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eten déterminantle champ des corrections,l2toù la liberté est limitéeparla nature m ême du langage,c'est-à-dire au niveau
Flaubertest im médiatementidentifiable,non pointpar son <
sedonnetoujourscomme un objetséparé,tini,l'onpourrait presquediretransportable,bienqu'ellenerejoignejamaisle m odèle aphoristique,carsonunité ne tientpash.laclôturedeson
contenu,maisauprojetévidentquil'afonddecommeunobjet: laphrasede Flaubertestunechose. On l'avu h.proposdescorrectionsdeFlaubert,cettechosea une histoire,et cette histoire,venue de la structure même du langage,estinsclitedanstoutephrasedeFlaubert.Ledramede
Flaubert(sesconfidences autolisentà.employerun motaussi romanesque)devantlaphrasepeuts'énoncerainsi:laphraseest unobjet,enelleunefinitudefascine,analogueh.cellequirègle
dessubstitutionsetdesellipses),etcesystèmerendaitlaliberté légère à.l'écrivain, en limitant ses choix. Ce code rhétorique- ou second code,puisqu'iltransform e 1es libertés de la langue en contraintes de l'expression - estm oribond au milieu duxlxesiècle;larhétoriqueseretireetlaisseenquelquesorteà.
nul'unitélinguistefondamentale,laphrase.Cenouvelobjet,où s'investitdésormais sans relaisla liberté de l'écrivain,Flaubert ledécouvreavecangoisse.U npeu plustard,un écrivain viendra,quifera de la phrase le lieu d'une dém onstration à.la fois poétiqueetlinguistique :Un coup deJgu çestexplicitementfondé surl'infinie possibilitédel'expansion phrastique,dontla liberté, si lourde à.Flaubel't, devient pour M allarm é le sens même - vi de- du livre à venir.Dès lors,le frère etle guide de l'écrivain ne sera plus le rhéteur,mais le linguiste,celuiquimetau
la m aturation métrique du vers,m ais en m ême temps,par le m écanisme m ême del'expansion,toutephrase estinsaturable, on ne dispose d'aucune raison structurelle de l'anftericiplutôt
jour,nonpluslesfiguresdudiscours,maislescatégoriesfonda-
quelà.Travaillonst)hnirlaphrase(àlafaçond'un vers),dit
m entalesde la langue1.
implicitementFlaubertà.chaque m omentde son labeur,de sa vie,cependant que contradictoirem entilestobligé de s'écrier
sanscesse(commeillenoteen 1853):(I W n'estjamaishni1.La phrase tlaubertienne estla trace m êm e de cette contradiction, vécuph.vifparl'écrivain toutau long desheuresinnombrables pendant lesquelles il s'estenfermé avec elle :elle estcomm e l'arrêtgratuitd'une liberté infinie,en elle s'inscritune sorte de contradiction m étaphysique :parcequelaphraseestlibre,l'écrivain estcondamné non à.chercher la m eilleure phrase,m ais à. assum ertoute phrase :aucun dieu,fût-ce celuide l'al 4,ne peut lafonderh.saplace.
1.
1967
Partpf' fcommenccr?
141
pertinence(cclledusens)etdedéviderce51:ainsiseconstruisitun système de la langue.De la m ême façon,quoique au niveau second du discours.le textedéroule descodesmultiples etsimultanés,donton ne voitpas d'abord la systématique,ou m ieux encore: qu'on ne peut tout de sujte nommer. Tout concourten effet2tinnocenterl()sstructuresque l'on recherche, 2t1es absenter:le dévidem ent du discours, la naturalité des phrases,l'égalité apparente du signifiantetdel'insignitiant,les
Par t?;ècom m encer. ?
préjugés scolaires (ceux du 44planp,du 44personnageh>,du Je suppose qu'un étudiant xeuille entreprendre 1'analyse structurale d'une œuvre littéraire.Je suppose cetétudiantassez informé pourne pas s'étonnerdesdivergencesd'approche que l'on réunitparfois indûment sous le nom de stnlcturalisme; assez sage poursavoirqu'en analyse structurale iln'existe pas dem éthodecanonique,comparable2tcelledelasociologieou de la philologie,telle qu'en l'appliquant autom atiquement à un texte on en fasse surgir la structure; assez courageux pour prévoiret supporter lt zs erreurs,1es pannes,1es déceptions,les .
découragemcnts (qt r fquoibon?z >) que ne manquera pas de susciterle voyage analytique;assez librepouroserexploiterce qu'ilpeuty avoiren luidesensibilitéstructurale,d'intuition des sens m ultiples;assez dialectique enfin pour bien se persuader qu'ilne s'agit pas d'obtenir une <<exptieation p du texte,tm
<
son apparencepratiqueetcommegestuelle(ils'agitdupremier gestequel'onaccompliraenprésencedutexte),onpeutdireque cette difticulté est celle-là mêm e qui a fondé . la linguistique m oderne:d'abord suffoqué parl'hétéroclitedu langagehumain, Saussure,pourmettre t5n 2tcette oppression quiesten som me celle du commencementim possible,décidadeehoisirun til,une
<<stylep),lasimultanéitédessens,ladisparitionetlarésurgence capricieusesde certainstslonsthém atiques.Face au phénom ène
textuel,ressenticornmeunerichesseetunenature(deuxbonnes raisonspourlesacraliser),commentrepérer,tirerlepremiertil, comment détacher les prem iers codes? On veut abordericiceproblème detravail,en proposantlaprem ière analyse d'un roman de JulesVerne,L'lle mystérieuse1. Un linguisteécritz:44Danschaqueprocessusd'élaboratlon de l'inform ationon peutdégagerun certain ensembleA designaux initiaux etun certainensem ble B designaux t' inaux obsenfs.La tâched'une description scientitique,c'estd'expliquercomm ent s'effectue le passage de A à.B etquellessontles liaisonsentre
cesdeux ensembles (sileschaînonsintermédiaires sonttrop complexcs et échappent zt l'observation, en cybernétique, on
parledeboîte noire).p Face au roman commesystème 44marchant$$ d'informations,la form ulation de Revzin peutinspirer une première démarche : établir d'abord 1es deux ensembles linzites,initialetterminal,puisexplorerparquellesvoies,à.travers quelles transformations,quelles m obilisations,le second
rejointlepremierou s'endifférencie:ilfauten sommedéfinir le passage d'un équilibre 2tun autre,traverserla rfboîte noire>>.
La notion d'ensemble initial (ou final) n'estcependant pas simple ;tous 1esrécits n'ontpasla belle ordonnance,éminemmentdidactique,du rom an balzacien,qui s'ouvre sur un dis1.Collection <
!
142 Nouveaux essais critiques cours statique,longtem pssynchroniqtle,vaste concours im mo-
Part?# comm encer?
bilededonnéesinitialesquc1501 1appelleuntableau (1etableau
lyse,en dévoilantdeux codes:l'un,statique,seréfère à,lasituation adam ique descolons,exem plaire dans le tableau initialet
estuneidéerhétoriquequim ériteraitd'êtreétudiée,en ceciqu'il
estundéfiàlamarchvdulangage);dansbiendescas,lelecteur
estjetéin mediasraî;l:sélémentsdutableau sontdispersésle long d'une diégèse quicom lnence au premiermot.C'estle cas deL'Ile ?ztèl çrt rl-ïp/ gh' ::le discours prend l'histoire de plein fouet
(ils'agitd'ailleursd'unetempête).Pourarrêterletableau initial,iln'y adèslorsqu'un m oyen:s'aiderdialectiquementdu
tableau final (ou réciproquementselon 1es cas).L' lle mystérieuse se term ine surdetlx vucs;la première représente les six colons rassemblés sur un rochernu,ils vontm ourir de dénuement,sile yachtde lord Glenarvan ne lessauve :la secondem et cesm êm escolons,sauvés,surun territoire florissant,qu'ilsont
colonisédansl'étatd'lowa;cesdcuxvuesfinalessontévidemm entdans un rapportparadignlatique:la florescence s'oppose au dépélissement,la richesse au dénuement)ceparadigme t' inal
doitavoirun corrélatinitial,ou,s'ilnel'apas(ou s'ill'apartiellement),c'estqu'ily auraeu perte,dilutionou transformation dansla
revanche,le dénuementt' inal(surle rocher)renvoie symétriquem entaupremierdéntlem entdescolons,lorsque,tombésdu
ballon,ilssonttousrassembléssurl'îlequ'àpartirderien (un collierde chien,un grain deblé)i1svontcoloniser)letableau initial,par cette symétrie,estdès lors fondé :c'estl'ensemble desdonnéesrassem bléesdanslespremierschapitresde l'œuvre,
jusqu'aumomentoù,CyrusSmithétantretrouvé,lepersonnel
143
quiffouvre>h(àlafaçond'unepremièreclef)leprocèsdel'anadansletableaufinal;l'autre,dynamique(cequin'empêchepas sestraitsd'êtresémantiques),seréfèreautravailheuristiquepar lequelcesmêmescolonsvont<
Cepremiertrieffectué,ilestfacile(sinonrapide)dedégrossirpeu h.peu chacun des deux codes qu'ila mis au jour.Le code adamique (ou plutôtle champ thématiquedu dénuement originel,carce champ réunitlui-même plusieurscodes)comprend destermesmolphologiquem entvariés:term esd'action, indices,sèmes,constats,commentaires.Voiciparexemple deux stquencesd'actionsquiy sontrattachées.Lapremièreestcelle quiinaugure le roman :la descente du ballon,cette descente est faite,sil'on peutdire,de deux fils:un filactionnel,de modèle physique,quiégrène lesétapesde l'affaissementprogressifde
l'aéronef(lestermesen sontfacilementrepérables,numérables etstructurables),etun :144symbolique>>,o?. ls'alignenttous 1estraitsquimarquent(entendonscemotau senslinguistique) le dépouillement,ou plutôtla spoliation volontaire des colons, au terme de laquelle,abandonnés sur l'île,ils se retrouveront sans bagages, sans outils, sans biens: le débarras de l'or
(l0000francs jetés par-dessus la nacelle pour tenter de la remonter)està,cetitrehautementsymbolique(d'autantquecet orestl'orennemi,celuidesSudistes);demêmepourl'ouragan, origine du naufrage,dontle caractère exceptionnel,cataclysmique,opère symboliquem entl'arrachem entloin detoutesocia-
lité(danslemytherobinsonien,latempêteinitialen'estpasseu-
colonisateurestau com plet,affronté d'une façon pure,comme
lementunélémentlogiquequiexpliquelaperditiondunaufragé, m aisaussiunélémentsymboliquequifigureledépouillement
algébrique,àlacarencetotaledesoutils(<
révolutionnaire,lamuedel'hommesocialen hommeoliginel).
