Mat. 16: 18 : Tu es pierre et sur ce roc je batirai mon eglise, etc. 18, 15 : Tout ce que vous lierez sur terre ... 22, 21 : Rendez a cesar ce qui est a Cesar... Luc 10, 16 : Qui vous ecoute c'est moi qu'il ecoute. 22, 38 : Seigneur voici ici deux glaives ... Jean 18, 36 : Mon royaume n'est pas ~e ce ~onde. .,. Rom. 13, 1-4 : Que toute personne sOlt SOUmlse aux POUVOlrS etabhs ... I Cor. 2, 15 : L'homme spirituel juge de toutes les choses et n'est lui-meme juge par personne. I Cor. 6, 3 : Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges et a plus forte raison les affaires de cette vie. I Pierre 2, 17 : Craignez Dieu, honorez Ie roi.
II - LA PASTORALE
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L'imagerie biblique medievale
II reste de l'imagerie biblique medievale ce que l'usure du temps, la negligence et l'action destructrice des hommes ont epargne. Dans quelle mesure les documents figures qui nous sont parvenus permettent-ils de fonder une estimation, meme approximative, d'une floraison sans pareille, d'analyser de fas:on valable les conditions, les formes et les effets de ce foisonnement ? En depit des pertes, Ie nombre et la diversite des representations sont considerables. Elles illustrent des manuscrits de tout genre, non seulement les Bibles, mais aussi les missels, les livres d'Heures, les breviaires, les traites de theologie, les chronologies, les recueils scientifiques... On les trouve dans tous les champs de l'art, sur tous les materiaux. Peinture murale, sculpture, vitrail, ivoire, tapisserie sont decores par les scenes de l' Ancien et du Nouveau Testament. Les objets de la vie courante, les pieces du mobilier, la vaisselle n'ont pas echappe a cette diffusion universelle. Si l'on evalue l'etendue des perte.s a la mesure des <:euvres rescapees et des vestiges, l'imagerie biblique devait etre presente partout et a tous, a l'eveque et a son clerge, a l'abbe et a ses moines, aux seigneurs, aux artisans et aux paysans. Comment embrasser une telle profusion d'un seul regard? Comment visiter ce musee OU l'on doit imaginer les <:euvres par centaines de mille pour approcher une verite et deviner les mentalites qu'elle suppose? A defaut de pouvoir saisir les ensembles dans leur etendue et leur richesse, il a semble utile d'interroger quelques documents, choisis comme temoins representatifs des principaux genres de l'iconographie biblique P. RICHE, G. LOBRICHON
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L'imagerie biblique mediivale
Vivre la Bible occidentale, des temps carolingiens a la fin du xve siecle. A un examen rationnel methodique qui prendrait en compte chacun des modes d'analyse et des criteres d'appreciation de l'image, on preferera Ie survol qui permet de discerner les cloisonnements et les reliefs essentiels. L'enquete sommaire posera les questions les plus simples : qui fait l'image? pour qui? comment? quels genres litteraires ont Ie mieux inspire les artistes? quels choix ont-ils faits dans les textes ? Les reponses s'attacheront aux donnees qui eclairent les problemes de la signification plus qu'aux questions de composition et de style. L'imagier part des ecrits bibliques et de leurs interpretations par les theologiens. 11 traduit les mots en expression figuree. La nouvelle version est profondement marquee par les caracteres propres du langage de l'image. La connaissance de ce langage est donc necessaire a une lecture correcte des representations. L'imagerie biblique depend egalement de la nature des objets qu'elle decore, de la qualite de ceux qui la cons;oivent, l'executent et l'utilisent. Les messages transmis aux clercs, aux lettres et a 1'ensemble du peuple chretien peuvent n'avoir ni Ie meme contenu ni la meme forme.
L'IMAGERIE BIBLIQUE DES INITIES : L'ENLUMINURE
Les manuscrits
apeintures carolingiens
A l'epoque carolingienne, la conjoncture historique determine la qualite et la diffusion de 1'imagerie biblique1 • Fruit de l'initiative et du mecenat de Charlemagne et de ses descendants, Ie developpement de la miniature porte les marques de son origine. L'action de l'empereur se traduit sur trois plans. 11 organise et encourage l'activite des scriptoria des abbayes, OU Ie texte de la Bible est traite avec un grand soud d'exactitude et de correction. 11 contribue a decouvrir des hommes de grande valeur, dont Alcuin, abbe de Saint-Martin de Tours, est Ie plus celebre. 11 fait copier et decorer des manuscrits pour satisfaire ses gouts et son ambition. L'empereur d'Occident ne reve-t-il pas d'etre au moins l'egal de celui qui regne a Byzance? Les manuscrits carolingiens imitent les productions orientales, tant dans leur fond que dans leur forme. Bibles completes, psautiers, evangeliaires, sacramentaires et antiphonaires constituent Ia quasi-totalite des ouvrages somptueux realises dans quelques centres importants, 1. Sur Ie developpement des livres illustres a l'epoque carolingienne, voir Jean PORCHER, «Les manuscrits a peintures», dans L'Empire carolingien, Paris, 1968, pp. 71-203. Presentation rapide des principaux manuscrits dans Louis RliAu, La miniature, Melun, 1946, pp. 75-87.
comme Corbie, Metz, Reims, Saint-Denis et Tours. Chons parmi les plus celebres la Bible d' Alcuin, la Bible de Moutier-Granval, la premiere Bible de Charles Ie Chauve, la Bible de Saint-Paul-hors-les-Murs, l'Evangeliaire d'Ebbon, l'Evangeliaire de Saint-Medard de Soissons, Ie Psautier d'Utrecht. A la confluence de 1'heritage latin, des exemples irlandais et surtout des modeles byzantins, marquee par les exigences de ses commanditaires, l'enluminure carolingienne vaut par la haute qualite de son execution, fidele aux traditions fastueuses, plus que par l'invention iconographique.
Les grandes bibles romanes L'histoire des grandes Bibles romanes n'est pas achevee. 11 manque des maillons dans la chaine. L'origine et la destination de nombreux manuscrits restent hypothetiques 2 • Mais si la connaissance des aires de production, des zones d'influence, des attributions et des modes d'acquisition ne s'affine que lentement, des ensembles coherents de representations s'offrent a I'etude iconographique. 11 est impossible ici d'en inventorier les sujets. On essaiera de repondre, apartir d'exemples precis, a trois grandes questions : Comment les differents genres litteraires bibliques sont-Us traites dans les manuscrits romans? Quelles sont les incidences du contexte his tori que sur Ie contenu des images? Quelle est la part de la creation et de l' originalite dans une imagerie qui, par nature, se doit de respecter Ie texte sacre et la tradition iconographique qui lui est attachee? Une premiere remarque s'impose. Dans la plupart des grandes Bibles seule l'initiale de chaque livre est enluminee et historiee3 • Le plus souvent la relation entre l'image et Ie texte est etroite. L'illusttation correspond au debut du chapitte, sinon a ses premieres lignes. 11 faut tenir compte de ce fait pour apprecier les choix des imagiers. Les decoupages et les articulations du texte ont pour une grande part determine Ie contenu des representations. C'est donc dans la maniere de ttaiter les sujets, plus que dans leur variete, que se manifeste l'invention. 2. Voir, par exemple, Catherine BRISAC,« Les grandes Bibles romanes dans la France du Sud», dans Les dossiers de /'archi%gie, nO 14, 1976, pp. 100-106; Walter CAHN,« Autour de la Bible de Lyon. Problemes du roman tardif dans Ie centre de la France », dans Revue de /' Art, nO 47, 1980, pp. 11-20. 3. Lorsque les Bibles contiennent les prologues de saint Jerome, ils sont plus souvent decores qu'histories. Dans la Bible de Souvigny, l'initiale du prologue represente Judith sous la tente d'Holopheme et celle du texte biblique Judith montrant la tete d'Holopheme aux assieges de Bethulie (Bible de Souvigny, Moulins, Bibliotheque municipale, ms. I, fO 291 yO et 292). II s'agit la d'une exception.
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Vivre la Bible
L'illusttation des Bibles romanes se presente sous quatte formes principales : la scene ou la figure hlstorique, la scene ou la figure a signification thematique4 • Les deux premiers genres iconographlques presentent des evenements ou des personnages particuliers, comme Ie sacrifice d' Abraham et David. Les deux auttes expriment des idees generales, theologiques et morales.
L'illustration na"ative La traduction des recits bibliques dans l'imagerie romane ne releve qu'accidentellement et partiellement de la restitution hlstorique. A 1a fidelite du detail des apparences la mentalite medievale prefere la verite profonde dont l'evenement est Ie signe. Le plus souvent, les grandes lettres qui illusttent les Bibles romanes ne contiennent qu'une scene ou un personnage, rarement deux ou ttois. Quelquefois une suite de petits tableaux juxtaposes raconte une histoire, a la fa'1on des bandes dessinees modernes. Dans la Bible d'Etienne Harding, une pleine page resume la vie de David en 17 episodes. La Bible de Souvigny contient des suites narratives un peu moins developpees en tete du deuxieme livre des Rois, de Tobie et d'Esther5. Mais Ie cycle Ie plus exploite par les imagiers est celui de la Creation, au debut de la Genese. Le I initial de ce livre occupe souvent la hauteur de la page. II offre un long rectangle vertical propice aux cloisonnements et se prete, comme les hautes baies des eglises, a 1a composition de structures complexes. Dans les Bibles de moindre importance des XlIIe et XIVe siecles, six medaillons representant les 4. Sur les genres iconographiques, l'image narrative et l'image thematique, voir F. GARNIER [180], pp. 38-40 et passim. 5. Bible d'Etienne Harding, Dijon, BM, ms. 14, fo 13; Bible de Souvigny, Moulins, BM, ms. I, fo 93, 288 VO et 284.
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4 - Creation d'Adam, creation d'Eve. Initiale de la Genese (detail), Bible latine, fin du Xlle siecle. Sens, Bibliotheque municipale, ms. 1, fO 11. 2 -
Creation d'Adam, Creation d'Eve, Tentation, un ange chasse Adam et Eve du Paradis. Initiale de la Genese, Bible latine, Xlle siecle. Troyes, Bibliotheque municipale, ms. 458 I, fO 6.
3 - Creation d'Adam. Bas-relief du portail de la catMdrale d'Auxerre, Xllie siecle. 4 - Creation d'Eve, Chute. Initiale de la Genese (detail), Bible de Souvigny, fin du Xlle siecle. Moulins, Bibliotheque municipale, ms. 1, fO 4.
L'imagerie biblique medjevale
Vivre la Bible jours de la creation sont alignes verticalement, enrichis quelquefois d'une ou deux representations complementaires, comme Ie repos du septieme jour et la crucifixion. Dans les grandes Bibles, Ie nombre des scenes, leur choix et leur disposition ne sont apparemment fixes et imposes par aucun usage. La Bible dite de saint Bernard contient 4 medaillons, celle de Manerius 18, une grande Bible un peu plus tardive 54 et meme 78 si l'on ajoute les 24 medaillons de l'entre-colonnes, materiellement rattaches au I et iconographiquement complementaires puisqu'ils mettent la vie de Jesus, nouvel Adam, en parallele avec celle du premier homme. Dans la Bible de Souvigny, 6 tableaux superposes en 3 registres racontent la creation du monde, des vegetaux et des animaux. Au-dessous, 2 tableaux un peu plus hauts representent la creation de l'homme et la chute6• Ces quelques exemples montrent avec quelle liberte l'imagier utilise l'espace qui lui est accorde. Cette possibilite d'invention s'exprime dans Ie choix des scenes, de leurs situations relatives, de la composition de chaque medaillon, ainsi que dans les gestes et les expressions des personnages. 11 faut donc prendre en compte tous ces aspects des representations pour en faire une lecture correcte, tant dans Ie detail des analyses que dans la recherche de la signification principale, qui est souvent une synthese historique et theologique. Les quatre medaillons de la Bible de saint Bernard ne concernent que l' origine de l'humanite et la chute : creation d' Adam, creation d'Eve, tentation, expulsion du Paradis terrestre (fig. 2). Le Verbe createur se penche vers l'homme avec bienveillance en meme temps qu'ille saisit par Ie poignet, signe de possession, pour Ie tirer du limon7• Son amour pour la creature se manifeste davantage encore dans la creation de la femme. Dieu est represente assis, de face. Le bras passe derriere Ie dos d'Eve, illui met une main sur l'epaule. 11 lui pose son autre main sur la poi trine. Ces gestes de protection affectueuse et de possession sont ce~ de l'epoux qui tient l'epouse dans l'iconographie medievale. Cette representation n'est donc pas seulement une evocation du fait de la creation de la femme. Elle exprime l'amour profond de Dieu pour sa creature, amour qui rend plus odieuse la trahison de la faute originelle. Dans la Bible de la fin du xne siecle conservee a Sens, deux medailIons sont egalement consacres a la creation de l'homme et de la femme (fig. I). Mais les gestes sont differents. Dieu cree en benissant. Lorsqu'il communique la vie a Adam, son soufHe penetre dans la bouche de l'homme pour l'animer, et illui pose une main sur l'epaule. Dans l'autre 6. Bible de Souvigny, £0 4 yO. 7: Pour la signification des gestes, des positions et des situations, voir Franc;ois GARNIER, op. ell.
medaillon, Ie Createur met la main sur la tete d'Eve, ce qui est un signe tutelaire, Adam n'etant pas represente. Les deux tableaux inferieurs de la Bible de Souvigny ont la meme sig~~ca~on generale que l'initial~ de la Bible de saint Bernard (fig. 4). Mats 11s Juxtaposent de fas:on mOlns dramatique la creation de la femme et la chute. Dans les deux scenes Adam a la main posee sous la joue. Les significations de cette position sont differentes. Au moment de la creation, Adam ales yeux fermes et sa position signifie Ie sommeil. Apres la chute il ales yeux ouverts et Ie geste signifie la douleur8 • Comme il arrive souvent dans les representations medievales de l'evenement, l'imagier montre simultanement des phases qui se succedent dans Ie temps, en particulier la cause et l'effet : Ie serpent s'adresse a Eve, Eve tend Ie fruit defendu, l'homme eprouve un sentiment de culpabilite qui se traduit par Ie geste de sa main droite et par l'effort qu'il fait pour cacher sa nudite. Au-deli de ces apers:us sommaires sur l'image narrative, on devine qu'elle est riche d'idees plus que de faits. Les figures des heros bibliques, ou Ie personnage est represente dans une attitude typique, « en etat », sont egalement chargees d'une signification generale qui depasse les singularites de son etre et de sa vie. Les verites et les valeurs universelles se traduisent mieux encore dans les images qui illustrent des themes.
L'illustration thematique L'illustration des livres sapientia~ est moins connue' que celle des livres historiques 9 • Cela tient sans doute a ce que les grands programmes de la sculpture, de la peinture murale et du vitrail illustrent presque uniquement des recits de l' Ancien et du Nouveau Testament. 11 est possible aussi que les liens entre certaines representations et les sources bibliques qui les ont inspirees n'aient pas encore ete pressentis. 11 est plus facile d'identifier des personnages, grace a leurs attributs et aux actions particulieres des scenes dans lesquelles ils sont representes, que d'etablir avec certitude des relations de dependance entre des images thematiques et des textes. Les illustrations de l'Ecc!esiastique, de l'Ecclesiaste, de la Sagesse et des Proverbes ne sont ni enfermees dans des stereotypes, ni figees pendant des siecles. Alors que l'initiale historiee se rapporte au premier verset du livre, son contenu et sa forme varient. L'evolution du contexte 8. Ibid., p. 181. 9. Dans son Iconographie de I'arl chretien, Louis MAU consacre moins de trois pages a l'illustra~ion du .Cantique des Cantiques I, pp. 297-299) on il effieure Ie sujet. II ne parle pas des Illustrations des Proverbes, de I Ecclesiaste et du livre de Ia Sagesse.
PI,
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Vivre la Bible
historique inflechit l'orientation generale des interpretations iconographiques de l'Ecriture. Deux series, trop limitees, d'exemples suggereront ce qu'a pu etre la diversite des floraisons. L'Ecclesiastique commence par : « Toute sagesse vient de Dieu et dIe est avec lui a jamais. » L'initiale du texte latin est Ie 0 de Omnis sapientia. La forme circulaire de cette lettre, dont Ie des sin est qudquefois trace au compas, est propice ala representation d'un perso'nnage ass is en majeste dans Ie diametre vertical. Dans l'imagerie medievale, cette situation privilegiee est occupee par Dieu et par les personnages que leur niveau de saintete etablit dans un etat de perfection tel qu'ils ne peuvent plus etre frappes par les contingences du temps et du peche. Les quatre exemples qui suivent montrent comment cette structure est utilisee pour traduire des interpretations differentes de la sainte Ecriture. L'initiale de la Bible de Beaune (fig. 5) suit Ie texte biblique de fac;on litterale. Elle represente Ie Verbe assis en majeste. Dans sa main gauche il tient Ie livre, symbole de la Verite. Sa main droite fait Ie geste qui exprime simultanement l'affirmation de l'autorite, l'enseignement de la verite et la sanctification. En effet, les aspects que l'homme distingue dans ses propres comportements ne font qu'un dans l'absolu. Une femme couronnee, tenant un sceptre et presentant un phylactere, est assise en majeste, comme Ie Verbe de l'image precedente, dans Ie diametre vertical du 0 de la Bible de Saint-Benigne (fig. 6). Cette figure allegorique de la Sagesse est frequemment representee au xn e siecle, non seulement dans des Bibles mais aussi dans des manuscrits diverslO. 11 est possible que certaines sculptures dans lesquelles 10. Voir, par exemple, l'initiale du livre XI de sur-Mer, BM, ms. 53, fo 73.
SAINT AUGUSTIN,
Cite de Dim, Boulogne-
5 - Dieu en majest~. Initiale de l'Eccl~siastique, Bible latine, Xlle siecle. Beaune, Bibliotheque municipale, ms. 1, fo 110 vo.
6 - La Sagesse. Initiale de I'Eccl~siastique, Bible de
Saint-B~nigne,
d~but
du Xlle siecle. Dijon, Bibliotheque municipale, ms. 2, fO 308 va. 7 - La Philosophie, la Physique, la Logique et l'Ethique. Initiale de l'Eccl~siastique, Bible latine, Xlle siecle. Reims, Bibliotheque municipale, ms. 23, fa 25. 8 -
Repr~sentation all~gorique de l'Eglise. Initiale de rEccl~sias tique, Bible latine, XI lie siecle. Bibliotheque Sainte-Genevieve, ms. 15, fa 273 va.
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on a voulu voir des « reines bibliques )} soient en fait des allegories de la Sagessel l. L'illustration de la Bible de Saint-Thierry de Reims est plus rare et plus originale (fig. 7). La lecture en est facilitee par les inscriptions qu'elle contient. Elle represente les formes sous lesquelles la Sagesse se propose aux hommes pour qu'ils puissent la pratiquer en mettant en plein accord leur pensee et leur action avec l'ordre divino Le personnage assis en majeste et aureole est appele Philosophie. A I'emplacement de ses pieds, une representation allegorique de l'Ethique, egalement de face, porte dans quatre petites circonferences les noms des vertus cardinales : Justice, Temperance, Force et Prudence. Sous chacune des mains de Philosophie et de trois quarts, comme s'il s'agissait de servantes de la Verite et de Ia Sagesse, sont figurees la Physique, constituee de la Geometrie, de Ia Grammaire, de la Musique, de l' Astronomie, et la Logique, portant la Rhitorique et la Dialectique. Sans entrer dans Ie detail de cette repartition des disciplines et des problemes qU'elle pose, on peut cons tater que l'imagier presente les regles du savoir et de I'action comme les voies indissociables qui conduisent a la sanctification. La quatrieme initiale, du xm e siecle, contient une femme aureolee, couronnee et tenant un sceptre (fig. 8). A la difference des figures qui precedent, elle a la tete de trois quarts. Elle porte un petit edifice. Dans d'autres initiales de la meme epoque, elle a souvent un calice comme attribut. Il s'agit d'une figure allegorique de l'Eglise qui trans met la Sagesse aux hommes. Les quatre images representent donc Dieu comme source de la Sagesse, la Sagesse personnifiee telle qu'elle existe eternellement, la II. Ce pourrait etre Ie cas d'une femme portant les tables de la Loi, du XII" siecie, situee vis-a-vis de David dans Ie chreur de l'eglise de la Couture du Mans ainsi que de certaines statues-colonnes de la meme epoque.
9 - La balance symbole de la Justice. Initiale du livre de la Sagesse, Bible de Saint-B6nigne, d6but du Xlle si~cle. Dijon, BibliotMque municipale, ms. 2, fO 302 VO.
10 - Repr6sentation all6gorique de la Sagesse. Initiale du livre de la Sagesse, Bible latine, Xlle municipale, ms. 23, fO 18.
si~cle.
Reims,
Biblioth~que
11 - Roi faisant ex6cuter une sentence. Initiale du livre de la Sagesse. Bible latine (livres sapientiaux), Xille si~cle. BibliotMque Sainte-Genevi~ve, ms. 60, fo 94 Vo.
12 - Remise de 1'6p6e au chevalier. Initiale du livre de la Sagesse, Bible latine, Xille si~cle. Le Mans, Biblioth~que municipale, ms. 262 II, fO 243 Vo.
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L'imagerie biblique medievale
Sagesse telle qu'elle se met a la porte; de~ ho~mes po~ qu'ils puissent l'apprendre et la mettre en pratique, I Eghse dispensatr1~e d~ la Sagesse: Le Livre de la Sagesse commence par : « Aimez la JustIce vous qUl jugez la terre. » Dans la Bib!e latine, l:initi~le. est Ie de Diligite jus: titiam. L'illustrateur de la BIble de SalOt-Berugne a simplement place au centre de la lettre la balance, symbole de justice (fig. 9)' Celui de la Bible de Saint-Thierry a dispose dans la panse, egalement circulaire, une figure allegorique. de la Justi~e (fig. 10). La femme .cour~?n,ee tient une arme defensIve, Ie bouclier, et une arl11e offensIve, I epee, egalement symbole de justice. Dans la troisieme initiale, du xm~ sieele, un roi rend une sentence qu'un bourreau execute (fig. II). CelUl contre qui elle est portee est deja en mouvement vers la p~rtie d'edifice ~ndi quant traditionnellement.l~ ~rison dan~ ~e genre de sc~nes. La quatrieme illustration de la meme Irutlale, du rrulieu du XIIIe sleele, se comprend dans l'eelairage du contexte historique (fig. 12). Un j.eune ch~valier rec;oit de la main d'un roi l'epee qu'il mettra au serVIce du bIen e? protegeant l'eglise, la veuve et l'orphelin. Au xme sieele, la, ~acrah sation de la chevalerie, chargee de defendre les valeurs chretlennes, s'exprime par la remise de l'arme, epee ou lance, et l'envoi en ~ssion. A la fin du XIe et au xn e sieele, l'eglise avait lutte contre la vlOlence et les guerres privees. Cet effort s'etait exprime dans l'illustration du Psaume 52 : « L'insense dit dans son creur : il n'y a pas de Dieu », par des representations de la violence comme conduite insensee12 • Autre temps, autre fac;on de ressentir les valeurs, de lire les textes, d'en appliquer les lec;ons et de les traduire en images.
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Les Bibles latines du XIIIe et du XIVe sieele
Au xme siecle Ie nombre des Bibles latines illustrees augmente dans des proporti~ns importantes, mais qu'il est impossible d'appreder. Quand des statistiques valables pourront parler, elles montr~ront sans doute une multiplication par dix ou quinze des chiffres anteneurs. Cette proliferation est liee a de profondes modifications dans les co~di tions de production, de diffusion et d'utilisation. Les Bibles sont coplees et enluminees dans des ateliers, par des artisans qui produisent et vendent pour vivre. Les peintres executent des programmes determines .p~r des imperatifs materiels et commerciaux autant que par des conSIderations spirituelles et artistiques. Ces volumes, plus ou moins richement decores, s'adressent a un public elargi de communautes et de personnes Cf. Fran~is GARNIER, « Les conceptions de la folie d'apres l'iconographie m~dievale du psaume Dixit insipiens », dans Actes du cn" Congres national des Societes savantes, Paris, 1979, pp. 215-222. 12.
particulieres. Le retentissement de ces changements affecte Ie contenu et la forme de l'imagerie. A quelques exceptions pres, Ie format des livres diminue. Des moyennes etablies sur un nombre suffisant de manuscrits donnent des nombres significatifs : pour Ie XIIe sieele, hauteur 5I cm et largeur 36 cm; pour Ie xme sieele, hauteur 27 cm et largeur 18 cm13 • La surface de la page est reduite au quart de ce qu'elle etait, l'ecriture devient plus fine et les illustrations se logent dans les panses d'initiales ellesmemes de petites dimensions. Sur Ie plan iconographique, il n'y a pas rupture nette mais continuite, evolution progressive dans Ie choix des sujets et la maniere de les traiter. Les representations sont simplifiees et les actions sont resumees a la mesure du cadre qui les drconscrit. Certaines erreurs indiscutables dans la repartition des lettres historiees en tete des differents livres bibliques eelairent les conditions dans lesquelles devaient etre executees les peintures. Dans une Bible en quatre volumes, exceptionnellement de grandes dimensions, dont la qualite d'execution montre qu'il s'agit d'un ouvrage important, on releve deux confusions 14 • La figure d'un berger tenant sa houlette, avec un mouton a ses pieds, a ete placee au debut du Livre de Joel alors qu'une scene de vision a ete mise au debut du Livre d' Amos. Or la tradition iconographique, conforme au contenu du texte, represente toujours Amos en berger. D'autre part, l'imagier a represente saint Pierre dont la ele est indiscutablement l'attribut, dans l'initiale de la premi~re Epitre de Jean. II a pris Ie S de Simon Petrus pour Ie S de Senior. De telles erreurs trahissent Ie travail en serie, la copie systematique et peu refiechie de modeles. Ce constat d'automatisme, de negligence ou d'incompetence ne doit pas conduire a sous-estimer la valeur iconographique des lettres historiees decorant les Bibles du xm e siecle. L'analyse methodique des images revele que meme s'ils s'inspirent de modeles, les imagiers font preuve d'invention. Ils sont capables de nuancer, voire de modifier la signification d'une representation qui leur est prop osee comme exemple. Les ressemblances entre les images ne sont souvent que superficielles. Plus encore que par les caracteres stylistiques les representations different par Ie langage iconographique. L'imagier joue avec la syntaxe des situations, des positions et des gestes.
13. Quelques Bibles latines illustrees du XIII" et du XIV" siecies sont tres petites. Par exemple, Ie manuscrit 7 de la Bibliotheque municipale de Dijon fait 14 cm de hauteur et 9 cm de largeur. II n'a pas ete tenu compte de ces cas particuliers dans I'evaluation des dimensions moyennes. 14. Bible latine, XIII" sil:cie, Le Mans, BM, ms. 262, III, fos 238 et 239, ms. 262, IV.
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La Bible historiale
La multiplication des copies de la Bible historiale de Guiart des Moulins entraine, aux XIVe et xve siecles, un certain renouvellement de l'iconographie biblique dans les livres enlumines l6 • Les inventions et les modifications afi"ectent l'emplacement, la forme, les dimensions et Ie contenu des illustrations. Alors que l'image s'etait progressivement reduite dans les panses des lettres des Bibles latines, l'imagier introduit des vignettes d'une surface relativement importante dans des volumes dont Ie format a augmentel6 • Elles ont souvent la largeur du texte ou au moins de la colonne. Il semble qu'en echappant aux contraintes de l'initiale du texte latin l'illustrateur ait trouve une inspiration un peu difi"erente pour decorer ces espaces agrandis. La vignette ne sert pas seulement de frontispice. Elle s'introduit souvent dans Ie texte biblique. La Genese d'un exemplaire du XIVe siecle en contient 29 17 • Parmi les sujets traites il en est d'originaux, comme la naissance d'Esaii velu et de Jacob (fig. 15).
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15. Certains manuscrits celebres ont res:u des appellations rappelant Ie nom de leur copiste ou de leur possesseur : Bible historiale de Jean de Papeleu (scribe), 1317 (Paris, Arsenal, ms. 5059); Bible historiale de Jean Ie Bon, avant 1356 (Londres, BL, ms. Royal 19 D II); Bible historiale de Charles V, vers 1370 (Paris, Arsenal, ms. 5212). 16. Les Bibles historiales ont en moyenne 42 cm de hauteur et 30 cm de largeur. Les Bibles latines du XIII" siecle faisaient 27 X 18. La surface de leur page est donc pres de trois fois plus grande. 17· Bible historiale de Guiart des Moulins, Paris, Sainte-Genevieve, ms. 22.
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13 - Artisans controlant la qualite d'un tissu. illustration symbolique de la circonspection avec laquelle on doit examiner les discours des beaux parleurs. Initiale historiee. Saint Gregoire. Moralia in Job. livre XXVII. debut du Xlle siecle. Dijon. Bibliotheque municipale. ms. 173. fO 92 va. 14 - Job. sa femme et un ami. Initiale historiee. Saint-Gregoire' Moralia in Job. livre XVII. 1134. Chalon-sur-Saone. ms. 9· fO 36.
15 - Naissance de Jacob et d·Esau. represente nu et velu. Bible historiale. XIVe siecle. Bibliotheque Sainte-Genevieve. ms. 22. fO 30. 16 - Figure du grand priltre. Nicolas de Lyre. Postilles sur les Iivres de l'Ancien Testament. XIVe siecle. Bibliotheque SainteGenevieve. ms. 34. fO 66 va.
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L'imagerie biblique medievale
Les Bibles moralisees
Quatre manuscrits de la premiere moitie du xme siecle contiennent 000 images. II s'agit de Bibles moralisees, volumes luxueux probablement realises pour Ie roi de France et son entourage18• Chaque page est composee de huit medaillons circulaires, repartis en deux colonnes verticales. Les scenes se completent deux par deux. L'une represente un evenement biblique, l'autre sa transposition morale ou allegorique. Le texte de l'Ecriture, reduit ou paraphrase, et celui du commentaire sont places a cote des medaillons qui les illustrent. II a ete etabli que la Bible moralisee en frans:ais de Vienne, Ie plus petit de ces manuscrits, etait due a neuf peintres differents, et que les autres volumes etaient egalement des productions collectives d'ateliers parisiens 19 • Ces demonstrations interessantes permettent d'imaginer la fas:on dont les maitres, les assistants et les apprentis realisaient des ouvrages aussi importants. Si certaines particularites sont sensibles sur Ie plan du style, de l'execution des figures et des drapes par exemple, la diversite des peintres ne semble affecter ni Ie developpement des programmes iconographiques ni Ie langage de l'image. La signification des positions et des gestes des personnages reste constante, quels que soient l'executant et Ie sujet traite 20• Le choix des recits bibliques et de leurs commentaires ne depend pas de l'artiste. II est fait par des theologiens qui connaissent aussi bien les traditions figuratives que l'Ecriture et ses interpretations. Les Bibles moralisees constituent une somme iconographique unique. Les representations qu'elles contiennent montrent la societe medievale dans ses activites publiques et privees, pays annes et artisanales, militaires, politiques et religieuses. On y voit les rois, les seigneurs, les laboureurs, les marchands, les bons et les mauvais prelats, les chretiens et les juifs, les traitres et les usuriers ... Le contact concret que permet l'image reveIe en meme temps la vie materielle et les mentalites.
Les tommentaires sur I' Ecriture
a eux seuls plus de 13
18. Trois de ces Bibles moralisees sont en latin: I) Vienne, BN d'Autriche, ms. 1179; z) Bible moralisee en trois volumes disperses, t. I, Oxford, Bodleian, ms. 270 b; t. II, Paris, BN, latin 11560; t. III, Londres, BL, Harley, 1526-1527; 3) Tolede, cathedrale, trois volumt's completes par Pierpont Morgan Library, Morgan 240. Une quatrieme Bible moralisee est en franS;ais : Vienne, BN d'Autriche, ms. 2554. Sur les Bibles moralisees, voir : Comte de LABORDE [182]; Reiner HAUSSHERR, La « Bible moralisee )' de la BN d'Autriche, codex vimiobonensis 2'14, Paris-Graz, 1973; Robert BRANNER, Manuscript painting in Paris during Ihe reign of Saini Louis, University of California Press, 1977. 19· Robert BRANNER, op. cil., p. 40. Ce meme historien estime que sept artistes principaux ont collabore a l'illustration de la Bible moralisee de Vienne en latin. zoo L'unite et l'universalite du langage iconographique medieval ne peuvent etre mises en evidence a partir des Bibles moralisees ni meme des Bibles illustrees en general. Un langage est universel lorsque la litterature, Ie droit, la religion, la medecine et la science utili sent la meme morphologie et la meme syntaxe. Cf. Frans;ois GARNIER, op. cil.
t.
L'imagerie biblique medievale ne se reduit pas a l'illustration du texte sacre. Les manuscrits des commentaires sur l'Ecriture, du Xle et du xn e siecle en particulier, contiennent une abondance de representations dont il est encore difficile de decouvrir l'ampleur et la variete 21 • Plusieurs facteurs ont determine l'originalite des programmes et de leurs executions. La pensee des Peres de l'Eglise et des theologiens qui ont commente l'Ecriture s'eloigne quelquefois du texte sacre au point de broder des developpements sans rapport direct avec lui. L'imagier, inspire par des idees et des images litteraires originales, invente des compositions nouvelles. lci ni Ie respect du a la sainte Ecriture, ni la tradition iconographique n'imposent de limites a sa creation. On a quelquefois l'impression que dans cette zone privilegiee la ferveur spirituelle peut donner libre cours a l'imagination. Dans des perspectives mystiques, theologiques, philosophiques, morales ou pastorales, nourri de recits bibliques, sollicite par les problemes de son temps et par Ie spectacle concret qu'il lui offie, l'illustrateur des commentaires jouit d'une liberte qui permet l'eclosion des inventions les plus diverses. La comparaison de deux lettres historiees placees en tete du meme texte dans des manuscrits contemporains permettra de cons tater ce fait. La premiere a probablement ete executee a Notre-Dame de Citeaux, au debut du xn e siecle. Elle commence Ie XXVIIe livre des Moralia in Job de saint Gregoire (fig. 13). La seconde decore un exemplaire acheve Ie 9 aout I I 34 a Notre-Dame de La Ferte-sur-Grosne (Saone-etLoire), premiere fille de Citeaux. L'identite du texte, la proximite dans l'espace et Ie temps, l'appartenance a la meme famille cistercienne rapprochent les deux manuscrits conserves aujourd'hui a Dijon et a Chalon-sur-Saone. Leurs illustrations sont neanmoins totalement differentes. Le manuscrit de Citeaux met en scene des personnages de son temps, des religieux, des seigneurs et des gens de moindre condition, qui se livrent a leurs occupations habituelles. L'imagier transpose dans un tableau d'actualite suggestif l'esprit et quelquefois la lettre du commentaire de saint Gregoire. Le chapitre XXVII des Moralia commence par une mise en garde contre les propos des docteurs arrogants Zl. Certains commentaires de l'Ecriture ont inspire plus que d'autres les imagiers. Parmi les manuscrits les plus nombreux, les plus importants, sur. Ie plan, iconographiq~e ~n peut citer : saint AUGUSTIN, Commenlaires sur les Psaumes,. sarnt GREGOIRE, Morallil In Job,. PIERRE LOMBARD, Commenlaires sur les Psaumes et Commenlaires sur les Epl/res de saini Paul. Les Commenlaires sur Ie Canlique des Cantiques de plusieurs auteurs ont donne naissance a des imageries variees et originales.
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et prt!somptueux qu'il faut « examiner avec soin )} pour discerner les belles verites qu'ils contiennent des effets de leur orgueil et de leur vanite. La panse de la lettre est formee par deux personnages dont l'un, en vetement long, contr6le, « examine attentivement » une piece de drap que l'autre replie au fur et a mesure qu'elle se deroule (fig. 13). Formant la queue de la lettre, un troisieme personnage, assis, tate de sa main droite la matiere premiere et de la main gauche palpe son manteau, comme s'i! appreciait la qualite du tissu, par des gestes qui illustrent egalement Ie « examine avec soin ». Dans l'initiale du manuscrit conserve a Chalon-sur-Sa6ne, la representation se refere au contenu du texte biblique (fig. 14). Elle met en scene les personnages du Livre de Job qui passent leur temps a discourir. L'un d'eux, legerement detache, plus grand et plus richement vetu, fait les gestes de l'argumentation. II s'agit d'Elihou, Ie beau parleur dont parle saint Gregoire, et qui dit a Job, en se designant lui-meme : « C'est un maitre de savoir qui est pres de toi » (Job 36,4). La comparaison ebauchee pourrait se poursuivre et s'etendre a l'ensemble des deux manuscrits, puis a d'autres illustrations des Moralia in Job. Elle revelerait sans doute la richesse et la variete d'une imagerie biblique actuellement peu connue. Les Postilles sur I' Ancien et Ie Nouveau Testament de Nicolas de Lyre
Un survol rapide de l'imagerie biblique medievale doit s'arreter quelques instants sur un type de representation insolite au Moyen Age, la restitution historique. Nicolas de Lyre, franciscain d'origine normande au debut du XIVe siecle a compose des commentaires sur la Bible ou il insiste sur Ie sens litteral, par lequel il faut commencer, ecrit-il, et dont il faut partir pour chercher les sens mystiques. Utilisant les travaux des exegetes, tant juifs que chretiens, i1 serre Ie texte pour en expliciter Ie contenu. Cette demarche Ie conduit, lorsqu'il aborde Ie Livre de l'Exode, Ie troisieme Livre des Rois et Ie Livre d'Ezechiel, a definir les formes des objets du cuIte, a preciser les details des vetem~nts liturgiques du grand pretre, etc. « Pour que l' on comprenne trueux ce qui vient d'etre dit, j'ai dispose ici deux figures », ecrit-il dans Ie commentaire sur Ezechiel. De nombreux manuscrits - des centaines peut-etre - du XIVe et du xve siecle sont illustres par ces reconstitutions. On y voit l' Arche d' Alliance, la table des pains de proposition, Ie chandelier a sept branches, l'autel des holocaustes, des. vues du temple, la tenue du grand pretre (fig. 16). La grande diffuslon de cette reuvre, souvent imprimee apres 1471, eclaire un aspect souvent laisse dans l'ombre de l'imagerie biblique a la fin du Moyen Age.
L'imagerie biblique medievale
Les livres liturgiques
Les enIuminures des manuscrits liturgiques occupent une place dans l'iconographie biblique. Les livres destines au cuIte sont composites. Aux differents types des prieres etablies pour les necessites particuIieres des offices s'ajoutent des citations, plus ou moins longues, de l' Ancien et du Nouveau Testament, des commentaires des Peres sur l'Ecriture et des theologiens. Suivant plus ou moins la tradition, selon les gouts et les mod~s, en fonction des demandes qui lui sont faites et de ses propres Ch01X, l'imagier s'interesse a des parties differentes du texte liturgique. Dans tel missel il iIIustre uniquement l'initiale de l'introIt des principales solennites dans tel autre il multiplie les representations des saints. Ailleurs ii ne s'interesse qu'aux collectes. La part donnee aux sujets bibliques est variable. Quelques usages se sont neanmoins generalises, et il est possible d'etablir les grandes lignes de l'illustration typique d'un sacramentaire, d'un missel, d'un pontifical, d'un breviaire ou d'un livre d'Heures 22• Mais les recherches iconographiques doivent demeurer attentives aux additions et aux changements, qui font de chaque manuscrit une piece unique et des plus belles reuvres des documents irremplas:ables 23 • Le rythme du calendrier est Ie premier et sans doute Ie plus important des facteurs qui ont determine Ie choix des sujets representes. Les gran des periodes du cycle temporal s'orga~sent auto,:r de quel~ues fetes: Nativite, Resurrection (fig. 17), Ascenslon, Pentecote. CondUlsant a ces points culminants ou leur etant associees comme des suites chronologiques, d'autres commemorations entourent les points forts de la vie liturgique : Adoration des bergers, Adoration des Mages, Massacre des Innocents, Fuite en Egypte, Entree de Jesus a Jerusalem, Qne, Lavement des pieds, scenes de la Passion, scenes des apparitions apres la Resurrection. Les fetes de la Vierge et des principaux saints, universels ou regionaux, completent Ie calendrier et s'enrichissent eventuellement de scenes ou de figures. Si Ie Nouveau Testament occupe une place de choix dans cette iconographie, quelques images sont directement
a part
22. Pour les lines liturgiques enlumines conserves dans les bi~liotheque~ publiques ~e France, voir les publications du chanoine LEROQ~A1S, I;es Sacramentat:es et les m!ss~/s manuscr~ts des bibliotheques publiques de France (1924); Les Llvres d h~ures manusmls de la Blbltolheque.n:'tlonale (1927); Les Breviaires manuscrits des bibliotheques publtques ~ France ~1935)i Les Ponlijlcaux manuscrils des bibliotheques publiques de France (1938). Dans le~ Introduct1~)fis, I au~eur ~onsacre quelques pages a la decoration. II donne une table alphabeuque ?es sUJets ~epresentes. Dans la notice de chaque manuscrit il indique les enluminur~s et decrtt .Ies plus lI~portantes .. 23 Parmi les manuscrits les plus riches sur Ie plan lconographlque, certains sont unlversellem~nt connus et d'autres sont presque restes dans I'ombre. La selection s'est faite d'a~res des criteres esthetiques, la beaute, la qualite d'execution, et non d'apres la valeur documentalre.
42.0
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inspirees par des textes de l' Ancien Testament, qu'elles illustrent ou qu'elles transposent dans des expressions symboliques. C'est Ie cas de l'initiale du Psaume 2.4 Ad Ie, Domine, levavi animam meam, « Vers toi, mon Dieu, j'ai eleve mon arne », qui ouvre Ie cycle liturgique. L'illustration de l'Introit du premier dimanche de l' Avent est une traduction litterale du psaume, servie par la forme du signe alphabetique, divise en deux registres superposes par une barre horizontale (fig. 18). Un petit corps nu represente l'ame. Un religieux leve cette figure symbolique vers Dieu, devant un autel, ce qui montre Ie caractere sacre de sa demarche, et en presence d'un autre religieux, temoin de son engagement. Le calendrier liturgique determine Ie cadre dans lequel l'imagier inscrit ses illustrations et propose les sources ecrites a son inspiration. Mais ces limites n' ont pas la puissance contraignante d'un carcan. II reste a l'enlumineur de livres liturgiques des choix qui ont leur importance sur Ie plan iconographique. Un seul exemple suggerera leur nature et leur portee. Dans un pontifical de la premiere moitie du XIU e siecle, les initiales des collectes sont les seuls elements histories en plus du debut du canon24• Chaque illustration traduit en image Ie second membre de la phrase de l' oraison, qui evoque habituellement de fas:on precise un aspect particulier de l'evenement commemore ou du sens de la solennite. Le choix de cette partie du texte comme unique source d'inspiration a pour consequence l'eclosion d'une illustration originale. La panse du D initial de la collecte du Jeudi saint contient une figure de Judas pendu, parce que Ie texte dit : « 0 Dieu, qui avez puni Judas pour sa trahison ... » L'oraison de la fete des Saints-Innocents commence par: « 0 Dieu, dont en ce jour les innocents martyrs ont publiquement professe la foi non par leurs paroles mais par leur mort ... » Une mere presente son fils au bourreau dans un geste d'offrande. Un 24·
Pontifical de Chartres, premier tiers du
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XIII e
siecle, Orleans,
BM,
ms.
144.
Resurrection. Missel a I'usage de Nantes, XV- siecle. Le Mans, Bibliotheque municipale, ms. 223, fa 14 va.
18 - Offrande de I'ame. Initiale historiee, Graduel de Vauclair, XIVe siecle. Laon, Bibliotheque municipale, ms. 240.
19 - Moise et Ie serpent d'airain. Initiale du Canon, Missel de Sens, fin du XIII- siecle. CatMdrale d'Auxerre, ms. 8, fa 60 va. 20 - Jacob presente a son pere Isaac Ie plat prepare par Rebecca qui regarde la scene de loin. Derriere lui, Esaii revenant de la chasse. Histoire ancienne en franc;:ais, fin du Xlile siecle. Dijon, Bibliotheque municipale, ms. 562, fa 32.
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Vivre la Bible bandeau baillonne la bouche de l'enfant, l'image traduisant exactement Ie texte « non en parlant ». Un second facteur a favorise l'introduction de certains sujets bibliques dans les livres liturgiques, leur signification theologique et mystique. Dans un missel du xn e siecie, Ie P et Ie V de la preface, qui ouvre Ie canon de la messe, sont illustres par Ie sacrifice d' Abraham et par la rencontre d' Abraham et de Melchisedech 25• Ces deux scenes, evoquees aussitot apres la consecration, sont considerees d'ailleurs comme des prefigures du Christ et de son sacrifice. Dans un missel de la fin du xme siecie, l'initiale du canon, Ie T de Te igitur, traite dix fois Ie meme sujet, avec quelques legeres variantes 26• Moise designe aux Israelites Ie serpent d'airain qu'il a erige. Cette scene est une des prefigures traditionnelles du Christ eleve sur la croix (fig. 19). On la retrouve dans Ie vitrail de l' Alliance.
Les ccrits philosophiques, historiques et scientifiques L'imagerie biblique a sa place dans les ecrits philosophiques, historiques et scientifiques, parce que dans la vision medievale la puissance divine cree et regit l'univers, en particulier Ie devenir de l'homme. Toutes les realites sont integrees dans l'ordre providentiel, lui-meme manifeste par la Revelation. Des livres de science, comme Ie Livre des propriCth des choses de Barthelemy l'Anglais, commencent par des representations de la Creation. Les rouleaux des chronologies et les chroniques universelles egalement. Elles presentent ensuite quelques evenements de l' Ancien et du Nouveau Testament qu'elles ont retenu comme les plus importants 27 • Un manuscrit d'une histoire ancienne en fran~ais, de la fin du Xln e siecle, illustre les evenements qui vont de la creation a Jules cesar par 14 sujets bibliques et 27 sujets d'une histoire plus ou moins legendaire28• La Genese y tient une place essentielle, avec des scenes relativement peu frequentes comme la machination de Rebecca pour assurer a son second fils Jacob la benediction paternelle (fig. 20).
25· Missel, fin XII" siecle, Douai, BM, ms. 90. 26. Missel de Sens, dit d'Etienne Becquard, fin du XIII" siecle, Auxerre, cathedraie, ms. 8. . 27· Certains sujets bibliques presentes dans les chronologies et les chroniques sont assez J.natt~ndus: On trouve, par exemple, « la punition divine qu'eut Ie roi Nabuchodonosor », ce ~01 aurll;lt ete change en bete selon Ie livre de Daniel (4, 22-30), dans un rouleau de chronologte, PariS, Sainte-Genevieve, ms. 523, et dans des Fleurs des chroniques de BERNARD GU!, Besan~on, BM, ms. 677, fo 13. 28. Histoire ancienne en fran~ais, fin du XIII" siecle, Dijon, BM, ms. 562, fo 4 0 v o.
L'imagerie biblique mCdievale
L'IMAGERIE BIBLIQUE POUR TOUS
Les peintures des manuscrits, comme les textes, sont reservees a un petit nombre de possesseurs et d'usagers. 11 a fallu attendre les moyens mecaniques de reproduction pour que l'illustration du livre atteigne un public elargi, puis Ie grand public. L'enluminure peut donc etre tenue pour l'imagerie des inities, ou au moins des privilegies. Les representations qui decorent les edifices s'offrent au contraire au regard et a l'observation de tous. Le clerc et Ie chevalier, l'artisan et Ie paysan voyaient les memes vitraux, les memes peintures murales, les memes sculptures. Quels rapports y a-t-il entre l'imagerie biblique reservee aux inities et les representations destinees a l'ensemble des fideles? Composait-on pour ces derniers des programmes iconographiques adaptes, plus simples et moins etendus? Dans quelle mesure les interpretations exegetiques et spirituelles raffinees, s'exprimant en un langage symbolique subtil, ont-elles inspire des reuvres mises devant les yeux de tout Ie peuple ? Quelles parts doivent etre faites, dans la determination des programmes et dans la forme de leur execution, aux preoccupations pastorales, aux traditions iconographiques, au gout et a l'initiative de l'imagier, aux exigences des commanditaires? La moindre culture des fideles a-t-elle occasionne et justifie une « vulgarisation » de l'iconographie savante ? La reponse a ces questions n'est pas simple. 11 est certain que nombre de sujets traites dans les grandes bibles historiees n'ont eu que des echos rares et affaiblis dans la sculpture, Ie vitrail et la peinture murale, du moins si l'on en juge d'apres les temoignages qui nous ont ete conserves. Les deux livres des Maccabees, par exemple, n'ont guere inspire que les illustrateurs de bibles. Aux xm e et XIVe siecles, les scenes les plus frequentes dans les manuscrits sont la revolte de Mattathias, pour Ie premier livre, et l'envoi de la lettre aux freres d'Egypte pour Ie second. Certaines enluminures montrent la mort d' Alexandre, Antiochus Epiphane recevant les prevaricateurs d'Israel, la lapidation d' Antiochus pendant qu'il pille Ie temple 29 • Les autres formes d'expression n'offrent que quelques representations de Judas Maccabee, de Jonathan Maccabee, du martyre des sept freres et du cha.timent d'Hellodore30• L'habitude de placer une illustration, pleine page, vignette 29. Cette enumeration des sujets illustrant les livres des Maccabees dans les manuscrits est sommaire. Elle regroupe sous quelques titres des representations fort diverses par la fa~on dont les scenes sont traitees. 30. Cela explique pourquoi Louis Reau mentionne seulement en cinq pages ces quelques scenes et ne fait pas allusion aux illustrations specifiques des manuscrits (L. MAU, Iconographie de I'art chretien, t. II, I, pp. 303-307).
Vivrc la Biblc ou lettre historiee, en tete de chaque livre biblique a donc favorise la creation et Ie developpement d'une iconographie specifique. La situation de l'image par rapport au texte a determine pour une part sa signification. Liberee de cette contrainte materielle du livre, l'imagerie biblique a progresse selon des necessites et des choix differents. Ii serait exagere d'affirmer que les fideles ont rec;u ou produit une imagerie biblique appauvrie, en quantite et en qualite. Les representations reparties dans les edifices en fonction des elements et des formes propres a l'architecture appartiennent aux memes families iconographiques que celles qui decorent les manuscrits 31 • Certains changements obeissent a des exigences pastorales. L'adaptation de l'imagerie suit l'evolution de la pensee, du gout et des techniques. Ii est difficile de saisir et d'analyser les transformations dans une production aussi abondante et diverse. On indiquera donc par quelques exemples les plans sur lesquels on cons tate une continuite entre l'imagerie des enluminures et celle des autres arts, puis l'orientation des developpements de l'iconographie de grande diffusion. D'apres leur contenu et leur forme, les textes de l'Ancien Testament ont ete classes en livres prophetiques, livres poetiques et sapientiaux, Pentateuque et livres historiques. Cette repartition, sommaire aux yeux d'une critique litteraire exigeante est interessante pour un survol comparatif des sujets bibliques illustres dans les differents champs de 1'art. Des livres prophetiques, la sculpture et Ie vitrail n'ont guere retenu et fixe que la personne des prophetes, et particulierement des quatre grands. Statues decorant les portails, comme a Amiens et a Chartres, figures de grandes dimensions dans les fenetres hautes, comme a Bourges et a Chartres, ces personnages accompagnent Ie deroulement de l'histoire providentielle. Tels des heros, ils font partie du cortege, mais on ne les voit guere agir. Quelques scenes dispersees, voire des cycles comme celui de l'histoire d'Isaie dans un vitrail de la Sainte-Chapelle, demeurent des exceptions. Certains livres poetiques et sapientiaux, dont les richesses spirituelles avaient inspire des creations originales aux enlumineurs, n'ont presque pas ete illustres par les autres imagiers. C'est Ie cas du Cantique des Cantiques et surtout des Psaumes . . En revanche, les ecrits historiques et Ie Pentateuque ont fourni aux pelntres, sculpteurs et maitres verriers la matiere essentielle de leurs compositions bibliques. Plusieurs raisons semblent expliquer cette pre31· Emile MALE a intitule Ie premier chapitre de L'Art religieux du Xlle siecte en !'rance [184], « Naissance de la sculpture monumentale, influence des manuscrits ». II va Jusq~'a e~rire : « Pour les sculpteurs, la principale source d'inspiration fut la miniature» (p. 44). Apres .lm on a essaye, quelquefois avec sucd:s, d'expliquer des sculptures par des modeIes
enIunu?e~. Mais il serait excessif et temeraire de ne voir dans l'art monumental qu'une transcrIption de la peinture sur parchemin.
L'imagcric bibliquc medievale dominance des sequences narratives historiques. Les principaux recits correspondent aux grands moments de l'histoire de l'homme et du salut. La creation (fig. 3) et la faute originelle, l'aventure de Noe et Ie Deluge, les cycles d' Abraham et de Moise constituent des etapes majeures dans Ie cheminement du peuple de Dieu. En second lieu, ces recits mettent en scene des heros dont la taille exageree par la legende s'accorde au gout medieval pour l'epopee. Les silhouettes des Samson et des David ont des traits communs avec celles des Roland, Tristan et Lancelot. Enfin la narration se prete par nature a la visualisation. L'histoire de Joseph, qui occupe une grande partie de la vie de Jacob son pere, ressemble a un conte. Elle est en meme temps riche d'enseignement. On la trouve· sur un coffret d'ivoire du x e siecle, conserve dans Ie tresor de la cathedrale de Sens, dans les fresques de Saint-Savin du xn e siecle, dans les vitraux de Chartres, Bourges, Auxerre, du xme siecle. L'histoire de Joseph figure egalement parmi les bas-reliefs du portail central de la cathedrale d' Auxerre. Les aventures de Moise et des Israelites dans Ie desert ne manquent ni de situations dramatiques ni de merveilleux. Pour apprecier a leur juste valeur les facteurs qui ont determine les choix des imagiers dans l'immense eventail de sujets que leur ouvrait l' Ancien Testament, il conviendrait de tenir compte aussi de la frequence des presentations et commentaires faits par les Peres, les theologiens et les predicateurs. Plus proches de la vie chretienne dont elles presentent les mysteres et les enseignements essentiels, les illustrations du Nouveau Testament se sont repandues avec Ie charme de la decoration dans tous les champs de l'art. Les cycles narratifs de la vie de la Vierge, de l'enfance de Jesus, de la Passion et de la Resurrection ont ete developpes sous des formes si nombreuses et si diverses qu'il est impossible de circonscrire l'ampleur de la production (fig. 21 et 23). Plus originales que les suites narratives, certaines compositions reunissent des elements de l'Ancien et du Nouveau Testament, voire des scenes de la vie courante et des figures du bestiaire. Elles ofttent des syntheses OU les quatre sens de l'Ecriture, chers aux theologien~ du Moyen Age, sont explicites. Certaines scenes reproduisent ce qUl est decrit dans Ie texte, c'est Ie sens litteral. Quelques-unes rapprochent dans une interpretation allegorique l' Ancien Testament du Nouveau, les prefigures de leur accomplissement. D'autres degagent des lec;ons de morale. D'autres enfin orientent vers l'ideal, vers les realites celestes, les evenements de l'histoire et les activites des hommes. Le xme siecle semble avoir particulierement aime et mis en imag~s ce genre de synthese OU l'Ecriture, l'histoire, la morale et la theologle marient leurs donnees dans des constructions instructives et edifiantes. Les Bibles moralisees sont sans doute l'expression la plus poussee et la plus systematique de ce gout pour l'interpretation, les rapproche-
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ments et les transpositions. Mais l'imagerie destinee a l'ensemble des fideles ne manque pas d'reuvres importantes par la richesse de leurs significations autant que par leur beaute. On en evoquera seulement deux ensembles. La parabole du Bon Samaritain prend des dimensions historiques et spirituelles dans les verrieres de Sens, de Chartres et de Bourges. Le Christ lui-meme est Ie Bon Samaritain de l'humanite, qu'il rachete du peche par sa mort. Les medaillons situes sur l'axe vertical central racontent la parabole. De nombreuses scenes de l' Ancien et du Nouveau Testament les entourent. Creation de l'homme, faute originelIe, revelation a Moise et scenes de la Passion se repartissent dans des structures formelles dont les dispositions sont signifiantes. Les scenes jalonnent et expliquent l'histoire du salut. Les trois verrieres presentent des versions differentes de ce theme, tant dans leur composition que dans leur contenu. Les verrieres figurant la Nouvelle Alliance associent aux scenes principales du cycle de la Passion les episodes de l' Ancien Testament qui en sont la prefigure. Quelques elements du bestiaire, comme l'image du pelican et celIe du lion qui souffle sur son petit mort-ne pour lui redonner la vie, completent les developpements symboliques. Les compositions different sensiblement. Le vitrail de Bourges ne contient que trois scenes evangeliques : Ie Portement de Croix, Ie Christ sur la croix et la Resurrection. Celui du Mans complete ce schema par une representation du Christ Juge et de la Resurrection des morts. Le vitrail de Tours ajoute une cinquieme scene, l' Agonie au Jardin des Oliviers. Les medaillons qui prefigurent la vie du Christ, dont Ie nombre varie de dix a vingt, se repartissent selon les verrieres. Meme si l'on tient compte des modifications dues aux restaurations, on doit admettre que les maltres verriers plas:aient sous les yeux du peuple de vastes compositions dont ils assemblaient les representations de fas:on originale, meme s'ils les recevaient d'une longue tradition. Ils racontaient l'histoire sainte en insistant sur la complementarite des deux Testaments, selon la formule de saint Paul: « Ce n'est la qu'une ombre des choses a venir, mais la realite appartient au Christ» (Col. 2, 17). Dans quelle mesure la signification de ces grandes syntheses etait-elle comprise
21 - Offrande des Mages. Peinture murale, Xlle siilcle. Asnilnessur-Vegre (Sarthe). 22 - Abel offre un agneau lJ Dieu, Cain Ie tue. Chapiteau, Xlle siecle, eglise d'Aulnay de Saintonge. 23 - les Saintes Femmes au Tombeau. Ivoire, fragment de retable, vers 1330. londres, Victoria and Albert Museum.
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de tous ? On peut supposer que Ie peuple chretien vivait dans la familiarite de ces ~nse.ignements bibliques et de leurs expressions. Cet aper~ 1ndique quelques grandes orientations de l'iconographie n:edievale. 11 s~~le des domai~es sans les explorer. Ce n'est pas un btlan. 11 a penrus d effieurer plus1eurs problemes, mais on peut se poser beaucoup d'autres questions. L'imagerie biblique occupe une telle place au Moyen Age, qu'elle constitue un objet privilegie de l'histoire de l'art. Comme source documentaire et comme fait de civilisation elle fait aussi partie de l'histoire generale. ' Frans:ois GARNIER.
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Les apocryphes bibliques
Meme si Ie Moyen Age n'est plus une epoque feconde pour la litterature apocryphe, de nombreux aspects de la civilisation du Vile au xve siecle sont influences et parfois meme determines par les textes non canoniques. La mise a l'index de ces livres (notamment par Ie fameux decret attribue a Gelase, qui date du VIe siecle et contient un catalogue des apocryphes 1) n'a pas empeche leur large diffusion et leur penetration - directement ou par l'intermediaire d'autres textes - dans la liturgie, les arts, la litterature ou meme les doctrines de l'Eglise ... Malgre la fonction importante que les apocryphes avaient au Moyen Age, on doit cons tater qu'a l'heure actuelle, ce domaine reste encore assez peu etudie. « L'histoire des textes apocryphes pendant Ie haut et Ie bas Moyen Age et leur emprunt successif, opere par les liturgistes, les predicateurs, les hagiographes, les prosateurs et les poetes, sont tout a fait a tracer )}2. La popularite des apocryphes s'explique par une curiosite pour des details passes sous silence, ou peu commentes, des evenements qui figurent dans la Bible; c'est ainsi par exemple que les recits apocryphes concernant l'enfance de la Vierge ou celIe de Jesus deviennent si prises au Moyen Age. D'un autre cote, certains episodes extraordinaires ou I. Reproduction fac-simile de cet index dans A. DUFOURCQ, Etuth sur les Gesta Martyrum romains, t. 4 : Le neo-manicheisme et la tegende chretienne, Paris, 1910, pp. 173-175; edition du texte dans PL, 19, 162-164. 2. A. CoRNAGLIOTTI, « Apocryphes et mysteres », dans Le theatre au Moyen Age, Actes du lIe Colloque de la Societe internationale pour l'Etude du Theatre medieval (Alen!ron , juillet 1977), Montreal, 1981, p. 69·
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surnaturels de la vie du Christ ou des Apotres, relates d'une maniere exageree dans les apocryphes, correspondaient bien a la soif du merveilleux qui caracterisait la piete medievale; les Actes apocryphes des apotres satisfaisaient a ce besoin. D'autres apocryphes - du genre apocalyptique - s'integraient dans la culture medievale de par leurs principaux themes (descente aux enfers; visite des cieux) qui s'accordaient parfaitement avec les preoccupations essentielles des hommes de l'epoque. II faut noter egalement qu' « apocryphe » ne signifie pas necessairement heretique ou heterodoxe; si certains livres non canonigues proviennent effectivement (du moins en partie) d'un milieu gnostique, docetiste, etc., d'autres livres n'ont pas ete acceptes dans Ie canon des Ecritures principalement en raison de leur penchant trop accentue pour Ie merveilleux, l'extraordinaire, depassant les limites raisonnables de la conception chretienne du miracle. Inversement, les heretiques medievaux ne se distinguaient pas par un engouement excessif pour les apocryphes : certes, ils en connaissaient plusieurs, mais l'utilisation des apocryphes est restee plutot limitee chez eux. La situation ne semble pas identique en Orient byzantino-slave ou, dans la propagation de la litterature apocryphe, les heretiques bogomiles ont probablement joue un role important. De meme, pendant que l'Europe occidentale se contente de recevoir (traduire ou adopter) les produits d'une litterature apocryphe ancienne - en tout cas, anterieure au VIle siecle - , l'Orient ne cesse encore de creer de nouveaux livres, meme s'ils sont bitis Ie plus souvent selon Ie modele d'apocryphes connus. L'apocryphe medieval Ie plus original, Ie « livre secret» des Bogomiles et des Cathares, a ete compose en Orient, probablement a Byzance.
LE
DOMAINE OCCIDENTAL
Les apocryphes les plus populaires En Europe de l'Ouest, « des les Xle-XIIe siecles, et plus encore au xIIle, les livres bibliques apocryphes sont tombes dans Ie domaine des connaissances courantes »3. Les livres les plus populaires « completent » avant tout Ie Nouveau Testament dont certaines « lacunes » pouvaient intriguer les lecteurs. Les evangiles apocryphes de l'enfance de la Vierge et de celIe de JesusChrist se trouvent parmi les apocryphes les moins « heretiques » et les plus influents sur la civilisation medievale. 3· P. ZUMTHOR, Hisloire lilleraire de la France medievale, Vle-XIVe siec/es, Paris, 1954, p. 99·
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L'apocryphe intitule I'Histoire de la Nativite de Marie (appele aussi Protevangile de Jacques depuis Ie XVle sieele) a ete redige vers 200 en Syrie ou en Egypte4 • II contient Ie recit de la conception miraculeuse de Marie, son enfance et sa jeunesse au service du Temple, ses fian<;ailles avec Joseph, l'annonciation, la visitation, la nativite et l'adoration des mages, Ie massacre des innocents et Ie martyre de Zacharie. . L'enfance de Jesus, presque entierement absente dans les Evangtles canoniques, mis a part 1'episode ou Jesus discute avec les anciens dans Ie Temple de Jerusalem CLuc 2, 14), est depeinte avec des details surnaturels dans Ie Recit de I'Enfance ou l'Evangile de pseudo.-Thomas 5 • Le texte original a du etre compose en syrien, apres Ie Protevangile; les plus anciennes copies remontent au VIe siecle. Cet apocryphe, repandu sous les plus diverses redactions et traductions (meme en arabe), presente Jesus comme un veritable « enfant terrible », chitiant, guerissant ou ressuscitant les autres enfants suivant son caprice. Quelques-uns des miracles qu'il produit relevent plutot de la magie pure que du miraele au sens chretien: il trans forme l'eau boueuse en eau limpide par sa parole; il anime des oiseaux en argile, ou il change des enfants en cochons. L'Occident a connu surtout Ie remaniement du Protevangile de Jacques et de l' Evangile de pseudo-Thomas sous Ie titre de l' Evangile de la Nativite de Marie et de I'Enfance du Sauveur (cite aussi comme l'Evangile du pseudoMatthieu), qui a paru en redaction latine au VIe sieele6• C'est Ie recit des evenements apres la mort du Christ et avant sa resurrection, ne figurant que par allusion dans les Evangiles canoniques, qui a assure Ie succes de l'Evangile de Nicodeme (ou Actes. de Pilate). Le livre, d'une valeur litteraire reelle, commence par une verSlOn particu1iere et amplifiee de la Passion (chap. I-II). L'apocryph~ semble avoir ete soude de deux textes independants : les Actes de PI/ate proprement dits (chap. I-XVI) et la Descente du Christ aux Enfers Cchap. ~VII XXVII). II est d'origine grecque et sa redaction remonte au ye s1eele. Sa traduction latine a du etre faite tot; il est cite deja par Gregoire de Tours qui ne savait pas Ie grec7 • 4. Edition la plus recente : E. de STRYCKER, La forme la plus an~ienne du Protevangile de Ja~ques, Bruxelles, 1961; trad. frans:., E. AMANN, Le Protevangi~e de Jacques el ses remaniemenls latins, Paris, 1910; Ch. MICHEL, Evangiles apofryphes, t. I, PariS, 1911, pp. I-51; F. AMIOT, La Bible apocryphe. Evangi/es apocryphes, Paris, 1952 (reed. 1975), pp. 48-64; texte grec C. TISCHENDORF, Evange/ia apocrypha, Leipzig, 18768, pp. I-5 0 . 5. Texte grec et trad. frans:., Ch. MICHEL, op. ~it., pp. 1.61-189; texte gr. et l~t., C. .TISCHENDORF, op. cit., pp. 140 et s.; trad. P. PEETERS, EtJanglles apocryphes, II : L I?vanglle tk /,Enfa~e, redactions syriaques, arabes et armeniennes, Paris, 1914; F. AMIOT, op. ~II., pp. 80107. . A 6. Texte lat. et trad. frans:., Ch. MICHEL, op. &II., pp. 53-159; trad. frans:., F. MIOT, op. ~it., pp. 65-79· . 7. Texte gr. et lat., C. TISCHENDORF, op. ~it., pp. 210-432; trad. frans:., F. AMIOT, op. &It., pp. 146-156 (extraits seulement).
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La mort miraculeuse et l'assomption de la Vierge Marie, dont Ie culte ne cesse de s'amplifier au cours du Moyen Age, constituent Ie sujet de l'apocryphe intitule Transitus Mariae (Ie terme Dormition ne rend pas parfaitement Ie sens du titre latin), compose probablement au v e siecle et diffuse en nombreuses versions et traductions (meme en copte et en arabe). L'un des remaniements latins avait ete attribue (faussement) a saint Meliton, disciple de saint Jean et eveque de Sardes a la fin du n e siecle. En Gaule, Gregoire de Tours a fait connaitre une version abregee de l'apocryphe (De Gloria marryrum, chap. IV)8. Parmi les apocalypses apocryphes, c'est l' Apocalypse ou la Vision de saint Paul qui a exerce la plus grande influence au Moyen Age. Ce recit qui comporte Ie voyage de l'apotre, guide par l'archange Michel, a travers Ie paradis et l'enfer, est une reuvre des dernieres annees du IVe siecle (texte grec). Plusieurs redactions latines et traductions en langue vulgaire (fran<;ais, anglais, italien, proven<;al) temoignent de la popularite dont il a ete l'objet au Moyen Age9 • Au detriment des Actes des apotres canoniques, les Actes apocryphes d' Andre, de Jean, de Pie"e, de Paul, de Jacques, de Simon et Jude ont eu un retentissement considerable dans les legendes hagiographiques et les arts plastiques. Ces actes, rediges en general aux ne-In e siecles, mettent l'accent sur Ie pouvoir surnaturel des apotres (miracles) et exploitent a fond Ie cote romanesque de leur proselytisme (voyages dans des pays lointains et fantastiques, peuples parfois de races monstrueuses). La plupart de ces recits ont ete rassembles dans une compilation du ve siecle par un auteur qui se nomme Abdias (Histoire du combat aportolique). La traduction latine du pseudo-Abdias, faite par Julius Mricanus, etait tres connue au Moyen Age, et fut utilisee notamment par Vincent de Beauvais et Jacques de Voragine au xm e siecle lO • Quant aux apocryphes vetero-testamentaires, ils sont beaucoup moins populaires en Occident qu'en Orient.
8. Texte lat., C. TISCHENDORF, Apocalypses apocryphae, Leipzig, 1866, pp. 113-136; trad. frans:., F. AMIOT, op. cit., pp. II2-I34. 9· Texte gr., C. TISCHENDORF, ibid., pp. 34-69; texte lat., H. T. SILVERSTEIN, Visio Sancti Pauli. The History of the Apocalypse in Latin, together with Nine Texts, Londres, 1935; M. R. JAMES, Apocrypha anecdota, Cambridge, 1893, pp. 11-42; trad. frans:., F. AMIOT, op. cit., pp. 295-33 I. 10. Textes, C. TISCHENDORF, Acta apostolorum apocrypha, Leipzig, 185 I; R. A. LIPSIUS, M. BONNET, Acta apostolorum apocrypha, 3 tomes, Leipzig, 1891-19°3 (reed. Darmstadt, 1959); texte lat. du ps.-Abdias, J. A. FABRICIUS, Codex apocryphus Novi Testamenti, t. I, Hambourg, 17 19; trad. frans:. de divers Actes, F. AMIOT, op. cit., pp. 157-274 (donne egalement une orientation bibliographique).
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Traductions et adaptations La propagation des apocryphes bibliques se faisait par divers moyens dont Ie plus evident etait la traduction de l'original (grec; grec traduit du syriaque, etc.) en latin. Parfois, plusieurs redactions du meme texte sont traduites en latin. L'adaptation des ecritures apocryphes en latin a assure leur penetration dans la culture ecclesiastique proprement dite d'abord (liturgie, hagiographie). Pour les traductions en langue vulgaire, i1 faut attendre les xne-xme siecles ou l'on voit apparaitre une quantite considerable de traductions et d'adaptations d'apres les modeles latins. On connait par exemple trois adaptations rimees en ancien fran<;ais de l' Evangile de Nicodeme, en dehors de ses nombreuses versions en pros ell. Mais au-dela des traductions et adaptations, l'emprise que les apocryphes avaient sur la civilisation medievale peut se mesurer avant tout par leur presence parfois etonnante dans les domaines les plus divers.
La liturgie et les doctrines Plusieurs fetes liturgiques ont leur origine, directement ou indirectement, dans la litterature apocryphe : ainsi par exemple quelques fetes liees a la vie de la Vierge Marie, dont l'enfance, la jeunesse et la mort ne sont relatees avec details que dans les apocryphes. C'est grace au ProtefJangile de Jacques que l'histoire des parents de Marie, Anne et Joachim, est entree dans l'hagiographie et que leur fete figure dans Ie calendrier liturgique (Saint-Joachim : Ie 16 aout; Sainte-Anne : 26 juillet). D'apres Ie temoignage d'un Lectionnaire et d'un Breviaire provenant des eglises normandes, la legende apocryphe de sainte Anne et de saint Joachim fut lue Ie jour de la Nativite de la Vierge. Les fetes de l'Immaculee Conception (8 decembre), de la Nativite (8 septembre) et de la Presentation au Temple (21 novembre) de la Vierge sont insII. Edition des versions rimees, G. PARIS, A. Bos, Trois versions rimees de I'Evangile de Nicodeme, Paris, 1885; versions en prose, A. E. FORD, L'Evangile de Nicodeme. versions courte.r en ancien franfais et en prose, Geneve, 1973; trad. et adaptations en d'autres langues, M. W. A. HOLMEs,« The Old English Gospel of Nicodemus », dans Modern Philology I (1903), pp. 579-614; W. H. HULME, The Middle-English Harrowing of Hell and Gospel of Nicodemus, Londres, 1907; A. PIONTEK, Die Mittelhochdeutsche Obersetzung des Nicodemus-Evangeliums, Greifswald, 19°9; A. MASSER, Dat ewange/ium Nicodemi van deme /idende unses heren Ihem Christi : 2 mittelniedert. Fassungen, Berlin, 1978; A. VAILLANT, Evangile de Nicodeme. Texte slave et latin, Geneve-Paris, 1968; etudes, R. P. WULCKER, Das Evange/ium Nicodemi in der abendllJntiischen LiteratYr, Paderbom, 1872; W. BECKER,« Die Sage von der Hollenfahrt Christi in der altfranzosischen Literatur », dans Romanische Forschungen, J2, 1913, pp. 897-972.
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bibliques
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compilations medievales, telles que les reuvres d'Honore « d'Autun » (premiere moitie du xne siecle), de Vincent de Beauvais (t 1264), ou bien Ie recueil de Ia vie des saints, Ia Ugende doric de Jacques de Voragine, composee avant 12.6417. Nombre de motifs provenant des apocryphes passent souvent par Ie canal des intermediaires de cette sorte, et il n'est pas toujours facile de determiner si un artiste ou un poete a puise directement a Ia source apocryphe ou a pris son motif « de seconde main ». Mais il manque encore un releve systematique des Iegendes apocryphes incorporees dans Ies recueils de « vulgarisation scientifique» du Moyen Age. C'est Ia Ugende doric qui constitue Ie meilleur exemple de I'utilisation des apocryphes dans Ia litterature edifiante. Malgre Ia distance que l'auteur etablit entre ses sources apocryphes et son propre recit, il est evident que non seulement il ne desavoue pas les premieres, mais, dans Ie cas de quelques Iegendes, il se fonde presque entierement sur elles. II cite parfois Ie titre de I'apocryphe qu'il resume (I'Evangile de Nicodeme revient souvent : I'episode de I'huile de Ia misericorde est evoque dans l'Invention de la sainte Croix; mentions dans Ia Passion du Seigneur et dans Ia Resurrection); d'autres fois, il ne donne qu'une reference vague: « une histoire apocryphe des Grecs » (a propos du bois de l'arbre du Paradis terrestre donne a Seth, dans l'Invention de la sainte Croix), ou bien« un livre apocryphe, attribue a saint Jean Evangeliste » (concernant l' Assomption de la Vierge), etc. La Ugende doree est l'un des aboutissements de Ia litterature apocryphe; on y trouve plusieurs Iegendes sous leur forme Ia plus elaboree sans qu'on puisse identifier toutes Ies traditions anterieures qui sont entrees dans leur composition (par exemple, Ia Iegende de I'Invention de la sainte Croix). Mais, en meme temps, cette reuvre devient, a son tour, une source de premiere importance pour Ies arts re1igieux jusqu'au Concile de Trente : « Apres l'Evangile, Ie recueil de Ia vie des saints est de tous Ies livres de l'Occident celui qui a eu la plus profonde influence sur l'art »18.
pi:rt!es egalement par Ie meme apocryphe12 • Quant a I'origine de la fete et de la doctrine de I'Assomption de la Vierge (15 aout),I'apocryphe Transitus Mariae y eut un role certain13• II est egalement prouve que la fete de saint Andre (30 novembre) est fondee sur Ie recit apocryphe du martyre de l'apotre (Ies Actes de saint Andre, diffuses sous fo~~e de difl"erents remaniements, inspirant directement Ie texte du Brevtatre)14. L'observation stricte du rep os dominical n'est sans doute pas totaIement etrangere a un recit apocryphe, Ia Lettre du Christ tombee du del (VIe siecle), traduit en nombreuses Iangues (grec, latin, syriaque, armenien, carchouni, arabe, ethiopien). Cette Iettre n'a pas du etre sans influence sur Ies decisions du Concile d'Orleans (n 8) qui a interdit Ies travaux serviles Ie dimanche, et du Concile de Rouen (650) qui a defini Ia Ioi du repos des jours feries de Ia fas;on en usage jusqu'a notre epoque15• Outre Ies dogmes deja mentionnes de l'Immaculee Conception et de l' Assomption, d'inspiration apocryphe, I~ doctr~ne de Ia Descen:e aux Enfers, devenue officielle sous Ie pontlficat d Innocent III.' dOlt beaucoup, meme si ce n'est qu'indirectement, a I'Evangile de Ntcodem~ dont Ia deuxieme partie contient Ie recit detaille de Ia Descente. Parnn Ies sources d'inspiration de Ia doctrine du Purgatoire, elaboree aux xnexme siec1es, figurent egalement l' Evangile de Nicodeme (Ia notion des limbes) et surtout l' ApocalYpse de Paul: I'enfer superieur de I'une des redactions de ce dernier apocryphe, Ie lieu OU se trouvent « les ames de ceux qui attendent Ia misericorde de Dieu », est bien Ie futur Purgatoire, et une partie des peines « infernales » decrites ici seront transferees au Purgatoire quand celui-ci sera defini avec precision plus tard au Moyen Age16• La litterature Cdifiante
Nous ne pouvons pas etudier I'influence des apocryphes sur Ia litterature et Ies arts sans evoquer Ie role intermediaire de certaines 12. E. MALE [18 51, t. 2, p. 188 : Introduction de DANIEL-Rops dans F. AMIOT, op. cit., pp. 20-21. . 13. G. DURIEZ, Les apocryphes dans Ie drame religieux en Allemagne au Mqyen A~e, Lille, 19 14, pp. 69-7 1. Sur l'origine des fetes de la Vierge, cf. egalement, F.-X. WEISER, Fetes et coutumes chretiennes. De la liturgie au folklore, Paris, 1961 . 14. F. AMIOT, op. cit., p. 253, et l'introduction de DANIEL-Rop~, ibid., p. 21. . 15. H. DELEHAYE, « Note sur la Ugende de la lettre du Christ tombee du Clel », dans Academie rqyale de Belgique, Bulletin de la Classe des Lettres,. 1899, pp. 17 1- 21 3; trad. frans:. dans J.-B. BAUER, Les apocryphes du Nouveau Testament, PariS, 1973, pp. 88-9°· 16. Sur Ia Descente, cf. J. A. MCCULLOCH, The Harrowing of Hell. A C?mparative Stu4J of an Earry Christian Doctrine, Edimbourg, 1930; J. CHAINE, « Descente du Christ aux Enfe~s », dans Dictionnaire de la Bible: Supplement, Paris, 1934, t. 2, col. 395-431; sur Ie Purgatoire: J. LE GOFF, La naissance du Purgatoire, Paris, 19 8 1.
apocr~phes
La litterature des visions
Sans Ia Vision de saint Paul, il est probable que Ies recits de voyages surnaturels du Moyen Age ne seraient pas nes. La litterature des visions de I'au-dela (voyage d'un vivant a travers I'Enfer, Ie Purgatoire et Ie Paradis), apparue en Occident des Ie haut Moyen Age (1'Histoire eccle-
I ;
17. HONORIUS AUGUSTODUNENSIS, Speculum ec&iesiae, dans P L, I 72; VINCENT DE BEAUVAIS, Speculum historiale, ed. Douai, 1624 (reed. Graz, 1964-1965); JACQUES DE VORAGINE, Legenda aurea, ed. Th. GRAESSE, Dresde-Leipzig, 1846; trad. frans:. par J.-B. M. ROZE, Paris, 196718. E. MALE, L'art religieux du XIII" siee/e, t. 2, p. 331.
