BISTOIRE DE L'OR
DU MeME AUTEUR
Histoire générale:
Survol de l'histoire du monde (Fayard). Survol de l'histoire de ...
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BISTOIRE DE L'OR
DU MeME AUTEUR
Histoire générale:
Survol de l'histoire du monde (Fayard). Survol de l'histoire de l'Europe (Fayard). Survol de l'histoire de France (Fayard). Paris (Fayard). L'histoire n'a pas de sens (Fayard). D'Achille à Astérix, 25 pastiches d'histoire (Flammarion). La grande aventure des Corses (Fayard).
2conomie et histoire économique:
Le drame des monnaies (Sirey). Le franc, histoire d'une monnaie (Sirey). Histoire des colonisations (Fayard). Histoire des marchands et des marchés (Fayard). ABC de l'inflation (Plon). ABC de l'économie (Hachette). Du franc Bonaparte au franc de Gaulle (Calmann-Lévy). Le fisc, ou l'école des contribuables (Amiot-Dumont). Ali the monies of the World (Pick, New York). La maison de Wendel (Riss). Peugeot (Plon). Onze monnaies plus deux (Hachette). Traductions: Allemagne, Angleterre, Argentine, Brésil, Canada,
Chine, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, Italie, Norvège, Portugal, Suède, U.R.S.S.
Israêl,
René Sédillot
HISTOIRE DE L'OR
LES GRANDES tTUDES mSTORIQUES
Fayard
C
LibrtJirie ArlhAme Fayard, 19'19.
Avant-propos S'il existe des milliers d'ouvrages qui traitent de l'or, il n'existe apparemment pas d'histoire de l'or. Le fabuleux métal est rune des proies favorites des économistes et des polémistes, des orfèvres et des numismates, mais non pas des historiens. A la Bibliothèque nationale, je n'ai trouvé qu'une Geschichie des Goldes, écrite, voilà déjà nombre d'années, par un géologue allemand. Pourtant, le sujet mérite d'être embrassé dans son entier. Les études consacrées à une fraction de la carrière du métal pèchent dans la mesure où elles laissent dans l'ombre un aspect décisif. Traiter de l'or au XVIe siècle, ou des problèmes de l'or au xxe, sans évoquer les conditions premières de son apparition dans l'histoire des hommes, traiter de l'or bijou en ignorant l'or monnaie, ou de l'étalon-or en ignorant l'or fétiche, c'est se condamner à n'y rien comprendre. Si l'on ne suit pas sa carrière, de ses origines à ses mésaventures contemporaines, l'or désarçonne le raisonnement : les économistes qui le considèrent comme une marchandise oublient qu'il est d'abord une passion; les tenants du matérialisme, pour qui l'histoire se déroule selon des fatalités collectives, sont déconcer-
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Histoire de l'or
tés dès l'instant où, dans la démarche de l'or, il faut faire la place du hasard; les philosophes qui dénoncent son prestige comme relevant d'un mythe, n'ont pas l'air de savoir que c'est justement le mythe qui fait son prix; les moralistes qui affirment que la valeur de l'or ne tient qu'à la folie des hommes oublient que cette folie est millénaire et solidement enracinée. L'or, je ne le porte ni dans mon cœur, ni à mon doigt, ni dans mon porte-monnaie. Il est matériellement absent du cadre de ma vie, si ce n'est sur la tranche de mes livres. Mais il y est présent d'autre façon. Journaliste, j'ai depuis mes débuts tenu une chronique des changes, et je ne l'ai jamais abandonnée. Historien, j'ai rencontré l'or presque à chacune de mes entreprises. Mais je me sens parfaitement libre devant lui. A la différence des auteurs qui se prennent d'amour pour leurs héros, je crois rester lucide devant le mien: il est capable du pire comme du meilleur, et sans doute plus souvent du pire que du meilleur. Cette histoire de l'or est sans préjugé. Pour reprendre une formule fameuse, elle ne propose pas, elle ne suppose pas. Elle expose.
1. L'or fétiche
Un métal qui brille Tout biographe doit commencer par présenter le personnage dont il entreprend de conter la carrière, qu'il s'agisse d'un héros ou d'un monstre. En l'espèce, le protagoniste de ce livre peut passer pour l'un ou l'autre: il est dieu ou démon, selon l'opinion qu'on en veut avoir. Chacun est libre de l'adorer ou de le mépriser. Sa fiche d'identité ne révèle sur lui rien d'essentiel : que l'or soit un métal lourd et brillant, ce n'est pas une raison suffisante pour en faire un produit d'exception. Les physiciens précisent sa densité (19,5), sa masse atomique (196,967), son point de fusion (1 064 degrés) au-delà duquel il émet des vapeurs violettes, son point d'ébullition (2960 degrés). Ds soulignent que les cristaux d'or sont de forme cubique, comme ceux du diamant, du fer, du plomb, du cuivre ou de l'argent. Ds comptent 1 seul électron sur l'enveloppe extérieure de l'atome d'or, et 18 électrons sur l'avant-dernière enveloppe - comme pour le cuivre et l'argent -; mais 79 protons pour le noyau de l'atome d'or - contre 82 pour le noyau de l'atome de plomb. Et après?
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Histoire de l'or
Après, si l'on passe aux qualités concrètes et pratiques de l'or, il faut convenir qu'il est remarquablement malléable et ductile. On en fait ce que l'on veut : des lingots, des feuilles, des fils. Lingot, il se laisse tronçonner, modeler, marteler à froid. Feuille, il peut ne pas dépasser une épaisseur d'un quinzième de micron, soit la quinzième partie d'un millième de millimètre, et il laisse alors filtrer une lumière verte; avec une once d'or, soit un peu plus de 31 grammes, on peut recouvrir une surface de 30 mètres carrés. Fil, l'or s'étire sur des longueurs incroyables: cette même once de métal s'allongerait sur 90 kilomètres, ou enroberait un fil de cuivre sur 1 800 kilomètres - la distance de Paris à Athènes. L'or a aussi le mérite d'être résistant: sa limite d'élasticité est de 4 kilos par millimètre carré, sa charge de rupture atteint 13 kilos au millimètre carré. Il se soude facilement à lui-même. Il est bon conducteur d'électricité: dans le châssis d'un ordinateur, un microscopique circuit d'or liquide peut remplacer des mètres de fil électrique. Il est bon isolant de la chaleur ou du froid: la pellicule d'or la plus menue isole les instruments de mesure d'une fusée spatiale de l'effroyable chaleur dégagée par les moteurs. Mais encore? Les chimistes retiennent que l'or est quasiment inaltérable. Dans l'air, à toute température, il garde le même éclat. Dans l'eau, et même dans l'eau salée, il peut séjourner durant des siècles sans rien perdre de ses qualités : quand le chercheur de trésors Kip Wagner retira du fond de la mer, au large de la Floride, le trésor d'une flotte espagnole engloutie deux cent cinquante ans plus tôt, il retrouva l'or aussi brillant que s'il sortait de chez le bijoutier. Aucun acide n'agit sur l'or. Il faut un mélange d'acide chlorhydrique et d'acide azotique pour le dissoudre : les vertus de ce mélange ont paru si royales que les alchimistes l'ont dénommé «eau régale J.
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Pour remarquables que soient ces mérites, qui préparent à l'or un destin hors du commun, ils ne suffisent pas à tout expliquer. Il existe des métaux plus lourds, des métaux plus rares, des métaux aussi séduisants, des métaux aussi constants. Dans la classification du Russe Mendeleïev, l'or ne figure qu'au 7g e rang, entre le platine et le mercure : un métal parmi d'autres métaux. C'est, dira Buffon, de toutes les matières du globe la plus tenace. La plus pure, dira Diderot. La plus parfaite, dira le dictionnaire de l'Académie. Ces adjectifs ne prouvent rien, que l'admiration. Quand on a constaté les avantages physiques et chimiques de l'or, on n'a rien dit.
L'or dans la nature L'histoire de l'or commence avec celle de la planète. Boule de feu en mouvement, la terre a vu d'abord les métaux les plus lourds se concentrer vers le noyau central, les métaux les plus légers affleurer à la périphérie, avec d'inévitables poussées du centre vers le pourtour. Puis, une croûte s'est formée à la surface du magma. Et quand se sont plissées les chaines de montagnes, quand ont craché les volcans, le brassage des métaux s'est poursuivi, l'or s'est dispersé dans des gîtes variés, tantôt dans des couches granitiques, tantôt dans des fIlons de quartz, tantôt dans des ciments siliceux. Tous les âges du globe ont engendré de ces bouleversements, qui se sont multipliés au tertiaire et au quaternaire. L'or est partout sur la terre et dans les mers. On le trouve à l'état natif, ou en combinaison avec d'autres métaux. Natif, il n'est jamais complètement pur. Allié à l'argent, dans des proportions qui le font varier du jaune au blanc, il prend le nom d'eleclrum, qui lui vient des Grecs: ceux-ci rapprochaient sa couleur de celle de l'ambre jaune, qu'illj appelaient
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elekiron. Allié au plomb dans la galène, au zinc dans la blende, au fer ou au cuivre dans la pyrite, à l'antimoine dans la stibine, présent souvent dans les gisements de mercure, dans les minerais de tellure ou d'uranium, l'or libre se propose sous formes de pépites, de paillettes ou de poudre. Les pépites sont des cristaux qui s'arrondissent en galets quand elles sont roulées par les eaux. Leur nom vient d'un mot espagnol qui désigne le pépin, et leur dimension est souvent celle d'un pépin de fruit. Mais il est des pépites d'or de 50 kilos et davantagecomme les chercheurs en ont découvert en Californie, au Congo, en Afrique du Sud ou dans l'Oural. Certaine pépite australienne, extraite du désert de Victoria, pesait 92 kilos. Les paillettes sont des filaments qui constel:ent le sable. La poudre est une poussière de pépites. Paillettes et poudre apparaissent fréquemment dans le lit des rivières, où les ont entraînées les eaux de ruissellement, après érosion des filons d'origine: dans ces alluvions, les grains de quartz restent à la surface, les grains d'or, en raison de leur poids, tendent à tapisser le roc inférieur. Si l'on remonte de la rivière à la montagne, l'or figure dans des filons verticaux ou dans des couches sédimentaires horizontales. Filons et sédiments peuvent affleurer au sol, ou pénétrer profondément dans la croÛ.te terrestre. Au total, l'or est à la f.ois répandu et peu commun: l'écorce du globe le recèle'à raison d'environ 1 centigramme à la tonne, les océans en contiendraient de 1 à 60 milligrammes par mètre cube. Ainsi les géologues et les océanographes concluent-ils que des milliards de tonnes d'or attendent, dans la terre et les eaux, qu'on vienne les chercher. Le malheur est que la teneur moyenne est infime, et que seuls sont exploitables les gttes qui offrent une concentration suffisante de métal.
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Prodigieusement abondant, et prodigieusement disséminé, l'or est finalement rare. Mais quand on a évoqué sa rareté, après ses qualités, on n'a encore rien dit. L'or dans la préhistoire
Il est impossible de rien comprendre à l'or et à son histoire, si l'on ne voit en lui qu'un métal. L'or est une passion. Ce qui compte en cette affaire, ce n'est pas la matière, c'est l'homme; ou, plus exactement, le rapport entre la matière et l'homme, le sentiment que l'homme porte à la matière. Du jour où l'homme connaît l'or, il est fasciné. Fasciné, mais longtemps incapable de tirer parti de ce métal qui l'éblouit. On peut imaginer. les bipèdes des premiers âges s'étonnant de ces particules qui scintillent dans le quartz ou au fil de l'eau. Ils vont en quête de gibier, au sein d'une nature hostile, et déjà ils s'émerveillent de voir de-ci de-là, sur un sol encore vierge, des fragments d'étoiles qui leur semblent comme un reflet du ciel. En ce temps-là, que les archéologues cataloguent sous l'étiquette paléolithique, l'homme ne sait encore que tailler la pierre; il ignore l'emploi des métaux. Ses outils et ses armes sont de bois ou d'os, de silex, de quartz, de ~ave ou d'obsidienne. Comment pourrait-il mobiliser à son profit ce minerai flamboyant, qui échappe à ses techniques balbutiantes? C'est le hasard sans doute qui, à l'âge de la pierre polie, dont on fera le néolithique, le guide vers une pépite plus grosse et plus complaisante que d'autres. ilIa ramasse, la soupèse, l'admire, la martèle: voici l'âge des métaux qui commence. Tout naturellement, l'homme préhistorique adore le soleil, dispensateur de chaleur et de vie : il en dessine le disque sur les parois de ses grottes, il dispose
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L' histoire de l'or
ses pierres levées, soit en alignements orientés dans le sens de la course solaire, comme à Carnac, soit en cercle comme à Stonehenge. Et, tout naturellement, il associe dans un même culte l'astre du jour et le métal de feu: on retrouvera à Trundholm, en Scandinavie, un char de bronze, supportant un grand disque dont une face est garnie d'une feuille d'or. Quelque part en Egypte, cinq mille ans avant notre ère, l'âge de l'or commence. La première dynastie des pharaons ne règne pas encore, que déjà les riverains du Nil ornent de manches d'or battu leurs couteaux de silex. Ils savent plaquer l'or sur la pierre et le bois. Au temps de la Ire dynastie (- 3000), les indigènes d'Abydos, en Haute-Egypte, cisèlent des bracelets d'or. Ceux qui font comme eux, dans les brumes de l'Europe danubienne ou aux confins de l'Europe et de l'Asie, tiennent-ils leur savoir des maîtres africains, ou bien ont-ils tout seuls, de leur côté, découvert les mêmes secrets? Ils façonnent de petits objets à partir d'une feuille d'or battu : disques perforés de Slovaquie orientale, figurines découpées du bas Danube. Avec des fils d'or, ils fabriquent des tubes ou des bagues, voire des boucles d'oreilles, comme on en retrouvera sur le site de la seconde ville de Troie ( - 2300?). . C'est encore le hasard qui enseigne à l'homme le moyen de fondre le métal. Depuis des millénaires, il sait faire du feu: il en a usé pour chauffer et pour éclairer ses cavernes et ses huttes, pour cuire ses graines et son gibier, pour honorer ses morts, puis pour ses travaux de céramique. Le potier se familiarise avec les sortilèges du feu, sans en soupçonner encore toutes les vertus. Un beau jour, l'homme construit un foyer avec des pierres qu'il trouve jolies, parce que de couleurs vives : des pierres vertes ou bleues, comme la malachite et l'azurite, rouges comme· la cuprite et la calcopyrite. Sans le vouloir, par la seule action de la chaleur, il fait surgir sur la
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pierre une première perle de métal. Sans le savoir, l'homme est devenu métallurgiste. Une fois découvert le procédé, il faut le parfaire. Génération après génération, l'homme apprend à construire un four, à substituer au combustible végétal le charbon de bois, à souffler à la base de la flamme pour l'activer. Et puis, et surtout, il constate que les métaux sont variés, de qualités diverses, d'usages multiples. Q!!.~l métal commence-t-il par mettre en œuvre? Dans la plupart des pays, le cuivre est le premier qui s'offre à ses expériences. Trois mille ans avant notre ère, dans le Proche-Orient, des oxydes de cuivre sont ainsi réduits en cuivre métallique. Un peu plus tard, alliant l'antimoine, puis l'étain au cuivre, l'homme enfante le bronze. Sous d'autres cieux, et peut-être en Égypte, la métallurgie de l'or a pu précéder celle du cuivre: dans les déserts du Soudan, les sables d'alluvions sont ponctués de corpuscules dorés; entre Nil et mer Rouge, s'étendent des gisements de quartz aurifère. Les Egyptiens ne se contentent plus de ramasser le minerai d'or quand la bonne fortune leur en fait découvrir, ni de le marteler plus ou moins grossièrement. Ils en organisent la « cueillette », ils se préparent à exploiter méthodiquement les mines, ils savent fondre le métal. Pour porter le feu aux températures nécessaires, ils s'accroupissent devant le foyer et soufflent dans de longs chalumeaux. Ainsi, dès la IVe dynastie (2500 ans avant notre ère), ils sont capables de traiter l'or, non plus par occasion, mais en grandes quantités. La préhistoire a fait place à l'histoire.
L'or dans les premières religions L'important n'est pas de dire comment l'homme en est venu à s'intéresser à l'or, mais pourquoi.
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Le cuivre, le bronze, demain le fer, sont et seront des métaux utiles : on peut en faire des outils et des armes, de quoi travailler et combattre, c'est-à-dire de quoi vivre. L'or, en principe, ne sert à rien. Il est trop mou, à l'état pur, pour forger des instruments de vie ou de mort. Sa qualité est subjective : il est beau. Mais il faut croire que sa beauté est ensorcelante, puisque partout et dès l'origine, l'homme en est ensorcelé. L'alpha et l'omega de l'histoire de l'or tiennent en cette constatation : l'or est un métal magique. Ce qui comptera dans sa carrière et l'expliquera de bout en bout, ce n'est pas qu'il a été arraché aux entrailles de la terre, c'est qu'il n'a jamais été arraché aux entrailles de l'homme. Là où les géologues voudront voir un caillou, et les économistes une marchandise, le sociologue et l'historien devront voir une foi. Nous n'en saurons jamais exactement les mobiles: la foi défie l'analyse. Il se confirme pourtant que, comme dans la préhistoire, la couleur et l'éclat de l'or évoquent le soleil et le feu -les trésors suprêmes sans lesquels l'homme ne saurait survivre. Pour les Égyptiens, l'or est la chair même de Râ, dieu du Soleil, et, dans la mythologie thébaine, mattre universel et roi des dieux. Râ-soleil naît, chaque matin, sous la forme d'un veau d'or qui, dans la journée, devient un taureau puissant. Il parcourt ses royaumes sur deux barques d'or, Mandjet, le jour, et Mesektet, la nuit. En prenant de l'âge, il a vu son corps même se transformer en or. « Ma peau, dit-il, est de l'or pur. » Ainsi se confondent la chaleur fécondante du soleil et le métal jaune. Râ, au surplus, est incorruptible comme l'or. Mais tous les dieux n'ont pas une égale vertu, et l'or peut être corrupteur: quand la déesse Isis, mère d'Horus, veut obtenir du dieu-passeur Anti l'accès de l'ne interdite où Râ s'est retiré, elle remet un anneau d'or
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pour prix de son passage. Ainsi l'or achète-t-il les consciences des dieux comme des hommes. De même qu'il est la chair du soleil, l'or est la chair des dieux issus de Râ. La déesse Hathor, qui est l'œil du soleil, est l'or incarné. On l'appelle la Flamboyante, la Flamme d'or, la Dorée. « Viens, ô Dorée, qui es flamboyante pendant les heures du plaisir. » Elle est aussi la Vache d'or, l'aimée d'Horus et de Râ. Dans les temples, les idoles divines sont d'or ou plaquées d'or; les porches, les meubles liturgiques, les pointes des obélisques, les bas-reliefs représentant les images les plus augustes sont recouverts de feuilles d'or. Les mines d'or sont un don d'Isis aux pharaons. La déesse dit au roi: « Je te donne les pays de l'or, je te donne les mines avec tout ce qui s'y trouve. » A l'est d'Edfou, une inscription éternisera ces paroles. Aussi bien, le pharaon lui-même se dénomme l'Horus d'or. Le métal divin lui confère une survie divine: le pharaon, dieu vivant, participe de l'éternité charnelle du soleil. En Asie Mineure, les Hourrites et les Hittites mêlent aussi l'or à la religion. Pour les premiers, le dieu de l'Orage n'affronte Oullikoumi, fils du roi des dieux, qu'après avoir ordonné de recouvrir d'or la queue du taureau qui tire son char. Chez les Hittites, telle reine promet à la déesse Hébat une statue d'or si elle rend la santé à son époux; tel dieu guerrier, coiffé de la tiare pointue, est matérialisé dans une figurine d'or. Sur les rives de l'Euphrate, l'or est rare. Les Mésopotamiens doivent se contenter de recourir aux techniques du placage, en leur attribuant un sens rituel : sur les statuettes sacrées des Babyloniens, les mains et le visage, parties nobles du corps, sont souvent recouverts d'une feuille d'or, parce que le métal a valeur de purification. Sur les ziggurats, qui sont les temples en forme de pyramides à degré, le
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dernier étage est en or, couleur du soleil. Suse utilise l'electrum pour sculpter un porteur d'offrandes : barbe lissée, robe jusqu'aux pieds, il tient de la main gauche un chevreau doré, cependant qu'il tend la main droite vers le dieu qu'il implore. Treize siècles plus tard, Nabuchodonosor passe pour ériger une statue d'or de six coudées de haut, que tous les dignitaires ont ordre d'adorer, sous peine d'être jetés dans une fournaise. On veut croire, malgré le prophète Daniel, que ce colosse est seulement plaqué de métal jaune : toute la production de minerai de l'Antiquité ne suffirait pas à un pareil monument d'or massif. L'or dans la Bible
Quand les Phéniciens construisent le temple de Baal, après avoir célébré le sacrifice au dieu, ils entonnent le chant qui lui prête ces paroles : « Mon sanctuaire est plein d'or.» Chez les Hébreux, la Bible ruisselle d'or. En Éden, le jardin est arrosé par un fleuve qui se divise en quatre bras : «Le premier s'appelle le Pishôn : il contourne tout le pays de Havila, où il y a l'or; l'or de ce pays est pur. » En Égypte, Abraham est riche d'or comme de troupeaux. Son serviteur, rencontrant Rebecca, lui met aux narines un anneau d'or, aux bras deux bracelets pesant dix sicles d'or. A Moïse qui va guider les tribus hors d'Égypte, Yahvé donne un conseil précis pour dépouiller les Égyptiens : fi Vous ne vous en irez pas les mains vides. La femme demandera à sa voisine ... des objets d'or et des vêtements. Vous en couvrirez vos ms et vos filles. » Obéissants, les enfants d'Israël « sollicitent» auprès des Égyptiens des bijoux d'or, pour le grand départ. Sur la montagne, Yahvé ne cesse plus de donner à l'or un rôle prééminent. Quand il ordonne à Moïse de construire l'Arche, il lui dit: « Tu la plaqueras
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d'or pur, et tu garniras son pourtour d'une moulure d'or. Tu fondras pour l'arche quatre anneaux d'or et tu les fixeras à ses quatre pieds... Tu feras aussi des barres en bois d'acacia, que tu revêtiras d'or ... Tu feras aussi un propitiatoire d'or pur, de deux coudées et demie de long et d'une coudée et demie de large. Tu façonneras au marteau deux chérubins d'or aux deux extrémités du propitiatoire... » Puis, interminablement, avec une belle surabondance de recommandations, Yahvé précise la tâche de Moïse. Qu'il fasse la table, plaquée d'or, avec moulures et anneaux d'or, les plats, les coupes, les aiguières, les patènes à libation 1 « C'est d'or pur que tu les feras. » Le candélabre, les lampes: encore « un talent d'or pur». Pour la Demeure, pour l'autel des parfums, agrafes, cadres, anneaux, traverses, colonnes, crochets seront d'or ou plaqués d'or. Pour les vêtements des prêtres, l'or sera prodigué: écharpe d'or, chatons d'or, chaînettes, clochettes. Pour le diadème, « tu feras une lame d'or pur Il. On finit par se demander où les Hébreux peuvent trouver tant de métal. Yahvé n'y a pourvu qu'en principe, dans ses prescriptions à Moise : « Dis aux enfants d'Israël de prélever pour moi une contribution... Vous accepterez de leur part,- comme prélèvement, de l'or... Toute personne soumise au recensement, c'est-à-dire âgée de vingt ans et au-dessus, devra verser le prélèvement pour Yahvé.)l Comment s'étonner ensuite que les Hébreux adorent le veau d'or? Selon le livre de l'Exode, le peuple, voyant que Moïse tarde à descendre de la montagne, demande un dieu à Aaron. « Otez les anneaux d'or qui pendent aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles, et apportez-les-moi », répond Aaron. Puis, « les ayant reçus de leurs mains », il fait fondre le métal dans un moule et en coule une statue de taureau, sans doute consacrée à Baal, et dont, par dérision, les ~critures feront un
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veau. Le peuple s'écrie: « Voici ton dieu, Israël!» Ce n'est pas le seul veau d'or de la Bible. Le livre des Juges parle d'une autre e: image de métal fondu» au camp des Danites. Le livre des Rois évoque Jéroboam dressant deux veaux d'or, l'un à Bethel, l'autre à Dan. On sait comme Yahvé s'indigne de ces retours au paganisme. Devant la statue d'Aaron, il s'exclame: « Ils se sont fabriqué, en métal fondu, un veau devant lequel ils se sont prosternés. » Moise, enflammé de colère, se saisit du veau et le br~le. Mais il se garde bien d'anéantir le métal. Ille réduit en une poussière fine dont il saupoudre la surface de l'eau qu'il fait boire aux enfants d'Israël. Et, depuis ce jour, le dieu d'or reste en leur cœur. Saül accroche des joyaux d'or aux vêtements des filles d'Israël. David emporte à Jérusalem les rondaches d'or qu'il a enlevées à la garde du roi de Çoba, et consacre à Yahvé l'or de toutes les nations qu'il a subjuguées. Salomon revêt d'or fin, dans le Temple, le Saint des Saints, les chérubins, les palmiers sculptés, et jusqu'au plancher «à l'extérieur et à l'intérieur ». Dans le Cantique des Cantiques, le nom du métal divin revient comme un motif musical - et il importe peu qu'il s'agisse ou non d'une allégorie. « Mon amie, Nous te ferons des colliers d'or. - Mon bien-aimé se distingue entre mille: sa tête est de l'or pur. Ses mains sont d'or, faites au tour. - Ses jambes sont des colonnes de marbre sur des socles d'or... ». Par-dessus l'argent et l'écarlate, la myrrhe et l'encens, le miel et l'aloès, les lis et les aromates, l'or confirme son règne spirituel.
L'or dans les religions orientales Puisque l'Orient est le pays où se lève le soleil, et puisque l'idée de soleil et l'idée d'or sont fréquem-
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ment associées, il est normal que l'or tienne une place éminente dans les religions orientales. Dans un temple des Mèdes, situé en pleine Bactriane, sur la rive droite du fleuve que les Anciens nomment l'Oxus, on retrouvera un trésor, composé de multiples objets déposés par les fidèles. Ceux-ci présentent à la divinité leur requête en l'appuyant d'une offrande. Le berger demande la prospérité de ses troupeaux, la femme appelle sur elle la fécondité, le soldat prie pour la victoire. Tous s'adressent à l'orfèvre voisin, qui, sur des plaques d'or, grave au burin, en traits sommaires, à l'intention de ses clients, des personnages tenant en main une gerbe, parfois une fleur, un vase ou une lance. Tous déposent la plaquette dans le temple, peut-être aux pieds de la déesse Anahita, maîtresse des Eaux. Les plus riches, désireux d'offrir mieux qu'un simple morceau d'or illustré à la hâte, font ciseler des bracelets, des vases, des statuettes, voire un char à deux roues, tiré par quatre chevaux. A travers l'Iran, d'autres trouvailles de ce genre confirmeront le caractère votif de l'or, dont témoigne le trésor de l'Oxus. Certains objets d'or ont d'ailleurs des vertus protectrices : jusque sous les Achéménides, les Iraniens se font coudre volontiers sur leurs vêtements des amulettes d'or: épingles ou fibules, croix, palmettes ou merlons. Les dieux eux-mêmes, dans le panthéon mazdéen, savent le pouvoir du métal: c'est muni d'un anneau et d'un aiguillon d'or que Yima écarte de ses sujets les cataclysmes et la mort; c'est dans un palais d'or, construit sur le mont Albourz, que Kay Us règne sur le monde, et il suffit de faire le tour de ce palais pour que les malades recouvrent la santé, pour que les vieillards recouvrent la jeunesse. En Inde, le dieu Agni est le soleil au ciel, l'éclair dans l'air, le feu sur terre. Le dieu Soma, créateur et père des dieux, est la lune et la béatitude. Agni et
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Soma, se fondant en un être unique. engendrent une seule substance, qui est l'or. Métal sacré, l'or peut, dans les sacrifices, remplacer le feu. Jama-dagni, le père de Bali, qui règne sur trois mondes, est « celui qui connait l'identité entre l'or et le feu ». Le monde, au demeurant, est né d'un œuf d'or. D'un germe déposé dans les eaux, l'œuf est issu, éclatant comme le soleil. Brahma, après y avoir séjourné durant un an, l'a coupé en deux, pour faire de la moitié supérieure de la coquille la sphère céleste, de la moitié inférieure la sphère terrestre. Entre les deux parties, se sont fixés l'air, la terre, les eaux, les points cardinaux. De l'œuf d'or a jailli l'~tre primordial, avec mille têtes, mille bras et mille jambes. Le soleil sort de son œil, la lune de son âme. De sa bouche sortent les brahmanes et les chèvres, de ses bras les guerriers et les moutons, de ses cuisses les marchands et les bovins, de ses pieds les travailleurs et les chevaux. Ainsi tout procède de l'or. Le peuple de l'Inde ne l'oubliera pas : au dieu Varuna, qui règle les mouvements du ciel et de l'eau, il attribue une armure d'or; aux jumeaux Ashvins, qui sont les dieux guérisseurs, il donne la couleur de l'or. Dans tous les sanctuaires de l'Inde, pour longtemps, les lampes seront d'or, comme les statues des divinités. Toujours en Inde, les mythes du jaïnisme réservent à l'or un rôle de choix. Maru Devi, avant de donner naissance au premier des Sages, fait un rêve peuplé de lunes et de soleils, de vases d'or, d'un lac d'or liquide, et un second rêve dans lequel elle voit un taureau d'or entrer dans sa bouche: ce qui l'avertit du destin surnaturel de son fils. Siddhârtha, en donnant naissance au dernier des Sages, voit tomber sur son palais une pluie d'or et de fleurs. Bouddha lui-même, quand vient son tour, descend lur terre par une échelle d'or.. Il est.assis sur un lotus
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d'or. C'est encore un lotus dlor que tient dans l'une de ses innmnbrables mains la déesse Kunda, propice aux bons et redoutable pour les méchants; tandis que Matreya, le Bouddha de l'avenir, celui qui renattra au monde pour sauver les hommes, a la couleur de l'or. Au Japon, le Bouddha vénéré à Nara porte une auréole d'or, le Bouddha du temple d'Horeguyi est de bois doré. Venue du brahmanisme et incorporée dans le panthéon bouddhiste des Japonais, la déesse Benzai-ten est exaltée par un texte fameux, dit « le Roi suprême de l'~cl~t d'or D. De provenance également indient:te, le dieu Daikoku, qui préside à la richesse, tient à la main un sac d'or, ou bien un marteau magique avec lequel il peut faire surgir le précieux métal. Seuls, les dieux de Chine paraissent ignorer l'or, et les Chinois lui refusent la primauté. Mais ce divorce tient peut-être lui aussi à des superstitions - très exactement à la crainte qu'inspirent les démons souterrains et qui paralyse les recherches minières .. L'argent est-il moins inquiétant que l'or? Les Chinois lui donneront la préférence: le premier peuple du continent jaune ne monnayera que le métal blanc.
L'or dans les religions occidentales Pour les peuples méditerranéens, l'or se confond, non plus avec le soleil, mais avec l'éclat de la foudre. Pour les Grecs notamment, il est le fils de Zeus, mattre du tonnerre. C'est donc en or qu'ils ornent les temples et font les sacrifices aux dieux. . Le jour où le dieu des dieux veut séduire Danaé, fille de Danaos, il se métamorphose en pluie d'or, de façon à pénétrer jusque dans la tour de bronze où elle est enfermée : une pluie ordinaire aurait aussi bien fait l'affaire, mais Zeus lle peut oublier que l'or seul est digne de son rang.
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Né de cette pluie d'or, Persée a pour descendant Héraclès, le héros aux douze exploits. Au terme de ses travaux, et comme pour les couronner, figure le rapt des pommes d'or du jardin des Hespérides : ce sont les fruits de pommiers merveilleux, offerts à Zeus par son épouse Héra, et placés, du côté des fies Fortunées, sous la garde d'un dragon à cent têtes. Avant Héraclès, ces pommes ont déjà une histoire : Aphrodite en a donné trois au jeune Milanion, qui a défié la belle Atalante à la course; Milanion, parti en tête, a laissé choir ses pommes une à une, et Atalante n'a pu résister à leur attrait; pour les ramasser, elle a trois fois brisé son élan, elle a perdu l'épreuve, et Milanion a conquis sa main. Quant aux autres pommes d'or, elles sont cueillies par le géant Atlas, puis dérobées par Héraclès, et elles finissent entre les mains d'Athéna, qui les fait reporter par Héraclès au jardin des Hespérides, où le destin exige qu'elles demeurent. . D'autres fruits d'or trouvent place dans la mythologie grecque: quand Thétis épouse Pelée, la Discorde oubliée sur la liste des convives jette une pomme d'or sur la table du repas nuptial. Quand le berger Pâris est appelé à désigner, entre Héra, Athéna et Aphrodite, la plus belle des déesses, il offre cette même pomme à l'élue: ce qui soulèvera d'affreuses colères et déchaînera la guerre de Troie. Pour certains auteurs, que n'effraient pas les rapprochements hardis, les pommes, l'or et le soleil finissent même par se confondre, à ce point que la pomme, le fruit par excellence, devient la représentation du soleil, et que le nom d'Apollon, dieu de la Lumière, rejoint celui de la pomme (Aplel en .allemand, apple en anglais, aval en breton et en gallois...). Dans Homère, sont d'or la tunique, le fouet et la balance de Zeus, le glaive et le bouclier d'Apollon, les sandales d'Athéna, la baguette d'Hermès, les rènes d'Artémis, le rouet de Poséidon, les ailes d'Iris,
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les agrafes de la robe d'Héra, le frontal des chevaux d'Arès, les jantes du char d'Hébé. Faut-il aussi évoquer le palais d'or d'Hélios, dieu du Soleil, patron de Rhodes et de Corinthe? L'épée d'or de Chrysaor, fils de Poséidon, frère de Pégase? Le collier d'or que forge Héphaïstos pour le mariage d'Harmonie? Les mines d'or que les Arimaspes, qui n'ont qu'un œil, tentent de ravir aux Griffons, qui ont tête d'aigle et corps de lion? Les Grecs installent ainsi l'or à tous les coins de leur horizon : depuis la côte atlantique, où ils situent le jardin des Hespérides, jusqu'à l'Asie Mineure, où Pâris rend son jugement, et aux rives de la Caspienne, où veillent les Griffons. Mais ce n'est plus d'or imaginaire, c'est d'or véritable qu'ils usent lorsqu'ils couvrent de statues le sanctuaire de Delphes (sanctuaire d'Apollon), ou lorsque Phidias érige les statues chryséléphantines de Zeus à Olympie (avec tunique et sandales d'or) et de Pallas à Athènes (10 mètres de haut, 900 kilos d'or fin), ou lorsque au seuil de r Acropole les Athéniens érigent douze Victoires ailées - qu'ils devront fondre pour tenir tête à Sparte. Les Romains, qui adoptent de bon cœur les fables éloquentes de la Grèce, ne peuvent guère qu'y ajouter quelques histoires de leur façon : par exemple, la mésaventure de Tarpeia, la jeune Romaine qui livre la Cité' aux Sabins. Elle a remarqué que ceux-ci portent des bracelets d'or. Pour prix de sa trahison, elle réclame ce que les guerriers portent aux bras. Le roi des Sabins, la prenant au mot, feint de croire qu'elle demande les boucliers, et les entasse sur elle jusqu'à l'étouffer. La Maison dorée que Néron se fera construire sur l'Esquilin, Domus aurea, s'enorgueillira de salles où, selon Suétone, « tout est couvert d'or et incrusté de gemmes et de coquillages à grosses perles JI. Dans l'esprit de Néron, ce palais d'or sera destiné à glorifier le soleil et la religion solaire, à l'intention des
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peuples orientaux, adorateurs de Mithra et de Mazda, que Rome a inclus dans son Empire. Les éhrétiens font certes passer les valeurs morales avant les valeurs matérielles. Mais l'or, même pour eux, n'est-il pas chargé de symbole? Ils ont recueilli l'héritage d'Israël et, qu'ils le veuillent ou non, celui de Rome. La légende de l'or fait partie de leur patrimoine. Selon Matthieu, les mages venus d'Orient offrent à l'enfant Jésus, dans le logis de Bethléem, de l'or, de l'encens et de la myrrhe: pour les Pères de l'Église, l'encens, qu'apporte Melchior, représente la divinité; la myrrhe qu'apporte Gaspar annonce la Passion, l'or qu'offre Balthazar est signe de royauté. Renouvelant cet hommage au Christ, les chrétiens retiendront l'or comme l'emblème, non seulement de la gloire et de l'abondance, mais aussi de la sagesse et de la charité: rien ne sera trop beau pour les reliquaires, pour les croix, pour les vases liturgiques. En argent doré, la grande croix de Justin II, le calice d'Antioche. En or, le reliquaire de Pépin d'Aquitaine, celui de Charlemagne à Conques, l'autel de Bâle. S'il fallait recenser l'or dans les trésors des églises, un volume n'y suffirait pas. Il est le métal de Dieu, non pas en signe d'opulence et d'ostentation, mais en signe de respect et de dévotion.
L'or dans les religions barbares Si l'on quitte les pays méditerranéens pour les brumes du Septentrion, le soleil, parce qu'il est plus désiré, n'en est que plus vénéré: de même l'or, quand il se fait rare, prend valeur de talisman. Pour les Turco-Mongols de Sibérie, l'axe de l'univers est un arbre d'or - mélèze, chêne ou bouleau à la cime duquel siège le soleil. Celui-ci a pour rayons de longs cheveux d'or, qui lui permettent de transmettre la vie à toute la végétation.
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Les Russes de Kiev auront une idole à la moustache d'or. Les Lituaniens inhumeront leur grand-duc avec une ceinture d'or. Bien avant eux, les Scythes, hommes et femmes, portent aussi des ceintures d'or, auxquelles ils attribuent des pouvoirs protecteurs, éminemment magiques. Les Germains, plus qu'aucun autre peuple, réservent à l'or une place d'élection dans leur mythologie. Tacite qui, désireux de faire la leçon aux Romains, donne les Barbares pour plus vertueux qu'ils ne sont, assure que « les dieux, dans leur bonté ou leur colère, leur ont refusé l'or et l'argent ». Il ajoute prudemment: « Je n'affirmerais pas, toutetois, qu'il ne s'en trouve aucune mine en Germanie, car, qui les a fouillées? La possession et les avantages de ces métaux ne les touchent pas, à beaucoup près, comme chez nous." Tacite consent pourtant que « ceux qui habitent le long de nos frontières, faisant un peu de commerce, attachent quelque prix à l'or... Ceux de l'intérieur ont conservé la simplicité antique ». C'est trop beau pour être vrai. " En réalité, les Germains rêvent de ce métal qu'ils ne possèdent guère, et lui prêtent des mérites surnaturels. Pour eux aussi, l'univers est un arbre, le frêne Ygdrasil. Sur la plus haute de ses branches, un coq d'or surveille l'horizon, guettant l'attaque des géants, toujours prêt à alerter les dieux. Le plus grand de tous les dieux, coiffé d'un casque d'or, Odin pour les Germains du Nord, Wotan pour les Germains de l'Est, a pour demeure le Walhalla, qui est une salle murée d'or: une salle démesurée, dont chacune des 540 portes peut laisser passer 800 guerriers de front. De tous ces guerriers, le plus fameux est Sigmund, dont le fils Siegfried sera le héros des Nibelungen : il s'emparera de l'or du roi Nibelung, extrait de galeries souterraines par un peuple de nains. A son tour Wagner s'emparera du mythe, dont il fera L'Ordu Rhin.
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Les nains, mattres des métaux, sont orfèvres aussi bien que mineurs : ils forgent pour Odin l'anneau d'or qui multiplie les richesses, la lance qui atteint toujours le but visé; pour Thor, le marteau qui extermine les géants; pour la déesse Freyja, le collier d'or qu'elle paie en passant une nuit avec chacun des nains; pour le dieu Freyr, le sanglier d'or qui tire un char plus vite qu'un cheval au galop; pour Sif, l'épouse de Thor, une chevelure d'or qui pousse comme des cheveux vivants. L'or, cependant, n'est pas un métal de tout repos, et les Germains le savent capable d'engendrer les discordes et les guerres. Les dieux eux-mêmes, par sa faute, ont cédé à la concupiscence. Les dieux ases, d'un naturel belliqueux, ont voulu arracher ses secrets à la faiseuse d'or Gullveig, que leur ont envoyée les dieux vanes, d'un naturel pacifique. Ils l'ont torturée, conduite au bftcher, brftlée. Mais la magicienne a pu renaître de ses cendres, et les Vanes ont demandé réparation - en or. Les Ases ont refusé. C'est ainsi qu'a éclaté la guerre des dieux, qui fut la première des guerres. U ne fois le conflit terminé, la nouvelle génération des dieux peut rétablir la paix sur le monde, la lumière dans le ciel. Va-t-elle condamner l'or, responsable de tant de maux? En fait, elle retrouve sur la prairie les « tables d'or» de l'ancien temps: l'or survit au cataclysme. Dans les grandes et les petites histoires des dieux comme des hommes, l'or joue touj ours son rôle. La mythologie germanique met en scène des pommes d'or, comme la mythologie grecque: il ya celles qui donnent aux dieux une éternelle jeunesse, et que garde jalousement la déesse Idwa, en dépit des tours que lui joue le malin Loki, l'esprit du feu. n y a les onze pommes d'or pur que Skirmi propose à la belle Gerd, pour qu'elle accepte d'épouser le dieu Freyr... On a la certitude que, pour les Germains, malgré
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Tacite, l'or n'est pas simplement un métal inaccessible, à l'usage des dieux et des mythes. Les archéologues
retrouveront, témoignages de leur civilisation morte, de nombreux objets de métal jaune et, par exemple, les belles cornes d'or de l'fie danoise de Seeland. L'or a figuré dans les religions et dans les ateliers des orfèvres, avant de finir dans les musées.
L'or dans les religions américaines et africaines En certaines parties du continent américain, l'or est abondant. Il n'est pas pour autant méprisé. Les indigènes, ici comme ailleurs, admirent son éclat, et ils le mettent en œuvre d'autant plus volontiers qu'ils ignorent la métallurgie du fer. Ici comme ailleurs, les religions s'incorporent le métal jaune. Le dieu Quetzacoatl, qui est pour les Aztèques le soleil couchant et victorieux, pour les Toltèques le serpent-oiseau, révèle aux hommes l'art de travailler l'or : il est donc par excellence le dieu civilisateur. Chez les Chibchas, au pays des Incas, le héros civilisateur s'appelle Bochica : c'est lui qui, de sa baguette d'or, fend la cordillère et permet aux eaux de s'écouler. Pour mériter l'investiture, le roi des Chibchas, après s'être longuement mortifié, se rend au bord du lac sacré de Guatavita, se dévêt, se fait enduire la peau d'argile poudrée d'or, s'embarque sur un radeau de balsa, chargé d'or et d'émeraudes, gagne le centre du lac, y jette en offrande aux dieux le métal et les pierres précieuses, et plonge à son tour dans l'eau pour s'y laver de sa gaine dorée .. Pizarre et ses Espagnols trouvent à Apurima une idole plaquée d'or. à Cuzco des trésors associant le métal et les dieux; des jardins artificiels, où les feuilles, les fleurs et les fruits sont d'or; un sanctuaire du Soleil aux parois revêtues de pellicules d'or; une statue de l'astre, elle aussi en or, parmi les
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momies des Incas défunts, assis sur des trônes d'or. En Amérique centrale, les tribus Cuna croient que les animaux et les plantes proviennent d'un seul arbre -l'arbre de vie. Le dieu soleil a voulu l'abattre et il n'a pu y parvenir qu'avec le concours de l'écureuil, qui a fendu avec une hache d'or les lianes qui le retenaient aux nuages. Puis, pour recueillir toutes les richesses de l'arbre, le soleil a tendu des filets d'or. L'Afrique noire, pareillement, connaît et vénère le métal jaune. Pour les peuples Akan, ancêtres des Ashantis de la Nigeria, l'or est né du soleil, il est source de vie, source de pouvoir, il est la couleur du roi et l'attribut de la souveraineté. Pour les tribus riveraines du Tchad, un crocodile à deux têtes est le gardien de l'or. TI a lui-même des yeux en forme de boules d'or qui, la nuit, éclairent les pêcheurs. De l'eau, sa demeure, s'échappent des mouches d'or, qui tombent si l'on réussit à les frôler. A quoi bon multiplier ces références à l'or fétiche? Elles finissent par être monotones comme seraient monotones les croyances des hommes, si elles ne prenaient chaleur et couleur dans des fables souvent poétiques, toujours touchantes. Rares sont les peuples qui échappent à sa magie: seuls, les Chinois et les Arabes, dont les mythes prennent corps en un temps où l'or est absent de leurs mains, semblent ne pas participer à l'universel envofttement. L'or dans les lombeaux
Pour honorer les morts, comme pour honorer les dieux, l'homme fait appel à l'or. Mais il faut qu'il attache à la présence du métal précieux auprès des cercueils une signification particulière, pour qu'il l'enfouisse à jamais au fond des tombeaux. Il se prive volontairement, au profit des disparus, de trésors dont il ne recouvrera jamais la jouissance. Il engloutit, dans les ténèbres des sépulcres, des chefs-d'œuvre
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qui ont mobilisé à la fois la matière la plus riche et le travaille plus délicat. Si l'or n'était qu'une marchandise, il ne serait pas ainsi condamné à un exil éternel. Il est nécessairement autre chose, puisqu'on le situe aussi bien avec les morts qu'avec les vivants. Pourquoi le plus précieux des métaux, magnifié par les artistes les plus subtils, est-il ainsi confié au secret des tombes? A l'origine, ce sacrifice répond à des intentions propitiatoires. Le mort survit dans un monde surnaturel, et il est nécessaire de se le concilier: on lui assure dans le sépulcre un confort qui doit l'apaiser. On l'entoure de ses objets familiers, choisis parmi les plus rares. Il arrive même qu'on enterre auprès de lui ses serviteurs (éventuellement égorgés pour la circonstance), ses femmes (brillées s'il le faut), ses chiens, ses chevaux. A plus forte raison, il est naturel de réserver au défunt la compagnie de son armure, de son épée, de ses meubles, de ses vases. En contrepartie, il conservera aux survivants sa protection et son amitié. Mettre de l'or dans les tombeaux, c'est s'assurer la bienveillance des disparus, c'est attirer sur toute la communauté les faveurs de l'au-delà. Quelquefois, le geste est publicitaire: dans les pays opulents, pour honorer dignement la mémoire d'un des grands de ce monde, chef de tribu, pharaon, empereur, roi ou capitaine, les hommes érigent des mausolées grandioses, soit par leur dimension - tumulus ou pyramides -, soit par leur faste. Dans ces monuments triomphaux de piété et d'orgueil, il est logique d'enfermer les trésors les plus prestigieux, à condition de le faire savoir : l'or y est à sa place. A l'inverse, certaines sépultures sont volontairement enfouies au plus profond du sol et mises autant que possible à l'abri des indiscrets, ou hors de la portée des ennemis. Dans ces tombes-cachettes, on enterre d'autant plus volontiers des trésors que, par la même occasion, on les soustrait à la concupiscence
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d'autrui. Les tombes les moins visibles sont fréquemment les plus opulentes. De ce rite, quasiment universel, qui consiste à ensevelir des objets d'or, les archéologues feront leur profit. Après des millénaires ou des siècles, ils remettront au jour des trésors oubliés. Ce faisant, ils contribueront à rétablir l'histoire de l'or dans sa pieuse vérité. Il est vrai que, devançant les archéologues, nombre de détrousseurs de cadavres profaneront et pilleront souvent les sépultures - en commençant par les plus ostentatoires, en finissant par les autres. Guerriers avides d'un butin facile, voleurs de circonstance ou de profession, ou fouilleurs clandestins, ils ramèneront l'or à la surface du jour, et, quitte dans la plupart des cas à fondre des pièces rares d'orfèvrerie, ils restitueront le métal au monde des vivants. D'autres trésors resteront ensevelis et ignorés à jamais. De ceux qui auront été exhumés, et qui peuplent aujourd'hui les palais et les musées, la liste est déjà étonnante. La richesse et la variété de l'or funéraire peuvent faire notre émerveillement. Et l'on ne sait s'il faut se récrier le plus, devant les splendeurs accumulées dans les tombeaux des pays cossus et raffinés, ou devant celles des pays barbares qui semblent mettre leur point d'honneur à faire étalage d'un luxe hors de leur portée.
De sépulcre en sépulcre,' Nil, Ur, Grèce Splendeur des tombes égyptiennes: l'éclat de l'or, tenant lieu de soleil, est censé réchauffer dans la nuit du sépulcre le pharaon qui a cessé de vivre. Premier témoin lointain de cette sollicitude, voici, dans une tombe royale, un couteau dont la poignée est faite de deux feuilles d'or, sur lesquelles s'entrelacent des serpents ciselés (- 3200). Voici, dans la tombe de Djer, d'éblouissantes parures d'or, portées par la
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reine son épouse, enterrée à son côté (- 3000). Pour la mère de Chéops, un riche mobilier plaqué d'or, destiné à l'accompagner da ns le trépas (-2700). Pour les princesses enterrées près des pyramides de Dahchour, des joyaux raffinés (- 2000). Pour Amosis 1er, dans sa tombe de Thèbes, des armes luxueuses, toutes d'or (-1550). Et pour le jeune Toutankhamon, merveille des merveilles, un sarcophage d'or de 110 kilos, un masque mortuaire d'or, et, toujours en métal pur, des trésors soustraits aux pilleurs et aux indiscrets durant plus de trois millénaires (-1350). Les égyptologues noteront que, pour les rois et les grands, les masques sont d'or pur, tandis que, pour les défunts de moindre extraction, ils sont dorés ou vernis de jaune: par analogie avec l'or, la couleur jaune tient une grande place dans la symbolique funéraire. La chambre des sarcophages des hypogées royaux s'appelle la salle d'or. Ce même nom désigne aussi les ateliers où sont sculptés les cercueils, et les laboratoires d'embaumement où les momies sont agrémentées de pectoraux, de colliers, de bracelets et de doigtiers d'or. Splendeur des tombes royales d'Ur, qui attestent à la fois la cruauté et le raffinement de la civilisation sumérienne (- 2600). Rois et reines, à supposer qu'il s'agisse bien de monarques, sont enterrés avec des dizaines de sujets immolés en leur honneur, mais aussi avec un mobilier d'apparat, dont le luxe éblouit: vaisselle d'or de la reine Shubad - notamment un bol et un gobelet aux cannelures régulières; coiffure de la reine à trois guirlandes; casque d'or du roi Meskalamdug, fait d'une seule plaque de métal où le ciseleur a reproduit les oreilles, le bandeau frontal. la chevelure, les boucles et le chignon; têtes de taureau, corps de bélier qui associent l'or au lapis-lazuli dans une symphonie polychrome '; poignard royal à
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manche d'or: vases, bagues, boucles d'oreilles : jamais la Mésopotamie n'étalera de plus purs joyaux. Splendeur des tombes de Mycènes : sur les rocs bro.lés de l'Argolide, les princes achéens se font inhumer dans un surprenant apparat. A l'intérieur des nécropoles cerclées de pierres (- 1600), les corps sont habillés de riches vêtements sur lesquels sont collés ou cousus de petits disques de métal jaune, ornés de motifs végétaux, animaux ou linéaires. Les visag~s des hommes sont souvent recouverts d'un masque d'or ou d'electrum, véritable portrait mortuaire au profil déjà grec, aux yeux clos sous les sourcils bien dessinés, à la bouche tantôt dédaigneuse, tantôt satisfaite, aux oreilles stylisées. Avec les défunts, sont enterrées leurs parures de prix, où se lit l'influence crétoise : diadèmes à motifs géométriques, colliers, bracelets, poignards damasquinés, épées à pommeau d'or, tasses cannelées ou décorées de rameaux, coupes galbées, coffrets de bois revêtus d'or. Mycènes apparatt bien, dans ses tombeaux, comme la cité « riche en or Il, telle que la qualifiera Homère. Au s":.lrplus, Mycènes essaime ses trésors. A Vaphio, près de Sparte, dans une tombe mycénienne à coupole (- 1500), deux gobelets d'or pur illustrent en bosselage un thème pastoral très égéen: taureaux courts sur pattes, arbrisseaux fourchus, paysans vêtus du pagne. Sur l'un des gobelets, les taureaux sont enco~e sauvages et ils ruent dans les filets qui sont tendus pour leur capture. Sur l'autre, domestiqués, ils paissent ou tirent la charrue. L'artiste qui a ciselé le métal a su résumer en deux scènes, rune violente, l'autre apaisée, toute l'histoire de la civilisation humaine. C'est encore le même art qu'on retrouve dans les puits de Midea, en Argolide (- 1500), où reposent une princesse, au cou ceint d'un grand collier de rosettes d'or, une reine portant sur la poitrine une
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coupe d'argent à motifs d'or, un roi tenant à la main une coupe d'or décorée de poulpes ondulantes. Mycènes semble faire école jusqu'en des pays fort éloignés de la Grèce, mais qui commercent avec elle : les Crétois n'ont-ils pas découvert la route de l'étain, et leurs héritiers ne doivent-ils pas offrir leur or, leurs orfèvres et les techniques de leur orfèvrerie, en échange du métal qui, allié au cuivre, leur permet de fabriquer le bronze? Les indigènes de Bush Barrow, dans le sud de la Grande-Bretagne, connaissent et imitent les rites mycéniens: ils inhument le chef mort couché sur le dos, un losange d'or sur la poitrine; à sa droite, ils déposent, dans un fourreau d'or, un poignard de bronze au pommeau de bois parsemé de milliers de petits clous d'or (- 1500). A Rillaton, en Cornouailles, on retrouvera dans un tertre un gobelet d'or battu, d'une seule pièce; ses larges cannelures horizontales, son anse fixée par des rivets à tête ronde, évoquent étrangement certaine tasse mycénienne. A coup sl1r, les Grecs de l'âge classique, s'ils renoncent souvent pour leur compte aux somptuosités funéraires, ravitaillent en parures d'or les tribus du Septentrion, qui se prennent de passion pour elles. Ainsi, en Bulgarie, la tombe de Panagurichté (- 300) renferme une grande coupe à libations, façonnée en Ionie, tout en or, et décorée au repoussé d'un cercle de 24 glands et de 3 cercles de 24 têtes de nègres crépus. Sur les rives de la mer Noire et jusqu'en Sibérie, les rois scythes se font enterrer avec des brassards d'or, savamment ouvrés, et des bijoux importés ou inspirés de la Grèce. En pleine Gaule, à Vix, près des sources de la Seine, une princesse ou une prêtresse se fait ensevelir sur son char, avec un sobre diadème d'or massif, de 480 grammes, orné de petits chevaux ailés (- 500). Manifestement, c'est à des ateliers grecs ou hellénisants que les Barbares ont passé commande de ces chefs-d'œuvre qui
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flattent leur appétit de richesse et leur immodestie, dans la vie comme dans la mort. De sépulcre en sépulcre : li travers les continents
D'autres Barbares, sans le secours des Grecs, mais avec les mêmes raisons, se font accompagner dans la tombe de parures fastueuses en or, comme s'ils voulaient s'étonner eux-mêmes de leur propre magnificence. On retrouvera des témoignages sépulcraux de cette grandeur feinte ou réelle à travers toute l'Europe centrale et nordique : des anneaux de la dimension de colliers, ornés de bossettes et de nervures, des boucles d'oreilles de la même facture, dans les tombes des chefs de Hallstatt, en Autriche (- 500); des coupes sans pied, en or battu, près de Stuttgart et de Zurich; un collier d'or, garni de quatre clochettes et muni d'un fermoir à crochets, à Cintra, au Portugal (- 400) ; des épingles, des bagues, un bracelet d'or massif, dans des sépultures de Saxe; des haches d'or, coulées dans des moules, en Transylvanie; des bracelets ornés de spirales, en Bohême; une épingle à section carrée, et dont la tête est faite de cinq volutes, près de Trèves; de nombreuses coupes torsadées, des vases renflés, des pots dont l'anse a forme de serpent, à travers la Scandinavie, qu'enrichit le commerce de l'ambre et qui se fait payer en métal précieux. Plus que tout autre, le peuple étrusque a le culte des morts. A leur intention, il construit et entretient des nécropoles, plus solides et plus luxueuses que les demeures des vivants. Les guerriers y reposent avec leurs armes, les femmes avec leurs bijoux. Ils pourront en user au cours de leur nouvelle destinée, qui s'écoule au ralenti, mais sans terme. Dans leurs caveaux, l'or abonde, savamment ouvragé par des virtuoses. On y lit les influences de la Grèce et de l'Asie, mais aussi quelque propension enfantine à la
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minutie: tels, dans les tombes de Cerveteri (- 650), ce minuscule fermoir de bracelet, fait de plus de 100 petits animaux d'or, ou cette agrafe prestigieuse sur laquelle se marient des ailes, des plumes, des écailles et des monstres. Les peuples celtes partagent l'amour de l'or, métal funéraire. Leurs artistes ont souvent aussi tendance à en compliquer le décor, dans l'illusion de l'embellir: ils ajourent à plaisir la bande d'or qui, peut-être, orne un flacon pour certain tombeau d'Eijenbilzen, en Belgique, ils multiplient les motifs floraux sur la feuille d'or qui recouvre la coupe de certaine tombe du Wurtemberg. Ils mêlent un masque d'homme moustachu, des béliers aux yeux en amandes, et des excroissances à rangées de perles sur un bracelet d'or pour une tombe du Palatinat. Ils sculptent un casque en forme d'oiseau rapace sur une tête au nez pointu et aux yeux ronds, aux deux extrémités du bracelet d'une princesse inhumée à Rheinheim, dans la Sarre. Souvent, ils semblent succomber à des influences orientales, qui leur seraient venues de Perse par la route du Danube. Car r Asie donne l'exemple de ces raffinements : dans les tombes royales d'Alaca, en Anatolie (- 2500), dans la nécropole de Mari, proche de l'Euphrate (- 2000), à Ziwiyé, en Perse, où sont engloutis de fabuleux ouvrages d'or - plaques, cuirasses, pectoraux, bracelets, colliers, ceintures, gantelets -, presque toujours ornementés de figures animales, lions ailés, griffons, lièvres, chiens, béliers ou bouquetins d'inspiration assyrienne (- 800) ; là, dans une cavité de la colline, le corps du roi, dûment embaumé, est déposé sur un lit plaqué d'or, et l'on enterre avec lui, dtlment étranglés, une de ses concubines, un de ses secrétaires, son échanson, son écuyer, son cuisinier, son huissier, quelques chevaux, avec armes, plats, vases, bijoux et cachets d'or. Vieille tradition, héritée de Sumer, transmise aux Scythes.
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A l'autre extrémité du continent, la Chine ellemême y fait parfois écho. Au nord et au sud de la rivière Houan, des chambres souterraines juxtaposent des corps allongés, des hommes agenouillés, des chevaux, des chiens et des objets funéraires, qui sont de jade, de bronze, de céramique, mais aussi de feuilles d'or (- 1400 ?). Dans les tombes de Sintcheng, des plaquettes d'or, sur lesquelles s'entrelacent des dragons, garnissent des coffres de bois (- 700). Dans les tombes des Royaumes combattants, de longues épées s'ornent d'incrustations d'or (- 300). En Corée méridionale, les cercueils princiers sont entourés de joyaux d'or: couronnes, bracelets, ceintures, clochettes (+ 500). Bien plus tard, la sépulture de l'empereur ming Wang Li regorgera de trésors d'orfèvrerie. Au Mexique, dans la vallée du Cauca, les corps des nobles gisent revêtus d'or. Au Pérou, dans le pays de Tucume, les tombeaux des princes sont remplis d'objets d'or. Ainsi, sous tous les cieux, dans toutes les profondeurs du sol, l'or tient lieu d'offrande magique pour honorer les morts et les appeler au secours des mortels. Et l'on peut même poser en règle générale que plus les peuples sont près de la nature, plus ils ont le culte des défunts, et plus ils recourent à l'or pour embellir le cadre de leur survie. L'or dans les légendes : âge d'or et Toison d'or
Entre la religion et la légende, la frontière est incertaine. La légende, souvent, ne fait que compléter la religion, pour l'illustrer et l'enjoliver. Il lui arrive aussi d'acquérir son autonomie ou de chevaucher plusieurs religions. De l'une ou l'autre façon, elle aj oute à l'histoire de l'or un surcroît de mythes. Le thème de l'âge d'or appartient à bien des peuples. Les Anciens, avec Hésiode pour les Grecs, avec Ovide pour les Romains, appellent âge d'or l'enfance
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de l'humanité; le temps de la paix et du bonheur permanents par opposition avec les âges ultérieurs, plus rudes: âges d'argent, d'airain, de fer. A son aurore, le monde ne connaît ni lois, ni peines, ni armes, ni guerres, ni charrues, ni travail, il vit dans un printemps éternel, qui prodigue les fruits, le nectar et le lait. Le mot « or », ici, évoque l'innocence et l'abondance. Dans la Bible, l'âge d'or se confond avec le préambule du paradis terrestre. Le métal jaune entre vraiment en scène dans l'histoire de la Toison d'or, qui fait la liaison entre la mythologie grecque et les premières réalités de l'exploitation des gisements. On connatt la mâle aventure : le Thessalien Jason a été dépouillé de son royaume par son demi-frère Pélias. Il revendique son domaine, une lance dans chaque main. Pélias élude la réponse en demandant à Jason de lui rapporter d'abord certaine TOIson d'or, qui fut celle d'un bélier ailé, et qui est suspendue à la branche d'un chêne de Colchide, gardé par un affreux dragon. Qu'à cela ne tienne, Jason va tenter l'expédition. Il fait construire par Argos un solide navire, l'Argo, dont la déesse Athéna a fourni la proue. Il choisit 50 compagnons, parmi lesquels Castor et Pollux, fils de Zeus, Tiphys, le pilote dont Athéna guide la main, Orphée, le musicien qui rythme l'effort des rameurs : ce sont les Argonautes. Mouvementé, le voyage est assorti de bons et de mauvais présages, de tempêtes et de combats; les navigateurs sont aux prises avec les vents, lesHarpyes, les écueils. Ils réussissent à passer les Détroits, à pénétrer dans le Pont-Euxin. Une fois débarqué en Colchide, Jason demande la Toison d'or au roi Colchos. « Je ne te la remettrai que si tu remplis trois conditions, répond le roi: tu devras imposer le joug à deux taureaux aux sabots d'airain, qui soufflent le feu; tu devras avec eux labourer un champ; tu devras y semer les dents d'un dragon. »
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Avec le secours de la magicienne Médée, Jason réussit le triple exploit. Médée endort le dragon qui garde la Toison merveilleuse, dont Jason s'empare. Il fuit sur l'Argo. Encore quelques poursuites, quelques batailles, quelques ouragans. Les Argonautes doivent résister aux Sirènes, porter leur propre navire sur leur dos, se débarrasser d'un géant. De retour en son pays, Jason ne recouvre son royaume qu'après mille difficultés, dans lesquelles interviennent les dieux et les déesses. Sortilèges, incendies, assassinats en famille sont les moindres de ces incidents de parcours. De cette tumultueuse épopée, il reste que, d'abord, le passage des Détroits, entre l'Égée et la mer Noire, est longtemps considéré comme impossible. Les Mycéniens n'ont sans doute pas de navires assez puissants pour remonter les courants de l'Hellespont et du Bosphore. C'est plus tard que les marins grecs se risquent à les affronter. Ils peuvent alors se rendre en ce pays de Colchide, qui se situe au sud du Caucase, et où l'on trouve du minerai d'or, qu'on peut laver avec des peaux de mouton. Voilà légitimée la Toison. -Cette Toison si précieuse pour les orpailleurs fait même l'objet d'une deuxième fable. Atrée, arrièrepetit-fils de Zeus, découvre dans son troupeau un agneau dont la fourrure est d'or. N'a-t-il pas promis à Artémis de lui sacrifier la plus belle de ses bêtes? Oubliant son serment, il garde la Toison dans un .coffre. Son épouse Aeropé, qui le trompe avec son frère Thyeste, dérobe la Toison, qu'elle donne à son amant. Précisément, les Mycéniens, en quête d'un roi, offrent la couronne à qui pourra leur montrer une Toison d'or. Atrée croit pouvoir les satisfaire. Mais c'est Thyeste qui présente la peau merveilleuse, et qui est élu. Il en résulte d'affreux combats entre les deux frères~ des vengeances rebondissantes, des tueries sans nom, qui ouvrent dans le sang la carrière des
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Atrides. Ce qui, en langage clair, signifie assurément que l'or peut donner des royaumes et engendrer des conflits. Pendant trois mille ans, la Toison d'or demeurera surtout le symbole d'un haut fait : comme si la conquête de l'or marquait les premières épreuves et le premier triomphe du genre humain. Philippe de Bourgogne en fera un ordre fameux, qui passera aux maisons d'Autriche et d'Espagne. Corneille en fera une tragédie. L'or dans les légendes: Midas et Gygès, Homère et Virgile
La légende de Midas n'est pas moins édifiante. Roi de la Phrygie, où coule le fleuve Pactole, il reçoit un jour Dionysos et lui offre tant de festins et de beuveries que, reconnaissant, le dieu lui promet d'exaucer le premier souhait qu'il fera. « Je veux, dit Midas, que tout ce que je touche devienne or. » Dionysos y consent, et le roi transforme en or les objets qui tombent sous sa main: il peut de la sorte envoyer à Delphes une chaîne d'or d'un prix inestimable. Mais bientôt son don magique lui paraît fort désagréable. Comme en ce temps-là les rois mangent avec leurs doigts, tous les mets de Midas deviennent métalliques. Ainsi le roi se voit-il démuni au milieu de ses trésors. Il implore Dionysos de lui retirer son pouvoir mal encontreùx. Le dieu, touché de ses regrets, lui ordonne de sè plonger dans le Pactole, où il perdra sa vertu. Et, depuis ce temps, le Pactole roule des sables d'or. On retiendra de cette fable une double leçon, de morale et d'histoire. Morale d'abord : puisqu'on peut mourir de faim sur un tas d'or, l'or peut être une richesse illusoire et dangereuse. Histoire ensuite: la Phrygie jouera un rôle dans la production et dans la carrière du métal. Le pays voisin s'appelle la Lydie. Un berger nommé
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Gygès Y voit un jour la terre s'entrouvrir. En s'aventurant dans la crevasse, il aperçoit un cheval d'airain dont les flancs sont garnis de portes. Gygès pénètre dans le cheval, et y découvre un cadavre d'homme, au doigt duquel brille un anneau d'or. Il s'en empare, le met à son doigt, et devient invisible lorsqu'il tourne le chaton de la bague vers la paume de sa main. Devenu tout-puissant grâce à l'anneau magique, il s'empare du trône de Lydie, et fait la fortune du royaume. Son quatrième successeur s'ap_ pellera Crésus. Par-delà la légende, Gygès, Crésus et la Lydie joueront vraiment un rôle dans l'histoire de l'or. Mais on n'en finirait pas de conter les fables dont le métal jaune est le héros. Dans l'Iliade, sans revenir sur l'or dont Homère pare les dieux et les déesses, Achille possède un bouclier incrusté d'or, des crins d'or à son cimier, un sceptre décoré de clous d'or, une coupe d'or pour les libations. Agamemnon a douze bandes d'or sur son armure, des clous d'or sur son épée. Hector est armé d'un javelot dont la virole est d'or, et l'urne qui recueille ses cendres est d'or, comme celle où sont déposées les cendres de Patrocle. Dans l'Odyssée, l'or est la matière première de la quenouille $:l'Hélène, de la navette de Calypso, des corbeilles de Circé, de la coupe de Pisistratos, de l'agrafe du manteau d'Ulysse, du sceptre de Tirésias, des portes du palais d'Alkinoos; et Nestor fait plaquer d'or les cornes de la vache qu'il sacrifie à Athéna. Virgile ne veut pas être en reste. Il fait d'or les vases du palais de Didon, la cythare d'Iopas, les cuissards d'Énée, la poignée de l'épée d'Euryale, la couronne de Latinus à douze rayons. C'est un rameau d'or, arraché à un chêne touffu, qui ouvre à Énée la porte des enfers... Mais, entre le temps d'Homère et le temps de Virgile, sinon entre celui d'Achille et celui d'Énée, les techniques de l'or ont d'Il. faire des progrès: les tissus de fils d'or, absents de l'Iliade,
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abondent dans l'Énéide : habits chamarrés d'or pour Andromaque, manteau brodé d'or pour Énée, cotte tissée d'or pour ·Cloanthe, coussins de drap d'or pour Didon, baudriers, plastrons et robes en étoffes d'or. Huit siècles séparent les deux poèmes. A ces légendes de l'Antiquité classique, comme aux affabulations de la littérature gréco-romaine, répondent partout dans le monde d'autres légendes et d'autres littératures, également à la gloire de l'or. Pour les Hébreux, les Musulmans et les Abyssins, la reine de Saba amène à Jérusalem « des chameaux chargés d'aromates et d'or en énorme quantité ». Sous quels cieux se trouve donc cet opulent royaume de Saba? Le roi Salomon, qui l'a reçue, a lui-même ses mines, quelque part dans le désert, et il arme une flotte qui a mission d'aller chercher l'or d'Ophir. Les Eldorados ne manqueront pas dans l'histoire de l'or, et l'on ne saura jamais au juste dans quelle mesure ils appartiennent au rêve ou à la réalité. Mais ils contribuent à faire de l'or un métal fabuleux.
Lettres et Zan gues Toutes les littératures du monde entretiennent ce fétichisme. L'Iliade, l'Odyssée, l'Énéide, la Bible, tout en colportant des traditions, sont déjà des productions littéraires. Aucune bibliographie n'épuisera jamais la liste des ouvrages qui concourent à entretenir l'étrange fièvre de l'homme pour l'or, en en faisant un métal hors du commun. Le vase qui a servi à Jésus pour la Cène, et dans lequel Joseph d'Arimathie a recueilli le sang du Christ, ne peut être que d'un or éclatant pour les chevaliers de la Table ronde en quête du Saint Graal. Le long cheveu, plus fin que fil de soie, et brillant comme un rayon de soleil, ce cheveu d'yseult qu'une hirondelle apporte à Tristan est un cheveu d'or. Dans La Fontaine, une poule pond des œufs d'or.
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Dans Perrault, un âne chaque matin couvre d'or sa litière. Comme la littérature, le langage concourt à la légende de l'or. La langue française, par exemple, est riche d'expressions dans lesquelles l'or joue le pre~ mier rôle: avoir un cœur d'or, faire un pont d'or, promettre des monts d'or, valoir son pesant d'or, il est cousu d'or, il est franc comme l'or, c'est de l'or en barre, il parle d'or, il roule sur l'or, un public en or, des rêves d'or, des noces d'or, un livre d'or, le silence est d'or, une femme en or, une affaire en or, pour tout l'or du monde ... Un saint Jean Bouche d'or 'dit sa pensée avec franchise. Le nombre d'or est, pour les géomètres et les architectes, celui d'une proportion privilégiée, pour les astronomes et les chronologistes, celui dont on marque chaque année du cycle lunaire. Des jours filés d'or sont des jours heureux. La règle d'or est la règle fondamentale qu'il importe d'observer. L'âge d'or, on l'a vu, est l'âge de la paix et de l'innocence. Le siècle d'or est celui que marquent de grands règnes : siglo de oro, disent les Espagnols pour le siècle des Rois catholiques, de Charles Quint et de Philippe II. Siècle d'or, disent les Hollandais pour le temps de leur suprématie maritime et bancaire., Les proverbes et les dictons, en tous pays, embouchent les mêmes trompettes: l'or brille même dans la boue, dit un proverbe lituanien. Une clé d'or ouvre toutes les portes, assure un proverbe allemand. A montagnes d'or, vallées de cuivre, dit un proverbe anglais (traduction: le voisinage de l'or est toujours profitable). Tout ce qui brille n'est pas or, dit un proverbe français (ce qui signifie : tout ce qui a l'apparence d'être bon ne l'est pas nécessairement). L'avoine fait le cheval, la bière le héros, et l'or le gentilhomme, affirme un proverbe tchèque (compre~ nons : l'or est assez puissant pour conférer la noblesse).
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A leur manière, les philosophes et les poètes reprennent ces refrains. Quand l'or parle, note ~rasme, l'éloquence est sans force. Il n'est forteresse qu'un âne chargé d'or ne puisse approcher, rapporte Plutarque. Un âne couvert d'or, reprend Cervantès, a meilleure mine qu'un cheval bâté. L'or, même à la laideur, donne un teint de beauté, proclame Boileau. L'or donne aux plus laids certain charme pour plaire, enchaîne Molière. L'or est le souverain des souverains, dit Rivarol. Le mot or (oro en italien et en espagnol, ouro en portugais) vient du latin aurum, que sa forme primitive ausum rattache au sabin ausom et peut-être à la racine indo-européenne aus qui désigne ce qui brille. L'or, comme l'aurore, c'est d'abord de la lumière. Voilà l'or et le soleil qui se rejoignent: avec l'est, qui est le côté du soleil levant. Les Grecs disent khrusos, d'un mot que nous retrouvons sur les chrysalides de nos papillons ou les chrysanthèmes de nos jardins. Mais cette racine n'est pas indo-européenne. Elle vient de l'Asie sémitique, où elle exprimait aussi la couleur jaune dans le phénicien, l'araméen ou l'assyrien. Est-ce elle encore qui figure dans le nom du roi Crésus? Pour les Indo-Européens, la racine ghel désignait la couleur jaune. Elle donne l'allemand Gold (qui est probablement sans rapport avec le mot Geld, richesse, de gelten, valoir), l'anglais gold (en vieil anglais geolo, jaune), le hollandais gulden, qui deviendra le nom d'une monnaie, le russe zoloto, le polonais zloty qui lui aussi finira dans le vocabulaire monétaire. L'or s'inscrit dans lès noms de lieux, qui affirment sa présence et participent à sa glorification. Au cœur de l'Asie, les monts Altaï sont exactement, en langue mongole, les montagnes de l'or, comme les monts de Zolotar pour les Russes, le mont d'Or en NouvelleCalédonie, la Goldrange ou chaine de l'Or dans la Colombie britannique, la Serra de Ouro au Brésil.
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Ce sont aussi des montagnes d'or qu'évoquent des noms de villes comme Goldberg en Silésie, ou Goldhill en Nevada. Des rivières de l'or coulent un peu partout: le Rio de Oro est à la fois un affluent du Paraguay et un oued africain; la Goldriver arrose le Canada, le Douro la péninsule ibérique; dans la vieille Dacie, l'Aries est un ancien Aranyos, ou fleuve d'or (du magyar arany, or). Des Côtes-de-l'Or ou Gold Coast, il n'en est pas seulement sur le littoral africain; la Golden Gale, ou Porte de l'Or, donne accès à San Francisco, la Corne d'Or évoque le site prestigieux de Constantinople. Des villes de l'or, on en dénombre dans toutes les langues : Ouro Branco, Ouro Preto - Or blanc, Or noir au Brésil; Zolotchov, Zolotnocha en Russie, Zloczow en Galicie; Golden City au Colorado, Goldsboro en Caroline du Nord; Oroville et Placerville en Californie. Pour les Égyptiens, la Nubie est le pays de Nub, le pays de l'or. L'Eldorado lui-même, le pays du roi doré, cette chimère, finit par prendre corps : il devient un district californien. Les toponymistes n'assurent pas que la vallée d'Aure, ni les Orlu, OrIuc, où Longnon croit voir un aureus lucus, ni le rhénan Urmitz (qui dérive d'Ulmelum, l'ormeraie, plutôt que d'Auromuntium) évoquent le précieux métal. Mais l'Allemagne possède des Goldbeck et des Goldholm, la France des Auriol, des Aurières et des Laurière qui en perpétuent sans doute le souvenir. Le métal disparaît du sol, il demeure sur les atlas. L'or dans l'alchimie
Si les hommes sont ainsi intoxiqués, durant des millénaires, par l'idée de l'or, il est naturel que certains d'entre eux prêtent au métal des vertus imaginaires et cherchent à le fabriquer. A mesure que s'accroît le capital des connaissances scientifiques,
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les détenteurs de ce savoir ont l'ambition très légitime de l'utiliser et de le parfaire : ils voudraient l'utiliser en mettant l'or à leur service, et le parfaire en reproduisant pour leur propre compte l'œuvre de la nature -le « grand œuvre» : la création de l'or. L'alchimie représente une étape dans l'histoire de la pensée humaine et de la carrière du métal précieux. Avant elle, les hommes sont trop ignorants pour nourrir de telles prétentions. Après elle, ils seront trop avertis, à tout le moins trop raisonneurs, pour entretenir encore de pareilles illusions. L'alchimie apparaît comme une manifestation du fétichisme de l'or, mais d'un fétichisme qui se pare des fausses suffisances d'une science balbutiante. Elle se développe en un temps où l'or est rare; ce qui le rend hautement désirable, en un temps où s'estompent les croyances d'origine religieuse qui ont fait de l'or un métal surnaturel, mais où d'autres croyances sont prêtes à prendre la relève. Car l'homme se complaît dans les sortilèges. Le mot alchimie est lui-même d'une origine obscure. En principe, le latin médiéval alchemia vient de l'arabe alkymia, qui procède du grec khemia (magie noire), lui-même emprunté à l'égyptien kem (noir). On retrouve dans ce cheminement du vocable l'itinéraire même de l'alchimie. Mais, selon d'autres hypothèses, le mot proviendrait du grec chyma (fondre ou mouler le métal), ou bien d'une racine hébraïque (kimiya), le dieu vivant, ou chemesch, le soleil. Avant d'entreprendre son circuit méditerranéen, de l'Égypte aux pays arabes et à l'Occident, l'alchi.;. mie naît en Chine et transite par l'Inde. Les premiers alchimistes chinois sont les métallurgistes, maîtres du feu, détenteurs du secret des métaux. Forgerons et magiciens, ils confondent déjà dans leurs travaux la fabrication de l'or et celle de l'élixir de vie. « Sacrifiez au fourneau, dit le mage Li-chao-kiun (-140),
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et vous pourrez créer des êtres; alors la poudre de
cinabre pourra être transformée en or jaune; quand l'or jaune aura été produit, vous pourrez en faire des ustensiles pour boire et pour manger. Alors votre longévité sera prolongée... Vous ferez les sacrifices long et chan, et vous ne mourrez pas. J n faut croire que les alchimistes chinois passent pour habiles et puissants, puisque deux édits impériaux menacent d'exécution publique tous ceux qui seront surpris en flagrant délit de contrefaire de l'or. Mais Liu Hsiang ne réussit pas à fabriquer pour l'empereur l'or alchimique qui devrait prolonger sa vie (- 60). Et Wei Po Yang se contente d'écrire un traité sur la préparation d'une pilule d'immortalité (+ 150). De toutes les expériences chinoises, les alchimistes occidentaux retiendront la certitude optimiste qu'il est possible de faire de l'or, et, à base de poudre d'or, une potion miraculeuse. En Inde, l'alchimie ne change ni de visage ni de langage. Elle prétend aussi réussir la transmutation en or, soit par des moyens chimiques, soit par la puissance du yoga. Elle confond aussi l'or et l'im~or talité. Les Grees se contentent de philosopher sur la matière : pour Démocrite, qui prend vingt-quatre siècles d'avance sur la physique nucléaire, la matière concentre des particules minuscules et en mouvement, dont varient seulement les combinaisons. Pour Aristote, il existe une matière fondamentale dont les' quatre éléments sont le feu, l'air, la terre et l'eau; chacun de ces éléments possède deux qualités, la chaleur ou le froid, la sécheresse ou l'humidité; tOJ,lte substance peut être changée en une autre substance ai l'on réussit à modifier correctement les proportions de ses élé~ents. N'en résulte-t-il pas que le plomb pourrait devenir de l'or? Pour Pro clos, dans son Commentaire sur le Timée (450), «les métaux sont engendrés dans la terre sous l'influence des
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divinités célestes : le soleil produit l'or, la lune produit l'argent ». N'en peut-on pas conclure qu'avec le feu. substitut du soleil, l'homme fabriquera de l'or? Les Grecs d'Alexandrie, tirant les conséquences du système d'Aristote, ont déjà songé à son application pratique. Bolus Démocritos écrit en Égypte un traité de physique (- 200) sur la synthèse de l'or. Zosime de Panopolis (+ 300) prétend enseigner l'art de fabriquer les métaux précieux, avec le secours de constellations favorables. Rome est peu portée sur ces chlmères. Dioclétien passe pour faire brtller tous les livres d'alchimie. Pourtant, selon Pline, Caligula aurait entrepris de produire de l'or avec une préparation d'arsenic, et il n'aurait abandonné son projet qu'après s'être aperçu que les dépenses l'emportaient sur le profit. Viennent les Arabes: recueillant les héritages de la Chine, de l'Inde, d'Aristote et d'Alexandrie, ils marient la pharmacie, la mystique et l'astrologie avec assez de talent pour donner l'illusion d'une science nouvelle. Le plus fameux de leurs alchimistes professe à Bagdad : il s'appelle Jabir ibn Hayan al-Sufi, dont les Occidentaux feront Geber, « roi des Arabes et prince des philosophes» (800). C'est un auteur prolixe, auquel on prête 3 000 ouvrages. A l'en croire, tous les métaux sont faits de soufre et de mercure, et ils sont transformables en or si l'on modifie les rapports de ces deux composants: ce que faciliterait l'emploi d'un élément catalyseur, l'élixir rouge ou l'or potable, dont il omet de donner la formule. Un de ses disciples, Artephius (1130), explique doctement que le soleil vivifie le sol et que «certains de ses rayons, pénétrant plus profondément au sein de la terre, s'y condensent et forment un métal brillant, jaune, l'or consacré à l'astre du jour Il. Presque seul, Abu Ali el Hussein, dont l'Europe fera Avicenne (1000), se refuse à romancer
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l'origine des métaux et à croire à leur transmutation. Nul ne l'écoute.
La pierre philosophale Transplantée en Occident, l'alchimie tourne au délire. Sans doute, bien plus tard, de bons esprits chercheront à la réhabiliter, en soulignant qu'elle ouvre les voies à la chimie moderne et qu'en fin de compte ses rêves sont confirmés par la physique de l'atome. Sans doute encore, il faut distinguer entre les chercheurs de bonne foi et les charlatans. Mais les alchimistes trouveront aussi des défenseurs' chez de pseudo-savants, qui prolongeront jusqu'au xx e siècle leur illuminisme et leur charabia, en s'en faisant une doctrine. Dans les faits, l'alchimie médiévale n'est guère qu'un étalage de sottises, et si elle peut accidentellement être l'instrument du progrès, elle ne le fait pas exprès. Qui sont ces alchimistes? Ils tiennent du philosophe, à la mode aristotélicienne, du marmiton, soucieux de combinaisons inédites, et du sorcier, plus ou moins prêt à invoquer les astres, les dieux ou les démons. Ils ont Un langage hermétique, dont on dira qu'il est destiné ·à préserver leurs secrets, mais qui cache en réalité une profonde indigence de moyens et vise surtout à abuser les naïfs. Ils recourent à des mots clés, à leur usage propre, à des formules magiques, à l'usage des initiés. Leur objectü est de découvrir la pierre philosophale, dont on ne sait si elle est un caillou, une poudre ou une teinture, mais qui doit être l'agent de transmutation, grâce auquel un vil métal deviendra de l'or. Cette pierre philosophale est « fille du soleil Il ou « eau de soleil ». Car, bien entendu, le soleil est encore de la partie. Les alchimistes donnent à l'or le nom latin du soleil, sol, et le représentent dans leurs grimoires par un symbole figurant l'astre solaire.
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Pour eux, l'or et le soleil sont également sources de lumière et de vie; l'or est un rayon de soleil solidifié. De quels instruments disposent-ils? De fours et de lampes, d'alambics et de cornues, de filtres et de tamis, de creusets et de soufflets, de pincettes et de balances. Ils chauffent leurs préparations au charbon de bois ou à l'huile, parfois au fumier fermenté, souvent aux rayons du soleil. Quelles substances mettent-ils en œuvre? Le soufre et le mercure, le plomb et l'argent, l'arsenic et le vitriol, mais aussi bien tous les métaux qui leur tombent sous la main, toutes les herbes qui sont à leur portée, voire des œufs de poule ou de pigeon, de la bave de crapaud, des ongles de taupe, de l'urine de jument, du sang de vierge, des larmes de cerf, des excréments, de la rosée céleste, et, de préférence, des produits mysté': rieux dont ils se gardent de livrer l'identité. « Prends, mon fils, la pierre que tu sais pour la potion que tu sais... » Ils invoquent à l'appui de leur savoir, non seulement Aristote, mais la Toison d'or, qui ne serait qu'un livre d'alchimie sur parchemin. Ils assurent que Dieu enseigna leur science à Adam, qui la transmit à Énoch, à Abraham, à Moïse et à Job. A l'occasion, ils se réfèrent à saint Jean l'Évangéliste et à saint Thomas. Leurs formules? Isoler le mercure, utiliser son âme comme semence d'or. Ou bien mélanger des jaunes d'œufs, de l'huile d'olive et du vitriol, et cuire à feu doux pendant deux semaines. Ou bien, dans une fiole de verre, chauffer de l'élixir d'Aristée et du baume de mercure au feu de sable. Ou bien, dans un creuset, faire fondre certaine poudre rouge et quelques onces de litharge. Souvent, il est utile de recourir à l'or pour faire de l'or, si possible en le « multipliant ». On purge, on sublime, on dissout, on distille, on calcine, on pétrifie. Par « voie .humide » ou par « voie sèche l, on engendre des produits inter-
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médiaires, qui s'appellent saturne des sages, huile de talc, élixir parfait au blanc, poudre de projection, soleil terrestre, corps glorieux, christ métallique... L'or est au bout du grand œuvre. De vrais savants raillent ces cuisines et ces cuisiniers. Maître Albert - Albert le Grand - proteste que la transmutation des métaux est irréalisable. Roger Bacon, pionnier de la méthode expérimentale, sait distinguer entre la physique et la magie : s'il croit à la pierre philosophale, il ne perd pas son temps à la chercher. Mais combien d'autres trompent ou se trompent 1 Le Catalan Raymond Lull (1300) mêle de l'élixir et du mercQ.re, en obtient une poudre, puis un remède. « Répands une once de ce remède sur mille onces de mercure, il se transformera en remède. Mélange une once de ce remède à mille onces de mercure, il se transformera en or, plus pur que celui qu'on extrait des mines. » Les contemporains de Raymond Lull croient si bien à ses talents qu'ils donnent le nom de Noble-Raymond à des pièces frappées avec le métal que le savant alchimiste aurait fabriquées à la Tour de Londres. Le Parisien Nicolas Flamel (1380) voit en songe un ange lui présenter un gros livre et disparattre dans une pluie d'or; par la suite, il trouve le livre de son rêve, qui lui donne le secret de la pierre philosophale, et se met à fabriquer de l'or. Le 25 avril 1382, disent ses biographes, il réussit, après vingt-quatre ans de recherches, à changer en or une demi-livre de mercure. De fait, il devient prodigieusement riche, pour avoir dépossédé nombre de Juifs, mais l'opinion préfère imputer sa fortune à ses talents d'alchimiste. Le Suisse Paracelse (1530), en dépit de sa gloire, ne vaut pas mieux : il se targue de commercer avec les diables, et d'avoir reçu de Dieu le secret du métal. Tous ces hommes de science et de charlatanerie font des dupes en grand nombre, jusqu'auprès dei
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souverains que la soif de l'or rend volontiers crédules, et qui parfois participent eux-mêmes aux travaux. Héraclius 1er à Byzance, Rudolf II en Autriche font appel à des alchimistes pour renflouer leurs finances. ~douard III d'Angleterre sollicite le concours de Raymond Lull. Henry VI appelle tous ses sujets à chercher la recette salvatrice. Philippe lIen Espagne, ~lisabeth en Angleterre, Charles IX et Marie de Médicis en France ne dédaigneraient pas ce gen.re de secours. Plus réservé, le pape Léon X, à qui Augurel remet sa Chrysopée ou l'Art de faire de l'or en vers latins, l'en remercie en lui remettant une bourse vide et en lui disant: « TI vous sera facile de la remplir 1 » Même au XVIIe siècle, bien des princes mettent leurs espérances en des imposteurs : tel est le cas de Christian IV de Danemark, de l'empereur Ferdinand III de Habsbourg. Charles II d'Angleterre se fait construire une officine sous sa propre chambre. Au XVIIIe siècle, Auguste II de Saxe enferme dans une forteresse l'alchimiste Bottger, en lui intimant l'ordre de faire de l'or; Bottger fait mieux : il invente la porcelaine blanche. A Paris même, le cardinal de Rohan est assez candide pour attendre du Sicilien Cagliostro les lingots d'or qui pourraient payer le collier de la reine. Les hâbleurs et les escrocs ont toujours la partie belle. Avec beaucoup de pénétration et d'humilité, Buffon rend son arbitrage : le grand œuvre, dit-il, « on doit le rejeter en bonne morale, mais en saine physique, on ne peut Pils le traiter d'impossible. On fait bien de dégoûter tous ceux qui voudraient se livrer à ce travail pénible et ruineux; mais pourquoi prononcer d'une manière décidée que la transmutation des métaux est absolument impossible ?... Le projet de la transmutation des métaux doit être rejeté, non comme une idée chimérique et une absurdité, mais comme une entreprise téméraire, dont le succès est plus que douteux; nous sommes encore si loin de
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connaître tous les effets des puissances de la Nature, que nous ne devons pas les juger exclusivement par celles qui nous sont connues ... Il nous reste sans doute plus de choses à découvrir que nous n'en connaissons ». Le fait est qu'au xx e siècle les alchimistes, sans le vouloir, ont fini par avoir raison. L'unité de la matière semble bien réelle, comme le présumait Aristote~ La matière est bien faite d'une concentration de particules instables, comme le croyait Démocrite. Les transmutations sont possibles, comme le disait Nicolas Flamel. La synthèse de l'or est réalisable, comme le croyait Paracelse. Les superstitions médiévales sont devenues des vérités scientifiques, la chimère a pris corps, les alchimistes sont promus au rang de « précurseurs géniaux des magiciens modernes de l'atome ». Un laboratoire américain a transformé du mercure en or (1949). Les accélérateurs de particules sont aujourd'hui capables de modifier la composition des noyaux atomiques: l'homme peut faire de l'or. Mais, jusqu'à nouvel ordre, le coût de telles expériences interdit de les renouveler. Avec un prix de revient prohibitü, l'or de synthèse ne peut modifier le marché de l'or naturel. De la grande aventure alchimique, il reste un halo de rêves et de fables. Elle confirme que l'or est désirable et désiré, et que, pour l'obtenir, l'homme est prêt à toutes les audaces, à toutes les absurdités - et jusqu'à vendre son âme au diable. L'or chez Dialoirus
Les alchimistes, dans leur quête de l'or, n'ont pas la richesse pour seule fin : ils attendent du précieux métal le secret de l'éternelle santé, de l'éternelle jeunesse. Pour eux, la pierre philosophale se confond avec le baume universel, avec l'élixir de vie. L'or doit conférer la jouvence et l'immortalité.
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Déjà, les Anciens croient à ses vertus thérapeutiques: Pline signale que les applications d'or guérissent les ulcères, les fistules, les hémorroïdes, la teigne. Les Arabes assurent qu'il fortifie le cœur, et qu'il combat utilement la mélancolie, les palpitations et les tremblements. Pour Geber, il guérit la lèpre. Pour Avicenne, il corrige la mauvaise odeur de l'haleine; plus ou moins chauffé, il est le meilleur cautère; « la limaille d'or, exactement porphyrisée, est bonne contre l'épilepsie et les maladies de la peau, dans les affections du cœur, la tristesse de l'âme, la faiblesse de la vue ». Vedette de l'école de Montpellier, où il a émigré, le Catalan Arnaldo de Villanova (Arnaud de Villeneuve) célèbre l'or potable, qui rénove et conforte la peau, « guérit toutes les lèpres, transmue le corps humain, le purifie et le renouvelle. Il donne secours à l'estomac froid, et rend hardis les timides ». Miracles de l'or potable 1 Il n'est autre que la réduction de la pierre philosophale en eau mercurielle. Basile Valentin, qui est bénédictin à Erfurt, en vante les mérites, sans oublier ceux de l'or fulminant, qui s'obtient en dissolvant l'or dans l'eau régale et en la précipitant par l'huile de tartre. Avec Paracelse, la « chrysothérapie » gagne encore du terrain, en se fondant sur un syllogisme irréfutable : 10 chacune des sept planètes domine une des parties du corps, et le soleil agit sur le cœur; 20 à chaque planète correspond un métal, et l'or correspond au soleil. Conclusion: l'or est le remède du cœur. Au cours de ses voyages au Tyrol et chez les Fugger, Paracelse prend une conscience accrue de l'importance de l'or. Il en prescrit l'emploi sous forme de « teinture d'or du soleil », de vitriol d'or et d'or diaphorétique; mais ces belles panacées restent fort obscures. Pour obtenir de l'or potable, dit-il, il faut ôter à l'or sa malléation et nature métallique, c'està-dire qu' «il le faut corrompre, ce qui se fera par
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l'eau de sel; il faut ensuite laver sa résidence avec de l'eau douce distillée, puis retirer la couleur par l'esprit de vin, enlever ledit esprit de la couleur, et la teinture que tu désires demeurera au fond du vaisseau ». Prescription supplémentaire : l'or potable doit être administré à jeun, trois fois par jour en dose curative, une fois en dose préventive. Il rend la jeunesse et la vigueur et guérit toutes les maladies. Ce qui n'empêche pas Paracelse de mourir à quarantehuit ans. Les grands de ce monde se croient plus autorisés que quiconque à recourir à ces médications de prix. Isabeau de Bavière demande à son apothicaire, contre l'obésité qui la menace, un électuaire dans lequel l'or est secondé par un mélange de perles, d'émeraudes, de rubis et de jacinthes. Louis XI, pour prolonger sa vie, consomme des chapons nourris d'or et de vipères, et se fait soigner avec de l'or potable que lui prépare un Piémontais. Marie de Médicis use de l'or contre le mal de dents. Le pape Grégoire XIV sollicite les bons offices d'une poudre d'or et de pierreries. Pourtant, une réaction s'ébauche contre les excès d'une crédulité qui attribue à l'or des pouvoirs sans bornes. Un médecin parisien, Antoine Lecoq, commence à spécialiser le recours à l'or: dans son Traité des maladies vénériennes (1540), il propose des pilules à base d'or, de mercure et de farine de froment, contre la « maladie espagnole », que d'autres appellent le mal napolitain, et que les Napolitains appelleront le mal français. Plus catégorique, Bernard Palissy, dénonçant les imposteurs, s'en prend à l'or potable, qu'il juge inefficace et onéreux. « Si j'étais malade, dit-il, j'aimerais mieux perdre un écu que d'en manger un autre, en quelque sauce que le médecin me le slit mettre. JI Ambroise Paré n'y croit pas davantage. Laurent J'Oub~rt, médecin de Henri III, assure que « c'est une piperie que d'attribuer une vertu nutritive
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à l'or ll. Mais quelques voix peuvent-elles prévaloir contre une croyance séculaire? La réputation thérapeutique de l'or ne fléchit guère. Disciple de Paracelse, Joseph du Chesne, qui se fait appeler Quercetanus, offre plusieurs formules d'or potable, à employer par petites doses d'un scrupule à une demi-drachme, contre la peste, la petite vérole, les fièvres malignes, la léthargie. Le révérend père de Castagne, celui-là même qui guérit le mal de dents de Marie de Médicis, détient aussi le secret d'un or potable souverain contre la goutte, les catarrhes, les fluxions, le miserere mei (qui est un mal d'intestin), et capable de rendre fécondes les femmes stériles. De la Vigne, médecin de Louis XIII, guérit toutes les maladies désespérées avec un précipité rouge solaire et lunaire, dans lequel il entre du mercure, de l'or et de l'argent, et qui exige neuf mois de feu continu. Antoine Vallot, médecin de Louis XIV, traite avec de l'huile d'or (une solution de chlorure d'or?) deux verrues à la main de son auguste patient (1657) et, plus tard, il lui administre une infusion d'or, de sel de mars et de vitriol (1666). Décidément, r or fait fureur en tous pays. Angelo Sala, de Vicence, le prescrit contre la rougeole, la dysenterie, l'épilepsie, l'hydropisie. Johann Glander, de Carlstadt, recommande l'or potable, « médecine universelle D, pour arroser les plantes, qui pousseront mieux, pour nourrir les poules, dont la chair sera meilleure, pour guérir fièvre quarte, apoplexie, goutte, pierre ou peste: il suffit d'en verser deux gouttes dans un verre de vin ou de bière, et d'augmenter la dose d'une goutte chaque jour. Molière raille ces supercheries : avec une « goutte d'or potable D, son « Médecin malgré lui» guérit une femme abandonnée de tous les autres docteurs et qu'on tenait pour morte depuis six heures. « Dans le même instant, elle se leva de son lit et se mit aussitôt à se promener dans sa chambre, comme si de rien
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n'eut été. » Fort de ce précédent, Sganarelle veut guérir Perrette avec « un fromage préparé, où il entre de l'or». Mais Argan, malade imaginaire, prend au sérieux Purgon et Diafoirus.
L'or dans la médecine
Malgré Molière, malgré le chimiste Geoffroy qui dénonce à l'Académie des sciences les mystifications de la pierre philosophale (1722), l'or poursuit sa carrière médicale. Buffon, toujours aussi prudent que sage, opine sans se compromettre : « Il me semble qu'on peut se tromper en prononçant affirmativement sur la nullité des effets de l'or pris intérieurement comme remède, dans certaines maladies, parce que le médecin ni personne ne peut connaître tous les rapports que ce métal, très atténué, peut avoir avec le feu qui nous anime. » Fort de cette permission, Helvetius prépare une teinture d'or. Un nommé de la Motte, général d'artillerie au service du prince Ragotzi, invente des gouttes d'or, dont chacune revient à cinq deniers et se vend un louis; l'apothicaire parisien qui les fabrique et les monnaie fait fortune : il compte parmi ses clients le pape Clément VII, le roi de Prusse et Catherine de Russie. Mais les médecins succèdent aux médicastres, et la biologie se fait plus exigeante. Chrestien et la nouvelle école de Montpellier acquièrent un renom dans le monde entier en préconisant l'or, à côté du mercure, dans le combat contre les maladies vénériennes. Après tout, si c'était vrai? Tour à tour, l'or est employé dans le traitement des scrofules, des rhumatismes, des morsures de vipères. n a ses heures de vogue, ses heures de déclin. Chaque fois, il retrouve des applications nouvelles.