ainsi se term ine, avec le chapitre vIII, le tableau initial du
roman).Le système informatifs'établiten somme comme un paradigme répété (cléntlctnent/c' tlloniu %ation),mais cette répétition estboiteuse: les deux dénuem ents sontdes <
Uneautre séquence quidoitêtrerattachéeau thème adamique est celle de la première exploration par laquelle les colons
s'assurentsilaten' eoùilsviennentd'êtrejetésestuneî1eouun continent;cette séquence estconstruite comm euneénigmeetle couronnementen estd'ailleurs fortpc/tique puisque seule la
144 Nouveaux c. sq s w & critiques lumière de la lune fait enfin apparaître la vérité ;l'instance du discours comm ande évidemm entque cette terre soitune î1e et que cette î1e soitdéserte,car ilfaut,pourla suite du discours, que la m atière soitdonnée 2tl'homme sans l'outil,m ais aussi
sansla résistance desautreshommes:l'homme (s'ilestautre quelecolon)estdoncl'ennemi,ztlafoisdesnaufragésetdudiscours' ,Robinson et1es naufragés de Jules Verne ontla m ême peur desautreshomm es,des intrus quiviendraientdéranger le filé de la démonstration.la pureté du discours:rien d'humain
(sinond'intérieurau groupe)nedoitternirlaconquêtebrillante de l'Outil(A' llemystérieuse estlecontraire nlêmed'unroman d'anticipation;c'estunroman del'extrêmepassé,despremières
productionsdel'outil). Fontégalementpartie du thèm e adamique toutes1esm arques de la Nature gratifiante:c'estce qut)l'on pourrait appeler le
code édénique (Adatn/fklen:curieuse homologie phonétique). L, e don édéniqueprend troisformes:d'abord lanature mêm ede l'îleestparfaite,bbfertile,agréable danssesaspects,variée dans
sesproductionsp(1,48);ensuiteellefournittoujourslamatière nécessaire (' tpt pïnr nommé: veut-on pêcher des oiseaux à.la
ligne?11ya,juste/:,(ict9//,deslianespourlaligne,desdpines pourl'ham eçon,desverspourl'appâ 't' ,enfin,lorsque lescolons travaillentcettenature,ilsn'en ressententatlcune fatigue,ou du m oins cette fatigue estexpédiée par le discours:c'est la troisièm eforme du don édénique :lediscours,tout-puissant,s'identit 'ie2tla Nature comblante,ilfacilite.euphorise,réduitletemps, la fatigue,la difficulté;l'abattage d'un arbre énorm e,entrepris
presquesansoutils,estr
Robinson Crrfs' (?/letravailestnon seulementépuisant(un mot suffiraitalorsh.ledire)maisencoredétinidanssapeineparle décompte alourdidesjoursetdes semaines nécessaires pour accomplir(seul)lamoindretransformation :combiendetemps, de mouvementspourdéplacer seul,un peu chaquejour,une lourde pirogue! le discours a ici pour fonction de donner le
Par6,1ècommencer?
145
travail au ralenti,de lui rcstituer sa valeur-temps (qui est son aliénation mêmc)' ,etd'autre part,on voitbien la toutepuissance,2tla fois diégétiqtle etidéologique,de l'instance du discours:l'euphémisme vernicn permetau discours d'avancer rapidement,dansl'appropriation de la nature,de problème en problèm eetnon depeine en peine;iltranscrit2tla foisuneprom otion du savoiretune censuredutravail:c'estvraimentl'idio-
lecte de 1'4ringénieurk $ (qu'estCyrus Smith),du technocrate, m aître de la science, chantre du travail transformateur au m om entm ême où,le confiant2td'autres,ill'escamote;le discours vernien,parsesellipses,sessurvolseuphoriques,renvoie le temps,la peine,en un l' notle labear,au néantde l'innom mé: le travailfuit,s'écoule,se perd dansles intersticesdela phrase. Autresous-codedu thèm eadam ique:celuidelacolonisatien
Ce motestnaturellementambigu (colonie ?Jt ?vacances,d'insectes,pt hlitentiaire,colonialistne);icimêmelesnaufragéssont descolons,m aisilsne colonisentqu'une île déserte,unenature vierge :toute instance sociale estpudiquem enteffacée de cette épure où il s'agit de transform er la ten'e sans la médiation d'aucun esclavage :cultivateurs,mais non colonisateurs.Dans l'inventaire descodcs,on aura cependantintérêt2tnoterque le rapportinter-humain,pourdiscretetconventionnelqu'ilsoit,se place dansune problém atique coloniale,mé.me lointaine;entre
lescolons,letravail(mêmes'ilsmettenttouslamainà.lapâte) esthiérarchiquementdivisé (le chefetle technocrate:Cyrus; le chasseur: Spilett; l'héritier: Herbert;l'ouvrier spécialisé: Pencroff;le servitcur:Nab ) le bagnard relégué à.la coloni-
sation brute,celle destroupeaux:Ayrton))de plus,le nègre, N ab,estune essenee esclave,non en cequ'ilestt <m altraitép ou
même (4distancé$$(bien aucontraire:l'œuvreesthurflanitaire, égalitaire),nimêmeencequesontravailestsubalterne,maisen ce que sa t
8 ,
146 Nouveaux essaiscritiques chassant 1es naufragés, détermine et reporte plus loin une
Part/? kcommencer? .
nouvelle colonisation,magiquementépurée (par1esvertusdu discours)detoutealiénation (onnoteraà.cesujetquel'aventure
substitue 2tla pierre, substance ancestrale qui se (4cueille$$ h.
deRobinson Crusoé a aussipourorigine un problèm e colonial, un trafic d'esclavesnoirs dontRobinson doits'enrichiren les transplantantd'Afrique danslessucreriesdu Brésil:le mythede l'île déserte prend appuisur un problème très vif:com ment
cultiversansesclaves?);etlorsquelescolons,ayantperduleur île, fondent en Am tkique une nouvelle colonie, c'est dans l'lowa, territoire de l'Ouest dont 1es habitants naturels, les Sioux,sontaussim agiquem ent:4absentés$$quetoutindigènede 1'Ile mystérieuse.
147
le fer (substance vulcanique,ignée,que Eiffel,notamment, fleurdeterre)etleferparachève lapercée de laterre,permettantd'édifier1es instrumentsde communication (ponts,rails, gares,viaducs). La symbolique (plutonicnne) s'articule surun thème techniqueceluide l'outil.L'outil,néd'une pcnsée démultiplicatrice
(2tl'égaldu langage etdel'échangematrimonial,commel'ont faitremarquerLévi-straussetJakobson),estlui-même essentiellement un agent de démultiplication: la nature (ou la Providence)donne le grain ou l'allumette (retrouvés dans la pochedel'enfant),lescolonslesdémultiplient;1esexemplesde
Lesecondcodequ'ilfaut(pourcommencer)dévider,estcelui dudéfrichement-déchiffl'ement(profitonsdelamétathèse);ony rattachera touslestraits(nombreux)quimarquentà.lafoisune effraction etun dévoilementdela nature (de façon 2tla faire rendre,à.ladoterd'une rentabilité).Ce code comprend deux
cette démultiplication sont nombreux dans L'Ile lnystérieuse: l'outilproduitl'outil,selon un pouvoirquiestceluidu nombre' , le nombre dém ultiplicateur,dontCyrusdém onte soigneusement
sous-codes.Le premierim pliqueune transformation delanature pardes moyens,sil'on peutdire,naturels:le savoir,le travail, le caractère ;ils'agiticide découvrir la nature,de trouver les voiesquiconduisentà son exploitation :d'où le code t
est précisément appelé une raison : com ptabilité et ratio se
lurique (vive parcequ'ambivalente):laprofondeurde latet' re està.lafoisun abriquise conquiel' t(Granite-l-louse,lacrique soutenuineduNautilus)etlereceld'uneénergiedestructrice(le
volcan).Onajustementsuggéré (Jean Pommier2tprom sdu xvllesiècle)d'étudierlesmétaphoresd'époque;nuldoutequele plutonisme vernien soit 1ié aux tâches techniques du siècle industliel:effraction généralisée de la ten' e,du tellus,par la dynam ite,pourl'exploitation desm ines,l'ouverture desroutes, desvoiesferrées,l'assise desponts:laterre s'ouvre pourlivrer
la vertu génératrice,estztla foisune magie (rr11y a /tpa-/tpnrw
moyendetoutfairep z,1,43),uneraison(1enombrecombinatoire confondent, étymologiquement et idéologiquement) et un contre-hasard (grâceà.cenombre on nerepartpas2tzéro après chaque coup,chaque feu ou chaque moisson,com me dans le
jeu).Lecodedel'outils'articule2tsontoursurunthèmeztlafois technique (la transmutation de la matière),magique (1a métamorphose)etlinguistique(lagénérationdessignes),quiestcelui de la transformation.Quoique toujours scientifiqtle,justifiée selon lestermesducodescolaire(physique,chimie,botanique, leçondechoses),celle-ciesttoujoursconstruitecommeunesurpriseetsouventcommeuneénigme(provisoire):enquoipeuton bien transformerlesphoques? Réponse (retardée selon les loisdu suspense):2tfaireun souffletdeforgeetdesbougies' ,le discours(etpas seulementlascience,quin'est12tquepourle cautionner)exige,d'unepart,quelesdeux termesde l'opération,lamatièreoriginelleetl'objetproduit,1esalguesetlanitroglycérine,soientaussidistantsque possible et,d'autre part,que
selonleprincipemêmedubricolage,toutobjetnatureloudonné soittiré de son qêtre-làh>etdérivé vers une destination inattendue:latoile du ballon,multi-fonctionnelle dansla mesure où
!
148
Nouveaux essaiscritiques
elleestunrebut(dunaufrage),setransformeenlingeetenailes de moulin.On devine combien ce code,quiestmise enjeu
Part pr ' iconlmencer?
149
1esdeuxcasl'îleestl'objetd'undévoilement:commenature,il
combiner des élé.ments (mots,matériaux) pour produire des
faut lui arracher sa richesse,comm e habitatde Nemo,il faut déchiffrerson hôte providentiel;toute l'œuvreestconstnlitesur un proverbe banal: aide-toi, travaille seul zt domestiquer la matière,le ciel t' aidera,Nemo,ayantreconnu ton excellence humaine, agira envers toi com me un dieu. Ces deux codes
systèmesnouveaux(phrases,objets)ettousdeuxpuisentpour
convergentsmobilisentdt zuxsymboliquesdifférentes(quoique
celadansdescodestrè .ssûrs(langue,savoir),dontlesdonnées stéréotypiqucs n'empêchent pas le rendement poétique (et poïétique).Onpeutd'ailleursrattacherau codetransformationne1(àlafoislinguistiqueetdémiurgique)un sous-code,dontles traitssontabondants,quiestceluidelanomination.X peinepar-
complémentaires):l'effraction de la nature,la sujétion,la
pefpétuelle de classificationsnouvclles,inattendues,estproche de l'opération linguistique: le pouvoir transformateur de l'lngénieurestun pouvoirverbal,carl'un etl'autre consistentà.
venusau sommetdu montquileurdonne une vue panoramique de leurîle,1cscolonss'empressentde la cartographier,c'est-àdired'en dessineretd'en nomm erlesaccidents;ceprem ieracte d'intellection etd'appropriation estun acte de langage,com me
sitoute la matière confuse de l'île,objetdes transformations futures,n'accé .daitau statutde réelopérable qu'àtraversle filet du langage)en somm e,en cartographiantleurîle,c'est-à-dire leurfrréelp,1escolonsne fontqu'accomplirla définition même du langage comme fmapping b$de laréalité. Ladé-couvertede l'île,on l'a dit,sotltientdeux codes,dontle prem ier estIe code heuristique,ensemble des traitsetm odèles transformateursde lanature.Le second,beaucoup plusconventionneldupointdevuerom anesque,estun codeherméneutique;
domestication, la transformation, l'exercice du savoir (plus encore,comme on 1'adit,queceluidu travail)renvoientà.un refus d'héritage,2tune symbolique du Fils;l'action de Nemo à.