Vivre la Bible siastique de I' Angleterre de l' Anglo-saxon Bede, mort en 735, contient plusieurs visions) devient un genre reellement populaire a partir du XIIe siecle19 • Le Purgatoire de saint Patrick, redige en latin par un moine cistercien de Saltrey vers la fin du XIIe siecle, fut traduit ensuite en langues vulgaires (dont sept traductions en ancien fran~ais; la premiere faite par Marie de France, celebre poetesse de la deuxieme moitie du xrle siecle), et connut un sucres depassant de loin celui de la Vision de saint Paul. Ces recits, ainsi qu'une autre vision d'origine irlandaise, la Vision de Tnugdal, auront une influence considerable sur I'iconographie des chatiments des pecheurs a la fin du Moyen Age20• La litterature medievale des visions a atteint son sommet dans la Divine ComMie de Dante (entre 1307 et 1321). Bien qu'il reprenne certains motifs et divisions structurales de ses predecesseurs (dont la Vision de saint Paul), par sa portee allegorique, politique et artistique, son poeme sort des limites traditionnelles du genre. Les romans du Graal Le plus fameux cycle de romans du Moyen Age, les romans du Graal, doit aussi sa naissance, du moins en partie, a la litterature apocryphe. Meme si c'est un element non chretien (celtique?) qui a determine la genese du premier roman du Graal (Perceval ou Le Conte du Graal de Chretien de Troyes, entre 1179 et 1182), la legende chretienne apocryphe, qui est venue s'y greffer un peu plus tard, a definitivement modifie Ie caractere de ce mythe medieval. En effet, vers 1200, dans Ie Joseph d' Arimathie de Robert de Boron, Ie Graal, ce recipient mysterieux a proprietes magiques devient Ie plat de la Qne dans lequel Joseph d' Arimathie recueille Ie sang du Christ crucifie. Cette identification est fondee sur des traditions legendaires relatives au Precieux
19. Etudes fondamentales sur ce sujet : D. D. R. OWEN, The Vision of Hell: Infernal Journeys in Medieval French Literature, Edimbourg, 1970; H. R. PATCH, The Other World according to Descriptions in Medieval Literature, New York, 19702; cf. aussi J. MONNIER, La Descente aux Enfers, etude de pensee religieuse, d'art et de litterature, Paris, 1905; F. BAR, Les routes del'autre montie, Paris, 1946; sur la diffusion de l'Apocalypse de saint Paul, L.-E. KASTNER, « Les versions fran~ises inedites de la 'Descente de saint Paul en Enfer' », dans Revue des Langues romanes, 48, 1905, pp. 385-395; 49, 1906, pp. 49-62,322-351,427-45°; W. MEIDEN, « Versions of the 'Descente de saint Paul' », dans Romance Philology, 8,1954; P. MEYER, « La Descente de saint Paul en Enfer », dans Romania, 24,1895, pp. 357-375; D. D. R. OWEN, « The 'Vision of St. Paul' : The French and Proven~ Versions and their Sources », dans Romance Philology, I 2, 1958, pp. 33-51. 20. Edition du texte latin et de la trad. de Marie de France, K. WARNKE, Das Buch vom Espurgatoire S. Patrice der Marie de France und seine Quel/e, Halle, 1938; trad. franc:;. du texte du xv" siecle, J. MARCHAND, L'autre montle au Mqyen Age. Vqyages et visions, Paris, 1940, pp. 81-115; cf. aussi Ph. de FELICE, L'autre montle. Mythes et ligentles. Le Purgatoire de saint Patrice, Paris, 1906; J. LE GOFF (op. cit., n. 16), plusieurs chapitres sur la litteratw:e des visions.
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Sang, mais Ie debut du roman et l'histoire de Joseph d'Arimathie jusqu'a sa liberation de la prison sont puises a I'Evangile de Nicodeme. Robert de Boron suit de pres l'apocryphe quant a la naissance et Ia vie de Jesus, sa Passion, la descente de croix et Ia prison de Joseph. Mais i1 fa~t souligner. 9-ue Ie Graal ne figure pas dans l'apocryphe et que Ia fuSIon des traditlOns concernant Joseph d'Arimathie et de celles ayant trait au « saint vaissel » est de l'invention de Robert de Boron. Le poete a aussi incorpore un autre groupe de traditions apocryphes dans son roman: i1 s'agit de Ia guerison miraculeuse de I'empereur romain Vesp~sien grace a Ia Sainte-Face, gardee par sainte Veronique, de Ia converSIon de Vespasien et de sa vengeance de la mort de Jesus par la destruction de Jerusalem. Cette partie du roman remonte a deux apocryphes apparentes a I' Evangile de Nicodeme : la Cura sanitatis Tiberii (proba~lement du VIe ou VIle sieele), oil l'empereur gueri n'est pas VespasIen, comme chez Robert de Boron, mais Tibere, l'episode de la vengeance est absent, et Joseph d'Arimathie ne joue qu'un petit role, en tant que temoin de Ia resurrection du Sauveur, et la Vindicta S~/va!oris (vers 700), oil l'empe,reur gueri est aussi Tibere, mais Joseph d Arimathie est davantage present, et l'empereur se venge des Juifs en mettant Ie siege devant Jerusalem. Dans la Chanson de la Vengeance de Notre-Seigneur (en ancien fran~ais, fin du XIIe sieele), c'est Vespasien qui est gueri d'une lepre; « il est donc possible que Robert de Boron ait adopte cette donnee qui sera maintenue dans un episode du Roman des Sept Sages en vers (debut du xme sieele), puis dans les differentes versions de Ia Vengeance en prose »21. II est a noter que, dans la traduction manuscrite, la Vengeance en prose figure souvent ensemble avec la traduction en ancien fran~ais de l'Evangile de Nicodeme 22• Un episode capital de la deuxieme partie de la trilogie de Robert de Boron, Merlin, Ie conseil des diables par lequelle roman commence, semble avoir suivi comme modele un passage de l'Evangile de NicodBme egalement : la scene de Ia deliberation des demons lors de Ia descente du Christ aux Enfers 23 • C'est encore l'Evangile de Nicodeme qui est a la base de Ia Iegende de Longin qui aura une fonction importante dans Ies romans du Graal des continuateurs de Chretien de Troyes. La Iance-qui-saigne du cortege du Graal dans Ie Perceval deviendra « christianisee » aux alentours
21. A. MICHA, « 'Matiere' et 'sen' dans L'Estoire dou Groal de Robert de Boron» dans Romania, 89, 1968, p. 461 (l'article est repris dans De la chanson de geste au roman ~neve 197 6, pp. 20 7- 2 3°)' Edition du texte du roman, W. A. NITZE Robert de Boron L: Roman I'Estoire dou Graal, Paris, 1927. " 22. A. E. FORD (op. cit., n. II), p. 76. 23·. Edition dans les Noles de W. A. NITZE, Le Roman de I'Estoire dou Groal, pp. 126 et s.; la versIon en prose des romans de Robert de Boron est editee par B. CERQUIGLIN1, Le roman du Groal. Manuscrit de Modene, Paris, 1981.
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de 1200 elle sera identifiee avec la lance de Longin dont il a perce Ie cote du Christ24.. L'inspiration des apocryphes marque aussi les romans qui composent Ie vaste cycle en prose appele Lancelot-Graal (deuxU:me quart du XlIIe siecle). L'une des branches de ce « roman-fleuve », l'Estoire del Saint-Graal, reecrit en partie Ie Joseph de Robert de Boron, mais y ajoute des prolongements aventureux dont Ie modele plus ou moins lointain est constitue par des Actes apocryphes de quelques apotres (surtout les Actes de Simon et Juda et la Passion de saint Matthieu)25. Au-dela des emprunts concrets aux apocryphes et legendes hagiographiques, c'est toute l'atmosphere et l'esprit du roman qui rappellent Ie merveilleux des aventures dans les Actes apocryphes des apotres.
Le drame liturgique et Ie theatre religieux
La presence des apocryphes est egalement remarquable dans un autre domaine de la litterature medievale : Ie d~ame liturgique et, plus tard, Ie theatre religieux (Jv!ysteres). Des scenes inspirees des apocryphes apparaissent dans les offices de Paques, charges d'elements dramatiques, des Ie Xle siecle. L'utilisation plus large des apocryphes est liee a l'essor du theatre medieval a partir du xme siecle et surtout au xve. Le probleme de la penetration des apocryphes dans les Mysteres est encore assez mal connu; on peut considerer actuellement qu' « avant tout il est absolument necessaire d'etablir des editions serieuses des apocryphes latins et de tous ces textes qu' on appelle intermediaires (qu'ils soient en latin ou en vulgaire) entre la litterature originaire et leur utilisation posterieure dans Ie theatre »26. Dans Ie theatre comme dans les autres domaines de la civilisation medievale, les apocryphes de l'Ancien Testament ne sont presque pas utilises (exceptions : par exemple la Vita Adae et Evae dans Ie cycle de Bologne). Un autre trait caracteristique est que « l'attitude a se fier completement a la tradition apocryphe et legendaire s'accroit de plus en plus au lieu de diminuer »27. Dans les grands Mysteres de la Passion, a cote des livres du Nouveau Testament, c'est l'Evangile de Nicodeme qui sert de source principale de 24· Etude fondamentale sur ce sujet, K. BURDACH, Der Gral. Forschungen iiber seinen Ursprung und seinen Zusammenhang mit tier Longinuslegende, Stuttgart, 1938 (reed. Darmstadt, 1974). 25. Cf. F. LOT, Etude sur Ie Lancelotenprose, Paris, 1918. Edition du roman, H. O. SOMMER, The Vulgate Version of the Arthurian Romances, I: L'estoire del Saint-Groal, Washington, 1909. 26. A. CoRNAGLIOTTI (op. cit., n. 2), p. 75. 27. Ibid., p. 72.
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certaines scenes de la Passion du Christ et de sa Descente aux Enfers. Parfois, I'auteur recourt a des textes intermediaires comme la Ugende dorCe, mais d'autres fois, il incorpore une traduction fidele du texte latin de l'apocryphe dans son jeu. II est curieux qu' Arnoul Greban, l'un des plus celebres auteurs de Passion au xve siecle, declare ne point recourir aux apocryphes : pours1!Jvans sans prolixite l' euvangile a nostre sfavoir sans apocriphe recevoir.
Ce qui ne l'empeche pas d'inclure dans sa piece par exemple la legende de Seth et de l'huile de la misericorde (qui remonte a l' Evangile de Nicodeme), ou bien divers episodes de la nativite et de l'enfance du Christ, deja traditionnels dans les Mysteres, ainsi que des scenes de la Passion inspirees de l'Evangile de Nicodeme. Au debut de l'episode de la Descente aux Enfers, il cite meme quelques phrases latines de cet apocryphe. Mais d'une fas:on generale, les motifs ou fragments de texte d'origine apocryphe, tout comme les scenes inspirees des Evangiles, ne constituent que des reperes pour des improvisations poetiques. Par exemple, l'episode de Seth, qui occupe une cinquantaine de vers dans la version rimee de Chretien, est gonfle a plus de 200 vers dans la Passion d'Arnoul Greban28 • Mais parfois l'auteur etablit sa propre version d'apres l'originallatin, comme dans Ie cas de la Passion conservee a la Bibliotheque Sainte-Genevieve (paris) : Texte latin (en prose)
Passion Sainte-Genevieve
Quis est iste Jesus, qui per verbum suum mortuos a me traxit sine precibus ? Forsitan ipse est qui Lazarum quatriduanum foentem ot dissolutum, quem ego tenebam mortuum, reddidit vivum per verbum imperii eius.
Qui est ce Jhesu qui fait vivre Par sa parole seulement Les mors ? Dy ;je Ie te demant! Et non pour quant par aventure C'est cil qui de la chartre obscure De seens Ie Ladre getta, Qu'ija piioit... 29
28. Edition de la Passion d'Amoul Greban, G. PARIS et G. RAYNAUD, Paris, 1878 (reimpr. Geneve, 1970). Etudes fondamentales sur Ie drame liturgique et Ie theatre religieux, B. BERGER, Le drame liturgique de Pt1ques du Xe au XIIIe siede : liturgie etthitttre, Paris, 1976; D. DOLAN, Le drame liturgique de Paques en Normandie et en Angleterre au Ml!Yen Age, Paris, 1975; G. FRANK, The Medieval French Drama, Oxford, 19702; O. JODOGNE, « Recherches sur les debuts du theatre religieux en France », Cahiers de Civilisation mMiivale, I, 1965, pp. 1-24; 2, 1965, pp. 179-189; E. Roy, « Le mystere de la Passion en France du xIV" au XVle sii:c1e», dans Revue bourguignonne, I j, 1903-1904; K. YOUNG, The Drama of the Medieval Church, Oxford, 1933; sur les apocryphes et les Mysteres, cf. aussi : L. M. MUIR, « Apocryphal Writings and the Mystery Plays », dans Le thiatre au Ml!Yen Age, Montreal, 1981, pp. 79-83. Une bibliographie abondante figure ibid., pp. 111-115. 29. G. A. RUNNALS (ed.), Le mystere de la Pa.r.rion Nostre Seignetlr du ms. I I JI de la Bibliotbeque Sainte-Genevieve, Geneve-Paris, 1974, vv. 3935 et s.
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Vivrc la Biblc A comparer avec les adaptations rimees de l' Evangilc dc Nicodemc Chretien Ki est icil ki sanz preiere Me tolt les morz en tel manere ? Pot fO estre c'est cil Jesus Ki Lazarum fit lever sus Del monument u out jeu Ouatre jurz tant ke puant fu 30 •
Andre de Coutances Ce est cil Jhesus, peut eel estre, Qui Lazarum, que bien savoie Que quatre jorz tenu avoie & ja puet el monument, Traist fors par son commandement D'enfer & mist arrere en vie3l •
L'iconographic L'influence surprenante des apocryphes sur l'art medieval a ete magistralement etudiee par Emile Male dans ses livres sur l'iconographie religieuse en France au Moyen Age32• L'examen minutieux des representations sacrees revele que les scenes d'origine apocryphe ne sont pas du tout rares, mais, au contraire, dominent parfois : « Sans les Apocryphes la moitie au moins des reuvres d'art du Moyen Age deviendrait pour nous lettre close »33. Sur l'iconographie de la vie de la Vierge et de l'enfance du Christ les apocryphes ont naturellement exerce une influence considerable. La presence de l'ane et du breuf pres de la creche de l'enfant Jesus, sculptee deja sur des sarcophages du rve siecle, a pour source l'apocryphe de Ia Nativite de Marie ct dc l' Enfancc du Sauveur qui mentionne que Ie breuf et l'ane adorent Ie nouveau-ne (chap. XIV)34. Le meme apocryphe contient aussi un episode curieux, celui de la sage-femme qui ne voulait pas croire a Ia virginite de Marie apres Ia naissance de Jesus (chap. XIII). Dans la peinture byzantine et post-byzantine, deux sages-femmes (dont I'une est I'incredule) sont toujours representees dans Ia scene de Ia Nativite : l'une tient I'enfant Jesus, I'autre verse de I'eau dans un bassin36• Deux episodes de Ia fuite en Egypte prennent leur origine egalement dans Ie meme apocryphe. Le premier, un miracle de Jesus, qui fait tomber des idoles egyptiennes, est represente sur un vitrail du Mans. L'autre episode, celui du palmier qui abaisse sa cime pour que Marie puisse manger de ses fruits, est evoque d'une fa~on tres schematique dans Ies scenes OU l' on voit un arbre pres de Ia sainte Famille qui marche dans Ie desert (cloture du chreur de Notre-Dame 30. Edition G. PARIS, A. Bos (op .•il., n. II), vv. 1593 et s. 31. Ibid., vv. 1326 et s. 32. Surtout, L'art religiellx dll XIIle siCc/e en France (deja cite), L'art religieux de lafin du Moyen Age en France, Paris, 1949, mais aussi L'arl re/igiellx du XII- siec/e en France, Paris, 19 28 . 33. E. MALE, L'arl religieux dll XIIle siee/e, t. 2, p. 223· 34. G. RISTOW, Die Gebllrt Christi in der friihchristlichen lind byzantinisch-ostkir.hlichen Kunst, Recklinghausen, 1963; E. MALE, L'art re/igieux dll XIII- siee/e, t. 2, pp. 143-144. 35· Ibid., pp. 144-147.
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de Paris, un vitrail de la cathedrale de Lyon et un de celle de Tours). Mais l'arbre est devenu un pecher (en tout cas, il n'est plus un palmier) sous l'influence des « textes intermediaires » (Cassiodore, Vincent de Beauvais)36. Les representations de Ia vie de la Vierge, devenues extremement populaires a partir de I'epoque gothique, doivent egalement beaucoup aux apocryphes (surtout a la Nativite de Marie) ou aux « intermediaires» (comme par exemple les Lectionnaires dans Ie cas de la conception miraculeuse de la Vierge). C'est par la rencontre des parents de Marie, Anne et Joachim, a la Porte d'Or, que les artistes figuraient la conception immaculee de Marie, theme apocryphe (vitraux du Mans et de Beauvais; theme beaucoup plus frequent au bas Moyen Age). La jeunesse de la Vierge, avant la naissance du Christ, n'est relatee avec details que dans les apocryphes. Selon l' Evangile de la Nativite, elle a ete choisie pour Ie service du Temple (vitrail du Mans). Son mariage avec Joseph, plus exactement Ie miracle des baguettes, est egalement un theme d'origine apocryphe : d'apres la Iegende, Marie ne voulait pas se marier a l' age de quatorze ans; Ie grand pretre a decide alors de la confier a la protection d'un homme de la tribu de Juda. Tous Ies celibataires devaient se presenter avec une baguette a Ia main; celui que Dieu aurait choisi verrait une colombe sortir de sa baguette. Joseph a ete designe ainsi par un miracle de Dieu (representations les plus anciennes en France: Chartres; Notre-Dame de Paris; vitrail du Mans; la plus celebre et la plus belle est sans doute la peinture de Giotto a Padoue, dans Ia Chapelle de l'Arena, debut du xrve siecle)37. Les scenes d'origine apocryphe (Transitus Mariae) les plus repandues du cycle de la Vierge sont sa mort, son assomption et son couronnement au ciel. Dans l'art monumental byzantin, Ie theme de la mort de Ia Vierge apparait des Ie xre siecle (mosaique de Daphni). Elle est etendue sur son lit, entouree des apotres, qui avaient ete transportes la par une force mysterieuse. A la troisieme heure de la nuit, Ie Christ, accompagne d'anges, de saints et de vierges, vient chercher l'ame de sa mere. Quant au couronnement de la Vierge au ciel (Ie plus ancien exemple en France : cathedrale de Sens), il est sculpte sur la fa~ade de pratiquement toutes les eglises dediees a la Vierge38• Ce sont encore les apocryphes qui fournissent des matieres pour les scenes de la vie des apotres, saints preferes du Moyen Age. Les Actes apocryphes des apotres sont entres, par l'intermediaire de la compilation du pseudo-Abdias, dans les Lectionnaircs et meme dans les premiers Breviaires (xIIre-xrve siecle). « Le clerge n'avait donc aUCune 36. Ibid., pp. 154-156. 37. Ibid., pp. 184-190. 38. Ibid., pp. 194-2II : cf. aussi 10., Art et artistes dll Mqyen Age, Paris, 1968 : « Le Portail de Senlis et son influence », pp. 153-165.
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raison de defendre aux artisans la representation de ces vies apocryphes : il lisait dans les livres de chreur les memes histoires que les maitres verriers peignaient sur les vitraux »39. Les plus populaires des apotres de l'epoque gothique etaient Pierre, Paul, Jean, Thomas, Jacques, Jude et Simon; chacun d'eux avait ete cense, selon les legendes ap.ocryphes, evangeliser une contree differente du monde, dans des Clrconstances tout a fait extraordinaires, produisant les miracles les plus fantastiques et subissant les aventures les plus inattendues. Quant a l'iconographie de l'enfer et des limbes, deux livres apocryphes ont eu un role determinant. La scene de la Descente ~ux Lim~es (Anastasis en grec) s'inspire bien evidemment de l'Evangile de Ntcodeme, et apparait des Ie vre siecle. Au xre siecle, a Byzance, l'iconographie de la scene est deja constituee de toutes pieces. En Occident, la representation byzantine est modifiee des l'epoque romane : les personnages sortant des limbes deviennent nus et l'ouverture des limbes prend la forme de la gueule de Leviathan40• La Vision de saint Paul n'a contribue qu'assez tardivement a la formation de l'iconographie precise des peines infernales correspondant a des categories de peches determinees. Les premiers manuscrits enlumines qui nous soient parvenus ne datent que du debut du xrve siecle (ms. 815 de Toulouse avec la version anglo-normande de la Vision; ou Ie poeme intitule Verger de Soulas, inspire de la Vision, avec de curieuses miniatures du xrve siecle, a la Bibliotheque nationale de Paris, fro 9220). Dans l'art monumental fran <;ais, les representations detaillees de l'Enfer ne se repandent qu'au xve siecle : « Vers Ie milieu du xve siecle, les supplices de l'Enfer entrerent dans l'art monument:u, et, en les sculptant au portail des eglises, on les eleva presque a la digmte des dogmes )}41.
LE
DOMA1NE GRECO-SLAVE
Creations originales
En Orient - a Byzance et chez les Slaves - la situation des apocryphes est passablement differente. D'une part, la production de livres apocryphes ne s'arrete pas comme en Occident; quelques nouveaux textes naissent encore jusqu'a la fin du Moyen Age. D'autre part, les apocryphes de l'Ancien Testament jouissent d'une popularite tout aussi considerable - ou meme plus - que ceux du Nouveau 39. E. MALE, L'art religieux du XIII- siee/e, t. 2, p. 282. 40. ID., L'arl religieux du XII- siee/e, pp. 104-105, 114-115. 41. ID., L'art religieux de la fin du Moyen Age, p. 468. Sur l'iconographie de differents themes, a consulter egalement: L. Ruu, L'iconograpbie del'arl chretien, Paris, 1955-1959.
~s
aj)ocrYj)hes bibliques
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Testament. Quant aux nombreux manuscrits apocryphes slaves, « pour la plupart de ces documents nous ne connaissons que des redactions modernes et qui appartiennent a la deuxieme periode (xve-xVIre siecle); quelques manuscrits paleo-slaves cependant remontent jusqu'au xrr e siecle et nous donnent avec les versions yougoslaves, bulgares ou serbes, comme Ie premier jet de la production litteraire et la preuve d'une tradition ininterrompue »42. Par ailleurs, « les traductions paleo-slaves nous ont souvent en effet conserve toute une serie de documents byzantins qui ont disparu ou dont on n'a pas, du moins jusqu'a present, retrouve les originaux; elles nous font d'ailleurs connaitre des redactions particulieres, tres utiles pour l'explication des textes grecs )}43. Le role des heretiques bogomiles, apparus au x e siecle en Bulgarie, dans la redaction, la diffusion et la revision des apocryphes a ete tres discute par les erudits 44• Des index de livres apocryphes publies par l'Eglise orthodoxe avaient attribue faussement aux Bogomiles la composition d'un grand nombre de livres dont la plupart ne contiennent pas d'elements heretiques et sont opposes meme aux croyances de cette secte (~ Bois de la Croix,. Comment Ie Christ devint j)retre,. Comment Ie Christ laboura avec la cha"ue ,. Comment Ie Christ aj)j)ela Probus son ami ,. ~s questions de JCremie a la Mere de Dieu,. Les Questions et RCjJonses sur Ie nombre de j)articules dont fut forme Adam,. Faussetes sur la fievre et d' autres maladies)45. II est toutefois certain que, dans quelques apocryphes tardifs (et qui ne figurent pas dans l'Index), on peut relever les traces d'une conception dualiste du monde, mais il s'agit peut-etre de la transcription de legendes populaires qui avaient influence l'heresie bogomile (et non Ie contraire) et qui ont penetre egalement dans la litterature apocryphe. Parmi les livres les plus intrigants, on peut citer la legende de La mer de Tiberiade, conservee dans des manuscrits russes et slaves du Sud tardifs (xve-xVIe siecle les plus anciens). En dehors d'un dualisme evident -la creation du monde avec l'aide de Satan - ce texte contient un motif extremement repandu des cosmogonies primitives, celui du plongeon cosmique. Ce motif est connu non seulement dans les mythes des peuples siberiens, mais figure aussi dans Ie folklore des Indiens de l' Amerique du Nord. Voici Ie fameux passage de l'apocryphe slave d'apres un manuscrit bulgare : Et Dieu dit : Que soit sur la te"e la mer de TibCriade et l'eau salce. Et 42. A. PYPIN, V. D. SPASOWICZ, Histoire des litteratures slaves, Paris, 1881, p. 102. 43. Ibid., p. 104. 44. Etude fondamentale sur ce sujet, E. TURDEANU, « Apocryphes bogomiles et apocryphes pseudo-bogomiles », dans RHR, I J8, 1950, pp. 22-53, 176-218. Cf. egalement H.-Ch. PUECH et A. VAILLANT, Le traite contre les Bogomiles de Cosmas Ie Pretre, Paris, 1945. 45. Sur l'Index, d. E. TURDEANU, op. cit., pp. 25-38; J. IVANOV, Livres el legendes bogomiles, Paris, 1976, pp. 75-78.
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Ie Seigneur descendit dans les airs jusqu' a la mer de Tiberiade et il vit un plongeon [oiseau aquatique] qui flottait la,. s'arretant devant lui, il lui dit: Plongeon, qui es-tu? Et celui-ci repondit: Je suis Satan. Et Ie Seigneur dit a Satan: Plonge dans la mer et ramene de la terre et une pierre. Et Ie Seigneur partageant en deux morceaux la pierre donna de sa main gauche une moitie a Satan et frappa l'autre de son sceptre. Des etincel/es de feu jail/issant sur la pierre, Ie Seigneur crea les archanges Michel et Gabriel et les anges s'envolerent. Satan fit avec la pierre l'incommensurable force demoniaque des dieux. Et Ie Seigneur dit : Que sur la mer de TibCriade soient trente-trois baleines et que sur ces baleines soit la terre46 • Un autre apocryphe d'un esprit dualiste, Ie Debat du Christ avec Ie diable, semble remonter au XIIe siec1e au plus tot; les versions grecques ont ete traduites en langues slaves et en roumain. Le debat entre Ie Christ et Ie diable a lieu lors d'une retraite du Sauveur pendant quarante jours sur Ie mont des Oliviers. Le diable se comporte comme egal du Fils de Dieu; il declare notamment que Jesus devrait retourner aux cieux, car les cieux lui appartiennent, mais la terre appartient au diable. I1 replique egalement a Jesus que lui, Ie diable, est plus ancien (ou plus fort dans une autre variante) que Jesus. Cette affirmation pourrait correspondre a la conception bogomile de l'anteriorite du diable par rapport a Jesus 47 • Dans la version slave de l' ApocalYpse de Moise (titre grec), connue en Occident sous Ie titre de la Vie d' Adam et d' Eve, il y a egalement un motif d'allure dualiste qui ne figure pas dans les autres versions. I1 s'agit du pacte d' Adam et du diable, que nous citons d'apres la version bulgare : Adam prit les bceufs et eommenfa a labourer pour obtenir sa nourriture. Alon Ie diable vint et se mit debout [devant les beeufs] et ne permit pas a Adam de travailler la terre en lui disant : « Mienne est la terre et aDieu sont les deux et Ie paradis,. si III aeeeptes de m'appartenir, travaille la terre,. si tu desires etre a Dieu, va au paradis. » Adam dit : « Les deux, la terre, Ie paradis et tout l'univers sont aDieu. » Le diable dtciara : « Je ne te laisserai pas labourer si tu ne signes pas un paete indiquant que tu m' appartiens »48.
Cette scene est representee sur les peintures de quelques eglises orthodoxes de Moldavie (Humor, 1535; Moldovitza, 1537; Voronetz, 1547)49.
Les livres mentionnes ne representent qu'un faible echantillon de 46. J. IVANOV, op. cit., pp. 255-256. Sur Ie « plongeon cosmique », cf. egalement, M. ELIADE, De Zalmoxis a Gengis-Khan, Paris, 1970, pp. 81-13°; M. P. DRAGOMANOV, Notes on the Slavic Religio-Ethical Legends: The Dualistic Creation of the World, Bloomington, Indiana, 1961 (trad. du bulgare). 47. J. IVANOV, op. cit., pp. 225-232; E. TURDEA.NU, op. cit., pp. 194-199. 48. J. IVANOV, p. 208; cf. E. TURDEANU, ibid., pp. 187-194. 49. Cf. la communication de J. MAGNE dans Ie BuJietin de la Societe Ernest-Renan, nO 29, 1980, pp. I II-II 2.
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la litterature apocryphe greco-slave tardive, dont Ie monument Ie plus considerable est sans doute la Palaea ou Paleja, un ensemble de recits canoniques et apocryphes se rattachant a l'Ancien Testament. A cause de la variete des differents recueils, qui remontent a un original byzantin, « on peut dire qu'il y a aujourd'hui autant de redactions de la Palaea slave qu'il y a eu autrefois de copistes de ces recueils »50. Un autre genre religieux tres populaire qui s'apparente aux apocryphes est constitue des Questions et reponses, recueils egalement tres varies et riches. Ces textes ont leur analogie en Occident dans l' Elucidarium et les Lucidaires; Ie prototype commun de toutes les versions a dft etre redige en grec. Les variantes slaves se distinguent de celles de l'Occident par leur contenu fortement influence par les apocryphes et le~ croy~nces populaires ou heretiques memes. Ces recueils portent des tltres divers, comme Razumnik (equivalent du« Lucidaire »), Beseda (<< Conversation ») ou tout simplement Voprory i otvery (<< Questions et reponses »). La categorie intitulee Beseda a pour interlocuteurs trois saints; s~s differentes formes peuvent etre classees selon Ie groupe de questlons par lequel Ie texte debute (par exemple : questions concernant Dieu, les anges et Satan; questions relatives a Adam; question sur la hauteur du ciel, la largeur de la terre et la profondeur de la mer). Ces livres sont encore copies au XVIIIe siec1e, ce qui prouve leur extreme popularite malgre la conception du monde tres archaique et naive qui les caracterise51 • Toute une categorie des Questions et reponses se rattache a la litterature apocryphe eschatologique, temoignant du vif interet du public porte a la fin des temps, au jugement demier, a la vie d'outre-tombe, aux tourments de l'enfer, etc. (Questions de Jean au Seigneur sur Ie mont Thabor ,. Questions de Jean a Abraham sur Ie mont des Oliviers,. Questions sur les ames justes) 52. La vitalite du genre apocalyptique se manifeste aussi par la creation d'une ApocalYpse originale de la Bienheureuse Mere de Dieu a Byzance, au Vine ou IXe siec1e, selon Ie modele de l' ApocalYpse de Paul. Marie demande en priere a etre instruite sur les peines de l'Enfer; son Fils lui envoie l'archange Michel et quatre cents anges, et elle sera transportee sur Ie char des cherubins. Elle pourra voir les differents chatiments que subissent les damnes et elle visitera egalement Ie Paradis 53. L'apocryphe a ete traduit non seulement en slave, mais aussi en roumain. 50. E. TURDEA.NU, « La Palaea byzantine chez les Slaves du Sud et chez les Roumains» dans Melanges A. VaiIJant, Revue des Etudes slaves, 40, 1964, p. 195. ' 51. J. IVANOV, op. cit., pp. 232-243. 52. Edition des textes russes, 1. Ja. PORFIRIEV, Apokrifitcheskie skazanija 0 novozavetnykh litzakh i so~y.'ijakh po rukopisami solovetzkoi bibJioteki, Saint-Petersbourg, 1890. 53. Edition .du texte grec, C. TISCHENDORF (op. cit., n. 8) et M. R. JAMES, Apocrypha anectiota, CambrIdge, 1893, pp. II5-rz6; trad. ital., M. ERBETTA, Gli Apocrifi del Nuovo Testamento, t. 3, Turin, 1969, pp. 448-454.
Vivre la Bible Versions rares Les apocryphes connus en Occident existent en general en traduction grecque et slave; mais l'Orient a adopte egalement quelques apocryphes dont nous n'avons aucune trace en Occident. Ainsi Ie Livre des Secrets d'Henoch en slave, « l'unique survivant d'un ouvrage judeo-chretien ecrit en grec au Ier siecle apres Jesus »54. Ce livre est tout a fait different du Livre d' Henoch ethiopien dont on a aussi retrouve quelques fragments grecs et latins55 • Le Livre des Secrets d'Henoch, ~ui contient Ie recit de l'ascension d'Henoch dans les sept cieux, eXlste en deux versions, une courte et une longue; cette derniere est plus tardive et comporte les empreintes de legendes populaires. La revision du texte court a eu lieu entre Ie XlIIe et Ie XVle siecle56• De meme, l' ApocalYpse de Baruch n'est pas parvenue en Occident, mais elle subsiste en une version grecque et deux versions slaves (russe et serbe). Un episode curieux, d'allure dualiste, est introduit dans les versions slaves: la plantation de la vigne est attribuee a 1'ange Samanael, identifie avec Satanael (Satan) dans un manuscrit57 •
LES HERETIQUES ET LES APOCRYPHES
Le destin de l'apocryphe intitule Ascension d'Isaie (fin Ier-lle siecle) nous fait aborder Ie probleme de l'utilisation des apocryphes par les heretiques du Moyen Age. L' Ascension, et en particulier sa partie contenant la Vision d'Isaie (voyage du prophete jusqu'au septieme ciel) est en fait Ie seul apocryphe « ancien» que les Cathares avaient en consideration selon plusieurs temoignages. Au debut du X~ siecle, les Cathares du Midi de la France Ie lisaient encore58 • Mais avant de par54. Edition A. VAILLANT, Le Livre des Secrets d'Henoch, Paris, 1952 (texte slave et trad. frans:.). . 55. F. MARTIN, Le Livre d'Henoch, Paris, 1906; extraits dans J. BONSIRVEN, La Bible apocryphe. En marge de I'Ancien Testament, Paris, 1953 (reed. 1975), pp. 26-77· 56. E. TURDEANU, op. cit., pp. 181-182. 57. Ibid., pp. 177-181; J. IVANOV, op. cit., pp. 182-195. 58. E. TlSSERAND, Ascension d']saie. Traduction de la version ethiopienne avec les principales variantes des versions grecque, latine et slave, Paris, 1909; A. VAILLANT, « Un apocryphe pseudobogomile: la Visiond'Isaie», dans Revue des Etudesslaves, 42, 1963, pp. 109-121; E. TURDEANU, « La Vision d'Isaie. Tradition orthodoxe et tradition heretique », dans Kyrillos kai Methodios, Thessalonique, 1968, t. 2, pp. 291-3 I 8. Temoignages sur l'utilisation de l'apocryphe. chez les Cathares DURAND DE HUESCA, Liber contra Manicheos, ed. Ch. THOUZELLIER, Louvam, 1964, pp. 256:257; JACQUES DE CAPELLIS, DisputaJiones, dans D. BAZZOCCHl, L'eresia cathara, Bologne, 1920, p. XCIII; MONETA DE CRtMONE, Adversus Ca!haros, ed. T.-A..RICCHINl, Rome, 1743 (reed. Ridgewood, New Jersey, 1964), p. 218 Reglstre; de G. d'Ablts, fO 43 to
Les apocryphes bibliques
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venir chez les Cathares, l'apocryphe a ete quelque peu revise par les Bogomiles, qui ont supprime dans Ie texte toutes les allusions contraires a leur doctrine59• Le seul livre apocryphe compose par les heretiques dualistes de cette epoque (entre Ie xe et Ie XIIe siecle) et qui represente une reuvre reellement originale est 1'Inte"ogatio Johannis 60• Redige par des Bogomiles (probablement en grec), l'apocryphe existe dans deux redactions latines. II a ete importe de Bulgarie en Italie du Nord a la fin du XIIe siecle par un eveque cathare, et, considere comme livre sacre par les heretiques, il a exerce une influence considerable sur l'evolution des croyances cathares. Par son contenu tres complexe, embrassant toute l'histoire sacree de l'humanite (cosmogonie, anthropologie, soteriologie, eschatologie), l'Interrogatio est une veritable somme des mythes et croyances heretiques. Sa forme litteraire - questions posees par Jean l'Evangeliste au Seigneur pendant la Cene et les reponses donnees n'a pas seulement une fonction didactique, mais sert egalement a reunir des elements d'origine diverse dans une structure harmonieuse. L'apocryphe commence par Ie mythe cle des heretiques dualistes, a savoir la chute des anges. Apres que Dieu Ie Pere a cree tout ce qui est esprit et les quatre elements materiels, Satanael, Ie chef des anges, se revolte par orgueil, entrainant avec lui une partie des anges. Rejere du ciel, il descend au firmament et organise Ie monde visible: il separe l'eau et la terre, fabrique les luminaires du ciel et fait apparaitre les animaux et les plantes. C'est lui egalement qui forme Ie corps de boue de l'homme et de la femme dans lesquels il enferme deux anges comme dans une prison. Ensuite il plante Ie Paradis, cree Ie serpent de son crachat et entre lui-meme dans Ie serpent pour seduire Eve, avec qui il commet Ie peche de la chair. C'est encore Ie diable qui donne a Moise la Loi et des morceaux de bois pour Ie crucifiement du Christ. Le Sauveur est envoye sur la terre pour faire connaitre Ie nom du Pere et Ie mauvais dessein du diable. Pour parverur au salut, seul Ie bapt~me spirituel, oppose au bapt~me dans l'eau, est efficace. L'apocryphe se termine par la description de la fin des temps, inspiree en grande partie des passages eschatologiques de l'Evangile de Matthieu. Tandis que Satan et les pecheurs seront enfermes dans un abime d'une profondeur effroyable, les justes se rejouiront de leurs recompenses au royaume de Dieu Ie Pere.
(1308-1319), dans Y. DOSSAT, Los crises de I'Inquisition toulousaine au XIII" siecle, Bordeaux, 1959; Le Registre d'inquisition de Jacques Fournier, ed. J. DUVERNOY, Toulouse, 1973, t. 2, pp. 50-51; t. 3, pp. 200-201. 59. E. TURDEANU, « La Vision d'Isaie », pp. 305-310. 60. Le Livre secret des Cathares. Interrogatio Iohannis. Apocryphe d'origine bogomile, ed., trad. et commentaire par E. BOZOKY, Paris, 1980.
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L'auteur de cet apocryphe - dont certains mythes rappellent de pres des themes gnostiques et manicheens, a da puiser largement aux traditions transmises oralement. Nous savons en effet que les heretiques dualistes du Moyen Age possedaient un veritable corpus de mythes diffuses de bouche a oreille et qui n' ont eu ni la fortune ni Ie temps de se transformer en livre sacre, en apocryphe heretique. Edina
BOZOKY.
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Modeles bibliques dans l'hagiographie
LES RAPPORTS ENTRE L'EcRITURE SAINTE ET L'HAGIOGRAPHIE MEDIEVALE
A ne voir que Ie sens etymologique du terme « hagiographie » figurant dans Ie titre ci-dessus, notre volume aurait pu faire l'economie du present chapitre. Car hagiographie (du grec hagios, saint, et graphein, ecrire) signifie litteralement « ecriture sainte» et c'est cette acception-la que Ie mot recouvrait au Moyen Age. Le sens actuel de « litterature relative aux saints de l'Eglise » est, en effet, beaucoup plus recent et n'empeche que Ie substantif« hagiographes» continue parfois a designer les ecrivains sacres non inclus dans la Loi et les Prophetes (les « Ecrits » de l'Ancien Testament). Question purement conventionnelle, dira-t-on, mais dans ce cas precis Ie hasard de la terminologie est, malgre lui, significatif. Pourquoi? Ecoutons a ce propos Ie medieviste italien Gustavo Vinay qui pronons:a, en 1962, Ie discours de cloture de la Semaine de Spolete, consacree cette annee-la a La Bible au haut Mqyen Agel. En effet, si Ie christianisme a survecu aux bouleversements des premiers siecles du Moyen Age, Ie merite n'en revient pas, selon M. Vinay, a la Bible, mais a cette « enorme echappatoire religieuse » que constituait alors, pour la quasi-totalite des fideles, Ie culte des saints. Or, l'expression litteraire de ce culte, la legende hagiographique, n'etait pas seulement I.
G.
VINAY,
« Epilogo », dans Bibbia [3], pp. 753-768.
P. RICHE, G. LOBRICHON
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une alternative pour la Bible, mais « son principal antagoniste ». Les congressistes auraient donc davantage dft se demander « quels etaient, dans leur dynamisme historique, les rapports intrinseques entre la Bible et l'hagiographie », d'autant plus que c'est surtout a travers celle-ci que celle-la pouvait eventuellement rencontrer un auditoire plus large. En fait, Ie culte des saints a revetu une importance capitale tout au long du Moyen Age, et non seulement aux siecles consecutifs a l'ecroulement de l'Empire romain occidental. Qu'ils aient ete ou non les « successeurs » des dieux, des demi-dieux et des heros antiques - a part quelques exceptions, il s'agit sans doute d'une certaine identite de fonctions plutot que d'une filiation historique directe - , les saints etaient, pour Ie peuple chretien, infiniment plus « accessibles » que Ie Dieu lointain de la Bible ou que Ie Dieu abstrait des theologiens. L'on comprend des lors que la production ecrite emanant de leur culte constitue une cle essentielle pour comprendre la mentalite religieuse du Moyen Age. L'hagiographie est « la cristallisation litteraire des perceptions d'une conscience collective »2. Elle est a la fois immense (des dizaines de milliers de pieces) et variee, englobant notamment des calendriers et martyrologes, des epitaphes, des sermons et panegyriques, des recits et recueils de miracles, des recits d'inventions et de translations, des exempla, et surtout, evidemment, des Passions de martyrs et des Vies de saints (groupees ou non en « legendiers »). C'est des deux derniers genres que nous nous occuperons principalement. Ces textes etaient, en general, ecrits par des clercs et des moines, dans Ie but de promouvoir (ou, Ie cas echeant, de lancer) Ie culte (et plus tard aussi la canonisation officielle) du saint concerne, mais aussi, comme les auteurs l'affirment eux-memes tres souvent dans leurs prologues, pour « instruire » et « edifier » les fideles. I1s servaient, par consequent, d'instruments d'evangelisation a partir de l'exemple concret de quelqu'un qui avait (ou etait cense avair) atteint les sammets de la perfection chretienne. Certes, les fideles etaient attires en premier lieu par les signes divins qui « sanctionnent » cette saintete, a savoir les miracles, dont ils attendaient une solution immediate aux problemes de leur « condition humaine » parfois penible. Mais bien des recits de miracles avaient en eux-memes deja une valeur « pedagogique » (par exemple : quelqu'un a viole tel commandement de Dieu ou de l'Eglise, Ie ciel lui envoie un chatiment, Ie pecheur se repent et s'adresse au saint, celui-ci obtient la cessation du chatiment). Ces « fideles », qui etaient-ils? En d'autres mots, a quel public l'hagiographie, cette litterature envahissante, se destinait-elle? Les 2. J. FONTAINE, Sulpice Severe. Vie de saint Martin, t. II, Introduction, texte et traduction, Paris, 1967 (<< Sources chretienneS», 133), p. 188.
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indices concrets dont nous disposons attestent une audience differenciee et des usages tres varies. Les clercs et les moines etaient evidemment les destinataires naturels de l'hagiographie latine, d'autant plus que la plupart des saints avaient eux-memes appartenu a l'ordre clerical ou monastique. La, l'exemple de leur vie etait Ie plus facilement « imitable ». Dans les abbayes, par exemple, les textes hagiographiques prenaient place parmi les le<;ons recitees a l' office, les lectures conventuelles (notamment pendant les repas ou dans les ateliers claustraux) et les lectures privees. I1s avaient cependant une fonction liturgique plus large. Car des Ie haut Moyen Age, lors de la fete d'un saint, des extraits de sa Passion ou de sa Vie voisinaient avec les lectures bibliques dans Ie service de la Parole. Mais la foule des illettres savait-elle suivre ces recitations en latin? Pour Ie debut du Moyen Age, des temoignages explicites, notamment de Gregoire de Tours (vers 540-594), confument que les gens du peuple veneraient avec plus de ferveur les saints dont les « gestes » leur etaient connus par une Passion ou une Vie. D'ailleurs, si l'on en croit bon nombre d'hagiographes eux-memes, ils ont adopte volontairement un style simple, « rustique », pour se faire comprendre de tous. Mais que se passe-t-il apres la « SC1SSlOn » (tres lente il est vrai) entre latin et langues romanes? Et que se passait-il dans les regions ou Ie latin a toujours ete une langue importee? L'on sait, de toute maniere, que la fete du fondateur d'une eglise ou d'une abbaye, celles des martyrs ou des thaumaturges dont l'eglise possedait les reliques, se deroulaient avec beaucoup de faste et au milieu d'un grand concours populaire. L'on connait egalement Ie rayonnement permanent de certains centres de pelerinage. Ce rayonnement, cette propagande du culte exigeaient la communication des gestes du saint. Celle-ci ne se faisait pas uniquement par la recitation telle quelle de sa Vie ou de son panegyrique (lectures, prefaces, offices versifies), mais aussi par la predication et la narration au sens large du terme. Les faits les plus saisissants de sa vie et de son activite miraculeuse « circulaient » pour ainsi dire de bouche en bouche. Or, il va sans dire que les langues vulgaires vehiculaient tout cela autant que Ie latin. Par ailleurs, les litteratures nationales se sont, precisement, emparees du genre hagiographique en transposant les recits latins dans leurs propres idiomes. Ainsi, l'un des premiers specimens conserves de la litterature fran<;aise est une Vie de saint Leger (seconde moitie du x e siecle) « qu'il faut sans doute ranger parmi les compositions semi-liturgiques en langue vulgaire qui auraient double certains offices des Ie x e siecle »3. Rapidement, ces pieces etaient, comme les chansons de geste, chantees par des jon3. J. LINSKILL, Saint Leger. Etude de la langue du manuscrit de Oermont-Ferrand suivie d'une edition critique du texte avec commentaire et glossaire, Paris, 1937.
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gleurs et portees de la sorte sur la place publique. « Les Vies de saints », en effet, « etaient extremement goutees par Ie public laique, meme en dehors du temps des ceremonies religieuses ». Elles procuraient a la fois l'emerveillement, l'edification religieuse, Ie divertissement moral. « Leur vulgarisation est une consequence du culte des saints : les grands centres de propagation des legendes etaient les lieux de pelerinage »4. Enfin, il y avait au Moyen Age toute une iconographie des saints (images sculpturales et picturales) qui, par ses symboles et ses attributs, illustrait les traits ou les actes les plus saillants de ces « chretiens exemplaires », ou meme leur vie ou leur legende en raccourci. Ainsi, la representation d'un geste eminemment evangelique, comme celui de saint Martin de Tours assis sur son cheval et dechirant son manteau de soldat pour en donner la moitie a un mendiant nu ou demi-nu, a sans doute pu frapper les imaginations. C'etait la Ie registre visuel de l'hagiographie ou, pour ainsi dire, « l'hagiographie des pauvres », comme il y a eu, aussi, une « Bible des pauvres ».
REMARQUES METHODOLOGIQUES
Ceci nous ramene a notre sujet precis. Car si l'hagiographie « concurren<;ait » la Bible, il faut en effet se demander, comme Ie souhaitait Gustavo Vinay, comment elle se rapporte reellement aux Ecritures canoniques. Le probleme s'est d'ailleurs pose des l' Antiquite chretienne. L'histoire du salut etait-elle close avec la mort du dernier apotre et sa relation ecrite etait-elle achevee par Ie dernier livre du Nouveau Testament? Sur Ie plan des principes, on n'a presque jamais ose envisager explicitement les Actes des martyrs et les Vies de saints comme une « continuation » pure et simple de l'Ecriture inspiree. Ce qui plus est, certaines pieces legendaires trop proches des apocryphes n'ont pas trouve grace aux yeux de l'Eglise, notamment a Rome. Mais implicitement, l'histoire des saints se presentait bel et bien comme une illustration, une exegese pratique de la grande Ecriture, voire comme une Bible « locale », « actualisee ». Somme toute, les fideles honoraient avec une egale ferveur les saints bibliques (par exemple, les apotres) et postbibliques, d'aucuns parmi ces derniers etant meme nettement plus « populaires ». Et selon un hagiographe comme Sulpice Severe (t vers 420), les miracles de saint Martin (t 397) engagent la foi au meme titre que ceux du Nouveau Testament, tandis qu'Isidore, eveque de Seville (vers 570-636), lance cette hypothese significative: « Meme si les preceptes divins des Ecritures faisaient defaut », ecrit-il, « les 4· E. FARAL, Lesjongleurs en France au Mqyen Age, Paris, 1910, pp. 45 et 51.
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exemples des saints nous suffiraient comme loi » (Sentences, II, II,6). La question est donc de savoir de quelle maniere et dans quelle mesure l'hagiographie medievale etait « branchee » sur la Bible ou, inversement, comment la Bible se refiete ou se trouve « transposee » dans l'hagiographie. Dne enquete en cette matiere suppose qu'on soit conscient de quelques premisses generales. II y a celle des dosages et des selections, operes suivant les gouts de l'epoque ou suivant les connaissances et les preferences de chaque auteur. Ensuite, et pareillement en fonction des epoques et des milieux, la Bible a fait l' objet, au Moyen Age, de « lectures » et de « relectures » differentes, qui se repercutent dans l'hagiographie, comme dans d'autres genres. Enfin, des choix s'expliquent par la diversite de l'hagiographie elle-meme. Diversifiee, elle l'est non seulement d'apres les sous-genres evoques au debut, mais encore d'apres les types de saints (martyrs, confesseurs, moines, moniales, ermites, papes, eveques, pretres, laics, rois, reines, etc.), d'apres Ie type de spiritualite dont les Vies ou groupes de Vies se font l'echo (il y a une hagiographie benedictine, cistercienne, francis caine, etc.) ou tout simplement d'apres les donnees historiques et biographiques elles-memes. Comprenons bien, en effet, la genese d'un texte hagiographique, qui ressemble d'ailleurs a celIe de certains livres de la Bible, notamment des Evangiles. Les faits reels ont ete orientes, amplifies et souvent deformes par la tradition orale, avant d'entrer dans la phase definitive de la stylisation, c'est-a-dire dans les moules du recit litteraire. Et cette stylisation progressive vehicule toutes sortes de themes et de motifs, empruntes precisement a la Bible, a la legende universelIe, ou a des recits plus anciens, qui passent d'une Vie a l'autre avec une etonnante facilite, surtout quand l'ecart chronologique entre la mort du saint et la redaction est grand ou dans Ie cas de remaniements successifs d'un meme texte. Mais tout cela n'empeche pas l'existence d'un nombre considerable de Vies de saints ou Ie substrat historique transparait suffisamment, leur imprimant ainsi un cachet nettement individualise. N'oublions pas, par ailleurs, que la stylisation biblique peut commencer deja avec Ie saint lui-meme, qui a organise et oriente sa propre vie d'apres des modeles qu'il veut imiter, tout comme Ie Christ avait con~u sa mission d'apres les categories de pensee vetero-testamentaires. L'on cons tate donc que les ressemblances et les differences des textes hagiographiques tiennent a un ensemble complexe de facteurs qui influent sur les rapports avec la Bible. Par exemple, et de maniere generale, l'hagiographie du haut Moyen Age, merovingienne et surtout carolingienne, cherchera une bonne partie de son inspiration dans l' Ancien Testament en raison d'un certain nombre de convergences objectives et subjectives entre cette epoque et l'histoire « primitive» d'Israel (royaute et societe en voie de devenir theocratiques, aureole
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religieuse de 1'aristocratie, mentalite barbare, etc.). Le Nouveau Testament, avec notamment l'imitation du Christ, n'y est pas absent, mais l' on mesure les mutations mentales intervenues dans l'interpretation de cette « imitation » quand on aborde, au XU1e siecle, l'hagiographie francis caine avec son evangelisme frais et radical a la fois vecu et reclame par saint Frans;ois d' Assise en personne. Le lecteur connait maintenant les donnees theoriques du probleme. II n'est pas aise de les concretiser en quelques pages. La masse des textes est enorme et sur l'aspect qui nous occupe nous ne disposons que d'etudes tres partielles (Vies isolees ou groupes de Vies assez restreints). Le haut Moyen Age est sans doute Ie mieux loti a cet egard. Nous devrons done nous contenter de poser quelques jalons illustratifs et individuels, glanes s;a et la, sans trop distinguer les types de saints, les epoques, les milieux, les publics vises et done sans pouvoir rendre justice a la diversite ou a 1'evolution globales de l'hagiographie. L'essentiel sera de donner une idee de la maniere dont la Bible peut « passer» a travers l'hagiographie et dont celle-ci comprend la vie des saints de l'Eglise a la lumiere de l'Ecriture. Le probleme de l'historicite des divers recits n'est evidemment pas a l'ordre du jour. Du reste, l'expose sera base sur 1'hagiographie latine, qui est la plus importante et dont derivent les pieces en langues vulgaires. A la fin celles-ci feront cependant l'objet d'un bref commentaire particulier. PRESENCE EXPL1C1TE DE LA BIBLE Si toute hagiographie est, de par sa nature meme, implicitement et organiquement « branchee » sur 1'Ecriture sainte, la presence de celle-ci est, bien entendu, egalement explicite. Commens;ons par ce recours direct et formel a la Bible (references et citations). lci l'on pourrait distinguer disons trois categories de textes qui, chacune, se rencontrent partout et tout au long du Moyen Age. II y ales hagiographes qui montrent une certaine reserve en la matiere et qui ne se referent a la Bible que la OU cela s'impose. II y a, ensuite, ceux qui trouvent Ie juste milieu, exempt de toute emphase. Un troisieme groupe d'auteurs citent 1'Ecriture avec abondance et cherchent des paralleles scripturaires pour Ie moindre geste de leurs heros. D'aucuns vont meme jusqu'a transformer leur recit en une mosaique de citations bibliques (des « centons») qui - il convient de Ie souligner - suppleent souvent au manque d'informations concretes (par exemple dans Ie cas de biographies ecrites tres longtemps apres la mort du saint). D'autres veulent tout simplement enseigner indirectement la Bible (notamment aux jeunes moines) par Ie biais de l'hagiographie. De bons exemples de la troisieme categorie sont l'hagiographie irlandaise du haut Moyen Age ou celIe sortie du milieu reformateur clunisien aux Xe-X1e siecles.
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Quelles sont les formes que prend l'usage explicite de la Bible? II y a d'abord Ie procede typologique. L'on sait que Ie Nouveau Testament a vu dans certains passages de l' Ancien une prefiguration de la vie et de la mission du Christ. L'hagiographie continue ce raisonnement. Les grands evenements de l'histoire du salut, les hauts faits et merveilles que Dieu a accomplis par son Fils, par ceux qui 1'ont precede (patriarches, prophetes, etc.) et par ceux qui ont transmis son message (les apatres), se repetent toujours, car « tout Israel revit dans l'Eglise, avec son histoire, ses personnages, ses luttes, ses epreuves, sa destinee, son esperance »5. Or, ce qui se renouvelle, ce ne sont pas necessairement les details concrets et contingents, les circonstances historiques et passageres. Ce sont plutat les grands themes toujours actuels, pour ainsi dire supra-historiques, incarnes dans des personnages scripturaires devenus « typiques ». Cette idee engendre, dans l'hagiographie, des typologies vraiment « nominatives ». Ainsi (et sans faire la distinction technique entre denomination, assimilation et comparaison), Ie saint sera un nouvel Adam parce qu'il retrouve les dons du paradis. C'est un nouvel Abraham en ce qu'il renonce a tout pour repondre a 1'appel de Dieu. Cette typologie-la est tres frequente dans les Vies de moines et de reclus, car Abraham etait, depuis l' Antiquite chretienne, reconnu comme Ie prototype de l' obeissance totale aDieu et done de l' « aventure » monastique. Le saint est un nouveau Joseph dans la mesure OU il a choisi la chastete. C'est un nouveau Moise quand il arrache ses disciples au « pays d'Egypte » et a la « maison de servitude » que constitue Ie monde, et les fait entrer dans la « terre promise» du monastere 6• S'il s'agit d'un roi theocratique comme saint Louis IX (1226-127°), epris de justice, de paix et d'orthodoxie religieuse, ses archetypes seront David et Salomon, mais plus encore Josias (IV Rois 22 et 23). Dans Ie Nouveau Testament Marthe et Marie (Luc 10,38-42) sont les modeles de la vie active et de la vie contemplative. Parce qu'il prechait l'evangile authentique, en paroles et plus encore en actes, saint Frans;ois d' Assise (II8I/II82-I226) est appele« un nouvel evangeliste» par son biographe Thomas de Celano (vers II90-I260). Les miracles realises par 1'intermediaire de ces nouveaux « hommes de Dieu » ou « serviteurs du Seigneur » que sont les saints (ce sont la des appellations bibliques) donnent pareillement lieu a des rapprochements typologiques. Le biographe merovingien (premiere moitie du vm e siecle) de saint Ouen, eveque de Rouen (t 684), compare son heros au prophete Elie parce que, grace a ses prieres, Dieu arrosa l'Espagne (ou Ie saint se trouvait en 5. De LUBAc [II], t. I, p. 330. 6. J. LECLERCQ, « L'Ecriture sainte dans l'hagiographie monastique du haut Moyen Age latin », dans Bibbia [3], p. II4.
Vivre la Bible visite) de pluies abondantes et mit fin, de la sorte, a une secheresse calamiteuse qui avait dure sept ans (paradigme biblique, III Rois 17 et 18; Luc 4,25 et Epitre de Jacques 5,17-18). Comme la mission du Christ avait ete prefiguree par plusieurs figures ou episodes de l'Ancien Testament, de la meme maniere un seul saint peut etre as simile a divers prototypes ala fois. Dans Ie deuxieme livre de ses Dialogues, qui est en fait une biographie de saint Benoit de Nursie (vers 480-547 ?), Ie pape Gregoire Ie Grand (vers 540-604) en fournit deja un bel exemple. II evoque, en effet, cinq faits memorables par lesquels Benoit a « renouvele » autant d'episodes bien connus de la Bible. Pour eviter a ses moines la cotvee de l'eau, il obtint par sa priere de faire jaillir du rocher une source; il retira d'un lac profond la faux d'un moissonneur; il ordonna a l'un de ses freres, appele Maur, de marcher sur l'eau; sur son ordre egalement, un corbeau emporta un pain empoisonne; enfin, Ie frere deja nomme annonl,Ta a Benoit avec une joie a peine deguisee la mort de son ennemi Florentius, mais Ie saint s'en montra navre et ne manqua pas de semoncer Ie messager. Or, par la voie de son interlocuteur Ie diacre Pierre, Gregoire souligne les harmoniques scripturaires de ces cinq gestes de saint Benoit qui est a la fois un nouveau Moise (Nomb. 20, II : l'eau jaillissant du rocher), un nouvel Elisee (IV Rois 6, 5-7: la hache perdue et retrouvee), un nouvel apotre Pierre (Mat. 14, 29 : la marche sur les eaux), un nouvel Elie (III Rois 17,6 : Ie prophete nourri par des corbeaux), un nouveau David qui, dans II Samuel I, II-16, pleure la mort de son ennemi Saul et fait perir Ie jeune Amalecite qui la lui avait annoncee comme une bonne nouvelle. « II etait », ajoute Gregoire, « rempli de l'esprit de tous les justes », c'est-a-dire de ses precurseurs bibliques. Les saints apparaissent donc comme les successeurs et les imitateurs des heros bibliques. « De proche en proche et au cours des siecles, c'est la meme force divine qui les anime »7. C'est ce que confirme une biographie de la fin du Moyen Age, celle de sainte Catherine de Sienne (1347-1380) par Raymond de Capoue (vers 1330-1399). Selon cet auteur, qui etait depuis 1380 maitre general de l'ordre des Dominicains, les vertus, les miracles et l'esprit prophetique de Catherine permettent de la comparer successivement a la Vierge Marie (modele de l'humilite et de la purete), a Jean-Baptiste (ascese et pauvrete), a Marie-Madeleine (contrition et pauvrete), a saint Jean l'Evangeliste (verite et saintete). Le catalogue typologique continue avec Pierre (symbole de la foi), Etienne (esperance), Paul (charite), Job (patience), Noe (longanimite), Abraham (obeissance), Moise (mansuetude), Elie (zele), Elisee (miracles). Suivent encore 7· B. de GAIFF1ER, Miracles bibliques et Vies de Saints, dans NRTb. 88, 1966, pp. 376385, repris dans Etudes critiques d'bagiograpbie et d'icon%gie, Bruxelles, 1967, ici, p. 54.
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Jacob pour la contemplation, Joseph pour la prediction de l'avenir, Daniel pour la revelation des mysteres, et David pour la louange ininterrompue du Tres-Haut. Apres cette longue enumeration, Raymond de Capoue parle du modele par excellence, a savoir Ie Christ lui-meme. Tout saint, en effet, se doit d'etre, chacun a sa maniere, un « autre Christ ». Toutefois, les hagiographes medievaux hesitent a formuler de maniere trop explicite, je dirais trop « brutale », une assimilation pure et simple entre un saint et cet etre absolument unique que represente pour eux Ie Fils de Dieu. IIs la suggerent generalement de maniere plus prudente, et d'abord, comme Ie fait precisement Ie biographe de Catherine de Sienne, en termes d'imitation. Cette« imitation du Christ» constitue la cle meme de la « theologie de l'hagiographie » et, comme telle, elle est implicitement inscrite dans la structure de chaque bios spirituel, meme sans qu'il y ait des references. Nous aurons donc a revenir la-dessus. Mais les hagiographes usent d' autres moyens, dans Ie sillage de la typologie nominative. Ainsi, ils peuvent proceder par voie indirecte, par exemple en presentant leur saint comme Ie « bon pasteur» de Jean 10, 14, ou par des comparaisons typologiques appliquees a des personnages secondaires. Ceci est notamment Ie cas dans certains recits de martyrs. L'on sait que les Actes et les Passions de martyrs sont la plus ancienne forme de l'hagiographie chretienne. II s'agissait alors de « temoins » du Christ, morts pour leur foi sous les empereurs romains persecuteurs, c'est-a-dire dans la phase difensive de 1'histoire du christianisme. Le Moyen Age a continue a rediger et surtout a remanier ces Passions, mais il a aussi decerne Ie titre de martyr a des missionnaires de la periode offensive (par exemple saint Boniface, tue en 754 par des Frisons paiens) ou a de hautes personnalites assassinees en pleine societe chretienne pour des motifs religieux ou... politiques. Comme les anciens martyrs, ces martyrs contemporains sont egalement, dans la spiritualite de l'epoque, censes avoir renouvele la Passion du Christ. Prenons comme exemples les deux biographies de Charles Ie Bon (vers 1083-II27), comte de Flandre, par les contemporains Gautier de Therouanne et Galbert de Bruges, et celles, assez nombreuses, de Thomas Becket, archeveque de Cantorbery (III7/1II8-II70), de la main de Guillaume de Cantorbery, de Jean de Salisbury (vers IIQ-II80) et d'une serie d'autres. Le premier, Charles Ie Bon, etait connu pour sa charite, son souci de remedier aux miseres humaines, sa defense de la paix publique et ses mesures en faveur des ecclesiastiques. Mais il s'etait aliene une bonne partie de la noblesse et un violent conflit l'opposait a la famille brugeoise des Erembaud. Ce sont des membres de cette famille qui, Ie 2 mars I I 27, ont abattu Ie comte au moment au i1 recitait son psautier a l'eglise Saint-Donatien de Bruges. Le second, Thomas Becket, a egale-
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ment ete assassine devant l'autel de sa cathedrale, Ie 29 decembre II70, apres un long conflit avec Ie roi Henri II d' Angleterre au sujet des droits et des privileges de l'Eglise, dont l'archeveque s'etait fait Ie defenseur intransigeant. Aussi bien Charles que Thomas ont rapidement ete veneres comme des « martyrs » par la devotion populaire. Or, leurs hagiographes ne disent pas nommement qu'ils sont egaux au Christ martyrise, mais quelquefois les contextes sont presentes comme semblables, notamment parce que les adversaires et les assassins sont, de par leur crime, assimiles aux juifs d'autrefois, ou plus precisement a Judas, Anne, Caiphe, Pilate et Herode. Leur crime est meme plus grand car il a ete perpetre par des chretiens, sans proces ou condamnation prealables, en un lieu sacre (et non pas hors de la ville, comme la crucifixion de Jesus) et en un temps sacre (respectivement Ie Careme et la periode de Noel, tandis que dans Ie cas du Christ Ie sabbat avait ete respecte). Le lecteur ou l'auditeur est done bel et bien invite a envisager la victime comme un « autre Christ souffrant », meme si cela n'est pas stipule textuellement. Jean de Salisbury, quant a lui, ne manque pas de rappeler aussi, a propos de Thomas Becket, l'exemple de Marie, mere de Jesus, dont« un glaive a transperce l'ame » (Luc 2, 35). II fait ce rapprochement lorsqu'il retrace l'exil temporaire de Thomas en France (entre II64 et 1170), ou, grace a une « revelation divine », il aurait prevu son retour en Angleterre et son glorieux martyre. Ajoutons, a propos de ces typologies relatives a des personnages secondaires, qu'elles se rencontrent tout aussi bien en dehors des chapitres decrivant un martyre proprement dit. La premiere Passion latine de saint Leger (vers 690) relate la lutte acharnee entre Leger, eveque d' Autun et porte-parole des pretentions autonomistes de l'aristocratie de Bourgogne, et Ebroin, maire du palais de Neustrie. Cette lutte avait debouche sur le« martyre» (c'est-a-dire Ie meurtre politique) de l'eveque vers les annees 677-680. Mais Ebroin lui-meme n'echappa pas au chatiment qu'il meritait. Peu apres 680, en effet, il fut a son tour abattu par un fonctionnaire qu'il avait auparavant exploite et menace de mort. Cet homme, instrument de la vengeance divine, avait de la sorte « delivre Ie royaume franc d'une tyrannie injuste ». Comme paradigme l'hagiographe evoque ici une scene bien connue de l' Ancien Testament, celIe du jeune David triomphant du Philistin Goliath (I Sam. 17,48-5 I). Sautons quelques siecles pour nous arreter une premiere fois a la biographie du grand pape reformateur Gregoire VII, pape de 1073 a 1085, composee en II28 par Ie chanoine Paul de Bernried. L'on sait que dans son action vigoureuse contre l'emprise des laics sur l'Eglise et contre la decadence morale et institutionnelle de celle-ci, ce pontife s'est heurte a des oppositions farouches, culminant dans celIe de l'empereur germanique Henri IV, roi, puis empereur, de 1056 a 1105. Mais
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il pouvait compter sur des appuis solides, notamment de Mathilde, marquise de Toscane (1°46-1115), qui jouait un role mediateur entre Gregoire et Henri IV. Selon l'hagiographe, elle etait devenue, comme sa mere Beatrix, egale a Deborah, la celebre prophetesse et juge d'Israel (voir Juges 4 et 5). Le roi, de son cote, avait un allie a Rome en la personne du chatelain Cinci, fils du prefet de la ville Etienne. Dans la nuit de Noel 1°76, pendant que Gregoire celebrait la messe de minuit dans la chapelle de la Creche de Sainte-Marie-Majeure, Cinci fit irruption dans la basilique avec une bande d'hommes armes. Le pape fut blesse au front, depouille de ses ornements pontificaux et emmene comme un brigand garrotte vers une tour fortifiee. II serait libere peu apres sous la pression de la foule. Mais auparavant un habitant de la ville et une femme de noble naissance s'etaient clandestinement introduits dans la forteresse pour soigner Ie pontife. La femme lavait et pansait sa blessure et baisait avec respect sa poi trine, ses cheveux et ses vetements. Aux yeux de Paul de Bernried, ce geste permettait evidemment de l'assimiler a Marie de Magdala (c'est-a-dire, selon la tradition postbiblique, la pecheresse pardonnee et aimante de Luc 7, 36-38) qui, d'une maniere semblable, avait soigne Jesus dans la maison du pharisien. Comme dans les Passions de martyrs, un tel rapprochement invite « indirectement » a voir dans Ie saint meme un autre Christ. Pareilles typologies occasionnelles peuvent donc s'accumuler dans une meme biographie, car, rappelons-le, tout Israel revit dans l'Eglise et tout Israel peut revivre dans l'existence d'un des membres de cette Eglise. II arrive, enfin, qu'une typologie particuliere, appliquee au saint lui-meme, sous-tend specialement la trame de tout un recit. Dans la Vie de saint Severin, redigee en 5I I par son ancien disciple Eugippe, elle est pour ainsi dire « commandee » par l'histoire vecue. 11 s'agit encore une fois de la typologie (mais ici litterale, et non pas spirituelle) de l'Exode. Severin, qu'on a recemment voulu identifier a un ancien consul devenu chef spirituel, a en effet prepare et religieusement « conditionne » l'evacuation (partielle) des populations romanisees de la province danubienne du Norique, menacees par la poussee des barbares. Sa mort, survenue en 482, l'a empeche d'entrer lui-meme dans la« terre promise », c'est-a-dire l'Italie, mais les moines du monastere qu'il avait fonde, et parmi eux Eugippe, ont plus tard emporte sa depouille mortelle et l'ont inhumee pres de Naples, la ou ils s'etaient eux-memes installes. 11 va sans dire que Ie souvenir de Moise conduisant la sortie de son peuple hors d'Egypte, sans qu'il ait pu lui-meme entrer dans la terre de Chanaan, s'est quasiment impose a l'hagiographe, comme sans doute deja a la conscience religieuse du saint en personne, et que cette typologie domine Ie recit. Pour un second exemple nous n'avons qu'a revenir a la Vie de Gregoire VII. Mti par un souffle prophetique, ce
Vivre la Bible dernier puisait lui-meme dans l'Ancien Testament l'inspiration pour s'adresser aux princes et aux grands. Or, tout au long de sa relation, l'hagiographe decouvre a son tour, dans la destinee et l'action de Gregoire, Ie zele et la ferveur du prophhe Elie, Ie propagateur infatigable du culte de Yahve sous Achab et Jezabel auxquels il resistait avec vigueur. L' on sait que, selon la Bible et selon des legendes plus tardives, re~eillies not~ent. par Isidore de Seville, Ie feu materiel accompagnalt quelquefols la Vle et les actes du prophete, par exemple Ie globe de feu eclairant Ie nouveau-ne, Ie feu celeste devorant l'holocauste lors du sacrifice du Carmel avec les prophetes de Baal, l'enlevement dans un tourbillon de feu, par un char aux chevaux de feu. C'est Ie meme feu qui prefigurait ou symbolisait regulierement l'ardeur de Gregoire, « nouvel Elie ». Ainsi, des etincelles se seraient detachees des vetements du petit Hildebrand (ce nom de bapteme du futur Gregoire VII contenait d'ailleurs Ie mot allemand Brand qui signifie incendie, combustion), on aurait vu une flamme sortir de sa tete et plus tard un feu celeste aurait enflamme Ie saint chreme cons acre par lui. Et Ie 25 mai 108 5, lorsqu'il rendit l'ime, celle-ci monta au ciel« comme sur un char igne, a l'instar d'Elie ». L' on comprend aisement que, dans Ie contexte de la reforme de l'Eglise et de la querelle des investitures, une typologie tellement accentuee prend une allure vraiment apologetique. -': .cote de ces typologies nominatives proprement dites, la presence expliclte de la Bible englobe evidemment toutes les « citations» directes de ~'~criture s~te. Citer la Bible est un vieil usage juif et judeo~hretien : l'Anclen Testament se cite deja soi-meme (c'est-a-dire les livres anterieurs) et Ie Nouveau se refere a l' Ancien, qu'il s'est litteralement « approprie ». La litterature chretienne emprunte indistinctement des versets aux deux Testaments, car ceux-ci transmettent e~se~ble une seule et meme revelation toujours actuelle, une seule hist~lte du salut, dont precisement l'hagiographie fournit une exegese pratique et appliquee. Du point de vue de leur fonction dans Ie texte, l'o? peut distinguer plusieurs categories de citations explicites, bien qu ~lles se recoupent souvent en partie. Certaines d'entre elles suggerent touJours des rapprochements typologiques au sens large du terme. Proches encore de la typologie nominative sont les rappels d'une parole ou. d'un fait biblique qui doit garantir sa propre reiteration ou realisation dans des circonstances semblables. Le procede remonte a l' Ancien ~estament lui-meme ou l'on demande souvent aDieu qu'il « se souVlenne » d'un bienfait anterieur, par exemple l'Exode hors d'Egypte. Ces rappels figurent egalement dans certaines formules de prieres par lesquelles on sollicite une grace de la part de Dieu parce qu'il a accorde une faveur comparable a tel personnage de l'histoire sainte ou a son peuple tout entier. Puisons un exemple dans la Vie de sainte Rusticule
L'hagiographie
(t vers 633 ?), abbesse a Arles, Vie ecrite sans doute peu apres la mort de la sainte. Elle avait ete accusee d'avoir cache dans son monastere, apres la victoire de Clotaire II sur Sigebert II d'Austrasie et de Bourgogne a ChaIons-sur-Marne, en 613, Ie jeune frere de Sigebert, Childebert. Sa vie etait menacee, mais ses moniales priaient avec instance Ie « Defenseur celeste », car n'avait-il pas, jadis, sauve Suzanne, epouse de Joachim, elle aussi faussement accusee d'adultere et condamnee a mort, en lui envoyant Ie jeune Daniel pour clamer son innocence (Dan. 13,45)? Les seeurs etaient donc en droit d'esperer une intervention similaire. Plus tard, ce nouveau Daniel apparut efl"ectivement en la personne de l'eveque Dommulus de Vienne, qui vint temoigner en faveur de Rusticule. II est evident que, dans l'hagiographie, pareilles references precedent surtout des evenements pen;us comme miraculeux. Odon (878/879-942), abbe de Cluny, cons acre meme une bonne partie du prologue de sa Vie de saint Geraud d' Aurillac (t 909) a l'idee de la fidelite constante de Dieu dans ses interventions merveilleuses au profit de l'homme. Le passe, selon Odon, garantit Ie present et l'avenir, car: Je ne cesserai pas de Jaire du bien amon peuple (voir Jer. 32,40) et Dieu ne laisse pas s'ecouler un sieele sans se rendre temoignage par ses bienJaits (Actes 14, 16-17). Nous reviendrons la-dessus en parlant plus specifiquement du miracle.
Un concept fondamental de la pensee biblique est l' « accomplissement » ou la realisation d'une parole scripturaire anterieure. La « matiere » du Nouveau Testament a meme souvent ete « orientee » en fonction de cette conformite avec des propheties anciennes. Ce concept s'applique aussi a un autre groupe de citations dans l'hagiographie. Saint Leger, deja livre aux mains de ses ennemis et cruellement mutile, est place sur une « vulgaire bete de somme » et ainsi se trouve, d'apres l'hagiographe, accompli Ie verset du psalmiste : J'etais devenu une brute devant toi et je restais tot!lours devant toi (Ps. 72, 22-23). Selon Gautier de Therouanne, la haine dont Charles Ie Bon faisait l'objet de la part de la noblesse brugeoise et qui lui vaudra Ie martyre, ne rappelle pas seulement celIe des juifs envers Ie Christ, mais elle realise egalement la parole, devenue ici « prophetique », des impies dans Ie Livre de la Sagesse (2, 12) : Traquons Ie juste, puisqu'il nous gene et qu'il s'eteve contre notre conduite. Et quand Paul de Bernried evoque la douleur et la stupefaction des Romains a la suite de l'attentat de 1076 contre Gregoire VII, il s'exprime en ces termes solennels : « Alors s'accomplit l'oracle du prophete : Vos fetes seront changees en deuils et tous vos cantiques en lamentations (Tob. 2,6; Amos 8,10); Elle (ici = la ville de Rome) passe les nuits a pleurer et les larmes couvrent ses joues. Plus un qui la console parmi tous ceux qui lui sont chers (Lam. I, 2) ... »
Vivre la Bible
Ces « accomplissements » ont un caractere essentiellement « passif ». Toutefois, les preceptes de la Bible regis sent davantage encore Ie comportement actif des saints. L'Ecriture sera donc beaucoup citee comme un~ referer:ce ~ormat!ve et exemplaire. Nous avons deja evoque la typologie nOffilnative d Abraham, dans l'hagiographie monastique. Or, dans de tres nombreuses Vies de saints moines, meme la OU Abraham ~'est pas cite nommement, Ie choix decisif par lequel ils rompent tout lien avec Ie « monde » est presente - et a sans doute ete vecu par eux - comme une « imitation» de l'obeissance, deja commentee par l'Epitre aux Hebreux (II, 8), du patriarche a l'ordre de Dieu : Quitte ton Ptp's, ta parente et la maison de ton pere, pour Ie pqys que je t'indiqueral (Gen. 12, I), et en meme temps comme l'execution de preceptes evangeliques tels que : Si tu veux etre parfait, va, vends ce que tu possMes, donne-Ie aux pauvres, et tu auras un trisor aux cieux,. puis viens, suis-moi (~at. 19, 21; ~arc ~o, 21; Luc 18,22); Et quiconque aura quitte maison, freres, sa:urs, pere, mere, enfants ou champs, d cause de mon nom, recevra Ie centuple et aura en p'artage la vi: eternelle (Mat. 19,29; Marc 10,29-3 0 ; ~uc 18, 29.-3?); Qutconque parmt ~ous ne renonce pas d tous ses biens ne peut etre. mo~ dz:ctple (~uc 14,33); SI quelqu'un veut venir d ma suite, qu'iI se rente lut-meme, qu II se charge de sa croix et qu'il me suive (Mat. 16, 24; Marc 8,34; Luc 9,23). Parfois, Ie saint decouvre sa vocation en assista~t a un office liturgique OU il entend reciter un passage de la Bible qUl Ie fr~ppe sp~cialement. Ainsi, saint Jean de Reome (t vers 544), ~ont la ~J1ographie fut composee en 659 par Jonas de Bobbio, se decida ~ aller v:vre com~e anach~rete loin de son sol natal, apres avoir ecoute 1 ~v~ng11e de la ~ete de Saint Jean-Baptiste d'apres lequell'enfant granwalt: ~t son eSP:tt se developpait. Et iI demeura dans les solitudes jusqu' au Jour ou II se manifesta devant Israel (Luc I, 80), et une autre fois Ie recit d: ~a vocation de.s premiers ~potres (Mat. 4, 18-22). A cote de figures vetero-testamentalfes, Ie Baptiste et les apotres etaient en effet devenus , 1 ' , a eur .tour des archetypes de la vie ascetique et monastique. Et si l' on e~ ~rolt Thomas de Celano, saint Frans:ois d' Assise, quant a lui, comprit vefltablen:ent ce qu'il voulait lui-meme, apres qu'un pretre lui avait l~ et exphque Ie ~exte de la « ~ssion des Douze » : ... Ne vous procurez n~ or, nt ar~ent, m .menue monnate pour vos ceintures, ni besace pour la route, m deux tumques, m chaussures, ni baton... (Mat. 10, 1-16). . ~s textes-Ia sont evidemment fondamentaux pour la spiritualite, ~als 11 y a ~.es Vies. de saints qui vont nettement plus loin, car en les lisant ~n a Ilmpre~slOn ~ue « toute action doit s'appuyer sur l'autorite de la Bible, elle dOlt aVOlr un precedent dans un texte qui constitue son m?deIe et sa garantie8 ». Cela vaut, par exemple, pour les aumones de SalUt Gregoire (vers 707-780), abbe a Utrecht. Son hagiographe Liudger
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8.
J.
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[4], p. 116.