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Burcq lance la métallothérapie : chaque individu, pense-t-il, est particulièrement sensible à un métal (c'est ce que Paracelse disait à sa manière). Certains nerveux réagissent à l'or : l'or les guérira. L'Allemand Paul Ehrlich, qui recevra un prix Nobel (1908), lance la chimiothérapie: avec des sels de métaux lourds, et notamment des sels d'or, il entreprend de combattre la tuberculose. Les guerres du xx e siècle ouvrent la voie à l'or colloïdal, préparé par voie électrique ou chimique : il est employé en cas de blessures du crâne, de péritonite, et contre l'infection des plaies. En Amérique, il sert à certains pansements de neurochirurgie. L'homéopathie recourt à l'or; elle triture des feuilles d'or dans du sucre de lait, en doses infinitésimales; elle préconise r aurum contre les maladies du foie, des yeux, des oreilles - et aussi contre le dégoût de la vie et la tendance au suicide. Sommes-nous si loin des alchimistes? Nés des travaux des physiciens et des biochimistes, les radio-isotopes, au nombre desquels figure l'or, servent à l'étude fonctionnelle des organes, au radiodiagnostic des maladies, mais aussi au traitement des tumeurs. Pour les cancers du cerveau, de menues billes d'or sont introduites dans la région malade: elles émettent des rayons qui détruisent les tissus atteints dans un très petit volume sans affecter les régions voisines. Ainsi la science a pris le relais de l'alchimie. Mais où commence l'une, où finit l'autre? Il n'est pas facile de démêler le raisonnable et l'attrape-nigaud, la vérité et l'erreur : car tout remède peut avoir des effets physiques et des effets psychologiques, et l'or, plus que tout autre, les mêle intimement. Ce qui reste flagrant, c'est que, durant des millénaires, le métal jaune a fasciné les hommes: il leur a paru le suprême recours face aux dieux, à la mort, à la maladie. Ils l'ont introduit dans leurs temples, dans
Histoire de ror leurs tombes, dans leurs légendes, dans leurs langues, dans leurs lits de douleur - dans leurs espérances. A aucun autre produit, à aucun autre métal, ils n'ont accordé une pareille foi. Comment s'étonner ensuite qu'ils lui réservent un destin d'exception?
2. L'or parure
Vue cavalière de la production D'où vient-il, cet or? Oublions un moment l'envoûtement pour ne plus considérer que le métal, qu'il faut extraire de la croûte terrestre. Tentons de préciser l'histoire et la géographie de sa production. Il n'est pas étonnant que, même pour les périodes lointaines, l'homme ait gardé le souvenir des efforts qu'il a accomplis pour trouver et produire de l'or: l'importance du métal justifie l'intérêt qu'il soulève, et permet de comprendre que son exploitation laisse des traces durables. Il est plus surprenant que certains statisticiens (rares, il est vrai) puissent s'offrir le luxe de chiffrer, avec une apparente rigueur, toutes les productions de l'or, même dan~ les siècles les plus reculés et dans les régions les plus écartées, comme s'ils avaient été les témoins directs et les contrôleurs officiels de l'extraction. Leur ambition dépasse évidemment leurs moyens, et les certitudes qu'ils croient apporter masquent de larges incertitudes. Mais on convient que nos experts, habitués à jongler avec les chiffres, savent les supputer et les recouper, et qu'en fin de compte leurs évaluations peuvent serrer d'assez près
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la réalité, avec une marge d'erreur qui n'est pas scandaleuse. Leurs statistiques rétrospectives doivent être tenues, non pas pour correctes, mais pour approximativement vraisemblables. Dans l'addition finale de la production de l'or, les inexactitudes relatives aux temps les plus anciens comptent assez peu : car la production, insignifiante à l'origine, faible dans les millénaires éloignés, s'est beaucoup accrue par la suite, pour cette simple raison que la planète a été de plus en plus habitée, de mieux en mieux prospectée, que les besoins d'or eux-mêmes, en grandissant, n'ont cessé de stimuler les recherches, et que les techniques de l'extraction se sont progressivement améliorées. Commençons par une vue cavalière de cette production, en fonction des grandes étapes de l'humanité. C'est la meilleure façon d'en illustrer les progrès d'ailleurs irréguliers. Première étape, correspondant, plus ou moins, dans les pays méditerranéens à l'âge du cuivre (de - 4500 à - 2100, soit 2400 années) : l'extraction d'or atteindrait alors 920 tonnes. Sur ce total, l'Afrique compte pour 730 tonnes, l'Asie pour 140, l'Europe pour 50. Moyenne de production par an : 350 kilos. Deuxième étape, l'âge du bronze (de - 2100 à - 1200, soit 900 années) : la production d'or passerait à 2 645 tonnes - admirons au passage cette trop belle précision 1 -, dont 1 720 pour l'Afrique, 525 pour l'Asie, 400 pour l'Europe. Moyenne annuelle : près de 3 tonnes. La cadence de production a été multipliée par plus de 8. Troisième étape, l'âge du fer (de -" 1200 à-50, soit 1 150 années) : la production d'or s'élèverait à 4 120 tonnes, à savoir 1 415 en Afrique - déjà en déclin -, 895 en Asie et 1 810 en Europe - en plein essor. Soit, par an : environ 3,6 tonnes. Les progrès se poursuivent, mais à un rythme ralenti. Quatrième étape, les 550 années qui correspondent
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à l'Empire romain (- 50 à +500): la production d'or plafonnerait à 2 572 tonnes, dont 320 pour l'Afrique, décidément à bout de course, 542 pour l'Asie et 1 710 pour l'Europe. Moyenne annuelle : 4,7 tonnes. Avant d'aller plus loin, faisons l'addition pour les 5 millénaires déjà parcourus: tout le monde antique aurait produit environ 10255 tonnes de métal jaune (4185 pour l'Afrique, 2 100 pour l'Asie, 3970 pour l'Europe). La moyenne générale, par an, se situerait à un peu plus de 2 tonnes. Cinquième étape, les 1 000 années qui vont de la chute de l'Empire romain à la découverte de l'Amérique (de 500 à 1492), et qui recouvrent temps barbares et Moyen Age. La production de l'or se languit à 2312 tonnes (838 pour l'Afrique, 903 pour l'Asie, 571 pour l'Europe) et 2472 tonnes si l'on ajoute les 160 tonnes attribuées à la production de l'Amérique précolombienne. La moyenne annuelle retombe à 2,4 tonnes, pour une population accrue. Faisons une nouvelle addition, pour embrasser toute l'histoire de la planète avant l'entrée en scène du Nouveau Monde: la production de l'or représen.. terait 12729 tonnes (5023 pour l'Afrique, 3005 pour l'Asie, 4541 pour l'Europe, 160 pour l'Amérique), soit 2 tonnes annuelles. Sixième étape, couvrant les 400 années qui vont de la découverte de l'Amérique (1492) à la mise en valeur du Rand (1890), ou, plus simplement, à l'aube du xx e siècle: la production d'or bondit à 16 469 tonnes (1 579 en Afrique, 1 116 en Asie, 2647 en Europe et Sibérie, 7665 en Amérique, 3462 en Océanie). Autrement dit, le monde produit alors plus en 4 siècles qu'au cours des 6 000 années précédentes; et la moyenne annuelle, multipliée par 20, dépasse 40 tonnes. N'allons pas plus avant, pour l'instant. Le xx e siècle, à lui seul, produira beaucoup plus que tous les siècles et tous les millénaires précédents.
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Age Age Empire Age du cuivre du bronze du fer romain Antiquité
En tonnes
-3900 - 2100 g~te . . . .
Nu 'e . . • . gthlople •. Afrique occ. - australe... Maroc
.
AFRIQUE
.
Ibérie Gaule .. Gra n d e-B r etagne . Italie . . Alpes orient. et Bohême . . . Carpathes lept. mérld •. Balkans •. EUROPE.
.
Arabie. Asie Mineure et Caucase. Chypre. Inde, Bactriane, Sogdiane . . . Indochine, Sonde. Tarim. Tibet. Chine .. Corée Sibérie occid. Altal .
-2100 -1200 -50 -1200 -50 + 500
700 20 10 -
-
570 1020 50 20 50 10
410 510 50 100 340 5
30 50 110 110 10 10
1710 1600 220 230 400 25
730
1720
1415
320
4185
-
50
200 30
600 500
1000 50
1850 580
-
30 15
30 100
30 100
90 215
10 10
30 20
50 30
90 60
25 80
30 500
100 350
155 930
50
400
-1810
1710
3970
20
30
30
20
100
10 10
40 20
70 10
12
132 ,(0
215
990
60 80 30 100 20
80 470 70 170 35
100
--
250 1 425 20 160 230 40 20 50 5 10
-
-
-
10
5
15
ASIE.
140
523
893
542
2102
ANCIEN MONDE
920
2643
4120
2572
10257
(D'après HeInrich Qulrlng: Ge.chlchle de. Goldu.) Tableau suivant (Temps barbare. et Moyen Age)... page 80.
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Sourions de ces beaux chiffres. Mais retenons-en les ordres de grandeur.
L'Afrique, premier des grands producteurs Un point est acquis: l'Egypte est le grand producteur des premiers âges historiques. A elle seule (en lui adjoignant Nubie et ~thiopie), elle extrait près de la moitié de tout l'or produit dans le monde avant l'ère chrétienne : 3 340 tonnes, sur 7 685. On a déjà évoqué l'apparition de l'or en ~gypte, et l'exploitation des mines entre Nil et mer Rouge. Sur un vaste plateau de quartz, l'or y est extrait en belles quantités, à raison de quelques centaines de kilos par an. Des routes, jalonnées de puits, sont tracées et entretenues, pour en permettre l'évacuation vers Thèbes. Bientôt, à ce premier centre de production, les pharaons en ajoutent un deuxième, plus au sud, dans la brlliante Nubie, puis, toujours plus en amont, au-delà de la sixième cataracte, et jusque sur le plateau abyssin. Les Égyptiens n'ont pas hésité, au prix d'expéditions militaires, à étendre leur Empire en direction des sources du fleuve, pour s'assurer de nouvelles ressources en or. Dès le deuxième millénaire, la Nubie colonisée produit deux fois plus de métal que l'Égypte métropolitaine. Au 1er millénaire, ses ressources commencent à s'épuiser: Égypte et Nubie se retrouvent presque à égalité. Quand les Romains mettront la main sur elles, leur production d'or sera déjà très réduite, et c'est l'Éthiopie qui prendra le relais. Au total, la suprématie égyptienne aura duré quatre ou cinq mille ans. Les techniques de l'exploitation sont encore telles que les dicte une expérience sommaire. Certains gisements sont curetés à ciel ouvert, sous un soleil de feu. D'autres exigent le percement de galeries souterraines, qui suivent le caprice des filons : des galeries qui s'enfoncent jusqu'à 100 mètres de profondeur et
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se développent sur des kilomètres, parfois si étroites que seuls, apparemment, des enfants ou des hommes décharnés peuvent s'y glisser. De fait, un peuple de prisonniers de guerre et de condamnés de droit commun, mal nourris, mal logés, souvent avec femmes et enfants, tient lieu de main-d'œuvre. Ces mineurs esclaves travaillent encadrés d'officiers et de soldats. Ils allument de grands feux sur la terre chargée d'or, pour la rendre plus friable. Puis ils la grattent, avec des ciseaux, des burins ou des raclettes de pierre, avec des pioches de métal, en détachent des blocs, emplissent des couffins de gravats, traînent blocs et paniers jusqu'à l'air libre. Alors, ils broient le minerai dans des mortiers, avec des meules ou des pilons, le réduisent à l'état de poussière. Reste à laver à grande eau cette poudre de terre et d'or, sur des plans inclinés de basalte ou de bois, couverts de peaux de mouton ou creusés de rainures d'argile. L'eau entraîne la terre, les poils ou les rainures retiennent les particules de métal, qui sont rassemblées dans des bourses de cuir. Cette technique n'a guère changé au long de cinq millénaires. Simplement, les outils se sont améliorés. Aux mains nues ont succédé des instruments de pierre, puis de cuivre, puis de bronze, puis de fer. Les résultats, eux aussi, variables selon les gisements, ont progressé. L'or finalement obtenu n'est jamais tout à fait pur: il est mêlé à d'autres métaux, notamment à de l'argent. D'une finesse de 80 %, les Égyptiens passent à 92 %, dans le meilleur des cas. Après les mineurs, vient le tour des métallurgistes. Diodore, qui visite l'Égypte, raconte comment, dans des pots d'argile cuite, soigneusement clos, les Égyptiens parviennent à séparer l'or de l'argent. Ils mêlent au minerai du plomb, du sel, de l'étain, de la farine ou du son d'orge, et soumettent la mixture à un feu continu (de paille de blé, faute de bois) durant cinq jours et cinq nuits. Ce procédé, qu'on appellera
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la coupellation, consiste à séparer par oxydation plusieurs éléments, à partir d'un mélange liquide, quand leur affinité pour l'oxygène est différente. Sans connaître l'oxygène, les Egyptiens le mettent déjà au service de leur passion pour l'or. Dès la XIe dynastie (- 2080), le procédé est au point. Pour entretenir et activer le feu, les métallurgistes ne se contentent plus de soumer dans des chalumeaux : ils emploient des paires de soumets, maniés au pied. Une fois l'or affiné, ils moulent les barres (en forme de briques ou d'anneaux), les pèsent, les estampillent. Les orfèvres ont désormais leur matière première. Si, à l'origine, l'or appartient à qui le trouve et l'exploite, il a trop de prix pour être laissé longtemps à la portée de chacun. Le pharaon entend contrôler l'extraction; il la frappe d'une dîme, puis se l'adjuge. L'or devient monopole royal. Quel particulier pourrait d'ailleurs se permettre de faire percer des galeries de mines et de mobiliser des armées de mineurs? Comment, dans une économie étatisée, la production de l'or pourrait-elle échapper à la dictature des fonctionnaires? Le pharaon a son ministre des Mines et, en Nubie, son inspecteur de l'Or. Le métal est réservé au Trésor royal, aux palais, aux sanctuaires - au temple d'Amon. L'apogée de l'or égyptien se situe au temps des pyramides (- 2400) : la production locale, « une montagne d'or, illuminant toute la terre comme le dieu de l'horizon Il, atteint alors ses sommets, dans une économie prospère. L'apogée de l'or nubien se situe mille ans plus tard (- 1580 à - 1200) : jamais dans le monde antique le métal ne sera plus abondant, ni plus somptueusement travaillé. Dès cette époque, l'Afrique australe semble compter parmi les producteurs d'or: quelque part vers le Zambèze et le Li:rp.popo, en un lieu qui peut-être se confond avec le « Pount)l des hiéroglyphes égyp-
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tiens, et dont on reparlera en traitant des expéditions maritimes des pharaons et du commerce de l'or, les sables aurifères, lavés par les indigènes, donnent quelque 340 tonnes de métal, surtout en poudre, durant les douze cents années qui précèdent l'ère chrétienne. Le reste de l'Afrique n'ignore pas l'or, mais l'~gypte ignore ce reste d'Afrique : le Maroc en pro~ duit un peu, l'Afrique occidentale davantage. Le Carthaginois Hanon s'aventure de ce côté, en cab~ tant au long du littoral atlantique. Hérodote explique les rites d'une ébauche de troc (- 450) : «A l'arrivée, les Carthaginois débarquent leurs marchandises, les rangent en ordre sur le rivage, puis remontent en bateau et font de la fumée. A la vue de cette fumée, les indigènes viennent à la mer, puis apportent de l'or et s'éloignent des marchandises. Les Carthagi~ nois reviennent voir, et si l'or leur paraît de la valeur des marchandises, ils l'emportent et repartent. Sinon, ils remontent en bateau et attendent, et les autres reviennent avec une quantité supplémentaire d'or, jusqu'à ce qu'ils aient donné satisfaction. » Par cette voie, l'or du Soudan est acheminé vers le bassin méditerranéen, qui en est déjà le grand consommateur.
Grecs et Romains en qu~te d'or A la différence des Égyptiens, les Grecs et les Romains sont longtemps démunis de métal jaune. Chypre produit bien quelques tonnes d'or (30 en trois mille ansl), mais c'est surtout l'Égypte qui les acquiert. Mycènes sans doute se ravitaille aussi à Chypre. L'Asie antérieure ne produit guère davantage : Sumer, Babylone, l'Assyrie sont dépourvues d'or, et il faut aller jusque dans les déserts d'Arabie pour rencontrer quelques mines, ou jusqu'en Perse pour trouver des sables aurifères - et fort peu d'eau
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pour les laver. La Chine, si elle connatt l'or, a dti longtemps le faire venir de l'Inde: elle l'exploitera elle-même tardivement. Les Grecs ne disposent que de mines modestes à Samos, à Siphnos, que fait exploiter Polycrate, à Thasos, que visite Hérodote. Mais leurs frères d'Asie sont mieux partagés, en Phrygie et en Lydie, avec les gisements des sources du Méandre et les alluvions du Pactole. Et leurs voisins de Thrace suscitent leur envie, avec les trésors du mont Pangée, qui sont les plus plantureux de toute l'Europe orientale, de l'âge du bronze à l'âge romain. Philippe de Macédoine 'se les adjuge (en - 356). « Sers-toi d'armes d'or, lui a dit l'oracle de Delphes, et rien ne te résistera. » La prédiction se réalise : avec le métal du Pangée, Philippe subjugue la Grèce, et donne à Alexandre les moyens de ses premières conquêtes. L'Italie n'est pas beaucoup mieux pourvue que la Grèce: elle possède bien quelques gîtes d'or, en Lombardie, dans le Val d'Aoste, près d'Aquilée; ses rivières charrient des paillettes d'or (le PÔ, et son affiuent la Dora Riparia), mais toute sa production échelonnée sur l'âge étrusque et l'âge romain ne dépasse pas 200 tonnes. En revanche, Rome sait à merveille exploiter son domaine colonial, où les mines d'or ne manquent pas: si l'Égypte et la Nubie sont désormais décevantes (80 tonnes durant les cinq siècles de l'Empire romain), la récolte du Pangée est encore confortable, et trois colonies comblent les .vœux du Trésor romain : l'Ibérie, la Gaule et la Dacie. La production ibérique d'or est la plus importante : elle s'est ébauchée vers Almeria, avec des chercheurs venus peut-être d'Égypte à l'âge du cuivre (50 tonnes), s'est développée à l'âge du bronze (200 tonnes), plus encore à l'âge du fer (600 tonnes) pour atteindre 1 000 tonnes au temps de l'Empire romain : soit un total de 1 850 tonnes pour toute l'Antiquité.
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Au vrai, la future Espagne semble le paradis des métaux. On y trouve de l'argent, du fer, du zinc, du plomb, de l'étain. Phéniciens et Étrusques s'y sont déjà ravitaillés en minerais, par leurs comptoirs de Tarsis et de Gadès. Les Carthaginois puisent dans les mines ibériques pour soutenir leurs finances et étayer leur puissance. Evinçant Carthage (- 201), Rome stimule l'exploitation de l'or alluvionnaire, dans le Tage, le Douro, le Miiio, le Guadiero, et des gisements d'or, dont les principaux se situent dans la Sierra, Morena près de Cordoue, dans les Asturies jusqu'à la côte cantabrique, et dans le bassin du Guadalquivir. C'est d'eux que la République, puis l'Empire . tirent l'essentiel de leurs ressources. La Gaule est moins riche d'or que l'Ibérie, et quand les Romains s'en emparent (- 51), elle a déjà sérieu. sement sollicité ses cours d'eau. Il n'empêche que sa production de métal, durant l'âge antique, représenterait quelque 580 tonnes: Gallia Auri/era, disent les colonisateurs admiratifs, devant les gisements d'Armorique, des Pyrénées ou des Cévennes, et devant les paillettes que roulent encore le Rhône et le Gardon, le Rhin et la Moselle, l'Ariège et le Tarn. Du jour où César passe la Manche, l'or britannique s'ajoute à l'or gaulois: au pays de Galles, les conquérants font creuser des puits dans des pyrites aurifères, et ils en tirent un surcroît de métal (30 tonnes durant le temps de l'Empire). Les mines d'Irlande leur échappent. Mais tous ces gîtes ne sont pas inépuisables. C'est beaucoup pour en renouveler les apports déclinants que les Romains entreprennent, avec Trajan, la conquête de la Dacie, entre Danube et Carpathes (101). Pour cette entreprise, qui exige de gros moyens de trésorerie, l'empereur n'hésite pas à vendre aux enchères, sur le Forum, les ornements impériaux, les coupes d'or, les vêtements tissés d'or dont il dispose. Il ne sacrifie un peu d'orque pour en conquérir beaucoup.
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Les mines daces, auxquelles est affectée une maind'œuvre en provenance de toutes les parties dé l'Empire, deviennent propriété de l'État romain et renflouent le Trésor : quelques centaines de tonnes d'or supplémentaires permettent à Rome de maintenir encore sa prééminence sur le monde méditerranéen. Le « siècle d'or» de l'Empire, celui de Trajan, d'Hadrien, d'Antonin, de Marc Aurèle, est aussi le siècle de l'or. Avec Rome, les techniques minières ne progressent que médiocrement. La description que fait Pline l'Ancien du travail dans les mines ibériques ne diffère pas beaucoup du tableau des mines égyptiennes. On creuse toujours des puits verticaux et des galeries horizontales, qu'étaient des madrIers. Les foreurs s'éclairent avec les lampes qu'ils portent sur le front. A la lumière du jour, on bat le minerai, on le broie, on le lave, on le brûle. La poudre ainsi obtenue est pilée dans des mortiers, cuite au four. Pourtant, parce que les Romains sont nés organisateurs, ils donnent à l'entreprise des dimensions nouvelles; ils percent et bouleversent des montagnes pour en arracher les trésors: « Des exploits de géants », dit Pline. Et parce qu'ils sont nés bâtisseurs, ils constrùisent canaux et aqueducs pour apporter l'eau qui désagrège les alluvions; de même, pour éviter l'inondation des puits et des galeries et pour assurer l'évacuation de l'eau, ils utilisent la roue à aube et la vis d'Archimède, mues à main d'homme. Le droit minier de Rome évolue du libéralisme à l'étatisme. A l'origine, le lavage des sables est libre, et « l'inventeur» d'une mine, c'est-à-dire celui qui la découvre, peut l'exploiter. Mais Tibère subordonne les recherches à une concession, et décide un prélèyement du dixième au profit de l'État. Sur la fin dé l'Empire romain, les droits de la puissance publique s'affirment. Huit constitutions sur les métaux, tout en laissant l'exploitation au secteur privé, là où
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Histoire de ['or
l'État n'a pas nationalisé les mines, ordonnent que tout l'or lui soit vendu; et il ne le paie pas toujours à son juste prix. Cette montée de l'étatisme précipite à la fois le déclin de la production d'or et celui de Rome. Pour exploiter des gisements appauvris, les esclaves font défaut. Seule persiste la production de l'or alluvionnaire, avec des moyens qui restent primitifs. L'Ibérie et la Gaule cessent de compter parmi les grands fournisseurs d'or, l'extraction s'arrête dans les Carpathes avant l'an 250, dans les Alpes orientales avant l'an 400. Sur l'Arabie, le Caucase, qui leur ont naguère procuré du métal, les Romains ne peuvent plus compter. Ils n'ont pas seulement usé sol et sous-sol, ils ont vidé leur Trésor pour régler les déficits chroniques tIe leur balance commerciale. Rome qui fut riche finit dans l'indigence.
L'or raréfié des temps barbares Avec la chute de Rome, l'or achève de disparaître de l'Occident. Comment les mines pourraient-elles encore être exploitées? Leur main-d'œuvre est dispersée, les envahisseurs barbares ne sont plus capables de former les ingénieurs et les contremaîtres nécessaires à l'organisation du travail, ni d'entretenir les puits et les galeries, les routes d'accès et de dégagement. Si l'on continue à chercher ou à produire de l'or, c'est dans l'anarchie et au hasard: chacun pour soi. Résultat : durant le demi-millénaire qui s'écoule entre l'an 500 et l'an 1000, la production d'or .de l'Europe tombe à moins de 300 kilos par an, contre 1 tonne sous l'Empire romain. Encore, sur ce montant, les deux tiers proviennent de l'Europe balka~ nique et carpathique : la part de l'Occident est dérisoire. Non seulement la production diminue, mais les
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réserves accumulées disparaissent. Ou bien elles sont enfouies dans des cachettes, pour empêcher qu'elles ne tombent aux mains des nouveaux venus, et c'est ainsi qu'on pourra retrouver, bien des siècles plus tard, des trésors oubliés : par exemple ce petit bij ou, de cristal et d'or, que le roi Alfred d'Angleterre enterre dans une île du Somerset, pour le soustraire aux Danois, et qui ne sera exhumé qu'à la fin du XVIIe siècle. Ou bien ce qui reste d'or disponible en Occident sert à payer les fournitures de l'Orient, et particulièrement de Byzance. L'Orient et l'Extrême-Orient n'ont guère été perturbés par les grandes migrations: après le fulgurant passage des Huns, le monde asiatique reste semblable à lui-même. Les Scythes et leurs successeurs se ravitaillent en or dans le Caucase, l'Oural et l'Altaï. A portée de la Perse et de l'Inde, la Bactriane et la Sogdiane, que n'ont méconnues ni les Grecs ni les Romains, comptent parmi les plus gros producteurs d'or. En Inde même, où l'Indus et le Gange charrient des sables d'or, de riches gisements sont exploités avec méthode : non plus, comme le rapportait Hérodote, en tamisant les sables que ramènent à la surface du sol des fourmis géantes, mais selon les techniques éprouvées de tous les mineurs de ce temps. L'Asie jaune, tard venue à l'extraction de l'or, soutient un rythme régulier, un peu déclinant au Tibet et en Corée, mais en progrès en Chine et au Japon, où se multiplient les laveries d'or alluvionnaire. La production de l'Asie, en ce demi-millénaire, atteint trois fois celle de l'Europe. En Afrique, si l'Égypte disparaît du palmarès des gros producteurs, la Nubie et l'Éthiopie y figurent encore, et l'Afrique occidentale y accède. De la Guinée au Ghana, les mineurs sont à l'ouvrage, et les concupiscences se tourneront de ce côté. Les Arabes, qui ont déferlé du Nil jusqu'au rivage de l'Atlantique, et que leurs butins d'or ont mis en appétit, aimeraient
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s'adjuger des régions aurilères ayant fait rouvrir les gisements nubiens et éthiopiens (850), y ayant installé, sans grand succès, 100 000 mineurs, que ravitaillent des caravanes de 60 000 chameaux, ils rêvent à cet or de l'Afrique noire que n'ont pas ignoré les Carthaginois, et dont l'extraction se développe aux sources du Niger, au bord du Sénégal et de la Volta. Le renom du royaume de Ghana est venu jusqu'à eux. Ils savent que ses princes berbères, de race blanche, ont été chassés par un Noir nommé Kaya Maghan Cissé, ce qui signifie « le roi de l'or .; ils savent aussi que ses chevaux, harnachés d'or, sont attelés à des blocs d'or massif, que ses chiens font tintinnabuler des clochettes d'or. Deux cités centra~ lisent le commerce du métal: Djenné, qui rassemble la production de la Volta; Tombouctou, « la ville de l'or ", point de contact entre les pistes du désert et le Niger navigable. Les caravanes des chameliers arabes partent de Marrakech ou de Ghadamès, fran~ chis sent le Sahara jalonné de puits et reviennent chargées de paquets de poussière d'or alluvionnaire. Sans se contenter de ces rapports commerciaux, l'Islam rompra l'unité de l'empire du Ghana (1076), le dissoudra en royaumes indépendants, contaminera, sur le haut Niger, la petite principauté du Mali qui, à son tour, engendrera, de la Gambie à Gao, un Empire musulman. Cet or africain, jusqu'à nouvel ordre, n'est pas pour l'Occident. Au sein de l'Europe germanisée, le métal est maintenant si rare qu'il est soigneusement réservé aux rois et à l'Église. Les rois transposant à leur usage le droit minier hérité du Bas-Empire romain, s'octroient le monopole de la production du métal; tout ce que recèle la terre, au-dessous du sillon d'une charrue, leur appartient; toute activité minière est interdite, sans leur autorisation. Au surplus, ils entassent ce qu'ils peuvent d'or brut ou d'or ouvré, pour se constituer un trésor de paix ou de guerre,
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PRODUCTION D'OR DES TEMPS BARBARES ET DU MOYEN-AGE (Tableau des périodes précédentes, page 58.) En tonnes te • • • . . • • em Nubie . • • • • •
500-1000
1000-1492
Total
12 75 100 55
10 49
22 124
80 10 13
80 25
186
135 44
266
5
24 5
364
474
838
Espagne-Portugal. • • • France • . • • • • . • Grande-Bretagne. • • Italie. . • . • • • • • Alpes orientales, Bohême. Silésie, Saxe, Thuringe, Allemagne du Sud. Carpathes sept.. . Carpathes mérid•. Balkans . • • . . .
13 14
15
28 19 5
:ethiopie-SomaJie. • • Guinée • . • . Sierra Leone. • COte-de-l'Or. . Maroc. . •. Afr. australe. Madagascar • AFRIQUE • • • • • • •
19
5
98
10 11
198
20
5 5
51
15
8
7 8
13 70
77 103 108 59
111 121 129
EUROPE • • • • • • • •
148
423
571
Arabie . • . • • • • • Afghanistan-Turkestan • Indes . . . • . . . . Tibet. . . Chine. •. . .. Japon. • . •. Corée. . •.••• Philippines. •• .•• Indochine. Iles de la Sonde. .
30 112 75 25 75 32 12 10 31 20
26 109 70
221
ASIE
422
10
24
105 61 i 5
10 51
20
481
84
56
145 49
180 93 17 20 82 40
903 160
AMÉRIQUE • • TERRE ••
59
934
1378
2472
(Tableau des périodes suivantes, page 176.) (D'aprèl H~ch Quirlng : Guchiclit, 4.. GO'da.)
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capable d'affermir à leurs propres yeux ou aux yeux de leurs sujets leur prestige et leur autorité. L'~glise, devenue puissance économique autant que puissance spirituelle, accumule l'or dans ses sanctuaires et ses cloîtres, autant pour honorer Dieu et les saints que pour investir ses revenus. L'or, la monarchie et l'Église se confondent si bien qu'on voit un maître orfèvre, comme le Limousin Éloi, devenir trésorier du roi Dagobert, recevoir l'évêché de Noyon (641), bâtir des monastères, finir ministre et saint. La légende assure qu'avec l'or qui lui a été fourni pour exécuter le trône royal, il a réussi à en faire deux, à l'émerveillement de la cour: c'est la preuve qu'Éloi, en orfèvre consommé, sait qu'un alliage d'or, tout en économisant le métal, est plus résistant que l'or pur; c'est plus encore la preuve qu'il faut en ce temps-là ne pas prodiguer un métal raréfié, et qu'on apprécie, au point de leur confier la gestion des finances, les bons ouvriers de l'or.
Réveil à l'Occident Après la nuit barbare, l'aube se lève sur l'Occident. C'est le temps des cathédrales et des croisades, celui de l'art roman, de l'art ogival et du Quattrocento, celui d'un monde qui ressuscite. Les statistiques accusent, pour la même période, les progrès de la production d'or en Europe. Comment ne pas retenir cette nouvelle coïncidence? Le déclin qui a suivi les grandes invasions a été marqué par la chute de l'extraction du métal. La reprise ultérieure est à la fois celle de l'économie et de l'or. Où est la cause, où est l'effet? Est-ce le réveil de l'Occident qui stimule l'industrie minière, ou l'essor de la production minière qui réveille l'Occident? En fait, les deux phénomènes sont liés. Et, sans en conclure que l'or et la civilisation ne font qu'un, il faut bien admettre, au moins provisoirement, qu'ils vont de pair.
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De l'an 1000 à l'an 1500, la production du métal jaune ne progresse que modérément en Afrique et en Asie : elle atteint une tonne par an pour chacun des deux continents. Mais elle triple en Europe, par rapport au demi-millénaire précédent, et rejoint presque la production africaine ou' la production asiatique. Encore, dans cette production européenne, faut-il distinguer selon les pays et selon les siècles. Ni la péninsule ibérique, ni la France, ni l'Italie, ni la Grande-Bretagne n'ont plus de prétentions sur ce terrain : visiblement, leurs roches ont été léchées de tout l'or qu'elles pouvaient receler; leurs mines achèvent d'agoniser. En revanche, l'Europe centrale que les Romains n'ont pu mettre à contribution, et l'Europe orientale, qu'ils n'ont guère eu le temps de prospecter et d'exploiter, entrent dans la danse. La Bohême, la Thuringe, la Saxe, la Silésie, plus encore les Carpathes livrent leurs richesses. Mais il est très remarquable que le temps de leur meilleur rendement se situe aux XIIe et XIIIe siècles, qui sont précisément les grands siècles du réveil européen, avant la retombée dans la peste, les jacqueries et les guerres. L'or, décidément, est le compagnon de la prospérité. Il est vrai que l'Europe occidentale n'est pas restée passive. Faute de produire elle-même de l'or, elle s'est senti pousser des ailes pour aller en chercher: d'abord au Levant, où la colonisation des lieux saints, tournant à l'expédition commerciale, lui permet de renouer avec l'opulente Asie; l'Europe s'enrichit, non pas simplement du butin des croisés, mais grâce au trafic né des croisades. Trois galères vénitiennes qui s'en vont chaque année porter à Tunis les textiles d'Occident, reviennent chargées de l'or du Soudan. Les villes italiennes, derrière Gênes et Venise, la France de saint Louis, l'Angleterre des Plantagenêts, la Flandre des tisserands et des 'marchands, l' All~
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Histoire de rot
magne des Hanséatea reconstituent leurs ressourcei en or. Après l'éclipse douloureuse de l'interminable bagarre franco-anglaise, après la chute de Byzance qui ferme le chemin des Indes et détourne les courants de la Méditerranée vers l'Atlantique, l'Occident tente une nouvelle fois sa chance en des expéditions lointaines. Les Portugais, sur la façade océane, sont bien placés pour frayer le chemin. Déjà, des Dieppois leur ont donné l'exemple en doublant le cap Vert et en fondant deux comptoirs éphémères sur le golfe de Guinée; l'un d'eux porte un nom significatif: La Mine. Après une vaine tentative des Génois, le& Portugais, entreprenant le tour de l'Afrique, retrouvent les marchés maures de l'or en poudre : ils enlèvent d'abord Ceuta, qui.est une place importante pour le commerce du métal (1415), descendent au long des cOtes marocaines, découvrent l'estuaire d'un fleuve qu'ils prennent pour le Sénégal et qu'ils appellent par erreur Rio de Ouro - Rio de Oro - (1436), doublent le cap Vert et remontent la Gambie jusqu'à Cantor. Cette fois, le contact est bon: les indigènes ont de l'or. Les hommes recueillent le sable aurifère, les femmes le lavent, les Portugais l'achètent. Plus au sud, ils atteignent la Sierra Leone (1460), elle aussi riche en métal, puis, sur le golfe du Ghana, ils parviennent à proximité de ces gîtes que les Arabes avaient joints par Tombouctou: ce sera la COte-de-I'Or. Les Portugais y édifient leur quartier général de l'or, à l'endroit même où les Dieppois ont fondé leur comptoir de la Mine, et ils y édifient un château qu'ils dénomment Saint-Georges-de-la-Mine: SAo Jorge da Mina (1482). En réalité, ils n'exploitent pas de gisement minier, et se bornent à trafiquer, en offrant des étoffes de couleur, des vêtements, des chaudrons, du vin, contre l'or de la Haute-Volta, colporté jusqu'à la cOte à dos d'homme.
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A la fin du xve siècle, cet or africain représente, pour le Portugal, un arrivage annuel de quelque 700 kilos, dont une bonne moitié a transité par Saint-Georges. C'est mieux que rien. C'est assez pour mettre en appétit l'Europe, qui commence l'exploitation de la planète à son profit. En 1488, Diaz double le cap des Tempêtes. Quatre ans plus tard, Christophe Colomb atteindra le Nouveau Monde. Entre les terreurs de l'an 1000 et la découverte de l'Amérique, l'Ancien Monde a produit quelque 1 380 tonnes d'or, soit près de 50 % de plus que durantles cinq siècles précédents-les siècles barbares. Mais la population du globe a pour le moins doublé, l'économie s'est développée encore davantage, les besoins ont grandi, la fringale d'or est plus vive que jamais. C'est pour l'apaiser que les Européens se lancent sur les routes nouvelles. Qu'ils soient mus aussi par l'appel de l'aventure, par l'appel des épices, par le désir de porter le Christ aux peuples païens, ce n'est pas douteux. n ne s'agit là ni de mauvaises raisons ni d'alibis. Mais plus encore que pour la conquête, le commerce ou l'évangélisation, les hommes se mobilisent pour l'or.
Dons et rapts L'histoire de l'or n'est pas seulement celle de la production du métal. Elle est aussi celle de sa distribution. Où va l'or extrait des mines? Comment passe-t-il du producteur au consommateur? Les échanges d'or se font. selon trois procédés: le don, le rapt, le commerce. Les peuples primitifs n'ont connu que les deux premiers de ces moyens. A mesure que s'est organisée la vie des nations, le troisième n'a cessé de se développer. Donner de l'or? Cette générosité peut parattre singulière. Elle n'en est pas moins mise en pratique,
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parfois avec prodigalité, chaque fois que le donateur pense y trouver son intérêt : soit pour se concilier les dieux ou leurs prêtres, soit pour s'attacher des Concours et des alliances. En fait, le don est déjà un échange : il a pour contrepartie un a.ppui, d'ordre surnaturel ou d'ordre politique. Ouvrons la Bible : on peut se demander les raisons des largesses de la reine de Saba envers Salomon. Elles semblent ne rémunérer rien d'autre que les sages conseils du roi. « La renommée de Salomon étant parvenue jusqu'à elle, la reine de Saba vint l'éprouver par des énigmes. Elle apporta à Jérusalem de très grandes richesses, des chameaux chargés d'aromates, d'or en énorme quantité et de pierres précieuses... Elle donna au roi cent vingt talents d'or. » A 34 kilos le talent sémitique, ce don représente 4 tonnes de métal. Consultons Hérodote : il rapporte les fabuleuses offrandes de Gygès et de Crésus à l'oracle de Delphes. Gygès fait présent d' « une très grande quantité d'or, et particulièrement de six bols d'or pesant trente talents». A 26 kilos le talent attique, ces 6 bols pèsent 800 kilos. Crésus fait mieux encore : il offre des coupes d'or, des lits recouverts d'or, et 117 lingots mesurant 6 palmes de longueur, 3 de largeur et 1 d'épaisseur. « Quatre d'entre eux étaient d'or pur, pesant chacun deux talents et demi. Tous les autres étaient composés d'un alliage d'or et d'argent et pesaient chacun deux talents. TI avait également fait faire un lion d'or pur pesant dix talents, et deux mortiers de grande dimension dont l'un, en or, pesait plus de huit talents et demi. TI envoya encore une statue d'or représentant une femme, haute de trois coudées... » Au bas mot, selon le compte qu'en fera Sutherland, la munificence de Crésus doit se chiffrer par plus de 3 500 kilos d'or, selon Quiring, par 9300 kilos. Comme l'oracle de Delphes, bien d'autres sane-
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tuaires bénéficient pareillement de donations plus ou moins ostentatoires, souvent par-dessus les frontières; et les églises chrétiennes, à cet égard, ne seront pas moins comblées que les temples palens. Sur le plan politique, l'or achète des fidélités. Par exemple, l'Égypte en use pour s'assurer des complicités de l'autre côté de la mer Rouge. La Perse en répand à profusion parmi les cités grecques pour les diviser. Rome s'en sert pour se concilier les peuples barbares qui s'agitent aux lisières de l'Empire: ainsi agit-elle envers les Daces, avant de les asservir par les armes, et envers nombre de peuples turbulents qu'elle cherche à apaiser; ses libéralités consistent tantôt en lingots marqués du sceau impérial, tantôt en médailles à l'effigie de l'empereur. On retrouvera de tels « cadeaux» de métal jaune au-delà du Danube et du Rhin, et jusqu'en Pologne. Ces dons sont-ils toujours volontaires? Il en est qui sont imposés par les exigences des donataires, et qui ressemblent alors beaucoup à des tributs. L'or, en fait, change fréquemment de mains sous la contrainte et dans la violence: rapines et pillages, rançons et butins, en marquant le terme des batailles et en consacrant les victoires, permettent des transferts d'or du vaincu au vainqueur. Pour riches que soient les Égyptiens, ils ne laissent jamais passer une occasion de gonfler leurs réserves. En Syrie, puis sur l'Euphrate, ils raflent de grosses quantités d'or. A Jérusalem, le pharaon se fait « livrer les trésors du temple de Yahvé et ceux du palais royal, absolument tout, jusqu'à tous les boucliers d'or qu'avait faits Salomon ». Après avoir écrasé les Madianites, Gédéon dit aux gens d'Israël : « Que chacun de vous me donne un anneau d'or prélevé sur son butin. lO Il étend son manteau, et chacun y jette l'anneau demandé. « Le poids des anneaux d'or, assure le livre des Juges, s'éleva à mille sept cents sicles d'or. 1) - soit, sur la
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base de II,4 grammes par sicle, près de 20 kilos; ee n'est qu'un butin à l'échelle d'une bagarre de tribus. Le profit est encore modeste quand le roi d'Assyrie, pressurant Menahem, roi d'Israël, n'ose exiger que ,10 talents d'or (340 kilos). Il atteint assurément . d'autres sommets quand les Assyriens s'en vont piller l'~gypte.
Les Perses, tour à tour, sont dévalisés ou dévalisent. Les guerriers de leur arrière-garde, vaincus à Platées, sont dépouillés de toutes leurs parures d'or. Vainqueurs à Ninive, puis à Babylone, les Perses s'y approprient des dizaines de tonnes de métal jaune. Sur les vingt satrapies de leur Empire, qui va de l'Indus au Danube, les souverains perses prélèvent d'énormes tributs. Mais, vaincus par Alexandre, ils doivent lui abandonner tous les trésors qu'ils ont amassés et stérilisés à Persépolis, Suse et Ecbatane : 120000 talents d'or et d'argent dans la première ville, 40000 dans la deuxième, 180000 dans la troisième. Jamais pareille fortune n'est tombée dans une main d'homme. Jamais pareille inflation de métal n'a déferlé sur le monde méditerranéen. Avec les Romains, les mœurs militaires ne changent pas: toute victoire doit se traduire par un enrichissement. Ils l'ont appris à leurs dépens, quand ont surgi les Gaulois. Brennus, jetant son épée dans la balance, exige 1000 livres d'or (327 kilos), et les femmes romaines doivent se défaire de leurs bij oux. Le Trésor romain est pratiquement vide d'or avant le combat contre Carthage. Il ne dépasse pas 2 tonnes, selon Tite-Live, au début de la deuxième guerre punique. Grossi par les butins de Syracuse, de Capoue, de Tarente, il s'élève bientôt à 5 tonnes. En Grèce, Rome saisit lingots, pièces, couronnes et boucliers d'or: 2 tonnes supplémentaires. En Espagne, les tributs d'or rapportent encore quelque 5 tonnes. D'Arménie, Lucullus ramène 56 mulets chargés de barres et de bijoux d'or. En ~gypte, Auguste trouve
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plus d'or qu'il n'en a été trouvé nulle part ailleurs: de quoi étayer son Empire. En Dacie, avant même de s'adjuger les mines, Trajan s'empare des réserves accumulées par les princes indigènes (et les chiffres avancés par certains historiens sont si démesurés ou si absurdes qu'on n'ose les retenir). A l'occasion, et pour compléter ses sources d'approvisionnement, le Trésor romain ajoute l'impôt au butin: impôt assis sur l'ort comme celui qui frappe tous les avoirs privés de métal (- 210); impôt prélevé en or, comme celui que tend à généraliser le Bas-Empire. Du jour où Rome, cessant d'être conquérante, passe à la défensive, il lui faut bien remplacer les rapts extérieurs par des contributions intérieures. Mais l'or ainsi récupéré est destiné à la solde des légions, qui sont le plus souvent composées de mercenaires étrangers. L'or ne vient plus: il s'en va. Aux temps barbares, les moyens qu'adoptent les rois et les chefs de guerre pour se procurer de l'or sont expéditifs : on pille, non pas les vivants, qui n'ont pas d'or ou qui l'ont caché, mais les morts. Théodoric ordonne de violer les tombes, au profit de ses coffres. Les Arabes, maîtres de l'Égypte, entreprennent de piller méthodiquement sépulcres et pyramides : ils y réussissent au-delà de leurs espérances. Byzance préfère la formule plus policée du tribut et de l'imposition : elle frappe ses ressortissants de taxes en or, quitte à verser elle-même un subside annuel à la Perse. A quoi bon poursuivre la litanie? n n'est pas de siècle qui n'ait son lot d'extorsions, que des traités en bonne et due forme camouflent en rançons ou en indemnités de guerre. On verra, durant les croisades, saint Louis racheter sa liberté moyennant 1 million de besants d'or (plus de 4 tonnes). On verra, durant la guerre de Cent Ans, le roi Jean II emmené en captivité à la Tour de Londres, et libéré contre remise de 3 millions d'écus d'or (12 tonnes).
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Le commerce de ['or
Normalement, dans la mesure où les moyens pacifiques comptent autant ou plus que les moyens guerriers, l'or fait l'objet d'un trafic commercial; comme toute marchandise, il est acheté et vendu, en contrepartie d'autres marchandises, qui peuvent être d'autres métaux, mais aussi n'importe quel « article» : des esclaves, des troupeaux, des étoffes, des aliments, des perles, de la pacotille ... Les peuples vendeurs sont ceux qui détiennent beaucoup d'or, ou bien ceux que presse l'impérieux besoin d'un autre produit. Tel est le cas des Égyptiens, riches en or, mais qui doivent se procurer du bois et de l'étain. Les peuples acheteurs sont ceux qui ont à la fois le désir et la possibilité d'accroître leurs réserves de métal : ils ont souvent le désir sans la possibilité; il est rare qu'ils aient la possibilité sans le désir. Très vite, la puissance des nations se mesure en termes de richesse, et la richesse en termes d'or. Quand les gisements d'Égypte et de Nubie commencent à se faire moins productifs, les pharaons cherchent à se procurer de l'or sous d'autres cieux: ils organisent des expéditions vers un pays plus ou moins mystérieux que les hiéroglyphes désignent par trois consonnes P W N -le Pount. Où se trouve-t-il ? On a tout lieu de penser que ce nom s'applique à plusieurs pays successifs, et que le Pount se déplace vers l'Orient et le Sud, à mesure que passent les siècles et que les marins se font plus hardis. Le Pount se situe d'abord sur les rivages de la mer Rouge. Selon les « bandes dessinées » du temple d'Hatchepsout, ses habitants ressemblent encore à des Égyptiens, avec la peau rouge brique, la barbe pointue et les cheveux nattés; ils habitent des huttes
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sur pilotis, parmi les palmiers et les palétuviers (-1500). Par la suite, un autre Pount présente un autre visage : les indigènes ont tête ronde, nez épaté, cheveux frisés (-1320). Ce nouveau Pount peut se situer sur la côte des Somalis, au sud du cap Gardafui, là où les géographes situeront la ville d'Oponoe : Oponoe, Pount, ce serait le même nom. Ou bien le Pount, si l'on en croit certains auteurs, glisserait beaucoup plus au sud sur l'océan Indien, vers le Zambèze et le Limpopo : ce serait déjà l'Afrique australe qui entrerait dans l'histoire de l'or. Les marins qui risquent l'aventure en rapportent, en même temps que du métal, de l'ivoire et des peaux de lion: c'est donc le pays des éléphants et des fauves. En direction du Pount, les pharaons et les prêtres lancent des croisières périlleuses et répétées. Un seul capitaine y fait onze voyages. Ramsès II arme une puissante flotte (- 1180) pour y transporter marchands, minéralogistes et chercheurs : en tout, 10000 hommes. Leur objectil essentiel est l'or, qu'ils obtiennent en échange de la pacotille égyptienne. Aussi énigmatique que le Pount, l'Ophir de la Bible se confond peut-être avec lui. Vers Ophir, le roi de Jérusalem, Salomon, et le roi de Tyr, Hiram, envoient matelots et serviteurs, qui rapportent 420 talents d'or (14 tonnes), puis 666 (23 tonnes). L'expédition, qui dure trois ans et qui est renouvelée tous les trois ans, revient « chargée d'or, d'argent, d'ivoire, de singes et de guenons» : c'est donc encore un pays tropical. Lequel? On l'a souvent situé en Arabie, ou sur la côte des Somalis, voire sur le golfe Persique. On l'a parfois identifié avec le Bengale. Comme le Pount, certains historiens sont tentés de le reporter au sud du Zambèze, à hauteur de l'actuelle Rhodésie, en un empire noir dont la capitale sera Zimbabwe, et dont le souverain portera le nom de Mwene Montapa, le u Seigneur des Mines» - celui que les Por-
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tugais appelleront Monomotapa. En toute hypothèse, Ophir fera rêver. Colomb et les conquistadors se mettront en quête d'Ophir, comme s'il s'agissait du paradis perdu. En dehors de l'Égypte, acquéreur comblé et occasionnel, et des Hébreux, clients de modeste importance, les grands amateurs d'or ne manquent pas, notamment parmi les pays que la nature a médiocrement pourvus en métal jaune : les riverains de l'Euphrate ont d'li se ravitailler en Arabie, en Asie Mineure, au Caucase, en Iran. Ils ont tout naturellement sollicité l'Égypte, et l'on retrouvera des lettres adressées au pharaon, dans lesquelles un roi de Babylone se plaint d'avoir reçu du minerai à trop faible teneur (-1360). Les Crétois, dont les marins se répandent aux quatre coins de l'horizon, se procurent de l'or en Egypte, en Ibérie, en Arménie, et jusqu'en Bactriane, contre des vases, des armes, des étoffes, des amphores d'huile ou de vin. Leurs successeurs, les Phéniciens, hardis navigateurs, vont peut-être aussi en chercher jusqu'à la mystérieuse Ophir. Derrière eux, les Carthaginois s'approvisionnent en or, soit en Espagne, soit (comme on l'a vu) en Afrique occidentale. Dans l'île de Cerné, entre le cap Juby et le cap Bajador, ils offrent en échange du métal les produits de leur industrie : céramiques, tapis, parfums, colifichets. Par l'entremise des caravaniers garamantes, prédécesseurs des Touareg au cœur du continent noir, ils acquièrent de l'or et des esclaves, qu'ils paient en sel, en cuivre ou en verroterie.' Mycéniens et Troyens, qui n'ont pas d'or, en achètent chez les Thraces ou les Lydiens, en Colchide ou au Caucase. Les Grecs en font venir de l'Oural, de l'Altaï, du Pendjab: Sparte en demande au' roi Crésus, pour dorer une statue. Le comportement des Romains illustre le cas d'u.n peuple d'abord privé d'or, et qui en trouve où il
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peut, qui en est ensuite comblé, par l'ampleur de ses butins et la richesse de ses gisements coloniaux, et qui finit par perdre tout son avoir pour régler ses déficits commerciaux. A la différence des peuples thésauriseurs qui, comme les Crétois ou les Carthaginois, vendent des marchandises pour acquérir de l'or, les Romains se mettent à céder de l'or pour acquérir les marchandises dont ils ont envie : les fourrures et l'ambre des pays du Nord, les épices, les soies, les porcelaines des pays d'Orient. Il en cotlte à Rome plus de 2 tonnes d'or par an, selon Pline qui note avec amertume: «Notre or s'en va loin de nous. » Rome se ruine pour nourrir son luxe. A ce jeu, c'est la Chine, c'est surtout l'Inde qui s'enrichissent en métal. L'Inde exporte d'ailleurs des marchandises aussi bien vers l'Égypte ou la Perse, pourvu qu'elle encaisse de l'or, dont elle gonfle ses trésors publics et privés, sans jamais assouvir son insatiable appétit j elle devient ce qu'elle ne cessera plus d'être: le « tombeau des métaux précieux », un « abtme d'or et d'argent ». A la différence de Rome, qui livre son or, Constantinople en accumule : dans une Europe que les invasions ont rendue incapable de travailler et de produire utilement, l'Empire byza~tin fait figure de puissance industrielle et commerciale : il tisse au métier le lin, le coton, bientôt la soie, il fond l'acier, il fabrique d'innombrables objets de luxe, il est un grand centre de transit international. En contrepartie de ses exportations et des services rendus, il reçoit de l'or. L'empereur Anastase laisse une réserve personnelle de 145 tonnes, l'impératrice Théodora en détient 40, Basile II, le vainqueur des Bulgares, 90. Églises et particuliers ont leurs propres trésors. Cette opulence ne prend fin que du jour où la montée des périls extérieurs et des dissensions internes, jointe aux excès d'une - consommation effrénée, entraîne le déclin de Byzance. Cette fois encore,
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l'or s'enfuit en même temps que l'Empire déchoit. Résumons l'histoire de l'or - de sa production et de son négoce - jusqu'à la découverte de l'Amérique. Deùx grandes contrées dominent la production : l'Égypte-Nubie d'abord, l'Ibérie-Gaule ensuite, après quoi la production se disperse. Trois grands pays dominent le négoce de l'or: Rome et Byzance, tour à tour importatrices et exportatrices de métal, l'Inde, dévoratrice en permanence. L'or et l'argent
Mais l'or n'est pas seul au monde. Il entre en concurrence avec quelques autres métaux, et tout particulièrement avec l'argent. Métal jaune contre métal blanc. Quels que soient les mérites de l'argent, ils ne sont pas égaux à ceux de l'or. L'éclat n'est pas le même: les Anciens et les alchimistes ont souvent assimilé l'argent à la lune, comme l'or au soleil. L'argent est moins malléable, moins ductile et moins stable que l'or, il s'oxyde, se ternit et se corrode, tandis que l'or reste inaltérable. Enfin et surtout, en règle générale, l'argent est moins rare que l'or, donc moins convoité. Entre les deux métaux, la hiérarchie n'est pas douteuse. Mais certains pays font la part belle à l'argent, dans la mesure précisément où l'or leur paraît inaccessible. Pour les peuples de l'Euphrate, pour la Grèce classique, pour la Rome républicaine, pour l'Europe barbare, pour la Chine de façon durable, l'argent est le métal de référence, sinon de préférence. Où trouve-t-on de l'argent? En Inde et sur les bords du golfe Persique, en Mésopotamie, en Asie Mineure, à Chypre, quelque peu en Grèce, dans les Balkans, largement en Ibérie (qui est décidément pour les métaux un pays de Cocagne), près de Car-
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thage, de-ci de-là en Gaule. L'Europe germanisée voit sombrer sa production et ses ressources d'argent, comme sa production et ses ressources d'or, et pour les mêmes raisons. L'argent, comme l'or, émigre alors vers Byzance et vers l'Inde, dans les mêmes conditions. Après quoi, quand l'Occident se réveille, l'exploitation des gisements argentifères reprend, surtout en Europe centrale (Hongrie, Bohême.•.). Mais, comme le métal jaune, le métal blanc ne suffit pas aux besoins de l'économie convalescente. TI est grand temps de découvrir le Nouveau Monde. Selon les circonstances et selon les lieux, le rapport de valeur entre l'or et l'argent varie dans de fortes proportions. Là où l'or est présent, et l'argent . absent, c'est le prix de l'argent qui l'emporte: ainsi a-t-on vu, dans les premiers millénaires égyptiens, l'argent valoir plus que l'or, à poids égal. Mais, en ce temps-là, qui précède l'avènement de la Ire dynastie, le fer vaut aussi plus que l'or. A partir du moment où se nouent des relations d'échanges entre l'Égypte et l'Asie antérieure, l'argent se fait moins rare, et son prix baisse. Vers l'année - 3700, le cours de l'or dépasse celui de l'argent, le rapport de l'un à l'autre progresse à 2,5 sous le règne du pharaon Ménès (- 3150), pour redescendre ensuite à 2 durant le Moyen Empire (- 2000), à 1,70 sous la XXe dynastie (- 1100), du fait de l'abondance du métal jaune. Mais il progresse à 7 et 7,5 sous le Nouvel Empire. Les rives de l'Euphrate ne sont pas les rives du Nil : comme on y trouve de l'argent à foison, mais non pas de l'or, l'or vaut beaucoup plus que l'argent: de 7 à 15 fois à l'âge d'Ur (- 2100). TI n'est pas impossible, comme le rapportent certains auteurs, que les prêtres de Babylone, observant la course des étoiles pour prédire l'avenir, et pénétrés, eux aussi, des affinités de l'or avec le soleil, de l'argent avec la lune, aient dégagé le rapport de l'année solaire au mois lunaire, et 'conclu que l'or doit valoir 13,5 fois
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l'argent. Ce beau calcul n'a pas empêché le rapport des deux métaux de glisser à 6 au temps d'Hamourabi (- 1750). Tandis que l'or est réservé aux rois et aux grands, l'argent circule dans l'Asie antérieure en quantité suffisante pour être abandonné à un usage plus courant. Il en est de même au pays d'Israël: «Salomon, dit le livre des Rois en forçant un peu la note, fit que l'argent était à Jérusalem aussi commun que les cailloux.» . C'est peut-être pour les raisons astrales invoquées par les prêtres de Babylone que Crésus fixe le rapport officiel de l'or à l'argent à 13,33. Le fait est que, de la Perse à la Grèce, les marchés l'ont à peu près ratifié : les invasions achéennes, en ruinant les civilisations de la Crète et de Mycènes, raréfient l'or et font monter ses cours. Au VIle siècle avant notre ère, les Lydiens situent l'or à 13,3 fois l'argent. Au va siècle, les Athéniens rachètent sur le pied de 14 contre 1. A la même époque, Agrigente situe ce rapport à 13. C'est seulement quand Philippe le Macédonien s'empare des gisements du Pangée que r or glisse à 12,5 fois l'argent, pour se consolider à 10, quand Alexandre déverse ses butins métalliques sur l'Occident. Pour Rome, le métal de base n'est d'abord que le bronze (aes), qui permet d'estimer toutes choses (aestimare). L'argent n'accède aux premiers rôles qu'au contact des colonies grecques de l'Italie méridionale et après la guerre contre Pyrrhus, qui introduit largement le métal blanc dans la République romaine. Il faut attendre les victoires sur Carthage et l'aftlux de l'or ibérique et gaulois pour y répandre l'usage de l'or et faire fléchir au-dessous de 9 le rapport or-argent. Sous l'Empire, au contraire, l'évasion de l'or vers l'Inde et la Chine raréfie le métal jaune et relève ce rapport à 12,5 (avec Dioclétien), et à près de 14, quand Byzance prend le relais de Rome. Dans l'Europe des Barbares, peut-on encore par-
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1er de la valeur relative de l'or et de l'argent, puisque l'or a pratiquement disparu? A sa réapparition, le rapport des deux métaux évolue entre 10 et 15. Acci. dentellement, au xve siècle, on le voit fléchir à Florence à près de 9. C'est à ce même niveau qu'il se maintient traditionnellement au Moyen-Orient et en Extrême-Orient. De ce survol ingrat de l'histoire comparée du métal jaune et du métal blanc, que faut-il retenir? Ceci pour le moins. Chaque civilisation se rallie au métal dont elle dispose: l'Égypte à l'or, la Mésopotamie à l'argent. La Perse à l'or, la Grèce à l'argent. Carthage à l'or, la République romaine à l'argent. Byzance à l'or, l'Occident appauvri à l'argent. Lorsque des conflits opposent deux civilisations et deux métaux, c'est souvent l'argent qui l'emporte: ainsi de la Grèce sur la Perse, ainsi de Rome sur Carthage. Mais ces victoires apparaissent en fin de compte comme les victoires des peuples démunis sur les peuples nantis: le désir de l'or pèse parfois plus, dans la balance des forces, que sa possession. Les orfèvres au travail
De cet or, dont nous présumons que le monde a produit près de 13 000 tonnes avant la découverte de l'Amérique, que fait-on? Pour l'essentiel, jusqu'à ce même événement, l'or est objet de parure. L'homme éprouve très tôt le besoin de se parer, ou de parer sa demeure. A l'origine, le fait-il dans des intentions religieuses ou dans des intentions artistiques? Le sacré et le beau se superposent, le fétiche et la parure se confondent. Sur les parois des cavernes, les images d'animaux relèvent de l'envotltement autant que de l'ornement. Au cœur des sanctuaires, les statues des dieux appartiennent au culte et à l'art.
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Le port des bijoux relève souvent aussi de la superstition, voire d'une sorte de totémisme: il protège contre les influences maléfiques, contre les maladies. Si les Égyptiens se parent volontiers de scarabées d'or, si les Crétois retiennent la tête de taureau parmi leurs motifs de prédilection, si les Étrusques font grand cas du lion, qui dira dans ces choix la part de l'ornement et celle de l'amulette? Pour les Hellènes, les pendentifs de glands ont une signification mystique; dans le monde grec sur le déclin, le nœud d'Héraclide, qui entrelace des cordelettes d'or, passe pour accélérer la cicatrisation des plaies. En Inde, c'est par devoir religieux que l'époux couvre l'épouse de bijoux. A la longue, sans se dissocier toujours de ses fins magiques, le souci d'embellissement s'affirme. Tout naturellement, l'or est destiné aux plus nobles parures. Autant que la consolation des morts, il est la récompense des vivants. Il est le signe extérieur de la puissance, de la richesse, du rang social. Sa mise en œuvre est confiée à des artistes qualifiés : les batteurs, les tireurs, les fileurs, les doreurs, les sculpteurs, les orfèvres. L'orfèvre, ou faiseur d'or, se confond d'abord avec le métallurgisté : il est tout à la fois forgeron, sculpteur et quelque peu sorcier. En Guinée, il travaille sous la protection des génies, avec l'assistance et les louanges du griot. Partout, il jouit d'un statut particulier, où se mêlent les honneurs et les contrôles. Au Moyen Age, que ce soit à Paris sur le Grand Pont ou à Florence sur le Ponte Vecchio, il appartient à une corporation soumise à de stricts règlements. On a vu des orfèvres ministres, ils seront banquiers. Plus tard, ils se spécialiseront: le bijoutier exécutera des bij oux dont le fond est de métal, et où la pierre précieuse n'est que l'accessoire; le joaillier fera les joyaux, dont la pierre est le motif essentiel, et où le métal ne sert que de support. D'autres spécialistes,
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le graveur, le ciseleur, le sertisseur, se partageront des tâches définies. Ds ne sont tous que les héritiers de l'orfèvre. Le métal mis en vente est tantôt de l'or massif - de préférence dans les pays les mieux pourvus -, tantôt de l'or en feuille ou en fil. Les techniques changent, sans touj ours se parfaire. L'or peut être martelé, à froid ou à chaud, ce qui le durcit. n peut être fondu, ce qui permet de lui donner toutes les formes imaginables. A Sumer, les gens de l'Euphrate imaginent dès - 2800 le procédé de la cire perdue : on enrobe d'argile un modèle de cire, on le chauffe après séchage de l'enveloppe, de sorte que la cire s'écoule par les orifices préalablement aménagés; le moule ainsi obtenu est prêt à accueillir l'or en fusion. Les Égyptiens adoptent ce système en - 2000. A la même époque, ils savent déjà réduire l'or en feuilles épaisses d'un micron et en plaquent des objets de métal ou de bois. Pour identifier l'or, les experts ne sont pas pris en défaut : ils observent la fusion du métal ou mesurent sa densité. Les Grecs et les Romains recourent à une variété de jaspe noir, qui raye différemment l'or et le cuivre : c'est la pierre de touche, que les Chinois connaîtront seulement au xve siècle. Très tôt, les artisans de l'or sont en mesure de fabriquer des fils en coupant des feuilles en lanières, et en les martelant pour arrondir la section, ou .bien en les roulant entre deux plaques de bronze. Les Romains recourent à des plaques filières, percées de trous de diamètres de plus en plus petits, dans lesquels ils font passer le fil d'or pour l'amenuiser progressivement. Pour faire des fils creux, ils torsadent une bandelette autour d'un mandrin. S'agit-il d'assembler des morceaux d'or? Les orfèvres anciens se servent de crème de tartre préparée à partir de lie de vin brftlée : ils appliquent le décapant sur la jointure, avec une plume, mettent
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en place les pièces à souder, chauffent au rouge, nettoient ensuite à l'acide. S'agit-il seulement de dorer une surface? Les orfèvres appliquent sur elle de minces feuilles d'or, que les Latins appellent bractéates. A dater de l'époque romaine (et peut-être dès les Étrusques), ils enduisent la surface d'un amalgame de mercure et d'or vierge et, en chauffant, font évaporer le mercure, pour ne laisser subsister qu'une pellicule d'or. S'agit-il de sculpter l'or - à supposer qu'il ne soit pas coulé? L'orfèvre recourt soit à la technique du « repoussé », selon laquelle le dessin est martelé à partir du revers d'une mince feuille d'or, soit au ciselage, qui permet de travailler l'or à l'endroit. Comme l'homme est inventif, il cherche et trouve bientôt le moyen de compliquer et d'enrichir son ouvrage. Ou bien l'artisan insère dans l'or des pierres précieuses, des perles, des émaux: c'est le procédé de l'incrustation ou du cloisonnement, déjà pratiqué par les Égyptiens, repris par les Grecs et les Byzantins, généralisé par les Barbares pour économiser le métal - et que les Chinois connaissent six siècles avant notre ère. Ou bien l'artisan soude sur une surface d'or de minuscules sphères métalliques, obtenues en mélangeant des limailles d'or avec de la poudre de charbon de bois : c'est le procédé de la ,granulation, dans lequel excellent les Etrusques, qui assemblent les limailles avec une solution de carbo:' nate de cuivre, d'eau et de colle de poisson, et qui réussissent à aligner 50 grains au centimètre. Ou bien l'orfèvre, avec des fils d'or soudés, réalise un ouvrage à jours: c'est le procédé du filigrane, tardivement mis en œuvre par les Égyptiens (- 700), qui, par le port de Coptos, l'exportent en Inde, où il prend le nom de coft ou keft : procédé cher aux Grecs et aux Byzantins, connu des Celtes et des Germains. D'ailleurs, les modes changent, alternant la surcharge et la sobriété. Les civilisations à leur zénith
L'or parure réussissentles chefs-d'œuvre les plus dépouillés: c'est le cas des Grecs de l'âge classique. Les civilisations déclinantes glissent vers le raffinement: c'est le cas de l'âge hellénistique, où se mêlent l'éclat et la fadeur. Les civilisations barbares compliquent à plaisir, pour se donner l'illusion d'un luxe dont elles ne sont plus capables: c'est le cas de l'orfèvrerie carolienne qui mêle les souvenirs de Rome, les influences de Byzance et le faste de la Germanie. Comme le travail des orfèvres, le port de la parure évolue selon les peuples et les siècles. Certains sont austères, par nécessité ou par tempérament, d'autres font parade de leurs richesses, parce qu'ils en ont ou parce qu'ils veulent le faire croire. C'est ainsi que la République romaine interdit l'usage excessif des bij oux, mais que l'Empire romain donne libre cours à une débauche de parures, où se retrouve l'exemple. de l'Orient. C'est ainsi que l'Inde fait grand étalage d'une prodigieuse quincaillerie dorée, qui couvre, non seulement les dieux et les princes, mais les individus des milieux les plus démunis, y compris ceux qui n'ont pas de quoi manger. A ce point de passion, l'or n'est plus un superflu, il apparaît comme un besoin élémentaire.
L'or, de la t~e au cou Sortant des mains expertes de l'orfèvre, les parures d'or s'en vont revêtir l'homme et la femme, de la tête aux pieds. A leur intention, l'artiste enfante des chefs-d'œuvre, dont beaucoup sont condamnés à disparaître, tandis que d'autres, franchissant les millénaires ou les siècles, feront l'orgueil des musées .. Commençons par la tête, en oubliant les prodigieux masques mortuaires d'Égypte ou de Mycènes. Couronnes et diadèmes sont la parure des grands de ce monde. Les princesses égyptiennes portent des cou.. ronnes faites de réseaux de ms d'or, ou des bandeaux
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de fleurs stylisées. Mycènes propose les diadèmes les plus étonnants, comme cet oval frontal, orné de soleils et de lunes dans des cercles juxtaposés, ou comme ce losange coiffé de 7 flammes à bossettes décroissantes. Les archéologues retrouveront d'autres diadèmes, aussi somptueux, dans les ruines de la deuxième Troie : ils les attribueront hâtivement au « trésor de Priam », alors qu'ils sont en réalité très antérieurs à la Troie homérique. Autres découvertes de prix : en Espagne, près de Grenade, l'une des plus antiques de toutes les parures, un diadème d'or, martelé à froid (- 4000?); au cœur de l'Europe, près de Vienne (-1000), un chapeau conique, haut de 40 centimètres, tout en or : il alterne 22 rangs de 4 nervures, Il rangées de cercles concentriques, Il rangées de petites bossettes. A Velem-Szentoid, en Hongrie (- 900), un diadème à décor repoussé, fait de lignes, cercles, bâtons et zigzags, et obtenu par martelage. A Vix, en Bourgogne (et pour mémoire), le sobre diadème de la princesse au char (- 500). Les empereurs et les impératrices de Byzance inaugurent la longue série des somptueuses couronnes impériales et royales. Les rois barbares ne veulent pas faire moins: les souverains wisigoths d'Espagne portent des couronnes d'or pur, incrustées de pierres; on en retrouvera Il dans le trésor de Guarrazar, près de Tolède. Mais nombre de pèlerins de Saint-Jacques veulent aussi porter un insigne d'or sur le bord de leur chapeau de feutre : un insigne grossièrement coulé, qui reproduit l'image ou l'emblème de l,eur saint patron. En Inde, qui ne désire son diadème d'or? En Chine même, il en est de fort beaux. Tel ce diadème T'ang, que termine à chaque extrémité un animal chevelu, ou cet ornement de coiffure de l'époque Song, qui représente un phœnix aux ailes déployées. Sur les tempes, fixés aux nattes de la chevelure, les
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Achéménides portent de lourds ornements : par exemple cette pièce d'or, haute de 13 centimètres, qui représente une paire de chevaux trop richement caparaçonnés, surmontés d'une selle en forme de rosace, et prolongés par des chaînettes tintinnabulantes (- 400). Les boucles d'oreilles sont moins exceptionnelles. Elles font leur apparition sur les bords du Nil, au temps du Nouvel Empire, à l'usage des femmes : leur or ciselé évoque des croissants de lune ou des marguerites, dessine des spirales, des anneaux concentriques ou de gros boutons. La Crète donne parfois à ses boucles d'oreilles la forme des cornes du taureau. Les iles de l'Égée, de Rhodes à Milo, placent une rosace à hauteur du lobe, pour dissimuler le mince anneau d'or qui soutient des spirales aux extrémités travaillées. La Grèce classique retient le thème des spirales qu'elle achève avec des têtes d'animaux; elle alourdit la boucle jusqu'à lui donner la forme d'une nef, chargée de pendentifs. Certaine boucle grecque (- 330) figure un char attelé de deux chevaux et monté par une victoire ailée : elle est si somptueuse qu'on l'imagine faite plus pour une statue· que pour un homme. Chez les Perses, les boucles d'oreilles prennent la forme d'un cercle, évidé à hauteur du lobe, ceinturé de boules, de disques ou de pétales de fleurs. Dans la même ligne, les aristocrates parthes apprécient les boucles raffinées, comme ce cercle orné de 20 têtes humaines, et prolongé par 2 pendeloques en forme de poires. Les Étrusques donnent aux boucles d'oreilles la forme de cylindres rompus pour recevoir le lobe, et ils les ornent de fleurs stylisées. Les Romains, d'abord discrets, renchérissent : Sénèque raille les belles dames qui portent, à leurs oreilles, la valeur de deux ou trois patrimoines. Alexandre Sévère doit interdire aux hommes de s'en parer.
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Les Arabes ne dédaignent pas d'accrocher des croissants d'or à leurs oreilles. Aux Indes, le pendant d'oreilles est le moindre des bijoux. Dans l'Europe du Moyen Age, l'anneau est courant, aux deux oreilles des femmes, à l'oreille gauche des hommes. Passons de l'oreille au cou. Le collier est l'ornement le plus facile à porter: la perle d'or, suspendue au cou, est déjà la parure du paysan égyptien, quatre mille ans avant notre ère. Le pharaon remet des colliers d'or, faits d'anneaux plus ou moins serrés, à ses hauts fonctionnaires : puisque le collier récompense le mérite, il devient signe de commandement et de virilité. Pour les grands dignitaires, il a plusieurs rangs et s'orne de têtes de faucons. Tous les peuples ont leurs colliers : rosettes et volutes d'or enfilées sur des cordelettes chez les Mycéniens, motifs végétaux chez les ,Grecs, perles rondes chez les Perses, croissants d'or battu pour les chefs irlandais (-1500), torques d'or plein, souvent torsadé chez les Gaulois et les Britanniques, rouleaux arqués chez les Ibères, chaînes de lourdes médailles chez les Byzantins, enfilades de coquilles d'or chez les 'Ashantis, anneaux concentriques chez les Tanzaniens... Les pendentifs et les médaillons ne sont ni moins variés ni moins riches : les Crétois suspendent volontiers à leurs colliers des abeilles, des cygnes ou des serpents d'or, les Grecs des glands ou des têtes de bœufs, les Grecs de Crimée des têtes de femmes ou de déesses, les Perses sassanides des sangliers votifs, les Ibères des clochettes, les Étrusques des bulles, parfois en forme de satyres ou de lions, les Gaulois des perles d'or en forme d'olives, les Byzantins des pièces d'or, les chrétiens des croix ou des médailles pieuses, les Noirs d'Afrique des lézards ou des disques à ombilic. De quoi combler aujourd'hui les musées du Caire ou d'Athènes, de Leningrad ou de Philadelphie, le Louvre ou le British Museum.
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De la tête et du cou, que parent plus volontiers les peuples des pays ensoleillés, glissons vers la poitrine et les membres : l'or est encore présent. Les parures de poitrine peuvent être de simples pendentifs, maintenus aux épaules ou au cou par des chaînettes: comme tel rectangle rhodien, à l'effigie d'Artémis, tel demi-cercle, également de Rhodes, sur lequel font saillie des têtes de bœufs, tel disque grec, où figure en relief le buste d'Athéna, comme aussi bien les plaques rondes, ponctuées de petites sphères, d'influence arabe, et qu'on retrouvera au bas Sénégal. Certaines gorgerettes, destinées à couvrir le haut de la poitrine, tiennent encore du collier : ainsi la feuille d'or à décor repoussé, large de 30 centimètres, qu'a forgée dans la nuit de la préhistoire un orfèvre d'Irlande. L'ile produit de l'or, dans les montagnes de Wicklow, au sud de Dublin. Ses orfèvres, très tôt, savent marteler des lunules, en forme de croissant, qui semblent faits pour épouser la forme du cou, et des disques, à l'image d'une croix, et qui, par deux petits trous, peuvent être attachés à un vêtement : lunules et disques sont en or fortement additionné d'argent (vers - 1700). C'est déjà une véritable pèlerine que la cape gauloise, faite d'une feuille d'or, renforcée dans le dos par des lames de bronze, et qui semble aligner des rangées de perles; ce sont des pectoraux complets qui figurent dans le trésor perse de Ziwiyé, et dont les plastrons, en forme de croissant de lune QU de trapèze, s'ornent de motifs végétaux ou animaux. Ce genre de parure est assez indiscret pour plaire surtout à des peuples encore proches de la vie primitive : les chefs scythes adoptent le pectoral, le roi franc Childéric fait apposer 300 abeilles d'or sur son manteau de cour; et certain roi ashanti se couvrira
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toute la poitrine d'une plaque d'or représentant une fleur épanouie. chaque pétale débordant celui qui le précède. Puisque l'or se met en fils, ne peut-il être broché sur des tissus de laine, de lin ou de soie, de façon à donner l'apparence de tuniques ou de robes métalliques? Les brocarts apparai~sent déjà dans l'Exode. Pour les vêtements des prêtres, ordonne Yahvé à Moïse, les artisans les plus habiles « emploieront l'or, la pourpre violette et écarlate, le cramoisi et le lin fin». Les textes antiques font souvent mention d'étoffes et d'habits d'or. Le premier des Tarquin porte une tunique de drap d'or. Agrippine se montre au peuple vêtue d'une longue robe, toute de fils d'or. Les Romains de l'époque impériale font grand cas des tissus de luxe, métallisés et polychromes, souvent de confection orientale. Le Moyen Age ne dédaigne pas l'or, pour vêtir les plus glorieux des clercs et des laïcs. Milan fabrique des fils d'or, Lucques des draps d'or. Le doge de Venise, pour la Fête-Dieu, porte manteau d'or. En Chine, le poète Tou Fou chante ,« les robes de soie brodées de dragons d'or ». Marco Polo s'émerveille sur le marché de Pékin: « Il n'est pas de jour où il n'y entre mille charretées de soie avec laquelle se font quantité de draps d'or. » Moins ambitieuses, les broches, les agrafes, les épingles, les barrettes, les fibules (qui sont des fermoirs) permettent toutes les fantaisies à l'usage des mortels moins fastueux. En Mésopotamie, dès le Ile millénaire avant notre ère, la mode est de coudre des plaquettes d'or sur les vêtements (des « bractées »), et cette mode passe en Perse et chez les Parthes avec mille variantes. Mycènes n'ignore pas les épingles à tête richement ciselées. Troie les décore de volutes. Les Étrusques lancent la vogue des fibules, surtout pour les garçons. Les Romains font passer l'épingle par un anneau, et la formule est adoptée par les Britanniques, améliorée par les Irlan-
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dais. Les broches prennent des formes de soucoupes chez les Jutes du Kent, de carapaces de tortues chez les Norvégiens, d'aigles chez les Sarmates; elles sont décorées de sangliers dans l'île de Gotland, de spirales en Bohême, elles marient l'or et les émaux au Moyen Age, elles dessinent des oiseaux en Chine. Servent-elles à fermer les manteaux, à attacher des ceintures, à fixer les selles? Ne sont-elles pas le plus souvent un bijou inutile? Les bras semblent faits pour accueillir des parures, et les bras nus des femmes pour mettre l'or en valeur. Les bracelets primitifs, créés avant que soit couramment employée la soudure, sont ouverts: leurs extrémités se muent en griffons (dans l'art achéménide) ou en serpents (en Grèce, à Rome). Une épaisse bande d'or, roulée de façon à former trois quarts de cercle, tient lieu de bracelet en Bohème. Une barre d'or torsadée, formant quatre ou cinq spirales, devient bracelet en Irlande. Les Étrusques ont recours au fermoir, qui peut lui-même être une pièce délicate .d'orfèvrerie. Les Byzantins préfèrent les bracelets fermés, larges et massifs, ornés de feuilles ou de fleurs, parfois de scènes de mariage ou de madones. Qui porte le bracelet? En Grèce, les femmes, qui seules y ont droit, le portent à la fois au bras (droit et gauche) et au poignet. Les femmes romaines imitent les femmes grecques, mais, à Rome, le bracelet est aussi une récompense militaire, et il est parfois singulièrement lourd, comme celui dont parle Petrone, et qui pèse 15 livres. Aux temps barbares, il est une parure royale. Saint Éloi en forge pour Dagobert. Le cas des bagues est complexe: car il y a l'anneau de mariage, l'anneau qui porte le sceau, l'anneau de simple parure. Le premier type remonte à des temps fort reculés : symbole d'union, cercle fermé en signe de continuité, il est l'alliance faite or. Les Anciens l'échangent dès les fiançailles. L'anneau de mariage
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peut être fait de deux cercles enlacés, ou comporter un double chaton. Les Hébreux le portent à la main droite, les Romains à la main gauche, les Grecs au quatrième doigt de la main gauche (qui devient l'annulaire), les Gaulois au majeur. Au Moyen Age, c'est l'annulaire qui de nouveau recue~lle l'anneau nuptial: il parait qu'une ligne de ce quatrième doigt est en correspondance directe avec le cœur. Le moment où le mari donne l'anneau à sa jeune épouse est de la plus haute importance : si le mari arrête l'anneau à l'entrée du doigt, sans passer la deuxième jointure, la femme régnera sur le ménage, s'il enfonce l'anneau jusqu'à la base du doigt, le mari sera chef et maître; aussi les demoiselles avisées ont-elles soin de courber l'annulaire, de telle sorte que la bague s'arrête sur la deuxième phalange. Il est d'autres épousailles. Quand le doge de Venise célèbre ses noces avec la mer, il jette son anneau dans l'Adriatique. Quand le duc de Normandie célèbre son avènement, il reçoit un anneau d'or, comme s'il épousait son duché. L'anneau sigillaire, qui se porte en principe à la première phalange, permet d'apposer une signature sur un document. En Grèce, il s'orne d'une entaille finement gravée; à Rome, chaque homme libre y a droit, chaque citoyen y inscrit sa marque : un lion pour Pompée, une tête de Vénus pour César, un sphinx pour Auguste (qui, plus tard, use d'un sceau à l'image d'Alexandre le Grand, puis à sa propre image). Chez les Barbares, l'anneau porte un monogramme ou une légende circulaire autour d'une croix. Parce que l'anneau authentifie son possesseur, il est signe de commandement et de dignité. Le chevalier romain se distingue par le port de l'anneau équestre; une chevalière sera une bague à large chaton, prête à accueillir des armoiries; le prêt d'un anneau vaut délégation de pouvoir. Entre Tristan et Yseult, l'anneau devient signe de reconnaissance.
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Pour les évêques, les cardinaux, les papes, il sanctionne les sacrements et les investitures. Simple parure, la bague d'or s'impose à tous les peuples. En Égypte, elle est soit un fil de métal, soit un cercle épais, parfois double ou triple. En Crète, son chaton s'orne de scènes rituelles. Mille ans avant notre ère, en Perse, l'usage est d'en enfiler à tous les doigts. Les Scythes suivent cet exemple. Les Romains aussi, dès l'instant qu'ils s'inspirent de l'Orient, et ils font plus encore: ils en portent à chaque phalange, ils ont des bagues d'hiver et des bagues d'été. Les anneaux fameux figurent à toutes les pages de la légende et de l'histoire : anneaux de Prométhée ou de Gygès, de Polycrate ou de Salomon, d'Aladin ou de Siegfried ... Ce que l'or est appelé à faire pour parer les bras ou les doigts, il le peut aussi pour les jambes, les :Rieds ou les orteils. Il n'y manque pas : les belles Egyptiennes, et sans doute également les moins belles, portent des anneaux d'or aux chevilles, à l'imitation des statues d'Isis. En Inde, toutes les femmes en font autant. A Rome, lors de ce dîner de Trimalchion que conte Pétrone, et où l'on voit un affranchi jouer au jacquet avec des pions d'or et d'argent, « Fortunata alla jusqu'à enlever les chaînes de sa fine cheville, qui étaient de l'or le plus pur. Trimalchion, voyant cela, ordonna qu'on lui apporte ces bijoux. "Vous voyez ces chaînes, dit-il. .. Elles doivent bien peser six livres. " » Mais les Romaines portent aussi des bagues aux doigts de pied. Saint Cyprien, qui vit au Ille siècle, le confirme dans son livre du Costume des vierges, en recommandant : « Que vos pieds soient libres d'entraves dorées. Il L'or de la tête aux pieds...
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La parure. du guerrier L'or n'est pas un métal de combat. Sans alliage, il est trop malléable. De toute façon, il est trop lourd. Mais les guerriers ne se désintéressent pas de la parade, et, pour le cérémonial, à l' exem pIe d'Achille, les plus huppés d'entre eux s'offrent des armes d'or. L'arme primitive, c'est la hache. Les chefs de tribus qui nomadisent sur les rives du Danube et de la Tisza se font couler des haches d'or dans le moule qui sert à façonner les heches de bronze. On retrouvera au cœur de la Transylvanie, à Tufalau, une de ces haches en or massif, striée de rainures profondes. Les Crétois se contentent de hachettes à lame de bronze, comme celle de l'atelier de Mallia, dont la poignée, taillée dans un fin calcaire, est recouverte d'une feuille d'or. L'arme reine, c'est l'épée. Dans ce même atelier de mouleurs, au palais de Mallia, sur la côte septentrionale de la Crète, certaine épée de bronze présente une poignée de bois doré, avec une belle rondelle d'or sous le pommeau. Sur la rondelle cannelée, un homme-serpent déroule son corps en forme de cercle (- 1700). Mycènes a aussi ses épées d'apparat. Midea, en Argolide, offre pour la même époque un échantillon d'épée de bronze à poignée revêtue d'or. En Perse, les Achéménides, qui ne se refusent rien, disposent d'épées d'or plein : sur l'une de celles du trésor d'Hamadan, le pommeau est fait de deux gueules de lions aux dents pointues, la garde est décorée de deux bouquetins (- 500). Mille ans plus tard, le roi Childéric, père de Clovis, possède une épée d'apparat qu'ont d'Û exécuter des orfèvres sarmates venus de la mer Noire. C'est encore en Orient, à Mossoul, qu'une école d'artistes musulmans (1250) incruste l'or dans le cuivre, pour orner des gardes d'épées. Au royaume mahométan du Ghana, les pages
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ont des sabres à poignées d'or. Et l'art islamique dote d'une étonnante épée ciselée Boabdil, le dernier roi de Grenade. A l'épée, sont accrochés parfois des masques d'or, qui représentent la tête de l'ennemi vaincu. Tel est l'usage africain. Il nous vaudra, en Côte-d'Ivoire, des masques pendentifs d'or pur, frangés de poils de barbe et de cheveux soigneusement tressés. Moins exceptionnel que l'épée d'or, le poignard exige moins de métal et permet autant de fantaisies. La quatrième Troie lègue des poignards à rivets d'or; Mycènes, des poignards damasquinés sur lesquels des lions d'or courent sur fond de bronze; la Perse (dans le sud de la Caspienne), un poignard dont la poignée et la lame ne forment qu'une seule pièce d'or, ornée d'un croissant en relief; le Wessex, une dague dont le pommeau est parsemé de milliers de clous d'or; la Chine des royaumes combattants, un poignard au manche d'or ajouré; l'Afrique noire, des coutelas royaux à poignées de bois sculpté recouvert de feuilles d'or. Les Iraniens se flattent d'avoir des arcs d'or, en forme d'accolade aux extrémités recourbées en crochet. Ces arcs leur ont conféré, avec une écrasante supériorité de tir, la suprématie sur les champs de bataille. Les archers scythes se protègent le poignet avec des brassards, dont certains exemplaires sont d'or ouvragé. Arme défensive, le bouclier se prête à toutes les initiatives de l'orfèvre, qui apprécie ses grandes surfaces. «Le roi Salomon, rapporte la Bible, fit trois cents boucliers d'or battu, sur chacun desquels il appliqJla six cents sicles d'or, et trois cents petits boucliers d'or battu, sur chacun desquels il appliqua trois mines d'or. » Traduisons: 6,84 kilos par grand bouclier, soit 2 tonnes d'or pour les 300; 1,17 kilo par petit bouclier, soit plus de 500 kilos; au total, 2 tonnes et demie. Mais le pharaon Seshonq écrase
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Roboam, le successeur de Salomon, et s'empare de ses trésors, boucliers compris : leurs 2 tonnes et demie d'or s'en vont grossir les avoirs égyptiens. Tout cet arsenal concourt à la consécration du précieux métal. La parure de la maison Si l'homme, pour faire étalage de ses moyens, se revêt d'or, pourquoi ne revêtirait-il pas d'or sa maison? Les princes les plus fastueux n'ont pas reculé devant ce luxe suprême. Le pharaon Mentuhotep III, de la XIIe dynastie, se fait construire un palais couvert d'or; Amosis 1er, de la XVIIIe dynastie, une « maison d'or», dans laquelle les statues des dieux sont d'or elles aussi. Sans doute faut-il comprendre que les murs sont plaqués de métal: les ébénistes du Nil ont su apposer des feuilles d'or sur bois dès la Ive dynastie (- 2700); le placage d'or sur cuivre a été connu et pratiqué sous la VIe dynastie (- 2400). Aux Égyptiens ne font défaut ni le métal ni la technique. Rome aime ce genre de magnificence. Les Romains, après la ruine de Carthage, dorent les lambris du Capitole, puis les plafonds et les murs de leurs plus fastueuses demeures. Néron, à l'occasion de la grande opération d'urbanisme que l'histoire travestira en incendie, se fait aussi bâtir son palais d'or, Domus aurea, sur l'Esquilin : un palais, dit Tacite, plus étonnant encore par ses perspectives que « par l'or et les pierreries, embellissements ordinaires et depuis longtemps prodigués par le luxe ». Le même Néron habille de lames d'or le théâtre de Pompée, pour recevoir le roi d'Arménie en un jour qu'on appelle « le jour d'or ». Domitien, à la même école, fait dorer tout le temple de Jupiter Capitolin. En Inde, les empereurs Maurya disposent à Patalipoutra, leur capitale, du palais de Sougangeya -
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ce qui signifie le palais d'or. Au Japon, les empereurs élèvent à Kyoto (1397) un délicat « Pavillon d'or », dont les deux étages supérieurs, plaqués d'or sous leurs toits verts incurvés, se mirent dans une eau paisible. De même que l'or peut conférer de l'éclat aux murs et aux boiseries, il peut, plus subtilement, se marier au verre. Fait de sable de rivière et de potasse fournie par des matières végétales, le vitrail des maîtres du Moyen Age est coloré dans la masse par la grâce de colorants métalliques; et c'est l'or qui, selon des recettes dont les maîtres verriers gardent le secret, donne leur flamme à certains des plus riches vitraux des chapelles et des cathédrales. En Chine 'et au Japon, l'or et l'argent, mélangés à des pigments minéraux, interviennent souvent dans la formule du laque qui, employé à l'état fluide, se prête à la magie du pinceau. Ce que le vitrail donne de féerie à l'Occident, le laque le donne à l'ExtrêmeOrient. Dans l'un et l'autre cas, l'or est mobilisé. La présence de l'or est plus directement visible dans les mosaïques murales : cet assemblage de petits cubes multicolores a été pratiqué en Mésopotamie, en Grèce et à Rome, surtout pour paver le sol. Sur les murs, il n'a fait son apparition qu'à la fin de la République romaine, et il se développe pleinement à Byzance, qui a besoin de cette technique pour revêtir les surfaces courbes de ses arcs et de ses voûtes. Mais comment les rendre lumineuses? L'or y pourvoit. Sur la face postérieure des cubes de verre, les artistes byzantins fixent une feuille d'or. Ainsi réalisent-ils d'étonnantes compositions, où l'or met en valeur les autres dés de la mosaïque : à SainteMarie-Majeure de Rome, ils substituent un fond d'or uni à ce qui pourrait être un ciel nuageux, ou à de ternes collines; ils écrivent en lettres d'or la dédicace de l'arc triomphal (440). A Ravenne, sur le mausolée de Galla Placidia (450), ils soulignent les plis des
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vêtements dont ils font jouer les lignes blanches; à Saint-Appollinaire-Nuovo, ils détachent de grandes figures sur des panneaux d'or (526). A Sainte-Sophie de Constantinople, au centre de chaque voO.te du narthex, ils font ressortir sur fond d'or le monogramme du Christ (537). Dans le sillage de ces maîtres, les mosaïstes ultérieurs font jouer l'or dans leur palette à Saint-Marc de Venise comme dans la nef et l'abside de la basilique sicilienne de Monreale, sommet de l'éblouissement.
La parure dans la maison Pénétrons maintenant dans les palais et les demeures, en quête des meubles d'or. Nous n'avons que l'embarras du choix. Voici des tr(mes : poUl Toutankhamon, un siège royal, recouvert d'une épaisse tôle d'or. Pour Salomon, un grand trône d'ivoire, plaqué d'or raffiné. «Ce trône avait six degrés, des têtes de taureaux en arrière et des bras de part et d'autre du siège; deux lions étaient debout près des bras et douze lions se tenaient de part et d'autre des six degrés. On n'a rien fait de semblable dans aucun autre royaume. » Pour l'empereur de Byzance Théophile, un trône ombragé d'un platane d'or, entre des lions et des griffons d'or. Voici des coffres : à Mycènes~ un coffret hexagonal de bois revêtu d'or, sur lequel lions et chevaux bondissent dans une végétation stylisée; à Rome, aux derniers jours de l'Empire, un coffret de mariage, en argent à motifs d'or, avec les portraits des époux: vêtements et chevelures d'or, dans un cercle de palmes dorées; en Chine, de l'époque T'ang, une boîte ronde en or battu, au couvercle décoré d'un oiseau et de deux chevaux de mer. Voici, à Ur, des tables, non pas entièrement d'or, mais qui ont pour pieds des béliers d'or et de lapis-
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lazuli, debout sur leur arrière-train, appuyés sur des arbrisseaux fleuris (- 2500). Voici des statues de dieux ou d'hommes, de déesses ou de femmes: comme ce Bouddha japonais, érigé en 745, et qui absorbe 163 kilos d'or. Voici des statuettes d'animaux : des lions, des taureaux, des béliers, des boucs, comme le bouquetin accroupi de Ziwiyé (- 900) : la plupart de ces figurines font partie d'ensembles décoratifs; elles servent par exemple de chapiteaux à des colonnes, d'ornements à des coupes, d'anses à des vases. Voici donc des vases d'or, et des coupes, des cruches des gobelets, des amphores. L'orfèvre, à l'origine, transpose les formes que lui suggère le potier; puis, s'affranchissant de cette influence, il tire parti des possibilités que lui offre le métal: la cruche préhittite d'Aladja, les vases qu'on trouvera en Eubée, d'importation asiatique, ceux du trésor de Priam sont de la facture la plus simple. La coupe mycénienne, au pied galbé, aux anses faites de cous et de têtes de lévriers, évoque encore les techniques de la poterie (-1600). La coupe égyptienne que Toutmosis III remet au général Toutii (- 1450), décorée d'un cercle de poissons, est déjà d'un art plus libre. L'influence du modeleur se retrouve, en Perse, dans le haut gobelet d'Amlach, sur lequel un lion ailé attaque une chèvre (- 800), mais s'estompe dans les bols achéménides gravés aux noms de Xerxès et de Darius (- 400). Elle disparaît dans la coupe sassanide de Khosroès, dont l'armature est en or massif, et dont les incrustations sont de pâte de verre colorée : une coupe que l'histoire et la légende retrouveront sous le nom de «Tasse de Salomon ll, l.orsque Harotln al-Rachid en fera don à Charlemagne. Certains de ces précieux vases d'or, surtout en Perse, prennent la forme de têtes d'animaux ou de cornes évidées, et les archéologues leur donnent le nom de rhytona. fis attestent la prééminence de l'art
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animalier, auprès d'un peuple encore proche de la vie nomade du pasteur et du chasseur. La même prééminence s'affirmera de nouveau, pour les mêmes raisons, en Occident après les grandes invasions germaniques, ou en Mrique noire. Aussi bien, des vases d'or, il en est chez les grands et les riches de tous pays: à Carthage, en Cornouailles, en Europe centrale, en Birmanie, en Chine. On trouve sous tous les cieux d'autres objets, utiles ou inutiles, faits en totalité ou en partie du métal le plus rare : des motifs décoratifs pour harpe ou pour lyre, chez les Sumériens; des brûle-parfum, œuvres de joailliers parthes, des appliques murales, parthes encore; des disques (à Auvers, à Tufalau) qui servent peut-être de couvercles; des reproductions de coquillages, à Troie et en Chine; des clés, pour les Arabes; des imitations de roses, qu'offrent les papes du Moyen Age aux princes chrétiens; des cadres de miroirs, pour les Chinois; des poids pour peser la poudre d'or à l'usage des tribus de la Côte-d'Ivoire...
Pour lire, pour boire et pour manger L'or est dans les bibliothèques : quelquefois sur la reliure des livres, comme pour l'Évangile de la reine lombarde Théodelinde, où il se juxtapose aux perles et aux pierres de couleurs; très souvent sur les pages enluminées des manuscrits. Pour la pose des rehauts d'or, le parchemin est couvert d'abord d'un mélange de blanc d'œuf, de cinabre et de vermillon, puis d'une colle dans laquelle entre de l'or en poudre : travail délicat, qui, dans les ateliers monastiques ou laics, est confié non pas aux scribes ni aux enlumineurs, mais à des doreurs spécialisés. Après les Anglais, qui ont lancé la lettrine, les Rhénans mettent à la mode les grandes initiales dorées. Byzance et l'Occident ogival recourent, pour les ouvrages de luxe, aux fonds d'or, unis ou retravaillés à la plume.