vraidiresubieparfoisavecimpatienceparleFilsadulte(Cyrus), impliqueunesymboliqueduPère(analyséeparM arcelM olf 1 ): singulier père cependant, singulier dieu que celui-là, qui s'appellePersonne. Cepremierfrdébrouillagek$paraîtrabien pltlsthématiqueque formaliste :c'estlà cependantla libel' té m éthodologique qu'il faut assum er: on ne peut comm encer l'analyse d'un texte
(puisque c'estleproblèmequiaétéposé)sansen prendreune première vue sémantique (de contenu),soitthématique,soit symbolique,soitidéologique.Le travailquireste alors 2tfaire
(immense)consistettsuivrelespremierscodes,ztenrepérer1es termes,2tesquisser 1es sé.quences,m ais aussi 2tposer d'autres codes,quiviennentse profilerdansla perspectivedespremiers. En somme,sil'on se donne le droit de partir d'une certaine
de1uisortentlesdifférentesénigmes(unedizaine)quijustifient
condensation dusens(commeonl'afaitici),c'estparcequele
letitre del'ouvrage (L' 1le rnyyr/rïtrffu çtr l,etdontla solutionest retardéejusqu'àl'appelfinalducapitaineNemo.Cecodeaété
mouvem entdel'analyse,danssonfilé infini,e$tprécisémentde faire éclater le texte,la prem ière nuée des sens,la première
étudié 2tl'occasion d'un autretexte',etl'on peutassurericique 1estermesformels s'en retrouventdansL'lletnystérieuse:position,thém atisation,formulation de l'énigme,différents term es
imagedescontenus.L'enjeudel'analysestructuralen'estpasla
dilatoires(quiretardentlaréponse),déchiffrement-dévoilenlent.
contenus(pointneseraitbesoin pourcelad'uneméthodestructurale),maisbien au contraire 2tdissiper,reculer,démultiplier,
L'heuristiqueetl'herm éneutique sonttrèsproches,puisquedans
vérité du texte m aisson pluriel;letravailne peutdonc consister à partir des formes pour apercevoir,éclaircirou tbrmuler des
faire partir 1es prem iers contenus sous l'action d'une science
150 Nouveaux essal ' scritiques form elle. L'analyste trouvera son com pte 2t ce mouvement puisqu'il1uidonnc ' ltla foisle m oyen de com mencerl'analyse à. partirdequelquescodesfamiliersetle droitdequittercescodes
(de les transformer)en avançant,non dans le texte (quiest toujours sinlultané .,volumineux,stéréographique),mais dans
From entin :w D om inique zz
son propretravail'.
1970 Toute une petite mythologie soutient le Dominique de Fromentin ;c'estune œuvre deux foissolitaire,puisque c'estle seulrom an écritparson auteur,etque cetauteurn'étaitm ême pas écrivain,m ais plutôtpeintre' ,cette autobiographie discrète esttenuepourl'unedesanalyses1esplusgénéralesdelacrise
d'amour;littérairement(je veux dire:dans 1es histoires scolairesde lalittérature),on noteencoreceparadoxe:enpleine période positiviste et réaliste (Dominique est de 1862), Fromentin produitune œuvre quipasse pour un grand roman d'analyse psychologique. Tout cela fait que Dominique est
consacré institutionnellement(caràsavoirquilelit,c'estautre chose)comme un chef-d'ceuvre singulier' .Gide le mettaitau nombre de ces dix fameux livres que l'on em porte sur une île
déserte (qu'y ferait-on,cependant,de ce roman où l'on ne
mangeninefaitjamaisl'amour?). Donliniqueesteneffetunromanbien-pensant,danslequelon retrouve 1es valeurs fondatricesde l'idéologie dite bourgeoise,
subsumées sousunepsychologie idéalistedu sujet.Ce sujet emplittoutle livre,quitire de 1uison unité,son continu,son dévoilement; pour plus de comm odité, ilditje,confondant,
comme tout stljetde la culture bourgeoise, sa parole et sa conscience,etse faisantune gloire de cette confusion, sous le
nom d'authenticité (1a forme de Dominique estune rfconfessionp)' ,pourvu d'uneparole transparente etd'une conscience sanssecret,lesujetpeuts'analyserlui-mêmelonguement:iln'a 1.ParudansPoétiqlke,no 1,1970.
pas d'inconscient,seulementdes souvenirs:la mélnoire estla seule formederêveque.lalittératurefrançaise de cesiècle ait
Nouveaux cçh-t /f$'critiques
u
connue;encorecettemémoireest-elletoujoursconstruite:elle n'estpasassociation,irruption(comme( z11e1()serachczProust), maisrappel(cependant,chez Fromentin- etc'estl'un de ses charmes-,la reconstitution anccdotique de l'aventure estsouventdébordée par le souvenir insistant,effusif,d'un m om ent,
d'un lieu).Ce sujetpurvitdansun monde sanstrivialité:les objetsquotidiensn'existcntpour1uiqut?s'ilspeuventfairepartie d'un tableau,d'une < rcomposition$$' ,i1s n'ontjamais une
Fromentin :wDominique > )
153
estàlafoisceluiquiparleetcedontilparle:sujetetobjet),le sujetdeDominique,c'estl'Amour.Cependantunromannepeut être définiparson 44sujet>)qued'une façon purementinstitutionnelle (dansle fichierméthodique d'une bibliothèque,par
exemple).Plusencorequeson<<sujetp,lelieu d'unetktion peutêtre sa vérité,parce que c'estau niveau du lieu (vues, odeurs,souffles,cénesthésies.temps)quelesignifiants'énonce le plus facilement:le Iieu risque bien d'être latigure du désir,
existence d'usage,encore moins vont-ils au-delà de cetusage
sanslequelilnepeutyavoirdetexte.X cecompte,Dominique
pourdérangerlesujetquipense,cequisepasseradansleroman ultérieur(Fromentin,cependant,eûtétécapabled'inventionstri-
n'estpasun rom an d'amour,c'estun romande la Campagne.La
viales:tém oin ce bouqtletde rhododendrons,aux racinesenveloppéesde lingesmouillé -s,don assezridicule du futurmari2tla
jeune t' iancée).Entin,selon la bonne psychologie classique, touteaventuredusujetdoitavoirunsens,quiestengénéralla façon m êm e dont elle se termine :Donlinique compofte une leçon m orale,dite f
chimèresromantiquessontcondamnables,etc.:lesujetpurfinit par exploiter sagementses terres etses paysans.Telestltpeu près ce que l'on pourrait appeler le dossier idéologique de
Dominique(lemotestunpeujudiciaire,maisilfauten prendre son parti:lalittératureestenprocès). Ce dossierestassez triste,m aisheureusem ent,iln'épuise pas Dominique.Cen'estpasque Fromentin soitlem oinsdu monde
révolutionnaire(nienpolitique,nienlittérature);sonromanest indéfectiblementsage,conformiste,pusillanime même (sil'on songeàtoutcequelamodernitéalibérédepuis),rivé2tsonlourd
Campagnen'estpasseulementiciun décor(occasion de descriptionsquiconstituentsansdoute l'élémentle pluspénétrant,
leplusmoderne,dulivre),c'estl'objetd'unepassion(<
d'une passion,au sensamoureux du mot).La passion de la Campagne donne au discours sam étaphore de base,l'automne, en quoipeuvent se lire à.la fois,la tristesse d'un caractère,la désespérance d'un am ourimpossible,la démission que lehéros s'impose,et la sagesse d'une vie qui, I'orage passé, s'écoule infailliblement vers l'hiver,la m ort;elle lui donne aussises métonym ies,c'est-à-diredesliaisonsculturellessibien connues, sisûres,queIaCampagne devienten quelquesortelelieuobligé de celtalnes Identifications:toutd'abord.la Campagne,c'est
l'Amour, la crise adolescente (associée, dans combien de romans,auxgrandesvacances,àl'enfanceprovinciale):liaison favorisée parl'analogie métaphoriquedu printemps etdu désir, delasèveetdela liqueursém inale,del'épanouissementvégétal
signifié psychologique, prisonnier d'une énonciation biendisante,horsdelaquelle le signifiant,le symbole,la volupté ont beaucoup de mal à.fuser.D u m oins,en vertu de l'ambiguïté m ême de toute écriture,ce texte idéologique comporte-t-ildes interstices;ce grand roman iddaliste,ilestpeut-être possible de le rem odelerd'une façon plusm atérielle- plusmatérialiste:du texte,tirons au m oinstoute la polysémie qu'ilpeutnous livrer.
etdel'explosionpubertaire(qu'onliseàcesujetlafolleprome-
Le<sujet$$deDoml hique(savouronsl'ambiguïtédumoten français-elledisparaîtraiten anglais- :le rxsujetpd'un livre
cieuse (ou douloureuse)du souvenir;etdans la mesure où la Campagne,c'estaussi(etparfoisprincipalement)lademeure,la
nade de Dom inique adolescent aux environs de sa ville de
collège,unjeudid'avril);Fromentinaexploité2tfondcetteliaisonculturelle :la Campagne estpourson hérosle lieu eidétique del'Amour:un espacedternellementdestiné 2 1lecontracteretà. lerésorber.Ensuite,laCampagne,c'estla M ém oire,l'endroitoù ilse produitunecertaine pondération du temps,uneécoute déli-
!
l54 Nouveaux essaiscritiques chambrecampagnardedevientunesortedetempleduressassement:Dom inique,parmille entaillesetinscriptions,y pratique <
mesureoùlaNatureestréputéesilencieuse,nocturne(dumoins danscepost-romantismedontfaitpartieFromentin),elleestla substance neutre d'où peutsurgirune parole pure,infinie.Lieu du sens,la Cam pagne s'oppose à.la Ville,lieu du bruit;on sait combien,dansDominique,la Ville estamèrem entdiscréditée; Parisestun producteurde bruit,au senscybernétiquedu term e:
lorsque Dominique séjourne dans la capitale,le sens de son am our,deson échec,de sa persévérance,cesensestbrouillé;en facedequoilaCampagneconstitueunespaceintelligible,o?. lla vie peutse lire sous form e d'un destin.Voilà pourquoi,peut-
être,la Campagne,plusquel'Amour,estlevrai<<sujet$$de D om inique: à.la Campagne on comprend pourquoi l'on vit,
pourquoil'on aime,pourquoil'on échoue (ou plutôt,on se résoutà.nejamaisriencomprendredetoutcela,maiscetteréso-
Fromentin :r:Dominique>> 155 canalde Suez en 1869;c'estdire que,en tantque personne civile,ilnefutnullementaussiécartédelaviehistoriquedeson tempsque son héros,qui,lui,évolue apparemm entà.traversdes lieux aussisocialementabstraitsquelaVille etlaCam pagne.En fait, dans l'œuvre de Fromentin, la Campagne, quand on y regarde d'un peu près,estun lieu socialementlourd.Dominique eStun roman réactionnaire :leSecond Empireestce momentde l'histoire française où le grand capitalism eindustriels'estdéveJoppé avec violence cornm e un incendie;dans ce mouvement irrésistible,la Campagne,quelque appointélectoral qu'elle ait constitué parsespaysanspourlefascism e napoléonien,nepou-
vaitque représenterun lieu déjà anachronique:refuge,rêve, asocialité,dépolitisation,toutundéchetde l'Histoires'y transform aiten valeuridéologique.Dominique meten scène d'une
façontrèsdirecte(quoiqueà.traversunlangageindirect)tousles laissés-pour-compte de lagrande prom otion capitaliste,appelés, poursurvivre,h.transform eren solitudeglorieusel'abandonoù
leslaissel'Histoire(
lution m ême nous apaise com me un acte suprêm e d'intelli-
soitdoué d'ambition etveut,à.traversdesphrasesantiquesdont le noble désintéressementdésignepardénégation la violence de
gence);on s'y réfugie comme dansle sein maternel,quiest
son avidité,rejoindre la course au pouvoir:Augustin,le pré-
aussile sein delam o14:Dominiquerevientaux Tremblesparle même m ouvement éperdu qui pousse le gangster d'Asphalt Jungle à.s'échapperde la ville età.venirm ourirà.la barrièrede
la maison de campagne d'où ilétaitun jourparti.Chose curieuse,l'histoire d'am our racontée par From entin peutnous laisser froids;m ais son désir de campagne nous touche: les Trem bles,Villeneuve lanuit,nousfontenvie.