L'hagiographie
(t 80 9) les fonde, en effet, sur toute une serie de recommandations scripturaires allant du Psaume 41, 2 et de l'EccIesiastique 3, 30 a l'Evangile de Luc II, 41 et celui de Matthieu 25,34-40. Cela vaut aussi pour les prieres et meditations nocturnes de sainte Radegonde (5 18-587), epouse de Clotaire Ier et plus tard moniale a Poitiers, elle qui pouvait dire avec Ie psalmiste : Je me levais d minuit pour te Iouer (Ps. 119, 62, cite dans la deuxieme Vie, redigee peu apres 600 par la moniale Baudonivie). Une autre reine merovingienne, sainte Balthilde (t 680/681), veuve de Clovis II de Neustrie et de Bourgogne, continuait, meme apres sa retraite forcee (vers 665-666) dans Ie monastere de Chelles, a entretenir des relations actives avec la cour et avec les grands du royaume franc, car iI faut avoir bon temoignage de ceux du dehors (I Tim. 3,7, cite par son hagiographe contemporain).
En fait, Ie dernier exemple annonce deja une categorie suivante de citations directes, a savoir les emplois plus ou moins justificatifs de la Bible. De tels usages remontent egalement au Nouveau Testament lui-meme et se rencontrent dans d'autres genres litteraires pratiques par les chretiens. Parfois il ne s'agit que d'une nuance justificative, mais ailleurs c'est celle-ci qui donne Ie ton. Ainsi, les hagiographes du haut Moyen Age citent trop souvent Ie Rendez d Cisar ce qui est d Cisar, et aDieu ce qui est a Dieu (Mat. 22, 3I), pour qu'on ne s'apers:oive pas qu'ils veulent par la legitimer la « carriere seculiere » de leurs saints et les liens parfois tres etroits des eveques et des abbes avec les monarques et avec l'aristocratie. Ce qui ne les empeche pas d'evoquer, dans un autre contexte, Ie Celui qui est enro!e au service de Dieu, ne s'embarrasse point dans les affaires seculieres de II Timothee 2, 4. Du reste, la Bible, qui refiete elle-meme taut de situations et d'etapes differentes de l'histoire d'Israel, s'avere inepuisable quand il s'agit de fournir des explications providentielles, meme a tel aspect qui cadre moins bien avec les normes dominantes de la saintete. Une de ces normes etait la chastete ou la continence dont nous devrons cependant reparler. Or, si Ie saint etait neanmoins honorablement marie, comme c'etait Ie cas du laic Charles Ie Bon, c'est que, d'apres Gauthier de Therouanne, Dieu lui-meme l'avait voulu car: Le ca:ur du roi est aux mains du Seigneur, qui I'incline partout a son gre (Prov. 21, I). Le meme Charles Ie Bon avait taut de fois use des armes pour regler des conflits, et « abattu les fiots des tempetes guerrieres soulevees contre lui ». Oui, mais ce faisant il n' etait qu'un instrument entre les mains de celui dont Ie psalmiste a dit qu'iI ramena la bourrasque au silence et les flots se turent (ps. 107, 29). Pour rendre acceptable la juste activite belliqueuse d'un autre saint laIc, Geraud d'Aurillac, Odon de Cluny n'avait que l'embarras du choix
Vivre la Bible dans l' Ancien Testament, OU i1 trouva notamment l'exemple du roi David qui « envoya meme des troupes contre ses propres fils ». Dans bien des cas pareils, 11 ne faut pas mettre en doute la sincerite des hagiographes qui sont tributaires de l'exegese de leur temps comme on Ie verra plus loin. Mais quand on a affaire a des ecrivains - et a des saints - personnellement engages dans des querelles comme celle des investitures ou la lutte d'influence entre la papaute et l'Empire, on ne manque pas de constater des abus. Car les auteurs selectionnent et orientent les citations et exemples scripturaires en fonction de ce qu'ils veulent prouver et de la cause qu'ils servent ou combattent. Ainsi, pour Ie « gregorien » fervent qu'etait Paul de Bernried, tout est bon pour denigrer l'empereur Henri IV, ce « Neron moderne ». Deja Ie fait qu'il avait a peine six ans lorsque, Ie 5 octobre 1056, i1 succeda a son pere Henri III, fUt-ce sous la regence de sa mere, hypothequait gravement l'avenir, car : A1.alheur a toi, ptrys dont Ie roi est un gamin (Eccl. 10, 16). De tels exemples abondent a cette epoque et sont revelateurs d'un etat d'esprit. Pour conclure notre classification, attirons simplement l'attention sur les pensees, sentiments et enseignements que I'hagiographie exprime sous forme de citations bibliques. Certains biographes (nous songeons notamment a la seconde Vie de saint Bardon, eveque de Mayence (t 10 5I)) font meme prononcer par leur heros des discours ou des sermons presque entierement faits de morceaux de l'Ecriture sainte. Par ailleurs, les saints sont generalement presentes comme desireux de connaitre, de scruter, de mediter et de vivre la parole de Dieu contenue dans les livres sacres. Et, dans la plupart des cas, cela correspondait sans aucun doute a la realite. Mais pour les hagiographes, l'affirmation repetee de cette realite constituait en meme temps un moyen d'inculquer a leurs lecteurs et auditeurs l'amour de l'Ecriture sainte et de son etude devouee. La aussi, Ie saint etait, en effet, un « modele ».
S'il est sufllsamment familiarise avec la Bible, Ie lecteur du present chapitre aura deja remarque que Ie sens des references ou citations bibliques dans l'hagiographie est bien des fois different de celui du contexte original. Le« rendez a cesar... », par exemple, ne sert pas, dans I'Evangile, a promouvoir l'imbrication du politique et du religieux, mais a faire une distinction tres nette entre Ie service de Dieu et Ie service de l'empereur. II faut donc reparler un instant de cette« lecture» medievale de la Bible, qui prolonge a son tour toute une tradition exegetique venue des Peres de l'Eglise. Certes, bien souvent il ne s'agit que d'un sens « accommode », c'est-a-dire adapte au nouveau contexte de la
L'hagiographie citation. Qu'il suffise de mentionner lCl un des lieux communs tres frequents dans les prologues d'ceuvres hagiographiques. Par modes tie, les auteurs y confessent, en effet, leur pretendue incapacite d'ecrire. S'ils s'executent quand meme, c'est qu'ils se fient au Seigneur qui a dit, par exemple: Ce n'est pas vous qui parlerez, c'est rEsprit de votre Pere qui par/era en vous (Mat. 10, 20). En realite, Ie Christ fait allusion ici au temoignage que devront rendre ses disciples devant ceux qui les persecuteront. Ce cas n'a rien d'anormal au Moyen Age, mais il illustre avec quelle facilite l' on « transpose» Ie texte de la Bible, ce qui etait encore favorise par sa transmission en partie indirecte. Ailleurs, c'est l'evolution semantique qui est responsable du decalage de sens. Regulierement, a propos de la vie ascetique des saints, les hagiographes renvoient au passage de la seconde lettre aux Corinthiens, OU saint Paul decrit l'exercice de son ministere apostolique : ... dans les fatigues, dans les veilles, dans les je/lnes... (II Cor. 6, 5). Or, les termes latins vigilia et ieiunium signifient, dans ce contexte-ci, Ie manque de sommeil et de nourriture qui etait souvent la consequence inevitable de l'activite missionnaire et itinerante de l'apotre, et non pas un comportement ascetique volontaire et permanent. C'est neanmoins ce sens-Ill. qu'on a projete a posteriori sur Ie texte biblique. II y a ensuite, bien entendu, l'exegese spirituelle (allegorique, tropologique ou morale, anagogique) sans laquelle on ne saurait comprendre l'usage foisonnant de la Bible au Moyen Age et grace a laquelle I'Ecriture ne dit jamais des choses banales, chaque phrase ou verset pouvant exprimer une regIe absolue et universelle de pensee et d'action. Nous avons deja donne l'exemple de la spiritualisation du theme de l'Exode. Dans Ie meme ordre d'idees, les versets 5 et 6 du Psaume 120 sont couramment cites dans l'hagiographie monastique : HClas que mon exit est long! ]'ai demeure avec les habitants de Cedar. Mon time y a ete longtemps etrangere (Vulgate). Dans ce chant de pelerinage, Ie psalmiste se plaint avec nostalgie de son sejour trop long et force dans des regions lointaines au milieu de barbares hostiles. Probablement sous l'influence du neo-platonisme ou du gnosticisme, les Peres de l'Eglise y avaient vu une lamentation sur Ie long « exil » de l' ame dans Ie corps et un desir ardent de la patrie celeste. Vne telle « lecture» convenait a merveille pour exprimer l'aspiration permanente des moines medievaux a la contemplation eternelle de Dieu dans l'au-dela. Pourtant, s'il est vrai que l'exegese medievale a toujours privilegie Ie sens spirituel du texte de la Bible, on a parfois l'impression que dans l'hagiographie comme dans l'historiographie, et quelle que soit l'importance primordiale de ce sens spirituel, Ie sens « historique » prend quelquefois sa revanche, a tel point que certains passages sont pris dans une acception plus litterale que ne Ie permet leur SitZ im Leben scripturaire. Ainsi, dans la Vie de saint Wilfrid, eveque de York (t 709), ecrite vers 720 par Eddius Stephanus, Ie verset 9 du Psaume 5I, Lave-moi : je
Vivre la Bible serai plus blanc que la neige, se tr?uve applique, au ... ,n~ttoya~e ~ chaux, car Wilfrid fit laver et blanchir les murs d une eglise abimee. Chez Thomas de Celano, la metaphore Moi, je suis un ver et non un homme (ps. 22,7), appliquee au Christ, fonde l'a~our de sain~ Fran~ois ~'Assise pour toutes les humbles creatures de DIeu, y compns les vertnlsseaux. II arrive enfin que la lecture de la Bible « au pied de la lettre » donne lieu a des comportements peniblement radicaux. Selon leur biographe commun Jonas de Bobbio (milieu du VIle siec1e), saint Colomban (vers 543-615), Ie moine i~lan~ais ,~evenu .abb~ a ~~euil et puis, a Bobbio, et saint Jean de Reome, deja mentlOnne, qUltterent leur mere et refusaient de la revoir encore dans leur vie d'ici-bas, parce qu'ils se souvenaient de la parole du Christ : Qui aime son pere ou sa mere plus que moi, n'est plus digne de moi (Mat. 10, 37). Globalement cependant on est tente de croire que l'utilisation medievale de la Bible, surtout quand elle etait polemique, etait « caracterisee pa: un~ interpretati~n troP. litt~rale de l'Ancien Testament, dont on appliqualt les textes a des sltuatlOns historiques de l'Eglise, et par Ie manque d'une interpre;ation. litteral~ de certains passages importants du Nouveau Testament» . Mais ce qUl compte avant tout dans I'ha~iographie, c'e~t .la p:esenc: e~ l'alternance de deux plans superposes : l'mtemporel et 1 histonque, 1 alliance permanente entre Ie temps et l'eternite.
CARACTERE IMPLICITEMENT BIBLIQUE DE L'HAGIOGRAPHIE
Jusqu'ici, nous n'avons traite que de la presence explicite de l'Ecriture sainte dans l'hagiographie. L' on se souviendra cependant que dans un certain nombre de textes, cette presence explicite (references directes et citations que nous metttions aujourd'hui entre guillemets) est« mode· ree ». Ce qui n'empeche nullement que la question des rapports entre Bible et hagiographie y demeure posee dans son entierete, pour la simple raison que, dans cette litterature, la Bible s'actualise egalement, et meme principalement, de maniere implidte, « suggestive ». Dans la structure ou la trame du recit, les grands themes et mode1es de l'histoire du salut sont transposes et representes, c'est-a-dire rendus « presents », avec ou sans renvois. L' on peut meme affirmer que les emplois explicites ne font souvent qu'appuyer ou corroborer une correspondance implicite plus generale. II n'est donc pas toujours possible ni souhaitable de separer les deux niveaux de la presence de l'Ecriture. Mais d'autre part, tout comme on trouve egalement des references ou citations isolees ou purement occasionnelles, il y a lieu de deceler, par exemple, des rypologies purement 9·
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implidtes. Ainsi, dans l'hagiographie du haut Moyen Age, les eve'!ues interviennent frequemment et avec fermete en faveur de leurs ouatlles aupres des rois barbares parfois capricieux et oppresseurs. Dans les recits, 1'0n a affaire a la typologie du « prophete chez Ie roi», meme s'il n'y a pas de reference nominative a Nathan chez David, a Elie chez Achab, a Isale chez Ezechias, a Jeremie chez Joachim et Sedecias ou a Daniel chez Balthazar. La stylisation est plutot Ie fait de la mise en scene, des reminiscences subtiles et du « langage ». Nous reviendrons encore sur cet aspect formel. Mais parlons d'abord du contenu et, avant de Ie specifier, du cadre general. Car a ce « microcosme » de l'histoire du salut qu'est la Vie ~e saint, se trouve sous-jacent Ie grand schema, Ie fi1 conducteur de la VIe du Christ meme, doublee ou recoupee Ie cas echeant de celle d'autres figures bibliques. Le Christ, selon la theologie, avait etc destine a l'incarnation et envoye par Ie Pere pour racheter l'humanite dechue. II a rempli de maniere irreprochable sa mission messianique, malgre les tentations et les obstructions de Satan, dans la parfaite obeissance a Dieu, jusqu'a la mort sur la croix. Pour cela, Dieu l'a ressuscite des morts et l'a glorifie pour l'eternite (Phil. 2, 6-1I). La vie du saint commence aussi par une initiative de Dieu. Des avant sa naissance, celui-ci l'a elu par sa grace et dirige sa vie en fonction de cette election. Le saint, de son cote, repond a cette grace par ses propres « merites », c'est-a-dire par son comportement modele sur celui du Christ et d'autres « saints» de l'Ecriture. Le grand antagoniste de Dieu, Satan, combat Ie saint et a travers lui Dieu lui-meme, mais il ne peut empecher Ie triomphe final. Car a la fin de sa vie, en guise de recompense des efforts consentis et en guise d'accomplissement de la grace, Dieu rappelle son serviteur a lui et lui donne la gloire eternelle. Bien entendu, l'application concrete de ce schema peut varier suivant les donnees historiques, Ie degre de stylisation, la composition et la coloration propres a chaque cas particulier. Ainsi Ie theme de l'election avant la naissance, connu aussi dans la legende non chretienne, n'est pas partout developpe, comme d'ailleurs l'Evangile de l'enfance manque chez deux evangelistes, Marc et Jean. Mais laouil est present, sa narration porte souvent les marques des premiers chapitres de Luc ou de Matthieu (ou meme des evangiles apocryphes). Par un songe premonitoire ou par la vi site d'un messager, la mere enceinte apprend que l'enfant qu'elle porte en son sein est destine par Dieu a un grand avenir. Ainsi, Syagria, mere de saint Bonnet, futur eveque de Clermont (t peu apres 705), aurait, si l'on en croit Ie biographe du premier quart du VIlle siec1e, res:u la visite d'un pretre appele Fregion. Comme d'habitude, elle lui demanda la benediction. A quoi Fregion repondit : « Benissez-moi plutot, saint et venerable homme de Dieu. » Etonnee, Syagria medita d'abord ces
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paroles, puis se hasarda a interroger Fregion sur Ie sens de sa reponse, car « un homme ne pouvait tout de meme pas saluer de la sorte une personne du sexe feminin ». Mais Ie pretre s'expliqua : « Ce n'est pas, comme tu Ie penses, a toi que j'ai demande la benediction, mais a celui qui est dans ton sein, car j'y vois un grand pontife elu par Dieu.» Alors, pleine de joie, la future mere conclut:« Je demande, mon pere, que grace avOS prieres advienne ce que vous avez dit. » La texture meme de ce recit est pleine de reminiscences implicites de saint Luc. D'une part, Ie fait que Ie pretre reconnait deja l'enfant comme son superieur et lui demande la benediction rappelle les paroles prononcees par Elisabeth lors de la visite que lui rendit sa niece Marie: Tu es benie entre les femmes, et beni Ie fruit de ton sein. Et comment m'est-il donne que la mere de mon Seigneur vienne a moi (Luc I, 42-43). La surprise initiale de la mere, sa question hesitante et finalement son souhait « que tout puisse se passer ainsi » semblent bien, dans Ie texte latin de la Vita, stylises d'apres Ie recit de l'Annonciation a Marie: A ces mots elle fut bouleversee, et elle se demandait ce que signifiait cette salutation ... Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d'homme ? .. Je suis la servante du Seigneur, qu'iI m'arrive selon ta parole (Luc I, 29, 34 et 38). Dans la Vie de saint Bonnet, c'est un pretre qui fait la prediction, mais il existe d'autres textes hagiographiques ou, comme dans l'Evangile, ce role est assure par un ange (apparaissant en songe). Le theme de l'election et de la grace divines ne se limite pas au « merveilleux » qui precede ou entoure la naissance du saint. II y a encore, par exemple, l'idee de la precocite intellectuelle et surtout spirituelle du jeune enfant, idee qui rappelle d'une maniere ou d'une autre l'episode evangelique (amplifie encore dans les apocryphes) ou l'on voit Jesus, a 1'age de douze ans, assis parmi les docteurs du Temple de Jerusalem, les ecoutant et les interrogeant (Luc 2, 41-50). Ensuite, tout Ie recit hagiographique est impregne de « providentialisme ». La Providence de Dieu dirige ou « accompagne » la vie et les actions du saint jusque dans les moindres details et, s'ille faut, elle oriente les evenements exterieurs en fonction de lui. Cette omnipresence de la « main de Dieu », l'hagiographie la partage encore avec son grand modele, la Bible, ou elle se fait sentir a chaque page. Comme aussi les menees perpetuelles du diable qui « tente » Ie saint pour Ie detourner de sa vocation et qui cherche a Ie contrecarrer en inspirant et dressant des ennemis contre lui (Mat. 4, I-I I; Marc I, 12-13; Luc 4,1-13 : la tentation de Jesus au desert; Luc 22,3; Jean 13, 2 : Satan inspire la trahison de Judas). Cette vision« dualiste» du monde et de la vie humaine (tout Ie bien procede de Dieu, Ie mal est mis sur Ie compte de l' « antique serpent ») peut donner lieu a des interpretations et des simplifications abusives, surtout chez des auteurs tres engages comme on Ie voit dans la Vie du pape Gregoire VII, l'empereur Henri IV etant l'instrument de Satan.
Si Ie saint peut toujours compter sur la grace divine, il doit aussi la « meriter », c'est-a-dire y repondre par sa propre conduite. La « loi du genre» hagiographique la veut parfaite et exemplaire, c'est d'ailleurs Ie devoir d'un disciple de Jesus (Mat. 5,48), bien que Ie type du saint pecheur mais repenti ne soit pas inconnu au Moyen Age (modeles bibliques : David, la femme adultere, les apotres Pierre et Paul, etc.). Pour Ie saint, la voie la plus indiquee est assurement la « marche a la suite du Seigneur» ou l' « imitation du Christ », deux notions originellement distinctes, mais tendant a se confondre des Ie Nouveau Testament, de meme l'imitation des apotres, la « vie apostolique » et subsidiairement d'autres modeles scripturaires. Cet ideal est l'essence meme de la saintete et tous les saints sont censes Ie realiser dans les circonstances historiques tres variees ou ils vivent (I Cor. 4, 16; I Pierre 2, 21), d'autant plus que Jesus est presume« habiter» en chacun d'eux (Jean 14, 23; Eph. 3, 17). Cette imitatio se traduit par ce qu'on appelle en latin les virtutes au double sens de vertus et de puissances ou miracles, meme si ces derniers sont en principe moins un acte du saint que de Dieu meme. Les vertus sont souvent enumerees de maniere abstraite sous forme de « catalogues » constamment remployes, mais non sans modifications et adaptations, par une demarche que nous autres qualifierions volontiers de « plagiat » mais qui ne l' etait pas necessairement dans l' esprit de 1'hagiographe medieval; « puis que Ie heros est un saint, il doit bien avoir pratique toutes ces eminentes vertus ». Les termes employes peuvent remonter a la Bible. Comme exemple d'un catalogue de vertus, on pouvait utiliser l'Epitre aux Galates 5, 22 : charite, joie, paix, longanimite, serviabilite, bonte, confiance dans les autres, douceur, maitrise de soi; et egalement les trois vertus theologales et les quatre vertus cardinales. Mais on pouvait aussi s'inspirer de regles monastiques ou de traites de theologie morale. Des influences indirectes de la philosophie morale antique n'y sont pas impossibles. On a souligne la banalite de ces portraits moraux dans lesquels s'intercale frequemment Ia beaute corporelle, partie integrante de la « perfection» du saint et deja incarnee, parmi d'autres personnages scripturaires, dans Ie beau regard et la belle tournure de Samuel ou dans Judith, tres belle et d'aspect charmant (I Sam. 16, 12 et Jud. 8, 7), mais ils permettent a I'auteur de donner une vue d'ensemble et une recapitulation des merites de son heros. Plus interessantes, cependant, sont les vertus mises en relief, et illustrees par des actes concrets, en dehors des catalogues generaux. De l' esprit evangelique, bien traduit par les Beatitudes (Mat. 5, 1-12; Luc 6, 20-23), relevent tout d'abord Ie renoncement sous toutes ses formes et les multiples manifestations de Ia charite. Le renoncement, c'est Ia pauvrete voiontaire, la chastete, I'humilite, voire l'humiliation. La charite, c'est l'amour fraternel, dans Ie monastere par exemple, y compris Ie pardon inconditionnel des offenses et I'amour des ennemis.
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C'est aussi l'aide aux pauvres et aux demunis, programmee dans les « Iruvres de misericorde » du discours sur Ie jugement dernier (Mat. 25, 35 -40), et en partie « institutionnalisee » en raison du role d' assistance sociale devolu, par la force des choses, a l'Eglise medievale, notamment aux abbayes. Distribuer ses biens aux pauvres suppose evidemment qu'on en possede soi-meme. Mais a ce propos, on peut seulement cons tater que la majeure partie de ceux a qui Ie Moyen Age a decerne l'aureole de saintete, etaient effectivement issus de familIes aisees. D'ailleurs, la vox populi du haut Moyen Age, par exemple, savait bien pourquoi elle favorisait l'election episcopale d'hommes fortunes. Toutefois, Ie renoncement et la charite ne suffisent pas, la saintete biblique et evangelique inclut aussi la recherche de Dieu, la piete, la priere, Ie recueillement, l'amour de la solitude. Pour les moines et plus encore pour les ermites, c'est meme la Ie facteur essentiel. Et comme dans la vie de Jesus il peut exister une certaine « tension» entre cet aspect« vertical» de la saintete et les « devoirs sociaux ». Souvenons-nous de saint Severin du Norique : selon son biographe Eugippe, plus il aspirait a la contemplation solitaire, plus il se faisait scrupule de s'y livrer a cause de ceux qui avaient besoin de son secours. Dans la spiritualite des saints issus des Ordres Mendiants au XIIIe siecle, la vie partagee entre la priere, la predication errante et la pauvrete (mendicite) traduit plus specialement Ie desir d'imiter la vie apostolique. C'est encore pour suivre Ie Christ (Mat. 5, II; 10, 22 et textes paralleles) dans Ie sillage des apotres (Luc 22, 23; Actes 5, 41; 21, 13; Col. I, 24) que les saints seront toujours prets, Ie cas echeant, a supporter avec joie, et a cause du Nom de leur Seigneur, les epreuves et injures qui leur sont infligees. Les recits hagiographiques nous offrent des exemples concrets parfois touchants de cette imitation du Christ. L' on se rappellera Ie chapitre 3 de la Vie de saint Martin de Tours par Sulpice Severe. Deja avant son bapteme, lorsqu'il etait encore soldat de l'armee romaine, Martin se distinguait par sa charite evangelique. Un jour, au milieu d'un hiver particulierement rigoureux, il rencontra a la porte d' Amiens un pauvre nu dont les autres passants ne se souciaient guere. N'ayant sur lui que ses armes et un simple manteau de soldat, il partagea ce vetement en deux et donna un morceau au pauvre avant de se rhabiller avec Ie reste. Or, la nuit suivante, il vit dans son sommeille Christ vetu de la moitie de la chlamyde dont il avait couvert Ie pauvre, c'est-a-dire « un de ces plus petits de mes freres » auquelle Fils de l'homme s'etait identifie (Mat. 25, 40). Raymond de Capoue raconte une scene pareille a propos de sainte Catherine de Sienne. Sortant d'une chapelle, l'illustre tertiaire reguliere de saint Dominique croisa un jeune homme age d' environ trente-deux ou trente-trois ans et denude, qui lui demanda de quoi se vetir. Elle retourna a la chapelle et lui en apporta une tunique de laine et sans manches, mais Ie pauvre trouvait cela insuffisant. Tout
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de suite, Catherine alIa fouiller dans la maison de ses parents pour lui chercher d'autres vetements. Lorsqu'elle avait enfin pu Ie contenter, Ie jeune homme evoqua Ie sort d'un camarade aussi misereux que lui et la pria de l'habiller de la meme maniere. Catherine se serait volontiers debarrassee de sa propre tunique, mais elle craignait Ie scandale que cela causerait. Voyant toutefois la joie spontanee avec laquelle la sainte se tourmentait pour lui, l'homme n'insista plus et partit. La nuit suivante, pendant qu'elle priait, Ie Christ lui apparut avec la physionomie du pauvre denude tenant dans la main la tunique a manches que Catherine lui avait finalement trouvee, mais ornee cette fois-ci de pedes et de pierres precieuses. Sans Ie savoir, elle avait donc vetu son « Epoux celeste» qui lui promit maintenant la gloire eternelle. Qu'elle acceptat toutes les consequences de l'Evangile, elle Ie montrait encore en soignant et en servant des personnes atteintes par des maladies pestilentielles et que d'autres avaient abandonnees par crainte de la contagion. C'etait notamment Ie cas d'une femme lepreuse dans laquelle elle voyait l'image meme du Seigneur. Cette conduite fait penser au geste impressionnant de saint Fran<;ois d'Assise qui, un jour, nous dit Thomas de Celano, rencontra un lepreux et, « se surpass ant soi-meme, s'approcha de lui et lui donna Ie baiser ». (pour les harmoniques neo-testamentaires de la lepre, on peut citer Mat., 10, 8 et 1 I, 5; Marc I, 40-45; Luc 17, 11-19·) La scene evangelique du lavement des pieds et les paroles imperatives que Ie Christ y ajouta (Jean 13, 13-15; Mat. 20,26-27; Marc 10, 43-44) ont inspire toutes sortes de besognes d'esclaves auxquelles les saints s'astreignent avec joie et dans un esprit d'humilite et de charite, au service de leurs freres et Slrurs ou de leurs subordonnes. Ainsi, la meme Catherine de Sienne etait regulierement occupee a balayer ou a faire la vaisselle. Elle y etait d'ailleurs habituee, car dans sa jeunesse sa famille lui avait impose des travaux humiliants pour contrarier sa vocation virginale. Mais deja dix siecles plus tot, Martin de Tours avait donne l'exemple. Eruole dans l'armee a l'age de quinze ans, ce fils de veteran« se contentait de la compagnie d'un seul esclave, et pourtant, renversant les roles, ille servait, lui son maitre, tant et si bien qu'en general c'etait lui qui retirait ses chaussures, lui encore qui les nettoyait, qu'ils prenaient leurs repas ensemble, mais que c'etait lui qui faisait Ie plus souvent Ie service de leur table ». Dans les biographies de deux reines merovingiennes deja mentionnees, Radegonde et Balthilde, ces occupations serviles sont d'autant plus soulignees qu'elles contrastaient vivement avec Ie tres haut rang social de ces femmes (comme dans Ie cas du Roi celeste qui « ne retint pas jalousement Ie rang qui l'egalait aDieu, mais prit la condition d'esclave » : Phil., 2, 6-7). Radegonde « lavait, essuyait et baisait les pieds de tous », tandis que Balthilde travaillait dans la cuisine de son monastere de Chelles et y allait jusqu'a nettoyer les lieux d'aisances. Plus tard, Ie Moyen Age connaitra meme des saints qui exercent delibe-
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rement un metier humble et vil, tel celui de charbonnier. Un de ces « saints charbonniers}) est Ie comte Girart de Roussillon (Xle siecle), qui vivait avec sa femme dans la foret des Ardennes (Vie de la fin du xn e ou du debut du xme siecle). A cote de ces abaissements volontaires, il y a, repetons-le, les humiliations et les souffrances forcees. Le saint les endure alors pour Ie Nom de Jesus comme Ie dit expressement, vers Ie milieu du VIne siecle, Ie biographe de saint Arnand (t entre 676 et 684), Ie missionnaire de la Flandre qui, lors de son sejour a Gand, « fut frequemment frappe par les habitants, repousse avec des opprobres, par des femmes meme et par des campagnards, et precipite a plusieurs reprises dans l'Escaut }). Mais comme son Seigneur, un vrai serviteur du Christ ne repond pas par la violence a ceux qui lui font du mal. Gravement blesse au front lors de l'attentat de Noel 1076, Ie pape Gregoire VII, « tel un agneau innocent et doux, ne leur donna aucune reponse (voir Jean 19, 9), ne protesta pas, n'opposa pas de resistance (Jacques 5, 6) ni ne demanda qu'on eut pitie de lui }) (Paul de Bernried). Dans les recits de martyre, la stylisation implicite ira encore plus loin. A l'instar du Christ, Ie saint demandera, par exemple, que ses compagnons ne soient pas molestes et qu'ils puissent s'en aller (Jean 18, 8), ou il priera Dieu qu'il pardonne a ses bourreaux (Luc 23, 34; Actes 7, 60). Le Christ aimait instruire ses auditeurs par des paraboles. L'on sait que Ie Moyen Age cherissait a son tour l'exemplum simple et concret, qui est devenu un genre a part entiere ressortissant en partie a l'hagiographie. La place nous manque pour commenter les grands recueils de Jacques de Vitry (vers II65-I240), de Cesaire d'Heisterbach (vers II8012 40/45) et surtout la fameuse Legende dode (echelonnee sur Ie calendrier liturgique) de Jacques de Voragine (vers 1228-1298), qui a rapidement connu une vogue extraordinaire. Ces ecrits demanderaient un traitement a part, different de celui des Vitae proprement dites. Qu'il nous suffise donc ici d'evoquer plutot Ie chapitre VII de Ia Vie de saint Wandril/e (t vers 668), composee vers 700 par un moine de l'abbaye de Fontenelle que Ie saint avait lui-meme fondee dans la foret de Jumieges apres avoir sejourne dans divers autres monasteres. En filigrane de ce recit tres I?erovingien, l'on peut deceler, nous semble-t-il, une subtile transposi?-on « contemporaine}) de la parabole du Bon Samaritain (Luc IO, 29-37) a laquelle se joignent d'autres stylisations neo-testamentaires. De quoi s'agit-il? Wandrille, qui appartenait a une famille noble et riche, etait d'abord entre a la cour de Ootaire II (t 628) et de Dagobert Ier (t 639). Mais il revait de la vie religieuse et s'etait fait tonsurer sans la permission du roi Dagobert. Celui-ci en fut fache et lui intima l'ordre de venir au palais. « L'homme de Dieu, confiant en l'aide du Christ qui Ie reconfortait en cet instant, partit, malgre lui, pour la cour. Comme il appro chait de la residence royale, il se trouva qu'un pauvre homme avait
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embourbe son chariot juste devant la porte d'entree }) CLuc 10, 30 : l'homme depouille et roue de coups par des brigands). « Personne de ceux qui allaient et venaient ne lui donnait de l'aide; tout au contraire, on lui marchait presque dessus et on Ie bousculait}) (Luc 10, 31-32 : un pretre et un levite descendent par Ie meme chemin, voient l'homme spolie, prennent l'autre cote de la route et passent). L'homme de Dieu vit, en arrivant, la mechancete de ces « fils du diable }) (= Eph. 2, 2), sauta a bas de son cheval et pretant la main au miserable, remit avec lui la voiture deb out }) (Luc 10, 33-35 : un Samaritain arrive pres de la victime, est touche de compassion et s'occupe de son sort). Le recit suggere manifestement d'identifier Wandrille au Samaritain montre en exemple par Ie Christ, mais l'hagiographe continue encore : « Le voyant eclabousse de fange, les spectateurs se mirent a rire de plus belle et a Ie railler », avec une reminiscence de Luc 23, 35 : Le peuple se tenait la a regarder. Les chefs eux-memes Ie rail/aient... « Mais lui, sans s'inquieter d'eux, suivait humblement Ie Maitre qui s'est fait humble, car Ie Seigneur a dit dans l'Evangile : S'ils ont appele Ie perc de famil/e BeelZebub, que ne diront-ils pas a ses serviteurs (Mat. 10, 25)? Comme il tournait ainsi cet affront a la gloire de Dieu, au meme instant apparut un ange du Seigneur qui nettoya son vetement de fa<;on parfaite, et devenu plus blanc encore qu'il ne l'etait precedemment, il entra au palais du roi ... }) Notons une reminiscence de Luc I, II : Un ange du Seigneur lui (= Zacharie) apparut, debout... , et surtout du recit de la Transfiguration dans Marc 9, 3 : Ses vetements devinrent etineelants, tout blanes... Devant Ie roi Dagobert, Ie Seigneur« protegea comme un gardien sa brebis retiree de la gueule de ses ennemis en leur presence» (Jean 10, 1-18). Enfin, Wandrille fut unanimement reconnu comme un homme de Dieu et Ie roi lui permit de suivre sa vocation. Dans ce chapitre de la Vita Wandregiseli, Dieu recompense, de maniere surnaturelle, les vertus evangeliques d'humilite, de misericorde et de charite dont Ie futur abbe de Fontenelle avait fait preuve. L'intervention du ciel authentifie Ie vrai serviteur de Dieu, comme Ie Pere avait authentifie et glorifie Ie Fils par des signes et des prodiges, avant et apres sa mort, y compris par sa resurrection. Par ailleurs, les hagiographes soulignent tres regulierement que ce ne sont pas les saints eux-memes, mais que c'est Dieu qui accomplit les prodiges pour les saints ou a travers leurs reliques, ce qui etait diflicile a inculquer aux masses incultes. Toutefois, comme virtus au sens de« vertu », l'autre sens de« puissance» ou« miracle}) fait toujours partie, d'une certaine maniere, de l'imitation aetive de Jesus-Christ, qui en avait explicitement charge ses disciples (Mat. 10, I, 7-8; Marc 16, 17-18), leur promettant qu'ils feraient les memes reuvres que lui et meme de plus grandes (Jean 14, 12). Dieu realise les memes merveilles qu'autrefois, mais par ces faits thaumatur-
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giques Ie saint marche, comme Ie dit Eugippe en racontant un miracle de saint Severin, « sur les traces du Sauveur », de ses apotres et de ses devanciers de l' Ancien Testament. Certes, la place et Ie poids du miracle dans les Vies de saints medievales varient considerablement; i1 y a des hagiographes qui n'y attachent aucune importance pour la saintete et parlent meme du danger de« presomption» a cet egard, mais globalement sa presence est marquee, voire massive, surtout apres la mort du saint, pres de son tombeau et grace a ses reliques. Rappelons aussi que les recueils de miracles constituent un genre hagiographique sui generis et que c'est surtout au miraculeux et au merveilleux que l'hagiographie doit sa force attractive. A l'egard du miracle hagiographique, la question des rapports avec la Bible, rapports de continuite et d'actualisation, se pose donc de fa~on eminente. Ce qui nous interesse, bien entendu, ce n'est pas la possibilite du miracle, mais la foi qu'on y attachait et son role dans la physionomie du christianisme medieval. Or, l'on cons tate que, pour prevenir Ie doute ou Ie scepticisme, les hagiographes defendent la crMibilite du miracle contemporain en invoquant la veracite des prodiges de la Bible. Dans Ie prologue d'un recueil de miracles de saint Sulpice de Bourges (xle siecle) on lit litteralement ceci : « Nous allons raconter de notre mieux des choses dignes de louange; si nous avons cette audace, c'est parce que nous en avons entendu de plus admirables et meme, s'il est permis de s'exprimer ainsi, de plus incroyables dans la loi antique de l'Ancien Testament. Qui, en effet, pourrait croire qu'un baton devienne un serpent (voir Ex. 7, 9), qu'une anesse morigene son cavalier (Nomb. 22, 22-35) ou que d'une machoire l'eau puisse jaillir (luges, 15, 19), si ce n'etait pas 1a Verite infaillible qui l'affirmait? »10. Cependant, quelques auteurs peu scrupuleux se livrent a une veritable surenchere en attribuant a leur propre heros plus de miracles que n'en ont fait Ie Christ et les apotres. Ailleurs, l'on « resume» la thaumaturgie d'un saint particulier en lui appliquant la celebre pericope de Matthieu I I, 5 ou de Luc 7, 22 empruntee a IsaIe 26, 19 : Les aveugles voient et les boiteux marchent, les lepreux sont gueris et les sourds entendent, les morts ressuscitent. Voila pour les generalites et pour la theorie. Mais une autre constatation nous interesse davantage. Car, dans l'hagiographie, beaucoup de miracles concrets, avec ou sans reference directe a l'Ecriture, se modelent implicitement sur des protorypes du Nouveau ou de l' Ancien Testament: exorcismes, guerisons, resurrections, maitrise des elements, chatiments celestes, etc. Notamment la composition litteraire des recits individuels se fait a l'aide de procedes de stylisation typiquement scripturaires : par exemple, Ie melange de precision de lieu et d'imprecision chronologique (la chronologie dite relative), Ie theme de la rencontre fortuite (d'un 10.
B. de
GAIFFIER,
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malade ou d'un indigent), la necessite de la foi prealable, Ie caractere instantane du miracle (Mat. 8, 3 : Et aussitot sa lepre jut guerie ... ), les sentiments et reactions des miracules et des temoins oculaires apres Ie miracle, action de graces et glorification de Dieu, la consequence pour la renommee du thaumaturge - affluence de la foule - en depit de sa propre discretion et humilite. Puis, a cote de ses elements recurrents, les differents types de miracles ont leurs harmoniques propres. Quand saint Severin guerit Ie fils d'un dignitaire de la cour du roi barbare Felethee apres que Ie pere s'etait jete a ses pieds en disant : « Je crois, homme de Dieu, que vous pouvez obtenir que mon fils recouvre rapidement la sante », cela rappelle evidemment la guerison, par Jesus, du serviteur du centurion (Mat. 8, 5- 1 3; Luc 7, 1-10) ou celle du fils du fonctionnaire royal (Jean 4, 46-54). Saint Vaast (t 540), quant a lui, rencontra, lors de son entree dans Arras comme eveque de cette ville, un aveugle et un boiteux qui lui demanderent l'aumone. Le pontife affirma ne pas avoir de l'or ni de l'argent mais il rendit a ces deux infirmes respectivement la vue et l'usage des jambes. Ce miracle-la est une reminiscence transparente de la guerison, par les apotres Pierre et Jean, de l'impotent de naissance assis a la Belle Porte du Temple (Actes, 3, 1-10). Dans les villes OU passa sainte Rusticule apres avoir ete forcee de quitter son monastere, des possedes vinrent a sa rencontre et elle les delivrera en imprimant sur leur front Ie signe de la croix. Mais les demons avaient annonce depuis plusieurs jours sa venue et l'avaient suppliee de ne pas les tourmenter et de ne pas les chasser de leurs maisons. L'on decele d'emblee, dans ce recit, l'episode du demoniaque du pays des Geraseniens. La, l'esprit impur reconnut Jesus comme Ie Fils de Dieu et l'adjura lui aussi de ne pas Ie tourmenter et de ne pas l'expulser hors de son pays (Marc 5, 1-17 et textes paralle1es). Et l' on peut multiplier les exemples, qui sont innombrables, notamment a l'aide du Dictionary oj Miracles ll • Sainte Aldegonde de Maubeuge (t 684,689 ou 695) travers a la Sambre comme Jesus et Pierre marcherent sur les eaux du lac de Genesareth (Mat. 14, 22-32 et textes paralle1es). Un eveque simoniaque et parjure s'affaissa au Concile romain de 1050, en presence du pape saint Leon IX (1002-1054), comme Ananie et Saphire devant Pierre (Actes 5, I-II). Un jour, la jeune Catherine de Sienne etait occupee, comme si elle etait la plus humble servante de ses parents, a faire rotir de la viande sur des charbons ardents. Or, prise par une extase, elle finit par tomber sur Ies charbons. Mais apres il apparut que son corps ne portait aucune trace de brulures, comme jadis les trois jeunes gens etaient sortis indemnes de la fournaise (Dan. 3)· Enfin, i1 serait vraiment trop long de s'etendre sur toutes les augmentaII.
Edition E. C.
BREWER,
Londres,
18972.
Vivre la Bible tions et multiplications de nourritures, de bois sons et d'autres matieres, plus ou moins semblables a celles operees par Elie (III Rois, 17, 7- 16 : Ie miracle de la farine et de l'huile a Sarepta), par Elisee (IV Rois 4, 1-7 : l'huile de la veuve; IV Rois 4, 42-44 : multiplication des pains), et par Ie Christ (Mat. 14, 13-21 et textes paralleles : multiplication des pains et des poissons), sur les peches miraculeuses (avec souvent Ie motif de l'obeissance apres l'etonnement, d'apres Luc 5, 5 : Mat/re, nous avons peine toute la nuit sans rien prendre, mais sur ta parole je vais lacher les filets) ou sur les liberations miraculeuses de prisonniers moulees d'apres les recits analogues dans les Actes des apotres (5,17-21; 12, 3-II; 16, 23-44). Sans oublier, bien entendu, la masse incalculable des guerisons (rapportees vraiment « en serie » par les recueils de miracles) ou les maladies aux occurrences nombreuses dans la Bible, la cecite par exemple, sont proportionnellement tres bien representees. A quoi il faut ajouter les propheties et predictions - comme Ie Christ, beaucoup de saints sont censes avoir prevu l'echeance de leur mort -, ainsi que tout un merveilleux de visions, celle, par exemple, de l'echelle dont Ie sommet atteint Ie ciel (Gen. 28, 12), apparitions, songes premonitoires, voix celestes, signes surnaturels ou apocalyptiques, OU convergent l'univers biblique et l'univers medieval. Quels que soient l'eventuel noyau historique de tous ces recits, leurs variantes litteraires ou l'interpretation qu'il convient d'y donner (comme dans l'Evangile de Jean, il n'est pas impensable que tel miracle puisse avoir, du moins dans Ie chef de certains hagiographes, un sens allegorique, concevant par exemple la cecite corporelle comme un symbole de l'aveuglement spirituel), la thaumaturgie des saints renouvelle d'une maniere ou d'une autre les merveilles des temps bibliques (renovata sunt per eum antiqua miracula, dit Thomas de Celano a propos de saint Frans:ois) et constitue des 10rs, pour les chretiens du Moyen Age, la preuve tangible du prolongement de l'histoire sainte. Mais en meme temps - et Ii nous revenons a notre point de depart concernant Ie caractere implicitement biblique de l'hagiographie - elle contribue a « boucler » Ie schema implicite sous-jacent a toute biographie spirituelle. Par les miracles anterieurs et surtout posterieurs a sa mort, Dieu confirme definitivement la saintete de son elu qui a mene une vie conforme aux preceptes et aux modeles donnes. La reside aussi la signification du merveilleux et des «.signes» qui entourent souvent sa mort, comme celIe du Christ, c'est-adi~e l'entree glorieuse de son ame au paradis. Ce triomphe final, les srunts l'ont meritC, car les hagiographes leur appliquent volontiers la metaphore paulinienne de la deuxieme Epitre a Timothee 4, 7-8 (J'ai combattu jusqu'au bout Ie bon combat, j'ai acheve ma course, j' ai garde la foi. E:t maintenant, voici qu'est preparee pour moi la couronne de justice), ainsi que l'ldee evangelique de la retribution (notamment Matthieu 5, 12 : ... votre
L' hagiographie
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recompense sera grande dans les cieux ,. 19, 29 : ... il recevra Ie centuple et aura en partage la vie eternelle) assortie d'images eschatologiques comme celIe des tresors amasses dans Ie ciel (Mat. 6, 19-21; Luc 12,33-34), celIe de l'ivraie et du bon grain (Mat. 13,24-30), ou celIe des talents (Mat. 25, 14-31). Meme sans references directes, ces metaphores et ces images font implicitement partie de la phraseologie et du vocabulaire.
LA FORME BIBLIQUE DE L'HAGIOGRAPHIE ET LA FORMATION DES HAGIOGRAPHES
Le caractere implicitement biblique de l'hagiographie ne tient pas seulement, en effet, a sa conception de la vie du saint, au message, aux themes et aux idees qu'elle vehicule. Pour que les Acta sanctorum puissent actualiser l'Ecriture au niveau du contenu, leur langage doit etre sufllsamment impregne du style scripturaire, notamment en vue de l'usage liturgique ou semi-liturgique, car ({ legende » hagiographique (legenda) signifie litteralement ({ ce qui doit etre lu» (en plus et a cote de la Bible). La forme biblique se met donc au service de la matiere scripturaire, Ie lien entre les deux etant a la fois organique et fonctionnel. Or, ce style fas:onne par Ie latin biblique, ce ({ latin sacre » qui suscitait l'admiration de Goethe, apres celIe de saint Augustin, comprend mais depasse de loin les references directes et les citations explicites dont nous avons traite plus haut et que nous envisageons ici uniquement du point de vue formel. Car meme des auteurs qui font preuve de retenue en matiere de citations textuelles aiment a revetir leur recit d'une draperie biblique, c'est-a-dire de reminiscences indirectes, de paraphrases, de demicitations inserees dans Ie tissu syntaxique de la phrase, de vocables, voire de particularites grammaticales et stylistiques a resonance biblique (hebraIsmes, grecismes). Ce langage sacral a une fonction co~unic.a~ve tres nette. D'une part, i1 peut suggerer des rapprochements Implicltes au niveau du contenu en cas d'allusions subtiles mais transparentes pour un lecteur ou un auditeur bien familiarise avec la Bible latine, comme on l'a vu plus haut a propos des typologies implicites ou de la stylisation martyrologique. D'autre part et en general, i1 cree ce que l'on a appele une ({ atmosphere» ou une ({ orchestration biblique » qui confie a l'hagiographie un prestige quasi scripturaire et qui peut donner du prix a des passages apparemment insignifiants. Si l'hagiographie medievale est a ce point nourrie de la Bible, cela s'explique evidemment par la formation des auteurs, qui etaient pres9-ue tous clercs ou surtout moines. Ils etaient journellement occupes a lire, a reciter et a mediter la Bible, ce qui, au Moyen Age, se faisait en pronons:ant avec les levres. Ce« milchonnement» repete des paroles divines
L'hagiographie
Vivre la Bible a fait en sorte que les memoires etaient meublees de souvenirs scripturaires et que les reminiscences s'evoquaient presque les unes les autres, par simple association et spontanement. « Nous avons peine a saisir », ecrit Jean Leclercq,« avec quelle profondeur et quelle intensite, les mots, les faits, les images et les idees de ce livre par excellence pouvaient se graver dans les esprits »12. Certes, on ne disposait pas toujours et partout d'une Bible complete, meme pas dans les monas teres, mais l'Ecriture se transmettait aussi de maniere indirecte, vitale, grace a la lecture des Peres de l'Eglise ou de Vies de saints anterieures, de la la formation de « cliches » bibliques qui reviennent tout Ie temps, mais plus encore grace a la liturgie et a l'office qui consistent, en grande partie, en textes issus de la Bible. Ainsi, « l'eloge des justes, inspire de la Sagesse ou de l'Epitre aux Hebreux, qu'on entendait lors des fetes des saints, offrait une gal erie de portraits ou l'on reconnaissait ceux qu'on voulait louer; antiennes, repons, versets, pieces liturgiques de toute espece imprimaient dans les creurs - et d'autant plus intensement que ces textes etaient chantes avec modulation et maintes fois repetes - un arsenal d'arguments ou de comparaisons qui, prepares d'avance, n'avaient plus qu'a etre appliques au personnage dont on devait parler »13. Vne preuve de cette transmission mediate de la Bible par les lectionnaires, les sacramentaires, etc., c'est que la predilection globale de l'hagiographie, c'est du moins l'impression qu'on a, pour Ie Psautier, les EvangiIes et les Epitres apostoliques - Ie Cantique des Cantiques et l'Apocalypse, quant a eux, ne vont percer vraiment qu'aux Xne-Xln e siecles - correspond a l'usage priviIegie de ces livres dans la liturgie. Vne autre, c'est que meme apres Ie triomphe definitif de la Vulgate a l'epoque carolingienne, 1'hagiographie continue a denoter de nombreuses traces des anciennes versions Iatines, anterieures a saint Jerome mais conservees precisement par les textes liturgiques; un exemple bien connu est Ie Gloria in excelsis Deo de la messe, tire de Luc 2, 14, Ia ou la Vulgate lit Gloria in altissimis Deo. L'on est donc en droit d'affirmer que l'ambiance biblique de l'hagiographie est due a la lois a sa propre destination en partie cultuelle et aux occupations liturgiques quotidiennes des auteurs. La Bible latine est la source primordiale du latin medieval, en particuIier de celui des hagiographes. Toutefois, d'autres influences s'y melent, notamment celles du latin tardif en general et meme du latin classique, sans oublier des apports contemporains (neologismes). Mais cette imbrication-Ia depasse Ie seul facteur forme!' Elle affecte aussi Ie message.
12. ]. LECLERCQ [3], 13· LECLERCQ [3],
J.
pp. 124-125. p. 126.
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ACTUALISATION DE LA BIBLE ET MUTATIONS POSTBIBLIQUES
It \
Si l'hagiographie medievale a implicitement fait f0r:-c~on de Bible actualisee, cela suppose, en efIet, que des elements postb~bliques et ~on bibliques s'associent aux souvenirs scriptu~ai.res. Ce qill, plus est, c .est seulement a ce prix que l'hagiographie POUValt Jouer son role - essentlel, on Ie sait - dans la christianisation, meme s'11 s'agissait, dans une optique protestante, d'un chris~anism~ difo~me: N~us av:ons deja observe que l'usage explicite de l'Ecnture samte et~lt tr1but~re de, toute une exegese deja plusieurs fois seculair: et que bI,en. des fo~s ~e decalag~ par rapport au contexte original de 1 emprunt etait considerabl.e. Mals la question se pose d'une maniere plus general~. L'~n se. souviendra q.ue beaucoup de Vies de saints on~ un ~u?strat histonque ,Impor~ant, VOlre s'apparentent a 1'historiographie religieuse (songeons a la Vie du pape Gregoire VII). Or, q~elles que soient, l:~ ressem?lance.s reelles et les possibilites de stylisatlOn, Ie monde mediev~l a n~~nmoms ses propres structures. Entre lui et Ie monde de la BIble s Interpose tout~ une evolution toute une serie de mutations dans les domaines les plus divers, y compri~ l'histoire de l'Eglise elle-meme~ dont la hierarchi~, l~~ institutions, Ie culte ont connu d'importants developpements apres 1 ep.oque neo-testamentaire. Apres tout, Ie culte des saints et. d~ leurs rehques est en soi deja un phenomene essentielle~ent postb~blique. Les auteurs medievaux ne sont pas touJours conSClents de cet aspect diachronique. Cela est particulierement vrai. e.n ceo ~ui concerne 1'e,:olution de la theologie, de la morale, de la spintualite. Car, tout en etant d'origine semitique, Ie christianisme, une fois implante dans Ie monde antique, a ete, des Ie n e siecle, elabore et for~ule d~~s .le ~adre de la cosmologie et de 1'anthropologie greeo-romalnes .. C e~alt I reu:vre des Peres de l'Eglise, qui ont en meme temps lu la BIb~e a la IUm1er~ des idees ambiantes, stoicisme, neo-platonisme, et qill ont trans~s. au Moyen Age ee que l'Eglise eatholiqu~.appellera precisement la Tr~?itlon. Ces mutations n' ont pas manque d influer sur Ie co~eept ehre~en de saintete et done sur l'hagiographie, qui projette parfois sur la BIble et notamment sur l'imitation du Christ et la vie apostolique des ideaux que l'Ecriture ne« eouvre » pas entierement. L'on sait, par exemple, que Ie Nouveau Testament oppose, d'une part, Ie « siecle prese~t » a~ « ~on~e a venir » - dualisme temporel- et, d'autte.part, la« e~a1r », ,e e~t-a-dire tout l'homme infume et pecheur, a l' « espnt » - dualisme ethiqu~. Le elimat eschatologique dans lequel vivaient Jesus et plus tard les apotres (saint Paul y eompris) les a amenes a relativiser Ie mond~ actue1 et les valeurs terrestres immediates (richesses, honneurs, manage, etc.). Le
Vivre la Bible renoncement evangelique etait donc fonction de I'avenement tout proche du Royaume ou de Ia Parousie. Mais Ie retard prolonge de celle-ci et l'influence de courants philosophiques et spirituels de l'Antiquite tardive ont transforme Ie dualisme temporel et ethique en un dualisme ontoIogique ayant pour corollaire Ia depreciation de Ia matiere et surtout du corps, erronement confondu avec Ia notion paulinienne de chair. C'est Ia Ie point de depart du« mepris du monde» qui a si profondement marque Ie christianisme medieval et son ideal de saintete. Mais « Ie monde qu'il faut mepriser n'est nullement Ie 'monde' au sens johannique ou paulinien; ce n'est pas Ie vice et I'impiete multiformes, incames dans Ies hommes; c'est l'ensemble des realites terrestres et des creations profanes »14. II en resulte, dans I'hagiographie, une « ascetisation » excessive de I'ideal de I'imitation du Christ et des apotres et un eloge demesure de Ia virginite et de Ia continence dont on ne voit plus Ie « signifiant» eschatologique, avec Ie theme frequent du refus du« peche » que constitue Ie mariage, bien qu'il y ait eu, au Moyen Age, des saints maries. Sans remonter aux exploits de fakir des saints stylites de l'Antiquite finis sante, nous voyons, au VIle siecle, saint Ouen, eveque de Rouen, se livrer a des austerites telles que son corps finissait par s'affaiblir et s'emacier. Son pale visage portait I'empreinte visible d'un traitement tres rude qui ne consistait pas seulement a ne jamais manger a sa faim ou a sa soif et a porter sous ses beaux vetements Ie traditionnel cilice « plus d'une fois empourpre par Ie sang de sa chair meurtrie », mais meme a porter des chaines et des anneaux de fer au cou, aux reins et aux bras. Dans sa Vita, une reminiscence implicite de Matthieu 7, 13-14 identifie Ia pratique de ces mortifications a « Ia porte etroite » et au « chemin resserre qui mene a Ia Vie », mais Ie moins qu'on puisse dire est qu'il s'agit Ia d'une projection postbiblique dangereuse. Ailleurs, comme dans Ia Vie de saint Colomban de Jonas de Bobbio, Ia hantise de Ia chastete, toujours menacee par Ies « tentations » du diable, va de pair avec une veritable misogynie, tandis que chez Catherine de Sienne, parmi d'autres, Ie melange de I'amour de l' « Epoux celeste », de Ia maceration du corps et de phenomenes d'extase donne une coloration toute speciale a sa saintete au demeurant tres evangelique. II faut respecter toutes ces formes de la spiritualite medievale qui etait marquee par une vive conscience du caractere passager de Ia vie terrestre, par une vive conscience aussi du peche et donc de Ia necessite de Ia penitence. II faut savoir, en outre, que Ie Moyen Age chretien a plus d'une fois reussi a integrer Ie facteur ascetique dans des ensembles equilibres plus ou moins proches de I'Evangile; que l' on songe a Ia RegIe de saint Benoit et plus tard a celIe de saint Frans:ois. Mais nous 14. R. p. 363.
BULTOT,
« Le mepris du monde chez saint Colomban », dans RSR, JJ (19 61 ),
L'hagiographie
connaissons aujourd'hui beaucoup mieux que Ies medievaux eux-memes certains cheminements historiques et donc certaines deformations de la spiritualite, meme si telle phrase de l'Evangile ou de saint Paul, surtout quand elle etait tiree de son contexte global, pouvait paraitre fonder tel aspect extreme du mepris du monde ou du corps, un aspect extreme relevant peut-etre davantage de Ia nevrose que d'une saine imitation de Jesus-Christ. Observons, par ailleurs, qu'en depit de I'ethique personnelle du mepris du monde et de I'ascese, I'Eglise institutionnelle de l' Antiquite postconstantinienne et du Moyen Age s'est, en revanche, pleinement integree dans Ies structures politiques et sociales de ce monde d'ici-bas. L'hagiographie s'en ressent et i1 s'ensuit des contradictions. Car aux privations individuelles s'oppose l'enrichissement collectif des eglises et des abbayes, a I'humilite et aux humiliations s'oppose Ia mention explicite de l'origine noble de la plupart des saints, celle-ci apparaissant meme comme un prealable a la saintete, ce qui est contraire au Nouveau Testament (I Cor. 1, 26-29)' Ce dernier proclame bienheureux les « artisans de paix» (Mat. 5,9), et beaucoup de saints l'etaient sans aucun doute, mais, des Ie VIle siecle, la « force guerriere » se glisse dans certains catalogues de vertus (voir aussi plus haut : la justification explicite de la guerre) notamment dans la Vie de saint Arnoul de Metz (t vers 640). Mais si cette mentalite s'ecarte du Nouveau Testament, elle a, par contre, suffisamment d'affinites avec l'Ancien (histoire militaire d'Israel, protegee par Yahve), comme d'ailleurs toute cette interpenetration du temporel et du spirituel que les historiens allemands, tels Karl Bosl, Friedrich Prinz, ont appelee la religiosite politique, si bien exprimee par Ie biographe de saint Eloi (vers 588-660), l'eveque de NoyonTournai qui « trouva grace aux yeux du Seigneur et aux yeux des rois francs» (Vie du milieu du vm e siecle). C'est dire que, si l'hagiographie est branchee sur la Bible, elle l'est de maniere complexe et 4Jnamique. C'est ce que montre egalement l'element miraculeux et merveilleux. Nous en connaissons deja la base et la stylisation bibliques, mais la Bible elle-meme participe d'une certaine maniere a un « discours hagiographique » plus vaste, qui a des paralleles dans la Iitterature antique (Vies spirituelles d' « hommes divins» ou theioi andres) et qui vehicule des themes et motifs de la legende universelle. Certes, les miracles relevant de l'atmosphere mythico-magique et de l'aretalogie populaire sont relativement rares dans l'Ecriture : par exemple l' anesse parlante de Nombres 22, 28, ou les guerisons attribuees aux mouchoirs et aux linges de l'apotre Paul dans Actes 19, 12. La thaumaturgie y est globalement theocentrique et mise au service de la charite (Actes 10,38). Mais Ies evangiles et actes apocryphes et, dans leur sillage, les Passions des martyrs dites « epiques » ou « romanesques » ont rapidement amplifie P. RICHE, G. LOBRICIION
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Vivre la Bible
Ie discours merveilleux par des miracles spectaculaires et « gratuits ». Ces textes on Ie sait, n'ont pas manque de susciter la mefiance des autorites ;cclesiastiques. Or, si bien des hagiographes medievaux se contentent, en cette matiere, de varier sur des themes bibliques, une double observation s'impose neanmoins. La premiere concerne Ie role. tres accru des r.eliques. A ~e pro~os, les corrections theocentriques frutes par les haglOgraphes n o~t surement pas pu lever toutes les ambiguites. L'on mesure Ie chenunement postbiblique a cet egard quand on apprend, dans la ~ie. de sainte Rttsticule qu'une religieuse fut guerie du « demon de rrudi » en buvant de l'~au a laquelle etaient meles,.des ~eveux ,~alci~es. de l'abbesse ... La seconde remarque porte sur lmtruslOn de llmagmalte et du fabuleux surtout dans ce que 1'00 pourrait appeler des « romans d'aventure hagiographiques ». Parmi ceux-ci, l'on en connait qui par:ussent ~n~entes pour offrir l'occasion d'illustrer des parol~s ou. des .themes blbli9ues, comme la Vie (tres tardive) de Cadoc, un srunt bntanmque du VIe sl~ele. Mais d'autres n'ont fait que christianiser des fables ou des contes anClens. lci, l'on pense evidemment a la fameuse histoire ~es deux heros Barlaam et Josaphat (version latine du Xle ou ~u XII~ sleele) dont .le sec~nd est en fait un avatar du... Bouddha, ou a la legende de srunt Julien l'Hospitali~r, probablement un personnage mythique, qui ~aves~t en partie Ie theme d' CEdipe, utilise egalement jusque dans certalnS Mtrac!es medievaux de Notre-Dame. Sans oublier les nombreux themes et reclts passe-partout dont les Bol~andistes 0r:t sui;! l~ ~a~on et les avatars litteraires : la cephalophone ou Ie srunt decaplte qw porte sa propre tete la familiarite avec les animaux sauvages, Ie pendu dependu, l'enfant vol~ par Ie diable, Ie cheval dompte par une ;ierge, Ie nouveau-ne qui denonce son pere, la mer ou Ie fleuve traverses sur un manteau, e~c. Des reminiscences bibliques peuvent s'y amalgamer avec Ie mervetlleux extra-biblique, tandis que Ie style narratif typiquement evangelique peut donner un cachet scripturaire a t?ut Ie r~cit, si « apocryphe » qu'il soit. On saurait difficilement surestlmer l'1ffiporta..n~~ d~ cette fonction fabulatrice de l'hagiographie. Comme toute clV1lisation, Ie Moyen Age chretien en avait un besoin atavique. La Bible a elle seule ne pouvait pas satisfaire ce besoin.
L'HAGIOGRAPHIE EN LANGUE VULGAlRE
L'expose qui precede etait base sur l'hagiograPJ:ie l~tine. Les re~its rediges dans les differentes langues nationales attelgnruent plus facilement, parce que plus directement, un public i~~ttre, ~~s .us n,e fon~ que transposer des modCles latins, les transpoSltiOnS litteralres etant a
L'hagiographie
distinguer des traductions pures et simples ou des abreges destines a la predication. II sera pourtant interessant d'effectuer un bref sondage sur la question des rapports avec la Bible. Nous Ie baserons sur deux textes tres populaires de la litterature franc;aise medievale, la Vie de saint Alexis (poeme anonyme, Xle siecle) et la Vie de saint Thomas Becket, ecrite en II72-II74 par Guernes de Pont-Sainte-Maxence. La legende de saint Alexis est bien connue. Le poeme roman traduit une version latine, mais il existait auparavant des versions syriaques et grecques. En voici Ie resume. Alexis est Ie jeune fils du « comte » romain Euphemien. Apres lui avoir donne la meilleure education, ses parents Ie marient a une noble jeune fille, mais Ie soir meme du mariage il s'enfuit, persuade de la vanite du monde, laissant tous ses proches dans la plus grande affliction. De retour a Rome au bout de dix-sept ans, il n'est reconnu de personne et passe dix-sept autres annees dans la maison de ses propres parents, loge sous l'escalier OU il mene une vie sainte et austere. Avant de mouri!, il ecrit Ie recit de son existence. Apres son deces, on lit Ie texte qui revCle la verite. Cette legende, traduite en franc;ais moderne par J.-M. Meunier15, appartient aces cyeles de narrations centrees sur un theme moral, en l'occurrence celui de l'exaltation de la virginite et Ie refus du mariage, meme si celui-ci est deja contracte avec ici Ie depart de l'epoux Ie soir meme des noces. Cela nous rappelle donc les mutations postbibliques deja evoquees : devalorisation de la vie terrestre, l'acte conjugal considere comme mauvais, mortification permanente du corps. Mais Ie recit depeint parallClement, en la personne d' Alexis, un certain nombre de comportements evangeliques tres prononces. Le saint se met constamment au service de Dieu « qu'il aime plus que son lignage » (relativisation des liens familiaux). La sainte Ecriture etait son « conseiller ». II renonce a tous ses biens : « II donne aux pauvres, OU qu'il put les trouver; par nul avoir il ne veut etre encombre »; il renonce a tous les honneurs; de retour a Rome, i1 craint qu'il ne soit reconnu par ses parents et « qu'ils ne l'encombrent de l'honneur du siecle ». II vit lui-meme dans Ie plus grand denuement : Quand il leur a tout partage son avoir, seigneur Alexis s'assit parmi les pauvres, il res:ut l'aumone, quand Dieu la lui transmit: il en retient seulement de quoi i1 peut soigner son corps, s'illui en reste, alors ille rend a de plus pauvres. (strophe 20).
II se rejouissait particulierement de recevoir des aumones des serviteurs de son pere qui devaient Ie chercher mais qui ne Ie reconnais15. J.-M. MEUNIER, La Vie de saint Alexis, poeme frano;ais du XI" siecle. Texte du manuscrit de Hildesheim. Traduction litterale, etude grammaticale, glossaire, Paris, 1933.
L'hagiographie
Vivre la Bible
saient pas : « 11 fut leur seigneur, main tenant il est leur provendier. » Plus tard, sous l'escalier de sa maison parentale, il a l'occasion de s'humilier soi-meme comme Ie Christ: Sous l'escalier OU il git et demeure, 13. il mene joyeusement sa pauvrete. . Les serviteurs de son pere qui servent la matson lui jettent leurs lavure~ ~ur la tet~ il ne s'en courrouce, ill 11 ne les tnterpelle pour cela. Tous Ie raillent, et Ie tiennent pour fou : ils lui jettent l'eau, ils mouillent ainsi son petit lit; ce tres saint homme ne s'en courrouce nullement, mais il prie Dieu qu'll Ie leur pardonne par sa misericorde, car ils ne savent ce qu'ils font (Lc 2.3, 36). (strophes 53 et 54)·
Alexis est donc l'homme de Dieu qui « a bien et a gre servi Dieu » et qui est digne d'entrer au paradis. A sa mort, en effet, son arne va tout droit au ciel. Sa femme lui etait toujours res tee fide1e et elle restera veuve et ne servira que Dieu (I Cor. 7,8). Et pendant la translation de son corps, Dieu Ie glorifie par des miracles (qui rappellent Mat. 4, 2.4; II, 5; Actes 8,7) : Sourd, ni aveugle, ni ratatine, ni lepreux, ni muet ni borgne, ni nul paralytique, et surtout ni nullangoureux, il n'y a personne d'entre eux qui s'en aille maladif . il n'y en a pas qui en reporte sa douleur (= tous sont guerls). (strophe II I).
La Vie de saint Alexis est une legende. Par contre, celIe de Thomas Becket, dont nous avons deja parle, est largement« historique ». Pour composer son poeme roman, Guernes a consulte plusieurs biographies latines. II retrace longuement (6 180 vers) la vie et la carriere mouvementee de son heros : sa naissance en 1117 ou 1118, son enfance et sa premiere jeunesse; les fonctions qu'il a exercees (archidiacre et prevet, chancelier du roi Henri II qui a en lui une confiance illimitee, enfin archeveque de Cantorbery en 1162.); son devouement total au service de Dieu et de l'Eglise et son conflit de plus en plus aigu avec la royaute; son depart clandestin en France, OU il rencontre Ie roi Louis VII; les evenements qui, entre-temps, se passent en Angleterre avec no~ent Ie sacre « illegal » du roi par l'archeveque de York; les tentatlves de reconciliation de la part du roi de France, suivies du retour de Thomas en Angleterre; la reprise du conflit et finalement Ie meurtre sacrilege dans la cathedrale de Cantorbery Ie 2.9 decembre 1170, et 1a penitence subie par Henri II quatre ans plus tard. Sur cette texture evenementielle se greffent les elements du bios
hagiographique : les songes qu'avait eus sa mere avant sa naissance et qui annonc;aient l'election du futur martyr; son amour de Dieu (<< plus il aimait Dieu, moins i1 etait aime du roi »), ses vertus, ses bonnes reuvres, ses mortifications, ses visions, les guerisons qu'il operait a Pontigny en France; puis, a la fin, la stylisation « christologique » de son martyre, qui est suivi d'une serie de miracles tres neo-testamentaires (des muets parlent, des sourds entendent, des morts ressuscitent, etc.) par lesquels Dieu confirme la saintete de Thomas. Enfin, i1 est interessant de noter qu'au cours de sa longue narration, Guernes rappelle, a la maniere de la typologie, des figures et des exemples bibliques. Ce faisant, i1 inscrit explicitement l'histoire de Thomas Becket et de son temps dans la continuite de l'histoire sainte. Ainsi, dans son preambule, il parle deja du prophete Elie et du miracle de la pluie, et i1 evoque d'une maniere generale une serie de personnages « nes de basse gent » mais devenus grands grace a l'election divine et a leur propre conduite, les rois Saw et surtout David, les apotres Pierre et Andre. C'est la en meme temps une tirade contre les rois, comtes et dues de haut lignage, mais qui ne servent pas Dieu, en fait, les ennemis de Thomas. Force de quitter son pays, Ie saint archeveque lui-meme est reconforte notamment par les exemples d'Abraham, de Joseph et de l'enfant Jesus fuyant Ie roi Herode. L'on enregistre done, dans l'hagiographie vernaculaire, les memes procedes explicites et surtout implicites que dans l'hagiographie latine, y compris les mutations postbibliques. La question du style scripturaire ne se pose evidemment pas de la meme fac;on qu'en latin, d'autant plus que Ie langage et la versification rapprochent les Vies de saints plutot de l' « atmosphere » des Chansons de geste. L'hagiographie devient ici une epopee, mais une epopee chretienne et biblique.
CoNCLUSION
L'enquete que nous terminous, a - on Ie sait deja - forcement globalise son objet a l'aide de quelques exemples grappilles dans une masse infinie de textes hagiographiques s'echelonnant sur cet espace si vaste et ce temps pluriseculaire que nous appelons l'Occident medieval. 11 reste tant d'etudes a effectuer, tant de textes a defricher et a editer convenablement que Ie vreu de Gustavo Vinay portant sur Ie « dynamisme historique des rapports entre Bible et hagiographie » tardera encore longtemps a etre exauce. Notre conclusion se limitera done, mais egalement de maruere globale, :l preciser notre point de depart. Nous avons cons tate une convergence constante et intrinseque entre l'Ecriture et les Vitae sanctorum. Cette convergence, par laquelle l'hagio-
Vivre la Bible graphie commente la Bible et la Bible commente 1'hagiographie, est en meme temps tres souple car il s'agit de la relation entre deux ensembles riches et varies. Elle est egalement favorisee par Ie fait que Ie monde de la Bible et Ie monde medieval partagent un univers menta/largement commun, a savoir Ie Weltbild prescientifique, notamment en matiere de thaumaturgie et de merveilleux. Pourtant, sur Ie plan des principes, l'Eglise a toujours etabli une distinction tres nette entre ecrits canoniques et non canoniques. Elle craignait les risques de la fiction incontrolee. Mais de facto, l'hagiographie representait beaucoup plus qu'un pieux complement a l'Ecriture, un « dessert » divertissant, proposant ce qu'il est loisible de penser et de faire16• Une communaute medievale locale s'edifiait, au double sens du mot, autour de son saint patron et protecteur, tellement plus proche d'elle que Dieu : selon Ie vers 539 de la Vie de saint Alexis, Ie peuple de Rome croyait « tenir Dieu meme » grace a sa possession du corps du saint. Cette communaute etait generalement plus avide de connaitre la vie et les gestes de celui-ci que celles racontees dans la Bible. D'une certaine maniere et ojJicieusement, la Vie de saint medievale se substituait a la Bible, ce qui lui valait d'emblee une grande valeur catechetique. Dans la mesure ou cette substitution n'etait pas officiellement reconnue, on pourrait pader, avec G. Vinay, d' antagoniste de la Bible. Certes, la diversite et la selectivite de l'hagiographie faisaient en sorte que chaque Vie de saint, si elle etait une Bible locale, etait alors une Bible incomplete. Mais precisement, ce que les fideles incultes du Moyen Age savaient directement de l'Ecriture canonique ne representait pas grandchose non plus. Les clercs et les lettres la connaissaient evidemment beaucoup mieux, du moins en theorie, et pour eux l'hagiographie offrait une illustration des le<;ons prises dans la Bible. Eux seuls etaient capables de discerner les citations et les allusions scripturaires dans les textes latins. Cependant, la masse des chretiens devant lesquels on prechait, lisait ou racontait dans leur langue la vie et les actes de leur saint local ou de celui qu'ils venaient implorer dans un lieu de pelerinage, pouvait percevoir dans l'hagiographie, avant tout implicitement et done sans Ie savoir, au moins une parcelle du message de l'Ecriture sainte : Dieu continue de s'occuper de 1'homme et de Ie combler de bienfaits (miracles). Dans ce but, il se sert, comme autrefois, de serviteurs que sa grace a elus et qui font sa volonte en imitant, d'une maniere ou d'une autre et fUt-ce partiellement, les grands modeles de jadis, a commencer par Ie Christ. I1s donnent l'exemple d'une vie chretienne entierement reussie ou ce qui etait alors considere comme telle, c'est-a-dire debouchant sur 16. M. de CERTEAU, « Vne variante : l'edification hagiographique », dans L'ecriture de l'histoire, Paris, 1975, pp. 278-279'
L'hagiographie
Ie salut eternel dans la vraie patrie de l'homme qu'est Ie ciel (Epitre aux Hebreux II, 14). Peu .importe que l'hagiographie idealise parfois des personnages sur la Salntete desquels on est en droit de poser des questions, et qu'elle peut subsidiairement servir des interets particuliers. Peu importe si c'est l'historique ou Ie legendaire qui prevaut, ou 1'influence de Vies plus anciennes qui avaient deja actualise la Bible et parmi lesquelles celle de saint Martin par Sulpice Severe a ete tres « autorisee ». Peu importe egalement que seule une elite pouvait vraiment realiser l'ideal de saintete du Moyen Age, car l'hagiographie ne manquait pas de presenter et d'illustrer aussi des vertus generales susceptibles d' etre pratiquees par tous les chretiens. L'essentiel, par contre, c'est que l'hagiographie montrait a sa maniere et a travers des personnages admires et veneres par ~e peuple (ce qui existe dans toutes les civilisations), l'experience tanglblement renouvelee et actualisee de l'histoire chretienne du salut consignee dans la Bible. Son grand avantage residait dans la possibilite d'assimiler ala fois l'Ecriture et l' « apres-Ecriture », y compris Ie contemporain. « Y compris les croyances traditionnelles, les superstitions, et tout un folklore religieux », diront ceux qui se demandent « pourquoi Ie christianisme medieval n'a pas, a si mal christianise 1'Occident »17. En effet, la version medievale du christianisme n'a qu'une valeur relative, tres relative meme. Mais une symbiose et une acculturation pareilles a celles realisees par 1'hagiographie medievale ne constituent-elles pas de nos jours, et mutatis mutandis, l'ambition legitime de la theologie chretienne africaine ou asiatique, pour ne donner que ces deux exemples-li ? Marc VAN UYTFANGHE.
17· J. LE GOFF, « Le c~!stianisme medieval en Occident du Concile de Nicee (325) a la Reforme (debut du xvr e slecle) », dans: H.-Ch. PUECH, Histoire des religions, t. IT, Paris, 1972, p. 85 6.
Liste des principaux textes hagiographiques utilises, dans l' ordre alphabCtique des saints ABREVIATIONS :
A. : Auteur anonyme
SC : Sources Chretiennes SRM : Scriptores Rerum Merovingicarum
Alexis
Amand Arnoul de Metz Balthilde, reine des Francs Bardon de Mayence Benoit de Nursie Bonnet de Clermont Cadoc Catherine de Sienne Charles Ie Bon
Colomban Eloi de Noyon-Tournai Fran!1ois d' Assise Geraud d' Aurillac Girart de Roussillon Gregoire VII Gregoire d'Utrecht Jean de Reome Leger d' Autun Louis IX, roi de France
A., ed. et trad. J.-M. MEUNffiR, Paris, 1933. A., ed. B. KRUSCH, MGH, SRM, t, 1910, pp. 428-449. A., ed. B. KRUSCH, MGH, SRM, 2, 1888, pp. 432-446. A., ed. B. KRUSCH, MGH, SRM, 2, 1888, pp. 482-508. A., AS Junii, II, pp. 301-319. Gregoire Ie Grand, Dialogues, II, ed. et trad. A. de VOGUE, SC, 260, Paris, 1979. A., ed. B. KRUSCH, MGH, SRM, 6, 1913, pp. II9- I 39' A., ed. W. J. REES, Lives of the Cambro British Saints, Llandovery, 1853. Raymond de Capoue, AS Aprilis, III, pp. 852-959' Galbett de Bruges, ed. H. PIRENNE, Histoire du. meurtre de Charles Ie Bon, Comte de Flandre, Paris, 1891; Gautier de Therouanne, 00. R. KOPKE, MGH, Scriptores, I2, 1856, pp. 537-5 6 1. Jonas de Bobbio, ed. B. KRUSCH, MGH, SRM, 4, 19 02 , pp. 61- 1 52. A., ed. B. KRUSCH, MGH, SRM, 4, 1902, pp. 663-741. Thomas de Celano, ed. P. M. BIHL, Analecta Franciscana, IO, fasc. 1, Quaracchi, 1926. Odon de Cluny, PL, IJJ, col. 639-7 0 4. A., 00. P. MEYER, Romania, 7, 1878, pp. 178-224. Paul de Bernried, PL, I48, col. 39-104. Liudger, PL, 99, col. 752-770. Jonas de Bobbio, ed. B. KRUSCH, MGH, SRM, 3, 18 9 6, pp. 50 5-517' A. (Vita prima), ed. B. KRUSCH, MGH, SRM, t, 1910, pp. 282-322; A. (Vie fran!1aise), ed. J. LINSKILL, Paris, 1937· Geoffroy de Beaulieu, ed. P. c. F. DAUNU et J. NAUDET,
Recueil des Historiens des Gaules et de la France, 20, 1840, Martin de Tours Ouen de Rouen Radegonde, reine des Francs Rusticule d'Arles Severin du Norique Sulpice de Bourges Thomas Becket Vaast d' Arras Wandrille de Fontenelle Wilfrid d'York
pp. 3- 2 7. Sulpice Severe, ed. J. FONTAINE, SC, IJJ, Paris, 19 67. A., ed. W. LEVISON, MGH, SRM, t, 1910, pp. 553-5 67. Baudonivie, ed. B. KRUSCH, MGH, SRM, 2, 1888, pp. 377395· A., ed. B. KRUSCH, MGH, SRM, 4, 1902, pp. 339-351. Eugippe, ed. R. NOLL, Schriften und Quellen der Alten Welt, II, Berlin, 1963. A. (Miracle), ed. B. de GAIFFffiR, AB, 99, 1981, pp. 253- 257. Guillaume de Cantorbery, PL, I90, col. 233-252; Jean de Salisbury, ibid., col. 195-208; Guernes de Pont-SainteMaxence (Vie fran!1aise), ed. E. WALBERG, Paris, 193 6 . Jonas de Bobbio, ed. B. KRUSCH, MGH, SRM, 3, 18 96, pp. 4°6-4 13. A., ed. B. KRUSCH, MGH, SRM, t, 1910, pp. 1-24; traduction fran!1aise utilisee : J. LAPORTE, Fontenelle, 19 68 . Eddius Stephanus, ed. B. COLGRAVE, Cambridge, 1927.