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De Bagdad au Bengale, l'or est dans les livres. Mais la lecture n'est qu'un accident. La nourriture est quotidienne. Rien de mieux, pour affirmer son rang, que la vaisselle d'or. Les humbles mangent et boivent dans la terre cuite, le bois ou l'étain. Les riches mettent leur point d'honneur à utiliser la porcelaine (mais elle est fragile), l'argent (mais il se ternit) et l'or, qui n'a pas son pareil. Les coupes, les bols et les gobelets, qu'on vient d'évoquer dans le mobilier des palais, peuvent figurer dans les services à boire, dont la somptuosité remonte à des temps reculés : le bol et le gobelet cannelés de la reine Shubad, à Ur, sont d'or à 75 %, les tasses de Mycènes, les « vases à boire» de Salomon sont d'or fin. En or et en cristal, les coupes dans lesquelles, selon Aristophane, boivent les ambassadeurs d'Athènes reçus par les Perses. En or, l'aiguière du trésor d'Alaca, en Anatolie (- 2300), l'aiguière sassanide, dont l'anse sert de perchoir à un oiselet (- 650), l'aiguière arabe, dont l'inscription coufique conseille au roi d'égorger ses ennemis pour la fête des Sacrifices (1000), les aiguières des orfèvres de l'école de Mossoul (1250). En or toujours, le disgracieux calice barbare à deux anses, incrusté de cœurs de verre grenat et de feuilles de vigne turquoise, retrouvé dans le Charolais. Pour manger, les accessoires d'or ne manquent pas: le plus ancien de tous est ce couteau d'apparat, fait de deux feuilles cousues, qui marque la naissance de l'orfèvrerie égyptienne (- 3200). Parmi toute la progéniture de ce premier couteau, on retiendra le plat iranien, du trésor d'Ramadan, au centre duquel vole un aigle; la sobre saucière arcadienne d'Reradia, au bec en forme d'ailes (- 2200); la saucière troyenne du trésor de Priam; et, en franchissant les siècles, les plats byzantins de Chypre, en argent à dessins dorés. En Birmanie, le roi a vaisselle d'or. En Chine, chez les Tang, l'or supplante le bronze, le laque et la
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céramique pour le service de table; et le poète Tou Fou oppose à la misère du peuple «les plats d'or du palais impérial ». Il arrive même que l'or passe de la salle des repas à la cuisine: il sert au Moyen Age, en feuilles minces, pour envelopper des pâtés ou des oiseaux rôtis; sans doute, à défaut de feuilles d'étain ou d'aluminium, pour préserver les mets délicats des atteintes du temps. Et l'or passe de la cuisine à l'étal du boucher, pour certain crochet syrien, de fer incrusté d'or et d'argent, avec une inscription en or : « Ceci a été fait pour le pauvre serviteur Osman le boucher» (1400). Pas si pauvre! La règle générale, pour les parures et les objets d'or, est que seuls peuvent se les permettre les favo~ risés de la fortune. Mais, puisque l'exemple vient d'en haut, le peuple d'en bas n'en conçoit que plus d'admiration et d'envie pour le métal précieux. Tan~ tôt il se donne la satisfaction d'accéder lui aussi à l'or sous ses formes les plus modestes - par exemple avec les alliances nuptiales. Tantôt il renonce à la plupart des commodités de l'existence pour se cou~ vrir de parures d'or à titre réduit - c'est le cas des habitants de l'Inde. Tantôt, avec des matières moins nobles, il se contente d'imiter les objets d'or des privilégiés - ainsi, en Perse, toutes les classes sociales copient en bronze, en verre ou en terre cuite émaillée la vaisselle royale des Sassanides. Dans tous les cas, l'or gagne en prestige, et ceux~là surtout qui n'en ont pas conçoivent le désir d'en avoir. Pour et contre ror
En fait, personne au monde ne fait fi de l'or, à l'exception de ceux qui, calculateurs à leur manière, préfèrent les richesses éternelles de l'au-delà aux richesses éphémères de la vie terrestre. Et si des voix s'élèvent, avec les accents vengeurs de rindi-
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gnation, contre le fabuleux métal, elles proviennent le plus souvent de moralisateurs qui font profession de vertu, et qui en tirent gloire, ou de déshérités envieux, qui cherchent dans le mépris de l'or le moyen de se consoler d'en être privés: leur haine est un amour qui ne veut pas s'avouer. Lorsque des gouvernements édictent des mesures contre l'or, ce n'est pas parce qu'ils ne l'aiment pas, c'est parce qu'ils l'aiment trop et qu'ils veulent se le réserver, ou parce qu'ils n'en ont pas. A Sparte, si l'on en croit Plutarque, Lycurgue prohibe l'or et les orfèvres; il n'est personne « pour y faire ou y vendre aucuns affiquets d'or ni d'argent à parer les dames D. La prohibition est superflue: comment Sparte, vivant en économie fermée, pourrait-elle se procurer la moindre quantité de métal précieux? A Rome, en pleine guerre punique (- 215), et alors que la République est parfaitement démunie de métal jaune, le tribun Oppius fait établir une loi qui interdit aux femmes romaines de porter plus d'une demi-once d'or (14 grammes) : la République entend ainsi décourager le luxe, et mettre ses pauvres ressources au seul service de ses .entreprises. On ne sait si les agents de l'autorité s'en vont alors examiner de près les bij oux de ces dames, et demander à les peser. Mais on sait que, vingt ans plus tard, une fois la victoire remportée et la République devenue florissante, les Romaines manifestent bruyamment contre la loi somptuaire, et, descendues dans la rue, réclament la liberté de porter de l'or. En vain, Caton fustige ces dévergondées qui veulent «reluire par· l'éclat de· l'or et de la pourpre D. «La parure des femmes, proclame-t-il dans un beau mouvement d'éloquence, ce n'est pas l'or, c'est la pudeur. » Sur la réplique de Valerius, les tribuns abolissent la loi Oppia et restaurent la liberté des parures. La vérité est qu'entre-temps Rome s'est adjugé les mines d'or ibériques.
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Tout ce qui peut subsister des lois somptuaires édictées par la République tombe en désuétude sous l'Empire. Pourtant, à mesure que la frénésie du luxe amenuise les réserves d'or romaines, les empereurs cherchent à retenir le métal fugitif par la contrainte. Déjà, sous le consulat de Cicéron (- 63), il a été défendu d'exporter de l'or d'Italie. Vespasien prohibe les sorties d'or à destination de l'Inde (70). A la fin de l'Empire, toute exportation d'or vers les pays barbares est interdite. Ces mesures, régulièrement inefficaces, ne font qu'attester l'intérêt passionné que Rome porte au métal. Dans l'Europe du Moyen Age, il advient encore que les princes interdisent ou limitent l'usage des étoffes d'or, réquisitionnent la vaisselle d'or, ou condamnent toute sortie de métal. L'explication est qu'ilsensont pauvres, et qu'ils en souhaitent le transfert à leur profit. Philippe le Bel n'autorise l'usage de la vaisselle précieuse qu'aux personnes disposant de plus de 6 000 livres de rente, et fixe un poids maximal aux bijoux. Tandis que les États disputent ainsi l'or à leurs sujets, et que les nations se le disputent entre elles, les philosophes ont tout loisir d'en médire. Il ne leur en coûte rien, et leurs propos, qu'ils concernent les richesses en général ou le métal en particulier, restent sans écho. Du moins, Platon ne cache pas son jeu : d'une part, dit-il en rêvant de la République modèle, « il n'est permis à aucun particulier de posséder aucun or, non plus qu'aucun argent ... »; d'autre part, « ce que doit proposer le bon législateur ... c'est que la cité soit très puissante, qu'elle soit le plus riche possible, et cela par la possession d'objets d'or et d'argent » (les Lois, V). Voilà qui est clair, et dont s'inspireront volontiers quelques États. Aristote condamne sans réserve l'argent auquel, en tant que Grec, il prête plus d'attention qu'à l'or
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- mais sa condamnation vaut aussi bien pour les deux métaux. « L'argent, écrit-il (dans sa Politique), n'est qu'un être fictif, et toute sa valeur n'est que celle que la loi lui donne. L'opinion de ceux qui en font usage n'a qu'à changer, il ne sera d'aucune utilité et ne procurera pas la moindre des choses nécessaires à la vie. On en aurait une énorme quantité, qu'on ne trouverait point par son moyen les aliments les plus indispensables. Or, il est absurde d'appeler richesse un métal dont l'abondance n'empêche pas de mourir de faim. » Et de citer le cas de Midas, qui précisément ramène à l'or. « Les vraies richesses, conclut Aristote, sont celles de la nature. » Les Latins, eux aussi, condamnent l'or. « Que te sert d'enfouir furtivement un immense poids d'or? ») écrit Horace. « La vertu, dit-il encore, réserve les vrais lauriers à celui-là seul qui voit des monceaux d'or sans y arrêter ses regards. » Properce renchérit : « Aujourd'hui, les bois sacrés sont déserts et les sanctuaires sont abandonnés, la piété est bannie, l'or seul est adoré. L'or a chassé la bonne foi, l'or commande à la loi.» Et l'apostrophe de Virgile (auri sacra lames) restera célèbre : « A quoi ne contrains-tu pas le cœur des hommes, faim maudite de l'or? » Autant ou plus que les auteurs profanes, les auteurs sacrés mettent en garde contre les séductions de l'or. Le dixième commandement du bouddhisme : « Abstiens-toi de recevoir or et argent. » L'Ecclésiaste : « L'or exerce une fascination dont le serviteur de Dieu doit se défier. » - « N'échange pas un vrai frère pour l'or d'Ophir. » - « Ne prends pas en grippe une épouse sage et bonne, car sa grâce vaut plus que l'or. » - « L'or a perdu bien des gens et a fait fléchir le cœur des rois. » Le livre de Job : « Estime l'or comme de la poussière et l'Ophir comme les cailloux du torrent. » - « On ne peut acquérir la sagesse avec l'or massif, on ne l'échange pas contre un vase d'or fin. » - « L'or des riches se rouille et ne les suit pas
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dans l'autre vie. » Les proverbes de Salomon: « Recevez mon instruction plutôt que l'argent, et le savoir plutôt que l'or pur. » - Cl Mon fruit est meilleur que l'or, que l'or fin. »- Cl Mieux vaut acquérir la sagesse que l'or. » - Il n y a l'or et la profusion des perles, mais la parure précieuse, ce sont les lèvres instruites. » Ces admirables propos n'ont que deux torts : d'abord, faute d'être écoutés, ils ne sont guère suivis et restent sans efiet sur l'opinion que rien ne détourne de l'or. Ensuite et surtout, ils auraient plus de poids si ceux qui les prodiguent prêchaient d'exemple. Mais Caton, qui condamne l'or, l'entasse avec volupté. Mais Horace, qui se gausse des biens de ce monde, ne dédaigne pas l'amitié et les gratifications de Mécène. Mais Salomon, qui se répand en sages proverbes pour dénoncer les méfaits de l'or, semble fort bien s'accommoder d'incalculables richesses. Dans la suite des siècles, l'or sera l'objet de nouvelles diatribes et de nouvelles offensives, à peine différentes. n ne s'en portera pas plus mal.
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Avant et après le troc Entre-temps, l'or, sans cesser d'être fétiche et parure (et précisément parce qu'il est fétiche et parure), est devenu monnaie. Dans quelles conditions? Il nous faut faire un retour en arrière, et survoler une nouvelle fois les siècles déjà parcourus. Monnaie, qu'est-ce à dire? La monnaie n'a pas d'inventeur, pas plus que le feu ou la roue. Elle n'a pas de date de naissance, parce que des centaines de générations ont participé à son enfantement. Son histoire prend place dans l'histoire' des échanges, dont elle représente l'ultime étape. A l'origine, l'homme n'éprouve pas le besoin de la monnaie, parce qu'il fait partie d'un groupe social organisé sur une base patriarcale, et aussi longtemps que ce groupe ignore les autres communautés dispersées dans la nature. A l'intérieur comme à l'extérieur de la tribu, les transactions sont inexistantes - ou rares. Les échanges apparaissent avec la première division du travail : entre le vannier et le potier, entre la tribu qui pêche et la tribu qui chasse, entre celle qui possède de l'ambre, et celle qui taille le silex, des
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échanges sont possibles et désirables. Reste à les organiser. Ils se nouent d'abord dans le cadre protocolaire du don compensé - à l'occasion de fêtes et de réceptions : le chef de tribu remet cérémonieusement une barre de sel au chef de la tribu voisine, qui réplique en offrant le gibier de la dernière chasse. Ou bien, selon une variante qui peut, chronologiquement, précéder ou suivre le don compensé, l'échange recourt à la technique du commerce muet, du type de celui qu'Hérodote a rapporté pour la quête carthaginoise de l'or sur la côte africaine: l'un des partenaires de l'échange dépose, en un endroit neutre, son offrande et se retire; l'autre prend les marchandises déposées, leur substitue son propre cadeau, et s'en va à son tour; le premier partenaire revient et, si cette contrepartie le satisfait, s'en saisit. En évitant de prendre contact, les échangeurs ont éliminé tout risque de discussion, de dispute et de bagarre. Il existe une autre technique de « commerce », qui, tout au contraire, consiste à s'emparer par la violence des biens d'autrui. Le rapt est une méthode d'échange assurément primitive, mais que pratiquent encore les sociétés les plus évoluées. Au pillage etau commerce silencieux, les hommes peuvent préférer une formule excluant à la fois la guerre et le mutisme, par l'organisation de contacts et de palabres. Le troc met en présence les deux parties, permet le débat sur la quantité et la qualité des produits échangés. Il se perfectionne, dès l'instant que les offres et les demandes peuvent se confronter en un lieu précis, à date fixe : les marchés sont et seront les rendez-vous périodiques du commerce. C'est à l'étape suivante que s'ébauche la monnaie. Entre le vendeur de moutons, acheteur de lancepierres, et le vendeur de lance-pierres, acheteur de moutons, peut intervenir l'emploi d'une tierce marchandise, qui sert de mesure pour apprécier les
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valeurs relatives du mouton et du lance-pierres. Ou bien, entre le vendeur de moutons qui n'a pas besoin de lance-pierres, et le vendeur de lance-pierres, qui n'a pas besoin de moutons, peut intervenir un tiers personnage, prêt à acquérir moutons et lance-pierres, grâce à une marchandise tenant lieu d'intermédiaire dans l'échange. Ce personnage est l'ancêtre du marchand. Cette marchandise est l'ancêtre de la monnaie. Quel « article » peut tenir ce rôle? Les ethnologues en recensent de 100 à 200, qui varient selon les ressources et les coutumes des peuplades en cause. Les peuples pêcheurs, par exemple, recourent au poisson séché (en Islande), aux dents de marsouin (aux îles Salomon); les peuples chasseurs, aux fourrures (au Canada, en Russie); les peuples pasteurs, au bétail (les Indo-Européens); les civilisations rurales, à des produits végétaux: le thé au Tibet, le riz en Corée, certaines amandes en Perse, les graines de cacao chez les Aztèques, l'orge chez les Babyloniens; les civilisations artisanales, à des produits ouvrés : les nattes aux Nouvelles-Hébrides, les tapis aux Samoa. Si la plupart de ces monnaies primitives n'ont qu'une diffusion limitée dans l'espace et dans le temps, deux au moins tiennent dans la géographie et l'histoire une place importante : le coquillage et le bœuf, dont la vocation monétaire précède et prépare celle des métaux. Le coquillage présente le double avantage d:être utile et beau : utile, quand il se transforme en couteau, en épingle, en hameçon; beau, quand il est employé comme parure, assemblé dans des pendeloques, des bracelets ou des colliers. Il est relativement solide, relativement durable, facilement transportable - prêt à la thésaurisation et à l'échange. Plus que le wampun,
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grande monnaie : c'est un coquillage blanc jaune clair, du genre porcelaine, que recueillent, avant et après les grandes marées, les indigènes des nes Maldives, au large de l'Inde. Gagnant de proche en proche la péninsule indienne et la Chine, le pourtour de l'océan Indien et l'Afrique noire jusqu'aux rives atlantiques, pêché de surcroît aux Philippines et en Polynésie, le cauri fait fortune : il devient, à sa manière, du Pacifique à la Mauritanie, une monnaie internationale. Ce que le cauri est aux peuples d.e la mer, le bœuf l'est à beaucoup de peuples de la terre. Il est l'animal par quoi se mesure la richesse: instrument de mesure des valeurs, mais aussi, bien souvent, intermédiaire des échanges. Dans la Grèce homérique, on compte en b.œufs. Tel trépied de bronze vaut 12 bœufs, telle esclave se vend 4 bœufs. Les franges d'or de l'égide de Pallas valent 100 bœufs. Sur le bouclier d'Achille, Héphaïstos représente des garçons et des filles « valant un grand nombre de bœufs ». A Rome, des lois contemporaines de la loi des Douze Tables (-' 450) limitent à 30 bœûfs le maximum de l'amende que peut infliger le magistrat. Du mot latin caput (tête - de bétail) procèdent capital et cheptel. Le mot pecus (bétail) engendre le mot pecunia (fortune), d'où viendront pécule, pécunieux, pécuniaire - tout comme en Inde s'allient les vocables rûpa (bétail) et rûpia (roupie), tout comme seront apparentés l'allemand ,Vieh (troupeau), l'anglais fee (salaire), et le français fief. Mais, dans beaucoup de cas, ces monnaies élémentaires ne valent que pour certaines catégories de transactions. Ainsi peut-on avec des têtes de bétail régler une dot, mais non pas nécessairement acheter des céréales. Ainsi peut-on, en Nouvelle-Guinée, acheter des boucles d'oreilles avec des coquillages, ou du poisson avec des grains de mil, mais non pas un bijou avec des aliments: il y a la monnaie pour
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bijou, la monnaie pour nourriture, et non pas la monnaie à tout faire. La monnaie de mariage qui permet d'acheter une femme, ne se confond pas avec la monnaie politique, qui permet d'acheter l'amitié d'une tribu, ni avec la monnaie de composition, qui met un terme à une vengeance. C'est seulement dans un stade ultérieur, et à l'usage d'une société plus évoluée, que la monnaie, devenant universelle, sert à toutes fins. La genèse de la monnaie requiert cependant une autre explication : il y faut faire place au rite et au mythe. L'échange et la monnaie sont des institutions plus ou moins sacrées. Déjà le commerce muet ne se déroule pas n'importe où ni n'importe quand : le sorcier exorcise les influences maléfiques, règle le cérémonial, bénit l'opération. Les offrandes s'adressent aux dieux, avant de s'adresser aux hommes. Les marchés s'instaurent sous de pieux patronages. De même la monnaie est chargée d'une signification religieuse. Le cauri, pour nombre d'ethnologues, a une valeur de symbole : il représente l'organe féminin, donc la fécondité. A ce titre, il remplit une, fonction rituelle, avant même de remplir une fonction économique. De même, le bœuf est, par excellence, l'animal du sacrifice; la vache, en Inde, restera sacrée; le veau d'or de la Bible est d'or, mais il est aussi de la race des bovins. Sacrifier un bovin aux dieux, c'est déjà acheter leur bienveillance. Prendre le bœuf pour monnaie, c'est transposer sur le plan humain un peu de l'ordre divin. Ainsi se marient l'échange et la magie, la monnaie et la religion. En Mésopotamie, les prêtres sont les banquiers. En Grèce, les temples, où s'accumulent les dépôts d'offrandes, sont les trésors. Très normalement, la monnaie s'insère dans ce cadre mystique: elle a d'abord des vertus surnaturelles, puisqu'elle concilie les dieux; elle a ensuite des vertus politiques, puisqu'elle concilie les hommes; elle finit par avoir
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des vertus économiques, quand son pouvoir de pres-tige se mue en pouvoir d'achat. L'or fétiche a sa place désignée dans ce monde où les fétiches sont rois.
Le métal pesé Toutes ces monnaies-marchandises, même sacralisées, sont imparfaites: il leur manque toujours de remplir correctement l'une des fonctions fondamentales de la vraie monnaie, qui doit permettre à la fois de mesurer, d'échanger, d'épargner. Le coquillage n'est pas d'une dimension et d'un dessin assez constants pour servir de bon étalon aux valeurs. Le bœuf, parce qu'il est périssable, ne permet pas l'épargne de longue durée. De même, la barre de sel est fongible, les produits végétaux sont fragiles. Pour être un intermédiaire utile des échanges, la monnaie doit être aisément divisible : on ne peut fragmenter ni une dent de marsouin, ni un cauri, ni un bœuf sur pied. La monnaie doit être aisément transportable : le bœuf répond fort mal à cette exigence. D'instinct, l'homme métallurgiste se tourne vers les métaux, pour trouver enfin la monnaie complète. Le métal en remplit toutes les conditions : il est, en principe, de qualité régulière, ce qui en fait un .bon instrument de mesure. Il est facile à fragmenter, à manipuler, à véhiculer, ce qui le qualifie pour servir d'intermédiaire aux transactions; il est inaltérable et indestructible, ce qui lui permet d'être une durable réserve de valeur. Les grands de ce monde le savent si bien qu'ils entassent souvent des métaux précieux, comme trésor de guerre ou de paix, même si d'autres marchandises servent à compter ou à trafiquer. Sous quelle forme le métal accède-t-il à la fonction monétaire? La barre est la forme la plus sommaire; le lingot lui succède, de volumes variés. Parfois, le métal est moulé en plaques, ou en tiges, ou en croix.
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Certains peuples (d'Afrique et d'Amérique) l'emploient en poudre. Il advient qu'on lui donne l'aspect d'objets familiers: un couteau, un sabot, le fruit de l'orme. Entre le cauri et la monnaie métallique, la transition peut s'effectuer sans douleur si l'on confère au métal la forme d'une conque. La bonne formule n'est pas encore trouvée: en toute hypothèse, ces monnaies métalliques sont dissemblables, par le poids et par la teneur. Il faut, à chaque transaction, les peser, les éprouver. Même si l'essayeur imprime sa marque sur la plaque ou le lingot pour l'authentifier, que vaut cette garantie privée? Marchands et clients se méfient. Entre les métaux capables de devenir monnaie, le choix n'est d'ailleurs pas fait. Sparte et la Chine usent du fer, Sumatra et l'Inde de l'étain, le Siam du plomb. Plus tard, on verra des monnaies de platine (en Russie), de fer-blanc (en Argentine), des pièces divisionnaires en nickel, en aluminium, en acier. Mais les métaux rois, à n'en pas douter, sont le cuivre - et son dérivé le bronze -, l'argent et l'or. Les grandes civilisations hésitent entre ces trois métaux. Monnaie pesée de cuivre et de bronze: c'est par elle que la Chine aborde l'âge des monnaies métalliques, au milieu du Ille millénaire avant notre ère: les lingots qu'elle emploie ont des formes de bracelets. d'anneaux ou de couteaux, de telle sorte que se confondent les notions de monnaie, de bijou et d'outil. La Grèce, elle aussi, commence avec des moyens de paiement de bronze: les plus anciens, à Mycènes, dessinent un bœuf - et pèsent plus de 25 kilos; l'obole primitive, en forme de pieu, n'est qu'une broche de bronze (obole, obélisque, c'est le même mot), et elle évoque toujours le bœuf, rôti à la broche. Plus tard, les Grecs illustrent encore leurs pièces d'une tête de bœuf, et s'ils posent une telle monnaie dans la bouche de celui dont ils veulent acheter le silence, ils « mettent un bœuf sur sa langue ». Ainsi les
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premières monnaies de métal, en prenant le relais des monnaies prémétalliques, gardent les mêmes symboles. Dans le sillage de l'~trurie, largement vouée au bronze, Rome se sert de grosses barres plus ou moins brutes (aes rude), puis de lingots coulés et taillés (aes grave), qui pèsent en principe 1 livre (327 grammes). On les appelle ras, c'est-à-dire l'unité par excellence: du grec eis, un seul (1). Aux paiements en bétail, Rome substitue les paiements en as de bronze (- 430). Même quand elle recourra à des métaux moins communs, en cessant de les peser, elle conservera cette monnaie plus de six siècles, et rallégera progressivement, au point de la rendre infime. L'as cessera d'être l'unité de compte en - 89, il cessera d'être monnayé en 217. Monnaie pesée d'argent : elle s'impose entre le Tigre et l'Euphrate à des peuples qui ont de grosses ressources de métal blanc, et qui le retiennent pour leurs comptes, leurs échanges et leurs épargnes, en concurrence avec l'orge. Mais les lingots d'argent ne servent qu'aux gros règlements. Pareillement, des poids d'argent tiennent lieu de monnaie chez les Hébreux. Quand Abraham achète une caverne aux fils de Het, il pèse « l'argent qu'il avait dit, soit 400 sicles d'argent ayant cours chez le marchand". Quand le prêtre Esdras consacre à Yahvé les offrandes du roi Artaxerxès, il pèse 650 talents d'argent. Un sicle, c'est un peu plus de 11 grammes. Un talent, un peu plus de 34 kilos. Les deux mots expriment une idée de poids : sicle vient de l'hébreu segala (peser); talent, d'une racine indo-européenne tala qui désigne la balance. On s'explique que, dans la Bible, la balance tienne une grande place: « Vous aurez des balances justes, des poids justes l, dit Yahvé à MoIse. c Abomination pour Yahvé, se récrie Salomon, la balance fausse 1 " Avec Salomon cependant, la monnaie d'argent peut n'être plus un simple lingot.
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Comme chez les Phéniciens, elle est parfois un anneau. Mais il faut peser l'un comme l'autre. Monnaie pesée d'or: riche en métal jaune, l'Égypte a le moyen d'en faire son instrument monétaire. Elle a toutefois longtemps persévéré dans le troc: sur les marchés de plein air, on échange des sandales contre du parfum, des poissons contre un coffret, des oignons contre un éventail. C'est seulement à dater du Moyen Empire que certains paiements s'effectuent en métal. Le poids étalon est le deben, qui équivaut à 90 grammes; il est divisé en 10 kite de 9 grammes. Matérialisé en granit, en albâtre ou en hématite, parfois en bronze, il revêt des formes géométriques - cercle ou tronc de cône -, ou reproduit une tête d'animal - gazelle ou taureau. Pesé de la sorte, le métal de règlement peut être de fer, de plomb, de cuivre, d'argent, d'electrum. Il n'est d'or que pour les grosses transactions. Les salaires sont toujours payés en nature, et l'or n'est pas destiné aux simples fellahs. Séti Ier le rappelle aux mineurs en leur faisant la morale: 0: Quant à l'or, il n'est pas de vos besoins. » On doute que la première monnaie égyptienne ait pu être ce petit lingot d'or de 14 grammes qu'aurait fait frapper le pharaon Ménès (- 3150). Par la suite, elle est, tantôt un anneau (le shaty), qui pèse théoriquement un douzième de deben (7,5 grammes), tantôt une tige repliée sur elle-même, en Z aplati (le labnou), qui doit peser 1 deben (90 grammes) et qu'il est possible de rogner à ses deux bouts, pour en aj uster le poids. Sous Toutmosis I II, il faut 60 grammes d'or pour acheter un bœuf. Mais l'économie égyptienne relève trop de l'État pour que le commerce privé s'y développe beaucoup, et pour que la monnaie pesée d'or y circule abondamment. L'or est soigneusement thésaurisé dans les palais, et surtout dans les temples, qui sont à la fois des banques de dépôt et des bureaux de poids et
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mesures. D sert de préférence aux règlements internationaux, pour le trafic avec les Crétois et les Asiatiques.
Les premières pièces d'or Pour la monnaie, l'étape décisive n'est franchie que du jour où elle est frappée sous la forme d'un disque, avec l'apostille et la garantie du souverain émetteur. Alors seulement, la monnaie remplit pleinement son triple rôle, qui est de servir à compter, à payer et à épargner, facilement, rapidement et sftrement. Ronde et plate, la monnaie lenticulaire peut former des piles ou des rouleaux, qui simplifient le travail des changeurs et la passion des thésauriseurs; elle complique la tâche des fraudeurs qui voudraient « fourrer » la pièce en coulant à l'intérieur un métal commun; elle égalise et réduit l'usure, qui est tenue pour limitée aussi longtemps que l'empreinte reste lisible. Ces avantages la feront prévaloir à travers les siècles. Déjà, certains blocs de métal ont été estampillés, durant le Ile millénaire avant Jésus-Christ, en Cappadoce, en Assyrie, en Chine. Déjà les lingots ont quelquefois cédé devant les disques de métal en Crète, puis à Mycènes. La révolution monétaire n'est vraiment acquise qu'au vue siècle avant notre ère, quelque part dans l'Asie Mineure hellénisée. La Lydie est le plus souvent désignée comme le théâtre de cette innovation, dont le roi Gygès serait le promoteur. Il se peut que la même initiative soit prise, simultanément, en Phrygie ou en Ionie, de Milet à Éphèse, de Samos à Phocée. La seule certitude est que, en ce coin du monde et en ce siècle-là, surgissent des pièces presque rondes, presque plates et frappées, qui seront imitées en tous lieux et en tous temps.
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Ces premiers monnayages sont d'electrum, c'està-dire d'un alliage d'or et d'argent, en proportions variables. La pièce de Gygès (14,5 grammes, à 73 % d'or et 27 % d'argent) est encore un peu ovoïde, et aplatie sur les côtés, avec une triple empreinte: l'une d'elles, en creux, reproduit l'image du renard, qui est le dieu de Lydie. L'acte de naissance de la monnaie (vers - 670) porte le sceau de la religion. Imitant Gygès, le roi d'Argos Phidon frappe à Égine la première monnaie d'Europe (- 650). Celle-là porte une empreinte en relief, au type local de la tortue. Mais elle est d'argent: c'est une drachme, c'est-à-dire une « poignée ll, car la drachme équivaut à une poignée d'oboles. La première monnaie d'or est l'œuvre de l'opulent Crésus, successeur de Gygès sur le trône de Lydie (- 550). Les métallurgistes, qui savent maintenant séparer l'or de l'argent, peuvent répudier l'electrum bâtard. Saluons ici l'entrée en scène des pièces d'or: celle de Crésus pèse un peu moins de Il grammes; elle est frappée à son emblème royal : une tête de lion et une tête de taureau face à face. On l'appelle créséide ou, plus généralement, statère, et ce nom restera attaché aux pièces d'or du monde grec. Le seul nom du statère affirme ses prétentions à la stabilité : grec stao, « je suis fixe )l. Quel programme 1 Le prestige du statère naissant lui assure une ample prospérité. Il est imité dans le petit monde grec, et d'abord à Thasos, qui frappe la première pièce d'or européenne (- 550). Mais le plus souvent, les États grecs, fidèles au métal blanc, ne monnayent l'or que pour payer leurs mercenaires étrangers; ou bien, parce que le métal jaune reste rare, ils se contentent d'émettre des pièces petites et légères : ainsi d'Agrigente, qui frappe des pièces de 1,32 gramme, à 2 globules (- 406). La Perse, qui s'adjuge la Lydie avec les victoires de Cyrus (- 546), y trouve à la fois du métal jaune
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et l'exemple séduisant du statère. Darius, peut-être pour faciliter le recouvrement des impôts et le règlement des mercenaires, fait frapper ses propres pièces d'or, les dariques, de 8,4 grammes; et si son système monétaire comporte aussi des pièces d'argent, il en abandonne la frappe aux satrapies, tandis qu'il fait de la frappe de l'or un privilège royal (vers - 520). Sur la darique, le roi, incarnation terrestre de la divinité, est représenté en archer, un genou en terre, en position de tir. C'est une pièce conquérante, qui, de fait, donne à la Perse un puissant moyen de pression et d'action politique. Face à la Grèce, qui ne frappe qu'occasionnellement des statères, et, faute d'or, réserve le premier rôle à la drachme d'argent, la Perse, avec ses dariques, assure la primauté de l'or, et ne manque pas de s'en servir pour acheter les consciences et les concours. En Grèce, l'or s'évalue en argent. En Perse, l'argent s'évalue en or. Ces premières pièces d'or ou d'argent sont de types innombrables, mais toutes d'une étrange beauté : les numismates, qui les recenseront par milliers, admireront en elles la pureté des lignes, la sobriété du dessin, l'élégance des formes. Toutes demandent aux dieux consécration et garantie; elles portent en effigie soit l'animal tutélaire de la cité (après le renard de Lydie et la tortue d'Argos, la chouette d'Athènes, les abeilles d'Éphèse, le poulain de Corinthe... ), soit la figure d'une divinité : Aphrodite à Cnide, Nikè à Syracuse, Zeus à Élis ... Animalier ou divin, le thème a toujours valeur mystique et magique.
Deuxième génération Désormais, tous les États du monde ont pour ambition d'émettre des monnaies d'or : c'est le moyen pour eux d'affirmer leur autorité intérieure et extérieure, sur leurs propres féodaux ou sur les autres puissances. Battre monnaie est le moyen d'affirmer
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un pouvoir. Battre monnaie d'or est un droit régalien. réservé au pouvoir central, et. qui le consacre. Le premier soin de Philippe II de Macédoine, maître des mines du Pangée. est de frapper un statère d'or à son nom, le philippe, de 7,27 grammes, sur lequel un aurige fait voltiger deux chevaux fringants. Son fils Alexandre diffuse cette pièce prestigieuse, ainsi que les drachmes grecques d'argent, dans tout l'univers de son obédience. Il frappe à son nom statères et doubles statères d'or, à l'effigie d'Athéna casquée. Après lui, ptolémée en Égypte, les Séleucides en Syrie, Hiéron à Syracuse frappent l'or à leur tour. En Bactriane, l'usurpateur Eukratidas émet un vingtuple statère : avec un diamètre de 5,8 centimètres, un poids de 168 grammes, ce statère accidentel est la plus grande pièce d'or de l'Antiquité grecque. Arraché par les conquêtes d'Alexandre aux trésors stériles des rois perses, l'or est alors suffisamment répandu pour que chacun soit libre d'en détenir à son gré. Carthrr.ge a ses monnaies d'or : la pièce de 9,70 grammes représente la solde d'un mercenaire pour un mois. Mais Carthage frappe aussi des pièces d'electrum, à un tiers d'argent et deux tiers d'or. En Gaule, Massilia, fille de Phocée, ne monnaie pas le métal jaune: ses colonisateurs lui ont enseigné bien davantage l'emploi de la monnaie d'argent. Mais les mercenaires celtes qui vont servir au loin, et peut-être aussi les bandes qui sont allées piller Delphes (- 278) r!lpportent dans leurs bagages des quantités de statères, en provenance de Macédoine, de Grèce, de l'Italie du Sud, de la Sicile ou de Carthage. Et ces pièces paraissent aux Gaulois si belles, si désirables, qu'ils se mettent à les imiter (- 250), d'abord servilement, à l'effigie d'Apollon et à l'empreinte de Philippe, puis, plus grossièrement, selon leur fantaisie et avec leurs propres totems: chevaux, loups, sangliers, chamois, renards, aigles ou serpents...
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De l'autre côté de la Manche, les Celtes ne se comportent pas autrement. Eux aussi importent et copient le statère macédonien, qu'ils reçoivent en contrepartie de leurs ventes de lingots d'étain. La première monnaie frappée dans l'ne qui sera l'Angleterre porte l'effigie d'Apollon. Rome, qui a tour à tour pratiqué la monnaie bétail et la monnaie pesée de bronze, accède à la frappe des monnaies d'argent après la conquête de l'Italie méridionale (- 269), mais elle les emploie moins pour l'usage intérieur que pour ses échanges avec la Grèce. A plus forte raison, elle n'aborde le monnayage de l'or qu'avec timidité : exceptionnellement, elle frappe une pièce de 4,5 grammes, en - 241, après avoir traité avec Carthage; puis une pièce de 10,91 grammes, en - 217, lors de la deuxième guerre punique; la même pièce en - 81, par les soins de Sylla; une pièce un peu allégée, de 9,09 grammes, en - 50, sous Pompée. C'est seulement avec César, en - 46, que Rome entreprend la frappe régulière d'une monnaie d'or, ramenée cette fois à 8,18grammes et à l'effigie du général-dictateur : 'le butin de la guerre des Gaules a grossi le magot romain et permis bien des magnificences. César disposerait d'un trésor de plus de 25000 barres de métal jaune, et, lors de son triomphe, selon Suétone, chaque soldat recevrait 200 pièces d'or. Désormais, la détention de l'or est libre. Si Rome a tardé à gravir les échelons de la promotion monétaire, elle a du moins donné son nom à la monnaie. Selon la tradition, le premier atelier de frappe a été installé dans les dépendances du temple de Junon l'Avertisseuse, Juno Moneta (de monere, avertir) : les dieux seraient encore dans l'affaire. Il se peut toutefois que le vocable monnaie provienne directement du verbe monere, parce qu'elle avertit de son poids et de son titre; à moins qu'on n'y retrouve le grec monas, unité. Les étymologistes en débattent.
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Quant au nom de la monnaie d'or romaine, il est le plus simple et le plus éloquent: aureus (d'or). Le fait est que ces pièces sont d'or presque fin, avec 2 ou 3 % d'alliage, et les empereurs maintiennent longtemps le titre à ce niveau de pureté. La frappe est de qualité, les effigies impériales sont d'un ciseau délicat, à commencer par celle d'Auguste, au fin profil grec. Mais l'aureus ne franchit les siècles qu'au prix d'un allégement progressif, d'ailleurs modéré. Cette maladie monétaire, à laquelle sera donné le nom de dévaluation, est quasiment congénitale : la monnaie en a reçu le germe dès sa naissance; et Athènes, dès Solon (- 595), en a subi les atteintes aux dépens de sa drachme d'argent. L'aureus romain n'est, pas plus qu'une autre monnaie, immunisé contre le mal : quand le métal se raréfie, quand les ressources du Trésor public s'amenuisent, l'État émetteur est normalement tenté de substituer aux pièces anciennes des pièces moins coûteuses, sans changer leur nom. En même temps que la puissance publique, les débiteurs bénéficient de l'opération: ils peuvent se libérer avec une moindre quantité de métal. C'est pourquoi toute l'histoire monétaire sera jalonnée d'opérations de ce type. Déjà ramené à 8,18 grammes par César, l'aureus décline à 7,80 grammes sous Auguste (en l'an 15), à 7,27 sous Néron (60), se maintient longtemps à ce poids, glisse à 6,55 sous Caracalla (214), à 5,45 sous Dioclétien (292), à 4,54 sous Constantin (312), à 3,89 sous Valentinien (367). Et la pureté des pièces devient incertaine. Il est vrai que Constantin, en reprenant sur une grande échelle la frappe des pièces d'or à très haut titre, croit rassurer l'opinion par une astuce de vocabulaire; il fait de l'aureus le solidus aureus, c'està-dire le solide, le ferme, le résistant. Ainsi rebaptisé, doté de l'effigie de l'empereur casqué, le solidus ne
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résiste cependant pas beaucoup plus d'un demi-siècle. Dans la suite des temps, il deviendra le sol, le sou. Sur deux grands millénaires, la courbe de sa carrière illustrera à merveille le destin des monnaies, tour à tour d'or, d'argent et de bronze, puis condamnées à disparaître dans l'obscurité : à la manière de ces personnages d'abord considérés, cossus et éclatants de santé, qui, de déboire en déboire, de chute en chutes, finissent dans l'indigence et l'oubli. L'Empire romain, on l'a dit, sombre dans les pires difficultés financières. Dans les trois siècles qui suivent Auguste, le volume de l'or dont il dispose fléchit de 80 %. C'est pourquoi, l'or ne suffisant plus à répondre aux besoins économiques, Rome doit plus que jamais faire appel à l'argent et au bronze pour les échanges courants, et réserver le métal le plus précieux au paiement des importations en provenance de l'Inde, de la Chine, de l'Afrique, des pays germaniques et scandinaves, au règlement des mercenaires barbares et des nations dont il faut acheter la complicité. En vain Rome cherche à améliorer sa balance des comptes par des mesures de restrictions et de contraintes: lois somptuaires contre les produits de luxe, contrôle des importations de marchandises et des exportations de capitaux, taxation des prix (sous Dioclétien). L'or disparaît de la circulation - confirmant ainsi la loi formulée par Aristophane et que reprendra le chancelier Gresham: la mauvaise monnaie chasse la bonne. A Rome, la mauvaise monnaie (d'argent plus ou moins frelaté, ou de bronze) passe de main en main; la bonne monnaie d'or fuit dans les cachettes privées ou au-delà des frontières de l'Empire. Quand l'or prend ainsi congé de la circulation, il ne subit pas une défaite. Bien au contraire, c'est parce qu'il est trop désiré qu'il disparaît. La défaite est pour l'État.
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L'Occident porte le deuil de l'or
Pour l'Occident, l'héritage monétaire de Rome est lourd à porter: dans le désordre qu'entratnent les invasions, les peuples gardent la nostalgie du système romain, mais, faute d'autorité et d'unité, ils n'ont pas la possibilité de le rétablir; et, faute de métaux, ils ne peuvent même pas y songer. Les Germains, du temps de Rome, connaissaient assurément les pièces de monnaie, sans en frapper eux-mêmes : ils en avaient reçu de l'Empire en échange de leur ambre, de leurs fourrures, de leur bétail - ou de leur travail. Mais, une fois maîtres de la place, comment continueraient-ils à monnayer le métal? Ils s'y essaient timidement, avec l'or qu'ils trouvent encore au fil des rivières : les Wisigoths en Espagne, les Lombards en Italie, les Burgondes en Gaule, les Saxons en Grande-Bretagne frappent quelques sous, plus ou moins à la façon romaine, en utilisant l'or qui peut subsister dans les mines ou les cours d'eau; les rois francs parviennent à frapper quelques tiers de sou qui portent encore l'effigie impériale : Tibère, Aurélien et Justinien règnent sur les pièces barbares comme sOils régnaient toujours sur l'Empire. Le Mérovingien Théodebert est assez hardi pour leur substituer son propre portrait. A mesure que s'épuisent les dernières réserves du sous-sol, et que se ferment les exploitations de métal, les frappes se font de moins en moins nombreuses et elles sont de moins en moins pures. Le tiers de sou en cinq siècles perd plus de 60 % de son contenu d'or. Mais si l'on ne paie que par exception en métal jaune, on persiste à compter en sous. Les codes pénaux retiennent cette unité pour fixer les amendes: dans la loi des Francs saliens, dite loi salique, 200 sous pour l'incendie d'une église, 100 sous pour le meurtre d'un propriétaire romain, 62 sous pour le vol d'un
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Germain; dans la loi des Ripuaires, 50 sous pour un faux; dans la loi des Burgondes, 30 sous pour le meurtre d'un esclave laboureur... On compte en sous d'or, mais il est entendu qu'on s'acquitte en deniers d'argent, ou en marchandises. L'or n'est pratiquement plus qu'une monnaie fictive. Cette dissociation, entre la monnaie qui sert à compter et celle qui sert à régler, entre la monnaiemesure, qui est abstraite, et la monnaie-objet, qui est concrète, prépare l'instauration d'un système qui, durant près d'un millénaire, sera la règle générale: il y aura une monnaie de compte, fixée une fois pour toutes par la loi et par l'usage, et il y aura les espèces pour le paiement, qui pourront, selon les besoins et les caprices des rois ou des seigneurs émetteurs, varier non seulement en poids et en titre, mais aussi en valeur exprimée en monnaie de compte. Des pratiques empiriques des rois mérovingiens, les rois carolingiens tirent un système monétaire: pour les paiements, la monnaie d'or est officiellement supprimée par Pépin le Bref, qui consacre l'emploi des deniers d'argent. Pour les comptes, il est désormais entendu qu'on les établira en sous. Pour le rapport entre le denier d'argent, monnaie-objet, et le sou, monnaie-mesure, Pépin et Charlemagne, après quelques tâtonnements, posent en principe que le sou, qui représente le vingtième d'une livre d'argent (779), vaudra 12 deniers (801). Cette équivalence - une livre comprend 20 sous de 12 deniers, soit 240 deniers - restera l'équation fondamentale de l'Occident: et la livre britannique, de 20 shillings (s) de 12 pence (d), la prolongera jusqu'en 1971. Là-dedans, où est l'or? Nulle part. Ce qu'on en peut garder sert aux règlements extérieurs, à l'intention des fournisseurs orientaux. Si Charlemagne fait encore frapper quelques rares pièces d'or, ce n'est que pour le prestige. L'or est enfoui dans les trésors publics et privés. laïcs et ecclésiastiques, ou trans-
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formé en bijoux. Il est absent des échanges, qui ne connaissent plus que l'argent ou le troc. Mais s'il a disparu de l'Occident, il afflue en Orient, et d'abord à Byzance. Au seuil du Bosphore, carrefour de l'Europe et de l'Asie, la nouvelle Rome trafique sur les soies et les épices, reçoit l'or de l'Oural et de l'Afrique. Elle est en mesure de poursuivre la frappe du solidus romain, tel que le lui a légué l'empereur Constantin: avec 4,54 grammes d'or, le solidus byzanfinus, couramment dénommé le besant, reste une pièce de haute qualité, considérée durant des siècles comme la monnaie internationale. C'est seulement quand les Arabes, en occupant la Syrie et l'Égypte, coupent les courants du commerce et du. métal, que le besant s'altère et s'allège. Les Turcs l'achèveront. La gloire du besant produit d'ailleurs sur les conquérants arabes une telle impression qu'ils le reprennent à leur compte, pour en faire leur propre monnaie. C'est le besant sarrasin, émis d'abord à Damas et en Égypte, puis diffusé dans tout l'univers musulman: une robuste pièce de 4,25 grammes d'or, frappée avec le métal des pillages, des butins, des rançons et des gisements africains. L'effigie des empereurs y est soigneusement remplacée par des versets du Coran. Les Arabes, qui considèrent cette pièce comme leur denier (denarius), l'appellent dinar. Les Occidentaux, qui parviennent à en acquérir lorsqu'ils vendent à l'Islam des fourrures, des armes ou des esclaves, la dénomment mancus (d'une étymologie discutée: arabe mancoush, gravée ?). En Espagne, la dynastie des Almoravides (al Morabitin) en fait le marabofin ou maravedis, frappé en or dès le xe siècle. Résumons encore : l'Europe occidentale est vidée de métal jaune, au temps des invasions germaniques, et l'or se réfugie à Byzance, seule capable de battre monnaie. Les Arabes enrichis par leur chevauchée frappent à leur tour des pièces d'or, qui, par les voies
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commerciales, peuvent gagner l'Occident et jusqu'au Septentrion, et y servir de moyen de paiement international pour régler les déficits envers Byzance. En fait, dans les transactions intérieures, la plus grande partie de l'Europe doit se contenter d'une monnaieargent, dont la frappe est abandonnée à d'innombrables féodaux dans le pire désordre. Retour à l'or
Les croisades changent tout: quand les Normands enlèvent la Sicile aux Musulmans, quand les Espagnols refoulent l'Islam, ils débloquent la Méditerranée occidentale; quand les croisés débarquent au Levant ou s'adjugent Constantinople, ils libèrent la Méditerranée orientale : les marchands latins, à commencer par les marchands italiens, font naître ou renaître d'amples trafics, qui portent sur les épices, les colorants, les textiles, les denrées exotiques. IDes besoins surgissent, qui réveillent l'économie. La « nuit» du Moyen Age est fulgurante d'éclairs. Le métal jaune, dont l'Europe était sevrée, réapparaît : avec le butin saisi en Orient, puis avec les excédents du commerce de mer; car l'Occident vend du bois, des armes, des draps, des salaisons. Il va de nouveau être capable de frapper des pièces d'or, et pour satisfaire aux exigences d'échanges multipliés, il en éprouve la nécessité. Sans doute, sur la frange méditerranéenne de l'Europe, a-t-on déjà, avant le plein effet des croisades, revu des frappes d'or: les Espagnols de la Reconquête peuvent, dès le XIe siècle, imiter les maravedis avec l'or enlevé aux Arabes; et Alphonse de Castille peut à Murcie émettre des pièces d'or à son nom (1175). A Chypre, les Lusignan, au XIIe siècle, frappent des besants d'or, imités de Byzance. De même pour la Sicile, l'empereur Frédéric II, qui
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prend le titre d'Auguste, peut frapper à Amalfi une augustale, toujours de 4,50 grammes d'or fin, à son effigie, avec une titulature calquée sur celle des empereurs romains (1231). Ce ne sont là que des levers de rideau. La vraie résurgence de l'or se situe au cœur du bouillonnant XIIIe siècle, dans cette Italie qui sait à merveille les secrets du fret, du négoce et de la banque. Gênes, au creux de son golfe, est dans une bonne position pour servir d'accès et d'exutoire aux foires de Champagne et à l'Europe centrale. Elle dispose, entre Oran et la Crimée, d'un chapelet de comptoirs savamment échelonnés. Elle possède un remarquable équipement bancaire, et les Génois sont devenus experts aux jeux de l'argent. Forte de ces atouts, Gênes frappe une genovine d'or (1252?) qui fraie les voies. Dans le même temps, Florence prend la même initiative: elle n'est pas simplement une place marchande, elle est une ville manufacturière; ses lainages, ses soieries lui procurent de gros excédents. Victorieuse de Sienne et de Pise, la voilà en mesure de frapper une belle pièce d'or, de 3,56 grammes, dite florin, marquée de la fleur de lis qui est le symbole de la cité (1252). Ce florin, émis en grande quantité, acquiert une telle renommée qu'il devient la monnaie internationale la plus recherchée, comme l'a été auparavant le besant; tous les princes de l'Europe voudront s'en prévaloir, en imitant son type ou en prenant son nom pour leurs propres monnaies: si bien que l'on verra des florins en tous pays, en Angleterre et en Flandre, en Autriche et en Bohême, en Hongrie et en Scandinavie ... Venise, née du trafic du sel et des poissons, rendue prospère par le transit des marchandises entre l'Europe et l'Orient, forte de sa marine et de ses colonies, n'aurait pas d'li se laisser devancer dans la frappe de
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l'or. Mais elle a peut-être commis une erreur d'aiguillage en se lançant dans le monnayage d'une grosse pièce d'argent. Surclassant les deniers discrédités, elle frappe le grosso (1192), qui a cours pour un sou. Un peu tard, s'apercevant du succès du florin, elle se tourne vers l'or, et frappe dans l'atelier monétaire de la Zecca (de l',.rabe sekka, coin servant à frapper la monnaie) une pièce, du même poids que le florin, officiellement appelée ducat, .parce qu'émise par les ducs de Venise, et que le populaire appelle zecchino, ou sequin (1284) : elle porte l'image de saint Marc, patron de la cité. Deux siècles plus tard, à Constantinople, les Turcs frapperont leur propre sequin, de même poids (1478) : ils l'appelleront l'altyn. Comme Gênes, Florence et Venise, d'autres villes italiennes entreprennent, en cette deuxième moitié du XIIIe siècle, de frapper l'or: Pérouse, Lucques, Milan. Le bon exemple est contagieux. La Rome pontificale et la Savoie s'en inspirent. Il est suivi hors d'Italie. La France de saint Louis se dote simultanément d'un gros d'argent, inspiré du grosso de Venise, et d'un écu d'or pur, de 4,196 grammes (1266). Au droit de la pièce, figure un écu fleurdelisé, avec une légende circulaire : Ludovicus dei gracia Francorum rex; au revers, une croix fleuronnée, encore encadrée de fleurs de lis. Quand l'agneau pascal remplacera le bouclier sur cette même pièce, elle sera dite denier à l'agnel, ou agnel. Plus tard (en 1360), quand Jean le Bon, tout juste libéré par les Anglais, cherchera à remettre ses finances en ordre, il fera frapper une belle pièce d'or, de 3,87 grammes de fin, représentant le roi armé de pied en cap, fleurdelisé, à cheval, avec la légende Francorum rex : le premier franc. En Angleterre, si Henry III passe pour frapper un penny d'or, de 2,95 grammes, dès 1257, cette monnaie reste confidentielle et sans lendemain. Il faut attendre Édouard III, qui émet en 1349 un flo-
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rin, commun à l'Angleterre et à la Flandre (de 7,2 grammes de fin), bientôt remplacé par un noble (de 9,4 grammes, à l'origine, progressivement ramené ensuite à 7 grammes), dont Edouard IV, champion de la Rose d'York, fera le noble à la Rose (de 7,8 grammes). En Castille, tandis que le maravedis devient une pièce d'argent, avant de glisser au rang de monnaie de compte, Sanche IV fait frapper, à la fin du XIIIe siècle, une pièce d'or copiée sur le florin: c'est le doublon (dobla), de 4,50 grammes. Le Portugal peut émettre son propre doublon (dobrao), de 4,97 grammes: l'or qu'il recevra d'Afrique lui permettra de nourrir cette frappe. L'Europe centrale suit le mouvement au XIVe siècle. L'Empire a un florin qui se veut florentin, mais aussi la Hongrie, la Bohême, le Luxembourg, le Hainaut, la Flandre, le Brabant, la Hollande, la Bourgogne : les effigies varient, et souvent aussi, selon les moyens et les circonstances, le poids d'or fin. En Allemagne, princes et villes tentent à plusieurs reprises de conclure une union monétaire pour frapper le même florin d'or: ainsi, en 1386, Spire, Worms, Francfort et quatre princes s'entendent pour émettre une même pièce, à 23 carats, qui sera le florin rhénan du xv e siècle. L'or est revenu. Grandeur et misère de la monnaie d'or
Pour fabriquer ces pièces d'or, la technique n'a guère fait de progrès: les graveurs utilisent toujours deux moules, les coins, entre lesquels ils placent les disques de métal, les flans. ils frappent alors à grands coups de marteau sur le coin supérieur, de façon à imprimer en relief sur le flan l'empreinte qui figure en creux sur les deux coins. Cette fabrication sommaire, qui est une frappe au sens propre du terme,
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n"est ni parfaite ni constante. Les contours de la pièce sont irréguliers, l'épaisseur est variable. Il en résulte que les changeurs doivent essayer les pièces : en les faisant sonner, pour vérifier leur qualité et apprécier leur aloi (c'est-à-dire leur alliage); en les pesant au trébuchet, pour contrôler leur poids. Les pièces correctes sont dites « sonnantes et trébuchantes )l. En circulant de main en main, les pièces s'usent: cette usure, nommée le frai (du verbe frayer : latin fricare, frotter), varie évidemment avec le nombre et la condition des échanges. On a pu estimer que, pour une circulation normale, une pièce peut perdre un millième de son poids par an - si bien qu'elle disparaîtrait en un millénaire. D'autres techniciens calculent qu'il y faudrait huit mille ans. Mais, aussi longtemps que les monnayeurs travaillent de façon artisanale, les pièces qui sortent de leurs ateliers, sans stries latérales, peuvent être délibérément rognées: ce qui accélère leur dégradation et aggrave leur discrédit. Pour prévenir cet avilissement (mais peut-être aussi au risque de faciliter cette pratique), les monnayeurs donnent à leurs pièces un petit ex.cès de poids, qu'on appelle le trébuchant. Il n'empêche que .ces pièces d'or paraissent merveilleuses et enviables, à tous les Occidentaux qui en ont été longtemps sevrés, et leur prestige est d'autant plus élevé qu'elles incorporent un gros pouvoir d'achat et qu'elles sont loin d'être en toutes les mains. Elles servent plus à l'usage international qu'à l'usage interne, plus aux banquiers et aux négociants qu'aux petits boutiquiers; elles ne parviennent jamais jusqu'aux petites gens, qui, lorsqu'ils accèdent à l'économie monétaire, se contentent de manier des pièces d'argent ou de bronze. Qui bat monnaie? Tandis que d'innombrables féodaux, clercs ou laïcs, se sont arrogé, au temps où démissionne l'État, le droit de monnayer à leur guise
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les deniers d'argent, seul le pouvoir central, dans tous les pays où il se reconstitue, s'octroie le privilège de frapper des monnaies d'or. Du coup, les seigneurs se trouvent relégués à un rang subalterne. Le roi, qui a réussi avec la croisade à les éloigner ou à les déposséder, les surclasse avec sa monnaie d'or. Le déclin de la féodalité procédera, pour une part, de cette rupture d'équilibre. Les conséquences économiques du retour à l'or ne sont pas moindres que les conséquences politiques. Jusqu'au XIVe siècle, l'Europe se peuple, s'anime. Les terres sont défrichées, les foires prospèrent, les villes s'émancipent. Et l'on ne démêle évidemment pas, dans ces phénomènes d'expansion, ce qui est cause et ce qui est effet. La restauration de la monnaie d'or résulte de l'essor médiéval, et elle le stimule à son tour: l'action est réciproque. Au XIVe et au xve siècle, les guerres, les famines, les pestes freinent ou renversent la tendance, et la monnaie d'or n'y peut mais. Vers la fin du xv e siècle, avec la paix retrouvée, la reprise démographique et économique s'amorce. Pourtant, les prix baissent, malgré les récoltes d'or que font les Portugais sur les côtes africaines. Les besoins grandissent alors plus vite que les moyens, et la disette de métal se fait de nouveau cruellement sentir. Au vrai, les croisades et l'élan qu'elles ont imprimé n'ont été qu'un entracte dans la longue pénurie dont souffre l'Occident. Depuis que Rome a sombré dans les déficits, l'or n'a guère cessé de faire défaut. Les temps barbares se sont accommodés de son absence, parce qu'une économie stagnante ou déclinante peut 3e passer de moyens monétaires. Les siècles d'expansion ont d'autres exigences. Ils ont soif d'or. Quand les monnayeurs se trouvent à court de métal, que font-ils? Ou bien ils diminuent le poids des pièces (qui se mesure en fractions de livre ou de marc), ou bien ils amoindrissent le titre de fin (qui se
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mesure en carats, la pureté absolue étant de 24 carats, soit 1 000 millièmes). Ou bien encore ils confèrent à la pièce un cours majoré en monnaie de compte (livre, sous et deniers en France, en Italie, en Angleterre ...) : ce qui revient à diminuer l'équivalence métallique de cette dernière. Ces « mutations », qu'on n'appelle pas encore des «dévaluations », et qui d'ailleurs ne sont pas à sens unique, semblent naturelles en une époque où le droit régalien du souverain n'est pas discuté, où le prélèvement monétaire tient lieu d'impôt, et où le pouvoir central ne dispose guère d'autre moyen pour faire face à ses devoirs. Partout où l'on peut payer en or ou en argent, les deux espèces se font concurrence, et, selon la vieille règle, la mauvaise monnaie chasse la bonne. La mauvaise monnaie est celle à laquelle le prince confère un cours que ne justifie pas sa valeur réelle - autrement dit celle dont la valeur officielle dépasse la valeur marchande. C'est cette monnaie-là qu'on offre pour les règlements, tandis qu'on thésaurise ou qu'on exporte la bonne monnaie, la monnaie« droite », dont le cours est correct. C'est le prince qui fixe les cours des monnaies, mais c'est l'offre et la demande, variables selon la production, les apports et les besoins, qui déterminent la valeur de chaque métal et le vrai rapport or-argent. L'arbitrage en tire parti. Il sait jouer par-dessus les frontières: Jacques Cœur, par exemple, ayant observé un rapport or-argent différent en Orient et en Occident, exporte de l'argent et importe de l'or. Selon les circonstances, l'argent chasse l'or ou l'or chasse l'argent. Pour éviter la disparition totale de l'un ou l'autre métal, les princes procèdent à des mutations. Le Moyen Age est rempli d'opérations de ce genre. Souvent aussi, recourant à la contrainte, le pouvoir cherche à retenir le métal fugitif : en Hongrie, le roi Charobert interdit toute sortie d'or; en France, Charles VII met l'embargo sur les monnaies et sévit
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contre tout notaire qui' stipulerait des paiements en poids de métal;' en Angleterre, :Édouard 1II confie à des gardes-côtes le soin d'empêcher toute exportation d'or, et fait écarteler les trafiquants qui passent outre. Cependant, pour éviter les mutations et les mesures de contrainte dues à la rivalité de l'or et de l'argent, la république de Gênes prend une initiative qui mérite d'être consignée: elle confie à un comité d'experts le soin de résoudre le problème monétaire (1445); A'près deux années de travaux, ce comité, sous rimpulsion du négociant Benedetto Centurione, conclut à l'adoption de l'étalon-or : ce qui revient à obliger les banques à ne faire de paiement qu'en or, et à libeller en or tous les changes et toutes les traites sur Gênes. Les autres nations d'Occident persévèrent dans un bimétallisme qui, en associant les deux métaux, augmente sans doute la masse monétaire, mais qui, dans les faits, soulève bien des difficultés. De toute façon, quand le xv e siècle approche de son terme, l'or est trop rare : l'Europe occidentale n'en détient que quelques centaines de tonnes (de 90 à 400, selon les estimations contradictoires et aléatoires des meilleurs historiens). Elle gémit: de l'or, de l'or 1
L'or et ['Orient Dans cet Orient vers lequel refluent les métaux précieux, comment est-on passé de la monnaie pesée à la monnaie frappée? La recette, transmise par les Perses et les Grecs, est recueillie par l'Inde, puis colportée en Chine et au Japon. Mais il est visible que l'Asie lointaine entend s'en tenir aux monnaies traditionnelles, et consacrer l'or à la parure plutôt qu'aux paiements. En Inde, où l'on a jadis compté en bœufs, le coquillage cauri reste le moyen de règlement le plus courant pour tout le commerce de détail, non seule-
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inent durant la période que l'Occident considère comme l'Antiquité, mais aussi pendant les quinze premiers siècles de notre ère : très particulièrement au Bengale et dans tout le sud de la péninsule. Les pièces grecques et perses, puis romaines et byzantines, sont bien parvenues en Inde, mais elles y sont thésaurisées ou converties en bijoux : les Indiens, manifestement, préfèrent pendre l'or à leurs oreilles ou à leur cou, plutôt que de le faire circuler pour le commerce. Un système d'impôts arbitraire et stérilisant ne peut que les confirmer dans cette attitude. Accidentellement, Candragupta, le fondateur de la dynastie Maurya, frappe des pièces d'or, qui le représentent regardant et remerciant la reine (320), et son fils Candragupta II frappe à son tour des pièces à l'effigie de la déesse Sri (400). En règle générale. l'Inde ne monnaie guère, et elle ne change pas d'attitude quand, par Le Caire et Aden, et en contrepartie de ses épices, elle reçoit les sequins de Venise et de Constantinople. Timidement, l'Inde du Nord frappe quelques pièces d'argent et de cuivre, les conquérants musulmans introduisent et monnaient l'argent. C'est seulement au XIIIe siècle que les sultans de Delhi émettent à leur nom un premier dinar d'or, qui circule peu. Au Tibet, on vit encore en 1500 comme trois mille ans plus tôt : pour se prémunir contre les guerres, les crises et les épidémies, chacun fait un trou dans la terre et y ensevelit ce qu'il peut avoir d'or. La Chine, sur le plan monétaire, est à la fois très en retard et très en avance. En retard, parce qu'elle s'est longtemps complue dans la monnaie-coquillage, et dans l'emploi des métaux pesés - même lorsqu'ils revêtaient la forme de couteaux, d'anneaux ou de bracelets. Quand elle adopte la formule des pièces - souvent percées d'un ou de quatre trous - , elle frappe le cuivre, l'étain ou l'argent, et même le plomb ou le fer, très rarement l'or.
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Peut~tre l'empereur Che Houang-ti, l'unificateur de la Chine, émet-il une monnaie d'or (- 220), en même temps qu'il allège les pièces de cuivre, et qu'il dote ses provinces de lois communes, de routes normalisées et d'un système uniforme de mesures. Après lui, l'or ne semble plus jouer de rôle dans le commerce chinois, si ce n'est, parfois, sous forme de lingots (au VIe et au Xe siècle). La Chine pourtant ne fait pas fi de l'or : l'empereur Kao-tsong (1150) confère aux plus grands artistes et aux plus grands lettrés les insignes de la Ceinture d'Or. L'empire du Milieu, en revanche, est à l'avantgarde des techniques de la monnaie fiduciaire; et ce genre d'initiative appartient nécessairement à une histoire de l'or, puisque la monnaie fiduciaire est appelée soit à prolonger le métal, soit à le concurrencer. Qu'est-ce qu'une monnaie fiduciaire? Une monnaie qui fait appel à la confiance. Toute monnaie est plus ou moins fiduciaire, et l'or n'échappe pas à ce qualificatif, puisque la demande d'or est pour une part subordonnée au crédit qu'on attribue au métal. Si les autorités monétaires confèrent à une monnaie d'or un cours que ne devrait pas lui mériter le prix du métal incorporé, elle accuse son caractère fiduciaire. A plus forte raison, la part demandée à la confiance grandit si la teneur en or est réduite, si un métal commun est substitué au métal précieux, si la monnaie est faite d'une matière sans valeur. A ce jeu, la Chine excelle très tôt. L'empereur Wou-ti (- 140) émet des pièces faites d'un alliage d'argent et d'étain auxquelles il assigne un cours arbitraire: la pièce ovale vaut 300 jetons de cuivre, la pièce carrée 500, la pièce ronde 3 000. Il imagine même des carrés de daim blanc et de soie, marqués du sceau officiel. et leur donne cours pour 40000 pièces de cuivre. Il faut avouer que ces émissions ne coÛ.tent rien au Trésor public et lui donllent de singulières
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facilités. Comment ne' serait-il pas tenté' d'en abuser? De fait, la Chine en abuse, à plusieurs reprises, surtout à dater du jour où elle sait fabriquer le papier : une belle invention, promise à un grand avenir monétaire 1Au premier siècle de notre ère, les Chinois obtiennent déjà de minces feuilles de pâte, d'abord avec une bouillie de déchets de soie, puis avec les fibres du mftrier et du bambou. Ils possèdent aussi depuis longtemps le secret des encres indélébiles, à base de noir de fumée. Ils sauront bientôt mouler des idéogrammes dans l'argile, pour former des caractères mobiles. Le papier, l'encre et l'imprimerie : voilà de quoi détrôner l'or. Vers l'an 650, les T'ang émettent des « billets de valeur» en papier (cela se dit Pao-tch' ao), dont chacun est censé valoir 10 000 unités de cuivre. Au début du IXe siècle, dans le désarroi financier qui suit la guerre civile, sont émises des « Sapèques volantes» (Fei-ts'ien), qui ne sont que des chèques représentant, en principe, un dépôt de métal. Après quoi, resurgissent les Pao-tch'ao, qui valent cette fois jusqu'à 90 000 pièces de cuivre. Aux xe et XIe siècles, apparaissent des billets de papier émis par des commerçants, puis par l'Administration jalouse de ses prérogatives : ils circulent si vite que, pour remédier à leur usure, on en décide l'échange tous les trois ans. Suivent, toujours sur papier, des bons de thé (Tch'a-yin) , des bons de sel (Yen-tch'ao), des bons de soie grège (Sseu-tch'ao). Le franciscain flamand Guillaume de Rubrouk, que saint Louis envoie chez les Mongols, est le premier à découvrir remploi du papier-monnaie en Extrême-Orient (1255). Marco Polo partage bientôt son étonnement (1275). A ses yeux, les Chinois ont découvert la pierre philosophale : «Et je vous dis que chacun prend volontiers un billet, parce que partout où les gens se rendent sur la terre du Grand Khan, ils peuvent acheter et vendre, tout comme si
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c'était de l'or fin. » Marco Polo va un peu vite en besogne: il n'a pas, sous l'émission, décelé l'inflation. Dans l'archipel japonais, que Marco Polo appelle les îles de l'Or et des Perles, il ne verrait rien de semblable à ce qu'il voit en Chine. Ni pièces d'or ni monnaie de papier. Le Japon reçoit du gouvernement de Corée un tribut de lingots d'or et d'argent, qui peut-être ont servi de moyens de paiement. Il importe les pièces chinoises de cuivre et les imite (700) pour une circulation géographiquement limitée. L'Afrique ne prend pas plus d'initiatives monétaires. Le cauri fait son affaire, avec la barre de sel pour l'Éthiopie, et l'or en poudre, du Soudan au Sénégal. Elle est largement pénétrée par les monnaies arabes, dinar en tête, qui lui parviennent par les rivages de la mer Rouge et de l'océan Indien, et par les caravanes du désert. Paradoxe de cet âge précolombien : l'Asie et l'Afrique ont de l'or, mais ne le monnaient pas. L'Europe voudrait monnayer, mais manque d'or. Il est temps que vienne Colomb. L'Amérique avant Colomb
De l'autre côté de la mer océane, il est un monde que Blancs, Jaunes et Noirs ne connaissent ni ne soupçonnent, et qui, lui, semble regorger d'or, mais ignore pratiquement la monnaie. Les indigènes du continent américain ont trouvé l'or fortuitement, attirés eux aussi par l'éclat des paillettes ou des pépites, dans les torrents des montagnes ou au flanc des falaises. Ils ont tamisé les sables, gratté les rocs, dans les pays qui s'appelleront Pérou, Colombie, Mexique. Toute la production de l'Amérique, avant la venue des Espagnols, a pu être estimée à 160 tonnes: ce qui serait peu sile continent était très populeux et s'il avait de gros besoins
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monétaires; mais ce qui est déjà beaucoup pour des peuples peu nombreux et sans monnaie. L'exploitation a dû commencer au Pérou, au moins mille ans avant notre ère: l'or y est martelé à froid, avec des maillets de pierre, transformé en feuilles minces, découpées avec des couteaux de pierre, bosselées avec des fragments d'or. Héritiers de ces techniques, les Mochicas apprennent à incruster des pierres et des coquillages dans le métal, les Chimous battent l'or sur des moules de bois. Leurs orfèvres savent pratiquer le repoussé, l'estampage, la ciselure, ils savent aussi souder. Mais leurs secrets se perdent, leur civilisation stagne ou s'éteint. Elle ne renaît que vers le VIlle siècle de notre ère, en Colombie, dans l'Équateur et au sud du Pérou. Le travail de l'or devient systématique et organisé. Vers l'an 1000, les métallurgistes de ces régions fondent, trempent et soudent l'or. Ils procèdent par fusions successives du minerai dans de petits fourneaux percés de trous, coulent l'or dans des moules, l'allient volontiers à l'argent et au cuivre pour abaisser le titre (jusqu'à 150 millièmes). Au nord du Pérou, ils inventent la dorure. En Colombie, ils colorent les alliages à faible teneur d'or, trop rouges ou trop bronzés, de façon à leur rendre l'apparence de l'or fin : pour ce faire, ils les frottent avec le suc d'une plante mystérieuse qu'on identifiera comme devant être l'oxalis pubescens, « dont l'acide oxalique dissout l'oxyde de cuivre)} (Amiet-Balsan). En Équateur, c'est avec le platine que les métallurgistes allient le métal jaune (15 à 35 % d'or, 55 à 75 % de platine), en chauffant au charbon de bois parcelles de platine et poudre d'or. Au Mexique, les Aztèques sont les maîtres du coulage à la cire perdue : ils font chauffer au soleil un modèle d'argile, le sculptent avec un ciseau de cuivre, l'enduisent de cire et de poudre de charbon. Après quoi, ils· enrobent ce modèle d'un moule d'argile,
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percé d'un trou, le passent au four pour durcir l'argile et fondre la cire, qui s'écoule par le trou, et la remplacent par une coulée d'or. Après refroidissement, ils brisent l'enveloppe, prennent la pièce et la polissent. Ils combinent savamment l'or et l'argent, pour obtenir des effets de contraste. Ils enchâssent des pierres dans le métal. Une seule lacune à leurs talents : ils ignorent l'émaillage. Quels objets d'or fabriquent les artistes de cet autre monde, qui n'est pas encore le Nouveau Monde? Tantôt, des articles utilitaires : épingles, hameçons pinces à épiler, récipients, vaisselle. Le plus souvent, des objets de parure, étonnamment travaillés: colliers, bracelets, éventails, pendentifs, où abondent les représentations délicates de fleurs, d'insectes ou d'oiseaux; des plumes pour les coiffures (au Pérou), des boucles d'oreilles, où se mêlent oiseaux-mouches, papillons et grelots (au Mexique); mais aussi des armes, des boucliers, des plastrons de cuirasse, des masques funéraires; et, pour l'ornement des palais, des vases, des coupes, des sièges d'or massif, des plantes d'or; sans parler des murs mêmes des édifices royaux et des temples, souvent revêtus de feuilles d'or. Cette apparente débauche de métal, qui éblouira tant les conquérants espagnols, ne doit pourtant pas faire illusion. Les indigènes d'Amérique savent ce que vaut l'or, et ne le prodiguent qu'en gens économes : ce sont les rois, les chefs, les nobles qui l'utilisent et s'en parent, mais non pas le commun des mortels. Ils le mettent en œuvre sans le gaspiller, puisqu'ils l'allient à d'autres métaux pour abaisser le titre. Simplement, ils apprécient ses vertus décoratives, et plus encore ses vertus sacrées: l'or est associé à la présence des dieux. Les Incas l'appellent « sueur du soleil ». Les Aztèques lui attribuent une nature divine, et punissent de mort ceux qui, en le dérobant, commettent un sacrilège. Ainsi, sans s'être passé le mot, les habitants de l'Ancien et du Nouveau Monde
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considèrent l'or avec une égale ferveur mystique. Mais les Américains sont très en retard, par rapport à leurs futurs envahisseurs, quant à l'emploi monétaire de l'or. Sur le plan commercial, ils en sont encore à la préhistoire. Les Chibchas du Pérou, sous la dynastie des Incas, vivent au sein d'un régime communautaire et hiérarchisé, qui ne laisse aucune place à la propriété privée ni à l'initiative individuelle : les marchandises et les denrées sont réparties par une Administration planificatrice, jamais échangées. La monnaie est exclue de ce système. Les Aztèques, au Mexique, pratiquent au contraire une économie libérale. Mais ils recourent encore souvent au troc, sur les marchés provinciaux; et, dans les villes, ils règlent leurs petits achats avec des grains de cacao, venus des terres chaudes, ou des carrés d'étoffe (dénommés quatchtli); pour les paiements moyens, ils usent, en guise de monnaie, de sacs dans lesquels sont groupées 8000 amandes de cacao (xiquipilli), ou de hachettes de cuivre en forme de T; c'est seulement pour certains gros paiements qu'ils recourent à de la poudre d'or engainée dans des tubes faits de plumes d'oiseau. Chez les Mayas, plus au sud, les grains de cacao servent encore d'instrument monétaire, mais aussi des clochettes de cuivre, plus ou moins grosses, et des colliers de coquillages rouges. Dans la forêt et la savane, au nord, les tribus éparses échangent entre elles par voie de troc, ou selon la technique encore plus archaïque du potlatch - un tournoi de cadeaux qui s'apparente au don compensé. Quelques peuplades du futur Canada emploient comme monnaie un assemblage de deux coquillages, l'un blanc, l'autre violet (le wampun), qui peuvent être enfilés en chapelets. Sur tout le continent, l'or, dont la présence est si insolente et si éclatante, n'est nulle part monnaie pesée, monnaie frappée. Les Européens vont ensei-
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gner la monnaie à l'Amérique. L'Amérique va donner à l'Europe le moyen d'assouvir sa fringale d'or. Colomb
Il s'appelle Christophe Colomb: Génois, il se met au service du roi d'Espagne. En quête de l'Inde, il découvre l'Amérique. Homme de mer, il multiplie la surface de la terre. Fils d'un cabaretier cardeur de laine, il change le cours de l'histoire du monde et de l'histoire de l'or. Dans les mobiles de Colomb et des découvreurs, figurent pêle-mêle le goftt des belles aventures, la quête des épices, la recherche de l'Atlantide, d'Ophir ou du Prêtre Jean, mais par-dessus tout, le souci de l'évangélisation et la soU de l'or. On oppose parfois la passion chrétienne et la passion du métal. On a tort. Elles se confondent : le grand voyage au-delà des mers est une croisade, à la fois pour le Christ et pour le métal. Les découvreurs vont offrir un dieu et chercher de l'or : donnant, donnant. Les deux thèmes, le spirituel et le matériel, se mêlent si étroitement qu'ils sont couramment mariés dans une même formule: « On aura vite fait, écrit par exemple Colomb, de convertir à notre Sainte Foi un grand nombre de peuples et de gagner en même temps ... de grandes quantités d'or. »Le même Colomb professe que « l'or est une chose excellente. En posséder, c'est ce qu'il y a de plus désirable au monde. Il peut même conduire des âmes au paradis, si on l'emploie à faire dire des messes». Au Mexique, Cortez créera une cité qu'il appellera Villa Rica de la Vera Cruz (Ville riche de la Vraie Croix) : le même nom associe la richesse et la piété. D'ailleurs, à supposer que les conquérants du Nouveau Monde rapportent beaucoup d'or, à quoi servira-t-il? Christophe Colomb, dans son testament, demande aux Rois catholiques, vainqueurs des Infidèles, de le consa-
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crer à la reconquête de Jérusalem. Décidément, pour les conquistadors, l'or et le Christ sont inséparables. « Trouvez de l'or, humainement si vous le pouvez, mais quoi qu'il en coûte, trouvez-en. » Telle est la consigne du roi Ferdinand. Christophe Colomb ne cesse d'y songer. Il a lu Marco Polo, qui décrit les merveilles de Cipango, son palais impérial au toit couvert de lames d'or, aux planchers d'or, aux croisées d'or. De quoi meubler bien des rêves ... Colomb a sans doute aussi lu, dans Platon, la description du royaume des Atlantes. Le centre de l'île « était occupé par un sanctuaire, lieu inviolable, enclos par une muraille d'or ... Les acrotères étaient revêtus d'or. L'intérieur présentait un plafond tout en ivoire, avec un bariolage d'or ... Des statues d'or y étaient placées. Autour du temple, à l'extérieur, s'élevaient les images en or de ceux qui avaient été la postérité des dix rois ... Les rois gravaient leur jugement sur une table d'or». Voilà pour d'autres rêves. A coup sûr, plus que Marco Polo et Platon, le Génois a lu la Bible et, dans le livre des Rois, retenu par cœur la description des trésors de Salomon, l'évocation de l'or d'Ophir. Puisque les Portugais cherchent l'Inde par la route de l'Est, Colomb la cherchera par la route de l'Ouest, et tâchera de retrouver, par la même occasion, Ophir, l'Atlantide et Cipango. Sous les murs de Grenade, les Rois catholiques signent le contrat qui confère à Colomb la charge d'amiral, les titres de vice-roi et gouverneur de toutes les terres qu'il pourra découvrir, avec c( le droit de se réserver la dixième partie, tous frais déduits », de l'or et des articles de commerce qu'il se procurera. Il ne reste plus qu'à mettre le pied sur les terres et la main sur l'or. Après trois mois de traversée, le découvreur parvient à l'une des îles Bahamas, baise le sol, loue Dieu et fait chanter le Te Deum. Les naturels de l'île portent aux narines de petits ornements d'or, qu'ils
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acceptent d'échanger contre des boules de v(,~rre et des grelots. D'où vient cet or? On montre à Colomb la direction du midi. De ce côté, il y aurait un roi très puissant, qui se fait servir dans de grands vases d'or ciselé. Si c'était Cipango? Si c'était Je monarque dont parle Marco Polo? Toute l'histoire de Colomb sera ainsi jalonnée de tels contacts, à la fois prometteurs et décevants : chaque tribu le renverra à la tribu voisine, chaque espérance déçue le renverra à une autre espérance et à une autre déception. L'or est toujours plus loin. De son premier voyage sur la mer océane, l'amiral rapporte quelques Indiens, quelques perroquets, mais assez d'or, en poudre, en plaques ou en bijoux (4 kilos au total), pour éveiller la curiosité et entretenir la concupiscence. Il peut repartir, à trois reprises, toujours persuadé d'approcher d'Ophir et de Cipango, alors qu'il bourlingue dans la mer Caraïbe. Quelque part dans les Antilles, il échange des présents avec un cacique : il lui remet des couteaux, des épingles, des aiguilles, des miroirs, il en reçoit 800 coquillages, 100 grains d'or et 3 petites calebasses remplies de poudre d'or. Est-ce l'amorce d'une nouvelle piste? Où sont les mines? A trois ou quatre journées de marche, en droite ligne dans l'intérieur 1La petite troupe de Colomb entrevoit déjà des montagnes d'or. Elle ne trouve que des paillettes dans les sables des ruisseaux; mais les récits flatteurs ne manquent pas, pour entretenir le courage des chercheurs. Les naturels du pays réclament encore des colifichets d'Europe. Comme Colomb leur signifie qu'ils n'en obtiendront que moyennant de l'or, ils en offrent de petites quantités : de la poudre, quelques pépites. Et ils font 'entendre par signes qu'à une demi-journée de là, les morceaux d'or vierge sont aussi gros que des oranges; et qu'un peu plus loin, ils sont comme la tête d'un enfant. La terre promise est toujours au-delà de la montagne. .
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Faute de trouver les gisements espérés, Christophe Colomb obtient de l'or en imposant un tribut aux insulaires: chaque naturel au-dessus de quatorze ans devra apporter, tous les trois mois, « plein une sonnette de Flandre de poudre d'or»; chaque cacique paiera davantage : une demi-calebasse. Aux indigènes qui protestent que leur province ne recèle pas de métal, et qui, en échange, proposent de la mettre en culture, Colomb réplique que seul l'or peut combler le désir des Espagnols. C'est tout juste s'il consent à réduire certaines contributions individuelles à une moitié de sonnette. Les vœux de Colomb vont-ils enfin être comblés? En Haïti, qu'il appelle Hispaniola, on lui présente des échantillons d'or qui le transportent de joie. Comme la région des gisements est creusée d'excavations en forme de puits, Colomb se persuade qu'il a retrouvé Ophir et les mines du roi Salomon. La réalité est différente, et moins exaltante. Mais le vice-roi des Indes n'apprend-il pas que, pour obtenir des dieux la faveur de trouver de l'or, les naturels d'Hispaniola s'abstiennent de nourriture et de plaisirs charnels? Colomb, qui incline volontiers au mysticisme, invite ses compagnons à se mettre à leur tour en état de grâce, par le jell.ne et la chasteté, avant d'aller à la recherche des mines. Son exhortation est peu appréciée. Sur la Terre Ferme, dans l'isthme de Panama, les indigènes lui apportent encore plus de poissons que d'or, mais assurent que chez le cacique voisin le métal est surabondant: il ne s'agit encore que d'un stratagème pour éloigner des visiteurs inquiétants, et en faire cadeau à la tribu ennemie. Mais que Colomb fasse confiance 1A vingt journées de distance, le pays est rempli d'or... D n'empêche que le découvreur n'a pas découvert en vain: il rapporte dans ses vaisseaux - avec du coton, des bois de teinture, des perles, de la nacre -
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la certitude que les Indes 'occidentales peuvent donner de l'or. L'espoir devient une promesse.
Les conquistadors Derrière Colomb, se hâtent les conquérants de l'or. A Hispaniola, une foule d'aventuriers crédules débarquent sans tarder. « Ils se précipitent tous vers les mines, à quelque huit lieues de distance de la côte, raconte Las Casas, qui les accompagne. Les routes en sont couvertes. Ils ont sur leurs épaules un havresac contenant du biscuit et les outils du mineur. Ces hidalgos, ces gentilshommes, n'ayant pas de domestiques à qui confier leur fardeau, le portent euxmêmes. Heureux celui qui a un cheval pour le voyage 1 Il pourrait rapporter une plus grande charge d'or. » Car tous s'imaginent « que l'or se recueille aussi promptement et avec autant de facilité que des fruits se cueillent à l'arbre». Déception: ils s'aperçoivent qu'il leur faut creuser péniblement dans les entrailles de la terre, et que l'or est seulement la suprême récompense de l'effort, de l'expérience, de la sagacité, de la persévérance. La plupart des chercheurs s'en reviennent épuisés, affamés - et sans une once de métal. A cette expédition déconcertante ressembleront beaucoup d'autres ruées vers l'or, aussi ardentes, aussi trompeuses. Dans l'immédiat, le meilleur moyen de se procurer de l'or, ce n'est pas de -le chercher dans le sous-sol, c'est de le prendre déjà extrait, déjà travaillé, à ceux qui le possèdent. Les trésors sont plus accessibles que les gisements, et il est plus simple de tuer, de piller ou de rançonner que de manier le pic. Les mattres conquistadors ne s'en privent pas. Ils s'appellent Balboa, pour l'isthme de Panama, Fernand Cortez pour le Mexique, François Pizarre pour le Pérou, de Soto pour la Floride, Coronado pour
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la Californie, Almagro et Valdivia pour le Chili, Quesada pour la Colombie, Mendoza pour l'Argentine. En quarante ans, pour le compte de l'Espagne et à la poursuite de l'or, ces pionniers découvrent un continent. Mais ils n'ont pas tous la bonne fortune de découvrir du métal. Lorsqu'ils en trouvent, ils sont parfois éberlués de son abondance: à Cortez, Montezuma apparaît, vêtu d'habits d'or, chaussé de sandales d'or. Parvenu à Tenochtitlan, qui sera Mexico, Cortez voit s'élever, au-dessus de tous les temples, celui du dieu de la Guerre, dont l'énorme statue porte colliers et masques d'or. Pizarre, à Cajamarca, trouve l'empereur inca dans un palais flamboyant d'or, auprès d'un temple aux murs plaqués d'or, où les momies des Incas défunts veillent sur des chaises d'or. L'empereur luimême, pectoral d'or sur la poitrine, est assis sur un palanquin d'or et de plumes. A Cuzco, Pizarre et ses compagnons sont éblouis par une ville étincelante . d'or, avec un temple du Soleil fait de quatre édifices d'or et d'argent, au centre duquel rayonne l'image du soleil, en or. Comment la fièvre de l'or ne dévorerait-elle pas tous ces conquérants déguenillés? Donc, avant de songer à exploiter méthodiquement les mines des provinces asservies, ils entendent s'adjuger l'or qui est à portée de leur main. Pour ce faire, ils disposent de .quatre méthodes: l'échange, qui est le procédé le plus conforme aux règles économiques, le cadeau plus ou moins sollicité, qui relève des traditions politiques, le pillage, qui appartient aux usages militaires, la rançon, dont le Moyen Age a fait une pratique courante entre chevaliers. L'échange n'est qu'une formule d'attente, qui suppose des relations encore pacifiques et appelle une contrepartie. C'est par là qu'a commencé Colomb, et que commence Fernand Cortez, lorsqu'il passe un collier de perles parfumées au cou de l'empereur Montezuma, et qu'il accepte de lui une guirlande de
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crevettes et de coquillages en or. Ce genre courtois n'est de mise qu'en lever de rideau. Le cadeau donne assurément les plus grandes satisfactions : celui qui le consent en espère une garantie contre le pillage; celui qui le reçoit voit en lui un premier gage de soumission et une ébauche de rançon. L'équivoque ne dure guère. A Vera Cruz, les indigènes tentent d'amadouer Cortez en lui offrant des bijoux d'or. Il répond en présentant un casque espagnol et en demandant qu'on le remplisse de poudre d'or. Le voilà simplement mis en appétit. A Tenochtitlan, c'est Montezuma lui-même qui prodigue les présents : boucliers, cuirasses et casques décorés d'or, colliers et bracelets d'or, éventails, panaches et cimiers entremêlés de fils d'or et d'argent. « Le premier article à nous être présenté, rapporte un compagnon de Cortez, fut une roue pareille à un soleil, aussi grosse que celle d'une charrette, ornée de maintes sortes de dessins, le tout fait d'or fin, et chose merveilleuse à contempler. Il La circonférence de ce plateau, dit un autre témoin, « avait 30 paumes (soit 30 largeurs de main) et l'on estimait qu'il valait 20000 pesos de oro» (soit 90 kilos). A Panama, un cacique, dont les sujets habitent des huttes de roseau, fait don aux conquistadors, en gage de bonne volonté, de bijoux d'or d'un poids supérieur à 200 kilos. Est-ce le sûr moyen d'avoir la paix? Pizarre, débarquant à Tumbez, recourt à la politique des politesses : il accepte des étoffes rares et des vases d'or. Il se rembarque avec le sourire. Est-il repu, est-il seulement appâté? Fernand de Soto, à Cuzco, trouve le moyen le plus élégant de se voir comblé : il épouse la favorite de l'Inca, d'ailleurs consentante, et qui précisément s'appelle Étoile d'or. En prenant la femme, il prend la dot: encore de l'or.
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Mais les conquistadors s'impatientent : ils ont de plus grandes ambitions. Tous ces trésors qui s'offrent à leurs yeux ne doivent-ils pas passer entre leurs mains? Sans tergiverser, ils pillent. Pressé par ses propres soldats, Cortez exige du chef Cauhtemoc qu'il lui révèle l'emplacement du trésor aztèque. Cauhtemoc refuse de parler, même sous la torture. Cortez donne l'ordre de mettre la ville à sac : ses hommes, fouillant maison par maison, pièce par pièce, font la rafle du métal convoité. Quant au trésor royal, il tombe à son tour en la possession des Espagnols, une fois Montezuma capturé. Trois jours sont nécessaires pour recenser et classer les lingots et les grains, les colliers et les bracelets, les parures en forme d'oiseaux, d'insectes ou de fleurs: de 700 à 900 kilos d'or, dont ne sont conservées intactes que les pièces les plus rares, tout le reste allant à la fonte. Pizarre a moins de scrupules encore : fort de ses mousquets, il donne l'assaut, se saisit de l'Inca Atahualpa, livre sa ville et son camp au pillage. Belle moisson de vaisselle d'or 1 A Cuzco, il fait enlever 700 plaques d'or aux murs du temple du Soleil; mais ses hommes ne réussissent pas à arracher la corniche d'or pur qui entoure le sanctuaire. Ce n'est que partie remise. A Bogota de Colombie, les conquistadors se saisissent pareillement des portes des temples, plaquées d'or et cloutées d'émeraudes. Un peu partout, ils vident les tombes - mais ne les trouvent pas toutes. Reste, suprême recours, le procédé de la rançon. Pizarre réussit un coup de maitre en acceptant l'offre de son prisonnier l'empereur Atahualpa. « Pour prix de ma vie et de ma liberté, dit l'Inca, je fais couvrir d'or toute la surface de la salle qui me sert de prison. » D'abord interloqué, Pizarre exige davantage: «Je veux que tu remplisses toute la pièce. » L'Inca y consent. Il propose en interrogeant : « Jusqu'à la hauteur qu'atteint mon bras levé? 1) L'accord est
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conclu. Pizarre trace une ligne rouge à l'extrémité des doigts d'Atahualpa : il s'agit de remplir d'or (en complétant, s'il y a lieu, avec de l'argent) un volume de 70 mètres cubes : 6,70 mètres et 5,20 mètres à la base, 2 mètres en hauteur. Comme Pizarre ne saurait attendre, l'Inca dépêche ses messagers aux quatre coins de l'Empire, pourtransmettre ses ordres de réquisition. Bientôt, lemétal affiue, les bijoux s'entassent dans la chambre désignée: des feuilles d'or, des épis de maïs en or, des plats dont certains pèsent plus de 10 kilos, des gobelets, des aiguières, des vases, une fontaine d'où jaillit un jet d'or. La pièce est remplie jusqu'à la hauteur convenue, la rançon est payée : 5 tonnes de métal jaune, de 4 à 22 carats. Aucun souverain de l'Ancien Monde n'a jamais possédé un trésor pareil à celui qu'a rassemblé Pizarre, naguère gardien de cochons. Mais si Atahualpa a tenu parole, le Castillan oublie la -sienne : il fait juger, condamner, baptiser, étrangler et finalement brtller le dernier empereur inca, fils du Soleil. Pedro de Valdivia, le conquérant du Chili, le fondateur de Santiago, paiera pour Pizarre. Bien à tort : «La meilleure mine que je connaisse, professe-t-il, c'est le blé, le vin et le bétail. » Mais les farouches Araucans le prennent pour un de ces Espagnols avides, qui ne rêvent qu'à mettre la main sur l'or. Ds se saisissent de lui et le dépècent vivant. Une tenace légende veut qu'il ait expié d'une horrible façon la passion des Blancs pour le métal. Les Araucans lui auraient fait boire de l'or en fusion: « Bois-le jusqu'à en mourir, puisque tu n'as aimé que lui. » Le butin
A qui va le butin'1 En premier lieu, bien so.r, aux conquistadors : on n'es~ jamais si bien servi que par ,JOi-même~ Ds ont d'ailleQ-rs franchi l'Océan pour
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faire fortune, et tout les y autorise, à commencer par un usage millénaire et par les conventions qu'ils ont passées avec le roi d'Espagne. Cortez, à Mexico, mange dans de la vaisselle d'or. Pizarre, sur la vertigineuse rançon d'Atahualpa, se réserve sa part, dans laquelle figure le pectoral d'or de l'empereur. On peut faire confiance aux conquérants : ils ne s'oublient pas. Mais la répartition du butin n'est pas arbitraire. Elle obéit à des règles préétablies, et les notaires royaux qui accompagnent l'expédition peuvent en contrôler l'application. Comme la violence castillane n'exclut ni le formalisme ni les rites paperassiers, des scribes ont mission de dresser des états minutieux, chaque fois que les prises s~mt d'importance. Aux compagnons des conquistadors, les lots sont attribués avec méthode, selon les grades et les mérites. Tant aux officiers, tant aux soldats, tant aux employés 'civils. Toujours lors du partage de la rançon de l'Inca, Fernand de Soto, le second de Pizarre, reçoit la moitié de ce qui revient à son chef, et chaque cavalier touche deux fois et demie plus que chaque fantassin. Il est vrai que, grisés par cette solde extravagante, qui transforme brusquement des va-nu-pieds en nababs, certains de ces élus de la fortune la prodiguent sans tarder: comme ce cavalier de Pizarre, à qui est échu un disque d'or massif représentant le dieu Soleil, qui le joue à quitte ou double, le perd et voit en une nuit s'envoler le trésor qu'il a gagné en un jour. Dans la distribution de l'or, le roi d'Espagne est, comme il se doit, le premier servi. En principe, il a droit au « quint» du métal, c'est-à-dire au cinquième. En fait, sa part est souvent plus grande, parce que les conquistadors tiennent à prouver que leur entreprise est fructueuse, et attendent, de l'éclatante démonstration de leur succès, quelques avantages flatteurs: des titres de duc ou de marquis, des charges
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de gouverneur ou de capitaine général, voire de vice-roi. De toute façon, l'or des rapines n'est pas fait pour rester en Amérique. Les découvreurs l'envoient à leurs familles (et les familles espagnoles sont aussi nombreuses qu'avides), ils se font construire un palais au village natal, ils en font profiter les amis, l'alcade, le curé. Le butin passe du Nouveau Monde à l'Ancien. Quel est, au total, le montant de tous ces rapts? L'évaluation, naturellement, ne peut être qu'approximative, car en dépit des belles statistiques administratives, bien des larcins échappent au recensement. En gros, le butin mexicain peut atteindre 4 tonnes d'or, le butin péruvien 8 tonnes. Ces 12 tonnes, à elles seules, équivalent à tout l'or que l'Espagne a extrait de son sol depuis cinq siècles. Elles représentent près de 20 fois les quantités de métal jaune que le Portugal parvient chaque année à rapporter de ses comptoirs africains, et qui font déjà l'admiration et l'envie de l'Occident. Elles augmentent brusquement le maigre avoir de l'Europe. Les plus belles pièces d'orfèvrerie, les plus beaux bij oux dont se sont saisis les conquistadors vont meubler les demeures princières de l'Empire de Charles Quint. A Bruxelles, en 1520, sont présentés les trésors offerts par Montezuma à ses vainqueurs. « De toute ma vie, dit Albert Dürer, je n'ai rien vu qui me remplisse le cœur de tant de joie. » Mais, plus gourmands de métal que de chefsd' œuvre, les Espagnols fondent en lingots l'essentiel de leurs rapines. Ou bien ils en font des monnaies, ou bien ils s'en servent pour orner leurs monuments. Ainsi Saragosse se targue-t-elle d'avoir pu utiliser le premier or rapporté par Colomb pour dorer les voûtes et les plafonds du salon royal de son grand palais (en remerciement d'un prêt consenti au découvreur par le roi d'Aragon). Ainsi l'église romaine de SainteMarie-Majeure se glorifie-t-elle du plafond de sa nef
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centrale, décoré avec de l'or rapporté par Colomb à son dernier voyage. Cet or-là n'est pas le plus mal placé.
Les mines américaines Détrousser l'Amérique au profit de l'Europe, ce n'est jamais que déplacer de l'or: ce n'est pas en produire. Un butin est raflé une fois pour toutes, et il n'a pas la vertu de se renouveler. Seul, un bel et bon gisement assure des ressources régulières: l'Espagne a soif de mines d'or. A force de les désirer, elle en trouve. Tout cet or qui remplit les trésors du Mexique et du Pérou, il faut bien qu'il sorte de quelque part. Les chercheurs venus de Castille, d'Andalousie, d'Estramadure, ont un flair particulier pour remonter sur ses traces, et découvrir son gîte. Déjà, Colomb a repéré et mis en exploitation, à Hispaniola (Haïti, pour les indigènes), dans le massif du Cibao, quelques mines bientôt épuisées. A mesure qu'ils progressent en Amérique du Sud, les conquérants organisent la quête de l'or dans les gisements alluvionnaires de la Colombie, de l'Équateur, du Venezuela, de la Guyane, puis au Chili. Ils sont comblés : les rivières qui descendent de la cordillère des Andes charrient de l'or en si belle quantité que la récolte, même avec des moyens sommaires, en est facile et profitable. Vers le milieu du XVIe siècle, les mines prennent la relève des placers : la plus importante est celle de Buritica, en Nouvelle-Grenade, qui évacue le métal par le port de Carthagène. Vers 1580, des gisements voisins entrent à leur tour en exploitation. Le Mexique, lui aussi, est riche en or : dans le Sud tropical, abondent les gîtes d'alluvions, qui sont les premiers sollicités. Vers 1540, les Espagnols, ici encore, se tournent vers les gîtes miniers, notamment
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à Tehuantepec. Mais la production décline rapidement, et si les pionniers n'insistent pas, c'est parce qu'au Mexique comme en Bolivie, ils détournent leurs efforts vers les mines d'argent, apparemment plus rémunératrices. La technique des Espagnols n'est pas très différente de celle des Indiens, qui ressemble elle-même à s'y méprendre aux techniques de l'Antiquité. L'orpaillage consiste à laver les alluvions : sur un plan incliné, on répand les sables et les terres aurifères, et l'on verse de l'eau, de telle sorte que l'or, plus lourd, tombe au bas de la « batée»; ou bien, dans un tamis, on agite le minerai d'or. L'affinage consiste à séparer l'or de ses impuretés, par exemple en le fondant avec de l'argent, et en attaquant cet alliage avec de l'acide sulfurique bouillant, qui dissout tout ce qui n'est pas or. L'opération se pratique dans de petits fourneaux percés de trous, à grand renfort de combustible. Une révolution se produit quand se généralise le procédé de l'amalgame au mercure. Il a été employé, dès le xve siècle, par les Vénitiens. Un Allemand l'introduit au Mexique, en 1556. Après 1560, pour l'or comme pour l'argent, la méthode se répand rapidement: dans des patios fermés, le minerai est concassé par des femmes, des vieillards ou sous le sabot des mules, arrosé d'eau, transformé en boue. On ajoute du mercure (importé dt Almaden, en Castille), du sel, du sulfate de cuivre. De la pâte ainsi obtenue, le mercure est aisément chassé par volatilisation. Économie de combustible, économie de temps, possibilité de travailler des minerais à faible teneur : la nouvelle technique n'a que des avantages. Mais, quand elle s'impose, elle stimule plus la production de l'argent que celle de l'or. De toute façon, les placers, les mines et la métallurgie exigent beaucoup de main-d'œuvre. Le temps • n'est plus où les hidalgos tentaient eux-mêmes leur chance, la pioche à la main. Pour une exploitation
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d'envergure, il faut des travailleurs nombreux et qui sachent se plier aux plus dures besognes: creuser la terre, transporter le minerai, broyer les roches, laver les sables, secouer les tamis... Où les trouver? Sur place, il y a les Indiens. Mais si on les mobilise, ils cesseront de cultiver la terre, et les vivres manqueront. D'ailleurs, leur rendement est médiocre : au pays des Incas, par exemple, le régime étatique auquel ils ont été soumis les a habitués à l'indolence et à l'improductivité. Ils résistent mal à la fatigue, moins encore aux épidémies et aux mauvais traitements. Aux Antilles, la population est déportée, décimée. L'Église et les autorités espagnoles interdisent d'abuser de ces malheureux et de les réduire en esclavage. Comme on rappelle à Pizarre ses devoirs d'évangélisateur envers les indigènes, il se récrie en toute ingénuité: « Je ne suis pas venu pour cela, je suis venu pour prendre leur or. » Mais, justement, pour obtenir l'or, il est nécessaire de faire appel aux indigènes, qui dépérissent s'ils sont requis au travail et qui s'enfuient s'ils restent libres de le refuser. Quelquefois, pour les intéresser à la production, on leur offre une part de l'or extrait (le sixième) : ils préfèrent la paresse et la liberté. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le prix des esclaves indiens soit de plus en plus élevé. Pour le Mexique, selon Pierre Vilar, chacun d'eux se paie de 3 à 7 pesos en 1525-1529, mais 50 pesos en 1536. L'exploitation supporte en outre la rémunération du responsable espagnol de chaque équipe (un vingtième de l'or extrait) et celle du majordome qui commande l'ensemble des équipes (un dixième de l'or extrait par son propre groupe). Faute d'Indiens, les Espagnols importent des Noirs, plus robustes, plus résistants. Ils n'ont pas inventé la traite des Nègres : les Arabes la pratiquent depuis longtemps. Mais les Espagnols l'organisent si bien, avec le concours des chefs de tribus
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africains et des trafiquants portugais, anglais ou français, qu'elle va durer plus de trois siècles, et transplanter d'Afrique en Amérique des millions de « pièces d'ébène ». L'or est le grand responsable de cette migration forcée, qui vide un continent sans en remplir un autre : car beaucoup de Noirs succombent durant la traversée (1 sur 4 ou 5), et, comme les femmes sont rares parmi les déportés, la race ne se reproduit guère. Bon an mal an, il arrive aux Amériques quelque 30000 Noirs, quelque 10000 Espagnols, tandis que la population indienne, dans les cent années du XVIe siècle, diminue de moitié. L'or brasse ainsi les races et refait un peuplement.