Ceromanéthéré(1eseulactesensuelyestunbaiser)çstassez brutalement un rom an de classe.11 ne fautpas oublier que From entin, dont les histoires de la littérature nous rappellent avec componction la passion blessée et le désenchantement rom antique,futparfaitem entbien intégré h.la société du Second Em pire :reçu dans le salon de la princesse M athilde,invité de
Napoléon1llà.Compiègne,membredujurydel'Expositionuniverselle de 1867,ilt' itpallie de la délégation qui inaugura le
cepteur:i1n'a pas de nom de fam ille,c'est un bâtard,bonne conditionromantiquepourêtreambitieux;ilveutarriverparla politique,seule voie de puissance que le siècle concède à.ceux quinepossèdentniusinesniactions' ,m aislesautresappartiennentà.une classe déçue :Olivier,l'aristocrate pur,t' initpar se suicider,ou ce quiestencore plus sym bolique,parse défigurer
(ilratemême son suicide:l'aristocratien'a plusdefigure);et
Dominique,aristocrateluiaussi,fuitlaVille(emblèmeconjoint de la hautemondanité,de la financeetdu pouvoir),etdéchoit
jusqu'àrejoindrel'étatd'ungentlemanfarmer,c'est-à-dired'un petitexploitant:déchéancequetoutlerom an s'emploieztconsacrersouslenom desagesse:lasagesseconsiste,nel'oublions
pas,à.bien exploiter(sesterresetsesouvriers);lasagesse,c'est l'exploitation sansl'expansion.11s'ensuitque laposition sociale de Dominique de Bray est ztla fois m orale etréactionnaire,
!
156 Nouveaux t 4,$'-q'c//5'critiques sublimée sous les espèces d'un patliareatbienveillant:le mari est un oisif,il chasse ttt faitdu roman avec ses souvenirs;la femmetientlescomptes' ,lui,ilseprom èneparmilcslaboureurs, gensde main-d'œuvre,aux reinspliés, faussés,quise courbent encore poursaluerle maître' ,elle,elle eStchargée depufifierla
propridtépardesdistributionsdebienfaisance(rrElletenaitles clefs de la pharmacie,du linge, du gros bois,des sarmentsp,
etc.):associationenchassé-croisé:d'uncôtélelivre(1eroman) etl'exploitation,del'autre1eslivres(decomptes)etlacharité, <
denaissancep.La
de théâtre (puisqu'on nous la ditjestcomme le -'ernis sous lequelsontvenus se déposer 1esrituels de culture- . la pratique
des Al4s (peinture,musique,poésie serventde références au grand amourde Dominique)etle style del'interlocution (les personnagesparlententreeux celangagebizarre,qu'onpourrait
appeler(stylejanséniste> h,dontlesclausulessontissues,quel quesoitI'objet2tquoielless'appliquent,amour,philosophie, psyehologie,des versions latines etdes traités de religion, par exemple :(brentrerdansleseffacem entsdesaprovincep, quiest
unstyledeconfesseur).Lehautlangagen'estpasseulementune façon de sublim erla matérialité des rapports humains;ilcrée ces rapports eux-m êm es:tout 1,amour de D ominique pour M adeleine provient du Livre antérieur; c'est un thèm e bien eonnu de lalittératuream oureuse,depuisque Dantefit' dépendre la passion de Paolo etde Francesca de celle de Lancelotetde Guenitwre' ,Dom inique s'étonne de retrouverson histoire dans le livre des autres;ilne saitpasqu'elle en provieht.
Fromentln .t :Dominique z p l57 c'estla voie du grand pathétique,sorte de langage sublime que l'onretrouveailleursdanslesromansetlespeinturesdurom antisme français.Lesgestes sontdétournésde lcurchamp corpo-
rel,immédiatementaffectés(parune hâte quiressemble bien àunepeurdu corps)2tune signification idéelle:quoide plus charnel que de se mettre 2t genoux devant la femme aimée
(c'est-à-diresecoueher2tsespiedsetpourainsidiresouselle4? Dansnotreroman,cetengagementérotiquen'estjamaisdonné quepourle ffmouvcmenth>(motque toutelacivilisation classiqueatransportécontinûmentducorpsà.l'éme)d'uneeffusion m orale,la demande de pardon ;en nous parlant,2tpropos de
M adeleine,d'un f<mouvementdefemfneindignéequejen'oublieraijamais$$,lenan-ateurfeintd'ignorerquelegesteindigné n'estqu'un refusducolps(quelsqu'ensoient1esmotifs,icifort trompeurs,puisque,en fait,M adelcine désire Dominique:ce
n'estrien deplusqu'un:dénégation).En termesmodernes,on diraquedansletextedeFromentin(rdsumantd'ailleurstoutun langage d'époque),le signifiantestimmédiatementvoléparle signifié.
Cependantcesignifiant(cecorps)revient,commeilse doit, 1àm ême où ila t jté dérobé.11revientparce que l'am ourquiest
racontéicisurunmodesublime(derenonciationréciproque)est en rrlézà?trtemps traité com me une m aladie.Son appalition est eelled'unecrisephysique;iltransitetexalteDominiquecomm e unphiltre:n'est-ilpasam oureux delapremièrepersonnequ'il rencontrelorsdesafollepromenade,c'est-à-direenétatdecrise
(ayantbulephiltre),toutcommedansun contepopulaire?On chercheà.cettemaladiemilleremèdes,auxquelsellerésiste(ce sontd'ailleurs,iciencore,desremèdesdecaste,telsqu'onpourrait 1es concevoir dans la m édecine des sorciers: 4411 m e conseillaitdemeguérir,ditDom inique d'Augustin,rflaispardes
moyensquiluisemblaientlesseulsdignesdemoi> ));etlacrise
(imparfaitcrflent)passée,ilfautdurepos(f <Jesuisbien1as...j'ai besoinderepos$$)-cepourquoionpa142tlacampagne.Cepen-
Le corps est-ildonc absent de ce roman 2tla fois socialet
dant,com mes'ils'agissaitd'un tableau nosographiqueincom -
moral(deux raisons pour l'expulser)? Nullement' ,mais ily
pletou faux,lecentredutroublen'estjamaisnommé:à.savoir lesexe.Dominiqueestun roman sanssexe(lalogiquedu signi-
revientparunevoiequin'estjamaisdirectementcelled'éros:
158
Nouveaux essaiscritiques
nom qui donne son titre au livre : Dominique est un nom
Fromentin :rrD ominique>> 159 érotiquemalheureuse,déçue,soitdistinguéedu simplediscours littéraire,qui,lui,estpris en charge par le second narrateur
double: masculin et féminin);tout se noue,se déroule,se
(confesseurdu premieretauteurdu livre).
fiantditque cette absence s'inscritdéjà 'dansle flottementdu concluten dehorsde l(lpcau;danslecoursde l'histoire,ilne se produitque deux attouchements,etl'on im agine quelle force de déflagration ilsretirentdum ilieu sensuellementvide où ilsinterviennent:M adeleine,fiancée ztM .de Nièvres,pose 44sesdeux
mains dégantéesdans 1esmains du comte$$(le déganté de la main possède une valeur érotique dontPien-e Klossovskis'est
11y a dans ce rom an un dernier transfertdu corps:c'estle masochism eéperdu quirègle toutlediscoursdu héros.Cette notion,tombéedansledomainepublic,estdeplusenplusabandonnéeparlapsychanalyse,quinepeutsesatisfairedesasimplicité.Sil'onretientlem otencoreunefoisici,c'estenraison,
beaucoup servi):c'estlàtoutlc rapportconjugal;quantau
précisément,de savaleurculturelle (Dominiqueestun roman masochiste,d'une façon stéréotypée),etaussiparce que cette
rapportadultère(quin'arrive pas2ts'accomplir),ilneproduit
notion se ccmfond sanspeine avec le thème socialde la décep-
qu'un baiser,celuique M adeleine accorde etretire au narrateur
tiondeclasse,dontonaparlé(quedeuxdiscourscritiquespuis-
avantdelequitterh.jamais:touteunevie,toutunromanpour
sentêtretenussuruneseule etmême œuvre,e'estcelaquiest intéressant:l'indécidabilité desdéterminationsprouve la spé-
un baiser:le sexe estsoumisiciàuneLcoïjotnieparcimonieuse. Gom mée,décentrée,lasexualitévaailleurs.0ù?dansl'ém otivité,qui,elle,peutlégalem ent produire des écarts corporels.