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La predication en langues vernaculaires
Des que les jeWles langues romanes se furent suffisamment differenciees du latin dont elles derivaient pour que celui-ci ne fut plus comprehensible sans apprentissage, c'est-a-dire probablement des Ie VIlle siecle, precher en langue vulgaire devint pour l'Eglise une necessite pastorale evidente. Cette predication, seule forme, ou peu s'en faut, de la catechese des lalcs, etait en meme temps pour eux Wle voie d'acces a la Bible, puisque les sermons au peuple sont Ie plus souvent des sermons du temps et des saints, fondes sur la paraphrase et Ie commentaire des lectures du jour. Elle etait meme la seule voie d'acces qui leur fut ouverte, puisque les traductions de l'Ecriture sainte dans les langues vernaculaires romanes apparaitront assez tardivement, connaitront longtemps une extension limitee et une diffusion prudente, et seront, bien entendu, reservees a ceux qui savent lire. En outre, elle pouvait servir au developpement des langues nouvelles dont elle faisait son vehicule, puiser dans les ressources de leur litterature naissante ou au contraire l'infiuencer, faire preuve de qualites d'imagination et d'adaptation pour transmettre a des lalcs, dans la langue de la culture profane et, sinon populaire, du moins non officielle, un enseignement confine sans elle dans Ie monde clerical et latin. Pour toutes ces raisons, la predication en langue vernaculaire parait un element essentiel de la culture et de la spiritualite medievales. Pourtant, les traces qui nous en sont parvenues sont a bien des egards decevantes. Elles Ie sont tout d'abord par leur caractere tenu. Si les sermons latins, pour la periode comprise entre 950, date approxi-
Vivre la Bible mative du premier sermon franc;ais, et la fin du XIIIe siecle se comptent par milliers, il nous reste, pour la meme periode, moins de mille sermons en langue romane. II n'est en reaIite guere etonnant que les homeIies dominicales des humbles desservants de paroisses n'aient pas ete conservees. Quant aux sermons des grands personnages, ils etaient traduits et transcrits en latin, meme quand ils avaient ete prononces en langue vulgaire, comme en temoignent expIidtement les manuscrits et comme Ie montrent les sermons macaroniques, a commencer par les sermons universitaires parisiens. Ce n'est qu'a partir du XIVe et surtout du xye siecle que les grands noms de la chaire ne dedaigneront pas de voir leurs ceuvres oratoires pubIiees en franc;ais. Mais si, a l'epoque precedente, la regIe est la conservation des sermons en latin, Ie paradoxe n'est pas des lors que les sermons en langue vernaculaire nous soient parvenus en si petit nombre. II est au contraire que quelques-uns d'entre eux nous soient parvenus. II faut donc se demander pourquoi et dans quelles conditions la langue vulgaire a ete jugee digne d'assurer la conservation ecrite de quelques sermons, et pourquoi de ceux-Ia et non pas de tous les autres. Quels etaient ces clercs qui ecrivaient en langue vulgaire et quels etaient ces lecteurs, ces lettres, interesses aux textes clericaux, mais qui les lisaient dans la langue du peuple? Quelle est la specifidre de nature et de destination des sermons conserves en langue vulgaire? Comment ont-iIs ete elabores et transmis ? Ces questions posent celles, plus generales, de la promotion de la langue vulgaire et de la diffusion, de la vulgarisation tres predsement, de la culture clericale. Mais les reponses qui y seront apportees feront apparaitre que la nature meme des sermons en langue vulgaire conserves par ecrit leur cOrrIere, au moins jusqu'au XIVe siecle, une pauvrete et une secheresse plus decevantes encore que leur petit nombre. A de rares exceptions pres, on y chercherait en vain un reflet preds ou pittoresque de la vie spirituelle et de la vie tout court du peuple chretien. Toutes ces remarques valent essentiellement pour la predication dans les pays romans. Dans les pays germaniques, en effet, elle a benefide de l'essor plus precoce des langues vernaculaires, qui, n'etant pas filles du latin, ont ete plus tot ecrites et cultivees pour elles-memes. Aussi bien, la distance meme qui separe ces langues du latin a impose plus tot que dans la Romania de traduire les textes sacres et edifiants a l'usage des fideles. Pour les pays anglo-saxons, par exemple, l'activite dans ce domaine de Bede Ie Venerable des la fin du VIle et Ie debut du vm e siecle est significative.
La predication en langues vernaculaires
LES CANONS CONCILIAIRES DU
rxe
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SIECLE ET LEURS INCITATIONS
A LA PREDICATION EN LANGUE VULGAIRE
On sait que dans l'EgIise primitive la predication est un privilege episcopal, l'eveque, successeur des apotres, etant seul heritier du pouvoir de precher que Ie Christ leur avait confere. Tres tot, cependant, les eveques deleguent ce pouvoir a de simples pretres. Des lors, la predication se popularise, dans tous les sens du terme. Pratiquee, non plus par un seul, mais par beaucoup, elle devient plus abondante et plus frequente. Confiee parfois a des esprits aux capacites et a la culture Iimitees, elle se simpIifie. Pratiquee par des desservants en contact etroit et permanent avec la masse des fideIes, elle devient profondement une predication au peuple. Or, l'element Iinguistique joue des l'origine un role essentiel dans cette evolution. Si saint Augustin, premier pretre d'Ocddent a avoir, d'apres la tradition, benefide d'une telle delegation, fut autorise a precher a la place de son eveque, celui d'Hippone, c'est que celui-d, etranger, savait mal la langue du pays. Toutefois, Ie prt!tre investi du pouvoir de precher ne prononc;ait generalement pas des sermons de son cru, mais recitait ou adaptait les homeIies des premiers peres ou celles de son eveque. Ainsi, en meme temps que ces homeIies servaient a l'edification des fideles, leurs recueils aidaient Ie clerge dans sa predication, double fonction que l'on retrouvera dans les homeIiaires romans, et certains d'entre eux ont constitue a ce titre Ie fonds commun de la predication durant tout Ie Moyen Age. II n'est pas surprenant, des lors, qu'au moment de l'essor caroIingien les conciles successifs aient affirme d'un meme mouvement, et souvent dans les memes canons, la necessite de connaitre les homeIies des peres, celIe de la predication episcopale, celie de la predication presbyterale, celle enfin de la predication en langue vulgaire. En 813, Ie IIIe CondIe de Tours affirme dans son quatrieme canon la necessite de la predication episcopale, sans parler de delegation aux pretres : « Que chaque eveque s'appIique avec soin a enseigner par la predication sacree au troupeau qui lui est confie ce qu'il doit faire et ce qu'il doit eviter. » Mais la meme annee, Ie CondIe de Mayence, dans son canon 25, stipule que, si l'eveque est empeche de precher, il doit se trouver un remplac;ant : « Pour Ie ministere de la predication, si l'eveque est absent, s'il est malade ou s'il est empeche par quelque autre raison imperative, qu'i1 ne manque cependant jamais d'y avoir quelqu'un pour precher la parole de Dieu les dimanches et les jours de fete. » Quelques annees plus tard, en 85 5, Ie CondIe de Valence considere ces delegations comme allant de soi et ne les mentionne qu'en passant, lorsqu'il insiste une fois -de plus sur Ie caractere indispensable
La predication en langues vernaculaires
Vivre la Bible de la predication au peuple : « Que chacun de nous, soit en personne soit par l'intermediaire d'un ou de plusieurs ministres de l'Eglise instruits et orthodoxes, porte au peuple la parole de la predication aussi bien dans la ville qu'au-dehors, de telle sorte que les admonitions et les exhortations salutaires ne puissent en aucun cas lui faire defaut : car, la ou la parole de Dieu n'est pas administree aux fideIes, quoi d'autre leur est enleve sinon la vie de l' ame ? » Enfin, au terme de cette evolution, en 1032, Ie second CondIe de Limoges presente la predication presbyterale, non comme une possibilite, mais comme un devoir, et les peres conciliaires se desolent que les vocations de predicateurs soient si rares. « Tous les pretres responsables d'une paroisse doivent exhorter Ie peuple par la predication tous les dimanches et les jours de fete. » Et ils invitent les eveques a investir de la mission de precher tout clerc et tout moine qui en est capable, a condition que son grade soit au moins celui de lecteur. Les memes condles exhortent les predicateurs, eveques ou pretres, a posseder ou a connaitre par cceur des recueils d'homelies, particulierement celles de Gregoire Ie Grand, afin de pouvoir les redter ou les utiliser dans leur propre predication. C'est ainsi que Ie lIIe CondIe de Tours invite les eveques a la fois a connaitre les enseignements pastoraux de Gregoire Ie Grand (canon 3) et a posseder« des homelies contenant les exhortations necessaires a l'instruction de leurs administres, touch ant la foi catholique, dans la mesure de leurs capadtes de comprehension, la recompense perpetuelle des bons et la damnation eternelle des mechants » (canon 17)' En 852, Bincmar de Reims, dans ses Capitula presf?yteri, recommande de fa<;on analogue aux pretres de son diocese, d'une part, de lire les homilies de Gregoire Ie Grand, sans doute en vue de leur propre predication, d'autre part de mediter, en l'appliquant a eux-memes, Ie sermon du grand pontife sur les soixantedouze disdples envoyes en mission par Ie Christ. Enfin, ces condles invitent a precher en langue vulgaire. Si ce point capital n'est pas apparu jusqu'ici, c'est qu'on a tronque certains des canons cites plus haut. En les lisant jusqu'au bout, on cons tate qu'ils se preoccupent a la fois, et dans un meme mouvement, des delegations episcopales ou de la connaissance des homelies des Peres, et de la predication au peuple dans sa langue. Le canon 25 du CondIe de Mayence de 813, en meme temps qu'il invite l'eveque empeche de precher a designer un rempla<;ant, precise que celui-d devra precher de fa<;on a etre compris du peuple, c'est-a-dire simplement, mais aussi, bien sUr, en langue vulgaire : « ... qu'il ne manque cependant jamais d'y avoir quelqu'un pour precher la parole de Dieu les dimanches et les jours de fete conformement a ce que Ie peuple peut comprendre. » Le canon 17 du lIIe CondIe de Tours est encore plus clair. Apres avoir, dans la phrase dtee plus haut, invite les eveques a posseder des recueils
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d'homelies, il leur demande de les traduire en fran<;ais ou en allemand pour les precher : « Que chacun s'applique a traduire ces homelies en langue populaire romane ou allemande (in rusticam romanam linguam aut theotiscam j, afin que tous puissent comprendre plus fadlement ce qui est dit »1. Predication du bas clerge, predication aux simples dans leur langue, utilisation des sources patristiques, ces trois aspects indissolublement lies donnent la definition et la de de toute la predication romane. Le recours a la langue vulgaire et sa portee ne prennent leur sens, on Ie verra, qu'en fonction des deux autres elements.
LES DEBUTS DE LA LITTERATURE SPIRITUELLE ET LES PREMIERS MONUMENTS DE LA PREDICATION EN LANGUE VULGAIRE
En meme temps que l'Eglise, par la voix des conciles, invitait a la predication au peuple dans sa langue par des exhortations dont on verra bient6t l'effet, apparaissaient les premiers textes litteraires ecrits en langue romane, qui sont aussi, a peu de chose pres, les premiers textes tout court ecrits dans cette langue. II s'agit dans tous les cas de poemes religieux et, plus particulierement, de poemes liturgiques. Le plus ancien d'entre eux, la Sequence de sainte Eulalie (peu apres 881), est bien connu2 • Le manuscrit qui nous l'a conserve contient un office de la sainte. La sequence fran<;aise elle-meme y est suivie d'une sequence latine de sainte Eulalie. Le caractere liturgique de la piece ne fait done pas de doute. II est d'autant plus certain que sa metrique et la disposition des rimes semblent indiquer qu'elle etait chantee entre deux alleluia et sur la meme melodie qu'eux, comme les sequences latines. Ainsi, Ie plus ancien texte de la litterature fran<;aise est un poeme liturgique adapte du latin en langue vulgaire pour des raisons catechetiques, afin que les fideles fussent informes des merites et du martyre de la sainte dont on celebrait la fete ce jour-lao Sans etre une homelie, il en remplit partiellement la fonction. On peut en dire autant de tous les poemes romans - a vrai dire peu nombreux - anterieurs a la fin du X~ siede, comme la Vie de saint Leger d'un manuscrit de ClermontFerrand (xe siecle), Ie poeme de la Passion contenu dans Ie meme manuscrit, ou encore la chanson en langue d'oc de sainte Foy d' Agen (Xle siecle). Toutefois, la dependance a l'egard de la liturgie s'attenue peu a peu a mesure que les poemes s'allongent, devient parfois probleI.
2.
MGH, Leges, III, Concilia, 2, p. 288. R. L. WAGNER, Textes d'etudes (ancien et moyenfratlfais), Geni:ve-Paris, 1964.
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Vivre la Bible
matique, comme dans la chanson de sainte Foy, qui est un poeme jongleresque, bien qu'il semble avoir ete chante pour accompagner les processions en l'honneur de la sainte, et finit par disparaitre, comme dans la celebre Vie de saint Alexis de la fin du Xle siecle. C'est Ie moment ou, par une mutation apparemment brusque, la litterature romane conquiert son independance, ne se contente plus de traduire a des fins pastorales la litterature religieuse latine, rompt dans une large mesure avec la culture clericale et se tourne vers des sujets profanes: c'est Ie moment ou apparaissent les chansons de geste en langue d' oil et les chansons lyriques des troubadours en langue d' oc. Mais qu'en est-iI, pendant ce temps, de la predication proprement dite ? II ne nous est parvenu, pour cette periode, qu'un seul specimen de sermon frans;ais. Encore est-il fragmentaire. 11 s'agit d'un Sermon sur Jonas pr~che a l'abbaye de Saint-Amand-les-Eaux (Nord) vers 950, a l'occasion d'un jefrne de trois jours destine a obtenir la protection divine contre la menace des Normands 3 • Ce texte n'a ete conserve que par une sorte de miracle, Ie parchemin sur lequel il est ecrit ayant ete utilise plus tard pour la reliure d'un autre manuscrit (Valenciennes 521 (475)). Mais Ie relieur l'a coupe, si bien qu'il presente des lacunes. En outre, Ie recto est presque illisible. Tel que nous pouvons Ie lire, ce sermon presente plusieurs caracteres interessants et significatifs. D'une part, c'est une paraphrase du commentaire de saint Jerome sur Ie livre de Jonas, qui par moments est purement et simplement cite et traduit phrase apres phrase. II se conforme donc scrupuleusement aux instructions des conciles qui recommandent d'utiliser les ouvrages des Peres pour la predication au peuple. D'autre part, il m~le de fas;on surprenante Ie latin et Ie frans;ais. 11 semble d'abord que la premiere langue l'emporte sur la seconde. Cette impression est produite non seulement par l'abondance des citations de saint Jerome et du livre de Jonas lui-m~me, mais encore par Ie fait que l'auteur semble incapable d'ecrire une phrase complete en langue vulgaire : toujours, la phrase commencee dans un frans;ais mele de latin se termine dans cette langue. Et pourtant, les seuls passages qui n'aient leur source ni dans Ie livre de Jonas, ni dans Ie commentaire de saint Jerome, les seuls passages qui soient entierement du cru de l'auteur, sont aussi les seuls a etre entierement en frans;ais. 11 s'agit d'une part de la peroraison, d'autre part d:une phrase qui porte sur la conversion finale des juifs et qui a ete aJoutee a la fin du sermon, apres la benediction finale, alors qu'elie doit evidemment ~tre inseree dans Ie developpement a l'endroit ou celui-ci aborde une premiere fois cette question. Inversement, un seul passage 3· G. de POERCK, « Le sermon bilingue sur Jonas du manuscrit de Valenciennes 521 (475»)? dans Romanica Gandensia, 4, 1955, pp. 31-66; ID., « Les plus anciens textes de la langue fran<;ruse camme temoins de l'epoque», dans Revue de Linguistique romane, 27, 1963, pp. 1-34.
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est entierement en latin : l'universalite de la religion juive, et bientot chretienne, manifestee dans Ie livre de Jonas, et Ie passage de la conversion des juifs a celie des paiens y sont bien vus et bien mis en valeur par des rapprochements judicieux avec la guerison de la fille de la Cananeenne et avec l'attitude de saint Paul face aux juifs. Mais ce passage est entierement emprunte a saint Jerome, qui developpe les memes idees et insiste a trois reprises sur la signification analogue de Jonas et de la guerison de la Cananeenne. Ainsi, ce predicateur emploie Ie latin lorsqu'il s'inspire de la Bible ou de saint Jerome, mais il emploie Ie frans;ais lorsqu'il parle ex abundantia cordis rjus. Le frans;ais est donc, contrairement aux apparences, la langue qui lui est la plus familiere, et s'il se cramponne au latin, c'est probablement moins par ignorance du frans;ais que par fidelite timoree a ses sources, biblique et patristique, et plus encore parce que Ie latin est pour lui la langue des choses de Dieu et des choses de l'esprit. En£n, Ie texte conserve, probablement autographe, est sans nul doute constitue de notes jetees sur Ie parchemin en vue de la predication. Tout Ie montre. Les alineas successifs sont nettement indiques par des initiales de grand format et certaines parties du texte sont soulignees : autant de reperes visibles pour Ie predicateur. D'autre part, Ie texte est redige partie en clair, partie en notes tironiennes. Seul Ie hasard pouvait donc sauver de la destruction ce qui n'etait qu'un brouilion, dont on mesure, des lors, la valeur unique. Car si, comme on Ie verra, beaucoup d'homeliaires romans sont des recueils de modeIes de sermons destines a ~tre utilises par les predicateurs, Ie Sermon sur Jonas est Ie seul projet de sermon roman cons;u par un predicateur precis pour etre prononce dans une circonstance precise, qui nous soit parve~u. Ainsi, ce premier monument de la predication en langue vernacula:re est a la fois, et a plusieurs egards, unique, et en meme temps exempla1!e de ce que seront par la suite les sermons romans : fortement enracines dans les textes scripturaires et patristiques, tres marques par les problemes du bilinguisme et de la relation entre Ie latin et la langue vulgaire, generalement situes en amont, si l'on peut dire, de la predication effective. On peut, certes, se demander pourquoi nous ne connaissons qu'un seul sermon en langue vulgaire anterieur au xue siecle, alors que la poesie religieuse romane connait un certain developpement des Ie xe siecle. On a deja repondu partieliement a cette question en observant que la regIe etait de conserver les sermons en latin ou de ne pas les conserver du tout. Donner a lire en langue vulgaire est Ie resultat d'une mutation culturelie qui correspond a un etat de developpement avance des litteratures romanes et a une evolution de la sociologie du savoir. Mais en outre - car, apres tout, l'argument pourrait valoir aussi pour les poemes - aucun modele d'ecriture ne s'offre au sermon en langue vulgaire, puis que la prose, dans toutes les litteratures, n'apparait que
Vivre la Bible bien apres la poesie. Bien plus, ce sont les sermons qui vont creer peu a peu ce modele d'apres celui de la prose latine, puisqu'ils constituent precisement les premieres manifestations de la prose litteraire romane. Ce n'est d'ailleurs pas leur moindre interet.
LES HOMELIAIRES ROMANS DES Xue ET XUIe SIgCLES Pour cette periode, les textes se divisent assez nettement en deux groupes, qui, dans l'ensemble, se succedent chronologiquement. A la fin du Xue siecle, apparaissent plusieurs recueils de sermons du temps et des saints, groupes en series coherentes, sinon toujours completes pour l'ensemble de l'annee liturgique. Ces recueils sont contenus dans de petits manuscrits de travail qui renferment egalement des textes en latin. Dans Ie courant du xure siecle, apparaissent des manuscrits plus grands, plus soignes, exclusivement en langue vulgaire, OU les sermons se melent a des textes edifiants et didactiques divers. Ces sermons sont souvent de diversis. Les sermons du temps qui se glissent parmi eux sont disperses et ne suivent pas l'ordre liturgique. On verra bientot Ie sens de cette repartition touchant l'utilisation des recueils et leur public. La premiere categorie est d'abord representee par quelques recueils meridionaux, provens:aux, catalans et piemontais, et un peu plus tard par quelques recueils frans:ais anonymes. Mais elle est surtout illustree par.la version frans:aise des sermons de Maurice de Sully4, eveque de Pans de I 160 a I 196 apres avoir ete chanoine de Bourges, puis magister et archidiacre a Paris, et dont Ie plus grand titre de gloire est d'avoir ete Ie batisseur de Notre-Dame. Maurice de Sully est l'auteur d'un homeliaire latin forme de sermons du temporal et du sanctoral couvrant l'ensemble de l'annee liturgique, alors que la plupart des recueils analogues soit excluent Ie temps ordinaire, soit sont limites au careme et au temps pascal, et precede d'un sermon synodal, d'un commentaire du Credo et d'un commentaire du Pater. Cet homeliaire latin a ete compose entre I 168 et I 175. Quant a la version frans:aise, elle pose de nombreuses questions : est-elle Ie resultat d'une traduction faite par Maurice de Sully lui-meme vers I I 80, ou par quelqu'un d'autre vers la fin du xu e siecle, ou peut-etre meme un peu plus tard, bien que, dans tous les cas, avant 1220? Mais la version frans:aise n'est-elle pas au contraire la version originale, ou une version originale? Ces sermons etaient-ils destines a la predication effective, ont-ils ete preches ou etaient-ils 4· C. A. ROBSON, Maurice of Sully and the medieval vernacular homily with the Text of Maurice's French Homilies from a Sens Cathedral Chapter Ms., Oxford, I952.
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seulement destines a former un manuel de predication? Ce dernier probleme se pose en fait pour tous les sermons romans. Il est tres peu vraisemblable que la version latine soit traduite de la version frans:aise, comme on l'a parfois soutenu. Cette opinion ne peut s'appuyer que sur un seul argument: les passages de la version latine absents de la version frans:aise sont rares et courts. Au contraire, les passages propres a la version frans:aise et absents de la version latine sont tres nombreux et tres longs. Il est tentant d'en deduire que la version latine est une version abregee de la version frans:aise. Mais il est plus satisfaisant de penser que la version frans:aise developpe la version latine de fas:on a serrer de plus pres la realite de la predication au peuple. Cette supposition est confirmee par l'analyse des passages propres a la version frans:aise, qui expliquent ce qui est difficile, attenuent ce qui pourrait choquer, tiennent compte des reactions possibles du public. Mais Maurice de Sully a pu elaborer deux redactions independantes tout en se correspondant exactement, l'une en latin, l'autre en frans:ais. C'est, grossierement schematisee, la theorie de C. A. Robson, qui a tente de reconstituer Ie manuscrit original grace a des considerations, a vrai dire trop ingenieuses pour etre tout a fait convaincantes, sur la repartition reguliere des sermons dans les cahiers qui forment Ie manuscrit. Il est en realite plus probable que la version frans:aise est tout bonnement traduite de l'originallatin. Certains indices, cependant, suggerent que Ie traducteur a pu etre Maurice de Sully lui-meme. C'est ainsi que certains passages propres a la version frans:aise demarquent la meme source que Ie developpement de la version latine dans lequel ils s'inserent. Il faut donc que l'auteur de la version amplifiee soit Ie meme que celui du texte original pour connaitre ainsi les sources du sermon et en reprendre l'exploitation la OU la version breve l'abandonne. L'argument n'est toutefois pas entierement decisif, car ces sources sont assez classiques pour avoir pu etre decelees par un compilateur habile. Les sermons de Maurice de Sully sont des sermons au peuple, mais Ie recueil s'ouvre sur un sermon aux pretres, dans lequell'eveque de Paris exhorte les cures de son diocese a la predication. Il s'agit donc d'un recueil de sermons modeles destines aux pretres pour les aider dans leur predication. Autrement dit, ces sermons sont d'abord Ius par les clercs avant d'etre repercutes par eux aupres des fideles. On peut donc supposer que ce recueil, diffuse d'abord en latin aupres des pretres, dont chacun l'adaptait en frans:ais selon les besoins de la predication dans sa paroisse, a ensuite ete diffuse en version frans:aise pour leur faciliter davantage encore la besogne ou parce que certains d'entre eux savaient mal Ie latin. En revanche, et compte tenu de sa fonction, on comprendrait mal qu'un tel recueil, diffuse d'abord en frans:ais, eut ete ensuite traduit en latin, pour etre enfin retraduit en
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franc;ais par ses utilisateurs. La version franc;aise n'est peut-etre pas chronologiquement beaucoup plus recente que la version larine, mais elle lui est posterieure dans son projet. Enfin, l'absence quasi totale de tout residu latin dans la version franc;aise des sermons plaide en faveur d'une traduction. Paradoxalement, en effet, la presence de morceaux de phrases ou de mots latins dans les sermons romans est Ie plus sUr garant qu'ils ont ete composes directement en langue vulgaire. Les traducteurs, en effet, comme ceux des sermons de Haimon d'Auxerre, de saint Bernard et de quelques autres dont il sera question plus loin, font consciencieusement leur travail et traduisent integralement leur modele. Les auteurs romans, au contraire, montrent a l'egard de l'autorite incarnee par Ie latin Ie meme attachement craintif que manifestait deja l'auteur du sermon sur Jonas; ils eprouvent en outre quelque fierte a faire etalage de leur science et, au demeurant, l'habitude de glisser de ci de 1a un mot latin pour impressionner l'auditoire a ete en honneur jusqu'a une epoque recente chez les predicateurs. Toujours est-il que la ou subsistent des bribes de latin, 1a se trahit l'auteur de langue vulgaire. Ces observations tant sur la langue que sur Ie public des sermons valent pour l'ensemble des homeliaires romans, et non pas seulement pour celui de Maurice de Sully. 11 est cependant legitime de les presenter a propos des sermons de l'eveque de Paris. Ce sont les seuls, en effet, a avoir connu une diffusion tres importante. Les autres recueils ne sont generalement conserves chacun que dans un seul manuscrit; celui de Maurice de Sully figure, en entier ou partiellement, dans pres de quarante manuscrits. Les sermons que certains d'entre eux lui attribuent a tort ne faisaient qU'ajouter a sa gloire et en meme temps la confirment. Durant des siecles, leur recueil a servi de manuel de predication, au point que l'on trouve encore des traces de son influence dans les sermons du cure d' Ars. Toutefois, les recueils qui n'ont pas connu Ie meme succes presentent des caracteres analogues dont l'examen appelle les memes conclusions, en particulier en ce qui concerne leur double public. Ces manuels, ou plus exactement ces recueils de sermons modeles, visent a la fois Ie public des clercs qui les utiIiseront pour leur predication et Ie public lruque auquel ils s'adressent a travers les clercs et aupres duque1 ils seront repercutes par la predication. Ce trait peut se marquer de diverses fac;ons. Les memes manuscrits contiennent souvent des textes latins et des sermons romans au peuple, les premiers servant a l'edification des predicateurs, seuls utilisateurs du manuscrit lui-meme en tant que livre, et qui precheront les seconds aux lrucs. C'est ainsi qu'un petit manuscrit du debut du xme siecle (Bibl. de Tortosa 106)5
contient les homelies de Gregoire Ie Grand en latin, puis une serie de vingt-deux sermons du temps et des saints en langue d'oc, appliquant ainsi a la lettte les recommandations des conciles citees plus haut. Ailleurs, a l'interieur meme des sermons en langue vulgaire, certains passages s'adressent a des clercs et d'autres a des lrucs, les premiers pouvant etre supprimes lors de la predication, comme Ie montre, par exemple, la presence d'un double incipit. C'est Ie cas dans une serie de vingtdeux sermons piemontais de la fin du xne siecle6• Quant aux recueils de traites edifiants qui apparaissent au xme siec1e, ils offrent des sermons a lire, ce que l'on pourrait appeler une predication dans un fauteuil, et s'adressent a un public intermediaire entre Ie monde clerical et Ie monde laique, en accord avec leur statut de textes destines a la lecture, mais en langue vulgaire. Certains s'adressent nettement a des freres conYers, mais la plupart sont destines a des laics devots et fortunes, soucieux de trouver des instruments qui les aident a mener individuellement une vie de priere et de meditation. Ces destinataires sont tres souvent des femmes, comme Ie montrent les vocatifs dont l'auteur use pour s'adresser a elles et dont Ie plus frequent est « douce sreur », et il existe, a defaut de veritables preuves, de serieuses raisons de croire que certaines d'entre elles etaient des beguines etablies sous la mouvance des Cisterciens. Des beguines, car on comprend a travers certains textes que ces femmes vivent en communaute et recitent les offices ensemble, sans cependant etre des nonnes; en outre, l' origine wallonne de nombreux recueils correspond a l'implantation privilegiee des beguinages. Quant a l'influence cistercienne, sur laquelle on reviendra, elle se marque par l'abondance des citations de saint Bernard et des textes traduits de ses reuvres, et aussi, d'une fac;on generale, a travers une forme de spiritualite caracteristique de cet ordre. Notons enfin que l'on chercherait vainement, parmi tous ces textes en langue vulgaire, non seulement la trace de sermons heretiques, ce qui n'a rien de surprenant, mais encore, ce qui l'est davantage, celIe de sermons diriges contre l'heresie. 11 faut se contenter dans Ie premier cas de quelques rares formulations plus ambigues ou maladroites que reellement heterodoxes, dans Ie second de denonciations rares, breves, stereotypees, et Ie plus souvent indirectes. Rien de la veritable predication contre l'heresie ne nous est parvenu en langue vulgaire.
5. A. THOMAS, « Homelies proven!jilles tirees d'un manuscrit de Tortosa (ms. 106) », dans Annales du Midi, 9, 1897, pp. 369-418.
6. W. BABlLAS, Untersuchungen zu den Sermoni Subalpini, mit einem Excurs iiber die ZehnEngelchor-Lehre, Munich, 1968.
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TRACES DE LA PREDICATION EFFECTIVE
Mais ou trouver, a travers tous ces textes, l'echo de la predication elle-meme? Pas dans les homeliaires romans, qui la preparent, mais qui ne la reproduisent pas. Moins encore dans les recueils a lire, qui lui echappent completement. II faut Ie chercher a travers des temoignages indirects et surtout dans les sermons conserves en latin apres avoir ete preches en langue vulgaire. Les temoignages indirects, principalement hagiographiques, quand ils ne se contentent pas de souligner l' effet de la predication sur les masses et Ie nombre des conversions qu'elle entraine, mettent surtout en evidence la difficulte de la predication en langue vulgaire pour ceux qui la pratiquent hors de leur patrie. Le cas se presente, bien entendu, frequemment a une epoque OU les hommes d'Eglise, surtout les plus illustres, voyagent beaucoup, et ou l'emploi generalise du latin permet de vivre et d'enseigner partout sans la moindre difficulte aussi longtemps que l'on reste a l'interieur du monde clerical, alors que la question de la langue surgit des que l'on s'adresse aux illettres. Ainsi, la Vie de saint Norbert nous apprend que Ie saint precha au peuple un dimanche des Rameaux a Valenciennes, bien qu'il sut et comprit peu de chose de la langue romane. Saint Bernard, qui etait originaire de Dijon, ne put precher aux Allemands dans une autre langue que Ie frans:ais. En Angleterre, Vital de Savigny prechait en roman. Un jour, Dieu permit que ceux de ses auditeurs qui ne savaient que l'anglais comprissent soudain la langue romane pour tirer profit de l'enseignement du saint homme 7 • Pendant son voyage d'outre-mer, Ie maitre des Dominicains, Jourdain de Saxe, visitant une commanderie de Templiers frans:ais et prie de faire un bref sermon vesperal, dit dans son exorde : « Par une petite partie d'un tout, on a l'intelligence du tout: c'est ce qui va vous arriver, si je reussis a vous dire de grandes verites en peu de mots frans:ais, les entremelant, si vous permettez, de quelques mots allemands »8. Certains predicateurs se faisaient accompagner d'un interprete. Ainsi, Arnoul, predicateur flamand qui s'associa a saint Bernard pour precher la croisade en Allemagne et dans l'est de la France, ignorait aussi bien Ie frans:ais que l'allemand. II se faisait suivre d'un interprete, nomme Lambert, qui repetait dans la langue du pays les sermons qu'il pronons:ait en latin ou en flamand. En II89, pour la consecration d'une eglise conventuelle, Ie patriarche d' Aquilee, Godefroy, qui etait Allemand, precha en latin 7· L. BOURGAIN, La chaire fra11faise au XII- siCcle, Paris, 1879. . 8. M. ARON, Un animateur de lajeunesse au XIII- siecle. Vie, vqyages du bienheureux Jourdain de Saxe, Paris, 1930, p. 209, n. 1.
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et l'eveque de Padoue, Gerard, traduisit son homelie en langue romaine9 • S'agissant du deroulement meme de la predication, certaines notations qui figurent dans les sermons laissent deviner un public turbulent, inattentif, indocile et parfois clairseme, comme Ie souligne amerement l'auteur d'un sermon frans:ais preche a l'occasion d'une mission dans Ie diocese d' Amiens vers 1280 : « Si peu nombreux que vous soyez a etre venus a l'eglise, c'est a vous qu'il faudra que je parle. Car a ceux qui ne sont pas venus, je ne pourrai pas parler »10. La longueur des sermons est Ie plus souvent inversement proportionnelle a l'importance de la fete du jour, comme pour eviter de lasser l'auditoire plus nombreux des grandes solennites, dont les offices sont eux-memes plus longs que d'habitude. Cette regIe semble observee avec un soin particulier par Maurice de Sully, dont Ie sermon Ie plus court est celui de Piques. Encore toute la fin de ce sermon est-elle pour inviter les fidCles a venir communier a la fin de la messe sans chahut et sans tapage, et a ne pas commettre d'exces de table en ce jour de fete: « Void maintenant nos recommandations, de par Dieu, a vous tous qui devez communier : quand la messe sera terminee, approchez-vous pieusement, sans vous bousculer, sans vous pousser les uns les autres, sans rire, sans plaisanter, sans dire de sottises, mais pieusement, respectueusement, humblement, comme il convient quand on va recevoir quelque chose d'aussi sacre que Ie corps de Notre-Seigneur, qui doit vous sauver. Veillez a ce que vos enfants et les gens de votre maisonnee ne mangent et ne boivent pas trop, pour eviter qu'ils ne tombent dans Ie peche »11. Ailleurs, Maurice de Sully se plaint que les notables se permettent souvent d'interrompre Ie predicateur pour lui dire d'abreger, parce qu'ils ont autre chose a faire que de l'ecouter. Un de ses successeurs, Ranulphe d'Homblieres, maitre en theologie, cure de Saint-Gervais vers 12.70, chanoine de Notre-Dame et enfin eveque de Paris de 1280 a 1288, reproche a certains fideles de partir au moment du sermon ou de faire l'aum6ne aux mendiants au lieu d'ecouter Ie predicateur, dont ils perturbent l'homelie par Ie bruit qu'ils font12• Ranulphe d'Homblieres fait partie de ces predicateurs dont les sermons nous ont ete conserves en latin apres avoir ete preches en langue vulgaire. Comment Ie sait-on ? Non seulement Ie bon sens suggere que la predication au peuple dans les paroisses et meme la predication aux beguines etaient necessairement en frans:ais, mais encore des indices 9. BOURGAIN, op. cit., p. 181; BABILAS, op. cit., p. 15, n. 42. 10. A. CRAMPON, « Un sermon preche dans la cathedrale d'Amiens vers 1260 », dans Memoires de fa Societe des Antiquaires de Picardie, 1876, C, V, pp. 57-66 et pp. 551-601. ZINK [147], pp. 4 2 -46. 11. ROBSON, op. cit., pp. II 5-II6. 12. N. BERrou, « L'art de convaincre dans la predication de Ranulphe d'Homblieres », dans Faire croire. Modalites de fa diffusion et de la reception des messages religieux du XII- au XIV- siecle (Collection de l'Ecole fran~se de Rome, JZ), Rome, 1981, pp. 39-65.
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materiels Ie confirment. Ces sermons, et en particu1ier les sermons universitaires parisiens, c'est-a-dire les sermons preches par les maitres de l'Universite de Paris dans les differentes paroisses de la ville et dont nous avons la collection complete pour plusieurs annees du xm e siecle, fourmillent de mots frans;ais, de proverbes ou de tours syntaxiques calques du frans;ais. Parfois meme on trouve en tete de sermons latins la mention gal/ice, ou in gal/ico, ou encore vulgari. Et les celebres Sermones vulgares de l'eveque de Jerusalem Jacques de Vitry nous sont parvenus en latin. Enfin, a l'interieur de certains sermons conserves en latin, on trouve parfois une phrase dans laquelle l'auteur explique pourquoi il preche en langue vulgaire. Tel cet abbe soucieux d'etre compris des freres laies : « Dans cet ouvrage, je procede pas a pas, par un discours uni et simple, de peur, si je me haussais sur les cothurnes frans;ais, d'etre hors de portee de la comprehension des freres »13. Et Pierre de Blois est plus explicite encore lorsqu'il ecrit a l'un de ses correspondants : « Tu me demandes, tres cher frere, de te communiquer par ecrit un sermon preche au peuple; je m'appliquerai a traduire en latin Ie sermon que j'ai propose aux laies de fas;on fort grossiere et insipide, en conformite avec leurs capacites »14. Ces sermons se situent en aval de la predication. Ils sont la transposition en latin de sermons reellement preches auparavant en langue vulgaire. Illeur arrive donc, paradoxalement, de donner de la predication au peuple une image plus fidele que les sermons frans;ais. Ils sont plus concrets, plus vivants, plus longs aussi, puis que les sermons en langue romane, on l'a vu, ne sont souvent que des modeles destines a preparer la predication, des squelettes de sermons auxquels Ie predicateur donnera chair et vie. Ils sont surtout beaucoup plus riches en exempla. En dfet, Ie predicateur avait a sa disposition, d'une part des canevas de sermons, eventuellement en langue vulgaire, d'autre part des recueils d'exempla. Lorsqu'il prechait, il brodait sur Ie canevas et y introduisait des exempla pour illustrer et animer son propos. Ceux-ci figurent done dans Ie sermon note a l'audition et transcrit en latin, et non dans Ie sermon modele roman. Le sermon latin est ainsi plus proche de la predication en langue vulgaire que Ie sermon ecrit en langue vulgaire qui l'a inspiree. Aussi bien, que certains sermons aient ete notes sur Ie vif par un auditeur, Ie fait est atteste non seulement par les farcissures macaroniques dont on a parle plus haut, mais aussi par certaines remarques du reportateur, qui parfois laisse entendre qu'il a confronte sa transcription avec les notes du predicateur pour en verifier l'exactitude ou qui se permet de juger ses qualites d'exposition, tel celui qui, apres avoir note Ie plan annonce par Ie predicateur, ajoute : « Mais il melangeait tout »15. 13· Paris, BN, lat. 12413 preE. 14· PL, 2Il, 750. 15· BERIOU [135].
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En dehors du Sermon sur Jonas de 950, qui est certainement constitue par les notes ?~ l'auteur en vue de sa pre~catio~. et non pas de c~lles prises a l'auditlon, un seul sermon frans;als anteneur, et de peu, a la fin du xm e siecle correspond a une predication effective pour une circonstance exceptionnelle, hors du calendrier liturgique, et a probablement ete recueilli en aval de la predication. Il s'agit du sermon prech
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CISTERCIENS ET MENDIANTS
Qui sont les auteurs des sermons conserves en langue vulgaire? S'agissan.t des recueils de ser.r;nons modeIes pour la predication du temps et des samts, Ie cas de Maur!ce de Sully, seule personnalite a nous etre connue, parait exemplaire : qui plus qu'un eveque s'interesse a la predication dans les paroisses et a la catechese des fideles? D'autre part on s'attend a voir l'influence des ordres mendiants marquer au xlne siecl~ rapidement et profondement la predication et, d'une fas:on generale, la litterature de spiritualite en langue vulgaire. La realite est sensiblement differente. Si l'on considere l'ensemble des sermons du xn e et du xm e siecle conserves en langue romane, l'influence la plus manifeste est celIe des Cisterciens, et spedalement celIe de saint Bernard. Un grand nombre de ses sermons ont ete traduits en frans:ais des la fin du xn e siecle. Les quarante-quatre premiers sermons sur Ie Cantique des Cantiques, les quatre sermons In laudibrts virginis maids et l'epitre De diligendo Deo figurent dans un manuscrit d' origine wallonne conserve a Nantes. Les Sermones per annrtm se lisent dans un manuscrit de Paris et un manuscrit de Berlin16• Le premier contient quarante-cinq sermons couvrant la premiere partie de l'annee liturgique, de l'Avent a l' Annonciation. Le second en contient quarante-trois pour la periode qui va de l'Annondation a l' Assomption. Les deux series ne sont pas I'ceuvre du meme traducteur. D'autres traductions de sermons ou de paraboles de saint Bernard sont disseminees sans attribution, et generalement a l'etat fragmentaire, dans des manuscrits du xm e siecle. Dans les memes manuscrits ou dans des manuscrits analogues figurent des textes dont la diffusion pouvait particulierement tenir a cceur a des Osterciens, comme la traduction d'un sermon de Guiard de Laon17 ou celIe d'un pe~t traite d'~ain de Li.lle1S • Certes, ni Alain ni Guiard n'appartenaient a 1 ordre de Clteaux. Mals tous deux ont fini leurs jours dans une de ses ab.bayes et leur ceuvre subit l'influence de sa spiritualite. D'autre part, srunt Bernard est Ie seul auteur moderne a etre cite, et tres frequemment 16. w. FOERST~R, « Altfranzosische Uebersetzung des XIII. Jahrhunderts der Predigten Bem.hards von. ~rvaux », dans Romanische Forschungen, 2, 1885, pp. 1-2.10; A. SCHULZE, P~edzgten des.hez/Igen Bernhards in altJranzosischer Uebertragung, Tiibingen, 18 94; R. A. TAYLOR, Ltsermon samt Ber:nart sor le~ C:antike.r. Tradu~tion en ancien franc;:ais des Sermones super cantica de Be~ard de Clalrvaux. Edition du manUSCrlt 5 du Musee Dobree Nantes avec introduction gl<;>ssrure.et l'originallatin en bas du texte, 2. vol., Toronto, 1965 (Thes~ Ph.D. dactyl., Dusertatlon Abstracts, 27, 1966, 7, 1796 A). 17· P. C. BOEREN, La vie et les fEuvre.r de Guiard de Laon, I I 70 environ - I248, La Haye, 195 6, pp. 310-3 19. 18. Paris, Mazarine 788, fo 155 v O- 173 vo.
ci
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cite, par les homeliaires et par les recueils de traites edifiants en frans:ais. La version frans:aise de ses sermons, qui n'etait evidemment pas utilisee pour la predication, comme celIe des sermons de Maurice de Sully, mais pour la lecture spirituelle, remplissait cette fonction a cote d'autres sermons prestigieux et beaucoup plus anciens, ceux de Gregoire Ie Grand ou ceux de Haimon d' Auxerre, dont l'original latin servait, semble-t-il, couramment de modele pour la predication au peuple, mais dont la traduction frans:aise, contrairement a la regIe habituelle, plus concise et plus difficile, visait un public plus instruit. Dans leur contenu et dans leur style, enfin, les ouvrages de spiritualite frans:ais du xme siecle sont tous marques par l'influence des auteurs cisterciens, en particulier de saint Bernard lui-meme et de Guillaume de Saint-Thierry. La place qu'ils font, par exemple, a la vertu d'humilite et la definition qu'ils en donnent, ou plus encore la description qui figure dans la plupart d'entre eux des etats contemplatifs et des etapes qui y conduisent, ne laissent guere de doute a ce sujet. En revanche, les ordres mendiants sont pratiquement absents de cette litterature. II est pourtant inutile de rappeler ici l'importance de la predication et de la catechese dans la vocation des Dominicains et des Franciscains. A lui seul, Ie nom d'Ordo Praedicalorum Ie dit assez. On sait que leurs membres n'ont jamais neglige cette mission et ont, des l'origine des deux ordres, beaucoup preche, et preche au peuple. C'est d'ailleurs dans leurs rangs que se recruteront, a partir de la fin du xnle siecle, la plupart des auteurs d' ArIes praedicandi, dont certains, comme Humbert de Romans dans son De modo cudendi sermones (<< Comment coudre les sermons »), feront des allusions explicites a la predication en langue vulgaire. Pourquoi done leur predication n'a-t-elle presque pas laisse de traces dans les textes en langue vulgaire jusqu'a la fin du xme siecle ? On peut trouver plusieurs raisons a ce silence. La premiere, qui vaut surtout pour les Dominicains, est que cet o~dre intellectuel a eu pour premier souci a ses debuts de recruter parnu les maitres et les etudiants des ecoles. II a done cherche a donner de luimeme une image seduisante a ce public exigeant intellectuellement plus qu'a conserver la trace ecrite de l'humble predication au peuple o~ a s'adresser au public a demi lettre, sachant lire, mais en langue vulgalre, auquel s'interessaient les Cisterciens. Mais il existe une autre explication, moins volontariste et plus fonctionnelle. La litterature de spiritualite en langue vulgaire se caracterise par sa pesanteur conservatrice. Ce n'est pas un hasard si saint Bernard est la seule autorite moderne qu'elle connaisse. D'inspiration resolument patristique, elle est impermeable aux audaces theologiques. Elle accueille les nouveautes avec un retard considerable. Elle est moins souple, moins rapide, moins vivante que la litterature du meme ordre en latin. Elle ne forme pas non plus un tissu coherent. Chacun des textes qui la constitue est referme sur lui-meme
Vivre la Bible et se presente comme une incursion breve et limitee, a partir des sources latines, dans Ie domaine vernacu1aire. Des lors que l'on ne visait pas specifiquement Ie public tres particu1ier qui ne savait lire qu'en langue vulgaire, Ie latin etait d'un emploi plus facile, plus naturel, moins guinde, surtout s'il s'agissait du latin universitaire parle, ne reculant pas devant les farcissures macaroniques. La conservation dans un latin OU elles sont si nombreuses des sermons parisiens preches en frans;ais n'a pas d'autre sens. Or, precisement, les Mendiants sont particulierement nombreux parmi les predicateurs universitaires parisiens du xme siecle. On en compte, par exemple, quinze - onze dominicains et quatre franciscains - parmi les vingt-quatre predicateurs identifies qui precherent au beguinage de Paris pendant l'annee liturgique 1272-1273. D'une fas;on generale, ils fournissent la majorite des auteurs de sermons universitaires parisiens pour toutes les annees de ce siec1e OU nous en possedons la collection. A l'inverse, deux sermons frans;ais seulement, pour Ie XIIIe siec1e, peuvent ~tre attribues a des Dominicains. Encore est-ce de fas;on douteuse. L'un est Ie sermon d' Amiens dont i1 a deja ete question. L'auteur y fait avec impartialite l'e1oge de tous les ordres religieux ou monastiques, mais certains indices laissent supposer qu'il appartient lui-meme a un ordre mendiant, et probablement a celui des Precheurs. L'autre est un sermon anglo-normand attribue a Thomas de Hales par Ie manuscrit qui nous l'a conserve19 • Mais la tournure dont use la rubrique, secundum fratrem Thomam de Halem, semble exc1ure une paternite directe. Au demeurant, les premiers mots de ce texte, peut-etre mutile, sont : « Comme Ie dit saint Bernard. » Certes, si l'on deborde Ie cadre etroit des sermons pour envisager la litterature d'education et d'edification en frans;ais, on peut observer que la Somme Ie Roi, traite d'education ecrit en 1280 a l'usage du futur Philippe Ie Bel, est l'reuvre d'un dominicain, Frere Laurent, confesseur du roi Philippe ill Ie Hardi. Mais Frere Laurent n'a fait que compiler un traite anterieur, Ie Miroir du Monde, en supprimant soigneusement les details qui indiquent, sans doute possible, que ce traite lui-meme est une reuvre cistercienne20• Ainsi se trouve confirmee jusque dans ses exceptions apparentes la repartition qui nous est apparue : aux Cisterciens la litterature devote a lire en frans;ais; aux Mendiants la predication au peuple sur Ie tas, si l'on peut dire, mais conservee, lorsqu'elle l'est, en latin. II faut observer que dans les pays germaniques la situation est un peu differente. De meme que la distance plus grande entre Ie latin et les langues vernaculaires avait favorise Ie developpement precoce de ces 19· M. D. LEGGE, « The Anglo-Norman Sermon of Thomas of Hales », dans Modern Language Review, 30, 1935, pp. 212-:Zl8. 20. E. BRAYER, « Contenu, structure et combinaison du Miroir du Monde et de la Somme Ie Roi, dans Romania, t. 79, 1958, pp. 1-38 et 433-470.
La predication en langues vernaculaires
dernieres comme langues ecrites, de meme la litterature reli!?ieuse en langue vulgaire connait au XIIIe siec1e dans ces lan!?u.es ~n essor m~ompa rabIe, et particu1ierement sous la plume des Donu~calns. A une ,ep~que OU les sermons romans depassent rarement Ie ruveau du catechisme moralisateur, la pensee combien originale et difficile d'Eckhart ou de Suso s'exprime directement en allemand sous forme de sermons et de traites d'une densite et d'une elevation extremes, qui repondent d'ailleurs mal a l'idee qu'on peut se faire de la predication au peuple. II faut dire que les textes romans eux-memes, .en dehor.s ?es sermons d~ ~eml?s! paraissent peu adaptes, non pas au ruveau, ma1~ ~ la forme de sp1r1tuali~e des lalcs. I1s ne font jamais allusion aux conditlOns concretes de la V1e dans Ie siec1e, en particulier a l'etat de mariage, et leur seul modele est celui de la contemplation et du detachement complet du monde.
TECHNIQUE DES SERMONS ET CONFRONTATION ENTRE LES DEUX CULTURES
C'est en etudiant la forme des sermons en langue vulgaire que l'on mesure Ie mieux Ie role qui a ete Ie leur dans la diffusion du texte .et de l'enseignement bibliques. Ce role est particulierement import~nt.s1l'on songe que, dans leur immense majorite, les fideles ne ~0n11a1S,sa.1en~ de la Bible que les extraits et les gloses que leur en proposalt la predication. Cette remarque vaut surtout pour les sermons du tem~or~l et d.u sanctoral, dont Ie role est de presenter et de commenter a llntenti~n des fideles les lectures du jour qu'ils n'ont pu comprendre en latin. IIs peuvent Ie faire de deux manieres. Les plus simples se contentent de traduire et de paraphraser brievement au fi1 du texte l'une des ,lectures, Ie plus souvent l'Evangile .. D'autres ~dol?tent un plan fo~de sur les trois sens de l'Ecriture, litteral, allegonque et tropologlque, dont l'elucidation constituait, depuis l'epoque patristique, Ie fondement de la methode exegetique. L'application systematique ~e c~tte metho~e a la predication est principalement l'reuvre ~es V1ctonn~ .de . Pans, dans Ie second tiers du XIIe siec1e21 • On peut dire que la predicatlon au peuple leur doit l'essentiel de sa demarche, etendant ainsi jus9-u 'a .la langue vulgaire Ie role pedagogique qui a ete Ie leur. Lor~qu'il S'1~SplIe de cette methode un sermon du temporal en langue vulgalre se presente donc generaleme~t de la fas;on suivante : une traduction ou, plus souvent, un resume de l'Evangile du jour; des ec1aircissements d'ordre 21. B. SMALLEY [151; J. CHATILLON, Richard de Saint-Victor; Liber exception;mz, Paris, 195 8 ; J. CHATILLON, Theologie, spiritualite et metaphysique dans IlZuvre .o~a~olre d.Achard de Saint- Victor, Paris, 1969; J. CH.A.TILLON, Achard de Saint- Victor. Sermons midus, Parts, 1970 •
Vivre la Bible historique correspondant a l'interpretation litterale; l'expose du sens allegorique ou spirituel; celui de l'enseignement moral, assorti d'exhortations concretes a l'adresse de l'auditoire. C'est ainsi que se presentent la plupart des sermons de Maurice de Sully. Voici, par exemple, Ie plan de son sermon pour Ie troisieme dimanche apres l'Epiphanie. II commente l'Evangile du jour (Mat. 8, 1-3), qui raconte la guerison d'un lepreux par Ie Christ (Cum descendisset Jesus de monte) : - Enonce du theme en latin, c'est-a-dire du debut de l'Evangile du jour (Mat. 8, 1). - Recit de la guerison du lepreux d'apres Matthieu 8, 1-3' - Interpretation allegorique : « Molt est grans li miracles, mais plus grans li senefiance. » Le lepreux signifie les pecheurs, la lepre Ie peche. La gale signifie les petits peches pardonnables, la lepre les peches mortels. Quand on a la gale, on n'est pas rejete de la societe: de meme, les petits peches ne separent pas definitivement de Dieu et de l'Eglise. Mais la lepre rejette hors de la societe et les peches mortels rejettent hors de la compagnie de Dieu et de l'Eglise. Celui qui meurt en etat de peche mortel est rejete hors de la compagnie de Dieu et des anges. - Exhortation morale : Regardez si vous etes pur de cette lepre. Si vous l'etes, gardez-vous de l'attraper par des ceuvres ou par une intention mauvaise. Si vous etes lepreux par Ie peche mortel, demandez a Dieu, qui donna la sante physique au lepreux, de vous donner la sante spirituelle. « Venes a confession, e deguerpissies vos pechies, e en soies asols, e receves penitance, e si Ie facies issi qu'ele vos porfit, e issi avres la sante e la vie pardurable, quod nobis, etc. » Un sermon de ce genre differe considerablement des sermons savants. Tout d'abord, il est tres court : trente-quatre lignes dans l'edition Robson, moins d'un folio dans Ie manuscrit de base de l'edition. Certains sermons romans en occupent six ou sept, certains sermons de saint Bernard, une dizaine, pour ne parler que de sermons qui ont pu etre prononces. Ensuite, au lieu de prendre un theme court, d'en extraire Ie plan du sermon en Ie divisant, d' en isoler deux ou trois mots et de les commenter seuls en en tirant toute la substance possible, Ie sermon prend pour theme tout un passage de l'Evangile et Ie commente en bloc. Bien plus, il n'y a meme pas de theme au sens OU l'entendent les Artes praedicandi. En effet, les deux phrases citees au debut du sermon ne sont que Ie debut de l'Evangile du jour et ne sont nullement commentees ?e fac;on privilegiee par rapport au reste de cet Evangile; il est plus Juste de dire qu'elles ne sont pas commentees du tout. Elles n'ont donc rien a voir avec un veritable theme qui determine a la fois Ie plan et Ie contenu du sermon. Le theme, dans ce sermon comme dans tous les sermons de ce genre, c'est l'Evangile tout entier. Enfin, ce sermon expose des idees extremement simples en les presentant de fac;on schema-
La predication
e1t
langues vernaculaires
tique et Ie developpement de l'allegorie y est tres familier avec ses considerations sur la lepre et la gale. Familier, il faut Ie noter, dans sa presentation, et non dans ses implications. Ce passage de saint Matthieu est constamment cite par les theologiens du xn e siecle a propos de la penitence. En particulier, l'ordre du Christ au lepreux, Vade, ostende te sacerdoti, justifie a leurs yeux Ie principe de la confession. Mais Maurice de Sully, tout en invitant les fideles a la confession, ne juge pas utile de se referer explicitement a cette phrase. II se contente de tirer la lec;on de l'ensemble du passage et d'exploiter l'image de la lepre. Autrement dit, il n'utilise pas Ie texte de l'Evangeliste pour la discussion du point de theologie sacramentaire a propos duquel il est generalement invoque. II estime sans doute que cette discussion interesserait peu les fideles, et, plus encore peut-etre, qu'il est inutile de leur laisser entrevoir que l'exigence de la confession n'est ni un imperatif categorique ni une injonction explicite du Christ, mais Ie resultat d'une interpretation du texte sacre. Au contraire, supposant la conclusion acquise, il met en relief les aspects concrets du recit evangelique et les developpe de maniere a frapper, voire a effrayer, son auditoire et a obtenir qu'il se conforme a cette conclusion, c'est-a-dire qu'il se confesse. L'interpretation litterale est ici tout a fait absente. En general, elle est melee, sous forme d'incises, a la traduction resumee de l'Evangile, qui se presente ainsi comme une paraphrase glosee. De plus, interpretation allegorique et interpretation morale ne sont pas toujours nettement distinguees. Quant a la disparition du sens anagogique en tant que tel, elle n'est pas propre aux sermons, mais constitue une tendance generale de l'exegese au xne siecle. Parfois, mais tres rarement, Ie predicateur tente un effort de synthese pour reunir dans son commentaire les deux lectures du jour. C'est Ie cas, par exemple, dans un recueil de dix sermons de Careme en dialecte wallon de la premiere moitie du xm e siecle. A vrai dire, la synthese n'est jamais parfaite, et la citation de l'epitre qui ouvre chacun de ces sermons, consacres surtout ensuite au commentaire de l'Evangile, joue essentiellement Ie role d'un protheme. Ce n'est pourtant pas un veritable protheme. La technique habituelle des sermons latins n'est jamais appliquee a la predication du temps en langue vulgaire. Elle l'est parfois aux sermons de diversis, aux traites d'edification ou dans certains recueils de distinctiones en franc;ais, mais de fac;on assez sommaire. On ne trouve jamais de protheme proprement dit ni de veritable introduction du theme. La division de ce dernier, qui doit determiner Ie plan du sermon, est rarement proposee clairement, et lorsqu'elle l'est, elle est toujours exterieure. Meme les plus elabores des sermons en langue vulgaire sont donc bien loin de la virtuosite et des coquetteries intellectuelles qui caracterisent souvent les sermons latins. Ceux qui sont traduits du latin n'en tranchent que plus sur ceux qui ont ete composes directement en langue vulgaire, et qui, bien
Vivre la Bzble evidemment, n'ofttent rien qui approche, meme de tres loin, la prose spiritueile de saint Bernard. L' originalite des textes en langue vulgaire est ailleurs. Eile est de fas:on speci£que dans la confrontation des deux langues et des deux cultures. Tout d'abord, Ie regard que portent les sermons en langue vulgaire sur leurs sources latines est different de celui des sermons eux-memes ecrits en latin: ils semblent voir l'ensemble de la litterature latine, paienne et judeo-chretienne, ancienne et mod erne, dans Ie meme lointain indistinct, indifferencie, uniformement prestigieux. L'extension qu'ils donnent aux notions d'Ecriture et d'autorite Ie montre. En meme temps, ils se raccrochent farouchement a ces sources latines et repassent toujours par eiles, sans essayer de donner a la litterature religieuse en langue vulgaire la moindre autonomie : un sermon frans:ais cite toujours saint Gregoire Ie Grand ou saint Bernard d'apres l'original latin et jamais d'apres les traductions qui pouvaient en exister d'autre part. Ainsi, l'utilisation que les sermons en langue vulgaire font de la Bible est a la fois identique dans sa nature a celIe qu'en font les sermons latins et differente dans son esprit. Identique dans sa nature, puis que, queile que soit sa langue, un sermon du temps cite et commente les textes du jour et que n'importe quel sermon fonde son argumentation sur des citations scripturaires. Differentes dans son esprit, car Ie passage du latin a la langue vulgaire modifie la prise en consideration du texte sacre. La necessite de Ie traduire et la fatuite qui pousse certains predicateurs a commenter et a justifier leur traduction, a la faire preceder parfois de l'enonce de la phrase latine pour impressionner l'auditoire, ont pour consequence paradoxale, non de l'eloigner, mais d'imposer davantage encore sa presence en insistant sur sa materialite linguistique. Pour autant que la conservation ecrite des textes puisse Ie laisser deviner, les predicateurs semblent avoir joue des effets d'intimidation et de fascination lies a la proferation et a l'orchestration, si l'on peut dire, du texte biblique avec une predilection d'autant plus grande que leur propos etait en general moins rigoureusement argumente que celui de leurs confreres qui prechaient en latin. Ils l'ont fait aussi d'autant plus volontiers que l'une des fonctions essentielles du sermon au peuple est de permettre aux fideles l'acces aux lectures du jour et qu'il est tout entier centre, dans son mode de composition et dans ses preoccupations, sur la traduction de ces lectures, dont il n'est souvent, on l'a dit, que la paraphrase glosee, a telle ens eigne qu'il est parfois difficile de decider si les textes contenus dans un manuscrit se veulent des traductions de la Bible ou etaient destines a etre utilises comme sermons. Ce n'est pas que cette paraphrase glosee et ce commentaire au fil du texte, qui se developpe a mesure que celui-ci est cite et traduit, soient toujours pratiques sans discernement ni subtilite. Voici un exemple du contraire. C'est un sermon en dialecte franco-piemontais de la fin du
La predication en langues vernaculaires xn e siecle pour Ie premier dimanche de l'Avent. Le theme en est Fratres, hora est iam nos de somno surgere (Rom. 13, II), c'est-a-dire Ie debut de l'epitre du jour (Rom. 13, II-14). L'auteur cite la suite de l'epitre a certaines charnieres de son developpement, de teile sorte qu'il donne l'impression, non pas de commenter successivement chaque phrase de l'epitre en se laissant guider par eile, mais de laisser son expose suivre sa progression logique en l'appuyant de temps en temps par des citations de saint Paul, qui se trouvent etre, comme par hasard, la suite du theme initial et de l'epitre du jour. Voici l'analyse de ce sermon, qui peut faire pendant a celui de Maurice de Sully, construit sur un plan tripartite, qui a ete resume plus haut: - Enonce et traduction du theme (Rom. 13, II). - Ce sommeil est celui de tous les hommes qui dorment dans Ie peche, bien que ce monde soit transitoire, comme Ie dit saint Jean (I Jean 2, 17)· - Le prophete dit des riches : Dormierunt et nihil invenierunt omnes viri divitiarum (Ps. 75, 6). Il parle des hommes qui dorment dans les plaisirs de la chair. - L'apotre nous exhorte a nous reveiller des plaisirs de la chair parce que: Nunc enim proprior est nostra salus quam cum credidimus (Rom. 13, II). Le salut est d'autant plus proche de ceux qui s'evei11ent par la penitence qu'il est plus loin de ceux qui ne veulent pas croire. - En effet : Nox precessit, dies autem appropinquavit (Rom. 13, 12). La nuit est Ie moment du sommeil, Ie jour celui du reveil. Les hommes charnels se sont endormis et ne sentent pas la darte du jour, qui est Dieu. - Exemple : Histoire de David et de Barzillai (II Sam. 13, 32-40 ). Parfois Ie riche (Barzillai), dans l'adversite, feint de se repentir et de faire l'aumone (presents de Barzillai a David). Mais il ne veut pas renoncer au peche et suivre David (Dieu) a Jerusalem. II fait Ie bien, non par amour de Dieu, mais pour avoir les biens de ce monde. De tels hypocrites vont a la rencontre de Dieu sans vouloir entrer a Jerusalem, car Us ne sont pas de bonne volonte. Tel Herode, qui disait vouloir adorer Jesus et voulait en realite Ie tuer. - Eveillons-nous avant que Ie jour nous surprenne, ou omnia nuda et aperta erunt (Hebr. 4, 13): fbi erunt libri aperti (Dan. 7, 10; Apoc. 20, ~2). Allons a la rencontre du Seigneur avec nos reuvres bonnes : Meus clbus est, ut faciam voluntatem patris mei (Jean 4, 34). On remarque que non seulement les citations de l'epitre du jour sont habilement amenees, mais encore que les autres citations de l'Ecriture sont judicieusement choisies pour se completer et s'appeler l'une l'autre. Eiles Ie font merne frequemment par associations verbales, selon la technique habituelle des sermons latins, rarement utilisee dans les
La predication en langues vernaculaires
Vivre la Bible sermons en langue vulgaire. Car, d'une fa<;on generale, Ie jeu sur les mots et sur les etymologies, qui sous-tend souvent Ie developpement du theme dans les premiers, disparait des seconds au profit de l'effort de la traduction, qui se manifeste souvent de fa<;on explicite, par la citation de l'original latin suivi de la formule qui vaut autant d dire en franfais que... , introduisant la traduction, ou par l'?esit~tion e?tre d~ux traductions proposees successivement selon un tic pedagogique bien connu. On pourrait dire que la philologie occupe un role fondateur dans les sermons latins comme dans les sermons romans; mais elle l'occupe dans les premiers au regard de l'exegese, dans les seconds au regard de la vulgarisation. II reste que l'autorite presque uniforme et indifferenciee accordee aux sources latines par les sermons en langue vernaculaire et l'extension de la notion d'Ecriture, dont on a parle plus haut, brouillent quelque peu l'image qu'ils donnent du texte biblique. L'egale reverence avec laquelle est presentee la citation latine, qu'elle soit extraite de l'Ancien ou du Nouveau Testament, des ecrits des Peres ou des auteurs de l' Antiquite classique, voire d'un recueil de distinctiones ou d'une vie de saint, ne met guere en valeur Ie texte biblique lui-meme et ne lui .assure pas toujours la place privilegiee qui devrait etre la sienne. Le predicateur qui choisissait pour theme de son sermon quelques lignes de l' Historia scolastica de Pierre Ie Mangeur, comme c'est Ie cas dans au moins deux sermons fran<;ais du XlIIe siecle, ou qui, comme tel predicateur proven<;al de la fin du xn e siecle, introduisait deux vers d'Ovide par la formule comme nons dit I'Ecriture, n'avertissait nullement les fideles que ce latin-la n'etait pas parole d'Evangile. Aussi, Ie prenaient-ils certainement pour telle. Mais les sermons en langue vulgaire ne se signalent pas seulement par leur attitude timoree a l'egard du modele latin. IIs utilisent, soit deliberement, soit par la force des choses, les res sources propres de la langue qu'ils utilisent et de la litterature dont elle est Ie vehicule. C'est ainsi qu'ils melent l'allegorie comme methode de l'exegese et l'allegorie comme forme litteraire de la pensee. Cette collusion produit des incoherences, mais qui sont par eclairs fecondes, et laisse entrevoir l'ebauche d'une rhetorique propre a la langue vulgaire. Celle-ci se fonde egalement, entre autres, sur Ie recours, qui lui est particulier, aux proverbes et aux fragments rimes. D'autre part, les sermons entretiennent avec la litterature profane en langue vulgaire des rapports ambigus. Le plus souvent, ils l'ignorent ou ils la condamnent brievement. C'est un lieu commun dans la bouche des predicateurs que de reprocher a l'auditoire de preferer entendre raconter les exploits de Roland ou du roi Arthur plutot que ceux du Christ. Mais certains aspects de cette litterature, en particu1ier la poesie lyrique, exercent sur eux une profonde seduction. Certains inventent les pretextes les moins plausibles pour avoir Ie plaisir d'inventer
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ou de citer une courte strophe printaniere, comme celles qui, au debut de presque toutes les chansons des troubadours et des trouveres, celebrent Ie renouveau de la nature et l'invitation a l'amour dont il est Ie signe. Dans les sermons, il s'agit, naturellement, de mettre en garde contre les pieges du demon, les fetes licencieuses et, precisement, les chansons indecentes. Mais la forme poetique, que l'on feint de denoncer, reste la meme. Deux sermons, latins il est vrai, prennent pour theme, l'un Ie celebre rondeau de la belle Aelis, l'autre un rondeau de la malmariee22 et identifient respectivement a la Vierge et a sainte Marie-Madeleine les heroines de ces deux chansons de danse fran<;aises, qui exaltent la sensualite et les amours adulteres. Le predicateur d'Amiens cite un refrain du trouvere Guillaume Ie Vinier, tire lui aussi d'une chanson a danser : Bonne est la douleur Et plaisir et joie.
clont j'attencls douceur
II applique ingenieusement ces vers qui, conformement a l'ethique courtoise, font de la souffrance de l'amant a la fois un merite et une condition du plaisir amoureux, aux tribulations du chretien en ce monde, qui lui vaudront les recompenses du paradis. Les predicateurs ont conscience de citer, non de la litterature, mais des chansons a la mode. IIs connaissent ce lyrisme par voie orale et sous sa forme la plus vulgarisee. La preuve en est que, lorsque l'on connait plusi~urs versions de la chanson, celIe qui est citee par Ie sermon est touJours la plus banale, comme une sorte de vulgate ou de lectio facilior. Le predicateur d'Amiens ne ment sans doute pas lorsqu'il dit connaitre Ie refrain de Guillaume Ie Vinier pour l'avoir souvent entendu chanter aux carrefours. Les autres genres litteraires ne sont pas non plus totalement ignores des predicateurs. Un sermon compare sainte Agnes passant au Christ par Ie martyre a Lancelot du Lac franchissant dans les souffrances Ie pont de l'Epee. 11 ne va pas tout~fois jusqu'a precis~r c~ q.ue p~rsonne, au demeurant, n'ignorait, a saV01! que Lancelot allait arnSi reJolndre la reine Guenievre pour voir couronner sa flamme adultere. Et si l'on compare un sermon proven<;al de la fin du xn e siecle pour l'invention de la sainte Croix23 avec Ie passage correspondant du roman d' Eracle de Gautier d'Arras (vers 1180), on cons tate que Ie sermon est plus populaire et, si l'on peut dire, plus romanesque, et Ie roman J?lus clerical. Le predicateur, decrivant Ie chateau du roi Chosroes, se lrusse prendre au charme du merveilleux et ne met pas en doute la realite du surnaturel, tandis que Ie romancier, qui etait d'ailleurs un homme d'Eglise, respecte 2.2.. Paris, BN lat. 16497, fo 12.8 r O-I2.9 r O et Poitiers, BM, 97, fo 52. v<>; cf. BOUCHERIE, 1873; Ph. BARZILLAy-RoBERTS, Stephanus de Lingua-Tonante. Studies in the Sermons of Stephen Langton, Toronto, 1968, p. 145 et ZINK [147], pp. 39-42.. 2.3. THOMAS, op. fit., pp. 317-318. P. RICBE, G. LOBRICHON
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Vivre la Bible
La predication en langues vernaculaires
l'orthodoxie en ne voyant dans les pretendus miracles de Chosroes que des illusions produites par un charlatan et en resistant a leur fascination pour reserver aDieu seu1le pouvoir d'aller contre les lois de la nature. Tout cela reste tres limite. Mais il ne faut pas oublier que les sermons sont les plus anciens monuments de la prose litteraire en langue romane et qu'ils ont autant, sinon plus de valeur pour 1'etude de cette litterature et de son developpement que pour celle de la predication elle-meme. La rhetorique propre aux sermons en langue vulgaire, a laquelle on a fait allusion plus haut, est l'ebauche de la forme dans laquelle se coulera la littcrature fran<;aise tout entiere. Et si rares, si timorees, que soient leurs allusions aux genres litteraires profanes, elles reve1ent cependant Ie sentiment d'une communaute de culture.
PREDICATEURS DE LA FIN DU
MoYEN
AGE
11 est necessaire de reserver une place particu1iere a la predication en langue vulgaire a la fin du Moyen Age, quitte a paraitre manquer de coherence en substituant un plan chronologique au plan logique suivi jusqu'ici. En effet, la nature et Ie sens de cette predication changent en meme temps que ses rapports avec la predication en latin. Elle devient la regIe, ou, plus exactement, il devient habituel de conserver les sermons dans la langue OU ils ont etc preches. Les plus grands esprits ne rougissent pas de fonder leur gloire sur leur eloquence en langue vu1gaire et sur Ie style des sermons qu'ils ecrivent avec soin dans cette langue. A la predication anonyme et utilitaire au service de laquelle se mettent les sermons en langues vernacu1aires du xne et du XIIIe siecle succede une predication de predicateurs. Au xve siecle, Gilbert de Metz ecrit - en fran<;ais - dans sa Description de Paris: « Grant chose estoit de Paris quant maistre Eustache de Pavilly, maistre Jehan Jar<;on (i.e. Gerson), frere Jacques Ie Grant, Ie maistre des Mathurins et autres docteurs et clercs soloient preschier tant d'excellens sermons })24. A la faveur de cette personnalisation, les Mendiants font enfin leur entree en force dans les sermons conserves en langue vu1gaire. Sous leur influence, on voit s'amplifier dans la predication la tendance au pathetique et aux effets violents et parfois grossiers que l' on signalait, pour la fin de l'epoque precedente, dans Ie sermon d' Amiens. Les interjections, dont certaines sont presque des jurons, les exclamations, les interpellations du public, les manifestations extremes de l'apitoiement, allant jusqu'aux larmes, se mu1tiplient. On s'abandonne au vertige des devotions automatiques, comme celles du nom de Jesus. Tel predicateur 24. Cite par D. POIRI0N, Litterature fral1faise. Le Moyen Age, II,
p. 124.
I JOO-I 480,
Paris, 1971,
mime Ie martyre d'un saint ou la Passion du Christ. Tel autre reste silencieux un quart d'heure, les bras en croix, pour impressionner son ~uditoire. D'~e fa<;on generale, 1'exteriorisation bruyante de la piete, Jouant a,la f01S de la terreur et. d't~ne familiarite irrespectueuse a l'egard du sacre, accompagne la prcdicatlOn comme toutes les manifestations de la religion popu1aire. La place des Mendiants dans la predication au peuple a la fin du M.oyen Age est marquee de fa<;on exemplaire par Ie dominicain espagnol Vmcent Ferrier et par Ie francis cain italien Bernardin de Sienne. Saint Vincent Ferrier (1355 environ - 1419), qui joua un role important au moment du schisme d'A vignon, et particulierement au concile de Constance, connut un immense succes populaire comme predicateur itinerant, celebre pour les macerations qu'il s'imposait et les guerisons miracu1euses qu'il operait. 11 mourut d'ailleurs pendant une mission prechee en Bretagne. En 1396, i1 avait annonce dans sa predication la proximite de la fin du monde. Saint Bernardin de Sienne (1380-1444) ne Joua pas un role politique aussi important et ne precha guere hors de l'Italie. Mais sa predication eut peut-etre une audience popu1aire plus grande encore que celle de Vincent Ferrier et il correspond plus exactement encore a l'image du predicateur popu1aire, trainant a sa suite des foules innombrables et aisement suspecte de manquements a l' orthod?xie. Bernardin de Sienne dut plusieurs fois comparaitre devant Ie tribunal romain, mais i1 fut chaque fois acquitte. Ses sermons, qui nous ont etc conserves pour avoir etc notes a l'audition, tres fidelement se~ble-t-i1, par un reportateur, n'echappent pas plus que ceux de saint Vtn~en~ Ferrier aux exces signales plus haut et ne reculent pas, en partlcu1ier, devant les evocations les plus horribles ou les plus repugnantes de l'enfer et du peche. D'un ton tres vivant, ils multiplient les exempla et les dialogues fictifs avec l'auditoire. Parmi tous les autres predicateurs mendiants de cette epoque, on peut citer en France Ie confesseur du roi Charles VIII, Olivier Maillard, cordelier de l'Observance, qui a participe a la reforme de l'ordre franciscain. De 1460 a sa mort en 1502, il a preche presque tous les jours, tout en ecrivant, a cote d~ ses sermons latins et fran<;ais, des traites de spiritualite et des poesies pieuses. Mais Ie trait Ie plus remarquable et Ie plus fecond de la predication en langue vernacu1aire a la fin du XIV e et au xve siecle reside dans l'interet porte par les humanistes parisiens a la prose oratoire fran<;aise. Trois chanceliers de l'Universite de Paris illustrent cette tendance : Jean Gerson, mort en 1429, Jean Courtecuisse, mort en 1423, Robert Cibou1e, mort en 1458. Le premier est, bien entendu, Ie plus illustre, et a juste titre20• 25· GERSON, Op. Omnia, ed. GLORIEUX, t. VII, pp. 449-519, 659-671, 779-793; cf. L. MOURIN, Jean Gerson, prMicateur fral1fais, Bruges, 1952.
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Mais tous trois ont ecrit des traites spirituels en latin et en frans:ais, en reservant, comme il se doit, l'usage de la premiere de ces langues aux ouvrages les plus difficiles, ainsi que Ie souligne explicitement Gerson, mais en accordant Ie meme soin litteraire a leurs eOOts frans:ais et avec Ie souci delibere, toujours en ce qui concerne Gerson, de donner a la langue vernaculaire une dignite plus grande. Son souci de ce que l'on pourrait appeler une vulgarisation de qualite apparait a travers un titre comme L'exposition de la foy pour Ie simple peuple. En meme temps, l'engagement de Gerson, aux cotes d'autres humanistes, dans la querelle du Roman de la Rose temoigne de son interet pour la litterature frans:aise profane et pour l'influence qu'elle exerce. Avec ces auteurs, la predication en langue vulgaire cesse d'etre un pis-ailer impose par les obligations pastorales. Leurs sermons frans:ais sont ecrits avec autant de gout, selon une methode aussi elaboree et aussi savante, que leurs sermons latins. C'est ainsi que la predication en langue vernacu1aire, nee de l'humble necessite de mettre a la portee du peuple Ie texte de l'enseignement de l'EOOture, et tout particulierement ceux des Evangiles des dimanches, prend place a la fin du Moyen Age dans les grands courants de la litterature et annonce l'epanouissement de l'e1oquence sacree que connaitra l' age c1assique. Michel ZINK.
9 La predication en langue latine
Le Moyen Age nous a Iegue un nombre impressionnant de sermons. Des collections ou des pieces isolees anterieures a 12.00 ont ete integrees a la Patrologie latine, d'autres beaucoup plus nombreuses n'ont jamais fait l'objet de publications et les repertoires actuels d'incipit sont loin d'etre exhaustifs. Le prestige d'un predicateur ou l'appartenance a une famille religieuse ont sauve de l'oubli des recueils homiletiques : ceux, par exemple, de Bernard de Clairvaux (t I I 53), de plusieurs abbes cisterciens quasi contemporains, et de Mendiants, comme Antoine de Padoue (t 12.3 I), Bernard de Sienne (t 1444), Jacques de La Marche (t 1476), tous trois freres mineurs, ou Maitre Eckhart (t 132.7/8), frere precheur. Tous ces auteurs n'ont beneficie que recemment d'editions satisfaisantes. La renommee de certains maitres leur a fait attribuer toute une serie d'apocryphes que la critique a parfois ete longue a identifier et a rejeter : ainsi pour saint Bonaventure et saint Thomas d'Aquin (t 12.74). Pour la majorite des predicateurs, il reste beaucoup a decouvrir : parfois la vie, surtout les reuvres, oratoires ou non, frequemment encore manuscrites; cela vaut, en particulier, pour les derniers siec1es du Moyen Age ou l'abondance de la documentation et l'ampleur du travail preliminaire de recherche et d'identification des sources ont peut-etre rebute plus d'un historien. C'est donc avec une conscience aigue des limites de nos connaissances actuelles que la presente etude a ete entreprise. Autant que faire se peut, on a essaye cependant de choisir dans divers siec1es du Moyen
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Age les simples references aux auteurs ou les analyses un peu plus poussees; ainsi pour les frequences des citations scripturaires et l'utilisation faite concretement de la Bible. II s'agit de simples sondages guides par la seule existence de bonnes editions, OU la presence de tables scripturaires facilite la consultation et permet un minimum de synthese. II a semble necessaire de souligner auparavant la grande diversite de la predication latine au Moyen Age.
PROBLEMES DE CLASSIFICATION
Langue et date des sermons Sur l'ensemble du Moyen Age la predication en langue latine n'est pas une realite homogene. II peut s'agir tout d'abord de sermons prononces et ecrits en latin: ainsi durant l' Antiquite et Ie haut Moyen Age OU cette langue est comprise, sinon couramment parlee, en Europe occidentale et en Afrique du Nord. II y a probablement de grandes differences selon les regions et les milieux: familier, Ie latin de Cesaire d' Arles (t 542) est saisi par ses auditeurs. Si l'on n'a pas a traiter ici de la predication patristique en tant que telle, il faut bien voir cependant qu'elle a exerce une grande influence tout au long du Moyen Age, soit qu' on ait eu recours directement aux sermons des Peres, soit qu' on les ait connus a travers les florileges (ou homeliaires) tres tot constitues pour fournir des lectures a l'office (cf. RegIe de saint Benoit 9,9), nourrir la piete personnelle, ou aider Ie pretre dans sa tache d'enseignement. Distinction de principe qui peut etre moins tranchee dans la realite : cons;u pour simplifier Ie travail des predicateurs, l'homeliaire d'Alain de Farfa (t 770) sera surtout utilise a l'office. Durant les premiers siecles de l'Eglise, on choisit, certes, pour les grandes fetes : Noel, Epiphanie, Paques, Pentecote, les passages des ecrits canoniques s'y rapportant; mais on lit de fas;on continue les principaux livres bibliques, les jours de semaine et dimanches ordinaires. Les homeliaires empruntent aux commentaires patristiques de ces deux sortes de lectures bibliques et proposent donc des sermons « liturgiques » et d'autres faits au titre de la « lectio continua »1. Un double courant se manifeste dans les homeliaires tardifs. En effet, les collections integrent parfois des textes d'auteurs recents : a Cluny, Ie sanctoral du lectionnaire fait appel a Fulbert de Chartres I. H. BARRE, « Homeliaires», dans DSp., 7, 1969, pp. 597-606; R. GREGOIRE, Homeliaires liturgiques mMievaux. Analyse de manuscrits, Spoleto, 1980.