L'or sur l'Océan S'il est difficile d'extraire l'or des entrailles du Nouveau Monde, il l'est presque autant de le transférer en Espagne. L'Océan, qui vient à peine d'être conquis, reste une voie redoutable pour les frêles navires qui se risquent à l'affronter. Les caraques à trois mâts sont peu maniables. Les caravelles, bonnes pour l'expédition, sont trop légères pour le trafic. Les galions, qui sont de gros cargos à voile, ronds et renflés, paraissent les mieux adaptés au transport des marchandises sur l'Atlantique, mais ils restent à la merci des vents et des vagues. Les marins affrontent mieux les dangers si leurs bâtiments sont formés en convois. Pour évacuer l'or américain, les galions sont donc groupés pour former les Flottes de l'or, qui, deux fois par an, relient l'Amérique à Séville. Leurs organisateurs prennent d'ailleurs modèle sur les Flottes de la laine, qui, à l'instigation de l'association des éleveurs de moutons, transportent les laines ibériques de la côte septentrionale de l'Espagne aux ports français, flamands et anglais. La différence est qu'au lieu de caboter au
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long du golfe de Gascogne et sur la Manche, il faut franchir l'Océan. Les Flottes de l'or requièrent une préparation minutieuse, et d'abord un financement. Le plus souvent, note Pierre Vilar, si le patron est andalou, et si le « facteur», c'est-à-dire le marchand qui prend le risque d'aller aux Amériques, est castillan, le fournisseur de capitaux est Génois : il s'appelle Centurione, Spinola, Doria... Il prend des « parts» de navire, qui peuvent, au retour de la flotte, lui rapporter de plantureux dividendes, mais qui peuvent a ussi sombrer dans l' Atlantique, avec les galions,' corps et biens. Une première Flotte part de Vera Cruz, lestée de l'or mexicain. Une deuxième part de Panama, où elle prend en charge le métal péruvien, acheminé par le Pacifique, puis, à dos de mulets, à travers l'isthme américain; d'autres navires de cette deuxième Flotte embarquent à Carthagène l'or de Colombie et du Venezuela. Réunis, les galions venus de Panama et de Carthagène font voile vers Cuba, se regroupent avec ceux qui ont appareillé de Vera Cruz, pour mettre ensemble le cap sur l'Europe, par les Canaries. Les cargaisons sont débarquées à Séville, sur les quais du Guadalquivir. Mais les Flottes ne repartent pas à vide: elles ont mission de ravitailler l'Amérique, ce qui n'est pas une petite affaire. Là-bas, les colons manquent de tout - de vivres, de vêtements, de produits manufacturés. A leur intention, les galions sont chargés de farine et de miel, de biscuits et de vin, de serges et de velours, de chemises et de chapeaux, pour les indigènes de verroteries et de colifichets, et, pour les mines, de mercure. Les Flottes repartent à destination de Carthagène et de Vera Cruz : aller et retour, si tout va bien, le voyage prend huit mois. A Séville, les bateaux s'amarrent au pied de la Tour de l'Or (Torre de Oro). Ils sont plus de 100,
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chaque année, qui partent pour l'Amérique ou en reviennent, et les quais ne cessent pas de grouiller d'une foule bruyante et colorée, toujours curieuse d'entrevoir les caisses chargées des lingots d'or. La Maison du Commerce (Casa de Contrataciôn) veille sur le trafic: elle le stimule, le protège et le contrôle: son facteur (factor) organise l'approvisionnement des Indes d'Occident; son trésorier reçoit le métal précieux, le pèse, l'entrepose, le met sous clé, non sans prélever le quint du roi, les taxes d'importation, les redevances pour frais de convoiement; son compteur ( conlador) recense le mouvement des hommes et des marchandises. La Maison a son bureau hydrographique pour l'étude des cartes, son école de mer pour la formation des pilotes, sa section judiciaire pour trancher les litiges commerciaux. Organisme d'État, dans un port qui jouit du monopole du trafic avec le Nouveau Monde, la Maison de Commerce ne fait cependant qu'encadrer l'initiative, privée : négociants et armateurs nouent librement des contrats, souvent sur les marches de la cathédrale, discutent des prix, embauchent les matelots, préparent les expéditions. Capitalisme sous tutelle royale. Les Flottes de l'or et la Maison de Commerce sont conçues pour limiter les fraudes, sans parvenir à les empêcher. Malgré les registres et les statistiques, les fuites sont nombreuses, depuis les lieux de production, où s'exercent les larcins des mineurs, jusqu'à l'arrivée à Séville, où l'on triche sur la quantité, la teneur et la valeur du métal, avec la complicité des agents de la Casa. Entre-temps, on fait appel à la contrebande, en déchargeant en mer une partie de la cargaison, ou bien en détournant des bateaux sûr les Açores, Madère et Lisbonne, au profit du Portugal. En vain, l'Espagne multiplie-t-elle les fonctionnaires de surveillance, exige-t-elle des serments, prescrit-elle l'inventaire des chargements. Les frau-
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deurs sont malins : ils mettent à profit une rencontre avec des pêcheurs, une escale de ravitaillement, ils vont jusqu'à feindre des sinistres en mer, et à corrompre les officiers du contrôle. Par toutes ces voies, l'Espagne perd peut-être le quart ou le tiers de l'or qui devrait lui parvenir. Mais elle subit un autre dommage, et voit lui échapper une autre fraction de son trésor, par le fait des corsaires étrangers. Quelle tentation que ces navires chargés d'or, proie désignée pour les pirates de la mer 1 Les Barbaresques, et aussi bien les gouvernements européens jaloux de l'opulence espagnole arment des navires pour la course, avec mission expresse de s'emparer du métal: pour la France et l'Angleterre, les mines d'or voguent sur l'Océan. A côté des flibustiers qui agissent en francs-tireurs pour leur propre compte (en fixant leur quartier général à l'fie de la Tortue), les corsaires officiels et brevetés guettent les galions d'Espagne. Certains de leurs exploits sont fameux. Christophe Colomb, au retour de son troisième voyage, a déjà failli être arraisonné au large du cap Saint-Vincent. Le trésor de Montezuma, que Fernand Cortez expédie sur trois caravelles, est intercepté par le Florentin Verrazano, pour le compte du roi de France, et François 1er reçoit ce qui devait revenir à Charles Quint. Le San Felipe, qui appartient personnellement au roi d'Espagne et lui apporte 400000 ducats d'or destinés à la couronne, est capturé par sir Francis Drake, et conduit à Plymouth, pour le plaisir de la reine Élisabeth. Le même Drake, à bord du Golden Hind (la Biche d'Or), réussit même des opérations de u commando» en Amérique, en débarquant à La Havane, à Vera Cruz, à Lima, et en raflant tout le métal qu'il y trouve; une autre fois, il s'en prend à Vigo, à Saint-Domingue et à Carthagène. Walter Raleigh, autre chevalier de la course, opère de même au Venezuela, puis en rade de Cadix. C'est une façon
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comme une autre de redistribuer l'or américain. L'Espagne ne se laisse pas dévaliser sans réagir: soucieuse d'éloigner ses navires des côtes du Portugal, elle a préféré Séville à Cadix pour le débarquement du métal; afin de déjouer les attaques des corsaires, et aussi pour surveiller ses propres navires, elle a mis les Flottes de l'or sous la protection de bâtiments de guerre. Le malheur est que ces bâtiments servent eux-mêmes parfois à la contrebande. Il ne faut pourtant pas exagérer les détournements des fraudeurs et corsaires. Pour l'essentiel, les circuits officiels sont respectés. La fraude et la course n'ont qu'une action marginale. L'or américain prend bien le chemin des coffres espagnols.
Les chimères Comme si tout cet or ne suffisait pas, les esprits enflammés en imaginent de surcroît. Déjà, c'est à la poursuite de mirages que le Nouveau Monde a été découvert: le Grand Khan, le Prêtre Jean, l'Atlantide, Cipango... On allait chercher les Indes, on a rencontré l'Amérique. On rêvait de montagnes d'or, on en a presque trouvé. Mais dans ce continent tout neuf, dont on ne connaît guère que la frange, n'existet-il pas, le royaume fabuleux où les maisons ont des toits d'or, où les rues sont pavées d'or, et dont le roi lui-même, fils du Soleil, a le corps enduit de poudre d'or: le roi doré, el dorado? Les conquérants sont à l'affftt des légendes, qu'ils prennent pour des informations: l'une d'elles assure qu'un éclair a détaché de la cordillère des Andes une énorme masse d'or vierge; une autre fait état d'un poisson d'or plus gros qu'un bras d'homme, d'une chaîne d'or si pesante qu'il faut se mettre à deux cents pour la porter. Tous ces trésors se situent nécessairement dans une province mythique~ où doit couler la fontaine de Jouvence, à côté du paradis terrestre.
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Où est le roi doré? Les aventuriers ne se contentent pas de rêver à l'Eldorado, ils se lancent à sa recherche. Première tentative : Pizarre franchit les Andes, lance son lieutenant Orellana sur l'autre versant. Orellana aperçoit des femmes chevelues qui tirent à l'arc. Ne sont-elles pas les Amazones dont ont parlé les Grecs? Il appelle Amazone le fleuve dont il descend le cours. Mais il ne trouve pas l'Eldorado. Deuxième tentative, en partant cette fois de la côte atlantique et en remontant l'Orénoque. On ne rencontre qu'une jungle hostile. De nouvelles expéditions, dans le même secteur, ne sont pas plus heureuses. Jimenèz de Quesada remonte le fleuve Magdalena, parvient au pays des Chibchas, le conquiert, y ramasse un immense butin d'or et d'émeraudes. A défaut du roi doré, voilà au moins de l'or. Si ce n'est pas l'Eldorado, c'en "est peut-être le seuil. Sur son chemin, Quesada a fait la rencontre d'un officier allemand, Nicolas Federmann. Que vient faire cet étranger sur les chasses gardées du roi d'Espagne? Mais le roi d'Espagne est aussi l'empereur germanique: Charles Quint a donné licence d'explorer et d'exploiter le pays de Maracaïbo à des Allemands que commanditent les Welser, grands maîtres de la banque. Avec l'entrée en scène des banquiers d'Augsbourg, la finance et la chimère font un mariage inattendu: à la recherche de l'Eldorado, s'intéressent cette fois, non plus des coureurs d'aventures, mais des bailleurs de fonds. Pour les Welser, l'Eldorado est une affaire. Ils ont un comptoir à Séville, un autre à SaintDomingue, ils sont créanciers de l'empereur et du roi de France. Ils veulent inscrire l'Eldorado à l'actif de leur bilan. Trop tard 1 Quesada a précédé Federmann, et le désintéresse en lui versant 10000 pesos d'or. Les WeJser renoncent à l'entreprise américaine, et l'on ne sait pas au juste si elle leur a coûté ou si elle leur
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a rapporté. Mais leur seule participation accrédite le rêve. On recherche encore le pays de féerie en Colombie, puis en Guyane .. Sir Walter Raleigh, gentilhomme poète à la mesure des pièces de Shakespeare, parcourt la région de l'Orénoque, et revient en décrivant avec force détails fantastiques « le large, riche et bel empire de Guyane n, Manoa, « la grande cité dorée n, les montagnes d'or et de perles de cette merveilleuse province. Si les poètes, aprè:; les financiers, entretiennent ainsi les illusions, comment les imaginations ne s'enflammeraient-elles pas? Longtemps encore, les hommes partiront en quête de l'insaisissable Eldorado. Autre chimère: les îles d'Or. Elles doivent être, dans l'Océan, ce que serait l'Eldorado sur la terre ferme. Isidore de Séville a parlé d'une île d'or pur, habitée par des griffons et des dragons, quelque part sur l'océan Indien: version renouvelée du mythe de Cipango. Qui abordera aux rivages de l'île fortunée? Diego Pacheco la cherche du côté des îles de la Sonde (1519), et ne revient pas de l'expédition. Trois navires de flibustiers dieppois tentent leur chance : on raconte que l'un d'eux parvient à l'île d'Or, emplit ses cales de métal précieux, mais sombre dans les parages de Sumatra, et que seul un homme, échappant au naufrage, peut témoigner du prodige, sans être en mesure de le situer (1527). L'Espagnol Saavedra touche une île qu'il appelle isla de Oro (1528) : ce ne serait que la Nouvelle-G,uinée. Peut-être cherche-t-on l'île (ou les îles) d'Or là où elles ne sont pas? Peut-être sont-elles, non pas dans l'océan Indien, mais dans le Pacifique? Les Hollandais, dans l'espoir de mettre enfin le pied sur elles, parcourent les mers au nord et à l'est du Japon (1639) : De Vries bourlingue entre Hokaïdo et les Sakhalin, puis dans la dir~ction de Hawaï. Pas d'île d'Or 1 Parti du Pérou, l'Espagnol Alvaro
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de Mendana de Neira cingle vers l'Asie: il tombe sur un archipel apparemment mieux pourvu en noix de coco et en perroquets qu'en métal; mais, comme il rêve d'Ophir et des mines du roi Salomon, il le nomme archipel des Salomon, sans pour autant y trouver de l'or (1567); d'ailleurs, à son retour, le rapport du pilote est gardé si bien secret que la route des îles nouvelles est perdue pour deux siècles. Où est l'île d'Or? Est-ce Bornéo, les Philippines? N'est-ce pas plutôt Madagascar, qui ne manque pas d'alluvions aurifères? Les déceptions succèdent aux illusions, le mythe s'estompe : l'île d'Or rejoint au magasin des fables Ophir, l'Eldorado et la pierre philosophale. Mais l'or n'a pas en vain soulevé les passions. C'est pour lui qu'ont été découvertes des provinces et sillonnées des mers, c'est par lui que l'homme apprend à connaître son domaine.
Une pluie d'or Absent peut-être des pays de Cocagne, l'or est présent en Amérique et, butin d'abord, produit des mines ensuite, il déferle sur l'Espagne. Le butin, on l'a dit, représente quelque 12 tonnes d'or. Son irruption dans la péninsule est brutale et frappe l'opinion. L'arrivée ultérieure et échelonnée de l'or extrait des mines relance et p~olonge l'impact: l'Amérique produit quelque 330 tonnes d'or au XVIe siècle; compte tenu de ce qui reste au Nouveau Monde et de ce que détournent les corsaires, l'Espagne doit en recevoir environ 200 tonnes. Si l'on fait encore la part de la fraude, les statistiques officielles font état, pour le siècle, d'un peu plus de 150 tonnes d'arrivages: une tonne et demie par an. Le mouvement n'est pas régulier: toujours selon les décomptes de la Casa de Contratacion, repris par Hamilton, on passe de 50 kilos annuels dans la première décennie du siècle, à 90 dans la deuxième,
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on revient au-dessous de 50 dans la troisième (peutêtre parce que les contrebandiers s'organisent), on remonte à 140 dans la quatrième (peut-être grâce aux parades contre la fraude), on atteint à près de 430 dans la sixième (avec les apports des gisemnets de Buritica) pour maintenir ensuite, jusqu'à la fin du siècle, un rythme d'arrivages de 100 à 200 kilos. L'Espagne n'en a jamais tant vu, même lorsqu'elle était, au temps de l'Empire romain, le premier producteur d'or du monde. Tout l'Occident européen (Espagne, Portugal, Italie, France, Angleterre), de l'an 1000 à l'an 1500, a produit à peine plus du dixième de ce que reçoit la seule Espagne de 1500 à 1600. A qui va cet or? Pour le cinquième en principe, un peu plus en fait, au roi: le métal renfloue les finances publiques, permet au souverain d'acquitter ses dettes intérieures envers les nobles, les prélats, les banquiers des foires, les fournisseurs de tous genres, et ses dettes extérieures, envers ses prêteurs génois, allemands et flamands. TI est vrai que, lorsque l'Italie, le Saint Empire et les Flandres sont unis sous la même couronne, l'extérieur se confond avec l'intérieur. TI est vrai aussi que, mettant par avance en gage l'or américain, les rois d'Espagne contractent des obligations grandissantes, et que leurs besoins dépassent leurs moyens. Pour le reste, qui est l'essentiel, l'or va à des particuliers : soit aux pionniers de la colonisation, soit à leurs commanditaires, soit aux négociants, importateurs de lingots, exportateurs de marchandises à destination de l'Amérique. TI se diffuse vite à travers le pays, pour régler biens et services. Mais il ne reste guère en Espagne. La France limitrophe et, derrière elle, toute l'Europe en reçoivent leur large part : directement, du fait des rafles des corsaires, et, après transit par l'Espagne, du fait des paiements espagnols à l'étranger. Tous les habitants de la péninsule,
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en effet, grisés par l'affiux du métal et l'augmentation de leur pouvoir d'achat, sont saisis d'un grand appétit de consommation. Ils dépensent en prodigues, pour . manger, pour boire, pour se vêtir, pour bâtir : ils veulent des mets de choix, des habits de soie, des meubles rares, de riches demeures. De l'étranger, ils font venir toiles, draps, teintures, livres, papier, articles de menuiserie et, dira Jean Bodin, « tous les ouvrages de main» : disons les produits manufacturés, ceux qui incorporent du travail et qu'on paie cher. . Ils importent le luxe et le superflu, les verreries et les jeux de cartes, les soieries et les armes. Pour se faire servir, ils font venir de France des domestiques en grand nombre. Pour suppléer aux vides que laissent les colons partis pour l'Amérique, ils font appel à des Auvergnats ou des Limousins qu'appâtent les hauts salaires, et qui s'embauchent en Navarre, en Aragon, en Castille, comme charretiers, vendangeurs, maçons, charpentiers, artisans. Ces immigrants travaillent ferme, dépensent peu et rapatrient leurs gains. Pour soutenir leur train de vie, les Espagnols s'endettent, font appel à Gênes et à Anvers et doivent en fin de compte rembourser plus qu'ils n'ont emprunté. Par toutes ces voies, le déficit de la balance espagnole des paiements grandit, l'or s'évade. L'élection de Charles Quint au Saint Empire (1519) illustre cette munificence: le problème est d'acheter les sept électeurs. François 1er, l'autre candidat, paie comptant. Plus astucieux, Charles paie avec des traites remboursables en cas de succès : 850 000 florins de lettres de change, mobilisées par les Fugger. Le crédit, notera Pierre Gaxotte, l'emporte sur le comptant. Charles est élu à l'unanimité. Mais il lui reste à payer. Un flot d'or, dira Jean Descola, s'écoule vers le port de La Corogne, où le roi-empereur s'embarque, entouré de sa cour flamande, pour aller recevoir l'épée de Charlemagne. Sans doute, dix ans plus tard, c'est au tour de la
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France de livrer une énorme quantité d'or (plus de 10 tonnes) pour régler à Charles Quint la rançon de François 1er • Mais l'Espagne, ainsi renflouée, n'en achète que plus de produits français, et la balance commerciale a tôt fait de compenser l'opération. Quand l'or circule ainsi dans la péninsule pour les gros règlements, au service du roi ou pour le compte des particuliers, il chemine en longs convois, formés de mules ou de chariots. Il va de Séville aux foires (Medina deI Campo), aux ports cantabriques (Laredo) ou aux ports méditerranéens (Barcelone,Valence... ). Il prend la direction de La Rochelle ou d'Anvers, de Gênes ou de Livourne. Sans doute le gouvernement espagnol cherche-t-il à le retenir, en interdisant l'exportation du métal, en lingots ou en pièces. Mais cet embargo, comme tous les embargos, n'est guère efficace, et c'est un jeu pour les contrebandiers que d'exporter de l'or dans des barils de vin, ou pour les spéculateurs de pratiquer de fructueuses compensations. La pluie d'or, après avoir arrosé l'Espagne, est irrésistiblement poussée par les vents vers tout le continent. Inflation métallique Ce phénomène d'enflure des moyens de paiement s'appelle l'inflation. Il n'est pas encore compris ni analysé, il n'a pas encore de nom. Mais il n'en a pas besoin pour se manifester, comme il l'a déjà fait, à une moindre échelle, quand Alexandre le Grand a répandu sur le bassin méditerranéen les trésors des rois de Perse. L'or américain n'est d'ailleurs pas seul en cause. D'autres apports viennent gonfler le fleuve d'or, en provenance des mines européennes qui se réveillent et de l'Afrique soigneusement ratissée par les Portugais. Pour le XVIe siècle, aux 330 tonnes produites par l'Amérique, s'ajoutent 180 tonnes produites par
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Histoire de l'or
l'Europe, 125 produites par l'Asie, 265 produites par l'Afrique. Total : 900 tonnes. Tout cet or, assurément, ne parvient pas jusqu'à l'Europe. Elle doit en recevoir les deux tiers: 600 tonnes. Certains auteurs vont jusqu'à 700 (Quiring) et 750 (Nitsche). De toute façon, la masse monétaire dont disposent les Européens augmente prodigieusement. L'inflation, c'est aussi et surtout la montée des prix. Si les moyens de paiement augmentent plus que la masse des biens disponibles, les prix sont mécaniquement sollicités à la hausse. Si les consommateurs constatent cette hausse, s'ils en craignent le renouvellement, ils tendent à presser leurs achats, et des raisons psychologiques de hausse s'ajoutent aux raisons techniques. Le mouvement commence en Amérique même, où les pionniers ont des disponibilités en métal et où les marchandises sont rares. Pierre Vilar souligne l'enchérissement des chausses de drap, des capes, des chevaux, des bocaux de vin : 1 000 ducats la cape, 4 ou 5 000 le bon cheval. En Espagne, la hausse naît à Séville. En Andalousie, les prix montent de 80 % dans les trente premières années du siècle. On note des bonds spectaculaires sur les biscuits de marine, très demandés pour l'Amérique. Rapidement, l'impulsion se propage à travers tout le pays, gagne la Castille, puis la Catalogne et l'Aragon. Pour l'ensemble de l'Espagne, de 1500 à 1600, la moyenne des prix triple: ce triplement ne demande que trente années pour le blé, l'huile, le vin. En France, la contagion est rapide. Perceptible dès les premières années du siècle, elle se répand d'autant mieux que les possessions espagnoles se situent à tous les points de l'horizon: l'or et la hausse filtrent par les Pyrénées, par les ports atlantiques, mais aussi par la Bourgogne et les Flandres. A Paris, de 1520 à 1600, le setier de froment passe de 3 livres à 8 : il a presque été multiplié par 3. A Montpellier, le
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prix du pain est multiplié par 3,5. En Poitou, le mouton est multiplié par 7, le bœuf par 9. Dans ces majorations, il faut assurément faire la part des vicissitudes monétaires et des caprices du ravitaillement. Les prix du setier de blé pendant le siège de Paris (40 livres en 1590) sont évidemment aberrants. n reste que l'abondance des signes monétaires appelle irrésistiblement les prix à la hausse. « Notre or est tout en emploi et en commerce», remarque Montaigne. n en résulte cet « étrange enchérissement que nous voyons de toutes choses», dont s'étonne le conseiller de Malestroict. La tendance est la même en Angleterre, en Allemagne (où Charles Quint est chez lui), en Suisse, en Italie. Dans ce dernier pays, l'élan part de Gênes. En Toscane, la hausse se précipite au milieu du siècle, pour dépasser 5 % par an. A Rome, la moyenne des prix triple en cent ans, le blé quadruple. L'afflux de l'or n'est au reste' que l'un des responsables de l'inflation: l'afflux de l'argent joue dans le même sens, et avec plus de force encore après la découverte des min~s mexicaines et péruviennes (1545), et l'introduction du procédé de l'amalgame au mercure (vers 1562). La production américaine d'argent, nulle au début du siècle, ne cesse de grandir. Dès 1560, en valeur, elle approche de la production d'or. A la fin du siècle, elle est 10 fois supérieure. «Le Pérou >l, pour les Européens, est le symbole même de la fortune. Ce déferlement du métal blanc est d'autant plus significatif que la plupart des systèmes monétaires lui font alors la plus grande place et que tous les paiements de moyenne importance s'effectuent, non pas en or, mais en argent. Du fait de cette surabondance de l'argent, le rapport de valeur entre les deux métaux se modifie. Avant la découverte de l'Amérique, l'or, à poids égal, valait 9 à 11 fois l'argent. Cent ans plustard,illevaut
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Histoire de l'or
de 12 à 13 fois. Dans le même moment, le rapport reste voisin de 10 au Japon, de 6 en Chine. C'est dire qu'il est alors profitable d'exporter de l'argent vers l'Asie, et d'en rapporter de l'or: les Portugais sont maîtres dans ces arbitrages. Le siècle de l'inflation est aussi celui de la spéculation. Renaissance et Réforme, filles de l'inflation
Ceux des historiens qui ramènent toute la démarche de Clio aux seules fatalités économiques et sociales, sont gênés par ce fait de hasard qu'est la découverte de l'Amérique, et par ses conséquences. Ils s'évertuent à minimiser son influence, et à démontrer que la hausse des prix et la reprise des affaires étaient déjà amorcées avant Colomb. Ils n'ont pas tout à fait tort: nous avons eu l'occasion d'exposer le réveil d'une certaine activité dès la fin du xve siècle. Mais c'est se donner bien du mal pour un mince résultat: de toute certitude, le métal américain joue dans l'essor du XVIe siècle un rôle indéniable et primordial. La fièvre se déclare sur les quais mêmes de Séville, autour des navires en partance et en déchargement, elle monte sur les chantiers navals, notamment à Cadix. Elle gagne les foires, les transports, le commerce, le crédit. On consomme de nouvelles denrées, on modifie le décor de la vie quotidienne. Les Bourses prospèrent de Lyon à Hambourg et Anvers, de Londres à Amsterdam. Les Fugger d'Augsbourg, qui passent pour posséder 100000 florins d'or en 1500, en ont 5 millions en 1597. Les Welser, qu'on a vu coloniser au Venezuela, tentent de rivaliser avec eux. Les Hochstetter, qui sont un moment les rois du mercure, essaiment à Anvers et à Londres. L'axe du trafic international se déplace de la Méditerranée à l'Atlantique, au profit de Lisbonne, de Bayonne, de Nantes, de Rouen, de Bristol. L'agriculture est stimulée par la hausse des prix :
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on plante des vignes, des oliviers. L'industrie profite de l'élargissement des débouchés : Grenade vend ses soieries, Tolède ses cuirs, Florence ses draps. Le luxe déferle, avec l'or comme premier symbole, depuis le camp du Drap d'or, où François 1er veut éblouir Charles Quint (1520), jusqu'à la réception du duc d'Alençon par la reine Élisabeth, pour laquelle tous les magasins sont vidés de leurs réserves de tissus d'or et d'argent (1581). Dans les belles demeures, les dorures font étinceler les boiseries des murs et les caissons des plafonds. L'orfèvrerie est en plein renouveau: à l'école des Italiens, les maîtres joailliers enfantent des chefsd'œuvre avec des pendentifs, des bagues, des broches à chapeau. En Allemagne, ils mettent à la mode les grosses chaînes d'or, et il arrive qu'on en retire un maillon pour régler l'aubergiste. Venise triomphe dans les colliers à filigrane. En Angleterre, les courtisans ne dédaignent pas de porter un bijou à l'oreille, une bague à chaque doigt. En France, le roi François 1er, qui offre son buste en or à la Sainte Chapelle, lance les bijoux d'or émaillés, ornés de poissons, de dauphins ou de sirènes. Si Louis XII interdit de fabriquer de la vaisselle d'or, si François 1er doit faire fondre la sienne pour payer sa rançon, l'austérité ne dure guère. Le siècle est plus propice aux somptuosités qu'aux restrictions. Le plus fameux des orfèvres du temps est un Florentin : Benvenuto Cellini, qui travaille pour le pape, le duc de Florence et le roi de France. La plus célèbre de ses œuvres est la salière que lui commande François 1er et qui échoit en 1570 à l'archiduc Ferdinand d'Autriche, à l'occasion du mariage de sa nièce avec Charles IX : entièrement ciselée, elle représente Neptune, le trident à la main, auprès d'une nef destinée à contenir le sel, et Cérès, tenant une corne d'abondance auprès d'un petit temple ionique destiné à accueillir le poivre. Quand Cellini dévoile pour la
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première fois cette pièce délicate, François 1er ne peut retenir un cri d'étonnement. Les orfèvres, puisqu'ils ont pour matière première le roi des métaux, comptent parmi les rois de la société. En Angleterre, ils font office de banquiers et ils obtiendront le contrôle du marché de l'or. A Paris comme à Venise, le corps des orfèvres compte parmi les corps privilégiés dans les cérémonies. Toutes les cours d'Europe disposent d'un orfèvre attitré, artiste toujours, financier parfois. Mais le luxe, comme l'or, est réservé aux grands de ce monde. Comment, en ce XVIe siècle tumultueux, se comportent les moins grands et les humbles? De l'explosion économique et financière, quelles sont les conséquences sociales? Selon l'habitude, l'inflation bouleverse les conditions. Sont gagnants les anciens débiteurs, à savoir les paysans, et les détenteurs de revenus variables, qui sont les marchands, les banquiers, les usuriers. Sont perdants les créanciers, les détenteurs de revenus fixes, c'est-à-dire les propriétaires fonciers, les nobles: hidalgos d'Espagne,squires d'Angleterre, seigneurs de France. Le cas des salariés pose un problème: normalement, quand les prix montent trop vite, les salaires ne suivent qu'avec retard, et les travailleurs pâtissent de l'inflation. Ce doit être vrai pour l'ensemble de l'Europe. Mais en Espagne, durant tout le siècle, les salaires montent autant que les prix (en triplant eux aussi), et l'avantage est parfois en leur faveur. Ce phénomène s'explique par la raréfaction de la maind' œuvre : Andalous et Castillans sont partis chercher fortune aux Amériques. Limousins et Auvergnats ne les ont partiellement remplacés que sur la promesse de salaires élevés. A la révolution économique et sociale répond une révolution spirituelle : s'il est simpliste de dire que l'or américain et l'inflation engendrent la Réforme, il faut convenir qu'ils n'y sont pas étrangers, là où
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précisément ils bouleversent les rapports humains. Restent catholiques ceux que l'inflation a servis: les paysans, les marchands - et toute l'Espagne en général. Passent au camp de ceux qui « protestent» les victimes de l'inflation: hors d'Espagne, les salariés, les propriétaires, les féodaux. Bien sûr, la Réforme procède d'autres causes. Mais dans la mesure où elle est due à un élargissement de l'horizon, aux questions que pose l'apparition de peuples nouveaux, c'est encore la découverte de l'Amérique qui est en jeu. Si l'on discute davantage, c'est parce qu'on lit plus. Si on lit plus, c'est parce qu'on dispose maintenant de textes imprimés, à commencer par la Bible. Mais si ces livres se diffusent, l'augmentation du pouvoir d'achat en est responsable, et l'or n'y est pas étranger. A lui seul, il n'a pas fait la Renaissance et la Réforme. Il n'a pas, à lui seul, fait Charles Quint et Luther, Érasme et Copernic, Dürer et Vinci. Mais il y a contribué.
Trois siècles de production d'or A dater de Christophe Colomb, les statistiques de la production de l'or se font moins hypothétiques que les hasardeuses supputations relatives aux siècles et aux millénaires antérieurs. Elles demeurent cependant incertaines et l'on ne saurait s'y fier aveuglément. Si elles cherchent à tenir compte des fuites et des fraudes, elles laissent encore place à l'erreur. Après John White, Gallatin et Michel Chevalier, l'Allemand Adolf Soetbeer a publié des évaluations consciencieuses, parfois un peu excessives (1879). Elles ont été reprises et complétées par le géologue allemand Heinrich Quiring (1948), dont nous retiendrons, pour l'ensemble. les conclusions, probablement discutables elles aussi. Commençons par le XVIe siècle, qui suit l'entrée en
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PRODUCTION D'OR DES XVIe, XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES. XVIe
XVIIe
XVJII8
En tonnes
14931600
16011700
17011800
Nubie-Soudan. :';;thiopie-SomaUé. : Sofala-Rhodésie . Guinée .. Sierra Leone Côte-de-l'Or. Madagascar. Divers.
.
20 40 2 37 7 150 4 5
20 40 2 30 4 110 4 4
20 40 2 45 4 118 4 4
60 120 6 112 15 378 12 13
AFRIQUE.
265
214
237
716
4 80 56 17 27
-
6 60 40 4 3 10
6 66 40 5 2 14
16 206 136 26 32 24
184
123
133
440
21 20 44 31 7 2
35 20 44 60 6 2
40 20 55 40 5 1
96 60 143 131 18 5
ASIE.
125
167
161
453
Colombie-:';;quateur. Pérou . . . . . . Bolivie. Chili. Brésil •• Am. centrale Mexique . • :';;tats-Unis .
140 23 56 48 39 24
356 50 104 35 19 2 38
476 55 72 86 840 2 91 1
972 128 232 169 859 43 153 1
AMÉRIQUE
330
604
1623
2557
TERRE.
904
1108
2154
4166
Espagne-Portugal Carpathes sept. . Carpathes mérid.. • Alpes orient.-Bohême. Allemagne . Divers •
.
EUROPE Afghanistan-Turkes- • tan. Inde-Indochine . Chine-Tibet-Corée . Japon . . . . . . Philippines-Sonde . Arabie.
..... .
.
,
-
-
-
Total 3 siècles
• Dont Italie-Balkans-Grande-Bretagne-Russie. Tableau précédent (Temps barbares et Moyen-Age)... Page 69. - Tableau suivant (XIX8 siècle)... Page 239. (D'après Heinrich Quiring: Geschichl.e des Goldes.)
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177
scène du Nouveau Monde: la production d'or de la planète serait de l'ordre de 900 tonnes, dont plus du tiers (330) pour l'Amérique - Colombie largement en tête. Suivent dans l'ordre, les productions de l'Afrique (265) - essentiellement de la Côte-de-l'Or, au profit des Portugais -, de l'Europe (184) - tout particulièrement des Carpathes et d'Allemagne -, enfin la production éparpillée de l'Asie (125). Sur ces bases, la production annuelle moyenne pour l'ensemble du siècle, atteindrait 9 tonnes. Le chiffre est sans doute un peu élevé. D'autres commentateurs opinent pour quelque 7 tonnes par an. De toute façon, la production annuelle d'or est très supérieure à celle des siècles précédents : 2,4 tonnes pour les temps barbares et le Moyen Age, 2 tonnes pour le temps de l'Empire romain. Sortant de la grande pénurie, le monde dispose subitement d'un apport de métal jaune 3 ou 4 fois plus important. Si, tout au long du XVIe siècle, la production d'or reste relativement constante - avec un maximum entre 1549 et 1560 -, il faut rappeler ici que, surpassant la production d'argent durant la première moitié du siècle, elle est éclipsée par elle pendant la seconde moitié. Au XVIIe siècle, on assiste à deux phénomènes apparemment contradictoires: l'augmentation de la production d'or, et la pénurie du métal. Les progrès de la production sont d'ailleurs modérés: 1 108 tonnes au total, contre 904, l'augmentation n'étant très sensible qu'en Amérique (604 tonnes, dont la seule Colombie fournit plus de la moitié). L'Asie produit elle aussi davantage (167 tonnes, avec une avance appréciable du Japon, dont les techniques se font moins primitives). L'Afrique et l'Europe déclinent. Moyenne annuelle: 11 tonnes, un peu améliorée en fin de siècle. Mais, en regard de cette extraction accrue seulement de 20 %, en regard aussi d'une production
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Histoire de ['or
d'argent stagnante, les besoins de l'économie sont grandissants. Depuis la Renaissance, la terre s'est peuplée, la consommation s'est développée, si bien que la masse monétaire, même gonflée par les apports américains, ne répond plus aux exigences nouvelles. Tout l'Occident se plaint de manquer de moyens de paiement. La disette monétaire· freine l'expansion : siècle de déflation, diront les historiens. Le XVIIIe siècle, au contraire, bénéficie d'un afflux nouveau de métal: la production d'or double presque par rapport au siècle précédent (2 154 tonnes), non pas du fait de l'Asie, ni de l'Afrique, ni de l'Europe, qui se maintiennent tout juste aux niveaux antérieurs mais encore par la grâce de l'Amérique, qui fait beaucoup plus que doubler son apport (1 623 tonnes) et produit, non plus le tiers, mais les trois quarts de tout l'or extrait dans le monde. Moyenne annuelle pour la planète : 21 tonnes. En Amérique, en effet, tandis que la Colombie augmente encore sa production (470 tonnes durant le siècle, 476 avec l'Equateur), tandis que le Mexique progresse largement (91 tonnes), un partenaire surgit, qu'on n'attendait pas: le Brésil. Brusquement, avec une production de 840 tonnes, il devient le premier fournisseur d'or de la planète. Jamais jusqu'alors aucun pays n'a produit autant en aussi peu de temps. Son apparition sur le marché du métal date de la fin du XVIIe siècle, avec la mise en valeur de la province de Minas Geraes: près d'Ouro Preto «( Or Noir »), les filons aurifères sillonnent la montagne; sur les rives du Rio das Velhas, les alluvions sont riches de métal. Dès les vingt premières années du XVIIIe siècle, la production d'or brésilienne passe à 3 tonnes par an. En 1719, des dépôts alluvionnaires sont découverts dans le Mato Grosso. En 1721 (au lendemain de la chute de Law à Paris), le Brésil est le théâtre d'une véritable ruée vers l'or. En 1735, nouvelle espérance suscitée par la province de Goias,
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où deux grands siècles plus tard le Brésil implantera Brasilia. Villa Rica, au nom significatif, devient une cité-champignon, née de l'or. La production annuelle grandit à 9 tonnes (moyenne 1720-1740), à 15 tonnes (moyenne 1740-1760), et se maintient longtemps à ce niveau. Les rois de l'or ne sont plus les Espagnols. Comme avant Colomb, ce sont les Portugais, colonisateurs du Brésil. Et comme le Portugal, depuis le traité signé par lord Methuen (1703) est étroitement lié, par l'amitié et les affaires, avec le Royaume-Uni, ce sont les Anglais qui absorbent ce métal. Londres tend à devenir le grand centre du trafic de l'or, et, de ce fait, sans le savoir, se prépare déjà à se tourner vers l'étalon-or. Deux autres producteurs d'or, pour l'heure beaucoup plus modestes, inaugurent àla fin du XVIIIe siècle leur présence au palmarès du métal: les États-Unis et la Sibérie. Les États-Unis ont déjà fait l'objet de prospections passionnées, dont le récit relève d'abord du chapitre des chimères. Nunez Cabeza de Va ca a cru trouver du côté du Mississippi le pays des Sept Cités de l'Or, dont la légende voisine avec celle de l'Atlantide. Ille décrit en des discours véhéments. Corona do, parti sur ses traces, parvient à la plus grande des Sept Cités, Cibola, qui n'est qu'un pauvre bourg des Pueblos. L'or en est absent. Coronado s'entête, prête l'oreille aux Indiens qui lui parlent d'une autre ville, où des clochettes d'or pendent aux branches d'un arbre gigantesque. Son lieutenant Cardenas, s'il ne trouve pas d'or, trouve une autre merveille, le grand canon du Colorado (1540). Quarante ans plus tard, remontant du cap Horn par le Pacifique, Francis. Drake aborde la Californie, qu'il appelle Nouvelle-Albion (1579). Est-ce pour éblouir la reine Élisabeth qu'il assure, avec ses compagnons, qu'en cette région «toute poignée de
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terre, prise au hasard, contient une quantité raisonnable d'or et d'argent »1 Peut-être ne croit-il pas si bien dire: la Californie sera un jour la patrie de l'or. Près de trois siècles s'écoulent pourtant, après Drake, sans que les futurs États-Unis soupçonnent leur fortune. Mais, presque aussitôt après avoir accédé à l'indépendance, ils entament leur carrière de producteurs de métal. On· trouve en Caroline du Nord, dit la légende, une pépite de 12 kilos « de la . forme et de la taille d'un fer à repasser ». Les gisements de Caroline entrent en exploitation. La Russie, de son côté, partage la soif universelle de l'or, et ses tsars savent de quelle utilité serait le métal pour asseoir leur puissance. Jadis, au profit des Grecs, des Perses, de Byzance, des trésors n'auraient-il pas été décelés vers le Caucase, ou l'Oural, ou l'Oxus 1 .Les légendes populaires parlent de mineurs mystérieux, les Tschudj, qui auraient creusé le sol dans les monts Altaï. Et puis, la Sibérie est si vaste... En 1677, des tribus, à l'est du lac Baïkal, signalent au gardien de la prison de Nertchinsk la présence de gisements voisins. En 1704, les forçats servent de main-d'œuvre à la première fonderie d'or: le rendement est médiocre, la mine est abandonnée. Pierre le Grand, qui veille à tout, entend dire que le fleuve Amou-Daria est riche en sables aurifères. Il confie 3 000 soldats, dont 500 Saxons faits prisonniers à Poltava, au prince circassien Alexandre Békovitch-Tcherkassy, pour étudier la question sur place (1715). Les Tatares massacrent la colonne jusqu'au dernier homme, sans oublier le prince. Cependant, Pierre 1er va trouver de l'or, ailleurs et sans le faire exprès. Il a, par ses réformes, provoqué un schisme dans l'Église orthodoxe. Les défenseurs de la tradition, les raskolnik, c'est-à-dire les vieux croyants, qu'il a persécutés, ont fondé une colonie paysanne dans l'Oural. L'un d'eux, nommé
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Markov, y cherche du cristal de roche (1721). Il met un j our la main sur un morceau de quartz que traverse une veine d'or. Les autorités s'émeuvent, ordonnent des recherches. Markov est sommé de trouver le gisement et de rendre compte tous les quinze jours des résultats obtenus. Il fouille le sol pendant des années. Près d' Iekaterinenbourg, qu'a fondé Pierre le Grand, il découvre enfin un gîte d'or pur (1745). Sans tarder, des forçats sont appelés à l'exploiter, ainsi que les alluvions des rivières descendant de l'Oural. La Sibérie produit 5 tonnes d'or dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : ce n'est qu'un commencement. Ce siècle propice, qui voit grandir parallèlement la production de l'argent, répond beaucoup mieux que le siècle précédent aux besoins de l'économie. Au dénuement et à la déflation succèdent l'aisance et l'expansion. Mais les maîtres de l'or ne sont plus, au XVIIIe siècle, les mêmes qu'au XVIe. Les Espagnols ont perdu la suprématie. Les Anglais sont entrés en lice. Les Hollandais ont enlevé aux Portugais le monopole de la Côte-de-l'Or, et, avec Malacca, la clé du trafic avec l'Extrême-Orient. Les Portugais gardent leurs chances du côté du Zambèze, au pays de Monomotapa, et dominent le marché avec le métal brésilien. Les Russes et les Yankees se profilent à l'horizon. Au total, sur les trois siècles qui vont de Colomb à Napoléon, la planète a livré plus de 4000 tonnes d'or, soit presque autant que pendant les quinze siècles de Jésus Christ à Christophe Colomb. Sur ces 4000 tonnes, le Nouveau Monde entre pour plus de 60 %. Les conquistadors et leurs émules ont bien travaillé. Trois siècles de monnaies d'or Tout cet or, s'il sert de matière première à la salière de Benvenuto Cellini et, plus tard, aux dorures de Versailles ou de Potsdam, aux tabatières, aux bon-
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bonnières ou aux montres des honnêtes gens, est aussi et surtout employé comme monnaie. Pour frapper les pièces, la technique reste rudimentaire jusqu'au XVIe siècle. Elle consiste. on se le rappelle, à frapper à coups de marteau sur un moule composé de deux coins. Une nouvelle méthode, qui semble inventée durant la Renaissance par un orfèvre d'Augsbourg, se répand au XVIIe siècle dans tous les hôtels des Monnaies: c'est la méthode du balancier. L'appareil de fabrication comporte un cylindre de bronze, formant écrou à sa partie supérieure, une vis qui traverse cet écrou et un levier horizontal fixé en équilibre dans la tête de la vis : le balancier. D'une cavité ménagée dans le sol (la fosse), l'ouvrier chargé de la frappe manœuvre le levier, et fait descendre la vis dont l'extrémité garnie d'un coin heurte violemment le disque de métal (le flan) destiné à recevoir l'empreinte. La tranche est imprimée avec une virole, lisse, cannelée ou comportant des inscriptions en relief. Grâce à cette nouvelle technique, les pièces acquièrent une grande régularité. Il n'est pas question ici de dresser l'inventaire de toutes les monnaies d'or frappées après Colomb. Elles sont innombrables,:!pour la joie des numismates. Mais il est utile d'évoquer les types principaux - ceux qui font date ou ceux qui font souche. Sur place, au Nouveau Monde, les Espagnols commencent par régler leurs soldes en lingots estampillés, qui sont décomptés en pesos de minas (pesos de mines). Selon certains auteurs, un atelier très primitif frapperait quelques pièces d'or, de facture grossière, dès 1502 à Hispaniola. On n'en retrouvera aucune. Les maisons de Monnaie, créées à Mexico en 1535 et à Lima en 1565, ne frappent longtemps que des pièces d'argent, les piastres, plus ou moins alignées sur le douro espagnol et sur le thaler impérial, dont elles transmettront le type et le nom (daler, dolera) au dollar.
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Pas de doute : l'Espagne, première puissance du monde, donne le ton en émettant des pièces d'une frappe sans défaut, qui se répandent en tous pays et sur lesquelles s'alignent les émissions nationales. Ce douro d'argent (ou pièce de 8, parce qu'il vaut 8 réaux), les Rois catholiques le lancent presque au lendemain de la découverte de l'Amérique (en 1497), et, sous des noms divers, il restera pour des siècles la grande unité monétaire du Nouveau Monde et des riverains de l'océan Pacifique. De même, l'or américain, à peine débarqué à Séville, sert à frapper une nouvelle pièce d'or (en 1537), l'escudo, de 3,10 grammes de fin, et le double de cette pièce devient célèbre à l'Occident, avec ses 6,20 grammes de fin, sous le nom de pistole. Exportée, parfois en dépit des interdictions, pour régler les déficits espagnols, la pistole circule courammer..t aux Pays-Bas, en France. « Je n'ai que trente pistoles, partageonsles», écrit Tallemant des Réaux. Et l'Avare de Molière s'émeut, à la pensée qu'on puisse le croire « tout cousu de pistoles ». A l'imitation de cette pistole enviable, et au même titre (22 carats), la France de Louis XIII frappe une pièce d'or (1640) qui porte le nom du monarque, le louis: 6,69 grammes, dont 6,13 de fin. Dansla gamme des monnaies, le louis remplace l'écu, qui glisse au rang des pièces d'argent. Durant un siècle et demi, d'autres rois prénommés Louis feront frapper d'autres louis, aux empreintes variées, généralement un peu plus lourds, toujours prestigieux. L'Angleterre n'a pas attendu l'or américain pour réfonner sa circulation monétaire, dont le noble a été jusqu'alors la pièce la plus « noble ». Henri VII fait frapper une pièce de grand module, représentant pour.la première fois le souverain régnant, et de ce fait appelée souverain. Elle pèse à l'origine (1489) plus de 16 grammes, mais sera progressivement allégée, Jusqu'à moins de 8 grammes. Sur le modèle du louis
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français, et avec l'or provenant de Guinée, Charles II monnaie une autre pièce, qui reçoit le nom de guinée. Cruzades au Portugal (et plus tard escudos), ducats et rijders aux Pays-Bas, ducats et florins dans l'Empire, ducats, scudi, sequins et pistoles en Italie, ducats en Hongrie, en Pologne, en Scandinavie et en Russie (en attendant les roubles d'Élisabeth 11), les monnaies d'or ne manquent plus en Europe: elles ont été rares avant Colomb, elles se multiplient ensuite. Signe d'abondance du métal ou affirmation de puissance, des pièces lourdes sont parfois mises en circulation : le quadruple qu'émet Madrid, de 27 grammes, la pOrtuguez de Lisbonne, de 38 grammes, la portugaloese de Hambourg, de 35 grammes ... L'Asie, si elle préfère toujours l'argent à l'or, ne fait fi de rien. A l'inverse des conquistadors qui, au Nouveau Monde, commencent par affirmer qu'ils veulent de l'or en échange de pacotille, Vasco de Gama aux Indes s'entend dire: « Je veux de toi de l'or, de l'argent, du corail », tandis qu'on lui propose du poivre, de la cannelle et de l'ivoire. L'Inde devient d'ailleurs un pays industriel, expert en tissus de laine, de coton et de soie, et capable de faire payer cher, en métal, ses productions. Mais elle persiste à thésauriser le métal plus qu'à le monnayer. En or, les États du Sud disposent d'une petite pièce, le hun que les Portugais appellent la pagode, et que frappera à son tour la Compagnie des Indes. La Golconde monnaye en or une roupie, Calicut et Ceylan un fanon. La Chine, qui se satisfait de lingots d'or et d'argent, n'utilise longtemps ses propres pièces d'or qu'à l'occasion de dons exceptionnels et de gratifications. Le Japon, après avoir employé, en guise de monnaie, des sachets de poudre d'or et des grains d'or, se met à frapper (à partir de 1573) des plaques . d'or, minces et ovales, de dimensions exceptionnelles: l'oban mesure 10 centimètres de large, 17 de long et
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pèse 166 grammes, à 74 % de fin. C'est dire que sa circulation est limitée. Mais il survivra près de trois siècles, fleuri d'images diverses, avec des surfaces et des titres quelque peu réduits. Plus léger, le coban, lingot d'or en forme d'ellipse, et l'ichi-bu-ban, lingot d'or rectangulaire, servent de moyens de paiement à un peuple qui vit en vase clos, et pour lequel le riz demeure l'étalon traditionnel des valeurs.
Trois siècles de bimétallisme Les frontières monétaires, que les souverains voudraient infranchissables, sont pratiquement ignorées. Toutes les monnaies circulent et sont acceptées, pourvu que les changeurs les aient authentifiées. On ne voit pas seulement des pièces italiennes en France, ou des pièces françaises en Angleterre, on voit aussi bien dans l'Amérique anglaise des pièces espagnoles, aux Indes des pièces portugaises, en Chine des pièces de frappe mexicaine, on verra dans les pays arabes des pièces autrichiennes à l'effigie de l'impératrice Marie-Thérèse. Dans le coffre du thésauriseur de La Fontaine, qui rêve « ducats et pistoles », voisinent pêle-mêle « quelque doublon - un jacobus, un ducaton - et puis quelque noble à la rose », des pièces de tous les siècles et de tous les pays. De même, entre les lingots, les bijoux et les pièces, l'or circule et se transforme: tel morceau d'or peut tour à tour devenir collier, monnaie, barre, boucle d'oreille. Il pèut avoir été enfoui dans une sépulture, en être extrait pour être fondu, prendre forme de pistole, puis de bonbonnière~ Louis XIV n'est pas le seul à faire porter sa vaisselle d'or à l'Hôtel des Monnaies. Les pièces elles-mêmes, à l'occasion de « remuements» monétaires, sont souvent appelées à une refonte générale, auxquelles elles ne se plient pas toujours. Le plus fréquemment, ces refontes sont suivies d'un allégement (de poids ou de titre), ce qui
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est une façon de dévaluer. Mais, en ces temps où la monnaie de paiement est encore distincte de la mon.. naie de compte, les dévaluateurs disposent d'un autre moyen, qui consiste simplement à changer le coura des espèces: ainsi voit-on, par étapes, l'escudo espagnol passer de 350 à 686 maravedis, le louis français de 10 livres à 24, le souverain anglais de 20 shillings à 30, le florin d'Empire de 60 kreuzer à 180. Ces altérations sont particulièrement nombreuses au XVIIe siècle, quand les États et l'économie souffrent d'une pénurie de métal. Elles le sont moins au XVIIIe, avec le retour à quelque aisance monétaire. Les tentatives antérieures de stabilisation - de Henri III en France, de Philippe II en Espagne, d'Élisabeth en Angleterre - ont échoué. Au contraire, passée l'année 1726, et presque jus- . qu'aux remous de la Révolution, le monde des monnaies s'installe dans une stabilité relative. Mais l'or, est-il besoin de le dire? n'est que le métal des gros règlements. Il n'est pas à la' portée de toutes les bourses, ni à l'échelle des transactions courantes. Les petites gens n'en connaissent pas la couleur. On paie en or une caravelle ou un château, mais non pas une écuelle ou un chapeau. C'est l'argent la monnaie de base, c'est-à-dire la piastre en Espagne ou en Amérique, l'écu en France, le shilling en Angleterre, le thaler dans les pays allemands. Souvent même, la monnaie la plus usuelle est de billon - un alliage de cuivre et d'argent, de beaucoup de cuivre et de peu d'argent - ou de bronze un alliage de cuivre et d'étain. En Espagne, précise Albert Despaux pour le XVIIe siècle, plus des neuf dixièmes des paiements s'effectuent en pièces de billon. Quand, dans le Midi de la France, le salaire journalier à la campagne s'échelonne entre 3 et 10 sous, il ne peut se régler qu'en billons ouen nature. L'or est le métal des gros négociants et des gouvernements.
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Pourtant les métaux coexistent et, lorsque le montant du règlement à effectuer est suffisamment élevé, le payeur peut se libérer, à son gré, en or ou en argent. Il choisit de régler dans la monnaie qui est pour lui la plus avantageuse, en tenant compte de la valeur nominale et de la valeur marchande des deux métaux. Pour éviter qu'un métal ne supplante l'autre, les pouvoirs publics doivent procéder à des mutations, qu'annoncent les proclamations royales en Angleterre, les édits en France, les plakaalen aux Pays-Bas... Ce régime est celui du bimétallisme, puisque l'or et l'argent jouissent de la frappe libre et du plein pouvoir libératoire. Les États ne veulent refuser ni l'un ni l'autre, parce qu'ils ont besoin des deux. Bimétallisme de fait, le mot, comme la chose, étant parfaitement ignoré. Mais, à certains égards, ce régime est aussi celui de l'étalon-argent, car, d'une part, l'opinion attache une plus grande importance au métal blanc (en Europe, en Amérique, en Asie), et d'autre part, notamment en Angleterre après la réforme d'Élisabeth (1601), l'unité de compte est définie uniquement en argent, et les monnaies d'or sont simplement tarifées par rapport à cette unité de compte. Seulement, comme l'Angleterre commerce largement avec l'Orient et l'Extrême-Orient, et que l'argent vaut dans ces pays beaucoup plus qu'en Europe, Londres exporte de grosses quantités de métal blanc, et c'est l'or qui affiue dans ses caisses, notamment par l'intermédiaire du Portugal. L'Angleterre, qui a monnayé plus d'argent que d'or aux XVIe et XVIIe siècles, monnaie plus d'or que l'argent au XVIIIe.
La production de l'argent grandissant plus que celle de l'or, le rapport des valeurs or-argent se tend: de moins de Il au seuil du XVIe siècle, il progresse à plus de 12 au début du XVIIe et à 15 au
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siècle. Les États cherchent de plus ou moins près à adapter les cours de leurs monnaies à cette évolution. C'est un jeu difficile et décevant. Ne faudra-t-il pas songer un jour à n'avoir plus qu'un seul métal pour étalon?
XVIIIe
Quand le métal se métamorphose en papier On a vu les Chinois inventer le papier et le papiermonnaie. Dans le temps même où, assagis, ils reviennent à des pratiques plus archaïques, en donnant la première place aux lingots d'argent et aux pièces étrangères d'importation, le Japon et l'Occident refont pour leur compte les expériences fiduciaires dont la Chine est blasée. Au Japon, un marchand de Yamada, en échange de dépôts d'argent, délivre des billets (yamada hagaki) 6 fois plus longs que larges (1620). A partir de 1661, plusieurs féodaux, imités par des villes, des villages, des temples bouddhistes, des sanctuaires taoïstes, émettent des coupures dont la ciro culation reste locale. L'Occident a déjà, dans ses foires du Moyen Age, redécouvert la lettre de change, dont avaient usé les prêtres-banquiers de Babylone. Elle est un instrument de crédit, elle ébauche un moyen de paiement. En plusieurs circonstances difficiles, la monnaie fiduciaire nait spontanément, sous l'empire de la nécessité : dans une ville assiégée, dans un pays en état d'insurrection - quand, faute de monnaie métallique, il faut inventer un outil de remplacement. L'initiative la plus singulière, mais aussi la plus exemplaire, est prise dans la Nouvelle-France (en 1685) sur ordonnance de l'intendant Jacques de Meulles. La colonie ne dispose pas de fonds, les soldes restent impayées. Que faire? « J'ai tiré de
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mon coffre et de mes amis, tout ce que j'ai pu, expose l'intendant au comte de Toulouse, ministre responsable. Mais enfin les voyant hors d'état de me pouvoir rendre service davantage, et ne sachant plus à quel saint me vouer, l'argent étant dans une extrême rareté, je me suis imaginé de donner cours, au lieu d'argent, à des billets de cartes, que j'avais fait couper en quatre. Je vous envoie, Monseigneur, des trois espèces, l'une étant· de quatre francs, l'autre de quarante sols et la troisième de quinze sols, parce qu'avec ces trois espèces je pouvais faire leur solde juste d'un mois; j'ai rendu une ordonnance par laquelle j'ai obligé tous les habitants de recevoir cette monnaie en paiement, et lui donner cours, en m'obligeant en mon nom de rembourser lesdits billets. » Voilà donc des cartes à jouer promues au rang de monnaie : elles portent, sur leur verso qui est vierge, l'empreinte, à la cire à cacheter, d'une fleur de lis couronnée, la mention de leur valeur, les signatures de l'intendant, du commis et du trésorier. « Personne ne les a refusées », dit Jacques de Meulles. Mis au courant de cet expédient, le roi le désapprouve, « cela étant extrêmement dangereux, rien n'étant plus facile à contrefaire que cette sorte de monnaie ». Mais l'idée fait son chemin : elle sera reprise au Canada, en Louisiane, en Guyane. La monnaie de cartes annonce la monnaie de banque. Précisément, les banques découvrent les vertus du papier: à leurs déposants, elles remettent des certificats, qui remplacent une monnaie pesante par une créance légère. Venise met cette pratique à l'honneur. Amsterdam, bientôt imitée par Hambourg et Rotterdam, fait de ces certificats des billets au porteur. Ils ne sont pas encore exactement une monnaie, puisque chacun est libre de les refuser. Mais Stockholm franchit le pas : la guerre de Trente Ans a épuisé 1es réserves de métal de la Suède, qui doit émettre
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des billets d'État, par l'intermédiaire de la Banque royale (1656). Ces billets, de somme ronde et constante, reçoivent cours légal, et bien qu'émis au-delà de leur gage métallique, ils sont acceptés plus volontiers que les énormes plaques de bronze qui servent alors de monnaie (les platmynt, dont certaines pèsent jusqu'à 20 kilos 1). Le papier est le bienvenu, si l'on n'en abuse pas. En Angleterre, les orfèvres, qui reçoivent des dépôts en métal, délivrent aussi des reçus, bientôt transmissibles. Sur la suggestion d'un gentilhomme écossais, William Paterson, un groupe de financiers de Londres obtient du roi Guillaume III l'autorisation de créer une banque d'émission, en contrepartie d'un prêt de 1 2ÔO 000 livres à l'État (1694). Le nouvel établissement se dénomme : « Le Gouverneur et la Compagnie de la Banque d'Angleterre. J) Mais ses billets peuvent encore être refusés en paiement, et les orfèvres qu'ils concurrencent protestent avec véhémence. Les débuts de la Banque d'Angleterre ne sont pas de tout repos : lors des crises de 1721 et de 1745, devant la ruée des porteurs de billets qui demandent la convertibilité, elle ne parvient à maintenir le principe du remboursement qu'en remettant des pièces de 6 pence en échange des coupures: le temps de les compter permet d'endiguer la foule. Au prix de subterfuges de ce genre, et avec l'appui des marchands de Londres, le billet anglais gagne la partie. La Banque d'Angleterre apprend à restreindre le crédit quand l'or s'en va, à le desserrer quand l'or affiue. Une loi de 1773 consacre le billet-sterling, en condamnant à la potence les contrefacteurs comme s'il s'agissait de faux-monnayeurs. Au préalable, Amsterdam a trouvé le moyen d'accréditer le papier, au point d'en faire le rival heureux de l'or. La jeune Hollande, maîtresse des mers et reine de la banque, dispose déjà, avec son florin, d'une monnaie enviée. Mais il advient que le cours
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de ce florin, comme celui de toutes les monnaies. fasse l'objet de mutations qui le dévaluent. Labanque d'Amsterdam invente le florin de banque, florinbanco, monnaie abstraite, à définition invariable, soustraite aux mutations des espèces métalliques. Détenir une créance en florins-banco, c'est être à l'abri de toutes les manipulations monétaires. Détenir des billets de la banque d'Amsterdam, c'est avoir mieux que de l'or. Mieux, aussi longtemps que la banque émettrice reste honnête et solvable. Mais il peut arriver que les pouvoirs publics ou bancaires oublient leurs devoirs, en négligeant de conserver dans leurs encaisses le métal nécessaire à la couverture et à la conversion des billets, ou en multipliant les émissions de papier au-delà de toute raison. Auquel cas la monnaie de papier devient du papier-monnaie, livré aux ravages de l'inflation.
Quand le papier se soustrait au métal Nous n'avons pas ici à conter par le menu les mésaventures des émissions fiduciaires du XVIIIe siècle : en France, le système de Law, qui gonfle le volume des billets jusqu'à 3 milliards de livres et quadruple la masse des moyens de paiement, les assignats révolutionnaires, qui représentent 45 milliards de francs et 72 milliards avec les mandats, ce qui multiplie par 33 les disponibilités monétaires; en Russie, l'inflation des roubles-banco, ou assignatzia, dont Catherine II prend l'initiative; aux Etats-Unis, dans les convulsions de la guerre d'Indépendance, l'enfance tourmentée du dollar, avec l'émission de plus de 450 millions de coupures... Le billet de Law s'écroule au dixième de sa valeur nominale, le dollar « continental » au millième, l'assignat révolutionnaire au troismillièmes. Toutes ces entreprises délirantes relèvent
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de l'histoire du papier, et non pas directement de celle de l'or. Mais l'or reste en cause, dans la mesure où l'on cherche à l'évincer et du fait de son triomphe final. Les banques et les États qui émettent des billets n'en sont encore qu'au stade des expériences, et ils n'ont pas dégagé les règles d'une saine politique de la monnaie fiduciaire: quel montant de billets peut-on imprimer sans péril? A quel rythme d'émission le papier cesse-t-il d'être stimulant, pour devenir menaçant? Quelle proportion de couverture faut-il conserver? De quoi doit se composer la couverture: d'or, d'argent, de terres, de créances? Le public lui aussi a tout à apprendre en ce domaine : la confiance est affaire d'éducation. Les billets de Law, libellés en « écus de banque D, puis en livres-tournois, sont à l'origine convertibles en métal, et Law, en associant sa banque et sa Compagnie du Mississippi, laisse entendre que les billets sont gagés par de grandioses espérances d'or. Mais il n'y a pas d'or au Mississippi, et les illusions font vite place au désenchantement, puis à la panique. Law interdit « de s'assembler rue Quincampoix pour y négocier ou faire aucun commerce de papier» (1720); puis, d'employer l'argent dans les paiements de plus de 10 livres, l'or dans les paiements de plus de 100 livres; de détenir plus de 500 livres en espèces ou en matières d'or et d'argent, sous peine de confiscation et d'amende. Il finit par ordonner la démonétisation totale des métaux, et la remise de toutes les espèces à la Banque, de façon à ne tolérer d'autre monnaie que le papier. Mais la contrainte échoue, là où la confiance a disparu. C'est le papier qu'on refuse. C'est l'or qui l'emporte. L'inflation des assignats, soixante-dix ans plus tard, renouvelle le conflit entre le papier et le métal. Cette fois, il n'y a plus à décréter le cours forcé des billets : théoriquement représentatifs de biens fon-
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ciers - les domaines nationaux -, ils n'ont jamais été convertibles en métal. Mais ils circulent en concurrençant les louis et les écus, ou plutôt en subissant la concurrence des pièces d'or et d'argent. Les assemblées révolutionnaires ont beau proclamer la supériorité du papier sur le métal, les Français n'en croient rien. C'est le papier qui se déprécie. Une fois encore, il faut faire appel à la contrainte : ordre de porter au Trésor tous les métaux provenant des demeures des émigrés et des églises (1792); interdiction de payer en or ou en argent, sous peine de six années de fers; la guillotine pour quiconque refuse les assignats (1793); confiscation de « tout métal d'or ou d'argent, monnayé ou non monnayé, qu'on aura découvert enfoui dans la terre ou caché dans les caves, dans l'intérieur des murs, des combles, parquets ou pavés, âtres ou tuyaux de cheminée et autres lieux secrets». Mais les citoyens préfèrent risquer la confiscation et la mort, plutôt que d'accepter le papier-monnaie. La bataille qui est engagée entre l'or et le papier s'achève ainsi diversement, selon le temps et le lieu. Là où l'émission est raisonnable, comme en Angleterre ou aux Pays-Bas, le papier gagne du terrain. Là où l'émission est déréglée, comme en France, l'or gagne la partie et discrédite le papier pour une génération. Quand les penseurs pensent à l'or
Des économistes, la race n'existe pas encore: le mot fait seulement son apparition, avec timidité, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Mais à défaut de ces experts patentés, les penseurs ne manquent pas, qui, dans le sillage d'Aristote et de Caton, parlent de l'or, plus souvent pour en médire que pour le louer. Philosophes, théoriciens, poètes, ils lui font place dans leurs réflexions et dans leurs strophes.
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Premier thème : l'or en tant que richesse. Depuis Salomon, la condamnation est de rigueur et la rengaine est facile. «Poussière maudite, prostituée du genre humain ... » « L'or est pour les âmes des hommes un poison », dit Shakespeare. « Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux», dit La Fontaine. Mais en regard de ces verdicts, il en est d'autres qui, sans absoudre l'or, reconnaissent son pouvoir. Le même Shakespeare, pour qui l'or « met la discorde dans la foule des nations », consent que « ce peu d'or suffisait à rendre blanc le noir; beau le laid; juste, l'injuste; noble, l'infâme; jeune, le vieux; vaillant le lâche». Le Sganarelle de Molière constate de même « que l'or donne aux plus laids certain charme pour plaire - et que sans lui le reste est une triste affaire ». Le Joueur de Regnard ne pense pas autrement: « L'or est d'un grand secours pour acheter un cœur - Ce métal en amour est un grand séducteur.)l En amour, mais aussi dans toutes les circonstances de la vie. « De l'or, mon Dieu, de l'or, c'est le nerf de l'intrigue 1 » s'exclame Beaumarchais, qui s'y connaît. « L'or mène à tout », avoue Diderot. « L'or et l'argent permettent d'acquérir les douceurs de la vie : la possession de ces métaux engendre la puissance », reconnaît John Locke. En homme d'État, qui sait ce que valent les despotismes humains, Richelieu conclut : « L'or et l'argent sont les tyrans du monde, et bien que leur empire ne soit pas légitime, il est raisonnable de subir leur domination. Il Deuxième thème : l'or en tant que monnaie. Le théologien Nicole Oresme, évêque de Lisieux et conseiller du roi Charles V, écrit un Traité des Monnaies (1355), dans lequel il approuve que la monnaie soit « faite de matière précieuse» et déplore qu'elle soit l'objet de mutations abusives. « La chose qui plus fermement doit demeurer est la monnaie. Il Celui qui tire un gain des mutations effectuées sans nécessité « est tyran, et non prince ».
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Deux siècles plus tard, le Polonais Copernic, chanoine et observateur des astres, réprouve lui aussi les altérations monétaires : « Quelque innombrables que soient les fléaux qui causent d'ordinaire la décadence des royaumes, des principautés et des républiques, les quatre suivants sont à mon sens les plus redoutables : la discorde, la mortalité, la stérilité de la terre et la dépréciation de la monnaie. » Dans ce même discours sur la frappe des monnaies (1526), Copernic formule une remarque de poids : « Une grande faute consiste à introduire, à côté d'une ancienne bonne monnaie, une nouvelle monnaie mauvaise, car non seulement celle-ci déprécie l'ancienne, mais pour ainsi dire, elle la chasse. » C'est la loi qu'a énoncée jadis Aristophane, et à laquelle le banquier Thomas Gresham, futur lord chancelier, dans son « Avis à la Reine concernant la chute du change » (1558), va donner son nom, mais non pas tout à fait sa forme classique : « La mauvaise monnaie chasse la bonne de la circulation. » La hausse générale des prix, qui suit la découverte de l'Amérique, étonne les ménagères sans que les experts soient en mesure immédiate de l'expliquer. Le seigneur de Malest:r:oict, conseiller à la Chambre des comptes, ne voit en elle que la conséquence de la dépréciation monétaire (1566). Luther, traitant cc du commerce et des trafiquants», se borne à accuser les marchands de prendre trop de bénéfices. Plus lucide, l'Espagnol Lopez de Gomara incrimine l'amux des métaux américains (1558). En France, l'avocat Jean Bodin impute cc l'universelle cherté » à cc l'abondance d'or et d'argent » (1568). En Angleterre, un certain W. S., qui n'est pas William Shakespeare, dénonce à la fois cc l'altération de la monnaie » et « les quantités infinies d'or et d'argent recueillies chaque année dans les Indes» (1581). A Florence, le patricien Davanzati soupçonne que « chaque État a besoin d'une certaine quantité de monnaie en circulation,
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de même que chaque corps demande une certaine quantité de sang qui l'irrigue » (1588). Troisième thème: l'or, face aux autres biens de la terre. La possession d'une grosse réserve de métaux précieux, par les États comme par les particuliers, passe pour le signe de la prospérité. En conséquence, il faut tout faire pour acquérir de l'or, et pour le retenir : stimuler l'exportation des marchandises, freiner leur importation, pénaliser ou interdire les transports sur navires étrangers, prohiber la sortie de l'or, contrarier la consommation intérieure des produits de luxe (pour pouvoir les exporter). De ce dernier type de mesure relèvent les lois somptuaires: l'Angleterre frappe d'un impôt la vaisselle de métal, la république de Venise interdit de dorer les gondoles, la France de Louis XIV aménage une taxe, née au XVIe siècle, qui soumet à une marque de garantie tous les objets d'or et d'argent, et qui ne sera jamais abandonnée; la Suède de Charles XII soumet à redevance les épées dorées. La politique qui tenq ainsi à refouler vers l'État le plus d'or possible est professée par nombre de penseurs, pratiquée par nombre de ministres responsables. Le XIXe siècle libéral lui donnera le nom de « mercantilisme», de résonance péjorative. A la vérité, le mercantilisme n'est pas toujours aussi rigoureux et aveugle que voudront le présenter quelques historiens malveillants. Quand Sully proclame que « labourage et pâturage sont les vraies mines d'or du Pérou », il laisse bien comprendre que le métal n'est pas la seule richesse au monde. Quand Colbert assure que « le commerce doit être extrêmement libre : tout ce qui consiste à restreindre cette liberté ne peut rien valoir», il semble prendre le contre-pied du mercantilisme. En fait, les dérogations aux règles de base sont nombreuses, les interdits qui portent sur la sortie de l'or ne sont pas absolus et ne sont jamais respectés.
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Pour les Anglais, le mercantilisme est le moyen de privilégier leur commerce et leur marine; pour les Français, de protéger leurs industries naissantes; pour les Espagnols, de contrôler leurs colonies. TI apparaît rarement comme une fin en soi. En tout cas, aux siècles où l'or est abondant, il est vertement remis à sa place par ceux qui font profession de philosopher. Dès 1515, Thomas More déconsidère le métal dans sa république d'Utopie, où, le réservant aux plus vils usages, il en fait des chaînes de forçat ou des vases de nuit. «L'or et l'argent, dit-il, n'ont pas en Utopie plus de valeur que celle que la nature leur a donnée. On y estime ces deux métaux au-dessous du fer, aussi nécessaire à l'homme que l'eau et le feu. En effet, l'or et l'argent n'ont aucune vertu, aucun usage, aucnne propriété dont la privation soit un inconvénient naturel et véritable. C'est la folie humaine qui a mis tant de prix à leur rareté.» Thomas More se contredit d'ailleurs en consentant que l'or est utile en cas de guerre pour soudoyer alliés et mercenaires: l'or a donc des vertus, même en Utopie. Au XVIIIe siècle,il est de bon ton d'afficher un pareil mépris. «Idole», dit de l'or le richissime Boisguilbert. Le Gulliver de Swift (1726) entreprend d'expliquer aux Houyhnms, qui sont parfaits, «l'usage de la monnaie, les métaux qui la composent». A la même école, Voltaire se moque - sans omettre pour son compte d'entasser l'or et les biens de ce monde. Son Candide (1759) trouve en Eldorado des enfants qui, vêtus de brocarts d'or, jouent avec des palets d'or; il paie son hôte avec de l'or. « Nous nous sommes mis à rire, explique un habitant de l'Eldorado, quand vous nous avez offert en paiement les cailloux de nos grands chemins... Je ne conçois pas quel goüt vos gens d'Europe ont pour notre boue jaune. » Dans son Dictionnaire philosophique, le même Vol-
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taire, soucieux de montrer combien l'or est fugitü et· vain, résume toute l'aventure des conquistadors en quelques lignes: « On veut savoir ce que devient l'or et, l'argent qui affluent continuellement du Mexique et du Pérou en Espagne? Il entre dans les poches des Français, des Anglais, des Hollandais qui font le commerce de Cadix sous des noms espagnols et qui envoient en Amérique les productions de leurs manufactures. Une grande partie de cet argent s'en va aux Indes orientales payer des épiceries ... » Et Montesquieu fait dire à son Persan: « Il n'y a rien de si extravagant que de faire périr un grand nombre d'hommes pour tirer du fond de la terre l'or et l'argent : ces métaux d'eux-mêmes sont absolument inutiles et ne sont des richesses que parce qu'on les a choisis pour en être les signes. » C'est déjà Keynes, avec deux siècles d'avance. Quatrième thème: l'or face au papier. Précurseur de génie à sa manière, John Law ne fait pas de différence entre les monnaies: « L'or, l'argent, le cuivre, les billets, les coquilles marquées et enfilées dont on se sert sur certaines côtes d'Afrique, ce ne sont là que des richesses représentatives, ou des signes de transmission des richesses réelles ... Tous les signes de transmission sont égaux et indifférents. » S'ils sont trop rares, « voici le remède souverain à ce mal: c'est de donner aux hommes un signe de transmission dont la matière soit prise chez eux, et dont le pouvoir puisse augmenter et diminuer la quantité suivant le besoin de l'État et du commerce, et surtout qui ne soit intrinsèquement d'aucune valeur ». Autrement dit, il faut émettre des billets à volonté. « Une augmentation de numéraire ajoute à la richesse nationale... Le commerce intérieur dépend de la monnaie : une plus grande quantité emploie plus d'individus qu'une moindre quantité. » C'est la doctrine même du plein emploi par l'inflation. Adam Smith, qui est Ecossais comme Law, n'est
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pas loin de l'approuver: « La substitution du papier à la monnaie d'or et d'argent est une manière de remplacer un instrument de commerce extrêmement onéreux par un autre qui coûte infiniment moins.» Simplement, il invite les banques à être sages, en n'émettant pas de billets au-delà de cinq fois leur encaisse métallique. Les révolutionnaires français ne s'arrêtent pas ainsi en chemin. « Je place les assignats sur la même ligne que les métaux », commence par dire Mirabeau. « L'or pâlira à côté de ce papier restaurateur », « Dans six mois, les assignats seront plus recherchés que les écus », enchérit le Journal universel. « L'or n'est que du fumier », résume Cambon. Par malheur, dans le temps même OÛ l'or est ainsi mis au ban de la société, les milieux les plus officiels courent après lui. Le club des Jacobins fait payer ses cotisations en métal, les Conventionnels organisent la chasse à l'or, l'Assemblée récompense les patriotes qui présentent à la tribune l'or qu'ils ont pillé - et c'est bien en or qu'il faut régler les déficits extérieurs, notamment les achats aux États-Unis. Voltaire, par avance, juge les assignats comme il juge le système de Law: une « démence précédée et suivie de folies ».
4. L'or étalon
Or ou argent?
Depuis des siècles, deux métaux précieux se disputent la vocation monétaire: l'or et l'argent. Les autres métaux qui ont pu être monnayés ne prétendent pas au même rang: le fer ou l'étain n'ont accédé à la fonction monétaire que dans peu de pays et pour peu de temps j le cuivre et le bronze sont traditionnellement réservés aux pièces d'appoint j le platine ne jouera de rôle qu'en Russie. Entre l'or et l'argent, la bataille est inégale. Sauf dans les premiers temps de l'Égypte antique, l'or a toujours et partout été plus rare, donc plus cher. De ce fait, il n'est employé que pour les gros paiements, tandis que l'argent sert aux règlements usuels. L'argent est, en règle générale, la monnaie de base. Peut-on considérer qu'il est, pour autant, l'étalon monétaire? Ce serait trop dire. Aussi longtemps que la monnaie de compte est distincte de la monnaie de paiement, il n'est pas indispensable de désigner un métal, plutôt que tel autre, comme étalon. Si une dette est libellée en livres, sous et deniers, peu importe qu'elle soit réglée en louis d'or ou en écus d'argent. TI suffit qu'un rapport précis soit édicté
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entre les pièces de métal et la monnaie de compte. Le débiteur s'acquitte dans l'un ou dans l'autre métal, selon son gré et selon les circonstances. Mais du jour où l'on va confondre le système de compte et le système de paiement, la question de l'étalon va se poser. Faut-il définir la monnaie en or ou en argent? Réserver à l'un des deux métaux une fonction privilégiée, à l'autre une fonction accessoire - comme celle que joue déjà le bronze? Le problème surgit à l'aube du XIX8 siècle. Pourquoi précisément à ce moment? Parce que des révolutions font table rase, en Amérique, en France; parce que, au sortir des guerre~ napoléoniennes, l'Angleterre elle aussi fait peau neuve; et parce que, à l'époque, derrière ces trois meneurs de jeu, le reste du monde civilisé ne compte guère. Si le sentiment et l'instinct peuvent intervenir en ce domaine pour départager l'or et l'argent, ils jouent en faveur de l'argent. Car l'or fétiche est le métal des cieux, l'or parure est métal royal et, en regard, l'argent apparait comme moins inaccessible, plus bourgeois, plus populaire. Les régimes issus des révolutions lui donnent en principe la préférence. Mais, en vérité, faut-il choisir? La tradition et la paresse inclinent à conserver les deux métaux en les associant dans le rôle de double étalon. Le bimétallisme hérité des siècles est dans les faits, avant d' être dans les lois, dans les esprits et dans le langage. Il semble imposé par la rareté même des métaux précieux : ne serait-il pas absurde de se priver des services de l'un d'eux? Face aux défenseurs du bimétallisme se dressent les partisans de l'étalon unique, auquel les économistes ont donné le nom hybride de monométallisme, et qui serait mieux dénommé l'unimétallisme. A leurs yeux, on ne peut pas plus retenir les deux métaux comme étalon monétaire qu'on ne peut monter deux chevaux à la fois, ou épouser deux femmes: les cours
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de l'or et de l'argent sont fluctuants, de telle sorte que le rapport officiel des deux métaux est incapable de suivre l'évolution de leur rapport réel. L'unimétallisme-argent a ses champions, à commencer par l'Anglais John Locke : « Un seul métal, dit-il, doit être retenu comme étalon monétaire, et celui qui s'y prête le mieux est incontestablement l'argent. » Lord Lauderdale ajoute que l'argent est un métal plus dur que l'or et moins périssable, et qu'il est plus facilement divisible, en raison de sa moindre valeur. Mais l'unimétallisme-or trouve aussi quelques rares avocats, par exemple en la personne de lord Liverpool, ministre de George III. « Il faut que la monnaie, qui doit être la principale mesure des biens, soit constituée seulement d'un métal », et au moins « pour les pays 1;.rès riches et au commerce étendu », il faut que ce m'étal soit l'or. Ce sont les États-Unis qui ont les premiers à trancher la querelle, lorsque, devenus indépendants, ils ont à se doter d'une monnaie; et ils tranchent sans trancher, c'est-à-dire en acceptant le double étalon. Leur Constitution leur en a laissé la possibilité : « Aucun État, selon l'article premier, ne pourra frapper de la monnaie, émettre des billets de crédit ou donner pouvoir libératoire à autre chose que la monnaie d'or et d'argent. » Le secrétaire au Trésor Hamilton constate que « supprimer l'usage monétaire de l'un ou de l'autre métal, ce serait réduire le montant de la circulation ». Il fait voter une loi, selon laquelle toutes les monnaies d'or et d'argent ont plein pouvoir libératoire, avec frappe libre et gratuite. Le dollar, adopté comme unité monétaire (1792), est défini à la fois en or et en argent, les deux métaux étant dans le rapport de 15 à 1, qui est alors le rapport marchand. Sont frappées en or les pièces de 10, de 5 et de 2,5 dollars, en argent les pièces de 1 dollar, de 50, de 10 et de 5 cents. Le bimétallisme marque un point. Il en marque un second quand la France, à son
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tour, définit sa monnaie. L'Ancien Régime lui a légué l'emploi concomitant des deux métaux, avec prédominance de l'argent, dans le rapport de 14,5 à 1, porté en 1785, comme l'y invitait la tendance du marché, à 15,5. Sur ce terrain de l'usage, les révolutionnaires ne se sentent pas de taille à rompre avec des pratiques ancestrales, ni avec un rapport considéré comme correct. Durant dix années, de 1793 à 1803, les textes monétaires se suivent, le plus souvent sans entrer en yigueur, mais en faisant tous place aux deux métaux: la loi de 93 prévoit que les monnaies de la République seront d'or et d'argent, deux lois de 95 confirment cette disposition, la loi de 1803 (qui sera connue sous le nom de loi de germinal) arrête la charte finale du franc, défini en argent «( Cinq grammes d'argent, au titre de 9 /10 de fin, constitue l'unité monétaire »), ordonne la frappe de pièces d'argent « d'un quart de franc, d'un demi-franc, de trois quarts de franc, de un franc, de deux francs et de cinq francs», mais édicte aussi qu' « il sera frappé des pièces d'or de vingt francs et de quarante francs », dont le poids de fin situe les deux métaux dans le rapport inchangé de 15,5. Ainsi, deux grandes nations, sur trois, ont opté pour le double étalon, avec une petite préférence pour l'argent, due au prestige de la piastre' espagnole, ancêtre du dollar aux États-Unis, et de l'écu, monnaie courante des Français au temps de la livre tournois. Le XIX e siècle ne s'annonce pas comme devant être celui de l'étalon-or.
Naissance de l'étalon-or En Angleterre, l'état d'esprit n'est alors pas très différent. En dehors Qe quelques théoriciens de profession ou d'occasion,personne ne songe sérieusement à faire de l'or l'étalon monétaire. La livre a été définie,
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à l'origine, par un poids d'argent. La monnaie courante, le shilling, est d'argent, comme le sont ses multiples, florin et couronne. Le métal jaune n'a manüestement aucune chance de l'emporter sur le métal blanc. En fait, Londres se soucie avant tout de ses pièces d'argent: comme elles servent beaucoup, elles s'usent vite. La mauvaise monnaie ch,assant la bonne, il ne reste en circulation que les pièces les plus rognées, les plus allégées. Comment y porter remède? Déjà, en 1696, le gouvernement a démonétisé les pièces blanches pour en émettre de nouvelles. Mais le même phénomène n'a pas tardé à se reproduire, et bientôt les Anglais n'ont encore à leur disposition que des espèces usagées, ayant perdu de leur poids et de leur valeur, tandis que les pièces « droites» sont fondues ou exportées. Va-t-il falloir recommencer l'opération de refonte, bien qu'elle ait été vaine? En 1774, la Chambre des communes se résigne à voter une loi qui limite le pouvoir libératoire des pièces d'argent à 25 livres; au-delà de ce montant, qui représente d'ailleurs des règlements élevés, l'argent ne peut être utilisé qu'au poids (à 62 pence l'once), c'est-à-dire à la condition de peser les pièces. C'est une première et timide limitation du rôle monétaire d'e l'argent. Sans s'en douter le moins du monde, l'Angleterre franchit une étape dans la direction de l'étalonor. La deuxième étape, elle aussi accidentelle, se situe en 1798 : durant la Révolution française, l'argent a fui le continent, et son aftlux a fait baisser ses cours à Londres. Le public trouve profit à se procurer des lingots et à les présenter à la frappe, pour obtenir des pièces. En hâte, une loi suspend la frappe libre du métal blanc : elle fait prudemment état de ct circonstances temporaires» et n'édicte que «pour le présent ». Mais le provisoire est appelé à durer, et la mesure, toute négative, peut finir par prendre un
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aspect positif si, dans le même temps, la frappe libre de l'or est maintenue. Troisième étape, décisive cette fois, en 1816 : la paix est conclue, l'Angleterre peut et doit restaurer sa situation monétaire. Elle rétablit en principe la libre frappe de l'argent, mais pour éviter le retour aux difficultés passées, et toujours pour tenir compte de l'inévitable usure des pièces les plus courantes, elle limite à 40 shillings le pouvoir libératoire de l'argent. Au-delà de cette somme, cette fois-ci relativement basse, il n'est plus question de peser les pièces, les règlements doivent se faire en or, sur la base de 77 shillings 10 pence % ronce, qui est celle des pièces nouvelles. Dans ce texte fameux de 1816, véritable charte de l'étalon-or, il n'est guère question que de l'argent. Londres ne se doute absolument pas que sa politique, adoptée pour des raisons de circonstance, aboutit à instaurer un système tout neuf, et contraire à toutes les traditions. La frappe libre de l'argent maintiendrait d'ailleurs une sorte de bimétallisme. Mais la loi de 1816 se contente de confier à une proclamation royale le soin de fixer le jour à partir duquel les particuliers pourraient apporter leur métal blanc à la monnaie, au taux de 62 shillings l'once: jamais le roi ne proclamera rien de tel, jamais la frappe libre de l'argent ne sera restaurée. C'est par une abstention que l'étalon-or, en toute innocence, est consacré. Il est fils du silence et du hasard. La dernière étape, simple conséquence de la précédente, est franchie en 1821, quand le Royaume-Uni, ayant liquidé le passif d'un quart de siècle de guerres, rétablit la convertibilité de ses billets. Dès lors, la Banque d'Angleterre est prête à rembourser en métal toutes les coupures qui lui seront présentées. En quel métal? n n'est même pas nécessaire de le préciser. En or, forcément, puisque les paiements supérieurs à 40 shillings exigent l'emploi du métal jaune.
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L'étalon-or est mis en place, sans que nul l'ait su ni voulu. Après coup, l'Angleterre découvrira les vertus du système, et, d'une décision imposée par les événements, se fera gloire comme d'une théorie préétablie. Elle déifiera l'étalon-or, lui érigera un temple et conviera le monde au culte nouveau. Quelques économistes en seront les premiers desservants. David Ricardo, qui préconisait l'unimétallisme-argent en 1816, se rallie à l'unimétallisme-or trois ans plus tard: « Je suis arrivé à la conclusion que l'or est le meilleur métal pour régler la valeur de notre circulation. » Mais Stuart Mill, s'il incline vers l'unimétallisme, hésite à trancher entre l'or et l'argent. Auprès des hommes d'État comme auprès des hommes de doctrine, l'étalon-or ne fera pas école sans soulever d'âpres résistances.
Les variantes de l'étalon-or Une bonne définition permet de faire l'économie de bien des controverses. Le malheur est que, pour l'étalon-or, la définition est élastique. L'expression sert et servira à désigner des régimes passablement différents, de telle sorte que les discussions s'éterniseront, faute d'en avoir préalablement cerné le contour. Disraeli assure que « plus d'hommes ont été rendus fous par l'étude de l'étalon-or que par l'amour Il. De l'étalon-or, on peut donner pour le moins quatre définitions. La première relève de l'histoire, telle qu'elle vient d'être exposée à l'occasion du ralliement fortuit de l'Angleterre à la nouvelle formule. Ainsi compris, l'étalon-or est le système monétaire que caractérise une circulation de pièces d'or, ayant seules plein pouvoir libératoire, et de frappe libre : autrement dit, pour qu'il y ait étalon-or, il faut et il suffit que les paiements s'effectuent en espèces d'or, qu'au-
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cun autre métal ne soit admis sans limite à jouer la même fonction, et que les particuliers puissent, avec des lingots d'or achetés sur le marché, obtenir de la Monnaie, pour un poids égal, des pièces de métal jaune, sans autre retenue éventuelle qu'un léger droit de monnayage. Dans une deuxième acception, moins exigeante, l'étalon-or n'est plus que l'adoption d'une définition en or de la monnaie. Dès l'instant que les pouvoirs publics assignent à l'unité monétaire l'équivalence d'un certain poids de métal jaune, ou à l'unité de poids (le gramme, l'once ... ) l'équivalence d'un certain nombre de pièces d'or, sans référence à un autre métal, on peut considérer que le système est bien celui d'une échelle-or - le mot étalon lui-même ne désignant rien d'autre qu'un « estel », c'est-à-dire un pieu garni de marques à jauger -, et le mot anglais correspondant, standard, dérivé du français étendard, suggérant lui aussi l'idée d'une certaine façon de s'étendre. Troisième sens, caractérisé par la politique de la Banque d'émission à l'égard de ses billets. TI y a étalon-or, si la Banque centrale accumule essentiellement (ou exclusivement) de l'or dans ses réserves, et si elle assure aux billets une libre conversion en or. Quand les billets sont remboursés en pièces d'or, le système se dénomme étalon-espèces (gold specie standard). Quand ils sont remboursés en lingots, le système devient l'étalon-lingots (go Id bullion standard). On verra que les deux attitudes peuvent être adoptées. Quatrième conception de l'étalon-or: c'est le système monétaire qui réserve à l'or le soin de satisfaire aux règlements internationaux. L'encaisse des Banques centrales, ou des organismes qui en dérivent, ne sert pas simplement de garantie aux billets; elle est surtout destinée à permettre les paiements extérieurs.
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Qu'on suppose par exemple l'Angleterre et le Por~ tugal ralliés à l'étalon~or, et l'Angleterre vendant au Portugal plus de marchandises qu'elle ne lui en achète. Le débiteur portugais, pour se libérer, se procure des livres sterling. Comme les demandes portugaises de livres sont nombreuses, le cours de la livre monte. Au~delà d'un certain cours, le débiteur portugais a intérêt à acquérir de l'or et à l'expédier à Londres. Le cours en question, qui tient compte des frais de transport et d'assurance du métal, s'ap~ pelle le point d'or (goZd point). Comme le même mécanisme peut jouer dans les deux sens, chaque monnaie a son point d'or d'entrée et son point d'or de sortie. L'or apparatt de la sorte comme un moyen normal de règlement, dont les vertus régulatrices sont, en principe, remarquables : car le pays dont la balance des comptes est déficitaire est normalement incité à raréfier sa monnaie, à resserrer ses crédits, de façon à freiner ses achats extérieurs et à rétablir l'équilibre rompu. Le mécanisme est simple, quasi~ ment automatique. Il appelle les nations à une disci~ pline consentie. Il stimule l'effort, favorise le progrès, régularise les prix. Si l'étalon-or ne présentait que des avantages, ce serait trop beau. Il offre l'inconvénient d'être deux fois tyrannique, pour les États et pour les peuples. Aux Etats, il enlève en partie la souveraineté monétaire, puisqu'il substitue ses règles aveugles à leurs décisions. Aux peuples, il impose des exigences par~ fois inhumaines, qui n'excluent ni les faillites ni le chômage. Il fait dépendre les disponibilités moné~ taires du caprice des découvertes, plus que des besoins de l'économie. Le XI Xe siècle, à la vérité, n'est pas exactement conscient des vices et des vertus du système. On les reconnattra plus tard, pour regretter le paradis perdu ou dénoncer l'enfer responsable.
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Pour l'heure, l'Angleterre ne fait encore qu'explorer un domaine où elle s'est aventurée sans préméditation, tandis que les autres puissances préfèrent s'attarder sur des terrains qui leur sont plus familiers. Il faudra que l'Angleterre devienne incontestablement la première nation du monde pour qu'ailleurs on s'interroge sur les causes de cette ascension : est-ce l'étalon-or qui a fait la fortune de l'Angleterre? A coup sûr, il ne l'a pas empêchée. Résistance à l'étalon-or
En dehors du Royaume-Uni, qui n'est lui-même pas très convaincu d'être dans le bon chemin, aucune nation ne pense d'abord à lui tenir compagnie. Le monde entier persévère dans l'étalon-argent ou le bimétallisme, où le retiennent les habitudes contractées, ainsi que la répugnance qu'inspire tout changement. L'étalon-argent, selon la tradition, est le régime de l'Orient et de l'Extrême-Orient. Le double étalon est celui de l'Occident, et en particulier, on l'a vu, celui des États-Unis et de la France, mais aussi bien de l'Europe continentale. L'étalon-argent ne devrait être menacé que par une dépréciation profonde du métal blanc, qui mettrait en cause sa qualité de marchandise précieuse. Le bimétallisme est plus vulnérable, parce qu'il est à la merci des fluctuations intempestives des deux métaux. Que l'un d'eux monte ou baisse trop, et le fameux rapport que la loi édicte entre eux (15 à 1 aux États-Unis, 15,5 à 1 en France) deviendrait incorrect, au risque de fausser le système. Par une chance assez extraordinaire, les cours respectifs de l'or et de l'argent restent suffisamment stables durant les deux premiers tiers du XIXe siècle, pour que leur rapport marchand ne s'éloigne guère du niveau retenu par les législateurs. Seuls les Etats-
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Unis, qui avaient visé un peu bas en 1792, rectifient en 1834 en redressant légèrement la teneur du dollar en or, et en portant de ce fait le rapport or-argent de 15 à 16 pour 1. Cette fois, ils forcent la note: sur les marchés, la cote des deux métaux n'a légèrement dépassé 16 qu'en 1808, en 1812 et en 1813, et elle a ensuite constamment évolué entre 15,11 (au plus bas en 1817) et 15,95 (au plus haut en 1821). Si l'Amérique ne rejoint pas l'Angleterre dans le camp de l'étalon-or, c'est aussi et surtout pour des raisons politiques: les propriétaires de mines d'argent, qu'on appelle les sUvermen, sont puissants, et ils animent un groupe de pression qui lutte et luttera longtemps pour la défense de son métal. En France, il nlest d'abord pas besoin de lutter: le bimétallisme se défend fort bien tout seul. L'opinion peut même croire que les auteurs de la loi de germinal ont été inspirés par la déesse Raison en optant pour le double étalon, et que le rapport 15,5 est quasiment inscrit dans l'ordre naturel des choses, puisque les marchés en ratifient le choix. Le bimétallisme français comporte la liberté de la frappe des matières d'or et d'argent, le cours légal, sans limitation, des monnaies d'or et d'argent, et, comme tout système monétaire de régime libéral, la liberté d'importer ou d'exporter à volonté lingots et pièces d'or et d'argent. La Banque de France, dans son encaisse, accumule les deux métaux : au milieu du siècle, son encaisse est surtout composée de pièces blanches. Au lendemain de la guerre de 1870, la Banque détient encore deux fois plus d'argent que d'or (1 200 millions de francs contre 600). Non seulement le bimétallisme français n'apparaît pas alors comme absurde et anachronique, mais il exerce une vive séduction à l'étranger. « Je puis vous le prédire », avait déclaré sans modestie l'un des créateurs du franc de germinal, le conseiller Cretet, futur gouverneur de la Banque de France, « l'Europe
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sera forcée d'adopter ce système sublime. » La prophétie semble se réaliser : le franc, assis sur deux métaux, divisé en centimes selon le système décimal, fait figure de monnaie « à la page». Plutôt que d'imiter le sterling, adepte isolé de l'or, les nouvelles monnaies prennent pour prototype ce franc cartésien : la Belgique en fait son franc belge, la Grèce sa drachme, la Suisse son franc suisse, l'Italie sa lire, l'Espagne sa peseta. Le franc inspire de naissantes monnaies dans les Balkans et jusqu'en Amérique latine. Paris se berce même de l'illusion que l'Europe, sinon la planète, adoptera le franc comme monnaie unique. Napoléon III espère faire de la pièce française d'or de 5 francs l'unité de base du monde civilisé. TI convie dix-huit nations à une Conférence internationale (en 1867) pour appeler « leur attention sur la grande pensée de l'uniformité monétaire » et propose le franc comme monnaie universelle. On applaudit beaucoup. Mais Londres et Washington ne sont pas disposés à s'aligner. D'ailleurs, il est déjà trop tard: le double étalon s'est mis à craquer. TI est arrivé ce qui devait arriver tôt ou tard : le rapport des valeurs marchandes des deux métaux s'est écarté du rapport des valeurs légales. C'est d'abord l'or qui a baissé, après les découvertes de Californie et d'Australie. L'argent, devenu la « bonne monnaie », tend à disparaître de la circulation. Pour freiner ce mouvement, la Suisse réduit le titre de ses petites pièces d'argent de 0,900 à 0,800 (en 1860); l'Italie, à 0,835 (en 1862); la France ne s'y résigne (en 1864) que pour les piécettes d'argent de 50 et 20 centimes. Mesure bâtarde, qui ne résout rien. Les tenants du bimétallisme ont alors à lutter moins contre les prosélytes de l'étalon-or que contre les fidèles de l'étalon-argent. Aux vitrines des boutiques, on affiche « Ici, l'or est reçu sans perte », comme s'il s'agissait d'une concession aux clients.