Châtréparlamorale,l'hommedecemonde(quiestengrosle monde romantique bourgeois),le mâle a droità des attitudes ordinairementréputéesféminines:iltombeàgenoux (devantla fem me vengeresse,castratrice,dontla m ain estphalliquem ent
levée dansun gested'intimidation),ils'évanouit(f(Je tombai raide surle carreaup).Le sexe une foisbarré,laphysiologie devientluxuriante;deuxactivitéslégales(parcequeculturelles) deviennentlechamp del'explosionérotique:lamusique(dont
leseffetssonttoujoursdécritsavecexcès,commes'ils'agissait d'un orgasme (ffMadeleine écoutait,haletante...y>)etla promenade (c'est-à-dire la Nature: promenades solitaires de Dominique,promenade 2tchevaldeM adeleineetDominique); onpourraitjoindreraisonnablement2tcesdeuxactivités' ,vécues surle m ode de l'éréthisme nerveux,un dernier substitut,etde taille:l'écriture elle-mêm e,ou dum oins,l'époquen'entrantpas dans la distinction m oderne qui oppose la parole à. l'écriture, l'énonciation :quelle qu'en soitla discipline oratoire,c'estbien
cialitélittéraired'uneœuvre):à.lafrustrationsocialed'uneportiondeclasse(l'aristocratie)quis'écartedupouvoirets'enfouit enfam illedansdevieillespropriétés,répondlaconduited'échec des deux amoureux;le récit,h.toussesniveaux,du socialà. l'érotique, est enveloppé d'un grand drapé funèbre; cela com mence parl'image du Père fatigué,quitraîne,appuyésur
unjonc,aupâlesoleild'automne,devantlesespaliersdeson jardin;touslespersonnagesfinissentdans la mortvivante: défigurés (Olivier),aplatis (Augustin),éternellementrefusés (MadeleineetDominique),blessésh.mort(Julie):uneidéede néanttravaille incessammentlapopulation deDominique(<411 n'étaitpersonne,ilressemblaità.toutlemondeh>,etc.),sansque cenéantaitlamoindreauthenticitéchrétienne(lareligionn'est qu'undécorconfonniste):iln'estquelafabrication obsessionnelledel'échec.L'Am our,toutau longdecettehistoire,deces pages,esteneffetconstruitselonuneéconom ierigoureusem ent m asochiste:ledésiretlafrustration seréunissentenluicomme lesdeux partiesd'une phrase,nécessaires h.proportion du sens qu'elledoitavoir:l'Am ournaîtdanslaperspectivem ême de
letrouble sexuelquipassedanslamaniepoétique dujeune
son échec,ilnepeutsenommer(accéderà.lareconnaissance)
Dominiqueetdanslaconfession del'adulte quisesouvientet s'ém eut:sidansceroman ily adeux nanuteurs,c'estenun sens parcequ'ilfautqueIzpratiqueexpressive,substitutdel'activité
qu'au m om entoù on leconstateim possible:<<Sivoussaviez
combienjevousaime,ditMadeleine;...aujourd'huicelapent s'avouer puisque c'est le mot défendu qui nous sépare.h >
!
160 Nouveaux essaiscritiques L'Amour, dans ce roman si sage, est bien une m achine de torture:ilapproche,blesse,brûle,mais ne tue pas;sa fonction
opératoireestderendreitqjirme;ilestunemutilation volontaire portéeau champ même dudésir:
Fromentin :wDominique>
161
la trouve décrite danslejeu (vort/da)de 1'enfantfreudien:la passion unefoisinstallée etbloquée,elle oscilleentre le désiret la frustration,lebonheuretle malheur,lapurification etl'agres-
sion,la scèned'amouretlascènedejalousiesd'unemanière,à. la lettre,interminable:rien nejustit'ie de mettre ' fin à.cejeu
M adeleine parce qu'elle est perdue :c'est,conformémcnt au vieux mythe d'Orphée,lapel' te m ême quidéfinitl'am our.
d'appelsetde répulsions.Pourquel'histoire d'amourt' inisse,il faut que la structure dramatique reprenne le dessus. Dans
Le caractère obsessionnelde la passion amoureuse (telle qu'elle estdécrite dans le livre de Fromentin) détermine la
Dominique,c'estle baiser,résolution du désir(résolution bien elliptique!)quimetfin2tl'énigme:cardésormaisnoussavons toutdesdtlux partenaires:le savoir de l'histoire a rejointle
structure du récit d'am our.Cette structure estcomposite,elle
entremêle (etcette inlpurdé détinitpeut-être le roman)deux systèmes: un système dram atique et un système ludique. Le système dralnatique prend en charge une stl-ucture de crise,le
savoir du désir:le rfmoip du lecteur n'estplus clivé,iln'y a plusrien à lire,le rom an peut,le roman doitt' inir.
modèleen estorganique(naître,vivre,lutter,mourir);néedela rencontred'unvinlsetd'unterrain(1apubel lf,laCampagne),la
D anscelivrepasséiste,ce quiétonne le plus,c'estfinalement
passion s'installe,elle investit' ,après quoi,elle affronte l'obs-
le langage (cette nappe unitbrme qui recouvre l'énoncé de
tacle(1emariagcdel'aimée):c'estlacrise,dontlarésolutionest icila mort(le renoncement,la retraite);narrativement,toute
ehaquepersonnage etdu nanuteur,le livre ne m arquantaucune
structure dram atique a pourressortIe suspense:com mentcela va-t-ilt' inir?M ême sinous savonsdès 1espremièrespagesque
nomme 1eschosesque lorsqu'ila pu leurfaire atteindre un haut degré d'abstraction,1esdistancersousune généralité écrasante. Ce que faitAugustin,parexemple,ne parvientau discoursque sousune form equiéehappe à toute identification :bqSavolonté seule,appuyée surun rare bon sens,surune droiture parfaite,sa volonté faisaitdesm iraclesh >:quelsm iracles? C'est1à un proeédétrèscurieux,carils'enfautdepeu pourqu'ilsoitmoderne
<
Cette séparation (ce clivage)du savoir et de l'attente est le propre de la tragédie : lisant Sophocle, tout le m onde sait qu'œ dipe a tué son père m aistoutle monde frémitde ne pasle savoir. D ans Dominique, la question attachée 2 4 tout drame d'amourseredoubled'uneénigm einitiale :qu'est-cedonc quia pu faire de Dominique un enterré vivant9 .Cependant- etc'est lztun aspectassez retors du roman d'amour- la structure dramatique se suspend 2 tun certain momentetselaissepénétrerpar
une strtlctureludique:j'appelle ainsitoutestnlcture immobile, articulée surle va-et-vientbinaire de larépétition - telle qu'on
différence idiolectale).Ce langage esttoujoursindirect;ilne
(i1annonce ce qu'on a pu appeler la rhltorique négativ: de
MargueriteDuras):neconsiste-t-ilpash.irréaliserleréférentet, sil'onpeutdire,àtformaliserà.l'cxtrêmelepsychologisme(ce quiaurait bien pu,avec un peu d'audace,dépsychologiser le
roman)?Lesactionsd'Augustin restantentbuiessousunecarapace d'allusions,le personnagefinitparperdretoute corporéité, ilseréduità.une essence de Travail,de Volonté,etc.:Augustin est un chiffre.Aussi Dominiqtte peut être lu avec autant de stupéfaction qu'une allégorie du M oyen Age; l'allusivité de l'énonciation est m ené.e si loin que celle-ci devient obscure, amphigourique;on nous dit sans cesse qu'Augustin estambitieux mais on ne nous ditque très tard eten passantquelestle
162 Nouve6ux essaiscritiques champ de ses exploits,comme s'ilne nous intéressaitpas de savoirs'ilveutréussiren littérature,au théâtre ou en politique. Techniquem ent,cette distance estcelle du rthumé :on ne cesse
idéologique de ce langage continûm entindirect:ilhonore tous lessenspossiblesdu m ot
Fromentin :rrD om inique>p 163 m entsd'un réseau fort,liquideren quelque sorte1esrésistances qu'un telrom an peut suseiter chez un lecteur moderne,pour qu'apparaissentensuite,au filde la lecture réelle,telslescaractères d'une écriture m agique qui,d'invisible,deviennentpeu à. peu artieuléssousl'effetdelachaleur,lesintersticesdelaprison idéologique où se tient Dominique. Cette chaleur,productriced'uneécritureenfinlisible,c'est,ceseracelledenotre plaisir.11y adansceroman bien descoinsde plaisir,quinesont pas forcémentdistincts des aliénations qu'on a signalées:une certaine incantation,produite parla bien-disance desphrases,la volupté légère,délicate,des descriptions de cam pagne,aussi pénétranteque le plaisirquenousretironsde certainespeintures rom antiqueset,d'une manière plusgénérale,com me ila étt bdit
<
au début,laplénitudefantasmatiqueU'iraijusqu'à dire:l'drotisme)attachéeh.touteidéederetraite,derepos,d'équilibre;une
desêtresdesbasses classes,des vignerons h.quil'on sertpour
vie conformiste esthaïssable lorsque nous som mesen étatde veille,c'est-à-dire lorsque nousparlons le langage nécessaire desvaleurs;mais dans1esm omentsde fatigue,d'affaissem ent, au plusfortdel'aliénation urbaineouduvertigelangagierdela relation hum aine,un rêve passéiste n'estpas impossible . 'la vie aux Trembles.Toutes choses sontalors inversées:D ominique nousapparaîtcomm e un livre illégal:nouspercevonsen 1uila voix d'un dérnon : dérnon coûteux, coupable,puisqu'il nous convie h.l'oisiveté,h.l'irresponsabilité,2tla m aison,en un mot: à.la sagesse1.
derésumersousunvx ablegénérique(Amour,Passion,Travail, Volonté,Dignité,etc.)lamultiplicitédesattitudes,desactes,des m obiles.Le langage essaye de remonter vers sa source prétendue,quiestl'Essence,ou,moinsphilosophiquem ent,le genre; et Dominique est bien en cela un rom an de l'origine: en se contsnantdansl'abstraction,lenarrateurimposeau langage une
origine quin'estpasleFait(vue (4réalistep)maisl'ldée (vue 44idéalisteh>).Oncomprendmieuxalors,peut-être,toutleprofit
fêter la vendange de l'oie rôtie);parce qu'ilrespecte1espréceptesclassiquesdu bon style littéraire;parceque,del'adultère, on ne donne qu'un discreteffluve :celui de l'adultère évité; parce qu'enf' in toutes ces distances rhétoriques reproduisent homologiquementunehiérarchie métaphysique,celle quisépare l'âm e du corps, étant entendu que ces deux éléments sont séparéspourque leurrencontreéventuelle constitue une subversion épouvantable,une Faute panique :de goût,de morale,de langage. 44Je vous en supplie,dit Augustin à.son élève,ne croyez
jamaisceux quivousdirontqueleraisonnableestl'ennemidu beau,parce qu'ilestl'inséparable amide lajustice etde la vérité$$:cegenredephraseestàpeuprèsinintelligibleaujourd'hui;ou,sil'on préfère donnerà notre étonnementtlne form e plus culturelle :qui pourrait l'entendre, après avoir lu M arx, Freud,Nietzsche,M allarm é?L'anachronismede Dominiqueest sûr.Cependant,en recensantquelques-unesdesdistancesquile
composent,je n'aipasvoulu direforcémentqu'ilnefallaitpas lirecelivre;j'aivoulu,toutaucontraire,enmarquant1eslinéa-
Pierre Loti:lAzi yadé>> l65 infiniquine raconterien maisoù passe r:quelquechosed'inouk. etde flrltWrcrt' r>.