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(Nativite de la Vierge), a Odon de Cluny (saint Benoit), a Odilon (saint Mateul), a Pierre Ie Venerable (saint Marcel, Transfiguration du Seigneur) 2. Mais l'Italie et Ie courant anglo-saxon qui s'y rattache maintiennent plutot la tradition des anciennes collections purement patristiques. En France aussi, un courant cistercien et cartusien reste fidele aux Omiliae Patrum entendues au sens strict. La collection Sancti Catholici Patres a joue a cet egard un role decisif3. C'est en latin que durant tout Ie Moyen Age on s'adresse generalement au public clerical : moines et chanoines; etudiants des ecoles, des studia mendiants, des Universites; assemblees ecclesiastiques comme les synodes et les conciles; J. B. Schneyer a publie, entre autres, des listes d'incipit correspondant aux sermons prononces aux Conciles recumeniques tenus a Latran IV (1215), a Lyon (1245) et Lyon II (1274), a Vienne (1311), devant la Curie romaine, ou aux Universites camme Paris, Bologne et Oxford4 • II est probable que l'ignorance souvent denoncee des pretres de paroisses ou de religieux et Ie developpement des langues vernaculaires ont fait subir des exceptions de plus en plus nombreuses a cette regIe du discours en latin aux clercs. II existe enfin des sermons conserves en latin, langue fixe et noble, mais dont on sait qu'ils ont ete donnes aux fideles dans un idiome compris d'eux. Des 813, Ie Concile de Tours, c. 17, demande qu'on enseigne aux fideles les fins dernieres et qu' on Ie fasse en roman ou en allemando. Le recueillatin d'Albertle Grand (t 1280), Leipzig, Univ. 683, precise souvent la langue effectivement parlee « in latino, in vulgari, in theutonico »6. Parlant aux religieuses de Saint-Antoine a Paris pour la fete de saint Marc, Ie 25 avril 1273, saint Bonaventure s'excuse de son mauvais frans;ais 7 • Pour les homelies ad populum de Maurice de Sully (t 119 6) on dispose du recueil latin ecrit par l'auteur et d'adaptations posterieures en dialectes romans.
2. R. ETAIX, « Le lectionnaire de l'office a Cluny», dans Recherches augustiniennes, I I, 1976 , pp. 9 1-159. 3· J.-P. BouHoT, « L'homeliaire des 'Sancti catholici Patres' », dans REAug., 2I, 1975, pp. 145- 196 ; 22, 1976, pp. 143-185; 24, 1978, pp. 103-158. 4· J.-B. SCHNEYER [146], 6 (Konzils, Universitats und Ordenspredigten), 1975. 5· Dans J.-B. MANSI, XIV, 85 ou MGH Legum, sectio III, Concilia, t. 2, ed. A. WERMINGHOFF, Hannover, 1904, p. 288 : « ... et ut easdem homelias quisqueaperte transferre studeat in rusticam romanam linguam aut theotiscam, quo facilius cuncti possint intelligere quae dicuntur. » 6. J.-B. SCHNEYER [146], I, 1969, pp. 92-114. 7· SAINT BONAVENTURE, Opera omnia, 9, Quaracchi, 1901, p. 519.
po
Vivre la Bible Auditoire, circonstances et contenu
A travers la classification precedente par origine linguistique apparait une autre repartition par destinataires : les fideles ou Ie peuple chretien dans son ensemble, un groupe plus ou moins restreint mais en general cultive. Aux nuances d'auditoire peuvent correspondre des differences de forme et de contenu, une autre approche de l'Ecriture. II faut donc preciser davantage et distinguer parmi les sermons medievaux plusieurs cas.
Sermons apartir du cycle liturgique - Si Ie plus grand nombre se limite aux evangiles dominicaux ou festifs, des auteurs tels Raoul Ardent (t vers 12.00), Jacques de Vitry (t 12.40), Guillaume Peyraut (t 12..7 1) commentent aussi les epitres. Le recueil De tempore de Jacques de Vltry contient meme une troisieme serie sur les Introits du jour. Les groupes de sermons qui constituent la serie des Sermones per annum de saint Bernard forment chacun un ensemble coherent sur une fete ou periode liturgique : Avent, Epiphanie, etc. Des collections sont rassemblees sur l'Avent par Jean de San Giminiano o.p. (t apres 12.33) ou Robert de Lecce o.f.m. (t 1495). D'autres, plus nombreuses, apparaissent sur Ie Careme, avec, outre ces deux derniers auteurs, Conrad de Saxe (t 12.79), Bertrand de La Tour (t 1332), Bernardin de Sienne (t 1444), Jacques de La Marche (t 1476), Olivier Maillard (t 1502.), tous freres mineurs, ou Jacques de Voragine (t 12.98), frere precheur. Le fait d'appartenir a un recueil qu'on peut appeler liturgique ne signifie pas qu'il s'adresse necessairement ad populum. Bernard de Clairvaux parle d'abord aux Cisterciens, meme si la diffusion manuscrite lui a fait atteindre d'autres publics. Ces collections presentent entre dIes de grandes differences : les incipit scripturaires du Speculum ecclesiae d'Honorius Augustodunensis sont surtout vetero-testamentaires, alors que Maurice de Sully paraphrase l'evangile du jour et que Raoul Ardent appuie parfois Ie plan de ses homelies sur les sens scripturaires : sens historique, sens mystique, ou bien, analyse plus elaboree, sens litteral, sens mystique, sens tropologique8• I1 en va de meme pour Eudes de Chateauroux Ct 12.73) qui explique Ie sens litteral ou historique et les sens allegorique et moral9 • 8. Raoul ARDENT, Cum appropinquasset Iesus Ieroso/ymis (PL, I J J, 1830) : « Primo ea quae ad historiam, secundo quae ad mysticum sensum pertinent, sunt consideranda )~; cf. Ib~1 Jesus in ciuilalem quae uocatur Naim (ibid., 2065); Egressus Jesus secessit in partes Tyn et Sydoms (ibid., 1800 : iuxta litteram; 1800 : mystice; 1801 : tropologice). 9. Voir dans J.-B. SCHNEYER [146], 4, 1972, p. 423, n. 381; p. 4 25, n. 40 3; p. 43 1, n. 477·
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Sermons et commentaires bibliques. - On l'a dit, les compilateurs d'homeliaires ont puise dans les commentaires preches par les Peres sur les divers livres bibliques. Alain de Farfa, par exemple, emprunte, entre autres, a l' Expositio euangelii secundum Lucam d' Ambroise de Milan (t 397) et aux Tractatus in lohannem de saint Augustin (t 430). Mais durant Ie Moyen Age la lectio continua et les sermons originaux qui s'y rapportent tendent a se limiter a un public ecclesial. On Ie voit deja avec Gregoire Ie Grand (t 604) qui, pour des auditoires a predominance monastique, donne a Constantinople de 579 a 586 les Moralia in lob et, a Rome, vers 593, les Homiliae in Ezechielem. A partir du XIle siecle, Ie livre de l' Ancien Testament Ie plus souvent explique est Ie Cantique des Cantiques lO • Les Osterciens semblent lui avoir porte une particuliere predilection et ils ont souvent donne a leurs traites la forme litteraire du sermon. Sermones super Cantica canticorum ou parfois Tractatus, Homiliae, Expositio, Liber, Opus, tels sont les titres donnes au commentaire du Cantique 1-3, I, ecrit par saint Bernard entre l'Avent 1135 et 1153. A la mort de l'auteur, Ie 2.0 aout 1153, Ie sermon 86 est acheve, mais sans conclusion ni doxologie. Cent onze manuscrits anciens (XIle et xm e siecles), repartis entre quatre traditions principales, temoignent du succes de cette reuvrel l que les Osterciens ont voulu poursuivre. Gilbert de Hoyland (t 1172.) fut Ie premier continuateur: au Cantique 3, 2. a 5, 10, i1 consacre 48 sermons12• Secretaire et compagnon de voyage de saint Bernard a partir de 1145, Geoffroy d'Auxerre (t vers 12.00) est l'auteur d'une Expositio in Cantica canticorum dont on connait, la aussi, plusieurs etats 13 • I1 revenait a Jean de Ford (t vers 12.14) de terminer Ie commentaire du Cantique 5, 8 a 8,14. A cet effet, il ecrit 12.0 sermons plus proches par la clade et la profondeur de saint Bernard que de Gilbert de Hoyland. La redaction finale, homogene par la composition et Ie style, a pu etre precedee d'un texte partiellement donne au chapitre14• D'autres livres que Ie Cantique des Cantiques ont fait l'objet de sermons : 17, par exempIe, ont ete ecrits par saint Bernard vers I I 39 sur Ie psaume Qui habitat; on en connait environ 110 manuscrits groupes 10. Histoire de l'interpretation du Cantique depuis Hippolyte de Rome jusqu'a 1200 environ: Fr. OHLY, Hohelied Studien. Grundziige einer Gesehiehte der Hohe/iedaus/egung des AbendJandes bis um I200, Wiesbaden, 1958. Aper~ rapide de la comprehension spirituelle du Cantique au Moyen Age et a l'epoque modeme par A. CABASSUT et M. OLPHE-GAILLARD, « Cantique des Cantiques », dans DSp, 2, 1953, 101-109. II. Voir les tomes 1-2 de S. Bernardi opera, ed. J. LECLERCQ, C. H. TALBOT, H. ROCHAIS, 8 vol., Rome, 1957-1977. 12. PL, I84, 9-252. 13. GOFFREDO Dr AUXERRE, Exposi/io in Cantiea eantieorum. Edizione critica a cura di F. GASTALDELLI, Roma, 1974. 2 vol. 14. Sermons edites pour la premiere fois par E. MIKKERS et H. CoSTELLO, Ioannis de Forda Super extremam partem Cantiei eantieorum sermones CXX, Tumhout, 1970 (CC, Contino Med., 17-18).
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en trois traditions ui• La serie de Philippe Ie Chancelier (t 1236) In Psalterium est la plus importante numeriquement de ses reuvres oratoires et peut-etre l'unique a constituer un veritable recueil16• A l'evangile de saint Jean, saint Bonaventure a consacre des Postillae et des Collationes 17 ; Jean de Galles (t fin xme siecle) a ecrit lui aussi des Collationes in euangelium sancti Iohannis, longtemps attribuees au Docteur seraphique18 • Dans les dernieres annees de sa vie, saint Bernardin de Sienne a mis au point un De octo beatitudinibus euangelicis19• Au xne siecle, a Paris, l'enseignement des chanoines de SaintVictor et celui des maitres secu1iers comportent la predication. Pierre Ie Chantre (t 1197) enumere et hierarchise les trois manieres d'etudier l'Ecriture : lectio, disputatio, praedicati0 20, les deux premieres etant subordonnees a la troisieme21 • La lecture de l'Ecriture sainte et l'apprentissage de la parole publique font aussi partie de la formation que re<;oivent les jeunes precheurs dans leurs studia. Les commentaires bibliques se ressentent de la transformation qui affecte l'enseignement a partir du xn e siecle. La theologie devient une discipline systematique qU'on etudie d'abord sous la conduite d'un bachelier qui explique cursorie un livre de l'Ecriture, puis sous celIe d'un maitre qui lit ordinarie. Entre Ie commentaire et Ie sermon donnes l'un et l'autre dans Ie cadre scolaire, il existe, certes, une difference de but et de ton, mais il peut y avoir passage d'une categorie a l'autre. On a conserve une collection de sermons pour les fetes des saints et un commentaire des Actes des Apotres par Thomas Agni de Lentini, fondateur du couvent dominicain de Naples, puis provincial et eveque (t 1277). Quelques-unes des homelies, par exemple sur Etienne et Barnabe, sont des extraits legerement adaptes de son traite scripturaire. Guillaume de Werda age (debut Xlye siecle), voulant mettre a la disposition de ses confreres une anthologie dominicaine, rassembla des extraits de commentaires bibliques dus a Hugues de Saint-Cher (t 1263), Albert Ie Grand, Thomas 15· Dans S. Bernardi opera, t. 4 (op. cit., n. II), pp. 381-492. 16. J.-B. SCHNEYER [146], 4, 1972, pp. 848-868. Le recueil In psalterium a ete edite a Paris en 1523. 17. Cf. J.-G. BOUGEROL, Introduction I'Uude de s. Bonaventure, Paris-Tournai, 1961, pp. 145-147. 18. BAUDOUIN D'AMSTERDAM, « The Commentary on St John's Gospel edited in 1589 under the name of St Bonaventure, an authentic Work of John of Wales», dans Collectanea jranciscana, 40, 1970, pp. 71-96. 19. Dans S. Bernardini Senensis opera, t. 6, Quaracchi, 1959, pp. 331-477 . •20. Verbum abbreuiatum, T, PL, 20 J, 25 : « In tribus igitur consistit exercitium sacrae Scrtpturae : circa lectionem, disputationem et praedicationem. Lectio autem est quasi funda~entunI et substratorium sequentium ... Disputatio quasi paries est in hoc exercitio et aedifiCIO ... Praedicatio uero, cui subseruiunt priora, quasi tectunI est tegens fideles ab aestu et a turbineuitiorum.» Version longue dans J. W. BALDWIN [78], t. 2, Princeton, 1970, p. 63, n. 22. 2 I. J. CHATILLON, « Les ecoles de Chartres et de Saint-Victor», dans La scuola ne/l'Occidente latino de//'alto medioevo, dans Settimane, Spoleto, 1972, pp. 822-824; J. LONGERE [143].
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d'Aquin (t 1274) et Nicolas de Gorran (t vers 1295) : manuscrit Oxford, Magdal. ColI. 167, XIVe siecle22• On a aussi reparti selon l'ordre des evangiles dominicaux des fragments de la Catena aurea continua super quattuor euangelia acheve par Thomas d' Aquin en 126723.
Circonstances diverses. - Outre les sermons de caractere plutot liturgique, biblique ou universitaire selon les cas, dont on a parle jusqu'ici et qui sont les plus nombreux, les predicateurs medievaux ont produit, surtout dans les derniers siecles, des recueils sur divers sujets. Quelques exemples : Aux clercs de Paris, entre Ie careme de II39 et Ie debut de I I 40, saint Bernard adresse l' Ad clericos de conuersione 24• Les series ad status de Jacques de Vitry et Guibert de Tournai o.f.m. (t 128 4) contiennent des instructions adaptees aux differentes categories de personnes. Sous forme de sermons, saint Bernardin de Sienne propose des traites De uita christiana, De beata Virgine, De Spiritu sancto et de Inspirationibus 25• Les fins dernieres inspirent plusieurs auteurs : Guibert de Tournai (De morte non timenda), Jean de San Giminiano (Sermones funebres), Robert de Lecce (De timore iudiciorum Dei). Un chartreux, Henri de Dissen (t 1484), ecrit quarante Romiliae super ojjicium missae « Rorate caeli desuper »26.
EMPLOIS DE L'EcRITURE
Apres cette rapide enquete sur la diversite de la predication en langue latine au Moyen Age, on propose ici quelques donneesstatistiques relatives a l'emploi de l'Ecriture et des exemples sur la fa<;on de la citer ou de l'utiliser. .
Quelques donnees statistiques Elles portent sur quatre series de sermons pour lesquelles on dispose de tables des citations scripturaires; on l'a deja dit, c'est la principale 22. Th. KAEpPELI, Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aeui, t. 2, Roma, 1975, p. 172, n. 1678. 23. L.-J. BATAILLON, « Les sermons de saint Thomas et la Catena aurea », dans Saint Thomas Aquinas, T274-T974. Commemorative Studies, t. I, Toronto, 1974, pp. 67-75. 24. Op. cit., n. 15, pp. 68-116. 25. Op. cit., n. 19, pp. 1-329. 26. Voir BAUDOUIN D'AMSTERDAM, « Guibert de Tournai », dans DSp, 6, 1967, 11391146? H. RUTHING, « Henri de Dissen », ibid., t. 7, 1969, 185-188; H. PLATELLE, « Jacques de Vltry», ibid., t. 8, 1974,59-62; P. RAFFIN, « Jean de San GinIiniano», ibid., 721-722.
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raison qui a conduit ales choisir27• Avant de degager les reflexions d'ensemble, voici des precisions indispensables d'auteurs et de dates. Les XIV homilies du IXe sieele furent destinees aux fideles d'une eglise paroissiale en Italie du Nord, vers 850 environ. Eiles eurent une assez large diffusion dans cette meme region. II s'agit de textes courts, sans incipit scripturaire, pour certains temps de l'annee liturgique : Avent, Noel, Epiphanie, Septuagesime, Sexagesime, Quinquagesime, Careme, Rameaux, Paques28• Guerric, deuxieme abbe d'Igny (t I I 57), a laisse 54 sermons qui s'accordent assez exactement aux jours ou l'on prechait au chapitre selon l'usage cistercien; si l'on en croit l'Exordium magnum, les textes ecrits correspondent dans une large mesure a ceux qui furent donnes de vive voix par Guerric a sa communaute29 • La collection de Paris, BN n. a.1. 335, composee de 84 sermons, offre une grande homogeneite : 61 portent Ie nom de leur auteur, seculler ou mendiant; ils furent preches entre Ie 8 septembre 1230 et Ie 29 aout 12313°. Antoine de Padoue (t 123 I) a redige les Sermones dominicales entre l'automne 122.7 et Ie printemps 1228. Quand il fut libere de ses fonctions de ministre provincial d'Emilie en mai 12.30, il entreprit un recueil de Sermones festiui qu'il n'eut pas Ie temps d'achever avant sa mort. Soixanteseize dimanches ou solennites ont fait l'objet de predications31• On a dresse des tableaux pour faciliter la lecture et non les comparaisons entre des <:euvres qui ne s'y pretent guere, vu surtout la diversite de longueur (la proportion est souvent de I a 20 entre les textes du lXe siecle et ceux d' Antoine de Padoue) et d'auditoire : d'un cote Ie peuple (homelies du IXe siecle), ailleurs un public instruit auquel on peut adresser des discours riches de citations ou d'allusions 32• Cependant plusieurs tendances apparaissent : Quand on parle aux fideles on se re£ere en premier lieu au Nouveau Testament. Outre l'exemple des homelies du lXe siecle, on pourrait
27. L'absence de tables scripturaires dans la recente edition des sermons de Jacques de La Marche (t 1476) n'a pas pennis d'etudier l'usage quantitatif que cet auteur fait de la Bible (cf. infra, n. 40). 28. XIV homeJies du IX' siecle d'un auteur inconnu de I'ItaJie du Nord. Introd., texte critique, trad. et notes par P. MERcmR, Paris, 1970 (SC, I6I). 29. GUERRIC D'IGNY, Sermons, Intr., texte crit. et notes par ]. MORSON et H. CoSTELLO, trad. sous la direction de P. DESEILLE, 2 vol., Paris, 1970 et 1973 (SC, I66, 202); Exordium magnum cisJerciense siue narratio de initio cisJerciensis ordinis, ed. B. GRmssER, Roma, 1961, III, 8, p. 164. 30 • M.-M. DAVY fIn], pp. 49-50. 31. s. ANrONII PATAVINlS, Sermones dominicales eJ jestiui ad fidem codicum recogniti, 3 vol., Padova, 1979. 32 • Bien que deux editions (homelies du IX' siecle et Antoine de Padoue) aient, avec raison, distingue citations proprement dites et allusions plus ou moins developpes, on a ecarte ici cette division par souci d'unifier les donnees et de simplifier la lecture des tableaux.
La predication en langue /atine XIV
homilies I.
, I
Genese Exode Uvitique Nombres Deuteronome Josue Juges Ruth I Samuel II Samuel I Rois II Rois I Chroruque II Chroruque I Esdras II Esdras III Esdras Tobie Judith Esther Job Psaumes Proverbes Ecclesiaste Cantique Sagesse Ecclesiastique Isale Jeremie Lamentations Baruch Ezechiel Daniel Osee Joel Amos Abdias Jonas Michee Nahum Habaquq Sophonie Aggee Zaccharie Malachie I Maccabees II Maccabees Total AT
-
Glle"ic d'Ig'!Y
ANCIEN
7 8 14 10 2. 2.
I I
2. 2.
51
4 13 80 2.0 45 26 44
II7 30 16 2. 18 8 15
2. 3
2.
45 42. 17 16 13
32. II 80 46 38
37
2.
3 7 5 53 99 44
2.0 17 2.3 76 88 42.
7 3 53 2.2. 18 335 569 177 52· II 2. 54 164 589 149 53
3 2.5 17 2.8 3 8
4 5
3 5 2. 9 5
I
10 7 2. 10 56
319 IIO 39 35 64 I5
6 2.
2.3
Antoine de Padoue
TESTAMENT 43 9 2. 12. 13 3 2.
8
Paris BN n.a.l. JJJ
52 5
5 9 663
6 II9 52. 63 24 2.4 7 5 2.0 16 2.5 3 4 36 9 2.1 8 8 6 3 3
526
Vivre la Bible XIV homelies
Matthieu Marc Luc Jean Actes Romains I Corinth. II Corinth. Galates EphCsiens Philippiens Colossiens I Thessal. II Thessal. I Timothee II Timothee Tite Hebreux Jacques I Pierre II Pierre I Jean Jude Apocalypse Total NT
II. 22 3 6 23 2 2
67
Guerric d'Igtry
Paris BN n.a.l. j j !
Antoine de Padoue
NOUVEAU TESTAMENT 135 18 13 6 II4 25 66 70 44
16 22 25 15 10 3 16 4 5 36 12 14 3 8
17 81 4
88 16 17 68 28
1
140
21 15 3 4 29 51 2
462 75 49 2 357 104 98 12 3 64 57 62 54
20 10 14 7 5 53 35 57 10 33
2 126 2319
citer celui, non analyse ici, du manuel ecrit pour les pretres par Maurice de Sully. Dans la predication savante, qu'elle soit monastique (Guerric d'Igny) ou universitaire (Paris, BN n. a.1. 335), l' Ancien Testament l'emporte. 11 en va de meme chez Antoine de Padoue, OU la forme ecrite tres elaboree n'a probablement qu'un rapport assez lache avec Ie texte prononce. Ce dernier auteur cite pratiquement tous les livres de la Bible, mais Guerric d'Igny et la collection de Paris temoignent aussi d'une large connaissance de l'Ecriture. Dans l' Ancien Testament la preference va aux Livres Sapientiaux, y compris chez l'auteur des homelies du IXe siecle. Les Psaumes surtout expliquent ce choix. A cause peut-etre des reminiscences de l'office choral, Ie moine Guerric d'Igny les cite davantage (413) 82 que l'ensemble des quatre evangiles (403) ou des Epitres pauliniennes (3 ). Job et l'Ecclesiastique paraissent aussi tres goutes. La Genese est en tete pour Ie Pentateuque et les livres historiques,
,."•,.,,,;1 ,.
'1:1
52 8
Vivre la Bible
Le fait que des citations soient probablement faites de memoire peut e~pliquer aussi des variations de detail. Parfois saint Bernard depend des intermediaires qui lui transmettent Ie texte biblique : la liturgie ou les Peres de l'Eglise. Ainsi In laudibus, IV, 8 (t. 4, p. 53, 1. 12) cite Zacharie 9, 9 d'apres une antienne du premier dimanche de l'Avent : Iucunda filia Sion, et exsulta satis, filia Ierusalem. Les repons et les antiennes ont inspire nombre d'emprunts bibliques du Super cantica : Ie sermon 6,; et Ie sermon 71, 14 (t. I, p. 27, 1. I;; t. 2, p. 224, 1. 14) rapportent Habaquq ;, ; seIon Ie trait en usage a l'office du Vendredi saint; sermon 26, II (t. I, p. 178, 1. 25) se refere a Osee I;, 14, seIon la version 0 mors du Samedi saint. Isaie 9, 6 est connu d'apres l'lntroIt de la messe de Noel: magni consilii angelus (cf. s. 8, 7; t. I, p. 40, 1. 17). Pour Sagesse 4, I, la les;on des antiphonaires : casta generatio cum caritate est preferee a celle de la Vulgate : casta generatio cum claritate (t. I, p. 187,1. 19-20)35. Les citations que fait de l'Ecriture la RegIe de saint Benoit ont plusieurs fois influence l'abbe de Clairvaux : Tobie 4, II (s. 50,4; t. 2, p. 80,1. 5); !saie 65, 24 (s. 75,4; t. 2, p. 249,1. 14); Matthieu 18, 12 (s. ;;, 2; t. I, p. 234, 1. 26). 11 en va de meme pour d' autres traites patristiques : Job 14,4 (s. 70,8; t. 2, p. 212, 1. ;X) est repete comme il se trouve dans Ie sermon 21, I de saint Uon (PL, 54, 191) lu a l'office nocturne de Noel. Le texte de Lamentations 4, 20, souvent cite en conformite avec les Septante, vient d'une homelie de saint Ambroise (Expositio euangelii sec. Lucam, VII, 214) entendue aux matines du samedi apres Ie 2 e dimanche de Careme; pour l'interpretation de ce verset saint Bernard depend d'ailleurs d'Origene 36• Saint Bernard a pu choisir entre les les;ons que proposaient divers manuscrits de la Vulgate; dans Ie sermon 70,6 (t. 2, p. 212,1. 2) il a nuntius comme les Septante et plusieurs temoins alors que Ie texte authentique porte nuntH. Trois regles principales d'interpretation sous-tendent de nombreux commentaires. La premiere est celle de l'anthologie : chaque mot du texte a une origine biblique; compose avec art, seIon un plan precis, l'ensemble est cependant original. On retrouve ce procede en plusieurs passages de In laudibus Virginis Matris : au debut de l'homelie I, OU saint Bernard s'interroge sur la signification des noms propres en 35. Voir R.-J. HESBERT, Corpus antiphonalium officii, t. 3 : lnuitaloria el antiphononae, Roma, 1968 , n. 4069, p. 374. Meme le<,;on (cum caritale) au sermon 14 de Gauthier de Saint-Victor, voir GALTERI A SANCTO VICTORE et quorumdam aliorum, Sermones inedilos triginla sex recensuil, J. CHATlLLON, Turnhout, 1975 (CC, Contino Med., 30), p. IZZ. Cette le<,;on est attestee par plusieurs temoins cites dans Bib/ia sacra, t. IZ : Sapientia Sa/omonis. Liber Hiesus filii Sirachi, Roma, 1964, p. 33. Mais l'usage liturgique a dl1 etre determinant. 36. J. DANIELOU,« Saint Bernard et les Peres grecs », dans Saini Bernard lbe%gien. Ana/ecta sacri ord. cislerc., 9,1953, p. 48; J.-M. DECHANET,« La christologie de saint Bernard », ibid., p. 87, n. z.
La predication en langue latine
529
Luc 1,26-27, et indique Ie plan qu'il va suivre (t. 4, p. 1;-14); dans l'homelie I, 8 Ie theme de l' Agneau rassemble des expressions empruntees a divers livres de la Bible (t. 4, p. 20); c'est avec des mots qui ont presque tous leur repondant dans l'Ecriture que l'homelie 2, 9 developpe les paradoxes de l'Enfant-Dieu (t. 4, p. 27). La deuxieme regIe est celle de l'etymologie : en ceIa, saint Bernard reste fidele a la tradition biblique et patristique. 11 s'appuie souvent sur l'ouvrage classique de saint Jerome, Liber interpretationis hebraicorum nominum. SeIon les mots hebreux dont on Ie fait deriver (Neser ou Nezer), Nazareth veut dire la fleur (flos) ou la purete (munditia) : Ie commentaire decoule de cette double signification qui fournit, a la fois, un procede d' explication et de composition. Le De laude nouae militiae, I; (t. ;, p. 225) opere a propos de flos une triple distinction : semen, flos, fructus; parallelement, il compare les promesses du salut a leur accomplissement dans Ie Christ, par l'intermediaire des figures. Cette allegorie de la semence, de la fleur et du fruit permet donc de rappeIer les grandes etapes de l'histoire du salut et Ie passage de l'une a l'autre. Vne troisieme maniere d'interpreter l'Ecriture consiste a batir Ie deveIoppement autour d'un mot cle : Ie terme benedictus applique par Luc a la Vierge (1,28), puis au Christ (1,68) sert de point de depart a un expose d'orclre historique et dogmatique, OU saint Bernard associe la benediction de la Mere et du Fils et leur fecondite spirituelle. 11 leur oppose les maledictions de l' Ancien Testament, formulees au paradis terrestre (Gen. ;,16) ou par la Loi (Sag. ;, I;); elles entrainent une reprobation et une condamnation generales auxquelles met fin Ie Nouveau Testament. Les variations autour de benedictus-maledictus ont permis d'exposer, une fois encore, Ie passage de l'Ancien au Nouveau Testament, du peche au salut.
Maurice de SullY. - Son manuel a l'usage du clerge paroissial suit Ie deroulement de l'annee liturgique et commente les evangiles des dimanches et de quelques grandes fetes. Le theme est fourni par les premiers mots de l'evangile du jour que l'eveque de Paris va ensuite reprendre phrase par phrase. Cette repetition, souvent litterale, peut etre entrecoupee d'incises qui se veulent explicatives. Ainsi, a propos du fils de la veuve de Naim37, il donne un synonyme au mot cercueil (loculus biblique est precise par Jeretrum) pour insister probablement sur Ie geste du Christ (Luc 7, 14); ce sont les temoins du miracle qui furent saisis par la crainte, ajoute-t-il (Luc 7,16).
37. lbal lesus in ciuitale Naim, Paris, BN lal. 14937, fo 51 ra-vb.
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La predication en langue latine
Ii enonce un principe general qui souvent lui sert de transition entre Ie recit biblique et l'application qu'il veut en faire : « Tel est Ie miracle que Ie Seigneur opera, alors corporellement et qu'il ne cesse de repeter chaque jour. » En quelques lignes il explique que Ie Seigneur ressuscite des morts chaque fois qu'il justifie les impies. Quant au cercueil, aux porteurs et au cimetiere, ils signifient respectivement la conduite mauvaise du pecheur, ses desirs impurs ou les demons, l'enfer. L'auteur deplore ensuite Ie nombre eleve de pecheurs qui seront conduits en ce lieu redoutable, s'ils ne se convertissent pas. Ii termine son sermon en rappelant que les trois morts ressuscites par Ie Christ designent trois sortes de pecheurs; developpement plus abstrait que les explications precedentes et qui s'inspire du Liber exceptionum (11,12, 19) de Richard de Saint-Victor, source preferee de Maurice de Sully38. Ce dernier redevient personnel et pratique avec l'exhortation finale : « Maintenant bien-aimes, regardez-vous, vous-memes, et voyez si vous etes morts par Ie peche ou vivants par la saintete. Si vous etes morts, la sainte mere Eglise vous pleure par ses pretres saints et ses hommes spirituels, elle desire vous ressusciter de la mort a la vie, c'est-a-dire du pecht! a la saintete. Esperons donc que Ie Seigneur en nous donnant ses vertus, d'abord la saintete et ensuite la gloire nous fera vivre pour toujours. Qu'il daigne nous l'accorder. »
Antoine de Padoue. - La plupart des Sermones dominicales d' Antoine de Padoue repondent a un schema assez rigoureux. Dans l'edition imprimee, on lit au debut de chaque sermon une liste de themata. Le theme principal, tres souvent emprunte a l'evangile du jour, peut l'etre aussi a la premiere lecture : Epitre de Paul (;a de Aduentu) ou Actes des Apotres (Pentecostes). L'Ecclesiastique a donne ceux des quatre Sermones mariani. Les livres historiques Ius a l'office, l'introit et l'epitre de la messe fournissent les themes secondaires. Apn!s Ie rappel du theme principal vient Ie prOtheme, exordium ou prologus consonans comme l'appelle Antoine de Padoue; il s'ouvre par une citation presque toujours vetero-testamentaire, apparentee par Ie sens et Ie vocabulaire au theme principal. Ce dernier est repris et divise a la fin du prologus. Ii en va de meme pour Ie theme secondaire. Leurs divisions (diuisiones) a tous deux se correspondent. Reprises et expliquees (par distinctiones) tout au long du sermon elles lui servent de trame. Ainsi l'epitre ou une autre lecture veterotestamentaire est sans cesse associee au commentaire de l'evangile. On lit, par exemple, au dimanche de la Sexagesime la parabole du semeur
38. RICHARD DE SAINT-VICTOR, Liber exceptionum, ed.
J. CHATILLON, Paris, 1958, p. 475.
(Luc 8, 5) et, a l'office, l'histoire de l'arche de Noe (Gen. 6, 14)39. Le prologue annonce : In hoc euange/io sex va/de notabilia sunt notanda : seminator et semen, via, petra, spinae et bona terra. Et in historia praesentis diei simi/iter sex: Noe, arca quae habuit quinque cameras j prima fuit stercoraria, secunda apothecaria, tertia immitium id est ferocium animalium, quarta mitium, quinta hominum et vo/ucrum. Sed attende diligentissime quod quarta et quinta pro una tantum camera in ista concordantia accipitur.
Antoine de Padoue fait correspondre : Christus et Noe, Ecclesia et arca j semen secus viam et camera stercoraria j semen supra petram et camera apothecaria j semen inter spinas et camera immitium anima/ium j semen in terram bonam camera mitium anima/ium et camera hominum et vo/ucrum.
C'est a propos de la semence jetee en bonne terre que sont commentes l'IntroIt : Exsurge quare obdormis Domine (Ps. 43, 23) et l'epitre de la messe : Libenter suffertis insipientes (II Cor. 11, 19-20). Ce sermon, comme tous les autres, se termine par une priere : exhortation, demande et louange a partir du theme initial.
Jacques de La Marche (t 1476). - Ii fait sa profession a la Portioncule, Ie l er aout 1416, et demeure attache au ministere de la predication jusqu'a l'annee qui precede sa mort. Son activite s'etend a toute l'Italie, a l'Europe centrale et orientale et, vers la fin de sa vie, particulierement a la region de Naples. On connait la bibliotheque qui lui servait a composer ses reuvres. Les sermons qu'il donnait pour la plupart en italien ont ete conserves en latin40• Ii s'agit, en general, de textes longs dont les dimanches de l'annee liturgique constituent Ie point de depart. Chez Jacques de La Marche Ie protheme a disparu en tant que tel. L'incipit scripturaire est suivi d'un court prologue OU l'auteur annonce d'emblee Ie sujet qu'il va traiter. 11 y cite peu l'Ecriture, mais precise eventuellement ses sources comme Ie Decret de Gratien ou les Decretales, ainsi dans Ie sermon 5 de baptismo et Ie sermon 14 de nuptiis. Ii annonce les divisions generales (articuli) au nombre tres variable et qui vont de 2 ou 3 (cas frequent) a 7 ou 8, voire 12 (s. 88,89) et 14 (s. 36). A l'interieur de chaque « article» il opere d'autres distinctions : en cela il reste fidele a une des regles pronees par les Artes praedicandi medievaux : ainsi celui faussement attribue a saint Bonaventure OU Ia division et la subdivision des idees constituent Ie deuxieme des huit modes de developpement41 • 39. SANCTI ANTONI! PATAVINI (op. cit., n. 31), I: Introductio. Sermones, pp. 25-37. 40. SANCTUS JACOBUS DE MARCHIA, Sermones dominicales, Introduzione, testo e note di R. LIOI, 3 vol., Falconara, 1978. 41. Dans SAINT BONAVENTURE (op. cit., n. 7), p. 16; cf. Th.-M. CHARLAND [136], pp. 30-33'
La predication en langue latine
Vivre la Bible Le sermon I pour Ie premier dimanche de l' Avent a pour incipit : Videbunt Filium hominis uenientem in nube cum potestate magna et maiestate (Luc 21, 27). L'auteur annonce de suite qu'il va precher la crainte du jugement divin qui sera rendu avec justice sans acception des personnes, a chacun selon ses reuvres (cf. Mat. 16,27). Dne citation du Psaume 9,8-9 : Parauit in judicio tronum suum et ipse iudicabit orbem te"e in equitate : iudicabit populos in iustitia lui permet d'illustrer par l'Ecriture les quatre elements d'une sentence equitable: sa preparation (parauit), l'enquete menee avec justice et discernement (iudicium), un jugement juste (in iustitia) qui n'exclut pas la misericorde (equitas). L'annonce du plan a suivre termine cette introduction : y aura-t-il un jugement, quds en sont les signes, les reuvres de chacun seront-elles jugees publiquement, la remuneration sera-t-elle proportionnelle aux actes ? Chacune des quatre parties est elle-meme subdivisee en quatre, et Ie procede continue parfois a l'interieur de ces distinctions secondaires (Articulus I, I, a). La methode d'exposition s'apparente a celIe des ecoles : on expose une these qu'ensuite on prouve par des arguments rationnels ou d'autorite. L'Ecriture intervient a ce titre; dIe appuie pratiquement chaque demonstration et parfois elle Ie fait seu1e. Les citations bibliques sont donc assez nombreuses; elles res tent, en general, courtes : quelques mots ou un verset. Venant apres des emprunts souvent avoues aux auteurs sacres ou profanes, par exemple dans ce sermon I, Jerome, Gregoire, la Sybille, ces recours a l'Ecriture peuvent paraitre en quelque sorte banalises. Mais il y a plus curieux. En effet, la quatrieme et derniere preuve de l'existence d'un jugement (articulus 1) est purement biblique. On pourrait penser que, la, Jacques de La Marche a transcrit en entier quelques textes vetero- et neo-testamentaires. Non, n encadre seu1ement par deux affirmations et une allusion au huitieme article du Credo une serie de references bibliques portant toutes, a son avis, sur Ie jugement futur : environ 50 pour l'Ancien Testament, 18 pour Ie Nouveau. Les Psaumes n'interviennent pas; l'auteur renvoie globalement a David. Pour introduire les references bibliques, il ecrit que toutes les saintes Ecritures soutiennent l'existence d'un jugement de l'homme. A la fin des citations, i1 reaffirme cette proposition et cite aussi Ie huitieme article du symbole de foi : « Jesus-Christ viendra de nouveau juger les vivants et les morts »42. II apparait que les concordances verbales, dont Ie principe remontait deja a deux siecles, fournissaient une documentation facile aux predi. 4 2 •. Dans ed. R. LIOr (cf. n. 40), t. I, pp. 76-77 : « Quarto, propter sanctarum scripturarum unpletlonem. Quia omnes scripture sacre clamant hominem futurum iudicaturum... Dauid ~=:si. per totum... In quibus scripturis prophete clamant et affirmant quod infallanter erit ludiClum. Et est octauus articulus fidei : inde uenturus est iudicare uiuos et mortuos. Philippus. »
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cateurs. On comprend qu'un sermon mis par ecrit comporte toutes ces indications, mais on imagine mal qu'un orateur ait pu faire autre chose que glaner quelques versets dans cet arsenal scripturaire.
CONCLUSION
On a deja fait allusion a la masse documentaire que representent les sermons latins medievaux, a tous les problemes qui res tent a resoudre dans la recherche, l'attribution, l'edition et Ie commentaire des textes. Mais i1 faut bien voir que, dans l'immense majorite des cas, la predication au Moyen Age, et d'ailleurs a tous les siecles, ne laisse aucune trace ecrite : les temoins manuscrits ou imprimes ne constituent qu'un echantillonnage reduit et dont il ne faut pas exagerer la signification. En effet, la transcription privilegie les reuvres des celebrites et les discours faits au public clerical, scolaire, religieux, la ou existe un auditoire susceptible de lire une exhortation spirituelle sous forme de sermon et, plus modestement, a cette epoque, un copiste et son materiel. C'est dire que si l' on est assez bien renseigne sur la predication des villes universitaires comme Paris, Oxford, Bologne ou celIe des grandes abbayes cisterciennes et des monas teres rhenans, on ignore Ie plus souvent la forme et Ie fonds de l'homelie dominicale faite par Ie pretre de paroisse, par l'abbe ou Ie moine anonyme d'un couvent peu connu. Sous l'angle du recours a l'Ecriture, la situation, on l'a vu, est differente selon qu'on s'adresse aux clercs ou aux fideles. Dans Ie premier cas, si l'on regarde les series ici retenues, l'Ancien Testament fournit la majorite des incipit et l'emporte par Ie nombre des citations. Dans Ie second cas, c'est Ie Nouveau Testament qui fait surtout l'objet de commentaires; on Ie comprend puisque ces derniers portent essentie1lement sur les evangiles proposes par Ie cycle liturgique. II peut y avoir des exceptions comme Honorius Augustodunensis : Ie Speculum ecclesiae admet quantite d'incipit tires de l'Ancien Testament; il lui emprunte aussi une abondante typologie par les mu1tiples comparaisons entre Ie Christ et les grandes figures de l'histoire d'Israel. Ce que ne fait pas Ie manuel similaire de Maurice de Su1ly, OU les seu1es images appliquees au Christ sont celles du Bon Samaritain et du Juge des derniers temps. Le premier etait moine noir; Ie second, eveque de Paris, avait probablement une meilleure connaissance de l'etat religieux des fideles. Cependant, s'il convient de maintenir la distinction entre Ie discours savant et l'exhortation populaire, il ne faut pas exagerer la distance. Des traites a l'usage des clercs ont fait l'objet d'adaptations a l'usage des fideles : Richard de Saint-Victor a ete pille par Maurice de Sully.
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Vivre la Bible
A l'inverse, une predication pour Ie plus grand nombre, comme celie de saint Antoine de Padoue et de Jacques de La Marche, qu'on peut supposer relativement simple et accessible dans l'expression orale, se surcharge, sous la forme ecrite, de divisions et de references bibliques ou autres. A propos de la predication populaire on peut d'ailieurs se demander si l'homelie dominicale ne prenait pas souvent la forme d'un expose sur Ie Pater ou Ie Credo: « Les pretres exhorteront sans cesse Ie peuple a reciter l'oraison dominicale, Ie 'Je crois en Dieu' et la salutation de la Bienheureuse Vierge », disent les Statuts de Paris vers 1204. Vne vingtaine d'annees plus tard, Ie Synodal de I'Ouest demande aux pasteurs « de veiller a instruire avec soin les gens, qu'ils soient majeurs ou mineurs, dans la croyance en la Trinite et en l'Incarnation, dans les sept sacrements et les sept reuvres de misericorde opposees aux sept peches capitaux »43. La necessite de structurer quelque peu Ie contenu de la foi, l'absence d'institutions proprement catechetiques expliquent sans doute l'abondante floraison de traites sur Ie Pater ou Ie Credo, ou il serait sUrement interessant d'examiner la place faite a l'Ecriture sainte44• Par la messe et l' office les clercs avaient un usage quotidien de la Bible; il ne faut donc pas s'etonner que beaucoup de citations, chez saint Bernard par exemple, fassent echo aux textes liturgiques dependant des anciennes versions latines et non de la Vulgate realisee par saint Jerome. Pourtant, au XIUe siecle, des Artes praedicandi se defient des textes liturgiques qui introduisent parfois des changements; ils preconisent l'emploi de la version hieronymienne45• Mais furent-ils suivis, l'habitude et la memoire n'ont-elles pas ete plus fortes? Selon Ie De modo componendi sermones de Thomas Waleys (t apres 1349), Ie theme du sermon devait obligatoirement etre emprunte a la Bible46 : prescription rigide qui, dans les siecles precedents, aurait elimine, par exemple, quelques initia profanes connus d' Alain de Lille47 ou des
43. O. PONTAL, Les statuts de Paris et Ie Synodal de l'Ouest. Les statuts synodaux franc;ais du XIII" siecle, I, Paris, 1971; dansStatuts de Paris, n. 62, p. 75; dans Synodal def'Ouest, n. 123, p. 227· 44. Voir B.-G. GUYOT, « Incipits of Works on the Pater noster », dans M .. W. BLOOMFIELD... , Incipit of Latin Works on the Virtues and Vices, IIOO-IJJO AD, CambrIdge, Mass., 1979, pp. 567-686. . 45. ROBERT DE BASEVORN, Forma praedicandi, XVI;« Videat etiam quod thema suum Sit de textu Bibliae, non de antiphonario. Unde uitiosum est illud thema quod aliqui assumunt in festo Trinitatis ; Tres uidit et unum adarauit, quia non est textus Bibliae », dans Th.-M. CHARLAND [136], p. 250; Thomas VALLEYS, De modo componendisermones, II, ibid., p. 342:« Cont!ngit enim quandoque quod ea quae cantantur in Ecclesia de Sacra Scriptura extrahuntur, sed mter originale et transsumptum est magna diuersitas. » 46. II, ibid., p. 341 : « Secundum est ut thema accipiatur ex Sacra Scriptura. » 47. M.-Th. d'ALVERNY,« Un sermon d'Alain de Lille sur la misere de l'homme », dans Literary and Historical Studies in Honor of Harry Caplan, ed. by L. WALLACH, New York, 1966,
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inclplt liturgiques, non bibliques d'origine, qu'avait pu developper Gauthier de Saint-Victor48 (fin xu e). Plus que Ie choix des themes, l'evolution de la conception du sermon constituait Ie veritable danger. En effet, la contrainte des regles edictees par les Artes praedicandi, l'influence des procedes scolaires d'exposition tendaient a faire de l'incipit une these qu'on prouve a grand renfort d'arguments. Comme Ie Decret de Gratien ou les Sentences de Pierre Lombard, la Bible pouvait devenir une anthologie ou puiser des preuves et les concordances n'ont peut-etre pas rendu, la, leurs meilleurs services. 11 serait injuste d'exagerer et de generaliser Ie risque encouru. S'il existe un trait qui frappe a la lecture des sermons medievaux c'est bien la familiarite avec la Bible dont ils temoignent; ils repondent en cela a la regIe formulee apres tant d'autres par Humbert de Romans la premiere science du predicateur est celle des Ecritures 49• Jean LONGERE.
pp. 5I 5-53 5 ; « Variations sur un theme de Virgile dans un sermon d'Alain de Lille », dans Melanges d'archiologie et d'histoire offerts a Andre Piganiol, Paris, 1966, pp. 1517-1528. 4 8. GALTERI A SANCTO VICTORE ... , Sermones ineditos triginta sex recensuit, J. CHATILLON, Turnhout, 1975 (CC, Contino Med., 30), pp. 26, 115. 49. De eruditione praedicatorum, II, 9, dans Opera de uita regulari, ed. J.-J. BERTHIER, t. 2, Roma, 1889, reed. Torino, 1956, p. 400:« Multiplex autem est scientia quae eis est necessaria. Una est scientia sanctarum Scripturarum. Cum enin omnis praedicatio debeat fieri de sacris Scripturis... »
10
La Bible dans la liturgie au Moyen Age
Le sujet est si vaste qu'il est necessaire de Ie limiter, pour ce qui est de la liturgie, a la liturgie romaine, telle qu'elle a pris forme a Rome m(!me avant l'epoque carolingienne et qu'elle a ete adoptee dans les pays francs vers la deuxieme moitie du vme siecle, en y remplac;ant les anciennes liturgies gallicanes 1, puis, a l'epoque de la reforme gregorienne, en evinc;ant la liturgie hispanique 2 et ce qui pouvait rester de l'ancier.ute liturgie celtique insulaire3 • En certains lieux d'autres liturgies ont pu subsister longtemps en se combinant avec d'importants apports romano-francs: ainsi, jusqu'a nos jours, a Milan'. On considerera successivement la messe, puis l'Office divino
LA BIBLE DANS LA LITURGIE DE LA MESSE
Si l'on convient de faire commencer Ie Moyen Age vers l'epoque de saint Gregoire Ie Grand (t 604), il faut faire remarquer d'emblee qu'a Rome, jusque vers la fin du XIU e siecle, la liturgie, m(!me celle I.
Sur les lectures de la ou des liturgies gallicanes, cf. Kl. GAMBER, Codices Liturgici
Latini Antiquiores, 2." cd., Fribourg, Suisse, 1968, pp. 174-180.
2.. a. GAMBER, pp. 2.14-2.17 : J. PINELL, « La liturgia hispanica », dans Q. ALDEA, T. MARIN, J. VIVES, Diccionario de his/oria eclesiastica de Espana, t. II, Madrid, 1972.- 1 975, pp. 130 3-132.0. 3. Cf. GAMBER, Codices, pp. 140-149. 4. Cf. GAMBER, Codices, pp. 2.70-2.78.
Vivre la Bible de la messe, a comporte une certaine diversite d'une eglise a une autre, et que, lorsque les livres romains ont, a l'epoque carolingienne, ete adoptes en terre franque, cette diversite a engendre des diversites locales qui se sont maintenues jusqu'a la fin du Moyen Age et parfois meme au-dela. Pour ce qui est de la place faite aux textes bibliques dans la messe cette diversite affecte dans certains cas les textes employes, mais non la structure generale qui comporte, a part quelques exceptions, deux lectures bibliques, dont la deuxieme est celie de l'Evangile et la premiere, Ie dimanche, est toujours prise du Nouveau Testament. Les chants qu'on a appeles a l'epoque moderne les chants du Propre, parce qu'ils sont variables et propres a chaque jour, pour les distinguer des chants de l'Ordinaire, qui ne changent pas, sont egalement bibliques, et generalement pris des Psaumes.
Nombre des lectures En ce qui concerne les lectures, la double caracteristique enoncee ei-dessus - deux lectures seulement, uniquement neo-testamentaires Ie dimanche - differencie l'usage romain des autres usages oceidentaux, sauf celui de l'Afrique, pour autant que nous puissions en juger par les sermons de saint Augustin5 • En Orient, la meme originalite se retrouve a Constantinople avec, meme en semaine, un usage exclusif du Nouveau Testament. A Rome, la regIe de ne faire que deux lectures existait deja au debut du VIe siecle6, mais l'emploi de trois lectures aux differentes messes de Noel et aux premiers jours de la Semaine sainte, conserve iei ou la, est peut-etre un signe que la messe romaine aurait comporte a une epoque plus ancienne trois lectures, comme l'usage en a ete garde dans la liturgie ambrosienne 7 • A certains samedis (samedi saint, Pentecote, Quatre-Temps), la messe comporte un nombre plus eleve de lectures qui etaient primitivement celies d'une vigile suivie de la messe, avec quatre ou cinq lectures d'Aneien Testament avant l'epitre. A Rome a l'epoque byzantine toutes ces lectures etaient, au moins a la messe papale, lues deux fois, en grec et en latin. Plus tard, peut-etre pour remplacer l'usage de la 5. Cf. W. ROETZER, Des heiligen Augustinus S chriften als liturgie-geschichtliche Quelle, Munich, 1930, pp. 100-101. 6. Cf. La notice du pape Celestin dans Ie Liber Pontificalis, ed. L. DUCHESNE, t. Ier, Patis, 1886, p. 230. 7. Cette hypothese a ete proposee par L. DUCHESNE, Origines du culte chretien, 2 e ed., Paris, 1898, p. 160, et generalement admise par les historiens de la liturgie, malgre les objections de P. BATIFFOL, Lefons sur la messe, 6 e ed, Paris, 1920, pp. 102-103. Selon A. CHAVASSE, Le sacramentairegeIasien, Tournai, 1958, pp. 191-195. celles des messes gelasiennes qui comportent trois oraisons avant la secrete s'expliqueraient par deux oraisons introduisant les deux lec;ons avant l'evangile, et une troisieme placee apres celui-ci.
Bible et liturgie
539
double lecture des memes textes, on rencontre a la messe du samedi saint dix ou douze lectures, comme ce fut Ie cas, a partir du XIne siecle, dans Ie missel de la Curie romaine 8• Ailieurs dans les liturgies me dievales on rencontre souvent, Ie samedi saint, quatre lectures seulement avant l'epitre.
Les plus anciens temoins des lectures Les plus anciens temoins de la repartition des lectures sont, a partir du debut du VIlle siecle, de simples listes (capitularia) des passages a lire (pericopes). Les listes d'epitres et les listes d'evangiles sont distinctes et, meme lorsqu'elies sont contenues dans un meme manuscrit, elies sont souvent mal coordonnees entre elles. C'est assez lentement qu'entrerent en usage des epistoliers et des evangeliaires contenant Ie texte complet des pericopes a lire, disposees dans l'ordre de l'annee liturgique9 • Pour l'histoire des lectures romaines les documents les plus importants sont une liste d'epitres contenue dans un manuscrit de Wurtzbourg du milieu du VIlle siecle, reproduisant un type romain du Vile d'ou derivent tous les autres 10, et les listes d'evangiles classees et editees par Th. Klauserl l, dont la plus aneienne reproduit un modele romain qu'on peut dater vers 645.
Organisation des lectures Au VIle siecle l'annee liturgique romaine acheve de prendre la physionomie d'ensemble et la repartition des lectures qu'elle conservera jusqu'au xx e siecle. Les dimanches d'Avent ont ete introduits dans la deuxieme moitie du VIe siecle sans etre encore places au debut du cycle annuel qui commence a Noel. Les lectures de l'Avent montrent que, conformement a la doctrine patristique de l'histoire du salut, ce temps attend, sans les separer l'un de l'autre, les deux avenements de Noel
8. Sur tout ceci, cf. A. CHAVASSE, Le sacramentaire geIasien, pp. 107-IZ6. Pour Ie missel de la Curie, cf. S. J. P. VAN DIJK, The Ordinal of the Papal Court from Innocent III to Boniface VIII and Related Documents, Fribourg, Suisse, 1975, pp. 277-278. 9. Cf. Th. KLAUSER, Das romische Capitulare Evangeliorum (Liturgiegeschichtliche Quellen und Forschungen, 28), MUnster, 1935, LXXXI, p. XC; Kl. GAMBER, Codices (ci-dessus, n. I), pp. 4 29-439, 447-4 8 3' 10. Cette liste a ete editee par G. MORIN, « Le plus ancien Comes ou lectionnaire de I'Eglise romaine», dans RB, 27, 1910, pp. 41-74. Cf. A. CHAVASSE, « L'Epistolier romain du Codex de Wurtzbourg. Son organisation», dans RB, 9I, 1981, pp. 280-331. Est egalement a mentionner Ie lectionnaire d'Alcuin, edite par A. WILMART, Ephemerides Liturgicae, JI, 1937, pp. 13 6- 1 97. 11. Cf. ci-dessus, n. 9.
Bible et liturgic
Vivre la Bible
et de la Parousie12• C'est dans Ie courant du VIle sieele qu'apparait Ie dimanche de la Septuagesime et que, sous l'influence de l'Orient, Rome fait accueil a la celebration des Rameaux Ie dimanche avant Piques, et aux quatre fetes mariales de la Presentation de Jesus (2 fevrier), de l' Annonciation, de la Dormition (qu' on appellera un peu plus tard l'Assomption) et de la Nativite de la Vierge13 • La celebration des Rameaux a laisse inchangee la lecture, ce dimanche-la, de la premiere des quatre Passions dont les trois autres etaient lues a differents jours de la semaine sainte. Quant a la fete mariale du 15 aout elle prit plus tard (deuxieme moitie du Moyen Age) une importance croissante dans la piete. Independamment de ces modifications adoptees au VIle sieele, il y a lieu de signaler les caracteres de trois grands ensembles de l'annee liturgique romaine: Ie Careme, Ie temps apres Piques, la longue periode qui va de la Pentecote a l'Avent. En Careme, la liturgie romaine a d'abord employe pour des dimanches les trois grandes lectures baptismales de la Samaritaine, de l'aveugle-ne et de la resurrection de Lazare qui ont vraisemblablement ete employees en Occident depuis la constitution du Careme; mais, avec la generalisation du bapteme des petits enfants au VIe sieele, ces lectures ont ete transferees a des jours de sem:une~4 et Ie Careme a re~u une coloration moins baptismale et plus perutenrtelle, en meme temps qu'etait adoptee pour ces semaines-Ia une celebration quotidienne de la messe (sauf Ie jeudi) avec des lectures propres ou l' on decele souvent une correspondance intentionnelle entre la premiere lecture et l'evangile, ce qui n'est pas souvent Ie cas dans Ie lectionnaire romain de la messe15• , . ~es dimanches apres Piques sont, dans la liturgie romaine, caractenses, comme la fin du Careme, par la lecture de l'evangile selon saint Jean. En fin de Careme, ce sont les passages qui ont trait a la montee de Jesus vers sa Passion. Apres Piques c'est surtout Ie discours apres la Gne, compte tenu du double fait que primitivement l'octave de Piques s'achevait Ie samedi et que Ie premier evangile de la serie dominicale est celui du Bon Pasteur (Jean 10, II-I6). Les epitres sont prises, comme dans d'autres liturgies, des Actes des Apotres - Ie temps ~p:es la Resu.:rection est celui du commencement de l'Eglise - et des epltres catholiques. A. Chavasse a toutefois emis l'hypothese, devant 12. Particulierement .c~cteristique de ce dernier aspect est la lecture evangeJ.ique Mat. 21,. 1-9 ~entree.~esslaruque de Jesus a Jerusalem) qui sera ecartee plus tard, par exemple dans la liturgte ci1;!llslenne, au nom d'une conception plus « historique)} de l'annee liturgique. 13. ~ur ces fetes, cf. P. JOUNEL, dans A.-G. MARTIMORT, L'Eglise en pritre, nouv. ed., t. 4, ParIS, 1983, pp. 150-152. 14. Cf. A. CHAVASSE, « La discipline romaine des sept scrutins baptismaux. Sa premiere forme )}, dans RSR, 48, 1960, pp. 225-240. 15. ~s le~tures, d~s jeudis, ayant ete ,compl~tees plus tard, ne sont pas toujours les memes dans les ltturgles medievales locales. Cf. a ce sUJet A. CHAVASSE (ci-dessus, n. 10), pp. 282-283.
laq~elle je reste hesitant, que la longue serie d'Epitres pauliniennes de la liste de Wiirzburg porterait la trace d'une organisation romaine des lectures ou, meme au temps pascal, la premiere lecture de la messe aurai.t ete prise de saint Paul16• 11 pense que cette particularite aurait ete ensrute abandonnee sous une influence orientale. La periode entre la Pentecote et l'Avent etait subdivisee a Rome en tenant compte des principales fetes de l'ete : saints-Apotre; (pierre e~ Paul), Saint-Laurent (10 aout), Saint-Cyprien (16 septembre) ou SaintAnge (30 septembre). En pays francs ces series partielles furent unifiees en une seule serie apres la Pentecote (ou, plus tard, apres l'octave de la Pentecote ou la Trinite). Le choix des epitres et celui des evangiles sont independants l'un de l'autre. La serie des epitres, prise de saint Paul comme on l'a dit a propos du temps pascal, est un choix de passa~es qui ~e suivent dan~ l'ordre des lettres pauliniennes. Les evangiles qru ne presentent pas d ordre apparent parcourent l'enseignement des Evangiles synoptiques 17• S'y ajoutent des evangiles de semaine pour les mercredis, les vendredis et parfois les samedis, choisis d'une maniere analogue,. et pour lesquels il n'existe pas d'epitres correspondantes; au VIle sleele ce systeme de lectures feriales commence a se defaire a cause de la multiplication des fetes des saints. Tout cet ensemble de lectures est moins stable qu'en d'autres periodes de l'annee, et il en a resulte a travers Ie Moyen Age une certaine diversite entre les liturgies locales 18•
Les chants du Propre
La messe romaine comporte quatre chants, variables comme les lectures, qui sont importants du point de vue biblique : d'une part, Ie gr~duel, chant psalmique qui es~ chante pour lui-meme apres la premlere lecture; d autre part, les troIS chants accompagnant les processions de l'entree, de l'offertoire et de la communion. Ceux-ci ont ere adoptes beaucoup plus recemment que Ie graduel, probablement dans la premiere moitie du v e siecle. Au VIle sieele, Ie graduel est chante a Rome par un soliste sur les degres de l'ambon; les autres sont des chants de schola. Pour l'entree et la communion Ie chant d'un psaume est accom16. Gp. cit., n. 10, pp. 295-296. 17. Quelques parentes avec les lectures byzantines ont ete signalees par A. CHAVASSE, « La structure du careme et les lectures des messes quadragesimales dans la liturgie romaine )} dans La Maison-Dieu, JI, 1952, p. 104. ' 18. Cf. A. CHAVASSE, « Les plus anciens types du lectionnaire et de l'antiphonaire romains d~ la messe )) .. dans RB, 62, 1952, pp. 3-94; R.-J. HESBERT, « Les series d'evangiles des dimanches ~pres la Pentecote)}, dans La Maison-Dieu, 46, 1956, pp. 35-59; M. O'CARROLL, « The Lectionary for the Proper of the year in the Dominican and Franciscan rites of the thirteenth century)}, dans Arcbivum Fratrum Praedicatorum, 49, 1979, pp. 79-103'
Bible et liturgie
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pagne d'une antienne-refrain, Ie plus souvent psalmique elle aussi. Dans un petit nombre de cas l'antienne est tiree d'un autre livre de l'Ecriture. Ainsi a la messe du jour de Noel (<< Un enfant nous est ne » (Is. 9,6)) ou au jour de la Pentecot: (<< L':~sprit du Seigne~,a remp~ l'univers » (Sag. I, 7)). Le chant d offertOlre est un peu different : 11 est alors compose d'une serie de versets d'un psaume avec, entre ceux-ci, la reprise d'un refrain. II est tout a fait exceptionnel que ces chants de procession ne soient pas bibliques. Ainsi en est-il pour les antiennes d'introlt et de communion de la messe des morts, inspirees du quatrieme livre (apocryphe) d'Esdras, dont on ne saurait dire si ce sont des compositions romaines ou gallicanes 19• En pays franc les processions de la messe romaine sont devenues, celie d'entree plus courte, celles d'offertoire et de communion plus rares. De ce chef on a cesse de chanter en entier les psaumes de l'entree et de la communion, et les versets de l' offertoire ont disparu, sauf a la messe des defunts 20• Mais, surtout du IXe au Xle siecle, se sont developpes, au moins pour les grandes fetes, les tropes, sorte d'introduction et de commentaire lyrique de l'antienne biblique, se glissant entre les membres de la phrase de celie-ci et en l'interpretant, par exemple par une personnification neo-testamentaire des textes psalmiques21 • En general Ie repertoire des chants du propre de la messe est stable, et presente rarement des differences de texte d'une Eglise a une autre. II n'en va pas de meme, avant l'evangile, pour Ie verset de l'alleluia, dont Ie choix demeura un certain temps ad libitum avant de se fixer dans les divers repertoires locaux22 • Une question analogue se pose pour les tropes, dont seulement un petit nombre ont ete en usage dans les deux moities, occidentale et orientale, de l'ancien empire carolingien : il est probable que Ie principal developpement des tropes ne s'est effectue qu'apres la partition de l'empire23 • Certaines regions, comme l'aire d'influence clunisienne, leur sont restees presque totalement allergiques 24 •
19. Cf. Cl. GAY,« Formulaires anciens pour la messe des defunts», Etudes gregoriennes, 2, 1957, pp. 83-129. 20. Cf. J. A. JUNGMANN, Missarum Sollemnia, trad. fran<;., t. II, Paris, 1952, pp. 76-17, 301 -3 0 3; t. III, 1954, pp. 330-331. 21. Corpus troporum, Stockholm, depuis 1975 (4 vol. paros). Cf. mon etu~e,. ~s G. IVERSEN (ed.), Research on Tropes, Stockholm, 1983, pp. 7-16,« Les tropes dans I histou:e de la liturgie et de la theologie ». 22. C'est ainsi qu'on a utilise la liste des versets d'alleluia des diI?anches apres la Pentecate pour determiner l'origine d'antiphonaires de la messe ou de mlssels. Sur ces versets, cf. M. HUGLO, « Les listes alleluiatiques dans les temoins du graduel gregorien », dans Speculum Musicae Artis. Festgabe fiir Heinrich Husmann, Munich, 1970, pp. 21 9- 227. 23. Cf. M. HUGLo, « De monodiska handskrifternas fordelning i tva gropper, ost och vast », dans Ki!Ytiinnollisen Teologian Julkaisuja, J, 1975, pp. 47- 6 5. 24. Cf. mon etude citee ci-dessus, n. 21.
543
LA BIBLE DANS L'OFFICE DIVIN
Une des principales differences entre la liturgie du Moyen Age et la pratique liturgique quelques siecles plus tard consiste certainement dans la celebration publique de l'Office divin, non seulement dans les eglises monastiques mais dans l'ensemble des eglises, religieuses et seculieres, y compris, au moins en principe, dans les eglises paroissiales 25• La raison d'etre, non seulement des communautes religieuses mais des « benefices» assurant aux clercs leur subsistance, etait d'abord de celebrer, dans une eglise donnee, les differentes Heures de l'Office divino La recitation de l'Office en prive s'est developpee assez lentement a partir du xm e siecle, et jusqu'a la fin du Moyen Age, elle a ete consideree com me une exception. L'Office divin comporte deux types fondamentaux, Ie romain et celui de la RegIe de saint Benoit (observee, non seulement par les Benedictins mais aussi, par exemple, par les Cisterciens et les Chartreux). IIs ont en commun Ie nombre des Heures (7 ou 8 suivant qu' on unit ou qu' on separe matines et laudes), la repartition du psautier sur une semaine et la lecture des autres parties de la Bible. L'Office romain est a l' origine celui des monas teres desservant les principales basiliques romaines aux VIle et VIlle siecles, et probablement meme plus tot. Par rapport a la distinction, generalement admise par les historiens, entre les deux formes d'Office de l' Antiquite chretienne, l'Office de la communaute ecclesiale (la liturgie wisigothique l'appelait office« cathedral ») et l'Office monastique, l'Office romain, tel qu'il a ete pratique au Moyen Age partout sauf dans les monas teres benedictins, complete l'ancien Office cathedral romain par un ensemble d'Heures monastiques. Ses relations avec l'Office benedictin sont complexes. Tout d'abord l'Office monastique, tel que la RegIe de saint Benoit l'organise, depend deja, comme il ressort des recherches recentes, en particulier celles de Dom Adalbert de Vogiie26, de l'Office romain des monas teres basilicaux. En second lieu cet Office des monas teres romains, qui sera de fait, a travers Ie Moyen Age et jusqu'a la reforme de saint Pie X, l'Office romain tout court, a lui-meme subi l'influence de la RegIe de saint Benoit, au moins pour les deux versets psalmiques qui ouvrent la celebration des differentes Heures : « Seigneur, ouvre mes levres et rna bouche publiera ta louange » (Ps. 50, 17),« Dieu, viens a mon aide, Seigneur, hite-toi a mon secours » (ps. 62, 2)27. En troisieme lieu, 25. Cf. GRATIEN, Deeret, Dist. 91 (FRIEDBERG, I, pp. 315-317). 26. La Regie de saint Benoit, t. V (<< Sources chretiennes», 185), Paris, 1971, pp. 383-554. 27. Cf. B. FISCHER, Die Psalmen als Stimme der Kirche. Gesammelte Studien zur christlichen Psalmenfrommigkeit, Treves, 1982, p. 40. - En revanche l'adoption, par I'Office
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Vivre la Bible
Bible et liturgie Hesbert28,
comme l'a montre R.-J. les manuscrits de l'Office benedictin Mrivent tous de l'Office romain qu'ils adaptent a la structure definie par la RegIe. Par la sont attestees a la fois la solution de continuite entre la RegIe et la pratique liturgique benedictine posrerieure, et l'osmose entre la liturgie des monasteres et celie des Eglises locales a l'epoque preclunisienne. A partir du Xle siecle les grands centres monastiques, Cluny puis d'autres, exerceront leur influence a travers toute l'Europe, et leur liturgie sera adoptee par les monas teres nouvellement fondes, ou se substituera plus ou moins completement a la liturgie anterieure des monas teres qui recevront d' eux leur reforme.
Psaumes et cantiques bibliques dans I'Ojjice Si l'on met a part les lectures et les oraisons, psaumes et cantiques bibliques (on est convenu d'appeler cantiques bibliques les chants empruntes a des livres de la Bible autres que Ie Psautier) sont presque Ie tout de l'Office, puis que les hymnes composes par des auteurs chretiens, prevus par la RegIe de saint Benoit pour chaque Heure, n'eurent d'abord pas de place dans l'Office romain, OU ils ne semblent pas avoir ete admis de fac,;:on generale avant Ie xu e siecle29• La repartition hebdomadaire des psaumes dans l'Office romain (tableau I) et l'Office benedictin (tableau II) appelie plusieurs remarques 30. En premier lieu, l'ancienne organisation des offices « cathedraux » de laudes et vepres n'apparait plus guere qu'aux: laudes, OU les principaux: Psaumes et cantiques sont choisis en fonction de deux themes, celui de la priere matinale et celui de la louange : ainsi, par exemple, pour 1a priere matinale, Ie Psaume 62 : Deus, Deus meus, ad te de luce vigilo traduit par ad te de luce vigilo Ie grec pros se orthrizo, « pour toi je romain nocturne, du psaume introductoire Venite exultemus (Ps. 94) pourrait etre anterieure it l'influence benedictine: cf. l'etat de la question dans A. de VOGUE (n. 26), p. 435. 28. Corpus Antiphona/ium Officii, t. V, Rome, 1975, pp. 445-480 (pp. 455-451 pour Ie Mont-Cassin). 29. Je ne connais pas d'etude precise sur cette question. Quelques indications dans S. BAEUMER-R. BIRON, Histoire du Breviaire, t. II, Paris, 1905, pp. 35-37' A Rome, l'Ordo du Latran, entre 1I39 et I145, semble encore refuser l'introduction des hymnes (cf. mon etude « L'influence des chanoines de Lucques sur la liturgie du Latran», dans les Me/anges Chavasse, Strasbourg, 1984, p. 39). . .. . 30. Dans la designation des Heures on emplOle ICI les termes modemes de ma~nes ( matutinum) et laudes (Iaudes) , deja utilises au XIIIe siecle par I'Ordinaire de la Curie romatne. Aupatavant l'appellation de matutinae laudes (ou simplement matutini) designait nos Iaudes, et I'office de la nuit portait en general Ie nom de nocturn; (plus anciennement celui de vigiliae). D'apres A. de VOGUE (n. 26), pp. 463-469, Ie nom de vigiliae designait it I'origine un office de nuit plus long que celui de la liturgie romaine et benedictine. Quant au transfert de l'appellation de matutinum (ou matutinae) it l'office de nuit, il a dfr se faire en un temps et dans des lieux ou matines etaient suivies immediatement de laudes, dans la deuxieme moitie de la nuit : peut..etre dans I'Office romain du XIIe siecle, OU 1'0n reservait Ie nom de vigi/iae it l'Office nocturne festif des grandes fetes, et celui de matutinum it l'Office nocturne ordinaire (cf. ci-dessous, n. 36).
545
me leve (je veille) des l'aurore »; aussi est-il frequemment employe, dans l'Eglise ancienne, pour l'Heure de l'aurore (en grec, orthros). Quant a la Iouange, elie s'exprime en particulier dans Ies trois Psaumes 148-15°, aux:quels fut long temps reserve Ie nom de laudes. n est possible egalement que Ie Psaume 5° ait ete choisi pour Ies Iaudes autant comme expression de Iouange que pour son sens penitentiel31, De I'un et l'autre theme Ies Iaudes ofl'rent encore d'autres exemples. Les vepres en revanche n'ont conserve qu'un seul vestige de I'ancienne priere cathedrale du soir, Ie verset Dirigatur, Domine, oratio mea sicut incensum in conspecto tuo (ps. 140,2A), qui, dans Ie Psaume, se continue par Ies mots Elevatio manum mearum sacrijicium vespertinum32. En second lieu, I'usage, de type monastique (aussi bien dans I'Office romain que dans I'Office benedictin), comporte I'usage de tout Ie psautier en une semaine, essentieliement a matines et a vepres. A matines, conformement a une tradition provenant du monachisme egyptien, I'unite de base est un groupe de 12 Psaumes, et Ies Psaumes employes vont, dans l'Office romain du Psaume I au Psaume 108, dans I'Office benedictin du Psaume 21 au Psaume 108, Ia RegIe de saint Benoit abregeant de fac,;:on generale I'Office des monasteres romains dont elie s'inspire, notamment en divisant en deux: certains Psaumes. Dans I'Office romain, Ie fait que Ies Psaumes 21-25 sont reportes Ie dimanche a prime donne a supposer qu'a une epoque ancienne iis ont fait partie de Ia psalmodie des matines dominicales, reduite plus tard a 18 Psaumes33 • Troisiemement, au moins dans I'Office romain, a la difference de matines, laudes et vepres, les autres Heures ont des Psaumes invariables. Ceux des complies sont choisis en fonction du caractere propre de cette Heure, qui est une priere avant Ie sommeil. Aces remarques sur la repartition hebdomadaire du Psautier i1 faut en ajouter deux: autres, la premiere sur Ies matines pascales, 1a deu:x:ieme sur la psalmodie des jours de fete. Pendant les deux: octaves de Paques et de Pentecote l'Office romain ne comporte aux matines que trois Psaumes, repartis selon une distribution speciale vraisemblablement archaique. Nonobstant les reproches de saint Gregoire VII, la liturgie de plusieurs Eglises etendait, au Moyen Age, cette pratique a tout Ie temps pascal34• 3 1. Cf. A.-G. MARTIMORT (supra, n. 13), p. 278. 32. Sur les emplois patristiques du Ps. 140 it propos de la priere du soir, cf. J. PINELL, « EI numero sagrado de las horas del officio », dans Miscellanea liturgica G. Lercaro, t. II, Rome, 1967, pp. 887-934, plus specialement pp. 910-9II. 33· a. J. PASCHER, « Zur Friihgeschichte des romischen Wochenpsalteriums », dans Ephemerides Lilurgicae, 79, 1965, pp. 55-58. 34· a. it ce sujet R. LE Roux, {( Aux origines de l'Office festif. Les antiennes et les Psaumes de matines et de laudes pour Noel et Ie Ier janvier selon les cursus romain et monastique», dans Etudes gregoriennes, 4, 197 I, pp. 65 -170, specialement pp. 117-119. Pour I'extension 11 tout Ie temps pascal, cf. GUILLAUME DURAND, Rationale, VI, 87, 4. P. RICHE, G. LOBRICHON
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TABLEAU
I
Repartition des Psaumes dans l'Office romain au coutS de la semaine
I
94 2
3
Ier
6 7
nocturne
8
= 12 Ps.
9 10 II
MATlNES
12 13 14
Vendredi
feudi
Mercredi
Mardi
Lundi
Dimanche
Samedi
_____ comme psaume d'introduction tous les jours - - - - - - - - - - - - - - - -
I
26
38
52
68
80
27 28 29 un seul 30 nocturne J 31 = 12 Ps.) 3332 34 35 36 37
39 40 41 un seul 43 nocturne 44 = 12 Ps. 46 45 47 48 49 51
153 54 55 56 un seul 57 nocturne/ 58 = 12 Ps. 59 60 61 63 65 67
690 7 71 2 un seul 7 nocturne 73 = I2 Ps. 74 75 76
78 79
81 82 83 un seul 84 nocturne 85 = 12 Ps. 86 87 88 93 95 96
50 42 62 66 Is. 38,10-20
50 64 62 66 I Sam. 2,1-10
50 89 62 66 Ex. 15. 1-19
50 142 62 66 Bah. 3,2-19
77
97
98 99 100 101 un seul 102 nocturne 10 = 12 Ps.l 10 3 4
105 106 10
7
108
15
lIe nocturne 16 { 17 = 3 Ps. 18
III e nocturne 19 { 20 = 3 Ps. 9 2 (50a) 99 (1I7) 62 66 Dan. 3,57-88
LAUDES
~~i)tous lea
50 5 62 66 Is. 12,1-6
50
91
62
66 Deut. 32,1-43
jours - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
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I
PRIME
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SEXTE
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I I
8
,
I-I
6 aux jours de semaine et aux fetes
1I8,17-32
tous les jours - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
~~i: l;i~~!~}tous les jours ~::: :;~=:t~ }tous les
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
jours - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
1I8,161-176 10 9 1I0 V~PRES
COMPLIES
III
lI4 lI5 116 119 120
121 122 12 3 124 12 5
126 12 7 128 12 9 13 0
IF 13 2 134 135 13 6
137 13 8 139 140 141
143 144 145 146 147
1I2 II3 Lc 1,46-55 (Magnificat) : tous les jours - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 4 30,2-6 tous les jours - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 90 133 Luc 2,29-32 (Nunc dimittis)
(a) Du dimanche de la Septuagesime it celui des Rameaux, les Ps 92 et 99 sont remplaces par les Ps. 50 et 117. (b) Dans la plupartdes liturgies medievales, les Ps. 21-25 sont employes tous les dimanches; dans I'Ordinaire de la Curie Romaine (VAN DIJK, 171), seulement de la Septuagesime aux Rameaux (cf. GUILLAUME DURAND, Rationale, V, 5. 6). (C) De la Septuagesime aux Rameaux, Ie Ps. 117 est remplace par Ie Ps. 92.
TABLEAU
II
Repartition des Psaumes dans l'Office selon Ia RegIe de saint Benoit au cours de Ia semaine
9! } 20 Ier noc- 21 tume 22 = 6 Ps. { 23 24
{
MATINES
32 Ier noc- 33 tume 34 = 6 Ps. 36,1-26(a) { 36, 27-40
II" noctume = 6 Ps.
lIe noc- 27 tume 2S = 6 Ps. 29 30 31 3 can tiques (b)
------------------------------
tous les jours - - -
~~
{
Samedi
Vendredi
Jeudi
Mercredi
Mardi
Lundi
Dimanche
456 ler noc- 4 tume {478 = 6 Ps. 4
~;
1i
52 II" nOC_{53 tume 54 = 6 Ps. 55 57 58
39 40 41 43
~
59 60 Ier noc- 61 tume 65 = 6 Ps. { 67, 2- 19 67,20-3 6 6S' 2-16 6S,17-37 lIe noc- 69 tume 70 = 6 Ps. { 7 1
72
73 Ier noc- 7746 tume 71, 1-35 = 6 Ps. { 77, 36-7 2
{
101 S5 102 S6 Ier noc10 3, 1- 24 Ier noc- SS, 2- 19 10 3,25-35 tume 88,20-53 tume = 6 Ps. { 104, 1-22 = 6 Ps. { 9 2 93 95
;~
So lIe noc- 81 turne S2 = 6 Ps. S3 S4
9976
lIe noctume 98 = 6 Ps. { 99 100
{
~~~: 2~=1~
10 5,3 2 -4 8 lIe noc- 106, 1-24 tume 106, 25-43 = 6 Ps. 107 108
;~ } tous les jours - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - II7 62 Dan. 3,57-
LAUDES
\ S8
355 Is. 12,1-6
I
42 56 Is. 38,10-20
I
63 64 I Sam. 2,1-10
I
87 89 Ex. 15,1-19
I
75 91 Hab. 3,2-19
\
Deut. 142 32, 1-21 2 Deut. 3 ,22-43
~~i )tous les jouts - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 1.lIC
I, ,68-19
(Bmldimu) tous lea jO\ltS - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
lht'ttfllUll1lrtltlnUi 'cUu)!!r
I
I
lIB, 1- B lIS, 9-16 lIS, 17-24 lIS, 25-32
I 2 6
lIS, 33-40 II S, 41-4S lIS, 49-56
II8, lo5-II2 IIS, II3-12O lIS, 121-12S
SEXTE
lIS, 57-64 II8,65-72 II8,73-80
II8, 12 9-I 36 II8, 137-1~ lIS, 145-152
122 }
NONE
II8,81- 88 1I8,89- 95 II8,96-104
II8,153- 160 II8,161-168 II 8, 169-176
~;~ } du mardi
PRIME
TIERCE
ytPRES
10 9 IIO III II2 Luc 1,46-55 (Magnificat)
7 S 9,2- 19
~~~ }dU mardi
r
niol
iWfj;ll'tK:'iOilili'!.iI~,wx n
9,2010 Heb., IS 10 II
,11'111
I;
12 13 14
1'a
15 16 17,2-25
7 17,26-5 1 18 19
au samedi - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
121
~~!
du mardi au samedi - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
au samedi - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
12 9 II3 II4 13 0 II5 + II6 131 128 13 2 : tous les jours - - - - - - - - - - - - -
134 135 13 6 137 - - - - - - - -
13 8, 1-10 138, II-24 139 140 - - - - - - - - - -
141 143, 1- 8 143,9- 15 144, 1- 9 - - - - - - - - -
144,10-21 145 146 147 - - - - - - -
~m~ I,::l""" l~ i - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - (a) La Regie se contente d'indiquer que certains psaumes sont divises en deux, et Ie Ps. II8 selon des sections (dont I'etendue est la moitie de celles de l'Office romain). On donne ici la repartition posterieure. (b) Le chapitre IS de la Regie laisse a l'abbe Ie choix des trois cantiques des !ivres prophetiques. Sur Ie repertoire de ces cantiques dans les manuscrits du IX" au XI" siecle, cf.]. MEARNS, The Canticles of the Christian Church Eastern and Western in Early and Medieval Times, Cambridge, 1914, pp. 81-93; H. SCHNEIDER, Die altlateinischen biblischen Cantica, Beuron, 1938, pp. 134-13 S. Ce dernier, constatant la parente entre les cantiques bibliques des matines benedictines du dimanche et ceux de l'Office hispanique, a suppose une influence benedictine vers l'Espagne, mais il se poul1ait, en sens inverse, que Ie repertoire benedictin medieval ait ete constitue dans l'entourage du Wisigoth Benoit d'Aniane, avec des emprunts a l'Espagne.