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La guerre de Sécession ne fait qu'aggraver la pénurie de métal blanc, en suspendant les ventes américaines de coton. L'Europe ne peut s'approvisionner en coton qu'auprès de l'Inde, qu'il faut payer en argent. La Cl famine du coton » risque de devenir une « famine de l'argent ». Sur l'initiative de la Belgique, restée seule pleinement fidèle au titre 0,900 de la loi de germinal, une conférence réunit à Paris (en 1865) les quatre pays soucieux de lutter contre la hausse et la raréfaction du métal blanc: France, Italie, Belgique et Suisse. Leur faudra-t-il répudier le bimétallisme, se rallier à l'étalon unique? La tradition est la plus forte. Après six séances de débats, une convention est signée qui pose les bases de l'Union latine. Les quatre signataires, que rejoindra la Grèce, se constituent « à l'état d'union pour ce qui regarde le poids, le titre, le module et le cours de leurs espèces d'or et d'argent ». Ils auront, à plein pouvoir libératoire, les mêmes monnaies d'or, au titre de 0,900, et les mêmes pièces d'argent de 5 francs à 0,900. Mais leurs autres pièces d'argent, au titre de 0,835, n'auront cours légal que pour les paiements inférieurs à 50 francs, et leur frappe sera limitée. Le pacte est conclu pour quinze ans, et pourra être reconduit de quinze en quinze années. Cependant, le premier délai ne s'écoulera pas sans la déconfiture définitive du double étalon, qu'on a cru sauver, et dont la ruine n'est que différée. L'Union latine est née pour faire face aux problèmes que soulevait la baisse de l'or. Elle va sans tarder être a ppelée à affronter la baisse de l'argent: une baisse que provoque et précipite la découverte des mines du Nevada. En quelques années, la production mondiale de l'argent quintuple. L'argent s'effondre, glisse presque au rang des métaux communs, devient un sous-produit. Le « sublime» rapport 15,5 à 1 perd toute signification. En 1873, le rapport marchand
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dépasse 16; en 1877, il atteint 17; en 1878, il approche de 19; en 1886, il franchit 20; en 1894, il est à 32; à la fin du siècle, à 33; en 1910, à 38. Maintenir dans ces conditions le bimétallisme, même limité aux pièces de 5 francs, c'est accepter la fuite de l'or. Car n'importe qui peut acquérir pour 4 francs de métal blanc, le porter à l'Hôtel des Monnaies et y faire frapper une pièce de 5 francs. N'importe qui peut, avec 4 de ces pièces de 5 francs, acquérir une pièce d'or de -20 francs. Si ce n'importe qui est un étranger, il peut inonder la France d'argent déprécié et en exporter l'or apprécié. Les spécula· te urs s'en donnent à cœur joie. Résultat: les pièces d'argent se multiplient, l'or disparaît. Les nations de l'Union latine réagissent en ordre dispersé. La première, la Belgique suspend la frappe libre de l'argent (en 1873); la France suit son exemple en 1876. L'Union latine décide de limiter le monnayage des pièces de 5 francs, puis de l'arrêter « provisoirement » (en 1878). C'en est fini du bimétallisme, qui suppose frappe libre et plein pouvoir libératoire des deux métaux. Ce n'est pas encore l'unimétallisme-or, puisque l'on n'ose pas retirer le cours légal illimité aux pièces de 5 francs, et puisqu'on maintient le droit, pour les Banques centrales, de rembourser les billets en or ou en argent. A mi-chemin entre les deux systèmes, le bimétallisme devient « bossu » ou « boiteux». Un infirme, un éclopé... Pourtant, tous les partisans de l'argent ne capitulent pas. Sur le continent européen, le double étalon, plus ou moins amendé, tient bon en Espagne, en Autriche, en Russie, dans les Balkans. En Asie, l'argent reste le métal dominant de la Perse, du Siam, de la Chine, de Plndochine, du Japon. Toute l'Amérique latine s'accroche au bimétallisme. Aux ~tats Unis, si les lois de 1873 et 1874 limitent le pouvoir libératoire des pièces d'argent, les «argentistes» obtiennent en 1878 la frappe, par le Trésor, de dollars
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d'argent à cours légal sans limite, et ils entreprennent, en Amérique et dans le monde, une croisade pour la réhabilitation du métal blanc. Trop tard 1 L'argent est condamné.
L'or l'emporte Pourquoi l'or l'emporte-t-il? Pour une part en raison du prestige du Royaume-Uni, champion de l'or étalon. Au siècle de Victoria, reine durant soixante-quatre années, l'Angleterre triomphe par son charbon et ses machines, son Empire et sa marine, ses banques et sa monnaie. Si l'étalon-or sert l'Angleterre, elle le sert en retour. L'or gagne aussi la partie par ses propres vertus. Il est, sans nul doute, le métal roi. Si l'on n'en avait pas trouvé de nouveaux gisements, au XI Xe siècle, il serait devenu trop rare, et quasiment inaccessible. Par bonheur, on en trouve beaucoup, et d'extraordinaires, mais non pas en quantités telles qu'il soit disqualifié. Les progrès étonnants de la production de l'or ne font qu'accompagner et soutenir ceux. non moins étonnants, d'une économie explosive. L'or l'emporte, surtout, parce que son rival, l'argent, perd brusquement, dans les années 70, son pouvoir de séduction. Que s'est-il passé? On l'a dit, la production de métal blanc augmente, tout spécialement aux États-Unis et au Mexique. Mais cette explication est insuffisante, puisque la production de l'or augmente bien davantage encore: en 1900, si le monde produit 6 fois plus d'argent qu'en 1800, il produit 20 fois plus d'or. Le discrédit du métal blanc, est, pour l'essentiel, d'ordre psychologique: on cesse de croire en sa vocation monétaire. Il suffit qu'une nation le démonétise pour que le doute se propage, et que la contagion libère sur le marché des disponibilités croissantes de métal blanc. La suspension de la frappe libre réduit l'argent à la condition
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de métal marchandise, tout juste bon à s'incorporer dans des monnaies divisionnaires. C'est le désaveu de l'argent qui fait la victoire de l'or. Près de quarante années durant, de 1816 à 1854, l'Angleterre est restée seule adepte de l'étalon-or. En 1854, elle trouve enfin un élève: le Portugal. Lisbonne, qui suit traditionnellement les leçons de Londres, imite sans conviction l'exemple du maître. L'étalon-or marque un point, mais un point qui ne compte guère. C'est le geste de l'Allemagne qui, en 1873, est déterminant. Victorieux de la France, le jeune Empire allemand commence à peser dans le monde. Il vient de recevoir l'indemnité de guerre que lui allouait le traité de Francfort; cette indemnité, de 5 315 millions de francs, a été réglée pour partie en pièces d'or (273 millions), pour partie en pièces d'argent (239), pour partie en billets allemands ou français (230), pour partie en nature (325 millions représentant le réseau ferroviaire d'Alsace et de Lorraine), mais pour l'essentiel (4248 millions) en lettres de change sur l'Angleterre, la Prusse, la Belgique et les Pays-Bas. Avec ces créances, l'Allemagne rembourse ses propres dettes à l'étranger, et encaisse de l'or. Avec ce métal, elle se considère comme armée pour se rallier à l'étalon-or. Depuis 1871, l'Allemagne a suspendu la frappe de l'argent, créé le mark et décidé l'émission de pièces d'or. Cette fois, en abolissant tous les systèmes monétaires des États germaniques, en faisant du mark-or l'unique monnaie de base de l'Empire, en limitant à 20 marks le pouvoir libératoire des pièces d'argent, en introduisant la frappe libre de l'or, en décidant que les billets de la Reichsbank seront désormais convertibles en or, l'Allemagne consacre son choix, et décide du destin monétaire du monde. Car, dans son sillage, l'Europe se convertit à l'étalon-or : dès 1873, les États scandinaves, qui ont
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l'Angleterre et l'Allemagne pour partenaires commerciaux; en 1875, les Pays-Bas, qui ne peuvent davantage se désolidariser de leurs puissants voisins; puis, avec des nuances, la Roumanie, la Finlande, l'Autriche-Hongrie, la Russie. De l'autre côté de l'Atlantique, tour à tour, le Brésil et l'Uruguay, l'Argentine et le Chili, le Pérou, la Bolivie et le Mexique se rallient au système anglais. Aux États-Unis, la querelle entre les « argentistes » et les fanatiques de l'étalon-or devient l'enjeu des batailles électorales, l'enjeu aussi de la rivalité entre l'Est, qui entasse l'or, et l'Ouest, qui produit l'argent. « Vous ne crucifierez pas l'humanité sur une croix d'or», s'exclame le démocrate Bryan, champion de l'argent. « L'argentisme est un anachronisme», répliquent les hommes de l'or. En 1896, le républicain Mckinley, champion du métal jaune, est élu de justesse. L'or du Transvaal arrive à point pour faciliter le changement de régime. En 1900, le Gold Standard Act assure libre frappe et cours légal aux espèces d'or, convertibilité en or aux billets. Est-ce l'étalon-or? Pas tout à fait: les silvermen sont encore assez puissants pour imposer un compromis sur les dollars-argent, dont la frappe est limitée, mais qui demeurent dotés du plein pouvoir libératoire. L'étalon-or américain est lui aussi, à sa façon, un étalon boiteux. Si le dollar-argent garde ainsi ses prérogatives. c'est sans doute parce qu'il est l'héritier de la piastre espagnole, et que celle-ci, sous des formes diverses et des appellations nouvelles, reste la monnaie favorite des échanges internationaux sur tout le pourtour du Pacifique, et dans l'Asie toujours fidèle au métal blanc. Presque seul, le Japon se rallie à l'étalon-or (en 1898), grâce à l'indemnité-or que lui verse la Chine à l'issue d'une guerre malheureuse. Le Siam, en 1908, imite le Japon. Mais l'Inde est imperturbable : tout en continuant à absorber et à entasser
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les métaux précieux, qu'elle transforme en bijoux et en parures bien plus qu'en pièces, elle ne renie pas sa roupie d'argent. De même, la Perse et la Chine s'en tiennent au métal blanc. Entre l'or et l'argent, la dispute n'en est pas moins tranchée. Les nations puissantes ou montantes - Angleterre, États-Unis, Allemagne, Japon - ont opté pour l'or. Seules s'attardent sur l'argent ou le double étalon les nations moins dynamiques - la France et les pays latins -, ou franchement arriérés - la Chine, l'Inde... Dès la Conférence de Paris de 1867, l'étalon-or apparaît comme la formule de l'avenir. Une autre Conférence, tenue à Paris en 1881, en confirme les progrès. Malgré les combats d'arrière-garde que livre l'Union latine, l'or gagne du terrain jusqu'en son sein: la Banque de France, qui en 1881 détient encore d;ms son encaisse 2 fois plus d'argent que d'or, finit par détenir, en 1891, autant d'or que d'argent, et, en 1913, 5 fois plus. En cette même année 1913, l'étalon-or, parfois encore teinté de reflets d'argent, règne en maître, et il est plus simple d'énumérer les pays encore rétifs, que les pays consentants : à savoir le dernier carré du double étalon - l'Union latine plus ou moins désagrégée et l'Espagne; ainsi que les derniers fidèles de l'étalon-argent - une partie de l'Asie, en Afrique le Maroc et l'Ethiopie, au Nouveau Monde trois petits États de l'Amérique centrale (Guatemala, Honduras et El Salvador). La victoire de l'or n'est nulle part celle d'une doctrine. Elle est celle d'une pratique.
Les ruées vers Z' or : Si bérie Si les États ne se sont pas rués vers l'étalon-or, il est advenu que les hommes, en plusieurs circonstances du XIX e siècle, se sont rués vers les lieux de production du métal jaune. Peut-être n'ont-ils jamais
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cessé de rêver à l'Eldorado. Quatre fois au moins, ils croient en découvrir réquivalent : en Sibérie, en Californie, en Australie, en Alaska. Chronologiquement, la Sibérie ouvre la série des grandes trouvailles. Logiquement l'exploration et l'exploitation des immensités asiatiques soumises aux tsars se déplacent de l'Ouest vers l'Est: alors qu'au XVIIIe siècle, l'or venait surtout de l'Oural, au XIXe, il apparaît dans le bassin de la Lena, dans la lointaine province d'Irkoutsk. A mesure que progresseront la colonisation et la recherche, il apparaîtra de plus en plus vers le soleil levant et vers le pôle du froid. On commence par découvrir en 1838, au-delà du lac Baïkal, sur les rives de la Tchara, un filon d'or de 14 verstes, soit 15 kilomètres. En 1842, on compte déjà 58 gîtes alluvionnaires en production, dans des terrains accidentés ou marécageux, et qui produisent quelque 11 tonnes d'or. Dans les sables du Witim, affluent de la Lena, le métal est lavé, non plus par des forçats comme un siècle plus tôt dans l'Oural, mais par de libres chercheurs. Puis, quand l'exploitation se développe, elle est organisée directement par la Couronne, ou concédée, pour douze ans, à des entreprises qui paient une redevance au tsar et une taxe aux responsables de l'ordre. Rude travail, au cœur de la taïga sibérienne 1 7000 salariés besognent tous les jours, sauf les dimanches, de 5 heures du matin à 8 heures du soir, mais seulement du 1er mai au 1er septembre, pendant les quatre mois que ne condamnent pas le froid et la nuit. La peine du knout est officiellement interdite, mais le vent glacé ou les tempêtes de neige se chargent de fouetter les hommes à la tâche. ils sont aux prises avec des sables gelés, qu'il faut arracher à grands coups de hache ou à la barre de mine. et fondre à l'eau chaude, en prenant le gel de vitesse. Beaucoup de ces travailleurs succombent. Auprès
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d'eux, les concessionnaires, engoncés dans leurs fourrures et coiffés de bonnets de feutre, vivent douillettement. Autour d'eux, les profiteurs font de belles affaires : les nomades vendent cher leur bétail, les paysans et les marchands trafiquent de leur mieux; les pionniers les plus entreprenants fondent des écoles, bâtissent des églises, ouvrent des théâtres, créent des journaux. L'or donne la vie à la naissante Sibérie. En 1847, la Russie d'Asie, détrônant le Brésil au palmarès de l'or, devient le premier producteur du monde, avec les trois cinquièmes du métal extrait sur la planète. Plus tard, les 100 000 kilomètres carrés de terrains aurifères qui s'étendent entre la Lena, le Witim et la Tchara, et qui constituent le plus riche de tous les placers connus, passent sous le contrôle d'une société britannique, la Lena Goldfields. Un certain nombre d'actions restent entre des mains russes, dont celles de l'impératrice douairière Maria Feodorovna, mère du tsar Nicolas II. La Sibérie va continuer sur sa lancée, avec une production d'or qui atteindra bientôt 8 tonnes par an. Mais le monde déjà tourne les yeux dans une autre direction. Il y a beaucoup mieux que la Sibérie: la Californie. Les ruées vers l'or: Californie
Le héros de l'aventure caIifornienne s'appelle John Augustus Sutter : originaire du duché de Bade, il a été capitaine de la garde suisse de Charles X. Après la révolution de 1830, rayé des cadres de l'armée, il va chercher fortune ailleurs. Certains de ses biographes assurent que, sous le coup d'une condamnation en 1834, il quitte la Suisse en fraude, abandonnant sa femme et ses quatre enfants. Il s'embarque au Havre, gagne New York, tente sa chance à SaintLouis, à Santa Fe, en Oregon. D'autres auteurs le donnent comme faisant naufrage, en 1839, devant
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les côtes américaines du Pacifique: il prend pied en un lieu dénommé Yerba Buena, où s'élèvent un petit comptoir de la Compagnie de la Baie d'Hudson et de pauvres baraques, qui un jour engendreront San Francisco. D'autres encore en font un fermier dans le haut Missouri, puis un commerçant à Vancouver, en rapports avec les factoreries russes de l'Alaska, les marchands espagnols de Californie et les comptoirs chinois de Hawaii, enfin un commissaire du gouvernement mexicain aux Affaires indiennes: tant il est difficile, dans la biographie des pionniers, de séparer la légende de l'histoire. A coup sûr, le capitaine Sutter obtient une concession dans la vallée du Sacramento : 30 lieues de terrain vierge, sur les bords du Fork. La concession est-elle gratuite? A-t-elle été achetée aux Russes, pour ravitailler en céréales leur colonie de l'Alaska? Soucieux de tenir les Indiens en respect, Sutter construit un avant-poste: Sutter's Fort. Il s'y fait éleveur, étend son domaine, qu'il appelle « la Nouvelle Helvétie» : 900 kilomètres carrés, 600 auxiliaires. Au confluent des rivières American et Sacramento, à Coloma, le capitaine Sutter fait construire un moulin à eau destiné à une scierie. Mais, au début de 1848, des crues torrentielles en ravagent le bief d'alimentation. Sutter charge trois Américains de le réparer. L'un d'eux, le charpentier James Marshall, remarque des pépites et des paillettes brillantes parmi les graviers du fond du sas. Il en ramasse une poignée, la met dans un chiffon, court vers son patron. « C'était, raconte Sutter, par un après-midi pluvieux. J'étais assis au fort, dans ma chambre, et j'écrivais une longue lettre à un vieil ami de Lucerne. Soudain, Marshall, trempé, fait irruption dans la pièce. J'étais surpris de le voir déjà de retour. Il me dit qu'il avait quelque chose de très important à me communiquer, qu'il désirait me le dire en secret, dans un endroit isolé... Et Marshall me pré-
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senta son bout de chiffon, dont il sortit un métal jaunâtre. Il y avait plusieurs grains d'environ quatre onces chacun. » Cela se passe le 24 janvier 1848. Sutter chausse ses lunettes, examine l'objet sous toutes ses faces, puis se dirige vers sa bibliothèque, pour consulter une vieille encyclopédie à la lettre « G » : goZd. Méthodique, il soumet le métal à l'action de l'acide azotique, éprouve sa malléabilité à coups de marteau, compare son poids à celui de l'argent, confronte sa couleur à celle d'une pièce de 5 dollars. Après quoi, il conclut gravement : « De l'or 1 » Toujours sous la pluie battante, avec Marshall, Sutter se rend au moulin de Coloma, regarde les sables, évalue le trésor. Tous deux résolvent de ne pas divulguer la nouvelle. Mais le moyen d'empêcher les ouvriers de recueillir des paillettes, d'en parler, de les montrer? Le moyen d'empêcher une foule grandissante d'hommes fanatisés d'envahir le domaine, de laver les sables? Toute la Californie retentit d'un seul cri: l'or 1 Sutter cherche à s'opposer à l'invasion, à sauvegarder sa récolte et son bien. On brûle sa maison de Sacramento. En vain, il plaidera .devant le tribunal fédéral de Washington. Il n'obtiendra qu'à la fin de sa vie une petite pension de l'État de Californie, et, après sa mort, une statue. Avant lui, la Californie n'était guère qu'un désert. On y avait vu des jésuites et des franciscains - qui donnèrent le nom de leur patron à San Francisco-, quelques immigrants venus du Mexique ou de l'Ouest : en 1840, toute la Californie ne doit pas compter plus de 15000 Blancs. En 1848, les ÉtatsUnis l'achètent au Mexique moyennant 15 millions de dollars et une petite guerre. Dès le mois de mars 1848, l'American Journal 01 Science publie une lettre selon laquelle « de l'or a été découvert dans la rivière Sacramento ... et tout laisse prévoir qu'il s'agit de quantités importantes». En mai, le Californian écrit: « La plupart de nos abonnés
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et de nos annonceurs ont fermé leurs portes, leurs bureaux et abandonné la ville... Tout le monde nous quitte, force nous est de suspendre notre publication. » En août, toute la côte Est des États-Unis est saisie de l'événement. En novembre, le New York Herald Tribune proclame que les États-Unis sont « à la veille d'un nouvel âge d'or ». En décembre, le président Polk en personne confirme l'ampleur de la découverte. La fièvre de l'or s'empare de l'Amérique. Les paysans quittent leurs champs, les ouvriers leurs fabriques, les domestiques leurs maîtres, les soldats leur poste, les fainéants leur lit. Si un bateau accoste, ses matelots le désertent. Les villages et les villes se vident : Monterey ne garde que son gouverneur et quelques officiers. Les chercheurs viennent de tous les continents. Américains, Anglais, Français, Polonais, Australiens, Mexicains, Chinois se retrouvent en Californie, avec pelles et pioches. Comme les pistes à travers les Rocheuses ne sont pas sûres, les immigrants doublent le cap Horn; ou bien ils passent à dos d'âne l'isthme de Panama et remontent vers le Nord, par mer ou par terre; ou bien encore, dans leurs voitures à bâche, ils traversent l'Oregon, gagnent le lac Salé, roulent vers l'Ouest jusqu'aux pentes de la Sierra Nevada. Ds bravent la faim et la fatigue, la montagne et .les Indiens, les moustiques, le choléra et la fièvre jaune. Dans L'Or, Blaise Cendrars contera cette épopée. Jules Romains la transposera dans Donogoo. Ce qui excite les convoitises et mobilise les passions, c'est ce fait que les champs d'or sont à qui les demande et à qui les occupe. Ailleurs, les États s'en réservent l'exploitation ou la propriété. Ici, l'initiative individuelle triomphe. En principe, il faut bien obtenir une licence, régler un droit d'expertise. En fait, le terrain est à qui l'enclot, l'or est à qui le trouve. Cela se sait, cela se dit. On rapporte des
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récits fabuleux : il suffit de se baisser pour ramasser d'énormes pépites, pour en remplir ses poches. 300, 500 dollars par semaine 1 « Il Y a même des cas où certains se font 100 à 200 dollars par jour », écrit le Bankers Magazine. Les réalités sont souvent plus décevantes: le chercheur doit apprendre à déceler l'or, à laver le minerai, il doit peiner sous le soleil, loger sous la tente ou dans des huttes, braver le scorbut et la dysenterie, sans parler des coups de couteau. Les tenanciers de tavernes et de maisons de jeu s'enrichissent plus sûrement que les pionniers de l'or. Mais enfin, l'or californien n'est pas un mythe. Avec les 7 premiers kilos parvenus à Washington t-'0ur examen et analyse, la Monnaie américaine frappe immédiatement des pièces de 2 dollars et demi. En 1849, sur place, une douzaine d'entreprises privées offrent elles-mêmes aux prospecteurs des pièces d'un demi et un quart de dollar, qu'elles échangent contre les sachets de poudre d'or. En 1851, la Californie tient à frapper officiellement ses monnaies. De 1851 à 1855, la production locale (déclarée 1) atteint 80 tonnes par an (94 en 1853). En neuf ans, elle représente 752 tonnes, soit presque autant qu'en a extrait l'Espagne, premier producteur de l'Empire romain, en cinq cents ans, ou que le Brésil durant tout le XVIIIe siècle. Jamais jusqu'alors aucun gisement n'a été aussi fécond. L'or californien, il est vrai, ne reste pas en Californie. Comme celui des conquistadors, qui gagnait l'Espagne pour se répandre en Europe, il se retrouve quelques années plus tard dans les coffres des banques de New York, voire dans ceux de la Banque d'Angleterre et de la Banque de France.
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Les ruées vers l'or: Nevada, Colorado Au Nouveau Monde, il n'est pas que la Californie: les espoirs des conquistadors sont comblés, avec trois ou quatre siècles de retard. En 1849, parmi tous les aventuriers qui se hâtent vers le Sacramento, il en est six qui traversent le désertique Nevada, que les États-Unis viennent de s'adjuger. Épuisés par une marche interminable, ils font halte à 300 kilomètres du but, et campent auprès des gorges de la rivière Carson. L'un des six, nommé Albert Blackburn, observe à tout hasard les sables du lit : ils contiennent des paillettes d'or. Cette fois encore la nouvelle se répand vite. Aux creux du Gold Caffon, ils sont bientôt des centaines à chercher le métal. De proche en proche, délaissant les alluvions pour les affleurements rocheux, ils mettent à jour la veine mère de quartz aurifère : Veta Madre, disent les Mexicains; Molher Lode, disent les Yankees. Elle serait longue, assure-t-on, de 200 kilomètres. Pour elle, les orpailleurs se font mineurs; ils creuseront des puits et des galeries jusqu'à 1 500 mètres de fond. En juin 1859, toujours dans le Nevada, et sur les pistes qui mènent à la Californie, quatre chercheurs décèlent un filon souterrain, à un mètre seulement de la surface du roc, et d'une incroyable teneur. L'un d'eux, le trappeur Henry Comstock, organise l'exploitation du gisement. Derrière lui, on se rue vers le Comstock Lode, et nombre de prospecteurs désabusés quittent même la Californie pour le Nevada. On y peut, parait-il, gagner jusqu'à 1 000 dollars par jour r Un vieux souvenir de l'Antiquité resurgit : on appelle les nùnes Ophir Mines. Une ville nait : Virginia, qui comptera 30000 âmes. Un broyeur mécanique est nùs en place. Des fonderies s'installent. Mais Henry Comstock n'a que de petits
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moyens. Après sa mort, un trust s'empare de l'affaire, cherche l'or en profondeur, fait perforer le mont Davidson. Les capitaux internationaux entrent dans la danse, les Bourses du monde spéculent sur l'entreprise. Mark Twain, observateur attentif, est présent à Virginia. « Il y avait autant d'argent que de poussière, racontera-t-il plus tard. Chacun se trouvait opulent, et une contenance mélancolique n'était pas de mise ... Toute la journée, la moitié de la population envahissait les rues comme un essaim d'abeilles, tandis que l'autre moitié se répandait sous ces mêmes rues, dans les galeries et les tunnels de Comstock, à plusieurs centaines de pieds sous le sol. Nous sentions souvent nos chaises trembler, et entendions sous nos bureaux le bruit étouffé d'une explosion venue des entrailles de la terre. » 30 tonnes d'or sont ainsi arrachées chaque année au filon qui mesure 6 kilomètres. il s'épuise vite. En 1880, l'épopée du Nevada s'achève. Elle a été aussi éphémère que fulgurante. Plus au centre du continent, les vastes étendues du Colorado sont elles aussi le théâtre de trouvailles fortuites et d'engouements soudains. Dès 1848, un colporteur assure qu'il a vu de l'or dans la Cherry Creek. Mais, cette année-là, on ne croit qu'à la Californie. Dix ans plus tard, des Georgiens que la Californie a déçus découvrent du métal dans le massif où prennent naissance le Colorado et l'Arkansas. Nouvelle ruée des chercheurs d'or. Un refrain court l'Amérique : « On nous a dit: A l'Ouest 1 Au nouvel Eldorado t » Pour les gars du monde entier, Eldorado rime avec Colorado. John Gregory prospecte chaque vallée, remonte chaque torrent, trouve 5 grammes d'or dans une poignée de boue j~une, délimite sa concession, y travaille sept jours avec deux aides pour obtenir un kilo et demi de métal et revend aussitôt son terrain pour 21 000 dollars. L'ancien facteur Tabor creuse au hasard, tombe sur un filon, obtient la
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concession pour 30 000 dollars, travaille deux ans, pour un profit de 3 millions de dollars. Ces récits--Ià se colportent vite et s'embellissent en cours de route. Ils enflamment les imaginations. Les chercheurs se multiplient à travers le Colorado: à Boulder, au bord de la Tarryall Creek, à Breckenbridge, à Buckin J oe. Les nouveaux toponymes célèbrent l'or: Gold Hill, Golden City, Oro City ... En 1890, le Colorado retrouve une chance : le propriétaire d'un petit ranch découvre un filon à Cripple Creek, sur les flancs du mont Pike. Le charpentier William Stratton, qui est devenu connaisseur en minéralogie, confirme la découverte et suppute la présence de l'or dans les granits de la montagne. Il s'y fait attribuer deux concessions, prélève quelques échantillons de la roche, les soumet au laboratoire de Colorado Springs qui lui précise leur teneur : 19 onces d'or par tonne. Dix ans après, quand meurt Stratton, son filon a produit 190 tonnes d'or. Mais, entre-temps, les conditions du travail ont singulièrement changé: l'exploitation n'est plus laissée à la fantaisie des amateu.rs. C'est désormais l'affaire des capitalistes et des techniciens, qui mobilisent des armées de mineurs. Les chercheurs d'or ne sont plus des aventuriers : ils sont les salariés des grandes compagnies.
Les ruées vers l'or: l'Australie Si l'on a trouvé de l'or au Nevada et au Colorado parce qu'ils sont sur le chemin de la Californie, ou dans l'espoir d'y renouveler la Californie, c'est encore le précédent califomien qui déclenche la ruée vers l'Australie. Pourtant, l'or australien aurait pu devancer l'or de l'Ouest américain: en 1839, le Polonais Strzelecki note la présence du métal dans les Blue Mountains, et la signale' au gouverneur. Celui-ci, qui a la res-
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ponsabilité des convicts déportés, se récrie : « Je ne pourrai plus retenir mes forçats s'ils apprennent qu'il y a de l'or dans les environs 1 Il li demande au Polonais de garder le secret. En 1844, l'Australie passe encore à côté de sa chance. Un autre chercheur trouve un morceau de quartz aurifère, qu'il envoie à Londres, puis à SaintPétersbourg pour expertise. li faut croire que les experts restent sceptiques: l'affaire n'a pas de suite. Survient Edward Hammond Hargraves. Il est né dans le Sussex en 1816 -. en même temps que l'étalon-or. A quatorze ans, il s'est embarqué sur un bateau marchand, a fait presque le tour du monde, et s'est établi en Australie en 1834. La fièvre de l'or ra saisi en 1848, et il a gagné la Californie. Là, il s'émerveille: non point du fait de la présence du métal, mais à cause de l'extraordinaire ressemblance qui, à ses yeux, apparente les placers californiens et certains districts d'Australie qui lui sont familiers. Il en conclut que son pays, lui aussi, doit être riche en or. A la fin de 1850, désireux de vérifier ses conjectures, il quitte l'Amérique. A bord du bateau qui le ramène, il se targue, auprès d'un compagnon de route, de trouver de l'or dans la semaine de son débarquement. « Il n'y a pas d'or là où vous allez, lui rétorque-t-on, et s'il y en a, votre Reine de malheur ne vous laissera pas y toucher. - Il Y a autant d'or en Australie qu'en Californie, réplique Hargraves, et Sa Gracieuse Majesté, que Dieu la garde, me nommera commissaire à l'Or. » De retour à Sidney, Hargraves franchit les montagnes Bleues, rejoint sur l'autre versant le bassin de la rivière Macquarie, parvient à la colonie de Guyong et plante sa tente au confluent de deux torrents. Comme il l'a prévu, dans la semaine même, il trouve de l'or. Le 12 février 1851, il en remplit une cuvette d'étain, et retourne à Sidney pour avertir le gouverneur. Celui-ci, qu'a éclairé la promotion de
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la Californie, n'hésite plus: il met Hargraves à la tête d'une compagnie de mineurs, il en fera le commissaire des Domaines de l'État, il lui fera voter une récompense de 10 000 livres et une pension par le Conseil législatif de la Nouvelle-Galles du Sud. Comme Hargraves est un sage, il donnera bientôt sa démission de commissaire et se retirera en Angleterre, où il écrira paisiblement ses Mémoires, en laissant à d'autres le soin de chercher, de trouver et d'exploiter l'or. Ils n'y manquent pas. Et ils trouvent de l'or: non seulement en Nouvelles-Galles du Sud, du côté de Bathurst, mais dans l'État voisin de Victoria, du côté de Ballarat et de Bendigo. Car Melbourne, jalouse de Sidney, a offert 200 livres à quiconque découvrirait un gisement à moins de 200 milles. Le pays « est semé d'or comme un champ l'est de blé », note un voyageur. Les scènes que produit habituellement l'appel du métal se renouvellent en Australie: les bergers délaissent leurs troupeaux, les anciens bagnards de Tasmanie affluent vers les zones de prospection. Ils y retrouvent, au dire d'un témoin que cite Timothy Green, « des marchands, des cochers de fiacre, des magistrats, des gentilshommes, tous balançant le sas mobile afin de pouvoir ,dire qu'ils l'avaient fait, des coiffeurs en renom et des tailleurs, des cuisiniers, des clercs de notaire et leurs patrons, des cordonniers, des professeurs de physique ou de musique, un aide de camp en permission, des balayeurs de rue, des marins, des sténographes, un lord authentique en voyage ». Tous portent la même tenue, vivent dans les mêmes huttes faites d'écorces. Pour mobilier, des caisses, des planches. Pour nourriture, des côtelettes sur du pain. Pour compagnes, les mouches et les puces. Mais quelle récompense, quand on trouve, comme certain pionnier en 1858, une pépite de 92 kilos, comme certain autre en 1866, 5 pépites de 50 kilos 1
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Hargraves a baptisé Ophir la première ville des champs d'or. La maison Samuel Montagu a ouvert ses portes, sur le marché australien, dès 1853 : elle deviendra la première banque de l'or. L'Australie évite certains des excès qui se sont manifestés en Californie : des commissaires administrent les lieux de fouilles, y interdisent les liqueurs fortes. Leur intervention soulève parfois des colères, voire des émeutes. On y met bon ordre. L'État nationalise les mines, vend les licences d'exploita,tion, perçoit une taxe de 30 shillings par mois. Au demeurant, l'or alluvionnaire est bientôt raflé, et Ill' quête de l'or exige ensuite plus de capitaux, plus dEt moyens mécaniques. Ici comme ailleurs, les amateç.rs cèdent la place aux sociétés d'exploitation. A. plus forte raison, elles restent seules en lice quand dés gisements sont découverts (en 1882), loin dans l'Ouest australien, en un désert où, sans eau, les isolés seraient perdus : il faut un aqueduc long de plus de 500 kilomètres pour acheminer l'eau nécessaire aux mines et aux mineurs, des pompes refoulantes pour la porter à 500 mètres d'altitude. L'aventure fait place à l'investissement. Avec l'or, l'Australie est du moins sortie de la stagnation. Elle n'était' qu'une colonie pénitentiaire, elle devient une puissance économique. En six ans, elle a reçu 1 250 000 i.mmigrants, qui ont quintuplé sa population. En ces mêmes six années, elle a produit 500 tonnes d'or. En 1903, elle devient pour un instant le premier producteur d'or du monde. Les ruées vers l'or: Alaska
En Amérique, c'est l'Alaska, avec les régions canadiennes les plus proches, qui prend la relève de la Californie : les Russes, après y avoir exterminé le gibier à fourrure, l'ont vendu en 1867, pour 7 200 000 dollars, aux États-Unis, qui se sentent
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doués pour l'impérialisme. Le gouvernement de Pétersbourg, cependant, a été avisé de la présence de l'or: en 1848 (c'est décidément la grande année du métal jaune), l'ingénieur Doroschine, qu'il a chargé de la prospection, a reconnu des paillettes dans une rivière qui se jette dans le golfe de Cook, « mais en quantité trop faible pour qu'il soit rentable d'y entreprendre des travaux ». En Alaska, le ·champ est donc libre pour les Américains. Ils entreprennent des recherches dans la toundra qui verdoie timidement l'été, mais qui, sous l'herbe et la mousse, est gelée dans ses profondeurs. On met à profit les quatre mois de belle saison pour chauffer la terre, puis pour la dégeler avec des injections de vapeur. Les Indiens offrent parfois aux trappeurs des fragments d'or. Les chercheurs blancs décèlent le métal sur les rives du Yukon. Mais les Russes avaient raison : le climat est trop rude, la teneur en or est trop pauvre, et ce serait folie que de rêver d'or sous le cercle arctique, bien plus près du pôle que ne sont les mines de Sibérie. Certain après-midi du mois d'août 1896, dans l'extrême nord du Canada, très près de l'Alaska américain, Robert tIenderson et l'Indien George Washington Carmack pêchent le saumon dans la rivière Klondike, affiuent de la rive droite du Yukon. Dans l'eau tourbillonnante, ne croient-ils pas percevoir des reflets dorés? Carmack, le premier, adresse une demande de concession. Son exemple est contagieux. Un coiffeur obtient un terrain, y trouve 60 kilos d'or. Au Klondike, nouvel Eldorado, les chercheurs individuels ont encore leur chance - la dernière. Ils ne sont pas sans mérite : car le métal est incorporé au lit de gravier, épais de 4 à 5 mètres, mais luimême recouvert d'une couche de terre noire et de tourbe, haute parfois de 5 à 10 mètres, et durcie par le gel. Le soleil ne suffit pas à la ramollir. Il faut allu-
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mer de grands feux avant de prendre la pioche et la pelle. Pourtant, quand le bruit de la découverte parvient à Seattle et à San Francisco, une frénésie renouvelée précipite vers le Grand Nord les amateurs de chimères. En dix jours de l'été 1897, on enregistre 1 500 départs. Mille dollars le passage sur un voilier ou un vapeur 1Le maire de Seattle démissionne pour tenter sa chance. En trois mois, ils sont 30 000 qui prennent la mer, débarquent en Alaska, à Skagway, passent les cols en files ininterrompues, se heurtent à la Police montée du Canada qui cherche à mettre un peu d'ordre dans le désordre, puis descendent le fleuve sur des radeaux. Au total, 100 000 hommes émigrent. 1 sur 3 parvient à destination. 1 sur 20 entreprend vraiment la recherche du métal. 1 sur 100 en trouve et devient riche. Des villes surgissent dans le désert glacé : Dawson au Canada, Fairbanks en Alaska. Mais ce sont de pauvres villes de baraques, où l'on trouve plus de whisky que de farine, et où les coups de feu sont plus nombreux que les pépites. De cette vie pathétique et bouffonne, entre les mauvais garçons et les tempêtes de neige, Charlie Chaplin fera, en 1925, l'un de ses chefs-d'œuvre: le « Gold Rush », La Ruée vers l'or. Le Klondike ne dure pas : de 1897 à 1900, il donne le meilleur de lui-même, soit près de 80 tonnes. Après luoi, l'extraction se poursuit dans des conditions moins échevelées et moins artisanales, à un rythme ralenti. Parallèlement, à l'autre bout de l'Alaska, sur le jétroit de Béring, l'or a déclenché une autre Iruée. Là encore, on connait les noms des découvreurs, qui ~nt trois Scandinaves: Jan Bryntesen, Jafet Lindeberg, Erik Lindblom. L'un est un Norvégien de rromsoe, qui, de la part du gouvernement américain, ~onduit des rennes lapons destinés aux Esquimaux. :"'es deux autres sont des Suédois: un tailleur de San
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Francisco, un métallo du Michigan. En septembre 1898, ils naviguent près du cap Nome, remontent le fleuve Snake. Sur ses affluents, ils découvrent le métal, font choix. de terrains, en demandent la concession et s'installent. Nouveau mirage: les pionniers de l'or se précipitent, chassent les trois Scandinaves qui ont grand mal, après plusieurs années de procès, à recouvrer leur bien. Des sables alluvionnaires, on remonte aux filons. Une ville naît à Nome, aussi précaire que Dawson. La production progresse et se maintient jusqu'en 1906, pour décliner ensuite. Le Nouveau Monde a vécu son ultime épopée.
Les ruées vers l'or : le Rand Que ce soit en Sibérie ou dans l'Alaska, en Californie ou en Australie, l'or a d'abord été découvert au fil de l'eau et recherché dans les alluvions. Les gisements miniers ne sont venus qu'ensuite. En Afrique du Sud, il ne s'agit plus de métal alluvionnaire. L'or est dans le roc. . Sibérie ou Alaska, Australie ou Californie, Nevada ou Colorado : les trouvailles ont beau porter sur des quantités prodigieusement supérieures à tout ce que l'homme a jamais connu, l'Afrique du Sud entre dans l'histoire de l'or pour écraser tous les souvenirs antérieurs et tous les rendements passés. A elle seule, elle va donner au monde plus d'or que tous les autres gisements réunis des siècles écoulés. Avec elle, la production de l'or entre dans une nouvelle dimension. Le Sacramento ou le Klondike ne sont plus que des hors-d'œuvre. TI est vrai que l'Afrique a déjà joué un rôle dans la carrière de l'or. L'Égypte a été le premier des producteurs de l'Antiquité. Tombouctou a été une capitale de l'or. La Côte-de-l'Or, prospectée par les Por.. tugais, en étanchant la soif de métal qui étreignait
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l'Europe au xve siècle, lui a pennis d'attendre la découverte du Nouveau Monde. Et l'Afrique australe elle-même, si lointaine qu'elle fût, a peut-êt1:"e été soupçonnée des Anciens. n n'est pas impossible, on l'a dit, que quelques-unes des expéditions des pharaons vers le mystérieux Pount, celles qu'envoie Salomon vers l'incertaine Ophir, aient atteint la région du Zambèze et du Limpopo. De leur côté, les Portugais ont fondé de grands espoirs sur l'or que pourrait leur procurer l'empire du Monomotapa. Si ce n'est pas tout à fait l'Afrique australe, c'en est déjà le seuil. Les Anglais sont au Cap depuis le début du XIX e siècle, et ils en ont chassé les Boers, ces paysans néerlandais, mâtinés d'Allemands et de protestants français, qui ont mis la province en valeur. Lassés par les vexations britanniques, les Boers ont chargé leurs outils sur des chariots et sont allés fonder, plus au nord, la république du Natal. Les Anglais les y suivent, les en chassent encore. Un nouvel exode conduit les Boers au-delà de l'Orange et du Vaal: ils créent les républiques d'Orange et du Transvaal, dont Londres, bon gré mal gré, reconnaît l'indépendance, tout en les contournant par le nord, chez les Zoulous. Si les Boers, dans leur migration, ne recherchent que des pâturages, il reste toujours une place pour les assoiffés de l'or. A plusieurs reprises, la présence !iu métal est subodorée: en 1852, un paysan croit la flairer sur la chaîne qu'on appelle le Witwatersrand, la Crête des eaux blanches. Les autorités, qui sont puritaines et redoutent les richesses mal acquises, interdisent d'en parler, sous peine de mort. En 1868, un géologue allemand assure avoir trouvé des filons au nord du Transvaal. En 1871, à Lydenburg, à 200 kilomètres au nord-est de Pretoria, une petite exploitation d'or s'ébauche: la roche est trop dure, l'entreprise avorte. En 1884, du côté du Mozam-
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Histoire de l'or
bique portugais, deux chasseurs, les frères Barber, découvrent un gisement et créent Barberton, qui compte bientôt 2000 habitants. Est-ce sérieux? Les Anglais, qui font fortune à Kimberly dans l'extraction du diamant, dépêchent Lionel Phillips pour étudier l'affaire. L'expert fait la moue, et décrète que la mine est sans avenir. Barberton s'éteint. Mais le Witwatersrand n'est pas tout à fait oublié. Les frères Frederick et Henrick Struben, en 1883, ont repris l'exploitation de ces montagnes arides et pelées, qui semblent roses à l'aube, bleues l'après-midi, dorées au crépuscule. Sur les terres de la ferme de Wilgespruit, à 2000 mètres d'altitude, ils s'attaquent à des conglomérats de galets quartzeux, enrobés dans un ciment de grès. N'y a-t-il pas de l'or dans ce ciment? Le 5 juin 1885, à Pretoria, ils présentent leur trouvaille aux ministres assemblés, que préside Paul Kruger. En février 1886, 2 kilos d'or pur sont envoyés à la Standard Bank de Pretoria. Les Boers puritains hésitent à s'enflammer comme devant un piège du démon. . Les Anglais, eux, s'enflamment. Mais il faut encore un double hasard pour confirmer l'importance du Witwatersrand, qu'on ne va plus appeler que le Rand. En ce même mois de février 1886, la veuve Anna Oosthuisen se fait construire une maison en son domaine de Langlaagte, sur les pentes méridionales de la montagne. Son maçon, l'Australien George Harrisson, pioche auprès de la ferme, pour se procurer les pierres nécessaires à la bâtisse. Harrisson, qui a l'expérience des gisements d'Australie, reconnaît en ces pierres le minerai porteur d'or. La veuve Oosthuisen reçoit dans le même temps un prospecteur anglais, George Walker. Peut-être Harrisson montre-t-il sa trouvaille à l'Anglais. La légende assure que celui-ci, au terme d'une promenade à cheval, met pied à terre et trébuche sur un caillou. Curieux, il le ramasse, l'examine, le broie, et
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rapporte à la ferme quelques parcelles d'or. Il a trouvé le métal au bout de sa botte. Que le hasard s'appelle Harrisson ou Walker, ou qu'il faille l'imputer aux frères Struben, voire au premier paysan qui a pressenti l'or du Rand, peu importe: l'or est là, entre Pretoria et le Vaal: le plus gros tas d'or du monde. Il intrigue les géologues, car il ne ressemble pas aux autres gîtes: le banc principal, ou Main Reel, s'étend de l'est à l'ouest sur 65 kilomètres en s'incurvant comme pour former les bords d'un bassin dont la partie méridionale se serait effondrée. De son point d'affleurement, le filon s'enfonce dans le sol en faisant un angle de 25 à 30 degrés sur l'horizontale. Le terrain est solide, les infiltrations d'eau sont rares. L'or, à faible teneur, est mêlé à la pyrite et à la silice, en particules généralement invisibles. Gravement, les experts s'interrogent sur ces mélanges insolites, déposés peut-être depuis deux milliards d'années et concluent que le Rand serait «un placer métamorphisé dans la suite des temps )J. Sans se poser de telles questions, tous ceux que fait tressaillir d'espérance le seul nom de l'or se hâtent vers la montagne aux merveilles. A pied, à cheval, en caravanes de chariots traînés par des bœufs, un flot d'émigrants anglais déferle sur les républiques hollandaises, qui leur accordent la possibilité d'obtenir des concessions, mais leur refusent les droits civiques. Une agglomération naît, faite d'abord de tentes de toile, puis de cabanes de bois, de torchis ou de tôle. Comme le Surveyor General du Transvaal s'appelle Johann Rissik, et comme le même prénom est porté par le président Stephanus Johannes Paulus Kruger et par le général boer Joubert, la ville nouvelle reçoit le nom de Johannesburg. Date officielle de naissance: le 20 septembre 1886. C'est un campement informe, sur l'emplacement même des mines. Mais comme la place ne manque pas, le gouvernement, en janvier 1887, fait lotir le terrain
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Histoire de l'or
voisin où il fixe le site définitü de la ville. Les mineurs n'y règnent pas. Elle est bien davantage le domaine des trafiquants, qui y établissent leurs boutiques, leurs bars, leurs bouges. Johannesburg a théâtre, champ de courses, tripots et cafés-concerts. Pas d'eau, pas d'éclairage. De la poussière ou de la boue. Sur la grande place, Market Square, on décharge et l'on parque les voitures. Dans la grande rue, Commissioner Street, on flâne, on troque, on joue, on boit. Mais, pour sa dixième année, Johannesburg peut se flatter d'un urbanisme à l'américaine, avec des blocs quadrillés, des jardins, des clubs et des bureaux. Elle compte 3000 habitants au début de 1887, 25000 en 1890, 102000 en 1896 : des Noirs, des Chinois, des Blancs - des Anglais surtout. Et c'est bien là le drame: l'équilibre est rompu aux dépens des Boers.
Barnato, Rhodes et Kruger Les Anglais ont en main les atouts maîtres. Au Rand, en effet, tout espoir est interdit aux chercheurs individuels, armés d'une pelle et d'un tamis: ils ne trouveraient pas une pépite dans le gisement. Seuls peuvent aboutir les hommes d'affaires, détenteurs de gros capitaux et capables de mettre en œuvre de puissants moyens techniques. Il faut d'énormes machines pour briser le quartz, creuser des puits qui descendront jusqu'à 2000 mètres, forer un réseau de galeries qui s'étendront sur des kilomètres. Le moindre chantier exige des investissements auxquels seules peuvent prétendre les grandes compagnies anglaises. Les pionniers de l'or, en Afrique du Sud, ne sont pas des chercheurs heureux, qui savent manier l'outil. Ce sont des financiers, qui savent manier les instruments de banque et de Bourse : Hermann Eckstein, un élégant Allemand, de Stuttgart, qui a fait ses armes aux Indes et qui fonde à Johannesburg le pre-
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mier comptoir, la Maison du Coin, Corner Bouse, quartier général des magnats de l'or; Jim Taylor, de Hambourg, qui a travaillé dans le diamant avant de s'intéresser au métal jaune; J. B. Robinson, qui emprunte pour multiplier les achats de terrains; George et Leopold Albu, qui fondent la General Mining and Finance Corporation; Adolf Goerz qui, avec des capitaux berlinois, lance l'Union Corporation; et, meneurs parmi les meneurs, Barney Barnato et Cecil Rhodes. Barnato, qui s'appelle en réalité Isaacs, a vu le jour à Whitechapel, chez les Juüs les plus pauvres de Londres. Il a été clown, jongleur, boxeur. Il est arrivé au Cap en 1873, avec 40 livres en poche et une boîte de cigares. Petit et pétulant, souple et trapu, il joue Othello, livre des combats de boxe. Puis, à Kimberley, on le voit s'intéresser au diamant, acheter, vendre. Il devient le roi du diamant. A Johannesburg, il est reçu en fanfare, avec gerbes et discours. « Votre ville, proclame-t-il, sera le Gibraltar financier de l'Afrique du Sud. » Il bâtit le Barnato Building, lance la Barnato Bank, fonde les Barnato Consolidated Mines, la Johannesburg Consolidated Inveslment Company. On l'appelle maintenant le roi de l'or. Il finira fou, et se jettera à la mer au large de Madère, du haut du paquebot Scot, qui le conduit en Angleterre pour le jubilé de diamant de la reine Victoria. Moins pittoresque, moins éphémère, Cecil Rhodes a de plus hautes ambitions. Fils d'un pasteur anglican, il a débarqué en Afrique du Sud en 1870, à dix-sept ans. TI est aussi long, raide, malingre, maladif, que Barnato est court sur pattes, agile et débordant de santé. Mais c'est Rhodes, le solitaire et le pensü, qui construira le mieux. Il rêve à une Afrique anglaise, du Cap au Caire, et n'agit en financier qu'en se voulant homme d'État. Avec les Rothschild de Londres, il tient tête à Barnato sur le marché du diamant, absorbe les affaires de son rival moyen-
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nant un chèque de 5 millions de livres et un poste de gouverneur dans la société qu'il a créée pour l'exploitation des mines de diamant. la De Beers. A Johannesburg, il met sur pied la Go Idfields , puis, en 1893, avec Eckstein et les Rothschild de Londres et de Paris, la gigantesque Rand Mines. Il est membre du Parlement du Cap, ministre à Pretoria. Pour la colonisation des savanes du Nord, il fonde une nouvelle compagnie qui reçoit une charte royale : la British South African Co, qui deviendra célèbre sous le nom de Charlered, et fondera un empire qui sera la Rhodésie. Un seul homme barre la route à Cecil Rhodes: le boer Paul Kruger. Kruger est un paysan de l'Orange. Il sait soigner les bêtes, galoper à cheval, lire la Bible, chanter les psaumes. Avec une barbe frisée, il ressemble à Jéhovah. Il a la voix grave et profonde qu'on prête à un dieu. Porté par ses compatriotes à la présidence de la république du Transvaal, il veut en faire un État austère et paternaliste. Entre ses amis paysans et les spéculateurs de l'or, il n'hésite pas. Il maudit les Anglais et parque dans des enceintes les travailleurs noirs. Johannesburg, avec ses bals et ses tavernes, lui paraît une ville de perdition. Publiquement, il traite ses habitants de «voleurs, assassins et brigands D. «Ne me parlez pas de l'or, aurait-il déclaré, ce métal d'où l'on tire moins de bénéfices que de dissensions, de malheurs et de fléaux ... Je vous le dis: chaque once extraite de notre sol aura pour contrepartie des flots de larmes, et le sang de milliers des meilleurs d'entre nous. D Cecil Rhodes et Kruger sont face à face : le bâtisseur et le mainteneur, le Britannique et le Boer, l'homme d'argent et l'homme de Bible. La guerre éclate, une guerre inexpiable, au cours de laquelle on parle plus de prestige que d'or, mais dont on sait bien qu'elle se déroule pour que Londres contrôle le Rand. A Johannesburg, où les Anglais victorieux
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PRODUCTION D'OR DU XIXe SIÈCLE.
En tonnes
Tonnes par an
Production
Rappel XVIe s. . Rappel XVIIe s.. Rappel XVIIIe s.
·
1801-1850 . 1851-1900 . Total XIXe s.•
904 1108 2154
9 11 21 1320 10983
26 220 123
5724 2749 20776
572 687 182
12303
1901-1910 . 1911-1914 . Total 1801-1914
RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DE LA PRODUCTION
1801-1900.
·.
NubIe-Soudan Abyssinie-Somalie. Afri~ue du Sud. . Sofa a-Rhodésie. . Guinée. Côte-de-l'Or Divers.
·
30 50 666 14 15 68
......
·.
863
Carpathes mérid. . Carpathes seret. . . Russie-Sibér e . . Divers.
83 67 2 004
AFRIQUE.
EUROPE
+ SmÉRIE
Australie. Nouvelle-Zélande. Divers. OCÉANIE.
..·
......
•
2207
·
3006 454 2 3462
. .
Colombie. Pérou. Bolivie. Chili. Brésil . Guyane. Venezuela Mexique . • États-Unis. Canada Divers.
377 45 69 128 26 124 84 216 3589 224
AMÉRIQUE.
5108
. .
Inde. Chine. Corée Japon. Divers.
......
ASIE •. (Sans la Sibérie) Terre
...
104 397 26 42
.
.... "
.
663 12303
(Tableau précédent (XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles) ... page 176. Tableau suivant (xx· siècle)... page 314.
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Histoire de ['or
entrent le 30 avril 1900, l'Union Jack flotte sur la Chambre des mines. L'or sud-africain est désormais un or anglais, au service de l'étalon-or. Et quel or 1 De 16 tonnes en 1890, de 107 tonnes en 1899, la production, après l'entracte de la guerre, bondit à 234 tonnes en 1910, à 274 en 1913 : elle représente alors 45 % du revenu de l'Union sud-africaine, 80 % de ses exportations, et 40 % de la production d'or du monde entier. Quand en 1948 Heinrich Quiring dressera le palmarès des plus grands gisements de l'histoire, il classera en tête, devant la Californie, responsable de 1 500 tonnes d'or, le Rand, responsable de 12 450 tonnes : soit, dès cette époque, huit fois l'Eldorado californien.
Bilan d'un siècle Faisons le bilan de ce siècle qui bat tant de records. De 1801 à 1900 (sous les réserves d'usage), la planète produit 12303 tonnes d'or, soit presque 6 fois plus que le XVIIIe siècle, 12 fois plus que le XVIIe, 13 fois plus que le XVIe qui suivit la découverte du Nouveau Monde. Si l'on considère que, au regard de l'histoire, le XIXe siècle ne s'achève qu'en 1914, il s'incorpore les premiers gros rendements de l'Afrique du Sud, et la production globale de ces cent quatorze années atteint 20 776 tonnes, soit en moyenne 182 tonnes par an, alors qu'elles s'achèvent sur des productions annuelles voisines de 700 tonnes. La seule année 1912, par exemple, avec une production de 701 tonnes, n'est pas très loin d'équivaloir à tout le XVIe siècle. Pour s'en tenir aux statistiques de 1801 à 1900, il faut noter que la première moitié du siècle ne dépasse guère les rendements moyens du siècle précédent (26 tonnes par an contre 21), tandis que la seconde moitié, celle qui suit les découvertes de Cali-
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fornie et d'Australie, décuple la cadence (220 tonnes par an). Géographiquement, c'est toujours l'Amérique qui est en tête de la production; mais l'Amérique du Nord a pris la place de l'Amérique du Sud, les EtatsUnis montent, le Canada entre en scène avec le Klondike, avec la Colombie britannique et bientôt l'Ontario. Le Brésil s'efface, la Colombie et le Pérou déclinent, dès les lendemains de leur indépendance. Un nouveau venu: l'Océanie, avec l'or australien mais aussi avec la Nouvelle-Zélande, où des gisements entrent en exploitation en 1852 (à l'est d'Auckland) et en 1856 (au sud de l'ne). L'Europe ne compte guère. Seule la Russie culmine avec les mines sibériennes. Dans le reste de l'Asie, l'extraction progresse nettement en Inde et en Chine, elle stagne au Japon. Au palmarès national des pays producteurs, le premier rang passe du Brésil, champion du siècle précédent, à la Russie, puis aux États-Unis, enfin à l'Afrique du Sud, qui ne l'abandonne au profit de l'Australie qu'au moment de la guerre des Boers et le reconquiert en 1905 pour ne plus le lâcher. Politiquement, à n'en pas douter, la suprématie appartient maintenant à l'Empire britannique, qui additionne les productions du Canada, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et de l'Afrique du Sud, sans parler de la Côte-de-l'Or et de l'Inde. La plus grosse part de la production d'or du monde est entre les mains de la nation championne de l'étalon-or. De tous les points du globe, l'or affiue vers Londres, principal centre de raffinage (avec Moccata and Goldsmith, et les autres fondeurs ses émules), capitale de la vente et de l'achat. Les brokers de l'or se sont installés d'abord dans un restaurant, puis dans un hall, en constituant une corporation étroitement réglementée (1862). Dans la Cité, la Banque d'Angleterre surveille les cours de l'or, déterminés
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H isioil'e de l'al'
par l'offre et la demande, mais elle intervient pour empêcher l'once de fin de monter au-dessus de 84 shillings 9,81 d, et de descendre au-dessous de 84 shillings 11,43 d : c'est la règle de la parité or. Si la découverte de l'or reste tout le siècle à la merci du hasard, si les moyens de production demeurent longtemps à la portée de l'amateur, le siècle s'achève sur une révolution technique. Le chercheur d'or, qui est encore roi dans les alluvions de Californie ou d'Australie, devient anachronique, on l'a noté, devant les filons d'Afrique du Sud. Nécessairement, le pionnier individuel dispose d'un matériel sommaire. Il a ses mains pour ramasser les pépites, une bêche et une casserole pour récolter et laver le sable. En imprimant à son récipient un mouvement circulaire, il se débarrasse du sédiment le plus léger et provoque le dépôt du gravier le plus lourd. Avec un peu d'habitude et d'habileté, il doit obtenir un résidu de parcelles ou de poudre d'or. La casserole en question, à condition d'avoir un fond de très faible profondeur, légèrement incurvé ou en forme de cône aplati, s'appelle une « batée ». Elle peut être remplacée avantageusement par une caisse de bois, suspendue à la manière d'un « berceau » et comportant deux étages : en haut, un tamis, en bas, un fond incliné, divisé par des planchettes transversales. L'ingéniosité des amateurs transforme et améliore progressivement le berceau. Elle en fait le long Tom, dont le fond est garni de taquets qui retiennent les grains fins, puis le sluice, dont la garniture de laine arrête les parcelles: c'est réinventer la Toison d'or. Pour récupérer l'or dans les plus infimes poussières, on les mêle, toujours selon les vieux procédés, à du mercure. Au besoin, on enferme l'amalgame dans un sac en peau de bœuf ou de daim, qu'on tord et qu'on presse: le mercure sort par les pores du cuir, et il est soigneusement recueilli pour une nouvelle
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opération j reste l'or, qu'on affine par évaporation au soleil. Par chance, la Californie ensoleillée est riche aussi en mercure. Ces techniques rudimentaires ne sont pas fondamentalement différentes de celles qu'employaient les conquistadors. Elles s'améliorent un peu avec l'apparition de la presse hydraulique, qu'invente le Français Chabot. Elles se renouvellent entièrement, pour passer de l'artisanat à l'industrie, lorsque apparaît le procédé de la cyanuration. Quand le minerai est dûment concassé et pulvérisé, il passe à travers des réservoirs qui contiennent une solution de cyanure de potassium. La solution dissout l'or en ignorant le reste du minerai. Si l'on ajoute de la poussière de zinc à la solution cyanurée, on obtient un précipité facilement raffinable : le procédé permet de récupérer 96 % de l'or contenu dans le minerai. Ce sont deux médecins de Glasgow, Robert et William Forest, qui, avec l'aide du chimiste John S. MacArthur, inventent cette méthode. Ils prennent le brevet en 1887. L'Mrique du Sud s'en saisit à point nommé (1890) : sans cette nouvelle technique, elle n'aurait pu rentabiliser sa production. Cinq ans plus tard, elle recourt, pour la pulvérisation initiale du minerai, à des cylindres d'acier (les tube mills) animés d'un mouvement de rotation. C'en est fini: les pionniers de la grande époque n'ont plus qu'à plier bagage. L'or n'appartient plus qu'aux trusts. Et s'il faut encore des mineurs pour descendre au creux des galeries, ils ne peuvent plus être que les salariés anonymes, aussi mal payés que possible, des grandes sociétés de capitaux. L'or et les hommes
En fin de compte, le XIX8 siècle apparatt, dans l'histoire de l'or, comme un entracte. Avant lui déjà,
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au temps des Égyptiens ou des Romains, comme au temps des Espagnols au Nouveau Monde, l'extraction du métal exigeait la mobilisation de travailleurs asservis : fellahs des pharaons, esclaves de Rome, Indiens ou Noirs au service de l'Espagne conquérante. Après le XIX e siècle, la production de l'or requerra aussi l'emploi d'une main-d'œuvre réduite à la docilité : déportés de Sibérie ou Bantous des mines sud-africaines. Le XIXe siècle a provisoirement rendu sa chance à l'homme seul. Les ruées vers l'or du Blanc s'expliquent par l'évolution des conditions matérielles. Au XVIIIe siècle encore, et même au début du XIXe, il aurait été impossible à une foule d'émigrants de quitter Dublin, Paris, Francfort ou Naples pour courir vers la Californie ou vers l'Australie : simplement faute de moyens de transport. Il a fallu l'organisation de lignes régulières, l'apparition du bateau à vapeur pour permettre de telles mobilisations humaines. La technique des transports est suffisamment au point en 1848, tandis que la technique de l'extraction de l'or reste suffisamment primitive. L'homme blanc, que met en branle la passion du gain, dispose tout juste de cinquante ans pour libérer ses instincts. Avant, il était trop tôt. Après, il sera trop tard. La passion du gain? Il faut dire aussi le goût des horizons nouveaux. Nous sommes à l'âge romantique. Ces pionniers du Far West, qui bravent mille morts pour chercher fortune, ont lu Walter Scott et Fenimore Cooper. A tout le moins, ils ont grandi dans un climat propice à l'exotisme et à l'aventure. Ils s'évadent, dans l'allégresse, du pays et de la condition où ont peiné leurs ancêtres. Du même coup, ils rompent avec leurs misères : pour les libres espaces, ils quittent les taudis surpeuplés des faubourgs, les tristes ateliers que l'industrie propose au prolétariat - à moins que les faillites et le chômage ne les aient jetés à la rue.
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1848, c'est aussi le temps des crises économiques et des révolutions politiques : la Belgique et l'Irlande, la Pologne et l'Italie, la France et l'Allemagne sont secouées par d'étranges convulsions. Pourquoi ne pas aller chercher, de l'autre côté de l'eau, des émotions peut-être plus profitables? Ceux qui s'en vont n'ont rien à perdre... Combien sont-ils, les émigrants de l'or? Impossible de saisir leur nombre au départ, faute d'en connaitre les vrais mobiles. Mais à l'arrivée, sur les champs de fouille, on peut mesurer leur afflux. La Californie, à la veille de la découverte du capitaine Sutter, en janvier 1848, peut compter de 15 000 à 20 000 habitants. En juin 1850, sa population dépasse 92 000 âmes. En novembre 1852, elle approche de 270 000. En 1856, elle en atteint 500 000. A San Francisco même, on dénombre 459 habitants en juillet 1847, mais plus de 5000 en septembre 1848, et plus de 50 000 dix ans plus tard. Le détroit qui permet aux navires des immigrants de pénétrer dans sa baie mérite son nom : Golden Gaie, la Porte de l'Or. Ces villes nées du métal jaune poussent littéralement comme des champignons : en Australie, on voit en quelques semaines, en quelques mois, se transformer et se peupler des villages, qui n'étaient guère auparavant que des points sur la carte : ainsi Bendigo, où s' entassent brusquement 50 000 chercheurs, ainsi Ballarat, qui atteint bientôt 64000 habitants, sans parler de Melbourne et Sidney, et de toute l'Australie, dont on a évoqué le bond démographique. On a dit aussi la croissance de Johannesburg, ou, à une autre échelle et sous d'autres cieux, celle des cités de l'or dans les glaces de l'Arctique. Partout, le sociologue est amené aux mêmes constatations: l'essor de la population est caractérisé par la prodigieuse diversité des arrivants (de tous pays, de toutes races, de toutes couleurs), par l'écrasante prépondérance
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Hi8ioire de ['or
du sexe masculin (7 000 fenuurs dans toute la CalifOl'nie, en 1850, sur 92 000 habitants), par l'absence, à peu près totale, des enfants et des Yieillards, enfin par la turbulence, voire la criminalité de cette fOlùe mêlée, où les gens sans aveu sont plus nombreux que ceux qui sont prêts à avouer leur passé. La petite chronique de San Francisco, par exemple, illustre les désordres de la ville naissante: on dépouille ou l'on exploite le chercheur trop heureux, quand on ne l'assassine pas. On manie volontiers le lasso, le couü'uu et le revolver. Entre pionniers, les bagarres sont fréquenh's, et elles peuvent sc terminer par l'incendie de la taverne où elles se sont dl~roulées. Faute d'une police et d'une justice organisées, les IllÎlH'Ul'S rè.gll'nt leurs comptes il leur façon, ou se dot.ent de t.ribunaux improvisés. A San Francisco. ils instituent des comités de vigilance, qui sont expéditifs et efficaces. A Placerville, raconte Timothy Grccn, deux Français et un Chinois, pris en flagrant délit de vol, sont battus, jugés et pendus avant d'avoir pu articuler une pm'ole pour leur défense. En 1855, on compte en Californie 12 fois plus d'exécutions sommaires que d' exécutions ll~galcs, Ces villes qui naissent en UllC nuit ct poussent en une année meurent parfois avec la même rapidité : si le gisement déçoit, si la mine s'épuise, la ville est abandonnée. Au Nevada, une fois passée la fièvre de l'or, Virginia City n'est plus qu'un squelette de cité. Mais l'or n'a pas de responsabilités que dans l'ordre démographique. Il en a de plus graves, dans la mesure où il est fauteur de conflits ct de conquêtes. Si les États-Unis, après une guerre qui mène leur année jusqu'à Mexico, contraignent le Mexique à leur vendre la Californie par traité daté du 2 février 1848, 250 heures après l'instant où Suiter a trouvé l'or, la coïncidence est troublante; et l'on ne peut croire que le métal soit absent des arrière-pensées
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américaines, lorsque Washington s'annexe une province dont Francis Drake, dès 1579, proclamait la richesse métallique. De même, si les Britanniques s'emparent du pays des Boers, quelques années après la découverte du Rand, et lorsqu'ils ont la certitude que le gisement est incomparable, on imagine mal que leur conquête soit désintéressée. L'or est fort capable, au XI Xe siècle comme il le fut dans l'Anti.. quité, de mobiliser des armées et des peuples. En contrepartie, l'or est capable de faire gagner les guerres. Durant la grande Sécession américaine, si le métal californien allait aux Sudistes, l'issue du conflit n'en serait-elle pas changée? L'or de Californie arrive à point pour assurer la victoire du Nord. Par un singulier retour des choses, le métal jaune, pour lequel ont été transférés tant d'esclaves, contribue à leur libération. L'or a d'autres mérites. Sa recherche, en peuplant des déserts, les vivifie. Dans leur poursuite de l'or, les prospecteurs trouvent d'autres métaux: de l'argent au Nevada, de l'étain, du fer, du plomb en Australie, du nickel au Canada, de l'uranium en Afrique du Sud. Pour l'or, on aménage des ports, on trace des routes, on installe des voies ferrées: toute l'économie en profite. On construit des villes qui peuvent sur.. vivre à leur raison d'être: San Francisco durera plus que l'or californien. C'est l'histoire des alchimistes qui, en rêvant de la pierre philosophale, ont ouvert les voies de la chimie. C'est l'histoire des enfants du laboureur, qui pour trouver de l'or retournent et fécondent un champ.
L'or et les prix L'or compte aussi dans l'histoire des hommes par son influence sur les prix. Elle est indéniable, encore que les économistes discutent âprement de son exacte
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mesure. Elle est saisissable sur le vif, aux lieux mêmes de la production. De même qlll~ l'or débarqué du NOUYl'aU Monde faisait monter les prix sur les quais de Séville, de mên1l' l'or rapporté des placers de Californie il San Francisco y provoque l'enchérissement immédiat de tous les bil~ns ct de tous les services. Sur place, la demande est gonflée par l'abondance des mOylms de paiement, alors que les produits disponibh's sont rares. Le kilo de sucre vaut 5 dollars, le kilo de farine 6, le kilo de café 10, le porc salé 15, un œuf 25, une boîte de sardines ·10. La caisse de raisins secs ct les légumes frais, nécessaires contn~ le scorbut. se vendent littéralement au poids de l'or. Une b~che cofIte 30 dollars, une méchante pelle 50. La journée d'Indien se paie 30 dollars. Un lit dans un dortoir vaut 3 dollars par nuit, un logement sommaire 500 dollars par mois. Un cheval sc loue à un tarif qui n~présente 10 fois son prix d'achat antérieur. Mais les pionniers de l'or comptent-ils '! Ils règlent leur verre d'alcool avec une pincée de métnl. Sur les mItres théâtres des ruées vers l'or, le phénomène n'est pas différent. A Sidney, les denrées triplent. Pour tenter (en vain) de conserver son équipage, -un commandant promet de doubler la solde. Les salaires austraJiens, en trois ans, sont couramment multipliés par 6. A Dawson, en lisière de l'Alaska, le prix des consommations quadruplc au cabaret, mais les mineurs règlent avec tant de prodigalité que, certain jour, en balayant la sciure de bois, le gargotier recueille de l'or pour 275 dollars. Le problème se pose en d'autres termcs lorsqu'il s'agit d'évaluer, à l'échclle du monde, l'incidence de l'affiux du métal. Les prix, au XIXC siècle, ont normalement tendance à baissl~r, parce que J'essor des techniques et les progrès de l'industrie multiplient l'offre des produits : le fléchissement est d'ailleurs plus net pour les prix de gros que pour les prix de
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détail. Mais le mouvement de repli est nettement contrarié en deux circonstances: après 1848, avec l'arrivée de l'or californien et australien; après 1896, avec l'arrivée de l'or sud-africain. Par exemple, l'indice du coftt de la vie aux États-Unis (base 100 en 1913) passe de 51 en 1849 à 70 en 1857 (+ 37 %), et de 73 en 1895 à 102 en 1912 (+ 40 %). En Angleterre (base 100 en 1913), il progresse de 94 en 1851 à 122 en 1856 (+ 30 %en cinq ans), et de 81 en 1896 à 100 en 1913 (+ 23 %). Les prix de gros passent en Allemagne (base 100 en 1901-1910) de 80 en 1849 à 120 en 1855 (+ 50 %), et de 80 en 1895 à 113 en 1913 (+ 41 %);fe~ France (même base), de 111 en 1849 à 156 en 1856 (+ 40 %), et de 82 en 1896 à 116 en 1913 (+ 41 %). Il est flagrant que les deux périodes de hausse correspondent aux deux envolées de la production d'or. Mais, en cette affaire, les progrès de l'extraction importent moins que la croissance des réserves d'or, et spécialement des réserves monétaires. A cet égard, les auteurs distinguent, au XIX e siècle, quatre phases. Première phase, de 1816 à 1848 : les réserves d'or monétaire augmentent lentement. La production industrielle progresse bien davantage. Les prix fléchissent. Deuxième phase, de 1848 à 1872 : les réserves d'or doublent (selon Robert Triffin), avec un taux de croissance annuelle pour les réserves monétaires de plus de 4 %. Les prix montent au début de la phase, on vient de le voir, de 30 à 50 %. Troisième phase, de 1872 à 1896 : comme dans la première période, les réserves d'or n'augmentent qu'à une cadence ralentie, les prix déclinent. Quatrième phase, de 1896 à 1914: les réserves d'or doublent une nouvelle fois, avec un taux de croissance annuelle pour les réserves monétaires de 3,2 %. Les prix montent de 20 à 40 %. Bien sftr, pour apprécier l'incidence réelle de
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l'afflux de l'or sur les prix, il faut, en regard, évaluer la croissance de la production des marchandises. Les relations entre l'or et les prix, forcément complexes, ne relèvent pas aisément de l'analyse mathématique. Que confronter aux prix? La quantité globale d'or dont dispose le monde, répond le Suédois Cassel. Seulement la quantité d'or monétaire, dit l'Anglais Kitehin. La production d'or nouveau, dit le Français Charles Rist. La production d'or et d'argent, dira Robert Marjolin. Toutes les quantités de monnaie, métallique ou de papier, dira François Simiand ... Les controverses sur ce thème, entre économistes, ne font que renouveler celles qui, depuis Jean Bodin, opposent les tenants et les adversaires de la théorie quantitative de la monnaie. Cantillon et Adam Smith y ont déjà introduit la notion de vitesse de circulation, Ricardo ajoute les billets aux métaux, Irving Fisher fait état de la monnaie d'écriture et pose l'équation des échanges, que complétera Schumpeter, et que Keynes mettra au point en visant plus spécialement les prix des biens de consommation. Tous ces travaux font et feront progresser la science économique : ils ne peuvent remettre en cause les témoignages de l'histoire.
Mille pièces d'or Où va tout cet or, arraché au sol d'Amérique, d'Australie, de Russie, d'Afrique du Sud? Il a deux destinations : l'usage industriel, l'usage monétaire. Aucun chiffre sérieux ne permet de dire à coup sftr comment il se répartit entre ces deux emplois. Divers travaux rassembleront les statistiques des frappes dans les pays CI: civilisés lI, à partir de 1850. La Monnaie américaine établira des chiffres valables pour l'ensemble du monde, mais seulement à dater de 1873. L'Allemand Soetbeer, de son côté, évaluera l'emploi non monétaire de l'or entre 1831 et 1885. Sur
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ces bases diverses, on peut grossièrement estimer que le métal est consacré pour 30 % à des emplois industriels, pour 15 % à des emplois en Inde, en Chine et en ~gypte, et pour 55 % à des frappes de pièces. Sur les 12000 tonnes d'or produites au XI Xe siècle, 5 400 iraient ainsi à des usages non monétaires, 6 600 à des emplois monétaires. Dans la première catégorie, figurent, en quantité accrue, ces grosses montres d'or, que les bourgeois aiment à porter dans leur gousset, et dont la présence est soulignée par une chaîne d'or, pendant en U sur le gilet. La mode des montures, de lunettes en or se répand aussi. L'art dentaire se fait de plus en plus exigeant. Bagues, chevalières et alliances restent de tradition. Les bijoux d'or sont plus nombreux qu'autrefois, mais moins volumineux : le temps est passé des statues en or. Mais les pays d'Orient, Inde en tête, n'absorbent toujours l'or que pour en faire des parures. Et la Russie des tsars garde le goftt du faste-: à Pâques, chaque année, la tsarine reçoit un œuf d'or. En 1901, à l'occasion de l'inauguration du Transsibérien, l'œuf en question, sculpté par l'orfèvre français Charles Fabergé, contient une locomotive en . platine attelée à des voitures d'or. Les emplois monétaires du métal jaune sont les plus importants, mais on n'a pas à distinguer entre ce qui va aux avoirs publics et ce qui va aux avoirs privés: les pièces sont destinées à circuler, et par conséquent à passer des coffres des ~tats ou des Banques centrales aux caisses des banques commerciales et aux goussets des particuliers. Bien entendu, la part de la production consacrée à la consommation monétaire (6 600 tonnes) est inférieure au montant recensé des frappes: nombre de pièces d'or ont été monnayées avec du métal ancien, ou en transformant des pièces déjà en cours. Ainsi les pièces françaises frappées après germinal ont d'abord réemployé le métal des anciens louis, et les
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pièces allemandes frappées après la création du mark ont pu profiter de la refonte des pièces françaises livrées pour le règlement de l'indemnité de guerre. Au surplus, puisque la frappe est libre pour tous, il n'est pas exclu qu'au XIXe siècle, comme précédemment, des bijoux soient devenus pièces, et inversement. Les pièces d'or se signalent alors par leur fixité, au moins dans les pays dirigeants. A l'encontre des siècles passés, coutumiers des mutations, elles restent d'un poids et d'un titre invariables, et leur constance illustre la stabilité des grandes monnaies. En Angleterre, patrie de l'étalon-or, le souverain, de 7,98 grammes et 22 carats (916 millièmes), soit 7,32 grammes de fin, demeure la monnaie souveraine, valant une livre sterling, et seules changent les effigies, légendes et d~ssins : à l'avers, la reine Victoria, ou les rois ses prédécesseurs, et ses successeurs; au revers, l'écu couronné a ux armes d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande, ou le saint Georges au dragon. En or également, sont frappés des demi-souverains, et des pièces, assez rares, de 2 et de 5 souverains. Sur le modèle britannique s'alignent les frappes de l'Australie à partir de 1852, puis de l'Afrique du Sud. La guinée cesse d'être émise après 1813. En France, la pièce d'or de 20 francs, pareillement stable à 6,45 grammes et 900 millièmes, soit 5,80 grammes de fin, porte tour à tour les effigies de Bonaparte consul, de Napoléon empereur, de Louis XVIII, de Charles X, de Louis-Philippe, de Louis-Napoléon président, de Napoléon III. Les Républiques se présentent sous les traits d'un génie, d'une déesse ou d'un coq, grand ou petit. On appelle couramment la pièce louis ou napoléon, même si elle est de frappe républicaine. Sont émises parallèlement des pièces de 100 et de 50 francs (à partir du Second Empire), de 40 francs (seulement jusque sous Louis-Philippe), de 10 francs (à dater de 1850), de 5 francs (seulement sous le Second Empire).
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Tout comme alors le système du double étalon, la pièce française sert de prototype à de nombreuses émissions étrangères, lorsque les pays de l'Union latine - et d'autres -- se dotent de systèmes monétaires. La pièce française de 20 francs, transposée, devient pièce de 20 francs belges en Belgique en 1835, de 20 lires en Italie en 1862, de 20 lei en Roumanie en 1870, de 20 drachmes en Grèce en 1876, de 20 dinars en Serbie en 1879, de 20 leva en Bulgarie en 1880, de 20 francs suisses dans la Confédération helvétique en 1883. En fait, la même pièce circule librement dans une grande partie de l'Europe et du bassin méditerranéen, sans que personne fasse de différence entre Léopold, Victor-Emmanuel, Carol, Ferdinand, Louis-Napoléon - ou Vreneli, la déesse qui orne la pièce suisse et lui donne son nom. A l'enseigne d'un jeton d'or, la monnaie européenne tend à devenir une réalité vivante. Mieux qu'une monnaie européenne, une monnaie internationale : Karl Marx salue l'or comme la « monnaie universelle » (Critique de l'économie poLitique, II, 3, c), les pièces de l'Union latine sont adoptées et imitées en Tunisie, et dans la plupart des nations de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud: Costll Rica, Honduras" Salvador, Guatemala, Haïti, République dominicaine - Pérou, Colombie, ~quateur, Venezuela, Paraguay, Uruguay, Bolivie, Chili, Argentine. Mais. en ces pays volontiers versatiles, ces ralliements ne durent guère. L'Allemagne, une fois forgée son unité, répudie ses ducats et ses florins, pour frapper des pièces de 10 marks, souvent appelées couronnes (krone) et de 20 marks, dites doubles couronnes. L'Autriche a une circulation plus hésitante : elle a des couronnes, d'abord alignées sur celles de Prusse, puis autonomes, et des florins qui reproduisent les pièces de l'Union latine. La Russie frappe des impériales de 10 roubles, avec multiples et sous-multiples, mais aussi, sous
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Nicolas 1er , des ducats de platine. L'Espagne d'Isabelle a ses isabe1lines, celle des rois Alphonse émet des pièces de 10 à 100 pesetas, dont certaines s'alignent sur les pièces françaises. Le Portugal frappe cruzades, portugaises et couronnes. Les f~tats scandinaves, après la convention de 1872, adoptent des couronnes communes. La Turquie garde ses sequins, libellés en piastres à dater de 1844, et dont les exemplaires les plus lourds, de 500 piastres, pèsent plus de 36 grammes. Aux États-Unis, le dollar, ramené en 1834 à 1 504 milligrammes d'or fin, est frappé en or sous la forme de pièces qui, au revers, portent l'aigle américaine, aux ailes déployées : aigles de 10 dollars, doubles aigles de 20 dollars, demi-aigles de 5 dollars, quarts d'aigles de 2,5 dollars; plus rarement, sous la forme de pièces de 1 et de 3 dollars, sans aigle. Le monnayage de l'or aux États-Unis ne devient copieux qu'après 1848. En Californie même, dans l'ivresse de la découverte, certaines banques privées ont poinçonné des cylindres d'or, puis frappé des pièces « territoriales », parfois in fimes (1/4 de dollar), parfois énormes (50 et même 90 dollars), parfois oblongues ou octogonales. En Oregon, au Colorado, en Utah, en Alaska, des initiatives semblables feront la joie des collectionneurs. . L'Amérique latine émet en or des multiples de pesos, d'escudos ou de miIreis, de poids ct de types variés, qui s'inspirent tantôt du système français ou du système espagnol, tantôt du système anglais (c'est un moment le cas de la Colombie ct du Pérou), tantôt du système américain (c'est le cas de Panama, et, en 1905, du Mexique). En or, l'Inde a des mohurs, l'Iran des tomans, le Siam des bats. Le Japon ne vient aux monnaies rondes de métal jaune qu'en 1871. La Chine s'en tient aux taëls d'argent et aux pièces étrangères. De cette revue du monnayage de l'or au XIXe siècle,
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il faut au moins retenir que, presque toujours, l'unité monétaire est trop menue pour être frappée en or : le franc, le mark, le rouble, les pesos et, sauf exception, le dollar ne sont que des pièces d'argent. Presque seule, la livre sterling, monnayée en souverain, est une pièce d'or: décidément, Londres et ror ont fait un vrai mariage. Rival de l'or, le papier
En même temps que par la montée de l'étalon-or et par la multiplicité des ruées vers ror, le siècle est caractérisé par les progrès d'un complément et d'un concurrent de l'or: le papier. Ce concurrent n'est pas nouveau: on l'a vu venir de Chine, gagner l'Europe et le Nouveau Monde, s'enfler au-delà de toute raison avec Law, les dollars de l'Indépendance américaine et les assignats de la Révolution française. Au XVIIIe siècle, il est un moyen de paiement discret, comme en Angleterre, ou discrédité, comme en France. Il lui reste, au XI Xe siècle, à s'imposer. C'est l'affaire des Banques d'émission, qui sont en tous pays (sauf en Russie) des compagnies privées, souvent très nombreuses. En Grande-Bretagne, à côté de la Banque d'Angleterre, on compte 300 établissements qui émettent des billets en 1844, on en compte encore une trentaine en 1913. En Allemagne, 33 banques gardent en 1875 le droit d'émission. En France, les banques départementales d'émission subsistent jusqu'en 1848. Aux États-Unis, l'émission reste libre durant tout le siècle, et c'est seulement en 1913 que la création du système de Réserve fédérale ramène de 7500 à 12 le nombre des banques émettrices. Les règles de l'émission sont longtemps indécises. On hésite entre la libre création des billets en fonction des besoins du public (c'est le banking principle,
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soutenu par Tooke), la ]imitation de l'émission au montant de la couverture métaJliqlle (c'est le mrrClle!! principle, soutenu par Hicardo), le maintien d'lIn plafond de l'émission, fixé par le législateur (c'est le système retenu en France), le respect d'ull rapport minimal entre l'encaisse ct les bi11ets (ce rapport varie entre 2;' et 10 %), J'adoption d'une couverture en fonds d'l~:tat (c'est longtemps le système américain). En fait, les grandes Banques d'émission s'elTorcent de sc constituer une encaisse or capable de faire face à toutes les éventualités. E])es pratiquent à leur façon une sorte de mercantilisme, qui les porte à considérer l'or comme leur raison d'être: si bien que dans chaque pays, le métal monétaire, réparti entre la Banque et les particuliers, passe de plus en plus dans les cofTres et les caves de la Banque, où il sert de couverture aux billets, ct reste de moins en moins dans les mains des particuliers, où les bi11ets commencent à prendre leur place. Avant l'arrivée de l'or caJifornien, en 181:~, le total des avoirs d'or monétaire dans le monde est évalué par l'Anglais Kitchin à 1160 tonnes. Avant l'arrivée de l'or sud-africain, en 1881, ce même total d'or monétaire (en banque et en circulation) doit atteindre quelquc 5 :350 tonncs. Moins de vingt ans plus tard, en 190:-J, il s'élève à 8 a30 tonnes, dont 4410 sont dans les banques et 3 H20 circulent. dix ans sc passent encore: il atteint 13 120 tonnes, dont 6 150 dans les banques et 6970 en circulation. A cette date, l'avoir le plus important est celui des États-Unis (2 880 tonnes). Aussitôt après, se classe l'avoir de la France (2 800 tounes CIl juillet 1914, dont 1 200 à la Banque de France, et 1 600 dans le public). Suivent les réserves de la Hussie (1 500 tonnes), de r Allemagne (1 380) ct de la Grande-l ketagnc (1 250). L'ensemble des avoirs de ces cinq nations représente les trois quarts des avoirs monétaires du monde en
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or. Il est digne de remarque que la France et les Français comptent déjà parmi les plus gourmands de métal jaune. Le papier n'entre en scène que timidement, soit parce que les autorités monétaires en limitent volontairement la diffusion, soit parce que les particuliers, mis en garde par des expériences malencontreuses, sont modérément réceptifs. Dans les deux cas, l'essor du billet est freiné par la défiance, qu'elle vienne du pouvoir ou du public. L'usage de la monnaie de papier finit par se répandre lentement, quand sont remplies trois conditions. Une condition psychologique: il faut que soient oubliés les souvenirs de l'inflation. Une condition juridique: il faut que le billet reçoive coursJégal (ce qui, par exemple en France, n'est définitivement acquis qu'en 1876). Une condition technique: il faut que les coupures soient )ibellées, non plus comme à l'origine en grosses unités, mais pour des sommes d'usage courant. Après le billet de banque se diffuse le chèque. De même que le billet passe pour être une représentation de métal, le chèque peut passer pour une représentation de billet. Il est de la monnaie fiduciaire' au carré. Avec lui s'accrédite la monnaie de banque, qui se transmet par voie d'écriture. Elle progresse dans les pays anglo-saxons plus vite que sur le continent européen, dans les pays du Nord plus vite que dans les pays latins. Elle reste à peine soupçonnée en Afrique ou en Asie. Il est difficile, chiffres en main, de suivre au cours du XI Xe siècle l'évolution de la masse monétaire. Pour savoir quels moyens de règlement sont mis en œuvre, les statistiques font défaut. Les moins imparfaites concernent les trois pays les plus avancés, l'Angleterre, la France et les Etats-Unis. Pour ces trois nations, prises en bloc, les disponibilités monétaires paraissent progresser comme suit :
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En 1815, elles sont constituées pour 67 % par du métal (or 33, argent 34) et pour 33 % par de la monnaie fiduciaire (billets 27, dépôts 6). En 1848, pour 63 % par du métal (or 17, argent 46) et pour 37 % par de la monnaie fiduciaire (billets 20, dépôts 17). En 1872, pour 41 % par du métal (or 28, argent 13) et pour 59 % par de la monnaie fiduciaire (billets 32, dépôts 27). En 1913, pour 13 % par du métal (or 10, argent 3) et pour 87 % par de la monnaie fiduciaire (billets 19, dépôts 68). On constate le recul du métal- et de l'argent plus que de l'or; la montée de la monnaie de crédit - et de la monnaie d'écriture plus que des billets. Mais ces chiffres sont trompeurs : ils concernent des peuples évolués, ils excluent les peuples attardés. Pour l'ensemble du monde, selon Robert Triffin, les disponibilités monétaires se composeraient en 1913 de métal pour 17 % (or 10, argent 7) et de monnaie fiduciaire pour 83 % (billets 25, dépôts 58). Ces évaluations sont peut-être encore trop flatteuses. Assurément, une bonne partie des habitants de la planète ignorent le billet de banque, et leur immense maj orité n'a jamais entendu parler de chèque ou de virement. Mais tous savent ce qu'est l'or. Inflation et stabilité
Le XIX 6 siècle n'est qu'en apparence le siècle de la stabilité monétaire. Il est vrai que les grandes monnaies l'ont franchi sans encombre, et en parvenant à conserver leur définition en or : la livre sterling se retrouve en 1913 comme en 1816, le franc comme en 1803, le dollar comme en 1834. Mais leur carrière n'en est pas moins tourmentée. La livre subit plusieurs crises, qui amènent à suspendre le Bank Act, charte de l'émission. Le franc est temporairement
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condamné au cours forcé à l'occasion des révolutions et des guerres. Quant au dollar, né dans les convulsions de l'Indépendance, il refait connaissance avec l'inflation délirante, lors du conflit qui oppose le Nord au Sud: le Nord, pour financer le conflit, multiplie les billets à dos vert (les greenbacks) et les papiers du Trésor, qui tombent, contre or, au tiers de leur valeur nominale; le Sud émet 1 milliard de dollars qui se déprécient vite, jusqu'au soixantième de leur parité. « Avant la guerre, raconte un témoin, j'allais au marché avec de l'argent dans la poche et je rapportais mes achats dans un panier. Je prends maintenant l'argent dans le panier et je rapporte les marchandises dans ma poche. » C'est en ces années cruelles que le mot inflation passe du vocabulaire médical au langage monétaire: des années au cours desquelles le papier chasse l'or. Dans beaucoup d'autres pays, pour beaucoup d'autres monnaies, le siècle dit de la stabilité est en réalité le siècle des mésaventures. L'Espagne qui a jonglé dès 1780 avec les billets d'État, récidive cent ans plus tard et gonfle son papier lors de la guerre de Cuba. Au Portugal, en Italie, en Grèce, le cours forcé et l'abus des émissions détériorent provisoirement le papier-monnaie. L'Autriche doit dévaluer 3 fois. La Russie 2 fois, après avoir gardé le rouble inconvertible tout au long du siècle. L'Amérique latine est le théâtre de prédilection des acrobaties monétaires : chute du peso argentin jusqu'au quart de sa valeur officielle, laborieuse amputation du milreis brésilien, triple expérience d'inconvertibilité au Chili, adoption de sanctions contre quiconque refuse les billets en Colombie et au Pérou, interdiction de l'emploi de l'or en Uruguay, effondrement du papier en Haïti, au 1/4000 de sa parité ... En toute hypothèse, l'or triomphe: dans les pays les plus sages, il règne, non pas sans partage, mais
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sans contestation; dans les pays qui s'abandonnent au désordre monétaire, il bénéficie de la prompte disgrâce du papier. Objectera-t-on que, face aux inflations localisées de papier, le monde est le témoin d'une inflation d'or généralisée, bien plus importante qu'après Christophe Colomb? Cette inflation est compensée par l'essor de la production, qui lui aussi est sans précédent. En regard de moyens de paiement multipliés, la masse des biens disponibles est multipliée dans des proportions sans doute comparables, puisque, à la difTérence de ce qui s'est passé après la découverte du Nouveau Monde, les prix n'ont monté que par accident, et qu'ils finissent le siècle plus bas qu'ils ne l'ont commencé (pour les prix de gros) et à peine plus haut (pour les prix de détail). Si l'on se risque à tenter de résumer tout le siècle (arrêté à 1900), en quelques chiffres approximatifs, on retiendra les suivants : produclion d'or, 12 000 tonnes, dont les trois quarts en provenance d'Amérique et d'Australie (l'Afrique du Sud n'entrant vraiment en scène qu'en fin de siècle). Emplois industriels, médicaux et artistiques de ce métal (Orient compris) : 5400 tonnes. Emplois monétaires, 6 600 tonnes, portant les réserves publiques des Banques et des Trésoreries de 700 tonnes (?) à 4400 (+ 3700), et les pièces d'or en circulation de 1 000 (?) à 3 900 (+ 2 900). En 1900, la production d'or cumulée depuis les origines peut atteindre 29 000 tonnes (à savoir l:i 000 avant la découverte de l'Amérique, en cinq millénaires, 16000 depuis, en quatre siècles). L'or utilisé à toutes fins non monétaires, sans omettre l'or perdu, représenterait un peu moins de 21 000 tonnes; l'or conservé à des fins monétaires, publiques ou privées, un peu plus de 8 000 tonnes. Il ressort de ces chiffres que la fonction monétuire de l'or, relativement récente, n'est pas la plus impor-
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tante. L'or est fétiche et parure avant d'être monnaie. Même au terme du siècle de l'étalon-or, l'or n'est moyen de paiement que pour une faible part : seules jouent ce rôle les pièces réellement en circulation (3900 tonnes); celles que gardent les Banques et les Ètats pour gonfler leurs encaisses n'interviennent dans les paiements que par délégation aux billets qu'elles gagent; en fait, elles représentent une thésaurisation publique, qui n'est pas très différente de la thésaurisation sous forme de colliers, de bracelets, de bagues ou de statues divines. En bref, et toujours en 1900, de tout l'or extrait des sables et du sol, un septième circule sous forme de pièces, six septièmes sont mis de côté. Voilà venir l'or refuge et l'or réserve.
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L'or évincé
1914 : le conflit sonne le glas de l'or monnaie, comme de beaucoup d'autres valeurs de ce monde. Les peuples mohilisent. L'or, cessant d'être le moteur d'une économie de paix, est appelé à reprendre l'une de ses vieilles fonctions: il est trésor de guerre. Tout au long de l'histoire, il n'a guère cessé de l'être. II a joué ce rôle entre les mains des Grecs, qui l'accumulaient dans leurs temples avec des arrièrepensées militaires, entre les mains des Perses, entre celles de Philippe de Macédoine et d'Alexandre, de Rome et de Byzance. « Toute nation doit tftcher d'amasser de l'or pour l'occasion des guerres )), a conseillé l'Encyclopédie de Diderot. La Prusse, en 181~, a demandé aux femmes le don de leurs hijoux pour lutter contre les Français; elles ont, en échange, reçu des bijoux de fer, portant la mention: «( Pour du fer, j'ai donn.é de l'or.)) Les belligérants de 1!J11, eux aussi, font appel à l'or pour financer la lutte. Dans la tour de Spandau, Guillaume II a pris soin d'entasser le précieux métal. Si la Russie ct la France, avant 1914, ont grossi soigneusement leurs réserves d'or, c'est pareillement en prévision de la conflagration menaçante.
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Puisque les ~tats en guerre rassemblent leurs forces, les particuliers ne sauraient leur dérober les moyens du combat. A tout le moins, il n'est plus concevable de leur donner de l'or. Le premier soin des belligérants est de suspendre la convertibilité des billets. En France, dès le jour de la mobilisation, les directeurs des succursales de la Banque de France décachètent le pli secret qui leur a été adressé. Ils y ont lu : « Vous cesserez immédiatement toute remise d'or. » La loi du 5 août consacre cette mesure: le franc n'est plus qu'une monnaie de papier. Même décision en Allemagne, pour le mark, que la loi du 4 août 1914 rend inconvertible. Mais la libérale Angleterre agit différemment. Attachée à l'étalon-or qui a fait sa gloire et sa fortune, elle maintient en droit la convertibilité des billets, pour la supprimer en fait. Un Anglais viendrait-il à la Banque d'Angleterre pour demander, en échange de ses coupures, un règlement en or? Il commence par subir un long interrogatoire, il doit fournir la preuve que cet or ne sera pas fondu ni vendu à prime, et, s'il insiste, il est accompagné par un policeman chargé de contrôler l'emploi du métal. Cette procédure a de quoi décourager les citoyens d'esprit assez peu civique pour réclamer de l'or. De même, l'exportation de l'or reste libre; mais les ports sont surveillés de telle sorte que cette permission équivaut à un embargo. Au surplus, Londres interdit la fonte des pièces, comme l'offre ou la demande d'une prime pour la monnaie métallique. Et pour éviter à la Banque d'Angleterre la peine et la honte de multiplier ses billets, le Trésor en émet, sous le nom de currency notes: c'est du papier d'État, officiellement remboursable en or, mais que ne gage aucune couverture de métal. Ainsi, avec la plus parfaite candeur, le Royaume-Uni sauve les principes. Comme l'Allemagne, la France et l'Angleterre, tous les pays hier ralliés à l'étalon-or, ou à ce qui
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re'3tait du double étalon, rompent avec le métal. Les États-Unis eux-mêmes, lorsqu'ils entreront dans la guerre, interdiront les sorties d'or. Le métal jaune cesse de circuler en Europe: depuis germinal, la France avait fmppé fiHfi millions de pièces d'or, représentant :~ 500 tonnes; on a vu qu'il en reste 2 HOO tonnes en 1B14, dont 1 200 à la Banque et 1 600 dans le pubJic. Ce sont ccs l 600 tonnes de pièces qui perdent leur fonction monétaire. Il n'est même pas besoin de leur ôter le cours légal : elles passent sans effort des porte-monnaie au creux des coffres-forts et des bas de laine. Pourtant J'I~:tat en a besoi n : s'il a cles achats à faire à l'étranger, ce n'est pas avec des billets français qu'il peut régler ses dettes extérieures. Un appel officiel du 2 jumet 1HIS convie les Français à verser leur or pour concourir à la Défense nationale. « L'or est indispensable pour acheter des munitions, disent les afJiches ... f.:changez l'or que vous détenez, et qui ne peut d'ai1Jeurs vous être d'aucune utilité, contre des bil1ets de la Banque de France dont le crédit fait l'admiration du monde. Un certificat vous sera remis, constatant la somme d'or que vous aurez versée ... 1) Des comités de l'or s'orga nisent par tout le pays. La Banque reçoit ainsi ;~HO tonnes de métal dUrHnt la seule année 1Hl 5, et plus de 700 pendant l'ensemble des années de guerre: ce qui réduit la thésaurisation privée à noo tonnes, et devrait porter l'encaisse do ]a Banque à I noo tonnes. Mais il ]ui a fallu céder du métal à l'étranger, pour assurer les approvisionnements de la nation. En 1Hl n, dIe ne détient plus qu'à peine 1 100 tonnes d'or. La différence a payé laguerre. On retient ici le cas de ]a France, parce qu'c])e était, dùs l B1t1, d(~ tous les he])jgérants européens, le pays qui possédait les plus gros avoirs cn or. L'A)Jcmagne, tout en perdant les trois quarts de scs réscrves de devises, réussit à sauvegarder l'encaisse de la
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Reichsbank (700 tonnes), faute de pouvoir trouver suffisamment de fournisseurs extérieurs. L'Angleterre préserve l'essentiel de son avoir grâce aux crédits américains. Les États-Unis, neutres jusqu'en 1917, fournisseurs en permanence, doublent leurs réserves d'or, de 1914 à 1919. Il est vrai que la guerre ne se paie pas seulement avec de l'or. Elle se finance avec de l'inflation. Dans le cours forcé, le papier-monnaie ne s'accrédite qu'en se discréditant. La grande valse des monnaies
Puisque le lien est rompu entre l'or et les billets, ceux-ci sont libres de vagabonder de toutes les façons, en se multipliant et en se dépréciant. L'inflation progresse sur trois fronts : sur le front monétaire, par les progrès de l'émission; sur le front des prix et sur le front des changes. Progrès de l'émission? Les États font appel aux Banques, qui, pour leur consentir des avances, recourent à la planche à billets. Les règles législatives ou statutaires qui limitent le volume du papier sont abolies ou assouplies. En France, le volume de la circulation est multiplié par 6, entre 1913 et 1919, par 9 entre 1913 et 1926. En Angleterre, la seule période de guerre voit la circulation multipliée par 3, en ne tenant compte que des billets de la Banque, mais par 14 si on leur ajoute les currency notes d'État. En Allemagne, de 1913 à 1920, le volume des billets est multiplié par 27, mais la Reichsbank est autorisée à comptabiliser dans leur couverture, à côté de l'or, des bons de caisse. En tous pays, le gonflement réel des moyens de paiement est d'ailleurs sensiblement moindre, en raison de la disparition du métal, qui a cessé d'être monnaie. Hausse des prix? Elle tient à la pénurie des denrées et des marchandises autant qu'à l'augmentation de
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la masse monétaire. Mais elle est freinée par certains blocages (à commencer par celui des loyers) et par certaines taxations (à commencer par celle du pain). Les prix doublent ou triplent pendant la guerre, selon les pays, et poursuivent ensuite leur ascension. Hausse des changes? Chez les Alliés, les apparences ont pu être plus ou moins sauvegardées durant le conflit, à la fois grâce au soutien du Trésor américain et à des mesures qui ébauchent un contrôle. En France, un décret de juillet 1915 interdit « la sortie, ainsi que la réexportation, de l'or brut en masse, lingots, barres, poudres, objets détruits, ainsi que des monnaies d'or». Une loi de février 1916 punit toute négociation à prime sur les pièces. De telles dispositions ont déjà été prises au temps de Law et des assignats. Elles n'empêchent pas le petit public des spéculateurs professionnels et le grand public des épargnants de se prémunir contre la dépréciation d1l papier national en cherchant un refuge du côté des anciennes monnaies de métal ou des devises encore appréciées: le dollar, le franc suisse. S'il n'y a pas de cote officielle de l'or, il y a une çote des changes, où se lit la défaveur des billets livrés à l'inflation. En 1919, le Trésor américain cesse de régulariser les changes des pays associés : que l'Europe se tire d'affaire par ses propres moyens 1 Le franc et le sterling fléchissent. Mais l'opinion ne s'en émeut que modérément: en France comme en Angleterre, on vit sur l'illusion que les monnaies nationales sont des unités aussi intangibles que le mètre ou le yard. Paris se rappelle qu'après le cours forcé de la guerre de 1870, et malgré la défaite, le franc a aisément reconquis sa parité or. Londres n'oublie pas son siècle de suprématie bancaire et monétaire, et n'imagine pas que l'étalon-or ne puisse être « restauré ». Et puis, la France et l'Angleterre ne sont-elles pas victorieuses? L' Allemagne paiera.