Pierre Loti..lAziyadé >z
2 Loti Loti,c'estlehérosdu roman (mêmes'ilad'autresnomset Illêm e sice rom an se donne potlr le lfcit d'une réalité,non
d'une fiction):Lotiest dans le roman (la créature fictive, Aziyadé,appelle sanscesse son amantLoti:t rRegarde,Loti,et
1.Le nom Danslenom d'Aziyadé,jelisetj'entendsceci:toutd'abord ladispersion progressive (ondiraitlebouquetd'un feu d'artifice) des trois voyclles les plus claires de notre alphabet (l'ouvellure desvoyelles:celledeslèvres,celle dessens);la caresse du Z&le mouillementsensuel,grassouilletdu yod,tout ce train sonore glissantets'étalant,subtiletplantureux;puis, une constellation d'îles, d'étoiles, de peuples, l'A sie, la Géorgie,la Grèce;puisencore,toute une littérature:Hugo qui danssesOrientalesm itlenom d'Albaydé .,etderrière Hugo tout 1e romantisme philhellène; Loti, voyageur spécialisé dans l'Orient,chantre de Stam boul;la vague idée d'un personnage
féminin (quelque Désenchantée); enfin le préjugé d'avoir affaire à un roman vieillot,fade etrose :bref,du signifiant, somptueux, au signifié, dérisoire, toute une déception. Cependant,d'une autre région dc la littérature,quelqu'un se
lève etnousditqu'ilfauttotl joursretournerla déception du nom propreetfairedeceretourletrajetd'unapprentissage:le narrateur prousticn, parti de la gloire phoné .tique des Guerm antes,trouve dansle monde de la duehesse toutautre ehose quece que la splcndeurorange du Nom faisaitsupposer,etc'est en remontant la déception de son narrateur que Proust peut écrire son œuvrc.Peut-être nous aussipouvons-nousapprendre ztdé -cevoir le nom d'Aziyadé de la bonne manière,et,après avoir glissé du nom précieux 2 t l'image triste d'un rolnan démodé,remonter versl'idée d'un texte:fragmentdu langage
dis-moi...>>);maisilestaussiendehors,puisqueleLotiquia écritle livre necoïncidenullementavecle hé .rosLoti:i1sn'ont pas la même identité : le premier Loti est anglais,il m eul-t
jeune) le second Loti, prénommé Pien' e, est membre de l'Académie française,ila écritbien d'autreslivrcsque le récit
de sesamoursturques.Lejeu d'identité ne s'arrêtepas12t:ce second Loti,bien installé dans le com merce et1eshonnetlrsdu livre,n'estpasencorel'auteurvéritable,civil,d'Aziyadé :celuilà s'appelaitJulien Viaud ;c'était un petit monsieur qui,sur la fin de sa vie, se faisait photographier dans sa maison d'Hendaye,habillé ztl'orientaleetentouré d'un bazarsurchargé
d'objetsfolkloriques(i1avaitau moinsun goûtcommun avec sonhéros:letransvestisme).Cen'estpaslepseudonymequiest intéressant(en littératurec'est(zanal),c'estl'autre Loti,celui quiest etn'estpas son personnage,celui quiestetn'estpas
l'auteurdu livre:jenepensepasqu'ilenexistede sel nblables dans la littérature,etson invention (parle troisième homme, Viaud)estassezaudacieuse:carenfin s'ilestcourantdesigner le récitdecequivousarrive etde donnerainsivotrenom 2tl'un
de vospersonnages(c'estcequisepassedansn'importequel journalintime),ilnel'estpasd'inverserledon du nom propre; c'estpourtantcequ'afaitViaud :ils'estdonné,2tluisauteur,le nom deson héros.De la sorte,prisdansunréseau2ttroistermes, le signataire du livreestfaux deux fois;le PierreLotiquigarantitAziyadé n'est nullem ent le Loti qui en estle héros;etce
garant(auctor,auteur)estlui-même truqué,l'auteurcen'est pasLoti,c'estViaud:toutsejoue entre un homonymeetun
166 Nouveaux csksuf. îcritiques pseudonyme,ce qui manquc,ce quiest tu,cc quiest béant,
PierreLoti.rAziyadé > 167 die,l'arrivéed'un chat,etc.:toutceplein dontl'attente semble
c'estlenom propre,lepropredunom (1enom quispécifieetle nom quiapproprit z).Oi ) 1estlescripteur?
lecreux;maisaussitoutcevideextérieur(extériorisé)quifait le bonheur.
M . Viaud est dans sa m aison d'Hendaye, ( zntoulf de ses
vieilleriesmarocainesetjaponaises;Piel ' reLotiestà.l'Académie française ' , le lieutenant britannique Loti est m ort en
Turquieen l877(l'autreLotiavaitalors27 ans,ilasurvécu au premier66ans).Dequiestl'histoire?Dequiest-cel'histoire9 .
Dequelsujet?Danslasignaturemêmedulivre,parl'adjonction de ce second Loti,de cetroisième scl ipteur,un trou se fait,une pel' te depersonne,bien plusretorse que la simplepseudonymie.
4 . &f'c?J Donc,ilse passe:rien.Ce rien,cependant,ilfautledire. Com mentdire :rien ?On se trouveicidevantungrand paradoxe d'écriture :rien nepeutsedireque rien ;rien estpeut-être le seul motde la langue quin'admetaucune périphrase,aucune métaphore,aucun synonyme,aucun substitut;cardire rien autrement
queparsonpurdénotant(1emotwrien>z),c'estaussitôtremplir
J Qu'est-cequisepasse. ?
le rien,le démentir:telOrphée quiperd Eurydice en se retournantverselle,rien perd un peu de son sens,chaque fois qu'on
Un homme aimeune femme(c'estledébutd'un poème de Heine);ildoitlaquitter;ilsen meurenttouslesdeux.Est-ce vraimentcela,Aziyadé?Quandbienmêmeonajouterait2tcette anecdote ses circonstances etson décor (cela se passe en
l'énonce(qu'onledé-nonce).11fautdonctricher.Leriennepeut
Turquie,au mom entde la guen'e russo-turque;nil'homm e ni la fem me ne sontlibres,i1s sontséparéspardesdifférences,de
nationalité,de religion,de mœurs,etc.),rien,de celivre,ne seraitdit,carilne s'épuiseparadoxalem entque dansle sim ple effleurementde la banalehistoire.Ce quiestraconté,ce n'est pas une aventure, ce sont des incidents: il faut prendre le m ot dans un sens aussi m ince, aussi pudique que possible.
être prisparlediscoursquedebiais,en éeharpe,paruneSorte d'allusion déceptive' ,c'est,chez Loti,le cas de mille notations
ténuesquiontpourobjet,niuneidée,niunsentiment,niunfait, maissimplement,ausenstrèslargeduterme:letempsqu'ilfait. Ce<<sujetp,quidans1esconversationsquotidiennesdumonde entieroccupe certainementla première place,mériteraitquelque étude :en dépitdesafutilitéapparente,ne nousdit-ilpaslevide du discours à.travers quoile rapporthum ain se constitue? Dire
letempsqu'ilfaitad'abordétéunecommunicationpleine,l'in-
formation requiseparlapratiquedu paysan,pourquilarécolte
L'incident,déjàbeaucoupmoinsfortquel'accident(maispeut-
dépend dutemps;maisdanslarelation citadine,cesujetest
être plusinquiétant)estsimplementcc quitotnbedoucement, com m e une feuille,sur le tapis de la vie;c'est ce pli léger,
vide,etce vide estle sens même de l'interlocution :on parle du tempspourne rien J/rc,c'est-à-direpourdire h.l'autre qu'on lui
fuyant,apportéautissu desjours;c'estcequipeutêtreà.peine noté:unesortededegrézérodelanotation,justecequ'ilfaut
parle,peurneluidireriend'autrequececi:jevousparle,vous existezpourmoi,jeveuxexisterpourvous(aussiest-ceuneatti-
pour pouvoir écrire quelque chose.Loti - ou Pierre Loti-
tude faussem entsupérieure que de se moquerdu temps qu'il
excelledanscesinsignifiances(quisontbienenaccordavecle
fait);deplus,sividequesoitle44sujetp,letempsrenvoieà.une sorte d'existence complexe du monde (de ce quiest) où se
projetéthique du livre,relation d'une plongéedansla substanceintemporelledu démodé):unepromenade,uneattente, une excursion,une conversation,une séance de Karageuz,une cérém onie,une soirée d'hiver,une partie douteuse,un incen-
mêlentle lieu,le décor,la lumière,la tem pérature,la cénesthésie,etquiestce mede fondamentalselon lequelmon col' psest
1à,quisesentexister(sansparlerdesconnotationsheureusesou
Nouveaux t ?. î. $t z/. $critiques
PierreLoti.r s -Aziyadé>>
tristesdu temps,suivantqu'ilfavorisenotreprojetdujour); c'estpourquoicetempsqu'ilfaisait(àSalonique,àStamboul,2t Eyoub),queLotinoteinlassablement,aunefonction multiple
6.Les deux am is
168
d'écriture:ilpermetaudiscoursdeumirsansriendire(endisant
169
On comprend alorslacomplicité quis'établitentrecesnotations
Dansson aventure avec Aziyadé,lelieutenantLotiestassisté pardeux serviteurs,pardeux am is,Sam ueletAchm et.Entreces deux affections,w ily a un tzyî/z/tr>p. Achm eta de petits yeux ;ceux de Sam uelsontd'une grande douceur.Achmetestoriginal,généreux,c'estl'amide la m aison,du foyer,c'estl'intim e;Sam uelestlegarçon dela barque, du 1it flottant, c'est le messager, l'ondoyant. Achmet est
infimesetle genremêmedujournalintime(celuid'Amielest
l'hommede la tixitéislamique;Samuelestmétisse dejuif,
rien),ildéçoitlesens,et,monnayécnquelquesnotationsadjacentes (qdes avoines poussaiententre Ies ptzvô'de galets noirs... on respiraitJpt 7 /rlt ?l?fI'air tiède et Ia bonne odeur de
maip),ilpermetderéférer2tquelqueêtre-llldumonde,premier, naturel,incontestable,in-signifiant(12tof . lcommenceraitlesens,
1à commenceraitaussil'interprétation,c'est-à-dire le combat). plein du temps qu'ilfaisaitsur les bords du lac de Genève au
d'italien,degrec,de turc;c'estl'hom mede lalanguem ixte,du
siècledernier):n'ayantpourdessein quededirelerien de ma vie (enévitantde la construire en Destin),lejourna!usedece corpsspécialdontle
sabir,dela linguafranca.Achmetestle chevalierd'Aziyadé, dontilépouselacause;Samuelestlerivaljalouxd'Aziyadé Achmetestdu côtédelavirilité (qbâtien herculep);Samuel estfém inin,ila desairscâlins,ilestpropre comm e une chatte. Samuelest épris de Loti)cecin'estévidemm entpas articulé,
maisestcependantsignifié(r:SamaintremblaitdansIamienne
5.A nacoluthe Le tempsqu'ilfaitsel' ti kautrechosetou i tlamêmechose); romprelesens,rompre laconstruction (du monde,du rêve,du récit).En rhétorique,on appelle cette rupture de construction une anacoluthe.Parexemple:dans la cabine de sa corvette,en rade de Salonique,Lotirêve d'Aziyadé,dontSamuel1uitend une longue natte decheveux bnlns;on l'éveillepourle quartet lerêve estintenompu ;rien n'estditde pluspourfinirquececi:
rt11plutpartorrents cc/fc nuit-là,etje. #/çtrempé.pzAinsile rêve perd discrètem enttoutsens,m ême le sensdu non-sens;la
pluie(lanotationdelapluie)étouffecetéclair,ceflashdusens dontparlait Shakespeare :le sens.rompu,n'estpas détnlit,il est- chose rare,difficile- exempté.
etIa serraitplus t yu'iln'elitJfJ nécessaire- Che volete,dit-il
d' unevoixsombreetrrtplkh/t ft?,chevoletemi?Quevoulez-vous de rrdoj?... Quelque chose d'inouï'etde f?k/:rtrlf. v avaitun momentpt?. 5' $ 'p'dans la tête du pftffpr. p Samuel- dans le vjtrïf Orienttoutps 'rpossible. !- etpuis ils'étaitctpl/pcrflaw/ kf/r' trde
ses bras,etrestaitJtk terrl h' é de /uf-/rlérr/t ?,immobileettremblant...) p).Un motifapparaîtici- quise laisse voirend'autres endroits:non,Azi yadé n'estpasun livretoutrose:cerom an de
jeunefille estaussiunepetiteépopéesodoméenne,marquée d'allusions à.quelque c/?t pytrd'inouî'etdeténébreux.