Vivre fa Bible Bible et liturgie Aux jours de fete, dans l'Office romain, la psa~odie ne com~orte que 9 Psaumes a matines, et les Psaume.s ,tant de ma~:mes que de vepres sont choisis specialement en confortnlte avec Ie JOur. Les ~saumes fi tl·£s de l'Office benedicrin derivent de ceux de l'Office romam, avec fi. . 1es complements necessaires du fait que les matlnes estlves b'ene'dic35 ~es comportent 12 Psaumes , sauf les trois dernieres ?-ui:, de la semaine sainte ou, a l'exception des Cisterciens, ceux qUl s~~ent la RegIe de saint Benoit ont des matines de 9 Psaumes comme a 1 Office romain. . fi' .al Ne comportant que 9 Psaumes alors que les m~t1nes .en es en avaient 12, les matines festives etaient plus court~s. C~Cl s'expliq:ue par Ie fait qu'a Rome, a yep~que carolin~ienne~ .et Jusqu au ,xIle sle.de,. les matines festives s'aJoutalent aux matlnes fertales et ne s y substltua:ent pas encore36• C~s. matines sw:ajou~ees permettent sans do~te aUSSl de comprendre l' ongme des matlnes a 9 Psaumes pour .les de£u:tts" attestees la premiere fois au vme sied~, au M~nt-Cassm, partnl d autres emprunts a l'Office romain37 • ~es. antlennes qUl a~compagent l~s Psaumes des differents offices festifs runsl que ceux de 1 office des defunts font saisir, dans la liturgie meme, l'interpretation chretienne des Psaumes dont i1 sera question plus loin.
Les lectures bibliques de I'Ojjice L'Office romain et l'Office benedictin comportent, aux marines, la lecture de la Bible, ce qui ne semble pas avoir ete habituelle~ent Ie cas en Orient:38 • A la fin du vme siede, Theodemar du Mont-Cassm, comparant la prescription de la RegIe de saint Benoit ~chap .. II) se10n laquelle, les nuits d'ete, il ne faut lire qu'une le<;on. bre~e dite, pa: creur, avec l'Office romain, croit savoir que c'est depUls samt Gre!?otre ou .Honorius Ier (625-638) que l'us~ge s'est etabli ~ ~ome de lire .la B1ble e? entier3 9• Quoi qu'il en sOlt d'une telle ongme, deux Or~znes Romanz, dont i1 faut probablement dater la redaction entre Hononus et Theodemar, indiquent la repartition des livres bibliques a matines au cours de 35· Cf. ci-dessus, n. 29· . l . . . . Opera 36 . Cf. AMALAIRE, Liber de ordine antiphonarii, 15, 1-7, In Ama am e?lScop~ 6. liturgica omnia (eel. J.-M. HANSSENS, t. ITI, Vatican, 1950 (49-50); 17, 1-2 (5 3-54)~ 59, 5 6 ~ 60, 1-2 (97); 61-63 (97-98)). Ordo Romanus, 12, 4, 23, 24 (M. .ANDR~U, Le.s Ordmes .Ro';{erre haut Moyen Age, t. II, Louvain, 1948, pp. 460-461, 465-466). Antlphonatre d~~a~~emen; dans G.-M. TOMMASI, Opera omnia, t. IV, Rome, 1749, pp. 37-41, 121-123. . e mon etude citee ci-dessus, n. 2 9 · . .. K HALLIN37· THEODEMAR DU MONT-CASSIN, I?ptSlulaad Th~odorlcum, 32 (ed. J. WINANDY- . GER, dans Corpus Consuetudinum monastlcarum, t. I, Sle.gburg, 1963, p. I?,5)' 38. R. ZERFASS, Die Schnftlesung im KalhedralofliZlUm ]erusale?Hs, Munster, 19?8. d saint 39. Epistula ad Theodoricum (n. 37), I I (131-132) : il est posslble que la mentlon e Gregoire ait ete ajoutee au texte apres coup.
1;
551
l'annee liturgique. Ce sont l'Ordo 14 qui semble reprtSsenter l'usage des monasteres de Saint-Pierre dans la deuxieme moitie du VIle siede40 et l'Ordo 13, dont l'etat Ie plus ancien a vraisemblablement ete redigt au Latran dans la premiere moitie du VlIIe siede41. Avec certaines diffe42 rences , ils sont semblables dans leurs grandes lignes : Heptateuque dans la preparation a Piques, mais propheties de la Passion imtnediatement avant Piques; Actes des Apotres, Epitres canoniques et Apocalypse au temps pascal; livres historiques et sapientiaux pendant l'ete et Ie commencement de l'automne. La difference la plus noble consiste dans la localisation, par l'Ordo 13, des Epitres de saint Paul entre Noel et la Septuagesime. Ce sont les adaptations successives de l'Ordo 13 qui regleront les lectures de matines a travers Ie Moyen Age. Plusieurs observations d'importances diverses, sont toutefois a faire a ce sujet. Tout d'abord' aux matines des feries de Careme, on rencontre, suivant les lieux, soi~ la lecture de l'Heptateuque, soit, comme a la Curie romaine, une homelie sur l'evangile de la messe du jour. En second lieu, l'usage medieval etait, pour les fetes des saints, de remplacer la lecture biblique par une lecture concernant Ie saint. Mais la question principale est celle de la lecture integrale de la Bible en une annee et des abregements ulteneurs de celle-ci. Pour ce qui est de la lecture integrale, Ie principe, on l'a vu, en etait connu a l'epoque carolingienne. Martene a reuni un ensemble d'attestations, tant seculieres que monastiques, de la lecture de I'Heptateuque entier entre la Septuagesime et Ie dimanche de la Passion43• Au Moyen Age, la longueur des lectures de l'Office comportait une souplesse que la repartition des Psaumes n'avait pas, ce qui, a la longue, a entraine l'abregement des lectures chorales. On a pu cons tater Ie fait", mais il est difficile de savoir s'il faut l'atttibuer a la tendance asse~ generale a abreger l'Office divin45, a la tension qui se manifeste, a partlr du xme siede, entre la priere liturgique et d'autres formes de
40. ANDRIEU (ci-dessus, n. 36), ITI, pp. 39-4 1. 41. ANnRIEU, II, pp. 481-488. 42. Celles-ci sont analysees par ANDRIEU, lIT, pp. 34-35. 43·. De Antiquis Ecclesiae Ritibus, IV, 16, 3, (Venise, 1783, III, p. 49). Cf. pour la Bible en entler,Yexemple des Chartreux (A. DEGAND, art. « Chartreux (liturgie des) », DACL, III/I, Parls, 19 1 3, PP: 1061-1062. Les.9uelques cas de tres longues lectures evoques par MAR"rENE,. J?e AnlzqulS Mo,nac~rum Rillbus, I, 2, 59 (Venise, 1783, p. II), meriteraient un examen C;1tlque, ~o.mme I a fat~ pour Ie temoignage d'Udalric de Cluny A. DAVRIL, « A Propos dun brevlatre manUSC!1t de Cluny conserve a Saint-Victor-sur-Rhins », dans RB, 93, 1983, p. 1I8. 44· ~. ~AEUMER-R. BIRON, Histoire du Breviaire, trad. fran!t., Paris, 190 5, t. IT, pp. 43-45 (en paruculier po:,~ Ie Mont-Cassin). A cote des abregements proprement dits, MAR"rENE decrit (De Ant.. Eccl. ~tlb".s, IV, 16, 3) plusieurs cas d'execution tres negligee des lectures, prevus par les hvres liturglques eux-memes. 45· Cf., pour les XII" et XIII" siecles, S. J. P. V ANDIJK-J. HAZELDEN WALKER The Origins of the Modern Roman Liturgy, Londres, 1960, pp. 23- 26. '
Vivre la Bible devotion, voire a une certaine desaffection de l'Ecriture. 11 se peut que ces diverses causes aient joue ensemble a des degres divers. A cote des le<;ons Iongues de l'Office, celles qu'on fait dans Ie codex de la Bible, la RegIe de saint Benoit en mentionne d'autres qui sont dites de memoire, soh a l'Office nocturne en ere (parce que les nuits d'ete sont courtes), soit de fa<;on habituelle aux autres Heures. De telles le<;ons, appelees le<;ons breves ou capitules - elles n' ont qu'un o~ deux versets - ont existe jusqu'a nos jours dans l'Office tant romam que monastique, et l' on en rencontre des series dans les manuscrits liturgiques a partir de l'epoque carolingienne, soit dans Ie collectaire (livre du president de l'Office), soit d~s Ie .breviair~ q~ se repa~d lentement aux Xle-XlIIe siecles46, sans qu on pU1sse saV01r Sl, plus anclennement, Ie choix du capitule etait laisse entierement a la memoire et au gout spirituel du lecteur avec, suivant Ie cas, quelque indication sur celui des livres bibliques dans lequel i1 devait puiser. De to.ute f~<;o~ i1 y a Ill. un exe~ple _ a cote de la recitation par creur du psautler lU1-meme - de la maruere dont la liturgie medievale et l'element biblique qui y est quasi preponderant ont habite acteurs et auditeurs de la celebration, en un temps OU la culture dans son ensemble fonctionnait surtout par l'oral et la memoire. La puissance d'impregnation de la liturgie dans une civilisation orale et la predominance de l'element biblique ont, a l'epoque medievale, chacune une limite. La liturgie impregne alors Ie temps de l'homme et son element visue1 vaut pour tous, mais elle n'est comprise que de la minorite qui accede a une culture savante : les illettres, qui sont la majorite, n'ont connaissance de la Bible, meme, Ie plus souvent, de l'oraison dominicale, que par Ie ministere des clercs47 • D'autre part, dans la liturgie meme, ce sont progressivement les elements non bibliques qui ont re<;u Ie plus de deve1oppements. On peut s'en rendre compte en examinant les offices propres com~oses p?~ des fetes nouvelles. I1s ne sont peut-etre pas etrangers a un un1vers blblique, mais leur forme releve presque toujours de la poesie ecclesiastique. De ce point de vue l'office purement biblique compose par saint Tho~as d' Aquin pour la nouvelle fete du Corpus Christi constitue une exceptlon caracteristique de la personnalite de son auteur48 • Pierre-Marie GY. 46. Cf. mon article: « Collectaire, rituel, processionnal », dans RSPT, 44, 1960 , pp. 4414 69, en particulier pp. 44 8-449. La plus ancienne serie de capitules se trouve, au debut du IX. siecle, dans Ie manuscrit Salzburg, Museum Carolino-Augusteum 2163, 2 rO-IO rOo 47. J'ai explore cette question dans « EvangeIisation et .sacremen~s au, ~oyen ~e », dans Ch. KANNENGIESSER-Y. MARCHASSON (edit.), Humamsme et fa: chret:enne. Melanges scientiftques du Centenaire de l'Institul de Paris, Paris, 197 6, pp. 56 5-57 2 • edde 48. Sur cet Office et l'Office provisoire, egalement de saint Thomas, qui l'a pr , cf. mon article: « L'Office du Corpus Christi et saint Thomas d'Aquin. Etat d'une recherche », dans RSPT, 64, 1980, pp. 49 1 -5 0 7.
BIBLE ETNOUVEAUX PROBLEMES DE CHRETIENTE Ce quatrieme pan d'une longue enquete oriente deliberement Ie regard vers les derniers siecles du Moyen Age occidental, mais aussi nous pousse sur Ie £lanc des pratiques religieuses que les clercs ne contr6lent plus absolument. A partir du Xle siecle en effet, Ie monopole ecclesiastique sur la Bible rencontre de plus en plus d'opposants, qui revendiquent non plus seulement Ie droit a posseder une Bible en langue vulgaire, mais aussi celui d'interpreter et de diffuser ce qu'ils y lisent et qu'ils en comprennent. 11 etait facile pour les eveques et les savants de brocarder ces gens incultes qui prenaient pour parole d'Evangile ce qu'ils entendaient lire a l'Eglise ; c' est precisement en ces temps forts que les intellectuels ont deploye des theories complexes des quatre sens de l'Ecriture, ce qui n'a rien d'un hasard. En revanche, des hommes et des femmes ne manquaient pas, qui disposaient de la perspicacite, du discernement et du courage necessaires pour tenir pied, Bible a la main: du fondateur d'ordre religieux, tel Fran<;ois d'Assise, a Catherine de Sienne et au pauvre bougre de Montaillou, jusqu'a l'universitaire brillant que fut Wyclif. Comprenons bien Ie relief sur lequel s'agitent ces personnages : c'est celui d'un processus de developpement economique et social intense. La geographie des ebullitions religieuses epouse trop etroitement celle du potentiel economique, ainsi dans Ie Toulousain, ainsi dans la vallee du Rhin, pour qu'on repudie
554
Le Mqyen Age et fa Bible
a priori l'idee de tels rapports entre l'economique et Ie religieux. Toutefois, aux questions nouvelles qu'engendre et inspire ineluctablement Ie nouvel ordre economique, les Eglises majoritaires ont du faire face, installer les soupapes necessaires. Lester Little souligne ces adaptations de l'Eglise devant trois problemes fondamentaux qui ne cessent d' eprouver les comportements religieux, l'affiux de l'argent, les regles commerciales, et Ie controle quantitatif de la population. Andre Vauchez s'est penche sur une forme typique d'encadrement qu'a creee l'Eglise, les confreries ; animees generalement par des clercs, elles doivent constituer une piece maitresse de la strategie ecclesiale dans la fin du Moyen Age, pour garder la main sur un public toujours plus conscient de soi. En ce sens, on n'est guere surpris de constater la minceur de la lecture biblique dans la vie de ces confreries et mouvements de devotion. La lecture de la Bible s'effectue, beaucoup plus largement sans doute qu' on ne Ie dit, mais dans les cercles prives, et aussi dans ceux qui Ie sont moins parce que des ignes a la vindicte des clercs, les groupes heretiques : ce que montre Robert Lerner, c' est l' effritement en certaines regions du monopole clerical. II faudrait sur ces bases reprendre toute l'histoire de l'alphabetisation au Moyen Age : elle a atteint par la lecture et la meditation de la Bible des couches qui ne sont pas seulement aristocratiques, et peut-etre la consommation d'alphabet fut-elle parfois plus elevee dans les groupes marginaux qu' on ne Ie tient d'habitude. Dans cet autre versant du Moyen Age, l'histoire des pratiques de la Bible rejoint donc celle des sociabilites. S'y per~oit la divergence toujours plus sensible entre les modeles crees par les organismes d'Eglise et ceux que leguent Evangiles et Actes de l'Eglise primitive. Non qu'elle fut moins claire dans Ie haut Moyen Age, mais l' ecart devenait moins supportable pour des hies soucieux de leur salut lorsque l'Eglise s'affichait en schisme, lorsque les Etats se procuraient une ideologie laicisee, liberee de bien des carcans anciens. En France avec Philippe Ie Bel, en Allemagne dans les principes du Sachsenspiegel, en Italie dans les traites de Machiavel, la Bible n'est plus la grande mere de la culture, mais partout elle aiguise l'insatisfaction et nourrit l'esperance du renouveau, en tous ordres.
I
Monnaie, commerce et population
INTRODUCTION
L'expression « Moyen Age» (Medium Acvum) cache une multitude de realites complexes. Ce n'est pas la faute de ceux qui l'ont inventee, car ils cherchaient a deficir un modele, parfaitement simple et direct, qui aurait ete valable pour toute l'histoire, c'est-a-dire pour toute l'histoire qu'ils connaissaient. Cependant, des generations d'historiens ont teliement affine notre comprehension de l'histoire interne de cette longue periode qu'ils ont ate a l'expression tout son sens : c'est une convention vide. L'adjectif« medieval» est pour la m~me raison trop faible pour donner l'idee de complexites qui sont maintenant teliement evidentes. On reconnait a peine dans l'Eglise du XIVe siec1e l'heritage de celie du VIle. Qualifier l'une ou l'autre d' « Eglise medievale » ne pourrait que semer la confusion, au lieu d' ec1aircir. II en serait de m~me si on voulait qualifier de « medievale» l'agriculture, ou l'ecriture, et ce serait encore vrai s'il s'agissait de monnaie, de commerce, ou de population. De toutes les divisions internes du« Moyen Age» (Medium Aevum), la plus marquee est celie qui separe l'ensemble de la periode en deux parties, la cesure etant au XIe siecle. C'est cette division qui a permis a Charles Homer Haskins de parler de « renaissance du XIle siec1e », pour designer les innovations inteliectuelies de ce nouvel age. C'est la Ie point central de l'etude de la societe feodale par Marc Bloch, qui couvre environ cinq siec1es d'histoire sociale et economique, de 800 a 1300.
I 1
Bible et nouveaux problCmes de chretiente Bloch repere au Xle siecle tant de changements fondamentaux, lies les uns aux autres, qu'il se sert de l'annee 1050 pour diviser de fas;on approximative et souple les deux epoques du feodalisme. « Non point brisure, certes, mais changement d' orientation, qui, malgre d'inevitables decalages, selon les pays ou les phenomenes envisages, atteignit tour a tour presque toutes les courbes de l'activite sociale. II y eut, en un mot, deux ages 'feodaux' successifs, de tonalites fort diff6:entes »1. Examinant a nouveau la seconde epoque, l'historien de l'economie Roberto Lopez fut pousse a lui donner Ie nom de « Revolution commerciale ». L' expression etait heureuse : par l'analogie - voulue par Lopez avec la Revolution industrielIe, elle conduisait Ie lecteur a saisir immediatement la profondeur des changements qui avaient pris forme a partir de l'an mil, ainsi que Ie caractere universel de leur propagation. Voyons les changements qui touchent particulierement a notre sujet. La periode d'avant l'an mil est marquee par un deplacement presque incessant des peuples : ainsi les diverses tribus germaniques, les Huns, les Musulmans, les Slaves et les Scandinaves. Le desordre qui accompagne ces deplacements contribue au sentiment d'insecurite et d'instabilite, il exacerbe la faiblesse des organismes politiques (evitons de parler d'Etat pour l'Europe occidentale d'alors). Et il rendit impossible Ie fonctionnement regulier du commerce et des echanges, tel que les routes romaines autrefois l'avaient favorise. Les paysans forment la presque totalite de cette societe; ils vivent sous la domination d'une elite minuscule de guerriers et de clercs. Les rares marchands sont des etrangers venus de la Mediterranee, qui transportent des marchandises exotiques en prenant des risques enormes et pratiquant des prix en proportion. L'economie, essentiellement agricole, atteint a peine un niveau de subsistance, et tout surplus est entierement consomme par l'elite parasitaire. La quantite de monnaie en usage avait decline de fas;on spectaculaire depuis I'epoque romaine, et Ia circulation des petites quantites qui en restaient etait si ralentie qU'elIe etait presque imperceptible. Depuis Ie debut de la periode imperiale, l'or avait coule constamment d'ouest en est; au VIlle siecle, on cesse meme de l'utiliser pour la frappe de la monnaie. Cependant, les tissus, les peaux, les outils, les armes et les metaux precieux circulaient frequemment et sur de grandes distances. Ce trafic ne vient pourtant pas de transactions commerciales; i1 est plutot Ie fruit de la guerre, des razzias, du pillage et du burin. Le chef victorieux emporte tout ce que ses hommes peuvent transporter; et ce qu'il ne garde pas, il Ie distribue a ses fideles compagnons et aux gardiens des centres
1.
M.
BLOCH,
La SociCtefeodale. La Formation des liens de dependance, Paris, 1939, p. 97.
Monnaie, commerce et population
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religieux. La redistribution, par combinaison de pillage et d'echange de cadeaux, est Ie mode principal de la transaction economique. Dans cet etat de choses OU il n'y a pas plus d'economie de marche que d'Etat, les villes des anciennes provinces romaines ne survivent a peine qu'a titre de souvenirs. Cette survie minimale est assuree par la persistance de leurs noms et de leurs vestiges materiels. Mais les aqueducs sont rompus, et les ponts, routes et murailles ne sont plus entretenus depuis longtemps. Les ruines ne sont pas cependant completement vides : a ArIes par exemple, Ie reste de la population urbaine trouve refuge dans les arenes antiques, comme a Lucques. La polis, ou civitas, la forme sociale ideale la plus elevee de la culture mediterraneenne, n'est donc plus qu'un pathetique fantome d'elle-meme dans I'Occident. Les ecrivains chretiens ne se plaignent assurement pas de cette situation; on note cependant avec interet qu'ils ne s'en prennent pas a la notion ou au mot de « cite ». lIs investissent plutot leur energie emotionnelle dans de nouveaux types de cites : ainsi saint Augustin dans sa Cite de Dieu, ou Cassiodore dans son monastere qu'il appelle une cite OU les pieux citoyens, les moines, « jouissent deja d'une prefiguration de la demeure celeste ». La population des provinces occidentales etait deja en declin a la fin de la periode imperiale. Ce declin avait ete accompagne par une plus grande dispersion dans les campagnes. Et l'impact des tribus germaniques sur ces regions, bien que considerable, ne doit pas etre considere du point de vue d'une demographie positive : ces groupes ne comptent en effet a leur arrivee que quelques dizaines de miillers d'individus. Puis entre 542 et 787, la peste ravage l'Occident, selon un processus etonnamment proche de celui qu' on connait mieux pour la Peste noire a partir de 1348. II y eut certes dans Ie tres haut Moyen Age des phases de croissance demographique, mais avant Ie IXe siecle, aucune de ces phases d'augmentation ne sera vraiment soutenue. On peut rapidement resumer les principaux changements en cours en Europe aux Xle-XIIle siecles, du fait qu'ils engendrent une situation en net contraste avec celIe des siecles decrits plus haut. Avec la fin des grandes invasions s'opere une restauration generale de l'ordre interne; elle est encouragee par des gouvernements toujours plus forts, qui au xm e siecle possederont la plupart des attributs essentiels de l'Etat souverain sauf ce nom lui-meme. Avant la venue de la Peste noire, la population de l'Europe sera trois fois plus nombreuse qu'elle n'avait ete au debut du Xle siecle. Bien que nous ne possedions pratiquement aucune statistique demographique pour cette periode, tous les signes s'accordent d'une maniere convaincante pour indiquer une telle croissance. Mais ce qui est sans doute plus important que la croissance demographique, c'est la concentration d'une modeste proportion - peut-etre 5 % - de cette population dans les
Monnaie, commerce et population
Bible et nouveaux problemes de chretiente villes (entendons la des agglomerations de plus de 2 000 habitants). Seules Venise, Milan et Paris atteignent la centaine de milliers d'habitants, une douzaine environ d'autres villes les 50000, mais la taille moyenne des villes de cette periode est d'environ 10 a 15 000 habitants. Les villes forment alors un reseau d'activite commerciale, a partir de la vallee du PO, et dont 1'axe principal suit une ligne reliant l'Italie du Nord aux Pays-Bas. Les domaines les plus eloignes de l'economie rurale ressentent les effets de cette activite. L'agriculture de subsistance fait place a la specialisation, ce qui permet d'eliminer une bonne part de la production marginale, et de concentrer les efforts sur une production permettant de realiser des profits par son injection dans Ie marche. La quantite de terre arable double dans toute l'Europe, Ie rendement des recoltes augmente sensiblement (100 % dans de nombreux cas). De meilleures methodes de rotation des cultures et de labourage, ainsi que l'usage generalise des legumes (important pour amender Ie sol et donner au regime alimentaire une plus grande valeur nutritive), aident a entretenir les progres enregistres dans presque tous les secteurs de l'economie. La production de draps de laine devient la premiere industrie organisee de l'Europe, et fournit Ie premier article manufacture destine a l'exportation. De ce fait, l'industrie du drap stimule fortement Ie commerce. Et a mesure que les marchands et tisserands, avec leur hierarchie complexe de metiers et de specialites, affluent dans les villes et se consacrent chacun a plein temps a leur propre travail aux cotes des artisans et des « professions liberales », les campagnes s'organisent pour nourrir les nouvelles populations des villes. A la campagne tout comme a la ville, Ie calcul de la valeur rogne peu a peu sur 1'ancienne mentalite du don et du contre-don, en limitant les pratiques de celle-ci essentiellement au domaine marginal de la sociabilite et de la philanthropie, domaine OU elle est confinee depuis lors. Le nerf de ces grandes populations urbaines depersonnalisees, de ces transactions commerciales generalisees, et d'une mentalite tournee vers Ie calcul des profits, c'etait bien stu: l'argent. Le stock de monnaie s'accroit se10n les methodes de la periode precedente, par l'obtention de butin et de tribut chez les Musulmans (en Espagne, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient). II s'accroit aussi grace a 1'exploitation de mines d'argent recemment decouvertes. II s'accroit enfin par la repartition d'une bonne partie des ttesors precedemment ge1es, certains enfouis et decouverts par hasard a cette epoque, mais pour la plupart amasses dans les monasteres. Au total, un effet vraiment revolutionnaire : l'argent se repandit dans presque tous les secteurs et genres de relations humaines. L'omnipresence nouvelle de l'argent, la croissance du commerce et Ie ttiplement de la population n'etaient pas en eux-memes sources de problemes. Toutefois, la societe chretienne latine etait profondement
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ttaditionnelle. Elle avait des prejuges fortement enracines contte les ttansactions monetaires, contte la richesse et contte les relations sexuelles. Des problemes surgissent donc a partir du XIe siecle, lorsque les anciens prejuges et les realites nouvelles se heurtent de plein fouet.
LA MONNAIE
Le gouvernement feodal ttaditionne1 reposait sur des conttats d'homme a homme entte les seigneurs et les vassaux qui echangeaient leur protection contte des services. Le seigneur protegeait son vassal et a l'occasion lui donnait aussi des armes et l'usage d'une terre; en conttepartie, Ie vassal repondait aux appe1s du seigneur lorsque ce1ui-ci 1'invitait a sieger a sa cour et a lui donner conseil, a chevaucher avec lui et a combattte pour lui. Un nouveau type de gouvernement, qui nous est plus familier, fait son apparition aux xre et xn e siecles, experimente tout d'abord a la Curie romaine. Les taches a la cour sont desormais executees par des specialistes, dont beaucoup ont ete formes dans les ecoles de droit, et il faut payer ces gens, qui sont les premiers bureaucrates de I'histoire de I'Europe. Ala meme epoque, les princes prennent conscience de la plus grande souplesse qu'offre un ttesor bien rempli, au lieu d'enttetenir a leur service un nombre determine de soldats pendant une periode specifiee, chaque annee. Grace a l'argent, ils peuvent deployer des ttoupes de mercenaires quand et OU ils Ie desirent, et ce1a pour aussi longtemps qu'ils Ie souhaitent. En bref, Ie cout du gouvernement monte en Heche de ce fait, et Ie paiement d'impots et de droits remplace l'accomplissement des devoirs ttaditionnels du vassal. Rien, semblait-il, ne pouvait ette accompli a Rome sans argent. Et pourtant, avec la concenttation croissante du pouvoir ecclesiastique entte les mains des papes, de Gregoire vn a Boniface VITI, c'est a Rome, semblait-il, que tout devait se faire, ou ette approuve. Outte les couts justifies de l'administtation, deja considerables, il semblait y exister un desir insatiable de pots-de-vin. Reelles ou fruits de l'imagination, la venalite et la corruption prirent place parmi les themes satiriques les plus populaires et les plus repandus; et l'on situait souvent la cour pontificale en« decor» de ces critiques, OU resonnent des echos bibliques. Gautier de Chatillon, poete et professeur, qui s'etait forme au droit et avait fait ses armes a la chancellerie d'Henri II, ecrivit un poeme sur la corruption a la cour papale. Ce poeme commence par un jeu sur Ie premier chapitte d'Isaie, OU il remplace Israel par Rome, abandonnee, desolee et assiegee. Les cardinaux sont a la barre de la nef de Pierre, ils s'averent ette des pirates, dont Ie chef est Pilate. Le navire manque sans
Bible et nouveaux problemes de chretiente cesse de s'ecraser sur les rochers, et on n'en maintient Ie bon cap qu'a coups d'argent. L' Evangile se/on Ie Marc d' Argent, ouvrage anonyme du xn e siecle, utilise Ie meme theme; nous Ie connaissons par un grand nombre de manuscrits. Un pauvre homme est cruellement econduit de la cour papale, mais un clerc grassouillet et riche s'y fait admettre en graissant la patte a tous les portiers, huissiers et secretaires qu'il rencontre. Quand Ie pape apprend que de nombreux cardinaux ont eux aussi res;u de l'argent, une maladie mortelle Ie saisit. Le riche lui envoie une literie d'or et d'argent, et Ie pape se remet immediatement de sa maladie. Le pontife convoque alors les cardinaux, et leur enjoint : « Freres, que personne ne vous trompe avec de vains mots. Je vous ai donne un exemple : comme j'ai obtenu, vous aussi vous obtiendrez. » Pour des accusations plus precises sur la vente des offices ecclesiastiques, la simonie, on faisait reference a l'histoire de Simon Ie Magicien, sorcier de Samarie (Actes 8, 9-24), qui avait cherche a acheter les pouvoirs apostoliques. Cette histoire, citee par l'ermite-reformateur du Xle siecle, Pierre Damien, devint un lieu commun de la rhetorique gregorienne. La trahison de Jesus par Judas pour trente deniers d'argent (Mat. 26, 15) etait consideree comme l' acte de corruption Ie plus viI. Les attaques contre la vente d' offices ecclesiastiques ou de dimes, ou encore des sacrements et de la justice, qui deviennent toutes frequentes au xne siecle, evoquent sans cesse l'image de Judas qui vendit son seigneur. Les representations artistiques de Judas avaient ete extremement rares pendant les siecles precedents; la scene habituellement decrite etait celle de son suicide par pendaison. Aux Xle et xne siecles, on assiste a une proliferation de representations de Judas; et l'on choisit plutot, en un grand revirement, de mettre I'accent sur la scene OU il res;oit l'argent en paiement. Meme s'il etait devenu depuis peu un personnage important, Judas restait mysterieux parce que la Bible ne disait presque rien de son passe. La Ugende de Judas, egalement du xn e siecle, lui donna une ample biographie, bien que fantaisiste. Ecrite en latin, elle fut bientot traduite en plusieurs langues vulgaires. L'ultime trahison de Judas ne faisait que s'ajouter a un lourd passe de fratricide, de parricide et d'inceste. Le moyen Ie plus courant d'evoquer les problemes souleves par l'usage de l'argent consistait a mentionner les themes traditionnels des vices, de l'avarice en particulier, que nombre d'auteurs consideraient comme Ie vice principal ou selon une image differente mais proche, comme la racine de tous les autres vices. La liste des vices n'est pas d'origine biblique, mais les specialistes croient qu'elle derive des Voyages dans I'Autre Monde, peut-etre d'un recit gnostique du voyage de l'ame,
Monnaie, commerce et population au cours duquel celle-ci rencontre les uns apres les autres un certain nombre d'esprits mauvais (sept en general). Les premiers auteurs chretiens ont inaugure une longue tradition, en dressant des listes de vices et aussi de vertus. Ce n'etait pas une tradition rigide, car les ecrivains etaient libres de modifier Ie nombre et l' ordre des vices qu'ils incluaient dans leur liste. Le premier dont on soit certain qu'il ait enumere les vices et debattu de leurs essences respectives est Evagre Ie Pontique. Cet ermite du IV e siecle plas;ait l'orgueil a la fin d'une liste de huit vices cardinaux. Le vice principal, habituellement detache en tete ou a la fin de la liste, ou isole de celle-d, est Ie plus sUr indicateur d'un changement dans Ie systeme traditionnel des vertus et des vices. Un second indicateur critique est la nature du rapport entre les differents vices, en particulier celui du vice Ie plus important avec les autres. Jean Cassien rend explicite la liste d'Evagre, en expliquant pourquoi l'orgueil venait en dernier, et pourquoi c'etait Ie plus important des huit vices. II met les moines en garde : il leur faut vaincre tous les vices moins importants, alors seulement ils risqueront serieusement de verser dans l'orgueil, qui sera Ie plus difficile de tous a surmonter. Le mal de l' orgueil est si grand, ecrit Cassien, qu'a la difference des autres vices il n'a pas pour ennemi un ange ou une vertu, mais son adversaire est Dieu lui-meme. Cassien introduit aussi dans la discussion l'image d'un arbre avec ses racines et ses branches. Deux passages de la Bible etaient a l' origine de cette tradition theologique : Sir. 10, 13, « Le commencement du peche, c'est l'orgueil », et I Tim. 6, 10,« La racine de tous les maux, c'est l'amour de l'argent ». Dans ce dernier passage, saint Paul utilise Ie mot grec phi/argyria, que saint Jerome traduit non par avaritia (mot que de nombreux specialistes prefereraient actuellement), mais par cupiditas, qui a Ie sens un peu plus general de desir immodere de quelque chose, y compris mais pas necessairement l'argent. Certains theologiens etaient au courant de cette distinction. La Bible certes mentionnait et attaquait d'autres vices, mais seuls l'orgueil et l'avarice etaient denonces aussi expressement que dans ces deux passages. Par consequent on ne disputait pratiquement jamais a 1'orgueil ou a l'avarice Ie role de vice principal. La plupart des theologiens du debut du Moyen Age choisirent l' orgueil. Le choix de Cassien a dej a ete mentionne, et a cet egard nous ne devons oublier ni sa profonde influence sur saint Benoit, ni la recommandation que celui-ci fait aux moines dans sa RegIe de lire Cassien. Cependant, Ie plus influent de tous les moralistes parmi les Peres est probablement Gregoire Ie Grand. Dans les Moralia in Job, il affirme nettement que l'orgueil est Ie vice principal. Ce n'est pas simplement un des huit vices cardinaux : l'orgueil est une entite importante, unique, a l'ecart et au-dessus des sept vices.
Bible et nouveaux problemes de chretiente Car, lorsque l'orgueil, roi de tous les vices, s'est empare completement d'un creur, ille livre sans plus attendre aux sept vices principaux, comme s'ils etaient de ses generaux, parce que sans aucun doute ils font surgir des cohortes pesantes de vices ... La racine de tous les maux est l'orgueil, dont on dit, l'Ecriture en temoigne, qu'il est Ie commencement du peche. Mais les sept vices principaux surgissent de cette racine empoisonnee, comme ses premiers rejetons : et ce sont la vanite, l'envie, la colere, l'acedie, l'avarice, la gourmandise et la luxure (PL, 76, 6zo-6zl). Cet ordre d'enumeration, qui place I'avarice au cinquieme rang, fut generalement adopte. Les MoraNa furent souvent copies et souvent aussi abreges; les idees de Gregoire sur la primaute de l'orgueil ont donc persiste. Son influence est evidente dans les ecrits de Tayon de Saragosse, Defensor de Liguge, Smaragde de Saint-Mihiel, Ambroise Autpert, Alcuin, Jonas d'Orleans, Raban Maur, Halitgaire de Cambrai et Hincmar de Reims. La tradition ne change pas avec la renaissance monastique du x e siecle, lorsque saint Odon, deuxieme abbe de Cluny, ecrit une version abregee des MoraNa. Odon supprime une grande partie du long texte de Gregoire, mais I'orgueil a survecu a ces coupes sombres : il reste Ie roi et Ie souverain des sept vices cardinaux. Cependant, I'avarice - et en particulier la remarque de saint Paul a son sujet - n'etait pas passee inaper~e au debut du Moyen Age. Isidore de Seville, qui s'efforce davantage de tout cataloguer que d'introduire de la coherence, repete les propos coutumiers sur l'orgueil et l'avarice, sans essayer de les concilier. Hincmar aussi admet la remarque de saint Paul; il etablit sa propre liste des vices, qui place l'avarice en premier, tout en acceptant ce que dit Gregoire Ie Grand a propos de l' orgueil. Le Scot Siadhal, soulignant fortement une suggestion de saint Paul, considere l'avarice et Ia cupidite comme des signes d'idolatrie; et Jean Scot Erigene, pour qui la cupidite est perverse et illicite, explique qU'elie est une motion irrationnelle du libre arbitre. Saint Augustin avait essaye de resoudre I'apparente contradiction entre I'Ecclesiastique et la Ire Epitre a Timothee. Dans celle-ci, i1 prefere lire avaritia, mais i1 invite cependant Ie lecteur a prendre ce mot au sens large du desir incontrolable d'un objet quelconque qui n'est pas restreint al'argent. Paul avait, selon Augustin, utilise adessein Ie terme« avarice », afin d' exprimer Ia notion generale d'un desir immodere. Le diable avait ete pousse ala chute par I'avarice, et celle-ci, chacun Ie sait, ne consistait pas en un amour de I'argent, mais en l'amour du pouvoir. Gregoire Ie Grand aussi, quoiqu'en dise Ie texte cite plus haut, assujettit l'avarice a l'orgueil. L'avarice a trait non seulement a l'argent, mais encore aux postes de haut rang; on parle a juste titre d'avarice lorsqu'il y a recherche demesuree de prestige. Si la quete des honneurs n'etait pas de l'avarice, c'est en vain que
Monnaie, commerce et population Pau.I ~ura~t. dit;Aa pr?pos du F!ls uniqu~ : « II n'a pas. c~nsidere comme une p;01e.a sals,lr d et~e I egal de Dleu» (Phil. z, 6). C'est runsl que Ie diable tenta d ev~iller lorgueil chez notre parent, en Ie poussant a l'avarice d'un poste eleve. Ainsi donc les theologiens du debut du Moyen Age ont-ils institue la primaute de l' orgueil, et parfois aussi la subordination explicite de l'avarice a ce premier vice. On as~i~te a partir du XIe siecle a une remarquable transformation de cette hierarchie, par un retournement decisif en faveur de l'avarice. ~n peut dej~ I~ .v?ir par exe~ple che.z Pierre Damien, ce precurseur de blen des senslbllites et des pulslOns qUl animent les generations suivantes. Pierre Damien ci~e s~t Paul et accepte son point de vue sans plus essayer de placer I avance comme une slmple sous-categorie de l'orgueil. ~a~ranc ~ommente de la n:eme fas:on ce meme passage de la Ire Epitre a Tlmothee. Thomas Ie Clstercien discute specifiquement de l'avarice en ~ant que vic.e ?bje;tif q~ contribue ala detresse des pauvres. Jean de Salisbu.:y c.onsldere 1 avance comme Ie pire de tous les vices, sevissant en par~culi.e~ ch~z ce~ qui exercent. un~ charge publique. « Bien que la prodigalite SOlt cla1rement mauvalse, Je pense qu'on ne devrait en aucune fas:on faire place a l'avarice. Aucun vice n'est pire que celui-ci, aucun n'est plus execrable, surtout chez ceux qui sont a la tete des Etats ou qui detiennent un office public. II faudrait eviter non seulement l'avarice elle-meme, mais aussi bien ce qui s'y associe. » Jean avait observe de pres les grands et les puissants, et ses avertissements, meme si l'on fait la part de l'exageration rhetorique, etaient imbus d'une force particuliere : « Dne personne que des hommes ponderes et circonspects soups:onnent a ~on droit ~u v.ice. d'avarice ne peut etre tenue pour Ioyale envers qUl que ce sOlt, ru digne d'affection. » O.n pourrait citer une l~~gue liste d'auteurs qui placent 1'0rgueil en preffi1ere place, selon la tradition du debut du Moyen Age. Notre propos n'est d?nc pas ici de dire qu'a partir du Xle siecle, I'avarice a remplace l' o~!?iueil en tant que vice principal, mais plutot de dire que l' orgueil, qUl Jusque-la. avait ete isole au premier rang, doit desormais partager son primat avec l'avarice. Outre ceux qui insistent particulierement sur l'un ou l'autre de ces deux vices, d'autres auteurs placent avarice et orgueil sur un meme plan. Parmi ceux-ci figurent Rupert de Deutz, Werner de Kussenberg, Ie p~eudo-Hugues de Saint-Victor, Ie pseudo-Bernard, Pierre Lombard, Plerre Ie Chantre, Jacques de Vitry et Guillaume Perault. Mais c'est Ie collegue dominicain de Guillaume Perault, Thomas d'Aquin qui parvie~t a I'equilibre Ie plus clair entre les significations et I'impo;tance respective de ces- deux vices principaux. Saint Thomas, apres avoir etudie. l~s, diffe~e~tes significa?ons qu'on peut donner a l'orgueil et a la cupldite, ch01Slt de leur attnbuer la definition la plus precise possible.
Bible el nouveaux problemes de chrelientC Ni l'un ni l'autre ne doit prendre Ie pas sur l'autre, soutient-il, parce que l'Ecclesiastique appeile l' orgueil un « commencement» et la Ire Epitre a Timothee Ie qualifie de « racine ». Thomas trouve une marge de manceuvre entre les sens de « commencement» et de « racine », pour eviter qu'on accuse la Bible d'incoherence. II place ainsi la cupidite en fin de la liste des sept vices, et suivant en cela Gregoire Ie Grand, il fait de l'orgueil un monarque regnant sur tous les autres. L'orgueil et l'avarice figurent en premier plan dans l'art roman et Ie gothique, y compris dans cette forme iconographique tres publique qu'est la sculpture monumentale. Les personnifications sculptees de ces vices apparaissaient sur les chapiteaux et en divers lieux importants des fas:ades, parfois dans une meme serie que d'autres vices, parfois aussi avec les vertus, mais souvent aussi seules. Les autres vices ne sont pas ainsi isoles et n'obtiennent pas un tel traitement individuel. L' orgueil est represente sous les traits d'un puissant guerrier a cheval. Cette tradition iconographique a ete fixee au plus tard au cours du IXe siecle, dans les manuscrits peints de la Psychomachie de Prudence. Eile comprend une sequence dans laqueile Ie cheval trebuche, l'orgueil est jete a terre, et l'espoir offre une epee a l'humilite qui decapite l'orgueil. Mais lorsque l' orgueil apparait sans aucune reference a Prudence, et lorsque l'artiste ne peut Ie representer qu'en un seul tableau, s'il veut personnifier ce vice autant que possible et Ie presenter d'un coup au spectateur, il choisit en general de Ie montrer sous les traits d'un cavalier projete a terre par-dessus l'encolure de son cheval qui trebuche. Le personnage est aussi sous cette forme une traduction graphique de Proverbe 16, IS : « Avant la ruine, il y a l'orgueil; avant Ie faux pas, l'arrogance. » On personnifiait l'avarice sous plusieurs apparences. Eile pouvait etre representee sous les traits d'un petit personnage accroupi, la bouche ouverte et deformee, prete a devorer, qui tient fermement ce qu'il a accumule dans des bourses. Dans ce droit ill, Innocent ill fait remarquer plus tard que l'avarice et l'enfer sont semblables : tous deux avalent et consument, mais ils ne digerent pas. L'avarice apparait aussi la bouche fermee, empoignant desesperement deux sacs, tandis qu'un serpent a tete de chat lui leche une oreille. Cet accapareur en proie a. des forces dignes du stade anal peut etre aussi represente sous la forme d'un monstre gras, penche au-dessus d'un enorme sac suspendu a son couL'avarice n'etait cependant pas toujours grotesque: a. Chartres, l'avaritia, nom feminin, est montree sous les traits d'une femme, assise pres d'un coffre d' argent, en train de trier et de compter des pieces de monnaie. L'avarice peut meme etre representee en personnage d'apparence pluto! distinguee, de belle prestance et bien habillee, mais un sac d'argent lUi pese au cou, et tout proche un serpent-dragon se tient a l'affi1t, ou c'est un diable grotesque juste derriere eile. Sur un bas-relief sculpte d'une
Monnaie, commerce el population eglise proche de Parme, l'avarice nous est montree subissant son chatiment : son cou ploie sous Ie fardeau d'un enorme sac d'argent, de chaque epaule lui pend un autre sac. Un diable se tient deb out a cote d'eile et pinces en main lui arrache Ies dents sans menagements. Au-dessus d'eile, un autre diable pese de tout son poids sur un coffre d'argent qu'eile porte sur Ie dos. Le theme de Lazare et de I'homme riche est etroitement relie a celui de l'avarice (Luc 16, 19- 31). Lazare, un mendiant, se tenait a Ia porte de la maison d'un homme riche, esperant en vain Ies miettes qui auraient pu tomber de Ia table somptueusement dressee a I'interieur. Seuls les chiens du riche lui montraient de la compassion et lechaient Ies plaies de son corps malade. II mourut, et son arne fut emportee au ciel vers Ie sein d' Abraham; mais lorsque Ie riche vint a mourir, son arne alIa affronter les tourments eternels de l'enfer. Les attributs iconographiques de I'homme riche sont semblables a ceux de I'avarice : a. sa mort en effet nous voyons sous son lit ses sacs d'argent et autour de ceux-ci se Ioven; de gros serpents visqueux. De plus, I'arne du riche est enfournee dans une gueule beante - I'enfer -, par un diable qui s'aide joyeusement de sa fourche. On trouve et I'histoire de Lazare et Ia personnification de I'avarice sur Ie cote gauche du porche, a. I'eglise abbatiale de Moissac. Un des attributs au moins de l'avarice a ete transfere aux representations du suicide de Judas (Mat. 27, 5). Judas est pendu, un sac d'argent au cou: ainsi sur Ie tympan de Sainte-Foy de Conques. On trouve parfois Ie theme des trois tentations (fonde sur I Jean 2, 15-16) a Ia place de celui des Sept Peches capitaux. Ce theme est moins bien connu; mais une etude de Ia fas:on dont il definit et relie entre eux vices et vertus corrobore ce que nous avons vu dans I'examen du theme plus familier des Sept peches. Les trois Tentations, convoitise de Ia chair, convoitise des yeux et confiance orgueilleuse dans Ies biens terrestres, correspondent aux trois tentations d'Adam dans Ie Jardin d'Eden et de Jesus dans Ie desert. On les trouve, au cours des siecles, assimilees a diverses combinaisons de vices; et ceiles-ci, par-deIa leur diversite, temoignent dans I'ensemble d'une tendance a conferer une in;portance croissante a I'avarice : pour Ie debut du Moyen Age, Ia trlade comprenait - en ordre croissant d'importance - , la gourmandise, 1'avarice, puis Ia vanite, c'est-a.-dire respectivement Ie Iaxisme dans Ies d~sirs de Ia chair, Ia curiosite qui vise des objets exterieurs a I'individu IUl-meme, et l'affirmation consciente et arrogante du soi face a autrui. Cha.que element de la triade des vertus monastiques (chastete, pauvrete, obelssance) avait pour fonction specifique de contrer son vis-a.-vis parmi ces trois tentations. Or dans la longue duree, on observe des variations considerables dans I'identification, la definition et Ie rang de chacune des tentations; un probleme majeur etait de placer dans ce schema les richesses et Ies honneurs. Mais dans les reflexions lucides
Bible et nouveaux problemes de chretiente du poete Langland (son Piers Plowman date du dernier tiers du XIVe siec1e), la vieille triade reapparait dans l'ordre suivant : la gourmandise, l'orgueil et l'avarice. La pauvrete religieuse, sous differents aspects, servait de contrepoids tout d'abord a l'orgueil, puis a l'avarice. Dans les premiers siec1es du Moyen Age, il n'y avait guere qu'un seul modele de vie religieuse, celui des moines. Du VIe au XI1 e siec1e, les moines se disent pauvres, et se font parfois appeler les « pauvres du Christ». Cet ideal sera legerement inflechl a plusieurs reprises, mais ne sera pas attaque avant Ie X1 e siec1e, ou certains ermites, puis des chanoines, enfin de nouveaux ordres monastiques, critiqueront les anciens ordres : ils denoncent alors la presence apparente d'une contradiction flagrante, entre cette pretention des moines a la pauvrete et la richesse incroyable de certaines communautes monastiques parmi les plus prosperes. La maniere dont cette contradiction, apparente ou reelle, etait resolue en dit long. Les moines pretendaient etre pauvres« en esprit» (Mat. 5,3), et les commentaires des Peres sur ce mot disaient sans ambigmte que Ie pauvre « en esprit» etait l'humble. Au Jour du Jugement, ce qui determinerait la pauvrete devait etre un etat d'esprit, et non pas un inventaire des biens possedes en ce monde. Et la principale vertu monastique, selon les ecrits spirituels des moines du VIe au xn e siec1e, de saint Benoit a saint Bernard, etait l'humilite; et cette vertu etait garantie par l'obeissance, c'est-a-dire la soumission totale du moine a la volonte de son abbe. Avant Ie X1 e siec1e, la notion meme de « pauvrete » possede un sens tres different de l'acception moderne : elle signifie principalement que Ie pauvre est depourvu de puissance. Bien sur, la puissance et la richesse etaient liees l'une a l'autre, comme elles Ie sont toujours; ce n'est ici qu'une question d'accent a mettre sur l'une ou sur l'autre. Cependant, les listes des divers groupes de« pauvres )} dans la societe carolingienne comprennent certains detenteurs de vastes richesses; ce que tous ces gens ont en commun, c'est qu'ils manquent de moyens adequats pour se defendre. Remarquons inversement que la c1asse dominante dans la societe feodale doit son nom a l'instrument et symbole principal de sa puissance, Ie cheval (ainsi, chevalier, caballero, etc.). Les moines venaient presque exc1usivement de cette meme c1asse puissante, qui controlait la terre et vivait a cheval. Ce qui leur permettait de se dire « pauvres » lorsqu'ils entraient au monastere, c'etait l'abandon de leurs chevaux et de leurs armes, c'est-a-dire de leur puissance. De plus, etre religieux, c'etait surtout glorifier Dieu : ceci, dans une societe fondee sur l'echange des dons, signifiait qu'il n'y avait rien de trop precieux qui ne puisse etre offert a un sanctuaire religieux. Le temple de Salomon, avec la prodigieuse quantite de richesses qui lui avaient ete offertes (I Chro. 29, 1-10), etaitinvoque comme modele vetero-
Monnaie, commerce et population testamentaire pour les batiments ecc1esiastiques chretiens. Encore au e siec1e, Suger de Saint-Denis se sert de ce que dit saint Paul, evidemment au sens figure, sur la maison de Dieu dont Jesus est la pierre d'angle (Eph. 2, 19-22) : Suger justifie par la la nouvelle et resplendissante eglise abbatiale qu'il avait fait edifier. Selon leur logique, les moines etaient donc vraiment pauvres, meme si, tout comme leurs protecteurs, ils ne s'embarrassaient pas de la nature somptueuse des batiments et installations monastiques. Par-dessus tout, ils favorisaient l'accumulation de grands tresors de metaux precieux et de joyaux, sur l'autel et autour de lui, sous forme de statues, de reliquaires, de croix, de vases liturgiques, de candelabres et de couvertures de livres. Les moines ne pretendaient pas que leurs communautes, en tant qu' entites, etaient ou devaient etre pauvres. .Les pre~ers reformateurs religieux qui s'aviserent de critiquer les m01n~s venalent de ces centres commerciaux et monetaires qu' etaient les vllles du nord et du centre de l'Italie. Pierre Damien de Ravenne voyait l'argent partout dans les eglises et s'en plaignait. Pour lui, l'ermitage dans sa purete et sa simplicite etait l'endroit OU l'on pouvait Ie miem! suivre Ie modele evangelique de simplicite. L'Eglise entiere etait presente, assurait-il en se fondant sur la Ire Epitre aux Corinthlens (12, 12-13), la OU une seule personne participait de sa foi et de sa charite. Employant Ie modele de la communaute apostolique de Jerusalem (Actes 4, 32), il preconisait la vie commune pour les chanoines. Et faisant allusion au meme passage, il definissait ainsi les predicateurs : « Les seuls capables de tenir la charge de predication sont ceux qui ne beneficient pas de l'appui des richesses terrestres et qui, parce qu'ils ne possedent rien, detiennent tout en commun. )} Comme les ermites et les chanoines se posaient en detenteurs de la tradition apostolique, ils s'en prenaient aux moines en les accusant, du fait de leurs ritue1s elabores et tres ceremonieux, d'imiter non pas les Apotres, mais les Pharisiens. L'un des grands partisans des chanoines au xn e siec1e, Gerhoch de Reichersberg, dessine un panorama global de l'hlstoire chretienne dans son traite Sur les quatre Veilles de nuit. Ce titre fait allusion a Matthieu 14, 22-33, OU Jesus marche sur la mer. La quatrieme veille, ou periode, correspond pour Gerhoch au siec1e ecoule, de Gregoire VII a Gerhoch. Chaque periode avait affronte un vent defavorable, et ce1ui de la quatrieme periode etait l'avarice. Dieu aide chaque age par l'intermediaire de ceux qui prennent Ie quart : dans la quatrieme periode, ce sont les disciples du Christ que Gerhoch definit comme ceux qui renoncent atous leurs biens. Cette volonte de faire ressembler la vie religieuse a une image de la communaute primitive des apotres eut des repercussions de grande portee. Certains ecrivains grandmontains raconterent comment leur fondateur, Etienne de Muret, considerait les regles monastiques comme des mesures superflues. L'Evangile suffisait. « Par consequent, comprenez XI1
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qu'il ne peut y avoir ~u'w::e ;egle, et que Ie Fil.s ~e Dieu. a ~t : 'Sans moi, vous ne pouvez nen fa:u:e (Jean 15, 5).» Mals.l ~vanglle s adressa~t a tous, quiconque s'y conformait etait don~ un religleux,
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second Christ ou I'autre Christ (Franciscus alter Christus) par ses contemporains, que I'imitation du modele biblique et surtout evangelique, atteint son apogee. Comme Etienne de Muret, il ne voulait reellement pour son groupe aucune autre regIe que I'Evangile. Se trouvant a Greccio (au nord de Rome, pres de Rieti) avec des amis pour Ia Noel 122 3, il reconstitue avec eux Ia scene de Ia naissance de Jesus a Bethleem. L'ete suivant, alors qu'il etait en extase mystique sur l'Alverne (dans Ies montagnes en dessus d'Arezzo), Fran<;ois re<;ut Ies cinq plaies de Ia crucifixion sur son propre corps. Peu avant sa mort en 1226, il dicta a ses freres un testament OU il leur rappelait que depuis Ie debut ses compagnons et lui-meme avaient essaye de vivre selon Ie saint Evangile. Pendant tout Ie siecle qui suivit Ia mort de Fran<;ois, ses disciples furent divises entre ceux qui desiraient perpetuer et imiter l'image du pauvre, figure du Christ, et ceux qui au contraire preferaient etablir pour l' ordre une organisation stable, au fond assez traditionnelle, avec toutes sortes de proprietes, de couvents, d'eglises, etc. Le debat entre ces deux factions se trouva essentiellement axe sur I'interpretation a donner du mode de vie de Jesus et des apotres. En particulier, avaient-ils eu des biens et de I'argent? C'est principalement Bonaventure qui etablit que Jesus et Ies apotres n'auraient rien possede. Cet argument reposait sur plusieurs textes deja cites, et sur quelques autres comme Ie Psaume 40 (39), 18 : « Moi je suis pauvre et humilie », qu'on disait se rapporter au Messie, et d'autres qui laisseraient entendre que Jesus n'avait eu aucune possession ni aucun lieu de residence qui sait vraiment sien (Mat. 8,20; 17, 27; 26, 17-19; Luc 19, 5; Jean 14, 30). Mais ce raisonnement fut officiellement rejete, sous des pretextes plus juridiques que theologiques, et fut meme declare heretique par Ie pape Jean XXII en 1323.
LE COMMERCE
L'espace relativement court que nous consacrerons au commerce n'est pas proportionnel a I'importance du sujet. Les ecrits sur Ie commerce sont moins nombreux que ceux qui traitent de I'argent et de l'avarice. Le repertoire biblique ayant trait au commerce etait moins varie; de plus, aucun theme iconographique associe au commerce ne pouvait egaler Ia force et Ia concision de ceux qui illustraient l'avarice. Par ailleurs, I'argent et I'avarice servaient souvent de metaphores pour Ie commerce. On peut donc dire que Ia majeure partie des propos precedents sur I'argent et I'avarice visait en fait Ie commerce et Ies marchands. L'attitude predominant chez Ies Peres de I'Eglise vis-a-vis des marchands et de l'activite commerciale etait caracterisee par une mefiance
Bible et nouveaux problemes dechretientC profonde. Ce n' etait pas la la marque d'une nouvelle theologie, specifiquement chretienne, mais plutot l'expression d'une mefiance tout a fait traditionnelle dans la societe greco-romaine, une mefiance qu' on rencontre chez Platon, Aristote, Ciceron et beaucoup d'autres auteurs de l'Antiquite. Tertullien identifie Ie commerce a l'avarice; Basile et Jerome s'en prennent tous deux a l'accumulation de richesses, et Jerome considere que Ie commerce est une escroquerie. Le texte patristique Ie plus frequemment cite sur Ie commerce vient d'une lettte du pape Leon Ie Grand (440-461), ou it est dit qu'il est difficile d'acheter ou de vendre sans tomber dans Ie peche. Le contexte est important, car Ie veritable sujet n'en etait pas Ie commerce, mais la penitence; ceci donne davantage de poids a son observation. Car Ie pape y exprime pour ainsi dire incidemment ce qu'il pense du commerce: « Pour une personne qui fait penitence, il vaut mieux subir quelque perte financiere que de se risquer dans les affaires; i1 est difficile en effet d'acheter et de vendre sans tomber dans Ie peche. )} Le pape reprend done apparemment un lieu commun, sans penser devoir recourir a une demonstration ou invoquer une quelconque autorite, et surtout pas biblique. Cette phrase est citee par toutes les premieres collections canoniques, et survit dans les grands recueils de Burchard de Worms, d'Yves de Chartres et de Gratien, aux XIe et xue siecles. Saint Augustin fait exception dans ce concert patristique. Il commente Ie Psaume 7 I (70), 15, en ayant a l'esprit Ie probleme d'une morale chretienne du commerce. Il fait l'inventaire de toutes les accusations communement portees contre les marchands, en les rendant d'autant plus spectaculaires qu'il atttibue directement ces travers a un marchand chretien au cours d'une conversation imaginaire. Ce marchand se defend· bien, tout d'abord en soutenant qu'il se rend utile du fait qu'il transporte des marchandises sur de longues distances, de l'endroit ou elles sont en abondance a celui ou elles sont necessaires. Il considere etre un travailleur qui gagne son salaire, selon les termes de Luc 10, 7. Il cherche ensuite a blanchir sa profession. A cet effet, il etablit une distinction entre Ie commerce en tant que tel et les marchands en tant qu'individus. Si Ie commerce donne lieu a des mensonges et a des parjures, ce n'est pas parce que Ie commerce en soi est mauvais, mais parce que tel marchand est un menteur ou un parjure. Le peche vient de la personne et non pas de la profession. Lorsque les paysans et les artisans men tent ou blasphement, les gens n'en concluent pas que leur metier, qu'il s'agisse de l'agriculture ou par exemple de la cordonnerie, est malhonnete ou blasphematoire. Saint Augustin accepte cette conclusion: si un marchand est deprave, ce n'est pas en raison de sa profession, mais en raison de l'iniquite personnelle de ce marchand. Cependant, malgre Augustin. au cours des premiers siecles du Moyen Age, c'est l'opinion de Leon Ie Grand et des autres Peres qui l'emporte.
Monnaie, commerce et population La seule scene vraiment importante de la Bible qui se rapporte a ce theme est bien sUr celle que rapporte Matthieu. , .Jesus entra dans Ie Temple et chassa tous ceux qui achetaient et vendaient la; ~l renver.sa les tables d~s changeurs et les chaises des vendeurs de pigeons. Et i1 leur ~lt : « 11 est ecrlt Ma maison sera appelCe maison de priere, mais vous, vous en faltes une caverne de bandits)} (Mat. 21, 12-13). On trouve ce texte tres frequemment cite au Xle siecle dans les attaques de portee generale contre les marchands. A la fin du xue siecle, on Ie vo!t scu:pte dans la pierre, avec une force poignante, sur la fas:ade de Sru.nt-Gllies du Gard. Jesus, solide et muscle, leve la main droite d'un geste menas:ant, et de la main gauche repousse quatre changeurs etonnes, qui plient l'echine et battent en retraite, en s'agrippant a leurs sacs, comme autant de personnifications de l'avarice. Ce passage de Matthieu fut incorpore dans les commentaires sur Ie Decret de Gratien, dans les annees 1180. En fait, il se trouvait dans un texte anonyme du ye ou du VIe siecle, qui ayant reapparu dans les annees 1180, fut faussement attribue a saint Jean Chrysostome. L'auteur brode sur Ie passage de Matthi.eu, pour avancer qu'aucun chretien ne peut etre marchand, et qu'aucun marchand ne peut plaire a Dieu, que la tromp erie est un caractere intrinseque du commerce; et bien que les artisans aient droit a une plus-value pour Ie travail ajoute au materiel qu'ils achetent et vendent ensuite, les marchands, eux, sont ceux: qui vendent sans les ameliorer les biens qu'ils ont achetes, et ce sont ces marchands que Jesus a chasses du Temple. ..Le commentaire de saint Augustin sur Ie Psaume 71 (70) est aussi utilise dans les discussions juridiques des annees 1180, mais d'une fas:on qui a~~blit la force de son argument en faveur du commerce. Cependant, au tnllieu du XIUe siecle, Alexandre de Hales, qui avec d'autres grands erudits des ordres mendiants avait entrepris de modeler une ethique chretienne du commerce, redonne toute leur force aux arguments de saint Augustin. Alexandre, francis cain, et Thomas d' Aquin, dominicain, confrontent tous deux les arguments du Pseudo-Chrysostome a ceux de saint Augustin, et resolvent totalement Ie debat en faveur du dernier. Avant Alexandre et Thomas, l'usure n'etait qu'une des nombreuses operations effectuees par les marchands. Ils gardaient en effet de l'argent pour des gens, ils Ie pretaient a d'autres, l'investissaient dans des entreprises commerciales, et Ie convertissaient en diverses monnaies aupres de marchands etrangers. L'histoire de la conversion de Valdes fut peutetre dramatisee par Ie fait qu'on y insistait lourdement sur les profits qu'il avait realises comme usurier, mais il n'y a aucune raison de penser qu'il ne pratiquait pas a la fois Ie commerce des draps et l'usure. La profession de banquier n'acquit son independance qu'au XUle siecle, en meme temps qu'apparaissaient les societes commerciales.
Bible et nouveaux problemes de chretiente Le pret a. interet pour Ie profit, c' est-a.-dire l'usure, etait tres mal vu; et puis que cette pratique ne prit son independance vis-a.-vis du commerce qu'au xm e siecle, toutes les activites commerciales etaient souillees du meme opprobre. Le plus gros de cette mauvaise reputation venait de passages de l'Ancien Testament (Ex. 22, 25; Lev. 25, 35-38; Deut. 23, 19-2 I), qui precisent tous que les juifs ne sont pas autorises a. preter a. d'autres juifs de l'argent pour realiser des profits. Ezechiel 18, 8 classe Ie pret a. interet parmi les crimes les plus graves, avec l'idolatrie et Ie vol. D'autres passages se referent a. l'immoralite du pret contre interet : « Seigneur, qui sera re<;u dans ta tente ? Qui demeurera sur ta montagne sainte? », demande Ie Psalmiste; et parmi ces elus on trouve : « Celui qui n'a pas prete son argent a interet» (Ps. 15 (14), I, 5). Saint Jerome considere que l'interdit impose aux juifs s'applique a tout Ie monde, du fait que la religion des Hebreux s'est accomplie dans la religion chretienne, universelle. Ambroise, qui essaie aussi de donner un sens au role qu'avaient eu les juifs dans la preparation au developpement du christianisme, fait observer que les juifs pretaient parfois a interet a un juif par l'intermediaire d'un non-juif. La doctrine dite « Exception d' Ambroise» declare que les chretiens ne sont pas autorises a se preter entre eux de l'argent a interet, sauf par l'entremise d'un non-chretien. Saint Augustin expose qu'il est plus cruel de tuer les pauvres par l'usure que de blesser les riches par Ie vol. Cependant, I'Eglise des Peres n'avan<;ait que prudemment. Les Conciles des I~ et v e siecles n'interdisent l'usure qu'aux clercs. Puis en 789, Charlemagne etendit cette interdiction a tous les chretiens, larcs et clercs. Le decret est reitere aux ConcHes de Paris (829), de Meaux (845) et de Pavie (850). Bien qu'on accordat peu d'attention a cette question au x e siecle, les condamnations se multiplient a. nouveau au Xle siecle, et sont repetees plus tard aux ConcHes de Latran. La proliferation des usuriers a partir du XIe siecle inquietait fort les moralistes, comme on peut s'en douter. Les Peres du IDe CondIe de Latran (I 179) font remarquer que l'usure fleurit presque partout, comme s'il s'agissait d'une entreprise licite.« Pierre est parti en voyage », ecrivait Jean de Salisbury au sujet de la papaute, « en laissant sa maison aux bailleurs d'argent ». Le pape Urbain III (II85-II87), integre dans l'arsenal de ce debat Ie role cle de l'intention, lorsqu'il cite - sans doute pour la premiere fois dans ce contexte - cette parole du Christ que rapporte l'evangile de Luc : « Pretez sans den esperer en retour» (Luc 6, 35). La seu1e intention pouvait ainsi constituer l'usure; cette opinio~ sera soutenue par maints auteurs durant les trois siecles suivants, qUl citeront sans cesse cette injonction evangelique et l'utilisation qu'en avait faite Ie pape. Guillaume d' Auxerre (I 180-1248), theologien infl.ue~t a. Paris, initie un courant de reflexion sur l'usure dans Ie cadre du drOit naturel. Un peu plus tard, Albert Ie Grand (t 1280) introduit Aristote
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dans Ie debat. Un canoniste, Sinibaldo Fieschi, Ie futur Innocent IV (1,243- 12 54), soutient que l'usure est prohibee pour ses consequences desastreuses : pour la societe, elle produit la pauvrete; pour l' arne du preteur, elle presente du point de vue moral de graves dangers, car l'usure n'est autre que Ie peche d'avarice. Des 1270 environ saint Thomas d' Aquin met au point un raisonnement tres elabore e~ droit na~~l contre l'usure. Reduit a quelques termes simples, ce raisonnement malntle.n.t q~e lor~q~'~ preteur vend tant la substance de l'argent que son utllisatlon (1 utllisatlOn ayant ete prealablement definie comme inseparabl~ d~ l'objet lui-meme), il vend en fait quelque chose d'inexistant, o~ bIen 11 vend la meme chose deux fois. Cette transaction, quelle que SOlt la fa<;on dont on la decrit est manifestement contraire a la justice naturelle. Les scolastiques condamnaient done fermement l'usure et cela de fa<;on toujours plus elaboree. ' L'~ttitude scol~stique envers Ie pret a interet ne se limite pas cepen~ant a un perfectlonnement et a. une mise a jour des critiques contre I usure. Car dans Ie meme temps elle entreprend de justifier certaines formes de paiement d'interets ainsi que les echanges commerciaux. On n' en est pas encore a. une theorie coherente des operations de credit; mais l~enonce des divers droit~ a. ~nteret (c'es~-a-dire une serie de cas d'exceptlon) a eu .p~ur effet de Justifier la pratlque du pret a interet, au moins d~s les lim!tes d'un marche de l'argent en pleine competition. Les ~reres mendiants, et quelques autres de leurs contemporains, en perfectlonnant des reflexions deja inaugurees dans les ecoles de la fin du XII~ siecle, .comm:ncent a. examiner les problemes de la propriete privee, d.u Juste pnx, d~ I ~rgent, des salaires professionnels, des profits commerClaux, des assoclatlons commerciales, et du pret a interet. Et pour chacun de ces problemes, on les voit emettre des opinions globalement favora~les, doru:ant leur approbation a. ces pratiques, renversant ainsi des attItudes qUl avaient prevalu pendant les six ou sept siecles anterieurs. Les travaux de certains eleves des professeurs les plus celebres montrent comment on a re<;u, assimile et transmis les idees de ces maitres. ~oiciyexe~ple d'un dominicain: Gilles de Lessines (vers 12 3513 0 4), qUl a fait ses etudes sous la direction d' Albert Ie Grand a Cologne et plus tard sous Thomas d'Aquin a Paris. Gilles ecrit un Tractatus de usuris vers 1280; il s'agit du premier opuscule theologique entierement cons~cre. aux problemes relatifs a la manipulation de l'argent. On y trouve une Justlficatlon du metier de changeur : ce metier derive de la nature ~eme d~ l'ar~ent, et est a la fois utile et commode. Contre ceux qui s at~chalent a condamner les changeurs pour la raison que Jesus les aValt chasses ~u Temple, Gilles explique que dans ce cas precis, ce n'est p~s la professlOn des e~ulses q~ est incriminee, mais plutot la pratique d un commerce ressortlssant au slecle dans un lieu reserve exclusivement au spirituel.
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LA POPULATION
L'explosion demographique du debut du second millenaire chretien posa de serieux probU:mes moraux et materiels. Nous avons reconnu dans Ie cas de l'argent comme dans celui du commerce un mode de developpement mental, allant d'un rejet categorique a une acceptation prudente et limitee, eventuellement suivie d'une justification des pratiques auparavant condamnees. Nous retrouvons ce meme schema pour un aspect important des nouveaux probU:mes de population, l'urbanisation; i1 est cependant absent de l'autre aspect de la demographie qu' on va etudier ici, la sexualite. Dans Ie premier Livre de la Cite de Dieu, saint Augustin demande ce qu'ont perdu les chretiens dans la chute de Rome; il repond lui-meme qu'ils n'ont rien perdu d'important. Cette devaluation de la cite a ete signalee plus haut, ainsi que Ie transfert de l'ideal urbain de la cite antique au monastere. A l'autre bout du Moyen Age, cet etat de choses est compl{:tement bouleverse. Vne exaltation nouvelle de la cite, fondee en grande partie sur l'ancien modele classique, triomphe, en Italie surtout et avant tout dans les ecrits des humanistes. La ligne de partage entre ces deux courants de pensee - chacun etant bien representatif des mentalites de son epoque - , peut etre situee au xne siecle. C'est alors que ces conceptions antagonistes se sont heurtees. Bien sur, on percevait a cette epoque Ie probleme en termes religieux, et donc Ie vocabulaire et l'imagerie employes dans les controverses sont resolument d'origine biblique. Au cours des siecles, les moines ont persiste dans leur ideal de fuite hors du monde; mais en fait les fondateurs d'abbayes n'etaient pas forces de fuir tres loin, car le« monde» n'etait nulle part si dense qu'il obligeat a la fuite. De nombreux monas teres furent fondes dans les murs ou a proximite de ces « cites » squelettiques des premiers siecles du Moyen Age, et avec la croissance urbaine des xre et xn e siecles, les moines se retrouverent bon gre mal gre au milieu d'agglomerations. Ce fait est souligne par l'auteur d'un opuscule intitule Les O!,dres e~ les Vocations de I' Eglise (Libel/us de diversis ordinibus et professiontbus qtII sunt in ecclesia, sans doute d'un chanoine qui vivait a Liege ou dans l~ environs au milieu du xne siecle). Il definit les difIerents types de Vle religieuse de son temps en fonction de leur proximite des centres de population; et il considere les « Clunisiens et leurs semblables », c'est-adire les moines de la vieille ecole, comme ceux qui vivent « parmi les hommes dans les cites, les villes et les villages ». Tel est Ie cas d'un des plus importants de tous les monas teres, duny : i1 avait ete fonde en un lieu is ole, mais l'immense richesse qu'il diffusa a l'echelle locale, en
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particulier par ses programmes de construction, crea une ville a ses portes. Parmi les abbayes construites a cote de villes en stagnation qui se reveillent au xr e siecle, figurent Westminster, Saint-Germain-des-Pres, Saint-Ambroise de Milan, et Saint-Heribert de Deutz (en face de Cologne, sur l'autre rive du Rhin). Le grand exegete de la Bible Rupert, abbe de Deutz (mort en II38), fit remarquer dans son Commentaire sur la Genese (Gen. 4, 17) que la raison primordiale de la construction des premieres villes sur terre avait ete l'homicide. Il fait la bien entendu reference a Cain, tenu traditionnellement pour Ie fondateur de la zizanie et de la violence sociales : Cain avait ete egalement Ie fondateur de la premiere cite, a l'est du Jardin d'Eden, qui portait Ie nom d'Enoch, son fils. En revanche, Rupert parle en termes elogieux d' Abraham, d'Isaac et de Jacob, qui « ne batirent ni villes ni chateaux, mais fuirent les villes et vecurent dans des masures, et construisirent au lieu de villes et de chateaux un autel en l'honneur de Dieu ». Dans Ie premier chapitre des Ordres et Vocations de I' Eglise, consacre aux ermites, l'auteur fait allusion a la fondation par Cain de cette ville primordiale. Etant donne qu'iI ne trouve pas de mention que quiconque ait avant Cain construit une maison ou une cite, il en conclut que les premiers hommes sur la terre vivaient sans domicile fixe ni communaute, et peuvent donc etre consideres comme les precurseurs bibliques des ermites. Son chapitre sur les Cisterciens, qui al'instar des ermites devaient s'efIorcer de fuir les concentrations humaines pour realiser leurs objectifs spirituels, a pour titre:« Les Moines qui se retirent al'ecart des hommes.» Cherchant un paralleIe dans l'antiquite biblique, iI trouve les cent prophetes, en deux groupes de cinquante, qui se cachaient dans les cavernes (I Sam. 18, 3-4). Pour parallele du Nouveau Testament, iI cite Ie depart de Jesus au desert (Luc 4,42) ou sa retraite dans la montagne pour y prier (Luc 6, 12). Deux cisterciens influents, Guillaume de Saint-Thierry et Aelred de Rievaulx, projettent l'image de la cite sur les monasteres de leur ordre, a peu pres comme Cassiodore l'avait fait quelques siecles auparavant. Ils n'etaient guere favorables aux villes de leur temps; ils reservent l'enthousiasme de leur description rhetorique a l'etonnante beaute des sites ou les Cisterciens s'etablissent avec tant de prudence et de gout. Ils appellent leurs monasteres « cites de refuge» (Nomb. 35, 9), ou la vie chretienne peut etre menee au mieux dans toute sa simplicite. Pour Bernard de dairvaux, dont Ie vocabulaire meme puise a la Bible, Ie monastere cistercien n'est rien moins que la grande Cite, Jerusalem. Et aux villes de son temps, OU iI se rendait si souvent mais qu'il ne comprit ou n'apprecia jamais, il donnait Ie nom de Babylone. Le sort de cette ancienne cite etait predit par les Prophetes, en raison de sa perversite et de son hostilite envers Israel (Is. 13; 14; 21; Jer. 50-5 I).