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L'Allemagne ne paie pas. Fort à propos, les économistes découvrent à son profit le problème des transferts, qui ne s'est pas posé quand l'Allemagne a vaincu en 1870, et ne se posera pas davantage quand elle occupera l'Europe continentale en 1940. Comme pour étayer la démonstration des économistes, l'Allemagne se met délibérément en état de faillite : elle saborde son mark. Au préalable, d'autres nations lui ont ouvert le chemin, en montrant jusqu'où peuvent mener des inflations galopantes. En Autriche, au temps de « la Rue sans joie », le dollar passe de 100 couronnes à la fin de 1919 à 70000 en septembre 1922. En novembre, la couronne tombe au quinze millième de sa valeur passée. En Pologne, de décembre 1921 à décembre 1923, la circulation est multipliée par 545, le cours du dollar par 2100, les prix intérieurs sont multipliés par 2 500; une monnaie de remplacement, le zloty (d'un nom qui désigne l'or), est créée en avril 1924, et se substitue à 1 800 marks polonais, alors que la circulation des marks se compte par centaines de trillions. Victimes des séquelles de la guerre, ni Vienne ni . Varsovie ne l'ont fait exprès. Le cas de la Russie devenue soviétique est différent. Pour elle, le problème monétaire se pose comme un problème politique et social. Lénine ne professe-t-il pas que le meilleur moyen d'abattre un régime bourgeois est d'en finir avec sa monnaie? Le Conseil des commissaires du Peuple ne décide-t-il pas (dès aotlt 1918) d'abolir la monnaie, instrument· du capitalisme? La Russie rouge organise le troc obligatoire. Mais les vieilles routines monétaires, qui ont la vie dure~ suscitent des unités de remplacement. La farine d'orge, le sel, le seigle, et aussi l'or en secret, jouent le rôle d'étalon des prix. En janvier 1921,les commissaires du Peuple prévoient l'adoption de l'étalontravail. En octobre, l'échec du système sans monnaie
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est avoué. On abandonne officiellement le troc, on rétablit le rouble. Mais qu~l rouble 1 Trois décisions sont prises en novembre 1921.: le rouble 1922 sera échangé pour 10000 roubles 1921; le « rouble d'avant-guerre» sera retenu comme unité de compte pour le budget; la Banque d'État (Gosbank) ouvrira ses guichets. Comme pour couronner cet édifice monétaire, le Congrès des Soviets reconnaît la nécessité d'une monnaie stable et charge le commissariat des Finances de préparer « le rétablissement de la monnaie sur la base d'une devise-or ». Forte de ces nouveaux principes, la Gosbank émet des ~illets libellés en tchervonetz, couverts à 25 % par de l'or et des devises fortes. Chaque tchervonetz est défini comme l'équivalent de 10 roubles-or. « La date à laquelle les billets pourront être échangés contre de l'or sera fixée ultérieurement. » Retour à la morale bourgeoise ... Mais l'emploi du tchervonetz est réservé aux grandes entreprises d'État, et l'émission des roubles ççmtinue, à l'usage du commun des Russes. Quand elle cesse, l'inflation aura déprécié le rouble à 200 milliardièmes de sa valeur or. En ruinant les détenteurs d'avoirs mobiliers, elle a complété l'œuvre de suppression de la propriété foncière et achevé la ruine des possédants. Elle a, plus ou moins délibérément, servi une politique de table rase. L'Allemagne poursuit d'autres fins, mais recourt au même moyen : elle va laisser déferler la monnaie fiduciaire pour illustrer sa misère et démontrer son il!~olvabilité. C'est très simple : il suffit aux gouvernements d'augmenter les dépenses publiques et le déficit budgétaire, d'abolir les mesures qui restreignent les sorties de capitaux, de faire marcher la planche à billets. Dans Faust, Goethe a donné la recette magique, par la bouche de Méphisto : «Au lieu d'or, un tel papier est si commode 1 Plus besoin de marchander; nul souci de monnaie. On peut à
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son aise s'enivrer d'amour et de vin. » Les Allemands vont s'enivrer d'inflation. La circulation des marks dépasse les 100 milliards à la fin de 1921, le trillion à la fin de 1922, le quadrillion au cours de l'été 1923, pour atteindre 524 quintillions en octobre, sans compter les 2 000 espèces de « monnaies de nécessité » émises par les chambres de commerce, les associations et les entreprises privées. Mais l'émission n'a fait que suivre laborieusement les besoins. La fabrication des billets est devancée par la hausse des prix et des changes: car, à ce rythme de griserie, les facteurs psychologiques l'emportent sur les facteurs techniques; la fuite devant la monnaie apparaît comme l'élément moteur de l'inflation. En aolÎt 1922, le dollar, qui devrait valoir un peu plus de 4 marks, franchit le cours de 1 000; à la fin de l'année, il approche de 8000. En février 1923, il est à 27 000; en mai, à 47 000; après quoi, il s'envole jusqu'à 4 200 milliards de marks. Le 15 octobre 1923, le rentenmark, qui est censé représenter un mark-or, remplace 1 trillion de marks-papier. Normalement, des effondrements monétaires comme ceux du rouble et du mark devraient réhabiliter l'or. Après la débâcle des assignats, l'or avait àutomatiquement fait sa réapparition. Mais cette fois, s'il reste désiré par· tous les témoins et les victimes de ces inflations délirantes, il est indésirable aux yeux des gouvernants: en Russie, parce qu'il est le symbole du capitalisme condamné; en Allemagne, parce qu'il reste indispensable de jouer devant les vainqueurs et les créanciers la comédie de l'indigence. Au papier-monnaie déconsidéré par l'inflation ne peut succéder qu'une monnaie de papier, légitimée par une gestion prudente. Le temps de l'or-monnaie est passé.
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Autant que l'or monnaie, l'or étalon semble condamné. Les nations, au sortir d'un conflit qui les laisse pantelantes, ne sont pas mûres pour restaurer les disciplines d'un régime né dans la paix et la prospérité. Auraient-elles même assez d'or pour s'y plier? L'or, désertant l'Europe, a pris le chemin de l'Amérique : sans compter le métal jaune qui reste aux mains des citoyens américains (900 tonnes en 1913), les réserves publiques des États-Unis passent de 1 900 tonnes avant la guerre à 3 700 en 1920, à 6 100 en 1924. Trois siècles après avoir quitté le Nouveau Monde dans les galions espagnols, l'or retraverse l'Atlantique. Faute de pouvoir restaurer immédiatement l'étalon-or, ne doit-on pas rechercher un autre système, plus large, plus souple, et compatible avec l'état nouveau du monde? On en imagine un, tellement anglo-saxon de conception qu'il ne porte longtemps qu'un nom anglais: le Gold Exchange Standard. On finira par traduire: l'étalon de change-or, ce qui n'a pas de sens très clair. C'est un système qui, à l'échelle internationale, assure la convertibilité des billets, non plus en or, mais en devises (elles-mêmes présumées convertibles en or); il implique la mise en réserve, à côté ou à la 'place de l'or, d'une encaisse en devises. Ce n'est pas un système tout à fait nouveau. Ricardo, dès 1816, a suggéré une formule de ce genre. A la fin du XIX e siècle, les fonctionnaires britanniques en Inde y ont recouru, un peu à l'aveuglette, pour éviter les difficultés que soulevaient les rapports entre un pays à étalon-or (le Royaume-Uni) et un pays à étalon-argent (l'Inde) : exclusivement pour les paiements à l'étranger, la Banque d'émission de l'Inde s'est constitué une réserve d'or et de livres (1898). Ce système s'est bientôt étendu à d'autres pays à
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monnaie d'argent (aux Philippines, au Mexique, aux Détroits, aux Indes néerlandaises) et à des pays à change instable (à l'Argentine, au Brésil). Les relations financières de certaines colonies françaises avec la métropole se sont apparentées à l'étalon de change-or, par le jeu du compte courant au Trésor. Keynes, nommé au Bureau de l'Inde, s'est intéressé à la formule, et lui a consacré, en 1913, son premier ouvrage. On en reparle à la Conférence internationale de Bruxelles en 1920, mais sans s'y arrêter. En revanche, les experts réunis en 1922 à Gênes - où, quatre cent soixante-quinze ans plus tôt, d'autres experts ont préconisé et instauré l'étalon-or - recommandent la conclusion d'une convention internationale « basée sur l'étalon de change-or ». Cette convention ne voit jamais le jour, mais le Comité financier de la Société des Nations n'en a pas besoin pour appliquer les principes posés à Gênes, partout où il a à intervenir pour aider à la restauration des monnaies en détresse: en Autriche, en Hongrie, en Grèce, en Bulgarie, en Estonie... Le mémorandum sur les monnaies, publié à Genève en 1924, reprend le thème et souligne « l'importance de l'emploi de diverses catégories d'avoirs étrangers autres que l'or comme couverture des émissions de billets ». De même, en 1930, la délégation de l'Or du Comité financier de la Société des Nations se félicite de l'emploi de l'étalon de change-or, qui « a, dans une certaine mesure, permis d'économiser l'usage de l'or Il. Dans l'esprit' de ses promoteurs, il est destiné en effet à remédier, par des garanties en dollars et en livres, à l'insuffisance et à la mauvaise répartition du métal. Pourquoi le dollar et la livre, de préférence à d'autres monnaies, se trouvent-ils ainsi promus au rang de monnaies de réserve? Rien ni personne n'en décide, si ce n'est une situation de fait: le dollar et la livre sont réellement les monnaies les plus répan-
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dues, les plus couramment acceptées et demandées, celles des pays aujourd'hui et hier les plus puissants. Conçu comme un expédient, l'étalon de change-or tend à devenir une habitude. A la fin de 1928, les Banques centrales de la planète détiennent des devises dans leurs réserves pour près de 2,5 milliards de dollars, ce qui « économise» 3 750 tonnes d'or: comme si l'on avait découvert un nouveau gisement. Le système présente d'autres avantages. Aux États-Unis et à l'Angleterre, aux places de New York et de Londres, il assure la prééminence monétaire, à ce point que les autres pays et les autres places apparaissent un peu comme leurs satellites. Mais aux pays mal en point, qui stabilisent difficilement leurs monnaies, il permet de se constituer une réserve confortable en empruntant des dollars et des livres. En regard, les inconvénients n'apparaîtront que plus tard. On s'apercevra que le mécanisme régulateur de l'étalon-or avait du bon, parce qu'il pénalisait les déficits des balances des paiements, en obligeant les pays déficitaires à livrer de l'or et à restreindre leurs dépenses. L'étalon de change-or, en les assurant de l'impunité, ne rétablit pas les équilibres rompus. Jacques Rueff, qui en est conscient dès les lendemains de la Conférence de Gênes, ne cessera plus de dénoncer les dangers du système. L'étalon de change-or favorise l'inflation: car une même encaisse métallique sert d'abord à gager les billets américains ou anglais, et, au second degré, d'autres circulations. TI engendre une illusion: car les devises-or ne sont pas de l'or; elles peuvent être dévaluées. La livre et le dollar en administreront la preuve, aux dépens des pays qui leur font confiance. Mais, après la guerre, l'étalon de change-or ne conquiert pas encore la planète. TI n'apparaît que comme une pratique de circonstance, à l'usage de certains pays emprunteurs, soit en Europe : Pologne, Tchécoslovaquie, Grèce, Finlande ... - soit hors d'Eu-
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rope : Colombie, Chili, Bolivie, Équateur. On ne songe guère alors à l'ériger en doctrine. L'étalon-or garde ses séductions. L'or restauré
Les souvenirs de l'avant-guerre ne sont pas si lointains. Comment ne pas associer, dans une même nostalgie, ceux de la « Belle Époque» et ceux de l'étalon-or? Les grandes nations éprouvent quelque honte à persévérer dans l'inflation, dans l'instabilité des changes et des prix, en bref dans le désordre. Elles ont hâte d'en sortir, pour retrouver le havre de la paix monétaire. Curieusement, c'est l'Allemagne, nation vaincue, qui donne l'exemple du retour à la stabilité. Son expérience d'inflation galopante précipite la restauration d'une monnaie assainie. Pour ce faire, elle bénéficie du concours d'un magicien de la finance, le Dr Schacht, en même temps que d'un prêt international. Au rentenmark, monnaie de transition gagée symboliquement sur le capital national que constituent routes et chemins de fer, succède en 1924 le reichsmark, monnaie définie par un poids d'or à l'égal de l'ancien mark. Il est couvert par une réserve d'au moins 30 % en or et 10 % en devises: ce qui combine l'étalon-or et l'étalon de change-or, et transpose en Europe le système de la ratio, c'est-à-dire d'une proportion entre la couverture et les engagements à vue, déjà adopté aux États-Unis en 1913. Les billets sont théoriquement remboursables en or, mais non plus en pièces: la conversion, subordonnée à une décision des conseils de la Reichsbank, ne serait admise qu'en lingots (gold bullion standard) de façon à la limiter aux gros règlements, et, pour l'essentiel, aux règlements extérieurs. Voilà qui suscite l'envie des pays vainqueu~s, et d'abord de l'Angleterre. Va-t-elle continuer à 'trser
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d'une livre pratiquement inconvertible et dépréciée, alors que l'Allemagne a stabilisé sa monnaie, sur des bases apparemment fort honorables? Les Britanniques estiment qu'ils n'ont à recevoir de personne une leçon d'étalon-or. Ils veulent retrouver leur sterling d'avant-guerre, comme ils l'avaient retrouvé à l'issue des guerres napoléoniennes. Winston Churchill, qui vient d'être nommé chancelier de l'Échiquier, est le premier à penser ainsi. Comment l'Angleterre ne comprend-elle pas qu'elle se fourvoie? A la différence de l'Allemagne, elle n'a pas connu l'hyperinflation qui réduit à néant la dette publique et prédispose le public à tous les sacrifices. Elle n'a pas non plus les mêmes secours extérieurs. Courageusement, à grand renfort d'impôts, elle entre dans la voie de la déflation, gui se situe à l'opposé des chemins de l'inflation: l'Étàt rembourse à la Banque les avances qu'elle lui consenties, contracte les currency notes, comprime les prix et les salaires. Keynes, en vain, annonce la chute des exportations et la ruine de l'économie. Monnaie d'abord 1 Les Communes votent le retour à là libre convertibilité et à la parité traditionnelle. En mai 1925, huit mois après le reichsmark, la livre sterling redevient une monnaie-or. Elle équivaut à 7,32 grammes d'or fin, comme en 1816. Elle est, sans les formalités et tracasseries instaurées en 1914, remboursable en métal. L'exportation de l'or est libre. L'étalon-or, avec le jeu classique des points d'or, reprend force de loi. L'émission n'est pas limitée, à la mode américaine et allemande, par une ratio; elle n'est contenue que par le vieux système fiu plafond, qui ne fait pas échec au banking principle. Pourtant, Londres ne retrouve pas tout à fait le vieil étalon-or du siècle passé. Comme en Allemagne, la convertibilité n'est admise qu'en lingots de 400 onces troy (12,54 kilos). La frappe libre de l'or
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n'est pas rétablie. La circulation des pièces d'or n'est pas restaurée. La Banque d'Angleterre obtient même, en 1928, le droit d'exiger la remise de l'or détenu par toute personne qui en posséderait pour plus de 10000 livres (73,20 kilos), à moins que cet or ne soit destiné à des règlements internationaux. Autrement dit, l'étalon-or n'est pleinement restauré qu'à l'usage externe. Cette stabilisation, à son tour, fait l'admiration du continent. A l'heure où la livre est rétablie dans sa dignité première, le franc reste la victime des crises politiques et financières à répétition. En France, les prix montent, le public fuit devant le billet, l'État mendie des avances auprès de la Banque. L'excès même du désarroi monétaire, en 1926, provoque une réaction. Rappelé au pouvoir, Raymond Poincaré renverse la situation psychologique par sa seule présence et rétablit techniquement la position du franc en donnant à la Banque de France, sur la suggestion de Charles Rist, le droit d'acheter de l'or et des devises au cours du marché. Deux ans après, une fois reconstituées de solides réserves, le franc peut lui aussi être stabilisé. Raymond Poincaré réussit même ce tour de force de lui imposer une dévaluation contre le sentiment public, et sans doute aussi contre son propre sentiment. Il faut une singulière lucidité pour renoncer à restaurer le franc dans sa parité de germinal, alors que le mark et le sterling ont recouvré leur parité d'autrefois. En juin 1928, c'est chose faite : le franc représente, non plus 290,32 milligrammes d'or fin, mais 58,95, soit 5 fois moins. Faillite des quatre cinquièmes 1objectent les opposants. Constat de faillite, sans doute, mais avec retour à l'étalon-or. Pour le franc, c'est même mieux qu'un retour à l'étalon-or. C'est un ralliement. Le franc de germinal n'avait-il pas double étalon? Cette fois, il n'est plus question du métal blanc, pas plus que de l'Union
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latine. morte de sa belle mort, sans fleurs ni couronnes. Les billets sont convertibles. mais avec trois restrictions : d'abord. comme les billets allemands ou anglais. non plus pour tout porteur de billets, mais seulement par remise de lingots (du type international de 400 onces); ensuite. exclusivement au siège central de la Banque de France; enfin, sur indication de l'identité du porteur. Comme en Allemagne, la loi monétaire adopte le système de la ratio - mais sans faire place aux devises: l'encaisse or devra être « égale au minimum à 35 % du montant cumulé des billets au porteur en circulation et des comptes courants créditeurs ». La circulation intérieure des pièces d'or n'est pas rétablie. mais elle est prévue : « Il sera fabriqué des pièces d'or de 100 francs. » La frappe libre de l'or n'est pas davantage rétablie, mais elle est également prévue. « Un décret fixera la date à partir de laquelle l'Administration des Monnaies reprendra la frappe libre de l'or pour les particuliers. » Avec le franc Poincaré. la France accède à l'étalonor. au moins pour l'usage international, et enregistre, sincère ou feinte. une promesse d'étalon-or à usage intérieur. En refusant de faire officiellement place aux devises dans la couverture de la monnaie. elle ignore l'étalon de change-or. En fait, la .. Banque de France, convertissant le plus possible de devises en métal, gonfle son encaisse de métal jaune jusqu'à 4900 tonnes (en 1932). Compte tenu de ce qui reste d'or thésaurisé dans le public (400 tonnes), la France détient alors 5300 tonnes d'or, soit environ 27 % de toutes les réserves monétaires du monde, voisines de 20 000 tonnes. Cette accumulation de métal fait beaucoup crier. Le prestige de l'or est assurément restauré, puisqu'en l'espace de quelques années, la plupart des monnaies se rallient à l'étalon-or, plus ou' moins teinté d'étalon de change-or. On y voit venir ou
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revenir, avec retour à l'ancienne parité,en 1923, le Venezuela et la Colombie; en 1924, la Suède; en 1925, avec l'Angleterre et ses dominions, les Pays-Bas, la Suisse et l'Egypte; en 1927, le Danemark, l'Argentine, l'Uruguay; en 1928, la Norvège; en 1930, le Japon. Et, avec dévaluations ou créations de monn, JS nouvelles, en 1922, la Lettonie; en 1923, la Lituanie; en 1924, avec l'Allemagne, la Pologne et l'Autriche; en 1925, l' Albanie (qui adopte le franc de germinal), le Chili, la Finlande et Dantzig; en 1926, le Brésil et la Hongrie; en 1927, l'Équateur et l'Italie; en 1928, avec la France, la Grèce, la Bulgarie, l'Estonie et la Bolivie; en 1929, la Roumanie et la Tchécoslovaquie; en 1930 le Pérou. Une véritable épidémie de stabilisation sur la base de l'or. Dans cette nouvelle « ruée vers l'or», l'Asie ellemême est entraînée, au point d'abandonner le vieil étalon-argent dont elle restait la dernière adepte. L'Inde passe à l'étalon-or en 1927, le Siam en 1928; l'Indochine en 1930 et, avec d'ultimes hésitations, la Chine en 1931, l'Iran en 1932. Suprême consécration : quand est créée à Bâle, en 1930, la Banque des règlements internationaux (B. R. 1.) pour gérer le solde des réparations allemandes et coordonner les politiques des Banques d'émission, il est convenu que ses comptes seront tenus en francs-or, selon la définition de germinal. Ainsi se perpétue au xx e siècle une monnaie morte du siècle de l'étalon-or. Adieux à l'étalon-or
Certain « jeudi noir» d'octobre 1929, Wall Street craque : la Bourse américaine est allée trop de l'avant. La crise boursière tourne vite à la crise financière et à la crise économique, qui, des États-Unis, gagne le monde. Certain matin de l'été 1931, l'Allemagne craque :
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elle ne peut ni ne veut régler ses dettes extérieures. Suspendant toute sortie de capitaux, elle bloque les avoirs étrangers. Le reichsmark n'a même plus l'apparence d'une monnaie-or ni d'une monnaie libre. L'encaisse or de la Reichsbank s'évapore : 800 tonnes en 1930, 350 à la fin de 1931, 30 en 1933, moins de 24 en 1936. Il lui a fallu payer les déficits extérieurs, les achats de matières premières destinées au réarmement de l'Allemagne. Mais peutêtre ces statistiques sont-elles trop éloquentes : le Dr Schacht fait volontiers étalage de sa pauvreté pour justifier ses restrictions et camoufler les ressources entassées pour les futurs combats. Armé de ses éternelles lunettes et de son rigide faux col, le Dr Schacht met en scène la politique financière de l'Allemagne nationale-socialiste. A aucun prix, les Allemands ne veulent refaire connaissance avec l'inflation galopante. Plutôt que de sombrer dans cette anarchie, ils préfèrent la dictature: ce qui, sur le plan monétaire, se traduit par la contrainte. Contrainte des prix, contrainte de la production et de la consommation, contrainte des échanges et des changes. Schacht réduit le titre des bij oux. Il multiplie les catégories de crédits moratoriés, de marks gelés. Défense de négocier l'or et les devises. Défense d'exporter de l'or et des billets. Dans les Verboten s'édifie un contrôle assorti des pires sanctions : « Tout ressortissant allemand qui, consciemment ou inconsciemment animé d'un bas égoïsme ou de quelque autre sentiment vil, aura amassé sa fortune à l'étranger ou y aura laissé des capitaux sera puni de mort» (ordonnance du 1er décembre 1936). La hache du bourreau remplace les mécanismes de l'étalon-or. Mais la crise américaine et la faillite allemande ont ébranlé l'Angleterre, dont la livre sterling a été imprudemment revalorisée. Au cours de l'été 1931, l'or la fuit. En vingt jours de juillet, elle en perd
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240 tonnes. Malgré le secours de crédits américains et français, la Banque d'Angleterre ne parvient plus à faire front. Le 20 septembre 1931, le gouvernement la dispense de convertir les billets en or. Le 21, le Gold Standard Amendment Act légalise la suspension de l'étalon-or, « jusqu'à ce que Sa Majesté en ordonne autrement par proclamation ». La décision est assurément déchirante : elle implique à la fois l'abandon d'une parité, maintenue intacte plus d'un siècle et chèrement restaurée en 1925, et celui d'un système monétaire dont Londres s'était fait gloire. Mais brûlant les dieux qu'elle avait adorés, l'Angleterre se pose en championne des cours flottants. Nécessité, pour elle, devient vertu. Comme le renard de la fable, qui trouve les raisins trop verts, elle décrète que, puisqu'elle n'a plus d'or, l'or ne vaut rien. Puisqu'elle a renoncé à l'étalon-or, ce régime est d'un autre âge. Ce n'est pas le prix de l'or qui a monté, c'est la livre qui a rectifié son cours. Ce n'est pas l'or qui a quitté l'Angleterre, c'est l'Angleterre qui a répudié l'or. Le fait est que l'économie britannique se trouve bien de ces reniements, qui d'une nation libérale ont fait un pays protectionniste, et d'une monnaie stable et superbe une monnaie vagabonde et dépréciée. La livre perd 30 % en quelques mois, mais les prix anglais deviennent avantageux sur les marchés d'exportation. En acquérant le métal qui, d'Afrique du Sud, de l'Inde ou d'Australie, est offert sur le marché de Londres, toujours prééminent, la Banque d'Angleterre reconstitue son encaisse or. Tombée à 870 tonnes, celle-ci se redresse en 1936 à 2 300 tonnes: plus haut qu'elle n'a jamais été.
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Une once d'or -= 36 dollars Dans le domaine monétaire, le bonheur des uns fait souvent le malheur des autres. Si les capitaux affiuent sur une place, c'est aux dépens des autres places. Si les prix d'un pays sont favorables, les prix des autres pays ne le sont pas. Le redressement britannique, comme l'autarcie allemande, dessert les États-Unis et compromet le dollar. Mais, bien plus que de l'extérieur, le dollar est menacé de l'intérieur. La crise économique a fait baisser les prix. Les fermiers qui ont emprunté des dollars chers au temps des prix élevés, demandent à s'acquitter en dollars dépréciés. Contre Hoover, qui est le candidat des créanciers, Roosevelt est l'homme des débiteurs. Porté à la Maison-Blanche, il tranche en leur faveur. Pour calmer les fermiers du Far West, les saisies et contraintes sont suspendues, les dettes agricoles sont bloquées. Les banques rurales ne sont plus en mesure de payer leurs propres dettes. De proche en proche, tout le système bancaire est contaminé. Retraits de dépôts, retraits d'or. En prêtant serment sur la Bible, le 4 mars 1933, le nouveau président proclame qu' « il faut établir une monnaie adéquate et saine ». Que signifient au juste ces adjectifs? Roosevelt n'hésite que quarante-huit heures. Le 6 mars, il met les banques en vacances et leur interdit « payer, exporter, mettre en réserve l'or ou l'argent, en lingots ou en espèces, d'en permettre le retrait ou le transfert de quelque façon que ce soit, d'agir de façon quelconque qui puisse en . faciliter la thésaurisation ». Même interdiction sur les transactions de changes. Ne s'agit-il que d'une mesure provisoire? Le 9 mars, Franklin Roosevelt confirme l'embargo et saisit le Congrès. Le 5 avril, il ordonne la réquisition
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de l'or détenu par les particuliers, au-delà de 100 dollars par personne (150 grammes). Il n'admet d'exception que pour les numismates, et fait dresser des listes de thésauriseurs. Le 12 mai, la nouvelle loi monétaire l'autorise à dévaluer le dollar de moitié. Qu'en va-t-il faire? Les suggestions ne manquent pas, sages ou saugrenues : certains experts proposent un dollarmarchandises, d'autres un dollar garanti par des fournitures de kilowatts-heures. Roosevelt opine pour un dollar assoupli : « Les États-Unis, dit-il, recherchent un dollar tel que, passé une génération, il ait le même pouvoir d'achat et la même valeur pour le règlement des dettes que celui que nous voulons assurer dans un avenir prochain » (message présidentiel du 2 juillet 1933) : c'est-à-dire un dollar mobile en termes d'or. . Son premier objectif est de revaloriser les matières premières que la crise a fait baisser. Pour relever les prix exprimés en dollars, il faut déprécier le dollar par rapport à l'or. En conséquence, le gouvernement fédéral se déclare disposé à acheter l'or extrait des mines américaines à un prix maj oré. Il porte l'once (qui valait précédemment 20,67 dollars) à 31,36 dollars, puis, par étapes, jusqu'à 34,45. Il étend sa politique d'achat de l'or aux places étrangères. Après quoi, il se tourne une nouvelle fois vers le Congrès, pour que soit consacrée la revalorisation de l'or, qui implique dévaluation du dollar. D'abord, il doit être bien entendu que l'or est un métal d'État, et non plus un métal à la disposition de$ particuliers. « Le transfert de l'or en masse n'est nécessaire que pour le règlement des balances internationales. Par conséquent, il est prudent d'investir le gouvernement de la nation du droit de propriété de tout l'or monétaire qui se trouve à l'intérieur de ses frontières et de conserver cet or en lingots plutôt qu'en pièces» (message présidentiel du 15 janvier
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. 1934). C'est bien la fin de la circulation des dollars-or. Les aigles replient leurs ailes. L'encaisse or des banques fédérales sera elle-même transférée à la Trésorerie, contre remise de certificats-or. Ce point acquis, « avec l'établissement de cette politique permanente, plaçant tout l'or monétaire sous la propriété du gouvernement afin de servir de couverture métallique à la monnaie; le moment est venu de déterminer d'une façon certaine la valeur or de la monnaie Il (même message). Il apparaît donc que le gouvernement américain, loin de condamner l'or, se le réserve. Il le retire aux particuliers et aux banques, mais lui maintient un triple rôle: pour la garantie des billets, pour les règlements extérieurs, et pour la définition du dollar. Quelle définition? Le président a déjà le droit de dévaluer le dollar de 50 %. Il demande et obtient que la marge de choix soit contenue entre 40 et 50 %, avec possibilité de modifier la parité « de temps en temps, lorsqu'il le jugera nécessaire» (Gold Reserve Act du 30 janvier 1934). Sans tarder, il arrête son premier verdict : par proclamation du 31 janvier «< à 15 h 10, heure légale de l'Est ll), il dévalue de 40,94 % et ramène le dollar de 1 504,6 milligrammes - défini en 1834, exactement un siècle plus tôt à 888,67 milligrammes d'or fin. Ce premier verdict est aussi le dernier. Loin d'être révisé « de temps en temps », le dollar est immobilisé à ce niveau, qui situe l'once d'or à 35 dollars: un tarif dont il sera longtemps parlé, parce qu'il sera longtemps maintenu.
Le Bloc de l'or En moins de trois années, le visage monétaire du monde a changé. Au retour àl'or, a succédé un mouvement contraire, aux triples dépens de l'or, de l'étalon-or et de l'étalon de change-or.
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Le métal lui-même est atteint : aux ~tats-Unis, non seulement il cesse de circuler, mais il n'est plus possible de le négocier ni de le détenir; en Allemagne, il est mis au ban de la société. L'étalon-or, tel que l'avait exalté l'Angleterre du XIX e siècle, est condamné: en Angleterre même et en Allemagne de toutes les façons, aux États-Unis où il ne subsiste que pour les règlements internationaux. L'étalon de change-or, plus encore, a subi les conséquences de la bagarre des monnaies. Il prétendait assimiler les devises à l'or, mais les devises les plus fameuses, livre et dollar en tête, ont cessé d'être convertibles. Qui se plairait désormais à les accumuler? A certains égards pourtant, la défaite de l'or est une victoire. D'abord, parce que la débâcle de l'étalon de change élimine un concurrent. Ensuite, parce que la politique adoptée en Allemagne comme aux Etats-Unis à l'encontre de l'or lui confère un statut hors du droit commun, et le désigne comme un métal d'exception. Dès l'instant qu'il est interdit, il devient plus désirable. Aussi bien, dans le monde, il n'est pas que le dollar, la livre et le mark. Les autres monnaies cherchent leur voie :- soit pour suivre leur exemple, soit pour faire front. Dans le sillage de la livre, nombre de monnaies sont devenues flottantes, en liant leur sort et leur cours à celui du sterling: monnaies plus ou moins d'obédience impériale - les livres d'Australie et de NouvelleZélande, d'Égypte et de Palestine, la roupie de l'Inde, le dollar des Détroits; monnaies de pays étroitement liés à l'Angleterre par le commerce ou la finance - les couronnes scandinaves, le mark finlandais, l'escudo portugais, la drachme grecque, le peso argentin. Ainsi naît, sans cadre préconçu, une famille monétaire, à laquelle la livre sert de patriarche. C'est le Bloc sterling, qui est moins un Bloc qu'une sorte de
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club de bonne compagnie: le Sterling club, la Sterlingarie. C'est un espace de fait: l'aire sterling, le Sterling area, la zone sterling. Pour l'histoire de l'or, il faut retenir l'attitude de l'Afrique du Sud, principale productrice du métal. Après la décision de Londres, elle hésite plus d'une année à rompre avec l'étalon-or, comme si cet abandon lui paraissait un désaveu de ses propres richesses. A la réflexion, elle comprend l'avantage d'une mesure qui aboutit à un relèvement du prix de l'or, et ne peut que stimuler l'extraction du métal jaune. En décembre 1932, l'Afrique du Sud rejoint le Bloc sterling. Le Bloc dollar est de moindre envergure, mais il concrétise lui aussi certaines solidarités : comme le dollar, et s'alignant sur lui, se dévaluent les monnaies du Canada, de Cuba, des Philippines, et la plupart des monnaies de l'Amérique centrale. Quant au reichsmark, il se contente pour l'heure de faire école, en enseignant les subtilités du contrôle des changes. On s'en inspire volontiers en Europe centrale, dans les Balkans et en Amérique latine. Restent les fidèles de l'or: à leur tête, la France. Naguère surpris par l'inflation, puis humiliés par la dévaluation, les Français ne tiennent pas à en renouveler l'expérience. Ils veulent croire que le franc Poincaré leur promet, comme le franc germinal, un siècle de stabilité. Ils s'y accrochent, dans l'illusion que Paris peut ignorer ce qui s'est décidé à Berlin, à Londres et à Washington, et que la France est assez grande pour donner au monde une leçon de bonne conduite monétaire. C'est la France maintenant qui s'affirme comme la championne de l'étalon-or. Pour attester l'identité du billet et du métal, pour rassurer l'opinion sur les perspectives du franc, la Banque de France (en 1934) fait frapper des pièces de 100 francs en or, comme l'a prévu la loi de stabilisation de 1928. Elles ne seront jamais mises en circulation.
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Paris organise aussi sa résistance d'autre façon: au lendemain d'une conférence internationale qui, à Londres, se réduit à un tournoi d'éloquence et souligne les divergences des politiques monétaires, la France groupe autour d'elle, en un Bloc de l'or, les nations qui veulent pratiquer la même politique : France, Belgique, Suisse et Pays-Bas, que rejoignent Italie et Pologue (une nouyelle Union latine avec excroissances) « réaffirment qu'il est dans leur inten~ tion de maintenir le libre fonctionnement de l'étalonor, conformément à leurs lois respectives, dans la croyance que le maintien des parités or existantes est de l'intérêt international» (juillet 1933). La Banque de France, pour sa part, rappelle qu'elle « n'a apporté aucune entrave au libre jeu du marché monétaire sous le régime de l'étalon-or. Elle ne se départira pas de cette attitude, quelle que soit l'orientation du mouvement des capitaux. Le jour où, sous l'influence d'une hausse du cours des devises étrangères, l'or viendrait à être demandé à ses guichets au lieu d'y être offert, elle le laisserait sortir de ses caisses aussi librement qu'elle a dû l'y laisser rentrer ». Mais que valent les serments devant les faits? L'Italie et la Pologne lâchent le Bloc de l'or en instaurant le contrôle des changes, selon l'exemple allemand (mai 1934 et avril 1936). La Belgique abandonne le Bloc en dévaluant son franc selon l'exemple américain (mars 1935). Et la France voit fuir son or. On lui a reproché d'en avoir beaucoup, d'en avoir trop. On lui a demandé de « redistribuer» cet or. Il se redistribue fort bien tout seul : comme les prix français sont trop élevés par rapport aux prix des pays concurrents, la balance des paiements devient déficitaire. Comme le doute s'insinue dans l'esprit des porteurs de francs, ils exportent leurs capitaux ou demandent la conversion de leurs billets en or : si la Banque de France ne livre de métal qu'en lingots de 400 onces, il se trouve des intermédiaires, banquiers
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ou bijoutiers, pour procéder à ces retraits et faire fondre de petits lingots de 1 kilo qu'ils revendent au détail avec prime. De 4 910 tonnes en 1932, l'encaisse or de la Banque tombe à 2950 en septembre 1936. Près de 2000 tonnes se sont volatilisées en moins de quatre années. Entretemps, la France a vainement tenté de contracter ses prix, dans une expérience de déflation vouée par avance à un cuisant échec électoral. A l'enseigne du Front populaire, elle tente une autre expérience, celle d'une « inflation de secours ». Ses auteurs, après avoir juré qu'ils ne dévalueraient pas, rompent avec l'étalon-or et « ajustent» la parité monétaire. Fin du franc Poincaré, qui a duré huit ans. La convertibilité des billets en métal est suspendue Qe 1er novembre 1936) : elle ne sera plus rétablie. C'en est fini du Bloc de l'or: en même temps que le franc français, le franc suisse et le florin lâchent le métal et se résignent à la dévaluation. Le temps du désarroi
Dans la tourmente qui emporte ainsi les monnaies les unes après les autres, l'attitude de la France diffère de celle des autres États: la plupart ont choisi de rompre avec l'or ou la parité-or, ils ont dirigé la dépréciation ou voulu le contrôle. L'Allemagne en a fait un instrument de son réarmement; l'Angleterre, d'abord contre son gré, en a fait rapidement le moyen de son redressement économique; les États-Unis ont dévalué délibérément le dollar pour des raisons électorales. Seules, avec la Suisse et les Pays-Bas qu'elle a entraînés, la France a subi l'événement. C'est pour elle le temps du grand désarroi. Les Français sont appelés aux loisirs à l'heure où les Allemands, pour s'armer, sont appelés au travail. Le franc est la victime de dévaluations en cascades, qui le ramènent de 58,95 milligrammes d'or fin à 24,75
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(en novembre 1938). L'or est traqué: son commerce en est interdit, la. déclaration des avoirs en or est obligatoire, le métal non déclaré est tenu comme importé en contrebande. Ce genre de menaces, renouvelé de la Terreur et de l'Allemagne nationale-socialiste, est peu efficace, et l'on ne tarde guère à y renoncer. Mais la contrainte n'appelle pas la confiance. A la fin de 1938, la Banque de France ne possède plus que 2 160 tonnes d'or: soit à peine le chiffre minimal que requièrent, comme trésor de guerre, les autorités de la Défense nationale. A l'approche du danger, un tardif sursaut relève cette encaisse à 2850 tonnes. En regard, stimulée par les craintes de conflit comme par les craintes monétaires, la thésaurisation privée a repris : elle doit approcher de 1 800 tonnes. Entre-temps, se situe un curieux épisode, qui émeut un moment les marchés internationaux de l'or. Comme le Bloc de l'or a été rompu, on s'interroge sur l'avenir du métal jaune. Il se trouve qu'alors ru. R. S. S. offre de gros montants d'or sur le marché libre de Londres, et le mystère des mines soviétiques devient motif à inquiétude: que produisent au juste les gisements fabuleux de la Kolyma? Quel essor nouveau va leur donner le retour au stimulant de la prospection privée? Moscou ne fait-il pas appel aux techniciens américains? L'U. R. S. ·S. est devenu le troisième producteur d'or en 1933, le second en 1934. Ne deviendra-t-elle pas le· premier, et ne menacet-elle pas d'inonder le marché d'un flot d'or, pour le plaisir d'en finir avec le système capitaliste, ou du moins avec son symbole? Au risque de surproduction (le mot est à la mode depuis la crise de 1929), s'ajoute le risque d'une « déthésaurisation JI. Si l'or est menacé de dépréciation, ses détenteurs voudront s'en débarrasser tous ensemble. Quelle déroute! Le marché de l'or a d'ailleurs été déjà secoué par une alerte de ce type, lorsqu'en 1931, après la chute de la livre et la montée
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consécutive des cours de l'or, l'Inde a vendu une petite partie de ses réserves: les plus-values du métal, sa propre misère économique la conviaient à cette liquidation. L'Orient, pendant quelques années, s'est porté vendeur. Au printemps de 1937, on se reprend à douter de l'or. Le rapport de la Banque des Règlements internationaux lance un cri d'alarme : « L'or, dit-il, ne passe plus pour un placement aussi sûr qu'autrefois. » La Suède, assure-t-on, convertit une fraction de son encaisse en d'autres métaux, voire en céréales. La Finlande et la Norvège substituent des devises à l'or. Le bruit se répand que les États-Unis vont baisser leur prix d'achat du métal. Alarmés, les thésauriseurs jettent 400 tonnes d'or sur le marché. C'est la « panique de l'or », le goldscare. En réalité, l'incident n'ébranle pas plus la position du métal que des piqûres d'épingle ne tracassent un pachyderme. Le Fonds anglais de stabilisation met aussitôt les offres d'or à profit pour accroître ses réserves. Le métal ne cesse pas un seul jour de trouver preneur, sans baisse de prix. On découvre que les Soviets, s'ils ont beaucoup d'or, n'ont aucun intérêt à le déprécier. Quelques semaines après le début de la « panique », le mouvement est renversé, les thésauriseurs redeviennent demandeurs. La tension internationale qui grandit ne peut d'ailleurs qu'inciter États et particuliers à prendre leurs précautions. L'or n'a jamais été plus convoité. Là-dessus, la guerre des monnaies fait place à la guerre tout court.
L'étalon-travail L'Allemagne de Adolf Hitler se présente dans le conflit presque démunie d'or, mais caparaçonnée d'un contrôle des changes qui lui tient lieu de cuirasse. La doctrine du régime relègue l'or au rang des vils
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outils du capitalisme et de la ploutocratie. Pour un bon national-socialiste, l'or, c'est Israël et la Cité de Londres, donc le stupre et l'iniquité. Expert chevronné, le Dr Wilhelm Grotkopp dénonce la faillite de l'or" qui « ne peut remplir les tâches d'un étalon des valeurs ». « Un État qui entend diriger lui-même son économie ne saurait admettre les servitudes de l'or, et sera contraint de s'en détacher. » TI prend argument de ce fait que, dans la patrie même de l'étalon-or, « l'or a dû abdiquer après une souveraineté de cent quinze années et se retirer de la scène anglaise. L'effort humain a pris la place de l'automatisme de l'or ». Voilà le mot clé: l'effort humain. Autrement dit : le travail. Pour que l'économie s'affranchisse de la domination de la finance, il faut, à l'étalon-or, substituer l'étalon-travail. Le Führer prend ce thème à son compte et le célèbre lyriquement : « Le Reichsmark allemand représente de la bonne monnaie, non pas parce qu'il a derrière lui de l'or et des devises, mais parce qu'il a derrière lui une grande nation laborieuse et industrieuse. Votre labeur à la ville et à la campagne, ton travail, ouvrier de l'atelier et de la fabrique, ton travail, paysan allemand, voilà la couverture de ton Reichsmark 1 » (1 er mai 1938.) « La base de notre monnaie ne saurait être l'or, mais la production» (9 novembre 1940). « Si nous n'avons pas d'or, nous avons la puissance du travail. Et la puissance de travail, c'est notre or et c'est notre capital, et avec cette monnaie-là, je me fais fort de battre toute autre puissance au monde » (10 décembre 1940). Ces belles formules ne sont ni tout à fait inédites ni tout à fait fausses. Huit siècles avant l'ère chrétienne, Hésiode disait déjà: « C'est par leurs travaux que les hommes sont riches en troupeaux et en or. » Diderot a repris : « Le travail est la seule mesure universelle et exacte. » Karl Marx a devancé Hitler :
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« Toutes les marchandises sont des expressions d'une même unité: le travail. li Effectivement, l'or n'est que du travail passé, accumulé et transformé, le travail peut être une promesse d'or. Mais l'Allemagne maudit' l'or parce qu'elle n'en a pas. On croirait davantage à sa sincérité si elle ne raflait le métal partout où elle en trouve. L'envahisseur s'adjuge l'or de la Banque d'Autriche, enlève à Prague ce qu 'y a laissé la Banque de Tchécoslovaquie, revendique hautement l'or que les Tchèques ont pu garer en Suisse et à Londres, échoue à Varsovie d'où la Banque de Pologne a pu évacuer ses réserves en une difficile odyssée, ne trouve à Amsterdam et à Bruxelles, que des coffres vides. « Où est l'or? » demande un général allemand, à Paris, le 16 juin 1940, en se présentant à la Banque de France. On ne lui montre dans les caves que des rayons nus : l'or est en sllreté en Afrique, aux Antilles et en Amérique. Mais Berlin exige que la Banque de France lui remette l'or que lui a confié la Banque nationale de Belgique, et qui n'a pu être exporté à temps. C'est donc que l'or présente quelque intérêt? La poursuite de l'or ne s'exerce pas seulement aux dépens des Banques centrales. L'Italie de Mussolini, dès 1936, a lancé un appel à toutes les femmes, pour qu'elles remettent leurs alliances au gouvernement, engagé dans la guerre d'Abyssinie. Chez les satellites du Reich, la Hongrie va jusqu'à interdire totalement l'emploi industriel du métal, la Roumanie relève le prix de l'or pour stimuler la production de ses gisements. L'Allemagne elle-même, qui ne se contente pas de sollicitations débonnaires, met sous séquestre l'or des coffres privés et s'en prend aux détenus des camps de concentration : dans les chambres à gaz, les mâchoires des victimes sont soigneusement débarrassées de toutes les dents et de toutes les prothèses d'or. Malgré les anathèmes dont ils sont prodigues, Hitler et Goebbels pensent comme la Marguerite de
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Faust : « C'est vers l'or que l'on se presse, c'est de l'or que tout dépend. » . A l'ombre de cette Allemagne conquérante, qui chasse officiellement l'or de son système, mais le pourchasse secrètement avec frénésie, s'édifie un Bloc mark, qui vassalise les monnaies autour de Berlin. En fixant souverainement, à un taux flatteur, l'équivalence du reichsmark en monnaies satellites, l'Allemagne résout d'un trait de plume le problème des transferts. Les États occupés alignent leur législation monétaire sur celle de Berlin. En France, le contrôle des changes a dû être rétabli dès l'entrée en guerre, et toute négociation sur l'or a été interdite, qu'il s'agisse d'or en barres, en lingots, en plaques, en pièces, en fils, en feuilles ou en poudre (9 septembre 1939). Après l'invasion, le contrôle se renforce, d'ailleurs facilité par le blocus. Un texte enjoint à tous les fabricants et marchands d'objets en or de déclarer leurs réserves, de vendre à des fondeurs agréés les objets d'or destinés à la fonte, de vérifier et de noter l'identité de tous leurs clients (16 octobre 1940). Une loi impose aux commissaires-priseurs, sertisseurs, polisseurs et à tous ouvriers ou intermédiaires d'inscrire sur un registre toutes leurs réceptions et livraisons de matières d'or (22 juillet 1941). Que de précautions et d'honneurs pour un métal honni 1 Ces contraintes ne font que susciter le marché noir de l'or. De même que les restrictions sur les marchanrlises et les denrées engendrent les transactions clandestines, de même les interdits sur l'or font naître une cote parallèle du métal. Au nez des Allemands, et souvent avec la complicité de ceux d'entre eux qui cherchent des placements refuges, l'or se négocie chaque jour, à Paris, dans les cafés ou sur les trottoirs du quartier de la Bourse, avec des cours régulièrement connus d'un public d'initiés. Passant même les frontières, l'or quitte la Suisse
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pour la France, où il est payé au meilleur prix. La pièce de 20 francs, au plus haut, atteint le cours de 5 200 (en novembre 1942), pour évoluer ensuite entre 2 000 et 5 000, selon les fluctuations du conflit et les rigueurs du contrôle. Les pièces américaines, plus recherchées encore, font prime (parfois de 10 %) sur le napoléon. En ce temps où les Français sè· ravitaillent comme ils peuvent, dans les fermes ou dans les arrière-boutiques, toute marchandise a trois prix : le prix officiel, contre billets et bons de rationnement; le prix noir, contre billets sans bons; et le prix doublement noir, contre or. En dépit de la loi et de l'occupant, la thésaurisation privée se gonfle: elle doit, à la fin de la guerre, dépasser 2 000 tonnes. De Bâle, en terrain neutre, la Banque des Règléments internationaux observe ces phénomènes. Ses rapports annuels témoignent d'abord d'une grande prudence, parce que l'Allemagne victorieuse est toute proche. La B. R. 1., en 1941, se pose « la question de savoir si un nouveau système monétaire éliminant entièrement l'usage de l'or n'est pas en train de se développer». Mais, dès l'année suivante, constatet-elle, « on peut s'attendre à ce que l'or conserve sa fonction comme moyen de paiement normal dans les relations avec l'étranger». En 1943, elle reconnaît que « l'or a continué d'être accepté comme moyen de paiement universel. n n'existe actuellement aucun pays refusant d'accepter l'or en paiement ». En 1944, la B. R. 1. avoue que cc l'or a conservé sa position de fait ». En 1945, elle précisera: « L'or est la meilleure forme sous laquelle on puisse conserver les réserves monétaires. Il La leçon de la guerre est limpide: jamais l'or n'a été aussi vilipendé, jamais il n'a été aussi recherché.
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Bretton Woods Dans l'autre camp des belligérants, on songe à construire un monde nouveau pour les lendemains du conflit : un monde que, tout naturellement, Franklin Roosevelt, porte-parole du plus puissant des États en passe de gagner la guerre, imagine conforme à la mission providentielle de l'Amérique: par conséquent un monde sans colonies (ce qui ramènera l'Angleterre et la France dans le rang) et libéré de la tyrannie de l'ancien étalon-or (ce qui donnera le champ libre au dollar). . Pour l'heure, rares sont les pays qui ont pu échap~ per au contrôle des changes. On les compte sur les doigts d'une main: les Etats-Unis, l'Argentine, le Portugal, la Suisse, la Suède. Encore le Portugal a-t-il dl1 passagèrement restreindre le trafic des devises, et la Suisse a-t-elle dl1 interdire les sorties d'or. L'Angleterre, elle, pour soutenir le combat, a transféré toutes ses réserves métalliques de la Banque au Fonds d'égalisation des changes, c'està-dire au Trésor; elle a réquisitionné les valeurs étrangères et contracté, notamment en Amérique et auprès de ses dominions, des emprunts qui, plus tard, représenteront de lourdes créances extérieures en sterling. Franklin Roosevelt le sait : dans le monde de demain, la livre ne sera plus qu'une monnaie secondaire, le franc a cessé d'être dans la course, le mark et le yen seront des monnaies vaincues, le rouble n'est plus que l'ombre d'une monnaie. La place sera nette pour la suprématie du dollar. C'est l'Amérique qui invite : dans le New Hampshire, au pied du mont Washington et tout près de la frontière canadienne, elle convie les 1 000 représentants de 44 nations alliées à délibé_rer dans le grand hôtel qui est tout Bretton Woods: le . Mount Washington Hotel, isolé dans la forêt de la
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montagne Blanche. La Conférence s'ouvre le 1er juillet 1944, tandis que les Allemands s'accrochent désespérément sur le front de Normandie et sur la Bérésina. Deux plans s'affrontent, qui sont connus depuis plus d'un an. Le plus audacieux a été présenté par lord Keynes, au sommet de .sa gloire: il vise à abolir la circulation de l'or entre les États, comme elle a déjà été abolie entre les particuliers. Tout le métal détenu par les Banques d'émission serait versé à une Banque centrale unique, qui, sur ce gage, émettrait des billets internationaux, libellés en bancor et non convertibles : la circulation de ces billets remplacerait les règlements en métal. Le plan Keynes séduirait peut-être les Américains si, premiers détenteurs de métal jaune, ils ne devaient pas être les premiers souscripteurs du fonds de la Banque envisagée. Ils ne veulent pas évincer l'or, et surtout pas aux dépens de leurs richesses. Le plan qu'ils ont élaboré, et qui porte le nom d'un fonctionnaire américain au Trésor, Harry White, est plus limité : il prétend surtout transposer à l'échelle internationale les techniques d'un fonds de stabilisation, qui adopterait pour monnaie de compte l'unilas, égal à 10 dollars et défini en or. Keynes ou White? Eton ou Harvard? Les projets anglo-saxons et les délégations anglo-saxonnes dominent la Conférence de Bretton Woods, au point qu'on en oublie les autres participants. Les Canadiens ont aussi un plan, vite écarté. Les Russes sont présents, mais discrets. Les Français qui ne savent trop s'ils représentent un Comité de Libération ou un Gouvernement provisoire, sont poliment tenus à l'écart. Quand les débats s'achèvent, le 24 juillet, les perspectives militaires ont déjà changé: en Normandie, les Américains percent sur Avranches; en Russie, Vilna est tombée, le Niémen est atteint; en Prusse,
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la bombe de Rastenburg n'a épargné Hitler qu'en ébranlant le régime. Les messieurs de Bretton Woods travaillent vraiment· dans respérance de la paix retrouvée. Ils tentent d'édifier la paix monétaire. Le pacte est conclu, sur la base amendée du plan White. Déçu, lord Keynes assure que le texte est cc rédigé en cherokee». Comme le cherokee est un dialecte iroquois, c'est une façon de dire que les accords de Bretton Woods sont écrits en charabia, mais aussi que ce charabia est américain. Il n'y est pas question du bancor ni de l'unitas, et pas davantage de l'étalon-or. Pour en remplacer les disciplines, la nouvelle charte met en place deux organismes nouveaux, le Fonds monétaire international (F. M. 1.) et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (B. 1. R. D.). Cette dernière est conçue pour octroyer des aides à long terme. Le Fonds monétaire travaille dans l'immédiat et le court terme, avec mission de stabiliser les changes. Pour première tâche, il doit enregistrer les parités des monnaies, et son consentement sera requis chaque fois que la parité sera modifiée de plus de 10 %. Pour capital, il possède les cotisations de ses membres (les quotas), proportionnelles au poids des États dans le monde; mais c'est aussi proportionnellement à ces quotas que chaque pays jouira d'un « droit de tirage» (c'est-à-dire d'un droit de faire appel au crédit du Fonds) et disposera de voix dans l'administration de rorganisme. Première certitude : le système est américain. Les États-Unis s'adjugent le plus fort quota (plus de 2 fois supérieur à celui du Royaume-Uni, ou à celui qui est proposé à ru. R. S. S.). Ils ont donc le plus fort droit de tirage et le plus grand nombre de voix. États-Unis et Grande-Bretagne, à eux seuls, représentent 40 % des suffrages. Le siège de l'organisation est à Washington. Ses assemblées annuelles, deux fois
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sur trois, se tiendront à Washington, dans le tentaculaire Sheraton Park HoleZ. Seconde certitude : l'or garde dans le système la place prépondérante. Keynes, son pire ennemi, a dû en convenir : « Pour qu'un projet eût la moindre chance d'être accepté, écrira-t-il, il devait établir un lien avec l'or. Il n'y avait pas le choix. » Le fait est que les États-Unis, maîtres du jeu, ont trop d'or pour ne pas lui faire la part belle. Les parités des monnaies sont définies en poids d'or, « pris comme dénominateur commun », ou en dollars - mais « du poids et du titre en vigueur au 1er juillet 1944 » : ce qui est encore une référence à l'or. Dans les 20 articles et les 5 suppléments des statuts du F. M. L, l'or est cité 47 fois. C'est sur lui qu'est bâti l'édifice. En or, le paiement du quart des cotisations. En or, le calcul des avoirs du Fonds. Les statuts de Bretton Woods, pour consolider l'équivalence de l'once d'or et de 35 dollars, s'appliquent à faire barrage à toute hausse des prix du métal : ils interdisent d'acheter de l'or au-dessus d'un cours fixé par le Fonds et d'en vendre au-dessous d'un cours également déterminé, mais ils oublient d'interdire d'en vendre au-dessus de la parité officielle. Oubli prémédité, car les États-Unis ont déjà vendu de l'or au-dessus du pair dans l'Inde, en Iran, en Irak, en Égypte, voire à la Chine, et ils veulent garder ce droit. Chaque membre du Fonds reste d'ailleurs « libre de vendre sur un marché quelconque de l'or nouvellement extrait de mines se trouvant sur ses territoires ». Ce n'est pas l'étalon"or. Nulle part, il n'est question de rétablir la convertibilité intérieure des billets en or. Il n'est pas non plus officiellement question de l'étalon de change-or. Mais Bretton Woods laisse la porte ouverte à ce mécanisme : le mot cr convertibilité» s'entend d'une convertibilité extérieure en devises; et les encaisses des Banques centrales
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peuvent être constituées de devises convertibles, aussi bien que d'or. En fin de compte, le code monétaire de Bretton Woods ne reconnaît le rôle de l'or que pour préparer l'étalon-dollar.
Le pacte à l'épreuve Conçu pour être le gendarme et le banquier des monnaies, le Fonds monétaire international en est d'abord le greffier, avant d'en devenir le musée. Il commence par recevoir notification des parités des monnaies. Elles sont 32, le 18 décembre 1946, à se faire inscrire à Washington. Au fil des ans, elles seront beaucoup plus, grâce à l'adhésion de nouveaux membres (comme l'Argentine ou l'Espagne), grâce aussi à l'admission des nations vaincues (l'Allemagne, le Japon), grâce surtout à l'émiettement des nations qui conquièrent leur indépendance. Les absents de marque sont la Suisse, traditionnellement neutre, et la Russie soviétique, escortée des pays du Bloc rouble, qui se refuse à confier ses statistiques monétaires à un organisme du monde libéral. Les premières parités enregistrées tirent les conséquences de la guerre: le dollar, toujours à 888,67 milligrammes d'or fin, est intact et tout-puissant. La livre sterling, libre de fluctuer depuis 1931, se stabilise à 3,58 grammes d'or, soit à peine à la moitié de sa définition antérieure. Le franc, poursuivant ses dévaluations en chaîne, ne représente plus que 7,46 milligrammes d'or, soit à peine le huitième du franc Poincaré, le quarantième du franc de germinal. Le franc belge, qui a pourtant subi les mêmes épreuves dans les deux guerres, s'en tire déjà mieux, à 20,765 milligrammes. Le florin a bien résisté : sa dévaluation ne dépasse pas 44 %. Mais le Fonds monétaire international, ayant rempli son office d'enregistrement, ne peut qu'assister
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aux grandes débâcles monétaires qui suivent le conflit : en Hongrie, où l'inflation porte le pengoe à des abîmes, jusqu'au jour où le forint remplace 400 octillions de pengoes-papier (ce qui s'écrit avec 29 zéros); en Grèce, où une drachme nouvelle, après plusieurs étapes, doit finalement remplacer 50 trillions de drachmes anciennes; en Chine, où l'émission fiduciaire approche de 2 quintillions en 1948, et où le gold Yuan (qui n'a de gold que le nom) est bientôt terrassé comme son prédécesseur le dollar chinois. Partout où le papier s'effondre, l'or triomphe, ouvertement ou clandestinement. Dans la Hongrie communiste de la débâcle monétaire, les boutiquiers n'acceptent plus que le dollar ou l'or. Pour les Grecs, le souverain britannique fait prime. La Chine, qui n'a si longtemps connu que l'argent, s'est ouverte à l'or: elle en a reçu du Japon (lorsqu'il a payé certaines fournitures de guerre) et des Etats-Unis; elle en a beaucoup importé, en particulier du Mexique, parce qu'elle le cotait très cher; un marché libre de l'or a fonctionné de 1943 à 1947, pour finir dans la débandade. Après quoi, l'or est mis hors la loi, traqué par la police. Mais quel risque est le plus grand, celui d'être arrêté ou celui de conserver des sacs de papier sans valeur? Les Chinois optent pour l'or. Il a été affiné à Londres ou à New York, transporté par les courriers aériens réguliers, soit en Amérique latine, soit aux Philippines. Des marchands libanais ont pu s'entremettre pour l'acheminer sur Beyrouth, Saigon ou Manille. De là, des hydravions Catalina le transportent à Macao, colonie portugaise, d'où il gagne Hong-Kong, entrepôt britannique. Hong-Kong l'expédie à Chang-hai ou Canton, où il trouve aussitôt preneur à des prix qui justifient ce long circuit. En vain, le Fonds monétaire international, qui tient à faire respecter le tarif officiel de l'or, tente-t-il de réagir contre ces trafics. Sur ses injonctions, en
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1947, les autorités de Macao accordent moins de licences d'importation, celles de Hong-Kong procèdent à des perquisitions et à des saisies à bord des bateaux en provenance de Macao. Rien n'y fait: l'or passe, à raison d'au moins 6 tonnes par mois (durant le dernier trimestre de 1947) et de plus de 7 tonnes par semaine au milieu de 1948. En Allemagne, l'inflation ne prend pas les mêmes proportions qu'en Chine, parce que les souvenirs de l'autre après-guerre sont encore vivaces. Il n'empêche que, durant la guerre, la circulation des billets a été multipliée par 6. Au lendemain de la défaite, si les autorités d'occupation suspendent les émissions de la Reichsbank, elles émettent elles-mêmes des marks militaires. La hausse des prix, contenue pendant le conflit, fuse ensuite. Trop de moyens de paiement, pas assez de marchandises. Pourrétablir un meilleur équilibre, les Alliés procèdent en juin 1948 à une réforme· brutale, qui annule 90 % des créances et des dettes privées, 93,5 % des billets et dépôts bancaires, et substitue au reichsmark une nouvelle monnaie, le deutsche mark, égal à 30 cents américains, et provisoirement inconvertible, faute de réserve d'or et de change. L'Allemagne se trouve ainsi dotée d'une monnaie lourde et stable, avant la plupart de ses vainqueurs. Le Fonds monétaire international n'est pour rien dans cette mutation. Il n'intervient pas davantage dans les opérations qui amputent le rouble (10 nouveaux roubles pour 1 ancien), le leu roumain (20 000 pour 1, puis 400 pour 1, soit en bloc 8 millions pour 1), le zloty polonais (100 pour 1), le lev bulgare (100 pour 1), la couronne tchécoslovaque (50 pour 1) : ces dévaluations se déroulent hors de son domaine, au-delà du Rideau de Fer. Le Fonds est plus sensible aux affronts qui lui sont infligés dans le monde libre : durant le banquet qui clôt la session de son assemblée, en septembre 1949,
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il est mis devant le fait accompli d'une dévaluation brusquée de la livre sterling, aussitôt contagieuse. Pis encore : c'est en infraction à ses statuts que la France, en janvier 1948, adopte un système de changes multiples, avant de dévaluer en septembre 1949; en infraction encore que le Canada, en octobre 1950, rend son dollar flottant; en infraction toujours que de nombreux pays persévèrent dans le contrôle des changes. Le gendarme des monnaies "ne se fait guère respecter. Fort Knox
Avec les ~tats-UIlis, les organisations nées de Bretton Woods n'ont rien à craindre. ns sont en règle. ns le sont d'autant plus volontiers que le dollar est roi, et que les trois quarts de l'or monétaire du monde sont rassemblés quelque part au sud de l'Ohio, dans l'~tat de Kentucky. Le Kentucky veut-il consoler les Européens en leur donnant l'illusion qu'ils y sont chez eux? Sa capitale s'appelle Francfort. Ses villes se dénomment Londres, Manchester et Glasgow, Cadix et Varsovie, Paris et Versailles. Mais c'est bien l'Amérique: celle du tabac, du maïs et du coton; celle de l'or. Le Kentucky a des mines de charbon, mais pas de mines d'or. S'il détient du métal jaune, c'est parce qu'il a été désigné pour en être le dépositaire. L'essentiel des réserves américaines est enterré à Fort Knox. A 50 kilomètres au sud de Louisville, la petite ville s'enorgueillit, au centre d'un anneau de ciment, d'un immeuble à deux niveaux, en granit du Tennessee. Six fenêtres en façade au rez-de-chaussée, cinq au premier en retrait. n mesure, lit-on dans Goldfinger, 35 mètres de long, 30 de large, 14 de haut - sans
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compter les étages souterrains. Son portail blindé, assure-t-on, pèse 20 tonnes. Des unités de l'armée et de la police veillent sur le magot, qui dépend de la Monnaie. Il se compose surtout de barres, tantôt aux angles arrondis si elles sortent des raffineries sud-africaines, européennes ou canadiennes, le plus souvent plates et carrées, avec des bords à angles droits, quand elles ont été refondues à neuf par la Monnaie américaine, à Denver, Philadelphie ou San Francisco. Mais Fort Knox n'enferme pas tout l'or américain. TI peut s'en trouver à la fonte dans les hôtels des Monnaies dont il vient d'être question, ou, à New York, au Bureau d'essai (U. S. Assay Office). Un volant de trésorerie, qui porte sur des centaines de millions de dollars, reste toujours à la disposition de la Banque de réserve fédérale de N ew York, qui détient aussi l'or consigné aux États-Unis par les nations étrangères ou le F. M. I. Dans Liberty Street, parallèle à Wall Street, la Banque a fait creuser dans le roc de Manhattan des caves qui, à 25 mètres sous terre, alignent 120 compartiments d'acier. Les caves sont fermées par un bouchon d'acier de 90 tonnes, en forme de cône, qui les isole de l'air et de l'eau. Les compartiments numérotés sont verrouillés par triple serrure. Pour faire passer de l'or d'un casier à l'autre, le personnel des caves .recourt à de petites grues. Pour faire passer de l'or consigné d'une nation à une autre, il peut suffire d'un changement d'étiquette et d'un virement sur le registre des comptables, qui se penchent sur leurs pupitres de l'autre côté du bouchon d'acier. L'or est sous bonne garde et sous bonnes écritures. Deux fois victorieux sur les champs de bataille, doublement vainqueurs sur le terrain de l'économie et sur celui de la technique, les États-Unis détiennent plus d'or que n'importe quelle autre puissance. En 1938, ils en ont 13000 tonnes. En 1945, leur avoir
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pàsse à 18000 tonnes. En 1949, à 22000. En 1957, il dépasse encore 20000 tonnes. C'est beaucoup plus que tout le reste du monde. Pourtant, l'Amérique aide les autres nations à relever leurs ruines et à reconstruire leur appareil de production. L'excédent de sa balance commerciale est tel qu'elle peut sans effort distribuer des milliards de dollars (11 milliards de dons, 1,3 de prêts, en quatre ans, au seul titre du plan Marshall). Cette générosité est d'ailleurs conforme aux intérêts bien compris de Washington: elle restitue un pouvoir d'achat à des clients désargentés, elle fait barrage devant le péril rouge. Le dollar roi est la monnaie universellement acceptée, universellement désirée, comme l'a été la livre au siècle précédent. Il vaut de l'or, il est même parfois préféré à l'or, puisque, plus maniable et plus mobile que lui, il représente le plus gros tas de métal du monde. C'est en dollars que les organismes internationaux tiennent leurs comptes (le Fonds monétaire, l'Union européenne des paiements ... ); en dollars que sont conclus les contrats et que se règlent les affaires; ce sont des dollars que les Banques centrales incorporent à leurs réserves à côté de l'or. L'étalon de change-or est un étalon dollar-or. L'Economisl de Londres constate que le dollar tend déjà à prendre la relève de l'or. « L'empereur a abdiqué, note-t-il (l'empereur: c'est le métal jaune) ; mais il exerce touj ours le pouvoir dans sa retraite de Fort Knox, nouvelle Sainte-Hélène, en tant que fonctionnaire d'une puissance supérieure. » En fait, l'or a été détrôné, puisqu'il a perdu l'un de ses royaumes, celui de la circulation intérieure. Il a été emprisonné, puisqu'on l'a mis sous clef à Fort Knox ou ailleurs. Mais il a conquis un autre empire, dont il est le souverain occulte et vénéré: celui de la thésaurisation privée. Même aux ~tats-Unis, où le dollar est incontesté,
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et où, depuis 1934, la détention de l'or est interdite, le métal jaune est recherché, et les Américains trouvent le moyen de s'en procurer: ou bien sous la forme de poudre en sachets, que la loi a oublié de mettre à l'index; ou bien en pièces anciennes, puisque les numismates gardent leurs droits; ou bien par des achats à l'étranger: car un citoyen américain reste longtemps autorisé à acquérir du métal hors des États-Unis (à Tanger, à Mexico, à Panama, à Montevideo, à Bangkok. ..) et à le déposer dans la succursale d'une banque américaine, ou même à l'envoyer en transit à New York, pour être traité, fondu et réexpédié sous forme de barres de 400 onces. Il peut aussi acheter au Canada les certificats d'or que lui proposent les banques locales. Ces trafics n'ont pas encore grande importance, parce que le dollar inspire encore confiance. Il n'empêche que les prix montent régulièrement aux ÉtatsUnis, à petite allure, et que, par conséquent, le pouvoir d'achat intérieur du dollar diminue. Et puis, le monde soviétique se fait menaçant : il prend l'offensive en Corée, il se dote de la bombe nucléaire. Le colosse américain ne pourrait-il un jour être ébranlé? L'or apparait comme un refuge. S'il ne valait rien, pourquoi le gouvernement américain l'entasserait-il ainsi à Fort Knox? Quoi qu'on en dise, l'or n'a pas abdiqué.
Les marchés de l'or Face à l'Amérique triomphante, face au dollar omnipotent, l'Europe renait dans la douleur. Elle manque d'or et de devises: Anglais et Américains donnent à cette pénurie le nom de dollar gap. Il exprime une grande soif de dollars, qui est aussi une soif d'or, comme de toute liquidité. Avec l'aide américaine, l'Europe se reconstruit. En un temps où l'étatisme envahit l'économie, elle
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a pour premier soin de nationaliser ses Banques centrales : en Allemagne, la Bundesbank est banque d'État, comme l'était, depuis Hitler, la Reichsbank; la Banque de France en 1945, la. Banque d'Angleterre en 1946 passent dans le secteur public, comme la plupart des instituts d'émission des autres États. Demeurent partiellement privées les Banques centrales de Suisse et de Belgique, comme le restent pleinement, aux États-Unis, les Banques fédérales de réserve. Ayant remodelé leur outil bancaire, les nations européennes ont le devoir de remettre en ordre de marche le négoce de l'or. Trois places, à cet égard, comptent plus que toutes les autres : Paris, où s'exprime la demande du peuple le plus friand de métal; Zurich, plaque tournante des capitaux en quête de sécurité politique et fiscale; Londres, où aboutit traditionnellement l'or sud-africain - comme tout l'or impérial. Par ordre d'importance, Londres l'emporte devant Zurich et Paris. Chronologiquement, c'est Paris qui, le premier après la guerre, rétablit la liberté des transactions, avant Zurich et Londres. A Paris, jusqu'en février 1948, le commerce de l'or se poursuit dans la clandestinité. Un ministre courageux, René Mayer, pense que l'État a tout intérêt à autoriser ce qu'il n'est pas capable d'interdire. Il libère le marché. Brusquement, les Français recouvrent le droit de négocier le métal, dans l'anonymat et sans impôt, comme de le posséder. Ils réagissent d'abord à la manière du prisonnier qui, au sortir de sa cellule, revoit la lumière: ils sont aveuglés. Mais l'embargo subsiste aux frontières. Défense d'introduire ou d'exporter le métal! Peu importe: les ménagères de Tourcoing s'en vont, le cabas au bras, faire leurs provisions en Belgique; les pêcheurs suisses et savoyards font d'innocentes rencontres au milieu du lac Léman; du pont de la gare de Bâle, qui
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est suisse, les « passeurs » laissent choir un sachet sur le quai, qui est S. N. C. F.; au large de la Riviera, les promeneurs de San Remo et de Menton font des pêches miraculeuses; et les montagnards pyrénéens savent à l'occasion se rappeler Ramuntcho. Toutes les frontières sont perméables, quand la contrebande est d'un bon rapport. A Paris même, au cœur de la Bourse, on cote la barre de 12,5 kilos et le lingot de 1 kilo, mais aussi les pièces de 20 francs (françaises, suisses et de l'Union latine), le souverain, les pièces américaines et quelques autres. Tous les agents de change et courtiers ont accès à ce marché démocratique. Mais il a aussi ses rites et son vocabulaire: le napoléon se dit le nap, ou le français; la pièce suisse s'appelle la croix; le souverain le cavalier; le dollar le dur. On négocie à la criée, comme sur le marché à la volaille: jusqu'au jour où le silence s'installe, avec le concours d'un tableau électrique à clavier et de menus gestes de la tête, de la main, du doigt ou de la paupière, ~ntre initiés. Zurich tient sa puissance de l'attrait qu'exerce sur les capitaux la Suisse hospitalière et discrète. Le commerce de l'or, qui y redevient libre en 1951, est exercé parles grandes banques de l'opulente Bahnhofstrasse: la Société de banque suisse, qui a commencé par ravitailler la Chine de Tchang Kaï-chek avec de l'or acheté à la Banque d'Angleterre; l'Union de banque suisse, qui a des amitiés en Afrique du Sad, et qui en a reçu le métal, un moment, sous forme de cendriers ou de statuettes en or massif, échappant au contrôle monétaire; le Crédit suisse, plus tard venu au marché. D'autres établissements bancaires, à Genève, Bâle ou Berne, prolongent les trois firmes reines, et servent la demande des amateurs, en lingots de tous poids et pièces de tous pays. La Suisse, qui sait parfois écarter les pourvoyeurs d'or suspects, ne décourage aucun acheteur.
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De Zurich, r or gagne les coffres numérotés des banques, à moins qu'il ne soit exporté, en contrebande, soit à l'intention des thésauriseurs français, soit à destination des bijoutiers italiens, soit vers les places d'Orient et d'Extrême-Orient. Mais Paris et Zurich ne sont que des détaillants de province à côté du marché de Londres. Celui-ci est rendu à la liberté en 1954, exclusivement à l'usage international. Les « résidents» britanniques n'y ont pas accès. En revanche, tous les gros acheteurs et vendeurs du monde non britannique s'y donnent rendez-vous. Le Commonwealth (qui en 1960 produit 85 % de l'or du monde libre) y est chez lui. L'importation et l'exportation du métal sont totalement libres. Les compagnies d'assurances et de transports sont équipées pour offrir des conditions imbattables. Le marché lui-même est assez large pour satisfaire normalement à toutes les offres et toutes les demandes. Les banques agréées se bornent à recevoir les ordres des clients. Elles n'ont d'autre rôle que de les transmettre au marché, qui se compose de cinq maisons spécialisées: Rothschild, héritier du petit .brocanteur de Francfort, à la fois banque d'affaires et affineur; Moccata and Goldsmith, qui ont commencé à vendre de l'or en 1684 (dix ans avant la création de la Banque d'Angleterre), mais que contrôle la banque Hambros; Sharps Pixley, grands maîtres de l'argent-métal, et qui regroupent deux firmes vénérables; Samuel Montagu, qu'on a vu s'installer en Australie en 1853, et qui a des antennes sur les places d'Extrême-Orient; Johnson Matthey, qui, en se réclamant d'ancêtres vérificateurs des métaux, fond et raffine pour ravitailler l'industrie et la joaillerie d'Angleterre. Chaque jour ouvrable, à 10 h 30, les représentants de ces cinq maisons se réunissent chez Rothschild, St. Swithin's Lane, au premier étage, dans la Chambre
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de l'Or (Gold Room). Moquette verte, chaises vertes, portraits de clients royaux et impériaux. Le directeur du département de l'Or, de chez Rothschild, préside. Ses quatre partenaires ont chacun un bureau, quelques téléphones, un drapeau anglais. S'ils lèvent le drapeau - le temps d'un coup de fil -, la séance est suspendue. L'Union Jack abaissé, la séance reprend. Ensemble, sur la proposition de la maison Rothschild, les cinq hommes fixent le prix quotidien de l'once d'or Qe fixing), sur la base duquel s'effectuent les principales transactions : un prix libellé en livres sterling, mais qui finira par être exprimé en dollars (parce que les règlements se font en dollars, et pour mieux confronter le cours du jour à l'immuable tarif de base: 35 dollars l'once). La Banque d'Angleterre ne fait pas partie du marché. Mais elle dispose d'une ligne directe avec Rothschild, dont elle est le premier client. Et comme elle recueille et transmet les ordres du Fonds d'égalisation, des Banques centrales étrangères, de la Banque d'Afrique du Sud, son pouvoir d'arbitrage est décisif. L'or sud-africain, qui est le principal aliment du marché, parvient en Angleterre par mer : il a pris le train à Johannesburg; un paquebot de l'Union Castle, équipé de chambres fortes, a chargé les barres à Durban, il les a débarquées à Southampton. Dès leur arrivée à Londres, elles sont transférées à la Banque d'Angleterre, qui les entrepose dans ses caves. De là, selon les transactions du jour, les barres passent dans les caves des cinq spécialistes : elles y sont pesées, rangées, empaquetées dans des bottes de fibre de bois, que ferment des rubans de métal; des camions les emportent à l'aéroport, d'où elles s'envolent vers les pays gros consommateurs. Le montant du trafic est gardé secret, mais la moyenne quotidienne évolue entre 2 et 8 tonnes, le plus souvent
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entre 3 et 5 - avec parfois des pointes vers des quantités très supérieures. Auprès de Londres, Zurich et Paris, les autres marchés européens comptent peu. Ils n'ont ni les mêmes traditions ni les mêmes clientèles. En Allemagne et en Autriche, l'or est l'affaire des banques. Dans les pays de l'Est, il relève des marchés noirs. Hors d'Europe, il est de gros marchés de transit: Tanger, jusqu'au jour où, en perdant son statut de ville libre, la place perd ses privilèges et ses séductions. Beyrouth, capitale de la contrebande, qui achète à Londres (très spécialement des lingots de 1 kilo, portant l'estampille de Johnson Matthey) et vend à tous les demandeurs, cheiks arabes, pèlerins de La Mecque, thésauriseurs de l'Inde, fermiers turcs, fellahs égyptiens; Dubai, au sud du golfe Persique, en bonne place pour servir de relais vers la Perse et le Pakistan; Bangkok et Singapour étapes de l'or vers l'Extrême-Orient; Hong-Kong et Macao, dont on a déjà dit le rôle durant l'inflation chinoise, et qui continuent à recevoir par avion l'or de Londres, d'Australie ou du Canada, pour le livrer directement à d'innombrables clients de l'Inde, du Viêt-nam, de l'Indonésie, du Japon, sinon de la Chine rouge. Les marchés d'absorption sont pour la plupartillégaux. C'est en fraude que l'or arrive au Caire, à Tripoli, à Damas, à Bagdad, à Bombay. Mais il arrive. Pour l'ensemble de ces marchés, selon Franz Pick, les transactions annuelles pourraient atteindre 1 800 tonnes (chiffre de 1958). La cote de l'or
Les cours de l'or varient dans l'espace et dans le temps: dans l'espace, ils sont d'autant plus élevés que le transport du métal est plus long, que les frontières sont plus rigoureuses, et que le trafic est plus clandestin; il faut bien payer le prix du risque. Dans
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le temps, selon que grandissent ou s'éloignent les menaces de guerre, de dévaluation ou d'impôt. En principe, l'or vaut 35 dollars l'once de 31,10 grammes. C'est le prix. américain, le prix officiel, celui sur lequel tendent à s'aligner toutes les cotes. En fait, les prix réels s'en écartent souvent dans des proportions considérables: Bombay et Athènes, en 1947, paient le lingot 2 fois son prix théorique. Paris, Milan et Lisbonne, en 1949, paient l'once plus de 50 dollars. Encore ces cours ne concernent-ils que les lingots. La cote des pièces s'aventure bien audelà, pour de nombreuses raisons, plus ou moins fondées : tandis que le marché des barres et lingots s'apparente à un marché de gros, celui des pièces correspond au détail. Elles sont accessibles aux petites bourses, faciles à transporter comme à dissimuler. Souvent, elles ont une valeur sentimentale - les Français accordent leur préférence au napoléon, les gens de l'Est au mark-or, les Américains aux aigles, les Arabes aux souverains à condition qu'ils soient à tête de roi, et non à tête de femme (parce qu'ils sont misogynes). On traite plus volontiers le souverain à Athènes, Belgrade et Istanbul, à Madrid, Milan et Lisbonne, à Stockholm, à Tel-Aviv, à Kaboul, à Bombay, Macao, Hong-Kong et Tokyo; le souverain à tête de roi à Beyrouth et Karachi, le vreneli à Zurich, la pièce de 20 marks à Francfort; la pièce de 20 couronnes austro-hongroises à Budapest; la pièce à l'effigie du roi Fouad au Caire; l'aigle double à Toronto, Manille et Formose; le centenario mexicain à Buenos Aires et Montevideo, à Mexico et Rio de Janeiro. Les petites pièces, demi-napoléon ou demisouverain, sont particulièrement demandées: elles servent en bij outerie, pour orner des broches ou des colliers. Leur prime peut s'élever à des niveaux exorbitants. Si l'on n'observe que le marché de Londres, où se confrontent le plus largement les offres et les
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demandes, il apparatt que la cote du lingot ne varie, en règle générale - jusqu'en 1960 -, que dans d'étroites limites, entre 34,85 et 35,15 dollars, qui renouvellent en quelque sorte les anciens « points d'or» d'entrée et de sortie. Tout au contraire, la cote de Paris est émotive et capricieuse : non seulement elle réagit avec vivacité aux grands drames internat~onaux, comme le blocus de Berlin, la guerre de Corée ou la crise du Suez; mais, exprimée en francs, elle mesure la fièvre des Français devant les vicissitudes politiques, les menaces fiscales ou les incertitudes monétaires. Qu'on renverse un gouvernement, qu'on parle d'un impôt sur le capital, qu'on envisage une nouvelle dévaluation du franc, l'or monte aussitôt. Pour le napoléon, dont les fluctuations expriment au mieux, jusque dans ses excès, le sentiment public, le sommet de la courbe est atteint lorsque le général de Gaulle quitte le pouvoir, en janvier 1946 : sur le marché encore clandestin de l'or, la pièce de 20 francs touche le cours de 7 050, soit 350 fois sa valeur initiale. Elle retombe aux environs de 4 000 quand liberté est rendue au marché du métal. Elle se redresse quand le gouvernement procède au retrait des gros billets. Ensuite, la cote de l'or est appelée à la baisse, d'abord par les offres des Sud-Africains, qui préfèrent les cours du marché au tarif américain, ensuite par la diminution ou la disparition des demandes chinoises, après la victoire de Mao et du communisme. "En novembre 1952, le napoléon ne vaut plus que 3 750. En 1958, dans les dernières convulsions de la IVe République, il approche 4 000. Les Français ne se contentent pas d'acheter de l'or. Ds prennent leurs précautions contre la dégradation de la monnaie en indexant "leurs contrats. Face à l'inflation, ce réflexe de défense n'est d'ailleurs pas nouveau : les membres du corps législatif, sous le Directoire, indexaient leur indemnité sur le prix du
L'or refuge
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blé. L'Allemagne de 1923 multipliait les emprunts et les contrats à base de seigle. Les États-Unis et l'Angleterre n'ont pas dédaigné de faire varier certains salaires selon une échelle mobile. En France, le Code civil interdit les prêts qui ne sont pas libellés en argent et la jurisprudence se refuse à admettre les clauses échappatoires, notamment les clauses à garantie or. Mais les faits sont plus forts que le législateur et le juge. Dès 1923, on a vu des baux ruraux conclus en blé, en poulets, en œufs, en beurre. Assurances, loyers, retraites, prix agricoles, contrats de travaux trouvent le moyen de s'indexer. L'État luimême défie le Code, lorsqu'il lance (en 1952) un emprunt dont le capital est indexé sur le r.ours du napoléon, et l'émission remporte un vif succès, qui atteste combien l'or garde de vertus aux yeux des Français désabusés par quarante années d'inflation. Chassé par la porte, l'or est rentré par la fenêtre. En 1958, dévalué pour la seizième fois depuis 1914, le franc ne représente plus que 1,80 milligrammes d'or fin. Mais, à ce niveau, il retrouve sa chance: un espoir de stabilité politique, avec la nouvelle Constitution que met en place le général de Gaulle; un espoir de développement économique, avec l'entrée en vigueur du Marché commun de l'Europe occidentale; un espoir de liberté monétaire, avec l'allégement du contrÔle des changes, en attendant sa suppression. Dans le même moment, le franc et avec lui le deutsche mark, le florin, la livre sterling redeviennent convertibles, au sens où l'entend le Fonds monétaire international: à l'usage extérieur, en or ou en devises. Ce n'est pas l'étalon-or, c'est du moins l'étalon de change-or. Reconstruite, l'Europe reprend du poids dans le monde, alors que la balance américaine des paiements, se renversant, devient déficitaire. Une nouvelle phase s'ouvre dans la carrière des monnaies. Avant de l'aborder, il n'est pas superflu de jeter un regard rétrospectif sur les quarante-quatre années
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Histoire de ror
qui se sont écoulées depuis que la guerre a éclaté en 1914. Que de remous, dans l'histoire des nations, mais aussi dans l'histoire de l'or! Deux conflits, deux séquelles de conflits ont bouleversé la planète. L'or a été éviricé en 1914, quand il a cessé d'être étalon et d'être monnaie circulante. n a été réhabilité dans les années 20, avec un retour général à l'étalon-lingots d'or. n a été bafoué en 1931, par l'Allemagne du Dr Schacht et l'Angleterre keynesienne, imitées deux ans plus tard par l'Amérique de Roosevelt. n a été traqué par l'Allemagne de Adolf Hitler, par la Russie de Staline. Ni les Américains ni les Anglais n'ont plus le droit d'en négocier, d'en posséder. Dans le cadre des nations, aucune monnaie n'est plus d'or ni remboursable en or. Et pourtant, les :E:tats accumulent jalousement le métal, les particuliers se le disputent: à l'heure du danger, il est le premier des refuges. Sa carrière n'est peut-être pas tout à fait finie.
6. L'or réserve
XXe siècle: production record Au xx e siècle, la production d'or se caractérise curieusement par un bond et par une stagnation. Le bond se produit dès le seuil du siècle, grâce à la présence de l'or sud-africain. D'emblée, tous les records sont battus. En deux décennies (1901-1920), malgré le premier conflit mondial, le monde produit autant de métal jaune que durant tout le XIXe siècle, qui lui-même avait obtenu des résultats inégalés. Durant les deux décennies suivantes (1921-1940), les progrès se confirment et se poursuivent, stimulés d'abord par la crise économique, qui fait baisser les salaires des mineurs, et par les dévaluations monétaires, qui font monter le prix de l'or. En 1940, un faîte est atteint, avec une production de 1 275 tonnes pour l'année. Après quoi, l'extraction de l'or ne fait apparemment que se maintenir. Elle reste à un très haut nivea u, mais sans se développer. Il est vrai que, de 1941 à 1945, elle a subi un entracte forcé: les puissances belligérantes ont d1i appeler la main-d'œuvre aux armées ou dans les usines, les industries de l'or n'ont pas renouvelé leur matériel. Les gouvernements
Histoire de for
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PRODUCTION D'OR DU XX 8 SI~CLE.
Rappel Rappel
1901-1910 1911-1920 1921-1930 1931-1940
. • • .
1941-1950 . 1951-1960 . 1961-1970 . XX8
s. s. .
2154 12303
XVIII8
XIX.
Tonnes par an
Production
En tonnes
· ·.
·.
-
21 123
1
5724 6457 5826 9852 Monde c îIbre~Pays de l'ESt 1 15000 (?) ·· 89956 690 · 12297
s. (1901-1970).
-
58802 74000 (?)
572 646 582 985 1532
-
RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DE LA PRODUCTION
1901-1970.
En tonnes
Afrique du Sud
Canada
1901-1910 1911-1920 . 1921-1930 . 1931-1940 . 1941-1950 . 1951-1960 . 1961-1970 . Total . . .
1483 2448 3218 3612 3847 4805 9048 28461
218 233 504 1179 1152 1376 1052 5714
Tableau précédent
(XIX8
~tats-
Unis
1318 1251 698 1154 716 553 466 6156
Australie Russie Nouvelle- Sibérie Zélande 1187 630 230 446 321 328 263 3405
siècle).•. page 239.
388 312 180 1193
-
-
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ont délibérément ralenti la production du métal au profit d'activités plus directement consacrées à la guerre. Aux États-Unis, le travail a été suspendu dans toutes les mines importantes. L'Australie, le Canada, le Japon, le Mandchoukouo sous tutelle japonaise et même l'Afrique du Sud ont dft réduire leur extraction d'or. A la paix, le niveau d'avantguerre a été bientôt retrouvé, mais les progrès cessent d'être foudroyants. Bien que la seule décennie 1961-1970 représente autant que les cent années du XIXe siècle, à quelques tonnes près, bien que la production de 1970 s'élève à un nouveau sommet, en approchant de 1 300 tonnes, il faut constater une certaine stabilisation dans l'extraction de l'or. Elle se maintient régulièrement au plus haut, mais sans prendre un nouvel élan. Manifestement, elle s'essouffle: non pas faute de gisements, mais parce que le blocage du prix officiel à un taux constant (35 dollars l'once) freine tout essor. Le coût de l'extraction s'est accru, le prix de vente n'a pas changé: dans ces conditions, seuls sont exploités les gisements les plus rentables. Il faut toutefois noter qu'à dater de 1941, les statistiques ne font plus état de la production russe ni de celle des autres pays de l'Est. L'énigme soviétique méritera une étude particulière. Si l'on complète les chiffres officiels du monde « libre» avec ceux qu'on peut se risquer à attribuer au Bloc oriental, la production globale de la planète bat largement de nouveaux records: pour les quarante premières années du siècle, elle approche de 28 000 tonnes, pour les trente années suivantes elle atteint 31 000 tonnes à l'Occident, et peut-être (comme on le verra plus loin) 15000 à l'Est. Total général pour soixante-dix ans: 74 000 tonnes d'or. Où se situent désormais les centres producteurs? Pour l'essentiel, en Afrique. Pour le complément, dans l'Asie russe, en Amérique du Nord (États-Unis
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Histoire de l'or
et Canada) et en Australie. L'Europe, malgré quelques gisements en Suède et en Yougoslavie, a pratiquement cessé de compter. Le Canada, devançant les États-Unis à partir de 1931, est devenu le deuxième producteur du monde occidental. Ce n'est plus dans les solitudes glacées du Klondike que l'or est pourchassé: les alluvions du Yukon ne sont plus exploitées qu'à titre accessoire. Pour l'essentiel, l'or canadien provient du « bouclier» de roches précambriennes qui s'étend du Labrador au Mackenzie, surtout dans les provinces de l'Ontario et du Québec. Mais le gouvernement d'Ottawa a dû consentir une subvention aux producteurs, que ne suffit pas à rémunérer le prix officiel, et dont le rendement décline: l'aide, variable selon les charges des entreprises, a d'abord été de 3,33 dollars par once, et elle a progressé jusqu'aux alentours de 10 dollars. Le Fonds monétaire international, qui réprouve toute atteinte à ses principes, a fait la grimace. Aux États-Unis, la Californie et l'Alaska ne sont pas que des souvenirs. Quelques chercheurs anachroniques tentent encore leur chance sur les berges des rivières. Mais les gisements principaux se situent maintenant dans le Dakota du Sud et dans l'Utah. L'or est également présent au Colorado, en Nevada et en Arizona. Il n'est quelquefois que le sous-produit de mines de cuivre. Le nombre des mineurs fléchit, parce que la machine remplace l'homme, parce que les réserves s'épuisent, et aussi parce que les charges de l'extraction sont trop lourdes pour un prix peu rémunérateur, que ne complète ici aucune subvention. La production, après avoir atteint ses plus hauts niveaux en 1941 (avec 186 tonnes), est 3 à 4 fois moindre en 1970 (avec 55 tonnes). Dans le reste du Nouveau Monde, les conquistadors ont encore des héritiers: le Mexique, le Nicaragua, le Brésil gardent une production respectable. En Bolivie et en Colombie, sur les rios qui descendent
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des Andes, les techniciens des grandes compagnies, équipés de dragues électriques, sont aux prises avec des bandes de pillards, qui s'adjugent souvent le minerai. L'Australie, sans cesser de figurer parmi les principaux producteurs de métal jaune, ne peut plus que rêver à la ruée vers l'or du siècle passé. Son extraction décline, faute de main-d'œuvre, faute surtout d'un prix correct: elle ne survit que grâce à l'octroi de subsides, allant jusqu'à près de 9 dollars par once, aux entreprises dont les frais sont trop élevés. Mais les Australiens ont de quoi se consoler : leur sous-sol recèle d'autres métaux - d'autres trésors. En Asie, le Japon fait un effort, largement stimulé par des prix favorables Gusqu'à 48 dollars l'once), pour maintenir et développer sa production d'or. Les Philippines sont dans le même cas. L'Inde a du mal à conserver son rang. La Sibérie relève du cas soviétique. Reste l'Afrique. Le Ghana, qui fut la Côte-de-l'Or, exploite des filons de quartz aurifère; le Congo dispose surtout de minerais alluvionnaires; la Rhodésie subventionne de nombreuses mines, de rendement médiocre. Rien de tout cela ne compte auprès de l'Afrique du Sud, dont la production représente 40 % de celle du monde en 1913, atteint la moitié de celle du monde libre en 1954, et les trois quarts en 1966. L'or sud-africain
Toute l'histoire de l'or sud-africain, au xx 8 siècle, est dominée par trois faits. Un fait politique, d'abord: la conquête de l'autonomie, puis de l'indépendance. L'Union sud-africaine nait en 1910, devient République en 1960, sort du Commonwealth en 1961. Les Boers, maitres du pays, ont pris leur revanche sur les Anglais, toujours .maitres des compagnies. L'or sud-africain cesse d'être un or exclusivement britannique.
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H isloire de l'or
Un fait statistique ensuite: la production de l'or quadruple en cinquante ans: elle est de 234 tonnes en 1910, 254 en 1920, 333 en 1930,437 en 1940; elle retombe, du fait de la guerre et de ses suites, à 348 tonnes en 1947, remonte à 665 tonnes en 1960, atteint 1 000 tonnes en 1970. Ùn fait géologique, enfin : en avril 1946, dans l'État d'Orange, au sud-est d'Odendaalsrus, est découvert un filon dont la teneur s'élève jusqu'à 1 940 grammes par tonne de minerai, soit 100 fois plus que les filons habituellement considérés comme riches dans le Rand, et 300 fois plus que les mines pauvres en exploitation. Cette fois, le nouveau tas d'or se situe au sud du Vaal. L'Orange prend le relais du Rand. Le Rand n'a pas pour autant fini sa carrière. A l'ancien Rand, toujours en exploitation, mais qui donne des signes de fatigue, s'ajoute le Far West Rand, qui le dépasse en production dès 1965. On y trouve la mine la plus profonde du monde, exploitée jusqu'à 4500 mètres de la surface. A la limite des États du Transvaal et de l'Orange, les mines du Klerksdorp entrent à leur tour en production; puis, à 120 kilomètres au sud-est de Johannesburg, les mines d'Evandar. L'Afrique du Sud a des surprises en réserve. Les gisements de l'Orange ne sont pas sans présenter quelques inconvénients. Eux aussi sont profonds - jusqu'à 3500 mètres -, ils sont menacés d'affaissements et d'inondations. Mais ils sont d'une richesse inégalée : à Free State Geduld, l'or est visible à l'œil nu. Le héros de l'or sud-africain au xx e siècle, digne continuateur de Barnato et de Cecil Rhodes, s'appelle Ernest Oppenheimer. Face aux grandes compagnies de financement des mines, nées au siècle précédent (la Rand Mines, la Goldfields, la Johannesburg, la General Mining, l'Union Corporation), auxquelles
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s'ajoutera l' Anglo-Transvaal, il a eu l'audace, en 1917, de fonder un nouveau groupe, l'Anglo-American. Il en a édifié le quartier général au cœur de Johannesburg, Main Street. Il lui a fait prendre le contrôle de treize mines d'or, les plus importantes d'Mrique du Sud, et notamment de la plupart des mines de l'Orange. En 1946, quand il décide d'en entreprendre l'exploitation, dans une région sans routes, sans rails et sans eau, il risque « un vrai coup de poker ». C'est le président de la Goldfields qui le dit. Sir Ernest Oppenheimer joue et gagne. Sur le site désert, il fait surgir une ville, la bienvenue, Welkom, qui en vingt années dépasse 100 000 habitants, dont 70 000 Bantous. Avant de mourir, sir Ernest acquiert, en 1957, dans le Far West Rand un nouveau site, celui de Western Deep. Sera-t-il exploitable? Il ne peut l'être qu'en creusant des puits exceptionnellement profonds, et qu'en installant une puissante station de pompage. Qu'à cela ne tienne 1 Le pari est pris. En 1962, Western Deep entre en production. Ce sera une bonne affaire. Mais une mine d'or peut-elle être vraiment une bonne affaire, aussi longtemps que l'once n'est payée que 35 dollars? La production d'une once d'or exige, en moyenne, le traitement de 3 tonnes de minerai, 38 heures de travail humain (ou inhumain), 5600 litres d'eau, 8 à 16 mètres cubes d'air comprimé et l'énergie électrique nécessaire à l'alimentation d'une demeure particulière pendant dix jours. Tout cela se paye. Aux trois faits (politique, statistique, géologique) qui dominent l'histoire de l'or sudafricain au xx e siècle, il faut en ajouter un quatrième, d'ordre commercial et financier : la querelle qui oppose non plus Londres et Pretoria, mais sur le prix et le régime de l'or, Pretoria et Washington. On en reparlera.