Le paradigme desdeux amisestdoncbien formulé (l'ami/ l'amant),maisiln'a aucune suite:iln'estpastransformé(en action,enintrigue,en drame):lesensrestecommeindifférent. Ce rolnan estun discours presque im mobile,quipose dessens m aisnelesrésoutpas.
Nouveaux essaiscritiques
Pierrefzplï. -<' :Aziyadé> )
7.L 'Interdit 8.La /?l/c débauche Se prom enant dans Stamboul,le lieutenant Loti longe des m uraillesinterm inables,reliéesentre elles,à.un m oment,touten haut,parun petitponten m arbre gris.Ainsidel'Interdit:iln'est pas seulem entce que l'on suitinterm inablem ent,mais aussice qui communique par-dessus vous:un enclos dont vous êtes exclu.Une autre fois,Lotipénètre,au plix d'unegrandeaudace, dans la seconde courintérieure de la sainte mosquée d'Eyoub, farouchementinterdite aux chrétiens;ilsoulève la portière de cuir qui ferme le sanctuaire,m ais on sait qu'à l'intérieur des m osquéesiln'y a rien :toutce mal,toute cette faute pourvérifier un vide.Ainsiencore,peut-être,de l'lnterdit:un espace lourdem entdéfendu maisdontle cœurestaseptique.
f. zzpâle débauche estcelle du petitm atin,lorsque se conclut
touteunenuitdetraînailleriesérotiques(ef. zzpâledébaucheme retenaitsouventparlesruesjusqu'tkcesheuresmatinales)>).En attendantA ziyadé,le lieutenantLoticonnaîtbeaucoup de ces nuits, occupées par d'rçétrangcs chosesp>, w une prostitution étrangep>,< fquelque aventure imprudente>>,toutes expériences quirecouvrentà.coup sûr44lesvicesde Sodomeb$,pourlasatisfaction desquelss'entremettentSam uelou lzeddin-Ali,le guide, l'initiateur,le complice, l'organisateur de satul m ales d'où les fem messontexclues;cespaftiesraffinéesou populaires,h.quoi
ilestfaitplusieursallusions,seterminenttoujoursdelamême
LotiI(hérosdu livre)affronte bien desinterdits:leharem,
fw on :Loti1escondam ne dédaigneusement,ilfeint,maisunpeu
l'adultère,la langue turque, la religion islam ique,le costupe oliental;que d'enclos dontil doittrouver la passe,en imitant ceux quipeuventy entrer!Les difficultés de l'entreprise sont souvent soulignées, mais, chose curieuse, il est h.peine dit com mentellessontsurmontées.Sil'on im agine ce que pouvait
tard,des'yrefuser(ainsidugardiendecimetièredontilaccepte
êtreunsérail(ettantd'histoiresnousendisentlaféroceclôture),
cours servant à.annuler rétrospectivem ent l'orgie précédente, quicependantconstitue l'essentieldu m essage;caren som me Aziyadé est aussi l'histoire d'une débauche. Stam boul et
sil'on se rappelle un instantla difficulté qu'ily a h.parler une langue étrangère,com me le turc,sanstrahirsa qualité d'étranger,sil'on considère combien ilestrare de s'habillerexotiquem entsans cependantparaître déguisé,com ment admettre que Lotiaitpu vivre pendantdes mois avec une femm e de harem , parler le turc en quelques semaines,etc.9 .Rien ne nous estdit des voies concrètes de l'entreprise- qui eussent ailleurs fait
l'essentielduroman(del'intrigue). C'estsansdoutequepourLoti11(l'auteurdulivre),l'Interdit estune idée;peu im porte,en somme,de le transgresserréellement;l'important,sanscesse énoncé,c'estde le poseretde se poser par rapport 2t lui. Aziyadé est le nom nécessaire de l'Interdit, form e pure sous laquelle peuvent se ranger m ille incon-ections sociales,de l'adultère à,la pédérastie,de l'irreligion à la fautedelangue.
les avances avant de le basculer dans un précipice' , ainsidu vieux Kairoullah, qu'il provoque 2t 1ui proposer son fils de 12 ans,<
sementà.l'aube):dessinbien connudelamauvaisefoi,ledis-
Salonique(leursdescriptionspoétiques)valentsubstitutivement pour les rencontres dites hypocritement fâcheuses, pour la
dragueobstinéeà.larecherchedesjeunesgarçonsasiatiques;le sérailvautpourl'interditquifrappe l'homosexualité;le scepti-
cismeblasédujeunelieutenant,dontilfaitlathéolieàsesamis occidentaux,vautpourl'espritdechasse,l'insatisfaction - ou la satisfaction systématique du désir,quiluiperm etde regermer; etAziyadé,douce etpure,vautpourla sublimation decesplaisirs:ce quiexplique qu'elle soitprestementexpédiée,com me uneclausulem orale,h.lafin d'unenuit,d'un paragraphede 44dé-
bauchep:eAlorsje me rappelais quej'étais t l pStamboul- tt qu'elleavaitjuréd' y venir.p z
172
Nouvcaux essaiscritiql les
9.Le grandparadigm e La 4fdébauchep ' .voilà le terme fortdenotrehistoire.L'autre
terme,2tquoiilfautbien quecelui-cis'oppose,n'estpas,je crois,Aziyadé.Lacontre-débauchen'estpaslapureté(l'amour, lesentiment,latidélité,laconjugalité),c'estlacontrainte,c'està-dire l'Occident,tiguré 2tdeux reprises sous 1es espèces du comm issaire de police.En s'enfonçantdélicieusementdans la débauche asiatique, le lieutenant Loti fuit les institutions morales de son pays,de sa culture,de sa civilisation ;d'où le dialogue interm ittentavec la sœur,bien ennuyeuse,et1esamis
britanniques,Plumkett,Brown,ceux-là sinistrementenjoués: vouspouvez passerceslettres:leurfonction estpurementstrtlcturale :il s'agitd'assurerau désir son terme repoussant.M ais alors,Aziyadé?Aziyadé estle terme neutre,le terme zéro de ce grand paradigme : discursivement, elle occupe la première place;structuralem ent,elle estabsente,elle estla place d'une absenceselle estun faitde discours,non un faitde désir.Est-ce
vraimentelle,n'est-cepasplutôtStamboul(c'est-à-direlar
sœur,lesamis,lavieillemère,lelordetlalady quijouenttout Beethovendansle salon d'unepension defamille?Lotilsemble mourir de la m ortd'Aziyadé,m ais Loti11 prend la relève;le lieutenantnoblem entexpédié,l'auteurcontinuera 2tdécrire des villes,au Japon,en Perse,au M aroc,c'est-à-dire à.signaler,à
baliser(pardcsdiscours-emblèmes)l'espacedeson désir.
Pierre & ?fï. 'rrAziyadéA z 173 âme contre un costum e!Les transvestis sontdes chasseursde vérité:ce quileurfaitle plus honr eur,c'estprécisémentd'être déguisés:ily aune sensibilité morale 2 1la vérité du vêtementet cette sensibilité,lorsqu'on l'a,esttrès ombrageuse:le colonel Lawrence acheta de beaucoup d'épreuves le droitde porterle chan séoudite.Le lieutenantLotiestun fanatique du transves-
tisme;ilsecostumed'abordpourdesraisonstactiques(enTurc, en matelot,en Albanais,en derxiche),puis pourdes raisons éthiques:ilveutse convertir,devenirTurc en essence,c'est-àdireen costume;c'estun problème d'identité;etcom me ce qui estabandonné- ou adopté - estune personne totale,ilne faut aucunecontagion entre 1esdeux costumes,ladépouilleoccidentale etle vêtementnouveau;d'où ces Iieux de transform ation,
cescasesdetravestissement(chezlesJuivesdeSalonique,chez laM adamede Galata),sortesde chambresétanehes,d'éeluses où s'opère scrt lpuleusem entl'échange des identités,la mortde
l'une(Loti),lanaissancedel'autre(Arif). Cette dialectique est connue: on sait bien que le vêtement n'exprime pas la personne,mais la constitue;ou plutôt,on sait bien quelapersonnen'estrien d'autre que cette image désiréeà.
laquelle levêtementnouspennetdecroire.Quelle estdoncla personne que le lieutenant Lotise souhaite ttlui-même? Sans doute celle d'un Turc de l'ancien temps, c'est-à-dire d'un hom me du désirpur,désancré de l'Occidentetdu m odernism e, pour autant que,aux yeux d'un Occidental m oderne,l'un et l'autres'identitientaveclaresponsabilitém êmedevivre.M ais
souslejournaldulieutenantLoti,l'auteurPierreLotiéclitautre chose:lapersonnequ'ilsouhaite àson personnageen luiprêtant ces beaux costum es d'autrefois,c'estcelle d'un être pictural. r<
10.Costum es
f' treA't pf-rrlér' îcunepartiedecetableaupleindemouvementet
de lumil're>,ditlelieutenantquifait,habilléen vieuxTurc,la
tournée desmosquées,descafedjis,des bainsetdesplaces, c'est-à-dire des tableaux de la vie turque.Le butdu transves-
Unmoralistes'estécriéunjour:jemeconvertiraisbienpour pouvoirporterlecaftan,ladjellabaetleselham !C'est-à-dire: tous1esmensongesdu m onde pourque mon costume soitvrai! Je prétzre que m on âm e mente,plutôtque m on costume !M on
tismeestdoncjinalement(unefoisépuiséel'illusiond'être),de se transformeren objetdescriptible-etnon en sujetintrospectible.La consécration dudéguisement(cequiledémentà force de le réussir),c'estl'intégration picturale,lepassagedu
dissout.non par ivresse,m ais par apollinisme,participation à une proportion,h.une combinatoire.Ainsi un auteur m ineur,
PierreLoti:rrAziyadéz: 175 naireauniveauréel,d'uneéthiqueà.unstatut,d'unmodedevie à.uneresponsabilitépolitique,céderdevantlacontrainted'une praxis:le senscesse,lelivre s'anftecariln'y aplusdesignifiant,lesignifiéreprendsatyrannie. Cequiestremarquable,c'estquel'investissementfantasm a-
démodé et visiblement peu soucieux de théorie (cependant contemporain de Mallarmé,de Proust) metau jour la plus
tique,Lapossibilitédusens(etnonsonarrêt),cequiestavantla décision,horsd'elle,sefaittoujours,semble-t-il,àl'aided'une
retorse deslogiques d'écriture :car vouloir être q celuiquifait partie du tableau p,c'estécrire pourautantseulem entqu'on est écrit: abolition du passif et de l'actif, de l'exprim ant et de
joursféodal:dansuneTurquieelle-mêmedépassée,c'estune
l'exprimé,du sujetetde l'énoncé,en quoisechercheprécisé-
désirvatoujoursversl'archaïsmeextrême,1àoùlaplusgrande
Nouveaux essaiscritiques
corpsdansuneécritured'ensemble,enunmot(sionleprendà, lalettre)latranscription:habilléexactement(c'est-à-direavec
un vêtementdontl'excèsd'exactitudesoitbanni),le sujetse
mentl'écriture moderne.
régressionpolitique:portantsurlem odedevie,ledésiresttouTurquieencoreplusanciennequeLotichercheentremblant:le
distancehistoriqueassurelaplusgrandeirréalité,1àoù le désir trouve sa forme pure:celle de retour impossible,celle de
l'Impossible(maisenl'écrivant.cetterégressionvadisparaître).