Bible et nouveaux problemes de chretiente Le Nouveau Testament, qui parle de Babylone pour qualifier Rome (I Pierre 5, 13 et Apoc. 17-18) fournissait un precedent a l'application de ce nom a une ville contemporaine qu'on veut critiquer. Le spectacle de jeunes etudiants frequentant les ecoles urbaines au lieu de la veritable « ecole du Christ» poussa Bernard a denoncer Paris comme Babylone la perverse, et a prier instamment les etudiants de s'en retirer. Toute cette imagerie se retrouve chez les partisans des ecoles urbaines. Jean de Salisbury ecrit a Thomas Becket en exprimant son vif enthousiasme pour Paris et sa surprise a constater qu'il l'aimait. Paris l'impressionne diversement, pour ses batiments, pour son peuple, et pour les evenements intellectuels et spirituels auxquels i1 a assiste ici; et pour decrire Paris, i1 reprend l'image de l'echelle de Jacob (Gen. 28, 12), avec ses anges montant et descendant, et son dernier barreau qui atteint Ie del. Pour l'abbe premontre Philippe de Harvengt, qui pourtant n'approuve pas les methodes nouvelles des ecoles, Paris est la Jerusalem que cherchent tant de gens. Les bataillons grossissants des clercs y depasseront bientot, pense-t-il, la population laique pourtant deja enorme. « Heureuse cite, OU les livres saints sont Ius avec tant de zele. » C'est la maison de David, et celle du sage Salomon. L'education et la spiritualite, courants divergents dont la synthese organique avait pourtant ete si bien reussie par Ie monachisme des siecles precedents, s'etaient clairement separees au xue siecle. Au debut du XlU e siecle cependant, les ordres mendiants essaient avec succes de les concilier. Ils ont donne legitimite aux villes, en choisissant volontairement d'y exercer leur ministere. Saint Franc;ois et ses compagnons vivaient en ermites en dehors des cites, aux abords toutefois de celles-ci, de fac;on a pouvoir y entrer Ie jour pour precher, pour travailler ou pour mendier. Par la suite, les Franciscains et les Dominicains etablirent quelque 2 000 couvents au XIUe siecle, tous situes dans les villes. Les freres s'occupaient des citadins, organisaient des confreries laiques pour eux; ils y trouvaient des patrons, y recrutaient leurs membres. Ainsi et par bien d'autres moyens ils donnaient un sens chretien a la vie urbaine. Humbert de Romans, maitre general de l' ordre dominicain au milieu du xme siecle, elabora une justification biblique a l'apostolat des Freres en ville. Les Prophetes representaient Ie modele de l' Ancien Testament : Ie Seigneur les avait envoyes vers des cites importantes, Jerusalem, Ninive ou Babylone, plutot qu'en des sites plus modestes. De meme, dans Ie Nouveau Testament, Jesus envoya-t-il les apotres precher dans les cites. Et tel fut l'heritage des Freres. Il revenait alors au celebre collegue de Humbert, Albert Ie Grand, d'exprimer une ideologie chretienne de la cite, decidement favorable. Dans un cycle de sermons preches a Augsburg, Albert s'appuie sur les mots de l'Evangile, « une cite situee sur une hauteur ne peut etre
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cachee» (Mat. 5, 14).11 admire« la cite munie de fondations dont Dieu est l'architecte et Ie constructeur » (Hebr. II, 10). Ces serm~ns sont au nombre de sept, tous pleins d' eloges de la vie urbaine, tous construits sur des citations bibliques. Albert fait l'eloge de la richesse aux mains d~s riches citadins, pourvu qu'elle soit acquise et mise en reuvre avec discernement, l'eloge aussi de la lumiere de la cite, de sa beaute et de sa .haute c~ture. Enfin il faisait meme l'eIoge de la densite de sa populatl?n, et CIte Jes precedents des nations et des peuples qui affluent a la matson du SeIgneur (Is. 2,2-3), Ie petit nombre qui deviendra dix mille (Is. 60,22), et « la foule immense que nul ne pouvait denombrer » (Apoc. 7, 9)· . Pourtant la densite de la population n'etait pas l'objet d'une admir~tlo~ sans partage. Dans les villages anglais, dans les grandes seigneunes fe<;>dales de la France du Nord, dans les villages fortifies du Latium, en Itahe centrale, partout on repetait les memes mots : la terre devenait surpeuplee. Au cours des siecles immediatement anterieurs, la surpopulation n'avait pas pose de serieux problemes. Certes, a l'epoque des Peres de l'Eg.lis~, .la sexualite et tout ce qui s'y rapportait, comme Ie mariage, la ,Vlrgl:ute, la contraception et ~'avortement, avait ete discutee par les theologlens. De plus, pour certams des Peres, la population constituait un probleme. Ils se demandaient si la chastete, dont il est tant question dans la Ire Epitre aux Corinthlens (7, I) et d'autres passages du Nouveau Testament, entrait en conflit avec l'injonction de Dieu a Adam et Eve (Gen. I, 27-28) puis a Noe et ses fils (Gen. 9, I) de croitre et de se multiplier. Tertullien se plaint qu'il y ait partout des maisons et que la populatio? g~ouille. « Notre. nombre e~t, un fardeau pour Ie monde, qw peut a peme nous souterur par ses elements naturels. » Jerome dit a propos de la Genese qu'a cette epoque, Ie monde etait encore depourvu de.population, ~s qu'a present il fourmille de gens et que cette populatlon est trop Importante pour Ie sol. Quoi qu'il en soit de l'origine et de la force de ces remarques sur la surpopulation, elles etaient estompees par l'eschatologie puissante de l'epoque. Vne morale sexuelle coherente se developpe et se stabilise avec les ve et VIe siecles, au temps de saint Augustin, de Benoit et de Gregoire Ie Grand; mais ce temps voit aussi Ie debut tres net d'une tendance demographique negative a long terme. Avec la fin definitive de cette decrue et Ie renversement de cette tendance, on voit apparaitre des reactions significatives a la morale etablie dans ces siecles de faible densite humaine. Ce sont d'abord au XIe siec!e les attaques contre les clercs maries ou concubins. De plus, Ie C?nCUblnage, clerical ou laique, est alors condamne, alors que Ie manage prend parallelement un caractere de plus en plus religieux. L'aspect economique du mariage prend aussi plus d'intensite : la volonte P. RICHE, G. LOBRICHON
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Bible et nouveaux problemes de chretien# de garder Ie patrimoine familial intact, qui s'exprime alors par la diffusion rapide de la primogeniture, rend Ie mariage des fils et des filles sans terres de plus en plus difficile. 11 y a d'autres temoignages de ce phenomene : ce sont la prolifera.tion massive des ~~nver~ions a. la v~e religieuse, et les fou1es d aventurlers sans terre et celibatalres qUl parncipent aux croisades. Quelques theologiens se pronon<;aient en faveur de la procreation illimitee, sans doute aux fins de remplir d' ames Ie Paradis; mais ils etaient clairement en minorite. La plupart de leurs collegues remettent plutot a la mode les remarques des premiers Peres sur Ie monde en passe d'etre plein; ils se dispensent toutefois des commentaires paralleles sur l'approche de la fin du monde. Guillaume d' Auxerre considere qu'il est permis de se marier, mais qu'on ne doit pas l'encourager,« car Ie peuple de Dieu s'est accru dans Ie monde entier, et d'innombrables mariages engendrent maintenant partout des fils de Dieu en un nombre suffisant ». Astesanus, un theologien francis cain, se demande si 1'0n serait toujours en faveur de la virginite si la population baissait serieusement, et si compte tenu de la chastete de certains, i1 n'y avait plus assez d'hommes pour servir Dieu. Et i1 repond lui-meme que les relations sexuelles - a l'interieur certes du mariage - seraient alors normalement obligatoires pour tous ceux qui pourraient s'y astreindre. De tels propos laissent entendre avec une certaine franchise que la faveur accordee au celibat etait en partie due a la presence d'une population suffisante, sinon reellement trop nombreuse. On retrouve ce relativisme social de la theologie morale des scolastiques chez Thomas d'Aquin, qui se demande si la chastete n'est pas elle-meme une forme de contraception, et ce faisant admet que la continence fait obstacle a l'engendrement d'une descendance. 11 en conclut que dans l' age de la Grace, on doit insister plus sur la procreation spirituelle que sur la procreation selon la chair. C'etait la un probleme tout relatif, une question d'accent sur Ie spirituel ou sur Ie monde. Au xm6 siecle, la Ire Epitre aux Corinthiens etait sur ce point un meilleur guide que la Genese.
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presq~e en tou~ ~es periodes an~erieures; l'heritage theologique devait donc eo;e, exatn1n~ de nouveau, 11 fallait Ie transformer pour l'accorder aux realite.s ~u present. 11 ne sufl1sait pas simplement de citer tel ou tel passage .blbliq~e co~e autori~e garantissant telle ou telle opinion; la foncnon meme et I usage fait du texte biblique lui-meme avaient change pendant ces siecles. A~ xre siecle~ les erudits ecrivaient pour un public erudit et donc :estrelnt en maruant de savantes citations; ils n'auraient pu se mettre a la portee duo peuple. Deux cents ans plus tard, toute l'Europe etait c.ouverte d'un l~ense reseau de predicateurs de l'Evangile. La jonctlOn entre les erudits ~t l~ popu1ation lai9ue des villes etait assuree par des reuvres de vu1garlsanon, des traducnons, par les differentes sortes de manuels de pastorale, et avant tout par la predication elle-meme. Nous pouvons .en guise de conclusion reformu1er ces propos, les reprendre du p~)1~t de vue ?u public plutot que de celui des porteurs d~ me~s~ge religleux. La .tatlle et la nature du public influence par la Blble etalent totalement differents en 1300 - car ce public etait beaucoup plus vast~ et plu~ complexe - , de ce qu'elles avaient ete avant les transformanons soclales operees au milieu de ce long Moyen Agel.
Traduit de l'anglais par Bruno Lobrichon et Philippe Buc.
CoNCLUSION
L'argent, Ie commerce et la demographie font donc irruption avec force comme autant de problemes de societe dans 1'0ccident latin d'apres l'an mil. On possedait deja a cette epoque un arsenal rempli de commentaires sur ces sujets; ils avaient ete formu1es, dans leur majorite, plusieurs siecles auparavant, et avaient ete repete~ so~ vent entre-temps. Mais l'etat de la societe dans ce nouvel age differalt
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I.
Pour la bibliographie, cf. les
nOB
19 0 - 20 4.
Lester K. LITTLE.
2
La Bible dans les confreries et les mouvements de devotion
L'histoire des confreries medievales est encore, dans nne large mesure, a ecrire. Ces groupements furent si nombreux et, en meme temps, ont laisse si peu de traces dans beaucoup de regions que, malgre nne intensification des recherches au cours des dernieres annees, nous sommes encore loin de pouvoir prendre nne vue d'ensemble du phenomene confraternel. Pourtant il est d'ores et deja certain que, malgre des differences sensibles d'un pays a l'autre, son ampleur fut considerable, en particulier entre Ie xue et Ie xve siecle. Autant que la paroisse, la confrerie a constitue nne des structures d'encadrement fondamentales au sein desquelies les laics - ou tout au moins une elite du laicat ont vecu leur experience religieuse. Car s'il a existe au Moyen Age des confreries clericales reunissant les clercs d'nne ville ou d'une zone rurale, la plupart de ces associations furent Ie resultat d'une initiative laique et reunissaient dans leur sein de simples fideles. Pour l'epoque qui nous interesse, leurs orientations et leurs activites ne nous sont guere connues que par leurs statuts, mis par ecrit - Ie plus souvent en latin - par des clercs impregnes de culture sacree. On ne saurait se fier aces seuls textes pour apprecier la place que tenait la Bible dans la vie des confreries et dans celie des confreres. Aussi serons-nous amenes a nous interesser egalement a leurs activites pour essayer de voir dans quelie mesure celies-ci refletent l'impact de la Parole de Dieu dans la societe du temps.
Confreries et mouvements de devotion
Bible et nouveaux problemes de chretiente
L'ESSOR DU PHENOMENE CONFRATERNEL AU MOYEN AGE
Lorsqu'elles apparaissent pour la premiere fois avec une certaine nettete les confreries medievales ne se presentent pas comme une institution tres edifiante1 • En 852 en effet, dans un decret synoda~ celebre, l'archeveque de Reims Hinc:nar fu~tige ~es. deborde~~nts q~ se produisent a l'occasio~ de~ re~?t>;s d aSSO~latiOnS de .1alcS ~u 11 designe sous Ie nom de gildonzae (denve du radical germaruque gzld-I· Nous sommes malheureusement mal renseignes sur leur compte ffialS d'apres d'autres temoi!?nages lege:ement posterieu:,s r;le~es. en Angleterre et au Danemark, 11 y a tout lieu de penser q~ 11 s ag1SSalt de gr?upements purement profanes, ayant pour but d assurer la protection et Ie bien-ctre de communautes locales dont tous les membres - ou du moins les chefs de famille - s'etaient associes sur un pied d'egalite. La dimension religieuse n'en etait pas totalement absente dans la me~~e ou Ie groupe ne pouvait se des!nteres~er de ses morts et de leur .des~ee posthume. Aussi ne tarderent-lls pas a se placer s
I. G. LE BRAS [207], t. II, Paris, 1956, pp. 444 et s.
, En fait c'est au xne sieele que Ie mouvement confratemel a commence a prendre son essor dans la plupart des regions de la chretiente occide~tale, san~ dout~ sous l'influence de l~ nouvelle spiritualite « apostolique » qw se diffuse un peu partout a cette epoque. n s'agit d'une volonte de renouer avec l'Eglise des premiers temps du cbristianisme et de retrouver, a tous les niveaux, l' « ecclesiae primitivae forma ». Cette aspiration s'exprima d'abord chez les religieux et les elercs, et l'on sait qu'elle est a l'origine d'un certain nombre de reformes monastiques et canoniales, de Citeaux a Premontre. Mais elle ne laissa pas les hics indifferents et l'on vit se multiplier, surtout apres IlOO, les associations pieuses dont les membres cherchaient a vivre « a la fas:on des apotres », c'est-a-dire conformement au modele fourni par la communaute chretienne de Jerusalem, telle qu'elle est decrite dans les Actes (4, 32-34). Cet ideal spirituel suscita des realisations institutionnelles tres diverses allant d'assodations etroites de communautes pays annes avec les monas~ teres reformes, comme celles que decrit Bernold de Constance pour l' Allemagne du Sud, jusqu'a ces confreries hospitalieres et charitables qui exers:aient leurs activites Ie long des chemins menant a Saint-Jacquesde-Compostelle ou encore en Italie du Nord, dans les villes situees sur la Via Frandgena ou a proximite. Dans les statuts de cette epoque qui nous sont parvenus, il est beaucoup question de « la charite qui couvre pour ceux qui l'aiment la multitude des peches » (I Pierre, 4, 8); on ne tardera pas a y voir apparaitre la liste detaillee des six « reuvres de misericorde », directement inspiree par les Beatitudes et par Ie redt du Jugement dernier tel qu'il figure chez saint Matthieu (Mat. 25, 35-40 ) : « J'ai eu faim et vous m'avez donne a manger, j'ai eu soif et vous m'avez donne a boire », etc. Visiter les pauvres, les malades et les prisonniers, secourir la veuve, l' orphelin et Ie pelerin devient alors l'objectif prioritaire d'un certain nombre de groupements hics qui illustrent leur attachement a l'amour mutuel en se plas:ant sous l'invocation du Saint-Esprit. Au xme siecle, ils donneront parfois naissance a de veritables ordres religieux, comme on Ie constate dans Ie cas de l'ordre du Saint-Esprit qui de Montpellier gagna Rome et fut institutionalise par Ie pape Innocent lIT. Ces cas, fort interessants, n'en demeurent pas moins exceptionnels et la plupart des confreries medievales eurent d'abord pour but Ie salut de leurs propres membres, sans qu'on saisisse toujours tres bien en quoi consistaient les obligations reelles de ces derniers. La denomination meme de ces groupements n'aide guere a y voir clair. Si les mots confraternitas, confratria ou fraternitas sont de loin les plus repandus, on trouve egalement des termes comme caritas (charite, surtout en Normandie et dans les Pays-Bas), religio ou congregatio qui traduisent l'influence de la Vulgate OU ces derniers figurent. Tout au plus peut-on cons tater qu'avec Ie temps les confreries se distinguerent progressi-
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Bible et nouveaux problemes de chrCtienti
vement des associations socioprofessionnelles comme les guildes, hanses ou metiers, auxquelles elles avaient dans certains cas sem de couverture. Leur inspiration neo-testamentaires se marque dans cette reference preponderante a la notion de fraternite, fondee sur la communaute spirituelle des baptises avec Ie Christ (I Pierre 5, 8) et sur la charite fraternelle prechee par les apotres (Rom. 12, 9 et I Thess. 4, 9) qui confere a ce type d'association un sens plus profond que la simple collegialite des membres d'une corporation. L'entraide au sein de la confrerie s'etend a la notion de salut eterne!' Non contents d'aider ceux de ses membres qui sont demunis ou malades, elle leur assure une digne sepulture en terre chretienne et des prieres apres leur mort. Ce fut sans doute une des raisons de leur succes qui ne se dementit pas jusqu'a la veille de la Reforme. Leurs activites varient sensiblement d'un cas a l'autre; au minimum la confrerie se reunissait pour une messe annuelle, suivie d'un banquet communautaire et accompagnee de distributions de nourriture ou de pieces de monnaie aux mendiants et aux infumes. Dans d'autres cas, les exigences etaient plus lourdes, surtout en matiere de pratiques religieuses, et les confreres qui s'obligeaient par serment a observer les statuts, se voyaient infliger des peines s'ils ne les respectaient pas. Au moins devaient-ils eviter toute intemperance dans Ie boire et Ie manger, comme l'avait prescrit Ie Christ lui-meme (Luc XXI, 34).
CONFRERIES ET MOUVEMENTS DE PENITENCE
A l'extreme fin du xne siecle en Italie, au Xlne dans Ie reste de la chretiente occidentale, apparaissent des groupements de laies devots d'un nouveau type : ce sont les Penitents qui, sous des denominations diverses, vont jouer un grand role dans les mouvements religieux de l'epoque. Le sucres de la spiritualite penitentielle est lie a la diffusion parmi les fideles de la devotion a l'humanite du Christ, que l'on cherche a imiter dans Ie mystere de sa Passion redemptrice. Le desir d' expiation et de purification qui s'etait deja manifeste dans les masses a l'epoque des mouvements de paix et des premieres croisades, debouche sur un ascetisme de conformite : en s'infligeant renoncements et souffrances, Ie chretien peut esperer s'unir a« l'amour personnifie qui a ete crucifie », selon l'expression de Guillaume de Saint-Thierry, et acceder avec Lui a la vie eternelle. Dans la plupart des groupements de ce type qui se constituent dans les dernieres decennies du xn e siecle, se definit un nouveau rapport au monde : loin de Ie fuir comme les moines cisterciens, les penitents y demeurent et n'hesitent pas, comme les Humilies de Milan, a etablir
Confreries et mouvements de devotion leurs comm~a~tes. au cceur ~es villes et des quartiers laborieux pour se consacrer a.l artisru;at textile. Tel fut aussi l'objectif des beguines, c~s fen,unes qw dans 1 Europe du Nord-Ouest et les regions rhenanes, s assoClerent pour mener dans des « convicts » non claustraux - 1 b' . es egm.nag~s ~e vie ou Ie travail et la priere etaient etroitement aSSOCles a la pratique de la pauvrete evangelique. Rester au milieu du monde sans v:ivre de fa<;on. mondaine, tel sera l' objectif primordial de ces fra~e:rutes dont certames donneront naissance a de veritables ordres . ,religleux,. comme celui des Humilies et, vets Ie milieu du e Xlll s~ecle, celw des Se~t~s de Marie, fonde par cinq marchands florentins.. Sans alle~ aUSSl 1010, la plupart ?es confreries de penitents rassem~latent des ~alcs Ie plus souvent manes et exer<;ant une activite prof~sslo~elle qw se retro:uvaient periodiquement pour des exercices de devotion. Pour ces derruers fut redigee en 1215 une sorte de regIe Ie Me~~riale propo~iti qui definissait leur statut et leurs obligations: Les peru.tents devalent porter un vetement de drap « de qualite com~une et mcolore» et de peu de valeur, qui suffisait ales faire reconnaitre' 1,ls ?bservai~t des jefules plus frequents et plus longs que ceux auxquel~ ~tatent astremts les chretien.s de ce temps; ils etaient tenus de lire chaque Jour les sept heures canoruques, mais les illettres pouvaient remplacer les textes de l'office par la recitation d'un certain nombre de Pater Noster et, pour ceux qui Ie savaient, du Credo et du Miserere. TIs devaient ~e confes~er et communier trois fois l'an. Prenant l'Evangile a la lettre, 11s refus~ent. de ~orter les ar~es et de preter serment solennel (<< Que votre ow SOlt ow» ... ), ce qw ne tarda pas ales mettre en conflit avec les pouvoirs publics, en particulier dans les communes italiennes. En 1221, la Rapaut~ l~s prit sous sa p~otection et demanda aux eveques de. les souterur, mats 11 fallut un certam temps pour qu'un compromis so~~ ~ouve :. dans la pratique, les penitents furent exemptes du service m1litalre mats les communes leur confierent des taches variees allant de la distribution des subsides caritatifs jusqu'a la gestion de la tt~sorerie municipale, qui constituaient une sorte de « service civil » avant la lettre. Les femmes etaient admises dans ces confreries avec l'autorisation de l~ur conjoint pour celles qui etaient mariees. L~s epoux pouvaient continuer a user du mariage mais ils devaient s'abstenir de relations conjugales a certaines periodes de l'annee liturgique, ce qui explique Ie nom de« continents» que l'on donnait parfois aux penitents et qu'il ne faut pas prendre au sens absolu du terme. Les reunions etaient Ie plus souv~~t mensue~es; elles se tenaient dans une eglise ou un prette ou un religleux venatt leur parler des choses de Dieu. Mais les fraternites etaient autonomes par rapport au c1erge et n'obeissaient qu'a leurs propres ministtes qu'elles elisaient librement et auxquels les membres de la confrerie promettaient l'obeissance. L'etat penitentiel connut une grande diffusion apres 1220 sous
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Bible et nouveaux problcmes de chretiente
l'influence des ordres mendiants. Saint Fran~ois d' Assise et ses compagnons avaient d'ailleurs commence par constituer une fraternite de penitents, qui donna naissance, apres l'approbation donnee par Innocent III, a l'ordre des Freres mineurs et a celui des Pauvres Dames dirige par sainte Claire. Franciscains et Dominicains, soucieux d'etendre a l'ensemble des fideles l'appel a la penitence lance par leurs fondateurs, favoriserent la constitution de communautes de ce type qui gravitaient dans leur sillage, mais sans avoir avec eux - du moins dans un premier temps - de rapport institutionnel privilegie. Ce n'est qu'a la fin du xm e siecle que devaient apparaitre, sur Ie plan juridique, les Tiers Ordres, dont la naissance est l'expression d'une volonte de controle et de reprise en main par la hierarchie d'un mouvement religieux typiquement lalc. Auparavant la diversite de ces groupements etait tres grande: les uns etaient strictement devotionnels; d'autres mettaient davantage l'accent sur ce qui constituait les grands problemes de l'Eglise de l'heure : la lutte contre les heretiques et la defense de la foi orthodoxe, y compris sur Ie plan politique et militaire; d'autres enfin se consacraient aux ceuvres de charite, se pla~ant Ie plus souvent sous la recommandation du Saint-Esprit ou de la Vierge de Misericorde. Mais derriere ces differentes orientations se retrouve une meme spiritualite qu'il convient d'analyser de plus pres. Faire penitence en effet, pour les chretiens de ce temps, ce n'est pas seulement se repentir de ses peches et pratiquer Ie sacrement de confession, rendu obligatoire au moins une fois l'an pour tous les fideles par Ie Concile de Latran IV, en 1215. C'est prendre a la lettre la parole du Christ (Mat. 5, 17) : « Faites penitence, Ie royaume de Dieu est proche. » 11 ne s'agit pas en effet d'une simple preparation mais d'une entree des ici-bas dans ce Royaume, manifestee par un changement de vie et une renonciation au peche. La penitence est un etat, presque un style de vie. Eile consiste dans une attitude humble et repentante, la seule qui convienne a l'homme pecheur face aDieu s'il veut se rattacher a lui par l'amour. Aussi devait-il rechercher la nudite et Ie depouillement, non l'autorite, la science ou Ie sacerdoce. N'oublions pas d'autre part que l'avenement du royaume de Dieu a ete communement considere au Moyen Age comme imminent. Un certain nombre de Franciscains reprirent, on Ie sait, a leur compte les speculations d'un Joachim de Flore sur Ie debut prochain d'un« nouvel age du monde», qui serait Ie dernier : l' age de l'Esprit et de l'Evangile eternel. Mais meme s'ils n'avaient jamais entendu parler des propheties de l'abbe calabrais, les simples fideles etaient portes a partager la conviction qui animait de nombreux clercs de vivre « en ces temps qui sont les derniers ». Les papes de l'epoque ne presentaient-ils pas leur principal adversaire, l'empereur Frederic II, comme Ie veritable Antechrist dont l'apparition en ce monde devait annoncer la proximite de la fin des
f·. ?' "
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Bible et nouveaux problemes de chretien# l'Italie sous la direction du dominicain Venturino de Bergame. Les statuts de ces confreries, souvent mis en langue vulgaire au Xlve siecle, nous renseignent sur leur recrutement et leurs activites. Les femmes en etaient exclues pour des raisons evidentes. Les reunions avaient lieu en general un dimanche sur deux et a l'occasion des principales fetes religieuses, en particulier pendant la Semaine sainte, ainsi que tous les vendredis de l'annee. En entrant dans l' oratoire de la confrerie, chacun s'agenouillait sur une dalle de marbre et demandait pardon pour les manquements aux statuts qui etaient notes sur un registre special. On faisait ensuite lecture en commun et a haute voix d'un office votif, du type de ceux qui figuraient dans les livres d'heures manuscrits a l'usage des laics devots et qui comprenaient les sept psaumes de la penitence, les quinze psaumes graduels avec la litanie des saints, l'office de la Vierge et celui des defunts, reduit en general au premier nocturne. Le dimanche et les jours de fete, on celebrait une messe au cours de laquelle etaient recueillies des offrandes et on echangeait Ie baiser de paix. On se donnait la discipline au cours des reunions du vendredi soir : les confreres revetaient une tenue speciale pour la flagellation; iIs allaient d'abord pieds nus embrasser Ie Crucifix puis se fustigeaient mutuellement, chacun recevant sur son dos nu autant de coups qu'il estimait necessaire pour expier ses fautes. Tous avaient la face couverte par une cagoule pour qu' on ne puisse pas les reconnaitre. Avant l'accomplissement du rite, on procedait a. la lecture de quelques passages de la Passion du Christ; puis un sermon etait fait par un des responsables qui formulait les intentions pour lesquelles la ceremonie allait etre accomplie (pour les freres absents, les malades, les defunts, etc.). Pendant qu'elle se deroulait une chorale composee des confreres, ayant les meilleures voix, chantait des cantiques - ou laudi - en langue vulgaire exaltant Ie sacrifice sanglant du Christ et ses vertus redemptrices. En principe les flagellants ne s'exhibaient pas en public, sauf lors de la procession annuelle du Vendredi saint OU ils parcouraient la ville a la tete du cortege rituel. Mais a l'occasion des grandes explosions paroxystiques evoquees precedemment, ils sortaient de leur reserve et se repandaient dans les rues. Ainsi a Strasbourg, en 1349, on vit pres de 200 flagellants aller de ville en ville et de village en village, rassembles derriere leurs bannieres et chantant en chreur Ie cantique suivant : Voici Ie grand pelerinage de supplication le Christ est aile lui-meme i Jerusalem. 11 portait une croix i la main. Que le Seigneur nous aide 1 Nous devons embrasser l'etat de penitent pour que nous plaisions davantage i Dieu, Ii bas, dans Ie royaume de son Pere.
Confreries et mouvements de devotion C'est po?r cela que.nous prions tous. Nous p!1ons Ie Chr1st tres saint qui commande au monde entier. Lorsqu'ils entraient dans les eglises, ils s'agenouillaient et chantaient: Jesus a ete abreuve de fiel Nous devons tous nous jeter par terre en croix. Vne fois qu'ils etaient allonges sur Ie sol, leur chef s'ecriait : Maintenant tendez vos mains vers Ie del pour que Dieu eloigne de nous cette epidemie mortelle. Tendez vos bras vers Ie del pour que Dieu ait pitie de nous. Apres quoi iIles flagellait et disait a chacun d'eux : Releve-toi en l'honneur de la Passion tres pure Evite de pecher i nouveau. 11 est certain que l'essor de la lyrique religieuse en langue vulgaire est .liee dans une large mesure au mouvement de flagellants. La plus anClenne confrerie connue de « laudesi )} CIa « lauda )} est une sorte de ballade religieuse avec refrain) n'aurait-elle pas ete fondee a Sienne par Ie dominicain Ambroise Sansedoni en 1267? Mais Ie mouvement ne tarda pas a deb order son cadre d' origine et nous connaissons au r:n0.ins en Italie, de nombreuses associations devotes dont l'unique' but etalt de chanter des laudes en langue vulgaire Ie soir et les j ours de fete dans un~ e~lise determin~e dont elles finissaient par prendre Ie nom. 11 est diffictle de determtner leurs sources d'inspiration, car chacune d'e~tre elles avait son propre « laudario )} ou livre de chant; Ie plus anC1en est celui de la Fraternite de Santa Maria della Laude a Cortone qui se reunissait a l'eglise Saint-Frans;ois. Mais les theme; fondamen~ taux etaient partout les memes : louanges de la Vierge Marie, « la donna del pareyso no porso tropo fir loaa )} (la dame du Paradis dont on ne peut trop faire la louange), comme dit Ie refrain d'un cantique chante par la Congregation de la Vierge a Perouse; celebration de ses joies et de s.es douleurs; commemoration des saints patrons et surtout de la PasslOn du Christ qui etait au centre du repertoire et devait etre cel~bree, e~ ~u?lic Ie jour du Vendredi saint. De fas;on generale, au moms a I 0!1g1ne, les laudes dramatiques tenaient une plus grande place dans Ie repertoire des confreries de flagellants, comme ces « Pianti di Maria» (Lamentations de Marie) OU l'on entend Ie Christ s'adresser
Confreries et mouvements de devotion
Bible et nouveaux problemes de chretien# du haut de la croix a sa mere et a saint Jean, comme dans Ie « laudario » de Pise :
o Giovanni caro mio frate or ti sia raccomandata che ti lasso la mia madre quella chi tanto amata per mio amore nola lassare3 • Dans d'autres textes contemporains, ce sont les humiliations et les souffrances du Christ qui sont particulierement mises en relief: Venne Cristo humiliato al pie di Giuda per lavere. Avea facto quel mercato venduto lui trenta denare. o cortese salvadore coy lavaste altradetore. Levate glochie e resguardare morto e Christo ogi per nui4 • Le point d'aboutissement de cette evolution qui tend a representer, au sens Ie plus litteral du terme, les principaux mysteres de la Redemption fut atteint avec la constitution (particu1ierement precoce en France) de confreries theatrales, comme celIe de la Passion a Paris, dont l'activite est connue depuis 1402, ou celIe de Rouen dont les statuts remontent a 1374 et s'expriment en ces termes : Item il est ordonne que les freres de la charite (= confrerie) des sus dite mettront la meilleure partie qu'ils pourront, bonnement, chacun an, une fois tant seulement, en memoire de Notre Seigneur Jesus Christ et de sa glorieuse mere et de tous les saints du Paradis, pour emouvoir Ie peuple chretien a bonne devotion, a faire un vrai mystere ou miracle qui sera par bonne et devote. maniere montre en la personne des freres, en lieu et place convenable a ce faire, sans y ajouter aucune chose fors que la Sainte Ecriture. Cas limite, certes, que celui de ces confreries dont l'objectif essentiel etait une unique representation annuelle. Mais qui illustre bien 3.
4.
« 0 Jean, mon cher frere, void que je te recommande et que je te laisse rna mere; elle qui m'a tant aime, pour l'amour de moi ne l'abandonne pas! » « Le Christ est venu plein d'humilite aux pieds de Judas pour Ie laver. Lui avait fait ce marche de Ie vendre pour trente deniers. o courtois seigneur qui as lave les pieds du traitre ! » « Levez les yeux et regardez : Christ aujourd'hui est mort pour nous ».
la place qu' occupe dans la spiritualite du temps la contemplation de I'Homme des douleurs, si bien attestee par ailleurs dans l'art pictural par Ie retable d'Issenheim.
THIDffis
ET INFLUENCES BIBLIQUES DANS LA VIE DES CONFRERIES
Lorsqu'on cherche a evaluer quelle a pu etre l'influence de la Bible sur les laics au Moyen Age, on ne doit pas perdre de vue Ie fait que ces derniers n'en possedaient pas Ie texte et ne pouvaient y acceder directement. La connaissance et la transmission de la parole de Dieu etaient en effet reservees aux clercs qui veillaient jalousement sur ce privilege, fondement de leur superiorite culturelle mais aussi hierarchique au sein de l'Eglise. A partir du xue siecle cependant ce monopole commen~a a etre conteste. Dans les mouvements evangeliques qui se multiplierent apres 1 170, Ie libre acces des fideles aux textes bibliques rendus accessibles a tous par une traduction en langue vulgaire fut une revendication centrale et l'on sait qu'elle fut a l'origine de la condamnation de Valdes, ce marchand lyonnais qui s'etait converti et avait renonce a ses biens pour se consacrer a l'annonce de la Bonne Nouvelle par Ie temoignage et la predication. L'argument que lui opposerent les milieux ecclesiastiques etait Ie risque d'une interpretation heretique : mal traduits dans des langues vulgaires dont Ie vocabulaire semblait impropre a rendre avec exactitude des notions theologiques subtiles, les textes sacres n'allaient-ils pas faire l'objet d'interpretations incorrectes, voire totalement heterodoxes, comme celles que l'on constatait a la meme epoque chez les cathares? Les memes accusations furent repetees a quelques annees de distance contre un pretre de Liege, Lambert Ie Begue (t 1177), auteur d'une traduction en langue romane des Actes des Apotres, ainsi peut-etre que des Epitres de saint Paul, a l'usage des femmes devotes qu'il avait rassemblees dans des communautes qui semblent bien avoir ete a l'origine des beguinages. On lui reprocha en effet d'avoir, ce faisant, revele a des illettres l'Ecriture qui devait leur rester cachee. Mais sous la pression venue de la base, l'attitude de la hierarchie ne tarda pas a evoluer sur ce point : en 1199, Ie pape Innocent ill ecrivit une lettre a l'eveque de Metz dans laquelle i1 condamnait les agissements de certains laics de cette ville qui critiquaient les insuffisances de leur clerge et se prechaient a eux-memes, ce qui favorisait la naissance d'un esprit de secte evidemment dangereux pour l'Eglise. Mais dans Ie meme texte Ie pontife approuva Ie desir que manifestaient ces fideles de connaitre l'Ecriture et etablit une distinction entre l'exhortation mutuelle et la predication proprement dite : la premiere, que les laics pouvaient pratiquer, devait se limiter au commentaire des aperta, c'est-adire des textes de l'Ecriture accessibles a tous, que l'on appelait aussi
Bible ot nouveaux problemes de chretien# au Moyen Age « les hystoires et moralites »; en revanche les profunda, c'est-a.-dire les textes prophetiques et dogmatiques etaient reserves aux clercs, car ils contenaient les secrets de la doctrine que seuls des esprits cultives et specialement prepares par un apprentis.sage de l'~xe gese etaient en mesure d'interpreter correctement. Parnu les prenuers figuraient les Evangiles, les Psaumes, les Livres Sapientiaux et les « Epitres catholiques » (Jacques, Pierre, Jean et Jude), tandis que celles de saint Paul, les prophetes de l' Ancien Testament et l' Apocalypse etaient du domaine de la theologie dogmatique dans la mesure OU elles contenaient les arcana Dei (secrets de Dieu). Saint Fran~ois d' Assise, qui fut d'abord un simple penitent laic et ne depassa pas Ie diaconat, reprit a. son compte cette distinction, comme l'avaient fait quelques annees plus tot les Humilies de Lombardie auxquels Ie ministere de la Parole avait ete accorde par Innocent III, a. condition de rester sur Ie plan de la morale et de la polemique antiheretique. Loin de vouloir precher, ce qui l'aurait mis en conflit avec l'Eglise, il chercha a. offrir a. ceux au milieu desquels i1 vivait un exemplum, c'est-a.-dire un temoignage evangile concret et frappant, susceptible de les amener a. faire penitence. II ne dit rien des dogmes dont certains etaient pourtant explicitement nies par les cathares, tres nombreux dans l'Italie de son temps, comme l'Incarnation ou la Redemption' il se contenta d'annoncer Ie royaume de Dieu, d'appeler a. la con~ersion, d'inciter a. la paix et a. la reconciliation. D'autres predicateurs contemporains firent de meme comme Foulques de Neuilly en France ou ce Frere Benoit qui, en 1233, fut a. l'origine du mouvement de l'Alleluia dans les villes de l'Emilie-Romagne OU il entrait, accompagne d'une multitude d'enfants portant des rameaux et des cierges, en chantant au son de la trompe : « Loue, beni et glorifie soit Ie Pere, soit Ie Fils, soit Ie Saint-Esprit! Alleluia, alleluia, alleluia! » A leur suite les Freres mineurs et precheurs developperent toute une pastorale axee sur la transmission de la Parole de Dieu, non sous une forme dogmatique mais en mettant l'accent sur les exigences concretes de l'adhesion a. I'Evangile. . , Ainsi dans les confreries medievales, dont beaucoup furent suscltees et animees par les ordres mendiants, les laics, s'ils n'eurent pas de contact direct avec Ie texte de la Bible, purent neanmoins s'en impregner par differents canaux : Ie plus evident est la predication qui fut, a par?r du xme siecle, tres developpee et appreciee par les confreres : a. l~ difference des offices liturgiques et de la messe celebres en latin qUl leur etaient incomprehensibles, Ie prone en langue vulgaire occupait une place de choix dans leur vie religieuse et po~vait dur~r. de longues heures sans que l'auditoire ne se lasse. Les themes vartalent selon 1a. composition de ce dernier : on y parIait des vertus et des vices et, dans les confreries de metier, Ie predicateur s'effor~ait d'adapter son discours
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en fonction des problemes socioprofessionnels de son public. Dans des cercles plus devots en revanche, en particu1ier dans les beguinages qui constituerent souvent des foyers de haute spiritualite, on n'hesitait pas a. aborder les problemes de la vie interieure, comme la generation du Verbe incarne au fond de l' ame en quete de Dieu. Mais ces elans mystiques susciterent au XIVe siecle la mefiance puis la reprobation de la hierarchie ecclesiastique, qui accusa les beguines de disserter abusivement sur la sainte Trinite et sur l'essence divine et accusa un certain nombre d'entre elles de s'etre laissees contaminer par l'heresie du Libre Esprit. II s'agit la. cependant d'un cas limite et dans la tres grande majorite des confreries, meme de devotion, on etait loin d'atteindre de tels sommets. L'influence biblique, lorsqu'on peut en saisir la trace, semble s'y etre exercee surtout par l'intermediaire des statuts. Ceux-ci ne constituaient pas de simples normes juridiques ou reglementaires. Rediges par des clercs, ils se presentent parfois comme un tissu de references scripturaires. On en faisait en general une lecture publique a. chaque reunion et les confreres etaient invites ensuite a. s'accuser des manquements qu'iIs avaient commis vis-a.-vis d'eux. De nombreuses citations bibliques illustraient d'abord la dimension religieuse du phenomene associatif, a commencer par Ie verset evangelique : « Quand deux ou trois d'entre vous sont reunis en mon nom, je suis au milieu d'eux » (Mat. 18, 20); d'autres textes exaltant l'amour mutuel qui doit regner entre les confreres s'y retrouvent souvent en particulier les recommandations de saint Paul dans l'Epitre aux Hebreux (13,1-3): « Perseverez dans la dilection fraternelle. N'oubliez pas l'hospitalite ... souvenez-vous des prisonniers ... et de ceux qui sont maltraites. » Dans certains cas, Ie rappel des textes evangeliques s'accompagne d'un veritable commentaire, comme dans les statuts de la Confrerie Saint-Daniel de Padoue OU Ie recit du Lavement des pieds est suivi d'une exhortation moralisante : « Ainsi fit Notre-Seigneur en signe de grande humilite, pour nous donner a. comprendre que nous aussi devons etre humbles et obeissants. » Ces considerations particulierement abondantes dans les prologues des statuts deviennent plus rares au niveau des articles, OU il n'est pas rare de trouver cependant un echo des Proverbes de Salomon dont Ie caractere concret etait tout a fait adapte a. l'esprit de ce type de documents : ainsi l'article 37 des statuts de la Confrerie de Saint-Jean-de-Ia-Mort a. Padoue, qui, comme son nom l'indique, etait specialisee dans l'assistance aux condamnes a la peine capitale, reproduit en italien une strophe des « Paroles de Lemuel » (prov. 31, 6-7) : Procure des boissons fortes a qui va perir, du yin au cceur rempli d'amertume. Qu'il boive ! Qu'il oublie sa misere I Qu'il ne se souvienne plus de sa peine I
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Mais c'est surtout dans les dispositions statutaires relatives a la mort que l'influence de l'Anci~n Testamen~ se .fait sentir. A10~ que le~ evangiles et les ecrits apostoliques sont tres discrets sur ce pomt et n ~ffrent guere que de grandes perspectiv~s theologiques s~ la Resurrec~on et 1'histoire du Salut, les soins dont 11 faut entourer la sepulture des d~funts _ qui etaient au centre de la vie des confreries, quelle que fut par ailleurs leur nature - ne trouvaient de justification scripturaire que dans certains textes vetero-testamentaires, comme Ie Livre de Tobie (12, 13) ou Dieu declare a son serviteur : « Quand tu n'as pas hesite a te lever et a quitter la table pour aUer ensevelir un mort, j'ai ete env?ye po~ eprouver ta foi. » De meme la priere pour les ames du PurgatOlre, qUi prend une tres grande importance dans les confr~ries ayartir du XIVe si~cle ne peut s'appuyer que sur Ie passage du de~eme li:-re des Mac~abees (12, .3 64 8) : « Tous, ayant beni la condmte du Seigneur, se mlrent ~n pnere pour demander que Ie peche commis (par les morts) fut entlerement efface. }} Dans la mesure ou ne nous sont generalement parvenus - dans Ie meilleur des cas - que les statuts des confreries medievales, il est difficile d'aller beaucoup plus loin et d'essayer de voir, par exemple, queUe place tenait la meditation de l'Ecriture sainte dans la priere de leurs membres. Ce que nous savons de leurs pratiques liturgiques nous incline a penser que la piete des fide1es etait centree sur un petit nombr~ de textes connus par creur (Ie Pater, l' Ave Maria, Ie Magnificat et Ie reelt de la CCne selon saint Jean). Elle semble avoir privilegie les aspects les plus sensibles du mystere de l'amour divin, comme l'atteste ~a place q~'y occupent, aux XIVe et xve siecles, la devotion aux cinq plates du Chn.s~, aux sept joies et aux sept douleurs de la Vierge ou au Corpus DominI. Encore ne faudrait-il pas generaliser trop rapidement a partir d'exemples italiens - les plus nombreux et les mieux connus - qui ne valent sans doute pas pour l'ensemble de la chretiente. 11 reste, pour terminer, a essayer d'apprecier l'impact reel du messa~e biblique - ou de ce qui en a filtre au niveau des confreries - dans la Vie de ces dernieres : s'agit-il d'un habillage exterieur, plaque par des clercs ou par de pieux laics en mal de reconnaissance officielle par l'Eglise.sur des realites sociologiques d' ordre purement profane ou relevant ~eme de la culture « folklorique » ? Donner une reponse globale a cette mterrogation fondamentale est evidemment delicat, sinon impossible. Sous Ie terme general de confreries ont coexiste,. me~e a .la fin du Moyen Age, des realites tres diverses : entre des confrenes d habltants, essentlellement dans les campagnes, qui regroupent une fois par an pour un ban9-uet l~s membres de la communaute villageoise et les cerc1es devots qm graVltaient autour des couvents urbains et ou fleurissait la mystique la plus sublime, i1 est difficile de trouver un denominateur commun. Pourtant on aurait tort de refuser aux premieres pour la reserver aux seconds Ie
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rattachement a l'influence, directe ou indirecte, de tel ou tel aspect du message biblique. Meme dans Ie cas, frequent en milieu rural, ou les activites de la confrerie recouvraient des pratiques communautaires tres anciennes, il n'est pas certain que la reference au Saint-Esprit, la plus commune pour ce type de groupements, ait ete depourvue de signification religieuse. Certes, Ie traditionnel souper de Pentecote et les distributions de nourriture dont benefidaient alors les plus demunis permettaient une sorte de mise en commun des ressources alimentaires a la veiIle de la periode toujours diffidle de la « soudure » et etaient ass odes a des rites de passage et a une evocation des morts qui n'etaient nullement lies au calendrier liturgique. Mais, comme l'a souligne recemment J. Chiffoleau5 , la reference a la troisieme personne de la Trinite pouvait aussi se rHerer a !'ideal de vie communautaire et fraternelle qui avait ete a l' origine du mouvement de la Vie apostolique et servir de base, ou en tout cas de reference, a une theologie tres fruste, insistant sur l'importance du partage et de l'assistance mutuelle comme signes visibles de l'avenement d'un regne de l'Esprit ou tous ne feraient qu'un et ou rien ne manquerait a personne. En milieu urbain les confreries ont souvent joue Ie role de structures d'accueil et de regroupement pour les isoIes et les nouveaux venus, qui se trouvaient a l'aise dans ces structures « trans-sodales » ou les clivages du milieu ambiant etaient abolis ou transcendes, ne serait-ce que l'espace de quelques heures par semaine. Pour les femmes enfin, les confreries de devotion, surtout celles qui etaient placees sous Ie patronage de la Vierge Marie, ont pu egalement etre un lieu privilegie ou iIleur etait possible de s'affirmer et d'epanouir des aspirations qui ne trouvaient guere a se satisfaire ailleurs. Rien ne serait plus inexact que de presenter les confreries medievales comme des sortes d' « ecoles du dimanche » avant la lettre, ou de pieux laics seraient alles s'initier a la lecture et au commentaire de la Bible. Les fide1es de ce temps etaient trop persuades de 1'importance des reuvres dans la redemption pour que la meditation d'un texte, si sac!e fut-iI, leur parut suffisante pour assurer leur salut. Mais c'est leur ancrage meme dans les realites concretes de la vie qui a permis aux confreries de transmettre a une elite de laics un echo de cette Parole de Dieu avec laquelle leur « inculture » et leur situation dans l'Eglise leur interdisaient a priori tout contact direct6• Andre V AUCHEZ.
5· 6.
J.
CHIFFOLEAU [ 20 5]. Pour la bibliographie, voir les
nOB 206-211.
3 Les communautes heretiques
(115 0 - 1500)
La Bible est l'Alpha et l'Omega des heresies medievales : en effet, on trouve tres souvent a la base de celles-ci une fidelite sans faille a la lettre de la Bible. Et cette fidelite sert de point d'origine aux idees heterodoxes, et les heretiques y puisent un soutien emotionnel pour leur survie au jour Ie jour. De plus, si l'on considere que pour un chretien Ie cceur de la Bible est essentielIement Ie Nouveau Testament, la Bible est aussi dans un autre sens un Alpha et un Omega : bien des heretiques estimaient en effet que les livres bibliques les plus inspirants etaient Ie premier Evangile selon saint Matthieu, et Ie dernier, l'Apocalypse de saint Jean. L'essai qui suit a pour but de reprendre ces propositions, et d'interpreter grace a dIes l'histoire des heresies populaires du Moyen Age, celIe du moins des groupes les plus repandus et qui ont eu la plus grande longevite : Vaudois, Lollards, Hussites, Beguins et Fraticelles. Ce choix de cinq groupes heretiques exclut de toute evidence certains autres mouvements; il serait bon, avant de nous lancer dans Ie sujet, d'expliquer les criteres de notre selection. En simplifiant considerablement, on peut dire que les heresies populaires du Moyen Age, d'environ II50 aux alentours de 1500, peuvent etre divisees en quatre categories : evangeliques, eschatologiques, dualistes et mystiques. Nous excluons ici, pour diverses raisons, les deux dernieres categories. L'exclusion majeure est celle des dualistes : la seule heresie dualiste du Moyen Age occidental fut en effet celle des Cathares. Ceux-ci ont prospere dans Ie midi de la France et dans Ie nord de l'!talie pendant pres d'un
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Les communautes hcrctiques
siecle et demi, entre II 50 et 1300; et ils ont sans aucun doute puise Ie plus gros de leur inspiration dans une metaphysique etrangere a la Bible. Certes, les apologistes cathares ont pu trouver dans la Bible des arguments qui appuyaient certains principes de leur foi : « Cherchez, et vous trouverez. » Et ces arguments ont ete bien etudies recemment par Christine Thouzellierl. Mais, tout bien considere, l'interpretation litterale de la Bible ne semble pas avoir ete pour les Cathares Ie « commencement » et la « fin » aussi fondamentalement que pour les groupes evangeliques et eschatologiques, qui etaient les plus repandus et qui ont survecu Ie plus longtemps. Quant a l'heresie mystique, qui, comme on pense communement, aurait ete representee au Moyen Age par les « Freres et Sceurs du Libre-Esprit », il faut bien dire que pour la plupart, ceux-ci n'etaient nullement heretiques; c'etaient plutot des mystiques ou des beguines qui declaraient etre soumis a la foi et a l'Eglise. Assurement, a la fin du Moyen Age, quelques mystiques du « LibreEsprit» sont effectivement tombes dans l'erreur, mais si nous n'en parlons pas ici, c'est que ce fut Ie fait d'un nombre tres limite d'individus, et que notre but present n'est pas d'examiner la foi de quelques excentriques isoles. Commenc;ons donc avec les principales heresies evangeliques, Vaudois, Lollards et Hussites; et puisque Ie mot « evangelique» denote un engagement sans bornes a la lettre des Evangiles, l' Alpha, ou point de depart du Nouveau Testament, est evident. L'histoire du fondateur du mouvement vaudois, Valdes de Lyon, est assez bien connue pour que nous nous limitions ici a un bref rappel. Vers II73, ce marchand prospere commence a se preoccuper du sort de son ame apres avoir entendu Ie recit de Matthleu sur la reponse du Christ au jeune homme riche : « Si tu veux etre parfait, va, vends ce que tu possedes, donne-Ie aux pauvres, et... suis-moi » (Mat. 19,21). Incapable de comprendre par lui-meme les Ecritures en latin, Valdes voulut en apprendre Ie plus possible sur les enseignements du Christ. II demanda a deux pretres de traduire et de copier pour lui certains livres de la Bible ainsi que des extraits d' ecrits theologiques des Peres de l'Eglise. Selon un recit presque contemporain, apres avoir etudie ces textes si intensement qu'il en apprit plusieurs par cceur, Valdes « decida de se vouer a la perfection evangelique, tout comme les apotres l'avaient fait ». Concretement, il abandonna toute sa fortune aux pauvres et alla mendier et precher l'Evangile a tous ceux qui voudraient bien l'ecouter. Et de fait, nombreux furent ceux qui l'ecouterent : Valdes se fit rapidement beaucoup d'adeptes, a Lyon et dans les environs. Se donnant Ie nom tout simple de « Pauvres », les premiers Vaudois etaient tous des laics, qui deciderent sur la foi des Evangiles « de ne 1. THOUZELLlER,«
L'Emploi de la Bible par les Cathares », dans Bible [3], pp.
141-156.
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jamais posseder d'or OU d'argent, ni de se preoccuper du lendemain » (Mat. 10,9-10); ils n'avaient aucun domicile fixe et vivaient de mendicite. Selon un temoin oculaire, ils allaient « deux par deux, pieds nus, vetus de laine, totalement demunis, mais partageaient tout en commun, selon l'exemple des apotres, 'nus, suivant Ie Christ nu' ». Resolus a imiter Ie plus fidelement possible la vie du Christ et celle des apotres les premiers Vaudois, tout comme leur fondateur Valdes, s'aperc;uren~ que cela etait impossible sans se referer constamment a la lettre de l'Ecriture. IIs redigerent leurs propres traductions de passages de la Bible et les firent circuler. Et lorsque, sous la conduite de Valdes ils chercherent a faire approuver leurs activites par Ie Ille CondIe d~ Latran, que Ie pape Alexandre III presidait a Rome (Il79), ils presenterent donc leurs traductions de la Bible pour les faire examiner et approuver par les plus hautes autorites ecclesiastiques. La confrontation entre les Vaudois et les peres du IIle Concile de Latran marque une charniere importante dans l'histoire de ce mouvement: Les au~orites du Co~cile ne s'opposerent pas au principe de traducttons parttelles de la Blble, elles ne reprochaient rien non plus aux traductions des Vaudois. Que des laics decident d'abandonner leurs biens en ce monde, cela n' etait pas Ie signe de la moindre heresie ou d'un refus de l'autorite. La seule pomme de discorde etait donc la predication par des laics, car Ie clerge de Latran III etait fermement convaincu que la predication devait demeurer Ie monopole des clercs. Alexandre III et l'assemblee du concile rejeterent donc la petition de Valdes qui demandait l'autorlsation de precher, et reaffirmerent la regIe canonique, en decretant que les Vaudois ne pourraient precher que s'ils y etaient autorises par les pretres locaux. En consequence de cette decision, l'Eglise s'aliena les services d'une force laique vitale, et les Vaudois furent bientot pousses a la resistance et a l'heresie. Pour Valdes et ses adeptes, Ie probleme de la predication ne souffrait aucun compromis, parce que Ie Seigneur avait ordonne a ses apotres de « proclamer l'Evangile a toutes les creatures» (Marc 16,15). De retour de Rome, les Vaudois n'obtinrent pas des autorltes locales de precher comme ils Ie desiraient, et choisirent bientot de leur desobeir plutot que de transiger avec leur conscience. On raconte que lorsque Valdes rec;ut de l'archeveque de Lyon l'ordre de cesser sa predication, i1 « assuma Ie role de Pierre» en repliquant : « Nous devons obeir aDieu plutot qu'aux hommes » (Actes 5,29). Qu'il ait o~ non prononce reellement ces mots, les Vaudois, parce qu'ils persistalent a precher l'Evangile, furent excommunies vers II82 et expulses de Lyon. Forces de s'expatrier, Us trouverent refuge et nouvelles recrues dans de nombreuses cites et villes du sud de la France et du nord de I'Italie. Le ~ouvement vaudois fut peu apres declare heretique, par Ie pape LuclUs III en I 184, mais cette condamnation ne mit en rien
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un terme a sa propagation. Bien au contraire, au moment ou Valdes mourut, vers 1205, Ie mouvement qu'il avait fonde etait solidement implante dans de nombreuses regions d'Europe occidentale. A cette date, Ie mouvement etait aussi devenu tout a fait heretique. Il est vrai que Ie pape Lucius avait deja declare en I184 que les Vaudois etaient heretiques; mais si l' on examine de pres Ie libelle de son decret, on constate qu'il avait evite d'accuser les Vaudois d'erreur doctrinale et qu'en revanche il leur reprochait uniquement de defier l'autori~ en prechant sans autorisation. Les Vaudois de 1184 etaient done en fait des schismatiques, plutot que des heretiques doctrinaux. Cependant, ils commencerent bientot de formuler des doctrines qui leur etaient propres, purement heretiques, parce qu'ils etaient forces soit d'accepter la discipline de l'Eglise et done de perdre leur identite, soit de justifier leur resistance en se fondant sur une reevaluation totale de la doctrine et des usages de 1'Eglise. Des que les Vaudois adopterent cette attitude critique, ils elaborerent tres rapidement un ensemble de doctrines he!(!tiques, qui demeura a la base de leur foi jusqu'a la fin du Moyen Age. Notre propos n'est pas ici de nous etendre sur la doctrine vaudoise, mais on peut dire en quelques mots que, si l' on fait abstraction des variantes regionales et de quelques rares emprunts a d'autres heresies, les principes essentiels du mouvement vaudois, d'environ 1200 a 1500, peuvent se regrouper sous les trois rubriques suivantes : 1) une offensive contre l'autorite des pretres et de l'Eglise, ressemblant en cela a l'ancienne heresie des donatistes; 2) Ie refus de la doctrine du Purgatoire, sous pretexte qu'elle ne figure pas dans l'Ecriture; et 3) une morale radicalement evangelique, fondee sur une lecture litterale des Evangiles et avant tout Ie refus de preter serment conformement au precepte du Christ qu'il ne faut pas « jurer du tout» (Mat. 5, 34). Apres cet examen des origines du mouvement vaudois, nous devons admettre qu'au debut la doctrine de Valdes et de ses disciples ne presentait en fait rien de tres exceptionnel. Des p!(!dicateurs itinerants du renouveau evangelique, tels Henri de Lausanne et Pierre de Bruys, avaient deja dans la premiere moitie du xne siecle preche la pauvrete et s'en etaient pris aux institutions ecclesiastiques un peu partout en France : ils se fondaient pour cela sur 1'interpretation litterale des Evangiles. En outre, si l'on nous objecte que, contrairement a Valdes, Henri et Pierre etaient des pretres et non des lrucs, n' oublions pas que Valdes avait ete precede par des groupes d'heretiques laIques, qui avaient eux aussi fonde leur message sur une lecture litterale des Evangiles. Ainsi, ces deux paysans du village de Bucy-le-Long, pres de Soissons, qui vers 1114, avaient ete impliques dans une heresie qui reposait sur la resolution de « vivre comme les apotres avaient vecu ». De meme, ces heretiques qui, decouverts a Cologne en 1143 ou 1 I~ « defendirent leur heresie a l'aide des paroles du omst et des apotres .,
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et se declarerent « les seuls vrais imitateurs de la vie apostolique, ne cherchant pas les biens de ce monde, ne possedant ni maison ni terre ni rien a eux, tout comme Ie Christ n'avait aucun bien et ne permettait pas non plus a ses disciples de posseder quoi que ce soit ». Ce qui est particulierement remarquable chez les Vaudois, ce ne sont done pas les modalites de leur premiere apparition, ni meme leur lente derive vers l'heresie totale et declaree, mais bien plutot leur propagation extremement rapide en Europe et leur extraordinaire longevite. En effet, contrairement a leurs precurseurs, les Vaudois formerent une veritable « contre-culture » medievale : vers Ie milieu du XII1 e siecle des communautes vaudoises apparaissent dans diverses regions de l~ France, de l'Italie et de l'Empire germanique; et certains de ces groupes survivront pendant trois cents ans. Aujourd'hui encore une Eglise vaudoise subsiste en Italie. Comment expliquer Ie fait que Ie mouvement vaudois ait ete l'heresie populaire la plus repandue geographiquement, et la plus durable de tout Ie Moyen Age? Evidemment une seule reponse ne peut suffire. On doit plutot mentionner plusieurs facteurs, tels l'activite et Ie charisme de Valdes lui-meme, l'indifference initiale des auto rites ecclesiastiques - celles-ci etaient plus preoccupees de la grande menace cathare que de ce groupuscule aux abords peu menas:ants -, et la structure hierarchique du mouvement une fois arrive a sa maturite. Cependant, outre ces explications et d'autres encore, c'est certainement la determination des Vaudois de faire de la Bible Ie fondement de la vraie foi qui a donne a leur mouvement la coherence et la continuite' celles-ci malgre d'enormes difficultes et dangers, lui ont permis de' survivre: Plus precisement, des les debuts du mouvement jusqu'a la fin du Moyen Age, l'organisation des Vaudois est calquee sur celIe de l'Eglise catholique : elle etablit en effet une distinction entre Ie « parfait », similaire au pretre, et Ie fidele ordinaire. Les parfaits, quelquefois appeles « maitres » ou « predicateurs », vivent de la charite de leurs ouailles, pratiquent Ie celibat, prechent, entendent les confessions, et celeb rent parfois l'Eucharistie dans la clandestinite. En fait, la seule difference majeure entre les parfaits vaudois et les pretres catholiques reside dans Ie fait que les premiers etaient habituellement itinerants parce que peu nombreux. Normalement, un maitre vaudois visitait une communaure donnee une fois ou deux par an, pour precher dans un lieu sUr, entendre les confessions et offrir ce que les Vaudois consideraient comme la vraie communion; il se rendait ensuite dans une autre communaute, et ainsi tout au long de l'annee. Dans ces circonstances, ces parfaits, veritables animateurs du mouvement vaudois, etaient soumis a deux enormes pressions. Tout d'abord, il fallait une vocation sincere et a toute epreuve pour motiver quelqu'un a vivre sans cesse une errance penible, sous la menace continuelle
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d'etre decouvert et soumis a une punition humiliante ou impitoyable, une dure penitence ou eventuellement la mort. Ensuite, etant donne que Ie parfait ne rendait que de rares visites a une communaute donnee et qu'il etait toujours oblige de faire de nouvelles recrues, il devait pour etre entendu jouir d'une personnalite et d'une autorite exceptionnelles. Toutefois la longevite du mouvement vaudois parle d'ellememe, et, malgre les dangers de leur vocation, la survie des parfaits et leur autorite sur leurs ouailles ne peuvent s'expliquer que par leur devotion a la Bible. En d'autres termes, d'un point de vue psychologique, c'est en se concevant comme les successeurs directs des Apotres que les parfaits trouvaient motif a perseverer; et ils reussissaient a recruter des disciples et a maintenir leur auto rite sur les fideles ordinaires, parce qu'ils pouvaient montrer leur maitrise sans faille des Ecritures. La conviction qu'avaient les parfaits vaudois d'etre les heritiers directs des apotres decoulait d'un mythe vaudois de l'Eglise, qui etait apparu au xme siecle et s'etait pleinement developpe au XIVe. Selon ce my the, parce qu'elle n'avait pas ete souillee par la richesse et Ie pouvoir temporel, I'Eglise que Ie Christ avait fondee sur Pierre etait demeuree pure jusqu'a l'avenement de Constantin et du pape Silvestre Ier. Cependant, lorsque Constantin fit « donation» au pape de I'Italie et de l'Occident, on entendit un ange crier du ciel : « Aujourd'hui un poison a envenime I'Eglise. » Une fois souillee par ce flux de richesses, l'Eglise romaine cessa d'etre I'Eglise du Christ et devint au contraire la « Prostituee de l' Apocalypse », ou la« Synagogue de Satan ». Heureusement, un compagnon du pape Silvestre refusa d'accepter les biens de ce monde, et, apres avoir ete excommunie pour son attitude de d~fiance, il passa a la clandestinite avec ses disciples, afin de maintenir Vlve la flamme de la vraie foi. Des lors, il y eut une ligne continue de pretres et de croyants chretiens menant la vie apostolique; mais ils ~e tinrent caches jusqu'au xn e siecle, OU Valdes fit revenir au grand JOur Ie mouvement clandestin. C'est ce mythe qui donne a Valdes Ie nom de Pierre, parce qu'il avait restaure l'Eglise qui avait ete fondee sur Ie premier Pierre, et parce qu'il etait cense avoir insiste, a l'instar du premier Pierre, pour que « nous obeissions aDieu plutot qu'aux hommes ». Tous les predicateurs vaudois etaient donc les heritiers des deux grands Pierre, les seuls veritables heritiers du Christ. Compte tenu du fait que les parfaits vaudois se consideraient comme les ~eritiers des Apotres, il n'est guere etonnant qu'ils aient appris la BIble aussi bien qu'ils Ie pouvaient, et soient ainsi devenus d'excellents recruteurs et predicateurs. Un des premiers temoins du valdeisme, Ie dominicain Etienne de Bourbon, mentionne l'activite de maitres vaudois dans les vallees de la Saone et du Rhone pendant les annees 1230 : ils usurpaient l'office de predication et enseignaient « surtout les Evan-
Les communautCs heritiques giles et les autres livres du Nouveau Testament qu'ils avaient appris par creur en langue vulgaire ». Selon Etienne, ces heretiques qui se donnent parfois Ie nom de « martyrs patients », approchent les ames simples, en disant qu'ils « connaissent quelques bonnes prieres ... , qu'ils recitent et enseignent, et ils passent ensuite aux Evangiles en langue vulgaire ». De meme, un dominicain allemand du diocese de Passau ecrit vers 1260 qu'une des causes principales du sucres des Vaudois reside dans leur faculte de « reciter et d'enseigner Ie Nouveau et l'Ancien Testament qu'ils ont traduits en langue vulgaire ». Par la suite, Ie scenario est identique. Voici ce que l'inquisiteur dominicain du sud de la France, Bernard Gui, ecrivait vers 1324 a propos des Vaudois : « Pour donner plus de poids a leurs paroles parmi leurs auditeurs, lorsqu'ils prechent sur les Evangiles, les Epitres et sur les paroles et les exemples des saints, ils alleguent pour preuve qu' on 'trouve cela dans les Evangiles, ou dans I'Epitre de saint Pierre, de saint Paul ou de saint Jacques'; ou bien ils citent tel saint ou tel docteur. En outre ils connaissent d'habitude les Evangiles et les Epitres en langue vulgaire, et en latin egalement car certains d'eux Ie comprennent. Certains savent lire; parfois ils lisent dans un livre ce qu'ils recitent ou prechent. D'autres fois, ils n'emploient pas de livre; c'est Ie cas notamment de ceux qui ne savent pas lire, mais qui ont appris Ie texte par creur. Ils prechent aussi dans les maisons de leurs fideles, comme on l'a deja dit, et d'autres fois au cours de leurs voyages ou en plein air. » Le temoignage d'un certain Guillaume vient appuyer ce rapport. Deposant au cours d'un proces, qui eut lieu dans les premieres decennies du XIVe siecle dans les environs de Toulouse, il raconte qu'il s'est « rendu dans une maison avec d'autres personnes; on s'est assis autour du feu, et il y avait la un homme qu'il ne connaissait pas. Et cet homme sortit alors un livre et y lut de nombreux passages; et illui sembla que ces mots etaient extraits des Evangiles. Et immediatement, lorsque lui, Guillaume, entendit ces mots, il pensa et crut que cet homme etait l'un des heretiques ». Que Guillaume ait ete favorablement impressionne ou non par ces appels a la verite biblique, il est evident que beaucoup d'autres Ie furent. Certains temoignages montrent bien que les maitres vaudois jouissaient aupres de leurs ouailles d'un grand credit, en raison de leurs connaissances bibliques : c'est Ie cas des actes des proces d'inquisition tenus dans Ie nord de l'Allemagne en 1392-1394, ou les parfaits sont presentes par leurs disciples sous les noms de doctores, secreti doctores et doetores sanetarum scripturarum. Toutefois cette meme intensite du fondamentalisme biblique, qui etait si manifeste chez les parfaits, se rencontrait aussi frequemment chez les illettres de leurs communautes; et ce fait permettrait d'expliquer comment ces groupes persistaient dans leur foi et subsistaient
Bible et nouveaux problemes de chretiente pendant de longues periodes en l'absence de leurs chefs spirituels. Les pressions emotionnelles et soeiales exercees sur les fideles vaudois de la base etaient particulierement severes, dans la mesure OU la plupart d'entre eux ne constituaient pas des communautes autonomes, mais habitaient en general au milieu de catholiques, a la ville et dans les villages. Dans ces circonstances, les Vaudois etaient contraints a faire montre de conformisme, et allaient meme jusqu'a se confesser et recevoir la communion catholique au moins une fois par an. De toute evidence, arriver ainsi a vivre ce que nous appellerions aujourd'hui une contre-culture demandait un engagement extremement diffieile a tenir. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraitre, les Vaudois reussirent dans bien des regions a passer inaper<;us pendant de longues periodes, et a transmettre leur heresie des generations durant. Apparemment ils y parvinrent : non seulement parce qu'ils entretenaient leur foi lors de grandes reunions clandestines, aux rares occasions OU leur maitre etait present, mais aussi parce qu'ils se livraient a la meditation ou a l'etude de la Bible, individuellement ou dans Ie cadre des reunions familiaIes. 11 existe des descriptions particulierement vivantes de l'extraordinaire familiarite avec les Ecritures dont faisaient preuve certains fide1es vaudois illettres. Une fois de plus, laissons parler Etienne de Bourbon et l'inquisiteur dominicain anonyme de Pass au. « J'ai vu de mes propres yeux », dit Etienne, « un jeune vacher qui a demeure pendant l'espace d'une seule annee dans la maison d'un heretique vaudois; il a appris par ceeur ce qu'il y entendait, et l'a soigneusement retenu, avec tant de diligence, en Ie repetant mentaIement et avec attention, qu'une fois cette annee ecoulee, il avait appris et se rappelait quarante des Evangiles du dimanche (sans compter les jours de fete). Tout cela, il l'avait appris dans sa propre langue, mot pour mot, en plus d'autres passages de sermons ou de prieres. J'ai vu en effet des laics tellement au fait de leur enseignement qu'ils pouvaient repeter par ceeur une bonne part des Evangiles, comme Matthieu ou Luc, et surtout ce qui y est dit des preceptes et des mots du Seigneur. C'est a peine s'ils en sautent un mot; ils les repetent tous dans l'ordre ». De meme l'inquisiteur de Passau dit-il dans un passage celebre que « j'ai vu et entendu un villageois illettre (un Vaudois) qui pouvait reciter Ie livre de Job mot a mot, et beaucoup d'autres qui connaissaient parfaitement tout Ie Nouveau Testament ». L'Ecriture n'etait pas que l'objet d'une connaissance approfondie de la part de quelques individus; e1le etait aussi Ie point focal de l'attention des Vaudois lorsqu'ils se reunissaient en assemblees plus ou moins nombreuses. Deja en 1I99, dans une lettre bien connue, Ie pape Innocent III reve1e que les Vaudois de Metz tiennent des « conventicu1es secrets », OU ils lisent et discutent leurs propres traductions en langue
Les communautes hiretiques vulgaire des Evangiles, des Epitres et des Psaumes. Probablement ces conventicules a Metz etaient-ils diriges par les « parfaits» itinerants. De toute fa<;on, il est bien prouve par la suite que les maitres vaudois reunissaient en secret toutes leurs ouailles lorsqu'ils arrivaient dans une communaute; et tout ce monde pouvait donc entendre des sermons sur des themes bibliques ou de longues lectures du Livre. De plus, dans les groupes plus restreints de croyants, la lecture biblique etait un des prineipaux moyens d'encourager la foi en l'absence des parfaits. Par exemple, on lit parmi des actes de proces tenus aux environs de Toulouse entre 1307 et 1323 ce temoignage d'un accuse: il admet « que les Vaudois prechent parfois apres Ie diner, la nuit tombee, en s'inspirant des Evangiles et des Epitres en langue vulgaire ». Un autre, dans les memes documents, commen<;a a soup<;onner d'heresie un de ses proches quand i1 Ie vit « en train de lire un certain livre ... , et l'entendit parler tres bien sur Dieu a partir des Epitres et des Evangiles ». D'autres temoins jurerent avoir entendu ou vu deux heretiques, pere et fils, « lisant un certain livre des Evangiles et des Epitres ». En outre, cet exemple toulousain n'a rien d'un cas isole : un siecle plus tard en effet, en 1430, a Fribourg en Suisse, une femme suspecte de valdeisme admettait avoir expedie a ses seeurs de B:Ue une copie des quatre Evangiles en allemand. 11 ne nous reste plus qu'a voir les sources bibliques que les Vaudois utilisaient preeisement; et i1 convient iei de faire quelques remarques d'importance. Avant tout, il est necessaire de Ie souligner, i1 n'y a jamais eu a proprement parler de « Bible vaudoise » : en effet, chaque communaute vaudoise utilisait ses propres textes bibliques; les langues variaient d'une contree a l'autre, et toutes les communautes transmettaient et etudiaient des selections de textes bibliques, et non pas la Bible au complet. De plus, insistons bien sur ce point, il n'existait pas vraiment de « traductions heretiques », c'est-a-dire des versions etablies par des Vaudois ou pour leur compte, qui contiendraient des erreurs vaudoises identifiables. Certes, aux debuts du mouvement, VaIdes avait passe commande d'une traduction en fran<;ais de certains livres bibliques, et par la suite, a l'occasion, d'autres Vaudois ont, semble-t-il, fait de meme; mais rien ne prouve que de telles traductions aient ete dotees de caracteres speeifiquement vaudois, ou, pire, aient contenu des « erreurs ». En outre, il faut garder a l'esprit ce point fondamental : les traductions orthodoxes de la Bible, en fran<;ais ou en allemand, de 1200 a 15°O, etaient en nombre plus que suffisant, ce qui rendait tout a fait inutile pour les Vaudois de passer commande de versions propres ou de s'y limiter. En effet, lorsque Etienne de Bourbon mentionne explieitement un Vaudois qui se rappelait par ceeur « quarante des Evangiles du dimanche », et lorsque d'autres sources parlent de Vaudois lisant « les Evangiles et les Epitres », il parait clair qu'on se
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rerere a des collections liturgiques tout a fait orthodoxes, counues sous Ie nom de « missels pleniers » (missale plenarium), qui contenaient les Evangiles des dimanches et des jours de fete, parfois avec des gloses. Les Vaudois utilisaient donc Ie materiel biblique orthodoxe qui leur etait accessible. lis preferaient bien sUr les traductions en langue vulgaire (ou en fournissaient), car peu d'heretiques savaient comme les pretres lire Ie latin. Quant aux textes particuliers auxquels les Vaudois accordaient Ie plus de valeur, c'etaient d'abord, sans nul doute, les Evangiles, puis les Epitres, puisque ces livres etaient au creur de 1a foi evangelique des heretiques. Apres les Evangiles et les Epitres, les Psaumes, largement repandus, procuraient aux Vaudois les materiaux de la priere, tout comme chez les orthodoxes. Et bien apres en importance venaient tous ceux des autres livres de l' Ancien et du Nouveau Testament qui pouvaient tomber entre les mains des heretiques. li n'est pas besoin d'examiner de maniere aussi detaillee la foi biblique des Lollards anglais et des Hussites tcheques, a cause des grandes similarites qu'ils presentent avec les Vaudois. lci encore, on reconnait des fondateurs de nouvelles heresies: Jean Wyclif (vers 133°-1384), pere des Lollards, et Jean Hus (vers 1369-1415), celui des Hussites, s'inspirent de la lettre des Evangiles. Et ici encore, des communautes d'heretiques puisent force et longevite a la source spirituelle et psychologique de l'etude de la Bible. Bien sUr ni Wyclif ni Hus n'etaient des copies conformes de Valdes. D'abord, tous deux etaient pretres et theologiens formes a l'universite; ensuite, Ie fondement theologique des critiques qu'ils adressaient au catholicisme est different de celui qui inspire leurs predecesseurs vaudois. Plus particulierement, alors que l'heresie de Valdes avait pris naissance dans sa decision de suivre a la lettre certains preceptes de l'Evangile, Ie theologien d'Oxford Wyclif et Hus apres lui critiquaient l'Eglise sur la base d'une doctrine predestinationiste de la seigneurie (dominion) selon laquelle « toute seigneurie naturelle est fondee dans la grace »; en consequence, la presence du peche denote un manque de conformite avec la loi divine, et l'absence d'une justification de la domination de l'homme sur l'homme ou sur les biens. Cependant, en parfaite coordination avec 1a doctrine de la seigneurie dans la theologie de Wyclif et de Hus, on trouve une doctrine preconisant un respect sans faille de la« Loi du Christ» telle qu'elle est exprimee dans l'Ecriture et surtout dans les Evangiles. Aux yeux de Wyclif, la « Loi du Christ» suffit en elle-meme pour administrer l'Eglise; puisqu'elle avait suffi au Christ lui-meme et a ses apotres, elle devait etre suffisante pour tous les chrbtiens de tous les temps. Donc, selon Wyclif, « toutes les sectes, toutes les situations ou toutes activites que Ie Christ desapprouve dans l'Evangile doivent a juste titre etre rejetees ». Hus conforte meme Ie respect litteral de l'Evangile que Wyclif preconise, en enonc;ant que « tous les
US communautes heretiques mots du Christ sont vrais; si je n'en comprends pas certains, je les confie a sa Grace, en esperant pouvoir les comprendre apres ma mort». En outre, Hus fait remonter son eveil spirituel a l'epoque« ou Ie Seigneur Dieu m'a fait connaitre les Ecritures ». Du fait de leur engagement resolu a suivre a la lettre la « Loi du Christ», Wyclif et Hus voulaient que les Evangiles et les autres textes bibliques soient aussi largement que possible diffuses en langue vulgaire. Selon Wyclif, tous les elus doivent etudier par eux-memes la Loi du Christ dans sa purete la plus absolue, c'est-a-dire dans les Ecritures, afin d'etre sUrs de la respecter au pied de la lettre. li encouragea donc un groupe de ses disciples lettres a produire la premiere traduction complete de la Bible en anglais. A la difference des Franc;ais et des Allemands, les Anglais jusqu'a Wyclif n'avaient pratiquement aucune traduction de la Bible. La position de Hus est identique. li ecrit en effet en 141 I, dans une lettre adressee aux habitants de Pilsen : « Beaucoup d' entre vous connaissent la verite et ont appris que n'importe qui peut precher, confesser, et, s'il Ie peut, lire la Loi de Dieu soit en latin - langue dans laquelle saint Marc a compose son Evangile -, ou en grec - OU saint Jean a ecrit Ie sien, ainsi que ses lettres canoniques et ses Epitres - , ou bien encore en hebreu, la langue de saint Matthieu... Comment se fait-il donc que vous laissiez les pretres interdire aux gens de lire la Loi de Dieu en tcheque ou en allemand? » En consequence, tout comme Wyclif avait fait executer une nouvelle Bible anglaise, Hus fit executer une nouvelle Bible tcheque. Nous n'avons pas ici a discuter en detail l'histoire du mouvement heretique des Lollards anglais inspire par Wyclif, ni celui des Hussites tcheques de Hus. Qu'il nous suffise de dire que Ie premier a subsiste tres longtemps, qu'il a meme survecu avec tenacite jusqu'au XVle siecle, et que Ie second a ete assez puissant pour soulever tout Ie territoire de 1a Boheme, et l'amener a resister avec sucres au catholicisme dans les annees 1420, avant de succomber a des dissensions internes (Ie hussisme conservateur n'a en fait jamais disparu). Dans les deux cas, l'interpretation rigoureusement litterale de la Bible, suivant la volonte des deux fondateurs, avait ete une source primordiale d'inspiration. On peut citer a titre d'exemple l'histoire suivante : Hus raconte dans un de ses sermons, vers 1413, qu'un brave cuisinier lollard avait ete appele devant un eveque a expliquer pourquoi il avait enfreint l'interdiction faite aux laics de lire la Bible anglaise de WycHf. Tandis que Ie cuisinier se defendait, l'eveque, indigne, lui retorqua : « Sais-tu a qui tu paries ? » Le cuisinier repondit qu'il parIait a un homme, a un eveque. Furieux, l'eveque repliqua alors : « Comment oses-tu, miserable laic, me citer les Ecritures ? » A quoi repondit Ie cuisinier : « Je sais que vous n'etes pas plus grand que Ie Christ, et j'espere n'etre pas pire que Ie diable. Si Ie Christ plein de grace a tranquillement ecoute
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Ie diable lui dire les Ecritures, lors de la Tentation, pourquoi vous, qui etes inferieur au Christ, ne les ecouteriez-vous pas de rna bouche a moi qui ne suis qu'un homme ? » . Fideles a de tels sentiments, les armees hussites connurent Ie tnomphe dans les annees 1420 : elles combattaient avant tout afin de preserver « la liberte de precher la Parole de Dieu ». Et les Lollards, pendant plus d'un siecle resterent fermement fideles a la primaute des Ecritures, ou ils voY:rlent Ie moyen Ie plus sUr pour Ie laic de determiner les verites de la foi. C' est ainsi que des audiences tenues a N orwic~ en 14 2 9 prou:ent qu'un Lollard, William Baxter, avait coutume de lire chaque SOlr la Loi du Christ a sa femme Margery; et Margery Ie tenait donc pour « Ie plus instruit des chretiens » (optimus doctor Christianitatis). ~'~st aussi ce que nous revelent les actes d'un proces ~e~u ve~s Ie ,tnllieu du xve siecle dans les Chilterns : Ie Lollard James W1llis avalt lu 1 Evangile de Luc, les Epitres de Paul et l'Apocalypse, il posse~ait meme .~e Bible qu'il donna a l'un de ses disciples avant s~n executton . .or: disalt en 1 512 que les Lollards de Coventry possedalent et se preta1~nt de nombreux livres differents de la Bible, mais surtout les Evangtles et les Epitres. 11 ne faut donc pas s'etonner qu'un e~emi de~ Lollards au xve siecle, l'eveque Reginald Peacock, les appelat tout slmplement « les hommes de la Bible ». Les Evangiles et les Epitres nous apparaissent clair~ment comme les textes favoris des Lollards, heritiers en cela des Vaudo1s. Avec Ie ~?u vement taborite, aile radicale des Hussites, nouS tenons une trans1tIon commode vers notre second theme, Ie role de l' Apocalypse dans les heresies medievales. En effet, pour les Taborites, une lecture millenariste de l' Apocalypse a sans doute joue pe~dan,t quelqu~s ~~ees un role moteur tout aussi important que celUl qu engendra1~ 11~ter pretation purement litterale des Evangiles. Cependant, pour slmplifier l'analyse, il nous parait plus sage de r:ous ,c?ncentrer n?~ pas sur ces rebelles mais sur d'autres groupes 1mmediatement heret1ques, chez lesquel; une lecture eschatol0!?iique d,e l' Apocalypse es: e~core plus evidente et dominante. 11 s'ag1t en 1 occurrence des BegUlns et des Fraticelles, lesquels combinaient leur fidelite evangelique a la pauvr~te avec un radicalisme eschatologique derive de la pensee de Joachim , de Flore et de Pierre de Jean Olivi. Joachim de Flore (vers II3 5-120~) ~'etait pas l~-meme un here: tique; mais il a apporte quatre contrl buttons d une 1mp?rtance fc:~da mentale au developpement de l'heresie millenariste ulteneure. V ~lC1 ce qu'il soutient. 1) L' Apocalypse est un guide infaillible de l'histo1re .de l'Eglise pour son avenir sur cette terre; 2) Le dernier age de l'Eglise sur terre s'ouvrira peu apres une lutte cataclysmiqu.e avec les for~ de l' Antechrist; 3) Les precurseurs et les porte-banruere ~e ce nouV age seront des « hommes spirituels » qui « precheront la f01 et la defen-:
dront jusqu'a la fin du monde dans l'esprit d'Elie »; 4) Ce nouvel age verra la realisation de progres des plus considerables par rapport a l'epoque actuelle, et cela surtout par la perfection optimale (autant que possible iei-bas) des formes de vie ecclesiale, et par une propagation maximale de la verite spirituelle et de l'intuition mystique, dans l'espace comme dans les ames. Inevitablement, dans les decencies qui suivirent la mort de Joachim, les membres de l'ordre nouvellement fonde des Freres mineurs commencerent a se considerer comme les beneficiaires de la prophetie eschatologique de Joachim. Ce mouvement est tout d'abord demeure en gros dans les limites de l'orthodoxie. Saint Bonaventure (1217-1274) est lui-meme un joachimiste modere; il ecrit, en termes joachimistes, que saint Fran~ois est venu « dans l'esprit d'Elie » comme l' Ange du sixieme Sceau de l'Apocalypse (Apoc. 7,2) « portant Ie sceau du Dieu vivant », c'est-a-dire les stigmates, et que la mission de Fran~ois annonce et presage 1'imminent et glorieux dernier age de l'Eglise, OU « l' ordre seraphique des Franciscains » presidera a l'ultime accomplissement ici-bas de la vie et de la verite chretiennes. Aussi longtemps que les joachimistes franciscains comme Bonaventure se garderent de laisser entendre que les dirigeants de l'Eglise d'alors etaient mauvais, aussi longtemps qu'ils travaillerent en etroite collahoration avec la papaute, cette sorte de prophetie fut toleree facilement par les non-francis cains ; on y vit au pire la marque d'une autosatisfaction excessive. Cependant, vers la fin du XlIIe siecle, les Franciscains « Spirituels » commencerent a soulever la querelle de la pauvrete absolue : tout d'abord avec la majorite moderee de leur ordre, puis avec la hierarchie de l'Eglise. Alors ce type de prophetie joachimiste devint rapidement une marque de resistance a l'autorite .. C'est avec la carriere et la pensee de Pierre de Jean Olivi (vers 12471298), theologien franciscain du midi de la France, que Ie mouvement prend un virage vers Ie radicalisme. A l'epoque d'Olivi, une rupture irreparable s'est operee dans l'ordre franeiscain a propos de la rigueur avec laquelle les Franciscains devaient appliquer la regIe de la pauvrete absolue. Olivi avait constamment jure obeissance a ses superieurs, mais ses ecrits theoriques pronent la pauvrete absolue : bon gre mal gre il etait done devenu Ie creur de la resistance extremiste aux dirigeants moderes de l'ordre. Par consequent il fut a deux reprises censure au debut de sa carriere (1279 et 1283), et passa Ie reste de sa vie a se defendre vigoureusement. 11 n'est pas etonnant que dans ce climat de tension Olivi ait elabore une eschatologie centree sur les idees de crise et d'accomplissement; il la developpe surtout dans son Commentaire de l' ApocalYpse (1297), qui frole dangereusement l'heresie, etant donne qu'il y dit implicitement son opposition aux pouvoirs etablis de l'Eglise. P. RICHE, G. LOBRICHON
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Comme Joachim, dont il connaissait les !dees~ O~vi develo~pe une eschatologie reposant essentieliement sur 1 applicatlo~ au Rresent, ~t . .1mme'diat d'une lecture de l'Apocalypse qUl y VOlt Ie rec1t a 1,averur d'une succession d'evenements. Cependant Olivi va beaucoup plus · que Joachim· il considere en effet que Ie monde traverse de son 1O ln, l ' t d' rdre temps une crise qui oppose les Spiritue s aux representan s ~n 0 ecelesiastique corrompu. Pour lui, des Ie debut du XIII~ slecle, l~s fideles d'un nouveau dessein evangelique inaugure par samt Fran~o~s ont rivalise avec les pouvoirs d'une « Eglise charnelie », personrufiee par la Prostituee de Babylone. L'ere de cette Eg.lise charnelie prendra fin bient6t mais il faut attendre que Babylone tnomphe en apparence, sous les re~nes successifs d'un« Antechrist mystique ,». ~t d'un « gran.d Antechrist». Ces ennemis horribles persecuteront les h~ntlers de Fran<;ols plus ferocement qu'aucun bon chretien a~ant. eux; malS ~n ~n .de comp~e ils seront tous deux miraculeusement aneantls, et un Millenalre de palX joyeuse et de spiritualite profonde s'ouvrira alor~. ~n d'autres terr~~s, tout comme Ie Christ a ete jadis crucifie, ses disc1ples .de ~a der~e~e heure, les tenants de l'absolue pauvrete, devront etre b1entot cr~c.1fi~s a leur tour, avant de ressusciter et de presider a la fin de.s temps.