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Les mines sud-africaines, en dépit de leur richesse, seraient condamnées au déclin comme celles des autres pays, par la faute d'un prix insuffisant, si plusieurs facteurs ne jouaient pour elles: d'abord, elles ne produisent pas que de l'or; les minerais extraits du sous-sol contiennent non seulement de l'argent, mais de l'uranium, et les terrils qui dessinent des pyramides blondes sur l'horizon sud-africain en recèlent en abondance : ce qui améliore la rentabilité des entreprises. Ensuite, de nouvelles techniques sont venues au secours de l'exploitation: technique pour la prospection, avec le magnétomètre du géologue allemand Krahmann, capable de déceler les filons souterrains; technique pour l'extraction en grande profondeur, avec la construction de centrales de froid, capables d'abaisser la température écrasante des galeries (plus de 50 degrés à 2 000 mètres). Enfin, le gouvernement sud-africain aide la production, sinon par des primes directes, du moins par des prêts, par des dégrèvements d'impôt, voire par des indemnités de pompage... Les sept groupes de financement, que lient des participations imbriquées, contrôlent les sociétés minières, au nombre d'une soixantaine, entre lesquelles les experts font des distinctions et des classe-· ments selon leur situation (le Rand, l'Orange... ), selon leur longévité probable (mines à vie courte, à vie moyenne, à vie longue), selon la teneur du minerai (elle s'exprime en pennyweights par tonne extraite, le pennyweight étant un vingtième d'once, soit 1,55 gramme), selon la largeur des filons (elle s'exprime en inch es, c'est-à-dire en pouces, et l'on compare la largeur du filon à la largeur de la taille), selon les coo.ts d'exploitation, selon que les gisements produisent ou ne produisent pas d'uranium. Certaines de ces mines sont célèbres auprès des géologues ou des boursiers: le West Driefontein, la plus importante du monde, et qui a été la première à produire
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plus de 60 tonnes par an; la Free State Geduld, déjà nommée, la City Deep et la Crown Mines, qui sont à bout de course, mais dont les terrains, situés dans la banlieue même de Johannesburg, accèdent à la dignité urbaine ... Trusts et sociétés minières relèvent de la Chambre des mines, créée dès 1889, et qui coordonne la politique de l'or. Elle gère la raffinerie de Germiston, à laquelle toutes les mines livrent leur métal sous la forme de lingots de 1 000 onces (31 kilos), contenant de 85 à 90 % de fin. Germiston les traite et les purifie, pour en faire des lingots de 400 onces (12,5 kilos), au moins à 99 % de fin, qui sont remis à la Banque de réserve sud-africaine. Celle-ci peut les garder dans son encaisse ou les vendre à l'étranger, le plus souvent en les dirigeant sur la Banque d'Angleterre et le marché de Londres, via Durban et les paquebots de l'Union Castle. Ainsi, bien que l'Mrique du Sud ait conquis son indépendance, l'or sud-africain reste d'obédience britannique sur deux points: par les capitaux et les administrateurs des sociétés, par la destination du métal. Londres ne lâche pas sa proie.
Visite à la mine et aux mineurs La véritable raison de la survie des mines sudafricaines tient aux bas salaires qui sont consentis à la main-d'œuvre noire. Bien qu'ils augmentent rapidement, ils permettent une exploitation encore rémunératrice. Faut-il s'en indigner? Allons sur place rendre visite à une mine sud-africaine : une mine quelconque, pareille à toutes les autres. Quittons Johannesburg, ses gratte-ciel et ses crassiers fauves, par la route du Sud-Ouest. La Main Reef Road s'insinue entre les montagnes artificielles des déchets de minerai. A quelques milles, à gauche, un passage s'ouvre entre deux stèles, sur lesquelles des
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plaques de marbre rappellent, en afrikaans et en anglais, la découverte du Rand. C'est là qu'en 1886 fut foré le premier puits de Langlaagte. Le puits est abandonné, mais non pas oublié. Il est, pour le Transvaal, une manière de monument historique. Quelques milles encore sur la route. Nous voici sur les territoires de l' Anglo-Vaal. Devant les terrils, les poulies tournent au sommet des superstructures des puits, les ascenseurs plongent dans les entrailles du sol sud-africain, vers les galeries de mines, taillées dans le roc, chaudes et humides, bruissantes du ronronnement de l'air conditionné, du roulement des wagonnets, du crissement des perforateurs. Les bennes sortent des puits, crachent leur contenu de minerai. Concassage, broyage, lavage... 1 000 Blancs et 8000 Noirs travaillent ici. Les Blancs commandent - aux machines et aux Noirs. Les hommes de couleur exécutent les travaux les plus rudes au creux de la mine, souvent à genoux ou couchés dans les flaques d'eau. Logés et nourris, ils besognent 26 jours par mois, pour un salaire de base 40 fois plus faible que le salaire correspondant d'un mineur américain. Allons les voir dans leur village de brique, qui porte le joli nom de Florida, mais qui évoque plutôt un camp de prisonniers : des baraques couvertes de tôles ondulées, avec des dortoirs à couchettes superposées, faites de ciment, sans paillasse. Vingt hommes par chambrée, un poêle, une table et des bancs sommaires. Un grouillement humain. Aux cuisines, dans d'énormes marmites, mijotent soit des amas de viande, soit une bouillie de millet que l'on brasse à la pelle. Les Noirs défilent, comme à la cafétéria, pour recevoir leur ration dans une large cuvette. Ils reçoivent de la bière de maïs en guise de boisson. Ce genre de vie, dont peuvent s'émo~voir les âmes sensibles, semble combler d'aise les mineurs noirs. Ils
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n'en rejettent que les formes les plus civilisées: tout en refusant les cuillers qu'on leur remet, ils mangent de bel appétit; en se débarrassant, dès la sortie des puits, des chaussures dont on leur impose l'emploi, ils s'amusent, pieds nus, comme des enfants. Des enfants, voilà ce qu'ils sont, ces grands garçons de vingt à trente ans. Ils viennent des tribus les plus primitives - de l'intérieur ou de l'extérieur de l'Union sud-africaine. Celui-ci est du Mozambique portugais, cet autr~ de quelque pays tropical, celui-ci vient du Basutoland, celui-là du Zwaziland, celui-là du Zululand. De leur brous~e, recrutés sous le contrôle de la Chambre des mines, ils ont été acheminés par autobus, par avion, par chemin de fer, et le voyage a pu durer de sept à dix jours. Tous sont volontaires, si bien que ce camp de concentration ne rassemble que des hommes libres, qui ont signé . un contrat pour une dizaine de mois, et qui retourneront dans leur tribu, riches comme des nababs. A leur arrivée à la mine, ils sont pesés. A leur départ aussi. Pas de doute : ils engraissent entretemps. Quand ils repartent, radieux, ils ont une valise neuve, un transistor, parfois un vélo. Dans leurs cases lointaines, ils vont étonner leurs amis. Écoutons-les chanter en chœur, accroupis sur le sol ou dans un défilé sautillant: « Je travaille pour gagner de l'argent. Je veux gagner de l'argent pour rentrer chez moi. Je veux rentrer chez moi pour acheter une deuxième femme. Il Moyennant quoi, ils ne feront plus rien jusqu'à la fin de leurs jours. A cette pensée, ils tapent dans leurs mains, rythment leur plaisir. Peut-être un jour, chanteront-ils, dans la même ivresse collective, un hymne à l'indépendance de l'Afrique? Auj ourd'hui, ils n'y songent pas. Ce sont les Blancs, d'ailleurs, qui leur ont donné une langue commune. Chaque Noir parle le dialecte bantou de sa tribu, le zoulou, le khosa, le santo, le
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ndébélé ... De toutes ces langues, assaisonnées d'anglais, on a fait un espéranto composite, le fanakalo (c'est-à-dire le « comme ceci »), qui devient l'instrument véhiculaire de tous les Noirs à la mine. En ce « petit nègre» bâtard, demain se dit kusasa, rien se dit utixo, fer se dit simbi, or se dit golidi. Dès leur arrivée à la mine, les Noirs vont à l'école de fanakalo : en plein air, à grand renfort de dessins sur un tableau noir, un instructeur de leur· tribu fait répéter un vocabulaire rapide. Par groupes de 15, les nouveaux venus apprennent 400 mots par jour et ils savent les rudiments du fanakalo en 3 jours : car ils ont la fraîcheur de mémoire du très jeune âge. Chez eux, avant le départ, ils ont été soumis à des examens médicaux. Selon leurs aptitudes, on leur a donné des bracelets de couleurs différentes : verts, s'ils sont capables de travailler au fond, jaunes s'ils doivent rester au jour. Puis, à la mine, on les a soumis à des épreuves de maturité qui permettent de déceler les plus doués d'entre eux. Comme sur les bancs de la maternelle, ils sont conviés à classer des rondelles ou des vis selon leur taille, à assembler des écrous et des boulons. Avec de petits cubes, dont les faces sont de deux tons, ils doivent n'en faire qu'un, dont la surface extérieure sera d'une seule couleur. Gentiment, ils s'y appliquent et réussissent rarement : leur âge mental va de quatre à sept ans. Après quoi, on leur enseigne l'A B C de la mécanique et du terrassement : les Noirs apprennent à visser, à perforer, à étayer, à manier une pelle. En une quinzaine de jours, leur éducation est faite. Pour désigner les contremaîtres, on leur propose des épreuves supplémentaires. Comment, avec des cordes, faire passer un baril de l'autre côté d'une palissade? On note les candidats sur leur initiative, leur persévérance, leur sens de la responsabilité. Il faut croire que ni ce régime ni ces salaires ne
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sont abominables, puisque de toute }' Afrique sous l'Équateur, les Noirs accourent vers l'enfer sudafricain, vers ces mines d'or où le travail est rude, et où les Blancs jouent aux seigneurs. Les demandes d'embauche sont beaucoup plus nombreuses que les places libres. Les risques du métier sont grands : risque de maladie, provoqué par le choc des poussières sur les poumons; mais les soins sont gratuits et les hôpitaux réservés aux mineurs sont pourvus de l'équipement le plus moderne; risque de mort, mais le pourcentage des accidents est moins élevé dans les mines sud-africaines qu'en Amérique. Au pays de la ségrégation, les Noirs font une bonne affaire. Les mines aussi.
L'énigme de ['or soviétique Si l'or sud-africain est sans mystère, avec des statistiques qui laissent peu de place aux fuites et aux fraudes, il n'en est pas de même de l'or russe. Jusqu'au second conflit du siècle, on a pu suivre à peu près ses progrès. La guerre, suspendant la publication de toute donnée numérique, plonge la production des mines russes dans l'obscurité, et la paix ne rétablit pas la lumière. L'U. R. S. S. se refuse même à adhérer au système né à Bretton Woods pour pouvoir garder le silence. Secret d'État 1 Premier des producteurs d'or du monde avant l'entrée en scène de la Calüornie, la Russie conserve un bon rang au début du xx e siècle. Sa production annuelle, de 30 tonnes en 1900, progresse jusqu'à 54 en 1914. La Révolution la réduit presque à zéro. Mais les Soviets la réorganisent et la stimulent : elle atteint 47 tonnes en 1930, 161 tonnes au plus haut, en 1936. Elle est encore au moins de 125 tonnes en 1940. Puis le Rideau de Fer s'abat sur l'or soviétique. Certaine revue publiée à Moscou fait état, par la suite, de pourcentages d'augmentation, sans qu'on
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sache très bien s'ils représentent des résultats ou des prévisions. En 1943, le directeur du Trust soviétique de l'or déclare que l'U. R. S. S. a produit 373 tonnes dans l'année. Esbrouffe diplomatique et stratégique? La Banque des Règlements internationaux, plus prudente, évalue alors la même production à 120 tonnes. Les estimations postérieures varient entre 60 et 500 tonnes par an. Le Deuxième Bureau américain (C.I.A.) ne propose qu'un chiffre voisin de 150 tonnes; le Bureau des mines des États-Unis, et avec lui le groupe français Minerais et Métaux retiennent des chiffres de 330 à 390 tonnes. La banque Samuel Montagu, de Londres, opine pour 500 tonnes. Robert A. Gilbert, de New Jersey, conclut seulement à 80 tonnes pour 1950, 155 pour 1965, 190 pour 1968. Franz Pick, plus généreux, suggère 500 tonnes pour 1965, mais seulement 310 pour 1969. Pour serrer de plus près la réalité, on a vainement interrogé les évadés, observé les numéros des lingots russes parvenus à Londres, ou ceux des boîtes en pin dans lesquelles la Banque d'État les emballe. On a sans résultat précis sollicité les confidences des ingénieurs étrangers appelés en U. R. S. S. par le Trust de l'or. L'Américain John Littlepage, qui a passé neuf ans en Sibérie, s'est contenté d'écrire: « Il n'y a pas de mal à confirmer, d'après ce que je sais personnellement, la prétention qu'ont les Soviets d'occuper la seconde place dans le monde, n'étant surpassés que par l'Afrique du Sud. » En retenant une production moyenne de 350 tonnes par an, l'U.R.S.S. aurait obtenu, de 1941 à 1970, un peu plus de 10000 tonnes d'or, qui s'ajouteraient à sa production des quarante premières années du siècle, supérieure à 2 000 tonnes. Total présumé, péchant sans doute par excès plutôt que par insuffisance : 12 000 tonnes. Si l'on ajoute à ce montant celui des autres pays
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de l'Est, également muets sur leur production de méta] (la Corée du Nord, qui selon Franz Pick donnerait de 40 à 50 tonnes par an; la Chine, de 20 à 25 ; la Roumanie de 20 à 30, et quelques autres, soit au total de 100 à 120 tonnes par an, et 3 000 à 3 600 tonnes en trente ans de vie secrète), la production globale de ru. R. S. S. et des pays de l'Est s'élèverait à 15 ou 16 milliers de tonnes entre 1941 et 1970 - contre 28 500 pour l'Afrique du Sud. A la différence des pays capitalistes, la question du prix de revient ne se pose guère en régime communiste. Peu importe aux autorités de Moscou que l'or leur coO.te cher, pourvu qu'elles en disposent. Le Times, en 1959, évalue l'once d'or soviétique à 166 dollars, soit près de 5 fois le prix américain. Cette estimation n'a guère de sens, si la main-d'œuvre est servile, et faute de savoir le vrai rapport du rouble et du dollar. Simplement, on peut tenir pour certain que l'or extrait d'U. R. S. S. est d'un cot\t élevé, et que Moscou ne s'en soucie guère. Mais à quoi sert l'or russe? Exactement comme dans les pays capitalistes, à servir de gage psychologique à la monnaie et de réserve à l'Etat pour ses règlements internationaux. Le rouble, au sortir de l'inflation des temps révolutionnaires, est soigneusement défini en or : 774,23 milligrammes de fin en 1924; 222, 168 en 1950; 987 en 1960 (après alourdissement). «En Union soviétique et dans les autres pays du camp socialiste, expose le Traité d'économie politique édité par l'Académie des sciences de l'U. R. S. S., l'or joue le rôle d'équivalent universel. La monnaie soviétique est définie par rapport à une certaine quantité d'or. » Pour régler ses déficits extérieurs, pour se procurer notamment les devises nécessaires aux importations de céréales, Moscou vend de l'or chaque fois qu'il en est besoin. De 1931 à 1940, 720 tonnes. De 1945 à 1965, au moins 3 400 tonnes. Il arrive surtout à
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Londres, où les lingots russes se distinguent par une exceptionnelle pureté (999 millièmes, contre 995 pour la plupart des autres lingots). Ces ventes, assurément, entament les réserves soviétiques, dont on ignore bien entendu le montant, mais qu'on s'est risqué à supputer. La Russie des tsars, en 1913, détenait quelque 1 500 tonnes d'or. Si l'on aj oute à ce montant 1 550 tonnes extraites de 1914 à 1940 et 10 000 tonnes de production présumée entre 1940 et 1970, on obtient un total de plus de 13000 tonnes. Il y faut encore ajouter quelque 500 tonnes d'or transférées à Odessa par les républicains espagnols en déroute, à titre de paiement pour les armes livrées pendant la guerre civile, et que Moscou n'a jamais restituées. En défalquant, de ces 13500 tonnes, les 4120 tonnes de ventes enregistrées, l'V. R. S. S. conserverait plus de 9 400 tonnes de métal. Cette évaluation est très supérieure à celle de la C. I. A. (1 800 tonnes en 1964), mais voisine de celle de Franz Pick (8 700 tonnes en 1969). Il est sage de la réduire pour tenir compte des pertes, des évasions inévitables et des appétits persévérants de la thésaurisation occulte. Moscou, en tout' cas, apprécie suffisamment l'or pour le concentrer dans les caisses publiques et en interdire la détention privée - exactement comme fait Washington. On a pu signaler qu'en 1932 une dizaine de citoyens soviétiques ont été fusillés pour avoir thésaurisé des espèces métalliques. Il n'empêche que, dans les mines et ailleurs, les vols d'or sont fréquents : un ingénieur est arrêté en 1966, en Yakoutie, après avoir détourné 38 kilos de métal. A Moscou, le marché noir de l'or, à des prix doubles ou triples des prix officiels, a pour clients favoris les kolkhoziens venus d'Asie centrale pour écouler sur le marché libre leurs fruits et légumes; ils le thésaurisent ou le revendent dans leurs villages avec profit. Même en pays soviétique, r or a ses fidèles.
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Aventure en Si bérie Cet or, où et dans quelles conditions l'U. R. S. S. l'a-t-elle produit? On en sait l'origine géographique: le Caucase, l'Oural, le Kazakhstan, puis, en allant toujours vers l'est à travers l'immensité sibérienne, le bassin de l'Ienisseï, l'Altaï, ledistrict du Baïkal et de la Lena, les alluvions de l'Amour et de la Yakoutie, enfin l'Extrême-Orient vers Vladivostock, l'extrême sud avec l'Ouzbékistan, et l'extrême nord avec le bassin glacé de la Kolyma. Il est superflu de rappeler que beaucoup de ces gîtes se situent dans les contrées les plus inhospitalières du globe, et que la conquête de l'or y représente une bataille permanente contre la tempête et le froid. La découverte la plus remarquable est celle du bassin de la Kolyma, sous le cercle polaire. Des coureurs de steppes y avaient, dès 1643, au nom du tsar, descendu le fleuve sur des milliers de kilomètres, jusqu'à son embouchure dans l'océan Arctique. Ils y avaient commencé l'extermination des zibelines et des renards bleus. En 1908, l'Estonien Rosenfeld, arpentant la toundra, remarque des veines de quartz serties dans l'argile. Il revient en 1914, monte une petite expédition avec plusieurs pionniers, dont un certain Boriska, et, avec eux, prélève et rapporte quelques échantillons. Boriska poursuit seul les recherches. ~ 1916, trois Yakoutes trouvent son corps gelé, près d'un ruisseau, et, près de lui, de petits sacs remplis de poudre d'or. Rosenfeld se rend à Petrograd, informe le gouvernement de la découverte, obtient la promesse d'une exploration. La Révolution ne détourne pas l'Estonien de son projet. Il rédige un rapport sur le potentiel aurifère de la Kolyma, assure qu'elle est le plus riche des gisements de toute la Sibérie, soumet son document à des marchands de Vladivostock qui le transmettent
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à Moscou. Un géologue nommé Bilibine s'y intéresse, et, après des années, parvient à obtenir des crédits pour une prospection. Entre-temps, les sachets d'or .retrouvés sur le cadavre de Boriska ont fait du bruit dans l'extrême Sibérie. Des chercheurs d'or ont, à leur tour, déniché un peu de métal, qu'ils ont vendu clandestinement à des marins japonais et chinois. Moscou, avisé, n'a pas interdit la prospection privée, à condition que l'or recueilli lui soit vendu au prix officiel. D'où vient, en régime communiste, cette étrange faiblesse envers des pratiques libérales? Toute économie socialiste doit faire fi de l'or, comme de la monnaie. On a vu, en 1918, les commissaires du Peuple abolir ces instruments du capitalisme. Il a bien fallu y revenir. En 1927, Staline se prend brusquement de passion pour le métal jaune. Il a lu t'Or de Blaise Cendrars, qui vient de paraître. Il a lu des ouvrages sur l'épopée californienne, et cette lecture le fascine. Comme d'autre part il sait la richesse du sous-sol sibérien, comme il songe à se doter d'un trésor de guerre et comme il veut peupler les proyinces qui font face au Japon, dont il redoute les ambitions, Staline se persuade qu'il a pour devoir de faire de la Sibérie une autre Californie: ce n'est pas sans courage pour un socialiste qui devra convertir les théoriciens restés fidèles aux enseignements de Marx et de Lénine. Le maître du Kremlin convoque l'ingénieur Serebrovski, qui depuis 1920 dirige avec succès l'industrie pétrolière des Soviets. Staline lui explique pourq·uoi il est maintenant nécessaire de créer une industrie moderne de l'or. « Allez en Amérique, lui dit-il, étudiez les méthodes américaines en Californie, au Colorado, en Alaska. » Serebrovski obtempère, observe, et devient le premier patron du Trust de l'or, créé en 1928. « De taille moyenne, peu marquant, rasé de près,
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avec des vêtements et une allure à l'américaine )J, tel est ce Serebrovski, décrit par l'Américain Littlepage, qu'il a recruté. Il parle anglais avec un terrible accent, et très bas, comme en chuchotant. Il est de manières douces et d'aspect professoral. Mais il ne faut pas s'y tromper : cet ingénieur bolchevique a l'âme d'un dictateur. Il a les dents longues. Ne se vante-t-il pas de distancer bientôt l'Afrique du Sud? Son Trust engage les techniciens, déplace la main-d'œuvre, déporte les koulaks, décide des investissements, organise les voies d'accès et d'écoulement, gère les usines de traitement. C'est le maître de l'or, mais un maître relativement tolérant, puisque à la Kolyma il accepte quelques recherches individuelles. En 1933, les résultats paraissent insuffisants à Staline, qui reste marqué par les récits de la ruée vers l'or californien. Il ordonne, à l'encontre de la doctrine, de faire systématiquement appel à de libres prospecteurs. On fait savoir dans toute l'Union soviétique que la recherche de l'or à titre individuel est autorisée, préconisée, et parfaitement honorable. Les camarades se méfient un peu : ils ont le souvenir de la liquidation des fermiers et des boutiquiers, invités à s'enrichir au temps de la N. E. P., puis dépossédés. Mais l'attrait de l'or l'emporte : des isolés se présentent; des frontaliers chinois, prêts à combiner la prospection et la contrebande, saisissent l'occasion. Des centaines de milliers d'hommes et de femmes se ruent sur la Sibérie, comme l'a souhaité Staline. Les chercheurs ne sont pas pour autant livrés à euxmêmes; ils travaillent par équipes de deux ou trois, qu'on appelle artels, sous le contrôle des géologues et du Trust. S'ils trouvent un gisement, il doivent le signaler, peuvent le fouiller à leur profit pendant un an, et recevoir une récompense, jusqu'à 30000 roubles-or. Le Trust peut aussi céder à bail certains terrains à des groupes qui s'organisent en
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coopératives. Il va même jusqu'à organiser, à proximité des champs d'or, des magasins spéciaux, approvisionnés comme des magasins pour étrangers, et où les chercheurs règlent leurs achats en or ou en certificats d'or. Selon le témoignage de Littlepage, la ruée vers l'or sibérien est une réussite: une réussite des stimulants libéraux et du profit personnel. Elle ,peuple les solitudes du Kazakhstan et de la Kolyma de Russes et d'Ukrainiens, de Géorgiens et de Mongols, de Kirghizes et d'Arméniens. Dans le bassin de la Kolyma, certains sables se révèlent d'une teneur extraordinaire : 200 grammes au mètre cube. Certains riches filons s'étendent sur des kilomètres. C'est décidément trop beau pour être abandonné à des pionniers amateurs. Staline, qui tient son métal, répudie son libéralisme d'un moment. Il dissout le Trust de l'or, que remplace un organisme paramilitaire, le Dalstroy, ce qui veut dire « le Territoire du lointain développement». Une purge, en 1937, élimine le pauvre Serebrovski. Désormais, le tout-puissant Dalstroy exploite les gisements d'or avec une main-d'œuvre de déportés. La zone aurifère de la Kolyma est encerclée et gardée. Rosenfeld, son découvreur, condamné à cinq ans de travaux forcés, y est interné dans un camp de « rééducation ». On le découvre un jour, le crâne broyé, le corps gelé, entièrement nu, sous un pont de bois. Les amateurs n'ont plus leur place en Sibérie. Les forçats de Staline exploitent les gisements pour le compte de l'État. Selon l'étude que Silvester Mora consacre à la Kolyma, 2 millions de prisonniers y auraient travaillé en quinze ans, à raison de 12 heures par jour, et avec 2 jours de repos par an (le 1er mai et le 7 novembre). 1 homme sur 6, pas davantage, aurait survécu. Selon un prisonnier de guerre allemand, exilé par mesure disciplinaire, et dont le récit est publié par Der Spiegel, 200 000 condamnés
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seraient chaque année acheminés par voie de mer, de Vladivostock au port de Magadan, qui dessert la Kolyma. On exigerait de chaque mineur un rendement de 12 à 15 grammes par jour. Le travail s'effectuerait en partie à ciel ouvert, en logeant des explosifs dans des trous de 3 mètres, en partie avec du matériel américain, dans des galeries dont la profondeur ne dépasserait pas 25 mètres. Chaque semaine, un torpilleur viendrait à Magadan prendre livraison de l'or. On rapporte ces descriptions au conditionnel, parce qu'on n'y a pas été voir. Les mines sud-africaines sont accessibles à qui veut les visiter, mais non pas les mines sibériennes. De toute façon, le chapitre de la terreur est clos. Avec Khrouchtchev, les camps de rééducation sont fermés, les prisonniers survivants sont rendus à la liberté. Certains d'entre eux, assuret-on, choisissent de rester en Sibérie, comme mineurs salariés. La « Kolyma dorée» travaille. Magadan, qui compte 100000 âmes, lui sert de base aérienne et maritime. Les camps, précise l'Américain George St. George, qui a pu parcourir la Sibérie, sont souvent peuplés de couples et dirigés par des femmes. L'aventure s'embourgeoise.
Les clients industriels de l'or Afrique du Sud, Russie ... Nous savons qui produit l'or. Reste à savoir qui le consomme. Les clients de l'or sont de deux catégories: il y a ceux qui le transforment, à des fins industrielles ou artistiques; et il y a ceux qui le gardent, dans les coffres publics ou privés. Commençons par la première catégorie, celle des clients transformateurs. Ils sont moins faciles à définir qu'on ne pense, et l'on peut hésiter par exemple à situer la consommation d'un pays comme l'Inde, grande dévoratrice de métaux précieux: les bijoux
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grossiers qu'elle importe, pour le plaisir d'accumuler l'or, sont-ils à classer parmi les emplois industriels ou parmi les emplois de thésaurisation? De même, les quelques pièces qui sont encore frappées, surtout à des fins numismatiques, vont-elles à des amateurs d'art ou à des thésauriseurs? De toute façon, il ne faut pas les compter deux fois. Au XI Xe siècle, pour aut:;mt qu'on puisse le présumer, les débouchés industriels et artistiques de l'or représentaient quelque 30 % de sa consommation totale (et 45 % si l'on y incluait les pays du type indien). Au xx e siècle, ces mêmes débouchés semblent d'abord menacés: l'acier inoxydable, l'acier chromé, plus tard les matières plastiques concurrencent le métal rare, la bijouterie se fait moins ostentatoire, les ménages des pays évolués préfèrent satisfaire d'autres besoins - la voiture, le confort... Mais, en contrepartie, sur le plan strictement industriel, l'or conquiert de nouveaux emplois, appelés à un large développement. On assiste de la sorte, en premier lieu, à une contraction de la demande, puis à une reprise. Pour la période 1890-1929, la Banque des règlements internationaux n'estime plus la consommation industrielle qu'à 24 % de la consommation totale. Au milieu du siècle, la même B. R. 1. la ramène à 20 %. De 1951 à 1964, dans le monde non communiste, le pourcentage évolue entre 22 et 16 %. En 1961, le financier André Istel peut écrire que « les usages industriels de l'or n'absorbent qu'une proportion infime de sa production ». Pourtant, cette proportion s'applique à des quantités d'or disponible de plus en plus grandes, si bien que la stagnation de la demande en valeur relative exprime en réalité une augmentation en chiffres absolus. La remontée se précise d'ailleurs, de toutes les façons, dès 1966, avec un pourcentage de 34 %. Selon la firme Lloyd Jacob, de Londres (qui exagère l'importance du débouché
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industriel), la demande passe de 750 tonnes en 1960 à 1 300 en 1968 (soit à un montant égal à la production). De ce chiffre, on défalquera l'or destiné à l'Inde, au Pakistan et aux pays du tiers monde qui, comme l'Égypte, adoptent le même comportement (200 tonnes 1). Il faut soustraire aussi une partie des 75 tonnes consacrées à la frappe de pièces: la plupart sont destinées aux thésauriseurs. Restent peut-être 1 050 tonnes. Les rapports du Fonds monétaire international font état de chiffres quelque peu inférieurs : 275 tonnes seulement en 1956, mais 380 en 1960, 610 en 1965, 790 en 1968, 830 en 1969. Sans tenir aucune de ces statistiques pour exactes, on acceptera leur ordre de grandeur et la tendance qu'elles expriment : une augmentation devenue régulière et soutenue, proche de 10 % par an. Tous les experts sont d'accord sur ce point : les besoins industriels augmentent. En 1970, leur montant peut atteindre de 850 à 900 tonnes. Quels sont, à cet égard, les pays demandeurs? Toujours selon Lloyd Jacob, mais en ne retenant de ses indications que les rapports de quantités, le palmarès de la consommation donne le premier rang aux États-Unis, devant l'Italie et l'Allemagne, qui précèdent de loin le Japon, l'Espagne, la France, le Brésil, la Grande-Bretagne ... Cet or s'incorpore dans des objets d'utilité courante : montures de lunettes, briquets, portecigarettes... L'industrie des plumes de stylo, à 18 carats, est longtemps prospère. Victor Forbin, en 1941, assure qu'on fabrique alors 30 millions de stylos à plume d'or par an (soit, à 300 milligrammes par plume, 9 tonnes de métal). Gaetan Pirou, en 1945, évalue à 100 millions le nombre de stylos à plume d'or en usage dans le monde (30 tonnes d'or). Mais le stylo à bille, qui ne requiert pas de métal précieux, si ce n'est pour des montures de luxe, porte au milieu du siècle un coup sévère à ce débouché.
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Résistance exceptionnelle à la corrosion, haute conductibilité électrique: ces deux qualités désignent l'or pour de nombreux emplois dans les industries les plus variées. Dans les laboratoires, l'or est préféré au platine pour faire fondre la potasse ou la soude. Dans la manipulation des gaz sulfureux à haute température; des revêtements d'or assurent la meilleure protection. Des alliages d'or servent à nombre de soudures et de brasures délicates dans les industries de précision. L'or a sa place dans le bâtiment. L'Anglais Timothy Green souligne les avantages que présente, pour les immeubles, un revêtement d'or - renouvelé des Incas : l'or réfléchit les rayons du soleil et permet d'économiser l'air conditionné. Un premier immeuble est ainsi plaqué d'une solution liquide d'or, en 1929, à Los Angeles, moyennant 12 000 dollars. La formule se révèle payante, puisqu'elle est reprise pour plusieurs hôtels de Californie, pour des banques du Texas, pour une chaine américaine de magasins, pour une église arménienne de Detroit et une église catholique de Washington. n suffit de couches très minces d'or liquide à 22 carats pour assurer une protection efficace. De même, suivant Fritz Diwok, l'or est employé dans les fenêtres des gratte-ciel importants sous la forme d'une mince pellicule destinée à éliminer le rayonnement solaire : les verres retrouvent la coloration légèrement verdâtre des vitres d'autrefois. L'électronique fait volontiers mariage avec l'or notamment dans les systèmes semi-conducteurs : en ce domaine, l'industrie américaine est la plus gourmande, devant l'allemande et la japonaise. L'or assure les contacts électriques dans les répéteurs des câbles sous-marins, il sert de conducteur, parfois en alliage avec le palladium, pour Ile téléphone. n est d'emploi courant dans les plaquettes enfichables et dans les broches des circuits imprimés, dans les
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connections des transistors et des circuits intégrés, dans les pièces internes et les grilles des tubes électroniques, dans les guides d'ondes à très haute fréquence. L'avenir appartient aux machines à cerveaux d'or. La conquête de l'espace requiert spécialement le concours de l'or : seul, en réfléchissant les radiations, il maintient à des seuils tolérables la température intérieure des satellites; seul, en se substituant aux graisses ordinaires incapables de garder leur pouvoir aux vitesses spaciales, il maintient en état de marche les organes des engins; seul, en réfractant les infrarouges et les ultraviolets, il immunise les casques des cosmonautes et les cordons qui les relient à leur vaisseau. Ranger, Mariner, Gemini, Apollo font appel à l'or. Pour les mêmes raisons, l'industrie aéronautique y recourt: entre le pilote et le réacteur d'un avion de chasse, on interpose un revêtement d'or; en mélangeant de l'or au verre laminé dans les pare-brise des appareils supersoniques, on en évite le givrage; en badigeonnant d'une once d'or un avion d'interception, on rend plus difficile sa détection au sol. Sur les 1 050 tonnes d'or transformé en 1968, selon Lloyd Jacob, les industries proprement dites en absorberaient 95 tonnes, dont 85 pour les industries électroniques et annexes. Mais la plupart de ces emplois sont à la fleur de l'âge, et promis à l'essor, surtout si le prix du métal reste bas. Les emplois dentaires de ['or
L'or est employé en médecine: nous avons déjà évoqué ce rôle en parcourant le chemin qui conduit de l'alchimie jusqu'aux thérapeutiques du xx e siècle. Dans le traitement des tumeurs, contre l'infection des plaies, en homéopathie, l'or peut être mis en
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œuvre. A l'occasion, il est mobilisé contre les brûlures, le cancer de la peau et dans les opérations des terminaisons nerveuses. Contre l'arthrite, il est administré par piqftres intramusculaires, à doses croissantes pouvant atteindre 4 milligrammes par jour. Les chirurgiens apprécient son efficacité contre les hémorragies de vaisseaux ou de capillaires, et pour prévenir les adhérences de tissus. Mais c'est l'art dentaire qui fait à l'or l'appel le plus constant: les dents et l'or ont toujours fait bon ménage. Lors des fouilles qui ont exhumé la civilisation de Sumer, on a retrouvé dans un étui d'or, avec un cure-oreille et une pince à épiler, un cure-dent en or (- 3000). Sur certaines momies égyptiennes, les dents manquantes sont remplacées par de fausses dents, avec ligatures de fil d'or vierge, anneaux ou cerclages d'or. Les Phéniciens savent de même ligaturer six dents avec du fil d'or. Grecs, Étrusques et Romains, perfectionnant cette technique, substituent au fil des attelles ou des bandes malléables de métal précieux; ils sont même capables de réaliser chevillages, rivures et soudages. Les Aztèques creusent des cavités dans les dents et y coulent de l'or, souvent pour le simple plaisir d'embellir leur bouche. « Or pour plomber les dents du roi : 15 livres 15 sols. » Cette mention, qui figure dans le registre de la Chambre des comptes de Pau (1581), concerne Henri IV, alors roi de Navarre. « Recouvrir la dent usée d'une calotte d'or. Pour les dents visibles, on peut émailler l'extérieur de l'enveloppe de même couleur que les dents voisines. » Ce double conseil, qui déjà annonce la classique couronne et le revêtement de céramique, est formulé par Mouton, dentiste de Louis XV. Au même siècle, Pierre Fauchard écrit son Traité des dents dont il consacre plusieurs chapitres à la prothèse. Il conçoit la dent à tenon, les bridges, les ressorts intermaxillaires, quelquefois en argent, le
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plus souvent en or. Pour la base des dentiers, Bourdet, dentiste de Louis XVI, emploie l'or sous fonne de bandes palatines. Ainsi, depuis des millénaires, le métal jaune s'en va, en quantités importantes, finir sa carrière dans les mâchoires. Si l'on additionnait toutes les dents d'or des squelettes enfouis dans les nécropoles depuis l'Antiquité, à raison de 2 couronnes par tête (soit 5 grammes), on obtiendrait un total hallucinant. Il est vrai que, plus d'une fois, et avant Hitler, cet or macabre a été récupéré. Caton a été assez sordide pour tamiser les cendres de son frère, afin de retrouver l'or de sa denture, et César l'en a raillé. En Inde, les mendiants règlent leur enterrement ou leur incinération avec leurs dents en or, et les entrepreneurs de pompes funèbres récupèrent soigneusement le métal sur les corps qui leur sont confiés. Au xx e siècle, la consommation dentaire de l'or s'accélère, dans la mesure où s'élève le niveau de vie, où se répand le souci de l'hygiène, et où se développent les travaux avec emploi d'ors spéciaux. Vers 1940, on estime à 76 % le nombre des Américains, et à 56 % celui des Américaines qui se flattent de porter des dents en Of. En 1968, selon les statistiques de Lloyd Jacob, la consommation d'or pour les soins dentaires atteint 93 tonnes, dont 23 aux États-Unis, 11 en Allemagne, 10 au Japon, 5 à 6 en France, autant en Espagne, 3 à 4 en Italie ... Les Anglais (avec 1 tonne seulement) passent derrière les Belges, les Hollandais, les Suédois, les Suisses et les Grecs. Ils sont il. égalité avec les Turcs. Par tête d'habitant - le mot tête étant ici le mot propre --, c'est le Suisse et le Belge qui apparaissent comme les meilleurs clients de l'or dentaire (200 milligrammes dans l'année), devant l'Allemand (190), l'Espagnol (170), le Suédois (150), le Grec (140), le Hollandais (120), l'Américain, le Français et l'Autrichien (110). Un sociologue conclurait de ces
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chiffres à l'influence de trois facteurs : le pouvoir d'achat, qui met le Suisse ou le Suédois en bonne place, le goût du faste, qui assume la promotion de l'Espagnol ou du Grec, la concurrence de matières de substitution (métaux inoxydables, plastiques) qui diminue la consommation dentaire de l'or chez les Anglais et même chez les Américains, naguère gros amateurs de mâchoires aurifiées. Les prothèses d'or sont, en principe, réservées aux citoyens aisés des pays aisés. Pourtant, sur la place Djemaa el Fna, de Marrakech, parmi les conteurs et les charmeurs de serpents, les « dentistes » proposent aux chalands, sur des coussinets de velours, un assortiment de couronnes, en or laminé très mince. Ils s'offrent aussi bien à coiffer d'or des dents qui n'en ont aucun besoin, mais qui vaudront considération à leurs porteurs. La chirurgie dentaire rejoint ici la chirurgie esthétique et la thésaurisation. Pour les dentistes, l'or garde des vertus incomparables. Il est remarquablement toléré, insoluble dans la salive, résistant à la compression, facile à poser et à travailler; il s'adapte parfaitement aux parois et il réalise des obturations plus étanches que tout autre matériau. Les praticiens l'utilisent sous des formes multiples. L'or vierge, à 24 carats, en feuille, peut être tassé dans les cavités dentaires pour aurification : procédé en cours de disparition. L'or coulé, à 22 carats, est le plus employé pour les prothèses courantes : il est fixé par scellement. Les ors spéciaux, de 14 à 22 carats, servent aux travaux de précision qui exigent un métal plus dur: ils allient l'or au platine, au palladium, parfois à l'indium, en des gammes variées, que proposent à foison les catalogues des maisons suisses et américaines. Règle : le nombre d'atomes d'or doit au moins égaler le nombre des autres atomes métalliques pour une bonne résistance à la ternissure et à la corrosion en bouche.
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L'or sert, soit de matériau d'obturation, soit pour les prothèses fixes (couronnes, travées de bridge, inlays, pivots ... ), soit pour les prothèses mobiles (plaques, barres, crochets, ancrages), soit encore pour les appareillages destinés à redresser ou à déplacer les dents. Comme l'or est soumis à des droits fiscaux (dans les pays du Marché commun, à la T. V. A.), et comme ces achats d'or servent aux inspecteurs des contributions à présumer les revenus des dentistes, il arrive à certains d'entre eux de se procurer du métal par des voies clandestines. Green rapporte que les dentistes chiliens préfèrent parfois acheter des pièces d'or de 100 ou 50 pesos à la banque et les fondre eux-mêmes à l'intention de leurs clients. Au lendemain de la guerre, en France, alors que toutes les matières premières faisaient l'objet d'un rationnement, certaine décision B 53, datant de 1947, et qui avait pris la suite d'une décision B 17 de 1942, invitait les dentistes à exiger de leur clientèle « contre reçu le vieux métal prothétique, les broutilles et vieilles matières nécessaires aux soins ». Ainsi, avec de la broutille à 18 carats et des soudures à 12 carats, le dentiste devait trouver le moyen de faire des appareils à 22 carats. Le plus souvent, les patients n'avaient pas d'or à offrir, et ils demandaient au dentiste de s'en procurer sur le marché noir. Ainsi les sections administratives de répartition ont-elles enseigné aux praticiens les voies d'un ravitaillement parallèle. La B 53 a été abolie en 1948, cinq mois seulement après la réouverture du marché libre de l'or. TI était bien tard. De mauvaises habitudes avaient été quelquefois contractées. Ce bref survol de l'industrie dentaire serait incomplet si on ne le terminait sur deux anecdotes significatives. La première, que rappelle Pierre Meutey d'après Fontenelle, est celle de certain enfant de Silésie à qui était poussée, vers l'an 1593, une dent
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en or. Les professeurs et les savants ont longuement disserté de cette merveille, jusqu'au jour où l'on s'est aperçu que la dent était comme toutes les dents; mais cette historiette confirme à propos que l'or prête à tous les mythes, et que sa carrière a commencé avec l'or fétiche. La seconde anecdote, que rapporte André Dargens, a pour héros un marchand du Caire qui, pour mettre son magot en lieu sûr, demande à son dentiste de lui arracher toutes ses dents pour les remplacer par un dentier en or. Le malheur est que son sourire trop éclatant excite la convoitise de malfaiteurs qui lui administrent un soporifique et lui retirent son trésor de la bouche : ce qui illustre les mésaventures de l'or réserve. De l'or fétiche à l'or réserve, les dentures retracent toute la carrière du métal. Les débouchés artistiques de l'or
Pour plus des trois quarts (860 tonnes sur 1 050, d'après Lloyd Jacob pour 1968), la consommation « industrielle » de l'or est artistique : de ce montant, les bijoux prennent la plus grande part (775 tonnes), le solde revenant aux médailles (20 tonnes), aux pièces de collection (25 tonnes) et à la décoration (40 tonnes). Sur les 775 tonnes absorbées par la seule bijouterie, et si l'on met touj ours à part le cas de l'Inde, les États-Unis apparaissent comme le plus gros consommateur d'or, avec 126 tonnes, devant l'Italie (117), l'Allemagne fédérale (70), l'Espagne (45), la France (35), la Suisse (18), le Royaume-Uni (16) ... Mais les États-Unis importent des bijoux d'or (10 tonnes), ainsi que la France (8) et le RoyaumeUni (1), tandis que l'Italie en exporte beaucoup (82 tonnes), ainsi que l'Espagne (15), l'Allemagne (12), la Suisse (8). Compte tenu de ces trafics, le classement final des amateurs de bijoux s'éta-
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blit comme suit: États-Unis (136), Allemagne (58), France (43), Italie (35), Espagne (30), RoyaumeUni (17), S,uisse (9). Sur cette base, par tête d'habitant, le Suisse vient en tête (1,5 gramme par an), devant l'Allemand (98 centigrammes), l'Espagnol (92), le Français (84) ... Lloyd Jacob évalue aussi le prix moyen de l'once d'or transformée en bijou: il se situe au plus haut en Angleterre (380 dollars l'once), devant les États-Unis (300 dollars), l'Allemagne (280), la Suisse (250), la France (195), l'Espagne (105), l'Italie (91) : l'or est logiquement le plus cher dans les pays où il est interdit. L'usage est aujourd'hui d'appeler orfèvre le professionnel qui fabrique ou vend de gros ouvrages d'or ou d'argent, et plus souvent d'argent que d'or, précisément parce qu'ils sont gros; on appelle bijoutier celui qui fait ou vend des bijoux, et joaillier celui qui fait ou vend des bijoux ornés de pierres précieuses. Trois métiers complémentaires, qui ont plus ou moins affaire à l'or. L'or qu'ils manient n'est jamais pur: à 24 carats, ce qui représente la finesse absolue, il serait trop mou. S'il est allié au cuivre, il est de l'or rouge. Allié au cuivre et à l'argent, il est de l'or jaune. A mi-parcours entre ces deux types, il est de l'or rosé. Allié à de l'argent seul, il est de l'or vert. Allié à du fer (ou jadis de l'arsenic), de l'or gris. Avec du nickel, de l'or blanc. Avec de l'aluminium, de l'or violet. Le titre des bijoux varie selon les cieux: il est libre dans la plupart des pays d'Asie et d'Amérique, où l'on peut trouver par conséquent les plus fortes et les plus faibles teneurs. Il est le plus souvent de 10 carats aux États-Unis. En France, les ordonnances royales prescrivaient une teneur de 20 carats (c'est ce qu'on appelait l' « or au titre »). On nommait u or bas» le métal de 10 à 19 carats, et billon d'or le métal au-dessous de 10 carats. Le titre des bijoux ne peut aujourd'hui tomber légalement au-dessous
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de 18 carats, en France comme en Suède, de 14 carats en Suisse, au Benelux, en Norvège, au Danemark, de 9 carats en Angleterre, de 8 carats en Allemagne et en Italie. Le contrôle de ces teneurs, comme celui des achats d'or, est plus ou moins strict: les autorités veillent aux États-Unis et en Angleterre, à empêcher la thésaurisation par le détour de la bijouterie. Impossible de s'y procurer de l'or en quantité appréciable sans permis 1 Les professionnels britanniques doivent (de 1966 à 1971) s'engager à ne pas fabriquer de pièces ou de médailles d'or, de plaques ou de tablettes, même gravées ou sculptées. En France, depuis 1948, la bijouterie est libre, mais l'État maintient, en contrepartie du poinçon à tête d'aigle qui authentifie les ouvrages, un droit de garantie, vieux de quatre siècles, et qui a été réorganisé en 1671. A chacun des trois titres légaux (750, 840 et 920 millièmes) correspond une marque particulière. Presque toutes les nations européennes ont de même leurs poinçons, qui permettent de dater et de situer le contrôle. Avec le déclin des trônes et des fortunes les plus insolentes, les ouvrages d'or de grande dimension achèvent de disparaître. Les religions elles aussi se font plus discrètes dans l'étalage de leurs richesses et dans leurs démonstrations de puissance. Il n'est plus question de vaisselle d'or chez les princes ni d'autels en or pour les dieux. Mais, à une échelle plus réduite et à l'usage d'une foule plus nombreuse, la passion des beaux bijoux demeure. Sous tous les climats, les femmes, et parfois les hommes, apprécient la parade de l'or. En Occident, il ne se célèbre pas un mariage, dans les villes comme dans les campagnes, sans que soit respectée la tradition de l'alliance. A raison de 6 millions de mariages annuels en Europe occidentale et en Amérique, on peut compter 12 millions d'anneaux, qui, à 2 grammes de fin pour le. moins par unité,
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représentent 24 tonnes. Aux 'Ëtats-Unis, la publicité engage même les futurs ménages à acheter 4 alliances, par mesure de précaution. L'alliance nuptiale est le bijou d'or le plus modeste. Bracelets, colliers, poudriers, boucles d'oreilles font partie de l'arsenal féminin. Boutons de manchettes, épingles de cravate, chevalières font partie de l'arsenal masculin. Pour les femmes et pour les hommes, les montres à boîtier d'or ne sont pas simple raffinement d'élégance. L'or est le métal d'élection dans lequel se concrétisent les plus hautes récompenses : tout comme le pharaon remettait des mouches d'or à ses guerriers les plus valeureux, ou des colliers d'or à ses ministres, le festival de Venise décerne à ses lauréats des lions d'or, celui de Berlin des ours d'or, Hollywood des Oscars d'or; et les organisateurs de rencontres sportives, aux Jeux olympiques ou ailleurs, confèrent des médailles d'or aux champions. Les médailles, bon an mal an, absorbent une vingtaine de tonnes d'or, dont 6 à 7 pour l'Europe : médailles commémoratives, médailles de saint Christophe, médailles de piété... Aux médailles s'apparentent les pièces de collec-' tion, qui peuvent consommer 25 tonnes. Quelques États en frappent encore, le plus souvent avec indication de valeur faciale : soit pour restaurer une ébauche de circulation locale (l'Arabie Saoudite), soit pour saluer un événement (le Vatican en 1950, à l'occasion de l'année sainte; l'Ouganda en 1969, après la visite du pape Paul VI; la Colombie en 1971, pour les Jeux panaméricains), soit pour le profit du Trésor et le plaisir des numismates (Haïti, le Katanga, le Liechtenstein), le plus souvent pour célébrer un anniversaire: ainsi en 1952 l'Afrique du Sud, lors du tricentenaire du navigateur Van Riebeck; en 1961 la Hongrie, pour le cent cinquantième anniversaire de Franz Liszt et le quatre-vingtième anniversaire de
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8ela Bartok; en 1968, l'Albanie, pour le cinquième centenaire de son héros national Skanderberg; la Somalie pour le cinquantième anniversaire de la République; l'Éthiopie pour le soixante-quinzième anniversaire de l'Empire; la Tunisie pour le dixième anniversaire de la République; en 1971, le Cameroun, le Gabon, le Tchad, pour le dixième anniversaire de leur indépendance... Certaines de ces pièces présentent des particularités : les pièces albanaises et hongroises ne sont, bien entendu, émises qu'à l'intention des étrangers; les pièces du Katanga sont frappées à Birmingham; celles du Tchad portent l'effigie du général de Gaulle; la pièce haïtienne de 1 000 gourdes pèse plus de 197 grammes; la pièce d'un rand qu'émet l'Afrique du Sud (dite rand Kruger) contient exactement une once d'or fin. La décoration des immeubles, intérieure ou extérieure, consomme une quarantaine de tonnes d'or par an, surtout en Allemagne (15 tonnes), aux ÉtatsUnis (11), en France (8), en Suisse (4). L'or en poudre sert à dorer les boiseries, les moulures des meubles, les cadres des tableaux. On le retrouve en menus filets sur les porcelaines ou les cuirs de luxe. L'or protège les tranches des beaux livres, ou devient vermeil sur les couverts d'argent. Les Japonais l'utilisent pour leurs laques. Les architectes couvrent de feuilles d'or les toitures de quelques monuments - l'Albert Hall à Londres, le dôme des Invalides à Paris - ou soulignent d'un pinceau d'or les sculptures de certaines façades, comme sur la Grand-Place de Bruxelles, ou les ouvrages de fer forgé, comme les grilles de Nancy. Assur avait donné l'exemple, trois mille ans plus tôt, à la tour de Khorsabad. A part, il yale cas de l'Inde : on l'a dit, la passion qu'elle manifeste pour les métaux précieux relève moins des emplois artistiques que de la thésaurisation. En achetant un bijou, l'Indien épargne. Son cas appartient au chapitre suivant.
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Dans les co nres privés Les électroniciens, les dentistes et leurs patients, les bijoutiers et leurs pratiques, toute cette clientèle de l'or compte bien peu auprès de l'immense armée de ceux qui, dans le monde, gardent l'or dans leurs coffres, leurs caisses, leurs bas de laine, ou en des trous secrets au fond de leurs jardins. Cette armée-là est celle des thésauriseurs. Pourquoi thésailrise-t-on? Par défiance envers les moyens de paiement fiduciaires. Par crainte d'une guerre, d'une révolution, d'~ne dévaluation, d'un impôt. Pour n'avoir pas à payer de droits de succession. Pour rester fidèle à certains réflexes ancestraux, qui font que l'or refuge et l'or réserve prolongent l'or fétiche. La thésaurisation de l'or présente des avantages et des inconvénients. Dans la balance des avantages, il faut mettre sa discrétion: l'or n'est pas repérable. A la différence des billets et des chèques, qui sont numérotés, les pièces ne comportent aucune indication de série; et si les lingots sont numérotés, il est simple de gratter la marque ou de refondre le métal. Dans le même plateau de la balance, il faut ajouter la longévité de l'or: ni l'air, ni l'eau, ni la terre ne l'entament; les fourmis, disent les Indiens, ne le mangent pas. Les siècles ne l'altèrent pas. L'or est une valeur qui dure. Dans le plateau des inconvénients, il faut retenir la stérilité du métal. Il ne porte pas de fruits : à la différence d'une valeur mobilière, d'un fonds de commerce, d'une entreprise industrielle, d'une terre, d'un immeuble locatif, à la ressemblance d'un diamant, d'une pierre précieuse, d'un tableau, d'un tapis, d'un objet de collection, il ne donne pas de revenus. Le capiW qu'il représente peut même fléchir, s'il a été acheté cher. Mais le thésauriseur consi-
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dère souvent que l'or équivaut à une prime d'assurance, et l'assuré ne saurait se plaindre de n'être pas victime d'un sinistre. Comme l'assurance, l'or ne paie qu'en cas de malheur. Pourtant, les épargnants thésaurisent l'or plus souvent d'instinct qu'après de beaux raisonnements, et l'or à leurs yeux a des vertus surtout sentimentales. Même si on leur démontre qu'ils ont tort, ils persévèrent. Leur cas diffère d'ailleurs selon leur position géographique, leur position sociale, leur métier, leur âge. Il est plus ou moins logique de conserver de l'or selon le pays dans lequel on vit, selon la fortune dont on dispose, selon la profession qu'on a embrassée, selon le nombre prévisible des années de survie. Un amateur de charabia hexagonal dirait que « les motivations de la thésaurisation sont subjectives ». A côté de ces thésauriseurs sans complexe et sans calculs, il en est d'autres, moins nombreux, qui voient en l'or un placement et une chance de plus-value. Ceux-là attendent une revalorisation du prix officiel. Ils spéculent sur une décision qui les enrichirait. Il va de soi que le thésauriseur, de rune ou l'autre sorte, n'agit qu'en fonction de ce qu'il croit être son intérêt personnel, sans se soucier de l'intérêt général. Du point de vue de l'État, il se soustrait à l'impôt. Du point de vue de la nation, il stérilise une épargne qui, autrement employée, pourrait être féconde. Du point de vue supérieur de l'économie et de la morale il se comporte en inutile et en égoïste. Mais la sévérité de ces critiques n'entame pas la sérénité du détenteur d'or. Il juge légitime de se défendre contre un État qui le spolie et d'une collectivité qui le menace. Il ajoute qu'on sera bien content de le retrouver, lui et son or, le jour où ils rentreront dans le circuit. Quant au montant de l'or thésaurisé, il est par définition inconnu. Les acheteurs d'or sont le plus
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souvent anonymes (légalement en France, illégalement dans les pays anglo-saxons ou les pays de l'Est) et ils tiennent à le rester. Aucune statistique, en principe, ne les recense. Pourtant, les experts connaissent ou présument l'activité des principaux marchés de l'or. Ils savent aussi combien de pièces ont été frappées, et supputent combien il en peut rester dans les coffres privés. Mieux encore, ils disposent des chiffres relatifs à la production de l'or. S'ils y ajoutent les montants d'or vendus par ru. R. S. S., ils mesurent la quantité de métal disponible. S'ils en retranchent la consommation industrielle et le montant de l'or absorbé par les encaisses publiques, ils dégagent un solde, celui de l' « or disparu». Disparu où? Entre les mains des thésauriseurs. C'est ainsi que plusieurs évaluations ont pu être faites sur l'or thésaurisé dans le monde. La Banque des réglements internationaux s'y essaye dans son rapport annuel. L'expert américain Franz Pick s'est fait une spécialité de ce savant calcul. Première remarque : il ne concerne que le « monde libre ». Si l'on thésaurise aussi à l'Est, comme il est probable, l'audace des statisticiens ne va pas jusqu'à formuler des hypothèses sur l'état des bas de laine russes ou chinois. Aussi bien, les calculs en question prennent pour base de départ la production de l'or dans le monde occidental. Seconde remarque : ces estimations sont nécessairement inexactes, mais leur marge d'erreur ne doit pas être beaucoup plus grande que pour beaucoup d'autres statistiques. Les chiffres de production euxmêmes n'excluent pas les possibilités de fuites. Si on les tient pour grossièrement corrects, les chiffres globaux de consommation le sont autant. Comme il est permis de tenir pour à peu près convenables les données relatives aux réserves publiques, le montant restant doit être, en bloc, conforme à la réalité. La
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vraie difficulté consiste à distinguer entre le débouché industriel, qui est mal connu, et le débouché des coffres privés. A titre d'exemple, on retiendra les chiffres proposés par la B. R. 1. pour l'année 1956 : la production d'or, cette année-là, est de 890 tonnes. En outre, 130 tonnes d'or russe arrivent sur le marché. Total des disponibilités : 1 020 tonnes. En regard, les réserves publiques s'accroissent de 450 tonnes. Restent 570 tonnes pour la consommation privée : à savoir, toujours selon la B. R. L, 180 pour l'industrie, et 390 pour les thésauriseurs. Mais ce décompte, possible d'année en année, l'est-il globalement pour la totalité de l'or accumulé dans les réserves privées? Il est certainement plus difficile. Toutefois, comme on connaît officiellement le montant des réserves publiques (et non pas seulement leur accroissement annuel), il n'est pas absurde de prétendre évaluer approximativement la thésaurisation, et d'en suivre l'évolution. La véritable inconnue concerne l'or réellement disparu - au fond des mers, au creux des tombes ou des cachettes oubliées, et qui n'est plus thésaurisé par le monde des vivants. Si, d'après la B. R: L, on additionne les montants absorbés par les thésauriseurs de 1946 à 1965, on obtient déjà un total de près de 8000 tonnes. En complétant jusqu'à 1969 avec les évaluations du Fonds monétaire international, on approche de 12000 tonnes. Les achats d'or par les particuliers augmentent durant les périodes d'insécurité, notamment durant les guerres (conflits mondiaux, guerre de Corée) et durant les périodes de difficultés monétaires (crises du franc, crise du dollar en 1967 et 1968). Si l'on cherche à dresser le bilan du siècle, pour ses soixante-dix premières années, on doit au préalable se rappeler qu'en 1900, environ 3 900 tonnes d'orde pièces circulent dans le public. Avec 1914, ces pièces cessent
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d'être monnaie. La vraie thésaurisation commence. Le total de l'or thésaurisé dans le monde à titre privé atteint, selon Jean Dautun, 7000 tonnes en 1933. Il passe, pour le monde libre, selon Franz Pick, à 12500 tonnes en 1957, à 15000 en 1964, à 20000 en 1968, pour dépasser 22 000 en 1970. Géographie de la thésaurisation
Il est des pays où l'or n'est pas thésaurisé, ou l'est assez peu : c'est affaire de législation et d'esprit civique, de politique et de tradition. Interdire la détention de l'or ne suffit pas à l'empêcher; c'est quelquefois même la stimuler. L'autoriser ne suffit pas à la développer; c'est quelquefois la rendre inutile. En fait, les pays où l'on thésaurise sont, ou bien ceux où subsiste le fétichisme de l'or, ou bien ceux où la gestion de la monnaie a mis le public en état de défiance; les pays où l'on ne thésaurise guère sont, ou bien ceux qui se sont affranchis de la chrysolâtrie, ou bien ceux dont les citoyens gardent le respect de leur unité monétaire. La liberté de l'or n'est totale que dans les pays où l'on peut à la fois le posséder, le négocier, l'importer et l'exporter. Ils ne sont que dix au monde en 1970 : l'Allemagne fédérale, la Suisse et les Pays-Bas, le Canada et le Paraguay, le Liban, l'Arabie Saoudite, Koweit, Dubai et Macao. Il y faudrait ajouter la Belgique (mais seules les ~ièces peuvent librement y entrer et en sortir) et l'Equateur (mais seules les pièces peuvent librement y être négociées, importées et exportées). La liste des pays où n'existe aucune des quatre libertés requises, sensiblement plus longue, comporte quatorze noms, depuis un pays de l'Est comme l'Albanie, jusqu'à un pays de l'Ouest comme le Royaume-Uni (à l'usage de ses résidents). Pour ne retenir que les hypothèses de Franz Pick relatives à 1970, l'or thésaurisé se répartit de façon
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fort inégale entre les continents : 8 900 tonnes en Europe, 4700 en Asie, 4500 en Amérique, 2600 en Afrique. (Il attribue 1 900 tonnes à des « divers ».) Treize ans plus tôt, en 1957, les positions respectives étaient les suivantes: 5800 tonnes en Europe, 2 900 en Asie, 1 600 en Amérique, 1 400 en Afrique (divers : 800). Si l'Europe vient largement en tête de ce classement, les Français en sont les premiers responsables. A eux seuls, ils détiennent 4700 tonnes d'or, soit plus du cinquième de tout l'or thésaurisé sur la planète. Encore leur part a-t-elle relativement diminué: dix ans plus tôt, ils en détenaient plus du quart. En 1957, ils en possédaient près du tiers. On peut suivre l'évolution de cet avoir français depuis le début du siècle, ou plus exactement depuis le moment où l'or a cessé d'être monnaie circulante, alors que 1 600 tonnes de pièces d'or sont aux mains du public (en 1914). On a déjà évoqué cette courbe jusqu'en 1932, après que la stabilisation Poincaré a découragé la thésaurisation, réduite à 400 tonnes, et jusqu'en 1938, alors que le double péril monétaire et militaire l'a relevée à 1 800 tonnes. Ensuite, la thésaurisation ne cesse plus d'être alimentée par des importations clandestines. En 1948, elle doit approcher de 3 000 tonnes. En 1958, elle atteint 3 900. Elle dépasse les 4000 tonnes en 1961. En 1970, on vient de la voir à 4700. L'or détenu par les Français, à titre privé, a toujours depuis 1943 (et sauf entre 1964 et 1968) été plus important que l'or détenu par les autorités monétaires dans les caisses de la Banque de France et du Fonds de stabilisation. Cette attitude des Français tient d'une part à un legs séculaire : Molière et La Fontaine témoignent de la présence de l'or dans certaines cassettes, et la France du XIXe siècle compte déjà parmi les nations les plus friandes de métaux précieux. D'autre part, l'inflation rebondissante et les dévaluations répétées
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du xx e siècle détournent les épargnants des placements libellés en francs. TIs évitent de s'engager à long terme, même lorsque par accident un ministre des Finances leur inspire quelque confiance (Raymond Poincaré en 1928, Antoine Pinay en 1952). Pour eux, une monnaie ne vaut que ce que valent des promesses d'hommes périssables. L'or n'a pas besoin de promesse : il se suffit à lui-même. En vain essaiet-on de les en détourner; ils lui restent imperturbablement fidèles. Qui thésaurise en France? Les épargnants les plus modestes et les moins éduqués plutôt que les capitalistes avertis. Les paysans plus que les citadins, les ouvriers plus que les cadres. A cet égard, on ne doit accorder qu'un crédit très limité aux sondages d'opinion- : les Français ont trop le goût du secret pour révéler à un enquêteur leurs vraies préférences. Sont-ils déçus par la relative stagnation de la cote? TI ne semble guère. Le napoléon ne retrouve qu'accidentellement le cours de 7 050 qu'il avait atteint en janvier 1946, lors du départ du général de Gaulle. Au plus bas, dans la griserie de son retour, il retombe à 3330 (octobre 1958). Au plus haut, en francs alourdis (1 franc nouveau = 100 anciens), il dépasse 78 (octobre 1969). Les commentateurs du marché ont beau jeu de répéter que ce placement ne rapporte ni revenu ni plus-value (pour ceux qui ont acheté à des cours élevés), et de le comparer à des placements moins stériles, en valeurs ou en immeubles (encore faudrait-il préciser quelles valeurs? quels immeubles ?). Les thésauriseurs n'en cherchent pas si long. L'or garde à leurs yeux les vertus d'un sûr compagnon. TI fait partie du décor de leur vie, comme leurs pantoufles, leur chien ou leur table de salle à manger, dont ils ne songent pas à se séparer. Auprès des Français, les autres Européens ne sont que de pâles thésauriseurs. La détention des lingots est d'ailleurs interdite en Angleterre (ainsi que celle
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des pièces jusqu'en 1971), l'achat de l'or est soumis en Allemagne à la T. V. A. Mais les Italiens et les Espagnols ne sont pas insensibles à la séduction du métal; les Grecs, instruits par les mésaventures de la drachme, en sont de fervents amateurs, en dépit des veto de la Banque de Grèce. Les Suisses en achètent peu pour leur propre compte, mais beaucoup pour le compte d'autrui, et même pour le compte d'entreprises étrangères - allemandes, belges, hollandaises, italiennes, américaines ... L'Asie est, on le sait, gourmande d'or: d'abord la Turquie paysanne, les émirats du golfe Persique et de l'Iran, pour qui l'or est la contrepartie naturelle du pétrole; ensuite et surtout l'Inde. Depuis 1947, les autorités indiennes interdisent l'importation du métal et depuis 1963 elles en contrôlent la détention. Mais rien n'y fait: les habitants de l'Inde ne s'inquiètent pas de savoir ce qui est défendu ou permis, ils passent outre. Les fêtes des dieux exigent des dons en métal, qui s'accumulent dans les temples, sous la garde des brahmanes. Les radjahs amoncellent des richesses fabuleuses, dignes des Mille et Une Nuits. Les plus pauvres des paysans, refusant de se familiariser avec les facilités bancaires, entassent l'or, qui sera leur seule ressource en cas de disette ou d'inondation. Par mesure de précaution, ils couvrent leurs enfants de colliers et d'anneaux. Ils dotent leurs filles avec munificence, comme si leur honneur en dépendait. Les femmes, qui longtemps n'ont eu aucun droit à recueillir l'héritage de leurs parents ou ~e leur époux, se parent de bij oux de la tête à la cheville : elles portent sur elles un coffre-fort ambulant, qui les mettra à l'abri si elles deviennent orphelines ou veuves. 600 000 orfèvres, pour satisfaire aux besoins de 600 millions d'Indiens, fondent, martèlent et cisèlent dans leurs échoppes, de l'aube au crépuscule, le métal importé en contrebande. Ils ont fort à faire, surtout
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dans la saison des mariages qui s'étend de la fin de l'automne au début de l'été. Ils servent de banquiers aux paysans, qui achètent de l'or après la récolte et en vendent au moment des semences. Il est exceptionnel que l'Inde déthésaurise. Elle a dtl. s'y résigner dans les années qui ont suivi 1931, sous la pression de la famine et après la dévaluation du sterling et de la roupie. Elle ne s'y est guère prêtée lorsque le gouvernement de Delhi a fait appel aux détenteurs d'or pour financer la lutte contre la Chine en 1963, ou contre le Pakistan en 1965. Et les campagnes lancées par les économistes pour déraciner le culte de l'or se heurtent à l'obstination d'un peuple pour qui le métal apparaît comme la seule sauvegarde. Le trésor ainsi accumulé, par une foule famélique et déguenillée, a été évalué à 2 700 tonnes en 1919 (Shirras), à 3 300 en 1958 (Banque de réserve de l'Inde), à 4400 en 1967 (Timothy Green), et il augmenterait chaque année de 180 tonnes. A ce compte, l'estimation de Franz Pick, qui assigne 4 700 tonnes à toute l'Asie en 1970 serait plutôt au-dessous de la réalité. Par rapport aux Français et aux Indiens, les a,utres peuples de la terre semblent démunis d'or. Les citoyens des États-Unis n'ont plus le droit légal d'en détenir, ni en Amérique depuis 1934, ni à l'étranger depuis 1961. Ils restent pour la plupart respectueux du dollar, même érodé par la hausse des prix. Les plus méfiants d'entre eux tournent l'interdit, ou bien en détenant des sachets de poudre d'or (oubliée par le législateur), des monnaies anciennes de collection, voire des certificats d'or délivrés par des banques canadiennes, des pièces entreposées dans des banques suisses ou aux Bahamas. Quand, en 1971, quelques banquiers ont tenté d'ouvrir un marché de l'or à Los Angeles, ils ont aussitôt trouvé une ample clientèle. Il a fallu que les autorités monétaires y mettent
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le hola : le marché, trop bien achalandé, a dft fermer au bout de trois jours. A en croire Franz Pick, les Américains détiendraient de 3 000 à 4 000 tonnes de métal, chez eux ou hors des États-Unis. Les Brésiliens, Chiliens et Péruviens ne font pas fi de l'or, les Argentins, les Uruguayens s'y convertissent. En Afrique, la thésaurisation est surtout le fait des Égyptiens et des Libyens. Dans les pays de l'Est, l'or a des clients clandestins en Russie, en Pologne, en Roumanie, en Tchécoslovaquie. Par tête d'habitant, sans nul doute, le record appartient aux Français: en moyenne, chacun d'eux doit en détenir de 90 à 100 grammes, chaque foyer quelque 300 grammes.
Les formes de la thésaurisation N'importe qui ne thésaurise pas n'importe quoi. Les thésauriseurs, sous tous les cieux, ont leurs préférences, qu'on a déjà plus ou moins signalées, mais qu'il faut rappeler ici. Plus encore que des préférences, ils ont des habitudes. La thésaurisation sérieuse - on entend par là celle qui dispose de moyens appréciables et ne cède pas trop au sentiment - porte sur les barres et les lingots. La barre classique, plus d'une fois rencontrée en chemin au cours de cette histoire, est la barre de 400 onces troy (soit 12,54 kilos); elle est dite (( de bonne livraison », à Londres et par conséquent sur tous les marchés, si elle pèse de 350 à 430 onces, si elle titre au moins 995 millièmes de fin, si elle porte un numéro de série, avec l'estampille d'un fondeur agréé; aux États-Unis, la barre est refondue, de façon à recevoir le sceau du Bureau des essais américain. Le lingot d'un kilo a la faveur des thésauriseurs d'Europe continentale, du Proche et du Moyen-
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Orient, d'Amérique latine. La Suisse et l'Allemagne fédérale le détaillent sous forme de lingots poinçonnés de 500, 250, 100, 10 et 5 grammes, à la portée de toutes les catégories d'amateurs, et à la dimension des cadeaux de Noël. Tanger, au temps de sa splendeur, a fondu des plaquettes de 1 kilo, dites « hercule », portant l'effigie du héros grec qui passe pour avoir terminé ses travaux en séparant l'Europe de l'Afrique. A l'intention des orfèvres de l'Inde, et des contrebandiers qui les ravitaillent, sont fondues de petites pastilles de 10 tolas (116 grammes); pour Hong-Kong et la Chine, des lingots de 100 taëls (373 grammes à 945 ou 995 millièmes); pour la Malaisie, des lingots de 10 onces. En Inde même, on l'a dit, tous les bijoux de 14 à 18 carats sont la proie des thésauriseurs. Au Japon, l'or est fréquemment thésaurisé sous forme de baguettes, d'éventails ou de tasses à thé. Les petits épargnants se tournent surtout vers les pièces d'or. Elles présentent l'avantage d'être à la portée de toutes les bourses, de n'exiger aucun poinçon et aucun certificat d'essai, d'être aussi faciles à acheter qu'à transporter ou qu'à revendre. Elles ont même l'avantage d'être souvent belles, plaisantes à regarder et à manier. Elles offrent en contrepartie l'inconvénient d'être coûteuses, parce qu'elles correspondent à un prix de détail et doivent satisfaire à une demande débordante. Chaque gramme d'or monnayé est beaucoup plus cher qu'un gramme d'or en lingot. Bien entendu, ce ne sont pas les mêmes pièces qui sont les plus recherchées en tous temps. Chaque peuple, en principe, préfère cellesquiluisont familières. Ainsi se superpose, à la valeur matérielle du métal, une valeur sentimentale, qui explique pour une part la prime, parfois exorbitante, des pièces reines. Le souverain, aux effigies de Victoria, d'Édouard VII et de George V (7,322 grammes d'or fin), jouit d'une clientèle internationale, au moins dans tout
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ce que fut l'Empire britannique. On a déjà noté que les peuples arabes, pour qui les femmes, même couronnées, ne valent pas les hommes, s'intéressent plus aux souverains à tête de roi qu'aux souverains à tête de reine. Les dollars-or sont très demandés, par les Américains comme il se doit, mais aussi là où s'affirme le prestige des États-Unis, 'Y compris au-delà du Rideau de Fer. La double aigle (30,09 grammes de fin), qui a le plus large marché, l'aigle (15,04), la demi-aigle (7,52) trouvent aisément preneurs. Powers, le pilote de l'avion espion abattu en U. R. S. S., était porteur de dollars-or, comme le sont les montagnards laotiens qui s'aventurent dans la Chine rouge: rien ne facilite plus une mission, rien n'assure mieux des complicités qu'une· pièce passe-partout. Le napoléon, qui est en réalité la pièce française de 20 francs, à l'effigie de Napoléon III comme à l'image du coq (5,8 grammes d'or fin), est la pièce la plus demandée du public français. Mais les autres pièces de 20 francs, de même poids, les suisses, dites croix ou vreneli, les italiennes, dites marengo, et toutes celles de feu l'Union latine, ont leur clientèle. Les pièces de 20 marks (7,17 grammes) sont recherchées non seulement par les Allemands de l'Ouest, mais, en secret, par les Allemands de l'Est et leurs voisins tchèques, hongrois, polonais ou russes. Le centenario mexicain (37,5 grammes la pièce de 50 pesos), l'azteca (20 pesos), l'hidalgo (10 pesos) ont la faveur des Latins d'Amérique. Les autres pièces font l'objet d'une demande plus réduite et plus localisée, mais non pas négligeable : anciens roubles russes, florins hollandais, pièces autrichiennes, tunisiennes ... Les pièces les plus petites, demi-souverain, demi ou quart de napoléon, pièce d'un dollar sont surcotées, non seulement parce qu'elles représentent de l'extrême détail, mais parce qu'elles sont aisément transformables en boutons de
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manchettes, en breloques, en épingles de cravate ou en pendentifs : la frontière entre la thésaurisation et la bijouterie redevient ici incertaine. Entre ces diverses pièces et les lingots, les habitués des marchés de l'or étudient les différences de cours, calculent les primes, suggèrent des arbitrages. Les vrais thésauriseurs n'entrent pas dans ces subtilités: ils dorment sur leur matelas d'or sans se poser de problèmes. Mais les gouvernements, plus prompts à spéculer que les épargnants de l'or, ne laissent pas passer l'occasion que leur offre l'existence de primes élevées sur les pièces. Ne peuvent-ils, avec des lingots, frapper des pièces, dont l'émission répondra aux besoins d'une demande insatisfaite? Cette opération doit leur laisser un bénéfice substantiel, tout en les dotant de munitions pour intervenir sur le marché et régulariser les cours. Bien que les accords de Bretton Woods réprouvent ce genre d'initiative, ils n'hésitent pas. A noter que ces frappes sont, pour l'essentiel, destinées aux thésauriseurs, à la différence de celles qu'on a signalées dans les débouchés « artistiques» de l'or, et qui sont destinées aux collectionneurs. Mais où commence la thésaurisation? Où finit la collection? C'est ainsi que la Monnaie de Paris frappe des napoléons, à partir de 1951, pour le compte de la Banque de France, avec les coins authentiques, dont le seul tort est de porter le millésime 1913. Les marchés de l'or ne font guère de différence entre les anciens napoléons, qui ont été de vraies monnaies, et les nouveaux, qui n'ont jamais rempli ce rôle. Pareillement, la Monnaie de Londres émet des souverains, du même poids et de la même teneur que le souverain d'autrefois. Elle commence, en 1949, par frapper des souverains à l'image du roi George V. Puis fort honnêtement, à partir de 1957, elle leur attribue l'effigie de la reine Elisabeth. La Monnaie de Vienne, à lion tour, se met à mon-
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nayer des pièces de 100 et de 20 couronnes, au millésime 1915 - à la demande de banques de Zurich, qui les écoulent avec un bénéfice de cent pour cent. Seulement, ce que font les autorités monétaires, d'autres ne peuvent-ils le faire aussi bien? La tentation est grande, pour des monnayeurs amateurs, de s'adjuger à leur tour la prime que cotent les pièces par rapport au lingot. Où est le risque? Il ne s'agit même pas, pensent-ils, de fabriquer de la fausse monnaie. Les pièces nouvelles ne sont ni fausses, puisque leur teneur en or est parfaitement correcte, ni monnaies, puisqu'elles ont perdu cours légal depuis longtemps. « Nous ne faisons que frapper des médailles et si nous sommes répréhensibles, c'est simplement parce que nous imitons des coins qui sont la propriété des États. Mais ces types monétaires ne sQnt-ils pas tombés dans le domaine public? Après tout, nous verrons bien ... » Alors, les vraies fausses pièces se multiplient, dans des officines privées plus ou moins bien équipées. En France, en Afrique du Nord, ce genre de production est resté artisanal. En Suisse, en Allemagne où sont frappées de nouvelles pièces de 20 marks, le travail est de qualité. En Italie, à Turin et Milan, les contrefacteurs disposent de presses modernes, capables de produire des pièces rigoureusement semblables aux originaux : les souverains de fabrication italienne sont écoulés à travers l'Europe occidentale et centrale, dans les Balkans, en Égypte, et jusqu'aux États-Unis. La « nouvelle Monnaie» de Beyrouth, qui dispose elle aussi d'un outillage soigné et produit à l'échelle industrielle, frappe des aigles et surtout des souverains, destinés à la Turquie, à la Grèce, aux pays arabes. Mais Beyrouth ne dédaigne pas de glisser de la vraie fausse pièce à la pièce tout bonnement fausse, lorsque ses souverains, offerts aux pèlerins de La Mecque, n'ont plus que 21 carats,
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au lieu de 22. Bombay fait mieux, en émettant des souverains à 14 carats. Les autorités monétaires, jalouses et inquiètes, ont vainement tenté de réagir. La Banque de Grèce, le gouvernement britannique ont intenté aux apprentis monnayeurs des procès en contrefaçon. En fait, quand l'imitation est correcte, elle n'est pas décelable. Et leurs auteurs ont beau jeu de rappeler que, si les États voulaient conserver et préserver leurs privilèges monétaires, il ne leur fallait pas commencer par retirer aux pièces d'or la qualité de monnaie.
Circuits de l'or et contrebande Pour répondre à l'appétit des thésauriseurs, l'or se déplace à travers le monde. Il va des pays où l'or est bon marché, vers ceux où il est cher. Les circuits qu'il parcourt sont avoués et officiels (donc sans attraits) entre les pays d'où l'exportation est libre et ceux où l'importation est libre. Ils sont clandestins et rémunérateurs dès l'instant que la sortie est interdite, et plus encore si l'entrée l'est aussi. Le parcours le plus simple est celui qui va de Suisse en France, soit directement - par le Léman, par les faubourgs de Genève ou de Bâle, par les cols du Jura -, soit indirectement, au prix d'un détour par l'Italie, l'Allemagne ou la Belgique. La frontière franco-suisse est à la fois perméable et surveillée. L'industrie des passeurs d'or y a été florissante. Elle a quelquefois bénéficié de la tolérance des douaniers: fallait-il priver la France de rentrées d'or? Tout aussi simple est le chemin qui conduit l'or du Canada aux Etats-Unis. Une frontière qui n'en finit pas, des lacs et des forêts propices : les professionnels du passage sont comblés. Le circuit vers Hong-Kong et l'Extrême-Orient est beaucoup plus savant. On en a exposé le mécanisme en traitant des problèmes monétaires de la
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Chine, au lendemain de la guerre : raffinage en Occident, transport à Beyrouth ou Manille, expédition à Macao par hydravion, de Macao à Hong-Kong par bateau. L'or est ensuite transféré vers Chang-hai ou Canton, jusqu'au jour où la Chine communiste se cadenasse. Mais le trafic cesse-t-il pour autant? Hong-Kong cote l'or plus haut qu'aucun autre marché, et l'on croira difficilement que la place absorbe pour son compte tout ce métal. Elle n'est qu'un centre de transit, qu'un relais vers d'autres destinations. Lesquelles? Le Japon, la Corée, mais aussi la Thaïlande, le Viêt-nam du Sud" le Cambodge où la guerre a ses profiteurs, et crée un grand appétit de sécurité. Comme Hong-Kong, Vientiane, au Laos, parait l'~ne des grandes places d'accueil et de redistribution de l'or. Arrivé par voie d'air, le métal est régulièrement présenté à la douane, puis, le plus souvent après un détour chez les bijoutiers qui en font des chaînes ou des colliers, il prend la direction de Saigon. Malgré le bourreau, qui promet à la hache les détenteurs d'or, il n'est pas impossible que Vientiane ravitaille aussi, en Chine rouge, quelques fanatiques du métal. Mais le grand circuit, c'est celui de l'Inde. Au lendemain de la guerre, il part du Mexique (aussi longtemps que le marché de l'or y est libre) ou des États-Unis. Centenarios et aigles sont dirigés par avion sur Alep, où des banques grecques et juives les arbitrent contre des souverains. Ceux-ci sont confiés à des nomades qui conduisent des troupeaux de moutons au golfe Persique. A Bassorah, l'or quitte les chameaux pour des boutres, qui gagnent Bombay. Les souverains sont vendus contre roupies, et transformés en bijoux. Les roupies sont échangées contre des livres, les livres contre des dollars. Et le circuit recommence. Plus tard, c'est le Koweit qui sert d'escale. Mais
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du j our où il fait fortune avec le pétrole, il préfère le trafic sans risques de ror noir au trafic dangereux du métal jaune. Dubai. qui n'a guère de pétrole, prend la relève. Le nouveau circuit part de Londres ou de Zurich. L'or y a été fondu en « biscuits» de 10 tolas. groupés par paquets de 200. Par les vols réguliers des compagnies aériennes, ou par avions spéciaux, il parvient à Dubai, dans une aérogare toute neuve. Entre les sables brt\lants et la mer tiède, rémirat compte à peine 80 000 habitants. L'émir est un ancien soldat devenu marchand. Le port, sur la côte des Pirates, la bien nommée, a été mis en eau profonde par une entreprise anglaise de travaux publics. Douze familles de marchands et une quinzaine de banques, de toutes nationalités, contrôlent la place. A peine déchargé, le métal disparait dans les coffres d'une banque anglaise ou américaine. Quand il en ressort, la fraude commence. De Bassorah ou du Koweit, l'or gagnait l'Inde sur des boutres à la proue effilée, qui naviguaient quand la mousson le leur permettait~ De Dubai, l'or emprunte encore des boutres d'aspect vétuste, mais doublés d'acier et dotés de puissants moteurs. Ils sont une soixantaine, armés pour le trafic du métal. Rien ne les distingue des innocents bateaux de pêche du golfe d'Oman. Leur équipage est indien ou pakistanais. L'or, au départ, est dissimulé sous un amoncellement de poissons séchés ou de marchandis('s hétéroclites. La traversée de la mer d'Oman dure de cinq à dix jours. On navigue à la voile, en réservant le moteur pour le cas où il faudrait distaneer une vedette de la douane indienne. On a tout le temps de transférer les lingots dans les poches des gilets de toile, aux coutures renforcées, spécialement conçus à cette fin, et souvent de fabrication libanaise. L'usage est de mettre une centaine de lingots par gilet.
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Quelque part, au large des côtes de l'Inde, le boutre rencontre un bateau venu de l'un des multiples ports qui s'échelonnent entre l'Indus et Bombay. Bord à bord, on fait passer les gilets pleins d'or du boutre au bateau indien. De nuit, le nouveau transporteur accoste en un point sür, d'où l'or est expédié par voiture, vers Bombay et la péninsule. Ses convoyeurs portent gilet... L'opération présente des risques : un chargement sur 30 est saisi. Mais les cours en tiennent compte. Au surplus, les contrebandiers sont bien équipés, les filières sont soigneusement organisées, les douaniers sont quelquefois complices. Selon Timothy Green, quand le boutre ou le bateau indien sont en danger d'être repérés, l'or est jeté par-dessus bord sans hésitation, de préférence avec des bouées qui flottent au ras de l'eau, et qui permettent de le récupérer une fois le péril dissipé. Dans ce trafic, le fret de retour est aussi important que l'or: car l'Inde n'engloutit le métal jaune qu'en le payant, et en le payant bien. Ce fret est parfois constitué d'argent métal, que Dubai entrepose et revend. Plus souvent, c'est la drogue qui paie l'or : le haschich de l'Inde et du Pakistan, l'opium de Chine, acheminés via Vientiane ou Katmandou. Dubai les réexpédie sans tarder sur Beyrouth, et de là, fréquemment, sur Marseille et New York. Cette double contrebande n'est pas à la portée des amateurs: elle relève de syndicats internationaux, dans lesquels figurent Syriens et Libanais, Grecs et Siciliens, Juifs et Chinois. Chacun d'eux a son meneur de jeu, quelques adjoints spécialisés dans les problèmes de transport, de trésorerie et de personnel, une équipe d'exécutants décidés, des réseaux régionaux. A une échelle moins scientifique, la fraude est l'affaire de pilotes de ligne, de diplomates, de prêtres, de cheiks arabes, à qui leur position, leur métier ou
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leur dignité facilitent la tâche sans prêter au soupçon. Les astuces subalternes auxquelles recourent les fraudeurs sont classiques: l'or est dissimulé dans des boîtes de lait condensé, ou dans des cadres de vélos, transformé en touches de machines à écrire, inséré dans des dattes à la place des noyaux, fondu en tours Eiffel souvenirs, moulé en pare-chocs de voiture, expédié par les sièges des toilettes, parachuté à un comité de réception. Le Goldfinger de Ian Fleming garnit de feuilles d'or les portières de sa Rolls et camoufle l'or dans les sièges des avions qui desservent l'Inde. L'ingéniosité des romanciers ne fait, en ce domaine, que rejoindre celle des trafiquants. Dans les co nres publics
Quel que soit l'appétit des thésauriseurs privés, il n'égale pas celui des thésauriseurs publics. Les premiers sont des centaines de millions, les seconds ne sont qu'une bonne centaine, mais ils disposent de moyens puissants. On n'en connaît pas un seul qui refuse l'or ou qui ne cherche à l'accumuler. Face à une thésaurisation privée dont le montant ne peut être apprécié que par suppositions, l'or entassé dans les coffres publics est officiellement connu. Les autorités monétaires publient régulièrement, au moins par l'intermédiaire du Fonds monétaire international, les statistiques de leur encaisse or. L'addition en est facile. Pourtant, même sur ce terrain solide, il subsiste quelques failles. La Banque des règlements internationaux appelle les commentateurs à la prudence, en soulignant que certains États négligent de faire connaître toutes leurs réserves, et que l'or remis à des organismes internationaux peut être compté deux fois. D'autre part et surtout, les pays de l'Est font systématiquement le silence sur leurs encaisses. Que la puissance publique s'intéresse à l'or, ce
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n'est pas un fait nouveau. On a vu les souverains de la Perse entasser les lingots, Alexandre rafler les trésors de l'Asie, Rome grossir son avoir, Byzance amasser le métal, l'Espagne veiller jalousement sur son encaisse. Si les méthodes du mercantilisme, après le XVIIIe siècle, sont remises en cause, ses objectHs demeurent: la constitution d'une réserve d'or, aussi substantielle que possible, est toujours souhaitée par les États, qui voient en elle une arme pour la guerre comme pour la paix. Pour la guerre, une telle réserve vaut des canons et des munitions : car elle permet de les acquérir, comme elle permet d'acheter les matières premières qui font défaut, les vivres nécessaires à la subsistance des troupes et des populations, les alliances qui donnent la victoire. En 1938, l'état-major français considère que l'encaisse ne doit pas descendre au-dessous de 2 500 tonnes. En 1940, Staline veille à accumuler le métal pour parer à toute éventualité. En 1970, le Pentagone recommande de ne pas laisser fléchir l'avoir américain à moins de 10 milliards de dollars, soit 8 800 tonnes. Pour la paix, l'or est une sécurité: sécurité psychologique, dans la mesure où l'opinion le considère encore comme le gage de la monnaie fiduciaire, sécurité matérielle, parce qu'il assure le règlement des déficits extérieurs, et parce qu'en cas de crise. il permet de tenir le coup. Peu importe que l'or soit détenu par les Banques centrales (d'ailleurs presque toutes nationalisées). ou par un Fonds de stabilisation des changes, ou par la Trésorerie d'État. Peu importe qu'il soit entreposé dans le pays même, ou déposé à l'étranger, ou confié à des organismes internationaux. Dans tous les cas. c'est l'État qui thésaurise. En 1900, les autorités monétaires ne détiennent pas plus de 4400 tonnes d'or: le métal circule pour ~n montant presque égal.
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En 1929, l'or a partout cessé de circuler en tant que monnaie; États et Banques commencent à l'entasser avec un soin jaloux. Ils en détiennent plus de 15 000 tonnes. En 1938, leurs réserves atteignent 23 000 tonnes. La Seconde Guerre du siècle ruine toute l'Europe, sauf la Suisse et la Suède. Encaisse de r Allemagne: zéro. Mais les réserves américaines ont considérablement augmenté. Au total, en 1945, les avoirs publics approchent de 30000 tonnes. Après quoi, et jusqu'en 1965, ils ne cessent de s'accroître: près de 32000 en 1950, près de 34000 en 1955, près de 36 000 en 1960, et 38 460 à la fin de 1965. S'ils retombent au-dessous de 36 000 tonnes en mars 1968, pour se maintenir à 36 660 tonnes à la fin de 1970, c'est parce que la thésaurisation privée a été plus gourmande que la thésaurisation publique. Pour mémoire, on rappelle le montant auquel on a évalué les réserves privées en 1970 : 22 000 tonnes. Ces chiffres ne concernent que le « monde libre :l, organismes internationaux compris. n faudrait les compléter avec les réserves des pays de l'Est, dont le montant n'est pas officiellement connu, mais qu'on a essayé de mesurer en étudiant l'énigme de l'or soviétique. Franz Pick conclut, pour 1969, à une encaisse de 8 700 tonnes pour ru. R. S. S., de 800 tonnes pour les États satellites, de 1 300 tonnes pour la Chine. Au total, il faudrait donc ajouter 10 800 tonnes d'or aux 36600 tonnes des pays occidentaux.. L'ensemble des réserves publiques d'or pourrait ainsi dépasser 47000 tonnes. Le drame est que ces réserves sont réparties fort inégalement : il est des États riches, et qui restent constamment tels, comme la Suisse; il est aussi des États pauvres, et qui n'ont jamais qu'une encaisse or dérisoire, comme l'Inde ou l'Indonésie. Par tête d'habitant, au milieu du siècle, les réserves publiques sont 500 fois plus élevées à Zurich qu'à La Nouvelle-Delhi.
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Un autre drame tient à l'évolution des encaisses de certains États, qui sont tantôt trop riches et tantôt trop pauvres. En 1930, la France se voit mise au banc d'accusation, parce qu'elle détient trop d'or, et les États démunis revendiquent alors une redistribution du métal - comme s'il ne se redistribuait pas de lui-même ... En 1949, les États-Unis sont à leur tour enviés : ils possèdent les deux tiers de tous les avoirs publics du monde. Mais la roche Tarpéienne est près du Capitole, pour Paris et Fort Knox comme à Rome : la France de 1950 ne détient plus que quelques centaines de tonnes d'or, et ses dettes extérieures sont bien plus élevées; les États-Unis de 1971 ont perdu beaucoup plus de la moitié de leurs réserves, et s'en alarment. Ces remous prouvent que l'or est un métal vivant, qui va à ceux qui le méritent, et fuit ceux qui déméritent. Son afflux et son reflux apparaissent comme une récompense et comme une punition. Il est convoité, disputé. Dans l'excès des passions qu'il suscite, il lui arrive d'être adoré ou haï. Mais la compétition autour de l'or n'oppose pas que des États, pour la défense ou l'accroissement de leurs réserves. Elle met aux prises les thésauriseurs publics et les thésauriseurs privés. Quand la politique monétaire est saine, les réserves officielles augmentent, les particuliers n'éprouvent pas le besoin de se tourner vers l'or. Quand au contraire la politique monétaire est discutable et discutée, les réserves publiques tendent à décroître, et les thésauriseurs privés cherchent dans l'or un refuge. Ce jeu de bascule ne poserait pas de problème, s'il restait libre. Mais dans la deuxième hypothèse, celle d'une mauvaise gestion monétaire, les États tentent de conserver artificiellement leurs avoirs, par des contrôles et des interdits intérieurs, par des embargos extérieurs. La thésaurisation privée se heurte à des barrages légaux, qu'elle tourne par la fraude et dans la clandestinité.
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De ces batailles de l'or, la seconde moitié du xxe siècle offre une illustration, en mettant aux
prises Washington et Pretoria.
Revaloriser l'or? Washington mène à la bataille la plus grande puissance économique du monde, qui se trouve logiquement être le plus gros détenteur officiel de métal jaune. Pretoria, capitale de l'Union sud-africaine, représente le premier producteur d'or. Tous deux s'opposent sur un point essentiel: le prix de l'once. Le cas des États-Unis est simple : après avoir bénéficié de balances des paiements largement positives jusqu'en 1949, ils deviennent ensuite déficitaires, non par le fait de leur commerce extérieur ou de leurs paiements courants, mais parce que, pour des raisons politiques, ils font des largesses aux pays étrangers, et parce qu'ils investissent hors de leurs frontières. Ds exportent leurs capitaux pour s'assurer des alliances, faire de bons placements' ou implanter des entreprises. L'Europe, de son côté, se redresse. Le résultat est que les réserves américaines d'or, après avoir atteint des sommets, diminuent: 22 000 tonnes en 1949, encore 20300 en 1957, mais moins de 13000 en 1965, 9 670 à la fin de 1968, moins de 9 000 en 1971. Un tel exode de métal pourrait appeler une dévaluation du dollar, c'est-à-dire un relèvement du prix de l'or exprimé en dollars, qui est stable depuis 1934 à 35 dollars l'once. Roosevelt n'a-t-il pas prévu des ajustements périodiques de ce rapport? Mais Washington le considère comme sacré: l'or ne sera pas revalorisé. Bien entendu, la position des producteurs d'or, et spécialement de Pretoria, est toute différente. Ds ont intérêt à ce que soit majoré le produit des mines. Cependant, plutôt que de mettre en avant l'avantage
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personnel qu'ils en tireraient, ils font état d'arguments plus généraux. D'abord, disent-ils, tous les prix ont monté depuis 1934, à commencer par ceux des matières premières. Entre 1934 et 1970, les cours du platine, du cuivre, du plomb, de l'étain, de l'argent ont été multipliés par 3 ou 4, ceux du mercure par 5, du diamant par 7, de l'aluminium par 8. Pourquoi l'or seul resterait-il immobile et immuable? Ensuite, le pouvoir d'achat intérieur du dollar a décliné. D'année en année, les prix américains ont progressé, illustrant la dépréciation monétaire. Ne serait-il pas logique et correct de consacrer cette dépréciation par une dévaluation? D'autre part, et ce sont les Américains eux-mêmes qui le proclament, le monde n'a pas assez de « liquidités » : autrement dit, les moyens de paiement internationaux se sont accrus moins que le commerce mondial. Dans les réserves monétaires, la part de l'or diminue, la part du dollar augmente. Ne serait-il pas raisonnable, en revalorisant l'or des encaisses publiques, de créer de nouvelles liquidités, de rétablir un meilleur équilibre entre l'or et les dollars, et de devancer le moment où la source de dollars finira par se tarir? Enfin, si l'on se plaint de voir la production de l'or stagner, si l'on déplore que l'or, trop rare, prenne le chemin des coffres privés, le remède est très simple : en relevant le prix de l'or, on rendra les mines plus rentables, on suscitera la mise en exploitation de nouveaux ou d'anciens gisements, on incitera les thésauriseurs à réaliser leur bénéfice et à chercher d'autres placements. L'or, en quantité accrue, stimulera l'économie. Ainsi parlent Pretoria et ses amis. A ces beaux arguments, Washington réplique en tenant bon sur son tarif intangible. Revaloriser l'or, ce serait toucher au dollar. Nous
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n'y toucherons pas, disent les Américains: le dollar n'est ni le rouble ni le franc. C'est une monnaie internationale, une monnaie de réserve, qui ne saurait s'abandonner aux caprices des dévaluations. Les autres monnaies peuvent changer de parité en termes de dollar. Le dollar reste le pôle monétaire, autour duquel tourne le monde. Revaloriser l'or, et donc dévaluer le dollar, ce serait d'ailleurs ébranler toutes les monnaies. Combien seraient capables de ne pas suivre le dollar sur le chemin de la révision des parités? Les répercussions d'un tel bouleversement seraient incalculables. Revaloriser l'or, ce serait faire le jeu de quatre antagonistes que l'Amérique ne veut pas encourager: l'Afrique du Sud, dont les Noirs des Etats-Unis (avec nombre de Blancs) condamnent la politique raciale, ru nion soviétique, grosse productrice et grosse détentrice d'or, à qui Washington ne veut pas donner de moyens supplémentaires j la France, qui s'est affirmée comme le champion de r or face au dollar j enfin la foule des thésauriseurs du monde entier, qui méritent une bonne leçon. Revaloriser l'or, ce serait déclancher une inflation dont nul ne peut prévoir les conséquences. Par exemple, porter ronce d'or de 35 à 70 dollars, ce serait doubler la valeur nominale des réserves de métal, publiques et privées, et déchalner des ouragans de pouvoir d'achat. Ainsi parlent Washington et les Américains obstinés. Mais les faits répondent: pour refuser l'inflation par l'or, les États-Unis la déchalnent par le dollar. Alors même qu'ils feignent de redouter un manque de liquidités internationales, ils les multiplient, et posent au monde de singuliers problèmes. Aux lieu et place de l'étalon-or, l'usage implante un étalon de change-or renouvelé de celui qui a été instauré au lendemain de la Première Guerre. Les Banques centrales acceptent des devises à côté
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du métal, dans leurs encaisses. Quelles devises? Non plus la livre sterling, que ses dévaluations successives ont discréditée, et que ne conservent plus, par tradition, que les Banques du Commonwealth; mais le dollar, promu au rang de monnaie de réserve: si bien que l'étalon de change-or tend à devenir un étalon de change-dollar. Sans doute, le qollar représente-t-il toujours de l'or. Il est défini en or, il est convertible en or à l'échelle internationale. Le malheur est que cette convertibilité perd de sa certitude. A mesure que l'Amérique voit fondre ses avoirs métalliques, elle y tient davantage. Elle souhaite qu'ils ne soient plus entamés, et fait part de son désir aux autres États. Est-ce un vœu, est-ce un ordre? Washington a le moyen de se faire comprendre : nombre de pays, comme l'Allemagne et le Japon, ont besoin de son concours militaire; d'autres, comme le Canada et le Royaume-Uni, ont des liens économiques très étroits avec les États-Unis. Tous sont enclins à la docilité et à la résignation. Ils acceptent les dollars, il les entassent. Alors, pourquoi se gêner? L'Amérique peut sans inconvénients persévérer dans les déficits extérieurs. Les dollars qu'elle répand sur le monde, et avec lesquels elle peut à l'occasion prendre le contrôle d'entreprises étrangères, ne lui reviennent pas. Elle paie avec une monnaie qui ne lui coûte rien. L'or n'est pas revalorisé, le dollar n'est pas dévalué. Mais l'Amérique exporte une inflation de dollars.
Le dollar contre ror En cette affaire, il n'y a pas juxtaposition ni coopération de l'or et du dollar. Il y a bataille. L'or se sent menacé dans ses privilèges par le dollar. Le dollar se sent mortifié par la résistance que l'or oppose à son impérialisme montant.