11.M ais tllè estl'O rient? Com me elle apparaîtlointaine cette époque o?. lla langue de l'Islam étaitleturc,etnon l'arabe !C'estque l'im ageculturelle
12.Levoyage,leséjour
sefixetoujours1àotlestlapuissancepolitique:en 1877,les
Uneforme fragile sertde transition ou de passage- ce terme neutresambigu,cherauxgrandsclassitk ateurs-entrel'ivresse
<<paysarabesp n'existaientpas;quoiquevacillante (Azi yadéh. samanièrenousledit),laTurquieétaitencore,politiquement,et donc culturellement,le signe mêmedel'Orient(exotismedans
éthique(l'amotlrd'unartdevivre)etl'engagementnationalton diraitaujourd'hui:politique):c'estleséjour(notionquiason
l'exotisme :l'Orientde Loticompol 'te desm om ents d'hiver,de bruine,de froid :c'estl'extrémité de notre Orient,censurée par
con-espondant administratif: la résidence). Loti connaît en
le tourisme moderne).Centansplustard,c'est-à-dire de nos
duésdetoutdépaysement:levoyage,le séjouretlanaturalisation;ilestsuccessivementtouriste (à Salonique),résident(à Eyoub),national (officier de l'armée turque).De ces trois moments,lepluscontradictoireestle séjour(la résidence):le sujetn'y aplusl'irresponsabilitééthiquedu touriste(quiest simplementun nationalen voyage),iln'y apasencorelaresponsabilité (civile,politique,militaire)du citoyen;ilestposé
jours,queleûtétélefantasmeorientaldulieutenantLoti?Sans doute quelque pays arabe,égypte ou M aroc;le lieutenantpeut-être quelque jeune professeur-y eût pris particontre Israël,com me Loti prit fait et catlse pour sa chère Turquie, contre les Russes:toutcela 2tcattse d'A ziyadé- ou de lapâie débauche.
Turcou maghrébin,l'Orientn'estquelacased'unjeu,le termem arqué d'une alternative :l'Occidentou autrechose.Tant quel'oppositionestirrésolue,soumise seulementàdesforcesde tentation,le sens fonctionne à plein:le livre estpossible,ilse
dékeloppe.LorsqueLotisetrouvecontraintd'opter(commeon diten langageadministratit),illuifautpasserduniveauimagi-
somm e,transposés en termesm odernes,1estroism omentsgra-
entre deux statutsforts,etcetteposition intermédiaire,cependant,dure- estdéfinie par la lenteurm êm e de son développe-
ment(d'où.dansleséjourdeLotih.Eyoub,unmélanged'éternité et de précarité; cela r frevient sans cesse$3 et cela 4va
incessammentfinirp):lerésidentesten sommeuntouristequi répète son désirderester:
! ,
l76 Nouveatlxtyx îu s wis'critiques monde- propos de touriste,am ateur de tableaux,de photographies-etma libertéestillim itée> )-ivressedurésident,auquel une bonne connaissance des lieux, des mœurs,de la langue
PicrreLoti. 'r :Aziyadépp 177 roman de la Dérive. 11 existe des villes de Dérive : ni trop
permetdesatisfairesanspeurtoutdésir(cequeLotiappelle:la liberté). Leséjouraunesubstancepropre:ilfaitdupaysrésidentiel,
vivantcs;villesoù plusietlrs villes intérieures se mêlent;villes sans espritpromotionnel,villes paresseuses,oisives,etcependantnullemcntluxueuses,où ladébaucherègne sanss'y prendre au sérictlx :te1sans doute le Stamboulde Loti.Laville estalors une sortc d'eau qui2 tla foisporte etem porte loin de la rive du
et singulièrem ent ici de Stamboul, espace composite où se condense la substance de plusieursgrandes villes,un élém ent
dans lequelle sujetpeutplonger:c'est-à-dire s'enfouir,se cacher,se glisser,s'intoxiquer,s'évanouir,disparaître,s'absenter,m ourirzttoutce quin'estpasson désir.Lotimarque bien la
nature schizoïdede son expérience:eJene. îtkrf#kt ?plus,jene mesouviensplus:jepasserais/?/J/ /Vr. f?nr(ict' : )//dect?urqu'autrefoisj'aiadorés...jenecroistèriennit)personne,jen'aitne personne/3/rien;jeN'aitlifoinitrî /ptért /rlc't ?zp;celaestévidem.
grandes nitrop neuvcs,ilfautquDelles aientun passé (ainsi Tangcr,anciennevilleinternationale)etsoientcependttntencore
réel:on s'ytrouve immobile (soustraitzttoutecompétition)et déporté(soustrait2 ttotltordreconservateur).Cul ieusement,Loti parleltli-m/l' nede ladlrive (raremomentvraimentsymbolique de ce discours sans secret):dans les eaux de Salonique,la barque où Aziyadé -et1uifontleurspromenades amoureusesest
m ent le bord de la folie,etpar cette expérience lfsidentielle, donton vientde direle caractère en som me intenable,le lieutenantLoti se trouve revêtu de L'aura magique et poétique des êtresen rupturede société,deraison,de sentim ent,d'hum anité : ildevientl'être paradoxalquine peutêtre classé:c'estce que
manque de lesécraser).Y a-t-ilimage plus voluptueuse que
1ui dit le derviche Hassan-Effendi,quifait de Lotile sujet contradictoire,l'hommejeuneettrèssavant,quel'anciennerhé-
lapulsionfreudienne(conceptquiaprovoquébien desdiscussions)lemotmêmededérive:ladérivedu lieutenantLoti(sur
tolique exaltait- véritable impossibilité de la nature- sous le nom depuer senilis:ayant1escaractèresde touslesâges,hors destempsparcequelesayanttousztlafois.
leseauxde Salonique,dansle faubourg d'Eyoub,au grédessoiréesd'hiveravecAziyadéou des marchesdedébauchedansles
celle de ee liten dérive? lmage protbnde,car elle l funittrois idées:celle de l'amour,celle du flottementetla pensée que le désirestune forceen dérive- ce pourquoion a proposécomme la m eilleure approche,sinon com me la meilleure traduction,de
souterrains etles cimetières de Stamboul)estdonc la figure exacte deson désir.
13.La D érive 14 La D e-she-rence N'étaientsesalibis(une bonne philosophie désenchantée et Aziyadé elle-même),ce roman pourraitêtre trèsmoderne:ne met-ilpas en forme une contestation trèsparesseuse,que l'on
retrouve aujourd'huidansle mouvementhippy?Lotiesten somme un hippy dandy :com me lui,1es hippiesontle goûtde l'expatriation etdu travestissement.Cette forme de refus ou de soustraction horsde l'Occidentn'estniviolente,niascétique,ni politique; c'est très exactem ent une dérive;Aziyadé est le
11y a quelquesanné .esencore,pendantl'été,le quartiereuro-
péendelavilledeM arrakechétaitcomplètementmol4(depuis, letotlrisme1'arevigoréabasivement);danslachaleur,lelong desgrandesavenuesaux magasinsouvertsmaisinutiles,aux ter-
rassesàpeuprèsvidesdescafés,danslesjardinspublicsoù çà et1àun hom me dorm aitsurun gazon rare,on y goûtaitce sentimentpénétrant:ladéshérence.Toutsubsisteetcependantrien
178 Nouveaux essaiscritiques n'appartient plus à.personne, chaque chose,présente dans sa fonnecomplète,estvidée de cette tension combative attachée à. lapropriété,ily aperte,non desbiens,m aisdeshéritagesetdes héritiers.Telest le Stamboul de Loti:vivant,vivace même, comme un tableau coleré,odorant, mais en perte de proplié-
Pierre f-tpf/. 'eAziyadéz) 179 double,à.égalité,narrative et descriptive' , alors qu'ordinaire-
taire: la Turquie à.l'agonie (comme grande puissance), le
mêm e,où est-elle? Est-ce l'histoire d'un amour nlalheureux? L'odyssée d'une âme expatriée,le récit feutré, allusif, d'une débauche à.l'orientale? Le derviche Hassan-Effendiinterroge :
modernisme aux portes,peu de défenses etçà etl2tle culte du démodé,du raffinementpassé- du passé comm e raffinement. C'estcette déshérence,ce désancrage historique qu'exprim ait
ment(dansBalzac,parexemple)1esdescriptionsnesontquedes digressions inform atives,deshaltes,elles onticiuneforcepropulsive :lem ouvem entdu discoursestdansIa métaphorerenou-
veléequidittoujoursle rien delaDé .rive.Etl'histoireelle-
sansdoutelemotturceski(délicieusementambiguà.desoreilles françaises), cité avec prédilection par le lieutenant Lzoti:
:
ql'examinai1es vieillards quim 'entouraient. leurs costumes indiquaient la recherche minutieuse des modes du bon vït?lf, . ' r
quoi nipour quoi' , il n'appaltient 2taucune déterm ination,: aucune téléologie :quelque chose qui esttrès souvent du pul
temps;toutcequ'ilsportaientétaiteski,jusqu'()leursgrandes lunettesd'argent,jusqu' tzax lignesdeleursv/crf. rprofils.Eski,
signifiantaétéénoncé-etlesignifiantn'estjamaisdé.modé'.
motprononcéavecvénération,quiveutdire antique etquis' applique cn Turquie aussi bien t l de vieilles coutum es qu'tk de
vieillesformesdevêtementsoutkdesvieillestj/tp -/cs'.pDemême quelaDériveasonobjetemblématique,le1itflottant,demême laDéshérencea sa thém atique :l'herbequicroîtentrelespien' es de la l' ue,lescyprès noirs tranchantsurles m arbresblancs,1es
cimetières(sinombreuxdanslaTurquiedeLoti),quisontmoins lieux dem ortqu'espacesdedébauche,de délive.
15.M obiles Ai-je bien dit- etcependant sansforcer- que ce roman vieillot - qui est à.peine un roman- a quelque chose de moderne? Non seulementl'écliture,venue du désir,frôle sans
cessel'interdit,désituelesujetquiécrit,ledéroute;maisencore (cecin'étantquelatraductionstnlcturaledecela)enlui1esplans opératoiressontmultiples:ilstremblentlesunsdanslesautres.
Quiparle (Loti)n'estpasquiéclit(PieneLoti),I'émission du récitémigre,commeaujeu du furet,deViaudàPierreLoti,de PierreLotià.Loti,puis2tLotidéguisé (Ari9,à.sescorrespondants(sasœur,sesamisanglais).Quant2tlastructure,elleest
1.Cetexte aservide préface(enitalicn)z tAzi yadé,Parme,Franco-Maria Ricci,1971,coll.44M organap.11aparu dansCritiqtte,no297,février1972.
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