Les c0171171unautes heretiques
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tique. Ceci au moment ou, Ie Moyen Age touchant a sa fin, la structure hierarchique de l'Eglise aborde une periode de crise. Quelques annees plus tard, nous nous trouvons en presence des premiers heritiers incontestables de Pierre Olivi qu' on connaisse et qui soient alies jusqu'a 1'heresie pure : ce sont les Beguins d'Occitanie, des membres du Tiers-Ordre de saint Fran<;ois, formation semireguliere gravitant autour des Freres mineurs. Inspires par la pensee de Pierre Olivi, ils etaient devoues au culte de la pauvrete au milieu de la corruption qu'ils percevaient autour d'eux, a tel point qu'ils se fonderent sur l'eschatologie d'Olivi pour resister jusqu'au bout a l'autorite ecelesiastique. Ceci se passa durant Ie pontificat controverse du pape Jean XXII. En effet, lorsque celui-ci intervint en 1317 et 1318 pour mettre fin aux dissensions dans l'ordre franciscain, en prenant des mesures disciplinaires contre les Spirituels, les Beguins rallierent la cause de ces derniers; et rapidement, Ie jeu entre leur resistance et la persecution ecelesiastique les mena a l'heresie radicale. Les actes de proces d'inquisition enregistres lors d'interrogatoires de Beguins en France, entre 1319 et 1325, montrent a quel point les Beguins s'inspiraient de l'interpretation qu'avait donnee Pierre Olivi de l'Apocalypse. En effet, l'un des accuses deelara avoir entendu lire a haute voix Ie commentaire de Pierre Olivi sur l'Apocalypse, et ceci en langue vulgaire, en plus de trente endroits differents. Ce fait est confirme par l'inquisiteur Bernard Gui : ayant interroge des Beguins, il raconte comment les heretiques ont lu les reuvres d'Olivi « dans la langue vulgaire, pour eux-memes, leurs associes, et leurs amis, dans leurs assemblees et dans leurs demeures ». D'apres l'exegese de l'Apocalypse par Olivi, les Beguins conelurent que toute 1'Eglise romaine etait « l'Eglise charnelie », ou la Prostituee de Babylone, « ivre du sang des martyrs ». Jean XXII etait bien sUr l' « Antechrist mystique », et son pontificat serait Ie dernier avant l'avenement du « grand Antechrist )} et de la derniere vague de persecutions. En revanche, Olivi lui-meme etait un « ange de l' Apocalypse» - tout comme s'etaient baptises Fra Dolcino et Guiard de Cressonessart; et ses disciples, les Beguins, seraient Ie petit reste qui sauverait la foi, car sur eux serait fondee une nouvelle Eglise spirituelle, apres les persecutions ultimes de l'Antechrist. En ces derniers temps, « l'Eglise, les rois, les nobles et toutes sortes de gens seraient aneantis » : les Beguins, guides par l'Esprit Saint, regneraient en maitres dans la tranquillite et l'illumination spirituelle, et la paix serait si grande « qu'une jeune fille pourrait voyager seule de Rome jusqu'a Saint-Jacques-de-Compostelle sans etre physiquement agressee ». 11 va sans dire qu'en l'occurrence ce furent les Beguins eux-memes qui furent aneantis, car la severite des poursuites de l'inquisition parvint
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Les communautCs hCrctiques
Bible et nouveaux problemes de chrctientC
, nnihiler leur secte dans Ie midi de la France vers 1330 environ. Tou:e;ois Ie millenarisme apocalyptique d'Olivi qu'ils avaient epou~~ ?e fut certes pas sans descendance. Dans Ie ~ud de la Franc~, un hentier des Beguins a certainement ete ,mis au ~rut .de leurs doctnnes 'pendan~ sa jeunesse : il s'agit du prophete franclscrun Jean de Rupesclssa, qUl s'est rendu celebre par son emprisonnement dans un cachot du 'pape en Avignon, vers Ie milieu du XIVe siecle, pour avoir repandu ~e. mterr'tation de l'Apocalypse ressemblant a celIe de Pierre OllYl. Les pe . ' 1 t ecrits prophetiques de Jean de Rupesclss~ eur~nt. a eur our une telle diffusion qu'ils influencerent des heretlque~ ltalier:s, ~o~nus sous Ie nom de Fraticelles (nous en parlerons plus 1010), et mS~lferent dans Ie nord de l' Allemagne une heresie menee dans. les ar;nees .1 3~o par F 'deric de Brunswick un franciscain. Ce dermer pretendrut etre Ie « rJean-Baptiste » d'un 'nouveau dessein di~ qui resister~it au, regne imminent de l' Antechrist et a ses persecutions. Pour s. y preparer, Frederic ordonna a ses disciples, clercs et la!cs, de modifier. Ie tex~e de leur Bible comme ill'entendait, ou de copier en marge les mterpretations correctes. . L'influence de Pierre Olivi se fit egalement sentlr au sud des Pyrenees dans les milieux catalans. Les communautes beguines des deux premieres decennies du Xlve siecle, a Ba~celone, Valence et dans leurs environs, eurent sans aucun doute des liens av~c. leurs communautes sreurs du Languedoc. Le principal ager:t de liaison en fut un docteur catalan, Ie theologien laique Arnaud de Villeneuve (vers 12 3813 I I), dont la carriere fort chargee eut theatre les ,deux versants des Pyrenees. Les Beguins catalans. reslste~e~t .don~ a Jean XXII apres 1317, pour des motifs ideologlques. Slmllalres a ~e~ de leurs freres occitans. C'est ce que demontre clalfement un tralte en langue catalane, ecrit vers 1318, sur les Etats de l'Fj-glise ;elon I'Apoca,!p~e .: il s'agit pratiquement d'un abrege du Commentazre de I -(1poca!ypse OliYl, applique aux evenements contemporains. Il est difficll~ de sav:ou; co~ ment les Beguins catalans ont su:ve~u aux persecutions ,qUl s ensUlvirent mais il est clair qu'au moms Jusque dans les annees 1330, lc:s territ~ires de langue catalane furent des centres de diffusion de l'her~sle millenariste. C'est ainsi qu' en 1333, un chevalier du Roussillon, conseiller du roi Philippe de Majorque, se vit accuser au cours de son pr~ces de ~o~ tenir les theses de Joachim et d'Olivi; et a cette epoque, MaJorque etait une plaque tournante pour la propagation d'idees de ce genre vetS
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l'Italie. ., d h" ies Cette mention de l'Italie nous amene aetudier la dermere . es eres es millenaristes de la fin du Moyen Age, la plus tenace aussl~ celIe .d Fraticelles. Descendants italiens des Fr~ciscain~ spirituels, 11s a~al: ete a l'instar des Beguins du Languedoc mfluences par les theses d 0 sur la pauvrete et sur la fin des temps. Comme les Beguins, les
celles ont sombre dans I'heresie sous Ie pontificat de Jean XXII; mais contrairement aux Beguins, ils ont survecu pendant des generations, et meme dans certaines regions durant un siecle et demi apres l'aneantissement des Beguins.
Nombreuses sont, sans aucun doute, les causes de cette longevite des Fraticelles; mais i1 faut certainement souligner parmi celles-ci Ie sens de la vocation qui leur venait de leurs convictions: Jean XXII etait l'Antechrist, et eux etaient les elus qui regneraient bientot a l'aube d'un nouvel age. Ces croyances gagnaient sans cesse en fraicheur et en vigueur, grace a la circulation et a la lecture des ecrits de Joachim, d'Olivi et de Jean de Rupescissa. Un recit contemporain du proces et du « martyre » du meneur fraticelle Michele da Calci a Florence, en 1389, nous donne un aper91 de l'intensite avec laquelle ce~ prophetes i~spirai~nt les Fraticelles. D'apres ce recit, lorsque Michele fut empnsonne avec un de ses compagnons avant d'etre interroge, i1 pria instamment son camarade d'etre ferme dans sa foi, en lui rappelant les enseignements du « saint abbe » (Joachim) et ceux de « Pierre de Jean» (Olivi). La connaissance de l' Apocalypse elle-meme, jointe a la tradition joachimiste, incita les Fraticelles a faire preuve de la pauvrete la plus absolue et a resister a l'autorite pendant des generations durant. Longtemps apres la disparition des Beguins, un predicateur fraticelle, Francesco da Camerino, commente en public, a Florence, « l' Apocalypse et d'autres ecritures sacrees » en langue vulgaire (1377). De meme, un heretique du nom de Martino Chavanderio circule en 1388 dans les Alpes piemontaises avec un exemplaire de l' Apocalypse, qu'il commente; un an plus tard, Michele da Cald fait directement allusion au triomphe imminent des « Vingt-quatre Vieillards » de l'Apocalypse sur Babylone (~poc. 1.9, 1-4), dans les memes termes d'espoir que nous avons deja CiteS. Frut plus remarquable encore, en 1419, un groupe de Fraticelles des Marches d'Ancone se baptise au nom de 1'« Eglise de Philadelphie », indiquant par cela qu'ils se considerent comme Ie petit reste des elus que predisait l'interpretation d'Olivi sur un passage de l'Apocalypse (Apoc. 3, 7-13). Or c'est dans les Marches d'Ancone surtout que les Fraticelles ont survecu, jusqu'au milieu du xve siecle; i1 est donc raisonnable de conclure que c'est Ie sens de la mission ultime, fonde sur l' Apocalypse, qui donna Ie souffle principal d'ou les Fraticelles ont tire leur longevite. Bien sUr aucune « Eglise de Philadelphie » issue des Beguins ou des Fraticelles n'a franchi Ie terme du Moyen Age; mais un medieviste americain est sans doute autorise a signaler, en guise de conclusion,
Bible et nouveaux problemes de chretiente ue l'idee d'une communaute de « Philadelphie », transplan~ee d~~s un q d mme un element d'un nouveau dessem divln, a nouveau mon e co . l'Al h 1'0 refait surface par la suite. Aussi pourrait-on due qu~ , . rp tl et megtl du fondamentalisme biblique mis en re~vre par les heretlques du Moyen Age n' ont pas trouve leur fin encore . Robert E. LERNER.
CONCLUSION
Tmduit de l'tlngltlis ptlr Bruno Lobrichon et Philippe Buc
En fermant ce livre certains auront peut-etre un sentiment de regret, regret que l'ouvrage soit trop court malgre ses pages, ou qu'il n'ait presente que quelques themes majeurs touchant l'influence de la Bible sur la culture et la civilisation medievales. Au lecteur de nous dire si l'experience devait etre tentee et a d'autres de poursuivre ce que nous avons commend:. II faut maintenant conclure. La meilleure fas:on est de rappeler comment les hommes du Moyen Age sont peu a peu passes de l' age de la Loi a celui de la Bonne Nouvelle. Nous ne voulons pas dire que Ie Nouveau Testament n'ait pas ete lu et commente pendant Ie haut Moyen Age, les etudes faites dans Ie volume l'ont montre, mais il est certain qu'avec l'etablissement de l'Empire carolingien, cette monarcrue sacrale qui s'est prolongee jusqu'au milieu du XIe siecle et dont la reforme gregorienne a marque la fin, une sorte de civilisation vetero-testamentaire s'est creee en Occident. Les rois carolingiens se presentent comme les successeurS de David, de Salomon et de Josias; leurs conseillers politiques, interpretant a leur fas:on La Cite de Dieu de saint Augustin, ont voulu l' etablir sur terre et faire respecter par tous la Ioi divine. Leur legislation n'est pas seulement celle qui est conservee dans Ies lois barbares mais celIe des empereurs chretiens et celIe qui etait enfermee autrefois dans l'Arche d'Alliance, cette Arche que Theodulf a fait representer dans Ia chapelle de Germigny. Dans l' Admonitio generalis de 789 Charlemagne se rerere 18 fois a l'Ancien Testament contre 14 fois au Nouveau. Pour faire appliquer Ia Ioi, Ies rois comptent sur Ies pretres qui comme dans Israel sont Ies principaux collaborateurs du pouvoir. La parole d' Aggee « Interroge mes pretres sur Ia Ioi » est une des plus I.
Pour la bibliographie, voir les
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souvent citees. Le clerge forme une sorte de caste bien separee du reste de la population avec son costume, innovation carolingienne, ses privileges juridiques, sa culture savante, so~ .genr~ de vie parti.cu!Jer. Le roi confie aux clercs des charges admuustratlves et des nusslons politiques. Au IXe siecle, nous l'avons vu, les eveques pretendent controler la monarchie et jouer Ie role que les Prophetes avaient aupres des rois 'uif: J ~ois et pretres luttent contre l'idolitrie et les superstitions, font respecter Ie Jour du Seigneur, exigent des pratiques bien definies. La liturgie carolingienne oMit a un rituel precis. Tout doit etre mis en en reuvre pour l'adoration de Dieu, ce Dieu dont on ne saurait parler qu'avec crainte et tremblement. Dieu est partout, dirige tout, possede tout. Comme pour mieux mettre en evidence sa transcendance on insiste moins sur la nature humaine du Christ que sur sa nature divine. En luttant contre l'heresie des Adoptianistes qui voyaient dans Ie Christ Ie fils « adoptif» de Dieu, les theologiens carolingiens affinnent hautement la place du Christ dans la Trinite. Le Christ est Ie Sauveur mais aussi Ie Juge que 1'on represente comme Ie roi de la Jerusalem celeste dans les miniatures et fresques de l' Apocalypse. L'adoration de Dieu doit se faire directement par la priere et non pas par l'intermediaire des images. On peut expliquer en partie l'attitude des Carolingiens face a Byzance par une influence de l' Ancien Testament. De meme que les juifs refusent toute representation de la Divinite, les Carolingiens reagissent contre ce qui leur parait une forme d'idolatrie. L'image peut jouer un role dans la pastorale et dans l'ins. truction religieuse, elle n' a pas sa place dans Ie culte. L'organisation du sacrifice de la messe est rapprochee par certams elercs, tel Amalaire, des sacrifices du Temple, dont e1le est l'aboutissement. L'autel est la table des holocaustes, l'habit de l'eveque rappelle ce1ui d'Aaron, les diacres sont les successeurs des !evites, dont ils prennent d'ailleurs ce nom aux temps caralingiens, Ie pain eucharisti9ue est Ie pain azyme, autre innovation carolingienne, mal vue des Byzantlns, 1'encensement et les prieres sur les offrandes se referent a l'Ex?de et au Uvitique, etc. Pour la consecration des eglises les Sacramentattes empruntent leur ritue1 a Exode 29, 12-18 et Uvitique 8, I I. Co~e l'ecrit J. Jungmann « Ie plaisir qu'on prenait de plus en plus depUls 1'epoque carolingienne a decouvrir et a mettre en valeur des parane-. lismes avec l' Ancien Testament trouvait ici a s'exercer »1. Le peuple, separe des officiants par une langue qu'il ne compren~ pas et par la barriere qui coupe en deux l'Eglise, assiste assez pasS1~ vement aux mysteres de l'autel meme si quelques elercs lui ont demand6 une plus grande participation. La messe est moins l'action de graces des fideles que la descente mysterieuse de Dieu sur 1'autel, la commu;nion res;ue dans la bouche pour eviter tout sacrilege n'ayant lieu qu'a Noel, Piques et Pentecote apres une preparation penitentielle. . J. JUNGMANN, Missarum Solemnia, II, p. 72. - Notons que Yves de Chartres rep rend paralli:les entre l'ancien sacrifice et la messe; cf. CHYDENIUS [125], pp. 84 et s. I.
Conclu.rion
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, Les,pretres ~~igent ~oins une c~nversion du creur que l'obeissance ~ des .regles preclses. L homme est Juge sur ses actes et non selon ses l~te?tlOr,ts. A cha';lue faute correspond un chatiment prevu par les p~mtentt.els. Le fidele est en serre dans un reseau d'interdits et de tabous alimentalres et sexue1s, d'obligations et de contraintes. J1 doit payer aux c~erc~ la dime co~me Ie faisaient les juifs du royaume d'Israel. 11 est l?Vlte lors .des disettes.ou des guerres a des prieres et des jeunes collectifs. ~ar suite; l~ .chretlen se sent proche des juifs qu'il rencontre ~a~l.s les vllles et n h~s:te pas a observer Ie repos sabbatique ou a partlclper a~ tepas des Juifs. Contre ces chretiens « judaisants », les canons des conc11es se montrent severes2 • . !l ~uffit de ~ranchir Ie xe siecl~ e,t d'envi~ager la p.erspective pour s:l.1s~r a que1 pomt tout change. La ou les mOlOes carollOglens s'etaient l:vres a une lecture allegorique debridee volontiers oublieuse du sens htt~ral, on.a, re~is l'o~vrage sur Ie metier en restaurant a la lettre un dral~ de clte pnmordlal. A cette nouvelle maniere de lire la Bible sensl~le des la ~ du x1e. siecle, mais probablement inauguree plus tot: a~ debut .du . sleele, falt, ~cho la pr~s~ de conscience dangereuse d une .dom~n~tlon des chr~tlens sur les Juifs. Faute de pouvoir vaincre les m~ltres Juifs ~ur Ie terralO de l'Ancienne Loi, on continue humblement de falre appel a eux, tandis que toutes les faveurs se portent sur Ie Nouveau Testa~~n;. Sa?s parler de .conscience collective, voyons bien cepen~ant que lldee falt s~n, ;henun, et qu'un des principaux griefs q~e ~eveloppent les cIercs a 1egard des suspects d'heresie a trait a la negatlOn et au refus de toute valeur a l'Ancien Testament. L'opposition vecue entre l'Ancien et Ie Nouveau Testament se creuse ,~lo:s, radicalise 1'i~ee de reforme religieuse. Reformer auparavant,. c etalt amender, cornger les mreurs dans Ie sens d'un progres de 1'Eg~se vers la Jerusalem celeste; il semble que des 1'an mil se diffuse une, Idee plus tranchante : reformer, c'est revenir au statut primitif aure~le d'~e purete toute idealisee. Ainsi a Cluny dans l'entourag~ de salnt ?di.lon3, et peu. a pe:u dans les milieux reformateurs de l'Eglise, chez Gregolre VII, pUlS salOt Bernard, et des lors continument. De la ~orte, on;v:alide dans un pr~mier temps les formes extremes du monachisn;t~ ascetlque, et les ernutes pullulent dans la seconde moitie du XI~ . slec~e; de l.a on pas~e naturell.ement a 1'ideal de la chretiente priffiltlve, a la « Vle apostolique », qUl fleurit et brille de mille feux durant tout l~ xn e .si~cle4. ~t c~mme les ferveurs religieuses par nature se vulganser:t aisement, I Eghse sur Ie point d'etre submergee d'heretiques trap s~>ucleux de sll: re£orme; ~ecrete une espece nouvelle, d'une part les ~recheurs de salnt DOffilOlque, et de 1'autre les Franciscains : ils devIe~ent les a~then.tiques d~positai~~s d~ l'ideal apostolique, tandis que samt Frans;01s eXlge des Slens qu 11s vlvent 1'Evangile a la lettre. 2. B; BLUMENKRANZ, Juifs et chretiens... [98], Paris, pp. 17 1- 1 73. 3· C est ce que montrent le~ recherc~es inedites encore de Dominique Iogna-Prat. 4· On trouvera une bonne rruse au pOInt sur ces questions dans Caroline Walker BYNUM Docere verbo et exemplo. An Aspect of Twelfth Century Spirituality, Missoula, Montana, 19 8 3:
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souvent citees. Le clerge forme une sorte de caste bien separee du reste de la population avec son costume, innovation carolingi~nne, s~s l?rivileges juridiques, sa culture savante, so~ ~enr: de Vle partl.c~er. Le roi confie aux clercs des charges admIDlstratlves et des ffilSSlons politiques. Au IXe siecle, nous l'avons vu, les eveques I?retendent control:r la monarchie et jouer Ie role que les Prophetes avalent aupres des rOlS
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s.Rois et pretres luttent contre I'.d .. £ont 1 01'· atrle et Ies superstltlonS, respecter Ie ~ ou~ du Seig?e~, exigent des, ~ratiques bie.n ?efinie~. La liturgie carolinglenne obelt a un ntuel precls. Tout dOlt etre mlS en en reuvre pour l'adoration de Die~ ce Dieu dont o~. ne saurait pa~Ier qu'avec crainte et tremblement. Dleu. est partout, dlnge tout, p<;>ss~de tout. Comme pour mieux mettre en ev~dence sa transcendance ?~ lnSlste moins sur la nature humaine du Chnst que sur sa nature dlVlne. En Iuttant contre l'heresie des Adoptianistes qui voyaient dans Ie Christ Ie fils « adoptif}} de Dieu, Ies theologiens carolingiens affirment hautement la place du Christ d~s la Trinite. Le C~ist est ~e Sauveur ,mais aussi Ie Juge que I'on represente comme Ie rOl de la Jerusalem celeste dans les miniatures et fresques de l' Apocalypse. . L'adoration de Dieu doit se faire directement par la pnere et non pas par l'intermediaire des images. On peut exp~iquer en partie l'a!ritude des Carolingiens face a Byzance par une lnfluence de l' Anclen Testament. De meme que les juifs refusent toute representation de Ia Divinite, les Carolingiens reagissent contre ce qui leur parait une fot;me d'idolitrie. L'image peut jouer un role dans Ia pastorale et dans l'lnStruction religieuse, elle n' a pas sa place dans Ie culte. . L'organisation du sacrifice de la messe est rapprochee par certalnS clercs tel Amalaire, des sacrifices du Temple, dont elle est l'aboutisseme~t. L'autel est la table des holocaustes, l'habit de l'eveque rappelle celui d' Aaron les diacres sont Ies successeurs des levites, dont ils prennent d'ailleurs ce n?m aux .temps c~rol~ngiens, Ie pain eucharisti9ue est Ie pain azyme, autre lnnovatlOn carolinglenne, mal vue des Byzantlns, l' encensement et les prieres sur les ofl"randes se referent a l'Ex<;>de et au Uvitique, etc. Pour la consecration des egHses Ies Sacramentatres empruntent leur rituel a Ex?~e 29,12-18 et. Uvitique 8, II. Co~e l'ecrit J. Jungmann « Ie plalslr qu'on prenalt de plus en plus depUls l'epoque carolingienne a decouvrir et a mettre en valeur des paranelismes avec l'Ancien Testament trouvait ici a s'exercer }}1. Le peuple, separe des officiants par une langue qu'il ne compre~ pas et par la barriere qui coupe, en ~eux l'Eglise, assis~e assez pasS1~ vement aux mysteres de l'autel meme Sl quelques clercs lu: ont de~d6 une plus grande participation. La messe est moins l'actlon de graces des fideIes que Ia descente mysterie~se de Dieu ~~ l'al~tel, la ~o~ nion res;ue dans la bouche pour eVlter tout sacrilege n ayant lieu qu , Noel, Piques et Pentecote apres une preparation penitentielle. ,
I. J. JUNGMANN, MissarumSolemnia, II, p. 72. Notonsque Yves de Chartresreprend paralleles entre l'ancien sacrifice et la messe; cf. CHYDBNIUS [12.5], pp. 84 et s.
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, Les,pretres e~igent ~oins une conversion du creur que l'obeissance ~ des .regles preclses. L homme est juge sur ses actes et non selon ses
11~te~t10~s. A cha9ue faute correspond un chatiment prevu par Ies p:mten~els. Le fidele est en serre dans un reseau d'interdits et de tabous
alimenta1res et ,sexuels, d'obIigations et de contraintes. n doit payer aux c~erc~ }a dime co~me Ie faisaient les juifs du royaume d'Israel. II est 1?Vlte lors .des dlsettes ou des guerres a des prieres et des jeunes collectifs. ~ar sU1te, Ie chretien se sent proche des juifs qu'il rencontre ~a?s les vllles et n'h~s~te pas a observer Ie repos sabbatique ou a partlc1per a~ repas des Juifs. Contre ces chretiens « judaisants », les canons des conciles se montrent severes2. . ~I ~uffit de ~anchir Ie xe siecle et d'envisager la perspective pour s.alSl! ~ quel POlnt tout ,cha~ge. L~ o~ les moines caroIingiens s'etaient l~v~es a une lec~re ,allegonque debrldee volontiers oublieuse du sens htt~ral, on. a, re~lS I o~vrage sur Ie metier en restaurant a la lettre un dro1~ de Cite pnmord1al. A cette nouvelle maniere de lire la Bible sensl~Ie des la fi~ du xre. sie~le, mais pr?bablement inauguree plus tot: a~ debut .du . sleele, falt echo la pnse de conscience dangereuse d une ,do~n~tlon des chr~tiens sur les juifs. Faute de pouvoir vaincre les m~1tres Juifs ?ur Ie terra1~ de l'Ancienne Loi, on continue humblement de falre appel a eux, tandls que toutes les faveurs se portent sur Ie Nouveau Testament. Sans parler de conscience collective voyons bien cependant que I'idee fait son chemin, et qu'un des pri~cipaux griefs q';1e ~eveloppent les clercs a l'egard des suspects d'heresie a trait a la negat,lOn et ~~ refu~ de toute valeur a l'Ancien Testament. L OpposltlOn . ve~ue ,~n~re l' Ancien et Ie Nouveau Testament se creuse ,alo~s, radicalise 11dee de reforme religieuse. Reformer auparavant,. c etait amender, corriger Ies mceurs dans Ie sens d'un progres de l'Eg~s~ vers la Jerusalem celeste; il semble que des l'an mil se diffuse une Idee plus tranchante : reformer, c'est revenir au statut priroitif aure~Ie d'u~e purete toute idealisee. Ainsi a Cluny dans l'entourag~ de sa1nt ?di.lon3, et peu. a pe:u dans les milieux reformateurs de l'Eglise, fez GregOlre. VIT, PU1S srunt Bernard, et des lors contimlment. De a ~orte, on;v:alide dans un premier temps les formes extremes du monac~s~~ ascetlq~e, et les ermites pullulent dans Ia seconde moitie du XI. . slec~e; de l.a on pas~e naturellement a I'ideal de Ia chretiente priffiltlve, aIa « ~~e apostolique », qui fleurit et brille de mille feux durant e tout l~ XII .sl;cle. ~t c~mme les ferveurs religieuses par nature se vulganse~t rusement, I Eghse sur Ie point d'etre submergee d'heretiques trop SOUCleux de sa reforme, secrete une espece nouvelle d'une part les ~recheurs de saint .Dominigue, et de I'autre Ies Fran~iscains : ils devle~ent les a~then.t1ques d~positaires de l'ideal apostolique, tandis que salnt Frans;OlS eXlge des S1ens qu'ils vivent l'Evangile a la lettre. 2.. B; BLUMBNKRANZ, Juifs et cbritiens ... [98], Paris, pp. 17 1- 173. 3· C est ce que montrent le~ recherc?es inedites encore de Dominique Iogna-Prat. 4· On trouvera une bonne Il11se au pOInt sur ces questions dans Caroline Walker BYNUM Docere verbo eJ exemplo. An Aspect of Twel'ih Cent"..'OJ S"irit'Mlz·t,'OJ Mi ul M ' OJ' •••J 1 ' ", sso a, ontana, 19 83.
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Parvenue a. ce point, l'Eglise d'Occident entre dans une periode de stabilisation. Dans les universites, l'exegese biblique chante a. l'unisson de plus en plus, se fiant a. la Glose ordinaire. Dans les paroisses des villes et des banlieues, les freres des ordres mendiants erigent un reseau d'encadrement aux mailles serrees. Les grandes entreprises conquerantes, les Croisades, ne passionnent plus que quelques idealistes, et les quelques voyageurs qui prennent la route de la soie vers les Chines mirifiques reconnaissent bientot qu'ils n'ont guere plus de chance de convertir Ie Grand Mogol que saint Frans:ois n'avait pu baptiser Ie sultan du Maroc. Le temps n'est plus aux grandes conquetes, il n'est pas encore aux grandes decouvertes, il est a. l'interiorite. De la contemplation monastique du haut Moyen Age, on est passe non sans heurts heretiques a. l'imitation, materialisee dans les stigmates de saint Frans:ois d' Assise ou dans Ie creur de Claire de Montefalco qui, dit-on, contenait les instruments de la Passion du Christ'. Mais cette materialite peu ordinaire n'est que Ie dehors de manieres plus silencieuses de vivre la Bible, c' est-a.-dire, dans les derniers siecles du Moyen Age, essentiellement les Evangiles : dans Ie courant mystique qui s'amplifie, s'epanouit aux portes des villes, dans les beguinages feminins, et autour de Richard Rolle, de Maitre Eckhart ou Denys Ie Chartreux, mais aussi plus activement sur les grandes places des villes, sur les parvis des cathedrales, partout les scenes de la Nativitl et de la Passion du Christ retiennent les regards, alimentent les elans du creur. Les representations publiques des mysteres marquent alors les esprits plus profondement et surement que les echos affaiblis d'une exegese qu'on sent essouffiee d'un trop long Moyen Age. Pendant des siecles, les savants parmi les clercs avaient pu extraire de la Bible des modeles qui servaient a. interpreter les realites humaines, ou a. conforter, etayer les programmes politiques. Au xn e siecle encore, on put a grandes brassees puiser dans Ie Nouveau Testament les modeles d'une rcronne ecclesiale. Mais aux XIVe et xv e siecles, les affaires publiques sont devenues trop serieuses pour qu'on les abandonne aux religieux, pour qu'on laissat faire un Savonarole : sa Republique selon l'Esprit du Christ £nit dans Ie sang. Le chemin qui mene a. Marsile de Padoue et a. Machiavel est celui aussi qui pousse dans l' Apocalypse Fra Savenarole et un siecle plus tard Thomas Miintzer : les realismes politiques, du cote catholique comme du cote protestant, ont appris au cours des siecles a. reduire les prophetes au silence ou au bucher.
ABREVIATIONS DES LIVRES DE LA BIBLE
Gen. Ex. Lev. Nomb. Deut. Josue Juges Ruth I Sam. II Sam. III Rois IV Rois I Chro. II Chro. Esdras Neh. Tob. Jud. Esther I Mac. II Mac. Job Ps. Provo
Ecd.
5. Cl. LEONARDI a deveioppe ce passage de la contemplation Bulletin del'Institut d'Histoire de Ja SpirituaJite, nO 5, 1982.
a
l'imitation dans un
Cant. Sag. Sir. Is. Jer. Lam. Bar. Ez. Dan. Osee Joel Amos Abdias Jonas Mic. Nahum Hab. Soph. Aggee Zach. Mal. Mat. Marc Luc
Jean Actes Rom. I Cor. II Cor. Gal. Eph. Phil. Col. I Thess. II Thess. I Tim. II Tim. Tite Philemon Hebr. Jacques I Pierre II Pierre I Jean II Jean III Jean Jude Apoc.
Bibliographie
SIGLES UTILISES
INDEX DES AUTEURS CITES DANS LA BIBLIOGRAPHIE Les chiffres correspondmt Ii la numerotation de la bibliographie AGAESSE~ t.
(d'), 77.
ALVBRNY
MEERSSBMAN, 208. MERLETTE, 88. MOR, 122. MUNDO, I07·
FOWLER, 59. FRANSEN, lI8, 119. FRISTED, 60.
AIGRAIN, 148.
AMIOT, 171. GAIFFIER (de), 149, GAMBER, 166. GANSHOF, 36, 37. GARNIER, 180.
ARQUILLIERE, 12.4. ASTON, 212.
BALDWIN, 78.
SigJes utilises :
AB AHDLMA AS BA BEC BHG BHL
CC CSEL DACL DHGE DSp DTC HThR JThS MGH MSR NRHD NRTh PL PLS RB RBi REA REAug
REL RHE
RHR RSPT RSR RevSR RTAM
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(de), 7, 83.
BARRE, 133, 134·
GHBLLINCK
BATAILLON, 50.
GILSON, 138. GLORIEUX, 93. GLUNZ, 38. GNEUSS,23· GODU, 165. GONNET, 216. GOTTLIEB, 24GRABAR, 181. GRABOis, 103. GREGOIRE, 140.
BAUER, 173. BECKER, 19. BERGER,
39.
BERGHAUS, 5 5·
BERIOU, 135. BERLIERE, I I O.
BERTOLA,45·
Bibbia, 4. Bible, 3.
ISO, 151.
BIGNAMI-ODIER, 213.
66.
BISCHOFF,
BLUMENKRANZ,
HAILPERIN, 104. HALLINGER, Il2. HARGREAVES, 61.
98, 99.
BONSIRVEN, 174.
Boz6KY, 175. BRANNER,
]AUSS, 141.
'77.
BRIGHT, 56. BRUYNB (de), 30.
KAMINSKY, 217.
BUHLER, 214.
KARPP, 167.
CAGIANO, 178.
KER,25· Ku.uCK,94. KOTTJE, 127.
eAHN, 179.
LAIIORDB (de), 182. LACOMBE, 84. LAISTNER, 69. LAMBERT, 218.
CHARLAND, 136. CHARLES, 176. CHARTIER,
I It.
79.
LANDGRAF, 85. LARBS, 63, 64. LECLERCQ, 8, 9, 128, 129, 152. LE BRAS, 12.1, 207. LECOY de LA MARCHE, 192. LEFF, 219. LEHMANN, 10. LEONARDI, 70. LERNER, 220, 22 I. LESNE, 26, 86. LoBRICHON, 47. LONGBRE, 143, 144· LaTTIN, 87. LUBAC (de), II.
CHENU~ 80, 92. CHIFFOLEAU, 20S. CHYDENIUS, 125.
67. CRAWFORD, 57.
CoNTRENI,
DAHAN, 101.
DANtEwU, 163. DAVY, 137. DEANESLEY, 2 I 5• DELARUELLE, 206. DELHAYE, 81. DENIFLE, 31. DEROLEZ, 21, 22. DESPREZ, 113. DEVISSE, 68. DODWELL, 58. ESNEVAL
OHLY,I55· OwST, 14S. PACAUT, 13°,204.
PARE, 89' PATSCHOVSKY, 226. PENCO, 108, IS6, 157· PIVEC, 158. PLOTZEK, 187, 188. REINHARDT, 13. RICHE, 72, 73. 74· ROBINSON, 6S. ROOVER, 203. ROST,14· ROUSE, 51, 52, RUSCONI, 227.
n·
SALMON, 44, 168. SCHNEYER, 146. SCHUSSLER, 123. SCHRAMM, 131. SMALLEY, 15, 48, 90,91, lOS·
SPICQ, 16.
CASPER, 100.
CHATILLON, CHENEY, 2.0.
NOONAN, 201, 202. OEXLE, 211.
(d'),
32,
33,
FISCHER, 34, 35· FOURNIER, 116, 117.
82.
MCGINN, 225. McNALLY, 12. MAELHER, 154. MALE, 18~ 185, 186. MANGENOT, 39. MANSELLI, 22, 223, 224. MARTIN, 40, 41, 42. MATTER, 71.
STEGMULLER,
17.
TANNER, 228. TRERY, 52. THOUZELLIER, 229. ULLMANN, 132. VAJDA, 106. VAWUS (de), IIj. VAN DIJK, 169. VAN UYTFANGHE, 159, 160. VERGER, 96. VERNET, 28. VICAIRE, 161. VIDAL, 230. VOGEL, 170. VOGUE (de), 1"9.
W AKEFlELD, 23 I. WASSELYNCK, 7S. WIELOCXX, 49. WILMART, 97. WIRTH, 189· WOLPERS, 162. ZINK, 147.
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Le Mf!Yen Age et la Bible
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N.B. - En dehors de ces ouvrages generaux on aura interet
a consulter :
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N.B. - Pour les etudes concernant les autres traductions de la Bible, cf. supra, pp. 27-28.
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70 71 72 73 74
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139 140 141
142 143 144 145 146 147 148 149 150
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Index scripturaire
Gen.
107, 30 9, 4 250
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Ex. 64,125.127.135.153.154.158,238,250,254.255. 25 8,293,3 0 9, HI, 361, 366, 368,418,474,525,527,572, 616. Lev. 153. 154. IS8, 254. 258, 292, 300, 309. 313. 320, 330, 342 , 374. 391, 525, 572, 616.
Nomb. 135, 153, 154, 158, 265, 293, 342,456,474,481, 525,575. Delli. 135. IB, 155. IS8, 240, 296, 309. 324. 330, 342, 366, 368 , 39 1, 394, 397-399, 525, 572.
JolIII
107,125,135,155,368,393,525.
juges 107.125. 133. 13" IS" 182, 294. 368,474, 52.5Rllth 1°7,1°9,135,155,267,366-368,525. f-II Sam. 125, 155, 158, 182. 265, 279. 280, 309, 314. 337, 368, 387-3 89, 395, 399, 45 6, 458, 469, 5Il, 525, n5· III-IV RoiI' 70,74, 107, 125, 133, 135. 155. 158. 182, 266, 279-282, 309, 320, 337, 368, 383, 386-391, 394-396, 4 18,455,45 6,47 6, 525. I-II Chro. 525, 566• EsdraJ-Nih.
u5, 155,225,239,286, 320, 366, 368, 395,
205,208.224-227,232,236-240,245.251,252,270-278, 284, 289-296, 305-308, 318-322, 334, 337, 352, 366-368, 376 , 390 , 39 1, 394, 39 6,400,412, 420, 424, 461-466, 478, 5 II • 521, 522 , 525, 526, 531. 532, 543-551, 569-572, 587, 59 2 , 60 5.
Provo 5°,125,153,155,183,202,269,284.285,29°,292, 308 , 320, 324, 337, 368 , 39 1, 394, 396, 398,400,407,463, 525, 564, 593· Ec&!. 125, 113, 155. 173, 183, 202. 203. 220, 237, 286, 30 9, 368 , 39 6,40 7,464, 525.
Canl. 28, 50. 99, 106, 125, 142, 153, 155. 158, 173, 17 6• 18 3-18 5. 189, 199, 202. 204, 224, 225. 232, 237239,253, 260, 320, 343, 368, 407, 424, 478, 521, 527, 528 • Sag. 125. 155. 203, 279, 309, 330, 366, 388, 389, 400, 4°7.410,412.461,478,525,528,529,542. Sir. 155.284-287.309,313,33°,368,407,408,463.525. 526, 561, 562, 564. Is. 124,. 125, 155, 184, 185, 197, 204,. 220, 236-238. 245, 250-252,285-287, 30 9.3 22 , 35 2• 367, 368, 383. 388, 390, 39 6,424, 474, 525, 528 , 542, 559, 575, 577. Jir.-Lam. 124, 125. I5S, 156. 202, 204. 208, 220, 309, 315,321,352,363,366,368,390,392,396,397,400,461, 525,528,575,
Bar. 125, 155, 368, 525, 542.
Tobie 125, 135, 15h 205, 266, 279, 287, 309, 330, 368, 4°4,461, 525, 528, 594Jfllijtb
133, 135, 155, 205, 379, 366-368, 469, 525.
Esther
70, 133, IH, 237, 279, 366, 368, 404, 525.
I-II MaG. 80,85, III, II3, 133, 135. 156, 205. 279, 281, 28,, 28 7, 366-368, 390, 397-398,423, 525, 594. Job 125, 13h 113, 155, 169, 173. 202, 204, 210, 214,. 220, 237,279,283.368,396,417.418.525.526,528,604. PI. 28, 47, 49, 81. 99, I05-II3, 128-129, 134-136, 141, 144, 113, 155, 158. 169. 172-176, 184-186, 191, 192,202-
204, 367, 368, 525.
EZ· 99.124,144,156,188,189.3°9.322.352.367.368, 393. 397, 400, 4 18 • 525. 572. Dan. 125, 156, 158. 204. 237. 285, 286, 295. 309, 352, 368,4°0,461,475. 511, 525.
Propbeles 125. 127, 156, 241, 251. 309. 341. 352, 36 7-3 6 9. 393. 39 6 , 400, 4 13, 461, 494-495. 502, 52h 528, 61 5.
I2
Mal. 87, lIZ, 136. 156, 158, 176, 177. 204. 227. 232, 290, 29 2,295,3 0 5,3 10, 3I I , 317, 318. 321-324, 330, 331, 338, 34 1,343,34 8, 3n, 35 8, 360-3 67, 369, 373, 382, 384, 396, 400.447,456,462-477,480,481, 508-509. 526-528, 532, 560,565-569,571,577,582,58',586,587,592,593,597• 600, 604, 607.
632 Marc
Le Moyen Age et la Bible 106-108, III~ 125. 156, 221, 226, 227. 232, 291,
297, 3Il, 318, 320, 323. 369.462,468,471,473,475.526, 599, 60 7. Lllc 125, 156, 165, 203. 205, 227. 232, 289. 291, 310, 3II, 330, 3ll, 338, 34', 362, 366 , 369, l75, 382 , 383, 397, 399,400,431,455,456,459,462,463,468-478,483,526, 529,531,532,565,568-572,575,584,604,608. Jean lIZ, 125, 156, 203. 204. 208, 220, 221, 227, 232, 290,291,295, 305. 306, 311, 35 8, 362 , 369. 382 ,4°0 ,447. 457,468-475, 5II, 522 , 526 , 527, 540 , 568 , 569, 594· Actn 125. 136, 156, 189, 195.203. 205. 224, 232, 266, 290,297, 3II, 316, 3l7, 340 , 34 , 35 2, 366 , 369, l73, 432, ' 461,470,472,475.476,481,483.522,526,53°,54°,560,
567, 568, 582 • 59 , 599· '
Eplfru de Paul 81,99. 105-109. 125. 1;6, 144. 15 6- 1 58 , 169-170, 172, 174. 186-193. 203-207, 2.12, 215. 224, 232., 285.290-293,296, 3II-;lh 320-324, 3;0, 337, 33 8, 340,
343, 347. 35 2, 357, 358, 36,. 362 • 366, 367. 369. 376.400• 426.462,463,465,467.469,470.473.476,478.481.483. 487, 5II, 526.527.530.531.541,551.561-564.567.577. 582, 584. 59', 593. 608.
Index des manuscrits
Epttres catholiques 108, 125, 136, 157. 203. 232, 290, 293,296, 312, 330. 34', H3. 357, 366, 369.400 ,413.45 6• 469,472. 5II, 526, 565, 576, 582-584.
Apoc.
64. 80, 85, 86,99. 106, 109. II;. 125. 134. 137.
144.157.177.184, IS5, 189, 203, 224, 225, 228, 232,285,
290,292.310.337,340,366,369,478, 5". 526 , 57 6, 577, 59 2 ,597,608-61 3,616.
Arras, BM 5 59 : 70 . Auxerre, BM 8 : 420-422.
Beaune, BM
I
:
408.
SB, Phill. 1650 : 105· Berne, BB 334: 105·
Berlin,
Besans:on, BM 677 : 4 22 . Bordeaux, BM 22, 33, 37, 49, 55 : 101.
Boulogne, BM 53 : 4 08 .
_ - _ - - - - - - - -
Cotton Vespasian A.I: 129. Cotton Vitellus E.Xvrn: 12.9· Cotton Tiberius C.VI: 129. Harley 1526-1527 : 416. Royal .. B.X! : 73. Royal .. B.XII : 92. Royal 2.B.V : 129. Royal 4.B.IV : 105. Royal 19·D.Il : 4'4. Stowe II : 129.
Cambridge, Univ. FF. 1. 23 : 129.
-
-
Manchester, JRL 109 : 105. Mans (I.e), BM 223 : 420.
Trin. CoIl. R. 17.1 : 129. Magd. CoIL Pepys 2498 : '35· Corpus Christi Coll. 173 : 12 7-
Chalon-sur-Saone, BM 9 : 4 14. Dijon, BM
-
-
I
:
408.
-
:
Orleans, 33, 60, 62, 63.
PI. '7.9 : 99, 10 5. PI. 23.13 : 108.
Ivree, Capit. 106 : 279.
Laon,
102 : 101-102. 2.40: 4 20. Leipzig, VB 683 : 519. -
-34': 86.
New York, Pierpont Morgan Libr., M 776 : 129.
Douai, BM 90 : 422. Dublin, Trin. Coll. 52 : 29· -
BM 262 : 413.
Moulins, BM I : 403-404. Munich, SB, dm 10292 : 39·
Dole, BM 15 : 87,93,
I
-
Metz, BM 7 : 60. Montpellier, FM 155 : 108.
-
- 7 : 4 3. - 12.-15' : 73-74, 4 0 4. - 173 : 4 4. ' - ,.62. : 420-422.
Florence, Laur., Amiat.
-
Lambeth Palace 427 : 12.9·
BY
-
Leon, Catedral '5 : 60. Londres, British Library : - - Add. 15253 : 85. - - Add. '5452 : 83. - - Add. 375'7: 129. - - Add. 50003 : 92. - - Arundel 60 : 129. - - Arundel 303 : 92. _ - Cotton Claudius B. IV : 124, 133· _ - Cotton Nero D.IV : 130.
BM
M
240 : 4 16 .
144 : 420.
Oxford. Bodleian Libr., Auct. 2..19 : 13 0 •
_ - -
Bodley 270D : 416. Junius I : '35.
-
Junius XI : 126.
-
- - Junius XXVII: 129- - Junius CXXI : 128, 129. - - lat. bib. c. 7 : 92. - Magd. Coll. 167 : 523. _ Wadham Coli. A. 10.22 : 73· Paris. Arsenal 65 : 86. - - 589: 84.85· - - 5059 : 414· -
-
5212 : 4 14.
Pa!is, Mazarinc 5 : 80, 86.
- - 3 7 : 90 • -
-
70 : 86, 101. 117 : 1I3· 131-144 : 84·
634 -
Le Moyen Age et la Bible
-
788 : 504.
-
BN
-
-
fro 9220 : 442. fro 15290 : 52.
--lat. - - lat. - - lat. - - lat. - - lat. - - lat. - - lat. - - lat. - - lat. - - lat. - - lat. - - lat.
-
-
lat.
-
-
lat. lat. lat. lat. lat. lat. lat. lat. lat.
-
-
-
-
-
-
-
-
1:64. 26 : 86. 28 : 90. 90 : 101.
166 : 89. 201 : 92.
206 : 89. 233 A : 88. 335 : 524, 527. 346 : 96. 442 : 105. 480 : 99, 105 621 : Ill.. 643 : Ill..
1085 : 48. 2875 : 105. 8824 : 128. 9380 : 64, 65. 9381 : 90. 10426 : 88. II537 : 84. II549 : 84. lat. 11550: 105.
lat. 11560 : 418. lat. 11932 : 92. lat. II966 : Ill.. lat. II967 : '05. lat. 12267 : 105. lat. 12413 : 502. lat. 12444 : 344. lat. 13174: 59. lat. '4232-'4233 : 84. lat. 14238 : 90. lat. 14397 : 88. lat. 14398 : 108. lat. ]4402 : 108.
-
-
lat. lat. lat. lat.
-
-
lat. lat. lat. lat. lat. lat. lat. lat. lat. lat.
-
-
-
-
-
-
17204: III) II3.
523 : 4 22 •
Reims, BM 16- I 8 : 70. - - 20-23 : 70, 408. - - '35 :99·
Saint-Gall, Stift. 75 : 62. Salisbury, Cath. 150 : 129. ~an Marino (Calif.), Huntington Libr.,
108. 5>9.
HM (;2 : 7C',
ens, BY I : 404, 406. Stonyhurst, ColI. : Z9.
Tolede, Catedral : 416. Tortosa, Capito 106 : 498. Toulouse, BM SI5 : 442. Troyes, BM 458: 404. - - 511-51z : lOS, 109. - - 577 : 85· - - 61 5 : 99· - - S71 : 108. - - 1023 bis : 108, lIZ. - - 1083 : 108. - - 16zo : 108.
Zurich, Staatsarchiv, AG 19 : 99.
101.
Index des noms propres
- - "3 : 439. Poitiers, BM' 97 : 5 13.
89. 92. 89. 83.
14771 : 108.
14776 : 101. '4779 : 108. : : : : : : :
-
lat.
lat. 17207 : II3. lat. 17233-17234: 112. n.a.lat. 335 : 524-527. n.a.lat. 836 : 92. Sainte-Genevieve 15 : 408. 22: 414. 34: 414· 60 : 4'0. 7S : 101.
10I.
14408 : 108.
14786 '4937 15236 15476 16264 16266 16267
-
lat. 16497: 5'3.
Valenciennes, BM 521 (475) : 494. Vatican, BAV, Barb. lat. 587 : 69. - - Ottob. lat. 715 : 384. - - Regin. lat. 21 : 99. - - Vat. lat. 143 : 105. - - Vat. lat. '333 : 344. - - Vat. lat. 7664: 81. ~ V~t. lat. 10510-10511 : 69. Vlenne, Om 1179 : 416. - - IZZZ : 48. - - 2554 : 416.
14409 : 108, 109. 14443 : 110.
14783 :
- - - - - - Paris,
Worcester, Cath. F. 160 : 279.
ABBON de Fleury, 17· ABBON de Saint-Germain, 16. Abbotsbmy, j 82. ABELARD, 16, 106, 164 a 194~ 201, ZlI, 217, 247, 37 2, .ABRAHAM Bar Hyya, z59· Anu AHARON, 255-2 56 . ADALHARD de Tours, 62, 63' ADAM de Premontre, 313, 319. 32.2-3 2 5. ADAMNAN de lona, 153· Admont, 41, 4 2 • AELFRIC. 130-134, 137. 3° 20 • AELRED de Rievaulx, 575· AGOBARD de Lyon, 159, 246 • Aix-Ia-Cbapelle, 59, 61, 32 3. ALAIN de Fan.. 518,521. ALAIN de Lille, 196, 504, 518 , 521 , 534· ALBBRIC de Reims, 106. ALBERT Ie Grand, 203-219, 519. 52. 2, 57 2, 57 6 -577. ALCUIN, 49, 57-64.69 a 81, 148 a 157, 246, 389, 399.402 , 562 • ALDEGONDE de Mayence, 475·
Aldersbacb, 39· ALDHELM, 150. ALEXANDRE de Hales, 202, 203, Z19, 57 1• ALEXIS, 483-486, 494· ALFAsr, 241. ALFRED Ie Grand, 126-13°, 391. ALVAR de Cordoue, 16, 148 . A/verne, 569. AMALA1RE, 616. .AMANn d'Elnooe, 47Z. AMBROISE AUTPERT, 157, 562 • AMBROISE de Milan. 153. 173. 521 , 528 • 57 2 • Amiens,4z4. 503, 513. ANASTASE, 354· Ancdne, 613' ANDRE de Saint-Victor, 183-184, 196, 225· ANGELO"" de Luxeuil, '54- 55, 39j· ' Angers, 41, 5 I, 288. ANGILRAM de Metz, 60. ANSEGISE, 339-341• ANSELME du Bee, 145, 1650 170-172, 175, 187, 188. ANSELME de Laon, I05-Il4. 175-177, 186, 188, 19 2, 349, 35j·
ANSELME de Lucques, 345· ANTECHRIST, 586, 608, 610- 61 3' ANTOINE de Padoue, 524-527, 53 0 -53 1, 534· ANTONIN de Florence, 38 3. Armagh. 29. ARNAUD de Villeneuve, 612. ARNOUL GREBAN, 439· ARNOUL de Metz, 48 I. Arras, 1°4. ARUNDEL, 138. Assise, 46. ASTESANUS, 57 8 • AUGUSTIN de Cantorb6:y, 1z4· AUGUSTIN d'Hippone, 43, 139, 149, 150, 15 2 , 153, 159, 16 16 5, 16 7, 179, 18o, 188. 201, 262, 292, 306, 310, 382 , 3'7,320, 338, 344, 345, 353, 359, 360, 36 4, 380, 3 , 491,521,538,557,562,570-572,574,615, Augustins, 39.
Aurtil·en-LimoNsin,45· AURELIEN d'Arles, 308-311. Auxerre, lOS, 107. 177. 4 2 5. AVICEBROL, 241-243. A VICENNE, 244· Avignon, 12.1, 612.. BAHIYA IBN PAQUDA, 2.42, 259· Bale, 605' Baree/one, 21h 242, Z59, 612. BARDON de lvlayence, 4 6 4. BAR JACOB, 241, 242 • BARTHELEMY L'ANGLAIS, 4 22 . BATHILDE, 463, 47 1• BEATUs de Liebana, 157· BeOllf)(Jis, 441. BEnE Ie Venerable, 27. 50, 103. 12.4-125, 143, ]5 0 , 153Ij8, 160, 180, 387, 3950 43 6 , 49°· Bec-Hellouin, IOj, 169.172, 175· Beguins, 28, 499, 506, 58S, 608, 6Il-61 3· BEN HELBO, 25}. BENOiT d' Aoiane, 32 3. 1 BENOiT de Nursie, 57. 74, 141-142, 167, 261, 26 3, 27 , 306 , 308 , 314-324,456, 480, 518, 528, 543-55 0 , 552, 561, 566 . BENOiT Ie Levite, 339·
Index des noms propres
Le Moyen Age et la Bible BERENGAUD, 109. 157.
BERENGER
de Tours, 104. lOS, 168, 169.
BERNARD de Clairvaux, 50, 145. 167. 190, 199.209.210, 217. 220, 317. 322 , 324. 355. 379, 406, 407, 498, 500, 50 h 506 , 510, 520-5 21 , 52 3. 527-529. 534. ,63, 566 , 575-576, 6'7. BERNARD GUI, 60;, 6I1. BERNARD ITIER, 48. BERNARD du Mont-Cassin, ;06. BERNARD de Parme, 376. BERNARDIN
de Sienne, 5th
520, 522, 52;.
Bogorniles, 443-447. BoJogne, 199-201, 214. 347. 371, 377. BONAVENTURE, 17. 203.
206,
2II, 217. 220, 519, 522, 531,
569, 609. de Clermont, 467-468.
BONNET
de Bury, 34. Baarge.r, 424-426. de Suede, 20. BRUNO Ie Chartreux> 105. 172-175. BOSTON
ELIEZER BEN NATHAN, 249. EUEZER BEN SAMUEL, 257, 258, 259. ELIEZER Ie Grand, 257. ELOI de Noyon, 481. Erjllrl, 4',5'. Ermites de Saint-Augustin, 35-)6. ERMoLD Ie Noir, 15, 389, 390. ETIENNE de Bourbon, 602-605. ETIENNE de Grandmont, 30S, 3lI, 317, 567. 569. ETIENNE HARDING, 68, 73~74, 404. ETIENNE LANGTON, 85, 86, 90, lIO, I I 7, 194-196, 2.02, 2°3· ETIENNE de Tournai, 37S. EUCHER de Lyon. 152, 159. EUOES de Ch:lteauroux, 205, 520. EUGIPPE, 459, 474. EULALIE, 493. EVRARD de Frioul. 49.
BRIGITTE
Bllcy-le-Long, 600.
BURCHARD de Worms, 336, 344, 345, 353, 364, 366, )72, 377, 38 3, 57 0 • Bmy-Saint-Edmunds. 34. 71. CADoe, 482.
de Whitby, 125-12.6. Calonymides, 245-246, 256-259. Cantorbir,}. 37, 50, 71, 134, 321. CASSIODORE, 33, 34, 60, 63, 65, 149, 15 2,441, 557, Cathares, 446, 59', 592, 597-598. CATHERINE de Sienne, 456-457, 470-471, 475, 480, CEOLFRID, 60. CESAIRE d'Arles, 301, 308-3II, 323, 518. CHARLEMAGNE, 16, 57-65, I47~I5I, 158, 283, 341, 39 1, 399, 4 02 , 572, 61 5. CHARLES Ie Bon, 457-458, 46). CHARLES Ie Chauve, 2S, 64, 390, 391, 394, 395. CHARLES MAR TEL, 388. CHARLES V de France, 5 I. Chartres, 39, 96-97, 190, 199, 424-426, 441, 564. Chartreux, 308-318, 523, 543. Chelle!, 61, 278, 46), 471. CHRErIEN de Troyes, 436, 437. CHRISTIAN de Stavelot, 156, 157, 160. CHRODEGANG, 306-3 I I. Cisterciens, 21, 35,43-47,66,73, 74, 108, 307, 315, 327, 4 7, 499, 50 4-5 06, 521 , 54), 56), 575· ' Turin, 149, 153, I54~157, 159, 395. CLA~D.E de Clunlslens, 40,42, 50, 51, 143, 305, 319-321, 518, 574, 61 7. Cologne, 204, 600. CoLOMBAN de Luxeuil, 143, 307-309, 3Il, 466. CAEDMON
575. 552. 389,
322, 544,
Constance, 43. Corbie, 41, 59, 403. Cardone, 235, 2.42., 2.43. Cortone, 589. Coventry, 608. CUTHBERT, 29, 305. CYRILLE et METHODE, 27.
DAGOBERT, 387. DANTE, 436. DENYS (Pseudo-), 40, 185. DEUSDEDIT, 345. DIDIER de Vienne, 15. DOLCINO (Fra), 610, 61 I. Dominicains, 34, 37. 78, 92, II6-I22, 200-204, 215, 220221, 231, 317, 321, 377, 500, 505, 506, 522, 576, 586, 589, 60)-604, 6' 7. DONASH BEN LABRAT, 236. DROGON de Paris, 105. DUNSTAN de Cantorbery, 72, 130. DHUODA, 396. Durham. 40, 42, 45, 48, 50. EBBON,403· ECKHART, 224, 507, 517, 618. EGINHARD, 16, 17. 149. ELDRIC d' Auxerre, 144.
Faria, 32.0. Fica",p. 39, 46. FERREoL, 308-312, 323. FIACRE de Meaux, 263, 290-297.
Flagellants, 587-589. Fleury-fUr-Loire, 64, ))6. Florence, 613. FLORUS de Lyon, 148, 155-157, 393. FORTUNAT, 386-387. Foy d' Agen, 493. FRANCESCO da Camerino, 613' Franciscains, 40, 50, 137, 200, 202-201, 22.5. 228, 231, )08, )16-)19, )21, 392, 505, 515, 520, 569, 576, 586, 592, 609, 6Il, 612.. FRAN90IS d'AsSISE, 216, 226, 317, 455, 462. 466, 471, 476. 55), 568-569, 592,609, 611, 618. FRANCON de Liege, 72. Fraticelles, 608, 612.-613. FREDEGISE de Tours, 61-63. 159. FREoERIC II, 586. Fribonrg (Suisse), 6°5. FRUCTIJEUX, 323. FULBERT de Chartres, 16, 17. 518. Fuldo, 27, )), )24. Fiirstenjeld, 48.
GAUTIER d'Arras, 13. 513. GAUTIER de Ch:ltillon, 559. GAUTIER de Saint~Victor, 535. GAUTIER de Therouanne, 457, 461, 463GAUZLIN de Fleury, 16, 17. G:6LASE, 354, 429. Gc",blonx, 72. GEOFFROY d' Auxerre, 52 I. GEOFFROY BABION. 177. GEOFFROY de Bleneau, 2°3. GWFFllOY de La Chapelle, 29°-291. GERARD Ier de Cambrai, 104. GERAUD d'Aurillac, 461, 463. GERBERT d' Aurillac, 144GERHoeH de Reichersberg, 163, 355, 567. GERSHOM de Metz, 247, 257. GERTRUDE de Nivelles, 15. GILBERT de Hoyland, 52.1. GILBERT de La Porree, 8o, 85, II3, 187, 190-192, 194~ 201. GILBERT l'Universel, 107-108. GILDAS, 124, 387. GILLES de Lessines, 573. GILLES de Paris, 14. GIRARD d' Angers, 263, 288-29°' GIRARD de Roussillon, 472. GONTRAN. 387. Gorzc, 47. GOtTSCHALK d'Orbais, 16, 148, 159. GOZZECHIN de Liege, 144. GRATIEN, 53, 327-367, 37I~380. 531, 570, 571. GREGOIRE Ie Grand, 16, 33. 42, 50, 52, 103, 12.4, 142, 143, 148, 149. 154, 160, 173, 18o, 201, 210, 262, 267, 292, )01, 306, 320, ))), 344, )4), 35), )59, )88, 397, 417,456,492,499,505,510,521,55°,561-562,564.
GREGOIRE VII, 399, 458, 460, 461 , 47 2, 479, 545, 56 7,
6' 7.
GREGOIRE de Tours, 334, 386.387, 431, 43 2, 45 1• GREGOIRE d'Utrecht, 463. GRlMLAiC,3 06-3 18. GUERRIC d'Igoy, 52.4-527' GUERRlC de Saint-Quentin, 202, 203, 213. GUIARD de Cressonessart, 610, 611. GUXARD de Laon, 5°4. GUIART de Moulins, 414. GUIBERT de Tournai, 52.3· GUIDO DE BAYSIO, 377. GUIDO TERRENI, 38o, 381. GUILLAUME d' Altona, 204. GUILLAUME d' Auvergne, 2.02, 214· GUILLAUME d' Auxerre, 202, 572, 57 8 . GUILLAUME de Champeaux, 106, 178. GUILLAUME de Conches, 96, 97· GUILLAUME FIRMAT, 320. GUILLAUME d'HIRSAU, 168, 170. GUILLAUME de LA MARE, 19, 214. GUILLAUME de Meliton, 204. GUILLAUME d'Ockham, 2.26, 2.27, 379, 380 . GUILLAUME PERAULT, 520, 563. GUILLAUME de Saint-Cariler, 70. GUILLAUME de Saint-Thierry, 505, 575, 584. HAIMON d'Auxerre, 103, 144. 155-157, 173, 175, 19 2, 498, 5°5· HANANEL, 2.41, 248, 249, 255· lliLGAUD de Fleury, 17. HENRI II Plantagenet, 484, 559· HENRI IV, 399, 458-468. HENRI, fils de Louis VI, 108. HENRI de Hesse, 225. HENRI de Kirkstede, 42. HENRI de Lausanne, 600. HERVB du Bourg-Dieu, 170. HILDEMAR, 320, 321. HINCMAR de Reims, 151, 367, 392-397,492,562,582. HONORIDS AUGUSTODUNENSIS, 186,435.52°,533' HUGUES Ie Chartreux, 52. HUGUES de Croydon, II9. HUGUES de Lincoln, 71. HUGUES de Saint-Amand, 49. BUGUES de Saint-Cher, 19, 20, II6, 202-203, 225, 377, 522. HUGUES de Saint-Victor, 14-20, 34, 42, 96, 178-187, 19 2, 194, 202, 220, 349, 355, 56 3. HUMBERT de Romans, 39, 505, 535, 57 6 . Humilies, 584, 592. Hus, Hussites, 228, 379, 606-60S. IBN EZRA, 237-239, 242-243. IBN SARUQ, 249, 250. INNOCENT Ier, 354. INNOCENT III, 28, 377-)79,434, 564, 583, 586 , 59 , 59 2, ' 6°4· INNOCENT IV, 573. lona, 123. ISAAC l' A veugIe, 260. IsIDORE de Seville, 13, 20, 53, 64, 68, 96, 152-158, 180, 306, )44, )59, )74, 37), )86, 452, 460, 562 . IsIDORE MERCATOR, 342, 366. Issenhtim, 591. JACQUES de LA MARCHE, 520, 531-534· JACQUES de Lausanne, 225. JACQUES de Vitry, 472,502,520, 523, ,63_ JACQUES de Voragine, 432, 435, 472, 520. JEA.'I xxn, 379-)82, 569, 611, 6'3. JEAN d'Abbeville, 202. JEAN BELETH, 15. JEAN CALDERINl, 378. JEAN CASSIEN, 316, 561. JEAN de Cirey, )5. JEAN de Darlington, "9· JEAN de Fecamp, 262. JEAN de Ford, 5". jE.-\N de Fribourg, 383.
JEAN de Galles, 204, 52 2 . JEAN de Garlande, 18. JEAN de Gorze, 262. JEAN de Jean, 178. JEAN de La Rochelle, 202, 203· JEAN de NeuiJIy-Saint-Front, 49· JEAN QUXDORT, 228. JEAN de Reome, 462, 466. JEAN de Rupescissa, 612, 613_ JEA.'I de Salisbury, 56), 572, 576 . JEAN de San Giminiano, ,20, 523. JEAN SCOT ERlGENE, 20, 149, 156, 159- 161 , 173, 175, 562 . JEAN de Segovie, )79. JEAN Ie Teutonique, 376, 382 . JEAN de Turrecremata, 380-382. JEHUDA BEN HAYYUJ, 236. ]EHUDAD BEN BALAAM, 237. JEHUDAD BEN BARZILLAi, 242, 259· JEROME, 15.42,47,48,64,68,75,86, IIO, 12 7, 139, 149, 151, 153, 159, 179" 201, 209, 306 , ;;8, 344, 345, 353, 359, 364, 376, 478, 494-49), 570 , 57 2, 577· JESSELIN de Cassagnes. 37 8, 379· JOACHIM de Flore, 586, 608-61 3. JONAH IBN JANAH, 236. JONAS de Bobbio, 462, 466, 4 80 . JONAS d'Orieans, )00, 39)-394, 562 . JOSEPH BEKHOR SHOR, 254-255. JOSEPH KARA, 249, 2. 53· JULIEN POMBRE, 306, 359· JULIEN de Tolede, 154, 158. JUNILIUS, 152. Kerrutes, 238. KIMHI, 239, 244· Klotlerneuburg, 50, 51. Kre",fmiinster, 41. LAMBERT d' Ardres, 16. LAMBERT Ie Begue, 591. LANFRANC~ 72, 73, 105. 145, 169, 56 3LANGLAND, 136, 566. Lonthony, 5o. Laon, 43, 47, 61, 104-107, 175-177, 188- 199. Lalran III, 572, 599. Latran IV, 89, II2, 193, 519, 572, 586 . Laudesi (Mouvement des -), 591. LEGER d'AutUfl, 451, 458, 4 61 , 493· LEoN Ie Grand, )54, no. LEoPOLD III d' Autriche, 5o. Libre-Esprit, 593, 59 8. Limoges, 48, 492. ubbes, 45. Lollards, '37-1)8, 140, 606-608. LoRENZO VALLA, 229. LoUIS Ie Pieux, )5, 339, )89, )93-)9 6 . LOUIS IX, 3), 83, 88, 89, 455· Loup de Ferrieres, 16, 390. Louva;n, 38. LUCIUS ill, 599-600. Lucques, 34, 24), 255, 25 6. LUTHER, 51, II3, 379· Lyon, 441, 519. 59 8. MAlEUL de Cluny, 14, 50, 32 1. MAiMONIDE, 242-245. MajorqRl,612. Marchiennu, 319. MARSILE de Padoue, 380. MARTIN de Tours, 323, 452, 470, 471. MARTIN SCOT, 149. MAURDRAMNE de Cotbie, 59, 15 I. MAURICE de Sully, 496, 498,501, 504, 505, 50S-~09, 5 II , 5'9, 52 9-53 0 , 533· Mayence, 2.47, 248, 49 2 . Meaux, 295, 572. MELITON (pseudo-), 152, 4 22 . MENAHEM BEN HELBO, 248~249, 25 3· MEl"fAHEM BEN SARUQ, 236. Meh:., 28, 60, 403, 584, 59', 604· MICHEL de CEsENE, 380.
Le Moyen Age et la Bible i\1.ilan, 34,
50~ 149. 584.
MILON CRISPIN, 72,
Index des noms propres PrOm, 49. PuRVEY, John, 137, 139. Pu, (Le), 35.
73.
MoisE JIKATILLA, 2;6.
MniUdf, ,65.
Taborites, 608.
Moldallie. 444.
RABAN MAUR, 17, 80, 85, III, 147. 149, 152, 154-157,
Mondsee, 48. Mont-Couin, 68, 55 0, Morigny, 14. M"rl,18.
246, 300, 562 .
NAHMANIDE, 2.60.
i'larbonne, 239. 240, 249. NATHAN de Rome, 248, 250. NATRONAi BEN ZABINA1, 235.
Nide II, 354. NICOLAS Ier, 354. NICOLAS ill, 382. NICOLAS V, 39. 229. NICOLAS de Gorran, 204. 52;. NICOLAS de Lyre, 19, 37. 43. 103. 139. 146, 225. 418. NICOLAS MAN]ACORIA, 74. NICOLAS de Tournai, 205.
2.25. de Premontre,
NICOLAS TREVET, NORBERT
322, 500.
NOTKER de Saint-Gall, 15;. 154. 392.
Odenheim, 45. GorwN de Cluny, 398, 519. 617. QnoN de Cluny, 314,461,463, 519, 562. OLIVIER MAILLARD, 515, 520. OLPERT
de Gembloux,
Orleans, 64.
72.
252,
ORM, moine, 134-135.
OTLOH de Ratisbonne, 50, 143. 144, 168. OrrON I, 390, 398.
III, 391. OTTON de Freising, 15, 18. OUEN, 455, 480•
OTTON
Oxford, 92, 137-139, 199-203, 205, 214. 215, 219, 228, 606.
PadDlIt, 39, 46, 199, 441, 593. Pa/erme, 37, 38. Paris, 76-93, 96, 100, 104-113, 116-122, 178, 192, 19419 6, 199-205, 221, 229, 252, 297, 321, 371, 372, 377, 380, 441, 502 , 506, 523, 534, 558, 57 2, 576, 590. PASCHASE RADBERT, 16, 18, 148, 149, 155-156, 159. 246,
39 2 • PAUL, diacre, 58. PAUL et ETIENNE, 310, 311.
Pavie, 40, 572. Penitents, 584 et s.
PEPIN III, 388. PEPIN d'Aquitaine, 393.
Pirollse, 587, 589. PHILIPPE Ie Chancelier, 85. 202, 214, 522. PHILIPPE de Harvengt, 17, 145. 32.2, 576. PIERRE d' Ailly, 225. PIERRE l'Archidiacre, 158. PIERRE AURIOLE, 225. 228. PIERRE de Bruys, 600. PIERRE de Capoue, 196. PIERRE de Celle, 109. PIERRE Ie Chantre, 15, 17, 85,110,194-196,379,522,563. PIERRE DAMIEN, 72, 144, 168, 316, 324, 560, 563, 567. PIERRE de JEAN OLIVI, 228. PIERRE LOMBARD, 37, 43, 81, 109, 110, 135. 136, 187,
19 2- 194, 201, 21I, 217, 219, 222, 226, 372, 373. PIERRE Ie Mangeur, 18, I07-IIO, 135, 195-196, 201,355,
37 2 , 5 12 • de La Palud, 225. de Pise, 148. de Poitiers, 196. RIGA, 14, 18. de Tarentaise, 204. Ie Venerable, 262, 305, 322, 519. Ponligny, 41. Premontres, 316, 317, 322, 323, 583. PREVOSTIN de Cremone, 196. PRUDENCE de Troyes, 154, 155. Prii/ening, 36, 42, 45. PIERRE PIERRE PIERRE PIERRE PIERRE PIERRE
SULPICE de Bourges. 474. SULPICE SEvERE, 452, 470, 487.
R.ADEGONDE, 463, 471. RANuLPHE d'Homblieres, 501. RAOUL ARDENT, 520. RAOUL GLABER, 14. RAOUL de Laon, 106, 107, 172, 176. RAsHI, 182, 225, 248-253. Rotisbonne, 33, 36, 37, 321. R.ATR.AM:NE de Corbie, 159. RAYMOND de Capoue, 456-457, 470. RAYMOND de Peii.afort, 383.
Reading, 35. REGINON de Prom, 336, 344. Reichman, 33, 4 1 , 47.
Reims, 70, 104, 105, 174, 199. 279, 339, 392, 403. REMI d'Auxerre, 154-156, 192. RICHARD FISHACRE, 2°5. RICHARD de Fournival, 41. RICHARD ROLLE, 136, 139, 618. RICHARD de Saint-Victor, 14, 184-185, 355, 530, 533 RICHARD de Stavensby, 1I8, 120. RICHER de Reims, 18. Rievanix, 41.
ROBERT de Boron, 437-438. GROSSETESTE, 139, 205, 219. HOLCOT, 139. 225. de Leece, 520, 523. de Melun, 17, 18, 187. de Sorbon, 222, 223. Rochesler, 70. ROGER BACON, 76-78, 81, 90, 93, 184,2°5,2.18-221,225. ROLAND de Cremone, 202, 214. Rome, 33, 51, 1497 239, 2.45, 248, 333, 367, 372, 403, 537 et s., 551, 559, 568, 576, 587. ROSCELIN, 168. Rolltn, 5 I, 590. RUPERT de Deutz, 16, 163, 355, 56" 565. 575. RUSTICULE, 461, 475, 482. ROBERT ROBERT ROBERT ROBERT ROBERT
SAADIYAH, 235 et s.
Saint-Amand-les-Eaux, 45. 494. Sant' Appiano in Valdelsa, 582. Sainl-Benigne de Dijon, 410, 412. Saint-Berlin, 41. Saint-Denis, 40, 149, 403. Saint-Evre-Ies-Toul, 39. Saint-Gall, 3), 40, 42. Sainl-Gilles-du-Gard, 571. Saint-Midard de Soissons, 40,. Saint-Paul-hors-Ies-Murs, 403. Saint-Pon.r de Tomieres, 42. Sainl-Riqukr, 35. 41, 45. SainI-Thierry, 410. Sain/-Vatul d'Arras, 33,41,69,7°. SainI-Victor de Paris, 108, 109, 152. 178-186, 201, 219, 252, 507. 522• Sainl-Wandrille, 14. SALIMBENE, 20, 587.
Salt,bourg, 45. SAMUEL BEN MEiR, 253. 254-255. SAVONAROLE, 618.
S,hajjhoUfC,45· SEDULIUS SCOTTUS, 149. 156-157.
Sens, 14, 406, 425, 426, 441. Servites de Marie, 585. SEVERIN de Norique, 459, 470, 474.
Sienne, 35, 36, 40, 589. SILVESTRE Ier, 602. SMARAGDE de Saint-Mihiel, 148, 154, 160, 396. Sorbonne, 43-45. 51, 89, 120, 222-224, ,80. SOUVIGNY, 404-407.
Spire, 256. Stave/ol, 50. Strasbollrg, 588. SUGER, 40. 567.
Tamant (Regie de), 3°8-312. Tegernsee, 34. Templiers, 307, 308, 3 II, 312. THEoDEMAR du Mont-Cassin, 550. THEoDEMIR de Psalmodi, 155, 159. THEoDULF d'Orleans, 62-80, 148, 151, 61 5. THOMAS AGNI de Lentini, 522. THOMAS d'AQuL'l, 1I3, 139, 146, 204-221, 377, 380, 52 3,
55 2, 56 3-5 64, 57 1 , 573, 578. THOMAS BECKET, 457, 458, 483-485, 576. THOMAS de Celano, 455, 462, 466, 471, 476, 568. THOMAS GALLUS, 185, 196, 197. 202. THOMAS MORE, 138, 140. THOMAS W ALEYS, 534. To/ide, 237, 354, 386. Tonnerre, 50. TOU/Ollse, 28, 200, 249, 603, 605. To~rs, 59, 60- 6 5, 10 4, 105, 334,4°3,441,491-493,519. Trtbur, 354. Troye.r, 249, 252, 253. TYCHONIUS, 160, 180. URBAIN II, 354. URBAIN In, 572. URBAIN IV, 204.
VAAST,475·
VALDEs, III, 568, 571, 591, 598 a 606. Valence, 491, 612. Vaudois, 598-606. VENTURINO de Bergame, 588. Vienne, 519. VINCENT de Beauvais, 34, 432, 435, 441. VINCENT FERRIER, 515. VIVIEN de Tours, 63, 515. WALAFRID STRABON, 154-156, 391. WAMlJA, 386. W ANDRILLE, 33. 472, 473. Wearmollth-jarrow, 60. WERNER de Kussenberg, 563. WICBOD de Treves, 158. WILFRID d'York, 465-466. Winchester, 70, 71. Worms, 246, 248, 249, 256, 257 WULFILA, 28. Wurtzbourg, 34, 539, 541. WYCLIF. 137-140,228,379,553,606 et s. YORK, 61. 124. YVES de Chartres. 16, 18, 345-364, 372, 570. YVES de Treguier, 20. ZACHARIE de BesanlSon. 324.