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Le conflit devient aigu en 1960. A cette date, les déficits accumulés de la balance américaine commencent à gorger les Banques centrales. L'or américain s'évade: durant les dix premiers mois de l'année, 3 millions de dollars par jour, 2000 dollars à la minute ... Les États-Unis sont appelés à voter: un président démocrate, John Kennedy, va succéder à un président républicain, le général Eisenhower. N'est-ce pas justement le démocrate Roosevelt qui, en 1934, a dévalué? Les spéculateurs jouent une nouvelle amputation du dollar. Les citoyens américains se font acheter de l'or à Londres. Sur le marché de la Cité, le 18 octobre, l'once de fin décolle du palier de 35 dollars. Le 20, elle s'envole: à l'heure de la fixation du cours officiel, on cote 36,55. Dans l'aprèsmidi, les n~gociations s'effectuent à 38, voire à 40. Dès le lendemain, la panique est maîtrisée: la Banque d'Angleterre, qui intervient pour le compte des Etats-Unis, va ramener les cours dans le rang. Pour éviter le-retour de pareils désordres, les grandes Banques centrales de l'Occident décident de faire la contrepartie des demandes, et d'empêcher toute hausse de l'or,au-dessus du tarif officiel, majoré des frais de transport (35,20). Cet accord est confirmé à l'automne 1961 : c'est le Consortium de l'or (Gold Pool) qui désormais veille sur la cote du métal et la stabilise: l'Amérique a trouvé des gendarmes pour l'aider à protéger sa monnaie. Dans les opérations du Consortium, elle intervient pour moitié. Il n'empêche que le dollar est sur la défensive, et que, pour maintenir sa parité, il recourt à des subterfuges: la Banque de réserve fédérale de New York s'assure le renfort des autres Banques centrales, en concluant avec elles des accords de crédits réciproques (swaps) ou en leur faisant souscrire des Bons du Trésor américain (Bons Roosa). La règle qui oblige à conserver une couverture en or égale au
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moins à 25 % des billets en circulation est abolie. A ce prix, le dollar acquiert plus de moyens d'action et plus de liberté de manœuvre. La France n'est pas très enthousiaste pour s'associer à cette politique. A la différence des autres nations, elle n'est ni résignée ni docile. Le général de Gaulle se prononce ouvertement pour une politique d'indépendance, qui exclut toute subordination et rend difficile certaines formes de coopération. De même qu'il prie les militaires américains de quitter le territoire français, de même il prend ses distances à l'égard du dollar: il dénonce l'étalon de change-or, grâce auquel les Américains « paient tout au moins en partie avec des dollars, qu'il ne tient qu'à eux d'émettre, et non pas avec de l'or, qui a une valeur réelle, qu'on ne possède qu'après l'avoir gagné»; il lui oppose l'étalon-or. « Eh oui, l'or qui ne change pas de nature ... , qui n'a pas de nationalité, qui est tenu éternellement et universellement pour la valeur inaltérable fiduciaire par excellence li (conférence de presse du 4 février 1965). La Banque de France, forte d'une puissante encaisse, se permet de présenter ses dollars à la conversion. Elle se permet aussi (en juin 1967) de se retirer du Consortium de l'or, ce qui porte de 50 à 59 % le coüt de la participation américaine. Cette fois, la bataille n'oppose plus Washington à Pretoria, mais Washington à Paris. En mars 1968, la pression sur le dollar s'aggrave. Quelques propos malencontreux d'un sénateur américain ont relancé la spéculation. Les capitaux fuient les États-Unis, et la ligne des 35 dollars l'once ne peut être défendue qu'au prix d'interventions coüteuses. L'or quitte Fort Knox pour le marché de Londres. d'où il gagne les cachettes des thésauriseurs privés. Déjà, les experts parlent du futur prix de l'once: 70 dollars, ou 100, ou davantage? Le gouvernement américain demande aux Britanniques de fermer le marché, le temps d'arrêter une décision. Comme
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Londres, toutes les places suspendent leurs transactions.. Seul, Paris continue. Mise au pied du mur par la crise du dollar, l'Amérique n'a en principe le choix qu'entre trois attitudes: ou bien jouer le jeu libéral, et tenter de décourager les demandeurs d'or, en leur montrant qu'on leur en livrera autant qu'ils en veulent, sans en changer le prix : «Nous vendrons de l'or jusqu'à la dernière once », proclame le responsable du Système de réserve fédérale. Ou bien relever le prix de l'or. Ou bien cesser d'en donner. Les autorités américaines optent pour une combinaison de ces deux dernières positions. Réunis d'urgence à Washington, les gouverneurs des grandes Banques centrales (France exclue) fixent leur politique. En fait, ce sont les États-Unis qui décident, et le reste du monde qui obtempère : le dollar n'est pas dévalué, l'or n'est pas revalorisé. Mais désormais, le marché de l'or est dédoublé en un marché monétaire et un marché non monétaire. D'un côté, sur le marché (ou pseudo-marché) officiel, l'or est maintenu à 35 dollars l'once, à l'usage exclusif des Banques centrales et des organismes internationaux. En droit, sur cette base, le Trésor américain continue d'acheter et de vendre le métal. En fait, il se contente de l'acheter à qui en offre. li prie courtoisement, mais fermement, ses partenaires de s'abstenir de lui en demander. Le tarif ne joue plus guère qu'à sens unique. L'or est pratiquement sous embargo. D'un autre côté, sur le marché libre, se confrontent à des cours fluctuants les demandes privées (celles des industriels, des thésauriseurs) et les offres des producteurs (qu'ils soient sud-africains, américains, russes ou autres ...). Le Consortium de l'or cesse d'intervenir et cesse d'exister: il n'en est plus besoin. Sans nul doute, cet accord (du 17 mars 1968) , marque un succès pour Washington: succès politique, par la démonstration d'une obéissance générale; suc-
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cès technique, par la consolidation du dollar. Pretoria et Paris se trouvent dans l'embarras. Pretoria se demande où pourra s'écouler la production des mines sud-africaines : les cours du marché libre ne montent qu'un instant à 42 dollars l'once; ils redescendent bientôt vers 38, et l'Afrique du Sud doit céder son or par petites quantités, pour ne pas peser sur la cote. Paris ne peut réagir que par un communiqué dans lequel, une fois encore, le général de Gaulle condamne « le privilège des monnaies de réserve » et renouvelle l'éloge de « la base de l'or, qui a seul le caractère d'immuabilité, d'impartialité et d'universalité» (Conseil des ministres du 20 mars 1968). La partie n'est pas terminée pour autant: d'abord parce que la balance américaine des paiements reste déficitaire et que le problème du dollar n'est aucunement résolu; ensuite parce que la France ne s'est engagée à rien, que son exemple peut être contagieux et que, de ce fait, le dollar est vulnérable. Deux mois plus tard, le dollar est sauvé: les barricades du boulevard Saint-Michel, toutes dérisoires qu'elles soient, et les grèves ouvrières, que terminent de fortes maj orations de salaires, mettent le franc hors d'état de tenir tête au dollar. En quelques mois, les réserves d'or et de change de la Banque de France sont balayées. La France n'aura plus, avant des années, de dollars à présenter à la conversion. En mai 68, entre la Sorbonne et Grenelle, l'Amérique a gagné la partie. L'étalon-dollar
Dès lors, le dollar a le champ libre. n n'est plus question de le changer contre or au profit de qui que ce soit: l'étalon de change-dollar devient bel et bien un étalon-dollar, sans change possible. « Si les Banques centrales exigeaient la conversion de leurs
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dollars en or, dit le professeur Friedman, conseiller du président Nixon, elles se heurteraient à un refus. » Voilà qui est clair. Non seulement le dollar n'a plus rien à craindre de Paris, mais une seconde chance le sert: durant l'été 1968, l'arrivée de l'armée rouge à Prague montre combien précaire reste la sécurité en Europe, et la crise tchègue fait opportunément refluer les capitaux vers les États-Unis. Washington n'a plus de souci que du côté de Pretoria, qu'il serait malhabile d'acculer à des solutions de désespoir. L'or sud-africain n'est certes pas embarrassé pour trouver l'accès du marché libre: à Paris et à Zurich, on ne demande qu'à l'accueillir, aux dépens de Londres. Mais la Cité reconquiert vite sa clientèle : toutes les facilités de transport, d'assurance et de négociation jouent en sa faveur. L'Afrique du Sud n'en est pas moins inquiète pour deux raisons : le marché libre, privé de la demande des Banques centrales, sera-t-il assez large pour absorber la production des mines? Et le prix de vente restera-t-il rémunérateur? A la fin de 1969, comme la cote du marché libre est revenue aux alentours de 35 dollars l'once, Washington et Pretoria concluent un nouvel accord, entérin.é par le Fonds monétaire international. Il donne à l'Afrique du Sud la possibilité d'écouler son «or frais» auprès du Fonds, à concurrence des besoins sud-africains de devises, et chaque fois que le cours libre sera égal ou inférieur à 35. En outre, il lui permet de vendre au Fonds monétaire un petit contingent trimestriel de ses réserves antérieures. Cet accord ouvre à Pretoria la perspective de trouver un exutoire à sa production et de ne pas voir l'once d'or tomber à moins de 35 dollars. Cette concession ne modifie pas fondamentalement le système monétaire international, tel que l'ont imposé les États-Unis: le marché de l'or reste dédou-
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blé; le dollar reste l'étalon des monnaies; il reste convertible, tant qu'on n'en demandera pas la conversion» (l'expression est de Jacques Rueff); et Washington dicte toujours ses volontés. La suzeraineté américaine s'exprime de bien des façons : sa manifestation la plus spectaculaire est sans doute la création des droits de tirage spéciaux (D. T. S.) qui a été ~écidée à Stockholm au printemps 1968, et réalisée au 1er janvier 1970. Pour Washington, il s'agit toujours de fabriquer de nouvelles liquidités internationales, en évitant de revaloriser l'or, et précisément pour éluder cette revalorisation. On objecte en vain que les liquidités ne manquent pas, et que le déficit à répétition de la balance américaine les rend au contraire surabondantes. Les États-Unis passent outre, imposent les D. T. S., sorte de jetons de paiement international mis à la disposition ~es Banques centrales par le Fonds monétaire. Ont-ils le caractère d'un crédit, d'une monnaie? D'une monnaie, répond Washington. Ne devront-ils pas être émis seulement quand la balance américaine sera équilibrée? Ils le seront en toute hypothèse, répond Washington. Est-ce un nouveau concurrent de l'or? Oui, c'est de l'or-papier, répond Washington. Les observateurs sceptiques considèrent cette initiative comme cc des plans d'irrigation pendant le déluge », ces droits de tirage comme «du néant habillé en monnaie» (encore Jacques Rueff). Peu importe : Washington a décidé. Paris a d'abord refusé son concours. Mais après mai 68, la France n'a plus le moyen de tenir tête: elle s'incline et s'aligne. L'hégémonie monétaire des États-Unis se traduit aussi par d'insolites rectifications de parités. Les dollars, on l'a vu, affiuent dans les encaisses des Banques centrales, qui ne savent qu'en faire. Comment arrêter cette marée montante? Le jeu des taux d'intérêt y est impuissant, surtout à partir du moment où l'Amérique baisse ses propres taux, cc
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pour relancer son expansion à des fins électorales. Sur les marchés de changes, le dollar est offert, les devises fortes sont demandées, à commencer par le deutsche mark, redevenu la monnaie reine. Pour défendre les parités officielles, pour maintenir le dollar à son cours plancher, le deutsche mark à son cours plafond, il faut des interventions des Banques centrales. Mais ce n'est pas la Banque de réserve fédérale de New York qui fait le travail, c'est la Bundesbank qui doit acheter des dollars. Ses réserves de change se gonflent encore, et deviennent pléthoriques. Visiblement, les parités sont incorrectes, et l'on doit les modifier. Puisque l'Amérique refuse de dévaluer le dollar, l'Allemagne n'a pas d'autre ressource que de revaloriser son mark. C'est une opération à contre-courant : les monnaies sont faites, comme les fleuves, pour descendre de l'amont vers l'aval. Mais il faut en passer par là. Le deutsche mark est revalorisé une première fois en 1961 (avec le florin), une deuxième fois en 1969, une troisième fois en 1971 (encore avec le florin,. et sous le camouflage d'un libre flottement des cours). Le franc suisse et le schilling autrichien, en cette même année 1971, consentent à la revalorisation. Washington pense avoir imposé sa volonté : les monnaies bougent autour du dollar immuable. De même, les autorités monétaires américaines suggèrent des formules qui permettraient aux changes de s'assouplir sans qu'il soit touché au dollar : on pourrait, disent-elles, élargir les marges de fluctuations autorisées de part et d'autre des parités, ou généraliser le système des monnaies à cours flottants, grâce à quoi elles pourraient s'apprécier sur les marchés : dans tous les cas, il s'agit de donner au dollar le moyen de ne pas modifier sa définition or.
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Démonétiser l'or? Au terme de la bataille du dollar contre l'or, certains experts américains brandissent la suprême menace: l'or sera démonétisé. Encore faudrait-il s'entendre sur le mot. L'or a cessé d'être monnaie en 1914, et il n'est pas actuellement question de lui rendre cette fonction. La « démonétisation » est déjà acquise. Veut-on dire que l'or pourrait cesser d'être réserve monétaire dans les caisses des Banques centrales, et de servir de moyen de règlement entre les nations? Que l'or pourrait baisser au-dessous de son coursplancher, de façon à décourager les thésauriseurs? Que les monnaies ne seraient plus définies en or? De pareilles décisions exigent, non seulement un consentement international, difficile à obtenir, et une réforme profonde des statuts du Fonds monétaire international, qui doit « maintenir en or la valeur de ses actifs », mais aussi un renversement total de toutes les politiques monétaires, et d'abord de la politique américaine: car Washington, loin de considérer l'or comme une marchandise mineure et méprisable, le situe hors du droit commun, en interdisant pour l'intérieur la détention et la libre négociation du métal, et en décrétant l'embargo pour l'extérieur. Si l'on veut prouver que le dollar est aussi ou plus désirable que l'or, il faut cesser de disputer le métal aux thésauriseurs, et laisser aux Banques centrales le loisir de choisir entre l'or et le dollar: autrement dit, restaurer la convertibilité du dollar en or. Ou bien, comme le propose l'Américain Milton Friedman, champion du libéralisme intégral, il faut que les États-Unis, et avec eux toutes les Banques centrales, vendent aux enchères leurs réserves d'or. En fait, les Banques centrales n'ont pas eu
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le choix: elles ont accumulé les dollars sous la contrainte, plus que dans la confiance. Les banques d'Allemagne, du Japon, du Canada, d'Italie, qui sont les plus riches en dollars, ont considéré cette opulence sans allégresse. Elles n'ont été consentantes qu'à contre cœur. L'argent, dira-t-on, a bien été démonétisé au XI Xe siècle. Mais, pour l'or, le problème ne se posepas dans les mêmes termes. La démonétisation de l'argent s'est traduite par un abandon de l'étalonargent et par le retrait du plein pouvoir libératoire aux pièces blanches. L'or n'est déj à plus étalon, et les pièces d'or n'ont déjà plus, en droit, aucun pouvoir libératoire. Quant aux Banques centrales, elles ont pu répudier l'argent de leurs encaisses parce qu'elles disposaient d'un métal de remplacement, jugé préférable: l'or. Cette fois, elles n'ont pour la plu part aucune envie de répudier l'or de leur encaisse, bien au contraire. Même dans l'éventualité d'une répudiation, il n'est pas impossible que l'or se tire sans dommages définitifs d'une telle aventure. Car, si ses emplois monétaires diminuent ou disparaissent, ses emplois industriels progressent, au point de dépasser largement ses autres débouchés. En 1969 par exem pIe, en regard d'une production de l'ordre de 1260 tonnes (à laquelle ne s'ajoute aucune vente soviétique), la demande se répartit dç la façon suivante: 100 tonnes pour les réserves publiques (dont l'augmentation est freinée par l'accord de mars 1968), 330 tonnes pour les thésauriseurs privés (encore déconcertés par l'obstination américaine); 830 tonnes pour les besoins industriels et artistiques (évaluation du rapport du Fonds monétaire international). Les experts, se plaçant dans l'hypothèse d'un maintien du prix officiel de l'once, prévoient une stagnation ou un léger repli de la production et un progrès rapide de la consommation industrielle. Ainsi,
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même sans débouché monétaire, l'avenir de l'or semble assuré. L'or n'en est d'ailleurs plus à une disgrâce près. Il a cessé d'être étalon, il n'est plus monnaie. Mais la vaisselle d'or, elle aussi; a disparu sans déconsidérer le métal. Au contraire: si l'or ne s'incorpore plus dans des moyens de paiement ou dans des instruments d'apparat, c'est parce qu'il est trop cher. L' historien laisse parler les experts et les prophètes. Il ne se sent de compétence que pour tenter d'explorer et d'expliquer le passé. L'avenir n'est pas son terrain.
A duersa ires et défenseurs Des adversaires, l'or en a toujours rencontré sur son chemin. On ne reviendra pas sur les condamnations que portent, à son encontre, un Thomas More ou un Montesquieu. Pour mémoire, on rappellera le propos de Cambon: « L'or n'est que du fumier. ) On s'en tiendra ici à préciser les positions des philosophes, des économistes et des hommes d'État qui, au XI Xe et au xx e siècle, ont stigmatisé ou défendu le métal jaune. Les socialistes ne présentent pas un front commun, et leurs attitudes sont contradictoires. Proudhon est le plus fougueux d'entre eux: « L'or, assure-t-il, est le talisman qui glace la vie dans la société, qui enchaîne la circulation, qui tue le travail et le crédit, qui constitue tous les hommes dans un esclavage mutuel. » Pour Marx et les marxistes, plus nuancés, il n'est de valeur que par le travail, mais l'or est une « incarnation du travail social ), et sa fonction monétaire est normale. « Par leur nature, l'or et l'argent ne sont pas de la monnaie, mais la monnaie est d'or et d'argent par sa nature. » Il faut croire que Marx
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tient à cette formule: il l'énonce une première fois dans sa Critique de l'économie politique. IlIa reprend dans le Capital. Marx est d'ailleurs conscient des fondements religieux de l'or monnaie. «( Il est la divinité manifestée. » Lénine proclame vertement son mépris de l'or: «( Quand nous aurons triomphé à l'échelle mondiale, nous ferons, avec d~ l'or, des latrines publiques dans les rues de quelques-unes des plus grandes villes du monde. » Seulement, comme le triomphe annoncé se fait attendre, il faut composer avec les réalités capitalistes. Quand on vit avec les loups, on est bien forcé de hurler avec eux. «Pour le moment, reconnaît Lénine (en 1921), notre devoir est de ménager les réserves d'or des Soviets. » Staline, on le sait, fait mieux encore; il se prend de passion pour l'or et pour son extraction minière. Hitler et les nationaux-socialistes sont d'une tout autre véhémence. On a fait écho à leurs apostrophes en traitant de leurs thèses sur l'étalon-travail. « La mo.p.naie sans or, affirme le Führer, a plus de valeur que l'or.» Ses disciples commentent et renchérissent: « L'or, dit le Dr Funk, ministre de l'Économie et président de la R.eichsbank, ne jouera plus aucun rôle comme étalon des monnaies européennes, car la monnaie dépend, non de sa couverture, mais de la valeur que lui donne l'État... Jamais nous n'appliquerons une politique monétaire qui nous rende si peu que ce soit tributaires de l'or, car nous ne pouvons nous lier à un moyen de paiement dont nous ne fixerions pas nous-mêmes la valeur. » La Deutsche Volkswirtscha{t explique: «( Il est tout à fait indifférent à la population de savoir combien il y a d'or à la Reichsbank (à la vérité, il n'yen a pas ... ). Le peu pIe ne se demande pas: Combien coûte l'or? Mais: combien coûtent le beurre, le pain et les œufs? » Ernst Wagemann, président de l'Institut allemand de recherches économiques, annonce « le détrône-
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ment définitif de l'or ». En Belgique et en France occu pées, des collaborateurs zélés répandent la bonne pàrole: « L'or est-il encore un métal précieux? - On ne paie plus en or, on ne veut même plus être payé en or. - L'or est désormais un dieu mort. - Le mythe de l'or s'est complètement effondré. - L'or n'est plus roi. » Tous ces propos auraient plus de poids et seraient plus crédibles si, comme on l'a dit, l'Allemagne ne cherchait alors à rafler le métal par tous les moyens. Le plus sérieux adversaire de l'or est un économiste du camp capitaliste et « ploutocratique », John Maynard Keynes. Avant lui, l'or a fait surtout l'objet de sarcasmes ou de boutades sans conséquences, en particulier chez les Anglo-Saxons: « N' est-il pas absurde, a dit Edison, d'avoir comme étalon des valeurs une substance dont la seule véritable utilité est de dorer les cadres des tableaux et de boucher les dents malades? » Le romancier George Meredith a raillé les maniaques de l'or: « La passion de thésaurisation n'est qu'une démangeaison aveugle des doigts. » Keynes ne se contente pas de persifler. Il analyse et condamne: l'étalon-or? « On n'a jamais inventé au cours de l'histoire un système plus efficace pour dresser les intérêts des différentes nations les uns contre les autres. » Le culte de l'or? C'est « un reste d~ la barbarie ». Keynes se rallierait volontiers à la monnaie fondante, qu'a imaginée l'Autrichien Silvio Gesell. A Bretton Woods, on l'a vu, il préconise le bancor, une monnaie internationale qui se substituerait à l'or. Dogme désuet, relique barbare, dit Keynes de l'or. « Vieux fétiche », confirme Franklin Roosevelt. Nombre d'économistes, de leur côté, réprouvent l'étalon-or parce que-les quantités de métal disponible ne leur paraissent pas répondre aux besoins économiques. Ils s'interrogent gravement: l'or ne va-t-il pas être trop rare? D'autres s'inquiètent pour
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les raisons inverses: l'or ne va-t-il pas être trop abondant? La menace d'une disette d'or émeut le Suédois Cassel, qui craint de ce fait une déflation chronique; le géologue français Louis de Launay qui (en 1907) pense que la production de l'or va « atteindre un maximum peut-être difficile à retrouver dans la suite »; l'Anglais Kitchin qui (en 1922) estime que le Rand a touché son plafond; la délégation de l'Or du Comité financier de la Société des Nations, selon laquelle (en 1930) l'extraction de l'or doit commencer à décliner à dater de 1933; l'ingénieur-conseil de l'Union Corporation qui prévoit (en 1940) un fléchissement de la production sud-africaine dès 1943, et unrecul rapide après 1950; le Dr Kavanagh, géologue américain, qui prophétise (en 1967) une chute profonde de la production d'or, jusqu'à 150 tonnes en l'an 2000. La menace d'une surabondance d'or apparaît périodiquement comme tout aussi évidente. « Avant longtemps, note la B. R. 1. (en 1934), le monde pourrait avoir à remédier à une abondance d'or dépassant tout ce que cette production a jamais donné de mémoire d'homme. » La crainte d'une pléthore rebondit chaque fois qu'une découverte nouvelle relance la production. On s'inquiète à propos des apports de l'Orange, à propos des mines sibériennes. On se demande si l'or russe ne va pas submerger les marchés occidentaux, si l'or synthétique ne va pas ruiner l'or naturel, si les hommes ne vont pas découvrir trop d'or sur la lune ... Les événements se chargent de répondre à ces terreurs variées: l'or ne risque pas d'être rare; on en trouve toujours chaque fois qu'il est nécessaire. L'or ne risque pas d'être surabondant: les Russes n'ont aucun intérêt à en faire baisser les cours, l'or de synthèse et l'or de l'espace restent d'un prix de revient qui ne saurait concurrencer l'or natif.
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Mais le métal précieux a aussi trouvé des avocats de qualité: quelquefois dans les pays anglo-saxons, habituellement plus ouverts au réquisitoire qu'au plaidoyer. Le Dr Schacht brûle ce qu'il avait adoré: « L'or constitue un pouvoir d'achat uniformément estimé et accepté par tous les peuples de l'univers. Il est totalement impossible de mettre sur pied une monnaie à base exclusivement étatique qui serait a ppréciée et agréée de la même façon. » Avec plus d'humour, Bernard Shaw explique la supériorité de l'or: « Il faut choisir, dit-il: ou bien faire confiance à la stabilité naturelle de l'or, ou bien faire confiance à la stabilité n~turelle de l'honnêteté et de l'intelligence des membres du gouvernement. Avec tout le respect que je dois à ces dignes personnages, je vous conseille fortement de voter pour l'or. » C'est le même thème que développe l'Italien Luigi Einaudi: « Au lieu de faire confiance à l'or, les gens maintenant révèrent l'expert, l'homme d'État. Ce nouveau culte est assurément une plante fragile si on le compare à l'ancien. Les peuples accepteront-ils longtemps d'être régis dans les matières monétaires par d'autres hommes? Le gouvernement par les sages n'est-il pas un gouvernement arbitraire? La sagesse n'a-t-elle pas été parfois éclipsée par la folie? » Comme il se doit, les plus chaleureux défenseurs de l'or appartiennent à l'Afrique du Sud, qui produit beaucoup de métal, et à la France qui le thésaurise avec persévérance. Chez les Sud-Africains, le Dr Busschau, puis le Dr Havenga, le Dr Diederichs se font les porte-parole de ceux qui revendiquent la revalorisation du métal. Parmi les Français, Charles Rist s'élève contre l'argument selon lequel l'or pourrait être aisément remplacé, parce qu'il est inutile. A quoi servent les trésors enfermés dans le British Museum, au Louvre ou au Vatican? Les choses qui ont le plus de valeur, rappelle Rist, sont celles qui ne servent à rien.
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Après Charles Rist, et avec une constance jamais démentie, Jacques Rueff ne se contente pas de plaider pour l'or et sa revalorisation. Il attaque. A ses yeux, l'étalon de change-or est « le péché monétaire de l'occident ». Il dénonce avec lui les subterfuges par lesquels Washington voue le monde au déséquilibre et à l'insécurité. On se rappelle les interventions spectaculaires du général de Gaulle: « C'est un fait qu'encore aujourd'hui aucune monnaie ne compte, sinon par relation directe ou indirecte, réelle ou supposée, avec l'or. » Le général fait scandale. Comment lui, qui a dénoncé comme des vieilleries les lampes à huile et la marine à voile, peut-il s'attarder sur l'or et l'étalon-or? Pourquoi pas le retour à la monnaie cauri? demande un Allemand. Peut-être parce qu'il est des vieilleries qui ne vieillissent pas, et que l'or fétiche, comme l'or monnaie, est bien antérieur au cauri.
Bilan de sept mille années Résumons: l'histoire de l'or, c'est d'abord une chronologie. Il y a sept mille ans, l'homme apprend à isoler et à ciseler le métal qu'il extrait des roches ou de l'eau. Il y a cinq mille ans, il apprend à le fondre. L'or est fétiche et parure. A l'occasion, il devient monnaie. Il y a deux mille sept cents ans, il revêt la forme de pièces, marquées d'une empreinte qui les authentifie. Au xx e siècle de notre ère, ces pièces perdent leur fonction monétaire: non parce qu'elles sont méprisées, mais parce qu'elles sont trop convoitées. L'histoire de l'or, c'est ensuite une équation. La production en constitue le premier terme, et nous en connaissons les montants approximatifs: 10000 tonnes pour la préhistoire et l'Antiquité, jusqu'à la chute de l'Empire romain, 2500 tonnes pour les 1 000 ans de l'Age Moyen, qui va des invasions
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barbares à la découverte de l'Amérique; 4000 tonnes pour les siècles classiques, du XVIe au XVIIIe siècle; 12000 pour le XIXe siècle, 74000 pour les soixantedix premières années du Xxe. Soit un total de 102500 tonnes. Faisons la part des erreurs, et d'une surévaluation probable de la production antique. Arrondissons à 100000 tonnes. L'autre terme de l'équation, dans lequel nous devons retrouver ces 100000 tonnes, porte sur les emplois de l'or. Nous savons quel est le montant de l'or accumulé dans les coffres publics, ceux des Banques centrales, des Trésoreries, des Fonds de stabilisation et des organismes monétaires internationaux. Les statistiques officielles du monde libre répondent (pour la fin de 1970): 36660 tonnes. Compte tenu des encaisses présumées des pays de l'Est, l'ensemble des réserves publiques peut atteindre 47 000 tonnes. D'autre part, le montant des réserves privées, c'est-à-dire de tout l'or détenu par les thésauriseurs, sous forme de lingots, de pièces et parfois de «( bij oux d'épargne) comme en Inde, doit représenter 22000 tonnes. En additionnant les 47000 tonnes des réserves officielles et les 22 000 des réserves particulières, on obtient un total de 69 000 tonnes. Restent donc 31 000 tonnes, qui correspondent à la fois aux emplois industriels et artistiques du métal précieux, et à tout l'or disparu au cours des millénaires, dans les profondeurs des océans ou de la terre, par naufrage, inhumation, destruction, du fait des éléments ou du fait des hommes. 100000 tonnes d'or ne font guère plus de 5000 mètres cubes: tout l'or extrait au long des âges tiendrait en un cube de 17 à 18 mètres de côté. La moitié de ce volume appartiendrait aux autorités monétaires, l'autre moitié revenant aux consommateurs et aux amateurs privés. Mais l'histoire de l'or ne saurait se réduire à cette
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arithmétique: elle est bien davantage le récit d'une étrange passion. L'or, pour les hommes, signifie beauté et puissance. Le conquérir, c'est pour eux le moyen de toutes les autres conquêtes. Il est des nations qui ont pu accéder au premier rang dans le monde, sans être les producteurs d'or les plus importants: tel est le cas de la France, prépondérante aux siècles classiques, des États-Unis, puissance dominante du xx e siècle. Mais ces nations, si elles n'ont pas détenu les principaux gisements de l'or, ont été les réceptacles du métal: au moins à un moment de leur carrière, durant le temps de leur suprématie, la France et les États-Unis ont possédé les encaisses métalliques les plus considérables du monde. Et l'on ne saurait décider dans quelle mesure leur primauté est due à leur trésor, ou leur trésor à leur primauté. Le cas normal est celui qui confond, sur une même nation, l'hégémonie politique et la détention des plus riches gisements d'or. L'Égypte antique, Rome après sa victoire sur Carthage, l'Espagne des conquistadors, l'Empire britannique de la seconde moitié du XI Xe siècle ont à la fois occu pé le premier rang pour la production de l'or et pour leur poids dans les destinées de la planète. Il est seulement visible que la puissance politique a devancé la conquête de l'or, dans le cas de Rome et de l'Angleterre, et l'a suivie dans le cas de l'Espagne. Mais la possession de l'or a finalement précipité le déclin des nations dominantes. Portées par l'illusion de leur exceptionnelle richesse, elles ont consommé au-delà de leurs moyens, déséquilibré leur balance des comptes et se sont appauvries. Rome s'est ruinée - et son or a fui vers Byzance ou vers l'Inde. L'Espagne s'est alanguie - et son or est passé en France et dans les autres nations d'Europe. L'Angleterre a perdu sa vocation impériale, son génie inventif, son ardeur au travail- et son or est passé en des mains
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américaines. Les ~tats- Unis eux-mêmes, une fois nantis d'or, se sont complus dans le déficit. Tous ces destins parallèles confirment le rôle capital qu'a joué l'or dans l'histoire du monde, pour le bonheur et le malheur de ceux qui l'ont détenu. A l'échelle des hommes, l'or tient sans doute la même place que dans les coffres des ~tats. Il est aussi le signe de l'opulence, le moyen de la domination, mais ill:\ppelle pareillement à la prodigalité ou à la paresse. Tour à tour, il enrichit et appauvrit ceux qui l'accumulent. Le thésauriseur de La Fontaine « ne possédait pas l'or - mais l'or le possédait ». Pour un petit cube d'or, qui ferait piètre figure au pied des pyramides d' ~gypte, deux cents générations ont lavé les rivières, creusé les entrailles du sol, , employé des armées d'esclaves. Pour lui, les hommes ont travaillé, souffert, combattu. Ils ont espéré, prié, vénéré. Avec cet or, ils ont pensé embellir le cadre de leur vie et s'embellir eux-mêmes. De cet or, ils ont fait l'instrument de leurs échanges, l'objet de -leur épargne, le support de leur expansion. Ils le mobilisent pour payer leurs guerres et pour financer leurs travaux de paix. Ils lui doivent d'avoir découvert des continents, comme de les aider à conquérir l'espace. L'or est pour eux source de ferveurs et source de larmes. Ils le pourchassent ou le haïssent. Il les laisse rarement indifférents. Sept mille années, cent mille tonnes, et une fièvre chronique.
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La nuit du 15 aoat
Les mois d'été sont propices aux grandes décisions monétaires. Déjà, Londres et Paris les ont plusieurs fois mis à profit. Le « pont» du 15 août 1971 donne au président Nixon l'occasion de frapper un grand coup. Deux hélicoptères, le vendredi 13, décollent de la pelouse de la Maison-Blanche pour Camp David, ce bungalow que Roosevelt, puis Eisenhower ont choisi pour leurs retraites champêtres. Avec le président, ils emportent les huit responsables des finances fédérales. Prétexte donné du colloque: les travaux budgétaires. Le dimanche 15 août, dans l'après-midi, les deux hélicoptères reviennent se poser sur le ga-zon de Washington. A 20 heures, le président parait sur les écrans de télévision. Il fait nuit en Europe. Les ministres de tous les pays sont en vacances. L'Ancien Monde apprend dans la stupeur le nouveau défi du dollar. Il s'agit bien d'un défi, puisque l'initiative américaine plonge les autres monnaies dans le désarroi. Mais c'est aussi une abdication: en dépit des ser-
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ments passés, selon lesquels l'or de Fort Knox serait, s'il le fallait, vendu à 35 dollars l'once, « jusqu'à la dernière once », le dollar devient officiellement inconvertible. S'il garde théoriquement sa parité, il n'est plus remboursable à ce taux. L'embargo de fait est désormais un embargo de droit. En même temps, le président Nixon annonce une série de mesures d'exception: blocage temporaire des salaires et des prix, surtaxe de 10 % sur les importations étrangères. Comment en est-on venu là? Tout au long de l'année, le solde négatif de la balance américaine des paiements s'est creusé, la balance commerciale elle-même est devenue déficitaire pour la première fois depuis le début du siècle. Entamées par des prélèvements timides (notamment pour compte français et suisse), les réserves d'or ont fléchi au-dessous du niveau du plancher exigé par le Pentagone; et la presse américaine, reflet de l'opinion, cessant de considérer la monnaie comme intangible, s'est mise à envisager comme possible une dévaluation du dollar, c'est-à-dire une revalorisation de l'or. Pour éviter cette issue, l'Amérique a tout fait pour imposer au monde des solutions de remplacement. Mais les Banques centrales étrangères ont fini par se lasser d'entasser des dollars dans leurs coffres. Sans oser dire « non » à la toute-puissante Amérique, elles ont cherché à éluder l'obligation d'acheter des dollars: en revalorisant leurs monnaies, en laissant flotter les cours de change, en opposant des barrages de règlements aux capitaux spéculatifs. Au début du mois d'août 1971, ila fallu reconnaître l'insuffisance de ces politiques. Les monnaies revalorisées ont encore été demandées. Les monnaies flottantes ont monté plus que n'auraient souhaité les dirigeants des pays intéressés. Les contrôles de changes ont semblé perméables. La fuite devant le dollar n'a pas cessé.
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C'est alors que Nixon tranche: il en finit avec le dollar de Roosevelt, vieux de trente-sept années. Tout en s'en défendant, il fait un pas vers la dévaluation. Du moins, selon l'usage, il camoufle sa capitulation en victoire, sa stratégie défensive en offensive. Aux Américains, il présente sa politique nouvelle comme un programme de redressement. Aux nations étrangères qu'il met dans l'embarras, il laisse le soin de s'adapter comme elles pourront. Le fait est que, dans le monde, le désordre est général: après le mark, le yen japonais se réfugie dans le flottement. La livre sterling et la lire italienne élargissent leur champ de fluctuation. Le franc suisse s'abrite derrière de nouvelles barrières. Le franc français se réfugie dans le maquis d'un double marché. Entre ces attitudes diverses, l'Europe naissante est écartelée: chacun pour soi. Le virage des Açores.
Les États-Unis peuvent-ils s'entêter longtemps encore sur des positions intenables? Après la décision d'embargo, la dévaluation du dollar, c'est-à-dire la revalorisation de l'or, ne semble plus pouvoir être éludée. Le tout est de savoir si le président Nixon, rééligible à l'automne 1971, voudra la différer jusqu'au-delà du scrutin, ou s'il préférera la hâter, en y procédant assez tôt pour que les électeurs ne votent pas sous le coup d'une capitulation. Au début de décembre 1971, après l'aveu de nouveaux déficits, le fruit mûrit. Chacun s'interroge sur le taux d'une dévaluation éventuelle: 5 %, 6 %? A Rome, au terme d'une réunion des Dix, stérile commeà l'habitude, le secrétaire américain au Trésor lance, un peu à la manière d'une boutade: « Et si le dollar était dévalué de 10 %? ) Les ministres se séparent interloqués.
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Le 13 décembre 1971, le président Richard Nixon rencontre le président Georges Pompidou aux Açores: exactement dans l'île portugaise de Terceira, terrain neutre. Un palais épiscopal, modeste et désaffecté, sert de théâtre aux entretiens. Dix heures de négociations. Le 14 décembre, à 13 h 30, les deux présidents se présentent à la presse du monde entier, rassemblée sous les palmiers des jardins attenants au palais. La grande nouvelle est annoncée: le dollar sera dévalué, l'once d'or sera revalorisée à plus de 35 dollars. A combien? Les ministres des Finances, réunis quatre jours plus tard, à Washington, dans les tristes locaux de l'Institut Smithsonian, mettent au point l'opération: dollar dévalué de 7,89 % (ramené de 888,67 à 818,513 milligrammes d'or fin), once d'or portée à 38 dollars, réalignement général des parités. Le deutsche mark et le yen, monnaies fortes, sont revalorisés, le florin et le franc belge suivent à distance, la lire italienne et la couronne suédoise sont légèrement dévaluées; le franc français et la livre sterling ne bougent pas. Washington renonce à la surtaxe qui, depuis le 15 août, frappait les importations, mais ne transige pas sur l'inconvertibilité du dollar. Le fait est que le dollar ne peut redevenir convertible aussi longtemps que les balances américaines restent déficitaires. La dévaluation de 1971 ne suffit pas à renverser la tendance; les capitaux fuient toujours le dollar, dont on sait désormais qu'il n'est plus tabou. Les thésauriseurs d'or ne se séparent pas de leur magot. A Londres, sur le marché libre, qui méconnaît délibérément le « marché officiel », l'once s'avance à 44 dollars à fin décembre 1971, à près de 70 dollars en août 1972. Sa hausse en dents de scie tient compte de facteurs techniques, comme l'évolution des ventes sud-africaines, et la réapparition de quelques ventes pour compte soviétique;
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elle obéit plus encore à des facteurs psychologiques, au nombre desquels figurent les vicissitudes de la politique américaine, et les suggestions lancées pour une réforme du système monétaire international, tombé en dmiquescence.
La crise du printemps 1973 Plus que vers l'or, les capitaux vagabonds s'orientent vers les devises qui leur semblent promises à une revalorisation, tout en persistant à bouder le dollar qui leur semble promis à une nouvelle dévaluation. Les événements leur donnent raison: le 13 février 1973, Washington annonce une deuxième amputation du dollar, cette fois de 10 %: l'once d'or passe de 38 à 42,22 dollars, le dollar est ramené à 736,662 milligrammes d'or fin. Mais, en dehors de cette rectification, qu'y a-t-il de changé? Le dollar est toujours inconvertible et plus que jamais suspect. Il serait alors raisonnable de penser, cependant, que le commerce américain, disposant d'un taux de change devenu très favorable, va en tirer profit: à terme, on doit prévoir des exportations plus faciles, des importations plus laborieuses, une balance renversée. Les spéculateurs, mis en appétit par leurs précédents succès, ne voient pas si loin: dans l'attente d'une troisième dévaluation, ils achètent de l'or et des devises fortes: l'once monte le 23 février à 96 dollars, le mark subit une pression telle que, dans la seule journée du 1er mars, la Bundesbank doit absorber de 2 à 3 milliards de dollars. Pour les Banques centrales, le problème est alors le suisuivant: puisque la Banque fédérale de New York se refuse toujours à soutenir le change américain, il leur faut ou bien consentir à gonfler encore leurs encaisses en dollars, ou bien fermer leurs guichets. Le 2 mars, cette dernière solution est adoptée: pendant dix-sept jours, le monde se passe de marchés
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de changes; toutes les places sont fermées. Cet entracte permet aux ministres responsables de se concerter. Paris accueille leurs conciliabules, qui aboutissent péniblement à deux résultats: d'une part, les Américains consentent à participer à la défense du dollar quand ils le jugeront bon (ils ne s'engagent à rien); d'autre part, les Européens renoncent à intervenir obligatoirement sur le marché du dollar (ce qui les condamne à laisser flotter leurs monnaies, maintenues entre elles, et entre elles seulement, à des parités constantes). Quand les marchés reprennent leurs transactions, on ne sait pas si c'est le dollar qui flotte par rapport aux monnaies européennes, ou si elles flottent par rapport au dollar. L'or, de moins en moins, sert de référence. En droit, les monnaies qui sont définies en termes d'or se font rares: il y a paradoxalement le dollar, non moins paradoxalement le rouble, il y a les monnaies arabes. Mais nombre de monnaies ne sont plus définies que par un « cours central », fixé en termes de dollars ou de droits de tirage: ainsi la drachme grecque, la livre turque ... Et beaucoup, parmi les plus importantes, ont choisi le flottement, c'est-à-dire l'absence de définition: ainsi la plupart des monnaies de la Communauté européenne (les francs français et belge, le mark, le florin, la couronne danoise) que rejoignent les couronnes suédoise et norvégienne; ainsi encore, non plus solidairement mais solitairement, la livre sterling, la lire, le franc suisse, le yen, le dollar canadien - en attendant le franc français luimême, à dater de janvier 1974 ... L'or, oublié ou désavoué, a-t-il perdu la partie? Il ne l'a sûrement pas perdue sur le marché libre: en juillet 1973, tandis que le dollar se déprécie librement, l'once de métal grimpe à Londres jusqu'à 127 dollars: soit plus de trois fois son ancien tarif officiel.
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Le grand retournement Durant le deuxième semestre 1973, le monde bascule, toutchange-saufl'or, qui dans la tempête reste la bouée de sauvetage. Les deux dévaluations du dollar, qui l'ont allégé en principe de 17 %, mais de plus encore au regard des monnaies qui ont dû revaloriser comme le mark et le yen, finissent par être opérantes: la balance américaine du commerce extérieur redevient excédentaire, les capitaux cessent de fuir le dollar et commencent à reprendre le chemin des États-Unis. Monnaie faible d'hier, le dollar apparaît comme la monnaie forte de demain. Après avoir fléchi bien au-dessous des cours que lui assignait sa dévaluation du printemps, il les reconquiert ~t les dépasse. A l'automne, il trouve un renfort inattendu dans la crise pétrolière: les producteurs arabes d'hydrocarbures, pour faire pression contre Israël, contingentent leurs ventes de pétrole et relèvent leurs prix dans des proportions telles que toutes les balances occidentales sont dangereusement menacées. Dans cette aventure, les États-Unis, pourtant considérés par les pays arabes comme l'adversaire n° 1, sont les moins éprouvés: ils ont d'autres fournisseurs, à commencer par le proche Venezuéla; ils ont d'autres sources d'énergie, avec le gaz naturel et le naissant nucléaire. Et la hausse des prix du pétrole favorise singulièrement la mise en valeur de gisements jusqu'alors trop peu rentables: pétroles de l'Alaska, sables et schistes bitumineux. Si ce n'était prêter beaucoup de machiavélisme aux Américains, on pourrait se demander dans quelle mesure ils n'ont pas suggéré une politique qui fait si bien leur affaire.
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A coup sûr, elle fait l'affaire du dollar. De la hausse du pétrole, les balances américaines doivent mieux s'accommoder que toutes les balances des pays rivaux. Le dollar est décidément en passe de redevenir la monnaie-reine. L'or, dans ces conditions, ne devrait-il pas baisser? En fait, il monte: si l'on ne fuit plus devant le dollar, on tremble pour les autres monnaies, qu'atteint la crise de l'énèrgie; on s'interroge sur leurs parités à venir. La hausse de l'or noir entraîne la hausse de l'or jaune: il a la clientèle des Européens ou des Japonais inquiets, comme il a celle des émirs arabes qui ne savent que faire de leurs richesses subitement gonflées. L'once d'or qui, à Londres, avait reculé en octobre au-dessous de 100 dollars, remonte à la fin de 1973 à 112. A Paris, le Napoléon, que les França~s les plus humbles considèrent toujours comme l'ami des temps difficiles, bondit jusqu'à 190 francs: soit 19 000 anciens francs, soit presque mille fois sa valeur de base. Il a battu son record. historique du 5 juin 1796 (17 prairial, an IV), établi par le Louis aux heures folles du Directoire, avec un cours de 17 950 livres-assignats. Sur la base de cette cote délirante, le gramme d'or monnayé en Napoléon fait prime de 96 % sur le gramme d'or non monnayé: c'est payer la pièce plus de deux fois la valeur que lui assigne le cours du lingot.
L'offensive américaine contre l'or Avant même d'avoir retrouvé, dans la résurrection du dollar, des raisons de parler haut, les autorités américaines ont confirmé leur volonté d'en finir avec ce métal insolent qui s'est permis de défier la première monnaie du monde. Opiniâtrement, Washington met en place les mécanismes qui doi-
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vent aboutir à la « démonétisation ) de l'or: c'est-àdire à son expulsion du système monétaire; plus précisément à son exclusion des réserves des Banques centrales, et donc de leurs moyens de règlement. . L'or, dit le secrétaire américain au Trésor, ne doit pas être traité autrement que comme la ferraille. On lui objecte que Washington le traite autrement, et en fait un métal hors du droit commun, en mettant l'embargo sur les exportations' d'or et en maintenant l'interdiction faite aux citoyens américains d'en négocier et d'en détenir. Sensibles à cette contradiction, les autorités américaines cherchent à y échapper. Lorsque le Congrès ratifie la deuxième dévaluation du dollar, il adopte un texte qui permet à l'Exécutif d'autoriser la libre détention et le libre commerce de l'or aux ÉtatsUnis. Seulement, l'Exécutif se garde de donner dans l'immédiat cette autorisation, qui risquerait d'amener à l'or une clientèle de surcroît. Il interdit les marchés de l'or qui prétendent s'ouvrir. Il diffère sa décision jusqu'au moment qu'il jugera propice: quand le prestige du dollar sera pleinement rétabli, et. qu'il n'aura plus rien à craindre de son concurrent métallique. De même, en novembre 1973, Washington convient, avec les Banques centrales signataires de l'accord de mars 1968, que le double marché de l'or n'a plus de raison d'être. Seul subsistera le marché libre. Mais, en fait, le marché officiel était déjà mort, et son abolition n'empêche pas que deux prix subsistent: le prix théorique, déterminé par la définition même du dollar (42,22 dollars l'once), et le prix réel, coté sur les marchés. C'est donc avec ce prix théorique que les Américains veulent en finir. Puisque le système de Bretton-Woods a cessé de servir de cadre aux monnaies, puisqu'il n'en reste plus guère que les institutions, Fonds monétaire international en tête,
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Washington convie le monde à réformer le système, ou à en imaginer un nouveau, dans lequpl l'or ne jouerait plus aucun rôle. Selon les experts américains, les monnaies nationales devraient être définies, non plus en or, mais en droits de tirage spéciaux; et ces droits de tirage spéciaux, élargis, rénovés et rebaptisés, dûment promis à servir de principal instrument de réserve, n'auraient plus aucun lien avec l'or: ils seraient définis par un éventail de monnaies (un panier, un bouquet, un cocktail, disent les amateurs d'images éloquentes), sans qu'on sache très bien quelles seraient ces monnaies ni comment elles seraient pondérées et additionnées: assez fortes, assez revalorisables, pour que les D. T. S. soient séduisants et recherchés; pas trop fortes non plus, pour qu'ils ne soient pas thésaurisés et immobilisés. Quand les monnaies redeviendraient convertibles, ce serait en D. T. S. ou en devises, jamais en or. Ces mêmes monnaies, d'ailleurs, devraient être plus souples que rigides. « Stables, mais ajustables ), dit le texte anglais de l'accord intervenu entre ministres, en mars 1973. « Fixes, mais ajustables ), dit le texte français. D'une version à l'autre, l'équivoque n'est pas dissipée. La stabilité ne se confond pas avec la fixité. Dans l'esprit des réformateurs américains, les taux des monnaies doivent pouvoir être rectifiés fréquemment, dans les deux sens, à la hausse comme à la baisse, chaque fois que le gonflement des réserves d'une Banque centrale trahira le déséquilibre d'une balance. De toutes façons, l'or n'aura plus de place dans ce système, ni comme référence, ni comme réserve, ni comme moyen de paiement. De ces projets, on débat entre ministres et entre techniciens, tantôt au sein du Fonds monétaire, ' tantôt au sein du Groupe des Vingt, formé des représentants des pays industrialisés et des pays du Tiers Monde, tantôt au sein d'aréopages plus
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réduits et plus discrets. On discute à perte de vue de la définition des D. T. S., du caractère plus ou moins symétrique et plus ou moins automatique des rectifications de parités, des marges plus ou moins grandes de fluctuations ... De quoi faire, comme dit le ministre français des Finances, « les délices de trois cents experts ». La défense de l'or Pour cette croisade contre l'or, les Américains ont des alliés naturels dans les pays qui n'ont pas de réserves métalliques, et dans ceux qui traditionnellement sont dociles à leurs injonctions. Mais ils se heurtent aussi à des résistances qui tiennent à des raisons politiques ou techniques, et le plus souvent à la simple nature des choses. Aux Etats-Unis même, il n'est pas évident que les militaires soient d'accord avec les économistes: le Pentagone a toujours exigé le maintien d'une encaisse-or au-dessous de laquelle il lui semblerait imprudent de descendre. Il consent volontiers que cette encaisse n'ait pas de rôle monétaire, pourvu qu'elle subsiste. Mais, si elle subsiste, à Fort-Knox ou ailleurs, comment n'imaginerait-on pas qu'elle gage le dollar aussi bien qu'elle sert de trésor de guerre? Toujours aux États-Unis, il n'est pas impossible que les positions officielles à l'égard de l'or soient un j our remises en ca use, à partir du moment où les balances extérieures redeviennent excédentaires. On méprise l'or, ou l'on feint de le mépriser quand il s'en va. On le considère d'un autre œil quand il peu t revenir. Hors d'Amérique, l'or a des partisans: ceux qui le produisent,. comme l'Afrique du Sud, ceux qui en possèdent et qui ont coutume de lui faire confiance, comme la Suisse; ceux qui en reçoivent
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et le tiennent pour plus sftr que les valeurs fiduciaires, comme les Etats arabes; ceux qui n'ont aucune raison de lui préférer une monnaie ca pitaliste ou des droits de tirage fabriqués par le monde libre, comme ru. R. S. S. et tous les pays de l'Est; enfin, par souci d'indépendance: la France. Les Français, à titre privé, se moquent éperdument des controverses byzantines sur la réforme du système monétaire, et, comme tous les thésauriseurs du monde, ils continuent imperturbablement à entasser le métal, avec d'autant plus d'empressement que les progrès de l'inflation semblent davantage menacer les créances en papier. Les réserves d'or des Français, à l'automne 1973 (d'après Franz Pick) atteignent4 600 tonnes, surun total de 24 000 tonnes dans le monde (4 300 dans le reste de l'Europe, 5000 en Asie, 3000 en Afrique, 4 700 en Amérique). En toute hypothèse, l'or reste un refuge; et, compte tenu de la hausse de ses cours, il ne peut plus être considéré comme stérile. Les officiels français ne professent plus tout à fait, au sujet de l'or, les opinions tranchées du général de Gaulle. Redoutant d'être isolés dans une fidélité anachronique, ils ne veulent pas paraître prisonniers d'un dogme, ni fermés au progrès. Bien qu'ils émettent, en remplacement du vieil emprunt Pinay indexé sur le Napoléon, un emprunt qui conserve la même garantie, ils admettent que l'or ne soit plus référence internationale, et que les monnaies, comme les D. T. S., soient définies autrement qu'en or. De toutes façons, pensent-ils, l'or est et sera coté en monnaies, les monnaies seront définies en D. T. S. et une relation s'établira nécessairement entre D. T. S., monnaies et métal. Mais l'or, selon Paris, doit conserver un rôle monétaire en tant que réserve des Banques centrales et outil de règlement international. C'est d'ailleurs un fait que les Banques centrales en détien-
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nent et qu'elles ne le lâchent pas: elles n'ont ni le droit d'en acheter, ni le droit d'en céder, - parce qu'il serait absurde de vendre pour 42 dollars ce qui est coté deux ou trois fois plus. Le.urs encaisses sont rigoureusement pétrifiées: 8 600 tonnes aux États-Unis, 3600 en Allemagne fédérale, 3300 en France, 2 600 en Suisse, 2 500 en Italie, 1 700 aux Pays-Bas, 1 300 en Belgique ... Dans son désir de « démonétisation », Washington voudrait que les banques puissent seulement vendre de l'or, mais non pas en acheter. Paris milite pour qu'elles puissent librement en vendre et en acquérir. La seule évidence est que ces opérations ne sauraient se dérouler au prix officiel, devenu irréaliste. Elles supposent le ralliement des banques à un prix voisin de celui du marché libre. A défaut d'un accord international sur ce point, la France invite ses partenaires européens à l'adoption d'un prix communautaire de l'or pour dégeler, dans des conditions raisonnables, les encaisses des banques et pour ravitailler en métal le Fonds européen de coopération monétaire.
La riposte des {aits Au seuil de l'année 1974, alors que la cote du métal bat de nouveaux records, les faits sont plus éloquents que les experts. La réforme du système monétaire international est renvoyée aux calendes... arabes, depuis que la crise du pétrole a compromis les balances et déconcerté les planificateurs. Dans le désarroi général, le système monétaire se reconstruit tout seul, en dehors des conférences, autour du dollar réhabilité et de l'or qui n'a pas besoin de réhabilitation. Entre les deux rivaux, la coexistence pacifique n'est pas impossible. La coexistence dans la belligé-rance non plus. Si Washington, fort de. ses nouveaux
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atouts, prétend reprendre l'offensive contre l'or pour l'éliminer des circuits monétaires, on peut envisager une baisse plus ou moins profonde des cours libres: soit sur la simple menace de cette offensive, soit sur la vente effective des encaisses-or par le Trésor américain, imité par diverses Banques centrales. Mais cette baisse trouverait ses limites. Ramené à des cours favorables, l'or rencontrerait une nouvelle couche d'acheteurs: la Banque de France, qui a déjà fait savoir qu'elle se réservait le droit d'acquérir de l'or à des cours propices; les Banques arabes et les pays socialistes; les thésauriseurs remis en appétit; les utilisateurs industriels, que peut décourager un prix trop élevé, mais que stimulerait un prix amoindri. L'or a ainsi la certitude de conserver une place dans certaines encaisses monétaires, comme pour les parures des femmes et dans le cœur des hommes. Même s'il n'est plus étalon officiel, il restera objet d'épargne privée, sans doute aussi d'épargne publique; et il redeviendra moyen de règlement international, dans la mesure même où il pourra être échangé à son juste prix. Pour que l'or perde ses fonctions et ses vertus, mises à part celles que lui reconnaissent l'art et l'industrie, il faut et il suffit que tous les gouvernements équilibrent leurs budgets, jugulent la hausse des prix, dissipent les menaces d'inflation; que les citoyens cessent de revendiquer; que les peu pIes mettent bas les armes et fraternisent sur tous les fronts de la planète; que la paix règne dans les nations et entre les nations; que les impôts cessent d'effrayer les redevables; qu'aucune monnaie ne soit plus chancelante; que les lois soient équitables et reconnues comme telles; que les hommes soient sages à jamais. Si toutes ces conditions ne sont pas remplies, l'or garde quelques chances.
Notes de lecture
Parmi les ouvrages les plu..s généraux sur l'or, on retiendra: Henri Quiring: Geschichte des Go Ides (Stuttgart, 1948); C. H. V. Sutherland: l'Or (1961); Jules Lepidi: l'Or (1968). Parmi les ouvrages qui traitent de l'or monétaire: Gaetan Pirou: la Monnaie (1945); Albert Despaux : les Dévaluations monétaires dans l'histoire (1936); René Gonnard: Histoire des doctrines monétaires (1936); Franz Pick et René Sédillot: Ali the monies of the World (New York, 1971). Parmi les ouvrages qui traitent des emplois industriels, artistiques ou médicaux de l'or: Pierre Amiet et François Balsan: Splendeurs de l'or (1965); P. Hinks: les Bijoux (1970); Pierre Gourbillon: l'Or, remède de tous les temps (Marseille, 1929); A. Marmasse: Dentisterie opératoire (1969); Eugène Skinner et Ralph Phillips: Sience des matériaux dentaires; David Llyod-Jacob : Gold (Londres. 1969). Sur les problèmes de doctrine: les ouvrages de Charles Rist, Jacques Rueff, Robert Triffin, Robert-Mossé ... Sur l'or avant le xx e siècle. Pierre Vilar: l'Or (cours polycopié, 1968); Jean Descola : les Conquistadors (1954); Jacques E. Mertens: la Naissance et le développement de l'étalon-or (1944).
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Histoire de l'or
Sur les problèmes contemporains: André Dargens et Fernand Tomiche : l'Or et son avenir (1967); Fritz Diwok : Monnaie: or, dollar, mark, franc (1969); Robert A. Gilbert: Gold mining Shares (New Jersey, 1971); Timothy Green: le Monde de l'or (1968); Jean Lecerf: l'Or et les monnaies (1969); John Littlepage: A la recherche des mines d'or de Sibérie (1948); Pierre Meutey: l'Or (1968); Franz Pick: Gold (New York, 1968); André Piettre: Monnaie et économie internationale (1967); René Sédillot: la Victoire de ['or (1946); René Sédillot: les' Secrets du marché de l'or (1948). . Parmi les annuaires et revues: Rapports annuels de la B. R. J. (Bâle); Rapports annuels du F.M. J. (Washington); Pick's Currency Yearbook (New York).
Index Alphabétique
Aaron, 13, 14. Abraham, 12, 45, 118. Abyssinie, 37, 239, 290. Achéménides, 15. 91, 95, 98, 103. Achille, 36, 98, 114. Açores, 161, 393, 394. Aden, 138. Afghanistan, 69, 176. Afrique du Sud, 6, 58, 59, 69, 79, 232 à 244, 247,249,250,256,260, 279, 284, 305, 307, 314, 315, 317 à 325, 327, 331, 345, 346, 369, 371, 376, 377, 386. Agamemnon, 36. AGNEL, 132. Agrigente, 84, 121. AIGLE, 254, 282, 309, 358, 362. Alaca, 31, 105. Alaska, 218, 220, 229 à 232, 248, 254, 316, 330, 397. Albanie, 277, 346. Albert le Grand, 46. Alep, 362. Alexandre le Grand, 63, 76, 84, 96, 123, 169, 262, 365. Alexandrie, 43. Allemagne, Allemands, 38 à 40, 69, 71, 133, 164, 167, 171, 173, 176, 177,186,215 à 217, 233, 236. 245, 249, 252, 253, 255, 256, 263 à 269, 273,274,276 à 278, 283, 286, 287, 290, 291, 294, 297, 304, 308, 310 à 312, 335, 339, 342 à 344, 356, 351, 354, 356, 358, 360, 361, 367, 372, 379, 381, 383. Almaden,. 157.
Almagro, 150. Almeria, 63. Alpes, 58, 66, 69, 176. Altaï, 39, 58, 67, 80, 180,329. Amalfi, 131. Amosis 1er, 27, 100, 290. Amsterdam, 172, 189, 190, 191. Anatolie, 31, 105. Andalousie, 156, 160, 170, 174. Andes, 156, 163, 164, 316. Angleterre, Anglais, 38, 39, 47, 66, 71, 104, 124, 131 à 133, 136, 137, . 159, 162, 167, 171, 173, 174, 179, 181, 183, 185 à 187, 190, 193, 195 à 198, 201, 203 à 206, 208, 209, 214 à 217,222, 228, 233, 234, 236, 238, 241, 249, 252, 255, 257, 263, 265, 272 à 275, 277 à 279, 283, 286, 293, 304, 305, 307, 311, 312, 317,339,343,344, 373, 389, 400. Antilles, 147, 158, 290. Antioche, 20. Antonin, 65. Anvers, 168, 169, 172. Aphrodite, 18, 122. Apollon, 18, 19, 123, 124. Arabie, Arabes, 24, 41, 43, 49, 58, 62, 66, 67, 69, 72, 77, 79, 80, 92, 93, 104, 105, 129, 130, 141, 158, 176, 185, 309, 345, 351, 360, 396, 397,402. Aragon, 155, 158, 170. Argentine, 117, 150, 216, 253, 271, 277,283,293,297,356. Argonautes, 33, 34. Argos, Argolide, 28, 33, 98, 121, 122.
408 Aristophane, 105, 126, 195. Aristote, 42, 43 .. 45, 48,108, 109, 193. Arkansas, 224. . Arménie, Arméniens, 76, 80,100, 132. Artemis, 18, 34, 93. As, 118. Ashantis, 24, 92, 93. Asie, 402. ASSIGNATS, 191, 192, 199, 266. Assur, Assyrie, 31,39, 62, 76, 120, 346. Atahualpa, 152 à 154. Athena, 18,33,36, 93, 123. Athènes, Athénien, 19, 84, 92, 105, 122, 125, 309.. Atlantide, 145, 146, 163, 179. Atrée, Atrides, 34,35. Augsbourg, 164, 172, 182. AUGUSTALE, 131. Auguste, 76, 96, 125, 126. AURE us, 125. Australie, 6, 211, 218, 222, 226 à 229, 232, 234, 239, 241, 242, 244, 245,247 à 250, 252, 260, 261, 277, 279,283,308,314,315,317,386. Autriche, Autrichiens, 30, 35, 47, 131, 173, 213, 216, 253, 259, 267, 290, 308, 358, 379. Avicenne, 43, 49. AZTECA, 358. Aztèques, 23, 113, 142 à 144, 338. Baal, 12, 13. Babylone, 11, 62, 76, 80, 83, 84, 113, 188. Bactriane, 15, 58, 67, 80, 123. Bagdad,43, 104,308. Baïkal, 180, 218, 329. Bâle, 20, 277,292,305,361. Balkans, 58, 66, 69, 82,176,213,284, 360. Ballarat, 228, 245. Bangkok, 303, ;J08. Bantous, 244, 3!9, 323. Barnato, 237, 318. Bassorah, 362, 363. Beaumarchais, 194. Belgique, Belges, 31, 211 à 213, 215, 245, 252, 285, 290, 304, 339, 351, 361, 385, 403. Bendigo, 228, 245. Bengale, 79, 104, 138. Berlin, 237, 284, 291, 310, 345. BESANT, 129 à 131. Beyrouth, 298, 308, 309, 360, 362, 364. Bible, 12, 14, 33, 37, 74, 79, 99, 115, 118, 146, 175, 238.
Histoire de l'or Birmanie, 104, 10:>. Bodin, 168, 192. Boers, 233, 234, 238, 247, 317. Bogota, 152. Bohême, 30, 58, 69, 71, 83, 95, 131, 133, 176. Boisguilbert, 197. Bolivie, 157, 176, 216, 239, 253, 273, 277,316. Bombay, 308, 309, 360, 362, 364. Bosphore, 34, 129. Bouddha, 16, 17, 103, 109. Bourgogne, 35, 90, 139, 170. Brésil, 39, 40, 176, 178, 179, 181, 216, 219, 239, 241, 271, 277, 316, 335,356. Bretton Woods, 293 à 297, 300, 325, 359, 384, 399. Bristol, 172. Bruxelles, 155, 271, 290, 346. Bryan, 216. Buenos Aires, 309. Buffon, 5, 47, 52. Bulgarie, 29, 81, 253, 271, 277, 299. Buritica, 156, 167. Byzance, Byzantin, 47, 67, 72, 77, 81 à 85, 88 à 90, 92, 95, 101, 102, 104, 105, 129, 130, 138, 180, 262, 366,389. Cadix, 162, 163, 172, 198. Cagliostro, 47. Caire (Le), 92, 138, 237, 308, 309, 342. Californie, 6, 40, 150, 179,211, 218 à 229,232,240,242 à 249, 254, 316, 325, 330, 331, 336. Cambon, 199, 382. Cameroun, 346. Canada, 40, 113, 144, 188, 230, 231, 239, 241, 247, 284, 293, 294, 300, 308, 314 à 316, 351, 361, 372, 383. Canaries, 160. Cantillon, 250. Canton, 298, 362. Cap (Le), 233, 237, 238. Cappadoce, 120. Carpathes, 58, 64, 66, 69, 71, 176, 177,239. Carthage, Carthaginois, 62, 64, 68, 76, 80 à 82, 84, 85, 100, 104, 123, 124, 391. . Carthagène, 156, 160, 162. Caspienne, 19, 99. Castille, Castillans, 130, 133, 153, 156, 157, 160, 168, 170, 174. Catalogne, 46, 49, 170,
Index alphabétique Catherine de Russie, 52, 191. Caton, 107, 110, 193,339. Caucase, 34, 58, 66, Q7, 80, 180, 329. CAURI, 113 à 117, 137, 141. Cellini, 173, 181. Celtes, 31, 88, 124. Cendrars, 222, 330. CENTENARIO, 309, 358, 362. Centurione, 137, 160. César, 64, 96, 124, 125, 339. Ceuta, 72. Ceylan, 184. Chang-hai, 298, 362. Chaplin, 231. Charlemagne, 20, 103, 128, 168. Charles II, 47, 184. Charles Quint, 38, 155, 162, 164, 168, 169,171,173,175. . Charles VII, 136. Charles IX, 47,173. Charles X, 219, 252. Charles X 1l, 196. Che Houang-ti, 139. Chibchas, 23, 144, 164. Childéric, 93, 98. Chili, 150, 156, 176, 216, 239, 253, 259, 273, 277, 341, 356. Chine, Chinois, 17, 24, 32, 41 à 43, 58, 63, 6i, 69,·81, 82, 84, 87, 88, 90, 94, 95, 99, lOI, 102, 104, 105, 114,117,126,137 à 141,172,176, 184, 185, 188, 213, 216, 217, 222, 239, 241, 25f, 254, 255, 277. 296, 298, 299, 305, 308, 310, 327, 357, 358, 361, 362, 364, 367. Churchill, 274. Chypre, 58, 62, 82, 105, 130. Cicéron, 108. Cipango, 146, 147, 163, 165. Colbert, 196. Colchide, 33, 34, 80. Colomb, 73, 80, 141, 145 à 150, 156, 162,172,181,260. Colombie, 141, 142, 150, 152, 156, 165,175 à 179, 239, 241, 253, 254, 259, 273, 277, 316, 345. Colombie britannique, 39, 241. Colorado, 40, 179, 224, 226, 232, 254, 316. Comstock, 224. Congo, 6, 317. Constantin, 125, 129. Constantinople, 40, 81, 102, 132, 138. .Copernic, 175, 195. Corée, 32, 58, 67, 69, 113, 141, 176, 239, 310, 362. Corinthe, 19, 122.
409 Cornouailles, 29, 104. Coronado, 149, 179. Cortez, 145; 149 à 152, 154, 162. Côte-de-l'Or, 40, 69, 72,176,177,181, 232, 239, 241, 317. Côte-d'Ivoire, 99, 104. COURONNE ANGLAISE, 204. COURONNE AUTRICHIENNE, 253, 267, 309,360. COURONNE NORVÉGIENNE, 395. COURONNE SCANDINAVE, 254, 283. COURONNE SUÉDOISE, 394. COURONNE TCHÉCOSLOVAQUE, 299. Crésus, 36, 39, 74, 80, 84, 121. Crète, Crétois, 28, 29, 80, 81, 84, 86, 91, 92, 97, 98, 120. Crimée, 92, 131. CRUZADE, 183, 254. Cuba, 160, 259, 284. Cuzco, 23, 150 à 152. Cyrus, 121. Dacie, Daces, 40, 63 à 65, 75, 77. Dagobert, 70, 95. Damas, 129,308. Danae, 17. Danemark, Danois, 23, 47, 67, 277, 344. Danube, 8, 31, 64, 75, 76, 98. Darius, 103, 122. Davanzati, 195. Dawson, 231, 232, 248. Delhi, 138, 355, 368. Delphes, 19,35,63,74, 123. Démocrite, 42, 48. DENIER, 128, 135, 136, 200. Denver, 301. Détroit, 336. Diaz, 73. Diderot, 5, 194, 262, 289. Didon, 36, 37. DINAR, 129, 138, 141,253. Dioclétien, 43, 84, 125, 126. Diodore, 60. Disraeli, 206. Djenné,68. DOLLAR, 182, 191,202,216,223,248, 254, 255, 258, 259, 266, 271, 272, 280 à 284, 293, 297, 301 à 303, 305, 307,309,358,362,369 à 377, 391, 392, 394-399, 401, 403. Domitien, 100. DOUBLON, 133, 185. DOURS, 40, 64, 182. DRACHME, 121, 123, 125, 211, 253, 283, 298, 395. Drake, 162, 179, 180, 247.
H isloire de l'or
410 Dub~i,
308, 351, 362 à 364. Dublin, 93. DUCAT, 132, 162, 170, 184, 185, 253, 254. Durb~n, 307, 321. Durer, 155, 175.
Ecbatane, 76. Écosse, Écossais, 190, 198, 252. ÉCu, 132, 183, 186, 193, 200, 203. Edison, 384. Édouard III, 47, 132, 137. Édouard IV, 133. Édouard VII, 357. Égée, 34, 91. Égine, 121. Égypte, Égyptiens, 8 à 10, 12, 26, 27, 40, 41. 58 à 63, 67, 69, 75 à 83, 85 à 89, 92, 97, 100, 103, 105, 119, 123, 129, 200, 244, 251, 277. 283, 296, 308, 337, 356, 360, 389. Eisenhower, 373, 391. Eldorado, 37, 40, 163 à 166, 197, 218, 224, 232. Élisabeth Ire, 47, 162, 173, 179, 186, 187. Élisabeth II, 359. Élisabeth de Russie, 184. Éloi, 70, 95. Énée, Énéide, 36, 37. Éphèse, 120, 122. Équateur, 142, 156, 176, 178, 253, 273, 277, 351. Érasme. 39, 175. ESCUDO, 183, 186, 254, 283. Espagne, Espagnols, 23, 35, 38, 39, 47, 64, 69, 76, 80, 90, 127, 129, 130, 141, 148, 150, 152 à 159, 161 à 170, 174 à 176, 179, 181, à 183, 185,186, 197, 198,211,213, 217, 244, 254, 259, 270, 297, 328, 335, 339, 342, 354, 366, 389. Esquilin, 19, 100. Estonie, 271, 277, 329. États-Unis, 176, 179, 180, 191, 202, 203, 209, 210, 213, 214, 216, 217, 224, 229, 239, 241, 246, 249, 254, 255 à 257, 264, 265, 270, 272, 273, 277, 280, 281, 283, 286, 288, 293, 295,296,298, 300 à 304, 311, 314,. à 316, 326, 335, 339, 342 à 346, 355, 358, 360 à 362, 368, 369, 371 à 373,375,378,389,393,397,399, 401,403. Éthiopie, 58, 59, 67 à 69, 141. 176, 217,346.
Étrurie, Étrusques. 30. 63, 64, 86. 88, 91, 92, 94, 95. 118, 338. Eubée, 103. , Euphrate, Il, 31. 75, 80, 82, 83. 87, 118. Fairbanks, 231. 184. Fauchard. 338. Faust. 268, 291. Federmann, 164. Finlande. 216. 272, 277, 283, 288. Fischer. 250. Flamel, 46. 48. Flandre, Flamands, 71, 131, 133. 140, 148, 159, 167, 168, 170. Florence, 85, 86, 131, 132, 162, 173, 195. Floride, 4, 149. FLORIN, 131 à 133, 184, 186, 190, 191.204,253.286,297,358,379. 394,396. Formose. 309. Fort Knox. 300 à 303, 368, 374, 392, 401. FRANC, 132. 203. 210, 211, 213, 252, 253, 255, 258. 263, 266, 275 à 277. 284, 285, 293, 297. 310, 311, 394. 396,398. FRANC BELGE, 211, 253, 297. 394. France, Français, 38, 40, 47, 69, 71, 132, 136. 159. 162, 164. 167 à 170. 173, 174, 185 à 187, 191, 193. 195 à 199, 201 à 203, 209 à 213, 217, 222, 233, 245, 249. 252, 255 à 257, 262 à 266, 275. 277, 284 à 287. 290 à 294, 300,304,309 à 311, 335, 339, 341 à 344, 346, 352, 353, 355, 356, 360, 368, 375, 384, 389, 393, 394, 396.403. Francfort. 133, 215, 244. 306, 309. Franciscains. 140. 221. François 1er, 162, 168, 173, 174. Francs, 93, 127. FRANC SUISSE, 211, 253. 266, 286. 379. 393, 396. Frédéric II. 107. Freyr, 22. Friedman, 377, 380. Fugger. 49. 168, 172. Funk. 383. FANON,
Gabon. 346. Galicie, 40. Galles, 64. Gambie, 68, 72. Gange, 67.
lndex alphabétique Gao, 68. Gaule, Gaulois, 29, 58, 63, 64, 66, 76, 82, 84, 92, 96, 123, 127. Gaulle (de), 310, 311, 346, 353, 374, 376, 387, 402. . Geber, 43, 49. Gênes, Génois, 71, 72, 131, 132, 137, 145, 146, 168, 169, 171, 271, 272. Genéve, 271, 305, 361. GENOVINE, 131. George 1Il, 202. George Il l, 202. George V, 357, 359. Germanie, Germains, 21, 22, 88, 89, 126 à 128. Germiston, 321. Ghana, 67, 68, 72, 98, 317. Goethe, 268. Golconde, 184. Goldfinger, 300, 365. GOLO YUAN, 298. Grande-Bretagne, Britanniques, 29, 58, 64, 69, 71, 92, 94, 127, 176, 219, 247, 255, 256, 274, 280, 295, 298, 306, 335. Grèce, Grecs, 5, 17, 19, 26, 29 à 32, 34, 39, 41 à 43, 62, 63, 67, 76, 82, 84,85,87 à 89, 91, 92, 95, 96, 101, 108, 114, 115, 117, 121 à 125, 137, 138, 180, 211, 212, 253, 259, 262, 271, 272, 277, 283, 298, 338, 339, 354,360 à 362, 364. Grenade, 90, 99, 146, 173. Gresham, 126, 195. Guadalquivir, 64, 160. Guatemala, 217, 253. GUINÉE, 184, 252. Guinée, 67, 69, 72, 86, 176, 184,239. Guyane, 156, 165, 188, 239. Gygès, 35, 36, 74, 97, 120, 121. Haïti, 148, 156, 253, 259, 345, 346. Hallstatt, 30. Hamadan, 98, 105. Hambourg, 189,237. Hamourabi, 84. Hargraves, 227 à 229. Hatchepsout, 79. Havane (La), 162. Havre (Le), 219. Hawaï, 165, 220. Hébreux, 12, 13. 37. 41, 80, 96, 118. Henri III. 50. 132, 186. Henri IV, 338. Henri VII. 183. Héphaïstos, 19. 114. Héra. 18. 19.
411 Hérodote. 62. 67. 74. Hésiode. 32, 289. Hespérides. 18, 19. HIDALGO, 358. . Hispaniola, 148. 149. 156. 182. Hitler. 288 à 290. 295. 304, 312, 339, 383. Hittites, 11, 103. Hôchstetter. 172. Hollande, Hollandais. 38, 39, 133, 165. 181. 190, 198,339.358. Homère. 18, 28, 36, 114. Honduras, 217, 253. Hong-Kong, 298. 299, 308,309,357, 361.362. Hongrie. 83, 90, 131, 133, 136, 184, 216, 271, 277, 290, 298, 345. 358. Horace, 109. 110. Horn (cap), 179,221. HOTUS. 10, 11. Huns, 67. Iakoutie. 328, 329. Ibérie, 40. 58, 63. 64, 66, 80, 82. 84. 92. Ilia de, 36. 37. Incas, 23, 24, 143. 151, 152 à 154. 158. Inde, Indiens. 15. 16, 42, 43, 58. 67, 69, 72, 81 à 84, 86. 88. 90, 92, 97. 100, 106, 108, 114. 115, 117. 126. 137, 138. 145. 161, 163. 176, 184. 198, 211, 216, 217, 239. 241. 251, 254, 270, 271. 277, 279. 283, 288. 296, 308, 317, 342, 346. 354. 355, 357, 362 à 364, 367. 388. 389. Indes néerlandaises, 271. Indes occidentales, Indiens, 43, 147 à 149. 157, 158, 220, 230. Indochine. 58. 69. 176, 213. 277. Indo-Européens, 39, 113. 118. Indonésie, 308. 367. Indus, 67, 76, 364. Ionie, 29, 120. Irak, 296. Iran. Iranien, 15. 80. 99. 105, 254, 277, 296, 354. Irlande. 64, 93 à 95. 245. 252. Isis, 10, 11, 97. Islande. 113. Isra ël. 12 à 14. 20, 75. 76. 84. 289. 397. Istanbul. 309. Italie. Italiens, 39. 58. 63. 69. 71. 84. 108. 123. 124. 127, 130 à 132, 136. 167, 171. 173, 176. 184. 185. 211. 212, 245. 253. 259. 277. 285.
412
H isioire de l'or
290, 335, 339, 342 à 344, 354, 360, 361, 363, 403. Jacob (L1yod), 334 à 337, 339, Japon, 17,67,69, lOI, 103, 137, 165, 172, 176, 177, 184, 188, 216, 217, 239, 241, 254, 277, 298, 308, 315, 317, 330, 335, 346, 357, 362, 372, 381, 398. Jason, 33, 34. Jérusalem, 14, 37, 74, 75, 79, 84, Job, 45, 109. Johannesburg, 235 à 238, 245, 318, 321. Juifs, 46, 237, 362, 364. Junon, 124. Jupiter, 100. Justinien. 127.
342. 141, 213, 297, 339, 145. 307,
Karachi, 309. Katanga. 345, 346. Katmandou, 364. Kazakstan. 329. 332. Kennedy, 373. Kentucky, 300. Keynes, 198, 250, 271, 274. 294 à 296. 312. 384. Kimberley, 234. 237. Kitchin, 250. 256, 385. Klondike, 230 à 232, 241. 316. Kolyma, 287, 329, 331 à 333. Koweit. 351, 362. 363. Kruger, 234, 235. 238, 346. Kyoto. 101. Labrador, 316. La Fontaine, 37, 185, 194. 352, 390. Langlaagte, 234. 322. Laos, 358, 362. Law, 178. 191, 192. 198, 199. 255. 266. Lena, 218, 219, 329. Lénine, 267, 330. 383. Lettonie, 277. LEU. 253, 299. LEV, 253. 299. Liban, 298. 351, 364. Lima. 162, 182. Limpopo, 61, 79, 233. LIRE, 211. 253, 381, 396. Lisbonne, 161, 172. 215. 309. LittIepage. 326, 331. 332. Lituanie, Lituaniens, 21, 38. 277. LIVRE, 118, 128, 136, 186, 200. LIVRE-STERLING, 128, 190, 203, 208, 255, 258, 266. 270 à 272. 274. 275,
278, 279, 283, 284, 293, 297, 300. 307, 362, 393. 394. 396. Locke, 194, 202. Lombardie, Lombards, 63, 104, 127. Londres. 46, 77, 172, 179, 190. 204, 208, 227, 237, 238, 241, 255, 272, 279, 285, 287, 290, 298, 302, 304, 306 à 309, 321, 326, 328, 346. 356, 359. 363. 373, 377, 391. 394. 396, 398. LOUIS. 183. 186, 193, 200, 252, 398. Louis (saint), 71. 77, 132, 140. Louis XI, 50. Louis X 1l, 173. Louis XIII, 51, 183. Louis XIV. 51. 185. 196. Louis XV, 338. Louis XVI, 339. Louis XVIII, 252. Louisiane, 188. Louis Napoléon, 252. Louis-Philippe. 252. Lucques. 94. 132. Lull. 46. 47. Luther, 175. 195. Lydie, Lydiens. 35. 63. 80. 84. 120 à 122. Lyon, 172. Macao, 298. 299, 308, 309, 351. Macédoine, 63, 84, 123, 124. Mackeanie, 316. Madagascar. 69, 166. 176. Madère, 161, 237. Madrid, 184. 309. Malacca, 181. Malaisie, 357. Maldives, 114. Malestroict, 171. 195. Mali. 68. Mallia, 98. Manille, 298, 309. 362. Mao. 310. MARAVEDIS. 129, 130, 133, 186. MARK, 215. 253. 255, 263, 267, 273, 275, 278. 283, 284, 289, 293, 299, 309, 358, 379, 393. 397. MARK POLONAIS. 267. Maroc, 58, 62, 69, 217. Marrakech, 68. 340. Marshall (J .). 220, 221. Marx, 253, 289, 330, 382, 383. Matthey, 307. Matto Grosso, 178. Maurya, 100. 138. Mecque (La), 308. 360.
362.
269. 291, 396.
Index alphabétique Médicis, 47, 50, 51. Melbourne, 228, 245. Ménès, 83, 119. Mésopotamie, Il, 28, 82, 85, 94, lOI, 115. Mexico, 150, 154, 182, 246, 303, 309. Mexique, Mexicains, 32, 141 à 145, 149, 155 à 158, 171, 176, 178, 185, 214, 216, 221, 222, 224, 239, 246, 254, 271, 298, 309, 316, 358, 362. Midas, 35, 109. Milan, 94, 132, 309, 360. MILREIS, 259. Minas Gerais, 178. Mine (La), 72. . Mississipi, 179, 192. Moccata, 241, 307. Moïse, 12 à 14,45,94, 118. Molière, 39, 51, 52, 183, 194, 352. Mongols, 20, 39, 140, 332. Monomotapa, 80, 181,233. Montagu, 229, 307, 326. Montesquieu, 198,382. Montevideo, 303, 309. Montezuma, 150 à 152, 155, 162. Montpellier, 49, 52, 170. More, 197,382. . Moscou, 287, 325, 327, 328, 330. Mossoul, 98, 105. Mozambique, 234, 323. Mycènes, Mycéniens, 28, 29, 34, 62, 80, 84, 89, 90, 92, 94, 98, 99, 102, 103, 105, 117, 120.
413 OBAN,184. Odyssée, 36, 37. Ontario, 241, 316. Ophir, 37, 79, 80, 109, 145 à 148, 166, 224, 229, 233. Oppenheimer, 318, 319. Orange, 233, 238, 318, 320, 385. Oregon, 219, 222, 254. Orénoque, 164, 165. Oresme, 194. Ouganda, 345. Oural, 6, 67, 80, 129, 180, 181, 218, 329. Ouro Preto, 40, 178. Oxus, 15, 180.
Pacifique, 114, 165, 179, 183, 216, 220. Pactole, 35, 63. Pakistan, 308, 337, 355, 364. Pallas, 19, 114. Panama, 148, 149, 151, 160, 222, 254,309. Pangée, 63, 84, 123. Paracelse, 46, 48 à 51, 53. Paraguay, 40, 253, 351. Paris, 86, 170, 171, 174, 178, 211, 212,217,290,291, 304, 305, 308 à 310, 346, 359, 375, 377, 391, 396, 403. Parthes, 91, 94, 104. Pays-Bas, 183, 184, 187, 193, 215, 216, 277, 285, 286, 351, 403. PENGOE, 298. Pépin, 20, 128. Nabuchodonosor, 12. Naples, 50. Pérou, Péruviens, 32, 141 à 144, 149, 155, 156, 165, 171, 176, 196, 198, NAPOLÉON, 252, 292, 305, 309, 310, 353, 358, 359, 398, 402. 216, 239, 241, 253, 254, 259, 277, 356. Napoléon 1er, 181, 201, 252, 274. Perse, 31, 62, 67, 75 à 77, 81, 84, 85, Napoléon III, 211, 252. 91 à 94, 97 à 99, 103, 105, 106, 113, Néron, 19, 100, 125. 121 à 123, 137, 138, 169, 180,213, Nevada, 40, 212, 224, 226, 232, 246, 217,262,308,365. 247,316. New York, 219, 223, 272, 298, 301, Persique (golfe), 79, 82, 308, 354, 362. 303, 364, 373, 379, 395. PESETA, 211, 254. Nicaragua, 316. PESO, 164, 182, 255, 283. Nil, 8, 9, 26, 59, 67, 83, 91, 100. Petrone, 95, 97. Nixon, 376, 380, 391-394. NOBLE, 46, 133, 183, 185. Phéniciens, 12, 39, 64, 80, 119, 338. Noire (mer), 29, 34, 98. Philadelphie, 92, 301. Normandie, 96, 130,294. Philippe de Macédoine, 63, 84, 123, 262. Norvège, Norvégiens, 95, 231, 277, Philippe II, 38, 47, 186. 288,344. Nouvelle-Guinée, 114, 165. . Philippe le Bel, 108. Nouvelle-Zélande, 239, 261, 283, 314.. Philippines, 69, 114, 166, 176, 271, Nubie, 40, 58, 59, 61, 63, 67 à 69, 78, 284, 298, 317. 82, 176, 239. Phocée, 120, 123.
414 Phrygie. 35. 63. 120. PIASTRE. 182. 186. 203. 216. 254. Pick. 308. 326 à 328. 349. 351. 352. 355. 356. 367. 402. Pierre le Grand. 180. 181. Pinay. 402. PISTOLE. 183 à 185. Pizarre. 23. 149 à 154. 158. 164. Platon. 108. 146. Pline. 43. 49. 65. 81. Plutarque. 39. 107. Po. 63. Poincaré. 275. 276. 284. 286. 297. 352.353. Polo (M.). 94. 140. 141. 146. 147. Pologne. 39. 75. 184. 192. 222. 245. 267. 272. 277. 285. 290. 299. 356. 358. Polycrate. 63. 97. Pompée. 96. 100. 124. Pompidou. 394. Portugal. Portugais. 30. 39. 69. 72, 73. 79. 133. 135. 146. 155. 159. 161, 163. 167, 169. 172, 176, 177, 179, 181. 184, 187. 208. 215, 232. 233. 234, 254, 259, 283, 293, 298. Poséidon, 18. 19. Pou nt, 61. 78. 79, 233. Prague, 290, 377. Pretoria, 233 à 235, 238, 369, 375. Priam, 90, 103, 105. Prusse, 52. 215, 253, 262. Pyrénées, 64. 170, 305. Pyrrhus, 84. 184. Québec, 316. Quesada, 150, 164. Quiriag, 58, 69, 74, 170, 175,240.
QUADRUPLE,
Ra. 10, 11. Raleigh, 162, 164". Rand. 57, 232, 234, 235, 238, 240, 247,318,320,385. Ravenne, 101. Rhin, Rhénans, 21, 64, 75, lM, 133. Rhodes (C.), 237, 238, 318. Rhodes, 19,91,93. Rhodésie, 79, 176,238,239,317. Ricardo, 206, 250, 256, 270. Rio de Janeiro, 309. Rio de Oro, 40, 72. Rist, 250, 275. 386. Rome. Romains, 19 à 21, 32, 43, 57 à 59. 62 à 67, 71, 75 à 77, 80 à 82, 84, 85, 87 à 89, 91, 94 à 97, 100 à 102, 107. 108, 114, 118, 124 à 127,
H isloire de l'or 131. 132, 135, 138, 167, 171, 177, 244, 262, 338, 366. 389, 393. Roosevelt, 280, 281, 293, 312, 369. 373. 384, 391, 393. Rothschild, 237, 238, 306, 307. Rotterdam, 189. ROUBLE, 184, 191, 253, 255, 268, 293, 297, 299, 358, 396. Rouge (mer), 9, 59, 75, 79, 141. Roumanie, 216. 253, 277, 290. 299, 356. ROUPIE. 114, 184, 217, 283, 355. 384. Royaume Uni, 179, 205. 209, 214. 263, 270, 295, 342, 372. Rueff. 272, 378, 387. Russie, Russes, 21, 39, 40, 52, 113, 117. 180, 181, 184, 191, 200, 213, 216, 219, 229, 239, 241, 250, 251, 253, 255, 256. 262, 267 à 269, 294, 297, 312, 314, 315, 325, 327, 328, 332, 356, 358, 385. Saba, 37. 74. Sacramento, 220, 221, 224, 232. Sahara, 68. Saigon, 298, 362. Saint-Domingue, 162, 164, 253. Sainte-Marie-Majeure, lOI, 155. Sainte-Sophie, 102. Salomon, 14, 37, 74, 75, 84, 97, 99, 100, 102, 103, 105, 110, 118, 146. 148, 166, 194, 233. Salomon (lies), 113, 166. Samos, 63, 120. San Francisco, 40, 220, 221, 231, 232,245 à 247, 301. Sarmates, 95, 98. Sassanides, 92, 103, 105, 106. Saxe, Saxons, 30, 47, 69, 71, 127. 180. Scandinavie, Scandinaves, 8, 30, 126, 131, 184, 215, 232, 254, 283. Schacht, 273, 278, 312, 386. Scythes, 21, 29. 31, 67, 93, 97, 99. Sea ttle, 231. Sénégal, 68, 72, 93, 141. SEQUIN, 132, 138, 184, 254. Serebrovski, 330, 332. Séville, 159 à 161, 163, 164, 169, 170, 172, 183,248. Shakespeare, 164, 165, 194, 195. Shaw, 386. SHILLING, 128, 186, 204, 205. Shubad, 27, 105. Siam, 117, 213, 216, 254, zn. Sibérie, 20, 29, 57, 58, 179 à 181,
Index alphabétique 217 à 219, 230,232, 239. 244, 314, 317, 329 à 333. Sicile, 47, 102, 123, 130, 364. Sidney, 227, 228, 245, 248. Siegfried. 21, 97. Sierra Leone, 69, 72, 176. Silésie, 40, 69, 71. Singapour, 308. Smith (A.), 198, 250. Soetbeer, 175, 250. Sofala, 176, 239. Sogdiane, 58, 67. SOLIDUS, 125, 129. Somalie, 69, 79, 176, 239, 346. Sonde, 58, 69, 165, 176. Soto (de), 149, 151, 154. sou, 126 à 128, 136, 186, 200. Soudan, 9, 62, 71, 141, 176, 239. SOUVERAIN, 183, 186, 252, 305, 309, 357 à 360, 362. Sparte, 19, 28, 80, 107, 117. Staline, 312, 330 à 332, 366, 383. STATÈRE, 121 à 124. Stockholm, 189, 309, 378. Stuttgart, 30, 236. Suède, Suédois, 189, 196, 231, 277, 288, 293, 316, 339, 344, 367. Suétone, 19, 124. Suisse, 46, 171, 211, 212, 253, 277, 285, 286, 290, 291, 293, 297, 304, 305, 339, 342, 343, 346, 351, 354, 356, 358, 360, 361, 367, 401, 403. Sumer, Sumériens, 27, 31, 62, 87, 104,338. Suse, 12, 76. Sutter, 219 à 221, 245, 246. Syracuse, 76, 122, 123. Syrie, Syriens, 75, 123, .129, 364. Tacite, 21, 100. T'ang, 90, 102, 105, 140. Tanger, 303, 308, 357. Tchad, 24, 346. Tchara, 218, 219. Tchécoslovaquie, Tchèques, 38, 272, 27i, 290, 299, 356, 358. Tenochtitan, 150, 151. Thailandt', 362. THALF.R, 1&2, 186. Thrace, fi3, 80. Thuringe, 69, 71. Tibet, 58, 67, 69, 113, 138, 176. Tolède, 90, 173. Toltèques, 23. Tombouctou, 68, 72, 232. Tooke, 256. Tou Fou, 94, 105.
415 Toutankahmon, 27, 102. Toutmosis III, 103, 119. Trajan, 64, 65, 77. Transvaal, 216, 233, 235, 238, 318, 322. Transylvanie, 30, 98. Tristan, 37, 96. Troie, Troyens, 8,18,80,90,99,104, 105. Tufalan, 98, 104. Tunis, Tunisie, 71, 253, 346, 358. Turkestan, 69, 176. Turquie, 20, 132, 254, 308, 339, 354, 360. Union latine, 212,213,217,253,285, 305,358. Ur, 26, 27, 102, 105. U.R.S.S., 287, 325, 326, 328, 329, 349, 358, 367, 402. Uruguay, 216, 253, 259, 277, 356. Utah, 254, 316. Vaal, 233, 235. Valdivia, 150, 153. Vancouver, 220. Vaphio,28. Varsovie, 267, 290. Venezuela, 156, 162, 172, 239, 253, 277,397. Venise, Vénitiens, 71, 94, 96, 102, 131, 132, 138, 157, 173, 174, 189, 196. Vera Cruz, 145, 151, 160, 162. Verazzano, 162. Victoria, 6, 228. Victoria (reine), 214, 237, 252, 357. Vienne, 90, 360. Vientiane, 362, 364. Viêt-Nam, 308, 362. Vilar, 158, 160, 170. Virgile, 36, 109. Virginia, 224, 225, 246. Vix, 29, 90. Vladivostock, 329, 330, 333. Volta, 68, 72. Voltaire, 197 à 199. VRENELI, 253, 309, 358. Wall Street, 277, 3U1. Washington, 221, 223, 295 à 297, 336, 369, 370, 371, 374, 375, 377, 378, 380, 391, 394, 395, 398-400, 403. Welser, 164, 172. White (H.), 294, 295. Wisigoths, 90, 127.
416 Witim, 218, 219. Witwatersrand, 233, 234. Wou-ti, 139. Xerxès, 103. Yahvé, 12, 13, 14, 75, 94, 118. 293, 393, 394, 396. Yougoslavie, 316. Yseult, 37, 96. Yukon, 230, 316. YEN,
.H isioire de l'or Zambèze, 61, 79, 181, 23;J. Zeus, 17, 18, 19, 34, 122. Zimbabwe, 79. Ziwiyé, 31, 93, 103. ZLOTY, 39, 267, 299. Zosime, 43. Zoulous, 233, 323. Zurich, 30, 304 à 306, 308, 309, 360, 363, 368, 377.
Table des matières
Avant-propos • . . . .
1
I. -
3
L'OR F:eTICHE. Un métal qui brille 3. - L'or dans la nature 5. - L'or dans la préhistoire 7. - L'or dans les premières religions 9. - L'or dans la Bible 12. - L'or dans les religions orientales 14. - L'or dans les religions occidentales 17. - L'or dans les religions barbares 20. - L'or dans les religions américaines et africaines 23. - L'or dans les tombeaux 24. - De sépulcre en sépulcre: Nil, Ur, Grèce 26. - De sépulcre en sépulcre: à travers les continents 30. - L'or dans les légendes: Age d'or et Toison d'or 32. - L'or dans les légendes: Midas et Gygès, Homère et Virgile 35. - Lettres et langues 37. - L'or dans l'alchimie 40. - La pierre philosophale 44. - L'or chez Diafoirus 48. - L'or dans la médecine 52.
II. -
L'OR PARURE. . . . . . . . . . . . . . . Vue cavalière de la production 55. - L'Afrique, premier des grands producteurs 59. - Grecs et Romains en quête d'or 62. - L'or raréfié des temps barbares 66. - Réveil à l'Occident 70. - Dons et rapts 73. - Le commerce de l'or 78. - L'or et l'argent 82. - Les orfèvres au travail 85. - L'or, de la tête au cou, 89. L'or, jusqu'aux pieds 93. - La parure du guerrier 98. - La parure de la maison 100. - La parure dans la maison 102. - Pour lire, pour boire et pour manger 104. - Pour et contre l'or 106.
55
III. - L'OR MONNAIE. • • . . . . . . . . . . . Avant et après le troc 111. - Le métal pesé 116. - Les premières pièces d'or 120. - Deuxième génération 122.
111
418
Histoire de l'or - L'Occident porte le deuil de l'or 127. - Retour à l'or 130. - Grandeur et misère de la monnaie d'or 133. - L'or et l'Orient 137. - L'Amérique avant Colomb 141. - Colomb 145. - Les conquistadors 149. - Le butin 153. - Les mines américaines 156. - L'or sur l'Océan 159. - Les chimères 163. - Une pluie d'or 166. - Inflation métallique 169. - Renaissance et Réforme, filles de l'inflation 172. - Trois siècles de production d'or 175. - Trois siècles de monnaies d'or 181. - Trois siècles de bimétallisme 185. - Quand le métal se métamorphose en papier 188. - Quand le papier se soustrait au métal 191. - Quand les penseurs pensent à l'or 193.
IV. -
L'OR ÉTALON.
200
Or ou argent'1 200. - Naissance de l'étalon-or 203. Les variantes de l'étalon-or 206. - Résistance à l'étalon-or 209. - L'or l'emporte 214. - Les ruées vers l'or: Sibérie 217. - Californie 219. - Nevada, Colorado 224. - Australie 226. - Alaska 229. - Le Rand 232. - Barnato, Rhodes et Kruger 236. Bilan d'un siècle 240. - L'or et les hommes 243. L'or et les prix 247. - Mille pièces d'or 250. - Rival de l'or, le papier 255. - Inflation et stabilité 258. V. -
L'OR REFUGE. . . . . . . . . . . . . . .
262
L'or évincé 262. - La grande valse des monnaies 265. - L'étalon de change-or 270. - L'or restauré 273.Adieux à l'étalon-or 277. - Une once d'or = 35 dollars 280. - Le Bloc de l'or 282. - Le temps du désarroi 286. -L'étalon-travail 288. - Bretton Woods 293. - Le pacte à l'épreuve 297. - Fort Knox 300. - Les marchés de l'or 303. - La cote de l'or 308. VI. -
L'OR RÉSERVE. . . . . . . . . .
xx· siècle: production record 313. - L'or sud-afrIcain 317. - Visite à la mine et aux mineurs 321. L'énigme de l'or soviétique 325. - Aventure en Sibérie 328. - Les clients industriels de l'or 333. - Les emplois dentaires de l'or 337. - Les débouchés artistiques de l'or 342. - Dans les coffres privés 346. Géographie de la thésaurisation 351. - Les formes de la thésaurisation 356. - Circuits de l'or et contrebande 361. - Dans les coffres publics 365. - Revaloriser l'or '1369. - Le dollar contre l'or 372. - L'étalondollar 376. - Démonétiser l'or? 380. - Adversaires et défenseurs 382. - Bilan de sept mille années 387.
313
Table des maiiùes
419
VII. - L'OR EN QUESTION. La nuit du 15 aoftt 391. - Le virage des Açores 393. - La crise du printemps 73 395. - Le grand retournement 897. - L'offensive américaine contre l'or 398. - La défense de l'or 401. - La riposte des faits 403.
391
Notes de lecture . . . . . . . . .
405
Index alphabétique. . . . . . .
407
Tableau:x: de la production de l'or 1. Dans l'Antiquité (- 3900 à + 500) . . . . . 2. Temps barbares et Moyen Age (500 à 1492). 3. XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. 4. XIX e siècle 5. xx e siècle. . . . . . . . .
58 69 176 239 314
Achevé d'imprimer le 14 mars 1974 dans les ateliers de l'Imprimelle Bussière à Saint-Amand-Montrond (Cher) pour le compte de la librairie Arthème Fayard 75, rue des Saints-Pères, Paris-6 o Dépôt légal: 1 er trimestre 1974 N° d'~ditlon : 4950. N° d'Impression: 337 lmpriml en Franœ I.S.B.N. 2-213-00095-6 H 35-5550-5